Effets économiques des épidémies
Direction générale du Trésor #TrésorEco n° 279 Mars 2021 p.1 N° 279 Mars 2021 Effets économiques des épidémies Marie-Apolline Barbara, Claire Le Gall, Adrien Moutel La propagation rapide de l'épidémie de Covid-19 à la fin de l'année 2019 en Chine, son évolution en pandémie mondiale début 2020 et la contraction de l'activité qui les a accompagnées sont un rappel de la vulnérabilité des économies aux maladies infectieuses. La fin du XXe siècle et le début du XXIe ont vu l'émergence et la propagation rapide de nombreuses épidémies, dont certaines demeurent actives ou en phase d'expansion. Ces épidémies ont eu des effets économiques manifestes, allant de quelques dixièmes de points à plusieurs points de PIB selon leur gravité. Les différents exemples historiques suggèrent qu'une épidémie peut se transmettre à l'économie via plusieurs canaux, en affectant la force de travail et en modifiant les comportements des agents en réponse aux évolutions sanitaires. Les épidémies peuvent également avoir des effets de long terme sur la productivité et amorcer des changements structurels. De façon générale, les principaux travaux académiques s'accordent à conclure que le coût économique des épidémies tendrait à augmenter avec leur sévérité sanitaire. La quantification des effets économiques des épidémies est entachée d'incertitudes. D'une part, certains paramètres épidémiologiques font l'objet d'hypothèses, d'où une incertitude ex ante sur les conséquences sanitaires comme sur les effets économiques. D'autre part, certaines épidémies peuvent avoir des effets économiques à relativement long terme, qu'il convient d'inclure dans l'évaluation de leur coût agrégé, mais dont la mesure, même ex post, se heurte à la disponibilité de données ou à des difficultés d'identification des effets propres. Les effets économiques de la pandémie de Covid19 résulteraient surtout de l'arrêt soudain de l'activité économique mondiale, et reflèteraient à la fois les mesures publiques prises dans de nombreux pays et les comportements d'évitement volontaire des individus. Des effets de plus long terme devraient également se matérialiser, dont une réallocation sectorielle émanant de l'hétérogénéité du choc selon les secteurs, bien qu'il soit encore trop tôt pour pouvoir les prédire avec précision. Impact économique et sanitaire de la pandémie de Covid-19 en 2020 Source : FMI, Our World in Data, Calculs DG Trésor. Note : Révisions des prévisions de croissance du PIB pour 2020 entre les WEO d'Automne du FMI de 2019 et 2020. Direction générale du Trésor #TrésorEco n° 279 Mars 2021 p.2 1. Les canaux de transmission des épidémies à l'économie Les épidémies se transmettent à l'économie réelle par différents canaux : elles peuvent avoir des conséquences sur l'offre, via la population active, les heures travaillées et la productivité, et sur la demande, via la consommation et les décisions d'investissement des entreprises. Les effets de demande peuvent être renforcés par les changements de comportement des agents, ou exacerbés par la nature économiquement restrictive des mesures sanitaires mises en place. Par ailleurs, même pour des épidémies d'ampleur comparable, ces effets peuvent varier significativement entre les pays, reflétant leurs caractéristiques propres (cf. Tableau 1). Source : Bloom et al. (2020). Modern infectious diseases: macroeconomic impacts and policy responses. NBER WP N° 27757. 1.1 Force de travail et productivité À court terme, en l'absence d'un vaccin ou d'un traitement efficace, les contaminations se traduisent par une diminution temporaire ou permanente de la force de travail, avec un impact vraisemblablement croissant sur la productivité agrégée à mesure que la prévalence et la durée de l'épidémie augmentent. Les effets de long terme dépendent des caractéristiques des épidémies. En effet, une épidémie à forte virulence chez les adultes en âge de travailler réduit la population active, à l'image de la pandémie de grippe espagnole des années 1918-1920, qui a entraîné 40 millions de décès (avec une mortalité très élevée chez les 20-40 ans)1. Elle peut aussi conduire à des séquelles durables ou invalidantes, pouvant grever tant l'offre de travail que sa productivité, car les maladies endémiques – comme le SIDA avant la découverte de traitements – freinent les incitations à investir dans le capital humain et la santé2 . Des effets de long terme peuvent également émaner de maladies touchant disproportionnément les enfants (paludisme, ankylostomes), en réduisant la productivité de leur éducation et en conduisant à des retards de développement. Les maladies endémiques, ou de façon équivalente la récurrence d'épidémies chez les adultes ainsi que les maladies touchant les enfants peuvent ainsi contribuer à l'accroissement des inégalités au sens large3. 1.2 Mesures de politique publique et changements de comportements Les effets liés à l'offre de travail peuvent être exacerbés par les changements de comportement des agents face à l'épidémie, avec une possible augmentation de l'absentéisme prophylactique. De plus, les comportements d'évitement peuvent aggraver la baisse de la demande intérieure. En effet, si la consommation agrégée est réduite directement par la prévalence de Tableau 1 : Principaux canaux de propagation économique des épidémies Impact de court terme Impact de long terme Canaux de propagation économique Perte directe d'offre de travail Chocs comportementaux ou de politique publique affectant la consommation, l'offre de travail et l'investissement Réduction du capital humain Réduction de la productivité de l'éducation Autres effets : (i) progrès technique et recomposition sectorielle (ii) commerce internationala (iii) retard de développement Configuration épidémiologique Taux élevé d'infection de la population en âge de travailler, forte mortalité et morbidité, faible taux de rétablissement et présence de séquelles durables Taux élevé d'infection (par contact direct), et forte incertitude quant à la propagation de l'épidémie Forte prévalence de l'infection, forte mortalité adulte et/ ou maladies impliquant des séquelles lourdes Forte prévalence de l'infection, forte mortalité infantile, forte perte de productivité scolaire reflétant des morbidités et/ou une forte mortalité parentale i) nouvelles épidémies devenant endémiques, (ii) pandémies, (iii) maladies génératrices de morbidités Exemples historiques Grippe espagnole, SIDA/VIH, Tuberculose, Paludisme SRAS, MERS, Ebola, COVID-19 Grippe espagnole, SIDA/VIH, Tuberculose Paludisme, Ankylostomes, SIDA/ VIH (i) et (ii) COVID-19 (iii) SIDA/VIH, Paludisme, Tuberculose a. Ces effets de long-terme peuvent notamment prendre la forme d'une dé-mondialisation et/ou de relocalisations de systèmes de production. (1) Barro R., Ursua J. F. et J. Weng (2020), "The Coronavirus and the Great Influenza Pandemic: Lessons from the "Spanish Flu" for the Coronavirus's Potential Effects on Mortality and Economic Activity", NBER WP N° 26866. (2) Bloom et al. (2020), "Modern infectious diseases: Macroeconomic impacts and policy responses", NBER WP N° 27757. (3) Boucekkine et al. (2010), "On the distributional consequences of epidemics", Journal of Economic Dynamics and Control. #TrésorEco n° 279 Mars 2021 p.3 Direction générale du Trésor l'épidémie4 et la mise en œuvre de mesures pour limiter sa propagation, elle l'est aussi indirectement par les réactions d'évitement volontaires des ménages afin de limiter leur risque d'exposition. L'épidémie peut également résulter en une hausse de l'épargne des ménages5, d'une part une épargne de précaution liée à la hausse des incertitudes, et d'autre part, une épargne pouvant être considérée comme forcée par les mesures sanitaires en vigueur (fermeture des commerces par exemple). La fermeture des frontières peut conduire à un arrêt quasi-total du trafic aérien et avoir un impact sur le commerce extérieur, notamment via le tourisme. L'identification d'éventuelles vulnérabilités et dépendances commerciales vis-à-vis du reste du monde peut également entraîner une sécurisation par les entreprises de leurs chaînes de valeur, avec des relocalisations de systèmes de production6. Les évolutions macroéconomiques découlant d'une crise sanitaire peuvent à leur tour altérer de façon pérenne les comportements des agents, avec des effets pouvant être ressentis longtemps après la fin de l'épidémie7. L'incertitude persistante, l'excès d'épargne et le déficit de demande à court terme peuvent conjointement conduire à de l'hystérèse sur le marché du travail, avec une hausse persistante du chômage, en particulier chez les jeunes8, entraînant des effets socio-économiques négatifs à plus long terme (« scarring effect », défiance envers les institutions9). Du côté des entreprises, cette même incertitude peut mener au report des décisions d'investissement et à une hausse transitoire du coût du financement à court terme, via la hausse des primes de risques10. Pour autant, à long terme, les épidémies conduiraient à une baisse des taux d'intérêt, reflétant entre autres l'excès d'épargne11. L'épidémie peut aussi avoir des effets persistants sur la façon dont est perçue la probabilité d'événements extrêmes12. 1.3 Autres effets Les épidémies ont une conséquence directe sur le système de santé, à travers l'accroissement de la charge de travail du personnel soignant et des coûts liés au traitement des personnes infectées. Ces coûts s'alourdissent considérablement lorsque la gravité des symptômes augmente et que les soins apportés aux patients s'allongent. Les crises épidémiques sont également susceptibles de peser sur les finances publiques tant par leurs effets directs (augmentation des capacités hospitalières et des coûts sanitaires), qu'indirects (baisse des recettes publiques en lien, par exemple, avec la baisse de l'offre de travail). À titre illustratif, l'épidémie d'Ebola a conduit à une détérioration significative du déficit budgétaire des pays d'Afrique de l'Ouest touchés (notamment via une baisse des recettes publiques provenant des impôts directs sur les sociétés, des recettes de TVA et des impôts indirects), avec un effet perceptible au-delà de la durée de l'épidémie13. Enfin, les épidémies peuvent induire des changements de prix des biens et des facteurs. Par exemple, une épidémie à forte mortalité parmi la population active pourrait in fine se traduire en une augmentation des salaires en raison d'une raréfaction du facteur travail14. L'évolution du prix des biens de consommation est plus incertaine, en raison de canaux opérant dans des sens contraires : une disruption des chaînes de valeur résultant de mesures strictes de distanciation sociale et de la forte augmentation de la demande pour les produits de santé devrait exercer des pressions haussières sur les prix15, au moins à court terme, tandis que la baisse de la demande mondiale serait déflationniste par nature. Ainsi, le caractère (4) L'ampleur de ce choc direct dépendant de l'âge des individus touchés par l'épidémie et de la structure par âge de la consommation. (5) Cette hausse de l'épargne est par ailleurs amplifiée par les mesures de soutien aux ménages visant à limiter leurs pertes de revenus. (6) Cf. Bonneau C. et M. Nakaa (2020), « Vulnérabilité des approvisionnements français et européens », Trésor-Éco n° 274. (7) Les expériences individuelles des ménages quant aux évolutions macroéconomiques auraient des effets de long terme sur leur aversion au risque. Cf. Malmendier U. et S. Nagel (2011), "Depression Babies: Do Macroeconomic Experiences Affect Risk-Taking?", The Quarterly Journal of Economics, 126(1). (8) Oreopoulos et al. (2012), "The short- and long-term career effects of graduating in a recession", American Economic Journal: Applied Economics 4(1) ; Grzegorczyk et Wolff (2020), "The scarring effect of COVID-19: youth unemployment in Europe", Bruegel Blog. (9) Aksoy, Eichengreen et Saka (2020), "The political scar of epidemics", NBER WP N° 27401. (10) Kozlowski et al. (2020), "Scarring Body and Mind: The Long-Term Belief-Scarring Effects of COVID-19", NBER WP N° 27439. (11) Jordà et al. (2020), "Longer-Run Economic Consequences of Pandemics", Federal Reserve Bank of San Francisco WP 2020-06. (12) Kozlowski et al. Op. Cit. (13) Par exemple, le déficit budgétaire du Libéria est passé de 1,6 % du PIB pré-Ebola, en 2013, à 8,5 % du PIB en 2015 au pic de la crise sanitaire, et ce malgré la réception d'un montant extraordinaire d'aide publique au développement (environ 19 % du PIB). Cf. Zafar et al. (2016), "2014-2015 West Africa Ebola crisis: Impact update", World Bank Reports. (14) Jordà et al. (2020), Op. Cit. (15) Jaravel et O'Connell (2020), "Inflation spike and falling product variety during the Great Lockdown", CEPR Discussion Paper 14880. Direction générale du Trésor #TrésorEco n° 279 Mars 2021 p.4 déflationniste ou inflationniste des épidémies dépendrait du poids relatif de ces canaux16. 1.4 Aspects idiosyncratiques et effets différenciés des épidémies Les effets économiques des épidémies diffèrent aussi en fonction du niveau de revenu des pays touchés. Dans les pays à faible revenu, les individus ont un accès moindre au système de santé, une probabilité plus importante d'exposition à plusieurs épidémies simultanément actives17, et un investissement ex ante plus faible dans le capital humain18, le tout augurant de conséquences économiques d'une épidémie plus fortes et plus durables19. Ce serait également le cas des pays où l'informalité du travail est répandue et où les filets de sécurité sociale sont limités, certains travailleurs à plus faibles revenus n'ayant pas la possibilité de se retirer pour se protéger, protéger les autres ou de se soigner. 2. Les méthodes pour mesurer l'effet économique des épidémies Différents outils d'évaluation sont utilisés dans la littérature afin d'estimer le coût économique des maladies infectieuses, ainsi que la pertinence économique des politiques publiques mises en œuvre pour y faire face : L'approche énumérative somme les coûts directs (frais de santé, recherche et développement d'un vaccin, etc.) et indirects (pertes de revenus des individus malades) causés par une épidémie sur une période spécifique. Pour évaluer l'effet des politiques publiques, la valeur monétaire résultant de l'addition de ces coûts est comparée, selon les travaux, (i) à l'efficacité sanitaire de l'intervention, mesurée par exemple comme le nombre de décès évités ; (ii) à l'utilité dérivée de l'intervention, pouvant par exemple être mesurée comme le nombre d'années de vie gagnées en bonne santé ; ou (iii) au bénéfice monétaire correspondant aux vies sauvées. Outre les questions éthiques que soulèvent ces méthodes20, une limite importante est qu'elles prennent mal en compte l'effet, la sévérité et les coûts des politiques d'endiguement, ou les changements de comportement induits, et sont ainsi mal adaptées au chiffrage des coûts économiques des épidémies au-delà des dépenses de santé. L'approche non structurelle régresse le taux de croissance économique de différents pays sur la prévalence d'une maladie d'intérêt et un ensemble de variables de contrôle, afin d'établir directement l'incidence d'une maladie spécifique sur la croissance. Cette approche est fragilisée par le besoin d'une spécification économétrique précise et de nombreuses variables de contrôle pour éviter les biais d'estimation. De plus, elle ne permet pas d'identifier les canaux de propagation d'une épidémie à l'économie réelle ou l'impact de politiques publiques. L'approche structurelle relie les paramètres sanitaires aux effets macroéconomiques de leur évolution. Contrairement aux méthodes précédentes, elle permet de mesurer, via des modèles en équilibre général, les effets indirects induits par les changements de comportement des agents en réponse à l'épidémie ou à une politique d'endiguement21. Elle permet également d'identifier – pour certains types d'épidémies – les canaux de propagation. Dans les modèles « SIR-macro »22, les ménages adaptent leurs décisions de consommation et de travail en fonction de la prévalence de la maladie et de sa mortalité, et le planificateur social (16) Baqaee et Farhi (2020), "Supply and demand in disaggregated keynesian economies: an application to the Covid crisis", NBER WP N° 27152. (17) Bloom et al. (2020), Op. Cit. (18) Chakraboty et al. (2010), "Diseases, infection dynamics and development", Journal of Monetary Economics 57(7), p.859-872. (19) D'autres différences, notamment relatives au climat ou à la pyramide des âges, pourraient au contraire venir limiter l'impact économique. (20) Les travaux académiques sur le sujet s'appuient sur la notion de valeur statistique d'une vie humaine, qui cristallise les critiques eu égard au problème éthique d'associer une valeur monétaire à la vie humaine, mais également vis-à-vis de propriétés problématiques de cette variable, notamment le fait qu’elle diminue avec l'âge et augmente avec les revenus. Cf. Adler (2020), "What should we spend to save lives in a pandemic? A critique of the value of a statistical life", Covid Economics 33. (21) Voir par exemple Guerrieri et al. (2020), "Macroeconomic implications of COVID-19: Can negative supply shocks cause demand shortages?", NBER Working Paper N° 26918. (22) Les modèles SIR (Susceptibles, Infectés, Remis) sont des modèles compartimentaux utilisés en épidémiologie dans le but de prévoir la trajectoire d'une épidémie sur la base de taux de transition entre ces trois catégories d'agents. Par extension, des modèles SIR-macro ont été développés, qui endogénéisent le comportement des ménages à la fois par les canaux économiques et sanitaires et qui permettent ainsi de déterminer l'intervention théoriquement optimale, qui minimise les décès et le coût économique d'une épidémie. Pour une application à la crise Covid, voir Eichenbaum, Rebelo & Trabandt (2020), "The Macroeconomics of Epidemics", NBER WP N° 26882. #TrésorEco n° 279 Mars 2021 p.5 Direction générale du Trésor détermine la politique sanitaire idoine en fonction des externalités23 et de la capacité hospitalière. Des outils de ce type, ainsi que des outils complémentaires (cf. Encadré 1) ont été mobilisés pour la pandémie de Covid-19. Une limite importante de cette approche réside dans le recours à des hypothèses théoriques difficilement vérifiables empiriquement, en particulier pour lier les évolutions sanitaires aux comportements économiques. 3. Effets économiques des épidémies passées Historiquement, l'impact économique des épidémies localisées ou à faible niveau de transmission serait limité, de l'ordre de quelques dixièmes de points de PIB par an (cf. Graphique 1). En 2015, l'épidémie de dengue dans le sud de Taïwan aurait conduit à une réduction de 0,3 % du revenu par habitant24. Les premières estimations portant sur l'effet de l'épidémie de SRAS en Asie du Sud-Est font état d'une réduction annuelle du PIB allant de 0,5 à 1 % pour la région, la majorité de l'impact étant à imputer aux fortes réactions d'évitement social des individus25. Peu d'études d'impact des deux dernières épidémies majeures de grippe (aviaire et porcine) sont disponibles. Une estimation préliminaire du coût de l'épidémie de grippe porcine (H1N1) de 2009 fait toutefois état d'un coût économique situé entre 0,5 et 1,5 % du PIB mondial26. Néanmoins, cette estimation doit être considérée comme un majorant, des travaux sur la Corée du Sud faisant état d'un impact significativement plus faible, à hauteur de 0,1 % du PIB27. L'épidémie de SIDA aurait eu un coût plus élevé, entraînant une réduction annuelle du PIB de 1,2 % en moyenne, mais les effets de l'épidémie sont hétérogènes et peuvent osciller entre 0,4 % et 2,1 % selon les pays étudiés, reflétant le degré de prévalence du virus, qui était notamment élevé dans les pays d'Afrique subsaharienne28. La dernière pandémie d'ampleur comparable à la crise covid-19 – la pandémie de grippe espagnole qui a sévi entre 1918 et 1921 – aurait eu des effets économiques (23) Les ménages n'internalisant pas l'impact de leurs décisions de consommation et de travail sur la propagation agrégée du virus, le planificateur social établit la réponse sanitaire de manière à maximiser l'utilité. Encadré 1 : Outils complémentaires d'analyse D'autres types de modèles que ceux évoqués ci-dessus peuvent apporter des informations complémentaires. Par exemple, les modèles visant à évaluer l'impact de chocs sur les chaînes de valeur permettent de rendre compte des effets d'une crise épidémique sur le commerce extérieur d'un pays. De la même manière, les modèles de réseau, retraçant les liens entre fournisseurs et clients de différents secteurs, permettent d'estimer l'effet du télétravail, des fermetures administratives de commerces ou encore de la fermeture des écoles sur les différents secteurs et in fine sur l'ensemble de l'activité économiquea. Par ailleurs, l'utilisation d'un modèle d'équilibre général désagrégé permet de modéliser une modification de la composition de la demande. Côté offre, ce type de modèle peut être étendu pour tenir compte des faillites des entreprises afin d'évaluer l'impact des fermetures administratives sur les entreprises et le chômageb. Des données individuelles d'entreprises permettent aussi de mieux apprécier les vulnérabilités de la structure de productionc. Enfin, les modèles sectoriels permettent d'affiner l'analyse de l'effet total, afin de comprendre quels pans de l'économie sont les plus touchés et par quels canaux. a. Barrot, Grassi et Sauvagnat (2020), « Effets sectoriels de la distanciation sociale », Travaux préliminaires. b. Baqaee et Farhi (2020), "Supply and Demand in Disaggregated Keynesian Economies with an Application to the Covid-19 Crisis", NBER WP N° 27152. c. Gerschel, Martinez et Mejean (2020), "Propagation of shocks in global value chains: the coronavirus case", Institut des Politiques Publiques. (24) Sher, Wong & Lin (2020), "The Impact of Dengue on Economic Growth: The Case of Southern Taiwan", International Journal of Environmental Research and Public Health, 17, p.750. (25) Brahmbhatt, M. et A. Dutta (2008), "On SARS type economic effects during infectious disease outbreaks", World Bank Reports. (26) https://www.economist.com/news/2009/07/27/the-cost-of-swine-flu (27) Kim et al. (2012), "The economic burden of the 2009 pandemic H1N1 influenza in Korea", Scandinavian Journal of Infectious Diseases, 45(5). (28) United Nations, Department of Economic and Social Affairs (2004), "The Impact of AIDS, Chapter VIII Impact on economic growth". Direction générale du Trésor #TrésorEco n° 279 Mars 2021 p.6 ambigus sur les coûts relatifs des facteurs, bien qu'elle ait été globalement néfaste pour l'économie : certains travaux estiment que l'épidémie aurait conduit à un accroissement du revenu par tête sur la décennie suivante aux États-Unis29, en raison de la raréfaction du facteur travail, ce qui n'aurait pas été observé en Suède30. Peu d'estimations empiriques de l'effet agrégé sur le PIB sont disponibles, ce qui traduit entre autre la difficulté de dissocier les effets de la pandémie de ceux de la première guerre mondiale, mais il a vraisemblablement atteint plusieurs points de PIB31. Pour autant que les données disponibles permettent de l'analyser, le plus lointain exemple d'épidémie documentée, la peste noire qui a sévi en Europe entre 1347 et 1351, se serait également traduit par une accélération des salaires réels32 a posteriori33. Pour certaines de ces épidémies, l'effet agrégé évalué peut être un minorant de l'impact total, car les effets de long terme sont difficiles à quantifier. C'est le cas pour le SIDA ou la tuberculose, dont les effets liés à la destruction de capital humain et au retard de développement sont difficilement mesurables. Les effets agrégés évalués peuvent également masquer des impacts sectoriels hétérogènes, et la structure sectorielle d'une économie peut induire des effets économiques plus ou moins importants pour un même bilan humain. Par exemple, la propagation de la grippe aviaire (H5N1) est restée principalement cantonnée à l'industrie de la volaille et expliquerait l'impact économique important pour les économies d'Asie du Sud-Est, notamment en Thaïlande (1,5 % du PIB) et au Vietnam (entre 0,3 et 1,8 % du PIB), par rapport à d'autres pays également touchés par l'épidémie mais où l'industrie de la volaille est moins importante34. Ainsi dans le cas de la Thaïlande, le coût économique a été significatif en dépit d'un bilan humain minime, avec seulement 17 décès recensés35. Graphique 1 : Impact économique d'épidémies récentes (en points de PIB par an, en écart au compte central) Source : Recension des auteurs36. Note : Les méthodes utilisées dans les papiers recensés ne sont pas directement comparables, le graphique ne vise ainsi qu'à fournir un ordre de grandeur de l'impact économique de différentes épidémies, en points de PIB par an, par rapport à un compte central sans épidémie. Pour la fièvre de dengue, la variable considérée est le revenu moyen par habitant. Pour les épidémies, le graphique recense les effets moyens estimés dans la littérature. S'agissant de l'impact économique des pandémies, le plus souvent simulé, le graphique recense l'intervalle d'effets estimés dans la littérature, l'ampleur de ces effets dépendant des paramètres épidémiologiques retenus. (29) Les régions les plus touchées par l'épidémie, i.e. avec des taux de mortalité les plus élevés, auraient connu un accroissement plus important du revenu par tête sur la période 1921-1930. Cf. Brainerd E. & Siegler M. (2003), "The Economic Effects of the 1918 Influenza Epidemic", CEPR Discussion Papers 3791. (30) Karlsson, Nilsson et Pichler (2012), "What doesn't kill you makes you stronger? The Impact of the 1918 Spanish Flu Epidemic on Economic Performance in Sweden", Research Institute of Industrial Economics, WP Series 911. Les auteurs ne trouvent pas de transmission du choc sur le marché du travail aux salaires mais le rendement du capital aurait diminué. La pauvreté aurait augmenté suite à l'épidémie. (31) Barro et al. (2020), Op. Cit. Les auteurs estiment que la pandémie de grippe espagnole aurait réduit le PIB par tête de 6,2 % en moyenne. (32) Clark G. (2003), "Microbes and Markets: Was the Black Death an Economic Revolution?", University of California, Davis. Mimeo. (33) Bloom et Mahal (1997a), "AIDS, Flu, and the Black Death: Impacts on Economic Growth and Well-Being', in David Bloom and Peter Godwin, eds, The Economics of HIV and AIDS: The Case of South and South East Asia, New Delhi: Oxford University Press, 1997, p.22- 52. (34) Elçi C. (2006), "The impact of HPAI of the H5N1 strain on economies of affected countries", Human and economic resources proceedings book, p.101. (35) World Health Organization (2020), Cumulative number of confirmed human cases of avian influenza A(H5N1). (36) Principaux résultats des articles référencés dans le document. Encadré 2 : Simulations macro-économétriques L'occurrence historique des épidémies et la disponibilité de données étant limitées, la quantification de leurs effets économiques peut se faire au moyen de simulations macro-économétriques s'appuyant sur leurs caractéristiques épidémiologiques. En fonction de la sévérité de l'épidémie, des mesures sanitaires et des canaux économiques retenus, les #TrésorEco n° 279 Mars 2021 p.7 Direction générale du Trésor 4. Le cas de la pandémie de Covid-19 La dégradation de la situation sanitaire due à la propagation de la pandémie de Covid-19 et les mesures sanitaires qui ont été prises ont lourdement pesé sur l'activité mondiale (cf. Graphique de couverture). La sévérité des mesures de restriction et les comportements prophylactiques d'évitement volontaire des individus sont les causes principales du choc économique, sans qu'il soit aisé d'établir précisément leur contribution respective. D'un point de vue sanitaire, les premières estimations mettent en évidence que plus tôt des restrictions strictes sont mises en place, plus elles sont efficaces pour endiguer l'épidémie37 entraînant ainsi des coûts économiques moindres, en partie parce que la mise en place plus précoce de restrictions permet de réduire leur durée. Le lien entre la sévérité des mesures sanitaires et le coût économique a bien été établi dans la littérature38, mais la relation serait plus ou moins étroite selon les pays. En effet, certains pays ont connu un choc économique d'ampleur similaire à d'autres qui ont mis en place des mesures beaucoup plus restrictives (comme la Suède et ses voisins, voir ci-dessous). À l'inverse, les effets économiques peuvent varier entre pays même lorsque le degré de sévérité de l'épidémie est similaire (par exemple, le choc économique anticipé pour 2020 est deux fois plus important en Grèce qu'en Russie, pour un bilan sanitaire comparable, cf. Graphique de couverture). Ces différences peuvent émaner de caractéristiques propres aux pays, comme une exposition sectorielle différente39, des différences d'adaptabilité des emplois (par exemple la possibilité de faire du télétravail), divers degrés de concentration urbaine ou encore des différences de comportements simulations macro-économétriques font état d'effets économiques allant de quelques dixièmes à plusieurs points de PIB. Pour des pandémies faiblement infectieuses, l'impact économique serait de l'ordre de quelques dixièmes de points de PIB. À titre illustratif, le coût économique d'une épidémie faiblement infectieuse mais à forte mortalité – de type SRAS – est estimé à 0,4 % du PIB mondial au pic de l'épidémie, et résulterait principalement du choc sur l'offre de travaila. Une épidémie fortement infectieuse mais peu létale – de type grippe H1N1 – pourrait réduire le PIB mondial de 3,3 % au pic de l'épidémie, à travers la réduction de l'offre de travail (liée aux contaminations et à l'absentéisme émanant de la fermeture des écoles, et aux décès), ainsi que la baisse du tourismeb. Pour des scénarios plus extrêmes, de nombreuses simulations se fondent sur des calibrages de paramètres épidémiologiques (virulence et mortalité) proches ou supérieures à ceux de la grippe espagnole de 1918. Par exemple, une pandémie mondiale nécessitant des fermetures d'écoles de 13 semaines couplées à 4 semaines d'absentéisme prophylactique aurait un effet économique cumulé estimé à 4 % du PIB au Royaume-Unic, tandis qu’une pandémie encore plus sévère que la grippe espagnole, pourrait conduire à plus de 140 millions de morts et à un choc économique cumulé de 12,6 % du PIB mondiald sans mesures de distanciation sociale. a. Verikios et al. (2011), "The Global Economic Effects of Pandemic Influenza", Centre of Policy Studies/IMPACT Centre WP. b. Le scénario pour une épidémie à forte nature infectieuse et de faible mortalité inclut le fait qu'un vaccin efficace serait disponible dans les mois qui suivent le début de l'épidémie. Cf. Verikios et al. (2011), Op. Cit. c. Keogh-Brown M. R., Smith R. D., Edmunds J. W. et Beutels P. (2010), "The macroeconomic impact of pandemic influenza: estimates from models of the United Kingdom, France, Belgium and The Netherlands", The European Journal of Health Economics, 11(6), 543-554. d. Les auteurs estiment un scénario "ultra", où les paramètres épidémiologiques sont similaires à ceux de la grippe espagnole à l'exception de la mortalité des individus plus âgés, considérée dans l'exercice comme égale à celle des individus plus jeunes. Pour rappel, la pandémie de grippe espagnole avait été significativement plus meurtrière chez les individus jeunes. Cf. McKibbin W. J. et Sidorenko A. (2006), Global macroeconomic consequences of pandemic influenza (p. 79). Sydney, Australia : Lowy Institute for International Policy. (37) À partir de données européennes : Demirgüç-Kunt A., Lokshin M. & I. Torre (2020), "The Sooner the Better: The Early Economic Impact of Non-Pharmaceutical Interventions during the Covid Pandemic", World Bank Policy Research WP 9257. À partir de modèles théoriques épidémiologiques et macroéconomiques, et différents scénarios de propagation : Atkeson A. (2020, "What Will Be the Economic Impact of Covid-19 in the US? Rough Estimates of Disease Scenarios", NBER WP N° 26867. Eichenbaum M. S., Rebelo S. & M. Trabandt (2020), "The Macroeconomics of Epidemics", NBER WP N° 26882. (38) Prévisions économiques d'automne 2020, Commission Européenne. (39) Par exemple, dans le cas de la France, la forte part de la valeur ajoutée représentée par le secteur touristique et les exportations aéronautiques pourrait expliquer l'ampleur significative du choc. Direction générale du Trésor #TrésorEco n° 279 Mars 2021 p.8 Éditeur : Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance Direction générale du Trésor 139, rue de Bercy 75575 Paris CEDEX 12 Directeur de la Publication : Agnès Bénassy-Quéré Rédacteur en chef : Jean-Luc Schneider (01 44 87 18 51) tresor-eco@dgtresor.gouv.fr Mise en page : Maryse Dos Santos ISSN 1777-8050 eISSN 2417-9620 Derniers numéros parus Ce document a été élaboré sous la responsabilité de la direction générale du Trésor et ne reflète pas nécessairement la position du ministère de l’Économie,des Finances et de la Relance. Mars 2021 N° 278 Le financement du développement de l’Afrique subsaharienne à l’épreuve de la pandémie Norbert Fiess, Arthur Gautier Février 2021 N° 277 Les mesures macroprudentielles sur les emprunts immobiliers Arthur Bauer, Nicolas Krakovitch N° 276 Capital-risque et développement des start-ups françaises Faÿçal Hafied, Chakir Rachiq, Guillaume Roulleau https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/tags/Tresor-Eco Direction générale du Trésor @DGTrésor Pour s'abonner à Trésor-Éco : tresor-eco@dgtresor.gouv.fr des ménages (par exemple la distanciation sociale déjà forte dans certains pays asiatiques, ou l'habitude du port du masque)40. Les quelques travaux disponibles portant sur la première vague de la pandémie de Covid-19 corroborent l'incidence économique des changements de comportement volontaires des ménages. L'exemple suédois illustre l'importance de ce canal, puisque, même en l'absence d'un confinement national, la chute de la consommation privée des ménages et le recul de la mobilité des individus auraient été commensurables avec ceux de ses voisins qui ont opté pour un confinement41. De façon plus générale, le FMI estime que les confinements nationaux seraient responsables au maximum de 50 % de la chute de la mobilité dans les économies avancées (cf. Graphique 2). Pour autant, la part précise de l'impact économique à attribuer aux changements de comportement des ménages n'est pour l'heure pas bien établie. La durée de la pandémie dépendra de la rapidité de la diffusion d'un vaccin efficace à une échelle suffisante pour atteindre l'immunité collective. D'ici-là, l'incertitude continuera d'altérer les décisions des ménages et des entreprises. Les effets à long terme sur la productivité dépendront quant à eux de l'ampleur et de l'efficacité des réallocations entre secteurs et entre entreprises, de la présence éventuelle de morbidités persistantes chez certains patients ayant contracté une forme sévère de la maladie et, bien entendu, des changements structurels durables qui pourraient affecter l'organisation de la production ou les préférences des ménages. Graphique 2 : Décomposition de la chute de la mobilité lors des 90 premiers jours de circulation de l'épidémie, % Source : Chapitre 2 - World Economic Outlook, Octobre 2020, FMI. (40) La récurrence des épidémies par le passé dans certains pays a entraîné la création de dispositifs de contrôle et de prévention efficaces qui permettraient de limiter les coûts sanitaires et économiques d'épidémies futures. Par exemple, l'apprentissage de la crise du SRAS, qui avait sévi en Asie en 2003, associé à une réponse très en amont, a permis d'éviter le confinement à Taïwan et en Corée. (41) Sheridan et al. (2020). Social distancing laws cause only small losses of economic activity during the Covid-19 pandemic in Scandinavia, PNAS Research article 117 (34) 20468-20473 ; https://doi.org/10.1073/pnas.2010068117