Point de conjoncture du 7 septembre 2022
Ces informations sont reprises de :
https://www.insee.fr/fr/statistiques/6526900
La toile de fond de l’activité économique mondiale reste marquée par la conjonction de plusieurs chocs exogènes (sanitaire, géopolitique, climatique) qui entraînent des tensions persistantes sur les conditions de production et contribuent à alimenter l’inflation.
En France, les politiques publiques de limitation des prix de l’énergie aideraient à maintenir le glissement annuel des prix à la consommation à un niveau proche de 6 % en septembre-octobre. Celui-ci pourrait néanmoins atteindre environ 6,5 % en décembre, du fait notamment de l’augmentation continue des prix de l’alimentation.
Les enquêtes de conjoncture auprès des entreprises suggèrent une relative résistance de l’activité française cet été, en particulier dans les services. La croissance serait ainsi légèrement positive (+0,2 % prévu) au 3e trimestre. La fin d’année est plus incertaine et l’activité pourrait marquer le pas (0,0 % prévu), sur fond de resserrement monétaire et d’inquiétude sur les approvisionnements en énergie. La croissance annuelle s’élèverait ainsi à 2,6 % pour 2022, mais l’« acquis » de croissance pour 2023 serait modeste.
L’environnement économique international reste marqué par l’accumulation de chocs exogènes, susceptibles de peser sur l’activité et de nourrir l’inflation. L’épidémie de Covid-19 persiste, et, avec elle, les confinements dans certaines régions chinoises. La guerre en Ukraine a entraîné une crise géopolitique majeure entre la Russie et l’Europe et fait maintenant craindre une crise énergétique. Enfin, la sécheresse de cet été a notamment affecté certaines productions agricoles et limité la navigabilité du Rhin, première artère fluviale commerciale d’Europe.
Au total, les difficultés liées à l’offre apparaissent durablement importantes dans la plupart des grands secteurs d’activité (figure 1 et figure 2). Depuis la mi-2021, elles surpassent très nettement les difficultés de demande. En juillet 2022, plus d’une entreprise industrielle sur deux, et plus d’une sur trois dans les services, se déclarent ainsi confrontées à des difficultés d’offre seulement (sans difficulté de demande), selon les enquêtes de conjoncture. Ces niveaux sont inédits depuis le début des séries (excepté, pour les services, la situation très particulière du premier confinement).
Ces contraintes d’offre peuvent prendre plusieurs formes : problèmes d’approvisionnement, manque d’équipement, mais aussi parfois manque de personnel. Les difficultés de recrutement se situent en effet elles aussi à des niveaux inédits, dans un contexte de dynamisme récent de l’emploi salarié. Ces tensions sur le marché du travail ne concernent pas que la France, elles sont même exacerbées par exemple au Royaume-Uni dans le contexte du Brexit.
L’accumulation inédite de contraintes d’offre, conjuguée à la vigueur de la demande observée juste après la phase la plus aiguë de la crise sanitaire, a conduit à une envolée des prix de production dans l’industrie et l’agriculture (figure 3) mais aussi dans la construction. En deux ans, entre juillet 2020 et juillet 2022, les prix de production ont ainsi augmenté d’un peu plus de 20 % dans l’industrie (hors énergie), et d’un peu plus de 35 % dans l’agriculture. Pour les services, moins directement exposés à la hausse des cours mondiaux, l’augmentation a été moindre (de l’ordre de +7 % entre le 2e trimestre 2020 et le 2e trimestre 2022), avec néanmoins de très vives augmentations par exemple pour le transport maritime et côtier de fret, dont les prix de production ont plus que doublé en deux ans.
Les prix de production de certains produits agricoles (céréales, oléagineux) se sont toutefois nettement détendus ces derniers mois, dans un contexte de déblocage des exportations ukrainiennes. Ils restent dynamiques dans l’industrie, et commencent à accélérer dans les services, au-delà du transport maritime. Dans la plupart des services, ces prix dépendent surtout des coûts salariaux, dont l’évolution est liée notamment aux négociations au niveau des branches et des entreprises et aux agmentations du Smic.
Du côté de l’énergie enfin, les cours du pétrole ont reflué, sous l’effet des craintes de récession, même s’ils restent soutenus par les inquiétudes sur l’approvisionnement énergétique du fait des tensions géopolitiques. Ces dernières ont d’ailleurs fait récemment s’envoler les cours spot du gaz et de l’électricité sur les marchés européens.
Les enquêtes de conjoncture auprès des entreprises pointent des anticipations qui restent élevées pour les évolutions des prix de vente au cours des trois prochains mois (figure 4). Dans l’industrie, le solde d’opinion correspondant s’est toutefois récemment tassé depuis son plus haut point atteint en mai dernier.
En août 2022, les prix à la consommation en France ont globalement progressé (+0,4 % par rapport à juillet) selon l’estimation provisoire. Le glissement annuel des prix a toutefois légèrement reculé (+5,8 %, après +6,1 % en juillet), pour la première fois depuis juillet 2021, à la faveur notamment du reflux des cours du pétrole. L’inflation en France reste ainsi élevée, mais parmi les plus faibles des pays de la zone euro.
L’évolution des prix au cours des prochains mois dépendra de plusieurs facteurs : les mouvements des cours internationaux de l’énergie et des matières premières, la valeur de l’euro sur le marché des changes, la vitesse et le degré de transmission des hausses passées des prix de production (y compris leur composante salariale) aux prix à la consommation, les politiques publiques de limitation des prix, en particulier ceux de l’énergie.
Dans cette prévision, le cours du Brent est supposé égal à 100 $ le baril (soit également 100 €, sous l’hypothèse de parité entre l’euro et le dollar jusqu’à la fin de l’année). Le renforcement de la « remise à la pompe », conjugué au maintien du bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l’électricité, contribuerait à faire diminuer l’inflation énergétique en septembre-octobre. Cette remise serait ensuite de moindre ampleur en novembre-décembre et le glissement annuel des prix de l’énergie pourrait ainsi augmenter en toute fin d’année 2022, tiré par ailleurs par un « effet de base », les cours du pétrole ayant baissé fin 2021 au moment de l’émergence du variant Omicron.
L’inflation dans les services n’accélérerait globalement pas d’ici la fin de l’année, en partie du fait de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public qui ferait baisser les prix du poste « Redevances et abonnements audiovisuels » dans l’indice des prix à la consommation.
Enfin, le glissement annuel des prix à la consommation continuerait d’augmenter pour les biens manufacturés (environ +5 % sur un an prévu en décembre 2022) et surtout pour l’alimentation (environ +12 % prévu). Au total, dans notre scénario, l’inflation se stabiliserait un peu en dessous de 6 % sur un an en septembre-octobre, puis s’élèverait à environ 6,5 % en décembre (figure 5 et figure 6). L’inflation sous-jacente, qui ne prend pas en compte les prix les plus volatils, dépasserait 5 % en fin d’année. Les boucliers tarifaires et remises à la pompe contribueraient directement à atténuer l’inflation d’ensemble d’environ 2,5 points de pourcentage en septembre. Mais cette estimation est a priori un minorant de l’impact global de ces mesures, impact qui comprend aussi l’effet indirect transitant par le système productif (cf. Insee Analyses, n° 75, septembre 2022).
Juil. 22 | Août 22 | Sept. 22 | Oct. 22 | Nov. 22 | Déc. 22 | Moyenne annuelle 2021 |
Moyenne annuelle 2022 |
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Inflation d'ensemble | 6,1 | 5,8** | 5,9* | 5,8* | 6,3* | 6,6* | 1,6 | 5,3* |
Le pouvoir d’achat du revenu disponible brut (RDB) des ménages s’est nettement contracté pendant la première moitié de l’année : -1,6 % au 1er trimestre puis -1,1 % au 2e, soit respectivement -1,8 % et -1,2 % par unité de consommation (UC), sous l’effet notamment de l’accélération des prix. Il rebondirait toutefois au second semestre (au moins +1,5 % au 3e trimestre puis au moins +0,5 % au dernier trimestre), à la faveur d’une nette accélération des revenus nominaux au 3e trimestre. Sur l’ensemble de l’année 2022, le pouvoir d’achat n’augmenterait pas par rapport à 2021 (environ 0 % prévu) et baisserait de l’ordre de 0,5 % par UC.
Au 3e trimestre, les revenus d’activité bénéficieraient du dynamisme des salaires, avec, entre autres, la nouvelle revalorisation du Smic intervenue le 1er août, la revalorisation du point d’indice pour les agents de la fonction publique et la prime de partage de la valeur (PPV) qui succède à la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat. Les revenus seraient par ailleurs soutenus par la revalorisation de 4 % au 1er juillet de nombreuses prestations sociales et par la prime exceptionnelle de rentrée. Au 4e trimestre, le RDB des ménages bénéficierait d’une baisse des prélèvements sociaux et fiscaux (suppression de la contribution à l’audiovisuel public et poursuite de la baisse de la taxe d’habitation pour les ménages concernés).
Dans ce contexte de variations sensibles du pouvoir d’achat au trimestre le trimestre, les évolutions de la consommation des ménages refléteraient tout à la fois des comportements de lissage des décisions d’achats mais aussi des effets de rattrapage dans les services les plus affectés par l’épidémie de Covid-19. Par ailleurs, la confiance des ménages reste affaiblie, même si elle s’est améliorée en août après 7 mois consécutifs de baisse.
La consommation s’est ainsi redressée modérément au 2e trimestre (+0,3 %), après son repli très marqué en début d’année (-1,2 %). Les services ont porté l’essentiel de ce rebond, notamment ceux d’hébergement-restauration, tandis que la consommation de biens a reculé à nouveau, en lien avec la hausse continue de l’inflation. La consommation continuerait à progresser au 3e trimestre au même rythme qu’au trimestre précédent puis ralentirait en fin d’année avec l’atténuation des effets de rattrapage. Le taux d’épargne remonterait nettement au second semestre compte tenu du rebond prévu du pouvoir d’achat.
De façon plus générale, les signaux sur la demande apparaissent contrastés. Les industriels interrogés dans les enquêtes de conjoncture s’inquiètent par exemple moins de la demande que de l’offre, mais le solde d’opinion relatif aux carnets de commande tend à s’étioler depuis deux mois. Enfin, l’assombrissement de l’environnement international pourrait se répercuter sur la demande mondiale adressée à la France.
La croissance serait légèrement positive au 3e trimestre, mais l’activité ralentirait (+0,2 % prévu, après +0,5 % au 2e trimestre, figure 7). Elle continuerait d’être principalement portée par des effets de rattrapage dans les services, déjà observés au printemps (figure 8). La production manufacturière serait quant à elle en recul sur le trimestre, dans un contexte de fortes contraintes sur l’offre et de stocks de produits finis se situant à un haut niveau (sauf dans l’agro-alimentaire) selon les enquêtes de conjoncture.
2021 | 2022 | 2021 | 2022 | Acquis 2023 | |||||||
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T1 | T2 | T3 | T4 | T1 | T2 | T3 | T4 | ||||
Produit intérieur brut (PIB) | 0,0 | 1,0 | 3,4 | 0,5 | -0,2 | 0,5 | 0,2* | 0,0* | 6,8 | 2,6* | 0,2* |
La prévision pour le 4e trimestre apparaît plus incertaine, sur fond de resserrement monétaire en particulier aux États-Unis, et d’inquiétude sur les approvisionnements énergétiques en Europe. Les modèles habituels à partir des climats des affaires (figure 9) laissent certes espérer une croissance trimestrielle de nouveau légèrement positive ; néanmoins le risque de crise énergétique s’est accru depuis le recueil courant août des réponses des entreprises aux enquêtes de conjoncture. Une contraction du PIB au dernier trimestre n’est en effet pas exclue en cas d’accroissement des difficultés d’approvisionnement énergétique en Europe.
Notre scénario central est donc celui d’une activité qui marquerait globalement le pas au dernier trimestre (0,0 % prévu). Ce scénario peut être interprété tout à la fois comme celui qui a le plus de chances de se réaliser, même sans choc majeur, compte tenu des frictions qui sont susceptibles de se manifester au vu des derniers développements, ou bien comme le barycentre entre la prévision relativement optimiste issue des enquêtes et un scénario sensiblement plus dégradé pouvant inclure des mesures contraignantes.
Au total en 2022, la croissance du PIB en moyenne annuelle s’élèverait à 2,6 %. L’ « acquis » de croissance pour 2023 (c’est-à-dire la croissance annuelle cette année-là si le PIB trimestriel restait chaque trimestre au niveau atteint fin 2022), serait relativement modeste, de l’ordre de +0,2 %.
Les aléas susceptibles d’affecter cette prévision sont bien sûr importants, qu’ils soient géopolitiques, énergétiques voire aussi sanitaires (avec le risque d’une huitième vague de Covid-19), climatiques
(avec les conséquences de la sécheresse) ou plus directement économiques (avec les conséquences du resserrement des politiques monétaires).