Les mesures de politique monétaire pendant la première phase de la crise de la Covid-19
Politique monétaire et inflation Bulletin de la Banque de France 234/1 - MARS-AVRIL 2021 Adrian PENALVER Direction des Études monétaires et financières Urszula SZCZERBOWICZ Direction de l’Économie et de la Coopération internationales Cet article développe un blog coécrit avec Florens Odendahl. Les mesures de politique monétaire pendant la première phase de la crise de la Covid-19 Codes JEL E52, E58 – 3,5 % la contraction de l’économie mondiale en 2020, prévision du FMI – 1 % le taux des prêts octroyés aux banques satisfaisant les critères de prêt dans le cadre des opérations de refinancement à long terme ciblées de la BCE 1 350 milliards d’euros le montant du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP) de la BCE (montant relevé à 1850 milliards d’euros le 10 décembre 2020) Flux stylisés relatifs aux interventions de politique monétaire APP et PEPP APP et PEPP TLTRO III (focus PME) Transferts Demande Salaires / Produits BCE Entreprises Ménages Autorité fiscale Banques / Marchés financiers LTRO Préserver le flux de crédit Crédit / liquidité Transferts / Garanties $ lignes de swap APP et PEPP Préserver le flux de crédit Note : Le graphique présente les flux stylisés des mesures de politique monétaire de la BCE. Les flèches orange indiquent les effets recherchés par les mesures. Les sigles sont explicités en glossaire. Source : Odendahl et al., 2020. Le virus de la Covid‑19 a commencé à se propager dans la zone euro avec une flambée de cas fin février et début mars 2020. Le 11 mars, l’Organisation mondiale de la santé a déclaré une « pandémie mondiale », et des restrictions de plus en plus sévères ont été mises en place afin de juguler cette crise sanitaire. Concrètement, l’activité économique a été suspendue dans de nombreux secteurs presque partout dans le monde. Jamais, depuis la Seconde Guerre mondiale, la production économique ne s’était contractée aussi brutalement. En réponse à cette première phase de crise, les principales banques centrales ont pris, entre mars et juin, des mesures de politique monétaire, se caractérisant par de nombreux points communs. Associées aux mesures d’urgence exceptionnelles prises par les gouver‑ nements, elles ont permis d’amortir la crise économique en contrant les mécanismes d’amplification. Cet article ne couvre pas la « deuxième vague » de contaminations, après l’été 2020. Politique monétaire et inflation 2 Bulletin de la Banque de France Les mesures de politique monétaire pendant la première phase de la crise de la Covid-19 234/1 - MARS-AVRIL 2021 L a Covid‑19 est un coronavirus extrêmement virulent et mortel qui s’est propagé rapidement dans la zone euro lors de la première vague de l’épidémie, de fin février à la mi‑mai 2020. Sans l’intervention des gouvernements pour maîtriser la pandémie, les systèmes de santé auraient été encore davantage submergés de malades nécessitant des traitements lourds. L’impératif médical qui a conduit à imposer un confinement partiel ou général de la population a considérablement réduit l’activité économique, accru le risque de faillites et entraîné une forte hausse du chômage. Dans ces circonstances, assurer un apport supplémentaire et temporaire de liquidité au profit des entreprises et des ménages s’est avéré essentiel. Parallèlement, l’aug‑ mentation de la volatilité sur les marchés financiers liée aux besoins en liquidité des investisseurs a nécessité d’autres mesures de politique monétaire ciblées. Le graphique 1 présente le calendrier des mesures prises par les quatre principales banques centrales du G7 : la Banque centrale européenne (BCE), la Banque du Japon (BdJ), la Réserve fédérale des États‑Unis (Fed) et la Banque d’Angleterre (BdA). À l’exception de la BdJ, qui a introduit un paquet de mesures unique, les principales banques centrales ont pris des mesures supplémentaires quand les estimations relatives aux perspectives écono‑ miques se sont détériorées. 1 La crise économique actuelle est différente de la crise financière de 2008… L’ampleur de la récession causée par la Covid‑19 sera nettement plus forte que celle qui a suivi la faillite de Lehman Brothers en 2008. Son coût final est très incertain mais, selon le FMI, l’économie mondiale s’est contractée de 3,5% en 2020 (FMI, 2021). L’une des principales différences par rapport à la crise financière de 2008 est que les banques et les autres établis‑ sements financiers étaient en meilleure santé au début de la pandémie et ne sont pas à l’origine du choc. En dépit des très fortes baisses sur les marchés boursiers au début de la crise et de l’augmentation des spreads de risque, le système financier a continué de fonctionner sans heurt. Aujourd’hui, ce sont principalement les entreprises et les ménages des pays dont les systèmes de protection sociale et les dispositifs de chômage partiel sont moins développés qui sont au cœur de la crise. Les mesures de confinement prises à l’échelle mondiale ont suspendu l’activité économique dans l’ensemble des secteurs des services qui impliquent une proximité physique, fortement contraint la production et les chaînes d’approvision‑ nement dans les autres secteurs et perturbé l’offre de main‑d’œuvre partout dans le monde. La perte de revenu et de pouvoir d’achat qui en résulte pour les ménages et les entreprises a aggravé la récession (Guerrieri et al., 2020; Gourinchas, 2020; OIT, 2020). Il est normal que les entreprises et les ménages sous tension commencent par conserver leurs liquidités. Les entreprises essaient de se faire payer par leurs créanciers mais retardent le paiement de leurs four‑ nisseurs. Or, cela nuit à la situation de liquidité du fournisseur, et ainsi de suite. De même, la faillite d’une entreprise est susceptible d’entraîner des faillites en chaîne. De nombreuses entreprises en bonne santé pour‑ raient disparaître avant l’assouplissement des mesures de confinement, entraînant une augmentation encore plus rapide du taux de chômage. Ces risques sont persistants, d’autant que les ménages continuent de limiter leurs dépenses en biens et services nécessitant une proximité physique. Face au risque élevé de transmission du virus, la distanciation physique n’est pas seulement imposée, elle est aussi volontaire. 2. … et requiert des réponses plus ciblées Ces circonstances uniques nécessitent que les autorités prennent des mesures globales adaptées à la crise (Gopinath, 2020). L’objectif n’est pas de stimuler aujourd’hui la demande, comme le ferait normalement la politique monétaire, dans la mesure où il est inutile d’accroître la demande immédiate lorsqu’il existe une contrainte sur l’offre et un impératif d’instaurer la distan‑ ciation physique. L’objectif consiste plutôt à préserver, autant que possible, des entreprises et des emplois viables jusqu’au retour de conditions stabilisées, puis normales. La politique monétaire n’empêchera pas un ralentissement économique, mais elle peut en atténuer les effets et contribuer à une reprise plus rapide. Les gouvernements ont mis en place des mesures d’urgence exceptionnelles pour éviter des licenciements Politique monétaire et inflation 3 Bulletin de la Banque de France Les mesures de politique monétaire pendant la première phase de la crise de la Covid-19 234/1 - MARS-AVRIL 2021 massifs, ont introduit ou réactivé des dispositifs de chômage partiel, accordé des allègements fiscaux et des garanties de crédit, soutenu les petites entre‑ prises et augmenté les dépenses publiques de santé. En mars 2020, le gouvernement fédéral des États‑Unis a introduit le Coronavirus Aid, Relief and Economy Security Act (« CARES Act ») afin de fournir une aide d’urgence et des soins de santé aux ménages et aux entreprises, soit un soutien équivalent à 11% environ du PIB. Instrument phare du CARES Act, le programme Paycheck Protection Program prévoit de fournir aux petites entreprises des prêts non remboursables sous conditions. En mars, le gouvernement britannique a introduit un paquet de mesures fiscales et de dépenses publiques (équivalant à plus de 5% du PIB) ainsi que des garanties de prêts visant à faciliter l’accès des entreprises au crédit. En avril 2020, le gouvernement japonais a adopté un plan d’urgence économique face à la Covid‑19 à hauteur de près de 20% du PIB, et a encore doublé l’enveloppe en mai 2020 1. Les gouver‑ nements de la zone euro ont également pris des mesures budgétaires unilatérales (pour un montant équivalent à 3,25% environ du PIB) et fourni des garanties d’État pour les prêts aux entreprises ainsi que d’autres soutiens de la liquidité pour un montant avoisinant 24 % du PIB (Commission européenne, 2020). 3. Les banques centrales du monde entier ont également pris des mesures pour soutenir l’économie Les banques centrales ont également été très actives dans le cadre de leurs mandats en mettant en œuvre diverses mesures à grande échelle en un mois, c’est‑à‑dire beaucoup plus rapidement que lors des crises précé‑ dentes. Bien que les modalités diffèrent selon la structure de l’économie, les mesures convergent globalement, comme le montre le code couleur du graphique 1. Ces mesures visaient à soutenir les flux de crédit à l’éco‑ nomie réelle par l’intermédiaire des marchés financiers et du système bancaire. Contrairement à ce qu’il s’est 1 Plus de 70% des chiffres cités concernent des garanties financières et des prêts au secteur privé. G1 Calendrier des principales mesures prises par les banques centrales en réponse à la crise de la Covid-19 3 mars 11 12 15 16 17 18 19 20 23 24 31 mars Avril Mai Juin PEPP € ligne de swap LTRO, TLTRO $ lignes de swap APP PEPP APP PEPP APP Assouplissement du collatéral PELTRO Extension du PEPP Extension du PEPP Extension du PEPP Termes plus favorables des TLTRO € lignes de swap supplémentaires $ 1.5 tn repo Lignes de swap supplémentaires QE illimité CPFF, PDCF PMCCF, SMCCF MMLF Baisse de taux (– 50 pb) [pb : point de base] TALF $ lignes de swap QE Baisse de taux (– 100 pb) MSNLF, MSELF PPPLF MLF Achats supplémentaires d’ETF, J-REITS, obligations d’entreprises (QQE) Opérations spéciales $ lignes de swap Maintien du contrôle de la courbe des taux Programmes d’emprunts à conditions favorables pour les banques Achats supplémentaires d’obligations d’entreprises Achats supplémentaires d’obligations d’État Programmes supplémentaires d’emprunts à conditions favorables pour les banques CCFF $ lignes de swap QE CTRF Baisse de taux (– 50 pb) TFSME Facilité W&M QE supplémentaire FIMA repo Assouplissement régulatoire pour favoriser le flux de crédit Baisse de taux (– 15 pb) BCE Réserve fédérale Banque du Japon Banque d’Angleterre Note : Le graphique présente un code couleur selon le principal canal de transmission : soutien direct à l’économie réelle par la baisse des taux sans risque, en rouge; apports de liquidité aux clients des banques, en vert; soutien aux marchés des capitaux, en bleu; limitation des écarts de rendement, en marron; maintien des flux de financement en dollars par des lignes de swaps entre les banques centrales, en bleu clair – cf. texte et glossaire. Les mesures peuvent avoir plus d’un canal de transmission. Source : Banque de France. Politique monétaire et inflation 4 Bulletin de la Banque de France Les mesures de politique monétaire pendant la première phase de la crise de la Covid-19 234/1 - MARS-AVRIL 2021 passé lors de la crise de 2008‑2009, durant laquelle le soutien direct aux banques et aux autres établissements financiers était plus important, les marchés financiers et le système bancaire ont cette fois‑ci continué de fonc‑ tionner relativement normalement. Le graphique 2, ciblé sur la BCE, montre que ces mesures agissent par le biais de plusieurs canaux distincts : soutien direct à l’économie réelle par la baisse des taux d’intérêt sans risque; aide des banques pour l’apport de liquidités à leurs clients, en particulier aux PME; soutien aux marchés de capitaux et offre de crédit; maintien de la possibilité de financement en dollars; et, dans la zone euro, maintien du mécanisme de transmission unique. Maintien des taux d’intérêt sans risque à un bas niveau Les banques centrales disposant d’une marge de manœuvre pour le faire ont abaissé leurs taux directeurs à court terme. La Fed et la BdA ont abaissé leurs taux directeurs à ce qu’elles considèrent comme leur plancher effectif, c’est‑à‑dire 0‑0,25% et 0,1%, respectivement. La BCE et la BdJ menaient déjà des politiques monétaires très accom‑ modantes avec des taux d’intérêt effectifs négatifs, de – 0,5% et – 0,1% respectivement (cf. graphique 3a infra). Même lorsque les taux directeurs à court terme sont déjà à zéro ou négatifs, les banques centrales peuvent encore stimuler la demande en abaissant les taux sans risque à moyen et long terme grâce aux « mesures non conventionnelles ». Depuis le début de la crise de la Covid‑19, les banques centrales ont réaffirmé leur intention de maintenir leurs taux directeurs à des niveaux exceptionnellement bas, réduisant ainsi les futurs taux directeurs attendus, et faisant baisser les taux d’intérêt de marché à long terme 2. L’annonce des intentions des banques centrales d’ac‑ croître leurs achats d’actifs à plus long terme a également fait baisser les taux d’intérêt sans risque le long de la courbe, ce qui devrait se traduire pour les entreprises et les ménages par des taux d’emprunt plus faibles, allégeant les tensions financières durant cette période et favorisant la reprise lorsque le confinement pourra G2 Flux stylisés relatifs aux interventions de politique monétaire APP et PEPP APP et PEPP TLTRO III (focus PME) Transferts Demande Salaires / Produits BCE Entreprises Ménages Autorité fiscale Banques / Marchés financiers LTRO Préserver le flux de crédit Crédit / liquidité Transferts / Garanties $ lignes de swap APP et PEPP Préserver le flux de crédit Note : Le graphique présente les flux stylisés des mesures de politique monétaire de la BCE (même code couleur que le graphique 1). Les flèches orange indiquent les effets recherchés par les mesures. Les sigles sont explicités en glossaire. Source : Odendahl et al., 2020. 2 Le 15 mars 2020, la Fed a abaissé la fourchette cible des taux des fonds fédéraux à 0‑0,25% et a annoncé qu’elle « [avait] l’intention de maintenir cette fourchette cible jusqu’à être certaine que l’économie a surmonté les récents événements et est en bonne voie de réaliser ses objectifs d’emploi maximal et de stabilité des prix ». En septembre 2019, la BCE a modifié sa forward guidance dépendant de la situation économique : « Le Conseil des gouverneurs prévoit que les taux d’intérêt directeurs de la BCE resteront à leurs niveaux actuels ou à des niveaux plus bas jusqu’à ce qu’il ait constaté que les perspectives d’inflation convergent durablement vers un niveau suffisamment proche de, mais inférieur à 2% sur son horizon de projection, et que cette convergence se reflète de manière cohérente dans la dynamique d’inflation sous‑jacente. » Politique monétaire et inflation 5 Bulletin de la Banque de France Les mesures de politique monétaire pendant la première phase de la crise de la Covid-19 234/1 - MARS-AVRIL 2021 être levé. Composante particulièrement importante du mécanisme de transmission de la politique monétaire, les taux d’intérêt à long terme influent considérablement sur les dépenses en biens durables et les investissements des entreprises. En outre, du point de vue financier, les taux à long terme sont des déterminants fondamentaux des taux hypothécaires, des prix des produits dérivés et de la valeur d’autres actifs financiers à long terme. Le graphique 3b montre l’évolution des OIS (overnight indexed swaps) à 10 ans 3. Ces taux à long terme ont considérablement baissé en février à mesure que le risque de récession augmentait, avant de remonter en flèche lorsque la crise s’est intensifiée en mars. Face à cette situation, les banques centrales ont relancé ou étendu leurs achats d’actifs à plus long terme. Le 18 mars 2020, la BCE a introduit un programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP 4), de 750 milliards d’euros, en plus de l’extension, déjà annoncée le 12 mars, de 120 milliards d’euros du programme d’achat d’actifs (APP) . La Fed a lancé un programme d’achats illimités et la BdA un programme de 200 milliards de livres sterling. La Banque de réserve d’Australie a innové en annonçant un programme d’achats d’obliga‑ tions d’État visant à plafonner les rendements à 3 ans à 0,25%. La BdJ a annoncé qu’elle achèterait tous les actifs nécessaires pour contrôler la courbe des taux, et en particulier pour maintenir le taux à 10 ans proche de zéro. Le 4 juin, la BCE a augmenté l’enveloppe des achats du PEPP de 600 milliards d’euros, prolongé la durée des achats jusqu’en juin 2021 et a annoncé que les titres achetés dans le cadre du PEPP seraient réinvestis au moins jusqu’à fin 2022 5. Ces mesures ont permis de stabiliser et d’inverser les pressions haussières sur les taux sans risque à plus long terme. L’aide accordée aux banques pour la fourniture de liquidités à leurs clients, en particulier aux PME Le deuxième canal de transmission a consisté à fournir une liquidité abondante aux banques et à les inciter davantage à répercuter cet apport sur leur clientèle. L’efficacité de ces mesures a été largement amplifiée par les garanties de l’État octroyées pour les emprunts G3 Taux sans risque (en%) a) Taux directeurs des banques centrales b) OIS 10 ans BCE Réserve fédérale Banque d’Angleterre Banque du Japon Janvier 2020 Févr. Mars Avril Mai Juin Juillet Août Sept. Oct. - 1,0 - 0,5 0,5 0 1,0 1,5 2,0 Zone euro États-Unis Royaume-Uni Japon Janvier 2020 Févr. Mars Avril Mai Juin Juillet Août Sept. Oct. - 1,0 - 0,5 0,5 0 1,0 1,5 2,0 Notes : Les pastilles rouges correspondent au calendrier des mesures prises par la BCE, la Réserve fédérale, la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon présentées au graphique 1. OIS, overnight indexed swap, ou contrat dérivé lié à un taux d’intérêt interbancaire de référence au jour le jour. Source : Datastream. 3 Les OIS désignent des contrats dérivés liés à un taux d’intérêt interbancaire de référence au jour le jour. Aucun principal n’est échangé et seule la différence nette entre les taux d’intérêt est payée à l’échéance. Le risque de défaut est donc très faible sur le marché des OIS. Il n’y a notamment aucune prime de risque souverain, aspect important dans la zone euro. En outre, les contrats d’OIS ne font intervenir aucun flux de trésorerie initial, ce qui minimise le risque de liquidité. Ils peuvent toutefois inclure une prime de terme (Lloyd, 2018). En conséquence, les contrats d’OIS à long terme peuvent servir à estimer les prévisions du marché concernant les taux moyens sans risque à court terme. 4 L’ensemble des sigles utilisés dans cet article sont repris dans un glossaire et, pour plus d’information, parfois accompagnés de liens vers des sites Internet. 5 Le PEPP a de nouveau été prolongé et son enveloppe augmentée en décembre 2020. Politique monétaire et inflation 6 Bulletin de la Banque de France Les mesures de politique monétaire pendant la première phase de la crise de la Covid-19 234/1 - MARS-AVRIL 2021 supplémentaires. Ce canal est particulièrement pertinent dans les économies fortement dépendantes du crédit bancaire, comme la zone euro. Pour cela, les banques centrales ont augmenté les montants disponibles dans les opérations de refinancement régulières. Elles ont également renforcé les incitations pour les banques à consentir des prêts aux entreprises en assouplissant les conditions auxquelles elles peuvent emprunter si elles augmentent leurs crédits (les TLTRO III pour la BCE, le TFSME pour la BdA et la main street loan facility [MSELF et MSNLF] ainsi que la paycheck protection program lending facility [PPPLF] pour la Fed). Les TLTRO III de la BCE annoncées le 12 mars fournissent un financement à long terme dans le cadre d’une série d’opérations sur la période comprise entre juin 2020 et juin 2021. Pour les banques qui remplissent un critère de prêt non résidentiel aux ménages et aux entreprises, le taux de ces opéra‑ tions, pour la période s’achevant en juin 2021, était initialement fixé à 25 points de base au‑dessous du taux d’intérêt moyen de la facilité de dépôt sur cette période 6. Le 30 avril, ce taux a été abaissé à 50 points de base au‑dessous du taux de la facilité de dépôt. Comme le taux de la facilité de dépôt était (et est toujours) de – 50 points de base, la banque qui remplit les conditions d’éligibilité reçoit en pratique 1% pour sa participation à l’opération. Le 30 avril, il a été décidé que les banques pourraient bénéficier de ce taux à condition qu’elles maintiennent leurs encours de prêts aux entreprises et aux ménages (hors prêts hypothécaires) au moins au niveau du 1er mars 2020 jusqu’au 31 mars 2021. En outre, le montant pouvant être emprunté a été tempo‑ rairement relevé de 30 à 50% de l’encours des prêts éligibles 7. Les banques centrales ont également assoupli les exigences en matière de garanties. Ces mesures ont permis d’augmenter les montants accessibles aux banques dans le cadre des facilités de prêt et ont soutenu les marchés d’actifs concernés. Le graphique 4a montre que, selon l’enquête de la BCE sur la distribution du crédit bancaire, les conditions d’octroi de prêts aux PME se sont durcies dans la zone euro au début de la crise de la Covid‑19. En effet, les banques de la zone euro ont été plus nombreuses à déclarer un durcissement sensible des critères d’octroi de crédit aux G4 Prêts bancaires aux SNF a) Conditions des prêts aux PME – Enquêtes sur les prêts dans la zone euro (% net) Le crédit aux petites entreprises devrait nettement se resserrer au trimestre suivant Le crédit aux petites entreprises s’est nettement resserré au trimestre précédent T4 2019 T1 2020 T2 T3 T4 0 1 3 2 4 5 6 b) Prêts bancaires aux SNF et aux ménages – Zone euro (base 100 en janvier 2020) Prêtsbancairesaux sociétés non financières Prêtsbancairesaux ménages Janvier 2020 Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Sept. 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 c) Taux d’intérêt des nouveaux prêts aux SNF (en %) Zone euro France Janvier 2020 Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août 0 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0 1,2 1,4 1,6 1,8 Notes : SNF, société non financière. Pour le graphique a), pourcentage de banques ayant répondu « durcissement important » à la question concernant l’évolution des critères d’octroi des prêts aux PME. Sources : Datastream, BCE (enquête sur la distribution du crédit bancaire). 6 Le taux de la facilité de dépôt désigne l’intérêt que les banques reçoivent pour leurs dépôts au jour le jour auprès de la banque centrale. 7 Ces mesures TLTRO ont également été étendues en décembre 2020. Politique monétaire et inflation 7 Bulletin de la Banque de France Les mesures de politique monétaire pendant la première phase de la crise de la Covid-19 234/1 - MARS-AVRIL 2021 PME aux premier et deuxième trimestres. Toutefois, elles ne prévoyaient pas alors de durcir autant les conditions de crédit aux PME aux troisième et quatrième trimestres. En outre, l’enquête indiquait que, contrairement à ce qui s’était passé lors des crises financières et de la dette souveraine précédentes, les critères d’octroi de crédit à l’ensemble des entreprises ne s’étaient pas significative‑ ment durcis, ce qui peut s’expliquer par les mesures de politique monétaire et par les garanties de prêts fournies par les gouvernements. Le graphique 4b montre en effet que les prêts aux sociétés non financières (SNF) ont augmenté de 6,5% entre février et août. Les taux des prêts appliqués par les établissements financiers français et d’autres pays de la zone euro aux SNF ont également diminué (cf. graphique 4c). La baisse des taux appliqués aux SNF en France est particulièrement significative et coïncide avec le lancement du mécanisme de prêts garantis par l’État (PGE). Dans le cadre de ce dispositif, l’État français garantit jusqu’à 90% des nouveaux prêts bancaires afin d’aider les entreprises à faire face au choc de liquidité provoqué par la crise de la Covid‑19, à concurrence d’un montant de 300 milliards d’euros. Aide aux entreprises qui font appel aux marchés de capitaux Les banques centrales soutiennent également les entre‑ prises qui ont recours aux marchés de capitaux pour leurs financements, en achetant les titres de dette des entreprises. Ces achats ont fait baisser les rendements des titres de dette émis par les entreprises, et ont augmenté la valeur des garanties des entreprises; indirectement, ils ont aidé les grandes entreprises à payer les petits fournisseurs. La BCE a relevé les montants des achats réalisés dans le cadre du programme d’achats de titres du secteur des entreprises (corporate sector purchase programme, CSPP) et procède à des achats supplémentaires d’obligations émises par les entreprises dans le cadre du PEPP. La Fed a introduit pour la première fois des facilités d’achat d’obligations émises par des entreprises par le biais des facilités de crédit aux entreprises du marché primaire et secondaire (primary and secondary market corporate credit facility – PMCCF et SMCCF respectivement). La BdA a introduit la covid corporate financing facility (CCFF). La BdJ, seule banque centrale à acheter des actions d’entreprise, a doublé ses achats de fonds d’actions cotés en bourse (equity exchange traded funds – ETF). Comme illustré par le graphique 5, les spreads des obligations d’entreprises ont considérablement augmenté en mars 2020 aux États‑Unis, au Royaume‑Uni et dans la zone euro. Ils ont ensuite baissé régulièrement depuis l’annonce en mars de mesures de soutien monétaires et budgétaires (encore élargies par la BCE en juin), sans toutefois revenir au niveau d’avant‑crise. Maintien du mécanisme de transmission Au plus fort de la crise de la première vague, la transmission des taux contrôlés par les banques centrales aux autres taux d’intérêt a été perturbée et les primes de risque ont très fortement augmenté sur de nombreux marchés. La Fed a directement ciblé les marchés perturbés avec ses programmes de liquidité d’urgence pour les fonds d’investissement monétaires, les États et les administrations locales (par la municipal liquidity facility – MLF) et les émetteurs de billets de trésorerie. La BdA a temporairement augmenté la taille du compte bancaire du Gouvernement auprès de la banque centrale (ways and means facility) afin de garantir le bon fonctionnement des marchés monétaires à court terme. Dans la zone euro, des disparités sont apparues entre pays membres dans les conditions de refinancement des États, des banques et des entreprises, menaçant la transmission G5 Spreads des obligations d’entreprises Obligations d’entreprises moins OIS 10 ans (en%) Zone euro États-Unis Royaume-Uni Japon Janvier 2020 Févr. Mars Avril Mai Juin Juillet Août Sept. Oct. 0 0,5 2,0 1,0 3,0 4,0 4,5 1,5 2,5 3,5 5,0 Note : les points bleus correspondent aux mesures prises par la BCE, la Réserve fédérale, la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon présentées au graphique 1. OIS, overnight index swap, ou contrat dérivé lié à un taux d’intérêt interbancaire de référence au jour le jour. Source : Datastream. Politique monétaire et inflation 8 Bulletin de la Banque de France Les mesures de politique monétaire pendant la première phase de la crise de la Covid-19 234/1 - MARS-AVRIL 2021 de la politique monétaire unique. Comme le montre le graphique 6, les spreads des obligations souveraines ont augmenté en mars 2020 lorsque les intervenants de marché ont commencé à intégrer la possibilité de très fortes augmentations des dépenses budgétaires et des ratios d’endettement des États. Le risque que l’accès de certains pays membres au refinancement sur les marchés soit réduit ou devienne extrêmement coûteux était élevé. Il y avait notamment un risque d’« autoréalisation » des anticipations. Afin de préserver la politique monétaire unique dans la zone euro et pour prévenir le risque de fragmentation, le PEPP a été conçu avec une flexibilité supplémentaire pour permettre « des fluctuations dans la répartition des flux d’achats dans le temps, entre les caté‑ gories d’actifs et entre les pays » (BCE, 2020). En atténuant les tensions sur le marché de la dette souveraine, la BCE a réussi à éviter l’apparition de ce « mauvais équilibre ». Maintien des flux de financement en dollars Les banques centrales ont également coopéré pour assouplir les tensions sur les marchés de financement en dollars américains en améliorant les modalités de leurs lignes de swap permanentes et en effectuant des opéra‑ tions de repos avec la Fed (FIMA). Avdjiev et al. (2020) montrent que l’intervention des banques centrales a permis de rétablir le fonctionnement des marchés de financement à court terme en dollars. 4. Conclusion La politique monétaire ne peut pas empêcher les économies d’entrer en récession et la crise économique déclenchée par les mesures nécessaires pour contenir l’épidémie de Covid‑19 ne fait pas exception. Toutefois, les mesures mises en place par les principales banques centrales dans le monde ont permis de court‑circuiter des mécanismes d’amplification qui auraient aggravé la crise. En abaissant le coût de l’emprunt et en augmen‑ tant la disponibilité des prêts, la politique monétaire a aidé un grand nombre d’entreprises et de ménages à surmonter cette période exceptionnellement difficile. Les banques centrales ont également soutenu le système financier en fournissant de la liquidité à long terme et en assouplissant les exigences de garanties. Ces mesures ont permis aux banques d’aider leurs clients. Les banques centrales ont également mis en place des lignes de swap de devises pour faciliter les flux de paiements internationaux. Collectivement, ces mesures ont permis d’amortir la crise économique et d’améliorer les perspectives d’une reprise durable. G6 Spreads des obligations souveraines à 10 ans – Zone euro (en%) Italie - Allemagne Espagne - Allemagne France - Allemagne Janvier 2020 Févr. Mars Avril Mai Juin Juillet Août Sept. Oct. 0 0,5 2,0 1,0 1,5 2,5 3,0 Note : Les points marron correspondent aux mesures de la BCE présentées au graphique 1 visant à limiter les écarts de rendement. Source : Datastream. Politique monétaire et inflation 9 Bulletin de la Banque de France Les mesures de politique monétaire pendant la première phase de la crise de la Covid-19 234/1 - MARS-AVRIL 2021 Bibliographie Avdjiev (S.), Eren (E.) et McGuire (P.) (2020) « Dollar funding costs during the Covid‑19 crisis through the lens of the FX swap market », BIS Bulletin, n° 1, avril. Banque de France (2019) « Les politiques monétaires non conventionnelles », L’Éco en bref, janvier. Télécharger le document Site web « Covid-19 et économie », Les mesures de politique monétaire de l’Eurosystème face au Covid-19. BCE (2020) Décision (UE) 2020/440 de la Banque centrale européenne du 24 mars 2020 relative à un programme temporaire d’achats d’urgence face à la pandémie (BCE/2020/17). Commission européenne (2020) « European Economic Forecast », Institutional Paper, n° 125,mai. FMI (2020) Perspectives de l’économie mondiale, octobre. FMI (2021) Perspectives de l’économie mondiale, mise à jour, janvier. Guerrieri (V.), Lorenzoni (G.), Straub (L.) et Werning (I.) (2020) « Macroeconomic implications of COVID‑19 : can negative supply shocks cause demand shortages ? », NBER Working Paper Series, n° 26918, avril. Gopinath (G.) (2020) « Limiting the economic fallout of the coronavirus with large targeted policies », Blog du FMI, mars. Gourinchas (P‑O.) (2020) « Flattening the pandemic and recession curves », Mitigating the COVID Crises : Act Fast and Do Whatever It Takes, éd. Baldwin (R.) et Weder di Mauro (B.), VoxEU, CEPR Press, mars. Lloyd (S. P.) (2018) « Overnight index swap market‑based measures of monetary policy expectations », Staff Working Paper, n° 709, Banque d’Angleterre, février. Odendahl (F.), Penalver (A.) et Szczerbowicz (U.) 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Politique monétaire et inflation 10 Bulletin de la Banque de France Les mesures de politique monétaire pendant la première phase de la crise de la Covid-19 234/1 - MARS-AVRIL 2021 Annexe Glossaire APP asset purchase programme (programme d’achats d’actifs) CPFF commercial paper funding facility (facilité de financement du papier commercial) CCFF covid corporate financing facility (facilité de financement « Covid » des entreprises) https://www.bankofengland.co.uk/ CSPP corporate sector purchase programme (programme d’achat de titres du secteur privé) CTRF contingent term repo facility (mécanisme conditionnel de prise en pension à terme) DFR deposit facility rate (taux de la facilité de dépôt) ETF exchange traded fund (fonds négociés en bourse) FIMA repurchase agreement facility for foreign and international monetary authorities (accords de prise en pension de titres du Trésor avec des banques centrales étrangères) https://www.federalreserve.gov/ J-REIT Japan real estate investment trust (Fonds d’investissement immobilier japonais coté en bourse) LTRO longer-term refinancing operations (opérations de refinancement à plus long terme) MMLF money market mutual fund liquidity facility (mécanisme de liquidité des fonds communs de placement du marché monétaire) MLF municipal liquidity facility (facilité de liquidité pour les États et les collectivités locales) https://www.federalreserve.gov/ MSELF main street expanded loan facility (facilité élargie de prêt aux TPE-PME) https://www.federalreserve.gov/ MSNLF main street new loan facility (nouvelle facilité de prêt aux TPE-PME) https://www.federalreserve.gov/ OIS overnight indexed swap (swap au jour le jour) PDCF primary dealer credit facility (facilité de crédit pour les teneurs de marché) PELTRO pandemic emergency longer-term refinancing operations (opérations de refinancement à plus long terme d’urgence face à la pandémie) PEPP pandemic emergency purchase programme (programme d’achats d’urgence face à la pandémie) https://www.ecb.europa.eu/ PMCCF primary market corporate credit facility (programme de financement des dettes d’entreprise sur le marché primaire) https://www.federalreserve.gov/ PPPLF paycheck protection program liquidity facility (facilité de liquidité pour le programme de protection des salaires) https://www.federalreserve.gov/ Politique monétaire et inflation 11 Bulletin de la Banque de France Les mesures de politique monétaire pendant la première phase de la crise de la Covid-19 234/1 - MARS-AVRIL 2021 Éditeur Banque de France Directeur de la publication Gilles Vaysset Rédaction en chef Corinne Dauchy Secrétaire de rédaction Didier Névonnic Réalisation Studio Création Direction de la Communication ISSN 1952-4382 Pour vous abonner aux publications de la Banque de France https://publications.banque-france.fr/ Rubrique « Abonnement » QE quantitative easing (assouplissement quantitatif) QQE quantitative and qualitative monetary easing (assouplissement quantitatif et qualitatif de la politique monétaire) SMCCF secondary market corporate credit facility (facilité de crédit pour les entreprises sur le marché secondaire) https://www.federalreserve.gov/ SPV special purpose vehicle (entité ad hoc) TALF term asset-backed securities loan facility (facilité de prêt à terme de titres adossés à des actifs) TFSME term funding scheme with additional incentives for SMEs (programme de financement à long terme pour les PME) https://www.bankofengland.co.uk/ TLTRO targeted longer-term refinancing operations (opérations ciblées de refinancement à plus long terme) https://www.ecb.europa.eu/ W&M ways and means facility (facilité de voies et moyens) https://www.bankofengland.co.uk/