L’impact différencié de la crise sur la situation financière des entreprises
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L’impact différencié de la crise sur la situation
financière des entreprises
Par Vanessa DOUCINET, David LY et Ghjuvanni TORRE
Entre fin décembre 2019 et fin mars 2021, la dette brute des entreprises s’est
accrue de 224 milliards d’euros, tandis que leur trésorerie a progressé de 215
milliards. Une première analyse des 205 392 bilans reçus par la Banque de
France permet de décomposer plus finement ces chiffres globalement
rassurants : 6 à 7% du total des entreprises cotées pourraient être confrontées à
des difficultés lors de la levée des mesures d’accompagnement.
Graphique 1 : évolution de l’endettement financier brut et de la trésorerie des
entreprises étudiées
Lecture du quadrant sensible, disque rouge : 11,4% d’entreprises n’ayant pas souscrit de PGE dont
l’endettement brut a augmenté de 22% et la trésorerie a diminué de 33%.
Source : Banque de France – Direction des entreprises
60%; 30%; 25%
-33%; 22%; 11,4%
52%; -25%; 24%
-31%; -27%; 13%
152%; 112%; 22%
-32%; 100%; 2,4%
Variation de l'endettement brut
-33%; -17%; 0,5% 117%; -14%; 2%
Variation de la trésorerie
sans PGE avec PGE
Quadrant "sensible"
Légende : variation de la trésorerie ; variation de l'endettement ; % des entreprises
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Les bilans arrêtés après le début de la crise sanitaire retracent son effet sur les
entreprises
Dans le cadre de son activité de cotation, la Banque de France collecte chaque année les
comptes annuels de plus de 300 000 entreprises non financières, sur la base desquels elle
attribue une cote de crédit à plus de 270 000 d’entre elles.
À fin mai 2021, la Banque de France dispose de 205 392 bilans et comptes de résultat
arrêtés entre le 30 juin 2020 et début 2021 et pouvant être comparés aux comptes de la
même entreprise arrêtés un an auparavant. Les entreprises concernées réalisent dans leur
grande majorité plus de 750 000 euros de chiffre d’affaires, seuil correspondant au
périmètre de la cotation Banque de France. L’analyse de ces comptes permet de retracer les
effets de la crise sanitaire sur la situation financière d’un panel d’entreprises françaises.
Les résultats ainsi obtenus fournissent des orientations préliminaires et indicatives de
l’impact de la crise sanitaire. Ainsi, les comptes des entreprises étudiés n’ont que
partiellement subi la crise au cours de l’exercice sous revue, et ce sur des durées variables :
de trois mois de crise pour les bilans arrêtés à fin juin 2020 (11% des bilans étudiés) à neuf
mois de crise pour les bilans arrêtés à fin décembre 2020 (64%) (graphique 2).
Graphique 2 : répartition des 205 392 bilans étudiés par date d’arrêté
Source : Banque de France – Direction des Entreprises
Cette première analyse permet toutefois de dégager de grandes tendances, sur un
ensemble de comptes dont le chiffre d’affaires équivaut en moyenne à 76% de celui des
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entreprises dont les comptes ont été collectés par la Banque de France en 2019. Au total, les
entreprises étudiées représentent 9,4 millions de salariés.
Les entreprises ont en grande majorité préservé leur trésorerie au prix d’une
hausse de leur endettement
Entre fin décembre 2019 et fin mars 2021, la dette brute des sociétés non-financières a
progressé de 224 milliards d’euros, et leur trésorerie de 215 milliards. Leur dette nette n’a
donc augmenté que de 9 milliards d’euros. Pour autant, ces données globales ne permettent
pas de préciser comment sont réparties l’évolution des dettes et de la trésorerie entre les
entreprises.
De fait, le recours à l’endettement, facilité par le dispositif des prêts garantis par l’État (PGE)
a permis à une majorité d’entreprises de maintenir ou d’améliorer leur trésorerie malgré la
baisse de leur chiffre d’affaires : pour 73% des entreprises étudiées, la trésorerie est stable
ou en hausse (graphique 1). Le dispositif des PGE y contribue nettement : 27% des
entreprises étudiées y ont recours. Ces entreprises sont à la fois proportionnellement plus
nombreuses à afficher une trésorerie stable ou en augmentation (plus de 89%) et
connaissent une progression de leur trésorerie plus importante que celles qui n’ont pas
utilisé ce dispositif.
Les dettes fiscales et sociales reportées ne sont pas incluses dans l’endettement financier ici
étudié, bien que pouvant être étalées sur plusieurs années dans le cadre du dispositif
exceptionnel de plans de règlement. En effet, outre la difficulté de les isoler avec précision
au bilan, leur intégration ne modifierait pas les conclusions. Ainsi, l’endettement financier
moyen terme des entreprises étudiées représente en moyenne 6,1 années de capacité
d’autofinancement sur la base des bilans impactés par la crise, soit une progression de 6
mois par rapport aux bilans publiés avant la crise ; en ajoutant les dettes fiscales et sociales
présentes aux bilans 2019 et 2020, la progression de l’endettement exprimée en nombre de
mois de capacité d’autofinancement est identique : + 6 mois.
La cotation pour identifier les entreprises potentiellement fragilisées mais
économiquement viables
Malgré cette hausse de la trésorerie pour une majorité d’entreprises, 14% des entreprises
étudiées subissent à la fois une hausse de leur endettement et une baisse de leur
trésorerie : elles figurent dans le quadrant « sensible », dans la partie supérieure gauche du
graphique 1.
Elles doivent donc faire l’objet d’une vigilance particulière, secteur par secteur, même s’il
convient de nuancer l’approche : d’une part, il peut y avoir des entreprises devant faire
l’objet d’une même vigilance dans les autres quadrants ; d’autre part, il y a aussi des
entreprises en bonne santé financière dans ce quadrant. L’utilisation des cotations Banque
de France permet d’identifier au sein du quadrant « sensible » les entreprises
potentiellement fragilisées mais économiquement viables, qui pourraient connaître des
difficultés lors de la levée des mesures d’accompagnement mises en place par l’État.
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En écartant les entreprises les mieux cotées avant-crise (de 3++ à 4+), qui disposent d’une
situation suffisamment favorable pour faire face au choc, ainsi que les entreprises les plus
mal cotées (cotes 6 à P), très fragiles avant même la crise, on peut estimer qu’environ 6 à 7 %
des entreprises cotées devront faire l’objet d’un suivi attentif. Cette proportion est plus
élevée dans certains secteurs, le plus touché par la crise étant logiquement celui de
l’hébergement-restauration où elle atteint 10 à 13% (graphique 3).
Graphique 3 : part des entreprises devant faire l’objet d’un suivi attentif
Source : Banque de France – Direction des entreprises