Economie-et-Statistique-Economics-and-Statistics-n-522-523-2021-INSEE

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Economie Statistique Economics Statistics AND ET Varia TVA, niveau de vie et inégalités - Chômage et comportements à risque - Emploi des jeunes en Italie après la crise de 2008 - Disparités spatiales de l'autonomie résidentielle des jeunes en France - Désynchronisation du sommeil dans les couples VAT, standard of living and inequality - Unemployment and risky behaviours - Youth employment in Italy after the 2008 crisis - Spatial disparities in young adults early residential independence France - Desynchronisation of sleep within couples N° 522-523 - 2021 N° 522-523 - 2021 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS Economics Statistics AND Economie StatistiqueET INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE ET DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES Directeur Général : Jean-Luc TAVERNIER Direction Générale : 88, avenue Verdier, CS 70058, 92541 MONTROUGE Cedex Tél : +33 (0)1 87 69 50 00 Conseil scientifique / Scientific Committee Jacques LE CACHEUX, président (Université de Pau et des pays de l'Adour) Frédérique BEC (Thema, CY Cergy Paris Université et CREST-ENSAE) Flora BELLONE (Université Côte d'Azur et GREDEG-CNRS) Céline BESSIERE (Université Paris-Dauphine, IRISSO, PSL Research University) Jérôme BOURDIEU (École d'Économie de Paris) Pierre CAHUC (Sciences Po) Eve CAROLI (Université Paris Dauphine - PSL) Sandrine CAZES (OCDE) Gilbert CETTE (Banque de France et École d'Économie d'Aix-Marseille) Yannick L'HORTY (Université de Paris-Est - Marne la Vallée) Daniel OESCH (LINES et Institut des sciences sociales-Université de Lausanne) Sophie PONTHIEUX (Insee, rédactrice en chef) Katheline SCHUBERT (École d'Économie de Paris, Université Paris I) Louis-André VALLET (Observatoire Sociologique du Changement-Sciences Po/ CNRS) François-Charles WOLFF (Université de Nantes) Comité éditorial / Editorial Advisory Board Luc ARRONDEL (École d’Économie de Paris) Lucio BACCARO (Max Planck Institute for the Study of Societies et Département de Sociologie-Université de Genève) Antoine BOZIO (Institut des politiques publiques/École d’Économie de Paris) Clément CARBONNIER (Théma/Université de Cergy-Pontoise et LIEPPSciences Po) Erwan GAUTIER (Banque de France et Université de Nantes) Pauline GIVORD (Dares et Crest) Florence JUSOT (Université Paris-Dauphine, Leda-Legos et Irdes) François LEGENDRE (Erudite/Université Paris-Est) Claire LELARGE (Université de Paris-Sud, Paris-Saclay et Crest) Claire LOUPIAS (Direction générale du Trésor) Pierre PORA (Insee) Ariell RESHEF (École d’Économie de Paris, Centre d’Économie de la Sorbonne et CEPII) Thepthida SOPRASEUTH (Théma/Université de Cergy-Pontoise) Directeur de la publication / Director of Publication: Jean-Luc TAVERNIER Rédactrice en chef / Editor in Chief: Sophie PONTHIEUX Responsable éditorial / Editorial Manager: Pascal GODEFROY Assistant éditorial / Editorial Assistant: ... Traductions / Translations: RWS Language Solutions Chiltern Park, Chalfont St. Peter, Bucks, SL9 9FG Royaume-Uni Maquette PAO et impression / CAP and printing: JOUVE 1, rue du Docteur-Sauvé, BP3, 53101 Mayenne La revue est en accès libre sur le site www.insee.fr. Il est possible de s’abonner aux avis de parution sur le site. La revue peut être achetée sur le site www.insee.fr, rubrique « Services / Acheter nos publications ». La revue est également en vente dans 200 librairies à Paris et en province. The journal is available in open access on the Insee website www.insee.fr. Publication alerts can be subscribed on-line. The printed version of the journal (in French) can be purchased on the Insee website www.insee.fr. N° 522-523 - 2021 Economie Statistique Economics Statistics AND ET Les jugements et opinions exprimés par les auteurs n’engagent qu’eux mêmes, et non les institutions auxquelles ils appartiennent, ni a fortiori l’Insee. Economie et Statistique / Economics and Statistics Numéro 522-523 – 2021 VARIA 5 Effets de moyen terme d’une hausse de TVA sur le niveau de vie et les inégalités : une approche par microsimulation Mathias André et Anne-Lise Biotteau 23 Chômage et comportements à risque : quel effet de la perte d’emploi sur la consommation d’alcool et de tabac ? Jérôme Ronchetti et Anthony Terriau 43 Les perspectives d’emploi des jeunes diplômés en Italie pendant et après la crise de 2008 Raffaella Cascioli 61 Les disparités spatiales d’accès à l’autonomie résidentielle précoce en France Claire Kersuzan et Matthieu Solignac 81 Inégalités sociales et désynchronisation du sommeil au sein des couples Capucine Rauch ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 5 Effets de moyen terme d’une hausse de TVA sur le niveau de vie et les inégalités : une approche par microsimulation Medium-Term Effects of a Rise in VAT on Standard of Living and Inequality: a Microsimulation Approach Mathias André* et Anne‑Lise Biotteau** Résumé – Les effets d’une hausse de la TVA sur le niveau de vie et les inégalités sont à la fois directs et différés. Une telle hausse se traduit l’année même par une augmentation des prix. Dans un second temps, les revenus d’activité et les autres types de revenus s’ajustent partiel‑ lement. Par ailleurs, les barèmes des prestations sociales et des impôts directs sont indexés sur l’inflation. Ces travaux proposent une évaluation ex ante de ces mécanismes via le modèle de microsimulation Ines. Trois ans après une hausse de trois points du taux normal de TVA, le niveau de vie corrigé de la TVA et des dépenses de loyer serait inférieur, en moyenne, de 0.6 % en termes réels à ce qu’il aurait été en l’absence de hausse. Cet effet différé correspond à 45 % de l’effet initial. Les 10 % des personnes les plus modestes se distinguent du reste de la population par une perte relative de niveau de vie corrigé près de trois fois plus importante. Abstract – A rise in VAT has both direct and delayed effects on standard of living and inequality. Such a rise translates into an increase in prices that same year. Earnings and other types of income are partly adjusted subsequently. The scales for social security benefits and direct taxes are also index-linked to inflation. This work offers an ex-ante evaluation of these mechanisms using the Ines microsimulation model. Three years after a three-point rise in the standard rate of VAT, the standard of living, adjusted for VAT and spending on rent, would be 0.6% lower in real terms, on average, than if there had been no rise. This delayed effect equates to 45% of the initial effect. The poorest 10% of people suffer a relative fall in their adjusted standard of living three times greater than the rest of the population. Codes JEL / JEL Classification : H23, H24, H31, I32 Mots‑clés : TVA, inflation, consommation, inégalités, pauvreté, microsimulation Keywords: VAT, inflation, consumption, inequality, poverty, microsimulation *Insee (mathias.andre@insee.fr); **Insee au moment de la rédaction de cet article (anne‑lise.biotteau@travail.gouv.fr) Les auteurs tiennent à remercier Didier Blanchet, Béatrice Boutchenik, Clément Carbonnier, Chantal Cases, Maëlle Fontaine, Laurence Rioux, Sébastien Roux, Jean‑Luc Tavernier, Xavier Timbeau, Lionel Wilner pour leurs commentaires et relectures attentives, ainsi que l’équipe du Bureau Redistribution et Évaluation de la Drees, et tous les participants des séminaires de la DSDS (Insee), du D2E (Insee) et de la Drees, ainsi que deux rapporteurs anonymes. Reçu en mars 2019, accepté en février 2020. Les jugements et opinions exprimés par les auteurs n’engagent qu’eux même, et non les institutions auxquelles ils appartiennent, ni a fortiori l’Insee. Citation: André, M. & Biotteau, A.‑L. (2021). Medium-Term Effects of a Rise in VAT on Standard of Living and Inequality: a Microsimulation Approach. Economie et Statistique / Economics and Statistics, 522‑523, 5–21. https://doi.org/10.24187/ecostat.2021.522d.2037 6 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 Le débat public fiscal est parsemé de sujets récurrents, dont l’un des plus symboliques est l’impôt sur le revenu (IR). Depuis trente ans toutefois, l’importance budgétaire de cet impôt s’est réduite : la part de l’IR dans les pré‑ lèvements obligatoires est passée de 12 % en 1981 à moins de 7 % au début des années 2000 (André & Guillot, 2014), et oscille entre 6 % et 7 % depuis. Cette diminution s’est accom‑ pagnée d’un basculement des recettes fiscales vers la contribution sociale généralisée (CSG), dont la part dans les prélèvements obligatoires (contribution au remboursement de la dette sociale – CRDS – incluse) est passée de 3 % en 1996 à 10 % en 2016 et même 13 % en 2018 suite à la réforme faisant basculer une partie du financement de la protection sociale des cotisa‑ tions sociales vers la CSG. Mais dans les faits, les recettes fiscales reposent en grande partie sur la taxation indirecte de la consommation, et principalement sur la taxe sur la valeur ajou‑ tée (TVA). Les recettes de la TVA représentent à elles seules environ 16 % des prélèvements obligatoires ; cette proportion est stable depuis les années 1990. Contrairement à l’IR auquel seuls 45 % des foyers fiscaux sont assujettis en 2016, la TVA est un impôt acquitté par l’en‑ semble de la population qui consomme, y com‑ pris par les touristes et les étrangers résidant en France. Cette taxe, centrale pour les recettes fiscales, a été créée par Maurice Lauré et instaurée en France en 1954. Depuis, sa structure a évolué à de nombreuses reprises en raison de modifica‑ tions des taux acquittés, des assiettes ou encore du nombre de taux distincts (voir la figure I pour l’historique des taux depuis 1968). La dernière modification en date est celle du 1er janvier 2014 ; votée en 2012 dans le cadre de la loi de finances, elle a fait passer le taux intermédiaire de 7 % à 10 % et le taux normal de 19.6 % à 20 %1 . Le taux normal s’applique aux produits ou services pour lesquels aucun autre taux n’est expressément prévu, c’est‑à‑dire à la majorité des ventes de biens et des prestations de services. Dans l’Union européenne, il diffère selon les pays. En 2016, le taux normal appliqué est compris entre 17 % (au Luxembourg) et 27 % (en Hongrie), la majorité des États‑membres ayant un taux compris entre 20 % et 23 %. Le montant des recettes fiscales tirées de la TVA diffère également ; en 2016, il représente en moyenne 6.8 % du PIB des pays de l’OCDE, variant entre 0 % aux États‑Unis – où il n’y a pas de TVA à proprement parler mais des taxes locales sur la vente au détail – et 9.4 % en Nouvelle‑Zélande. En Allemagne comme en France, les recettes de la TVA correspondent à 6.9 % du PIB. En outre, au cours de la dernière décennie, des projets de « TVA sociale », qui correspondent à une hausse des taux de la TVA s’accompagnant d’une affectation des recettes à la protection sociale, ont alimenté les débats autour des réformes socio‑fiscales (rapport Besson, 2007 ; Fève et al., 2010 ; Carbonnier, 2012). Ensuite, les institutions européennes cherchent à 1. Les recettes supplémentaires attendues étaient évaluées à 5.2 milliards d’euros, voir le Projet de loi de finances pour 2014 (2013). Figure I – Historique des taux de TVA en France métropolitaine 0 5 10 15 20 25 30 35 1968 1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 Super-réduit Particulier Réduit Intermédiaire Normal Majoré % Source : Gilles & Fauvin (1996) entre 1968 et 1995. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 7 Effets de moyen terme d’une hausse de TVA sur le niveau de vie et les inégalités : une approche par microsimulation harmoniser les structures de la TVA dans les pays membres, notamment en encadrant le nombre de taux distincts et en fixant un taux minimal pour les taux réduit et normal. Cependant, l’har‑ monisation des taux par les règles européennes est incomplète et la Cour de justice de l’Union européenne rend régulièrement des arrêts en la matière afin de préciser l’application des direc‑ tives communautaires (Conseil des prélèvements obligatoires, 2015). Enfin, les hausses récentes de la TVA en Europe montrent que c’est un levier fréquemment utilisé en période de consolidation budgétaire (Gautier & Lalliard, 2013). Une modification de la structure de la TVA a des conséquences budgétaires et un effet sur le pouvoir d’achat des ménages. Si le caractère redistributif du système socio‑fiscal est assuré à la fois par les prélèvements (impôts directs et indirects et cotisations sociales) et les prestations sociales (allocations familiales, aides au loge‑ ment, minima sociaux, etc.), la définition usuelle du revenu disponible utilisée par l’Insee pour les études sur les inégalités et la redistribution, qui n’est pas net des prélèvements indirects tels que la TVA, se prête mal à leur évaluation2 . Une littérature récente a toutefois permis de documenter les effets redistributifs des taxes indirectes, à court terme (Boutchenik, 2015) comme à long terme, c’est‑à‑dire sur le cycle de vie (Georges‑Kot, 2015). En coupe, la TVA est régressive, avec, pour les 10 % des personnes les plus modestes, un taux d’effort (c’est‑à‑dire un montant de taxe payée rapporté au revenu disponible) de plus de 12 %, contre 5 % pour les 10 % les plus aisés (Boutchenik, 2015), et ce principalement en raison de la croissance du taux d’épargne avec les revenus (Garbinti & Lamarche, 2014). En étudiant les revenus sur l’ensemble du cycle de vie, la régressivité serait moins prononcée, l’épargne étant une consommation différée et donnant ainsi lieu à l’acquittement de la TVA. Mais à notre connaissance, les effets distributifs d’une hausse de la TVA à moyen terme n’ont pas encore été étudiés, effets a priori ambigus puisque l’effet régressif de court terme est suivi de mécanismes de rattrapage de moyen terme. Dans un premier temps, une hausse des taux de la TVA se répercute sur les prix à la consommation, impliquant d’une part une hausse des montants de TVA acquittés, et d’autre part une augmenta‑ tion de l’inflation. Dans un second temps, cette hausse générale des prix s’accompagne d’un ajustement des revenus d’activité, en particulier dans le bas de la distribution des salaires, et des barèmes des prestations sociales et des impôts directs du fait de leur indexation. Ces effets différés transitent par trois canaux principaux : ‑ l’ajustement des salaires, en raison d’une part de la revalorisation annuelle du Smic directement liée à l’inflation et de sa diffusion aux salaires plus élevés, et d’autre part des négociations salariales ; ‑ la revalorisation des barèmes sociaux et fiscaux et de certains revenus de remplacement selon des critères légaux ou usuels d’indexation sur l’inflation ; ‑ les décalages temporels induits par la légis‑ lation française, puisque l’impôt payé l’année N+1 est relatif aux revenus perçus l’année N et certaines prestations perçues l’année N+2 sont également conditionnées aux ressources perçues l’année N. Par conséquent, les ménages ne seront pas affectés de la même façon par une variation des taux de TVA, puisque son effet dépend de la composition de leur revenu disponible et de leur position dans la distribution des niveaux de vie. L’effet anti‑redistributif de court terme pourrait ainsi être en partie contrebalancé par certains effets redistributifs de moyen terme. L’objectif de cet article est de quantifier à la fois les effets directs et certains effets différés, induits par l’ajustement des revenus et l’indexation des barèmes socio‑fiscaux au choc d’inflation, qui suivent une hausse de la TVA. Nous mobilisons le modèle de microsimulation Ines3 , qui s’appuie sur des données représentatives de la population résidant en France métropolitaine en 2016, et en particulier son module de taxation indirecte qui permet d’imputer des dépenses de consomma‑ tion dans l’enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) à partir de l’enquête Budget de famille (BDF) 2011 et de simuler des hausses de la TVA (André et al., 2016). La première section revient sur les effets a priori attendus d’une hausse de la TVA, à court et à moyen termes. Nous y présentons la littérature sur la transmission des hausses de la TVA aux prix, et sur l’ajustement des salaires et des revenus qui en découle, ainsi que la législation entourant le système socio‑fiscal français et l’indexation des barèmes sur l’inflation. La deuxième section est consacrée à la méthode de microsimulation, aux données 2. Voir André et al. (2017). En comptabilité nationale, la fiscalité indirecte est incluse dans les prix et donc prise en compte dans la mesure du pouvoir d’achat du revenu disponible brut. 3. Le modèle Ines simule les effets de la législation sociale et fiscale française, pour une documentation détaillée voir https://www.insee.fr/fr/ information/2021951 8 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 utilisées et à nos principales hypothèses. L’évaluation des effets d’une hausse de la TVA sur les principales composantes du revenu dispo‑ nible des ménages et du niveau de vie et sur les principaux indicateurs d’inégalités est présentée en troisième section, et l’analyse de la sensibilité des résultats aux hypothèses dans les Annexes en ligne4 . 1. Les effets d’une hausse de la TVA sont ambigus a priori 1.1. Régressivité de la TVA en coupe La TVA, rapportée aux revenus, est anti‑ redistributive : le taux d’effort en TVA décroît avec le niveau de vie. Si les estimations des taux d’effort en TVA selon le niveau de vie diffèrent légèrement en fonction des données mobilisées, des méthodes de calcul et des années considérées, le constat est toujours le même : les individus les plus modestes consacrent une part plus importante de leurs revenus à la TVA que les individus les plus aisés. Forgeot & Starzec (2003) estiment un taux d’ef‑ fort en TVA (TVA acquittée rapportée au revenu disponible brut – i.e. avant prélèvements fiscaux) de 8.1 % pour les 10 % les plus modestes et de 3.4 % pour les 10 % les plus aisés, tandis que Trannoy & Ruiz (2008) concluent à des taux d’effort de respectivement 11.5 % et 5.9 %5 . Sur des données semblables à celles que nous mobilisons, mais sur une année différente, et avec une méthode proche, le rapport du CPO estimait en 2015 que les 10 % les plus modestes consacrait en moyenne 12.5% de leur revenu disponible à la TVA, contre 4.7 % pour les 10 % les plus aisés (Boutchenik, 2015). Nous estimons un taux d’effort en TVA (rapportée au revenu disponible) en 2016 de 13.1 % pour les 10 % de personnes les plus modestes et de 7.4 % pour les 10 % les plus aisées. En coupe, la TVA contribue donc à une moindre progres‑ sivité du système socio‑fiscal (voir André & Biotteau, 2019a, pour une décomposition du niveau de vie corrigé de la TVA et des dépenses de loyer). 1.2. Transmission de la hausse de TVA aux prix Une hausse de la fiscalité indirecte, en particulier de la TVA, proportionnelle à la valeur hors taxes des biens et services (taxe dite ad valorem), a des effets sur les prix à la consommation. Selon les comportements d’ajustement des prix des détail‑ lants, un changement d’imposition indirecte a souvent un effet significatif sur les prix. On évalue le taux de transmission d’une hausse de la TVA aux prix, mesuré comme la hausse des prix observée (en contrôlant les autres sources d’évolution des prix) rapportée à la hausse « mécanique » des prix en cas de transmission totale, à une valeur située en moyenne entre 70 % et 80 % (Carare & Danninger, 2008 ; Gautier & Lalliard, 2013). Gautier & Lalliard (2013) esti‑ ment ainsi que la création du taux intermédiaire de 7 % pour certains produits en 2012 (contre un taux réduit à 5.5 %) s’est répercutée à 75 % sur les prix à la consommation. Ils prévoient qu’en 2014, la hausse des taux intermédiaire, de 7 % à 10 %, et normal, de 19.6 % à 20 %, sera répercutée à hauteur de 70 % à 80 %. S’agissant de la hausse du taux normal de la TVA de 18.6 % à 20.6 % en août 1995, ils estiment la transmis‑ sion aux prix à 80 %. Cela rejoint les estimations de Carbonnier (2008), réalisées pour des sous‑ catégories de biens : le taux de transmission moyen serait de 53 % pour les produits manu‑ facturés et de 86 % pour les produits intensifs en main d’œuvre peu qualifiée. Par ailleurs, la littérature empirique fait état d’une relative rapidité de ces mécanismes d’ajus‑ tement. Lors des changements récents de taux de la TVA en France et en Europe, la vitesse de transmission aux prix est évaluée à environ trois à quatre mois (Carbonnier, 2008), la majorité des ajustements de prix ayant lieu le mois durant lequel le changement de taux se produit (Gautier & Lalliard, 2013). 1.3. Effets de moyen terme : ajustement des revenus et des barèmes socio‑fiscaux sur l’inflation, à rebours de l’effet anti‑redistributif de court terme Suite à une hausse des taux de la TVA et à sa transmission partielle aux prix, la hausse du niveau général des prix induit des effets différés, de plusieurs années, sur les revenus mais également sur les prestations perçues et sur les prélèvements acquittés par les ménages. Un choc d’inflation l’année N, induit par une hausse de la TVA, se diffuse, l’année N et les années suivantes, aux salaires, aux autres 4. Le lien vers les Annexes en ligne est à la fin de l’article. 5. Si les deux études sont réalisées à partir de l’enquête Budget de famille 2001, les méthodes différentes expliquent l’écart entre les taux d’effort. Forgeot & Starzec (2003) calculent la TVA à un niveau fin de la nomencla‑ ture des fonctions de consommation, y compris les dépenses de travaux d’entretien considérées comme de l’investissement au sens de la compta‑ bilité nationale mais soumises à la TVA. Trannoy & Ruiz (2008) calculent la TVA à un niveau plus agrégé de la nomenclature de la consommation et surtout recalent les données de consommation (hors dépenses de travaux d’entretien) sur celles de la comptabilité nationale afin d’obtenir des effets des réformes simulées cohérents en masses financières. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 9 Effets de moyen terme d’une hausse de TVA sur le niveau de vie et les inégalités : une approche par microsimulation revenus et transferts et aux prélèvements, via les canaux de transmission suivants : ‑ la revalorisation du Smic l’année N+1 ; ‑ les négociations salariales et l’ajustement du revenu primaire l’année N+1 ; ‑ l’indexation des barèmes socio‑fiscaux entre l’année N et l’année N+2. 1.3.1. Les salaires et certains revenus s’ajustent Le premier canal est celui de la revalorisation du salaire minimum, qui a lieu au 1er janvier de l’année N+1. Le Smic est indexé sur une compo‑ sante de l’inflation et sur la base de la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire brut des ouvriers et employés (SHBOE), mesurées l’année N. Cette hausse se diffuse le long de l’échelle des salaires, de manière mécanique et par le biais des accords salariaux de branche : les négo‑ ciations permettent d’ajuster les minima de branches pour être en conformité avec le niveau du Smic, ce qui se répercute ensuite sur les salaires plus élevés de manière à conserver les hiérarchies salariales (Groupe d’experts sur le Smic, 2015 ; Fougère et al., 2016). Sur la période 2000‑2005, Koubi & Lhommeau (2007) montrent que ces effets d’une hausse du Smic sur les salaires jouent jusqu’à 1.5 Smic, et donc sur le salaire moyen (Cette et al., 2011). En outre, ces effets sont plus élevés à l’horizon d’un an qu’à l’horizon d’un trimestre (Koubi & Lhommeau, 2007 ; Avouyi‑Dovi et al., 2010 ; Cette et al., 2011). L’inflation peut également se transmettre direc‑ tement aux salaires, en raison des négociations salariales de branche, d’entreprise et indivi‑ duelles. Ces négociations ont lieu le plus souvent en fin d’année N ou au début de l’année N+1, et se traduisent pour la majorité d’entre elles par une modification des salaires en début d’année N+1 (environ 50 % des changements de salaire ont lieu au premier trimestre sur la période 1998‑2005, voir Avouyi‑Dovi et al. (2010), Le Bihan et al. (2012), Fougère et al. (2016)). Ce second canal peut expliquer que l’inflation modifie les salaires au‑delà de 1.5 Smic. Il est à noter que ces effets de diffusion de l’inflation aux salaires peuvent dépendre du cycle économique au moment des négociations salariales. En période de croissance, les salaires ont une probabilité plus élevée d’être ajustés à la hausse, tandis que les augmentations seront plus limitées en période de stagnation ou de réces‑ sion. Les effets de diffusion peuvent également dépendre de l’origine du choc d’inflation. Un choc sur le prix des énergies ou une hausse de la fiscalité indirecte peuvent augmenter les coûts des entreprises et les mener à réduire leur marge. Cela peut in fine se traduire par des augmenta‑ tions de salaires plus limitées. D’autres revenus que nous considérons comme primaires, notamment les allocations chômage et les pensions de retraite, sont aussi indexés, au moins partiellement, sur l’inflation ou ses composantes. Depuis 2016, les pensions de retraite de base et certaines pensions de retraite complémentaires (pour les non titulaires de la fonction publique et pour la plupart des indé‑ pendants) sont revalorisées au 1er octobre, selon l’évolution de la moyenne annuelle des prix à la consommation, hors tabac, calculée à partir des douze derniers indices mensuels des prix (d’août N‑1 à juillet N). Les pensions de retraite complémentaires des fonctionnaires (RAFP, mise en œuvre depuis 2005) sont revalorisées de manière plus discrétionnaire tandis que celles des salariés du secteur privé (régime Agirc‑Arrco) sont indexées sur l’inflation mesurée, diminuée d’un point. Le principal revenu des chômeurs indemnisés, l’allocation de retour à l’emploi (ARE), voit ses trois composantes (la partie fixe de l’indemnité journalière, le salaire journalier de référence et l’indemnité journalière minimale) revalorisées, en principe, une fois par an sur décision du conseil d’administration de l’Unédic, qui publie le coefficient de revalorisation au 1er juillet de chaque année. Même si ce coefficient est issu d’une négociation entre les partenaires sociaux et est souvent un chiffre arrondi (1 % ou 1.5 % par exemple), le niveau d’inflation est un élément de la négociation. 1.3.2. Les barèmes socio‑fiscaux sont indexés Les revalorisations des barèmes des prestations et prélèvements sont indexées sur l’inflation de l’année courante ou sur celle des années précédentes. Depuis 2016, la majorité des pres‑ tations sociales est revalorisée au 1er avril selon l’évolution de la moyenne annuelle des prix à la consommation, hors tabac, calculée sur les douze derniers indices mensuels disponibles en février (de février N‑1 à janvier N). C’est le cas des montants de prestations familiales à travers la base mensuelle de calcul des alloca‑ tions familiales (Bmaf), du revenu de solidarité active (RSA), de la prime d’activité (PA), de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) et de l’allocation supplémentaire 10 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 d’invalidité (Asi). Une partie des paramètres des aides au logement est revalorisée au 1er octobre depuis 2014, selon le glissement annuel de l’indice de référence des loyers le plus récent, soit celui du deuxième trimestre. De plus, dans la législation française, jusqu’en 2018, l’IR est acquitté un an après la perception effective des revenus6 . Les barèmes fiscaux applicables l’année N sur les revenus de l’année N‑1 (seuils d’entrée des différentes tranches du barème, montants minimal et maximal de la déduction forfaitaire de 10 % pour les frais professionnels, montant des plafonds de revenus pour déterminer les abattements, montant forfai‑ taire des abattements, etc.) sont revalorisés selon l’inflation prévisionnelle de l’année N‑1, établie aux environs du mois de septembre de l’année N‑17 . Enfin, certaines prestations sociales sous condi‑ tion de ressources sont attribuées en fonction des revenus perçus deux ans auparavant. Les plafonds de ressources correspondants sont donc revalorisés uniformément, au 1er janvier de l’année N, selon l’évolution moyenne annuelle des prix à la consommation, hors tabac, de l’année N‑2. C’est le cas des prestations fami‑ liales sous condition de ressources (allocation de base et prime à la naissance de la Prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), allocations familiales depuis le 1er juillet 2015) ainsi que des aides au logement (jusqu’en 2021). 2. Une approche par microsimulation rapprochant données socio‑fiscales et de consommation L’article vise à évaluer à la fois les effets directs de la TVA, régressifs, et certains effets différés, liés à l’ajustement des revenus et à l’indexa‑ tion des barèmes socio‑fiscaux, qui peuvent en partie les compenser. Nous cherchons à lever l’ambiguïté quant aux effets de moyen terme d’une hausse de la TVA sur le niveau de vie des ménages et les inégalités. Même si nous nous situons dans un cadre de moyen terme spéci‑ fique, notamment sans boucle prix‑salaire et à comportements de consommation inchangés, cette approche est à notre connaissance inédite. L’évaluation des effets redistributifs d’une hausse des taux de la TVA sur trois années repose sur une utilisation spécifique du modèle de micro‑ simulation Ines et de son module de taxation indirecte (voir André & Biotteau, 2019a, pour une présentation du modèle et André et al., 2016, pour la méthodologie complète du module). Nous proposons ainsi une innovation méthodologique afin de quantifier certains effets différés qui ne sont pas usuellement pris en compte. 2.1. Imputation des dépenses de consommation et simulation de la TVA Les données de consommation à partir desquelles la TVA acquittée par les ménages est calculée proviennent de l’enquête BDF 2011 de l’Insee. Elles sont calées sur les données de la comptabilité nationale (CN), pour compenser la sous‑estimation de certains postes de consom‑ mation dans l’enquête et pour qu’elles soient conformes à la structure et aux niveaux de consommation de l’année simulée, 2016. Le revenu disponible issu de l’enquête BDF est également calé, par décile de niveau de vie, sur celui simulé grâce au modèle Ines afin de conserver un taux d’épargne et des taux d’effort cohérents après le calage de la consommation, et qu’il soit représentatif de celui de l’année simulée8 . Cette double correction est en effet nécessaire dans la mesure où nous calculons, puis imputons, des parts de consommation, en fonction du revenu disponible, pour 247 postes de consommation de la nomenclature COICOP9 (niveau 4). L’imputation de la structure moyenne de consommation (en pourcentage du revenu disponible) aux ménages de l’échantillon Ines est réalisée par strates. Les trois variables utili‑ sées pour constituer ces strates sont le décile de niveau de vie, le type de ménage (en cinq modalités : célibataire, famille monoparentale, couple sans enfant, couple avec enfant(s) et ménage complexe) et le statut d’occupation du logement (en deux modalités : propriétaire non accédant, propriétaire accédant ou locataire). Pour conserver des strates de tailles suffisantes, certaines strates sont regroupées10. L’imputation s’effectue sur 71 strates. Les montants annuels de consommation de chaque poste sont ensuite recalculés à partir du revenu disponible de chaque ménage. Si les ménages d’une même strate ont la même 6. Dans le cadre de la mise en place d’un règlement de l’impôt contempo‑ rain aux revenus, dit « prélèvement à la source », à partir du premier janvier 2019, ce décalage est supprimé. 7. Il arrive que le Gouvernement décide de « geler » le barème de l’IR. Nous adoptons une convention similaire aux études des effets des réformes produites par l’Insee (André et al., 2017), c’est‑à‑dire que la situa‑ tion usuelle est le cas où ce barème est revalorisé selon l’inflation. 8. Le revenu disponible n’est pas calé sur le revenu disponible brut calculé par la CN en raison de concepts difficilement conciliables. En outre, utiliser les données microéconomiques simulées permet de réaliser un calage plus fin selon le niveau de vie. 9. Classification Of Individual Consumption by Purpose, ou classification des fonctions de consommation des ménages. 10. Il s’agit des ménages complexes, qui ne constituent qu’une seule strate, et des familles monoparentales, qui ne sont croisées qu’au décile de niveau de vie (André et al., 2016). ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 11 Effets de moyen terme d’une hausse de TVA sur le niveau de vie et les inégalités : une approche par microsimulation structure de consommation et le même taux d’épargne, ils n’ont donc pas forcément les mêmes montants de dépenses, qui dépendent directement du revenu du ménage. Enfin, les montants de TVA acquittés sont calculés sur la base des montants annuels de consommation, pour chacun des 247 postes disponibles de la nomenclature COICOP, selon la formule suivante : TVA = conso × 1 + τ τ avec conso le montant de dépenses de consom‑ mation en euros, taxe comprise, et τ le taux de TVA applicable au poste de consommation considéré. Les dépenses totales de consommation imputées s’élèvent à près de 907 milliards d’euros pour l’année 2016 et les montants de TVA simulés à 97 milliards d’euros (tableau 1). Compte tenu des différences de champ, ces montants sont cohérents avec les données de la CN. Selon la CN, en 2016, la dépense de consommation finale individuelle de l’ensemble des ménages (hors entrepreneurs individuels) s’élève à 1 165 milliards d’euros11 en France. Dans le modèle Ines, les dépenses de consommation sont simulées sur le champ réduit des ménages ordi‑ naires, dont le revenu est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante, hors entrepreneurs individuels et en France métropolitaine. Elles couvrent ainsi 78 % de la consommation individuelle calculée par la CN. Par ailleurs, la dépense de consommation finale individuelle des ménages représentant 67 % de la dépense de consommation finale totale (1 741 milliards d’euros), on peut s’attendre à ce que la part de TVA payée par les ménages soit proche des deux tiers de la TVA totale (154 milliards d’euros en 2016, base 2014, données semi‑défi‑ nitives), ce que confirment nos simulations. 2.2. Microsimulation d’une hausse de TVA : effets sur trois années L’exercice de microsimulation est réalisé à l’aide du modèle de microsimulation Ines, déve‑ loppé conjointement par l’Insee et la Drees. À partir d’un échantillon de ménages ordinaires, représentatif de la population vivant en France métropolitaine, ce modèle simule les différentes prestations auxquelles chaque ménage a droit et les impôts et les prélèvements dont il doit s’acquitter. Il s’appuie sur l’ERFS, qui réunit les informations sociodémographiques de l’enquête Emploi, les informations administratives de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), la Caisse nationale d’assurance vieil‑ lesse (Cnav) et la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) ainsi que le détail des revenus déclarés à l’administration fiscale pour le calcul de l’IR. Afin de disposer de trois années consécutives de revenus, utiles pour simuler la législation socio‑fiscale française, l’ERFS est vieillie de deux ans grâce à un calage sur marge et une évolution individuelle des revenus. Pour cette étude, nous utilisons l’ERFS 2014 afin de simuler la législation 2016, fondée sur les revenus de 2014 à 2016. Le modèle Ines est statique au sens où les trajectoires individuelles professionnelles ou démographiques sont fixées et où seul le poids des individus peut varier d’une année sur l’autre. Néanmoins, il permet de disposer d’une séquence de trois années et ainsi de prendre en compte de potentiels effets différés d’une hausse de la TVA. Il possède un grand nombre de variables individuelles annuelles permettant de simuler avec précision le niveau de vie des ménages et des réformes socio‑fiscales. L’appariement avec des données de consommation permet en outre d’évaluer 11. Données semi‑définitives, base 2014. Tableau 1 – Part des dépenses de consommation et des montants de TVA simulés dans Ines par type de taux de TVA en 2016 Taux Dépenses de consommation (TVA incluse) Montants de TVA acquittés en millions d’euros en % en millions d’euros en % Normal (20 %) 473 543 52.2 78 924 81.1 Intermédiaire (10 %) 120 381 13.3 10 944 11.3 Réduit (5.5 %) 139 655 15.4 7 281 7.5 Particulier (2.1 %) 5 430 0.6 112 0.1 Exonérations 167 697 18.5 Total 906 705 100.0 97 260 100.0 Note : les dépenses de consommation exonérées de TVA regroupent les dépenses de loyer, caution et certaines charges, de consultations et services médicaux, de parking, de services postaux, de jeux de hasard, d’enseignement et de services d’assurance. Lecture : 97 milliards d’euros de TVA sont simulés dans le module de taxation indirecte d’Ines. La TVA à taux normal en constitue plus de 80 %. Source et champ : Insee, ERFS 2014 actualisée 2016, enquête BDF 2011 actualisée 2016, Insee‑Drees, modèle Ines et module de taxation indirecte ; France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage ordinaire dont le revenu est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante. 12 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 ex ante différents scénarios de réforme des taxes indirectes, dont la TVA. Plus précisément, nous considérons trois situa‑ tions, ou années « fictives », que nous comparons à l’année 2016 de référence : ‑ 2016 est l’année N du choc : la hausse de TVA a lieu en 2016 (au 1er janvier) ; ‑ 2016 est l’année N+1 du choc : la hausse de TVA a lieu en 2015 ; ‑ 2016 est l’année N+2 du choc : la hausse de TVA a lieu en 2014. Ainsi, les années pour lesquelles nous simulons une hausse de la TVA sont comparées à l’année 2016 de référence, correspondant à la simulation de la législation effectivement en vigueur en 2016. Cela implique une légère dépendance des résultats à l’année de législation simulée, mais qui est négligeable en raison de la méthode de calcul par différence. Plus précisément, les effets présentés par la suite sont des effets marginaux, nets des effets mesurés les années précédentes. L’effet N est ainsi la différence entre la situa‑ tion simulée l’année du choc et la situation de référence ; l’effet N+1 est la différence entre la situation contrefactuelle un an après le choc et la situation simulée l’année du choc ; et enfin, l’effet N+2 est la différence entre la situation deux ans après le choc et celle simulée un an après le choc. L’effet total à l’issue des trois années correspond à la somme de ces effets marginaux annuels12. La hausse des taux de TVA et le choc infla‑ tionniste associé sont pris en compte à travers leur effet sur la TVA acquittée, les revenus, les barèmes socio‑fiscaux et les dépenses de loyer (voir encadré). Dans le cadre de cette étude, nous utilisons en effet la notion de revenu disponible dit corrigé, défini comme le revenu disponible diminué de la TVA et des dépenses de loyer. Le niveau de vie corrigé est égal au revenu dispo‑ nible corrigé du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation (UC dans la suite, 1 unité pour le premier adulte du ménage, 0.5 pour les autres personnes de 14 ans ou plus et 0.3 pour les enfants de moins de 14 ans). 2.3. Principales hypothèses de simulation et de transmission Nous nous plaçons dans un cadre de moyen terme spécifique, qui ne tient pas compte de tous les effets d’ajustement des comportements ou de bouclage macroéconomique (cf. ci‑après et Annexe en ligne C1). Nous faisons également des hypothèses sur la transmission de la hausse de la TVA aux prix et de l’inflation aux salaires et aux autres revenus (voir infra, hypothèses de transmissions et Annexe en ligne C2). 2.3.1. Hypothèses de simulation Les estimations sont réalisées à comportements de consommation inchangés (en termes de quantités consommées), au cours de l’année de changement des taux de la TVA et les deux années suivantes. Nous supposons que l’inflation mesurée en février de l’année N intègre le choc et que toutes les prestations concernées sont revalorisées en conséquence dès l’année du changement de taux de la TVA. Mais la transmission de la hausse de la TVA aux prix est supposée incomplète. Nous faisons l’hypothèse que l’effet du choc d’inflation sur les salaires et revenus est différé en N+1. Ce retard peut s’expliquer par les diffé‑ rents canaux de transmission (voir Annexe en ligne C2). Nous supposons également que le choc d’inflation en N n’a pas d’effet sur la dyna‑ mique des salaires en N+2 ni au‑delà. En outre, nous faisons l’hypothèse d’absence de spirale inflationniste : la hausse des salaires l’année N+1 ne donne pas lieu à une nouvelle hausse des prix l’année N+1 ou les années suivantes. En conséquence, il n’y a pas de choc d’inflation supplémentaire les années N+1 et N+2. Enfin, en raison du caractère statique du modèle, le choc d’inflation ne donne pas lieu à des effets macroéconomiques comme de potentiels effets récessifs sur l’emploi. 2.3.2. Hypothèses de transmission Afin d’estimer les effets différés d’une hausse de la TVA, il est nécessaire d’introduire une dimen‑ sion dynamique, d’abord sur la transmission de la hausse de la TVA aux prix et à l’inflation, puis sur la diffusion de l’inflation aux salaires et autres revenus. L’effet sur le niveau général des prix d’une hausse de la TVA est calculé à partir du poids relatif des consommations imposées aux taux de la TVA modifiés dans l’indice de prix à la consommation, avec une hypothèse de transmission aux prix de 80 %. Les élasticités des salaires horaires par rapport aux prix sont estimées à l’aide d’équations de 12. Cette méthode permet de raisonner toutes choses égales par ailleurs, puisque nous nous intéressons à une même population et à une même législation. Elle permet aussi de calculer les effets totaux en sommant les effets marginaux de chaque année. Une autre approche pourrait consister à simuler un choc d’inflation en 2014, puis à en mesurer les conséquences sur les inégalités de niveau de vie en 2014, 2015 et 2016. Cependant, cette méthode serait inadaptée : sur trois années, la législation ainsi que les éléments conjoncturels et démographiques évoluent, ils se confondraient alors avec les effets de la hausse de TVA simulée. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 13 Effets de moyen terme d’une hausse de TVA sur le niveau de vie et les inégalités : une approche par microsimulation Phillips augmentées, liant le taux de croissance des salaires négativement au taux de chômage (en niveau et en variation) et positivement à l’inflation, par décile de salaire horaire. Les salaires horaires s’ajustent avec retard sur les prix, aucun effet de l’inflation sur les salaires n’est observé de manière contemporaine, et les effets ne durent pas au‑delà de N+1. Par ailleurs, les élasticités prix des salaires horaires en N+1 diminuent avec le niveau de salaire horaire : unitaires dans le bas de la distribution, elles deviennent non significativement différentes de 0 dans les 20 % du haut (voir Annexe en ligne C2). Les revenus de remplacement sont indexés en N+1 selon les règles de revalorisation usuelles ou légales (voir Annexe en ligne C1 sur l’ajus‑ tement des salaires et de certains revenus). Les élasticités des autres revenus par rapport aux prix sont calibrées. Parmi les revenus du patrimoine, seuls les revenus fonciers et les revenus accessoires (en majorité des revenus de location de logements meublés) réagissent avec une élasticité unitaire à une hausse des prix ; les autres revenus du patrimoine sont supposés ne pas réagir. Enfin, les revenus des indépendants sont supposés s’ajuster, avec une élasticité de 0.5 en N+1, à l’exception des revenus agricoles (voir Annexe en ligne C2). 3. À moyen terme, une hausse de la TVA augmente légèrement les inégalités de niveau de vie et la pauvreté Nous présentons les résultats d’un scénario central, qui correspond à une hausse de 3 points du seul taux normal de TVA, le faisant passer de 20 % à 23 %, avec un taux de transmission aux prix égal à α = 0.8, ce qui génère une hausse de l’inflation de 1.07 point supplémentaire. Encadré – Méthode de simulation d’une hausse de la TVA sur trois années Lorsque l’année 2016 est l’année N du choc, les taux de la TVA sont augmentés au 1er janvier de cette année. Selon l’hypothèse de transmission de la TVA aux prix retenue, les prix toutes taxes comprises et ainsi les dépenses de consommation sont ajustés et les montants de TVA sont recalculés, mais les comportements de consommation sont supposés inchangés face à la hausse des prix (voir André & Biotteau, 2019a, annexe 3, pour le détail formel des calculs). Nous en déduisons également le choc d’inflation associé. Puis, en cours d’année N, les montants de la plupart des prestations sociales (RSA, PA, Aspa, Asi, allocation aux adultes handicapés (AAH), allocations calculées en pour‑ centage de la Bmaf ou aides au logement) sont revalorisés, au 1er avril ou au 1er octobre, selon les mesures d’inflation sur les douze derniers mois, conformément à leur date et à leur critère légal de réindexation. Le choc d’inflation n’a en revanche pas d’effet contemporain sur les revenus avant redistribution (revenus d’activité, du patrimoine ou de remplacement y compris les pensions de retraite et les allocations chômage), ni sur les autres barèmes socio‑fiscaux (IR et conditions de ressources pour certaines prestations). Par la suite, l’effet correspondant à cette première année sera qualifié d’effet N. Lorsque l’année 2016 est l’année N+1 après le choc, tout se passe comme si la hausse des taux de la TVA avait eu lieu en 2015. En 2016, les revenus d’activité, de remplacement ou du patrimoine (notamment les revenus fon‑ ciers) augmentent, en euros courants, en fonction de leur sensibilité estimée par rapport au niveau des prix, propre à chaque type de revenus (voir Annexe en ligne C2). Cela induit une hausse des cotisations et des contributions sociales dont l’assiette est constituée par les revenus contemporains. En parallèle de l’ajustement des revenus fonciers des ménages propriétaires, les dépenses de loyer des ménages locataires sont revalorisées selon le même critère, afin de prendre en compte le transfert de revenus entre les différents ménages ou institutions. En N+1 également, les barèmes fiscaux (paramètres de l’IR payé en 2016 sur les revenus de 2015) sont revalorisés conformément aux critères usuels de réindexation sur l’inflation de l’année N (intégrant donc le choc) ce qui génère une baisse d’IR (les revenus 2015 n’étant pas encore ajustés). En revanche, en ce qui concerne les prestations sous condition de ressources versées en fonction des revenus perçus deux ans plus tôt, ni les plafonds de ressources de la législation 2016, ni les ressources prises en compte ne sont modifiés par le choc d’inflation de 2015. Par la suite, l’effet correspondant à cette année sera qualifié d’effet N+1. Lorsque l’année 2016 est l’année N+2 après le choc, la hausse de TVA est alors supposée avoir eu lieu en 2014. L’effet correspondant est appelé effet N+2 par la suite. On observe un effet sur l’impôt sur le revenu : la hausse des revenus courants de 2015 (N+1), suite au choc d’inflation de 2014 (N), sans ajustement supplémentaire des barèmes, se traduit par une hausse de l’impôt calculé en 2016 (N+2) sur la base de ces revenus (ce qui compense la baisse d’IR survenue en N+1). En N+2 s’ajoute aussi l’effet sur les prestations sous condition de ressources (à l’exception du RSA et de l’Aspa, dont l’évaluation des ressources est trimestrielle). En effet, les paramètres relatifs aux conditions de ressources de certaines prestations sociales s’ajustent sur l’inflation avec un retard de deux ans. La hausse de TVA n’a pas d’autre effet en N+2, en raison d’absence d’effet retardé de l’inflation sur les revenus au‑delà d’une année et d’une hypothèse d’absence d’effet des salaires sur les prix à moyen terme (boucle prix‑salaire). Les revenus, les barèmes socio‑fiscaux et les prix ne réagissent donc pas de nouveau au choc. Nous supposons aussi inchangés les comportements de consommation. Un horizon de trois années, à compter du 1er janvier de l’année N semble raisonnable afin d’estimer les effets étudiés. En toute rigueur, il faudrait disposer d’une quatrième année de revenus. Le modèle Ines est néanmoins contraint à trois années de revenus par construction. 14 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 Nous comparons le revenu disponible corrigé (défini comme l’ensemble des revenus avant redistribution, diminués des prélèvements directs et indirects et des dépenses de loyer et augmentés des prestations sociales) et ses composantes dans la situation de référence, sans hausse de TVA, et dans la situation avec hausse de TVA, sur trois ans. Puis, nous détaillons les effets annuels sur le revenu corrigé moyen et revenons sur les mécanismes de rattrapage et leur calendrier. Enfin, nous présentons l’hétérogénéité des effets, selon le niveau de vie corrigé13, et l’évolution des principaux indicateurs d’inégalités. Afin de tester la sensibilité des résultats à des changements de hausse de la TVA ou d’hypo‑ thèses, nous simulons plusieurs scénarios de hausse de la TVA d’ampleur et de composition différentes et croisant les hypothèses d’élasti‑ cités des revenus aux prix et de transmission de la hausse de la TVA au niveau général des prix. Nous analysons les principales différences avec le scénario central dans l’Annexe en ligne C4. 3.1. Effets annuels et effet total de moyen terme sur le revenu disponible corrigé et ses composantes Sous les hypothèses du scénario central, les effets sur le revenu disponible corrigé total et ses composantes sont donnés au tableau 2. La hausse de la TVA génèrerait un surplus de recettes fiscales de 11.7 milliards d’euros la première année, sur le champ des ménages ordi‑ naires de France métropolitaine14. Les revenus et les barèmes des transferts socio‑fiscaux s’ajusteraient alors sur l’inflation, en partie cette même année puis les années suivantes. Au total, après trois ans, une fois pris en compte ces effets différés, le revenu disponible corrigé des ménages serait inférieur de 5.0 milliards d’euros en termes réels, à celui qu’il aurait été sans hausse de la TVA. Ainsi, les effets différés de moyen terme compensent environ 55 % du choc initial subi par les ménages. Les revenus avant redistribution15 sont in fine supérieurs de 6.7 milliards d’euros (la hausse se 13. Voir André & Biotteau (2019b) pour les résultats selon le niveau de vie usuel (c’est‑à‑dire le revenu disponible – revenus avant redistribution auxquels sont ajoutées les prestations sociales et sont soustraits les impôts directs – par UC, sans prise en compte des impôts indirects et des dépenses de loyer). 14. L’hypothèse de transmission aux prix non complète s’appuie sur une valeur du coefficient α inférieure à 1. Cela correspond à une hypothèse d’incidence non nulle pour les entreprises, c’est‑à‑dire que le prix hors taxe peut s’ajuster à la baisse (voir André & Biotteau, 2019a). 15. Les revenus avant redistribution, constituant le revenu primaire, comprennent dans cette étude l’ensemble des salaires et traitements, les revenus des indépendants, les revenus du patrimoine mais aussi les pensions alimentaires, les pensions d’invalidité, les pensions de retraite et rentes viagères et les allocations chômage. Ce contour correspond aux revenus déclarés à l’administration fiscale pour le calcul de l’IR. Ce sont des grandeurs intégrées au revenu primaire et donc non simulées par le modèle Ines. Tableau 2 – Effets annuels et effet total de moyen terme d’une hausse de 3 points du taux normal de TVA sur les composantes du revenu disponible corrigé des ménages En milliards d’euros En N En N+1 En N+2 Total Revenu avant redistribution (A) 0.0 6.7 0.0 6.7 Salaires 0.0 3.5 0.0 3.5 Pensions de retraite 0.0 2.2 0.0 2.2 Allocations chômage 0.0 0.2 0.0 0.2 Autres revenus(i) 0.0 0.7 0.0 0.7 Prélèvements (B) 11.7 -0.8 1.1 12.1 Impôt direct 0.0 -1.1 1.1 0.0 Cotisations sociales 0.0 0.1 0.0 0.1 Contributions sociales 0.0 0.2 0.0 0.2 Taxe sur la valeur ajoutée 11.7 0.0 0.0 11.7 Prestations (C) 0.6 0.3 0.2 1.1 Prestations familiales 0.2 0.1 0.1 0.3 Aides au logement 0.1 0.2 0.1 0.3 Minima sociaux et prime d’activité 0.4 0.1 0.0 0.4 Dépenses de loyer (D) 0.0 0.7 0.0 0.7 Revenu disponible corrigé (A - B + C - D) -11.1 7.1 -0.9 -5.0 (i) Pensions d’invalidité, des rentes et produits financiers, des revenus fonciers et accessoires, perçus à l’étranger et des valeurs mobilières. Note : les effets en N, N+1 et N+2 sont des effets marginaux, nets des effets mesurés les années précédentes. L’effet N est la différence entre la situation simulée l’année du choc et la situation de référence ; l’effet en N+1 est la différence entre la situation contrefactuelle un an après le choc et la situation simulée l’année du choc ; l’effet en N+2 est la différence entre la situation deux ans après le choc et celle simulée un an après le choc. L’effet total à l’issue des trois années correspond à la somme de ces effets marginaux annuels. Lecture : au total, après trois ans, le revenu disponible des ménages diminue de 5.0 milliards d’euros en termes réels, résultant d’un gain total de 6.7 milliards d’euros de revenus avant redistribution et de 1.1 milliard d’euros de prestations sociales et d’une perte totale de 12.1 milliards d’euros liée aux prélèvements directs et indirects et de 0.7 milliard d’euros après hausse des dépenses de loyer. Source et champ : voir tableau 1. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 15 Effets de moyen terme d’une hausse de TVA sur le niveau de vie et les inégalités : une approche par microsimulation produisant en N+1, du fait de l’ajustement des revenus). Cette même année, les dépenses de loyer des locataires augmentent avec l’inflation de 0.7 milliard d’euros, ce qui augmente les revenus fonciers des propriétaires. L’effet total de l’IR est neutre, car les effets en N+1 et en N+2, pourtant supérieurs à 1 milliard d’euros chacun, se compensent. Enfin, au total, les prestations sociales augmentent de 1.1 milliard d’euros, soit 9 % du choc initial sur le revenu disponible de 11.7 milliards d’euros. 3.2. Ventilation des effets moyens sur le niveau de vie corrigé et ses composantes, par année Dans les tableaux 3 et 4, nous présentons les effets moyens par année de la hausse de la TVA simulée dans le scénario central, sur chacune des composantes du niveau de vie corrigé. Nous revenons sur l’effet, en pourcentage et en euros, sur chaque composante et sur leur contribution à l’effet total sur le niveau de vie corrigé. À l’issue de la séquence de trois années, la hausse de la TVA conduit à une baisse de 0.6 % du niveau de vie corrigé moyen en termes réels, soit environ 114 euros par an (par UC). Cette baisse de niveau de vie corrigé s’explique principalement par la hausse des prélèvements indirects, à savoir la TVA. La TVA augmente de 12 %, soit en moyenne de 269 euros par an et par UC, et contribue le plus à la baisse du niveau de vie (‑1.4 point de pourcentage16, tableau 4). Les autres prélèvements directs varient très peu au total. Les prestations sociales évoluent peu (+1.7 % soit 24 euros par an et par UC en moyenne) et ne compensent pas la baisse du niveau de vie. Plusieurs dynamiques expliquent cet effet total de moyen terme sur le niveau de vie corrigé. D’abord, c’est l’année N du choc que le niveau de vie se dégrade le plus en termes réels. En effet, la TVA augmente tandis que le revenu primaire nominal ne s’est pas encore ajusté. Côté prestations sociales, les mécanismes de revalori‑ sation sont à l’œuvre pendant les trois quarts de l’année, à partir d’avril, via les montants versés de prestations familiales et de minima sociaux (RSA, PA, Aspa, Asi et AAH) et pendant un quart de l’année, à partir d’octobre, via les aides au logement. Les minima sociaux et la PA s’ajustent donc davantage (+1.5 %) que les aides au loge‑ ment (+0.4 %). Cette hausse des prestations de 0.9 % représente en moyenne 13 euros par an et par UC. L’année N du choc, le niveau de vie corrigé diminue de 1.3 % (soit environ 260 euros par an et par UC), soit ‑1.4 point lié à la hausse de la TVA et +0.1 suite à la revalorisation des prestations. L’année suivante, en N+1, la dynamique des effets de moyen terme entre en jeu et mène à un rebond du niveau de vie moyen d’environ 0.8 %, soit 160 euros par an et par UC, presque inté‑ gralement porté par l’ajustement des revenus. Tous les salaires ne s’ajustant pas dans les mêmes proportions et tous les revenus n’étant 16. La hausse initiale est de trois points du taux normal (passant de 20 % à 23 %), soit une hausse d’environ 12 % lorsque la transmission aux prix TTC est de 80 %. La TVA représentant en moyenne 11 % du niveau de vie corrigé, comptés négativement (cf. tableau 1), elle contribue bien à hauteur de ‑1.4 point de pourcentage à la baisse du niveau de vie. Tableau 3 – Effets annuels et effet total de moyen terme d’une hausse de 3 points du taux normal de TVA sur les composantes du niveau de vie corrigé moyen Effet en euros par UC Effet en % En N En N+1 En N+2 Total En N En N+1 En N+2 Total Revenu primaire nominal (A) 0 155 0 156 0.0 0.6 0.0 0.6 Prélèvements (B) 269 ‑18 26 277 4.6 ‑0.3 0.4 4.8 Impôt direct 0 ‑25 25 1 0.0 ‑1.2 1.3 0.0 Cotisations sociales 0 3 0 3 0.0 0.5 0.0 0.5 Contributions sociales 0 4 0 4 0.0 0.4 0.0 0.4 Taxe sur la valeur ajoutée 269 0 0 269 12.1 0.0 0.0 12.1 Prestations (C) 13 7 4 24 0.9 0.5 0.3 1.7 Prestations familiales 4 1 2 7 0.6 0.2 0.4 1.2 Aides au logement 1 4 2 8 0.4 1.2 0.5 2.1 Minima sociaux et prime d’activité 8 2 0 10 1.5 0.3 0.0 1.8 Dépenses de loyer (D) 0 17 0 17 0.0 1.1 0.0 1.1 Niveau de vie corrigé (A ‑ B + C ‑ D) ‑256 163 ‑22 ‑114 ‑1.3 0.8 ‑0.1 ‑0.6 Note : voir tableau 2. Lecture : les prestations sociales augmentent en moyenne de 13 euros par UC l’année du choc (soit une hausse de 0.9 %), puis de 7 euros sup‑ plémentaires l’année suivante (soit +0.5 %) et de 4 euros supplémentaires la troisième année (soit +0.3 %). Au total, trois ans après la hausse de TVA, suite aux mécanismes de revalorisation, les prestations augmentent donc en moyenne de 1.7 %, soit 24 euros par UC. Source et champ : voir tableau 1. 16 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 pas indexés sur l’inflation, le revenu primaire augmente en moyenne de 0.6 %, soit environ 155 euros par an et par UC. Cela engendre toutefois une hausse des cotisations et contri‑ butions sociales (+7 euros par an et par UC en moyenne). Mais l’IR diminue légèrement en raison du décalage d’un an entre la déclaration et la perception de cet impôt : si les barèmes en N+1 (définissant notamment les tranches d’imposition) sont indexés sur l’inflation de l’année précédente, donc sur le choc, les revenus pris en compte sont aussi ceux de l’année N et n’ont pas encore été ajustés. Il en résulte un léger gain de niveau de vie, d’environ 25 euros par an et par UC en moyenne. L’effet des reva‑ lorisations des montants de prestations sociales s’observe encore en N+1, en particulier pour les aides au logement qui augmentent de 1.2 %. Néanmoins, les prestations ayant un poids limité dans le niveau de vie moyen, elles ne contribuent pas à sa hausse. Enfin, les dépenses de loyer s’ajustent en N+1, comme les revenus fonciers et accessoires : elles représentent une redistribution partielle au sein des ménages entre propriétaires et locataires17. Elles augmen‑ tent de 1.1 %, l’ampleur du choc d’inflation, et contribuent à la baisse du niveau de vie moyen à hauteur de ‑0.1 point. Enfin, en N+2, les effets supplémentaires se réduisent et sont liés en grande partie à des décalages d’indexation. Ainsi, l’IR augmente légèrement, puisqu’il est calculé sur les revenus de l’année précédente, désormais ajustés, sans que les barèmes n’aient été de nouveau indexés à un surcroît d’inflation. Les prestations sociales augmentent aussi faiblement (+0.3 %) car les plafonds des prestations sous condition de ressources sont indexés sur le choc d’inflation mais les ressources prises en compte ne le sont pas encore. La troisième année après la hausse de la TVA et le choc sur les prix, le niveau de vie réel diminue marginalement de 0.1 % (soit environ 20 euros par an et par UC), la hausse des prélèvements l’emportant (contribution de ‑0.1 point, contre une contribution nulle des autres composantes). 3.3. Hétérogénéité des effets et redistribution Nous analysons ici les effets différenciés selon la position dans l’échelle des niveaux de vie corrigés. Les mécanismes d’ajustement des revenus et des barèmes socio‑fiscaux ainsi que la hausse des prélèvements indirects peuvent en effet jouer différemment, selon la structure des revenus des ménages ou de leur consommation. Les résultats détaillés par composante du niveau de vie corrigé et par année sont présentés dans André & Biotteau (2019a). 3.3.1. Effet total selon le niveau de vie corrigé Les hausses de TVA et ses conséquences abou‑ tissent à une diminution du niveau de vie corrigé pour l’ensemble de la population. Cette baisse est toutefois plus prononcée pour les 10 % des personnes les plus modestes : leur niveau de vie corrigé diminue de 1.8 % contre au plus 0.7 % pour le reste de la population (figure II). Toutefois, même si le niveau de vie de l’ensemble des ménages diminue et dans des proportions proches pour la plupart d’entre eux, les contri‑ butions des revenus avant redistribution, des prélèvements directs et indirects, des prestations sociales et des dépenses de loyer diffèrent sensi‑ blement selon le niveau de vie corrigé. Ainsi, les 10 % des personnes les plus modestes voient leur niveau de vie corrigé diminuer de 86 euros en moyenne (tableau 5), ce qui s’ex‑ plique en grande partie par la hausse de la TVA (‑158 euros par UC). Les 10 % des personnes 17. Il y a certes un transfert entre les ménages locataires et propriétaires mais celui‑ci n’est pas neutre. En effet, les ménages percevant des revenus fonciers dans l’échantillon ne sont pas forcément les bailleurs particuliers à qui les locataires versent des loyers, et les locataires de l’échantillon peuvent également verser les loyers à des bailleurs institutionnels, publics ou privés. Tableau 4 – Contribution aux effets annuels et à l’effet total de moyen terme des composantes du niveau de vie corrigé moyen Contribution à l’effet total (en point de %) En N En N+1 En N+2 Total Revenu primaire nominal (A) 0.0 0.8 0.0 0.8 Prélèvements (B) ‑1.4 0.1 ‑0.1 ‑1.4 Prestations (C) 0.1 0.0 0.0 0.1 Dépenses de loyer (D) 0.0 ‑0.1 0.0 ‑0.1 Niveau de vie corrigé (A + B + C + D) ‑1.3 0.8 ‑0.1 ‑0.6 Note : voir tableau 2. Lecture : la première année, le niveau de vie diminue de 1.3 %. La hausse de TVA y contribue à hauteur de ‑1.4 point de pourcentage et celle des prestations sociales pour 0.1 point de pourcentage. Source et champ : voir tableau 1. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 17 Effets de moyen terme d’une hausse de TVA sur le niveau de vie et les inégalités : une approche par microsimulation les plus aisées connaissent une perte moyenne de niveau de vie de 273 euros. Les ménages médians perdent environ 88 euros de niveau de vie en moyenne. Tous les ménages sont perdants en première année (‑119 euros en deçà de d1, ‑231 euros entre d4 et d5 et ‑495 au‑delà de d9) et rattrapent une partie de leur perte en deuxième année (+28 euros pour les 10 % les moins aisés et +309 euros pour les 10 % les plus aisés). La troisième année, les gains sont nuls ou négli‑ geables pour la moitié la plus modeste, tandis que les pertes augmentent avec le niveau de vie pour la moitié la plus aisée de la population (tableau 5 et figure II). Les contributions des composantes du niveau de vie corrigé à sa baisse totale diffèrent selon les niveaux de vie (figure III). La TVA et les dépenses de loyer contribuent le plus fortement à la perte de niveau de vie pour les 20 % les plus modestes (respectivement ‑3.2 points et ‑0.8 point pour les 10 % les plus modestes et ‑2.0 points et ‑0.3 point pour les 10 % suivants), car elles ont un poids relatif plus important. En sens opposé, l’indexation des prestations est également déterminante pour ces 20 % les plus modestes (contribution de respectivement +1.4 point et +0.7 point). Au‑delà, elle contribue peu à compenser la baisse de niveau de vie, en raison du poids décroissant des prestations dans le niveau de vie. Enfin, la contribution du revenu primaire suit un profil en cloche en fonction du niveau de vie. L’ajustement des revenus est moins Figure II – Effet total de moyen terme d’une hausse de 3 points du taux normal de TVA sur le niveau de vie corrigé moyen, selon le niveau de vie corrigé -2.0 -1.8 -1.6 -1.4 -1.2 -1.0 -0.8 -0.6 -0.4 -0.2 0.0 % d1 d2 d3 d4 d5 d6 d7 d8 d9 Ensemble Lecture : suite à une hausse du taux normal de TVA de 3 points, le niveau de vie corrigé des 10 % des personnes les plus modestes diminue de près de 1.8 %. Source et champ : voir tableau 1. Tableau 5 – Effets annuels et effet total de moyen terme d’une hausse de 3 points du taux normal de TVA sur le niveau de vie corrigé moyen, selon le niveau de vie corrigé En euros par UC Niveau de vie En N En N+1 En N+2 Total d9 -495 309 -87 -273 Ensemble -256 163 -22 -114 Note : voir tableau 2. Lecture : les 10 % des personnes les plus modestes perdent en moyenne 119 euros de niveau de vie l’année de la hausse de TVA, puis gagnent 28 euros et 5 euros les deux années suivantes, ce qui constitue une perte totale moyenne de niveau de vie de 86 euros. Source et champ : voir tableau 1. 18 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 favorable aux personnes ayant le niveau de vie le plus élevé en raison de la moindre indexation des salaires les plus élevés et de la part crois‑ sante des revenus du patrimoine, qui s’ajustent moins que les salaires à la hausse des prix. Plusieurs mécanismes expliquent l’effet total négatif pour les 10 % les plus modestes. D’abord, la hausse des dépenses de loyer joue pleinement : par construction des déciles de niveau de vie corrigé, les plus modestes sont les personnes au revenu disponible faible, s’acquit‑ tant de montants de TVA importants et ayant des dépenses de loyer élevées. En outre, leur revenu primaire ne s’ajuste pas parfaitement car il est en partie composé d’allocations chômage (18 % du revenu primaire contre 3 % en moyenne pour l’ensemble de la population) et des pensions de retraite complémentaires des salariés du privé. Ces deux composantes ne sont pas intégralement indexées sur la hausse des prix. De même, tous les salariés appartenant à cette catégorie de la population ne sont pas nécessairement rému‑ nérés au salaire minimum. Le revenu avant redistribution n’augmente donc que de 0.8 % en moyenne pour un choc d’inflation de 1.1 %. De plus, même si les prestations correspondent à 100 % du revenu disponible corrigé (voir André & Biotteau, 2019a), les règles de calcul du RSA et la PA intègrent les aides au logement et les prestations familiales. Ceci limite en partie les effets de l’indexation en raison de taux margi‑ naux d’imposition élevés dans cette partie de la distribution des revenus. Ainsi, pour les 10 % les plus modestes, l’indexation des prestations ne rattrape pas totalement la hausse de la TVA et des dépenses de loyer. Enfin, les ménages les plus modestes en termes de niveau de vie corrigé consacrent une part plus importante de leur revenu disponible corrigé à la TVA (27 % contre 11 % en moyenne). En tenant compte de l’ensemble de leurs dépenses de consommation, le taux d’épargne moyen des 30 % les plus modestes sont négatifs (voir André et al., 2016). L’effet négatif important persiste donc malgré l’ensemble des mécanismes d’in‑ dexation et d’ajustement. Il repose en partie sur un comportement de consommation différencié selon le niveau de vie. 3.3.2. Effets sur les indicateurs d’inégalités Trois ans après une hausse du taux normal de TVA de 3 points, la hausse des prélèvements indirects, associée à la dynamique des revenus et des barèmes socio‑fiscaux, contribue à une légère augmentation des inégalités de niveau de vie corrigé. Le tableau 6 présente les effets pour le scénario central. Tous les indicateurs d’inégalités et de pauvreté augmentent l’année de la hausse de la TVA, car celle‑ci touche plus fortement les plus modestes la première année, puis augmentent plus faible‑ ment à moyen terme en raison des effets différés plus ou moins favorables selon le niveau de vie. Ainsi, le rapport interdécile d9/d1 augmente légèrement à moyen terme (+0.3 %) car les effets différés compensent en grande partie les effets initiaux. De même, la hausse initiale Figure III – Décomposition de l’effet total de moyen terme d’une hausse de 3 points du taux normal de TVA sur le niveau de vie corrigé moyen, selon le niveau de vie corrigé -5 -4 -3 -2 -1 0 1 2 3 points de % Niveau de vie avant redistribution Prélèvements directs Prélèvements indirects Prestations Dépenses de loyer d1 d2 d3 d4 d5 d6 d7 d8 d9 Ensemble Lecture : suite à une hausse du taux normal de TVA de 3 points, les prélèvements indirects contribuent à la variation du niveau de vie corrigé des 10 % des personnes les plus modestes à hauteur de -3.2 points de pourcentage et les prestations à hauteur de +1.4 point. Source et champ : voir tableau 1. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 19 Effets de moyen terme d’une hausse de TVA sur le niveau de vie et les inégalités : une approche par microsimulation de +0.4 % de l’indice de Gini et de +0.3 % du taux de pauvreté passe à +0.2 % à l’issue des trois années analysées, sous les hypothèses du scénario central et les hypothèses d’ajustement des salaires retenues18. Le rapport interpercen‑ tile p95/p5 augmente de manière un peu plus prononcée, la première année (+1.3 %) et à moyen terme (+1.0 %), car les effets différés ne compensent que partiellement les effets initiaux. L’intensité de la pauvreté s’accroît davantage à moyen qu’à court terme (+1.4 %, soit 0.4 point), en raison de la baisse du niveau de vie des 10 % les plus modestes. D’après les variantes présentées dans Fontaine & Sicsic (2018) et à titre de comparaison, les effets d’une diminution du montant forfaitaire du RSA de 3 % sont les suivants : une baisse mensuelle d’environ 16 euros implique une stabilité du seuil et du taux de pauvreté et de l’indice de Gini et une hausse du rapport interdécile de 0.01 point et de l’intensité de la pauvreté de 0.4 point. En outre, la comparaison entre l’effet N et l’effet total permet d’isoler le rôle des effets différés. Par exemple, le rapport interpercentile p95/p5 diminue très légèrement entre l’année N et l’effet total, la hausse prononcée de la première année (liée à une baisse du p5 nettement plus accentuée que celle du p95, en raison de la hausse de TVA acquittée relativement plus forte pour les plus modestes) étant peu compensée les deux années qui suivent. L’intensité de la pauvreté à moyen terme (+1.4 %) évolue de façon plus prononcée que la première année (+0.5 %), car sa hausse s’accentue la deuxième année (le niveau de vie corrigé médian des pauvres augmente moins que le seuil de pauvreté, car les effets de la revalorisa‑ tion des revenus et prestations sociales sont limités par la hausse des dépenses de loyer) et n’est que très partiellement compensée la troisième année. Ainsi, même si les effets différés sont globalement favorables à l’ensemble des ménages, les plus pauvres le restent et sont relativement plus touchés par la hausse de la TVA et des dépenses de loyer. * * * Les résultats de cette étude permettent d’éclairer le débat public et de compléter les travaux existants sur les conséquences de hausses de la TVA en intégrant tant les effets directs que les effets différés de moyen terme : les effets anti‑redistributifs de court terme sont en partie contrebalancés par ces effets différés. À moyen terme, une hausse de la TVA augmente légèrement les inégalités de niveau de vie et la pauvreté. Dans le scénario central, trois ans après une hausse de trois points du taux normal de la TVA, le niveau de vie moyen, corrigé de la TVA et des dépenses de loyer, est inférieur de 0.6 % à celui qu’il aurait été en l’absence de hausse. Cette baisse correspond à environ 45 % de l’effet direct de court terme ; autrement dit, les effets différés de moyen terme compensent environ 55 % du choc initial subi par les ménages. Selon les hypothèses retenues sur la sensibilité des revenus à l’inflation et sur la diffusion du choc de TVA aux prix, cette baisse du niveau de vie moyen s’échelonne entre 0.3 % et 0.8 %, soit une diminution du niveau de vie à moyen terme comprise entre environ 70 et 155 euros. Cette perte de revenu disponible corrigé diffère peu selon le niveau de vie initial : elle est comprise entre 0.5 % et 0.6 % pour 90 % de la population (au‑delà du premier décile de niveau vie corrigé). Mais elle est principalement liée à la hausse de la TVA et, dans une moindre mesure, aux dépenses de loyers (qui augmen‑ tent avec l’inflation), pour les ménages les plus pauvres ; elle est davantage liée à un ajustement insuffisant des revenus avant redistribution pour 18. Dans des simulations alternatives présentées dans l’Annexe en ligne C4 et détaillées dans André & Biotteau (2019a), ces indicateurs peuvent augmenter d’autant plus si la hausse de TVA est plus significative et surtout si les salaires s’ajustent davantage et de manière plus uniforme selon leur niveau. Tableau 6 – Effets annuels et effet total de moyen terme d’une hausse de 3 points du taux normal de TVA sur les principaux indicateurs d’inégalités de niveau de vie corrigé En N En N+1 En N+2 Effet total point % point % point % point % Rapport inter‑déciles d9/d1 0.03 0.6 0.00 0.0 ‑0.01 ‑0.3 0.01 0.3 p95/p5 0.10 1.3 0.01 0.1 ‑0.02 ‑0.3 0.08 1.0 Indice de Gini 0.001 0.4 ‑0.000 ‑0.1 ‑0.000 ‑0.1 0.001 0.2 Taux de pauvreté 0.1 0.3 0.0 0.0 ‑0.0 ‑0.1 0.0 0.2 Intensité de la pauvreté 0.1 0.5 0.2 0.9 0.0 0.0 0.4 1.4 Note : voir tableau 2. Lecture : suite à une hausse du taux normal de TVA de 3 points, le rapport interdécile augmente de 0.03 point la première année (soit +0.6 %), se stabilise la deuxième année puis diminue de 0.01 point la troisième année (soit ‑0.3 %). Au total, il augmente de 0.01 point (+0.3 %). Source et champ : voir tableau 1. 20 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 les ménages les plus aisés. Les 10 % les plus modestes se distinguent du reste de la population avec une perte relative de niveau de vie plus de deux fois plus importante. À moyen terme, une hausse de la TVA, asso‑ ciée à la dynamique des revenus et des barèmes socio‑fiscaux, augmente légèrement les inéga‑ lités de niveau de vie corrigé et la pauvreté. L’ampleur de ce diagnostic dépend en partie de l’indicateur retenu. Tous les indicateurs d’iné‑ galité et de pauvreté augmentent l’année de la hausse de TVA. S’agissant du rapport interdé‑ cile (d9/d1), de l’indice de Gini et du taux de pauvreté, cet effet initial est ensuite presque intégralement compensé par les effets indirects et les indicateurs sont in fine presque stables. Le rapport interpercentile p95/p5 augmente plus significativement à moyen terme, la hausse de la première année étant peu compensée. Seule l’intensité de la pauvreté augmente davantage à moyen terme qu’à court terme, ce qui est une conséquence de la baisse de niveau de vie des 10 % des personnes les plus modestes, pour lesquelles l’indexation des prestations ne rattrape pas totalement la hausse de la TVA. Les effets sur la pauvreté et les inégalités présentés dans cette étude n’intègrent pas les éventuelles dépenses publiques rendues possibles par le surplus de recettes fiscales. Des changements redistributifs dans les transferts telles que des hausses de prestations ou des baisses ciblées de prélèvements auraient des effets contraires. Par ailleurs, ces estimations ne tiennent pas compte non plus des contraintes de crédit qui peuvent être différentes selon le niveau de vie ; or, en première année, une hausse de la TVA affecte relativement plus le niveau de vie des ménages modestes. En raison des décalages entre les ressources prises en compte et le versement de certaines prestations, le temps d’ajustement du niveau de vie peut aller jusqu’à deux ans après la hausse de la TVA pour les ménages les plus modestes. D’une manière générale, ces résultats sont la conséquence des mécanismes de diffusion aux revenus et aux barèmes socio‑fiscaux, fondés sur les règles d’indexation et sur les mécanismes de revalorisation salariale. Ils reposent donc sur les caractéristiques du système socio‑fiscal français. En leur absence, les effets inégalitaires de premier tour n’en seraient que plus persistants à moyen terme. Dans le cadre d’un IR prélevé à la source et où les prestations sont versées à partir des revenus contemporains ou avec un décalage temporel réduit, les résultats totaux de moyen terme seraient identiques, seule la temporalité des effets entre les années N, N+1 et N+2 serait modifiée. En outre, ces résultats reposent sur des hypo‑ thèses précises, tirées de travaux antérieurs sur la diffusion des hausses de la TVA aux prix et sur l’ajustement des revenus sur l’inflation, et s’appuient sur la microsimulation du modèle Ines. Ils ne peuvent pas être appliqués à des situations pourtant proches a priori. Ainsi, toute baisse de la TVA, telle que la « TVA restau‑ ration » par exemple ou concernant d’autres produits spécifiques, ne peut pas être étudiée à partir de ces résultats. Il en est de même pour une baisse globale du taux normal ou d’autres types de taux : les effets à la baisse ne sont pas symétriques des effets à la hausse étudiés ici. En particulier, les salaires étant souvent rigides à la baisse, l’asymétrie des baisses et des hausses de TVA résulte en partie de ces différences de diffusion de chocs d’inflation aux salaires. Cette asymétrie a été documentée par Benzarti et al. (2017) qui montrent empiriquement sur données européennes que les prix s’ajustent entre trois et quatre fois plus à la suite d’une hausse de la TVA qu’à la suite d’une baisse. D’autres méca‑ nismes de rigidité peuvent limiter la diffusion à la baisse : Benzarti & Carloni (2017) montrent ainsi que la baisse dans la restauration a princi‑ palement profité aux propriétaires des restaurants et n’a pas eu d’effet notable sur les prix. L’analyse n’est pas non plus transposable à la hausse des accises sur le tabac instaurée en 2018. Similaire en principe, cette hausse de la fiscalité indirecte des biens de la consommation est pourtant différente dans ces effets, en premier lieu parce que les prix du tabac sont exclus du calcul de l’inflation et donc des critères légaux de revalorisation. En outre, il est peu probable que les négociations salariales intègrent cette hausse d’un bien particulier. De manière analogue, toute hausse de TVA sur un secteur spécifique ou des biens particuliers aura des effets différents que ceux présentés dans cette étude, en l’absence notamment d’effet notable sur l’inflation et donc d’ajustement des revenus et prestations. En revanche, la méthode présentée dans cet article pourrait être appliquée à un scénario d’alignement du taux intermédiaire sur le taux normal, soit une hausse de dix points du premier. Toutefois il faut rappeler que nos hypothèses n’intègrent pas les adaptations comportemen‑ tales de consommation, qui pourraient être plus prononcées en cas de doublement du taux intermédiaire. Les effets estimés sur le revenu disponible corrigé total seraient donc d’autant ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 21 Effets de moyen terme d’une hausse de TVA sur le niveau de vie et les inégalités : une approche par microsimulation plus majorés, tandis que ceux sur la distribu‑ tion de ce revenu et sur les inégalités seraient d’autant plus minorés, en considérant que les ménages les plus aisés ont davantage de marge de manœuvre pour ajuster leur consommation et atténuer ainsi la hausse de TVA. Un prolongement naturel de cette étude serait alors d’introduire des hypothèses compor‑ tementales plus riches, dans lesquelles les agents ajusteraient leur consommation selon les produits considérés. D’autres extensions consisteraient à renforcer les hypothèses macroéconomiques, en intégrant notamment une boucle prix‑salaires, ou en introduisant un niveau supplémentaire de variabilité dans les scénarios via une transmission différenciée de la hausse de TVA selon les produits et les taux (Carbonnier, 2008). Lien vers l’Annexe en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/5347200/ES-522-523_ Andre-Biotteau_Annexes_en_ligne.pdf BIBLIOGRAPHIE André, M., Biotteau, A.‑L. & Duval, J. (2016). Module de taxation indirecte du modèle Ines – Hypothèses, principes et aspects pratiques. DREES, Document de travail, Série sources et méthodes N° 60. https://drees.solidarites‑sante.gouv.fr/IMG/pdf/dt60.pdf André, M., Biotteau, A.‑L., Fredon, S., Omalek, L. & Schmitt, K. (2017). Les réformes des prestations et prélèvements intervenues en 2016 opèrent une légère redistribution au bénéfice des 20 % les plus modestes. 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Unemployment and Risky Behaviours: The Effect of Job Loss on Alcohol and Tobacco Consumption Jérôme Ronchetti* et Anthony Terriau** Résumé – Cet article analyse l’impact de l’expérience du chômage sur la consommation d’alcool et de tabac, et plus particulièrement sur les comportements à risque. Si l’on observe des différences significatives en termes de fréquence et de quantité consommée entre la population des chômeurs et celle des actifs occupés lorsque l’on analyse des données en coupe, ces écarts disparaissent lorsque l’on utilise des données longitudinales et que l’on mobilise une méthode d’estimation en double différence avec appariement sur score de propension afin de réduire le biais de sélection. Nos résultats suggèrent que, dans le cas français, l’expérience du chômage n’engendre pas de hausse significative des comportements à risque. Abstract – This article analyses the impact of a transition from employment to unemployment on alcohol and tobacco consumption, and more specifically on risky behaviours. With crosssection data, we observe significant differences between the employed and the unemployed both in terms of frequency and quantity consumed. However, this association between unemployment and risky behaviours disappears when we use longitudinal data and a difference-in-differences propensity score matching approach to reduce the selection bias. Our results suggest that, in the French context, the event of unemployment does not lead to a significant increase in risky behaviours. Codes JEL / JEL Classification : C23, I10, I12, I18 Mots‑clés : chômage, tabac, alcool, addictions Keywords: unemployment, tobacco, alcohol, addictions * Magellan, Université Jean Moulin Lyon 3, Iaelyon School of Management (jerome.ronchetti@univ-lyon3.fr) ; ** GAINS, Le Mans Université (anthony.terriau@univ-lemans.fr) Les auteurs tiennent à remercier deux rapporteurs anonymes pour leurs remarques. Reçu en mars 2019, accepté en janvier 2020. Les jugements et opinions exprimés par les auteurs n’engagent qu’eux même, et non les institutions auxquelles ils appartiennent, ni a fortiori l’Insee. Citation: Ronchetti, J. & Terriau, A. (2021). Unemployment and Risky Behaviours: The Effect of Job Loss on Alcohol and Tobacco Consumption. Economie et Statistique / Economics and Statistics, 522‑523, 23–41. https://doi.org/10.24187/ecostat.2021.522d.2039 24 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 Les interactions entre santé et chômage suscitent un intérêt grandissant depuis plusieurs années, en particulier suite à la hausse du chômage observée après la crise de 2008. Une partie de la littérature, basée sur de simples corrélations, met en évidence une association forte entre chômage et santé. On ne peut tou‑ tefois pas en déduire que le chômage a un effet causal négatif sur la santé. Tout d’abord, il y a un biais de sélection : les individus les plus jeunes ont, par exemple, une probabilité plus forte d’entrer au chômage (Gervais et al., 2016). Certains auteurs ont également mis en évidence l’existence d’une causalité inverse : les travail‑ leurs en mauvaise santé ont une probabilité plus importante de perdre leur emploi (Jusot et al., 2008). Par ailleurs, les chômeurs ayant un état de santé dégradé ont plus de difficultés à trouver ou à se maintenir en emploi (Barnay & Defebvre, 2016). Ces éléments peuvent expliquer pourquoi on observe une plus forte proportion d’individus en mauvaise santé au sein de la population des chômeurs, même en l’absence d’effet causal du chômage sur la santé. Plusieurs méthodes peuvent permettre d’identi‑ fier l’effet du chômage sur la santé. Une première méthode consiste à utiliser un évènement exogène entrainant une entrée au chômage. Salm (2009) et Schmitz (2011) exploitent les fermetures d’entreprises, respectivement aux États‑Unis et en Allemagne, et montrent que l’expérience du chômage n’a pas d’impact significatif sur la santé. En France, les fermetures d’entreprises sont plus rares qu’aux États‑Unis et en Allemagne, et plusieurs dispositifs permettent aux firmes de se séparer de leurs travailleurs avant leur fermeture définitive (rupture conventionnelle, licenciement économique, etc.). Par conséquent, cette méthode ne peut pas être utilisée dans le cas français1 . Une seconde approche consiste à utiliser des méthodes d’appariement sur score de propension. Les travaux de Browning et al. (2006), Böckerman & Ilmakunnas (2009), Gebel & Voßemer (2014), et Ronchetti & Terriau (2019 ; 2020), menés respectivement au Danemark, en Finlande, en Allemagne et en France, concluent ainsi que l’expérience du chômage n’a pas d’effet significatif sur l’état de santé. Si le chômage ne semble pas avoir d’impact significatif sur la santé à court terme, il est toutefois possible qu’il induise une modification des habitudes de vie et des comportements addictifs pouvant impacter la santé à plus long terme. Les travaux de Marcus (2014), sur données allemandes, montrent que la perte d’emploi incite ceux qui ne fumaient pas à commencer à fumer mais n’accroît pas la consommation de cigarettes des individus qui fumaient initialement. Plusieurs canaux peuvent influencer la consom‑ mation d’alcool et de tabac au cours d’un épisode de chômage. Tout d’abord, si l’alcool et le tabac sont des biens normaux, la baisse de revenu induite par la perte d’emploi devrait entrainer une baisse de la consommation de ces deux biens (Hill, 2003 ; 2014). Néanmoins, Peretti‑Watel et al. (2009) observent une plus forte prévalence du tabagisme parmi les individus les plus pauvres. Jarvis & Wardle (1999) ont montré que la dégra‑ dation du mode de vie parfois observée lors d’un choc négatif s’explique par la nécessité, pour l’individu, de compenser « psychologiquement » les difficultés économiques et sociales de court terme. L’expérience du chômage serait associée à une augmentation du stress, à une plus forte prépondérance des syndromes de somatisation, de dépression et d’anxiété, et plus généralement à une détérioration de la santé mentale (Linn et al., 1985 ; Osipow & Fitzgerald, 1993 ; Bartley & Owen, 1996 ; Thomas et al., 2005 ; Burgard et al., 2007 ; Tefft, 2011 ; Gathergood, 2013 ; Blasco & Brodaty, 2016). Le choc psychologique provoqué par la perte d’emploi pourrait alors entrainer une hausse des comportements à risque, via une surconsommation d’alcool, de cigarettes et de substances médicamenteuses (Peck & Plant, 1986 ; Lee et al., 1991 ; Morris et al., 1992 ; Montgomery et al., 1998 ; Falba et al., 2005 ; Kuhn et al., 2009 ; Browning & Heinesen, 2012 ; Classen & Dunn, 2012 ; Ahmed & Peeran, 2016). Une partie de la littérature s’est intéressée à la relation entre consommation d’alcool et de tabac. Plusieurs études suggèrent l’existence d’une forme de complémentarité entre ces deux biens (Tauchmann, 2013). Les buveurs d’alcool auraient une probabilité plus importante de fumer et les fumeurs une plus forte propen‑ sion à consommer de l’alcool (Shiffman & Balabanis, 1995 ; Madden & Heath, 2002 ; Falk et al., 2006 ; De Leon et al., 2007). Plusieurs travaux montrent qu’une hausse de prix ou un recul de l’âge légal de consommation de l’un de ces deux biens se traduit par une baisse de la consommation des deux biens (Dee, 1999). Les tests menés en laboratoire tendent à montrer que l’alcool stimule la consommation de tabac (Mintz et al., 1985 ; Mello et al., 1987) tandis que la nicotine pousse à boire davantage d’alcool (Acheson et al., 2006 ; Barrett et al., 2006). Par conséquent, il est nécessaire d’analyser l’effet du chômage à la fois sur la consommation d’alcool et sur la consommation de tabac. 1. L’enquête Emploi permet d’identifier les chômeurs qui ont perdu leur emploi suite à une fermeture d’entreprise et comporte, depuis 2013, des variables sur l’état de santé. Toutefois l’échantillon obtenu est trop faible pour pouvoir être exploité. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 25 Chômage et comportements à risque : quel effet de la perte d’emploi sur la consommation d’alcool et de tabac ? L’analyse des effets du chômage sur la consom‑ mation d’alcool et de tabac présente un intérêt de santé publique majeur. Le tabac peut provoquer de nombreuses pathologies et en particulier des cancers, des pathologies pulmonaires, ainsi que des maladies cardio‑vasculaires (Sturm, 2002 ; Bjartveit & Tverdal, 2005). L’alcool peut quant à lui engendrer des maladies neurologiques et des troubles cognitifs, et générer des problèmes cardiovasculaires ou digestifs (Anderson et al., 1993 ; Edwards, 1997 ; Nelson et al., 2013 ; Praud et al., 2016 ; Connor, 2017). Il s’agit, selon le Ministère des Solidarités et de la Santé, des deux principales causes de mortalité évitable en France. Plusieurs études estiment que la consommation de tabac serait à l’origine de près de 20 % des décès tandis que la consommation d’alcool serait responsable d’environ 3.5 % des décès dans les pays développés (Peto et al., 1992 ; McGinnis & Foege, 1993 ; Mokdad et al., 2004 ; Danaei et al., 2009 ; Ma et al., 2018). Par ailleurs, une part importante des dépenses de santé est imputable à la consommation de ces deux substances (Xu et al., 2015 ; Miquel et al., 2018). Il apparait donc essentiel d’analyser si le chômage peut concourir à une hausse de la consommation d’alcool et de tabac et à un développement des comportements à risque. Une telle analyse est d’autant plus importante que les pathologies attribuables à l’alcool et au tabac peuvent survenir plusieurs années après. La plupart des études qui évaluent l’effet du chômage sur la santé se basent sur des indicateurs de santé perçue, des mesures de santé mentale ou encore sur les consommations de soins à court terme. Toutefois, il est possible que certains effets du chômage sur la santé ne puissent s’apprécier que sur le long terme, au‑delà des périodes généralement observées dans les enquêtes en France (Blasco & Brodaty, 2016, à partir de l’enquête Santé et itinéraire professionnel (Sip) ; Ronchetti & Terriau, 2020, avec l’enquête Santé et Protection Sociale (ESPS) ; Ronchetti & Terriau, 2019, avec l’enquête Emploi). Une façon d’analyser, dans le cas français, l’impact potentiel du chômage sur la santé au‑delà des périodes d’enquêtes (4 ans au maximum pour la plupart des enquêtes longitudinales françaises) consiste à observer la modification ou non, à court terme, des comportements addictifs et à risque, susceptibles d’impacter la santé à plus long terme. Si le chômage engendre une hausse des compor‑ tements à risque en termes de consommation d’alcool et de tabac, les pouvoirs publics doivent prendre en considération les externalités néga‑ tives du chômage sur la santé et accroitre encore leurs efforts pour lutter contre le chômage. Par ailleurs, si le chômage entraine un accroissement des comportements de dépendance, ceux‑ci sont susceptibles de perdurer bien au‑delà de la période de chômage. En effet, il a été montré qu’une consommation excessive ou régulière d’alcool ou de tabac accroît le risque d’absen‑ téisme et diminue la productivité au travail (Batenburg & Reinken, 1990 ; Halpern et al., 2001 ; Rice et al., 1998 ; Norström, 2006). De plus, l’alcoolisme et le tabagisme sont associés à une probabilité plus faible de trouver un emploi et à un risque accru de chômage (Johansson et al., 2007 ; Mullahy & Sindelar, 1996 ; MacDonald & Shields, 2004). Par conséquent, le coût économique d’une hausse des comportements à risque et des addictions peut être très important et requiert une attention toute particulière. Enfin, l’environnement économique, social et institutionnel peut influencer de manière signifi‑ cative la relation entre chômage et consommation d’alcool et de tabac. D’un côté, l’alcool et le tabac sont des produits fortement taxés et dont les prix varient de manière importante d’un pays à l’autre. D’un autre côté, le ratio de remplace‑ ment net, c’est‑à‑dire le revenu que perçoit un chômeur en pourcentage de son ancien salaire, dépend du système d’assurance chômage et des mécanismes d’assistance propres à chaque pays. Comme souligné par Ahn et al. (2004), ce ratio de remplacement net peut influencer la manière dont l’expérience du chômage est vécue. Il peut affecter la consommation d’alcool et de tabac par le rôle qu’il joue sur le stress et la santé mentale (facteurs précurseurs) mais aussi via le choc de revenu induit par la perte d’emploi. Par conséquent, l’impact du chômage sur la consommation d’alcool et de tabac peut varier fortement en fonction des pays, notamment si l’effet revenu est important. Enfin, si certaines études ont déjà été menées pour examiner les interactions entre chômage et comportements à risque, celles‑ci concernaient généralement des pays ayant un taux de chômage et des durées de chômage relativement faibles (Allemagne, États‑Unis, pays scandinaves, etc.). En France, où le taux de chômage est plus élevé et où la durée moyenne de chômage est supérieure à un an, l’expérience du chômage peut être vécue de manière sensiblement différente. Ainsi, les effets mesurés dans d’autres pays ne sont pas transposables au cas français. Dans cet article, nous évaluons l’impact du chômage sur la consommation d’alcool et de tabac en utilisant les données de l’enquête ESPS sur la période 2010‑2014. Nous mobilisons une méthode d’estimation en double différence avec appariement sur score de propension et montrons 26 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 que l’expérience du chômage n’engendre pas de modification des comportements à risque. La suite de cet article est organisée de la façon suivante : la section 1 présente de premiers éléments sur les différences de santé et de comportements à risque entre chômeurs et actifs en emploi, puis la section 2 détaille la stratégie économétrique. Les résultats sont donnés dans la section 3 et une analyse de sensibilité est présentée dans la section 4. Puis nous concluons et présentons les extensions envisagées. 1. L’écart entre chômeurs et actifs occupés en termes de santé et de comportements à risque Afin de motiver cette étude, nous présentons les principales différences d’état de santé et de consommation d’alcool et de tabac entre les chômeurs et les personnes en emploi, observées sur la base de l’ESPS ; l’enquête, l’échantillon et les variables mobilisées sont présentés dans l’encadré 1. Encadré 1 – Données, échantillon et variables de résultat Données L’enquête Santé et Protection Sociale (ESPS) est conduite par l’Institut de Recherche et Documentation en Économie de la Santé (IRDES) depuis 1988. Elle recueille un ensemble de données sur la situation professionnelle, l’état de santé et les habitudes de vie. Il s’agit de la première base de données longitudinale permettant de recenser simulta‑ nément les trajectoires professionnelles et la consommation d’alcool et de tabac. L’enquête est un panel qui interroge les mêmes ménages tous les 4 ans. L’échantillon a été entièrement renouvelé en 2010 afin de réduire l’attrition entre les différentes vagues de l’enquête. Dans notre étude, nous mobilisons les enquêtes 2010 et 2014, représentatives d’environ 97 % de la population vivant en France métropolitaine. Échantillon Notre échantillon est constitué des personnes en emploi en 2010, qui sont soit en emploi soit au chômage en 2014. Nous nous focalisons donc sur les individus ayant un attachement fort au marché du travail. Les étudiants, les retraités et les autres inactifs sont exclus de l’analyse, ce qui aboutit à un échantillon de 1 540 individus. Nous excluons ensuite les individus qui n’appartiennent pas au support commun de la distribution des scores (13 individus). L’échantillon final comporte donc 1 527 individus. Environ 90 % d’entre eux sont en emploi en 2010 et 2014 (groupe de contrôle) et près de 10 % sont en emploi en 2010 mais sans emploi en 2014 (groupe traité). Variables de résultat Notre étude examine l’impact de l’expérience du chômage sur la santé à court terme, ainsi que sur des comportements susceptibles de la dégrader à plus long terme. Pour cela nous mobilisons trois séries de variables de résultat. La pre‑ mière série porte sur la santé. Nous utilisons tout d’abord la variable « État de santé déclaré », construite à partir de la réponse à la question suivante : « Comment est votre état de santé en général ? » avec 1 (« Très bon »), 2 (« Bon »), 3 (« Assez bon »), 4 (« Mauvais ») et 5 (« Très mauvais »). Dans l’article, nous renversons cette échelle de manière à ce que 1 soit considéré comme un état de santé « Très mauvais » et 5 comme un état de santé « Très bon ». Nous créons également une variable dichotomique « Mauvaise santé » valant 1 si l’individu déclare un état de santé « Assez bon », « Mauvais » ou « Très mauvais », et valant 0 si l’individu déclare un état de santé « Bon » ou « Très bon ». De manière complémentaire, nous mobilisons une variable binaire « Dépression »(a) valant 1 si l’individu a déclaré une dépression, et 0 sinon. Nous disposons par conséquent de mesures globales de l’état de santé ainsi que d’une mesure plus spé‑ cifique liée à la santé mentale. Une deuxième série de variables de résultat vise à analyser les habitudes de consom‑ mation d’alcool. Nous étudions tout d’abord les fréquences de consommation grâce à la variable « Boît tous les jours » (« Boît de manière occasionnelle »), valant 1 si l’individu consomme de l’alcool quotidiennement (ponctuellement), et 0 sinon. Dans une seconde étape, nous analysons les quantités consommées au cours d’une occasion. L’enquête nous permet de savoir si un individu « Boît 3 verres ou plus par occasion » (« Boît 5 verres ou plus par occasion »). Cette variable vaut 1 si l’individu consomme 3 verres (5 verres) ou plus par occasion, et 0 sinon. Nous ajoutons également des variables sur les profils d’alcoolisation tels que définis par l’IRDES (voir annexe). Nous distinguons 3 types de pro‑ fils : « Consommateur sans risque » prenant la valeur 1 si un homme (une femme) boit 21 verres (14 verres) ou moins par semaine et si il (elle) ne boit jamais 6 verres ou plus en une occasion, « Consommateur à risque ponctuel » prenant la valeur 1 si un homme (une femme) boit 21 verres (14 verres) ou moins par semaine et si il (elle) boit moins de 2 fois par mois 6 verres ou plus en une occasion, et « Consommateur à risque chronique et dépendant » prenant la valeur 1 si un homme (une femme) boit plus de 21 verres (14 verres) par semaine ou si il (elle) boit au moins 1 fois par semaine 6 verres ou plus en une occasion. Enfin, une troisième série de variables de résultat porte sur la consommation de tabac. Nous étudions tout d’abord les fréquences de consommation par le bais de la variable « Fume tous les jours » (« Fume de manière occasionnelle »), valant 1 si l’individu fume quotidiennement (ponctuellement), et 0 sinon. Ensuite, nous observons la quantité consommée chaque jour avec la variable « Nombre de cigarettes fumées ». Toutes ces variables de résultat permettent d’avoir une vision d’ensemble de l’impact de l’expérience du chômage sur la santé et sur les comportements à risque en termes de consommation d’alcool et de tabac. (a)Soulignons que cette variable est basée sur la réponse à la question : « Au cours des 12 derniers mois, avez-vous eu une dépression ? ». Il est donc possible que la dépression ait précédé l’entrée au chômage. Les résultats obtenus sur la base de cette variable doivent donc être interprétés avec précaution. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 27 Chômage et comportements à risque : quel effet de la perte d’emploi sur la consommation d’alcool et de tabac ? La figure I montre que les individus au chômage en 2014 ont un état de santé significativement plus faible (au seuil de 5 %) que les personnes en emploi2 . Si le pourcentage d’individus buvant de l’alcool tous les jours n’est pas statistiquement différent entre les deux populations, la propor‑ tion de fumeurs quotidiens est en revanche significativement plus élevée (au seuil de 5 %) chez les chômeurs. Pour autant, ces différences sont‑elles dues au chômage ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’utiliser la dimension longitudinale de l’enquête. En effet, la figure II montre que les individus au chômage en 2014 étaient déjà significativement en moins bonne santé en 2010 (au seuil de 5 %), lorsqu’ils étaient en emploi. Il est donc possible que l’association entre chômage et faible état de santé soit liée à une causalité inverse. D’une part, les individus en mauvaise santé peuvent avoir une probabilité plus forte d’entrer au chômage. D’autre part, il est possible, qu’une fois devenus chômeurs, ils se caractérisent par des périodes de chômage relativement plus longues. Ces deux arguments augmentent la probabilité d’observer des chômeurs en mauvaise santé. Un raisonne‑ ment similaire s’applique au lien entre chômage et alcool3 d’une part, et chômage et tabac4 d’autre part. La section suivante présente la stratégie économétrique employée pour minimiser le bais de sélection et identifier l’effet du chômage sur la santé et sur les comportements à risque. 2. Stratégie empirique Nous utilisons une méthode d’estimation en double différence avec appariement sur score de propension (encadré 2) afin d’identifier l’impact de l’expérience du chômage sur la santé et sur les comportements à risque. Adaptée à des 2. Tests non reportés ici. Les tests sur les variables observées en 2010 pour ces deux groupes sont présentés dans le tableau 2 (Voir échantillon « Non-apparié »). 3. Les taux de personnes buvant quotidiennement de l’alcool, mesurés en 2010, qu’elles soient en emploi en 2014 ou au chômage à la même date, ne sont pas statistiquement différents (au seuil de 5 %). 4. Les taux de personnes fumant quotidiennement des cigarettes, mesurés en 2010, qu’elles soient en emploi en 2014 ou au chômage à la même date, ne sont pas statistiquement différents (au seuil de 5 %). Figure I – État de santé déclaré et consommateurs quotidiens d’alcool et de tabac en 2014 A – État de santé déclaré (note de 0 à 5) B – Individus buvant de l’alcool tous les jours (%) C – Individus fumant du tabac tous les jours (%) 3.8 3.9 4.0 4.1 4.2 0 1 2 3 4 5 6 7 8 Chômeurs en 2014 Actifs occupés en 2014 % 0 5 10 15 20 25 30 35 40 % Source : ESPS 2014. Figure II – État de santé déclaré en 2010 et consommateurs quotidiens d’alcool et de tabac en 2014 Chômeurs en 2014 Actifs occupés en 2014 3.80 3.85 3.90 3.95 4.00 4.05 4.10 4.15 4.20 2010 2014 20 25 30 35 40 45 2010 2014 % A – État de santé déclaré (note de 0 à 5) B – Individus buvant de l’alcool tous les jours (%) C – Individus fumant du tabac tous les jours (%) 2010 2014 % 4 5 6 7 8 Source : ESPS 2010‑2014. 28 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 échantillons de taille modeste (Pirracchio et al., 2012), cette méthode consiste à apparier des individus du groupe expérimental et du groupe témoin selon leur propension à être traité, puis à comparer l’évolution moyenne de la variable de résultat du groupe traité avec celle du groupe non traité. Plusieurs étapes doivent être respec‑ tées afin de rendre l’estimation crédible. Dans un premier temps, il faut déterminer le score de propension, à partir d’un modèle logit ou probit, en utilisant la participation au traitement comme variable dépendante et l’ensemble des caractéristiques observables pouvant affecter la participation au traitement comme variables indépendantes. Il faut alors s’assurer que les distributions du score de propension des deux groupes disposent d’une zone de support commun suffisamment large. Ensuite, un Encadré 2 – Stratégie d’estimation Notre échantillon est constitué exclusivement d’individus en emploi en 2010. Soit D le traitement avec D = 0 si l’in‑ dividu est en emploi en 2014 et D = 1 si l’individu est au chômage. Soit Y la variable de résultat (état de santé, consommation d’alcool ou de tabac) avec Y1 la variable de résultat pour un membre du groupe de traitement et Y 0 la variable de résultat pour une personne appartenant au groupe de contrôle. Si l’on considère t = 2010 et t + =1 2014, d’après l’approche en double différence (Difference-in-Differences, DiD), l’effet moyen du traitement sur les traités (Average Treatment effect on the Treated, ATT) se détermine en comparant l’évolution de la variable de résultat entre t et t +1 du groupe de traitement E Y( ) t t +1 − = Y D 1 1 | 1 à celle du groupe de contrôle E Y( ) t t +1 − = Y D 0 0 | 1 , soit : ATT E = − ( ) Y Y t t + + 1 D E = − − ( ) Y Y t t D = 1 1 1 0 0 | | 1 0 Sous l’hypothèse de tendance commune aux deux groupes qui suppose, qu’en l’absence de traitement, les indivi‑ dus du groupe de traitement et ceux du groupe de contrôle auraient une évolution similaire de leurs variables de résultat, soit : E Y( ) t t + + 1 − = Y D = − E Y( ) t t Y D = 0 0 1 0 0 | | 1 0 L’approche en double différence présente plusieurs avantages. La première différence, constituée d’un côté de E Y( ) t t +1 − = Y D 1 1 | 1 et de l’autre côté de E Y( ) t t +1 − = Y D 0 0 | 0 permet d’éliminer les effets fixes individuels tandis que la deuxième différence E Y( ) t t + + 1 − = Y D − − E Y( ) t t Y D = 1 1 1 0 0 | | 1 0 permet d’éliminer les effets temporels communs. Toutefois, il n’est pas possible, dans notre cas, d’appliquer directement l’approche en double différence car l’affectation au traitement n’est pas aléatoire. En effet, le tableau 1 montre par exemple que les individus les plus jeunes, ceux en contrat à durée déterminée ainsi que les personnes en mauvaise santé en 2010 ont une probabilité plus élevée d’être au chômage en 2014. Une stratégie d’identification possible consiste à supposer, qu’étant donné un ensemble de caractéristiques observables X, les variables de résultat sont indépendantes de l’affectation au traitement. Cette hypothèse d’indépendance conditionnelle s’écrit : Y Y, D X| 0 1 ⊥ Par conséquent, il est possible d’estimer l’ATT en comparant l’évolution des variables de résultat entre t et t +1 des individus traités et des individus non traités ayant les mêmes caractéristiques observables X (Heckman et al., 1998). Afin de réduire le bais de sélection, il est préférable de réaliser l’appariement sur un grand nombre de caractéristiques pouvant affecter la participation au traitement. Toutefois, à mesure que le nombre de caractéristiques déterminant l’accès au traitement augmente, il devient de plus en plus difficile de trouver deux individus ayant exactement les mêmes caractéristiques. Pour résoudre ce problème, Rosenbaum & Rubin (1983) proposent d’apparier les individus traités et non traités selon un résumé de dimension 1, appelé « score de propension » (propensity score), correspondant à la probabilité de participer au traitement étant donné un ensemble de caractéristiques observables X. Ils montrent ainsi que, si la variable de résultat Y est indépendante de la participation au traitement D conditionnellement aux carac‑ téristiques observables X, elle est également indépendante de D conditionnellement au score de propension P X( ), soit : Y Y, D P| X 0 1 ⊥ ( ) sous l’hypothèse de support commun : 0 1 < P X( ) < Cette condition permet de s’assurer qu’il existe, pour chaque individu traité, au moins un individu non traité ayant le même score de propension (Heckman et al., 1998). Ainsi, en réalisant un appariement sur score de propension (Propensity Score Matching, PSM), nous pouvons minimiser le biais de sélection. Sous les hypothèses de tendance commune, d’indépendance conditionnelle et de support commun, nous pouvons ainsi estimer l’ATT pour les individus appartenant au support commun de la distribution des scores, en combinant DiD et PSM, soit : ATT N Y Y w Y DiD PSM D i D S i t i t j D S i j j t − ∈ ∩ + ∈ ∩ ∑ ∑ ( ) − − − + 1 1 1 0 1 1 1 1 0 , , , Yj t, 0 ( )       Avec D1 (D0 ) le groupe de traitement (contrôle), N le nombre d’individu traité et S la zone de support commun. Le terme wi j représente le poids assigné au membre du groupe de contrôle ayant un score de propension proche à celui de l’individu traité, appelé « voisin ». ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 29 Chômage et comportements à risque : quel effet de la perte d’emploi sur la consommation d’alcool et de tabac ? algorithme d’appariement doit être choisi pour apparier chaque participant au programme avec le non participant présentant le plus de similarités. Il convient alors de vérifier que le groupe de traitement et le groupe de contrôle présentent des caractéristiques observables moyennes similaires. Si l’appariement permet de rendre les deux groupes comparables, on peut alors estimer l’effet moyen du traitement sur les traités. 2.1. Score de propension Le score de propension, c’est‑à‑dire la proba‑ bilité de participer au traitement étant donné un ensemble de variables observables X, est déterminé à l’aide d’un modèle probit utilisant la participation au traitement comme variable dépendante (Imbens & Wooldridge, 2009). Afin de rendre l’hypothèse d’indépendance conditionnelle crédible, il est nécessaire d’inclure dans l’estimation du score de propen‑ sion toutes les variables pouvant influencer de manière significative la participation au trai‑ tement (tableau 1). Les variables explicatives que nous utilisons sont mesurées en 2010, avant l’affectation au traitement, de manière à éviter des problèmes d’endogénéité. Nous retenons ici : l’âge, l’âge au carré, le sexe, le niveau d’éducation, le statut marital, les revenus du ménage, la catégorie socio‑professionnelle (CSP), le secteur et l’effectif de l’entreprise, le type de contrat, ainsi que des variables liées à l’état de santé, et à la consommation d’alcool et de tabac. L’estimation du score de propension nous permet de minimiser le biais de sélection tandis que l’inclusion d’une variable dépendante retardée nous permet de traiter le problème de causalité inverse. Tableau 1 – Modèle Probit Coefficient Erreur-standard Âge -0.1838*** 0.0622 Âge² 0.0023*** 0.0009 Homme (réf. Femme) -0.2104 0.1287 Niveau d’éducation (réf. Supérieur) Primaire 0.0205 0.4404 Collège -0.0175 0.1687 Lycée -0.1936 0.1740 Marié (réf. Non marié) -0.1679 0.1278 Revenus du ménage (réf. 4 600 € et plus) Moins de 1 300 € 0.0823 0.2485 Entre 1 300 € et 4 600 € -0.1109 0.1846 CSP (réf. Cadre) Employé/Ouvrier 0.0872 0.2151 Profession intermédiaire -0.2020 0.2223 Secteur (réf. Autre) Agriculture, sylviculture, pêche -0.1276 0.4198 Industrie 0.2653 0.1793 Construction 0.3123 0.2375 Commerce et services 0.2063 0.1472 Taille de l’entreprise (réf. 20 salariés et plus) Moins de 10 salariés 0.5291*** 0.1623 Entre 10 et 19 salariés 0.5847*** 0.2020 CDI (réf. CDD) -0.3458** 0.1419 État de santé État de santé déclaré -0.2073*** 0.0794 Consommation d’alcool (réf. Aucune) Boit tous les jours -0.1877 0.2768 Boit occasionnellement -0.3059** 0.1372 Consommation de tabac (réf. Aucune) Fume tous les jours 0.2045 0.1256 Fume occasionnellement 0.2225 0.2432 Nombre d’observations 1 540 Note : toutes les variables sont mesurées en 2010, avant l’affectation au traitement. Seuils de significativité : 10 % (*), 5 % (**), 1 % (***). Source : IRDES, ESPS 2010. 30 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 2.2. Qualité du score de propension L’emploi du score de propension doit permettre d’équilibrer la distribution de toutes les caracté‑ ristiques observables incluses dans l’estimation du score de propension P (X). À l’issue de l’esti‑ mation, nous nous assurons que l’équilibre est vérifié : nous divisons la distribution du score de propension en 10 strates et vérifions que, pour chacune des strates, les valeurs moyennes des variables explicatives ne sont pas statistiquement différentes entre les deux groupes. Par ailleurs, l’utilisation du score de propension n’est adéquate que pour les individus appartenant au support commun de la distribution des scores. La figure III (graphique A) montre, qu’avant appariement, la zone de support commun est relativement large (Lechner, 2002). Nous adop‑ tons la méthode min‑max proposée par Dehejia & Wahba (2002) qui consiste à conserver uniquement les individus pour lesquels il existe un contrefactuel. Par conséquent, les individus dont le score est inférieur à la valeur minimale ou supérieur à la valeur maximale du score dans l’autre groupe sont exclus de l’analyse5 . 2.3. Appariement Chaque membre du groupe de traitement est ensuite apparié à un ou plusieurs membres du groupe de contrôle ayant un score de propension proche, appelés « voisins ». Il est possible d’avoir recours à plusieurs méthodes pour réaliser cet appariement. Les algorithmes d’appariement diffèrent non seulement dans la manière de définir le voisinage mais aussi dans le poids assigné à chaque voisin. Nous réalisons tout d’abord un appariement selon la méthode des plus proches voisins (nearest neighbors). Chaque individu traité est alors apparié avec les 5 membres du groupe de contrôle ayant le score de propension le plus proche. Cette méthode, fréquemment utilisée dans la littérature, peut toutefois engendrer de mauvais appariements, notamment lorsque les plus proches voisins sont relativement éloignés en termes de score de propension. Ce problème peut être résolu en imposant une distance maximale en termes de score de propension, appelée « Caliper ». Les travaux de Baser (2006) et Caliendo & Kopeinig (2008) montrent que l’appariement avec Caliper permet de réduire significative‑ ment le biais de sélection. Toutefois, comme Smith & Todd (2005) le soulignent, une limite notable de cette approche réside dans le choix du Caliper. Nous nous appuyons ici sur les travaux d’Austin (2011) pour déterminer la taille optimale de ce dernier. Enfin, nous testons la robustesse de notre appariement en utilisant un estimateur par noyau ou Kernel (Heckman et al., 1998). Chaque individu du groupe de contrôle participe alors à la construction du contrefactuel d’un individu traité, avec un poids qui dépend de la distance entre son score de propension et celui de l’individu considéré. Par conséquent, les individus du groupe de contrôle ayant un score de propension relati‑ vement plus proche se voient attribuer un poids plus élevé. Cette méthode permet de réduire la variance puisqu’une plus grande quantité d’information est utilisée. Les estimations des ATT (pour Average treatment effect on the treated, effet moyen du traitement sur les traités, voir encadré 2) sont ensuite effectuées pour chacun de ces algorithmes d’appariement (nearest neighbors, Caliper, Kernel). 5. La zone du support commun étant particulièrement large, la méthode mix-max nous conduit à exclure uniquement 13 individus de l’analyse. Notre échantillon final comporte donc 1 527 individus. Figure III – Distribution du score de propension, avant et après appariement 0 2 4 6 0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0 5 10 15 20 Score de propension Chômeurs en 2014 Actifs occupés en 2014 0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 A – Avant appariement B – Après appariement Densité de Kernel Densité de Kernel Source : ESPS 2010‑2014. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 31 Chômage et comportements à risque : quel effet de la perte d’emploi sur la consommation d’alcool et de tabac ? 2.4. Qualité de l’appariement Une dernière étape consiste à examiner dans quelle mesure l’utilisation du score de propen‑ sion permet de réduire le biais de sélection. La figure III présente la distribution du score de propension, avant et après appariement, pour les individus devenus chômeurs (groupe de traitement) et ceux toujours en emploi en 2014 (groupe de contrôle). Si le graphique de gauche souligne que les distributions du score étaient sensiblement différentes entre les deux groupes avant appariement, le graphique de droite montre que la répartition du score de propension devient similaire dans les deux groupes après appariement. Autrement dit, l’appariement semble avoir rendu les individus du groupe de traitement et du groupe de contrôle comparables. La qualité de l’appariement peut être évaluée tout d’abord en comparant les caractéristiques moyennes au sein des deux groupes avant et après appariement (Rosenbaum & Rubin, 1985a ; 1985b). Le tableau 2 montre que les différences initialement observées entre individus traités et non traités ne sont plus significatives une fois l’appariement effectué. De manière complémen‑ taire, il est possible de déterminer la réduction du biais observé initialement (Caliendo & Kopeinig, 2008). Le bais correspond à la diffé‑ rence des moyennes entre individus traités et non traités, divisée par l’écart‑type commun de l’échantillon. En comparant le biais calculé sur l’échantillon apparié puis sur l’échantillon non‑apparié, on détermine ainsi la réduction du biais. Le tableau 2 montre que l’appariement a permis de réduire considérablement le biais pour l’ensemble des caractéristiques pour lesquelles on observait initialement des différences signi‑ ficatives de moyenne entre les deux groupes. 3. Résultats Nous comparons maintenant l’évolution des variables de résultat entre t et t + 1 des indi‑ vidus du groupe de traitement et de ceux du groupe de contrôle. Nous analysons, dans un premier temps, l’effet du chômage sur la santé puis, dans un second temps, nous examinons l’impact du chômage sur la consommation d’alcool et de tabac. Ainsi, nous explorons les effets du chômage sur la santé à court terme mais également sur des comportements susceptibles de la dégrader à plus long terme. Pour mesurer l’état de santé, nous mobilisons les trois variables de résultat présentées dans l’encadré 1 : tout d’abord, l’état de santé déclaré sur une échelle Tableau 2 – Caractéristiques moyennes, mesurées en 2010, des chômeurs et des actifs occupés en 2014, avant et après appariement Échantillon Chômeurs en 2014 En emploi en 2014 Différence Biais (%) Réduction du biais (%) Âge Non-apparié 35.24 38.57 -3.33*** -38.8 Apparié 35.28 35.38 -0.10 -1.2 96.9 Âge² Non-apparié 1331 1545 -214*** -34.6 Apparié 1334 1329 5 0.9 97.5 Homme (réf. Femme) Non-apparié 0.4494 0.5017 -0.0523 -10.5 Apparié 0.4419 0.4767 -0.0348 -7.0 33.3 Niveau d’éducation (réf. Supérieur) Primaire Non-apparié 0.0225 0.1370 -0.1145 6.6 Apparié 0.0233 0.0233 0.0000 0.0 100 Collège Non-apparié 0.4607 0.3587 0.1020* 20.8 Apparié 0.4535 0.5465 -0.0930 -19.0 8.8 Lycée Non-apparié 0.2360 0.2409 -0.0049 -1.2 Apparié 0.2326 0.1977 0.0349 8.2 -601.1 Marié (réf. Non marié) Non-apparié 0.4607 0.6660 -0.2053*** -42.2 Apparié 0.4767 0.5581 -0.0814 -16.7 60.4 Revenus du ménage (réf. 4 600 € et plus) Moins de 1 300 € Non-apparié 0.1512 0.0680 0.0832*** 26.8 Apparié 0.1512 0.1279 0.0233 7.5 72 Entre 1 300 € et 4 600 € Non-apparié 0.7326 0.7890 -0.0564 -13.2 Apparié 0.7326 0.7093 0.0233 5.4 58.8 CSP (réf. Cadre) Employé/Ouvrier Non-apparié 0.7640 0.5750 0.1890*** 40.9 Apparié 0.7558 0.7558 0.0000 0.0 100 Profession intermédiaire Non-apparié 0.1461 0.2663 -0.1202** -30.0 Apparié 0.1512 0.1628 -0.0116 -2.9 90.3 ➔ 32 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 de 1 à 5 (« 1 » étant l’état de santé le plus faible et « 5 » le plus élevé). Dans la lignée des travaux de Böckerman & Ilmakunnas (2009) et de Gebel & Voßemer (2014), nous considérons que l’état de santé déclaré est une mesure cardinale et esti‑ mons l’ATT. Bien qu’il s’agisse d’une mesure subjective de l’état de santé, plusieurs études ont démontré la capacité de cette échelle à refléter l’état de santé objectif des individus, ainsi que sa valeur prédictive en termes de morbidité et de mortalité (Burström & Fredlund, 2001 ; Connelly et al., 1989 ; Franks et al., 2003 ; Grant et al., 1995 ; Idler & Angel, 1990 ; Idler & Benyamini, 1997; Idler & Kasl, 1995; Lundberg & Manderbacka, 1996 ; McCallum et al., 1994 ; Okun et al., 1984). De manière complémentaire, nous utilisons une variable « Mauvaise santé » valant 1 si l’individu déclare un état de santé «Assez bon», «Mauvais» ou «Très mauvais», et valant 0 si l’individu déclare un état de santé « Bon » ou « Très bon ». Nous mesurons ainsi l’effet du chômage sur l’état de santé déclaré ainsi que sur la probabilité d’être en mauvaise santé. Par ailleurs, nous mobilisons une troi‑ sième variable de résultat « Dépression » valant 1 si l’individu déclare avoir eu une dépression et 0 sinon. Cette dernière variable nous permet d’évaluer l’effet du chômage sur la santé mentale. Quelle que soit la variable de santé utilisée, nos estimations montrent que, dans le cas français, l’expérience du chômage n’a pas d’impact significatif sur la santé, du moins à court terme (tableau 3‑A). Nous examinons ensuite l’impact du chômage sur les comportements de consommation d’al‑ cool et de tabac. La consommation d’alcool peut s’apprécier sous différents angles. Nous estimons tout d’abord l’effet du chômage sur la probabilité de boire de l’alcool, que ce soit de manière quoti‑ dienne ou occasionnelle (tableau 3‑B). Dans le premier cas, les ATT sont proches de 0 et non significatifs, ce qui implique que l’expérience du chômage n’a pas d’effet sur la probabilité de Échantillon Chômeurs en 2014 En emploi en 2014 Différence Biais (%) Réduction du biais (%) Secteur (réf. Autre) Agriculture, sylviculture, pêche Non-apparié 0.0225 0.0200 0.0025 1.8 Apparié 0.0233 0.0116 0.0117 8.1 -343.4 Industrie Non-apparié 0.1573 0.1789 -0.0216 -5.7 Apparié 0.1628 0.2093 -0.0465 -12.4 -117.9 Construction Non-apparié 0.1011 0.0623 0.0388 14.2 Apparié 0.1047 0.0814 0.0233 8.5 40.1 Commerce et services Non-apparié 0.4270 0.3381 0.0889 18.3 Apparié 0.4186 0.4186 0.0 100 Taille de l’entreprise (réf. 20 salariés et plus) Moins de 10 salariés Non-apparié 0.2360 0.1027 0.1333*** 36.0 Apparié 0.2326 0.2093 0.0233 6.3 82.6 Entre 10 et 19 salariés Non-apparié 0.1236 0.0479 0.0757*** 27.2 Apparié 0.1279 0.1512 -0.0233 -8.3 69.3 CDI (réf. CDD) Non-apparié 0.6629 0.8200 -0.1571*** -36.3 Apparié 0.6628 0.6861 -0.0233 -5.4 85.2 État de santé État de santé déclaré Non-apparié 3.8764 4.0705 -0.1941** -24.9 Apparié 3.8837 3.8256 0.0581 7.5 70 Consommation d’alcool (réf. Aucune) Boit tous les jours Non-apparié 0.0449 0.0561 -0.0112 -5.1 Apparié 0.0465 0.0233 0.0232 10.6 -108 Boit occasionnellement Non-apparié 0.6742 0.7680 -0.0938* -21.0 Apparié 0.6861 0.6163 0.0698 15.6 25.6 Consommation de tabac (réf. Aucune) Fume tous les jours Non-apparié 0.4157 0.2813 0.1344** 28.4 Apparié 0.3954 0.4070 -0.0117 -2.5 91.3 Fume occasionnellement Non-apparié 0.0674 0.0540 0.0134 5.6 Apparié 0.0698 0.1163 -0.0465 -19.4 -248.6 Nombre d’observations 1 527 Note : voir tableau 1. Source : IRDES, ESPS 2010-2014. Tableau 2 – (suite) ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 33 Chômage et comportements à risque : quel effet de la perte d’emploi sur la consommation d’alcool et de tabac ? consommer de l’alcool quotidiennement. Dans le cas de la consommation occasionnelle, les ATT sont significatifs seulement au seuil de 10 % dans le cas d’un appariement par plus proches voisins ou par Kernel, et au seuil de 5 % si l’on considère un appariement par Caliper. Si l’expérience du chômage a des effets modérés sur la fréquence de consommation, il est toute‑ fois possible qu’elle induise une modification substantielle du volume consommé à chaque occurrence. Nous examinons si le fait d’être devenu chômeur a eu un impact sur la probabilité de boire trois verres ou plus, puis sur la probabi‑ lité de boire cinq verres ou plus au cours d’une même occasion. Nous n’identifions pas d’effet significatif. Enfin, nous analysons l’impact du chômage sur les profils d’alcoolisation tels que définis par l’IRDES (voir annexe). Nous distinguons ainsi parmi les buveurs d’alcool, les consommateurs sans risque, les consomma‑ teurs à risque ponctuel et les consommateurs à risque chronique et dépendant. Nos estimations montrent que le chômage engendre une baisse modérée de la consommation sans risque, seulement significative au seuil de 10 % dans Tableau 3 – Effet moyen du traitement sur les traités (ATT) A – Variable de résultat : Santé Traitement Algorithme d’appariement Variable dépendante État de santé déclaré Mauvaise santé Dépression Chômage en 2014 Nearest neighbor ‑0.0349 0.1047 0.0233 (0.1288) (0.0757) (0.0506) Caliper ‑0.0238 0.1071 0.0357 (0.1283) (0.0758) (0.0501) Kernel ‑0.0358 0.0813 ‑0.0026 (0.1007) (0.0557) (0.0362) B – Variable de résultat : Consommation d’alcool, quantité Traitement Algorithme d’appariement Variable dépendante Boit tous les jours Boit de manière occasionnelle Boit 3 verres ou plus par occasion Boit 5 verres ou plus par occasion Chômage en 2014 Nearest neighbor ‑0.0350 ‑0.1163* ‑0.0814 0.0698 (0.0832) (0.0599) (0.0643) (0.0436) Caliper ‑0.0238 ‑0.1190** ‑0.0833 0.0714 (0.0841) (0.0609) (0.0652) (0.0442) Kernel ‑0.0240 ‑0.0741* ‑0.0389 0.0376 (0.0634) (0.0432) (0.0436) (0.0247) C – Variable de résultat : Consommation d’alcool, type de consommateur Traitement Algorithme d’appariement Variable dépendante Consommateur sans risque Consommateur à risque ponctuel Consommateur à risque chronique et dépendant Chômage en 2014 Nearest neighbor ‑0.0814** ‑0.0233 ‑0.0116 (0.0775) (0.0764) (0.0440) Caliper ‑0.0833 ‑0.0357 0.0001 (0.0788) (0.0766) (0.0428) Kernel ‑0.0744 ‑0.0640 0.0471 (0.0596) (0.0561) (0.0300) D – Variable de résultat : Consommation de tabac Traitement Algorithme d’appariement Variable dépendante Fume tous les jours Fume de manière occasionnelle Nombre de cigarettes fumées Chômage en 2014 Nearest neighbor ‑0.0465 0.0465 ‑1.7209* (0.0544) (0.0456) (0.9412) Caliper ‑0.0476 0.0476 ‑1.9762** (0.0554) (0.0464) (0.9519) Kernel 0.0098 ‑0.0235 ‑0.2067 (0.0440) (0.0347) (0.7825) Note : nombre d’observations = 1 527. Les erreurs‑standard, entre parenthèses, sont obtenues par bootstrap (100 réplications). Seuils de signi‑ ficativité : 10 % (*), 5 % (**), 1 % (***). Source : IRDES, ESPS 2010-2014. 34 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 le cas de l’estimation par plus proches voisins (tableau 3‑C). Si le chômage induit une modifi‑ cation des pratiques de consommation d’alcool, il semble influer uniquement sur les comporte‑ ments présentant un risque faible pour la santé. Nous analysons maintenant l’impact du chômage sur le tabagisme. Cette question est centrale dans notre analyse, d’une part parce que le tabac est la première cause de mortalité prématurée en France et d’autre part parce que nos données non‑ appariées indiquaient que la proportion de fumeurs quotidiens au sein de la population des chômeurs était significativement plus élevée que dans la population des actifs occupés. Comme précédemment, nous examinons tout d’abord l’impact sur la probabilité de consommer puis sur la quantité consommée. Nos résultats suggèrent que l’expérience du chômage n’a pas d’impact significatif sur la probabilité de fumer tous les jours ou de manière occasionnelle (tableau 3‑D). Par ailleurs, le chômage a un effet négatif sur le nombre de cigarettes fumées. Cette réduction de la quantité de tabac consommée pourrait s’expli‑ quer en partie par la baisse de revenu engendrée par la perte d’emploi. Les effets ne sont toute‑ fois pas robustes à un changement d’algorithme d’appariement et sont non significatifs lorsque l’on utilise un estimateur par noyau. 4. Analyse de sensibilité Comme souligné par Bléhaut & Rathelot (2014), une attention toute particulière doit être portée à l’hypothèse d’indépendance conditionnelle. En effet, les méthodes d’appariement reposent sur l’hypothèse que les résultats latents et l’affectation au traitement sont indépendants conditionnellement à un ensemble de variables observables X, soit : Y0 , Y1 ⊥ D|X Dans cette section, nous proposons d’évaluer la sensibilité de nos estimations à une déviation de l’hypothèse d’indépendance conditionnelle. Pour cela, nous suivons la méthode proposée par Ichino et al. (2008). Supposons que l’hypo‑ thèse d’indépendance conditionnelle ne soit plus satisfaite, mais qu’elle le serait étant donné un ensemble de variables observables X et une variable binaire inobservée U. Y0 , Y1 ⊥ D|(X,U) Dans ce cas, sachant U, il est possible d’estimer l’effet moyen du traitement sur les traités. La distribution de la variable binaire inobservée U est caractérisée en spécifiant les quatre para‑ mètres suivants : pmn = Pr (U = 1|D = m, Y = n) = Pr (U = 1|D = m, Y = n, X) avec m, n∈{0,1}, ce qui donne la probabilité que U = 1 dans chacun des 4 groupes définis par la variable de traitement D et la variable de résultat Y. Étant donné les paramètres pmn, on attribue une valeur de U à chaque individu selon son groupe d’appartenance. On inclut ensuite U dans l’ensemble des variables permettant de déter‑ miner le score de propension, puis on estime l’ATT par la méthode des plus proches voisins. Cette procédure est répétée 1 000 fois de sorte à déterminer un ATT moyen sur l’ensemble de la distribution de U. L’effet de U sur la variable de résultat des indi‑ vidus non traités (Y0 ) est défini de la manière suivante : Γ = Pr (Y = 1 |D = 0, U = 1, X) Pr (Y = 0 |D = 0, U = 1, X) Pr (Y = 1 |D = 0, U = 0, X) Pr (Y = 0 |D = 0, U = 0, X) L’effet de U sur la sélection dans le traitement (D) est déterminé comme suit : Λ = Pr (D = 1|U = 1, X) Pr (D = 0|U = 1, X) Pr (D = 1|U = 0, X) Pr (D = 0|U = 0, X) Notre étude comporte 13 variables de résultat et 3 méthodes d’appariement distinctes. Dans un souci de clarté, nous présentons ici l’ana‑ lyse de sensibilité conduite sur 2 variables de résultat (« Fume tous les jours » et « Boit tous les jours ») avec une seule méthode d’appariement (Nearest neighbor). Notons que des résultats similaires sont obtenus sur les autres variables de résultat utilisées dans cette étude, y compris lorsque l’on mobilise des méthodes d’apparie‑ ment alternatives (Caliper, Kernel). Les résultats de l’analyse de sensibilité sont présentés dans les tableaux 4 et 5. Dans chaque tableau, la première ligne indique l’ATT et l’erreur‑standard estimés dans le cas de référence, c’est‑à‑dire sans facteur confondant simulé. Dans les autres lignes du tableau, on suppose que la distribution de U est comparable à la distribution d’autres variables observables telles que le sexe, l’éducation, le statut marital, les revenus du ménage, la CSP, le secteur, l’effectif de l’entreprise, le type de contrat ainsi que les habitudes de consommation d’alcool et de tabac observés en 2010, c’est‑à‑dire avant l’affectation ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 35 Chômage et comportements à risque : quel effet de la perte d’emploi sur la consommation d’alcool et de tabac ? Tableau 5 – Analyse de sensibilité de l’effet moyen du traitement sur les traités (ATT) Variable de résultat : « Boit tous les jours » – Algorithme d’appariement : Nearest neighbor pij ATT SE Γ Λ p11 p10 p01 p00 Sans facteur confondant simulé (Référence) 0 0 0 0 -0.035 0.083 - Homme (réf. Femme) 0.45 0.45 0.48 0.51 -0.035 0.083 0.890 0.867 Niveau d’éducation (réf. Supérieur) Primaire 0.00 0.03 0.03 0.01 -0.035 0.083 5.129 1.944 Collège 0.68 0.34 0.42 0.34 -0.035 0.083 1.451 1.561 Lycée 0.23 0.24 0.26 0.23 -0.035 0.083 1.154 0.980 Marié (réf. Non marié) 0.55 0.41 0.63 0.68 -0.035 0.083 0.798 0.439 Revenus du ménage (réf. 4 600 € et plus) Moins de 1 300 € 0.10 0.18 0.10 0.06 -0.035 0.083 1.957 2.480 Entre 1 300 € et 4 600 € 0.79 0.70 0.77 0.80 -0.035 0.083 0.882 0.773 CSP (réf. Cadre) Employé/Ouvrier 0.81 0.74 0.65 0.55 -0.035 0.083 1.553 2.476 Profession intermédiaire 0.16 0.14 0.23 0.28 -0.035 0.083 0.737 0.466 Secteur (réf. Autre) Agriculture, sylviculture, pêche 0.00 0.03 0.02 0.02 -0.035 0.083 0.924 1.364 Industrie 0.16 0.16 0.16 0.18 -0.035 0.083 0.833 0.831 Construction 0.10 0.10 0.08 0.06 -0.035 0.083 1.362 1.682 Commerce et services 0.35 0.47 0.32 0.34 -0.035 0.083 0.908 1.477 Tableau 4 – Analyse de sensibilité de l’effet moyen du traitement sur les traités (ATT) Variable de résultat : « Fume tous les jours » – Algorithme d’appariement : Nearest neighbor pij ATT SE Γ Λ p11 p10 p01 p00 Sans facteur confondant simulé (Référence) 0 0 0 0 -0.047 0.054 - Homme (réf. Femme) 0.46 0.40 0.50 0.50 -0.047 0.054 1.035 0.816 Niveau d’éducation (réf. Supérieur) Primaire 0.03 0.00 0.01 0.02 -0.047 0.054 0.661 1.924 Collège 0.44 0.60 0.36 0.33 -0.047 0.054 1.134 1.567 Lycée 0.24 0.20 0.23 0.33 -0.047 0.054 0.591 0.999 Marié (réf. Non marié) 0.46 0.50 0.67 0.58 -0.047 0.054 1.487 0.448 Revenus du ménage (réf. 4 600 € et plus) Moins de 1 300 € 0.14 0.25 0.07 0.07 -0.047 0.054 1.129 2.564 Entre 1 300 € et 4 600 € 0.74 0.63 0.78 0.86 -0.047 0.054 0.607 0.782 CSP (réf. Cadre) Employé/Ouvrier 0.77 0.70 0.57 0.68 -0.047 0.054 0.613 2.565 Profession intermédiaire 0.14 0.20 0.27 0.22 -0.047 0.054 1.357 0.447 Secteur (réf. Autre) Agriculture, sylviculture, pêche 0.03 0.00 0.02 0.01 -0.047 0.054 1.790 1.451 Industrie 0.15 0.20 0.18 0.19 -0.047 0.054 0.917 0.863 Construction 0.11 0.00 0.06 0.05 -0.047 0.054 1.853 1.782 Commerce et services 0.41 0.60 0.34 0.30 -0.047 0.054 1.255 1.496 Taille de l’entreprise (réf. 20 salariés et plus) Moins de 10 salariés 0.22 0.40 0.10 0.11 -0.047 0.054 0.980 2.823 Entre 10 et 19 salariés 0.13 0.10 0.05 0.04 -0.047 0.054 1.922 2.895 CDI (réf. CDD) 0.66 0.70 0.82 0.80 -0.047 0.054 1.183 0.453 Consommation d’alcool (réf. Aucune) Boit tous les jours 0.05 0.00 0.05 0.09 -0.047 0.054 0.659 0.793 Boit occasionnellement 0.68 0.60 0.77 0.77 -0.047 0.054 0.986 0.660 Consommation de tabac (réf. Aucune) Fume tous les jours 0.34 1.00 0.23 1.00 -0.047 0.054 1.829 Fume occasionnellement 0.08 0.00 0.06 0.00 -0.047 0.054 1.174 Nombre d’observations 1 527 Note : voir tableau 1. Source : IRDES, ESPS 2010-2014. ➔ 36 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 pij ATT SE Γ Λ p11 p10 p01 p00 Taille de l’entreprise (réf. 20 salariés et plus) Moins de 10 salariés 0.16 0.28 0.10 0.10 -0.035 0.083 0.946 2.870 Entre 10 et 19 salariés 0.06 0.16 0.05 0.05 -0.035 0.083 0.937 2.712 CDI (réf. CDD) 0.71 0.64 0.82 0.82 -0.035 0.083 1.030 0.443 Consommation d’alcool (réf. Aucune) Boit tous les jours 0.13 0.00 0.21 0.00 -0.035 0.083 . 0.841 Boit occasionnellement 0.06 1.00 0.14 1.00 -0.035 0.083 . 0.626 Consommation de tabac (réf. Aucune) Fume tous les jours 0.42 0.41 0.32 0.27 -0.035 0.083 1.281 1.844 Fume occasionnellement 0.03 0.09 0.03 0.06 -0.035 0.083 0.457 1.181 Nombre d’observations 1 527 Note : voir tableau 1. Source : IRDES, ESPS 2010-2014. Tableau 5 – (suite) au traitement. Dans toutes les configurations envi‑ sagées, l’effet moyen du traitement sur les traités (ATT) et les erreurs‑standard (SE) ne diffèrent pas de l’estimation de référence. L’ensemble de ces éléments suggèrent que les résultats présentés dans cette étude sont robustes à une déviation de l’hypothèse d’indépendance conditionnelle. * * * L’objectif de notre article est d’estimer l’impact de l’expérience du chômage sur la consommation d’alcool et de tabac des individus, et plus parti‑ culièrement sur les comportements à risque. Pour cela, nous utilisons l’enquête ESPS, qui recueille des données de panel à la fois sur la situation professionnelle, l’état de de santé et la consomma‑ tion d’alcool et de tabac, sur la période 2010‑2014. Si l’on peut observer une association forte entre chômage et consommation d’alcool et de tabac sur des données en coupe, cette relation disparait lorsque l’on utilise des données longitudinales et que l’on mobilise une méthode d’estimation en double différence avec appariement sur score de propension permettant de réduire le biais de sélection. Nos résultats suggèrent qu’il est peu probable que le chômage engendre une hausse significative des comportements à risque. Cet article apporte plusieurs contributions sur l’analyse des interactions entre travail et santé. Tout d’abord, il démontre la nécessité, sur ce champ de recherche, d’utiliser la dimension longitudinale des données pour évaluer des effets causaux. Par ailleurs, il apporte un éclairage nouveau sur l’effet causal du chômage sur l’état de santé et les comportements à risque. Si nos résultats se montrent robustes, certaines limites doivent toutefois être soulignées. En effet, notre étude repose sur deux vagues d’enquêtes, sur un intervalle de 4 ans. Nous ne pouvons donc pas capturer l’ensemble des transitions profes‑ sionnelles entre ces deux interrogations, et ne pouvons apprécier l’expérience du chômage que sous un angle limité. Il serait par exemple inté‑ ressant d’analyser le rôle de la durée du chômage sur la consommation d’alcool et de tabac. Ces travaux ouvrent la voie à des questions encore peu étudiées en France. En effet, des variables comme l’activité physique ou encore les habitudes alimentaires, non étudiées dans cet article, peuvent être impactées par l’expérience du chômage et affecter la santé à plus long terme. Le développement de nouvelles bases de données longitudinales plus riches et portant sur un horizon plus étendu pourra permettre de mieux appréhender l’effet du chômage sur la santé et d’enrichir les résultats trouvés. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 37 Chômage et comportements à risque : quel effet de la perte d’emploi sur la consommation d’alcool et de tabac ? BIBLIOGRAPHIE Acheson, A., Mahler, S. V., Chi, H. & De Wit, H. (2006). Differential effects of nicotine on alcohol consump‑ tion in men and women. Psychopharmacology, 186(1), 54. https://doi.org/10.1007/s00213-006-0338-y Ahmed, F. M. A. & Peeran, S. W. (2016). Significance and determinants of tobacco use: A brief review. Dentistry and Medical Research, 4(2), 33. https://doi.org/10.4103/2348-1471.184726 Ahn, N., García, J. R. & Jimeno, J. F. (2004). The impact of unemployment on individual well-being in the EU. European Network of Economic Policy Research Institutes, Working Paper N° 29. https://www.ceps.eu/ceps-publications/impact-unemployment-individual-well-being-eu/ Anderson, P., Cremona, A., Paton, A., Turner, C. & Wallace, P. (1993). The risk of alcohol. 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ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 43 Les perspectives d’emploi des jeunes diplômés en Italie pendant et après la crise de 2008 The Employment Prospects of Young Graduates in Italy during and after the 2008 Crisis Raffaella Cascioli* Résumé – En Italie, la transition des études au travail est particulièrement difficile. Le présent article documente les perspectives d’emploi des jeunes diplômés italiens pendant la récession économique (2008‑2014) et pendant la reprise qui a suivi (2015‑2017). Notre analyse, basée sur les données de l’enquête européenne sur les forces de travail, se concentre sur le taux d’emploi des diplômés récents dans la tranche des 20‑34 ans, un indicateur adopté en Europe pour suivre le passage de l’école au travail. Nous distinguons le travail temporaire et examinons en parallèle les taux d’emploi des diplômés depuis plus de trois ans. L’estimation, avec un modèle logistique, de la probabilité de trouver un emploi, en tenant compte du niveau d’éducation et de l’ancienneté sur le marché du travail, montre, d’une part, que l’ancienneté n’a pas été une protection impor‑ tante pendant la crise et, d’autre part, que les diplômés du supérieur ont moins souffert de la crise et plus profité de la reprise que ceux du deuxième cycle du secondaire. L’analyse des trajectoires de pseudo‑cohortes ne révèle pas de persistance de l’effet des entrées sur le marché du travail pendant la crise, mais, pour les diplômés du second cycle du secondaire seulement, l’évolution des taux d’emploi temporaires évoque des effets de cohorte. Abstract – The school‑to‑work‑transition in Italy suffers a number of critical issues. This paper documents the employment prospects of young Italians graduates during the economic recession (2008‑2014) and in the subsequent period of recovery (2015‑2017). The analysis, based on data from the European Labour Force Survey, focuses on the employment rate of recent graduates in the 20‑34 age group, an indicator adopted by Europe to monitor transitions from school to work. We distinguish temporary employment, and examine in parallel the employment rates of those beyond three years after graduation. Logit model estimations of the probability to be employed, accounting for educational attainment and time spent in the labour market, show that seniority did not provide significant protection during the crisis, and that tertiary graduates were less affected by the crisis than upper secondary graduates, and have benefited more from the recovery. An analysis of pseudo‑cohorts’ trajectories suggests no evidence of a scarring effect but, for upper secondary graduates only, the changes in temporary employment rates evoke cohort effects. Codes JEL / JEL Classification : I26, J13, J21, J22, J23, J24 Mots‑clés : transitions des études à l’emploi, marché du travail des jeunes, travail temporaire, Italie Keywords: school‑to‑work transition, youth labour market, temporary jobs, Italy * Istituto Nazionale di Statistica (ISTAT) (racascio@istat.it) L’auteure tient à remercier trois rapporteurs anonymes dont les commentaires et suggestions ont permis d’améliorer cet article. Reçu en octobre 2018, accepté en décembre 2019. Traduit de l’anglais. Les jugements et opinions exprimés par les auteurs n’engagent qu’eux même, et non les institutions auxquelles ils appartiennent, ni a fortiori l’Insee. Citation : Cascioli, R. (2021). The Employment Prospects of Young Graduates in Italy during and after the 2008 Crisis. Economie et Statistique / Economics and Statistics, 522‑523, 43–59. https://doi.org/10.24187/ecostat.2021.522d.2038 44 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 Certains pays européens parviennent mieux que d’autres à insérer les jeunes sur le marché du travail. L’Italie, où il faut énormé‑ ment de temps pour obtenir un premier emploi et où le taux d’emploi des jeunes est parmi les plus bas de l’Union européenne, est un exemple extrême des problèmes cruciaux qui affectent le passage des études à l’emploi en Europe du Sud. Les disparités entre pays en matière de perspectives d’emploi après l’obtention du diplôme dépendent du système d’éducation et de formation (programmes d’étude et orien‑ tation, flexibilité des parcours, etc.), du degré d’intégration entre le parcours éducatif et le marché du travail (stages, formations, appren‑ tissage, etc.) et des institutions du marché du travail (protection de l’emploi, flexibilité, etc.). Dans toutes ces dimensions, l’Italie présente depuis longtemps des écarts considérables par rapport à de nombreux autres pays de l’UE. Hormis les aspects « structurels » de la transi‑ tion de l’école au travail, l’emploi des jeunes est très sensible aux tendances économiques et a souffert de la crise économique mondiale de 2008 – mais pas avec la même intensité ni la même durée dans tous les pays. L’économie italienne a été plus durement touchée que celle des autres pays de l’OCDE et la reprise a été plus lente et plus modérée (OCDE, 2019a). En outre, une réforme significative (et sujette à de nombreux débats) du marché du travail a commencé en 2014, donnant lieu à plusieurs actes législatifs regroupés sous l’appellation collective Jobs Act. En Italie, les dix dernières années se sont donc caractérisées par une crise, une reprise modérée et une réforme du marché du travail. Comment les perspectives d’emploi des jeunes Italiens ont‑elles évolué dans ce contexte ? Est‑il possible de distinguer dans cette évolution les effets d’âge, de période et de génération ? Nous nous intéressons à ces ques‑ tions à partir de l’examen des taux d’emploi des diplômés récents en Italie en période de récession (2008‑2014) et en période de reprise (2014‑2017). Les difficultés connues par les jeunes qui arrivent sur le marché du travail sont bien connues et peuvent se résumer comme suit. Premièrement, et indépendamment de la situation générale du marché du travail, les jeunes diplômés, malgré leur niveau d’éducation en moyenne plus élevé que celui de la population déjà en emploi, souffrent d’un « déficit d’expérience », terme proposé, entre autres, par Pastore (2015). Bell et Blanchflower (2015) remarquent que ce manque d’expérience professionnelle peut engendrer un « piège de l’expérience » si les entreprises cherchent en priorité des travailleurs expéri‑ mentés, empêchant donc les jeunes d’acquérir l’expérience professionnelle que ces mêmes entreprises exigent. Deuxièmement, parce qu’ils ont plus souvent un emploi temporaire ou parce qu’ils sont les « derniers arrivés », les jeunes sont plus susceptibles d’être les premiers licenciés en cas de ralentissement de l’économie. Pour ces raisons, l’emploi des jeunes est considéré comme le segment le plus vulnérable du marché du travail dans de nombreux pays européens (Brada & Signorelli, 2012). S’agissant des conditions de l’entrée sur le marché, la contribution respective de l’articulation études‑emploi et des institutions du marché du travail à l’insertion des jeunes sur le marché a fait l’objet d’analyses approfondies (par exemple Ryan, 2001 ; Quintini et al., 2007 ; Quintini & Manfredi, 2009 ; Van der Velden & Wolbers, 2008 ; Barbieri et al., 2018). Ryan (2001) a notamment examiné l’impact relatif de la protection de l’emploi et des programmes spéciaux dédiés aux jeunes. Il en conclut que la déréglementation pourrait permettre d’atténuer les inégalités en matière de répartition du chômage, tandis que des programmes spécifiques pouraient se traduire par le remplacement des emplois réguliers par des emplois précaires, ce qui aggraverait in fine la situation pour les jeunes travailleurs. D’autres aspects des institutions du marché du travail ont fait l’objet de nombreux débats. L’un d’entre eux concerne le travail temporaire, mis en avant depuis les années 1990 comme une façon pour les jeunes d’acquérir l’expé‑ rience professionnelle dont ils ont besoin et de raccourcir la durée moyenne du chômage (OCDE, 1994 ; Krugman, 1994). Toutefois, les contrats temporaires ne permettent pas aux jeunes d’acquérir un capital humain spécifique et leur impact sur le taux d’emploi des jeunes diffère selon le contexte, comme le montre une comparaison entre l’Europe et les États‑Unis (Quintini & Manfredi, 2009). De façon plus générale, plusieurs études montrent que la déréglementation du travail temporaire ne fait pas diminuer le chômage (Noelke, 2016), ou qu’elle le fait mais au prix d’une moindre qualité des emplois (Goffette & Véro, 2015) ou encore d’une instabilité accrue de l’emploi (par exemple en Espagne, voir Ianelli & Soro‑Bonmati, 2003). Les débats ont également porté sur la possibi‑ lité que les contrats temporaires constituent un marchepied vers l’emploi stable (Booth et al., 2002 ; Scherer, 2004), certains travaux soulignant un risque d’enfermement dans cette catégorie de travail (Barbieri et al., 2019). Pour certains auteurs toutefois, une réduction de la protection des travailleurs permanents ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 45 Les perspectives d’emploi des jeunes diplômés en Italie pendant et après la crise de 2008 – insiders – contribuerait à la réduction des inégalités entre les personnes qui ont déjà un emploi et celles qui en cherchent un – outsi‑ ders – (Gebel & Giesecke, 2016 ; Passaretta & Wolbers, 2016). Pour finir, un autre courant de littérature s’est attaché plus précisément à étudier l’impact des récessions sur les résultats obtenus par les jeunes sur le marché du travail et les conséquences à long terme d’une entrée sur le marché du travail dans des conditions défavorables, soulignant les risques d’« effet cicatrice » pour les « générations perdues » (par exemple Scarpetta et al., 2010 ; Gaini et al., 2013)1 . Les perspectives d’emploi des jeunes peuvent être analysées à partir de divers indicateurs : le taux de chômage, le taux d’emploi, le taux de NEET (jeunes qui ne sont pas en emploi, ni en études ou en formation) et le rapport entre le chômage des jeunes et celui des adultes. Dans le présent article, nous nous concentrons sur le taux d’emploi des diplômés récents qui ne suivent ni études ni formation. Ce taux est l’un des huit critères de référence du Cadre stratégique pour la coopération européenne dans le domaine de l’éducation et de la formation (ET20202 ), qui définit quatre objectifs stratégiques dont « Améliorer la qualité et l’efficacité de l’édu‑ cation et de la formation » (Conseil de l’Union européenne, 2009). Le taux d’emploi des diplômés récents a été conçu en tant qu’indicateur de l’employabilité des jeunes (pour des analyses de cet indicateur, voir Garrouste, 2011 ; Boeteng et al., 2011 ; Arjona Perez et al., 2010a ; 2010b). Plus précisément, cet indicateur, fondé sur les données de l’Enquête européenne sur les forces de travail (EU‑LFS), mesure la part des diplômés du second cycle de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur (âgés de 20 à 34 ans) ayant un emploi parmi les diplômés qui ont terminé leurs études ou leur formation de un à trois ans avant l’année de référence et qui ne sont inscrits à aucun autre programme d’enseignement ou de formation. L’objectif fixé pour 2020 était de 82 %3 (Conseil de l’Union européenne, 2012). Cet indicateur a notamment été utilisé pour analyser les déterminants de l’employabilité des jeunes diplômés en Europe (Garrouste & Rodrigues, 2012 ; 2014), puis dans le cadre d’analyses visant à définir le futur objectif de référence pour l’indicateur européen dans le cadre de l’ET2025 (Suta et al., 2018)4 . L’analyse de cet indicateur est particulièrement intéressante pour l’Italie, où la part des jeunes qui ne travaillent pas et ne suivent ni études ni formation (taux de NEET) est de plus en plus inquiétante (ISTAT, 2018 ; 2010). Nous utilise‑ rons cet indicateur tout au long du présent article. En complément, nous appliquerons le même indi‑ cateur aux diplômés moins récents, c’est‑à‑dire qui détiennent leur diplôme depuis plus de trois ans (dans la même tranche d’âge)5 . Ainsi, nous pourrons prendre en compte plusieurs cohortes de diplômés et, en utilisant l’indicateur à la fois pour les diplômés récents et les diplômés moins récents, observer la totalité du groupe de jeunes qui ne suivent plus d’études ou de formation. Nous isolons également le travail temporaire, d’autant plus que, durant la période observée, l’Italie a entamé une réforme du marché du travail (infra) susceptible d’avoir un impact significatif sur cette catégorie. À partir de ces indicateurs, nous documentons les évolutions de l’emploi des jeunes diplômés du deuxième cycle du secondaire et du supérieur pendant la crise afin de voir si leur ancienneté sur le marché du travail les a protégés ou péna‑ lisés durant la récession. Nous examinons aussi la tendance du travail temporaire par rapport à l’introduction des Jobs Act en 2014. Nous tentons également, avec une analyse basée sur pseudo‑panels, de vérifier s’il existe un effet de génération et explorons la possibilité d’un « effet cicatrice » associé aux conditions économiques défavorables au moment de l’entrée sur le marché du travail. 1. Durant la crise économique, les débats sur « l’effet cicatrice » et les inquiétudes exprimées à ce sujet ont poussé le Conseil de l’Union euro‑ péenne à émettre une recommandation, demandant aux États membres de mettre en place des mesures visant à favoriser l’insertion des jeunes générations sur le marché du travail, une initiative dénommée « garantie pour la jeunesse » (voir le Conseil de l’Union européenne, avril 2013). 2. Voir https://ec.europa.eu/eurostat/fr/web/education‑and‑training/eu‑ benchmarks. 3. « D’ici 2020, la part des diplômés employés (20‑34 ans) ayant terminé leurs études ou leur formation trois ans au plus avant l’année de référence devrait se chiffrer à au moins 82 % (contre 76.5 % en 2010). » – Conseil de l’Union européenne, 2012. L’indicateur fait partie des principales statis‑ tiques présentées dans le rapport annuel de la Commission européenne sur le suivi de l’éducation et de la formation (https://ec.europa.eu/educa‑ tion/policy/strategic‑framework/et‑monitor_fr). Il a également été analysé à intervalles périodiques par l’Istituto Nazionale di Statistica (ISTAT, 2019c ; 2018 ; 2014 ; 2013). 4. D’autres comparaisons des transitions études‑emploi en Europe ont utilisé les données longitudinales de l’EU‑SILC (Berloffa et al., 2015 ; Carcillo et al., 2015). Toutefois, l’utilisation de ces données pour l’analyse de cohortes de diplômés sur le marché du travail est limitée par la trop petite taille de l’échantillon. D’autres études ont utilisé les données de deux enquêtes ad hoc effectuées dans le cadre de l’Enquête européenne sur les forces de travail en 2000 et en 2009 (Kogan & Muller, 2003 ; Passaretta & Wolbers, 2016). 5. Dans cette tranche d’âge (20‑34 ans), la part des diplômés ayant terminé leurs études depuis plus de trois ans est beaucoup plus élevée parmi ceux du deuxième cycle du secondaire que parmi ceux du supérieur (85.0 % contre 59.9 %). Une autre part correspond aux jeunes diplômés du second cycle du secondaire et du supérieur ayant terminé leurs études de 1 à 3 ans plus tôt : 14.2 % et 33.8 % respectivement. La part restante com‑ prend les diplômés depuis moins d’un an : 0.9 % et 6.3 % respectivement. En Italie, parmi les jeunes diplômés, moins d’un sur trois suivait encore des études ou une formation en 2017 : 30.6 % de ceux ayant un diplôme du deuxième cycle de l’enseignement secondaire et 31.7 % de ceux ayant un diplôme de l’enseignement supérieur. 46 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 La suite de l’article commence par un bref aperçu du contexte italien s’agissant de la tran‑ sition études‑emploi, de la réforme du marché du travail introduite en 2014 et de l’écart entre l’Italie et l’UE en matière d’emploi des jeunes sur la période analysée. La deuxième section analyse les variations des taux d’emploi des jeunes diplômés. La troisième section examine l’évolution des trajectoires des différentes géné‑ rations de diplômés entre 2005 et 2017. 1. Le cas italien La crise financière de 2008 a eu un impact considérable sur l’économie italienne, se tradui‑ sant notamment par une réduction du produit intérieur brut (PIB), des pertes d’emploi et une diminution de la capacité de production. Sur la période observée, le PIB italien a diminué d’en‑ viron 7.1 % et la capacité de production du pays a chuté de 25 % (OCDE, 2019b). Dans le même temps, le taux de chômage a quasiment doublé, passant de 6.7 % en 2008 à 12.7 % en 2014. S’agissant du passage de l’école au travail, les études comparatives mettent depuis longtemps l’Italie à part au sein d’un noyau méditerra‑ néen caractérisé par de faibles taux d’emploi et d’activité des jeunes, un taux de chômage particulièrement élevé et un délai prolongé pour obtenir un premier emploi. Malgré une grande réforme du marché du travail introduite en 2014 (Jobs Act), le taux d’emploi des jeunes diplômés italiens est toujours le plus bas des 28 pays de l’UE (juste après la Grèce) et reste inférieur à celui de 2008. Cette section présente brièvement ce contexte. 1.1. Passage des études à l’emploi L’Italie illustre parfaitement les problèmes cruciaux des transitions de l’école au travail en Europe du Sud. La période de transition est très longue (Pastore, 2017), et non seulement elle est plus longue que la moyenne européenne (Eurostat, 2012) mais en plus elle augmente : d’environ 3.5 ans en 2006, la durée moyenne des transitions a atteint environ 5.5 ans en 2017 (Pastore et al., 2020). Par rapport aux pays Européens non méditerranéens, l’Italie se caractérise par une part historiquement faible (quoique croissante) des diplômés de l’enseigne‑ ment supérieur (‑16 points de pourcentage, voir OCDE, 2017), des écarts régionaux significatifs, un rôle majeur de la structure familiale dans le soutien aux jeunes (modèle de la « famiglia lunga », voir Cicchelli & Merico, 2007, ainsi que Barbieri et al., 2015 et Berfolla et al., 2016) et un système éducatif rigide peu synchronisé avec le marché du travail. Le système peine à offrir aux jeunes l’expérience professionnelle dont ils ont besoin et à développer leurs compétences générales ou spécifiques, et prolonge le délai avant l’entrée sur le marché du travail pour un grand nombre de jeunes inscrits à l’université. D’autre part, la part des diplômés du supérieur dans la tranche des 30‑34 ans est d’environ 25 %, largement en deçà de la moyenne dans l’UE (environ 40 %). Le système d’éducation et de formation ne permet l’acquisition d’une expérience de travail qu’après l’obtention du diplôme, quasiment à l’opposé du système « dual » qui favorise l’emploi tôt après les études (Muller & Gangl, 2003) et permet de mieux arti‑ culer l’éducation et la demande de travail sur le marché (Ryan, 2001 – qui note également que les effets sur le taux d’emploi sont moins évidents à long terme)6 . Le passage des études à l’emploi est égale‑ ment affecté par un marché du travail où les travailleurs permanents bénéficient d’une protection importante, par le biais de conven‑ tions collectives nationales, et où les employés temporaires sont peu protégés (OCDE, 2010). Différentes formes de contrats flexibles et divers régimes salariaux ont vu le jour depuis le début des années 1990, visant à promouvoir à la fois la compétitivité de l’industrie italienne et l’entrée des jeunes sur le marché du travail (Pastore, 2017). Néanmoins, les indicateurs du marché du travail des jeunes en Italie ne se sont pas beaucoup améliorés : par rapport à d’autres pays européens, les taux d’emploi et d’activité des jeunes sont restés faibles et leur taux de chômage s’est maintenu à des niveaux très élevés (Iannelli & Soro‑Bonmati, 2003). Le pourcentage des jeunes qui ne travaillent pas et ne suivent ni études ni formation est considé‑ rable et cette situation apparait très persistante (Quintini et al., 2007). En outre, la reprise qui a suivi la crise de 2008 a été moins prononcée en Italie que dans d’autres pays européens et a eu un impact différent sur les transitions études‑emploi (ISTAT, 2019a ; Cascioli, 2016). 1.2. La réforme du marché du travail : le Jobs Act À la suite d’autres réformes du marché du travail (la précédente étant la réforme « Fornero » de 2012 – voir Tiraboschi, 2012), le gouverne‑ ment italien a lancé une autre grande réforme en 2014, visant à faire augmenter l’emploi, 6. En 2015, une réforme du système d’éducation et de formation (loi 107‑2015 dite « La Buona Scuola » – la bonne école) a ravivé le système « Alternanza scuola lavoro » (alternance entre l’école et le travail), qui per‑ met d’alterner l’école et une expérience professionnelle pratique. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 47 Les perspectives d’emploi des jeunes diplômés en Italie pendant et après la crise de 2008 relancer la croissance et réduire le dualisme du marché du travail entre les travailleurs ayant un contrat à durée indéterminée et ceux ayant un contrat « atypique », en encourageant les employeurs à offrir des emplois permanents. La réforme a donné lieu à plusieurs actes légis‑ latifs regroupés sous l’appellation collective Jobs Act7 . Le décret‑loi nº 34 du 20 mars 2014 (décret Poletti) forme la première partie de la loi Jobs Act. Il révise le cadre législatif régissant les contrats de travail temporaire et l’apprentissage. Il permet d’augmenter le nombre de renouvelle‑ ments d’un contrat de travail, ainsi que la durée globale maximale de ces contrats, et réduit le nombre de motifs nécessaires (causalità) pour justifier le recours à un contrat temporaire. La loi nº 183/2014, adoptée en décembre 2014, a fait suite. Elle modifie le cadre juridique de la protection des emplois permanents et de l’utili‑ sation de contrats atypiques. Cette loi a donné lieu à huit décrets, adoptés en septembre 2015, dont le décret nº 23 du 4 mars 2015 abrogeant les droits de réintégration des travailleurs (article 18 du Statut des travailleurs) en cas de licenciement sans motif valable au sein d’entreprises de plus de 15 employés et introduisant un nouveau type de contrat de travail permanent (applicable uniquement aux nouvelles recrues) caractérisé par une hausse des coûts de licenciement en fonction de l’ancienneté de l’employé, ainsi que le décret nº 81 du 15 juin 2015 limitant l’utilisation de contrats atypiques et éliminant une partie d’entre eux (comme le contratto di collaborazione coordinata e continuativa a progetto, un type de contrat de travail lié à un projet spécifique – et donc temporaire). Le gouvernement a complété ces réformes par des incitations fiscales visant à encourager les employeurs à offrir de nouveaux contrats de travail permanent, au moyen d’une baisse tempo‑ raire et décroissante des cotisations sociales : une exemption totale de trois ans (loi budgétaire Legge di Stabilità 2015) puis une exemption de 40 % pendant deux ans en vertu de la loi Legge di Stabilità 2016 puis limitée à certaines régions définies par un programme territorial dénommé « Emploi pour le Sud » en vertu de la Legge di Stabilità 2017. 1.3. Écart entre les taux d’emploi des jeunes diplômés en Italie et en Europe L’écart entre les taux d’emploi des jeunes en Italie et en Europe était déjà important avant la crise de 2008 : le taux d’emploi des diplômés récents (ayant terminé leurs études ou leur formation depuis un à trois ans) était d’environ 65 % en Italie en 2008, inférieur de 17 points à la moyenne européenne et légèrement supérieur à son niveau du début des années 2000. Avec la récession, ce taux a diminué de 20 points en six ans, de sorte que l’écart avec l’UE a quasiment doublé (figure I). La tendance s’est retournée après 2014 et le taux d’emploi des diplômés récents a augmenté d’environ 10 points, sans pour autant retrouver le niveau d’avant la crise. L’écart est moins prononcé pour les diplômés ayant plus d’ancienneté sur le marché du travail (c’est‑à‑dire détenant leur diplôme depuis plus de trois ans). Cette comparaison montre également que la tran‑ sition études‑emploi peut être considérée comme achevée en trois ans après la fin des études dans l’UE en moyenne, alors qu’elle est beaucoup plus longue en Italie. Par niveau d’éducation, la baisse du taux d’emploi des jeunes s’observe en Italie pour les diplômés récents (1‑3 ans), aussi bien ceux du deuxième cycle du secondaire que ceux du supérieur (figure II‑A). La crise a également creusé l’écart entre les taux d’emploi des diplômés du deuxième cycle du secondaire et ceux du supérieur, et cet écart reste très éloigné de son niveau d’avant la crise alors qu’il n’a quasiment pas changé dans l’UE. S’agissant des jeunes diplômés moins récents, les écarts initiaux entre les taux d’emploi en Italie et en Europe sont beaucoup moins prononcés mais, là aussi, la crise économique a eu un impact plus important en Italie et la reprise n’a quasiment rien changé pour les diplômés du second cycle du secondaire (figure II‑B). Globalement, qu’il s’agisse des diplômésrécents ou moins récents, ou des diplômés du deuxième cycle du secondaire ou de l’enseignement 7. Tous les documents sont disponibles sur le site du ministère du Travail italien : http://www.jobsact.lavoro.gov.it/documentazione/Pagine/default.aspx. Figure I – Taux d’emploi des diplômés âgés de 20 à 34 ans selon le nombre d’années depuis l’obtention du diplôme 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 EU28 1-3 ans EU28 > 3 ans Italie 1-3 ans Italie > 3 ans Source : EU LFS. 48 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 supérieur, on observe ainsi que les écarts de taux d’emploi des jeunes en Italie et en Europe, déjà importants en 2008, se sont creusés davantage et se maintiennent à des niveaux plus élevés qu’avant la crise. 2. Analyse empirique des variations des perspectives d’emploi des jeunes diplômés Dans cette section, nous nous concentrons sur l’impact de la période durant laquelle les diplômés entrent sur le marché du travail (crise/ reprise) sur leurs perspectives d’emploi, selon le temps écoulé depuis l’obtention de leur diplôme (c’est‑à‑dire leur ancienneté sur le marché du travail, représentée par ce laps de temps). Nous utilisons des modèles logistiques pour estimer la distribution conditionnelle de la probabilité d’emploi des diplômés du deuxième cycle du secondaire et du supérieur. Nous tenons compte du sexe, de la région (Nord, centre et Sud) et de la nationalité (italienne ou étrangère), ainsi que du type de diplôme dans le deuxième cycle du secondaire (général, technique, professionnel, qualification professionnelle en trois ans) et du principal domaine d’étude dans l’enseignement supérieur (sciences humaines, sciences sociales, droit, études techniques/ scientifiques). Les modèles sont estimés pour des sous‑groupes de diplômés constitués en fonction du nombre d’années écoulées depuis l’obtention du diplôme, c’est‑à‑dire de présence (ou d’ancienneté) sur le marché du travail : jusqu’à trois ans, plus de trois ans, ce dernier groupe étant lui-même divisé en trois sousgroupes d’ancienneté (4‑6 ans, 7‑9 ans et plus de 9 ans). Nous considérons l’ensemble des personnes ayant obtenu leur diplôme entre 2008 et 2014 ou entre 2014 et 2017 puis estimons les odds ratio (OR ensuite) de l’emploi et du travail temporaire en 2014 par rapport à 2008 (crise), puis en 2017 par rapport à 2014 (reprise). Parmi les récents diplômés du deuxième cycle du secondaire, les probabilités d’emploi estimées en 2014 représentaient environ un tiers (OR : 0.371) de celles de 2008 (figure III). Parmi les diplômés ayant terminé leurs études depuis plus de trois ans, les perspectives d’emploi n’ont diminué « que » de moitié (OR : 0.507). Cela confirme que les diplômés récents sont les plus pénalisés en période de ralentissement cyclique. Toutefois, l’impact de la crise sur les perspec‑ tives d’emploi n’a été que légèrement inférieur pour ceux qui avaient le plus d’ancienneté sur le marché du travail. Cela est également vrai pour les jeunes observés en 2014 qui avaient terminé leurs études depuis quatre à six ans et dont la transition études‑emploi avait commencé pendant la crise économique, ainsi que pour ceux qui, en 2014, avaient terminé leurs études depuis plus de six ans et avaient été exposés pendant un certain temps aux conditions économiques posi‑ tives d’avant la crise (figure III). Cela suggère que l’ancienneté sur le marché du travail n’a pas beaucoup protégé les jeunes contre l’impact négatif de la crise8 . Les facteurs expliquant la plus grande « réac‑ tivité » de la probabilité pour les jeunes de trouver un emploi incluent le volume important de contrats de travail temporaire (le nombre d’employés peut être réduit tout simplement en ne renouvelant pas ces contrats à leur expi‑ ration). Ainsi, la plus forte sensibilité au cycle 8. Dans d’autres pays, la sensibilité au cycle économique diminue plus rapidement à mesure que l’ancienneté sur le marché du travail augmente. En France, par exemple, elle devient relativement faible à partir de la cin‑ quième année d’ancienneté (Fondeur & Minni, 2004). Figure II – Taux d’emploi des diplômés âgés de 20 à 34 ans selon le niveau de diplôme A – 1-3 ans depuis le diplôme B – > 3 ans depuis le diplôme 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 Supérieur EU28 Second cycle secondaire EU28 Supérieur Italie Second cycle secondaire Italie 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 Source : EU LFS. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 49 Les perspectives d’emploi des jeunes diplômés en Italie pendant et après la crise de 2008 économique observée parmi les jeunes diplômés italiens ayant plus d’ancienneté sur le marché du travail découlerait également de la transition plus lente entre les contrats temporaires et les contrats permanents qui caractérise l’emploi en Italie9 10. La reprise économique a eu un impact positif considérable sur les perspectives d’emploi des récents diplômés du deuxième cycle du secon‑ daire, qui ont augmenté de 50 % (OR : 1.54) par rapport à celles des diplômés de 2014. Même les diplômés ayant terminé leurs études depuis quatre à six ans avaient plus de chances de trouver un emploi que leurs pairs ayant la même ancienneté en 2014 (figure IV). En effet, bien qu’ils soient entrés sur le marché du travail peu avant 2014 – moment le plus critique en termes d’entrée sur le marché (voir également la figure VII ci‑dessous) – ils ont profité de la reprise économique et leurs perspectives d’emploi, quatre à six ans après l’obtention de leur diplôme, étaient supérieures à celles de leurs pairs entrés sur le marché aux alentours de 2011. En revanche, en 2017, les perspectives d’emploi des diplômés qui avaient terminé leurs études depuis plus de six ans étaient semblables à celles des diplômés ayant la même ancienneté 9. OCDE, 2008. 10. En Italie, l’incidence globale du travail temporaire est supérieure à celle calculée uniquement en fonction des employés. Cela s’explique par le phénomène courant de « l’emploi indépendant caché » parmi les jeunes, c’est‑à‑dire les travailleurs indépendants qui fournissent des services à un même client de façon continue, pouvant ainsi être considérés comme des employés de facto (OCDE, 2010). De plus, les contrats qui régissent habituellement ces relations professionnelles tendent à avoir une durée déterminée. Figure III – Diplômés du second cycle du secondaire (20‑34 ans). Probabilité d’être en emploi en 2014 vs. 2008, et en 2017 vs. 2014 (odds ratios, modèles logistiques) 0.371 0.507 0.425 0.496 0.562 1.54 1.05 1.174 1.059 1.009 0.0 0.5 1.0 1.5 2.0 2.5 1-3 ans > 3 ans 4-6 ans 7-9 ans > 9 ans 1-3 ans > 3 ans 4-6 ans 7-9 ans > 9 ans 2014 vs. 2008 2017 vs. 2014 Nombre d’observations pour chacun des 10 modèles (de gauche à droite) : 9 628, 61 964, 12 795, 13 433, 35 736, 8 830, 51 062, 11 543, 11 577, 27 942. Note : les losanges noirs et blancs représentent, respectivement, les bornes haute et basse de l’intervalle de confiance à 95 % de Wald. Source : ISTAT, enquête sur les forces de travail. Figure IV – Diplômés du supérieur (20‑34 ans). Probabilité d’être en emploi en 2014 vs. 2008, et en 2017 vs. 2014 (odds ratios, modèles logistiques) 0.436 0.571 0.554 0.494 0.703 1.531 1.242 1.355 1.248 0.833 0 0.5 1 1.5 2 > 3 ans 4-6 ans 7-9 ans > 9 ans 1-3 ans > 3 ans 4-6 ans 7-9 ans 2014 vs. 2008 2017 vs. 2014 1-3 ans > 9 ans Nombre d’observations pour chacun des 10 modèles (de gauche à droite) : 7 705, 11 975, 6 142, 4 245, 1 588, 7 140, 11 607, 5 490, 4 256, 1 861. Note : cf. figure III. Source : ISTAT, enquête sur les forces de travail. 50 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 en 201411. Ce résultat montre, une fois de plus, que la crise a eu le plus gros impact sur les jeunes diplômés ayant moins d’ancienneté sur le marché du travail, mais que ce sont eux qui ont le plus profité de la reprise économique qui a suivi. La dynamique constatée pendant la reprise, forte‑ ment corrélée à l’ancienneté sur le marché du travail, est différente de celle constatée pendant la crise, durant laquelle les variations ont été plus homogènes parmi les diplômés du deuxième cycle du secondaire, indépendamment du temps écoulé depuis l’obtention du diplôme. Lesrésultats montrent également une diminution soudaine et importante des perspectives d’emploi des diplômés du supérieur : entre le début de la crise et 2014, les probabilités d’emploi ont diminué de plus de moitié (OR : 0.436) pour les diplômés récents mais d’un peu moins de la moitié (OR : 0.571) pour les diplômés moins récents. Dans la dernière période de trois ans examinée ci‑dessus, ceux qui ont le plus profité de la reprise ont été les diplômés du supérieur les plus récents, avec une hausse de 50 % de la probabilité de trouver un emploi, semblable à celle estimée pour les diplômés du deuxième cycle du secon‑ daire. En revanche, contrairement aux diplômés du deuxième cycle du secondaire, les diplômés moins récents bénéficiaient également de meil‑ leures perspectives d’emploi en 2017 qu’en 2014. Cela concerne tout particulièrement ceux qui avaient quitté l’université depuis quatre à six ans (OR : 1.355) et depuis sept à neuf ans (OR : 1.288)12. En conséquence, la reprise économique a touché les diplômés du supérieur de façon plus homogène, indépendamment de leur ancienneté sur le marché du travail. En règle générale, et notamment pour ceux qui ont plus d’ancienneté, les diplômés du supérieur semblent avoir été relativement plus protégés pendant la crise et plus favorisés pendant la reprise que ceux du deuxième cycle du secondaire. Les générations plus jeunes sont les plus concernées par le travail temporaire (contrats à durée déterminée et contrats de projet). En 2017, parmi les jeunes qui ne suivaient plus d’études ou de formation, 28.5 % des diplômés du deuxième cycle du secondaire et 29.5 % des diplômés du supérieur avaient un contrat de travail temporaire. En outre, bien que l’incidence du travail temporaire tende à diminuer dans le temps, la proportion des jeunes employés avec ce type de contrat reste importante même après plusieurs années13. Une comparaison de cohortes de jeunes ayant la même ancienneté sur le marché du travail, pendant la crise et en période de reprise écono‑ mique, fournit des indications sur l’évolution du travail temporaire dans le temps. La part du travail temporaire parmi les diplômés du deuxième cycle du secondaire ayant terminé leurs études depuis un à trois ans a fortement augmenté entre 2008 et 2014 : la probabilité de trouver un travail temporaire a presque doublé durant cette période (OR : 1.858) (figure V). L’augmentation des emplois temporaires a été plus faible mais néanmoins importante parmi les jeunes ayant terminé leurs études depuis plus longtemps ; elle est estimée à environ 50 % (OR : 1.495). Cela semble avoir affecté parti‑ culièrement ceux qui détiennent leur diplôme depuis quatre à six ans. Comme nous l’avons déjà noté, ceux qui, en 2014, avaient terminé leurs études depuis quatre à six ans sont entrés sur le marché du travail en période de crise, au même moment que ceux qui avaient obtenu leur diplôme plus récemment. La faiblesse persistante de la demande de main‑d’œuvre, ainsi que les incertitudes liées à la longue crise économique, ont inévitablement fait augmenter le nombre de personnes embauchées sur des contrats de travail temporaire. De plus, en raison de la législation régissant le renouvel‑ lement et la durée maximale de ces contrats, les jeunes présents sur le marché du travail pendant moins longtemps étaient les plus susceptibles d’obtenir un contrat de travail temporaire. Durant la période 2015‑2017, la forte hausse de la probabilité pour les diplômés récents du deuxième cycle du secondaire et pour les diplômés moins récents (ayant terminé leurs études depuis quatre à six ans) de trouver un emploi ne s’est pas accompagnée d’une hausse du travail temporaire. Ce résultat est inattendu : en règle générale, les contrats de travail temporaire sont le moyen le plus rapide de répondre à une hausse de la demande de main‑d’œuvre. Ainsi, le facteur travail peut être adapté aux variations de la production, mais cela illustre également une certaine incertitude sur le caractère durable de la reprise. Or, comme nous l’avons noté plus haut, la contraction de l’activité économique ne s’est que partiellement retournée entre 2014 et 11. La reprise économique a toutefois eu un impact positif sur les jeunes ayant plus d’ancienneté sur le marché du travail. De fait, certains des diplô‑ més observés en 2017 qui avaient terminé leurs études depuis plus de six ans sont entrés sur le marché du travail pendant la crise économique – lorsque les taux de premier emploi étaient très bas – tandis que leurs pairs observés en 2014 ont profité des conditions de travail d’avant la crise, lorsque les taux d’emploi étaient plus élevés. 12. Les résultats relatifs aux diplômés de l’enseignement supérieur déte‑ nant leur diplôme depuis plus de neuf ans ne sont pas très fiables en raison du nombre limité de tels cas. 13. Voir ci‑dessus : trajectoires des générations de nouveaux arrivants sur le marché du travail. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 51 Les perspectives d’emploi des jeunes diplômés en Italie pendant et après la crise de 2008 2017. Dans ces conditions, les entreprises sont habituellement très prudentes, et offrent plutôt des contrats de courte durée faciles à résilier, le temps de déterminer si la reprise est durable ou s’il ne s’agit que d’une amélioration temporaire (Dell’Aringa et al., 2018). Par ailleurs, le premier décret de la loi Jobs Act (décret‑loi nº 34 du 20 mars 2014) visait à encourager les embauches temporaires en simplifiant les règles en vigueur. Cependant, d’autres parties de la loi Jobs Act introduisant une résiliation flexible des contrats de travail permanent et des incitations poussant les employeurs à offrir un travail permanent – au moyen d’une baisse des cotisations sociales des employeurs14 – ont eu un effet dominant. Cette analyse est dans la ligne de récents rapports indiquant que les réformes censées promouvoir l’utilisation de contrats de travail permanent ont eu un impact significatif à la fois sur la conversion des contrats et sur les nouvelles embauches (Sestito & Viviano, 2016 ; Leonardi & Nannicini, 2016). Pourtant, elles ont eu un impact plus important sur l’embauche de jeunes en contrats de travail permanent dans le cadre d’un premier emploi que sur la conversion de contrats temporaires en contrats permanents (INPS, 2016). Les diplômés du deuxième cycle du secondaire les moins récents (ceux ayant terminé leurs études depuis plus de six ans) sont une exception notable : en 2017, leurs perspectives d’emploi étaient semblables à celles de leurs pairs de 2014, mais avec une plus grande part de travail temporaire. Il semble donc que la loi Jobs Act et la réduction des cotisations des employeurs n’aient pas engendré d’augmentation du nombre de contrats de travail permanents proposés à ces jeunes. Sachant que les diplômés du supérieur n’ont pas été pénalisés de la même façon (tant en termes de quantité que de qualité de l’emploi), la dynamique particulière de l’emploi des diplômés du deuxième cycle du secondaire peut être consi‑ dérée comme une conséquence et un signe de l’obsolescence rapide (et du manque d’attrait qui en découle) des qualifications du second cycle du secondaire. Cela suggère également un effet d’enfermement dans le « mal‑emploi » sur le marché secondaire d’un marché du travail segmenté où les flux entre les deux secteurs sont plus restreints pour les diplômés du deuxième cycle du secondaire. Parmi les diplômés du supérieur, le travail temporaire a moins augmenté pendant la crise, ne touchant généralement que ceux entrés sur 14. Un article récent, qui analyse les données de l’Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS, qui gère les cotisations sociales), estime que la loi Jobs Act et les incitations fiscales associées expliquent la forte hausse du nombre de nouveaux contrats de travail permanent, découlant en partie de la conversion de précédents contrats de travail temporaire et en partie de la décision des entreprises d’embaucher de nouveaux employés à l’avance afin de pouvoir bénéficier de ces incitations (Leonardi & Nannicini, 2016). Une autre étude, disponible sur le site Web de l’INPS, estime un impact positif spécifique du nouveau type de contrat de travail permanent, qui fait augmenter les coûts de licenciement proportionnellement à l’ancienneté, introduit par la loi Jobs Act, en soulignant que l’augmentation attendue du nombre d’embauches était supérieure à l’augmentation du nombre de licenciements (Boeri & Garibaldi, 2018). Une étude récente semble indiquer que l’augmentation du nombre de contrats de travail permanent découle non pas de la flexibilité introduite par la loi Jobs Act (réduction des coûts de licenciement et moindre incertitude liée à ces contrats) mais plutôt de la réduction des cotisations (Sestito, 2016). Figure V – Diplômés du second cycle du secondaire (20‑34 ans) en emploi. Probabilité d’emploi temporaire en 2014 vs. 2008, et en 2017 vs. 2014 (odds ratios, modèles logistiques) 1.858 1.495 1.817 1.481 1.345 0.989 1.176 1.052 1.193 1.16 0 0.5 1 1.5 2 2.5 1-3 ans > 3 ans 4-6 ans 7-9 ans > 9 ans 1-3 ans > 3 ans 4-6 ans 7-9 ans > 9 ans 2014 vs. 2008 2017 vs. 2014 Nombre d’observations pour chacun des 10 modèles (de gauche à droite) : 4 854, 44 364, 8 232, 9 407, 26 725, 3 896, 33 216, 6 632, 7 274, 19 310. Note : cf. figure III. Source : ISTAT, enquête sur les forces de travail. 52 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 le marché le plus récemment (rapport des cotes de 1.292) (figure VI). Entre 2014 et 2017, tant les récents diplômés du supérieur que ceux détenant leur diplôme depuis plus longtemps (dont les perspectives d’emploi avaient forte‑ ment augmenté, comme vu ci‑dessus) ont bénéficié d’une légère diminution du risque de travail temporaire. La loi Jobs Act, ainsi que la réduction des cotisations des employeurs durant la période 2005‑2016 visant à promouvoir les emplois permanents, ont certainement joué un rôle. L’impact de l’éducation sur les perspectives d’emploi est lui aussi très clair. Les diplômés du supérieur ont été mieux protégés pendant la crise et plus favorisés lors de la reprise. La demande de main‑d’œuvre, également alimentée par les changements récemment apportés au système de production, semble indiquer que, désormais, les employeurs s’intéressent davantage aux jeunes diplômés du supérieur et leur offrent plus souvent des contrats de travail permanent. Cela peut s’expliquer par la polarisation accrue du marché du travail en Italie (et dans plusieurs autres pays), liée au progrès technologique et à la mondialisation, qui ne favorise pas les emplois moyennement qualifiés15. Toutefois, la polarisation observée en Italie ne ressemble pas à celle observée dans d’autres pays, car le segment des emplois hautement qualifiés y croît plus lentement (OCDE, 2019c). Compte tenu de l’expansion de l’enseignement supérieur en Italie ces dernières décennies (ISTAT, 2018), il est possible que ce que nous observons soit le résultat d’une concurrence inévitable entre des diplômés de différents niveaux d’éducation. Notamment, compte tenu d’une offre restreinte d’emplois hautement qualifiés, les postes destinés à des diplômés du deuxième cycle du secondaire peuvent être occupés par des personnes ayant un niveau d’éducation supérieur, de sorte que les personnes les moins qualifiées sont évincées et se réorientent vers des emplois instables ou vers un travail moins qualifié, ou se retrouvent au chômage16. Cela peut alors engendrer un problème de déclassement professionnel : bien que les plus qualifiés semblent accéder plus facilement aux emplois permanents, ces emplois peuvent ne pas correspondre à leur niveau d’édu‑ cation (voir ISTAT, 2019b). Pour finir, la tendance des contrats de travail temporaire affiche une absence totale de continuité sur les trois dernières années : après avoir fortement diminué en 2015‑2016 (‑4.6 et ‑7.7 points respectivement), la part du travail temporaire parmi les diplômés du deuxième cycle du secondaire et du supérieur a augmenté en 2017 (+4.7 et +4.2 respectivement)17. Une tendance similaire mais moins prononcée a été observée parmi les diplômés moins récents. Il serait difficile de ne pas établir de lien entre cette tendance et la fin des réductions des cotisations pour les contrats de travail permanent. Les prévisions d’introduction de nouveaux avantages 15. La part des emplois moyennement qualifiés a fortement diminué par rapport à celle des emplois fortement et faiblement qualifiés (OCDE, 2019c). 16. Voir Iannelli & Soro‑Bonmati (2003). L’article compare le passage de l’école au travail en Italie et en Espagne il y a environ vingt ans. Les diffi‑ cultés connues par les jeunes faiblement qualifiés sont plus importants en Espagne qu’en Italie, ce que les auteurs expliquent par l’expansion plus rapide de l’enseignement supérieur en Espagne pendant cette période. 17. En 2017, s’agissant du taux d’emploi des diplômés récents (ayant ter‑ miné leurs études depuis un à trois ans), cette tendance positive s’est légè‑ rement détériorée après deux ans de croissance soutenue (voir la figure II). Figure VI – Diplômés du supérieur (20-34 ans) en emploi. Probabilité d’emploi temporaire en 2014 vs. 2008, et en 2017 vs. 2014 (odds ratios, modèles logistiques) 1.29 0.99 1.08 0.98 1.12 0.88 0.91 0.95 0.79 0.97 0.00 0.50 1.00 1.50 2.00 1-3 ans > 3 ans 4-6 ans 7-9 ans > 9 ans 1-3 ans > 3 ans 4-6 ans 7-9 ans > 9 ans 2014 vs. 2008 2017 vs. 2014 Nombre d’observations pour chacun des 10 modèles (de gauche à droite) : 4 654, 9 538, 4 738, 3 469, 1 331, 4 015, 8 903, 4 035, 3 365, 1 503. Note : cf. figure III. Source : ISTAT, enquête sur les forces de travail. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 53 Les perspectives d’emploi des jeunes diplômés en Italie pendant et après la crise de 2008 pour l’emploi permanent des jeunes dans la loi budgétaire de 2018 ont également joué un rôle18. Cela semble suggérer que le récent réexamen du cadre législatif régissant les emplois permanents n’a pas du tout réduit l’utilisation des contrats de travail temporaire, car la suppression des incitations proposées aux entreprises pour offrir des contrats permanents ou convertir les contrats temporaires en contrats permanents a de nouveau engendré une recrudescence du travail temporaire. 3. Trajectoire des générations de nouveaux arrivants sur le marché du travail Nous passons maintenant à une analyse des trajectoires des diplômés, à partir du taux d’emploi de pseudo‑cohortes dans le temps : la cohorte « 2008 », âgée de 20 à 34 ans et dans la 1ère à 3ème année après l’obtention du diplôme en 2008, est âgée de 21 à 35 ans et dans sa 2ème à 4ème année après l’obtention du diplôme en 2009, etc, et nous répétons cette construction pour les cohortes précédentes et suivantes (avec évidemment un intervalle d’observation plus court pour les suivantes). Les trajectoires, en termes de taux d’emploi, sont représentées à l’aide d’un diagramme de Lexis, qui permet de mettre en évidence des effets de période et de génération ou de cohorte, c’est‑à‑dire les effets découlant de la survenance des mêmes événements au même moment après la fin des études19. Comme plus haut, nous distinguons les diplômés du deuxième cycle du secondaire et ceux du supérieur et nous examinons également le taux d’emploi temporaire. La figure VII‑A représente les taux d’emploi de chaque cohorte de diplômés récents du deuxième cycle du secondaire entre 2005 et 2017, ainsi que leur évolution durant les années suivantes. Les courbes montrent une forte variabilité du taux d’emploi au moment de l’entrée sur le marché du travail, ainsi qu’une forte sensibilité au cycle économique durant cette phase. Elles indiquent une hausse plus ou moins rapide des taux d’emploi, en fonction des conditions écono‑ miques connues par chaque cohorte au moment de l’entrée sur le marché du travail et durant les années suivantes. Notamment, la figure montre que, de 2008 à 2014 – période durant laquelle les conditions économiques étaient défavorables – les taux d’emploi des cohortes de diplômés du deuxième cycle du secondaire ont progressive‑ ment diminué (de 60 % à 38 %) : les courbes indiquent une augmentation très lente, voire une diminution dans certains cas. Même plusieurs années après – également en raison de la durée de la crise économique – une différence persiste entre les courbes des cohortes entrées sur le marché du travail avant la crise et celles entrées pendant la récession. Toutefois, ces dernières années, dans un contexte de reprise économique, les taux d’emploi ont eux aussi rapidement augmenté pour les cohortes plus anciennes. Pour cette raison, en plus d’un effet de période clair, il semble également y avoir un effet de cohorte, mais seulement pour les catégories ayant moins d’ancienneté. Les pires conditions en vigueur sur le marché du travail au moment de l’entrée et/ou durant les années suivant immédiatement l’entrée ne semblent pas avoir pénalisé les trajectoires d’emploi des jeunes diplômés sur le long terme. Ainsi, la possibilité d’un « effet cicatrice » dû à des conditions économiques défavorables au moment de l’entrée sur le marché du travail n’est pas corroborée par les données analysées. La situation est légèrement différente pour les diplômés du supérieur (figure VII‑B). Pour les cohortes entrant sur le marché du travail pendant la crise économique, les courbes ne font que se rapprocher de celles des diplômés qui avaient déjà terminé leurs études avant la crise (c’est‑à‑dire environ sept à neuf ans après l’obtention du diplôme). Durant les dernières années, les courbes du taux d’emploi par génération tendent à une plus grande convergence, ce qui suggère que la reprise économique a permis de réduire davantage les difficultés initialement subies par les diplômés entrant sur le marché du travail pendant la crise. Pour résumer : il ne semble y avoir qu’un effet de période et rien ne suggère un effet de cohorte ou un « effet cicatrice ». Ces résultats sont semblables à ceux de Junot et Minni (2018), qui analysent la même période économique en France. Des différences existent toutefois entre les deux pays : lorsque la situa‑ tion économique s’améliore, les trajectoires des générations de jeunes français convergent tandis que celles des générations italiennes ne font que se rapprocher, ce qui suggère que la sensibilité au ralentissement économique diminue moins rapidement à mesure que l’ancienneté sur le marché du travail augmente en Italie. 18. Les chiffres de l’emploi total (ISTAT, 2019) semblent eux aussi confirmer cette tendance, avec une forte baisse des contrats de travail permanent en 2017 et une croissance correspondante du nombre de personnes embauchées sur des contrats de travail temporaire. 19. Cette approche, fondée sur la construction de pseudo‑panels, a été utilisée, entre autres, par Fondeur & Minni (2004) et par Jugnot & Minni (2018). Fondeur et Minni, analysant l’emploi des jeunes en France sur une longue période (1975‑2001), ont conclu que le cycle économique affecte l’insertion des jeunes sur le marché du travail en tant qu’effet de période mais ne crée pas d’effet de génération. 54 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 S’agissant des diplômés du deuxième cycle du secondaire, la part des nouveaux arrivants (un à trois ans après avoir terminé leurs études) occupant des emplois temporaires a augmenté au fil des ans, la seule diminution étant celle de 2016 (figure VIII). La pente des courbes varie d’une cohorte à l’autre en raison de la forte sensibilité du travail temporaire au cycle économique. Toutefois, les courbes de chaque génération montrent également un ralentisse‑ ment structurel évident. De fait, contrairement à ce qui a été observé pour le taux d’emploi, les différences entre générations persistent tout au long de la période d’observation : les courbes ne se chevauchent pas et la part de travail stable de chaque génération est inférieure à celle de la génération précédente. Il semble y avoir un effet indépendant du cycle économique, les nouvelles cohortes conservant un travail temporaire dans une plus grande mesure que les cohortes précédentes au fil du temps20. Pour cette raison, nous ne pouvons pas parler d’« effet cica‑ trice », car la situation semble refléter non pas les conséquences durables d’un ralentissement 20. Selon Fondeur & Minni (2004), l’évolution des normes de travail a également détérioré les conditions d’emploi des jeunes et amplifié la per‑ sistance du travail temporaire en France. Figure VII – Taux d’emploi par cohortes de diplômés A – Diplômés du second cycle du secondaire, diplôme obtenu depuis 1 à 3 ans (cohortes 2005-2017) B – Diplômés du supérieur, diplôme obtenu depuis 1 à 3 ans (cohortes 2005-2017) 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 62.6 82.7 84.2 88.7 84,5 70.5 80.1 81.2 84.3 66.2 73.9 82.4 52.9 78.0 62.7 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2005 4-6 ans avant 2008 7-9 ans avant 2011 10-12 ans avant 2014 13-15 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2014 4-6 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2011 4-6 ans avant 2014 Cohorte de diplômés 7-9 ans avant 2017 1-3 ans avant 2008 4-6 ans avant 2011 7-9 ans avant 2014 10-12 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2005 4-6 ans avant 2008 7-9 ans avant 2011 10-12 ans avant 2014 13-15 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2011 4-6 ans avant 2014 7-9 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2014 4-6 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2008 4-6 ans avant 2011 7-9 ans avant 2014 10-12 ans avant 2017 59.3 73.5 71.6 72.5 84,5 60.4 64.8 64.3 70.2 50.6 57.6 65.9 38.3 60.4 48.4 Source : ISTAT, enquête sur les forces de travail. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 55 Les perspectives d’emploi des jeunes diplômés en Italie pendant et après la crise de 2008 économique sur les trajectoires d’emploi mais plutôt les variations structurelles du marché du travail. Cela évoque donc un effet de cohorte, ainsi qu’un « effet d’enfermement » (Barbieri & Scherer, 2009 ; Barbieri et al., 2019). Contrairement aux courbes des diplômés du deuxième cycle du secondaire, celles des diplômés du supérieur montrent un effet de période beaucoup moins évident et aucun effet de cohorte clair. Par exemple, sept à neuf ans après la fin des études (respectivement en 2011, 2014 et 2017), la part des jeunes des cohortes de 2005, 2008 et 2011 dans des emplois temporaires reste plus ou moins la même : 15 %, 17.0 % et 16 % respectivement (figure VIII‑B). Globalement, un effet de période est évident pour toutes les catégories, mais tout particuliè‑ rement pour les diplômés du deuxième cycle du secondaire. Il s’accompagne d’un effet temporel, uniquement pour ces derniers, lié à l’évolution structurelle du marché du travail et notamment à la modification des normes d’emploi au fil des années. Ces effets semblent associés à des effets de cohorte uniquement pour les diplômés du deuxième cycle du secondaire, avec les taux d’emploi qui restent à de bas niveaux et la Figure VIII – Part de l’emploi en contrat temporaire B – Diplômés du supérieur, diplôme obtenu depuis 1 à 3 ans (cohortes 2005-2017) 43.5 25.1 14.5 10.5 8 45.0 22.9 17.0 10.6 45.3 26.6 15.6 51.7 26.7 48.3 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2011 4-6 ans avant 2014 7-9 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2014 4-6 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2005 4-6 ans avant 2008 7-9 ans avant 2011 10-12 ans avant 2014 13-15 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2008 4-6 ans avant 2011 7-9 ans avant 2014 10-12 ans avant 2017 A – Diplômés du second cycle du secondaire, diplôme obtenu depuis 1 à 3 ans (cohortes 2005-2017) 45.9 27.4 18.4 15.8 12.3 48.9 34.4 24.7 17.0 56.7 38.9 27.2 63.0 41.2 63.0 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2014 4-6 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2011 4-6 ans avant 2014 7-9 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2008 4-6 ans avant 2011 7-9 ans avant 2014 10-12 ans avant 2017 Cohorte de diplômés 1-3 ans avant 2005 4-6 ans avant 2008 7-9 ans avant 2011 10-12 ans avant 2014 13-15 ans avant 2017 Source : ISTAT, enquête sur les forces de travail. 56 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 persistance des emplois temporaires parmi les nouvelles cohortes. * * * Le taux d’emploi des jeunes est très sensible à la situation économique. Les jeunes sont surrepré‑ sentés dans les embauches et les licenciements. Il y a deux raisons principales à cela : le nombre élevé de nouveaux diplômés recherchant leur premier emploi chaque année et la part impor‑ tante du travail temporaire au moment de l’entrée sur le marché du travail. Dans cet article, nous examinons l’évolution des perspectives d’emploi des jeunes italiens dans un contexte de crise, de reprise et de réforme du marché du travail. Trois types d’effets contri‑ buent à leurs possibilités d’emploi (permanent ou temporaire) : des effets d’âge (liés à l’ancienneté sur le marché du travail), des effets de période (liés à la crise économique et à la reprise qui a suivi, même si elle a été faible) et des effets de cohorte (liés à l’année d’entrée sur le marché du travail). En l’absence de données de panel, il est difficile de séparer ces effets les uns des autres et nous nous concentrons donc sur une dimen‑ sion à la fois. La première partie de l’analyse (analyse des odds ratios) fournit des indications sur les variations liées aux effets d’ancienneté. La deuxième partie se concentre sur les effets de cohorte, et plus précisément sur l’effet combiné de l’âge et de la période sur la trajectoire des jeunes d’une cohorte. Notre analyse confirme tout d’abord la sensi‑ bilité des taux d’emploi des jeunes diplômés italiens aux ralentissements économiques, ceux ayant obtenu leur diplôme le plus récemment étant les plus pénalisés. Toutefois, les diplômés moins récents ont eux aussi subi les effets de la crise. Les perspectives d’emploi des diplômés récents se sont améliorées après 2014, ce qui confirme également que le marché du travail des jeunes réagit de façon plus prononcée aux cycles économiques. De fait, la hausse du taux d’emploi a été moins marquée parmi ceux ayant terminé leurs études depuis plus de trois ans, notamment pour les diplômés du deuxième cycle du secondaire. Toutefois, la dynamique constatée pendant la reprise, fortement corrélée à l’ancien‑ neté sur le marché du travail, est différente de celle constatée pendant la crise, qui était plus uniforme parmi les diplômés, indépendamment de leur ancienneté sur le marché du travail. Néanmoins, la reprise économique post‑2014 ne s’est pas accompagnée d’une augmentation du travail temporaire (sauf parmi les diplômés du deuxième cycle du secondaire ayant obtenu leur diplôme depuis plus de six ans). Au contraire, la part du travail temporaire parmi les diplômés du supérieur a légèrement diminué pendant cette période. Ce résultat est inattendu dans la mesure où, en règle générale, le début d’une reprise économique est fréquemment marqué par une augmentation du travail temporaire, tant que la solidité de la reprise est encore incertaine. Par ailleurs, le premier décret de la loi Jobs Act (décret‑loi nº 34 de 2014), qui facilitait l’utilisation de contrats de travail temporaire par les employeurs, aurait dû encourager les embauches temporaires21. En conséquence, d’autres parties de la loi Jobs Act, qui donnaient plus de flexibilité pour mettre fin aux contrats permanents et offraient des incitations fiscales favorisant ce type de contrat (introduites en 2015 et en 2016) ont indéniablement eu un impact positif sur ces tendances22. L’analyse confirme également la différence qui existe entre les niveaux d’éducation : les diplômés du supérieur sont généralement moins touchés que ceux du deuxième cycle du secondaire et connaissent une reprise plus homogène, indépendamment de leur ancienneté sur le marché du travail. D’après l’analyse des cohortes, il existe un effet de période clair et aucun « effet cicatrice ». Parallèlement, et uniquement pour les diplômés du deuxième cycle du secondaire, les variations du travail temporaire évoquent des effets de cohorte (la part de travail stable de chaque génération de diplômés est inférieure à celle de la génération précédente) et un effet d’enferme‑ ment (les cohortes plus récentes restent dans des emplois temporaires pendant plus longtemps). Ces résultats apportent des éléments nouveaux. Premièrement, les difficultés importantes de la transition des études à l’emploi des jeunes italiens doivent être résolues en réduisant les barrières à l’offre de travail, en améliorant la qualité de l’éducation, en investissant dans les secteurs éducatifs les plus rentables en termes d’employabilité et en renforçant les synergies entre le système éducatif et le marché du travail, y compris les dépenses publiques consacrées à l’éducation23. Deuxièmement, les politiques du marché du travail peuvent influencer les 21. Globalement, bien que le décret législatif nº 81 du 15 juin 2015 ait res‑ treint l’utilisation de certains contrats temporaires, la réforme semble avoir facilité l’utilisation du travail temporaire (voir Ludovico, 2017). 22. De fait, en 2017, avec la suppression du régime de réduction des cotisations pour les contrats de travail permanent et les prévisions d’in‑ troduction de nouveaux avantages pour l’emploi permanent dans la loi budgétaire de 2018, le taux d’emploi temporaire a de nouveau augmenté. 23. L’Italie consacre environ 3.6 % de son produit intérieur brut à l’éduca‑ tion, de l’école primaire à l’université, soit moins que les pays de l’OCDE qui y consacrent 5 % de leur produit intérieur brut en moyenne (OCDE, 2019d). BIBLIOGRAPHIE Arjona Perez, E., Garrouste, C. & Kozovska, K. (2010a). Towards a Benchmark on the Contribution of Education and Training to Employability: a discussion note. EUR24147 EN. Publications Office of the European Union, Luxemburg. 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Pour l’OCDE (2020), « les jeunes sont confrontés à un marché du travail difficile qui pourrait compromettre leur avenir ». Il est probable que l’impact de la pandémie sur l’emploi des jeunes soit différent de l’impact de la crise de 2008, ne serait‑ce que par son ampleur. Plus précisément, la crise de la Covid‑19 pourrait affecter la durée de la tran‑ sition études‑emploi de façon plus générale en raison de la diminution des possibilités d’emploi, et le confinement pourrait avoir aggravé les inégalités entre les diplômés du supérieur et ceux du deuxième cycle du secondaire. Il sera donc particulièrement intéressant de comparer les effets de ces deux crises et l’impact des mesures prises pour y répondre – et peut‑être de répondre aux inquiétudes mentionnées par Suta et al. (2019, p. 30, traduit de l’anglais) dans un débat sur la stratégie de l’ET2025 : « […] si une nouvelle crise survenait, il n’est pas certain que les diplômés récents soient aujourd’hui mieux armés pour avoir de meilleures perspectives que pendant la crise précédente ». 24. La faiblesse structurelle de la demande de main‑d’œuvre constatée en Italie avant la crise s’explique par la faiblesse du système de production (petite taille des entreprises et capacité d’innovation insuffisante) et par le développement limité des services publics (éducation, santé et services sociaux), qui nécessitent habituellement un grand nombre de travailleurs qualifiés (voir Reyneri, 2017). Brada, J. C., & Signorelli, M. (2012). Comparing Labor Market Performance: Some Stylized Facts and Key Findings. Comparative Economic Studies, 54, 231–250. https://doi.org/10.1057/ces.2012.20 Carcillo, S., Fernandez, R., Königs, S. & Minea, A. (2015). NEET Youth in the Aftermath of the Crisis: Challenges and Policies. 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OECD Education Working Papers N° 20. https://doi.org/10.1787/221381866820 60 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 61 Les disparités spatiales d’accès à l’autonomie résidentielle précoce en France Spatial Disparities in Young Adults’ Early Residential Independence in France Claire Kersuzan* et Matthieu Solignac** Résumé – Le départ du domicile parental est relativement précoce en France mais ses variations spatiales demeurent méconnues. Mené à partir des données de l’Enquête nationale sur les ressources des jeunes (DREES‑Insee), ce travail analyse les différences d’accès à un logement autonome entre 18 et 24 ans selon le lieu de résidence des parents. Se produisant en grande majorité durant les études, les décohabitations sont nettement plus rapides hors des grandes agglomérations : 80 % des jeunes issus des territoires ruraux ou des petites agglomérations ont décohabité avant l’âge de 25 ans contre 40 % des jeunes parisiens. Les parents des premiers accompagnent plus fréquemment les décohabitations, notamment sur le plan financier. Si les montants moyens d’aide régulière varient peu selon le territoire d’origine des parents, ils cor‑ respondent néanmoins à des taux d’efforts nettement supérieurs pour les parents vivant hors des grandes unités urbaines, notamment pour des jeunes encore en étude, et couvrent des postes de dépenses différents. Abstract – Leaving the parental home happens at a relatively young age in France but not much is known about spatial variations in this. Using data from the DREES-Insee Enquête nationale sur les ressources des jeunes (ENRJ, national survey on the resources of young adults), this work analyses the differences in accessing independent accommodation between the age of 18 and 24 according to parental home location. Young adults leave home considerably sooner outside large towns and cities, in the large majority of cases when pursuing studies: 80% of young people from rural areas or small towns have left home before the age of 25, compared with 40% of young Parisians. The former’s parents more commonly support them in leaving home, in particular with financial assistance. While there is little variation in the average amount of regular support provided according to parental area of origin, this nevertheless equates to a significantly higher burden-to-income ratio for parents living outside large Urban Units, in particular for young adults still studying, and the amounts given cover different items of expenditure. Codes JEL / JEL Classification : J13, R23, D64, Z13 Mots‑clés : décohabitation, inégalités spatiales, passage à l’âge adulte, jeune, logement, parent, transferts intergénérationnels Keywords: leaving home, spatial inequalities, transition to adulthood, young adult, housing, accommodation, parent, intergenerational transfers * Université de Bordeaux, CNRS, Comptrasec, UMR 5114, (claire.kersuzan@u‑bordeaux.fr) ; ** Université de Bordeaux, CNRS, Comptrasec, UMR 5114, et Institut national d’études démographiques (INED) Ce travail a bénéficié d’une aide, au titre du programme Investissements d’avenir ANR‑10‑EQPX‑17 (CASD) et ANR‑16‑CE41‑0007‑01 (projet Big_Stat), d’un soutien de l’IdEx Bordeaux (ANR‑10‑IDEX‑03‑02) et du LabEx iPOPs (ANR‑10‑LABX‑0089) et d’une aide de la région Nouvelle‑Aquitaine. L’accès au distancier Metric (MEsure des TRajets Inter‑Communes/Carreaux) a été fourni par le réseau Quételet (Quetelet‑Progedo Diffusion, référence APF‑0004). Nous remercions Jérôme Fabre et Émilie Pawlowski (Insee, Pôle Emploi‑population) d’avoir partagé leur typologie de l’offre de formation des territoires infra‑académiques. Nos remerciements enfin aux deux rapporteurs anonymes dont les remarques constructives nous ont permis d’améliorer l’article. Matthieu Solignac nous a quittés en décembre 2020. Matthieu était un démographe brillant, un collègue précieux et un ami ; il laisse un grand vide. Reçu en octobre 2018, accepté en octobre 2020. Les jugements et opinions exprimés par les auteurs n’engagent qu’eux même, et non les institutions auxquelles ils appartiennent, ni a fortiori l’Insee. Citation: Kersuzan, C. & Solignac, M. (2021). Spatial Disparities in Young Adults’ Early Residential Independence in France. Economie et Statistique / Economics and Statistics, 522‑523, 61–80. https://doi.org/10.24187/ecostat.2021.522d.2036 62 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 Malgré le prolongement de la durée des études et de l’accès à un emploi stable, l’aspiration et l’injonction sociale à l’autono‑ mie précoce demeurent particulièrement fortes pour les jeunes français (Cichelli, 2015 ; Van de Velde, 2012). Parmi les marqueurs de cette émancipation, le départ du domicile parental qui implique l’accès à un logement autonome constitue un événement significatif et sociale‑ ment valorisé (Mulder, 2009 ; Van de Velde, 2008 ; Amsellem‑Mainguy, 2016). Or l’âge à la décohabitation et ses modalités peuvent différer grandement selon les territoires d’ori‑ gine des jeunes. L’éloignement du domicile parental des pôles d’enseignement et d’activité est susceptible de favoriser la décohabitation précoce des jeunes avec une mobilité géogra‑ phique vers des espaces urbains mieux dotés. Des départs à moindre distance peuvent aussi être favorisés par des prix immobiliers plus accessibles, notamment dans des pratiques d’installation en couple et d’entrée dans la vie active plus précoces. L’hétérogénéité des parcours de transition vers l’âge adulte peut se révéler par la dimension spatiale de l’accès à l’autonomie résidentielle. L’ampleur des variations spatiales infrana‑ tionales dans les processus de décohabitation demeure cependant mal connue. La littérature sur le sujet reste très fragmentée, la plupart des travaux étant restreints à certains espaces parti‑ culiers (Renahy, 2005 ; Gambino & Desmesure, 2014 ; Thissen et al., 2010), focalisés sur une catégorie spécifique de jeunes (Lemistre & Magrini, 2010 ; Fabre & Pawloski, 2019 ; Dufour‑Kippelen, 2001), ou centrés sur un type particulier de mobilité, en particulier celle incluant un franchissement de frontière admi‑ nistrative (Dumartin, 1995). Tout en laissant entrevoir une grande diversité des pratiques selon les territoires, les spécificités propres à chaque approche rendent les résultats diffici‑ lement comparables. D’où l’intérêt d’offrir un panorama harmonisé des variations spatiales des pratiques de décohabitation précoce en France selon le territoire de départ. Appréhender la dimension spatiale de l’accès à l’autonomie résidentielle passe par une analyse s’appuyant sur des données représentatives de l’ensemble des jeunes et de leurs parents sur tout le territoire français. Le premier objectif de ce travail est de dresser un tableau statistique précis de l’association entre la localisation du domi‑ cile parental et un calendrier, des motifs et des conditions d’accès à l’autonomie résidentielle des jeunes. Le second objectif est d’étudier les conséquences de ces disparités spatiales d’accès à l’autonomie résidentielle sur les parents de chaque territoire, en matière de prise en charge de la période d’insertion des jeunes. L’analyse, qui s’appuie sur les données de l’Enquête nationale sur les ressources des jeunes (ENRJ, DREES‑Insee) porte sur les jeunes âgés de 18 à 24 ans en 2014. Ces premières années d’entrée dans la vie adulte sont une période d’intense mobilité résidentielle qui contribue à redessiner la composition sociodémographique locale (Dumartin, 1995 ; Bergouignan, 2009) en opérant un tri spatial des jeunes (Berck et al., 2016). Tout en étant associé à des décisions essentielles de vie (domaine et durée des études, entrée sur le marché du travail, mise en couple, etc.), l’accès des jeunes à un logement autonome est largement conditionné par le niveau des transferts familiaux en raison de la faiblesse de leurs revenus propres et du caractère familialiste du système social français (Déchaux, 2007). À la localisation de la résidence parentale sont ainsi associés des enjeux spécifiques relatifs à la décohabitation précoce et à son accompagne‑ ment matériel et financier par les parents. Se produisant en grande majorité durant les études, les décohabitations avant 25 ans sont plus fréquentes hors des grandes aggloméra‑ tions : elles concernent 80 % des jeunes issus des territoires ruraux ou des petites aggloméra‑ tions contre 40 % des jeunes de l’agglomération parisienne. Ces disparités selon la commune de la résidence parentale peuvent s’expliquer par des facteurs sociodémographiques et/ou par certaines caractéristiques du lieu de la résidence parentale telles que la distance aux universités pour ce qui concerne la décohabitation longue distance et le coût du logement pour la déco‑ habitation de proximité. L’introduction de ces caractéristiques laisse néanmoins les probabilités de décohabitation dans l’unité urbaine parisienne à des niveaux deux à trois fois moindre que dans les autres espaces. Ces variations spatiales s’assortissent d’une sollicitation inégale des parents, ceux des espaces ruraux accompagnant plus fréquemment les décohabitations, notam‑ ment sur le plan financier. Si le montant de l’aide régulière apportée par les parents est similaire quel que soit leur territoire de résidence, cette aide représente un effort plus important pour les parents vivant hors des grandes unités urbaines, notamment lorsqu’elle concerne les jeunes encore en études, et correspond à des postes de dépenses différents. La première section met en perspective la contribution de cet article avec la littérature sur la décohabitation. Une deuxième section est ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 63 Les disparités spatiales d’accès à l’autonomie résidentielle précoce en France consacrée aux données de l’ENRJ. La troisième section examine les disparités territoriales du calendrier et des modalités du premier départ du domicile parental et la quatrième section met en relation ces disparités territoriales avec les différences d’implication des parents dans ce processus. 1. La décohabitation : état des lieux et perspectives spatiales 1.1. Le départ du domicile parental L’âge médian au premier départ du domicile parental des jeunes français se situe autour de 23 ans, ce qui est assez précoce par rapport aux jeunes d’Europe du Sud et d’Irlande (27‑28 ans) mais plus tardif que les jeunes européens nordiques et britanniques (20‑21 ans) (Van de Velde, 2008 ; Amsellem‑Mainguy, 2016). Contrairement à une idée répandue, cet âge est demeuré relativement stable au cours des quarante dernières années (Galland, 2000 ; Régnier‑Loilier, 2006). En revanche, sous l’effet de changements économiques et sociaux1 , les modèles d’accès à l’indépendance résidentielle se sont transformés (Robette, 2020). Le modèle du départ définitif financé sur ressources propres, souvent lié à l’accès au premier emploi pour les hommes et au mariage pour les femmes, ne va plus nécessairement de soi. L’accès à l’indépendance résidentielle est devenu un processus de durée et de formes variables qui se réalise fréquemment par étapes, et qui bien souvent ne coupe pas la dépendance économique des jeunes vis‑à‑vis de leurs parents (Villeneuve‑Gokalp, 1997). Au cours des dernières décennies, les études consacrées à la décohabitation en France ont révélé de profondes disparités dans le calendrier et les conditions du départ du domicile parental selon diverses caractéristiques socio‑économiques et familiales des jeunes comme de leurs parents. Ces travaux révèlent qu’à âge et à niveau d’études identiques, les jeunes femmes vivent moins souvent chez leurs parents et davantage en couple que les jeunes hommes (Castell et al., 2016). Les salariés en contrat à durée indéter‑ minée sont davantage non cohabitants tandis que le chômage et l’inactivité réduisent la probabilité de décohabitation, mais l’insertion profession‑ nelle ne serait pas un des moteurs principaux du départ du foyer parental (ibid ; Dormont & Dufour‑Kippelen, 2000 ; Mora et al., 2008 ; Portela & Dezenaire, 2014). En outre, l’accès à un logement autonome est fréquent chez les jeunes qui poursuivent des études supérieures (Castell et al., 2016 ; Menard & Vergnat, 2020), caractérisant ainsi « le privilège de ceux qui réussissent » (Solard & Coppoletta, 2014). Du point de vue des facteurs familiaux, le décès ou la séparation des parents ainsi que la présence d’un beau‑parent avancent le départ (Bellidenty, 2018 ; Laferrère, 2005 ; Bozon & Villeneuve‑Gokalp, 1995) tandis que l’accroissement de la taille de la fratrie augmente la probabilité de déco‑ habitation (Castell et al., 2016 ; Despalins & de Saint Pol, 2012). Les revenus parentaux peuvent avoir des effets contradictoires voire paradoxaux (Laferrère, 2005) : si les hauts revenus peuvent financer la décohabitation, ils peuvent aussi la retarder en offrant des condi‑ tions de logement favorables au prolongement de la cohabitation avec les parents. Toutefois les jeunes étudiants issus d’un milieu modeste décohabitent moins souvent pendant leurs études (Herpin & Verger, 1997 ; Robert‑Bobée, 2002). Lorsqu’elle survient, la décohabitation est à plus courte distance pour les jeunes d’origine populaire et de faible niveau de formation, et elle est souvent liée à la mise en couple (Fabre & Pawlowski, 2019 ; Margirier, 2004). 1.2. Dimension spatiale de la décohabitation et mobilité des jeunes De nombreux travaux ont abordé les questions de localisation et de mobilité résidentielle. À la suite de Sjaastad (1962), la mobilité rési‑ dentielle est appréhendée comme une forme d’investissement dans le capital humain, les coûts de migration devant être compensés par les avantages qu’elle va générer : la migration doit notamment permettre l’accès à des marchés locaux d’emploi plus favorables. L’accès aux formations initiales permettant d’escompter un niveau de vie plus élevé participe de la même logique pour les jeunes encore inactifs. Le champ de l’économie urbaine s’est notamment développé autour des effets d’agglomération des villes (Behrens et al., 2015 ; Combes & Gobillon, 2015), mettant en évidence différents mécanismes de tri spatial des individus selon la taille des villes. Ce tri peut notamment s’opérer via les choix de localisation des parents, faisant du lieu de naissance un déterminant des salaires (Bosquet & Overman, 2019). À la suite de Rosen (1974) et de Roback (1982), les modèles d’équilibre général développés intègrent les aménités propres à chaque ville qui contribuent à la détermination des salaires et des loyers. Parmi ces caractéristiques, l’offre éducative au niveau supérieur peut affecter le niveau de vie, par les compétences générées localement, 1. Allongement de la durée des études et de la période d’insertion profes‑ sionnelle, évolution des relations familiales et, plus récemment, augmenta‑ tion du coût du logement. 64 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 les interactions et la sélection des individus s’installant et demeurant dans les plus grandes villes (Diamond, 2016). Les caractéristiques du logement et les attributs des lieux (aménités naturelles telles que le paysage ou le climat, offre de services en matière de transport, de loisirs ou de culture, etc.) peuvent jouer de la même manière. Détang‑Dessendre & Piguet (2017) montrent que contrairement aux personnes plus âgées, les jeunes, en particulier les plus diplômés, fondent davantage leur choix de mobi‑ lité sur les caractéristiques des marchés locaux de formation et d’emploi que sur les commodités et aménités naturelles offertes par les territoires. Eyméoud & Wasmer (2016) pointent néanmoins la difficulté qu’ont les jeunes à accéder aux zones les plus dynamiques en matière de formation et d’emploi qui présentent aussi les marchés immobiliers les plus tendus. Si l’attractivité des villes est mise en évidence, elle apparaît moindre parmi les jeunes moins diplômés qui restent plus souvent dans les territoires ruraux (Détang‑Dessendre et al., 2008). Cette littérature économique est par ailleurs très focalisée sur le lien entre migration et marché du travail, se restreignant généralement aux individus déjà actifs (Gobillon, 2001) et occultant souvent les territoires ruraux. Tout en montrant que la mobilité géographique des jeunes est plus élevée que celle des autres classes d’âge (Baccaïni, 2009 ; Delance & Vignolles, 2017), l’analyse des flux de mobilité interne en France tend à confirmer l’attrait des jeunes pour les zones les mieux dotées en forma‑ tion et emploi. Ainsi, la mobilité des jeunes, qui se distingue aussi par des distances de déplace‑ ment plus élevées que celle des autres classes d’âge (Baccaïni, 2001), les conduit à s’installer principalement dans les grandes agglomé‑ rations, notamment les capitales régionales (Baccaïni, 2007 ; Couet, 2006). Ces travaux soulignent aussi l’importance du territoire d’origine. Au cours de la période 1990‑1999, la mobilité résidentielle est plus forte pour les 18‑24 ans issus des unités urbaines de moins de 100 000 habitants que pour ceux des unités urbaines plus grandes, en particulier s’agissant des déménagements au‑delà du département. Les changements de résidence des jeunes issus des communes rurales sont moins fréquents et généralement de plus courte distance, à l’inté‑ rieur de la commune ou du département (Couet, 2006). D’autres études portant sur le cas des jeunes bacheliers ou des primo‑entrants sur le marché du travail vont également dans le sens d’un effet important des caractéristiques du lieu d’origine sur les trajectoires d’insertion et de mobilité (Fabre & Pawlowski, 2019 ; Margirier, 2004). Mais si ces études pointent le rôle crucial qu’exerce le territoire d’origine sur la mobilité résidentielle des jeunes, leur caractère agrégé mêle des mouvements de nature très variée : déménagement avec les parents, premiers départs, déménagements subséquents liés aux mises en couple ou aux naissances, retours au domicile parental, etc. Les résultats obtenus sont également sensibles à la trame spatiale retenue pour l’analyse (modifiable areal unit problem). En particulier, dans le cas où la mobi‑ lité est définie comme un changement d’unité administrative de résidence, tous les cas de décohabitation se produisant au sein de la même d’unité administrative vont être assimilés à de l’immobilité. Une partie de la décohabitation de courte distance, particulièrement fréquente dans les espaces ruraux, est ainsi susceptible d’être occultée. Peu de travaux fournissent une analyse détaillée de l’accès à l’autonomie résidentielle précoce en lien avec la localisation du domicile parental (Mulder, 2009). Les variations spatiales n’ont souvent été considérées que dans le cadre de comparaisons entre pays. Il s’agit alors de mettre en lumière des forces structurelles des systèmes nationaux qui orientent l’accès des jeunes à un logement autonome (Van de Velde, 2008 ; Gaviria, 2005 ; Cavalli et al., 2008). Il existe toutefois quelques exceptions. Enfin, les rares études qui ont envisagé la loca‑ lisation de la résidence parentale comme un déterminant majeur de la transition vers l’âge adulte sont en général circonscrites à un type d’espace particulier, notamment le milieu rural. À origine sociale et niveau scolaire comparables, les jeunes des territoires ruraux privilégient davantage que les urbains les études courtes à visée professionnelle, ces dernières étant surre‑ présentées au sein de l’offre éducative disponible en milieu rural (Cereq, 2011 ; Coquard, 2015 ; Arrighi, 2004). Parmi les explications avancées figurent le surcoût, tant financier que psycho‑ logique, associé à l’exigence de mobilité résidentielle pour la poursuite d’études et la force de leur attachement au territoire (Bouquet, 2018). D’autres travaux nuancent cependant l’image d’une immobilité sociogéographique des jeunes issus de ces espaces, en soulignant la diffusion de l’impératif de poursuite d’études longues auprès des jeunes des territoires ruraux (Alpe, 2018 ; Orange & Renard, 2018). À l’inverse, Laferrère (2005) nuance la mobilité des jeunes des zones urbaines : un logement parental spacieux situé en zone urbaine favorise la cohabitation. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 65 Les disparités spatiales d’accès à l’autonomie résidentielle précoce en France 1.3. Dimension spatiale de la décohabitation et soutien parental Le rôle du soutien financier familial dans l’accès à un logement personnel revêt une importance particulière en France où l’existence d’une norme d’autonomie précoce contraste avec la faiblesse des appuis publics destinés à la soutenir. À la différence de l’approche universaliste des aides à la jeunesse des social‑démocraties scandi‑ naves, les politiques publiques françaises sont majoritairement organisées sur un principe de familialisation de la prise en charge de la période de formation et d’insertion. De fait, les aides publiques sont plutôt destinées aux parents tandis que les jeunes de moins de 25 ans demeurent largement exclus de l’accès aux minima sociaux (Magord, 2016). Certes, les jeunes âgés de 18‑24 ans peuvent recevoir directement certains transferts sociaux. Ainsi, le statut d’étudiant donne accès à des bourses qui restent toutefois sous condition de ressources parentales, tout en prenant en compte de façon accessoire la distance entre le domi‑ cile parental et le lieu des études. Ces bourses n’ont cependant pas vocation à remplacer l’aide parentale, leur montant demeurant bien souvent insuffisant pour couvrir l’ensemble des frais liés à l’indépendance résidentielle (Chevalier, 2018). Par ailleurs, l’attribution d’allocations logement ouverte à tous à partir de 18 ans (Van de Velde, 2014) distingue la France des logiques de familialisation extrême des États providence des pays d’Europe du Sud, où les valeurs et la force des liens familiaux encouragent peu les départs précoces (Holdsworth, 2004). Même si l’aide personnalisée au logement (APL) semble avoir facilité la décohabitation des étudiants (Laferrère & Le Blanc, 2004), sa légitimité est fréquemment contestée (Fack, 2005). Dans un contexte d’allongement de la durée des études, de difficultés d’insertion professionnelle et de tensions croissantes sur le marché du logement, les ressources parentales et le soutien intergénérationnel constituent des facteurs de plus en plus décisifs pour l’installation des jeunes dans un logement personnel (Vanoni, 2013 ; Maunaye, 2016). Plusieurs auteurs soulignent les dérives de cette familialisation des aides publiques qui favoriseraient le creusement des inégalités sociales (Herpin & Déchaux, 2004 ; Majamaa, 2013 ; Castell et al., 2016 ; Déchaux, 2007 ; Grobon, 2018). Néanmoins, malgré l’in‑ fluence attendue de la localisation de la résidence parentale sur les trajectoires résidentielles des jeunes, peu de travaux ont interrogé la variabilité territoriale de l’aide parentale. 2. Les données de l’Enquête nationale sur les ressources des jeunes Les données utilisées dans ce travail sont celles de l’Enquête nationale sur les ressources des jeunes (ENRJ) réalisée par la DREES et l’Insee en octobre 2014 auprès de 5 776 jeunes âgés de 18 à 24 ans, vivant en ménage ordinaire ou en collectivité, et de leurs parents2 . Cette enquête est représentative de l’ensemble des jeunes en France, qu’ils vivent chez leurs parents ou dans un logement autonome, ce qui permet de s’affranchir d’effets de sélection. L’enquête présente également l’avantage de collecter des informations à la fois auprès des jeunes et de leurs parents. Elle fournit ainsi des informations détaillées à la fois sur le type de commune de la résidence parentale, sur l’éventuel premier départ des jeunes du domicile parental et sur les différentes aides fournies par les parents, notamment pour l’installation dans un loge‑ ment autonome. L’ENRJ permet donc d’aller au‑delà de la seule situation résidentielle du jeune observée au moment de l’enquête, et de reconstituer sa trajectoire de décohabitation à partir du départ du domicile parental. 2.1. Caractérisation du lieu de la résidence parentale La localisation de la résidence parentale3 est appréhendée par la catégorie de taille de l’unité urbaine4 à laquelle elle appartient. Ce choix s’explique par la taille limitée de l’échantillon d’étude, dont la représentativité est assurée au niveau national mais pas à des niveaux géographiques plus fins. Afin de faciliter la lecture des résultats et de disposer d’effectifs suffisants au sein de chaque catégorie, les neuf classes d’unités urbaines ont été agrégées de manière à distinguer l’espace rural, les petites agglomérations urbaines (unités urbaines de 2 000 à 19 999 habitants), les agglomérations urbaines de taille moyenne (unités urbaines de 20 000 à 199 999 habitants), les grandes agglomérations urbaines (unités urbaines de 200 000 à 1 999 999 habitants) et l’unité urbaine 2. Dans tout l’article, l’expression « leurs parents » est utilisée par commo‑ dité, que les parents vivent ensemble, ou qu’ils soient séparés ou seuls. On précisera plus loin comment le cas des parents séparés est traité. 3. Cette localisation n’est connue qu’au moment de l’interrogation. Néanmoins, l’écart médian entre la première autonomie résidentielle et la date de l’enquête étant limité à un an, cette localisation peut être assimilée à la commune de résidence parentale avant le premier départ sans risque de distorsion majeure. 4. Selon sa définition par l’Insee, l’unité urbaine est « une commune ou ensemble de communes qui comporte sur son territoire une zone bâtie d’au moins 2 000 habitants où aucune habitation n’est séparée de la plus proche de 200 mètres. En outre, chaque commune concernée possède plus de la moitié de sa population dans cette zone bâtie ». Sont considé‑ rées comme rurales les communes qui ne rentrent pas dans la constitution d’une unité urbaine. 66 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 de Paris. Pour certaines analyses, un regroupe‑ ment en trois ensembles est opéré, isolant l’unité urbaine parisienne et les grandes agglomérations urbaines, les petites et moyennes agglomérations urbaines, et les communes rurales. 2.2. Identification du premier départ du domicile parental On dispose de l’âge du jeune lors de son éventuelle première installation dans un loge‑ ment différent de celui de ses parents, que ce logement soit autofinancé ou non, que le jeune alterne ou n’alterne pas entre ce logement et celui des parents. Les jeunes fournissent égale‑ ment des informations sur la cause principale de ce premier départ et sur la distance entre ce premier logement et celui des parents5 . Par ailleurs, à l’exception de certains événements (rupture du couple parental, premier emploi, première relation amoureuse stable), la plupart des caractéristiques des jeunes et de leurs parents sont mesurées à la date de l’enquête. Il n’est donc pas possible de mettre en relation l’histoire résidentielle des jeunes avec l’ensemble des caractéristiques antérieures. 2.3. La mesure de l’aide matérielle et pratique fournie par les parents Les jeunes ayant connu une première expérience d’autonomie résidentielle sont interrogés sur le type d’aide qu’ils avaient éventuellement reçue de leurs parents pour s’installer : aide à la recherche du logement, à son aménagement, ou au paiement du loyer. Les montants et les formes détaillées de l’aide (cautionnement, paiement du montant de garantie, paiement partiel ou total du loyer, montant de l’aide à l’installation) ne sont fournis que par les parents, et seulement si le jeune réside habituellement (c’est‑à‑dire au moins un mois dans l’année) dans un logement personnel au moment de l’enquête6 . De même, le montant global annuel de l’aide versée par les parents, que le jeune ait décohabité ou non, est connu au moment de l’enquête. Il est donc possible que ces informations ne reflètent pas exactement l’aide octroyée lors du premier départ du domicile parental. Notre unité de référence est le jeune, à la diffé‑ rence de Grobon (2018) qui raisonne à l’échelle des ménages de parents. Le revenu parental correspond à la somme des revenus individuels de chacun des parents7 plutôt qu’au revenu disponible du ménage qui pourrait englober celui du jeune. Le type et le montant de l’aide reçue par le jeune sont ceux qu’il a déclarés à l’enquête. En cela l’approche se distingue de celle adoptée par Castell et al. (2016) qui privilégie les déclarations des jeunes, même en cas de différences avec celles des parents. 3. Des disparités d’accès à l’autonomie résidentielle précoce selon la catégorie d’unité urbaine de la résidence parentale 3.1. Une décohabitation précoce dans les campagnes et les petites villes, tardive dans les grandes agglomérations L’accès précoce des jeunes à un premier loge‑ ment autonome varie de façon substantielle selon les lieux de transition vers l’âge adulte. Avant l’âge de 25 ans, environ 4 jeunes sur 10 originaires de l’unité urbaine parisienne ont occupé un logement différent de celui de leurs parents contre presque 8 sur 10 parmi ceux des communes rurales et des petites unités urbaines (figure I)8 . Quand il survient, le premier départ est en moyenne plus tardif parmi les jeunes originaires de la capitale et des grandes agglo‑ mérations urbaines (22‑23 ans) que parmi les autres jeunes (20‑21 ans). La moitié des premiers départs des jeunes des territoires ruraux ou des petites et moyennes agglomérations urbaines ont lieu au moment de la majorité tandis qu’ils sont plus fréquents après 21 ans pour les jeunes des plus grandes agglomérations. 3.2. La plupart des décohabitations sont liées aux études Avant 25 ans, l’essentiel des différences d’accès à l’autonomie résidentielle entre les jeunes urbains et les autres s’explique par la mobilité liée à la poursuite d’études (figure II). Environ la moitié des jeunes issus de communes rurales et des petites et moyennes agglomérations urbaines quittent une première fois le domicile parental avant 25 ans pour suivre des études, souvent lors de l’entrée dans l’enseignement supérieur (18‑19 ans). Parmi les jeunes des plus grandes agglomérations, moins de 3 sur 10 partent une première fois pour les études, et plus tardive‑ ment. Quitter une première fois le foyer parental 5. Le lieu d’installation n’est cependant pas plus précisément connu. 6. À noter que la somme versée mensuellement aux jeunes sans affecta‑ tion préalable ne permet pas de mesurer précisément le montant de l’aide consacrée au paiement du loyer. 7. En cas de séparation des parents, le couple parental est reconstitué. Quand les parents du jeune adulte sont en couple à l’enquête (67 %) ou que l’un d’eux est décédé (8 %), l’information sur l’aide reçue par le jeune est tirée de la déclaration d’un parent sur l’aide apportée par son ménage. Quand les parents du jeune sont séparés, l’aide fournie au jeune est calcu‑ lée soit à partir de la déclaration de ses deux parents (12 %), soit à partir de celle du seul parent retrouvé à l’enquête (14 %). Dans la moitié des cas où un des parents séparés n’a pu être enquêté, le jeune n’avait plus de relation avec ce parent. 8. En supposant que le rythme d’accès à la première autonomie résiden‑ tielle varie peu au fil des sept cohortes enquêtées à l’ENRJ. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 67 Les disparités spatiales d’accès à l’autonomie résidentielle précoce en France Figure I – Pourcentage de jeunes partis une première fois du domicile parental à 25 ans (taux de risque cumulé) et âge moyen au premier départ 22.6 21.6 20.8 20.7 20.5 20.0 20.5 21.0 21.5 22.0 22.5 23.0 0 10 20 30 40 50 60 70 80 UU de Paris Grandes UU Moyennes UU Petites UU Com. rurales Âge moyen au premier départ avant 25 ans Âge moyen (échelle de droite) % % parti une première fois du domicile parental à 25 ans / Taux de risque cumulé F(25) Note : le taux de risque cumulé à 25 ans F(25) correspond à la probabilité estimée qu’un jeune ait quitté une première fois le domicile parental avant son vingt-cinquième anniversaire. Il est obtenu par cumul des probabilités instantanées de décohabitation calculées sur chaque année d’âge de 15 à 24 ans révolus. La probabilité instantanée de décohabitation sur un intervalle d’âge ti est la probabilité conditionnelle qu’un jeune quitte le domicile parental pour la première fois sur cet intervalle sachant qu’il n’a pas encore décohabité jusqu’à ti . Lecture : à 25 ans, 40 % des jeunes originaires de l’unité urbaine de Paris ont quitté une première fois le domicile parental contre un peu moins de 80 % des jeunes dont les parents habitent une commune rurale. À la première décohabitation, les jeunes originaires de l’agglomération parisienne avaient en moyenne 22.6 ans et les jeunes issus d’une commune rurale 20.5 ans. Source et champ : DREES‑Insee, enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014 ; 4 950 jeunes âgés de 18‑24 ans en 2014 (26 298 jeunes‑ années). Figure II – Répartition des motifs du premier départ selon l’âge au départ et le type de commune de résidence des parents B – Grandes unités urbaines C – Moyennes et petites unités urbaines 0 20 40 60 80 100 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Âge % 0 20 40 60 80 100 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Âge % A – Unité urbaine de Paris 0 20 40 60 80 100 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Âge % D – Communes rurales 0 20 40 60 80 100 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Âge % Motif du premier départ Études Emploi Couple Indépendance Autres Lecture : à 25 ans, 47 % des jeunes originaires d’une commune rurale ont quitté une première fois le domicile parental pour suivre des études, 8 % sont partis pour l’emploi, 12 % pour la formation d’un couple, 9 % pour la recherche d’indépendance et 2 % pour une autre raison. Source et champ : DREES‑Insee, enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014 ; 4 950 jeunes âgés de 18‑24 ans en 2014 (26 298 jeunes‑ années). 68 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 pour l’emploi ou pour se mettre en couple est relativement peu fréquent avant 25 ans (respec‑ tivement 7 % et 9 % des jeunes). Toutefois, ces départs concernent davantage les jeunes issus des communes rurales (20 %) que ceux issus de l’unité urbaine parisienne ou des grandes unités urbaines (12 %). Ces résultats soulignent le rôle de l’offre locale de formation et d’emploi, qui permet plus faci‑ lement aux jeunes des grandes agglomérations de poursuivre leurs études et de s’insérer profes‑ sionnellement sans quitter le domicile parental. À l’inverse, les jeunes issus d’espaces offrant peu de possibilités de poursuivre les études sont plus contraints au départ. Mais d’autres facteurs tels que le coût du logement ou les normes terri‑ toriales en matière de transition vers l’âge adulte peuvent aussi contribuer à ces écarts. 3.3. Une distance de départ plus élevée dans les grandes agglomérations Plus de la moitié des jeunes qui accèdent à l’au‑ tonomie résidentielle avant 25 ans s’installent à plus de 50 km de la résidence de leurs parents (tableau 1). Cette distance s’explique avant tout par la poursuite d’études qui implique un rayon de déplacement en moyenne plus étendu que les autres motifs de première décohabitation. Lorsque la première mobilité résidentielle est associée à l’emploi ou aux études, la distance à la résidence parentale est plus importante pour les jeunes originaires des plus grandes unités urbaines : 2/3 d’entre eux s’installent à plus de 100 km du domicile parental contre moins de la moitié des jeunes originaires des autres espaces. Dans les plus grandes unités urbaines, la diversité de l’offre d’enseignement supérieur et de l’offre de transport limitent l’exigence de mobilité résidentielle pour les études à quelques fins de cursus très spécialisés. À l’inverse, les jeunes issus des communes rurales et des petites et moyennes agglomérations urbaines sont davantage contraints à la mobilité résidentielle dès les premières années dans l’enseignement supérieur. L’accès à un premier logement pour vivre en couple ou accéder à une forme d’indé‑ pendance est par contre associé à une mobilité nettement plus circonscrite, quel que soit le type de commune de la résidence parentale. 3.4. Des différences spatiales marquées selon le sexe et le milieu social Quel que soit le territoire d’origine, les jeunes femmes quittent plus précocement le domicile parental que les jeunes hommes (figure III). Cette différence vient principalement des départs pour des motifs autres que les études. Bien que les départs précoces liés à l’emploi soient un peu moins répandus parmi les femmes (‑5 points de pourcentage), elles quittent plus souvent que les Tableau 1 – Distribution des premiers départs selon leur distance (en km) au domicile parental, par cause de départ Catégorie de la commune du domicile parental UU de Paris / Grandes UU Moyennes / Petites UU Com. rurales Ensemble Départ toutes causes confondues <10 20.9 14.9 12.4 16.0 [10‑49] 20.7 25.6 27.9 24.8 [50‑99] 10.4 22.7 25.9 20.0 100 et plus 48.0 36.9 33.7 39.2 Ensemble 100.0 100.0 100.0 100.0 Départ pour les études ou pour l’emploi <10 3.0 2.1 1.6 2.2 [10‑49] 16.5 21.9 21.2 20.3 [50‑99] 14.1 29.7 34.0 26.7 100 et plus 66.4 46.4 43.3 50.9 Ensemble 100.0 100.0 100.0 100.0 Autres causes de départ <10 53.1 47.3 39.3 47.2 [10‑49] 28.3 34.8 44.6 35.1 [50‑99] 3.9 5.1 6.0 4.9 100 et plus 14.8 12.8 10.7 12.8 Ensemble 100.0 100.0 100.0 100.0 Lecture : les jeunes décohabitants originaires de l’unité urbaine de Paris ou d’une grande unité urbaine sont 20.9 % à s’être installés à moins de 10 km du domicile parental. Source et champ : DREES‑Insee, enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014 ; 2 836 jeunes âgés de 18‑24 ans en 2014 ayant déco‑ habité une première fois. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 69 Les disparités spatiales d’accès à l’autonomie résidentielle précoce en France jeunes hommes leurs parents avant 25 ans pour vivre en couple (+ 9 points) et, dans une moindre mesure, pour accéder à une forme d’indépen‑ dance (+ 5 points). Cet écart entre les hommes et les femmes s’observe quel que soit le type de commune de la résidence parentale, mais il est moins net dans l’unité urbaine parisienne où les départs avant 25 ans liés à la formation d’un couple sont plus rares. Les jeunes femmes qui décohabitent pour vivre en couple restent davan‑ tage dans la proximité géographique du lieu de résidence parentale. Mais à motif identique de premier départ, la distance associée à la mobilité distingue peu les femmes des hommes. Les départs précoces liés à la constitution d’un couple sont avant tout le fait des jeunes femmes des milieux populaires9 : ils concernent 20 % d’entre elles contre 5 % des jeunes femmes d’ori‑ gine favorisée. Ce « mouvement d’émancipation conjugale » (Bloss, 2008) est par ailleurs plus fréquent lorsque la résidence parentale est située dans une commune rurale ou dans une petite agglomération urbaine. Un quart des jeunes femmes d’origine populaire dont les parents habitent une commune rurale ont ainsi quitté le domicile parental pour former un couple, contre 11 % de celles dont les parents vivent dans l’unité urbaine parisienne ou une grande agglomération urbaine (figure IV). La poursuite d’études demeure cependant la principale raison de la première décohabitation précoce, quels que soit le sexe, le type de commune de la résidence parentale ou l’origine sociale. L’autonomie résidentielle précoce pour suivre des études est néanmoins largement plus répandue parmi les jeunes issus des milieux favorisés, en particulier parmi ceux qui viennent d’une commune rurale ou une petite agglomération urbaine. Lorsque les parents habitent une commune rurale, 8 jeunes hommes sur 10 et 7 jeunes femmes sur 10 d’origine favorisée ont quitté une première fois la résidence parentale pour suivre des études ; parmi les jeunes d’origine populaire, c’est le cas de seulement 3 jeunes (hommes comme femmes) sur 10. Les différences sociales d’accès précoce à l’autonomie résidentielle sont liées aux écarts sociaux de départ pour les études ; par rapport aux jeunes des catégories sociales favorisées, ceux des milieux modestes quittent nettement moins souvent le domicile parental avant 25 ans. Une exception concerne toutefois les jeunes femmes des milieux populaires ruraux qui, en raison de la fréquence des départs liés à la vie de couple, sont aussi nombreuses que celles des milieux favorisés à avoir accédé à l’autonomie résidentielle à 25 ans. 3.5. Un départ précoce qui augmente avec l’éloignement des universités et des zones immobilières tendues L’influence de la taille de l’unité urbaine du domicile parental sur la décision de quitter précocement ce domicile peut être attribuée à des effets de composition (les individus qui composent chacun des espaces ont des caracté‑ ristiques différentes) ou à des effets de contexte (propriétés particulières de l’environnement local). La mise en évidence de l’importance de 9. Le milieu populaire (ou défavorisé) est défini par l’appartenance des parents aux catégories socio‑professionnelles ouvrier, employé ou inactif, par opposition au milieu favorisé où les parents appartiennent aux catégo‑ ries cadre ou professions intermédiaires. Figure III – Pourcentage de jeunes qui ne sont jamais partis de chez leurs parents A – Hommes B – Femmes 62 40 36 31 27 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Âge Âge 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 57 32 20 17 17 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 % jamais parti du domicile parental (fonction de séjour) % jamais parti du domicile parental (fonction de séjour) UU de Paris Grandes UU Moyennes UU Petites UU Com. rurales Note : la fonction de séjour notée S(t) est une fonction du temps t (exprimé ici en année d’âge) qui quantifie la proportion estimée de jeunes qui n’ont pas encore décohabité à un âge ti depuis l’âge de 15 ans (t0 ). La probabilité de ne pas avoir décohabité au temps ti est ainsi la probabilité de ne pas avoir quitté le domicile parental avant ti multipliée par la probabilité conditionnelle de ne pas avoir décobabité au temps ti . Lecture : à 25 ans, 62 % des jeunes hommes et 57 % des jeunes femmes originaires de l’unité urbaine de Paris ne sont jamais partis de chez leurs parents contre respectivement 27 % et 17 % des jeunes hommes et femmes issus d’une commune rurale. Source et champ : DREES‑Insee, enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014 ; 4 950 jeunes âgés de 18‑24 ans en 2014 (26 298 jeunes‑ années). 70 ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 Figure IV – Répartition des motifs de premier départ selon l’âge au départ, l’origine sociale et la catégorie de la commune du domicile parental Milieu favorisé Milieu modeste A – Hommes Unité urbaine de Paris et autres grandes agglomérations 0 20 40 60 80 100 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Âge 0 20 40 60 80 100 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Âge Communes rurales 0 20 40 60 80 100 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Âge 0 20 40 60 80 100 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Âge B – Femmes Unité urbaine de Paris et autres grandes agglomérations 0 20 40 60 80 100 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Âge 0 20 40 60 80 100 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Âge Communes rurales 0 20 40 60 80 100 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Âge 0 20 40 60 80 100 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Âge Motif du premier départ Études Emploi Couple Indépendance Autres Lecture : à 25 ans, 80 % des jeunes hommes issus de milieu favorisé et d’une commune rurale ont quitté une première fois le domicile parental pour suivre des études, 6 % sont partis pour l’emploi, 3 % pour la recherche d’indépendance, 3 % pour la formation d’un couple. Source et champ : DREES‑Insee, enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014 ; 2 619 jeunes hommes et 2 331 jeunes femmes âgés de 18‑24 ans en 2014 (14 156 jeunes hommes‑années et 12 242 jeunes‑femmes années). chacune de ces dimensions est rendue complexe par la multitude des facteurs susceptibles de peser sur les décisions de mobilité et leurs inte‑ ractions potentielles. Afin d’estimer le poids des variables indivi‑ duelles et des variables contextuelles sur les disparités territoriales de décohabitation précoce, on modélise le premier départ du foyer parental en appliquant un modèle de durée à risque concurrent à temps discret. Ce type de modèle permet de contrôler l’effet des censures à droite liées à l’utilisation de données d’enquête rétros‑ pective : à la date de l’enquête, une partie des ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND STATISTICS N° 522-523, 2021 71 Les disparités spatiales d’accès à l’autonomie résidentielle précoce en France jeunes de 18 à 24 ans ne sont pas encore partis de chez leurs parents. Il permet également de prendre en compte l’évolution de la situation des individus au cours du temps, via le changement de modalité de certaines variables. La variable dépendante du modèle distingue deux types de départ en fonction de la distance de mobilité : moins de 50 km du domicile parental ou 50 km et plus. La catégorie de réfé‑ rence est celle des jeunes qui ne sont jamais partis de chez leurs parents. Par rapport à une approche qui considérerait les trois modalités comme ordonnées, la modélisation permet de s’affranchir de l’hypothèse d’égalité des pentes ou de « proportionnalité des odds » (qui n’est pas respectée). La modélisation du temps de façon discrète se justifie par l’enregistrement de l’événement d’intérêt (le premier départ) sur une unité de temps relativement longue (année d’âge). Un grand nombre de jeunes quittent ainsi le domicile parental au cours d’un même intervalle d’âge, ce qui est susceptible d’engendrer des biais dans le cadre d’une estimation en temps continu (Cox, 1972 ; Yamaguchi, 1991). Nous supposons que le processus de décohabitation commence à l’âge de 15 ans et prend fin lorsqu’un jeune quitte le foyer parental pour la première fois. Un individu est censuré lorsqu’il vit encore chez ses parents en 2014, la dernière année observée. Les paramètres estimés par les modèles ont été corrigés du regroupement des observations personnes‑années pour un même jeune. On étudie les facteurs qui pourraient expliquer le lien entre la tranche de taille de l’unité urbaine à laquelle appartient la commune de résidence des parents et la probabilité de décohabiter précoce‑ ment. Trois versions du modèle sont estimées, chacune incluant des variables explicatives supplémentaires par rapport à la précédente, les jeunes originaires de chaque type de territoire présentant notamment des caractéristiques indi‑ viduelles et familiales différentes10. À partir d’un modèle vide incluant uniquement la catégorie de taille de l’unité urbaine de résidence des parents et la période de temps (modèle 1), on introduit progressivement des variables de niveau individuel et relatives à l’origine socio‑ économique et familiale du jeune (modèle 2) puis trois variables contextuelles, caractérisant la commune de domicile parental, qui pourraient affecter directement ou indirectement le premier départ (modèle 3). On examine ainsi l’effet de l’ajout successif des groupes de variables explicatives dans le modèle de durée à risque concurrent sur les valeurs des odds ratios estimés par le modèle vide. Les variables intégrées dans chaque modèle (1, 2 et 3) sont détaillées dans l’encadré. Les résultats obtenus par chacun des modèles sont présentés sur la figure V. Le modèle 1 confirme le lien statistiquement significatif entre la taille de l’unité urbaine à laquelle appartient la résidence parentale et la probabilité de la quitter précocement : la proba‑ bilité de décohabiter avant 25 ans est d’autant plus forte que la taille de l’unité urbaine d’ori‑ gine est petite. Ce lien est similaire pour les mobilités de courte distance (moins de 50 km) et pour celles de plus longue distance (50 km et plus). Les jeunes provenant de l’unité urbaine de Paris ont des probabilités de s’installer dans un logement autonome situé à moins de 50 km et à 50 km et plus du domicile parental inférieures de plus de 70 % à celles des jeunes issus des communes rurales. L’introduction dans le modèle des caractéristiques individuelles et 10. Les statistiques descriptives pour l’ensemble de la population, selon la localisation et en fonction des valeurs de la variable dépendante sont fournies dans les Annexes en ligne, tableaux C1‑1 et C2‑1. Le lien vers les Annexes en ligne est à la fin de l’article. Encadré – Spécifications des modèles de durée à temps discret avec des risques concurrents La première version du modèle (modèle 1) inclut uniquement la variable d’intérêt principal (catégorie de taille de l’unité urbaine de la commune de résidence des parents) et la période de temps parmi les variables explicatives. Dans le modèle 2, les variables additionnelles sont d’une part relatives à l’origine socio‑économique et familiale du jeune : la localisation de la commune de résidence parentale dans le département de naissance du jeune, l’origine sociale (mesurée par la PCS combinée des parents du jeune), le revenu des parents (quartile de la somme des reve‑ nus individuels des parents), le diplôme le plus élevé possédé par les parents (Voir également :

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L’économiefranciliennerebonditautroisièmetrimestre maismoinsvitequ’auniveaunational A près un premier semestre 2020 marqué par un confinement strict et un effondrement inédit de l’activité, l’économie francilienne se redresse nettement au troisième trimestre : les 84 000 emplois salariés créés compensent les pertes d’emplois du deuxième trimestre. Les créations d’entreprises sont particulièrement dynamiques dans les secteurs du commerce et des transports, en raison des opportunités offertes par les mesures de contention de la crise sanitaire (vente en ligne, livraison à domicile…). Après une hausse inédite au deuxième trimestre (+ 21,8 %), le nombre de demandeurs d’emploi recule fortement au troisième trimestre (- 7,3 %). Cependant, la reprise francilienne est moins marquée que dans le reste du pays, notamment dans les activités liées au tourisme toujours pénalisées par le faible retour de la clientèle étrangère. Ainsi, le niveau des nuitées hôtelières reste inférieur de plus de deux tiers à celui du troisième trimestre 2019, alors que cette baisse est d’un tiers sur l’ensemble de la France métropolitaine. La construction de logements neufs est également plus impactée en Île-de-France : - 44 % par rapport à la même période de 2019, contre - 24 % au niveau national. Joseph Chevrot, Samuel Deheeger, Sylvie Druelle, Justine Herbet-Simon (Insee), Benoît Trinquier (Direccte Île-de-France) L’emploi repart à la hausse, sans retrouver son niveau d’avant confinement Après deux trimestres de baisse, l’emploi francilien repart à la hausse au troisième trimestre : + 84 000 salariés (+ 1,4 %) (figure 1). Cette reprise est cependant de moindre ampleur qu’en France entière (+ 1,6 %). Les pertes d’emplois du trimestre précédent (- 74 000) sont compensées au niveau régional. Cependant, le rattrapage est moindre qu’au niveau national, où les créations d’emplois du troisième trimestre sont près de deux fois plus nombreuses que les pertes enregistrées au trimestre précédent. L’emploi francilien repart particulièrement dans le tertiaire, non marchand (+ 29 000 emplois) et marchand (+ 50 000), en partie du fait du rebond de l’intérim (+ 24 %) (figure 2). L’intérim reste toutefois nettement au-dessous du niveau des derniers trimestres, à un niveau proche de celui de fin 2016. Portée par la reprise des grands chantiers (Notre-Dame, Grand Paris Express…), la construction confirme son dynamisme : 5 700 emplois sont créés ce trimestre (+ 1,9 % contre + 1,3 % en France). C’est le seul secteur pour lequel l’emploi est supérieur à son niveau d’avant-crise. Janvier 2021 N° 32 Emploi salarié total France hors Mayotte 106 105 104 103 102 101 100 98 T3 2012 T3 2013 T3 2014 T3 2015 T3 2016 T3 2018 Île-de-France Emploi salarié privé T3 2017 107 99 109 T3 2019 108 2011 T3 T3 2020 1 Évolution de l'emploi salarié Indice base 100 au 4e trimestre 2010 Données CVS, en fin de trimestre. Les données du dernier trimestre affiché sont provisoires. Champ : emploi salarié total. Sources : Insee, estimations d’emploi ; estimations trimestrielles Acoss-Urssaf, Dares, Insee. Au sein du tertiaire marchand hors intérim, les autres activités de service (+ 2,7 %) et l’hébergement et restauration (+ 1,7 %) enregistrent aussi une hausse de leurs effectifs. Dans ce dernier secteur, les mesures d’activité partielle ont limité les pertes d’emplois, mais la reprise est cependant bien moins forte qu’en France (+ 5,2 %), la clientèle étrangère et celle liée aux affaires n’étant toujours pas revenues dans la région. Dans l’industrie, les destructions d’emplois se poursuivent (- 0,2 %), à un rythme cependant bien plus modéré qu’au trimestre précédent (- 1,1 %). Seul le secteur agroalimentaire se démarque, créant 6 500 emplois (+ 2,2 %). La hausse trimestrielle des emplois est la plus forte dans l’Essonne (+ 2,4 %), où l’intérim connaît la plus forte progression de la région (+ 32 %), ainsi que les autres activités de service (+ 5,8 %) et le tertiaire non marchand (+ 3,7 %). La reprise est également plus forte que la moyenne régionale dans le Val-d’Oise et en Seine-Saint-Denis. La Seine-et-Marne (+ 1,0 %) et les Hauts-de-Seine (+ 1,1 %) connaissent ce trimestre la plus faible progression de l’emploi salarié. En Seineet-Marne, cela provient en partie d’une progression de l’intérim moitié moindre qu’au niveau régional. En outre, les autres activités de services sont pénalisées par la chute du tourisme international, fortement lié dans ce département à la présence du parc d’attractions de Disneyland. Un effet de rattrapage sur le chiffre du chômage Le taux de chômage régional augmente de deux points au troisième trimestre 2020, s’établissant à 8,3 % (figure 3). Sur un an, la hausse s’élève à 0,9 point en Île-de-France. En France, la progression est moins forte (+ 0,6 point en un an) mais le taux reste plus élevé qu’en Île-de-France : 9,0 % ce trimestre (Avertissement). C’est le plus faible écart jamais enregistré entre la France hors Mayotte et l’Île-de-France depuis que les DOM ont été intégrés au calcul du taux de chômage national en 2014. Le chômage augmente plus rapidement en Seine-Saint-Denis sur un trimestre (+ 2,8 points) comme sur un an (+1,1 point), pour s’établir à 12,0 %. Dans le Val-de-Marne et le Val-d’Oise, le taux de chômage est également plus élevé que la moyenne régionale. C’est dans les Yvelines (7,2 %), ainsi que dans les Hauts-de-Seine et à Paris qu’il est le plus faible. Avec l’Essonne, ces trois départements sont ceux pour lesquels le taux de chômage augmente le moins (progression de 0,7 à 0,8 point), tout en restant au-dessus de l’évolution moyenne française. La reprise de l’activité économique a bénéficié aux demandeurs d’emploi sans aucune activité Au troisième trimestre 2020, le nombre de demandeurs d’emploi franciliens n’ayant auparavant exercé aucune activité (catégorie A) diminue nettement par rapport au deuxième trimestre et s’établit en moyenne à 755 160 (- 7,3 % contre - 11,5 % en France métropolitaine), marquant une reprise de l’activité économique. Le recul est plus net pour les hommes que pour les femmes et concerne l’ensemble des classes d’âge. Les métiers recherchés qui connaissent les plus fortes diminutions sont ceux qui ont été les plus touchés par le premier confinement : les professionnels des arts et spectacles et, dans une moindre mesure, les métiers du bâtiment-travaux publics. En revanche, le nombre de demandeurs d’emploi en activité réduite (catégories B et C) augmente de 23,7 % au troisième trimestre par rapport au trimestre précédent. Au total, pour l’ensemble des catégories (A, B et C), la demande d’emploi progresse en Île-de-France alors qu’elle diminue au niveau national par rapport au trimestre précédent (+ 1,2 % contre - 0,5 %). Au deuxième trimestre, la hausse était similaire dans la région et en France (+ 6,7 %). Avec 1 057 280 demandeurs d’emploi, ce nombre atteint son plus haut niveau en Île-de-France depuis 1996. Sur un an, la progression est de 7,0 % (contre + 4,7 % en France métropolitaine). Forte hausse des créations d’entreprises au troisième trimestre 2020 Au cours du troisième trimestre 2020, la reprise des créations d’entreprises, déjà constatée en mai et juin 2020, se poursuit. 67 255 entreprises ont ainsi été créées dans la région, un niveau jamais atteint auparavant (figure 4). Le mois de septembre a été propice aux créations (+ 55,8 % par rapport à août) après un léger ralentissement entre juin et Insee Conjoncture Île-de-France n° 32 - Janvier 2021 105 100 95 Construction Tertiaire marchand hors intérim Industrie Tertiaire non marchand T3 2012 T3 2013 T3 2014 T3 2015 T3 2016 T3 2018 T3 2011 110 T3 2017 85 120 T3 2019 90 T3 2020 115 2 Évolution de l'emploi salarié par secteur en Île-de-France Indice base 100 au 4e trimestre 2010 Données CVS, en fin de trimestre. Les données du dernier trimestre affiché sont provisoires. Champ : emploi salarié total. Sources : Insee, estimations d’emploi ; estimations trimestrielles Acoss-Urssaf, Dares, Insee. Île-de-France France hors Mayotte 9,5 9,0 8,5 8,0 7,5 5,5 10,0 10,5 T3 2014 T3 2015 T3 2016 T3 2017 T3 2018 T3 T3 2019 2020 T3 2013 T3 T3 2011 2012 7,0 6,5 6,0 3 Taux de chômage En % Données trimestrielles CVS. Les données du dernier trimestre affiché sont provisoires. Source : Insee, taux de chômage au sens du BIT et taux de chômage localisé. Avertissement sur le marché du travail Au troisième trimestre 2020, le taux de chômage au sens du BIT rebondit fortement après une baisse « en trompe-l’œil » sur les deux premiers trimestres de l’année. En effet, pour être considéré comme chômeur, il faut être sans emploi, disponible pour travailler et avoir fait des démarches actives de recherche d’emploi. Au cours des deux premiers trimestres de l’année 2020, la période de confinement a fortement affecté les comportements de recherche active d’emploi (en particulier pour les personnes sans emploi dont le secteur d’activité était à l’arrêt), ainsi que la disponibilité des personnes (contrainte de garde d’enfant par exemple). Au total, la nette baisse du chômage au sens du BIT début 2020 ne traduisait pas une amélioration du marché du travail mais un effet de confinement des personnes sans emploi. L'introduction de la déclaration sociale nominative (DSN) en remplacement du bordereau récapitulatif de cotisations (BRC) peut entraîner des révisions accrues sur les données, durant la phase de montée en charge de la DSN. juillet (+ 0,9 %) et une baisse de 25,1 % entre juillet et août. Par rapport au troisième trimestre 2019, la hausse observée est de plus d’un quart (+ 25,6 %), soit 4 points de plus qu’au niveau national. Environ 60 % des créations en Île-de-France concernent les activités de services, les transports et le commerce. En un an, les créations augmentent le plus dans le secteur des transports (+ 86,3 %). Au sein de ce secteur, la croissance la plus importante (+ 135,3 %) s’observe dans les autres activités de poste et de courrier, notamment les services de livraison à domicile. Dans le commerce, le nombre de nouvelles entreprises augmente de 51,6 %, en particulier celles concernant la vente à distance sur catalogue dont le nombre a doublé. Le secteur des activités de services connaît par contre la hausse de créations la plus modérée (+ 2,8 %). Une baisse des défaillances d’entreprises qui se poursuit au troisième trimestre Entre octobre 2019 et septembre 2020, le nombre de défaillances d’entreprises diminue de 28,9 % en Île-de-France, un rythme quasi équivalent au niveau national (- 31,1 %). Cette baisse amorcée au deuxième trimestre 2020 ne traduit pas une réduction du nombre d’entreprises en difficulté ; elle s’explique notamment par le soutien que l’État a accordé aux entreprises (dispositif d’activité partielle, exonérations de cotisations sociales, fonds de solidarité, prêts garantis par l’État) et par le maintien des évolutions réglementaires, mises en place depuis le début de la crise sanitaire, qui modifient temporairement les dates de caractérisation et de déclaration de l’état de cessation de paiement. Dans la région, la baisse des défaillances d’entreprises concerne tous les secteurs d’activité mais de manière plus prononcée les activités d’enseignement, santé, action sociale et services aux ménages (- 37,4 %) et la construction (- 36,9 %). En Île-de-France, la construction de logements neufs continue de souffrir fortement de la crise sanitaire Au troisième trimestre 2020, le contexte sanitaire continue d’impacter la construction et la commercialisation des logements et locaux d’entreprises avec des difficultés plus fortes dans la région qu’au niveau national. Entre octobre 2019 et septembre 2020, 62 200 logements ont été autorisés à la construction en Île-de-France, soit une baisse de 23,8 % en un an. La diminution est moins prononcée en France hors Mayotte, avec 393 200 logements autorisés, soit - 10,1 % sur un an. Durant la même période, le nombre des mises en chantier de logements en Île-de-France s’élève à 73 500, une baisse de 11 % par rapport aux douze mois précédents (figure 5). Les ventes de logements neufs s’effondrent aussi au troisième trimestre 2020 en Île-de-France : - 44,5 % contre - 24,4 % au niveau national par rapport au troisième trimestre 2019. L’immobilier de bureaux est pénalisé par la massification du télétravail. La baisse de la construction de locaux d’activité se poursuit dans la région, avec un peu plus de 4,1 millions de m² de surfaces plancher autorisées entre octobre 2019 et septembre 2020. Cela représente une baisse de 23,9 % par rapport à la même période de l’année précédente (- 14,4 % au niveau national). En glissement annuel, la surface totale des locaux dont la construction a débuté dans la région passe sous la barre des 3 millions de m², un niveau jamais atteint depuis fin 2015. Au niveau national, la diminution est moins forte (- 11,4 %). En légère reprise, la fréquentation touristique dans les hôtels franciliens reste en retrait par rapport au reste du pays Au cours du troisième trimestre 2020, les hôtels franciliens ont enregistré 6 millions de nuitées, soit près de 70 % de moins qu’au cours de la même période en 2019 (figure 6). Bien que plus modérée qu’au trimestre précédent, la chute d’activité demeure plus forte que celle observée en France métropolitaine (- 33,6 %). Toutes les catégories d’hôtels sont concernées, des non classés jusqu’aux palaces. Ainsi, dans Insee Conjoncture Île-de-France n° 32 - Janvier 2021 4 Créations d’entreprises en Île-de-France Créations d’entreprises Évolution des créations d'entreprises Secteur d'activité T3 2019 T3 2020 T3 2020 / T3 2019 (en %) T3 2020 / T2 2020 (en %) Juillet / Juin 2020 (en %) Août / Juillet 2020 (en %) Sept. / Août 2020 (en %) Industrie 1 463 1 580 8,0 34,8 -8,4 -13,8 35,9 Construction 3 592 4 379 21,9 51,1 7,6 -31,6 45,7 Commerce, transports, hébergement, restauration 15 189 25 483 67,8 38,2 -3,5 -25,6 45,5 dont Commerce 5 872 8 902 51,6 26,7 2,0 -27,3 40,5 Transports 7 577 14 114 86,3 39,9 -11,9 -22,8 49,2 Hébergement-restauration 1 740 2 467 41,8 86,8 38,0 -34,2 42,0 Information et communication 4 129 4 435 7,4 21,7 -0,8 -20,4 38,4 Activités financières 1 538 1 644 6,9 31,9 18,5 -43,4 42,6 Activités immobilières 1 621 2 028 25,1 47,5 17,9 -39,8 78,7 Activités de services* 16 298 16 752 2,8 24,4 -2,2 -28,4 64,0 Enseignement, santé, action sociale 5 698 6 023 5,7 119,8 14,4 0,4 96,1 Autres activités de services 4 007 4 931 23,1 67,0 13,8 -21,3 63,7 Total Île-de-France 53 535 67 255 25,6 40,3 0,9 -25,1 55,8 Total France 188 491 229 018 21,5 44,0 2,8 -22,1 44,3 * Activités spécialisées, scientifiques et techniques et activités de services administratifs et de soutien (niveau A10, NAF rév 2). Champ : activités marchandes hors agriculture, y compris micro-entrepreneurs. Données brutes. Source : Insee, Répertoire des entreprises et des établissements. 70 80 100 120 130 140 Île-de-France France hors Mayotte Nov. 150 180 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 90 110 160 170 2019 2020 Nov. Nov. Nov. Nov. Nov. Nov. Nov. Nov. Nov. 5 Évolution du nombre de logements commencés Indice base 100 en décembre 2010 Données mensuelles brutes, en date réelle. Chaque point représente l'évolution du cumul des 12 derniers mois. La ligne verticale rouge représente la fin du trimestre d'intérêt. Source : SDeS, Sit@del2. les hôtels classés 3, 4 ou 5 étoiles, la diminution atteint 73 % contre 58 % dans les hôtels plus économiques (1 ou 2 étoiles ou non classés). L’hôtellerie francilienne, et plus généralement les activités liées au tourisme, sont pénalisées par la moindre présence des visiteurs étrangers. Alors que d’ordinaire plus de la moitié des nuitées dans les hôtels sont effectuées par des clients ne résidant pas en France, en juillet et août 2020, la part des nuitées hôtelières des non-résidents se situe autour de 29 %. Par conséquent, à Paris, le repli de la fréquentation hôtelière est le plus fort de la région : - 73,2 % par rapport au troisième trimestre 2019. C’est le cas aussi en Seine-et-Marne (- 70,5 %), de par la présence du parc d’attractions de Disneyland, fortement affecté par les restrictions liées à la pandémie. En revanche, dans les hôtels des Yvelines et de l’Essonne, où la clientèle non résidente est habituellement moins présente que dans les autres départements franciliens, le nombre de nuitées hôtelières a beaucoup moins régressé (respectivement - 42,5 % et - 43,5 %). En juillet 2020, avec le début des congés estivaux, la fréquentation hôtelière amorce une reprise vigoureuse (+ 120,1 % entre juin et juillet sur le volume des nuitées hôtelières) mais qui s’étiole vite (+ 2,1 % entre juillet et août). Ainsi, le taux d’occupation des hôtels franciliens reste au plus bas en juillet (39,3 %) et en août (34,1 %) (figure 7). En septembre, le nombre des nuitées hôtelières baisse à nouveau (- 7,3 % par rapport à août). Cela peut s’expliquer par l’annulation d’événements professionnels ou le maintien de jauges de fréquentation. Près d’un hôtel francilien sur dix est toujours fermé et, parmi ceux restés ouverts, le taux d’occupation atteint 32,7 %, contre environ 45 % en France. n Insee Île-de-France 1 rue Stephenson 78188 Saint-Quentin-en-Yvelines cedex Directrice de la publication : Marie-Christine Parent Rédactrices en chef : Marie-Odile Liagre et Brigitte Rigot ISSN 2416-8637 © Insee 2021 Île-de-France France métropolitaine 2015 T3 2016 2017 2018 2020 2019 -100 -90 -80 -70 -60 -50 -40 -30 -20 -10 0 10 20 T1 T3 T4 T2 T4 T1 T3 T4 T2 T1 T3 T4 T2 T1 T3 T4 T2 T1 T2 T2 T1 T3 6 Évolution de la fréquentation dans les hôtels Évolution du nombre de nuitées du trimestre de l’année n par rapport au trimestre de l’année n-1 (en %) Données trimestrielles brutes. Les données du dernier trimestre affiché sont provisoires. Source : Insee, en partenariat avec les comités régionaux du tourisme (CRT) et la DGE. Janvier Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Sept. Oct. Nov. Déc. Max. 2011-2015* 2016 2019 10 60 70 80 90 2017 2018 2020 20 50 40 30 7 Évolution du taux d'occupation des hôtels en Île-de-France En % * Fréquentation maximale observée sur la période 2011-2015. Les données du dernier mois affiché sont provisoires. Source : Insee, en partenariat avec les comités régionaux du tourisme (CRT) et la DGE. Contexte national - Un deuxième confinement moins pesant que le premier sur l’activité Après le point bas atteint au deuxième trimestre, l’activité a rebondi de manière très vive au troisième trimestre (+ 18,7 % par rapport au trimestre précédent) et la consommation a quasiment retrouvé son niveau d’avant-crise. Par la suite, le renforcement des mesures de restrictions en octobre puis le confinement instauré en novembre auraient entraîné un nouveau recul de l’activité, de l’ordre de 4 % au quatrième trimestre par rapport au troisième. L’impact aurait cependant été moins fort qu’au printemps. Les secteurs les plus pénalisés auraient été ceux directement soumis aux mesures de restrictions (services de transport, hébergement et restauration, activités de loisirs…) tandis que les autres secteurs, tirant parti de l’expérience acquise lors du premier confinement, auraient davantage maintenu leur activité (industrie et construction notamment). Après une contraction du PIB d’environ 9 % en 2020, le début de l’année 2021 reste marqué par de forts aléas, liés à l’évolution à court terme de la situation sanitaire. Contexte international - La fin d’année 2020 reste sous le signe de la crise sanitaire Après le rebond du troisième trimestre 2020, la résurgence de l’épidémie a conduit à durcir les mesures de restrictions, pesant sur l'activité économique du quatrième trimestre en Europe et notamment sur la consommation des ménages. Les services sont a priori davantage affectés par ces mesures que l’industrie. La situation diffère cependant selon les pays, dépendant en Europe de la mise en place de confinements d’intensité variable, tandis qu’aux États-Unis la consommation des ménages aurait été moins affectée. De son côté, la Chine, épargnée par cette deuxième vague épidémique, poursuit sa reprise entamée au printemps 2020. Pour en savoir plus • Points de Conjoncture 2020, Insee, depuis fin mars 2020. • Herbet-Simon J., Le Fillâtre C., « 14 millions de touristes en moins au premier semestre 2020 en Île-de-France », Insee Analyses Île-de-France n° 126, décembre 2020. • Deheeger S., Druelle S., Martin J.-Ph., Trinquier B., « L’économie francilienne toujours fortement impactée par la crise sanitaire au deuxième trimestre », Insee Conjoncture Île-de-France n° 31, octobre 2020. • Koubi D., Le Fillâtre C., Martin J.-Ph., « Crise sanitaire : plus durement touchée pendant le confinement, l'économie francilienne se redresse ensuite moins vite qu'à l'échelle nationale », Insee Analyses Île-de-France n° 121, octobre 2020.