Proposition d'approches de routage de requêtes dans les systèmes pair-à-pair non structurés - Thèse Informatique
Proposition d'approches de routage de requêtes dans les systèmes pair-à-pair non structurés - thèse Informatique
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Dispositifs spatiaux et ´evolution des villes lao,
persistence des pratiques et permanence des formes : la
place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville contemporaine
Chayphet Sayarath
To cite this version:
Chayphet Sayarath. Dispositifs spatiaux et ´evolution des villes lao, persistence des pratiques
et permanence des formes : la place du centre historique et de l’habitat ancien dans la recomposition
de la ville contemporaine. Hardware Architecture. Universit´e Paris-Est, 2014. French.
.
HAL Id: tel-01067185
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01067185
Submitted on 23 Sep 2014
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publics ou priv´es.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de
l’habitat ancien dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
UNIVERSITÉ PARIS-EST
Thèse de doctorat d’Université Paris-Est
Champ disciplinaire :
Architecture
Présentée par
Chayphet SAYARATH
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao
Persistance des pratiques et permanence des formes
La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la recomposition de la
ville d’aujourd’hui
Jury
Thèse dirigée par
Pierre CLEMENT, Professeur honoraire, ENSA – Paris Belleville
Nathalie LANCRET, Directrice de l’UMR AUSSER, directrice de recherche, CNRS, HDR
Soutenue le 28 Mai 2014
Charles GOLDBLUM, Professeur émérite, Université de Paris 8, HDR
Christine HAWIXBROCK, chercheure, permanente scientifique à l’EFEO-Vientiane
Vatthana PHOLSENA, chercheure CNRS, enseignante à l’Université de Singapour
Rapporteurs :
Manuelle FRANCK, professeur des Universités, INALCO, HDR
Hugues TERTRAIS, professeur des Universités, Paris I Panthéon-Sorbonne, HDRDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de
l’habitat ancien dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao
Persistance des pratiques et permanence des formes
La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la recomposition de la
ville d’aujourd’huiDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de
l’habitat ancien dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
Remerciement s
Mes remerciements s’adressent à mon directeur et à ma directrice de thèse, Pierre Clément
et Nathalie Lancret. Il y a plus de dix ans lorsque j’ai commencé à travailler au Laos, dans le cadre
de la coopération entre l’Institut laotien de Recherche en Urbanisme et l’Ipraus qu’il dirigeait,
Pierre Clément m’a suggéré et vivement recommandé d’entreprendre une thèse, formalisant et
structurant les recherches menées. Recommandation fort utile et nécessaire aujourd’hui pour
l’exercice de notre profession d’architecte et aussi pour la recherche sur les villes laotiennes qui
reste bien lacunaire et inédite : leur forme spatiale, leur histoire, leur place culturelle, politique et
économique dans la nouvelle configuration régionale.
Ils s’adressent à Charles Goldblum et à Christian Taillard qui m’ont encouragée et donné de
précieux conseils et dont la rigueur du regard scientifique m’a averti de bien des égarements.
Ils s’adressent à mes compatriotes laotiens, autorités, partenaires et confrères, responsables
des affaires urbaines. Soucieux et préoccupés par le manque de connaissances sur les villes
laotiennes, ils manifestent leurs intérêts et œuvrent aussi pour que la recherche urbaine puisse se
constituer au Laos. Les informations de terrain qu’ils ont pu me partager, m’ont encouragée à
poursuivre mes recherches malgré les difficultés. Que Kéophilavanh Aphaylath, Viengkéo
Souksavatdy, Bounleuam Sissoulat, et tous ceux que je n’ai pu citer, soient ici remerciés.
Je remercie les honorables membres du jury qui ont bien voulu consacrer leur temps à la
soutenance de ma thèse, la critiquer, mais aussi la valider. Je remercie aussi l’équipe de
l’administration de l’Ipraus en particulier Christine Belmonte qui m’a aidée dans mes démarches
administratives depuis de longue date.
J’espère, par ce travail et celui à venir, que ma modeste contribution à la recherche sur
l’architecture, les villes laotiennes et la région de l’Asie du Sud-Est continentale, a l’honneur de
s’inscrire dans le prolongement des connaissances initiées et constituées par ceux qui m’ont guidée
et formée, et par ceux dont les travaux ont nourri ma réflexion.
Enfin, je remercie mes amis, ma famille et infiniment mon fils, pour avoir été patients et
indulgents à mon égard pour le temps et l’éloignement que j’ai dû prendre pour me consacrer à cette
thèse.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de
l’habitat ancien dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
Avant propos
Il est difficile pour celui ou celle qui agit et qui prend part aux actions, de prendre en même temps
de la distance, d'observer, d'analyser et de produire une connaissance qui servira peut-être aux
autres.
Lorsqu'on considère le métier d'architecte comme un engagement, et les actions des architectes
comme des partis pris, quoi qu'il en soit, nos décisions et nos actions –que ce soit dans le fait de
bâtir ou dans le fait de donner un avis, marquent aux yeux des autres notre prise de position. Celleci
se veut la plus claire possible, mais qui n'est pas sans équivoque, en particulier lorsque nous
sommes dans un contexte culturel bien particulier. Ce fut mon cas lorsque je suis amenée à
travailler au Laos, mon premier terrain.
Prendre position et agir, n'est-il pas déjà contradictoire à l'observation et à la recherche ? La
recherche, comme production de la connaissance, ne devient-elle pas, en ce cas pour l'architecte qui
entreprend de la faire, le reflet de ses propres actions narcissiques ou critiques ? De ce point de vue,
il ne serait pas recommandé aux architectes de faire de la recherche sous peine d'être mauvais
chercheur, ou au contraire, mauvais architecte parce que autocritique et indécis.
Mais, il est des lieux et des contextes où les conditions de base pour agir en tant qu'architecte sont à
constituer et formuler. Dans la rupture ou dans la continuité, pour exister et donner un sens à ses
actions, l'architecte a besoin de comprendre et de connaître l'espace et les hommes dans et pour
lesquels il intervient. Le Laos, le lieu de mes racines, pour lequel je fais des efforts et des sacrifices
pour aller à sa rencontre, m'est apparu comme un lieu plein de données et de matières, qui prête aux
actions les plus audacieuses... Mais avant cela, il a fallu tout décoder.
La recherche, répond à ce besoin de décoder et de comprendre, probablement pour mieux agir,
lorsque l'action ne suffit plus à s'auto-justifier. C'est probablement en cela que sert la recherche pour
un architecte.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de
l’habitat ancien dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
Sommaire
Remerciements
Avant propos
Sommaire
Introduction Page 1
1e
PARTIE. La mutation des centres historiques et des établissements anciens :
décomposition, recomposition, recyclage ? Etapes et processus. Page 29
Chapitre I. Le rôle de la réforme de 1986 dans la mutation spatiale. Rappel du context. Page 32
Chapitre II. Les occupations anciennes et les centres historiques d’aujourd’hui.
Altération et recyclage. Page 77
Chapitre III. La constitution et la recomposition de la ville et du territoire
d’aujourd’hui. Page 100
Conclusion. Page 166
2e PARTIE. La permanence et l’adaptabilité des fondations lao dans la durée.
Approches théoriques. Page 171
Chapitre I. Les éléments historiques et mythiques de formation
et de structuration de l’espace lao tai. Page 173
Chapitre II. La réception de modèles spatiaux et leur acculturation. . Page 219
Chapitre III. Les dispositifs et le destin des villes et des territoires.
Approche globale et état des lieux. Page 388
Conclusion. Page 408
3e PARTIE. 1975-1995 : La période de transition, racine de la fragilisation du rôle
spatial des centres historiques et des établissements anciens. Vue retrospective. Page 416
Chapitre I. Temps Un : les enjeux spatiaux et humains, un défi pour le nouveau régime. Page 416
Chapitre II. Temps Deux : les perspectives et la représentation d’un monde nouveau. Page 440
Chapitre III. Temps Trois : les bilans et leurs implications, la nécessité
de la réforme de 1986. Page 462
Conclusion. Page 199
Conclusion. Page 493
Annexe
1. Bibliographie. Page 503
2. Enquêtes de terrains et sources orales. Page 517
3. Adoption des termes et des noms propres. Page 518
4. Lexique des termes vernaculaires. Page 519
5. Acronymes et sigles. Page 522
6. Liste des illustrations. Page 524
7. Eléments chronologiques de l’histoire politique du Laos Page 526
8. Données ethnographiques du Laos Page 534
9. Evolution administrative et politique, programme de coopération international
de la RDPL Page 535
10. Table des matières. Page 540
Résumé, abstract. Page 546Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 1 -
Questionnement
Si les villes, l’habitat ancien et les territoires laotiens ont connu des évolutions depuis leur
fondation, les facteurs de permanence et d’adaptabilité spatiales leur ont permis de conserver leurs
principes fondateurs et leurs identités, notamment lorsqu’il s’agit de centres historiques. Mis à
l’épreuve par la dynamique des réseaux de villes et de territoires, les facteurs de permanence et
d’adaptabilité qui avaient permis aux villes et aux territoires – y compris ceux qui sont en marge de
ce réseau– d’“ absorber ” jusque dans les années 1970 les changements les plus radicaux sans que
leur structure spatiale et sociale ne connaissent de profondes ruptures, ne sont plus aujourd’hui en
mesure d’assumer ce rôle. Cela oblige alors une recomposition de l’espace et des villes. La
nécessité de redéfinition spatiale des fondations et des habitats anciens se serait imposée aux villes
pour s’adapter à un cadre urbain et territorial nouveau, notamment par des recompositions et des
recyclages (habilitation ou mise en valeur patrimoniale), par un changement d’échelle (du villageville
à la ville-territoire). Nos questionnements sont portés par trois idées principales issues des
observations et des analyses faites sur l’évolution actuelle de certaines villes et établissements
laotiens.
La première idée porte sur le constat d’une rupture spatiale profonde dans les habitats
anciens, intervenue particulièrement dans les dernières décennies, ce qui entraine une
nécessité de recomposition spatiale pour les villes et les territoires.
Depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000, les villes du pays connaissent un
développement accéléré, entraîné par les effets de la dynamique économique et politique de la
région de l’Asie du Sud-est continentale. Les villes laotiennes et leur territoire participent de plus en
plus à ce réseau régional. Tout en étant en position périphérique, certaines villes laotiennes
connaissent une mutation spatiale et des bouleversements, liés notamment à la diversification de
leurs acteurs. Dans nombre de cas, cette évolution compromet en premier lieu le devenir des centres
historiques ainsi que la qualité de l’espace urbain, de même que sa cohésion sociale et économique.
Tout en mettant à jour des traces matérielles et immatérielles du passé, tels les vestiges
archéologiques, les pratiques et les fonctions spatiales anciennes (maintenues vivantes et ancrées
dans les pratiques habitantes), en tant qu’éléments révélateurs et d’identification des centres
historiques, le développement des villes suscite aussi l’altération, voire, la destruction des traces du
passé. Nous assistons alors à un mouvement de recomposition de l’espace, traduisant de nouvelles
définitions et de nouvelles fonctions spatiales. Les rôles, les fonctions et la place des centres
historiques sont redéfinis par de nouveaux enjeux politiques, culturels et socio-économiques, par les
nouveaux acteurs qui se déploient, plus nombreux et plus diversifiés. Associées aux nouvelles
stratégies urbaines, aux pratiques habitantes (les parcours, les choix résidentiels et commerciaux, les
INTRODUCTION
08 FallDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 2 -
pratiques sociales et religieuses, les mouvements d’implantation et de migration) et à la question de
la centralité (centre / péricentre / périurbain / polycentre), des menaces pèsent sur la qualité urbaine
des centres historiques et sur leur rôle de matrice structurante et identitaire.
La deuxième idée concerne le constat d’une évolution endogène, jusqu’à ces dernières
décennies, des centres anciens comme révélateur d’une permanence spatiale.
Durant de longues périodes, du moins jusqu’aux années 1980, l’évolution des villes, qu’elle
soit endogène ou exogène, ne semblait pas remettre en cause ni leurs principes fondateurs, ni les
pratiques habitantes. L’espace des villes, y compris les plus isolées, évoluait tout en conservant son
mode fonctionnel et sa structure symbolique, que ce soit à l’échelle des centres historiques ou de
simples unités d’habitat. L’acte de fondation historique et symbolique des villes et les principes
d’organisation spatiale qui lui étaient associés, ainsi que les pratiques habitantes, semblaient
constituer même l’un des éléments de permanence, l’un des fondements de l’identité des villes. Ils
constituaient une base structurante qui déterminait l’évolution de l’espace et permettait de
conjuguer permanence et adaptabilité. En s’adaptant aux évolutions, tout en imposant aux acteurs
des modes d’organisation, les principes fondateurs ainsi que les pratiques spatiales assuraient aux
villes et aux territoires une mutation endogène dans le temps long, malgré les ruptures intervenues –
d’ordre événementiel, conjoncturel ou historique– facteur de transformation, de déstructuration,
voire de destruction. Cette idée conduit en fait à interroger les bases historiques et l’univers des
pratiques des espaces étudiés.
La troisième idée est la notion de “ ville absente ” comme fait spatial transitoire, entre période
de permanence et période de rupture.
La fragilisation des centres historiques et l’altération des pratiques spatiales trouveraient
essentiellement leurs causes dans le redéploiement (définition, changement, réutilisation) des
fonctions symboliques et idéologiques de l’espace dans les années 1975 et 1980, lequel jouerait un
rôle important dans la recomposition spatiale. Les notions de centre historique et d’habitat ancien et
le mode d’habiter la ville ont été altérés corollairement à l’altération de la notion même de ville. La
ville, son espace, ses composants sociaux, économiques, politiques et symboliques, en tant que
matrice structurante et identitaire, ont été reniés durant cette période. Négligeant les centres
historiques et leurs principes fondateurs, leurs valeurs pédagogiques et leur vécu spatial, les
pouvoirs publics et les habitants occupaient respectivement l’espace selon une projection
idéologique pour les uns et suivant une pratique d’occupation sans acte d’appropriation pour les
autres.
Entre la période où les villes évoluaient selon leurs matrices de fondation et les moments où
elles s’engagent dans de profondes recompositions, caractérisant la période actuelle, les années
1980 et le début des années 1990 semblent constituer une période transitoire illustrée par la notion
de “ ville absente ” et par le phénomène de “ squattérisation publique ”. A partir des années 1995 et
2000, les centres historiques se réorganisent peu à peu parallèlement à l’apparition de nouveaux
quartiers, aboutissant à une recomposition spatiale difficile à maîtriser, d’où la difficulté à identifier
les limites des centres historiques et à délimiter le territoire urbain lui-même.
Ces idées suscitent trois questions majeures :
1- Si, depuis les années 1990 et 2000, la ville se redéploie et se recompose, nécessitant de nouvelles
définitions et délimitations de l’espace urbain qui remettent en question la place qu’occupaient les
centres historiques et les habitats anciens, c’est que cette capacité d’adaptation s’est altérée. Les
questions de la recomposition et des limites de la ville, aujourd’hui, sont d’autant plus appropriées
qu’elles sont posées à l’heure où les espaces vierges et inexplorés n’existent plus en tant que tel,
mais sont approchés en tant qu’espaces et territoires à recycler (dans le sens du détournement et du
changement de fonctions et d’usage des espaces existants). Les transformations actuelles (depuis
quatre décennies) résulteraient moins des logiques internes relatives à l’habitat lao, que de
l’interactivité avec l’extérieur : les réseaux et la mise en relation des territoires.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 3 -
2- Si les villes et les territoires laotiens ont pendant une longue période –jusqu’aux années 1970 et
malgré la période coloniale qui constituait un tournant spatial important– connu une évolution
endogène et une “ idiosyncrasie ” spatiale, c’est qu’il aurait existé dans leurs principes fondateurs et
dans leur mode d’usage des éléments leur permettant de conjuguer des facteurs de permanence et
d’adaptabilité qui leur auraient été propres.
3- La période comprise entre les années 1970 et 1990 aurait introduit une rupture, laquelle
correspond au moment où les centres historiques marquent encore la ville de leur présence et le
moment où ils perdent leur rôle structurant et productif de l’espace urbain. Dans quelle mesure, la
période de transition des années 1975-1990 expliquerait-elle le processus d’altération des principes
fondateurs des villes qui ont perdu aujourd’hui leur rôle et leur fonction, leur force et leur capacité
de renouvellement et de production de l’espace urbain.
Hypothèses de réflexion
Notre réflexion s’appuie sur trois hypothèses.
La première hypothèse conçoit que l’altération des centres anciens à partir des années 1990,
est renforcée par l’interactivité entre le local et le global, entre le réseau et le territoire, entre les
pratiques habitantes et la planification, entre les disparités économiques et la dislocation territoriale.
Cette interactivité produit des effets fédérateurs d’intégration spatiale ou au contraire des effets de
résistance. La première hypothèse correspond à une nouvelle période de conception (perception) et
de production des villes, commencée à partir de la fin des années 1990. Les villes connaissent une
nouvelle phase de développement ; elles se redéploient et se recomposent dans un contexte
d’interactions fortes entre le local et le global. En résultent des effets d’intégration et de résistance
des villes qui modifient la structure et les pratiques de leurs espaces. Les disparités économiques
provoquent, dans les recompositions spatiales, la mise en marge des territoires, et ceci met en cause
les principes d’intégration, lesquels sont pourtant le leitmotiv des projets d’encadrements
territoriaux. Les centres historiques et les habitats anciens n’assument plus la fonction de matrice
structurante et identitaire. Ils deviennent des espaces dévitalisés et parfois abandonnés ou, dans
certains cas, des espaces “ recyclés ” et “ patrimonialisés ”, refondés sur de nouvelles bases. Après
la négation un peu brutale de la ville durant les années 1975, la ville a été prise en compte en tant
qu’entité spatiale, historique et politique par les acteurs et les décideurs urbains et territoriaux dans
les années qui ont suivi l’accélération de l’ouverture du Laos après 1986. Malgré le passage de la
négation à la “ reconnaissance ” de la ville –fait émanant des stratégies urbaine et territoriale de
l’autorité publique et mises à profit par les pratiques habitantes, il ne s’est pourtant pas constitué un
savoir sur la ville, son histoire, sa production territoriale de la part de ses acteurs et des décideurs.
Ce savoir, qui aurait pu soutenir la continuité spatiale et empêcher sa rupture, a été absent du
processus de développement : production urbaine et fabrications architecturales. La ville semble
être reconnue et considérée seulement comme entité politique et administrative. C’est visible dans
la stratégie urbaine des décideurs et des acteurs spatiaux, de privilégier plutôt une réflexion sur les
limites du périmètre urbain, sa gestion et son identité administrative, sans intégrer sa dimension
d’espace hérité et de centralité. Seules certaines perceptions de la ville et certaines pratiques
habitantes ont permis l’existence des espaces hérités, notamment par la place accordée à l’espace
vécu, aux notions de “ localité ” et de “ centralité ”, voire, en les réinterprétant.
La seconde hypothèse considère que les facteurs de permanence et d’adaptabilité des
centres historiques et des habitats anciens qui ont été altérés (fait soulevé dans la première
hypothèse) sont porteurs d’une évolution endogène. L’hypothèse que les villes et les territoires
laotiens auraient développé une évolution endogène et “ idiosyncratique ” sur une longue période
suppose l’existence de facteurs de permanence et d’adaptabilité spatiale liés à la matrice
structurante et identitaire des villes laotiennes, à l’œuvre dans leur évolution. Cette deuxième
hypothèse nous conduit à analyser les principes fondateurs de ces centres historiques et de ces
habitats anciens, leurs références, leurs évolutions.
La troisième hypothèse porte sur la rupture et le déracinement des centres anciens. Ce fait Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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trouve son origine dans la période de transition des années 1975 à 1980. A la différence de
l’évolution endogène propre aux périodes antérieures à 1975, nous faisons l’hypothèse d’une
rupture dans la capacité d’adaptation et d’un “ décrochage ” par rapport aux principes fondateurs de
la ville historique, lors de la période de transition des années 1975 et des années 1980. En
considérant les deux périodes –de continuité et de rupture– nous examinons le processus
d’altération des capacités d’adaptation des centres anciens. Nous étudions, tant les forces internes
qui entrent en jeu dans les transformations que le poids des interventions externes provoquant la
rupture.
Le terrain étudié et la terminologie
L’étude historique –l’objet principal de la deuxième partie de notre recherche– et l’étude
monographique de plusieurs villes, demandent un investissement long qui n’a pas été possible dans
le cadre de cette thèse. Aussi avons-nous opté pour une approche transversale, c’est-à-dire que les
villes sont appréhendées de manière thématique. Cependant, lorsque certaines problématiques sont
apparues pertinentes pour mieux comprendre leur organisation, leur trame et leur évolution, nous les
avons approfondies, comme par exemple concernant les questions de modèles symboliques et de
maillages du territoire. Un certain nombre de villes ont connu au départ des contextes culturels
semblables avant de suivre des trajectoires différentes de développement urbain. C’est le cas des
villes laotiennes qui ont connu une période d’expansion au cours des années 1960 puis une “
période de négation urbaine ” entre les années 1975 et les années 1980. Les villes du Nord et du
Nord-Est de la Thaïlande ont suivi une trajectoire différente, profitant d’abord des retombées
économiques de la guerre froide, éprouvées ensuite par la crise du pétrole et l’exode rural, puis
renouant avec une période de prospérité et de boum touristique interrompue par des crises
économiques. Les trajectoires urbaines des villes de cette région qui ont connu des périodes
contrastées (précoloniale, coloniale, de la guerre froide et enfin d’effacement partiel des idéologies)
pourraient faire l’objet d’une recherche spécifique, ce qui n’est pas le propos de notre étude qui est
plus axée sur le rôle des espaces hérités dans la fabrication de la ville d’aujourd’hui. Un choix
pertinent des villes à prendre comme cas d’étude, selon les thèmes traités, s’est imposé ainsi à notre
travail de terrain.
Ces trajectoires urbaines s’inscrivent aujourd’hui dans un contexte régional nouveau :
l’édification d’un ensemble régional plurinational1 intégré par les flux économiques régionaux qui
organisent le processus de régionalisation de la mondialisation.2 Cette dynamique régionale est
activement appuyée par la construction de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN),
de la Région Grand Mékong (RGM)3 et de la Commission du Mékong ou Mékong River
Commission (MRC).4 Avec la construction de ces ensembles régionaux et la volonté des Etats de
1 Nous préférons au terme transnational le terme plurinational pour signifier le rassemblement, hétérogène et
cacophonique, à l’œuvre, de plusieurs nations. 2 Théories des mondialistes et ceux des Alter mondialistes et aussi les travaux de Christian Taillard portant sur la
régionalisation de la mondialisation. In : l’Espace Géographique. 3 Great Mékong Sub-Region (GMS), pour la conception anglo-saxonne. 4 L’ASEAN, née le 8 Août 1967 lors de la déclaration de Bangkok, regroupe cinq membres –Thaïlande, Malaisie,
Singapour, Indonésie et Philippines– sous l’impulsion de Association of Southeast Asia (ASA), son ancêtre, fondée en
1961 par trois pays : Thaïlande, Philippines et Malaisie. L’organisation avait pour objectif de « promouvoir la stabilité et
la paix dans la région, la croissance, le développement et la coopération dans les domaines économique, social, culturel,
scientifique et administratif ». Conscients que leurs pays respectifs et la région pouvaient être entraînés dans la guerre
froide, les fondateurs –Thanat Khoman (Thaïlande), Adam Malik (Indonésie), Narciso R. Ramos (Philippines), Tun Abdul
Razak (Malaisie), S. Rajatnam (Singapour)– ont souhaité « lutter contre la subversion du communisme par le
développement économique et l’amélioration sociale des populations, ensuite éviter que la région soit utilisée comme
terrain de combat idéologique pendant la guerre froide, situation causée par l’extension éventuelle de la guerre du
Vietnam ». Quant à la RGM, créée par la Banque Asiatique de Développement (BAD) lors de la conférence de Manille en
1992, elle a pour objectif de « promouvoir le sens de la solidarité et de la communauté entre les pays du Mékong, à
travers la coopération et l’harmonisation des échanges économiques entre les pays ». Ses activités privilégient la
reconstruction des infrastructures de communication, financièrement soutenues par la BAD. Quant à la Commission du
Mékong (MRC), créée en 1958 avec le soutien de l’ONU sous le nom de « Comité du Mékong » regroupant des pays
riverains du cours inférieur du grand fleuve : Laos, Thaïlande, Cambodge et Sud-Vietnam, elle avait œuvré également
pour la coopération entre les pays du Mékong. Mise en œuvre en pleine période de guerre froide, le Comité du Mékong Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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constituer un ensemble régional harmonieux, ces nations tentent aujourd’hui de dépasser les
difficultés de leur propre construction nationale. Or les disparités socio-économiques et culturelles
existantes, l’histoire respective de ces pays et les tensions anciennes et nouvelles posent la question
de l’identité culturelle, territoriale et politique de certains d’entre eux. Elles demeurent un facteur
important de l’organisation territoriale, alors que celle-ci est souvent confondue avec l’identité
nationale et politique, qui est potentiellement sources de conflits.5 Du fait que les revendications
d’identité politique est liée à une identité localisée dans un territoire donné, il est important de
prendre en compte la dimension politico culturelle territorialisée : ses particularités, ses critères de
délimitation et les conditions de son évolution et de son intégration dans l’ensemble régional en
cours de constitution. Notre travail ne portant pas sur la question d’identité politique, nous
l’abordons dans le sens où la question est corollaire à des pratiques culturelles qui génèrent des
pratiques spatiales qui peuvent à leur tour induire certaines formes culturelles et sociales.
Le territoire politique laotien est défini par l’État-nation que constitue la République
Démocratique Populaire Lao (RDPL). Son territoire culturel –dans le sens du mode d’identification,
d’usage et de modélisation de l’espace urbain et des représentations partagées par ses acteurs– peut
déborder ses frontières nationales. Les espaces des deux Etats qui ont partagé une culture spatiale
commune jusqu’au milieu du XXe siècle, mais qui se sont développés dans des contextes
d’idéologie et de gouvernance distincts, évoluent de manière différente. Leurs politiques et leurs
projets de développement urbains et territoriaux ne peuvent que différencier les trajectoires de leurs
villes respectives. En revanche, lorsque les initiatives des acteurs privés ainsi que les pratiques des
habitants occupent une place plus importante dans la fabrication et le développement des villes –
dans la mesure où le développement urbain est peu réglementé– les écarts entre les deux ensembles
apparaissent moins importants, du fait des références culturelles communes. En fait, les écarts
renvoient au phénomène de clivage des modèles de références des deux pays : entre un modèle
politique économique différencié et un modèle culturel apparenté. C’est dans ce contexte particulier
que se situe l’analyse spatiale développée dans le cadre de notre recherche. Elle tente de
comprendre la place et le rôle de la fondation des villes et des habitats anciens, ainsi que la pratique
spatiale, dans la constitution et la recomposition du territoire d’aujourd’hui.
Sans ignorer pour autant ses composantes politiques et économiques, la prise en compte de la
dimension culturelle et identitaire du territoire lao nous a permis de définir l’aire géographique de
notre recherche de la manière suivante :
- Dans le territoire national laotien contemporain, nous avons retenu d’abord les villes du Nord les
plus importantes (Luang Prabang, Xieng Khouang, Muang Sing et Xieng Saèn) pour leurs données
historiques et leur mode d’organisation spatiale. Car ces villes, plus ou moins importantes,
aujourd’hui, possèdent leur histoire respective, les distinguant des unes aux autres. C’étaient parfois
des implantations qui possédaient leur propre histoire de fondation. Nous analyserons ensuite
Vientiane et certains villages et villes qui lui sont historiquement satellites caractérisés par leur
continuité historique. Nous nous intéresserons enfin à d’autres villes capitales provinciales de la
vallée du Mékong –Savannakhet, Thakkek, Paksé– pour comprendre leurs processus de
avait de grands handicaps. Actuellement ses principaux composants idéologiques ont évolué et la Birmanie est associée.
Cf., les travaux du groupe NORAO (Nouvelles Organisations Régionales en Asie Orientale, éditions scientifiques) : Sous
la direction de Christian Taillard, Intégrations régionales en Asie orientale, éd. Les Indes savantes, 2004 ; P. Pelletier,
Identités territoriales en Asie orientale, éd. Les Indes Savantes, 2004. 5 Les conflits entre Thaïs et Khmers sur le temple de Phrea Vihear, cf. http//fr.global voicesonline.org/2011/02/11/56577,
consulté à 12H12 le 24/06/2011 ; http//voi.org/06fev2011/religion/hinduism. Preahviheartemple andhinducivilization.html
; http//www.temples-angkor. fr/preahvihear.html) ; conflits lao-thaïe à Leuey et Sayaboury il y a une vingtaine d’années.
Les conflits ont provoqué plusieurs incidents frontaliers, dont une entre 1987 et 1988 causant plus d’un millier de morts
des deux côtés. Cf. ethnolyceum.wordpress.com/2009/12/31/Thaïlande-4000Hmong expulsés vers le Laos/les
efflorescences ; www.icrainternational.org/ actualités /714.) ; conflit à propos d’un film thaï retraçant la vie d’un
personnage –fictif ou réel– a blessé le sentiment national des Lao du Laos et de certains Lao du Nord-est de la Thaïlande,
au risque de déstabiliser les relations diplomatiques et politiques entre les deux pays (Cf. les débats sur la production du
long métrage Thao Souranaly produit par Pisan Akharaséni ; « The truth about Laos and Thailand, Laos and Thailand :
the conflict » : http:www.youtube, 22 novembre 2007.)
Fig. 1-a. Carte
du Laos avec la
localisation des
principales villes
du Vietnam et de
la Thailande.
Fig. 1-b. Carte
de la région de
l’ancien
Souvannaphoum,
au début du 2e
millénaireDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 6 -
développement depuis la période coloniale. Car ce sont effectivement des villes construites dans le
processus colonial. D’autres villes de l’intérieur du Laos seront parfois évoquées pour illustrer
certaines hypothèses de recherche.
- Dans les territoires de la rive droite du Mékong qui faisaient partie du Lane Xang historique –entre
le XIVe et la fin du XVIIIe siècle– ou qui lui étaient liés, nous nous intéressons aux villes du Nordest
de la Thaïlande, telles que Nakhon Phranom, Nakhon Rajasima (Khorat),6 Loeuy et Nan pour
leurs trajectoires historiques et la place qu’elles auraient occupé dans les empreintes culturelles.
- Dans le territoire du royaume du Lan Na qui a partagé avec le royaume du Lane Xang des
caractéristiques culturelles communes aux moments de leur fondation et à plusieurs périodes de
leurs histoires, nous évoquerons les villes de Chiangmai, Chiangrai et Chiang Saèn. L’objectif est
de saisir la différenciation des formes d’organisation de certaines villes ayant appartenu aux
systèmes politiques tai.
7
L’étude de chacune des villes n’est pas monographique mais transversale selon l’axe
thématique dont nous avons évoqué brièvement, dans différents points ci-dessous, la pertinence à
l’égard de la question de forme d’organisation spatiale. Par exemple, pour Oudon Thani, nous nous
sommes intéressés à la période de son extension durant la période de la guerre froide et après,
durant les années 1980, parce que cette période est liée indirectement à la situation du Laos. Pour
Oubon Rajathani, ce qui a retenu notre attention, c’est l’histoire de sa fondation en tant que centre
du pouvoir du Nord-est de la Thaïlande au XIXe siècle, lequel aurait donné naissance aux autres
villes Issanes. A ce titre (intérêts différenciés et informations variables), les sites n’ont pas fait
l’objet des mêmes travaux de terrain. Dans certains cas où ils ont été visités rapidement ou évoqués
à travers un corpus informatif déjà existant, les informations recueillies sont globales ; dans d’autres
cas, leurs analyses ont été plus approfondies.
Le choix de la notion de territoire culturel pour élaborer notre réflexion est significatif, car il
nous permet de ne pas entrer dans les débats existant qui opposent trois idées : celle d’abord de la
« perte du Laos Occidental en faveur de la Thaïlande » entretenue dans l’historiographie laotienne.8
Elle est d’ailleurs contestée, et c’est un second débat, depuis le début du XXe siècle par les
nationalistes thaïs qui affirment que « c’est le Siam qui a perdu le Laos Oriental en faveur de la
France, événement sans lequel le Laos n’existerait pas aujourd’hui ».
9 Enfin venant contrebalancer
les deux précédents, un troisième débat porte sur l’existence même d’une grande unité politique
lao à l’initiative du Lane Xang. Celle-ci aurait été particulièrement significative à deux moments :
6 Nakhone Rajasima semble avoir été intégré dans le Lane Xang de manière périodique. Les caractères ethnolinguistiques
et culturels de ses populations sont fortement proches des Lao du Lane Xang. 7 Tambaya ; Condominas ; P. et S. Clément ; Ch. Taillard, Habitations et habitat d’Asie du Sud-Est continentale :
pratiques et représentations de l’espace, laboratoire Asie du Sud-est et monde austronésien, Equipe Asie du Sud-est
continentale, édité par J. Matras-Guin, Christian Taillard, L’harmattan, 1992, pp 305-342. 8 Il n’y a pas d’ouvrage nationaliste proprement dit, née de l’auto exaltation et du sentiment de fierté nationale. Le
sentiment nationaliste lao semble être un “ état d’esprit, un attitude ” né non pas d’une idéologie mais d’un traumatisme
historique collectif, lié à l’événement du roi Anouvong et de la chute de Vientiane, transmis de génération en génération.
La période coloniale semble en plus stigmatiser le complexe du colonisé. Tout laotien est capable de tenir un discours anti
colonial et anti pan-thaï, mais aucun de ces discours n’est idéologique, ils se nourrissent du vécu des générations passées.
Sur la question du territoire nord-est thaïlandais, les travaux nationalistes n’existent pas en tant que tels. Mais retenons
quelques noms dont le langage et la méthode sont en dehors de l’orthodoxie scientifique. Ceci qualifie d’emblée la plupart
des travaux d’historiens laotiens. A commencer par S. Viravong, S. Phothisane, P. Douangsisavath. Le cas de A. Padijon,
auteur de Chronologie de l’histoire du peuple Lao 3000 av. J-C. > 2000 après J-C, (300 p, France, 2001, édité par
l’auteur) sans bibliographie, est particulier. Ce dernier est un inconnu et bien que son nom soit romanisé, il est probable
que ce soit un laotien utilisant un nom d’emprunt.
9 Deux ouvrages en Thaï : Vichithavong Na Pomphet, membre de l’académie royale, La guerre de réclamation
territoriale. L’armée thaïe dans le conflit avec l’Indochine française, 1940-1941, éd. Sèngdao, Bkk, 2009 ; Soumet
Southiranonh (dir.), Le nationalisme dans les manuels scolaires. Les préjugés et les mépris à l’encontre des pays voisins
transmis dans les manuels scolaires, éd. Silapavathanatham, Bkk, 2009. Le premier ouvrage représente le point de vue
officiel et nationaliste de l’élite intellectuelle thaïe vis-à-vis du Laos et vue à travers les exploits militaires lors des conflits
avec l’Indochine. Le deuxième ouvrage est une critique de ce nationalisme, inculqué à plusieurs générations à travers le
système éducatif, entrainant le mépris généralisé des Thaïs vis-à-vis des autres nations voisines : Birmanie, Laos,
Cambodge et MalaisieDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’abord au moment de l’émergence d’un puissant sentiment identitaire lao constitué autour de la
« guerre de libération » avortée du roi Anouvong de Vientiane en 1827-1828, ensuite, à l’époque
coloniale lorsque les autorités françaises ont fait appel au sentiment national laotien pour contrer
l’occupation siamoise et japonaise au cours des années 1940-1941.10 Ces débats entre
“ nationalistes ” lao et thaïs, d’une part, et historiens de formation occidentale, d’autre part,
interrogent la question de l’identité politique des territoires. Mais le débat semble dépassé dans la
mesure où l’identité politique des territoires du Laos, du Nord et du Nord-est de la Thaïlande est
relativement plus instable que l’identité culturelle et ethnolinguistique des populations qui y
habitent. Tout au long de l’histoire, les muang structurant ces territoires sont alternativement et
politiquement dominés par les deux principaux centres de pouvoir tai : Ayuthya (pour les Siamois)
et Vientiane-Luang Prabang (pour les Lao), sans compter les incursions périodiques de la Birmanie,
du Daï-Viet et de la Chine, avant que ce schéma ancien ne soit rompu par le système colonial
occidental.
Bien que l’objectif de notre recherche ne soit pas de répondre aux questions des identités
politiques, celles-ci jalonnent de manière sous-jacente notre réflexion sur la fondation des centres
historiques et des habitats anciens, leurs modèles spatiaux et leurs acteurs. Elles interrogent le choix
des limites de notre investigation et nécessitent une explication préalable. Sans prendre part à ces
trois débats, nous pouvons noter qu’ils peuvent être réconciliables dans la mesure où les territoires
étudiés sont liés à la mobilité des hommes qui véhiculent des pratiques culturelles et spatiales,
marquant de leurs empreintes l’organisation sociale et les systèmes de représentation. Ils ont
constitué des éléments d’identification dans l’espace et le temps à différentes échelles, et ont
participé à la construction des organisations territoriales urbaines contemporaines que nous
étudions, quelles que soient l’identité et l’appropriation politique revendiquées ou attribuées
aujourd’hui.
Une difficulté de cette approche porte sur la définition des termes utilisés pour désigner les
lieux qui font l’objet de notre recherche. Ces définitions renvoient à des échelles de temps et
d’espace comme à des aires géographiques et culturelles différentes pour chacun des sites analysés.
Nous ne nous situons pas dans une approche chronologique qui identifierait la production des
strates spatiales successives ni dans une perspective hiérarchique qui distinguerait les monuments,
les habitats villageois et les constructions urbaines de taille plus ou moins importante. Nous prenons
le parti de faire émerger des types et des processus qui ont suscité la production des structures et des
formes spatiales étudiées, quelle que soit leur appartenance à des aires culturelles ou géographiques
et les périodes de ces productions. Quel que soit le moment de la production des structures et des
formes spatiales étudiées, avant ou dès le XIVe siècle. Ceci, en ce qui concerne les monuments ou
10 Sur le nationalisme lao lié à la politique coloniale, plusieurs historiens donnent leurs points de vue en ce sens.
Chansamone Voravong (ancien Lao Issara, assistant du Prince Phetsarath lorsque celui-ci s’était réfugié en Thaïlande)
nous apprend qu’il a été témoin du soutien des Français pour officialiser le mouvement Lao-Issara. En 1940-1941 la
France sous Vichy connaît un affaiblissement en Indochine. Les hostilités entre Thaïs et Français, qui s’intensifient sur le
sol laotien à partir de la déclaration de guerre de la Thaïlande contre l’Indochine le 7 janvier 1941, ne prend fin que lors
du traité de Tokyo le 9 mai 1941, où la France a cédé Champassak et Sayaboury y compris quelques îles du Mékong au
Siam. Ce dernier est soutenu par le Japon qui occupe une position forte dans le Pacifique et en Indochine. Profitant de
cette faiblesse, le Siam, qui revendique d’autres territoires lao et khmers placés sous le protectorat français qu’il n’a pu
récupérer lors du traité de Tokyo, incite les Lao et les Khmers à se soulever contre “ l’occupant occidental ” par des
slogans et des propagandes nationalistes, en incluant les Khmer et Lao dans “ l’unité pan-thaï ”. Le brassage idéologique
siamois est momentanément coupé de la réalité historique précoloniale où, aux yeux des deux peuples concernés, le Siam
occupait lui-même avant l’arrivée des Français un rôle d’occupant. La France, en position de faiblesse à cause de la
montée du nazisme en Europe et dans le Pacifique –avec les Japonais– qui n’a pas beaucoup de choix d’action et craignant
de perdre le Laos oriental face aux revendications siamoises, réplique alors avec la même stratégie en soutenant le
sentiment national lao et le mouvement qui l’incarne, le Lao-Issara et aide à la création de son journal Lao Gnaï, contreattaquant
les propagandes siamoises. Cf. pp 164-165, exemplaire de Lao Gnaï, in: Creating Laos. The Making of a Lao
Space between Indochina and Siam, 1860-1945, Soren Ivarson, NIAS Press, 2008. Cf. Grant Evans, Histoire résumé du
Laos, éd. Silkworm Books, BKK, 2006 (version Lao). Cependant, de l’intérieur de la société lao et contrairement à toute
allégation qui place le Lao-Issara comme une pure création française, le sentiment national existait préalablement et
rassemblait un groupe d’élites locales autour du Prince Phetsarat. Il est vrai, le groupe hostile à l’autorité coloniale et
prônant l’indépendance sera formalisé pour devenir le mouvement Lao Issara (Lao libre) au moment des hostilités francosiamoises.Dispositifs
spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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les sites importants (les monuments That Phranom ou That Luang), les centres historiques (le
quartier des cinq pagodes de Vientiane ou du mont Phu Si à Luang Prabang), les sites
archéologiques (le site de Muang Tonh Pheung), les quartiers (les quartiers d’artisans de Nong
Chanh et de Nam Passak à Vientiane), les villages (ban Phaylom et ban Lingsan dans la plaine de
Vientiane) et les villes (Muang Khoun, Nakhon Rajasima, Vientiane, Luang Prabang, etc.) Quel que
soit leur degré d’ancienneté, nous les désignons dans notre recherche, de façon générique, par les
expressions “ occupation ancienne ”, “ habitat ancien ”. Les termes “ centre ancien ” et “ centre
historique ”, souvent utilisés, désignent plutôt les sites existant dans une aire urbaine ou une aire
dotée d’une certaine centralité. Cette terminologie est issue d’une approche comparative des sites
appartenant à une même aire urbaine ou géographique, qui distingue les sites anciens ayant eu un
rôle central à un moment donné de l’histoire et les sites qui se sont développés, simultanément ou
postérieurement, mais qui n’ont pas occupé une position centrale dans cette aire. Ainsi, le quartier
des cinq pagodes au centre de Vientiane est qualifié d’ancien et central par rapport au quartier de
Dong Palane de création très récente.
Quant au terme “ fondation ”, il recouvre pour nous aussi bien l’acte rituel que l’acte matériel
d’édification. Autrement dit, il prend en compte aussi bien les composantes physiques et
morphologiques que les éléments immatériels tels que les modèles symboliques, les représentations
et les pratiques spatiales, qui constituent l’armature invisible de ces habitats. La fondation renvoie,
d’une part, aux actes d’édification dans leur matérialité qui sont datés, et, d’autre part, aux rituels et
aux pratiques symboliques inscrits dans les croyances et les pratiques religieuses très anciennes,
animistes comme bouddhiques. Nous illustrons notre propos par l’étude de quelques lieux et villes
présentant et formulant les pratiques de fondation.
Méthodologies
Particularités du contexte des travaux de terrain
Lorsqu’elles ne sont pas commanditées ou approuvées par l’autorité locale, les enquêtes de
terrain au Laos sont officiellement interdites. En l’occurrence, les sujets délicats peuvent faire
l’objet de rejet non seulement par l’autorité locale, mais aussi par la population ; par exemple, les
questions relatives aux processus d’acquisition et de baux fonciers par les entreprises étrangères
nouvellement installées au Laos, ou alors la question concernant le statut de certains logements
confisqués qui ont été réattribués.
Certaines informations recueillies sont issues d’interviews et de discussions effectuées
depuis les années 1994,11 avant-même que soit entreprise la réalisation de la présente thèse. En ce
qui concerne certains témoignages, notamment les questions relatives à la vie quotidienne et aux
travaux collectifs durant les premières années du régime ou encore les questions relatives aux
conditions de vie des anciens pensionnaires des camps de rééducation, cela ne semble pas poser de
problèmes en termes d’actualisation des données. En revanche, d’autres données ont nécessité
vérification et réactualisation. Certaines enquêtes ont parfois été reçues avec peu d’enthousiasme
par les personnes interrogées et d’autres doivent être interprétées avec précaution. Le
fonctionnement de l’administration laotienne étant très hiérarchique et le système d’archivage des
organismes publics étant quasiment absent, la recherche de la documentation rencontre souvent des
difficultés. Par contre, les interviews des trois ou quatre dernières années portant sur l’organisation
administrative et la mise en place des municipalités ont été plus aisément conduites auprès des
agents du gouvernement.
Sources historiques : corpus et critiques
11 Au moment où j’ai commencé à rassembler les données pour mon mémoire de TPFE présenté en 1997.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les annales anciennes qui constituent les sources de référence relatives à l’histoire de la
fondation des habitats anciens sont de seconde main et font intervenir plusieurs auteurs. Elles ont
été analysées, annotées et réinterprétées par des historiens et des anthropologues de générations
différentes et dont les points de vue sont divergents. L’historiographie lao présente par ailleurs une
grande disparité selon les périodes.
Période contemporaine depuis les années 1970
L’histoire contemporaine du Laos ne fait pas l’objet de controverses particulières. Ceci du
fait d’une carence de spécialistes de l’histoire contemporaine du Laos et aussi du fait de la
permanence d’une conception officielle de l’histoire qui ne permet pas de réels débats dans le pays.
L’historiographie de cette période présente encore beaucoup de non-dits et de tabous ; elle reste à
écrire. Aussi, notre approche prenant en compte l’histoire des sociétés et de leurs empreintes
spatiales reste exploratoire et semée d’embûches. Elle combine faits et témoignages, d’acteurs ou de
témoins, ainsi que de « notre propre vécu », notamment pour la période du changement de régime
en 1975, de la ruralisation de la ville, de l’émigration de 15 à 20 % de la population vers l’étranger,
de la mobilité interne de la population vers les provinces ou depuis les provinces. Ces données ont
été croisées avec les documents officiels du gouvernement laotien ou produits par des pays
étrangers et des organismes internationaux (ONG, Amnesty International, les Nations Unies - le
Haut Commissariat pour les réfugiés, etc.)
Revenons brièvement sur ce que j’appelle “ notre propre vécu ”. En 1975, âgée de six ans,
j’ai été témoin du changement de régime, sans en comprendre le sens. J’ai assisté notamment à
l’arrestation de parents proches et de mon père envoyé en camp de rééducation pour huit ans. Restée
presque deux ans avec ma famille sous le nouveau régime, j’ai vécu l’embrigadement à l’école
(notamment les activités culturelles, le jardinage et l’élevage pour l’autosuffisance), vu les adultes –
et notamment ma mère mobilisée pour les réunions politiques, les travaux collectifs obligatoires de
curetage des canaux à Vientiane, acheter au marché noir certains produits comme de l’essence et de
la viande, et vendre –toujours au marché noir– des bijoux, des vêtements, des draps pour survivre.
J’ai ensuite vécu avec ma famille la traversée périlleuse du Mékong en pirogue, les patrouilles des
gardes frontières qui tiraient sur ceux qui tentaient de traverser le fleuve, et l’arrivée dans le camp
de réfugiés en Thaïlande où je suis restée plus d’une année. De retour au Laos dans le cadre de
missions de coopération et de recherche à partir de la fin de l’année 1998, mes rencontres avec les
personnes qui ont vécu dans les anciennes zones libérées12 m’ont permis de connaître la vie dans
“ l’autre territoire ” qui était “ parallèle ” à celui de la société lao de Vientiane durant la guerre
froide. Mes séjours quasi-permanents au Laos m’ont permis d’acquérir une perception de l’intérieur
différente de celle que j’imaginais depuis l’extérieur durant les années 1980 et 1990. Consciente que
je n’échapperais pas aux critiques relatives à ma situation de “ spectateur engagé ” (pour reprendre
les propos de Raymond Aron) ou de vision “ partiale et biaisée ”, c’est avec précaution alors que
j’utilise ces données, en prenant soin de les recouper, quand c’est possible, avec des publications
portant sur le sujet.13
Les rapports d’Amnesty International et du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR)
citent des chiffres et des noms de manière non exhaustive. Les associations qui venaient en aide aux
réfugiés, quant à elles, recueillaient des témoignages, mais ne situaient pas ces données dans leur
contexte. Quant à la recherche historique contemporaine, elle est lacunaire à bien des égards. Les
travaux de Grant Evans et de Stuart-Fox, les plus à jour pour les sources se rapportant au sujet,
restent encore partiels. Ceux de Jean Deuve pour la période post-coloniale se rangent dans la lignée
12 Les zones libérées de Luang Namtha ont été constituées suite à la défaite de l’armée royale. Ce qui a permis le 23 juin
1962 la formation du gouvernement de coalition tripartite.
13 Souvannavong, La jeune captive du Pathet-Lao ; Sivilay M., La route Numéro 9 ; Bouphanouvong N., Sixteen Years in
the Land of Death. Revolution and Reeducation in Laos ; Sicard D et M-N., Au nom de Marx et de bouddha. Cf.
Bibliographie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 10 -
des ouvrages de sciences politiques.14 Les deux ouvrages de témoignage du Prince Mangkhra
Souvannaphouma15 proposent des éléments de réflexion historique et politique. Les historiens lao
accrédités par le pouvoir ne traitent pas vraiment cette période. Lorsqu’ils l’abordent indirectement,
leurs propos manquent d’objectivité du fait de leur position d’acteurs, engagés dans la politique
gouvernementale, et de données fondées que les interdits politiques empêchaient de rassembler.
C’est sans doute une des raisons qui expliquent qu’il y a peu de travaux détaillés sur cette période. Il
est moins compromettant pour les historiens nationaux de travailler sur la période siamoise et
française que de travailler sur les années 1970 et 1980.
Le Laos compte peu d’historiens contemporains d’origine lao ; on note cependant Mayoury
et Pheuiphanh Ngaosyvathana, et Souneth Phothisane.16 Aussi, les travaux de Grant Evans, de
Stuart Fox et de Soren Ivarson17 constituent-ils des références incontournables du fait de la diversité
de leurs sources. Parmi les écrits produits par la diaspora, non dépourvus d’intérêt, on trouve des
textes “ partisans ” ou “ engagés ”, et aussi des ouvrages bien documentés, tels que ceux de C.
Norinh18 et l’ouvrage collectif de S. Phinith, P-N Souk-Aloun et V. Thongchanh.19
En dehors des travaux historiques, il faut mentionner les recherches fondamentales sur
l’espace cultuel et ethnographique menées par les anthropologues comme Archaimbault et
Condominas. Quant aux études plus récentes, bien que leurs approches soient fragmentaires, leurs
champs de recherches fournissent cependant des données qui peuvent palier les pages manquantes
de l’histoire contemporaine de ce pays. Citons les travaux de A. Doré, de C. Charon-Baix20 en
sociologie portant notamment sur les Lao depuis le camp de réfugiés jusqu’à leur arrivée en France,
de D. Bertrand et de V. Thongchanh en ethnopsychologie,
21 de O. Evrard qui analyse finement le
rapport entre le sol et l’inter ethnicité.22
Enfin, un grand intérêt doit être porté aux travaux de recherche présentant une certaine
particularité par rapport aux travaux d’histoire ou par rapport aux travaux en ethnologie et en
sociologie déjà mentionnés. Par leur affiliation au CNRS ou aux autres structures de recherche, le
caractère actif de leurs analyses des faits souvent en cours de constitution (traitant de processus en
train de se dérouler) inscrit l’ensemble de leurs travaux en cours dans une sorte d’observatoire. Une
analyse distanciée de ces données, menée a posteriori, apporterait un complément de
compréhension à l’histoire contemporaine. Il y a les travaux de V. Pholsena sur l’identité politique
et culturelle, ceux de Christian Taillard sur l’analyse territoriale inter-régionale, ceux de K.
Voraphet sur l’aspect économique, puis ceux des chercheurs de l’IRD qui sont plus axés sur les
problématiques de développement
Enfin, notre travail est particulièrement attentif aux travaux des architectes urbanistes,
professionnels indépendants et chercheurs. Les plus significatifs sont ceux des chercheurs de
14 Grant Evans ; Stuart-Fox ; Jean Deuve, Le Royaume du Laos, EFEO, 1984 et Guérilla au Laos, L’Harmattan, 1997. Cf.,
la bibliographie. 15 Souvannaphouma M., L’agonie du Laos ; Laos. Autopsie d’une monarchie assassinée. Cf., la bibliographie. L’Agonie
du Laos est un témoignage de la période qui s’étend de la guerre froide à la fin du régime monarchique. L’Autopsie d’une
monarchie assassinée porte un regard rétrospectif sur la période d’avant 1975 et témoigne de la recomposition de la vie
sociale et politique des Laotiens de la diaspora, tout en portant un regard critique tant sur son organisation sociale que sur
la politique du gouvernement de la RDPL.
16 Mayoury et Pheuiphanh Ngaosyvathana, Souneth Phothisane, cf., la bibliographie. 17 Les sources des trois chercheurs anglo-saxons combinent les enquêtes conduites tant à l’intérieur du pays qu’auprès de
la diaspora lao qui ne partage généralement pas la vision officielle de l’histoire contemporaine. Cf. la bibliographie. 18 Chou Norinh cf., la Bibliographie. 19 Savang Phinith, Phou Ngeun Souk-Aloun et Vanida Thongchanh, Histoire du pays lao. De la préhistoire à la
république, L’Harmattan, coll., Recherches Asiatiques, Paris, 2001. 20 Amphay Doré, Catherine Charon-Baix. Cf., la bibliographie. 21 Didier Bertrand et Vanida Thongchanh, cf., la bibliographie. 22 Olivier Evrard, Chroniques des cendres. Anthropologie des sociétés khmu et dynamiques interethniques du Nord-Laos,
éd. IRD, coll. A travers champs, Paris 2006.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’Ipraus, auxquels la présente recherche se rattache.23 Ceux-ci traitent de l’anthropologie de l’habitat
lao, de l’organisation et du devenir spatial, architectural et urbain de la région, en rapport avec le
mode de gestion et de gouvernance en cours, mais aussi en rapport avec la vision patrimoniale.
Nous nous appuyons sur les travaux d’ethno-architecture entrepris par Sophie et Pierre Clément au
début des années 1970 sur l’architecture vernaculaire qui fonde une connaissance de base de
l’anthropologie de l’espace lao. Nous nous référons également aux recherches de C. Goldblum sur
les villes du Sud-Est asiatiques et, plus récemment, sur les études menées au Laos sur le
développement et la gouvernance urbaine, en liaison avec les travaux de B. Sisoulath sur le
développement urbain des vingt dernières années.24
Période ancienne
Ne situant pas notre travail dans le champ de l’histoire, j’utilise les sources pour recueillir
des informations et non pas en vérifier la crédibilité historique, ou en discuter les interprétations qui
nécessiteraient un important travail en dehors de notre champ de compétences. Toutefois, il est
nécessaire de pouvoir identifier celles qui manquent de sources et de références. Ainsi nous avons
dû, lorsqu’il est nécessaire, proposer une interprétation différente à partir des sources que les
historiens ont traitées.
Pour les sources anciennes, ont été consultées pour notre recherche historique, les travaux et
ouvrages des auteurs que nous citons dans les notes au fur à mesure et dans la bibliographie. Ceci,
parce que nous ne pouvons pas consulter directement les documents anciens d’origine, sauf un
manuscrit qui date de 1927, intitulé Annales du Laos, Luang Prabang, Vientiane, Traninh et
Bassac.
25 Néanmoins, apportons ici quelques indications sur ces écrits sur lesquels les historiens
fondent leurs travaux. Il s’agit du Nithan Khun Bourom, du Phongsāvadān Lao, du Thao Hung
Thao Tch’ueng, du Kotmai bouran lao, du Tamnan Oulangkhrathat, des Chroniques du Lan Na et
du Nord-ouest du Laos (Singhanavathi, Jinakalamalini et Chronique de Souvannakhomkham), des
Chroniques de Vientiane et des Chroniques Muang Phouan. Nous citerons également certaines
inscriptions lao et siamoises qui sont les plus utilisées en historiographie. Pour cela nous sommes
principalement redevables aux travaux de G. Coedès et de L. Finot, dont certains sont revisités par
M. Lorrillard. Nous avons pris également connaissance d’autres travaux critiques des sources
effectués par les chercheurs de l’EFEO, anciens et récents.
1. Nithan Khun Bourom, annales historiques, écrites sur feuille de latanier en lao ancien,
utilisant l’écriture Tham. D’après le texte de présentation du Phongsavadan lao de Sila Viravong, il
y aurait cinq livres qui correspondent à cinq versions du Nithan Khun Bourom, lesquels ont
constitué la base pour la rédaction de son Histoire du Laos depuis les origines jusqu’à 1946.
- La première version du Khun Bourom serait une œuvre collégiale rédigée par Phra Maha Thep
Luang et les hauts dignitaires de Luang Prabang vers 1503-1504. C’est la version la plus utilisée par
les auteurs. Elle commence avec l’histoire des Lao depuis leur “ origine mythique des courges ” et
s’arrête à l’époque historique de Vixun dont le début de règne date de 1500. Cette version semble
originale, car elle évoque l’origine “ préhistorique ” des Lao Tai à travers le mythe des courges.
L’ethnie lao serait sortie des courges percées avec un fer brûlé, précédée par les aînés qu’étaient les
aborigènes à la peau sombre parce qu’ils seraient les premiers sortis des trous carbonisés.
23 Vattana Pholséna, Christian Taillard, les chercheurs de l’IRU et de l’Ipraus, cf. la bibliographie. 24 Bounleuam Sisoulat, 2010 Vientiane, Stratégie de développement urbain : processus et acteurs de l’urbanisation dans
la capitale de la RDPL, thèse de l’université Paris X-nanterre. Cf. Bibliographie. 25 Annales du Laos, Luang Prabang, Vientiane, Traninh et Bassac, publié la 22e année de règne de Sa Majesté Sisavang
Vong, roi de Luang Prabang, 1927. Les auteurs et l’éditeur ne sont pas mentionnés. Le manuscrit est en Lao datant
d’avant la réforme grammaticale des années 1930, il est sans doute basé sur deux annales anciennes : le Nithan Khun
Bourom et le Phongsāvadān Lao.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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- La deuxième, écrite à Vientiane, reprend l’essentiel de la première version, mais elle s’arrête au
règne de Saèn Soulinh et date de ce règne, l’année 1567. S. Viravong suggère que Phra Arya
Vangso en soit l’auteur.
- La troisième reprend les deux précédentes et date de 1627 sous le règne de Nôkéo kumman. Le
nom de l’auteur ne serait pas mentionné.
- La quatrième, reprise des précédentes versions, aurait été écrite sous le règne de Say Ông Hué vers
1705-1708. Le nom de l’auteur ne serait pas non plus mentionné.
- La cinquième aurait été écrite sous le règne de Manthathourath vers 1856 par un certain
Houaphanh Muang Boun. D’après S. Viravong, cette version comporterait une annexe donnant une
chronologie résumée des règnes des rois du Laos depuis la fin du règne de Suryavongsa jusqu’à
l’année 1847.
Dans son ensemble, le Nithan Khun Bourom rapporte l’histoire du peuple tai lao, mais aussi
ses origines légendaires et mythiques. Il a été étudié et annoté par ceux qui ont étudié l’histoire des
origines des Lao et du Laos. Parmi les anciens, il y a les annotations de F. Garnier, de A. Pavie, de
E. Aymonier, de L. Finot, de G. Coédès, de C. Archaimbault, de L. Pontalis, de T. Hoshino, de S.
Viravong, de K. Vongkotrattana, et enfin de O. Phomvongsa26. Le compte-rendu de P-B Lafont en
1963 de l’ouvrage : Laos, Its People, Its Society, Its Culture, de Frank M. Le Bar et A. Suddard27
participe à cette critique, et apporte en plus des critiques aux travaux d’interprétations de ces
sources par les chercheurs anglo-saxons. Plus récemment M. Lorrillard, en effectuant une analyse
de l’historiographie lao dans l’article « quelques données relatives à l’historiographie lao »,
28 a
apporté une critique sur cette source ainsi que sur le Phongsavadan lao. Les historiens considèrent
le Nithan Khun Bourom comme une source historique unique qu’ils exploitent toutefois avec
précaution, parce que pour eux le ton et la méthode de son écriture se rapprocheraient de l’écriture
des légendes.
2. Thao Hung Thao Tch’ueng a principalement été annoté par Sila Viravong, repris et
enrichi par D. Boungnavong, O. Khaminsou, S. Vilaysack, dans une réédition récente publiée en
deux volumes.
29 Les travaux de Sila Viravong ont également été repris et traduits par Chamberlain
lors d’un colloque en 1979.30 Notons que si les auteurs lao s’y réfèrent comme à un ouvrage
historique, le texte du Thao Hung Thao Tch’ueng n’est pas considéré comme une source historique
véritable par les auteurs occidentaux. Il est surtout étudié comme l’une des plus grandes œuvres
littéraires de langue tai, qui aurait été composée entre le XIIIe et le XVIe siècle. D’après le texte de
présentation de la nouvelle édition, une autre source originaire du Lan Na, le Cāmadevīvamsa, dont
le drame principal est quasi identique, pourrait être rapprochée de cette œuvre épique. Elle a été en
partie étudiée par Jean Ripaud dans Les gestes de Pragna Xu’en.
26 Cf. Garnier F., Voyage d’exploration en Indo-Chine, effectué pendant les années 1866-67-68 ; Pavie A., Annales du Lan
Xang (1898), Etudes diverses, t. I. Recherches sur la littérature du Cambodge, du Laos et du Siam ; Aymonier E., La
société du Laos siamois au XIXe siècle ; Finot L., « Annales du Lanxang : origines légendaires - Fondation du Royaume
de Lanxang Hom Khao » ; Coédès G., « Document sur l’histoire politique et religieuse du Laos occidental » ;
Archaimbault Ch., « La naissance du monde selon les traditions lao. Le mythe de Khun Bulom », in : La naissance du
monde ; « Annales de l’ancien Royaume de S’ieng Khwang » ; Lefevre-Pontalis P., Voyage dans le Haut Laos et sur les
frontières de Chine et de Birmanie ; Hoshino T., Pour une histoire médiévale du moyen Mékong ; S. Viravong,
xts;aflkf]k; c8j[6]kog(u’ 1946 ou Histoire du Laos, de la période ancienne jusqu’à 1946, éd. Bibliothèque Nationale,
Vientiane 2001. C’est l’édition la plus récente de l’historien. Il y a trois autres éditions : 1-celle de 1957-1958 intitulée
Phongsavadan lao, rq’lk;tfko]k;, utilisée comme manuel scolaire, 2-celle de 1973 toujours intitulée Phongsavadan lao,
rq’lk;tfko]k;, 3-celle de 1997 intitulé Histoire du Laos ; Vongkotrattana K., Phongsadavan sat lao, Vientiane ;
Phomvongsa O., Khouam Penh ma kong lao 27 Dans le BEFEO, année 1963, vol 51, N°1, P. 208-215. Lafont P-B. a effectué un compte rendu critique de l’ouvrage de
Frank M. Le Bar et Adrienne Suddard (editors) et alia. Laos, Its People, Its Society, Its Culture, cf. Bibliographie. 28 Lorrillard M., « Quelques données relatives à l’historiographie lao », BEFEO, Année 86 (1999), p 219-232. 29 S. Viravong, Thao Hung Thao Tch’ueng. Volume 1, publié en 2000, volume 2 en 2003, dans le cadre des études de la
Bibliothèque Nationale et du Comité de Recherche en Littérature de l’Université Nationale du Laos. 30 James R. Chamberlain, « A Lao epic poem: Thao Hung or Cheuang », cf. bibliographieDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 13 -
3. Kotmai bouran lao, le droit coutumier lao [dqfs,kp[6Iko]k;]. C’est un ensemble
d’ouvrage juridique composé de traités, de codes et de décrets royaux totalisant huit livres
(Khamphi, 7eru) de 1500 pages :
- Le livre I, Khamphi Moulatantaï [7eru ,6o]t8aow8], traitant des enquêtes et des instructions
juridiques.
- Le livre II, Khamphi Soysaykham [7eru lvHplkp7e] traitant des règles et des bases juridiques
comportant 227 articles ;
- Le livre III, Khamphi Dhammasat Luang [7eru rtma,,tlkfs];’]. Ce livre constitue le fondement
principal du droit coutumier. Il renferme des codes généraux avec 431 articles et est divisé en cinq
chapitres correspondant aux cinq préceptes bouddhiques desquels il s’est inspiré. Le premier
chapitre régit la protection des personnes, le deuxième la protection des biens et du commerce, le
troisième, la famille, les relations conjugales et les mœurs, le quatrième, les conflits, le cinquième
les délits liés aux drogues et à l’alcool ;
- Le livre IV, Khamphi Souvannamoukha [7eru l5;aoot,5d0k], traite du code civil avec des cas de
jurisprudence ;
- Le livre V, Khamphi Rajasat [7eruiklkf], traite des droits et obligations des monarques vis-à-vis
des sujets et de l’État ;
- Le livre VI, Khamphi Phosarat et Sangha Hapakhon [7eru 3rlkikfla’skxtdvo] ;
- Le livre VII, Khamphi Anachark et Thammachark du Thammasat [7eru vkok9adma,,t9ad csj’
ma,,tlkf], est composé de huit chapitres. Le nom du huitième livre n’a pas été mentionné par
Samlith Bouasisavath l’auteur des annotations de l’ensemble du manuscrit qui a effectué récemment
une translittération et publication en lao moderne. Il a sans doute été rassemblé au livre VI par
l’auteur.
Cet ancien manuscrit peut être exploité suivant les thèmes traités, notamment les parties qui
traitent du droit du sol figurant dans le livre VI. Nous utilisons uniquement les annotations issues
des travaux de Samlith Bouasisavath,
31 car nous ne trouvons pas d’autres sources aussi complètes.
Dans « La propriété foncière selon les traditions coutumières au Laos » Georges Condominas,
Inpèng Suryadhaï et Christian Taillard32 ont basé leurs travaux sur les anciens codes de Vientiane
annotés par Phouvong Phimmasone.33 Concernant les codes de Vientiane, un manuscrit juridique
ancien, nous pensons qu’il s’agissait d’un des livrets appartenant au Phra Dhammasat Luang, et ce
livret serait probablement des cas de jurisprudence et non pas des codes généraux. D’après Samlith
Bouasisavath, le droit coutumier a été écrit en Lao ancien et aurait été daté du XVIe
-XVIIe siècle,
rédigé en partie sous le règne de Souryavongsa. Le droit coutumier semble régir entièrement la
société lao ancienne et certains codes constituent une grande partie du fond juridique d’aujourd’hui.
Bien que les annotations de Samlith Bouasisavath nous livrent d’importantes informations sur les
sociétés lao anciennes, il est regrettable que les historiens et juristes contemporains ne se penchent
pas de manière plus complète sur cet ensemble de textes.
4. Tamnan Oulangkhrathat [8eoko v5]a’0tmkf], ouvrage complexe qui relate uniquement les
événements se rapportant aux histoires religieuses. Ce sont souvent des histoires fabuleuses qui
réduisent considérablement la crédibilité des textes aux regards des historiens. Il semble appartenir
à une tradition sudiste : il ne concerne pratiquement que les événements ayant lieu dans le Sud du
pays et contient peu de chose sur le Nord (au-delà de Vientiane). Il renferme des informations sur
31 Samlith Bouasisavath, Kotmai bouram lao, cf. Bibliographie. 32 Condominas G., Suryadhaï I., Taillard Ch., « La propriété foncière selon les traditions coutumières au Laos », cf.
Bibliographie.
33 Phouvong Phimmasone a annoté un certain nombre d’écrits lao anciens, qui ont fait l’objet de contribution aux
ouvrages collectifs. Notamment la littérature bouddhique lao, le Tipitaka, les traités de grammaire, de l’astrologie, de
métrique, de politique, etc. in : Présence du Bouddhisme, cf. Bibliographie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 14 -
les événements et les constructions religieuses telles que la construction des that dans la région de
Nakhon Phranom, ainsi que des renseignements sur les sites religieux de Vientiane. Il n’existe pas à
notre connaissance de version complète d’annotations en lao et en thaï modernes. Celles qui font
l’objet de publication dans les deux langues ne concernent que certains chapitres. Il y aurait par
ailleurs d’autres annotations manuscrites en lao, mais non publiées. Pour notre part, nous avons pu
avoir entre les mains deux publications en Thaï utilisant le Tamnan Oulangkrathat. L’une est
intitulée Oulangkranithane et l’autre Histoire résumée de that Phranom.34 En lao, nous avons pu
avoir trois publications, dont deux courtes publications fragmentées du ministère des Cultes :
Histoire des stupa et des vat les plus importants et celle de Phra krou Gnot Kéo Phonnesamek en
partie annotée par Chanh Inthouphilath ; Chao Raja Khrou Luang Gnot Kéo Phonnesamek annotée
par Phra Thep Rattanamoly ; la troisième publication, plus élaborée, a été éditée lors des crémations
de Phra Louk Kéo Khoun Manivong.35 Du fait que le Tamnan Oulangkhrathat n’est pas un texte
traitant de l’histoire proprement dite et du fait que nous ne travaillons pas directement sur leur
critique, nous prenons le parti de ne pas rechercher d’autres annotations que ces cinq publications
existantes.
5. Singhanavati, Jinakālamālini, Camadevivamsa, Chronique de Souvannakhamkham,
sources spécifiques du Lan Na et du Nord-ouest du Laos, au même titre que Nithan Khun Bourom
pour le Lane Xang, ont été largement utilisées par les historiens travaillant sur les origines
historiques du Lan Na et sur la période antérieure. Plusieurs études leur ont été consacrées, de
manière complète ou évoquée à travers des études thématiques.36 Elles seront reprises en partie et
référencées par les recherches plus récentes, notamment celles de A. Doré, de H. Rattanavong et de
M. Lorrillard.37
6. Chroniques de Vientiane et Chroniques de Muang Phouan, Pheun Vieng et Pheun Muang
Phouan, [rNo;P’ rNog,Nv’r;o]. Ces textes sont des témoignages historiques de grande importance
pour l’historiographie lao de la fin du XVIIIe à la fin du XIXe siècle. Ce sont des chroniques que les
historiens n’ont sans doute pas complètement exploitées. Elles donnent des informations liées
majoritairement aux événements relatifs au règne de Chao Anu, à la chute de Vientiane et de Muang
Phouan et aux déplacements des populations, qui ont inspiré plusieurs études thaïes38. Nous
consultons leurs annotations en version lao effectuées par le Comité de Recherche en Littérature de
l’Université Nationale.39
34 Kéo Outhoummala, Oulangkhra nithan ; Phra Thep Rattanamoly, Histoire résumée de that Phranom, cf. Bibliographie. 35 Chanh Inthouphilath - Ministère des Cultes, Histoire des stupa et des vat les plus importants et celle de Phra krou Gnot
Kéo Phonnesamek ; Phra Thep Rattanamoly - Ministère des cultes, Chao Raja khrou Luang Gnot Kéo Phonnesamek ;
Nithan Oulangkhrathat. Cf. Bibliographie. 36 La mission Pavie a effectué une traduction de Nang Kiam Maha Tévi (Camadevivamsa) dans les Etudes diverses. Les
mémoires de Lefèvre-Pontalis, L’invasion thaïe en Indochine, se basent également sur les chroniques locales. Dans
Documents sur l’histoire politique et religieuse du Laos Occidental, Coedès a traduit et analysé deux chroniques : la
Camadevivamsa et le Jinakalamalini. Ripaud et Hoshino ont repris certains passages et ont réalisé des interprétations sur
d’autres thématiques. Cf. Jean Ripaud, Les gestes de Phaya X’uen ; Tatsuo Hoshino, Pour une histoire médiévale du
moyen Mékong. Op, cit. 37 « Jalons pour une histoire du Lan Na avant le XIIIe siècle : une approche ethno-historique », in, Péninsule, A. Doré a
analysé plusieurs sources du Lan Na : Chronique de Souvannakhomkham, Chronique de Souvanna Khamdaeng,
Chronique de Sinhanati (Singhanavati), Chronique du Maha Thera Fa Bot, Chronique de Lamphun, Chronique de
Chiangmai, Chronique de Kengtung, la Camavedivamsa et la Jinakalamalini. H. Rattanavong a revisité la Chronique de
Souvannakhomkham en effectuant une reconnaissance de Souvannakhomkham à Muang Tonh Pheung. Cf.
Souvannakhomkham bourannasathan hèng sat. Quant à M. Lorrillard, son travail étant appuyé avant tout sur les sources épigraphiques : chroniques, annales, inscriptions et témoignages archéologiques, il a revu un nombre important de
chroniques du Nord et les a surtout confrontées du point de vue des écritures et sous l’angle de la philologie. In :
« Souvannakhomkham ou Chiang Saen rive gauche ? » ; « Ecritures et histoire : le cas du Laos », cf. Bibiographie. 38 Thavath Pounothork, Pheun Vieng : études historiques et culturelles Issane, Bangkok, Université Thammasat, 1983 (en
thaï) ; Bang-On Piyaphanh, Histoire des populations lao dans les colonies intérieures au début de l’époque
Rattanakosinh, thèse de doctorat de lettres, département de l’histoire de l’Asie du Sud-est, Université Silapakorne, 1986
(en Thaï).
39 Pheun Vieng de l’époque de Chao Anu, Comité de Recherche : langue et littérature lao, Département des Lettres de
l’UNL, éd. Hongphim Suksa, Vientiane, 2004 ; Pavatsat Muang Phouan, K. Vongkhottratana, 1952 ; Khab Muang
Phouan, Comité de Recherche : langue et littérature lao, Département des Lettres de l’UNL, Vientiane, 2001.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 15 -
Les différentes sources anciennes ont contribué à l’élaboration de certaines de nos
hypothèses, du moins elles ont participé à la pertinence de l’élaboration de certains de nos
questionnements qui tentent de trouver des éléments de réponse dans les travaux de terrain. Par
exemple en confrontant certaines données du Nithan Khun Bourom et du Thao Hung Thao
Tch’ueng cela a permis d’élaborer des hypothèses sur la personnalité de Thao Hung, notamment de
l’historiser et de le mettre en parallèle avec l’origine de certains muang. Les travaux de terrain
(interview) ont permis de suggérer que le terme Mèng qui désigne Thao Tch’ueng (le personnage
central du Thao Hung Thao Tch’ueng) ne se réfère pas forcément aux Môns et aux Khmers, mais
éventuellement aux Tai, c’est-à-dire aux Tai mèng (Tai muang, qui veut dire, ceux qui détenaient
les muang.)
Présentation et lecture
Nous avons constitué une annexe afin d’apporter des informations supplémentaires et de
faciliter la lecture de l’ensemble de notre recherche.
L’annexe 1 contient la bibliographie, les références et les sources. Concernant les références
historiques, mes recherches s’appuient sur les travaux des chercheurs contemporains qui avaient pu
accéder aux manuscrits historiques anciens. Du moins, si les documents qu’ils consultaient n’étaient
pas des originaux, ils ont été recopiés par des scribes et traduits. Pour ma part, les ouvrages
originaux anciens rédigés tant en langues étrangères (en Chinois et en Vietnamien) qu’en Tham lao
n’ont pas été consultés, pour des problèmes de langue et d’accessibilité. Par contre, j’ai pu consulter
les extraits des ouvrages en Lao ancien, en Lao moderne et en Thaï. Etant des anciennes
publications leur consultation complète est aujourd’hui parfois difficile, voire inaccessible, certaines
d’entre elles –auxquelles les auteurs faisaient référence, ont été perdues.
Concernant les auteurs qui ont eu accès aux manuscrits originaux et aux inscriptions, ce
sont d’abord les auteurs lao qui ont édité des ouvrages en langue lao. Il y a notamment Sila
Viravong, Tiao Khamman Vongkotrattana, Oukham Phomvongsa ; ensuite, ce sont les auteurs
étrangers (laophone ou non) qui n’ont pas édité des ouvrages en Lao mais en langues étrangères. Il
y a notamment Francis Garnier, Auguste Pavie, Etienne Aymonier, Louis Finot, George Coedès,
Charles Archaimbault, Tatsuo Hoshino, Lefèvre Pontalis, et le plus récent, Michel Lorrillard. Ces
auteurs ont généralement recours aux traducteurs locaux. Etant donné l’anonymat des traducteurs
des anciennes traductions dont nous ne connaissons pas les compétences pour certains textes, nous
nous réservons le droit de suggérer quelques critiques, si pour certaines réflexions les auteurs
peuvent se contredire suite aux traductions. Par ailleurs, il est à signaler que les mêmes sources
manuscrites peuvent posséder plusieurs versions. Les contradictions ou les erratas éventuels
peuvent exister dans différentes versions dues à ceux qui étaient en charge de recopier les
manuscrits. Ces derniers ont parfois modifié le contenu des manuscrits, ce qui peut brouiller les
données et les interprétations ultérieures des historiens. Il faut noter que les auteurs français
consultent davantage les inscriptions et procèdent à leur traduction en français, après les avoir fait
traduire en lao, notamment en ce qui concerne Auguste Pavie, Louis Finot et M. Lorrillard. Ce qui
n’est pas le cas des auteurs Lao. Ces derniers donnent plus la priorité aux manuscrits.
Les références bibliographiques sont organisées en trois groupes. Le premier concerne les
études des manuscrits anciens tels que le Nithan Khun Bourom, ainsi que diverses inscriptions, des
ouvrages translitérés, traduits ou annotés à partir des anciens manuscrits originaux. Le deuxième ce
sont des ouvrages portant sur le Laos et les pays d’Asie et la région du Mékong (Thaïlande,
Vietnam, Cambodge, Birmanie, Chine), le troisième, des ouvrages généraux. Toutes les références
sont classées par nom d’auteur, pour les références d’auteurs anonymes, elles sont classées par leur
titre.
L’annexe 2 comporte des enquêtes de terrain de trois types. Les enquêtes de terrain sans
interview ni questionnaires consistent à mener un travail d’observation sur un lieu donné afin de
réaliser un relevé ou afin d’évaluer par exemple la fréquentation d’un lieu. Les recueils oraux basés
sur des interviews à partir des sujets lancés au départ d’une discussion et enfin les enquêtes basées Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 16 -
sur des questionnaires. Pour la citation des références, lorsque nous avons l’autorisation des
personnes interviewées, leur nom figure dans la liste, dans le cas contraire, seul le sujet d’interview
sera indiqué, et seront mentionnés soit le statut social, le métier et les occupations, soit une simple
mention montrant le lien de pertinence entre le sujet et la personne interrogée.
L’annexe 3 comporte l’adoption de certains mots et des noms propres, et le lexique des
termes vernaculaires. Compte tenu de leur vulgarisation dans deux territoires de langues communes
ou proches, mais dont la prononciation, l’écriture et le sens diffèrent, il est nécessaire d’adopter une
écriture pour les termes vernaculaires utilisés dans cette recherche afin d’éviter les contresens. Pour
les termes ne trouvant pas de correspondance appropriée en français, nous les gardons en lao dans le
texte. En ce cas, ils sont traduits dans le lexique qui fait l’objet de l’annexe 4. Pour les termes
d’origine pali et sanskrite, se déclinant différemment en Thaïlande et au Laos, nous adoptons le plus
souvent l’étymologie pali à cause de la dominance de cette langue dans le lao contemporain. Par
exemple nous adoptons plutôt Dhamma (Pl) que Dharma (Sk) et utilisons principalement le Lexique
étymologique Lao pali-sanskrit de Bounthanh Sinavong.40
L’annexe 5 comporte les acronymes et les sigles qui sont uniquement en français et en
anglais, ou phonétiquement en lao. L’annexe 6 comporte la liste des illustrations : tables et
organigrammes (Tab.), photographies, photographies aériennes, plans, cartes et autres documents
graphiques (Fig.) Les illustrations sont classées par ordre numérique, placées en fin de chaque
partie.
L’annexe 7 est une chronologie de l’histoire politique du Laos avec des dates repères de
l’Asie du Sud-Est. Elle commence au moment de la scission du Lane Xang en 1707 et se termine en
2008, le moment où nous arrêtons d’effectuer nos travaux de terrain. Nous pensons que les
événements autour de 1707 ont joué un rôle important dans l’aire géographique que nous étudions
et ont eu des conséquences sur la configuration de l’espace contemporain.41
L’annexe 8 comporte des données ethnographiques du Laos, l’annexe 9, l’évolution
administrative et politique ainsi que les programmes de la coopération internationale de la RDPL et
enfin, l’annexe 10, la table des matières détaillée permettant un meilleur repérage du contenu du
texte.
Articulation des thèmes et concepts mobilisés dans le contexte particulier du Laos
Rappelons que nous faisons trois hypothèses principales. Premièrement, les recompositions
contemporaines des villes, leurs dynamiques d’intégration ou de résistance, ont été influencées par
l’effet négatif de l’altération des fonctions spatiales et symboliques. Deuxièmement, l’altération des
potentialités de permanence et d’adaptabilité des éléments fondateurs ainsi que celle des fonctions
spatiales et symboliques des villes a ses racines plongées dans les années 1975-1980. Celles-ci
constituent alors une période charnière. Troisièmement, les bases fondatrices des habitats anciens
étaient porteuses des facteurs de permanence et d’adaptabilité spatiale qui permettaient un
développement endogène et une idiosyncrasie spatiale des villes avant 1975.
Ces trois hypothèses mettent en évidence le mécanisme de la transition entre deux périodes :
période de permanence où les trames historiques héritées de la fondation étaient intrinsèques au
processus de constitution et d’évolution des villes, et période de rupture où celles-ci ont été
fragilisées et altérées telles que nous les connaissons aujourd’hui. Comment s’est opéré ce moment
de transition ; comment cette transition a-t-elle mis à l’épreuve les facteurs de permanence et
d’adaptabilité que possédaient encore indéniablement jusqu’au début des années 1970 les habitats
40 Bounthan Sinavong, Lexique étymologique lao pali-sanskrit, éd. SADDA, 2007. 41 Les chronologies proposées dans : le Phongsavadan lao de Sila Viravong ; l’Histoire des peuples lao de Sithoui
Souvannasi ; Le Lane Xang avant la colonisation française de Thongsavat Phraseuth ; Historical dictionary of Laos de
Martin Stuart-Fox. En ce qui concerne la vérification des dates d’événements des dix dernières années, Vientiane maï et
Le Rénovateur ont été utiles.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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anciens au Laos ? Par quel processus ont-ils été fragilisés ? Telles sont les questions auxquelles
nous tenterons de répondre.
Le concept de fondation des villes que nous utilisons se rapproche des travaux d’analyse des
villes européennes de Pierre Lavedan. L’historien de la ville distingue d’un côté « les villes
artificielles, créées en un jour par la volonté d’un homme » ou ville planifiée et, de l’autre, « les
villes spontanées, nées du hasard et qui grandissent peu à peu ».
42 Pour notre approche des habitats
lao, nous combinerons ces deux catégories. Car ces deux catégories entrent en jeu dans la
constitution et dans le développement des villes laotiennes, et ne peuvent pas être dissociées comme
deux processus indépendants. Dans les deux cas, ce sont les pratiques de l’espace qui sont les
facteurs dominants, qui encadrent leur devenir et qui les font, ou non, perdurer.
Il faut aussi expliquer la particularité du concept de ville planifiée dans le contexte des
habitats lao anciens. En Europe, les “villes planifiées” sont concrètement représentées par des plans
(documents graphiques, maquettes.) et inscrites dans des politiques, accompagnant la grande
époque des théories de l’architecture et de la ville, remontant à l’Antiquité mais développées surtout
à la Renaissance.43 A contrario, pour les rares villes laotiennes anciennes, aucun plan témoignant
d’une planification ni aucun texte théorique n’a été retrouvé. La forme actuelle de la ville lü de
Muang Sing, par exemple, suggère pourtant qu’une logique de planification a présidé à son
édification, comme en témoignent la morphologie et l’organisation de la ville elle-même avec son
enceinte en terre, ses trames quadrillées, ses îlots et ses parcelles bien délimités mais pas
entièrement occupées. Cependant, notre enquête sur place porte à croire que le plan de Muang Sing
n’aurait pas été « dessiné » comme on l’aurait volontiers pensé. Nous n’avons trouvé aucun plan sur
place, alors que les Siamois auraient retrouvé un plan ancien à la fin du XIXe siècle, et celui-ci leur
aurait servi pour dresser le plan de 1889-1890. Dans d’autres cas, alors que la planification paraît
physiquement absente et que la ville semble se développer de manière spontanée, les données
historiques suggèrent au contraire qu’il y avait eu une intention de planification du pouvoir royal,
mais celle-ci fut dépourvue de représentation graphique. A Vientiane par exemple, il a été
implicitement indiqué que « des populations ont été installées et des constructions ont été
commanditées »
44 au moment où Sethathirat édifia la capitale. Dans les deux cas de figure,
l’absence de plan conduit à penser que si ces villes ne possédaient pas de représentation et de plans,
elles furent probablement le fruit d’un travail de planification. C’est ce que nous essayons de
comprendre. Il convient alors de définir ce que pouvait couvrir un travail de planification à l’époque
de l’édification de Vientiane. Il fallait entendre par « planification », une succession de projets à
bâtir et des ensembles de populations à installer, sur un espace donné ou décrivant un espace, selon
les règles de l’art et selon les bonnes augures (croyances) et conduites par une ou des idées
communes émanant de la volonté du souverain et des grands du royaume.
Pour saisir le processus de constitution des habitats lao anciens, nous développons une
approche autre que celle conçue par la culture urbaine européenne qui, comme nous l’avons
souligné, a développé depuis l’Antiquité un savoir relatif à la représentation de la ville, sa
conceptualisation et sa théorisation. Ce savoir est devenu un outil de connaissance et un instrument
de planification dans le sens où « la ville rentre dans le champ d’un savoir plus fractionné, celui des
techniques et des professions ».
45 En l’absence d’un tel savoir dans la culture laotienne, nous nous
sommes orientés vers l’histoire en conduisant une lecture analytique de l’organisation politique et
de la structure symbolique des espaces. Nous nous sommes intéressés aux rites et rituels de
fondation et aux pratiques de l’espace qui ont laissé des empreintes dans la pratique habitante.
Les périodes de permanence et de rupture sont abordées ici en terme spatial et non temporel.
Si le temps intervient dans la mesure où les caractéristiques spatiales se sont constituées dans la
durée, ce sont les caractéristiques spatiales qui constituent notre objet de recherche. La “ période de
42 Pierre Lavedan, Histoire de l’urbanisme, Antiquité, Moyen Age, publié en 1926, H. Laurens. 43 Théorie de l’architecture de la Renaissance à nos jours, éd. Taschen, Italie. 44 Phongsavadan Lao. Op, cit. 45 Marcel Roncayolo, Lecture de la ville, éd. Parenthèses, Marseille 2002.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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permanence ” valorise les éléments de fondation et les trames historiques urbaines, lesquels
fonctionnant comme modèle, sont des éléments structurants de son édification et de son avenir,
notamment lorsque la ville les intègre dans sa dynamique de renouvellement. Les héritages des
fondations anciennes marquent de manière durable la construction spatiale. A contrario, nous
parlons de “ période de rupture ” lorsque l’espace de la ville et du territoire n’intègre plus les
centres anciens comme élément porteur du renouvellement.
Les facteurs d’évolution, de permanence et d’adaptabilité sont multiples ; leur importance
varie selon la méthode d’analyse utilisée. Les facteurs d’évolution des villes peuvent être
notamment démographiques, économiques ou historiques. Les facteurs de permanence et
d’adaptabilité des centres anciens sont régénérés, même au-delà des ruptures, lorsque interviennent
des dynamiques de renouvellement urbain. Notamment la réappropriation spatiale par des pratiques
habitantes est une des dynamiques urbaines. La réappropriation spatiale montre la capacité de
renouvellement et d’adaptabilité des centres anciens aux nouvelles pratiques spatiales. Et lorsque les
projets de renouvellement sont réalisés dans la rupture et qu’il n’y a plus de phénomènes
d’appropriation dans la pratique spatiale, on est dans une situation de décalage et de rupture avec les
éléments fondateurs, la dynamique du renouvellement spatial est alors tarie.
Ces notions de rupture et de permanence spatiale sont repérables à plusieurs moments de
l’histoire urbaine tant dans les pays européens (notamment au temps de la révolution industrielle et
des transports, au temps de la reconstruction) que dans les pays en développement. Dans ces
derniers, c’est notamment au cours des trois dernières décennies – des années 1970 au début des
années 1990 – que la plupart des villes du Sud-Est asiatique ont connu une période de croissance
importante et se sont développées selon une logique à plus grande échelle. Ces villes ont alors
dominé les campagnes tout en maintenant, à l’intérieur même des aires urbaines, les structures
héritées des quartiers et villages, exacerbées par la différenciation sociale et les disparités
économiques. A Bangkok par exemple, les villages et quartiers anciens, dépassés et “ rejetés ” par
l’extraterritorialité des réseaux et des grands complexes bâtis (centres commerciaux, malls,
condominiums.) se sont décomposés pour se reformer ailleurs, constituant les kampung et les
nouveaux villages ; et souvent dans des quartiers insalubres ils ont formé des slums qui ont perduré
et finirent par caractériser un type d’habitat urbain à part entière, comme dans de nombreuses villes
asiatiques.
Organisation de la recherche
La recherche est articulée en trois parties. La première donne un aperçu sur la recomposition
de l’espace contemporain tout en analysant la place qu’occupent les centres urbains anciens. La
deuxième analyse la fondation des habitats lao anciens et les domaines qui participent à leur
compréhension. La troisième tente de comprendre rétrospectivement la période de transition des
années 1975-1990 qui a été porteuse de rupture.
La première partie
A partir des années 1990, les villes entrent dans une phase de changement radical à laquelle
est consacrée la première partie de la recherche. Les liens avec les principes ayant présidé à leur
fondation se fragilisent, certains sont même rompus : les structures du bâti et les trames urbaines
historiques, les références spatiales et symboliques, révélées au cours de l’histoire des villes et au
cours de leur évolution, commencent à s’estomper. Si les travaux de reconfiguration de la voirie de
Vientiane entre le milieu des années 1990 et le début des années 2000 ont mis au jour de nombreux
vestiges archéologiques de la ville ancienne, si le récent inventaire du patrimoine architectural et
l’étude typologique du bâti46 a permis de mieux comprendre l’évolution des trames urbaines, de sa
46 Les études typologiques et d’inventaire architectural ont été principalement réalisés à Luang Prabang dans le cadre du
classement de Luang Prabang au patrimoine mondial de l’Unesco vers 1994, et à Vientiane, lors de la mise en place de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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composition tissulaire et architecturale, ils n’ont cependant pas permis leur protection et leur
intégration dans la dynamique de développement urbain d’aujourd’hui. Aussitôt apparus et aussitôt
disparus, les vestiges découverts laissent à peine le temps d’entreprendre des fouilles rapides,
d’esquisser une compréhension succincte de la structure historique de la ville. Les éléments bâtis,
mais aussi l’usage des espaces naturels anciens (défini comme une écologie urbaine) considérés
comme mémoires spatiales des villes et de ses pratiques sont démolis chaque jour. La
compréhension de la structure historique et humaine de la ville, de son composant écologique,
aurait pu devenir un élément décisif dans le devenir de la ville en rétablissant un rapport de
complémentarité entre la ville et ses racines historiques. A contrario, nous observons un phénomène
de rupture forte avec ses principes fondateurs et avec ses modèles d’évolution accompagnés des
potentialités qui leur sont liées. Aussi assistons-nous à un véritable mouvement de déstructuration et
recomposition de l’espace urbain, de ses fonctions et de ses acteurs.
Vingt années après la période de guerre froide, période durant laquelle certaines villes et
certains territoires de la région du Mékong ont connu des retombées économiques de la guerre tout
en connaissant une stagnation du développement urbain, et vingt années après la crise pétrolière
mondiale de la fin des années 1970, le Laos s’est engagé dans une politique d’ouverture après une
décennie de « dictature populaire et de collectivisme ». Les villes, progressivement, se remettent en
réseau à l’échelle nationale comme régionale. Même en position périphérique, situation de la
majorité des villes laotiennes, nombre d’entre elles connaissent une mutation majeure de leur
organisation spatiale qui compromet le rôle structurant des centres historiques et des habitats
anciens et de leurs pratiques. Cette mutation remet en question la cohérence et la qualité des tissus
urbains, des tissus sociaux et de leurs territoires, souvent plus vulnérables lorsque ces derniers
étaient auparavant mis à l’écart de l’urbanisation.
Le développement actuel met en présence deux faits contradictoires : d’un côté, le
développement, qui induit les démolitions, enlève aux centres anciens leur rôle de structuration
interne du tissu urbain, leur espace social et culturel, au nom de la nécessité d’un renouvellement,
souvent justifié par le désir de modernité, de fonctionnalité et surtout par l’intérêt pour le foncier.
De l’autre, le développement met au jour, suite aux démolitions, des traces matérielles et
immatérielles du passé, révélatrices d’usages de l’espace, de fonctions, de modes d’organisation
sociale, partie prenante indéniablement de l’identité structurante de ces villes.
Pour faire face aux nouvelles dynamiques spatiales qui s’imposent aujourd’hui – d’un côté,
l’intégration régionale et la mise en réseau des métropoles, de l’autre la révélation de structures
internes récemment mises au jour – l’organisation spatiale des villes est appelée non plus seulement
à évoluer mais à se métamorphoser en absence de modèle. Les villes, leurs territoires et leurs
sociétés sont en recomposition, et leur devenir traduit l’ambiguïté des politiques de développement.
D’un côté, s’affirme une volonté de donner la priorité à un développement conçu de manière
irréconciliable avec la conservation des héritages du passé, considérés comme un frein, et de l’autre
le désir d’en conserver les traces. Ces volontés contradictoires sont visibles à travers les décisions
prises pour mettre en place certains projets urbains qui mettent en péril les héritages du passé. Elles
sont aussi exprimées par la mise en place de nombreux dispositifs, tels les décrets, les institutions
affairant et les projets se voulant exemplaires relatifs à la conservation du patrimoine.
Ces contradictions traduisent sans doute, dans la politique de développement de l’État laotien,
une timide tentative d’établir un équilibre, entre « conservations des héritage du passé » et
« modernisation, fonctionnalisation », choix de développement très souvent conçus de manière
irréconciliable avec la conservation des héritages du passé. Cette tentative d’équilibre aurait pu être
une dynamique nouvelle pour la politique de la ville et du territoire ; mais elle manque de
l’Atelier du Patrimoine, projet de coopération entre l’ancien Institut des Recherches Urbaines (IRU) et l’Institut Parisien
de Recherche : Architecture, Urbanistique, Société (IPRAUS) 1999-2004.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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volontarisme pour être porteuse d’un véritable recadrage. Elle n’a pas pu apporter un regard critique
sur la qualité de l’aménagement du territoire conduit par les pays de la région, ce qui jette un doute
sur leur devenir immédiat et ultérieur. Aujourd’hui, les projets d’aménagement du territoire et les
projets de ville, quel que soit le jugement qualitatif et esthétique que nous pouvons porter,
fournissent les premiers éléments d’un constat, les premiers indices sur le rôle et les fonctions des
centres et des habitats anciens qui demeurent plus que jamais fragilisés.
Depuis la fin des années 1990 et 2000, la ville se déploie, repoussant toujours plus loin ses
limites. La première partie de cette recherche tente de comprendre les processus : le rôle des centres
anciens dans les recompositions spatiales contemporaines, les ruptures par rapport aux principes
fondateurs et l’altération de leurs éléments structurants. Notre objectif est de saisir la place
qu’occupe l’espace ancien (fondateur de la ville) dans la ville d’aujourd’hui, aux regards des
nouveaux modes de la production et de la gestion urbaine, des politiques d’aménagement du
territoire conduites par les pouvoirs publics. Ceci, avec ou sans l’aide des acteurs privés ou des
investisseurs étrangers, avec ou sans la mise en réseau des villes à l’échelle régionale.
Nous abordons dans cette première partie le devenir contemporain des villes du Laos, le
rôle de leurs centres anciens, les nouveaux enjeux spatiaux dans le devenir des sociétés. C’est pour
éclaircir ces questions que nous étudions la pratique habitante parallèlement à la planification
urbaine. A plus grande échelle nous proposons d’étudier les interactions et leurs résultantes entre le
local et le global, entre le réseau et le territoire, entre la disparité de croissance économique des
territoires et leur dislocation, entre effets fédérateurs et effets de résistance. Il s’agit de comprendre
l’effet de l’intégration régionale sur l’équilibre des écosystèmes urbains des villes, que cet équilibre
soit hérité du passé ou nouvellement produit.
Deuxième partie
Pendant de longues périodes et jusqu’à une époque récente, c’est-à-dire depuis la fondation
historique du Lane Xang vers le milieu du XIVe siècle jusqu’aux années 1970, les habitats et les
territoires anciens ont connu des évolutions lentes et constantes malgré des évènements historiques
forts ayant rythmé la région (guerre avec le Daï Viet, occupation birmane, occupations et guerres
siamoises, constructions coloniales, etc.). Ces aires culturelles lao, identifiées autour de la
composante ethnolinguistique des populations tai, situées entre la partie occidentale du plateau de
Khorat et la chaine annamitique, entre Chiangmai et Dien Bien Phu, entre Jinghong (Xieng Hung)
au nord et Strung Treng au sud, ont été repérées dès le début du second millénaire. Elles se sont
différenciées du point de vue politique vers le XIIIe
-XIVe siècle autour d’importants centres de
peuplement au Sipsong Phanh Na, au Lan Na et au Lane Xang. Le Sipsong Phanh Na et le Lan Na,
fondés bien avant l’unification du Lane Xang, se sont ensuite, au XIVe et XVIIe siècles,
culturellement rapprochés du Lane Xang, partageant avec lui nombre de traits culturels et
politiques. Nous entendons ici par aire culturelle, un ou des territoires partageant des traits de
culture commune. Ce concept, défini par la sociologie des années 1960 et 1970, est fondé sur le
principe de relativité culturelle, « moins axée sur l’universel que centrée sur le singulier, tantôt
assimilée à la totalité sociale, tantôt associée à une communauté nationale ou à une collectivité
régionale, la culture a été soumise […] à des descriptions ethnologiques ». De même, l’espace que
nous abordons est soumis à des « descriptions ethnologiques ».
47
La composition de cette aire culturelle lao peut être étudiée à partir de thèmes qui ne
touchent pas directement la question spatiale et territoriale. Citons sans exhaustivité quelques
travaux significatifs. En ethnomusicologie par exemple, on note les travaux de C. Charon-Baix bien
qu’ils n’aient pas délimité de manière précise l’aire de diffusion du Lam lao (chant incantatoire) et
47 Dictionnaire de la pensée sociologique, culture et civilisation, sous la direction de Massimo Borlandi, Raymond
Boudon, Mohamed Cherkaoui, Bernard Valade, éd. Puf, Paris 2005.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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les pratiques du Molam-Mokhrèn (incantateur et souffleur de l’orgue à bouche) qui recouvre tout de
même un vaste ensemble allant de la vallée Moyenne et du Haut Mékong, au Nord et au Nord-est de
la Thaïlande.48 Les travaux en sciences politiques, notamment ceux de Daralat Méthanikanonh,49
quant à eux, définissent cette aire culturelle à partir des mouvements socio-politiques en pays Issan
les rapprochant du mouvement politique au Laos, en réaction vis-à-vis du pouvoir de Bangkok
durant la première moitié du XXe siècle.
Florissants et ouverts ou retranchés et sans dynamique selon les périodes, certaines villes et
territoires laotiens conservent aujourd’hui la trace matérielle et immatérielle de leurs structures
anciennes. Giovanoni et Lavedan parleraient en Europe de la persistance structurelle et tissulaire.50
Certaines autres villes et autres territoires laotiens, au contraire, connaissent des dynamiques de
changement pouvant conduire à des ruptures fortes. En effet, trois processus de développement de
ville d’aujourd’hui nous intéressent. Mais notons que les différents processus que nous allons citer
sont souvent à l’œuvre dans un même lieu, c’est alors leur tendance globale que nous abordons. La
première concerne des territoires qui tendent à acquérir une certaine dynamique notamment du point
de vue économique, démographique et de production urbaine. Ces territoires sont en voie
d’intégration à l’échelle régionale plus rapide que les autres, en suivant ou non le processus
d’harmonisation économique transnationale. La deuxième concerne des territoires en marge, des
villes mortes, tels, les sites archéologiques ou les villes qui se développent avec difficulté. La
troisième concerne les villes qui se cristallisent dans une vision patrimoniale. Elles connaissent un
processus de recyclage,51 engendré par le développement de la fonction touristique
monofonctionnelle.
Les dynamiques de rupture intervenant dans l’évolution de ces villes ont provoqué une
déstructuration des espaces urbains, voire leur destruction, différenciant fortement leurs destins.
Mais malgré tout et jusqu’au début des années 1990, ces villes laotiennes ont conservé leurs
identités fondées sur les principes de leur fondation. Les facteurs d’évolution, qu’ils soient
endogènes ou exogènes, n’ont pas causé de grands bouleversements ni entravé la matrice qui les a
fondées, même si la période 1975-1990 a altéré la dynamique urbaine par le ralentissement des
constructions et par un changement de fonction de certains espaces urbains. Les villes, possédant les
caractéristiques les plus anciennes, ont continué à évoluer en préservant les bases de leur fondation
ancienne (centres historiques ou simples occupations anciennes, trames urbaines, structures
géographiques et paysagères, espaces anthropiques) et leurs pratiques et représentations (rituels,
croyances et symboles liés à l’espace).
Les pratiques habitantes et la culture liée à la pratique de l’espace (les rituels et les types
d’occupations spatiales qui leur sont liés) ont créé une sorte de symbiose entre le mode
d’organisation sociale et la structure de l’espace habité elle-même (tissu urbain, espace bâti). Ce fait
peut être constaté aussi bien dans les sites monumentaux que dans les lieux de la quotidienneté. Les
conceptions et les pratiques de l’espace liées aux principes fondateurs et structurants ont donné aux
formes urbaines des villes et des territoires une propension à se transformer selon certaines
48 Catherine Charon-Baix. Cf. Bibliographie. Molam, s,]e (Mo : guérisseur ; lam : chant) guérisseur par le chant.
Mokhrèn (Khrèn : orgue à bouche) souffleur d’orgue à bouche, ou guérisseur par le khrèn. 49 Dalalat Methanikhanonh, La politique des deux berges du Mékong, cf. Bibliographie. 50 Lavedan conçoit qu’il existe « la loi de la permanence du plan (dans la forme et dans l’évolution urbaine) », in.
Histoire de l’urbanisme, Paris 1926. Fortement influencé par Lavedan, Giovannoni prône l’idée que « […] Dans les villes
anciennes, la loi de la persistance du plan se voit en effet très fréquemment, si non toujours confirmé. […] Ce fait […]
nous permet de nous faire une idée du type des parties de la ville pour lesquelles l’histoire demeure une réalité urbaine.
[…] », in. L’urbanisme face aux villes anciennes, éd. du Seuil, 1998. 51 Le recyclage urbain est ici emprunté au concept tiré de l’écologie des systèmes urbains. Le territoire étant totalement
intégré dans un système spatial (que ce territoire soit occupé ou vide, bâti ou non) attribué de fonctions, pour préserver
l’écosystème et protéger les “ territoires intégrés et pourvus de fonctions ”, qu’ils soient en état de nature ou pas, tous
territoires intégrés s’ils doivent acquérir de nouveaux statuts et fonctions passeront nécessairement par un recyclage. Le
recyclage permet de renouveler les fonctions dans le contexte de mutations urbaines en cours de réalisation. La protection
et la restauration du patrimoine peut en ce sens faire partie du recyclage spatial.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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modalités. Cette transformation et cette mutation, combinant persistance spatiale et adaptabilité
spatiale, sont de type endogène assurant aux villes et territoires un certain équilibre dans un temps
long.
La deuxième partie de cette thèse est fondée sur l’hypothèse d’une évolution endogène et
idiosyncratique des villes et des territoires laotiens dans le temps, combinant capacité de
permanence et potentiel d’adaptabilité spatiale. Elle s’attachera à analyser les caractéristiques
principales (persistance et adaptabilité spatiale) qui font l’équilibre des implantations laotiennes,
que l’on peut retrouver dans leur rapport à l’environnement et à l’eau, leur mode d’inscription dans
un site, leur ressort symbolique et leurs valeurs esthétiques. Seront étudiées les différentes
empreintes (traces) matérielles et immatérielles, tels les rites religieux, les fonctions spatiales, les
pratiques sociales et politiques, les pratiques culturelles. Ainsi, l’analyse des modes de gestion du
foncier, des actes et des rituels de fondation permettra de caractériser les dimensions historiques et
théoriques du modèle fondateur et des évolutions des habitats lao anciens.
Troisième partie
La fragilisation des centres anciens n’est pas due uniquement au développement accéléré, ni
seulement aux interactions avec les métropoles par la mise en réseau régional, ils traduisent aussi
des évolutions endogènes des sociétés locales.
Dès les années 1975-1980, le redéploiement politique en même temps que le redéploiement
des fonctions idéologiques de l’espace et les tentatives de création de villes nouvelles ont joué un
rôle majeur dans la reconsidération des habitats anciens. Pourtant, ce fut une période dépourvue de
développement urbain important, contrairement aux villes thaïlandaises de la rive occidentale du
Mékong. Durant cette période, même si les vestiges historiques n’ont pas été menacés dans leur
matérialité, le concept de centres anciens –voire le concept de la ville elle-même– a perdu sa
pertinence. Non seulement l’identité historique des villes elle-même a été méconnue, mais la ville
en tant qu’entité a aussi été ignorée, voire reniée, leur rôle de matrice structurante et identitaire
oublié. Sans centre historique ni référence à des principes fondateurs, les acteurs – collectifs et
individuels – ont occupé l’espace en se référant à un projet idéologique éloigné des expériences
acquises et du vécu social et esthétique liés aux espaces portés par l’histoire des centres historiques.
La période entre 1975 et 1990 correspond à une transition entre la période où les villes
évoluent en s’appuyant sur leurs matrices de fondation et celle où elles connaissent de profondes
recompositions. Ce temps de transition est analysé rétrospectivement dans la troisième partie de la
recherche. Ces quinze années sont celles de la “ société nouvelle sans la ville ”, “ la ville
décomposée ”, “ la ville absente ”. Cette situation est notamment marquée par la ruralisation de la
ville et de ses habitants. Cela aboutit à partir des années 2000 à des recompositions non maîtrisées
du fait du redéploiement de la fonction idéologique de l’espace. Les centres historiques et les
habitats anciens sont recomposés, sous l’effet des bouleversements fonciers et de l’éclatement des
structures spatiales. On assiste en effet à l’émergence de nouvelles politiques urbaines et foncières,
de nouvelles pratiques résidentielles, commerciales, sociales et religieuses. Cela induit aujourd’hui
de nouveaux et nombreux questionnements sur la transformation de la ville. La centralité urbaine
(centre, péricentre, périurbanisation), les flux migratoires, les investissements étrangers, le rapport à
l’environnement, par exemple, sont les champs d’application de ces questionnements. Nous
décelons une fragilité accentuée des occupations anciennes, une plus grande difficulté à soulever la
question de protection des centres historiques, ainsi qu’une difficulté à redéfinir l’identité spatiale et
sociale de la ville, vue de l’angle d’un développement urbain harmonieux et durable.
Cette troisième partie tente d’analyser de manière rétrospective les années 1970 et 1980,
comme période porteuse d’éléments d’altération non seulement des espaces anciens, mais aussi du
concept même de ville qui se répercute sur la gestion et la production de l’espace d’aujourd’hui,
dont nous venons de soulever les difficultés.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 23 -
Le plan de la recherche qui ne suit pas un ordre chronologique mais qui place la période
intermédiaire de transition en troisième partie, correspond à un raisonnement non linéaire. Nous
considérons la première partie qui analyse l’espace contemporain et qui met en évidence des faits
entrant en collision ou étant en décalage par rapport à la connaissance spatiale exposée dans la
seconde partie de la recherche. Les fondements spatiaux, les modes d’usage et de production, la
pérennité et le renouvellement des savoirs et des pratiques inscrits dans l’espace et dans les usages
hérités – qui persistent encore de manière fragile et fragmentée dans les espaces et les habitats
anciens, semblent aujourd’hui se désolidariser de la réalité. Pour cela, nous interrogeons l’espace
hérité en question, en nous plongeant dans l’histoire comme une introduction à la connaissance de
l’espace et à la culture spatiale lao et ses fondements, sans laquelle la lecture de l’espace urbain et
culturel de la période actuelle menée dans la première partie de notre recherche ne peut être
pertinente. En interrogeant les facteurs extérieurs intervenus avec le déploiement spatial et
économique dû à la régionalisation, les éléments de réponses ne peuvent justifier le décalage
constaté entre les leçons du passé et la réalité spatiale d’aujourd’hui. Ce constat conduit à
rechercher en-deçà des facteurs extérieurs. Un regard introspectif porté sur la culture spatiale locale
et une critique rétrospective des bouleversements politiques et socioéconomiques internes ont
permis de déceler les éléments porteurs de rupture avec les données du passé. Ceci est exprimé dans
la troisième partie de la recherche. L’organisation de la recherche poursuit ainsi ce raisonnement et
cette argumentation. Elle n’est pas linéaire ni chronologique.
Entrées thématiques privilégiées pour l’étude des trois périodes distinctes
Les éléments relatifs à l‘évolution de la ville, son histoire, ses cultures et ses modèles, sont
empruntés à plusieurs champs de recherche. Nous indiquons ici les thèmes qui explicitent le fait que
cette recherche peut être abordée de manière thématique.
Analyse morphologique et typologique
L’approche typologique adaptée aux villes laotiennes s’appuie sur les travaux d’analyse
morphologique. Celle-ci a été développée au croisement de plusieurs disciplines. Explorée par
Camillo Sitte vers la fin du XIXe siècle, l’étude typologique et morphologique s’est développée
ensuite avec Lavedan et Giovannoni dans les 1930 et 1940. Nous empruntons surtout leurs théories
sur la persistance du plan structurel et tissulaire pour reconstituer notre compréhension des formes
des établissements anciens dont l’histoire et les traces formelles archéologiques font défaut. A partir
des années 1960 (avec les géographes de l’école allemande et anglaise) la géographie –composition
du site et répartition des hommes– a participé à l’analyse morphologique et à la description des
formes de villes que nous étudions. Les noms d’architectes, d’historiens et d’historiens de
l’architecture comme Huet, Bergeron, Pinon, Benevolo, Giedion, et Choay apparaissent majeurs. Ils
ont surtout développé la corrélation forte, existant entre bâti et parcellaire, entre sol et architecture.
Leurs travaux composent notre référence lorsque nous analysons et évaluons l’importance de la
culture des sols et de la politique de gestion foncière dans la restructuration du bâti et dans la
transition urbaine et économique. Enfin, les analyses typologiques ont surtout été le fait des
architectes et des urbanistes comme notamment Benevolo, Muratori et Aymonino, J. Castex, J. Ch.
Depaule et Ph. Panerai et aussi, J. Bastié, et G. Chabot.52
Notre travail d’analyse des villes s’est beaucoup appuyé sur ces travaux théoriques et
méthodologiques. Cependant, étant donné que ces travaux ont été davantage développés pour des
villes européennes denses et constituées, les méthodologies montrent leurs limites pour les villes
sud-est asiatiques dont la morphologie et les modes de composition et de développement sont
différents. Nous avons dû également nous référer à l’analyse de la pratique habitante vernaculaire, à
l’analyse des symboles –que ce soit à partir de l’anthropologie sociale ou de l’histoire des religions–
52 Benevolo, Histoire de la ville. Cf. bibliographie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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et aux approches des géographes pour comprendre le rapport de l’habitat et de ses pratiques par
rapport au territoire et aux données géographiques. Certaines formes urbaines peuvent renvoyer à
des systèmes de valeurs qui échappent aux paramètres habituels de l’analyse morphologique. Nous
avons pris ainsi connaissance des études orientalistes, des travaux d’anthropologie et des savoirs
vernaculaires des ethnosciences. Par exemple, pour la lecture du plan en damier d’une ville
ancienne –Muang Sing, fait inhabituel et exceptionnel au Laos dont l’ensemble morphologique est
presque totalement organique, nous nous remettons à la pensée indienne et tantriste, et également
aux analyses des villes chinoises.53
Ainsi, pour approfondir nos analyses et adapter les outils à nos lieux d’étude, nous avons dû
élaborer notre propre méthodologie. Les études typologiques et morphologiques ont dû être
reformulées autrement, voire, réinventées. Les vocabulaires et les composants architecturaux, les
gabarits et les matériaux, la hiérarchisation des fonctions et des espaces, le sens et le symbolisme
des formes et des lieux, leur considération et leur représentation, qui sont propres aux espaces que
nous étudions, nous obligent à déterminer et à élaborer de nouvelles typologies des formes
architecturales, paysagères et urbaines.54 Notamment en architecture : dans une spécificité d’usage
et de production de l’habitat, dans une particularité du symbolique de l’espace habité, de nouvelles
typologies ont dû être définies, par exemple lorsque nous dénommons la maison lao pagnuk pour
désigner un type d’habitation dérivée de la maison lao ancienne. Ou, en ce qui concerne les
typologies des implantations urbaines, la spécificité morphologique et politique des établissements
lao nous oblige à formuler des définitions de la ville ou de l’établissement lao à partir des
définitions historiques vernaculaires du muang (système de gouvernance), du xieng (ville, cité), du
ban (village) et du khoum (quartier).
La persistance du plan
Evoquée par Giovanoni et théorisée par Lavedan, « la persistance du plan » et des tissus est
issue de la réflexion portée aux villes anciennes qui conçoit que « l’histoire demeure une réalité
urbaine » pour l’une ou les parties de la ville. Giovannoni compare les édifices et les espaces
urbains des quartiers anciens aux arbres d’un bois : « Qu’ils (les arbres) meurent de vieillesse ou
sous les coups de la hache, les nouvelles pousses naîtront des mêmes souches, selon la même
configuration que leurs ancêtres. Il en va de même des maisons : on les rénove, on les transforme,
on les reconstruit, mais leur disposition s’écarte rarement du plan urbain primitif, dont la trame se
maintient au cours des développements successifs et nous révèle son style originel, qu’il soit né
spontanément ou suivant un plan délibéré ». Dans notre travail, la “ persistance du plan ” a été
utilisée pour analyser la permanence des bases anciennes des villes lao en particulier celle des
armatures anciennes qui ont accompagné l’organisation symbolique des villes. Nous pouvons
également renvoyer aux travaux entrepris par les historiens tels que Roncayolo et Lepetit,
notamment.
Le Monumental générateur
Notre approche de la production des monuments religieux (tels les stupas) comme bâtis
générateurs d’unités urbaines durables (villages, petites villes, unités de peuplement) et de domaines
(terres, exploitations, personnes corvéables) provient d’une interprétation que l’on pourrait faire à
partir des inscriptions affectées à certains monuments. Ces inscriptions semblent suggérer qu’il
pouvait avoir un processus de constitution des corps de métier lors de la construction des
53 Clément P., en collaboration avec Péchenart E., Clément-Charpentier S., Les capitales chinoises. Leur nodèle et leur
site, Département d’Architecture comparée - IFA – SRA, 1983, cf. Bibliographie. 54 Dans le cadre des travaux d’inventaire de l’Atelier du Patrimoine entre 1999 et 2004, j’avais formulé de nouvelles
typologies ainsi qu’une méthodologie adaptée au contexte, notamment en effectuant une conception architeturale à
l’envers : décomposer les composants architecturaux afin d’identifier et classer leur forme, leur processus de formation,
leur évolution. Cf. Les rapports de présentation, les fiches d’inventaire, les analyses de l’architecture, du paysage et des
tissus urbains de Vientiane ; Chayphet Sayarath, Vientiane portrait d’une ville en mutation, cf. Bibliographie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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monuments, et un processus de circulation et d’échanges de savoir-faire entre les différents
monuments commandités par le pouvoir souverain. Des unités urbaines et villageoises auraient
également été issues de la production de ces monuments générateurs. Tel est notre hypothèse en
étant redevables aux travaux épigraphiques de M. Lorrillard sur le monument du That Luang.55
L’analyse du vocabulaire architectural des monuments relevant de notre formation d’architecte nous
amène aussi à formuler l’hypothèse de l’existence des ordres architecturaux véhiculés pour la
construction des stupas dans une région imprégnée par le bouddhisme du petit véhicule. Comme
pour la construction des cathédrales en Europe, l’existence des vocabulaires architecturaux des
stupas, communs à toute l’Asie du Sud-Est continentale bouddhiste, aurait donné lieu à la
circulation et à la transmission des savoir-faire techniques, des connaissances et des références à des
canons esthétiques formalisant des ordres architecturaux communs.
La ruralisation de la ville, le collectivisme de la production
Pour analyser l’évolution et le développement des villes du Laos contemporain, la recherche
a aussi pris en compte l’analyse marxiste-léniniste de l’histoire sociale et économique, prégnante
dans le discours politique, et des nouvelles théories de la gouvernance politique, c’est-à-dire du
fonctionnement des systèmes de pouvoir.
La politique urbaine et le fonctionnement du système de pouvoir
Les décisions prises aujourd’hui dans les questions de la politique urbaine expriment une
contradiction entre la stratégie urbaine menée par les instances politiques décisionnelles fondée sur
des prérogatives d’intérêts dits nationaux, plus ou moins variables, et les programmes de
développement et de gestion urbaine menés par les instances techniques (responsable des
opérations) suivant une planification donnée. Ces contradictions renvoient souvent au système de
pouvoir qui distingue le pouvoir central et le pouvoir local. Deux sources historiques semblent
aujourd’hui expliquer l’ambiguïté du partage de ces compétences. D’un côté, le passé colonial de
l’administration française semble jouer encore un rôle significatif dans la manière très nette et
bipolaire des compétences, entre le pouvoir local (le pouvoir décentralisé) et le pouvoir central (le
pouvoir concentré), sans qu’il y ait une passation graduelle des responsabilités, du central au local.
Et de l’autre au contraire, le droit coutumier montre que le passage entre les deux pouvoirs était
graduel. Le pouvoir local exprimait les intérêts locaux, lesquels rencontrent aux échelles supérieures
les prérogatives et les intérêts nationaux, de telles sortes que ces intérêts, locaux et nationaux, se
retrouvaient graduellement réalisés de manière commune et harmonieuse. La distinction entre
pouvoir local et pouvoir central qui semble caractériser l’administration laotienne aujourd’hui
semble reprendre davantage le modèle de l’organisation de l’administration française que celui du
système traditionnel. L’administration coutumière prône plutôt une hiérarchisation de l’échelle du
pouvoir, du bas vers le haut et du haut vers le bas, tout en privilégiant une structure locale forte (au
sens de la base sociale forte), caractérisant la forme même de la société nationale.
L’équilibre spatial produit de relations entre homme/ culture/ nature
Les utopistes d’avant-garde, notamment Ebennazir Howard, ont développé le concept des
cités-jardins, où les villes ont intégré la nature comme garant d’une qualité de vie. Analogiquement
la loi coutumière et les traditions vernaculaires, fondées sur la culture du végétal et sur le rythme
des saisons, ont ouvert des pistes de lecture de l’équilibre spatial que l’homme a su créer entre lui et
la nature. Ces références conduisent à mobiliser aussi la pensée postmoderne de l’écologie urbaine
d’aujourd’hui comme un élément nouveau, mais qui apparaît cependant endogène à la culture locale
existant et caractérisant les habitats lao.
55 Michel Lorrillard, « Les inscriptions du That Luang de Vientiane : données nouvelles sur l’histoire d’un stupa lao »,
BEFEO, 2003-2004. 90-01.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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L’idée de villes et d’occupations anciennes ayant perdu leur fonction, leur capacité de
renouvellement, en d’autre terme leur continuité
S’il y a une particularité des villes lao par rapport aux processus généraux d’évolution des
villes, elle tient au fait qu’elles n’ont pas connu une période d’industrialisation comme la majorité
des villes. La théorie de ville industrielle et bourgeoise –selon la conception marxiste– qu’il a fallu
“ rendre au peuple ” n’a pas de pertinence au Laos, autant la ruralisation de ses villes, en particulier
celle de la capitale, était tout à fait hétérotopique. Car c’est en Europe que l’utopie des cités-jardins
et des cités ouvrières avait un sens. Et c’est à Cuba que la ceinture verte, afin d’instaurer la ville
productive et rurale contre la ville bourgeoise oisive et capitaliste, avait une raison historique
d’exister.
L’idée du recyclage spatial
L’idée de recyclage spatial peut se présenter sous deux phénomènes. Le premier concerne le
territoire patrimonialisé et le second, la fin des territoires à explorer.
De certains points de vue, les villes laotiennes témoignent aujourd’hui d’un double
processus. D’abord, on constate que la cristallisation patrimoniale de Luang Prabang induit une
muséification de la partie la plus centrale de la ville. S’en suit la relégation en périphérie ou à
l’extérieur, des habitants du centre et l’afflux des touristes et des activités de services pour les
accueillir. Ensuite, dans le cas contraire, les centres anciens sont souvent considérés comme
obsolètes du point de vue des infrastructures : réseaux viaires et assainissement périmés. Ils ne sont
plus conçus comme des espaces structurants et deviennent des handicaps pour la modernisation de
la ville. En ce cas, le choix du développement urbain sacrifie souvent le centre ancien et son cadre
paysager et patrimonial : démolition des bâtiments anciens, changements de gabarit et d’échelle des
constructions et des quartiers en montant en hauteur et en démembrant ou remembrant les parcelles,
en minéralisant les espaces naturels, établissant alors de nouveaux rapports à l’environnement et
aux paysages urbains. Ces deux types d’interventions, communs à d’autres pays, représentent le
recyclage spatial intérieur. Ils sont tous deux bien connus au Laos et remettent en cause plus
fortement qu’ailleurs, le rôle, voire l’existence, des centres anciens.
La fin des territoires à explorer, induisant comme second phénomène le recyclage spatial,
peut être illustrée par quelques faits révélateurs. Le territoire laotien doit être considéré comme
entièrement occupé et exploré, dans le sens où chaque territoire a fait l’objet d’attribution de
fonction. Même lorsque ces territoires sont inhabités et inexploités, ils font quand même partie
intégrante du territoire, politiquement et humainement constitué et approprié. Lorsque les territoires
urbains ou ruraux s’étendent et entament les parties “ vides ”, ils ne font qu’être affectés par des
fonctions nouvelles. Ainsi lorsque la ville entame par son développement les étendues de rizières et
de forêts qui gravitent autour, elle recycle en fait ces milieux ruraux en réserves urbaines. De même
lorsque les territoires ruraux reculent et “ défrichent ” la forêt, ils ne font que transformer les
espaces déjà connus comme lieu d’approvisionnement. En ce sens les espaces à explorer n’existent
plus en tant que tels, toute transformation en milieu constitué est un recyclage, quel que soit le degré
d’occupation et de transformation humaine préexistant de ce milieu.
Villes successives et ville rompue
La ville rompue serait caractérisée par l’absence de la reconnaissance d’identités locales
spatialisées à l’échelle de quartier, l’absence de prise en compte des aménagements hérités
marqueurs de l’histoire urbaine, soulignant la continuité comme la rupture. La standardisation des
réseaux viaires, en particulier dans les villes secondaires, qui produit le processus d’étalement
urbain efface peu à peu l’identification du local. Au contraire, la prise en compte des composants
hérités serait le propre des villes successives. Elle permet de préserver une différenciation entre
quartiers anciens et quartiers nouveaux.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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La réinvention de la ville
La réinvention de la ville serait portée par l’apport de nouvelles fonctions spatiales et des
nouveaux cadres administratifs. A Vientiane, il y a un débat sur l’organisation administrative et la
gestion urbaine entre une municipalité en projet et l’existence des quatre districts, produits
historiques du processus de reproduction urbaine et d’une ancienne échelle de l’administration
territoriale, le muang. Aujourd’hui, cet échelon est remis en question pour la modernisation de la
gouvernance urbaine, ne trouvant plus sa place entre le pouvoir local du ban et le pouvoir
déconcentré de la préfecture qui est en passe de devenir peut-être un pouvoir décentralisé espéré
dans la forme de la municipalité.
La persistance des pratiques spatiales des habitants
Cette notion s’est appuyée sur les travaux en anthropologie de l’espace et sur la pensée
symbolique, notamment les travaux de Mircea Eliade sur le symbolisme du Centre. Nous
empruntons cette vision symbolique pour explorer le fait que la pratique cultuelle du Centre qui est
liée à la consécration d’une fondation et d’un établissement perdure dans l’espace et dans la
pratique habitante, même si la forme peut parfois évoluer. Ceci permet d’imaginer ce qui peut rester
des formes spatiales selon la capacité des pratiques habitantes à décrire des espaces.
La rivalité entre deux processus urbains en cours : sinisation et viêtnamisation
L’idée de dualité sino-vietnamienne au sein de la politique laotienne est utilisée ici, non pas
en tant qu’outil d’analyse de la géopolitique, mais dans l’optique d’en comprendre le processus
spatial. Des faits historiques sont inévitables à comparer avec la politique coloniale, entreprise pour
la « colonisation annamite du Laos » et également avec l’intégration régionale mise à l’œuvre au
travers de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) et de la Région du Grand
Mékong (RGM). Si les processus ne sont pas les mêmes, dans les deux cas, les faits ne semblent ni
nouveaux ni inédits.
La particularité de la ville nouvelle au Laos
Evoquons à titre illustratif la généralité avant d’aborder le contexte particulier de ville
nouvelle laotienne. Rappelons que historiquement la conception de ville nouvelle en Europe est
dérivée de deux types de concept. Le premier est né de la pensée utopiste de la fin du XIXe siècle, et
le second plus récent de la société de consommation et de la période post moderne. Au Laos, la
catégorie de villes nouvelles que le gouvernement voulait créer dans les années 1980 appartient au
courant de la pensée utopiste. Mais elle est issue d’une utopie politique et non pas de l’utopie
spatiale et sociale avant-gardiste. L’une des principales caractéristiques de ces villes nouvelles est la
volonté du pouvoir politique laotien d’affirmer le « brassage culturel et ethnique du peuple
laotien ». Cette utopie produit un déracinement de l’histoire et de la culture urbaine, les villes
nouvelles étant considérées comme dépourvues de racines sociales et d’histoire. Si du point de vue
politique cette conception semble entrer en osmose avec l’idéologie mise en place dans les
premières années du régime, dans la réalité, elle apparaît totalement infondée. Et paradoxalement,
aucune mention formelle et conceptuelle de l’espace n’est faite de ces villes nouvelles, qui sont de
fait la reconstruction des villes après leur destruction par la guerre, sur le même site ou sur un
nouveau site, comme Muang Xai, Phonsavan ou Saravane. Elles traduisent bien les conceptions
idéologiques dépourvues de concept spatial et de connaissances historiques et des réalités urbaines
du pouvoir laotien.
Lorsque la population considère un aménagement comme villes nouvelles, elle désigne en
réalité l’aménagement des nouveaux quartiers. La référence idéologique renvoie aux besoins bien
réels de produire de l’espace supplémentaire pour la ville, bien que ces nouveaux quartiers ne
s’articulent que difficilement avec l’existant. Il n’y a pas ou plus de reproductions de la ville
proprement dite, car les nouveaux quartiers n’ont ni centre ni identité. C’est souvent dans un second
temps, après les cinq premières années ou beaucoup plus qu’apparaissent les lieux dotés de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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centralités, à travers les pratiques de l’espace autour d’un monastère ou d’un marché. Les marchés,
situés souvent au bord d’axes structurants, semblent être le seul lien qui relie ces nouveaux quartiers
à la ville. C’est le cas des nouveaux quartiers de la banlieue de Vientiane (zones Nong Teng et
Thongpong) et sur les routes périphériques (Ban Nong Bouathong, Nong Ping, sur la grande route
entre Nong Bunk et Dong Dok.)
L’idée d’une nouvelle capitale a effleuré à plusieurs reprises les responsables politiques,
mais n’a pas pu prendre forme. Il y a eu le projet de ville nouvelle à Viengkham, à une cinquantaine
de kilomètres de Vientiane, mais il a finalement accueilli seulement le complexe administratif du
chef-lieu de la province. Il était également question de construire une capitale administrative à
Thang-Ngone (à 25 km au bord de la Nam Ngum au nord de Vientiane) qui serait la ville jumelle de
la capitale. Mais à l’heure actuelle, les équipements lourds sont programmés ailleurs, plutôt à l’est
le long de la route de Paksane. Le rêve des autorités laotiennes s’est révélé irréalisable, à la
différence du pouvoir birman qui a réalisé sa nouvelle capitale. Même si sur le plan politique, ils
relèvent d’un même mode de pensée, la différence provenant du rapport très contrasté du pouvoir
politique, ces projets de capitale nouvelle ont peu de points communs avec leurs homologues de
Cambera pour l’Australie, ou de Berlin pour l’Allemagne unifiée.
Le patrimoine comme instrument ou comme objet autonome
La conception du patrimoine et les champs de connaissances qui en sont issus sont redevables à
la période après la Révolution française. Il s’agissait à la fois des travaux scientifiques et de la
manipulation idéologique. Scientifique, parce qu’il fallait connaître, identifier, classifier, inventorier
le patrimoine national face aux dégâts matériels de la Révolution. En cela, en tant que discipline et
structures précurseurs méthodologiques et en tant qu’idéologie, les Inventaires des Monuments
Historiques en France constituent un savoir de référence qui seront « exportés » dans le monde,
aussi bien occidental qu’asiatique.
Le patrimoine comme objet instrumental traduit un ethnocentrisme culturel bien plus mobilisé en
Asie, dans les pays qui ont connu la colonisation, qu’en Europe. Le patrimoine est alors une arme
des peuples colonisés contre la conception qui se veut « civilisatrice » de la colonisation, d’où leur
argumentation : « je possède déjà ma civilisation, mon histoire, ma religion, attestée et matérialisée
par la richesse de mon patrimoine… La mission civilisatrice pour justifier la colonisation cache en
réalité la domination et le contrôle des richesses et des territoires colonisés ».56 La culture et le
patrimoine sont pour le colonisé une arme pour attaquer à la racine l’idéologie coloniale.
Cependant, ce nouveau champ disciplinaire mobilisant l’archéologie et l’anthropologie est né en
Europe, a été peu développé chez ceux qui le revendiquent aujourd’hui dans le contexte de la
décolonisation. D’où ce paradoxe, lié à la transmission du patrimoine d’être traité le plus souvent
comme un objet autonome et non comme instrument idéologique anticolonial. Non totalement
dénuée d’arrière-pensée idéologique, l’autonomie du patrimoine comme objet à étudier, se retrouve
dans la conception lao où ce dualisme existe, et souvent, le patrimoine instrumental tend à
monopoliser les actions de la politique patrimoniale laotienne.
56 Phrase qui revient comme un leit motiv des nationalistes des pays colonisés. Son objectif est d’attaquer le concept
“civilisateur” de la colonisation.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Première Partie
La mutation des centres historiques et des établissements
anciens. Décomposition, recomposition, recyclage
Etapes et processus
A partir des années 1995 et plus intensément après l’année 2000 les territoires des villes
dans leur ensemble entament une période de mutation avec des nouvelles données spatiales éclatées,
sans modèle, ni référence. Les villes semblent dès lors s’engager dans un processus de
recomposition spatiale difficile à maîtriser, dépassant tant les compétences des institutions
responsables que les questions posées jusqu’alors dans le cadre de la politique de la ville. Les
centres qu’ils soient anciens ou non sont difficiles à identifier. Les territoires urbains sont sans cesse
à redélimiter et à redéfinir.
Cela suscite des questions. Effectivement si depuis 1995 et 2000 la ville se déploie et se
recompose, recherchant une limite et une définition plus appropriée –et sans doute nouvelle–
remettant en question les facteurs de permanence et d’adaptabilité spatiaux que possédaient les
centres historiques et les occupations anciennes, n’assistons-nous pas au phénomène d’altération
spatiale, fonctionnelle et symbolique de ces centres, voire, de la ville elle-même ? L’altération de
ces centres aurait-elle un rapport avec la recomposition des limites ou avec la redéfinition de la ville
elle-même ? Et ceci, conjugué au fait que les espaces vierges et inexplorés ne sont plus approchés
en tant que tel, mais en tant qu’espace et territoires à recycler, dont la dynamique serait née de
l’interactivité avec l’extérieur à travers le système de réseau et de territoire ?
Il apparaît aujourd’hui que la visibilité des territoires se pose surtout en termes d’aires
spatiales, et non plus seulement en termes de limites, fondées sur les facteurs économiques et
urbains avec un pôle plus ou moins important dans chaque aire. Cette visibilité devient plus
marquante alors que la question de limites devient plus floue. En d’autre terme, c’est à travers le
système de pôles et de réseaux que les territoires d’aujourd’hui existent ou du moins sont
appréhendés, quelle que soit la nature de ces pôles : dominant, émergeant, déclinant ou
marginalisant. Bien que les facteurs culturels d’une aire héritée de l’histoire et survivant de leurs
propres évolutions ne soient pas inexistants, en combinant avec les facteurs politiques et
économiques complexes et globalisants d’aujourd’hui, la mutation spatiale d’une aire s’opère selon
la force des pôles dominants ou des réseaux de fonctions économiques sous leurs différents
processus, et aboutissant à des formes variées. Cette mutation résume, comme nous allons le voir, le
passage de la ville traditionnelle à la ville moderne à l’oeuvre : c’est-à-dire, du passage des limites
aux réseaux, aux aires et aux pôles d’attraction. Il est alors essentiel de comprendre comment ces
pôles se manifestent-ils, sous quelles formes agissent-ils sur les centres ou sur les implantations
anciennes.
Avec le déploiement des aires urbaines régionales, les centres et les implantations anciennes
du territoire de l’ancien Laos connaissent des destins parfois très divergents. En comparaison aux
autres villes et territoires de la région, certaines d’entre elles vont rester des villes traditionnelles,
d’autres des villes en marge, et d’autres encore des territoires émergents en passe de rejoindre les Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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réseaux des métropoles de l’Asie du Sud-est continentale. Les unes en se soustrayant et les autres en
s’accrochant aux réseaux de développement ou aux aires urbaines fédératrices. Dès lors, il est à
constater que dans la manière de s’intégrer ou non dans un réseau, la manière d’émerger, ou au
contraire, de s’exclure et de se marginaliser, les questions d’internationalisation des fonctionnalités,
des échelles et des modèles spatiaux se posent alors à toutes les villes. Bien que ces
questionnements, proprement contemporains, se posent aussi ailleurs qu’au Laos, le cas laotien est
révélateur d’une histoire urbaine singulière.
L’évolution du territoire lao a connu des formes particulières par rapport aux autres
territoires de la région qui se sont développés à travers les réseaux de métropoles ou d’aires
urbanisées. Beaucoup de villes industrialisées et urbanisées en Occident et en Asie même ont connu
un processus de développement semblable, dont la description peut être schématisée par des étapes
successives. D’abord, les villes étaient marquées par le rapport dichotomique entre le rural et
l’urbain. Puis elles étaient passées sous l’emprise de l’hégémonie urbaine, réduisant les identités
locales des territoires au profit d’une seule identité dominante, celle de l’urbain, et entrainant à cette
occasion la disparition du rapport dichotomique urbain/rural de départ pour passer à l’étape suivante
de la domination complète de l’urbain. L’opposition ou la dichotomie entre le rural et l’urbain peut
être considérée ici comme “ l’étape Un ” de l’évolution du territoire urbain, l’hégémonie urbaine
comme “ l’étape Deux ”, et la domination urbaine comme “ l’étape Trois ”. Ou bien alors, ce
rapport dichotomique peut évoluer autrement : du rapport dichotomique l’urbain et le rural peuvent
ainsi devenir complémentaires.57
Différente du schéma simplifié que nous venons d’esquisser, la constitution du territoire au
Laos est peu marquée par ces formes d’évolution qui sont quasi communes à la grande majorité des
grands territoires urbains existant dans le monde. Effectivement, alors que l’idée de la dichotomie
urbain/rural développée par Karl Marx et d’autres penseurs marxisants,58 ainsi que l’idée de la
domination urbaine développée par Fernand Braudel59 furent un passage difficile pendant un temps
pour la culture spatiale européenne héritée du XIXe siècle industriel, ainsi que de celle des grands
territoires urbains en Asie du Sud-est et du Sud-est continental (faits encore d’actualité), la
complémentarité –et non le continuum– entre la ville et la campagne devient une expression spatiale
inédite des territoires laotiens. Dans le sens où ceux-ci n’ont connu ni le phénomène dichotomique,
ni l’hégémonie et ni la domination urbaine. Les territoires laotiens passent en fait à “ l’étape
Quatre ” sans jamais avoir connu “ l’étape Un ”, “ l’étape Deux ” et “ l’étape Trois ”. Ceci, malgré
le fait que l’intégration de certains d’entre eux dans l’hégémonie des aires urbaines et économiques
de la région de l’Asie du Sud-est soit à l’œuvre. La forme d’évolution spatiale à l’œuvre au Laos
semble ainsi constituer une spécificité. Ceci, parce qu’elle est différente de l’idée du
“ continuum ” entre monde urbain et monde rural qui caractérise beaucoup de villes européennes,
analysée par Henri Lefebvre dans les années 1960.60 D’après lui, celle-ci donne la perception d’une
57 La complémentarité entre l’urbain et le rural peut être ici considérée comme “ l’étape Quatre ”. La complémentarité
entre la cité et la campagne n’est pas propre au territoire post moderne : chez les Antiques (les Grecs) il n’y a pas de
dichotomie, les deux lieux sont perçus comme complémentaires. Cf, Platon, La République. 58 Marx considère que la dichotomie urbain/rural est corollaire à l’opposition de classes. Elle trouve une explication dans
son analyse de la ville en rapport avec le capital. La ville industrielle est le produit de la bourgeoisie et du capital. Il est le
lieu de pathologie sociale, engendrée par le rapport de production du système capitaliste, induisant la naissance de la
classe prolétarienne. Bien que cette classe soit un groupe historique nouvel elle n’en est pas moins l’avatar de la classe
paysanne venue de la campagne pour nourrir la ville et enrichir la capitale par sa force de travail, en s’aliénant. L’espace
de l’urbain et de la campagne ne peut être alors que dichotomique. In., L’idéologie allemande, cf. Bibliographie. 59 La domination urbaine selon Braudel se traduit non seulement du point de vue politique, administratif et juridique
(concentration des décisions et des services) mais surtout par une surconsommation financière et économique, une
exploitation démographique des campagnes. « Avant tout une ville, c’est une domination. Et ce qui compte pour la définir,
pour la jauger, c’est sa capacité de commandement, l’espace où elle exerce ». In. L’identité de la France. Espace et
Histoire. Cf, Bibliographie. 60 Comme la complémentarité urbain-rural, le continuum peut être aussi considéré ici comme “ l’étape Quatre ”. En
d’autre terme, ce sont deux étapes qui peuvent être contemporaines, voire, partager le même territoire, même si le
continuum et la complémentarité ne produisent pas le même rapport à l’espace. Pour Henri Lefebvre la mutation
historique de la société ne peut aller que vers la société urbaine généralisée ; la ville s’impose comme “ objet à penser ”, il
défend “ le droit de penser la ville ” comme “ le droit à vivre la ville ”. In. Le Droit à la ville. Cf. Bibliographie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 31 -
urbanisation et d’une modernisation générale et complète de la société, touchant à la fois monde
urbain et monde rural que connaissent habituellement les villes européennes et certaines grandes
villes asiatiques ; alors que la forme d’évolution spatiale au Laos, qui illustre la complémentarité
entre ville et campagne, semble faire plutôt transparaître une autre réalité où le “ continuum ” entre
l’urbain et le rural –s’il existe ou s’il peut être ainsi défini– est à aborder en terme d’écosystème
spatial.
Si nous pouvons parler de modèle de forme spatiale, le modèle lao marqué par “ l’étape
Quatre ”, à défaut de continuer à structurer l’espace dans le contexte moderne d’aujourd’hui en tant
que modèle, en devient un élément de résistance. La complémentarité ville-campagne prise comme
un ensemble d’écosystèmes spatial constituerait aujourd’hui à la fois l’outil de développement de la
ville durable et l’outil de son analyse. C’est un révélateur qui interroge l’avenir des villes et de leurs
empreintes écologiques, et qui pose aussi diverses conditions pour un maintien cohérent de la
société humaine de demain. Et c’est précisément dans le champ de cette résistance que s’est souvent
révélée la place des établissements anciens.
Pour comprendre comment un modèle de forme spatiale peut-il demeurer un élément
structurant ou comment peut-il devenir un élément de résistance, avant de disparaître, au cours des
transformations récentes de la ville, nous cherchons à examiner l’évolution et la mutation de la ville
et les facteurs qui y ont contribué. Nous analysons comment les phénomènes d’émergence et de
recomposition, de recyclage et de disparition des établissements et des espaces anciens ainsi que
leur composants majeurs –qui sont les espaces naturels et le milieu rural– constituent-ils l’un des
résultants des résistances spatiales ? Comment la recomposition de l’espace d’aujourd’hui est-elle
formulée et maîtrisée ?
Dans le premier chapitre, il s’agit de comprendre le contexte et les conditions dans lesquels
les changements spatiaux ont pu s’opérer. Il faut rappeler que c’est avec la réforme économique de
1986 –induisant diverses retombées d’ordre politique, économique et institutionnel– que les formes
et les espaces urbains ont pu connaître une importante transformation.
Nous abordons, dans le second chapitre, l’évolution et la mutation à l’œuvre de la ville ellemême
et les facteurs qui y ont contribué. Nous examinons en fait la question d’émergence, de
constitution et de recomposition de la ville et du territoire, faits qui se produisent souvent par
recyclage ou altération pure et simple des lieux et des fonctions des établissements et des espaces
existants, et très peu par leur requalification durable. Ce qui constitue l’une des formes de résistance
de certains espaces avant leur disparition.
Enfin, nous décrivons et analysons dans le troisième chapitre comment la constitution et la
recomposition de l’espace à l’œuvre, aujourd’hui, sont-elles formulées et maîtrisées, en particulier
eu égard à la question des centres et des établissements anciens ? Autrement dit, quelle intégration,
quel sens donne-t-on à la ville aujourd’hui ?Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 32 -
CHAPITRE I.
Le rôle de la réforme de 1986 dans la mutation spatiale
Rappel du contexte
La bifurcation idéologique de la RDP Lao, corollaire à la chute des régimes du bloc
socialiste d’Europe, s’est concrétisée par la réforme entamée lors du IVe Congrès du Parti Populaire
Révolutionnaire Lao (PPRL). Le rôle de la réforme économique mise en place en 1986 et ses
retombées ont permis l’ouverture d’une ère spatiale nouvelle. La réforme a joué un rôle majeur
dans l’accélération de la mutation de l’espace, après près de vingt années d’inertie, entre la prise de
pouvoir par le PPRL en 1975 et le moment où la réforme commençait à porter ses fruits à partir du
milieu des années 1990. Les changements ont été bien visibles sur le plan économique, alors que sur
le plan politique le système demeure caractérisé par un conservatisme, avec un relâchement de
contrôle mesuré dans certains domaines, et au contraire, un contrôle encore sévère dans d’autres.
Malgré cela, c’est grâce aux retombées de cette réforme qu’un grand changement a pu s’opérer dans
son ensemble.
Nous allons privilégier deux domaines d’observation –qui vont faire l’objet de ce chapitre–
pour comprendre les retombées et le rôle majeur de la réforme dans la mutation spatiale. D’abord, il
s’agit d’examiner les points les plus significatifs de la réforme, comme les enjeux politiques et
économiques, porteurs des changements. Il s’agit de voir ensuite ce que les points les plus
significatifs de la réforme ont révélé dans le contexte spatial existant et ce qu’ils ont induit comme
nouvelles formes ou dispositifs spatiaux, notamment à travers le phénomène de marginalisation et
d’émergence des territoires.
I. I. La réforme, un enjeu majeur pour le régime
L’un des composants des enjeux politiques et économiques, ici, a été le choix de la réforme
portée par le gouvernement de la RDP Lao, ce facteur dominant ayant présidé à l’évolution spatiale.
Le grand chapitre de la réforme économique interne qu’il faut retenir comme majeur dans la
mutation spatiale, c’est la régulation foncière. Mais les retombées n’étaient pas seulement dues aux
ressorts de la réforme économique interne du pays, mais aussi aux contextes économiques locaux et
régionaux.
Les points les plus caractéristiques de la réforme ont été le passage de la production
collectiviste – installée peu après, la prise de pouvoir par le PPRL en 1975 (Cf. 3e partie.) – à la
production privée, et de l’étatisation foncière à la reconnaissance de la propriété privée. Donc sur le
plan interne, le grand pas en avant de la politique de l’État laotien a été d’avoir rendu la terre à la
population et d’avoir reconnu la propriété privée et sa jouissance, d’une part, et d’autre part
d’accorder à la population la liberté de tenir commerce. Sur le plan externe, le grand mérite a été
d’avoir entrouvert le pays au marché extérieur : permettre officiellement l’importation de produits
ainsi que les opérations bancaires et monétaires, autoriser certaines activités commerciales jusque-là
interdites, accorder plus de libertés aux sociétés mixtes, etc. Un autre mérite, contraint par
l’effondrement du bloc socialiste, a été d’avoir tisser de nouveaux liens avec l’Occident et les
organisations internationales, ce qui a permis l’émanation des aides internationales. Ainsi, le grand
enjeu politique a été “ d’aller jusqu’au bout d’une logique ” : commencer à faire du Laos un Etat de
droit, notamment en effaçant peu à peu au pays l’image d’un Etat de fait et de dictature
prolétarienne au regard de la communauté internationale. Dans cette logique, après la promulgation
de la Constitution en 1991, s’en est suivie progressivement la rédaction de lois et décrets. Les
différents dispositifs pris par l’État laotien devaient créer les conditions permettant l’ouverture du Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 33 -
pays. Ainsi, le Laos a pu s’introduire peu à peu dans la dynamique politique et économique locale et
régionale et bénéficier peu à peu des retombées de cette ouverture.
I. I. a. Les retombées de la réforme liées à la dynamique économique locale et
régionale
Les retombées de la réforme et de la dynamique économique régionale ont commencé à être
visibles vers 1994. Bien que dans le contexte interne cette visibilité s’apparentait à un rattrapage des
retards et des carences éprouvées durant les années de collectivisme, la réforme interne conjuguée
avec le dynamisme régional a déclenché un véritable changement à l’intérieur du pays. Cette
période de rattrapage a duré plus d’une décennie avant que les carences et les retards dans certains
secteurs et domaines ne soient comblés. Nous dressons ici, de manière non-exhaustive, les
principales retombées de l’ouverture avant 1994, exprimées dans la colonne centrale. Les retombées
étaient possibles grâces à deux effets conjoints : 1-la réforme (exposés dans la colonne de gauche),
2-les dynamiques régionales (exposées dans la colonne de droite.)
La Réforme : points, secteurs
et domaines, du début des
années 1980 au début de 1990
Les retombées de la Réforme interne et
de la dynamique régionale
Les points explicitant
la dynamique régionale
- 1979 : Constat des difficultés
économiques et reconnaissance des
problèmes liés au système. Le parti
admet la nécessité de réajustement et
de l’ouverture du régime.
- Plan de 3 ans, 6 points de réforme (1)
- Les mouvements de fuite de la
population, commencés dès 1975,
s’accentuent entre 1977 et 1979, en
particulier en ce qui concerne les ruraux.
- L’importation active par le marché
noir des produits de consommation,
très, contredit l’idée d’autosuffisance,
pointant l’absurdité de la
collectivisation du secteur agricole.
- Intensification des aides
internationales aux réfugiés en
Thaïlande.
-2e Réforme agraire en 1979-1980 (2) - De nouveau, les Laotiens commencent à
pouvoir cultiver individuellement leur
terre, la production collective est peu à peu
abandonnée.
- La population continue à fuir en masse au
courant des années 1980-1981.
- Intensification des relations entre le
Laos, le Cambodge et le Viêtnam
- Rupture idéologique avec la Chine,
considérée comme traître par rapport à
la révolution marxiste-léniniste.
- Autorisation du secteur privé et
suppression du système de distribution
par l’État (3).
- Les projets d’aide et de coopération
internationale deviennent plus nombreux.
- Les petits commerces se montent
localement ; meilleure circulation interne
des produits de consommation.
- Les organisations internationales
venant en aide aux camps de réfugiés,
s’intéressent de plus près au Laos.
-1e Plan quinquennal (1981-1985). On
peut citer les 10 points les plus
importants. (4)
- La fuite de la population vers la
Thaïlande se ralentit, après avoir été
intense en 1980-81.
- La présence des organisations
internationales, ONU, OMS, BAD,
implique l’assistance au Laos : Japon,
Suède, Pays-Bas, Australie.
- Autorisation de la circulation des
biens, des hommes ainsi que des
échanges (5)
- Les produits thaïs, déjà très présents dans
le pays, malgré le conflit et l’embargo,
s’imposent de plus en plus.
-1984 : Conflit thaï-lao à Ban Hom
Kao (province de Sayabouri).
- Vers 1983, à l’approche de la grande
réforme de 1986, premières purges des
membres dissidents du gouvernement.
- Les cadres formés en Occident sont
nommés aux postes de responsabilités (6)
- Les jeunes cadres nommés envoient leurs
enfants à l‘étranger, aidés par leur famille de
réfugiés installés en Occident.
- Amélioration des ressources humaines dans
l’administration publique.
- 3e réforme agraire vers 1985 (7) - La fuite des paysans vers l’étranger
s’arrête presque totalement : la RDPL
effectue le 1e recensement de la population.
- Initiative individuelle plus grande dans
l’exploitation agricole.
- 1985, début de la perestroïka en
URSS et en l’Europe de l’Est.
- Dès 1985, la surveillance des cultes
bouddhiques est relâchée
- Retour des rites religieux jusque-là interdits
- L’organisation religieuse devient plus autonome,
mais doit être en conformité avec
l’UBL et la directive de l’État et du parti.
- Reconnaissance complète de la
propriété privée.
- Les Laotiens sont redevenus propriétaires
de leurs biens fonciers.
- 2e Plan quinquennal, 1986-1990. - Les efforts pour réaliser les 10 principaux
points annoncés.
- Les aides internationales affluent
dans le pays.
- Adoption de la Nouvelle Mécanique
Économique.
- Les familles et clans politiques entrent
dans le monde des affaires avec l’étranger.
- Autorisation plus importante à la libre
entreprise.
- Intégration du Laos dans l’économie
régionale.
-1988 : Mise en place du droit des - Installation des entreprises de fonds Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 34 -
contrats, des successions, de la création
d’entreprise, des taxes.
- Ouverture du marché laotien aux
investisseurs étrangers.
- Loi sur les investissements étrangers.
d’investissement étrangers ; la présence des
étrangers occidentaux devient plus visible.
- On évoque le manque d’indépendance du
Laos vis-à-vis du Viêtnam.
- La diaspora commence à revenir au pays
en nombre limité.
- 1988, le Viêtnam annonce le retrait
de ses troupes de la RDPL.
- Opération d’assainissement du
système monétaire.
-1988 : fin du conflit de Ban Hom Kao,
avec la Thaïlande. (8)
- Détente cordiale entre la Thaïlande et la
RDPL.
- Échanges économiques et diplomatiques
fructueux entre la Thaïlande et la RDPL.
-1e visite de la Princesse Sirindhorn
de Thaïlande ; visite du ministre thaï
des Affaires étrangères au Laos.
Visite du Président de la RDPL en
Thaïlande.
- Des investisseurs thaïs s’installent
au Laos.
-1991 : 1e Constitution de la RDPL.
- Annonce du plan de privatisation de
certaines entreprises d’État. (9)
- La revitalisation des centres urbains
devient visible.
- Les données statistiques sont
fournies par les organismes
internationaux à partir de 1991.
-L’Assemblée populaire devient, en
1991, l’Assemblée nationale. La RDPL
réalise sa 1e élection des représentants
de l’Assemblée en 1992
- Mise en place de la loi sur les réformes
économiques
- 1992 : reprise des relations
diplomatiques entre les États-Unis et
la RDPL.
- La BAD crée la Région du Grand
Mékong (RGM ou GMS.)
- Mouvement de contestation des
étudiants laotiens de l’Europe de l’Est
contre le gouvernement de la RDPL. Ils
demandent des aides à la diaspora
laotienne et l’asile politique en
Occident.
- Le libéralisme et la démocratie touchent
les étudiants laotiens des pays de l’Est et
l’intelligentsia à l’intérieur du pays. Début
des mouvements de contestation interne :
- Emprisonnement des dissidents favorables
à la démocratie.
-Beaucoup d’étudiants laotiens contestataires
en Europe de l’Est ne retournent plus au pays
- La perestroïka triomphe en Europe.
La chute du mur de Berlin.
- Vers 1992 : 1er appel discret du
gouvernement de la RDPL à la diaspora,
brève tentative de lui rendre les biens
fonciers qui lui ont été confisqués. (10)
- De nombreux Laotiens de la diaspora
retournent au Laos pour de courtes visites.
(1). Lors du VIIe Congrès du CCP, quelques points ont été retenus comme les problèmes qui entravent la marche vers le
socialisme. En 1979, le 7e congrès avait effectué une mini réforme, 7 ans ans avant la grande réforme.
Parmi les directives du parti, il y a le plan de trois ans (1978-1980) avec six principaux points : 1- restructurer le domaine
et le système de production de base. 2- favoriser le secteur commercial intérieur et la circulation des produits. 3-
développer les secteurs éducatif, culturel, santé, information. 4- améliorer l’économie en liaison avec le système de
production et de gestion socialiste. 5- en liaison avec les points précédents, améliorer le niveau de vie de la population tout
en développant les travaux collectifs et la propriété collective. 6 - effectuer des recherches afin d’identifier les ressources
du pays. Préparer le plan quinquennal 1981-1986.
(2) En ce qui concerne le domaine agraire, signalons que la première réforme fut réalisée en 1978 lors des plans de trois
ans, avec le programme de coopérative agricole. Notons que le collectivisme de production, notamment l’élevage à
l’échelle familiale, a déjà été mis en place dès 1976 : chaque foyer était obligé de déclarer ce qu’il possédait comme
animaux d’élevage, leur consommation privée était soumise à l’autorisation du comité populaire du village.61
(3) Cf., la résolution N°7. Tickets de rationnement et bons d’achat des magasins d’État commencèrent à être supprimés.
(4) Référence aux 10 points du plan quinquennal.62
(5) Il s’agit, par exemple, de la suppression des documents de laissez-passer affectés aux laotiens pour leur circulation
dans le pays. Le laissez-passer avait été instauré dès 1976, il était obligatoire dès le déplacement d’un district à un autre.
(6) Suite à une « ouverture interne » et à la petite réforme du début des années 1980, où quelques membres du
gouvernement ont été arrêtés pour corruption et trafic d’influence, des postes ministériels ont été attribués aux jeunes
cadres non-révolutionnaires et formés en Occident, notamment en France. Cf., l’annexe : Liste de la libération des postes
et du pouvoir administratif du début des années 1980. Cette liste n’est pas exhaustive, mais donne un aperçu de
l’amélioration éventuelle que le gouvernement a pu réaliser par la suite avec l’attribution de ces postes. Parmi les
personnes occupant ces nouveaux postes, rares étaient celles qui étaient issues du parti.
(7) La 1e réforme (agraire et foncière) étant celle effectuée dans les deux premières années du régime. Celle-ci a connu un
échec. La 2e consiste principalement à rendre des terres aux paysans. La 3e marque l’arrêt complet du collectivisme rural.
(8) Avant la normalisation, les conflits frontaliers avaient repris en novembre 1987. En janvier 1988, les deux pays
s’accordent pour régler les problèmes de frontière. Mais le processus va durer plus de 20 ans.
(9) Les militaires n’avaient plus le monopole, en dehors de quelques activités lourdes, notamment l’exploitation des mines
et du bois, avec deux grandes sociétés militaires, DAFI et BPKP.
(10) Ce dispositif a dû être remis en question l’année suivante.
61 Cf. Page d’histoire de la lutte héroïque du peuple lao, Comité de propagande et de formation politique du CCP,
Imprimerie de la RDPL, 46 pp., Vientiane, 1980.
62 Ibid.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 35 -
I. I. b. Le rôle de la régulation foncière dans la mutation et la structuration spatiale
Situé au cœur des préoccupations de la société laotienne, les réformes, qui touchaient et
libéraient la question foncière des contraintes politiques, permettaient d’assouplir les rapports très
tendus que le pouvoir avait entretenu avec la population depuis 1975. Bien que quelques actions
eussent déjà été entamées en ce sens dès 1979-1980, la réforme de 1986 a donné un élan plus grand
à la régulation foncière.
La reconnaissance du droit privé des terres a induit la nécessité de régulariser le foncier, lui
donnant la possibilité de transaction, et donc de se doter de valeur et de permettre à l’État d’entamer
un mécanisme de perception des fonds. La libération foncière a apporté par la même occasion une
restructuration du bâti et de l’espace urbain et territorial.
Nous allons voir dans la 2e partie de notre recherche que la question de la terre et du droit de
la propriété privée était dans les traditions anciennes un symbole de liberté et d’autonomie pour les
Lao, symbole qui perdure de nos jours. Nous évoquons ci-dessous les quelques principes concernant
les types parcellaires et leur pratique traditionnelle, ainsi que leur implication sur le domaine bâti,
afin d’identifier quels changements ont eu lieu dans le foncier entre la pratique traditionnelle et
aujourd’hui, après la libération foncière.
Mis à part la complexité des acteurs et le développement de la nouvelle programmation (cf.
2e partie) qui ont toujours pris part aux enjeux spatiaux, nous tentons de comprendre à travers la
gestion des sols –permise par la reconnaissance du droit privé dans le cadre de la Réforme–
comment la régulation foncière et la structuration du bâti qui en sont issues ont-elles achevé un
ancien cycle de transformation pour en entamer un nouveau, orientant vers une certaine modernité ?
L’espace traditionnel a peu à peu fait place à l’avatar de la ville moderne, plus qu’à la modernité
elle-même, ceci, parce que la ville a gardé encore quelques persistances de traces structurelles et
tissulaires, aussi bien du point de vue social que spatial, en particulier du côté des pratiques
habitantes.
Mais rappelons d’abord brièvement, en remontant jusqu’à la période coloniale, ce qui peut
caractériser l’ancien cycle concernant le domaine foncier. L’élaboration du cadastre en tant
qu’instrument de gestion foncière et base du développement des tissus urbains était née –rappelonsle–
avec l’administration coloniale qui dressa en 1912 le premier plan cadastral de Vientiane.
63 Par
la suite, deux autres cadastres ont été réalisés, vers 1960 et vers 2000. Ces dates ne sont pas
fortuites : la période autour de 1912 correspondait à la première décennie de l’établissement de
l’administration coloniale64 ; les années 1960 ont été la première décennie de l’indépendance du
pays ; et enfin à partir des années 2000, après la crise asiatique de 1997 et près de quinze ans après
la réforme, on assiste à une reprise économique qui favorise fortement l’émergence de la
spéculation foncière, entraînant un développement urbain intense et généralisé. Un système de
contrôle du sol plus adéquat devenait alors une nécessité pour accompagner l’ouverture du pays à
l’économie de marché : doter le territoire d’un plan cadastral pour prendre en compte le
bouleversement du patrimoine foncier, lié au rétablissement de la propriété privée et à l’émergence
du droit de cession, voire, de la spéculation foncière. Il s’agit dans cette réforme foncière de
réveiller les pratiques anciennes qui ont été étouffées pendant près d’une vingtaine d’années durant
lesquelles le foncier était sous contrôle de l’État et la spéculation seulement officieusement
pratiquée. Le cadastre devait de plus dégager des revenus non négligeables pour le ministère des
Finances, même si le mécanisme administratif de perception des taxes était et reste difficile à mettre
en place et à faire fonctionner, malgré les aides internationales massives à la bonne gouvernance
63 Il semble qu’un autre plan cadastre de Vientiane a été élaboré avant celui de 1912, mais il n’était sans doute pas abouti.
Le plan qui a été utilisé pour le prélèvement des taxes et des impôts a été celui achevé en 1912. L’administration coloniale
a réalisé durant la même période le cadastre d’un certain nombre de villes, notamment celui de Luang Prabang. 64 La Résidence Supérieure a été installée à Vientiane en 1900, des services administratifs seront peu à peu constitués.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 36 -
dans ce secteur. Ces trois périodes décennales (les années 1912, 1960, 2000) réparties sur un siècle
correspondaient à des moments de transformations profondes de la ville et de l’économie,
accompagnant les bouleversements spatiaux, sociaux et culturels.
La compréhension de la structuration du bâti peut se faire au travers de l’étude du
parcellaire à partir des trois cadastres (1912, 1964 et 2002), croisée avec l’étude des typologies
d’architecture, des tissus urbains, et avec les conceptions traditionnelles du droit foncier. Elle
permet de voir comment le bâti et le tissu urbain se sont-ils constitués et comment la transformation
de ceux-ci s’est-elle opérée à travers le parcellaire. Ce faisant, l’étude a surtout éclairé le
bouleversement profond de l’habitat lao et de la ville traditionnelle, de révéler comment la
“communauté de villages” qui composait les villes laotiennes (et l’usage de l’espace qui en
découlait), leur pratique et leur culture, et qui constituait la base de leur conception, cohabite-t-elle
encore aujourd’hui avec la gestion contemporaine du foncier qui devient un acquis quasiment
incontestable. En introduisant le cadastre, l’administration coloniale montrait clairement que
l’approche du tissu urbain par les trames viaires, à l’échelle de l’îlot et ensuite à l’échelle
parcellaire, permettait une nette distinction entre la structure coloniale et la structure locale existante
sur laquelle l’administration coloniale superposait son plan. Ainsi, l’intervention à la taille de la
parcelle avait des implications sur l’identification de l’îlot, du quartier et de la ville toute entière.
I. I. b. 1. Un rappel historique : types parcellaires, constitution et transformation du bâti et
du tissu urbain
Des types parcellaires
Nous avons vu que c’est avec l’administration coloniale que le parcellaire, en tant qu’unité
de propriété administrable, prenait forme. Quatre catégories de parcelles font écho à des formes
bâties, contribuant à définir une rue, un quartier, parfois même une ville.
Les parcelles agricoles
Il existait trois principaux types de parcelles agricoles dans le milieu urbain, en particulier pour les
villes de plaine comme Vientiane, Savannakhet ou Thakhek. Les parcelles occupées par des rizières
étaient généralement vastes et en zone basse. Elles enveloppaient la ville, ou parfois formaient des
poches enclavées à l’intérieur du périmètre urbain, constituant ainsi une sorte de friches rurales.
Dans le cas de Vientiane, la ville enfermait à plusieurs endroits des rizières immergées, à l’intérieur
même du petit rempart. Leur disparition date d’à peine dix ans. À Luang Prabang, aujourd’hui la
petite péninsule ne possède plus de rizières, mais plutôt des mares. Et dès que nous sortons de la
pointe de la péninsule, nous en trouvons tout de suite quelques-unes. Juste avant la transformation
récente des rizières urbaines, les activités agricoles étaient souvent déjà abandonnées, elles étaient
alors dans une situation intermédiaire : les sols devenaient déjà potentiellement constructibles. De
manière générale, qu’elles forment des poches à l’intérieur ou des étendues autour des villes, elles
tendent à disparaître au profit d’un étalement urbain. À Vientiane, les parcelles agricoles en bordure
du Mékong et dans l’île Done Chanh avaient une forme habituellement allongée, en lanières. L’une
des extrémités était en contact direct avec le fleuve afin de satisfaire les activités maraîchères, et
l’autre, plus exondée, réservée pour l’aménagement des vergers et parfois pour l’implantation des
habitations. Les parcelles agricoles qui longeaient le canal extérieur –voie historiquement navigable
et jumelée à l’ancien rempart extérieur de la ville– avaient une forme plus irrégulière, au gré des
opportunités offertes par les affaissements de l’ancien rempart, mettant en relation le canal et les
terrains adjacents de l’intérieur.
Les parcelles bâties
En ce qui concerne les parcelles bâties, trois grands types ont été repérés : les grandes parcelles et
les parcelles moyennes de formes variées et les parcelles étroites et profondes. Les grandes parcelles
contiennent des équipements publics ou des espaces communautaires tels les monastères. Elles ont
souvent été formées à partir des remembrements de petites parcelles dont la délimitation était
Fig. 2. Planche
montrant les
principaux types
de parcellesDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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imprécise au moment de l’installation de l’administration coloniale. Certaines d’entre elles ont été
constituées sur des occupations anciennes qu’étaient les vastes parcelles d’anciens monastères ou
d’anciennes résidences de nobles, voire des palais princiers, tombés en déshérence après la mise à
sac de la ville en 1828. Ces parcelles constituent aujourd’hui des éléments de repérage et
d’identification des quartiers. Aussi reconnaît-on que les équipements tels que l’ambassade de
France, l’hôpital Mahosot, le Marché du matin, les ministères de l’Intérieur, de l’Artisanat et de
l’Industrie, le Vat That Foun, etc., qui jalonnent la route de Nong Bone depuis la berge remontant
vers That Luang, ont été construits sur des anciens monastères qui longeaient le parcours conduisant
vers le site le plus sacré de la ville. Ces vastes parcelles offrent à la cité de grands espaces verts,
grâce au faible taux d’emprise au sol du bâti qui dépasse rarement 50% de la surface.
Les parcelles moyennes sont sans doute les plus stables puisqu’elles persistent dans les
quartiers les plus ruraux de la petite enceinte de la ville, dont l’identité est la mieux préservée,
moins touchée par des démembrements ou des remembrements. Ce sont des parcelles qui sont
profondément marquées par le mode d’habitat plus que par la trace des éléments construits euxmêmes.
Dans ce type de parcelle, nous y trouvons le plus souvent des bâtisses isolées : des maisons
lao, des maisons lao pagnuk [gInvo]k;xtp5d] et des villas construites ultérieurement. Le taux
d’emprise au sol est relativement faible, entre 45% et 55%, laissant souvent le bâti entouré de
jardins plus ou moins vastes. Cependant, récemment le taux d’emprise au sol de ces parcelles
augmente sans cesse. Une forte densification à l’intérieur des parcelles tend, de fait, à réduire la
superficie des espaces verts, sans qu’il y ait véritablement un resserrement urbain organisé.
Si les deux types de parcelles précédemment évoquées sont antérieurs à l’installation de
l’administration coloniale dans leur forme et dans leurs limites réinvesties, les parcelles étroites et
profondes qui apparaissaient au début du XXe siècle sont purement de fabrication coloniale. Elles
sont directement issues des besoins de la ville coloniale aussi bien dans leur forme que dans leur
usage et leur fonction. Ces parcelles perpendiculaires à la rue sont occupées par une construction
qui associe l’habitation aux activités commerciales. Ce sont des compartiments étroits avec des
murs de refend mitoyens. Ce type de bâti dénotait un mode de vie nouveau, inconnu jusqu’alors
dans les villes lao. Leur fonction prédominante étant le commerce, les occupants vivaient à l’étage
et dans la partie de l’arrière-cour se tenait un petit bâtiment de service attenant. Le taux d’emprise
au sol était fort élevé, de 85% à 95%, ne ménageant quasiment pas d’espace vert. Les
compartiments créaient des fronts de rue continus et apportaient un changement radical au tissu
urbain. Ils introduisaient un nouveau mode de vie et d’habitation, bouleversaient le rapport spatial et
culturel entre l’habitat et la ville. Plus tard, les compartiments des années 1960 et 1970 seront plus
hauts, à R+2, voire à R+3 avec parfois une cour formant une sorte de puits de lumière entre la partie
commerciale et la partie de service située en arrière, remplaçant la cour des compartiments
coloniaux. Aujourd’hui, les nouveaux compartiments occupent la quasi-totalité des parcelles. La
petite cour pavée de la période coloniale ou le puits de lumière des années 1960 disparaissent
complètement : on cherche d’abord à gagner et à rentabiliser l’espace sur un minimum de surface.
La transformation et la restructuration des parcelles ou la nouvelle parcellisation elle-même
ont une influence indéniable sur le système de la voirie. Rappelons que les voies de circulation dans
l’espace lao ancien sont physiquement peu formalisées. Si la délimitation est parfois visible,
matérialisée par des clôtures et des palissades, c’est seulement pour empêcher les bêtes de s’attaquer
aux cultures potagères, et non pas pour empêcher les hommes de circuler, n’ayant pas pour but le
cloisonnement entre propriétés.65 En ville autrefois, il y avait effectivement parfois des palanques,
des haies, des palissades en bois ou en bambou tressé entre les jardins des habitations et les voies
publiques principales. Pour les voies secondaires et les passages en cœur d’îlot, il était aisé de
65 Dans le Rajasat, un article (de jurisprudence) évoque des litiges entre le propriétaire d’un terrain et le propriétaire d’une
bête de somme. Il est stipulé que si une bête s’échappe et s’attaque à la culture d’un autre tiers, il y a préjudice. Et son
maître doit payer une somme pour réparer le préjudice.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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passer d’un jardin à l’autre : une sorte de consensus et de servitude communautaire était
naturellement établie. Lorsque l’administration française a procédé à l’établissement du cadastre,
une hiérarchisation des voies a alors été établie. Ainsi, la nouvelle délimitation des parcelles
imposait-elle de véritables servitudes et donnait naissance à des voies publiques. Les passages
informels et consensuels anciens qui desservaient les parcelles privées et qui reliaient les parcelles
intérieures entre elles s’étaient alors transformés en servitude avant de devenir des voies publiques à
part entière avec un statut foncier précis, même si des voies n’y ont pas été aménagées sur le coup.
Le processus de transformation, étude des cas
Les études des cas actuelles permettent de comprendre le processus de transformation des
parcelles et leurs résultants : comment ont-elles évolué et comment ont-elles participé à la
structuration du tissu urbain ? Les changements ou les bouleversements survenus aux parcellaires
sont liés aux démembrements, aux remembrements, à la création et à la restructuration des voies, à
certaines défaillances des règles d’urbanisme et au changement de fonction du bâti.
Pour les démembrements, il y a trois cas de figure. Lorsqu’il s’agit d’un démembrement
classique, une parcelle est scindée en plusieurs sans se soucier si toutes les parcelles étaient, ou pas,
accolées à la voie publique.66 Dans le cas où certaines étaient enclavées, des petits passages étaient
créés pour permettre l’accès à l’intérieur des îlots. Prenons par exemple le cas du quartier Anou à
Vientiane. Construites dans les années 1920, les rues sont en damier et coupées à angle droit, il y a
ainsi un certain nombre de passages créés postérieurement à la suite des démembrements des
parcelles. Dans un exemple plus récent, un bout de parcelle en bordure de la voie peut être scindé et
cédé, comme c’est le cas à Dong Palane. Nous voyons alors apparaître des constructions de type
compartiment haut de plusieurs étages, mais sans la profondeur habituelle des compartiments, un
immeuble de 5 mètres sur 5 mètres. Dans le même dessein, nous observons une ou plusieurs
échoppes se construire sur front de rue rejetant la plus grande partie de la parcelle et son jardin en
arrière, coupés de la rue. Même si les échoppes ne sont pas cédées au départ, elles sont souvent
louées et plus tard peuvent être cédées ou transmises en héritage. Un autre cas de figure est le
partage en plusieurs propriétés d’une rangée de compartiments existants : un propriétaire qui
possède une rangée de plusieurs compartiments décide d’en vendre quelques-uns ; ou alors l’État67
qui en est le propriétaire et qui les avait alloués (souvent à titre gracieux) aux agents de l’État, il y a
quelques années, finit par les céder définitivement à la demande des occupants, à titre gracieux ou
en contre partie d’une somme symbolique, car souvent le prix de cession ne correspond pas à la
réalité du marché.68 Dans les deux cas de figure, s’il y a des opportunités financières, les nouveaux
acquéreurs finissent par détruire les anciens compartiments pour en construire de nouveau. À Ban
Mixay, sur le front de rue du quai Fa-Ngum, les rangées de compartiments qui avaient été
“ départagées ” et données aux fonctionnaires commencent à prendre des allures différentes les uns
par rapport aux autres dans les aménagements de leur façade, sans que la notion de copropriété ne
soit prise en compte. Dans le pire des cas –ce qui arrive généralement–, les anciens compartiments
disparaissent pour faire place aux nouveaux qui recherchent davantage à gagner en surface, comme
nous l’avons remarqué précédemment.
Si les démembrements transforment par petites touches, le tissu urbain, les remembrements
entraînent des bouleversements plus importants encore. Souvent, ils visent la constitution d’un parc
foncier pour construire des bâtiments, des complexes de grande ampleur. Le Lao Plaza Hotel fait
partie de ces opérations de remembrement, grands complexes qui génèrent des changements
66 Ceci, avant la dernière immatriculation foncière. Car une parcelle ne peut être démembrée en cession et immatriculée si
elle n’a pas de voie d’accès. 67 Ici, l’État n’est pas lui-même promoteur. Ses biens ont été obtenus au moment où il a étatisé les biens fonciers des
personnes qui ont quitté le pays entre 1975 et 1982.
68 Les allocations par l’attribution de logement aux foyers les plus démunis ou demandeurs (majoritairement agents de
l’État) correspondent à l’aide de l’État, récompensant le bas salaire et les années de services rendus.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’échelle et de gabarit des bâtiments ainsi que l’ambiance et les perspectives des rues. Souvent, ces
complexes entraînent et initient d’autres constructions de même ampleur, changeant l’échelle des
quartiers.
Les nouvelles constructions et la structuration des infrastructures viaires mettent en relief
deux cas de figure significatifs : le nouveau tracé et l’élargissement des voiries. Dans les années
1920, la préemption des sols pour des servitudes a permis de tracer l’emprise du boulevard Khun
Bourom à Vientiane. La tranche du boulevard Khun Bourom qui longe le Vat Inpeng, ampute une
partie du terrain du vat pour le rejeter de l’autre côté. Une fois le boulevard créé, une bande de
servitudes est restée disponible de l’autre côté de la voie, ce qui permet à l’administration de vendre
cette partie. Les terrains riverains autrefois accolés au rempart du vat se retrouvent alors coupés du
vat par la voie nouvellement tracée, ceci, bien qu’un passage leur ait été octroyé. Ainsi, est-il
fréquent de voir que derrière des compartiments ou des immeubles en centre-ville, se cachent des
vieilles maisons avec jardin, des parcelles datant de la période avant la restructuration des voies
publiques. Le deuxième cas de figure concerne l’élargissement actuel des voies qui réduit la taille
des parcelles riveraines. Dans certains cas, leur emprise en bordure de la voie devient plus
importante que leur profondeur, cela entraîne bien souvent la construction de compartiments ou
immeubles larges mais très peu profonds. Les compartiments sur la rue de l’Hôpital 103 et ceux sur
la rue de l’ASEAN (route T2) sont très représentatifs de ces caractéristiques.
Enfin, il y a deux processus très marginaux qui méritent quelques intérêts. L’un concerne le
changement de fonction de l’habitat lao, l’autre concerne la mise en évidence de la défaillance des
règlements d’urbanisme. Dans le premier cas de figure : lorsqu’une maison lao en bois sur pilotis se
retrouve accolée à la rue suite aux conséquences de l’élargissement de la voie, privée de sa hauteur
d’origine sous pilotis suite aux conséquences des remblais (afin de rattraper le niveau de la rue qui
est plus haut que le sol des maisons riveraines), elle a bien du mal à fonctionner et est difficilement
vivable. Alors, quand elle n’est pas détruite par son propriétaire, elle peut faire l’objet de
transformation en devenant une échoppe : l’intérieur de l’échoppe garde quelques traces d’une belle
maison lao en bois, tandis que son extérieur peut être qualifié de baraquement de fortune. Dans le
deuxième cas de figure, lorsque deux séries de compartiments ont été construites côte à côte, par
deux opérations différentes et appartenant à deux propriétaires différents, si ces compartiments
respectent à peu près les alignements, ils ne possèdent pas de règles de mitoyenneté bien précises.
L’un et l’autre vont laisser par exemple 70 centimètres de terrain libre à l’extrémité des
compartiments. Des clôtures sont parfois construites. Dans le petit passage qui lie Vat Haï Sok à la
rue Hèng Boun, un compartiment de 1,40 mètre de large a été construit dans l’espace interstitiel
entre deux compartiments. Bien que ces deux cas restent marginaux, il n’est pas improbable qu’ils
deviennent un jour une pratique courante, vu le nombre des maisons lao se trouvant dans la situation
décrite, ou, vues les séries de compartiments qui se retrouvent avec des espaces interstitiels non
réglementés. Du moins, les règles concernant la mitoyenneté ont été définies bien postérieurement
par le POS, en 2000. 69
I. I. b. 2. La pratique habitante traditionnelle et contemporaine de l’espace, quelle incidence
sur le parcellaire ?
L’évolution des parcelles et les pratiques qui leur sont liées sont corollaires au
développement urbain et exercent une influence sur le renouvellement du tissu. Mais dans cette
évolution irréversible qui obéit à la logique et au principe général du développement urbain, il
existe des résistances d’ordre culturel et psychologique qui échappent aux paramètres et aux formes
modernes de gestion et d’aménagement. Ces résistances apportent un éclairage sur les usages
69 Le POS révisé en 2000 permet de construire les compartiments jusqu’à la limite de la parcelle, imposant ainsi la
mitoyenneté. Mais cette règle n’a pas toujours été respectée. En l’occurence, des ouvertures sur les murs de refend
continuent à être des litiges de voisinage et de principe de raccordement de la mitoyenneté.
Fig. 3. Types de
Transformation
du parcellaire et
du bâtiDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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anciens et la pratique spatiale traditionnelle, qui demeurent encore courants par certains aspects, une
survivance que l’aménagement moderne de la ville tend à ignorer.
La morphologie, l’emplacement des parcelles et leur aspect symbolique
Aujourd’hui la morphologie des parcelles continue à avoir de l’importance dans
l’acquisition d’un terrain à bâtir, du moins pour les Lao de souche.70 Certains vont jusqu’à
abandonner l’idée et d’acquisition, si le terrain ne présente pas des caractéristiques conformes aux
règles édictées par des croyances ancestrales. Ainsi, y a-t-il des formes proscrites, telles les formes
triangulaires. D’une manière ou d’une autre, la partie accolée à la voie, c’est-à-dire la façade du
terrain, doit être plus étroite que la partie arrière. Le terrain doit ressembler à une poche, une jarre
bombée en arrière, de sorte que ce qui rentre puisse demeurer. Il s’agit, bien entendu, de la chance,
la prospérité, le bon esprit du foyer qui assurera le bonheur et la richesse à ses occupants. Par
ailleurs, la disposition et l’emplacement des parcelles par rapport à la voie sont aussi des critères
importants. Un Lao de souche, s’il a le choix, ne va a priori jamais choisir d’habiter dans un terrain
se trouvant dans l’axe d’une voie. Il croit qu’une telle position réceptionnera toutes les mauvaises
influences y compris les mauvais esprits. Le mode d’habiter, de fonctionner et de positionner des
choses, la cohabitation dans l’espace entre les esprits et l’homme est le fruit d’une culture, certes,
mais il n’en est pas moins lié à l’état psychologique chez les Lao : un test a été réalisé sur ce sujet
moins aux faits des croyances et des coutumes. Il est étonnant de voir que la majorité des personnes
interrogées a choisi le terrain qui n’est pas dans l’axe.
Les parcelles et le fleuve
A l’échelle urbaine, le Mékong était un élément fédérateur. Il orientait l’axe de
développement de la ville, fédérait et accompagnait un ensemble d’équipements religieux et assurait
l’ouverture de la ville, à une époque où la voie de circulation était la plus aisée par le fleuve. À
l’échelle du parcellaire, la présence du fleuve était encore plus vitale. L’une des caractéristiques des
villages riverains du Mékong était que les parcelles puissent avoir un accès facile au fleuve, même
celles qui n’étaient pas directement sur berge. Du fait que les parcelles des habitations n’avaient pas
toutes des clôtures, par les petits chemins de passage, on pouvait ainsi d’un jardin à l’autre accéder
au bourrelet de la berge, là où étaient aménagés les potagers, là où les habitants allaient chercher
l’eau et se baigner ou prendre leur pirogue. Lorsque les parcelles ont été identifiées comme telle et
inscrites au cadastre, les clôtures71 apparaissaient et fermaient bien souvent les anciens passages,
remplacés par de vraies voies de dessertes perpendiculaires au fleuve. Aujourd’hui, ces voies ne
semblent plus entretenir les liens entre les habitations et le fleuve. Ce sont des voies de dessertes
aux habitations. Les liens avec le fleuve sont alors taris. Dans certains cas, la pression de ceux qui
pouvaient accéder autrefois au Mékong est assez forte pour que des petits passages informels se
recréent de nouveau. Nous comprenons alors que l’accès au fleuve n’est pas uniquement une
question fonctionnelle. Il répond à d’autres besoins, et les arguments sont nombreux mais souvent
très abstraits : il faut « sentir » la présence du fleuve pour s’orienter et se situer, et il faut surtout
aménager des passages pour les bons esprits, sinon, nous risquons d’attirer leur colère.
Les propriétés privées, les compartiments et les rues
70 Nous entendons “ Lao de souche ”, ceux qui observent le bouddhisme théravada comme religion parallèlement aux
cultes des phi ou de l’esprit des ancêtres. Dans beaucoup de cas, ce caractère se retrouve aussi chez les Laotiens qui ne
sont pas forcément des Lao-Tai (Lao loum). En ce cas, leurs croyances peuvent être influencées par les autres cultures
asiatiques, notamment le Feng Shui, dont certains principes et règles peuvent être confondus à leurs cultes animistes. 71 Les quartiers de berge dans la partie décentrée à Ban Khounta-tha et à Ban Oumong. Le document cadastral définitif
commence à être délivré à partir de 2004. Auparavant, il y avait des registres de l’ancien régime certifiés par le chef du
village et des témoins composés par les voisins. Ces derniers peuvent attester que tels et tels terrains appartiennent bien à
telle ou telle personne, que celle-ci a reçu en héritage des parents ou des grands-parents, etc. Et si les témoins sont aussi
jeunes que le propriétaire du terrain, ils peuvent toujours dire que leurs parents et arrière-grands-parents leur ont ainsi
raconté qu’ils sont voisins depuis des générations. Ces témoignages ne sont pas anodins, ils ont quasiment une valeur
juridique, puisque pour établir le dernier cadastre et immatriculer les titres de propriété, l’État s’est appuyé en partie sur
ces anciens documents et les ont fait confirmer par ces témoignages
Fig. 4. Des
parcelles
appropriées et
non appropriéesDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Aujourd’hui, on peut observer le fait que le statut d’espace public de la rue est parfois
remis en question par certaines pratiques des riverains, en particulier de ceux qui habitent dans les
compartiments commerciaux. Ils ont tendance à considérer que les places de stationnement et le
trottoir se trouvant adjacents à leur boutique leur appartiennent, du moins, ils réagissent en ce sens.
Ainsi, dans certaines rues du centre de Vientiane où le sigle “ interdit de stationner ” ou “ sortie
marchandises ” n’est pas affiché, lorsqu’un automobiliste tente de stationner le propriétaire d’une
boutique sort aussitôt de son magasin et demande à l’automobiliste de partir, car il interdit
quiconque de stationner devant son magasin. Lorsqu’on lui demande à qui appartiennent le trottoir
et la chaussée adjacente qui ne sont pas interdits de stationner, il répond que le trottoir et la chaussée
en question, appartiennent au domaine public. Il reconnaît donc que l’emplacement relève bien de
l’autorité publique, cependant la vue de son magasin lui appartient, et donc, personne ne peut
obstruer la vue de sa boutique. L’argument, peu juridique, n’apparait pas tout à fait absurde.
L’aliénation de la propriété privée
Les cas de litiges concernant le foncier sont nombreux, absurdes et rarement résolus.
Prenons par exemple le cas d’aliénation de la propriété privée. La mise en œuvre de l’aménagement
de Nong Douang, à Vientiane, illustre un certain nombre de ces litiges. Avant la construction au
début des années 2000 d’un grand réseau d’infrastructures viaires (la route T2 entre autres) la
traversant et la coupant en deux, Nong Douang était une vaste mare entourée de zones humides et
marécageuses ayant une grande capacité d’autoépuration. Mais le plan cadastre des années 1960
ainsi que les titres de propriété ont montré que cette zone était un ensemble de rizières, et il y avait
effectivement deux mares, pas aussi vastes qu’elles ne l’étaient dans les années 1980-1990. La
minéralisation de l’ensemble de la ville dans les années 1960 et 1970 avait réduit la qualité et la
capacité d’absorption de l’eau de ruissellement de la ville. Celle-ci se déversait donc naturellement
dans la zone de rizières et marécageuse de Nong Douang. En une vingtaine d’années, la mare s’était
donc étendue et les propriétés avaient été immergées, aliénées de manière naturelle, devenant ainsi
l’une des plus belles zones humides de la ville jusqu’à la fin des années 1990. En cultivant les
plantes aquatiques ou en faisant de la pêche, les propriétaires pouvaient toujours dire que tel ou tel
endroit leur appartenait, mais il n’y avait aucune précision, ni les moyens physiques de vérifier les
faits. Cette zone devenait de fait une propriété publique (du moins communautaire) ou tout le
monde pouvait venir pêcher et ramasser les plantes aquatiques. Pendant des années, tant que la zone
n’avait pas pris de valeur foncière, personne ne s’en souciait. À qui pouvait-on réclamer « une
rizière inondée par le ciel », disaient les propriétaires.
Lorsque la route T2 a été tracée vers la fin des années 1990, et des remblais déversés le
long de la voie, des bâtiments se sont construits, réduisant considérablement la surface de la zone
humide. Les propriétaires qui possédaient des terrains bordant la mare de part et d’autre ont vu leur
prix grimper. Puisque les terrains le long des deux côtés de la T2 ont été remblayés et vendus à des
prix alléchants,72 ils ont estimé être en droit de remblayer à leur tour les zones restant qui bordaient
la mare. Or, il était théoriquement interdit de remblayer les parties restant de Nong Douang,
instaurées alors comme « zone humide protégée ». A partir de là, commençait le litige : d’un côté,
les autorités permettaient le remblai et la vente des terres le long de la T2, et de l’autre, les autres
abords étaient interdits de tout remblai. Devant l’administration, les propriétaires ont essayé de faire
valoir leurs anciens titres fonciers avec photographies aériennes à l’appui, montrant qu’il y avait des
rizières avec deux mares de taille modeste. Ce fut efforts inutiles : beaucoup de documents produits
par l’administration de l’Ancien Régime ont été détruits, ou n’ont pas été reconnus. Vouloir faire
reconnaître un document de l’Ancien Régime, et par-dessus tout, faire reconnaître qu’avant la
constitution naturelle de la mare, il y avait des rizières parcellisées, cela dépassait l’entendement de
72 Des terrains dans les zones humides qui, autrefois, n’avaient pas de grande valeur foncière et les terrains qui sont au
bord de la route T2 coûtaient en 2007 entre 120 et 250 USD le M2.
Fig. 5. Zone
humide de
Nong DouangDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’administration.
Nous pouvons dire que les trois cadastres qui ont été élaborés ont donné lieu à une
restructuration de la ville et du domaine bâti, ils permettent de comprendre leur évolution. À chaque
cadastre correspond une période de développement, voire, une période de renouvellement urbain. À
travers la question de la pratique du sol, nous constatons que la gestion et le développement
moderne de l’urbain, rencontre des résistances. Ces résistances se sont manifestées dans certaines
pratiques de l’espace et dans certains modes d’habiter, qui perdurent en parallèle aux systèmes
urbains plus rationnels établis depuis le début du XXe siècle. Les croyances liées à l’utilisation des
terres ancrées dans la culture locale exercent une influence sur les pratiques spatiales et constituent
une véritable archéologie des usages de l’espace que l’examen des parcelles, ici, a permis en partie
de révéler.
I. II. La marginalisation et l’émergence des territoires d’aujourd’hui
Après avoir examiné la réforme comme étant l’enjeu politique et économique du régime,
avec deux points majeurs : les différentes retombées (politiques, économiques et structurelles) et la
régulation foncière, il s’agit d’aborder dans ce paragraphe sur le plan spatial ce que les points les
plus significatifs de la réforme ont révélé dans le contexte spatial existant et ce qu’ils ont induit
comme nouvelles formes ou statuts spatiaux, autrement dit, voir ce qui a accompagné la réforme du
point de vue spatial. Deux principaux phénomènes opposés caractérisent le rapport territorial :
l’aspect marginal et l’aspect émergent.
Dans l’évolution générale des villes et dans leur mutation, nous pouvons voir à travers
plusieurs situations et contextes qu’il y a une mise en évidence de phénomènes à la fois de
marginalisation et d’émergence des territoires à l’œuvre, ou des caractères marginaux et émergents
aboutis. C’est à la fois sous l’influence des facteurs historiques et territoriaux, politiques et
économiques que certaines villes ou certains établissements se marginalisent ou au contraire
émergent. Nous tentons de voir quels sont les territoires émergents et quels sont ceux qui sont
marginalisés.
Pour comprendre ces deux phénomènes ou ces deux caractères, nous procédons à l’étude de
cas au Laos sur l’ensemble du pays. Nous abordons en premier lieu les pôles de développement à
l’échelle locale et régionale. Nous analysons en second lieu la création des nouvelles zones
régionales d’échanges économiques ou la renaissance des réseaux historiquement anciens. En
troisième lieu, nous nous intéressons particulièrement à l’organisation des territoires de concession
ou de bail en cours de réalisation. Enfin, nous mettons en relief des cas historiques qui montrent que
la marginalisation des territoires peut être due aussi aux facteurs endogènes. C’est-à-dire qu’il y a
des territoires qui peuvent se marginaliser non pas à cause des facteurs externes, mais à cause de
leurs propres facteurs internes. Ce sont par exemple des territoires historiquement déjà mis à l’écart
des aires de développement territorial habituel. Il s’agit par exemple des villes de l’ancienne zone
libérée contrôlée par les forces révolutionnaires avant 1975 et de la zone spéciale instituée en 1994
ou encore du cas de Muang Tonh Pheung qui appartenait au Triangle d’or, une ancienne zone de
trafics. À travers ces trois cas marginaux, nous verrons qu’il y a déjà une divergence dans leur
potentialité à s’inscrire et à s’intégrer ou non dans le réseau de développement régional.
La question de marginalisation ou d’émergence des territoires se pose ici en termes
d’intégration, et donc en termes d’existence. C’est donc à travers cette existence un peu
conditionnelle, entre “ émergent ” et “ marginalisant ”, que nous interrogeons les conditions de
l’intégration régionale : une intégration régionale pour quelle intégration locale et nationale ?
Autrement dit comment l’échelle régionale agit-elle sur l’échelle locale ?
I. II. a. Les pôles d’attraction pour le développementDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Dans le développement des territoires, quels que soient leur forme et leur type, le constat du
caractère ou du phénomène de marginalisation et d’émergence ne peut se faire sans se référer aux
pôles de développement qui fonctionnent comme des points d’attraction autour desquels tournent ou
ne tournent pas les établissements. Essayons d’abord de comprendre de quoi sont composés ces
pôles de développement, qu’ils soient locaux ou régionaux. Nous aurons pu étudier les typologies
des pôles, mais cela n’a pas directement d’implications sur les établissements et centres anciens.
C’est plutôt en terme d’échelle entre le local et le régional que les pôles ont des implications
sensibles sur l’espace des établissements anciens qui nous intéressent. Les types de pôles ont leur
importance dans le sens où certains peuvent exercer, du point de vue programmatique, une forte
pression sur les centres anciens, notamment les pôles touristiques, les pôles industriels, ou de
manière plus générale, les pôles à forte croissance économique. Pour cette dernière question, nous
l’aborderons à travers autre problématique, traitant du « processus de constitution et de
recomposition du patrimoine » et « du regain des centres historiques ».
Rappelons que les pôles d’attraction du développement ne peuvent être définis par des
limites territoriales précises. Ils sont plutôt déterminés soit par des espaces qui rayonnent soit par
des espaces en tête de réseaux fédérateurs. Les territoires concernés dans notre recherche ne
possèdent pas directement de pôles ou de réseaux internationaux, de par leur situation “ enclavée ”
au cœur de la péninsule Indochinoise, de terre intérieure sans accès à la mer. Mais leur existence,
dans une logique interne, locale et historique, est une réalité qui les structure et qui les fait participer
à une logique territoriale régionale importante, que ce soit en tant que pôles eux-mêmes ou en tant
que territoires satellites.
I. II. a. 1. Les pôles et les réseaux locaux : infrastructure, déplacement et nouvelles
constructions des équipements
Évoquons brièvement ici que les villes laotiennes d’avant 1975 ont connu des partitions
territoriales suivant la pression et la logique des partitions politiques de la Guerre froide. Les pôles,
à ce moment-là, étaient calés sur ce schéma de partition et demeuraient pendant quelques années
des pôles artificiels. Pour ainsi dire, il existait donc deux grands pôles idéologiques qui tendaient à
séparer le Laos en deux parties : est et ouest, même si ce schéma n’était pas tout à fait exact dans la
mesure où les premières zones contrôlées par le Néo Lao Hak Sat (NLHS), qui étaient Phongsaly et
Houaphanh, n’étaient pas situées uniquement dans l’Est du pays, mais surtout dans le Nord, et que
certaines parties du Sud étaient également ses acquisitions stratégiques. Nous devons alors notre
partition Est-Ouest à l’axe fort que constituait la piste Ho Chi Minh traçant une ligne Nord-Sud de
démarcation le long de la frontière Est du Laos. L’axe du Mékong qui lui était parallèle était dans sa
majorité le réseau qui structurait les zones d’influence du gouvernement de Vientiane et logeait
donc la majorité des pôles de développement. Ceci, même si le NLHS tentait de faire dans les
années 1960 et 1970 de la zone libérée de véritables pôles de développement, avec la création de sa
capitale à Viengxay. La piste Ho Chi Minh aidant, les pôles de la zone libérée étaient
idéologiquement, symboliquement et stratégiquement forts durant la période de la guerre du
Viêtnam. Mais malgré cela, tous points de vue confondus, ces pôles n’équivalaient jamais ceux de
la vallée du Mékong. Après la révolution, les pôles idéologiques dans l’ancienne zone libérée ne
devenaient pas davantage des grandes villes. Au contraire, les villes de l’ancien gouvernement de
Vientiane continuaient à être des pôles d’attraction du point de vue politique, économique, urbain,
culturel et démographique, réduisant ainsi l’importance des zones révolutionnaires.
Nous allons voir un peu plus en détail dans la troisième partie de notre recherche ce qui
avait été nécessaire pour la mise en œuvre de la consolidation du nouveau pouvoir à partir de la
seconde moitié des années 1970, afin de rééquilibrer et réorganiser l’ensemble du territoire :
comprendre et orienter justement la structure, les pôles ou les têtes de réseaux locaux. Ici, notons
quelques initiatives que le régime a menées dans les années 1990 pour corriger le déséquilibre qui
faisait apparaître l’affaiblissement du rôle de la zone libérée et, au contraire, le regain de la zone de
l’Ancien Régime qui persistait même après la révolution, car ce déséquilibre allait à l’encontre des
Fig. 6. Carte de
l’avancement
de « la zone
libérée ».Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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objectifs du PPRL. Ceux-ci essayaient de consolider les villes de l’ancienne zone libérée, de leur
donner une importance historique et idéologique à l’échelle nationale, d’y maintenir sa population,
voire, de la repeupler. Mais ces villes ne devenaient que des lieux de mémoires idéologiques qui ne
participaient que très peu aux dynamiques générales du développement.73 Au contraire, tout
penchait en faveur des anciennes zones du gouvernement de Vientiane qui étaient et demeurent des
lieux importants, des villes plus urbanisées et les plus peuplées, des zones les plus développées,
attirant toujours davantage les populations de la zone libérée. Leur rôle de pôle demeurait
incontestablement le même depuis l’Ancien Régime, échappant à toute logique idéologique.
Dans la seconde moitié des années 1980, la politique territoriale a préconisé la
hiérarchisation des territoires ; non seulement pour rechercher une structure administrative et un
système de gouvernance local plus efficace, ou pour mettre en évidence les priorités, mais aussi
pour rechercher de nouveaux pôles et de nouveaux équilibres qui restaient jusque-là toujours
difficiles à trouver. Plus tard, les réalités politiques, économiques et spatiales, associées à la
pression extérieure, ont poussé les autorités à rechercher encore plus le renforcement de l’idée de
capitales provinciales et de chefs-lieux de district, l’idée de polarités plus dynamiques et plus
génératrices. Peu à peu, les problématiques de classification des villes et de leur priorité faisaient
leur chemin. Les villes secondaires et ensuite les villes moyennes ont été officiellement établies
dans les années 1990, non seulement en tant qu’outil administratif, mais surtout en tant que
démarche de développement territorial donnant des bases et des unités concrètes aux programmes
de développement, et permettant la mise en place des projets opérationnels sectoriels les plus
urgents (notamment les secteurs de base : communication, santé, éducation, etc.). Derrière la mise
en évidence de ces problématiques de classification des priorités à des fins utiles pour le
développement, il y avait également la volonté de faire émerger les divers potentiels qui auraient
permis la constitution des pôles de développement nouveaux plus que des pôles administratifs euxmêmes.
La volonté du gouvernement était effectivement de créer aussi des pôles administratifs et de
contrôle, surtout des pôles capables de générer le développement du territoire localement ou du
moins capables de maintenir le territoire dans une cohésion territoriale administrée. Tels étaient
aussi les critères des bailleurs de fonds internationaux lorsqu’ils commençaient à soutenir la mise en
place de “ l’État de droit ” au Laos (à partir 1991), puis lorsqu’ils commençaient à financer le
programme d’assistance à la gouvernance, corollairement au programme de développement du
pays. Concrètement, cela se matérialisait par l’amélioration des organes administratifs et de la
structure de la gouvernance, au niveau central et au niveau déconcentré, et aussi par la création de
nouveaux programmes d’équipements publics et d’installation de certains services publics sectoriels
dans les provinces. Nous allons voir de plus près ces dernières mesures et tenter de comprendre
comment ont-elles été efficaces dans leur manière d’initier l’émergence des pôles de développement
locaux, ou au contraire, comment dans certains cas ont-elles été inutiles, voire, gaspillées.
La création de nouveaux programmes d’équipements publics concernait essentiellement les
programmes d’amélioration des infrastructures viaires qui étaient prioritaires dès l’investiture du
nouveau régime, mais qui n’avaient pas pu atteindre les objectifs escomptés avant la réforme et
avant l’assistance internationale massive à partir des années 1990, ceci afin de relier les villes entre
elles, de favoriser l’accès aux services divers pour les populations vivant dans les zones les plus
reculées. Ensuite, la création de Plans Urbains [za’g,nv’]
74 faisait également partie de ce programme
73 A Muang Viengxay, les grottes habitées par les chefs révolutionnaires sont préservées aujourd’hui comme patrimoine
historique du pays.
74 A ne pas confondre avec le Plan Local d’Urbanisme (PLU) français, car les critères et les méthodologies manquent pour
pouvoir en faire le rapprochement. En Lao il est simplement désigné [za’rafstok8q;g,nv’]“ plan de développement de la
ville”.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’équipement. Pour le peu qu’il s’agissait, les programmes contenaient des facteurs de
changement importants.
L’amélioration des réseaux d’infrastructures (vers la fin des années 1990)
Cette amélioration des infrastructures permettait une plus grande possibilité de mise en
réseau des villes, petites villes, voire villages, entre eux et par rapport aux villes plus importantes.
Par contre, les réfections et les nouvelles constructions des réseaux viaires qui desservaient
relativement bien les villes, soulevaient des problèmes d’un autre ordre qui touchaient l’intégrité
des structures anciennes des occupations. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces questions dans
un autre paragraphe de notre recherche.
Le déplacement des marchés vers l’extérieur des villes (commencé vers la fin des années 1990).
Le déplacement des marchés qui a été entrepris de manière systématique dans les villes
secondaires et moyennes a provoqué la dévitalisation des centres anciens et affaiblit le commerce de
proximité ainsi que les ambiances et la vitalité existant des centres, même si cela a donné une
meilleure visibilité et attractivité aux pôles, ceci concernant surtout les districts rattachés aux chefslieux
de province. La population dans les villages extérieurs ou reculés y a accès alors plus
facilement pour se procurer des produits dont ils ont besoin via la gare routière, elle aussi, déplacée
en périphérie et se trouvant en général pas loin du nouveau marché. Il en est de même pour le centre
administratif des provinces, également déplacé en périphérie, et devenu un point d’accès visible et
facile pour les villages se trouvant loin des chefs-lieux. Le déplacement des équipements en
périphérie a renforcé ainsi l’image des pôles locaux, par contre il a complètement changé le rapport
existant entre les villages et le statut du cœur des villes. En fait, il a soulevé une question importante
pour les habitants du centre des chefs-lieux de province. Le fait que le centre et le cœur des villes,
ou simplement le périmètre intérieur de celles-ci, ne possèdent plus les biens et les services ainsi
que les équipements de proximité –situation qu’ils concevaient habituellement comme l’un des
composants d’une certaine centralité physique et d’une certaine citadinité–, a eu pour conséquence
que les quartiers anciens des villes ont perdu, d’une certaine manière, leur statut de centre.
La création des universités dans les provinces à partir des années 2000
C’est également l’un des programmes les plus visibles pour donner aux provinces la vision de pôles
importants et attrayants, ce qui n’a pas été le cas pour les programmes hospitaliers. L’attractivité des
hôpitaux a été et reste la qualité des soins médicaux et les conditions d’hygiène. Ces deux éléments
semblent inégaux entre les provinces et la capitale. Dans la capitale, la qualité médicale et
d’hygiène des soins reste dominante et non concurrençable par les hôpitaux provinciaux. Par contre,
les programmes universitaires sont plus homogènes. Il y a peu de différences par exemple entre
l’université du grand pôle (Vientiane) et celle des provinces. Seuls les contextes de vie estudiantine
dans la capitale, avec les loisirs, les biens et les services, les activités nocturnes plus actives,
changent la donne par rapport aux provinces.
La question du statut des villes
Le statut de “ villes secondaires ” a été préconisé et créé directement à travers le programme
de financement de la BAD. Quatre villes ont été et sont toujours concernées : Luang Prabang,
Thakhek, Savannakhet et Paksé. Au moment de l’installation de leur statut, le standard des villes
secondaires a été défini selon les réalités démographiques et économiques préexistantes. En fait, le
statut de capitale provinciale a été ici repris comme critère. Cependant, les autres capitales
provinciales qui n’ont pas rempli les critères démographiques, économiques et de pôle préexistant
n’ont pas été prises en compte et n’ont pas été inscrites sur la liste, telle que la ville de Viengxay qui
a été pourtant la capitale de la zone libérée. Donc, aucune ville issue de données idéologiques n’a
intégré cette liste de villes secondaires. Le décret N40/FAMC, du 4 avril 1995, qui a donné un cadre
à la création du Vientiane Urban Development and Management Committee (VUDMC) –concernant
les 100 villages de Vientiane–, et de la structure du Urban Development and Management
Fig. 7. Les
quatre villes
secondairesDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Committee for secondary town (UDMCs) –concernant les quatre villes secondaires–, a déterminé en
même temps la création du statut de ces quatre villes. Il a été confirmé par l’administration
laotienne à travers la création du Comité responsable du Projet de Développement Urbain des Villes
Secondaires, décret N0802/ MCTPC en date du 27 mars 1997. Puis le statut des villes moyennes a
été préconisé afin de constituer un moyen institutionnel, financier et technique de développement et
de gestion des villes d’importance moindre que les capitales provinciales que nous venons de citer.
Ces deux statuts ont fait l’objet de programmes d’aménagement prioritaire utilisant les
fonds des prêts de la BAD, mais également les autres fonds d’aides internationales, des Nations
Unies entre autres. Pour rentrer dans ces programmes de financement, les conditions ont été fixées
par les bailleurs de fonds. Les villes devaient posséder des critères répondant aux conditions fixées,
notamment un certain nombre d’habitants, un taux d’équipement, tels les équipements hospitaliers
de base, les places disponibles en écoles primaires et secondaires, etc. Afin de répondre aux critères
imposés et rentrer dans le programme de bénéficiaires des fonds, les données et les statistiques des
villes ont parfois été artificiellement constituées, et donc faussées. Associé à ce fait, au début de la
création des villes secondaires et moyennes, au courant des années 1990, les données ont à peine
commencé à être collectées. Par conséquence, les données constituées par les institutions nationales
étaient difficilement vérifiables. Ainsi, les réponses aux besoins les plus urgents et pour les villes les
plus critiques ont souvent été biaisées et mal ciblées, expliquant en partie l’inutilité et
l’inadéquation de certaines mesures et de certains projets mis en œuvre, impliquant la difficulté
pour certains pôles d’émerger réellement, ou de poursuivre la planification prévue. À Sayaboury, à
Luang Namtha, à Phongsaly (Muang Say, Botèn, Muang Sing), il n’est pas inutile de noter que les
villes n’ont pas suivi un développement selon les planifications prévues. À Muang Sing par
exemple, la construction de la grande route pénétrante n’a pas été d’une grande utilité et aurait pu
être différée. Elle a été inutile par rapport au besoin de la ville qui s’est développée lentement. De
même, beaucoup d’efforts ont été mis sur le chef-lieu de Phongsaly (construction d’équipements, de
routes, etc.), espérant qu’elle devienne la capitale de la province, l’une des plus enclavées du Laos.
Mais maintenant, il est question de la déplacer à Boun Neua et d’y construire un aéroport, alors que
l’on n’a pas encore fini de réaliser les différentes planifications prévues. À Botèn, le plan de
développement prévu a complètement été oublié par le projet de Botèn golden city, dont nous allons
évoquer le problème dans le prochain paragraphe (1e partie. I.II.c.)
Aujourd’hui, la mise en réseau de certaines données dans le Système d’Information
Géographique n’est qu’à son balbutiement.75 Un plan stratégique 2010-2020 concernant la
technique de recherche de données du Département de la Statistique, au niveau pays, province,
district et village, accompagné d’un projet de loi, a été planifié à partir de 2009. Il devrait améliorer
progressivement la statistique du pays et constituer un outil pour le développement, en particulier
dans le secteur urbain.
I. II. a. 2. Les pôles et les réseaux régionaux : une place régionale, question de monopole et de
concurrence
Évoquer les pôles régionaux et la place des villes laotiennes dans ces pôles, c’est évoquer
une problématique inhérente à la place et au rôle du Laos dans la région. Nous pouvons d’emblée
dire qu’aucune ville laotienne n’est à la tête de réseaux et de pôles, tout au plus, constater que ces
plus grandes villes sont en phase de s’intégrer dans les réseaux régionaux à travers des mesures
politiques et des stratégies d’échanges et de coopérations économiques et culturelles.
Avoir une place régionale
75 En 2009 on se penche sur la nécessité d’un système de statistique plus juste et plus fiable. Un débat sur la question a été
organisé afin d’améliorer le système. « Les demandes de statistiques nationales fiables […] elles émanaient des pays de la
région et du monde […]. L’amélioration et le développement des systèmes statistiques font partie des priorités du
gouvernement, pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement […]. ». In : « Débat sur les statistiques »,
Le Rénovateur, 21 septembre 2009.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Vientiane, par son statut de capitale de l’un des pays membres de l’ASEAN et de l’un des
pays de la Région du Grand Mékong (GSM), est de ce fait incontournable. C’est l’un des pôles que
les pays de la région ne peuvent négliger, au moins du point de vue politique. Par ailleurs, le pays
est le plus continental et le plus central. La tenue de rencontres internationales (notamment Sommet
des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’ASEAN en 2004, Sommet de la
Francophonie en 2007, etc.) et l’organisation des 25e Jeux de l’Asie du Sud-Est (en 2009)
démontrent la volonté politique de placer la capitale laotienne au rang des autres capitales
régionales.
Luang Prabang, l’ancienne ville royale, et aujourd’hui ville culturelle, fait partie du réseau
des sites du Patrimoine mondial, devenant ainsi l’une des escales touristiques et culturelles76 parmi
Hanoi, Siem Reap, Chiang Mai et Pagan, que certaines soient ou non classées par l’Unesco.77 Nous
verrons un peu plus loin les implications de ces pôles patrimoniaux, lorsque nous évoquerons “ le
regain des centres historiques ” (1e Partie. III. II). Ici, signalons seulement que ce type de pôle
renferme l’une des caractéristiques émergentes, mais ne recouvre pas pleinement ce qui caractérise
les pôles d’attractions économiques ayant des implications fédératrices sur les villes et petites villes
de la région.
La question de monopole et de concurrence
La question de pôles régionaux fait apparaître un autre fait spécifique aux villes du Laos.
Bien qu’il ne soit pas nouveau, ce fait met l’accent sur le phénomène de concurrence et de
monopole entre les villes, mettant à mal le concept idéaliste de réseaux fédérateurs d’intégrations. Il
s’agit notamment du rapport entre les villes laotiennes et les villes thaïes proches des limites
frontalières. Cette problématique est illustrée par le déséquilibre entre les villes appartenant
respectivement à deux communautés nationales différentes, mais ayant respectivement chacune des
rayonnements d’influence, qui se rapprochent, qui se touchent ou qui se chevauchent. Ce fait n’a
pas été assez pris en compte dans la politique d’intégration régionale. Or, il constitue un élément qui
peut freiner la réalisation de cette intégration. La question d’intégration est effectivement contrariée
par un grand déséquilibre lorsque deux villes de deux pays se côtoient. Prenons comme cas de
figure les villes d’Udon Thani et de Vientiane, de Mukdahane et de Savannakhet, de Nakhone
Phanom et Thakhek, Chiang Saen et Tonh Pheung. L’intégration pose la question du comment les
villes laotiennes raisonnées en tant que pôles peuvent-elles exister faces aux villes thaïes. Pourtant
historiquement ces villes étaient la plupart du temps des villes jumelles ou alors constituaient
autrefois un même pôle identitaire.
Le déséquilibre est d’abord exprimé dans le champ économique, dans le secteur des biens et
des services, des biens de consommation et dans les activités culturelles. À l’exception de Vientiane
qui jouit de son statut de capitale, elle domine et éclipse Udon Thani pour sa vie culturelle et
politique –son rayonnement international, pour la masse budgétaire qu’elle gère, ainsi que pour
l’immensité des territoires qui lui sont dépendants. Cependant, en ce qui concerne les biens de
consommation et des services, il est à constater qu’Udon Thani dont la vie culturelle et citadine est
incomparable à Vientiane est pourtant un pôle qui attire des consommateurs laotiens
quotidiennement. Les retombées économiques issues de ces consommations directes sont loin d’être
négligées et négligeables par les offres thaïlandaises. Nous ne parlons pas ici de l’importation des
produits de Thaïlande, qui est un autre sujet, mais nous parlons des passages quotidiens des
76 De simple lieu d’escale, Luang Prabang est devenu en deux-trois ans une destination touristique prisée de la région.
Avec la crise économique au courant de l’année 2008-2009, nous constatons une baisse significative du nombre des
touristes : les commerçants et artisans se plaignent de la baisse de leur chiffre d’affaire. La création de la biennale de la
photographie en 2008 à Luang Prabang fait partie du programme de mise en valeur de l’image de la capitale culturelle et
artistique.
77 Pagan n’est pas classé au patrimoine mondial, mais son statut et ses biens culturels et archéologiques dépassent par bien
des aspects ceux qui sont classés. Sa capacité d’attirer les touristes est importante malgré l’appel international pour
boycotter le régime de la junte militaire.
Fig. 8. Quelques
images des villes
frontalièresDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Laotiens de la province de Vientiane vers Udon Thani pour accéder aux diverses consommations
directes. Udon Thani est devenue quasiment une zone de distribution et de services annexes de
Vientiane : les supermarchés, les hôpitaux, les importations de produits spécifiques pour les
commandes privées passent principalement aussi par cette ville. Il y a une heure de trajet en voiture
entre les deux villes par le pont de l’Amitié.
Cette forme de consommation met en évidence d’un côté un phénomène comportemental et
de l’autre un “ vice ” économique très significatif. Elle semble exprimer une certaine liberté
récompensant les deux décennies de restriction par le système collectif qu’avait connu la RDP Lao.
Elle est aussi liée à l’émergence d’une nouvelle classe sociale qui, non seulement, possède
maintenant un pouvoir d’achat plus grand, mais recherche aussi de nouvelles formes de
consommation que les offres de Vientiane ne peuvent pour le moment satisfaire. Le commerce et
les taxes de consommation de Vientiane sont ainsi “ usurpés ” librement et légalement par le
marché d’Udon Thani.78 Vientiane perd ainsi une grande partie de ses revenus potentiels.
Depuis 2006, et plus intensément depuis 2009, les investissements locaux et étrangers
deviennent plus importants dans les grandes villes laotiennes et en particulier à Vientiane. Ils
permettent d’agrandir le marché, d’augmenter les offres qui deviennent plus nombreuses, plus
diversifiées et de meilleure qualité. Ce sont des signes prometteurs. Malgré cela, il faut constater
dans leur ensemble que les villes laotiennes ne réussissent pas pour le moment à garder les
consommateurs sur leur territoire.
Le monopole du marché thaïlandais et le phénomène comportemental des consommateurs
laotiens ne sont pas choses sans antécédent et ne sont pas liés uniquement aux effets marketing et
aux aspects alléchants des produits qu’offre le marché thaïlandais. Ils résultent en fait d’un choix de
système politique et économique historique récent que les deux pays ont traversé chacun de leur
côté. La Thaïlande est un pays de consommation et d’économie libre, d’un capitalisme outrancier
dont le système n’a jamais été remis en question ou interrompu par d’autre système depuis la fin de
la Seconde Guerre mondiale, malgré l’intervention des différentes périodes de crises politiques
internes. Et, depuis la fin des années 1960 et le début des années 1970, la peur du “ péril rouge ” a
poussé le gouvernement thaï à intégrer autrement la zone du pays Issan dans la communauté
nationale, en particulier du point de vue économique. Autrefois exploité mais mis à l’écart des
retombées positives de la croissance,79 le pays Issan a bénéficié petit à petit des mêmes droits que
les autres régions de la Thaïlande, ce qui explique une amélioration du niveau de vie de sa
population et l’installation des investisseurs, non seulement locaux mais aussi étrangers. Les
grandes entreprises étrangères et internationales ouvraient leurs usines ou fabriques succursales
dans les grandes villes d’Issan, favorisées par des facilités administratives et la circulation des
capitaux et des investissements, par une main d’œuvre bon marché, nombreuse et active, etc. Ainsi
les villes comme Ubon Rajathani, Udon Thani et Nakhone Phanom connaissaient-elles un
développement croissant, alors que le Laos traversait une période difficile où les activités
économiques étaient contrôlées, planifiées, la production collectivisée et étatisée.
En seconde étape lorsque le Laos commençait à s’ouvrir à l’économie de marché, il
devenait forcement un marché à conquérir. Non seulement en terme d’échange import-export
78 En Thaïlande la détaxe de 7%, est seulement appliquée dans les aéroports internationaux. Les produits importés au Laos
transitant par le pont de l’Amitié ne peuvent être détaxés.
79 Jusqu’à la fin des années 1960, la Thaïlande exploitait le pays Issan mais ne le développait que superficiellement. Le
niveau de vie de la population était resté bas, ses forêts dévastées par les entreprises de Bangkok et ses sols appauvris. Sa
main d’œuvre, bon marché, constituait la quasi-totalité des besoins de la capitale. Dans les années 1930, les députés
d’Issan soulignaient le délaissement de leurs provinces : « En général, mes collègues d’autres provinces ne connaissent
pas Changvat Leuy. Parce que cette province est située dans la montagne, infestée de paludisme […] dangereuse et
difficile d’accès. C’est la Sibérie du Siam. Les fonctionnaires étrangers qui sont envoyés là-bas pensent qu’ils ont été
exilés. C’est aussi pour cette raison que Leuy n’a pas été développé. Privé de lumière, personne ne connait vraiment
l’intérieur de cette région. La population ne connaît pas de médecin […] Le seul qui existe la province n’ausculte que
pour les fonctionnaires du chef-lieu de la province […] », discours d’un député de Leuy. In. La politique des deux rives
du Mékong. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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(surtout import) entre les deux pays, mais surtout en terme de marché direct de par la proximité
physique des territoires, des similitudes culturelles des populations. Il est donc clair pour les
gouvernements thaïs qui se succèdent que l’extension des villes thaïlandaises et de leurs activités,
en devenant des pôles de consommation importants, n’a pas seulement pour objectif de fédérer les
autres petites villes thaïlandaises, mais, également et surtout, de devenir des pôles pour les villes
laotiennes qui se trouvent de l’autre côté de la frontière. Cette démarche ne rencontre apparemment
pas de grandes résistances. La croissance des villes laotiennes est lente même après la réforme de
1986. Il fallait pour le Laos rattraper vingt années de retard dans son engagement dans le marché
libre et dans la réforme administrative générale, et il fallait qu’il consente à lâcher prise sur le
contrôle de certains secteurs d’activités économiques : de les léguer aux secteurs privés et de
susciter des investissements privés plus importants. Chose qui n’a pas été faite dans les premières
années de l’ouverture et qui a été mise en œuvre par la suite de manière timide dans un nombre
important de secteurs.
Mise à part le cas de Vientiane dont nous venons d’évoquer la spécificité, les autres villes
de province qui sont confrontées aux mêmes problèmes semblent devoir surmonter plus d’obstacles
pour exister.
Vientiane, par rapport à Udon Thani
Par rapport à Udon Thani, Vientiane a donc un défi de taille du point de vue des offres du
marché de consommation des biens et des services. Cependant, la croissance actuelle de la ville est
plus que jamais prometteuse. La venue en force des produits de Chine, du Viêtnam, de Taïwan et de
Hongkong, ainsi que celle des investisseurs dans le secteur des services (restauration, grands
magasins de distribution, produits industriels et produits semi-industriels, etc.) commencent
seulement depuis le milieu des années 2000 à rencontrer des succès auprès des consommateurs
locaux. Mais cela a des revers sur le plan économique : certaines catégories de produits importés
mettent à mal la production et la distribution des produits locaux. Les produits laotiens, bien que
certains soient de meilleure de qualité –notamment les tissus en soie et en coton – restent chers par
leur coût de production. Quoi qu’il en soit, en ce domaine, Vientiane devrait dans peu de temps
concurrencer Udon Thani, voire la dépasser.
Du point de vue culturel Vientiane produit déjà l’effet inverse : la population de la rive droite du
Mékong est de plus en plus nombreuse chaque jour à visiter la capitale laotienne. Ces visites sont
plus touristiques que consommatrices, la découverte de produits artisanaux de grande qualité (le
tissage en particulier), la vision de la vie citadine et sociale, celle de certains sites religieux, vivants
au quotidien, fait petit à petit leur chemin dans les mentalités des visiteurs thaïs. Associé à la
mémoire de ce que nous savons de la vieille capitale en tant que pôle historique qui était aussi celui
de la plupart des populations d’Issan, Vientiane retrouve déjà avec aisance sa notoriété. Pour
beaucoup des habitants de la région d’Issan, Vientiane n’est plus un mythe inaccessible de leurs
grands-parents, mais un lieu qu’ils peuvent visiter en une journée et à moindre coût, etc.
Savannakhet et Mukdahane
Nous ne pouvons évoquer le cas de Savannakhet et Mukdahane comme nous évoquons le
cas de Vientiane. Savannakhet est une capitale provinciale importante, elle est la seule province à
posséder un revenu autonome, dans le sens où elle reçoit très peu de rétributions du gouvernement
central.80 Cependant, si nous examinons son rapport avec Mukdahane avec les mêmes critères que
ceux utilisés pour examiner le rapport entre Vientiane et Udon Thani, nous pouvons voir que le
même phénomène peut être observé : l’ouverture du deuxième pont de l’Amitié en 2007,81 entre
80 Réf. La Statistique nationale. 81 Le pont, inauguré le 20 décembre 2006, est mis en service en 2007. La BAD finance l’ensemble de l’étude, le
gouvernement, l’étude de l’ouvrage lui-même, et la banque japonaise JBIC accorde des prêts pour sa construction : 70
millions de dollars, coûts partagés entre le Laos et la Thaïlande. In. Le Rénovateur, 20 novembre 2007.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Mukdahane et Savannakhet, facilite les aller-venues des Laotiens vers les centres d’achat et
supermarchés thaïs, et aussi vers le site de pèlerinage de That Phanom. Savannakhet dépend donc
incontestablement de Mukdahane de ce point de vue, ce lien est renforcé par l’attachement
historique des habitants de la rive gauche à la rive droite où il y a le That Phanom, un monument
hautement sacré que les rois lao avaient autrefois le devoir d’entretenir au même titre que le That
Luang de Vientiane ou le That Inheng de Savannakhet. Et ce, au moins depuis le XVIe siècle et
jusqu’au début du XXe siècle.
Nakhone Phanom et Thakhek
En ce qui concerne Nakhone Phanom et Thakhek, la situation est proche du cas précédent.
En 2008, la construction d’un troisième pont de l’Amitié a débuté afin de pouvoir relier Thakhek et
Nakhone Phanom et ouvrir ainsi une autre partie du Corridor économique. Du côté laotien, la ville
de Savannakhet est bien plus importante que Thakhek, et le développement semble beaucoup plus
dynamique. Cependant, du côté thaïlandais Nakhone Phanom semble plus dynamique que
Mukdahane. La présence du grand that dans la ville renforce sa notoriété non seulement par rapport
aux petites villes thaïes mais également par rapport aux villes laotiennes de la rive gauche du
Mékong : les Laotiens y viennent faire un pèlerinage annuel en passant par le pont SavannakhetMukdahane,
ils remontent ensuite vers That Phanom à 45 minutes de voiture. Et lorsque la
construction du pont Thakhek-Nakhon Phanom sera achevée, les Laotiens pourront passer
directement à Nakhon Phranom sans descendre à Savannakhet.
Si le projet de Zone économique Savan-Seno (SaSEZ), en cours de construction dans le
périmètre proche de la ville ancienne, s’achève avec succès comme le programme sa planification,
Savannakhet pourrait inverser la situation : la ville attirera davantage les habitants des autres petites
villes thaïes de la région d’Issan et aussi des villes vietnamiennes. D’après les objectifs fixés par les
investisseurs et les responsables de la gestion de la zone économique, la population des deux
régions voisines, thaïe et vietnamienne, est effectivement des consommatrices cibles.82
Chiang Saen et Muang Tonh Pheung
Depuis toujours la ville de Houayxay, la capitale de la province la plus occidentale du Laos
occupe une place particulière, par la situation historique du Haut-Mékong proprement dite et par la
place qu’occupait la ville de Houayxay elle-même durant la période de la Guerre froide. Et, nous
verrons dans le prochain chapitre en quoi cette petite région est-elle particulière, voire marginale.
Nous nous sommes intéressés seulement ici au rapport entre les deux villes. Comme dans toute
situation de ville laotienne au bord du Mékong, une importante ville thaïe s’implante aussitôt en
face. Chiang Kong (ville du Mékong), ville historique, est pendant longtemps jumelle de la ville de
Houayxay et partage avec elle une longue histoire. Aujourd’hui, c’est entre les deux que la frontière
internationale est implantée permettant aux touristes étrangers de passer de la Thaïlande au Laos et
vice-versa. Houayxay est une sorte de porte fluviale touristique à l’ouest de Luang Prabang.
La marginalité de cette région explique en partie le fait qu’il n’y a pas eu de grands
déséquilibres entre les deux villes même durant la période d’une grande inertie du Laos dans les
années 1975 et les années 1980. Mais le déséquilibre qui nous semble plus flagrant concerne Chiang
Saen rive droite et Muang Tonh Pheung (l’ancienne Xiang Saen, rive gauche) dans le territoire du
Triangle d’or qui se trouve à 40 minutes de route en amont de Houayxay. À l’heure où cette petite
région devient le Quadrilatère d’or incluant le partenariat du Yunnan chinois visant un
développement économique sur le long terme, Muang Tonh Pheung reste un village sans
infrastructure significative avec son site archéologique mal entretenu. Tandis qu’à Chiang Saen
(rive droite) nous trouvons une petite ville équipée, avec un patrimoine bien entretenu et un musée
archéologique fort intéressant. La zone du Triangle d’or se trouve à cinq kilomètres en amont de
82 Interviews réalisées au bureau SEZA en 2009, auprès d’un responsable d’une entreprise thaïe qui investit dans la SaZez.
Fig. 9. Les
Corridors
Economiques.
Anciens et
nouveaux.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 51 -
Chiang Saen et légèrement en amont de Tonh Pheung par le fleuve. Là encore, le côté thaï du
Triangle est fortement développé du point de vue touristique (complexes hôteliers, commerces, etc.)
contrairement au côté laotien. Le grand casino qui a été construit au niveau de Ban Mom en amont
de Tonh Pheung, et qui devrait ouvrir ses portes sous peu83 est un projet “ ovni ” où aucune
structure et infrastructure ne l’accompagne pour l’accueil des touristes et du développement futur
(constat de 2008).
Idéalement, nous verrons que le Corridor économique devrait, selon ses défenseurs, être
l’alternative par rapport aux phénomènes de déséquilibre entre les villes que nous évoquons. Le
Corridor économique serait donc un élément d’équilibre, un instrument de développement qui
donnerait aux territoires laotiens leur vraie place de plaque tournante que l’histoire a plus ou moins
configuré, mais que le contexte politico-économique des périodes postérieures a rendu impossible.
Cependant, si de ce point de vue, nous pouvons déceler quelques “ indices de succès ” dans le
Corridor économique, le projet du Quadrilatère d’or qui remplace le Triangle d’or semble encore
obscur.
I. II. b. Les implications spatiales dans les zones d’échanges et dans les Corridors
Economiques
Les corridors et les zones d’échange économique sont l’une des résultantes de la création de
la Région du Grand Mékong (GMS, Great Mékong Subregion.) Cet organisme, qui est à la fois un
outil et un programme de développement et d’échange économique, politique et diplomatique,
définit surtout un territoire incluant la Thaïlande, la Birmanie, le Laos, la province chinoise du
Yunnan, puis le Vietnam et le Cambodge qui s’y sont ajoutés. Mais rappelons que cette aire
géographique fait aussi partie de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE)84 et est
aussi historiquement issue du Comité du Mékong.85 Le GMS donne à voir et rappelle une certaine
configuration de la tradition des échanges régionaux qui remontent à l’histoire lointaine et proche,
par exemple pour l’histoire proche, il s’agit de l’idée du désenclavement du Laos durant la période
coloniale, que ce soit dans le Bas ou dans le Haut Mékong ou dans sa transversalité.86 Le
programme concret du GMS a été initié par la BAD en 1992 lors de la Conférence de Manille. Il a
pour objectif principal l’intégration économique des pays membres riverains. L’un des objectifs
pour le Laos, au sein du GMS, serait la possibilité d’avoir l’accès à des ports et aux marchés
extérieurs.
Pour réaliser le programme du GMS à différentes phases, la BAD estime un budget
nécessaire de 40 milliards de dollars sur 25 ans. Ce chiffre comprend les investissements publics et
privés, orientés essentiellement vers les secteurs de l’énergie, des télécommunications, des
transports et des infrastructures. Pour ce faire, la BAD serait le principal partenaire financier, en
particulier pour les pays à revenus faibles tels que le Laos et le Cambodge. Ce réseau serait à terme
le grand support pour tous les échanges et les activités économiques du GMS, tous secteurs
confondus.
83 En février 2008, lors de notre visite, le casino n’était pas encore ouvert. 84 Ne faisant pas partie de l’ANASE, la Chine intègre l’APT (ASEAN+3) créé à l’initiative de Singapour en 1995 lors de
la première réunion de l’ASEM. APT met en partenariat les pays membres de l’ASEAN, la Chine, le Japon et la Corée du
Sud.
85 Op, cit. note 4. 86 Le désenclavement du Laos dans les programmes du GMS n’est pas une idée nouvelle. L’histoire donne déjà la
perception d’un réseau d’échange très ancien, sous une autre forme : 1- Le désenclavement du Laos figurait déjà dans le
programme de développement du territoire colonial français comme une nécessité (réf. Rapports techniques des agents
coloniaux). 2- L’âge du commerce maritime (XVIe siècle) fait transparaître des scénarios suggérant une possibilité pour le
Laos d’être présent sur le marché côtier par ses produits. 3- Le scénario d’un Daï-Viet qui cherchait à s’avancer vers le
cœur de la péninsule, afin d’avoir un rôle à jouer dans le centre du Moyen Mékong, dont le Laos était la plaque tournante,
s’est avéré réaliste dans l’histoire actuelle du pays.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 52 -
L’une des premières conventions mise en avant est l’accord pour le trafic transfrontalier
Cross-Border Transport Agreement (CBTA), s’appliquant aux pays du GMS. L’accord vise surtout à
faciliter le transfert de marchandises et de favoriser la mobilité des personnes d’un pays vers un
autre. Par exemple, pouvoir réduire les deux postes de contrôle à la frontière entre deux pays pour
qu’il n’y ait qu’un seul poste commun ; supprimer le contrôle des marchandises qui transitent vers
le troisième, le quatrième ou le cinquième pays ; établir le droit de libre circulation et d’opérations
commerciales et financières des ressortissants d’un pays dans un autre. Ceci vise à moyen terme à
réduire les coûts administratifs et le temps de stockage des marchandises, à favoriser le commerce
et les investissements transfrontaliers, à augmenter le nombre des touristes locaux et internationaux
et à mieux les répartir.
Le programme GMS permet déjà la mise en place de quelques projets qui sont en cours de
réalisation. Il met en perspective des centaines de projets économiques et de développement qui
sont inscrits dans son cadre, et tracent plusieurs routes, zones et corridors d’échange. Certains de
ces projets et zones acquièrent un aspect plus ou moins utopiste, freiné par des réalités
diplomatiques et des disparités politiques et économiques propres à chaque pays. Cependant
beaucoup de programmes et de projets en cours de réalisation apportent et apporteront de grands
changements du point de vue spatial et préfigurent de nouvelles aires urbanisées à caractères
industriels et commerciaux.
Par sa situation géographique, mais aussi historique, le Laos est appelé à jouer un rôle et
une fonction de communication et d’interconnexion régionale. Il suffit aujourd’hui de constater que
son territoire est “ ouvert ” aux grands projets d’infrastructure en cours de construction : routes et
corridors, réseaux ferroviaires, productions d’énergie hydraulique, exploitations minières, etc. Cette
fonction devient un lourd défi pour le Laos du XXIe siècle. Cela nécessite des nomenclatures
dirigeantes et techniciennes averties et avisées, capables d’avoir des visions à long terme, capables
de dialoguer, de maîtriser et de mettre à profit la gestion des projets pour le développement du pays,
de mesurer leur impact sur la qualité de vie et de l’environnement qui constituent la richesse du
pays, connu et reconnu par l’extérieur. À ces nécessités, le Laos a du retard à rattraper, s’y ajoute
ensuite un manque de ressources humaines et intellectuelles qui auraient pu lui apporter des
réflexions sur les modèles économiques et les modèles de développement à déployer pour le pays.
Nous étudions deux exemples de zones et programmes qui jouent un rôle important dans le
bouleversement spatial des aires et des territoires existants et historiquement déjà occupés, et
possédant antérieurement des schémas et des fonctions spatiales propres : le Corridor économique
Est-Ouest (CEEO ou EWEC) et le Quadrilatère d’or du Haut-Mékong. Bien que nous ne puissions
pas encore apporter une évaluation sur les répercussions de la mise en place de ces réseaux sur
l’espace et les populations existantes –ce qui n’est pas l’objectif direct de notre recherche, et parce
que les projets préliminaires ne sont pas achevés ou qu’ils ne sont pas encore commencés, et dont
certains ne sont pas à ce jour, inscrits– nous pouvons cependant porter notre attention sur la
question de l’harmonisation entre les échelles locales et régionales du point de vue spatial et humain
induit par une nouvelle organisation spatiale qui serait issue de cette nouvelle intégration régionale.
I. II. b. 1. Les implications spatiales du Corridor Économique Est-Ouest, CEEO
Le Corridor économique Est-Ouest est un projet d’échange économique qui se base d’abord
sur la mise en liaison du territoire Est-Ouest de l’Asie du Sud-Est continentale au niveau de la
région du Moyen-Mékong, dont le Laos et la région de l’ancien Laos Occidental en sont le centre.
Ceci, par la réhabilitation des réseaux d’infrastructures anciennes et par la construction de
nouvelles, afin d’améliorer les échanges existants et d’en établir de nouveaux, basés sur des cadres
et des rapports nouveaux et autrement plus favorables. Le Corridor est long de 1500 kilomètres. Il
relie Danang (Viêtnam) à Mawlamyine (Myanmar) en traversant les postes frontières DanesavanhLaobao
(entre le Laos et le Viêtnam), Savannakhet-Mukdahane (entre le Laos et la Thaïlande), Mae
Sot-Myawaddy (entre la Thaïlande et le Myanmar) et en passant par les villes vietnamiennes
Danang-Thua Thien Huê-Quang Tri, la ville laotienne Savannakhet, les villes thaïes Mukdahane-Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 53 -
Kalasin-Khonkhaèn-Phitsanulok-Sukhothai-Tak-Maesot et les villes birmanes Mawlamyine -
Myawaddy.
Remarquons que dans la partie laotienne il y a une seule ville importante traversée par le
Corridor. Ceci met en évidence deux choses : d’abord, la densité du territoire des pays voisins et au
contraire, l’aspect parsemé du territoire laotien en termes d’unité urbaine ; ensuite, la difficulté en
termes de stratégie de développement du territoire pour le Laos à pouvoir bénéficier de ce Corridor.
Le Laos risque effectivement de devenir simplement un couloir de passage qui ne bénéficierait que
très superficiellement des intérêts issus du Corridor, si la stratégie politique et économique du
gouvernement lao n’est pas à la hauteur du contexte.
La ligne Phitsanulok-Khonkhaèn sépare le Corridor en deux sections : section orientale et
section occidentale.87 Chaque pays devrait donc a priori procéder à la réhabilitation et à la
construction des infrastructures internes pour rejoindre les points de connexion du réseau. Mais les
contextes politiques et surtout les dispositifs économiques de chaque pays ne connaissent pas le
même degré de disponibilité, et cela explique la disparité opérationnelle du Corridor en question.
Par exemple, si la Thaïlande possède un fonds d’investissement public plus conséquent pour
construire ses infrastructures, le Laos ne peut en faire autant. Il faudrait dans ce cas qu’il compte sur
les fonds de la BAD et les grands investisseurs privés internationaux.
Les gouvernements dans le cadre de l’accord CBTA procèdent aux premiers essais
d’application dans les trois postes frontaliers : Danesavanh-Laobao, Savannakhet-Mukdahane et
Maesot-Myawaddy. À Danesavanh-Laobao, le premier essai a été réalisé en 2005 avec une
satisfaction particulière concernant la formation en commun des agents des frontières et concernant
les échanges d’informations et la coopération d’ordre administratif.88
Sur le tronçon laotien, le Corridor économique Est-Ouest a mis en place l’échelon de l’un
des premiers ensembles de projets de développement, sans doute parmi les centaines qui devraient
suivre dans tout le Corridor. Il s’agit du programme « Zone économique Savan-Seno »
89 (SaSEZ).
Pour le tronçon laotien, l’EWEC est pratiquement mis en œuvre à travers la réfection de la route n°9
et l’achèvement en 2007 de la construction du deuxième pont international traversant le Mékong
entre Savannakhet et Mukdahane. La construction du troisième pont entre Thakhek et Nakhone
Phanom a commencé et est achevée en 2011. Ce pont fait également partie du Corridor qui devrait
permettre aux villes laotiennes de s’intégrer et de profiter davantage de ce réseau.
Les objectifs du gouvernement lao
Selon le gouvernement lao le projet de la Zone économique Savan-Seno (SaSEZ) est l’une
des interfaces du plan national de développement économique et social qui a pour objectif, à
l’horizon 2012-2020, l’éradication complète de la pauvreté et sortir le Laos de la liste des pays les
moins avancés (PMA).90 Pour atteindre cet objectif, le gouvernement se fixe un taux de croissance
87 La ligne de partage n’est pas une simple question de longueur de parcours, elle correspond aussi à une bifurcation
possible du Corridor vers Bangkok, son port et le golfe du Siam. Notre interview avec un responsable thaï de la SEZA
confirme l’intérêt thaïlandais, et donc l’intention qui l’accompagne, de faire “ bifurquer ” la partie ouest du Corridor vers
le golfe du Siam et non vers la mer Andaman passant par Mawlamyine, la ville birmane. Cette idée serait justifiée par les
Thaïlandais sur le fait que les infrastructures birmanes mettraient beaucoup plus de temps à être construites et mises aux
normes internationales exigées par la BAD. Le parcours par Mawlamyine serait également trop long par rapport au port de
Bangkok. Quels que soient les justificatifs, ces faits pourraient un jour devenir une source de conflits d’intérêt entre la
Birmanie et la Thaïlande. Ils confirment surtout la position historique de la Thaïlande dans cette région qui persiste dans la
configuration de ce Corridor moderne, l’un des enjeux pour l’avenir économique et politique régional. 88 « Pour que le transfert des marchandises et le transport transfrontalier de la sous-région soit plus rapide et plus facile
qu’avant », in. Journal Lao Phathana, article en lao, du 17 mars 2008. 89 Le sigle SENO, “ Sud-Est/Nord-Ouest ”, est hérité de l’administration militaire française. Il désigne des coordonnées
stratégiques au croisement entre deux routes coloniales Sud-Est et Nord-Ouest. Ce point est situé à une trentaine de
kilomètres environ du vieux Savannakhet. Il devient depuis le nom du district et sera prochainement une zone de
développement importante en marge de la ville ancienne. 90 Le Laos est classé au 135e rang mondial des pays les moins avancés (PMA) dans le rapport de 2004 du PNUD sur le
développement humain. 31% de la population vivent en de-ça du seuil de pauvreté.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 54 -
économique à 7% par an. Ses priorités sont également de favoriser les investissements dans le
secteur privé et le secteur public, dans le domaine des infrastructures et le domaine des services
publics, d’inciter la production et la capacité locale à répondre aux “ plans d’affaires ” divers qui
seraient proposés par les investisseurs. La SaSEZ qui fait partie du programme « Corridor
économique Est-Ouest » (EWEC ou CEEO) devrait donc aménager théoriquement des opportunités
nouvelles non seulement pour les grands investisseurs mais aussi pour les investisseurs privés de
petite taille. Et l’EWEC qui est une composante même du programme de développement de la GMS
devrait être un instrument de la circulation transversale entre pays pour les capitaux, les biens et les
services, mais aussi celle des compétences.
Le projet SaSEZ, une grande joint-venture internationale
Une autorité de gestion de la zone SaSEZ a été mise en place, appelé SEZA (Spetial
Economic Zone Autority). Cette Autorité pour la gestion de la Zone spéciale économique est
directement rattachée au bureau du Premier Ministre de la RDP Lao et possède son siège à
Savannakhet même. Par bien des aspects, cette structure préfigure déjà une administration quasiautonome
par rapport aux autorités administratives provinciales. Elle semble être une administration
centrale déconcentrée.
70% des investissements sont étrangers et 30% est la part des investissements du
gouvernement lao. Cette part est l’ensemble des terrains (capitalisés) que le gouvernement met à
disposition du projet. Il y a globalement trois échelles de partenariat : l’échelle 1 concerne les gros
investisseurs qui investissent dans toutes les infrastructures préparant l’accueil des industries.
L’échelle 2 concerne les investisseurs clients, plus petits, qui viennent installer leurs fabriques,
ateliers, centres d’achat, etc. L’échelle 3 concerne les usagers et les consommateurs surtout dans la
zone A, de la ville nouvelle. Bien que l’État laotien possède 30% des investissements sous forme
foncière, au terme de 50 ans l’ensemble des projets lui sera rétrocédé de droit. Telles sont les
clauses du contrat.
Le programme SaSEZ contient cinq zones couvrant environ 954 hectares. La zone A est
consacrée aux services et aux logements de grand standing, et couvre 305 hectares. La zone B est
destinée à la logistique et couvre 20 hectares. La zone C qui couvre 211 hectares est attribuée à
l’implantation des industries. La réalisation des infrastructures dans cette zone pour pouvoir
accueillir les industries internationales devrait s’achever dans deux ans. La zone D qui devrait être
une zone résidentielle et de relogement de la population couvre 118 hectares. Enfin la zone B1 qui
couvre 300 hectares est une zone de développement potentiel que la SEZA pourrait développer
éventuellement.
À titre d’exemple apportons quelques précisions à la zone C qui est un centre industriel, de
commerces et de services situé au kilomètre 10 du district Kayson Phomvihane. C’est un projet
d’investissement mixte évalué à 14 millions de dollars. 70% des parts d’investissement sont privés
et d’origine malaise.91 L’État lao, à travers l’Autorité administrative SEZA, détient 30% des parts
sous forme de biens fonciers (les 211 hectares de terrain). Les investissements en question sont
orientés vers la construction des infrastructures, telles que les routes, les réseaux d’eaux et
d’électricité, les télécommunications, les transports, le traitement des eaux usées et des déchets.
Ceci pourrait constituer des supports préparant l’installation des projets tels que les usines légères
destinées à l’exportation, les centres de distribution des biens et des services. La zone d’industrie
légère absorbera selon les investisseurs pas moins de 30 000 emplois.
La mise en place institutionnelle du programme SaSEZ
91 La société malaise Pacifica Streams development a signé un accord avec le bureau de gestion de la SEZA le 24 février
2008 qui fait suite à l’accord de principe signé le 18 mai 2007.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 55 -
Pour confirmer davantage ses objectifs, le gouvernement a institutionnalisé le programme
SaSEZ dès 2002, à travers le décret N°02/PM en date du 21 juillet 2002, portant la légalité du
programme. Plus tard, ce décret se voit complété par le décret N°148/PM en date du 29 septembre
2003 et le décret N°177/PM en date du 13 novembre 2003, portant la réglementation administrative
et les politiques de sensibilisation de la SaSEZ.
L’agrément officiel pour les investissements du site A, signé le 13 juin 2007, a été accordé à
un investisseur privé thaïlandais. L’agrément pour l’étude et le développement d’un parc
commercial et industriel signé le 24 février 2008 a été accordé à une compagnie malaysienne.
Nominativement, les investisseurs qui sont déjà sur le site et qui ont obtenu l’approbation
d’investissements du gouvernement lao sont : Savan City Compagny Ltd, (en 2008) pour le site A ;
Hua Jin International Ltd (en 2007), Logitem Lao GLKP Co., Ltd (en 2007), Double A Inter
Transportation Co., Ltd (en 2007), Recycle Tired Group (en 2008), Nanon Logistic Laos Co., Ltd
(en 2008) pour le site B ; DKLS Properties Development Co., Ltd (en 2008), Lao Tin Smeltin Co.,
Ltd (en 2008), OM (Laos) Co., Ltd (en 2008), Savan Pacifica Development Co.,Ltd (en 2008),
Mékong Argo Industry Limited (en 2008) pour le site C. Selon ses responsables d’autres compagnies
ne vont pas tarder à se joindre au programme.92
Le planning de la SEZA
D’après l’un des responsables de la SEZA, au début de l’année 2009, les activités et les
réalisations en cours sont surtout consacrées, pour le site A et D, aux collectes des données, aux
travaux de libération du site A et au relogement de la population déplacée du site D, ceci devrait
sous peu être achevé à 90%. L’installation des bureaux de gestion devrait être achevée à 100%, et
l’électrification du site D est en cours. Pour le site B, il s’agit de déloger et de reloger aussitôt la
population déplacée et d’achever le terrassement de la route. Pour le site C, il faut reloger quelques
familles, installer le bureau de l’administration, mais le dégagement du site n’est qu’à 10% de son
achèvement. L’électrification est achevée sur 500 mètres, le terrassement de la chaussée d’une route
d’accès a commencé en janvier 2009 et dans cinq ans les réseaux entiers de route doivent être
complètement construits. Le bureau SEZA commence également à construire 30 maisons pour
reloger la population déplacée, sur 200 au total à réaliser.
En ce qui concerne les usagers (pour les résidences, les loisirs etc., aménagés dans la zone
A) et les petits investisseurs (qui occuperont les ateliers et les boutiques dans la zone d’industries
légères) ainsi que les grands investisseurs (qui mettront leurs capitaux dans la construction des
infrastructures et des réseaux) nous pouvons nous poser la question : qui viendrait investir dans la
zone SaSEZ ? Le bureau de la promotion de la SEZA estime que cette zone attirera les Vietnamiens
et la population de la région d’Issan en tant qu’usagers majoritaires. Et il espère attirer les
investisseurs de Taïwan et de Chine qui exportent vers l’Europe et les États-Unis, profitant du faible
coût fiscal et de la main d’œuvre, de l’électricité, de l’eau et du foncier. Et ils profiteraient
également du fait que le Laos possède toujours le GNP (General Nation Preference, droits et
différents avantages pour ses exportations dans les 42 pays) et le NPR (Nation Preference
Restriction, pour exporter aux Etats-Unis). L’exportation profiterait pleinement des facilités offertes
par le Corridor, soit vers l’Est (Danang, Mer de Chine) soit vers l’Ouest (Mawlamyine, Mer
d’Andaman).93
I. II. b. 2. Les implications spatiales du Quadrilatère d’or dans le haut Mékong
92 Cependant, selon notre interview auprès de la SEZA et selon les observations faites sur le site en février 2009,
l’enthousiasme n’est pas débordant. La crise monétaire mondiale qui touche les grandes entreprises semble retarder les
engagements en question et instaure une mauvaise ambiance chez les investisseurs. Nous avons également pu interviewer
une petite société locale sous-traitante pour une grande société en charge du terrassement dans le site C. Cette dernière nous confie la difficulté qu’elle éprouve à être payée pour les travaux effectués. 93 « Savan-Seno deviendra le nouveau facteur de développement de la zone économique de l’Asean vers le marché
mondial », in. Lao Phathana, journal du 27 février 2008.
Fig. 10.
Master
plan SaSezDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le Quadrilatère est une histoire ancienne. Il évoque le Triangle d’or historique qui
impliquait traditionnellement le Laos, le Myanmar et la Thaïlande. Ce trigone était célèbre pour son
réseau de trafics de drogue, pour les guérillas “ des causes perdues ” où étaient impliqués les Shan,
les Karen et les Lü, pour l’intérêt et la curiosité que suscitaient autant les seigneurs de guerre que les
ethnies qui se soumettaient difficilement aux autorités lao, thaïes et birmanes. C’est une région
dominée par des sous-groupes tai : principalement, les Lü, les Gnouan et les Shan. Du point de vue
culturel et historique, la région était partagée entre le Lan Na, le Lan Xang, le Sip Song Phan Na et
l’État Shan, avec la Chine toujours omniprésente.
D’un lieu de “ non-droit ” ou “ de tous les droits ”, le Triangle d’or doit théoriquement
aujourd’hui se reconvertir après un démantèlement officiel du réseau de productions de drogue et la
soumission des seigneurs de guerre94 vers la fin des années 1990. Cette région doit changer
radicalement de fonction. Dans tous les cas, elle devient maintenant accessible aux touristes, une
zone d’échange de « marchandises légales ». Sa reconversion en cours est renforcée avec la forte
présence de la Chine qui aménage trois voies d’accès depuis ses frontières : la plus importante étant
la route n°3 dont la construction a été achevée vers 2007. Elle vient du sud de la Chine passant par
la ville chinoise de Mohan, par la ville laotienne de Botèn et par Luang Namtha avant d’arriver à
Houayxay puis remontant vers Tonh Pheung - Ban Mom, face au Triangle d’or. La route de Muang
Sing provenant d’une autre partie du sud de la Chine, passant par Xieng Kok, et depuis Xieng Kok
le fleuve la conduit vers le Triangle d’or à trois heures de speed-boat. Une route fluviale est
également possible : des bateaux touristiques (ferries de petite taille) venant du sud de la Chine
s’arrêtent souvent à Xieng Kok, une partie étranglée du fleuve, avant de continuer leur route vers le
Triangle d’or, où du côté laotien, un casino flambant neuf les accueille, et du côté thaï des
complexes d’hôtellerie. La suite de la route peut se faire vers Chiang Saen et Chiang Rai ou en
descendant un peu plus encore vers Chiang Kong avant de reprendre la route jusqu’à Bangkok.
Si nous pouvons imaginer que les produits venant de Chine empruntent ces routes comme
des chemins de transit, du point de vue touristique, les routes semblent mener les voyageurs vers le
Triangle d’or comme une destination. Aujourd’hui, bien que cette zone reste une affaire entre quatre
pays, le nombre important de touristes et la vivacité des commerces (grâce surtout aux activités du
côté thaï) semblent promettre un bel essor pour les prochaines années. A priori, l’idée du
Quadrilatère d’or, mettant en partenariat les quatre pays, pourrait être effectivement un outil de
développement. Mais dans la pratique, de nombreux problèmes subsistent. Nous tenterons de
comprendre les freins et les contraintes dans le chapitre suivant traitant de la question
« d’intégration nationale et régionale », ici, détaillons seulement les trois principaux accès évoqués.
1- Route Mohan-Botèn/ Luang Namtha-Houayxay/Tonh Pheung-Ban Mom
Sur ce parcours, la frontière internationale ne débouche pas directement sur le Triangle d’or même,
mais plus en aval entre Chiang Kong et Houayxay, à une quarantaine de kilomètres en aval de Ban
Mom. Les habitants et les autorités de Muang Tonh Pheung souhaitent par ailleurs que la frontière
internationale puisse s’ouvrir entre Chiang Saen et Tonh Pheung, qui est aujourd’hui seulement
ouverte pour les frontaliers et les nationaux Lao et Thaïs. Les autres nationalités doivent traverser la
frontière au niveau de Houayxay-Chiang Khong pour pouvoir passer en Thaïlande ou venir au Laos.
2- La route de Muang Sing. Ce parcours passe par plusieurs petites agglomérations anciennes où les
traces historiques existent peu. L’état délabré de la route actuelle et les conditions de voyage entre
Muang Sing et Xieng Kok nous font constater qu’elle ne peut être un réseau régional. Ce parcours
94 Khun Sa était le dernier et le plus célèbre seigneur de guerre de cette région. Sous ses bannières, la drogue finançait la
guérilla d’un État Tai Shan rêvé. Mais il semble que les forces armées de cette guérilla servaient surtout à construire et à
protéger le réseau de production de drogue et que le projet politique d’un État Shan autonome n’avait pas vraiment été
bien structuré. Du moins pour ce que nous savons des informations provenant du milieu intellectuel Shan qui défendait
l’existence d’un éventuel État Shan. Ce milieu vivait à Bangkok et non dans la jungle et n’avait pas vraiment d’étroites
connexions avec Khun Sa. Cf. Discussion avec Robert Ajoux, à Bangkok, en 1996.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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n’est pas privilégié par rapport à la première route Luang Namtha-Houayxay. Et c’est à l’Ouest de
cette route qu’existent de très nombreuses minorités ethniques vivant dans une enclave, une partie
du Haut-Mékong coincée entre la Chine et la Birmanie. Apparemment de Xieng Kok, nous pouvons
traverser le Mékong et pénétrer dans le Nord de la Birmanie. Mais cette route birmane semble très
ancienne, fréquentée à l’époque où il existait encore le Royaume de Xieng Kheng, à cheval entre les
deux pays. Mais aujourd’hui, elle est peu empruntée.
3- La troisième route, fluviale, qui vient de Chine et dont la ville la plus proche (avec Muang La) est
Jinghong,95 fait escale à Xieng Kok, rejoignant ainsi la deuxième route avant de redescendre le
fleuve en direction du Triangle d’or.
Les trois parcours mettent en évidence des situations assez contradictoires. D’une part, la
région du Haut-Mékong semble être une vraie passoire par le fait que trois parcours, au moins,
venant de pays étrangers la traversent. Et d’autre part, nous pouvons remarquer une certaine
désarticulation territoriale car les trois passages qui viennent de Chine à différents points ne
débouchent pas sur le même lieu de convergence des quatre pays, c’est-à-dire au niveau de Muang
Tonh Pheung (Laos), Chiang Saen (Thaïlande) et Tha Khilek (Myanmar). Le fait que la frontière
internationale se trouve non pas sur la zone de l’ancien Triangle d’or mais entre Houayxay et
Chiang Khong exclue clairement la rive birmane du Quadrilatère. Pour être dans la logique énoncée
il fallait que la frontière internationale soit à Tonh Pheung-Chiang Saèn (et non pas à Houayxay)96 ;
par ailleurs, il fallait que Muang Tong Pheung puisse bénéficier d’un véritable plan et programme
de développement avec une vision d’intégration régionale plus claire ; et il fallait que la route n°3
qui se poursuit vers Tonh Pheung soit capable de recevoir un trafic plus dense (qu’elle soit, par
exemple, entièrement goudronnée). À ce jour, les quarante kilomètres qu’elle parcourt pour arriver
à Tonh Pheung sont encore difficiles et ne sont que partiellement goudronnés.
Comme nous l’avons fait remarquer dans le chapitre précédent sur la question de
« déséquilibre entre les villes frontalières de deux communautés nationales différentes », la rive
droite thaïe est largement plus développée, avec des infrastructures et des services de base équipés
(complexes hôteliers, commerces, routes, etc.), un développement urbain plus important, et un
patrimoine archéologique entretenu (musée archéologique à Chiang Saen). A contrario, la rive
laotienne, Muang Tonh Pheung (qui est l’ancien Xieng Saen, rive gauche) sur le territoire du
Quadrilatère d’or, à 40 minutes de route en amont de Houayxay, reste à l’heure actuelle un village
sans infrastructure. Son site archéologique est mal entretenu et peu protégé, son intégration dans le
Quadrilatère reste bancale, bien que le tronçon laotien occupe à l’évidence une position centrale.
Qu’il soit réalisable ou non, il n’y a pas de programme clair comme c’est le cas pour la zone
économique SaSEZ munie de son autorité administrative. Le grand casino qui a été construit au
niveau de Ban Mom en amont de Tonh Pheung, avec des investissements étrangers privés, qui
devrait accueillir les touristes est un projet “ ovni ”, du fait qu’il ne fait partie aucun plan de
développement, et donc ne possédant aucune structure et infrastructure d’accueil touristique, semble
être plus une opération financière extraterritoriale qu’un projet de développement et d’intégration
régionale.
I. II. b. 3. Les implications spatiales de l’axe du Mékong
En suivant l’axe du Mékong au-delà de Xieng Kok, le fleuve remonte en bief vers le NordEst
puis bifurque vers le Nord-Ouest. Nous rencontrons la première plus grande ville chinoise,
Jinghong. Ce tronçon du fleuve traverse l’ancien Royaume de Xieng Khèng. Cet axe fluvial semble
être un grand axe transversal historique : le trafic se faisait plus d’une rive à l’autre. Les cartes
95 Jinghong en chinois ou Xieng Hung en lü. La ville est autrefois la capitale d’un royaume Tai Lu. Aujourd’hui c’est une
ville-district, chef-lieu de la préfecture autonome dai du Xishuangbanna. 96 D’après le chef du district (rencontré en 2008) l’autorité locale aimerait que la frontière internationale soit déplacée à
Muang Tonh Pheung, dans la zone du Triangle d’or. La question a été plusieurs fois soulevée au sein de l’administration
provinciale, mais la position de la ville de Houayxay monopolise déjà cette fonction administrative.
Fig. 11. La
région du
Haut Mékong
et son réseau.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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dressées par P-B Lafont97 montrent de nombreux établissements de part et d’autre des deux rives.
La carte des pistes, des rivières et des montagnes, superposée sur la carte de localisation des
établissements, met en relief un territoire bien occupé, couvrant le Haut-Mékong comme une toile
d’araignée. Cependant, ces plans semblent appartenir à un temps révolu. La descente du Mékong à
ce niveau n’est pas aujourd’hui perturbée par les établissements en bordure du fleuve qui auraient
pu nous inciter à nous y arrêter : ces derniers ne constituent plus des arrêts, comme cela aurait pu
l’être par le passé, car ce sont aujourd’hui des petits villages insignifiants, quasi-imperceptibles
depuis les rives, jusqu’à ce que nous arrivions au Triangle d’or.
98 Après Tonh Pheung-Houayxay, le
fleuve décroche vers l’Est et pénètre à l’intérieur du Laos, Pak Ou-Luang Prabang, avant de
redescendre vers Paklay-Sanakham pour ensuite refaire encore une autre bifurcation vers l’Est pour
rejoindre Vientiane, Paksan-Pak Kading, et descendre franchement vers le Sud, où de nombreux
obstacles empêchent que le fleuve devienne “ l’autoroute fluviale ” permettant une “ pénétration
vers la Chine ” comme les autorités coloniales l’avaient tant souhaité. Du point de vue fluidité,
chaque jour un bateau de transport touristique vient de Chine, de Xieng Hung. Il s’arrête parfois à
Xieng Kok mais il est surtout à destination du Triangle d’or et de Chiang Khong, car c’est par ce
parcours qu’un nombre important de touristes chinois (des touristes riches et de la classe moyenne)
arrivent au Quadrilatère d’or et pénètrent ensuite en Thaïlande.
Nous pouvons donc dire que l’axe du Mékong dans sa totalité ne fonctionne pas comme un
axe vertical de pénétration sud-nord et nord-sud, comme l’avait un temps pensé et souhaité la
politique coloniale. Il est effectivement une voie fluviale de pénétration du Haut Laos et du Nord de
la Thaïlande, par la Chine, mais seulement jusqu’au Quadrilatère d’or et jusqu’à Houayxay-Chiang
Khong. En-deça, il devient un parcours intérieur dont le sens est transversal, d’une rive à l’autre. À
l’inverse donc de la stratégie coloniale, c’est la Chine, aujourd’hui, qui pénètre dans l’ancien
territoire Indochinois. Effectivement, il y a une volonté des Chinois de faire poursuivre le parcours
touristique spécifiquement par bateaux, depuis la Chine jusqu’à Luang Prabang :
99 entre Xieng
Hung et Luang Prabang, le Mékong est franchissable, même si à certains endroits, il devient plus
étroit, plus étranglé et parfois difficile à la saison sèche : les rochers apparaissent et les tourbillons
deviennent plus violents. L’arrivée éventuelle de ces bateaux touristiques inquiète les autorités de la
maison du patrimoine. Car le flux touristique chinois suivi par la construction éventuelle des
équipements pour les réceptionner menacerait la minuscule Péninsule.100
I. II. c. Les enjeux spatiaux dans les territoires de concession
Ce qui peut être inscrit comme territoire de concession, ce sont des territoires d’exploitation
minière et des territoires qui font l’objet de baux de longue durée. Deux cas d’étude nous ont
interpelés et nous ont permis de comprendre comment un territoire peut-il aujourd’hui devenir
marginal ou au contraire entrer en phase d’émergence : les sites de concession de Botén et
d’exploitation minière de Sépone.
I. II. c. 1. Les enjeux spatiaux dans la zone de concession de Botén
97 Pierre-Bernard Lafont, Le royaume de Jyn Khen, Chronique d’un royaume tay Loe2 du haut Mékong (XVe
-XXe siècles),
Ed. L’Harmattan, Paris 1998.
98 Pour observer cet axe nous avons effectué la descente du fleuve seulement entre Xieng Kok et Tonh Pheung. 99 En 2006, nous avons pu visiter un tour-opérator d’origine du Yunnan installé à Luang Prabang. On pouvait voir exposer
sur les murs du show-room les cartes touristiques du Sud de la Chine et les informations les concernant ainsi que les
informations sur Luang Prabang, tout écrit en mandarin.
100 Selon l’interview de l’un des anciens experts qui a travaillé à la Maison du Patrimoine et qui vit toujours à Luang
Prabang. En juillet 2009, nous avons l’occasion de réinterroger le bureau fluvial de Luang Prabang, celui-ci nous confirme
qu’il n’y a pas de bateaux chinois qui débarquent directement à Luang Prabang. Les touristes chinois ou autres qui
viennent du Triangle d’or ou de Chine seraient obligés de changer de bateau à Pak Beng pour pouvoir arriver jusqu’à
Luang Prabang. Par contre, il serait tout à fait possible un jour prochain que les bateaux chinois arrivent directement à
Luang Prabang si des tour-opérators organisent spécifiquement ce parcours.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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La zone de concession de Botén s’implante dans une zone proche de la frontière chinoise.
La ville chinoise de Mohan est située à 2 kilomètres. Regroupant les petites plaines rizicoles
enclavées entre collines et forêts claires, la zone appartenait ou du moins était cultivée par les
villageois de trois villages anciens. Botén, l’un des trois, est le plus important. Il est fondé depuis
près de 247 ans101 par Phraya Khun Muang [rtpk05og,nv’] un seigneur lü qui venait du
Xishuangbanna accompagné d’une trentaine de familles. Le vieux village, situé à un kilomètre de la
zone aménagée et appelée Golden Boten City, est habité par environ 200 familles Tai Lü. Et
l’emprise actuelle de la Golden Boten City était des rizières immergées appartenant au domaine du
vieux village. En raison de l’ampleur et de l’ambition de la concession qui doit s’étendre sur
l’ensemble de la zone, la concession obtient de l’autorité provinciale 1640 hectares de terrain. Le
territoire du village Botén fait alors partie du périmètre d’extension immédiate de la concession.
Les caractéristiques de la Golden Boten City
D’après les villageois, la concession s’implante dans les rizières du vieux village. Et non
pas dans “ une zone non occupée et en friche ” (sic)102 comme l’auraient déclaré les autorités locales
auprès du gouvernement central. Le site est à cheval sur une Route nationale en direction de la
frontière chinoise, Mohan se trouvant à 2 kilomètres plus loin. La plus grande partie du site occupe
le côté ouest de la route. D’après les villageois, la durée de la concession serait de 30 ans, selon les
informations qui leur ont été données au départ. Mais elle serait en réalité de 90 ans. « Pour les
Chinois, c’est un achat définitif. Nous souhaitons que les autorités nous donnent des explications
claires, qu’elles nous disent la vérité », nous confient les villageois. Le fait que ces derniers
évoquent avec insistance les termes “ concession de 30 ans ” et “ achat définitif” tout en les
distinguant, nous montre d’un côté leur espoir de retrouver trente ans après leur terre, et de l’autre,
leur angoisse de perdre à jamais leur terre ancestrale.
La partie construite actuelle de la concession, qui est l’une des parties de Golden Boten City
I (il y a aussi Golden Boten City II), est composée de cinq zones : la zone du grand casino-hôtel, la
zone d’habitation commerciale (celle-ci est formée de compartiments peu profonds mais intercalés
de maisons chinoises à cour), les immeubles de logement de plusieurs étages, les terrains viabilisés
en cours de construction, les grands magasins et stocks, où chacun peut occuper un îlot entier.
Les accès et le fonctionnement de Golden Botén City
Le site est accessible de deux manières : par l’entrée principale et par l’entrée « chinoise ».
Lorsque l’on vient de la frontière chinoise et lorsque l’on veut passer par l’entrée principale, on doit
passer par le point de contrôle de police laotienne des frontières, avec les papiers en règle. Quant à
l’entrée chinoise, elle est spécifiquement aménagée depuis la frontière. Elle permet un accès direct
sur le site contournant le poste de contrôle de la police laotienne. Cela veut dire que le bureau de
l’immigration laotien ne peut pas contrôler cette entrée et donc ne peut connaître le nombre des
entrées d’immigrés qui empruntent cet accès pour pénétrer dans le sol de la RDPL et aller ainsi dans
les autres villes sans être contrôlés, à moins de l’être plus tard au niveau des postes de contrôle sur
les routes, de manière aléatoire.
Le mode d’occupation
Dans Golden Botén City, les entreprises chinoises construisent les compartiments
combinant habitation et commerce et font appel aux commerçants chinois majoritairement d’origine
du Yunnan pour venir s’y installer. Les baux sont annuels et coûteraient environ 25 000 bath
l’année. Pour les mall, la location coûterait plus chère, ainsi que les habitations à cour. Les
101 Enquête menée à Botén en 2008. 102 D’après les villageois, ces propos auraient été tenus par un administrateur de la province.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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immeubles d’appartements sont davantage réservés pour le personnel du casino et de l’hôtel qui
négocie un prix de loyer en rapport avec leur emploi.
La Golden Botén city ne possède pas vraiment de centre : seule la rue qui longe la façade du
grand hôtel-casino semble faire office de centre et la rue qui lui est perpendiculaire semble vouloir
en constituer l’annexe. Le bâtiment du casino est adossé au flanc d’une colline. La vue est donc
orientée vers une aire dégagée, mais un peu plus loin cette aire est fermée par la forêt et des
collines. Dans l’ensemble, la façade du casino n’a pas d’ouverture panoramique sur le paysage. Le
Feng Shui (Ngo Hèng pour les Lao) concernant l’espace de jeux et de commerce dicte sans doute
cette disposition : une vue ouverte serait mauvaise pour la fluctuation de l’argent du casino. Tout
comme l’orientation du casino de Danesavanh,103 au lieu de profiter d’une vue panoramique sur le
lac de la Nam Ngum, le casino lui tourne le dos pour faire face à une vue fermée. Dans ce cas, les
points cardinaux semblent peu importants.
Les habitants et les fréquentations
Les habitants sont uniquement chinois. Il y a quelques Laotiens parmi le personnel du
casino, croupiers et femmes de ménage. Les clients sont majoritairement chinois, les Thaïs et Lao
ne sont pas très nombreux. Les clients thaïs passent par Chiang Kong et empruntent la route n°3
pour remonter vers le site. Les clients laotiens, au nombre très limité, viennent généralement de
Vientiane. Ici, on ne parle que chinois, apparemment cantonais et quelques langues du Yunnan.
Seul le directeur de l’hôtel parle un peu l’anglais. Les panneaux, les devantures et autres
signalisations sont en Chinois, les plaques d’immatriculation également, enfin lorsque les voitures
sont immatriculées : souvent elles ne le sont pas. Parfois on remarque des caractères en Lü en bas
du Chinois sur les plaques. Dans ce cas, ce sont des voitures immatriculées dans le Yunnan, utilisant
le lü comme deuxième langue.
Le contrôle de l’immigration et la sécurité
La police ou l’unité de surveillance de la cité est uniquement chinoise. Les autorités
laotiennes et la police n’interviennent pas dans les affaires qui auraient eu lieu sur le site. Il n’y a
pas de contrôle de l’immigration, les dispositifs administratifs généraux appliqués aux villages
laotiens ne sont pas appliqués ici. Les affaires criminelles qui se produisent dans la cité sont
directement traitées et réglées par la police chinoise sans que les autorités laotiennes interviennent.
C’est un monde complètement clos à la loi laotienne et à la société locale, une enclave à l’intérieur
du sol de la RPD Lao. Par exemple, lorsque parfois il y a des règlements de comptes entre joueurs
ou entre trafiquants, les affaires se règlent à la va-vite souvent sans l’intervention de la justice. Ce
côté “ sans foi, ni loi ” est clairement souligné par les villageois de Botén interviewés. Ils expriment
clairement leur crainte mélangée de dégoût par rapport à la cité où ils hésitent à venir.104
La vie sociale et les activités
Les familles chinoises ouvrent des petits commerces de toutes sortes. Mis à part les adultes
actifs, nous remarquons des enfants en bas âge et les grands-parents toujours en âge de travailler
(entre 50 et 60 ans), cependant nous n’avons pas noté la présence d’école. Les célibataires semblent
occuper les commerces de vêtements (souvent, des imitations de grandes marques), gestionnaires de
guest-house et de restaurants, etc. Ils occupent le plus souvent des habitations à cour, où il y a
plusieurs chambres utilisant la cour comme espace commun : étendre le linge, se garer, faire la
103 Le casino de Danesavanh, qui donne sur le lac Nam Ngum, est construit dans la zone de réserve naturelle de la
montagne Phu Khao Khouay, près de Ban Kheun, province de Vientiane. 104 « Quand ils se tuent entre eux, sans doute à cause des jeux, ils enterrent les morts comme ça, comme des chiens sans
cérémonie religieuse, ils nous font peur ces gens-là. D’ailleurs les jeunes (Lao) qui travaillent au casino, parfois quittent
leur emploi sans prendre leur salaire, tellement ils ont peur de travailler là-bas. On ne sait jamais : parfois les perdants
pensent que les croupiers sont de mèches avec les gagnants, alors ils peuvent être butés comme ça dans leur chambre ! ».
Propos recueillis dans un village tai lu, Botén en 2008.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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cuisine, ou même faire salon. Nous ne remarquons pas non plus d’espace religieux dans la cité,
seulement des petites maisons des ancêtres, posées à même le sol. Nous remarquons la présence de
réseaux de trafiquants et de joueurs, sans doute les patrons des différentes affaires et boutiques
ouvertes dans la cité, et aussi de « la pègre qui vient s’y planquer », comme le soulignent les
villageois. À part le casino, il y a toutes sortes de commerces :
105 magasins de vêtements, salons de
coiffure, salons de jeux, restaurants, hôtels, marchands de meubles, mini-mart, négociants importexport,
grossistes, etc. Nous remarquons également des hangars de stockage et un nombre important
de camions de transport. Les produits sont incontestablement en transit dans la cité avant d’être
écoulés vers les autres villes du Laos et probablement aussi vers les villes thaïes. Nous retrouvons
ces mêmes produits dans les supermarchés chinois de Vientiane, par exemple. C’est également un
lieu de transit des personnes : les Chinois passent en fait par la cité avant de continuer leur route
vers les autres villes du pays, accompagnant le parcours des produits à écouler.
Le vieux village de Botén et les conditions de la concession
Du fait que le vieux village fait partie des 1640 hectares de la concession, un ordre officiel a
été donné à la population d’évacuer le lieu en février 2008. Les conditions du déplacement étaient :
- Pour cette concession et selon le contrat, les entreprises chinoises paient à la province 100 000 000
kips par hectare, mais la population n’a été indemnisée que de 50 000 000 kips par hectare.106
- Le nouveau site d’accueil du village de Botén déplacé se trouve à 6 kilomètres du vieux village
actuel que les Chinois ont en partie déjà débroussaillé.107
- Le site d’accueil est un terrain vide, avec une topographie irrégulière, sans infrastructure de base
comme l’eau potable, l’électricité, école et monastère ; le réseau électrique passant uniquement sur
la grande route.
- Le site d’accueil n’a pas de domaine forestier, ni de domaine agricole. Si les villageois le veulent,
il faut qu’ils achètent eux-mêmes les terrains, sachant que les terres plates entre les collines pour
aménager de nouvelles rizières immergées sont rares. Celles qui existent sont déjà occupées soit par
d’autres villages existant soit déjà exploitées en rizière. Cela signifie que chaque famille aura
seulement un terrain à bâtir et n’aura pas de terre pour aménager des rizières, des vergers et des
jardins potagers autour de leur habitation.
- Les terrains à bâtir sont parcellisés. Au début il était question de parcelle de 20x20 m pour chaque
maison, aujourd’hui elle est réduite à 13x17 m. Après négociation, la taille de la parcelle est
apparemment passée à 14x19 m.
Depuis que l’ordonnance sur le déplacement du village a été décrétée, les villageois n’ont
plus le droit de cultiver leurs rizières, ni couper le bois de la forêt au pied du village, restant de la
première étape de la concession. Ils ne cultivent donc plus de riz depuis deux saisons ni de potager,
n’ayant plus le droit d’utiliser le sol sur lequel ils vivent depuis près de trois siècles. Depuis deux
ans, la population a dû donc en partie acheter du riz, les réserves des greniers des saisons passées
étant épuisées, conséquence de la réduction des zones de rizières et à l’interdiction d’y cultiver dans
les terres jouxtant et entourant le village. En février 2008, un groupe de villageois se fait séquestrer
quelques heures suite aux conflits avec les gardiens de la concession : en coupant quelques troncs
d’arbre de la forêt communale pour réparer le samosone [lt3,lvo], sorte de maison communale du
village, ils ont été arrêtés pour violation de propriété de la concession.
105 Le service de call girls, officiellement prohibé au Laos, destiné au grand hôtel et aux guest-houses est courant, puisque
sur toutes les tables de chevet des chambres, il y a des documents plastifiés indiquant en chinois les numéros de téléphone
avec photos de jeunes femmes, hôtesses et accompagnatrices. 106 Environ 11 000 USD l’hectare. Mais la population aurait été indemnisée à environ 5 500 USD l’hectare. 107 Les deux autres villages ont déjà été déplacés au bord de la route. Nous n’avons donc pas pu avoir des informations in
situ sur les deux autres anciens villages.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Mis à part le problème des terres, il y a d’autres aspects qui expliquent la mauvaise
perception de la cité chinoise par les villageois. D’abord, la main d’œuvre locale n’a pas été
engagée pour la construction du complexe du casino et de la cité. Apparemment, aucun programme
de formation préalable n’a été organisé. Le personnel laotien de l’hôtel et du casino a été licencié en
grand nombre pour incompétence et remplacé par du personnel chinois. Ceux qui ont pu rester, se
voient réduire leur salaire. L’insécurité du milieu du jeu et la menace des joueurs, souvent « des
mafieux venant de Chine » (d’après les villageois), fait régner la peur dans le milieu des travailleurs
laotiens. Avec les règlements de comptes dans le milieu chinois, les croupiers laotiens quittent
parfois en cachette le site sans réclamer leur salaire. Par ailleurs, les villageois n’ont pas le droit de
venir vendre leurs produits (fruits et légumes) dans cette zone. Au début, les produits de
consommation du casino et du complexe venaient directement de Chine, puis peu à peu, les
habitants chinois de la cité ont commencé à les cultiver eux-mêmes. Il y a donc très peu d’échanges
entre les habitants de la cité et les villageois.
Au-delà des conflits, “ le drame ”
Habituellement la parcelle de l’habitation lü, comme ceux des autres Lao, est assez vaste, en
particulier en ce qui concerne les habitations se trouvant dans les villages ruraux. La maison lü,
proprement dite, est également assez grande, moins découpée par les espaces extérieurs, tels les Sya
et les San (terrasse couverte et découverte) que des maisons lao tai de la basse plaine. Dans la
maison lü, toute la famille habite ensemble : les filles mariées continuent à vivre avec leur mari un
certain temps dans la maison familiale. La parcelle d’habitation possède de nombreux espaces
utilitaires, tels un jardin où l’on plante des légumes et des herbes aromatiques quotidiennement
utilisées, un espace réservé pour l’élevage (vaches, cochons, oies, canards, poulets, etc.), un puits,
parfois un bassin d’eau pour les plantes aquatiques et les poissons, et enfin un espace de travail
(réserve de bois de construction, machines agricoles, etc.). L’habitation rurale lü (cas de Botén)
occupe donc une parcelle beaucoup plus grande que celle se trouvant dans la cité. La parcelle
citadine (au sein des remparts d’après le cas de Muang Sing) est un peu plus réduite. Elle mesure 25
x 25 m (625m2
). Or les parcelles redonnées à chaque maison dans le nouveau site, sont de 13 x 17m
ou 14 x 19m, ce qui correspond dans les deux cas à la parcellisation de compartiment, une typologie
méconnue traditionnellement dans le mode de vie lü. Ils estiment donc que les parcelles données
dans le nouveau site d’accueil sont trop étroites et trop petites. Leurs uniques activités de
subsistance à Botén étant l’agriculture (le riz en saison des pluies et le jardin en saison sèche),
l’élevage et l’exploitation de la mine de sel, le fait de se retrouver –à l’issue du projet de
concession– avec un terrain d’habitation réduit et privé de terrain agricole (et de mine de sel)
représente pour les Lü un drame. Pour eux, le site n’est pas propice pour implanter le nouveau
village : trop proche –avec pentes abruptes– du bord de la grande route de passage, avec risque
d’éboulement de terrain et de coulées de boue en saison des pluies.
Malgré ces mauvaises conditions, les villageois se résignent à évacuer le village vers marsavril
2008. Le 15 février de la même année ils ont dû procéder au déplacement de l’esprit du village
par un rituel (gnaï phi ban. pkhpzu[kho). À cause du déplacement, les villageois n’ont ni le temps, ni
les moyens d’entretenir leur monastère : les moines ont déjà abandonné le monastère. Certains
d’entre eux rentrent chez eux, d’autres retournent à Muang Sing. À notre passage le monastère était
déjà abandonné. La construction d’une nouvelle pagode dans le nouveau site pose aussi problème :
il va falloir de nouveau le construire avec leur propre moyen, n’ayant pas ces moyens, cela va
prendre du temps : « notre village sans pagode à quoi va-t-il ressembler ». Le mode de contribution
communautaire traditionnel ne pourra pas être appliqué ici : les villageois n’ont plus de surplus pour
des œuvres communautaires, n’ayant plus de rizières et devant acheter le riz pour vivre. La Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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réception de la zone de concession de Botén par les villageois se fait donc avec amertume. Ils se
sentent “ abandonnés ” par le parti-Etat.
108
I. II. c. 2. Les enjeux spatiaux dans les sites miniers
Lan Xang Mineral ou la mine de Sépone est située dans la province de Savannakhet, dans le
district de Vilaboury. Deux villages sont directement concernés par la concession : Ban Phu Kham
et Ban Boun. Le camp de la compagnie a été construit en rassemblant plus ou moins les deux
villages. L’ensemble forme ainsi Muang Vilaboury, ce qui explique toute la difficulté de la gestion
du site et de son rapport avec le district de Vilaboury. Celui-ci est par ailleurs devenu peu à peu une
ville grâce à la création du camp de la mine. Les agents de la compagnie minière, majoritairement
anglophones et australiens l’appellent Vilaboury Town, alors que son nom d’origine est Bounkham.
Si l’ensemble du site semble fédéré par un lieu commun qu’est la ville nouvellement installée, les
trois ensembles spatiaux et sociaux –qui sont la ville, le camp formé par deux villages, et les
implantations disparates constituées par les migrants – sont en réalité assez désarticulés entre eux.
Le camp n’a pas été réfléchi et construit pour une intégration urbaine présente et future. Selon une
autre logique, les migrants s’installent progressivement dans les environs, attirés par les emplois de
la mine. Les populations qui sont ethniquement distinctes tendent à vivre séparément et à créer des
espaces désarticulés. D’une manière générale, même si nous ne citons que les villages les plus
proches du camp, les mines attirent en réalité une migration de tout le pays. Les personnes viennent
de loin pour espérer un travail lorsqu’elles ont certaines qualifications. Par contre, il y a aussi de
nombreux petits groupes de minorités ethniques qui vivent dans les environs proches et lointains,
eux aussi essaient de vivre de certaines retombées des mines.
Contrairement à Lan Xang Mineral, le camp de la compagnie Phu Bia Mining est construit
de manière distincte des deux villages existants qui sont dans le périmètre limitrophe du site. Le
choix de cette distinction est probablement lié aux mauvaises expériences de Lan Xang Mineral, qui
a créé son camp dans la ville de Vilaboury même. À Phu Bia, il y a donc trois unités séparées : les
deux villages et le camp de la mine. La migration attirée par la mine est majoritairement d’origine
Hmong, car le site est situé dans l’ancienne zone spéciale de Xaysomboun. Dans l’immédiat, la
volonté de la compagnie est d’isoler le camp minier du reste de la population des villages voisins
afin de faciliter la gestion du site par la compagnie. La compagnie se débarrasse ainsi des
responsabilités concernant les migrants qui se massent de manière anarchique en dehors de son
camp. Mais à terme, une question d’intégration et de durabilité doit se poser aux gestionnaires du
site d’une manière ou d’une autre –et elle se pose déjà, du moins elle doit les mettre dans un certain
embarras. Lorsque les problèmes sociaux de l’extérieur du camp mais liés aux activités de la mine
deviendront visibles, lorsque le provisoire du campement aurait duré trop longtemps, cela obligera à
réfléchir sur le statut d’un véritable établissement, d’une organisation sociale et politique durable.
La manière de gérer le site pose dans tous les cas un certain nombre de questions aux autorités
locales et gouvernementales qui doivent rechercher une perspective pour ce type de site, dès à
présent et dans un avenir proche.
108 « Exploités et trompés par les Chinois avec la complicité des autorités locales qui, non seulement, n’ont pas su
défendre les intérêts du peuple, en plus de cela, elles participent à réduire la population du village dans la pauvreté et le
dénuement sur le long terme. Nous avons été trahis par nos compatriotes, ils laissent ces gens nous dépouiller des biens
de nos ancêtres à nos dépens et sans scrupule. » Ils ont mentionné à tord ou à raison à plusieurs reprises durant notre
interview l’autorité du district et de la province qu’ils ont désigné comme responsables de leur malheur.
L’antenne villageoise du Front pour d’Édification nationale –auprès de qui nous avons reccueilli les informations– a déjà
adressé trois requêtes au gouvernement central via le chef du district et le gouverneur de la province, mais d’après lui ces
requêtes sont restées lettre morte. Lorsque nous avons visité le village, le Comité du Front pour l’Édification nationale
nous a fait part de son intention d’apporter en main propre les requêtes et protestations au gouvernement central en passant
par le siège du Front d’Édification nationale à Vientiane et par le bureau des requêtes de l’Assemblée nationale, comme
dernier espoir pour se faire entendre.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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I. II. d. Une intégration régionale pour quelle intégration nationale et locale ?
La marginalisation ou, au contraire, l’émergence des territoires soulèvent en fait la question
d’intégration locale et nationale pour une intégration régionale encore incertaine. Cela met en
évidence la capacité ou l’incapacité des établissements et des politiques territoriales à s’intégrer
dans les nouveaux enjeux du développement à travers la mise en place des pôles d’attraction
économique, des corridors économiques et des territoires de concession censés favoriser le
développement économique mais aussi social. Leur mise en place est devenue le principal élément
révélateur à l’égard de la question de souveraineté politique et territoriale et à l’égard de la
problématique d’échelle, d’intégration ou de disparité sociale et territoriale des territoires concernés
dont nous tentons ici de comprendre le principe.
I. II. d. 1. La question de souveraineté
La question de souveraineté politique et administrative des territoires est clairement remise
en question par la construction des projets : que ce soit des projets de renforcement des pôles, des
projets de corridors et de zones économiques ou des projets de concessions précédemment évoqués.
Les programmes et les projets de ce type ne constituent pas en soit une menace pour la souveraineté
politique des territoires, mais les cas que nous venons d’expliciter mettent clairement en porte-à-
faux la souveraineté politique de l’État lao, car en examinant les projets, après qu’ils soient mis en
service, le gouvernement laotien constate que dans la zone de concession de Botén les autorités
laotiennes ne peuvent intervenir et l’immigration chinoise est incontrôlable. L’insécurité civile, la
criminalité qui ne cesse d’inquiéter la population locale peut se propager dans les localités
limitrophes. De fait, ce territoire semble complètement autonome dans le sens où, tout en étant sur
le territoire national, il est hors du contrôle des autorités laotiennes. C’est un lieu marginalisé, un
territoire non intégré dans la logique nationale tant du point de vue humain et social, que politique
et économique.
Le cas de Botén explicite une dislocation certaine du territoire et des frontières et aussi une
défaillance de l’appareil administratif déconcentré de la province. Il met en évidence également l’un
des aspects de la régionalisation. D’un côté, la province de Luang Nam Tha serait plus proche et
plus attirée par la “ richesse ” de la province du Yunnan, ses productions et ses investisseurs, et de
l’autre, les capitaux chinois trouvent moins de contraintes et plus de facilités à investir dans le Nord
du Laos que dans les provinces intérieures de la Chine elle-même. Cette forme d’intégration
régionale localisée dans le cas du Nord-Laos serait-elle un processus consensuel, même s’il entraîne
une forme de désintégration territoriale. Ce serait, alors, le prix à payer pour une intégration
régionale à plus grande échelle. S’agit-il d’un cas particulier où des vices de forme et de
dysfonctionnement peuvent exister, induits par une certaine incompétence de l’autorité
administrative et politique dans sa manière de se rendre souveraine, de gérer ses territoires et
gouverner ses citoyens ?
Pour répondre à cette question, il faut probablement examiner plusieurs projets à la fois et la
réponse se trouverait sans doute un peu dans toutes les interrogations posées. En tout cas le
gouvernement central est interpelé par les questions de souveraineté soulevées par les projets. Le
projet de Botén a été discuté dans le haut appareil décisionnel. Mais nous n’avons pas pu avoir
d’informations sur les conclusions de cette consultation. Nous pensons que la décision officielle, qui
oblige les gouverneurs de province à transférer au gouvernement central toutes décisions concernant
les projets d’investissements étrangers dont les capitaux sont égaux et/ou supérieurs à un million de
dollars, serait issue de cette consultation. Mais il semble que cette décision ne règle pas vraiment le
problème, car il suffisait de sectionner les capitaux en petites parts et en petits projets, de telles
sortes qu’ils soient toujours inférieurs à un million de dollars pour que les contrats puissent être Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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décidés au niveau provincial et donc librement traités.109 Jusqu’à ce jour, aucune autorité
administrative provinciale au Laos ne possède les compétences et les capacités techniques pour
valider et évaluer un projet ou un programme de développement, encore moins à procéder aux
études d’impact, du moins à réaliser un cahier des charges préliminaire déléguant aux organismes
compétents l’évaluation ou l’étude des projets en question.
I. II. d. 2. La question d’échelle : liaison ou conflit d’échelle entre le local et le régional
La question d’échelle entre le local et le régional est ici au cœur du problème de
développement dans la mesure où les États espèrent que le réseau régional devienne un instrument
de développement à grande échelle. Là encore nous constatons à travers les cas observés qu’entre la
théorie et la pratique il y a de grands écarts. Dans la pratique, il n’y a pas de problème de principe ni
d’idéologie, mais le problème se situe dans le manque de réflexion d’ordre méthodologique qui
aurait permis de passer du local au régional ou à l’international sans endommager ou sacrifier le
local. Pourtant, les solutions ou du moins, les compromis entre les deux échelles doivent exister,
mais nécessitent une volonté et une fermeté dans la mise en œuvre des projets, fine et réaliste, tous
champs de connaissance confondus.
En attendant, les populations concernées sont plus confrontées qu’intégrées dans cette
forme de régionalisation et d’internationalisation. Dans certains cas, elle constitue même une
menace pour leur existence. Les populations les plus fragiles sont issues des sociétés rurales et
souvent des minorités ethniques, dont la cohésion sociale est profondément liée à la structure
agraire et à la forme d’exploitation de la forêt ou des friches forestières. La déstructuration de leur
rapport aux sols et à la forêt bouleverserait profondément leur structure sociale et économique. À
cette question, le cas des populations de Botén dépossédées de leurs terres ne semble pas le plus
dramatique, car il y aurait pire dans d’autres sites. Les Lü sont des Tai vivant de la culture de rizière
immergée et pratiquant secondairement l’essart (haï)110 pour cultiver d’autres plantes que le riz. Ce
groupe possède traditionnellement une culture urbaine, ou du moins, une culture du muang. Ils
savent domestiquer et s’approprier des éléments extérieurs de leurs milieux assez aisément. Ils
s’adaptent, comme tous les Tai, plus rapidement que les autres groupes ethniques du Laos à des
contextes de changement les plus difficiles. Les “ affaires de Boten ” ne démontreraient pas le
contraire, mais nous pouvons constater que leur capacité d’adaptation rencontre ici des limites,
parce qu’il s’agit des questions de terres –des questions auxquelles la structure sociale tai est
profondément attachée. Rappelons, par exemple, qu’une des raisons qui ont fait fuir plus de 15% de
la population du pays était bien la réforme agraire et foncière mise en place par le nouveau régime
en 1976.
Les travaux d’anthropologie d’Olivier Évrard111 ont démontré les cas d’extrême fragilité des
Khmu menacés dans la déstructuration de leur système agraire, en partie par la politique de
réduction de la culture sur brûlis et de la déforestation, mise en œuvre par le gouvernement. Le
parallélisme rapide entre les deux communautés a pour objectif de montrer que le rapport à la terre
de ces communautés est fort profond, et même si le degré de déstructuration n’est pas le même, les
sociétés peuvent être menacées au même titre. La seule différence, c’est que les Khmu ou autres
groupes proches peuvent diminuer en nombre ou connaître une mobilité plus grande sur le court et
le long terme. Ils peuvent quitter leur village pour venir en ville dans l’état d’errance et d’extrême
dénuement. On peut les voir parfois en ville faisant la mendicité, ou dans les chantiers de
109 En 2009, les petits projets de concession de plantation (d’hévéas notamment) qui n’atteignent pas le million de dollars
continuent à être traités ainsi dans les provinces nord du Laos sans qu’ils soient soumis au gouvernement central. 110 Type de terre et type de technique agricole en terre exondée et dans la forêt claire. La pratique du haï chez les Lao
n’est pas tout à fait la culture sur brûlis pratiquée par les Hmong par exemple. Le haï des Lao n’est pas loin du village, il
se situe en fait entre les rizières et la forêt, il n’est pas itinérant mais fixe. Le haï est surtout pratiqué en saison de repos par
rapport aux travaux de rizière.
111 Olivier Évrard, Chroniques des cendres, Éd. IRD, Coll. À travers Champs, Paris 2006.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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construction demandant du travail. Alors que les Tai Lü de Botén ne courent pas les mêmes risques.
N’ayant plus de terre à cultiver, ni même de parcelles pour habiter (pour les hommes, les esprits du
village, les esprits de la maison), les réserves ayant été épuisées et devant acheter du riz, les Lü de
Botén s’appauvrissent rapidement, situation qui entre en contradiction avec la politique de sécurité
alimentaire, parmi les priorités de l’État. Dans ce cas, deux scénarios seraient possibles pour les Lü.
Pour le scénario 1 : les conflits entre les communautés autour du territoire de concession et les gens
de la concession risquent de s’aggraver au fur et à mesure que la pauvreté s’installe dans les
villages. Ce sont des conflits dont nous prévoyons difficilement les issues. Pour le scénario 2 : les
Lü risquent d’abandonner les zones rétribuées par la concession pour rejoindre les capitales
provinciales limitrophes, telles que Luang Namtha et Muang Sing, ou encore il n’est pas improbable
qu’ils puissent rejoindre les autres villes lü en Birmanie ou en Chine, avec lesquelles ils évoquaient
souvent leur attachement par le fait qu’ils ont encore des liens familiaux.
Si l’un des deux scénarios peut s’avérer possible sur le long terme, il semble clair que la
répartition ancienne des populations tai lü dans le Nord-Laos, qui fondait l’identité culturelle et
l’équilibre de cette région du pays, serait bouleversée. Dans ce contexte, la sinisation millénaire
démontre encore sa réalité : le territoire du Xishuangbanna déjà complètement sinisé, mais qui
assumait de fait une fonction d’espace tampon de démarcation culturelle entre un espace tai
préservé et un espace multiethnique sinisé, n’assumerait plus son rôle.
I. II. d. 3. L’intégration ou la disparité régionale : déplacement de la population et projet
social
Si la question d’intégration, ou au contraire de disparité, n’est pas idéologique mais plutôt
méthodologique, il est primordial de comprendre à travers quel champ d’intervention ces processus
ont-ils été suscités, s’agissant des interventions publiques ou privées.
Les questions concernant le déplacement de la population et le projet social
Le déplacement de la population hors d’un site qui fait l’objet de développement, quelle que
soit la nature des projets, suscite déjà à première vue des questions de méthode. À l’heure actuelle et
dans le principe général du développement, qu’il soit labellisé “ durable ” ou pas, nous pouvons
nous poser la question s’il est nécessaire de déplacer la population du territoire qui fait l’objet de
développement. Ici, l’action semble déjà contrarier l’idée. Pourquoi cette population ne ferait-elle
pas, elle-même, partie de l’objet de développement ? Le relogement comme le propose l’Autorité de
la zone économique spéciale (SEZA. Special Economic Zone Authority) pour la population déplacée,
semble être une bonne compensation, mais apporte un changement dans le cadre de vie de la
population. Des projets de telle ampleur, nécessitant de grands territoires, doivent susciter
indirectement l’idée de projet de société. Mais la création d’emplois, accompagnée de l’apparition
de nouvelles formes d’emplois, induit plutôt de nouveaux modes de vie, de nouvelles formes de
société. Il s’agit souvent de reconvertir les ruraux aux emplois d’ouvrier dans les chantiers de
construction, dans les usines et les fabriques, etc. Cela résume-t-il le projet de société dont nous
parlons ?
Les territoires annexés ou proches des zones de concession sont, de fait, dépendants des
retombées des activités de ces zones, en particulier avec la création d’emplois lors de la
construction des projets. Seul Botén fait exception puisque les villageois nous expliquent que la
main d’œuvre villageoise n’a pas été engagée pour la construction du complexe. Et parmi les
croupiers du casino et le personnel de service du grand hôtel, il n’y a que quelques jeunes du village
et ceux qui viennent des autres provinces. Dans la zone économique spéciale Savanh-SENO, nous
pouvons espérer la création d’emplois, du moins leur maintien une fois les chantiers achevés, tels
les emplois de services que la zone va générer. En ce qui concerne les zones et villages touchés par
la construction des barrages hydroélectriques (à court et à moyen terme) et par la zone de
concession des mines (à long terme), après l’achèvement des travaux et des exploitations, il y aurait
a priori moins d’emplois, ou alors dans certains cas, il n’y en aurait plus du tout. Comment vont se
développer les zones et les villages en question, autour de quoi ces unités peuvent-elles exister ? À Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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ces questions, quelques rares organisations non-gouvernementales travaillent sur “ l’après-projet ”.
Les sociétés d’exploitations minières elles-mêmes montent quelques projets dans le secteur du
développement rural afin de réduire certains impacts. Évoquons encore comme exemple les deux
projets miniers : Lan Xang Mineral et Phu Bia Mining. Comment ont-ils répondu aux questions qui
s’avèrent être déjà des problèmes d’actualité ?
Dans le cadre des projets miniers : Lan Xang Mineral et Phu Bia Mining112
À Sépone, les mesures de contrôle de l’immigration dans la zone de concession ont pour
objectif d’éviter que les quartiers ou villages se construisent anarchiquement dans les alentours, au
quel cas la compagnie sera tenue responsable. Les migrants (internes) qui espèrent trouver du travail
en s’installant provisoirement finissent par ouvrir de petits commerces. Leur nombre devient
croissant et les gestionnaires de la compagnie de la mine ne peuvent pas les contrôler ni les gérer.
Les mesures mises en place par la compagnie consistent pour les demandeurs d’emploi à prouver
qu’ils vivaient auparavant dans les villages alentours. Ceux qui ne peuvent pas l’attester ne peuvent
espérer une embauche. Et lorsqu’ils décident de s’installer malgré tout dans les alentours, la
compagnie se dit qu’elle n’est pas responsable de ces personnes, au cas où il y aurait des problèmes.
Cette mesure paraît peu efficace puisque le nombre des migrants a quand même doublé. Par ailleurs,
le nombre des fonctionnaires qui viennent travailler à Vilaboury a également doublé entre l’avant et
l’après installation de la mine, parce que les besoins de l’administration de la ville de Vilaboury
semblent augmenter proportionnellement au nombre des habitants.
La désarticulation spatiale et sociale est explicite entre autres dans les conflits entre
l’administration de la mine (à majorité australienne) et l’autorité locale du district concernant
l’utilisation des fonds financiers que la mine octroie chaque année pour être affectés aux travaux de
développement rural, à la construction des infrastructures et des équipements, destinés aux
populations touchées directement par l’exploitation de la mine, tels notamment les villageois
déplacés. Or l’administration locale semble raisonner, dans ce cas précis, en termes de
développement global d’une région. Les autorités souhaitent en fait consolider les villages des
alentours dans l’idée de ville nouvelle que le contexte de l’exploitation de la mine aurait favorisée.
Et les fonds doivent être affectés à l’ensemble des besoins du district. Elles ne raisonnent pas en
termes de petites zones localisées, avec des responsabilités limitées au rayon d’impact direct des
activités de la mine ou aux populations touchées par la mine, comme le souhaite la compagnie
minière. Il paraît clair que raisonner de manière limitée et focalisée seulement aux éléments touchés
par la mine, c’est différer un certain nombre de problèmes aux responsabilités du pouvoir local. Du
point de vue administratif et en terme de développement, il est difficilement approprié de raisonner
ainsi dans la mesure où le camp minier fait partie du district de Vilaboury. Ce constat a sans doute
apporté quelques enseignements à Phu Bia Mining qui décide de construire son camp distinctement
des villages existants. Ensuite, mise à part la main d’œuvre demandée et gérée directement par les
compagnies minières, la migration, qui n’est pas administrée par leur administration, mais attirée
par l’emploi de la mine, doit se constituer à part. Parmi ce groupement, le camp fait donc monde à
part et rien ne relie les différents groupes.
Les deux contextes (projets de développement des Zones économiques, et projets
d’exploitations minières) se différencient fondamentalement par le fait que l’un inscrit le projet de
ville et d’activités humaines dans son contenu comme objet, alors que l’autre n’inscrit pas la
dimension humaine et ni le cadre de vie dans sa programmation, parce que c’est une exploitation de
ressources naturelles qui se veut être hors de la portée directe des sites habités. Ce justificatif est à
toute évidence obsolète : les projets d’exploitations minières et d’énergie hydroélectrique ont des
112 Certaines données ont été recueillies lors des interviews de Julien Rossard, agronome ayant travaillé au sein de Phu
Bia Mining entre 2007 et 2009.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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impacts plus grands et plus durables sur l’environnement et le cadre de vie humain par rapport aux
autres projets.
Les mines d’or et les barrages actuellement en plein essor déplacent et drainent autant de
monde durant leur mise en œuvre, période qui peut s’étendre sur plusieurs années. Et durant ces
années le mode d’habitat reste sous forme de campement aussi bien pour les personnels expatriés et
ouvriers que pour les habitants des nouveaux villages qui se forment dans les alentours. Il est
flagrant de constater que l’aménagement de ces zones d’habitation n’a jamais fait l’objet de
réflexion en terme spatial en cohérence avec les unités sociales en constitution et en évolution, audelà
de la conception du camp provisoire. Vu le nombre des individus et la variété des unités
sociales et ethniques installées sur les sites, ainsi que les relations sociales qui devraient se tisser
entre ces communautés, l’aménagement de tels territoires ne devrait-il pas dépasser le cadre du
campement et ne devrait-il pas être vu comme de véritables établissements, de véritables villes, et
donc de véritables projets de société ? Or cela n’a pas été ainsi conçu. Même si elle est
probablement en train de devenir une nouvelle ville, Vilaboury town n’est pas issue de la volonté de
la société minière, mais de celle des autorités laotiennes. La compagnie minière est même hostile à
l’idée que le district veuille utiliser les fonds de compensation, ou les fonds de développement que
la société a obligation de mettre à leur disposition, pour consolider la ville de Vilaboury.
Les observations de la vie quotidienne dans l’un des campements en rapport avec les
villages ou lieux-dits dans les alentours des mines d’or mettent en évidence le fait que l’absence de
cohésion entre les groupes vivant autour d’un objet commun et l’absence de vision prospective
d’éventuelles unités urbaines ou villageoises entrainent une altération sociale et psychologique chez
certaines populations présentes dans le site.113 La ségrégation administrative est normalisée : le
personnel européen vit dans un complexe et le personnel local vit dans un autre séparément, les
villageois et les minorités ethniques encore dans un autre cadre. Les gens continuent à affluer pour y
trouver du travail. Ils viennent parfois avec leur famille, beaucoup viennent seuls, même si les
sociétés minières mènent une politique de contrôle de l’immigration de manière sévère.
L’agrandissement en nombre des communautés autour du site d’exploitation se fait sans unité et
sans centralité et donc sans cohérence. Le besoin traditionnel de s’organiser chez les Lao, dès que
quelques familles ou quelques individus se regroupent en nombre important, s’est exprimé à travers
la nécessité de former un village, une unité sociale cohérente permettant à chacun de se repérer, et
ce besoin est d’autant nécessaire dans un nouveau cadre physique. Bien que dans la majorité des cas
il y a souvent une mise en cohésion facile entre les groupes, dans le cadre des campements autour
des mines, les origines des individus sont trop disparates pour permettre cette cohésion.
Sans prétendre donner une solution à ce problème (ce qui n’est pas l’objet de notre étude),
nous voulons démontrer que la cohésion entre les unités est importante et qu’elle est à rechercher
dès lors qu’il y a groupement ou rassemblement des populations sur le long terme. Il aurait fallu
sans doute dans ce cadre apporter une réflexion plus technique et plus méthodologique
d’aménageur, afin que toutes les données soient prises en compte, notamment les données
psychologiques, sociales, culturelles et spatiales. C’est-à-dire poser la question de l’aménagement
des camps en termes de fondation d’unité urbaine ou villageoise (selon la taille) avec ses
équipements de base, des lieux qui créent des possibilités de rencontre et d’échange, qui proposent
en terme d’aménagement des possibilités de loisirs communautaires, etc. Nous ne tentons pas ici de
rapprocher cette réflexion de celles des cités ouvrières en Europe du XIXe siècle qui ont clairement
procédé à la mise en place des projets de société, liés au monde de la production et liés à toute une
logique culturelle de la grande période d’industrialisation. Dans les cas que nous évoquons, il s’agit
des sociétés rurales parfois des micro-sociétés, ethniquement isolées. Ces dernières se retrouvent
113 Au cours d’un entretien, il nous a été rapporté six cas de suicide chez les jeunes dans l’année. Ce qui est
proportionnellement important par rapport au nombre des populations vivant dans et autour du site (nous n’avons pas pu
avoir des chiffres.)Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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très vite désœuvrées et sans repère dans le nouveau cadre de travail et de vie, en particulier les
minorités ethniques, plus vulnérables que les populations tai qui s’adaptent plus vite aux nouveaux
contextes et aux nouveaux cadres de vie. Pour illustrer notre propos, nous pouvons remarquer par
exemple que parmi les minorités concernées par l’exploitation des mines, beaucoup de familles de
Phu Tai “ se débrouillent bien ”,
114 certaines se sont même enrichies en faisant du commerce ; alors
que les autres minorités “ se débrouillent moins bien ”,
115 chôment ou vendent simplement leur
force de travail pour des taches pénibles.
Les questions économiques et de développement régional, vues à petite échelle : l’individu
“ L’emploi ” est quasiment un nouveau vocabulaire pour les populations rurales vivant dans
les lieux reculés des provinces du Laos. Ces emplois, ce sont des nouvelles formes de travail et ce
sont surtout des revenus concrets et réguliers. La perception et la réception de cette situation n’est
pas aussi simple que chez ceux qui recherchent un emploi ou qui vivent proches des agglomérations
qui leur donnent de l’emploi. Ce constat est lié à plusieurs questions : y a-t-il une amélioration de la
qualité de vie avec les emplois et les nouvelles formes de travail ou le nouveau mode de vie qui se
mettent en place ? Y a-t-il une possibilité d’auto-création d’emplois si les nouvelles formes de
travail ne conviennent pas à certaines populations. En d’autres termes, la population qui vivait de la
richesse des terres et de la forêt dans les alentours ont-ils la possibilité de continuer d’y vivre, d’y
exploiter leur terre ? L’une des conditions préalables pour répondre à cette question serait d’abord la
possession de la terre, un acquis qui doit être préservé. Autrement dit, leur terre ne doit pas être
totalement englobée dans la zone économique ou dans les territoires de concession. Dans le cas
contraire, un rapport contractuel entre les communautés locales et les exploitants ne doit-il pas être
réalisé avec équité ? Cette précaution concernant les terres existe-t-elle ? Nous ne pouvons fournir
des réponses adéquates à ces questions importantes et complexes. Mais nous pouvons constater que
sous le terme magique de “ compensation ” se cachent des réponses équitables, mais aussi des
pièges. À travers les études détaillées de cas des territoires de concessions, des réseaux et des
corridors économiques, quelques éléments de réponse pourraient être dégagés.
Dans les faits, à la question de l’intégration et du développement équitable, l’autorité
administrative SEZA préfère définir ses projets par les termes Business friendly environment pour la
promotion de ses projets. Bien que nous ne puissions pas les évaluer de manière très objective,
quelques questions semblent clairement mettre en évidence les conditions d’équitabilité du
programme affecté. En premier lieu, il s’agit de la question de relogement des villageois qui font
l’objet de déplacement, car c’est l’une des questions se situant au cœur de plusieurs projets en cours
de réalisation sur l’ensemble du Laos, non seulement dans le cadre des corridors économiques, mais
également dans divers programmes de développement urbain.116 Ces programmes mettent souvent
en évidence les mauvaises conditions de relogement, l’altération des conditions de vie et des
relations sociales de la population déplacée dans les nouveaux sites.117 Cela devient un sujet à
caution renvoyant des différents programmes une image positive ou négative.
114 Les Phu Tai sont des sous-groupes des Tai. Leur lieu de peuplement est majoritairement à Savannakhet. 115 D’après les observations de l’un des responsables (Julien Rossar) du développement rural affecté au projet de Lan
Xang Mineral. Vientiane 2009. 116 Nous pouvons entre autres évoquer à juste titre le programme d’évacuation de Nong Chanh à Vientiane qui n’a pas été
“ équitable ”, car ce déplacement n’a pas répondu à l’argument de la création d’un parc public comme l’avait promis les
autorités. C’est en fait un projet de revalorisation foncière. La construction d’un hôtel de luxe et d’équipements de loisir
non publics explicite l’objectif réel du programme. 117 Même s’il n’y a pas de rapport d’évaluation de ces programmes, nous avons pu interviewer un ancien responsable de
l’un de ces programmes : « si c’était à refaire, je ne le referais pas. Je conseillerai les autorités à revoir les programmes
de déplacement de population. Le problème ce n’est pas tant les compensations. Le problème est ailleurs ».
Effectivement, c’était difficile pour la population de replanter ses racines dans un lieu qu’elle ne connaît pas, loin de la
ville ou du milieu où elle était habituée, pour des raisons diverses, notamment l’emploi. En ville, il y a par exemple des
emplois journaliers, la proximité avec le lieu de travail, les commerces de proximité et de quartiers, etc. Ces avantages
sont beaucoup plus faciles à trouver en ville qu’à l’extérieur. Par ailleurs, un haut responsable religieux de la Préfecture de
Vientiane évoque l’absence du sacré qui est vital pour lui et doit accompagner toute fondation d’habitat de la société
humaine, sans ce cadre il y aurait une altération de la vie communautaire. Il signifie ici l’absence de l’acte de fondation Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le cas de Boten en est un. Nous avons vu que la population a été dépossédée de ses terres.
D’après la proposition de compensation de la société chinoise et des autorités provinciales, les
villageois doivent quitter leur ancien village, vieux de trois siècles, pour se retrouver à quelques
kilomètres plus loin de part et d’autre d’une route reliant Luang Namtha et Mohan, dans un site
qu’ils trouvaient inadéquat pour y vivre selon les règles et le choix des esprits du ban. Ils doivent
quitter un lieu où ils possédaient des terres communales (prés, vergers, forêts) et des rizières
individuelles existantes autour du village depuis des générations. Ils ont dû quitter cela pour se
retrouver dans des parcelles étroites, sans jardin potager, sans rizière, sans terres et forêts
communales,118 comme nous l’avons déjà souligné dans le paragraphe précédent (I.II.c.1).
À ce propos, le programme de la Zone économique Savanh-SENO (SaSEZ) se veut être
exemplaire. Le bureau SEZA fait associer la Société Savan City et un organisme d’État –le service
du cadastre de la province– pour former une commission ad hoc afin de procéder à l’évaluation de
la superficie des sites concernés ainsi que leur valeur foncière, ceci en donnant un prix à des
propriétés existantes sur les sites qui devraient être libérés pour accueillir les projets de
constructions. La commission fait donc appliquer les critères d’évaluation de l’État pour évaluer la
valeur foncière de la Zone A (site de départ) et de la zone D (site d’arrivée). La parcelle d’habitation
du site d’arrivée est fixée à 20 x 40 m, ce qui est a priori une superficie idéale pour une habitation
Lao, car elle représente la moitié d’un haï [wI]. Un haï est une mesure traditionnelle qui représente
environ 1 600 m2
. Le site concerné par le déplacement de la population représente une surface de
305 hectares. Désigné de site de départ, situé au bord du Mékong à côté du pont SavannakhetMukdahane
et à côté du casino Savan Vegas, seront construits ici les projets phares de la SaSEZ,
une sorte de ville nouvelle. Le site de relogement avec une surface de 118 hectares est prévu un peu
plus loin par rapport au vieux Savannakhet.
En regardant le programme et en détaillant certains points, le principe de déplacement et de
relogement de la population semble ici intéressant à travers deux remarques : d’abord, la zone de
départ manque d’infrastructures de base et les habitations sont dispersées, parsemées et pauvres. Si
l’autorité provinciale est conduite à développer et construire des infrastructures pour la population
riveraine de cette zone sans le programme SaSEZ, cela lui demanderait beaucoup de fonds dont elle
ne dispose pas. Munie d’infrastructures de base, la proposition de relogement sur le nouveau site
(que nous appelons pour simplifier, site d’arrivée) semble alors plus avantageuse que le site de
départ. Cependant ceci reste à voir, si au départ les familles déplacées possédaient ou pas des
terres agricoles (potagers, vergers, rizières, bouts de forêt ?) qui auraient été expropriées pour la
réalisation de la SaSEZ –chose que l’administration ne dit pas. Si tel est le cas, la compensation
serait insuffisante : sans sol cultivable, la nouvelle vie sur le nouveau site risquerait de connaître un
problème de taille. Sachant que les familles déplacées sont majoritairement rurales, le rapport
qu’elles entretiennent avec la terre est le même que celui des villageois de Botén. Le remplacement
des travaux de la terre par des emplois ouvriers proposés dans la SaSEZ n’est pas en soit une
mauvaise chose, au contraire cela crée des revenus pour les familles, mais sans transition cela
déformerait totalement le mode de vie et réduirait la qualité de vie de cette population. En
l’occurrence, nous remarquons également que l’échéance pour le déplacement de la population est
souvent trop tôt par rapport au retard de l’aménagement des sites d’arrivée. Dans la SaSEZ, ce
déplacement devait être effectué dès les mois de mars et d’avril 2009. Or nous constatons sur place
qui induit préalablement des études sur les orientations, la nature des sols, la présence de l’eau, les esprits protecteurs des
lieux, etc. Si ces cadres ne sont pas requis, ce ne serait alors “ pas bien ” de déplacer la population dans ce lieu. 118 « De quoi allons-nous vivre sans nos rizières et nos forêts ?», disent les membres de la communauté des sages du
village que nous avons rencontré. Effectivement, dans la cité lü (selon le modèle de Muang Sing) la taille d’une parcelle
d’habitation a été traditionnellement définie. Elle mesure 25x25m. Dans cette parcelle modèle, nous pouvons énumérer un
potager aromatique, un grenier à riz, un petit atelier où sont stockés les outils agricoles (cet atelier est parfois aménagé
sous les pilotis des greniers à riz). Nous y trouvons très souvent un petit plan d’eau pour plantes aquatiques, pour l’élevage
de poissons et de canards. Il est alors inimaginable pour les Tai Lü d’aménager un lieu de vie dans une parcelle qui est
plus « destinée à construire trois compartiments chinois. Les esprits de la maison et du ban y voit-là la fin de la
prospérité ».Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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en février de la même année, que le site D n’est toujours pas prêt pour accueillir la population
déplacée.
Quelle vision et quelle conception culturelle du nouveau territoire, comme interface spatiale
entre le local et le régional
Bien qu’il y ait un point qui semble pencher vers les avantages du projet de “ ville
nouvelle ” dans la zone A, du fait qu’il n’y aurait pas a priori d'éléments historiques dans cette zone
qui poseraient la question de la préservation patrimoniale (d’après le responsable de la SEZA),
cependant la conception de cette ville nouvelle par rapport aux problématiques environnementales
et paysagères semble poser quelques questions embarrassantes. La création d’un très grand plan
d’eau en détournant une partie du cours du Mékong, la construction des immeubles tours, etc.,
offrent une image très futuriste, sans doute un peu à l’image du Corridor économique qui pose
idéalement l’échelon d’un développement et d’une mise en réseau régional du futur. Mais cette
image et ce concept ne semblent pas s’intégrer dans la réalité culturelle, économique et
environnementale locale. Ainsi, une étude d’intégration et d’impact nécessite d’être approfondie
pour des projets de telle ampleur afin d’atteindre pleinement les ambitions d’exemplarité dont se
veulent être les projets au sein du Corridor économique.
Quel type de liaison et d’intégration entre les outils, les plans de planification territoriale et la
stratégie, mis en place par l’État
En examinant le plan d’aménagement de la SaSEZ, nous pouvons nous poser la question :
comment l’aménagement de ce territoire est-il élaboré, géré et mis en cohérence par rapport au plan
urbain et au schéma directeur élaborés par l’Autorité administrative pour le développement urbain
(UDAA) de Savannakhet ou par d’autres administrations techniques nationales telle que l’Institut
des recherches urbaines (IRU) ? Les responsables de SEZA ignorent le Plan urbain (ou Schéma
directeur) de la ville de Savannakhet et ne l’avaient donc pas pris en compte dans la réalisation de
leur Master plan : « Nous ne savons pas s’il y a intégration ou cohésion, puisque nous ne possédons
pas ce plan ». Autrement dit, le Master plan n’a pas été réalisé dans la continuité ou en liaison avec
le plan des villes secondaires établi par l’IRU et mis en application par l’UDAA. Dans la mesure où
le Plan urbain de chaque ville secondaire avait pour objectif de guider le développement en cours et
futur,119 quelles que soient l’échelle et l’échéance de la réalisation de ce plan, nous pouvons craindre
que son omission n’altère dès le départ le principe d’intégration. D’abord cela interroge du point de
vue administratif et politique (comme nous allons le voir) les compétences réelles des individus et
des organes responsables. Il remet en question ensuite la mise en application et le respect des
décisions et des décrets administratifs. Puis, il met en évidence la superposition et les prérogatives
des décisions centrales sur les décisions locales, ou au contraire, la liberté et l’autonomie du pouvoir
local dans la prise de décisions sur les projets de développement et d’investissement dans leur
territoire, indépendamment de l’aval des décisions centrales.
De ce point de vue, le cas de Botén présente toutes les ambigüités possibles. L’ambigüité
réside dans le fait que le gouvernement a promulgué un décret spécifique pour donner un cadre
institutionnel justifiant le projet de Botèn (n°162/PM en date du 8 octobre 2002). D’après ce décret,
le pouvoir local de la province de Luang Namtha a été désigné pour mettre en place cette zone
commerciale frontalière. Ses missions sont énumérées en neuf points dont trois importants : 1-
organiser et construire la zone commerciale frontalière de Botén, 2- créer le comité de gestion de
cette zone, et le point 3- il donne des directives au Comité de gestion pour approuver les patentes
119 Le rôle et les compétences institutionnelles des Plans urbains des villes secondaires et de l’Autorité administrative pour
le développement urbain (UDAA) sont clairement inscrits dans le décret n°209/ ministre MCTPC en date du 05/02/1996,
portant « le Rôle et les Compétences des Plans urbains » ; dans le décret n°09/PM, en date du 01/02/1991, portant « la
Gestion et l’aménagement des villes et des espaces publics en RDP Lao » ; dans le décret n°177/PM, en date du
22/12/1997, portant l’« Organisation de l’Autorité administrative pour le Développement urbain (UDAA) » ; dans le
« Droit de l’Urbanisme » n°03/99/ AN et date du 03/04/1999.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’investissement. C’est donc lui qui approuve les différents projets d’investissement dans la zone ;
ce qui signifie négociation directe avec les investisseurs. Le décret met l’accent sur le fait que c’est
le Comité de gestion avec l’assistance institutionnelle de l’autorité provinciale qui doit construire et
gérer la zone commerciale. Mais la réalité en est autrement : le site a été donné en bloc en
concession à un groupe d’investisseurs chinois. Le monopole et l’exclusivité du groupe
d’investisseurs gérant l’ensemble du site et des projets sont des réalités qui soulignent le manque de
pertinence des projets, la faiblesse de la maîtrise des modèles et des outils économiques par la haute
autorité politique locale et centrale. Soulignons aussi qu’aucune analyse et étude d’impact n’a été
réalisée à cette fin.
Cette situation met le gouvernement central devant le fait accompli d’un pouvoir local
incompétent en action. Nous sommes pourtant en pleine période de recentralisation administrative
qui ne devrait pas permettre aux autorités locales de décider de tels projets. Le plan d’aménagement
de Botén déjà élaboré par l’IRU est complètement inconnu des investisseurs concessionnaires
chinois, et surtout, l’autorité provinciale de Luang Namtha ne se pressait pas pour leur faire
entendre et respecter les cahiers des charges qu’elle devrait mettre en place, définies par le décret
n°162/PM. Le projet de constructions du complexe Golden Botén City, achevé dans sa première
phase vers 2006, ne fait partie d’aucun plan de planification. C’est le fruit d’un accord entre
l’autorité locale de la province et une grande société de capitaux du Yunnan. Les mauvaises
conditions de l’expropriation des terres à Botén vont à l’encontre de l’une des priorités de l’État
dans sa politique d’éradication de la pauvreté où il est clairement déclaré que : « La pauvreté doit
être réduite de moitié en 2015. La priorité est donnée au secteur rural, qui est au cœur de tous les
efforts pour réduire la pauvreté, avec un accent particulier pour obtenir de manière permanente la
sécurité alimentaire ».
120
À l’égard de la politique énoncée, le projet de Botén ne peut que heurter les intérêts du
peuple et interpeller l’autorité gouvernementale. Nous avons vu que le projet pose aussi la question
de souveraineté de la frontière, embarrassant l’État quant à la méthode de gestion employée pour
contrôler l’immigration chinoise.
Quelle administration pour les zones de concession et quelle intégration dans la structure
administrative locale et nationale ?
La SEZA est une structure administrative autonome par rapport à l’administration locale.
Elle administre un territoire à part et est attachée directement au cabinet du Premier Ministre de la
RDP Lao. Elle n’a pas d’obligation officielle de rendre des comptes au gouverneur de la province
de Savannakhet. Sous le label “ projet national ” qu’elle gère, SEZA possède une prérogative dans
ses actions. Cette prérogative est elle-même placée sous l’enseigne du Corridor économique dans
lequel le Laos occupe une position centrale et à l’égard duquel la décision politique du Laos est
primordiale. Bien que dans la pratique, il est tout à fait impensable de créer un territoire dans un
autre territoire institutionnellement existant, sans une mise en liaison avec le local de manière
étroite, mais nous constatons que dans le projet SaSEZ, il ne semble avoir ni ambigüité, ni conflit
d’intérêts et ni conflit institutionnel entre les décisions centrales et les responsabilités locales du
gouverneur de province, car les prérogatives gouvernementales sont prioritaires et s’imposent dans
tous les territoires du pays. Ceci est clairement inscrit dans le statut et les compétences
administratives et politiques du gouvernement de la RDP Lao et préalablement signalé dans
l’organigramme de SEZA.
120 NGPES : National Growth and Poverty Eradication Strategy. La stratégie nationale pour la croissance et l’éradication
de la pauvreté a défini quatre secteurs principaux : agriculture, éducation, santé, transport, et 47 districts sont affectés par
des programmes de développements spécifiques. In : « Rapport, Projet de Document cadre de partenariat avec la RDP
Lao ».Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Dans le cas contraire, le projet de Boten est le résultat des problèmes de dysfonctionnement
institutionnel important. L’organisation administrative et de gestion de la cité de Boten est
autonome. Le contrat qui met les intérêts de la population et du pays en porte-à-faux a été contracté
entre la société concessionnaire et le gouverneur de la province. C’est un projet d’ordre national qui
relève de la responsabilité d’une autorité locale incompétente, mais recevant malgré tout l’aval du
gouvernement central pour sa construction et sa réalisation. Or, on le voit bien, les problèmes qui
sont issus de cette décision ont des portées dépassant la responsabilité du gouverneur et interpelle
après coup l’État et l’administration centrale ; tels, les problèmes liés aux déplacements de la
population et à l’expropriation, le manque d’intégrité de la frontière nationale que provoque un tel
projet une fois réalisé.
Cet exemple montre un des faits majeurs liés à la question de centralisation et de
décentralisation du pouvoir déconcentré. D’abord, il y a une grande liberté accordée aux
gouverneurs ou à l’administration provinciale dans la prise de décision qui dépasse leurs cadres de
compétences à la fois institutionnelles et techniques ; ensuite, le passage de l’échelle régionale, qui
passe par de nombreux projets frontaliers, à l’échelle locale est difficilement maîtrisable et reste un
problème non seulement politique et administratif, comme le cas que nous venons de voir à Botén,
mais surtout un problème méthodologique. Le cas de Botén aurait dû inciter le gouvernement à
fixer de manière plus explicite la limite des compétences des gouverneurs de province en matière de
contrats et de coopération avec les pays étrangers. Par exemple, tous projets de concession dont
l’enjeu financier est égal ou supérieur à un million de dollars doivent être transférés au
gouvernement central, c’est-à-dire vers le cabinet du Premier Ministre pour décision. Bien que cette
décision exprime la volonté et l’inquiétude réelle du gouvernement, elle est tout à fait inefficace.
Les projets de concession des terres pour le long terme destiné à l’exploitation de l’hévéa,
“ fractionnés ” en petites unités de contrats différents, montrent de manière très simple le
détournement de la règle. D’autant plus que la population locale est directement concernée, à
l’origine les terres étant souvent déjà exploitées par elle. Et lorsque ses exploitations traditionnelles
ont été transformées, de gré ou de force, pour la monoculture, dans la majorité des cas la population
s’appauvrit parce qu’elle n’est plus propriétaire et parce que sa capacité d’autosuffisance s’est
considérablement réduite.
I. II. e. Les enjeux spatiaux pour le cas des territoires historiquement en marge
Le gouvernement de la RDP Lao a hérité de l’histoire contemporaine des territoires
marginaux qu’il a fallu s’approprier, intégrer et /ou donner un nouveau statut, malgré son refus de
l’histoire et malgré ses efforts pour faire sa propre histoire. Ces territoires marginaux ont un rôle
important à jouer dans la reconstitution spatiale du nouveau pouvoir laotien. Ils mettent en évidence
la confrontation idéologique du pouvoir actuel face à son propre passé, au passé de l’ennemi vaincu
et aussi face à ses propres actions pour construire l’avenir. Nous proposons d’évoquer rapidement
trois cas, trois territoires qui nous semblent explicites : les anciennes zones libérées, la zone spéciale
Saysomboun, Muang Tonh Pheung.
I. II. e. 1. Les implications historiques des anciennes zones libérées : Sam Neua et Xieng
Khouang
La question des zones libérées dans la partition territoriale étant évoquée de manière plus
détaillée dans la seconde partie de la recherche, nous soulignons ici le fait que certains territoires
qui fonctionnent aujourd’hui comme une enclave et qui ont du mal à se développer
économiquement et démographiquement est un fait ancien. Il est profondément lié aux contextes
géographiques historiquement intégrés comme faits objectifs de l’organisation et l’usage de
l’espace. De même, la disparité territoriale provoquée par les idéologies et la guerre a été intégrée
aussi comme un fait intrinsèque. La confrontation de ces territoires à la nécessité d’intégration
régionale actuelle met en évidence une certaine marginalité des territoires, malgré les efforts de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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déblocage que le gouvernement a tenté de réaliser. Rappelons les trois points importants qui ont été
les faits historiques anciens :
1- L’éloignement ou l’enclave territoriale de Sam Neua et de Xiang Khuang par rapport aux autres
territoires du pays, en particulier par rapport aux villes du Mékong, sont des héritages historiques
qu’il aurait fallu probablement corriger ou ajuster au moment où Setthathirat avait réalisé la
restructuration territoriale au XVIe siècle (ce fait sera développé dans la deuxième partie de notre
recherche). Mais on peut penser que ces deux hautes régions n’avaient pas bénéficié de l’ajustement
et de la restructuration spatiale et politique en question.
121
2- Ces deux régions, situées loin du pouvoir central, sont plus proches géographiquement du
Vietnam que de leur centre politique. Ce fait a été démontré à maintes reprises dans l’histoire du
pays. Elles ont connu des annexions répétitives par le Daï Viet et des tributs ont également été
versés à ce dernier. À plusieurs reprises le pouvoir central (période de Luang Prabang et période de
Vientiane) avait tenté de mettre fin à ces annexions. En particulier pour Xieng Khouang où la
double vassalité était devenue quasiment une coutume locale.
3- La schématisation de la partition du territoire dans les années 1960, due aux idéologies, à la
guerre et au schéma politico-militaire avait accentué et marqué les deux zones par des éléments de
marginalisation plus forts. Ceux-ci ont du mal aujourd’hui à être dépassé et à évoluer autrement.
I. II. e. 2. Les implications historiques de la zone spéciale Xaysomboun
La Zone spéciale, Khét Phiset, de Xaysomboun aurait été le dernier bastion des forces antigouvernementales
« à la solde de l’impérialisme local et américain » (sic), le fief des
narcotrafiquants. Le lieu a été désigné comme “ l’habitacle ” des ennemis du régime. Que cet
ennemi a été réel ou fictif, la zone justifiait, jusqu’à récemment, le déploiement en permanence du
contrôle de l’armée. Pour le gouvernement l’instabilité du régime (révoltes éventuelles de la
population, guérillas) aurait été provoquée ici-même, avec le soutien des opposants de l’extérieur.
« C’est un peu une maladie qui ronge le pays de l’intérieur » (sic). Cauchemar, paranoïa, maladie
imaginaire ou réalité (?), en tout cas, jusqu’au milieu des années 2000, d’après les versions
officielles, la zone était restée incontrôlée et certains groupes d’habitants d’origine hmong qui
vivaient de manière parsemée sur ce territoire auraient pour mission de déstabiliser le pouvoir en
place. On les désignait curieusement par le terme chao f’a. La zone spéciale instituée en 1994 était
devenue de fait une zone interdite, accessible par autorisation spéciale.122
Marquée et marginalisée par la réalité de la Guerre froide où effectivement la zone était le
dernier bastion anticommuniste du général Vang Pao, elle a dû être marginalisée aussi par sa
spécificité d’être une vaste enclave difficile d’accès, d’avoir un vide démographique et d’être
désertée par les Lao Tai, avec une occupation mono-ethnique constituée de Hmongs. Pourtant,
l’histoire longue et récente semble démontrer que c’est sa spécificité géographique qui aurait été le
facteur dominant responsable de son caractère marginal. Sa position d’ancien bastion
anticommuniste qu’elle avait tenu, n’occupait en réalité qu’un laps de temps, devenait l’essentiel
des arguments pour le gouvernement de la RDP Lao. Elle justifiait le besoin d’installer une force
121 Néanmoins, ces régions du pays n’avaient pas été négligées par Setthathirat au XVIe siècle : on retrouve dans l’histoire
des grandes familles de Sam Neua, que la nomination des gouverneurs et leur affectation à Sam Neua, émanant du mandat
de Setthathirat aurait bien été réalisée, symbolisée par une lettre royale sur feuille de latanier, accompagnée d’un sabre et
d’une coupe laquée (Kan Nam Kiang). La lettre aurait indiqué les titres et les grades du nommé. Devenant seigneur local,
il aurait le droit de transmettre ses titres à ses héritiers mâles. En ce sens, il y aurait naissance d’une véritable aristocratie
provinciale, dont l’origine serait plus administrative et militaire que princière : il n’y avait pas de titre de prince de Sam
Neua, alors qu’à Xieng Khouang les gouvernants sont des princes locaux, dont la famille aurait été aussi ancienne que
celle des princes de Luang Prabang. Les Sô Phabmixay auraient été nommés et installés à Sam Neua durant le règne de
Sethathirat. Exerçant un pouvoir local, cette famille aurait été reconnue comme telle par l’institution monarchique jusqu’à
1975. Cf. Discussion avec l’un des membres de la famille Sô Phabmixay, Vientiane 2002. 122 Pourtant, en 2004, un groupe de photographes-reporters français avait pénétré dans la zone. Des images d’hommes et
d’enfants malades, dans un état de dénuement, sont exposées au monde. D’après les reporters, ces derniers sollicitent les
aides extérieures afin de les sortir de l’isolement, voire, de l’encerclement dont ils auraient été victimes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 75 -
armée pour réprimer et maintenir l’ordre et la sécurité dans la zone, puisque tout le territoire du
pays, quel qu’il soit, doit être maîtrisé et contrôlé. L’existence d’une poche enclavée et incontrôlée
pouvait discréditer la légitimité du régime et aussi sa sécurité. À travers son statut de Zone spéciale,
le gouvernement met en place plusieurs dispositifs afin de la “ pacifier ”, au niveau politique et
administratif, au niveau des plans de développement et de gestion, voire, de sa juridiction. Mais la
mise en application des projets de développement reste de purs vœux. Par son insécurité, le grand
objectif se résume dans l’amélioration des infrastructures routières afin de créer des passages et des
accès à la zone, l’intégrant dans le réseau national. La zone est restée, pendant longtemps, enclavée
et fortement militarisée. Son statut de Zone spéciale ne sera supprimé que dans la première moitié
des années 2000. Il a duré plus de 10 ans. Entre une volonté d’affirmer aux yeux de la population
que le danger et l’ennemi guettent (et c’est pourquoi l’armée doit veiller) et la volonté de montrer au
monde extérieur que le régime maîtrise la situation et dirige le pays dans la paix, la création de la
zone spéciale était un paradoxe, le nom porté l’est également : Khet Saysomboun signifie “ zone de
la victoire définitive et complète ”.
I. II. e. 3. Les implications historiques de Muang Tonh Pheung longtemps marginalisé
par son intégration dans le réseau de trafics du triangle d’or
Le Triangle d’or est un territoire bien connu dans les années 1960-1970, voire après, pour
avoir été une zone militarisée et liée au narcotrafic de l’Ancien Régime. Étant interdépendant de
manière tripartite (Thaïlande, Birmanie et Laos) comme son nom l’indique, le Triangle d’or était et
reste toujours un lieu d’échange fructueux entre les trois pays, c’était aussi une vraie “ passoire”
pour toutes sortes de produits illégaux. Devenant aujourd’hui “ Quatre ” avec l’intégration de la
province du Yunnan, les échanges doivent faire une place officielle à la Chine du Sud : de fait, et de
manière officieuse, les Chinois ont déjà un pouvoir important et ancien dans cette partie de la
région. La nouvelle étape de partenariat à quatre, intégré dans le programme GMS, doit jeter de
nouvelles bases à la coopération et aux échanges commerciaux légaux. Mais le passé de narcotrafic
des années 1960 (opium, héroïne) et des années 1980-2000 (amphétamine, métamphétamine) a
marqué le territoire. Aujourd’hui, cette zone qui porte toujours les traces de ses activités passées, a
du mal à effectuer une reconversion. Certains investisseurs, et pour certains types d’investissement,
hésitent à s’y installer, en particulier dans la partie laotienne et birmane. Seul le côté thaïlandais
semble actif, attirant un nombre significatif d’investisseurs du secteur touristique. Le côté laotien
semble vouloir donner de l’importance aux établissements consacrés aux jeux. La loi laotienne
n’interdit pas les casinos contrairement à la loi thaïlandaise qui les prohibe, ainsi les Lao prennent le
relais pour installer un complexe de casino sur leur territoire, espérant récupérer les joueurs thaïs et
chinois. Même avec les jeux, considérés comme “ maux asiatiques ”, le quadrilatère économique est
désormais sensé démarginaliser le Triangle d’or. Le défi est lancé, quel type d’avenir les quatre
pays veulent-ils construire ?
Pour répondre à cette question, un observatoire socioculturel et économique pourrait y être
installé. À ce jour, sans une enquête approfondie, les observateurs de passage peuvent déjà observer
que le passé des années 1960 pèse sur l’actualité et l’avenir de ce territoire : le côté illégal de la
circulation des produits et des hommes, ainsi que la difficulté d’instaurer des règles et des lois
semblent persister.
Conclusion
Alors que les pays du bloc socialiste dans le monde s’écroulèrent, les pays du bloc
communiste asiatique “ se serraient les coudes ” dans la marche vers la réforme. Le Laos avec
le chitanakhane mai suivait le modèle vietnamien. Dans tous les domaines, politique,
économique et social, la réforme a été un apport pour le pays, un pas en avant pour la région.
Elle a surtout été un élément de sauvetage du régime mis en place depuis 1975. En préconisant
un relâchement mesuré et contrôlé dans la politique intérieure, le PPRL a su préserver le pays
de l’éclatement, comme cela a eu lieu dans l’Europe de l’Est.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Après avoir détaillé les enjeux politiques et économiques de la réforme qui avait des
implications majeures dans la transformation spatiale, nous avons abordé dans le chapitre I la
transformation de l’espace à l’échelle du territoire. La transformation de l’espace territorial étudié a
été observée sur deux plans majeurs liés à deux grands domaines de la réforme :
1. Sur le plan politique de la scène régionale et internationale, le pays et le régime se sont
ouverts peu à peu à l’extérieur. Le Laos reprenait progressivement sa place au sein de la
communauté des nations, tant asiatiques que dans un cadre plus large. Les liens diplomatiques,
politiques et commerciaux se sont remis en place avec les traités de coopération et les aides
internationales. Les conflits (avec la Thaïlande) se sont aussi apaisés. Les bénéfices de cette
ouverture n’étaient pas dûs uniquement à la réforme structurelle et économique du pays, mais aussi
conjointement aux retombées économiques locales et régionales, voire, à la politique internationale.
L’amélioration de la situation du Laos –tous points de vue confondus– qui a accompagné son
ouverture a été aidée par les dispositions de la politique régionale des pays pour retisser des liens
sur de nouvelles bases.
2. Sur le plan spatial lié principalement à la politique intérieure, c’est la régulation foncière
préconisée par le régime qui a été cruciale. La régulation foncière, commencée avec la réforme
entre 1986 et 1988, a permis une reprise des pratiques foncières anciennes (dont nous avons rappelé
longuement les caractéristiques) sans lesquelles le développement urbain n’aurait pu être possible et
sans lesquelles les transformations des formes et des tissus urbains n’auraient pu avoir lieu une
décennie plus tard. La régulation foncière laotienne a révélé, au-delà du cas de notre recherche, le
rôle profond et intrinsèque qu’ont exercé la composition et la pratique foncière sur la forme et sur
les tissus urbains. Le cas laotien a de facto révélé que le changement des pratiques foncières (mise
en arrêt et contrôle ou, au contraire, mise en fonction et libération), induit par un régime foncier
sévèrement imposé, a exercé son impact sur la restructuration de l’ensemble de l’espace et sur son
devenir à l’œuvre aujourd’hui.
Liée aux dispositifs politiques et spatiaux, nous avons mis ensuite en évidence que la
transformation de l’espace à l’œuvre est caractérisée par plusieurs processus de mise en marge et
d’émergence des territoires. Ces processus observés de manière privilégiée à travers l’analyse des
pôles d’attraction économique, des zones d’échanges, des territoires de concessions, des questions
de l’intégration régionale et des espaces marqués par les données historiques ont caractérisé une des
formes de transformation des territoires en cours.
Une fois observée, la transformation spatiale à l’échelle du territoire dans le chapitre I, nous
développons dans le chapitre II qui va suivre, les différentes transformations de l’espace à l’échelle
des villes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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CHAPITRE II
L’émergence des occupations anciennes et des centres historiques,
entre altération et recyclage
La transformation spatiale à l’échelle des villes –c’est-à-dire sa recomposition, passe aussi
par l’émergence des occupations anciennes et des centres historiques eux-mêmes. Cette émergence
spatiale met en perspective à la fois un phénomène de recyclage et un phénomène d’altération des
espaces anciens ou de leurs données. Nous proposons d’appréhender le phénomène de recyclage et
d’altération des espaces à travers le domaine patrimonial et à travers les espaces religieux, parce que
ces deux types d’espaces sont historiquement liés aux centres anciens des établissements et
recouvrent souvent pour la pratique habitante la notion de centralité. Dans de nombreux cas, le
domaine patrimonial est physiquement situé dans les centres anciens, il en constitue même leurs
contenus. Si le domaine patrimonial peut composer aussi physiquement les centres anciens, pour
comprendre ces centres, nous proposons d’examiner rétrospectivement le processus de constitution
et de composition de ce patrimoine : comment il est conçu, comment en est-on conscient et
comment au cours de l’histoire le patrimoine a-t-il été traité ? Autant de questions qui permettraient
d’identifier le patrimoine au cœur de la ville. Quant aux espaces religieux, ils organisent
durablement les centres ou quartiers anciens, ils constituent l’une de leurs persistances spatiales. Et
lorsque les centres et les villes eux-mêmes sont altérés, ils peuvent continuer à en constituer une
forme de centralité. Nous pouvons illustrer cette forme de centralité à travers la présence et la
densité des monastères dans l’espace urbain, à travers le phénomène de convergence sociale des
espaces religieux et à travers le fait que les monastères peuvent d’un certain point de vue constituer
un modèle d’architecture, du moins une inspiration pour la production spatiale de la ville, ses
équipements publics.
II. I. Le processus de constitution et de composition du patrimoine
L’énumération du composant patrimonial est ici la partie émergente d’un domaine
complexe, ambigu et difficile à cerner. Il faudrait probablement emprunter une grille de lecture
anthropologique plus approfondie pour traiter de manière plus complète et avec exhaustivité ce que
peuvent couvrir réellement le sens et la notion du patrimoine dans le cas laotien.
La société lao conserve encore une part importante de ses traditions. Même si elle est
actuellement en mutation, c’est une société où il est encore à constater combien il est difficile de
distancer le sujet de l’objet de connaissance. Effectivement, sujet et objet sont plutôt associés dans
une sorte d’interdépendance qui fait de l’objet patrimonial un domaine vivant, mais peu autonome
par rapport au sujet. Dans cette société traditionnelle, cela est caractérisé par le fait que ce qui a été
légué par le passé, devrait se prolonger vivant dans le présent à travers le savoir et le savoir-faire.
Le processus de transmission lui-même serait alors le processus par lequel le patrimoine se
construit. Ce qui veut dire dans cette logique que nous devrions aussi être dans une logique de
transmission des savoirs si nous entrons dans la logique de production des biens patrimoniaux. A
contrario, dans la réalité née des confrontations avec les contextes des périodes historiques, la
transmission des savoirs a tendance à se fragiliser, voire à connaître des ruptures et donc cela veut
dire que la production des biens patrimoniaux peut aussi se retrouver réduite. Ce fait est
profondément lié aux aléas et aux contextes socioculturels et politiques, dans le sens où le politique Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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donne souvent une directive au mode culturel et social. Le processus de la transmission des savoirs
et la production des espaces patrimoniaux, ou des espaces porteurs, sont donc liés tant à la stabilité
qu’à l’instabilité sociopolitique, à leur continuité comme à leur rupture. Comme nous allons le voir,
l’histoire récente du Laos (développée dans la troisième partie de la recherche) nous donne des
indices d’une société qui connaît en profondeur une certaine rupture de transmission des savoirs,
induisant la réduction de la capacité de produire des espaces porteurs.
Prenant en compte l’interdépendance entre sujet et objet patrimonial, prenant en compte la
spécificité de la conception lao du patrimoine qui tend à refuser l’autonomie de l’objet patrimonial
par rapport au sujet, et conscient de l’immatérialité du patrimoine (dont nous allons évoquer les
points les plus importants), nous allons tenter d'établir une approche du patrimoine matériel et bâti,
en tant qu’objet autonome, en nous appuyant sur des points de vues, des situations, des pratiques et
des résultants matériels concrets et ponctuels mais qui jalonnent de manière plus ou moins claire les
périodes repérables de l’histoire du pays.
Au Laos, l’essentiel de la composition patrimoniale ou le premier de ses composants qui a
été le plus évident et le plus visible, ou du moins, le plus considéré, est le patrimoine culturel. Ce
patrimoine est avant tout, pour les Lao, « tout ce qui concerne les coutumes et les traditions,
transmises par les ancêtres », tels les croyances et les rituels religieux et païens, les fêtes et les
cérémonies. Viennent ensuite le patrimoine musical et littéraire, les textes anciens sur feuilles de
latanier et les inscriptions (ces derniers sont souvent considérés comme sacrés), puis enfin le
patrimoine artistique, tels l'architecture et les arts en général. Apportons quelques précisions sur
deux domaines particuliers que sont les coutumes et les traditions, la littérature et le fonds musical.
Les coutumes et les traditions
À travers la manière de les réceptionner, de les préserver, de les vivre et de les transmettre,
les coutumes et les traditions montrent non seulement qu’ils appartiennent au champ patrimonial,
mais aussi qu’ils sont placés au cœur de la question patrimoniale. Ils offrent un cadrage clair de ce
qu’est le fondement patrimonial. Celui-ci est avant tout conçu comme immatériel. Alors que le
patrimoine matériel, comme définition secondaire, offre une pratique éloignée de ce fondement et
de cette conception première : la réception, la préservation (appropriation et usage), la transmission
et la production (connaissance et savoir-faire) du patrimoine n’ont pas toujours été effectuées
comme telles mais différemment de ce qui se pratique aujourd’hui. De là, on peut en déduire que le
fondement originel du patrimoine est avant tout immatériel.
La particularité du patrimoine littéraire et musical
La liaison entre la littérature et le fonds musical est profonde dans la culture lao ancienne, et
cette liaison reste valable aujourd’hui. Alors que la culture musicale moderne du pays voisin
(Thaïlande) se démarque de la littérature avec l’influence de la musique et des rythmes occidentaux,
la littérature et les mots restent indissociables pour le Laos et constituent le fonds de sa culture
musicale. La culture lao est essentiellement orale, même lorsqu’une littérature est écrite, elle se fait
vite approprier, transformée et diffusée par l’oralité. Prenons le cas des textes sacrés bouddhiques.
À leur réception, ils n’auraient pas connu de tels succès et n’auraient circulé que dans un cercle
fermé s’ils ne relevaient que des moines lettrés. L’oralité était un terrain de prédilection pour leur
diffusion et pour leurs formes de transmission. La diffusion par l’oralité se réalisait grâce au lien
profond entre la musique et les mots. La particularité de ce phénomène est moins la musicalité de la
langue lao, mais plus le fait que l’oralité de la langue lao elle-même constitue les fonds musicaux.
Elle se décline en types de chants variés, qui peuvent s’adapter à chaque type de littérature. Ces
chants correspondent aux chants régionaux, mais aussi aux différentes formes de chants,
indépendamment des traditions régionales : les lé, les lam, les khap, les seung, etc. L’oralité
musicale s’est appropriée de manière telle de la littérature qu’il peut arriver, par exemple, que le
simple illettré ne sache pas que le Pravet est basé sur des textes du Chataka de l’époque du
Mahabarata, alors qu’il connaît tous les épisodes de ce grand Chataka. Il est aussi courant que les
analphabètes et illettrés –le cas de beaucoup de molam (maître de chants)– puissent maîtriser une Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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littérature complexe. Un grand molam peut, par exemple, devenir une source orale inestimable pour
l’étude des différents épisodes de l’épopée Sinxay, une œuvre du XVIe siècle aux verbes complexes.
II. I. a. Les différentes notions du patrimoine
La notion du patrimoine en tant qu’immatérialité et matérialité d’un savoir, transmis ou à
transmettre, est complexe et multiple. Elle est corollaire à la culture et au temps des peuples, à leur
auto-représentation et à leur auto-considération, à leur identification. La vision du patrimoine
laotien peut se présenter sous différents angles. Pour saisir la question patrimoniale, cinq questions
nous semblent importantes à développer : comment la notion de patrimoine est-elle liée à la pratique
de l’espace sacré ; comment la notion de matérialité et d’immatérialité du patrimoine est-elle traitée
par l’idée de conservation ; comment le patrimoine est-il transmis ; comment la valeur marchande et
la valeur symbolique du patrimoine sont-elles matérialisées ; et comment la notion de patrimoine
effective se situe-t-elle entre les mythes et les théories ?
II. I. a. 1. La pratique de l’espace sacré et la notion du patrimoine
D’une manière générale, la conception du patrimoine est liée à l’espace sacré. Le
patrimoine bâti ainsi que sa pratique sont profondément conditionnés par la pratique sociale des
espaces cultuels et de l’habitat. Qu'il s’agisse d’un espace religieux proprement dit, d’un espace
marquant la fondation de la ville ou d’un espace sacré dans les habitations, les espaces possèdent
leur logique de fabrication et leur force symbolique qui vont conditionner le caractère sacré de leur
fonctionnement et de leur existence. Des règles strictes dictent leur implantation, leur construction
et leur fonction. Pour la fondation de “ l'âme de la ville de Vientiane ”
123 à Simuang, par exemple,
lorsque les chroniques racontent qu’une femme enceinte et un jeune bonze furent sacrifiés pour
devenir l’esprit du Lak muang en se jetant dans la fosse,124 cela n’a-t-il pas pour objectif la
sacralisation d’un lieu, le rendant exceptionnel. De même pour l'édification d’une pagode, la
première règle n’est-elle pas de consulter l’astrologie leunk-gnam [gs]udpk,]
125 afin de trouver le
jour faste. Une fois le jour faste choisi, une cérémonie religieuse et un rituel ne doivent-ils pas
accompagner les premières briques, les premiers poteaux posés. On doit bien respecter le choix de
l’implantation et de l’orientation du sim (sanctuaire central) face au soleil levant ; bien disposer
l'enclos du vat de telle sorte que celui-ci ne soit pas situé sur un terrain plus bas que les parcelles des
habitations laïques. Ensuite, il faut veiller à ce que les autres bâtiments du vat soient respectivement
construits à leurs emplacements respectifs, selon les “ règles et l’art de bâtir ” des monastères. Par
ailleurs, au fur et à mesure de l’acculturation du bouddhisme dans la culture locale, les monastères
lao finissent par se constituer une programmation bien spécifique, suivant le fait que chaque région,
à l’égard de sa propre pratique et tradition religieuse, possède son propre programme. Même en ce
qui concerne l’espace laïc, le sacré n’y est pas absent. La construction de la maison obéit à des
règles strictes : l'emplacement du sân et du sya [-koF g-aP], l’orientation des pignons, la disposition
des portes, l’emplacement de l’autel du bouddha, la position du dormeur, etc., tous ces éléments
touchent le domaine sacré de la maison ou renvoient à des règles de fonctionnement liées au sacré,
qu’il s’agit de respecter pour le bonheur des habitants et pour le repos des esprits du foyer.126
Quant à la question de l’usage et de la fonction des espaces, nous constatons d’abord que
l’espace religieux relève d’un certain nombre d’interdits, nécessitant pour les usagers et les riverains
l’adoption des règles comportementales, tels, l’utilisation des objets, le touché, le regard et les
123 Selon les chroniques de la fondation de Simuang. Entretien avec les moines de Vat Simuang, Vientiane, 2000. 124 Les Notes de voyage de Henri Mouhot sur le Siam rapporte une légende semblable sur la fondation des portes des
villes siamoises. « Le roi désigne au hasard, un passant » pour être sacrifié, afin d'incarner l'âme protectrice de la ville. 125 Le “moment propice ” –traduction approximative– se calcule dans le calendrier lao ancien, spécifique pour la
construction des pagodes. La même consultation cérémoniale se fait pour la construction des maisons. 126 L'habitation lao de la plaine de Vientiane et de Luang Prabang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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paroles en ces lieux.127 Ensuite, il y a l’usage des espaces communautaires qui se trouvent dans
l’enceinte même du monastère. Celui-ci semble être le plus important des espaces communautaires
dans la société lao, construit et entretenu par elle. Il anime la vie politique et culturelle de la société
villageoise et citadine. Il devient le lieu de festivités, d’événements et de rassemblements. Les
réunions de villages en plein centre ville aujourd’hui continuent à se tenir dans les sala des vat.
L’usage de l’espace du monastère est en ce cas moins strict, puisque l’autorité du village peut fixer
des règles après concertations avec les habitants, selon les disponibilités et à condition que cela ne
soit pas en contradiction avec les règles monastiques.
Enfin, il y a la fonction des espaces habités. Cette question a été clairement analysée par
Sophie et Pierre Clément dans L’habitation lao dans la plaine de Vientiane et de Luang Prabang.
128
Nous pouvons retenir quelques traits importants tels que la position du dormeur et du mort dans la
maison, l’emplacement des escaliers et leur fonction sociale, la disposition des chambres à coucher
et leur fonctionnement, etc. Ces traits montrent notamment qu’il y a une hiérarchisation sociale et
des interdits imposés aux occupants et marqués dans l’espace construit. Par exemple, les religieux et
les esprits sacrés ne peuvent pas monter dans la maison s’il faut passer sous les pilotis pour
emprunter l’escalier d’accès. C’est pourquoi les escaliers des maisons lao doivent toujours être en
appentis, ou du moins indépendant et attenant à la maison.129
Nous pouvons dire que le monde sacré s’est emparé de tous les espaces possibles : les
règles, les obligations, les interdits inscrits dans l’espace trouvent en quelques sortes des justificatifs
dans le domaine sacré. Une analyse a posteriori montre également que les règles et les interdits
renvoient par ailleurs à des expériences empiriques des espaces. Les règles de fabrication et de
fonctionnement de l’habitat, par exemple, renvoient souvent aux règles et aux comportements
sociaux, à l’hygiène et à l’environnement. Le non-respect des ces règles provoquerait déséquilibre,
relâchement de liens sociaux et altération des liens avec les esprits. Prenons comme exemple le
fonctionnement de la maison : pourquoi la cuisine, littéralement “ maison où on cuisine ” [gInvo7q;],
qui se construit comme attenante à la maison principale dans un autre corps bâti avec sa propre
toiture et posée sur une sorte de terrasse commune, doit-elle être construite ainsi ? Ce dispositif
semble lié à la question d’hygiène et de sécurité par rapport à la fumée, au feu et aux odeurs, etc. Un
autre exemple nous interpelle du point de vue comportemental : pourquoi il est interdit au gendre
d’une famille de dépasser la limite de la cabine de couchage [souam, l;h,] de sa femme ? Ces
interdits renvoient bien entendu à toute éventualité d’inceste, car le beau-frère devient socialement
le frère.130
Les traits que nous venons d'évoquer explicitent le fait que le mode d’usage et la pratique
sociale de l’espace constituent par eux-mêmes une culture spatiale et induisent donc une certaine
forme d’espace. C’est un patrimoine immatériel dont l’existence est liée à un patrimoine matériel
bâti. L'intégrité de l’usage de ces espaces devient un domaine patrimonial et exige une grande
maîtrise comportementale et une pratique aiguisée des usages sociaux, un art de vivre
particulièrement difficile pour des personnes non averties. On apprend à un enfant dès son jeune âge
à savoir faire la différence entre un lieu sacré et un lieu non sacré, à avoir en conséquence des
comportements appropriés. Cela signifie que, si la mutation spatiale issue du développement urbain
127 Pour les femmes ou les enfants de sexe féminin, il est interdit de toucher les objets sacrés, notamment les effigies du
Bouddha, les robes monastiques portées par les moines, les bols à aumône et autres objets sacralisés. Il est également
interdit aux femmes de fixer un moine dans les yeux, d'entrer dans certains lieux du monastère, notamment dans les
chambres du kouti [d5f8y]. Pour les religieux eux-mêmes et pour tous laïcs, il est interdit de fouler le sol où ont été enterrés
les objets sacrés, de rentrer chaussés et chapeautés dans les édifices construits dans l'enclos du monastère. Enfin, il est
interdit de porter des armes, réclamer son dû, blesser en acte et en parole autrui.
128 L’habitation lao dans la plaine de Vientiane et de Luang Prabang, Pierre et Sophie Clément, op, cit. 129 Les maisons lü du Nord rassemblent l’escalier d’accès sous la même toiture que l’ensemble de la maison. Cependant, il
est aménagé de telles sortes que les moines ne passent pas sous les pilotis mais sous les pans de toiture qui “ tombent ” en
escalier dans le prolongement de la grande toiture.
130 Dans des cas exceptionnels si la fille mariée venait à mourir la tradition accepte que les parents marient le beau-fils à
une autre de leur fille si les deux parties en sont d’accord.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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et économique s’opère sans harmonisation avec la mutation sociale à l’œuvre et donc aussi avec la
mutation comportementale, il y aurait une sorte de rupture et de déséquilibre entre le mode d’usage
et le mode de fonctionnement par rapport à l’appropriation des espaces en cours de mutation.
II. I. a. 2. La matérialité du patrimoine, question de conservation, de l'ancien et du neuf
La première matérialité du patrimoine s'exprime avant tout à travers les objets sacrés et les
édifices religieux. Au Laos, ils sont les premiers à constituer le patrimoine matériel. Ceci est sans
doute lié au fait que les édifices religieux ainsi que les objets cultuels sont les seuls objets qui ont
survécu au temps et qui peuvent être représentatifs de l’histoire périodisée. La deuxième matérialité
du patrimoine, c’est le savoir-faire technique et la valeur artistique et esthétique des objets et des
édifices. Cette deuxième matérialité est reconnue tardivement en tant que telle. La reconnaissance
de la première matérialité est probablement liée à la prise de conscience de l’histoire dans l’enjeu
politique et idéologique ; la reconnaissance de la seconde matérialité est sans doute liée à
l’autonomisation de la valeur des objets patrimoniaux.
Contrairement à sa matérialité, l'immatérialité du patrimoine fait transparaître le fait que
nous pouvons reproduire les objets en utilisant le savoir-faire ou donner un sens à un objet en le
rendant sacré en l’affectant à un culte. Et puisque les objets sont reproductibles et peuvent prendre
le sens que l’on donne, ils n'ont donc pas d'existence et d'identité propre au-delà de leur fonction.
Leur existence en tant qu'objet et en tant qu'identité propre se serait réduite. Ils n'ont d'existence que
lorsqu’ils sont en cours d’usage ou lorsqu’ils représentent ou symbolisent quelque chose. En ce
sens, le patrimoine peut être aussi physiquement un objet neuf et pas forcément un objet ancien. En
ce cas, la question de sa conservation et de son intégrité n'a pas particulièrement de sens en tant
qu’objet. Ici, c'est donc le contenu de l’objet, en tant que signifié qui importe et qui est perpétué
dans la conception du patrimoine. Aujourd’hui, cette notion d’immatérialité constitue
essentiellement un obstacle à la conservation du patrimoine, au moment même où la notion de
conservation ne peut exister que si le patrimoine est entièrement devenu un objet autonome.
II. I. a. 3. La notion de pérennité et de transmission du patrimoine
La notion de pérennité et d'intégrité de l'objet d'origine en tant que contenant, est une notion
récente et moderne au Laos. La notion lao du patrimoine, évoquée ci-dessus, considère que l'essence
du patrimoine est avant tout immatérielle. Seuls, la démarche de fabrication et le savoir-faire
seraient nécessaires pour la pérennité du patrimoine. Parce que l'objet est soumis à “ l'injure du
temps ”, rien ne lui résiste, “ seule l'immatérialité des choses échappe aux méfaits du temps ”. À la
place de la transmission et de la pérennité du patrimoine, en tant qu'objet, nous parlons plutôt de la
transmission et de la pérennité du savoir et de la connaissance, permettant sa reproductivité ;
transmission opérée entre père et fils ou de maître à élève. De même, dans cette logique, on ne
transmettrait pas une maison à ses enfants, mais on leur transmettrait la manière de la construire et
de l’habiter. On leur transmet en fait l’âme du foyer, le rituel pour garder chez soi l’esprit
protecteur, le phi heuan [zugInvo]. Dans cette démarche, la pérennité du “ contenu ” dans la
transmission du savoir n'a de sens et ne peut s’opérer, que si la qualité du nouveau “ contenant ”, la
manière de le construire et de le reproduire en soit également pérenne. Si ce n'est pas le cas, nous
assisterions à la création d'un nouvel objet indépendant qui n’est pas issu de la transmission des
savoirs. Dans ce cas, nous sommes alors dans une situation de rupture : il n’y a pas de transmission.
La conservation du patrimoine au Laos correspond précisément à ce cas de figure. Autrement dit, la
disparition du patrimoine relève plus du manque de transmission de la connaissance et du savoir que
de la disparition des objets patrimoniaux. Pour comprendre notre propos, il faut rechercher dans
l’approche utilisée pour expliquer à la communauté religieuse qu’elle a perdu aujourd’hui son
savoir et son art de bâtir ; qu’elle ne possède plus de connaissance pour reproduire les stucs, percer
le secret du langage architectural et de la proportion architectonique des sanctuaires. C’est cette
méconnaissances qui détruit vraiment le patrimoine religieux et moins les intempéries et la
destruction proprement dite des édifices. Pour illustrer encore notre propos, il suffit de regarder les Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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monastères nouvellement construits où aucun art de bâtir n’est respecté. Les composants et le
langage architecturaux étant incomplets, les symboliques spatiales se retrouvent altérées.
II. I. a. 4. La valeur symbolique, la valeur marchande
A priori, le patrimoine tel qu’il a été évoqué précédemment ne peut avoir une valeur
marchande. La valeur marchande du patrimoine est née en Occident corollairement à la naissance
du goût pour les Antiquités qui découle, lui, en partie de la mise en valeur de l'histoire. La valeur
marchande du patrimoine est donc indissociable de la mise en valeur de la discipline de l'histoire.
Ensuite, elle sera soutenue par des jugements de valeur ; des valeurs choisies de manière
dépendante des périodes historiques. Ainsi, il existerait une période historique plus riche qu’une
autre, etc. Une ambigüité et un certain paradoxe de situation se sont alors installés dans les
mentalités concernant la conception du patrimoine. L’amour des antiquités entraîne la volonté de
protéger le patrimoine en tant qu’objet et contenant patrimonial autonome. Mais l’amour des
antiquités fige aussi ses fonctions immatérielles. Il vide son sens symbolique. Du patrimoine vivant
relevant des sens et des symboles, nous passons alors au patrimoine mort chargé de valeur
autonome, mais marchande.
II. I. a. 5. Le patrimoine, entre mythe et théorie
La notion du secret était un des composants de la conception du patrimoine laotien, en
particulier à travers les croyances populaires. Il s'agit du patrimoine caché, invisible et inaccessible.
C’est là que réside aussi sa valeur. Un lien semble relier cette idée du patrimoine caché et invisible à
deux faits importants : aux faits historiques et aux mythes populaires.
Concernant les faits historiques, nous pouvons constater que les trésors religieux de grandes
valeurs ont souvent été cachés, du moins, ce sont ceux qu’on a tentés de cacher. C’était a priori le
roi lui-même qui ordonnait aux responsables de tel ou tel monastère d’effectuer les tâches, afin de
soustraire les trésors à la convoitise des ennemis qui auraient la volonté de les tenir en leur
possession, chaque fois qu’ils prenaient d’assaut un muang. Ainsi aujourd’hui, on conçoit que les
plus grandes caches que le Laos aurait connues auraient été réalisées sous le règne du roi
Anouvong. Une campagne spécifique, sous le prétexte d’une tournée religieuse pour restaurer les
lieux et les monuments, aurait été effectuée par ce roi. Lors de ces tournées, Anouvong aurait
surtout demandé au clergé et aux chao muang d’être disposés à cacher, au moment venu, ce qui leur
semblait être les trésors du pays. Et le moment venu aurait été la guerre de libération qu’il préparait
contre le Siam. Bien qu’aucune preuve écrite n’ait été retrouvée portant sur la question, les
nombreuses découvertes de “ caches ” qui seraient datées de la fin du XVIIIe et du début du XIXe
siècle tendent aujourd’hui à pencher en faveur de cette allégation. Chaque “ cache ” aurait contenu
des objets et des bouddhas de grande valeur et en nombre important : notamment celle de la grotte
de Mahasay, et la plus récente, celle de Vat That Khao. À l’heure où la statue de Chao Anouvong
est érigée dans le nouveau parc derrière le Hô Kham à Vientiane, les habitants de la ville pensent
que, en suivant le parcours de ses périples religieux indiqués dans les annales locales, on pourrait
espérer mettre au jour d’autres trésors du même type.
Du point de vue des mythes et des croyances populaires, la conception patrimoniale nous
fait rentrer dans un autre univers, dans la conception de la cité elle-même. Il s’agit des mythes et de
la conception des “ cités invisibles ”, [muang lap-lé g,nv’]a[c]]. Dans cette croyance, il y a l’idée
qu’un patrimoine caché est, de fait, protégé. Muang lap-lé désigne la cité invisible, vivante et
radieuse, « seuls les gens bons et honnêtes observant le dharma pouvaient la percevoir. Et lorsque
les gens y pénètrent, rien, a priori, ne distingue cette cité des autres. Il ne faut alors rien désirer,
rien prendre, rien emporter, rien ramener vers l'extérieur, si non, ils perdent leur chemin de
retour.» L'idée de la cité invisible n'existe pas uniquement qu’au Laos. Il semble que ce mythe
existe un peu partout dans le monde, en Afrique et dans de nombreux pays en Asie. En seconde
lecture, il s'agirait pour cette croyance populaire, à la fois d’un mythe et d’une théorie. Du point de
vue mythique, l’idée de la cité invisible, confondue aux préceptes religieux, aurait symbolisé
l'origine et la finalité des cités. C’est en quelque sorte un concept idéaliste de la société, une valeur Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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civilisatrice et morale, une finalité que la cité doit atteindre. Celle-ci doit être « sans cupidité, n'y
vivraient que des individus bons observant le dharma ». C’est finalement une sorte de paradis
terrestre, “ d’ici et maintenant ”. Ce n’est pas le “ paradis perdu ” de la conception du monde judéochrétien
de l’Ancien Testament. Ce mythe a donc une connotation religieuse liée au pancasila
bouddhique.131
Du point de vue théorique, les éléments décrivants muang lap lé portent à penser qu’il s’agit
d’une théorie politique récente qui aurait traduit l'instinct de préservation des peuples vis-à-vis de
l'invasion étrangère, notamment la colonisation. L’annexion et la colonisation symbolisent avant
tout, pour les peuples qui ont été colonisés, la recherche de richesses, la domination et l’exploitation
des peuples par les nations dominatrices occidentales, et ensuite, la propagation de leurs valeurs
culturelles qui se veulent civilisatrices. Parallèlement, étant donner que la notion de patrimoine et de
richesse des biens des peuples symbolise leur souveraineté et leur liberté, l’idée de rendre ce
patrimoine invisible et inaccessible symbolisé par la cité invisible aurait signifié en fait la volonté
de se soustraire à la domination étrangère. La cité invisible aurait donc été le symbole de la liberté
dégagée de toutes compromissions et emprises extérieures.
II. I. b. La prise de conscience et la conception du patrimoine
La prise de conscience et la conception du patrimoine ne peuvent être considérées comme
telle qu’à partir du moment où le patrimoine est conçu comme objet autonome, comme nous l’avons
déjà souligné. Ce sont deux faits qui sont liés au contexte de la colonisation. La prise de conscience
et la conception du patrimoine donnent les mêmes faits, mais sont suscitées par deux causes
différentes. La prise de conscience du patrimoine pour les Lao, est suscitée par la pensée anticoloniale
dans le contexte de constitution d’une nouvelle identité politique, alors que la conception
du patrimoine n’est pas soumise directement aux idéologies politiques, elle est suscitée ni
directement par les revendications politiques locales, ni par les intérêts particuliers de la politique
coloniale : son intérêt est plus autonome.
II. I. b. 1. Prendre conscience autrement du patrimoine
La prise de conscience du patrimoine chez les Lao remonte au réveil nationaliste durant la
période coloniale et de la décolonisation. La conception occidentale du patrimoine comme objet
autonome, ayant une valeur pour et par lui-même, prend pleinement son sens au cours de cette
période. Elle s’est peu à peu étendue dans la culture des élites locales, aristocratiques et lettrées, ou
issues de la fonction publique coloniale. Pour le reste de la population, le patrimoine correspondait
toujours à des éléments éternels, vénérés, composés de légendes et d’histoires fabuleuses auxquelles
elle s’identifie.
Les élites locales formées dans les monastères, mais aussi dans les écoles françaises
apprenaient à visualiser et à formuler autrement, à l’aide de concepts occidentaux, leur identité
culturelle en des termes nouveaux. Ainsi, certaines d’entre elles redécouvraient des racines –leur
être culturel et historique. Elles formaient, dans les années 1930, le premier noyau de personnes
s’intéressant à la culture et au patrimoine de leur pays. En appréciant la valeur du patrimoine, en
tant qu’objet autonome, elles s’y étaient progressivement identifiées et en avaient fait un outil de
patriotisme, les sentiments d’exaltation de la patrie animaient leurs actions. Cela a abouti, à la fin de
la Deuxième Guerre mondiale, à la formation de Lao Issara, mouvement “ nationaliste ” pour
l’indépendance, dont les membres ont été très proches de l’administration française, puisque
131 Pancasila (Sk), panca (cinq), sila (pierre) : borne des cinq préceptes bouddhiques. Ici, la cité idéale serait liée à la
conception des sages lao du XVIe et XVIIe siècle. Ces derniers nous auraient livré leur conception de la cité en la
transposant dans le regard de Syaosavat, héro du roman philosophe éponyme, qui a défini les dix qualités des muang. (Cf.
paragraphes traitant de la littérature géographique et de la définition du muang, du vieng et du xieng.)Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 84 -
beaucoup en étaient issus.132 Après l’indépendance, le mouvement Lao Issara a fondé l’association
Chanthaboury qui siégeait à Vat Chan,133 dont l’objectif était de préserver le savoir-faire ancien, de
raviver l’art et la tradition artistique. Ainsi trouve-t-on dans cette association des maîtres artisans et
artistes, une variété de professions allant du simple tisserand à l’érudit en littérature en passant par
le charpentier et le sculpteur. Ces derniers ont participé à la première restauration des édifices
patrimoniaux à Vientiane.134
II. I. b. 2. La conception du patrimoine
La conception du patrimoine, comme objet autonome, a été élaborée au début du XXe siècle
dans le contexte colonial, lorsque l’administration française a commencé à inventorier et restaurer
quelques monuments de la ville de Vientiane.135 Notre étude se focalise sur Vientiane, car c’est dans
cette ville principalement qu’est né le début de la conception du patrimoine. L’administration
coloniale n’a effectué des restaurations quasiment que dans cette ville, les autres centres urbains de
province ont suscité peu d’intérêt pour elle, sauf Luang Prabang où l’institution royale apportait
déjà des attentions au patrimoine de la ville. Les études et les travaux de restauration relatifs au That
Luang ou ceux portant sur Ho Phra Kéo ont témoigné de l’autonomie de l’objet patrimonial. Les
travaux de Parmentier ont constitué les bases de connaissance les plus solides pour l’époque,136 bien
que Louis Delaporte ait élaboré bien avant les premières esquisses et relevés.137 Les archives du
Gouverneur Général d’Indochine montrent les premières listes d’inventaire des bâtiments anciens
de Vientiane, même si peu d’édifices ont fait à l’époque l’objet de restauration. Elles mettent surtout
en relief les débats entre les conservateurs, partisans des restaurations et les autres –ingénieurs et
administrateurs, plus soucieux de combler le manque de main d’oeuvre, de construire des routes et
de raser certaines ruines et bâtiments anciens afin de bâtir pour les besoins des équipements
administratifs. Ainsi, Vat Kang et Vat Gnot Kéo n’existent plus aujourd’hui alors qu’ils ont été
mentionnés à cette époque, et le rempart intérieur a été remplacé par les boulevards Khounbourom
et Khouvieng.
Tout en mettant en avant la valeur patrimoniale et artistique des ouvrages qu’il fallait
préserver à travers leur restauration, l’administration a surtout privilégié les édifices à fonction
stratégique ou politique. En effet, restaurer quelques monuments chers aux Lao pouvait leur
redonner une confiance et une certaine dignité afin qu’ils reviennent de nouveau en masse vivre
dans une ville, longtemps quittée et abandonnée après sa destruction. Sans population et sans main
d’œuvre, il était difficile de développer un centre urbain digne qui venait d’être créé. Même si des
132 Interrogé, un ancien Lao Issara explique que le mouvement avait une pensée politique assez claire : nationaliste,
anticoloniale, libérale et royaliste, mais absolument pas communiste. Il préexistait depuis les années 1930. Lors de la
reddition, les armes de reddition japonais devaient être remises au pays occupé. Or, les autorités françaises ne représentant
pas le peuple Lao à leur yeux, les Japonais refusaient de leur remettre les armes. Ayant repéré en la personne du vice-roi
Phetsarath, le leader du groupe, l’autorité française « conseilla » ce dernier de formaliser le Lao Issara. Mais une fois les
armes remises à Phetsarath, celui-ci «s’engagea dans la résistance» avec ses hommes, souvent issus de la fonction
publique coloniale (traducteurs, instituteurs, employés administratifs) et déclara l’indépendance du Laos et Vientiane
comme capitale du pays. (Réf. Entretien avec deux anciens membres de Lao Issara : Thongsing S. Phabmixay ;
Chansamone Voravong). Ainsi, le légendaire Lao Issara, en tant que parti politique, ne serait qu’un organisme de
circonstance. Avec du recul, Lao Issara apparaît comme un courant de pensée, un nouveau souffle littéraire et culturel,
constitué par les élites nées durant la colonisation. C’est sans doute le seul mouvement du XXe siècle qui exerce une
influence profonde sur la culture, “ le milieu nationaliste ” et intellectuel lao contemporain. 133 Le bâtiment qui avait abrité “l’école des artisans” a été détruit en 2004 par le vénérable de Vat Chan, bien qu’il
figurait, sur la liste des inventaires proposée par l’Atelier du Patrimoine, parmi les bâtiments remarquables à protéger. 134 Le prince Souvanna Phouma, ingénieur TP, a suivi la reconstruction de Vat Ho Phra Kéo. Les travaux furent achevés
en 1942. Pour l’un des piliers du sanctuaire, a été réutilisé les mortiers et les enduits à l’ancienne (probablement le Pathaï
Khouay –le mortier de banane.) 135 CAOM, cote D2, Monographie de Vientiane 1896, document adressé au Commandant supérieur du Haut-Laos à Luang
Prabang, par P. Morin, le 21 octobre 1896. Dans ce rapport, l’auteur a présenté quelques remarques sur les ruines de
Vientiane qui font apparaître les monuments les plus importants de la ville.
136 Cf. L’Art du Laos, Henri Parmentier, édition révisée par Madeleine Giteau, publication de l’EFEO, Paris, 1988. 137 Album pittoresque, réalisé par Louis Delaporte, annexé à Atlas du voyage d’exploration en Indochine, 1866, 1867,
1868. Commission française présidée par le capitaine la frégate Doudart de Lagrée et publiée sous l’ordre du ministère de
la Marine, sous la direction du lieutenant de vaisseau Francis Garnier, édition Hachette, Paris 1873.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 85 -
milliers de familles revinrent effectivement sur le sol de leurs ancêtres,138 échappant aux autorités
siamoises qui les empêchaient par des moyens divers de gagner la rive gauche du Mékong,139 leur
nombre restait insuffisant. Malgré cela, dès 1910, l’administration française avait imaginé un musée
des antiquités lao à Vientiane.140
La matérialité du patrimoine, en tant qu’objet de connaissance créé et transmis, témoignage
du passé, périssable et vulnérable qu’il faut étudier, protéger, conserver, entretenir dans sa
matérialité contre les intempéries, le temps et la destruction, n’était pas reconnue alors comme telle.
Encore aujourd’hui cette matérialité n’est pas encore tout à fait comprise par la majorité de la
population.
Le patrimoine à sa source
Il semble clair que l’administration française avait perçu l’importance des monuments dans
la vie des Lao, porteurs d’identité et de fierté retrouvées, au point de les pousser à quitter à tout prix
le Siam où ils avaient été déportés et retenus depuis trois générations.141 Remontant dans le temps,
ce fil conducteur aide à comprendre la perception actuelle du patrimoine laotien en mettant en
évidence le lien entre la conception laotienne du patrimoine aujourd’hui et un concept plus ancien
qui en constituerait les racines.
Dans la culture lao, un ouvrage d’art – qui fait partie de ce que l’on appelle aujourd’hui
patrimoine – que ce soit un objet ou un élément bâti, n’est pas conçu comme un objet autonome. Il
représente et symbolise, il garantit et rend souverain le pouvoir de celui qui le possède. Les objets
patrimoniaux composent l’un des principes fondamentaux qui construisent et renforcent la
légitimité et la souveraineté d’un pouvoir. Dans le roman philosophique, Nithanh Syaossavat,
142 le
héros a clairement identifié les dix principes. Il s’agit de Khreuane Muang désignant les trois
joyaux (Bouddha, Dharma et Sangha), Ming Muang (les esprits protecteurs, tels que les Dhevata),
Khèn Muang (les médiums, les conseillers et les sages), Tchay Muang (l’épouse du monarque),
Khenne Muang (le monarque), Ta Muang (les quatre portes et la sécurité), Hou Muang (la vigilance
et les moyens de communication), Fa Muang (la force armée), Khoune Muang (la richesse et les
ressources naturelles du territoire) et enfin, Khrouane Muang qui désigne les trésors, le patrimoine
et les biens de grande valeur transmis. Les arts, la littérature, les objets et les édifices vénérés en
font sans doute partie.143 Ce terme signifie textuellement “ âme du pays ”. Le patrimoine fait donc
partie des dix préceptes vitaux d’un pouvoir ou d’un État. Sans eux, les pouvoirs seraient fragilisés
et voués à l’échec.
Trois anecdotes sont à évoquer à titre d’exemple. Lorsque le Siam domina le Lan Xang,
partitionné en trois royaumes, on comprend mieux pourquoi il commença par emporter à Thonburi
138 Les rapports montrent que le retour a été insuffisant, d’où la nécessité de faire venir de la main d’œuvre du Vietnam.
In : Essai de colonisation annamite au Laos, 1903, Mission Le Hoan, CAOM, GGI, Mo 430. 139 Un accord a été conclu entre l’autorité française et l’autorité siamoise pour que les Lao qui le désirent puissent revenir
au pays. Ne pouvant pas officiellement empêcher leur retour, l’autorité siamoise cherchait par des moyens détournés à les
retenir au Siam. Dans les archives du GGI, on retrouve de nombreux dossiers exposant des cas de procès de droit commun
que les Thaïs intentaient aux Lao du Siam, tel que vols de buffles, dettes non remboursées, etc. On trouve aussi des
plaintes de Lao qui veulent revenir au pays. In : « Rapatriement des Lao à Vientiane », F146 25 332 ; « Contestation
habitants rive droite et rive gauche » 1898, F130 20 841 ; « Retour de 2000 Lao à Vientiane » F742 20 903 ; « Plainte des
Lao pour rentrer au Laos », E147 21 822. CAOM, fonds GGI. 140 Création du musée des Antiquités, CAOM, fonds GGI, cote R61.20217. Il semblerait que le musée se trouvait dans le
cloître du Vat Sisaket.
141 Les Lao du Siam qui revinrent à Vientiane au début du XXe siècle sont de la deuxième et troisième génération, puisque
les grands-parents avaient été déportés vers 1828 et 1829. 142 Les historiens pensent que Syaossavat, roman philosophique anonyme, fut composé au XVIIe siècle sous le règne de
Souryavongsa. On peut retrouver les illustrations de ce roman sur les fresques en céramique des murs de la chapelle rouge
(Ho Taï) du Vat Xieng Thong à Luang Prabang. Cf., aussi Hounphanh Rattanavong, in : Séna Mark Khika, ministère de la
Culture et de l’Information, Institut de Recherche sur la Culture Lao, Vientiane, 1999. 143 Khreuane Muang Xg7njvog,nv’? ່ ; Ming Muang X,yj’g,nv’? ; Khèn Muang Xcdog,nv’? ; Tchay Muang X.9g,nv’? ; Khenne Muang
Xcdjog,nv’? ; Ta Muang X8kg,nv’? ; Hou Muang Xs6g,nv’? ; Fa Muang X/kg,nv’? ; Khoun Muang X76og,nv’? ; Khouane Muang
X0;aog,nv’?. In : Nithanh Syaossavat.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 86 -
les objets de la collection royale tels que les livres (littéraires et sacrés) et les bouddhas (Phra Kéo,
Phra Souk, Phra Say, Phra Seum).144 Le roi de Vientiane et ses sujets furent dépossédés des “ âmes
du pays”, et donc de leur force et de leur dignité. De même, au début du XXe siècle, lorsque
l’administration française demande à Sri Savang Vong145 le “ prêt ” de quelques objets de la
collection royale pour une exposition à Paris,146 le roi se serait senti tellement coupable de l’avoir
accordé que le soir en allant prier et faire des offrandes, il demanda aux esprits protecteurs du
royaume de faire en sorte que ces objets ne puissent jamais quitter le sol laotien. La collection
royale transportée par La Grandière vers Vientiane était composée d’objets précieux, entre autres
des bouddhas en or. À l’approche de Pak Laï, la canonnière sombra dans le Mékong et les trésors
furent engloutis dans l’épave au fond du fleuve.147 Par ailleurs, en 2005, dans une grotte nichée audessus
d’une rivière, ont été découvertes plus de 250 statues de Bouddha, en bois, en bronze, en
argent et en or.148 Leur style et leur facture artistique montrent que les auteurs sont des artisans de la
Cour, il pourrait s’agir d’une collection royale datée entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Un prince de
haut rang ou un important vénérable l’aurait cachée pour la soustraire aux ennemis.
Les anecdotes montrent combien la possession d’objets patrimoniaux était importante. Lors
des guerres et des sièges d’une ville, il était habituel que le roi ordonne aux responsables de cacher
les trésors, pour éviter que les ennemis en prennent possession afin de légitimer leur pouvoir. Cette
capacité de légitimation des objets d’art, n’a-t-elle pas été utilisée, dans un tout autre contexte, par
le général Tchiang Kaï-Chek qui a emporté avec lui une grande partie des collections impériales
quand il quitta la Chine pour gagner Taïwan.149
La conception actuelle du patrimoine et son identification.
De l’objet dépendant à l’objet autonome, aujourd’hui la conception du patrimoine au Laos
n’a pas changé fondamentalement, mais s’est enrichie et élargie. L’importance de la possession
d’ouvrages patrimoniaux est une pratique ancestrale qui perdure, comme garants du pouvoir et
protecteurs de la société humaine. Elle se trouve enrichie par la conception occidentale qui
considère le patrimoine comme un objet autonome – témoignage de la connaissance et du savoirfaire,
et également élargie par l’évolution du domaine patrimonial lui-même. Le patrimoine ne se
limite ni aux objets faits de matériaux précieux, ni aux objets mystérieux ou symboliques, ni aux
ouvrages d’art et aux créations artistiques, ni aux édifices et sites de grande qualité. Les critères
d’identification du patrimoine contemporain se sont largement diversifiés. En adhérant en 1987 à la
Convention de l’Unesco sur le Patrimoine mondial, le Laos adhère aussi à ses principes généraux.
Le patrimoine mondial standardise, en quelque sorte, ce qui constitue aujourd’hui le patrimoine de
l’humanité. Ainsi, toute l’unité urbaine de Luang Prabang et l’ensemble du site archéologique de
Champassak ont été classés et le site de la Plaine des Jarres à Xieng Khuang a été proposé au
144 Le bouddha de Jade (appelé émeraude par les Thaïs, les Lao et les Khmers) séjournait alors à Chiangmai lorsque
Sethathirat, roi du Lan Na entre 1547 et 1560, succédant à son grand père, ramena la statue avec lui jusqu’à Luang
Prabang, puis à Vientiane lorsqu’il y transféra sa capitale. Les statuettes Phra Souk, Phra Say, Phra Seum qui datent du
règne de Sethathirat seront emmenées au Siam vers 1779 en même temps que le Bouddha de jade, ainsi qu’une multitude
d’objets de valeur, suite à la prise de Vientiane par le général Kasat Suk qui deviendra par la suite Rama Ier. 145 Souverain du royaume de Luang Prabang entre 1905 et 1946, historiquement Sri Savang Vong n’a jamais été roi du
Laos avant 1946 : Boun Oun de Champassak, descendant direct de Souryavongsa, n’a renoncé à son droit dynastique
qu’en 1946. Son statut institutionnel a été défini dans le modus vivendi, annexe de la convention franco-laotienne. 146 Un spécialiste du musée du Louvre aurait été mandaté pour choisir les objets dans la collection royale. In : « Des
documents secrets britanniques déclassifiés, révélation sur les trésors engloutis du Laos », Martin Bailey, Le journal des
arts, n°12, mars 1995 ; Rapport de présentation de projet de l’association CERENA par Michel Guillaume, « La
Grandière, canonnière du Mékong ». 147 La canonnière a sombré le 15 juillet 1910. La liste des objets “ prêtés ” par le roi n’a été retrouvée, ni dans les archives
françaises, ni dans les archives royales lao. Ibid. 148 Dans la province de Khammouane, à une douzaine de kilomètres de Thakhek. Cf. Rapport interne du Département des
Musées et de l’Archéologie, ministère de la Culture et de l’Information.
149 Résonnance intérieure, dialogue sur l’expérience artistique et sur l’expérience spirituelle en Chine et en Occident,
Philippe Sers et Yolaine Escande, Ed. Klincksieck, Paris 2003.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 87 -
classement.150
Le développement urbain des villes du Laos, en particulier celui de Vientiane, révèle le
désir du nouveau et du “ moderne ”. Cependant, l’absence de l’expérience de la ville et de sa portée
pédagogique, le manque de qualité esthétique et spatiale des réalisations, sont corollaires à la perte
d’identité et portent un coup fatal au patrimoine : bâtiments, sites et ambiances urbaines de qualité.
Pour une ville dont la plupart des constructions sont récentes et où les vestiges historiques sont peu
nombreux et fragiles, les édifices modestes et les sites qui donnent cohérence et harmonie à la ville
deviennent le domaine patrimonial par excellence, portant témoignage de tout ce qui a trait à la
qualité, à l’identité et à la valeur pédagogique, ils relèvent dès lors du domaine patrimonial qu’il
convient non seulement de préserver, de protéger, mais également de développer. Dans cette
perspective, le patrimoine de Vientiane a été identifié et les critères de définition ont été élargis et
réadaptés in situ, compte tenu de plusieurs faits évidents. D’abord le patrimoine laotien est
matériellement peu monumental et peu durable (dans le sens où il y a peu de grands sites utilisant
des matériaux durables.) Ensuite, la ville ne renaît qu’au début du xxe siècle, après avoir sombré
pendant trois quarts de siècle suite aux incendies de 1828 – 1829. Et enfin, le patrimoine n’est pas
seulement historique et symbolique, il peut avoir une valeur intrinsèque et autonome par rapport aux
sens qu’il recouvre. Le processus de développement urbain actuel entre en contradiction avec le
caractère modeste et fragile du patrimoine laotien, et risque donc de le faire disparaître. Au Laos
aujourd’hui, on peut dire que le patrimoine devient un objet autonome que l’on peut saisir à travers
des critères concrets, étudier, analyser et théoriser pour en entreprendre l’inventaire, la protection et
la restauration, à l’aide de la typologie et de la classification. Les inventaires antérieurs à 1975
réalisés sous l’impulsion de l’académie Chanthaboury et du ministère des Cultes listent surtout des
édifices religieux, des monuments, des objets de valeur et de culte, mais pas d’édifices civils, ni de
sites paysagers. En fait, ces inventaires ne contenaient que des éléments historiques et symboliques,
issus de la culture lao considérée comme dominante. Les inventaires réalisés en 1994 par le
Département des Musées et de l’Archéologie ont élargi la liste à l’habitat civil, maisons lao sur
pilotis et édifices coloniaux. Les inventaires réalisés en 2002 par l’Atelier du patrimoine élargissent
et diversifient davantage encore les contenus méthodologiques et patrimoniaux.151
II. I. c. Le discours du patrimoine, entre instrumentalisation et valeur autonome
La considération du patrimoine au Laos aujourd’hui est située entre deux écoles de pensée :
entre son instrumentalisation pure et simple et son appréciation en tant que valeur autonome. Le
discours sur le patrimoine peut être classé dans le processus de mise en valeur de la culture de la
nation, et plus spécifiquement pour le régime actuel dont le discours sur le patrimoine a son appui
idéologique sur la culture de masse inscrite dès le début de l’instauration de la RDP Lao. Avant de
rentrer dans les détails de ce discours, mentionnons d’abord qu’il est particulier par son ambiguïté.
D’un côté, il y a l’empreinte de la culture communiste marxiste de la garde révolutionnaire qui
prône la culture de masse, et de l’autre, il y a un mélange entre la culture nationaliste du peuple et la
culture des élites actuelles qui se sont beaucoup référencées au mouvement Lao Issara.
II. I. c. 1. Le discours du patrimoine dans la culture révolutionnaire.
La pensée révolutionnaire tenait beaucoup aux discours patrimoniaux pour se faire
comprendre par la population et justifier les actions du régime consacrées à la culture, que l’on peut
150 Le Comité du Patrimoine mondial de l’Unesco a inscrit sur la liste du Patrimoine mondial le site de Luang Prabang en
décembre 1995 et le site de Vat Phu en décembre 2001. En 2008 le classement de la Plaine des Jarres est toujours à
l’étude.
151 En tant que responsable de cet Atelier, dont la mission était de former le personnel à la méthodologie d’inventaire et de
classification, et de soumettre des listes d’inventaires ainsi que le périmètre de protection, j’ai dû établir une méthodologie
spécifique et formuler des typologies plus appropriées aux formes des espaces locaux. Cf. Les documents de l’Atelier du
Patrimoine, et cf. aussi Vientiane, portrait d’une ville en mutation. Chayphet Sayarath. Op, cit.
Tab. 1. Listes
des inventairesDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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appeler communément “ manipulation idéologique ”. Cependant, ces discours donnent à voir des
ambiguïtés et des contradictions. L’idéologie marxiste-léniniste, avec laquelle le PPRL tente de
tenir et construire le pays, entre souvent en contradiction avec le fonds culturel local. Le discours
est donc sans cesse en porte-à-faux entre la volonté d’imposer une idéologie progressiste et
hétérotopique que personne ne comprend, et un désir réel pour que les idées nouvelles soient
assimilées par la population et pour qu’elles puissent apporter un changement fixé dans les objectifs
de la révolution.
Pour le nouveau régime, l’idée de patrimoine telle qu’elle a été conçue avant la révolution
est un fait des sakdina. Le patrimoine lui-même est le produit des sakdina thongthin (impérialisme
local), mais aussi d’une société coutumière et arriérée. Pour le PPRL, le patrimoine – s’il doit
exister – ne peut être issu que de la “ vertu de la lutte (des classes) ” (moune seua to sou) transmise
par les dirigeants révolutionnaires depuis le début du XXe siècle. C’est fort de cette fougue et de
cette lutte que la jeune génération doit s’imprégner pour s’affranchir du monde coutumier et
construire un monde progressiste, débarrassé des lourdeurs historiques du passé. En réalité,
personne ne semble comprendre ce discours, à part les purs idéologues eux-mêmes, et encore ces
derniers sont rares.
Dans les premières années, si le patrimoine ne peut exister en tant que tel dans la pensée
révolutionnaire, la culture en rapport avec le patrimoine, elle, existe. Et en se plaçant dans le champ
de la culture, le patrimoine a pu se définir un rôle dans le nouveau régime. Très rapidement, la
confrontation avec la réalité culturelle et avec une population “ récalcitrante ”, avec ses cultes
religieux, ses habitudes, ses coutumes oblige le régime à réviser la forme mais aussi le fond de son
discours patrimonial et culturel. Cette révision correspond à la période de la Nouvelle Pensée. Mais
c’est en 1993 qu’elle est plus affirmative à travers le discours de Khamtaï Siphanhdone, Premier
Ministre et président du comité central du PPRL, lors du congrès national portant sur la réforme du
domaine de l’information et de la culture. L’idée du patrimoine se retrouve réajustée dans la
nouvelle politique culturelle de l’État. Celle-ci prône « son harmonisation avec le temps et le
progrès », affirme la nécessité de « protéger, transmettre, développer le patrimoine et le beau
caractère de la culture nationale […] ». Ou encore de « protéger, construire et développer le
patrimoine national, tout en empêchant les mauvaises influences extérieures […] ». Ces actions
doivent se faire à la fois « en harmonie avec le plan préconisé par le parti, et avec l’ouverture et les
échanges avec les autres pays, tout en sachant distinguer les choses subversives […] ».
152
II. I. c. 2. L’instrumentalisation du patrimoine
À l’heure où il y a une volonté de se fondre dans la continuité de l’histoire, notamment la
préparation des 450 ans de la fondation de la capitale, l’idée de patrimoine devient importante pour
l’État lao. Les discours politiques donnent donc le ton aux discours patrimoniaux. L’architecture fait
partie du support des discours. Les vocabulaires architecturaux sont censés exprimer aujourd’hui les
options officielles portant sur l’architecture, et de manière générale, sur la culture.
L’architecture officielle des bâtiments publics
Les discours donnent d’abord une vision claire de ce que le pouvoir conçoit comme
architecture officielle à travers de nombreux bâtiments publics nouvellement construits ou en cours
de construction. Nous consacrons une partie de notre réflexion à ce sujet (dans « la question
architecturale »), évoquons ici que l’essentiel du vocabulaire utilisé dans l’architecture publique est
emprunté à l’architecture lao. Il s’agit des composants architecturaux de la couverture des
bâtiments : la forme en pente douce et retroussée des pans de toiture, le traitement ouvragé des
152 Recueil des Résolutions du Parti portant sur la politique culturelle, édition du Département de diffusion, des
bibliothèques et des enseignes de publicité, ministère de l’Information et de la Culture, Vientiane 1996.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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pignons et des rives. Cet ensemble coiffe le corps quelconque de la plupart des bâtiments publics.
L’architecture publique telle que nous l’évoquons exprime ainsi le premier discours spatial officiel.
L’architecture domestique, du village au micro ville
Aujourd’hui, il est ainsi tout à fait entendu que le pouvoir aurait aimé créer un “ quartier
lao ” dans le centre de la ville de Vientiane et dans les quartiers limitrophes du That Luang. Ces
quartiers dits “ lao ” ne seraient composés que d’édifices en bois sur pilotis : « on veut voir une ville
lao lorsqu’on entre dans le quartier central ou historique. Il faut que l’on sache qu’on est, là, en
présence de la ville lao, avec ses constructions et ses maisons en bois sur pilotis » (sic). La vision
des maisons lao en bois sur pilotis construites un peu partout, remplaçant celles qui ne le seraient
pas, semblerait ici suffire, aux yeux du pouvoir, pour définir ce qu’est la ville lao. Cette vision
simple et réductrice, méconnaissant totalement la matérialité et l’immatérialité des espaces
successifs hérités, représente ainsi la compréhension générale du modèle des villes lao par la
population. Elle représente également la vision d’un certain nombre de responsables techniques et
administratifs du territoire et de la ville, se conformant à l’idéologie politique du moment. Cette
vision “ reconstituante ” à travers l’architecture domestique, ne prenant pas en compte les réalités de
l’histoire, du temps et de l’espace que la cité a pu traverser et sédimenter, exprime ici le deuxième
discours spatial et la méconnaissance même de l’histoire urbaine liée au pouvoir.
La reconstitution du patrimoine disparu
Un autre exemple illustre le troisième discours officiel, c’est l’idée de reconstituer un
patrimoine disparu : tels, le rempart et les piliers de fondation de la ville. Une construction qui se
veut être un petit musée de site a ainsi été érigée couvrant un tronçon du rempart extérieur de
Vientiane au niveau de Ban Nong Haï. Un projet de reconstruction du rempart dans la partie sud de
la ville est fortement sollicité. Un des responsables du département de l’Information et de la Culture
de la Préfecture de Vientiane évoque dès l’année 2002 cette reconstitution avec spectacle son et
lumière montrant les heures fastes de la construction de la ville. Si cette sollicitation n’a pu être
satisfaite par manque de moyens adéquats, la reconstitution de ces moments fastes, par des scènes
qui se veulent fidèles et évocatrices de la construction historique de la ville, était prévue pour la
cérémonie d’ouverture de la 25e édition des SEA Games en novembre 2009, et pour les 450 ans de
la fondation de la capitale, en novembre 2010. En ce qui concerne les piliers de fondation, la
construction d’un édifice a été réalisée à l’endroit où a été mis au jour un ensemble de bornes et de
stèles (à côté de Vat Simuang). D’après le maître de l’ouvrage (Département des Musées et de
l’Archéologie, ministère de l’Information et de la Culture), cet édifice est censé marquer le lieu du
lak muang (pilier fondateur) de la ville.
Reprenons ces trois discours et émettons quelques remarques. D’abord à propos de la
reconstitution du patrimoine bâti, les vieilles maisons lao en bois et les bâtisses coloniales, sont
quotidiennement démolies et sont maintenant en nombre très limitées. La question de leur
protection n’a pas été intégrée dans le processus de développement urbain, bien que certaines
d’entre elles aient déjà été proposées à l’inscription.153 En d’autres termes, d’un côté, les institutions
étatiques n’arrivent pas à mettre en application les quelques directives de l’État concernant la
question de la protection du patrimoine existant, et de l’autre, au contraire, elles ont tendance à
rechercher dans les constructions nouvelles la réplique et le mimétisme de ce qui n’existe plus,
voire, de ce qui n’existe pas, tout en affichant ce fait comme une forme de conservation ; d’où la
propension à laisser démolir les édifices patrimoniaux les plus significatifs. On considère ainsi, que
reconstruire un édifice à l’identique, en totalité ou partiellement, c’est le restaurer. Au final et dans
les faits, la reconstitution artificielle des édifices démolis constitue un décor urbain plaqué dans un
153 Dans les règlementations et les prescriptions du Plan de Protection du Patrimoine, effectuées par l’Atelier du
patrimoine.
Fig. 12.
Monument
consacrant le
pilier de
Simuang,
comme
fondation de la
ville de VientianeDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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tissu hétéroclite en cours de décomposition. En s’appuyant sur ces discours officiels et en
considérant la réalité à travers la question de reconstitution cela nous oblige à réfléchir : comment
serait composé aujourd’hui un quartier urbain ou une ville dite “ lao ”, si celle-ci existait toujours,
ou dans quelle condition celle-ci peut-elle exister ? Nous cherchons à identifier l’identité des
espaces lao à travers quelques formes urbaines et quelques modes d’habitat et de fonctionnements
spatiaux (comme nous allons le faire tout au long de la deuxième partie de notre recherche). Il s’agit
de comprendre ce qui fait l’équilibre entre les éléments bâtis et les ambiances urbaines, l’harmonie
entre le paysage urbain et la pratique culturelle des lieux, de comprendre ce qui fait la particularité
de l’écologie urbaine, de la gestion des sols, etc. Tout cela formerait l’identité des ambiances et des
paysages urbains qui se construisent au fil du temps, accumulant les souches de sédiments spatiaux.
La ville lao, en fait, c’est simplement la ville, avec son histoire spécifique. Si les tissus et les
ambiances urbaines et paysagères, si la manière de pratiquer les lieux – avec ses particularités – sont
des éléments qui forment l’espace lao et son identification, leur reconstitution artificielle – une fois
disparus – serait un leurre et ferait preuve d’une méconnaissance totale de la réalité de l’espace et
du temps. De même pour l’architecture officielle qui se veut inspirée du vocabulaire de
l’architecture lao, ce n’est rien de moins qu’un emprunt, un mimétisme de sa représentation. C’est
une architecture mixte et composite qui imite une image et une forme sans entrer dans le fondement
de l’équilibre et de l’harmonie spatiale et architectonique de cette architecture.
En fin de compte, du point de vue de la recherche de logique d’idée, en cherchant à rétablir
un contact avec un “ passé glorieux ” à travers la reconstitution du patrimoine, voire celle de son
avatar, et non pas à travers sa conservation, le discours officiel dialogue avec lui-même et répond à
sa propre idéologie. Sensé susciter les émotions et symboliser les partis pris idéologiques du
pouvoir dans sa réconciliation avec l’histoire à travers un patrimoine et une identité “ ressuscitée ”,
en reconstituant et en inventant même le patrimoine, le troisième discours du pouvoir est un
paradoxe. Il construit des espaces dépourvus de sens et coupés de la réalité du temps, satisfaisant
seulement les discours autovalorisés, dans une phase de mutation importante de la société laotienne
à la recherche d’identité et de modèle. La reconstitution du patrimoine réalisée, ne répondant pas à
la volonté de se réconcilier avec l’histoire pour mieux se relier à l’avenir, se place ainsi dans sa
fonction instrumentale la plus éclatante. L’instrumentalisation du patrimoine prend ici tout son sens.
II. I. c. 3. La valeur autonome du patrimoine
Contrairement aux objectifs de l’instrumentalisation, l’espace habité et l’architecture lao
ancienne sont complexes et fragiles – qu’ils soient considérés ou non comme patrimoniaux. Ils ne
peuvent être représentés par une image pittoresque ou résumés en quelques vocabulaires
architecturaux. La connaissance des composants spatiaux et architecturaux, culturels et
fonctionnels, la prise de conscience des sensibilités et des sens qui les ont produites, la
compréhension de la complexité des champs d’intervention pour comprendre et préserver
l’équilibre, pour développer l’espace des villes lao, nous paraissent cruciales et doivent être prises
en compte dans les démarches qui considèrent le patrimoine dans sa valeur autonome, dépourvue de
manipulation. Dans le cas où il y a prise en compte de tout cela, que ce soit de manière entière ou
partielle, nous entrons dans un autre processus de pensée. Le patrimoine acquiert dès lors une
autonomie et n’est plus complètement assujetti comme instrument et support idéologique. La
distanciation entre le sujet et l’objet serait alors établie : le patrimoine devient un objet indépendant.
Il n’est ni la représentation, ni le reflet du sujet qui voit dans l’univers du patrimoine l’incarnation
matérielle de sa propre existence autovalorisée. L’autonomie des biens patrimoniaux, au contraire,
met à nu le savoir et la valeur civilisatrice de ceux qui l’ont produit. Le patrimoine devient un objet
à étudier, un témoignage. Il peut être représentatif d’un savoir et savoir-faire technique et artistique
digne d’être protégé, conservé et prolongé. Il devient un objet de connaissance, un objet
pédagogique. Les champs de connaissance disciplinaires et les actions apparaissent dès lors : les
analyses typologiques, la classification, les inventaires, mais aussi la spéculation économique, etc.
L’exemple de Luang PrabangDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le cas de Luang Pabang illustre la coexistence difficile entre instrumentalisation et valeur
autonome du patrimoine. Lorsque la ville a été classée au patrimoine mondial, il a été établi que sa
valeur patrimoniale était digne d’être protégée au rang du Patrimoine de l’humanité. Ce qui signifie
que la connaissance de ce patrimoine en tant qu’objet a été constituée, passant par son analyse, ses
inventaires, son classement, sa mise en valeur, etc. De ce point de vue, le patrimoine est clairement
dissocié des manipulations idéologiques auxquelles il pouvait être soumis. La ville, son paysage, ses
édifices patrimoniaux les plus remarquables font l’objet de restauration, soumettant les acteurs
privés et publics aux contraintes techniques, fonctionnelles et économiques, mais aussi
idéologiques. Ainsi, l’autonomie du patrimoine échappe à la pensée instrumentale qui ne peut le
saisir, ni l’utiliser. Au contraire, les biens patrimoniaux acquièrent leur propre définition et évoluent
dans leurs propres champs, bien entendu non dépourvus d’autres perversités qui n’ont pas de
rapport direct avec le fait de l’instrumentaliser. Le patrimoine de Luang Prabang parle par et pour
lui-même. Si idéologiquement il peut évoquer par sa nature une période historique qui occupe une
position mineure dans l’idéologie officielle, il ne saurait être au service d’aucune idéologie politique
; à part celle de l’Unesco, dont les règles ont été acceptées comme “ universelles ” et auxquelles le
Laos a adhéré. Le patrimoine de Luang Prabang semble donc échapper à l’emprise du pouvoir ; la
valeur qu’il représente et qu’il véhicule a peu de points communs avec celle que le pouvoir défend
et ne peut donc être réutilisée par celui-ci. D’où une appropriation assez difficile par les acteurs
publics de cette politique de conservation qui semble venir de l’extérieur et née davantage d’un
consensus politique du gouvernement qui désire montrer au monde l’ouverture et la reconversion du
pays aux valeurs universelles partagées par tant de nations, plus que d’une adhésion volontariste.
II. I. d. Nécessité de développement et nécessité de mémoire, un dialogue de sourds
Les contraintes imposées par les conditions de la protection patrimoniale (locale, nationale
ou universelle) passant par les classements, et à termes, par les réglementations et les prescriptions
créent souvent des ambigüités dans les actions à mener et génèrent des conflits multilatéraux ;
d’abord entre les acteurs publics eux-mêmes et ensuite entre les acteurs publics et privés. Les
ambiguïtés dans les actions à mener semblent issues du manque de volontarisme de la politique
patrimoniale, de l’incohérence entre les discours politiques et leur application. L’ambiguïté semble
également venir de la méconnaissance du patrimoine et de son contenu, et de l’incompréhension du
fondement de la protection du patrimoine et de ce qu’elle implique.
Les conflits entre les acteurs publics s’expriment surtout dans les champs d’application, par
le fait que les priorités de chacun n’ont pu être conciliées. Trois principaux domaines d’intervention
spatiale – développement urbain, développement territorial et préservation du patrimoine –
s’interposent et entrent en contradiction. Comme si l’un devant apporter des améliorations à
l’espace socio-économique et à l’espace tout court, et l’autre devant figer l’espace dans un
passéisme improductif et inutile. L’idée de la préservation du patrimoine considérée comme frein au
développement bat son plein au Laos et pose problème, alors que partout ailleurs cette dualité est
devenue un discours passéiste. Revaloriser, le patrimoine participe au développement en mobilisant
les filières (métiers et emplois) patrimoniales et touristiques. À court et à long terme, le patrimoine
recadre l’espace et le territoire dans ses actions écologiques : le cycle de vie du territoire de l’urbain
semble en quelques sortes faire son tour par un recyclage spatial avec la protection du patrimoine et
ses implications. Effectivement, le patrimoine conservé et restauré retrouvant une fonction et une
utilité nouvelle est équivalent aux processus de recyclage, pouvant donner aux démarches de
développement une économie spatiale et territoriale, si les démarches de développement en question
l’incluent dans ses composantes. Mais cette écologie n’est pas bien comprise au Laos par les
décideurs et les acteurs. Les concepts de développement et ceux de la mémoire restent alors à ce
jour contradictoires et difficilement réconciliables.
La ville de Luang Prabang fait l’objet de débats entre ces deux approches. La première
affirme que le patrimoine gèle le territoire, obligeant les acteurs publics en charge du Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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développement urbain à considérer deux options : intervenir dans le territoire constitué de manière
uniquement fonctionnelle – une idée qui rentre en collision avec la conservation et l’existence
même de Luang Prabang –, ou explorer l’extérieur du territoire constitué pour permettre son
extension. La deuxième idée affirme que le patrimoine est le témoignage de la mémoire et de la
connaissance, nécessaire pour une société équilibrée.
Ce débat cache en fait une autre question : celle de l’identité spatiale de la ville de Luang
Prabang. Si l’aménagement de cette ville, que ce soit dans les démarches de développement urbain
ou dans les démarches de préservation du patrimoine, avait intégré l’analyse spatiale de la cité dans
ses démarches et s’était fondé sur sa connaissance profonde, il aurait été évident de constater que
Luang Prabang était une ville aboutie aussi bien en terme de densité qu’en terme de modélisation.
Quel type d’interventions, quel développement peut-on lui apporter, si l’on conçoit qu’elle ne peut
se figer dans sa suffisance spatiale et dans son modèle d’espace abouti ? Comme beaucoup de villes
qui doivent se développer, elle est appelée malgré elle à accueillir plus de monde et plus de
fonctions nouvelles. C’est sans doute de cette question qu’émane l’étude du schéma de cohérence
territoriale (SCOT).154 Mais apparemment ce schéma n’est pas une réponse satisfaisante à toutes les
questions posées. Le Luang Prabang péninsulaire continue à être densifié par ses activités, son
occupation spatiale et démographique : son équilibre en tant qu’espace abouti se fragilise alors.
Le site archéologique de Vat Phu quant à lui illustre le débat qui oppose l’idée que le
patrimoine bloque le développement à l’idée que la méconnaissance de l’histoire implique des
maladresses sur la mise en œuvre de l’avenir. Face à cela une devise laotienne résume la nécessité
d’avancer et de penser autrement l’avenir et le développement : bung na, hai bung lang, “ pour aller
de l’avant il faut regarder en arrière. ”
II. II. Le monastère dans la centralité urbaine et sociale et en tant que
modèle d’architecture
Dans la deuxième période du régime, l’organisation bouddhique devient un véritable
partenaire du PPRL, parce qu’elle peut aussi servir la diffusion de sa politique. L’Union Bouddhiste
Lao (UBL) qui dirige et gère la religion nationale devient l’une des quatre directions au sein de
l’Union du Front Lao pour l’Édification Nationale (FLEN) qui est une composante du parti. Du fait
qu’elle soit intégrée dans l’organe politique, l’UBL est un organisme administratif particulier et
parallèle qui possède un pouvoir et une influence considérable, bien au-delà de ce qu’on pouvait
imaginer dans un système communiste. Peu à peu le Sangha – organe principal de UBL – retrouve
l’importance qu’il avait avant 1975, si ce n’est davantage. À la place du pouvoir monarchique
constitutionnel traditionnel, qui le soutenait autrefois, il gagne aujourd’hui auprès des personnalités
influentes du régime une faveur considérable.
En 1991, au même titre que les autres confessions autorisées au Laos, le bouddhisme à
travers le Sangha et l’UBL possède un statut défini dans les articles 9 et 30 de la constitution de la
RDP Lao, : « l’État respecte et protège les activités légales des pratiquants de la religion
bouddhique et des autres religions ; il mobilise et encourage les bonzes ainsi que les clergés des
autres religions à participer aux activités servant les intérêts de la patrie et du peuple. Est interdit
tout acte de nature à diviser les religions et à diviser le peuple. »
En 1992, ont été adoptés à travers un texte les différents points et décisions portant sur « les
problèmes relatifs à la religion » par le Comité central du parti. Ce texte est suivi par un décret du
Premier Ministre, n°92/PM du 5 juillet 2002, définissant « la gestion, la protection et la régulation
des activités religieuses en RDPL. »
154 L’étude du schéma de cohérence territoriale a été mise en œuvre par l’agence d’urbanisme du Chinonais (ADUC) en
2005, avec le financement de l’AFD.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Fig. 13. Les
monastères à
Luang Prabang
Les circulaires d’application et de recommandation (n°207/FLEN du 30 juillet 2002 et
n°001/FLEN du 24 mars 2004) du FLEN ont ensuite été mises en application afin d’aider tous les
échelons administratifs de l’État, au niveau central et local, à faire appliquer les deux décrets du
Premier Ministre. En 2003, un projet de sensibilisation a également été mis en place pour
accompagner la mise en application de ces décrets.
Les textes de législation : décrets, recommandations, projets, etc., réglementent toutes les
religions autorisées en RDPL en les mettant au même niveau d’importance devant la loi, ignorant
volontairement l’histoire particulière du bouddhisme laotien. Cependant, dans la réalité, il est
incontestable de voir que la religion bouddhique est majoritaire et historiquement liée au pouvoir
ancien. Et le nouveau pouvoir actuel a très bien pris conscience de ce fait. Il lui a donné une place
grandissante dans sa centralité idéologique ; car cette religion est capable de placer le régime
politique actuel dans la continuité de l’histoire : comme autrefois, la “ complicité ” entre le pouvoir
et le Sangha se reproduit alors et chacun semble y trouver sa place.
Mise à part cette forme de consensus qui donne à l’espace religieux et au pouvoir religieux
leur place et leur pérennité dans la société, sur quoi repose réellement, aujourd’hui comme autrefois,
la centralité des espaces monastiques dans la vie sociale et dans la ville ? La densité de la présence
physique des monastères dans l’espace urbain, leur aptitude à produire la convergence sociale, la
référence architecturale qu’ils fondent, font-elles partie des critères de cette centralité. Ce sont-là
des questions auxquelles nous essayons d’apporter des éclaircissements.
II. II. a. La présence des monastères dans l’espace urbain
La centralité des espaces religieux dans l’organisation urbaine est d’abord spatiale, sa
fonction de centralité est incontestable. Les espaces religieux sont confirmés dans l’espace urbain
par leur position centrale et par leur nombre, par leur fréquentation et leur capacité d’accueil, par
leur emprise foncière et par la présence de la végétation dans leur enceinte. Ces spécificités
présentent des variantes selon les caractéristiques des villes. Par la densité déjà ancienne de son
espace, Luang Prabang, par exemple, reste une exception par rapport à d’autres villes, plus vastes et
moins denses qui seraient plus similaires à Vientiane. Le cas de Muang Sing est encore une autre
exception, plus proche de Vientiane que de Luang Prabang dans son manque de densité. Ainsi,
Luang Prabang est unique pour le nombre des monastères construits, celui-ci est limité et
réglementé : un xieng (ville) doit posséder un seul monastère qui en porte son nom, alors
qu’ailleurs, un village, et surtout le plus central, peut posséder plusieurs pagodes. En cela, Luang
Prabang bat tout le record de densité
Le quartier des cinq pagodes de Vientiane montre bien la centralité urbaine des espaces
religieux. L’exemple est également remarquable pour Luang Prabang où la petite péninsule
renferme de très nombreux monastères. Si aujourd’hui le nombre des monastères dans les plus
grandes villes ou dans les villes les plus anciennes s’est considérablement réduit par rapport à leur
nombre historique, il reste malgré tout important. Gerrit Van Wuystoff faisait remarquer dans ses
notes « qu’il y a un temple pour dix maisons ».155 Bien que cette remarque ait pu être exagérée,
nous retenons que ce programme de construction, et leur densité, étaient historiquement un
marqueur de l’espace de la cité. Cette remarque ne peut être appliquée à l’ensemble de la ville, seule
est concernée la partie la plus centrale où le nombre des monastères est important. Cependant, ce
type de programme et sa densité peuvent constituer l’un des critères de la centralité urbaine et de la
définition de l’urbanité elle-même. Les critères de densité, et donc de centralité, peuvent également
être expliqués par le fait que les monastères les plus citadins possédaient d’autres fonctions que
cultuelle. Par exemple, une des raisons qui peuvent expliquer l’existence des cinq pagodes dans un
155 Gerrit Van Wuystoff : Le Journal de Voyage de Gerrit Van Wuystoff et de ses assistants au Laos, 1641-1642,
traduction de Jean-Claude Lejosne, CDIL (Metz), 1993, 234 p.
Fig. 14. Les
monastères
à VientianeDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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périmètre restreint à Vientiane, c’est leur fonction : Vat Ongteu abrite l’université bouddhique, Vat
Chan est le temple d’ordination des officiels, pouvant gêner les rites quotidiens des paroissiens de
par ces fonctions. On peut alors imaginer que les rites quotidiens se faisaient plus aisément dans
d’autres monastères, d’où l’importance de leur nombre et de leurs fonctions imparties.
II. II. a. 1. Le processus de cloisonnement des espaces religieux, fait isolé ou signe de
changement
Alors que les monastères sont plus que jamais socialement présents dans la société laotienne
et spatialement fréquentés tant dans le milieu rural que dans le centre des villes, les nouvelles
réhabilitations tendent pourtant à les enfermer dans un espace de plus en plus clos : construction de
clôtures et de portes d’accès plus hautes et plus monumentales. La hiérarchisation des portes
d’accès qui faisait partie de ses règles de construction tend à disparaître. Aujourd’hui, on fait aucune
différence entre la porte nord et la porte sud, entre celle de l’Est et celle de l’Ouest. Les monastères
n’assument plus complètement leur rôle de modèle spatial et de conservatoire des savoirs. Nous
remarquons à travers les nouvelles constructions que les programmes des équipements monastiques
ont été fragmentés et certains d’entre eux supprimés. Ceci entraîne la disparition de certaines
fonctions, des codes et des canons esthétiques de l’architecture, de la technique de mise en œuvre et
de l’usage de certains matériaux dans la construction.
II. II. a. 2. L’exemple de Ban Na Kheuane, une nouvelle forme de centralité possible
Après la construction et la mise en fonction du barrage de Nam Ngum, vers la fin des
années 1960, une grande zone naturelle et de nombreux villages ont été inondés, leurs habitants ont
été déplacés et relogés. Ce projet de barrage ayant un enjeu politique fort durant la période de la
Guerre froide devenait l’un des projets qui déstabilisait la vie politique de Vientiane.156 Lorsque le
barrage est mis en service, la population fut déplacée en catastrophe, les coupes de bois et les
inventaires de la biodiversité ne purent être réalisés. L’ensemble du périmètre fut inondé, devenant
le plus grand lac artificiel du Laos, de nombreuses espèces – animales et végétales – furent
sacrifiées.
Le paysage exceptionnel du lac naissant est formé de centaines d’îles verdoyantes flottant
sur une eau bleu-turquoise et bleu-gris noyant les bois précieux qui seront naturellement préservés
et étuvés, laissant voir leurs troncs et leurs cimes noires sans feuille. Pendant une dizaine d’années,
il était infréquentable : les experts diagnostiquèrent un dégagement trop fort d’émanations
organiques d’origine végétale et animale. Durant cette période, les poissons n’étaient, a priori, pas
consommables. Les villages aux caractères provisoires, inachevés et sans identité, se sont petit à
petit formés au bord du lac, avec quelques rares habitations dans les îles, dont deux camps de
redressement, construits dès l’année 1975, destinés à “ punir ” la petite délinquance et à rééduquer
la jeunesse de l’Ancien Régime jugée trop dépravée pour la nouvelle société.
Le village le plus intéressant est Ban Na Kheuane qui s’installe à proximité du barrage. Les
habitations sont construites sur une bande de terres étroites qui formait l’unique route d’accès, sur le
flanc d’une petite montagne et longeant le lac sur environ 500 mètres. Côté route où sont orientées
les façades, les constructions s’accrochent directement sur la route à même le sol, tandis que leurs
arrières sont surmontés par des pilotis qui s’ancrent sur le talus abrupt de la berge. Le bois utilisé
pour leur construction provient de la forêt des alentours. Les parois seront souvent en bambou
tressé, parfois en matériaux de récupération. La tôle ondulée et la paille couvriront les toitures.
156 D’un côté le Pathet Lao, qui constituait l’opposition communiste et qui menait une politique propagandiste, entreprît
une lutte pour déstabiliser le gouvernement royal et désinformer la population pour que celle-ci s’oppose à la construction
du barrage ; ceci, en soulevant les dangers réels et virtuels qui menaçaient sa vie future si le barrage venait à fonctionner.
De l’autre, dans une ambiance de corruption et de lutte d’influences, certains fonctionnaires du gouvernement de
Vientiane se disputaient le partage financier qui proviendrait de l’exploitation du bois de l’immense zone couvrant plus de
1000 km2Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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La périlleuse exploitation subaquatique du bois sera pratiquée plus tardivement lorsque la
population aura bien maîtrisé le lac et son territoire, dans le courant des années 1980 et 1990. Pas à
pas, le petit village abrite un modeste port et un petit chantier naval. On y construit des bateaux en
acier et en bois, des maisons radeaux heuane nam ou heuane phè. Si les constructions qui
s’accrochent à la route abritent déjà trois générations qui ont su s’attacher au site, les bateaux
servent aujourd’hui clairement les activités touristiques. Mis à part les grands bateaux en acier qui
abritent aujourd’hui les restaurants, les autres bateaux, entièrement en bois ou en bois et acier, sont
habitables avec un confort rudimentaire mais suffisant pour loger une famille de quatre à six
personnes.157
En ce qui concerne les maisons-radeaux, il n’en existe plus beaucoup aujourd’hui. Celles
qui sont ancrées au port sont intéressantes et ont en général une double fonction : habitation et
commerce. Elles approvisionnent et dépannent en essence et en batterie (vente de batteries neuves et
rechargement de batteries) les bateaux et pirogues du lac. Elles vendent aussi des boissons et des
cigarettes. Elles servent surtout de “ salon ” pour les habitants et pêcheurs des îles qui viennent
s’approvisionner, donner et prendre des nouvelles des uns des autres.158
De ce village partent et arrivent des bateaux pour des promenades d’une journée, puis ceux
qui transportent des rotins, des bambous et du bois, mais aussi des poissons et les pêcheurs. Les
habitants qui vivaient dans les villages, noyés lors de la mise en service du barrage, viennent s’y
installer pour pêcher, vendre du poisson ou couper le bois immergé. Bien qu’il y ait un laisser-aller
au niveau de l’hygiène, le site fait vivre ses habitants et porte leur espoir d’une vie meilleure.
Malgré son air “ au milieu de nulle part ” et grâce à ses habitants, Ban Na Kheuane devient attractif
et humain, un lieu de sortie de fin de semaine pour les habitants de Vientiane.
Pourtant le site a un aspect un peu provisoire, vétuste et inachevé, conséquence de l’absence
d’unité sociale et de centralité qu’aurait constitué la présence d’une pagode, ajoutés à cet aspect, le
manque de gestion et de service, de salubrité et d’aménagement, puis le manque de projet et
d’organisation sociale qui existe dans tous les villages classiques de la plaine de la Nam Ngum.
Force est de constater que Ban Na Kheuane est le produit d’un déracinement. Ceci contraste si
fortement avec la qualité paysagère et climatique du site qui s’apprêterait sans difficulté et avec peu
de moyens à devenir un beau village balnéaire et de pêcheurs. Ce site offre en effet l’un des plus
beaux paysages du Laos. Avec le temps, un nouvel ensemble de biodiversité s’est reconstitué : les
oiseaux chasseurs, les plantes aquatiques et la qualité de l’eau –prolifiques pour la pisciculture.
Cependant, la beauté et la qualité du milieu n’ont pas suffi à la prise de conscience d’un territoire
paysager et environnemental exceptionnel. Le site n’a pas été identifié pour sa véritable valeur, ni
par l’Ancien Régime, ni par le nouveau.
D’une modeste station de pêche et de petits chantiers navals sous l’Ancien Régime à
l’exploitation des bois subaquatiques et à l’expérimentation de la pisciculture dans les années 1980
157 La cuisine est aménagée sur le pont du bateau à ciel ouvert ou dans la “ salle des machines ”. La cabine de pilotage et
d’habitation est située en arrière car la partie centrale, qui est la plus grande, abrite les voyageurs ou bien sert pour les
marchandises transportées. Dans la petite cabine, on dort sur des matelas de coton ou de kapok ou sur le plancher tapissé
de nattes. Au grand désespoir pour l’hygiène et l’environnement, les toilettes sont installées sur l’arrière du bateau en
porte-à-faux et les eaux grises sont jetées directement dans le lac. La couverture est en tôle plate supportée par une
charpente et des planches en bois légèrement courbées. On trouve rarement des couvertures en paille et en bambou tressé.
Les bateaux anciens dont les toitures en osier sont enduites de résine d’arbre, ont disparu depuis bien longtemps. De
manière systématique, la forme des bateaux est allongée, effilée et celle de la coque reste traditionnelle, utilisant le
principe des trois planches des pirogues. Leur taille est variable, entre quinze à trente mètres de long, et pouvant atteindre
4 mètres de largeur.
158 Le nombre des occupants dépasse rarement six personnes. Il ne s’agit pas d’habitation principale mais de boutique –
habitable, où seulement le jeune couple passe les nuits en se relayant avec les parents. N’étant pas destinée à la navigation,
toute au plus au déplacement d’un bout à l’autre du petit port, la maison-radeau est une plate-forme carrée, organisée en
quatre unités fonctionnelles : dormir, accueillir, travailler, servir. La communication entre ces espaces est fluide et
complètement ouverte sur l’extérieur. L’accès à la maison-radeau se fait par une passerelle flottante flanquée sur son côté
qui sert également de point d’appontage aux pirogues faisant la liaison entre les îles. L’ensemble est supporté par des
flotteurs en tube métallique. La production est totalement locale et auto-construite qui coûte environ 1500 dollars.
Fig. 15. Ban
Naheuane en
2006.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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et 1990, puis à la tentation d’activités touristiques actuelles, le site risque aujourd’hui de disparaître
dans sa configuration actuelle. En effet, un projet de complexe touristique avec hôtels, villas de luxe
et casino propose de déloger tous les habitants et la destruction du village, et par conséquent des
maisons lacustres. À la grande surprise, même s’ils ne peuvent pas s’opposer au projet, les habitants
expriment leur mécontentement. Au-delà du choix et de l’intérêt individuel, on remarque
manifestement un sentiment communautaire d’attachement des habitants au site, ceci, semble-t-il,
expliquerait l’existence d’un nouveau type d’enracinement bien différent du schéma classique de la
cohésion sociale et de la centralité constituées et consolidées autour de l’espace religieux du
monastère, comme dans un schéma prototype des villages laotiens. Cet enracinement se serait alors
fondé sur un espace, un lieu que les habitants se seraient appropriés parce qu’ils ont participé à la
fois comme acteurs et spectateurs au cours de sa constitution et de son évolution. Ils auraient été
témoins du mode de vie qui s’était instauré autour du lac, des contraintes et des facilités qu’il avait
engendrées.
II. II. b. La convergence et la centralité sociale
La centralité spatiale entraîne ensuite une centralité sociale. La construction d’un monastère
met en perspective non seulement l’appropriation d’un lieu, mais aussi la volonté de cohésion
sociale. Nous pouvons comprendre ce fait en observant ce qui se passe dans les nouveaux quartiers
qui se constituent autour de Vientiane, avec ou sans planification officielle. L’exemple de Ban
Nong Tèng nous donne quelques aperçus. Vers la fin des années 1990, les habitants qui ont été
déplacés du quartier Nong Chanh, ajoutés à ceux qui viennent d’autres quartiers insalubres et ceux
qui décident de venir vivre dans leurs anciennes rizières ou leurs anciens jardins, forment les
nouveaux habitants de Ban Nong Tèng d’aujourd’hui. Dans les premières années, le village
ressemblait à un campement provisoire, bien que les maisons se construisaient petit à petit. Les
relations sociales entre les gens venant de différents lieux semblaient fragiles, se référant sur rien.
Les souches anciennes que l’on appelle konh peuil thann y manquaient alors pour faire le lien entre
les nouveaux arrivés, et le lieu faisait défaut pour la construction de l’espace. C’est un quartier
dortoir et pauvre où les habitants doutaient de la pérennité de leur installation. Lorsque l’on
évoquait le village avec les habitants, ils avaient tendance à dire que : « il y a trop de vols dans le
village, il n’y a pas de travail, les jeunes n’ont rien à faire. Nous sommes obligés de venir chercher
du travail en ville, mais il n’y a pas beaucoup de bus qui desservent la zone… ». Un membre du
clergé a fait remarquer à juste titre lors d’un colloque en 2002159 qu’il faut faire attention lorsque
l’on déplace la population d’un lieu vers un autre, ou vers un nouvel établissement « dépourvu
d’âme », car chaque lieu doit avoir un esprit pour être habitable. Le bien-être de l’homme et de sa
société en dépend, précisait-il. Sa remarque faisait allusion à la nouvelle implantation de Ban Nong
Tèng, où il avait vu chez les habitants une certaine détresse, dans un lieu qu’il qualifiait “ sans
âme ”.
Peu après, l’installation du marché sur la grande route à l’extérieur du village, les habitants
se plaignaient toujours, mais beaucoup moins, car ils pouvaient venir vendre des produits, en
acheter, ou y chercher du travail. Mais c’est avec la construction d’une pagode cinq années plus tard
que le village commence vraiment à “ se vivre ” et à avoir une certaine identité. Une des raisons
visibles était que la population commençait à se connaître en faisant des démarches et des réunions
pour préparer la construction et l’installation de la pagode : mobilisant contributions, dons et bonnes
volontés organisant des boun auprès des autres villages pour collecter des fonds. Cette démarche
dure plusieurs années, car la pagode ne peut être construite en une seule fois. Et c’est précisément
durant cette période où l’on construit petit à petit selon les fonds disponibles que les habitants se
159 Colloque : « Vientiane, patrimoine et développement », organisé par l’Atelier du Patrimoine - IRU au MCTPC en
2002. Le vénérable était l’un des quatorze bonzes invités au colloque. Il représentait le responsable de l’UBL de la
préfecture de Vientiane.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Fig. 16. Le
Bureau du
Premier
Ministre.
sociabilisent et consolident des liens. Ils se créent en quelque sorte des racines : le premier boun
organisé pour ramasser des fonds, puis le deuxième, la pose des baï sema (stèle délimitant un
sanctuaire) et des premiers poteaux, la construction du premier kuti pour les moines, etc.
II. II. c. Du modèle d’architecture au pastiche architectural
L’influence de l’architecture religieuse sur les édifices domestiques et sur les équipements
publics est grandissante. C’est la forme des pignons, de la toiture à double pente tombante et
couvrante, parfois superposée, qui est la plus reprise par les édifices publics, puis les décors
architecturaux des monastères et leurs dorures. Quant aux monuments, en particulier les monuments
commémoratifs, on retrouve de manière redondante le langage architectural et architectonique des
stupas. L’influence de cette architecture est de l’ordre de l’image et de la représentation.
L’architecture publique ancienne de la capitale ayant disparu (celle qui aurait incarné avec élégance
et harmonie les symboles et la représentation du pouvoir, celle qui aurait constitué les résidences
princières, les palais et les chapelles royales) seule l’architecture religieuse subsiste. Sachant que la
nature du pouvoir politique par le passé a été liée au pouvoir religieux, l’architecture religieuse
serait alors le rapprochement probablement de l’architecture publique du passé. Elle aurait donc été
en conséquence la seule référence en tant que représentation et savoir. Cependant, l’architecture
religieuse et son vocabulaire utilisé dans les équipements publics contemporains perdent tout leur
sens, car constitués et produits dans une composition architecturale servant des fonctions
différenciées, dans une société et dans un contexte social et économique différent. En empruntant à
l’architecture religieuse, son langage, les équipements publics actuels sont vides de sens. Aux
questions : “ quelle architecture pour les équipements de l’État ? Quelle architecture pour l’État ? ”
que le pouvoir public se pose, la réponse semble avoir été toute donnée à travers la construction du
palais du gouvernement ou le siège du gouverneur de la Préfecture de Vientiane, où un mimétisme
du vocabulaire architectural monastique est flagrant, combiné avec l’avatar de l’architecture grécoromaine.
Pour certains équipements publics, tels que les monuments aux morts, le sens est préservé,
bien que celui-ci ait pu être remis en doute dans certains détails. Prenons le cas du parc
commémoratif Virasonh au Kilomètre 18. Progressivement 20 000 petits stupas devraient être
construits dans le parc. On peut se poser la question, pourquoi les monuments n’avaient-ils pas une
autre forme. En adoptant les stupas, le pouvoir semble faire le choix délibéré du bouddhisme
comme alternative, auquel tous les révolutionnaires, morts pour la patrie, auraient adhéré. Pourtant
la constitution de la RDPL (de 1991) n’affirme pas l’exclusivité de cette religion et mentionne que
« l’État respecte et protège les activités légales des pratiquants de la religion bouddhique et des
autres religions […] » (art. 9). Les années de transition n’ont pas apporté de nouveautés de ce point
de vue. Plus qu’un compromis, le cas du cimetière Virason montre que le parti-État laotien prescrit
le bouddhisme comme une dévotion collective, sans prendre en compte la diversité des croyances
des minorités ethniques. Le monument du Patouxay (l’arc de triomphe, à l’origine nommé
Anousavary) est plus dégagé de l’idéologie bouddhiste par rapport aux édicules du cimetière
Virason : les décors architecturaux que nous retrouvons habituellement dans les monastères sont ici
représentés, mais ils sont nourris davantage de mythologies.
II. II. c. 1. Qu’en est-il du modèle d’architecture et de transmission des savoirs de l’espace
religieux ?
L’influence de l’architecture religieuse sur la production architecturale contemporaine que
nous venons d’évoquer acquière une forme particulière. C’est un mimétisme, un pastiche de
plusieurs composants formels qui dérivent de cette architecture, sans en être sa reproduction. Bien
que la raison pût être liée aux choix idéologiques, elle pouvait surtout être liée à la somme des rejets
esthétiques et culturels jugés comme appartenant à une classe sociale dirigeante du passé, et donc, à Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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la perte de transmission de son appréciation esthétique et culturelle. Induisant ainsi la somme de la
méconnaissance, la perte du savoir et du savoir-faire pour l’approcher et la produire.
En dehors de la production de l’habitation, si on est en mesure de concevoir que l’art et
l’architecture relevaient autrefois de l’éclectisme de l’élite, tant aristocratique qu’ecclésiastique et
intellectuelle, on pouvait alors penser que l’affaiblissement de la capacité de ces derniers à agir en
ce domaine peut aussi réduire, voire, entrainer la perte de la culture esthétique, de la connaissance et
du savoir-faire.
Effectivement, la discontinuité du pouvoir dominant au Laos était historiquement répétitive.
Ce fait a pu entraîner l’affaiblissement de l’élite qui perd son rôle directif, sa capacité économique
de commanditer, son pouvoir de commander et d’exiger de la qualité, sa disponibilité et son savoir à
guider et instruire les commandes et les arts, etc. Plus accentuée encore, la disparition de l’élite par
le changement de modèle, de schéma et de valeur sociale et politique du pays, peut induire une
nouvelle élite avec une capacité altérée par rapport à son rôle d’origine et historique. Durant la
colonisation et surtout après la décolonisation, le Laos ne cesse de tenter de produire une élite
capable de mener le pays. Mais cette élite nouvelle, non sans qualité, avait des compétences
fragmentées : des ingénieurs illettrés, des politiques ignorant l’histoire, des enseignants ne
pratiquant pas la recherche, des dirigeants traditionnels que sont les rois et les princes pouvaient
aussi connaître le déracinement. N’étant plus capables de mener les hommes, les dirigeants
politiques et spirituels auraient connu une transition sociale, leur appréciation esthétique aurait
connu une altération en même temps que l’altération de la connaissance et du savoir-faire. De ce
fait, cela entraînerait alors l’altération des ouvrages architecturaux des monastères, l’altération de
l’éclectisme et du canon de l’architecture religieuse et donc de la qualité architecturale de ce
programme.
L’étude typologique et analytique de la pensée de l’architecture religieuse, ainsi que sa
fabrication n’a pas été effectuée de manière distanciée. Phetsarat et les lettrés des années 1930-1940
avaient tenté de corriger ce que nous venons de constater : connaître et transmettre les savoirs et les
savoir-faire de ce qui reste, à travers les actions de l’association Chanthaboury qu’ils avaient fondé.
Mais la tâche était ardue, des ruptures étaient nombreuses et irréversibles, malgré la connaissance et
le savoir-faire que l’association avait pu rassembler et transmettre, notamment à l’école des BeauxArts.
Ce savoir n’a pas été largement répandu dans le milieu des arts appliqués et des professions du
bâtiment des générations qui ont suivi, et ce, jusqu’à aujourd’hui.
II. II. c. 2. La place des monastères : de la centralité cultuelle et culturelle à la centralité du
discours
Alors que l’architecture des monastères est mimée dans la construction des équipements
publics et des monuments, sans la connaissance et le savoir-faire nécessaires et vide de sens, le
monastère perdure malgré tout dans sa capacité à rassembler. Le prestige et l’excellence ont quitté
le domaine de la centralité spatiale pour être relégués dans un domaine social plus chargé. La
répartition fonctionnelle accrue des espaces urbains, induite par les nouveaux plans urbains et leur
mise en œuvre, place l’institution monastique parmi les autres équipements. Les liens autrefois plus
institutionnalisés entre la communauté laïque et l’ordre monastique avec un devoir spirituel fort,
sont devenus plus individualisés. Le contact entre l’individu et le religieux est, aujourd’hui, plus
direct et plus libre. Le phénomène de réciprocité d’influence entre les deux parties est alors flagrant.
L’emprise matérielle, et dans l’autre sens, l’emprise spirituelle est devenue plus importante. Un
individu peut exercer un pouvoir sur le monastère par les dons prodigués. À l’inverse, un religieux
(grand vénérable du vat) peut aussi avoir une emprise très grande sur l’individu par son discours, sa
capacité à le contrôler psychologiquement, le rendant dépendant de lui. C’est souvent ce rapport qui
construit la respectabilité et l’idolâtrie d’un religieux. La recrudescence de la liberté des cultes rend
visible le vide spirituel que la population a pu éprouver durant les années autoritaires du régime. La
centralité cultuelle et culturelle, le rôle de l’espace, des arts et des connaissances des monastères
d’autrefois sont aujourd’hui remplacés par la centralité du discours, glanant la psychologie de la Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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société en quête de consolation et de foi. On dit par exemple que le moine de telle ou telle pagode
est fort (sous-entendant qu’il parle bien, voire, qu’il possède des pouvoirs quasi-surnaturels) et c’est
pour cette raison qu’il draine tant de monde et de soutien dans sa paroisse. De ce fait, la centralité
des monastères est liée aux prestiges et à l’excellence des religieux. Elle n’est donc plus
géographique ou spatiale : on peut aller à la recherche de monastères très loin de la ville. C’est
probablement ainsi aussi que des immenses pagodes se construisent en dehors de la ville, dans la
montagne et dans des sites reculés, avec des moines prestigieux et une “ clientèle ” également
prestigieuse. On ne s’étonnera pas lorsqu’on visite le nouveau monastère de Ban Na Hinh à Phu
Khao Khouay et des parrainages qui s’y bousculent. Ce prestige traverse les frontières (des cars
entiers de Thaïlandais viennent pour effectuer des fêtes religieuses et des dons) et décomplexifie les
préjugés politiques : les plus récalcitrants opposants du régime, qui vivent à l’étranger, viennent
faire des dons et des retraites dans ces monastères.
Conclusion
Les centres anciens ou historiques –qu’ils soient “vraiment anciens” ou simplement ayant
des composants antérieurs aux composants spatiaux en cours de formation, qu’ils occupent
physiquement ou socialement, une position centrale–, sont des lieux de sédimentation. Le processus
de formation et de transformation de ces sédimentations peut être confondu à la formation des
principaux composants spatiaux de la ville, de l’urbain et du cœur de la ville elle-même ainsi qu’à
leur sédimentation, tant sociale que spatiale. La sédimentation étant un phénomène d’enregistrement
et de mémoire, la société et les hommes qui s’y réfèrent, la considèrent comme la sédimentation de
leur propre mémoire et la bâtissent comme le symbole de leur passé et de leur avenir –leur identité :
c’est la construction du patrimoine et c’est son sens véritable.
En examinant ce que représente le patrimoine pour les Laotiens, les différentes notions
(pratique, matérialité, valeur et symbole, mythe et théorie, etc.), le cheminement de la prise de
conscience et le discours du patrimoine, on constate qu’il y a une interactivité et une dualité
importante entre la nécessité de mémoire et la nécessité de développement –fait, non isolé de
l’histoire particulière autour de la question identitaire et politique du pays. Cette dualité se traduit
par un dialogue et un choix difficile de la gouvernance dans la mise en œuvre de sa politique de
préservation et dans sa stratégie de développement : les “éléments de sédimentation” basculent entre
altération et recyclage. Dans ces deux cas, cela met en évidence le manque de volontarisme et de
modèle de développement de la gouvernance devant l’enjeu spatial, socioculturel et économique en
cours.
Corollairement à la question de centre, les monastères se révèlent comme une centralité
persistante dans les villes laotiennes. Ayant une centralité urbaine et sociale forte dans la majorité
des cas, les monastères émergent aussi comme un modèle d’architecture pris dans son vocabulaire
architectural fragmenté et décomposé. Ceci préfigure-t-il une centralité altérée ou une nouvelle
forme de centralité ? Pour tenter d’y répondre, nous avons pris en exemple un cas de figure. Il
illustre le fait que des nouvelles centralités ou d’autres formes de centralité réapparaissent dans les
villes laotiennes, autour de la question des activités et de l’appropriation des lieux : centre
commercial, lieux de loisirs, appropriation particulière du lieu, etc. La question de centralité
particulière des villes laotiennes qui tourne souvent autour de l’espace religieux quitte probablement
désormais le champ religieux pour rejoindre peu à peu la centralité urbaine plus générale.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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CHAPITRE III
La constitution et la recomposition de la ville et du territoire
Après la réforme de 1986, les retombées économiques et spatiales sont considérables. Elles
constituent les enjeux dans la crédibilité politique de l’ouverture du pays vis-à-vis de l’international,
mais aussi vis-à-vis de la recomposition spatiale et sociopolitique interne. Autrement dit, son
émergence sur la scène internationale lui impose peu à peu une reconstitution et une recomposition
de son territoire interne.
La recomposition urbaine et territoriale d’aujourd’hui est lisible à travers plusieurs faits et
domaines : spatiaux, symboliques, économiques, politiques. Nous exposons dans ce chapitre les
différents points qui ont mis en évidence la recomposition spatiale.
D’abord, nous exposons le processus du retour des symboles qui exprime la volonté du
régime d’inscrire les changements dans la logique de la réforme, en même temps que sa
légitimation dans la continuité historique du pays. La volonté de continuité historique, qu’elle soit
ou pas effective, entraîne un regain des espaces représentatifs – qui constituent une part de l’histoire
sociale et spatiale – que sont les centres historiques des villes.
Nous aborderons également la question de la production architecturale et urbaine qui
explicite la vision politique, spatiale et économique de la société laotienne et de ses gouvernants.
Nous examinons ensuite le rôle de la population dans la recomposition spatiale. Comment
construit-elle ses approches vis-à-vis de la question des espaces habités dans la ville et son centre
recomposé. À cette question s’y ajoute le phénomène du foncier, qui apparaît dès lors que la
question d’appropriation et de choix résidentiel se pose. Cette appropriation et ce choix résidentiel
mettent alors en perspective un autre phénomène spatial qui montre d’une part la saturation des
centres et d’autre part, la classification qualitative et d’intérêt du choix résidentiel, de travail et de
fréquentation. Il s’agit de la constitution des espaces urbains dans les quartiers autour des centres
villes (péricentre), en périphérie des villes (péri-urbain) et éparpillés dans ou autour des villes
(polycentre).
Nous tentons de comprendre comment ces recompositions ont été contrôlées par le pouvoir
politique. Quels outils de développement, de gestion et de maîtrise spatiale la gouvernance urbaine
et territoriale a-t-elle mobilisé ? Enfin, nous tentons de repérer les acteurs sociaux et économiques
directs, autrement dit, le rôle composite des investissements, de la migration et de la citoyenneté
dans la recomposition de la ville et du territoire.
III. I. Le retour des symboles à partir de l’année 2000
La concomitance entre modèle politique et modèle spatial, qui faisait la cohérence du
pouvoir et de l’espace ancien, s’est résolument désintégrée aujourd’hui. Les idéologies politiques
actuelles se retrouvent sans modèle spatial. Cela est lié à l’expérience antérieure dans les années
1975 et 1980 du nouveau régime. Celui-ci a tenté de spatialiser son idéologie parallèlement à la
recherche de ses symboles. Mais cela a été un échec. La tentative de créer son propre espace s’est
soldée par des mimétismes formels et des emprunts linguistiques qui ne peuvent incarner avec Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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satisfaction l’identité du nouveau pouvoir. Nous allons voir en détail ce fait dans la troisième partie
de notre recherche.
Pourtant, il était clair pour le nouveau régime que la construction de l’espace en cohésion
avec l’idéologie du pouvoir mis en place est un moyen de consolidation du système politique qu’il
ne fallait pas rater. Force est de constater que la victoire politique du nouveau régime ne pouvait
être légitime, avant que ne soit acquis le renversement de l’ancien. La victoire n’était pas
accompagnée par une adhésion volontariste de la population, mais par un dictat autoritaire, ceci, au
regard de l’inscription du nouveau régime dans l’histoire nationale. Après avoir effectué des
compromis avec certaines réalités du pays (relâchement des cultes religieux, abandon du
collectivisme, instauration de la liberté de mobilité interne pour la population, accorder la librecirculation
interne des biens et des échanges, reconnaître le droit de propriété, etc.) qui s’exprimait
par la réforme, le Chitanakane mai, le gouvernement révise peu à peu ses idéologies. Sans en
changer le fond, le PPRL met en place un programme de réconciliation avec les symboles du passé
qu’il combattait au départ. À partir des années 2000, la réalisation de ce programme va se traduire
de manière visible dans l’espace urbain.
Deux points essentiels ont qualifié le retour des symboles anciens. Il s’agit d’abord de la
réalisation des grands projets qui marquent le retour du prince ou de son avatar. Il s’agit ensuite de
la ramification spatiale aux valeurs identitaires et de rassemblement qui suscite en même temps une
valeur citadine.
III. I. a. Le désir de légitimation du régime : le retour du Prince ou de son avatar
III. I. a. 1. Les symboles pour réaffirmer la légitimité
Avec l’édification du buste de Kaysone Phomvihan dans tous les districts du Laos, dans la
première moitié des années 1990, le culte de la personnalité est l’étape préliminaire de la
construction identitaire et symbolique du régime dans l’histoire nationale et dans l’espace. La
spatialisation idéologique en question s’impose à la mémoire du peuple sans avoir acquis la
légitimité historique et identitaire nécessaire : la preuve en est que l’installation du buste n’a pas été
accueillie avec grand enthousiasme, c’était même avec une discrète indifférence. L’opinion
officielle dialogue ainsi seule avec elle-même. A partir de l’année 2000 l’utilisation des symboles
ou les actions entreprises pour se rapprocher de l’histoire, se fondre en elle, acceptées comme elle
dans la continuité nationale, se clarifient davantage dans la politique du régime.
Vers 2005, c’est la statue du roi F’a-Ngoum qui est créée et installée dans le jardin de
l’entrée nord de la ville. Cette fois-ci, la statue fait de l’effet sur la foule. Peu importe les traits
physionomiques de la statue, peu importe l’intention politique du pouvoir, ce qui semble important,
c’est ce que cette statue représente. La mise en œuvre de ce symbole historique fort, qu’est la statue
du fondateur du Lan Xang, a été mûrement réfléchie par le pouvoir. Elle réchauffe le cœur du
peuple avide de retrouver le sentiment de fierté nationale, au sortir d’une période difficile, où le
pays est qualifié d’un des plus pauvres du monde, sollicitant les aides internationales. L’image de
F’a-Ngoum parle au peuple. Pour lui, elle raconte son histoire parmi les plus brillantes des nations.
Elle explique aussi au peuple que le régime, qui a plus que cautionné l’installation de la statue, est
réconcilié avec son histoire et s’inscrit dans la continuité de l’histoire.
En 2010, c’est un autre roi qui sera mis sur un piédestal, avec la construction du Parc
Anouvong et l’érection de son immense statue. Le pouvoir entame un autre dialogue avec le peuple,
celui du nationalisme, corrigeant le fait qu’il n’avait pas pu le faire en usant l’idéologie marxisteléniniste.
Le langage nationaliste et les combats engagés par le passé durant les trente années de
lutte révolutionnaire n’avaient pas pu exprimer le sentiment national aussi fort et n’avaient pas su
susciter les passions individuelles, malgré les efforts déployés. Ainsi pour susciter les passions, il
fallait aller chercher la figure de ce roi martyr. Si ces rois ont été érigés ainsi, c’est parce que leurs
images ultérieures réinterprétées peuvent incarner l’esprit révolutionnaire, tel que le pouvoir le Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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conçoit. Mais personne ne semble oublier qu’il y a là un paradoxe : d’abord ces rois appartiennent à
l’histoire mais aussi au système sakdina, et pour exister aujourd’hui sur la place publique, ils
doivent être dépouillés de leur appartenance sociale et arrachés à leur temps historique. Ensuite tout
en appartenant à l’histoire, ils sont légitimés par leur appartenance sociale avant même d’exister
dans l’histoire événementielle. Ils existent ainsi par eux-mêmes. C’est probablement cela au fond
qui fait que leur image dépasse la manipulation idéologique du moment et participent à la
construction de l’espace public de la cité avec aisance. Pour l’heure, si la continuité des dirigeants
actuels avec les anciens monarques du Lan Xang est possible, la construction de ces symboles est
pourtant réalisable, ceci, parce qu’il y a un compromis du temps, celui d’une époque et d’un peuple
avide de symboles et de sens.
III. I. a. 2. L’aristocratisation de la classe dirigeante
À ces initiatives, ni la religion, ni le protocole ancien n’ont été mis de côté. Il y a un retour
fort des rites religieux dans les cérémonies offielles de l’État, et les apparitions publiques des
personnalités de l’État se sont aristocratisées. Les dirigeants révolutionnaires participent désormais
officiellement aux cérémonies religieuses lors de la fête du That Luang. À n’importe quelle
inauguration où la fête religieuse est de rigueur, on montre maintenant à la télévision les hauts
dirigeants en position de prière devant les moines bouddhistes avec des objets rituels et des atours
adéquats : tenues et écharpes en blanc lors de l’inauguration du chantier de Lak muang et lors de la
quête des bonzes pour la fête du That Luang. Par bien des aspects, les gestes, les postures, le
langage, tenus par les hauts membres du pouvoir, se rapprochent des gestes aristocratiques usités
par les hauts dignitaires de l’Ancien Régime. Ce fait contraste encore beaucoup avec les réunions
politiques au siège du PPRL et à l’Assemblée nationale, où les uniformes et les étiquettes de la
hiérarchie du parti sont encore de rigueur.
Il est probablement trop tôt pour saisir la transformation sociale et politique en cours. On
peut seulement se poser la question d’un phénomène de “ dédoublement de la personnalité sociale ”
chez les dirigeants politiques qui se prennent au jeu avec l’intégration des rois dans les valeurs
révolutionnaires ; ou, s’il y a une vraie transition sociale par l’embourgeoisement et
l’aristocratisation de la classe dirigeante qui emprunte à l’aristocratie ses gestes, son vocabulaire et
sa manière d’apparaître en public.
III. I. a. 3. L’effet du prince ou de son avatar dans la réalisation des projets
Il apparaît inapproprié d’évoquer “ l’effet du prince ” lorsqu’aucun organisme ni aucun
projet mécénat –privé ou étatique– n’a vu le jour. Il n’est pas apparu au Laos aujourd’hui de
groupement d’élites soutenant les arts et la création. Le pays n’a connu ni la tradition de mécénat
d’État à la française, ni la tradition de mécénat privé à l’américaine. La tradition locale du “ bon
goût du prince ” a depuis longtemps disparu avec la disparition du Laos ancien, bien avant la
colonisation française.
Avant de pouvoir qualifier ou pas “ d’effet du prince “ les projets publics, réalisés ces
dernières années, définissons brièvement ce qui peut se rapprocher de “ l’œuvre du prince ” dans la
perception historique laotienne de la production architecturale et urbaine.
Comme nous l’avons noté dans un autre paragraphe, le plus marquant projet du prince était
l’ensemble monumental du That Luang et le dernier projet était le Vat Sisaket. Dans le premier
projet “ l’effet du prince ” est incarné par le lien du that avec le courant de production artistique de
son temps et avec la région entière où un échange incontestable avait dû avoir lieu entre les
pouvoirs. Il est incarné aussi par son caractère incontournable, la nécessité de son existence : on ne
peut imaginer ce site proéminent dans l’ancien parc royal avec une autre construction que ce grand
that. La construction du monument rassemblait les efforts du peuple, ses aspirations dans la longue
durée. Elle rappelle la générosité du prince et sa foi : l’homme aspirait atteindre l’état supérieur et
extérieur, le nirvana.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Il est de même pour le projet de construction du Vat Sisaket du roi de Vientiane. Fondu
dans le contexte et la nécessité de son temps, le projet semble avoir été construit dans l’esprit de
sacrifice et de modestie, de liberté et de sincérité. Vers 1815, le pays était pauvre tiraillé par un Daï
Viet agressif et un Siam dominateur auxquels le royaume de Vientiane de Chao Anouvong devait
payer lourdement des tributs.160 Sous le Padésaraj du Siam, toute construction au Laos devait avoir
l’aval du suzerain de Bangkok, y compris les projets royaux. On peut imaginer alors que la
construction du Vat Sisaket a dû être réalisée dans des conditions politiques et économiques
difficiles.
Répondant à ces aspirations les œuvres construites en portent les marques et touchent ceux
qui avaient fait des dons et participé à leur construction. Les conditions et la nécessité, que nous
venons d’évoquer, contribuent-elles à « la beauté inoubliable des ouvrages » ? En tout cas, “ l’effet
du prince ” n’est pas seulement visible dans la composition de l’esthétique des édifices. Au-delà de
la description architecturale, formelle et esthétique de l’art et de l’architecture patronnée par
l’aristocratie, la beauté semble ici demeurer attachée à l’impalpable condition et nécessité de leur
construction.
Les grands projets d’aujourd’hui marquent indéniablement “ effet du prince ”, dans leur
grandiosité. Cependant, les impalpables nécessités manquaient pour en faire des projets chargés de
sens et de symboles. La surcharge d’images, de langages, des espaces inutiles, n’allant pas à
l’essentiel, condamne ces projets à rester dans la mégalomanie. Ils ne peuvent traverser le temps
qu’ils sont censés servir et représenter. Comme le prince, les commanditaires des grands projets
possèdent le pouvoir politique et économique de commanditer, mais à la différence du prince, ils ne
possèdent pas l’essentiel : la capacité de les rendre nécessaires et incontournables, inoubliables. On
se souviendra encore dans des centaines d’années à venir de l’architecture monumentale du XVIe
siècle incarnée par le That Luang. On se souviendra de l’architecture religieuse du XIXe siècle à
travers Vat Sisaket et son constructeur. Mais qui se souviendra des “ œuvres ” du début du XXIe
siècle, du palais du gouverneur de Vientiane ou du complexe des bureaux du Premier Ministre
construit en 2009, pourtant grandioses, coûtant cher à l’État ? Il n’y a donc pas le retour du prince,
mais seulement la naissance de son avatar.
III. I. b. La ramification spatiale aux valeurs de rassemblement et aux valeurs
citadines et identitaires
Mise à part l’édification des statues d’anciens monarques, leurs illustres noms ainsi que les
événements historiques majeurs sont associés aux lieux et aux équipements publics : l’hôpital
Setthathirat, les 450 ans de la fondation de Vientiane donnant le nom à la nouvelle route qui relie la
N13 Nord et la route de berge de Dong Phosi et au nouveau marché qui longe le boulevard Khun
Bourom. En ce qui concerne l’événementiel, il y a eu les 25e SEA-Games en 2009 et en 2010 de la
grande fête inaugurant les 450 ans de la fondation de la capitale. Mise à part le désir de modernité et
de son intégration dans l’ASEAN, ces événements ont pour but de susciter le rassemblement de la
population autour d’une valeur nationale et de montrer au monde que le peuple laotien est uni
autour de son Parti-État qui possède des valeurs nationales légitimées, et ces valeurs de
rassemblement sont là pour consolider le peuple au parti-État de façon durable. C’est surtout en
s’appropriant des espaces publics et des lieux sensibles et symboliques que la valeur de
rassemblement prend toute son ampleur. De fait, les places publiques, les lieux sensibles et
symboliques ainsi que les événements, non seulement rassemblent, mais suscitent aussi une certaine
160 Les princes de Luang Prabang gardaient rancœur contre Vientiane pour les affronts commis quelques années
auparavant par le père de Anouvong ; affronts que celui-ci tentait de réparer en leur envoyant des bannakhanes (Acte
accompagné d’objets symboliques qu’un potentat envoie à un autre potentat, soit en signe d’allégeance, soit en signe
d’amitié. Pratique ancienne effectuée par les pouvoirs des royaumes tai.) Les princes de Champassak ne cherchaient qu’à
détrôner son fils qu’il avait placé à la tête de Champassak au prix de lourds tributs militaires payés aux Siamois durant les
guerres birmano-thaïes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Fig. 17.
L’espace public
de That Luang
valeur citadine qui apporte un changement significatif aux paysages urbains et aux rapports entre
l’habitant et sa ville. Une certaine identité locale émerge.
III. I. b. 1. L’appropriation des espaces sensibles et des espaces symboliques
L’appropriation des espaces sensibles par des projets publics atteint directement le
quotidien des habitants, leur pratique et leur vision des lieux, leur projection et leur mémoire
individuelle et collective. Le pouvoir entame un double dialogue : d’un côté, il y a le dialogue entre
le pouvoir et le peuple, et de l’autre, entre l’habitant et le gouvernant gestionnaire de la ville. Le
premier dialogue agit sur l’univers politique et idéologique recadrant la mémoire et orientant la
manière de penser du peuple dans l’axe voulu par le pouvoir. Le deuxième est une intervention dans
l’univers du quotidien, répondant réellement aux besoins de l’habitant : lieux de consommation, de
loisirs, d’agrément, de représentation, etc. Et seuls les lieux les plus sensibles et symboliques
peuvent vraiment se prêter à ce double dialogue. À ce fait seule la capitale est concernée, parce
qu’elle est le centre du pouvoir et détient le monopole des actions de l’État. Il convient d’identifier
quels sont les espaces sensibles dont les contenus symboliques et spatiaux sont emparés par le
pouvoir public actuel.161 Les espaces sensibles existent dans leur immatérialité et dans leur
matérialité. L’immatérialité des espaces sensibles est liée à l’imaginaire historique et à la mémoire
des lieux et des habitants, elle constitue l’univers des pratiques spatiales citadines et forge l’identité
locale. En général, l’urbanisme moderne néglige de les interroger, parce qu’il ne possède pas de
paramètres d’analyse et de compréhension de ce champ, parce qu’insaisissable de l’extérieur.
L’univers local est formé de récits, d’anecdotes, de mythes et de légendes, mais aussi de vécus, tout
ceci coïncide parfois avec ce qui peut être confirmé par les annales historiques. Quant à la
matérialité des espaces sensibles, leur valeur est à la fois intrinsèque et construite. Ce sont des
espaces qui portent en eux la puissance symbolique de la mémoire et la qualité esthétique et
environnementale, les liens sociaux et parfois la fonction économique.
La puissance symbolique des espaces sensibles
Le site du That Luang et la berge du Mékong
Vientiane possède deux espaces symboliques : le That Luang et son esplanade, la berge du
Mékong et Don Chan. Le site du grand that a traversé les siècles et a été investi par un pouvoir en
quête de légitimation et d’intégration dans l’histoire nationale, alors que la berge et l’île en tant
qu’espace naturel et de paysages maraîchers, l’un des plus beaux de la vallée du Mékong, aux
potentiels symboliques forts, subissent un sort moins heureux. Un complexe d’hôtellerie et un grand
projet d’aménagement et de consolidation de la berge, accompagnés de la construction d’un parc
public urbain dédié à Chao Anouvong, défigurent et bouleversent déjà ce lieu.
Le paysage fluvial mouvant, qui guidait les premiers moments de la fondation de la ville et
qui accompagnait les trames urbaines ultérieures, disparaît avec la fin des activités maraîchères en
milieu urbain pour faire place aux nouveaux enjeux. Les intérêts politiques et économiques se sont
emparés du rapprochement opéré entre la ville et le fleuve. Le pouvoir est hanté par deux options :
consolider la berge, créer une avancée dans le Mékong et accentuer la figure de Vientiane comme
avant-poste face à la Thaïlande. La première option est un argument d’ordre historique : Vientiane
aurait déjà perdu sa rive droite aux Siamois, il ne faudrait pas perdre davantage la rive gauche par
les affaissements des berges. La seconde restitue et affirme le rôle de Vientiane dans sa fonction de
capitale face aux grandes villes thaïes au poids économique important que sont Udone Thani et
Khonkaèn. Les arguments sont pertinents et justifient les prérogatives des projets, même lorsque
ceux-ci entrent en contradiction avec le schéma directeur et les règlements d’urbanisme. Dans le
161 Cf., « Les espaces sensibles et les lieux patrimoniaux du développement urbain », Chayphet Sayarath, pp 441-451, in :
Vientiane, architecture d’une capitale. Traces, formes, structures, projets, sous la direction de Sophie ClémentCharpentier,
Pierre Clément, Charles Goldblum, Bouleuam Sissoulat, Christian Taillard, Ed. Recherches/Ipraus, Paris,
2010.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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domaine économique, le prix du foncier du front de berge a augmenté très rapidement et cela tend à
tirer le front de berge vers les activités uniques de services, de consommation et de commerce, ce
qui réduira dans l’avenir sa fonction de résidence.
Le jardin de Houa Muang
Le pouvoir a récupéré l’entrée de ville où il y avait seulement la tête d’éléphant tricéphale,
figure des armoiries du roi Fa-Ngoum qui était devenu le symbole de la monarchie lao et le drapeau
national de l’Ancien Régime. Il était déjà aberrant que ce monument ait pu traverser les années
1975 sans être détruit. En érigeant la statue de Fa-Ngoum, le pouvoir actuel se relie à un passé
glorieux et lointain. Par la même occasion, l’Ancien Régime et la monarchie de la période récente
ont complètement été occultés du lieu, la tête d’éléphant tricéphale gardée devant la statue de FaNgoum
nouvellement érigée symbolise le Lan Xang lointain et ne renvoie aucunement à l’Ancien
Régime. Le pouvoir met ainsi un mot sur un symbole qui était resté jusque-là ambigu, du fait qu’il
n’avait pas été détruit en 1975.
L’axe urbain Lan Xang et Patouxay.
La grande avenue Lan Xang a été structurée dans les années 1960. Bordée d’équipements
de grande envergure, elle symbolise la nouvelle figure d’un jeune État indépendant qui croyait au
progrès et au développement du pays. Le monument Anousavary a été construit également dans le
cadre de cette structuration. L’ensemble monumental n’a pas changé de fonction avec l’arrivée du
nouveau régime. Tout en demeurant le lieu de représentation du pouvoir, le nouveau régime a
cependant changé le contenu symbolique du monument. Dédié aux patriotes morts pour la patrie, le
nouveau pouvoir préfère en faire le symbole de la victoire. Ainsi, Anousavary, “ monument de
commémoration ”, devient-il Patouxay, “ porte de la victoire ” et représente ainsi la victoire du
PPRL sur l’Ancien Régime.
Le lieu de l’indifférence
Le Jardin Sri Savang Vong installé dans la pointe de jonction entre la rue Samsentaï et la
rue Setthathirat a été construit dans les années 1970. La grande statue de Savang Vong n’avait pas
été délogée de sa place. Le lieu a été préservé et embelli vers 1995 comme n’importe quel autre
jardin public. Bien entretenu, il est pourtant traité avec indifférence et quasiment considéré comme
annexe du Vat Simuang qui lui est adjacent. On remarque souvent des bougies, des cierges et des
fleurs déposés au pied de la statue, et au Nouvel An des habitants viennent l’asperger comme ils
arrosent les statuettes du Bouddha. Commémoration discrète des nostalgiques ou sacralisation
coutumière ? Difficile à dire. En tout cas, les Laotiens ont l’habitude de vénérer les morts surtout les
personnalités importantes – un roi, un prince, un grand moine. Ces morts peuvent devenir des
esprits sacrés, et donc vénérés.
La qualité esthétique et environnementale des espaces sensibles
La qualité esthétique et environnementale peut se retrouver dans différents éléments bâtis
du tissu urbain et de ses lieux : leurs compositions, leurs formes, etc. À l’échelle du bâti, les
bâtiments qui présentent des typologies d’architecture intéressantes et qui apportent de la qualité au
tissu urbain sont des espaces sensibles. La dynamique des parcours urbains née de la dualité
idéologique, symbolique et spatiale entre la trame ancienne (Berge-route Nong Bone-esplanade de
That Luang) et la trame moderne (esplanade de That Luang-Patouxay-avenue Lan Xang-Ho Kham),
la composition des quartiers de berge qui donne de la dimension fluviale à la ville avec le rythme
des crues et des décrues composent aussi l’espace sensible. La mixité fonctionnelle du bâti, la
modestie de leur échelle et de leur gabarit, la mixité et la proximité entre végétal et minéral, forment
un tissu et un paysage urbain exceptionnel. L’ambiance urbaine suscitée par les activités et le mode
de vie, par la pratique habitante inscrite dans le territoire, par le visuel, l’olfactif et l’auditif, celle
qui réveille les émotions et les sens, sensible et fragile, ne peut être construite et reproduite,
échappant aux outils urbanistiques. La couverture végétale dans les lieux publics, privés ou
Fig. 18. Le
fardin de Houa
Muang
Fig. 19.
Avenue
Lane Xang- Patouxay.
Fig. 20.
Jardin Sri
Savang Vong
à Simuang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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communautaires, les bois, les rizières, les grandes zones humides qui rafraîchissent l’air de la ville
et qui empêchent souvent les inondations, etc., ce sont autant d’éléments sensibles de la ville. De
même, les sous-sols de Vientiane – qui regorgent de vestiges archéologiques –, renferment son
passé.
Les fonctions économique et sociale des espaces sensibles
Les éléments que nous venons d’évoquer possèdent aussi des fonctions économiques et
sociales dans le sens où ils contribuent à l’organisation et au fonctionnement de la ville. Les canaux
sont habituellement utilisés comme rivière par la population. Dans Nam Passak, autrefois, on s’y
baignait et on y pêchait. Aujourd’hui, cette utilisation est menaçante pour la santé.
Les zones humides, tout en fonctionnant comme des bassins de rétention d’eau fournissent à
la population un lieu de vie : elle y récolte des plantes aquatiques, y pêche des poissons et des
grenouilles, même si aujourd’hui les eaux usées de la ville s’y déversent. Mais avant l’agression de
ces zones par une urbanisation sauvage et incontrôlée, les zones humides avaient leur capacité
d’auto-épuration. Les mares de That Luang et de Nong Douang étaient de beaux exemples du genre.
La ville qui s’étend, réduit les territoires ruraux et agricoles qui l’entourent. La zone
maraîchère de Done Chan qui fournissait de bons revenus pour ses exploitants et ses habitants n’est
plus qu’un souvenir. Chaque habitant de l’île gagnait en moyenne 280 USD par an, le quart retirait
entre 440 USD et 760 USD des ventes des produits,162 sachant que les activités maraîchères
n’étaient pas leurs seules activités. Le revenu moyen de 280 USD n’est donc pas négligeable
comparé au revenu moyen par habitant qui était, en 2003, évalué en moyenne à 320 USD. L’île
Done Xiengsou en amont du centre-ville qui reste le dernier bastion de l’activité maraîchère n’est
plus dans une situation sûre. Contrairement à Done Chan qui avait une liaison aisée avec la berge,
l’isolement de Done Xiengsou par rapport à la berge la protège pour le moment de l’engouement
foncier, car il faut s’y rendre en pirogue même à la saison sèche. Mais l’île est déjà visée par les
grands groupes d’investisseurs étrangers qui approchent l’autorité de la ville de Vientiane pour
d’éventuelles concessions de toute l’île. C’est probablement une question de temps et de moyens
proposés pour que l’île soit cédée en concession.
Du point de vue social, les espaces sensibles, dans leur variabilité, participent au maintien et
à la préservation de certaines valeurs, au travers des pratiques sociales attachées aux lieux. Il y a des
liens entre les communautés qui font des activités de pêche ou qui cultivent sur la berge et ceux qui
en consomment les produits. Les jardins des monastères étant à fréquentation publique, sont aussi
des terrains de jeux pour les enfants. Les activités religieuses quotidiennes et le bon entretien des
monastères reflètent l’harmonie entre le village et son monastère, la solidarité des villageois entre
eux.
Enfin, parmi les espaces sensibles, les marchés de proximité doivent être mentionnés. Ils
traduisent bien les habitudes de vie des habitants, leurs pratiques spatiales, leur santé économique,
leur culture alimentaire. Ils participent à la différentiation des quartiers et leur donnent une identité.
La question de pérennité des espaces sensibles dans la démarche de leur appropriation.
Le processus de développement, qui s’approprie ces espaces, conditionne la pérennité, la
survie et le devenir des espaces sensibles de trois façons majeures : les implications des projets
urbains et architecturaux, la démarche patrimoniale, la pertinence dans le choix du développement
en général. Sachant que le développement urbain se résume dans les premiers temps (à partir de
1995) à la construction et à la réfection des infrastructures routières, réseaux de drainage,
consolidation des berges, équipements et complexes, les projets ne sont pas précédés préalablement
162 Enquêtes réalisées dans le cadre des travaux de terrain de l’Atelier du Patrimoine en 2003. In : « Rapport d’étude de
l’Atelier du Patrimoine » ; in : Vientiane, portrait d’une ville en mutation, Chayphet Sayarath, Col. Les Cahiers de
l’Ipraus, Éditions Recherches, 2005.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’études et d’analyses de site, du point de vue social, paysager, esthétique et environnemental,
analyses qui auraient permis de prendre en considération les impératifs locaux. Les projets urbains
sont souvent des projets parachutes indépendant de l’environnement. Cela modifie de manière
irréversible les ambiances urbaines les plus qualifiantes.
L’extension et l’étalement urbain menacent les zones sensibles, que ce soit par le
développement progressif des habitations privées ou par la construction des équipements de grande
envergure. L’exemple de la construction du centre Lao ITEC, par exemple, agresse la mare de That
Luang et fédère d’autres projets du même type. La densification de la ville afin d’économiser les
coûts des infrastructures et des équipements est nécessaire. Elle doit se faire par resserrement du
bâti, par l’amélioration de la gestion parcellaire, le contrôle des permis de construire, une
réutilisation optimale des terres en friche ou en déshérence et des bâtiments vétustes. Malgré ce
constat fait dans les études urbaines (schémas directeurs, POS), les dispositifs n’ont pas pu être mis
en œuvre pour contrôler et accompagner efficacement le développement de la ville. On construit
parfois dans une parcelle déjà densément bâtie. On construit de nouveaux bâtiments remplaçant
d’anciens démolis, tout en surchargeant l’emprise au sol des surfaces bâties. Les surfaces plantées
diminuent alors considérablement.
La fragmentation et la répartition fonctionnelle par zonage proposées dans les plans urbains
sont à l’œuvre dans la plupart des villes laotiennes. Fonctionnel et rationnel équivalent à la
modernité, on cherche donc à séparer les fonctions : déplacer les épuipements et les administrations
à l’extérieur de la ville, fermer les marchés de proximité, etc. On ouvre des supérettes pour
distribuer les produits importés, contre quoi les produits locaux – notamment les produits
maraîchers de Done Chan – ont disparu du quai F’a-Ngoum.
La minéralisation complète des canaux et la négation de leur usage comme rivière
entraînent leur dégradation environnementale. Leur monofonctionnalité en tant que canaux
n’exploite pas pleinement leur capacité et ne s’adapte pas à leur usage par certaines populations qui
vont encore y pêcher. On voit que le mauvais usage des ressources peut être une menace pour la
santé de la population.
Dans leur ensemble, l’appropriation des espaces sensibles par les projets de développement
urbain et économique n’a pas été faite dans un esprit d’intégration pour le maintien de la qualité de
l’espace de la ville, pour la conservation d’une meilleure cohésion sociale, pour assurer une
amélioration économique à l’échelle de l’habitant et des foyers locaux. Il semble que les autorités
publiques n’ont pas su relier les intérêts locaux aux processus d’internationalisation et de
macrosystème à l’œuvre.
III. I. b. 2. Le nouveau lak muang de Samneua et les that de Oudomxay et de Luang Namtha,
une identité retrouvée
À partir des années 1995, des projets de réalisation de plans de ville ont commencé à être
mis en œuvre dans tout le Laos. À terme, les plans de développement urbain163 des petites villes et
des villes moyennes doivent être réalisés. La capitale et les villes secondaires sont soumises à des
programmes spécifiques et prioritaires. Les villes petites et moyennes ne possédaient pas
jusqu’alors de plan détaillé, ni de programme de développement. Lorsque certaines d’entre elles
étaient munies des plans en question, elles avaient fait l’objet de restructuration importante en
particulier avec le programme d’équipements publics : construction de nouvelles routes de liaison et
163 L’Institut des Transports et des Travaux Publics (depuis 2008), anciennement Institut de Recherche en Urbanisme
(entre 1999 et 2007) et Institut des Études Techniques et Urbaines (entre 1987 et 1999) est chargé de réaliser des relevés et
des plans de développement urbain. Actuellement les plans des petites villes ne sont pas prioritaires mais restent des
objectifs futurs, sauf lorsqu’il y a une demande du pouvoir local. En ce cas, celui-ci doit émettre sa demande au
gouvernement central qui confiera la charge à l’Institut tout en lui attribuant un budget spécifique. Pour certaines villes
moyennes, les études et les réalisations de travaux sont en partie achevées, pour d’autres elles sont en cours. Pour les villes
secondaires, les études sont achevées et certains volets du programme des travaux le sont également.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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réfection de celles qui existaient, construction des bureaux administratifs des provinces et des
districts, marchés, écoles, dispensaires ou hôpitaux. Mais la majorité des plans urbains obéissaient à
une forte répartition fonctionnelle par zonage et à un souci exagéré de “ fonctionnalité ”, isolant la
plupart des projets de toute réalité et surtout de leur ancrage historique. Effectivement, aucune étude
historique ou relevée analytique de l’existant, aucun sondage de terrain n’ont été réalisés. Les plans
étaient dans la plupart des cas d’une rigidité exemplaire, mais étaient petit à petit mis en application,
d’abord avec la réfection ou la construction des routes, ensuite avec la construction des
équipements, et plus tard avec la mise en application très théorique des règles d’urbanisme. Cela a
déstructuré inévitablement les centres qui sont dans la majorité des cas de petites structures. À partir
de la fin des années 1990, des cas de villes restructurées, sur la base des plans urbains en question,
peuvent déjà être observés. Nous constatons que les marchés qui étaient à l’origine le lieu de
fréquentation et de vie des villes et des petits centres de province disparaissent de leur lieu habituel.
Les marchés qui se tenaient dans le périmètre de la ville, si ce n’est en son centre, se retrouvent
désormais à l’extérieur. Il est de même pour les gares routières et les bureaux de l’administration
locale. Les villes s’étalent, s’égrainent partout là où il y a des possibilités, permis par les nouvelles
routes et les nouveaux équipements décentrés. Si la “ délocalisation ” des équipements (les plus
imposants en terme d’emprise) est justifiée pour certaines villes (notamment pour les plus grandes
où un aménagement et une restructuration raisonnée en terme spatial est nécessaire) elle ne l’est pas
pour les autres villes plus petites. En se restructurant selon le plan standardisé, issu du programme
et de la stratégie du pouvoir central, les petites villes, dans leur ensemble, se retrouvent sans noyau
et sans vie, sans point fort autour duquel elles vivent, où avec l’image de laquelle elles sont
représentées et rendues visibles et compréhensibles depuis l’extérieur.
Bien qu’il n’y ait pas eu d’études officielles d’évaluation et de suivi après réalisation des
projets,164 le constat des centres dévitalisés par le décentrage des équipements a été reconnu de
manière globale par les planificateurs. Cela peut être traduit, du point de vue politique, au niveau
local et central, par la tendance générale à rechercher un certain équilibre. Un “ reste historique ”,
dont l’existence a d’abord été ignorée, a donc été recherché. On cherche en fait à mettre en valeur
ou à reconstruire un monument qui serait représentatif de la ville et de son histoire. Mais l’essentiel
a souvent été oublié : “ ce reste historique ” n’est pas un lieu précis, mais un ensemble de lieux, un
maillage d’espaces, une mémoire diffuse individuelle et collective, ancrée dans les structures
anciennes et dans les pratiques de certains espaces qui n’ont pas été comprises et qui ont tendance à
être détruites trop vite au départ, ceci, parce qu’elles semblent gêner la fonctionnalité de la ville.
Que ce soit un acte conscient ou un acte inconscient, aussi pour redonner vie et sens à ces villes
nouvellement “ restructurées ” ou “ déstructurées ”, opportunément les vestiges de monuments
anciens qui ont été négligés deviennent-ils intéressants après coup. Dans la majorité des cas, ce sont
de vieux that dont l’emprise occupe une situation privilégiée. Ces monuments, dont il ne reste
souvent que des débris, seraient alors bien en vue sur une colline, une fois mis en valeur. Des
actions en faveur de leur réhabilitation, voire, de leur reconstitution et parfois de leur reconstruction
(de toutes pièces) sont alors mises en œuvre afin de donner une certaine image et une histoire à la
ville. Ainsi, dans les deux villes, les that reconstruits étaient à l’origine sur l’emprise des that
d’époque ancienne, vraisemblablement du XVIe siècle. À Oudomxay, nous pouvons admirer un
grand stupa dès l’atterrissage, car il est sur une colline près de l’aéroport. De même pour Luang
Namtha, il est situé sur la colline visible depuis la gare routière.
Cependant, leur intégration dans la ville qui serait induite par une certaine pratique spatiale
des habitants, dans ce nouveau contexte urbain, est encore à rechercher et à redécouvrir. À l’heure
actuelle, nous ne savons pas s’il s’agit d’une pratique spatiale et religieuse retrouvée ou réinventée,
164 D’après les agents de l’Institut des Travaux Publics et des Transports qui ont réalisé la majorité des plans de
développement urbain des villes de province, des missions d’évaluation et de suivi n’ont jamais été réalisées. Et pourtant
la question a été soulevée à plusieurs reprises.
Fig. 21. Les
stupa de
Oudomxay et
de Luang
NamthaDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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dans la mesure où il y avait entre les années 1970 et les années 1980 un renouvellement important
de la population dans ces deux villes, induisant une perte ou un relâchement de la pratique
religieuse et spatiale qui leur était anciennement liée.
À travers ces deux exemples, nous comprenons le rôle des that et leur caractère
monumental, même s’ils sont dans la majorité des cas de taille modeste, et quel que soit le contexte
dans lequel ils se trouvent. Qu’ils représentent une centralité idéologique et religieuse ou qu’ils
génèrent des espaces de type villageois ou urbain, qu’ils incarnaient ou qu’ils participaient au XVIe
siècle à “ la régionalisation culturelle ” en faisant lier les villes laotiennes à une culture religieuse et
artistique régionale, ou qu’il y ait postérieurement (aujourd’hui) une tentative de leur donner un rôle
structurant et symbolique pour les villes qui ont perdu le sens et la cohérence spatiale, l’importance
de la fonction spatiale des that et de leur permanence ne fait que se confirmer.
III. I. b. 3. L’identité religieuse et l’identité locale de Muang Phouan
La reconstruction de l’ancien that à Ban Naxay qui existait dans les abords de l’esplanade
de Muang Khoun sur son ancien emplacement est un cas différent des deux exemples
précédemment évoqués. Ce that serait à l’origine construit autour du XVIe - XVIIe siècle. Il aurait été
la réplique du That Luang de Vientiane. Sa représentation aurait permis aux habitants de Muang
Khoun de fêter chaque année le grand that sans se déplacer jusqu’à la capitale. Ce that dont parle
Charles Archaimbault, qui aurait déjà été détruit au moment où il mena son enquête, n’aurait pas
complètement disparu en fait. Il serait resté son soubassement, mais sans doute recouvert de terre
comme il l’avait noté.
L’objectif de cette reconstruction, qui a eu lieu vers 2005-2006, n’est résolument pas de
redonner de la cohérence spatiale à la ville, mais bien son identité religieuse et historique, et en de
çà, sa structure symbolique. Nous allons voir dans la deuxième partie de notre recherche, combien
cette esplanade était importante dans l’histoire de Muang Phouan. La destruction de la plupart des
monuments de la ville au moment de sa mise à sac par les Pavillons Noirs à la fin du XIXe et ensuite
par les bombardements américains dans les années 1960 et 1970, ont privé ses habitants de la
représentation symbolique du That Luang de Vientiane dans leur ville (ici miniaturisée). Sa
reconstruction tardive redonnerait, en quelques sortes, vie et sens spirituel à la ville longtemps
meurtrie par la guerre. Il est à remarquer que cette reconstruction émane non pas d’une commande
publique, comme ce fut le cas des that de Oudomxay et de Luang Namtha, mais de commandes
privées et communautaires. Les fonds proviennent non seulement des habitants de Muang Khoun,
mais surtout des Phouans éparpillés dans d’autres régions du pays et du monde, notamment de
France, des États-Unis et d’Australie.
III. II. Le regain des occupations anciennes et des centres historiques
Le regain des centres historiques et des établissements anciens joue aussi un rôle important
dans la recomposition de la ville. Mise en corrélation avec le centre ancien, la recomposition de la
ville est une forme de recyclage spatial. Les fonctions ainsi que l’état de conservation des éléments
bâtis sont réorganisés, réaffectés, réhabilités ou renouvelés. La recomposition urbaine met en
mouvement de nouveaux mécanismes spatiaux que nous proposons d’examiner. En fait, le regain
des centres anciens contribue à l’apparition des instruments de développement urbain et de mise en
valeur du foncier. Ensuite, il met en perspective l’émergence du réseau des sites patrimoniaux sous
leurs différentes formes. Et enfin, lorsqu’il est poussé à son paroxysme et gagné par la fonction
touristique mal harmonisée avec les autres fonctions, ce regain des centres anciens dans la vision
patrimoniale peut se cristalliser dans une monofonctionnalité stérile.
III. II. a. La patrimonialisation et le développement urbain
Fig. 29. Le
Monument de
la ville de
Sam NeuaDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les occupations anciennes (comme les villages anciens ou bien, les sites archéologiques) et
les centres anciens (centres historiques des villes, qu’ils soient des centres plus anciens ou plus
récents, ou bien coloniaux) connaissent un regain nouveau, dans le sens où le développement urbain
et du territoire s’est opéré à l’intérieur des aires anciennes, ou du moins, il s’est appuyé sur ces
éléments et les données qui sont en rapport avec les espaces anciens.
Le regain des occupations anciennes est suscité par les intérêts que l’on porte à leurs
vestiges archéologiques mis au jour : les sites sont dégagés, parfois des fouilles sont effectuées et
des visites organisées, de nature scientifique ou touristique. Et souvent, la nature touristique s’est
emparée des sites avant que les chercheurs aient pu rassembler un corpus suffisant de connaissances
du lieu. Les intérêts portés aux anciens établissements peuvent effectivement susciter la mise en
œuvre de la recherche archéologique ou du moins, la nécessité d’indiquer son importance de ce
point de vue. La recherche est ensuite mise aux profits de la conservation, de la mise en valeur et de
la gestion du patrimoine.
Quant au regain des centres anciens, il est suscité à la fois par les intérêts portés à leurs
patrimoines et par les intérêts portés à leurs activités mises en sommeil qu’il s’agit de revivifier. Des
actions opérationnelles liées plus directement au développement urbain et à la vivification des
activités peuvent être commerciales ou axées sur les actions publiques et civiques, ou les deux à la
fois. À la différence de certaines situations des occupations anciennes où les interventions ont lieu
dans un “ espace mort ”, les actions dans les centres anciens sont intervenues dans un milieu encore
en activité. Les actions doivent respecter l’intégration patrimoniale tout en préconisant la notion de
rénovation et de mise en valeur foncière et de développement économique. Les deux doivent aller
de paire.
III. II. a. 1. Les faits archéologiques et la patrimonialisation
Au Laos, il y a des anciens établissements qui sont mis au jour régulièrement mais de
manière partielle, voire, qui ont seulement fait l’objet de notes d’intérêt et de signalement, les
programmes de recherche et de fouilles préventives étant très aléatoires ou inexistants. Les mises au
jour vont de simples artefacts à des objets jusqu’aux traces d’habitat plus conséquentes qui auraient
pu permettre des découvertes d’établissements plus importants. Dans la majorité des cas, les
populations locales enregistrent déjà ces éléments et ces sites dans leur mémoire, sous forme de
légendes ou d’histoires locales. La “ découverte ” est donc un fait scientifique dont l’intérêt est de
confirmer ou de nier la littérature orale locale existante. Pour certains sites, déjà connus, dont les
données ont parfois déjà été collectées auparavant, les intérêts se confirment.165
La nature des sites et leur histoire respective étant différenciée, les sites acquièrent une
importance inégale. Ainsi, les sites des mégalithes de Houaphanh et des jarres de Xieng Khuang,
déjà connus et fouillés, se confirment par leur importance dans l’histoire archéologique du pays. Ils
font l’objet de fouilles soutenues par les programmes nationaux, internationaux ou multinationaux
(Unesco et CNRS, entre autres). Même si leur conservation du point de vue scientifique et leur mise
en valeur du point de vue culturel et touristique ont été effectuées, ce qui fait que leur
patrimonialisation n’est pas menacée en soi, leur connaissance, leur mise en valeur et leur gestion
ne constituent pas à ce jour un acquis. Quant au site de Vat Phu, de facture pré angkorienne et
vieille connaissance du monde archéologique mondial, il connaît une vivification importante par
son classement au patrimoine mondial de l’Unesco. Les soutiens qui lui sont apportés sont plus
importants.
165 Les travaux d’enquête de l’équipe de l’EFEO, menée par M. Lorillard, ont été surtout effectués dans le Nord du Laos
et ils touchent plus généralement le domaine des inscriptions. Dans le Sud, le site de Nong Hua Thong sur la Xébangfay
(province de Savannakhet) inspecté par Christine Hawixbrock promet peut-être l’existence du légendaire royaume de
Sikhotthabong. Réf. Sa conférence à l’Institut français du Laos, le 30 janvier 2012.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Vat Phu est le seul cas de site archéologique du Laos où ont été mis en œuvre des
programmes de conservation et de recherches scientifiques accompagnés de programmes de gestion
et de mise en valeur et de développement touristique plus importants. Il démontre aussi comment un
site archéologique – un ancien établissement – assume-t-il sa patrimonialisation avec le
développement touristique, urbain et territorial qui l’intègre ou qu’il intègre : comment protéger et
développer en même temps la petite ville de Champassak qui figure dans son périmètre de
protection ? Comment intégrer l’ensemble du site patrimonial qui couvre un grand territoire dans le
développement territorial de la région sud qui entame sa régionalisation, notamment avec la
construction des infrastructures routières pour la relier plus aisément à Paksé, à la Thaïlande et au
Cambodge ? Le statut des établissements anciens de ce type dans le développement et dans la
régionalisation constitue à ce jour un enjeu majeur et pose un problème du choix et de modèle de
développement (on aura l’occasion de traiter de la question du modèle de développement dans un
autre chapitre).
D’autres sites, par contre, ne bénéficient pas de soutien particulier. Il s’agit par exemple des
sites dans la région du Haut-Laos, à Luang Namtha, Bokéo et Phongsaly, où la mémoire locale n’est
pas moins intéressante et peut susciter des nouvelles découvertes, notamment lorsque celle-ci
évoque les Kheü et les Khou (fortification en forme de montée et de déblai de terre) qui auraient
entouré plusieurs établissements antérieurs disparus et qui auraient été repérés à plusieurs endroits
dans la région de Luang Namtha. À la question de mémoire locale seule la fortification de Vieng
Phu Kha a fait l’objet d’inspections archéologiques par les responsables du ministère de la Culture
et de l’Information en concertation avec les responsables locaux. Mais les fouilles proprement dites
n’ont pas été effectuées. Dans ce même questionnement et de manière plus poussée, le site de Xieng
Saèn (Tonh Pheung) a été en partie dégagé. Ceci, parce que le site lui-même a été agressé par les
défrichages de la population qui y a aménagé ses habitations et ses terres agricoles, faisant émerger
directement du sol sur les champs de maïs des vestiges archéologiques tel des têtes de bouddha, des
soubassements de constructions, de la poterie et autres objets qui ont été pillés. Le cas de Tonh
Pheung montre que lorsqu’un site suscite partiellement des intérêts archéologiques, dans le sens où
le champ de la connaissance archéologique et historique a pris du retard dans son identification, la
patrimonialisation fait lentement son chemin et les phénomènes touristiques s’en sont accaparés
sans que la question de protection ne trouve encore sa référence et son appui opérationnel ; d’où
l’abandon, l’agression et le pillage qui s’en suivent pour ce site.
Une particularité est à noter également sur le site de Tonh Pheung. Le patrimoine
thaïlandais de la cité de Chieng Saen (rive droite du Mékong) a connu une mise en valeur bien avant
Tonh Pheung. Lorsqu’il est permis aux Thaïlandais de visiter la rive gauche, les interprétations
historiques concernant l’ancienne cité de Xieng Saèn a été rapide : le côté laotien a été interprété
comme la suite ou faisant partie de la même histoire que la cité de la rive droite. Une société thaïe a
pu ainsi demander “ l’exploitation touristique” de la cité à Tonh Pheung, sans que les recherches
archéologiques sur ce site soient approfondies. Or, on ne peut se permettre de placer les deux sites
sur le même degré de connaissance. Alors que le site thaï de Chiang Saèn est bien “ rodé ”, le site
laotien Xieng Saen venait à peine d’être exhumé, qu’il s’expose déjà aux visites occasionnelles avec
des mesures de protection et de gestion assez sommaires, ne pouvant pas stopper les vols, les
pillages et les dégradations du site.166
III. II. a. 2. L’intégration patrimoniale dans le développement urbain et économique
166 Un projet a été mis en place le 9 mars 2005, approuvé par le circulaire N°001/05/Gouverneur de Bokéo. Il concerne la
protection de la zone archéologique et paysagère de Tonh Pheung, planifiée pour une période de 15 ans, 2005-2020. La
zone conservée couvre 350 hectares et les vestiges (en ruine) protégés sont au nombre de 42. Sur 100 hectares 14 petits
sites ont été dégagés (nettoyés ?). Les opérateurs sont : le Service Culturel de Bokéo, le Service touristique de Bokéo et la
société Houamphathana. Le projet a commencé le 1e juin 2005.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les centres anciens que sont les villes anciennes elles-mêmes, ou une portion restant des
centres anciens des villes maintenus actifs, suscitent des actions opérationnelles liées au
développement urbain et des activités culturelles et économiques. Celles-ci peuvent être
commerciales ou orientées vers des actions publiques et civiques avec des programmes
d’équipements, ou les deux à la fois.
L’espace – dans lequel subsistent des composants anciens – étant en activité et en
permanence en recomposition, pose alors la question de l’intégration patrimoniale des éléments
anciens. L’intégration en question, à la différence des sites archéologiques, doit s’opérer à travers la
notion de rénovation et de mise en valeur foncière et de développement économique, afin d’éviter
“ la ghettoïsation patrimoniale ” et ensuite la “ ghettoïsation touristique ” de l’espace, qui aurait
cristallisé le patrimoine dans une certaine stérilité. C’est ce qui menace la ville de Luang Prabang,
classée au Patrimoine mondial, à la fois bénéficiaire et victime de la mise en valeur de son
patrimoine (nous allons le voir dans le paragraphe qui suit.)
Contrairement à Luang Prabang, Vientiane ne connaît pas le processus de
patrimonialisation de son centre ancien, mis à part certains édifices qui ont bénéficié de l’attention
patrimoniale particulière : classés comme monuments nationaux par décret du ministère de la
Culture et de l’Information ou comme World monument (notamment Vat Sisakhet).167 Les études
d’inventaire, effectuées par la Direction des Musées et de l’Archéologie en 1994 et celles de
l’Atelier du Patrimoine réalisées en 2002, ont proposé une liste de protections des bâtiments
ordinaires (non-monumental). Celle-ci n’a pas été approuvée à ce jour. Pourtant, les propositions de
prescriptions de protection de son centre ainsi que de ses sites paysagers remarquables ont été
réalisées à travers des règlements d’urbanisme, peu sévères par rapport aux outils règlementaires
des sites patrimoniaux proprement dits. Le règlement qui a été proposé par l’Atelier du Patrimoine
est proche des ZPPAUP (Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager)
français. Il développe la zone ZPP (Zone de Protection du Patrimoine) instaurée habituellement
dans les règlements du POS (Plan d’Occupation des Sols), mais de manière plus fine, plus
harmonieuse au contexte local. Le PSMV (Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur, appliqué à
Luang Prabang) est jugé trop sévères pour le centre de Vientiane, hétérogène et en changement
rapide. Par ailleurs, la mise en œuvre des opérations proposées aurait été plus efficace si elle est
orientée vers la création des PRI (Périmètre de Rénovation Immobilière), afin d’accompagner à la
fois, la mise en valeur foncière et la rénovation, restauration, réhabilitation des éléments bâtis et des
espaces publics du centre de la ville qui se mettait à l’œuvre dès le début des années 2000.
Mais malgré les efforts préconisés par l’IRU qui dirige l’Atelier du Patrimoine (mandaté
pour les études en question) et malgré la souplesse des outils proposés, l’intégration du patrimoine
dans le développement urbain et économique est défectueuse pour Vientiane, et rencontre de
multiples problèmes. C’était probablement une question de choix. Le choix du type de
développement à l’égard de la conception de la conservation du patrimoine pour les acteurs publics
et privés a été autre. Le périmètre du centre ancien est devenu « abstrait » dans la revivification
actuelle du centre : parmi les compartiments de la période coloniale, des années 1950 et des années
1970, beaucoup ont été démolis, les arbres dans les alignements des façades abattus, les ambiances
et les paysages urbains dévalorisés. La limite des hauteurs d’immeuble à respecter ne l’est plus dans
la pratique. On construit dans le centre, censé être réglementé, comme on construit sur l’avenue Lan
Xang ou sur la route N13 nord, ou dans n’importe quels quartiers périphériques. Seule demeure la
notion de centre en tant que créateur de proximité et d’activités citadines, en tant que valeur
foncière et immobilière. Devenant plus rare et plus cher, le centre se resserre sur lui-même. Comme
un serpent qui se mord la queue, pour construire sa valeur de centre actif attrayant, il finit
probablement par détruire ce qui fait la valeur et l’essence de son attractivité et de sa centralité.
167 Décret portant le classement des monuments nationaux.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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III. II. b. La cristallisation des établissements anciens dans la vision patrimoniale et
touristique
Nous avons évoqué le cas de Luang Prabang en tant que centre ancien dans son contexte
local, où il fait figure d’exception en différents domaines, notamment du fait qu’il soit à la fois
bénéficiaire et victime de la mise en valeur de son patrimoine. Luang Prabang est un cas typique
d’une conservation relativement réussie, dans la mesure où le centre de la ville a été effectivement
revalorisé. Le sévère PSMV constitue l’outil de contrôle et de gestion du développement de la ville
qui impose à la population des contraintes : les édifices les plus remarquables, le tissu urbain et les
paysages ont été restaurés, mais des effractions, comme des constructions illicites, ont également
été commises. Le centre s’est doté d’activités culturelles et économiques fructueuses. La ville revit
de son rayonnement culturel et de son art de vivre. Elle occupe de nouveau une importance
régionale de ce point de vue. Parallèlement au programme de mise en valeur des sites remarquables
de Luang Prabang soutenu par l’AFD et mené par la Maison du Patrimoine et le service culturel de
la province, sous le haut patronage de l’Unesco et du Comité National du Patrimoine, les diverses
activités culturelles et artistiques reprennent vie grâce aux différents acteurs, publics et privés :
reconstitution de l’ancien ballet royal, reprise d’activité pour les fabricants de masques et
d’instruments de musique. Les petits ateliers se montent à domicile, les orfèvres et les anciennes
brodeuses de fils d’or retravaillent à nouveau, etc.168
À côté de la revivification des arts qui servent d’abord les Lao (diaspora ou locaux) qui
occupent une petite part, les touristes sont ses principaux visiteurs et consommateurs. Les activités
sont orientées exclusivement vers ce secteur d’activité, d’autant plus qu’elles occupent la partie la
plus centrale de la ville et négligent de se répartir dans l’ensemble du territoire environnant. La
péninsule est ainsi surchargée d’activités de services touristiques. Cela commence par la rue
principale avant d’investir les ruelles et les routes de berge du Mékong et de la Nam Khane.
Le tourisme et ses activités appellent une nouvelle pratique commerçante, une amélioration
de la production de l’artisanat et des produits de services touristiques. La demande impose aux
offres ses exigences. Les objectifs des standards internationaux se mettent peu à peu en place, mais
avec un mûrissement assez lent dans la mentalité des locaux. On reprochait par exemple à Luang
Prabang dans les années 1995 son manque de logements pour accueillir les touristes, la qualité
médiocre de ses productions artisanales, etc. On lui reprochait aussi le manque d’activité et de sites
pour divertir les touristes. Peu à peu la ville rattrape le nombre des chambres de guest-houses qui
manquait et les productions artisanales se diversifient, mais uniquement à destination touristique
(papier po sa, tissage de coton et soierie, broderie hmong, lampions en papier, algues du Mékong,
etc.) Les sites naturels aux alentours de Luang Prabang sont également aménagés : chutes d’eau de
Tad Khuang Si, Pak Ou, Ban Sang Haï, etc. Vers les années 2005, les spécialistes des sites
patrimoniaux constatent qu’il manque toujours des chambres pour accueillir les touristes, alors que
les chambres dans les guest-houses sont vides la moitié de l’année. En fait, cette fois-ci, il s’agit des
établissements de luxe qui semblent faire défaut. D’après les études et les estimations, il manquerait
5 000 chambres de haut standing chaque année. C’est-à-dire des chambres qui coûtent plus de 100
USD la nuit, alors qu’il y avait trop de chambres en dessous de 60 USD. Les offres du standing
inférieures à 50-60 USD ont pourtant été celles des locaux. Pour passer le cap et atteindre le
standing dicté par les tour-opérateurs, peu de locaux ont pu y participer. Quelques-uns parmi eux,
avec les connaissances acquises à l’extérieur du pays, ont pu passer le cap. Pour le reste, les hôtels
de luxe qui ont été construits après 2005 sont le fait des investisseurs étrangers ou expatriés
168 La broderie aux fils d’or est une des spécialités de la ville. Les fils d’or viennent d’une manufacture de Lyon, en
France. Elle retrouve son succès d’autrefois auprès de la diaspora lao. Actuellement, les femmes de la bourgeoisie
politique apprécient ces broderies, utilisées dans la confection des cols de chemisier croisé portée lors des cérémonies
officielles.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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occidentaux installés à Luang Prabang, occupant ainsi une grande partie du marché de luxe qui
manquait.
On peut quasiment parler de l’occidentalisation et de la mono-fonctionnalité du centre de
Luang Prabang qui accompagne le tourisme et les activités qui le sert. Cela entraîne la surenchère
des produits et du coût de vie, mais surtout du foncier. Ce phénomène, joint au manque de savoirfaire
des locaux pour accueillir le tourisme de luxe, fait que ces derniers se sentent hors course.
Beaucoup préfèrent ainsi vendre leurs biens en ville à des prix très élevés pour s’installer à
l’extérieur. La décentrification de la population originaire de Luang Prabang a de multiples
conséquences sur la vie sociale et culturelle citadine, dont l’une est constatée dans l’altération de
l’entretien des monastères et dans l’ambiance urbaine. La tradition du kham vat (pilier du vat, ou
soutien du vat), qui consiste pour chaque foyer d’entretenir sa paroisse en apportant des soins et de
la nourriture aux moines, ou de parrainer un jeune bonze depuis son noviciat jusqu’à sa grande
ordination, tend à disparaître. À un moment donné les moines ne peuvent plus compter que sur la
quête du matin pour vivre et nourrir toute la communauté. Le tiang han sao et le tiang han phèn
(repas du matin et repas de 11 heur apportés à la pagode) se réduisent au peu de nombres de
personnes âgées qui continuent encore à pratiquer. Or, la valeur qui fonde le classement de Luang
Prabang au patrimoine mondial, c’est sa culture et son art de vivre en communion avec ses
traditions et ses rituels. L’altération de cette valeur contredit ainsi le principe même de l’existence
de Luang Prabang en tant que patrimoine de l’humanité.
L’accaparement du secteur touristique de la péninsule qui apporte des déséquilibres sociaux
et culturels tend aussi vers la mono-fonctionnalité des lieux. En 2005, lorsqu’on regarde les activités
(la nature des commerces notamment) de la rue centrale de la péninsule, on peut très vite constater
une trop forte concentration des mêmes activités servant le tourisme : restaurants, boutiques de
souvenirs et d’artisanat, internet café, spa, etc., qui sont par ailleurs européanisés, consommés et
utilisés par les touristes mais aussi souvent tenus par des Occidentaux. Ce fait altère les caractères
qui fondent la valeur de Luang Prabang. La diversification des activités, l’arrêt de la
décentrification des habitants originaires auraient été bienvenues pour redonner au centre son
caractère résidentiel et local : les touristes peuvent très bien vivre avec les habitudes locales. Et les
locaux n’ont pas besoin de se transformer et transformer leur manière de vivre pour s’adapter aux
habitudes et exigences des touristes. Ces vœux restent anecdotiques. L’offre et la demande font leur
loi, Luang Prabang tend à devenir à l’image de son tourisme. 15 ans après son classement, on est
déjà à se demander aujourd’hui qu’est-ce que Luang Prabang offre au monde qui le visite et quelle
mémoire culturelle, quel patrimoine garde-t-elle encore pour le pays. Il est encore probablement tôt
pour dresser des bilans définitifs.
III. II. c. L’émergence du réseau des sites patrimoniaux, approche comparative
Pourtant les sites patrimoniaux sont nombreux, malgré les contraintes et les difficultés à les
faire vivre et à les vivre pour les populations concernées. Force est de constater qu’il est difficile
pour le pays de respecter le standard de la convention de l’Unesco, mais aussi de profiter des
retombées financières du tourisme. La question est en général la suivante : en se soumettant aux
principes extérieurs du patrimoine comment laisser les synergies locales naître de leur propre
source. Comment préserver sans figer ? Comment développer sans modifier ? Comment restaurer
les objets “ autonomes ” dans la valeur ancienne sans tentative de séduction idéologique ou
séduction mercantile ? Comment offrir et communiquer au monde les valeurs dignes de durer sans
se transformer, perdant son identité initiale et son état de conservation ?
Ayant du mal à respecter les règles et étant les plus difficiles à se plier aux contraintes de
l’Unesco (rappelons que Luang Prabang a été menacée d’être retirée de la liste du classement) les
pays du Sud-Est asiatique continental aiment pourtant que leur patrimoine soit classé par l’Unesco,
sauf très probablement le Myanmar. Le contexte patrimonial birman et son traitement interpellent
les questions posées dans les autres pays limitrophes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le pays n’étant pas signataire de la convention de l’Unesco, aucun de ses sites n’est classé,
et les Birmans eux-mêmes ne semblent pas s’en offusquer outre mesure. Et pourtant, la Birmanie
regorge de bien des sites qui peuvent offrir des exemplarités, aussi bien du point de vue de leur
constitution historique, que du point de vue des savoir-faire dans la conservation et restauration de
leur patrimoine national. Par rapport aux pays limitrophes avec lesquels il partage bien des traits
culturels et historiques et sur lesquels il a exercé des influences considérables, en particulier les
Thaïs et les Lao. La première question serait de demander comment font les Birmans pour restaurer
et gérer tant de sites, alors qu’aucun n’est classé. Ensuite, le côté vivant des sites religieux et
patrimoniaux ne semble pas nécessiter d’affectation de programme de gestion qui aurait été dicté
après la restauration de tel ou tel monument. Les Birmans démontrent que leur patrimoine est une
affaire intérieure, les meilleurs conservateurs sont les acteurs locaux, les premiers utilisateurs de ce
patrimoine. Au-delà du caractère nationaliste avéré de ces affirmations, on doit constater qu’il y a
une réelle maîtrise des biens patrimoniaux chez les Birmans. Il est difficile d’apporter des réponses
à cette question, des études très approfondies du domaine et de la pensée patrimoniale doivent être
entreprises pour poursuivre ce questionnement.169
III. III. Le mouvement de stratégies résidentielles : un centre mort ou un
centre vivant ?
Comme nous l’avons évoqué pour Luang Prabang, une des caractéristiques résidentielles est
la décentrification du choix résidentiel. Cependant, ce n’est pas la dévitalisation du centre qui fait
qu’on le quitte, mais ce sont les activités de service de proximité et la surenchère foncière qui créent
cette situation. Les arguments peuvent être les suivants : quitter le centre parce qu’il est permis de
vendre des biens très chers pour acheter des biens à l’extérieur, moins chers et plus grands, mieux
adaptés aux activités agricoles, par exemple. Après avoir consacré une partie des fonds provenant
de la vente des biens en ville, il reste encore des fonds pour investir dans des petites affaires
familiales créant des revenus. D’après les discussions que l’on a pu avoir avec les habitants (sans
enquête structurée) ce choix ne concerne que des habitants qui vivent à Luang Prabang depuis peu
ou qui ne sont pas de souche ou qui possèdent préalablement des terres à l’extérieur de la ville ou
encore qui n’ont pas d’activité en liaison directe avec les services et le tourisme. Vivre à l’extérieur
de la ville alors que celle-ci connaît une dynamique et offre des opportunités diverses, cela semble
ne concerner que Luang Prabang. Dans les autres villes du Laos, la situation est différente. Nous
pouvons cependant prendre les critères d’évaluation du choix résidentiel utilisés à Luang Prabang
comme paramètre pour comprendre les autres villes. Dans ce paragraphe, nous allons évoquer les
critères qui touchent le domaine des activités en liaison avec les offres d’emploi et le foncier, entre
le centre et la périphérie, ce qui a contribué au fait de quitter ou de revenir dans le centre. Nous
allons voir également que la particularité de la situation géographique de certains sites urbains (par
exemple, le rôle du Mékong à Vientiane) peut être le point de rapprochement avec la question de
centralité ou peut donner une certaine qualité à la centralité, et ensuite avoir une influence sur le
choix résidentiel de certaines catégories de population.
III. III. a. Quitter ou rester dans le centre : les emplois et le foncier dans le centre et
dans la périphérie
Quitter ou rester dans le centre est une question qui ne peut être posée qu’aux citadins qui
vivent déjà dans le centre ou qui y avaient vécu, car il est aujourd’hui difficile, voire impossible,
pour les autres de venir résider dans le centre, si ce n’est en sa périphérie et profiter à distance de la
revivification de ce dernier. La rareté et la cherté foncière ne le permettent pas. Par contre, les
169 Mes observations en 2004 ont été trop brèves sur place pour pouvoir construire un raisonnement plus solide portant sur
ce sujet.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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possibilités d’emploi sont devenues plus nombreuses dans le centre, ce qui attire momentanément
les gens de la campagne ou des villages périphériques ruraux ou semi-ruraux. Dans ce cas, ces
derniers viennent travailler dans le centre et louent leur habitation en périphérie dans laquelle se
constituent peu à peu des petits centres, devenant le second choix résidentiel. Des petits centres
d’abord auxiliaires du centre ancien, les quartiers périphériques acquièrent peu à peu une certaine
autonomie, conjoint aux mesures de déconcentration des équipements en périphérie des villes, tels
les marchés, les hôpitaux, certains équipements administratifs, etc. Les offres foncières y sont
également les plus intéressantes. Il s’agit notamment pour Vientiane des quartiers comme Sikhai,
Thongpong, Nong Buk (au nord), Nongtha, Houay Hong, Phonetong (au nord-est), Nong Gnyang,
Dong Dok, Done Noun (plus à l’est). Beaucoup de ces petits nouveaux centres se dotent
d’équipements commerciaux (comme à Nong Gnyang). On y trouve des magasins de produits de
finition et d’équipements pour la construction. Dans une moindre mesure, ces équipements
commerciaux aident à fixer la population dans les quartiers périphériques par les emplois créés. Ils
équilibrent un peu le mouvement quotidien entre le centre ancien et les centres périphériques : entre
ceux qui travaillent sur place en exploitant les lambeaux de rizières et de vergers restant de
l’étalement urbain, ceux qui partent travailler dans le centre ancien ou dans les autres centres
périphériques semblables, et enfin ceux qui trouvent un emploi de vendeur, de manœuvre ou
d’ouvrier dans les magasins qui s’installent à proximité de leur lieu de résidence.
Mis à part ces centres périphériques, il y a ceux qui tournent autour du centre ancien : ce
sont des quartiers de Dong Palane, Phone Sinouane, Thong Khankham, route Phonethane, etc., qui
deviennent des nouveaux centres. Peu importants, il y a encore quelques années, ils se densifient
beaucoup aujourd’hui avec leurs activités et l’augmentation spectaculaire de leurs habitants. Ces
péricentres sont même devenus le premier choix de résidence qui combine l’habitation et le
commerce de service par rapport au centre ancien qui est jugé soit trop saturé, soit plus
spécifiquement destiné aux touristes. Effectivement si le centre avec ses activités est plus tourné
vers la consommation touristique, les péricentres semblent aux yeux des habitants avoir une stabilité
plus grande et plus durable pour le commerce local : ces quartiers étant fréquentés quasiment que
par les locaux.
La mobilité des activités commerciales est notoire comme la mobilité résidentielle. Par
exemple, après avoir ouvert deux ou trois années une boutique à Thong Khankham et constatant que
celle-ci ne fonctionne pas très bien le commerçant change de lieu. Il va s’installer à Dong Palane et
ouvrir une autre activité. Cette mobilité est probablement liée à la facilité des baux contractés avec
les propriétaires des bâtiments, compartiments et immeubles, mais aussi à la facilité administrative
des patentes qui s’est beaucoup assouplie au cours des 4-5 dernières années. Les personnes
concernées sont souvent des jeunes, habitant des quartiers péricentres ou parfois venant des
quartiers du centre ancien qu’ils jugent aléatoires, car trop lié au tourisme. Ils préfèrent viser le
marché intérieur, porté par les quartiers péricentres comme Dong Palane. En ce sens, les jeunes
entrepreneurs constituent un baromètre pour mesurer l’offre et la demande intérieures des
consommateurs locaux et leurs tendances. Ils affirment souvent que le marché intérieur –nouveau et
jeune– est beaucoup plus important que le marché extérieur et touristique.
La question “quitter ou rester dans le centre” que nous posons pour comprendre une des
caractéristiques du centre ancien d’aujourd’hui, trouve ici sa réponse : seuls les quartiers péricentres
peuvent vraiment être la balance pour quitter le centre ancien. Ce fait est confirmé par
l’accaparement des quartiers péricentres par une population jeune et entreprenante.
III. III. b. Le Mékong occupe-t-il ou pas une centralité ?
L’engouement pour le Mékong est une réalité urbaine pour la ville de Vientiane, plus que
pour les autres villes du pays. La raison semble liée au fait qu’elle est née à partir du Mékong,
depuis ses premiers moments de fondation et plus tard durant son évolution, alors que d’autres
villes du pays, nées aussi du Mékong, ne suscitent pas ce même engouement. Au-delà du mythe de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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fondation lié au Mékong et en-deça des effets de mode, le développement actuel de Vientiane
semble témoigner d’un double intérêt pour le milieu fluvial. D’abord, il y a l’intérêt pour le fleuve
comme un retour aux valeurs primitives, voire, écologiques des premiers établissements humains,
qui traduit la quête des voyageurs et des habitants avertis et sensibilisés à l’environnement et à la
quête des sens. En suite, l’intérêt semble être purement foncier : la référence aux valeurs ne se
concrétise ni dans les actes et les conceptions des aménageurs et décideurs de la ville, ni dans la
majorité des projets des habitants et des autres acteurs de la ville. Ceux-ci tendent à considérer la
présence du fleuve comme un acquis inaltérable et inépuisable : le souci pour préserver le paysage
du fleuve et son environnement est absent de la majorité des projets et des usages du fleuve
(manque d’entretien et abandon des jardins potagers, minéralisation et urbanisation abusive des
berges par des projets de route, de digues, de construction des nouveaux quartiers, comme à
Donechan par exemple.
Le développement urbain et territorial du Laos d’aujourd’hui a comme priorité la mise en
liaison, le déblocage des régions, le développement des infrastructures routières (intérieures et
extérieures) qui manquaient au pays et qui constituait son handicap. La politique de développement
urbain et territorial axée sur les infrastructures atteint aujourd’hui plus que jamais ses objectifs.
L’émergence et l’amélioration des routes partout dans le pays réduisent considérablement
l’importance du fleuve, son utilité ancienne et récente comme moyen de liaison interne et externe,
même si elle ne l’a été que de manière mesurée. L’amélioration des infrastructures routières rentre
en contradiction avec l’idée du rapprochement des villes au milieu fluvial, du moins le fleuve ne
joue plus son rôle d’élément de liaison. Perdant son utilité, il devient quasi abstrait. Seul son rôle de
lieu contemplatif et paysager semble alimenter l’idée du retour au milieu fluvial des villes.
Prenons l’exemple de Vientiane. La route nord qui longe le Mékong, autrefois impraticable,
vient d’être améliorée. Elle relie maintenant la province de Vientiane à Paklay (il faut toujours
prendre une barge pour rejoindre le tronçon supérieur de la route, bien qu’elle se prolonge – encore
difficilement – jusqu’à Luang Prabang.) Cette amélioration entraîne déjà la fermeture du port de
Kaolyo d’où partent les bateaux pour Paklay et Luang Prabang. Il n’y a plus qu’un seul speed boat
pour le nord une fois par semaine et encore celui-là vient de Paklay. Et il n’y a plus qu’un seul
grand bateau qui accepte encore occasionnellement de faire Vientiane-Paklay-Luang Prabang,
lorsque les clients le demandent au prix forfaitaire par voyage.170
« Les gens ne veulent plus prendre
le bateau, il préfère maintenant les mini-vans de 12 places qui peuvent les emmener jusqu’à
Paklay et Luang Prabang plus rapidement », nous dit un ancien batelier converti en chauffeur de
mini-van. Les routes causent ainsi la mort des bateaux mais aussi du rôle ancien du fleuve.
Le rapprochement entre la ville et le fleuve suscite bien des questionnements de la part des
riverains et des flâneurs de passage. Le grand parc qui accompagne les grands travaux de
consolidation de la berge du Mékong aménage des vues panoramiques et dégagées sur le fleuve,
mais doublées d’une route-digue de berge. Le Mékong est là, mais on ne le touche pas, on n’y
accède pas, on le contemple depuis le parc ou depuis la voiture lorsqu’on roule sur la digue.
L’ensemble du projet fonctionne comme s’il constitue l’élément qui vient protéger la ville contre le
fleuve. La centralité de la ville combinée avec le fleuve perd ici toute sa pertinence.
À la question, le Mékong occupe-t-il une centralité, il serait plus pertinent d’apporter des
réponses à partir de deux raisonnements. D’abord dans une certaine approche, le Mékong occupe
une centralité symbolique dans la mesure où il est indissociable du centre primitif de la ville : on
vient dans le centre ancien comme on vient sur la berge du Mékong pour le contempler. Par ailleurs,
la création du parc Chao Anouvong offre une possibilité d’approche différente. D’un usage
individuel et communautaire du fleuve (pêche, jardins potagers à la saison sèche, etc.) on passe à
170 Le prix forfaitaire d’un trajet à l’aller pour Luang Prabang serait de 8 à 12 millions de kip. Et le bateau peut prendre
entre 30 à 50 voyageurs.
Fig. 23.
Les travaux
sur les Berges du
mékong.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’usage public : l’État aménage aujourd’hui un usage contrôlé du fleuve. Son approche appartient
désormais au domaine public. La manière dont il est aménagé (il est prévu de commercialiser une
partie du quai en louant des espaces commerciaux qui seront plus tard construits), empêche un accès
facile au fleuve. Il ne semble plus possible d’aller sur sa plage, d’aménager une culture maraîchère
en contre-bas de la berge à la saison sèche, de pêcher et d’accoster une pirogue. À l’heure actuelle,
les aménagements ne sont pas encore terminés. Une fois mise en service, il n’est pas improbable
que les habitants vont s’approprier et pratiquer autrement ce lieu. À moins que les autorités urbaines
ne verbalisent les accès, n’imposent des règles et des restrictions. Dans ce cas, il faudrait pour la
population apprendre à pratiquer autrement le Mékong, si jamais cette autre pratique existe. La
centralité ancienne et la pratique habitante certainement millénaire vont-elles survivre à ce grand
tournant urbanistique qui impose une autre approche du fleuve ?
Le Mékong ne semble plus occuper une centralité dans la pratique spatiale : le fleuve
s’éloigne du mode de vie des habitants en même temps qu’il est approprié par une fonction urbaine
forte en devenant un des espaces publics de la ville. Cet éloignement est constaté à travers la rigidité
avec laquelle les projets sont faits pour consolider la berge contre les innondations et aménager le
front du fleuve : construction de la route de berge, aménagement de la mégastructure des ouvrages
de protection. L’aménagement des accès est difficile ou rebute les piétons. Un déplacement et une
descente plus douce et plus informelle comme autrefois ne sont quasiment plus possibles.
Il est de même pour la ville de Paksé. Placée à la confluence entre la Sédone et le Mékong,
on a pourtant l’impression qu’on n’est pas dans une ville ripuaire. Les aménagements des bords du
fleuve donnent peu de place à la pratique individuelle et communautaire. Mais à la différence de
Vientiane, les bateaux et pirogues à moteur continuent à exister car certains villages en amont et en
aval de Paksé sont encore inaccessibles par la route, et ne pouvant être desservis que par le fleuve.
Dans les proches années à venir la construction de la nouvelle route (qui vient d’être achevée)
reliant Paksé à Champassak en 20 minutes va réduire incontestablement l’importance de la vie du
fleuve.
Pour Luang Prabang, il en est encore autrement : de nombreux villages dans les alentours et
dans la région nord sont largement dépendants du fleuve pour accéder à la ville (que ce soit le
Mékong ou la Nam Khan). L’aménagement des berges de l’ensemble de la péninsule, respectueux
des pratiques locales et des paysages assure une durabilité à la pratique habitante du fluvial. Ces
faits conjoints permettent au fleuve d’occuper une forme de centralité urbaine et d’évoluer avec la
ville sans rupture d’usage.
III. IV. Le mouvement du foncier
Le mouvement foncier est l’un des indices majeurs qui, à la fois décrit le développement
urbain et « pronostique » la croissance économique, que celle-ci soit artificielle ou durable. Si nous
le comparons aux pays voisins qui connaissent la même période de croissance (sans en avoir le
même niveau), tel que le Vietnam et le Cambodge, le mouvement de transaction et la flambée
foncière dans ces pays semblent plus disproportionnés par rapport à la croissance réelle de leur
économie. Alors que le domaine foncier du Laos connaît un mouvement relativement plus souple, le
prix du foncier est moins élevé. Cependant, par rapport à sa situation interne et en particulier
comparé à la période d’étatisation et de collectivisme précédente, ce mouvement foncier connaît
une dynamique exemplaire et une augmentation de sa valeur relativement forte. Si ces indices sont à
première vue naturels, car ils obéissent à la loi du marché foncier qui s’est peu à peu constitué, on
constate que le mouvement et la valeur foncière sont aussi profondément liés à la problématique de
centralité. Ici nous voulons souligner que la dynamique du domaine foncier ne peut être liée
uniquement aux dispositifs et aux mesures menées par l’État.
Les mesures ont été essentiellement le rétablissement du cadastre et la création des organes
administratifs et techniques compétents. La libéralisation des biens fonciers et des formes de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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transaction a permis l’instauration des taxes foncières constituant un revenu important pour l’État.
Ce faisant, ces mesures touchent directement les questions qui ne sont pas forcément les premières
priorités de l’État mais qui nécessitent à travers le foncier d’être réexaminées.
Il s’agit d’abord des questions concernant les biens qui ont été gelés durant plus de trente
années, ensuite il s’agit des principes de nationalité et de citoyenneté par rapport à la question de
propriété et d’héritage. Ces différents principes et questions qui sont le résultant direct et indirect du
fondement politique du nouveau régime durant les premières années (étatisation, collectivisation)
s’étaient accumulés. Et depuis la réforme, au lieu de régler ces questions au plus vite, le
gouvernement les a toujours différées à des échéances ultérieures. Sans doute parce qu’il n’y a pas
urgence, et la pression foncière n’était pas encore à l’ordre du jour jusqu’au milieu des années 2000.
Aujourd’hui, les enjeux économiques de ces biens sont devenus importants, et la reconnaissance de
la propriété privée l’est également dans la crédibilité de l’ouverture du pays aux yeux de
l’international. Il faut donc apporter des solutions afin de mettre pleinement en application la
politique de libéralisation économique et de libération foncière, dont la reconnaissance du principe
de la propriété privée est fondamentale.
III. IV. a. Le rétablissement du cadastre
Le rétablissement des plans cadastre a été préconisé d’abord à Vientiane puis dans les
quatre villes secondaires et petit à petit dans toutes les autres agglomérations, bien que la réalisation
de ces plans ne soit pas complètement achevée à ce jour.
Le dernier cadastre délivré avant 1975 ainsi les documents graphiques utilisés pour
immatriculer les titres de propriété dans les villages et agglomérations qui ne possédaient pas de
cadastre officiel, ont été a priori remis en question ou simplement pas pris en considération après
1975, du moins, pas avant 1991. Cela peut être expliqué par plusieurs faits qui ont eu lieu dès les
premiers mois de l’investiture du Nouveau Régime. À partir de 1976, la collectivisation, la réforme
foncière, et un peu plus tard la réforme agraire, ont marqué la chute de l’ancien système de
transaction foncière, ou du « droit d'action »,
171 et mis fin pour un temps au développement de la
ville. À titre d’exemple, en 1976 une villa qui aurait dû coûter près de 50 à 80 bat or avant 1975
(environ 20.000 USD à 35 000 USD taux de change de l’année 2005), ne se vendait plus qu’à 2 à 3
bat or en 1976 (soit 1200 USD, taux de change de l’année 2010)172 par des propriétaires pressés de
quitter le pays. Les titres de propriété et donc les titres cadastraux ont été par principe abolis par le
système collectiviste, et ensuite par les faits réels d’étatisation et de confiscation des biens, aussi
bien de ceux qui quittent le pays que de ceux qui restent, mais « qui possèdent trop de biens ».
Enfin, il y a aussi les biens que les habitants confiaient à leurs proches (familles, amis ou voisins) et
les biens qu’ils ont abandonnés en quittant le pays en catastrophe. Les biens dans leur ensemble ont
été soient squattés par les nouveaux venus, soient réutilisés par l’État. Les événements
sociopolitiques qui avaient eu lieu durant les premières années du régime, ainsi que les différentes
formes d’occupation de ces biens fonciers et immobiliers qui s’en suivaient brouillent le statut et
l’immatriculation foncière des propriétés.
Lorsque l’État préconise juridiquement la reconnaissance de la propriété privée à l’approche
de la Réforme, les anciens titres cadastraux ont été parfois reconnus, avec l’appui des témoignages
des voisins, de ceux qui habitent le même village et le même quartier. Et en attendant que les titres
définitifs soient effectués à partir de 1998, l’immatriculation foncière se base sur les « certificats -
titres provisoires » délivrés par l’administration. Mais le rétablissement du nouveau cadastre et du
nouveau système d’immatriculation foncière devient vraiment nécessaire pour les administrations
171 karma sit. da,,tlyf. da,,t XlD dkodtme? T lyfmy XlD lyf? G lyf.odkodtme ; Karma (Sk, action), Sithi (Sk. droit) : droit d’action. 172 Le bat est l’unité traditionnelle de poids de métaux précieux (l’or et l’argent) utilisé au Laos et en Thaïlande. Un bat
équivaut 15 grammes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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désireuses de remettre de l’ordre, de la clarté et de la régulation, il est donc engagé de nouveau vers
2002, seize années après la mise en marche de « l'économie communiste de marché »
173 préconisée
en 1986.174
Le redressement des cartes a commencé vers 1998 et s’est terminé vers 2002 pour
Vientiane. La réalisation du plan cadastre proprement dite a donc commencé dès que les
photographies aériennes ont été utilisables (redressées). Elle est accompagnée par des enquêtes de
terrains qui se déroulent avec beaucoup de difficultés à cause des faits que nous avons signalés plus
haut. Ainsi, la couverture du plan cadastral du pays est loin d’être achevée.
Parallèlement, les décrets et les circulaires, portant l’enregistrement des titres fonciers et des
taxes, accompagnent la réalisation du plan cadastre. L’un sert mutuellement à vérifier l’autre. Dans
la première décennie de la mise en place de la première Constitution de la RDPL, nous voyons
apparaître plusieurs décrets, circulaires et lois, visant la régularisation foncière.175 Ensuite, les autres
décrets ou circulaires à partir de l’année 2000 vont apporter des ajustements sans en changer le
fond, par exemple ceux qui vont définir le rôle des organismes de gestion des sols, etc., notamment
l’organisme mixte de gestion et de développement foncier -Ongkane borihan lé phathana thidinh.
Son rôle est de gérer et mettre en valeur les biens de l’État.
L’importance du cadastre et le développement urbain
Les cadastres sont des documents fondamentaux non seulement par rapport à la question
foncière, telles la jouissance de la propriété privée et la liberté de la spéculation, mais ils le sont
surtout pour le développement urbain, la planification et la gestion du territoire de la ville. Dès 1991
lorsque la loi de l’urbanisme ainsi que les règlements portant le permis de construire
(N1512/MCTPC, 28/09/1991) ont été mis en place, le MCTPC signifie par une circulaire
administrative, 1650/MCTPC en date du 28 octobre 1991, au ministère des Finances, le besoin du
titre foncier légal pour le dossier des permis de construire qu’il a à instruire. Après quoi le ministère
des Finances répond (lettre administrative N1574/MPF, du 22 novembre 1991) en expliquant que :
« le décret du Premier ministre portant le droit foncier est encore en cours d’examen. Dans ce
décret, il est indiqué que toutes les parcelles doivent être enregistrées dans le registre du village et
après quoi, le titre foncier et cadastral sera attribué à chaque parcelle au nom du propriétaire qui
en aura le droit en bonne et due forme. En attendant la mise en application de ce décret et donc du
nouveau titre foncier, il est à considérer que les anciens titres sont encore valables, car ils
témoignent du droit d’usage et de jouissance sur lequel le Service des cadastres de la préfecture de
Vientiane se réfère actuellement pour mener des enquêtes afin de délivrer un certificat confirmant
la conformité de ces titres. Donc provisoirement, pour s’assurer de la conformité des titres fonciers,
nécessaire à l’instruction des permis de construire, les demandeurs doivent se munir de certificat de
conformité de leur titre foncier (ancien) accompagné du plan parcellaire délivré par le service des
cadastres de la préfecture de Vientiane, avec approbation de l’autorité du village et du service
foncier du district.»
Nous devons entendre par “ anciens titres ” les titres fonciers délivrés par l’administration
de l’Ancien Régime. Cela confirme d’une part que les documents de l’Ancien Régime, conservés
précieusement chez les propriétaires et non reconnus dans les premières années par le nouveau
régime, sont devenus importants à ce titre ; et d’autre part, que les témoignages ainsi que les liens
173 Expression antinomique utilisée par Samuel P. Huntington, in. Le Choc des civilisations (ou The clash of civilisations
and the Remaking of World Order.1996.), éd. Odile Jacob, 2000. 174 Le Chitanakan maï a été adopté lors du IVe Congrès du parti en 1986. In. Cinq leçons du parti révolutionnaire pour
mener la Réforme, Comité pour la propagande et la Formation du Comité Central du Parti, Vientiane, 2000. 175 Décret N50/PM du 13 mars 1993 portant la taxe foncière, amendement du décret N47/CCM du 26 juin 1989, loi
foncière N04/95/AN du 14 octobre 1995 et son décret d’application N72/PM du 22 mars 1996, décret N52/PM du 13 mars
1995 portant le transfert et l’enregistrement des titres fonciers, loi foncière N01/97/AN du 12 avril 1997 et circulaire
N997/MF de 1998, portent sur l’enregistrement du droit d’usage des sols.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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sociaux et familiaux au niveau du village sont un enjeu important et signifient qu’une certaine
cohérence et consolidation sociale est maintenue d’une manière ou d’une autre autour de cette
question foncière, malgré les turpitudes des ruptures politiques et sociales intervenues en 1975.
Du point de vue technique et méthodologique, la révision du plan cadastre a commencé par
un redressement et un relevé des parcelles, en partant des quartiers du centre vers les quartiers
extérieurs, et parallèlement en partant du périmètre extérieur progressant vers le centre des
agglomérations. L’échelle de travail du plan pour les parties extérieures est au 1/2000e
, alors que
l’échelle de la partie intérieure est de 1/250e à 1/1000e
. La réalisation du plan se fait à partir des
photographies aériennes prises et redressé par Film MAP, la société qui obtient le projet de
réalisation de la carte de Vientiane et des autres agglomérations. Le service du cadastre, l’un des
départements du Ministère des Finances en est le superviseur principal. Ce département a ensuite un
pendant opérationnel, attaché aux autorités administratives déconcentrées de la Préfecture (pour
Vientiane) et provinciales pour les autres provinces du Laos. À Vientiane par exemple, l’opération
couvre la quasi-totalité de l’agglomération. Dans certains quartiers décentrés et éloignés ou
présentant des difficultés particulières, les titres officiels n’ont toujours pas été à ce jour remis aux
habitants.
L’importance du cadastre sur le plan économique et politique
Le plan cadastre utilisé actuellement est le troisième plan réalisé depuis l’existence du
cadastre établi au Laos en 1912 par l’administration coloniale, le deuxième étant celui réalisé au
début des années 1960. Il devrait non seulement devenir l’un des instruments de gestion urbaine et
de régulation foncière, l’un des facteurs de développement de la ville, mais également l’un des
outils financiers permettant de générer des revenus pour l’État. L’enjeu du cadastre n’est plus
uniquement instrumental servant à contrôler, réguler et développer le territoire de la ville, il est
aussi économique et politique, puisqu’il doit contribuer à l’autonomie financière de l’État à travers
les taxes et les impôts, selon les conseils avisés de la Banque Mondiale (BM) et de la Banque
Asiatique pour le Développement (BAD).
Les projets d’établissement des titres fonciers et du plan cadastre, Land Titling Pilot project
(Lao/ARE/0082), réalisés entre 1995 et 2002 au ministère des Finances, ont été financés par la
Banque Mondiale et le gouvernement australien (fonds d’allocation et dons de 6,9 millions de
dollars US). Conjointement, le projet Land Titling (Lao/ECO/0049) financé par un prêt de la
Banque Mondiale est réalisé entre 1997 et 2004 avec 20,7 millions de US dollars. Aujourd’hui,
nous pouvons considérer que l’enregistrement des titres fonciers se poursuit aussi dans les autres
provinces, et le service du cadastre fonctionne maintenant de manière courante. La formation du
personnel et l’amélioration des services sont nécessaires et sont à mettre à jour régulièrement. Car le
contexte de dynamique foncière et urbaine liée au développement économique amène le
gouvernement (ministère des Finances et les départements des Finances de la Préfecture de
Vientiane et des provinces) à entreprendre des projets et des dispositifs juridiques et administratifs
dans le domaine du foncier, notamment les projets de mise en valeur foncière et immobilière que
nous allons voir dans les paragraphes qui vont suivre.
III. IV. b. La libéralisation foncière
Durant les premières années de mise en application du système communiste, de fait, le droit
de jouissance des propriétés privées avait pu continuer à exister malgré tout, parce qu’il y avait une
persistance et une survivance des traditions fortement ancrées dans la vie et dans les mentalités de la
population concernant la question de la terre. Mais du point de vue théorique, nous pouvons
considérer que la propriété foncière n’avait pas été reconnue en tant que telle. La période 1976-1979
montre qu’il y a une coexistence difficile entre, d’un côté, la théorie d’une société égalitaire où la
jouissance de la propriété privée n’existerait pas, car les biens et la jouissance de ces biens ne
devraient être que collective ; et de l’autre, le sentiment de liberté et d’indépendance lié à la Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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possession des biens et de la terre qui donne aussi une certaine identité et un statut dans la structure
sociale chez les Laotiens. Le sentiment de liberté et d’individualité liée à la possession de la terre
est un sentiment fort chez les Lao et il résiste farouchement au collectivisme. En revanche, leur
manière de vivre la jouissance de la propriété privée était souple, caractérisée par une sorte de
communauté solidaire. Autrement dit, le système de communauté reconnaissant la légitimité de
l’individu, donc de la possession individuelle des terres, résiste à la rigueur du système collectif. Le
nouveau régime devrait peu d’années après se rendre à l’évidence et donc composer avec cette
résistance. C’est pourquoi la jouissance de la propriété foncière n’a-t-elle pas été dans les faits
complètement supprimée ?
Entre 1979 et 1986, l’année de la mise en marche de la Nouvelle Mécanique Economique
(NME), nous constatons que le régime devient relativement plus souple vis-à-vis de la question
foncière. Le secteur commercial à petite échelle est autorisé aux initiatives privées. Le système de
production collectiviste est remis en question, les terres sont partiellement et pratiquement rendues à
la population en même temps que la reconnaissance de la propriété, etc. Puis à partir de 1986 la
réforme va clairement mettre fin petit à petit au système de collectivisation et de contrôle de la
production, du commerce et de la circulation des biens. Les entreprises d’État vont au fur et à
mesure faire place aux entreprises mixtes État/privé et aux entreprises complètement privées.
Le secteur foncier qui connait un statuquo, si nous ne considérons pas les petites
transactions foncières “ clandestines ” sur lesquelles l’État “ ferme les yeux ”, revit après sa
libéralisation. À partir du moment où les titres fonciers sont reconnus sur la base des documents
anciens que les autorités vérifient et prennent en compte pour effectuer des certificats et titres
provisoires vers 1991, et à partir du moment où l’État prélève des taxes foncières (Décrets N50/PM
du 13 mars 1993),176 aussi peu importantes soient les perceptions qu’il a pu prélever, le mouvement
foncier devient possible et effectif. Les impôts fonciers distinguent les terrains constructibles des
terrains agricoles et des terrains à vocation commerciale et de service ou industriels.
Avant l’établissement du nouveau cadastre de 2002, ces impôts étaient faibles et
s’apparentaient davantage aux frais administratifs. Aujourd’hui bien qu’ils soient plus importants
qu’auparavant, les recettes venant des impôts fonciers restent relativement faibles. C’est un vrai
“ casse-tête ” pour le ministère des Finances et les bailleurs de fonds qui constatent que « l’État
laotien n’arrive pas à prélever les taxes foncières de manière conséquente ».
Mise à part la difficulté de mise en application et le manque de clarté du statut de beaucoup
de biens fonciers en milieu urbain, il est fort probable que ce problème soit lié au statut traditionnel
des terres et au particularisme culturel du rapport à la terre de la population locale. Il faut constater
d’abord que le nombre des propriétaires est relativement important. La grande majorité des Laotiens
sont agriculteurs de souche, ils cultivent les terres et donc possèdent des terres d’une manière ou
d’une autre. Même des pauvres paysans sont généralement propriétaires de leurs terres, en
défrichant auparavant les terres vierges de la forêt claire. Ceci renvoie au droit coutumier qui stipule
que les droits d’usage sont accordés aux personnes qui défrichent et mettent en valeur la terre. La
grande majorité possède aussi leur propre habitation. Car, si le fait de louer le sol pour augmenter la
surface d’une exploitation était une pratique ancienne, être locataire d’une habitation est un fait
relativement récent. Il faut remarquer ensuite que dans les deux cas des terres exploitées et des
terres habitées, les terres n’étaient pas destinées à la “ sur-rentabilité ” : l’opulence traditionnelle des
terres agricoles faisait que l’on ne cherchait pas à les surexploiter, ni rechercher des rendements audelà
de leur possibilité naturelle. Le rapport à la terre est, pour ainsi dire, traditionnellement non
spéculatif.
176 Le décret N50/PM est un amendement du décret N47/CCM du 26 juin 1989. Celui-ci porte essentiellement sur le
système de taxes en général. Dans ce cadre la taxe foncière a été inscrite de manière très lâche et permet difficilement sa
mise en application.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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En ce qui concerne le domaine des contributions, aujourd’hui même s’il est tout à fait rentré
dans les mentalités que la terre est spéculative et peut générer des richesses pour ceux qui la
possèdent, et même si ces derniers pratiquent couramment cette spéculation, il est difficile dans les
faits de leur faire comprendre et accepter la nécessité des contributions : « si la terre fait générer
des revenus à leur propriétaire, il est normal qu’elle génère aussi des revenus aux instances
publiques qui ont la charge de gérer le domaine national dans tout le pays ». Telles sont les
explications simples que l’on peut donner à la population, mais ceci reste difficilement applicable.
Il faut également noter que la faiblesse des revenus de l’État provenant du domaine foncier
peut aussi s’expliquer par le fait que l’État est également le plus grand propriétaire des biens
fonciers en milieu urbain, propices à la spéculation. Et ce qui appartient à l’État ou confisqué par
l’État après 1975 ne connait pas de mouvement et ne génèrent aucune rente : ni taxe, ni impôt.
Aujourd’hui, la transaction foncière bat son plein, à grande et à petite échelle, privée et publique. Il
se réalise principalement sous trois formes : la transaction, le bail et la concession.
III. IV. b. 1. Les transactions foncières
La dynamique de la transaction foncière est aujourd’hui incontestable dans l’ensemble du
pays. La spéculation est particulièrement vivace dans la capitale et dans les villes secondaires. Les
titres d’usage foncier177 se vendent et s’achètent librement. La liberté de transaction permet à l’État
de créer des recettes à travers les taxes de la transaction. C’est une politique fortement soutenue,
voire, initiée par les bailleurs de fonds internationaux, telle la Banque Mondiale.
A titre d’exemple, en 2004 la taxe de la transaction foncière était de 4% du prix des biens.
C’est une perception qui s’additionne en fait aux impôts fonciers existant. Avec les 4% de taxe,
l’État commence à avoir une perception plus conséquente d’autant plus qu’un véritable marché
foncier et immobilier s’est constitué de manière sérieuse à ce moment-là : le pouvoir d’achat local
s’est renforcé. Il y a ceux qui achètent, ceux qui vendent et ceux qui spéculent. Un petit marché
financier s’est alors constitué autour des biens fonciers : posséder la terre, c’est posséder un pouvoir
financier, car la terre devient solvable et hypothécable. Effectivement avec la dynamique de cette
transaction, les terrains commencent dès le milieu des années 1990 à avoir de la valeur. Mais les
effets pervers sont également apparus dans la méthode ou dans le manque de méthode d’évaluation
des biens. Des vices de procédure existent dans de nombreux cas de figure, empêchant l’État de
percevoir pleinement des recettes. Prenons en exemple un cas courant dans les années 1995 : par
exemple, un bien est évalué au-dessus de sa valeur réelle, ensuite, il est placé en hypothèque à la
banque nationale. Celui qui détient le titre foncier et à qui la banque prête de l’argent vient à faire
faillite. Lorsque la banque saisit le bien, elle se rend compte que celui-ci n’a pas la valeur
hypothéquée. Les premiers déboires du domaine foncier ont donc été essuyés par l’État dès les
premières années de libéralisation de la transaction foncière.178 Aujourd’hui, la banque est plus
prudente. Le marché foncier continue à bien se porter dans la plupart des agglomérations
laotiennes : le prix des terrains augmente sans cesse et les biens ont toujours tendance à être
surévalués.
Un autre cas de figure concerne le contrôle des 4% des transactions et le prix réel des
transactions. Les études de terrain montrent que l’État ne perçoit pas les recettes issues de la
transaction de manière proportionnelle à la dynamique du marché foncier. Notons deux faits : le
manque d’outils juridiques et des paramètres économiques.
Premièrement, il n’y a pas de notaire pour la transaction foncière. L’acte de vente se fait
devant l’autorité du village. Ensuite cet acte sera joint aux formulaires de demande de transfert du
titre d’usage foncier –du nom de l’ancien propriétaire au nom du nouveau propriétaire– qui seront
177 Ce terme est par les faits l’équivalent du “ titre foncier de propriété ”: le terme en Lao n’existant pas. 178 Le phénomène n’a pas été volumineux, mais a causé le renvoi des postes de direction au sein de la banque nationale.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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faits et notifiés par le service des cadastres de la préfecture ou de la province, en passant par les
sceaux de l’autorité du district. Les 4% de taxes peuvent être payés soit au village, soit au district,
qui ferait remonter vers le service affairant des instances supérieures, c’est-à-dire le département
des finances de la Préfecture. Il est courant que le prix réel de la transaction ait été volontairement
réduit au tiers, voire au quart, en commun accord entre le vendeur et l’acheteur. Ceci, afin de
réduire le montant issu des 4%. Par exemple pour un terrain vendu à 33 000 USD, déclaré à 10 000
USD, le vendeur paiera 400 USD de taxe au lieu de 1 320 USD. Comment cela est-il possible ? Le
prix des terrains a pourtant été attribué par zone dans toutes les villes par le Ministère des Finances.
La réponse serait multiple, mais celle qui peut être notée ici, c’est le manque de ressources
humaines compétentes, de méthodes et d’outils efficaces pour effectuer des vérifications et dresser
des contraventions. Le constat de ces pratiques notoires de détournement met en doute la part réelle
de perception du Ministère des Finances.
En 2008, la faille a commencé à être comblée. L’affectation des prix au M2 qui a été
réalisée par zone ou par village a été renouvelée et mise en application, le taux de 4% a été révisé et
réduit à 1%. Mais cette fois-ci, le document sert de référence au moment de la demande de
transaction. Les agents du bureau du foncier se réfèrent au document officiel des prix au M2 qui ont
été déterminés. Par exemple à Ban Khounta-Tha, le M2 est fixé à 1 800 000 kips.179 L’État prélève
donc 1% au lieu de 4%, du prix officiel au M2. Lorsque le transfert des titres se réalise entre deux
personnes ayant un lien de parenté, le taux appliqué sera de 0,1% au lieu de 1%. Dans tous les cas,
désormais le prix déclaré et affiché par les acheteurs et les vendeurs qui déclarent en dessous du
prix de vente réel afin de payer moins de taxes, ne sera plus pris en compte, seul le prix au M2 par
zonage constitue la base de calcul.
Deuxièmement, un bien est parfois réellement mal évalué malgré tout, dans le sens où il est
difficile de connaitre la valeur des biens. Le manque d’outils et de paramètres économiques réels
d’évaluation attire notre attention et explique en partie pourquoi le marché foncier au Laos est
particulièrement aléatoire. En fait, personne ne regarde, ni n’utilise vraiment le prix officiel affiché
dans le plan de zonage foncier, à part les agents qui s’occupent du transfert des titres pour le calcul
des taxes. Ce marché fonctionne en fait comme un jeu d’enchère entre l’acheteur et le vendeur.
Celui qui n’a pas besoin d’argent met le prix de ses biens très haut et au contraire celui qui en a
besoin les brade souvent au prix inférieur parce qu’il a besoin de liquidité et donc pressé de vendre.
Partant de ce principe, si les terrains à Vientiane restent chers proportionnellement à son
développement économique, c’est qu’il y a plus d’acheteurs que de vendeurs, dans le sens où il y a
plus de besoins d’acheter que de besoins de vendre. À cette idée, il faut se référer au fait que la
proportion des populations qui sont propriétaires est plus importante que la proportion des
populations qui sont locataires ou autres.180 Et que parmi ces propriétaires, il y a un nombre
important de ceux qui possèdent d’autres biens fonciers et immobiliers en plus de leur propre
logement. Ce qui devrait sous-entendre notamment que les opérations immobilières, telles que
constructions de logement et de lotissement, ou autres, à vocation locative à l’origine ne sont pas
très courants. Et s’ils peuvent devenir un fait courant, c’est dans un contexte particulier et nouveau
et à destination d’une population majoritairement extérieure, comme nous allons le voir à travers la
question des baux et des locations. Nous verrons également dans une autre partie de notre réflexion
que cela peut donner une empreinte particulière à l’ambiance des villes laotiennes et un indice à son
mode de vie citadine.
179 Taux de change en juin 2009 est de 1USD/8450 kips. 1.800.000 kips pour 213 USD. 180 Connaître le statut de la propriété des biens est particulièrement délicat. Les enquêtes de terrain sur la question ont
montré que cela touche la susceptibilité, la sensibilité et la dignité des habitants. Les habitations peuvent effectivement
avoir des statuts très variés : habitation privée, habitation louée, habitation squattée, habitation confisquée par l’État et
allouée provisoirement à l’habitant, habitation dont l’habitant à seulement la garde, etc. Si les propriétaires peuvent
répondre sans réserve, les autres types d’habitant n’aiment pas répondre aux questions touchant le statut foncier de leur
habitation.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Une étude sur les bâtiments susceptibles d’avoir de la valeur patrimoniale et donc d’être
protégés a été menée dans le centre de Vientiane entre 1999 et 2002. Ainsi sur environ 300
bâtiments intéressants au titre patrimonial inventoriés, nous avons pu recueillir les informations
portant également sur le statut d’occupation des bâtiments. Signalons qu’à ce titre les quartiers
centres de Vientiane, ne sont sans doute pas exemplaires. Puisqu’ils étaient habités majoritairement
par les commerçants, par les gens qui occupaient une position importante dans la société et dans le
gouvernement de l’Ancien Régime, et par les “ habitants de souche ” qui ont en majorité quitté le
pays en 1975. Notre enquête nous confirme que beaucoup de ces maisons ont été confisquées par
l’État, cas que nous pouvons repérer sans trop de difficultés. Par contre, les maisons confiées à la
famille ou squattées peuvent parfois être identifiables mais difficilement confirmées ou vérifiables.
Car les gens sont réticents aux questions posées. Sur la question de la confiscation des biens, le
décret N129/PM du 18/11/1979 a été mis en application pour légaliser les actions de l’État. Il porte
sur les maisons et les terres des patikanes (réactionnaires) que le tribunal populaire a condamné, les
individus qui s’étaient enfuis et/ou envoyés aux séminaires. L’arbitrage s’était basé d’abord sur le
principe politique et idéologique, que l’autorité politique avait ensuite intégré comme une légalité.
On peut le voir subsister à travers la loi foncière N01/97AN du 12/04/1997, l’article 62, alinéa 4 :
« celui qui peut perdre le droit d’usage des terres est celui qui a été condamné par la cour
populaire à perdre ce droit » ; l’article 63, alinéa 1 et 2 : « celui qui renonce de son propre gré au
droit d’usage des terres », « l’État (étant le propriétaire de toutes les terres se donne le droit )
récupère les terres aux privés pour en faire un usage public ».
III. IV. b. 2. Les baux et les concessions
Les baux de longue durée et les baux de courte durée font l’objet de taxation différente. La
location de courte durée est plus onéreuse, elle concerne surtout les habitations. Elle peut aller de
quelques mois à une ou plusieurs années renouvelables. Les baux à moyens termes concernent les
biens à destination commerciale et aux activités tertiaires, à plus longs termes, ce sont des biens à
fonction industrielle ou des équipements à fréquentations publiques. Dans le cadre des baux à courts
termes, les locataires interviennent de manière très limitée dans les éléments bâtis. Les propriétaires
s’occupent encore des biens qui font l’objet de baux. Ce type de bail est le plus souvent une affaire
entre privés. Alors que les concessions sont en majorité les affaires entre l’autorité publique (le
gouvernement laotien) et les sociétés privées, très souvent étrangères. Les biens qui font l’objet de
concession appartiennent pour la majeure partie à l’État, en partie ou en totalité, qui concède aux
sociétés privées. Dans l’ensemble, la durée des différents baux varie de 20 à 95 ans, renouvelables.
Il s’agit des biens fonciers de grande ampleur en milieu urbain, et des vastes terrains de
plusieurs dizaines ou centaines d’hectares. Il peut s’agir d’un grand territoire comme ce fut le cas
des concessions de Botèn et de la zone économique de Savanh-Seno (1e partie. I. II. b-c.) En ce cas
l’État peut être lui-même partenaire. Le foncier, qui représente souvent 30% des investissements
(pourcentage fixé entre les deux parties) en devient alors la part d’investissement de l’État laotien
dans la plupart des projets.
Lorsque l’État donne en concession, ces biens, l’État n’intervient pas dans l’aménagement
et la gestion de ces biens. Les sociétés sont assez libres dans leur manœuvre. Dans la quasi-totalité
des concessions, aucun cahier des charges n’a été annexé au contrat. Pour les concessions moins
importantes, elles sont soumises à une “obligation de principe ” : les sociétés doivent réaliser les
projets pour lesquels elles ont obtenu la concession dans les cinq années après la signature, en
défaut de quoi les contrats peuvent être annulés par l’État. C’est le cas de l’ancienne trésorerie
coloniale à Vientiane. Le vaste terrain avec une vieille bâtisse coloniale est situé dans un lieu
prestigieux puisqu’il jouxte le palais présidentiel et donne sur deux rues principales, la rue
Sethathirat et le quai F’a-Ngoum. Étant un bâtiment figurant sur la liste de l’inventaire de 1994 du
Département des Musées et de l’Archéologie du ministère de la Culture et de l’Information, et sur
celle de 2002 réalisée par l’Atelier du Patrimoine et proposé par l’institut de Recherche en
Urbanisme, l’édifice doit être normalement conservé. Mais lorsque la concession a été accordée à
Tab. 2. Durée des
baux et des
concessionsDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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ST groupe, il n’y a pas de cahier des charges annexé au contrat pour la conservation et l’obligation
de restaurer le bâtiment, celui-ci a été ainsi démoli dès l’obtention du contrat. Et au bout de cinq
années ST groupe, n’ayant toujours pas réalisé les projets comme il était prévu, l’État menace de lui
retirer la concession. Aujourd’hui, nous constatons que ST groupe possède toujours cette
concession, puisque un kiosque de banque ST groupe y a été installé. L’installation de kiosque
bancaire de 10 m2 semble suffisante pour que la société échappe aux “ obligations de principe ” et
continue à jouir de son droit.181
Depuis le milieu des années 2005, l’État préconise de mettre en valeur ses biens fonciers
qui ne lui généraient aucun revenu, jusqu’alors : il prévoit donc de donner en concession de
nombreux ensembles fonciers en sa possession en lançant des appels à proposition et des appels
d’offres. Si ces appels sont discrets et ne sont pas toujours connus des habitants qui habitent dans
les lieux concernés, et qui seraient touchés par le relogement éventuel lorsque les projets l’exigent,
ils sont bien connus des investisseurs et spéculateurs locaux et internationaux.
Taxe sur les revenus fonciers
Afin d’avoir un aperçu sur l’importance que peuvent avoir les baux et les concessions dans
les revenus de l’État, intéressons-nous à titre d’exemple aux taxes sur les revenus générées dans ce
cadre. Le principe établi est de distinguer d’abord le locataire laotien et le locataire étranger, vient
ensuite la nature des biens loués. Le gouvernement taxe entre 25 et 30% les revenus générés par la
location des maisons.182 30% si la maison est une villa en dur et 25% si la maison est à moitié en
dur à moitié en bois ou entièrement en bois (type maison lao pagnuk). Et ceci, lorsque le locataire
est de nationalité laotienne. Lorsque le locataire est étranger la taxe est calculée selon les m2 des
surfaces habitables : l’emprise de la maison comprenant la cuisine, le garage et autres constructions
annexes, à l’exception des clôtures.
III. IV. c. Questions sur les biens gelés durant trente ans et questions de propriété,
d’héritage et de nationalité des Laotiens de la diaspora
A partir de plusieurs faits convergents en ce qui concerne le plan de développement urbain
et socioéconomique, l’État ne peut que constater l’importance que peuvent générer les biens
fonciers et immobiliers qu’il possède, et se rendre compte que ces biens sommeillent durant de
longues années. Nous avons déjà évoqué le fait que même au niveau des taxes ces biens ne
généraient aucune recette pour l’État, pire, ils tombent en ruine et nécessitent des coûts importants
pour leur entretien. Nécessité que l’État laisse de côté par manque de moyens. Même en possédant
tous ces biens l’État “ reste pauvre ” parce que ces biens ne sont pas taxables, n’ont pas été mis en
valeur et n’ont pas été solvables. L’ouverture économique bien entamée, il est constaté qu’il est
temps que les biens qui ont été gelés puissent produire des rentes et des bénéfices à l’État. Pour ce
faire, plusieurs questions restent à éclaircir. Des problèmes d’ordre du droit et des libertés, mis en
sommeil depuis 1975, émergent et appellent à être réglés. Et ce sont des questions que l’État laotien
ne peut pas toujours évacuer de manière expéditive. Son adhésion à “ l’état de droit ” et son
intégration dans la communauté des nations, la reconnaissance de la propriété privée qui est chère à
la population et qui devrait garantir une des libertés fondamentales et une paix civile durable,
obligent à la prudence. Ainsi, on ne peut évoquer le mouvement du foncier sans évoquer les trois
questions corollaires que sont les faits concernant les biens qui ont été gelés depuis plus de 30 ans et
les questions de propriété, d’héritage et de nationalité laotienne de la diaspora.
181 En 2011 le site a été octroyé à la Banque Mondiale pour la construction de son siège. 182 Décret présidentiel N01/RDP du 28/09/1998, article 4, portant les modifications des taxes sur les revenus générés par
la location des biens fonciers et immobiliers. Décret du premier ministre N241/PM en date du 25/12/1998, article 5. Lois
des contributions N0495/AN, en date du 14/10/1995.
Tab. 3. Taxe
des Baux
fonciersDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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La légalisation des terres confisquées
Lié à la difficulté de l’immatriculation foncière, il y a un autre fait à éclaircir : il existe un
nombre très important de parcelles, isolées ou groupées en quartier, dans le milieu urbain de
Vientiane qui n’ont pas de titres cadastraux, n’ayant pas pu être immatriculées et attendent une
attribution statutaire. Ce sont des parcelles qui ont été confisquées, aux personnes qui ont quitté le
pays entre 1975 et 1982183 et aux personnes qui en “ possèdent trop ” et qui ne sont pas parties, et
données par l’État aux tiers. Ce sont aussi des parcelles abandonnées par leurs propriétaires,
squattées sans autorisation. Par la suite, ces biens font l’objet de procès entre les anciens
propriétaires qui n’ont pas quitté le pays ou la famille de ceux qui sont partis et les nouveaux
occupants. Ces derniers n’ayant ni témoins, ni anciens titres fonciers au moment des enquêtes pour
l’immatriculation des titres, ne peuvent faire valoir leur droit d’occupant et ne peuvent faire
immatriculer les biens qu’ils occupent. Devant de tels conflits entre les occupants effectifs et les
propriétaires juridiquement légaux, les litiges sont à traiter cas par cas. En tous les cas, les
problèmes laissent ouverts à tous les abus possibles : faux papiers, vice de forme et de procédure,
corruption et abus de pouvoir, etc. Chacun cherche par tous les moyens à faire valoir ses droits.
A partir de 2007-2008 l’État finit par trancher par un arbitrage, non pas pour mettre fin aux
problèmes mais pour pouvoir enfin immatriculer ces “ terres à problèmes ” [fuo,u[aoskF fuo7qo38o],
puisque les anciens problèmes subsistent et des nouveaux apparaissent, comme nous venons de le
souligner. Lorsque quelqu’un occupe depuis près de 30 ans un bien foncier et immobilier, il aurait
désormais le droit de le conserver, du moins de procéder à son immatriculation. Ceci à condition
que ce dernier paie un droit à l’État, au prix fixé par lui, au cas par cas. Ce qui équivaut à l’achat pur
et simple des biens à l’État, avec une petite différence près par rapport à la fluctuation du marché
foncier qui se pratique généralement. Effectivement alors que le prix du marché est complètement
aléatoire, le prix fixé par l’État pour ces biens spécifiques semble plus stable. Pour acquérir
définitivement les biens, l’occupant acquéreur doit payer 100% du prix fixé par l’État. Mais lorsque
l’occupant acquéreur est fonctionnaire, il ne paiera que 10 à 30%, selon les cas.
L’avantage accordé aux agents de l’État est une forme de compensation pour les services
rendus et pour les bas salaires de ces derniers. Mais il crée aussi des effets pervers. Par exemple,
lorsque l’État réussi “ à vendre ” un bien foncier qu’il avait autrefois attribué à des familles ; pour
libérer ces biens, l’État ou le nouvel acquéreur doit payer une somme conséquente aux familles pour
les déloger. Beaucoup de familles qui habitaient dans des habitations attribuées par l’État continuent
alors à y “ habiter administrativement ” en installant un membre de la famille, même s’ils ont déjà
une autre habitation ailleurs. Ceci, afin de bénéficier du droit d’indemnisation. N’ayant pas de fond
pour cette indemnité, l’État n’a pas pu vendre ou donner en concession, certains biens ; ou, ne
voulant pas payer cette indemnité qui ne relève pas de sa responsabilité, l’acheteur abandonne et
décline souvent les offres. Au résultat, beaucoup de bâtiments restent délabrés et continuent à
tomber en ruine par manque d’entretien. Les biens les plus prestigieux continuent à “ dormir ” ainsi
et ne rapportent rien à l’État. Le développement urbain et la mise en valeur des centres sont liés
aussi à ces problèmes. Il semble clair, tant que les problèmes fonciers et de rénovation immobilière
ne sont pas approchés et intégrés en tant que tel, le développement urbain et la protection
patrimoniale ne peuvent être réalisés de manière harmonieuse et durable.
De la reconnaissance de la propriété à la reconnaissance du droit d’héritage, par rapport à la
question de nationalité laotienne de la diaspora
La reconnaissance de la propriété et des droits qui en est issue a été un grand pas que le
gouvernement laotien a su franchir. La culture et la jouissance des terres des Lao, leur rapport
historique à la possession des terres étant un symbole de “ liberté ”, le retour vers cet acquis
183 Décret N192/PM en date du 18/11/1979 portant les terres et les maisons des réactionnaires (patikhane) que le tribunal
populaire a condamnés ; les biens de ceux qui ont fui le pays et de ceux qui ont été envoyés aux séminaires.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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fondamental était suffisant pour arrêter peu à peu la fuite de la population vers l’étranger. Elle a
permis à la population de se rapprocher un peu plus du régime, voire, de se conformer de fait à son
système, le désir de la population étant peu exigeant et peu revendicatif.
A cette question, exposons des problèmes inextricables pour les autorités du gouvernement
laotien : deux lois entrent en collision et soulèvent un malaise politique et social profond touchant le
droit et des libertés fondamentales des personnes.
Constat 1 : la loi concernant le droit de succession et d’héritage
Après la reconnaissance de la propriété, l’État formalise sa reconnaissance du droit de
succession. Confirmé par la Constitution de 1991 (article 14 et 15, chapitre 2, portant le régime
économique et social), l’État a institué les droits et les libertés d’hériter en stipulant que : « l’État
protège les droits de propriété et le droit de succession des biens des organismes et des individus.
Quant à la terre, propriété de la communauté nationale, l’État en garantit les droits d’usage, de
cession et de succession conformément à la loi ». Dans les faits, la jouissance de la propriété et de
l’héritage qui n’a jamais vraiment disparu des pratiques, même durant les premières années du
régime où idéologiquement l’héritage était considéré comme la survivance des privilèges, une
pratique considérée comme appartenue à la classe sakdina que le régime combattait. À contrario, de
fait et de droit, l’État reconnaît que toute personne a le droit d’hériter de ses biens familiaux. La
reconnaissance juridique de l’héritage sera visible aussi à travers les impôts sur l’héritage inscrit
brièvement dans l’article 60, alinéa 5, de la loi foncière de 1997.
Constat 2 : la loi concernant la propriété des terres et le droit des étrangers.
Il est stipulé dans l’article 72, 73, 75 (Partie III, chapitre 4) de la loi foncière de 1997 que :
« l’État ne reconnaît pas les droits et les réclamations pour les terres dont l’État a confié la garde
et la jouissance au peuple durant la révolution » (art. 72) ; « l’État ne reconnaît pas les droits et les
réclamations des terres par les anciens propriétaires qui ont quitté leur terre durant la
révolution » (art. 73) ; « l’État ne reconnaît pas les droits et les réclamations des terres de ceux qui
ont quitté le pays pour aller à l’étranger » (art 75).
L’article 72 met l’accent sur l’aspect inviolable des décisions de l’autorité publique. L’article 73
semble concerner ceux qui ont quitté la zone libérée avant 1975 et ceux qui ont migré durant les
événements de 1975. Quant à l’article 75, il ne concerne pas les étrangers proprement dits, mais les
étrangers d’origine laotienne qui ont quitté le pays entre 1975 et 1982, condamnés ou pas par la
cour populaire. Ces trois catégories de population ne peuvent réclamer leurs anciens biens, ils ont
perdu définitivement leur droit de propriété et d’usage. Devant la loi foncière, les étrangers
d’origine laotienne se rangent dans la catégorie des étrangers. Et la loi stipule que, ces derniers
n’ont pas le droit de posséder ou de tenir le titre kamma sit des terres, c’est-à-dire le droit de
propriété qui comporte le droit de garde, d’utilisation, d’usufruit, de cession, de transfert et de
succession (art. 5). « Le sol appartient à la communauté nationale (…) l’État le gère de manière
centralisée (…). Il confie aux individus, aux familles et aux organismes le droit de l’utiliser (le titre
de kamma sit) et aux étrangers le droit de le louer » (art. 3).
Point de collision
Le problème qui se pose est que l’histoire sociale issue des événements de 1975 a créé un
phénomène spécifique : les Laotiens qui ont quitté le pays et qui étaient des réfugiés politiques
acquièrent par la suite la nationalité des pays qui les ont accueillis. Ils forment une très importante
diaspora à l’étranger et sont des “ étrangers ” (de nationalité étrangère) devant la loi laotienne.
N’ayant pas complètement coupé des liens avec le pays, ces étrangers, tout en étant ou pas des
patikane –“ réactionnaires ”, sont potentiellement des personnes qui ont le droit naturel et
fondamental d’hériter des biens appartenant aux citoyens laotiens –leur famille du Laos. Ils se
relient par cet héritage “ fictif ” à leur identité et à leur histoire individuelle, familiale et nationale.
Par la légitimité et le droit naturel, les personnes quelles qu’elles soient peuvent hériter et la
constitution stipule que « l’État protège (…) les droits de succession des biens (…) des individus ». Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Cependant étant de nationalité étrangère ils ne peuvent jouir du droit de propriété (kamma sit),
accordé seulement au citoyen laotien par la loi. En un mot, ils ne peuvent posséder ce qu’ils ont
hérité.
III. IV. d. Le marché foncier de Vientiane et des centres provinciaux
Bien que la flambée foncière proprement dite soit un phénomène complexe qui ne peut être
traité dans le cadre de notre étude, nous pouvons cependant dans la limite de notre questionnement
l’attribuer à la croissance économique générale, que celle-ci soit forte ou relativement faible,
comme c’est le cas du Laos. Effectivement, cette flambée n’est pas spectaculaire si nous la
comparons à une progression naturelle que le pays devrait normalement connaitre sans les trente
années de statuquo, voire, de récession en ce domaine. La flambée foncière que connait
actuellement Vientiane est en fait un simple phénomène de rattrapage de son statut de capitale, car
celle-ci a été atrophiée par la ruralisation durant la période de transition que nous avons située entre
1975 et 1995. Dans les débuts de cette période, il n’y a aucun mouvement de transaction officielle
des biens. Par contre, si nous considérons cette flambée dans la continuité et par rapport aux trente
années de récession, elle est relativement spectaculaire.
De manière générale, la valeur foncière commence à prendre de l’ampleur avec la
constitution de la capacité locale à investir. Dans les capitales provinciales, le phénomène semble
plus lié aux projets de développement qu’au phénomène de rattrapage comme c’est le cas de
Vientiane. Effectivement en province il existe une “ ambiance ” de “ prospections et
d’anticipation ”, par ailleurs pas toujours justifiée, mais qui justifie les intentions d’investir. Par
exemple à Savannakhet, autour du futur campus universitaire –projet de constructions qui a été
planifié et dont l’opération a été lancée en partie– les habitants qui ont les possibilités d’investir
disent que : « le centre va être là, parce qu’il va y avoir une grande université pour toute la
province. Il serait opportun d’investir dans le foncier et dans l’immobilier dans cette zone :
construire des compartiments à louer, des commerces et du logement pour les étudiants. Car les
chambres du campus ne suffiraient pas. Cette zone va être plus animée que le vieux centre de
Savannakhet…». Peu à peu, la motivation tout à fait intéressée et anticipée fonde la constitution
d’un éventuel futur centre autour d’un futur équipement. C’est par cet optimisme, cette vision
prospective plus ou moins justifiée que le marché foncier se construit. Mais souvent, par manque de
budget ou autres, un certain nombre d’équipements n’a pas été construit, les personnes trop
enthousiastes et mal informées ont alors “ perdu ” de l’argent en achetant des terrains qui vont rester
des années inutiles. C’est le cas par exemple des hectares de terre autour du futur aéroport au
kilomètre 18-21 de la route numéro 13 (à Vientiane) qui restaient depuis plus de 15 ans inutiles tant
que la construction du nouvel aéroport ne devienne effective.
A Vientiane la planification d’un nouvel axe qui relierait la future gare –se trouvant derrière
la mare de That Luang dans la zone où devrait se construire la “ ville nouvelle chinoise ” (parmi
autres projets prévus)– à la route numéro 13, active bon nombre de projets d’investissements privés.
L’administration urbaine exproprierait une bande de 150 mètres pour l’emprise de cet axe aux
propriétés se trouvant sur son tracé : 50 mètres pour l’emprise proprement dite de la route et 50
mètres de chaque côté pour être parcellisés et vendus dans le cadre du développement de la ville
nouvelle. Inquiets, de peur d’être expropriés sans indemnité ou alors très symboliquement
indemnisés, certains propriétaires vendent rapidement leurs terres. Les sociétés ou les privés “ bien
informés ” qui veulent investir dans l’immobilier achètent ces terrains en connaissance de cause.
Pis, ces mêmes investisseurs “ font circuler le bruit ” d’une mauvaise indemnisation du
gouvernement pour que les riverains vendent au plus vite et aux prix qu’ils fixent. Après quoi, nous
supposons que ces sociétés négocieront les “ indemnisations ” avec le gouvernement sur les 50
mètres d’emprise de chaque côté de la route, ensuite ces 50 mètres seraient parcellisés et vendus par Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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leur soin et à des prix bien supérieurs une fois la route construite.184 Les acheteurs seraient
éventuellement les investisseurs étrangers qui installeraient des industries dans le cadre du corridor
économique. Car cette route de 21 kilomètres (entre le croisement Dong dok et la route du Mékong
à Dong Pho Si) ferait partie des réseaux économiques transversaux régionaux. Quelques mois après
l’annonce de ce projet de ville nouvelle, le projet a été abandonné au début de l’année 2009 :
185 la
ville future serait déplacée ailleurs, vers les kilomètres 16 à 21 sur la route numéro 13 Nord-est.
Cependant la question d’en faire un projet de promotion foncière dont l’État serait lui-même
l’opérateur (plus que de projet de développement proprement dit) dans la bande d’emprises des 150
mètres demeure, puisque la route des 450 ans de Vientiane y est construite actuellement, reliant le
grand périphérique de Dong Dok au nouveau complexe sportif construit pour le SEA (Sud East
Asia) Game en 2009.
Dans le cas où les propriétaires n’ont pas vendu leurs terres qui font l’objet d’expropriation
avant la construction de la Route des 450 ans, nous constatons que les opérations ont été réalisées
dans des conditions pas très compréhensibles pour la population : le manque d’information et de
dialogue fausse probablement le principe réel du projet. Car, si les informations que nous avons
reçues sont exactes, nous voyons que les propositions du pouvoir public ne sont pas complètement
inintéressantes pour les propriétaires. Examinons le cas :
Le prix courant des terres dans la zone avant la construction de la route était entre 6 à 15 usd le M2.
Le prix au mètre carré des bandes de 50 mètres des deux côtés de la route des 450 ans après
construction serait fixé à plus de 50 dollars. La route apporte donc de la valeur ajoutée aux terrains
de près de 334%. Cela veut dire que l’État aurait empoché 50 dollars nets le M2 s’il n’indemnise
pas les propriétaires. C’est ce qu’avaient compris “ les expropriés ”. Or ce schéma ne serait pas tout
à fait exact, la situation aurait été la suivante :
1- Sur le principe que la route construite par l’État met en valeur les terres, du point de vue foncier,
en leur faisant gagner 334% de leur valeur d’origine, c’est-à-dire de 6 à 15 dollars ils seraient passés
à plus de 50 dollars le M2.
2- L’État veut, de fait, jouer le rôle de promoteur mais ne possède pas de fonds pour le faire.
3- L’État commence alors par exproprier sans indemniser les propriétaires.
4- L’État demande ensuite aux expropriés de lui racheter les terres une fois la route construite à 15
dollars le M2 (c’est-à-dire à peu près le même prix qu’au départ).
5- L’État fixe après le prix minimum des terres à 50 dollars, le M2, que les expropriés sont libres de
revendre mais à ce prix minimum. Cela veut dire que l’État gagne 15 dollars, le M2, et les
propriétaires 35 dollars, le M2 au lieu de 6 ou 15 dollars. Dans ce schéma, d’un côté, l’État récupère
certains fonds pour financer la construction de la route, et de l’autre les propriétaires gagnent trois
fois plus que le prix initial de leur terrain grâce au projet public d’infrastructure viaire. Bien que les
15 dollars ne puissent pas financer la construction d’un M2 de chaussée de route et en conséquent
bien que nous ne puissions pas dire ici qu’il s’agit d’investissement privé dans le réseau public
d’infrastructure, nous pouvons cependant considérer que les riverains participent à un certain degré
184 Une enquête menée auprès d’une famille de propriétaire qui a vendu 10 hectares à Ban Sok à une société vietnamienne
pour un peu plus d’un million de dollars US. a démontré clairement qu’une spéculation foncière à grande échelle est à
l’œuvre, et dont le mécanisme et les modalités échappent aux riverains, comme le contrôle de l’espace urbain échappeant
aux autorités de la ville.
185 Nous n’avons pas accès aux informations officielles concernant l’annulation du projet de “ ville chinoise ”. Mais nous
avons deux explications de façon non officielle : 1- Le projet de ville nouvelle et de concession chinoise a suscité de
violentes polémiques et devient au fil du temps franchement impopulaire. Au delà du mécontentement populaire -qui,
habituellement, n’aurait rien changé- il y aurait des conflits dans le milieu décisionnel et politique, entre les partisans du
projet et les anti-projet qui sont en outre anti chinois. Le lobbying anti-chinois aurait été plus fort permettant l’annulation
du projet. 2- L’investissement serait trop colossal par rapport aux profits espérés par les investisseurs : les indemnisations
foncières seraient importantes et demandant un temps de retour d’investissement long.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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à leur construction, et que par l’élaboration du projet, l’État aide à la mise en valeur foncière de la
zone.
Cette situation locale induit potentiellement une extension urbaine par d’éventuelles
constructions de nouvelles zones. Un large étalement urbain serait alors à prévoir lorsque la
nouvelle zone sera reliée à la ville. De ces éventualités, le domaine foncier serait le facteur principal
du développement urbain à grande échelle, reliant la ville de Vientiane aux grandes métropoles
asiatiques continentales, voire insulaires si nous considérons les cartes des corridors
économiques.186
Ce schéma de “ partenariat ” paraît idéalement équitable, mais dans la pratique sa mise en
œuvre est complexe et demande une compréhension et un rapport de confiance entre les deux
parties. Or malgré le côté qui semblerait “ équitable ” (si les informations que nous avons reçues
sont justes), les procédés de mise en œuvre du projet ont été mal compris par la population et donc
durement critiqués. Sans doute parce qu’ils ont été mal appliqués et la population mal informée.
Celle-ci considère qu’il y a un abus de la part du pouvoir public. Or ceci semblerait être dû plus à
l’incompréhension qu’à un véritable abus. Nous comprenons ici que l’insuccès de certains projets
touchant le foncier, lorsqu’il s’agit de bons projets, provient plus de la forme que du fond et
nécessite un dialogue approfondi et soutenu entre le pouvoir public et la population.
D’une manière globale, l’exemple de Savannakhet montre que les “ centres extérieurs ”,
s’ils se développent, se rapprocheraient de l’exemple de Vientiane, là où nous voyons qu’il y a idée
de constitution de centres périphériques autour des équipements, constituant ainsi des polarités
fonctionnelles locales. Mais à Savannakhet les investissements autour de ce nouveau campus
universitaire ne seraient que de petite taille et ne concerneraient que les privés. À moins que ne
vienne s’y superposer le Corridor Economique, notamment le site de l’école d’agriculture de
Savannakhet qui a été intégré dans le projet SaSez. Et effectivement, selon le Master plan de la
SaSez la zone du futur campus universitaire est aussi à proximité immédiate de l’une des zones de
développement.
Par contre, l’exemple de Vientiane explicite le fait que les projets génèrent une spéculation
foncière à grande échelle, dont le mécanisme et les modalités échappent souvent aux riverains,
comme le contrôle du développement urbain échappe sous certaines formes aux autorités de la ville.
Et personne, ni l’autorité publique et ni les privés, ne peuvent être complètement responsables. À
l’évidence, cela met l’accent sur la défaillance de la mise en application des outils de contrôle et de
régulation foncière, sur le manque de transparence des projets publics et d’action participative des
citoyens dans le développement de la ville.
Dans les deux cas, la spéculation –à petite échelle ou à grande échelle– si elle n’est pas
orientée par un cadre général et détaillé de projets urbains programmés, accompagnés de campagne
d’information transparente, capable de répondre au devenir de la ville : quel environnement de vie,
quel quartier, quel type de ville, etc., le mouvement foncier ne ferait qu’être un indice économique
et ne peut constituer l’un des composants forts et constructifs du développement durable. Cela sousentend
que nous interrogeons la fonctionnalité et l’efficacité des organismes publics et
administratifs et des outils de gestion et de développement urbain qui sont ici mis à l’épreuve.
A ces questions, il semble qu’il y a matière à réflexion sur deux faits. D’abord, sur le fait
que les outils techniques et administratifs de contrôle et de gestion foncière sont encore en cours
d’expérimentation et font encore preuve de faiblesse certaine, telle la création en cours de la
municipalité et de son appareil technique, administratif et politique responsable. Il est alors
inimaginable d’affronter l’extra-territorialité que semble préparer les grands projets dans le cadre
des réseaux et du Corridor économique ou du développement de la capitale. Ensuite, le fait que les
186 Carte des réseaux et corridors économiques, Christian Taillard.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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analyses urbaines préalables (analyses sociologiques, économiques, historiques etc., et surtout
paysagères) pour les projets urbains (grands ou petits) n’ont pas été réalisées avant chaque projet,
explicite forcément des réponses biaisées et donne lieu à des projets urbains pauvres et dépourvus
d’idées porteuses et prospectives, et qui ne répondent donc pas aux contextes économiques locaux
du moment, et ne s’intègrent pas dans l’environnement urbain et paysager des villes.
Qu’ils restent mesurables ou contrôlables, locaux ou extra-territoriaux, les points d’intérêt
se sont, en tous les cas, déplacés globalement vers les nouveaux centres qui se trouvent en
périphérie de la ville ou à l’extérieur de celle-ci : “ vers l’université ”, “ autour des marchés ”, “ à
côté des hôpitaux ”, vers le ou les futurs sites où seront implantées “ les zones d’activité ou des
villes nouvelles ”, etc. De même, le prix des terres autour de ces nouveaux centres connait une
augmentation sans précédent. Ce mouvement signifie qu’il y a un engouement réel pour les
quartiers périphériques. Même pour Vientiane l’intérêt pour son centre ancien reste mitigé jusqu’à
l’année 2005-2006. Le mouvement des acquisitions foncières s’opère principalement en périphérie
ou autour des nouvelles routes, telles que les routes T2 et T4, la route Phone Sinouane-Kosko, et les
anciennes routes revivifiées telles que la Nationale 13, l’axe Dong Palane, etc. En 2004, les terrains
constitués autour de la route T2 (construite sur la mare de Nong Douang vers 1999), coûtaient 3 fois
plus chers qu’un terrain à Ban Khounta-Tha, un village de berge, côtoyant immédiatement le centre
de la ville. Pourtant, la qualité environnementale ainsi que les ambiances à Khounta-Tha sont
beaucoup plus intéressantes. Sur la route T2 où l’environnement est plutôt déplorable de par la
destruction de la zone humide de Nong Douang qu’elle traverse, les activités commerciales et
industrielles légères sont ses principaux intérêts. Et ce sont précisément ces activités qui donnent de
la valeur au foncier et qui créent, d’une certaine manière, la nouvelle centralité.
De ce fait nous pouvons dire que Vientiane prime ses activités commerciales et industrielles
(légères) puisque les terrains les plus chers se basent sur ces critères. Dans le cas contraire, au même
moment, Luang Prabang qui donne le privilège à ses activités touristiques, le prix foncier va suivre
les critères des activités touristiques : les terrains les plus centraux, les plus chargés d’histoire et de
qualité patrimoniale seront dix fois plus chers que les parties périphériques. Pour son statut
exceptionnel en tant que patrimoine mondial, le minuscule centre péninsulaire est fortement prisé au
détriment des quartiers plus décentrés. À partir de 2005-2006, c’est toute la ville qui sera fortement
demandée au détriment de la province qui reste l’une des plus pauvres du Laos malgré le fait que la
ville de Luang Prabang attire plus de touristes qu’ailleurs. En fait, les revenus liés au tourisme ne
sont pas répartis dans la province. Aujourd’hui, les critères de centralité forte et persistante associée
au quartier ancien du point de vue foncier, semblent ne concerner que Luang Prabang. Ce n’était
pas le cas de Vientiane avant le début des années 2000. À partir de 2006-2007, Vientiane tend à
rejoindre Luang Prabang, mais toujours de manière plus relative, accompagnant la renaissance
progressive des activités commerciales dans les quartiers centraux de la petite enceinte, en
particulier entre le palais présidentiel et le quartier Anou et entre la rue Sam-Saèn-Tai et le quai F’aNgoum.
Mais l’expansion récente des quartiers excentrés lui est relativement concurrentielle.
Effectivement à partir de 2007 il y a un retour très sensible vers le centre ancien. D’abord,
les compartiments qui étaient restés vides depuis les années 1975 sont peu à peu réoccupés par des
activités commerciales. Ensuite, certains bâtiments datant des années 1930 et des années 1960, sont
démolis pour faire place à de nouvelles constructions de compartiments contemporaines ou
d’immeubles à R+3 ou à R+4, plus hauts et plus rentables. En 2007, le prix dans le centre a triplé
pour rattraper et dépasser certaines zones décentrées chères que nous venons de citer. En milieu de
l’année 2008, les nouveaux compartiments à R+2 se vendent à 100 000 USD l’unité. Au début de
2009, ils auraient déjà coûté 120 000 à 140 000 USD. Chaque unité occupe environ une parcelle de
80 M2, c’est-à-dire environ 4 mètres de large et 20 mètres de profondeur. Aujourd’hui, nous
remarquons régulièrement dans le centre de Vientiane, en front de rue les dents creuses dont les
anciens compartiments ont été fraichement démolis pour faire place aux immeubles en
compartiments contemporains plus hauts.
Fig. 24. Plan
de VientianeDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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En ce qui concerne les initiatives de l’État en 2008 (dont nous avons développé le contenu
dans le point précédent), afin de mettre en valeur et rentabiliser ses biens fonciers et immobiliers,
elles ne font que confirmer la reprise de la valeur du foncier en général, et en particulier pour les
biens dans le centre ancien. Selon les enquêtes de l’organisme en charge de la gestion et du
développement foncier de la Préfecture de Vientiane [vq’dko[=]ysko c]t rafmtokmuJfuo],187 les terrains au
bord du Mékong dans le périmètre le plus urbain par exemple coûterait 800 USD/M2, contre 500
USD/M2 dans le quartier Anou. Et cela promet le maintien des prix et sans doute aussi une
augmentation importante dans les cinq années à venir. Tout en maintenant le cap sur ces niveaux de
transaction, le prix des biens peut être également très aléatoire et instable. Les quartiers de berge du
Mékong semblent être les plus aléatoires, car ils sont les plus convoités : le prix au mètre carré peut
varier de 100 à 500 dollars, voire 1000 dollars et plus, cela dépend de la situation du quartier et de
ce que veut le propriétaire et du statut de l’acheteur. La bonne situation de certains terrains peut
faire monter l’enchère. Pourtant, dans les circulaires très récentes portant sur la taxe de transaction
foncière, le prix officiel du M2 de terrain fixé pour le calcul des taxes est légèrement en dessous de
celui pratiqué par le marché. Par exemple pour le terrain au bord du Mékong à Ban Khounta-Tha le
prix au M2 est fixé à 1 800 000 kips/M2, alors que le prix réel peut atteindre le double, voire, le
triple. Et si certains terrains peuvent être moins chers que le prix officiel, c’est que ces terrains ont
des contraintes particulières, tel le manque de voie de desserte pour les quatre roues et comportant
seulement une venelle de desserte pour deux roues et piétons, etc.
Pour Savannakhet où le rôle du Corridor Economique intervient pour renforcer le
mouvement logique donc nous venons de constater les faits, les investisseurs étrangers puis locaux
considèrent que les zones du kilomètre 7 au kilomètre 11 et la zone de SENO seraient “ les centres
de demain ”, le centre historique reste donc moins intéressant pour ces derniers. Dans ce schéma la
ville existant ne deviendra intéressante et importante sans doute qu’en deuxième temps lorsque la
zone du Corridor étendra son périmètre jusqu’à la ville et la touchera ou l’annexera. Mais était-il
dans l’objectif des autorités de prévoir ce dessein pour le vieux Savannakhet. En éloignant le pont
(et donc le Corridor) à 7-11 kilomètres de la vieille ville, n’ont-elles pas prévu de créer
volontairement cette distinction, entre celle-ci et le Corridor économique, dont l’évolution et le
développement ne devraient pas poursuivre le même parcours. À cette question, nous constatons
que la réponse est latente, elle concerne non seulement la capitale régionale comme Savannakhet,
mais aussi Vientiane. Mais elle n’est pas concrètement explicitée dans les schémas directeurs
d’urbanisme. Il est mentionné à plusieurs reprises, dans les rapports d’étude pour les extensions
urbaines, que Vientiane devrait créer une ville administrative nouvelle et celle-ci se situerait du côté
de la route numéro 13 Nord-est, entre Donoune et Thang-Ngone.
III. V. Mouvement péricentre et périurbain, renforcement d’une
polycentralité
Comme nous venons de le voir, notamment à travers le mouvement de stratégies
résidentielles et à travers le marché foncier, la recomposition de la ville est corollaire aux intérêts
portés aux centres anciens et aux quartiers péricentres de la ville. Si ces intérêts paraissent être des
faits non planifiés et libres de toutes directives et planifications de l’État, ils n’en sont pas moins
l’une des résultantes des dispositifs que l’État a mis en place. Effectivement à travers, par exemple,
le déplacement et la construction des équipements en périphérie, on peut dire que les efforts de la
planification se sont surtout concentrés sur les espaces périphériques, et moins, sur les quartiers
centraux. Bien que les objectifs ne fussent pas d’abandonner les centres, mais plutôt de les
désengorger. Au résultat, les intérêts se sont déplacés et plusieurs petits centres se sont formés en
187 Interview de Monsieur Sounthonne en 2008.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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périphérie autour des équipements. Une sorte de nouvelle centralité apparaît, et interroge la
définition de la centralité elle-même.
III. V. a. Question de centralité : ancienne centralité, nouvelle centralité
La question de centralité demeure le composant majeur de la ville. Du moins, certains
éléments de constances qui composent la centralité demeurent dans la composition des nouveaux
centres périphériques, d’autres disparaissent et de nouveaux éléments apparaissent. Ne pouvant pas
s’apparenter au centre ancien, ni le reproduire, les centres périphériques acquièrent de nouvelles
identités, mais la recherche de la centralité demeure. La définition de la centralité est, en quelque
sorte, double : la centralité ancienne et la centralité nouvelle.
Nous avons évoqué précédemment le fait que les monuments, tels que les stupas, occupent
une centralité dans le sens où ils peuvent être générateurs d’espace. Aujourd’hui, ce sont les
équipements qui sont, en quelques sortes, générateurs et créateurs d’une certaine centralité. Donc, il
y a une ancienne centralité qui serait caractérisée par un centre unique (monocentre) et une nouvelle
centralité qui serait caractérisée par plusieurs centres (polycentre).
La recherche d’une certaine centralité peut être autrement qu’historique, puisque le centre
historique des villes qui donnait traditionnellement de l’identité à ces centres a été bouleversé de
manière profonde (comme nous l’avons développé tout le long de cette première partie de notre
recherche). Cette centralité est donc forcément nouvelle, forcément “ ailleurs ” et forcément
“ plurielle ”. Mais cette recherche de centralité est surtout nécessaire et vitale, elle persiste. Car le
sentiment de l’habitant et son besoin de se retrouver dans “ un lieu animé, habituel et familier,
commun et accessible ”, concentrant un maximum de services, qui seraient parmi les critères de
centralité, n’ont pas disparu pour autant, avec l’altération fonctionnelle des centres anciens ou
historiques, même si le contenant spatial de cette centralité recherchée, changerait de nature ou se
retrouverait ailleurs. La naissance de nouveaux quartiers et la croissance de ceux qui existent
fonctionnent autour d’un ou des équipements comme un centre nouveau. Même si le cœur n’est pas
de la même nature que les centres anciens, ces nouveaux centres donnent de nouveaux sens et
inventent de nouvelles approches et considérations à l’idée de centre et de centralité en question.
Effectivement, les équipements génèrent de nouveaux centres, car les quartiers se créent autour
d’eux : hôpitaux (exemple des hôpitaux 150 lits et de 103 lits), centres universitaires (Sok Paluang
et Dong Dok), etc. Une fois construite et avec le temps ces équipements amènent peu à peu des
habitants et des activités autour d’eux. Et dans la mesure où les habitants trouvent l’essentiel de
leurs besoins quotidiens autour de ces équipements, la vie des habitants se consolide au fur et à
mesure et se déroule plus activement dans le même site pour ainsi former un quartier. C’est
pourquoi nous voyons qu’à travers la question foncière les intérêts se sont déplacés, voire, se sont
“ entichés ” des zones périphériques autour des équipements ou des zones de développement, déjà
entamées ou encore au stade de planification. Parce qu’ici aussi la centralité n’est pas de l’ordre de
l’impossible. Il est intéressant de voir, sur plus d’un exemple, comment ces zones périphériques et
ces équipements peuvent-ils créer de nouvelles centralités autrement.
Ces nouveaux centres reproduisent par bien des aspects le centre traditionnel, car les mêmes
besoins de proximité avec les biens et les services s’expriment de la même manière, les liens
sociaux tendent à se caler sur le même schéma, même si ces liens semblent moins solides que dans
les centres anciens, du fait de la provenance sociale des nouveaux arrivés et aussi de leur mobilité.
Les nouveaux arrivés dont la provenance sociale est repérable aussitôt sont ceux qui arrivent
généralement pour les emplois, ou aussi parce que le prix foncier est parfois avantageux. La
mobilité est plus importante chez les personnes à la recherche d’un emploi que chez les autres, car
ils dépendent des offres et des opportunités. Ils vivent essentiellement dans des logements tels les
compartiments locatifs plus ou moins à faibles loyers, etc. De ce fait, nous pouvons remarquer que
les compartiments à rez-de-chaussée et les compartiments à R+1 et à R+2 se construisent beaucoup
un peu partout dans les quartiers et villages périphériques de Vientiane. Les petites maisons en bois Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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et bambou sur pilotis ou à même le sol que nous rencontrons parfois parmi les habitations à faibles
coûts des années 1970 et 1980, deviennent rares et disparaissent. Les compartiments couverts de
tôle, avec des cloisons en bambou et en contre-plaqué à Rez-de-chaussée à très faibles coûts
existent également et logent une population pauvre avec revenus faibles et vivant quasiment à la
limite du seuil de pauvreté et dont les conditions d’hygiène et d’espace de vie sont déplorables.
La question de centralité est aussi corollaire à la composition sociale des habitants.
Autrement dit, le contenu social de la centralité possède sa spécificité. Il y a aujourd’hui une
distinction, bien que cela soit dépourvu de toute discrimination sociale, entre les habitants qui
arrivent dans le quartier en provenant des zones révolutionnaires après la révolution (on les appelle
“ les gens venant de la zone libérée ”), les nouveaux arrivés de la campagne, et les nouveaux
habitants récemment arrivés dans le quartier. Puis il y a les anciens occupants qui sont appelés par
un terme spécifique “ Kon Peun Thane ” [7qorNo4ko] qui signifie “ gens de fondation, gens de base ”
qui s’auto définissent comme ceux qui amènent une certaine cohésion sociale au quartier. Ces
“ gens de fondation ” se retrouvent souvent parmi les membres du comité des sages, Néo-Hom
[co;3I,]
188 qui existe dans tous les villages du Laos, même les plus reculés, qu’ils fassent partie ou
non du Comité du Parti au niveau du village. C’est ainsi autour de ce fait que nous retrouvons l’idée
de centralité sociale des quartiers.
III. V. b. De la ramification des quartiers périphériques à la délocalisation des
équipements vers l’extérieur
Comme nous allons le voir, dans la troisième partie de notre recherche, les décisions et
actions initiatrices dans le domaine du développement urbain et territorial entreprises autour des
années 1994-1995 sont dues à la réforme de 1986 qui a de nombreuses implications dans plusieurs
domaines.
Le besoin de ramifier certains quartiers qui se sont constitués dans la périphérie lors de la
période de “ l’auto gestion ” de la ville est fortement explicite au début des années 1990. Ceci
concerne surtout la ville de Vientiane. Les autres villes ayant rarement de quartiers périphériques,
mais plutôt de petits villages à proximité immédiate des chefs-lieux. C’est pourquoi, même si la
délocalisation des équipements vers la périphérie devient une pratique appliquée aussi dans les
villes secondaires cela ne répond pas au même besoin. Pour les villes secondaires, d’abord, il est
tout simplement jugé adéquat d’y faire appliquer le standard des outils administratifs de la capitale,
ensuite la construction des équipements n’a pas pour objectif de ramifier les quartiers périphériques,
mais de fonctionnaliser, moderniser et donner une meilleure visibilité aux villes en tant que centre
vis-à-vis des restes de la province qui lui sont attachés.
Nous évoquons ici particulièrement le cas de Vientiane parce qu’il sert de modèle et que les
résultats sont quasiment les mêmes par rapport aux centres provinciaux, avec quelques variants
près. La ramification passe entre autres par la création des infrastructures viaires afin de mieux
relier les quartiers disparates de la périphérie au centre. Cependant, cela entraîne un autre
phénomène : celui de voir apparaître de nouveaux fronts urbains auxquels il faut donner un
minimum de services et donc construire des équipements, etc. Et par la même occasion, le centre
sera “ désengorgé”. La délocalisation des équipements est dans la majorité des cas inscrite dans les
plans urbains standardisés suite à la mise en place des outils de planification urbaine dans tout le
Laos, ou alors indépendamment de cette initiative. Ces plans vont être peu à peu rendus
opérationnels au gré des rétributions accordées par le budget central ou les crédits accordés par les
bailleurs de fonds internationaux. Les plans standard sont caractérisés par l’importance qu’ils
accordent aux réseaux des infrastructures viaires, aux zonages et aux compartimentages
188 Néo-Hom du village est une annexe locale du front d’Edification Nationale. Celui-ci est l’une des émanations du Parti
du Peuple Révolutionnaire Lao.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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fonctionnels du territoire urbain. La délocalisation des équipements est donc très liée aux
infrastructures viaires.
Tous les faits induits par les choix résidentiels, commerciaux, l’emploi, puis ceux issus de
décisions politiques et administratives successives depuis la période de l’établissement de petits
quartiers dans la périphérie de la ville à partir de la fin des années 1980, jouent un rôle important
d’abord dans l’étalement urbain, ensuite en second temps dans la création de nouveaux petits
centres. Ceux-ci fonctionnent plus ou moins bien, plus ou moins de manière homogène. Nous
pouvons décrire le processus de la manière suivante : lorsque les petits quartiers se sont constitués,
disparates et non règlementés dans la périphérie de la ville, les autorités administratives se
retrouvent comme devant “ un fait accompli ”. Le besoin de ramifier ces quartiers était nécessaire
dès le début des années 1990. Cette ramification passe entre autres par la construction des trames
viaires à partir de la seconde moitié des années 1990. Mais la construction des trames viaires, au
lieu de ramifier et solidariser les quartiers à la ville et à ses services, elle entraîne la constitution
inévitable de nouveaux fronts urbains encore plus importants qui compliquent davantage les tâches
des décideurs. Les nouveaux fronts urbains constitués acquièrent un aspect “ suspect ” par leur
insalubrité : manque d’infrastructures et de services de base, de réseaux d’alimentations et
d’évacuation diverses, etc. Cela donne à cet ensemble une image inachevée et sous-développée, ce
qui n’est pas bon signe pour le pays dans sa dixième année d’ouverture. Pour y remédier, il a donc
fallu munir d’équipements ces nouveaux quartiers et fronts urbains, d’où la délocalisation des
équipements qui constitue l’un des dispositifs.
III. V. b. 1. Construction et réfection des trames viaires
La réhabilitation des anciennes trames viaires et surtout la création de nouvelles liaisons,
étaient une nécessité ressentie dès l’investiture du nouveau régime.189 Mais leur construction ou leur
réhabilitation ne devient effective que vers le début des années 1990, aidée par les diagnostics et les
études du Schéma Directeur d’Urbanisme de 1991 réalisés par l’IETU et le Groupe Huit.190 La
poussée sauvage de la croissance urbaine interne à l’intérieur des quartiers et dans les zones
d’extension urbanisées, dans les terrains en friche et dans les rizières enclavées ou se trouvant en
périphérie, conduisent les autorités vers la mise en place de nombreux projets d’amélioration des
infrastructures : projets d’élargissement de l’emprise des voies dans les quartiers anciens, projets de
constructions de nouvelles rues et routes de liaison inter quartiers et de déviation du centre, tel
notamment le « projet des 6 routes + 1 », l’un des projets qui va jouer un rôle important dans le
changement de la configuration urbaine de Vientiane.191 À Vientiane, où la croissance de la
population est plus significative par rapport aux capitales provinciales, ces voies périphériques se
transforment très vite en voies de desserte pour de nouveaux fronts urbains qui se constituent coup
après coup chaque fois que de nouvelles routes se construisent. Ces voies définissent en quelque
sorte les nouvelles limites, puisqu’elles deviennent le support pour la naissance de nouveaux
quartiers qui s’accrochent à elles par remblai. Ceci conduit à une logique d’étalement urbain
linéaire. Trois exemples décrivent cette logique : la route T2 à Nong Douang, le projet de la
périphérique T4 et la route N13 Nord-est devient tendanciellement des axes industriels légers.
189 Les différents points ont été inscrits dans le texte du plan de trois ans (1978-1980) qui comporte essentiellement six
points. Dans le point 1, le transport et la communication ainsi que la construction des routes ont été évoqués comme une
nécessité : « (…) construire une partie des infrastructures routière les plus importantes, construire les routes locales et les
routes rurales. » In : Pages historiques de la lutte héroïque du peuple lao, Comité de Propagande et de Formation du
CCP, Vientiane, 1980. 46 pp. 190 L’étude du SDU de Vientiane a été réalisée par le Groupe Huit en 1998 dans le cadre du programme des Nations-Unies
pour le Développement/Centre des Nations-Unies pour les Etablissements Humains-Habitat. Le SDU a été achevé et
approuvé en 1991. In : Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de Vientiane, programme de développement
urbain de la préfecture de Vientiane : Lao/85/003, Groupe Huit/IETU/MCTPC, 1989-1991. 191 Chayphet Sayarath, Vientiane portrait d’une ville en mutation, p 103. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Quant à la réfection des voies d’accès et de liaisons internes, elle modifie avant tout
l’ambiance des quartiers : la capacité des rues à recevoir les passages d’automobiles s’accroit et la
qualité de la chaussée nouvellement goudronnée ou bétonnée “ incite ” également les automobilistes
à rouler plus vite. Dès lors, la perception de la ville et en particulier du centre commence à changer.
Cela modifie aussi petit à petit le comportement des habitants : les riverains s’approprient moins la
rue du fait de la promiscuité impossible entre automobilistes et piétons. Par ailleurs, le fait que le
pouvoir public s’est réapproprié des rues et des trottoirs afin de remédier à l’envahissement
désordonné des fronts de rue par les enseignes publicitaires et le débordement de la terrasse des
restaurants, des cafés et des boutiques, cela change aussi les comportements des riverains. Il faut
rappeler qu’avant la grande réfection des rues commencée vers 1995, même si ces domaines
appartiennent de droit au domaine public et donc devant être gérés par le pouvoir public, les
riverains avaient l’habitude de se les approprier quasiment par la tenue de leurs activités
commerciales diverses. Ceci, parce qu’ils étaient les seuls à les entretenir, au moment où il y avait
défection du service public et en conséquence de la défaillance des services urbains (ramassage des
déchets, nettoyage des rues, etc.), longtemps substitués par les travaux collectifs.192
Un autre point important à souligner, c’est que l’élargissement des rues et la nouvelle
construction des routes accompagnent aussi l’augmentation des moyens de transport individuel :
(automobiles et deux roues). Les études menées en 2003 par l’IRU et financé par JICA évaluent
une augmentation importante à l’horizon 2010 et 2020 du nombre d’automobiles, afin de calibrer et
organiser les voies de circulation et les trafics urbains. Nous signalons ce type d’étude parce qu’il
justifie la décision du gouvernement d’investir dans la construction des routes et des voies. Mais
beaucoup d’entre elles sont surdimensionnées. L’emprise des voies élargies, libérant des places de
stationnement, change complètement le statut de la rue et de son rapport avec le front bâti :
désormais (pour Vientiane) les places de stationnement sur la chaussée marquent une extra-localité
plus forte entre la rue et le front bâti. Pour les villes de province où le nombre des automobiles est
moindre, les voies larges déstructurent l’échelle locale du front bâti et les cœurs d’îlot.
Cette altération de l’espace local n’a pas été ignorée des aménageurs –souvent, des experts
internationaux– travaillant au sein du VUDAA ; nous le voyons à Vientiane à travers les efforts
faits pour la réfection des voies des quartiers centraux et pour l’aménagement des espaces publics
qui l’accompagnent. Il y a une volonté de préserver l’ambiance des rues en donnant plus de places
aux piétons : élargissement des trottoirs, utilisation de la brique apparente pour leur pavement, etc.,
une tentative de retrouver l’esprit local des quartiers. Ces projets ont été financés majoritairement
par la BAD. Ajoutons également les projets de signalisation et de désignation des noms de rues, les
projets de contrôle des trafics urbains des feux rouges financés par l’AFD.193 Ces volets sont
192 Durant près de 25 années –après 1975– il n’y a pas de service urbain au Laos mais les villes laotiennes restent
relativement propres, même si l’état des routes et des équipements publics laisse à désirer. L’État imposait aux villages les
travaux collectifs d’entretien des routes, des rues, des caniveaux et des canaux. Des villages entiers sont mobilisés. A
partir des années 1995, Vientiane et les villes secondaires se dotent peu à peu des services urbains. Du moins les UDAAs
(Autorité Administrative pour le développement Urbain) sont créées et des bureaux s’occupant de certains services
urbains ont été créés au sein des UDAAs. Ceux-ci mandatent des sociétés mixtes ou privées pour réaliser l’entretien de la
ville (jardin et square, ramassage d’ordures) et des bureaux spécifiques pour le contrôle de l’espace public (trottoir,
stationnement, enseigne, etc.). Pourtant aujourd’hui encore, les rues internes des quartiers ne font pas l’objet d’entretien
par la ville. Quotidiennement les habitants devraient nettoyer le tronçon de rue devant chez eux, et de temps à autre (une
ou deux fois par an) ils continuent à se mobiliser pour le nettoyage collectif de leurs voies et rues de desserte intérieure.
Mais ce système ne fonctionne pas bien en milieu urbain.
193 Ce qui a permis de préserver le nom en français de certaines rues, datant de la période coloniale et de transcrire en
français le nom autres rues nouvellement créées. Bien que cet aspect ne soit pas directement lié au fait que le financement
est français, il est du moins lié à l’adhésion officielle du Laos à la francophonie et à la nature historique francophone de la
culture urbaine du Laos et de son administration locale. L’histoire urbaine récente des villes lao est liée à la méthodologie
urbanistique française par bien des aspects. Remarquons deux faits concernant ces questions. D’abord il y a un décalage
très grand entre deux générations à l’intérieur de l’administration laotienne. Une génération francophone et une génération
anglophone ou simplement non parlant une langue étrangère. Officiellement il faut que les panneaux soient en français et
donc transcrire les noms qui sont habituellement en anglais ou prononcés en anglais. Or la nouvelle génération
technicienne qui crée les panneaux, dans le meilleur des cas ne parle que l’anglais. La transcription est donc un vrai
problème. Par exemple faut-il écrire “ Route de l’ANASE ” ou ASEAN Road. Le résultat est que le nom de la T2 comporte
des fautes dans les deux transcriptions : “ Route de l’ASEANE ” : le premier mot en français et le dernier en anglais avec
Fig. 25.
Trottoir,
quartier du
centre de
VientianeDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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intégrés dans un programme composé de cinq projets clefs que l’AFD finance dans le cadre de la
coopération française du secteur urbain, où 20 millions d’euros y ont été affectés pour cinq ans. Les
cinq projets sont axés sur « l’amélioration de vie des populations urbaines, permettant un meilleur
fonctionnement des réseaux publics urbains, confortant les structures de gestion municipale ».
A Luang Prabang l’amélioration des conditions de vie s’est concrétisée par un programme
de réhabilitation du patrimoine bâti et paysager et des édifices remarquables, accompagné de la
réhabilitation-construction des réseaux d’assainissement, de drainages, d’électrifications et de
voirie. À Vientiane les projets sont plus axés sur la distribution de l’eau potable dans les quartiers
de Vientiane en cofinancement avec JICA, auxquels s’ajoutent les volets concernant l’assistance à
la gestion urbaine et à la gouvernance, Capacity building.194 Il est considéré qu’après les phases
d’investissement (en infrastructure et en réhabilitation), aussi bien à Luang Prabang qu’à Vientiane,
la question de municipalisation et de gestion municipale est à partir de 2008 devenu le volet
principal pour la coopération internationale, dans laquelle la coopération française occupe une place
importante.
III. V. b. 2. Déplacement et construction des équipements en périphérie
Comme à Vientiane, le déplacement des équipements publics du centre vers la périphérie
qui a été programmé pour la totalité des villes secondaires et des villes moyennes, conduit à la
démolition des anciens marchés et des marchés de proximité qui donnaient une cohésion et une
certaine centralité aux villes. Il conduit également à la dévitalisation des centres anciens.
L’interdiction, pour un temps, des marchands ambulants, ne fait qu’accentuer les faits. Les
marchands ambulants qui avaient l’habitude de transporter quotidiennement fruits, légumes,
viandes, poissons, dans les charriots à deux roues ou dans des grands paniers qu’ils portent en
balancier sur les épaules, rendaient familier l’espace public et donnaient une certaine vitalité à la
rue. Ce petit marché mobile existait aussi bien dans les villages ruraux qu’en centres urbains. Les
trois villes secondaires195 Paksé, Savannakhet et Thakek (sauf Luang Prabang) sont représentatives
de cette politique de planification.
La dévitalisation des centres par le déplacement des équipements, tels les marchés, modifie
la pratique de l’espace des citadins. Elle inverse souvent les pratiques en usage et induit de
nouvelles nécessités et de nouveaux besoins. Le rallongement du temps de parcours quotidien ainsi
que le changement de moyens de déplacement entre le lieu de résidence et le marché, entre le lieu
de résidence et le lieu de travail se sont accrus considérablement pour ceux qui travaillent dans les
administrations qui ont été déplacées. Les besoins en réseaux de transport public se font ressentir.
Aussi, pour rejoindre ces marchés ou les lieux de travail à l’extérieur de la ville, les anciens réseaux
de bus ne suffisent plus et nécessitent une restructuration. Car rappelons-le vers la fin des années
1980 en début des années 1990, les réseaux qui existaient dès le début de l’investiture du nouveau
régime et qui étaient le fruit des efforts focalisés sur les services publics propres aux pays
socialistes, sont vieux et mal entretenus. À partir de la seconde moitié des années 1990, avec le
soutien des pays donateurs comme le Japon, les réseaux de transport en commun délabrés ont été en
partie restructurés. Même si ces réseaux sont relativement bien distribués et bien répartis, ils restent
insuffisants en termes de place et ne peuvent répondre aux besoins réels des habitants. Face à ces
un « E » de trop. Pour être dans la logique il fallait opter pour “ Route de l’ANASE ” ou “ Route de l’ASEAN ”. Ensuite, il
y a une autre difficulté pour donner un nom à une voie publique. Cela ne relève pas seulement du vocabulaire mais de la
méthodologie et de l’analyse urbaine : comment qualifier une trame viaire comme rue, boulevard, route ou quai ? 194 Projet VUISP-Capacity building-VUDAA organization, dans le cadre du programme ADB/ AFD N°n°21/ 12946/
86814.
195 La hiérarchisation des villes a été formalisée lors de la mise en place du plan de la planification urbaine des villes du
Laos. Les “villes secondaires”, tout comme les “villes moyennes”, possèdent certains critères. Le décret N40/AMC-
04/04/95 marque la création du VUDMC (Vientiane Urban Development and Management Committee) qui concerne les
100 villages urbains de Vientiane, et la création des UDMCs pour les quatre villes secondaires. Ces villes sont prioritaires
dans la mise en œuvre du plan de développement.
Fig. 26. Plan
directeur de
VientianeDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 139 -
besoins les investissements privés ont peu à peu pris le relais, mais souvent sans cahier des charges,
sans recommandation, ni passation de marché en bonne et due forme. Les habitants ont simplement
trouvé par eux même les moyens de transport sans norme et peu soucieux de l’environnement, mais
qui deviennent le moyen le plus courant et faisant partie du paysage urbain des villes. Il s’agit des
Touk-touk et des Jambo, autorisée au début des années 1990 à être importés de Thaïlande. C’est un
moyen de transport pratique et rapide qui a très vite trouvé le succès auprès des usagers urbains,196
même si ce n’est pas le moins cher. Les courses des Touk Touk se font surtout dans le périmètre
urbain mais peuvent également dépasser les 40 kilomètres autour de Vientiane. Ils restent, jusqu’à
l’explosion des mobylettes importées de Chine à partir de la fin des années 1990 ou fabriquées sur
place dans les usines coréennes, le moyen de transport le plus utilisé et le plus imposant en termes
de places de stationnement et en termes de pollution.
III. VI. Recherche d’outils de développement, de maitrise et de gestion
urbaine
La constitution de la ville au Laos d’aujourd’hui passe par une phase de recomposition
importante où la question de centralité a été plus que jamais bouleversée et nécessitant d’être
redéfinie. Cette recomposition est visible à travers plusieurs faits et dispositifs, nous l’avons vu :
retour des symboles comme une volonté d’intégration historique du pouvoir politique actuel ; regain
des centres historiques ou anciens sous leurs différentes formes, interrogeant au passage la place de
l’architecture dans l’espace urbain, autrement dit, la production architecturale et urbaine. Nous
avons vu également que les mouvements du foncier et les mouvements de stratégie résidentielle
sont des éléments qui participent à la recomposition de la ville et posent la question d’un centre
mort ou d’un centre vivant, tout en donnant à ces recompositions urbaines la définition de nouvelles
centralités exprimées à travers la constitution des polycentres dans les quartiers péricentres de la
ville. De ces recompositions spatiales découle nécessairement une recomposition de la gouvernance
urbaine avec ses outils vis-à-vis de la question de maitrise du territoire qui se pose avec de plus en
plus d’acuité. La recomposition de la gouvernance urbaine se réalise ici en deux temps. D’abord,
c’est en terme “ technique ” et d’efficacité de gestion de ce territoire recomposé qu’il y a processus
de création d’une autorité administrative spécifique. Ensuite, en terme de conduite de la politique
urbaine, corollaire au pouvoir local, la question de municipalité et de la politique municipale a été
pensée. Cette question est au cœur des recompositions spatiales et des politiques de la ville. Elle est
porteuse de deux réalités divergentes : la première concerne la réalité du terrain et les difficultés
rencontrées, la deuxième est la volonté extérieure des bailleurs de fonds internationaux eu égard à la
modernisation structurelle du Laos, nécessaire pour son intégration régionale.
III. VI. a.Processus de création d’une Autorité Administrative pour le développement
urbain
Tôt, au milieu des années 1990, il y a la volonté des bailleurs de fonds de conduire des
réflexions sur la nécessité de créer une institution locale de type « municipalité » et de ses services
urbains, tentant ainsi de décharger la responsabilité gouvernementale dans la conduite de la
politique urbaine et d’encourager les secteurs privés à prendre part dans la gestion de la ville. Donc
inévitablement la question de la capacité décisionnelle et financière locale surgit au cœur de cette
réflexion. Or la capacité décisionnelle locale est liée au système de pouvoir local (qui est, partout
dans le monde, généralement élu), à sa capacité financière dans les investissements et dans la
196 Tardivement, une association corporatiste des Touk-touk a été mise en place. Elle est placée sous le contrôle de
l’administration de la Préfecture de Vientiane. Des règlements la concernant ont également été mis en place : taxe
annuelle pour les chauffeurs de Touk-touk, fixation de prix par trajet, cotisation annuelle de membre pour stationner dans
les points de réception de clients, etc. Mais aucune règle de sécurité n’a été fixée.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 140 -
gestion des équipements et des infrastructures publiques de base. La capacité décisionnelle locale
dépend aussi de ses compétences juridiques et institutionnelles dans le contrôle et la gestion des
ressources locales, autrement dit la capacité du pouvoir local à posséder des ressources et d’être
autonome financièrement. Bien que l’idée de la municipalité soit une conception acceptée par
l’administration générale de la RDP Lao, ce type de “ pouvoir local élu ” n’existe pas dans sa
Constitution et reste encore un concept inaccessible. Par contre (en signe de compromis ?) on
accepte peu à peu l’idée de la perception locale des ressources financières qui a par ailleurs
beaucoup de mal à se réaliser.
Malgré l’incompatibilité structurelle, les bailleurs de fonds soutiennent quand même l’idée
de la nécessité de créer une municipalité afin de mener à bien la politique de la ville. Cependant,
une municipalité proprement dite serait trop tôt, voire inconstitutionnelle. Tout en gardant l’objectif
vers lequel le Laos doit progressivement évoluer, un organisme intermédiaire est alors mis en place.
D’abord c’est le Comité pour le Développement et la Gestion Urbaine de Vientiane (VUDMC) qui a
été créé en 1995. Cet organisme avait surtout pour mission la gestion technique urbaine d’une partie
du territoire de la préfecture de Vientiane. Et il est de même pour les villes secondaires. Il a conduit
plusieurs projets pilotes à Vientiane : construction et réparation des routes, aménagement des parcs
et jardins, assainissement des réseaux de drainage des quartiers, etc. Ensuite c’est l’Autorité
Administrative pour le Développement Urbain (UDAAs) des quatre villes secondaires qui a été mise
en place par décret N177/PM, en date du 2 décembre 1997, remplaçant VUDMC. En 1999, c’est
l’Autorité Administrative pour le Développement Urbain de la ville de Vientiane (VUDAA) qui a
été créée, par décret N014/PM.
Pourtant, la création de VUDAA fait apparaître une certaine divergence idéologique dans sa
conception. Pour les bailleurs de fonds internationaux, désireux surtout de créer une institution
politique qui donnerait à la politique de la ville une indépendance par rapport aux autorités de l’État,
il s’agit de créer une autorité politique locale propre au concept de municipalité, donc plus tard qui
évoluerait vers un pouvoir local possiblement élu.197 À cette fin, le VUDAA serait en quelque sorte
l’embryon. Que ce soit vu à travers la culture administrative anglo-saxonne ou française des experts
internationaux qui y ont travaillé, cela signifie la création d’un organe politico-administratif qui
tend à décentraliser le pouvoir et donner de l’autonomie réelle au pouvoir local. Une telle idée peut
entrer en contradiction avec la conception du pouvoir politique unique, et du pouvoir administratif
centralisé qui s’est renforcé encore à partir de 1991 avec la réforme fiscale. Cela serait même
inconstitutionnel. Au Laos, la déconcentration du pouvoir peut être parfois assimilée à une
décentralisation, parce que les gouverneurs ont tendance à mener à leur guise la politique de leurs
circonscriptions. Ceci est dû à la confiance que ces gouverneurs ont vis-à-vis de leur position au
sein du parti. Les divers Comités populaires locaux qui exercent également un certain pouvoir ne
font que renforcer ce fait. Signalons que les personnes qui occupent le poste de gouverneur de
province ou de Préfet peuvent acquérir une importance encore plus grande selon la position qu’ils
occupent au sein du Comité Central du Parti. La structure du Parti est présente dans tous les
échelons et dans tous les organes administratifs, exerçant un pouvoir local fort dans chaque district
et chaque province. Dans les diverses décisions, que ce soit dans le gouvernement ou dans les
administrations provinciales, le dernier recours n’émane pas du poste responsable auquel les
décisions sont affectées, ni des postes les plus importants du gouvernement, mais de la hiérarchie la
plus importante au sein du parti PPRL. Mise à part la place que tiennent le parti et le Comité Central
197 Pour simplifier, rappelons ici que nous définissons le pouvoir local sur deux critères principaux. Un pouvoir local est
d’abord un pouvoir élu par les citoyens ; ensuite un pouvoir local est un pouvoir capable de décider de ses dépenses et
possédant une certaine autonomie financière, du moins en principe, même s’il peut bénéficier aussi des rétributions
centrales. C’est pourquoi quand nous utilisons le terme “ décentralisation ” entre 1986 et 1991, c’est à demi mot : le
premier critère manque à cette désignation. Dans une certaine mesure, la structure villageoise est la plus proche du
premier critère, et serait à même d’être désignée comme un pouvoir local élu. Même si notre définition est “ calée ” sur le
modèle français concernant le statut des communes, le critère de l’élection municipale comme caractéristique du pouvoir
local est un critère qui est également important dans le système général, assurant le statut d’un pouvoir local “ légitime ”.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 141 -
dans les décisions, le pouvoir déconcentré fort semble par ailleurs provenir des anciennes habitudes
de la période de décentralisation administrative entre 1986 et 1991. Période durant laquelle le
gouvernement central demandait aux provinces de gérer elles-mêmes leur budget, voire à être
autonome. Le gouvernement demandait également aux Comités Populaires locaux de gérer euxmêmes
les affaires administratives y compris les litiges d’ordre juridique, politique et sécuritaire.
Ainsi en fin de compte, malgré cette période de décentralisation administrative, nous insistons sur le
fait que le pouvoir local proprement dit n’existe pas, ni institutionnellement, ni
constitutionnellement, mise à part l’autorité du village –structure traditionnelle– qui ressemble le
plus à la représentation du pouvoir local, le seul que nous pouvons imaginer au Laos.
En acceptant de créer les UDAAs pour la capitale et pour toutes les villes secondaires –
l’objectif étant de pouvoir en créer pour toutes les villes du Laos– le gouvernement accepte assez
rapidement l’idée qu’il s’engage aussi dans la création de l’embryon d’un pouvoir municipal
éventuel, élu ou non. Cependant, la nécessité d’apporter une réforme (un amendement) à la
Constitution fait difficilement son chemin. En vérité, pour les autorités politiques laotiennes, la
création des UDAAs n’avait pour objectif de départ que la création d’un service technique et
administratif d’une éventuelle future municipalité, et non directement la future municipalité. Malgré
tout, nous pouvons dire sans trop d’erreur que derrière l’apparence de divergence idéologique, il y a
de fait un compromis bien établi entre l’État laotien et les bailleurs de fonds internationaux :
l’existence des UDAAs permet par son fonctionnement de caler la réflexion concernant la
municipalité sur les faits concrets et de voir les difficultés qui en découlent.
III. VI. a. 1. Rôle et missions principales des UDAAs
Les compétences institutionnelles
Tout en fonctionnant avec les autres partenaires publics sur différents secteurs depuis leur
création, gestion urbaine et réalisation de certains projets urbains ad hoc, etc., la compétence
institutionnelle des UDAAs et du VUDAA est pourtant à ce jour, toujours en devenir. Les relations et
le partage des responsabilités avec ses partenaires publics restent à clarifier. L’exemple de la
structuration, VUISP –capacity building– Vudaa Organisation, a été étudiée et proposée en 2006
par le BDPA en association avec SMED, sur financement de l’AFD. Cette proposition a du mal à
être mise en application, du moins certaines propositions, seulement, sont applicables. Le
gouvernement a confié son étude et l’examen des propositions à une administration de l’État
attachée au Cabinet du Premier ministre. Ceci, afin de le rendre conforme, sinon adéquat, aux
organisations politiques et administratives nationales. Nous avons déjà mis en évidence dans le
paragraphe précédent, sur quel point existe-t-il des inadéquations. Rappelons ici la proposition faite
en 2006 à partir de laquelle le VUDAA devrait se caler, si non en partie réadaptée. Il s’agit en
particulier du problème des recettes et des fonds qui manquent à son fonctionnement et à son
autonomie et qui l’empêchent d’assumer les missions pour lesquelles il a été créé. Il est question
effectivement d’aborder une approche juridique autrement que pour des décrets d’application
ponctuels, d’affirmer toutes ses prérogatives et ses missions et de les rendre incontestables au
niveau des procédures devant les tiers ainsi que devant les autres organismes publics. Mise à part la
place institutionnelle du VUDAA dans la Constitution de la RDPL et dans le cadre de l’instauration
de la municipalité –dont nous allons souligner l’importance dans le prochain paragraphe– et mise à
part la nécessité de recadrage pour le long terme, les actions nécessaires proposées par l’étude de
2006 sont les suivantes :
- Une loi-cadre définissant un échelon local et lui attribuant un pouvoir réglementaire concernant la
possibilité de création d’un système fiscal et parafiscal local.
- Une loi-cadre définissant la liste des ressources locales pouvant être instituées sur un territoire
donné et l’autorité chargée de leur gestion.
- Un décret du gouverneur de Vientiane déléguant cette compétence au Président de VUDAA pour
les missions liées à son existence.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 142 -
- Des décisions du Président de VUDAA définissant les différents composants du système fiscal et
parafiscal, dont VUDAA est l’autorité responsable.
Rôles, missions et cahier des charges des VUDAAs
Le cahier des charges des UDAAs était surtout concentré sur les volets techniques
(notamment gestion et autorisation des permis de construire, plan des trafics urbains, pilotage des
projets de développement urbain), il ne permet pas aux UDAAs de prendre des décisions de manière
autonome. En d’autre terme, les UDAAs n’ont pas de haute compétence décisionnelle, sauf en ce
qui concerne quelques volets qui lui ont été préalablement accordés par décret. Toute décision doit
d’abord avoir l’aval du Préfet (pour Vientiane) ou du Gouverneur de province (pour les villes
secondaires), via le Vice-gouverneur qui est aussi le Président de UDAA par fonction. Et la décision
de ces derniers, relève de celle du Premier ministre. Le jour où le Préfet deviendrait un élu (donc
n’étant plus Préfet) et ne serait plus par conséquent le représentant du gouvernement mais désigné
comme le maire et représenterait les intérêts de ceux qui l’auraient élu, la question du pouvoir
municipal aurait atteint son objectif. Mais tant qu’il est toujours un personnage nommé, exerçant un
pouvoir déconcentré, délégué par le gouvernement, le président des UDAAs sera toujours un simple
relais technique, décisionnellement dépendant. Ceci laisserait toujours sur leur faim les partisans de
la création d’une municipalité laotienne. C’est un bras de fer institutionnel que nous vivons dans ce
soutien à la gouvernance. Ceci montre à la fois des compromis et la prudence de la politique
laotienne à s’engager dans une véritable réforme, vers une démocratie participative plus grande.
A l’heure actuelle le contexte institutionnel n’a pas beaucoup progressé pour permettre
l’émergence d’une véritable municipalité. Faute de mieux, la présidence des UDAAs agit comme un
amortisseur par rapport aux incertitudes statutaires des UDAAs dans le système politique de la
RDPL, entre une compétence institutionnelle et politique encore déficiente et une compétence
technique pourtant de plus en plus renforcée. La présidence des UDAAs semble être là pour
débloquer lorsqu’il y a des décisions à prendre pour faire accomplir les missions ponctuelles qui ont
été confiées aux UDAAs. En fait lorsqu’elle prend certaines décisions techniques et politiques au
nom de son statut de présidence de UDAAs, elle assume des responsabilités de plus en plus hautes.
Elle semble acquérir une compétence plus politique qui dépasse alors ses responsabilités techniques
d’origine. Cependant aussi hautes soient les décisions et les compétences de la Présidence de
UDAAs, celui qui aura le dernier mot reste le Préfet ou le gouverneur et ceux-là sont à leur tour
responsables devant le Premier ministre.
Le vrai pouvoir décisionnel des UDAAs est donc détenu par le Préfet ou le Gouverneur.
Mais en aucun cas, le Préfet ne peut être assimilé au maire qui représente normalement le pouvoir
local. Ce fameux élu constitutionnellement n’existe pas au Laos, autant qu’il n’existe pas de
municipalité. En définitif, dans le contexte politique de la RDP Lao, le Gouverneur et le Préfet
représentant du pouvoir de l’État, sous l’autorité desquels les UDAAs et le UDAA de Vientiane sont
placés, ne sont pas élus mais nommés. De fait, ces derniers se substituent au rôle du maire pour
mener la politique locale de gestion et de développement de la ville, par leur poste de Présidence.
Les ressources des UDAAs
Un autre point important qui explique cette substitution, c’est la capacité des UDAAs, sous
tutelle du gouverneur et du Préfet, de se munir de certaines recettes, même si elles ne peuvent
couvrir les dépenses pour leur fonctionnement de base. Par exemple à Vientiane, il est accordé au
VUDAA –sur décision du Premier ministre– une recette calculée en pourcentage sur l’eau potable
(Nam PAPA Lao) et sur l’électricité (Electricité du Laos EDL).198 Et depuis 2001 d’autres recettes
et redevances lui ont été accordées. Malgré cela, ses fonds restent insuffisants pour couvrir les
services qu’on lui demande, inscrits dans ses missions et ses cahiers de charges. Par ailleurs, sa
198 Décret N021/PM en date du 27 avril 2001.
Tab.4. Les
ressources
du VUDAA
entre 2000 et
2008.
Tab.5. Les
dépenses
du VUDAA
entre 2000
et 2008Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 143 -
capacité réelle de prélever les recettes sur le terrain, auprès des usagers reste un problème de taille.
Ses compétences, institutionnelle et juridique, ne sont pas assez claires et assez solides, cela réduit
ses moyens de persuasion auprès des usagers et des contribuables. À titre illustratif, les tableaux cicontre
dressent les différentes sources et dépenses de VUDAA entre 2000 et 2008.
Nous pouvons remarquer que les ressources perçues par VUDAA sont nettement inférieures
à ce qu’il aurait dû percevoir par rapport aux volumes potentiels des ressources. Lorsque nous avons
interrogé le responsable du Bureau des Finances de VUDAA, la difficulté pour recevoir pleinement
les redevances vient d’abord du fait qu’il n’y a pas encore de méthodes efficaces pour prélèver des
redevances et qu’il n’y a pas non plus de mécanismes procéduraux établis. Les usagers sont parfois
récalcitrants à payer les services, qu’ils considèrent souvent comme un dû. Ils ne comprennent pas
pourquoi ils doivent payer telles ou telles sommes pour des services publics rendus. Et enfin,
VUDAA ne possède pas assez de pouvoir juridique et institutionnel pour imposer des règles et
contrôler leur application.
Prenons par exemple le cas des ressources provenant des places de stationnement. Lorsque
les places de parking sont devenues payantes et lorsque VUDAA a le droit de s’attribuer des
ressources générées, étant donner que la charge de leur entretien et de leur réparation lui est confiée,
VUDAA a sous-traité à l’Organisation de la Jeunesse la gestion du parc de stationnement dans les
différents sites. VUDAA en récupère 60%, l’Organisation de la Jeunesse en récupère 30% et les 10%
restant servent pour payer le personnel qui effectue sur les sites le ramassage quotidien des tickets.
Ce mode qui a été appliqué la première année est sans succès. La deuxième année, toujours avec
l’Organisation de la Jeunesse, VUDAA fixe une somme forfaitaire à 80 millions de kips par mois
pour tous les parcs de stationnement à Vientiane. La deuxième expérience se montre également
inefficace : la somme de 80 millions de kips par mois n’a jamais été atteinte. À présent, VUDAA fait
appel à d’autres opérateurs, organismes et sociétés privées et fixe une somme forfaitaire pour
chaque société qui partage la gestion des sites. Une sorte de mise en compétition des opérateurs,
sans appel d’offres ni cahier des charges. Entre 50 millions et 60 millions de kips, sont les recettes
forfaitaires mensuelles demandées par VUDAA aux concessionnaires pour tous les parcs de
stationnement réunis sous sa gestion. D’après le responsable du bureau des finances, ce procédé
semble pour le moment fonctionner, mais il espère trouver une autre forme plus efficace pour
contrôler toutes les autres places de stationnement existant dans la ville qui ne font pas encore
l’objet de redevance, mais dont l’entretien et la réparation sont placés sous la responsabilité de
VUDAA.
Parallèlement à un lent et difficile processus d’autonomisation de VUDAA, la mise en place
des outils institutionnels poursuit son cours et soutenue progressivement par la mise en place des
projets opérationnels. Parfois, ces projets anticipent et amènent des solutions à la structuration
administrative en cours, ou du moins, certaines décisions de substitution. Quoi qu’il en soit les
termes “ municipalisation ” et “ pouvoir local ” font partie aujourd’hui du vocabulaire administratif
et semblent politiquement acceptés par les agents gouvernementaux dans le long terme comme une
évolution possible du pouvoir administratif de la RDP Lao, même si la question constitutionnelle
reste encore un grand blocage. À partir de 2005, la structure des UDAAs s’éclaircit davantage : ses
missions deviennent de plus en plus concrètes et plus en phase avec les préoccupations et les
besoins locaux. Ce qui permet également de voir que les actions menées au sein de chaque UDAA,
se distinguent de plus en plus des missions du cadre général des UDAAs et de celles définies dans la
stratégie nationale. Pour comprendre cette progression, il est important de consulter les projets qui
ont été menés dans le cadre des UDAAs, avec les bailleurs de fonds internationaux.
III. VI. a. 2. Décrets et projets réalisés dans le cadre des UDAAs et de VUDAA199
199 Cf. Tableau en annexe. Décrets – lois et projets dans les domaines politique et administratif, secteur de la stratégie
urbaine, patrimoniale, taxes et foncier.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 144 -
Les projets et les actions menées dans le cadre du programme STIUDP (Secondary Town
Intégrated Urban Development Project.) et de VIUDP(Vientiane Integrated Urban Development
Project) –le programme précurseur des UDAAs et de VUDAA– sont généralement des projets qui
concernent le territoire des localités. Ils devraient relever des responsabilités des autorités locales.
Ils devraient être politiquement, financièrement et opérationnellement autonomes, “ dignes ” des
actions d’un pouvoir local ou d’une future municipalité. Or ce n’est pas le cas. Le terme “ autorité ”
semble ici inapproprié puisqu’il possède un pouvoir très limité. Il ressemble plus à un grand service
technique de la ville. Les projets réalisés ne peuvent ainsi se faire que par décrets spécifiques ou par
décision attachée à chaque projet.
Les projets et les initiatives institutionnelles prises et réalisés avant le décret N83/PM du 05
décembre 2005, portant la création du Comité Responsable de la Mise en place de la Municipalité
de Vientiane et de Luang Prabang peuvent nous donner des éclairages sur le fait que l’Autorité
Administrative pour le Développement Urbain (UDAAs) acquièrent peu à peu des prérogatives
autres que techniques et qu’elle a besoin d’être consolidée politiquement et d’être plus autonome en
ce qui concerne ses compétences institutionnelles et financières. Mais les données montrent que
cette autonomie est encore à rechercher.
Les décrets et les organismes promulgués et créés par le gouvernement laotien, ainsi que les
projets et les programmes du secteur urbain, financés, initiés et mis en place (avant la création des
UDAAs le 02 décembre 1997 par décret N177/PM) par les bailleurs de fonds et les partenaires
extérieurs sont nombreux. Les projets et les programmes, dont les UDAAs sont plus tard en charge,
répondent directement à la demande des bailleurs de fonds et des partenaires extérieurs. C’est
pourquoi ils dépendent aussi d’eux. Mais après la création des UDAAs les projets à leur initiative
deviennent rares, car d’après les bailleurs et les partenaires extérieurs, le gouvernement laotien doit
aussi poursuivre les efforts pour la bonne gouvernance urbaine de manière autonome.
Décrets, projets, programmes réalisés avant la création des UDAAs.
Le gouvernement lao. Les partenaires extérieurs.
1995 : Décret N40/FAMC, 04/04/95. Création du VUDMC (Urban for Development and Management
Comity) couvrant les 100 villages de Vientiane. Création du UDMCs pour
les 4 villes secondaires.
1993 : la BAD finance l’initiation du projet VIUDP. (16 actions dans
100 villages de Vientiane.)
1993 : mise en place du projet des Infrastructures et des Services
Urbains de Vientiane. VUISP.
1996 : la BAD finance l’Implantation et la mise en œuvre du projet
VIUDP pour 4 districts de Vientiane : 16 actions 100 villages (1995- 2000).
1997 : Décret N0807/MCTPC,
27/03/97. Création du Comité
responsable des projets de
développement urbain des villes
secondaires.
1997 : la BAD finance la mise en place du projet STIUDP
1997 : la BAD finance pour deux ans un projet de formation et de stage destiné à l‘établissement du système administratif municipal.
BAD-VIUDP-TA2377, 1997-1999.
1997 : la BAD finance la mise en place du programme AUPM de la
formation en planning et gestion urbaine, AUPM 1997-2000,
MCTPC-IRU-BAD TA Project-AIT BKK. Il met en coopération l’IRU
et l’Institut Asiatique de Technologie (AIT). Le programme couvre
trois ans de formation destinée aux agents de l’État : les
fonctionnaires du ministère et de la préfecture, les agents provinciaux responsables des affaires urbaines. Bien que ce programme n’ait pas
été mis en place dans le cadre des UDAAs, ses agents ont bénéficié de cette formation.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 145 -
Décrets, projets et programmes réalisés après la création de UDAAs. Les charges sont sous la
responsabilité des UDAAs et du VUDAA.
III. VI. b. La municipalisation
Nous nous référons d’emblée à la question de municipalité au fait du pouvoir local élu, qui
est l’un des principes fondamentaux du pouvoir local dans l’administration publique.200 Cependant,
le statut de maire d’une municipalité, d’un élu n’existe pas, il est même en contradiction avec la
Constitution de la RDP Lao.
L’arbitrage administratif avant la mise en place de la première Constitution de la RDPL
Rappelons que la constitution de la RDP Lao n’a été promulguée seulement qu’en 1991,201
soit seize années après la proclamation de la RDP Lao et cinq années après la proclamation de la
Réforme. Ce qui veut dire que la direction du pays a été menée sous forme d’arbitrage du Parti
PPRL durant seize années, aussi bien au niveau central que local. Dans cet arbitrage soulignons
l’importance des Comités populaires qui avaient géré et encadré à peu près tous les secteurs dans les
localités, car la structure administrative décisionnelle n’existant pas vraiment, la gestion et
l’administration fonctionnaient sur décision collective.
La distinction historique entre la ville-préfecture et la province
Rappelons également entre 1976 et 1981 que l’administration de la province et celle de la
préfecture ont été regroupées devenant une entité unique placée sous la direction du Comité Central
du Parti PPRL à l’échelon de la Province, mais ayant son siège dans la capitale.202 Nous pouvons
ainsi dire qu’administrativement la ville-Préfecture (l’agglomération urbaine) a disparu en 1976
pour ne réapparaître qu’à partir de 1981 au moment où la province a été séparée d’elle de nouveau.
Donc, à partir de 1981 les provinces étaient placées sous la responsabilité de leur gouverneur de
province respectif et de leur administration. L’administration de l’agglomération urbaine de
200 Ceprincipe trouve largement ses racines dans l’administration française. La culture administrative lao est
incontestablement liée à celle de la France qui y avait introduit par son administration coloniale l’idée de municipalité et
de commune, bien que les communes instaurées au Laos à l’époque coloniale ne soient pas pourvues de maires. En France
l’autonomie, entre autres, financière des communes françaises est renforcée par la loi de la décentralisation de 1983.
201 Elle est ratifiée en 2003. 202 La Préfecture a été créée pour la première fois au Laos en 1960 pour se démarquer de l’administration provinciale.
Le gouvernement lao Les partenaires extérieurs.
1997 : Décret N177/PM, 02/12/1997.
Etablissement de l’Organisation de l’Autorité Administratif
pour le développement Urbain, UDAAs.
1998 : la BAD finance un programme de formation spécifique destiné aux agents
des UDAAs et de VUDAA. La formation
et les stages couvrent deux années, 1998- 2000. BAD-VIUDP-TA 2973.
1999 : Décret N157/PM, 08/1999. Création du comité de
pilotage du VUDAA.
1999 : Decret N1366/PVT, 09/1999. Nomination des membres
du cComité de pilotage de VUDAA.
1999 : Décret N1836 et 1837/PVT, déc 1999. Transfert du
service de l’environnement - déchet et création de service de
maintenance de la voirie au sein de VUDAA.etc.
2000 : Ordonnance N/1804/P-VT, 25/12/00. Attribution des
Fonds de fonctionnement de VUDAA.
2000 : Décret N141/PM, 31/05/00, confirmant le statut de
VUDAA. Décret 171/PM confirmant celui des UDAAs comme
division de la Préfecture/province.
2001 : Décret N21/PM, 27/04/01. Attribution des revenus à le
VUDAA.
2005 : Décret N83/PM, 05/12/05. Création du Comité
responsable de la mise en place de la Municipalité de Vientiane
et de Luang Prabang. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 146 -
Vientiane était placée sous la responsabilité d’un autre gouverneur, désigné plus justement sous
l’appellation “ Préfet ”.
Le Comité responsable de la mise en place de la municipalité de Vientiane et de Luang
Prabang comme projet pilote
L’idée d’un pouvoir local élu et donc des élections municipales reste encore une hétérotopie
pour le Laos, du fait que les UDAAs fonctionnent simplement comme un service technique d’une
municipalité virtuelle qui n’existe pas encore et qui n’existera sans doute jamais si une réforme
institutionnelle et constitutionnelle ne vient apporter son secours. En attendant, vers 2005 le
gouvernement consent à préparer officiellement la création de la municipalité que l’on appelle en
lao Thésabane [gmflt[ko].203 Il crée par décret N83/PM en date du 5 décembre 2005, le Comité
Responsable de la Mise en place de la municipalité [7totIa[zyf-v[dkolhk’8A’gmflt[ko]. Le processus
de municipalisation ne concerne dans ce décret que deux agglomérations : Luang Prabang et
Vientiane, en tant que projets pilotes qui devraient être répliqués dans les autres villes et provinces
si les deux expériences se montrent concluantes.
Institutionnellement, le Comité agit sous tutelle du Vice-Premier ministre et fonctionne
comme un secrétariat du gouvernement affecté aux Affaires de l’Organisation Administrative
Municipale. La mission et les cahiers des charges du Comité comportent huit points. Il s’agit :
1- du point de vue juridique et institutionnel d’apporter des réflexions à la question comment
juridiquement les deux municipalités peuvent-elles être créées dans le cadre constitutionnel de la
RDP Lao,
2- de rechercher une orientation et un plan d’action approprié pour mettre en place la structure des
deux municipalités,
3- de proposer une structure administrative adéquate à cette organisation municipale,
4- d’établir toutes démarches et recherches de mise en œuvre en concertation étroite avec la
Préfecture de Vientiane et avec l’administration de la province de Luang Prabang afin de mener à
bien ces missions,
5- de régler tous problèmes et litiges qui peuvent survenir dans le processus de mise en place des
deux municipalités,
6- en coopération étroite avec la Préfecture de Vientiane et avec l’administration de la province de
Luang Prabang, d’élaborer le plan délimitant le périmètre physique des deux municipalités. Pour le
périmètre municipal de Vientiane, il faudrait réviser ses limites : quatre districts parmi les neuf de la
Préfecture de Vientiane, afin d’améliorer sa cohésion territoriale. Les 189 villages qui composent
les quatre districts Chanthaboury, Sissatanark, Sikhottabong et Xaysetha, ainsi que les autres
districts qui peuvent être concernés doivent faire l’objet de révision afin de savoir si tels ou tels
villages doivent faire partie ou doivent être exclus du périmètre de la future municipalité. Il est de
même pour Luang Prabang. Dans le cas où il serait inadéquat que certains villages en fassent partie,
les villages en question devraient être transférés aux districts environnants,
7- en coopération étroite avec le Ministère des Finances, d’étudier le système financier (sources et
perceptions, rétributions, gestion, fonctionnement, etc.) afin d’assurer l’autonomie des deux futures
municipalités,
8- de rendre des comptes de l’avancement de leurs travaux, recherches et réflexion, au
gouvernement de manière constante et conforme.
Le Comité sera assisté par un secrétariat qui sera créé par le Département de
l’Administration Générale. Le budget que le Comité aurait à son actif pour ses travaux de recherche
ne serait pas inscrit au Plan budgétaire Général de l’État. Les membres du Comité désignés
203 Thésabane, gmflt[ko, peut être défini par « limite ou territoire qui se suffit à lui-même ».Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 147 -
utiliseront leurs propres fonds de fonctionnement provenant de leur administration ou organisme
respectif, duquel leurs postes sont détachés. Les membres sont ainsi composés d’un haut agent du
Département de l’Administration Générale de l’État, du Vice-directeur de l’Administration du
Comité Central du Parti, du Chef du Département des Affaires Administratifs Locales, du Directeur
du Département Général de l’Habitat et de l’Urbanisme du ministère MCTPC (MTPT), du Vicepréfet
de la Préfecture de Vientiane, du Vice-gouverneur de Luang Prabang, du Vice-directeur du
Département des Budgets du Ministère des Finances.204 À ce jour, le Comité poursuit encore ses
recherches. Nous ne savons toujours pas quels seraient la configuration exacte ainsi que le statut
juridique et institutionnel de ces deux municipalités, leurs compétences, leurs attributions, leurs
organisations dans la Constitution de la RDPL.
Si le Comité effectue surtout des recherches sur la question d’intégration institutionnelle, la
Direction Générale menée par le Vice-gouverneur de VUDAA a réalisé une étude axée sur les volets
techniques. Un rapport a été présenté au gouverneur et au Premier ministre. Sachant qu’une autre
étude a été proposée en 2006 par les experts français dans le cadre du projet VUISP-Capacity
Building financé par l’AFD et la BAD. Quoi qu’il en soit nous avons vu que la création de la
municipalité, avec un pouvoir local, doit être déterminée par la Constitution. Or, à ce jour, il n’est
pas encore question de toucher à la Constitution pour cette fin, bien qu’elle ait bien été modifiée en
2003.
La question de limite territoriale d’une municipalité
En ce qui concerne Vientiane, la limite territoriale de la municipalité devrait d’abord
comprendre les 189 villages, composant les quatre districts qui sont définis comme périmètre urbain
de la ville. D’après les discussions du Comité, il est à présent question de l’élargir aux 202 villages.
Les débats en cours (commencés depuis 2007) portent sur les limites physiques et sur la
forme de l’administration de la future municipalité : faut-il ou pas créer quatre municipalités
correspondant aux quatre districts les plus urbains parmi les neuf qui composent la Préfecture de
Vientiane ; ou bien, faut-il créer une seule grande municipalité à partir de ces quatre districts.
D’après la plus ancienne définition, la préfecture de Vientiane est composée de quatre districts à
caractères urbains : Muang Chanthaboury, Muang Sissattanark, Muang Saysétha et Muang
Sikhottabong. Les cinq autres muang restant sont considérés comme des districts plus ruraux.
D’après la plus récente définition, la préfecture de Vientiane peut être composée de trois parties : la
partie urbaine serait composée de Muang Chanthaboury et de Muang Sissattanark, la partie
périurbaine serait composée de Muang Sikhottabong, Muang Xaythany et Muang Hatsayfong et
enfin la partie rurale serait composée de Muang Naxaythong, Muang Sangthong et Muang PakNgum.
La conception générale sollicite une grande municipalité unique comprenant les quatre
districts les plus urbains, mais une question demeure : faut-il supprimer les unités administratives
des quatre districts ou les garder en tant que petits districts ou arrondissements à l’intérieur de la
grande Municipalité de Vientiane. La difficulté se situe aussi bien dans la suppression des quatre
districts que dans le fait de les garder. Leur suppression semble difficile pour des raisons
fondamentales. À ce sujet, certains agents donnent leurs points de vue en ce sens : « même si au
niveau financier cela réduirait de manière considérable les frais de fonctionnement sur le long
terme, d’autant plus qu’au niveau administratif les districts ne servent pas à grand chose, les
supprimer ne serait pas une grande perte ». De ce point de vue, la difficulté ne semble pas être de
l’ordre administratif, elle l’est de l’ordre historique et culturel.
La suppression du muang et la conception ancienne du muang.
204 Article 1, portant membre du comité, décret N°83 du 05/12/2005.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 148 -
Effectivement la conception du muang (district) fait partie de la culture administrative
traditionnelle et correspond à une identité territoriale, au-delà de l’administration communale ou
municipale introduite par l’administration coloniale. Cette administration traditionnelle ne s’est pas
estompée et n’a pas disparu malgré les réformes qu’avaient connues l’administration et les
territoires laotiens. Le muang est l’unité identitaire de la ville par excellence, tant du point de vue
administratif que physique. Au début du XXe siècle par exemple, Muang Chanthabouri était le
muang central qui abritait le chef-lieu de Muang Vientiane, la partie la plus centrale et la plus
citadine. Au fur et à mesure que l’agglomération urbaine s’étend, les quatre muang finissent par se
rejoindre et composer le muang-capitale de Vientiane. L’histoire du muang-capitale (ville-capitale)
s’est forgée avec celle des muang qui la composent et qui formaient le muang-État (cité-État). La
disparition de ces muang primitifs donnerait l’impression que Vientiane se désintègre de son
histoire, de son assiette géographique et de son espace historique. Cette impression n’est pas une
observation du pittoresque, mais découle d’une cohésion de l’ordre identitaire et spatiale que
l’administration future de la municipalité aurait probablement tort de négliger. La future
municipalité dont le sens primitif et historique correspondant est le muang perdrait tout son sens si
les quatre muang primitifs sont supprimés. Par ailleurs “ district ” correspond bien au terme muang
seulement du point de vue administratif. Du point de vue conceptuel muang correspond plutôt à
“ municipalité ” ou “ commune ” ou “ ville ” ou “ pays ” (2e partie. II.II.a.)
Dans le cas où on crée une seule municipalité tout en conservant les quatre districts dans
leur intégralité administrative –comme arrondissement ou autre– les débats soulèvent les difficultés
techniques et financières qui seraient générées par la restructuration d’une nouvelle administration
sur quatre sites (dans quatre districts géographiques), sans parler du site central qui serait le siège de
la grande Municipalité de Vientiane. Cette idée nécessiterait beaucoup de dépenses. Par ailleurs, la
construction de la grande municipalité a déjà été prévue, les travaux ont commencé en 2008-2009 et
son inauguration est prévue pour fêter les 450 ans de la capitale de Vientiane en novembre 2010.205
Bien entendu, comme nous l’avons fait remarquer, la disparition des quatre districts en tant
qu’échelons administratifs faciliterait les démarches administratives et ferait économiser au pouvoir
local futur ses frais de fonctionnement. Mais il est sans doute possible aussi de trouver des
compromis pour préserver l’unité territoriale et identitaire des muang traditionnels en respectant
leur limite et leur histoire respective, tout en transférant l’instance administrative des muang vers
une instance unique, celle de l’administration municipale unique de la future municipalité de
Vientiane.
La municipalité, en tant que représentant du pouvoir local, appelle à la participation et aux
choix de la citoyenneté
Notre intention ici n’est pas de prétendre trouver la ou les solutions idéales pour répondre
ou participer au débat, mais de signaler que la démarche et le processus de municipalisation en
cours sont longs et rencontrent de multiples difficultés, non seulement d’ordre politique et
constitutionnel, technique et financier, mais surtout culturel.
Effectivement si cette municipalité est à l’évidence nécessaire à la gestion locale du
territoire, elle devrait être compréhensible par les citoyens. Le débat doit accepter que la question de
municipalité et du processus de sa création renvoie bien à l’origine de la ville et de l’administration
traditionnelle. Si la compréhension par les citoyens de l’idée de municipalité est importante,
garantissant le succès de son application et de son fonctionnement et confortant ainsi la nécessité de
devoir être créée, il va de soi que la manière et le processus de sa création ne devraient pas être
imposés comme une “ dictature bureaucratique ” ou une “ sur-administration ” selon la pression
financière des bailleurs de fonds internationaux. Car ils deviendraient aux yeux de la population
comme un moyen et un prétexte pour créer des charges et des obligations (redevances, taxes,
205 Le siège de la préfecture de Vientiane a été inauguré en 2011.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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impôts, etc.) L’implication des citoyens dans la démarche et dans le processus est donc essentielle.
Elle passe nécessairement par la responsabilité citoyenne, sous-entendant le choix des représentants
et des formes de représentation des pouvoirs auxquels les citoyens solliciteraient de prendre part.
Le processus de municipalisation appelle donc ses auteurs et ses responsables à rester
attentifs à la réalité sociale et culturelle locale concernant la question, qu’elle que soit la forme que
prendrait cette municipalité. En tous les cas, les difficultés que rencontre la municipalisation ne font
que mettre en évidence, d’une part, la résistance de la culture administrative locale traditionnelle, et
d’autre part, la résistance du régime politique, encore réticent à l’émergence du pouvoir local et à la
démocratie participative.
III. VII. Le rôle des investissements et de la migration dans le concept de
citoyenneté et dans la recomposition urbaine
Trois autres questions qui sont liées entre elles jouent également un rôle important dans la
recomposition et reconfiguration spatiale, en particulier du point de vue économique et humain. La
liberté d’échange et de circulation des biens induite depuis l’ouverture économique de 1986, a
favorisé l’émergence des acteurs économiques. Le droit d’entreprendre et la liberté de circulation
des hommes et des capitaux se sont affranchis des contraintes idéologiques. Ils ont enrichi les villes
des bras et des ressources humaines et financières. Le droit de propriété et d’action sur les terres a
fourni aux hommes les moyens légaux d’intervenir plus aisément dans l’espace habité.
Pour les trois questions corollaires, il s’agit d’abord de la question des nouveaux acteurs
économiques émanant des investissements internes et externes, qui forment des facteurs de
modification du paysage urbain et de la politique de la ville. Il s’agit ensuite de la question de
mobilité des hommes ou de la migration. Celle-ci a été l’élément révélateur de la dynamique des
villes, que cette migration soit interne ou externe. Enfin, il s’agit de la mise en place de la question
citoyenne.
Les investissements en terme de poids économiques et les hommes en terme de ressources
humaines sont des facteurs essentiels pour la configuration de la ville, mais aussi de sa politique.
Quelle part de responsabilité et quelle part de droit de citoyenneté assument aujourd’hui les
investissements et les hommes issus de la migration, en particulier dans la notion nouvelle de
l’habitant et du citoyen que le gouvernement de la RDPL définit à travers les dispositifs civiques
propagandistes. Cette notion nouvelle est à comparer à la notion ancienne du statut de l’habitant,
qu’il est important de rappeler.
III. VII. a. L’apport des investissements dans les modifications du paysage urbain et
dans la politique de la ville.
Les investissements qu’ils soient internes ou externes ont été les éléments majeurs dans les
modifications du paysage urbain et de la gouvernance urbaine. Les plus importants sont les
investissements publics que nous n’allons pas évoquer dans le présent paragraphe. Donc, mis à part
les investissements publics, les investissements du secteur privé ont été un facteur majeur dans la
construction des infrastructures et des équipements.
II. VII. a. 1. Les investissements intérieurs.
Les investissements de fonds locaux sont peu importants et occupent les petits secteurs
divers qui n’intéressent pas directement les investisseurs extérieurs : tels, les petits commerces de
proximité, les boutiques, la production de l’artisanat courant, les services de location de maisons, la
construction et la spéculation à petite et à moyenne échelle. Les locaux ne peuvent investir que dans
les activités qui ne nécessitent pas de grands investissements, sans beaucoup de risque, qui
rapportent vite et durablement, même à petites marges. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les investissements locaux ont fait aussitôt surface après l’ouverture économique. Certains
ont même été maintenus ou revivifiés un peu avant l’ouverture du pays, afin de répondre aux
besoins de base durant les années difficiles, notamment pour les produits de consommation. En ce
cas, les petits investisseurs qui n’étaient pas dans le secteur de la production occupaient aussi le
marché noir, au vu et au su de l’autorité publique qui a besoin de ces derniers comme intermédiaires
pour traiter officieusement avec le pays voisin (la Thaïlande) qui, officiellement et cycliquement,
pratiquait l’embargo vis-à-vis du Laos.
Cependant, ces investissements privés locaux ont été revivifiés de manière très lente et
progressive. Ils semblent suivre le rythme de progression du pouvoir d’achat de la population
urbaine. Notons à ce propos, seule la population citadine est vraiment concernée, car en milieu rural
et reculé (qui constitue la majorité de la population laotienne ne consommant pas ou peu) le pouvoir
d’achat est quasiment inexistant.
Dans les fronts de rues du quartier animé et commercial d’avant les années 1975, les rez-dechaussées
des compartiments qui étaient restés fermés sans activité pendant longtemps sont peu à
peu réouverts, accueillant des boutiques de taille allant d’un à trois compartiments. Les fronts de
rues dans leur horizontalité et leur verticalité sont réhabilités et reprennent vie. Dans le registre des
patentes commerciales, les demandes augmentent de manière significative. Les immeubles privés
sont aménagés en bureau et loués aux sociétés nouvellement installées.
Dans les quartiers animés, le cas de Vientiane montre l’importance du rôle de l’association
chinoise,206 qui possède la plupart des immeubles. L’association est un tremplin pour attirer et
favoriser le retour au Laos des Chinois de la diaspora. Dans la mesure où les Sino-Lao reviennent
toujours avec des fonds, qu’elle que soit leur importance, et retissent les anciens réseaux locaux et
régionaux avec les Chinois de Thaïlande, du Vietnam, de Hongkong et de Taïwan. On considère
que ce sont des investissements intérieurs, familiaux, voire, claniques. Bien que le phénomène
chinois de la diaspora n’occupe qu’une part dans l’ensemble des investissements internes du pays, il
est important de le signaler, car du point de vue urbain, il a joué un rôle important dans la
revivification des centres villes, à Vientiane comme dans les capitales provinciales.
Les familles laotiennes aisées quant à elles, possédant des biens fonciers tant des terres agricoles
que des biens immobiliers en ville, libèrent souvent une partie de leurs biens afin de concentrer leur
investissement sur la construction des maisons et sur la réhabilitation des immeubles à louer. Il
s’agit souvent des petits travaux d’embellissement, sans toucher aux vieux réseaux
d’assainissement, d’électricité et d’alimentation en eau. L’architecture des années 1970 de
l’ensemble des immeubles et l’architecture des édifices coloniaux ne sont pas mises en valeur. Pour
cette raison, beaucoup de bâtiments réhabilités ne répondent pas aux demandes extérieures. Il faut
attendre la fin des années 2000 pour que les bâtiments anciens et les nouveaux puissent répondre à
certains standards internationaux : fonctionnaliser, mais aussi embellir les bâtiments anciens, afin de
répondre aux images de marque et de modernité des nouveaux usagers.
III. VII. a. 2. Les investissements extérieurs et la politique de la ville.
Quant aux investissements étrangers, ils sont plus importants et semblent rapporter plus à
l’État par les taxes qu’ils génèrent. Par leurs enjeux financiers directs et par leurs retombées
diverses, ils exercent une influence sur la politique de la ville et du territoire. L’autorité urbaine doit
rattraper le retard dans son développement qui a été fortement accentué dans les vingt premières
années du régime. L’autorité urbaine de Vientiane doit accomplir plusieurs projets pour mettre en
valeur la ville en tant que capitale, aux yeux de la population et au regard de l’international. Réaliser
206 Un document de l’administration coloniale de 1908 (D628 15501/ GGI/ CAOM) montre que l’association existait déjà.
Elle était désignée comme “ cercle chinois ” et rassemblait les chinois de la diaspora. Vers l’année 2000, nous apprenons
par un Sino-Lao, membre de l’association, qu’elle fixait des critères d’adhésion, dont l’une qui stipule que pour adhérer à
l’Association chinoise de Vientiane, il faut être Chinois du Laos depuis trois générations. Ce qui semble distinguer cette
communauté chinoise ancienne de la nouvelle qui arrive nombreuse de la Chine populaire à partir des années 2000.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’un côté le désir du régime de se réconcilier avec l’histoire du pays (projets emblématiques : le
parc du roi Anouvong, le SEA-Game, la fête des 450 ans de la capitale, etc.) et de l’autre intégrer le
pays dans le réseau régional des capitales asiatiques (construction des zones de développement
économique, accueils des événements politiques, les sommets, les rencontres de l’ASEAN et de
l’ASEM, internationaliser les fonctions urbaines.) Les objectifs de telle ampleur offrent beaucoup
d’opportunités aux investisseurs. Inversement, l’appel aux investissements induit la montée en
puissance des investisseurs. Ces derniers s’imposent aux politiques et exercent une influence forte
sur la gouvernance urbaine, d’où des contradictions flagrantes entre la planification mise en vigueur
et les décisions prises pour permettre la construction de certains projets (notamment le projet de
Done Chanh Palace et de la “ cité d’affaire ”, glory of Laos.)
Les investissements externes ont été focalisés d’abords sur les secteurs lourds réalisés à
l’extérieur du milieu urbain. Après la libéralisation économique et après la mise en place du plan de
privatisation des entreprises d’Etat ou des entreprises mixtes dans les années 1985, les entreprises
du secteur lourd ou semi-lourd, mixtes ou appartenantes entièrement à l’État, commencent à
intéresser les investisseurs étrangers. Par l’intermédiaire des personnalités de la sphère
“ parapolitique ”,
207 les investisseurs étrangers ont repris un certain nombre d’entreprises de grandes
envergures : pharmaceutique, cimenterie, sidérurgie, confection, bois, minerais, etc. La plupart de
ces activités étaient installées à l’extérieur des centres urbains et/ou en sa périphérie, et il n’y avait
pas de grandes tendances à l’expansion de ces entreprises dans les premières années de la reprise.
La plupart d’entre elles restaient discrètes, même après leur transformation en joint-venture
étrangère-locale ou mixte privée-Etat.
Les investissements des premières années étaient concentrés pour beaucoup sur la
réorganisation, l’amélioration technique de la production (réparer ou changer les matériels et la
machinerie délabrée), une sorte de réinvestissement dans un système de production vieilli et
inadéquat qui nécessite une réorganisation. Le personnel était à reformer, la technique de
distribution à améliorer, un marketing et un nouveau marché à conquérir, etc. Par la suite lorsque la
première étape a été en partie comblée, beaucoup d’entreprises vont se développer et s’étendre
(Beer Lao, Ciment Lao, Lao Tabaco, confections spécialisées tel que le Lao coton). Et au contraire,
d’autres entreprises périclitaient ne pouvant rattraper les retards durant les 10-15 premières années
difficiles du régime (fabriques de poterie et de brique, usines de tabac de petite taille, etc.)
Vers la fin des années 1990, d’autres investisseurs se sont rapproché des milieux urbains, de
leurs centres et de leurs petites périphéries. En même temps, il y a une émergence de nouvelles
activités. Les intérêts des investisseurs portés aux domaines fonciers ont été plus visibles que les
autres, car ils ont apporté un changement significatif dans le paysage urbain : construction ou
réhabilitation de grands hôtels (Lao Plaza, Novotel, Sétha Palace, Dok mai Dèng, Park view, le
Marché du matin et son extension, terrain de l’ancienne trésorerie, terrain des anciennes douanes et
régies, etc.) A partir du milieu des années 2000, les intérêts pour les centres urbains se sont
fortement confirmés, parallèlement aux intérêts portés aux grands territoires extérieurs, réellement
intégrés ou simplement dénommés “ zones de développement ” ou “ zones économiques ”.
Les intérêts des investisseurs que nous évoquons à différentes périodes et à différentes
échelles ont joué un rôle important dans la politique de la ville. Car les projets qu’ils mettent en
place ne peuvent se faire que sous l’approbation de l‘autorité politique. Ce ne serait pas une erreur
de constater que de nombreux grands projets qui modifient la figure de la ville incarnent la politique
de la ville. Il est vrai pour Vientiane et il est vrai aussi pour les autres villes de province qui
connaissent un développement semblable, notamment la ville de Paksé. Son nouveau marché ainsi
207 Entendons par “ sphère parapolitique ”, les individus (souvent les femmes) appartenant aux familles des hommes
politiques qui font partie du Parti PPRL. N’exerçant aucun pouvoir officiel, ils prenaient part considérablement dans les
décissions politiques touchant les affaires au moment de l’ouverture du pays. Dans certains cas, ils étaient eux-mêmes
actionnaires, du moins, missionnés pour faciliter les contrats et pour l’obtention des patentes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 152 -
que son nouveau quartier, sont aujourd’hui désignés comme la ville du Groupe Dao Heuang, un
grand investisseur local d’origine Vietnamienne. En fait, les investisseurs n’accompagnent pas le
développement des villes en respectant le schéma directeur et en suivant la politique urbaine
annoncée et qu’est sensée de mener l’autorité urbaine. Mais ils mettent en application certaine
logique d’investissement : devancent et transgressent les règles et pervertissent la politique de la
ville. Nous le voyons à travers certains projets qui contredisent les plans urbains préconisés par
l’autorité publique. La construction du Done Chanh Palace dans la zone naturelle conservée (NA)
est justifiée par les décisions émanant de la haute instance du gouvernement. Il faut dont pour les
organismes publics, notamment ceux en charge de la planification et du développement urbain, de
jongler et d’apprendre à anticiper afin de ne pas entrer en conflit avec plusieurs décisions et projets
qui émanent de la haute instance décisionnelle du pouvoir. Ainsi, les règles ne sont pas appliquées à
tous. Les projets dérogatoires qui priment sur toutes les règles sont étroitement liés aux
investissements qui deviennent de plus en plus colossaux et qu’il convient de prendre en compte.
III. VII. b. Le rôle de la migration dans le renouvellement du domaine bâti
Nous repérons trois types de migration : la première est une migration interne (de la
campagne vers la ville, de ville à ville inter provinciale, inter urbain, à l’intérieur d’un centre
urbain), désignée comme une forme de mobilité. Dans son ensemble, elle est sans effet lourd
comparable à l’exode rural des années 1960 et 1970. Elle a permis en tous les cas au
renouvellement de la population et à donner à la ville un aspect plus anonyme et plus citadin. La
deuxième migration est externe provenant des pays limitrophes, liée aux relations historiques
récentes et à l’évolution des relations que le Laos entretient avec ses voisins, que sont la Chine et le
Viêtnam. La troisième migration peut être qualifiée d’artificielle. Elle est liée à l’ouverture
économique du pays et à la coopération internationale. Elle a été utile à la rénovation foncière et à
sa mise en valeur, mais n’a pas joué un rôle déterminant dans le centre ancien et dans la restauration
des vieux bâtiments.
III. VII. b. 1. La migration interne et le renouvellement des habitants dans l’espace citadin
Dans la deuxième partie, nous allons mettre en évidence l’importance du mouvement de
migration dans la constitution du territoire laotien et l’importance de la mobilité et de la répartition
des hommes dans son évolution. Nous allons montrer que le mouvement migratoire avait contribué
à définir une des caractéristiques sociales, spatiales et historiques des territoires urbains. Nous
rappelons dans ce présent paragraphe le fait que le mouvement migratoire interne récent contribue
au renouvellement des habitants dans l’espace citadin et influence directement la modification des
données spatiales. Aujourd’hui, les mouvements migratoires successifs ne fixent pas les
caractéristiques des lieux, mais induisent leur caractère évolutif.
La migration de la campagne vers la ville
La migration de la campagne vers la ville connait une certaine constance, même si elle n’est
pas aussi forte aujourd’hui par rapport aux années 1960 et 1970. La plus évidente raison reste les
offres d’emploi. La population active de la campagne se consacre majoritairement aux travaux
agricoles. Et lorsque les travaux des rizières de l’année s’arrêtent, elle vient chercher du travail en
ville avant que la nouvelle saison reprenne. Ceux qui n’ont pas de terre à cultiver ou bien les jeunes
qui ne veulent plus travailler dans les rizières viennent chercher du travail en ville pour toute
l’année, dans les usines et dans les chantiers de construction notamment. Notons que les travaux de
rizière rebutent de plus en plus les populations jeunes. La désertification de la campagne par ces
derniers est liée au manque de travail, mais aussi à l’ennui. La jeunesse rêve aussi à l’ailleurs et à un
salaire. L’absence des jeunes à la campagne devient flagrante dans certaines régions. Les petits
villages qui ne sont pas trop loin de la Thaïlande sont les plus touchés. Au-delà de Vientiane et des
grandes villes du Laos comme Savannakhet et Pakxé notamment, les jeunes traversent la frontière
pour trouver du travail en Thaïlande, au risque d’être victimes des trafics humains. L’État mène Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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depuis peu avec le soutien des ONG des campagnes de sensibilisation pour stopper le phénomène.
Des organismes de recherche d’emploi et de placement sont agrémentés afin de promouvoir la main
d’œuvre laotienne qui désire aller travailler à l’étranger et afin d’éviter que les personnes ne
tombent dans le réseau des trafics humains.208
Dans les provinces les usines et les manufactures se sont installées, mais de manière inégale
d’une province à l’autre. Il y a un grand vide dans la majorité des coins de campagne, dans le Nord
comme dans le Sud, dans l’Est comme dans l’Ouest. Nous sommes parfois frappés dans les villages
de ne pas trouver de jeunes gens, mais seulement des enfants et des personnes âgées. Les districts
qui accueillent des manufactures et des usines et qui ont pu fixer un peu sur place leur population
active font figure d’exception. Parfois, les emplois proposés ne sont pas adaptés, ou nécessitent un
minimum de formations dont la population ne peut bénéficier.
Ainsi, la main d’œuvre venant de la campagne en centre urbain et travaillant dans les
chantiers de construction et un peu dans les usines, constitue une partie de la migration de la
campagne vers la ville. La destination de cette migration est ainsi diversifiée. Mise à part la
contribution de sa main d’œuvre à la construction, la migration en milieu urbain en tant que choix
résidentiel est quasiment nul. Les gens sont logés directement dans les chantiers provisoirement et
changent d’endroit selon l’emplacement des chantiers. Ou bien, lorsqu’ils se fixent en ville, ils ont
élu domicile dans la proche couronne de la ville, là ou les loyers sont bons marchés. Le type de
logement de prédilection est un compartiment à rez-de-chaussée dont le loyer est de 300 000 à 400
000 kips par mois, et ils se logent à plusieurs.
La migration entre provinces
La migration inter provinciale actuelle est difficile à quantifier et ne constitue pas un
mouvement significatif. Elle s’est déjà produite à deux moments, rappelons-le. D’abord, c’était
pendant la guerre froide et confondue au mouvement de migration des réfugiés qui avaient fui les
combats. Elle s’est ensuite produite durant les premières années du régime, et durant la mise en
œuvre du repeuplement de certaines villes par le gouvernement, lorsque celui-ci voulait développer
les villes qu’il venait d’ériger afin d’illustrer son idéal de peuple multiethnique (voir 3e partie).
Héritées des faits historiques, les populations des provinces sont fortement présentes dans les
centres, identifiées par leur accent respectif. De manière générale, elles sont bien réparties et ne se
regroupent pas en quartier. Étant majoritairement constituées de Lao Loum, et plus de 30 années se
sont écoulées depuis leur arrivée dans la nouvelle province (cas de Vientiane), elles ont le temps de
s’approprier leur quartier et leur village, la mixité est ainsi assurée. Cependant, les villages qui
étaient monoethnique à l’époque, peuvent perdurer et garder encore aujourd’hui les marques
identifiables de la provenance d’origine de leurs habitants. Il s’agit par exemple des villages à
dominance tai dam ou à dominance tai neua et tai dèng à Nong Bouathong.
La migration entre centres urbains et à l’intérieur des centres urbains
La migration entre centres urbains, si elle existe, est difficilement identifiable, il est encore
moins facile d’en connaître toutes les motivations. Nous retrouvons par exemple beaucoup de gens
originaires de Luang Prabang qui décident de retourner à la ville d’origine, parce que la ville offre
des opportunités d’affaires, en particulier si leur famille a encore des biens fonciers. Ils y montent
ainsi un commerce, une guest house avec les biens de la famille. Il est de même pour Pakxé où la
ville connaît un développement important. Ou bien, dans certains cas, les gens peuvent partir vivre
dans une autre province parce qu’un travail ou un poste leur a été proposé. Ce phénomène constitue
des cas isolés et ne peuvent former un mouvement de migration inter provinciale important.
208 La lutte contre le trafic humain à l’échelle régionale devient une des préoccupations des gouvernements, tant laotien
que cambodgien, vietnamien et thaïlandais. Et si les ONG et les sociétés civiles sont plus nombreuses et peuvent agir plus
librement en Thaïlande pour assister les personnes, ce n’est pas le cas au Laos où la question demeure un tabou et les
sociétés civiles ne sont pas pleinement autorisées à agir. Cf. Rapports officiels sur le trafic humain de UNDP et le rapport
de l’AFESIP. http://www.afesiplaos.orgDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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En ce qui concerne la migration à l’intérieur des centres urbains eux-mêmes, nous avons
déjà évoqué la question dans le paragraphe traitant du « mouvement de stratégie résidentielle »,
rappelons simplement que cette migration est liée aux choix et à la stratégie commerciale aux quels
le choix résidentiel s’est greffé. Elle est caractérisée par une souplesse et une mobilité et par une
catégorie de population jeune et entreprenante.
Dans les deux cas de figure –migration entre centres urbains et à l’intérieur du centre
urbain- la migration serait purement liée aux choix et à la stratégie résidentielle et aux opportunités
économiques ou salariales. Ce sont des choix et des stratégies, apparus et devenus possibles que
dans un contexte citadin, et en particulier, conditionnés par une certaine dynamique du centre
ancien et de la ville en générale : un cadre économique favorable, une revivification globale des
activités, etc.
III. VII. b. 2. La migration externe liée aux relations historiques entre le Laos et ses voisins
que sont les Chinois et les Vietnamiens
Les deux migrations doivent être placées sur deux niveaux de réflexions distinctes. La
première doit être placée dans un contexte historique, la seconde, dans un questionnement plus
politique. Sans cette distinction, nous ne pouvons pas comprendre la migration sino-vietnamienne
au Laos et son influence dans la politique de la gouvernance du pays. Quelle utilité ou quel
problème, l’une et l’autre devraient soulever. La migration vietnamienne et chinoise est fort
ancienne pour le Laos. Sans la confondre complètement avec les poussées chinoises historiques, la
sinisation du Nord du Laos actuel n’est pas sans lien avec ces poussées historiques. C’est un
préalable que l’histoire politique et socioéconomique du pays doit sans cesse rappeler. En ce qui
concerne la migration vietnamienne proprement dite, l’histoire l’évoque dès le XIVe siècle. Mais
c’est récent, comparée à la longue histoire du glissement du peuple tai et de la poussée chinoise, et
c’est un élément majeur dans la situation politique actuelle du pays.
Lorsque l’unité politique lao s’était constituée en tant qu’État, toute la région de la
péninsule (le haut, le moyen et le bas Mékong) vivait alors sous l’autorité de l’empire de Chine, de
près ou de loin. Cet empire joue un rôle dominateur et arbitrait les conflits entres les États, quelle
que soit leur importance. La Chine dominait le Viêtnam durant plus de mille ans et empêchait
périodiquement ce dernier dans ses tentatives de domination des États voisins, que sont le Laos et le
Cambodge. Et chaque fois que la Chine relâchait ses surveillances, le Viêtnam tentait de la
remplacer : il annexait périodiquement le Traninh, le Sip Song Chou Tai et Houa Phanh comme ses
provinces occidentales.209
Dans une période plus récente, les deux composants migratoires ont été une nécessité pour
la fondation des villes coloniales, autrement dit, pour la revivification des villes du Laos ellesmêmes.
L’autorité coloniale a officialisé la colonisation annamite afin de combler le manque de
main d’œuvre et a fait appel à la colonie chinoise pour faire revivre la ville, ses activités et ses
commerces.
Plus récent encore le conflit sino-vietnamien en 1979 a mis en évidence deux forces en
présence, d’égale à égale, entre le Viêtnam et la Chine. Il était clair que le Viêtnam affirmait sa
prédominance sur l’ancienne Indochine en affrontant, avec succès, la Chine. Politiquement,
l’importance du Viêtnam et de la Chine pour le Laos affirme encore cet ancien schéma, mais dans
un contexte tout nouveau. Le Laos est un pays indépendant qui partageait dans le passé lointain et
récent un lien politique lourd avec ses deux voisins, au poids démographiques énormes. Pour
continuer à garder cette forme d’indépendance, il doit mener sa politique de telle sorte que la
balance entre les deux pays soit équilibrée.
209 Par exemple lorsque le Daï Viet lançait ses troupes pour annexer la partie septentrionale du Laos et atteindre la porte de
Chiang Mai, l’empereur de Chine a dépêché une ordonnance impériale, par l’intermédiaire d’un haut mandarin du Sud,
pour que le Daï Viet se retire de cette région.Tatsuo Hoshino, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le contexte nouveau place la question économique, avant la question idéologique, au cœur
des relations inter État. Les liens entre le Laos et la Chine ont été peu à peu normalisés après la fin
des conflits sino-vietnamiens et redeviennent, de nouveau, étroits à partir des années 1995. Les
traités et les projets de coopération naissent nombreux entre les deux pays. Cependant, force est de
constater qu’aucune coopération sino-lao ne peut dépasser les “ relations spéciales ” que le Laos
entretient avec le Vietnam, basées sur le fondement idéologique que le PPRL partage avec ce pays
depuis la fondation du PCI, appelé par les deux parties “ lien d’héritage historique ”, moun seua
pavasat. De fait : le Viêtnam occupe la place d’honneur sur le terrain de la politique, alors que la
Chine exerce une domination économique et financière indiscutable. La concurrence sinovietnamienne
a très bien été prise en compte dans la politique laotienne. C’est même l’élément de
son équilibre. Au regard de ces questions, le Laos doit traiter avec prudence la question de
migration avec les deux pays.
Aujourd’hui, la coopération régionale –dans le cadre de l’ASEAN ou du GMS– vient se
superposer aux schémas historiques. Sans remplacer les relations spéciales Laos-Viêtnam ou sans
réduire la domination de la Chine sur le Laos, la coopération régionale diversifiant les partenariats –
surtout sur le plan économique– tend à minimiser l’impression de main mise de ces deux pays sur le
Laos. Et la migration accompagnée ou pas de fonds d’investissement se travestit alors dans les
coopérations des communautés régionales. Dans ce cadre, rien ne doit choquer qui que ce
soit lorsque les projets de concession des terres font déplacer des villages entiers, lorsque les projets
de développement économique écartent la participation possible de la communauté locale, etc. La
migration et les implantations chinoises sont ainsi identifiées. Elles se réalisent beaucoup sous
forme de concession de longue durée pour les grands investissements déjà réalisés ou en cours de
constitution. Ceci, lorsque les acquéreurs n’ont pas pu avoir la nationalité laotienne pour acheter les
terres. Et lorsqu’ils le peuvent les Chinois font aussi des acquisitions définitives des terres et des
biens immobiliers (construction d’immeubles ou achat de compartiments). La naturalisation
laotienne étant administrativement laborieuse et devant s’acquérir sur décision de l’Assemblée
Nationale, elle devrait de ce fait se réaliser très rarement dans les règles. Les nombreuses
acquisitions des biens fonciers par les Chinois se font donc souvent par mariage avec les locaux.
Pour le reste, des procédures frauduleuses seraient pratiquées. En dehors des grands investisseurs, la
petite migration chinoise, se résume aux commerçants qui essaient d’écouler les sous-produits
ramenés régulièrement de Chine. En ce cas, certains d’entre eux louent des compartiments ou les
achètent quand ils le peuvent, ou bien alors louent les box construits par les sociétés chinoises ellesmêmes
dans les supermarchés (marché Jing kiang, marché de Nongnyang, marché Bôtèn, etc.)
Notons que la diaspora chinoise émigrée au Laos depuis plus de quatre générations n’a pas de lien
étroit avec les investisseurs chinois de la grande Chine actuelle qui investissent dans de nombreux
projets économiques et d’exploitation des terres.
En ce qui concerne les investissements vietnamiens, ils se sont beaucoup appuyés sur les
relations politiques spéciales que le Viêtnam a avec le Laos. A la différence de la diaspora chinoise
du Laos, les Viet-kyo du Laos se relient beaucoup plus avec les nouveaux investisseurs vietnamiens
(petits et moyens capitaux) qui arrivent également nombreux dans les plus grandes villes du pays :
Vientiane, Thakhek, Savannakhet, et surtout Paksé.
En ce qui concerne la migration sans fonds d’investissement particulier, elle se résume pour
les deux migrations à l’apport de main d’œuvre. Les travailleurs et les techniciens chinois
accompagnent les grandes sociétés de construction, la main d’œuvre laotienne étant très peu utilisée
par ces grandes sociétés, car elle est mal formée ou pas formée. Pour les Vietnamiens, dont le
système serait moins organisé, les travailleurs sont dispatchés en petits groupes et en individuel et
contractent plus souvent des petits contrats avec les privés pour des travaux plus modestes. Ils
peuvent également occuper plusieurs secteurs : restauration, tailleurs et confection, services divers,
marchands ambulants, etc.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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III. VII. b. 3. La migration artificielle de la coopération internationale dans le renouvellement
du domaine bâti et de l’habitat résidentiel
Nous désignons “ migration artificielle ” celle constituée par le personnel des ONG
étrangers, des organismes internationaux, des ambassades, des entreprises et firmes étrangères et
internationales. Leur installation au Laos amène l’expatriation de leurs agents et employés,
accompagnés de leur famille pour un temps limité, selon les règles et les termes des contrats
respectifs. Leur installation se fait surtout dans la capitale, même si leurs lieux de travail peuvent se
trouver dans les provinces. Les expatriés et leur famille ont besoin d’avoir une résidence à
Vientiane pour la scolarité de leurs enfants, pour les soins médicaux, les loisirs, les services et la
consommation de base. Et quasiment seule la capitale peut les satisfaire. Le côté artificiel de cette
migration réside non seulement dans la durée limitée mais aussi dans le fait que le choix résidentiel
est souvent fixé dans des lieux stéréotypés et prévisibles, par un certain standard de confort et
d’image que les locaux ont su très vite repérer et offrir comme “ quartiers ou maisons des
étrangers ”, khoum tang pathed. Cette migration ne contribue qu’artificiellement au changement du
paysage urbain ou à son renouvellement, sauf quelques exceptions que nous évoquerons plus en
détail dans le paragraphe traitant de la production architecturale. Effectivement les équipements –
bureau et siège– qui servent ces organismes peuvent marquer le territoire urbain. L’expatriation des
agents internationaux d’aujourd’hui n’est pas comparable à la période coloniale dont les
composants bâtis destinés à l’installation des administrations et des agents avaient reconstruit les
villes tout en apportant un caractère nouveau.
Les habitations occupées par le personnel expatrié aujourd’hui concernent dans la grande
majorité des cas les maisons des années 1960 et 1970 réhabilitées, quelques maisons coloniales plus
ou moins restaurées, et de très rares maisons lao anciennes. Souvent, les conditions générales et la
forme de contrat des baux ne sont pas appropriées pour favoriser la préservation des bâtiments les
plus qualifiants, pour que ce type de bâtiments puisse profiter des demandes des résidents étrangers
et pour qu’il puisse s’organiser et se structurer de manière conséquente. Beaucoup de bâtiments
coloniaux appartiennent à l’État et les conditions ou la forme contractuelle choisie par lui pour louer
ces bâtiments aux expatriés ne sont pas forcément pratiques ou favorables à la démarche de mise en
valeur patrimoniale. Beaucoup de villas des années 1960-1970 appartiennent encore aux privés,
beaucoup d’autres ont été confisquées en 1975. Si celles qui appartiennent aux privés ont fait l’objet
de réhabilitation plus facilement, car l’objectif visé est de les louer, on ne peut dire de même pour
celles qui appartiennent à l’État. Pour les immeubles appartenant à l’État, le fait qu’il faut beaucoup
de fonds –pour indemniser le départ de ceux qui squattent les immeubles, pour restaurer les édifices
en mauvais état, pour les loyers de longs termes– freine les organismes qui voudraient participer à la
mise en valeur du patrimoine par ce mode. Quant aux maisons lao anciennes, certaines ont fait
l’objet de restauration par leur propriétaire afin d’être louées aux étrangers. Ne bénéficiant d’aucune
aide publique, les restaurations de ces maisons se font tant bien que mal et restent rares, souvent
elles tombent en ruine et ne peuvent plus être restaurées.
Parallèlement aux rares réhabilitations et restaurations des bâtiments anciens, les nouvelles
constructions cherchent aussi à répondre aux demandes du personnel expatrié. Ce sont des
initiatives privées. On trouve dans ces nouvelles maisons proposées au courant des années 1990 des
villas contemporaines avec un confort occidental dans une architecture bâtarde sans identité
particulière, avec colonnes doriques et corinthiennes, etc., des décorations en moulures empruntant
aux langages architecturaux gréco-romains les éléments les plus parlants. Depuis le milieu des
années 2000, une nouvelle génération de maisons apparaît. Proches des maisons lao pagnuk, les
belles villas dont l’étage est en bois et le rez-de-chaussée en dur –avatar des maisons lao anciennes–
sont très appréciées par les expatriés. Les promoteurs privés jouent ainsi dans le pittoresque en
construisant des pseudos maisons lao. Les maisons sont mises soit en location soit en vente et c’est
un marché relativement florissant à Vientiane et à Luang Prabang. Les étrangers trouvent les
moyens pour être propriétaires de ces biens en pratiquant le système de prête-nom. Il est probable Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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que ce type de construction puisse caractériser notre époque, pour sa quantité, son confort et pour
ses efforts de s’inspirer de l’architecture lao pagnuk. Il serait alors un indicateur social et culturel de
cette migration qui s’est rapprochée de la culture locale à sa manière, en participant au
renouvellement de l’habitat d’une époque et en participant à un certain conservatisme local.
A côté de ces nouvelles habitations, les demandes en matière d’immeuble de bureaux
deviennent également importantes. Les immeubles des années 1970 ou coloniaux réhabilités et
abritant les organismes internationaux ne suffisent plus dès le début des années 2000 : la BAD
occupe un des bâtiments coloniaux du croisement Lan Xang-Samsaèn tai, l’AFD celui de l’angle du
croisement Lan Xang-Khun Bourom, la Banque Mondiale celui donnant sur la place Néru du
Patouxay. Comme nous l’avons déjà souligné les organismes et les étrangers européens ou
asiatiques proviennent généralement des pays riches, ou du moins, l’image et la représentation de
leur pays sont importantes dans une capitale comme Vientiane dont les fonctions connaissent une
internationalisation grandissante. Ainsi sont construits un certain nombre de nouveaux bâtiments
destinés aux sièges des organismes internationaux : le bureau de UNDP sur l’avenue Lan Xang à la
place de l’immeuble d’appartements des professeurs du Lycée de Vientiane, le centre international
de conférence sur la route nationale 13 Nord-Est, les nombreuses banques, notamment les
immeubles de la banque Lao-viet, la banque Franco-lao, la banque Indochina, etc.
III. VII. c. La citoyenneté à travers les actions civiques propagandistes
Dans de nombreux pays, la citoyenneté est liée au devoir civique, à une adhésion
volontariste dans la participation et dans le partage des droits et des valeurs communes. Ceci est une
notion récente et moderne des États Nations qui essaient de créer une communauté nationale audelà
des communautés ethniques, confessionnelles ou corporatistes. Il en est de même pour la
citoyenneté au Laos, cependant une particularité est à observer.
Le principe de l’identité en rapport avec le sol, d’après les principes coutumiers
Tout en observant les principes de la communauté nationale, le pouvoir actuel (comme le
pouvoir de l’Ancien Régime) se relie à la tradition coutumière qui considère que le principe de
l’identité est lui-même le principe de la citoyenneté et ce principe est lié au terroir, à la possession et
au droit d’action sur les terres. Ce qui veut dire que la question de propriété des sols est liée au
principe ancien de l’identité. Avoir le droit d’agir librement sur le sol, en particulier par le fait
d’hériter, c’est le gage de l’identité, gage d’origine et d’appartenance au terroir, etc. La question
d’identité, de citoyenneté, de nationalité est donc liée au fait d’appartenir au terroir. Autrement dit,
l’appartenance au terroir, la possession légitime et légale du sol signifie la légitimité de la
citoyenneté laotienne. Le sol est une condition naturelle et fondamentale de la citoyenneté. La
citoyenneté a induit, à son tour, l’exercice des actions civiques sur le territoire et dans l’espace
politique. Pour l’autorité, la liberté d’interventions dans l’espace comme la jouissance des terres,
accompagnée du droit et du devoir civique, est réservée à la citoyenneté. La population migrante
semble dans cette logique être écartée de toute action citoyenne. Or, nous avons vu que l’influence
de la migration est importante sur l’espace physique, même si elle n’est pas déterminante. Elle
apporte par exemple d’autres pratiques de l’habitat qui peuvent modifier certaines données
spatiales.
Les programmes de sensibilisation pour les actions civiques et citoyennes : familles et villages
culturels et modèles
Par rapport à la tradition coutumière qui conçoit que la notion de l’habitant est liée au droit
de jouissance du sol, et ce droit lui-même est lié à son tour à la question d’identité et d’appartenance
au terroir, donc à la citoyenneté, s’est ajouté une nouvelle définition de la citoyenneté. Celle-ci est
réalisée à travers les programmes de sensibilisation pour des actions civiques et citoyennes mise en
place vers 2004.
Tab. 6.
Questionnaires
d’évaluation de
famille modèleDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les directives et les consignes, émanant d’un décret, ont été données à tous les muang, les
ban, les nouay et les familles pour que ces derniers mettent en œuvre les six objectifs principaux de
l’État. Les six actions ou objectifs que le citoyen doit réaliser sont appelés les Six Sô (sqdl) : 1-
sécurité ; 2- propreté ; 3- verdure ; 4- lumière ; 5- civilisation ; 6- esthétique. Et tous les ans une
évaluation est faite pour labelliser les familles ou les villages qui ont réalisé les mieux les six
objectifs.
Mais l’évaluation est progressive : chaque année, on insiste sur quelques objectifs et non sur
la totalité. Par exemple de 2004 à 2010, ce sont surtout les quatre hhhhhfifàdéyfs8 ae2rfcd premiers
objectifs qui doivent être atteindre. L’une des méthodes (à moins que ce soit la seule) d’évaluation
est les questionnaires posés à chaque foyer. Pour recueillir ces questionnaires un agent administratif
du district, accompagné du chef du nouay, vient faire du porte-à-porte dans les villages. Et à partir
des réponses, ils procèdent à l’évaluation. Ainsi, nous voyons au journal régulièrement que tel ou tel
village, tel ou tel district réussissent à tel pourcentage à réaliser les six objectifs que l’État a
recommandés. Ces évaluations ne peuvent correspondre à la réalité que dans une mesure très
limitée, puisqu’il n’y a aucun moyen ni de critère de vérification sur le terrain. L’évaluation se fie
uniquement aux réponses données aux questionnaires. Ceux-ci doivent rendre compte si les
objectifs sont atteints ou pas pour la fête des 450 ans de la fondation de Vientiane et pour fêter aussi
les 35 ans de la fondation de la RDPL. On établit ainsi des familles modèles. Plus il y a des
pourcentages de familles modèles et plus le village peut être labellisé comme village modèle.
La conception nouvelle de la citoyenneté que le gouvernement de la RDPL explicite à
travers les dispositifs propagandistes dont nous venons de décrire le contenu a donné une nouvelle
définition à la notion de “ comment être citoyen ” aujourd’hui d’un pays comme le Laos. Cette
définition est partiale pour le moins que l’on puisse dire. En s’adressant ainsi au citoyen, il s’agit de
vouloir inculquer à la population locale la responsabilité citoyenne. Les questions ne sont pas
adressées aux habitants étrangers. Notons que la responsabilité citoyenne qu’inculque l’État est
différente de la responsabilité habitante qu’aurait pu avoir un étranger. Les citoyens sont laotiens,
alors que les habitants, usagers de la ville, ne le sont pas forcément et peuvent être ceux qui habitent
simplement dans le pays, ou qui y investissent pour le court ou le long terme. Leurs participations
au développement peuvent accompagner ou entraver les actions citoyennes à bien des égards. Cela
suscite des questions quant à leurs comportements et participations dans la démarche civique. En
d’autres termes, comment les critères de villages modèles peuvent-ils être appliqués aussi aux
étrangers, en tant qu’usagers, pour un usage durable de l’espace commun de la ville.
Si nous restons dans la logique du discours officiel, pour pouvoir participer aux actions
civiques portant sur l’espace et son usage, les émigrés doivent obtenir la citoyenneté laotienne, telle
qu’elle est définie par l’État. Pourtant, la loi portant sur la naturalisation et les critères de
citoyenneté restent imprécis et relèvent de la décision de l’Assemblée Nationale (AN) : chaque cas
de naturalisation doit être approuvé par l’AN. Ceci laisse la porte ouverte à pas mal de fraude.
Ayant ou pas la nationalité ou la jouissance des terres, sans acquérir de toute façon la légitimité et la
responsabilité citoyenne, comment une population émigrée peut-elle participer à la modification
spatiale de manière responsable. À cette question s’impose une réalité, celle que les émigrés et leurs
investissements ont pu introduire dans le pays. Réalité à laquelle le pouvoir n’a pu apporter une
explication raisonnée : les immigrés sont des acteurs passifs, ils ne peuvent participer aux actions
civiques que nous venons d’évoquer. À la question comment le gouvernement harmonise la réalité
imposée par les émigrés et leurs investissements, par rapport au fondement traditionnel du droit de
jouissance des terres, confondu à l’identité puis à la citoyenneté, il n’y a pas à ce jour de réponse.
Pourtant la citoyenneté joue un rôle essentiel dans la gestion de l’espace, car les citoyens
sont des acteurs actifs, ils participent au dialogue avec la gouvernance, ils adhèrent (ou ils
n’adhèrent pas) à la politique de la ville, par le fait que la structure sociale et politique du village
dans laquelle ils s’inscrivent constitue leur porte-parole, etc. Seule la citoyenneté permet le droit
d’action complète sur les terres et le droit de participation à un certain degré à la vie politique Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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citoyenne. Mais la citoyenneté –tout en ayant la légitimité– n’a pas de pouvoir financier d’agir, ni le
droit de porter un jugement sur la politique et sur la gouvernance –une situation particulière de la
citoyenneté laotienne due au système autoritaire et au pouvoir unique du régime. Le développement
actuel se base beaucoup sur les fonds financiers et d’investissements extérieurs qui s’accompagnent
aussi d’une émigration forte, avec laquelle il faut composer pour gérer la vie économique et sociale
du pays. Il faut effectivement comprendre dans le paysage politique et dans la gouvernance locale
que les investissements exercent une influence sur les décisions politiques et remettent bien souvent
en question la souveraineté du territoire, de la politique et de la gouvernance urbaine, et qu’une
migration accompagnée du poids d’investissements lourds a le pouvoir de définir les nouveaux
acteurs spatiaux et économiques (sachant que la migration chinoise et vietnamienne est liée aux
investissements de masse).
III. VIII. Les productions architecturales et urbaines
Nous venons de traiter les sept questions qui ont été les éléments essentiels de constitution
et de recomposition spatiale de la ville et du territoire, qui sont –rappelons-le : 1- le retour des
symboles, 2- le regain des centres historiques, 3- le mouvement de la stratégie résidentielle, 4- le
mouvement du foncier, 5- le mouvement péricentre et périurbain et le renforcement des
polycentralités, 6- la recherche des outils de développement de gestion de maîtrise du territoire
urbain et de la gouvernance, 7- le rôle des investissements et de la migration dans la conception de
la citoyenneté. Pour compléter notre compréhension, la constitution et la recomposition de la ville et
du territoire doivent surtout être éclairées par la question de la production architecturale et urbaine
qui doit être approchée à travers quatre champs, à savoir : le champ opérationnel et économique, la
nature des commandes et les commanditaires, les entrepreneurs et les architectes. L’identification
de ces domaines et de ces acteurs permet de comprendre l’un des aspects de la recomposition en
cours, mais aussi la constitution à venir de l’espace urbain et territorial.
Les conditions de l’opérationnel, le contexte économique
Les différents mouvements de recomposition de la ville se sont rendus visibles à travers une
forte quantité de nouvelles constructions : routes, bâtiments d’activité, équipements divers,
différentes formes de logements individuels, etc. La dynamique du domaine de la construction est
favorisée par le contexte économique. À partir de 1995 et en particulier après 2000, on enregistre
une constante croissance. Le chiffre officiel avance un taux annuel de croissance économique de 6,5
% entre 1997 et 2006. Mais durant le début de cette période de croissance le pays vit toujours
fortement sous les aides internationales (bilatérales ou multilatérales). La majorité des projets sont
financés par les bailleurs de fonds (prêts auprès de la BAD, de la BM ou dons) en particulier
lorsqu’il s’agit de la construction des infrastructures. Les constructions privées occupaient une part
moins importante que les projets publics et d’aide internationale. Plus tard, à partir de 2005 des
équipements ambitieux et emblématiques font leur apparition et se multiplient.
Les conditions de l’opérationnalité, dès 2000, sont plus que favorables : les entreprises de
cimenterie qui appartenaient à l’État ont été reprises en joint-venture par des investisseurs privés
étrangers (chinois) depuis plus de dix ans, améliorant les quantités et la qualité de la production. Il
en est de même pour les autres usines du secteur de la construction, notamment celles des armatures
de béton qui ont également été privatisées. À certaines périodes de l’année et surtout durant la
construction des barrages, notamment le barrage de Nam Theun 2, les cimenteries du pays ne
peuvent plus satisfaire les besoins. Les ciments et l’acier pour le béton armé sont alors aussi
importés de Thaïlande et du Viêtnam. Les scieries et le bois (légaux et clandestins) occupent aussi
une part importante dans le secteur. L’exportation de bois du Laos vers les pays voisins connaît un
rythme effréné. Des inquiétudes ont été exprimées vis-à-vis d’une déforestation trop rapide du pays.
De nombreux sites d’exploitation de sable, de gravier, de roche ont fait l’objet de concessions
accordées aux privés, dans toutes les provinces du pays, et leur nombre ne cesse d’augmenter
chaque année.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les entreprises de construction
Pour les projets publics, l’État établit le système d’appel d’offres. Cela incite à la création
de nombreuses sociétés de construction qui désirent prendre part au marché. Les sociétés ont
d’abord été mixtes avant de devenir privées. Le décret pour la création des sociétés de construction
a été promulgué en 1991 (décret N1510/MCTPC, 28/09/1991) mais il n’a pas été l’élément très
incitatif. Ce sont les appels d’offres publics et l’explosion des projets d’infrastructures publiques qui
étaient l’élément moteur. Néanmoins, le décret a donné un cadre général et opérationnel aux
nouvelles sociétés lorsqu’elles sont devenues plus nombreuses. Leurs activités et leurs compétences
se diversifient tout en étant très inégales. On compte les petites entreprises familiales, jusqu’aux
grosses sociétés de travaux publics et des ponts et chaussées. Dans tous les cas, les sociétés sont
constituées de personnel restreint, même lorsqu’elles sont grandes et réputées : travaillant en réseau
les sociétés possèdent plutôt des réseaux d’artisans, de main d’oeuvre et des petites sociétés,
qu’elles sous-traitent dans la majorité des cas. La grande majorité des chefs d’entreprise de
construction sont ingénieurs ou architectes qui n’exercent plus leur métier en tant que tel.
Les maîtres d’ouvrage
Pour les entreprises, le plus grand marché et le plus grand client reste le marché public et
l’État. Ce fut vrai jusqu’à il y a cinq ou six ans. À partir 2005-2006 dans les grandes villes à forte
potentialité touristique où de développement économique, les grands projets privés deviennent plus
fréquents : grands hôtels, immeubles, centres commerciaux, quartiers d’habitation, etc. Les maîtres
d’ouvrages privés deviennent même plus importants que les maîtres d’ouvrages publics dans
certaines villes en matière d’aménagement et de projets urbains, notamment l’exemple du Groupe
Dao Heuang à Paksé dont l’un des nombreux projets couvre un quartier entier, et occupe une bonne
partie de la ville.
Les expertises internationales et les compétences locales
Au début des années 1990 lorsque les projets d’infrastructure et d’étude urbaine devenaient
plus nombreux, l’expertise internationale se fait aussi nombreuse. Elle accompagne la totalité des
projets financés par les bailleurs de fonds internationaux. Les compétences locales sont lacunaires,
vis-à-vis de la complexité technique et de la complexité de la gestion des projets qui doivent se
ranger dans le standard méthodologique des bailleurs de fonds. Les études globales, les études de
faisabilité, les études détaillées de mise en application, le planning de réalisation et d’intervention
des experts, le plan de décaissement des fonds, etc., requièrent ainsi de l’expertise. Souvent, les
aides internationales consistent à payer les rapports d’étude produits par les experts internationaux
contractés par les donateurs eux-mêmes ou par les bailleurs lorsqu’il s’agit des prêts. Ainsi entre les
années 1995 et les années 2000 les bureaux des gouverneurs et des ministres “ s’écroulent sous les
rapports des experts” souvent inappliqués. Dans beaucoup de cas, les rapports d’études rendent
compte des situations et donnent des aperçus sur tels ou tels secteurs, mais ne permettent pas leur
mise en application qui relève des compétences des agents de l’État. Or il a fallu pour l’autorité
laotienne que les rapports soient détaillés jusqu’aux plans d’exécution pour qu’ils puissent être mis
en oeuvre. Cela soulève deux problèmes importants. D’un côté, la formation des agents de l’État
prend du retard dans le secteur urbain : urbanisme de détail, urbanisme règlementaire, analyse et
projet, aménagement, gestion et service urbain, les études de pointe et enfin, la recherche. Ces
compétences, si elles pouvaient se constituer, pouvaient permettre une prise en main locale et éviter
le gaspillage qu’expérimentent les pays en voie de développement comme le Laos. Les agents
locaux ont encore beaucoup de mal à concrétiser les rapports et les recommandations (sur papier)
des experts internationaux pour passer au plan d’exécution. De l’autre côté, les experts, dans la
grande majorité des cas, ne mesurent pas avec grande finesse la situation et les besoins des locaux,
ni leur contexte de réalisation. Contraints par le planning contractuel, et limités par leurs propres
compétences, ils abordent les questions locales souvent avec les paramètres globaux. Vis-à-vis de
cette question, le gouvernement laotien n’a pas les outils intellectuels, ni les moyens techniques et
les atouts financiers pour évaluer et valider le bien-fondé des travaux des experts.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Quasiment seuls les projets accompagnés de projets-pilotes ont apporté leur fruit à l’égard
de la formation des agents : mise en exécution des projets, management de projets, formation à
l’étude urbaine et à l’analyse de projet, rentrer vraiment dans le vif du sujet. Les projets-pilotes
permettent également d’évaluer le bien-fondé des ouvrages ou des projets, car ces derniers sont mis
à l’épreuve par les usagers eux-mêmes. Mais peu à peu et dans certaines mesures les experts locaux
commencent à se former. Ils ne sont pas nombreux et la plupart d’entre eux, souvent anciens
fonctionnaires, finissent par travailler en indépendant via des sociétés de consultants locales, mixtes
ou internationales.
Et le plus important à signaler, c’est le domaine de la gouvernance urbaine et de la politique
de la ville : depuis peu, les questions ont été abordées à travers la création des UDAAs de manière
indirecte. Et encore, ces questions ont été vues à travers la politique de l’éradication de la pauvreté à
l’échelle nationale et de l’amélioration du cadre de vie à l’échelle des centres urbains.
Les architectes
Ces derniers exercent rarement leur métier d’architecte. Car les maîtres d’ouvrage se
passent très souvent d’eux et traitent directement avec les entreprises de construction. Ces derniers
pilotent la réalisation des projets à la place des architectes et communiquent directement avec les
maîtres d’ouvrage, qui eux, endossent bien souvent le rôle de l’architecte. Ils conçoivent euxmêmes
leur projet, font ensuite exécuter les plans par un architecte-dessinateur si besoin est,
lorsqu’il est nécessaire de demander les permis de construire. Ils suivent aussi eux-mêmes leur
réalisation jusqu’au bout. Bien entendu, les déboires sont nombreux : dépassement des budgets,
dépassement du planning, démolition et reconstruction de parties de l’ouvrage, contrats de
construction impayés, chantier non livré, etc.
Sur le plan législatif, le contexte local concernant le travail et le statut des architectes est
particulier. En fait, on vient voir un architecte lorsqu’il faut constituer un dossier de permis de
construire. Car il faut un sceau d’un bureau d’étude d’architecture sur le dossier graphique de la
demande du permis de construire. Ce sceau, c’est la preuve de la patente d’entreprise. Et pour avoir
la patente, il faut être architecte diplômé de la faculté d’architecture. Un décret portant la création
des bureaux d’étude d’architecture a été mis en application en 1991.
210 En ce cas, ce sont les droits
et les devoirs des bureaux d’étude en tant qu’entreprise qui sont définis, ceux des architectes et le
métier de l’architecte, restent encore flous. Il en est de même en ce qui concerne l’obligation de
recourir au service de l’architecte. Pour l’heure, l’ordre des architectes n’existe pas au Laos. Une
association des architectes a été créée au début des années 2000. Leurs membres sont représentés
aussi dans les provinces les plus importantes. L’association est corporatiste et n’implique
apparemment pas de dispositifs juridiques particuliers.
Culturellement, l’architecte est vu et compris au Laos comme un dessinateur qui produit,
selon la demande des clients, des documents graphiques destinés à la demande des permis de
construire. Dans le meilleur des cas il est vu comme un “ designer ” en lao le terme qui définit ses
actions est ork bèb qui veut dire “ faire du modèle ”. Pourtant, le terme qui désigne la discipline et
le métier est éloquent : sathapatagnakam pour architecture, et sathapanik ou sathapatagnakorne
pour architecte. Ces termes désignent l’architecte comme un artiste et un intellectuel. Mais dans la
perception contemporaine de l’architecte dans la société lao, aucune démarche intellectuelle et
conceptuelle ne semble lui être reconnue. L’architecture reste une connaissance, une discipline, un
art et un métier mal connus et mal compris pour la grande majorité de la population, même la plus
instruite, y compris pour les Occidentaux vivant au Laos. De fait, l’architecture est réservée à une
élite encore marginale et restreinte.
210 Décret N1511/MCTPC, 28/09/1991.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 162 -
La question de la création architecturale et urbaine
Comme nous l’avons noté à l’instant, les maîtres d’ouvrage privés et publics conduisent les
activités de construction de manière très active. Des équipements, des logements, des quartiers,
voire, des monuments ont été construits nombreux dans les villes. Les investissements de l’État et
ceux du privé connaissent une dynamique incomparable jusqu’à ce jour. Notre réflexion devrait
s’arrêter sur ce constat si nous ne poursuivons pas notre réflexion autrement. Notre démarche dans
ce paragraphe n’est pas de décrire la production du bâti durant une période de développement
accéléré, mais d’interroger la notion de création spatiale dans la recomposition de la ville. Nous
abordons et soulignons autrement la notion de production spatiale en interrogeant parallèlement la
notion de créativité.
On peut dire que les maîtres d’ouvrage publics et les grands investisseurs produisent la ville
d’aujourd’hui. Car les grands projets organisent ou désorganisent les espaces urbains et les lieux les
plus emblématiques, ils constituent les enjeux pour l’avenir des villes et leurs centres anciens. Les
commanditaires avertis, soucieux de l’intégration environnementale et culturelle, sont tout à fait
absents de la grande majorité des projets, les motivations et les facteurs qui ont conduit les grands
projets étant avant tout axés sur l’apport économique, répondant aux bons vouloirs des
investisseurs. La notion de projet et de création ne peut donc être recherchée dans les projets
réalisés par ces acteurs. C’est alors avec le commanditaire averti que nous pouvons aborder la
démarche de la création architecturale, un cadre bien limité et restreint par rapport à l’ampleur de la
production du bâti. Car les démarches pour commander et les démarches pour y répondre et
produire l’espace (qu’elle soit architecturale ou urbaine) doivent aller de paire. Ceci, dans le sens où
à travers l’espace, les formes, les matériaux, le rapport à l’environnement culturel, paysager et
climatique, la création spatiale peut produire du sens et de l’émotion, avec un caractère visionnaire
au delà de sa capacité de représentation et d’apport de confort et de fonctionnalité.
Actuellement peu de projets poursuivent la démarche que nous décrivons. Pour se rendre
compte prenons des exemples de projets dans deux champs d’application : d’abord, la rénovation
immobilière et foncière qui s’opère particulièrement dans les centres, et ensuite, la production
urbaine proprement dite. Dans ce 3e chapitre, nous avons déjà évoqué le contexte de leur
production, ici, nous allons souligner l’aspect et la forme de l’architecture produite.
La création architecturale et urbaine dans la rénovation immobilière et foncière.
La valeur accrue du foncier conjoint au vieillissement des quartiers centraux, en particulier
pour la capitale et les capitales provinciales, le renouvellement et la création architecturale
éventuelle peuvent être conduits dans le cadre de la mise en valeur du foncier plus que par la
volonté de renouvellement spatial qui serait passé par la restauration ou la réhabilitation raisonnée
des bâtiments à l’échelle d’une rue, d’un quartier ou d’un centre homogène.
- Les restaurations des anciens bâtiments méritant conservation sont quasiment des exceptions. Ils
ne concernent en ce cas que les bâtiments coloniaux qui ont très rarement échappé à la démolition.
Dans certains cas, les bâtiments sont démolis pour être reconstruits entièrement plus ou moins à
l’identique. Fait tout à fait curieux, le commanditaire, l’entreprise, l’architecte et l’autorité
responsable de la liste des bâtiments protégés considèrent que les bâtiments sont protégés et
restaurés. Cela renvoie la notion de protection - restauration à une définition bien particulière.
- Les réhabilitations sont moins rares que la restauration, en ce qui concerne les villas, les
immeubles, les compartiments des années 1960 de plusieurs étages (à R+3 le plus souvent). Les
traitements de façade et de couverture ainsi que les circulations verticales en ce cas ont fait le plus
souvent l’objet de retouches. Quelques heureux projets peuvent être remarqués du point de vue
architectural, ceux qui respectent l’architecture d’origine des bâtiments. Mais le plus souvent les
réhabilitations ne répondent qu’à la nécessité de remise en fonction des bâtiments : assainissement
des anciens réseaux de flux vieillis, gagner les espaces utilitaires, etc. Ce qui est recherché, c’est des
travaux rapides, à moindre coût, sans intervention de professionnels de l’architecture : une analyse
Fig. 27.
L’architecture
officielle : le
campus du
cabinet du
Premier
Ministre.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 163 -
Fig. 28. Des
sièges de
société :
Nouvellement
installés
pour reconstituer l’architecture d’origine n’a jamais été réalisée, par exemple. Les réhabilitations
dénaturent bien souvent l’architecture d’origine des bâtiments : utilisation du langage architectural
mixte, des matériaux composites. Dans certains cas les réhabilitations sont issues de compromis :
tout en ignorant l’architecture d’origine, la réhabilitation recherche certaine qualité, afin de répondre
aux fonctions nouvelles affectées aux bâtiments, lorsqu’il s’agit par exemple de les transformer en
hôtel de bon standing. Par ailleurs, il n’y a jamais eu jusqu’à ce jour des réhabilitations groupées de
plusieurs compartiments respectant le fait qu’ils ont été produits à l’origine dans un même projet
d’architecture et une même opération immobilière. Les fronts de rue sont déstructurés par des
opérations de réhabilitation isolées, faisant l’abstraction de la cohérence d’origine des unités de
façade.
La création architecturale et urbaine en tant que nouvelles productions spatiales.
Les nouvelles productions architecturales actuelles sont caractérisées d’abord par les grands
projets d’équipements publics de l’État : musées, immeubles administratifs. Ceux-ci utilisent
invariablement le même vocabulaire architectural, démonstratif de la formulation du langage
officiel. Parmi les bâtiments nouvellement construits, notamment les écoles, même lorsqu’elles sont
privées, tendent à se référencer aux bâtiments de l’État dans les vocabulaires architecturaux utilisés.
Ceci parce qu’en étant des équipements éducatifs, l’État effectue plus ou moins un contrôle sur le
programme et la conformité de leur réalisation.
Dans ces équipements, nous remarquons invariablement l’utilisation des grandes toitures en
pentes avec frontons ouvragés supportant des armoiries ministérielles, des décors architecturaux
semblables aux monastères, comme nous l’avons noté dans le paragraphe traitant du « modèle
d’architecture et du pastiche architectural ». Parfois, les vocabulaires gréco-romains (colonnades,
linteaux, etc.) font leur apparition parmi les décors. Les projets sont caractérisés par leur lourdeur
constructive (mégastructure en beton armé) et par leur imposante échelle. Dans leur ensemble, les
bâtiments recherchent davantage l’effet de la représentation qu’une affectation fonctionnelle
adéquate. Toujours est-il, les plans intérieurs sont assez simplifiés et servent une certaine
monofonctionnalité. On compte parmi ces bâtiments le campus du cabinet du Premier ministre, le
bureau du gouverneur de Vientiane, le musée de l’armée et de la police, le palais de justice, le palais
de la culture.
Il s’agit ensuite des équipements de services : malls, grands hôtels, immeubles de bureaux
et d’appartements. Issus des commandes des groupes d’investisseurs privés, les projets mettent en
évidence l’utilisation du vocabulaire architectural au caractère international, servant principalement
la diffusion des produits commerciaux et industriels importés. La quasi-totalité des immeubles de ce
type ont la volonté d’être des immeubles signaux : repérables de loin, facilement accessibles,
fonctionnant comme vitrines pour les produits et grandes marques. Ce sont des espaces qui
s’imposent et restent figés dans leur emprise. Il s’agit notamment des nouveaux bâtiments du
marché du matin, de ITECC, du bâtiment de la Bourse et de nombreux sièges de banques. Les
immeubles de bureaux se rangent aussi dans cette catégorie. L’installation en cours de nombreuses
sociétés nationales ou internationales qui s’implantent au Laos augmente les besoins en surfaces de
bureau. Pour les sièges et les représentations des firmes et des sociétés, des immeubles de
représentation de marques ont fait leur apparition, suscitant des constructions de type immeublestours
qui sont des nouvelles formes de constructions pour le pays. Ainsi après les nombreuses
banques étrangères, il y a notamment les sièges des sociétés mixtes telles que Nam Papa Lao, EDL,
Beer Lao, Lao Télécom, etc.
Enfin, il s’agit des habitations, dispersées dans l’ensemble de la ville. Les appartements
(appartements avec services) qui étaient habituellement rares au Laos, et même à Vientiane, font
leur apparition et sont de plus en plus recherchés par une clientèle étrangère, asiatique et
européenne en poste. Par le fait que les services (ménage, linge et blanchisserie, gardiennage) sont
fournis, ils intéressent les experts ou les employés de sociétés en courts séjours dans la capitale.
Cela va d’un standard simple jusqu’au grand luxe (de 500 USD jusqu’à 2500 USD par mois vers Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’année 2010) avec piscine et terrasse. Mais la grande majorité des immeubles d’appartements ne
font pas preuve de grande créativité, ils sont assez standards. Les appartements à faible loyer ou à
loyer modéré destinés aux locaux n’existent quasiment pas.
En ce qui concerne les maisons individuelles il y a trois standards de prix (observé en 2010) :
- Le standard le plus bas concerne les constructions dont les coûts sont faibles, les loyers ne
dépassant pas 1 200 à 1 500 bath par mois (40 à 50 usd). Ce sont des compartiments à rez-dechaussée,
ou des studio de type T1 à murs mitoyens. Habituellement servants de lieu de commerce
avec habitation, les nouveaux compartiments de ce type ne servent plus qu’à l’habitation, un peu
rudimentaire.
- Pour un logement à loyer modéré d’une construction à coûts de construction moyens, on trouve
des petites villas en maçonnerie à rez-de-chaussée et des compartiments à R+1. Le loyer tourne
autour de 300 à 500 usd par mois. Souvent il est négocié pour un loyer annuel autour de 100 000
bath (3 300 usd.) ou le double lorsque le compartiment a plusieurs étages ; ou lorsqu’il se trouve en
centre ville et bien agencé, il peut être multiplié par quatre.
- Avec un loyer qui dépasse 500 usd par mois, on commence à entrer dans un standard supérieur. Ce
sont des villas plus grandes, plus soignées. Dans les années 1990 ce sont des villas à R+1, grandes
et confortables utilisant abusivement les vocabulaires de l’architecture gréco-romaine (colonnade
avec les ordres architecturaux). Dans les années 2000, on voit apparaître des maisons en bois
pseudo-lao, utilisant des matériaux mixtes, bois et maçonnerie. Souvent, le bois est plaqué pour
cacher les murs en maçonnerie, puisque l’effet recherché est l’apparence de maison lao ancienne,
qui séduit les locataires étrangers, voire, les futurs acquéreurs. Car les étrangers qui décident de
s’installer au Laos seraient des acquéreurs potentiels de terrains pour y construire leur propre
maison en utilisant le système de prête-nom.
On peut dire que la maison lao pagnuk –version améliorée dans le luxe– ou les copies de
maisons lao anciennes deviennent à la mode à travers la clientèle étrangère. En cela et
généralement, très peu de monde recourt au service des architectes. Les propriétaires esquissent
eux-mêmes le plan de leur maison et recourent au service des architectes qu’ils considèrent comme
dessinateurs et constructeurs dont le rôle principal est de leur constituer le dossier des permis de
construire et le dossier succinct de consultation qui va les aider à négocier avec les entreprises de
construction ou avec les artisans. La démarche de la conception architecturale a été complètement
passée sous silence. En marge de ces pratiques courantes et de ce marché, il y a un petit marché
constitué de projets marginaux. Ils sont pensés conjointement entre l’architecte et le commanditaire
–puis en second temps, le constructeur. Ils restent restreints et expérimentaux. Ils privilégient avant
tout le mode de vie de leurs futurs occupants, qui mettent en avant la recherche du confort
climatique, l’intégration paysagère et la liberté d’appropriation fonctionnelle ultérieure. Ceci,
notamment pour permettre à l’espace d’évoluer avec l’évolution des foyers, permettre à l’habitation
d’exister malgré l’évolution du contexte paysager et climatique du site qui ne serait pas forcément
favorable, induite par le développement rapide de la ville, etc.211 Du moins, la démarche de la
création architecturale prend en compte les contraintes de ce type parmi ses données conceptuelles.
A l’heure où les questions climatique, économique et environnementale s’imposent avec
plus d’acuité à la construction de l’habitat et de la ville, il est impressionnant de voir que la
construction-restructuration des villes du Laos, en particulier des grandes villes, vont dans le sens
inverse. Elle n’intègre pas ces données préoccupantes. Pourtant, ces données intégrées dans la
production architecturale et urbaine devraient altérer la vision élitiste de l’architecture. En effet, si
les problèmes économique, environnemental et climatique, étaient à même d’être mieux compris
211 Cette option a été prise par moi même dans quelques projets d’architecture réalisés : une villa à Ban Savang et une
villa dans les rizières à Donetyo (Vientiane).Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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par les habitants par rapport à l’architecture, parce qu’ils touchent directement la qualité de vie, le
confort, la santé et les dépenses des foyers, un espace architectural et urbain intégrant toutes ces
questions devrait être accessible à tous, aussi bien aux commanditaires qu’à ceux dont la
déontologie du métier est d’y répondre. Les démarches doivent se réaliser à double sens. L’avenir
de l’architecture qui est déjà d’actualité serait donc lié à cette condition. La création architecturale
ou la recherche de la qualité spatiale des projets doit donc se rapprocher de cette démarche de
vulgarisation pour être comprise du grand public. Si les commanditaires, à défaut de posséder de
culture architecturale, faisaient preuve de pragmatisme et se préoccupaient de leur cadre de vie, cela
“ suffirait ” pour favoriser l’émergence de la création spatiale de qualité.
A ce jour, un éventuel mouvement de création architecturale serait à rechercher dans les
projets privés (habitats individuels et collectifs), même si la demande architecturale et le recours
aux prestations des architectes restent encore modestes, mais à même de poser des questions
suscitées notamment par le souci climatique, économique et environnemental. En ce qui concerne
des projets privés plus grands, avec des investissements plus importants et des programmes
nouveaux et complexes (bureaux, centres d’affaires, parc de loisirs, etc.) qui se préparent sur
plusieurs sites, l’État tente de mettre en valeur ses biens fonciers et immobiliers. A travers ce
marché il adresse des appels à proposition aux fonds d’investissement privés (très souvent
étrangers) sous forme de concession de longue durée, voire, sous forme de transaction définitive.
Soulignons cependant dans les deux cas, que la création architecturale ne peut être en tant que telle,
qu’à condition que les commanditaires soient sensibilisés aux problématiques spatiales, et soient
intellectuellement ouverts pour être saisis préalablement par les questions économiques, climatiques
et environnementales. Pour l’instant ce n’est pas le cas, mises à part quelques exceptions qui font
figure de projets marginaux, les nouveaux projets ne peuvent être représentatifs de la création et du
renouvellement architectural à proprement parler. La critique peut s’adresser aux habitations des
“nouveaux riches” qui, comme nous l’avons souligné, sont constituées de villas pseudopalladiennes
(dans les années 1990) puis des maisons pseudo-lao (depuis près de dix ans), aux
grands projets d’investisseurs. Par ailleurs, du fait que les commanditaires étrangers (occidental et
asiatique) sont devenus de plus en plus importants, on pourrait penser que la création architecturale
peut être suscitée à travers leurs commandes. Ces derniers sont censés être plus exigeants et
sensibilisés à l’architecture par le biais des questions environnementales et climatiques ou par le
biais de leur culture respective. Mais force est de constater que la clientèle extérieure n’est pas très
différente de la clientèle locale. S’ils arrivent très souvent à porter des critiques aux projets de
maisons pseudo-palladiennes des nouveaux riches, leurs commandes restent attachées au
pittoresque, au prototype reproduit des maisons lao, une coquille vide de créativité et de sens. Cette
clientèle, qui a suscité la naissance de nombreuses maisons pseudo-lao, a principalement constitué
les quartiers résidentiels étrangers. Les handicaps constatés ne concernent pas seulement les
commanditaires, mais interrogent surtout les architectes et l’encadrement technique et institutionnel
du service public, dont le métier ou les devoirs sont de réduire ces handicaps. En ce sens, la
question doit être portée à un autre niveau de réflexion, réunissant la recherche et la formation, la
politique de la ville et le cadre technique de sa mise en application, la connaissance des savoirs
hérités et l’idéologie ou la politique culturelle de l’État.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Conclusion
Depuis la fin des années 1990, la ville qui se déploie, tout en repoussant plus loin ses
limites, recherche aussi ses repères. Cette première partie de la recherche a tenté de comprendre le
rôle des centres anciens dans les recompositions spatiales contemporaines, les ruptures par rapport
aux principes fondateurs et l’altération de leurs éléments structurants. L’objectif est de saisir la
place qu’occupe l’espace ancien dans la ville d’aujourd’hui, aux regards des nouveaux modes
d’habiter, de production et de gestion urbaine des politiques d’aménagement du territoire, conduites
par les pouvoirs publics, à l’échelle locale et régionale ; de comprendre le devenir contemporain des
villes du Laos, le rôle de leurs centres anciens dans les nouveaux enjeux spatiaux. C’est pour
éclaircir ces questions que la pratique habitante est observée, parallèlement à l’analyse de la
planification urbaine. Et à plus grande échelle nous avons étudié les interactions et leurs résultantes
entre le local et le global, entre le réseau et le territoire, entre la disparité de croissance économique
des territoires et leur dislocation, entre effets fédérateurs et effets de résistance, pour comprendre –
de facto– l’effet de l’intégration régionale sur l’écosystème social et urbain des villes, que celui-ci
soit hérité du passé ou nouvellement produit.
Décomposition, recomposition, recyclage : ce sont des étapes et des processus qui décrivent
aujourd’hui la mutation de la plupart des espaces des centres historiques et des établissements
anciens, ou simplement de la ville. Cette mutation est analysée ici dans une temporalité donnée,
c’est-à-dire, à partir de la mise en place de la Nouvelle Mécanique Économique (NME) jusqu’à
aujourd’hui : le NME étant le déclencheur du développement économique qui permet le
développement des espaces urbains et territoriaux. Ce développement a non seulement révélé
l’émergence des espaces anciens –souvent centraux et historiques–, mais a aussi explicité ce
phénomène comme une décomposition, une recomposition et un recyclage spatial.
D’abord, la réforme de 1986 a été un enjeu économique et politique majeur pour le régime,
lui permettant de sortir peu à peu de “l’état de fait” et d’entamer une intégration progressive dans la
société des nations, évitant au régime un éclatement qu’il aurait pu connaître avec l’écroulement des
pays du bloc socialiste. Deux facteurs induits dans le cadre de la réforme ont été les éléments
moteurs des mutations spatiales des villes et des territoires laotiens : 1- Les dispositifs économiques
locaux et régionaux : le passage de la production collectiviste à la production privée, la
reconnaissance de la propriété privée et du droit de commerce, l’ouverture plus grande à l’Occident
et à la coopération internationale, renforcés par la création de la constitution en 1991, permettant
des échanges plus grands avec l’extérieur et de recevoir aussi des aides internationales, favorisées
par une certaine dynamique économique et un dispositif de coopération détendue sur le plan
régional. 2- La régulation foncière : le fait de rendre la terre à la population, de reconnaître son droit
de propriété, de jouissance et de transaction, améliore la relation très tendue entre le nouveau
pouvoir et la population qui retrouve une certaine confiance. Cela montre combien la question de la
terre est importante à l’échelle individuelle et dans la constitution du bâti et du tissu urbain,
importance que nous avons démontrée dans l’étude de la tradition foncière, en liaison avec la
formation et l’évolution du bâti.
Les mutations de l’espace explicitent deux phénomènes contradictoires : à la fois le
phénomène d’émergence et le phénomène de marginalisation des territoires. Nous les identifions en
cinq points :
1- Les pôles locaux d’attraction pour le développement se sont constitués –avec ou sans succès– à
travers la restructuration des réseaux d’infrastructures, la construction et le déplacement des
équipements, la clarification du statut et de l’échelle des villes, alors que les pôles régionaux
révèlent le phénomène de monopôle et de concurrence qui induit, pour certaines villes laotiennes,
plus leur mise en marge que leur intégration par rapport aux réseaux de développement.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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2- Le phénomène d’émergence et de marginalisation fait aussi impliquer la question des réseaux
régionaux d’échange économique. Dans la réalisation des projets en cours, les constats ne peuvent
être faits de manière satisfaisante, mais quelques éléments ont déjà été repérés comme un frein : la
capacité des projets à intégrer l’échelle locale et les données humaines dans leur réalisation, à gérer
et à répartir les retombés économiques, etc., est fortement lacunaire et limitée.
3- Il en est de même pour les territoires de concession. Les cas étudiés –la concession de Botén et
les sites miniers– montrent que les questions du local et de l’humain n’ont pas été assez prises en
compte : les établissements humains autour des mines n’ont pas été bâtis comme un établissement
social et urbain durable, en conséquence, leur pérennisation intégrée est difficilement envisageable
pour l’avenir et pose déjà aujourd’hui des problèmes de gestion.
4- Une intégration régionale pour quelle intégration nationale et locale ? Les trois points interrogent
ainsi la question d’intégration et soulèvent des problèmes de différents ordres : manque de
souveraineté des territoires nationaux éprouvés par le gouvernement laotien, conflits d’échelle entre
le local et le régional qui mettent en porte-à-faux la communauté régionale en cours de construction,
sécurité et pérennité des sociétés et des communautés locales menacées, etc.
5- En dehors des interactivités conflictuelles –ci-contre exprimées– trois exemples montrent que la
mise en marge de certains territoires peut être aussi liée à leurs caractères endogènes : les contextes
historiques de “zone libérée”, “zone spéciale” et “zone de trafic” par exemple, le montrent bien.
Ensuite, les mutations de l’espace des villes et des territoires font aussi apparaître
l’émergence des occupations anciennes, celle des centres historiques ou des espaces constitués.
Cette émergence est manifeste à la fois à travers le recyclage spatial et à travers leur altération.
Le recyclage et l’altération des espaces se sont opérés notamment à travers le processus de
patrimonialisation. Mais comprendre ce processus, enlisé dans le contexte de développement
urbain, est particulièrement difficile aujourd’hui. Un regard introspectif (endogène à l’univers de la
culture et de ses pratiques) et rétrospectif (dans les faits historiques) s’impose pour comprendre le
processus de patrimonialisation : définir les différentes notions du patrimoine –que l’on redécouvre
à travers la pratique des espaces sacrés, la matérialité du patrimoine, sa notion de pérennité et de
transmission, sa valeur symbolique et sa valeur marchande, les mythes qui le recouvrent–, identifier
sa prise de conscience et sa conception et prendre en compte ses discours, et enfin saisir la
confrontation forte entre la nécessité de développement et la nécessité de mémoire qui caractérise la
réalité urbaine et le manque de modèle clair de la politique de développement laotienne. Le
recyclage des espaces anciens et leur altération est aussi visible lorsqu’on questionne la place
qu’occupent les monastères aujourd’hui dans la ville en tant que centralité. Ceux-ci sont persistants
par leur présence spatiale forte, par leur permanence et leur convergence sociale dans la ville, par la
propension qu’ils ont à devenir des modèles architecturaux.
Enfin, les mutations de l’espace des villes et des territoires sont aussi à l’œuvre à travers la
reconstitution et la recomposition de la ville et du territoire, leur espace politique et symbolique,
leur espace social et économique. Elles sont illustrées par plusieurs faits :
1- On constate que le régime se retrouve toujours sans modèle idéologique spatialisé, alors qu’il
entame déjà sa troisième décennie de réforme. Le retour des symboles par un processus de
représentation a été pressenti comme une nécessité pour consolider le pouvoir dans le nouveau
tournant de la politique locale et régionale. A partir des années 2000 le retour des symboles a été
représentatif d’un désir de légitimation du pouvoir politique (s’inscrire dans la continuité de
l’histoire nationale en exhumant les monarques historiques, en aristocratisant la classe dirigeante et
en s’improvisant l’avatar du prince mécène des grands projets) et d’une volonté de donner à
l’espace une valeur identitaire, une valeur de rassemblement et de citadinité : réappropriation des Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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espaces sensibles avec des projets publics d’envergure, revitalisation de l’identité religieuse locale
et des anciens monuments, voire, de les réinventer.
2- Le regain des occupations anciennes et des centres historiques devient fortement actif dans
différents secteurs du développement urbain, où il est question de considérer le patrimoine et les
faits archéologiques comme des éléments de développement urbain, économique et social. Mais il
met en exergue le fait que l’émergence des sites patrimoniaux qui cristallisent le patrimoine dans les
fonctions touristiques, est une alternative qui peut poser aussi des problèmes pour un équilibre
socioéconomique et un développement durable.
3- La stratégie résidentielle des habitants constitue aussi une forme de recomposition spatiale.
Quitter ou rester dans le centre, considérer ou pas le Mékong comme une centralité ? Ces questions
restent corollaires aux offres d’emploi et d’activité, aux offres foncières, à la qualité du cadre de vie
et à la valeur écologique primitive liée au fleuve.
4- Le mouvement foncier proprement dit est un élément de recomposition spatiale majeur. Des
dispositifs mis en place pour le cadrer explicitent son importance : rétablissement du cadastre,
libéralisation foncière donnant de la liberté à la transaction et aux beaux fonciers, tentative de régler
les questions portant sur les biens immobiliers et fonciers qui ont été gelés depuis plus de trente ans.
On constate indépendamment de ces dispositifs de l’État, que le foncier se dote d’un principe
spéculatif lié aux effets des grands projets de développement annoncés, que ceux-ci soient réels ou
fictifs.
5- Les péricentres et les centres périurbains constitués viennent renforcer et consolider la vie des
petits centres. Tout en demeurant une caractéristique permanente des villes, la centralité est
reformulée : entre une ancienne et une nouvelle centralité, les nouveaux centres se constituent en
périphérie en ramifiant les quartiers plus ou moins dispersés et en accompagnant la construction des
nouvelles routes et le déplacement des équipements publics.
6- La reconstitution et la recomposition de l’espace à l’œuvre, appellent aux outils de gestion et de
développement urbain nouveaux et adéquats. La politique urbaine et territoriale entame ainsi des
procédures pour mettre en place une autorité urbaine –le UDAA, dont le rôle et le cadre technique et
institutionnel est d’être l’embryon d’une future municipalité – un éventuel “pouvoir local élu”.
Volonté appuyée et initiée par les bailleurs de fonds internationaux, intéressés pour mettre en place
un processus de transition structurelle, institutionnelle et politique. Mais sa réalisation est freinée
par une structure politique et constitutionnelle fondée sur le pouvoir d’un parti politique unique et
centralisé.
7- Les investissements ainsi que la migration ont été des facteurs importants de modification des
espaces urbains. Les investissements intérieurs –surtout privés, ont été peu importants, mais
contribuent à apporter des modifications aux tissus urbains des centres, alors que les
investissements extérieurs modifient la configuration des villes et des territoires à une plus grande
échelle, en fabriquant des grands projets urbains, en établissant des zones de concessions et en
interrogeant la bonne gouvernance urbaine et le choix du modèle de développement de l’État
laotien. Quant à la migration interne, elle participe au renouvellement des habitants dans l’espace
citadin et modifie les données spatiales des tissus urbains sans apporter des bouleversements, alors
que la migration extérieure renvoie aux relations historiques entre le Laos et ses voisins Chinois et
Vietnamiens. Ce renvoi à l’histoire permet de comprendre l’influence de ces deux migrations
exercées sur la gouvernance urbaine. Enfin, la migration artificielle qui accompagne la coopération
internationale. Celle-ci permet surtout la réhabilitation des anciennes villas et bâtiments des années
1960 et la construction de nouveaux types d’habitation qui reprennent les modèles des maisons lao
anciennes et des maisons lao pagnuk, sans être initiatrice d’une production architecturale nouvelle
ou créative.
La question de la citoyenneté n’a pas été étrangère à la recomposition de l’espace urbain,
puisqu’elle touche la question des pratiques habitantes et de la gouvernance. L’Etat définit les Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 169 -
critères des familles et des villages modèles et recommande aux citoyens les actions à entreprendre
pour atteindre les modèles définis.
8- La production architecturale. En interrogeant les quatre champs et acteurs impliqués dans la
production du bâti –l’opérationnel et l’économie, la nature des commandes et les commanditaires,
les entrepreneurs et les architectes– on découvre un autre aspect de la recomposition de l’espace et
on mesure la forte dépendance de la création architecturale vis-à-vis de ces champs et de ces
acteurs.
On peut dire que les villes laotiennes font face à des nouvelles dynamiques spatiales
imposantes –d’un côté l’intégration régionale et la mise en réseau des métropoles, de l’autre les
propensions internes des villes à appréhender les mutations et à réceptionner les changements.
L’espace des villes est appelé non plus seulement à évoluer, mais à se métamorphoser en absence de
modèle, ne comptant que sur ses qualités spatiales idiosyncratiques. Les territoires des villes et leurs
sociétés sont en recomposition. Leur devenir traduit l’ambiguïté des politiques de développement
aussi bien locales que régionales : entre conservations des héritages du passé, comme conservation
de son identité dans un monde globalisant et changeant, et volonté de se projeter dans l’avenir
comme pensée légitime de toutes sociétés en cours de construction et en développement.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 170 -Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 171 -
Deuxième Partie
Permanence et adaptabilité des fondations lao
dans la durée
Approches théoriques
Les villes et les occupations anciennes au Laos ont laissé peu de traces de leur ancienne
fondation. C'est une expression qui les caractérise. Les raisons sont moins historiques mais plus
matérielles et conceptuelles. Dans leur matérialité, les unités d'occupation lao sont peu pérennes ;
leur système de production est socialement organisé mais économiquement peu structuré. À
l'exception des monuments construits en dur –nécessitant une organisation particulière– qu'elles
soient urbaines ou villageoises les implantations résistent mal au temps ; les matériaux utilisés étant
généralement du végétal, bois et bambou. Le bâti repose sur un système de production individuel et
communautaire, sans corps professionnels qui auraient marqué le système de production et laissé
des empreintes sur l'espace de manière plus importante. Les acteurs des fondations auraient accordé
une place plus importante et durable au rôle et à l'action des hommes exercés à travers les actes de
fondation, transmis et inscrits dans la durée, dans le sens où on aurait donné plus de places à la
production spontanée de l'espace et à son usage. En d'autres termes, c'est la manière d'utiliser et de
fabriquer les espaces qui est transmise et non les espaces ou les objets eux-mêmes. Alors que la
majorité des grandes fondations anciennes, notamment khmères, indiennes, chinoises, demeurent
durablement par leur matérialité, aujourd'hui attestées et matérialisées par de nombreux vestiges
archéologiques, biens conservées et parfois maintenues vivantes. Dans la conception lao, c'est donc
le rôle et l'action des hommes qui seraient non seulement les composants dominants de la
constitution du territoire et de la ville, mais aussi les éléments qui devraient s'inscrire dans la durée,
à travers les pratiques spatiales et leurs empreintes. Ainsi, malgré leur manque de pérennité
matérielle, les fondations lao ne sont pas des espaces éphémères : la notion de pérennité et de
permanence est fondée plus sur l'immatérialité et moins sur la matérialité. C’est ce que nous
proposons aussi de parcourrir dans cette partie.
Du point de vue historique, les villes lao ont connu des traumatismes : conflits et instabilité
du pouvoir dont l’existence aurait permis la création, ou au contraire, la destruction des villes ;
changements rapides de la classe gouvernante, déplacements de la population, destruction –mais
aussi construction– après les guerres de rivalité et d’expansion des chefferies et des États.
Profondément liées à leur usage et à leur fonction, donc à la présence de leurs constructeurs et de
leurs habitants, les villes pouvaient disparaître de façon irréversible comme elles pouvaient renaître
dans un laps de temps parfois court. De par cette rapidité d’anéantissement ou de naissance, les
approches uniquement matérielles –vestiges archéologiques et textes– ne sont pas suffisantes et
adéquates pour constituer notre connaissance sur les facteurs de permanence et d’adaptabilité des
fondations lao. Les traditions et les rituels se rapportant à l’espace, mis en relief dans les annales,
dans les mythes et les rites religieux et païens, ou laissant des empreintes sur les sites et dans
l’imaginaire collectif et individuel, forment également les outils de connaissance : tels les anciens
cultes des génies, des Phi et des devata, les cérémonies pour déplacer ou pour fonder un monastère,
un village, construire une nouvelle maison ; telles aussi les pratiques qui sont proscrites ou Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 172 -
autorisées dans certains lieux. Les cultes et les pratiques en usage, aujourd’hui, explicitent ainsi de
multiples liens avec les lieux et leur fondation historique. Ceci, pour la fondation de l’habitat, des
monuments, des unités villageoises et urbaines. Ils explicitent dans bien des cas la conception
primitive des fondations, du moins ils décrivent leur mode mental et culturel de représentation. Il est
donc important aujourd’hui de noter que la constitution d’une connaissance a posteriori de ces
fondations devrait d’abord se référer à l’univers des pratiques. Les rituels encore en usage se
rapportant à la lecture spatiale des sites, ou ancrés dans l’espace géographique, dans les modes
d’occupation, dans les fonctions des lieux, non seulement pour les villages aux caractères ruraux,
mais également pour les centres urbains, forment des témoignages matériels et immatériels
significatifs. Ils nous permettent de dégager des principes et des modèles fondamentaux de
fondation.
Dans cette deuxième partie, nous proposons d’approcher de manière théorique les fondations
lao tai primitives, en identifiant les éléments matériels et immatériels qui persistent dans les
pratiques et dans les espaces contemporains, et qui caractérisent la capacité d’adaptation de ces
fondations dans la durée. Cette approche est traitée en trois chapitres.
Le premier chapitre tente, à travers une synthèse et à travers une lecture des mythes,
d’identifier les éléments de formation primitive qui ont préexisté à l’espace lao tai. Ensuite il
explore la période de structuration de l’espace lao tai opérée autour de la fondation de la capitale au
XVIe siècle.
Le deuxième chapitre explore la capacité des espaces lao tai à réceptionner les modèles
spatiaux exogènes et à se les approprier par acculturation. Il tente ensuite d’identifier les
caractéristiques dominantes des villes laotiennes contemporaines autour des années 1975, et
d’analyser l’histoire et les conjonctures socioéconomiques internes et externes en rapport avec
l’évolution des aires urbaines régionales, et de comprendre comment cette évolution a-t-elle conduit
le cycle de formation et de transformation des formes spatiales.
Enfin, le troisième chapitre fait l’état des lieux des villes autour des années 1975 en guise de
conclusion, et identifie le cycle de leur transformation comme le passage de l’espace traditionnel à
l’espace moderne. Ceci caractérise les traits dominants de la transition urbaine des villes laotiennes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 173 -
CHAPITRE 1.
Les éléments de formation et de structuration de l’espace lao tai
Le territoire qui forme le Laos d’aujourd’hui a été occupé très tôt par plusieurs groupements
humains et sociopolitiques tant simultanément que successivement. Dans son ensemble, il est
marqué par une continuité humaine et culturelle de souches historiques distinctes, continuité
exprimée dans la pérennité du choix des sites, dans les données anthropologiques et dans la
pérennité des mythes. Les expressions de cette continuité ont permis d’esquisser des modèles
théoriques d’occupation. La permanence des éléments géographiques d’ancrage des établissements
(prise de site et son appropriation) s’est révélée comme un facteur d’identification et un marqueur
des choix et des pratiques spatiales des établissements. Cela constitue l’un des objets de
connaissance de nombre d’entre eux. L’objet de ce chapitre est de comprendre comment les
différents composants des fondations anciennes –tels, leur support géographique et leur
morphologie spatiale, les actes, les rituels et le mode culturel qui les ont fondés– ont persisté
durablement dans l’espace contemporain. De quoi seraient composées ces persistances qui auraient
joué un rôle structurant pour les fondations tout le long de leur évolution. Nous tentons ici
d’identifier le processus de fabrication et de modélisation spatiale des occupations anciennes et
leurs modèles d’évolution.
Dans la première partie du chapitre, nous s’essayons de rendre compte de ce que peuvent
être les souches spatiales du Laos avant son existence, en les identifiant à travers des données
anthropologiques. Il s’agit d’explorer la constitution du territoire à travers ses mythes et depuis son
balbutiement jusqu’à la période qui a précédé le règne de Sethathirat. Il s’agit également de
s’interroger sur le mode d’occupation des sols : comment celui-ci a-t-il contribué à la formation
d’une unité sociale et politique.
Dans les deux dernières parties du chapitre, on propose de traiter les deux périodes
révélatrices, où il s’agit : 1-d’identifier avant la période du règne de Sethathirat les établissements
lao tai, leur mode et leur modèle d’occupation comme leur élément d’identité spatiale primitive, 2-
de comprendre comment la restructuration politique de l’espace a-t-elle pu se réaliser à partir du
règne de Sethathirat au XVIe siècle, en rassemblant les différents actes et dispositifs politiques
réalisés. La constitution de l’espace lao tai serait donc lue à travers des faits culturels et
idéologiques. L’espace sera analysé dans sa strate de cité-État et à travers la structure du pouvoir.
Corollairement à cela, les empreintes et les pratiques spatiales, culturelles et cultuelles, la
construction des mythes, la construction des espaces habités et leur rapport à la nature,
deviendraient alors des éléments de lecture à travers lesquels la compréhension de l’espace des
fondations devrait s’effectuer.
I. I. Les établissements anciens avant les établissements lao tai. Les
mythes et les données anthropologiques, les sites d’implantation
primitive
Les implantations lao tai ne sont pas nées dans un territoire vierge, les occupations qui leur
sont antérieures constituaient une référence potentielle pour leurs édifications. Un aperçu historique
sur ce territoire depuis longtemps “ humanisé et civilisé ”, avant l’installation des Lao et de
l’ensemble des populations tai vers la fin du premier millénaire serait donc nécessaire pour mieux Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 174 -
comprendre la part de ce dont ces derniers héritaient. Mais pour se faire les données spatiales
structurées manquent : ce territoire reste « pour l’historiographie un curieux vide ».
212
Il nous faut rechercher les données dans les sources anthropologiques, dans les mythes et le choix
des sites d’implantation, leur aspect géographique, leur inscription territoriale, quel que soit le
caractère fragmenté des sources et des données en question. On aborde les établissements anciens en
analysant donc deux groupes de données : d’abord les données anthropologiques et géographiques
liées aux mythes, ensuite les actes et les rituels de fondations.
L’historiographie du territoire du Laos jusqu’à aujourd’hui est fragmentée et renferme des
contradictions, malgré les riches découvertes archéologiques. Nous tentons de rassembler les
différentes sources –même contradictoires, afin d’émettre des hypothèses pouvant aider à identifier
l’aspect spatial de ce territoire. L’historiographie et l’archéologie identifient trois principaux
occupants qui ont bâti le territoire du Laos avant le XIIIe siècle : les vieux habitants proto
indochinois, les Môns et enfin les Khmers, sans mentionner les Tai Lao et ne parler de leur
installation qu’à partir de la fin du XIIIe siècle. Sans entrer en contradiction avec les données
historiques plus ou moins établies, nous proposons dans les quatre paragraphes qui suivent, de
comprendre l’aspect spatial de ce territoire en explorant et en synthétisant les différentes hypothèses
historiques, anthropologiques et géographiques. Que serait ce territoire avant les établissements lao
tai et quels seraient les principes d’implantation mône, khmère et lao tai primitive ? Ceci, en
considérant les mythes de fondation et les caractéristiques des sites (montagnes et forêts, plaines et
cours d’eau) comme objet de connaissance de l’histoire matérielle, et en exposant des études de cas.
I. I. a. Les occupations avant les établissements lao tai. Les fondations et les mythes
considérés comme objet de connaissances de l’histoire matérielle
Les perceptions historiques
Les études khmères et les études mônes (travaux sur l’art de Lopbury et de Dvaravati), les
sources chinoises ainsi que les traces archéologiques, montrent que bien avant les Tai sont nées dans
la péninsule de grandes civilisations urbaines. Le processus d’occupation tai aurait été une
propagation lente. La disparition de bon nombre de cités antérieures suppose des luttes, du moins,
montre que les Tai auraient dû faire preuve de ténacité diplomatique et aussi militaire pour parvenir
à s’installer et acquérir une position durable sur le territoire.
Dans l’âge des mégalithes213 du premier millénaire avant l’Ere Chrétienne, deux peuples
auraient occupé le territoire de Souvannaphoum214 : les Lawa []t;hk] seraient dans la région de
Lopburi (Thaïlande) et les Swa [lq;t], dans la région de l’actuel Luang Prabang.
215 Leur présence au
Laos serait attestée par les sites des jarres funéraires de Xieng Khouang216 et par les mégalithes de
212 Propos de M. Lorrillard. Cf. Bibliographie. 213 Des sites de jarres funéraires, dolmens et menhirs sont découverts nombreux entre le Sud de l’Arabie et l’Inde
méridionale, entre le Sud du Viêtnam et le Siam. Cf. Rawson P. L’Art de l’Asie du Sud-Est, l’Univers de l’Art, Thames &
Hudson, Singapour, 1995 ; The Art of Southeast Asia, 1967, Thames and Hudson Ltd, Londres. 214 Suvarnadvipa (Sk) désigne l’Orient. En Lao c’est « Laèm Thong » [cs],mv’], « presqu’île dorée ». Les termes lao
ajoutent l’idée de richesse que les locaux se font de ce territoire. Pierre-Yves Manguin note que Suvarnadvipa dans les
textes indiens est le nom donné à l’Asie du Sud-est ancienne la désignant comme “ les îles de l’or ”. Dans l’Antiquité, elle
porte un autre nom : « la Chersonèse d’or de Ptolémée ». In P-Y Manguin, « Les cités d’Asie du Sud-est côtière. De
l’ancienneté et de la permanence des formes urbaines », « City-States and City-State Cultures in pré-15th century
Southeast-Asia », Mogens H. Hansen (éd.), A comparative study of thirty City-State cultures: An investigation conducted
by the Copenhagen Polis Centre, Copenhagen, The Royal Danish Academy of Sciences and Letters, 2000, p. 409-416. 215 On connaît peu de chose sur l’origine de ces proto-indochinois. Ils seraient issus du même souche. Pour les linguistes, ils auraient parlé une langue austro-asiatique comme une grande partie des populations de l’Inde de l’Est, descendue plus
tard dans la péninsule. Cf. E. Guillon, Parlons Môn. Langue et civilisation, Ed. L’Harmattan, Paris 2003. Archaimbault les
désigne d’“ aborigènes”. 216 Parmi 52 sites découverts, trois sont ouverts aux visiteurs. Pour les autres les bombes non explosées larguées dans les
années 1960 et 1970 minent encore les sites.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 175 -
Houaphanh,
217 avoisinant dans l’espace et dans le temps, la culture Dông-son de l’Annam et du
Tonkin.
D’après les études mônes,218 autour du Ve et IVe siècle avant J-C, un peuple mixte (ancêtre
des Môns ?) –austro-asiatiques de l’Ouest de la Chine et de l’Est de l’Inde– serait venu par
l’extrême Nord de la Birmanie occuper le territoire des Lawa et des Swa. Ces derniers, repoussés
vers le Sud, auraient disparu ou assimilés par les nouveaux arrivants. Progressivement, les Môns
auraient établi une civilisation brillante avec deux principaux établissements : Dvaravati, entre le VIe
et le XIe siècle de notre ère,219 serait étendu depuis le plateau de Khorat jusqu’en Birmanie,
descendant jusqu’en Malaisie, avec un centre dans l’actuel Nakhon Prathom ;
220 Sikhottabong
(royaume oriental), ayant un centre au bord de la Xé Banfay dans la région de Thakkek, étendu du
plateau de Khorat jusqu’à l’extrême Est du Laos et depuis Vientiane jusqu’à Champassak.221
Les études khmères évoquent des établissements hindouisés tel que le Fou Nan repéré
entre le milieu du IIIe et le VIe siècle grâce aux inscriptions.222 A partir du VIIe siècle le Tchen-la
(Tchen-la de terre et Tchen-la d’eau), étendu du Moyen Mékong aux extrêmes Sud de la péninsule
et du plateau de Khorat aux côtes Est, avec un centre probable à Vat Phù223 aurait remplacé le Fou
Nan.
Au nord du Tchen-la et des cités mônes, le Nan Chao émerge dans le Yunnan entre le
VIIIe et le IXe siècle.224 La dynastie qui le dirige est considérée dans le Phongsavadan Lao comme
étant tai et d’où seraient issus les ancêtres fondateurs du Lane Xang, Khun Bourom et Khun Lo.
Considération réfutée par la majorité des historiens,225 qui admettent pourtant l’idée que les Tai
seraient parmi les nombreuses ethnies vivant dans l’aire et sur les marges de ce puisant royaume.
217 Madeleine Colani, « Champs de jarres monolithiques et de pierres funéraires de Tran Ninh (Haut Laos) », BEFEO 33,
p. 355-366, année 1933 ; « Les Mégalithes du Haut-Laos », BEFEO, Paris, 1935. 218 Les études mônes ont surtout été celles des linguistes. Ils ont trouvé que les langues « austro-asiatiques constituent le
substrat de toutes les langues parlées en Asie du Sud-Est. » In. E. Guillon, op. cit. 219 La période Dvaravati : fin VIe - début XIe siècle, date supposée d’après les inscriptions mônes trouvées à Saraburi en
Thaïlande. Cf. E. Guillon, (op. cit.) Cf. Ferlus, « Délimitation des groupes linguistiques austroasiatiques dans le centre
indochinois », ASEMI V-1 ; Cf. Dupont, « L’archéologie mône de Dvâravatî », 2 vol. Paris, publication de l’EFEO., 1959. 220 Nakhone, Nagara (Pl-Sk) [g,nv’.sJp], la ville, et Prathom [xt4q,], Pathama (Pl), primaire, premier. Nakhon Prathom
[ot7voxt4q,], la première ville. In : Lexique étymologique lao Pali-Sanskrit, Ed. Sadda, Paris, 2007. 221 Les découvertes en 2008-2009 d’un site proche de la Xé Bangfay, mettent au jour d’importants vestiges : bassins,
bijoux en or, divers objets. S’agit-il d’une partie de la ville ancienne de Sikhottabong (?). Les fouilles n’ont pas été faites
de manière approfondie et étendue pour formuler de telle conclusion. En occurrence, M. Lorrillard remet en doute
l’existence de ce royaume en soulignant que « (…) ce royaume est sans doute de pure légende (…) ». 222 L’existence du Fou Nan tout comme le Tchen-la en tant que grand Etat avant la formation de l’Empire khmer est
remise en question par certains historiens qui suggèrent plutôt l’existence de plusieurs chefferies. Michael Vickery, in.,
Society, Economics, and politics in Pre-Angkor Cambodia, the 7th-8th Centuries, The Centre for East Asian Cultural
Studies for Unesco, the Toyo Bunko, 1998. Le Fou Nan aurait été mentionné dans les textes chinois et à partir de ces
textes les historiens fondent sa historiographie. Cf. Rawson in : l’Art de l’Asie du Sud-Est (op, cit), « […] Un brahmane
inspiré par ses rêves, débarqua au Fou-nan. Il épousa la fille d’un dieu serpent local et devint le premier souverain
founanais. En buvant les eaux qui couvraient le pays, le serpent –ou naga- qui est dans la tradition indienne le symbole de
la lignée royale autochtone, permit aux habitants de cultiver la terre […] ». 223 La localisation du centre du Tchen-la : à Vientiane pour Lefèvre-Pontalis, à Pak Hinboune pour Maspéro, in. « La
frontière de l’Annam et du Cambodge du VIIIe au XIVe siècle », BEFEO XVIII-3 ; à Champassak pour P. Dupont, in.
« La dislocation du Tchen-la », BEFEO XLIII, 1943-6. ; à Sambor-Preikuk pour Pelliot, in. « Deux itinéraires », BEFEO
IV, n°1/2 ; « Le Fou-Nan », BEFEO III, 1903 ; pour T. Hoshino à Muang Fa Daet, sur le plateau de Khorat actuel, in.
Pour une histoire médiévale du Moyen Mékong, Ed. Duang Kamol, Bangkok, 1986. D’après lui, les annales chinoises du
Yunnan mentionnent que le Tchen-la « a à l’Ouest comme voisin le Pyao, au Nord-est la province de Huan Zhou et au
Nord le Dao Ming ». Les Pyao auraient formé l’ancien royaume Pyu dans le Nord de l’ancienne Birmanie. Le Huan Zhou
aurait pu être localisé dans la province Vietnamienne actuelle de Nghê-An, à l’époque des Tang. Le Dao Ming reste à
identifier. Les données archéologiques récentes localisent le Tchen-la à Champassak. 224 Nan Chao pour les Chinois signifie “ Prince du Sud ” ou “ Principauté du Sud ”. Nan serait un terme chinois, “ Sud ” et
Chao[g9Qk], Chu[96j], termes sans doute sino-lao qui signifient “ vous ” ou “aristocrate” ou “groupe”. 225 Pour Chith Phoumsak, les Tai n’ont pas le monopole dans le Nan Chao. Ils seraient parmi les trois ethnies dominantes,
dont les Lolo, qui auraient un rôle primordial. In. L’origine des termes monosyllabiques thaï, lao, khrom, du point de vue
social à propos du nom des peuples, éd. Samnakphim Siam, Bangkok, 2001 (réédition de 1976). Griswols note :
« Désigner le Royaume de Nan Chao du Yunnan comme un royaume tai, ne peut pas continuer à être accepté comme tel.
Il est clair aujourd’hui que la classe gouvernante de ce royaume est d’origine tibéto-birmane […] ». In. Griswold, 1964,
« Thoughts on a century », JSS, LII pt. Avril 1964. Pour Luce : « Sur l’idée que le Nan Zhao soit tai ou non cela pose
encore problème. La Chronique Nan Zhou (863 AD) suggère que le Nan Chao est majoritairement Lolo ou tibéto-birman
du point de vue linguistique, les Tai deviendront dominants dans la classe dirigeante à partir du Xe siècle ». In. Luce G-H, Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 176 -
Après le Tchen-la, l’Empire khmer domine le territoire à partir du début du IXe siècle
intégrant deux anciens royaumes et probablement les chefferies tai aussi.
226 Mais la culture et les
villes mônes n’auraient pas disparu à l’ouest de la péninsule comme au nord. Entre le VIIe et le XIIIe
siècle, elles ont poursuivi leur développement, à Lamphun, Prayao, Xieng Saèn et Wiang Kum
Kam, diffusant un art et une architecture appelés Haripunjaï227 avant de céder en définitif aux Tai
qui fondent sur leurs traces de nombreuses cités vers le XIIIe et XIVe siècle. Nous continuons de nos
jours à découvrir des vestiges môns, explicitant leur importance dans la constitution de l’espace de
la région du Laos.228
Ainsi les établissements tai sont nés dans un territoire constitué, au moment où les anciens
pouvoirs existants ont commencé à s’affaiblir. Il aurait été probable que les chefs tai venus des
chefferies du Nan Chao et du Sud de la Chine, soumises aux Mongols, se soient rallier à eux
espérant se libérer de la suzeraineté khmère ou consolider leurs propres unités. Les Tai auraient
commencé aussi à s’approprier des acquis Mongoles, ce qui provoque des expéditions militaires de
ces derniers : en 1280 Chiangrai fondée par Mengraï en 1268 fut attaquée. La fondation du Lane
Xang par F’a-Ngoum a lieu près de soixante-dix annnées après la fondation de Sukhothai et de
Chiangmai ; en retard de trois quarts de siècle pour être enrôlé dans la conquête mongole. Par
contre, par bien des aspects sa culture militaire et son savoir-faire administratif ainsi que ceux de
son fils Sam-Saèn-Tai, seraient une empreinte de l’héritage mongol.
229
Edifiée en cité-État après la fin de la conquête mongole vers 1360, unifiant ses chefferies
primitives, la première implantation lao aurait été malgré tout peu structurée. Les autres
implantations tai importantes qui ont été édifiées aussi bien avant que pendant la conquête mongole
« The Early Syam in Birma’s story », JSS, XLVII, pt. I, 1959. Pour Coedès : « […] Nan-Tchao, royaume de population
t’aï, mais dont la classe dirigeante appartenait peut-être à une autre famille ethnique […] », in : Les Etats hindouisés
d’Indochine et d’Indonésie, Paris, 1964. Pour Hall : « […] le royaume de Nan Chao qui se formait à l’ouest et au nordouest
du Yunnan, avait une population tai mais ses dirigeants étaient de race différente […] », in : A history of SouthEast
Asia, Londres, 1964, pp. 158-159. Lafont P-B note dans son compte-rendu sur le Phongsavadan (de S. Viravong) et sur
Ethnic groups of Mainland South East Asia (de Frank M. Le Bar) que la thèse d’un Nan Chao dominé par les Tai peut être
totalement réfutée. In. BEFEO, T. L, fasc. 2, 1962, C.R. pp. 573-574. 226 Les historiens affirment que les fondateurs d’Angkor sont les héritiers du Fou Nan et du Tchen-la et que l’art de ces
derniers –en particulier l’art founanais– se serait prolongé dans l’art khmer. Le début de l’empire khmer commence en 802
avec le sacre de Jayavarman II. « […] Il succéda à son père, le roi Indravarman ; sa mère Indradévî lui transmit les droits
dynastiques des deux royaumes qui s’étaient succédés sur le territoire du Cambodge, le Fou Nan et le Tchen-la, ainsi
nommés dans les annales chinoises […] », in : Madeleine Giteau, Histoire d’Angkor, Kailash, Paris 1996. L’apogée de
l’empire d’Angkor est placé sous le règne de Jayavarman VII, dont le territoire a atteint sa plus grande extension vers
1177. Il couvrait la quasi-totalité du Laos et de la Thaïlande actuelle. Son influence atteignait l’Isthme de Kra et le
royaume de Pagan, mais il est probable que la partie septentrionale du Laos et l’extrême Nord de la Thaïlande, avec
plusieurs chefferies tai, aient été administrés par des gouverneurs tributaires de l’Empire. Cf. Hoshino. 227 Pour Xieng Saèn et Wiang Kum Kam, il semble que le pouvoir a dû changer plusieurs fois : du pouvoir môn au
pouvoir tai. Malgré cela, la culture urbaine mône semble imprégner fortement ces établissements. Le principal Chédi de
Lamphun, ville fondée par les Môns et qui reste sous leur pouvoir plus longtemps que les autres, serait apparemment le
modèle architectural le plus référencé des monuments de Chiang Saèn et de Wiang Kum Kam. In : « Wiang Kum Kam :
Vivathanakan pavatsat lé bourana sathan », article de présentation du site de Wiang Kum Kam, 42 pages (en Thaï, nom de
l’auteur non mentionné) ; Hans Penth, « Remembering the Beginning of the Rivival Of Wiang Kum Kam », Paper
presented at the Seminar « Peut Tamnan sivit Lanna », Rajabhat University Chiang Mai, 14 februry 2005, Hans Penth, 6
pages.
228 A travers la pratique du bouddhisme dans certaines villes Thaïlandaise survit encore la culture mône, notamment la
tradition des pieux qui accompagnent les stupas, sao chédi [glqkg9fu]. Le rôle des Môns dans la construction des
établissements de la région du Laos a été négligé jusqu’à récemment, d’autres découvertes à venir devraient attester leur
importance.
229 Sur la région Nord du Laos et la région Nan Chao et sur la création de l’Empire Khmer. Hoshino donne un point de vue
intéressant. Il note aussi : « une chose frappant est que les gouverneurs adjoints, commissaires et chefs de commanderies
désignés ne sont pas des Mongols mais sont tous, semble-t-il, des chefs de principautés locales. (Tai ?) » Ibid. Les
Mongols soumettent les provinces du Sichuan et du Yunnan en 1253 et toute la Chine en 1279. Leur domination dure
jusqu’en 1368. F’a-Ngoum serait né en 1316, aurait épousé en 1332 Kéo-Kengna, princesse angkorienne fille de
Parameçavara, commencé sa campagne militaire au Laos en 1349, proclamé le Lane Xang en 1353, serait destitué et exilé
à Nan en 1371 et mort en 1373. Ses cendres seraient déposées à Vat Xieng-Ngam à Nan. Cf. S. Viravong, Phongsavadan
lao, de la période ancienne jusqu’à 1946, (xts;aflkf]k; c8j[6]kog(u’ 1946), éd. Bibliothèque Nationale, Vientiane 2001. Les
administrateurs et militaires yuans seraient bloqués dans la péninsule indochinoise à cause de leurs défaites en Chine. Leur
savoir-faire aurait continué à influencer la politique et l’administration des États tai et aussi des États et possessions
khmères durant les décades qui avaient suivi. Jayavarman VII semble reconnaître la souveraineté des Mongols à partir de
1285.Tchéou-ta-kouan le visiteur chinois qui a laissé le premier témoignage écrit sur la cour angkorienne aurait été un
agent qui se rend à Angkor vers 1296 pour réclamer les tributs de vassalité que celui-ci devait aux Yuans. Cf. traduction
de Pelliot. « Mémoires sur les coutumes du Cambodge », BEFEO, II, 1902.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 177 -
ont été Sukhothai en 1292, Chiangmai en 1297 et Ayuthia en 1350. Pour D.G.E. Hall, ces fondations
auraient eu lieu dès le début du XIIIe siècle et dans la même considération, Coedès parlait “ d’une
effervescence tai”. Globalement l’émergence des États tai se fait dans l’extrême Est de l’Inde, dans
le Nord-Est de la Birmanie, dans la vallée de la Ménam, dans la région de Nam Ping - Nam Saï -
Nam Kok, dans le Haut Laos de la Nam Tha - Nam Sing - Nam Oû - Nam Khane, dans l’Ouest de la
Nam Dèng, dans le plateau de Xiang Khouang et de Houaphanh.
Considérons maintenant autres points qui pourraient justifier la création du pays lao sous
forme de chefferie cinq siècles avant sa fondation au XIVe siècle –qu’il se nomme ou pas Lane
Xang. Il s’agit du contexte dans lequel F’a-Ngoum mène sa campagne militaire qui s’auto définit
comme une réunification de ses chefferies. Les annales mettent en évidence qu’il se trouve en face
des petites unités politiques solidement établies et dont les chefs seraient de la même famille que lui.
Quoi qu’il en soit, les chefs tai du haut et du moyen Mékong respectent et partagent un certain
nombre de valeurs, notamment leur origine septentrionale, leur histoire commune de migration. Ils
symbolisent l’idée par un probable ancêtre commun et par l’usage d’une diplomatie de cousinage.
Ainsi, le gouverneur de Xiang Khouang en apprenant l’arrivée de F’a-Ngoum aux portes de sa ville
lui envoie un message de soumission : « […] Ma personne est petit-fils et arrière-petit-fils, de sang
et de chair de Khun Bourom Rajathirat Tiao et de Khun Lo depuis l’ancien temps. Cette fois-ci, je
salue la noble volonté du Phraya F’a d’être venu pacifier les ban et les muang. J’accompagne
l’action du Phraya F’a en le suppléant de mon armée et de mes hommes […] » Après quoi F’aNgoum
répond : « […] C’est de bon augure et de bonne grâce que notre cousin pense encore à
nous comme cela. Les ban et les muang qui appartiennent à notre neveu, à notre frère depuis le
temps le resteront, les armes, les instruments et le fer nous viendrons les solliciter auprès d’eux. Les
ban et les muang que nous avons pacifié […] viendront leur faire allégeance […] »
230
Les données historiques sur Vieng Kham, Vientiane, Luang Prabang ou même sur la petite
structure villageoise de Lin San (A 40 kilomètres de Vientiane fondée au bord de la Nam Ngum en
1233) nous permettent de penser qu’il a pu y avoir des établissements lao ou tombés entre les mains
des Lao au moins un siècle avant l’arrivée de F’a-Ngoum, qu’ils forment déjà ou pas des unités
politiques. Et ceci, au sein même de l’Empire khmer, même si en parlant de fondations politiques, le
Phongsavadan n’évoque pas leur organisation. Les chroniques chinoises du Yunnan évoquent
l’apparition d’une unité politique à Luang Prabang parmi les autres royaumes qui entretenaient des
relations de longue date avec la Chine.
231 Les inscriptions de Sukhothai mentionnent Luang
Prabang, Vieng Kham et Vientiane parmi d’autres muang “ dominés ” par Rama Kham Hèng.
232
L’existence des unités lao semble ici être mentionnée vers la seconde moitié du XIIIe siècle et
auraient Sukhothai comme modèle, du fait que cet État tai a réussi à s’émanciper de son suzerain
khmer.
En ce qui concerne les chefferies tai du Sud, les Siamois seraient venus peupler la partie la
plus centrale de la Thaïlande actuelle au moins au XIe siècle et seraient restés sous domination
khmère jusqu’à la fin du XIIIe et le milieu du XIVe siècle, tout comme les autres chefferies du sud
230 In. Phongsavadan Lao. (Op, cit.) Certaines versions disent que c’est l’oncle de F’a-Ngoum, F’a Kham Hyao, qui aurait
régné sur Luang Prabang à l’arrivée de F’a-Ngoum et non pas son grand-père, Souvanna Khampong. Par ailleurs, Luang
Prabang que F’a-Ngoum allait prendre peu de temps après, aurait été sa ville natale. 231 « […] La Dynastie Tang a donné des titres à plusieurs royaumes : au Yong-chang (une région du Yunnan), au Myan
(Myanmar), au Xian Luo (Siam), au Da-qin. Ce sont des royaumes de l’Ouest qui ont entretenu des relations avec la
Chine ; au Jiao-zhi (Daï-Viet), au Ba-Baï (Lan Na), au Zhen-la (Cambodge), au Zhan-cheng (Champa), au Zhua-guo
(Luang Prabang). Ce sont des royaumes du Sud qui ont tissé des liens avec la Chine ». O. Masuhara, in, Histoire
économique du Royaume du Lane Xang, du XIVe au XVIIe siècle, d’un Etat qui bénéficie du commerce continental vers un
Etat d’économie portuaire, ed. Art and Culture, BKK, 2003, (En Thaï.) Masuhara note que Xian Luo est le Siam, nous
pensons qu’il s’agit de Xieng Lao, c'est-à-dire Xieng Saèn. D’après Hoshino, les annales chinoises, le Ji-gu-dian-shuo,
datent de 1265. 232 La stèle de Rama Kham Hèng serait datée de 1292. D’après Coédès, la stèle évoque les établissements lao en ces
termes : « […] vers l’Est il a conquis le pays […] jusqu’aux rives du Mékong et jusqu’à Vientiane, Vieng Kham qui
marquent la frontière […] Vers le Nord, il a conquis le pays jusqu’à […] muang Ch’ava qui marque la frontière […] ».
Cf. Les Etats hindouisés d’Indochine et d’Indonésie, Paris, éd. De Boccard, histoire du monde, vol. 8, 1964.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 178 -
du Laos (à partir de Vientiane). Les chefferies du Nord, comme Xiang Khouang, Dien Bien Phu,
Luang Prabang et même peut-être Vientiane, en tant que vassaux sur la périphérie, auraient été plus
autonomes par leur éloignement par rapport au centre de l’Empire, affaibli et préoccupé par la
guerre avec le Champa.
Les Etats tai et en particuliers siamois (sauf Ayuthia et Lane Xang) auraient donc bénéficié
des concours de circonstances de la conquête mongole. Dans tous les cas, les villes et les
implantations tai dans la vallée du Mékong, dans le Haut Mékong et dans le bassin de la Ménam,
allaient devenir déterminantes pour la configuration spatiale, politique et économique de toute la
région de la péninsule pour les siècles à venir. Les muang des Tai septentrionaux ouvraient alors peu
à peu une période spatiale nouvelle changeant la face de cette aire géographique, avec leur propre
bagage culturel septentrional qu’ils auraient dû composer avec un héritage spatial et culturel laissé
par les Môns, les Khmers ainsi que les aborigènes. Et ceci, sur le territoire qu’ils avaient mis plus de
cinq siècles à conquérir et sous l’influence des prédécesseurs dont ils ne pouvaient se soustraire,
quelle que soit la nature et l’importance de leur propre acquis culturel du Nord.
Des questionnements spatiaux
Au retour de son exil du Cambodge233 F’a-Ngoum a reconquis le pouvoir à Xieng Dong
Xieng Thong (Luang Prabang) avec les troupes khmères de Soryotei vers 1354.234 Cela peut
signifier que le modèle d’un État tai qui se forme en s’émancipant de son suzerain khmer peut se
confirmer pour les autres chefferies tai, mais certainement pas pour le Lane Xang, qui aurait été plus
qu’un allié d’Angkor. La fondation du Lane Xang semble être une unification des unités existantes ;
ce ne serait pas une fondation de rébellion ni d’émancipation d’un vassal contre un suzerain. Au
courant des conquêtes, les revendications personnelles de F’a-Ngoum auraient été confondues, au
fur à mesure des succès de la pacification des muang, aux nécessités impersonnelles d’un État en
processus de formation. Cela aurait ainsi fait de F’a-Ngoum un “ unificateur ”, un “ fondateur ” de
circonstance des chefferies lao dispersées.
L’avènement de F’a-Ngoum marque une ère nouvelle pour le Laos, mais ne peut marquer
le début de son histoire spatiale. C’est précisément en plaçant F’a-Ngoum dans un moment
233 D’après le Phongsavadan, la fondation du Lane Xang aurait été profondément marquée par Angkor, appelé dans le
Phongsavadan, Nakhone Luang, la capitale, la grande cité. F’a-Ngoum aurait eu un précepteur khmer érudit parmi ses ba
[[jk], parents de substitution qui l’ont accompagné depuis Luang Prabang. Si le bannissement a été choisi à la place de la
condamnation à mort, la loi coutumière obligeait à entourer le banni de ce qui est conforme à son rang. Ainsi dans son exil
F’a-Ngoum aurait été entouré de ses précepteurs et parents de substitution, lui permettant de recevoir une éducation exigée
par sa naissance. Une fois au pouvoir, F’a-Ngoum aurait donné les postes les plus importants à ses parents de substitution,
dont les noms males avaient la particule ba [[k]. A notre connaissance les seuls Tai qui portent encore cette particule sont
des Tai noirs (Tai dam). Il est probable que les Lao de Luang Prabang aient conservé à cette époque certaines traditions
héritées du temps où ils se déplaçaient vers le Sud. Cette tradition aurait donné aux Tai noirs une place particulière dans la
structure dynastique des Lao Tai, qui occupent la partie septentrionale. Les chefs tai noirs assumaient probablement une
charge particulière au sein de la cour de Luang Prabang : du fait qu’ils ne sont pas bouddhistes mais pratiquant le culte des
phi f’a, phi thaèn (esprit des ancêtres), lié au royaume Thaèn ou Tian, (Dian en chinois) d’où seraient venus les Lao, les
Tai noirs auraient été gardiens et maîtres des cultes pour la cour ? Effectivement ces cultes n’ont jamais été abolis dans la
tradition dynastique lao pourtant bouddhisée. Outre ces fonctions, les Tai noirs auraient aussi été des guerriers, gardes
personnelles du roi ou précepteurs des princes. Ces questions restent à approfondir.
François Martin note que « (…) de nombreuses personnes étaient frappées par la fréquence de la syllabe, ou particule,
‘ba’ dans les noms de monuments de l’antique Cambodge (…) le sens de cette particule est bien oublié et que les
Cambodgiens ne la dissocient plus des noms qu’elle accompagne, p. ex. Bakhèng, Baphuon, Bayon, etc. (…) Les
dictionnaires attribuent à ‘ba’, entendu comme particule, des sens biens vagues. Celui de l’abbé Guesdon donne : ‘beau,
noble’ : ba phnom ‘belle montagne’ (…). Dans Tandart, on trouve pour la même particule : ‘noble (…)’. Pour L.
Delaporte, ‘ba’ ‘beau, remarquable’ (…) En taï-blanc et en taï-noir, ‘ba’ correspond au français ‘gars’. En siamois, ‘ba’
est un terme honorifique : ‘maître, docteur’. En laotien, ‘ba’ précède habituellement le mot ‘thao’ ‘roi, prince’. ». In.
« De la signification de ‘Ba’ et ‘Mé ‘ affixés aux noms de monuments khmers », BEFEO, 1951, Vol 44. N°44-1, pp. 201-
209.
234 D’après Hoshino, un prince khmer aurait participé à la campagne militaire de F’a-Ngoum : Soryotei –gouverneur alors
de Khorat– qui aurait dû succéder à son frère défunt, Lampong-Raja, sur le trône d’Angkor. Ramathibodi d’Ayuthia (UThong)
a siégé et pris Angkor vers 1350 et a placé sur son trône ses fils. F’a-Ngoum et Soryotei auraient quitté Angkor
pendant son siège par les Siamois ou juste avant. La campagne militaire de F’a-Ngoum aurait été en même temps l’exil
politique provisoire de Soryotei qui a, par la suite, reconquis son pays vers 1357-1358 sous le nom de Suryvamça
Rajathiraja. La plupart des historiens disent ne rien trouver sur le Lane Xang de la période de sa fondation dans les sources
khmères.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 179 -
d’exception comme le fondateur du Laos, et, par extrapolation, de toute l’histoire du Laos que
l’histoire telle qu’elle est conçue et présentée aujourd’hui concernant ce pays démontre ses limites.
Elle crée une rupture dans le territoire en faisant succéder sans transition le Lane Xang à l’Empire
khmer. Elle atrophie la continuité spatiale de ce territoire qui n’aurait pas vraiment connu de
rupture. Or, a contrario, il s’agit pour l’histoire de comprendre comment la présence des Tai dans le
Moyen et le Haut Mékong a-elle été vue, vécue et gérée par les autochtones aborigènes, les Môns et
ensuite les Khmers à partir de la fin du premier millénaire ; comment ces Tai ont-ils apporté des
changements dans la manière d’occuper le territoire ou comment ont-ils été influencés par les
autochtones dans leur façon d’occuper l’espace tout au long des siècles qui ont suivi jusqu’aux XIIIe
et XIVe siècle.
Il apparait inconcevable qu’un Etat, quelle que soit sa taille et son importance, puisse
naître du jour au lendemain associé seulement à l’histoire d’une personne. Un territoire unifié
comme celui-ci ne peut se faire qu’à partir des dispositifs : groupement d’une population
ethniquement homogène, fédérable par une certaine unité autour d’un intérêt commun, fixée dans un
territoire de manière cohérente avec une élite politique capable d’y exercer un contrôle. De ce point
de vue un certain nombre d’établissements (villages, villes, ensembles d’occupations), quelle que
soit leur taille et leur histoire –mythique ou légendaire– témoignent de l’existence d’une période
pré-Lan Xang. Une période de chefferie “ obscure ”, un no man’s land historiographique, durant
laquelle aucun historien n’a pu réellement mener une recherche consistante. Car on constate
généralement que l’histoire des implantations lao commence avec la fondation de Vientiane sous le
règne de Sethathirat.
Si du point de vue historique ce constat est justifié, il ne l’est pas du point de vue spatial.
Les questions spatiales demeurent : comment les communautés lao s’organisent-elles et comment
leurs habitats se construisent-ils entre le VIIIe et le XIVe siècle, entre le XIVe et le XVIe siècle : dans
une région déjà pourvue d’organisation politique, puis dans un Empire khmer naissant puis
déclinant ? Existe-t-il des établissements lao importants avant l’établissement de Luang Prabang ? Si
on suppose que les Lao sont présents assez tôt dans le territoire avec le “ glissement des Tai vers le
Sud ”, à quel moment le pouvoir –un certain degré de pouvoir, passe-t-il entre leurs mains ? Quant à
la “ réunification ” des chefferies lao, auto-proclamée, est-elle justifiée ? En s’appuyant
exclusivement sur les preuves matérielles et sur l’historiographie, ces questions restent lettre morte.
L’histoire des chefferies non mônes-khmères existant à l’intérieur du vaste empire, ou qui gravitent
autour, entre le début du IXe et le début du XIVe siècle, aurait été négligée. Pour cette raison, il faut
nous intéresser aux travaux des historiens laotiens qui ont tenté quelques approches, même si les
arguments sont fragiles, en faisant remonter l’existence des cités lao avant l’époque de F’a-Ngoum,
à travers les textes du Nithan Khun Bourom.
Les mythes de fondation qui peuvent être considérés comme objets de connaissances de
l’histoire
D’après H. Rattanavong, les premières occupations lao auraient été formées autour du VIIe -
VIIIe siècle par deux groupes tai. L’un serait descendu du Nord-est, le long du fleuve rouge –Muang
Thaèn [g,nv’c4o].235 C’est la branche de Khun Bourom et Khun Lo, formant d’abord une première
unité à Vieng Phou kha [;P’r67k].
236 L’autre, serait venu de l’Ouest de la région de Xieng Saèn.
237
C’est la branche de Thao Tch’ueng, qui aurait auparavant pris Xieng Khouang et Luang Prabang des
aborigènes pour y former une petite unité. Par la suite Thao Tch’ueng aurait été vaincu par Khun Lo
235 Il y aurait deux Muang Thaèn : l’un situé dans la région de Dien Bien Phu connu sous le nom des Sipsong Tchou Tai,
(des 12 groupes tai), appelé aussi Muang loum ou Cité du bas, l’autre, situé au sud-ouest de Kunming, appelé Muang
theung ou Cité du haut, plus ancienne par rapport à Muang Loum. Cf. note 21. Dans le Nithan Khun Bouram, Muang
Theung serait le royaume céleste des phi thaèn ou des thaèn f’a, et Muang Loum, le royaume humain peuplé des enfants
que le phi thaèn aurait envoyé pour prospérer. 236 Cf. le texte sur Muang Vieng Phu Kha (1e Partie. I.I.d.5) 237 La région actuelle de Chiangsaèn Thaï, Chiangrai, et de Tonh Pheung dans la province laotienne de Bokéo.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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installé à Muang Thaèn [fin de citation de Rattanavong]. La bataille dans le roman épique Thao
Hung Thao Tch’ueng semi-historique aurait été la reconstitution de cette lutte entre Lao du Nord-est
et du Nord-ouest. La guerre aboutie sur la victoire de la branche de Khun Bourom, la branche de
Thao Tch’ueng serait assimilée. Ainsi, le muang des Lao aurait été possible pour la première fois à
Swa et à Prakan, respectivement Luang Prabang et Xieng Khouang. Les hypothèses de H.
Rattanavong, basées sur des mythes, peuvent être discutées,
238 mais appuyées par les deux
manuscrits (Thao Hung Thao Tch’ueng et Nithan Khun Bourom), elles ne sont pas dépourvues
d’intérêt du point de vue anthropologique.
D’après Lorrillard le Nithan Khun Bourom239 semble être de tradition nordique. Les textes
étant uniquement d’origine du Nord, on peut situer le mouvement de formation du pays lao comme
venu du Nord, comme le note Vo Thu Tinh : « […] il s’est agi plutôt d’une infiltration lente et sans
doute fort ancienne, le long des rivières relevant de ce glissement général des populations du nord
vers le sud, qui caractérise le peuplement de la péninsule indochinoise ».240
Avant la fondation du Lane Xang-Muang Swa (Luang Prabang), il y aurait ainsi trois sites et
deux groupes de peuplement préliminaire : 1- Souvannakhomkham ou le site de Xieng Saèn dans la
région de Chiangrai – Bokéo ; 2- le site de Xieng Khouang, de groupement Lao Tchok ; 3- le site de
Vieng Phu Kha, de groupement Lao Thaèn, se trouvant sur la route A3 entre Luang Nam Tha et
Houayxay. Sur ces sites apportons des précisions. A priori nous ne pouvons pas considérer d’emblée
les quatre sites (Xieng Saèn, Xieng Khouang, Vieng Phu Kha, Luang Prabang) comme des
fondations lao, puisqu’ils ont d’abord été occupés par les aborigènes, ensuite placés sous domination
mône et plus tard khmère. Ces derniers auraient laissé leurs empreintes dans la base de ces
établissements, qu’elles soient déterminantes ou non pour les établissements postérieurs.
Néanmoins, ces lieux ont aussi été des étapes d’occupation des Lao avant le XIVe siècle, même si
nous ignorons ce que ces derniers pouvaient y laisser ou contribuer au niveau spatial, avant qu’ils
aient fondé Luang Prabang. Ces étapes étaient uniquement septentrionales, leur localisation précise
actuelle pose problème : les textes les désignent par zones à l’intérieur ou proches desquelles il y
aurait des points d’émergence historique marqués.
238 Du point de vue scientifique les arguments matériels –textes et données archéologiques utilisés habituellement par les
historiens– sont, à ce jour, insuffisants pour soutenir de manière aisée les hypothèses de H. Rattanavong. Du point de vue
politique, il y aurait matière à lui reprocher le désir de justifier la prédominance de l’ethnicité lao au-delà de Xiang
Khouang et de Houaphanh, sur toute la région couvrant le pays des Tai rouges et des Tai noirs de Dien Bien Phu, et audelà
de Bokéo, couvrant le territoire du Lan Na et du Sip Song Phanh Na. Mais la critique ne serait pas fondée si nous
conçevons que les Etats d’origine tai sont fondés par les peuples d’ethnie tai, sans distinction de sous-groupes, avant que
l’histoire moderne ne vienne donner une interprétation moderne de l’État-Nation, donnant aux peuples de même ethnicité
des raisons politiques de se distinguer. A moins qu’il y ait réellement des raisons bien fondées de cette distinction : par exemple à partir des divergences idéologiques qui fondent le début des États-Nations. 239 Nithan Khun Bourom, version Vat Vixun de Phra Maha Thep Luang (Luang Prabang) et version de Xiang Khouang. 240 Vo Thu Tinh, Les origines du Laos. Op, cit. En ce qui concerne les regroupements des populations tai dans la
péninsule, le conception générale s’accorde sur le mouvement de migration venant du Nord. Alors que du point de vue
religieux –telle la conversion des Tai au bouddhisme– l’épigraphie ainsi que les vestiges archéologiques, majoritairement
religieux et cultuels, suggèrent un mouvement inverse venant du Sud et de l’Ouest, notamment cinghalais. Cela donne lieu
à des hypothèses qui compliquent les choses et qui peuvent exercer une influence déterminante sur la nature des
implantations : des implantations lao primitives sans le bouddhisme ou avec le bouddhisme, auraient été tout à fait
différentes. L’histoire des conversions confessionnelles nous interpelle, non pas pour des raisons religieuses, mais pour
des raisons spatiales. Car chez les Lao (1e Partie. II.II.b), l’intérêt porté à la religion –dévotion royale– induit
traditionnellement la construction des espaces religieux, symboliquement garants d’un pouvoir “ éclairé ” et spatialement
générateurs de certains types d’occupation. Par exemple dans une période tardive, les monuments religieux par leurs
modes de gestion et de production –produits par un type de pouvoir– peuvent générer des unités urbaines et villageoises.
C’est dire l’importance et le rôle de la pratique religieuse de la classe dominante. Lorrillard note que le bouddhisme
cinghalais gagne d’abord la Birmanie avant d’atteindre les royaumes tai du Sud et le Lan Na. Et qu’ensuite à partir de Lan
Na il s’est répandu au Lane Xang. « Les inscriptions du That Luang de Vientiane : données nouvelles sur l’histoire d’un
stupa lao ». M. Lorrillard, BEFEO, 2003-2004 N°90-91. Il y a donc trois scénarios possibles : 1- Au moment où les Lao
sont arrivés dans le Laos actuel, ils seraient dépourvus de toute connaissance du bouddhisme. Une fois sur place ils
auraient été influencés par les croyances des autochtones qui auraient connu auparavant des vagues de conversion avec les
missions venant du Sud. 2- Ils auraient déjà été au contact avec le bouddhisme dans le Nord, tantriste ou peut-être
mahayaniste. Et en se glissant vers le Sud, ils auraient abandonné le bouddhisme du Nord en adoptant le bouddhisme du
Sud. Ceci fonctionnerait surtout pour le Sud du Laos. Car dans le Nord, certains groupes lü du Haut Mékong continuent de
nos jours à pratiquer un bouddhisme mahayaniste. 3- Quel que soit le scénario, les Lao auraient connu plus tard un
bouddhisme réformé, que Lorrillard identifie comme un mouvement d’inspiration cinghalaise passant par Chiangmai et
arrivé au Laos autour de la première moitié du XVIe siècle.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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De ces mythes, nous retenons les villes du Nord comme principales pistes d’analyse :
Luang Prabang, comme la plus importante étape, sans doute la plus ancienne que nous pouvons
trouver au Laos en tant que forme urbaine vivante et ininterrompue ; Vieng Phou Kha, un village
devenu district sans importance, mais possédant des vestiges de fortification de forme particulière,
qui a été évoquée dans le Nithan Khun Bourom et aussi dans la chronique orale de la fondation de
Xieng Khaèng (Jyn Khèng), l’une des anciennes chefferies lü241 ; Muang Phouan Xieng Khouang lié
au roman épique semi-historique Thao Hung Thao Tch’ueng242 ; Muang Xieng Saèn, région d’où
serait venu Thao Tch’ueng. Nous nous intéressons aussi à Chiangmai et à Vieng Kum Kam, parce
que leurs fondateurs auraient eu un lien dynastique avec Xieng Saèn. Ces villes et ces implantations
auraient été liées entre elles par des liens de parenté, de suzeraineté ou de vassalité et auraient formé
un réseau d’échanges culturels, commerciaux et de savoir-faire, voire, de gouvernance. Ceci aurait
dû rapprocher les établissements entre eux au niveau de la forme et de la gouvernance, même si les
vestiges archéologiques et les inscriptions ne donnent que des informations fragmentées, et les
annales les concernant, empreintes de légendes qu’il faut dépouiller.
Comme nous l’avons noté, les implantations lao en tant que chefferie peuvent remonter au
VIIIe siècle. Et la pauvreté avérée des vestiges archéologiques (découverts à ce jour) est un obstacle
majeur pour valider l’hypothèse de la présence des Tai dans le Nord-est et Nord-ouest au IIIe siècle
avant J.C, comme il a été signalé dans le Tamnan Singhanavati par la présence éventuelle des Lao
Tchok.
243 Mais cette hypothèse permet d’élargir les champs de notre étude sur plusieurs sites, dont
la compréhension du type et du mode d’occupation serait profitable pour la compréhension des
anciens établissements ; pour ne pas considérer les implantations lao comme des émergences
spontanées –situation improbable– mais comme des émergences politiques et matérielles graduelles
dans le temps et dans l’espace. Celles-ci passeraient par des luttes, des compromis, des cohabitations
et probablement des mélanges durant plusieurs siècles avant une immigration plus signification dans
les siècles qui ont suivi, comme le fait remarquer Coedès en parlant d’effervescence tai.
En ce qui concerne les mythes des origines du Nan Chao, les Tai Lao du Lane Xang les
revendiquent traditionnellement dans leur Nithan Khun Bourom, les Gnouans du Lan Na, dans leurs
annales Singhanavati.244 Alors que les Siamois de Sukhothai et d’Ayuthia ne semblent pas les
revendiquer dans leur chronique. En reprenant les points de vue de Luce, de Phoumsak, de
Griswold, de Coedès et de Hall sur la question,245 ces chefferies tai ont dû avoir un lien historique
important avec le Nan Chao. La lecture du Singhanavati et du Thao Hung Thao Tch’ueng, montre
que le glissement des Tai vers le Sud est un phénomène complexe. Néanmoins, on peut retenir de
ces mythes que : 1- les établissements septentrionaux avant le XIIIe siècle peuvent être aussi
d’origine tai et non exclusivement mône et khmère ; 2- les implantations lao primitives auraient été
réalisées à partir de deux branches : la branche Thao Tch’ueng de Xieng Saèn et la branche Khun
241 D’après Lafont P-B, Le royaume de Jyn Khen, chronique d’un royaume tay Loe 2 du haut Mékong (XVe
-XXe siècle),
L’Harmattan, Paris, 1998 ; et d’après les notes d’enquête de terrain menée en février 2008 pour cette thèse. 242 Le Nithan Khun Bourom fait partie des deux ouvrages fondamentaux (le 2e étant le Phongsavadan lao) exploités par
les historiens occidentaux pour l’histoire ancienne du Laos, tandis que Thao Hung Thao Tch’ueng est consigné comme
une littérature. Pour les historiens lao, les deux ont quasiment la même valeur du point de vue historique. Ces derniers ontils
une autre grille de lecture différente de la méthode scientifique occidentale pour considérer Thao Hung Thao Tch’ueng
comme un ouvrage d’histoire ? Pour notre recherche nous considérons l’une et l’autre considérations. 243 L’idée de la présence des Lao Tchok à Xieng Saèn et Chiangrai a été suggérée par Chit Phoumsak d’après son étude du
Singhanawati. (Op, cit). En admettant que ces Lao Tchok existaient, il serait probable que ces derniers avaient dû faire
partie des premiers groupes des proto-Tai, signalés par Wyatt. Op., cit. 244 Singhanavati parle de la fondation du Yolnok dans la région de Chiangrai par un ancêtre tai venu du Yunnan 800 ans
avant la fondation du Nan Chao vers le IIIe siècle avant J-C. Bien que les historiens ne réfutent pas l’idée de la présence
tai dans la péninsule avant le VIIIe siècle, le IIIe siècle avant notre ère, avancé par l’historiographie thaïs est contesté. 245 Op. Cit. note 224.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Bourom de Muang Thaèn ; 3- un métissage môn-tai aurait été probable, notamment pour la
fondation de Chiangrai et de Chiangmai.246
Les rares et lentes découvertes archéologiques et épigraphiques en cours et à venir,
additionnées aux interprétations nouvelles des annales et des légendes, devraient progressivement
dévoiler les liens entre les mythes et l’histoire. Ceci devrait aussi forger des recherches sur un
territoire plus large, en réseau et non limitées par les frontières des États actuels, et en
interdisciplinarité, réunissant l’histoire et l’anthropologie à l’analyse spatiale proprement dite. Cela
signifie qu’une monographie n’est pas appropriée sans une étude large et comparative des sites de
toute la région, et qu’une étude purement historique risque de rencontrer plus d’obstacles. Les
études en termes de réseau n’ont pas été possibles jusqu’à ce jour, donc aucune recherche
transversale approfondie n’a pu être menée. Par contre, il semble que les études monographiques
sont bien avancées dans le territoire thaïlandais, puisqu’un musée est construit à Chiang Saèn
établissant des faits et des interprétations historiques.247 De ce fait, les études thaïes paraissent plus
abouties et donc plus fermées aux perspectives nouvelles, alors que du côté lao les recherches
restent lacunaires, sans investigations importantes, elles seraient plus ouvertes aux nouvelles
hypothèses.
I. I. b. Les principes des implantations khmères, mônes et lao tai
La compréhension des implantations mônes et khmères au Laos et de leur mode de prise
de site ainsi que leurs études comparatives permettent d’identifier les principes des implantations lao
et souligner la particularité de leur morphologie. Les implantations lao se distinguent des
implantations mônes et en particulier des implantations khmères. Celles-ci, en tant que grande cité,
par leur taille et par le pouvoir qu’elles exercent,248 est un modèle spatial incontesté, un marqueur
territorial de la quasi-totalité de la péninsule. Les fondations lao se sont souvent implantées dans ou
proches de leurs anciens périmètres. Cependant, nous ne trouvons pas d’exemple de réutilisation par
les Lao de leurs anciens sites urbains, sans doute pour des questions inhérentes à la forme de
l’espace elle-même. Si le culte bouddhiste, voire le culte hindouiste, se transmettaient d’une
communauté à l’autre, le sens symbolique de l’espace khmer et lao, leur compréhension, leur culture
ainsi que leur pratique ne semblent pas se prolonger les uns dans les autres : on suppose que les
villes pré-angkoriennes et khmères ne seraient plus que des villes mortes et s’effaceraient
graduellement si les Lao réoccupaient leur site. C’est le cas par exemple de la ville ancienne à
Champassak dont il ne reste que des vestiges. Malgré la durée et la persistance de leurs traces, les
vestiges archéologiques khmers ne témoignent que de cette rupture d’usage et d’une continuité
quasi-impossible avec les implantations lao. Par contre, des exemples sont nombreux quant à la
réutilisation des monuments et des objets cultuels : changement de culte avec des modifications
picturales et architecturales, réutilisation des matériaux, etc. Un monument peut servir tour à tour,
d’abord le culte bouddhiste puis hindouiste et de nouveau, le culte bouddhiste.
Alors que le monde môn et le monde khmer ont été associés par les historiens et les
anthropologues, pour leur rapprochement ethnolinguistique et leur héritage artistique, notre étude les
distingue à bien des égards. Au Laos, les implantations lao possèdent des caractéristiques proches
246 A propos des liens Môns-Tai, l’arbre généalogique des dirigeants de Lan Na proposé par Jean Ripaud indique que la
mère de Mengrai est une princesse lü du Sip Song Phanh Na,. In. Ripaud, Les geste de P’aya Xüan ou le Lane Na au XIIe
siècle. 247 En 1957, le sala de Vat Chédi Luang sert de salle de dépôts et de collectes des artifacts provenant des exclavations des
ruines de Chiang Saèn. En 1997 le musée lui-même, inauguré par la Princesse Maha Chakri Sirindhorn, renferme les
fragments de l’histoire de Chiang Saèn, sa préhistoire et son ethnographie. 248 Même si elle n’a pas duré aussi longtemps que le montrent ses traces archéologiques et ses influences artistiques,
l’Empire khmer avait maintenu sous son autorité les aborigènes ainsi que les Tai jusqu’à la fondation tardive de leurs
cités : les Tai auraient été dans le territoire dès le VIIe et VIIIe siècle et auraient installé des chefferies en “ tâches d’huile ”
avant de fonder des cités. Sukhothai a été fondé par Rama Kham Hèng vers 1292, Chiangmai par Mengraï vers 1297,
Ayuthia par U-Thong vers 1350 et Lane Xang par F’a-Ngoum en 1360.
Fig. 29. That
InhengDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 183 -
des implantations mônes, autant qu’elles peuvent être fondamentalement distinctes des
implantations khmères. Cette distinction ne peut être justifiée ni du point de vue culturel, ni
ethnolinguistique mais plutôt du point de vue conceptuel, voire, idéologique.
Les implantations khmères
Nous comprenons essentiellement trois choses dans les sites pré-angkoriens, en
considérant le complexe archéologique de Vat Phù et de Tomo. Ces deux exemples ne sont sans
doute pas les plus explicites du fait qu’ils font plutôt partie du centre du Tchen-la.249 Mais comme
nous l’avons noté, à l’instar du Fou Nan, le Tchen-la a transmis des traits de son héritage artistique
et politique à Angkor. Ce qui devrait nous permettre de comprendre certains traits de la cité khmère
à travers quelques sites au Laos, tout en émettant une réserve sur le fait que le passage du Tchen-la à
l’empire angkorien correspond aussi au passage du culte de roi Maharaja au culte de roi Devaraja.250
Ceci devrait avoir une importance pour la structure de la ville angkorienne et expliciter une certaine
démarcation. A Vat Phù la dévotion, vue à travers les monuments, est dédiée au culte du dieu Shiva.
Les Maharaja (rois des rois) viennent rendre hommage au dieu Shiva. Alors qu’à Angkor le culte
des dieux est associé au culte des rois dieux, des Devaraja, qui deviennent eux-mêmes objet de culte
symbolisé par la fondation de leur ville idéale avec au centre la représentation du mont Méru, une
résidence sacrée où la vie des monarques représente elle-même le séjour divin.
Le rapport à l’eau, le potentiel symbolique et paysager, la volonté de dominer la nature, la
grandeur de l’homme élevée à l’image des divinités.
A Vat Phù la présence de l’eau –sacrée ou profane– est essentielle. L’eau sacrée venant du sommet
de la montagne et traversant son cœur est recueillie dans les fentes des roches en haut derrière le
sanctuaire. Elle symbolise la vie née de la communion entre le masculin, symbolisé par le shiva
linga (linga pavata) au sommet du mont, et le féminin symbolisé par le yoni et la source d’eau.
C’est l’expression du culte shivaïte et de la disparition de l’antagonisme féminin-masculin. Quant à
l’eau utilisée pour l’agriculture ou les réjouissances, les cités khmères ne viennent pas à elle comme
le feraient les Lao dans la plupart de leurs cités en bord de fleuve ou dans les bassins-versants de
fleuve, mais préfèrent s’en éloigner et prendre de la distance. Dans le site de Tomo –antérieur d’un
siècle à Vat Phu– le culte de Shiva est pratiqué sur les dalles de pierre dans le lit même du fleuve
alors que les temples sont bâtis en retrait du fleuve avec un accès par la rivière.251 A Vat Phu,
l’éloignement des temples par rapport au fleuve est plus marqué et mis en évidence par la création
des bassins. A Angkor cet éloignement est parfaitement maîtrisé, permis par un ingénieux système
de réseau hydraulique. Avec les canaux et les baray qui forment les pièces maîtresses, l’eau est
présent jusqu’au pied des constructions. On crée ainsi par contraste avec la nature environnant un
paysage artificiel, grandiose, à la ligne pure. L’eau était importante, sa parfaite maitrise garantissait
la domination économique et politique, symbolisait la grandeur et la puissance de l’empire. Les
chefferies tai dans le bassin de la Ménam et du Mékong auraient payé tribut à Angkor par des jarres
d’eau et d’eau-de-vie qu’elles faisaient acheminer jusqu’à la grande cité par charrettes à bœufs.252
249 Le début de l’Empire khmer a été fixé au moment du sacre de Jayavarman II en 802 sur le Mont Mahendra,
aujourd’hui identifié au Phnom Khulen et dont la capitale porte le nom de Haribarālaya. Cf. Giteau M. Op, cit. 250 Le Maharaja (maha, grand et raja, roi) est le système du roi universel, alors que le Devaraja (deva, dieu et raja, roi)
celui du roi-dieu auquel de véritables cultes sont consacrés. D’après l’épigraphie khmère annotée par Hoshino,
Jayavarman II « institue le culte Dévarāja au lieu de Maharaja […] pour que le pays des Kambujas ne fut plus dépendant
de Java ». Il insiste sur le fait que l’Empire khmer se forme en se libérant de l’emprise nordique et non sudiste
javanaise (!) et suggère que la tradition des Maharaja n’est pas exclusivement malayo-indonésienne mais aussi nordique.
D’après les documents anciens de Chine et du Yunnan, il constate que le terme Mo He Luo Cho qui serait une corruption
de Maha luang chao [,tsks];’g9Qk], est l’un des trois qualificatifs des souverains du Nan Chao. 251 On retrouve sur des dalles de pierre dans le fleuve à la saison sèche des yoni et des lingams parfaitement conservés. 252 D’après Robert Ajouc, l’une des causes de la fin de l’empire khmer et de l’émergence des royaumes tai pourrait être
l’avancée technique de ces derniers qui auraient inventé des récipients légers et étanches pour transporter de l’eau jusqu’à
Angkor en signe d’allégeance, les jarres en terre cuite étant lourdes, difficiles à transporter et nécessitant beaucoup de
moyens en hommes, en bêtes et en matériels. Encore aujourd’hui, les jarres font partie des objets rituels royaux de la
Thaïlande, rappelant sans doute la victoire sur cette ancienne vassalité. Dans le Phongsavadan lao il n’est pas mentionné
au XIVe siècle que le Lane Xang paie tribut à Angkor. Il ne paie sans doute plus au moment où F’a-Ngoum accède au
Fig. 30. Site Pré
angkorien
de Vat PhuDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Dans leur ensemble, les cités khmères monumentales et urbaines seraient des “ prédatrices ”
économiques, mobilisant en permanence de la main d’œuvre rurale et paysanne, et sans doute aussi
celle des prisonniers de guerre ou des esclaves, puisqu’elles ne cessent d’être en construction.
Chaque construction aurait duré plusieurs dizaines d’années et nécessitant toujours davantage de
main-d’œuvre d’esclaves et prisonniers de guerre provenant des régions annexées.253 Elles sont
également de grandes consommatrices de territoire : la plupart des rois khmers construisent leur
propre cité chaque fois qu’ils accèdent au pouvoir. Ainsi, les cités khmères consacrées aux rois et
aux divinités se multiplient-elles sans cesse, à la conquête des sites grandioses, jusqu’à l’épuisement
pour couvrir presque en totalité un vaste territoire qu’ils n’arrivent plus à contrôler. La faiblesse de
ces cités serait justement leur immensité et leur grandeur, face aux vassaux tai de la Ménam et du
Mékong qui attendent le moindre signe de faiblesse pour s’émanciper. Aussi, de ces cités, subsistent
de grands monuments à caractères religieux, les réseaux d’ouvrages hydrauliques, les routes qui
marquent le territoire. Contrairement à ces édifices et ces temples dédiés aux rois et aux prêtres,
élevés au rang des divinités,
254 les occupations non-religieuses et non aristocratiques, concentrant
des habitations civiles ou paysannes et s’organisant en unité urbaine, sont fragiles et subsistent peu.
Les habitations du peuple chez les Khmers seraient finalement assez proches de celles des Tai, dans
leur fragilité et leur vulnérabilité.255 Cet écart entre l’habitat du peuple et ceux des rois et des
divinités marque déjà une différence fondamentale entre la société khmère et la société lao. Chez ces
derniers, il y a moins d’écart entre le temple, l’habitat des rois et celui du peuple. Cette différence
induit forcément un mode de production et une organisation sociale et spatiale distincte.
Les implantations mônes
Les sites môns du Laos ne sont sans doute pas les plus représentatifs parmi les sites môns
qui s’implantent dans un très vaste territoire, depuis la plaine de Vientiane jusqu'au Myanmar,
puisqu’on est essentiellement en présence de sites religieux. Cependant, ils ont le mérite de
représenter des occupations non-khmères qui mettent en évidence une insertion paysagère et
territoriale aussi grandiose, exerçant une influence sur les Lao lorsque ces derniers se déploient sur
le territoire.
Les sites môns de Vang Sang et de Dane Soung dans la région de Vientiane sont à peu
près de la même période. L’année 928 est inscrite à Vang Sang.256 L’art môn primitif est explicite ici
par l’aspect angulaire du visage des bouddhas sculptés et par l’architecture “ minimaliste ” du
sanctuaire. L’état actuel du site montre un sanctuaire à ciel ouvert où les effigies de Bouddha sont
juste gravées sur le flanc des parois rocheuses fendues et déstructurées par les affaissements de
pouvoir. La puissance d’Angkor commence à décliner au fur à mesure que les chefferies tai s’organisent jusqu’à
l’avènement de leur fondation. Par ailleurs doit-on interpréter “ l’adoption ” d’un prince tai (F’a-Ngoum) en exil puis
l’alliance matrimoniale entre ce dernier et une princesse angkorienne (Kéo Kèngna) comme un désir des rois Khmers de
se rallier à l’une des deux nouvelles puissances tai de la péninsule afin de maintenir la puissance de l’empire menacée par
l’un des deux États tai.
253 L’un des bas-reliefs d’Angkor aurait montré des soldats siamois de Lopburi ou de Sukhothai ? En réalité qui sont-ils :
prisonniers de guerre, troupe armée, troupe d’ouvriers ? L’épigraphie Cham signale qu’il y avait quatre exemples
d’esclave tai (siamois ?) du XIe au XIIIe siècle. Cf. Aymonier, cité par Pelliot. BEFEO. IV, p. 236, et par Hoshino. Cf., également Phoumsak, op, cit. 254 Les découvertes archéologiques récentes, renforcées par la télédétection et la prospection, ont mis au jour une
nappe bâtie non monumentale dans la région d’Angkor : des ruines de constructions plus ou moins modestes, bassins,
chaussées de voirie, réservoirs, canaux, casiers et diguettes de rizières, etc., témoignant d’une densité d’établissements
urbains et villageois et d’une gestion exemplaire de l’eau par le “ service public ” angkorien. Malgré cela, l’habitat du
simple peuple ne relève pas du même mode de production que celui des classes dominantes. 255 Les travaux de Jacques Gaucher réalisés sur la ville d’Angkor Thom révèlent la densité et l’importance passée de la
couche urbaine avec ses constructions non monumentales, celles du simple peuple et du paysan accompagnant à l’origine
les monuments. Fragiles, celles-ci disparaissent avec le temps, seules subsistent dans le sol les couches des fondations et
les objets usuels divers.
256 D’après Giteau il s’agit de la petite ère 9l 928, c'est-à-dire 1566 en ère chrétienne, et 2115 en ère bouddhiste. S’il s’agit
de l’ère bouddhique l’année 928 correspondrait à l’an 385 de l’ère chrétienne. Il serait probable que les Môns soient déjà
présents autour de cette date : les établissements môns seraient situés entre le premier siècle avant E-C et le VIIe après EC.
Gagneux donne une date approximative entre le XIIe et le XIVe siècle. Hoshino situe les bouddha de Vang Sang
comme appartenant au même art que les sculptures rupestres Phra Chao Tù de Chayaphoum (Thaïlande) dit art de
Lopburi, qui pourrait dater du VIIe siècle.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Fig. 32. Le Site
de Vang Sang.
terrain et la prolifération de la végétation, suggérant une occupation sans construction. En réalité, le
petit ensemble religieux serait construit dans une cavité aménagée en une salle voûtée, munie d’une
entrée ouvragée : une grande baie d’entrée en forme de feuille de Banian avec des vantaux
probablement en bois, dont les goujons peuvent être aperçus dans les parois. Il est probable que la
voûte se soit écroulée et que la salle elle-même se soit fendue après. Le site se trouve sur la rive
Ouest de la rivière Nam Chèng. L’entrée du site (la porte de la salle voûtée) et l’orientation des
statuettes sont, par conséquent, à peu près face à l’Est et donnent immédiatement sur la rivière.
Dans le site de Dane Phra, les bas-reliefs de Bouddha, taillés dans les parois d’une faille de
grès rose d’un vaste plateau de roche bombé et tortueux traversé par une coulée de ruisseau dont le
fond est naturellement minéralisé, ont été retouchés ultérieurement par les Lao. Ré-enduits, les
statuettes ont été “ laocisées ” et certaines d’entre elles d’origine lao ont été ajoutées
postérieurement, et le site nettement réinvesti. La facture d’origine de ces bas-reliefs est peu
identifiable, seules quelques statuettes en pierre de Bouddha parés, tombées au fond du ruisseau
attestent l’origine non-lao du site. C’est un ermitage avec très peu de constructions : un abri de
l’empreinte du pied de Bouddha et un petit stupa. Le plateau gréseux sur lequel le site religieux est
aménagé s’étend sur plusieurs kilomètres et reste intact. Il est important d’émettre cette remarque, si
le site était khmer, il serait devenu sans doute une véritable carrière d’exploitation de grès rose pour
leur temple. Les plateaux de grès des deux sites se rejoignent et semblent appartenir à la même
couche géologique ; le ruisseau au fond minéral se jette dans la rivière Nam Cheng. Celle-ci passe
ensuite par le site de Vang Sang.
Dane Soung, un autre ermitage bouddhique, construit comme un temple troglodyte, est
aménagé sur un plateau de grès qui domine la vue de la plaine de Vientiane. Le sanctuaire naturel
renferme des statues de bouddha au style rupestre : corps grossiers et amassés, visages
khmérisants (les traits sont plus arrondis, les lèvres charnues, contrairement à ceux de Vang Xang
qui sont nettement plus fins et plus angulaires.) Les quatre sema trouvés aux quatre points cardinaux
autour du sanctuaire ne donnent pas d’informations. Et bien que de nombreuses stèles khmères aient
été découvertes dans la plaine cela ne signifie pas que le site de Dane Soung soit d’origine khmère.
Car il est tout à fait possible qu’un site môn puisse côtoyer un site khmer à une petite distance, qu’ils
soient contemporains ou pas l’un par rapport à l’autre.257 Il semble qu’il y a coexistence entre
Khmers –plutôt hindouistes, et Môns –plutôt bouddhistes.
Nous serions tentés de qualifier “ d’art provincial ” les sites môns au Laos et leur art, si
nous considérons que le centre de leur rayonnement se situe plutôt vers Nakhon Pathom et plus tard
vers Nakhone Phnom et que nous ignorions pendant longtemps qu’ils aient pu occuper une partie
importante du Laos, en tous les cas jusqu’à la découverte du bouddha et de la stèle de Ban Thalat à
une cinquantaine de kilomètres au nord de Vientiane.258 Cependant, à l’heure actuelle nous ne
trouvons pas au Laos de vestiges architecturaux et urbains d’origine mône : la région du Laos serait
une zone périphérique ou décentrée de l’Etat môn, où seuls sont diffusés un art un peu secondaire,
des modèles d’établissements peu structurés (?), en tous les cas un art moins canonique que celui
des centres. Cependant, les sites môns du Laos ne sont pas dépourvus d’intérêt, au contraire : style,
conception spatiale et insertion paysagère épurée. C’est sans doute ce côté qui a le plus influencé les
Lao. Ces derniers auraient mieux compris et assimilé cette forme d’insertion que celle des Khmers.
Différentes du Laos, les villes mônes de Lamphun et de Wien Kum Kam présentent une architecture
et un art identifiable et des sites urbains brillants.
257 A quelques kilomètres à du site de Dan Soung –à ban Nasonne– des vestiges (stèles et bornes) ont été mis au jour en
2005. L’une des stèles représente un linga et une autre montre l’empreinte en relief d’un stupa, le reste avec et sans
inscriptions. Ceci explicite ainsi, à la fois le culte shivaïte et le culte bouddhiste. Dane Soung, « plateau de pierre, de grès
situé en hauteur », est une appellation lao, le nom d’origine n’est pas connu. 258 La statue du Bouddha et la stèle, ont été découverts en 1968 à Ban Thalat à cinquante kilomètres au Nord de Vientiane,
dans le confluent de la Nam Lik et de la Nam Ngum. Plus raffiné que les figures de Dan Phra et de Vang Sang les
historiens classent la statue dans l’art de Dvaravati, tout en notant l’éloignement de ces vestiges par rapport au site de
Dvaravati. Cf. Gagneux.
Fig. 31. Le Site de
Dane Soung..Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les implantations lao tai
Aucune implantation lao n’a été construite sur un site artificiellement, dans le sens où
aucun détournement du milieu naturel n’a été réalisé pour elle. Si le processus d’intégration dans la
nature est le principe fondamental des fondations lao. A l’échelle de la citadelle, Luang Prabang a
été une sublimation de la rencontre entre la Nam Khane et le Mékong. Elle forme une péninsule qui
prend de la hauteur avec le Mont Phou Si. Celui-ci domine la cité qui y fonde son centre sacré. A
l’échelle du territoire le même schéma se reproduit : le Mékong et la Nam Ôu, en se rejoignant au
nord du territoire de Luang Prabang, forment un havre, un vang [;a’], de forme évasée. Depuis la
falaise où naît un lieu sacré, aménagé dans une cavité taillée naturellement dans la roche (Tham
Ting), des multitudes de statuettes de bouddha contemplent l’embouchure de la Nam Ôu. Ces deux
échelles illustrent par excellence la rencontre de deux confluents (situation de prédilection des lieux
sacrés) et l’insertion d’une cité haute dans un paysage naturel de fleuve et de montagne. Luang
Prabang fonde ainsi la sacralisation de son centre sur le plan de gravitation naturel du mont Phou Si.
Son existence est liée à l’effet du mouvement giratoire né de la rencontre entre le Mékong et la Nam
Khan, bordant chaque côté de la Péninsule, d’où le caractère sacré des embouchures des cours d’eau
dans la plupart des implantations lao.
Autrement dit les implantations lao s’appuient sur la situation topographique et
hydrographique des sites, sur leur permanence ou leur impermanence, elles s’insèrent dans
l’environnement existant tel quel. Dans certains cas, elles reconstituent et subliment le contexte de
leur environnement géographique à l’intérieur de leur espace pour en constituer leur principe spatial.
Le cas de Luang Prabang est exemplaire : l’effet du mouvement giratoire, créé par la jonction entre
le courant de la Nam Kane et du Mékong et formant la péninsule avec le mont Phou Si au centre, est
directement lié à la sacralisation des embouchures des fleuves. D’après le principe théorique du
Mandala la forme carrée et la forme ronde sont nées du même principe formel : l’une dérive
réciproquement de l’autre à travers le mouvement giratoire et centrifuge. Les moines tibétains les
utilisent pour forger la concentration mentale dans la pratique de la méditation. Elles symbolisent
aussi la cité céleste avant de devenir la forme du plan de la ville elle-même.259 Ainsi, les villes
comme Jérusalem, Péking ou Angkor sont-elles ces cités célestes idéales. Les anthropologues
qualifient également le système politico-religieux des cités tai et de leur organisation sociopolitique
suivant le modèle du Mandala, avec le rayonnement du pouvoir central.260 Faut-il pour autant
conclure que le principe formel et le schéma symbolique de Luang Prabang dérivent du Mandala,
influencés par l’idéologie tantrique et le culte védique. Il pourrait sans doute en être ainsi.261 Quoi
qu’il en soit nous retenons que le mouvement giratoire centrifuge né de la jonction entre deux cours
d’eau (situation des embouchures comme à Pak Khane à Luang Prabang) a son importance sur
l’aspect symbolique des villes lao tai, qu’il relie ou pas du point de vue conceptuel, la forme
organique à la forme géométrique et carrée des villes.
La quasi-totalité des villes lao est ainsi de forme organique. Alors que Luang Nam Tha
adopte une forme mixte, Muang Sing dont le plan est un carré parfait est une exception,
probablement aussi par sa situation géographique singulière. La ville s’implante dans une plaine
d’une planimétrie exemplaire, où la présence de l’eau malgré son importance, n’apporte pas une
grande incidence sur le tracé de la ville. A travers ces exemples on peut noter deux choses
significatives : 1- lorsque le sol présente une régularité telle qu’à Muang Sing, il semble offrir à la
ville une possibilité plus grande dans sa recherche de tracé régulier (hormis l’influence possible du
mandala), 2- dans le cas contraire les conditions accidentées du sol –notamment topographiques–
259 Encyclopédie des symboles, coll. Encyclopédies d’aujourd’hui, éd. La Pochothèque - livre de poche, sous la direction
de Michel Cazenave, 1996. Voir « Mandala » et « ville ». 260 Les auteurs qui ont attribué le principe du mandala au muang des Tai sont notamment Wyatt DK. et Stuart-Fox M. 261 C. G. Jung. Psychologie et orientalisme, éd. Albin Michel, 1985.
Fig. 33. Le
schéma
symbolique de
Luang PrabangDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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n’auraient pas permis la construction de ville en forme régulière. Les villes lao étant majoritairement
organiques, liées donc à leur situation géographique montagneuse.
A propos du contexte géographique, s’agissant des situations grandioses ou aléatoires,
telles que l’érosion du fleuve et les lignes de côte accidentées, dans lesquelles les villes lao
s’inscrivent, il est intéressant de prendre comme exemple l’établissement de Xieng Saèn ou
Souvannakhomkham.262 Michel Lorrillard263 suggère que Souvannakhomkham qui est identifié à
Muang Tonh Pheung actuel sur la rive gauche du Mékong est bien l’ancienne ville de Xieng Saèn et
une partie de la cité aurait été sur la rive droite à l’embouchure de la Nam Kok. La ville de Chiang
Saèn actuelle264 qui se trouve en amont sur la rive droite aurait probablement été postérieure à
l’ancienne Xieng Saèn, suite à son “ engloutissement ” dans le Mékong et son abandon par ses
habitants. La renaissance de la nouvelle Chiang Saèn en amont sur la rive opposée de l’ancienne
Xieng Saèn engloutie est curieuse alors qu’elle pouvait se reconstruire plus loin et à l’abri de
l’inondation et de l’érosion qui ont été la cause de la destruction de la ville ancienne. Force est de
constater que ces aléas géographiques menaçants n’ont pas convaincu ses constructeurs qui
attribuent l’engloutissement de la ville aux mythes. D’après la légende, ce ne serait pas l’érosion et
le contexte géographique du site qui ont causé la disparition de la ville, mais la “ punition du
Naga ” : les habitants de Xieng Saèn auraient abusé et malmené les marchands de Muang Swa,
descendants des Nagas (symbole de la dynastie autochtone dans la mythologie indienne). Ceux-ci
les auraient alors maudits.265
I. II. Les modes et les modèles d’occupation de l’espace avant la fondation
de Vientiane
Les données anthropologiques et les sites d’implantation primitive explicitent l’existence de
trois populations qui ont occupé et façonné le territoire avant les Lao Tai : ce sont les Proto
Indochinois, les Môns, les Khmers et les populations tai de souche ancienne. Les actes et les rituels
de fondation, ou les éléments ayant un rapport avec leur installation, explicitent l’organisation
spatiale et les idées qui les ont conduits. C’est une manière d’approcher les établissements anciens
qui ont pré-existé à l’espace lao tai, que nous avons abordé et synthétisé précédemment. Nous
tentons d’aborder dans ce sous chapitre la question de mode et de modèle de ces établissements.
Pour appréhender la longue période qui a précédé le règne de Sethathirat, nous distinguons
deux périodes : celle d’avant le sacre de F’a-Ngoum et celle qui s’étend entre cet événement et la
période de transfert de la capitale de Luang Prabang à Vientiane.266 Cependant, la période avant le
sacre de F’a-Ngoum est floue en terme d’organisation de l’espace, alors que celle après serait plus
lisible, même si l’essentiel des données nous parvient seulement du Phongsavadan, et de certaines
262 H. Rattanavong a identifié Muang Souvannakhomkham de la chronique du même nom au site archéologique de Muang
Tonh Pheung. In : Houmphanh Rattanavong, Souvannakhomkham, boranasathan heng sat lao, Souvannakhomkham - an
ancient city of Laos, ministère de l’Information et de la Culture, Vientiane, 1999. 263 « Souvanna Khom Kham ou Chiang Saèn rive gauche ? Note sur un site archéologique lao récemment découvert »,
Michel Lorrillard, Aséanie 5, juin 2000, pp. 57-68. 264 Ici nous écrivons Chiang Saèn avec Ch pour désigner la ville de Chiang Saèn se trouvant sur la rive thaïlandaise
actuelle (rive droite). Nous écrivons Xieng Saèn [-P’clo] avec X pour désigner l’ancienne cité de Xieng Saèn, le site
archéologique de Muang Thonh Pheung actuellement se trouvant sur la berge laotienne (rive gauche), il serait également
appelé Muang Souvannakhomkham d’après les annales du même nom.
265 H. Rattanavong. Op, cit. 266 Nous évoquons “ le sacre de F’a-Ngoum ” pour signifier l’événement le concernant et revisiter le concept de
“ fondation du Lane Xang ” tant galvaudé : l’événement appartenant au champ historique, posent problème en terme
spatiale. Une rupture à la fois spatiale et sociale par rapport à la période qui lui précède semble se dégager du concept de
“ fondation du Lane Xang ”. Or de ce point de vue il ne semble pas y avoir une quelconque rupture : le retour d’exil de
F’a-Ngoum aurait dû être vu et compris comme tel. Cela n’aurait pas dû être un événement miraculeux, mais un fait qui
s’inscrit globalement dans une logique de “ l’effervescence tai ”, marquant l’aboutissement de leur “ glissement vers le
Sud ”, de la consolidation de leur organisations sociale et surtout de leur pouvoir, installé dans le haut et le moyen
Mékong, commencé probablement depuis le VIIIe siècle, comme nous l’avons suggéré précédemment.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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chroniques et récits des émergences sociopolitiques voisines.267 Dans les deux périodes, la
perception de l’organisation sociopolitique des Lao Tai, probablement déjà bien organisée avec la
structure du muang (au moins dans la deuxième période), semble donner à cet espace une certaine
configuration. C’est ce que nous essayons de comprendre selon deux perspectives : la première est
la manière de constituer et de maitriser le territoire, d’utiliser les terres. La seconde est la nécessité
de regrouper et de contrôler les hommes, parallèlement à la tentative de formation des unités
politiques.
I. II. a. La constitution et la maîtrise du territoire
Le processus de constitution et de maitrise du territoire, d’utilisation des terres a peu à peu
été déplacé du discours légendaire et mythique vers une certaine réalité historique. Ceci, à partir de
la période où la personnalité de F’a-Ngoum émerge lui aussi de l’univers des mythes. Le retour de
l’exil de ce prince du Cambodge au pays lao aurait été un fait historique268 placé dans un contexte
politique adéquat. Dans le premier quart du XIVe siècle, d’après les historiens, le Laos –qu’il se
nommait ou pas Lane Xang– devrait être encore vassal d’Angkor, même si la guerre avec les
Siamois de Sukkhothaï et d’Ayuthia avait affaibli la grande cité. L’accueil des exilés politiques, tel
fut le cas de F’a-Ngoum, aurait été normal pour un grand suzerain tel que Angkor. Il est aussi
probable que les dirigeants Khmers aient pu penser qu’avoir une alliance avec un prince lao tai ne
peut être que bénéfique pour l’avenir, à l’heure où les autres Tai (Mengrai, Ngam-Muang, Rama
Khamhèng) montrent sans cesse signe de contestation et d’indépendance. Le retour de F’a-Ngoum
est une campagne militaire qui se précise comme un accomplissement d’une unification des
chefferies lao tai dispersées. A aucun moment il n’est apparu que F’a-Ngoum réalise ses campagnes
pour l’Empire angkorien. Seules les missions artistiques et intellectuelles ont été mentionnées et
poursuivies une fois qu’il a quitté le Cambodge.
L’événement produit autour de F’a-Ngoum est une constitution du territoire et une maîtrise
des hommes. Les parties les plus septentrionales de l’Empire khmer (le Laos) auraient dû être trop
loins du pouvoir central affaibli, pour être contrôlées par celui-ci. Probablement pas assey
formalisée comme Sukkhothaï et Lane Na, ni complètement contrôlée par le pouvoir central
d’Angkor, l’indépendance des chefferies lao tai à l’œuvre aurait dû être comme des taches d’huiles
éparpillées. Ceci, avec une certaine désorganisation pour que F’a-Ngoum ait pu considérer leur
unification comme une nécessité. Contrairement au ton légendaire des annales qui relèguent –
comme il est coutume– les événements de F’a-Ngoum au rang des actes héroïques et miraculeux,
les enjeux de cette unification sont en réalité considérables et en phase avec les autres événements
sociopolitiques qui se préparent dans la région, sur le moment même et par rapport aux siècles qui
ont suivi : les événements de F’a-Ngoum clarifient la nouvelle configuration politique et spatiale du
monde tai à l’oeuvre. Avant et durant la période de campagne de F’a-Ngoum, trois ensembles de
paramètres explicitent comment les Lao Tai occupent-ils et organisent-ils les territoires, comment le
facteur humain a été primordial. Il s’agit : 1- de comprendre l’enjeu sociétal du sol et le rapport de
l’homme à la terre ; 2- de poser la question sur la complémentarité entre ancrage territorial et
267 Il y aurait une documentation chinoise assez fournie sur la région du Sud de la Chine. L’historiographie lao n’a
probablement pas entièrement exploité ces sources. Il y a également les annales vietnamiennes et les inscriptions
siamoises mais en nombre limité. Faits curieux : il n’y a pas de documents sur les Lao et le territoire se rapportant au Laos
dans les inscriptions khmères, alors que ces derniers sont sensés faire parti de l’empire khmer. A la différence des Chinois
qui tiennent des chroniques de leurs dynasties rêgnantes, les Khmers ne semblent réaliser que des inscriptions parlant
d’eux mêmes. Les chroniques dynastiques chinoises ne manquent pas d’évoquer les us et coutumes ou les événements
(envoi de tribut, d’ambassadeur, etc., des chefs de ces contrés à la grande cour de Chine) concernant les minorités
tributaires des Chinois, même si ce sont très souvent des remarques ethnocentristes, avec des qualificatifs comme : « les
barbares du Sud », dont les Lao Tai et leurs chefferies font probablement partie. 268 Même si on ignore la raison exacte de son exile, on ne peut ignorer celle qui explique son retour. Les annales donnent
des explications très floues, comme s’il y a une raison ou un quelconque événement grave qu’il a fallu masquer par des
histoires fabuleuses, probablement des événements politiquement incorrecte qui aurait tâché l’une des plus
“prestigieuses ” dynastie tai de la région, si la réalité était transcrite comme telle.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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migration, entre paysannerie et politique, dans la constitution du territoire, identifier le lien entre
savoir divinatoire et savoir empirique qui constituent la société lao ; 3- enfin, comprendre le
processus du passage du ban au muang comme un renforcement organisationnel et non comme une
hiérarchisation territoriale et sociale.
I. II. a. 1. L’enjeu sociétal du sol, ou le rapport de l’homme à la terre
Le mode spatial et économique, qui régit les populations lao, identifiées durant la première
période de leur lent glissement dans le Laos septentrional, aurait été celui des peuples d’agriculteurs
sédentaires. Leur rapport à la terre aurait été marqué par le facteur temps et sa maturation dans le
processus d’appropriation et d’emprise des terres, en tant qu’habitat et outil d’organisation et de
production. La pratique des rizières en casier immergé ne nécessite pas seulement quelques saisons
de défrichage (même si quelques saisons seraient suffisantes) pour les mettre en valeur et les rendre
exploitables. Mais ce serait toute la vie d’un homme, du village et, par de-là, du muang qu’il s’agit
de mobiliser et à laquelle les modes d’occupation, d’organisation et d’exploitation seraient
rattachés. Ceci, parce que la pratique des rizières aurait introduit une dimension culturelle plus large
que l’acte d’exploitation lui-même : une dimension sociale englobant la société villageoise et celle
du muang, une dimension spatiale (territoriale et géographique) en ne se limitant pas seulement à
l’emprise des rizières. Essayons de mettre en relief une suite d’éléments (non-chronologique ou
causale) qui pourrait décrire le lien entre le rapport de l’homme à la terre et les conditions de la
constitution du village et du muang, représentant et symbolisant les deux premiers faits politico
spatiaux de la maîtrise du territoire chez les Lao :
1- Dans la vision traditionnelle courante, on aurait accordé une grandeur morale à celui qui a la
capacité de défricher une quantité de rizières, sap sao [la[-kJ;], alors que celui qui défriche les hai
[wIJ]
269 n’aurait pas de considération particulière. Cette vision vaut jusqu’à une période récente.
2- Le phénomène de valeur sociétale liée aux rizières semble refléter un schéma anthropologique et
culturel complexe : celui qui possède beaucoup de rizière serait un “grand homme”, capable de
mobiliser et de mener les autres hommes à faire de même pour leur propre compte.
3- Le défrichage de rizière s’initie alors à travers un travail communautaire mené par un homme ou
un groupe d’hommes. Ceci aurait expliqué le fait que les rizières ne sont jamais isolées mais
groupées dans une même plaine préalablement choisie pour sa taille, sa richesse, sa disponibilité en
eau. Le choix dépendrait probablement des compétences du meneur ou du groupe de meneurs.
4- Le meneur, le groupe de meneurs qui dirige le défrichage des rizières, serait aussi celui ou ceux
capables de diriger la fondation d’un village ou d’un établissement primitif entouré de rizières.
5- La société lao tai (dans toute sa composition hiérarchique) serait résolument terrienne. Sa
manière de travailler la terre et de l’habiter serait l’un de ses facteurs d’ancrage territorial. A
l’échelle individuelle, posséder des terres c’est exister dans la société, à l’échelle sociale et
communautaire, c’est s’inscrire dans le territoire et dans l’histoire, et, à l’échelle anthropologique,
c’est se situer dans la nature et le cosmos à travers les pratiques divinatoires liées à la terre.
6- A travers ces constats, les rizières et les habitats, leur organisation et leurs pratiques (sociales,
techniques, cultuelles) ne peuvent être que le produit d’une organisation sociale et politique
structurée.
I. II. a. 2. Les complémentarités : ancrage territorial/migration, savoir divinatoire/savoir
empirique, paysannerie/politique
Ces éléments suscitent trois remarques :
269 Sap sao [la[-kJ;] : défricher la terre ; hai [wIJ] : exploitation agricole sur brûlis et en terre exondée.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 190 -
1. Dans le temps court, le phénomène sociétal d’ancrage territorial, explicité ci-dessus, conforté par
la maturation du temps, semble entrer en contradiction avec le caractère migratoire des Lao Tai.
Mais considéré dans le temps long sur plusieurs siècles, le phénomène semble compréhensible et
justifié. Il explique probablement pourquoi sont aisément repérables les différents itinéraires qu’ont
empruntés ces derniers durant leur migration ou plutôt durant leur glissement vers le Sud, alors
qu’aucun témoignage historique “ bâti en dur ” ou écrit ne nous est parvenu. Ces itinéraires, ou
repères, apparaîtraient comme une suite de taches d’huile de peuplement. Dans chaque tache
subsisterait un échantillonnage de population tai avec son organisation spatiale, permettant “ une
traçabilité ethnique ” et un itinéraire nord-sud, qu’allègue pour le moment la quasi totalité des
historiens et anthropologues.
2. La terre serait l’élément qui scelle le lien sacré entre l’homme et la nature : la domestication des
terres pour en faire des rizières dans un territoire donné nécessite un temps long et une main
d’œuvre constante et communautaire, un savoir à la fois empirique et divinatoire. Le savoir
empirique serait né de la confrontation de l’homme avec la réalité géographique et climatique,
mettant en évidence sa capacité d’adaptation. Le savoir divinatoire qui relie l’homme à la nature
serait, quant à lui, propre à la structure sociétale lao, accompagnant sa migration. Les deux types de
savoir auraient donc présidé à la construction et à la maîtrise du territoire d’implantation d’origine,
quel que soit le lieu géographique. Par la suite, ce double savoir serait persistant tout au long du
“ glissement nord-sud ” des Lao Tai, pour être des facteurs de permanence jusqu’aux temps
présents. Aujourd’hui, ce double savoir a quitté le champ de la maîtrise spatiale, il occupe
uniquement le monde rural et agricole. L’aménagement du territoire et de l’urbain est aujourd’hui
dépourvu de ces deux savoirs.
3- L’organisation sociétale des populations lao tai renferme deux caractéristiques : d’un côté la
nature terrienne et paysanne et de l’autre l’aspect politisé et hiérarchisé qui caractérise
l’organisation du muang. Il apparaît aujourd’hui que la société lao est composée de deux classes
sociales majeures : l’élite dirigeante aristocratique (ou assimilée ou qui l’imite en la remplaçant) et
la paysannerie qui proviennent de la même souche ancienne, celle du paysan politique (du muang).
Ceci peut expliquer peut-être le fait que l’opposition sociale ne se manifeste pas fortement dans la
société lao.270
I. II. a. 3. Du ban au muang, un renforcement organisationnel
Au travers de ces constats, se dégagent les questions d’échelle et de primauté dans la
constitution spatiale. Tentons ici d’en exprimer les traits.
1- Les rizières, entendues comme “ copropriété ” et de groupement de plusieurs propriétés, seraient
la première échelle, dans le sens où leur existence est intrinsèque aux effets de groupement et au
caractère communautaire. Cette échelle serait aussi l’échelle de “ l’entité ” : dans la mesure où les
rizières existent non seulement par effort de grouper, mais aussi par effort de diriger sous une entité.
L’entité de rizières fait donc transparaître une autre réalité corollaire, celle de l’entité villageoise et
de l’autorité consentante qui la coiffe. En ce sens, le village ne serait pas seulement un
regroupement d’intérêt, mais aussi un regroupement fondamental et “démocratique ” dans la mesure
où il ne peut exister de village sans groupement de ces rizières. Cette échelle d’unité, qui n’existe
que par le fait d’être regroupée et dirigée, donne naissance à une entité, à une organisation politique,
du moins à son état embryonnaire, de l’échelle Un –le ban (village).
270 Toute proportion gardée, la société lao ne serait pas complètement à l’abris des collisions passives qui ont pu avoir lieu
à un certain moment de l’histoire, notamment lorsque la classe dirigeante aristocratique a dû être renforcée, se mesurant
par la force –militaire et économique– aux autres unités politiques, dans leur phase évolutive. A titre illustratif nous
pouvons notamment évoquer l’apparition du phénomène dès le règne de Sethathirat. Mais la société aurait intériorisé
l’opposition des classes et l’atenué dès son origine, alors que partout ailleurs les deux classes sociales rentrent en collision
de façon quasiment permanente.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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2- On passe à l’échelle deux. Le passage à l’échelle du muang tient beaucoup plus au renforcement
de l’embryon organisationnel et politique qu’à l’accroissement ou à la multiplication physique des
unités villageoises : ce n’est pas tant parce qu’il y a plusieurs villages à proximité des uns des autres
que naît le muang pour les englober, et encore moins parce que le village grandit. Lorsqu’un village
devient plus grand il ne devient pas un muang en changeant de statut administratif, il va être scindé
et rester toujours ban : ban tay / ban neua (parfois ban kang), ban thong / ban tha, etc. Bien que
l’ordre de grandeur physique soit aussi un enjeu dans l’échelle du muang il ne constitue pas sa base.
D’un côté, le muang, d’un certain point de vue, peut être considéré comme étant en rupture
avec le ban, dans la mesure où l’organisation politique du muang possède de fait une responsabilité
territoriale au-delà des principes de regroupement. Cette responsabilité qu’est le pouvoir politique –
incarnée par le chao muang– émane de la dynamique de l’organisation politique propre, dépassant
le cadre et les principes de regroupement spatial. De l’autre, le muang garde un lien profond avec le
ban (ou groupement de rizières)271 dans la mesure où il serait le renforcement métamorphique de
l’organisation politique du ban. En d’autres termes le muang est le stade de politisation du corps
organisationnel qui a groupé au départ les rizières et qui a formé le village. C’est en ce sens que la
maîtrise traditionnelle du territoire lao est parfaitement assurée. La capacité de maîtriser le territoire
est d’abord corollaire au facteur humain qui a dicté la constitution du territoire et non le contraire. A
ce stade primitif du ban, ce n’est pas le politique qui construit l’espace et le territoire, mais
l’organisation sociétale construisant son ancrage spatial. Notre compréhension est placée là, au
cœur d’un ethnocentrisme.
I. II. b. Les hommes et la terre, fondement de l’État et identité politique
Les hommes et la terre –du point de vue démographique et culturel, la manière de se répartir
et d’occuper l’espace, d’utiliser les sols et de produire des richesses– sont deux composants
primitifs et fondamentaux qui constituent ce qui devait être plus tard l’État et l’identité politique
pour le Lane Xang. Quelques questions majeures explicitent l’importance des hommes, leur
dimension individuelle et collective, dans la construction des identités culturelles et politiques : 1-
Comment la personnalité du chef tai se légitimise-t-elle ? 2- Comment les détenteurs du muang, que
sont les Tai, inter-agissent-ils d’un côté avec les aborigènes et de l’autre avec les détenteurs des
grandes cités ? 3- Pour les Tai, quel est le rôle des esprits protecteurs dans leur manière de
s’imposer dans l’espace existant ? 4- Enfin, le muang des Tai est-il vraiment un mandala ? 5- A
cette dernière question, nous tentons de trouver dans les mythes des origines ethniques et dans la
“ pensée politique ” de F’a-Ngoum des éléments de réponse.
I. II. b. 1. Le statut du chef : maître de la vie, maître de la terre et réciprocité de légitimation
Dans les deux échelles décrites –l’échelle du ban et l’échelle du muang– l’homme, qui
n’appartient pas directement à l’échelle spatiale mais à l’échelle politique, est omniprésent. Il
conditionne dans sa dimension anthropologique les deux échelles. La maîtrise du territoire est ainsi
secondaire, ou du moins conditionnée par la maitrise des hommes dans la constitution spatiale et
dans la mise en place d’un modèle d’occupation, définissant une identification politique. Le
caractère anthropocentrique, ethnocentrique (prônant l’importance du composant humain et de la
mono ethnicité) semble évident dans la constitution et l’occupation spatiale des établissements tai,
afin de garantir le succès dans la maitrise du territoire et ensuite dans la construction politique du
muang.
Pour illustrer le propos intéressons-nous à un fait. Le pouvoir dominant de l’organisation
politique et sociale lao traditionnelle porte une désignation qui recouvre tout son sens : le monarque
271 La formation de Muang Sing a été réalisée à partir de “ 17 têtes ou groupements de rizières ”, houa na, d’après les
annales locales. C’est l’une des conditions de sa fondation.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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est le Chao Sivit –maître et propriétaire des vies avant d’être le propriétaire des terres– Chao Phaèn
Dinh. Il est détenteur du droit de vie sur ses sujets. En théorie, il s’agit d’un pouvoir absolu. Mais
quelles seraient la particularité et les implications d’un pouvoir qui est d’abord “ maître des vies ”,
précédant celui qui est “ maître des terres ” ?
Entre le premier stade, où la représentation du pouvoir à partir de son état embryonnaire
dans la personnalité du “ meneur du ban ”, et le troisième stade où cette représentation est incarnée
par la personnalité du “ maître des vies ” –en passant par le “ maître du muang ”, il y a un grand
écart du point de vue organisationnel. Doit-on voir dans cet écart une simple distance historique qui
aurait forgé l’évolution de la première personnalité vers la deuxième et la troisième, ou plutôt une
distance anthropologique. Du point de vue anthropologique, il s’agirait de la même personnalité
placée dans un contexte différent selon le degré de complexité sociale et politique. Doit-on voir
aussi que le sens du pouvoir au premier stade n’est pas lié au sacré. Il est consentant et
démocratique, paternaliste et transparent, basé sur le facteur humain en tant qu’essence, acteur,
moyen, voire, en tant que finalité de la réalisation du pouvoir. Il y a une réciprocité de légitimation
entre le monarque et le peuple comme entre le meneur et le paysan. Le monarque et le peuple
possèdent autant de capacité divinatoire : leur capacité d’accès au divin est égale et d’une commune
nature. Ils sont protégés au même titre par leur phi thaèn. En d’autres termes, l’autorité ne justifie
pas sa domination par le fait qu’il est détenteur du phi thaèn –son protecteur– mais par le fait qu’il
est lui-même représentant ou descendant du phi Thaèn. Le pouvoir ne peut exister sans la volonté
du peuple de se rassembler, et vice versa, le peuple ne peut exister ni se rassembler sans le meneur
ayant la force et la capacité de rassembler, que ce soit de manière pragmatique (au début) ou
divinatoire (après).
Nous tentons ici de comprendre l’acquisition ou le rapport au pouvoir de l’homme, dans sa
dimension anthropologique. Dans la recherche des hypothèses, nous commençons à avoir une
vision moins théorique lorsqu’apparaît l’événement qui se rapporte à F’a-Ngoum, avec les premiers
discours politiques qui lui ont été attribués. Vers le début du second millénaire, à l’approche de la
période de pacification de F’a-Ngoum, les Lao Tai seraient groupés dans l’organisation de plusieurs
muang dirigés par les chefs et l’organisation de chefferie. Les muang peuvent être importants ou
modestes, le nombre des habitants aurait joué un rôle primordial dans les échelles des muang. Etant
de même groupe ethnique avec quelques variants près (qui constituent plus tard la classification
ethnographique), les chefferies lao tai se sont probablement reliées plus étroitement, à partir de cette
période, en constituant des liens de parenté et d’alliance. A partir de Vientiane jusqu’au Nord, et
probablement en dessous, des familles lao tai auraient déjà la direction des muang : à l’embouchure
de la Nam San, à Vientiane-Viengkham, Luang Prabang, Xieng Khouang, Xieng Saèn, Xieng Kok,
dans le Sip Song Chou Tai et le Sip Song Phanh Na. Ainsi, durant sa campagne militaire, F’aNgoum
rencontre les muang majoritairement dirigés par les Lao Tai, réclamant de sa parenté.
I. II. b. 2. Les détenteurs du muang faces aux aborigènes et aux détenteurs des grandes cités
Avant F’a-Ngoum, notre hypothèse sur la constitution, la maîtrise du territoire et sur
l’embryon de l’identité politique, relève de deux niveaux de perception.
1- Vue de l’intérieur (ethnocentrique), l’identification des populations de parler Lao Tai et leur
schéma d’organisation du muang est explicite à travers la vision exposée précédemment. C’est une
société agraire conduite par un chef aux savoirs empiriques et divinatoires. Elle est déjà familiarisée
avec un certain degré d’organisation politique et aurait aussi été une société animiste, familiarisée
avec l’idée du divin. Les espaces produits par elle auraient été sous forme de groupements de
rizières aménagées en casiers immergés, entourant les groupements d’habitations qui forment le
village. Dans la partie exondée des terres non bâties en seconde couronne après les rizières, il y
aurait des lambeaux de forêts claires où les villageois défrichent des haï. Et plus loin dans la
troisième couronne, ils auraient pratiqué la cueillette, et plus loin encore, en quatrième couronne, la
chasse. C’est éventuellement dans les couronnes trois et quatre que les tai ban (habitants du ban) et
les tai muang (habitants du muang) entrent en contact avec les autres groupes de population qu’ils Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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désignent comme des personnes appartenant aux entités non-détentrices du muang. Ces individus
tribaux ont été désignés comme Kon pa (être de la forêt) par opposition aux kon muang (être du
muang) que s’auto qualifient les Lao.
2- Vue de l’extérieur, la société lao tai est une société encore tribale mais très organisée, voire,
complexe. A priori la société lao tai du muang ne s’implante pas là où les autres seraient déjà
implantées. Il est peu probable que les Lao Tai aient investi une occupation existante en chassant les
anciens habitants : les occupations des autres tributs n’auraient pas été adéquates du point de vue
spatial et divinatoire à l’organisation de leur habitat, ils auraient pénétré dans une aire existante,
certes, mais auraient occupé la partie vide de cette aire. Outre les différentes sociétés tribales
aborigènes avec lesquelles ils auraient d’abord des contacts de l’ordre de subsistance, d’échange et
de troc, ils auraient aussi à ménager les groupes plus puissants qu’eux : telles les puissances locales,
les grandes organisations mônes et khmères (dont nous allons évoquer l’importance un peu plus
loin). Là encore, il est peu probable qu’ils aient investi les lieux encore actifs ou délaissés de ces
grandes organisations, pour des raisons d’incompatibilité de conceptions spatiales et cultuelles. Les
constats, ci-présent, remettraient en doute les idées biens galvaudées qui affirment que les Lao Tai
repoussaient les peuples autochtonnes dans les montagnes et les forêts pour prendre leur plaines et
leurs terres cultivables.
I. II. b. 3. Le phi ban et le phi muang des Tai possèdent leur espace propre
Le patronage spirituel aurait joué un rôle déterminant dans cette incompatibilité. En d’autres
termes, les lieux d’habitat lao auraient été protégés par leurs propres génies, de la maison au village,
du village au muang en passant par les rizières. Dans leur culte animiste, les esprits protecteurs de
ces lieux –c’est-à-dire, leurs phi– sont très nombreux. Ceux qui participent aux organisations
symboliques et politiques du muang auraient été principalement de l’ordre de trois : le phi ban, le
phi na et le phi muang –le plus important. Le phi muang est en fait le phi thaèn, lorsque le muang
est important et à la tête duquel il y a une famille des princes descendants de Thaèn f’a et protégée
par celui-ci.272 Si le phi ban et le phi na ne s’occupent respectivement que du bien-être du ban et du
na, le phi muang, lui, doit prendre soin du territoire qui englobe les ban, les na et les muang, tout en
étant très imprécis en termes territoriaux. On sait seulement qu’ils ont les quatre orients comme
limites virtuelles de protection et semblent exclure les haï et les forêts, etc., des premiers schémas
d’organisation cultuelle du ban, du na et du muang. Ce qui suggère l’idée que les haï et les forêts
ont des phi qui ne feraient pas partie de la hiérarchie des phi du muang. Cela signifie-t-il que la nonappropriation
cultuelle par le muang des zones de forêt claire et de la grande forêt (appartenant aux
autres tributs) équivaut aussi à une non-appropriation spatiale de ces lieux ?
273 En tous les cas, cela
semble faire transparaitre le fait que les Lao ont été réticents à l’idée d’occuper un territoire où leurs
phi protecteurs ne peuvent se trouver, à moins qu’ils ne décident d’en inviter quelques uns à s’y
installer. Aujourd’hui encore, avant d’occuper un lieu, implanter une maison, aménager une rizière,
couper un arbre, etc., les Lao ne manquent pas d’inviter les esprits existant à quitter les lieux, ou au
contraire, à leur faire de la place par des rites rigoureusement conservés. Aujourd’hui, cette tradition
demeure : les ouvriers et les artisans lao refusent de travailler dans les chantiers de construction
dont les rituels dédiés aux esprits tutélaires et aux poses des premiers poteaux n’auraient pas été
effectués.
Revenons aux groupes plus puissants que les Lao auraient à ménager. Rappelons que si
nous admettons la présence des Lao Tai dans le haut et le moyen Mékong dès le VIIIe siècle, nous
272 Les familles royales et princières lao, y compris le peuple, sont sensées descendre de Thaèn F’a qui les a envoyé
prospérer sur terre. Les familles de chefs lao tai sont donc sensées aujourd’hui pratiquer, d’une manière ou d’une autre, le
culte de phi thaèn – phi f’a ou assimilant, cela dépend du degré d’assimilation et d’acculturation qu’elles ont connu dans
leur histoire locale respective.
273 Les différents lieux semblent se munir plus tard des esprits protecteurs. L’attribution des phi dans ces lieux
accompagne alors leur appropriation par les Lao. Au fur à mesure de la consolidation de la société lao dans le territoire, le
nombre des phi en ce cas ne peut être que croissant.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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devons aussi constater que ce territoire est dans l’ère et dans l’aire du Chen-La établi dès le VIe
siècle et scindé en deux au VIIIe siècle : le Chen-La d’eau (Cambodge) et le Chen-La de terre (Laos
méridional). Durant cette époque, mis à part les aborigènes, les Lao Tai auraient rencontré sur le
territoire des populations du Chen-La, notamment les Môns vivant dans une organisation complexe
: d’importantes cités auraient déjà été établies par eux entre le Ie et le Ve siècle274 dans le moyen
Mékong, accompagnant l’indianisation de la péninsule. Puis dès le début du IXe siècle l’Empire
khmer aurait placé sous sa domination les différentes cités et multitudes tributs et chefferies –y
compris les chefferies lao tai. Ces chefferies auraient été organisées en petits muang :
établissements agraires et ripuaires avec enceinte en palanque ou en palissade, avec ou sans douve,
maîtrisant les terres agricoles pour les besoins internes des muang, entretenant une relation assez
avantageuse avec les aborigènes à travers les trocs,275 mais se soumettant aux grandes cités mônes et
ensuite khmères en leur payant probablement tributs, sans toutefois adopter complètement leurs
systèmes.
I. II. b. 4. Le muang des Thaèn F’a est-il un mandala ?
Durant le siècle de F’a-Ngoum, notre hypothèse du modèle spatial et de l’identité politique
esquisse la particularité de l’organisation du muang propre à la culture lao tai septentrionale, tout en
soulevant certaines de ses caractéristiques comme provenant de l’influence du mandala.
L’influence partielle du mandala
Le mandala est une représentation de l’organisation politico-spatiale selon laquelle le
pouvoir était à la fois concentrique et rayonnant. Depuis le centre, celui-ci émet son autorité de
manière rayonnante en dessinant un cercle. Le pouvoir localisé en son centre se légitime par son
caractère sacré et sa capacité de symbolisation. Les limites de son cercle de rayonnement sont quasi
immatérielles. Elles se rétrécissent ou s’élargissent, s’arrêtent-là où commence un autre pouvoir
rival. Elles varient selon la puissance de leur pouvoir religieux, militaire, politique et économique.
Les historiens affirment que les cités gouvernées selon le système du mandala sont installées dans le
Sud-Est asiatique dès le IIIe siècle avec le Fou nan et ont duré jusqu’au XIXe siècle, jusqu’à ce
qu’elles soient mises fin par le système colonial occidental.276
A nuancer par rapport à l’organisation du mandala, l’organisation politique primitive lao tai
dans la péninsule dont nous venons de suggérer le principe, semble avoir été un système de
chefferie, fondée sur la consolidation des intérêts de l’individu et du groupe, dirigée par un chef
possédant un savoir empirique et divinatoire reconnu par son groupe comme étant lié au thaèn f’a –
ancêtre mythique et ethnique fondateur, devenant des phi, leurs esprits protecteurs. Etant dans une
société politisée, il aurait été probable que les Lao Tai aient été influencés par le système
d’organisation du mandala des Môns et des Khmers. Mais fait curieux, aucune cité lao tai n’a été
construite sur le modèle spatial de ces grandes cités : les Lao n’ont pas bâti de grande cité
monumentale comme l’ont fait brillamment leurs suzerains. A la différence des Khmers, la
représentation du pouvoir n’a pas non plus manifesté tant d’ampleur sur l’espace. Le culte de phi f’a
- phi thaèn semble avoir été le trait identitaire commun et durable, marquant la continuité du
pouvoir chez les Lao Tai et permettant d’identifier ce peuple durant plusieurs siècles, même après
leur conversion au bouddhisme. Le mandala n’aurait alors influencé les muang que de manière
partielle, du point de vue organisationnel et non du point de vue symbolique et spatial. Le système
du muang peut être rapproché du système du mandala dans le sens où le pouvoir politique du muang
274 Pour une chronologie simplifiée Cf. Stuardt-Fox Martin, Historical dictionary of Laos, éd. The Scarecrow Press, Inc.
Maryland, 2008, 3e éd. 275 Mise à part le fait que les échanges entre aborigènes et Tai allaient évoluer, donnant des avantages grandissants à ces
derniers pour assurer aux muang leur richesse et leur puissance (idée développée dans le premier chapitre), les Lao
auraient possédé un vrai avantage au départ dans ces échanges : ces derniers auraient été les détenteurs des mines de sel
que les aborigènes avaient besoins. L’étude sur le rituel des mines de sel de Archaimbault devrait apporter des données
explicatives à ce sujet. Cette idée sera développée plus amplement dans le chapitre traitant des muang et des xieng. 276 Cf. Stuard Fox.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 195 -
ne possède pas en soit un territoire, mais s’apprécie selon le nombre des hommes vivant dans ce
territoire, lui témoignant fidélité et lui payant tribut. Il en serait de même pour le chef du muang
voisin et ainsi de suite. Et au dessus des muang il y aurait un grand muang auquel les petits muang
doivent allégeance.
C’est probablement autour de la période qui précède le sacre de F’a-Ngoum que les ban et
les muang empruntent des éléments du système du mandala, en s’appropriant partiellement du
système d’organisation laissé par les Môns et par les Khmer suite à leur déclin. Nous avons suggéré
précédemment que le cas de Chiengmai, issu peut-être du métissage môn-tai, peut illustrer cette
appropriation partielle du mandala. Le pouvoir central aurait été légitimé de plus en plus par son
caractère divinatoire et de moins en moins par sa capacité empirique. Sa capacité à se rapprocher du
divin par sa connaissance et sa force aurait été peu à peu pervertie ou remplacée par sa capacité
d’être lui-même divin. Cette altération partielle du mode de légitimation du pouvoir chez les Tai
serait ajustée assez bien avec le caractère sacré du pouvoir central du mandala qui diffuse sa
puissance, sa grâce et son rayonnement aussi loin que sa lumière aurait portée.
La résistance et la légitimité de la lignée de l’ancêtre mythique Thaèn F’a au centre du
pouvoir
L’influence du système mandala sur le système du muang semble avoir des limites :
quelques résistances ressurgissent intrinsèquement de la culture tai. Tout en ayant foi en la
réciprocité de légitimation du pouvoir et tout en exigeant du chef une force et une puissance
empirique et tout en prônant que sa lignée thaèn f’a est liée au pouvoir divinatoire (qualités propres
aux chefs lao tai), la place du pouvoir semble être déjà portée à l’époque de F’a-Ngoum par le
système organisationnel du mandala. C’est là que se situe l’ambigüité du système politique du
muang dans sa période évolutive, “ perverti ” par le système du mandala :
1- D’un côté, les annales anciennes ne manquent pas de souligner chaque fois qu’un intrus
n’appartenant pas à la famille de F’a-Ngoum (donc à la lignée Thaèn f’a) règne sur le Lane Xang.
Et de l’autre, certaines périodes de l’histoire explicitent l’idée que n’importe qui peut devenir
légitime pourvu qu’il réussisse à évincer l’ancien chef pour prendre sa place au centre du pouvoir.
2- Il ne suffit pas de régner en maître au cœur du mandala pour se légitimer dans la durée. Il faut
aussi être capable d’endosser les obligations et les devoirs dictés par la réciprocité de légitimation.
Ce serait une sorte d’épreuve éliminatoire qui incombe aux chefs intrus : seuls ceux qui possèdent la
compréhension de la réciprocité du devoir, que les Lao attribuent uniquement à la lignée thaèn f’a,
peuvent passer les épreuves de légitimation.
C’est en ce sens que le système de pouvoir du muang diffère et résiste au mandala. Le contexte de
l’ascension de F’a-Ngoum met cependant en relief la coexistence entre le système du muang et le
système du mandala :
1- La personnalité de F’a-Ngoum, telle qu’elle a été définie par l’histoire, présente une certaine
ambigüité : en prenant le pouvoir à Muang Swa il se légitime d’abord par son appartenance à la
lignée de Khun Burom, des Thaèn f’a ; reconnaissant sa légitimité, les gardiens et les autorités de ce
muang n’auraient pas montré de fortes résistances. Les monarques locaux –appartenant à la même
dynastie que F’a-Ngoum– par leur suicide à son arrivée auraient, par cet acte, confirmé sa légitimité
(Cf. le Phongsavadan.)
2- Les campagnes militaires d’unification de l’un des plus importants État tai de la péninsule, que
font sans cesse état les chroniques lao, ont mis cependant en relief le fait que la force et
l’intelligence individuelle de la personnalité de F’a-Ngoum a été le moteur de son accomplissement,
occupant la place qu’il mérite dans l’histoire du Laos sans le concours de son appartenance
dynastique aux Thaèn.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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I. II. b. 5. La définition du muang à travers la pensée de F’a-Ngoum
L’importance des hommes dans le muang
Quel que soit le système auquel il aurait appartenu, F’a-Ngoum aurait donné au système
organisationnel du muang une pensée politique forte permettant d’esquisser la morphologie sociopolitique
et spatiale de la société lao. Les discours dans le Phongsavadan qui lui ont été attribués
mettent en évidence de multiples caractéristiques de la société lao ancienne dans sa formation
politique et sa consolidation spatiale.277
« […] N’exécutez point la peine de mort si les fautes commises ne le méritent point. Emprisonnez
les coupables et ensuite relâchez-les pour qu’ils puissent vivre et trouver du travail. La richesse de
cette terre n’existe qu’avec les hommes : point d’homme, point de richesse, ni de biens, je ne veux
point que l’on tue pour cette raison […] ». Ici, la pensée de F’a-Ngoum est pragmatique. Conscient
de la carence démographique de ses muang qui freine leur développement et leur richesse, en
plaçant le facteur humain au premier plan de l’espace politico-spatiale, il met en garde l’arbitrage
du pouvoir et prône la précaution dans la gestion des hommes comme un précieux composant
économique. La carence démographique est aussi exprimée par l’aspect parsemé de la population,
au point qu’il aurait été nécessaire de reconsidérer –de recomposer même– une nouvelle
démographie, accompagnant le territoire qui vient d’être unifié. En d’autres termes, il a fallu
peupler certains muang. Bien que déplacer des habitants d’un lieu pour les mettre en un autre lieu
ne peut constituer en soi une solution, puisque cela dépeuple forcément un lieu, cette option a été
pratiquée par F’a-Ngoum, notamment lorsqu’il déplaça 100 000 Khrom kao du territoire lü vers
Luang Prabang (cf. le Phongsavadan).
L’ethnocentrisme, la monoethnicité du muang
« […] Vous ne causerez point de tort ni aux Tai, ni aux Lao, vous ne prendrez point les biens à ces
derniers quels qu’en soient les faits et les raisons. Si vous vous disputez entre vous et allez vous
faire la guerre, souvenez-vous de mes paroles, vous êtes seulement autorisés à vous guerroyer les
cinq jours : jour kap, jour hap, jour houay, jour meung, jour beurk. Les cinq autres jours : jour kat,
jour kot, jour houang, jour tao, jour ka, vous n’êtes pas autorisés à guerroyer, ni à usurper les
bétails ou les biens des uns des autres […] ». Nous pouvons interpréter dans les propos adressés
aux Khrom khao (de parler môn-khmer) un certain ethnocentrisme : il aurait distingué les autres
groupes des gens de “ sa race ” tout en démontrant la consolidation de son pouvoir et de sa
suprématie sur ces groupes que les Lao Tai auraient clairement dominé.
« […] Je suis fils de Nang Kéo Mahari, fille de F’a-Khamhyo qui n’est autre que membre de ton
illustre famille […] ». Au port de Muang Leuak à Xieng Saèn qu’il s’apprête à prendre, l’un des
tiao muang de la cité venu à sa rencontre se présente ainsi à lui. F’a-Ngoum, aurait répondu :
« […] Si c’est ainsi, que Muang Leuak reste tien, il deviendra le muang au coeur de ma maison, (ou
il sera le muang cher à mon cœur) […] »
Les propos du tiao muang de Xieng Khouang s’adressant à F’a-Ngoum lorsque celui-ci arrive à la
porte de sa cité évoquent également le cousinage et la révérence aux liens dynastiques278. Ces faits
ainsi que le contenu des propos échangés mettent en évidence deux choses importantes : 1- F’aNgoum
serait conscient de l’existence non seulement des chefferies d’ethnie lao tai préalablement
installées dans la région, mais surtout de la grande dynastie de Khun Bourom –à laquelle il prétend
appartenir– dispersée dans un large territoire. Il accepte de manière naturelle que Lan Na, Sipsong
Phan Na, et Xieng Khouang –entre autres, entretiennent un lien de parenté avec lui. 2- F’a-Ngoum
277 Bien que le Phongsadan, qui nous sert pour l’instant de référence unique, aurait été composé plus de deux siècles après
lui, transcrits et recopiés jusqu’au XIXe siècle, la plupart des historiens s’accordent pour reconnaître l’authenticité
historique de ce grand roi tout en émettant un avis plus circonstancié concernant l’authenticité du contenu de ses discours.
278 Cf. 2e partie. I.I.a. (Page 177)Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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serait également conscient du fait que la dispersion territoriale vient contredire ces liens de parenté
existante ou réclamée. Cela serait suffisant pour justifier la volonté de rassemblement autour d’une
entité. Toute proportion gardée, nous devons sans doute voir dans ce fait que F’a-Ngoum met en
œuvre l’harmonisation ou la ramification des petits mandalas dans le grand mandala qu’il édifie
avec la fondation du Lane Xang.
L’idée de limite territoriale
Certains propos contredisent cependant le mandala que F’a-Ngoum aurait tenté de fonder.
Formellement, le mandala en tant que cercle de rayonnement du pouvoir ne possède pas en soit de
limites territoriales, ni identifiable par une identité culturelle unique avec une composante ethnique
homogène.
« […] Nous sommes parents par Khun Burom dans notre lointaine histoire. Si tu désires les ban et
les muang, que les territoires qui s’étendent depuis la frontière de Dong Phraya fay jusqu’au pied
de la montagne Phraya Po et la frontière de Muang Nakhone Thaï soient tiens ; je t’enverrai
chaque année du sucre de canne et du sucre de palmier. Lorsque ma fille Kéognot F’a sera grande,
je l’enverrai partager ta couche et ton oreiller, oh Tiao F’a. […] ». Les propos de Uthong
d’Ayuthia, se référant aux origines lointaines qui auraient uni les populations du parler lao tai,
seraient plus une éloquence diplomatique qu’une réelle référence dynastique : ici Uthong évoque la
frontière alors que les propos des autres tiao muang parlent de parenté de manière plus précise et
ensuite proposent parfois des alliances matrimoniales, deux choses assez habituelles pour les
royaumes tai. Par contre, ce qui semble important, tant dans les propos de Uthong que dans les
œuvres de F’a-Ngoum, c’est la question de la délimitation territoriale, notamment entre Lane Xang
et Ayuthia qui apparaît. Bien que celle-ci soit imprécise matériellement, elle est localisable et
dessine la limite occidentale du Lane Xang, par une ligne Nord-ouest/Sud-est au niveau de Nakhone
Thaï. Et il en est de même lorsqu’il a établi la séparation de frontières entre le Lane Xang et le Daï
Viet. Les frontières en question peuvent être considérées comme des lignes de rencontre de deux
rayonnements de mandala. Mais elles peuvent également expliciter une certaine conscience des
limites territoriales du muang. En d’autres termes le pouvoir central du muang n’aurait pas
seulement émis un rayonnement variable mais aurait aussi contribué à délimiter un véritable
territoire. Par exemple lorsqu’il s’adresse à ses chao muang : « […] Ne vous disputez pas et ne vous
entretuez pas. Soyez solidaires afin de surveiller ensemble les lisières de vos ban et de vos muang.
Soyez au courant des bonnes et des mauvaises intentions des étrangers et des autres ban-muang qui
vous entourent […] ».
L’idée de s’inscrire dans la continuité d’une lignée et d’une histoire déjà existante
Un autre propos semble confirmer la base sociale des muang profondément attachée et
confondue à l’organisation sociale du ban et à ses principes moraux : « […] Vous, tous tiao que
vous êtes, vous ne réduirez pas les paï (les non nobles) pour être vos esclaves. Que ces derniers se
querellent ou qu’ils commettent l’adultère, il faut les infliger d’amendes d’une valeur de cinq bath.
S’ils commettent un assassinat que l’assassin remplace le mort. Si vous partez en guerre,
n’acceptez point l’achat des têtes. Les tiao khun, n’amandez jamais les paï plus de 100, celui qui le
fait malgré tout perdra sa face et indemnisera le paï […] »
Outre la réaffirmation de l’identité culturelle lao tai par la confirmation du culte des phi f’a - phi
thaèn, F’a-Ngoum semble s’inscrire dans une certaine continuité avec le passé. Ceci devrait
contredire, si non, tempérer les allégations qui considèrent que F’a-Ngoum et ses œuvres sont le
commencement de l’espace lao : « […] Tous les deux mois vous devez envoyer vos émissaires nous
rapporter les bonnes et les mauvaises affaires des muang. Tous les trois ans, vous devez vous
présenter en personne devant nous. Une fois à Xieng Dong Xieng Thong, nous prierons thaèn f’a,
thaèn khom, thaèn tèng […] les devata, gardiens Tham Ting et Sop Ou, les rizières, les montagnes,
les lieux sacrés […]. Nous donnerons les offrandes aux phi f’a, phi thaèn […] Le premier mois vous
quitterez vos muang et le troisième vous arriverez à Muang Swa. Ceux qui ne monteraient pas à
Muang Swa seront considérés comme révoltés contre nous. Notre illustre ancêtre F’a Luang Ngone Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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nous conseille de connaître le cœur de nos tiao Khun du Lane Xang, les bons et les fidèles comme
les mauvais et les infidèles. Nous nourrissons donc les f’a et les thaèn sur les recommandations de
notre F’a Luang Ngone […]».
I. III. La restructuration politique de l’espace à partir du règne de
Sethathirat
Globalement, le siècle de Sethathirat est associé au transfert de la capitale à Vientiane. Et
c’est déjà essentiellement le siècle de restructuration politique de l’espace, constituée et maîtrisée
dans les siècles passés en particulier celui de F’a-Ngoum. Le XVIe siècle de la restructuration
territoriale et politique est issu de parti pris idéologique inscrit dans la configuration spatiale, non
seulement interne au Lane Xang, mais également régionale. Trois éléments ont été fondamentaux
dans cette restructuration : 1- les actes politiques d’appropriation de l’espace à travers le renouveau
religieux, 2- la construction des monuments générateurs d’une culture régionale et d’un type d’unité
urbaine, 3- la découverte, la connaissance et l’appréciation du territoire.
I. III. a. L’appropriation de l’espace à travers le renouveau religieux
Derrière les actes pieux du règne de Phothisarat l’idéologie du Bodhisattva-raja, “ le
monarque boddhisattva ”, a été mise en avant dans le sens où le monarque se considère comme
éclairé par le Dhamma. L’idéologie de roi aspirant à devenir Boddhisattva est courante à la même
époque dans les autres royaumes tai.279 Sethathirat va poursuivre l’œuvre de ses prédécesseurs pour
le renouveau. Cependant, les œuvres de Sethathirat qui ne sont pas seulement axés sur le domaine
religieux mais largement ouverts sur la réforme politique et territoriale, auraient été plus vastes et
plus complexes. Trois générations de roi (Vixun, Phothisa et Setha) auraient appliqué chacun à leur
manière cette idéologie politico-religieuse qui va profondément marquer la dynastie lao, la politique
ainsi que l’espace non seulement religieux mais aussi laïc. Et ce, jusqu’à la fin du règne de Sri
Savang Vattana.280 Il faut signaler également que les trois règnes correspondent à une période de
paix et d’échange pour la région, après une période de conflit important qui a duré plusieurs années
entre le Lan Na et le Lane Xang sous le règne de Thiloka et de Jaya Charkaphad.281 D’après
Lorrillard, une école bouddhique de l’époque, un « bouddhisme réformé d’inspiration cingalaise »,
aurait même été introduite à Luang Prabang par le biais du Lan Na.282
279 En particulier au Lane Na sous le règne de Thiloka Raja grand-père maternel de Sethathirath et du Lane Xang dès le
règne de Vixunnarath. Celui-ci est allé jusqu’à donner le nom de Boddhisattva Raja à son fils. Ce nom est par la suite
associé à une certaine radicalité religieuse, un fait rare dans l’histoire du bouddhisme lao. Une fois accédé au pouvoir ce
dernier entreprend des réformes religieuses, en parti en ce qui concerne l’ordre monastique, et promulgue l’édit contre le
culte des phi. 280 Politiquement contraintes et limitées dans le contexte de la guerre froide, les actions de Savang Vatthana sont plus
consacrées à l’entretien des arts et des traditions. Il refuse son intronisation sous la bipartition politique et souhaite
ritualiser sa charge une fois réalisée la réconciliation nationale, qui n’a jamais lieu. Ce qu’aurait symbolisé cette action
c’est l’idée qu’un monarque ne doit pas prendre parti dans les conflits politiques entre clans et fractions. Il doit conserver
la “ morale de la monarchie religieuse ”, pour un Laos unifié et indivisible, renforcé par le bouddhisme unificateur qu’il a
la charge d’entretenir. Cette idée est redondante dans l’hymne national : « […] aimer la nation, notre pays, aimer notre
monarque, partager l’amour et la religion depuis l’ancien temps pour protéger notre territoire […] » (2e strophe, ligne 1e
et ligne 2e
.) Par ailleurs, la devise du Royaume du Laos était : Nation, religion, monarque, constitution. 281 Conflit, qu’une alliance matrimoniale entre Phothisarat et la fille de Thiloka (ou petite fille ?) avait du régler. Un réveil
culturel et religieux semblait accompagner cette période. « […] Durant la première moitié du XVIe siècle, les relations
entre les deux grands royaumes tai septentrionaux sont pacifiques –et le bouddhisme florissant de la Thaïlande du Nord
se diffuse progressivement en pays lao, en même temps que les textes (et donc les écritures) qui le véhiculent […] ». In.
« Les inscriptions du That Luang de Vientiane : données nouvelles sur l’histoire d’un stupa lao », Lorrillard M., BEFEO
2003-2004. 90-91. 282 Quel que soit son origine, il est possible que la version du Phrataï pidok –introduit à Luang Prabang, ait pu être une
nouvelle interprétation du Bouddhisme réformée. Cependant, Souneth Phothisane précise que cela ne peut être
l’introduction d’une nouvelle école demandée par le monarque lao. Les deux moines, le Phra Maha Thep et le Phra Maha
Mongkhoune, « qui viennent au Lane Xang avec 60 Khamphi Phrataï Pidok » que le roi du Lan Na offre au roi du Lane
Xang ne seraient pas originaires de Lan Na mais de Lane Xang-même. Les deux moines auraient été invités au Lan Na et
au retour de leur voyage, auraient ramené des présents royaux. Cet échange religieux serait une coutume couramment
pratiquée, lorsque deux rois entendent préserver la paix et rentrer dans de bonnes grâces réciproques. Par ailleurs le rôle Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Sur la réforme du bouddhisme, le cas de Ban Phay Lom (à Vientiane) aurait illustré
l’inauguration de l’ère nouvelle, avec des formes de refondation religieuse. Il laisse transparaître la
mise en application de la politique de Phothisarat dans l’éradication du culte des phi qui se serait
prolongée ou qui ferait son effet sous le règne de Sethathirat. Les maîtres des rituels qui (comme
nous allons le voir à Ban Phay lom) viennent de l’extérieur du village, avaient une personnalité forte
de par leur érudition et leur connaissance et auraient exercé un rôle très influent. Il serait probable
que ces maîtres soient des émissaires royaux envoyés dans les quatre coins du pays pour “ détruire ”
les autels des phi, convertir ou recadrer une pratique religieuse qui serait trop relâchée. Bien qu’il
n’y ait pas de signe d’inquisition, les ordonnances et l’autorité personnifiée émanant du pouvoir
royal pour procéder à l’éradication du “ culte barbare ” a dû être scrupuleusement respectées.
D’après le Phongsavadan et d’après les études épigraphiques de Lorrillard, Phothisarat aurait
ordonné la destruction des autels des phi pour construire des aram.
283 Cet acte qui se veut sans
doute démonstratif et symbolique, revêt incontestablement un caractère contraignant. Parallèlement,
il semble qu’à côté de cette volonté de réformer en profondeur la religion, on cherche aussi à
l’adapter au contexte. En d’autre terme, un travail de transition et non de rupture aurait été entrepris
malgré tout. Car en dépit des interdictions, un certain nombre de rituels et de lieux non-bouddhistes
ont subsisté, d’où la survivance –voire la recrudescence aujourd’hui, de nombreux cultes des génies
et des esprits. Dans une certaine mesure, on peut imaginer que seuls auraient été sérieusement
proscrits les cultes considérés comme les plus barbares allant à l’encontre du fondement bouddhique
tel le sacrifice animal.
C’est probablement à partir de cette période que le bouddhisme devient une religion
majoritaire et gagne progressivement, et non brusquement, le terrain des pratiques religieuses. Nous
n’avons pas d’idée précise en nombre de ce que pouvait représenter cette confession avant
Phothisarat, mais il est très probable qu’elle ait été minoritaire. Même si les annales mentionnent
que le bouddhisme a été institué par F’a-Ngoum deux siècles plus tôt comme religion d’État, cela ne
signifie pas que le Lane Xang entier ait été converti, même en ne considérant que les communautés
lao tai. Les pratiques religieuses de Ban Phay Lom qui revêtent un caractère particulier aujourd’hui
par rapport au reste du pays –l’interdiction de tuer les animaux et l’interdiction d’avoir un autel des
esprits [hô phrapoum s=rtr6,] au sein du village limité par les bornes du Dhamma– incarnent sans
doute pour l’époque une restauration religieuse parmi les plus exemplaires. Cependant, le fait que
ces interdits aient quasiment disparu du Laos pour ne subsister qu’à quelques rares exceptions,
semble indiquer que la pratique du bouddhiste lao a par la suite choisi une voie moins radicale. Cela
montre que la radicalité religieuse de Phothisarat est propre à son règne et à son temps, propre sans
doute aussi à l’histoire particulière du bouddhisme de cette époque.284
diplomatique qu’assument les religieux à l’époque est explicite dans plusieurs chroniques. Et pour revenir à l’introduction
de la mission religieuse du Lan Na, il n’y a pas plus de raison (d’après Souneth) de penser que Phothisarat « a dépêché
une mission diplomatique pour demander le nouveau Phrataï Pidok au Lan Na vers 1522 » en réponse de quoi le Lan Na
lui aurait « envoyé les deux moines avec le Phrataï Pidok » comme le laisse croire certains traités historiques
(Jinakalamalini, chronique du Lan Na. Cf. Jean Ripaud. Op, cit.) Vers 1501 Phra Maha Thep Luang aurait rédigé Nithan
Khun Bourom à Luang Prabang en compagnie du roi Vixun et ne pourrait donc pas être envoyé du Lan Na en 1522 : les
deux moines seraient allés au Lan Na en 1522 sur invitation du roi de ce royaume et seraient rentrés à Luang Prabang
l’année suivante, couverts de présents royaux et notamment du volume du Phrataï Pidok version Lan Na. La ville en
possède déjà plusieurs volumes, sans doute plusieurs versions différentes.
283 « […] Le 12 avril 1527 Phothisarat fait rédiger à Luang Prabang la stèles du Vat Savanthevalok […]. Elle est
également important pour son contenu, puisqu’il s’agit d’une ordonnance par laquelle Phothisarat charge son Maha
sangharaja, chef du clergé, de restaurer la religion – et de la purifier en particulier des croyances animistes. Le souci de
réforme du roi paraît avoir été particulièrement fort, puisqu’il est exprimé une nouvelle fois en 1535 dans une stèle
retrouvée une soixantaine de km en aval de Vientiane […].» M. Lorrillard. « Les inscriptions du That Luang de
Vientiane : données nouvelles sur l’histoire d’un stupa lao ». Op, cit. 284 Il faudrait étayer l’histoire religieuse de la dynastie lao et de celle de toute l’Asie du Sud-est continentale pour
comprendre cette radicalisation qui semble constituer une parenthèse dans l’histoire du Laos et par la suite expliquer la
souplesse et l’absence doctrinale qui caractérisent jusqu’à ces derniers temps le bouddhisme laotien. Nous pouvons sans
doute attribuer cette radicalisation au fait que le Lane xang venait de sortir d’une longue et destructive guerre dynastique
qui a duré entre la fin du règne de Lane Khamdèng en 1430 et le début de règne de Jaya Charkaphat en 1456 (période de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Ainsi, déjà sous le règne de Sethathirat, tout semble nous faire comprendre que le pouvoir
prenait en compte les croyances de la population, en substituant aux contenants et aux objets
cultuels antérieurs un nouveau contenu sacré : il ne serait pas impossible qu’il y ait auparavant un
esprit habité dans chaque pieu à Ban Phay Lom avant l’arrivée du bouddhisme. Et il ne serait pas
non plus impossible après, que l’on ait substitué les phi par les sûtras bouddhiques enterrés sous les
pieux. Dans d’autres exemples, nous pouvons même voir que les phi se sont “ convertis ” au
bouddhisme. En d’autre terme, certains personnages vénérés antérieurement finissent au fur à
mesure par acquérir des caractéristiques bouddhiques. La sacralisation bouddhique des
établissements villageois, corollaire au renouvellement religieux et à la conversion générale, aurait
généré une nouvelle organisation et pratique spatiale au sein des villages. Même si la population n’a
pas été convertie dans sa totalité, on peut imaginer qu’à la place des sacrifices de buffles elle a dû
commencer à confectionner des offrandes de fleur pour les autels des esprits. Peu à peu, elle aurait
pris l’habitude de mettre la coupe des cinq préceptes bouddhiques sur l’autel des esprits.285 Puis
lorsqu’elle aurait invoqué l’esprit de la maison,286 cela serait devenu naturel d’invoquer en même
temps la prière du phouthang [r5fma’].
287 Ainsi, les cultes non-bouddhistes se retrouvent convertis,
du moins par les signes extérieurs. Aujourd’hui, la majorité des Laotiens vivent leurs pratiques
religieuses en associant ces deux cultes : entrées en contradiction par le passé, aujourd’hui leurs
pratiques se retrouvent rapidement associées, syncrétisées.
En l’occurrence, nous sommes en mesure de constater que la radicalisation du
bouddhisme de Phothisarat se prolonge dans l’organisation et l’édification politique de Sethathirat.
Celui-ci aurait confirmé et assimilé le renouveau religieux dans sa politique d’édification, en le
rendant visible, plus sur le plan politique que religieux. Le caractère politique et bâtisseur de son
règne, avec le transfert de la capitale et une liste importante de constructions d’ouvrages
architecturaux dédiés qui lui sont attribués, apparaissent comme la figure emblématique de ce
renouveau. L’analyse de la liste des ouvrages monumentaux, fondés, refondés ou restaurés au XVIe
siècle, devrait d’abord montrer que Sethathirat a été le plus bâtisseur de tous les rois du Lane Xang,
et ensuite, comment ces ouvrages se répartissent sur le territoire, tout en se rendant visibles à
l’échelle régionale dans le monde tai. Elle montre également comment Sethathirat organise le mode
de gestion de ces territoires physiques et humains, émanant ou accompagnant la construction des
monuments. L’analyse spatiale du site de That Luang, en liaison avec l’organisation de la ville, fait
transparaître une nouvelle phase d’édification politique. Elle met en exergue ce que peut représenter
ce monument pour l’époque, comment il représente le pouvoir et définit le nouvel espace. En
devenant l’espace emblématique et symbolique, le site de That Luang s’impose par sa persistance
face à toutes les incertitudes historiques et politiques. En s’articulant avec l’évolution de la ville et
de la société qui la compose, il représente sans doute le modèle spatial lao le plus abouti.
I. III. a. 1. Un aperçu sur les monuments sous le règne de Sethathirat
Les interventions de Sethathirat comportent aussi bien des nouvelles constructions et
fondations que des restaurations et des refondations sur les édifices et sites anciens, comme le
montre la liste ci-contre. Son règne est aussi l’aboutissement d’une volonté et d’une idéologie
inaugurées et transmises par ses deux prédécesseurs. Outre le désir de perdurer dans le temps à
régence de Nang Mahadhévi). Il venait également de se remettre de l’invasion de Luang Prabang et de la région
septentrionale du Laos par le Daï-Viet vers 1483. 285 Khan ha [0aoshk] est une coupe à l’intérieur de laquelle il y a cinq paires de bougies, cinq paires de fleurs et une paire de
bougies allumées. Il représente les cinq préceptes bouddhiques. 286 Phi heuane [zugInvo], esprit de la maison ou esprit des ancêtres. Aujourd’hui ce rituel est plus respecté chez les Lü et
chez les Tai dam que chez les Lao.
287 Formule en pali, selon le Livre des discours, à l’origine elle aurait été prononcée par une personne qui se convertît au
bouddhisme en catastrophe pour fuir les malheurs qui l’accablent. Aucune cérémonie n’est nécessaire pour marquer cette
conversion, il suffit de prononcer trois courtes phrases dont la transcription phonétique est la suivante : « Phouthang
saranang Khatchami, Thammang saranang Khatchami, Sangkhang saranang Khatchami » [r5fma’ lkitoa’ 7aflk,yF ma,,a’
lkitoa’ 7aflk,yF la’7a’ lkitoa’ 7aflk,y ], « je prend refuge en Bouddha, je prend refuge en Dhamma, je prend refuge en
Sangha ».
Tab. 7. Liste
non exhaustive
des monuments
construits par
Sethathirat au
XVIe siècle ou
soumis à ses
interventionsDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 201 -
travers les œuvres et la dévotion religieuse, une certaine conscience de la continuité du pouvoir, à
travers l’entretien et la restauration des monuments existants, semble évidente. Bien que ses œuvres
bâties soient exclusivement religieuses, leur portée est politique.
Les monuments et leurs significations dans les œuvres de Phothisarat et de Sethathirat
- That Pholn, construit durant la même période que That Sikhottabong, aurait couvert sept piliers
anciens (comme That Luang qui aurait couvert un grand pilier ?) et aurait été restauré et modifié par
Phothisarat vers 1539. Vers 1950 les notables de la ville ont apporté des modifications.
- That Inheng, construit également vers le VIe siècle en tant que reliquaire bouddhique, aurait été
investi par le culte hindouiste vers le IXe siècle. En 1548 Sethathirat le restaure en remplaçant les
éléments hindouisés par l’architecture bouddhiste. En 1930, il a été restauré par les Français et vers
1950 Savang Vattana a construit son cloitre actuel.
- That Phanom, construit vers le Ie et le IIe siècle par les rois des cinq royaumes : Nanthasèn de
Sikhottabong, Souvannaphinkhane de Sakhonnakhorn, Khamdèng de Khoumphavapy, Inthapath de
Campuchéa, Chounlani Phommathat de Xiang Khouang. Vers le VIe siècle il aurait été modifié par
Soumintharath de Sikhottabong. Il aurait été retouché par Sethathirat entre 1550 et 1572, par
Voravongsa Thammikharat vers 1614, puis par Phra Khrou Gnot Kéo Phonnesamek vers 1693.
Anouvong de Vientiane l’aurait restauré vers 1808. Il sera complètement modifié par les autorités
siamoises en 1939.288
- That Sikhottabong, dans l’ancienne ville de Thakkek –Mahukhanakhone, aurait été fondé vers le
VIe siècle à l’époque de Sikhottabong. Restauré par Phothisarat en 1539, sans grand changement, et
restauré par Sethathirat en 1568, des modifications auraient été apportées au monument. Vers 1622
(?), le gouverneur de Sikhottabong Luang, le Nô Muang289 aurait restauré le that. En 1806
Anouvong de Vientiane et Prince Khatiyarat de Thakek ont réalisé ensemble une autre restauration.
Entre 1948 et 1949, il sera de nouveau restauré par le gouverneur de Khammouane. La fête qui lui
est consacrée est réinstaurée officiellement en 1963, à la peine lune du mois de mars.
- Chédi Luang de Chiengmai, aurait été fondé bien avant le court règne de Sethathirat au Lan Na.
Ce qui paraît intéressant c’est le fait que le Chédi Luang de Chiengmai aurait pu exercer une
influence sur le futur That Luang de Vientiane que Sethathirat allait construire quelques années plus
tard.
- That Sri Song-hak à Loeuy symbolise, pour beaucoup d’historien, une alliance avec Ayuthia.
Comme nous allons le faire remarquer dans les chapitres suivants, le that ne symbolise pas que cela,
nous pensons que Sethathirat souhaite le signifier comme un véritable traité de limitation de zone
d’influence entre les deux royaumes. Le contenu de la stèle qui accompagne la construction du that
insiste sur le serment des deux monarques à respecter les territoires réciproques et à observer la
morale de ne commettre aucun acte d’agression l’un envers l’autre.
I. III. a. 2. Le That Luang, une édification politique et une conception de la monumentalité
L’intégration historique et contemporaine du site de l’esplanade de That Luang dans la
ville, la persistance du plan urbain qui place toujours ce site en tant que structure majeure, marquent
indéniablement la lecture de la ville d’aujourd’hui et interrogent le fondement et l’origine
288 D’après le Tamnan Oulangrathat, op, cit. 289 Nô muang [so+g,nv’], terme lao, nô nèng [so+cso’], nô néo [so+co;] : pousse d’une plante, race, espèce ; muang : ville,
royaume, pays. Titre désignant le Prince héritier, équivalent de nô kasat (so+dtla8 en Lao-Sanskrit) et de Rajabout (ik-[5fF en Sanskrit Raja Boutra, fils du raja). Les textes désignent souvent les Princes héritiers par ce terme. Le fils unique de
Suryavongsa était ainsi appelé Rajabout [ik-[5f]. Si le nô muang ici évoqué était le Rajabout du règne de Suryavongsa,
celui-ci ne règnera jamais sur le Lane Xang, il y aurait donc une erreur de datation, car si jamais il a pu être gouverneur de
Sikhottabong ce prince ne l’aurait été que vers le troisième et quatrième quart du XVIIe siècle, puisqu’il devait être mis à
mort par son père vers le quatrième quart du XVIIe siècle. Par contre, le seul prince héritier qui ait été appelé nô muang
autour de cette date est le fils de Sethathirat, amené à la cour birmane en 1575. Revenu à Vientiane vers 1590, il aurait
règné six années sous l’égide des Birmans. Lorsque le Lane Xang devient indépendant en 1610, il est probable qu’il soit
démis du trône pour devenir le seigneur de Sikhottabong Luang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 202 -
idéologique et symbolique qui ont conduit l’aménagement de ce site et établi son rapport à la ville.
Même si la majorité des sources locales, notamment le Tamnan Oulangkhrathat, est considérée
pour le moment comme non-fiable par les historiens qui mènent des travaux à partir de l’épigraphie
et des vestiges archéologiques, une lecture spatiale renforcée par l’analyse de la persistance du plan
urbain et de la pratique de l’espace d’aujourd’hui permet d’avancer quelques hypothèses.
Le site de That Luang comprend le monument lui-même et les ensembles bâtis implantés
dans le prolongement de la haute terrasse, et surtout, un espace vide désigné comme une esplanade.
Ce terme n’est pas approprié à l’origine, car cet espace n’a pas toujours eu une fonction militaire, du
moins, il n’assure pas uniquement cette fonction. L’emplacement et la disposition spatiale et
urbaine du site mettent en évidence son articulation étroite avec la ville et démontrent l’importance
de son rôle et de sa fonction, non seulement dans les différents moments et configurations de la ville
et dans l’évolution de celle-ci, mais également dans l’histoire spatiale du pays, ancienne et
contemporaine, liée aux pouvoirs politiques et religieux de chaque période.
A l’échelle de la ville, le site était une véritable terrasse –le san muang [-kog,nv’],290 le
parc royal pour certains historiens, à une époque où Vientiane était encore contenue entre la berge et
le rempart intérieur. Outre la liaison par des canaux, l’esplanade était surtout accessible par la route
de Nong bone. Cette route commençait sur la berge dans le quartier du palais royal, Hô Kham,
longeait ensuite l’enceinte puis cheminait vers l’esplanade. Ponctuant cette ascension, il était
jalonné de pagodes et de stupas, et traversait une zone de rizière à Na Xay et une zone de marécage
à Nong Bone. En arrivant enfin sur le site, nous découvrions d’abord la place et ensuite, nous
pouvions apercevoir le grand stupa. Nous pouvions aussi arriver par l’entrée principale du that par
la voie navigable, en empruntant les canaux entourant la ville, Hong Ké ou Hong Ouaylouay qui
sont connectés à Hong Thong et Hong khoua Khao (longeant le rempart intérieur) pour gagner en
barques la mare de That Luang, et de-là accéder au site. Selon une deuxième hypothèse, il y aurait
d’autres canaux un peu plus au Sud, donc en dehors de la ville qui auraient permis d’accéder à la
mare de That Luang depuis le Mékong. Vu l’état actuel de Hong Ké, Hong Ouaylouay, Hong Thong
et Hong Khoua Khao,291 où il y a très peu d’eau, il est difficile de penser qu’ils aient pu être
navigables, ou alors, seulement à la saison des pluies. Quoiqu’il en soit cet itinéraire semble ne pas
être exclusivement réservé à la ville et à ses habitants, au contraire toutes autres villes en bordure du
Mékong pouvaient également directement y accéder. Ce qui sous-entend que les pèlerins du site,
avant, pendant ou après le règne de Sethathirat,292 venaient aussi d’ailleurs. Cette idée confortait la
monumentalité du site et soulignait son importance régionale.
Si les deux itinéraires pour accéder au site, par voie terrestre et par canaux montrent que la
ville et le site de That Luang entretenaient un rapport étroit, depuis l’installation de la capitale grâce
au renouvellement politique et idéologique de Sethathirat, l’hypothèse d’une fréquentation
extérieure bien au-delà de la ville, rappelle que le site possédait une fonction antérieurement avec
une identité préexistante. Ce qui veut dire que son rapport à la ville à l’époque de Sethathirat, que
nous décrivons, se fondait alors sur un concept résolument nouveau. D’une part, le site existait en
relation avec la ville et le pouvoir, d’autre part sa “ monumentalisation ” générait l’implantation
d’une ou de formes urbaines qui étaient dépendantes de lui.
A l’origine l’entrée principale du that était à l’Est, face à la mare de That Luang, le
monument formant alors un écran entre la mare et l’esplanade. Le that tournait ainsi le dos à la ville
qui épouse la courbure de la berge du Mékong. Le palais royal, les pagodes, les quartiers
d’habitations, etc., s’ouvraient vers le fleuve. En revanche du côté rizière, le rempart la séparait de
la plaine et de la terrasse à quatre kilomètres plus loin où dominait le stupa. Cette bipolarité voyait
290 Sân [-ko], est une terrasse –couverte ou non, mais en principe non couvert– dans les maisons lao. Dans le texte, il faut
le comprendre au sens propre : c’est la terrasse de la ville. Actuellement le sane muang [-ko g,nv’] signifie banlieue. 291 Hong Thong a été récemment enterré lors de la restructuration du boulevard Khouvieng et Khun Bourom. 292 Sethathirat a régné au Lane Xang entre 1550 et 1572.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 203 -
ensuite les deux pôles reliés entre eux par la route de Nong Bone. Il n’y avait aucune mise en
perspective entre les deux pôles : leur liaison était un cheminement lent et graduel. Les points
d’ancrage aux deux extrémités de la voie longeaient d’un côté le palais royal, de l’autre, l’un des
deux vat qui encadrait le grand that. N’importe quel monarque en Europe et en Asie aurait été tenté
de réaliser un axe monumental entre la ville et le monument, une situation spatiale grandiose dont
l’urbanisme moderne des années 1960 va révéler la pertinence en y créant un axe de représentation,
servant étroitement les idéologies politiques de l’époque. Pour revenir à Sethathirat, ce dernier
ignorait-il l’importance des axes monumentaux, utilisés ailleurs couramment et universellement
pour la représentation du pouvoir ? Ou au contraire, il ne l’ignorait pas. La notion de symétrie et
d’axe a été utilisée à plus petite échelle dans les éléments bâtis. En occurrence, la culture des lettrés
et des monarques au Laos a été nourrie par la culture de l’Inde antique, même s’il n’y avait pas de
contact direct. Et la culture artistique khmère, indianisée, y exerçait également une grande
influence. Partant du principe que Sethathirat et ses Phraya étaient cultivés, le parcours indirect,
lent et ondulatoire aménagé entre la ville et le That Luang a été un choix intentionnel. Le roi
bâtisseur n’était pas sensible à la forme de l’axe monumental, il a simplement suivi le relief naturel
pour créer la liaison entre sa ville et le monument. Quoi qu’il en soit, volontaire ou non, la liaison
entre le site de That Luang et la ville rend compte avec raffinement et naturel d’un souci
d’esthétique dans la manière de relier le sacré et le profane, le sacré et le pouvoir. C’est aussi l’une
des caractéristiques de l’espace lao que nous aurons l’occasion de revoir par ailleurs.
L’esplanade du That Luang existait-elle avant le transfert de la capitale de Luang Prabang
à Vientiane ? Les deux annales, Thamnane Oulangkrathat et Nithan Khun Bourom, qui évoquent le
site où le That Luang sera plus tard implanté, ne la mentionnent pas. Elle sera évoquée pour la
première fois sous le règne de Suryavongsa dans la première moitié du XVIIe siècle. Dès cette
époque, son statut était déjà ambigu : cet espace était voué à un évènement religieux, mais se voulait
aussi représentatif d’un pouvoir royal absolu, d’une cour faste et prestigieuse.293 A cette époque
donc, l’esplanade servait aux festivités qui accompagnaient la fête religieuse. Mais il est évident
qu’elle a été aménagée bien avant, au moins sous le règne de Sethathirat. Car le pèlerinage du grand
that294 avait été instauré à l’occasion de son inauguration en 1566 par ce dernier, six ans après le
transfert de la capitale pour pouvoir accueillir des pèlerins venus de tout le pays. C’est du moins
notre hypothèse.
L’esplanade a donc été construite lors de l’instauration du pèlerinage du grand that, au
moment où fut achevée sa construction.295 Pour approfondir cette hypothèse, plusieurs facteurs
peuvent être évoqués. Le premier, tient effectivement au renouvellement des idées politiques de
Sethathirat, qui décide de transférer sa vieille capitale à Vientiane au centre du pays afin de mieux
gérer le rapport de force que le Lane Xang entretenait avec ses voisins. Il s’agit de la politique de
recentrage territorial de Sethathirat. Le pouvoir central pouvait tempérer les ambitions du Siam296
293 Dans ses notes de voyage, Van Wuystoff insiste sur le fait que le roi voulait impressionner ses visiteurs et
n’économisait guère de moyens pour montrer combien son royaume était puissant : « […] Le roi, assis sur un éléphant,
est arrivé en venant de la ville et est passé devant nos tentes […] Nous sommes alors sortis et nous avons fait une profond
génuflexion au bord du chemin en signe de révérence […] Devant lui marchaient environ 300 soldats avec des lances et
des fusils ; derrière lui quelques éléphants portaient les hommes en armes, suivis par quelques groupes d’instrumentistes.
Ils étaient suivis à leur tour par 200 soldats et par 16 éléphants portant les cinq femmes du roi […] ». In. Gerrit Van
Wuystoff et de ses assistants au Laos (1641-1642), Jean-Claude Lejosne, Centre de Documentation et d’Information sur le
Laos, 1993. Op, cit. 294 Le Lane Xang à l’époque comprenait une grande partie du Laos occidental et le pays des Tai Dam dans le Nord-ouest
du Vietnam. Le Tamnan Oulangkrathat nous explique que les rois lao allaient avec leur coure en pèlerinage dans le Laos
occidental. Jusqu’à les années 1970, parmi les pèlerins du That Luang, il faut également compter les population du Nord
et du Nord-est de la Thaïlande. Cf. « Histoire des stupas - des vat les plus importants et celle de Phrakhrou Gnot Kéo
Phonnesamek », ministère des Cultes, Vientiane, 1974. 295 Cf., les stèles de That Luang et de Vat Nong Bone, relecture et annotation de Michel Lorrillard, in. « Les inscriptions
du That Luang de Vientiane : données nouvelles sur l’histoire d’un stupa lao », BEFEO 2003-2004, 90-91. Op, cit. 296 Beaucoup d’historiens ne voient dans le transfert de la capitale qu’un désir de Sethathirat de se rapprocher du Siam,
son allié. Nous pensons que ce n’est sans doute pas la raison principale. Le fait qu’un that ait été construit à Leuy pour
marquer la frontière entre les deux États montre davantage qu’il serait aussi intéressé à clarifier la frontière entre son
royaume et le Siam. Même si ce stupa se nomme That Sri song hak, signifiant “la grâce des deux amours”.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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(en plus de celles de la Birmanie) qui cherchait à étendre son territoire vers le Nord-Est,
297 et
contenir la déconsolidation éventuelle de la frontière sud peuplée d’ethnies de parler môn-khmer, au
contact avec le Cambodge. Le deuxième facteur était de réaliser les ambitions pour le royaume qu’il
venait de réformer. En tant que roi, Sethathirat aspirait à être un grand bâtisseur et protecteur de la
“sainte religion ”–à l’instar de son grand-père roi de Chiangmai298 et de Açoka, l’empereur indien–
et en tant qu’homme, à devenir bodhisattva et atteindre le Nirvana.299
A travers sa politique intérieure, Sethathirat avait probablement deux objectifs :
1- Chercher à donner une nouvelle base aux rapports de force qu’entretenaient les rois avec leur
classe dirigeante : vassaux, gouvernants et administrateurs du pays. Le pèlerinage du grand that
était un événement annuel qui obligeait les seigneurs à être présents, à contribuer aux dons et
participer aux festivités. Même si c’était le roi qui dirigeait et patronnait cette fête et qui la rendait
obligatoire, l’objet principal ne tenait pas à sa personne. C’était “ le tiers ” –entité sacré, qui en était
la motivation centrale. Les actes votifs bouddhistes liés au that, sans remplacer la cérémonie
d’allégeance pratiquée depuis F’a-Ngoum,300 donnaient une autre dimension aux rapports existant
entre le peuple et le pouvoir royal : ils apportaient, en quelques sortes, un souffle de spiritualité à
l’exercice du pouvoir et donnaient une nouvelle dimension à la soumission “ servile ” du peuple. Le
règne de Sethathirat a marqué l’aboutissement de trois siècles de bouddhisme dans l’exercice du
pouvoir, qui avait commencé avec F’a-Ngoum et qui s’était intensifié depuis Vixun et Phothisarat.
D’une certaine manière, le pouvoir avait fait délibérément le choix d’adopter et d’adapter
l’idéologie bouddhiste pour incarner l’unité politique et l’identité lao.
2- Offrir un lieu de loisir et de festivité où pouvait se réunir la population à l’occasion d’une fête
rassemblant tout le royaume. Par la monumentalité du that auquel l’esplanade était annexée,
l’ensemble du site devenait alors un véritable espace public. Nous voyons là une différence
fondamentale entre le règne de F’a-Ngoum au Moyen-âge qui demandait à ses seigneurs de venir se
présenter en personne à la cour (qui se trouvait à ce moment-là à Luang Prabang) pour témoigner de
leur fidélité et pour honorer le culte des ancêtres, les phi Thaèn. Avec Sethathirat, les seigneurs
avaient l’obligation de participer à la fête du That Luang mais pour réaliser ensemble, avec le
peuple et les simples pèlerins, le Boum (mérites de vertu bouddhique), nobles gestes pour la vie
actuelle et la vie future. Le caractère public des actes royaux, puisqu’ils associent le peuple, semble
alors ici tout à fait inaugural.
Cette esplanade était donc, dès le départ, un lieu dévolu à la religion et au politique qui
consolidait l’unité et l’identité lao, servait le culte à l’initiative royale lors d’une grande
manifestation festive et populaire. On y venait pour se faire voir à la cour mais aussi et surtout pour
faire le boun.
301 On y organisait des processions, des jeux rituels tels que les courses de chevaux,
297 Selon Masuhara, le Siam cherchait à étendre son territoire vers le Nord-est pour des raisons commerciales. Il fallait
alimenter le commerce que le Siam pratiquait avec l’Europe et le Japon, entre autres, en produits provenant des forêts du
Nord. Par son port, le Siam jouait le rôle d’intermédiaire pour certains produits qui n’existaient pas chez lui. In. Histoire
économique du Royaume du Lane Xang, du XIVe au XVIIe siècle, d’un Etat qui bénéficie du commerce continental vers un
Etat qui bénéficie de l’économie portuaire, Yoshiyuki Masuhara, éd. Art and Culture, Bangkok, 2003 (en Thaï).
L’ambition du Siam a effectivement aboutit : celui-ci a annexé les 16 provinces occidentales du Lane Xang deux siècle
plus tard.
298 Grand-père maternel de Sethathirat et l’un des plus importants rois de Chiangmai, Thiloka Raja a bâti un nombre
important de monuments religieux. Sethathirat lui-même a construit la majorité des monuments de Vientiane. 299 Dans les fascicules portant sur l’histoire de Vat Inpèng (Histoire de Vat Inpèng Maha Vihan, la grande statue et la
légende, Tham Saygnasitséna, Vientiane, 1992,) et de Vat Ongtû (A brief history of Wat Ongtu Mahavihar, Phra Achanh
Maha Phaung Samaleuk, Vientiane, 1988) les auteurs évoquent un ouvrage (en anglais, sans doute une traduction d’un
ouvrage ancien) se trouvant à la bibliothèque nationale de Rangoon, intitulé Le tracée de la chaux [djkox6o]. Il évoquerait
la construction de Vat Ongtû et de la statue de Phra Ongtû par Sethathirat. Il rapporterait qu’en réponse à la déclaration de
guerre que le souverain Birman attendait, Sethathirat l’aurait invité à construire avec lui le Phra Ongtû : « Nous désirons
devenir Boddhisattva dans notre vie future en construisant la saint effigie de Phra Samma Sam Bouddha Chao, nous ne pouvons nous engager dans la guerre contre votre seigneur, nous invitons votre seigneur à se joindre à notre pieuse
action ». 300 La cérémonie d’allégeance au Roi du Lane Xang instaurée par F’a-Ngoum à l’origine ne serait pas imprégnée de rites
bouddhistes mais se référerait aux cultes des esprits et des ancêtres. Sethathirat l’aurait par la suite bouddhisée. 301 Boun, terme lao qui signifie “ mérite ” ou “ bonne action ”, il désigne plus couramment la fête.
Fig. 34. Schéma de
l’articulation de
That Luang avec la
ville de Vientiane
et les villages
environnants.
Scénario d’accès,
local et régional.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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des jeux de Tiki,
302 mais aussi des parades militaires. Sa configuration et ses limites n’étaient peut-
être pas très différentes d’aujourd’hui. Il est certain que l’esplanade était en terre battue, limitée au
Nord-est par le Vat Phone Kéng, au Sud-est par le grand that et par deux vat : le Vat That Luang
Taï et le Vat That Luang Neua, et au Sud-ouest, par le Vat Nong Bone. Elle formait ainsi une plateforme
d’orientation nord-ouest / sud-est. A l’est, autrefois l’entrée principale du that, il y avait
probablement les habitations des serviteurs du that, dont la présence a été évoquée dans la stèle de
fondation du That lui-même,303 et peut-être également celles des descendants des habitants du
village de Thao Burichanh.304 Plus loin, toujours à l’est, il donnait sur la grande mare, où une voie
navigable avait été aménagée. De part et d’autre tout autour de l’esplanade, il y avait des lambeaux
de forêt. Tout le site était bâti sur la plus haute terrasse, le point culminant le plus étendu de la ville.
Le site dominait ainsi, d’un côté la ville et le fleuve qui se situaient à environ quatre kilomètres, et
de l’autre la mare, les rizières et la forêt. L’entrée principale du that du côté oriental, indique qu’il
tournait le dos à la ville et que, par conséquent, l’esplanade était aménagée à l’arrière du that.
Bien avant Sethathirat, le Tamnan Oulangkrathat explique que le site était occupé par une
construction en forme de pilier, datant de l’époque d’Açoka et construit par ses missionnaires vers
le IIIe siècle avant J.C. Le Tamnan évoque également, en contre-bas de la bute vers Hong Ké,
l’existence du village de Thao Burichanh, et les gens de ce village considéraient déjà le site comme
un lieu de culte (sic). Dans le Tamnan Khun Bourom, les moines venant du Cambodge avec la
mission de Kéo Kengna vers 1359305 demandaient également où se trouvaient les lieux vénérés de la
ville. En réponse, un notable désigna plusieurs sites, dont le lieu de l’actuel That Luang.306 Lorsque
Sethathirat implanta sa capitale, il aurait été logique que le lieu ait été retenu pour construire un
espace sacré, symbole du renouveau du royaume et du réveil de la religion. En réalisant ce choix,
Sethathirat souhaitait sans doute répandre et développer cet héritage pour le rendre plus éclatant.
Les fonctions de l’esplanade décrites, ne dépendaient donc pas exclusivement de la nature haute de
son site, mais étaient liées aussi à la monumentalité du that, construit sur un site mis en valeur
antérieurement pour profiter de sa position topographique au point le plus haut déjà investi par le
sacré.
Nous pouvons dire alors qu’à l’origine l’esplanade et le that, avec les fonctions décrites,
sont nés avec la construction de la capitale, même si elle fut implantée sur un site déjà occupé
antérieurement par le sacré. D’un lieu qui relèverait de la dévotion religieuse d’Açoka, Sethathirat a
fait un espace symbolisant le pouvoir politique, tout en gardant la force spirituelle originelle. Celleci
palliait le fossé existant entre le peuple et le pouvoir et les réunissait dans un destin commun, une
véritable nouveauté à l’époque. Si la sacralisation du site dans la période antérieure était
conditionnée par la situation géographique (le point le plus haut de la ville), la dimension politique
et symbolique sous Sethathirat était devenue le nouvel élément moteur, donnant au lieu sa force
symbolique et historique. Cette force aura un rôle important et sera façonnée et réutilisée tout au
long de son évolution en tant qu’espace emblématique. Elle sera marquée par des ruptures
302 Le Tiki est un jeu rituel, proche du hockey ou du polo. In. Archaimbault, « La fête du T’at, trois essais sur les rites
laotiens », documents sur le Laos N°1, mission française d’enseignement et de coopération culturelle au Laos, date
imprécise.
303 Cf. Lorrillard. M. Op, cit. 304 Tamnan Oulangkhrathat évoque le village construit par Burichanh, comme étant contemporain de la période où les
missionnaires d’Açoka étaient arrivées sur les lieux pour construire le that en forme de pilier, environ vers le IIIe siècle
avant J-C. Même si cette source est considérée comme peu fiable par les historiographes, cette référence est parmi les
rares textes évoquant l’origine de Vientiane. Elle mérite d’être citée, même en tant que légende ou mythe. Cf. M & P.
Ngaosivathana, « Ancient Luang Prabang, Vientiane, mon realm and the Angkor imperial road », in. The Enduring Sacred
Landscape of the Naga, Mekong Press, 156 p, Chiangmai 2009. Op, cit. 305 Kéo Kengna est une princesse angkorienne. Epouse de F’a-Ngoum, elle était à l’origine des missions religieuses et
artistiques khmères à la coure du Lane Xang Luang Prabang. 306 « Où se trouve donc le Pak Bang Xay, le Pak Passak, le Phone Sabok, le Nong Chanh, le Nong Kadé, le Saphang
Nô ? » Quand les notables de la ville leur montrèrent où se trouvaient ces lieux, les moines conclurent ainsi : « A Pak
Passak les vénérables esprits ont marqué le lieu avec une borne en bois de santal, sur la bute, à l’Ouest depuis Nong
Kadé jusqu’à l’Ouest, les vénérables esprits ont marqué avec un pilier carré […] ». Cf. Histoire des Stupa - des vat les
plus importants et celle de Phra Khrou Gnot Kéo Phonesamet, ministère des cultes, Vientiane, 1974.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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politiques et sociales postérieures où, entre la politique et la religion, les problématiques se
confondent parfois. Ces ruptures, sont intervenues à trois moments clef : d’abord aux origines lors
de la fondation de Sethathirat, ensuite au moment de l’émergence de l’urbanisme moderne des
années 1960 et enfin, avec le renouvellement et l’instrumentalisation contemporaine à partir de
1975. Cependant, le site de That Luang conserve une continuité dans le sens où il demeure à la fois
la mémoire, l’expression et le réceptacle des idées, des rêves et des ambitions de la société et du
pouvoir, accumulés dans la longue durée. C’est ce qui est laissé en héritage par Sethathirat dans sa
politique d’édification.
I. III. b. Les monuments générateurs d’une unité urbaine et d’une culture régionale
Les espaces et les monuments religieux produits sous le règne de Sethathirat font
apparaître non seulement la pertinente de la restructuration politique de ce règne mais constituent
également un élément générateur de certains types d’unité urbaine et villageoise à l’intérieur ou
dans le rayonnement du muang. L’édification des monuments et en particulier celle des stupas sous
le règne de Sethathirat, est également une pratique régionale qui connaît en cette période un
moment florissant.
Comme nous venons de le voir, il y a une régénérescence religieuse au XVIe siècle,
accompagnée d’une restructuration spatiale et politique, traduite soit dans une refondation religieuse
(Ban Phay Lom), soit dans une fondation d’habitat (Ban Lingsan) et dans l’édification des édifices
emblématiques et monumentaux (That Luang). Si Phothisarat pouvait ordonner l’application d’un
édit contre le culte des phi, Sethathirat a pu également ordonner différents muang et chefferies
d’entreprendre des actes votifs dans l’édification des monuments religieux, tout comme il y avait eu
ses ordonnances pour l’affectation de serviteurs et de donations aux domaines pour leur entretien.307
A la rencontre de la dévotion populaire, les ordonnances royales qui devaient être des contraintes,
engageaient dans ce cas les actes pieux et volontaires faisant naître des groupements de mains
d’œuvre et de “ fournisseurs ” de matériaux, à proximité immédiate ou éloignés, comme ce fut le
cas de la zone de Ban Phay Lom et de Ban Donoun où nous pouvons formuler l’hypothèse que des
villages de tailleurs de latérite s’étaient établis. Donc, à travers la réforme politique et le renouveau
religieux et à travers la dévotion royale et populaire réunie pour la construction des monuments,
nous entrevoyons premièrement la formation –ou une certaine dynamique– des corps de métiers qui
constitueraient plus tard des villages, fournissant de la main d’œuvre (qualifiée dès le départ ou peu
à peu formée) et des matériaux nécessaires aux chantiers. Nous entrevoyons, deuxièmement, dans
l’affectation des serviteurs et dans l’attribution des domaines pour l’entretien des monuments une
fois construits, la genèse des nouveaux types d’unité villageoise, voire, des nouveaux types d’unité
urbaine, que nous tenterons ici d’identifier à travers des exemples : A That Phnom (Thaïlande), à
That Pholne (Khammouane, Laos), à Ban That Luang (Vientiane), et à Ban That (Savannakhet,
Laos). Nous nous attarderons sur deux monuments qui nous semblent représentatifs : Ban That et
Ban That Luang. Nous évoquerons rapidement deux cas de fondation contemporaine de that : sur
les ruines d’un ancien that à Oudomxay et sur un nouveau site à Luang Nam-Tha. Les deux derniers
cas semblent tout à fait anachroniques et, contrairement aux édifices générateurs d’espace
précédemment évoqués, ne génèrent aucun espace, mais deviennent des monuments qui justifient
l’existence postérieure des espaces sans unité qui ont perdu leur histoire ou qui n’en avaient pas. Il
s’agit de ces villes moyennes, nouvellement restructurées, et qui connaissent actuellement une
croissance significative. A partir de ces exemples, nous pouvons tenter de définir un mode et un
processus de fondation, bien que les exemples soient ici un peu contextuels.
307 Cf. Lorrillard. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 207 -
I. III. b. 1. Le That Luang, générateur de l’unité urbaine et villageoise
Nous avons vu que la construction ou la refondation du that aurait produit dans la pratique
un certain nombre d’espaces qui auraient perduré avec le temps. D’abord, il y aurait des espaces
organisés sous forme de villages qui auraient fourni de la main d’œuvre, tels les tailleurs de pierres
et de latérite, et pourquoi pas des fabricants de brique. De manière un peu contextuelle, l’exemple
de la zone Phay Lom et Donoun montre que la forme de l’organisation villageoise serait
préexistante. D’une part, à la suite des déplacements organisés depuis Xieng Khouang, les Phouans
auraient, dès leur départ de Xieng Khouang et dès leur arrivée à Vientiane, organiser leur
groupement en village, nouveau donc. Il est improbable que l’émigration Phoune en ce cas précis ait
été anarchique ou isolée, auquel cas, il y aurait eu un éclatement en petits groupes pour s’ajouter
aux quartiers existants en ville ou à sa périphérie. Il y aurait aussi des villages entiers dont les
populations seraient affectées comme “ serviteurs ” du that, mandatées ou ordonnées par le
souverain. Soit ces villages existaient préalablement et auraient par la suite été intégrés dans les
domaines, donnés en servitude au monument. En ce cas, les conditions de bases semblaient
quasiment réunies pour constituer une unité complète et autonome : le nombre des individus, leurs
compétences, les habitations et la richesse des terres en matière de production. Les villages de
“ serviteurs ” auraient ainsi été créés de toute pièce.
A la question du nombre des personnes concernées, l’annotation des stèles par Lorrillard
montre que les individus attribués au that se comptaient par milliers de personnes. Pour That Luang
Sethathirat aurait attribué « pas moins de 3500 individus ».
308 A la question qui concerne la
compétence en corps de métiers nécessaire pour construire le That Luang, les stèles restent muettes.
Mais nous verrons un peu plus loin ce que cela peut impliquer. Quant à la question des habitations
nécessaires pour loger les personnes qui venaient construire ou qui venaient entretenir le that, ainsi
que les vat et les kùti pour loger les moines, les stèles ne donnent pas d’information. Enfin, à la
question relative aux terres, comme moyen de production pour que ces personnes puissent se
nourrir, les stèles indiquent que des grands domaines avaient été octroyés. Ceux-ci peuvent être soit
à proximité soit très éloignés du monument. Les textes signalent ainsi des domaines qui sont
difficilement localisables. Pour le domaine du That Luang Lorrillard suggère la région de Ban
Kheun et de Vieng Kham.309 Si la donation du prince et de la princesse, les propres enfants de
Sethathirat, comme “ serviteurs ” du that semble purement symbolique, les donations de domaines
paraissent cependant effectives. Et plus que pour faire vivre les individus vivant dans les domaines
ou en rapport avec le that, il était quasiment sûr que ces domaines, constitués de rizières et de forêts,
mais surtout d’individus corvéables, pouvaient aussi générer des profits. Nous parlons de la richesse
des rizières et des produits provenant des forêts, de certaines formes de taxes, etc. Il faut rappeler
que, puisque ces domaines et ces individus ont été attribués à un monument, cela peut signifier que
les profits tirés de ces domaines et de ces individus sont traités à part. Bien que nous ayons peu
d’information sur la gestion de ces dons royaux, il est probable que les profits en question n’aient
pas été rétribués à la caisse publique appelée autrefois Prakang Luang [rit7a’s];’], mais à celui ou
ceux qui en avaient le droit et la charge ; en d’autre terme, réservés strictement aux besoins liés au
monument. Il était mentionné dans Khamphi Phosarat et Sangkrapakone du droit coutumier, que
les dons royaux étaient inaliénables. Mise à part le fait que ces dons étaient réservés logiquement à
l’entretien du monument et des domaines annexés et à ceux qui les entretiennent, nous pensons
qu’ils reviennent surtout au prince et à la princesse, serviteurs symboliques du that. Sans doute
pouvons-nous suggérer une administration autonome, une rétribution particulière.310
On peut remarquer aujourd’hui que l’emprise des monuments ne semble pas exercer une
308 Selon la relecture des stèles de That Luang et de Vat Nong Bone par M. Lorrillard. Op, cit. 309 Cf. M. Lorrillard (Ibid), à propos des domaines attribués au grand That Luang. 310 La gestion financière très autonome des monastères lao aujourd’hui porte à croire que cela est une survivance de cette
autonomie antérieure historique.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 208 -
grande influence sur les villages et les quartiers environnants, sur leurs tissus urbains et leur
développement en cours. Mais nous ne pouvons pas remettre en doute la mémoire de ces quartiers
et villages qui affirment avoir connu les servitudes et nous ne pouvons pas non plus ignorer les
inscriptions qui les évoquent, même si les espaces urbains et villageois en gardent si peu de traces.
Mais comment expliquer cette rupture ? Imaginons que par la suite (sur un temps long) les
personnes, les groupes et les villages de serviteurs du that devenaient plus libres et plus autonomes.
Cela leur permettrait de se consacrer plus aisément à la construction de leur vie sociale et
économique, au développement d’un espace plus autonome par rapport au monument. Nous
pensons que c’est ainsi que certains quartiers se forment : en se détachant physiquement et
économiquement des servitudes religieuses et en subissant dans une moindre mesure l’emprise
politique d’une autorité, pour pouvoir rejoindre peu à peu les autres quartiers et villages non soumis
aux servitudes. Pour That Luang il est probable que Ban That Luang et les quartiers aux alentours
de Phone Phanao ainsi que le village de Burichanh autour de Hong Ouaylouy –l’un des deux
noyaux qui ont formé Vientiane selon le Tamnan Oulangkrathat– qui auraient été intégrés dans le
domaine de servitude religieuse du That soient issus de ce contexte.
L’autonomisation par disparition des servitudes ne peut se faire sans deux conditions. La
première, il faut que les quartiers, les villages et les communautés se retrouvent sans obligation
envers les domaines religieux aux services desquels ils ont été affectés par l’autorité royale. Et il
faut également qu’ils se retrouvent sans l’autorité royale directe vis-à-vis de laquelle ils sont
naturellement assujettis. La deuxième condition concerne la levée de la servitude de la part du
pouvoir royal. Celle-ci n’a été mentionnée nulle part, ni dans les annales, ni dans les inscriptions.
En fait, nous n’avons pas vu de cas où le souverain aurait relevé les personnes de leur servitude.
Quant à la première condition, elle ne peut exister qu’avec l’effondement du pouvoir royal. Les
événements qui auraient pu causer l’effondrement ou l’affaiblissement du rôle du pouvoir royal,
voire son effacement vis-à-vis des domaines religieux ont été plus ou moins mis en exergue à
différents moments au XVIe et XVII
e siècle : trois guerres avec les Birmans suivies de l’occupation
du Lane Xang, conflits internes et crise de succession.311
Une autre question qui semble importante dans la formation des unités spatiales, mais
cette fois-ci sous forme de quartier, c’est l’idée de faire venir et de grouper dans un lieu les artistes
et artisans sous l’autorité royale, que ceux-ci viennent de l’étranger ou pas. Sur le That Luang,
aucune mention n’a été faite à ce sujet. C’est le plus grand that du Laos et le plus représentatif de
l’art lao du XVIe siècle. Ceci sous-entend pour l’époque une mise en œuvre par des artisans de
grandes pointures. Même si du point de vue architectonique et décoratif l’architecture du That
Luang ne peut être reliée directement à l’architecture des stupas de Chiangmai, du Siam, de la
Birmanie et du Cambodge, la participation d’artistes étrangers dans sa construction ne serait pas
impossible. Les stèles omettent malheureusement le nom des maîtres d’œuvre. Ces artistes et
artisans, qu’ils soient étrangers ou lao sont anonymes pour la postérité, mais nous savons que dans
toute la région de l’Asie du Sud-est continentale, ils ont un rôle important dans la société. Au Lane
Xang, ils auraient existé en tant que tel dans la hiérarchie administrative royale : les titres furent
donnés aux maîtres tisserands, sculpteurs, architectes, dessinateurs, etc., regroupés dans une sorte de
corporation, sapha sang [ltrt-jk’] “ poly technique ”. En tant que fonctionnaires royaux, ils
311 Après l’inauguration du That Luang, même si plusieurs monuments auraient été inaugurés ou restaurés par Sethathirat,
son règne et ceux de ses successeurs n’avaient pas été d’un calme absolu. Entre 1566 et le début du règne de Suryavongsa
en 1638, des guerres, des conflits internes et des règnes s’étaient succédés, provocant plusieurs fois des mouvements de
migration, forcée ou volontaire, vers le Sud et vers l’Ouest. Deux campagnes à Pitsanoulok en 1567 et en 1569, une
campagne à Muang Ongkan (au sud du Laos) en 1572, période durant laquelle Sethathirat fut porté disparu. Assaut birman
en 1570 où les souverains et les hauts dignitaires se retiraient de Vientiane, un nouvel assaut de la ville par les Birmans en
1574 suivi de leur occupation qui aurait duré 24 années. Il y aurait eu 10 règnes avant que Suryavongsa puisse restaurer
l’ordre : Saèn Surinh (1572-1575) -personnage extérieur à la dynastie de F’a-Ngoum ; Voravangso (1575-1580) placé par
les Birmans ; de nouveau Saèn Sourinh suivi par son fils Nakhonne Noy (1580-1582) ; le Lane Xang se retrouve sans roi,
les nobles assuraient par intérim le pouvoir (1582-1590) ; Nô Muang (1591-1598) suivi de la régence de Vorapita jusqu’à
1603 ; Voravongsa (1603-1621) ; Oupa Yaovarat (1622) ; Phra Bandith (1622-1627) ; Phra Momkéo (1627-1638).Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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auraient reçu un traitement salarial en argent et en nature. Vivaient-ils en villes ou possédaient-ils
des résidences avec atelier en dehors de la ville ou proches du monument ? Dans tous les cas,
lorsque Sethathirat transféra son administration de Luang Prabang à Vientiane, nous pensons que
les maîtres qui l’accompagnaient vinrent d’abord habiter en quartier à proximité du grand that. Les
quartiers en question auraient ensuite fini par être intégrés dans les villages existants. L’idée de
maison en bois sur pilotis avec atelier en dessous et dans la cour, que ce soit en ville-même ou à
proximité du monument, paraît tout à fait appropriée. Les artisans lao ont ainsi été lotis jusqu’à une
époque récente. Les fabricants de tuile, de brique et de poterie habiteraient prioritairement à
proximité des rivières ou dans les parcelles avec étang ou plan d’eau. A Vientiane nous retrouvons
autour de Nong Chanh et de Nam Passak, autour des puits etc., des anciens fours et des débris de
forge attestant à plusieurs endroits l’existence d’anciens ateliers de poterie, d’armuriers et de
fabriques de tuile et de brique.
L’observation de certaines parties des habitations autour du That Luang tend à nous
montrer que leur organisation ancienne pendant et après l’instauration du grand that en villages
n’est pas exclusive. Il semble qu’elles auraient aussi été organisées sous forme de quartiers urbains :
la trace de densités certaines au Sud et au Nord du stupa semble montrer que le groupement
d’habitations se faisait peut-être autour d’une autre idée d’unité que celle qui formait
traditionnellement l’unité du village, telle concentration de corporations, ou groupement autour d’un
événement et d’un élément particulier, etc. Mais du fait que l’évolution urbaine de la ville se
trouvant à 3-4 kilomètres au sud-ouest du that a intégré complètement ces zones qui étaient à
l’origine bien distinctes de la ville, cela fait disparaître les noyaux éventuels de quartier en question
et nous empêche d’avoir une vision plus claire de son statut d’origine. Le cas de That Inheng à
Savannakhet semble plus parlant. Effectivement, Ban That conserve son unité villageoise du fait de
son éloignement par rapport à la ville de Savannakhet. Il conserve aussi une certaine densité. Les
habitants, aujourd’hui, se disent clairement descendants des esclaves du That. De tels constats n’ont
pas été entendus à Vientiane. Quoi qu’il en soit force est de constater que les villages subsistent
encore aujourd’hui à proximité immédiate ou dans les alentours de la plupart des that
monumentaux, et leur densité est souvent supérieure à la densité habituelle des villages.
I. III. b. 2. Une culture régionale, circulation des savoirs suscitée par la construction des
stupas et des nouvelles fondations religieuses
Nous avons vu précédemment, en ce qui concerne la fréquentation du That Luang, que
l’aménagement des accès au site ne serait pas exclusivement réservé à la ville et qu’il serait aussi
ouvert et tourné vers l’extérieur. Ce qui sous-entend qu’il était disposé avant, pendant ou après le
règne de Sethathirat (1550-1572), à recevoir des pèlerins venus de loin et d’autres lieux que
Vientiane. Un tel fonctionnement confortait alors la monumentalité d’un site d’importance
régionale. A cette même époque That Luang n’aurait donc pas été un lieu de pèlerinage isolé. Si les
pèlerins venaient d’ailleurs, la population de Vientiane allait aussi rendre hommage à d’autres that
bâtis ou restaurés, comme le That Inheng, le That Phnom, le That Sikhottabong, ou le That Pholne.
Sethathirat, ainsi que ses successeurs faisaient des déplacements réguliers pour aller restaurer et
embellir ces monuments. Nous avons vu aussi qu’à chaque restauration ou construction importante
des servitudes religieuses ont été instaurées : des serviteurs avaient été installés par les souverains,
ou alors des villages existants dans les alentours, mandatés pour leur entretien. Les effectifs
pouvaient atteindre plusieurs milliers de personnes pour ainsi former des villages, des quartiers et
des unités urbaines avec des artisans aux corps de métier divers, des lettrés aussi sans doute pour
organiser et diriger les rituels et les cérémonies.
Cette pratique aurait été vraisemblablement généralisée dans la région de culte
bouddhique –chez les Siamois, les Birmans et les Lao– avec des variantes qui font la particularité de
chacun. Il est probable que des individus, voire, des corporations se déplacent entre les sites,
corollairement aux échanges et aux “dons” d’artistes, d’artisans, de lettrés et de moines entre les
royaumes, une tradition fort ancienne et bien connue chez les souverains de la région. Ainsi en est-il
Fig. 35. Le
village de
Ban That à
That Inheng Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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des artisans venus de Pegu à Chiangmai à la demande de Mengrai vers le début du XIVe siècle, ou
de ceux qui formèrent la mission Kéo Kengna en venant du Cambodge au milieu du XIVe siècle
pour se rendre à Luang Prabang.312 Souvent, ces missions étaient à l’origine ou parfois le résultant
des traités de paix, des alliances d’amitié ou matrimoniales. Nous apprenons par exemple qu’au
moment où Sethathirat restaurait That Phnom, il faisait travailler les maîtres artisans Phouans, qui
avaient leurs propres formules pour fabriquer les stucs, les enduits et les badigeons. Ceux utilisés
dans le sanctuaire de Ban Lingsan, de fabrication phouane, seraient de la même composition que
ceux utilisés à That Phnom.313
Le cas de Ban Lingsan
Revenons au modèle d’édification des établissements sous Sethathirat. Les habitants de
Lingsan sont Phouans et datent leur venue et la fondation de leur village sous le règne de
Sethathirat. Dans une situation différente de notre étude précédente, la fondation de Ban Lingsan
nous aurait permis de comprendre l’une des faciès de la mise en application de la politique de
Sethathirat dans une autre variante. Du moins, elle aurait pu nous donner un aperçu sur un autre
type de fondation de l’époque, qui ne serait issu ni de la refondation religieuse en réaction contre le
culte des phi comme ce fut le cas de Ban Phay Lom, ni de la construction d’un monument
fédérateur comme ce fut le cas du That Luang.
D’après son grand Vénérable l’emplacement du monastère central aurait été édifié en 1233
et restauré –voire reconstruit– par Sethathirat en 1527. Sur ces dates des problèmes se posent.
D’abord la date 1233 place ce village dans une période historique que les historiens identifient avec
incertitude, puisque la chronologie de l’histoire du Laos ne se clarifie qu’à partir de 1271, date du
début du règne de Phraya Lang, arrière-grand-père de F’a-Ngoum qui aurait régné à Muang Swa
entre 1271 et 1316.314 Ensuite, la date de la reconstruction du sanctuaire ne correspond pas au règne
de Sethathirat, mais à celui de Phothisarat. Soit il y a une erreur de datation, soit les deux règnes ont
été si marquants pour l’histoire du village qu’ils auraient été simplement confondus.
L’architecture du sanctuaire telle qu’elle nous apparaît aujourd’hui s’apparente
effectivement à l’architecture phouane. Il aurait été ensuite restauré par l’autorité royale entre 1950
et 1960. Lors de cette restauration, la peinture blanche à la chaux aurait recouvert les anciennes
fresques des parois intérieures du sanctuaire. Les supports des anciennes fresques seraient constitués
d’enduits de la même composition que ceux utilisés à Nakhon Phnom sous le règne de Sethathirat,
l’un des types d’enduit autrefois couramment utilisés aussi pour les stucages des décors
architecturaux dans les constructions en brique. Si cette information s’avère exacte, cela
confirmerait la circulation effective des savoirs-faires, qui seraient –dans cet exemple– phouans
venant de la haute plaine de Xieng Khouang et traversant la vallée du Mékong occidentale.
I. III. c. Une nouvelle perception du territoire
Le parti pris idéologique pour la restructuration spatiale de l’époque de Sethathirat s’était
traduit, nous l’avons vu, par le renouveau religieux et politique accompagné d’une mise en valeur
importante de la conception des monuments qui étaient générateurs de certains types d’espace, de
certains savoir-faire liés à une culture régionale. Elle mettait en évidence surtout une prise de
conscience de l’importance du territoire comme un enjeu politique et économique des États, en
particulier si ce territoire se trouvait sur les routes de commerce, et en conséquent, le désir des États
312 Tamnan Prabang, annoté par Sila Viravong et Nouane Outhensakda, Ministère des Cultes, Vientiane, 1967. 313 D’après le Vénérable de ban Lingsan, la composition du mortier aurait été formulée et transcrite sur une ou plusieurs
plaques en bambou qui seraient datées du XVIe siècle. Et toujours d’après le Vénérable elles pouvaient être encore
consultées jusqu’à il y a une quinzaine d’année à la pagode centrale de Ban Lingsan. Les plaques en question auraient
disparu vers 1995.
314 Selon la chronologie proposée par A. Padijon, Chronologie de l’histoire du peuple Lao, Paris, 2001 (sans éditeur). Op,
cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 211 -
de le contrôler et d’en tirer parti. Ce parti pris se serait donc traduit par des actes politiques de
Sethathirat en faveur de la consolidation des frontières et du recentrage du pouvoir, au coeur d’un
vaste royaume dont le centre était jusqu’alors très excentré. Cet élan politique aurait aussi des
répercussions par la suite sur les lettrés lao de l’époque. Ce fait se serait reflété dans une sorte de
littérature géographique, dont la connaissance du territoire par ses auteurs est remarquable.
I. III. c. 1. La consolidation des frontières et la politique de recentrage de Sethathirat
Nous avons évoqué rapidement les conditions de la politique de recentrage de Sethathirat
dans le chapitre, traitant de la question du contrôle des produits de la forêt du Laos et du rapport
entre ces produits et le commerce maritime dans la politique d’expansion siamoise. Nous
examinons ici ce recentrage et son implication sur la vie culturelle, politique et économique du Lane
Xang et sa place dans la région. Nous essayons de comprendre pourquoi la politique de Sethathirat a
été comprise uniquement comme un rapprochement au Siam son allié ; en d’autres termes, comme
une consolidation du monde tai, alors que nous décelons des signes de distinction, voire,
d’éclatement, du fait des facteurs nouveaux que sont les intérêts des États pour le commerce
maritime et pour le contrôle des routes du commerce ripuaire et terrestre. Il s’agit de comprendre
pourquoi Sethathirat a consacré tant d’efforts et a participé tant de fois aux conflits Birmans aux
côtés d’Ayuthia, alors que ces conflits ne semblaient pas le concerner directement, mise à part la
question portant sur la suzeraineté du Lan Na. Sa politique dans le conflit siamo-birman serait-elle
uniquement liée au statut de Chiangmai ? Il apparait en tous les cas que la participation du Lane
Xang à la guerre siamo-birmane a été inappropriée : cela lui a valu les sièges de Vientiane,
obligeant le Lane Xang à verser aux Birmans des tributs durant près de 24 années,315 alors que la
région aurait dû se réjouir d’une période de paix et d’échanges culturels, de savoir-faire et surtout
d’échanges commerciaux fructueux. Avant d’aborder cette question, comprenons d’abord ce qui
constitue le territoire du Lane Xang sous Sethathirat, quelle situation politique a-t-il hérité, et qu’en
est-il de l’aire d’influence de ce pays dans le moyen et le haut Mékong, laissée par F’a-Ngoum et les
souverains des règnes précédents.316
Situation interne
Pour comprendre le XVIe siècle remontons au XVe siècle.317 Le pays a été préoccupé par les
conflits de palais, la gouvernance des muang s’est retrouvée délaissée. Le Daï-Viêt annexe Muang
Phouan en 1448. En 1456, le Lane Xang se remet du désordre avec l’ascension de Jaya Charkaphat
Phaèn Phèo.318 Selon les annales du Lan Na, entre 1443 et 1454, un conflit aurait eu lieu entre
Luang Prabang et Chiangmai. Le litige aurait porté sur la suzeraineté de Muang Nan. Ce conflit se
serait soldé par la défaite du Lane Xang. Le Nithan Khun Bourom évoque le Gouverneur de
Vientiane, Tiao Say Mui, un prince qui avait tenté de faire sécession dans les années 1470. Sur le
plan de succession, il semble qu’il y ait eu un flou entre le moment où mourut Jaya Charkaphat
(1480) et le début du règne de Vixun (1500), aussi bien du point de vue chronologique que
315 Vers 1575 ce fut le début de la deuxième hostilité interne au Lane Xang. Cette période trouble fait apparaître des
changements fréquents de règne. Cf. note, op. cit. 316 Il est préférable d’utiliser l’expression “ aire d’influence ” au lieu de “ délimitation de frontière ” : les frontières entre
les royaumes à l’époque de F’a-Ngoum, n’étaient pas physiquement fixées ou n’existaient pas. Elles étaient souvent
désignées en référence à la topographie ou aux caractéristiques particulières des lieux. Ainsi reconnaissions-nous la limite
entre le Siam et le Lane Xang au niveau de Dong Phragna Fay (changé en Dong Phragna-Yen par les Siamois au XIXe
siècle), entre Lane Xang et Daï-Viêt au niveau des versants de la chaîne annamitique, etc. 317 La première période de troubles internes entre 1428 et 1453 s’est produite sous le pouvoir de Nang Maha Dhevi,
mettant en relief une dynastie complexe : des intérêts divergents, des muang dispersés. Maha Dhevi dans les livres
d’histoire est responsable de l’assasinat d’une douzaine de rois en une vingtaine d’année. En réalité nous ne savons rien de
cette reine (petite fille de F’a-Ngoum ?). Nous sommes dans une période de trouble : conflit avec le Daï-Viêt, crise de
succession liée aux orientations politiques, etc. Les assassinats étaient probablement liés à cette crise politique. Le portrait
gratuit de ce personnage cache sans doute une réalité politique incomprise par les auteurs du Phongsavadan et du Nithan. 318 Le quatrième fils de Sam-Saèn-Tai lorsqu’il a été appelé au trône, était alors gouverneur de Vientiane sous le nom de
Phraya Khoua Passak (Seigneur du pont de Passak ou du palais de droite à Passak), se référant au site d’implantation de
sa résidence. Le lieu de résidence des Gouverneur de Vientiane serait à l’embouchure de Nam Passak, dans le campus de
l’actuelle école technique Pak Passak et non dans le campus du palais pésidentiel.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 212 -
politique. Il est important d’évoquer ces faits puisque les trois sources, le Nithan Khun Bourom, le
Phongsavadan et le Ming Shi, (d’après Hoshino) ne concordent pas et laissent des hypothèses qui
pourraient expliquer, d’une part le tournant de la politique du royaume lao vis-à-vis de la Chine, et
d’autre part la raison du déplacement de la capitale et la politique de Sethathirat une soixantaine
années plus tard.
D’après Hoshino, en confrontant les trois sources, il y a eu trois tendances politiques au sein
du pouvoir qui entraient en conflit durant cette période ; tendances exprimées par les auteurs du
Phongsavadan, du Nithan Khun Bourom et du Ming Shi. Le Nithan fait apparaître une tendance qui
était liée à Ayuthia alors que le Phongsavadan paraît plus neutre concentré sur la situation interne
du Lane Xang. Quant au Ming Shi, il montre qu’une tendance aurait été favorable aux pouvoirs des
Ming. Pour notre part, même si l’un des quatre princes (Vixun, Souvanna Banlang, La-Saèn-Tai,
Sumphou ?) avait pu être prochinois nous pensons que le Phongsavadan et le Nithan n’ont pas
mentionné le rôle des Ming parce que le Lane Xang était engagé dans une démarche pour
s’émanciper de la domination chinoise à ce moment-là, et que cette situation est précisément l’un
des antécédents du déplacement de la capitale vers le Sud et l’un des aspects déterminants de la
politique de Sethathirat. Par ailleurs, nous pouvons aussi penser que la tentative de sécession du
Prince Mui vers 1470, quand il était gouverneur de Vientiane, est une anticipation politique du
déplacement du pouvoir vers le Sud, rompant avec une vieille tradition de main-mise de la Chine
sur le Lane Xang (comme le souligne Hoshino)319. Mais cette anticipation aurait été empêchée par
une politique conservatrice de Luang Prabang et ne serait devenue réalisable que sous Phothisarat et
Sethathirat. Cette crise politique qui a duré vingt années passe quasiment inaperçue dans la
chronologie du Lane Xang alors qu’elle est particulièrement importante : c’est une période de
rupture par rapport à un temps qui était sur le point d’être révolu, préparant une nouvelle période
avec l’ascension au pouvoir de Vixun en 1500 et le déplacement futur de la capitale.
Situation par rapport au Cambodge
Au Cambodge, les Khmers tentent de redorer le pouvoir royal et de restaurer l’immensité
territoriale de leur ancien empire, terni et réduit. Dans le Sud du Laos, ils tentent donc de repousser
leurs frontières vers le Nord, chevauchant ainsi la limite qui avait été “fixée” à l’époque de F’aNgoum
et apparemment consentie par le roi khmer de l’époque. Mais durant le règne de Sethathirat
un roi khmer envoie ses troupes vers Khorat et vers le Sud du Laos, dans le but de faire reconnaître
à Sethathirat la souveraineté du roi khmer sur Strung Trun, Veunexay, Lomphad, Métho et Ban
Done.
320
Situation par rapport aux minorités du Sud
Toujours dans le Sud du pays les populations de parler Môn-Khmer, ou non Tai, menacent
l’intégrité du territoire et la souveraineté des rois lao par des révoltes. Ce fait est sans doute lié à
trois facteurs : 1- le rapprochement du pouvoir central cambodgien de la zone qui faisait partie de
son empire un temps donné, peut réveiller les liens anciens de suzeraineté ; 2- le pouvoir central lao
qui était préoccupé quelques décennies auparavant par des luttes internes et par des guerres avec le
Daï-Viêt, finit probablement par s’éloigner de ces populations en négligeant “pactes” et “ rituels”
qui honoraient traditionnellement les relations entre les rois lao et les chefs des minorités ; 3- il est
également très probable que les tributs, qui ont été par la suite exigés par l’administration royale aux
peuples des hauts plateaux, sont devenus plus importants, voire abusifs, au fur à mesure que la
société lao dominante se complexifiait et que les besoins se retrouvaient de plus en plus accrus avec
l’accumulation des biens et des richesses.
319 Cf., les annotations de Hoshino qui a analysé les trois ouvrages : le Phongsavadan, le Nithan Khun Bourom et le Ming
Shi. 320 Sangkragna Chanthakhot, Histoire d’Attapeu, Imprimerie et publication de l’Etat, Vientiane.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 213 -
Situation à l’Est
Du côté de la frontière avec le Daï-Viet, la plupart des muang constitue des motifs de conflit
incessant entre les deux pays. Par exemple, le cas de Xiang Khouang. Ce muang a été vassalisé par
le Daï-Viet la première fois sous Thao Khamphong vers la fin du XIIIe siècle. Vassalité à laquelle a
mis fin F’a-Ngoum au milieu du XIVe siècle pour l’être à nouveau en 1448, puis libéré sous Jaya
Charkaphat et annexé encore en 1479, où les deux villes (Xiang Khouang et Luang Prabang) ont été
cette fois-ci incendiées. Cette guerre a beaucoup affaibli et appauvri le Lane Xang. Il en est de
même pour les régions de Houaphanh et des Sip Song Chao Tai : dans la région de Lai Chau, vers
1439, le Daï-Viêt a lancé des troupes importantes pour récupérer la province, les Lao l’ayant
incorporée dans le Lane Xang. A cette époque, les Lê ont déjà conquis tout le Champa dès les
années 1470. Il était clair que cette frontière orientale était plus que vulnérable : les muang et les
lignes de démarcation naturelle peuvent être à tout moment sujets de conflit qu’il fallait toujours
surveiller de près.
Situation par rapport à la Chine
Au nord, il semble que les liens de suzeraineté traditionnelle ont été plus ou moins
maintenus. De ce point de vue, il y a une certaine stabilité, même s’il a été signalé dans les annales
chinoises que le Lane Xang a cessé d’envoyer les tributs en Chine après le transfert de sa capitale à
Vientiane.321 Il n’est pas mentionné, suite à cette remarque, qu’il y ait un quelconque conflit entre le
Lane Xang et les Chinois sous les Ming, plus préoccupés par la situation politique intérieure. Par
contre, il a été signalé que si la cessation d’envoi de tribut en Chine a pu se faire au milieu du XVIe
siècle, c’est grâce au fait que les Ming, à la différence des Yuan, n’avaient plus de troupes
stationnées dans ces pays-là, et dans le meilleur des cas, ils n’ont laissé qu’un nombre réduit
d’agents administratifs.
Situation à l’Ouest du Haut Mékong
Au nord-ouest, les Birmans au faîte de leur puissance poussent la frontière du Haut
Mékong. Une partie du Sip Song Phan Na ainsi que le petit royaume lü de Xieng Khaèng, qui s’est
émancipé de la confédération traditionnelle en se rattachant d’abord au Lane Xang, s’est placé sous
la suzeraineté de la cour birmane durant cette même période. Quant au Lan Na, il était déjà devenu
vassal des Birmans alors qu’il était aussi un allié du Lane Xang, puisque Sethathirat possédait un
droit dynastique sur Chiangmai par sa mère, fille de Thiloka Raja. Cependant, une partie des nobles
de ce pays était favorable aux Birmans.
Situation sur le plateau de Khorat
Khorat qui était une province princière de l’Empire khmer322 et qui a été depuis F’a-Ngoum
intégré en partie au Lane Xang,323 semble être un territoire fragile, culturellement et ethniquement
partagé et mixte. Les seigneurs locaux pouvaient très bien se rallier aux Khmers, aux Siamois ou
aux Lao Lane Xang, mais toujours dans un esprit de liberté, à la limite de l’anarchie dans le sens
d’une soumission difficile à des règnes extérieurs. Les périodes suivantes ont montré que les
habitants et les chefs locaux changent souvent de suzerain : entre Vientiane et Ayuthia.324 Donc, à
321 D’après Hoshino, le Laos n’aurait pas payé de tributs vers 1481, car il doit faire face à la guerre avec le Daï-Viêt. 322 D’après Hoshino, Soryotei, Prince d’Angkor, devant succéder à son frère vers 1350, était Gouverneur de Khorat. Op.
cit.
323 Cf. Gagneux P-M., « La frontière occidentale du Lane Xang. Quelques documents. », Péninsule. N°1, 1979, p. 3-21
EFEO-CM. « Il nous apparaît donc assez clairement maintenant que, contrairement aux affirmations des historiens
thaïlandais des XIXe et XXe siècles, le plateau de Khorat a toujours fait partie intégrante du royaume de Lan Xang, tant
que celui-ci a eu une existance effective ». 324 Le “ comportement politique ” controversé des habitants de Khorat suscite débat. Les Lao du Laos oriental ainsi que
ceux du Laos occidental considèrent les habitants de Khorat comme des “ infidèles ”. Selon eux c’est dans la région de
Khorat que la lutte du Roi Anouvong de Vientiane a basculé dans la défaite : Khorat a choisi de se rallier aux siamois.
Daralat Metanikanonh explique dans La politique des deux berges du Mékong (op, cit.) comment le territoire et la culture
des populations de Khorat se sont constitués, comment cette culture mixte a toujours cultivé une certaine liberté, voire, Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’Ouest de Vientiane, sur le plateau de Khorat, Ayuthia commençait sans doute à exercer un certain
pouvoir dès le règne de Thaïlökanat dans les années 1460-1480. Les limites des zones d’influence
entre Lane Xang et Ayuthia au niveau de Dong Phragna Fay et entre Ayuthia et Lan Na
commençaient probablement à bouger dès cette époque.
Situation par rapport au Siam et à la situation internationale
Ayuthia connaît en cette première moitié du XVIe siècle l’âge du commerce maritime avec
la prise de Malacca par les Portugais. Les ports siamois accueillaient les marchands étrangers, ses
villes ripuaires se tournent désormais vers la côte. Les produits des terres intérieures et de l’extrême
Nord de la péninsule transitent par son territoire. Il est vital de pouvoir solidement participer au
commerce transasiatique par les ports, de contrôler les produits qui viennent du Nord, c’est-à-dire,
contrôler les routes de transit des produits, qu’elles soient ripuaires ou terrestres, et pourquoi pas
contrôler aussi les territoires fournissant les produits demandés par le commerce maritime. Ces
enjeux économiques vont peu à peu modeler la politique d’Ayuthia par rapport à ses voisins du
Nord et du Nord-est. L’extension de son territoire et l’annexion de ses deux voisins, Lane Xang et
Lan Na, vont devenir un plan stratégique qui ne tarde pas à s’accomplir. Du rapport traditionnel
entre des États tai partageant la même histoire de la légendaire migration, le Siam se démarque par
son désir de puissance. Vers 1533, il pousse ses troupes vers le Lane Xang, et vers 1546, il attaque
le Lan Na. Ces premières tentatives ont échoué par les contre-attaques respectives du Lane Xang et
du Lan Na encore prospères. Le Lane Xang, au faîte de sa puissance sous le règne de Phothisarat,
arrête pour un temps la prétention du Siam. Plus qu’une réaction défensive, il semble même que le
Lane Xang ait saisi la situation et a tenté sans doute de contrôler aussi les routes du commerce du
Nord qui allaient vers le Sud : en venant en aide au Lan Na souvent attaqué par Ayuthia et
Hongthawady, celui-ci en a profité pour occuper Chiangmai et renforcer le rapprochement avec ce
royaume par l’alliance matrimoniale entre Phothisarat et Gnot Kham fille de Thiloka. Sethathirat
lui-même semble vouloir garder Xieng Saèn qui se trouve dans une situation stratégique sur la route
du Nord entre le haut Mékong et le Lan Na : par le Mékong Xieng Saèn est surtout un avant-poste
commercial important avant Luang Prabang ou avant Muang Nan, Sukhothai et Ayuthia. En venant
de Chine, les produits passent-ils par là de manière importante avant de repartir vers Luang Prabang
ou Ayuthia ?
C’est dans le contexte politique interne et externe mis ici en relief que Sethathirat accède au
pouvoir : l’âge du commerce maritime est bien entamé. Les États qui connaissent un relâchement
relatif du pouvoir des Ming, mènent une lutte active pour les richesses et la souveraineté. Les routes
fluviales et terrestres, les sites ripuaires qui servaient de liaison et d’échange entre les royaumes
deviennent des éléments stratégiques. Les aires d’influence se forment en même temps que les
enjeux se construisent, modelant la politique des États. Sethathirat devait d’abord préserver le Lan
Na qu’il avait hérité de Thiloka s’il voulait acquérir la puissance régionale, face à un Siam
politiquement et commercialement redoutable et un Daï-Viêt militairement agressif qui
s’émancipait de la Chine. Mais le Lane Xang avait probablement des handicaps pour répondre à un
tel défi. Ses tentatives pour constituer une grande unité à partir des deux royaumes qu’étaient Lan
Na et Lan Xang ont été empêchées par les Birmans et aussi indirectement par les Siamois. Là où le
Lane Xang a échoué, le Siam a réussi. Sethathirat a été contraint de choisir le Lane Xang.325 Après
avoir renoncé à Chiangmai, qui signifie la fin de son droit dynastique sur ce royaume, Sethathirat
une certaine anarchie pour ne pas se soumettre ni au Lane Xang, ni au Siam. Mais du point de vue culturel et
ethnolinguistique, les populations de Khorat sont à l’évidence majoritairement lao.
325 « […] Arrivé à l’an 913, huitième mois, Chao Phraya Upayova Raja ordonna la confection des bougies, des cierges et
des fleures d’argent et d’or pour vénérer et pour se prosterner devant le Dhamma et le Sangha et prononça qu’il ne
reviendrait plus. Il donne ainsi la garde de Chiangmai à Nang Mahathévi » Cf. Le Phongsavadan lao. Op, cit. Bien que le
choix de Sethathirat soit avant tout lié à la tradition dynastique qui prime en priorité la lignée et l’héritage paternel, il
devrait aussi être motivé par le territoire et la position politique du Lane Xang, beaucoup plus importants. Au moment où
il a tenté de garder le royaume de sa mère, une grande partie des nobles, soutenue par les Birmans, ont placé sur son trône,
pendant son absence, Phramékuti un autre descendant de Mengrai.
Tab. 8. Les
produits
exportés du
Lane Xang au
milieu du XVIIe
siècle.
Tab. 9. Les
produits
imposés aux
Lao du Lane
Xang comme
taxe de
capitation au
XIXe siècleDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 215 -
concentre tous ses efforts sur le Lane Xang. Des mesures ont été prises en 1560 pour déplacer la
capitale –centre du pouvoir, de Luang Prabang à Vientiane. Ce qui a permis de stabiliser pendant
près de deux siècles les “limites d’influence” Ouest menacées par l’extension du Siam. Afin de
renforcer cette limite un pacte a été scellé avec Ayuthia. Il portait essentiellement sur le marquage
des frontières –entendu ici comme limite de rayonnement des pouvoirs réciproques des deux
royaumes– au niveau de Na Song Hong dans la province de Leuy. Dans le Sud, sa politique de
“ pacification ” a permis de calmer les révoltes des minorités et d’arrêter les revendications khmères
sur ces provinces. La politique de recentrage de Sethathirat a également pour objectif le
renforcement, ou du moins, le maintien de la souveraineté ternie des rois du Lane Xang : l’adhésion
des aborigènes de parler môn-khmer, susceptibles de se révolter dans le Sud, et surtout la
consolidation de la frontière avec le Cambodge.
326
Il est admis généralement que la raison du déplacement de la capitale à Vientiane était le
désir de Sethathirat de se rapprocher de son allié siamois et de s’éloigner des attaques des Birmans,
Luang Prabang étant trop proche de leurs incursions. Cette raison existe, mais n’est pas majeure. Il
en existe d’autres, rappelons-le : la première est la volonté de se retrouver dans le centre
géographique du Lane Xang pour pouvoir consolider les limites territoriales héritées de F’a-Ngoum,
surtout celles du Sud et de l’Ouest. Et ce, même si les limites frontalières du Moyen-âge n’étaient
pas matérialisées de manière claire. La frontière entre les chefferies qui étaient dans le Lane Xang
n’étant pas non plus vraiment nette. A l’époque de Sethathirat il y a très probablement une remise
en question de ces limites au même titre qu’il y a une remise en question de l’autorité des rois du
Lane Xang dans le Sud, comme nous venons de le suggérer. Cette région était apparemment en
proie aux désintégrations du fait des révoltes des populations de parler môn-khmer ou des
aborigènes. Cette idée est confirmée par la nécessité pour Sethathirat de mener des campagnes pour
pacifier Ramalak Ongkan (l’actuel Attapeu) où il a trouvé la mort. La deuxième raison est sa
volonté de repousser la prétention siamoise qui voulait dès le XVIe siècle étendre sa domination sur
l’arrière-pays, sur le Lane Xang et le Lan Na, pour des raisons que les rois lao ne devraient sans
doute pas ignorer, comme nous venons de le voir. Car ces raisons étaient directement liées au
contrôle des richesses naturelles provenant des terres profondes de ces pays et transitant par leur
territoire, très demandées par le commerce maritime devenu plus dense encore après la prise de
Malacca.
La politique de Sethathirat vue de l’intérieur est un renouveau religieux, un réveil culturel
lié à celui de la région et une consolidation du pouvoir central. Certains historiens défenseurs de la
conception du muang assimilé au mandala, peuvent voir dans cette consolidation, un désir de
renforcer le rayonnement du pouvoir central sur le territoire. Vue de l’extérieur, c’est surtout une
politique de consolidation du territoire et des frontières, teintée sans doute par un désir de contrôler
les routes terrestres, fluviales et ripuaires du commerce qui transitent par son territoire avant de
déboucher vers le Siam et les côtes. Cette compréhension de la politique régionale des rois lao, du
moins jusqu’à la fin du règne de Suryavongsa, a garanti la souveraineté et la richesse du Lane Xang
durant près de deux siècles, malgré des problèmes de conflits internes.
326 Durant la même période les Khmers déplacent leur capitale vers le Nord pour tenter de redonner vie à Angkor. Ils
lancent une armée vers Prachinbury, Khorat et Stung Treng. Ces événements mettent en évidence la méfiance khmère vis- à-vis des États tai, rappelant qu’Ayuthia a envahit Angkor au milieu du XIVe siècle. Sethathirat mène une campagne de
pacification des ethnies et de consolidation de la limite du territoire Sud : rallier la majorité des chefs ethniques, dont le controversé Phra Say Setha aux longues oreilles, un ancien religieux défroqué d’origine mône-khmère, engagé dans
l’armée de Sethathirat, devenant à la fois son ami et son général, et qui possède une grande autorité pour faire adhérer les
plus grands groupes ethniques du Sud. Par ailleurs, Sethathirat aurait reçu vers 1570 un message du roi du Cambodge lui
demandant de reconnaître sa souveraineté sur Stung Treng, Veunexay, Lompad, Métho et Ban Done, en échange de quoi
le souverain lui enverrait deux de ses filles, Thep Kagna et Prathoumphonne. En réponse, Sethathirat envoie une mission
diplomatique, acceptant la proposition et demandant aussi de régler à l’amiable les problèmes de frontière entre le Sud du
Laos et le Nord du Cambodge. Au début de l’année 1573 Sethathirat lance une armée à l’extrême Sud du Laos, vers
Attapeu et y a monté un camp, qui a servi de lieu de dressage d’éléphants et d’entrainement des soldats. Mais au milieu de
la même année, Sethathirat serait mort de malaria (?). Il n’y a donc jamais eu de bataille entre le Cambodge et le Laos,
dans ces circonstances. Cf. Histoire d’Attapeu, Sangkragna Chanthakhot. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 216 -
I. III. c. 2. La littérature du XVIIe siècle, révélatrice de la découverte du territoire
Les thèmes et les personnages fabuleux et mythiques des deux œuvres, Phra Rama Sadok et
Sinhsay, sont d’origine étrangère. Ils seront réadaptés et réinterprétés en version lao par des auteurs
anonymes vers le XVIIe siècle.327 Dans tous les cas, l’action et le drame dans Phra Lak-Phra Lam et
Sinhsay se déroulent dans des pays imaginaires, mais la description des lieux désigne des sites
existant au Laos : dans certains passages du Phra Lak-Phra Lam, nous pouvons reconnaître la forêt
de roche de la province de Khamouane Hinboun ou la chute du Mékong à Siphanh Done, etc. A ce
sujet Sachchidananda Sahai, dans son ouvrage Phra Lak-Phra Lam ou Phra Rama Sadok Première
partie [rt]ad rt]k, s]n rtik,k-kfqd rkd 1.] a étayé chaque site évoqué dans le Phra lak Phra Ram en
les faisant correspondre aux différents sites du Laos.
328 En voyageant l’auteur aurait été
impressionné et séduit par les paysages, inspiré par les histoires et les personnages locaux ou par le
nom des lieux.
329 Le même phénomène peut être remarqué tout le long de la lecture de Sinhsay.
L’introduction de certaines versions de cette épopée indique que le Prince Pangkham en est
l’auteur : un voyageur sensible, un homme raffiné et cultivé appartenant à la famille royale, car il
est évident qu’il a accès au Ramayana original, la version qui circule parmi les hommes instruits de
la région. Si l’auteur porte le nom Pangkham, l’identité de ce prince est une énigme dans
l’historiographie lao, qui donne quatre versions différentes : 1- Prince tenant une position
importante dans la famille de Souryavongsa, mais écarté du pouvoir ; 2- Prince et chef de l’armé
cornac et aventurier réputé ; 3- Prince lü de Xieng Hung en exil politique, nommé gouverneur à
Nongboualamphou ; 4- Prince héritier, fils de Souryavongsa, se cachant sous un nom d’emprunt.330
Quelle que soit son identité, l’auteur a réellement voyagé. Sa culture et la connaissance de son pays
327 Le Ramayana nous est parvenu de l’Inde antique écrit en Sanscrit à partir de la tradition orale, vers le IIIe siècle avant
J-C par le Sage Vâlmîki. Il sera repris plus tard en Hindi par un autre poète, Tulasi-Dasa. Dès le VIIe siècle les deux
versions seront diffusées et réadaptées dans toute l’Asie du Sud-est continentale et dans les îles indonésiennes, sous forme
de littérature locale et adaptée plus tard pour les pièces dansées. 328 Sachchidananda Sahai, Phra Lak-Phra Lam ou Phra Rama Sadok première partie, 1973. 329 L’auteur anonyme de Phra Lak-Phra Lam lao invente des histoires toponymiques pour chaque site : pour Xieng
Khouang, Khamkeut, Hin Heup, Sikhottabong, Saravan, Attapeu, Savannakhet et Done Xieng Xou, etc. Etait-il
« géographe » ou administrateur royal, « romanesque » ? S’ennuyant dans ses charges administratives pour des levées
d’armes ou des tributs, il aurait composé ces vers pour faire passer le temps ? Dans la manière de décrire les lieux
géographiques, il serait possible que les deux œuvres aient été composées par le même auteur. « […] Phagna Chanthasèn
amena ses filles : Nang Edkhay, Nang Adso, pour les donner en mariage à Phra Lak et Phra Lam ; à ce même moment les
jeunes gens d’Inthapatha Maha Nakhone, venus à la rencontre de Nang Chantha et ceux de Chanthabouri Si Sattanark
eurent l’occasion de se rencontrer, alors ils s’aimèrent et pour donner libre cours à leur passion ils allèrent se cacher
dans une île pour s’aimer plus librement. Dès lors cette île fut appelée Done Suong Sou qui signifie île où se cacher pour
s’aimer […] Et plus tard on l’appela Done Say Sou (l’île de l’amant). » Done Xieng Sou d’aujourd’hui se trouve
légèrement en amont du centre de Vientiane. Ou encore sur Attapeu : « […] Thao Pu Lu, fils du Khoun Kéo Moun à
Chanthabouri Si Sattanark avait pour maitresse Nang Adta, une nièce du Pagna Chanthasèn du Muang Khoun Khom. Ils
s’enfuirent vers l’Ouest. Le lieu où ils s’établirent fut appelé Muong Adtapu ou Attapeu (du nom Adta et de celui Pulu)
[…] ». Traduction de Vo Thu Tinh, Phra Lak Phra Lam ou le Ramayana lao, op, cit. 330 L’auto-introduction de différentes versions attribue cette œuvre au Prince Pangkham, attribution encore discutée.
L’historiographie lao l’évoque de manière évasive : Pangkham serait de la famille de Suryavongsa, envoyé par ce dernier
loin de la cour afin de l’écarter de toute prétention au trône. D’après le Phasoum Phongsavadan Thaï, Chapitre 70,
Pangkham aurait été le génial chef de l’armé cornac du Lane Xang, en charge de la chasse aux éléphants pour les
incorporer dans les troupes de l’armée royale ; d’où ses extraordinaires voyages dans tout le pays. Il aurait vécu dans la 2e
moitié du XVIIe siècle sous le règne de Suryavongsa. D’après Tamnan muang Oubon Pangkham aurait été un prince lü du
Sip Song Phan Na, venu demander refuge à Suryavongsa son cousin, à la suite des attaques de son royaume par des Hô
houa khao vers 1685. Suryavongsa l’aurait nommé chef de la principauté Kheuakhan Kapkéo Bouabane à Nong
Boualampu. Par la suite Pangkham aurait été père de Phravo et de Phrata, ancestres des fondateurs de Muang Oubon
Rajathani. Cf. Histoire des reliques et histoire de Muang Oubon Rajathani – Det oudom, publication en Thaï de Vat
Sèngkhet, 67 pp, Oubon, 1998. Certains historiens lao pensent que Pangkham est un nom d’emprunt derrière lequel se
cacherait le Rajabout, fils unique de Suryavongsa condamné à mort par son père, mais sauvé par le moine Phrakhu Gnot
Kéo Phonnesamek. D’après Thoumma Thammachark (il ne serait pas le seul à avancer cette thèse) le Prince héritier serait
officiellement mort décapité, disparu à jamais de l’histoire, laissant l’homme vivre en tout anonymat, libre et déchu de son
identité, devenant auteur inspiré de ces épopées. Sa condamnation, qu’elle soit effective ou pas, a été retenue dans les
versions officielles de l’histoire du Laos. D’après le Phongsavadan, il aurait été condamné à la peine capitale. Mais cette
condamnation à mort du Rajbout pour avoir séduit la femme d’un haut dignitaire semble rétrospectivement exagérée. Car
d’après le code Kamé-soumisachane régissant la famille, et le code Rajasat régissant droits et obligations des monarques,
il aurait été pénalisé à payer de lourdes réparations et, dans le pire des cas, démi de son droit de succession. Cette
condamnation abusive cache sans doute un problème politique non mentionné dans le Phongsavadan : une volonté de
rendre vacant le trône du Lane Xang ? L’usurpation du pouvoir par Phraya Muang Chanh et la crise politique après la
mort de Suryavongsa rendent alors tout à fait crédible l’hypothèse du complot, d’où le mystère autour de l’identité de ce
grand poète.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 217 -
(la région du haut et du moyen Mékong), fait qu’il serait représentatif des hommes cultivés du
XVIIe siècle qui découvrent les composants géographiques du Lane Xang et sans doute qui font
prendre conscience, à leurs contemporains, y compris aux potentats, de l’immensité et de la
diversité du territoire, et par de-là, de sa dimension politique.
Quant à Syosavat,331 l’œuvre est moins légendaire. Même si son auteur reste anonyme, il ne
renferme pas de mystère et ne fait pas l’objet de polémique. C’est un roman philosophique où nous
trouvons de nombreuses maximes bouddhiques. Il évoque le voyage et les rencontres. Et c’est après
les longs voyages en bateau en compagnie des marchands où le héros a vu le monde et appris les
choses qu’il était devenu un grand sage et conseiller du roi. Les anecdotes et les histoires que le
Maha Bandit Syaosavat raconte à son roi sont des renseignements et des informations. Elles
dénoncent aussi la stupidité et la malhonnêteté de la cour, les vices qui portent atteinte aux
préceptes bouddhiques.
Conclusion
L’examen des données anthropologiques, accompagné d’une lecture spatiale ainsi que
l’analyse spatialisée des structures religieuses du culte des phi et des devata protecteurs, des pieux
de fondation, révèlent qu’il existe des établissements plus anciens avant l’installation des Lao tai.
Les implantations lao tai sont le résultat d’un long glissement migratoire Nord-Sud et d’un
processus d’insertion territoriale et culturelle dans un espace triplement occupé : d’abord par les
autochtones proto-indochinois, puis par les constructeurs de grandes cités que sont les Môns, les
Khmers, voire probablement, les Puy de la Haute Birmanie. Autant dire que les implantations lao
tai, nées dans des contextes géographiques et géologiques, culturels et politiques du territoire de
Souvannaphoum, ont connu des périodes de formation préliminaire culturellement et spatialement
chargées. Leurs formes historiques, en tant que nouveaux établissements ou nouveaux modèles
spatiaux, dont nous avons approché hypothétiquement les processus de formation, sont construites à
partir de deux fonds spatiaux et culturels : d’un côté des fonds pré-tai ancrés dans le grand territoire
de Souvannaphoum avec des établissements urbains et villageois, agraires et ripuaires, citadins et
ruraux, militaires et commerciaux, politiques et religieux déjà complexes. Et de l’autre, des fonds
tai eux-mêmes accompagnant leurs itinéraires de glissement migratoire Nord-Sud.
Nous avons notamment suggéré que la région entre Chiengmai et Dien bien phu, possédait
déjà une tradition urbaine à partir de laquelle ou sous l’influence de laquelle les Lao Tai ont installé
leurs établissements. Ceci dans l’hypothèse que ces derniers peuvent être contemporains des Môns
et des Khmers autour du VIIIe siècle.
332 Cette suggestion met en perspective le fait qu’il peut exister
des implantations lao tai, telles que Chiangmai, Chiangrai, Xieng Saèn, Sip Song Chou Tai, Sip
Song Phanh Na (Xishuangbanna), considérées comme des productions transitoires du point de vue
spatial et politique, issues du glissement migratoire proprement tai ou nées du métissage môn-tai à
un moment donné. Ceci, pour que les Tai puissent émerger en fondant des unités politiques et en
produisant des cités aussi significatives.
A travers les insertions géographiques observées a postériori, nous avons pu voir que la
manière de s’inscrire dans l’espace des Lao Tai se distingue de celle des autochtones protoindochinois
et de celles des Môns, des Khmers et probablement aussi de celle des peuples de
l’Ouest dont nous avons suggéré avec incertitudes l’identification –que seraient les Puy de la Haute
331 Houmphanh Rattanavong, Séna Mark Khika, éd. MIC, Albert Kunstadter family Foundation, Vientiane 1999. C’est un
extrait de Syosavat le Maha Bandith, un ouvrage d’auteur anonyme qui date probablement du XVIIe siècle. Par des petits
détails l’auteur évoque les objets qui ne devraient pas exister au Laos de l’époque, telles les longues-vues ou les loupes.
Cela signifie que ce dernier aurait été en contact avec les étrangers, sans doute les commerçants européens qui auraient
importé des objets “étranges”. Ce qui aurait permis de dater l’époque de l’auteur au XVIIe siècle, moment où les
européens commencent à visiter le pays. Parmi les cadeaux que Wustoff confiait aux mandarins lao il y a effectivement
des longues-vues. 332 Même si durant l’émergence des Etats tai le rayonnement de la civilisation mône décline, les Môns restent cependant
présents et leur culture ne cesse d’influencer les États tai dans tout le territoire.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 218 -
Birmanie. Cette distinction serait persistante en dépit des influences incontestables dont ils
bénéficient des sociétés rencontrées –voire en s’opposant, sur place. Les implantations lao tai
auraient possédé leurs propres principes, révélés par leurs mythes de fondation, formant des objets
de connaissance de l’histoire matérielle de leurs implantations.
Ceci nous a conduit à formuler une synthèse “théorique” des formes d’implantations lao tai,
ou de celles dans lesquelles ces dernières seraient construites. Ce sont des modèles spatiaux, rendus
visibles et compréhensibles à travers leur manière de s’insérer dans le territoire, de le maitriser et de
le contrôler. Dans les cités lao tai, le rapport de l’homme à la terre détermine une certaine identité
politique qu’est le muang. Les Lao Tai sont des détenteurs du muang dont les structures sociétale,
spatiale et religieuse sont fondées sur le mythe historique et ethnocentrique du thaèn f’a –l’esprit de
l’ancêtre fondateur et spirituel du monde lao tai. En fait, ce qui est le plus révélateur dans les
occupations lao tai, ce sont leurs structures et leurs pratiques religieuses fortement spatialisées. Le
muang est aussi caractérisé par la corrélation étroite entre la forme politico spatiale et la forme
cultuelle à partir de laquelle les Lao Tai se sont autoréférencés avec le mythe Thaèn f’a. Les Thaèn
f’a, après leur mort seraient devenus des esprits protecteurs de toute la “ race ” lao tai. Cette
conception des origines constitue la permanence des structures religieuses, mais aussi politiques et
spatiales chez les Lao Tai, en dépit du bouddhisme qui marque aussi de son rayonnement leur
espace. C’est la marque de l’identité des villes lao tai.
Après la période de constitution décrite, l’espace des cités lao se structure de manière plus
claire à l’approche et à partir du règne de Sethathirat. C’est une période de prise de conscience,
d’appropriation et de maitrise du territoire et de production de l’espace importante, qui se traduit à
travers plusieurs faits révélateurs : 1- L’édification politique de Sethathirat se spatialise avec la
conception de la monumentalité lié au pouvoir et avec la construction des monuments eux-mêmes,
générant un type d’unité urbaine et villageoise et explicitant aussi un phénomène d’échange
régional des idées et des savoirs. 2- La prise de conscience de la dimension territoriale se concrétise
à travers la politique de consolidation du territoire par rapport aux enjeux de la politique régionale,
sous-tension du commerce maritime. Celui-ci ouvre les cités côtières et pousse les cités retranchées
et continentales à s’ouvrir. Peu familiarisé aux données insulaires par rapport à sa continentalité, le
Lane Xang semble répondre aux nouveaux enjeux régionaux de manière partielle, alors que les
autres établissements, moins intérieurs, avec une capacité de transformation plus grande, s’ouvrent
au nouveau schéma. Pourtant, depuis l’intérieur et sous le règne de Sethathirat, le Laos connaît une
période de renouvellement éclatant, qui va marquer l’espace du Laos dans les siècles à venir. Cette
période est en tout cas identifiée comme une période bien marquée de production de modèle spatial.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 219 -
CHAPITRE II
La réception de modèles spatiaux et leur acculturation
Du point de vue historique, d’un modèle constitué, endogène à une culture auto-référencée,
l’espace lao serait aussi constitué à partir des modèles exogènes. Il s’agit du modèle siamois et du
modèle colonial. Par ailleurs, l’implication de la communauté chinoise dans les espaces coloniaux
est importante, l’administration coloniale ayant fait appel à elle pour les activités commerciales
dans les villes qu’elle vient de réinstaller.333 Ces trois références exogènes sont des marqueurs qui
font les variantes spatiales des villes et des territoires laotiens.
Les espaces et les territoires du Laos ont connu une évolution lente mais progressive. Notre
étude dans le premier chapitre a synthétisé les facteurs de permanence qui ont joué un rôle
important dans la continuité de cette évolution. Il s’est forgé tout au long de l’évolution spatiale des
modèles et des types d’espace, organisant le territoire tant en réseau, de manière plus ou moins
marquant, qu’en taches d’huile isolées. Le territoire lao n’est pas un territoire clos et vide comme
aurait pu le faire transparaître son isolement et sa carence démographique. Il est situé au cœur de la
péninsule, dans un territoire d’articulation entre différentes entités, un lieu de sédimentation
culturelle forte, parmi les groupements successifs de peuplements et d’émergence de modèles
culturels et spatiaux. Notre approche a tenté d’apporter une contribution à la compréhension de
l’histoire spatiale de cette “ sous-région ”
334 ; une histoire spatiale dont la connaissance est restée, à
ce jour, bien lacunaire.
Nous identifions les facteurs de modélisation essentiellement sous formes exogènes et
endogènes. Les formes exogènes, ce sont les espaces issus du modèle administratif et politique
siamois et colonial ayant apporté des modifications dans l’organisation et la gestion du territoire.
Comme endogènes, ce sont les formes héritées des savoirs anciens. Nous considérons également
comme forme endogène l’urbanisme et l’architecture qui a accompagné le développement socio-
économique et politique des années 1960. Ceci, dans la mesure où les espaces de cette période se
sont aussi formés à partir du phocessus d’acculturation, d’endogénisation et d’idiosyncrasie. Les
deux formes –exogènes et endogène– constituent les éléments de formation spatiale et historique du
territoire laotien tout le long de son évolution de manière durable. Leur lecture et leur connaissance
permettent de comprendre l’un des aspects du fondement de l’espace lao contemporain.
II. I. Les modèles exogènes
Parmi les trois périodes d’occupations du territoire laotien par les acteurs extérieurs, à
savoir l’occupation birmane au XVIe siècle, l’occupation siamoise (de la fin du XVIIIe siècle à la fin
du XIXe siècle) et l’occupation française (de la fin du XIXe siècle à 1954) seuls le Siam et la France
333 Un administrateur adresse au Résident Supérieur du Laos à Vientiane un rapport : « […] la reprise du commerce dans
le Sud n’est pas ressentie à Vientiane. Le prix du transport est cher. Plusieurs commerçants ont fermé boutique. Les
statistiques de l’année passée montrent dans la colonie chinoise, le nombre des départs a très sensiblement dépassé celui
des arrivées […] ». Signé Résident de France A. Torel, « Rapport économique du 1er semestre 1935 », fonds GGI,
CAOM.
334 L’expression est utilisée pour désigner dans le Sud-Est asiatique la péninsule indochinoise avec la Thaïlande, la
Birmanie et la région du Sud de la Chine bordant le Nord du Laos, du Vietnam et de la Thaïlande. En occurrence on
utilisera pour le reste de la thèse plutôt l’expression “ le Sud-est asiatique continental ”.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 220 -
ont marqué et bouleversé respectivement le territoire du Laos par leur système d’organisation. La
France a laissé sa présence dans la structure administrative et a conditionné la reconstitution de la
structure urbaine et des tissus des villes laotiennes. Alors que le Siam a marqué la configuration du
pays dans le long terme en l’amputant de sa partie occidentale, et dans le court terme, par la création
des “ villes de capitation ” et par sa réorganisation administrative calquée sur le modèle khmer
duquel il s’était inspiré depuis la période Sukhothai. La période siamoise a ainsi caractérisé le Laos
pré colonial que la France a connu au moment de son arrivée en Indochine. Si la France et le Siam
ont ainsi marqué l’espace lao, les vingt-sept années d’occupation birmane au XVIe siècle et une
courte période vers 1772 n’y ont apporté aucun bouleversement, bien que l’histoire septentrionale
ait enregistré des sites qui auraient été bâtis un temps par les Birmans, telle la fortification de Vieng
Phu Kha dans la région du Haut Mékong.
II. I. a. Les villes siamoises précoloniales
L’occupation siamoise a commencé suite aux conflits internes du Lane Xang.335 Chacun des
monarques des trois royaumes lao336 ont fait intervenir le Siam qui connut au moment de la
destitution de Tarksin337 puis du règne de Rama I en 1782 une certaine puissance. En pleine période
d’expansion commerciale, le Siam avait opportunément besoin de contrôler les terres du Nord et du
Nord-Est, leurs richesses et leurs mains-d’œuvre. Venues pour l’arbitrage des conflits au Laos
(comprenant donc le Laos Occidental) les troupes siamoises en profitaient pour occuper tout le pays
vers 1779 et imposer aux locaux les tributs de vassalité qui changeaient rapidement de forme.
L’aspect symbolique de vassalité traditionnelle pratiquée jusqu’alors à tour de rôle selon les
opportunités et la puissance de chacun changeait alors de forme. Du pouvoir symbolique des
souverains des hommes, on est passé au pouvoir politique des souverains territoriaux, comme le
souligne Lafont à travers le cas de Muang Sing, mais qui vaut aussi pour toutes les principautés à
partir de la fin du XVIIIe siècle.338
En 1827-1828 sous le règne de Rama III, Anouvong, roi de Vientiane, a mené campagne
pour mettre fin à l’annexion du Siam. L’émancipation de Vientiane était d’abord diplomatique dès
le début de son règne en 1805. Celui-ci remplissait toutes les obligations qu’un vassal devrait à son
suzerain : repoussant les Birmans de ses frontières et de celles du Siam, remettant de lourds tributs
et de la main d’œuvre annuels que Bangkok exigeait pour ses divers travaux urbains, notamment les
canaux de Bangkok.339 Vientiane intensifiait aussi ses actions politiques à l’intérieur du Laos pour
reconsolider l’unité laotienne ternie depuis la scission du Lane Xang. Anouvong a hérité de ses
pairs d’une situation politique intérieure désastreuse. Pour tenter de réparer les erreurs de ses
prédécesseurs et apaiser les querelles du passé, il envoyait, par exemple, au roi de Luang Prabang
les arbres d’or et d’argent, symbole de l’inclinaison de son autorité ; il entreprenait des visites, des
335 L’intervention du Siam aurait lieu en 1778 sous le règne de Tarksin. Cette intervention lui a permis de vassaliser non
seulement les principautés du Lane Xang se trouvant dans le Nord-est du Siam mais également Luang Prabang, Vientiane
et Champassak. In. Histoire des reliques et de Muang Oubon Rajathani et Muang Deth Oudom, documents rassemblés par
Phrakhou Sirioudomket, publication de Vat Sèngket, Oubon Rajathani, 1998 (en Thaï). Cf., aussi le Phongsavadan lao. 336 Luang Prabang s’est scindé du Lane Xang en 1707 et Champassak en 1713. 337 Tarksin, devient roi du Siam en 1768 et destitué en 1782. Rama I lui succéde et fonde la dynastie Charkrit. 338 « Les rois du Siam avaient décidé d’être désormais des souverains territoriaux, ce que les princes et les rois locaux
comme celui de Jyn Khèn ne comprirent pas immédiatement […]. Ils furent en effet trompés par le fait que, pour faire leur
soumission, Bangkok exigeait qu’ils apportent un tribut d’allégeance constitué de « fleurs d’or et d’argent » [dqdw,hg’uo
dqdw,h7e. Arbre d’or et d’argent, c’est moi qui le souligne], comme ils le faisaient précédemment avec le Myanmar […] la
seule chose que recherchaient les rois siamois était l’annexion pure et simple des territoires et la population des
principautés et royaumes tay qui se trouvaient à la périphérie de leur domaine […]. Et cela, parce que ces souverains
étaient entrés dans la logique du colonialisme moderne. » In : Le Royaume de Jyn Khen, Chronique d’un royaume tay lü
du haut Mékong (XVe
-XXe siècle), L’Harmattan, Paris, 1998. Op, cit. 339 Les diplomates anglais soulignaient que le Siam exige de la main d’œuvre des territoires qu’il annexe, notamment du
Laos, pour les grands travaux apportés aux canaux de Bangkok, de manière inhumaine. Cf. Mayoury et Pheuiphanh
Ngaosrivathana, Chao Anu (1767-1829) The Lao people, and Southeast Asia, ouvrage publié lors de l’inauguration de la
statue de Chao Anouvong et lors des 450 ans de Vientiane, 2010.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 221 -
pèlerinages et des restaurations des monuments religieux dans les autres muang en compagnie des
princes locaux. En ce qui concernait le Siam, devant “ l’impassibilité ” de Rama III, les efforts de
Anouvong ont dû déboucher en 1827 sur une lutte armée, causant de grands dommages pour le
monde tai définitivement éclaté.340 Les deux années de guerre ont été dévastatrices pour le Laos.
Les revendications de Vientiane et de certains muang du Laos occidental et du reste du pays étaient
considérées par Bangkok comme un acte de trahison alors que les populations des régions
concernées les vivaient comme un acte de libération légitime.341 Pour punir les “ traitres ” [dt[qf,
kabot] même des dizaines d’années après la défaite de Vientiane, le Siam continuait à lancer ses
troupes contre les muang, anciens partisans de Anouvong et leur imposait de lourds tributs.
Vientiane a été pillée et saccagée, les institutions royales qui régissaient la structure sociale et
politique de l’ancien Lane Xang se sont effondrées, devenant tout au plus de petites unités locales
avec une autorité souvent limitée au village et au tassèng, devant rendre des comptes aux autorités
siamoises de quatrième ordre.342
Des institutions royales complexes du Lane Xang il ne subsistait que trois familles 343 des
trois anciens royaunes sous le contrôle de Bangkok, quatre titres et fonctions anciens nommés par le
roi du Siam (ou devant obtenir son approbation).344 Etant devenus surtout dans la période siamoise
(et après, durant la période coloniale) des titres et non plus forcément des fonctions à responsabilité,
ces différents titres relevaient encore de l’autorité royale lao. Ils avaient leur importance du point de
vue social alors que politiquement et administrativement, ils perdaient tout leur sens. Les
événements du roi Anouvong ont donc profondément bouleversé la structure politique et sociale
ainsi que l’organisation territoriale de l’ancien Lane Xang. Alors que dans la vassalité traditionnelle
les monarques locaux jouissaient d’une liberté assez grande et possédaient une autonomie, leur
propre système de gestion des territoires et des hommes, ayant encore leur cour, leur sénat et leur
amat,
345 les événements de 1827-1828 ont marqué la fin de cette autonomie.
Bien que les Siamois exerçassent un contrôle quasi-total sur les muang dont ils ont attribué
les statuts administratifs, de manière générale les muang étaient sous-administrés. Le Laos siamois
peut être analysé en trois périodes entre les années 1780 et les années 1954 : la période avant
l’avènement du roi Anouvong (1778-1828), celle entre l’avènement du roi Anouvong et le début du
protectorat français (1829-1893), et enfin celle entre le début du protectorat et l’indépendance
(1893-1954). Notons que nous continuons à parler du Laos siamois durant le protectorat pour toute
la région du Laos occidental, par le fait que la manière dont était géré ce territoire permet de
comprendre la question spatiale de l’époque et de celles qui allaient suivre. Durant la toute première
période, le Siam semblait occupé la partie septentrionale du pays avec quelques difficultés à cause
340 Plus d’un siècle après les événements du roi Anouvong, les nationalistes thaïs, tel le Maréchal Phibounsongkhame,
tentent de construire un grand État thaï avec l’intégration du Laos. L’idéologie Pan-Thaï n’a pas pu atteindre ses objectifs
à cause probablement de l’éclatement du monde tai provoqué lors de la guerre siamo-lao au début du XIXe siècle. 341 L’histoire du Siam enregistre la lutte menée par le roi de Vientiane comme un acte de révolte concentré à Vientiane
alors que c’est une véritable guerre livrée aux Siamois depuis la vallée du Mékong jusqu’au plateau de Khorat, et de
Muang Sing Jusqu’à Champassak. Paradoxalement les données historiques (lao et thaïes) montrent que la volonté de lutter
contre Bangkok n’était pas un fait unanime chez les différents chao muang du Laos oriental et occidental. Certains
auraient prêté mains fortes aux troupes siamoises.
342 Vientiane étant classé dans l’administration siamoise comme muang Chatava, 4e position après muang ek, muang tho
et muang tri, Cf. Phongsavadan Lao, S. Viravong, op, cit. 343 Il s’agit de Luang Prabang, Champassack et Xieng Khouang. 344 Il s’agit de la nomination du roi lui-même, du Uparaj, du Rajbut et du Rajvong. Uparaja (Pl), Uparajan (Sk), vient de
Upa (aide, suppléant), le Uparaj, titre de vice-roi réservé aux membres de la famille royale (frère ou oncle du roi).
Rajaputra, rajabut (Sk), fils du roi, titre réservé au prince héritier. Rajavamsa, rajavong (Sk), de famille royale, titre
réservé aux autres membres de la famille royale (fils ou neveu du roi). Les autres titres et fonctions, tels que Phraya,
Phya, Saèn et Meueun pouvaient être occupés par des personnes n’appartenant pas à la famille royale ou par les membres
de l’aristocratie. Les titres nobilières liés à la fonction publique dans l’administration royale de l’ancien Lane Xang étaient
essentiellement le Phraya [ritpk], 1e rang équivalent de ministre, le Saèn [clo], 2e rang correspondant à 100 000, le
Meueun [gs,no], 3e rang correspondant à 10 000 et le Phya [grap], 4e rang. 345 Amat, Amatya (Sk), Amacca (Pl), ministre, conseiller, compagnon du roi. In., Lexique étymologique Lao-Pali-Sanskrit,
Bounthanh Sinavong, éd. Sadda, Paris, 2007.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 222 -
de l’influence encore importante des Birmans. Une fois l’influence de ces derniers réduite,346 il
pouvait organiser le territoire lao plus aisément, mais toujours en relation conflictuelle avec le Daï
Viet qui en revendiquait également sa suzeraineté, en particulier sur Houaphan, Xieng Khouang,
Mahaxay.347 Par la suite, le Siam a dû réorganiser à plusieurs reprises la gestion de l’ensemble du
territoire laotien, surtout durant le protectorat, il a dû s’y prendre aussi avec beaucoup de prudences
dans la partie occidentale du pays qui lui restait et qui a échappé à la France, en prévention
d’éventuelles revendications de celle-ci.
II. I. a. 1. Les modèles artificiels, la création des muang de capitation : émergence d’une
pensée « localiste » de l’Issane
Le Laos siamois était caractérisé surtout par la création de nouveaux muang et par la
particularité des taxes imposées dans les circonscriptions existantes et nouvelles. Dans ce contexte,
cela a été l’une des causes qui ont provoqué la mobilité des hommes. Conscient de l’intérêt que
suscitait l’existence des nouveaux muang et conscient des méfaits économiques induits par la
mobilité des hommes qui tentaient d’échapper aux muang et donc aux taxes, l’administration
siamoise prenaient des mesures dès le début de sa suzeraineté sur les muang lao en incitant les
princes et les chao muang locaux, ceux qui auraient voulu entrer en sécession par rapport au
pouvoir central de Vientiane,348 à créer de toute pièce des muang sous son autorité. Les nouveaux
muang du Laos occidental se seraient en fait appuyés sur une configuration démographique
existante. D’abord il y avait préalablement dans les muang une population lao ou de culture lao dont
la période d’établissement était assez floue mais pouvait remonter à une période assez lointaine,
probablement déjà à l’époque F’a-Ngoum.349 Ensuite, il y avait des vagues de migration venant de
la partie orientale au XVIIe et au courant du XVIIIe siècle. Enfin, quelques décennies avant la vague
de création de nouveaux muang par l’autorité siamoise, il faut ajouter le nombre de ceux qui étaient
issus des déplacements à la fois volontaires et forcés. Thida Saraya note que cette vague de
migration a été voulue et planifiée par la politique siamoise qui cherchait dès le début du XVIIIe
siècle à réduire le pouvoir central de Vientiane en soutenant et en incitant les princes lao à entrer en
sécession contre Vientiane et à créer leur propre muang dans le Laos Occidental350 avec muang
Oubon Rajathani comme centre. Ce qui signifiait que les Siamois avaient bien compris que la force
et la faiblesse du Lane Xang pouvaient dépendre de sa région occidentale et plus étroitement à la
346 En 1767, les Birmans mettent à sac Ayuthia. En 1771 lorsqu’un conflit éclate à Luang Prabang les Birmans qui
stationnent à Chiangmai aident Suryavong à usurper le pouvoir au détriment de son frère Sothika sur le trône de Luang
Prabang. Vers 1792, accusé d’avoir conspiré avec les Birmans contre le Siam le roi de Luang prabang est traduit en procès
à Bangkok durant quatre années. La même année, soutenu par les Birmans, le Chao F’a de Xieng Hung (à l’époque
attaché à Luang Prabang) se révolte contre l’autorité siamoise. Vers 1798-1799 une guerre éclate à Chiangmai entre
Siamois et Birmans, Vientiane envoie ses troupes secourir son suzerain siamois. Vers 1803 Vientiane libère Chiang Saèn
de l’occupation birmane. Ces différents événements montrent que les Birmans étaient restés très présents dans la partie
septentrionale du Laos. L’événement de 1803 à Xieng Saèn aurait marqué leur repli définitif du Laos et du Lan Na, avant
qu’ils ne soient dominés par les Anglais. 347 Cf. Pheuiphanh et Mayoury Ngaosrivathana, « Vietnamese Source Materials Concerning the 1827 Conflict between the
Court of Siam and the Lao Principalities : Journal of Our Imperial Court’s Actions with Regard to the Incident Involving
the Kingdom of Ten Thousand Elephants ». Vol. II : Introduction, Translation, and Han-nom Text : Vol. II : Annotations,
Bibliography, Indexes. Tokyo : The Centre for East Asian Cultural Studies, for UNESCO, The Toyo Bunko, 2001 ;
Pheuiphanh et Mayoury Ngaosrivathana, Chao Anou (1767-1829) The Lao People, and Southeast Asia, op, cit. Par
ailleurs c’est au nom de cette suzeraineté vietnamienne que la France revendique le Laos aux Siamois durant la première
moitié du XXe siècle. Les Laotiens eux-même réfutent l’idée de la suzeraineté vietnamienne avant le protectorat français
et estiment que seul Xieng Khouang aurait été vassalisé par le Daï Viet, celui-ci lui ayant payé régulièrement tribut. Cf.
Savèng Phinith : « La frontière entre le Laos et le Vietnam (des origines à l’instauration du protectorat français) vue à
travers les manuscrits lao ». In : Les frontières du Vietnam. Lafont P-B., éd. L’Harmattan, Paris, 1989. pp. 194-203. 348 Il y avait un certain nombre de muang dont le tiao avait demandé la protection de Bangkok et donc de leur
rattachement vers la fin du XVIIIe siècle. Parmi eux certains révisaient leur jugement en se rangeant aux côtés du roi
Anouvong.
349 Lorsque F’a-Ngoum menait campagne, il trouvait à la porte des muang des manifestations de soumission des tiao
locaux lui déclarant leur appartenance à sa “ lignée ”. 350 « Muang Oubon », coll. Muang Pavatsat, éd. Muang Bouran (ISBN 974-7367.01.7), Thida Saraya met en évidence que
les conditions de la création de muang Oubon se faisait selon ce schéma et qu’il était le centre du Laos occidental à partir
duquel les établissements du Nord-est de la Thaïlande émaneraient contrebalançant le pouvoir de Vientiane dès la fin du
XVIIIe siècle et permettant par la suite son éclatement.
Tab. 10.
Liste non
exhaustive
des muang
du Laos
occidental à
la fin du
XIXe siécle.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 223 -
démographie de l’ensemble du pays, comme l’avait souligné quelques siècles plus tôt F’a-Ngoum.
Cette situation explicitait aussi la fragilité de l’unité du Lane Xang : dès que le pouvoir central ne
couvrait plus de son autorité, souvent incarnée par un monarque charismatique, les muang qui lui
étaient attachés durcissaient leur position. Plus tard les nouveaux muang, qui seront créés dès que
l’administration siamoise jugeait suffisants les groupements de populations installées, n’avaient rien
d’autre à faire que de regrouper opportunément la main d’œuvre taxable et corvéable existant dans
ces groupements. Mais face à la mobilité incessante des hommes des mesures particulières pour les
fixer dans un territoire donné ont été mises en œuvre. Il s’agissait de les identifier par tatouage des
numéros d’immatriculation.
351 Lorsque les registres administratifs de Bangkok mentionnaient
froidement la fuite des populations pour ne pas payer les taxes, la mémoire des concernés évoquait
le drame des « tatouages » qu’ils avaient subi et auxquels ils cherchaient à se soustraire
[soudkoladg]d]. A l’époque Bangkok envoyait dans tout l’Issan des « agents de tatouage » [kong sak,
dv’lad] pour immatriculer aussi ceux qui se cachaient et qui n’étaient enregistrés dans aucun muang.
Ainsi les corvées et les capitations seront imposées, alimentant les fonds de la trésorerie royale de
Bangkok et celui du ministère des commerces, satisfaisant aussi les fortunes personnelles de
certains gouverneurs, stationnant dans les nouveaux muang. Ces mesures étaient issues de véritables
stratégies comme le note le Phraya Damlong Rajanouphab.
352
Les nouveaux établissements peuvent être désignés de “ muang de conscriptions ” ou de
“ muang de capitations ”. Car le mode traditionnel de tributs a été abrogé et remplacé par le système
d’impôts et de taxes lourdes. Ils constituaient véritablement la richesse de la trésorerie royale du
Siam et étaient quasiment les seuls motifs de la création de ces nouveaux établissements. La
survivance de ces établissements après l’abandon du système de conscription est rare. Leur
disparition ne fait que confirmer alors leur caractère artificiel et spéculatif propre à la mise en place
d’une politique ad hoc du Siam dans le Laos Occidental. Ces établissements artificiels tendent à
disparaître dès que le système politique en question s’est effondré. Aymonier avait réalisé une
intéressante description de cette époque dans ses Notes sur le Laos siamois.
353 En ce qui concerne
les récits des événements vécus, les impressions internes, ils avaient été transcrits par les acteurs
eux-mêmes dans Pheune Vieng et Pheune Muang Phouan.354 Les notes de Aymonier rendent
compte vers la fin du XIXe siècle combien le système siamois avait marqué le pays juste avant le
protectorat français, et comment le système administratif et de capitation abusive avait pu
provoquer la migration des hommes durant plus d’un siècle cherchant à fuir de tous les côtés. Il
s’agissait des taxes directes lorsque les administrateurs siamois les prélevaient eux-mêmes dans les
zones relevant de leur responsabilité directe. En ce cas, auraient été concernés les territoires des
muang vassaux, muang padesaraj [g,nv’xtgmfltik-] ayant acquis un statut proche des houa muang
extérieurs siamois. Il s’agissait des taxes indirectes lorsque les chao muang lao les prélevaient pour
les reverser ensuite aux administrateurs siamois. Auraient été concernés les territoires des muang
351 L’immatriculation par tatouage était d’une rare violence et se rangeait dans les pratiques de la ségrégation raciale et
antisémitique pratiquées en Europe pendant la 2e guerre modiale. Mais fait incompréhensible : les Siamois et les Lao sont
les deux groupes tai particulièrement proches. Mayouri et Pheuiphanh Ngaosrivathana parlent même de marquage au fer.
Op, cit.
352 « Du règne de Rama I au règne de Rama III il est ordonné aux chao muang dont les populations ont déserté le muang
de chercher à rassembler les populations sans utiliser la force (sous-entendant alors que la force a été utilisée). Ceci,
pour les intérêts des deux parties. Pour atteindre ces objectifs les chao muang qui seraient capables de ramener plus de
monde recevront le reste des fonds ramassés, et ils peuvent se réjouir de l’augmentation du nombre des serfs disponibles
à leur service. Avec de pareils intérêts il est clair que les chao muang chercheront avec enthousiasme à créer des
nouveaux muang. En ce qui concerne les serfs eux-même, ceux qui sont en fuite ou qui se cachent et qui vivent dans de
grande pauvreté, dès qu’ils savent que les ban et les muang se constituent, reviendront d’eux-même nombreux. » Propos
de (SAR) Damlong Rajanouphab ministre de l’intérieur de Rama V (?), in. Phaytoun Mikousonh, Histoire de Oubon
Rajathani, première période, 1786-1889. 353 La société du Laos Siamois au XIXe siècle, Etienne Aymonier, présenté par Fabrice Mignot, L’Harmattan 2003, Paris,
paru la première fois en 1885 sous le titre Notes sur le Laos, Imprimerie du Gouvernement, Saïgon. 354 [rNo;P’] Pheune Vieng, chronique du XIXe siècle, auteur anonyme, Comité de Recherche en Langue et Littérature Lao,
Département des Lettre de l’UNL, publié sous le titre Pheune Vieng de l’époque de Chao Anou, Ed. Honphim Suksa,
Vientiane, 2004 ; [dk[g,nv’r;o] Kap Muang Phouan (poésie de muang Phouan), chronique du XIXe siècle, auteur
anonyme, Comité de recherche en Langue et Littérature Lao, Département des Lettres de l’UNL, Vientiane, 2001.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 224 -
vassaux, muang padesaraj, mais relevant des chao muang locaux. Les communautés ou les hommes
touchés par ces prescriptions économiques recherchaient dès lors des régions sans autorité, tels les
anciens territoires qui ont été décimés par l’armée siamoise suite aux événements du roi Anouvong.
Ainsi, la région du Nord-Est, mal administrée, “ sauvage et pleine de brigandage ”, a été des muang
de prédilection. Mais par la suite, ce serait aussi dans ces régions que l’autorité siamoise intensifiait
la création des nouveaux muang de capitation. Ces muang étaient sans centralité sociale et
historique, la classe dirigeante était des tiao muang nouvellement nommés qui n’avaient parfois
aucun lien avec les anciens tiao muang locaux. Ceci aurait souvent donné à ces territoires un aspect
de nomansland, décrit par Aymonier comme des amas d’établissements parfois sans foi ni loi où il
ne faisait pas bon de s’y aventurer. Certains de ces établissements nouveaux ne semblaient pas faits
pour durer, fonctionnant le temps d’une décision administrative. Au-de-là, certains d’entre eux
pouvaient sédentariser pour devenir des villages ou des muang plus importants, mais aucun ne
semblaient réellement porteurs de modèle spatial durable. Au contraire, ils seraient culturellement
des dérivés des anciens muang desquels ils s’étaient émancipés en reproduisant par exemple leur
modèle d’architecture dans la construction de leur lieu de culte, etc. Reprenons comme exemple
quelques villes du Nord-Est thaï, dont certaines ont été remarquées dans les notes de Aymonier,
notamment Oubon Rajathani, considéré comme une place-forte parmi les anciens muang lao qui
s’émancipaient du pouvoir ancien du Lane Xang.
Conséquences dans la distinction territoriale dans la longue durée et émergence d’une
certaine pensée “ localiste ” de l’Issan
A l’issue de cette période, ce que l’espace siamois a marqué dans l’espace lao –et ceci,
jusqu’à nos jours– c’est la contradiction entre similitude culturelle et distinction territoriale de la
région située dans le bassin moyen du Mékong : la partie occidentale d’un côté et la partie orientale
de l’autre.
Le territoire occidental (le Nord-Est thaï) possèdait une densité démographique plus
importante mais avec une centralité sociale, culturelle et politique moindre. La Thaïlande avait mis
beaucoup de temps pour qu’il devienne “ administrable ”, pour que sa population se soit stabilisée et
adhère au système siamois. Malgré cela, jusqu’au début des années 1970 la migration du Laos
Occidental vers le Laos Oriental (c’est-à-dire en sens inverse par rapport au mouvement Est-Ouest
forcé par les Siamois au XIXe siècle) s’est poursuivie en petit nombre mais de manière régulière.
Les grandes familles qui se dispersaient dans les deux territoires se réunissaient parfois. Cette
migration pointue dans les années 1950 et 1960 correspondait aussi à une période de grande
pauvreté renforcée par la sécheresse de la partie Occidentale. Le gouvernement royal de Vientiane
avait mis en place des mesures pour l’accueil de cette migration en leur accordant des terres et la
nationalité laotienne.355 C’est ainsi que nous pouvons aujourd’hui retrouver de nombreux villages
aux alentours de Vientiane où la population est entièrement constituée de population d’Issan : à ban
Nakhouay, ban Samké, ban Nong Kisang, ban Nong Gniang.
Dans Issan-même tout en s’y intégrant peu à peu dans la communauté nationale thaïe, la
population s’était forgé tout le long de l’histoire sa propre identité, consolidée fortement autour
d’une culture du bas peuple, de la paysannerie et de la migration dont les études de Dalalat
Méthanikanonh ont en partie mise en évidence la richesse, qu’elle et d’autres anthropologues
qualifient de “ localisme ” sous les traits d’un particularisme de la culture lao, par opposition à la
culture siamoise de Bangkok. Que cette culture soit lao ou non, car sa définition pose aujourd’hui
problème –ou du moins suscite révision, il est important d’insister sur son côté populaire et paysan
355 Les migrants en question sont désignés de Lao Issan par les Thaïlandais de Bangkok et de Thaï Issan par les Lao de
Vientiane, désignations que les concernés refusent et préfèrent se dire être “ Lao de Thaïlande ”. Issan signifiant Orient,
l’administration siamoise l’utilisait seul sans préfixe Lao pour désigner l’ancien Laos Occidental afin d’éviter toute
référence aux origines lao. Mise à part la pauvreté qu’ils essaient de fuir et la “ terre promise ” qu’ils essaient de retrouver
au Laos, une autre raison qui les faire fuir le pays Issan aurait été leur refuse d’être siamois.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 225 -
que l’on désigne présentement sous l’enseigne de “ culture Issane ” et non plus de culture lao,
difficilement assimilable à la culture siamoise. La culture Issane caractérisée par la paysannerie met
en évidence un autre fait du passé : la région Issane a été désertée par ses élites traditionnelles
(administrateurs royaux, ecclésiastiques, artistes et artisans, que ces derniers étaient originaires de
Issan-même ou venaient de Vientiane ou de Xieng Khouang), assassinées ou ayant fuit auparavant
dans le Laos Oriental, ou au contraire absorbées par le système nobiliaire siamois. Il en restait à
l’époque quasiment plus d’élite, ni des grandes familles. Sans ces derniers, les populations puisaient
dans leur propre bagage de migrant pour exister et développer leur propre culture.356 Par exemple,
alors que l’oralité persistait à préserver ses sources d’origine et ses liens avec le Laos, à travers les
chants et la musique (le lam et le khrèn), la langue écrite sera peu à peu siamisée : on ne sait plus
écrire le parler lao en lao, mais on l’écrit en Thaï alors qu’on continue à parler lao. En plusieurs
décennies la culture populaire de Issane, tout en étant originale et riche, est devenue une culture
hybride que les Lao du Laos appelaient péjorativement dans les années 1960 de sot kacha (hybride,
sans racine, informe).
Pour les territoires qui ont su se reconstituer plus rapidement après être devenus siamois
lors de la scission du Laos en deux parties (occidental et oriental avec approximativement le
Mékong comme ligne de partage), ce sont des territoires qui possédaient au départ des éléments
d’unification au-delà des aléas politiques, ou parce que l’aristocratie locale ou une certaine élite
subsistait encore pour faire le lien. Il s’agit notamment de muang Nakhon Phnom qui fondait son
identité sur le monument religieux, et de Muang Oubon Rajathani fondé par les princes lao en
sécession par rapport à Vientiane vers la fin du XVIIIe siècle et dont les descendants forment encore
aujourd’hui une élite intellectuelle.357
Le territoire oriental qu’est le Laos actuel a connu quant à lui une carence démographique
par rapport au territoire occidental, mais possédaient une centralité sociale et culturelle plus
importante, une identité politique plus rapidement identifiable. Les villes en tant que lieu de
rassemblement culturel et social ont su se reconstituer rapidement, alors que du point de vue
physique elles ont mis beaucoup plus de temps pour se reconstruire et la démographie était restée
faible pour de très longs termes. La base politique et culturelle consolidée autour de l’élite
traditionnelle s’était en fait ramifiée essentiellement dans le territoire de la rive gauche, alors que la
main d’œuvre était dispersée nombreuse dans le territoire de la rive droite. A Vientiane l’élite locale
survivant du début du XIXe siècle se réduisait à quelques familles de Meun [s,no] et de Phya [grap],
titres nobiliaires et de fonction publique de trois à quatre rangs en dessous du rang de Phraya
muang. A la fin du XIXe siècle et dans les premières décennies du XXe siècle cette petite élite
attirait celle qui était éparpillée dans le pays Issan. Cette dernière venait alors rejoindre en partie
celle de Vientiane ou de Champassak. Cette élite qui subsistait et qui ne possédait aucun pouvoir
tenait malgré tout le monopôle culturel et artistique et se rapprochait de l’élite religieuse. Par ses
fonctions passées elle avait la capacité de rassembler les populations –celles qui lui restaient fidèles,
pour en faire des rassemblements politiques. Sans quoi, il ne serait pas imaginable de constituer un
Laos tel que nous connaissons plus tard, malgré le pouvoir colonial qui était de fait l’édificateur du
Laos moderne près d’un siècle après la chute de Vientiane. Par exemple dans le rapport de l’un des
administrateurs coloniaux nous lisons qu’un ancien phya de Vientiane –et dans un autre rapport, un
356 La culture Issane est un sujet d’étude à part entière et intéresse notamment l’anthropologie et les études politiques. Cf.
Sripranom Phisitvorasane, « Derrière Phong Sidhidham, le Kabot », in : Mémoire lors de la crémation de l’ex-ministre
Phong Sidhidham, 2525 (1982) ; Sirixay Bounmatham, Histoire sociale de Issane septentrionale, 2318-2450 (1775-1907),
2536 (1993) ; Thavat Phounnothork, « Croyances populaires, mode de vie et société dans Issane », document de
séminaire : « culture populaire : maximes, croyances, arts et langues », université Choulalongkhorn, 2526 (1983) ; Phueun
Vieng : études historiques et littérature de Issane, Université Thammasat, 2526 (1983). Les chants régionaux, les lam,
incarnaient la culture Issane et racontaient l’histoire des populations de cette région, meurtrie par les déplacements. Cf.
Chayphet Sayarath, « Molam Samane », texte d’après un interview de Molam Samane pour l’exposition temporaire au
centre culturel Marc Leguay ban Naxay Vientiane, 2004. 357 La famille Na Oubon, dont le chef est descendant du fondateur de muang Oubon, est considéré comme l’une des
personnalités intellectuelles issanes.
Tab. 11. La
polpulation
de Vientiane
vers la fin du
XIXe siècleDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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autre ancien phya de Champassak, se donnaient la mission d’aller chercher les anciens habitants de
leur ville déportés au Siam.358 En occurrence lorsque l’on examine aujourd’hui l’histoire des
familles de Vientiane par exemple, on trouvera pour la majorité que les ascendants revenaient du
pays Issan.359
II. I. a. 2. L’organisation territoriale et administrative siamoise
L’organisation du territoire
Le territoire du Siam est composé de trois entités administratives principales : le Rajadhani et
le houa muang qui constituent le Siam proprement dit, et le territoire vassal appelé le muang
padesaraja.
1- Le rajadhani360 est le premier rang, la capitale [muang Ek, g,nv’gvd], le siège du pouvoir, c’est la
capitale Bangkok et les villes qui lui sont limitrophes. Le roi est le maître suprême de ce territoire et
siège en son centre. Il émet son autorité rayonnante dans le reste du pays à travers une organisation
administrative, hiérarchisée et complexe.
2- Il existe deux types de houa muang [sq;g,nv’] : les houa muang intérieurs et les houa muang
extérieurs. a- Les houa muang intérieurs sont proches et tournent autour du territoire du rajadhani,
occupant le quatrième rang hiérarchique du muang, appelé muang chatava. Les administrateurs des
muang intérieurs sont responsables devant les hauts administrateurs du rajadhani qui siègent dans
la capitale sous l’autorité directe du roi. b-Les houa muang extérieurs ne sont pas en contact direct
avec le territoire du rajadhani même s’ils se rattachent à lui. Ils occupent le deuxième [muang tho,
g,nv’3m], le troisième [muang tri, g,nv’8iu], et le quatrième [muang chatava, g,nv’9a88t;k] rangs
hiérarchiques. Les houa muang extérieurs ont des petits houa muang extérieurs qui se rattachent à
eux et ainsi de suite. Ce système aurait défini le système du mandala.
3- Les muang padesaraja [g,nv’xtgmfltik-] étaient à l’extérieur du territoire du Siam et
appartenaient à d’autres royaumes que le Siam a annexé. Les populations étaient en principe
considérées comme différentes des Siamois du point de vue culturel et ethnolinguistique –que cette
distinction soit justifiée ou pas, du moins qui auraient possédé des traditions et des us et coutumes
différents des Siamois. Les muang padesaraja avaient à leur tête un pouvoir local. Soit ce sont des
chao phaèn Dinh (roi, monarque, comme ce fut le cas du royaume de Vientiane), soit des chao
muang par naissance (aristocrates), par exemple avec le titre de Rajabuta comme ce fut le cas de
Rajabuta Gno placé à la tête de Champassak par son père le roi Anouvong de Vientiane avec
l’approbation de Bangkok. Il y a aussi des chao muang par fonction (ils ont été nommés selon leur
mérite vis-à-vis de Bangkok). Ils devenaient de toute façon vassaux du roi du Siam. D’après la
vassalité traditionnelle pratiquée entre les royaumes tai, les chao des padesaraja auraient à exercer
leur pouvoir de manière autonome et indépendante tout en envoyant au suzerain les prestigieux
présents symbolisant leur vassalité. Ils lui devaient également fidélité et obligation en lui envoyant
des troupes, des armes et des ravitaillements lorsque celui-ci entrait en guerre. En occurrence, c’est
ce qu’avait fait Chao Anouvong lorsque le Siam entrait en guerre contre les Birmans. Mais le
suzerain n’occupait, ni ne contrôlait les territoires du vassal. En ce qui concerne la suzeraineté du
Siam sur les padesaraja lao, tout était différent des pratiques traditionnelles dès le début : en plus
des obligations ci-dessus citées, les vassaux lao devaient payer lourdement les tributs de vassalité
fixés par Bangkok, et par la suite ce dernier envoyait les gouverneurs ou le représentant de son
pouvoir contrôler les muang padesaraja. Dans le cas où les muang possédaient leur propre
358 CAOM/Côte D2, monographie de Vientiane 1896, adressé au Commandant Supérieur du Haut Laos par P. Morin. 359 Mon arrière grand-père paternel, Khun Sayasèng, vient de Yasothonne à la fin du XIXe siècle. Deux éléments indiquent
l’origine des familles : 1-Les arrières grand-parents revenaient du Siam. 2- Et en quittant le Siam, ces derniers étaient
souvent bonzes pour ne pas être empêchés par l’autorité siamoise. Le cas typique c’est Maha Sila Viravong, jeune moine
originaire de Roy-et, qui arrive à Vientiane en 1930, quitte le monastère en 1931 et devient professeur de Pali à l’école de
Pali, sous la direction de Louis Finot, fondée par l’Accadémie Chanthaboury et étroitement soutenue par l’EFEO.
360 Rajadhani [ik-mkou.] (Pl.Sk), capitale, métropole.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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représentant du pouvoir traditionnel local, le droit de succession était complètement bouleversé, car
c’est le roi du Siam qui destituait et couronnait ou donnait son autorisation pour l’investiture du
nouveau roi. C’est ainsi que Chao Anouvong avait reçu l’approbation de Bangkok pour placer son
fils Rajabuta Gno à la tête du royaume de Champassak, alors que celui-ci possédait encore ses
représentants traditionnels.361
L’organisation administrative
Le système de pouvoir siamois était organisé selon deux modèles et le territoire se
distinguait selon trois systèmes administratifs remontant à l’époque Rattanakosin.
362 Il s’agit du
système catùsadom [9t85ltfq,],363 né à l’époque d’Ayuthia calqué sur le modèle khmer, il
caractérisait le plus le système de pouvoir siamois, puis du système agnasid si [vkfpklyf luJ],
364
modèle utilisé dans l’ancien Lane Xang. En ce qui concerne la partition tripartite du territoire
administratif, comme nous l’avons noté, il y avait le territoire rajathani, le territoire houa muang et
le territoire padesaraj (voir plus loin).
L’utilisation simultanée de deux systèmes administratifs au Siam avait sans doute des
raisons historiques. Ayuthia avait conservé le modèle khmer plusieurs siècles après son
émancipation de la domination de celui-ci. Il n’aurait pas été facile pour les Siamois méridionaux de
se défaire du modèle et du monde khmer dans lequel ils s’étaient développés durant plusieurs
siècles à travers l’héritage de Sukhothaï. Bien qu’ils ne fussent pas complètement coupés du monde
tai du Nord, les siamois se montraient être les plus imprégnés de la domination khmère (écriture,
système politique, art et architecture, etc.) Quant au système agnasid si utilisé dans le Nord (Lan
Na, Lane Xang, Sip Song Phanh Na), il était sans doute mieux conservé et partagé par la grande
majorité des muang Tai Lao avec quelques variantes près. Ainsi tout en s’émancipant de la
domination khmère les Siamois continuaient à conserver leurs influences en continuant à adopter le
système catùsadom. Alors que le système agnasid si, probablement affaibli à l’intérieur du Siam
“khmérisé ”, aurait été fortement maintenu dans le Nord et en particulier au Lane Xang. En ce cas
ce serait à travers les vassaux du Nord que le Siam pouvaient encore prétendre se relier aux
systèmes tai anciens, auxquels ils s’étaient les plus détachés par rapport aux autres Tai.
Le système catùsadom siamois est caractérisé par une très forte hiérarchisation des muang :
le plus grand muang domine les plus petits muang et les plus petits muang dominent à leurs tours
les autres muang encore plus petits qu’eux, ainsi de suite. Un système d’emboitement comme le
note Stuardt Fox. Le système politique est régi par cinq groupes de pouvoir : groupe des agnasid,
kana agnasid [7totvkfpklyf], groupe des suppléants des agnasid, pousouay kana agnasid [z6J-;Jp
7totvkfpklyf], groupe des comités politiques spéciales, komkanemuang phiset [dq,dkog,nv’ ryglf],
groupe des comités politiques secondaires, komkane muang pounoy [dq,dkog,nv’ z6Jovhp], groupe des
fonctionnaires ou des agents administratifs, panak ngane [rtoad’ko].365
Le système agnasid si [vkfpklyf luJ] désigne le système de pouvoir dont l’autorité est fondée
sur quatre composants. A première vue on pourrait considérer ce système comme issu du système
catùsadom, puisque le agnasid est le premier des cinq groupes de pouvoir qui composent le système
catùsadom. Remarquons cependant que catù366 désigne verbalement le chiffre quatre et non le
chiffre cinq comme le nombre des groupes de pouvoir qu’il désigne. Il serait probable que les
Siamois imbriquaient le système agnasid si du Lane Xang dans le système catùsadon qui ne
361 Cette lignée a été inaugurée par Soysisamouth Phouthralangkhoune, petit fils de Suryavongsa, à la fin du XVIIe siècle. 362 L’époque Rattanakosin commence avec la création de la dynastie Charkrit, inaugurant la fondation de Bangkok dans
l’île Rattanakosin (noyeau historique) par Rama I en 1782. La période Rattanokosin est situé entre 1782 et 1932, elle
correspond en même temps à un style artistique, dit “art de Bangkok ” ou “art de Rattanakosin”. 363 Catùsadom, catù (sk) désignant quatre et sadom, terme d’origine inconnue, probablement d’origine khmère. 364 Ajna (sk), pouvoir, autorité + siddhi (sk), accomplissement, droit + Si, du lao, quatre. Ajna siddhi si, ou agnasit si,
système de pouvoir fondé sur quatre composants.
365 D’après Phaytoun Mikousonh, « Histoire de Oubon Rajathani, première période, 1786-1889 » (article en Thaï). 366 (Pl) Catura, (Sk) Catvara, désignant le chiffre quatre.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 228 -
possèderait à l’origine que quatre pouvoirs pour composer cinq pouvoirs sans pour autant changer
sa désignation. Ce qui aurait signifié que le système catùsadom siamois est un système mixte. La
raison de cette imbrication serait probablement due au fait qu’une grande partie du Siam, qu’est le
Laos occidental, était anciennement régie par le système agnasid si lao qu’il aurait été difficile de
transformer et gouverner avec le système catùsadom siamois.
Le agnasid si, système de pouvoir reposant sur quatre pouvoirs utilisé au Lane Xang,
correspond en fait au monopôle absolu du pouvoir par quatre personnes morales ou quatre groupes
de personnes : 1- le groupe des pô ban ou kouane ban (chef de village), 2- le groupe des tassèng, 3-
le groupe des tiao muang, 4- il s’agit probablement du pouvoir des phraya qui siègent au centre du
muang auprès du roi, ou du pouvoir royal lui-même, en tant qu’autorité qui domine les autres
pouvoirs en dernier recours.367 Les groupes –un et deux, sont encore redéfinis dans le décret royal
de 1966 comme les agnasid thongthinh [vkfpklyfmvh’4uJo], c’est-à-dire, le pouvoir local qui vient du
bas (représentant et défendant la population des ban), alors que les groupes –trois et quatre– seraient
venus du haut, c’est-à-dire qui représentent et qui font acheminer les directives venant du haut vers
le bas, du central vers le local.
II. I. a. 3. Les modèles durables, entre la ville siamoise et le muang des Lao
Pour évoquer les villes et les occupations siamoises en tant que modèle, à défaut d’une
étude plus approfondie qui dépasse le cadre de notre recherche. Nous allons seulement les évoquer à
travers quatre points qui nous semblent révélateurs.
Le rapport à l’eau des établissements siamois
La relation à l’eau des villes siamoises est différente des villes septentrionales qu’incarnent
les villes lao, gnouanes et lü. Du fait de leur situation géographique et topographique beaucoup plus
basse, les implantations siamoises sont “ baignées ” dans le bassin de la Ménam. Elles se sont
appropriées de l’eau non seulement comme moyen de liaison externe entre le site et les
établissements mais aussi comme armature interne des cités : liaison interne entre éléments bâtis à
l’intérieur des établissements. En fait, les habitats siamois les plus caractéristiques intègrent l’eau
dans sa conception et son espace. Cet aspect lacustre de l’habitat semble propre aux implantations
des Thaïs méridionaux. Il est vrai pour Bangkok, le petit Bangkok, désigné autrefois comme “ la
petite Venise de l’Orient ”,
368 ainsi que pour les autres établissements de la Ménam. Alors que pour
les établissements tai du Nord, tout en étant un composant majeur dans la conceptualisation et dans
la fabrication spatiale l’eau n’est pas intégrée dans l’habitat et les maisons lao n’ont pas les “ pieds
dans l’eau ”. Les villes lao tai du Nord aménagent l’accès facile au fleuve et à l’eau, la retiennent
par des nong et des sa [sov’F lt] –sorte de bassins de rétention d’eau, lui donnent une fonction
utilitaire et d’agrément, une fonction sacrée parfois, mais cherchent aussi à se protéger contre elle.
En d’autre terme, les occupations lao aménagent davantage les digues en terre pour protéger leur
ensemble d’habitations et leur espace agricole des actions de l’eau qu’elles intègrent comme une
altérité. Dans leur situation topographique générale de villes hautes du Nord, elles donnent à l’eau
un autre statut que ne le font les villes siamoises. De ce fait, les implantations lao de la haute vallée
et du haut Mékong peuvent être considérées comme un modèle à part dans l’espace tai. Le côté
lacustre serait plus spécifique aux villes thaïes de la Ménam, alors que le côté ripuaire serait
spécifique aux villes lao.
367 Nous n’avons pas retrouvé de texte, ni des personnes qui pourraient le confirmer concernant le 4e pouvoir. Mais nous
pensons qu’il s’agit plutôt des groupes de phraya. Le roi étant une personne sacrée se trouvant à l’extérieur des
considérations et du système social, ce terme ne semble pas le désigner. Le 4e pouvoir serait les groupes de phraya,
détenant le pouvoir administratif suprême.
368 La “ petite Venise de l’Orient ” désigne Bangkok pour les voyageurs européens au XIXe siècle, en se référant à sa
situation historique. La ville est construite dans l’île Rattanakosin, où la Ménam Chao Phraya constitue l’axe de
circulation principale et rassemble densément les activités de commerce.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 229 -
La ségrégation spatiale
Dans l’organisation de la ville siamoise et à travers la constitution des quartiers, il y avait la
différenciation spatiale qui permet de distinguer les communautés étrangères des communautés
locales. Au XIXe siècle à Thonboury les cartes nous montrent qu’il y avait des quartiers réservés
aux étrangers tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la ville. Thonboury (Bangkok) serait donc une
ville libre et ouverte pouvant recevoir les étrangers. Dans cette logique une ville méridionale
comme Bangkok aurait été un modèle de villes marchandes près des côtes, avec des comptoirs de
négoces et d’étrangers qui s’y seraient stationnés nombreux, d’où la nécessité d’avoir des quartiers
qui leur auraient été dédiés avec des espaces plus grands pour le stockage de leurs marchandises.
Cependant, compte tenu de la taille –petite et moyenne– de ces villes et dans l’idée que
l’importation et l’exportation des produits marchandes vers l’Extrême-orient, l’Inde et l’Europe
aient été actives et divergentes, induisant une variabilité du nombre d’occupants du territoire urbain
selon la dynamique commerciale, les espaces situés à l’extérieur de la cité seraient plus en mesure
de répondre à de telles situations pour des raisons pratiques et de disponibilité physique. Bangkok
avait des quartiers étrangers autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. La ségrégation spatiale dans la ville
siamoise existe par le fait que les étrangers habitent dans des quartiers à part et non pas par le fait
que c’est à l’intérieur ou à l’extérieur de la ville, comme ce serait le cas des villes lao.
Vers la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle lorsque la ville de Vientiane passait sous
contrôle de Thonboury, nous nous posons la question si à ce moment-là, la ville tributaire était libre
de recevoir les étrangers comme bon lui semble. En d’autre terme si elle était facilement accessible
aux étrangers ou s’il existait des règles d’accessibilité ? Toujours est-il, l’existence des visiteurs
européens dans la ville de Vientiane semblait être un fait rare à cette époque. En tout état de cause
aucune mémoire étrangère ne la mentionne en cette fin XVIIIe
-début XIXe siècle. Pourquoi de telle
situation ? Est-ce parce que Vientiane était une ville enclavée et difficile d’accès ? Ou bien, est-ce
parce que les étrangers devraient recevoir d’abord l’autorisation du pouvoir royal ou l’approbation
de Bangkok son suzerain ? En tant que vassal, nous savons que Vientiane devrait avoir un certain
nombre d’obligations vis-à-vis de Bangkok, notamment l’approbation de celui-ci pour les grandes
constructions monumentales. Notre hypothèse est donc de penser qu’en tant que vassal la capitale
du Laos serait également limitée dans ses relations diplomatiques avec l’extérieur. Par exemple,
lorsqu’elle recevait les étrangers sans l’aval de Bangkok, elle pourrait être aussitôt soupçonnée
d’alliance et éventuellement de comploter contre celui-ci. Crawfort notait dans ses mémoires qu’un
prince lao vassal du Siam tentait avec difficulté de rentrer en contact avec lui, car gêné par la
suspicion de l’autorité siamoise.369 Le nombre important de procès des princes lao à Bangkok pour
conspiration et trahison suggère cette hypothèse. Donc pour Vientiane, outre sa situation
géographique de territoires difficiles d’accès pour les Européens de cette époque le contrôle de
Bangkok aurait également été un facteur qui contribue à son isolement.
369 Le terme utilisé dans le texte de Crawfurd pour désigner le mystérieux visiteur le soir du 19 mai 1822 est “ chef, ou
dirigeant lao ”, et le nom de Chao Anouvong n’est pas mentionné. Crawfurd évoque les suspicions de l’autorité siamoise
et décrit la rencontre à Bangkok avec l’inconnu de manière respectueuse (traduit de l’Anglais) : « Je n’ai jamais pu
recevoir aussi bien un hôte que cette fois-ci, parce que ma résidence est contigue à celle du ministre des Affaires
Etrangères du Siam. Pour être à l’abri de toute suspicion des Siamois les gens n’osent venir me rendre visite. La visite du
dirigeant lao est digne dans ma mémoire. (…) Avant de s’asseoir ils (le visiteur et sa suite) s’inclinent trois fois la tête en
direction du palais royal (de Bangkok) et trois fois en direction de la personne qui se présente devant eux. Sa
conversation était pleine de sincérité et d’intelligence. Il connaît parfaitement les données concernant la situation de son
pays et la considère avec gravité. Et son pays, il est bien vaste et convoité par le Siam et les Européens qui en ont peu de
connaissence. » Cf. Crawfurd, Tome 1, année 1834, cité par M. et P. Ngaosivathana. (Op, cit.) D’après ces deux auteurs le
roi Anouvong de Vientiane serait rentré en contact avec les Anglais, afin de tenter d’avoir une ouverture diplomatique
avec l’Europe. Cf. Mayouri et Pheuiphanh Ngaosrivathana, Chao Anou (1767-1829) The Lao People, and Southeast Asia,
Vientiane, 2010. Contrairement à la description élogieuse de son hôte lao, Crawfurd décrit les dignitaires royaux siamois
comme des gens « désagréables, grossiers, intéressés, peu intelligents et imbus d’eux-même ». Notons que les points de
vue de l’Ambassadeur anglais sur les Siamois ne semblent pas très objectifs, mais liés aux échecs diplomatiques et
commerciaux que les Siamois avaient fait subir aux Anglais. Finlayson G., Mission au Siam et en Cochinchine.
L’ambassade de John Crawfurd en 1821-1822, Ed. Olizane, Genève, 2006.
Fig. 36. Schéma
hypothétique de
l’accès de
Vientiane au
XVIIe siècle
montrant
l’existence
probable des
règles
d’intériorité de
la ville.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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L’intériorité spatiale
Mise à part cette situation particulière du contrôle de Bangkok, la ségrégation spatiale
proprement dite des villes lao serait absente. Effectivement, nous n’avons pas de trace de quartiers
étrangers dans les villes lao du Nord, ni à Vientiane. Les plus vieilles cartes par exemple de Luang
Prabang ne mentionnaient pas ce fait. Cependant, nous pensons qu’il y avait des règles d’extériorité
et d’intériorité des citadelles par rapport aux visiteurs étrangers. Ne pénètre pas dans la ville qui le
voudrait. Les notes de voyage de Van Wuystoff évoquent à demi-mot cette intériorialité de la
citadelle de Vientiane au XVIIe siècle, lorsqu’il note que les marchands doivent stationner à
l’extérieur de la ville en attendant de nouvel ordre royal pour se rapprocher et pour pénétrer dans
son enceinte. Nous suggérons cette hypothèse tout en admettant en réserve l’autre hypothèse qui
explique que la situation décrite par Van Wuystoff serait exceptionnelle, car c’était le moment de
fête du grand that et qu’il serait probable que des restrictions spécifiques de circulation aient pu être
instaurées spontanément. La première hypothèse nous semble cependant remporter sur la deuxième,
dans la mesure où l’existence du port intérieur au niveau du kilomètre quatre (second port après
celui de Vieng Kuk) semblait bloquer tous accès à la ville par voie fluviale. Que ce blocage soit lié
ou pas au régime du fleuve : ensablement d’une partie du fleuve (au niveau de Done Chanh et de
Khone Kyo) le rendant impraticable à la saison sèche.
Sur les cartes de la fin du XIXe siècle nous pouvons remarquer qu’à Chiangmai il y a cette
distinction de quartier étranger situé à l’extérieur de l’enceinte de la citadelle (les nouveaux
quartiers commerciaux liés au commerce du tek). Nous nous posons la question si ce fait
correspond aux règles d’intériorité et d’extériorité obligeant les étrangers à rester à l’extérieur de la
citadelle, comme notre hypothèse sur les villes lao du Nord. Ou au contraire s’il s’agit des règles de
ségrégation. En d’autre terme, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, les étrangers doivent rester
dans un quartier à part non mélangés avec les indigènes, comme généralement dans les villes
siamoises. S’il s’agit de ce cas, il y aurait deux scénarios possibles : premièrement, il serait probable
que Chiangmai ait pu observer les mêmes règles que les villes siamoises. Elle serait effectivement
ouverte mais à l’intérieur de laquelle on établit une ségrégation spatiale pour les étrangers, que cette
règle soit endogène à ses propres traditions, ou qu’elle provienne de l’influence siamoise après son
intégration dans le Siam. Deuxièmement, il serait également probable que la cité ait pu être
simplement saturée, obligeant les visiteurs et les ambassades à constituer leurs quartiers à
l’extérieur sans qu’il puisse s’agir du respect des règles d’intériorité. Pour d’autre réponse
éventuelle, le cas de Chiangmai doit être rapproché des cités Birmanes par le fait que ce royaume
était influencé et dominé de manière cyclique par les Birmans.
Quant aux villes lao, elles se seraient relevées quasiment toutes du modèle septentrional.
Ces dernières y auraient accueilli des caravanes marchandes qui y seraient stationnées proches de la
ville, comme ce fut le cas de Muang Sing, voire, de Luang Prabang. Si nous nous fions à la
morphologie de la petite péninsule nous pouvons constater que les caravanes (si celles-ci avaient été
nombreuses) ne pouvaient entrer dans la ville pour des raisons de manque d’espace pour le stockage
de marchandises, le « stationnement » et le logement des caravaniers. Les bateliers avec des
marchandises plus importantes auraient été obligés d’amarrer également à l’extérieur. A Luang
Pragbang, l’ancien marché à bétails avec son petit port est par ailleurs à l’extérieur de la péninsule.
Outre que par le Mékong rappelons que toute la région nord et nord-est, très montagneuse, pouvait
avoir une liaison avec Luang Prabang par la Nam Ôu et ses affluents, notamment la Nam Noua qui
relie Muang Khoua à Dien Bien Phu et Laï chau (respectivement Muang Son La et Muang Lay.)
A propos des règles d’intériorité, si nous nous fions aux notes de Van Wustoff sur
Vientiane, nous devons constater que les raisons qui empêcheraient les marchands étrangers
d’entrer dans la ville avec leurs marchandises relèveraient aussi des règles d’intériorité. En d’autre
terme, ils ne pourraient venir en ville pour traiter les affaires qu’après autorisation. Dans le cas
contraire, nous pouvons nous étonner que le marchand hollandais n’ait pas pu décrit l’ambiance de
la ville, s’il avait pu s’y balader librement. Il n’est pas imaginable de penser qu’un Européen en Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 231 -
mission exploratoire commerciale ait pu avoir si peu de curiosités. Cela laisse à croire qu’il ne
pouvait pas se balader à sa guise, bien qu’il n’était pas spécifié que l’accès à la ville lui était interdit.
Mais nous devons comprendre que cet accès avait des règles à respecter : pour les étrangers, ne
rentre pas en ville intra-muros qui le veut, une autorisation était certainement en vigueur ; la taille
modeste de la ville facilitait certainement l’application de cette règle.
Le contrôle de Bangkok et son rayonnement éventuel en tant que modèle
Toute construction ou modification dans les muang padesaraj au Laos Oriental doit avoir
l’aval du roi de Bangkok, d’après Aymonier. Mais nous ne trouvons aucun document qui aurait
indiqué que le roi Anouvong ait suivi exactement ces restrictions et ait attendu chaque fois l’aval de
son suzerain pour entreprendre la réalisation des projets royaux qui sont alors nombreux dans le
Laos Occidental. Mais il est très probable qu’il en était ainsi. Par exemple, nous pouvons penser que
Vat Sissakhet construit par Chao Anouvong a été épargné par les Siamois lorsque ces derniers
mirent à sac toute la ville, parce que sa construction aurait reçu l’approbation spécifique de Rama
II.370 Si non, étant le lieu où l’autorité royale siamoise venait recueillir les actes d’allégeance des
princes lao, le monastère n’aurait pas été détruit aussi pour cette raison. A ce sujet les documents
thaïs disent que les tributs devraient être acheminés par les Lao eux même jusqu’à Bangkok.371 Vat
Sissakhet aurait donc été seulement réservé aux cérémonies d’allégeance symboliques et non à la
remise des tributs. Puis, il y a un autre fait qui pourrait avoir un lien avec la survie de Vat
Sissakhet : Crawfurd notait dans ses mémoires que lorsqu’un haut dignitaire lao à Bangkok allait
prendre la parole ou décider d’un acte, il s’inclinait la tête trois fois en signe de respect et de
soumission en direction du palais royal du roi de Bangkok (réf., note 369). Le sanctuaire de Vat
Sissakhet construit par Chao Anouvong étant orienté en direction de Bangkok sous le règne de
Ramma II, peut-être son orientation obéissait à cette règle, et aurait été épargné pour cette raison
aussi.
Si tous les projets étaient soumis à Bangkok comme l’auraient suggéré les témoignages de
Aymonier ainsi que les nombreuses allusions à desquelles les procès se rapportaient, le modèle
siamois dans la fabrication du bâti ne serait pas complètement étranger dans l’immédiateté
historique d’un XIXe siècle siamois, bien que nous ne trouvions pas aujourd’hui d’exemple. Mais il
est difficile de mesurer la durabilité de l’influence du modèle siamois dans la constitution des
établissements lao en général. A Oubon Rajathani, la construction du bâti, permise par la fondation
volontaire de la ville par les princes lao sous l’autorité de Rama I, ne reprend pourtant pas le modèle
flamboyant de l’architecture de Bangkok. Le département des Beaux-arts thaïlandais372 mentionne
aujourd’hui l’influence de l’art de Vientiane et de Luang Prabang sur la majorité des constructions
anciennes de Muang Oubon, en particulier concernant la bibliothèque du monastère principal, Vat
Sèngket.
Nous pouvons donc dire que malgré une pression politique forte et malgré le véto de
Bangkok vers la fin du XVIIIe et durant le XIXe siècle pour les grandes constructions dans le
territoire oriental et occidental du Laos, l’emprise artistique, culturelle et spatiale de Bangkok sur
ses muang padhesaraj était faible par rapport à son contrôle politique. Plusieurs raisons peuvent
l’expliquer. Le Siam connait à ce moment-là le début de l’influence de l’Occident et préparait sa
modernisation quelques décennies après, sous le règne de Chulalongkorn ; il est peu concevable
d’imaginer l’influence de l’art de Bangkok sur ses muang padhesaraj au moment où il est en train
de se former lui-même. On peut justifier la faiblesse de cette emprise également par les conditions
géographiques et topographiques qui conditionnent les établissements siamois méridionaux
370 L’intervention de Chao Anouvong en 1815 sur Vat Sissaket a été l’ajout de nouveaux bâtiments, probablement le
sanctuaire central et la bibliothèque, dans une enceinte monastique existant, bâtie au XVIe siècle et appelé Vat Saèn. 371 Les transporteurs étaient eux-mêmes responsables des pertes et des vols, car sur le plateau de Khorat le brigandage
pulullait et le détournement des fonds était fort courant.
372 Plaquette de présentation muséographique du hô taï de muang Oubon, Département des Beaux-arts.
Fig. 37. Deux
constructions de
la même
époque :
bibliothèque de
Vat Sissaket de
Vientiane
construit en 1815
; bibliothèque de
Vat Sèngket de
muang Ubon
RajathaniDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 232 -
différemment des établissements lao septentrionaux ; les conditions culturelles d’origine, partagées
par les deux mondes tai, seraient même peu à peu estompées. Le contexte de la domination et de
l’oppression siamoise fait que le Siam ne peut être considérée comme un modèle, à partir du
moment où, à plusieurs reprises et à différents lieux, des tentatives de révolte et d’émancipation ont
eu lieu. Par ailleurs, le territoire lao sous l’administration siamoise était difficile à gérer avec le
système siamois, qu’il a fallu utiliser le système agnasid si [vkfpklyf luJ], modèle traditionnel du
Lane Xang, afin de mieux maîtriser sa gestion. La domination siamoise finit par disparaître du Laos
oriental, à partir du moment où l’Indochine est constituée. Par contre, le reste du territoire lao
occidental a continué, par la suite, à recevoir son influence de manière progressive. Par exemple, les
quatre anciennes fonctions utilisées au Lane Xang –Tiao muang, Ouparaj, Rajvong, Rajboud– ont
disparu du Laos occidental et ont été remplacées, vers 1899, par Phuva rajakharn muang [z6j;k ikdkog,nv’]
Palat muang [xtiafg,nv’], Phusouay rajakharn muang [z6j-;jp ik-dkog,nv’].
II. I. b. Les villes coloniales
Si la ville coloniale –vue à travers les typologies architecturales et à travers la structure
viaire– est devenue aujourd’hui un des tissus urbains caractéristiques des villes du Laos, elle
possédait à l’origine et au début de son établissement une particularité exogène. Et il a fallu une
période d’adaptation pour que ces particularités (forme politique et administrative, tissus urbains,
trames viaires, programme d’équipements publics, etc.), qui se superposent sur les structures
existantes, puissent connaître une acculturation. En d’autre terme, afin que les structures locales
puissent s’approprier des formes et du mode de fonctionnement venus de l’extérieur pour former
une identité urbaine propre.
Par la nature même de la colonisation investissant un territoire pourvu de populations et
d’organisation existante, et par le contexte politique et économique local de l’époque,
l’établissement de la ville coloniale au Laos semblait commencer avec les territoires militaires.
Ceci, avec l’installation des forts et des postes de commissariat dont nous allons comprendre
l’importance avec quelques exemples. Après les forts, les villes coloniales étaient visibles
principalement à travers les trames et des armatures urbaines et territoriales, desquelles émergeaient
les nouveaux quartiers : des “ villes nouvelles ”, des plans d’extension et des travaux de voirie. La
compréhension de l’espace colonial est due aussi à l’analyse de la gestion des sols, du programme
des équipements publics et de l’organisation politique et administrative. Ces éléments deviennent
l’un des aspects de la ville laotienne d’aujourd’hui.
II. I. b. 1. Les organisations politiques et administratives coloniales et l’intégration du
monde indigène
L’espace colonial renfermait deux contradictions au moment de son installation : il y avait à
la fois une méconnaissance du fonctionnement de la ville lao et une volonté de marquer une
continuité dans de l’existant. Lors de la convention du 3 octobre 1893, la France a installé à Luang
Prabang le premier Commissaire principal du Gouvernement.373 En 1895, les Autorités coloniales
ont partagé l’administration du territoire lao en deux zones : le Haut Laos ayant son siège à Luang
Prabang et le Bas Laos ayant son siège à Khong. Ces unités administratives exerçaient une fonction
de contrôle territorial plus qu’une gestion, car les postes étaient avant tout militaires. Ils étaient en
charge des affaires administratives et civiles374 avec deux postes de Commandement Supérieur
créés. A Luang Prabang dans le cadre d’un protectorat, le premier Commandant Supérieur exerçait
un contrôle administratif de manière indirecte, le roi possédait une certaine autonomie en animant le
Sanam Luang où siégeaient les phrya, sortes de ministres royaux, structure survivant de la cour
373 Le 1e Commissaire principal du gouvernement fut Joseph Vacle, le 2e est Garanger, membres de la mission Pavie. 374 CAOM. Rapports annuels sur la situation administrative et économique du Laos ; De Reinach, Le Laos, Paris 1911.
CAOM / GGI / Publication / V8. 17805.
Tab. 12.
L’organigramme de
l’administration
locale pour le statut
de colonieDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 233 -
Tab. 14.
Classement des
fonctions
administratives
et du personnel
administratif
indigène, d’après le
décret du
Résident
Supérieur du 5
juillet 1935
ancienne. Tandis qu’à Muang Khong un système administratif direct, et donc de colonie, était
appliqué et placé sous la direction du deuxième Commandant Supérieur. Puis, les petits postes
militaires chargés des affaires administratives et civiles ont été installés un peu partout dans ces
deux grandes zones. Ils étaient instables dans leur ensemble, du fait qu’ils ont dû être souvent
déplacés, toujours par stratégie et par commodité, au fur à mesure que la connaissance du pays
s’améliorait ou que les problèmes émergeaient. Par exemple, dans le Bas Laos, en 1895 Song
Khone a été déplacé au bord du Mékong pour devenir Savannakhet, et en 1914 Pak Hin Boun a été
déplacé pour devenir Thakhek en s’installant sur leur site respectif actuel.
Lorsque les deux postes de Commandant seront supprimées pour être remplacées par le seul
poste de Résident Supérieur qui siégeait à Vientiane en 1900375 et le Haut Laos et le Bas Laos
supprimés pour être reformés en 11 provinces avec des postes de Commissaires (commissaire du
gouvernement) dans les provinces, la gestion de l’ensemble du Laos indochinois commençait à
mieux se structurer sans pour autant se stabiliser complètement.
Dans les premières années, certains postes étant peu importants ne bénéficiaient que d’un
minimum de personnel administratif. On installait alors, en ce cas, des postes administratifs placés
sous la responsabilité des Gardes indigènes avec un administrateur dans chaque poste et son
Commis.376 Parfois, c’est le poste de Commissaire du gouvernement, de Commis des services civils,
de Délégué ou d’Inspecteur de la garde civile. Par exemple en 1902, à Muang Khroua, le poste de
Commissaire du gouvernement a été annulé pour être remplacé par un poste administratif placé sous
la responsabilité d’un Commis des Services civils. Ce dernier sera à son tour responsable devant le
Commissaire du gouvernement de Luang Prabang. En 1910, le poste administratif de Commis des
Services civils sera aussi annulé et remplacé par un poste de Délégué inspecteur de la garde civile.
Plus tard autour des années 1910 et 1920, lorsqu’un certain nombre d’administrateurs indigènes
coloniaux auraient été formés à l’école coloniale en France ou à Saïgon, la structure administrative
du Laos français allait connaître peu à peu une plus grande stabilité.
Comment l’armature du pouvoir indigène et traditionnel a-t-elle été réutilisée dans
l’armature administrative coloniale
Dans les premières années, le Laos a été organisé en dix provinces, la onzième province
était le Ve Territoire militaire avec un système de contrôle et de gestion différente.377 Elle a été
considérée comme insécuritaire à cause des incursions des Hô et des révoltes des Tai de Muang Lay
quelques années plus tôt, et probablement aussi parce que la province partageait ses frontières avec
la Chine et la Birmanie sous le contrôle des Britanniques. Au total cinq territoires militaires ont été
créés dans l’Indochine par décret du Gouverneur Général de l’Indochine le 21 mars 1916 : le Ie
Territoire avait son siège à Mong Cay, le IIe à Cao Bang, le IIIe à Ha-Giang, le IVe à Lai Chau, et le
Ve à Muang Khoua. Ce dernier était dans la province de Muang Houn-Xieng Hung, avant que le
siège de la province ainsi que le chef-lieu du Ve Territoire ne soient transférés à Phongsaly. Dans
son ensemble, la création des 11 provinces induit la création d’une armature administrative couvrant
tout le pays. Bien que l’organisation administrative coloniale fût une nouveauté qui avait apporté
une modernité à la gestion territoriale du Laos, et une meilleure consolidation des agglomérations
anciennes, cette organisation était plus ou moins calée sur une armature physique des anciens
muang traditionnels, qui partaient en lambeau depuis près d’un siècle, que le roi de Luang Prabang
–dans le Nord, et le roi de Champassak –dans le Sud, tentaient d’y veiller malgré tout.378
375 Le siège de la Résidence Supérieure était d’abord à Savannakhet en 1899, puis transféré à Vientiane l’année suivant. 376 Vongkotrattana, Histoire de la province de Phongsaly, op, cit. 377 Le Ve Territoire militaire sera supprimé en 1949 lors du traité de l’indépendance du Laos. Cf. Vongkotrattana, ibid. 378 Dans le Nord du Laos, le roi Sakkarinh tentait avant le protectorat en 1893, de veiller sur la région du Nord, notamment
celle qui deviendra Phongsaly et le Haut Mékong, durant les révoltes des Hô et des Tai de Muang Lay, en envoyant les
membres de son administration et les troupes royales (thahan luang, mtskos];’) secourrir les tiao muang locaux pour
lesquels il a encore de l’autorité : il les nommait et pouvait leur ordonner d’organiser des levées d’arme locales (thahan
lat, mtsko]kf). « […] Tiao Rajphakhinaï, Tiao Sang, Tiao Charkavat, Tiao Vongkot, Phraya Muang Phaèn et Phra Si
Tab. 13.
L’organigramme
de l’administration
locale pour le statut
du protectoratDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 234 -
En réorganisant l’administration du pays, l’élite locale a été intégrée dans l’administration
coloniale de deux manières. D’abord en tant que traducteur dans l’administration, soit au siège de la
Résidence Supérieure, soit dans les sièges des postes administratifs de Commissaire du
gouvernement, soit auprès des Commis des services civils, soit auprès des Délégués et Inspecteurs
de la garde civile, etc. Ensuite, l’élite locale pouvait aussi occuper des postes importants de chef de
province, de chef de district et de canton poursuivant leur prérogative ancienne et traditionnelle qui
perdurait sous une autre forme, permise, acceptée et intégrée dans son administration par le pouvoir
colonial. Car ils ont été nommés, si non confirmés dans leur position par le Résident Supérieur.
Mais les chefs traditionnels étaient, dans tous les cas, responsables devant le Commissaire du
gouvernement ou devant le Délégué dans l’exercice de leur fonction, desquels ils dépendaient.
L’autonomie des élites traditionnelles a été plus visible dans le Nord que dans le Sud. Dans le Sud
s’ils continuaient à conserver leur titre traditionnel et même à en recevoir de l’autorité royale locale,
leur service au sein de l’administration coloniale était apparemment celui de simples fonctionnaires
coloniaux, même s’ils usaient de leur autorité traditionnelle dans l’exercice de leur fonction. La
différence entre le Nord et le Sud était leur régime respectif de protectorat et de colonie.
Pour mieux drainer les rares ressources humaines locales (initiative tardive) et pour mieux
harmoniser l’autorité indigène et l’autorité coloniale, le Gouverneur Général de l’Indochine a
ordonné la création du Conseil administratif dans toutes les provinces. A Vientiane il était question
d’un Assemblée du conseil, tenue sous l’égide du Résident Supérieur, ceci, par les circulaires
administratives du Gouverneur Général de l’Indochine de 1920 et de 1923.
Les membres du Conseil administratif provincial étaient composés des Chao muang (chef
du district) et des Vice-Chao muang. Le Conseil était présidé par le Résident Supérieur lui-même. Il
avait pour mission première de discuter et de fixer des budgets internes, du fonctionnement
administratif divers, des taxes et des impôts, des problèmes économiques et sociaux de la province.
Quant à l’Assemblée du conseil de Vientiane, elle était constituée de trois groupes de
personnes : 1- les représentants du Conseil administratif provincial ; 2- les personnes nommés par le
Résident Supérieur ; 3- les personnes choisies parmi les personnalités importantes lao, par exemple
les membres de l’administration royale. Cette Assemblée était tenue une fois par an par le Résident
Supérieur qui la dirigeait et qui avait aussi le droit de la dissoudre.
Les deux assemblées étaient les seules interfaces de niveau supérieur où l’élite lao
participait formellement. L’Assemblée de Vientiane discutait surtout des budgets, des dépenses et
des perceptions, des plans et des projets de développement économique et social du Laos, des
améliorations et des réformes administratives diverses et variées. Les membres y écoutaient
probablement plus les rapports qu’ils ne donnaient des avis. Ils ne votaient apparemment pas, mais
leurs avis pouvaient probablement compter pour améliorer certaines situations. En d’autres termes,
leurs avis n’étaient pas des avis conformes qui pouvaient empêcher ou approuver la mise en
application des décisions ou des affectations des budgets. Mais ils pouvaient avoir des influences
sur les décisions à prendre ou sur les budgets à approuver pour les années ultérieures.
Akhrarat avec 200 soldats lao quittent Luang Prabang, arrivent à Muang Ngoy […] et s’y implantent un temps. Ils ont fait
des achats pour constituer le ravitaillement pour les troupes. Tiao Rajphakhinaï a inspecté et relevé de nombreux dégâts
entre Pak-Ou et Muang Ngoy […]. Tiao Rajphakhinaï a reçu le message de Phraya Muang Khroua, le gouverneur de
Muang Khoua-Xieng Houn qui était déjà sur le front […] Phraya Muang Khroua a demandé à Phraya Surivongsa chef du
district de Phou Noy de rassembler 300 hommes […] ». Cet événement se produit vers 1887 et 1888. In. Vongkotrattana,
Histoire de la province de Phongsaly, pp 1-3. (Op, cit). Dans le Sud du Laos, les remarques de Aymonier sur la société
locale de Champassak montrent l’attention et l’autorité (bien que limitée) de son roi à maintenir la paix et la justice.
N’étant pas autorisé par les Siamois à rassembler les troupes, celui-ci concentrait ses efforts pour mener l’ordre social
avec les qualités que pouvaient lui conférer ses prérogatives et ses devoirs dynastiques. « […] Ce Laotien, certainement le
plus remarquable de sa race depuis Sieng Khan jusqu’à Sting Trên, jouit d’une grande influence morale dans toute la
région du sud-est. Il passe pour bon justicier, dédaignant les cadeaux de corruption. Il parvient à réprimer dans ses États
le vol, le brigandage, et certes, à ce point de vue, le contraste est grand avec la généralité des pays que j’ai parcourus
[…] ». Son nom : Tiao Gnouthi Thamma Thone [Yutti (Pl), yukti (Sk), juste ; dhara (Sk), celui qui soutient] “ le tiao qui
fait règner la justice ”. Cf. Aymonier, La société du Laos siamois au XIXe siècle, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 235 -
La société lao dans le monde colonial
De manière générale, la société coloniale et la société locale demeuraient deux mondes
éloignés et parallèles. Ceci, malgré le rapprochement entre l’autorité coloniale et l’élite locale à
travers l’organisation administrative où, à certains degrés, l’élite locale a été associée. Les deux
communautés s’étaient en effet rapprochées autour de quelques questions cruciales telles que la
survie du Laos vis-à-vis du Siam, la pacification du Nord en proie aux incursions hô et aux révoltes
des Tai de Muang Lay, la reconstruction du pays en ruine et sa reconsolidation. Mais les raisons de
leur éloignement étaient également grandes, mise à part la question de la colonisation elle-même.
L’association circonstancielle entre l’élite aristocratique locale et l’autorité coloniale n’a été que
superficielle. Car malgré les prérogatives qui ont été accordées aux élites, les contraintes et les
obligations existaient autant,379 les obligeant à accepter parfois les humiliations et “ la perte de la
face ” que tout peuple colonisé doit subir, quels que soient leur rang et la noblesse de leur morale.
Cela faisait naître des sentiments de résignation, freinant les relations, qui ne dépassaient que
rarement le convenable et la politesse. Ceux qui travaillaient pour, avec ou sous les ordres des
administrateurs coloniaux étaient souvent issus de l’élite aristocratique locale, dont les principes
moraux et de vie ont été quasiment ignorés. Le décalage culturel et social entre cette élite (quelle
que soit la modestie du niveau de vie et économique de cette dernière) et certains administrateurs
colons était tel que le sentiment d’humiliation ne pouvait être que manifeste. Alors que l’élite
traditionnelle observait généralement le minimum vital de relation avec la communauté française
(exprimé par sa politesse et le minimum de ses gestes), le simple peuple, quant à lui, craint le Naï
falang ou le “ maître français ”. Cette crainte s’exprimait par sa docilité vis-à-vis de l’autorité et par
la distance qu’il créait entre lui et l’étranger. Ce qui fait dire aux colons que « le Laotien est docile
et manque d’arrogance ».
Il y a aussi d’autres questions qui tenaient éloignés les deux mondes, celles de la réalité
anthropologique de chacun et les impératifs qui s’imposaient respectivement à chacun : les
questions de travail pour reconstruire le pays et de participation à l’espace colonial qui s’impose à
tous, dès lors que l’on accepte le principe d’appartenir au pays lao. Plusieurs faits illustrent ces
questions : 1- la population lao s’éloignait de la ville. 2- la main d’œuvre lao n’était pas utilisable
par l’organisation coloniale, 3- la population lao était docile mais ignorait les contraintes. 4- les
impératifs liés à la reconstruction du pays, étaient des justificatifs suffisants pour imposer à la
population locale des responsabilités, et en conséquence des obligations de participer au travail de la
reconstruction. Tentons d’éclaircir les questions :
1- A la question pourquoi la population lao s’éloignait de la ville, nous avons déjà exposé quelques
faits dans les points précédents. Mais rappelons qu’il pourrait exister trois principales raisons :
- Le souvenir des razzias siamoises a laissé chez les habitants de la ville des marques indélébiles,
qu’ils transmettaient à leurs descendants : c’est en ville que les raffles se faisaient le plus
facilement. La population préférait la campagne, proche de la forêt où ils pouvaient se cacher.
- En fuyant la ville, les Lao ont tenté de fuir les impôts, les taxes et les corvées imposées par
l’administration coloniale à toute population locale, sauf aux chefs traditionnels qui possédaient des
prérogatives. Ces derniers, non seulement pouvaient être exemptés de corvées, mais pouvaient aussi
avoir quelques personnes interdites (khonh ham), c’est-à-dire des personnes exemptées de corvées
vis-à-vis de l’administration coloniale. Elles étaient protégées par les chefs traditionnels auprès
desquels elles se mettaient très souvent au service. Pour les Lao, les taxes étaient les taxes, les
379 Les prérogatives accordées à la famille royale de Luang Prabang étaient parmi les plus rares dans les colonies françaises. Celle de la famille de Champassak était moindre. Le traité du 24 avril 1917 fixe des règles sur le statut de
Luang Prabang : le roi a le droit et l’autorité sur ses sujets et dans la limite de son territoire. Quasiment toutes les
traditions et obligations liées à son statut passé sont préservées ainsi que celles des nobles. Il peut continuer à nommer et à
donner des titres de noblesse, à tenir sa cour et ses rituels. Son administration peut gérer comme autrefois le pays (les 4
provinces). Cependant les titres donnés en rapport avec les fonctions administratives, ainsi que les décrets et les
ordonnances royales doivent recevoir l’approbation formelle du Résident Supérieur.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 236 -
corvées étaient les corvées, c’étaient des contraintes même si certains détails leur échappaient. A la
différence des corvées effectuées à Bangkok et des impôts fixés par l’autorité siamoise –ou aucune
part de ces tributs ne participent d’une manière ou d’une autre au développement du pays, les taxes
et les corvées coloniales effectuées dans le pays servaient surtout à la reconstruction du pays. Nous
verrons dans un point suivant quelles étaient les différentes taxes et corvées imposées.
- La ville était un fait colonial pour les Lao de souche. Les administrateurs français et leurs commis
annamites, les commerçants chinois et sino vietnamiens semblaient constituer un monde à eux et ce
monde est représenté par la ville et dans la ville qu’ils édifiaient. Les Lao quant à eux, en se fixant
en dehors de la ville depuis près d’un siècle s’étaient consolidés et conformés dans leur situation. La
ville reconstruite ne les attirait pas. C’était un espace qui convenait moins à leur mode de vie, même
si certains équipements les attiraient, notamment le marché, l’école et l’hôpital.
2- A la question de main d’œuvre lao difficilement exploitable par l’organisation coloniale, nous
identifions des hypothèses qui pourraient l’expliquer :
- La société lao était et reste une société agricole. La gestion du temps était conditionnée par les
travaux agricoles : après les travaux de rizière c’est le jardinage et le haï, et après le haï c’est de
nouveau les travaux de rizière. Entre les saisons la vie était rythmée par la pêche, la chasse, la
cueillette, les rituels et les fêtes étaient les moments où ils se mettaient en repos. Le travail quotidien
et saisonnier étaient voués à la production de l’auto consommation, le surplus constituait la richesse.
La société lao traditionnelle ignorait les contraintes publiques et collectives du travail, mais prônait
les travaux communautaires comme une valeur sociale.
Les 20 jours de corvées annuelles imposées par l’administration380 auraient été un temps arraché à
leur cycle de vie.
- Il était de même pour le travail salarial dans le secteur privé, car ce domaine manquait également
de bras. Dans les chantiers de construction où les ouvriers et artisans étaient payés, il était difficile
de trouver des Lao. Alors que dans les villages, la maison se construisait en quelques jours avec
l’aide de toute la communauté villageoise.
- Les terres cultivables étaient vastes et sous exploitées. Il y avait de la place pour tous. Les Lao
avaient le droit d’usage sur les sols qu’ils défrichaient. Dans la pratique, ils étaient propriétaires de
ce qu’ils exploitaient. Donc par la force de leur travail, ils pouvaient être propriétaires des terres
aussi vastes que la force de leurs bras pouvait porter. Il était alors aussi difficile de trouver des
ouvriers agricoles qui ne travailleraient pas sur leur propre terre. Une forme de location des terres
agricoles existait pourtant, mais on payait en nature : 2/3 revient à l’exploitant et 1/3 au propriétaire.
- Les Lao étaient des indépendants dans le domaine du travail. Ils n’aimaient pas travailler sous les
ordres de quelqu’un et avaient horreur de l’inconnu et des choses qu’ils n’avaient jamais fait. Parce
qu’ils ont peur des erreurs et donc de perdre la face. Le Lao ne recherchait pas la performance, mais
cherchait à être bien avec ce qu’il fait, sans pourtant un sentiment de suffisance, ni de fierté
particulière. Les extraire de leur milieu, de leur habitude et de ce qu’ils savaient faire le plus, c’était
pour eux ce qu’avait tenté de faire le monde colonial avec des contraintes. Cela ne les intéressait
pas.
- La main d’œuvre était dans son ensemble, drainée par les activités rurales. Elle était difficilement
constituante en dehors de ces activités. La démographie elle-même était faible et le nombre des
actifs en dehors des activités agricoles était, en conséquence, également faible.
3- A la question : les Laotiens étaient dociles mais ignorants les contraintes, il faut comprendre la
question dans le sens où les Laotiens de base étaient faciles à gouverner, parce qu’ils n’aimaient
380 Le chiffre concernant les jours de corvée avancé par différents auteurs est variable, probablement cela dépendait des
périodes considérées. In : Lao Lane Xang avant l’administration française, Thongsavat Praseuth, Imprimerie Nationale,
Vientiane, 2009 (en lao). D’après Phongsavath Boupha, la corvée serait de 60 jours par an. In : Phongsavath Boupha, Le
développement de l’Etat lao, Hong phim Nakhonne Luang, Vientiane, 2005 (en lao).Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 237 -
pas les conflits. La colonisation a été acceptée de fait par ces derniers, mais elle ne signifiait pas leur
adhésion. Le fait de ne pas participer à la démarche coloniale de la population laotienne (sauf sous
contraintes) mettait plus en évidence son indifférence que la haine vis-à-vis du colonisateur : la
domination coloniale n’avait pas connu au Laos des oppositions dures et violentes. Sauf quelques
exceptions, et encore, les facteurs de révoltes étaient divers et circonstanciels et ne visaient pas
particulièrement le système colonial, mais la manière et les personnes qui le géraient.
- Il semble que la colonisation au Laos avait renoncé à sa “ mission civilisatrice ” : la politique
coloniale mettait des efforts plus pour rechercher la performance, exploiter, produire et créer des
richesses de ses colonies pour rentabiliser des années d’effort et d’investissement. Le Laos offrait
des terres et des richesses (minerais, sols riches) mais les données quantitatives de l’humain
décevantes. La politique coloniale avait compris assez tôt qu’il fallait exploiter le pays et le
construire sans les Laotiens. On constatait donc le peu de rôles que jouaient les Lao dans le Laos
colonial : ils étaient minoritaires dans la vie urbaine, l’administration coloniale était secondée par
les Annamites quasiment en leur absence, la production avec une main d’œuvre annamite, le
commerce avec des Chinois et des sino vietnamiens, etc. Les Laotiens jouaient alors un rôle à part :
entre le client et le spectateur. Ils ignoraient donc la ville et ne participaient pas à sa construction, et
considéraient que le Laos colonial n’était pas le leur. Ils allaient se l’approprier tardivement avec
l’indépendance.
Les taxes et les corvées
En 1907 l’administration coloniale a fixé pour les populations tai, les impôts de capitations
annuels de 5 francs par personne et les corvées de 20 jours. Les autres ethnies devaient payer
annuellement 2,5 francs et 10 jours de corvée. Les autres immigrés asiatiques vivant au Laos
devaient 12,5 francs et étaient exemptées de corvée.381 Les levées de corvées ont été appliquées à
toutes les populations du Laos, sauf pour quelques groupes de personnes possédants des
prérogatives, tels les proches membres de l’aristocratie locale à Luang Prabang et à Champassack.
Le rapport de l’année 1909-1910 au Conseil Supérieur de l’Indochine sur la situation du
Laos, montre que le développement du pays “ tourne en rond ”. Le domaine de construction et de
développement n’a pas avancé. Les administrateurs ont pensé que c’est le travail des chefs de
province d’exiger et d’organiser la levée de corvées à la population indigène pour les travaux divers.
Mais les corvées levées n’avaient pas apporté de grands résultats. La population préférait payer. Le
rapporteur suggérait en ce cas qu’il fallait mieux instaurer l’achat de corvée. Avec les fonds
récoltés, l’administration pourrait ainsi payer de la main d’œuvre plus qualifiée venant de l’Annam
et du Tonkin. Le rapporteur notait également que souvent « la réquisition de corvée entraine
beaucoup d’abus. »
382 Parlait-il des abus pratiqués par certains tiao muang et tassèng qui utilisaient
parfois de la main d’œuvre levée à des fins personnels. Ces abus avaient surement été effectifs, mais
restaient probablement des faits rares du moins minoritaires. Nous pensons que certains éléments de
compréhension concernant les pratiques coutumières et le rapport social traditionnel entre l’élite
locale et la population avaient échappé aux administrateurs français qui faisaient état de ce fait dans
leur rapport. Bien que ce soit de bonne foi, lorsqu’un administrateur s’apercevait qu’un villageois
allait travailler pour le tassèng ou le tiao muang, ou lorsque celui-ci leur apportait des denrées
alimentaires (poisson de la pêche, paddy, saumur de poisson, etc.), pour quelqu’un de l’extérieur il
pouvait conclure aussitôt que le tassèng ou le tiao muang abusaient de leur autorité et en détournant
ainsi la corvée pour leur propre intérêt, ils empêchaient le bon fonctionnement de la levée de
corvées pour l’intérêt public.
Cet angle de vue extérieur était tout à fait compréhensible, mais comportait des erreurs de
jugement. Car en réalité il arrivait souvent que les villageois demandent au tassèng ou au tiao
381 Thongsavat Praseuth. Ibid. 382 Cf. CAOM / Cote D3 / Rapport au conseil Supérieur de l’Indochine sur le Laos 1909-1910.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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muang de les “ protéger ”, de les aider d’une manière ou d’une autre à ne pas aller aux corvées, en
particulier lorsque le tiao muang faisait partie de l’ancienne famille des chefs locaux depuis
plusieurs générations. Les raisons étaient souvent l’éloignement du village par rapport au lieu de
corvées, la nécessité des travaux agricoles ne permettant pas de s’absenter, etc. Les villageois
n’aimaient pas se retrouver loin de chez eux et de la famille. Ils n’aimaient pas par-dessus tout
travailler dans la contrainte et sous l’ordre des étrangers. Pourtant les travaux communautaires basés
sur la solidarité, le consensus et le volontariat qui constituaient l’une des bases de la société lao
traditionnelle existaient et étaient fort efficaces, une sorte de levée de corvée à l’ancienne que les
Lao connaissaient bien et en appréciaient l’utilité car cela situait chaque individu dans son espace
social. Ils auraient pu devenir un outil pour l’administration coloniale, mais celle-ci ne l’avait pas
utilisé. Ce n’était donc pas le travail en lui-même qui effrayait les Lao dans la levée des corvées,
mais le contexte, le cadre et la place que ces derniers occupaient dans la société coloniale. Or leur
rôle social n’aurait pas existé, ils seraient simplement des bras et des forces de travail. C’était
probablement l’image que renvoyaient d’eux les corvées qui les rebutaient tant.
Concernant la demande de protection des paysans à l’élite locale, que la demande soit
satisfaite ou pas, par reconnaissance le paysan pouvait rendre de multiples services aux tiao muang.
Obligés forcément d’accepter d’aider les paysans, le tiao muang tentait de placer les quémandeurs
dans le groupe “ des personnes interdites ” ou, en dernier recours, leur demandait d’acheter la
corvée. Le tiao muang montrait qu’il avait encore un peu d’autorité et son honneur ainsi que celui
de ses ancêtres serait sauvé. Dans le cas contraire en refusant de les aider prétextant qu’il ne pouvait
rien faire étant simplement fonctionnaire de l’administration coloniale, c’était se dérober par rapport
aux anciennes responsabilités et c’était renoncer à la haute position morale et sociale transmise par
ses ancêtres. C’était en fin de compte accepter de perdre la face devant les paysans. A Champassack
la mémoire des villages enregistre les “ bons souvenirs ” de tels ou tels tiao muang et de tels ou tels
tassèng, qui ont su se ranger parfois du côté de leurs villageois.383 Pour ce genre d’agissement répété
de l’autorité locale, en décalage ou à l’insu de l’autorité coloniale, les tiao muang et les tassèng
pouvaient être démis de leur poste pour cause d’irresponsabilité et parfois d’abus de pouvoir et de
corruption. On a déjà vu des cas semblables durant la période siamoise, mais les sanctions étaient
plus lourdes : les princes tiao muang pouvaient être traduits en procès à Bangkok pour refus de
satisfaire les tributs fixés par l’administration siamoise.
En ce qui concernait les impôts, les animaux d’élevage faisaient l’objet de taxes fixées par
tête. Ceci, pour les buffles, les vaches, les éléphants, les charrettes à bœufs notamment. Les taxes
sur l’import-export et sur la production de l’opium ont été fixées aussi dans la foulée. En 1895, un
premier document administratif préconisait des taxes sur les barques et les transports du Mékong.
En 1898 des taxes sur la circulation des Lao dans le bas Laos et vers l’extérieur du pays, ainsi que
les impôts fonciers en 1910, faisaient leur apparition.384 Considérant les impôts et les corvées
comme une surexploitation pure et simple, la population lao ne voyait pas de grandes différences
entre la période siamoise et la période française. Même si les corvées coloniales ont été effectuées
sur le territoire lao-même, et souvent affectées à la construction des équipements publics –réfection
et construction des routes et des ponts– ce qui signifiait que le pays en bébéficiait grandement. Et en
ce qui concernait ces impôts, les rétributions existaient, même si elles étaient faibles et ne pouvaient
pas couvrir les dépenses pour la reconstruction du pays. Chaque année, les dépenses étaient
déficitaires dans le budget local. Le budget central de l’Indochine avait dû chaque année envoyer
des fonds pour renflouer les budgets locaux. C’est pourquoi la population, en prenant de la distance
par rapport à la ville et en tentant de fuir les corvées et les taxes, a été considérée comme
383 Cf. Mémoire orale et familiale sur Phraya Muang Pak Souvannaphinith (chargé des affaires de justice dans le petit
royaume de Champassack vers la fin du XIXe siècle) ; sur Phrya Luang Soui Souvannaphinith (tiao muang de
Champassack dans les années 1930 coloniales ; sur Tassèng Kouthong (tassèng de la période coloniale jusqu’à les années
1960), tous les trois étaient mes arrières grands-parents maternels. 384 Cf. CAOM / Fond GGI / Etat civils / T2. 20944 ; T1. 7204 ; T15. 15946.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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irresponsable par l’autorité coloniale. Elle considérait alors légitime de punir les refus de corvée, par
les amendes, l’emprisonnement, voire les châtiments corporels.
Un grand détail différenciait pourtant les corvées et les impôts siamois de ceux des
Français : les corvées coloniales étaient effectuées dans le pays et les impôts rétribués aux dépenses
locales comme nous l’avons déjà souligné. La méthode siamoise déplaçait les Lao de la rive gauche
vers la rive droite et vers Bangkok pour des travaux forcés. Ils ont été affectés aux grandes
exploitations agricoles, aux grands travaux urbains des canaux de Bangkok, etc. Quant aux fonds
exigés du territoire padhesaraj en guise de tribut, ils devaient s’acheminer vers la trésorerie royale
de Bangkok. Il n’y a jamais eu de rétribution sur le territoire padhesaraj lao, en d’autres termes rien
n’avait été construit par l’autorité siamoise au Laos.
La justice coloniale et les indigènes
Nous avons vu que la population lao participait peu aux activités économiques et urbaines.
Dans beaucoup de cas, ils cherchaient toujours lorsqu’ils le pouvaient à échapper aux taxes fixées
par l’administration coloniale, comme ils avaient toujours tenté de le faire durant la période
siamoise. Il était de même dans le domaine de la justice. Par exemple, avec la complicité de leur
seigneur (le terme est ici approprié dans la mesure où c’était bien ce rapport qui avait été mis en
évidence lorsque le paysan venait réclamer de l’aide à l’élite locale) ils faisaient tout pour que les
affaires ne remontent pas à la justice coloniale. L’organisation sociale ainsi que la structure de leur
droit coutumier le permettaient alors. Ils tentaient de régler tous les conflits entre eux. La justice et
le sens de la justice coloniale ne leur semblaient pas adéquats. Par bien des aspects, l’autorité
coloniale s’en accommodait bien. Le fait d’attribuer au tiao khrouèng et au tiao muang les charges
de la présidence du tribunal indigène, cela montrait qu’il y avait une certaine volonté de mettre à
profit la tradition juridique et le droit coutumier, même si le droit français et colonial y a été
légalement promulgué.
Il y avait deux types de lois utilisés alors. Premièrement, il s’agissait des décrets-lois du
gouvernement français : c’est-à-dire ceux du Président de la République française et ceux du
Ministre des colonies. Ceux-ci ne pouvaient être appliqués qu’après décret d’application du
Gouverneur Général de l’Indochine. Deuxièmement, il s’agissait des décrets du gouvernement
local : ceux du Gouverneur Général de l’Indochine (GGI) et ceux du Résident Supérieur du Laos.
Pour Luang Prabang, il y avait les décrets royaux, mais ces derniers ne pouvaient être appliqués
qu’après l’approbation du Résident Supérieur du Laos. En 1908, le tribunal local a été constitué. En
1922, le décret du GGI a été promulgué. Pour le Laos, son application a vu le jour en 1923 dans les
tribunaux provinciaux.
Dans la réalité, les affaires et les litiges entre les Lao restaient dans la majorité des cas dans
les limites du droit coutumier, rares étaient les grandes criminalités relevant de la juridiction
coloniale. Ce qui voudrait dire que les litiges ne remontaient pas au-delà de l’autorité du chef de
village (pho ban), du chef de canton (tassèng) et du chef du district (tiao muang). Ces
administrations locales coutumières faisaient jouer pleinement le conseil du ban ou le conseil du
tassèng qui fonctionnait en ce cas comme un comité des sages, en toute commodité et continuité
avec les habitudes anciennes. On relevait par exemple à Champassak en pleine période coloniale
quelques affaires qui se réglaient localement à l’intérieur de la communauté lao.385 La justice
coloniale s’occupait généralement de la grande criminalité, tels les assassinats, les vols et
brigandages entrainants mort humaine, les affaires pénales en somme. Ces affaires concernaient très
385 Un voleur de buffle pris en flagrant délit aurait été jugé chez le tiao muang. Le chao muang étant fonctionnaire de
l’administration coloniale, au lieu de faire appliquer la loi coloniale, utilisait le droit coutumier revu par ses propres
interprétations : les buffles seraient rendus à leur propriétaire et le voleur serait condamné à s’occuper de l’élevage d’un
cheptel de buffles pendant deux ans parfois cinq ans. La morale de l’histoire est que le voleur se rend compte du travail de
l’élevage de buffle et qu’il est fort désagréable de se faire ursurper son travail. Après cela l’ancien voleur ne volerait plus
et aurait son propre cheptel. D’après la mémoire de la famille de Phraya Muang Pak Souvannaphinit (mon arrière-grand
père maternel) qui était ministre de la justice et juge dans le système traditionnel de Champassak.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Fig. 39. Le
village lü de
Boun Taï
Fig. 40. Ruine
d’un bâtiment
colonial faisant
partie du site
du fort de
Muang Khoun
peu la communauté laotienne. La loi s’adressait donc beaucoup aux étrangers indochinois vivant et
travaillant au Laos. Les registres relevés des affaires pénales pouvaient concerner dans nombres de
cas les immigrés venant du Vietnam, les personnes venant du Laos siamois où on pouvait relever
plus de criminalités, comme le note Aymonier.
II. I. b. 2. Les casernes et les forts, la castramétation dans les établissements coloniaux
L’importance des anciens forts et postes militaires vient de deux constats : le premier, c’est
l’incontestable présence des forts dans les anciennes villes et stations coloniales, même lorsqu’il ne
reste plus que des ruines. Le deuxième constat, c’est l’image stéréotypée des anciennes villes des
colonies françaises qui se focalise beaucoup sur l’existence des forts comme une vision nostalgique
et exotique du temps passé. Les habitants de Muang Sing connaissent par cœur un fait : lorsqu’un
touriste européen, en particulier français, arrive à Muang Sing qui faisait partie du Ve Territoire
militaire, il cherche d’abord à voir le fort français. Pourquoi l’image des anciennes occupations
coloniales se borne-t-elle à la présence des forts ? N’est-ce pas parce que ces lieux marquent un acte
historique, premier acte de présence, de possession et de souveraineté de la France dans un territoire
lointain. Et quelque part, ces lieux font partie de son histoire.
Les forts, accompagnant les territoires militaires, sont les premiers édifices que le pouvoir
colonial construit au moment de son installation. Le premier projet de fondation coloniale militaire
aurait daté de 1894.386 La France devrait consolider la souveraineté de son empire colonial sur ses
possessions face à l’Empire britannique, à la Chine et face à la prétention siamoise qui revendiquait
sa suzeraineté sur l’ensemble du Laos ; et face aussi aux troubles internes corollaires au contrôle des
minorités, en particulier dans le haut Mékong (notamment à Muang Sing ancien vassal birman) et
dans le Ve Territoire militaire (province de Phongsaly). Il était donc capital d’y installer les forts et
les casernes dès les premières années. Par ailleurs, ces équipements ont non seulement la mission
d’assurer la sécurité de la possession territoriale, mais aussi la sécurité des cargaisons des biens
français : taxes prélevées par l’administration, marchandises de toutes sortes qu’elles soient privées
ou appartenues à l’État.387
Dans beaucoup de cas, les ensembles de constructions composant les forts et les casernes
n’ont aucune continuité avec les villes et les villages qui allaient se former plus tard ou qui
existaient préalablement. Si les villes coloniales qui allaient s’implanter se construisaient souvent
sur de l’existant (un territoire déjà habité) le ou les forts, eux, se construisaient souvent à l’écart
bien qu’ils étaient sensés assurer la sécurité des cargaisons et la sécurité de la ville nouvellement
installée ou réinvestie. Il est vrai pour Luang Prabang et Vientiane où les forts n’assumaient aucune
participation à l’évolution de l’espace urbain. Leur importance de départ au moment de leur
installation se réduisait au fur à mesure que la ville se consolidait et la vie citadine se confirmait.
Par exemple pour le cas du fort de Muang Kao, on est frappé par le fait qu’il se trouve
complètement de l’autre côté à l’opposé de Muang Paksé, la ville la plus coloniale du Laos pour
ainsi dire. Et ce fort semblait péricliter, sans doute abandonné bien avant la fin de la période
coloniale.
Il est moins vrai pour les autres établissements, en particulier ceux du Nord. A Muang
Khoun Xieng Khouang, à Boun Taï, à Boun Neua ou même à Phongsaly, où les villes coloniales
n’ont pas été vraiment installées. Les forts signifiaient à eux seuls, la présence coloniale, et restaient
pendant longtemps les repères qui marquaient les établissements en question. Si dans la plupart des
386 Cf. CAOM/ Fond GGI / Chambre de commerce / MO. 20 788. 387 Le trafic d’opium de l’époque avec le Sud de la Chine, le Laos et le pays Shan, était fructueux. Il n’est pas exclu que
les forts et les casernes assuraient aussi la sécurité de ces trafics. L’arrière grand-père de mon informateur (Khamphay
Sounthonne) est Kalrom (sous groupe tai lü) originaire du pays Shan. D’après son histoire familiale ce dernier dirigeait
une petite troupe pour un des tiao f’a de Muang You. Sa mission était d’attaquer les troupes françaises sur la route afin
d’usurper les fonds (caisses issues de taxes, fonds de la banque ?) qu’elles transportaient. La mission avait échoué, il avait
décidé de ne jamais retourner rendre les comptes à son tiao f’a. Cette famille lü s’implante donc au Laos depuis cinq
générations entre Luang Nam Tha et Bokéo.
Fig. 38. Le
Fort de
Boun TaïDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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cas les composants bâtis eux-mêmes tombaient en ruine, l’emprise du site des forts demeure par
contre presque intacte.
Aujourd’hui, le fort de Boun Taï est abandonné après avoir abrité l’administration du
district. Il n’a pas été intégré davantage dans la planification du district de Boun Taï : il demeure ce
que l’on pourrait appeler “ une friche coloniale ”. Le vieux village lü situé de l’autre côté de la rue
pénétrante, à l’opposé du fort, au moment de sa construction semble également avoir été oublié par
la planification du district : l’ensemble du village forme encore un grand îlot à l’intérieur duquel les
maisons sur pilotis, plutôt densément réparties, sont desservies par des ruelles en terre sans
drainage. La distinction, entre le domaine privé (parcelles des maisons) et le domaine public
(ruelle), reste floue et aléatoire, le village semble conserver presque son aspect d’origine. La rue
pénétrante du district fait la tangente au grand îlot villageois dont l’assiette descend en pente douce
vers la petite rivière. La restructuration et le développement du district dans le cas de Boun Taï se
fait surtout sans intégrer ni la friche coloniale, ni le vieux village.
Quant à Muang Khoun Xieng Khouang, l’emplacement de l’ancien fort et siège de
l’administration coloniale est mieux pris en compte dans le plan de restructuration du centre de
Muang Khoun. Puisque les autorités l’ont en partie réhabilité pour loger l’administration du district,
elles cherchent également à faire restaurer son fort à des fins touristiques.
Le site de Phongsaly attire particulièrement notre attention pour sa cohérence avec le vieux
village. Chef-lieu du Ve territoire militaire,388 construit dans les deux premières décennies du XXe
siècle les constructions militaires sont essentiellement composées de deux ensembles. L’un qui est
en hauteur et surplombant le village indigène abritait dans les années 1960 et 1970 le consulat de
Chine de la “ zone libérée ”, et fait aujourd’hui l’objet de réhabilitation en hôtel de bon standing (le
Phu Fa). L’autre édifié un peu plus bas à proximité immédiate du vieux village formait une petite
place entourée de compartiments commerciaux à Rez-de-chaussée et à R+1. Le fait que les ruelles
et les venelles du vieux village soient empierrées et débouchent sur la place une liaison entre la
structure coloniale et l’ensemble indigène est ici remarquable. Le village noyau est au début du
siècle peuplé essentiellement de Phou Noy et de Hô et, de manière minoritaire de Tai Lü et
quelques autres petites tribus.389 Les anciennes photographies datant de 1920 montrent un ensemble
d’habitations assez denses avec des couvertures en paillote à la mode lü, grande et enveloppante
avec des pilotis. Aujourd’hui on ne voit quasiment plus de maisons sur pilotis, la majorité d’entre
elles sont construites à même le sol sur un socle de pierre à la mode hô et phou noy. Les ruelles et
les venelles empierrées sont légèrement en pente, car tout le village est installé sur le flanc d’une
montagne au pied du mont Phu Fa. Un certain nombre de constructions date des années 1920 : entre
1920 –l’année de la photographie– et la, ou, les décennies qui suivaient il y avait un changement de
tissu du bâti, à dominance hô et phou noy.
Du point de vue administratif, autrefois les villages de Phongsaly, essentiellement phou
noy, étaient dirigés par les naï phong390. Après avoir combattu les Hô et les Tai de Muang Lay (Lai
chau) qui se révoltaient contre l’autorité du roi et du pouvoir colonial, le titre de Phraya phong
aurait été attribué par le roi de Luang Prabang à la plupart des naï phong vers la fin du XIXe
388 En 1916 le chef-lieu administratif du Ve territoire militaire a été installé à Muang Khoua, chef-lieu d’un tassèng. En
1917 il avait été déménagé à Muang Houn-Xieng Hung avant de déménager à nouveau pour s’installer en 1921 à
Phongsaly. Les territoires militaires ne seront supprimés qu’en 1949.
389 Les Phou Noy sont majoritaires dans la province de Phongsaly. Il existait 10 000 Phou Noy au début du siècle alors
que les Tai Lao et Tai Lü réunis ne représentaient que 5500 personnes. Cf. K. Vongkotrattana, Pavatkane khouang
Phongsaly (histoire de la province de Phongsaly), 1970. 390 D’après K. Vongkotrattana (ibid.), naï phong [okpzQ’] est un terme utilisé dans le Nord pour désigner naï ban, le chef
de village. Phong [zQ’] pour les lao aurait signifié “ village situé dans les coins reculés, dans la forêt ”. Ce serait aussi
l’origine du nom de Phongsaly. Saly [lk]u] étant l’un des titres de phraya accordé par le roi de Luang Prabang à un chef de
village phou noy, Phongsaly aurait signifié alors “ village du phraya saly ”. Les Phou Noy l’auraient appelé Phongsari
[rvh’ltiy]. Phong [r;dF rvh’] signifie clan, groupe et sari [ltiy] propice, festivité, Phongsari en ce cas aurait signifié
“ village des clans prospères ”. Ibid.
Fig. 41.
Phongsaly au
début du XXe
siècle, vue
depuis Phou Fa
Fig. 43. Le fort
de Phongsaly au
début du XXe
siècle
Fig. 42. Rue
empierrée,
habitation hô et
phou noy à
PhongsalyDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 242 -
siècle.391 En entrant dans le système administratif traditionnel et en devenant le chef-lieu du Ve
Territoire militaire, Phongsaly avait à sa tête le naï khouang
392 avec un titre de phraya qui devrait
suivre les ordres de l’administrateur ou du Garde principal français en poste. Au niveau du tassèng,
l’administration royale nommait les naï kong qui devraient travailler sous les ordres du délégué
français. De même, les naï kong393 seraient parfois recrutés parmi les phraya locaux ou venant de
Luang Prabang.
En faisant une lecture avertie des plans de l’époque et en faisant aujourd’hui des
observations sur le site, nous pouvons noter qu’il y a deux types de liaison entre les forts et le noyau
des villes ou des villages existants, et la raison qui pourrait expliquer le choix de leur implantation
et la place qu’ils occupent dans la ville aujourd’hui. Il s’agit donc d’une liaison par association et
d’une liaison par distinction.
Une liaison par association lorsque le fort est implanté dans une aire existante comme c’est
le cas de Boun Taï où le poste militaire a été entouré de villages. C’est le cas de Phongsaly où une
liaison entre le village indigène et la structure militaire coloniale s’était créée. C’est aussi le cas de
Muang Sing où le fort était construit dans l’enceinte de la citadelle occupant un îlot. Rappelons que
le Chao F’a de Muang Sing avait délibérément choisi de se rallier à la France,394 ce qui explique
sans doute la place qu’occupe le fort dans son enceinte.
Une liaison par distinction lorsqu’un fort est construit distinctement par rapport à une
implantation urbaine ou appelée à le devenir. C’est le cas de Paksé. Le fort se retrouvait sur la
même rive et à proximité de la vieille ville Muang Kao (à l’embouchure de la rivière Pek) faisant
face à Paksé, la nouvelle ville, et à l’embouchure de la Xédaun. En ce cas, le fort semblait être un
poste de surveillance pour la ville. Dans une telle position, le fort perdait rapidement son utilité. En
acquérant une vie plus urbaine et plus citadine (augmentation de la population, des activités
commerciales et culturelles, consolidation sécuritaire, etc.) les villes rejetaient les forts et les
casernes en dehors de leurs besoins et de leur espace. Cependant, nous verrons qu’en ce cas le
programme des équipements publics ne manquait pas d’inscrire par la suite la prison et le
commissariat de police dans ses priorités. Besoins qui auraient été induits par l’importance accrue
de la citadinité. Ces constructions faisaient dès lors partie du tissu urbain. Les programmes
d’équipements introduits par le biais de la ville coloniale, étaient en fait de véritables nouveautés
pour les villes du Laos.
L’implantation des forts et des postes militaires obéissait en fait à une logique qui n’était
pas liée directement à la situation et à l’échelle locales. La castramétation coloniale était
uniquement stratégique. Elle faisait partie d’un réseau général mis en place pour le contrôle des
territoires dans l’enjeu politique et dans les conflits coloniaux de l’époque. C’était le motif qui
justifiait le fait que les forts ont été construits surtout dans les premières décennies de la
colonisation. Ils obéissaient donc au schéma d’implantation territoriale et ne se connectaient
qu’opportunément au contexte local, citadin ou villageois. Ceci explique aussi pourquoi les forts
participaient si peu à la constitution de la ville et à son évolution. Celle-ci, contrairement aux forts
391 Ce groupe de phraya phong [ritpkzQ’] aurait alors obligation de prêter serment annuellement devant la statuette du
Phra bang à Luang Prabang. Le nom rituel du groupe à la cour aurait été “ groupe de muang Ou-Phou Phang-Phou Noy- Ngouang Kang ” [r;d g,nv’v6 - r6/k’ - r6ovhp - ’;’dk’]. Cf. K. Vongkotrattana, ibid. 392 Naï khouang [okpc0;’] est l’équivalent de tiao khouang [g9Qkg,nv’]. Le terme tiao [g9Qk] a été remplacé par naï [okp] qui
veut dire chef, sans doute durant la période coloniale afin d’éviter tout amalgame entre titre de noblesse tiao et fonction
naï. On trouve ainsi dans les documents administratifs coloniaux davantage le terme naï khouang que le terme chao
khouang. 393 La fonction naï kong [okpdv’] apparaît couramment dans l’administration coloniale. Elle correspond à la fonction du
tassèng. Alors que naï kong traditionnellement semblait être une fonction militaire, sorte de chef de colonne ou chef d’un
poste militaire.
394 Le Chao F’a s’est rallié à la France en sollicitant sa protection face aux Anglais et aux Siamois qui occupaient Muang
Xieng Khaèng au courant des années 1888-1896. Lorsque les Français et les Anglais se partagèrent le territoire par le
traité de 1896, Muang Sing se trouvant dans la partie orientale devint alors français. Cf. Lafont P-B. Le Royaume de Jyn
Khen. Chronique d’un royaume tay loe du haut Mékong (XVe
–XXe siècle). L’Harmattan, Paris, 1998. Op, cit
Fig. 44. Les
différentes
représentations
des forts français,
autour de 1910,
1920.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 243 -
et casernes, avait une dépendance plus grande par rapport aux données locales, en particulier en ce
qui concernait la situation des implantations existantes, leur démographie, leurs contextes de liaison,
etc.
Aujourd’hui, la survivance de ces forts, relève de l’exotisme. Ils n’ont aucun rôle spatial
dans la ville. La planification urbaine actuelle ne redonne pas particulièrement une place à ces
ruines. Ceux qui sont bien conservés sont réutilisés comme bureau administratif provincial ou, dans
de rares cas, sont convertis dans l’hôtellerie et dans le tourisme. L’ancien poste militaire et prison
de Luang Prabang est ainsi aujourd’hui converti en hôtel de luxe dont la restauration-réhabilitation
est encore en cours en 2009. Le cas de Oudomxay présente une certaine ambigüité, car l’édifice
colonial n’existe plus, mais son site a été réutilisé par une fonction hautement symbolique : le fort
militaire qui occupait le sommet d’un mont, au pied duquel s’égrainaient les habitations du vieux
village, a été complètement détruit. Le mont a été ensuite réinvesti dans le cadre d’un nouveau
développement de la ville : un musée dédié à la révolution de la province y a été construit. Alors
que sur un autre mont à l’autre bout de la ville la fonction religieuse a été affectée : un stupa a été
construit rappelant l’ancien stupa détruit pendant la guerre.
II. I. b. 3. Les trames viaires dans la construction de l’espace colonial
Appropriation des trames viaires
La ville coloniale, lorsqu’elle s’est crée sur une implantation existante, s’est structurée
généralement autour d’une ou des armatures structurantes. Il s’agissait de se superposer sur les
armatures locales si celles-ci existaient préalablement, tel les cas de Vientiane et Luang Prabang.
Ou alors il s’agissait d’en créer de toute pièce si celles-ci n’existaient pas, tel le cas des « villes
nouvelles » greffées sur les petites structures de villages notamment à Savannakhet. Concernant ces
armatures structurantes il s’agissait des voiries principales des anciennes cités qui, en se consolidant
et en se formant avec la réhabilitation coloniale (agrandissement, redressement, parfois pavage et
drainage et plus tard goudronnage), enfermaient les îlots anciens laissant les cœurs d’îlot évoluer
selon leur organisation endogène. Seules les constructions sino vietnamiennes liées à l’installation
du pouvoir colonial se constituaient aussi parfois dans le cœur de ces îlots pour former une variante
dans les types tissulaires. Dans ce cas, le processus de parcellisation (comme nous allons le voir
dans les points qui suivent) se faisait d’abord le long des voies avant de pénétrer dans les cœurs
d’îlot. Le cas de Vientiane illustre encore ce processus. La rue Sethathirat, le quai F’a-Ngoum ainsi
que la route Nong Bone étaient ces armatures existantes sur lesquelles la ville coloniale s’appuyait.
A Luang Prabang c’est la rue centrale qui servait d’appui. Le cas de Savannakhet illustrait quant à
lui la construction d’une “ ville nouvelle ” sur une restructuration partielle de l’existant. Le cas de
Paksé montre quasiment que la construction d’une “ ville nouvelle ” se réalisait sans faciès urbain
existant : car Tha Hin un village important qui existait avant la ville coloniale ne se trouve pas dans
le centre de Paksé, mais sur l’autre rive de la Xédaun.
A propos d’appropriation, le rempart intérieur de Vientiane transformé en boulevard dès le
début de la construction de la ville coloniale rentrait dans ce processus d’appropriation des
armatures urbaines existantes. Cette appropriation qui n’altérait pas complètement le
fonctionnement existant permettait à ces structures anciennes d’exister et de persister dans le plan
des villes. La lecture de certaines villes du Laos d’aujourd’hui est donc aussi liée à l’histoire urbaine
et à la culture urbanistique des installations coloniales. Ceci, dans le sens où les aménageurs
coloniaux avaient construit sur le rempart de la ville de Vientiane un boulevard qui fut l’une des
étapes et conditions d’étendre la ville au delà de sa première couronne. Ce même processus peut
être remarqué dans beaucoup de villes françaises et européennes, à commencer par Paris, où les
enceintes sont les lieux de naissance-même des boulevards.
De nouvelles restructurations du bâti pour la ville
Les moyens pour s’approprier des trames existantes de la ville coloniale, c’était la manière
dont étaient construits les édifices qui allaient déterminer les types de parcelles et les variantes du
Fig. 45. Vue
de Oudomxay
depuis le site
de l’ancien
fort français Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 244 -
tissu urbain. Les éléments bâtis qui inauguraient la ville coloniale et qui ont été soutenus par un
programme spécifique et inaugural par rapport à la ville existante et par rapport au programme
traditionnel (que nous allons voir de suite), marquaient le tissu urbain avec l’apparition de nouvelles
typologies d’architecture, dont trois sont nées de ce contexte. Il s’agit des édifices identifiés comme
habitats coloniaux, les compartiments commerciaux sino vietnamiens et les maisons lao de la
période coloniale.
Cependant, il n’y avait qu’un seul nouveau type parcellaire apparu, celles réservées pour
l’emprise des compartiments. C’étaient des parcelles étroites et longues, orientées
perpendiculairement à la rue. Elles étaient dépourvues d’espace vert, mais munies de cour
minéralisée située entre la partie service et le corps principal du bâtiment qui servait de magasin.
Quant à l’habitat colonial il s’implantait en réutilisant les parcelles existants, souvent celles
d’anciennes résidences de notables locaux, tombées en déshérence, parfois celles d’anciens
monastères en ruine et abandonnés. La surface de ces parcelles était assez vaste, elles occupaient
souvent les parties centrales de la cité et bordaient les rues principales.
Quant aux maisons lao de la période coloniale, il s’agissait de celles qui sont construites à
partir des années 1920. Bien qu’elles fussent sur pilotis avec ou sans cloisons sous les pilotis ces
maisons empruntaient partiellement le vocabulaire de l’architecture coloniale, avec notamment
l’utilisation des piliers en maçonnerie, l’ajout de perron pour accéder à la maison. Certaines d’entre
elles qui n’abandonnaient ni la proportion des maisons lao anciennes, ni les pilotis qui en étaient
leur marque et ni le corps bâti en double pignon, utilisaient le torchis à la place des bardages de bois
qui font la richesse des maisons lao anciennes des plus riches factures. Ces maisons s’implantaient
dans des parcelles de taille plus ou moins importante, luxuriantes et servaient déjà la fonction
d’habitation.395
Des plans d’extension et des travaux de voirie
Les moyens pour s’approprier des trames existantes par les implantations coloniales étaient
également les travaux de nouvelles voiries associés aux projets d’extension urbaine et de création de
nouveaux quartiers. Bien qu’il y ait eu des projets d’extension dans les principales communes, peu
de réalisations en étaient issues. Ce fait était sans doute lié au contexte économique qui n’était pas
forcement très favorable de manière générale pour le développement des villes lao. A Vientiane
deux nouveaux quartiers ont pu être créés complètement selon la conception coloniale de l’époque.
Ils sont aujourd’hui encore lisibles à travers le maillage urbain. Il s’agit des quartiers Anou-That
Dam et Simuang, deux nouvelles structures qui se greffaient dans la ville par leurs trames viaires
géométriques, leurs rues se coupant à l’angle droit avec réseau d’assainissement à ciel ouvert
aménagé entre le bord de la chaussée et les trottoirs. Le Plan de 1912 montre bien les rues en projet
entre les rues Georges Mahé (Sam-Saèn-Tai) et Maréchal Joffre (Sethathirat). Le projet d’extension
de la ville vers l’Ouest au-delà de Nam Passak et du boulevard Doudart de Lagrée (Khun Bourom)
dressé dans le plan de 1931 comme “ extension de la ville indigène ” montre la réplique du quartier
Anou avec une connexion sur une place radioconcentrique au niveau du quartier Sihom dans le
prolongement de la rue Sethathirath. A l’emplacement de ce qui devrait être une place on proposait
sur le plan d’y placer un château d’eau ! Les îlots sont carrés comportant quatre parcelles quasi-
égales. Ce curieux plan ne sera jamais réalisé.
II. I. b. 4. Les villes coloniales, les villes nouvelles, des exemples : Thakek, Savannakhet,
Paksé, Attapeu
C’est à Savannakhet, Paksé, Thakkek et Attapeu que la réalisation des aménagements
urbains se montrait résolument coloniale. Dans la majorité des cas, la structure coloniale a été
395 L’étude typologique, in. Vientiane portrait d’une ville en mutation, Chayphet Sayarath, éditions. Recherches, 2005.
Ouvrage bilingue Lao-français.
Fig. 48. Planche
des typologies
architecturales
Fig. 46. Plan
parcellaire, de
la ville de
Vientiane,
1912, échelle
1/2000e
.
Guillini.
Fig.47. Plan de
la ville de
Vientiane, 1931,
état existant état
projeté, échelle
1/2000e
,
Mariage.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 245 -
plaquée sur le site où la structure existante était quasiment absente. L’immatriculation des parcelles
et l’émergence des nouvelles fonctions du bâti confirmaient le statut de l’espace colonial, qui se
montrait pour les uns par la création des places ou des jardins, et pour les autres par le quadrillage
géométrique des trames viaires, ou encore par le processus de formation des îlots et par le nouveau
rapport établi entre l’espace public et l’espace privé.
La place centrale de Thakkek résolument coloniale, dont l’un des côtés donne sur la berge
du Mékong, était une réalisation intéressante du point de vue spatial. C’était aussi la plus atypique
des réalisations coloniales du Laos. Il y avait une belle tentative de centralité avec la création de la
place, une vision urbaine et citadine résolument nouvelle qui faisait de Thakkek une vraie ville
nouvelle, coupée de son faciès indigène. Les compartiments commerciaux à R+1 présentaient les
plus intéressants spécimens du genre : colonnades, galeries, baies, etc., un vocabulaire architectural
assez complet autour de la place. Cet ensemble très cohérent appartient aujourd’hui majoritairement
à l’ État, ce qui semble offrir une grande possibilité pour un projet de réhabilitation de
l’ensemble.396
A Savannakhet nous sommes interpellés par la particularité du maillage des rues. Les
trames viaires qui se coupaient à angle droit formaient alors des vastes îlots, à l’intérieur desquels
on retrouvait (et on retrouve encore aujourd’hui) plus de mixités entre tissus locaux et tissus
coloniaux, en particulier en ce qui concerne les parcelles d’habitations. Ainsi au nord et à l’est de la
ville, c’est parfois un village tout entier, voire deux, entourés de voies qui forment un îlot dans
l’aménagement colonial. Au bord des rues les plus centrales, l’administration y construit des
équipements publics. Cela donne l’impression d’une ville plus grande qui s’allongeait dans l’axe du
Mékong. C’est ainsi avec ses grands îlots que Savannakhet paraît être la ville coloniale la plus
étendue. Le nombre des habitants, étrangers et locaux confondus, y était aussi plus important qu’à
Vientiane, jusqu’à un moment donné.
La ville de Paksé, implantée en face de la vieille ville, est contenue dans une sorte de large
presqu’île au croisement entre le Mékong et la Xédaun. Dans une configuration paysagère
singulière formée par les deux fleuves et les montagnes environnantes, le plan de Paksé aux trames
quadrillées avec des ensembles tissulaires mixtes faits de compartiments, d’équipements publics,
contraste avec le paysage environnant. La ville coloniale semblait clairement se démarquer de la
structure existante que sont la ville ancienne se trouvant de l’autre côté du Mékong, et les vieux
villages de la zone Tha Hin se trouvant de l’autre côté de la Xédaun, avec leurs maisons sur pilotis
accrochées sur la berge. A l’intérieur de la ville de Paksé qui se déploie entièrement dans la
presqu’île, la vie citadine coloniale semblait dynamique : les marchés, les squares, les marchands et
les coiffeurs ambulants qui passaient et qui stationnaient ensuite dans le petit parc de la ville
créaient des ambiances de rue.
397
En ce qui concerne Attapeu, il ne serait pas exagéré de la considérer comme une ville
jardin. Située dans un territoire ou trois fleuves se rejoignent, Xésou, Xékamane et Xékong, la ville
a été transférée de son ancien site et construite sur son site actuel vers 1921, l’ancienne ville étant à
Fandèng muang kao et le premier commissaire du gouvernement français y a été installé dès 1894.
La petite ville coloniale de Atttapeu est organisée avec un maillage assez régulier formant des îlots
larges plus que habituellement. Les îlots et les bords des trames viaires gardent encore aujourd’hui
l’ombrage de ses arbres autrefois richement plantés, rappelant quelques caractéristiques de sa
période coloniale, alors que les bâtiments coloniaux ont été en majorité démolis. Il n’en reste
quasiment plus de traces. Les arbres ne sont pas organisés et plantés en alignement comme à
396 Il y a eu plusieurs tentatives pour faire restaurer la place de Thakkek depuis près de dix ans, y compris plusieurs
travaux de fin d’étude de la faculté d’architecture, mais aucun projet n’a pu être mis en place. Afin de se caler à une
certaine conception locale où la conservation du patrimoine proprement dite ne semble pas vraiment comprise et adéquate,
nous avons évoqué dans l’objectif de proposer une mise en valeur de type PRI (Périmètre de Rénovation Immobilière)
introduisant une dynamique foncière et une réactualisation des fonctions.
397 D’après les personnes âgées qui ont connu Paksé dans les années 1930-1940.
Fig. 49. La ville
de Savannakhet, état actuel.
Fig. 50. La
ville de Paksé,
état actuel.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 246 -
Vientiane, mais plantés de manière libre et irrégulière. L’impression de ville très plantée et touffue
de végétations semble alors plutôt provenir de l’organisation interne de chaque îlot, donc du mode
de vie de ses habitants et de leur approche par rapport à la nature environnante. Par ailleurs, son
isolement dans un territoire très peu urbanisé, et dont la nature et la biodiversité restent encore
fortement présentes, a joué un rôle important dans la perception générale de la ville. Bien que la
récente planification urbaine a apporté un nouveau visage à la ville, à travers la réfection et la
reconstruction des routes, celle des nouveaux équipements publics, et bien que les édifices
coloniaux proprement dits ont été démolis ou tellement réhabilités, perdant leur caractère d’origine,
son aspect de ville jardin subsiste par la persistance de la densité de la végétation et par le paysage
fluvial que décrivent les trois fleuves.
La forme particulière induite en partie par le système des armatures urbaines des villes
coloniales, exprimée par le quadrillage des trames viaires et le plan en damier ainsi que les arbres
plantés en alignement, est une forme et un système à ne pas rapprocher du système géométral de
certaines villes lao anciennes ou de certaines formes d’établissements anciens du Laos. La
généalogie de ces deux types de structure est tout à fait différente. Ceci pour trois raisons.
- La première raison est que les villes coloniales, avec leur plan en damier, sont caractérisées par
l’absence d’enceinte. Enceinte qui aurait marqué le côté “ abouti ” de l’espace des cités anciennes.
Au contraire, la trame coloniale renferme l’aspect “ indéfini ” par rapport à la question de limite.
Comme le note Benevolo « […] La ville doit pouvoir se développer, et l’on ne sait pas quelle
dimension elle atteindra ; c’est pourquoi le plan en échiquier peut être agrandi dans toutes les
directions, au fur et à mesure qu’il devient nécessaire d’ajouter de nouveaux îlots. La limite
extérieure de la ville est toujours provisoire, notamment parce qu’il n’y a pas besoin de remparts ni
de fossés […]»
398 Même si ces propos sont appliqués aux villes coloniales du XVIIe et XVIIIe
siècle, il n’est pas moins vrai pour les villes coloniales les plus récentes. De ce fait, dans leur
ensemble et à différentes époques les villes coloniales peuvent être rapprochées des bastides et des
villes neuves du haut moyen âge et également de l’héritage des villes romaines -la structure du
roma quadrata.
- La deuxième raison est que les origines des formes en échiquier des villes anciennes comme
Muang Sing se basent sur des schémas symboliques dont nous avons précédemment suggéré les
principes : les cités anciennes qui ont des formes carrées ou rectangulaires contenues et limitées
dans une enceinte ont au centre le noyau du pouvoir qui est, soit représenté et installé dans une
enceinte intérieure, soit représenté par un point haut comme le Phnom khmer. Dans les deux cas la
forme et le système se rapprochent de la ville chinoise et du monde tantrique incarné, dans le sud,
par le système spatial du mandala, et se relie aux symbolismes hindouisés du mont Méru. Nous
trouverons de nombreux exemples dans les villes khmères et tai aussi.
II. I. b. 5. L’introduction du cadastre, de “l’îlot à la parcelle”
La France trouvait vers la fin du XIXe siècle un territoire sans structure administrative et
ignorait par conséquent sa tradition foncière qui avait disparu lors de la mise à sac de la capitale en
1828, laissant régner l’anarchie pendant près de trois quarts de siècle. Bien que les allusions aux
domaines fonciers soient parfois mentionnées dans des registres royaux anciens,399 ce qui devrait
signifier qu’un document se rapportant au titre du droit d’usage du foncier existait bien, mais sans
doute sous une forme différente, aucun plan de la ville de l’époque antérieure n’a pourtant été
retrouvé. Ce vide a permis à la France d’établir plus aisément sa méthode de gestion du sol, sur le
modèle français appliqué dans la plupart de ses colonies, tout en l’adaptant de manière à ce qu’il
398 Benevolo L., « La colonisation européenne dans le monde », in : Histoire de la ville, éd. Parenthèses, 1983, 1994,
2000.
399 Les textes royaux qui mentionnent l’attribution des terres aux monuments religieux furent mis à jour à travers les
études des inscriptions, notamment celles de That Luang par M. Lorrillard. In : M. Lorrillard, « les inscriptions du That
Luang de Vientiane : données nouvelles sur l’histoire d’un stupa lao », BEFEO, 2003-2004 n°90-91.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 247 -
s’accorde aux besoins et aux réalités rencontrées sur place.
A cette époque, dans la réalité territoriale de ville détruite (concernant Vientiane) ou de
ville non administrée et parsemée (pour les autres villes de province), nous pouvons seulement
remarquer certains éléments bâtis subsistant en état ou en ruine, de type monumental tel que les that
et/ou communautaire tels que les vat, les remparts, les digues, échappant à la destruction, aux
intempéries, quasiment les seuls marqueurs d’anciens territoires urbains. Les habitations civiles se
raréfiaient dans les centres anciens pour se disperser dans les villages des alentours, les habitants
fuyant le centre à cause des souvenirs des rafles durant les guerres siamoise et hô. Dans
l’élaboration de ses plans, l’administration coloniale ne manquait pas d'intégrer les relevés de ces
éléments bâtis, sans toutefois pouvoir délimiter de manière exacte les parcelles qu’ils occupaient. La
représentation de l’emprise des anciens monuments n’est parfois pas exhaustive ou aboutie, comme
le montrent les relevés de Parmentier réalisés en 1911 à Vientiane, où seuls les morceaux de
monuments restant visibles à l’époque ont pu être relevés. Le plan de Vientiane dressé en 1896 a
inventorié, entre autres, les vat et les that que nous pouvons également retrouver représentés dans le
plan de 1905, classés comme étant des domaines religieux et légendés “ terrains appartenant aux
pagodes ”.
400 Il s’agit de vastes terrains avec une délimitation assez nette, cette fois-ci grâce à leur
enclos souvent formé de palanques dont la pointe des pieux en bois était sculptée. Les incendies et
la mise à sac de Vientiane en 1829 avaient détruit la majeure partie de ces édifices pour ne subsister
que des ruines, les terrains appartenant aux pagodes sont pourtant les mieux préservés dans leur
forme parcellaire.401 Quant à la limite et à la forme des parcelles d’habitation, elles étaient très
imprécises, voire inconnues. A contrario, le mode d’habiter subsistant était aisément identifiable. Ils
sont désignés, selon le vocabulaire de l’époque, comme étant des “ terrains érigés par les
indigènes ”. Le plan de 1905 mentionne également des “ terrains érigés par l’administration ”. Il
s’agit là encore de grands terrains dont les éléments bâtis ont complètement disparu ou formant des
ruines. Ce sont des anciens monastères ou d’anciennes demeures princières et royales.
L’administration française réinvestit ces lieux, béants et martyrisés par l’histoire,402 pour y
construire des équipements administratifs et des résidences pour son personnel, dès la première
année de son installation en 1900. Par rapport au contexte de désoeuvrement des établissements que
l’administration française trouve à son arrivé, seule la ville de Luang Prabang conserve sa densité,
car elle se reconstruit assez rapidement après les attaques des Hô.403
La restructuration et le développement du territoire des villes et de leurs éléments bâtis
ainsi que la reconstitution de leur démographie n’ont pu être réellement possibles qu’à partir de
l'établissement des premiers cadastres en 1912. Bien que seuls les plans cadastraux de Vientiane et
de Luang Prabang aient pu être retrouvés, nous pensons avec certitude que ceux de Thakkek,
Savannakhet et Paksé ont également été élaborés. Car, comme Vientiane, ces villes ont été établies
durant la même période, et leur érection en commune accompagnée de diverses constructions, telles
des compartiments en front de rue. Par ailleurs, les cessions de parcelles aux commerçants chinois
et vietnamiens nécessitaient des plans cadastres et des titres fonciers. L’établissement de ces
documents conférait aux villes nouvellement érigées en commune404 un statut plus urbain, et
donnaient des possibilités nouvelles aux activités commerciales que les autorités françaises ne
cessaient de promouvoir pour attirer non seulement les Lao de la rive droite, mais surtout les
400 Cf. Plan de la ville de Vientiane 1905, échelle 1/10 000e
, M. Kléber, inspecteur de la garde civile. 401 La violation des terrains appartenant aux domaines religieux est un fait assez rare chez la population lao. Outre la peur
des esprits qui sont sensés habiter les limites des monastères, c’est le respect des lieux sacrés qui empêche les gens de
squatter les parcelles monastiques même lorsque ces parcelles sont inoccupées et tombées en déshérence. Autrefois plus
qu’aujourd’hui, les Lao croyaient également que les anciens terrains appartenant aux pagodes ne sont pas propices pour
les usages laïcs, notamment pour les activités commerciales.
402 Vientiane a été incendiée et mise à sac vers 1827 et 1829 par les Siamois et ses habitants ont été déportés au Siam,
suite à la lutte de libération avortée de Chao Anouvong, roi de Vientiane. 403 Les attaques des Hô forçaient le roi Ounkham, accompagné d’Auguste Pavie (premier Consul en poste en février
1887), à fuir la ville de Luang Prabang. 404 Vientiane a été érigée en centre urbain en 1904. Document administratif, fonds GGI, CAOM.
Fig. 51. Projet
d’extension de
la ville de
Vientiane,
montrant le plan
de zonage autour de 1920Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 248 -
immigrés, ouvriers et commerçants, chinois et vietnamiens. Ils confortaient surtout le pouvoir
administratif qui pouvait à partir de ces documents mettre en place des taxes foncières et des
références par rapport aux marchés fonciers qui se constituaient alors peu à peu.
Le plan de 1952, réalisé durant les premières années de l’indépendance du pays405 n’est pas
un plan cadastre à proprement parlé, mais un plan de zonage pour l’extension de la ville de
Vientiane, avec identification des zones appartenant aux différents domaines. Il identifie le domaine
fédéral, le domaine national, le domaine communal et le domaine religieux –pagodes et églises.406
Dans l’ensemble, il y a donc assez peu de différenciations dans le statut foncier. Par ailleurs,
l'extension de la ville au-delà de la première ceinture ne s'était pas appuyée sur ce plan, ni sur les
domaines qui ont été inventoriés. La ville au-delà des boulevards Khouvieng-Khun Bourom s'était
développée entre les années 1940 et 1960 sans structure, sans guides et sans références de
planification, en tout cas sans se fonder sur les dispositifs du cadastre. Il faut attendre
l'établissement du plan cadastre élaboré en 1964, le deuxième cadastre du pays, réalisé par le
gouvernement du Royaume du Laos, pour que le phénomène d'expansion et de développement
urbain soit formellement pris en compte dans un document de régulation foncière et de contrôle
territorial et économique. Ce cadastre répondait en fait à deux besoins majeurs. Le premier était
d’identifier les terrains qui s’étaient déjà constitués, mais sans titre et sans matricule foncier, c’est-à-
dire régulariser le phénomène de transaction et de cession foncière qui s’était déjà largement
développé, en particulier pour des terrains situés au-delà de la première enceinte. Ceci en ce qui
concerne la ville de Vientiane ; le second était de mieux contrôler le développement de la ville en
cours et d’accompagner l'étude de son premier plan urbain407 élaborée par le BCEOM sur
commande du gouvernement royal. C'est ce cadastre qui avait effectivement accompagné, la grande
expansion de la ville de Vientiane dans les années 1960.
Nous pouvons dire que c’est durant ces trente ou quarante premières années du siècle
dernier que se constituent les principaux types de parcelle ainsi que les quartiers urbains avec, en
conséquence, la restructuration des bâtiments existant et l’introduction de nouvelles typologies,
pour Vientiane, du moins à l’intérieur de la première enceinte de la ville. Nous pouvons voir plus en
détail comment la restructuration parcellaire et du cadastre a-t-elle des implications sur la
structuration du bâti dans le chapitre traitant de « l’évolution spatiale ». Cependant, nous voulons
noter ici comment le cadastre et le tissu colonial ont-ils une importance par rapport aux trames
viaires qui marquent durablement la structure des villes et en particulier le cœur des villes.
L’établissement du tissu colonial qui se superposait sur le tissu lao, aidé et structuré par le
plan cadastre, donnait une place aux trames viaires comme un composant urbain essentiel et majeur,
ce qui n’était pas le cas de la structure urbaine traditionnelle existante. La mise en place du cadastre
et donc de l’identification et de la clarification des parcelles apportait une vision nouvelle au tissu
urbain traditionnel. D’abord, la mise en forme du plan cadastre et des bornes obligeait une précision
et un métrage qui n’était pas le premier souci des parcelles traditionnelles. La délimitation
parcellaire ancienne existait bien entendu, mais son usage ne respectait pas strictement cette
délimitation. Ensuite, dans le cas de Vientiane, nous constatons clairement que les premières
parcelles cadastrées se créaient en se greffant aux trames viaires, tandis que les parcelles qui
n’étaient pas au bord des voies seraient cadastrées bien après. La constitution de l’îlot se réalise en
ce cas avant la constitution de la parcelle. Le processus de création du tissu urbain de ce type
commence d’abord par la délimitation des îlots avec la construction des voies. Celles-ci sont
bordées ensuite par du bâti de nouveau type, tels les compartiments et les équipements publics. Ceci
405 Le traité de 1946 garantit l’indépendance du Laos dans l’Union Française, celui de 1954, la convention de Genève pour
la paix en Indochine, donne en définitive l’indépendance du Laos.
406 Domaine fédéral pour la Fédération Indochinoise ; le domaine national pour la Circonscription Territoriale du Laos ; le
domaine communal pour la Commune de Vientiane ; le domaine religieux était la structure locale quasi-unique au
moment de l’installation de l’administration coloniale. 407 Il s'agit du premier schéma directeur mis à l'étude entre 1958 et 1964 par le BCEOM.
Fig. 1. Plan
cadastre de
Vientiane de
Luang Prabang.
1912. Guillini.
Fig.52. Le plan
cadastre de
Vientiane, 1964
Fig. 53. Plan de
Vientiane,
1895
Fig. 54. Plan de
Vientiane,
1905Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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est représentatif du processus de création de l’espace colonial, en contact avec le contexte local qui
prime d’abord le cœur des îlots avant leurs limites. On le voit avec la constitution des grands îlots
urbains à Savannakhet enfermant un village ancien entier, voire, plusieurs villages, avec des limites
parcellaires qui restent longtemps imprécises.
Comme nous l’avons vu précédemment, le tissu colonial s’établissait avec ses constructions
sur les fronts des trames viaires, occupant d’abord les grandes parcelles et ensuite les plus petites.
Le service des travaux publics implantait d’abord les bâtiments clefs (notamment le bureau de la
Résidence), il procédait aussi à la réfection des voies existantes et à la construction de nouvelles
voies publiques. Venaient après la construction des autres bâtiments administratifs, puis les
bâtiments résidentiels et commerciaux bordant les voies, rejetant en arrière les habitations
“indigènes ”
408 jusqu’à ce que celles-ci disparaissent pour s’implanter ailleurs ; ou alors, lorsque les
îlots étaient de taille importante les bâtiments coloniaux construits en front de rue enfermaient
l’habitat indigène dans le cœur des îlots. Sauf dans le cas où un quartier a été construit et restructuré
complétement, comme par exemple à Vientiane les quartiers quadrillés de Simuang et de Anou. A
Savannakhet, Thakkek et Paksé les nouveaux quartiers de ce type s’implantaient quasiment dans les
mêmes conditions.
De ce point de vue et mise à part les nouveaux quartiers coloniaux entiers, nous pouvons
dire que la structure coloniale qui se greffe, est uniquement structurelle et ne pénètre quasiment pas
dans les parcelles indigènes. Ceci, bien que dans certains cas les chemins de servitude ont été établis
dans le plan cadastre afin de permettre l’accès au cœur des îlots, et bien que l’établissement du
cadastre lui-même nécessite une connaissance détaillée à l’échelle des parcelles. Nous pouvons
remarquer dans cet ancien cadastre que les cœurs d’îlot n’ont pas tous été cadastrés. Seuls les
quartiers les plus centraux sont concernés et en général, ce sont d’abord les fronts de rues qui sont
cadastrés. Ce qui signifie aussi que les premières transactions foncières, dont l’administration
publique était elle-même le promoteur, concernaient d’abord les parcelles en front de rue en
particulier celles destinées aux implantations des compartiments commerciaux chinois que
l’administration française avait favorisée pour que les centres urbains (de Vientiane notamment)
puissent prendre vie autour des activités commerciales dont ils souffraient de l’absence.
Le processus de fabrication du tissu urbain tel que nous venons de le décrire peut être
qualifié de linéaire en front de rue. Ce principe est fondamentalement opposé aux caractéristiques et
à la forme des tissus urbains lao traditionnels. Effectivement dans le tissu lao, il faut pénétrer dans
le cœur des îlots à l’échelle de la parcelle et de l’habitation pour comprendre le principe de
fonctionnement des limites parcellaires qui sont quasi imperceptibles depuis les grandes voies. Or
l’établissement du cadastre nécessite une vision claire en cœur d’îlot et une compréhension du
fonctionnement local. Malgré la restructuration des limites parcellaires avec l’établissement du
cadastre depuis le début du siècle dernier, nous remarquons encore jusqu’à la révision du dernier
cadastre achevé vers 2005, que le cœur de nombreux îlots reste vivace dans la persistance de la
structure parcellaire lao : voies et venelles tortueuses, étroites, ombragées et surtout mal délimitées ;
les limites entre parcelles restent parfois imprécises et souvent matériellement absentes. Nous
remarquons parfois qu’il existe une liaison discrète et informelle entre l’enclos des monastères, les
venelles et certaines parcelles.
II. I. b. 6. Les nouveaux programmes et les équipements publics coloniaux
Parallèlement à l’appropriation coloniale des trames et armatures urbaines, la restructuration
du bâti et du parcellaire, c’est le programme des équipements publics qui allaient transformer le
tissu des villes lao les plus importantes. Pour comprendre cette période que l’on peut également
qualifier de période de programmation urbaine, nous avons essayé de dresser deux listes pour en
408 Le terme indigène est couramment utilisé dans les cartes et plans coloniaux pour désigner le ou les parties de la ville
majoritairement occupées par les locaux distinctes des parties occupées par les Vietnamiens, les Chinois et les Français.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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faire des comparaisons : l’une concerne le programme des constructions anciennes (lao), l’autre
concerne le programme des constructions coloniales.
Les deux listes mettent en évidence la limite du programme ancien des constructions lao et
au contraire, l’ampleur du programme colonial. Beaucoup d’édifices nouveaux et de fonctions
nouvelles ont été introduits dans les villes lao lors de la construction de la ville coloniale. Certains
de ces programmes d’équipements étaient jusqu’alors absents de l’espace lao et d’autres existaient
probablement. Nous pensons donc que certains programmes réintroduits par la ville coloniale
auraient existé auparavant, mais auraient disparu dans l’incendie (pour Vientiane) ou abandonnés
par leurs usagers perdant ainsi leur fonction (pour les autres villes).
Les programmes coloniaux dans leur ensemble induisaient non seulement la construction
des nouveaux édifices jamais connus dans le pays, mais apportaient aussi un changement spatial au
niveau des gabarits, de l’échelle et du tissu urbain. Ils devraient également mettre en exergue un
renouvellement social des habitants. Et par la même occasion, ils devraient induire la réduction et
l’altération du programme des espaces traditionnels. Les grands équipements coloniaux tels que les
campus hospitaliers par exemple lorsque les grandes parcelles traditionnelles ne suffisaient plus
pour leur emprise, l’administration procédait parfois au remembrement de plusieurs parcelles. On
peut aisément imaginer cela pour la construction de l’hôpital central de Luang Prabang aujourd’hui
transformé en hôtel de luxe. Pour Vientiane, il est difficile de trouver des exemples parlant
puisqu’en étant la capitale ayant des équipements anciens importants, notamment l’ancien complexe
du palais royal et ses annexes, la ville possédait alors des grandes parcelles qu’il n’était pas
forcément nécessaire au début pour l’administration coloniale de remembrer pour construire ses
équipements. Au contraire, les parcelles auraient été davantage démembrées pour les installations
privées que sont les compartiments commerciaux.
La comparaison entre les deux plans cadastre dressés en 1912 (l’un sur tissu et l’autre sur
papier) met en évident ce procédé réalisé dans un laps de temps assez court, en particulier sur le
quartier situant entre That Dam et Sihom-Thongtoum. Sur le plan en tissu, la zone présente encore
un vide qui doit correspondre à un ensemble de rizières et de terre humide. Sur le plan papier, la
zone est occupée par un ensemble de trames et des parcelles constituées avec bâtiments. Le plan en
tissu est certainement antérieur de 2 à 3 années, même si les deux sont datés de 1912. Le cadastre a
probablement commencé dès le début du XXe siècle pour terminer dans la partie la plus centrale en
1912. Et lorsque le plan sur papier a été réalisé en 1912, on voit que la petite enceinte est déjà
entièrement cadastrée et les parcelles démembrées ou remembrées.
Pour comprendre quel rôle jouaient ces nouveaux équipements dans l’organisation
coloniale, et quelles implications spatiales avaient-ils dans l’ensemble de la ville, nous tentons
d’étudier l’emplacement de certains d’entre eux au moment de leur construction et au moment de
l’évolution de la ville. Sur ce, les notes de l’administration coloniale409 mentionnaient que les
équipements dans leur ensemble ont connu une longue période provisoire. Mise à part le siège de la
Résidence Supérieure à Vientiane, beaucoup de bâtiments (à Vientiane et dans les provinces) étaient
construits en paillote, parfois en tôle ondulée. Et ceci, jusqu’à la période 1907 et 1910 pour
Vientiane (plus tardivement pour les villes moins importantes), lorsque fut mis en application
l’arrêté du Commissaire du Gouvernement interdisant l’utilisation des matériaux provisoires dans
certains centres urbains.410
Les régies et les douanes
Nous examinons deux cas, celui de Luang Prabang et de Vientiane. Le fait que
l’emplacement de ces bâtiments est la plupart du temps situé à l’embouchure d’une rivière peut-il
409 Rapport au Conseil Supérieur de l’Indochine sur le Laos 1909-1910, cote D3, fond GGI, CAOM. 410 CAOM / Fonds GGI / Bâtiments civils / H7. 15 486.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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constituer une spécificité de ce type d’équipement ? A Vientiane, les douanes et régies étaient
installées à l’embouchure de Nam Passak, à Luang Prabang au bout de la péninsule, entre Nam
Khane et le Mékong. C’est le bâtiment qu’occupe aujourd’hui la Maison du Patrimoine. Les
embouchures sont des lieux hautement sacrés pour le schéma symbolique de la plus part des villes
du Laos. Mais le choix colonial est tout à fait hasardeux par rapport à cette question. Il a semblé que
le choix des embouchures des rivières débouchant sur le Mékong était considéré du point de vue de
la circulation des personnes et des trafics des produits rentrant et sortant des affluents pour
alimenter les villages qui les bordent et, en sens inverse, la ville.
A Vientiane Nam Passak ne semblait assumer ce rôle que de manière limitée, car ce cours
d’eau ne parcoure la petite plaine que 4 à 5 kilomètres vers le Nord de la ville, par ailleurs très peu
peuplé, et ne desservait que quelques petits villages bien avant d’arriver au niveau de Nong Py-ing
et avant de rejoindre le canal Hong Sèng. Bien qu’il soit tout à fait probable que la petite plaine
avec ses riches rizières et ses riches nong et zones humides ait pu utiliser cette voie de trafic pour
acheminer les produits vers le centre de la ville se trouvant sur la berge, il serait très improbable que
ces éléments soient les raisons qui ont conduit à l’installation des régies et des douanes à
l’emplacement de l’embouchure de Nam Passak. A Vientiane la construction des douanes et régies
a été terminée en 1907411 et celle du trésor public qui a terminé la même année sera agrandit en
1910. Le centre urbain de Vientiane ayant été institué en commune en 1915 sera doté de douane
communale.412 Les douanes et régies abritaient probablement le bureau de la douane communale.
En 1927 des logements ainsi qu’un autre bureau des douanes et régies, ont été construits à
Vientiane.413 Il y a deux ensembles de bâtiments d’anciennes douanes et régies qui subsistent
jusqu’en 2009, le premier à l’embouchure de Pak passak, le deuxième juste de l’autre côté du
boulevard. Ce serait ce deuxième qui fut construit en 1927. Cet équipement ne s’éloignait
apparemment pas de l’embouchure de la rivière.
Les intérêts économiques issus du contrôle des flux et des trafics sembleraient insuffisants
pour monopoliser cet endroit dans le cas de Vientiane. Par contre dans les cas de Luang Prabang et
de Paksé, il serait tout à fait probable. D’abord parce que les deux rivières étaient beaucoup plus
importantes que la Nam Passak, ensuite, les villages au bord de la Nam Khane et de la Xédaun
étaient plus nombreux ainsi que leurs productions. L’enjeu de la Xédaun semblait important. La
rivière remonte vers Saravan et desservait des villages fournisseurs des denrées de la forêt et de l’or.
Dans l’ancien temps (avant la période coloniale) elle était l’une des plus grandes voies de liaisons
entre les villages de la forêt profonde -majoritairement peuplés de communautés ethniques- et les
muang des T’aï qui avaient choisi, eux, les plaines plus ouvertes sur les cours d’eau les plus
importants.
Si la volonté de contrôler les voies de trafics fluviaux ne semblait s’appliquer qu’une fois
sur deux dans le choix d’implantation des équipements en rapport avec la contribution, le site des
embouchures -occupant une position importante ou pas- devenait le site type d’implantation de ce
genre d’équipement.
Les hôpitaux
Les hôpitaux, les dispensaires et les équipements scolaires, étaient le programme le plus
connu et le plus apprécié par les indigènes. La ville coloniale, et la ville tout simplement, était
rendue visible aux regards des indigènes notamment par cet équipement. Avant même que les sept
centres urbains se soient constitués entre 1906 et 1916, les capitales provinciales ont été dotées dès
1900 d’équipements hospitaliers, le choléra ayant été enregistré entre 1895 et 1902, des assistances
411 Dossier « Régime douanier - Laos zone franche. 1912-1914 » / Uo. 41 835/ Chambre de commerce/ Fonds GGI/
CAOM.
412 CAOM/ Fonds GGI/ Douanes communales de Vientiane/ M9. 60714. 413 Construction logements et bureaux des doanes et régies à Vientiane 1927/ CAOM/ Fonds GGI/ H7. 57 293.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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médicales ont dû commencer assez tôt. Les hôpitaux contribuaient à donner plus d’importance aux
agglomérations existant et à leur développement. Un peu plus tard, dans les sept centres urbains, ils
devenaient des complexes plus importants qui ne cessaient après de s’agrandir et d’évoluer faisant
l’objet de réhabilitation et d’extension, alors que la population des villes durant la période coloniale
s’accroit lentement. Les besoins de ce type d’équipement n’étaient pas proportionnels à
l’accroissement de la population urbaine, puisqu’ils ne s’adressaient pas uniquement aux urbains,
mais aux ruraux des villages et des agglomérations limitrophes qui venaient gonfler le nombre des
utilisateurs. On peut même dire que cet équipement n’avait jamais pu être un équipement abouti,
aussi bien au niveau programmatique qu’au niveau bâti. Et ceci, jusqu’à une période tardive.
L’exemple de l’hôpital Mahosot à Vientiane est typique. Construit vers 1903, puis régulièrement
réhabilité et agrandi, il a connu les grands travaux d’extension dans les années 1960. Le dossier de
réhabilitation et d’extension de cet hôpital est encore à jour aujourd’hui, plusieurs dossiers et projets
ont été proposés par plusieurs pays donateurs : France et Japon notamment.
La programmation et le type d’architecture des hôpitaux de provinces ont été à peu près
callés sur les mêmes modèles que celui de Vientiane, avec quelques variantes. La position de
l’hôpital était assez centrale, dans le quartier administratif de la ville coloniale. Pour Vientiane, elle
était juste adjacente au siège de la Résidence Supérieure. On note dans le rapport sur la
Circonscription Territoriale des Travaux Publics du Laos414 que des gros travaux de réparation et de
nouvel aménagement ont été faits sur les équipements de santé, particulièrement à Vientiane.
Concernant cet équipement, il était à noter que les bâtiments de consultation sont soumis à une
ségrégation sociale et ethnique. Par sa popularité et très probablement par sa gratuité, il accueillait
des populations de tout bord. Ainsi y avait-il des pavillons réservés aux Européens, aux indigènes,
aux bronzes, aux femmes, aux prisonniers, aux contagieux, aux Annamites. Il était également
mentionné qu’il y avait des pavillons payants, ce qui signifiait que le reste n’était pas payant, d’où
sa popularité. Cette ségrégation ne semblait pas dérangeante à l’époque, au contraire, il facilitait la
gestion de la santé publique. Il mettait en évidence le fait que la différenciation ethnique et sociale
dans l’approche du problème de santé, des soins du corps et dans l’approche de la mort, exprimée
dans la répartition fonctionnelle de l’espace bâti, était induite par la culture de chaque groupe
d’utilisateur des lieux. Par exemple, un lao doit mourir à la maison pour avoir droit aux veillées
funèbres au foyer familial. S’il meurt à l’extérieur de la maison, notamment à l’hôpital, le corps
mortuaire ainsi que les veillées funèbres doivent avoir lieu au sala de la pagode. C’est alors toute
l’organisation du village qui veille à ce que cette règle soit respectée pour le bien-être de toute la
communauté. Cet impératif fonctionne toujours aujourd’hui.
Les prisons, les commissariats, les bâtiments de sureté
Les prisons, les bâtiments de sureté ainsi que les commissariats de police occupaient une
place importante dans les villes par leur emprise, mais aussi par l’autorité qu’ils exerçaient sur la
population. En particulier lorsque ceux-ci se construisaient dans le quartier central des villes et
s’imposaient pour représenter le pouvoir et la justice coloniale. Cet équipement se construisait de
préférence dans les quartiers centraux lorsque les villes offraient des espaces adéquats, un peu en
périphérie lorsque les villes n’offraient plus de places. A Vientiane, à Paksé les prisons et les
commissariats occupaient ainsi une position assez centrale, à Luang Prabang beaucoup moins. Très
peu d’équipements de ce type sont aujourd’hui conservés. Ils ont été souvent démolis dès
l’indépendance, par exemple la prison centrale de Vientiane qui était construite à l’emplacement de
l’école de médecine.415 La prison de Paksé a été démolie pour laisser la place au campus
administratif de la ville lors du développement des villes secondaires à la fin des années 1990.
414 Rapport de Circonscription Territoriale des Travaux Publics du Laos année 1941-1942/ cote D3. CAOM. 415 En 2008 l’Institut Mérieux y construit son laboratoire. En 2010-2011 l’Institut Pasteur y construit sa partie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les prisons étaient principalement entourées d’enceinte (mur haut) avec des tours de guet
ou des miradors. La ville s’organisait indifféremment de ce qui se passait à l’intérieur de l’enceinte
de la prison, qui était alors mystérieuse et qui faisait en même temps craindre. La prison de Luang
Prabang située en dehors du centre de la ville vient récemment d’être réhabilitée en hôtel de luxe, et
l’hôtel du commissariat de Vientiane, en musée national. En fait, aucune prison ou poste de
commissariat n’a été conservé en tant que tel. Si ces bâtiments ne sont pas démolis, ils changent de
toute façon de fonction.
Les prisons étaient apparues assez tôt, en même temps que l’installation des centres
administratifs. Il était, en tout cas, fortement lié à la vie urbaine qui se constituait alors. En 1902, la
prison des condamnés a été construite à Vientiane pour recevoir des prisonniers jugés dangereux
provenants des autres commissariats des provinces. En 1917, le grand commissariat a été construit.
En 1941, on commençait d’autres travaux neufs et de réparations : notamment construction de la
Garde Indochinoise, reconstruction d’un mur d’enceinte de la prison de Vientiane,416 grosses
réparations de la gendarmerie de Vientiane, aménagement du commissariat de police de Vientiane.
Le bâtiment de sureté a été centralisé à Vientiane dont les travaux ont commencé en 1941 et
terminer en 1942. Son programme était assez simple. D’après les archives coloniales, pour
Vientiane, le centre de sureté disposait de dix pièces, en plus des salles de photo et de laboratoire,
des salles pour l’identité et la police administrative. La salle de permanente occupait le rez-dechaussée,
l’étage étant réservé au secrétariat et à la police spéciale, isolé du rez-de-chaussée.
L’étage était fermé à clé en dehors des heures de bureau. 7 agents sont logés dans l’enceinte de la
sureté qui comprenait en outre deux groupes de violon (prison d’un poste de police) et un garage.417
Les marchés
C’étaient les marchés qui donnaient vraiment un aspect urbain aux villes et qui étaient aussi
des lieux où Français, Chinois, Annamites et indigènes avaient l’occasion de se croiser,
probablement le seul moment où il y avait échange entre ces communautés. Les locaux qui
vendaient les produits de consommation provenant de leur propre jardin, de la cueillette et de la
chasse (légume, fruit, gibier, etc.) étaient habitués aux simples étalages de produits sur natte à même
le sol, ou posés sur les sanaène418 couverts ensuite de paillotes, car les marchés locaux étaient ainsi
organisés avant l’arrivé des Français. Traditionnellement, les emplacements des étalages aux
marchés n’étaient pas payants. Avec l’administration coloniale les indigènes (les Lao et les
minorités) allaient connaître un autre type d’espace à commercer, un lieu espace qu’ils tentaient de
s’y intégrer.
Les lieux de marché étant les premiers inscrits dans le programme d’équippement de service
urbain et aménagés dans le but d’animer la ville et de faire vivre l’économie de proximité locale,
que leur construction soit issue des investissements privés ou publics, que les marchés soient gérés
par une autorité publique ou une compagnie privée, les emplacements n’étaient plus désormais
gratuits mais payants. De ce fait, beaucoup d’indigènes installaient leurs étales aux abords des
marchés, sur les bords même des rues, difficilement réglementés. Les emplacements à l’intérieur
des marchés auraient souvent été occupés par des vrais commerçants. En ce cas, ils étaient rarement
lao. On peut dire que les indigènes occupaient alors les alentours ou la deuxième couronne du
marché, c’est-à-dire, l’espace que l’on voyait tout de suite lorsqu’on arrivait sur la place du Marché.
En quelques années, cette occupation périphérique du marché, administrativement en marge, mais
spatialement intégrée, devenait une image pittoresque des villes. Le marché de Vientiane à la place
Nam Phou actuelle était ainsi le plus typique d’un marché colonial urbain. Il était de même pour le
marché de Paksé où en plus des étalages de fruits et légumes ou autres denrées, les marchands
416 Rapport de Circonscription Territoriale des Travaux Publics du Laos 1941-1942/ Cote D3. 417 H7. 15 392/ bâtiment civile/ GGI/ CAOM. 418 Sorte de banquette en bambou surélevée sur quatre pieds de 40 à 50 cm. Ce meuble à multi usage est généralement
posé sous les pilotis pour se reposer ou travailler.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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ambulants qui venaient aussi stationner autour du marché central formaient un autre groupe
d’animation à l’ambiance urbaine. Plus tard, ces marchés coloniaux se retrouvaient souvent saturés.
Un deuxième marché, plus grand, serait alors construit, dans un quartier moins central mais offrant
plus de places.
Dans les autres villes du Nord et du Sud, plus proches des minorités ethniques, il y aurait
une plus grande appropriation encore de l’espace commercial par les indigènes, en devenant plus
souvent un espace de trocs. Les minorités venant de leur montagne essayaient d’y écouler leurs
produits pour repartir avec les autres produits qui leur maquaient. Les marchés de Muang Sing par
exemple étaient ainsi très colorés par les produits, mais aussi par les personnes qui venaient vendre
et acheter. Les marchés étaient construits comme un simple grand pavillon à colonnes, couvert soit
par des tuiles soit par la tôle, sans mur, permettant une bonne aération et une bonne circulation des
personnes.
Vientiane n’avait pas conservé son marché central, la place de la fontaine l’a remplacé
depuis le début des années 1960. Le marché dit central s’est déplacé depuis lors au marché du matin
d’aujourd’hui. Luang Prabang et Paksé avaient conservé leur vieux marché jusqu'à récemment. Le
marché Dala de Luang Prabang a été démoli en pleine période de conservation du patrimoine
mondial, et tout de suite reconstruit avec des galeries marchandes plus modernes. Celui de Paksé a
brûlé et a été reconstruit plus grand et plus haut. Le marché de Attapeu garde encore certains
aspects de son passé : la petite taille, la désorganisation, l’implantation sur la partie un peu
décentrée de la ville.
Au final quasiment aucune ville n’a conservé leur vieux marché colonial. Le
développement urbain actuel étant plus axé sur la répartition fonctionnelle de l’espace, il tend
généralement à proposer les nouveaux marchés à l’extérieur ou en périphérie des villes,
abandonnant la mixité fonctionnelle qu’incarnaient les marchés de proximité coloniaux ou les
anciens petits marchés indigènes qui se constituaient souvent de manière aléatoire : au bord d’une
voie, sous les pilotis d’une maison, regroupés au bout du village, etc.
La tentative pour Muang Sing de promouvoir l’ancien marché en liaison avec le programme
de développement socioéconomique local –entendant comme lieu de promotion des produits
artisanaux des minorités ethniques de la région limitrophe– n’a pas été d’une grande réussite. Un
programme de sensibilisation et d’assistance à la gestion du marché a manqué au projet : la plupart
du temps, touristes et acheteurs éventuels trouvent le marché fermé.
Les jardins
Dans les villes coloniales du Laos, il n’y avait pas vraiment de grands jardins publics, mais plutôt
des petits jardins et des squares. Les rues étant en général plantées sur leurs deux côtés avec des
essences choisies pour le parfum de leurs fleurs, et ayant de larges trottoirs, les berges du fleuve ou
des rivières étant assez présentes dans les villes, ils constituaient des lieux de promenade possible
pour les colons et devenaient alors des espaces d’agrément en soit. Les jardins étaient du coup de
plus petite taille. Des efforts spécifiques ont été faits pour le jardin botanique de Vientiane qui était
à l’emplacement de l’hôtel Lane Xang d’aujourd’hui. C’était un cas exceptionnel pour ainsi dire. A
Parxé on remarquait un petit square avant d’arriver au pont métallique qui traverse la Xédaun.
Notons que les jardins publics n’existaient pas en tant que tels dans les villes traditionnelles.
Les villes lao dans leur composition habituelle étaient très plantées, et ce sont les parcelles privées
qui sont les plus arborées. Les jardins des pagodes étaient les seuls qui se rapprochaient de
l’utilisation publique. La culture des promenades d’agrément dans un jardin public n’existait pas
alors dans la culture lao. La réjouissance de la nature et du paysage appartenait à l’individu et au
domaine privé : on se réjouit de la nature chez soit, dans son propre jardin et on se réjouit du
paysage librement selon la capacité de reconstitution et d’imagination de notre vision et de notre
mental.
Fig. 53.
Marché de
Nam Phou à
VientianeDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le jardin public était donc un programme né avec la ville coloniale et appartenant à la
culture occidentale. On pouvait se poser la question si le manque de grand jardin public colonial au
Laos était ou pas lié à la pratique et à la culture locale, au fait que les jardins publics étaient absents
dans les villes lao traditionnelles. Il serait ainsi fort probable.
Les lieux éducatifs
Les lieux éducatifs coloniaux avaient deux implications importantes au Laos : d’abord du
point de vue spatial et ensuite du point de vue social.
Du point de vue spatial, la création des écoles primaires puis secondaires, ainsi que des
formations professionnelles, ont été un attrait significatif pour les lao. Etant traditionnellement
appartenues au complexe religieux de la pagode, les écoles –celles installées par les Français–
étaient devenues indépendantes des monastères, un programme à part entière. En 1903, on installait
des dispositifs pour l’enseignement franco-lao à Vientiane. Entre 1906 et 1907, on procédait à une
première réforme sur l’enseignement indigène dans les grands centres du pays. En 1908 – 1909, on
installait le principe de l’instruction publique dans l’ensemble du pays419 et l’école Tafforin420 à
Vientiane était en quelque sorte la vitrine. Mais les grands centres restaient les plus privilégiés. On
parlait de groupes scolaires comprenant les classes, l’administration et le logement du directeur et
parfois des instituteurs et professeurs. L’un des premiers groupes scolaires a ainsi été construit en
1909. La plupart des écoles publiques étaient construites sur les mêmes modèles envoyés depuis le
bureau central de l’éducation. Par exemple, on remarque dans une des notes administratives que les
écoles de Xiang Khouang de Thakkek et de Savannakhet utilisaient quasiment le même projet, le
même plan.421 On remarquait aussi qu’au niveau du primaire, on distinguait l’école des filles et
l’école des garçons, alors que dans l’enseignement traditionnel indigène, seul les garçons
fréquentaient l’école. Les filles, lorsqu’elles sont dans une famille “un peu spéciale”, c’est-à-dire
“ excentrique ”, apprenaient à lire à la maison.
Les lieux éducatifs construits par la politique et la ville coloniale étaient une véritable
révolution sociale que les Lao n’avaient jamais connue. Ils étaient accessibles aux filles et aux
minorités. C’était également un tremplin social, dans la mesure où ils permettaient l’émergence
d’une petite bourgeoisie liée à la fonction publique. Pour beaucoup de jeunes élèves formés, le
Français allait être leur première langue écrite. Les premières vagues étaient surtout formées au
Français et aux emplois administratifs et affectés au travail de l’administration, dont l’effectif
indigène manquait. Après leur scolarité et leur formation, ils allaient occuper les postes
administratives, plus ou moins importantes, les éléments les plus brillants rejoignaient parfois les
anciens aristocrates qui étaient les premiers intégrés dans l’administration coloniale. Désormais, il
n’y avait pas seulement que l’aristocratie et le clergé qui pouvaient accéder au poste de
fonctionnariat comme à l’ancien temps. Un simple fils de paysan dont les parents, plus ou moins
riches, ont décidé d’envoyer à l’école des Français, pouvait prétendre dès lors occuper une fonction
importante.
Les lieux de loisirs et de culture
Les lieux de loisirs faisaient également leur apparition en tant que programme nouvel.
Jusqu’à la période coloniale, mise à part les cours des pagodes (et l’esplanade, pour Vientiane) –
lieux polyvalents par excellence pour toutes activités communautaires, il semblerait qu’il y avait
auparavant dans les principales villes (Vientiane et Luang Prabang) des lieux de théâtre. Au palais
royal ce fut le hô khrol (pavillon des danseurs de masques). Dans les villages urbains il a semblé
que ce fut simplement le hong lakhone réservé à des pièces dansées du Ramayana. Dans les années
419 L’enseignement franco-lao à Vientiane 1903/ CAOM/ GGI/ R2. 20 308 ; Réforme de l’enseignement indigènes 1906-
1907 ; Instruction publique Laos 1908-1909/ CAOM/ GGI/ Enseignement/ R2. 51 067. 420 R5. 2634/ GGI/ CAOM. 421 Carton 645. Dossiers 17-20/ GGI/ CAOM.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 256 -
1950 à Ban Vat Chanh, derrière Vat Inpèng à Vientiane, il y avait encore une petite salle en bois où
des pièces dansées et chantées ont été représentées. Il serait probable que ce genre de salle était
apparu au moment de l’apparition à partir des années 1950-1960 du lam leuang (pièce de théâtre
chantée et dansée).422 Mais il serait également probable qu’il était la survivance d’un équipement de
loisir déjà ancien. Cependant, le lam leuang très apprécié vers 1950 et 1960, pouvait être joué
n’importe tout à partir de trois personnages sur une natte entourée de spectateurs, et plus tard, sur
des estrades dans les cours des pagodes, chez les privés lors des fêtes. Il n’y avait alors pas de raison
particulière d’avoir une salle spécifique pour sa représentation. Par contre les pièces du Ramayana
ne pouvaient être joués dans les mêmes conditions que le lam leuang, de par son côté élitiste à la
limite du sacré. Dans l’ancien temps, il a été joué par des maîtres et des danseurs de métier dans le
hô khrol situé dans l’enceinte du palais royal, donc forcément inaccessible au peuple. Et pourtant, le
peuple connaissait le Ramayana par la lecture des textes au monastère, mais aussi par les
représentations dansées. Où pouvait-il voir cette représentation alors ? Comme nous l’avons
souligné le Ramayana ne pouvant être joué dans les mêmes conditions que le lam leuang, cela
supposerait qu’un lieu ou un type de salle lui a été aménagée pour que le peuple puisse aussi voir sa
représentation en dehors du hô khrol du palais royal.
Les villes coloniales importantes se dotaient des salles de fêtes. Mais ce lieu était réservé
plus à la communauté colon qu’aux autochtones. On organisait des fêtes nationales, des grandes
réceptions pour les hauts administrateurs en missions, etc. La grande salle de fête de Vientiane a
ainsi été construite à l’emplacement de Hô Kham actuel, dans l’ancienne enceinte du palais royal.
Le musée des Antiquités a été construit également pas loin, en 1910,423 probablement à Vat
Sissaket. Les deux équipements étaient sensés de donner à Vientiane sa position de capitale, au-delà
du fait d’être le siège de la Résidence Supérieure. Mais rien ne subsiste de ces équipements
coloniaux. Dans le même type, le programme d’hôtel que l’on nommait plutôt bungalow, construit
plus tard vers 1930, subsiste exceptionnellement encore aujourd’hui et conserve la même fonction.
Il s’agit du Sétha Palace à Vientiane.
Les lieux de cultes
L’Église catholique a été un des lieux caractéristiques des villes coloniales. Leur édification
était surtout destinée à la communauté colon, puisque les indigènes convertis au Christianisme
représentaient un nombre limité. Parmi les Annamites qui venaient travailler au Laos, certains
étaient chrétiens et leur nombre venait gonfler les diocèses du Laos. L’Église catholique semblait
s’organiser en quatre provinces ecclésiastiques depuis le début de la période coloniale : évêché de
Luang Prabang, de Vientiane et Borikhamsay, de Savannakhet et de Champassak.
424 Dans les quatre
provinces, d’importantes églises ont été construites. Elles occupaient souvent le centre de la ville,
dans le quartier colonial, à côté du quartier administratif. Bien qu’elle soit centrale, l’Église
catholique n’appartenait qu’à la société coloniale. Il y avait très peu de catholique lao à l’époque,
par contre les minorités ethniques non-bouddhistes adhéraient significativement à cette religion.
L’adhésion au catholicisme chez les Lao et en particulier chez les minorités correspondait à un
intérêt assez précis à l’époque : c’est aussi à travers l’église que l’on accédait à l’éducation et aux
soins médicaux, ou à d’autres formes d’aides et de soutiens. Alors que le monastère bouddhiste
mobilisait des donations et de la solidarité individuelle vis-à-vis de la communauté, l’Église
catholique qui cherchait à construire un diocèse local prodiguait des aides à ses nouveaux convertis.
Malgré ces efforts, le christianisme ne pouvait pas concurrencer les temples bouddhistes.
422 Chayphet Sayarath, texte de présentation de la carrière de Molam Samane, lors de l’exposition temporaire dans
l’ancienne maison de Marc Leguey, 2004. 423 R61. 20 217 / Vientiane GGI / CAOM. 424 En 2005 il y a les quatre mêmes évêchés. On inventorie 95 églises, 129 prêtres dont 114 nonnes. Les catholiques du
Laos sont au nombre de 41 746 personnes. Cf. Maha Khampheuil Vannosopha, Les activités religieuses en RDP Lao,
2005.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 257 -
La place des monastères bouddhistes restait privilégiée et vivante. Après l’affaiblissement
de l’aristocratie locale (dû à la guerre siamo lao) qui était le plus fervent défenseur et constructeur
des monastères et de leur pouvoir, la population poursuivait à son échelle ses soutiens au monastère
en y menant des activités religieuses et en se consolidant socialement autour de lui. Peu à peu, le
clergé regagnait sa place. L’administration coloniale a dû donc se recomposer avec ces éléments
indigènes persistants pour gérer le Laos. Mieux encore, c’est en partie grâce à l’élite ecclésiastique
que la société lao a pu se reconsolider progressivement.
Beaucoup de monastères devenaient des ruines à l’arrivée des Français. Et durant les
premières années de la colonisation, certains finissaient par disparaître pour laisser les terrains
vacants, investis ensuite par l’administration coloniale. La plupart des monastères ont été réinvestis
et restaurés par la population elle-même, en même temps que la restauration des cultes. D’autres
monuments plus importants, représentatifs de la valeur artistique, faisaient l’objet de restauration
par l’Autorité coloniale.
Le lien étroit entre la renaissance progressive des lieux de cultes bouddhistes et celle de la
société lao était flagrant. Les monastères étaient quasiment les seuls équipements indigènes qui
persistaient et qui occupaient une place importante dans la ville coloniale, du point de vue spatiale
et de fréquentation. Il suffit de reconsidérer aujourd’hui la densité du nombre des monastères dans
les villages urbains à Vientiane et à Luang Prabang, un peu moins dans les autres anciennes villes
coloniales, pour mesurer leur importance passée.
II. I. b. 7. La démographie coloniale
Les premiers recensements de la population ont été réalisés par l’administration française
vers la fin du XIXe siècle, et comportent des lacunes, puisqu’ils n’ont pas été exhaustifs : c’est une
évaluation plus qu’un recensement.
Notons sans exhaustivité qu’en 1905 a été effectuée la statistique ethnique du Laos.425 Puis
en 1938, des études démographiques ont été réalisées.426 Malgré cela, les faits qui contribuaient le
plus aux lacunes de cette démographie coloniale furent (encore) l’ambiguïté des territoires qui
faisaient partie du Laos et qui faisait aussi l’objet de démembrement et de remembrement. Il s’agit
du Laos occidental, de quelques muang à l’extrême sud du pays, du Sip Song Chou Tai
427 et d’une
partie du Sip Song Phan Na (le Xieng Khèng). Ces faits étaient liés aux différents traités entre la
France et la Chine, entre la France et les Anglais et entre la France et le Siam, concernant la
formation du territoire colonial du Laos, du Cambodge et du Vietnam.
Effectivement selon que le recensement de la population du Laos avait été effectué avant ou
après les traités, la situation aurait été différente. Par exemple Aymonier, qui a effectué en 1885 un
voyage dans le Laos siamois, aurait recueilli des données sur la population différemment de ce qu’il
avait fait, s’il avait effectué son voyage après les différents traités et événements importants. Or ses
données ont été recueillies avant la prise du Sip Song Chou Tai en 1888 où plusieurs muang lao ont
été définitivement attachés au Tonkin français, avant le traité franco siamois de 1893 où le Siam a
reconnu la souveraineté de la France sur la rive gauche du Mékong et donc démembré de son
territoire de la rive droite, avant le traité de 1903 où la France a récupéré les trois territoires lao
(Xayaboury, Champassak et Xédaun), avant le traité de 1906 où la France a cédé Dane Say lao au
Siam pour récupérer Banthambong, Siem Reap et Sisophon pour le Cambodge français ; et avant le
traité franco chinois en 1895 où les Chinois a remis à la France le territoire de Ou-Neua.428
425 Statistique ethnique du Laos 1905/ R7. 23 832./ CAOM. 426 Etudes démographiques du Laos, 1938. D2/ 53 621 ; 53 608 ; 53 498/ GGI/ CAOM. 427 Le Laos siamois a été souvent été évoqué grâce à Aymonier (op, cit.) Cependant il était rare d’évoquer le Laos
Annamite qui concerne la région du Sip Song Chou Tai attachée au Tonkin arbitrairement par la France. Le Laos
Annamite – Région des Tiên (Aïlao) des Moïs et des Phou Euns (Cam – Môn et Tran-ninh), (restitué en 1893, en tête du
titre : affaires franco – siamoises, C. 265). Germain et G. Grassin, Paris, A. Challamel. 1894. 240/160. 86 pp. Carte dépl.1. 428 Annexe 1 de cette thèse : Eléments chronologique de l’histoire politique du Laos.
Tab. 15. Liste
comparative des
programmes de
constructions
lao et colonialesDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 258 -
Prenons un autre exemple : les données sur la population des IVe et Ve territoires militaires
français que Tiao Khammanh Vongkotrattana a recueillies dans son histoire de Phongsali
proviennent des documents qui datent entre 1915 et 1931, après la fin des invasions hô dans le Nord
Laos en 1915. Événement qui a dû beaucoup marquer la répartition démographique et ethnique du
Nord Laos.
Durant la deuxième guerre mondiale, la situation territoriale du Laos Occidental a dû
encore changer. Les alliés en Asie pacifique et la France en Indochine étaient en position de
faiblesses. La Thaïlande rangée du côté des Japonais croyant être en position de forces de manière
durable, réclame et l’obtient en 1941-1942429 les territoires lao qu’elle a perdus en faveur de la
France en 1903. Après la guerre et la réddition du Japon, en 1946 le Siam est forcé de rendre de
nouveau ce territoire à la France.430
Dans une certaine logique, les administrateurs coloniaux ont dû effectuer leurs
recensements seulement sur la rive gauche du Mékong après 1893, alors que les premières missions
exploratoires du Laos, en particulier celle de Aymonier, se faisaient en territoires qui n’existent plus
au Laos après 1893 et comportaient des critères plus larges. Puisqu’elles ont permis de mettre en
évidence (bien que les chiffres exacts soient manquants) la population d’ethnie lao sur le territoire
qu’il a parcouru sur le plateau de Khorat et jusqu’à la limite du mont Dangrèk. Il s’efforce
effectivement d’effectuer une évaluation démographique en reprenant d’abord la configuration
traditionnelle ethnolinguistique puis en suivant la configuration plus ou moins tracée par le système
de conscription mis en place par les Siamois pour prélever les capitations que la population en
question est sensée de payer aux autorités qui les administraient. Et c’est ce qui définit le statut et
l’appartenance ethnique de cette population, clairement définie comme lao par les Siamois.
Nous constatons après coup que l’instabilité territoriale empêche une étude démographique
conséquente. La population du Laos peut passer du simple au triple, selon comment on considère le
territoire : avec ou sans le Laos Occidental. Cette démographie met en évidence, en tous les cas, que
l’Indochine française perd en termes économiques et de perceptions non-négligeables, un manque à
gagner dans la partie occidentale de son empire indochinois si celle-ci avait été maintenue. Les
rapports économiques annuels font apparaître chaque année431 que les dépenses pour le
développement intérieur du Laos provenant des sources locales étaient pauvres, et que le budget
local était constamment déficitaire. Le manque à gagner aurait pu alors contribuer à combler ces
dépenses, au lieu de laisser instaurer, comme ce fut le cas, la situation critique qui faisait du Laos
effectivement le territoire le plus pauvre de l’Indochine en termes d’investissement public. Ce
problème touchait directement la question de partition du Laos, Orientale d’un côté et Occidentale
de l’autre.
La première partition du Laos, le Laos français et le Laos siamois
La pertinence de l’analyse de Aymonier n’a pas été assez prise en compte à l’époque, du
fait de l’incompétence et probablement aussi de la médiocrité des administrateurs et des politiques
coloniaux, mais surtout du fait que les désavantages issus des choix politiques étaient remplacés par
autres intérêts plus importants, placés à un autre niveau : notamment ceux de configurer un
ensemble territorial indochinois bien consolidé à l’égard de l’Empire Britannique. Un territoire
occidental au-delà du Mékong serait un appendice difficile à gérer pour l’Indochine. Et qu’il serait
inutile de rentrer dans les détails sur les questions culturelles et ethniques, en ce qui concerne la
région de Muang Thaèn. Son intégration au Tonkin se faisait de manière si naturelle, sans
convention ni traitée. Rétrospectivement, les études historiques et anthropologiques qui mettent en
429 La Thaïlande déclare l’état de guerre avec l’Indochine française le 7 janvier 1941. Cf. Guerre de réclamation du
territoire, Visithavong Na Pomphet, 2009, Bangkok, éd. Sèngdao, (en Thaï) 216 p. 430 Au Traité de Washington, le 14 novembre 1946, la Thaïlande restitue Champassak et Xayaboury au Laos français. 431 Cf. Les Rapports Economiques du Laos. Fonds GGI. CAOM.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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évidence l’importance de Muang Thaèn pour l’histoire du Laos ne manquent pas de démontrer que
la politique coloniale de partition territoriale du Laos était “ odieuse ”. Par ailleurs, concernant la
configuration de cet empire colonial, il faut aussi s’entendre avec les Anglais. Un territoire tampon,
que sont le Siam et le Laos Occidental (annexé à la fin du XVIIIe siècle par le Siam et confirmé
durant la période coloniale), devrait être intègre. Et ni Français, ni Anglais n’auraient le droit
d’intervenir dans ce territoire. S’appuyant sur ces principes et sur cette circonstance garantissant
l’intérêt des deux empires coloniaux, le Siam maintenait avec fermeté l’intégrité de son territoire
par son annexion définitive du Laos occidental dans tous les traités franco - siamois.
Devant le fait accompli sur le partage du Laos, le roi de Luang Prabang, Sakkarinh, sollicita
alors la France pour réclamer aux Siamois son territoire ancestral :
« (…) Je demande à Votre Excellence la permission de vous remettre une protestation au sujet du
règlement des frontières de mes Etats situés sur la rive droite du Mékong et de vous donner les
explications suivantes (…) maintenant que je suis vassal de la France, je viens prier Son Excellence
le Gouverneur Général de me faire rendre les frontières de mes Etats telles qu’elles ont été dressées
dans le document remis par le Gouverneur siamois, afin que je rentre en possession de mes
anciennes possessions et afin que je ne sois pas sacrifié au royaume de Siam (…) ».
432
Même si cette réclamation concerne pour la circonstance le territoire de Xayabouri,433 il
semble qu’elle peut désigner aussi, entre deux mots, l’intégralité du territoire qui a été occupée par
le Siam depuis la fin du XVIIIe siècle.434 Cependant, cette protestation n’aurait de la valeur qu’à
condition que la France accorde une considération nécessaire à la légitimité du pouvoir traditionnel
indigène, ou du moins qu’elle comprenne l’importance historique et culturelle du Laos Occidental.
Or, cette dernière n’y voit aucune obligation, ni raison politique ou historique de considérer, avec
sérieuse, quelconques réclamations des rois du Laos435 qui effectivement n’avaient aucun pouvoir,
ni politique, ni militaire et ni économique, tiraillés entre le Vietnam et le Siam. Autrement dit, les
autorités coloniales sous-estimaient l’influence, du point de vue culturel et historique, que ces
derniers pouvaient avoir sur les populations locales. En occurrence, il n’était pas étonnant que les
rois indigènes ont été considérés la plupart du temps comme des « roitelets » par les administrateurs
français. Parfois, certains administrateurs avaient un regard plus clairvoyant que d’autres : ils
pouvaient déceler les raisons culturelles et le danger qu’il y avait à laisser séparer le Laos occidental
du Laos français. Sur le territoire du Sud par exemple, de Tournier –Résident Supérieur alors du
Laos – a noté en 1902 dans son rapport au Gouverneur Général de l’Indochine, le problème “ des
Lao coincés ” dans le territoire de Strung Trèng que la France a amputé au Laos pour le rattacher au
Cambodge en 1904 pour des raisons de facilité administrative. Il souligne la gravité et les
dommages sociaux que ces gens encourent en devenant cambodgien, car coupés de leur
communauté d’origine. Il exprime également les difficultés auxquelles il doit affronter en tant que
Résident Supérieur pour maintenir la paix et l’ordre dans le territoire lao contre les révoltes
éventuelles qui pourraient être issues de cette décision arbitraire prise par le ministère des colonies.
Un problème démographique, deux faits convergents
Le problème démographique du Laos est lié à deux faits : d’abord, cette faiblesse
démographique est traditionnelle, endogène au territoire lao et à son mode d’organisation. Ceci est
432 Extrait de la lettre de protestation du roi de Luang Prabang, Sakkarinh, adressée au gouverneur général de l’Indochine,
le 26 décembre 1902. In. Recueil des traités Franco-Siamois délimitant la frontière de l’Indochine et du Siam (Lao-Thaï)
1886 - 1946. Publication du Département des Traités et du Droit, Ministère des Affaires Etrangères, RDPL. N° 003 Mars
1996.
433 Il était peu probable que Sakkarinh ait pu avoir une vision plus large du territoire au de-là de celui qui était intégré à
Luang Prabang durant la “ période des trois royaumes ”. Donc ce qu’il appelait « mes anciens Etats » ne peuvaient être les
territoires qui appartenaient à Champassak ou à Vientiane.
434 Champassak tombe vers 1778 sous les troupes de Maha Kasark Suk, futur Rama Ier du Siam. Vientiane tombe sous les
mêmes troupes en octobre 1779. Luang Prabang sera soumis la même année mais sans batail.
435 Au début du XXe siècle, il existe encore deux rois au Laos : le roi de Champassak et le roi de Luang Prabang, la lignée
de Vientiane étant décimée par l’armée siamoise.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 260 -
caractérisé par des territoires, des villes et des villages peu peuplés, une organisation politique et un
système particulier de répartition des hommes sur le territoire prenant en compte cette carence (la
question est précisée dans le point traitant de « l’esquisse de modèles spatiaux endogènes ».)
Ensuite, cette faiblesse démographique est historique liée aux déplacements forcés de la population,
en particulier durant l’occupation siamoise.
Les villes du Laos ne sont pas des grands centres urbains. Le pays sortait d’une période
précoloniale difficile. Le contexte qui précédait l’arrivée des Français montrait un pays en
désœuvrement. La guerre siamoise les a rendues plus parsemées, du point de vue physique et
humain : destruction et dépeuplement de la capitale, les autres villes sont désarticulées entre elles et
par rapport à leur centre ancien de décision et de pouvoir. En conséquence, les carences
démographiques ont été les problèmes les plus éprouvés dans la fabrication de la ville coloniale,
hérités du passé proche et lointain. Ils étaient persistants et entravaient la mise en marche du
développement du Laos, de ses centres urbains et de l’ensemble de son territoire, dès le début de la
colonisation et dans les années qui ont suivi.
Un manque de personnel et d’activités commerciales et la politique de l’immigration
Lorsque la Résidence Supérieure a été installée à Vientiane et les postes de Commissaires
remplaçant les postes de Commandant Supérieur dans les provinces en 1900, la nécessité de
restructurer l’ensemble de l’organisation administrative du pays était devenue urgente. Il nécessitait
surtout plus de personnel. Dès lors, l’administration était tout de suite confrontée au problème de
manque de ressources humaines locales. Successivement de statut de postes militaires qui
exerçaient également les charges administratives nous passions au poste administratif de Résident
(pour Vientiane) et de Commissaire (pour les provinces) puis aux charges attachées à la fonction de
centre urbain entre 1906 et 1916436 et enfin de siège des communes. Très vite, il était constaté que
ce manque ne concernait pas seulement le corps administratif, mais une population parsemée rendait
également difficile l’urbanisation des centres urbains et des communes qu’elle venait de créer. Le
procédé traditionnel du déplacement plus ou moins forcé de la population, qui avait été pratiqué
auparavant par l’administration royale pour peupler certaines villes et remédier au problème de
faiblesse démographique n’a pas été pratiqué dans le cadre de la politique coloniale.
Pour reconstruire le pays en ce début de la colonisation, il était alors nécessaire pour
l’administration de constituer au plus vite le personnel administratif intermédiaire (tels que les
emplois administratifs, de secrétariat, d’infirmiers et d’aide soignants, de maître de chantier de
construction, etc.), postes qui auraient du être occupés par les indigènes. La première vague de
formation de l’élite locale à l’école coloniale était en cours et représentait un nombre limité.
L’administration préconisait alors une politique de “ colonisation annamite ”.
437 Elle faisait venir du
Viêtnam plusieurs milliers de personnes : employés administratifs, personnels de service, artisans,
ouvriers, etc. Ils étaient accompagnés aussi de leur famille.
Il était aussi nécessaire de peupler les centres urbains et leur munir d’activités. Dans les
premières années, les boutiques et les activités de services se faisaient rare en ville. La politique
d’encouragement de l’immigration chinoise a alors été mise en place. Pour monter les commerces,
l’administration a essayé d’intéresser les commerçants chinois438 en proposant des facilités
436 Divers centres Urbains ont été érigés au Laos entre 1906 et 1916. Cf. CAOM, fond GGI, côte D3 (15 483, D38). Au
total l’administration coloniale avait institué sept centres urbains : Luang Prabang, Vientiane, Thakhek, Savannakhet,
Paksé, Xieng Khouang et Paksong. Labarthe C., Quelques aspects du développement des villes du Laos, Travail d’Etudes
et de Recherches, octobre 1969, Université de Nordeaux, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Institut de
Géographie.
437 « Colonisation annamite au Laos 1925-1026 »/ Rapport administratif/ CAOM/ fond GGI/ MU 48 054 ; « Essai de
colonisation annamite au Laos 1903 »/ Mission Le Houan/ CAOM/ Fond GGI/ Chambre de commerce/ MO. 430. 438 Le cercle chinois au Laos a été remarqué en 1908. Son rôle était de rassembler la communauté chinoise vivant au Laos.
Un réseau pour faciliter les installations du commerce était déjà probablement très entretenu entre chinois de l’Indochine,
à côté des facilités administratives fournies par l’administration coloniale. CAOM/ GGI/ Cercle/ D624. 15 501/ Cercle
chinois au Laos. 1908.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 261 -
administratives et des offres foncières avantageuses. Ainsi, le droit d’acquisition des immeubles par
les étrangers a-t-il été mise en application dès la première décennie du XXe siècle.439 Des
allègements fiscaux ou des suppressions de franchises douanières a été repérés en 1932.440 Mais il
aurait été probable que des efforts ont déjà été faits en ce domaine deux décennies plus tôt. Les
commerçants chinois fuyant la famine qui a sévi le Sud de la Chine, les sino-vietnamiens et
viêtnamiens venant du Vietnam occupaient petit à petit le secteur. Ils ouvraient des boutiques dans
des compartiments à rez-de-chaussée qui donnaient directement sur la rue. Ainsi, les rues des villes
laotiennes commençaient-elles à avoir des fronts bâtis continus, alors qu’ils étaient constitués
auparavant d’espaces verts, intercalés avec des palissades et des clôtures végétales plus ou moins en
alignement irrégulier.
Les cinq villes les plus importantes du Laos allaient dès lors connaître une certaine vivacité.
Deux périodes ont pourtant été remarquées comme une régression : au début des années 1930 et
durant la deuxième guerre mondiale. Ainsi pouvait-on lire dans un rapport économique de 1935441
:
« la reprise constatée dans le Sud n’est pas ressentie à Vientiane. Le prix de transport est cher.
Plusieurs commerçants ont fermé boutique. Les statistiques de l’année passée montrent, dans la
colonie chinoise, le nombre de départs a très sensiblement dépassé celui des arrivés. » Par
l’importance de cette migration, la population urbaine du Laos était donc composée majoritairement
d’étrangers sauf pour le cas de Luang Prabang où les Lao restaient exceptionnellement majoritaires.
Une population locale peu concernée par la ville coloniale
L’administration coloniale était confrontée à un troisième problème, après une faiblesse
démographique traditionnelle et une population parsemée pour cause de déplacement. Il s’agissait
de la désertification volontaire de la ville par les indigènes. Ceci, à l’égard surtout des nouvelles
communes telles que Vientiane, Savannakhet, Thakek et Paksé. Seule la ville de Luang Prabang
était une exception, puisqu’elle était la seule grande agglomération à la fin du XIXe siècle à avoir
entre 8.000 et 10.000 habitants.442 La population de cette ville consolidait sa présence autour du roi
et de la communauté religieuse et y menait une vie citadine plus marquée qu’ailleurs. Alors qu’à
Vientiane, sans le roi, les princes et les élites traditionnelles, les habitants se retrouvaient comme
sans « meneur » [z6joe], dispersés et désœuvrés. Pour qu’ils puissent adhérer de nouveau à une
autorité (coloniale) il fallait que les liens et la confiance puissent se tisser ou alors il fallait que les
deux parties partagent certains intérêts et certaines valeurs. Or pour eux, les Français venaient d’un
autre monde, et ils n’appréciaient guerre leurs assistants vietnamiens.
Les Lao étaient minoritaires dans les villes. Ils s’étaient plutôt installés dans les villages
périphériques. C’est seulement après 1950443 au moment de la décolonisation qu’ils se sont
« intéressés » à la ville, car ils s’y sont installés pour occuper des emplois administratifs. Et ce n’est
qu’en 1954 que le chiffre s’est renversé pour Vientiane : les Lao devenaient enfin majoritaires.
Cependant, la substitution du personnel administratif français et vietnamien par les Lao, faisait
apparaître non pas une société plus citadine, mais plutôt une bourgeoisie liée à la fonction publique,
pas plus citadine qu’auparavant, mais qui le devenait progressivement. La classe sociale de la
fonction publique est parfois issue d’une petite aristocratie provinciale. Elle a une racine rurale très
forte et n’a pas de connexion avec le commerce, ou alors exceptionnellement. Du coup, si parmi le
personnel de service et les agents exécutants administratifs vietnamiens beaucoup sont rentrés chez
439 « Droit s’aquisition des immeubles par les étrangers au Cambodge et au Laos »/ CAOM/ GGI/ M7. 60 913. 440 Supression de franchises douanières / CAOM / Fond GGI / Chambre de commerce / U10. 43 402. 441 CAOM / Fond GGI / « Rapport économique, 1er semestre 1935, à Vientiane ». Signé le Résidence de France A Torel. 442 Les chiffres donnés sur la population de Luang Prabang à la fin du XIXe siècle ont été estimés par plusieurs
explorateurs et administrateurs. Dans leur ensemble les chiffres variaient entre 8000 et 10 000 habitants.
443 Le traité pour l’indépendance du Laos a été signé en juillet 1949. Certains ministères, telles que le Ministère des
Affaires Etrangères et le Ministère de la Défense, étaient encore sous tutelle de la France. C’est avec le traité de 1954
marquant la fin du conflit indochinois que le Laos devient totalement indépendant.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 262 -
eux,
444 par contre beaucoup d’ouvriers et de commerçant chinois et sino-vietnamiens sont restés et
ont continué à entretenir le petit commerce de proximité que les Lao ne le faisaient que très
rarement.
Durant toute la période coloniale et dans l’ensemble du pays, le fait que le phénomène
urbain des villes concernait très peu les Lao, pouvait trouver quelques explications.
En effet, avec tout le mal que les autorités coloniales avaient pour édifier les villes, la
population lao a été peu concernée par la construction de la ville, à la grande incompréhension des
administrateurs coloniaux les plus acharnés à “ rebâtir le Laos pierre par pierre ”.
445 Au contraire,
elle continuait à prendre de la distance à l’égard du centre, habitude qui s’était installée durant la
mise à sac de la ville par l’armée siamoise au début du XIXe siècle. Psychologiquement la
destruction de Vientiane et de Muang Phouan ou d’autres anciens muang ainsi que la déportation de
leurs habitants exerçaient une peur chez ceux qui ont pu échapper et qui transmettaient cette peur à
leurs enfants et dans la mémoire familiale et régionale. Pour eux, c’est en se concentrant dans le
centre que les Siamois ont pu rafler tant de monde. Alors il fallait rester en dehors de la ville et au
moindre signe de menace, ils pourraient ainsi se cacher dans la forêt qui n’était pas très loin de la
ville à cette époque, et parfois, ils trouvaient des refuges et des caches dans les grottes.
Un autre facteur qui semblait expliquer pourquoi les Laotiens étaient peu concernés par la
ville, était que l’édification de la ville par l’autorité coloniale n’était pas pour eux la reconstruction
de leur ville détruite. Le mode de mobilisation de la main d’œuvre (la corvée au lieu des travaux
communautaires) et le mode de gestion des hommes (par les fonctionnaires étrangers et non pas par
leurs seigneurs ou leurs chefs) n’étaient pas les leurs, totalement différents et incompréhensibles,
auxquels la conscience populaire associait au passé de l’occupation siamoise. A cet égard, nous
constatons encore aujourd’hui que le vocabulaire utilisé pour désigner les Siamois et les Français en
tant que « colon » était curieusement le même et héritait de cette compréhension populaire, corrigé
par les discours idéologiques, nationaliste, anticolonialiste et marxiste. En effet il s’agit du
terme sakdina446 pour sakdina siam et sakdina falang, dans le sens d’“ impérialiste siamois ” et
d’“impérialiste français ”. La notion d’“ impérialisme local ”, sakdina thongthinh, a aussi été
conçue pour qualifier l’élite lao qui avait participé à la démarche coloniale. Seule l’élite
aristocratique qui entretenait un lien symbolique avec le peuple échappait à ce qualificatif (du moins
jusqu’à 1975). Cette compréhension ne relève pas d’une erreur de jugement de l’histoire par le
peuple, elle est seulement attachée à un angle de vérité et non à la totalité de la problématique. Elle
montre rétrospectivement que le fait colonial n’était pas une reconstruction de leur espace et de leur
société (qu’ils en soient conscients ou pas), mais une continuité d’un phénomène de construction
spatiale et urbaine.
La construction des villes et du pays lao était en fait aussi l’édification, l’agrandissement et
la consolidation de l’empire colonial français, que le Laos en désœuvrement avait du saisir comme
une dernière chance pour exister. Exister dans le giron de la colonisation et dans l’ombre de la
France au lieu de disparaître, c’était l’idée qu’a semblé accepter le roi Sakkarinh de Luang Prabang
lorsqu’il s’adressa au Gouverneur de l’Indochine « […] maintenant que je suis vassal de la France
[…] ». Cette compréhension qui se traduisait par une complaisance vis-à-vis du pouvoir colonial
semblaient incarner la bonne conscience de l’ensemble de l’aristocratie locale, d’où une
colonisation jugée dans son ensemble douce et sans révolte, par les colonisateurs eux même. Sans
444 Un nombre très important de Vietnamiens en quittant le Laos, ne rentrent pas forcément au Vietnam. Ils se sont
émigrés en Thaïlande où une partie de leur famille était déjà installée, en se concentrant plus dans la région Nord-est.
Nous verrons que ce groupe aura un rôle non négligeable du point de vue social, économique et politique : ils constituent
ainsi la première génération des Viet-kyèo ayant un rapport étroit avec les faits coloniaux et la formation des forces
communistes et anticoloniales de Ho Chi Minh.
445 Expression utilisée au début du siècle par les administrateurs coloniaux devant l’ampleur de tâches à réaliser pour
développer le pays lao. Voir notamment Le Laos française, A. E. Picanon, Paris 1901. 446 Sakdina, de sakti (Sk) ou satti (Pl), personne possédant titres, pouvoirs, lance (armes), compétences.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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cette résignation consciente de l’élite traditionnelle, Auguste Pavie ne pourrait qualifier
rétrospectivement ses actions pour intégrer le Laos dans l’empire français comme une “ conquête
des cœurs ”.
447
Le retour au pays des lao du Siam
Pour repeupler les villes, en premier temps, l’administration coloniale encourageait les Lao
qui ont été déportés au Siam à revenir au Pays. Elle soutenait l’action de quelques anciens
administrateurs royaux, dans leur mission d’aller chercher en territoire siamois les Lao qui y ont été
amenés de force. Le nombre des retours était important, mais pas assez pour combler le vide.
Malgré les accords tacites entre la France et le Siam448 sur le principe du retour des Lao, l’action des
autorités siamoises entravait bien souvent et clairement, leur retour. Beaucoup de familles ont été
retenues au Siam pour cause de procès et de dettes, pas forcément justifiée, notait ainsi un
administrateur français dans son rapport sur le rapatriement des Lao de la rive droite. Nous pouvons
lire encore dans le rapport des administrateurs que la déception était grande concernant le nombre
de ces retours, que cela était dû ou pas aux abus des Siamois qui intentaient des procès à ceux qui
voulaient revenir.449 Même si ce retour ne correspondait pas à ce que les administrateurs français
attendaient, nous verrons par la suite qu’il va marquer de l’intérieur la société lao tout le long de la
première moitié du XXe siècle, voire, jusqu’aux années 1960, puisqu’il y a des retours réguliers par
petits groupes ou individuellement.
Malgré les efforts, le développement des villes lao durant la période coloniale a été peu
dynamique par rapport aux autres capitales de l’Indochine. Les activités commerciales et la
croissance de la population durant la période coloniale étaient surtout redevables à l’immigration et
ensuite à un développement interne de la souche laotienne qui prenait plus de temps à se confirmer.
Ce développement a aussi connu quelques ralentissements pendant les hostilités de la Seconde
Guerre mondiale, pour reprendre un rythme régulier après jusqu’au début des années 1960.
II. I. b. 8. L’ambiguïté entre méconnaissance de la ville laotienne et volonté d’établir une
continuité spatiale
La question des remparts et la compréhension de la structure spatiale indigène
« […] La limite extérieure de la ville est toujours provisoire, notamment parce qu’il n’y a
pas besoin de remparts ni de fossés […].»450 Le propos de Benevolo, désignant l’un des principes
morphologiques des villes coloniales, explique assez bien le peu de places accordées aux murs
d’enceinte de Vientiane durant la période coloniale. Relevé sur le plan de 1896 et encore apparente
sur le plan cadastre sur tissu de 1912, il disparaît du plan sur papier de la même année : le boulevard
Doudart de Lagrée se construisait dès lors sur ce rempart, rebaptisé depuis l’indépendance les
Boulevards Khoun Bourom et Khouvieng. Khou Vieng signifiant “ le rempart de la ville ” le nom
des nouveaux boulevards coloniaux rappelle ainsi l’ancienne fonction de l’ouvrage. Haut de plus de
4 mètres et large de plus de 1,6 mètre, l’ancien rempart était défensif avec ses merlons, ses bastions
et son terre-plein. Il semble caractériser ces cités tai au rempart de brique (lorsque celui-ci n’est pas
447 Auguste Pavie, A la conquête des cœurs. Devant l’assaut des Hô associés aux troupes des chef tai de Muang Lay, le roi
Ounkham aurait été sauvé par Auguste Pavie et ses hommes qui en s’enfuyant de Luang Prabang l’enmenèrent avec eux
en bateau. Cependant, dans Histoire de Phongsaly, Tiao Vongkotrattana Khammanh évoque cet événement sans parler de
Pavie : « […] Khamhoum (Déo Van Tri) attaqua le palais royal vers midi, le mercredi du 3e nuit de la lune décroissante
du 7e mois (10. 06. 1887). Les lao ne pouvant venir à bout des Hô et des Tai de Muang Lay, s’enfuyèrent alors. […] Le
Somdet Phra Chao Mahinh (Ounkham) s’était sauvé par la barque royale […] ». 448 « Rapport sur le retour de la population vers Vientiane 1894-1896 »/ CAOM/ Vientiane GGI/ E3. 20735 ;
« Rapatriement des Lao à Vientiane »/ CAOM/ Vientiane GGI/ F146.25332 ; « Retour de 2000 Lao à Vientiane en
1898 »/ CAOM/ Vientiane GGI/ F742.20903. 449 Il faut remarquer que les retenus pour dettes pouvaient rester à vie esclaves des familles siamoises, si non il fallait
payer une somme d’argent pour les acquitter. « Plainte des Lao pour rentrer au Laos 1903 »/ CAOM/ Vientiane GGI/
F147. 21822 ; « Contestation entre habitants rive droite et rive gauche 1898 »/ CAOM/ Vientiane GGI/ F130. 20841. 450 Benevolo, « La colonisation européenne dans le monde », in : Histoire de la ville, éd. Parenthèses, 1983, 1994, 2000.
Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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en terre ou en palanque) doublé par une douve souvent navigable. La disparition de ces éléments
bâtis a dû beaucoup changer le caractère général des villes et le rapport à leur environnement
immédiat que sont les rizières et les lambeaux de forêt qui les entouraient. L’aménagement des
boulevards qui remplaçaient souvent les remparts obéissait à une nécessité du temps : en Europe,
cela faisait longtemps que les villes débordaient de leur enceinte intégrant les faubourgs et les
boulevards.
Les projets politiques pour la construction des villes coloniales
Les travaux des théoriciens et les grands projets de transformation des villes européennes
n’auraient pas été complètement étrangers à la construction des villes dans les colonies. Les grands
percements haussmanniens et l’embourgeoisement de la ville avec la création des places et leurs
façades de représentation, la pensée hygiéniste et technicienne des ingénieurs, ainsi que celle des
utopistes avait dû influencer certaines idées qui ont conduit les projets de développement et
d’embellissement des villes coloniales. Les Gouverneurs Généraux de l’Indochine successifs ne
manquaient pas de les mettre en application. Projetés quelques décennies auparavant, ils avaient été
proposés dans le Plan Doumer451 en 1898, en partie réalisées puis différées à cause des hostilités de
la Première Guerre mondiale. Après la guerre, la loi pour la mise en valeur des colonies françaises
présentée par Albert Sarraut en 1921452 aurait plus de conséquent sur les grandes villes
indochinoises telles que Phnom Penh et Saïgon.
Pour le Laos, ce sont plutôt les réseaux routiers et fluviaux qui en auraient bénéficié le plus.
Dans les rapports des Circonscriptions Territoriales des Travaux Publics, les volets concernant les
travaux des routes et de dérochement du Mékong et d’autres fleuves occupaient une place
importante. Les objectifs généraux étant de faciliter les transports et les liaisons de l’Indochine
Occidentale, de désenclaver le pays lao par rapport à l’ensemble de l’Indochine et de créer la mise
en liaison interne des centres urbains entre eux et entre les centres urbains et les différents petits
établissements villageois éparpillés et reculés. Un autre objectif était aussi de mieux répartir les
hommes sur l’ensemble de l’Indochine. D’après les administrateurs le Laos serait-même le mieux
placé pour accueillir l’immigration venant du Tonkin et du Nord d’Annam surpeuplé, mais à
condition que les réseaux de transport et de route soient améliorés.453 Le développement et le
peuplement du Laos colonial dépendaient ainsi de son désenclavement.
La loi Cornudet promulguée en 1919 pour l’embellissement des villes françaises aurait eu
aussi des répercussions dans les colonies quelques années plus tard. Elle aurait été traduite par la
construction des belles villas coloniales sur l’alignement des grandes voies, par l’aménagement des
rues et des boulevards plantés et des jardins publics (rue Sethathirat, Sam-Saèn-Tai, la première
tranche de l’avenue Lane Xang, le jardin botanique à l’emplacement actuel de l’hôtel Lane
Xang).454 Les villes laotiennes qui avaient bénéficié de certaines retombées budgétaires, étant à
l’époque de petite taille, avaient dû très peu absorber les budgets généraux pour leur
développement ; les autres capitales indochinoises seraient les plus grandes bénéficières.
De manière générale les programmes et les projets de développement ainsi que les budgets
consacrés aux colonies n’intégraient pas le programme d’étude des villes anciennes autochtones,
quoique furent leur importance. La capitale laotienne était le cas typique où le vide, après la
destruction par la guerre siamoise, équivalait le peu d’intérêt que l’on accordait à leur histoire dans
les plans d’aménagement. Il n’était alors pas étonnant que la renaissance des villes ait pu se faire
dans une méconnaissance quasi-totale de l’organisation spatiale autochtone.
451 Paule Doumer était Gouverneur Général de l’Indochine de 1897 à 1902. 452 Albert Sarraut était Gouverneur Général de l’Indochine de 1911 à 1914 et de 1916 à 1919. 453 Lettre de l’Ingénieur Principal, chef de l’arrondissement des Travaux Publics du Laos, adressée au Résident Supérieur.
In : dossier de « Conférence des Gouverneurs Généraux ». Paris 03 novembre 1936. GGI/ CAOM. 454 La loi Cornudet a été présentée par Cornudet en 1919 et concernait d’abord l’embellissement des villes françaises.
Cette loi serait par la suite plus ou moins utilisée pour les villes coloniales.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le rôle de la découverte “ du beau sauvage ” et de l’exposition coloniale
L’art, l’architecture et le patrimoine indigènes des colonies émergeaient pourtant au
moment où les projets d’aménagement de taille importante ont commencé à être réalisés. Cette prise
de conscience de la culture indigène n’était pas sans lien avec le nouveau tournant de la pensée
européenne de la fin du XIXe siècle qui s’intéresse au “ beau sauvage ”. Les travaux picturaux et
plastiques des peintres, comme ceux notamment de Rousseau et de Gauguin, illustraient ce
rapprochement. La pensée européenne de cette époque s’était aussi illustrée par les travaux des
savants qui découvraient les territoires d’outre-mers, leurs richesses culturelles et artistiques, mais
aussi leurs richesses naturelles : minerais, fleuves, faune et flore, etc. En Indochine, c’est la
découverte de la cité d’Angkor par Henri Mouhot vers 1866455 qui a permis aux regards
scientifiques de prêter plus d’attention à la culture et aux arts des indigènes.456 Les expositions
coloniales nous offraient ainsi le mieux la vision et la compréhension européenne de ces territoires
et de ces cultures lointaines.
Le rôle des savants orientalistes
La découverte des richesses du savoir local à travers le site phare qu’était Angkor avait dû
changer les donnes. Mais cela semblait seulement être les faits des savants orientalistes qui
fondèrent alors l’Ecole Française d’Extrême-Orient en 1900 et qui ont mené de remarquables
travaux de recherche, hélas très peu appliquées et très peu impliquées dans le développement
urbain.
La description des villes et leurs relevés architectureaux ont été réalisées. On effectuait
l’inventaire des ruines les plus importantes et on entreprenait l’identification des langages
architecturaux, tels entre autres les travaux de Parmentier et de Lunet de la Jonquière.457 Mais
l’analyse spatiale et structurelle, l’analyse des modes de fonctionnement de la ville et de son espace
ont été totalement absentes. Les connaissances que l’on pouvait espérer à l’époque n’avaient pas
suffi en tout état de cause à assouplir la rigidité des aménageurs coloniaux. On peut dire qu’à
l’exception de la mise en œuvre des grands projets et de la politique dictée depuis la métropole, la
transformation des villes autochtones était aussi le produit de la méconnaissance des
administrateurs. Une rupture d’usage et du mode de fonctionnement était ainsi inévitable entre
l’espace indigène et l’espace colonial.
Le retard disciplinaire de la pensée de la ville dans les colonies
Soulignons qu’en Europe et en France la ville en tant que champ disciplinaire était à peine
apparue et en occurrence dans un milieu spécifique. Les théoriciens et précurseurs de la discipline
se préoccupaient de débattre avec leurs “ adversaires ” de la question de la ville. C’était déjà des
tâches ardues, il n’était pas alors imaginable que leurs idées à peine naissant puissent être exportées
dans les colonies. Nous voulons signaler ici rapidement les œuvres de Marcel Poëte, de Pierre
Lavedan et de Giovanoni au début du siècle dernier qui faisaient de l’histoire de la ville et de ses
composants historiques bâtis son outil de compréhension, mais aussi son projet. Nous voulons
souligner aussi le fait que leurs réflexions sur l’histoire de la ville et leurs analyses458 étaient tenues
éloignées de la construction des villes coloniales de l’époque. En occurrence, il est déjà connu
455 Henri Mouhot, Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge et de Laos, réédité à Genève en 1989, éd. Olizane.
La 1ere édition date de 1868.
456 Alors que l’approche scientifique fut déjà réalisée en Afrique du Nord plusieurs décennies plutôt, avec la naissance de
l’archéologie et de l’Egyptologie, sous le patronage de Napoléon. 457 Henri Parmentier effectuait les premiers inventaires et relevés des monuments du Laos vers 1912. R94. 33 244/
Missions / GGI/ CAOM ; in. L’art du Laos, publication de l’EFEO éditée et révisée par Madelaine Giteau, Paris, 1988 ;
Lunet de la Jonquière. « Vieng Chan, la ville et les pagodes », in : BEFEO 1-2, paris 1901. 458 Les trois théoritiens ont porté des réflexions sur l’importance de l’histoire de la ville. Pierre Lavedan, Histoire de
l’urbanisme, Antiquité, Moyen Age, publié en 1926, H. Laurens, (op, cit.) ; Marcel Poëte, Introductin à l’urbanisme.
L’évolution des villes, la leçon de l’antiquité, Paris Bovin 1929, réédité par Anthropos en 1967 ; Gustave Giovanoni,
L’urbanisme face aux villes anciennes, édition du Seuil, Paris, 1998. (1ere édition 1931, UTET Libreria).Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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aujourd’hui que les techniciens et administrateurs des colonies indochinoises, qui auraient pu être
aux faits des travaux de l’intelligentsia européenne sur la question de la ville, n’étaient pas parmi les
plus avertis. La méconnaissance du fondement de l’espace local ne relevait donc pas forcément de
la négligence ou du manque d’intérêt, mais du retard de la discipline elle-même portée sur la ville
dans les territoires d’outre-mer et chez les responsables des colonies. Dans le cas contraire, il serait
imaginable par exemple que les remparts de Vientiane aient pu être intégrés dans l’aménagement de
la ville qui renaît ; que les schémas symboliques des villes comme Luang Prabang et Vientiane ne
soient pas abandonnés. Effectivement, le palais royal de Luang Prabang qui fait face au Mont Phu
Si, et le Hô kham de Vientiane qui réceptionne un axe qui le percute en plein cintre, tournent tous
deux le dos au Mékong. Ce bouleversement spatial semble entrer en collision avec l’ancien principe
spatial et symbolique qui prônait un positionnement et une orientation particulière des édifices
emblématiques par rapport au fleuve. Les édifices de cette importance doivent avoir leur façade
principale donnée sur le fleuve. De ce fait et dans un cadre plus large par rapport au monde
asiatique, l’orientation de Hô Kham et de celle du palais royal de Luang Prabang –issue de
l’aménagement colonial– entrait en collision avec le Feng Shui.
II. II. Les modèles endogènes
Les modèles exogènes que nous avons dégagés à l’instant, semblent donner une perception
inachevée de l’espace lao dans sa durée. Car ils sont conditionnés dans des cadres temporels et
historiques qui n’expliquent que partiellement et contextuellement l’aspect des villes et ne mettent
pas assez en exergue la question de modélisation dans laquelle les villes lao se sont peu à peu
constituées. Ainsi, pour comprendre la question de modélisation de l’espace dans sa durée, nous
proposons d’examiner les concepts qui auraient constitué l’espace des villes laotiennes de manière
plus intemporelle.
Les modèles endogènes se seraient constitués de deux manières. La première modélisation
serait repérable dans le phénomène de transmission à l’intérieur-même du savoir ancien et
traditionnel, explicite plus ou moins clairement à travers les questions spatiales. La seconde serait
repérable à travers la réappropriation et l’endogénisation par les problématiques spatiales des
éléments qui ne sont pas liés directement à la question de l’espace. Nous allons exposer d’abord ce
qui semble avoir trait à des théories spatiales transmises par les savoirs anciens, et ensuite repérer
les questions extérieures qui ont été endogénisées dans la problématique spatiale, servant donc à
modéliser les espaces en question.
Les concepts et les notions développés tant à travers les théories qu’à travers les éléments
endogénisés constitueraient les bases théoriques de l’espace lao dans ses différents moments jusqu’à
les années 1970. Ils auraient contribué à esquisser des modèles d’espace, ou du moins, une
perception globale des formes des établissements lao, qui n’ont pas pu être clairement perçues par
l’analyse de modèles historiques.
Pour prendre en compte, ce que le savoir ancien et traditionnel a pu transmettre à la pratique
de l’espace d’aujourd’hui, sa production, sa gestion, il faut comprendre le contexte de ce monde
ancien et décoder certains langages qui ne parlent plus aux outils de production spatiale
d’aujourd’hui. Pour se faire, il faut transgresser quelques règles et analyses scientifiques. Tentons
de comprendre les concepts anciens à travers la définition des différentes échelles et statuts
spatiaux : quels types de gouvernance et d’espace s’agissent-ils et que signifient les notions : khoum
[75h,], ban [[kho], phong [zQ’F 3zJ’], muang [g,nv’], vieng [;P’], xieng [-P’] et luang [s];’] ? Quel
serait les caractéristiques du choix des implantations et quel sens donner au rôle des actes et des
rituels de fondation qui semblent imprégne encore l’espace des villes. Nous proposons ensuite
d’apporter des réflexions sur deux éléments qui composent aussi la permanence spatiale, à savoir la
question portant sur les sols dans la constitution de la ville et le rôle des espaces naturels et du
paysage dans la cité. L’examen de ces éléments devrait compléter notre compréhension de l’espace
transmis.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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II. II. a. Les modèles d’occupation et de gouvernance
Avant de définir les concepts portant sur la ville, examinons les quatres principaux stades
du pouvoir et les traits de l’organisation politique qui auraient laissé leurs empreintes dans les
données spatiaux et démontré que les modèles spatiaux historiques étaient profondément corollaires
aux modèles politiques, dont on retrouve une certaine permanence et une certaine constance dans
les espaces qui se constituent postérieurement.
Le pouvoir durant la période des chefferies
Nous avons avancé l’hypothèse qu’un modèle spatial aurait dû être formé au sein de
l’organisation de chefferie du muang. Résumons ici l’idée comment la politique des chefferies
avait-elle conçu le pouvoir et quel type de modèle spatial en était issu. Le système de chefferie lao
tai était déjà probablement structuré dès l’origine dans la configuration du muang entendu comme
organisation politique qui aurait mobilisé deux actions majeures : 1- installation des établissements
et utilisation des terres, d’une manière démocratique et communautaire, 2- regroupement et contrôle
des hommes, conduit par un système de pouvoir consentant confié au chef, dont la compétence était
légitimée à la fois par un savoir personnel et empirique, et par un savoir divinatoire lié à la lignée
des Thaèn F’a auto définie incontestablement par les Lao Tai. Ce double savoir qui faisait la
personnalité anthropologique du pouvoir peut être expliqué par le phénomène de réciprocité de
légitimation entre le dirigeant et le dirigé. Comme nous avons déjà noté : le pouvoir ne saurait
exister sans la volonté des individus de se rassembler et vis versa, le peuple ne peut exister, ni se
rassembler sans le meneur ayant la force et la compétence de rassemblement, que ce soit de manière
pragmatique ou divinatoire.
Cette forme d’organisation politique donne à voir non seulement une compacité sociale,
mais également une compacité spatiale maîtrisée. C’était une compacité nécessaire d’habitat pour
que tous, les Tai ban (habitant du ban) et les Tai muang (habitant du muang), puissent être bien
dans leur ban et dans leur muang : à l’origine, ils devaient vivre vraiment en communauté, ni les
uns, ni les autres ne doivent vivre isolés. Probablement pour symboliser cette compacité spatiale
d’habitat qui devait être réellement et physiquement protégée, les ban et les muang ont été en plus
délimités par un système symbolique de protection : les phi protecteurs dans les quatre orients. On
peut le voir clairement avec les exemples du schéma symbolique de Muang Phouan. A propos de ce
dispositif de protection, chaque ban et chaque muang auraient eu des degrés de complexité variés.
La forme de l’organisation politique donne également à voir qu’il s’agit d’une organisation
ouverte et dynamique dans le sens où cette organisation ne vit pas sur elle-même, mais aussi
d’échange avec les autres. Au de-là de la compacité de l’habitat communautaire du ban, plusieurs
anneaux (pas forcément circulaires) auraient entouré graduellement le ban. Il y a dans le premier
anneau les rizières comme lieu de production immédiate du ban ; dans le deuxième anneau des
lambeaux de forêts claires où les tai ban défrichent les haï, puis dans le troisième anneau, des forêts
plus profondes où les tai ban auraient pratiqué la cueillette, et plus loin en quatrième anneau la
chasse. Comme nous l’avons déjà noté, c’est dans le troisième et quatrième anneau que les tai ban
entrent en contact et échangent avec les autres qui ne font pas partie de leur système du ban et du
muang. Si le schéma que nous avons suggéré ne fonctionne plus en tant que tel, on peut néanmoins
constater jusqu’à la période contemporaine qu’il existe de nombreux villages qui conservent cet
archétype.
Le pouvoir durant le règne de F’a-Ngoum
Nous avons suggéré l’idée que le modèle spatial initial (décrit à l’instant) se retrouve
enrichi dans sa période évolutive. Ceci, sous l’impulsion de la conception du pouvoir et du
rassemblement des hommes comme donnée primordiale, sous le règne de F’a-Ngoum. Comme nous
l’avons noté dans le point traitant de « la pensée politique de F’a-Ngoum », six idées auraient édifié
la conception du pouvoir et la politique du muang :
Fig. 54. Vue
aérienne d’un
village, entouré
de rizières.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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1- Il aurait placé le rassemblement des hommes comme action primordiale et aurait également
conçu la donnée humaine comme fondamentale.
2- Il aurait conçu une nouvelle répartition des hommes sur le territoire comme une action nécessaire
pour développer et donner sens au grand établissement qu’il venait d’édifier : l’État lao.
3- Tout en concevant une nouvelle démographie qui intègre nécessairement les non tai dans le
système du muang (mais pas dans son espace), il aurait réaffirmé un ethnocentrisme du ban et du
muang de manière évidente, en donnant de l’importance très prononcée à la lignée des dirigeants de
ces muang comme appartenant à sa famille, et il aurait distingué le fait d’être lao tai des autres
peuples.
4- Il aurait pris conscience d’un territoire peuplé de Tai et de leur dispersion, un fait qui venaient
contredire leurs liens de parenté, d’où ses actions en faveur du rassemblement.
5- Les actions de F’a-Ngoum aurait démontré que l’émergence d’un État lao tai s’inscrivait dans
une continuité et non en rupture avec la période antérieure de chefferie. Les Thaèn F’a continuaient
à accompagner et légitimer le pouvoir de sa lignée. Il aurait donc conçu la construction de son Etat
comme un héritage du passé.
6- La conception du pouvoir se complexifiait, parallèlement à la construction de l’espace. A travers
les actions de F’a-Ngoum, on voit que les muang étaient nombreux et hiérarchisés par des statuts
différents. Ils se reliaient des uns aux autres de manière plus ou moins dynamique pour exister dans
le grand muang que F’a-Ngoum avait édifié. Le système de liaison et les grand muang eux-mêmes
devaient être entretenus. Pour cela, des tributs leur avaient été imposés.
Le pouvoir au temps de Sethathirat et aux temps des deux règnes qui l’ont précédé
Nous avons avancé l’idée que le renouveau religieux et la restructuration politique du
territoire, étaient entièrement liés à la politique de Sethathirat, au contexte de son époque et aux
deux règnes qui l’ont précédé, celui de Vixun et de Phothisarat.
1- Avec Vixun et Phothisarat on assistait à une aspiration religieuse forte du pouvoir : la conception
du bodhisattva raja les avait animés comme bon nombre de monarques qui leur étaient
contemporains. Le pouvoir ne s’était plus contenté d’exercer le pouvoir politique, ou de rappeler au
peuple que leur témoignage de fidélité était symbolisé par le culte commun du Thaèn F’a, comme le
faisait F’a-Ngoum. Le pouvoir s’endosse aussi d’une mission spirituelle pour mener les hommes et
les éloigner de “ l’obscurantisme ” des croyances primitives du culte des phi. Dans ce dessein,
Vixun menait de nombreuses actions : construction des monastères et des bibliothèques. Même si
ses actions étaient surtout limitées à Luang Prabang, il a laissé des traces importantes dans la ville.
Quant à Phothisarat, il poursuivait les œuvres de son père en accentuant le rôle des monarques dans
les affaires religieuses. Elles semblaient même devenir ses principales préoccupations. Les édits
contre le culte des phi et les destructions des autels des esprits qu’il avait mis en œuvre avaient
marqué son époque et retenu dans l’histoire comme une radicalité religieuse rare et unique dans
l’histoire du pays. Le cas de Ban Phaylom, aujourd’hui, semble illustrer cette radicalité passée.
2- Mais c’est avec Sethathirat que le renouveau se concrétise avec éclat, dans le domaine religieux,
politique et spatial. Et ceci, à deux échelles, interne et externe :
- A l’échelle interne du pays sa politique a été marquée par la transformation de l’espace. La
politique et le pouvoir s’étaient fortifiés du contenu religieux. Le modèle politique s’était en
quelque sorte formalisé par l’idéologie religieuse bouddhique, qui se voulait être l’incarnation de
l’identité nationale, indivisible et unique. Des espaces, des monuments et des rites symboliques ont
été créés pour renforcer cet idéale : a- Le That Luang ainsi que les divers rituels qui obligeaient les
seigneurs des provinces à être présents dans la capitale ou dans les lieux de pèlerinage les plus
importants ; b- Le transfert de la capitale, s’il était d’abord stratégique du point de vue de la
politique régionale, semblait surtout répondre au nouveau statut du pouvoir royal. Celui-ci devait
être au milieu du territoire du royaume, plus accessible que Luang Prabang aux diverses provinces Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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et seigneuries que le pouvoir central devaient contrôler ; c- La nouvelle position de la capitale
devait aussi favoriser son statut de modèle, elle doit exercer un rayonnement et faire circuler les
savoirs et les savoir-faires vers les provinces et seigneuries. d- La création de la capitale, partant sur
de nouvelles bases et accompagnant les rituels et la construction des monuments, devait donner lieu
à la création des types d’unité spatiale nouvelle : types de village, types urbain.
- A l’échelle externe ou régionale, la politique de renouvellement spatial de Sethathirat dévoilait la
dimension territoriale plus important du pays ainsi que son enjeu régional. Le pouvoir royal
changeait d’échelle en quittant la petite cité de Luang Prabang. Le nouveau siège du pouvoir
devenait plus adéquat par rapport au territoire que le royaume devait contrôler. Du rayonnement
illimité, le pouvoir devait se recentrer et prendre en compte le rayonnement voisin. La question de
limite territoriale s’imposait alors au pouvoir politique. A contrario, du point de vue religieux les
monuments qui en marquaient les symboles généraient une certaine culture régionale commune : on
échangeait les savoirs de bâtir, en même temps que les savoirs religieux.
Le pouvoir au XVIIe siècle
Nous avons suggéré plusieurs réflexions sur le contexte du XVIIe siècle, notamment
comment ce siècle, qui constituait un tournant important de la politique régionale de l’âge du
commerce, avait-il changé les donnes sur le Laos, et comment avait-il influencé la question spatiale.
Il semble que la question de la centralité du pouvoir a été bien entamée depuis Sethathirat. L’époque
de Suryavongsa semble même être l’excès de cette centralité : tout était concentré à Vientiane, les
gouverneurs étaient auprès du roi et désignaient leur représentant pour administrer leur province. Le
territoire semblait être considéré comme un acquis, un héritage figé, alors qu’en réalité, ses limites
étaient instables et mobiles. Dans une période charnière où on passait de l’ère de rayonnement à
l’ère des limites territoriales, le Laos avec un pouvoir trop centralisé semblait connaître un certain
handicap : délaissement de ses territoires, relâchement de ses gouvernants. La place aurait alors été
libre pour le rayonnement des autres centres du pouvoir, dans leur démarche pour étendre leur
territoire et augmenter leur influence, répondant aux opportunités du commerce maritime, afin
d’acquérir des positions dominantes.
La définition des concepts portant sur la ville doit apporter des réflexions fondamentales à
la connaissance des villes et des établissements lao, dans leur organisation spatiale et politique et
dans leur mode de gestion et de gouvernance. Nous classons les concepts en trois groupes. Le
premier regroupe les notions de ban (village), de tassèng (canton) et de muang (ville). Il définit une
hiérarchisation spatiale et organisationnelle. Le deuxième regroupe les termes xieng [-P’], vieng
[;P’], muang [g,nv’] et luang [s];’]. Ces quatre concepts anciens sont des synonymes qui déclinent
les différents concepts portés sur la ville et la cité dans leur dimension spatiale et politique. Le
troisième regroupe les notions de khoum (quartier), de phong (village reculé), du tassèng (îlot) et du
couple ban-muang (le pays). Ces notions qui classifient l’espace à différentes échelles et qui
suggèrent l’existence de typologie d’établissements et de territoires comportent une certaine
ambiguïté, mais explicitent une variabilité dans la perception et dans la représentation ancienne de
la ville et de la cité.
II. II. a. 1. Ban, tassèng et muang, l’hiérarchisation spatiale et organisationnelle du
territoire physique et administratif
Le ban [village, [kho], le tassèng [canton, 8kcl’] et le muang sont des structures
administratives et territoriales anciennes. D’après le décret royal de 1966, ban et tassèng constituent
un ensemble de pouvoir local très ancien que l’on appelle agnasid thonthinh. Hiérarchiquement
parlant, plusieurs ban forment un tassèng et plusieurs tassèng forment un muang. Le ban le plus
anciens et le plus grand constitue le chef-lieu du tassèng, ensuite le plus important et le plus
historique tassèng constitue le centre du muang. Comme le ban, le tassèng est considéré comme une
société rurale coutumière locale. Bien qu’il semble postérieur au ban, il provient d’une vieille
coutume et d’un ancien système administratif du pouvoir local, où par rapport au pouvoir central, il Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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défend et représente la population devant l’autorité du haut (centrale). Le tassèng a été aboli en
1981 alors que l’administration du ban a simplement connu quelques réformes depuis 1966 et après
1975, tout en préservant ses principes fondamentaux. Le tassèng ayant été supprimé, on passe
directement de l’autorité du ban à l’autorité du muang.
Avant 1975 un ban était dirigé par un po ban (père du village) et assisté par un Conseil du
ban appelé kammakane [da,,tdko]. Le po ban et le Conseil du ban étaient élus directement par leurs
habitants.459 Le nombre des membres du Conseil du ban était variable, proportionnel au nombre de
ses habitants. Un tassèng était dirigé par un tassèng. Il était élu par les po ban et par les membres du
Conseil de chaque ban. Un tassèng possédait également son propre Conseil. Les membres du
Conseil du tassèng étaient donc composés des po ban et des représentants du Conseil de chaque
ban. Le nombre de ces derniers variait selon le nombre des conseillers que chaque ban possédait. Le
ban et le tassèng possédaient aussi des samyanes [lts,Po], des agents administratifs qui se
recrutaient parmi les membres de leur Conseil respectif. Leur nombre variait selon le nombre des
habitants de leur circonscription respective.460
Un ban est « une unité sociale naturelle de base, un ensemble social local et coutumier. Il
est considéré comme une société locale rurale » qui a formé la base de la société lao et qui n’a pas
beaucoup évolué durant toute son histoire. Il constitue ainsi avec le tassèng le premier pouvoir
local. « Cette société locale et rurale se gère de manière autonome et indépendante. Elle a la
compétence et la capacité légitime et juridique de défendre les intérêts de toute la communauté par
son propre moyen. […] Le ban est la structure administrative primitive du royaume du Laos
conformément au droit coutumier et à son histoire […] Le ban est défini par son homogénéité
sociale et culturelle, par le sentiment d’appartenir à une communauté unique, de partager les
mêmes intérêts, les mêmes joies et les mêmes peines. Les habitants prônent le vivre-ensemble dans
la solidarité et la confiance et comprennent que le destin individuel est lié à celui de la communauté
toute entière […] » (art. 1 et 2).
Le décret tente aussi de formaliser une échelle à l’entité du ban et du tassèng afin de mieux
les gérer, en mentionnant (art. 4) que : « un ban doit avoir plus de 20 maisons ou plus de 100
habitants pour être reconnu officiellement par l’administration », et « un tassèng doit avoir au
moins 500 maisons et au moins 2500 habitants et au plus 1000 maisons et 5.000 habitants. […]
Chaque tassèng possède habituellement et historiquement un ban assumant la fonction de centre et
de siège du tassèng » (art. 8). Bien que les sources n’aient pas été mentionnées, les chiffres avancés
par le décret semblent se référencer à une réalité fort ancienne qui aurait ainsi caractérisé la
composition humaine et la taille du ban et du tassèng : d’après l’article 3 « la nomination, la
désignation générale ainsi que la délimitation physique et géographique du ban (et du tassèng)
proviennent des temps primitifs. Elles obéissent aux règles coutumières et se conforment à l’histoire
et au droit coutumier, même si la délimitation n’a pas été formalisée de manière concrète par une
représentation graphique […] ». De manière générale le ban et le tassèng sont des petits territoires
anciens qui doivent s’adapter à une restructuration territoriale nouvelle plus large.
La définition du ban décrit ici la constitution sociale et idéologique qui a composé
primitivement son identité. Ceci, tout en mettant en évidence que le ban est aussi une composition
sociétale naturelle, dont le choix physique et géographique pré-existe à l’organisation administrative
que le décret royal tente de formuler postérieurement, après l’indépendance. La suite du décret
exprime, non pas l’invention du ban en tant qu’administration locale nouvelle et moderne, mais la
459 Les élections du po ban et du tassèng se font sur une liste des volontaires qui se présentent et pour se présenter il faut
remplir certaines conditions. Pour élire un po ban et un tassèng, traditionnellement au moment des votes les électeurs
viennent entourer en cercle la personne qu’ils veulent élire. « Décret royal 1966, Décret royal portant l’organisation de
l’administration de la société rurale –tassèng et ban », Luang Prabang, le 14 octobre, 1966. 460 Un secrétaire administratif pour les ban ayant moins de 300 habitants, deux sécrétaires pour les ban ayant plus de 300
habitants. Un secrétaire pour les tassèng ayant moins de 1500 habitants, deux pour les tassèng ayant entre 1500 et 3000
habitants, et trois pour les tassèng ayant plus de 3000 habitant. « Décret royal 1966 », op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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volonté de donner au ban –une structure ancienne– un statut juridique et institutionnel afin de
l’intégrer au mieux dans l’administration locale modernisée. En ce sens, un ban est à la fois une
entité sociétale, une entité sociale et administrative, sa description explicitée ci-dessus à travers le
décret royal, donne en partie une perception de ce qu’est son entité d’origine.
Le décret sous-entend que parmi les caractéristiques anciennes du ban et du tassèng il y
avait leur homogénéité ethnique et géographique, une délimitation de leur espace dans l’échelle
territoriale : « le tassèng est un territoire naturellement constitué autour d’un lien ethnique et
géographique […] il est inscrit dans un territoire dont la limite était suffisamment adéquate par
rapport au nombre des habitants pour que ces derniers puissent maitriser et apprécier leurs liens
de connaissance et leur solidarité afin de partager au mieux leur destin » (art. 6). « Mise à part des
exceptions et des précautions particulières liées à la composition ethnique qui obligent des
dispositifs particuliers, ou liées aux contraintes locales particulières, en règle générale un tassèng
doit être composé au minimum de 500 maisons et 2500 habitants […] » (art. 8).
Les questions d’homogénéité ethnique et géographique du ban et du tassèng renvoient aux
réflexions sur les questions traitant de la « constitution et de la maîtrise du territoire » et traitant du
« rôle des hommes et des terres dans le fondement de l’Etat et de l’identité politique », dont nous
rappelons présentement quelques aspects. Ainsi le ban serait, à la base, mono ethnique ou du moins
observant une certaine ethnocentricité dès son origine, au temps où les Lao sont apparus dans le
Haut et le Moyen Mékong (vers le VIIIe siècle). Les occupations lao –sous forme de ban– auraient
été implantées comme des morceaux de territoire sur des espaces inoccupés mais figurant dans une
aire culturelle et politique existante. Le ban lao aurait été consolidé par un groupement de
populations, détenteur de l’organisation du ban (et du muang lorsque le groupement est plus
important) dirigé par un chef avec le consentement communautaire. Chef et membres du ban sont
des Tai ban qui ont tous des liens avec les Thaèn F’a, leurs génies et protecteurs ancestraux.
Spatialement autour de l’ensemble de l’habitat qui forme le ban, les rizières que les Tai ban
ont aménagé généralement en couronne immédiate, constituent le deuxièmement élément de
consolidation. Viennent ensuite en deuxième couronne les lambeaux de forêts claires où les Tai ban
défrichent le haï (culture sur brûlis). Plus loin en troisième couronne, ils effectuent les cueillettes, et
plus loins encore en quatrième couronne, la chasse. Et ce serait éventuellement dans les espaces qui
constituent les couronnes trois et quatre que les Tai ban seraient entrés en contact avec les autres
groupes, effectuant des trocs, voire, des échanges plus importants avec eux : imprégnation de
techniques agricoles, de chasse et de cueillette et probablement aussi quelques croyances, etc. Et ce
serait probablement aussi par cette proximité ancienne que les Tai muang auraient exercé peu à peu
leur prédominance sur les populations non-détentrices de l’organisation du muang. Les espaces
autour du ban et du muang sembleraient alors fonctionner comme des espaces isolants, des lieux à
la fois de distanciation et de communication culturelle, ethnique et économique des Tai ban (et Tai
muang), non seulement par rapport aux autres petits groupes de peuplements éparpillés non tai qui
ne sont pas loin mais auxquels ils se distinguent, mais aussi par rapport aux peuples des cités
dominants que sont probablement à l’époque, les Môns et les Khmers, détenteurs incontestables des
grandes cités.
En fait pour être clair, le ban lao était constitué fondamentalement de population d’ethnie
tai lao. Les autres ethnies lorsqu’elles étaient assez homogènes formaient des villages à part. En fait
la mixité dans les ban lao que l’on voit aujourd’hui n’était apparue que récemment. Ainsi lorsque
l’article 6 du décret de 1966 dit que « mise à part des exceptions et des précautions particulières
liées à la composition ethnique qui obligent des dispositifs particuliers […] les ban doivent avoir au
moins 100 habitants ou 20 maisons », cela signifie que les règles du nombre pouvaient être
transgressées ou devenir plus souples. Notamment si ethniquement les anciens ban ne remplissaient
pas les conditions au niveau du nombre de leurs habitants l’administration aurait toléré
provisoirement leur existence et aviserait plus tard leur groupement avec un autre village plus Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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adéquat. Autrement dit la fondation des ban lao autrefois aurait respecté la composition ethnique de
ses habitants jusqu’à les années 1960 comprises.
Effectivement, le principe du ban en tant qu’entité sociale de base de la société lao dans sa
période primitive le distinguerait des autres entités par son mode spatial et social. Il aurait permis de
situer les implantations lao du ban par rapport aux autres entités qui existaient dans le territoire et
d’imaginer le rapport qu’il aurait entretenu avec ces dernières. Il aurait surtout permis de constater
en 1966 que le principe d’homogénéité mono-ethnique persistait à être un des principes de la
composition sociale et administrative de beaucoup de ban. Alors que ce même principe était en
cours de changement, suggéré par l’article lui-même, lorsqu’il dit que « provisoirement les po ban
dont le nombre des habitants est inférieur ou supérieur à 100 continuent à conserver leur fonction
ancienne jusqu’au nouveau décret » (art. 4). Car dans les années 1960 et au moins depuis
l’indépendance, on concevait déjà le principe de l’État Nation culturellement et ethniquement
composite, mais se voulant politiquement unitaire. On comprend dès lors que la réorganisation
administrative, faite à travers ce décret, avait la volonté de réduire les effets négatifs de certains
principes coutumiers qui persistaient, notamment ceux qui prônaient l’homogénéité ethnique, afin
de mettre en pratique les principes de l’État Nation multi-ethnique qui devrait alors constituer et
qualifier le Laos.
Muang et toua muang
Concernant le Muang [g,nv’], son origine et son concept historique étant étayés dans les points qui
vont suivre, nous l’abordons ici seulement du point de vue administratif. Le muang recouvre deux
significations : muang en tant que district dans l’échelon de l’administration locale, et muang (plus
couramment toua muang [8q;g,nv’]) en tant que centre urbain ou agglomération urbaine. Jusqu’à la
réforme de 1981 où le tassèng fut supprimé, le muang était composé de plusieurs tassèng qui était
l’échelon intermédiaire entre le muang et le ban. N’ayant plus de tassèng le muang englobe
aujourd’hui directement les ban. Comme le note la constitution : « La République Démocratique
Populaire Lao se compose de provinces, préfectures, districts et villages »
461 le district est le
troisième échelon de l’administration locale après la province et la préfecture.
D’après le droit de l’urbanisme (N°03/99/Assemblée Nationale. 03/04/1999), « toua muang
est le lieu de vie des communautés sociales, selon les critères suivantes : c’est un lieu
d’implantation de la capitale nationale, de la préfecture (ou de l’agglomération urbaine), du cheflieu
de province, du chef-lieu de la zone spéciale, du chef-lieu du district, d’une zone de
concentration socio-économique ; ayant une population assez dense ; possédant des équipements
publics, des biens de consommation et des services publics, tels que les infrastructures de route, de
drainage et d’assainissement, d’hôpitaux, d’écoles, d’équipements sportifs, de jardins publics, de
réseaux d’eaux potables, d’électricité et des télécommunications, etc. Toua muang existe en trois
échelons : 1- toua muang attaché à l’administration centrale ; 2- toua muang attaché à la province,
à la préfecture (ou agglomération urbaine), et toua muang attaché à la zone spéciale ; toua muang
attaché au district. »
II. II. a. 2. Les quatre synomymes qui explicitent les concepts anciens de ville et de cité
De manière usuelle, la ville ou la cité est désignée par quatre termes : muang [g,nv’] renvoie
à des notions politique, sociale et organisationnelle de la ville, alors que vieng [;P’] renvoie à sa
morphologie et xieng [-P’] à son organisation spatiale. Quant au terme luang [s];’], il dénote
plutôt son statut et son rôle par rapport à un territoire plus large. Ces termes sont en fait des
concepts spatiaux et sociopolitiques qui se complètent pour donner une perception et une
compréhension de l’espace et de l’organisation sociale et politique de la ville et de la cité lao, dans
461 La Constitution, chapitre VII, art. 62-63-64 portant l’administration locale adopté le 14 août 1991 par la VIe Session
Ordinaire de l’Assemblée Populaire Suprême, IIe Législature promulguée le 15 août 1991 par le Président de la RDPLDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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toute sa complexité. Elles reflètent le mode d’usage et de gouvernance historique de l’espace et de
l’organisation de la ville. Leur dépouillement sémantique permet de mieux comprendre la ville
d’aujourd’hui.
Muang
Le terme muang est probablement lao dès son origine, du moins seule la population de
parler Tai Lao aujourd’hui l’utilise avec une variabilité tonale selon la région. Ainsi le plus courant
on le prononce muang [g,nv’]. A Sam Neua, à Phongsaly ainsi que dans l’extrême Nord du pays, on
le prononce, meung, meueug, meng [g,u’F gs,u’F g,a’]. Le mot est ancien, le Nithan Khun Bourom le
mentionne pour la première fois. Dans cet annale les Lao l’auraient déjà utilisé pour désigner les
deux cités mythiques desquelles ils seraient issus avant leur peuplement du Laos, dans les
expressions muang theung et muang loum, qui veut dire “ cité du haut ” et “ cité du bas ”. La “ cité
du haut ”, qui désigne dans le mythe “ la cité céleste du Thaèn F’a ”, aurait été la région du SudOuest
de la Chine dans le Yunan. La “ cité du bas ” aurait été la région du Sip song Chou Tai dans
le Nord du Vietnam. Les deux sites étaient désignés de muang thaèn ou muang theung,
respectivement muang thaèn ancien et muang thaèn nouveau. D’après ce mythe le muang est à
comprendre comme une société dans toute sa plénitude et sa finitude, il exprime le mythe des
origines et de la fondation de la société lao, avec une certaine ethnocentricité. Le muang ne définit
pas vraiment un espace, mais plutôt une organisation sociale et politique.
Comment serait organisé le muang ? Le mythe évoque le Thaèn F’a qui, depuis Muang
Thaèn –cité céleste, aurait été le fondateur du muang. Il aurait envoyé ses fils dans le muang loum –
cité terrestre, et leur aurait ordonné d’y vivre et d’y prospérer. Il leur recommande de gouverner
avec art et justice, de respecter l’esprit sacré du Thaèn F’a auquel ils doivent demander protection et
auquel ils doivent vouer des cultes pour leur prospérité, et desquels ils tireraient leur légitimité, leur
pouvoir et leur droit sur le muang. Si aucune perception spatiale n’est possible, à travers ce mythe
l’organisation sociale paraît structurée autour du culte des ancêtres fondateurs qui légitime le groupe
des dirigeants du muang mais aussi ses habitants. Une connotation divinatoire s’associe clairement
au pouvoir mais aussi aux habitants du muang. En fait tous les habitants du muang seraient aussi
descendants des thaèn f’a. A cette idée on perçoit une société non stratifiée, mono ethnique et
socialement homogène, une société plutôt libre que soumise ou dominée, plutôt consentante
qu’obligée. Le muang pourrait donc être défini comme une organisation sociale et politique
spécifique aux Tai Lao. En se définissant comme “ habitant du muang ”, il est probable en ce sens
que le terme tai muang est l’origine de la désignation de l’ethnie tai.
Vieng
Le terme vieng [;P’] renvoie à la morphologie des villes. La majorité des vieng comportent
des remparts, des fortifications, des palissades en terre (khou, 76), des douves (khong, 7v’ et kheü, 7n)
de formes généralement plus arrondies et plus irrégulières que géométriques. Il en était ainsi pour
Vieng Phu Kha, Vientiane et Vieng Kham, villes fortifiées repérées dès le XIIIe siècle, dans les
inscriptions de Rama Khamhèng et dans le Phongsavadan lao. Si le terme vieng désigne bien cette
forme de ville aux enceintes irrégulières, il est pourtant difficile d’établir des règles qui puissent
formaliser la morphologie de ces villes. Retenons cependant que vieng affirme l’existence
d’enceinte et connote sa forme non géométrale.
Il est généralement considéré que la majorité des villes et des vestiges d’anciennes villes
aux formes circulaires ou irrégulières sont susceptibles d’être des productions lao, par opposition
aux cités khmères les plus représentatives avec des formes géométriques. Pourtant un certain
nombre de vestiges à la morphologie irrégulière ont aussi été attestés comme des productions mônes
ou khmères pré-angkoriennes dans la région du Laos et hors du Laos. Par ailleurs de nombreux
vestiges urbains découverts dans le pays limitrophe (notamment au Nord et au Nord-est de la
Birmanie) avec des formes circulaires sont attestés être des productions Pyu de la Haute Birmanie.
Des vestiges semblables ont également été repérés dans le Nord du Laos (à Luang Nam Tha, à Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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oudomxay notamment) et à Vieng Kham. Ces vestiges ne semblent pas être lao, du moins rien ne
peut prouver pour le moment que les Lao en sont les constructeurs. Des recherches et des fouilles
archéologiques portant sur cette forme (Kheü, 7n) étant absent du programme de fouille laotien. Tout
au plus des notes de signalement ont été faites par les responsables culturels locaux, telles les notes
effectuées sur le site de fortification de Vieng Phu Kha et sur les douves - déblais de Vieng Kham.
Quoi qu’il en soit les vieng ne peuvent être exclusivement lao. Si le terme pour les désigner
semble l’être, cela aurait probablement signifié que les Lao possédaient une donnée lexicale et
conceptuelle de la morphologie spatiale de ce type. Ce qui peut sous-entendre qu’ils pouvaient
construire aussi des établissements aux formes irrégulières semblables. Le concept morphologique
des vieng aurait en tous les cas été lié à la manière de prise de site des villes par les Lao. Lorsque
nous observons le tracé plutôt arrondi des anciens remparts de Vientiane et de Luang Prabang, qui
viennent s’appuyer sur le fleuve l’employant comme un des remparts de protection naturelle, il est
évident que la situation du site joue un rôle important dans la forme des remparts. On peut
probablement dire que le fleuve et la fortification en forme de palanque, de palissade, de levée de
terre et de douve, pourraient être les facteurs conceptuels et les lexiques morphologiques des vieng.
Xieng et le cas de ville tai lü de Muang Sing
Le terme xieng [-P’], renvoie moins à la morphologie spatiale qu’à son organisation
interne. En comparant les xieng (Chiangmai, Xieng Khouang, Xieng Dong Xieng Thong) leurs
formes sont trop variables pour être prises comme critères d’identification. Sur quoi les critères du
xieng seraient-ils alors fondés ? Notre analyse morphologique de chaque xieng montre que les
contextes et les situations se différencient d’un xieng à l’autre, leur forme en ce cas ne peut être un
critère d’analyse. Seul le xieng dans la tradition lü pourrait nous offrir des données spécifiques.
D’après la tradition lü vue à Muang Sing, un xieng est une des quatre divisions de la cité, il
désigne précisément une unité spatiale qui compose la cité et non la cité elle-même. Par
extrapolation le mot xieng finirait par désigner la ville. Muang Sing est une enceinte carrée en terre
mesurant environ 1000 mètres de côté. Deux voies primaires médianes la séparent en quatre parties
appelées xieng [-P’] : Xieng Gneun, Xieng Lé, Xieng Chai, Xieng In, et donnent sur quatre
directions, Sud-Est, Sud-Ouest, Nord-Ouest et Nord-Est. Quatre voies secondaires séparent la
citadelle en seize groupes d’îlots de quatre, les voies tertiaires séparent la ville en soixante-quatre
îlots appelés Ta ou Tassèng [8kF 8kcl’]. Un xieng est donc composé de seize îlots mesurant 50 m x
50 m, disposés en damier. Chaque îlot est composé de quatre parcelles de 25 m x 25 m de côté.
L’intérieur du xieng est donc desservi par quatre voies tertiaires et deux voies secondaires qui se
croisent. Deux des quatre côtés du xieng s’appuient sur le rempart de la ville et possèdent deux
portes de sortie directe. La cité est alors “ un vieng aux quatre xieng ” et chaque xieng est placé
sous l’autorité d’un Phraya xieng [ritpk-P’], sorte de chef de village mais portant curieusement le
titre de Phraya [ritpk]. Le tassèng [8kcl’] –chef lieu– ou “ l’îlot principal ”, est localisé à Xieng
Chai (xieng du cœur). Les quatre xieng intra-muros sont attachés à ce tassèng. Mise à part le
Tassèng Xieng Chaï intra-muros il y a trois tassèng extra-muros ou trois zones extérieures : Tassèng
Nakham (rizière), Tassèng Nam Kéoluang (eau), Tassèng Thongmai (champ, paturage).
A partir des traditions de Muang Sing, deux hypothèses pourraient apporter une explication aux
origines du xieng [-P’] qui désigne communément la ville pour les Lao Tai et les autres Tai
septentrionaux. Première hypothèse : une unité spatiale donne son nom à une fonction
administrative et à un degré d’étude monastique, dans la mesure ou celui qui en acquiert est destiné
à l’administrer. Donc, est appelé Phraya xieng celui qui est nommé pour administrer le xieng.
Seconde hypothèse : un degré d’étude donne son nom à une unité spatiale. Le Phraya avant d’être
nommé chef de cette unité spatiale aurait acquis un titre en sortant des premières années d’étude
monastique en tant que novice. Ce titre est effectivement xieng, et ce serait par ce titre que le petit
territoire urbain et social de la ville acquis ce préfixe, endossant le titre de celui qui était en charge
de l’administrer. En outre il existe encore fréquemment des villes dont le nom commence par xieng. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Mais jusqu’à présent le rapprochement entre xieng –la ville, et xieng –le titre du noviciat n’a jamais
été fait.
Du point de vu historique cela a un intérêt particulier : si l’unité spatiale xieng donne son
nom à une fonction administrative cela peut signifier que la création et l’organisation du xieng serait
antérieure à l’organisation du système éducatif bouddhique, en grande partie restructuré autour du
règne de Vixun et de Phothisarath, fin XVe et début XVIe siècle.
462
La structure et le concept du xieng ne sont donc pas nés au XIXe siècle avec la fondation
de Muang Sing, sachant que l’ancienne ville étant à Xieng Khaèng (Jyn Khaèng) qui date du XVe
siècle.463 Muang Sing aurait été un établissement qui s’est référé à un modèle ou du moins à une
tradition urbaine déjà ancienne. La conception du xieng chez les Lao Lü à Muang Sing serait-elle le
modèle primitif des xieng des villes lao en général, dans la mesure où les xieng des Lü sont les seuls
à se définir spatialement et aussi précisément. Avec cet exemple ce serait donc à la culture Lü du
Sip Song Phan Na que nous devons nous rapprocher pour comprendre l’essence de ce qu’est un
xieng et ce qu’est la ville chez les Lao. Par défaut de ne pouvoir mener une étude plus poussée dans
les villes du Sip Song Phan Na, nous prenons alors les établissements lü du Laos comme référence.
Reste cependant à savoir si les xieng ont à l’origine une morphologie carrée, ou du moins
géométrique, et une organisation administrative aussi clairement délimitée que Muang Sing.
L’exemple des quartiers et villages portant le nom xieng dans d’autres villes nous montre que ce
n’est pas le cas. Luang Prabang ou Xieng Dong Xieng Thong n’a pas une morphologie géométrique
mais organique, semblable à la première enceinte de Vientiane. Et même si certains villages qui la
composent aujourd’hui se nomment xieng, ce sont des villages (ban) gérés par des chefs de village.
De ce fait, nous aurions pu rapprocher le xieng au ban, considérant qu’il s’agit du même espace et la
différence ne relèverait que du vocabulaire. Or le terme xieng est spécifiquement attribué à une
unité spatiale et semble à l’origine réservé à la ville ou à une situation citadine. Bien que le ban
constitue aussi une unité spatiale, il semble plutôt désigner son aspect social et administratif qui le
compose. Par ailleurs, le ban peut être isolé à l’extérieur de la ville, comme une unité autonome, en
particulier lorsqu’il se situe en pleine compagne hors des murs de la cité, possédant une certaine
centralité, un noyau, un sens local plus affirmé du moins socialement, comme nous avons noté
précédemment dans la définition du ban. Au contraire, un xieng en tant qu’unité spatiale (avant son
extrapolation territoriale pour désigner la ville, telle que Xieng Khouang) ne peut être isolé mais
faisant partie du périmètre de la ville. Un xieng serait donc une unité qui n’existe que dans une
maille urbaine et qui n’aurait pas d’autonomie locale du point de vue administratif puisque le
Phraya xieng –sous l’autorité duquel le xieng est placé– est installé physiquement à proximité
immédiate de l’autorité centrale du royaume. Effectivement les princes lü du royaume de Xieng
Khaèng résident au centre de Muang Sing. Ce centre est entouré par une palissade de forme carrée
englobant une partie des quatre xieng. Aujourd’hui de nombreux ban dont le nom porte le préfixe
xieng et existant en dehors des villes, auraient vraisemblablement été autrefois organisés en xieng,
c’est-à-dire faisant partie intégrant d’ancienne organisation du muang.
Le xieng représente donc un autre espace, il ne fait pas partie de l’échelle hiérarchique, ni
en dessous ou ni au-dessus du ban. C’est une unité de mesure spatiale spécifique à caractère urbain.
462 D’importantes réformes de l’organisation religieuse ont été mises en œuvre durant les deux règnes, notamment
concernant les différents degrés d’étude monastique tels que xieng, thit, tchane et maha [-P’F myfF 9koF ,tsk]. Le terme
xieng apparait déjà dans le Nithan Khun Bourom, évoquant la fondation du Lane Xang par F’a-Ngoum au milieu du XIVe
siècle, en même temps qu’apparaît le système d’hiérarchisation des muang. Par exemple parmi les six muang qui ont été
statués comme des Kheuane Muang [g7nJvog,nv’] du Lane Xang (Kheuane muang signifie “ ville barrage, ville forte ”), l’un
se nomme Vieng Xieng Sa. Les xieng dateraient donc, au moins du milieu du XIVe siècle, et vraissembablement bien
avant.
463 La datation de Xieng Khaèng est située au XVe siècle d’après la Chronique de Muang Xieng Kaèng analysée par
Lafont. Cependant, dans le Phongsavadan annoté par S. Viravong Xieng Khaèng aurait déjà été mentionné durant la
campagne de F’a-Ngoum vers 1354 comme l’un des muang du Lan Na dont le roi, Phra Chao Sam Pagna aurait résidé à
Xieng Saèn.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Par ailleurs, ce qui nous empêche d’assimiler le xieng au ban c’est qu’il existe en Lü le terme dao
[fk;]
464 pour désigner le ban. Actuellement, étant donner que Phraya xieng et le système féodal lü
n’existent plus, un xieng est administré comme un ban avec un chef de village. C’est pourquoi un
xieng est parfois désigné par le terme dao, comme par exemple Dao Xieng In désignant Xieng In,
l’un des quatre xieng de Maung Sing. Le sens origine du xieng se retrouve ici altéré. Cette altération
fausse la compréhension de l’espace d’origine du xieng. C’est une déformation spatiale corollaire à
la disparition de la structure administrative et socio-politique traditionnelle lü, intervenue surtout
après la deuxième guerre mondiale et traduite probablement par l’isolement de la région du haut
Mékong par rapport au reste du pays.465 Par ailleurs, signalons que les villes portant le préfixe xieng
n’existent que dans le Nord, au de-là de Vientiane. Nous pouvons donc considérer que le xieng est
une tradition du Nord, et si elle se confirme être la base conceptuelle et le modèle des
établissements urbains lao, elle le sera uniquement pour les villes du Nord, l’analyse de celles du
Sud au regard du concept xieng doit être faite avec prudence.
La morphologie de l’enceinte de Muang Sing est issue d’une pensée organisationnelle,
d’un concept spatial et d’un schéma symbolique structuré, voire d’une planification. Dans sa
globalité elle fait partie des villes lü aux plans quadrillés qui existent dans le haut Mékong et dans le
Sip Song Phan Na (en Chine et au Myanmar) duquel Muang Sing s’est scindé. Il serait intéressant
de comprendre les liens culturels et politiques entre ces villes. Pour Muang Sing, sa particularité, ce
sont ses mesures et son échelle métrique. Son unité spatiale organisée en xieng met en évidence la
concomitance entre le système de gestion et le système spatial (comme nous l’avons souligné
précédemment à travers l’étymologie du terme xieng). S’il existe ailleurs de nombreuses villes au
plan carré ou quadrillé qui ne sont pas lü, telles que Chiangmai, Khorat et Sukhothai, aucune d’entre
elles ne donne une standardisation parcellaire aussi parfaite que Muang Sing. La parcellisation, 25 x
25 mètres la parcelle et les 50 x 50 mètres l’îlot, aurait été établie dès le départ de la fondation de la
ville. Les habitants viennent occuper ensuite les parcelles pré-délimitées. En d’autre terme, le plan
de Muang Sing aurait été dessiné, puisqu’à la fin du XIXe siècle les Siamois l’auraient retrouvé et
l’auraient utilisé pour le relevé du plan de la ville.466
Muang Sing possède un lak muang [s]adg,nv’], borne de fondation. La fête religieuse
bouddhiste annuelle qui lui est consacrée a été interdite après la libération de Muang Sing en
1962.467 La fondation des lak muang est composée de cinq bornes en pierre disposées comme un jeu
de dé, c’est-à-dire en carré avec la cinquième borne au milieu. Les bornes sont enterrées, restant
visibles une quarantaine de centimètres. Chaque borne est doublée par une tige de bois qui se
rejoignent pour former une pyramide avec la tige du milieu plus longue que les autres. Cela
reconstitue en quelque sorte la forme d’un stupa. Ensuite, l’ensemble des bornes est entouré par une
petite palissade faisant office de clôture. Sous chaque borne est enterré un sutra bouddhique.
N’ayant pas accès à ces éléments, nous ne connaissons ni la nature, ni l’écriture des supports. Les
464 Le terme dao [fk;] signifie “ étoile ”. Il est improbable que dao qui désigne aussi ban chez les Lü ait pu avoir un
rapport avec les étoiles. A moins de considérer que les “ tâches d’huile ” représentées par les établissements tai soient
comparées aux constellations. Par contre si nous gardons l’accent lü du terme dao, nous aurons dāo [fkh;] pour l’accent tai
de Vientiane, terme utilisé en association avec le terme daèn [cfo] qui signifie “ limite ” ou “ aire ”. Daèn-dāo [cfofkh;]
désigne un territoire de manière imprécise et abstraite. Si tel est le cas, daèn-dāo [cfofkh;] que nous désignons
généralement un territoire de manière imprécise trouverait ici son étymologie. A l’origine dao aurait désigné alors ban
avant de prendre un autre sens désignant un territoire vague et sans limite.
465 Cet isolement est apparu après que le conflit colonial se soit terminé. Après cela il y aura la période des seigneurs de la
drogue du triangle d’or pendant la guerre froide. La libération de la région Nord Laos au début des années 1960 par les
forces communistes isole encore davantage la région par rapport au reste du Laos. Une fois tout le Laos devenu
communiste, la région Nord continue à être isolée car difficile d’accès. Le gouvernement actuel espère réaliser son
désenclavement avec l’établissement des réseaux économiques transversaux dans le cadre de la RGM. 466 Le cadastre moderne de Muang Sing n’a été établi que vers les années 1990 et la valeur de ses transactions foncières,
un fait apparemment récent, n’existe réellement qu’avec l’établissement de ce cadastre.
467 La libération de 1962 par le Néolao Issara de la Province de Houa Khong (ou le Haut Mékong) a séparé la province en
deux. Muang Sing et Muang Luang Namtha devenaient alors le bastion de la zone libérée du Nord. Autour des années
1990, l’avant actuel Chao Muang, souhaitait rétablir la cérémonie du Lak muang réclamée par la population. Allant à
l’encontre du “principe scientifique révolutionnaire” elle n’a pas pu être rétablie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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habitants interrogés sont incertains et suggèrent plusieurs possibilités : tissu, feuille de latanier,
plaque de bois, d’or ou d’argent. L’écriture aurait été en Tham Lü.468 Ces bornes sont instituées par
des rituels religieux, notamment bénies par les moines bouddhistes. Rappelons que le chiffre cinq
correspond aux cinq préceptes bouddhiques et nous le retrouvons également dans la symbolique du
Pancasila.
469 Muang Sing possède également un lak muang [s]adg,nv’] pieu de la ville, et un phi
muang [zug,nv’] sorte d’esprit ou génie protecteur du muang. Alors que la cérémonie consacrée au
Lak muang a été interdite à partir de 1962, le culte du Phi muang a toujours été maintenu. Son autel
se trouve à l’extérieur de la ville, à Ban Xieng Moun, la fête qui lui est consacrée annuellement a
lieu au mois de janvier et les habitants lui sacrifient un buffle ou un cochon. Durant cette fête qui
dure de trois à sept jours, il est interdit d’entrer et de sortir du ban ou du muang.
Du point de vue formel Muang Sing peut être considéré comme un cas unique au Laos,
même si nous repérons des formes de rempart géométriques semblables dans d’autres villes, tel le
rempart rectangulaire en terre à Vientiane qui était encore visible dans les photographies aériennes
des années 1950. Dans la majorité des cas, l’absence de données archéologiques les concernant ne
permet pas de comprendre leur fonctionnement interne. Muang Sing est donc à ce jour représentatif
à lui seul de ville carré dans le territoire lao et peut être rattaché aux modèles de villes lü courants et
nombreux à l’extérieur du Laos. Mais par son jeune âge, il ne peut se placer comme véritable
modèle par rapport aux autres villes de forme géométrique qui sont historiquement plus anciennes.
Par contre, Muang Sing est vraisemblablement une reproduction d’un modèle et d’un concept
ancien qui trouve sa place dans une configuration spatiale plus large, identifié dans le royaume de
Xieng Khaèng au début de sa fondation. Ce modèle pourrait remonter lui-même à deux sources : à
Xieng Hung du Sip Song Phan Na auquel Xieng Khaèng s’était émancipé (donc probablement aux
villes chinoises), puis aux villes Shan de Birmanie son suzerain de près de quatre siècles et auxquels
il aurait emprunté les structures politiques et l’organisation dynastique. C’est alors sous cet angle
que sa fondation doit être examinée si l’opportunité se présentait. Par ailleurs les autres villes du
Nord non lü, dont le plan est géométrique (Chiangmai notamment) et avec lesquelles Muang Sing
aurait peut-être certains liens, doivent également attirer notre attention bien que leur maillage
interne ne donnent pas une lisibilité aussi claire que celui de Muang Sing. D’après la Chronique de
Xieng Khaèng, l’histoire politique de Xieng Khaèng était liée à l’Etat Shan, au Lan Na, et aux Sip
Song Phan Na, jusqu’à la main mise du Siam sur le haut Mékong dès le début du XIXe siècle et
jusqu’à l’annexion définitive du Lan Na par ce dernier.
Luang
Le terme luang [s];’] signifiant “ grand ” ou “public” est vraisemblablement d’origine lao.
Placé devant le nom de ville, il donne à cette dernière son statut de capitale ou du moins, la place
hiérarchique qu’elle occupe par rapport aux autres villes. Cette attribution semble tenir non pas tant
à la taille de la ville, mais davantage à son statut administratif, probablement à l’installation d’une
autorité importante ou relevant directement d’une autorité royale. Après Xieng Dong Xieng Thong,
la ville royale acquérait ainsi le nom de Luang Prabang, demeurant à l’époque la capitale munie de
la statuette sacrée du Bouddha. Quant à Luang Nam Tha, fondé en 1630 sous le nom Luang Houa
Tha, en pleine période birmane, la ville semble avoir été à cette époque une capitale régionale sous
domination birmane. Quant à Vieng Phu Kha fondée bien avant la période de pacification de F’aNgoum
et appelée autrefois Luang Phu Kha, l’histoire semble attester son importance en tant que
grande ville ou capitale des populations de parler môn-khmer.
468 Le Tham est une écriture ancienne qui aurait des racines venant du Nord-Est de l’Inde, employé pour les textes
religieux gnouan, lao et lü. Mais de L. Finot à M. Lorrillard, en passant par le linguiste M. Ferlu, l’origine ce cette écriture
ne peut être attestée de manière certaine. M. Lorrillard « Ecritures et histoire : le cas du Laos », Aséanie 22, décembre
2008.
469 Panca (Sk) désigne le chiffre cinq et sila, la pierre. A That Luang, au lieu de constitués de cinq sila, les cinq préceptes
se réunissent dans une seule borne appelée la borne du Pancasila. Nous y voyons représentées les cinq fleures gravées en
forme de Thammachark, la roue de la loi.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les deux exemples auraient été des grandes villes ou capitales non tai les plus importantes
du Nord au de-là de Luang Prabang. Dans tous les exemples le terme luang semble affirmer la
notion de capitale. Avant de devenir un adjectif signifiant simplement “ grand ” et couramment
utilisé par tout dans le pays, le mot luang appliqué au statut des villes semble être de culture
nordique : on ne trouve pas dans le Sud l’utilisation de ce terme.
L’ambiguïté des termes
Khoum [75h,] (quartier)
Khoum désigne littéralement le “ quartier ”. L’espace qui le forme est moins précis que le
ban [[kho]. Ce dernier désigne le village qui est précisément délimité par le nombre des maisons et
géré par une forme d’organisation locale très ancienne. Physiquement un khoum est plus petit qu’un
ban mais il ne peut être identifié par le même système de hiérarchisation spatiale que celui du ban,
dans la mesure où un khoum peut comprendre une ou des parties de plusieurs villages. En fait les
critères d’identification du khoum sont différents de celles du ban. Un khoum est un lieu ou un
ensemble de lieux qui s’harmonise et s’organise autour d’une ou de plusieurs caractéristiques
communes. Ces caractéristiques peuvent se baser sur une composition ethnique, lorsqu’un ensemble
de lieux est habité par une population à dominance ethnique homogène : khoum chinois, khoum
vietnamien (pour quartier chinois, quartier vietnamien). Elles peuvent aussi se baser sur l’aspect des
éléments bâtis dominant, sur une caractéristique géographique, sur la prédominance d’un
monument, d’un monastère, d’un équipement : khoum hong théo (quartier des compartiments),
khoum khèm kong (quartier de berge), khoum That Luang (quartier de That Luang), khoum Vat
Chanh (quartier de Vat Chanh), Khoum talat lèng (quartier du marché du soir), etc. Le khoum
représente donc la spatialisation d’un ensemble d’idées, de perception, d’usage et de mode de
fonctionnement, de caractéristiques.
Indépendamment et antérieurement à la définition précédente, ou complètement corollaire à
elle, le khoum désigne spécifiquement le quartier princier, la deuxième couronne spatiale de la
maison royale. Vang [;a’] étant le palais royal lui-même, khoum utilisé seul sans le nom propre
désigne alors tout le quartier qui l’entoure, habité par les membres de l’aristocratie. Ainsi, habiter
dans le khoum, c’est habiter dans le quartier des princes. Cependant, si les princes se regroupent
pour vivre par exemple dans un quelconque quartier de Vientiane, le quartier ne pourra pas pour
autant être désigné comme khoum. Ce qui voudrait dire que pour qu’un lieu puisse être désigné
comme khoum, il doit être aussi lié au pouvoir royal et probablement à l’acte officiel d’installation
de la résidence royale.
Aujourd’hui à Champassak le khoum existe toujours dans le vocabulaire local. Il désigne
alors les quelques ruelles et maisons qui ont été habitées par les princes de Champassack. Il est de
même à Luang Prabang, alors qu’à Vientiane cette notion a depuis longtemps disparu. Le khoum
n’existe donc que dans les deux villes, sans doute parce qu’elles étaient la résidence respective des
derniers pouvoirs traditionnels jusqu’à récemment : Luang Prabang a été la résidence royale jusqu’à
1975, et Champassack, celle de la maison princière jusqu’à 1975. En outre, quelques princes très
âgés y résidaient encore jusqu’à leur décès début des années 2000.
Il est très probable que le deuxième sens du khoum est l’origine du premier. En ce cas, il
aurait d’abord désigné l’espace occupé par le groupe des détenteurs du pouvoir politique ancien
avant de recouvrir généralement le sens de quartier. L’espace physique qui forme un khoum, dans
les deux sens du mot, n’est pas délimité et n’avait aucune structure administrative. Un khoum n’est
donc pas un terme à utiliser dans la hiérarchisation administrative, mais dans la classification
historique de l’espace, apparu avec la distinction sociale et la distinction du pouvoir spatialisée. En
ce cas, la notion de quartier du khoum en tant qu’espace serait née postérieurement au khoum en tant
que lieu d’habitation des membres du pouvoir royal et princier. Le khoum-quartier serait donc un
dérivé, une corruption du khoum.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Que ce soit la notion de khoum en tant que quartier, ou la notion de khoum en tant que lieu
de résidence royale et princière, le khoum n’aurait pas existé en milieu rural. Il n’existerait que dans
la cité, dans la ville, quelle que soit l’importance de cette dernière. Le côté citadin et urbain du
khoum semble ici évident et lié au pouvoir primitif. En ce cas, la citadinité ou l’urbanité ne seraitelle
pas née du khoum, du mode de résider du pouvoir ? Et si vivre dans le khoum implique un code
comportemental et verbal comme le veut l’usage, la citadinité étant dérivée du khoum, cela aurait
signifié que vivre en ville implique un code similaire, de la part du citadin. C’est peut-être à ce
niveau aussi que le rural se distingue traditionnellement de l’urbain. Car contrairement à la
perception urbanistique européenne qui affirme souvent, à travers les différents paramètres, que
l’urbain et le rural au Laos sont difficiles à distinguer, pourtant le commun des Lao, usager de
l’espace, représente clairement dans sa tête et dans les mots qu’il utilise ce qu’est la ville et ce
qu’est la campagne. Cette aisance de perception spatiale et de la sémantique ne proviendrait-elle pas
justement du sens primitif du khoum que l’on concevait comme essence de la ville, de la citadinité
et de l’urbain.
Phong [zQ’]
D’après K. Vongkotrattana, phong aurait désigné “ village ou établissement reculé, situé
dans la montagne, dans la forêt. ” Ceci ne concernerait alors que les villes du Nord, notamment la
région de Phongsali, car aucune ville du Sud n’a été désignée ainsi selon ce principe typologique.
Le terme n’aurait été utilisé que dans le cas où les populations du village et de l’occupation en
question étaient majoritairement non tai. Et Phongsali était majoritairement peuplé de Phu Noy et de
Hô. Cela aurait signifié deux choses importantes : premièrement, cela conforte l’idée que le ban
avait comme une des principes l’homogénéité ethnique et aurait rejeté à l’origine la mixité.
Deuxièmement, cela avance l’idée que tout en rejetant la mixité ethnique à l’intérieur du ban lao, on
aurait accepté l’existence d’un autre village non tai et peuplé d’autres ethnies indépendamment du
ban. Ce village aurait donc été désigné notamment comme un phong, avec donc une désignation
différenciée.
Tassèng
D’après la conception de la cité tai lü, tassèng a une autre signification que l’équivalence du
canton, qui est une administration locale intermédiaire, entre le ban et le muang. Tassèng, d’après
notre informateur, le po thao Sèng Chaï, désigne un des quatre îlots à l’intérieur d’un xieng. Celui-ci
mesure 50 m x 50 m et contenant quatre parcelles. Ta désigne dans un vocabulaire courant “ œil ”
ou “ maillage ”, et sèng désigne “ lumière ”. D’après les deux sens du mot composite, tassèng aurait
une connotation nettement descriptive et correspondrait approximativement à “ un vide en
maillage ”. “ îlot quadrillé ”.
Ban - muang
Ban - muang [[khoD g,nv’] désigne le pays. Du fait que les Lao conçoivent le pays par le mot
muang ou ban-muang, ils appliquent aussi cette expression pour désigner le pays étranger.
Notamment lorsque F’a-Ngoum utilise l’expression ban-muang dans les recommandations faites à
ses chao khun, il désigne effectivement les royaumes voisins : « Gardez vos ban et vos muang de
telles sortes que vous puissiez voir clair les intentions des ban-muang étrangers qui vous
entourent ». Cette expression qui est encore d’actualité explicite un concept particulier chez les Lao.
Non seulement ban-muang signifie le pays, mais il est clair surtout que le concept du pays et du
royaume est formé hiérarchiquement des ban et des muang. On remarque aussi que dans cet
adjectif, du ban on passe au muang omettant le tassèng. Ce qui pourrait signifier que le tassèng est
un maillage administratif intermédiaire et secondaire qui viendrait après l’organisation beaucoup
plus ancienne du ban et du muang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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II. II. a. 3. La conception de la gouvernance des muang dans Syaosavat le Maha Bandit
Syaosavat, une personnalité à la fois ambigüe et mythique, est le personnage central d’un
roman philosophique qui porte le même nom et qui a été écrit entre le XVIe et le XVIIe siècle. Sa
personnalité a une connotation religieuse par sa qualité morale, et historique par le réalisme de ses
propos. Il est devenu un sage et conseiller du roi après avoir voyagé et parcouru le monde. Il aurait
été l’image des rares hommes savants du XVIe et XVIIe siècle de l’âge du commerce et de la
découverte du monde. En dénonçant la médiocrité et l’hypocrisie de la cour, il se place en dehors de
la société et du pouvoir ; en participant à la gouvernance par les conseils donnés au roi, il fait partie
du pouvoir et semble joué un rôle important dans la constitution idéologique du muang et dans la
morale politique adoptée par le pouvoir, du moins, il exprime l’idéal politique que l’intelligentsia de
l’époque aurait apprécié.
Parmi les nombreux thèmes et maximes moraux traités dans le Syasavat,
470 il y a la
conception du muang dont l’organisation se réfère clairement aux principes moraux bouddhiques.
La conception du muang est développée sur dix points principaux, paraboliquement représentés par
les systèmes constructifs et l’anatomie. Le muang doit être composé de :
1. Le khreuane muang [g7Jnvog,nv’], le barrage ou la digue du muang. Cet ouvrage aurait symbolisé
les trois joyaux qui protègent la communauté vivant dans le muang. Ce sont le Bouddha, le dhamma
et le sangha. Pour Syaosavath, le muang doit être régi par la religion du Bouddha. La population
doit observer les principes moraux du dhamma pour assurer une société saine, d’ordre et de paix.
Sans ces trois joyaux, le muang ne saurait être, et la société retournerait à l’état de la barbarie. Dans
la mesure où celui qui compose le Syaosavat aurait été un des lettrés de la cour, ce fait doit refléter
la place que prend le bouddhisme dans le milieu intellectuel du XVIe et XVIIe siècle. Le Syaosavat
montre ici que le bouddhisme a été clairement le principe moral et l’idéologie officielle du muang
de cette période.
2. Le ming muang [,yJ’g,nv’], l’esprit du muang. Ce sont les devata, les génies tutélaires, les esprits
protecteurs du muang. Il semble que cet esprit du muang rappelle une croyance antérieure au
bouddhisme. Il s’agirait du culte des esprits et du culte des ancêtres fondateurs. Tout en plaçant le
bouddhisme comme culte dominant dans le muang et dans le royaume entier, les Lao semblent ici
conserver leur idéologie et leur culte primitif. Ils continuaient en fait à vénérer le culte des phi thaèn
ou du thaèn f’a, assurant en quelque sorte la santé psychologique de la société, profondément
imprégnée par ses croyances primitives. Car si le bouddhisme jouait un rôle plus important dans la
régulation de la société en imposant officiellement ses règles de conduite, le culte phi f’a doit
aménager un espace de liberté individuelle plus grande.471
3. Le caïèn muang [cdog,nv’], le noyau du muang. Ce serait des astrologues qui pouvaient prédire
l’avenir du muang. Nous devons probablement comprendre que ce groupe était constitué d’hommes
de science et de stratagèmes politiques. Par leur connaissance, ils auraient apporté des conseils aux
monarques et aux autres gouvernants dans la direction de l’État. Apparemment les décisions royales
étaient inévitablement et nécessairement sous l’influence de ces derniers.
470 D’après les annotations du Syaosavat de Houmphanh Rattanavong, in : Séna mark khika, Ministère de la Culture et de
l’Information, 1999.
471 Interdit en 1975, le culte phi f’a est peu à peu toléré. Depuis près de cinq ans il y a une vivification de ce culte. Des
interviews menés auprès des membres du phi f’a montre que l’adhésion ne se fait pas seulement par lien familial mais
n’importe qui peut s’initier avec un maître. Plusieurs cas montrent que suite à une maladie –souvent liée aux problèmes
psychiques– les personnes ont été soignées par la communauté phi f’a. Les personnes décident alors d’entrer dans la
communauté. Les membres auraient le don de communiquer avec les esprits. Plusieurs fois par an et en février, les
membres se rencontrent pour des rituels organisées chez les membres de la communauté, ils s’invitent à tour de rôle.
Grossièrement le rituel consiste à danser des danses de sabre avec de la musique lancinant autour d’une sorte de totem de
fleures et de fruits avec cierge et bougies. Durant le rituel les danseurs sont habités par des esprits divers qui viennent faire
la fête qui leur est dédiée. C’est pourquoi ils changent plusieurs costumes symbolisant différents esprits. Le rituel dansé
qui dure une journée entière et qui peut être regardé et applaudie par des publics extérieurs, exprime la libération et la joie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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4. Le chaï muang [.9g,nv’], le cœur du muang. Ce serait l’épouse du monarque. La personnalité
féminine semble tout à fait étonnante dans ce contexte. Quel rôle pourrait jouer une femme dans la
constitution du muang ou au sein du pouvoir qui semble culturellement tout à fait masculin ? Nous
pensons qu’il existe deux conceptions probables de la féminité dans de tel contexte. D’abord le
féminin pourrait incarner le sentiment maternel, celle qui aurait réuni le peuple dans le sentiment de
sécurité, de bien être, de solidarité et d’appartenance au muang, comme le serait le rôle de la mère
dans une famille lao de souche. Ensuite, le féminin pourrait être la mémoire de ce qu’assumait
historiquement la femme auprès du monarque. Le mode matrimonial, c’est-à-dire le rôle du
mariage, dans la classe dirigeante traditionnelle était très lié à l’alliance politique et à la
consolidation du pouvoir des États de la région. Le renforcement du pouvoir et la paix réciproque
entre les muang chez les tai auraient souvent été réalisés à travers les liens de mariage qui
équivalaient les liens politiques. La pérennité des royaumes serait redevable ainsi à ce système
matrimonial et à la personnalité féminine qui suppléait le pouvoir. La qualité et le choix de l’épouse
royale constituaient donc une des conditions du muang, une affaire politique. Du moins, l’histoire a
démontré à plusieurs reprises ce fait, notamment avec les cas de Kéo Kengna d’Angkor et de
Phratep Karasatri d’Ayuthia.472 Par ailleurs, nous pensons également que le mode matrilocal de la
société lao, à sa souche primitive –c’est-à-dire à la base du village et de la société paysanne, a joué
un rôle important dans la structure politique du muang : la personnalité féminine incarnerait la
pérennité de la lignée du terroir qui constituerait en ce sens le cœur du muang.
5. Le kaène muang [csohoF cdjo g,nv’], celui qui unifie, qui consolide le muang. Il désigne le
monarque qui règne avec justice, bravoure et intelligence, incarnant l’union et l’identité. C’est en
fait celui qui est capable de faire converger toutes les aspirations du peuple vers le centre du
pouvoir, c’est-à-dire vers ce qu’il est sensé de représenter.
6. Le ta muang [8kg,nv’], les yeux du muang. Ce sont les quatre portes du muang qui assume la paix
et la sécurité, l’ordre et la vigilance du muang. Nous pouvons probablement comprendre dans cette
fonction qu’il s’agit des forces de l’ordre intérieur, une sorte de police veillant à la sécurité civile.
La fonction est vraisemblablement liée réellement au rôle des quatre portes de la ville.
7. Le hou muang [s6g,nv’], l’oreille du muang désigne le tambour. Il s’agit probablement de
l’organisation qui gère l’utilisation du tambour, une sorte de système d’alerte et d’information. Il
serait en charge d’annoncer les bonnes et les mauvaises nouvelles du muang, très certainement les
événements quotidiens et les rassemblements populaires. Par exemple, les tambours des pagodes –
en particulier lorsqu’il s’agit des villages situés en dehors des cités– ne servaient pas seulement à
ponctuer le temps et les heures de prières ou des repas des moines, mais servaient aussi à rappeler
les réunions villageoises. Et lorsqu’il est frappé de manière particulière, c’est pour annoncer par
exemple qu’il y a des personnes perdues en forêt : d’une part, le brut était tel qu’il peut aider ceux
qui se perdent à retrouver le chemin du village, et d’autre part, pour que les volontaires se
rassemblent formant un groupe prêt à partir à leur recherche.
8. Le fa muang [/kg,nv’], le mur du muang. Ce sont les troupes armées qui protègent les territoires
des muang. Apparemment, le Lane Xang ancien posséderait deux types du corps armé : le thahan
luang et le thahan lat. Le thahan luang serait l’armée régulière du roi et le thahan lat serait les
troupes du peuple, levées occasionnellement.
9. Le khouane muang [0;aog,nv’], l’âme du muang. Les annotations de Houmphanh Rattanavong ne
sont pas claires en mentionnant l’étoile et le diamant. Néanmoins, il devrait probablement désigner
les objets sacrés, les objets de grande valeur, probablement le patrimoine et le savoir transmis par
472 Kéo Kengna, la princesse Angkorienne, est considérée comme un des piliers du pouvoir de F’a-Ngoum, en améliorant
l’art et la culture du royaume et en apportant le bouddhisme dans l’exercice du pouvoir. Après sa mort prématurée, F’aNgoum
aurait perdu ses repères. Puis, il y a l’histoire de Phrathep Krasatri de Ayuthia tenue en otage par les Birmans.
Mystifiée cette anecdote ne traduit pas moins une réalité politique : en tenant en otage la princesse Siamoise destinée à
être l’épouse de Sethathirat les Birmans ont simplement démonté le plan d’alliance politique entre Ayuthia et Lane Xang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 282 -
Fig. 55.
Monuments en
ruine de Muang
Khoun
les ancêtres, les symboles et les rituels qui portent garant la légitimité et la force du pouvoir.
Quoiqu’il arrive ces objets doivent être sauvés de la destruction et de leur appropriation par des
ennemis, il était alors de tradition de les cacher. C’est une des raisons probablement qui explique les
nombreuses découvertes aujourd’hui de caches anciennes de ce type.
10. Le khoune muang [76og,nv’], le porte-bonheur et la prospérité du muang. Nous pensons qu’il
désigne la richesse du pays (le cadre géographique, la grandeur et la diversité du territoire, la
richesse de la nature, du climat, des rivières et des sols, etc.) dans laquelle est implanté le muang, sa
prospérité et ses richesses. Ce fait nous met aussi devant un fait qui peut expliquer l’importance du
choix des sites d’implantations et d’occupations des muang.
Ces dix composants du muang devraient garantir sa plénitude, sa prospérité, sa pérennité,
du moins, les conditions essentielles et nécessaires pour en faire un muang, aussi bien en tant que
cité qu’en tant qu’État.
II. II. b. Les caractéristiques géographiques des site et le choix d’implantation
De manière générale le contexte géographique conditionne le choix de départ de toutes
implantations lao tai. De manière moins évidente, il peut être l’élément qui conditionne leur
morphologie. Dans certains cas, il joue le double rôle en provoquant une implantation et en
conditionnant sa forme. De nombreux exemples illustrent le conditionnement de la morphologie des
villes par le contexte géographique dans lequel celles-ci se sont inscrites : il est vrai pour Vientiane,
Luang Prabang, Muang Kao Keung et Muang Khoun. Même lorsqu’une fondation historique a déjà
disparu, le composant géographique dans lequel elle s’est inscrite continue à lui donner une certaine
lisibilité, de telle sorte qu’il permet d’avoir une vision de ce qu’avait pu être la structure de la ville
disparue, du moins les conditions de son existence. L’exemple de Muang Khoun est significatif de
ce point de vue. Ce site en tant que muang n’existerait plus sans sa colline. La population ayant été
déplacée à plusieurs reprises et la ville ayant connu la razzia au XIXe siècle473 et les bombardements
après 1960,474 il ne subsiste plus que le vide et les débris. Réoccupée de nouveau, elle n’est plus
aujourd’hui qu’un grand village, chef lieu d’un district, la capitale de la province ayant été déplacée
à Phonesavanh.475 Grâce à sa colline au sommet de laquelle il y a des ruines de stupas, elle est
reconnaissable comme ayant été une ville organisée autour de sa colline –son centre sacré– avec la
survivance de ses fonctions symboliques que lui attribuait son organisation ancienne. Autrefois
prospère, résidence des princes phouans et des familles marchandes caravanières, Muang Khoun
peut être comparé à Luang Prabang. C’est principalement dans cette lecture spatiale que s’implique
la particularité géographique et la prise de site.
Nous avons développé précédemment l’idée que, dans leur rapport au site, les
implantations lao peuvent être reconnues, a postériori, par étude comparative avec les implantations
khmères et mônes existant au Laos. Ici, c’est l’idée que les situations géographiques les plus
évidentes ont guidé la formation des occupations lao, qu’elles soient citadines ou rurales. Il s’agit
des cours d’eau (fleuves, rivières) associés aux contextes particuliers de montagnes (collines, points
culminants) et de plaines. Les contextes géographiques ainsi que leurs contraintes ne sont pas
473 Du point de vue démographique le désastre a été le déplacement de sa population vers le Siam au XIXe siècle. L’exode
des Phouans a été raconté dans Kap Muang Phouan, chronique versifiée qui situe les événements entre la fin du XVIIIe
siècle et la fin du XIXe siècle. In. Kap Muang Phouan dk[g,nv’r;o, Comité de recherche en Langue et Littérature lao,
Département des Lettres et des Littératures, UNL, Ed. Hong Phim Suksa, Vientiane, 2001 ; Histoire de Muang Phouan
xt;aflkfg,nv’r;o, Khammanh Vongkot Rattana, 1952 ; Annales de Vientiane à l’époque de chao Anou rNo;P’lt.s,g9Qkvko5,
Comité de Recherche en Langue et Littérature Lao, Département des Lettres et des Littératures, UNL, Ed. Hong Phim
Suksa, Vientiane, 2004.
474 En 1965 les bombes ont surtout touché le pourtour de la ville. Entre 1968 et1969 les bambardements se sont intensifiés
et ont atteint la ville elle-même, ils portent un nom opérationnel : Ban Lop ODL et ont duré 3 mois. Les Américains
répliquent avec Ban Lop Koukiat de 1969. Il y a principalement deux sortes de bombes utilisées à Xieng Khouang : le
Napalm, utilisé la nuit, et le Phosphore. 475 Ville nouvelle créée pendant la guerre froide dans les années 1960, pour servir de relais et de base militaire au
gouvernement de Vientiane. Elle devient après 1975 le chef lieu de la province.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 283 -
seulement un cadre physique ou un dispositif spatial passif, mais des composants conceptuels actifs,
formulant le contenu spatial des fondations.
II. II. b. 1. Les montagnes et les forêts et leur rôle économique. Le contrôle des minorités et des
ressources pour la pérennité et le développement des muang
Les montagnes et les collines ont joué un rôle symbolique relativement faible dans la
culture lao, en dépit de l’influence de la culture khmère et de la cosmogonie indienne, visibles à
travers les représentations symboliques hindouisées des composants architecturaux et des décors
sculptés des sanctuaires (le culte du devaraja et de la conception du temple-montagne, le Mont
Méru représenté par le sô f’a. -+ 2hk). Par le Nord-ouest, les Lao auraient connu l’influence de la
représentation du Mandala tantrique. Que cette influence soit antérieure ou non à leur établissement
dans le Laos actuel. Concernant cette influence nous pensons aux villes tai lü de Muang Sing et du
Sip Song Phan Na dont la forme se rapproche dans la majorité des cas de la forme géométrique du
Mandala et du système concentrique du pouvoir qu’il symbolisait. Par contre, ces deux éléments ont
joué un rôle fort dans la conception spatiale et dans la vie économique des cités lao. Généralement
lorsque les implantations lao sont dans une grande plaine –comme c’est le cas de Vientiane– elles
intègrent toujours dans leur encadrement les chaines de montagnes. Dans une autre situation,
lorsqu’elles sont à proximité immédiate des montagnes, elles semblent vivre des retombées
économiques de l’exploitation des ressources de ses montagnes. Par exemple la cité de
Souvannakhomkham (ancien Xieng Saèn), en étant dans la partie déclinante de la chaine du Haut
Mékong, aurait bénéficié des facilités de diverses exploitations. Mais dans un tel encadrement, la
cité a aussi des contraintes : l’eau de ruissellement montagneux est aussi déterminante que le
courant du Mékong, provoquant l’érosion puis l’abandon de la cité.
Par le passé, les montagnes et les forêts sont des lieux de ressources pour nourrir les
villages et les cités. Leurs nombreux besoins sont satisfaits exclusivement par les produits
provenant des montagnes et des forêts profondes. Pour produire des objets usuels des muang, allant
des plus modestes aux plus imposants, on allait chercher les produits et les matériaux bruts de la
forêt. Ceux-ci avaient tout intérêt à n’être pas trop loin du lieu de production, de transformation et
de consommation. La forêt est aussi le territoire des minorités ethniques et des aborigènes. Leur
présence permet de garder, entretenir, humaniser les forêts et leurs richesses. Pour la société lao
dominante, l’intérêt est de laisser les minorités organiser leur propre vie sociale et culturelle,
religieuse et politique. Elle n’a aucun intérêt à imposer ses modèles d’organisation. Son avantage
par contre est de pouvoir exercer un contrôle sur eux. Ce contrôle se traduit d’abord par des “ pactes
de loyauté ” dont le mode d’application est inscrit dans le droit coutumier lao. Les faits sont
constatés tout au long de l’histoire du Lane Xang et transparaissent dans nombre de rituels.476 La
politique laotienne, jusqu’à 1975, n’a quasiment pas tenté de “ laociser ” les minorités. Considérés
comme des anciens occupants, tous groupes confondus les minorités auraient fourni les produits
nécessaires de la forêt477 et auraient assuré aux muang une certaine pérennité.
476 La cérémonie d’allégeance mutuelle entre chefs lao et chefs des minorités mônes-khmères est maintenue jusqu’à 1975.
Les représentants du roi doivent effectuer des tournées –salavé [lk]tg;]– pour recueillir l’acte d’allégeance annuelle chez
les minorités. A leur tour, les chefs ethniques doivent participer au rituel de l’eau du serment qui a lieu à Vat Ongtù,
depuis au moins l’époque de Sethathirath (XVIe siècle) et qui prend fin en 1973. Parfois les rituels sont maintenus au-delà
des frontières et de la réalité politique. Par exemple les chefs de Kouantum (Vietnam) continuent jusqu’à les années 1960
à témoigner de leur fidélité en apportant des présents aux Princes de Champassak, desquels leurs ancestres auraient été
autrefois vassaux. Ce lien est explicité aussi dans la cérémonie de crémaillère, Boun Keun Heuan [[6o0NogInvo] : un couple
d’origine mône-khmère monte dans la maison et miment les propriétaires alors que ces derniers marchent autour de la
maison avec des semblants de bagages contenant casserole, sac de riz, sac de sel, ustensiles ménagers, etc. Le couple mônkhmer
les interpelle : « d’où venez-vous étranger ? ». Les propriétaires répondent : « nous venons chercher refuge et un
endroit propice pour vivre ». Le couple : « cette maison est propice pour vivre, venez monter vous installer…». La joute
oratoire versifiée entre les deux parties peut durer des dizaines de minutes avant que les propriétaires soient invités à
monter dans leur maison. Ref. Archaimbault pour l’eau du serment. 477 Le bois précieux et le bois dur pour bâtir ; les résines et les essences végétales pour l’étanchéité et l’entretien des
objets ; les racines et les plantes pour la pharmacopée. Encore aujourd’hui, beaucoup de produits de consommation
d’origine animale et végétale viennent de la forêt et dont une partie importante ne pouvant faire l’objet d’élevage et de
Fig. 56. Le
sô f’a d’un
sanctuaireDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 284 -
La contribution des ethnies serait passée par un système de troc lorsque l’organisation
politique des muang n’était pas encore complexe durant la période des chefferies ; et par un système
de tribut lorsque les muang auraient été plus administrés et la société plus hiérarchisée. Par ailleurs,
même si cela paraît invraisemblable parce que la ville d’aujourd’hui ne dépend plus de la forêt mais
du surplus de la production et de la transaction des produits, la survivance forte et persistante des
produits de la forêt dans la culture alimentaire et médicinale des Laotiens montre combien la chasse
et la cueillette (qui appartiennent au temps reculé) relient encore activement les villes lao à la
forêt.478 Même si la société lao a évolué depuis et est passée de la cueillette à la culture, de la chasse
à l’élevage,479 cette culture du végétal et de la forêt, très prononcée chez ces derniers, semble être
plus qu’une survivance d’une société primitive, mais une particularité et une permanence propre de
cette société.480 Par ailleurs, la taille des villes lao anciennes n’aurait jamais été importante, ce qui
aurait permis de maintenir un rapport d’équilibre entre les lieux de ressources et de production et les
lieux de consommation. Ceci peut donner un aperçu sur l’échelle du système de production de cette
société qui n’aurait jamais dépassé, jusqu’au XXe siècle, l’état de l’artisanat.481
Plus que l’autoconsommation des cités, la forêt aurait été un facteur de développement et
d’enrichissement, permettant aux cités lao de “ s’ouvrir aux échanges ”. Dans son étude sur
l’économie du Lane Xang entre le XIVe et XVIIe siècle, Masuhara482 a démontré dans quel contexte
les villes lao qui se trouvent en arrière pays et qui n’ont pourtant pas d’accès à la mer et donc au
commerce maritime direct, ont-elles pu profiter de l’essor des villes portuaires devenu plus intense
après la prise de Malacca. Car ayant besoin des produits de qualité provenant de la forêt profonde et
des hautes terres pour le commerce avec l’Europe, le Moyen-Orient, l’Inde et le Japon, les villes
portuaires et le commerce maritime international transasiatique attirent les villes intérieures vers le
sud côtier de la péninsule,483 tels les villes ou établissements agraires et ripuaires des plaines
culture. On utilisait beaucoup les extraits du Palaquium annamensis [Yang bong 1jk’[q’], de l’Uvaria cordata [Khang 7aJ’],
de l’essence de Dipterocarpus [Namman gnang oE,aopk’], et de la gomme-laque [Styrax, kési 0U-u]. 478 Une grande partie de la population lao utilise encore la médecine traditionnelle et la quasi totalité l’utilise de manière
partielle : feuilles, écorces, racines, etc., issues de la cueillette. La chasse étant aujourd’hui interdite, les personnes
continuent à se procurer des produits de braconage pour leur alimentation. Sans évoquer les populations qui vivent encore
en nombre important dans les coins reculés, parlant seulement de celles qui vivent en ville ou dans le rayonnement des
villes et pouvant bénéficier des facilités de la ville pour leur consommation, donnons un exemple concret concernant un
produit alimentaire très utilisé : les pousses de bambou et de rotin. On en consomme beaucoup et elles proviennent
quasiment toutes de la cueillette, sauf celles qui sont en boite de conserve provenant du Vietnam, de Chine et de Thailande
issues de la culture.
479 Chez les Lao, nous ne savons pas à quand remonte le passage de la cueillette à la culture et de la chasse à l’élevage.
Les annales chinoises parlent des habitants du Yunnan dont les Tai Lao auraient fait partie à l’époque des Tang, sous ces
termes : « […] Le Nan Zhao est un état agricole. Les gens (de ce pays) labourent leur rizière à trois : le premier dirige la
vache vers l’avant, le second la contrôle à l’arrière et le troisième oriente la charrue. Ceux qui cultivent une seule fois le
riz dans l’année ne paient pas d’impôt, ceux qui le font deux fois paient 20 sang par personne. Les gens de Nan Zhao
oriental ont un grand savoir-faire dans la soie et le tissage. Les gens de Nan Zhao occidental travaillent mieux le coton.
Ils sont d’excellents armuriers, possèdent des règles militaires très strictes. Leurs soldats blessés en premières lignes
seront soignés et récompensés, ceux qui sont blessés en arrières lignes seront exécutés […] ». Cf. An Outline History of
China, Foreign Language Press, Peking, 1958. Cité par Phoumsak. Op, cit. 480 La notion de culture et de civilisation du végétal chez les Lao a été remarquée par plusieurs anthropologues. En ethno
architecture, Sophie et Pierre Clément ont mis en évidence dans l’habitat lao la forte présence des composants végétaux
dans les matériels et matériaux de construction. Ils ont évoqué le temps et le rythme des saisons, le monde végétal et ses
impératifs générant une culture spécifique : mode de vie, croyances, espace. En ethno musicologie le rapprochement entre
la nature, la forêt et la vie des villages est même devenu source poétique. Mais malgré les travaux divers qui l’évoquent,
des travaux spécifiques sur “ la culture et la civilisation du végétal chez les Lao ” restent, à ce jour, à élaborer. A une
échelle plus grande, Pierre Gourou évoque la civilisation du végétal pour les peuples extrême-orientaux : « […] Les effects
de la civilisation apparaissent dans tous les domaines techniques, agriculture et artisanat, localisation de la population
dans les plaines surchargées, architecture des maisons, moyens de transport, organisation de la société et de l’Etat […]
L’Extrême-Orient tout entier adhérait à une ‘civilisation du végétal’. Chinois, Japonais, Vietnamiens mangent très peu de
viande et ignoraient l’usage du lait […] » Cf. Pierre Gourou, La terre et l’homme en Extrême-Orient, ed. Flammarion,
Paris, 1974.
481 Jusqu’au début du XXIe siècle, l’industrie a toujours du mal à s’implanter au Laos; la main d’œuvre qualifiée pour une
production de masse est difficile à constituer ; les grands secteurs de l’économie sont orientés vers les exploitations des
ressources naturelles : bois précieux, minerais, etc. Dans le domaine du développement on parle de “ l’or bleu ” en
désignant le potentiel de l’énergie hydroélectrique. 482 Cf. Masuhara. Y. Op, cit. 483 Le commerce maritime des villes côtières en Asie du Sud-est est analysé dans plusieurs recherches, notamment les
travaux de Denis Lombard, « Pour une histoire des villes du Sud-est asiatique », in. Annales E.S.C., 4 (juillet-août) p. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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intérieures septentrionales. A titre d’exemple, dans les anciens registres commerciaux japonais les
produits péninsulaires vendus par les intermédiaires Khmers, Maures et Siamois, provenaient “ des
pays intérieurs ” : Chiangmai, pays Shan, mais surtout du Laos. Pour certains produits de grande
rareté, tel le musk qui n’existe pas au Laos, Masuhara note que sa traçabilité nous fait remonter vers
l’extrême Nord, dans les régions himalayennes, passant par le Sud de la Chine et par le haut Laos.
II. II. b. 2. Les plaines et les cours d’eau, la bonne maitrise de l’eau des muang
La relation entre plaines et cours d’eau doit être ici regardée avec attention : leur
intégration spatiale dans le territoire et leur participation à la constitution interne de l’espace du
muang est complexe. Du point de vue morphologique, le Mékong est l’élément fédérateur des villes
lao. Même pour celles qui sont retirées de la vallée du grand fleuve, elles sont toujours reliées avec
celui-ci par ses affluents, qui sont de véritables artères, pouls de chapelets d’établissements
villageois et agraires, de petites cités : telles que celles qui sont au bord de la Nam Ngum, Nam Tha,
etc. Pour de nombreuses petites villes, leur morphologie épouse la plupart du temps la courbure du
fleuve. L’exemple de la ville de Vientiane en est flagrant : la forme de la ville, dans la partie la plus
primitive jusqu’à la partie la plus récente montre que l’axe de son évolution poursuit l’axe du
Mékong. Quant à l’exemple de Luang Prabang, l’origine de la ville ainsi que son développement,
plaçant toujours la partie la plus centrale au cœur de la péninsule, montre que le Mékong et la Nam
Khane sont les composants majeurs.
Du point de vue économique, le Mékong assure la liaison entre les villes pour les
échanges et les trocs et aussi la possibilité d’exploiter les plaines. C’est l’aménagement des sites vu
à grande échelle qui permet de comprendre la liaison entre le fleuve et les sites. Au moment des
crues, les eaux du fleuve bloquent et repoussent les eaux de ses affluents. Ces derniers se gonflent et
poussent les sous-affluents à déborder de leur lit, arrosant et fertilisant les plaines. Puis ces
refoulements des eaux du fleuve rencontrent dans les plaines l’eau de ruissellement et parfois des
torrents venant des montagnes. Les plaines possèdent naturellement leur logique de régulation et
deviennent des territoires propices pour accueillir les établissements agraires. Un mauvais
aménagement, une mauvaise gestion de la plaine et de ses eaux marquerait alors le déséquilibre. La
compréhension de ces conditions et la bonne maitrise à grande échelle de ces établissements
humains, semblent être les conditions de leur prospérité. Le savoir-faire des Lao dans la gestion des
eaux est essentiellement caractérisé par la création des digues [7ao76fyo, kan kou dinh] et des barrages
en terre [/kp muJgIaff;hpfyo, fay dinh], et moins dans la construction des canaux et des bassins. Dans ce
contexte, certains de ces ouvrages sont associés à la fonction de rempart. Les remparts ont donc à la
fois le rôle agricole et de protection de la ville, une véritable marque de citadinité des établissements
lao que nous pouvons qualifier de cités agraires irriguées et non pas de cités hydrauliques.
484 Nous
842-856 ; les travaux de Antony Reid publiés en deux volumes : Southest Asia in the age of commerce 1450-1680,
Silkworm Books, 1993, Bangkok. 484 Dans les exemples donnés, on distingue la cité hydraulique de la cité agraire et irriguée de la manière suivante : 1- La
cité hydraulique est caractérisée par la construction des réseaux d’ouvrages hydrauliques, tels les canaux et les réservoirs.
Les eaux provenant des rivières et des fleuves par les canaux, en plus des eaux de ruissellement, seront gardées dans des
réservoirs et des bassins de rétension souvent ouvragés et monumentaux. Elles seront ensuite gérées par des systèmes de
canaux ingénieux et complexes, afin d’alimenter la ville et ses domaines agricoles. Les bassins de rétension servent aussi
pour les réjouissances collectives (courses de pirrogue, etc.) Ces ouvrages sont associés aux ouvrages urbanistiques et aux
monuments. Un système de gestion particulier a du être mis en place pour assurer leur contrôle : le pouvoir public et la
puissance de l’Etat sont associés à leur efficacité et à leur monumentalité. C’est une raisons qui expliquent pourquoi la
maitrise de l’eau symbolise la puissance et la richesse de ces cités. Les cités angkoriennes sont la réminiscence du modèle
hydraulique des cités indiennes. 2- Les cités agraires et irriguées sont d’abord caractérisées par une association entre un
réseau naturel (les rivières) et un réseau artificiel (les digues et partiellement les canaux). Les digues en terre sont
construites pour endiguer le débordement des eaux de la rivière, du fleuve ou des zones basses par rapport aux rizières et
aux ensembles d’habitation, villes et villages. Ces digues se construissent donc souvent autour de la cité. Et toujours
parallèlement aux digues il y a des déblais qui acquièrent très vite la forme et la fonction des canaux se reliant à la rivière et au fleuve existant. En retour, la rivière ou le fleuve alimente par ses brèches les terres agricoles. Le mode de gestion et
de contrôle des établissements agraires et endigués semble être communautaire, c’est-à-dire relevant des communautés de
village. Par ailleurs l’intégration de ces ouvrages dans le paysage est plus harmonieuse que celle des cités hydrauliques,
par le fait que le réseau naturel est plus important que le réseau artificiel : dans le cas des digues de forme arrondie,
comme à Viengkham, on a parfois du mal à déterminer l’artificialité de la digue et pourrait penser qu’il s’agit d’un bras de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 286 -
le voyons notamment avec le rempart-digue en terre de Muang Sing, avec les digues de Muang
Viengkham de forme organique485 et de Vientiane de forme rectangulaire.486
La construction des canaux en terre [7v’g\nv’fyo, khong meuang dinh] viendrait après celle
des remparts-digues [/kp muJgIaff;hpfyo, fay dinh] : les creux créés par les déblais utilisés pour
construire les remparts-digues en terre deviendraient d’abord des exutoires et des évacuateurs des
eaux de la ville et empêcheraient en même temps les eaux de la plaine et des rivières de pénétrer
dans la cité. Ces évacuateurs deviendraient en fait des réseaux de déviations des eaux autour des
villes et finiraient par trouver leur utilité véritable en se développant ensuite pour devenir des
réseaux d’irrigations. Ces réseaux augmenteraient ainsi, après coup, le potentiel d’exploitation
agricole des plaines, jusque-là seulement basée sur les réseaux naturels (creux, failles et
dépressions) et sur le système de gestion des barrages et des digues de protection. Les canaux en
tant que tels occuperaient donc une position secondaire, sinon postérieure dans la mesure où les
failles naturelles assuraient déjà au départ le rôle de drains à ciel ouvert, qui irriguaient et
canalisaient les eaux dans les plaines cultivées, proportionnellement à la taille des établissements
humains. En ce sens, l’utilité des canaux aurait été découverte plus tard avec le fonctionnement bien
rôdé des digues et des barrages.
La logique interne et le mode d’intégration des cités agraires qui ont été décrits ici en
relation avec le fleuve, sont encore plus explicites à travers le cas de Vientiane : les plaines,
l’assiette des sites d’établissements villageois et urbains, auraient été composées d’abord de zones
basses inondables (zones marécageuses) puis de failles creusées par les eaux formant des petites
cours d’eau parcourant la plaine. Puis des poches d’eau plus ou moins importantes forment des
mares et des étangs. Les zones exondées plus ou moins boisées avec des points culminants à
certains endroits seraient venues ensuite rompre la planimétrie à l’intérieur de la plaine. Cet
ensemble de paysage aurait formé un faciès et un substrat spatial naturel adéquat qui aurait
préfiguré, dès le départ, les types d’implantation et les modes d’occupation de l’espace des Tai. Les
terres inondées ou humides auraient été cultivées et exploitées en rizière immergée, tandis que les
terres exondées constituant les îlots auraient été bâties et habitées, protégées par des écrans
végétaux plantés en palissades. Ces terres exondées et ces lambeaux de forêts auraient été distancés
des uns des autres par des rizières et des zones humides en question. Quant aux points culminants,
ils auraient été habités par des esprits sacrés. Les failles naturelles creusées par les eaux auraient
formé des rivières et des canaux arrosant les espaces agricoles. Puis les chemins seraient nés
accompagnants la circulation des hommes et reliant les îlots entre eux. Ce processus de production
spatiale et ce schéma de fonctionnement s’appliquent à l’analyse de la plaine de Vientiane, avec la
particularité de ses diverses données géographiques et archéologiques, ses mythes de fondation et
ses toponymes qui permettent l’enracinement de la ville. Mais ils auraient fonctionné également
pour beaucoup d’établissements lao du Mékong, des plaines et des vallées desservies par ses
affluents.
Le contexte géographique, la topographie ainsi que l’ensemble de l’environnement, jouent
donc un rôle déterminant dans la configuration spatiale primitive. Nous utilisons ces composants
comme critères pour effectuer une synthèse morphologique de quelques implantations afin de
dégager les modèles formels et leurs variantes. Pour se faire, nous nous intéressons aux
implantations de la région Nord (le long de la Nam Ôu et du Mékong), de la région de la haute terre
et de la plaine de Vientiane (le long de la Nam Ngum et du Mékong), dans la région méridionale du
Laos occidental (le long de la Nam Moun). Nous abordons également les villes de la région du haut
rivière. Dans le cas de Vientiane où le canal Hong Sèng a rejoint le Nam Passak au niveau de Nong Ping, on pourrait se
demander si Nam Passak ne serait pas un canal, ou au contraire, si le canal Hong Sèng ne serait pas un bras de la rivière ? 485 Les cités Pyu ont été évoquées notamment par Van Molivan dans sa thèse, Cités du Sud-est asiatique, le passé et le
présent. Op, cit. 486 Le rempart rectangulaire en terre de Vientiane est orienté Nord-est, Sud-ouest à 60 degré, entre Phone Kèng et le
marché du matin actuel. Ce dernier était encore visible dans les années 1960, lors des grands travaux de voirie.
Fig. 57. La
digue-rempart
de Muang
Vieng KhamDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Mékong, entre Xieng Kok et Muang Sing, afin de comprendre comment les villes se sont-elles
formées au fur à mesure que l’on s’éloigne du grand fleuve. Nous nous intéressons également à la
région du Nord-Ouest, dans la région de Nam Ping et de Nam Kok, puis à quelques implantations
de bord de fleuve dans le Sud ou dispersées et retirées dans les plaines, mais toujours en
communication avec les cours d’eau ou situées dans leurs bassins versants.
II. II. b. 3. Les études des cas
Région Nord, le long de la Nam Ôu et du Mékong : Luang Prabang
La forme de la ville peut être comprise essentiellement à travers quatre éléments de lectures :
1- La ville est d’abord aperçue à travers le Mont Phou Si, son axe de gravitation, qui peut avoir un
lien avec le mouvement giratoire “ virtuel ” créé par le contact entre Nam Khane et le Mékong. 2-
La ville est régie par une certaine bipolarité urbaine, entre l’arrière et l’avant –dont la Nam Khane et
le Mékong, sont les facteurs. 3- La ville possède beaucoup de plans d’eau [sa, nong, ltF sov’] à
l’intérieur de ses terres étroites, dans les rizières et dans les parcelles d’habitations. Du fait de son
altitude qui empêche l’acheminement direct de l’eau du fleuve vers la ville pour les usages
agricoles, la ville doit se donner des moyens pour retenir les eaux de ruissellement afin
d’aprovisionner les parties n’ayant pas accès immédiat aux berges. 4- Même si Luang Prabang est
une ville haute et entourée de montagnes, son site n’est pas soumis directement à l’eau des
montagnes qui aurait sinon menacé ses berges : le Mékong et la Nam Khane forment un obstacle
drainant toutes les eaux. Donc, la vraie menace, si elle existe, devait provenir de l’érosion des
berges et de la capacité ou non d’absorption et de drainage de l’assiette de la ville par rapport aux
eaux de ruissellement locale. Cette capacité a fait ses preuves tout le long du développement de la
ville, ce qui explique sa durée et sa permanence, malgré les vicissitudes historiques.487 A travers ces
quatre visions, Luang Prabang est un modèle d’espace à part entière, inaugurant une lecture spatiale
particulière à travers laquelle on peut comprendre les autres établissements lao.
Muang Swa des aborigènes
D’après le Phongsavadan Lao Luang Prabang serait une ancienne occupation des Swa,
488
aurait connu le Fou Nan, le Chen-La et l’Empire khmer. Ses anciens habitants auraient alors été des
aborigènes, peut-être des Cham489 et surement des Môns, avant que les Lao ne l’investissent à partir
du milieu du VIIIe siècle. Ces derniers continuent à lui donner le nom de Muang Swa et leurs rois
continuent à porter le titre de Khun Swa durant plusieurs siècles. Si on admet l’hypothèse d’un
Muang Swa lao dès le VIIIe siècle, on doit admettre que ce muang se développe dans le Tchen-la,
puis dans l’Empire khmer. Entre le VIIIe et le XIVe siècle, comme beaucoup de villes tai, de
manière cyclique chaque fois que les suzerains montrent des signes de faiblesse, les Lao auraient
profité pour déclarer leur indépendance en arrêtant de payer les tributs.
Une cité-État septentrionale au pouvoir limité
487 Luang Prabang a été incendiée et mise à sac par les Pavillons noirs au XIXe siècle et reconstruite durant le protectorat.
Madeleine Giteau note que Luang Prabang a connu aussi la peste au XVIIe siècle. Cf. Art et Archéologie du Laos, Centre
National du Livre, ed. Picard, Paris.
488 Swa [lq;t ] désigne l’un des deux peuples aborigènes de la péninsule indochinoise dans la région de Luang Prabang.
Lorsque les Tai Lao occupent le site, ils auraient conservé ce nom primitif en l’associant au titre des chefs tai, donnant
khun swa. Plus tard, en acquérant un nom tai, Xieng Dong-Xieng Thong sous le règne de F’a-Ngoum, la ville continue à
conserver son nom primitif Swa, connue jusqu’à nos jours. 489 « […] before the Mon and the Khmer, it is possible that the influence and présence of the Cham people in the area of
Luang Prabang was tangible. This supposition is more than plausible if we break away with widely accepted
historiography that stresses one Cham kingdom and instead accept that many chiefs and kinglets ruled simultaneously in
different places. Champa may have been a network or series of network of ethnic, religious, political, and commercial
relationships. […] » Cf. P.& M. Ngaosivathana « Ancient Luang Prabang, Vientiane, Mon realm and the Angkor impérial
road », pp. 12-13.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 288 -
Muang Swa devient le centre politique du Lane Xang au milieu du XIVe siècle portant le
nom de Xieng Dong Xieng Thong,490 en tant que siège du pouvoir d’un premier Etat lao muni de
territoire plus vaste, de systèmes politique et social organisé.
491 Cependant, si le pouvoir à Xieng
Dong Xieng Thong occupe une position centrale pour le Nord, le pouvoir est décentré et
déséquilibré par rapport à l’ensemble du territoire du Lane Xang qu’il prétend couvrir. Cela signifie
que les chefferies lao auraient été consolidées seulement autour de ce noyau nord, mais qu’il peut y
avoir quelques doutes sur sa véritable consolidation dans la partie sud et dans l’Ouest du pays.
Luang Prabang aurait exercé une influence limitée, sans doute elle n’aurait pas dépassé Loeuy,
Udon thany et Pak Kading au Sud ; Xieng Khouang, Xamneua et Son La à l’Est ; Muang Nan et
Xieng Saèn à l’Ouest ; Muang Sing et Phongsaly au Nord. Et en retour, elle serait restée une petite
capitale qui aurait exercé une certaine influence du point de vue culturel et commercial au-delà de
sa capacité politique et militaire. Sa domination ou son contrôle des autres muang en tant que centre
politique avant son transfert à Vientiane aurait été signifié par les tributs que les seigneurs de ces
muang lui ont apporté symboliquement chaque année, et sans doute aussi par les liens de parenté
qu’elle aurait entretenu avec les familles de ces muang. Ce qui aurait en partie atténué les rapports
de force potentiels. Mais malgré tout, elle aurait sans cesse à surveiller la partie la plus éloignée, en
particulier le Sud du pays. Le déplacement inévitable du centre, de Luang Prabang à Vientiane,
n’aurait fait que corriger ce déséquilibre. Ce fait nous éclaire d’abord sur le mode d’exercice du
pouvoir qui, partant d’un point, aurait dessiné un cercle de rayonnement, ensuite sur la position
géographique non-favorable de Luang Prabang par rapport à la configuration du Lane Xang. En
réalité, elle n’aurait pas couvert de son rayonnement le territoire qu’elle a prétendu rassembler.
Croisé avec l’analyse du site et de la ville, ce fait explicite son incapacité à assumer un rôle militaire
et un contrôle fort sur l’ensemble des muang. Or il en a fallu pour pouvoir contrôler l’immensité du
Lane Xang si nous nous fions à sa délimitation donnée dans le Phongsavadan lao.492
Luang Prabang aurait été dès le début une ville de résidence et non une ville militaire,
insérée au cœur des chaînes de montagnes, baignée par deux grands cours d’eau. Elle serait une
ville intérieure de hautes terres, très tôt limitée par une assiette spatiale et géographique qui fait
d’elle une ville aboutie dans toute sa plénitude et sa splendeur. Une éventuelle extension au-delà de
cette limite en terme démographique et en terme de bâti, aurait dépassé son cadre. En fait, Luang
Prabang semble posséder une échelle et un gabarit spatial qui lui sont propres. Ceci, depuis l’espace
et les composants de son architecture jusqu’à son cadre géographique en passant par sa composition
urbaine. De ce point de vue, l’étude des mesures, des échelles, des gabarits et de la densité des
éléments bâtis de Luang Prabang à différentes périodes doit très bien le confirmer.
La route du commerce caravanier et ripuaire
Sa désignation de ville enclavée, attribuée par les études économiques et géographiques
contemporaines, ne lui est pas appropriée. A défaut d’être une étape importante Luang Prabang
490 Xieng Dong Xieng Xieng Thong change de nom en devenant Luang Prabang lorsque Sethathirat transfert la capitale à
Vientiane vers 1560 en ramenant le Phrakéo et le Phra Serkham et en laissant le Phrabang. Donc ce n’est pas au moment
où la ville reçoit la statuette du Phrabang, venue de Vieng Kham en 1511 sous le règne de Vixun, qu’elle change de nom.
Cf., Thamnan Phrabang. Op, cit. 491 Le système de pouvoir du Lane Xang à l’époque de F’a-Ngoum est esquissé dans le Phongsavadan Lao, annoté par S.
Viravong. Op, cit. 492 Après la prise des derniers muang par F’a-Ngoum en 1361, la configuration physique du Lane Xang aurait été
dessinée. Elle est ainsi décrite : « à l’Est jusqu’au sommet de la chaîne montagneuse sur la ligne de partage des versants
(là où les arbres tombent selon les versants) ; au Sud jusqu’au territoire des Chams et des Khmers ; à l’Ouest touchant
Ayuthia ; au Nord touchant la Chine à Bountaï Bounneua ». In : Phongsavadan lao. (Op, cit.) D’après Vo Thu Tinh :
« Les données épigraphiques […] contribuent aussi à confirmer la chronologie avancée par les annales locales relatives
à l’avénement de ce grand roi qui, le premier, ouvrit l’ère de grandeur du Laos par la fondation du royaume du Lan Xang
s’étendant de la Chine au Nord jusqu’à Sambor au Sud et de Khorat à l’Ouest jusqu’à Laobao à l’est […] ». Les origines
du Laos, pp. 60, (Op. cit.) Nous trouvons également quelques tentatives cartographiques du Lane Xang historique dans :
Le Lane Xang vers le XVe siècle, d’après Charles A. Fisher, in. South East Asia, London 1969 ; Le Royaume lao avant son
annexion par le Siam, d’après le Phongsavadan Lao annoté par S. Viravong (réédition de 2001) ; Mainland Southeast
Asia : mid-16th to early 19th centuries, in : La chronique de Vientiane de l’époque Chao Anou, Comité de Recherche en
Langue et Littérature Lao, Département des Lettres, Université Nationale du Laos, Vientiane, 2004.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 289 -
aurait été une petite étape de la route de la soie et du commerce, une ville de liaison entre les
différentes villes du Nord : plusieurs documents auraient confirmé son intégration dans l’ancien
réseau commercial ripuaire et caravanier de la région : 1- par liaison avec Xieng Saèn et Chiangrai,
et par-delà, à la haute région de Birmanie en remontant le Mékong et en empruntant la Nam Kok ;
2- par route caravanière venant de Chine et débouchant soit vers le Golfe du Siam en passant par
Vientiane et le plateau de Khorat, soit vers le Vietnam en passant par plusieurs brèches, notamment
par le plateau de Xieng Khouang ; 3- par voies fluviales en remontant le Mékong jusqu’à Pak Ou,
de Pak Ou remontant la Nam Ou vers Muang Khoua, et de là emprunter la rivière Nam Noua
jusqu’à Dien Bien Phu.
Le type de citadelle-villageoise
Luang Prabang est marquée par une mixité entre une implantation de type villageois de
cultures ethniques et une implantation de type citadelle de culture citadine du muang. Cette mixité
“ citadelle-villageoise ” aurait été intrinsèque au fondement du muang, du moins pour les
établissements septentrionaux. Ce caractère se retrouve également dans les autres villes du Nord,
comme à Chiangrai et à Chiang Saèn, jusque dans les années 1980. Depuis plus d’une vingtaine
d’années le développement économique et la croissance des villes Thaïlandaises se sont
considérablement accélérés. Leur urbanisation creuse un écart significatif entre le monde thaï et
celui des communautés minoritaires : l’équilibre ancien a ainsi quasiment disparu. Au Laos cet
équilibre existe encore sous certaines formes, du moins, le déséquilibre est ralenti par la lenteur de
la croissance urbaine et du taux d’urbanisation (jusqu’au début des années 2000) conjuguée avec la
capacité des villes laotiennes à préserver leur système de gestion du muang. En d’autre terme, la
complémentarité entre le système tribal et le système du muang est encore préservée dans les villes
moins importantes. Mais quoi qu’il en soit, le phénomène de déséquilibre, s’il commence à se
manifester, n’accuse pas l’assimilation des groupes ethniques par le système du muang mais accuse
plutôt l’urbanisation et la croissance de la ville elle-même comme cause première. Car le propre du
muang c’est de ne pas viser l’intégration physique des groupes ethniques dans son territoire urbain,
mais au contraire de les maintenir à l’extérieur, afin qu’ils conservent leur mode de vie, leur
autonomie et leur capacité économique pour les échanges avec les sociétés du muang.
493 En ce cas,
le maintien de leur société aurait assuré le maintien de la société lao elle-même. Comme le montrent
les études de Evrard sur le rapport entre la gestion de la terre et l’inter-ethnicité, combien le
bouleversement de la gestion de la terre chez les ethnies menace l’harmonie et la survie de leur
société. Mais il n’y a pas que cela : ce que les études de Evrard ne disent pas clairement, c’est que
les sociétés tai elles-mêmes seraient aussi déstructurées si les sociétés ethniques, venaient à être
déstructurées. Car le maintien de cette inter-ethnicité dans la gestion du sol, dans la construction
politique et sociale consolide les sociétés tai.
Les villages qui composent la cité de Luang Prabang conservent chacun leur identité et leur
spécificité : notamment le village des danseurs et musiciens royaux, le village des producteurs de
poterie, etc. Pourtant spatialement, il est impossible de distinguer leurs limites, brouillées par la
densité démographique et celle du bâti. Chaque ban possède plusieurs monastères et parfois leurs
limites se touchent. Chaque maisonnée sait exactement à quel village il appartient et quel temple il
faut entretenir. Les chefs de village et leurs suppléants ainsi que le comité des sages gèrent leur
village avec une vraie autorité. Ce sont des points qui caractérisent la densité de Luang Prabang.
L’histoire de Luang Prabang ainsi que l’observation que l’on peut encore faire il n’y a pas
longtemps, montrent que c’est une ville qui produisait de l’artisanat de qualité et les habitants
connaissaient aussi les produits de qualité provenant de l’extérieur, parce que la ville faisait partie
de la route du commerce. La ville participait au contrôle de la région limitrophe et se procurait des
493 Au Laos les menaces qu’encourent les groupes ethniques sont plutôt l’aménagement du territoire qui déstructure dans
de nombreux cas leurs lieux de vie et leurs environnements, leurs modes de production, etc. Nous parlons des projets
d’exploitation forestière, les plantations de cultures extensives (d’hévéa notamment).Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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produits nécessaires pour sa consommation et pour ses échanges avec l’extérieur suscités par les
passages des commerçants qui y établissaient des arrêts réguliers. Ces besoins réunis auraient drainé
quotidiennement les produits apportés par les populations vivant à l’extérieur et sur les marges du
territoire de la ville. Que ces produits aient été imposés par l’autorité royale ou échangés
directement par les populations concernées, cela faisait de la ville un lieu actif et opulent. Donc
Luang Prabang était une vraie cité qui possédait des produits qu’elle ne produisait, mais qui
venaient de l’extérieur ou qui ont été produits à l’extérieur par les populations qu’elle contrôlait.494
Les populations extérieures auraient été principalement les minorités495 dont Louis Delaporte a
immortalisé la présence dans ses croquis de voyage vers la fin du XIXe siècle. Quasiment seuls les
Tai vivraient dans la cité. Les minorités qui faisaient partie du paysage de la cité n’y vivraient pas.
Elles vivraient dans leur village respectif et viendraient quotidiennement dans la cité pour vendre
leurs produits. De certains points de vue, ce type de cité ne peut vivre sans ses minorités et sans les
territoires desquels les populations tirent toutes les richesses. Luang Prabang est par excellence une
citadelle de culture citadine du muang. Celle-ci est caractérisée fortement par son organisation en
communautés de villages et par la culture ethnique et aborigène qu’elle intègre.
La région Nord des hautes plaines : Muang Khoun Xieng Khouang496
L’occupation de Xiang Khouang serait remontée à l’ère mégalithique avec la présence des
sites de jarres funéraires et des mégalithes de Houaphanh,497 comme le montrent les études de
Madelaine Colani. Mais ces vestiges ne donnent aucune information sur d’éventuels établissements
urbains ou villageois. Le Thao Hung Thao Tch’eng dit que Khun Tch’ueng qui serait venu de Xieng
Saèn s’est bataillé contre les Kyéo (Daï-Viêt) pour prendre possession du territoire de Xiang
Khouang (sous le nom de Prakan). D’après le Phongsavadan, Xieng Khouang aurait été occupée
par les Lao à partir du VIIIe siècle durant la même période que Luang Prabang. Le premier ancêtre
installé aurait été Khun Tched Tch’ueng,
498 puis se succèdent vingt-deux monarques jusqu’à Thao
Khamphong qui a régné entre 1289 et 1350. Durant ce règne Xieng Khouang aurait été vassalisé par
le Daï-Viet jusqu’à son intégration dans le Lane Xang. Dans le Lane Xang de Sam-Sèn-Tai, Muang
Phouan499 sous le règne de Khamkhong aurait connu une période brillante : épanouissement du
bouddhisme, constructions de nombreux monastères, édification d’une loi Phouane, le Code Lane
Khamkhong [dqf]hko7=kdv’]
500 qui régit 90 000 habitants. Il aurait été dévasté par la guerre avec le
494 Amphay Doré explique par exemple qu’autrefois Luang Prabang ne produisait pas de la soie (bien que les raisons aient
été religieuses selon lui) mais la faisait venir d’autres régions du pays et les habitants de la ville la travaillaient en faisant
du tissage en grande quantité et de manière assez diversifiée. Cf. Amphay Doré. 495 Les groupes ethniques des villages dispersés autour de Luang Prabang sont nombreux, même en ne tenant compte que
des groupes non-tai. Il y a les groupes de parler môn-khmer, de parler myao-yao ou sino-tibétain. Les autres Tai tels les
Lü qui pouvaient aussi se constituer en village à l’extérieur de Luang Prabang n’ont pas le même rapport à la cité que les
groupes non-tai. Les villages tai non citadins vivaient un rapport d’extra-territorialité physique à la cité mais n’auraient
pas connu un rapport d’extra-culturalité ou d’extra-ethnicité par rapport au muang. 496 Archaimbault transcrit S’ieng Khwang pour Xieng Khouang et Mu’ang K’un pour Muang Khoun. 497 Houaphanh est une chefferie peuplée majoritairement de Tai Neua. Elle a été placée sous l’administration seigneuriale
de Xieng Khouang vers 1751 sous le règne de Ong Lô et celui-ci est à son tour vassal du Royaume de Vientiane. 498 Frère de Khun Lo et septième fils de Khun Bourom. Il est probable que le terme Tch’ueng [g9nv’] ne soit pas un nom
propre, mais un titre appartenant à la population indigène avant l’arrivée des Tai, pour désigner les chefs des anciennes
populations de Xieng Khouang. Une fois conquis le territoire, les Tai auraient conservé ce titre local. C’est probablement
le même cas que Luang Prabang où, après avoir pris le site aux Swa, les Lao ont préservé pendant plusieurs générations le
terme Khun Swa pour désigner les rois lao. Par ailleurs, le héros du Thao Hung Thao Tch’ueng porte un autre nom qu’est
Thao Hung [mkh;I5j’]. Il est probable que son vrai et seul nom soit Hung, et que son appellation Tch’ueng ne soit qu’un
titre, acquis après avoir pris Xieng Khouang 499 Le terme Phouan [r;o] aurait été une corruption nordique de phoun, phon [r6oF 3ro] qui signifie “ haut ”,
“ proéminent ”. Par ailleurs, une petite rivière du nom de Nam Phouan [o=Hkr;o] traverse la ville. Phouan [r;o] aurait
désigné donc les Tai Lao de la haute terre ou de la Nam Phouan. Ces derniers auraient donc acquis cette appellation
postérieurement à leur installation dans la haute plaine de Xieng Khouang. Le nom ethnique des Phouan ou P’uon qui est
un sous groupe tai serait Phou Eun. Mais pour les Laotiens, les Phouan ne peuvent être considérés comme une ethnie, ils
sont le groupe dominant aujourd’hui par leur nombre et par leur dispersion sur le territoire laotien.
500 Kap Muang Phouang, Comité de Recherche en Langue et Littérature Lao, Département des Lettres, Université
Nationale, 2001. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Daï-Viet sous les Lê en 1479,501 pour ne rester que 2000 habitants. Muang Phouan aurait été connu
en dehors du Lane Xang, pour avoir envoyé des ambassadeurs à l’extérieur du pays et pour en avoir
reçu en retour : des missions religieuses du Cambodge et de Hanthawaddy (Birmanie). Vers la
seconde moitié du XVIIIe siècle, il devient de nouveau vassal du Daï-Viet et du Siam, devant leur
payer tribut. Appauvri et tiraillé entre les deux suzerains étrangers, sa population a fait l’objet de
rafles et de déplacements502 par ces derniers à plusieurs reprises.
Xieng Khouang possède deux muang importants : Muang Kham et Muang Khoun. Avant
l’administration française Muang Khoun en tant que capitale du royaume Phouan et résidence des
princes, porte le nom de Xieng Khouang comme le nom de la province. Quant à Muang Kham, ville
qui lui est auxiliaire, est appelé Muang Phouan Noy [g,nv’r;oohvp]. Xieng Khouang possède sa
propre structure symbolique, proche de celle de Luang Prabang. D’après Archaimbault il s’agit de
douze autels des devata protecteurs. Onze sont consacrés aux devata protecteurs des ban ou des
muang extérieurs, disposés dans les principaux muang et dans les quatre orients de la province,
sensés constituer les bastions spirituels du territoire de Xieng Khouang. Le douzième est consacré
aux devata protecteurs du muang principal et de ses princes descendants des Thaèn F’a.
503 L’autel
est situé sur la colline dominant la ville, Phu Chomphet, où il y a deux that : That Chomphet
possède encore son dôme, mais éventré et That Phoun dont il ne reste que la partie basse. Chaque
année, les habitants organisent un rituel en leur honneur en sacrifiant un buffle. Les onze génies des
ban dans les quatre orients sont conviés au rituel. Un autel miniaturisé est construit pour les loger.
Nous retrouvons également projetée dans l’espace la représentation de l’existence et du rôle de ces
devata protecteurs, à travers le rituel préliminaire du jeu de mail. Le jeu a lieu chaque année sur
l’esplanade rectangulaire de Muang Khoun lors de la fête annuelle du that.
504 Donc, du côté Sud où
il y a autrefois un stupa, le camp des princes détenteurs de l’autorité prend position et préside l’autel
de la cour royale des devata dont la face est tournée vers le Nord. Du côté Nord est placé l’autel des
devata protecteurs des ban et des muang extérieurs, c’est le camp des princes de Muang Kham.505
Dans la présentation du jeu de mail, il est possible de constituer une lecture de l’espace
symbolique de la ville : 1- Nous retrouvons dans l’idée d’une autorité protégée par les devata
[gm;tfk] –parce que cette autorité appartient à la “ lignée Thaèn, céleste ” qui observe le dhamma
501 Cet épisode historique correspond au moment où il y a une grande hostilité avec le Daï-Viet qui envahit aussi Luang
Prabang et qui a poussé ses troupes jusqu’à Chiangmai traversant Muang Nan. Cet évènement apparaît dans les annales
chinoises Ming Shi, puisque l’Empereur de Chine Xiang Zong a du demandé au « Gouverneur de la Province de Guang Si
de faire part d’un édit ordonnant à Lê Thanh Tông la retraite de ses troupes du Laos ». D’après les annales Daï-Viet,
Xieng Khouang est redevenu vassal de Daï-Viet déjà en 1448 comme une sous-préfecture sous l’Empereur Nhân Tông. Et
d’après le Phongsavadan Lao, il a continué également à être celui de Luang Prabang. Il payait donc tribut aux deux. Cf. T.
Hoshino. Op, cit. 502 Supposé avoir livré Chao Anu de Vientiane aux Siamois, les Phouans se considèrent comme bouc-émissaire. Ceci,
aurait profondément marqué son histoire et ses croyances. Le déplacement des Phouanes a fait l’objet de plusieurs thèmes
de recherche, des thèses en sont issues. Cf. Bangon Piyaphan, Les Lao dans Rattanakosinh, Bureau des Fonds de Soutien
pour la Recherche. Bangkok ; Pho Saenlamchiat, Tamnan T’aï Phouan, Bangkok, Société de Solidarité Issan Dokgna. 503 Thaèn serait l’ancien royaume situé dans le Sip Song Chou Tai. Ce terme signifie également “ le haut, le nord, le ciel ”.
Thaèn F’a serait la “ lignée céleste ” dans l’auto référence mythique des Lao. En Chinois on le prononce « Dian ». Cf.
note op, cit. 504 Sur cette esplanade il y aurait autrefois un stupa. Mais Archaimbault note que le that en question n’existe plus au
moment où il mène son enquête à la fin des années 1950. En fait, le that de Ban Naxay, à proximité de l’esplanade dont
parle Archambault n’aurait pas complètement disparu. Il serait resté son soubassement ou son socle. En tout cas il a été
reconstruit vers 2005-2006 avec les dons de la population. 505 Autrefois, le jeu aurait opposé les aborigènes (symboliquement joué par le camp de Muang Kham) et les Phouans
(camp de Muang Khoun). Cette opposition symbolisait l’atténuation de la hargne et de l’agressivité des dominés par
rapport aux dominants. Au début du XIXe siècle Chao Noy de Muang Phouan aurait modifié le jeu en le transformant en
une sorte de jeu de polo, parce qu’il était excellent cavalier. Il aurait surtout modifié la symbolique du jeu en faisant
transparaître des faits historiques. Pour lui, le jeu doit mettre en scène les esprits de révolte et de suspicion qui opposent
les vassaux (les princes de Muang Kham) aux souverains (les princes de Muang Khoun, auquel il appartient). Le fait que
la victoire soit quasi toujours attribuée aux vassaux symbolise la victoire du mal et de la trahison, dont il fut victime, sur le
bien et le Dhamma. Historiquement le seigneur de Muang Kham l’aurait dénoncé pour conspiration contre Chao Anou de
Vientiane, ce qui lui a coûté trois années de rétention. Sans fondement il sera ensuite libéré. Quelques années plus tard il
sera accusé de nouveau, cette fois-ci, pour avoir livré Chao Anou aux Siamois. Cf. Charles Archaimbault, La fête du T’at
à S’ieng Khwang (Laos) - contribution à l’étude du Ti-K’i, in. Artibus Asiae, Vol. XXIV, Ascona 1961. Remarquons
cependant que le jeu de tiki à Vientiane oppose également les notables et le peuple. Et c’est toujours le peuple qui gagne,
c’est ainsi la règle.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 292 -
[ma,,t]– la légitimation d’un pouvoir, basée sur le devoir de “ bonté bouddhique ”. Ici, nous sommes
déjà dans une logique de conversion au bouddhisme des Thaèn F’a. Car l’autoréférenciation de la
lignée Thaèn F’a des Princes de Muang Phouan aurait été bien antérieure au bouddhisme et liée au
culte des phi thaèn. Ce culte aurait ensuite connu une acculturation au contact avec le bouddhisme :
les Thaèn F’a seraient non seulement l’esprit des ancêtres protecteurs qui puisent leur autorité et
leur aspect sacré dans la construction de l’identité ancestrale, mais seraient aussi devenus avec le
bouddhisme des esprits investis par le dharma. Le symbole de cette légitimation du Thaèn F’a et
donc des princes phouans serait le douzième autel des dévata qui se trouve sur le point le plus haut,
accompagnant les stupas qui dominent et qui protègent la ville. 2- Nous retrouvons dans l’espace
symbolique Phouan l’orientation Nord comme une orientation privilégiée. Si le camp des princes se
trouve au Sud dans le jeu de mail, la face de ses joueurs et de son autel protecteur est bien tournée
vers le Nord. Mais il faut regarder dans d’autres exemples si ce privilège est complémentaire et
constitue une variante, ou s’il constitue une contradiction par rapport à la majorité des villes lao qui
privilégient plutôt l’orientation Est, sacrée pour l’espace bouddhique.
Les deux stupas qui dominent la ville n’auraient pas comme référence la cosmogonie
hindouisée. Ils n’auraient pas forcément symbolisé la représentation du mont Méru au sommet
duquel siège Brahma ; un monde, un état que devraient atteindre les puissants potentats. Mais ils
auraient symbolisé la victoire du dharma associée à celle des lois que la lignée des Thaèn F’a sont
en charge de promulguer dans leur règne. Ils auraient ainsi représenté ce dont les Phouans croient et
non ce dont ils sont ou ce dont ils croient être. C’est le khouane muang [0;aog,nv’]-âme de la ville,
garant de la paix, de la justice et de la prospérité du muang et de ses habitants. La position haute des
stupas –qu’elle soit centrale ou non– aurait été alors une coïncidence par rapport à la représentation
du mont Méru fréquemment représenté dans les ouvrages architecturaux des monastères.506 Ici, la
position haute aurait traduit spatialement chez les Phouans la considération et le respect envers un
élément protecteur et sacré. Il n’y a pas de rapprochement idéologique à faire entre le fait que les
Phouans placent au sommet de la colline leur lieu sacré et le mont Méru hindouiste. A Muang
Khoun le spirituel et le sacré sont placés en haut, au sommet, en particulier au-dessus de la tête des
hommes.507 La situation spatiale du lieu sacré de Muang Khoun traduit en fait la conscience
anthropique du sacré des Phouans projetée dans l’espace et dans leur comportement. Le sacré est
confondu à leur mythe des origines. La conception du sacré semble alors se relier à une idée
complexe et antérieure à leur conversion au bouddhisme. Il s’agit de leur auto conception ou de leur
auto référence ethnique et historique. Les Phouans comme les Lao auraient fondé leur origine sur la
lignée des Thaèn F’a [c4o2hk], des Muang Theung [g,nv’gmy’], autrement dit, des êtres qui viennent du
haut, “ des cités d’en haut ”, célestes. Cette idée est clairement exprimée dans le Nithan Khun
Bourom.
Outre cette auto référence sacralisée, l’idée de Muang Theung semble laisser transparaître
une certaine réalité historique et géographique des “ hauts muang du Nord ”. En d’autres termes
“ les cités célestes ” n’auraient-elles pas désigné les “ muang du Nord ”, le royaume Thaèn ou Dian
situé dans le Sud de la Chine, d’où serait venue une partie des populations lao tai. En outre, pour ces
derniers “ le haut ” ou “ l’au-dessus ” [gmy’], désigne également “ le Nord ” [gsonv]. Dans tous les cas,
l’autoréférence céleste aurait reflété la perception des Lao d’eux-mêmes et de la manière dont ils
considèrent leur propre cosmogonie, leur monde spirituel et sacré. On pense que la référence des
origines finit par fusionner avec le bouddhisme. Et cela se traduit spatialement par la construction
des that sur la colline dominant la ville, constituant ainsi son repère et son schéma symbolique. Par
ailleurs, la Nam Phouan –la rivière qui traverse Muang Khoun et qui se jette ensuite dans la Nam
Ngyo– est présente mais semble peu importante par rapport à toute la ville en termes de débit et
506 Le Mont Méru est surtout représenté par le sô f’a, le sommet du faîtage du sanctuaire, le bâtiment central du monastère. 507 Dans cette logique, la tête d’un homme est le sommet de son être spirituel, elle est donc sacrée. Ainsi, chez les Lao nul
ne touche ni ne passe par-dessus de la tête de quelqu’un. Lorsqu’il faut passer devant ou derrière une personne, il faut se
baisser ou se courbent pour être plus bas. Quittant les règles du sacré, ces gestes deviennent une marque de civilité.
Fig. 57. Les deux
stupas de Xieng
Khouang.
Fig. 58. Plan de
représentation de
Muang Khoune
Xiang Khouang.
In : Histoire du
Royaume phouan, Chao
Khamlouang
Nokham,
publication de
l’Association
Lao Phouane.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 293 -
Fig. 60.
Schéma
d’occupation
de Muang
Sing en 1996.
Interprétation
d’après les
relevés réalisés
par Bowsky et
Walter KasperSochermann,
in. Muang
Sing, passé et
présent.
d’utilisation. Elle constitue difficilement un repère.508 Les orientations et la colline aux stupas
occupent alors une place centrale. Sans que cela soit définitif, nous pouvons conclure que l’orient
Nord est une orientation sacrée prébouddhique préservée dans le schéma symbolique de Xieng
Khouang rappelant l’origine Thaèn de ses habitants, avant que l’orient Est bouddhique ne s’impose.
La région du Haut Mékong.
Le Haut Mékong durant la période coloniale, est au cœur des conflits entre la France,
l’Angleterre, la Chine et le Siam.509 Elle regroupe des bouts de plusieurs royaumes : du Sip Song
Phan Na (douze mille têtes de rizières), du Lan Na, de l’Etat Shan et du Lane Xang. Une grande
partie du Haut Mékong représente le tiers de l’ancien Sip Song Phan Na. Quatre des douze Phan Na
devenant anglais sous l’autorité traditionnelle du Chao F’a de Xieng Toung, quatre autres devenant
chinois sous l’autorité traditionnelle du Chao F’a de Xieng Hung, les quatre Phan Na restant sont
devenus français, intégrés dans l’Indochine, avec à leur tête un pouvoir traditionnel du Chao F’a de
Muang Sing.510 De Xieng Kok à Muang Sing en passant par Muang Long, Muang Kang et Muang
Nong, l’aspect des muang est fortement rural et l’histoire de leur établissement laisse peu
d’éléments pour une analyse spatiale structurée. Seule Muang Sing offre une grande richesse de ce
point de vue. Les études étymologiques et toponymiques permettent cependant d’émettre une
hypothèse sur la chronologie éventuelle de leur fondation, mais qui n’apporte pas un éclairage
particulier sur leur établissement. Une approche approfondie sur la gestion des sols, à l’intérieur et à
l’extérieur des murs de la cité, en rapport avec l’organisation sociale des communautés dans et
autour des sites, c’est-à-dire ceux des muang et de leurs marges, en termes d’interethnicité, pourrait
apporter des éclairages sur la question. Comme l’a démontré une étude ethnologique de la gestion
des sols de Evrard, qui met en parallèle l’interethnicité et la coexistence des muang et de leurs
marges chez les communautés tai et khmu.511
Xieng Kok [-P’dqd]
512 signifie “ ville ainée ”, Muang Long [g,nv’]v’] “ ville qui vient après
”, Muang Kang [g,nv’dk’], “ ville du milieu ”, Muang Nong [g,nv’ovh’], “ ville cadette ”. Nous
retenons de ces toponymes qu’il y a un mouvement chronologique de fondation de quatre muang
avant Muang Sing. Partant du Mékong et avançant vers le Nord-est pour atteindre la haute vallée de
Muang Sing, le premier muang construit serait Xieng Kok, puis dans l’ordre, Muang Long, Muang
Kang, Muang Nong et Muang Sing. Cette avancée à l’Est vers les hautes terres aboutissant vers la
fondation de Muang Sing aurait explicité la volonté du Chao F’a Sèng Si (son fondateur)513 de
s’éloigner de Muang Xieng Khaèng, ville natale d’où il a été chassé. S’éloigner de Xieng Khaèng
pour avoir la paix vis-à-vis d’une fratrie qui se bat pour le pouvoir, n’aurait pas exclu le fait qu’il y
a une réelle recherche d’un territoire physiquement propice pour fonder une cité, et une raison
symbolique pour légitimer une lignée qui aurait été éliminée de sa source. Et il serait tout à fait
naturel que Chao F’a Sèng Si en retienne les vieux principes et traditions de fondation propres aux
muang des Lü afin de préserver aussi sa propre légitimité et celle de ses descendants. De ce fait, au
moins Muang Sing serait sans conteste un modèle issu de cette tradition, même si sa construction
est récente.
508 Nam Phouan qui traverse la ville est modeste et ne constitue pas un axe majeur dans la ville, pourtant ses habitants
justifieraient leur nom Lao phouan par le nom de cette rivière. 509 Le Siam revendique le territoire qui était intégré dans l’Indochine française, sous prétextant sa souveraineté durant la
période précoloniale, l’Angleterre pour sa souveraineté historique sur la Birmanie et la Chine pour sa souveraineté du
territoire du Sip Song Phan Na.
510 Ce partage a été défini lors du traité tripartite entre la France, la Grande Bretagne et la Chine, le 7 septembre 1895. 511 « Mobilité, rapport à la terre et organisation sociale dans quelques villages thaïs et Khmou’rook de la vallée de la
Nam Tha ». Olivier Evrard. Article. 512 Terme lao composé de deux mots monosyllabiques, Xieng [-P’] (ville) et Kok [dqd] (ainé), sans aucune influence
méridionale, du pali et du sanskrit. Au Sud le nom des villes aurait été plus palisé, ainsi Nakhon Prathom [ot7voxt4q,]-
nom palisé- est l’équivalent de Xieng Kok [-P’dqd] en lao septentrional. 513 Chao f’a [g9Qk2hk] désigne le plus haut titre de prince dans la tradition dynastique lü. Il désigne aussi communément
« prince ».
Fig. 59 Situation
politique et
géographique de
Muang Sing dans
le Haut Mékong
vers 1885. Carte
réalisée d’après
une carte de
l’administration
coloniale.
Source : CAOM. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 294 -
Muang Sing.
La forme géométrale de la ville est, à première vue, tout à fait arbitraire et ses limites,
artificielles. C’est une réponse au contexte géographique très radicale et peu connue au Laos.
Muang Sing s’implante dans le creux de la haute vallée à 700 mètres d’altitude, entre la Nam Sing
et la Nam Dai, un paysage agricole étendu et dégagé. La vallée est entourée de deux ensembles de
montagnes : l’un dans le pourtour Est à 1685 mètres d’altitude, l’autre dans le pourtour Nord à 1041
mètres d’altitude.
Muang Sing a un rempart carré en terre [76fyo, kou dinh], constitué à partir des déblais du
canal qui l’entoure. Ce canal forme une sorte de tranchée. D’après ses habitants des tranchées
peuvent être couramment repérées dans cette région. En plus des tranchées, appelées khong [7v’], à
fonction agricole et de protection contre les crues, la population a l’habitude de construire aussi des
tranchées autour d’un camp, d’un village ou d’une ville. Elle appelle cet ouvrage Khong Vieng
[7v’;P’] ou Kheü Vieng [7n;P’]. Mais lorsque le terme khou ou kheü est associé au terme vieng
[;P’], il semble acquérir une autre fonction en plus, celle de protéger la cité contre les assauts des
cavaliers à cheval et des assaillants à dos d’éléphant. La forme des khou vieng et des khong vieng
peut être droite ou arrondie, leur taille et leur profondeur sont variables. En général un khong vieng
[7v’;P’] est doublé à l’intérieur par un Khou vieng [76;P’]. Mais l’état de conservation de ces
ouvrages ne permet pas d’identifier si leur fonction était agricole ou militaire ?
Le rempart de Muang Sing est un damier qui mesure entre 800 et 1000 mètres de côté,514
desservi par trois échelles de voirie. Les deux voies primaires médianes séparent la ville en quatre
parties appelées chacune xieng [-P’] (Xieng Gneun, Xieng Lé, Xieng Chai, Xieng In) et sont
orientés Sud-Est, Sud-Ouest, Nord-Ouest et Nord-Est. Les quatre voies secondaires séparent la ville
en 16 groupes d’îlots de quatre, les voies tertiaires séparent la ville en 64 îlots appelés Ta ou
Tassèng [8kF 8kcl’]. Un xieng est donc composé de 16 îlots carrés de 50 m x 50 m, disposés de
manière égale et régulière. Chaque îlot est composé de 4 parcelles de 25 m x 25 m de côté.
L’intérieur du xieng est donc desservi par 4 voies tertiaires et 2 voies secondaires qui se croisent.
Deux des quatre côtés du xieng s’appuient sur le rempart de la ville et possèdent deux portes de
sortie directe. Les quatre xieng forment en fait un vieng. Muang Sing est alors désigné aussi comme
un “ vieng aux quatre xieng ” et également appelé par les Lü “ Vieng Muang Sing ”. Le Tassèng
[8kcl’]. –chef lieu– ou “ l’îlot principal ”, est localisé à Xieng Chai (xieng du cœur) et les quatre
xieng composant Muang Sing intra-muros sont attachés à ce Tassèng. Chaque xieng est placé sous
l’autorité d’un Phraya xieng, « seigneur xieng » [ritpk-P’], sorte de chef de village mais portant le
titre de Phraya [ritpk].
515 Enfin, Muang Sing, intra-muros et extra-muros compris, est composé de
4 zones ou 4 Tassèng : Tassèng Xieng Chai, Tassèng Nakham, Tassèng Namkéoluang, Tassèng
514 D’après Grabowsky et Kaspar-Sikermann, les relevés réalisés par les Siamois comportent des erreurs car ils ont été
réalisés à partir des vieux plans lü. Dans ce plan siamois, au lieu de 25 saèn, il est écrit 5 saèn. Or à 5 saèn, la longueur du
rempart aurait seulement 280 mètres, ce qui ne correspond pas à la réalité. Tandis que les mesures données par les
personnes âgées de Muang Sing indiquent qu’il mesure 500 va, c’est-à-dire à peu près 1000 mètres ; sur la photographie
aérienne la ville mesure entre 800 à 900 mètres. En additionnant l’épaisseur du rempart des deux côtés, la largeur des
voies tertiaires, secondaires et primaires, puis la largeur des huit îlots, l’enceinte du rempart mesure 1080 mètres pour le
système métrique officiel, et 944 mètres pour le système métrique lao ancien. Le plan récent de Muang Sing dressé par
l’Institut de Recherche en Urbanisme pour le compte de la province devrait corriger les erreurs en se rapprochant plus de
la réalité, sachant que ce plan a été redressé à partir des photographies aériennes et non à partir de relevés géométrales et
topographiques.
515 Phraya [ritpk] est un titre désignant à l’origine les rois. Les rois t’aï portent d’abord le titre de khun [05o], tel Khun
Bourom, Khun Lo, etc. Dans le Phongsavandan lao et d’après Souneth Phothisane il y aurait d’abord 16 rois qui se succèdant et portant le titre khun. Ensuite il y aurait 6 rois portant le titre de Thao [mhk;], et enfin 4 rois avec le titre de
Phraya. Après ces appellations les rois seront principalement désignés sous le titre de Phra Chao [ritg9Qk], en plus de
leurs noms de règne, longs et complexes. Ces noms de règne utilisent les termes en sanskrit et pali et se sont référés au
système indien. Plus tard Phraya désignera les nobles qui ont une fonction de ministre ou de gouverneur de province ou
les deux à la fois. Ainsi le titre de Phraya Muang Chanh [ritpkg,nv’9ao] est réservé au premier ministre, Phraya Sène
Muang ou Phraya Muang Sène [ritpkg,nv’clo] au chef de l’armée, régent du royaume et chef des provinces (sous le règne
de Suryavongsa). Puis durant une période plus récente et ce, jusqu’à 1975 Phraya est simplement un titre de noblesse
accordé par le roi aux hauts fonctionnaires. Alors que le titre n’est pas héréditaire, nous pouvons cependant remarquer que
la majorité des Phraya du Royaume du Laos étaient eux-mêmes fils ou descendants des Phraya, souvent membre des
vieilles familles appartenant à l’administration royale.
Fig. 61. Plan de
Muang Sing.
Traduction en
français d’après
un plan siamois
dressé vers 1889-
1890, Archives
Nationales de
Bangkok, rapport
de service du
gouvernement
à propos de
Muang Xiang
Khaèng et
Muang Sing- Muang Nang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 295 -
Fig. 62.
Schéma de
hiérarchisatio
n spatiale et
symbolique de
Muang Sing
Fig. 63. Un
lak ban lü à
Bountaï
Thongmai. L’exemple de Muang Sing donne un éclairage sur la terminologie xieng [-P’] qui
désigne communément la ville, pour les Tai septentrionaux, en devenant aussi le préfixe du nom des
villes.
Muang Sing a été construite vers 1792 par Chao F’a Sèng Si qui a quitté Xieng Khaèng
suite à un conflit de succession. Mais à l’origine, sa première implantation était à la source de la
Nam Daï, à 3 kilomètres de Muang Sing. Et pendant 17 ans ce rempart-digue de la ville était en
terre et de forme organique. Nous apprenons de la chronique orale locale qu’un demi-siècle après sa
construction, la plaine de Muang Sing a été abandonnée par ses habitants qui émigrent516 vers
Chiangmai et vers la chefferie de Muang Nan517 dont le seigneur aurait entrepris une extension
attirant une grande partie de la population. Sans être bien établie, la ville, voire toute la vallée,
devenait vacante. Les Lü appellent cette période “ guerre des Kalrom ”.
518 Mais nous ne savons pas
sous quelle forme était Muang Sing à ses débuts. Le plan en damier a-t-il été construit à ce momentlà
?
Face à la déroute les notables de la ville demandent au Chao F’a de Muang You519
d’envoyer un chef pour diriger Muang Sing. Les Chao F’a de Xieng Khaèng auraient tenté plusieurs
fois de le repeupler mais sans succès. A partir de 1870, la région aurait été peu à peu repeuplée.
Autour de cette date le Chao F’a de Muang You envoie Chao F’a Rsirinô gouverner Muang Sing.
Celui-ci implante d’abord un groupement vers Ban Houa Khoua (village à la tête du pont) et
restaure Ban Thin That (village au pied d’un stupa), y demeure durant deux à trois années. Puis,
voyant que le site n’est pas adéquat, notamment trop exposé à l’inondation, car trois rivières se
rejoignent à l’endroit où s’implante le groupement, il a alors l’idée de fonder une ville, en déplaçant
le groupement sur le site actuel de Muang Sing. Le plan siamois établi en 1889-1890, montre
qu’une grande partie de la ville n’a pas été remplie : certains îlots restent vides, laissant croire que la
ville était inachevée à cette date.
Peu d’années après ce fut le début de la colonisation française. Chao F’a Sirinô a choisi de se rallier
à la France, pensant pouvoir sauver sa principauté des prétentions anglaises, siamoises et Hô.
La cité de Muang Sing et sa région est constituée à partir de 17 thong na [mqJ’ok] (17 champs
de rizière), qui est égale à 17 houa na [sq;ok] (17 têtes de rizière) c'est-à-dire “ 17 propriétaires ”.520
Ce qui correspond à peu près au territoire de ses quatre districts actuels. La citadelle elle-même est
un carré de 4 portes comme les autres cités lü se trouvant à l’extérieur du Laos : Muang Yu [g,bv’16h],
Muang Loey [g,nv’]vp], Muang Euwa [g,nv’gvu;hk] et Muang Nam [g,nv’oE]. Chao F’a Rsirinô meurt
vers 1905. Il appartient à la dynastie de Xieng Hung, capitale de la confédération du Sip Song Phan
Na. Il est descendant de Chao F’a Dek Noy (l’enfant roi) ou Chao F’a Inpanh, fondateur du
royaume de Xieng Khaèng au XVe siècle.521 Selon la Chronique de Xieng Khaèng, traduite et
516 Plusieurs récits de la région, notamment celui de Vieng Phu kha, se recoupent pour montrer que l’émigration lü vers
Muang Nan était une émigration forcée par les troupes siamoises avec l’aide des chefs de Nan. 517 Actuellement il y a un petit district de Muang Nan qui est situé au Sud de la province de Luang Prabang, puis il y a
Muang Nan dans le Nord-est de la Thaïlande. Il s’agit ici du Muang Nan situé dans le territoire Thaïlandais. 518 La population de Muang Sing donne le nom de “ guerre des Kalrom ” sans doute parce qu’elle voyait que les troupes
siamoises qui menaient campagne dans leur ville sont composées majoritairement de Kalrom (sous-groupe tai gnouan
[p;o) et Khrom (de parler môn-khmer), effectivement engagés comme mercenaires par l’armée siamoise. « Ce sont des
mercenaires de métier (disent-ils) qui ne craignent ni de piller, ni de faire des razzias ». Mais les Kalrom du Laos se
disent généralement être lü. 519 Muang You dans la prononciation lü à Muang Sing, ou Muang Yon sur la carte française représentant le Haut Mékong,
est sans doute Möng Yawng ou Mong Yu birman qui sont actuellement au Myanmar, l’un à environ 100 km et l’autre à
moins de 70 kilomètres à vol d’oiseau à l’ouest de Muang Sing. 520 Houa na [sq;ok], “ tête de rizière ”, semble employé comme une unité de mesure des terres ou des propriétaires chez
les Lü. En comparaison avec les Lao de la basse plaine, houa na semble désigner davantage une partie physiologique des
rizières. Le houa na en ce cas est la partie la moins immergée du sol utilisée comme pré ou pâturage, disposée
généralement entre les rizières et le village. Chez les Lü y a-t-il un regroupement de propriétaire à la tête du quel il y
aurait un chef qu’on aurait appelé houa na. 521 L’histoire de cet ancêtre fondateur mérite d’être rapportée ici, car elle est étrangement similaire à la légendaire
biographie de F’a-Ngoum fondateur du Lane Xang. Ce Chao F’a serait encore un enfant ou un adolescent lorsqu’il régne
à Xieng Hung. Capricieux et tyrannique, il passerait son temps à tyranniser son entourage et à tuer chaque jour un buffle
pour festoyer. Ces habitudes, dans une société agraire comme celle des Lüs, appauvrissent la population. Cette dernière Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 296 -
annotée par Lafont, c’est un royaume qui a fait sécession du Sip Song Phan Na pour devenir « le
seul à se retrouver indépendant de cette confédération ».
522 Entre le XVIe et la fin du XVIIIe siècle
il s’est placé sous la suzeraineté de Pegu (Birmanie). Puis lorsque le Siam l’occupe, le système
politique et social établit depuis quatre siècles se serait effondré et la ville principale refondée plus
tard à Muang Sing. A la fin du XIXe siècle le Royaume de Xieng Khaèng entra dans les conflits
coloniaux.
Vieng Phou Kha.
Aborder l’histoire de Vieng Phu Kha présente de grande difficulté, du fait de l’absence de
chronique locale et du fait de son enclavement, non seulement géographique, mais aussi culturel qui
la relie difficilement aux autres villes. Aujourd’hui, elle se trouve sur la route A3 entre Luang
Namtha et Houayxay, l’un des trois maillages du réseau routier du Nord aménagé dans le cadre du
programme de développement économique du GMS. Ceci devrait changer beaucoup la donne pour
Vieng Phu Kha dans les prochaines années : d’un lieu quasi-inaccessible, il est actuellement à 2
heures de Mohan (Chine) et à 3 heures de Chiangkhong (Thaïlande), route la plus courte par
laquelle les camions chinois et thaïs empruntent pour échanger leurs marchandises.
Actuellement Vieng Phu Kha est peuplé à 95% de population de parler môn-khmer. Mais
son histoire est instable du point de vue ethnographique et culturel. Le site est occupé dès le début
du mégalithique. Nous y trouvons des objets et des outils en pierre,523 et sur les parois des grottes de
nombreuses gravures représentant des animaux. Vieng Phu Kha semble aussi être le plus important
site khmu de fabrication de tambour de bronze au Laos, puisque nous y trouvons des débris de fer,
de bronze et d’or issus de fonderie et de four.524 Dans l’histoire du peuple khmu il est transmis de
génération en génération que deux branches, khmu khrouaèn [0t,5c7;ho] et khmu roc [0t,5ivd], se
faisaient la guerre vers la fin du premier millénaire, due à des croyances divergentes : les uns
vénéraient les phi des ancêtres, les autres, les esprits de la forêt. Les conflits auraient causé
l’affaiblissement de ce peuple, séparé en plusieurs groupes, rendant impossible une organisation
sociale et politique plus solide, sous forme de cité par exemple. Malgré une démographie
importante et des avantages culturels et intellectuels dus à leur rapprochement plus grand au monde
môn-khmer,525 que n’ont pas les autres communautés tribales de parler môn-khmer, les Khmu
s’organisent en village et en tribu et ne dépassent jamais ce cadre dans le territoire de Vieng Phu
Kha. D’un monde fermé, les Khmu seraient peu à peu entrés en contact avec les Tai, dont la
structure sociale, politique et économique est organisée dans le muang. Les Khmu vont vivre sur les
marges du muang des Tai du point de vue géographique et social. Mais du point de vue politique et
économique ils seraient inévitablement intégrés dans le système du muang grace aux trocs et à la
connaissance qu’ils ont de la forêt, dont ont besoin les Tai muang.
526 Bien que le Lao soit une
langue véhiculaire entre les différentes ethnies depuis plusieurs siècles, un échange linguistique est
exigerait alors son exile. « Le mettant dans un radeau et accompagnés de cinq couples de Tai, de sept couples de Khas
(Khmu), des guerriers composés de quinze Tai et de douze Khas (Khmu) », la petite colonie descend le Mékong et fonde la
ville de Xieng Khaèng qui devient le centre du royaume portant le même nom. La partie légendaire de la biographie de
Chao F’a Dek Noy a été recueillie au cours de l’interview que j’ai réalisé auprès du Pothao Sèng Chai (le grand-père Sèng
Chai) de Xieng Chai à Muang Sing. 522 Le Royaume de Jyn Khen, chronique d’un royaume Tay loe2 du haut Mékong (XVe – XXe siècle), P-B Lafont,
L’Harmattan, Paris, 1998. Op, cit. 523 Dans la grotte de Phou Lang nous y trouvons des gravures de tigre que les locaux khmu appellent savay si Ngot qui
signifie « le tigre qui dort sur la route ou le tigre barrant la route ». Sur la falaise de Sang Kha nous y trouvons des
gravures montrant des familles de chiens et de chiots. Cf. Sèngthong Phothiboupha. Ibid. 524 Nous trouvons ces vestiges à trois endroits : à Thong Lô [mqJ’s]+] « champs de fonderie », à Tham kateub [4Edt8b[], et à
Tham Takhong-Takhèng [4He 8t7jv’8tc7’]. 525 La langue khmu est l’une des plus importantes en Asie du Sud-est continentale. Elle a joué un rôle important dans la
langue lao qui lui emprunte un certain nombre de mots dans le domaine de l’agriculture et de la forêt, ainsi que dans la
désignation de nombreux objets.
526 Dans le Nord, l’identité tai est associée fortement au muang. Ceci par opposition aux autres populations non tai et non
détenteur du muang mais vivant sur les marches et les marges du muang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 297 -
remarquable entre Khmu et Lao puisqu’un pourcentage important de termes lao est d’origine
khmu.527
Vieng Phu Kha est apparu pour la première fois dans le Nithan Khun Bouron. Lors des
campagnes d’unification après la prise du Haut Mékong, F’a-Ngoum aurait déplacé la population de
Muang Luang Phu Kha vers Xieng Dong Xieng Thong au début de la seconde moitié du XIVe
siècle, pour ne laisser que vingt familles. Et au XVIe siècle, étant devenu l’un de leurs muang la
Chronique de Xieng Khaèng dit que les Chao F’a y ont réinstallé les Kha Samtao, d’origine mônekhmère
mais bouddhistes. La mémoire orale fournit quelques données qui se recoupent avec cette
chronique sur certains points, mais elle en donne souvent des versions très légendaires. Du XVIe au
XVIIe siècle suite à la défaite de Sethathirat sur Chiangmai et sur le haut Mékong les Birmans se
seraient emparés de la région. Installés dans la ville ils auraient construit l’étrange fortification qui
donne à Phu Kha son statut de vieng. L’occupation birmane sous le règne de Bayinnaung aurait
pour objectif la création d’un avant-poste de Taung-Ou pour contrer le Lane Xang. Envoyé par ce
grand roi birman, un moine érudit, Maha Phot, accompagne les Lü et les Phu Noy de religion
bouddhiste pour peupler la région de Phu Kha. Plusieurs monastères auraient ainsi été construits par
leurs soins : Vat Maha Phot, Vat Bokhung, Vat Chomthong, Vat Pha Phoune, etc. Une fortification
aurait été construite sur une petite colline. Vers 1567, un nom en Pali a été donné à Phu Kha pour
l’inaugurer : Pukhakheratha. Mais cette version de l’histoire contredit une certaine réalité par le fait
que la population ne retient pas ce nom et retient plutôt celui de Vieng Phu Kha. Il faut signaler
aussi qu’une ville birmane ne porte pas la terminologie vieng. Tout en gardant en mémoire l’histoire
orale locale qui attribue aux Birmans la construction de l’étrange fortification, la population locale
reste perplexe quant à sa logique. Nous pensons qu’il est possible que le Khong Vieng en terre soit
antérieur aux Birmans et que ces derniers aient pu réoccuper le site et l’ouvrage en y construisant
leur ville, juste le temps de leur occupation.
Durant la période birmane, le système de pouvoir local khmu autrefois préservé par les Lao
serait peu à peu tombé en déshérence. Pour fuir les tributs imposés par la cité de Phu Kha la
population khmu aurait quitté la ville, sans chef et sans organisation, dispersés en petits groupes,
vivant dans des habitations souvent provisoires, devenant quasiment nomades au gré des saisons et
des opportunités des terres à cultiver, abandonnant l’organisation de grands villages structurés. Ils
auraient établi un système de troc de subsistance (produits agricoles) et auraient vendu de la main
d’œuvre à la ville occupée par les Birmans, les Lü et les Phu Noy. Vers 1630 lorsque Muang Luang
Houa Tha (Luang Nam Tha) fut établi au nord, les autorités des deux muang auraient fixé la
frontière entre leurs territoires au sommet d’une montagne appelé Doy lak kham (montagne de la
borne dorée). La domination birmane dans cette région aurait duré 160 années jusqu’aux premiers
raids des Hô.
Effectivement lorsque les Hô ont attaqué, occupé et pillé la ville entre 1728 et 1730 les
Birmans ont déserté aussi la région et ne sont de retour qu’une cinquantaine d’années plus tard. Le
siège des Hô se traduit par la destruction de la ville fortifiée pour ne laisser subsister que ses
environs parsemés de villages khmu et tai. Après leur départ, les anciens habitants ne reviennent pas
davantage. La cité de Phu Kha est peu à peu devenue une jungle hostile. Les Khmu ont profité de
cette occasion pour y revenir. De fabuleuses légendes khmu relatent la période héroïque où il faut se
battre contre la jungle et les animaux sauvages pour rétablir et humaniser Phu Kha. Après avoir
vaincu les animaux sauvages le chef Khmu de cette expédition, Saèn Phab, devient dirigeant de
527 Au Laos la langue véhiculaire entre les quatre grands groupes et sous groupes de parler môn-khmer, tibéto-birman,
miao-yao et tai est la langue lao (en d’autres termes, la langue tai utilisée dans l’ancien Lane Xang). Et ceci depuis
plusieurs siècles indépendamment des initiatives politiques récentes qui obligent tous les groupes ethniques existant sur le
territoire lao à adopter le Lao comme langue officielle. Dans le troisième quart du XIXe siècle, les explorateurs français
avaient déjà observé que les populations non tai du Laos utilisent le Lao pour communiquer, même au sein des petits
groupes de la même famille, par exemple entre les sous-groupes môns-khmers. Mais aucun auteur ne dit à quel moment la
langue lao a été utilisée ainsi. Dictionnaire Khmu-Lao, Yan-Oulaff, Damlong Thayaninh, Christina Lindel, Thongphet
Kingsada, Somsèng Xayavong, Imprimerie du Ministère de la Santé, Vientiane 1994.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Vieng Phu Kha en tant que Phraya entre 1732 et 1735 avant de céder la place à Chao F’a Phèng de
Xieng Khaèng. Vers 1790, les Birmans sont revenus occupés Phu Kha jusqu’à 1838.528 A partir de
1838 les Siamois vont mener des campagnes d’annexion du Haut Mékong. Ils occupent le territoire
en déplaçant des populations vers Chiangmai et Nan, avec l’aide des chefs de Muang Nan et aussi
avec l’assistance des Anglais, intéressés pour compléter les parties manquant des Sip Song Phan
Na. Les déplacements incessants des Khmu et des Tai de cette région seraient sans doute l’une des
causes qui altèrent le rapport traditionnel entre les peuples indigènes de parler môn-khmer et les
peuples lao tai, construit au moins depuis le XIVe siècle. D’un système de pacte, la relation se
transforme en rapport d’assujettissement. Ce serait probablement à partir du moment où les pactes
ont été rompus qu’il y a apparition de l’exploitation pure et simple de ces populations et que le
terme kha prend un sens nouveau par rapport à l’époque de F’a-Ngoum, où kha aurait désigné
simplement une population d’origine mône-khmère, l’équivalent du terme khrom [0v,].
Après les traités franco - anglais le Haut Mékong (partie Est) entre dans le protectorat
français sous l’autorité du roi de Luang Prabang à partir de 1894. Il y a alors un mouvement de
repeuplement par le retour des populations qui ont fui les conflits, notamment les Khmu. Le
système de corvée a été établi pour prélever les taxes de capitation et pour reconstruire la région :
une route ancienne a été réhabilitée et reconstruite entre Luang Nam Tha et Houayxay. L’autorité
royale est plus présente après la deuxième guerre mondiale et après l’indépendance, des
fonctionnaires lao sont envoyés pour administrer Muang Vieng Phu Kha. Mais après la libération ou
la prise de Muang Sing et de Muang Luang Nam-Tha par le Néolao Issara en 1962, la région de
Vieng Phu Kha qui appartient dès lors à la zone libérée connait de nouveau un lourd enclavement.
Plusieurs milliers d’habitants la quittent après la libération, rejoignant Houayxay, ville contrôlée par
le gouvernement de Vientiane.
L’étude toponymique de Vieng Phu Kha suggère des hypothèses quant à l’origine de sa
constitution. Vieng Phù Kha [;P’r67k] signifie “ ville bloquée dans la montagne ”, mais peut
également être une corruption de deux expressions : de Vieng Phu Khâ [;P’r60hk] signifiant “ ville
de la montagne des Kha ” –Kha [0hk] étant la désignation par les Lao des populations montagnards
non tai de parler môn-khmer, ou de Vieng Phû khâ [;P’z6j0hk], “ Ville à moi, l’obligé ”.529
528 D’après Sèngthong Phothiboupha, « Histoire de Vieng Phu Kha » (Op, cit). Mais d’après Souneth Phothisane, le Siam
aurait déjà plus ou moins la main mise sur les Sip Song Phan Na. Sous l’ordre de Thonboury vers 1805 les troupes de
certains royaumes vassaux du Siam conduites par Chao Anou de Vientiane auraient mené une guerre dans le Nord pour
enlever les muang sous occupations birmanes. Le succès de cette guerre était retentissant, plus de 50 muang à dominance
lüe ont été arrachés aux Birmans y compris certains muang qui étaient les plus occidentaux et situés aujourd’hui dans le
territoire birman. Il y a notamment Muang Yaung, Xieng Tung, Muang Luang (Luang Nam Tha), Muang La, Muang
Xieng Hung, Muang Xieng Khaèng, Muang Vieng Phu Kha. In : Les batailles héroïques de Chao Anu, S. Phothisane,
Bibliothèque Nationale, Vientiane 2002.
529 Contrairement à la conception générale nous pensons que le terme kha désigne plus le serviteur que l’esclave. Puisque
le phénomène d’esclavage est né vers le XVIIIe siècle. A l’origine kha that [0hkmkf], “ serviteur du that ” vient d’une
tradition royale qui veut que les monarques placent aux services du monument votif (that) des personnes ou des groupes
de personnes, après avoir terminé leur construction. Contraintes par une servitude religieuse les personnes sont désignées
de kha that, “ serviteurs du that ”. Contrairement aux esclaves liés à la société siamoise du XVIIIe – XIXe siècle, les
serviteurs du that jouissent des prérogatives : ils sont exemptés de corvées et de tributs et personne n’a le droit d’outre
passer les ordonnances royales qui peuvent durer plusieurs siècles. Il serait par exemple hors de question que Suryavongsa
remette en cause les personnes placées comme serviteurs du That Luang par Sethathirat, même s’il restructure la gestion
du that.
Sur le plan lexical kha utilisé en association avec d’autres termes recouvre d’autres significations. Khoy-kha [0vjhp-0hk]
désigne un “serf”, un “ assujetti ”. La signification textuelle de Phû étant “ celui qui ”, phû khâ serait “ celui qui est un
obligé ”. Vraissembablement le nom de Vieng Phu Kha avec l’orthographe actuel signifiant “ la ville bloquée dans la
montagne ” serait une corruption de Vieng Phû khâ [;P’z6j0hk], “ Ma ville à moi, l’obligé ”. Il est probable que parmi les
territoires appartenant aux indigènes et placés sous la domination lao, Vieng Phu Kha fait l’exception de ville laissée aux
pouvoir autochtone khmu, une prérogative royale, d’où la désignation de “ ville des khmu ”.
Sur le plan sociologique, kha [0hk] ne peut être assimilé complétement à la seule connotation d’esclave. Le phénomène de
l’esclavage apparu dans la société lao, sans doute vers le XIXe siècle, possède une origine autre et correspond à une
période historique qui n’est pas liée à la période de soumission des populations non tai ou de parler Môn-Khmer qui a lieu
au moins à partir du XIVe siècle. Devenir esclave, kha [0hk], n’est pas uniquement le sort des populations non tai ou de
parler Môn-Khmer mais c’est aussi celui des Lao Tai eux-même, notamment lorsqu’ils ne peuvent rembourser leurs
dettes. Ce sont des esclaves pour dette. Les minorités de parler Môn-Khmer sont le plus concernées, ayant été victimes au
XIXe siècle de raffles, par les ethnies du même groupe plus guerrières ou par les Tai. Dans les deux cas ils ont été vendus
purement et simplement comme esclave. Cette pratique est devenue un commerce fructueux au XIXe siècle, largement Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 299 -
“ L’obligé ” serait utilisée pour s’adresser aux autorités royales lao tai auxquelles les Khmu se sont
soumis. Quelle que soit la période de domination tai –de Xieng Khaèng ou de Luang Prabang– la
chronique locale note que la région de Vieng Phu kha, comprenant plusieurs villages tribaux, a
toujours été administrée par les chefs autochtones indigènes khmu ou autres sous-groupes mônskhmers
et aujourd’hui l’écrasante majorité des habitants sont de parler Mône-Khmer. Avant le XVIe
siècle, ces derniers n’ont pas le droit d’occuper la fonction naï phong [okpzHq’] (chef du Tassèng ou
chef du canton)530 et aucun d’entre eux ne peut occuper le poste de Chao Muang (chef du district).
A partir du XVIIe siècle, l’administration royale lao a accordé aux dirigeants “ indigènes ” de Phu
Kha les titres de Meun [\nJo] et Saèn [clo], mais pas le titre de Phraya [ritpk]
531 .
A l’écart du chef-lieu du muang actuel, des restes de vestiges en brique attestant l’existence
des constructions religieuses (tels les sanctuaires bouddhistes, sim et vihan), de canal (khong) et de
digue (khou), montrent à l’évidence l’existence d’un ancien vieng. La dégradation des ouvrages
bâtis (quasiment détruits par les pillages, les intempéries et la végétation) montre que la ville a été
abandonnée depuis plusieurs siècles. D’après l’histoire locale,532 elle a été abandonnée à deux
reprises : vers 1730 suite à des raids des Hô et vers 1838 lorsque la ville est attaquée par les
mercenaires dirigés par les chefs de Muang Nan sous les directives du Siam. Il est difficile
d’identifier sous la végétation et les tumulus une quelconque architecture et forme urbaine. Les
relevés sommaires donnent un aperçu approximatif de la morphologie de la fortification en terre et
montrent une particularité par rapport aux autres fortifications existant au Laos. Implantée à
proximité d’une petite colline entourée d’une plaine de petite taille, la fortification a au sud-est une
petite rivière, la Nam Chuk. Le site est plat et semble être le résultat d’une mise en oeuvre
artificielle : aplani, creusé et gagné sur une terre convexe ou sur une faible pente de colline. La
fortification elle-même est formée de déblais accompagnés de montées de terre. Leurs tracés
dessinent, dans le sens des aiguilles d’une montre, une fortification en forme d’escargot : le côté
ouest possède trois lignes, le côté est en possède deux. Au nord, il y a la petite plaine de Ban Thio, à
l’ouest celle de Ban Pha Poun, Ban Bô Khung et Ban Bô Khang. A l’est il y a celle de Ban Thong
Lô, au Sud-est et au sud, la petite rivière Nan Chuk. Ont été construits à l’intérieur de la fortification
côté sud deux stupas, et au sud-ouest à l’extérieur, un sanctuaire bouddhique. Les ruines de ces
éléments bâtis, ainsi que celles de la fortification elle-même, sont quasiment inexploitables du point
de vue archéologique à moins qu’un dégagement et excavation complet soit mis en œuvre. Tout le
site couvre près de 40 hectares de forêt. Les fonds des déblais-canaux sont en partie comblés
naturellement de terres noires au fil des années. En marchant dans les fonds des canaux, nous avons
pu suivre le tracé de la fortification. La profondeur des canaux varie entre 9 et 11 mètres, leur
largeur entre 8 et 15 mètres, tandis que la largeur des fonds entre 3 et 4 mètres, la longueur totale de
la fortification environ 5 232 mètres.
Vieng Phu Kha aurait possédé une triple origine. L’histoire de sa fondation serait liée à
celle de la région du Haut Mékong, comme Houayxay, Muang Sing, Luang Nam Tha et Muang
Xieng Khaèng, occupée par les Birmans durant plusieurs dizaines d’années, voire durant plus d’un
siècle –faits que l’histoire locale retient avec certitude. Son statut persistant de vieng indique une
ancienne administration lao tai, alors que son toponyme rappelle son origine khmu, attesté par une
diffusée au Laos par les siamois qui la pratique plus aisément. L’esclavage, comme tel, est connu de la société lao
ancienne mais ne serait pas une pratique courante car désapprouvée par la morale réligieuse. 530 D’après Sèngthong Phothiboupha (op, cit.) naï phong désigne le chef du district, chef de canton. D’après Khamman
Vonkotrattana, phong désigne le village reculé. Op, cit. 531 D’après les données recueillies pour « l’histoire de Vieng Phu Kha » par Sèngthong Phothiboupha, papier manuscrit de
8 pages, 1994. Les titres nobilières qui correspondent surtout à des fonctions et ne sont pas transmissibles héréditairement
sont principalement de quatre dégrés : dans l’ordre de croissance, Meun [\nJo] correspond à 10 000, Saèn [clo]
correspond à 100 000, le troisième le Phya [graP] et le quatrième le Phraya [ritpk]. Phraya est l’équivalent de ministre.
Ce titre a plusieurs grades : Phraya Saèn muang [ritpkclog,nv’] est le chef des armées, le chef des provinces et le régent
du Royaume au XVIIe siècle, Phraya Muang Chanh [ritpkg,nv’9ao] est le premier Ministre. Cf. note op, cit. 532 Sur l’histoire de Vieng Phu Kha, la version du service culturel du district fait référence aux annales de Muang Xieng
Khaèng. In : « Histoire de Vieng Phu Kha », Sèngthong Phothiboupha. Ibid.
Fig. 64.
Relevés de la
fortification
de Vieng Phu
KhaDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 300 -
majorité écrasante de cette population présente sur le territoire et par les vestiges de fabrication de
tambour de bronze retrouvés à Ban Thong Lô à l’est de la fortification.533
Du point de vue morphologique, la fortification de Vieng Phu Kha ne ressemble ni aux
fortifications des Birmans à qui l’histoire attribue la propriété, ni à celles des Tai repérées à ce jour,
ni à celles des Khmu, du moins nous ne connaissons pas à ce jour de manière formelle leur
fortification. Pour construire la fortification l’histoire locale dit que les Birmans auraient rassemblé
chaque jour 500 autochtones pour déblayer la terre. La construction qui n’aurait duré que trois mois,
aurait eu lieu vers 1530. En faisant le calcul, chaque homme aurait creusé 11,5 m3 par jour. Ce qui
paraît impossible. Quelle serait la fonction de cette fortification inhabituelle et complexe : une
fortification militaire à la castramétation particulière, agricole ou citadine ? En tous les cas, les
traces d’habitations n’ont pas été repérées à l’intérieur et des liaisons n’ont pas été remarquées entre
les canaux et la Nam Chuk, à moins que des tronçons aient été comblés et disparus. Cependant,
nous pouvons la rapprocher aux autres anciennes fortifications. Celles de Muang Viengkham,
trouvées sur les berges de la Nam Ngum, dont nous ne connaissons pas à ce jour l’origine, sont
composées de cinq petites fortifications en forme d’anneau, reliées les unes aux autres par des
lignes de déblais sur la berge est de la Nam Ngum. Celle qui se trouve à l’ouest est plus grande que
les autres. De manière plus lache et moins importante en taille, il y a d’autres kong (déblai - digue)
dans les environs de Muang Sing et à proximité du centre de Luang Nam Tha.534 Ils auraient été
creusés au pied des collines ou des montagnes et auraient utilisé leurs pentes comme protection
arrière (informations non vérifiées). Ils auraient un aspect plus ou moins provisoire dans la mesure
ou ils auraient été aménagés pour protéger provisoirement les villages ou les établissements qui se
sont établis à une époque donnée. La période qui les concerne serait récente autour du XVIIe et
XIXe siècle. Par contre à Luang Nam Tha, les informateurs évoquent la période Khrom et Tch’ueng,
beaucoup plus éloignée.
535
Vieng Phu Kha tel qu’il est aujourd’hui ne peut fournir des informations plus avancées sur
les trois périodes d’installation évoquées (khmu, tai et birmane). Il est même curieux que ce petit
district puisse avoir une quelconque importance du point du vue historique. Car comme beaucoup
de muang actuel, les muang sont muang que par leur nom ou parce qu’administrativement il faut
installer un muang dans une logique de répartition administrative d’un territoire “ trop peu habité ”.
Le centre du muang actuel à quelques kilomètres (2 km ?) au sud-ouest de la fortification est
traversé par la route A3 reliant Luang Nam Tha à Houayxay. Sur le côté ouest de la route vivent les
Tai et sur le côté est les Khmu et les autres non tai. Au moment du Kam Ban [de[kho], fête consacrée
aux phi ban khmu qui a lieu une fois par an vers fin juillet, le village est interdit d’accès aux
étrangers : un signe barre les passages. Quiconque dépasse la limite marquée par les signes est
passible d’amende.536
533 D’après Houmphanh Rattanavong, la fabrication du tambour de bronze ne relève pas uniquement des populations
mônes-khmères ou indigènes, mais également des populations lao tai. Les tambours de bronze retrouvés dans le Sud de la
Chine auraient fait aussi partie des objets rituels fabriqués par les Daï (Tai), hypothèse qui serait confirmé dans les études
de l’équipe du musée d’anthropologie de Nanning. In : 2000 ans au son du Khraèn lao, Accadémie Nationale des
Sciences, éd., Association pour la protection et le développement durable de la biodiversité, Vientiane, 2008.
534 Dans les deux cas, par manque d’information nous n’avons pas pu trouver des relevés ni inspecter les sites que les
informateurs nous ont indiqués.
535 De manière générale, lorsque la conception populaire attribue tel ou tel site comme appartenant aux Khrom et aux
Tch’ueng cela signifie simplement que le site en question n’est pas lao : sa construction remonte à une époque reculée
dont elle n’arrive pas à faire le lien avec ce qu’elle sait et ce qu’elle conçoit comme lao. Cela signifie simplement
l’inconnu. Il n’y a donc pas de raison de renvoyer entièrement l’inconnu au monde môn-khmer. Et lorque nous examinons
ce qui est qualifié de lao par la conception populaire, nous voyons souvent des éléments (monuments, monastères) encore
en usage, ou lorsque ce sont des ruines, elles ont une certaine traçabilité inscrites dans les chroniques locales, écrites ou
orales. Dans la conception populaire, Khrom renvoie au peuple môn-khmer, et Tch’ueng aux constructeurs de la plaine des
Jarres. Op. Cit. 536 Seul le côté est, côté du village des khmu, est soumis à l’interdition d’accès au moment de la fête, le côté ouest de la
route habité par les non Khmu reste accessible. Sans cette bipartition la traversée du village par la route A3 lors des fêtes
aurait été difficile : toute les voitures descendant vers Houayxay auraient à payer des amendes, à raison de 100 000 kips
par personne.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 301 -
Rappelons que H. Rattanavong suggère l’idée qu’il y a un lien possible entre Vieng Phu
Kha et les Lao Thaèn (dans le Nithan Khun Bourom).
537 Ces derniers y auraient installé pour la
première fois un établissement lao au VIIe – VIIIe siècle, avant d’occuper Luang Prabang et Xieng
Khouang. A cette question, les vestiges archéologiques subsistants ainsi que les récits locaux, ne
permettent pas de fonder de manière plus construite des hypothèses sur les bâtisseurs de ce vieng.
Les fouilles n’ont pas vraiment été effectuées, juste des signalements sur l’importance de la
population khmu et du site dans l’histoire du Lan Xang, à la suite des repérages effectués par les
autorités en charge des affaires culturelles du district, accompagnés de textes et de relevés
sommaires.538 Quoi qu’il en soit Vieng Phu Kha constitue une pièce de plus pour nous “brouiller”
sur la connaissance des villes laotiennes septentrionales des hautes terres qui commencent à peine à
nous dévoiler leurs secrets. Cependant, nous verrons dans quelles conditions cette hypothèse ne peut
être complètement rejetée.
Souvannakhomkham ou Xieng Saèn
D’après Garnier Souvannakhomkham serait apparue au Ve siècle et son fondateur aurait été
un Khrom. D’après Vongkotrattana qui s’est référé au Tamnan Yolnok ou Tamnan Liphi, un khrom
–Ayakuman, l’oncle du roi de Sikhottabong aurait été son fondateur. La cité aurait été installée sur
l’île de Kheun avec 3 000 sujets. Construite en trois ans, elle « aurait atteint près de 100 000
maisons ». Plus tard, par suite de mauvais traitements envers les marchands de Muang Swa (Luang
Prabang), suivis de conflits, la cité aurait été saccagée par la colère du naga, et ses habitants
l’auraient abandonnée.539 Ces légendes sont complexes et difficiles à recouper avec des faits
historiques. Mais nous retenons le fait que Xieng Saèn est relié à Luang Prabang et à Nong Sé Saèn
Gnane –une région supposée située dans le royaume Dian (Muang Thaèn)540– et que les habitants de
Luang Prabang sont assimilés à la famille des naga venus de Muang Thaèn. Deux éléments
transparaissent ici : d’abord, les assaillants qui ont détruit la cité seraient les habitants de Luang
Prabang liés à Muang Thaèn ; après cette destruction, la cité aurait été reconstruite par les Lao
Tchok venus de Chiangrai. Ce sont deux protagonistes opposés que nous avons déjà évoqués. La
ville qui renait aurait eu un rempart sur les quatre côtés, long de 3 000 bras et aurait pris le nom de
Xieng Lao ou Ngeunyang.
541 De ces légendes et épopées semi-historiques avant le XIVe siècle,
retenons une idée qui peut transparaître dans l’histoire sociopolitique : la cité de Xieng Saèn serait
passé du pouvoir autochtone môn - khrom au pouvoir tai. Sur le plan culturel et ethnographique, la
537 D’après lui, les Lao Thaèn (Cf. Khun Bourom et Khun Lo) viennent de l’ancien Muang Thaèn (Xieng Hung), appelé
aussi Muang Theung (cité du haut), ou du nouveau Muang Thaèn (Sip Song Chou Tai) appelé aussi Muang Loum (cité du
bas). 538 H. Rattanavong a identifié le site dans le cadre des travaux de repérage mené par l’Institut de Recherche sur la Culture
(IRC) dont il avait la direction. En 1994, un document a été produit par Sèngthong Phothiboupha, il comporte trois textes :
le premier texte manuscrit de huit pages résume l’histoire de Vieng Phu Kha ; le deuxième comportant deux pages porte
sur le Khong Vieng (douve de fortification) de Phu Kha ; le troisième évoque le Vat Maha Phot. En 2003 un autre texte de
deux pages accompagné de rélevés sommaires a été produit par Oukéo Vongphoumi. En 2009 un texte d’une page
accompagné d’un relevé (cette fois-ci côté approximativement) a été produit par une équipe : Kéothavi Chanthanasack du
service Culturel et de l’Information du district, Manhkam, Kéo et Peung du centre de l’Information touristique. 539 D’après les annales Nam Thuam Lok (L’inondation du monde), Cf. H. Rattanavong, où l’histoire de la famille des sept
Nagas venant du Nord a été évoquée, liée à l’histoire des 15 familles des Naga de Luang Prabang (Nark sip-ha takoun) – une autre légende locale qui fait partie des mythes de fondation. Ces mythes attribuent à la dynastie lao une origine liée
aux 15 rois naga qui ont régné à Nong Sé Saèn Gnane, à Luang Prabang et autres vallées du Mékong. D’après S.
Phothisane le mythe est utilisé par une école ou un courant historiographique dite traditionnaliste.
540 Dans le Nithan Khun Bourom, Nong Sé a été évoqué comme un site d’implantation lao localisé dans le Sud de la
Chine, vers la fin du premier millénaire. In : Le Phongsavadane Lao, S. Viravong (op, cit). Cependant cette localisation a
été remise en question et refutée, au même titre que les autres thèses qui placent les implantations lao dans le Nan Chao.
Pour H. Rattanavong Nong Sé Saèn Gnane se situerait au Sud-Ouest de Kunming, dans la région de Tian Shi durant la
période Han entre 206 avant J-C et 220 après J-C. In : 2000 ans au son du Khraèn lao, op, cit. 541 sous ce dernier nom la cité est apparue dans le Thao Hung Thao Tch’eng Dans la région de Chiangrai, Xieng Saèn,
plusieurs émergences historiques seraient apparues à différentes époques : à Xieng Saèn-Souvannakhomkham il y a eu
d’abord les Khrom venant de Sikhottabong, puis vers la région de Chiangmai, les Tai Yolnok, et à Chiangrai, les Lao
Tchok. Ces derniers seraient venus refonder Xieng Lao ou Ngneunyang (rive gauche) après la chute de
Souvannakhomkham. Après les Lao Tchok, les Môns de Lamphun et de Prayao auraient étendu leur pouvoir dans toute la
région proche. Les fondateurs de Xieng Lao ou Ngeunyang auraient appartenus, à la même dynastie que Khun Tch’ueng
le fondateur de Xieng Khouang.
Fig. 66. Les
reliefs de la
région de
BokéoTonh- pheung
Fig. 65. La
ville de
Chiang Saèn
Thaïlandaise
(rive droite),
état actuelDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 302 -
cité aurait connu en premier temps une culture du mystérieux Sikhottabong et celle des Môns de
Dvaravati. Elle serait passée aussi sous la domination des Lao Tchok dont nous ignorons à peu près
tout de leur existence. Si les Lao Tchok appartenaient au groupe Lao Tai, ces derniers auraient
probablement été influencés par les Môns, voire, auraient été un groupe de métissage. Il serait tout à
fait concevable aussi que plusieurs ethnies (aborigènes, mônes, khmères, tai lao, etc.) y cohabitaient
et devenaient à tour de rôle le groupe dominant. En tous les cas, par la suite, Lane Xang et Lan Na
auraient partagé dans cette aire culturelle leurs sources communes. Du point de vue historique, la
cité aurait été une émanation du royaume de Sikhottabong sous le nom de Souvannakhomkham
dans les cinq premiers siècles du premier millénaire. Elle aurait été l’œuvre des Lao Tchok de
Chiangrai sous le nom de Xieng Lao autour du VIIe siècle. Puis, vers le XIVe siècle, elle aurait été
investie par les Tai du Lan Na, avant d’être intégrée au Lane Xang. Plus tard, elle serait devenue la
zone de conflit entre les deux royaumes.
Du point de vue géographique, la ville en son site aurait été menacée tout le long de son
existence par l’érosion du Mékong et aussi par l’eau de ruissellement montagneux. Et sans doute
plus tard cette particularité géographique aurait causé son abandon par ses habitants. La ville aurait
ainsi connu deux moments : un avant et un après la destruction d’une partie du site par l’érosion du
Mékong et par la violence des eaux de ruissellement des montagnes. Cela aurait sous-entendu la
probabilité d’un site à deux faciès.
D’après la Chronique de Souvannakhamkham et du fait qu’il y a deux sites importants sur
rive gauche et rive droite, sa localisation à postériori à Muang Tonh Pheung pose quelques
questions. D’après Lorrillard, l’assiette du site de Souvannakhomkham se situe bien du côté lao,
côté rive gauche du Mékong dans le périmètre sud de Muang Tonh Pheung, entre le confluent de
Nam Kok en amont et de Ban Done That en aval. Mais il suggère en se référant à cette chronique et
à la Chronique de Singhanavati, que la ville aurait couvert également la rive droite sur les deux
berges de la Nam Kok. Par la suite, celle-ci aurait été recouverte de sédiments pour ne subsister sur
cette rive qu’une partie du site de Chiang Saèn Noi. Sous la menace de l’érosion, les habitants se
seraient postérieurement repliés vers une zone plus sécurisante, contribuant à la fondation de la cité
de Chiang Saèn thaï actuelle, en amont sur la rive droite dont les vestiges archéologiques sont
mieux conservés que sur la rive gauche lao. Les vestiges de monuments restant encore visibles sur
la rive lao peuvent être datés d’après lui du XVe
-XVIe siècles, en plein âge d’or du Lan Na. Ce qui
signifie que Chiang Saèn rive droite serait postérieur au XVIe siècle.542 Il est probable aussi qu’en
parlant de Ngeunyang (Souvannakhomkham) dont l’action se situe au VIIIe siècle, l’auteur de Thao
Hung Thao Tch’ueng parle de l’ancien Xieng Saèn rive gauche, et non de Chiang Saèn rive droite
fondée par Saèn Phu en 1328.543 Cela suggère l’idée qu’il y a un grand et seul établissement qui
connaissent trois époques importantes : au VIIIe siècle, Xieng Saèn sur la rive gauche (rive lao
actuel), puis vers 1328, Xieng Saèn sur la rive droite et enfin au XVIe siècle, de nouveau sur la rive
gauche. En tous les cas, il semble, tant pour Lorrillard que pour Rattanavong, que Sethathirat a
séjourné à Xieng Saèn rive gauche, sans doute le centre alors de ce muang.
Si la datation de Lorrillard aux XVe - XVIe siècles se confirme, cela concerne
probablement une partie de la cité, mais pas la totalité, et signifie que les habitants ont continué à
s’établir sur un site existant, et à poursuivre sa construction durant cette période, en coexistant avec
quelques édifices antérieurs. Autrement, comment les ruines auraient-elles été possibles, alors que
la question spatiale et de restructuration occupe une place primordiale à l’époque de Sethathirat ? La
542 Lorrillard note que les données archéologiques contredisent cependant sa suggestion : « Les données archéologiques
tendent cependant pour l’instant à contrarier ce schéma. Elles montrent en effet un synchronisme entre le développement
de Chiang Saèn et l’autre zone de peuplement, faisant en quelques sortes de cette dernière le faubourg immédiat de la
prestigieuse cité. La recherche historique se heurte donc pour l’instant à un mur. » 543 La datation de Lorrillard est contredit par la date donnée par le musée de Chiang Saèn. La ville rive droite serait en fait
fondée vers 1328 par Saèn Phu, un tai du Lan Na. Documentation de Chiang Saen National Museum, Office of
Archaeology and National Museums, Fine Art Department.
Fig. 67.
Plan de
Chiangmai
Fig. 68. Site
archéologique
de l’ancien
Souvannakhomkham,
d’après les
relevés de
H.Rattanavong
Fig. 69.
Situation de
Souvannakhomkham,
en
rapport avec
Chiang Saèn
Thaïlandaise et
Muang
Tonhpheung
lao actuel,
devenu chef- lieu du districtDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 303 -
région de Xieng Saèn est une zone “ tampon ” entre le Lan Na et le Lane Xang. La cité serait
apparue comme un site stratégique et convoité, étant l’avant-poste avancé de Lan Na et l’une des
plus importantes escales sur la route du commerce fluvial et ripuaire. Elle aurait contrôlé les
produits venus du Sud de la Chine, de Chiangrai et de Chiangmai avant qu’ils s’acheminent vers
Luang Prabang, Vientiane et le Siam. Les commerçants de Luang Prabang auraient ramené leurs
produits par bateau jusqu’à Chiangrai en empruntant le Mékong puis la Nam Kok et vice-versa.544
C’est la porte commerciale la plus à l’ouest du Lane Xang, expliquant la volonté de Sethathirat de
vouloir garder Xieng Saèn alors qu’il était obligé de céder Chiangmai.
Les vestiges archéologiques, monuments et édicules, épars et abimés, qui restent encore
visibles hors-sol, forment des traces désuètes d’une cité dont la structure urbaine n’est pas
clairement compréhensible. La forme de l’ancienne cité semble plus organique que géométrique et
présente une grande particularité en termes de prise de site et d’insertion géographique. Bien
qu’insuffisants pour tirer des conclusions, les vestiges recueillis indiquent qu’ils pourraient provenir
des époques différentes, au moins deux : une époque plus ancienne avec des effigies de Bouddha en
pierre, et une époque plus récente avec des éléments en terre cuite. Les bouddhas en terre ont encore
des armatures en bois et les autres éléments bâtis en brique ont des mortiers et des enduits à base
d’argile dont les liants semblent être organiques : colle de peau de buffle, colle végétale, ainsi que
leur couleur. Ces matériaux et procédés constructifs seraient proches de ceux utilisés à l’époque de
Sethathirat. Le site est composé de plusieurs petites collines (avec des stupas) disposées en chaîne
nord-sud dans la partie médiane, le divisant ainsi en deux parties. Un grand fossé (canal ?) nord-sud
relie en perpendiculaire la berge du Mékong au pied de la dernière colline. En partant de ce fossé et
en remontant vers le Nord, il y a le mont Chom Chanh, deux autres monts sans nom, le mont Nong
Vène, et le mont Hioupheung. En remontant toujours plus haut, on trouve la chaine de montagne du
haut Mékong. Beaucoup moins à l’ouest des collines et du fossé, la plupart des édifices se trouvent
dans la partie Est.
Après cette brève description, nous proposons une hypothèse sur le schéma d’insertion de
la cité. D’abord, les successions de collines existant dans le site marquent globalement la fin
déclinant d’une grande chaîne montagneuse du haut Mékong. Ce qui voudrait dire par le passé, que
les petites plaines dans lesquelles s’implante la cité, entourées par la boucle du fleuve, étaient non
seulement menacées par le courant du fleuve mais aussi par les eaux de ruissellement de la
montagne –explication probable de l’abandon de la cité dans la partie la plus reculée par rapport aux
berges. Ensuite, le grand bouddha noyé aurait témoigné de l’existence d’une autre partie de la cité,
noyée elle aussi dans le Mékong. Ainsi, l’ensemble des collines n’avait pas séparé la cité en deux
parts, mais se trouvait en son centre. Enfin, toute la cité aurait été, à une plus grande échelle, le
point de convergence des établissements villageois de l’Est et de l’Ouest.
Région du Nord-Ouest, le long de la Nam Ping
Chiengmai545
Capitale d’un important royaume tai gnouan, avec une identité culturelle distincte de celle
du Siam et sensiblement proche des principautés lao et lü du Nord, Chiangmai est indépendant
jusqu’à la fin du XVIIIe siècle et jusqu’à son annexion définitive à partir du XIXe siècle par le Siam.
Avec Luang Prabang, il est probable qu’elle ait été la plus importante capitale tai du Nord, de type
enclavé, isolé et montagneux. Chiangmai était un prototype de villes septentrionales lao tai qui
puisent leur particularité ou leur variante –par rapport aux autres villes de même culture– dans le
contexte singulier de leur site. La ville s’implante dans une riche plaine entre Ménam Ping
544 D’après un habitant de Chiang kong (originaire de Chiang Saèn), jusqu’aux années 1950 ses parents et grands parents
font partie des derniers commerçants qui perpétent une longue tradition en utilisant le fleuve pour le commerce de riz et de
tabac entre Luang Prabang et Chiangrai en empruntant le Mékong et la Nam Kok.
545 Pour compléter les informations sur Chiangmai, cf. Sophie Clément-Charpentier & Kunwadee Jintavorn, « Chiangmai,
sept siècles de tradition urbaine », in : Archipel. Volume 37, 1989. Pp. 219-246.
Fig. 70.
Vestiges
archéologiques
de Chiang Saèn
Thaïlandaise
(rive droite),
état actuelDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 304 -
immédiatement à l’Est traversant la plaine du Nord au Sud, et la chaîne de montagnes à l’Ouest qui
décline doucement vers la plaine. De forme carrée respectant les quatre orients, la ville s’adosse à
l’ouest à la montagne et se donne à l’est sur la rivière. Chiengmai profite de la richesse des forêts,
des alluvions de la grande rivière et des petits cours d’eau qui s’y déversent pour avoir des
domaines agricoles et des exploitations forestières qui fondaient son économie. Son autre grand
atout était d’être un muang de convergence organisant les échanges avec les minorités montagnards
qui vivaient nombreuses sur ses marges, comme ce fut notamment le cas de Luang Prabang, Muang
Sing et Chiangrai. De fait, comme la plupart des muang lao tai, c’est grâce aux minorités ethniques
vivant sur leurs marges et contrôlées par eux que les muang, comme Chiengmai, ont pu fonder leur
puissance politique, culturelle et économique. Soulignons qu’avant le XIXe siècle, si la richesse
passée de Chiangmai était liée aux échanges et aux liens étroits avec les autres villes du Nord que
nous venons de citer, c’est par le commerce de bois, en particulier du tek commercialisé par les
Anglais, que la ville entrait dans les relations commerciales avec l’Occident par l’intermédiaire des
Siamois.
Elle était aussi le muang de connexion des réseaux de commerce ripuaire du Nord dont
faisaient partie Lamphun, Phayao, Nan, Chiangrai, Chiangsaèn, Luang Prabang, Xieng Toung
(Birmanie), Xien Hung (Chine). La dynastie gnouane traditionnelle de Chiengmai avait des liens de
parenté avec la majorité des familles des royaumes tai de l’époque, et surtout avec les Lü des cités
du Nord. La mère de Mengraï –fondateur de Chiengmai– était elle-même une princesse lü du Sip
Song Phan Na. Soulignons que le rôle des femmes dans les familles qui ont fondé les chefferies puis
les cité-État tai a été important, puisqu’un certain nombre d’entre elles ont introduit les arts, la
culture et la religion dans leur royaume, ou au contraire, qui en ont exportés par les liens
matrimoniaux. Il était de tradition pour les monarques des royaumes tai, au Nord comme au Sud, de
sceller des liens matrimoniaux avec les princesses du Sip Song Phan Na ou de Chiengmai. Comme
si plus on était au Sud et plus on se devait de garder un lien étroit avec le Nord. L’organisation de la
cité était imprégnée de ce fait plus que l’on pouvait imaginer. Il n’est alors pas étonnant que la
morphologie de Chiengmai soit proche des cités lü, comme notamment Muang Sing, même si leur
organisation intérieure respective était différente. Chiengmai intra muros était un ensemble de
villages aux parcelles moyennes et petites, une occupation du bâti irrégulière et distanciée par des
espaces plantés. Ce qui donne à cette cité une irrégularité et une individualité tissulaire et bâtie
semblable aux autres cités tai du Nord.
La construction de l’enceinte aurait été réalisée en plusieurs fois sur le même tracé depuis
l’époque de Mengrai. On suppose que l’origine était uniquement en terre réalisée à partir des levées
de terre provenant des fossés qui l’encerclent. Ce fossé/douve est relié à une autre douve extérieure
qui entoure en demi-lune le sud et l’est de l’enceinte, permettant ainsi aux cours d’eau de
contourner les fossés/douves. La muraille en brique aurait été construite ultérieurement au XIVe
siècle, puis au XVIIIe siècle. S’il n’est pas à douter que l’enceinte soit de fabrication tai, influencée
ou pas par des villes mônes et khmères, la douve en demi-cercle attire notre attention et rappelle des
formes semblables existant notamment à Viengkham, Vientiane et Vieng Phu Kha. Les historiens
parlent des autochtones Lawa qui auraient occupé le site avant l’arrivé de Mengrai. Ces enceintes
arrondies, mystérieuses, nous font penser aux constructions puy de la haute Birmanie. Il est
probable que cette structure soit une émanation puy dont nous mentionnons l’influence éventuelle
dans toute la région Nord au-dessus de Vientiane, tant au Laos qu’en Thaïlande. Il est probable que
les bâtisseurs de Chiangmai aient profité de la découverte de cette douve existante pour créer un
ouvrage hydraulique reliant la Nam Ping et la douve carrée, évitant ainsi à l’enceinte de la cité de
recevoir trop d’eau du fleuve. Cela peut être confirmé par le fait que plusieurs tentatives ont été
effectuées pour fonder la cité, dont la dernière à Wieng Kum Kam.
Wiang Kum Kam
Wiang kum kam [;P’d5,dk,], était une ville satellite de Lamphun, capitale d’un important
Etat môn d’une culture urbaine brillante, Haripunjaya (VIIe
, VIIIe siècle), avant de tomber sous la Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 305 -
Fig. 73.
Schéma
fonctionnel
d’occupation
de Vientiane
domination de Mengrai546 qui y créa en 1286 la capitale du Lan Na le royaume qu’il venait de
fonder.547 A Wieng Kum Kam, il y résidait une dizaine d’années avant de la transférer à Chiangmai,
la “ ville nouvelle ” dont il acheva la construction onze ans après l’occupation de Wiang Kum
Kam.548 Aujourd’hui Wiang kum kam est un site archéologique occupé par une bourgade dense
située au Sud-est, à quatre kilomètres de Chiengmai. Malgré les inondations qui avaient fait dévier
la rivière la traversant et qui la faisaient couvrir de sable et de sédiment, causant le départ d’un
nombre important de ses habitants, la cité n’aurait jamais été abandonnée complètement. Les
relevés des monuments et des trames viaires anciennes ne révèlent pas grande chose sur
l’organisation de l’ancienne cité. Le plan actuel ne représente probablement qu’une partie de la cité.
La ville ancienne semble avoir été débordée au nord sur la route Ommuang Chiangmai, et à l’est sur
celle de Chiangmai-Lamphun. Au sud, les restes de fossés et de levées de terre indiquent la limite
éventuelle de la cité. Il y a des caractéristiques à souligner : 1- la ville était complètement soumise
au régime hydraulique de la Nam Ping qui aurait changé son cours : autrefois traversant une partie
de la ville, elle aurait dévié pour devenir une ligne tangente à l’Ouest. 2- La ville n’aurait pas été
grande mais dense, soulignée par le rapprochement et la densité des vat. 3- Dans son ensemble la
morphologie urbaine est irrégulière, aux trames viaires tortueuses, soulignant une occupation
progressive et un manque de planification générale. 4- La gestion et la division des parcelles ne
peuvent être identifiées dans les plans. 5-La cité était située sur la route entre Chiangmai (au nordouest)
et Lamphun (au sud). Si la Nam Ping avait vraiment changé son cours, il serait peu probable
que le plan de relevé actuel de la ville représente l’ancienne ville construite par les Tai. Il aurait
représenté une implantation bien antérieure, sur laquelle Mengrai venait implanter sa ville. Par
ailleurs, puisque la Nam Ping aurait traversé la ville, il est peu probable qu’une ville de production
tai puisse en être ainsi.
La plaine centrale, le long de la Nam Ngum et du Mékong
Muang Vientiane
Fondée comme capitale du Lane Xang en 1560 par Sethathirat, Vientiane aurait été la ville
septentrionale la plus au sud et la ville de fondation lao tai la plus importante. Auxiliaire à la
capitale de Luang Prabang avant cette date, le poste de gouvernance de Vientiane avait été réservé
aux Princes héritiers avant leur intronisation. Mais ville lao, elle l’aurait été au moins depuis
l’époque de F’a-Ngoum, et aurait été occupée dès les premiers siècles de notre ère par d’autres
populations.
Le scénario de la constitution primitive de Vientiane
Quatre facteurs auraient induit la morphologie et l’armature primitive de la ville de
Vientiane et conduit son évolution :
1- Le méandre du Mékong –pour la constitution de la ville et plus particulièrement pour la partie la
plus urbaine, la plus centrale et la plus dense– conditionne la forme en arc de cercle suivant laquelle
la ville s’étire dans ses premiers moments et tout le long de son histoire. Il demeure aujourd’hui
l’élément fédérateur du quartier centre ancien. Du point de vue politique et socioéconomique, il
était un élément médiateur entre Vientiane et les villes de la plaine du Mékong. Même si ce rôle est
546 D’après Hoshino, nous étions en pleine période de domination mongole. Il suggère, d’après les annales chinoises de
l’époque Yuan et de l’époque Ming, de donner à l’identité de Mengrai (tout comme aux fondateurs de Sukhothai,
d’Ayuthia du Lane Xang) une origine tai mais complètement fédérée dans l’empire de Chine des Yuans. Ces fondateurs
de cités tai auraient été des chefs militaires plus ou moins intégrés dans l’armée mongole, lançant leur conquête vers le
Sud et apportant avec eux le système administratif, l’art de la guerre enseignés par leurs suzerains. Ceci ne contredit pas la
perception des historiens thaïlandais qui suggèrent que Mengrai appartienne à la dynastie des chefs de Xieng Lao
(Souvannakhomkham.)
547 Chiengmai fondée par Mengrai entre 1286-1295, est une “ nouvelle ville ” par rapport à Wiang Kum kam. Celle-ci,
refondée également par lui onze ans avant Chiengmai, aurait été confronté au problème de gestion de l’eau, causant son
abandon par son fondateur.
548 Hans Penth, « Remembering the Beginnings of the Revival of Wiang Kum Kam », Paper presented at the Seminar,
Rajabhat University Chiangmai, 14 February 2005.
Fig. 71.
Plan de
Wien Kum
Kam.
Fig. 72.
Plan de
Vientianea ctuel.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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perdu, il donnait autrefois à la ville un caractère fluvial plus prononcé qu’aujourd’hui, reposant sur
la communication, le transport et le commerce du fleuve. En ce qui concerne l’aspect symbolique,
le fleuve est un composant majeur dans les premiers moments d’implantations de la ville, il
conditionnait la conception de l’espace de vie des hommes et des esprits, celle de l’espace bâti
individuel et communautaire. Il faisait de Vientiane un des hauts lieux de la civilisation du Mékong.
2- La morphologie de la ville est lisible à travers les îlots exondés (plus ou moins boisés avec des
points culminants à certains endroits), à travers les terres basses inondables (zones humides et
marécages) et les plaines –transformées et cultivées (rizière, vergers, ensembles ruraux). Et lorsqu’il
s’agit des lieux sacrés, c’est sur les hautes terrasses (points exondés ou en position haute), ou au
contraire, à travers les failles géologiques (rivières et cours d’eau) et les poches d’eau qui formaient
mares et étangs, que la structure morphologique et symbolique de la ville se révèle.
3. Les paysages du Mékong et de la plaine forment une toile naturelle préfigurant dès le départ les
types d’implantation et les modes d’occupation spatiale. Les terres inondées étaient exploitées en
rizière tandis que les terres exondées se constituaient en îlots bâtis et habités, protégés par des
écrans végétaux et distancés des uns des autres par des rizières et des zones humides. Quant aux
points culminants, ils étaient souvent occupés par des esprits puissants ou sacrés. Les failles
naturelles creusées par des eaux formaient rivières et canaux arrosant les terres agricoles. Sont nés
ensuite les chemins de communication entre les îlots, suscités par la nature sociale des
communautés qui investissent les espaces.
Ces trois éléments étaient un substrat spatial qui constitue à la fois les lignes et les pôles de
formation et de croissance de la ville. Le scénario d’implantation décrit est suggéré par les données
archéologiques, les mythes de fondation et l’étude des toponymes. Ainsi s’enracine la ville avant de
se développer et d’évoluer en se nourrissant aussi des données ultérieures.
4. Quant au contexte historique de la ville, dans les premiers moments de sa fondation, trois sites
ont été évoqués dans le Tamane Oulangkhrathat. Le premier est Souvannaphoum qui aurait été
situé au bord du Mékong à Ban Sikhai actuel. Le muang en question semble avoir été installé de
manière provisoire, puisqu’il s’agirait d’une implantation de réfugiés fondée par Khambang, un
haut dignitaire de Nong Han Luang et de Nong Han Noy vers 307 avant J-C.549 Le deuxième site est
Nong-Kan-Ké-Seua-Nam, un village dirigé par Bourichanh qui serait situé à Hong Ké actuel, dans
la plaine et donc en position de retrait par rapport au fleuve. Le troisième aurait été le site de That
Luang actuel, situé en hauteur, à l’endroit où un pilier contenant les reliques de Bouddha aurait été
bâti par les missions religieuses de Açoka.550
La superposition de ce scénario historique sur le plan actuel de la ville, donne une
configuration assez cohérente. Les composants archéologiques, toponymiques et topographiques du
site caractérisés par le Mékong, ainsi que les terres inondées et exondées viennent confirmer plus ou
moins ce scénario :
1- L’implantation de Khambang semble se déplacer vers l’Est, vers une implantation plus petite,
celle du village de Bourichanh pour ainsi former Vientiane.
2- Les traces des deux remparts anciens (enceinte intérieure formant boulevard Khun BouromKhouvieng
qui a délimité la ville à une certaine époque ; enceinte extérieure formant la petite
périphérie qui a délimité la ville contemporaine) correspondent à peu près à la configuration
successive de la ville même si ces derniers ont déjà disparu. Par contre, les traces des trois autres
enceintes (la première est de forme rectangulaire, la deuxième semi-rectangulaire et la troisième
549 Muang Nong Hane Luang est Sakonnakhone, et Nong Hane Noy est Udon Thani dans la région d’Issane en Thaïlande.
In : Soulaphonh Naovalath, Histoire de la province de Vientiane, Imprimerie Nakhone Luang, Vientiane, 1998. 550 Les missionnaires d’Açoka auraient foulé le sol de l’ancien Vientiane vers les années 300 avant J-C et auraient érigé un
monumet bouddhique, une colonne selon l’art de bâtir le stupa de l’époque de Açoka. Le monument aurait contenu une
relique de Bouddha qui aurait ensuite été recouvert par le That Luang en 1566.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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organique) ne donnent pas une interprétation satisfaisante : elles ne conditionnent aucunement la
configuration de la ville d’aujourd’hui mis à part l’emplacement de trois rues et de celui de
l’esplanade du grand That qui forme en vue aérienne une enceinte de forme rectangulaire. Notons
que ces trois autres enceintes étaient probablement en levée de terre.
3- La persistance toponymique ancienne des lieux se confirme, dans la majorité des cas, par rapport
à la réalité géologique : les éminences, phonh, donnent le nom aux villages qui sont sur le point haut
de la ville, tels que les villages Phonh Papao, Phonh Sinouane, Phonh xay Phonh Khèng, Phonh
Panao. Les dépressions, nong, donnent le nom aux villages organisés autour des mares ou des
bassins, tels que Nong Chanh, Nong Douang, Nong Bone. Les embouchures de cours d’eau,
donnent le nom aux anciens villages situés sur les embouchures, tel que Pak Passak. Par contre, les
sites boisés ont perdu leur caractéristique de départ : les villages de Dong Palane, Dong Palep, Dong
Passak, n’indiquent plus l’existence passée des forêts.
Les trois éléments dessinent une assise à la ville contemporaine et participent aussi à
l’organisation de sa structure interne. Ce sont des lignes de force et des pôles d’attraction pour son
extension et son développement, produits de manière spontanée. Ainsi, Vientiane ne s’est pas
constituée de toute pièce au bord du Mékong et développée par la suite vers les terres. Il y a une
préfiguration basée sur la spécificité de la nature du site et surtout sur deux implantations pré-
existantes. Jusqu’à une certaine époque, la ville se constitue et se développe selon des lignes et des
pôles primitifs, c’est-à-dire que les tissus urbains contournaient les dépressions et les éminences
peuplées par les esprits sacrés. Alors que la ville moderne –sensé être plus planifiée– est
paradoxalement incontrôlée en transgressant les assises géologiques primitives : on remblaie les
dépressions par casier entier, on dénivelle les éminences, on défriche les bois et on construit dans
les marécages, ou encore, on transforme les cours d’eau en collecteurs d’eau de la ville.
A l’égard des composants primitifs décrits, le développement de la ville partant du centre
vers l’extérieur aurait été un phénomène récent, depuis un siècle. En effet depuis un siècle la ville se
développe à partir du centre (du quartier Vat Chanh-Haysok-Mixay) en suivant les trois axes (axe
Vat Taï, axe Thang-Ngon, axe Thadeua) et les quartiers entre ces trois axes (quartier Dong PalaneThat
Luang, Saylom-Thong Khankham-Nong Douang). Ce développement récent ne peut expliquer
la ville dans sa durée. Pour comprendre son mode de développement dans son temps réel, il faut
prendre en compte les occupations pré-existantes, exprimer la discontinuité et la liaison entre elles :
à petite échelle, les îlots primitifs qui finissent par se rejoindre aujourd’hui –formant une continuité–
est un reste du phénomène de formation tissulaire primitive et non du phénomène de densification à
proprement parler.
Le scénario d’occupation historique de Vientiane avant 1827
- La route Nong Bone aurait été la plus ancienne route pénétrante de la ville, bordée d’une dizaine
de monastères depuis la berge et le quartier royal jusqu’au site du That Luang. Autour de ces
monastères –la majorité d’entre eux a déjà disparu– il y avait des villages. Puisque les monastères
de la ville doivent toujours avoir une communauté autour, sans laquelle ils ne peuvent exister : leur
construction et leur entretien émanent totalement de la population, à l’exception des fondations
royales.
- Le site de That Luang et ses environs ont été occupés antérieurement : après son inauguration en
1566 par Sethathirat, des familles ont été installées. Des terres et des domaines agricoles leur ont été
offerts pour l’entretien du monument. Ces derniers auraient probablement été recrutés parmi les
populations locales qui vivaient dans les environs.
- L’intérieur du premier rempart aurait été entièrement occupé. Il y aurait cinquante mille habitants
durant les moments les plus prospères. Dans la cité, on aurait dénombré pas moins de 8 000 Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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maisons,551 de nombreux terrains vides, des terres agricoles et des plans d’eau. Vientiane est une
ville peu dense, explicitant un mode particulier d’occupation qui caractérise probablement le
principe d’occupation le plus abouti des villes lao. A l’extérieur de l’enceinte en amont, jusqu’au
septième monastère –Vat Taï Gnaï, les villages se sont formés presque en continuité le long du
chemin et du fleuve. Puis à partir de ce monastère, ils deviennent plus distancés des uns des autres
jusqu’aux villages Sikaï et Kaolyo, où de nouveau il y a des villages plus denses. En occurrence, le
port aurait existé déjà, probablement pour desservir les villages du Nord.
- A l’extérieur de l’enceinte en aval du fleuve les villages auraient été plus éloignés des uns des
autres, comparer à l’amont et vue la distance actuelle entre les monastères existant. En occurrence,
le petit port intérieur (au km 4) et le port commercial (à Viengkuk, rive droite)552 auraient été bien
en aval de Vientiane, ce qui aurait favorisé l’implantation des villages sur les berges et sur le
chemin de l’entrée de la ville. Les villages auraient été probablement installés de manière
discontinue jusqu’à qu’à Souane Mone et Viengkuk.
- Les autres sites importants dans les bourgs auraient été occupés autrement que par des habitations.
Dong Palane aurait été une réserve royale de plantation de latanier, dont les feuilles étaient
abondamment utilisées au XVIe siècle. Sala Dèng (pavillon rouge) aurait été le grenier à riz réservé
à la communauté religieuse et aux novices qui vivaient dans les nombreux monastères de la ville.
Quant au Vat Maha Phouthavong (Vat Sok Paluang actuel) il aurait été le temple de la forêt, sa
chapelle voûtée aurait été construite par Sethathirat autour de 1566. Thong Toum, Thong
Khankham et Naxay auraient été des zones importantes de rizière pour la ville. Par contre, Phone
Phanao et Phone Khèng auraient été une zone haute dans le prolongement du périmètre de That
Luang, puisque Vat Phone Phanao aurait été un des premiers monastères bouddhiques fondés par
les missionnaires de Açoka.
L’occupation de Vientiane après 1893
Vers 1896, la ville encore en état de ruine continue à être occupé par la population locale,
de manière éparse, disposée par petits groupes d’habitations. Il y a 1388 habitants dans toute la
petite enceinte et les maisons ne sont jamais construites isolées. L’occupation tend à se concentrer
dans le quartier centre : la zone de Vat Chanh, Vat Inpèng et quelques quartiers décentrés tels que
That Khao et Sithan. Vers 1900-1905, la ville a accueilli des bâtiments de la Résidence Supérieur et
le quartier administratif sur les anciens emplacements du palais royal et de la résidence des
notables. La ville se développe d’abord dans la partie nord de l’enceinte. Vers 1920, la Partie nord
de l’enceinte est entièrement occupée et la partie sud tend à le devenir –sauf les zones humides,
apparues sur le plan de 1905. Au-delà de l’enceinte en amont, des villages (nouveaux et existants)
commencent à réapparaître. Vers 1930, l’enceinte intérieure est quasiment occupée, excepté les
parties en dépression, encore vides, telles les zones humides de la partie sud-est. Au nord, le long du
Mékong et au delà du boulevard circulaire les villages s’étendent encore. L’avenue de la Résidence
Supérieure (avenue Lane Xang) commence à être construite. Vers 1945, les villages qui s’égrainent
sur environ quatre kilomètres en amont à partir de Pak Passak se développent et finissent par se
joindre formant un ensemble continu. Avec le quartier Sihom et Thong Toum la ville commence à
sortir du boulevard circulaire à l’Ouest du quartier Anou. Autour de That Luang, un noyau de
villages se développe. À l’égard du centre, après 1945, la ville poursuit un développement plus ou
moins logique en suivant les structures urbaines établies, sauf l’avenue de la Résidence Supérieure
qui marque le premier tronçon de l’avenue Lane Xang : un début de l’urbanisation moderne fait son
551 In. Annales du Laos, Luang Prabang, Vientiane, Traninh et Bassac. (Op. cit). 8000 auraient été les maisons incendiées
en 1827 par les Siamois. Ce qui veut dire qu’il y avait très probablement plus de 8000 édifices dans Vientaine, si l’on
réunit tous les types de construction, tels les monastères, les palais et les habitations. 552 Le port intérieur était probablement sur le site du port du kilomètre 4 actuel. Quant au port commercial, c’était celui de
Muang Viengkuk mentionné par Van Wustoff, in : Le journal de voyage de Gerrit Van Wuystoff et de ses assistants au
Laos (1641-1642).Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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apparition et le nouveau schéma symbolique de la ville commence à s’additionner à l’ancien
schéma.
Muang Vieng Kham
D’après le Phongsavandan, Viengkham aurait été Muang Phay Nam, la cité imprenable au
rempart de forêt de bambou épineux qui formait sa défense. F’a-Ngoum aurait mis deux ans pour la
soumettre grâce à son légendaire stratagème : arrivé devant la résistance du vaillant chao muang et
devant l’invincible rempart de bambou, F’a-Ngoum aurait siégé l’extérieur de la ville, sur la rive
opposée. Avant de se retirer et continuer ses campagnes militaires ailleurs, il aurait installé des
campements en forme arrondie entourés de fossés et reliés des uns des autres par une sorte de canal.
Il aurait ensuite fait tirer des flèches en métaux précieux (argent et or) dans la forêt de bambou, puis
installé des sentinelles pour surveiller la cité durant deux années. Les habitants allaient récupérer les
flèches d’or et d’argent en coupant les bambous, peu à peu des brèches ouvrent la cité. F’a-Ngoum
de retour de l’Ouest et du Nord prend l’assaut de la ville plus facilement.
La présence de sanctuaires en ruine et de stèles sur la rive de la Nam Ngum, sensée être la
cité Phay Nam, atteste l’existence effective d’une cité ancienne. Sur la berge opposée, on retrouve
effectivement aujourd’hui des tranchées circulaires autour de plates-formes de près de 500 mètres
de diamètre. La largeur des tranchées elles-mêmes mesure près de 10 à 15 mètres avec une
profondeur de près de 3 à 4 mètres. Il y a cinq ouvrages de ce type, disposés dans une zone
regroupant une dizaine de villages. Les plates-formes sont reliées entre elles par des canaux aussi
profonds et aussi larges que les tranchées. D’après les archéologues locaux, les vestiges subsistant
auraient été de nature militaire : des fortifications que F’a-Ngoum aurait construites pour surveiller
Phay Nam. Sur les plates-formes, on trouve aujourd’hui des débris de brique de vieilles
constructions. Sur l’une d’entre elles, on y construit dans les années 1950 une pagode. Les douves
qui entourent les plates-formes sont asséchées la plupart du temps. Même à la saison des pluies, il
n’y a pas assez d’eau pour les considérer comme des canaux. Sont-elles destinées à l’usage plutôt
militaire qu’hydraulique ? En tant qu’ouvrages militaires, ils n’auraient pas non plus été très
défensifs : il n’aurait pas été logique de dispatcher les constructions pour se défendre
individuellement de la sorte. Leur multiplication suggère que les ouvrages sont construits pour
surveiller. Les tranchées qui relient les plates-formes entre elles permettraient aux sentinelles de
passer entre les forts sans être vues depuis l’autre côté du fleuve. Les sentinelles de F’a-Ngoum
auraient surveillé ainsi Muang Phay Nam, laissant croire à son chao muang qu’ils avaient levé le
camp.
La prise de la cité par F’a-Ngoum faisait partie de sa campagne d’unification, puisque la
cité n’avait pas été incendiée, comme il est coutume à l’époque lorsqu’une cité ne se rend pas à son
assaillant. La volonté de préserver la ville est manifeste lors de la prise de Vieng Kham, car il s’agit
de soumettre son chao muang, un parent, pour unifier le muang. La preuve en est qu’après la prise
de la cité et pour non-soumission, son gouverneur a été emmené à Luang Prabang. De maladie et de
chagrin ce dernier serait mort en route avant d’atteindre la capitale. Il est mentionné que F’a-Ngoum
effectua ses obsèques et nomma le frère de ce dernier à la tête de Viengkham, la dignité et la
continuité dynastique locale du muang est ainsi assurée.
Phaynam dans la période pré Lane Xang aurait été la cité arrière protégée par Vientiane, son
chao muang étant le fils du chao muang de Vientiane. La famille qui exerce le pouvoir à VientianeViengkham
tient probablement aussi le pouvoir dans toute la plaine méridionale de Vientiane y
compris l’autre rive du Mékong. La campagne “d’unification” et de “pacification” de F’a-Ngoum
aurait concerné que les Lao Tai. Lorsqu’il s’agit des non-lao, les annales ne manquent pas de le
souligner, par exemple lorsqu’il déplace les kha Sam Tao de Vieng Phu Kha à Muang Swa.
Viengkham est donc déjà gouvernée par des Lao Tai, probablement à partir d’une occupation
existant antérieurement. En occurrence, considérer les cinq ouvrages comme des campements de
F’a-Ngoum est justifié, mais qu’ils soient construits par lui est peu probable. Par bien des aspects,
les ouvrages en question se rapprochent des formes des cités Puy de la Haute Birmanie. Il est
Fig. 74
Plan de
ViengkhamDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 310 -
probable que les Puy puissent jouer un rôle important dans la région plus aux Sud et plus à l’Est de
leurs foyers identifiés par les archéologues.
La plaine méridionale du pays Issan, le long de la Nam Moun et le plateau de Korat
Nakhone Phranom
Nakhone Phanom, d’après le Tamnan Oulangkhrathat, aurait été une ville de l’ancien
royaume de Sikhottabong, fondée dans les premiers siècles de l’ère Bouddhique. Comme l’atteste le
grand that, Nakhone Phranom, ville religieuse, aurait une vocation régionale, du moins, abritant un
monument d’unification construit dans un contexte politique régional particulier, et dont l’objectif
aurait été d’apporter la paix entre les royaumes. Cinq monarques auraient réuni leur effort
diplomatique, politique et économique pour ériger un ouvrage symbolique d’envergure : Phraya
Chounlany Phommathat (de Xieng Khouang, de Luang Prabang, de Sip Song Chou Tai ?), Phraya
Inthapat Nakhone (du Cambodge ?), Phraya Khamdèng (de la région d’Oudone Thani actuel ?),
Phraya Nanthasèn (de la rive Sud de la Xé Bangfaï Savannakhet ?), Phraya Souvanna Phinkhane
(Sakonnakhone actuel ?). La ville, fondée en même temps ou avant la construction du monument,
aurait été complètement fédérée par lui. Après sa construction des siècles durant, les monarques de
différents royaumes poursuivent l’entretien du monument. La région de Nakhone Phranom étant
intégrée sous leur autorité, les rois du Laos, successivement, ont la charge d’entretenir le monument
ainsi que des rites qui l’accompagnent. Ainsi, entre Phothisarat (début du XVIe siècle) et Anouvong
(début XIXe siècle) le monument a été entièrement sous le “ mécénat ” des monarques du Lane
Xang. Ces derniers ont apporté au monument l’essentiel des composants architecturaux, en
particulier au dôme et toute la partie supérieure. Lors des interventions de Anouvong, une allée
pavée reliant le grand that à la berge du Mékong aurait été construite. Plus récemment, lorsque le
stupa s’est effondré foudroyé, le roi de Thaïlande a reconstruit entièrement le stupa. Des
changements architecturaux ont été apportés mais le that reste reconnaissable dans sa forme
architectonique et dans son vocabulaire général. Les quartiers d’habitations populaires, d’extension
récente, entourent le monument avec promiscuité. Ce fait explicite, non pas un phénomène de
squattérisation du site, mais une proximité maîtrisée depuis de longue date entre le monument et les
habitations. Ceci nous interpelle lorsque nous nous approchons du monument. Ce contexte “urbain”
de la majorité des stupas aurait probablement été ainsi dès l’origine. À That Luang, les habitations
auraient été assez proches du monument sur un ou deux côtés (côté Ban That Luang et Ban
Phonepanao), mais au moins un côté est libéré, accueillant un espace vide à fonction officielle.
À Nakhon Phnom, Aymonier constate dans le dernier quart du XIXe siècle que « […]
Dhatou Penom n’a que des clients et pas de territoire. 2000 inscrits affranchis par le roi de Siam de
l’impôt de capitation, doivent veiller à l’entretien, à la conservation de la métropole du
Bouddhisme au Laos […] ».
553 Ceci suggère qu’il y a des habitations assez denses autour du
monument ou dans un territoire immédiat restreint. Des raisons historiques expliquent ainsi la
présence des familles vivant près du that de génération en génération.554 Les notes de Aymonier
apportent des données suggérant le type d’occupation que cela pouvait être : 1- les habitants du site
ont été apparemment exemptés de capitations, les charges réelles imposées aux 2000 personnes ont
sans doute été réduites au simple entretien du monument. 2- les terres attribuées traditionnellement
aux “ esclaves du monument ” auraient probablement été réduites ou complètement retirées aux
2000 personnes ; ou alors, une partie des terres (sans doute celles qui étaient des attributions
symboliques) seraient tombées en déshérence par le fait que le nombre des “ esclaves ” s’est réduit,
553 Etienne Aymonier, La société du Laos siamois au XIXe siècle, présenté par Fabrice Mignot, éd. L’Harmattan, 2003,
Paris. L’ancien titre, Notes sur le Laos, publié en 1885. 554 Le Oulangkhrathat note que le that possède 3000 esclaves volontaires au moment de sa construction. Les volontaires
auraient été graciés s’ils étaient des condamnés, libérés des dettes s’ils avaient des dettes, libérés des autres charges s’ils
étaient fonctionnaires ou autres vis-à-vis du roi, etc. Les terres leurs auraient été données également. Cf. Oulangkhra
Nithane. Kéo Outhoumala, ré annotation en 2008.
Fig. 75.
Quartier de
That PhranomDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 311 -
alors que celles qui étaient réellement exploitées et cultivées par les personnes qui servaient
autrefois le that, seraient maintenues de manière naturelle, selon leur capacité d’exploitation. 3- en
affranchissant les inscrits de l’impôt, le roi du Siam perpétuait apparemment la tradition ancienne
locale.
Compte tenu de ces données, on peut supposer que les “esclaves des monuments” devenus
au XIXe siècle des simples inscrits, mais libérés des impôts pour veiller sur le That, continuent à
conserver des terres. Ils ont pu acquérir ainsi une certaine autonomie économique et développer
progressivement une indépendance. Du point de vue économique et social la vie tournait moins
autour du stupa, les personnes se consacrent à leur propre vie sociale et économique, d’où sans
doute une “citadinisation” progressive des villages et des quartiers. C’est ce qui semble se constituer
à Nakhone Phranom : un ensemble de quartiers très attachés au monument et un autre ensemble
plus autonome et indépendant du grand That. Le cas des villages autour du That Luang à Vientiane
semble similaire : lorsque la ville a été incendiée, les gardiens des stupas –privés de l’autorité royale
qui les obligent à remplir leur charge– se retrouvent libres des obligations vis-à-vis du monument et
donc disposés à constituer progressivement une société indépendante, un quartier à part entière,
voire une ville.
Khorat
D’après sa description à la fin du XIXe siècle,
555 la ville de Khorat historique est une
citadelle rectangulaire d’environ 1,64 km2. Le côté Est et Ouest mesurent chacun, environ 1000
mètres, tandis que le côté Sud mesurait 1640 mètres et le côté Nord, 1610 mètres. La longueur du
rempart totalise 5,25 km. Construit en brique, épais de 2 mètres et haut de 3 à 4 mètres, il est doublé
à l’intérieur par une montée de terre, sans doute des déblais provenant des fossés larges d’environ
10 mètres longeant le mur extérieur de la ville. Chemin de ronde, créneaux et une quinzaine de
bastions couronnaient le rempart. Deux voies principales non pavées ni empierrées traversaient la
citadelle, d’est en ouest et du nord au sud, la partageant en quatre quartiers. L’enceinte de la
résidence du gouverneur ou du Chao muang, d’orientation est, mesurant d’un côté 120 mètres et
200 mètres de l’autre, se trouve au bord de l’une des voies dans le quartier nord-ouest. Des
multitudes de ruelles partagent les quatre quartiers en petits îlots, non-inondables à la saison des
pluies. La ville possède sept monastères à l’intérieur de son enceinte, une trentaine si l’on compte
ceux se trouvant à l’extérieur. Il y a environ mille maisons et une population composite : Siamois,
Lao, Khmers et Chinois. Cette dernière tient commerces et habite dans des compartiments au grand
marché qui bordent l’une des deux rues principales à l’ouest et à l’extérieur de la citadelle. Il y a
principalement quatre types de construction : maison en bois sur pilotis à double pignon, monastère,
maison chinoise à cour combinant commerce et habitation, et maison de commerçant local appelée
“ maison d’eau ”. Cette dernière possède un local pour stocker des marchandises et les protéger
contre les incendies et la pluie. Construite en brique, elle a un plafond en terre, ou en brique,
surmonté et couvertes de chaume.
La citadelle possède quatre portes : la porte de l’Est du soleil levant est réservée pour les
bons augures. Elle est privilégiée, ayant une fonction religieuse et symbolique puisque la résidence
du Chao muang et les monastères ont leurs façades tournées vers cet orient. La porte de l’Ouest,
comme celle de l’Est, est probablement l’entrée et la sortie principale de la citadelle. Les échanges
commerciaux passent par la porte Ouest puisque l’on y trouve les deux marchés, intérieurs et
extérieurs. Elle a sans doute aussi une fonction politique et militaire : désignée porte chomphon,
“ porte des guerriers ”, les troupes partant et revenant des guerres passeraient par là. La porte du
Nord désignée de “ porte d’eau”, a une fonction utilitaire : elle est en liaison directe avec le
principal réseau d’eau composé de canaux et de rivières qui alimentent la ville. La porte du Sud,
555 Etienne Aymonier, La société du Laos siamois au XIXe siècle, Op. cit.
Fig. 76.
Plan de
Khorat à la
fin du XIXe
siècle
Fig. 77. Plan
de Khorat,
état actuel.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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appelé patou phi, est strictement réservée aux morts : la seule porte autorisée pour le cortège des
morts conduit vers la crémation à l’extérieur de la citadelle.
A l’ouest, sur l’axe de la porte des guerriers, la ville extérieure ou le faubourg s’égraine le
long de la route sur huit kilomètres. Il y a là le grand marché, des monastères, une grande mare, une
place circulaire avec des constructions autour, où s’arrêtent les commerçants pour décharger leurs
marchandises, probablement l’un des plus grands marchés de bétails de la région. Dans ses notes,
Aymonier décrit ce long faubourg qu’il appelle Parou comme une “ ligne verte ” aménagée et
plantée de jardins, arrosée par un petit canal détourné du grand canal nord. Il précise que « les
mandarins et les gens à l’aise de Khorat ont au Parou leur maison de campagne ». Cette note
indique dès cette époque qu’on peut distinguer d’un côté la ville et de l’autre la campagne, mettant
en évidence la vision de la vie citadine et la vie de campagne : un fait curieux pour ce territoire à la
fin du XIXe siècle, où la distinction ville/campagne serait anachronique. Aujourd’hui, l’enceinte de
Khorat ainsi que ses portes ont été reconstituées et le périmètre de la citadelle agrandi. La lecture
spatiale actuelle n’est donc pas parlante, d’où tout l’intérêt des notes et des croquis effectués par
Aymonier au XIXe siècle.
Région du Sud : Muang Kao et Paksé
La petite ville de Muang Kao [g,nv’gdqJk] s’appelait autrefois Muang Kao Kan Keung
[g,nv’gdqJk7aogdu’], “ ville ancienne de Kan Keung ”. Avant 1975, il était le canton Kao Keung
[8kcl’gdqJkgdu’] et possédait 14 villages. Après 1975, le district est administré en zone et devient alors
la zone 1 Kao Keung composée de 17 villages. Le site de Muang Kao se trouve à l’embouchure de
Houay Phek en face de l’embouchure de la Xé Daun. La présence de ces deux affluents du Mékong
qui se font face indique indéniablement que le site a dû avoir un grand intérêt pour avoir été occupé
très tôt. La Xédaun vient de Saravan et de Kongxédaun. Elle relie les petits établissements
villageois et ripuaires entre eux avant de se jeter dans le Mékong à l’endroit large et évasé au bord
duquel la ville de Paksé s’est constituée sur la berge Nord et Muang Kao sur la berge Sud. Cette
dernière est traversée par Houay Phek, une petite rivière au bourrelet de terres alluvionnaires. Le
site est cadré au Nord-est par le Mont Bachiang (à 904 mètres altitude) et au Sud-est par le Mont
Malong (à 1304 mètres d’altitude). Entre les deux montagnes au niveau du méandre du Mékong en
aval de Paksé, il y a le Mont Salao (à 385 mètres d’altitude). Il surplombe de très près Paksé et
Muang Kao. Ce paysage exceptionnel serait tout disposé à recevoir une importante implantation,
mais c’est à Champassak que nous trouvons l’un des centres du Royaume de Tchen-la et l’un des
sites prestigieux de l’Empire Khmer, le Vat Phu. Historiquement, sur le site, nous ne trouvons pas
de traces importantes d’occupation ancienne avant Muang Kao. Celle-ci émerge dans l’histoire du
Lane Xang avec la famille de Nang Phao et Nang Phèng vers la fin du XVIIe siècle.556 La “ vieille
ville ” (c’est le nom qu’elle porte aujourd’hui) se trouve donc sur la rive Sud à l’embouchure de
Houay Phek. Les ruines de Hô Phrakéo, la principale pagode, et l’enceinte en ruine de l’ancien
palais nous permettent de pénétrer un peu plus dans l’histoire de cette petite bourgade pour essayer
de comprendre quelle pourrait être la configuration d’un établissement lao de la fin du XVIIe siècle.
Aujourd’hui, il ne subsiste quasiment rien de cette ancienne ville, à part le rempart du palais
de Rajaboud Gno, fils de Anouvong de Vientiane, construit au début du XIXe siècle en même temps
que le Hô Phrakéo.557 L’enceinte de cet ancien palais est en forme rectangulaire, presque carrée.
556 Le Phongsavadan lao ignore l’origine de ces deux dames qui régnaient sur Champassak. Il est certain que Champassak
était déjà à cette époque dans le Lane Xang, que le pouvoir local soit d’origine khmère ou lao. Les deux dames cédaient
volontairement le pouvoir à Soysisamouth Phouthrangkoune, petit-fils de Suryavongsa. In Histoire de Champassak,
Prince Sanphrasith de Champassak. D’après Prasoum Phongsavadan Thaï, Chapitre 70, Nang Phao et Nang Phèng
seraient fille et petite-fille d’un simple Chao muang, invité par la population à administrer le muang après la mort sans
succession vers 1628 d’un Prince khmer Southasanaraja.
557 Sous le règne du Rajaboud Gno de Vientiane, deux chasseurs du village Na Gnom Sompoy - Saravane, auraient trouvé
par hasard un bouddha en cristal blanc [cdh;rts]bd] dont la base assise mesure 12 Inch [sohk8ad 12 oU;], l’oreille droite aurait
été légèrement abîmé. Apprenant la nouvelle et constatant l’importance et la valeur de la statuette, Rajbout décide de la
placer dans un lieu digne. Il ordonne un grand rassemblement de radeaux [7kfcr] pour transporter en procession la petite Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 313 -
Fig. 78.
Muang Kao
état actuel
D’après notre informateur,
558 à l’origine, elle serait en pierre maçonnée, sorte de roche non taillée,
en morceaux informes. Durant la période française, un dispensaire y a été installé.
559 Dans les
années 1960 l’enceinte a été transformée en caserne et le mur a été détruit par le chef de la caserne
du moment. Le muret en pierre que nous voyons aujourd’hui aurait été reconstitué par le Prince Yeng
de Champassak dans les années 1960 avec les mêmes matériaux récupérés à partir de l’ancien
mur d’enceinte détruit. Mais à l’angle de l’enceinte où le Hô Phra kéo aurait été construit, nous
remarquons que cette partie des ruines de l’enceinte est en brique. Ce qui suppose que les matériaux
utilisés sont aussi en brique. L’épaisseur du mur d’enceinte est entre 80 centimètres et 1 mètre. Le
sol à l’intérieur de l’enceinte serait surélevé de plus de 1,4 mètre par rapport au sol naturel, et pavé
de brique. Les rues qui passent devant et autour de l’enceinte (qui correspond aujourd’hui à
l’emprise du monastère Vat Muang Kao) montrent des pavages de briques en terre cuite. Adjacent à
l’enceinte (nous ne savons pas exactement l’orientation du palais) il y aurait une esplanade pavée de
brique, que nous avons du mal à repérer aujourd’hui. Si tel est le cas, c’est là sans doute qu’il y a le
fort militaire évoqué dans le Phongsavadan, comme l’une des constructions réalisées par Rajabout
Gno. Si nous considérons la ligne de berge du Mékong ainsi que la tradition de bâtir des Lao, il est
très probable que la façade soit tournée vers le Mékong, d’autant plus que la rue principale, pavée
de brique en terre cuite s’y trouve. Le sol de l’enceinte, surélevé à plus d’un mètre, est donc plus
haut que le niveau de la rue. La vue depuis l’enceinte surplombe alors les rues et les habitations.
La vieille ville forme un ensemble de villages, s’étendant à l’Ouest et un peu à cheval sur la
rivière de Houay Phek [s;hpgrad]. Trois lignes successives de digues auraient entouré la ville côté
plaine : Khou Noy (petite digue), Khou Gnai (grande digue) et Khou Dèng (digue rouge), cette
dernière est sans doute un tronçon de la grande digue ? De ce côté il y aurait également un étang –
Houay Gneuak [s;hpg’Nvd] purement d’agrément, aménagé par Rajabout Gno.
560 Selon l’histoire
locale cette ville aurait déjà été une vieille ville avant que la dynastie lao de Vientiane, le petit-fils
de Suryavongsa
561 et le Phrakou Gnotkéo Phonnesameth [rt76pvfcdh; 3roltc,ad], ne l’occupent en
fondant la ville Champa-Naga-Boury-Rsi Satta Naga-Nahout [9=kxkok7t[6iu lula88tot7toks5f] vers
1707, pour l’abandonner ensuite en migrant vers Champassak actuel. La ville date donc au moins de
la période de Nang Phao - Nang Phèng fin XVIIe siècle. La fondation de la ville serait en même
temps la fondation de la famille royale de Champassak et de celle du royaume de Champassak en
sécession avec Vientiane.562
L’ensemble de la ville se trouve en face de l’embouchure de la Xédaun, où l’administration
coloniale allait construire plus tard Muang Paksé sur quelques villages existant. En arrière de la
ville, c’est-à-dire côté rizière, où se trouvent les deux digues de protection, nous entrons dans la
statuette depuis le village Na Gnom Sompoy jusqu’à Muang Kao, en empruntant la Xédaun. « Arrivé au niveau de Hat Hé
Phonne Koung le jour de tempête la statuette échoua dans le Mékong, dans la partie à peine profond jusqu’aux genoux.
Mais personne n’a pu la retrouver » [grand-père Peuang, notre informateur]. Après consultation des astrologues,
Rajaboud aurait fait appel aux deux chasseurs qui ont découvert la statuette. Et grâce à eux la statuette a pu être retrouvée.
Ainsi toute la population du village de Na Gnom Sompoy a-t-elle été mobilisée, déplacée dans la petite ville de Rajaboud
pour entretenir et fêter la statuette retrouvée. Mais les villageois de Na Gnom Sompoy a demandé à Rajaboud
l’autorisation d’aller s’installer dans les environs au lieu de s’installer dans la cité. Ils forment ainsi plusieurs villages dans
les environs. Ils se font appelés encore jusqu’à une période récente Kha Phrakéo [0hkritcdh;] (serviteurs de Phrakéo) ou
Phao Phrakéo [gzqJjkritcdh;] (tribu de Phrakéo.) Et depuis, chaque année au nouvel an, les kha Phrakéo doivent venir
symboliquement entretenir le monastère construit expressément pour abriter la statuette. Aujourd’hui la statuette se trouve
à Bangkok amené par un haut fonctionnaire Thaïlandais après la défaite de Chao Anouvong de Vientiane. L’histoire du
Phrakéo peut être retrouvée dans le Thamla Phrakéo. En tant que novice puis moine, Pothao Peuang [r+g4Qkgxnjv’] notre
informateur avait pu accèder à cette annale il y a une vingtaine d’années. 558 Pour Pothao Peueng [r+g4QkgxnJv’], vieux père ou grand-père Pheuang, notre informateur, est le plus âgé du village, et
étant ancien bonze il connait l’histoire de Muang Kao, les habitants interrogés nous renvoient aussitôt vers lui.
559 Son utilisation en dispensaire n’aurait pas duré longtemps, les habitants hésitent à nous confirmer la date. 560 Dans le Phonsavadan lao la construction du canal (des canaux ?) par Rajaboud sur les recommandations de son père le
roi de Vientiane a été évoquée. Phothao Pheuang nous parle de Houay Gneuak, la mare du serpent mythique. 561 La maison princière de Champassak est originaire de Vientiane. Elle descend de Sumangkhra, un des trois enfants de
Suryavongsa chassé de Vientiane. Soysisamouth Phouthrangkhoune, son fondateur est ainsi le deuxième fils de
Sumangrara.
562 La sécession de Champassak en 1707 marque la première scission du Lane Xang, la deuxième étant celle de Luang
Prabang vers 1714.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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ville par une route ancienne qui mène en sens inverse jusqu’à Oubon Rajathany (à 90 Km). Oubon
étant l’une des anciennes villes satellites de Champassak, sa liaison avec celle-ci était alors plus
facile qu’avec la ville de Champassak actuelle qui se situe en aval à plus d’une heure de pirogue à
moteur. Il serait tout à fait logique que le pouvoir colonial ait choisi l’autre rive pour construire
Paksé. Après la partition du Laos entre le Siam et la France, le territoire de la rive droite du Mékong
serait devenu trop vulnérable pour le pouvoir colonial. Oubon étant devenu Siamois, développer la
vieille ville se trouvant sur la même rive que le Siam, même si celle-ci est historiquement plus
intéressante, ne paraît pas prudent à l’époque du point de vue sécurité. Cependant, l’administration
coloniale n’aurait pas tout à fait abandonné la vieille ville, un fort ou un poste d’observation a été
construit à l’embouchure de Houay Phek.
Sur le site Parxé-Muang Kao occupé antérieurement, il y a donc trois fondations
successives. Dans la mesure où ce site est situé à proximité d’un ancien centre khmer d’une
importance régionale, que sont les sites de Vat Phu et de Tomô, l’aire géographique qu’occupe
Paksé devrait être important d’une manière ou d’une autre avant l’installation de Muang Khao. Sur
la rive de Muang Kao –la ville de Nang Phao, Nang Phèng– Soysisamouth Phouthrangkhoune édifie
sa ville, au moment de la scission du Lane Xang au début du XVIIIe siècle. Puis s’y superpose la
fondation de Rajaboud Gno au début du XIXe siècle, et enfin, la fondation coloniale sur la rive de
Paksé, laissant quasi à l’abandon la rive de Muang Kao, devenu aujourd’hui un bourg délabré qui
semble ne pas évoluer depuis son abandon par les princes de Champassak au XIXe siècle. Dans une
certaine logique, la fondation de Soysisamouth et celle de Rajabout devraient se référer au modèle
de Vientiane, par l’origine directe de leurs fondateurs. Si nous devons approfondir la question de
modélisation, il faut comprendre in situ le profil de ces deux fondations, d’identifier les modèles
spatiaux potentiels et leurs idées conductrices, de comprendre leur type d’évolution : sont-ils
porteurs ou pas de modèles durables. À cette fin, un investissement lourd aurait été nécessaire. Or
aucun plan de Muang Kao –relevé actuel ou ancien– n’a été réalisé. C’est un travail à partir duquel
on aurait pu démontrer les liens évidents entre les autels des esprits et les différents lieux
d’implantation des muang fondé par les autorités anciennes de Champassak. Ceci en croisant les
informations recueillies avec les observations de Aymonier et les études de Archaimnault sur les
rituels de Champassack. Ne pouvant faire cette analyse, notons seulement que l’autel des esprits du
muang à Ban Sak muang, est à moins de dix kilomètres en amont. Les cultes qui lui sont dédiés sont
résolument tai, que les esprits soient tai ou autochtones, entretenus par les princes de Champassak et
la population depuis au moins l’époque de Muang kao.
II. II. c. Les actes et les rituels de fondation
Concernant les rituels de fondation des villes, aucun texte ne le précise, par contre les
inscriptions relatent la construction des ensembles monumentaux ou des édifices isolés.
563 Le
Tamnan Oulangkhrathat564 fait référence aux divers actes de fondation mais ne fait pas de
description des rituels. Il donne des renseignements et des références sur un nombre important de
fondations sacrées, mais qui renferment une part de légendes et d’histoires fabuleuses qui masquent
l’historicité de la majorité des monuments. Les différentes versions n’évoquent que des événements
et des monuments religieux, propres au territoire de la vallée moyenne du Mékong.565 Dans les
introductions de ses annotations, réalisées la plupart du temps par les moines et les historiens de la
religion originaire de Nakhone Phranom, il est dit que le « […] Tamnan Oulangkhrathat est une
chronique très appréciée depuis la période de l’ancien Lane Xang jusqu’à aujourd’hui. Il relate
563 Cf. Les études épigraphiques lao menées par l’EFEO, dirrigées par Michel Lorrillard. 564 Oulangkra nithan, annoté par Kéo Outhoummala (Phra Thamma Rajanuvath), ré-édité en 2008, en Thaï. 565 Bien que le Royaume Chounlani évoqué dans le Tamnan se soit situé dans un territoire au nord de Vientiane et à l’Est
du Mékong. Les historiens notent avec peu de certitude qu’il s’agit du territoire de Luang Prabang ou de Sip Song Chou
Tai. C’est le Thamnan Yolnok qui donne cette piste de réflexion. Pour les autres, Chounlani serait la région de Thakek.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’histoire et les événements des ban et des muang ainsi que l’histoire du Bouddhisme […] ». Sept
royaumes sont évoqués : Sikhottabong (au sud de l’embouchure de la Xé Bangfai), Chounlani (au
nord-est du Laos ?), Nong Han Luang et Nong Han Noy (Sakonnakhone et Udon Thani dans le
Nord-est de la Thaïlande), Inthapat Nakhone (au Cambodge), dont deux de manière allusive : HoyEt
Patou et Dvaravati. Le récit évoque la fondation de Vientiane, mais est surtout concentré sur le
légendaire royaume de Sikhottabong et sur la construction du That Phranom.
Les anciens traités recopiés –et parfois déformés– sont encore utilisés de nos jours de
façon simplifiée. Ils concernent essentiellement la construction de l’habitat et ses rituels au sens
large : la pose du premier poteau, l’inauguration de la maison, etc. Les auteurs de l’Habitation Lao,
un ouvrage de référence en ethno-architecture, ont retrouvé et dépouillé l’essentiel de ces écrits.
566
Quant aux textes traitant des fondations de sanctuaires religieux, dont la consultation est réservée à
la communauté du Sangha, ils sont difficiles d’accès. Mise à part ces écrits et une documentation
parsemée, les actes et les rituels évoqués pour l’établissement de l’habitat, de la fondation de
l’espace religieux, du ban et du muang, il y a des traditions orales qui peuvent nous introduire au
cœur de la question, à défaut de pouvoir nous donner une explication adéquate et compréhensible de
certains rituels. A travers les entretiens complétés par des observations sur le terrain, il nous est
permis d’aborder dans ce chapitre la fondation de l’espace au sens large et de focaliser notre intérêt
sur ce qu’aurait pu être la fondation des villes. Nous avons pu localiser un village dont la mémoire
du rituel de fondation (ou refondation) est encore préservée et inscrite matériellement dans son
espace. Il s’agit de Ban Phay Lom, “ village aux palissades de bambou ” situé au kilomètre 18 au
Sud-est de Vientiane.
Entendons par “ acte ”, les conditions, le contexte, les facteurs, qui rendent une fondation
possible, nécessaire et effective. Cela sous-entend le rôle des acteurs, leur contexte culturel et
politique, mais aussi leur disponibilité économique, comme l’un des principaux facteurs. Et
entendons par “ rituel ”, le reflet matérialisé de l’ensemble des symboles, croyances, idéologies et
conventions dans lesquels ces acteurs se représentent et se reconnaissent, comme élément
d’intégrité, garant de leur existence dans l’espace et dans le temps, aussi bien le temps historique
que le temps symbolique.
II. II. c. 1. Les objets de fondation et les dispositifs spatiaux
Avant d’aborder la question concernant le rôle des stèles et des bornes proprement dit,
notons préalablement quelques faits particuliers : les légendes et les mythes à propos des fondations,
qu’ils soient écrits ou oraux, sont fructueux. Pour des explications a postériori, ils enrichissent et
brouillent à la fois les informations fournies par les inscriptions, les stèles et les bornes. Dans le
meilleur des cas ils apportent des éclaircissements, et dans le pire des cas –en particulier en ce qui
concerne les légendes transmises oralement– ils apportent des informations déformées. Que les
fondations possèdent ou pas des inscriptions et des textes relatant l’événement les concernant, la
persistance déformatrice de l’oralité va s’approprier de la plupart des événements. Dans l’hypothèse
où ces mythes ne seraient pas complètement inventés mais munis d’un fond historique, la tradition
orale va au fil du temps déformer les données jusqu’à leur altération complète. Il serait tout à fait
concevable que certains mythes puissent porter la résonnance de certains faits historiques, pouvant
être complémentaires par rapport aux inscriptions et aux données archéologiques, plus fiables, mais
malheureusement manquant. Du moins, nous pouvons déceler dans ces mythes la réalité
“ psychologique ” de ceux qui les auraient formulés. En d’autres termes, aucun mythe ne serait
réellement dépourvu de sens. Mythes et oralité occupent donc une position importante malgré tout.
Par exemple, faut-il considérer que le regroupement du village de Bourichanh et de
566 Pierre et Sophie Clément, L’Habitat Lao dans la plaine de Vientiane et de Luang Prabang. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’implantation de Khambang, formant Vientiane, comme de pure légende567 ; où au contraire,
comme des données qui complètent les stèles et les vestiges archéologiques de That Luang. Les
vestiges semblent attester que la période primitive de la fondation de That Luang est de nature
uniquement religieuse, alors que les données aux contenus légendaires indiquent qu’il y aurait
également un établissement d’habitation, villages et quartiers. La deuxième considération semble
tout à fait crédible, car on ne peut imaginer dans ce contexte un événement de telle importance
concernant un site religieux, sans l’existence d’une cité de taille aussi importante. Un autre
exemple : quel degré de fiabilité accordé à l’oralité concernant l’histoire populaire du That Vat
Nark ? Celle-ci rapporte que le That a été la commémoration d’un prince –son nom n’est pas
mentionné– accusé et décapité pour avoir commis l’adultère et déshonoré un grand du royaume.
Comment doit-on traiter ces données ? Le premier exemple fait transparaître deux
événements qui ne sont pas incompatibles. L’histoire de Khambang et de Bourichanh exprime un
évènement politique et social pour l’établissement de la ville. D’après elle, Vientiane est fondée à
partir d’une alliance entre deux établissements et deux sociétés probablement différentes. Alors que
les inscriptions, les bornes et autres vestiges trouvés à That Luang racontent un événement religieux
qui s’est produit sur le site. Effectivement, la fondation d’un site religieux d’une telle importance
doit être accompagnée d’une manière ou d’une autre d’un événement sociopolitique d’importance
comparable, tel l’établissement d’une ville. Quant au deuxième exemple, il rappelle étrangement
l’histoire du Rajbout –fils de Suryavongsa, qui aurait été historiquement décapité pour le même
motif. Et pourtant, nous ne pouvons pas considérer que c’est de l’histoire du Rajbout qu’il s’agit : ce
that aurait exprimé ce que la conscience populaire retient des événements politiques. Ces
événements, lorsqu’ils ne sont pas de bons augures n’auraient pas été inscrits. L’histoire les aurait
purement omis. A contrario, lorsque les événements sont positifs et porteurs de sens pour la
conception officielle de ceux qui sont en charge de les commémorer, les inscriptions en auraient
pris acte et auraient tendance à les exagérer. Dans cette logique, les stèles et les bornes qui ont été
servies à marquer les événements exceptionnels auraient été, de ce point de vue, instrumentalisés.
Leur édification est alors un enjeu servant une idéologie officielle ou servant à glorifier les potentats
qui, par ces inscriptions, fusionnent leur renommée aux évènements.
Les bornes, les stèles, les édicules
Les stèles et les bornes par leur fonction première prennent acte des événements historiques,
notamment des fondations. Qu’elles soient accompagnées ou pas d’inscription, l’aspect matériel
(art, matériaux) de ces édicules peut donner certaine perception aux constructions. Les trois types
d’objets ont chacun une fonction et un rapport particulier avec les fondations : ils les marquent, les
commémorent et les symbolisent.
- Les bornes ont pour fonction de marquer et délimiter les espaces et les territoires, d’indiquer leur
importance et leur fonction, indifféremment de la taille des espaces et des territoires. Dans la
majorité des cas, ils n’ont pas d’inscription. Les baï séma par exemple sont une sorte de borne
puisqu’ils délimitent le sanctuaire central du monastère bouddhique. Dans le cas des pieux en bois
(à Ban Phaylom) c’est également une sorte de borne qui affirme et conforte une idéologie
confessionnelle dans un espace donné. Il est de même pour les poteaux sacrés (sao hong) des
monastères Karen, indiquant une tradition cultuelle ancienne autochtone, associée au culte
bouddhique ultérieur.
- Les stèles sont, à l’origine, un support pour les inscriptions de différente nature : dédicace,
événement, apologie, texte de loi, etc. Qu’elles soient avec ou sans inscriptions, ce sont des pièces
qui donnent formellement les informations sur les événements, les personnages et les fondations.
C’est une pratique culturelle et intellectuelle de l’élite : le peuple ne produisant pas d’inscriptions
567 Cf. le Thamnan Oulangkrathat. Op, cit
Table. 16.
Liste non
exhaustive
des stèles et
des bornes
les plus
significatives
évoquant les
fondationsDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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pour son compte. La fonction des stèles sert l’idéologie de ceux qui les produisent ou pour qui elles
ont été faites : les personnes ou les événements jugés non-élogieux sont omis, seules les personnes
dignes, les événements porteurs, sont gravés dans la pierre. Les stèles font l’apologie du pouvoir et
de ses potentats, et par de-là, elles indiquent le désir d’immortalité dans le temps, l’espace et
l’histoire. Les stèles marquent donc quelque chose de momentanée, un événement ponctuel, une
histoire digne d’être commémorée. En cela, elles apportent aussi bien les informations cruciales à la
compréhension du passé, que les informations manipulées et tendancielles, ne permettant pas de
rendre compte de la réalité d’une époque, des événements ou des personnes pour quoi et pour qui
les stèles sont faites : les événements ponctuels donnés ne peuvent pas être aperçus ni dans sa durée,
ni dans sa réalité historique et anthropologique comme sans failles.
- Les édicules symboliques que nous trouvons dans la région du Laos sont essentiellement des
stupas et les piliers du Pancasìla. Ceux qui sont bien représentatifs sont le pilier du Pancasìla et le
that Sri Thamma Haïsok, construits dans le premier étage du That Luang. Le Pancasìla est une sorte
de borne avec des ornementations symboliques représentant les cinq fleures de lotus qui
symbolisent les cinq préceptes bouddhiques. Il aurait un lien avec le pieu sao hong des monastères
Karen : les cinq préceptes bouddhiques se seraient fusionnés avec la représentation ancienne du
culte des esprits des autochtones aborigènes qui érigent des pieux en bois au milieu de leur village
(comme cela se pratique encore chez les Tarieng au Laos). Ils réutilisent le principe du pieu en bois,
mais le remplacent par le pieu en pierre incrusté de représentation symbolique des cinq préceptes.
En ce qui concerne le that Sri Thamma Haïsok, c’est une sorte de relique, mais l’intérieur de
l’ouvrage n’est pas accessible. L’édicule est fortement ouvragé et chaque représentation décorative
est chargée de symboles. Il renferme des trésors faits de dons royaux dédiés au That Luang.
Les deux petits monuments (donnés en exemple) qui accompagnent la fondation d’un grand
monument comme le That Luang, sont une sorte de pièce d’identité spirituelle et intemporelle dont
la fonction est de marquer l’importance du monument qu’ils accompagnent. Les stèles, elles,
s’inscrivent plus dans une époque et marquent temporellement les actions et les événements.
La fondation et l’organisation des espaces bouddhiques
Les espaces religieux font partie intégrante (comme un programme) de l’établissement
humain dès sa fondation. Ils peuvent même en être le point préexistant pour un certain nombre de
fondations. Il en est probablement ainsi pour le cas de Vientiane où le site de That Luang aurait été
investi bien avant la formation de la ville. Pour d’autre, la construction des espaces religieux vient
momentanément après, confirmant et consolidant l’organisation sociale et politique des
établissements déjà fondés. Ce dernier cas de figure semble généralisé : les fondations religieuses
(bouddhiques) de Luang Prabang et de Muang Sing, seraient venues après la construction de la cité.
Ceci, bien qu’il est probable que le choix de départ ait été lié directement à la qualité symbolique et
aux esprits protecteurs des lieux. Et dans la plupart des cas, les sites de fondations religieuses sont
des espaces qui possèdent des capacités de persistance spatiale plus grandes que les constructions
laïques. C’est pourquoi les fondations religieuses et leur organisation dans la ville sont importantes
pour comprendre la fondation de la ville elle-même : la compréhension de la ville, son évolution et
son développement ne peuvent se faire sans que l’on puisse interroger les espaces religieux, leur
insertion et leur rôle spatial dans la ville ainsi que leur organisation interne.
La place des espaces religieux et de leur insertion dans la ville
Les monastères bouddhiques occupent une position centrale du point de vue social au sein
de la ville et du village, elle a aussi la propension à devenir un modèle d’architecture. Si son
insertion dans les villages est plus simple, dans le milieu urbain elle est plus complexe. Un village
rural possède rarement plus de deux monastères, souvent un seul. Lorsque le village devient plus
grand il peut en avoir une deuxième, pour des raisons de proximité et de place : le monastère doit
aussi pouvoir accueillir les novices, les séjours monastiques occasionnels lors des obsèques, ou lors
des services religieux à l’entrée des carêmes. En occurrence, les gros villages possédant une Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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capacité plus grande pour l’entretien du monastère (nourriture des moines, cérémonie d’ordination,
etc.), peuvent avoir plusieurs monastères : ainsi il peut y avoir vat Thong (pagode de rizière) et vat
Tha (pagode de berge), ou encore vat neua (pagode nord du village) et vat tai (pagode sud du
village). Ou encore, il peut aussi y avoir vat ban (pagode située au sein du village) et vat pa
(monastère de la forêt) : le premier, réservé pour les rituels quotidiens des villageois, alors que le
second, destiné aux incinérations et aux retraites des moines.
Si la fonction de rassemblement est la même, si les rituels religieux possèdent les mêmes
sens et requièrent les mêmes savoirs, par rapport aux monastères de campagne, les monastères de
ville s’insèrent différemment dans son environnement. Les monastères sont plus nombreux, ils se
rapprochent à quelques pâtés de maisons, se concentrent dans un territoire plus restreint. Plus le
statut de la ville est important, plus les pagodes se serrent. C’est le cas de Vientiane et de luang
Prabang. Un îlot peut avoir plusieurs monastères. En ville, par leur présence, la notion de village
tend à être moins visible, mais à fonctionner comme quartier. On évoque ainsi le khoum avec
affectation du nom du monastère, plus que le nom du village, bien que le khoum soit imprécis,
voire, inexistant du point de vue administratif par rapport au ban, c’est cette imprécision qui est
optée en milieu urbain. Une spécificité est à souligner concernant la place des monastères lü dans
les xieng. La situation de Muang Sing montre que chaque xieng doit posséder un seul monastère.
Celui-ci est au nombre de quatre. Et chaque monastère occupe un emplacement bien précis dans le
xieng : dans l’îlot externe des xieng et dans la parcelle externe de l’îlot. Les monastères sont
desservis par les deux voies centrales et par les rues du rempart.
La composition spatiale et le langage architectural des monastères et des monuments
Le monastère est formé de vastes cours aux multiples fonctions, parsemées de taillis,
d’arbres fruitiers et toujours d’un ou de plusieurs fucus religiosa (l’Arbre de l’Éveil). Le mur
d’enclos le sépare du domaine privé ou public laïc et joue un rôle important dans sa perception
depuis la ville. Autrefois, les murs d’enclos sont formés de pieux en bois assez hauts avec la partie
supérieure sculptée. Depuis la renaissance des villes avec la colonisation française, ils sont
construits en maçonnerie. Ils peuvent être hauts à âme pleine, avec ou sans merlon, ou bas en mur
bahut précédé de nombreux that. Dans tous les cas, ils sont ouverts sur plusieurs côtés. Quant aux
portiques d’entrée, la principale et majestueuse donne souvent sur une rue importante, où autrefois
se trouvent les maisons des nobles. Les entrées secondaires et les entrées en dérober donnent sur les
parties plus populaires des quartiers, avec des maisons plus modestes, probablement celles dans
lesquelles vit la famille des moines et des novices. Les décors des portails sont de facture variable :
la représentation du naga et les bulbes de lotus sont les motifs les plus représentés.
Le vat est constitué de nombreux composants architecturaux. Le sima (sanctuaire) occupe la
position centrale, suivis de la sala (ou hô tcher), du hô taî (bibliothèque du Tipitaka), des Kuti
(habitation pour moines), de nombreux stupas funéraires et votifs. Il y a ensuite des constructions
plus ou moins ouvragées telles que les hô kong (abri à tambour), le hong heua (abri à pirogue de
course), un ou plusieurs oumoung (petite chapelle voûtée), les vestiges archéologiques et enfin
l’enceinte du monastère lui-même. Le privilège de la taille des parcelles permet de disposer les
bâtiments de manière harmonieuse, laissant le vide occupé par la végétation. Le pavage ou non du
sol et l’aspect du jardin indiquent souvent le caractère rural ou citadin des monastères.
L’emplacement des ouvrages est soumis à des règles strictes. Leur orientation se réfère aux points
cardinaux, au fleuve, aux points tutélaires et aux traces des occupations antérieures éventuellement
sacrés, qui auraient consolidé le caractère sacré des lieux de manière encore plus importante.
Sachant que l’orient privilégié du monastère est l’Est explicité par l’orientation à l’Est de la façade
du sanctuaire central et en conséquent du grand bouddha –Phra pathane, qui y président.
Les parcelles occupées par les vat doivent être situées sur une ligne topographique
supérieure à celle des habitations laïques. Ceci, afin qu’elles ne puissent pas réceptionner les eaux
usées provenant des terrains d’habitation. Les parcelles sont aussi privilégiées par leur grande
superficie, par le choix de leur emplacement et par la densité de leurs espaces verts, que ce soit en Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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milieu rural ou urbain. A tous les niveaux, les édifices religieux se distinguent des autres catégories
de construction par leur architecture, leur mode de construction, leurs procédés techniques et
conceptuels, leur référence culturelle et artistique, leur rôle socioéconomique et leur usage. Les
monastères prennent ainsi un aspect particulier dans l’environnement urbain. C’est probablement
une raison qui fait qu’ils deviennent des références architecturales pour les édifices et autres
constructions à caractères symboliques, construits à l’extérieur des monastères. Il s’agit par exemple
des monuments et des mémoriaux. Même s’ils ne font plus l’objet de culte, ou même s’ils n’ont plus
de relations directes avec l’univers des cultes religieux, ils empruntent leurs vocabulaires comme
modèles et références esthétiques. Pour pouvoir repérer ces influences, soulignons des détails parmi
les composants architecturaux du monastère.
La description du sim
La vie de la communauté religieuse et de celle du village ou du quartier tourne autour du
sanctuaire central. Sa richesse architecturale et décorative ainsi que les matériaux utilisés pour sa
construction le font apparaître comme un édifice phare, accentuant sa noblesse, son aspect
symbolique et sacré. Construit en maçonnerie, le sim doit être le bâtiment le plus haut à l’exception
des stupas. Il est surélevé et constitué de deux parties principales : le corps du sanctuaire
proprement dit et la partie que l’on peut appeler narthex desservi par un perron maçonné, encadré de
deux Naga, menant à un porche à colonne. A l’intérieur, la nef (longue pièce rectangulaire et clause)
reçoit la lumière extérieure par la porte d’entrée et par ouvertures étroites percées avec régularité
dans les murs latéraux. Les menuiseries en bois sont très ouvragées dans leur ensemble. Au fond du
cœur de la nef sur l’autel votif massif trône majestueusement le Phra Pathane –le Bouddha central,
entouré des plus petits et des objets cultuels et votifs divers. Le regard du Bouddha voilé par de
lourdes paupières abaissées légèrement vers le bas, symbolisant la compassion.
Soubassements et couronnements
La construction du soubassement obéit au principe d’assemblage de la masse de forme géométrique
hiérarchisée, avec des lignes droites et des lignes arrondies, visibles en façade et dans les
embrasures des percements et des accès latéraux. Le soubassement est composé d’une sorte de
stylobate, dont la plinthe est empâtée et la corniche proéminente. Les couronnements des piliers ont
toujours des ornementations, réalisées en stylisant les motifs floraux (pétales de lotus, tiges de
bananier.)
Ornementations et symboles
Les ouvrages de décors architecturaux sont fondamentaux pour comprendre les arts graphiques et
les arts appliqués laotiens. Ils s’inspirent des formes animalières et florales, empruntées à l’univers
symbolique du Maha-sadok et du Ramayana. Peintures murales, bas-reliefs, stucs, dessins au
pochoir de poudre d’or, mosaïque de verre, les symboles tels que la roue de la loi, les effigies de
Bouddha dans différentes postures, etc., autant de techniques qui doivent raconter, symboliser et
rappeler la vie du Sage (période du Sadok et période du Bouddha). Les stucs servent surtout
d’ornementation aux chambranles des portes et également à couvrir la finition des éléments de
couverture.
Toitures
La toiture du sanctuaire est composée de plusieurs pans à recouvrement, décomposés en trois
parties : la partie centrale, la partie haute et la partie latérale basse. Les écarts entre les
recouvrements sont variables et conditionnent l’aspect effilé ou ramassé du sanctuaire. Sur les
pannes faîtières et sur les rives (Van laèn lop lang kha et van lèn pan lom) la représentation du Naga
est fortement présente. Sa tête stylisée vient couronner la fin du faîtage (Ngo) et l’extrémité des
rives (kandok). Dans l’architecture, la représentation du Naga (Ngo, Nak Sadung, etc.) est souvent
faite en stuc avec armature. Quant à la représentation du Mont Méru (sô f’a, faîtage), par une suite
de superpositions de parasols de cinq à neuf étages, elle est réalisée en zing, en stuc, en bois. Elle
apporte la touche d’élégance finale aux sanctuaires. Les consoles, également empruntées au corps Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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du Naga, stylisées et épurées, supportent avec élégance et régularité la descente des pans de toitures,
créant ainsi une liaison harmonieuse entre le corps massif du sim et l’aspect envolé de sa toiture. Il
existe deux sortes de consoles : la console féminine (khrèn nang) lorsque son aspect est léger
comme “ le bras d’une demoiselle ”, et la console masculine (hou xang) lorsque son aspect est plus
massif comme “ les oreilles d’éléphant ”.
Frontons et façades, percements
Toute la valeur esthétique du sim est inscrite sur son fronton et sur l’ensemble de sa façade,
caractérisée par des mesures modulaires. On peut y lire la partition symétrique et la composition
architectonique générale de tout l’édifice, comme élément clé de sa conception, telle que la règle
des percements, la référence religieuse et mythique des éléments de décors. L’entrée principale du
sim, souvent en double arcade, est percée dans l’axe du vaisseau central. Elle est accompagnée de
deux baies libres sans chambranles se trouvant dans l’axe des vaisseaux latéraux. Il s’agit-là du
premier plan de façade de l’édifice, qui donne l’accès au porche ou narthex. Le percement de la
seconde porte principale est dans le second plan, sous le porche et dans l’axe de la première. Les
écoinçons à jour dans le mur bahut du porche constituent la singularité de chaque sim. Les
percements de fenêtre sont réalisés de manière régulière dans les parois latérales. A Vientiane le
décor des embrasures est rare, alors qu’à Luang Prabang il est plus chargé. La façade arrière
occidentale des sim est souvent aveugle, exceptée pour les sim qui ont une galerie pourtournante
comme c’est le cas de Hô Phrakéo. Si non Vat Inpeng est probablement l’une des exceptions.
Le Hô taî
La bibliothèque est le plus petit édifice du monastère, elle comporte deux types. Le premier
ne possède pas de charpente, mais d’un ensemble de couvertures en voûte en encorbellement,
comme c’est le cas de la petite chapelle voûtée de Vat Inpeng. Il possède en outre une volumétrie
harmonieuse et un corps bâti monolithe. Ses ornementations fines et délicates la classent entre le
sim et le that. Le deuxième type possède une couverture et des charpentes, comme c’est le cas de
Vat Sissakhet. Sa technique de construction n’est pas différente du sim, mais avec un gabarit plus
modeste. Sa silhouette fine et élancée fausse visuellement sa taille réelle : elle semble plus petite
alors qu’en réalité, elle peut être plus haute. Les deux types d’édifices possèdent un caractère
commun : leur aspect décoratif et précieux. Ils sont construits, soit entièrement en maçonnerie, soit
en matériaux mixtes (bois et brique). La finesse de leurs ornementations et leur aspect global
suggèrent qu’ils dérivent à l’origine de l’architecture légère en bois et de la conception du mobilier.
Les très anciennes armoires du Tipitaka que l’on peut encore trouver dans les pagodes ont des
formes en encorbellement (parois inclinées) comme le hô taî de Vat Inpeng en miniature.
Les iconographies
L’iconographie est majoritairement tournée vers l’enseignement et la littérature religieuse.
La littérature populaire occupe une place moindre. Autrefois, la vie sociale et culturelle a aussi sa
place dans les pagodes, non dédiées exclusivement aux affaires religieuses. Les tentures sur tissus,
les peintures murales et parfois les stucs, représentent aussi les scènes païennes (Koulou Nang Oua,
les amants maudits ; les quatre frangipaniers, etc.) cela montre que la culture du peuple (littérature,
légende, conte) a aussi son importance et peut être représentée aussi avec art sous forme de pièce
dansée ou jouée. Une brève étude iconographique des pagodes de la petite enceinte de Vientiane a
permis de distinguer le contenu narratif de l’art et de la technique de le représenter. Les supports
architecturaux mettent en scène quatre thèmes : 1- la littérature religieuse proprement dite,
comporte des événements se rapportant à la vie de bouddha, à son enseignement, à l’histoire du
Sadok, et à celle des dix dernières incarnations. 2- la littérature épique donne des enseignements
moraux et philosophiques, l’art et la connaissance, notamment avec Sinhxay, Kalaket, Tèng-One.
Parfois, on n’hésite pas à considérer cette littérature morale comme s’il s’agit de l’histoire du
Bouddha. 3- les fresques historiques qu’il s’agit de transmettre et d’inculquer au peuple. Elles
mettent notamment en scène la fondation du Lane Xang ou la bravoure d’un monarque. 4- la Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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représentation des sites historiques ou sacrés existant au Laos, tels que Vat Phu, That Luang, Plaine
des jarres, représentés tout en cacophonie. Ces représentations sont sensées de marquer la prise de
conscience des Laotiens de la valeur de leur patrimoine culturel. La troisième et la quatrième
iconographie sont des faits récents, probablement apparus depuis le milieu du XXe siècle : leur
illustration et leur représentation ne datent qu’à partir de ces années. Les deux premières séries
d’iconographies sont représentatives des considérations et des productions plus anciennes.
Les stupas
Le stupa peut être un ouvrage important de restructuration politique de l’espace, donné en
exemple à travers le règne de Sethathirat. Soulignons à la fois le côté générique et le côté particulier
du that parmi les édifices religieux existant.
That vient du pali dhatucetiya, le monument contenant une relique corporelle. Les Lao
gardent la version raccourcie du mot –dhatu. En Thaïlande on garde le suffixe cetiya, qui donne le
terme usuel chédi. En sanskrit, dhatugarba, utilisé à Seylan sous le terme dagoba. C’est à travers la
tradition indienne que l’Occident connaît l’édifice sous le terme stupa. Le stupa n’est pas un
monument inventé par le culte bouddhique, elle préexiste bien avant. Mais le bouddhisme s’est
approprié de cet ouvrage au symbolisme fort. Les Maharajas de l’Inde de la Haute antiquité
construisent déjà des monuments funéraires avec des hautes montées de terres couronnées par un
monument commémoratif. D’après la tradition bouddhique, le monument serait apparu en Inde
après la disparition du Bouddha. Les premiers stupas auraient été formés de tumulus élevés par ses
disciples pour abriter ses cendres et ses reliques, alors que les traces archéologiques des monuments
funéraires à l’époque de Açoka montrent des stupas en forme de colonne avec des ornementations
dans la partie haute. D’après Deydier l’origine de la forme du stupa peut être expliquée par une
anecdote : « Peu de temps avant la mort du Bouddha, Ananda lui demanda comment il convenait
d’honorer ses reliques. Le Bouddha prit son manteau monastique, le plia en quatre, posa dessus
son bol à aumône renversé et le surmonta de son bâton. Il dit alors à Ananda que les monuments
destinés à l’honorer devraient avoir cette forme ».
568
Il existe quatre sortes de reliques dans le sens d’objet renvoyant au bouddha. Le relique
corporelle –dhatu-cetiya, est constitué à l’origine par un tumulus dont la forme et la taille évoluent
par la suite. Le reliquaire topique –panbhoga-cetiya, est constitué d’objet faisant référence à un lieu
où bouddha a vécu, tel le jardin de Lupini où il est né, la ville de Sernat où il a fait ses sermons, etc.
Le reliquaire scripturaire –dhamma-cetiya, est réservé pour les écritures sacrées, notamment le
dharma. Le reliquaire symbolique –uddesika-cetiya renfermant les images, les représentations, les
objets qui renvoient au Bouddha, comme la roue de la loi, le Phrabat sensé symboliser l’empreinte
de ses pieds, etc. De taille et de matériaux variables, de factures et d’écoles artistiques différentes,
les stupas sont le type de monument le plus répandu. Il occupe dans l’histoire et occupe encore un
très vaste territoire. L’aire et la civilisation des stupas font brillamment leur apparition. Le site le
plus grandiose est incontestablement Pagan. De manière plus modeste, plus usuelle, et
probablement depuis leur conversion, les bouddhistes d’Asie du Sud-est –anciens mondes
indianisés– construisent leur monument funéraire aujourd’hui selon les principes symboliques et
architectoniques du stupa.
II. II. c. 2. Les autels des phi protecteurs, les pieux de fondation et les lak muang
Les actes et les rituels des fondations passées trouvent leur continuation dans les rites
consacrés aux autels des phi et des devata protecteurs et dans la concrétisation, la spatialisation des
pieux de fondation et des Lak muang. Autels, pieux, lak muang, sont liés et opèrent sur le même
espace que sont le territoire, la ville, le village, l’espace d’habitation. Ils se retrouvent projetés dans
568 Cf. Histoire des stupas, des vat et celle de Phrakou Gnot Kéo Phone-Sameth, Ministère des Cultes ; Introduction à la
connaissance du Laos, Henri Deydier, éd. Kandiev 1952.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’espace mental et physique de l’habitant comme le moyen de lecture et d’appréhension de son
territoire et de son espace habité. Ils portent garant de l’intégration de l’habitant du muang dans son
cadre ethno-social et dans son milieu physique, comme élément d’une mémoire collective assumée
et comme signe d’une prospérité collective acquise ou désirée. C’est aussi la preuve d’une existence
bien intégrée dans sa cosmogonie : pour les Lao, leur existence, celle de leur société ne peut être
qu’harmonie, d’où la persistance du culte de ces phi, de ces génies, de ces pieux de fondation et des
pieux du dharma. Ces éléments qui semblent être d’un autre temps donnent encore aujourd’hui du
sens aux choses et aux lieux. Ils se seraient ainsi perpétués, tant que l’on continue à habiter un lieu,
un espace et à les produire et reproduire.
Les esprits ou les phi protecteurs, possèdent des espaces hiérarchisés desquels découlent la
hiérarchisation, l’organisation et la structure spatiale habitée. Par exemple, les phi heuane (phi de la
maison) sont sous la protection des phi ban (phi du village) et à leur tour les phi ban sont protégés
par les phi muang. Mais ils peuvent aussi protéger et garder un territoire enchevêtré. Les phi ne
seraient pas seulement les gardiens, les protecteurs, mais aussi les organisateurs des territoires et les
facteurs d’identification anthropologique. Nous tentons de comprendre, d’après des exemples, quels
schémas symboliques et quels modèles spatiaux peuvent-ils dégager des autels des esprits.
La mémoire et la continuité des établissements, de l’habitat au village et à la ville. Le rôle des
autels des devāta et des phi protecteurs
Nous tentons de comprendre ici le rôle des autels des dévata et des phi protecteurs dans la
notion de continuité spatiale et de cousinage dynastique des muang. Pour se faire nous nous
référons aux mythes des origines fondatrices des chefferies tai, reflétés dans les traditions cultuelles
; comment les génies gardiens sont-ils constitués, quel lien ont-ils avec les monarques descendant
des thaèn f’a et avec les fonds cultuels des peuplades indigènes ? Les rituels pour honorer les autels
des devata et des phi protecteurs de Xieng Khouang, de Luang Prabang et de Vientiane semblent
perpétuer non seulement les liens mythiques passés et les liens historiques, mais enregistrent
probablement aussi sous certains aspects l’évolution historique et sociale des muang.
Complexité des autels des esprits protecteurs de Xieng Khouang et de Luang Prabang
Les autels des Devata et des phi protecteurs de Xieng Khouang et de Luang Prabang sont
clairement liés au mythe fondateur des Lao, ils sont caractérisés par le culte des ancêtres
fondateurs : les phi thaèn. Le culte donne beaucoup d’importance à l’aspect fondateur des ancêtres
qui portent garant à la continuité du pouvoir et à sa légitimité. Les phi et les devata sont les ancêtres
fondateurs d’une lignée. Ils rendent sacrée la charge du pouvoir de cette lignée. Le culte est marqué
alors par un certain ethnocentrisme.
Les phi ou génies peuvent être des esprits immémoriaux d’un lieu, des gardiens protecteurs
ou des ancêtres morts. Dans le cas des génies gardiens du territoire fondamental, il s’agit des fidèles
serviteurs ancestraux et mythiques comme Pou Ngneu Gna Ngneu, célébrés dans une danse
cultuelle à masque à Luang Prabang au nouvel an, ou comme Sing Kêu Sing K’âm personnages
masqués dansés et célébrés lors des fêtes du that à Xieng Khouang. Ces derniers se seraient
“ sacrifiés ” pour la fondation et la prospérité des chefferies lao. D’après Archaimbault qui analyse
la structure religieuse lao à travers les rites et les mythes, les autels et le culte des esprits à Luang
Prabang et à Xieng Khouang proviennent d’un même fond, ce qui devrait confirmer l’idée de
filiation et de parenté profonde entre les fondateurs de Xieng Khouang et les fondateurs de Luang
Prabang (idée suggérée également par le Nithan Khun Bourom.) Sing Kêu Sing K’âm, deux parmi
les génies protecteurs qui séjournent dans le village Na Hu (privilégié et situé à quatre kilomètres de
Xieng Khouang), symbolisés par les masques du lion de cristal et d’or, seraient en quelques sortes
les enfants ou les esprits auxiliaires de Pou Ngneu Gna Ngneu de Luang Prabang. Archaimbault
suggère l’idée qu’il doit y avoir anciennement peut-être le culte de devata luang que sont Pou Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Ngneu Gna Ngneu placés au-dessus des devata des autres muang, à Luang Prabang et répliqué à
Xieng Khouang569
Le culte des génies et des phi, honorés dans les autels des devata à Xieng Khouang, est
dédié aux monarques thaèn f’a qui, à leur mort, deviennent des phi f’a phi thaèn protecteurs et
puissants (esprit des monarques, des ancêtres ethniques des Lao divinisés) qui dominent tous les
autres phi. Une personne est chargée d’entretenir leurs cultes à l’autel, notamment les chao song à
travers lesquels l’esprit des phi thaèn viendrait habiter et communiquer avec les vivants. Autrefois,
c’est la famille royale ou princière elle-même qui en avait la charge. C’est la raison pour laquelle
elle a un lien privilégié avec les chao song qui lui étaient attachés, à Champassak comme à Xieng
Khouang. Les phi thaèn phi f’a possèdent un autel –lieu géographique particulier, comme il est
démontré à Xieng Khouang c’est « (…) l’autel des génies protecteurs du mu’ang situé sur la colline
qui domine S’ieng Khwang (…) ». Cependant, nous verrons avec l’exemple du culte du Pou t’a de
Champassak que le phi protecteur peut suivre partout les descendants ou les habitants du muang de
sa “ circonscription ”. Les gens originaires du muang continuent ainsi à honorer son autel qu’ils
improvisent partout dans le monde, en France, aux Etats-Unis ou ailleurs. Cependant, la question ne
semble pas claire : Pou t’a est-il un gardien protecteur, un devata luang au même titre que Pou
Ngneu Gna Ngneu ou leurs gardiens auxiliaires que sont Sing Keu Sing K’am, ou l’esprit du thaèn
f’a lui-même ? En tous les cas, le lieu de l’édification de l’autel semble peu important. Dans les
années 1960 lorsque Archaimbault mène ses enquêtes, il dit que l’autel est situé sur la colline qui
domine Xieng Khouang.570
Lorsque les phi protecteurs renvoient aux esprits immémoriaux, il s’agit alors des croyances
de souches autochtones. L’appropriation par les muang de ces esprits immémoriaux était telle, qu’il
est parfois difficile d’identifier ce qui appartient vraiment au muang et ce qui appartient aux
“ indigènes”. Pour élucider la question il faut probablement chercher des explications plutôt chez
les génies gardiens des muang que chez les phi thaèn protecteurs eux-mêmes, puisque ces derniers
sont des monarques ancestraux divinisés des Lao Tai. Comme le note encore Archaimbault : « Si à
Luang Prabang, seuls les descendants directs de Khun Bulom, le fils du roi des Thên, et les
monarques dont l’histoire révèle le destin exceptionnel possèdent des autels particuliers et
demeurent figés pour l’éternité –en dépit des croyances bouddhistes– dans leur fonction de dévata
protecteurs, à S’ieng Khwang, plus de trente monarques-thên figurent sur la liste des génies du
Mu’ang récitée lors du sacrifice du buffle. Or ces monarques divinisés qui portent le nom collectif
de ‘seigneur Lo K’am’ –le nom même de la chefferie t’aî-noir– sont désignés comme ‘lak Mu’ang’,
c’est-à-dire pilier de la ville, et sont censés résider en permanence dans l’autel de S’ieng Khwang
où un reposoir leur est consacré. Lors du sacrifice du buffle, la famille princière doit fournir les
offrandes destinées à ces monarques ancêtres. (…) Ces caractéristiques suffisent à révéler, derrière
le culte des monarques Thên, un culte du Lak Mu’ang de type t’ai-noir mais hypertrophié.
Projection sur le plan du sacré de l’arbre généalogique des familles P’uon, ce lak M’uang a pour
fonction d’assurer la protection du Mu’ang fondamental instauré non point par Lo K’am mais par
569 « (…) Au début de la création il n’existe sur terre que les Pu No Na No qui plantèrent un arbre grand comme un cierge
sur une terre minuscule. (…) Thau Lai et Mê Mot qui en coupant le banian autour duquel s’était enroulée la liane
maléfique aidèrent les Pu No dans leur tâche. Ils périrent également victime de leur dévouement et devinrent, disent les
textes, des devata luong au même titre que les deux ancêtres (…) ». Archaimbault. Op.,cit. 570 Il explique que : « Hô S’ieng Khwang (…) possédait autrefois douze autels (…) installés dans les centres des
principaux mu’ang – d’après les annales au XVe siècle, sous le roi K’am Kong, l’acan Tammak’ata venu de Luong
P’rabang érigea 12 autels (le nombre même des autels de Luong P’rabang) pour les génies protecteurs et implanta le
sacrifice annuel du buffle – 11 de ces Hô étaient de fait des ‘Hô phi ban’ c’est-à-dire des autels consacrés à des génies
protecteurs de villages. Disposés aux quatre coins de la province, ils constituaient les ‘bastions spirituels’ de la ville de
S’ieng Khwang et leur génies n’étaient que les chefs de ‘marches’ des grands monarques Thaèn, proteceturs de la famille
princière et de l’ancien royaume qui résidaient, eux, dans l’autel central de S’ieng Khwang nomé alors Hô Mô Hô S’ieng
Khwang. (…) Par la suite (…) petit fils de Cau Noy, firent reconstruire le Hô Mô en dur. Le maître de cérémonie
demanda alors qu’on établi à l’intérieur, deux reposoirs : l’un pour les génies de S’ieng Khwang, l’autre destinéaux Phi
Ban conviés aux cérémonies. Ce second reposoir devint ainsi un substitut des onze petits autels érigés autrefois lors du
sacrifice du buffle par les préposés aux rites des différents mu’ang (…) », op. cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Cet Cu’ang, le fils de Khun Bulom et le frère du fondateur de Luong P’rabang. L’adoption de la
tradition lao du nord entraîna vraisemblablement celle du culte des monarques divinisés qui se
greffa sur celui du gardien du sol personnel. Ses pouvoirs renforcés, sa pérennité, le Lak M’uang
constitua dès lors l’assise de la structure religieuse P’uon. »
Autels des esprits protecteurs de Vientiane, craints et vénérés
Les phi muang, étant des thaèn ancestraux, sont en quelques sortes les Lak muang euxmêmes
ou du moins leur mémoire. Les Lak muang sont à leur tour la mémoire des fondations. Les
cas de Vientiane font apparaître soit une évolution soit une variante dans la fonction des phi muang
protecteurs. Les phi muang gardiens et protecteurs, peuvent “ naître” soit au moment de
l’investiture des Lak muang dans un lieu précis (l’esprit de Dame Si) soit durant l’évolution des
muang. Dans ce cas, les phi seraient en quelques sortes la mémoire événementielle du muang, liés
au lieu de l’événement lui-même. Ce fut le cas du prince Mouy et de son autel dans l’un des
quartiers de berge de Vientiane.
Le nombre des phi, protecteurs de muang Vientiane, figure sur une impressionnante liste :
en examinant les sites et les autels, nous constatons que les esprits sont divers et ont une
personnalité très différente. Leur existence peut être également anachronique. Ils peuvent appartenir
à des temps irréels (temps reculés, immémoriaux) et à des temps historiques (anciens ou récents).
Les esprits des autels puissent le caractère sacré dans une puissance et une force qui fait craindre et
vénérer. Et cette force vient souvent d’une certaine forme de violence : esprit non reposé, esprit de
rébellion, esprit ayant connu un trépas violent, tels les esprits de Dame Si et du jeune bonze sacrifié
volontaire sous le lak muang. Plus le contexte de la mort est violent plus l’esprit est puissant. Y
figurent parmi ces phi muang, outre les esprits qui ont connu une morte violente, les personnages
provenant des mythes (tel, l’esprit du Naga) et les personnalités historiques confirmées par le
Phongsavadan. Ces derniers sont des monarques parfois des princes entrés en rébellion contre le
roi. Ainsi y a-t-il un autel dédié au Prince Mouy, gouverneur de Vientiane au XVe siècle,
remplaçant Phraya Khoua Passak571. Accusé de vouloir faire sécession, il se révolte contre l’autorité
de Luang Prabang. Exécuté à Done Chanh pour cette cause et incinéré en amont de la ville à
l’endroit où Vat Taï sera fondé en sa mémoire, le Prince Mouy est considéré comme un esprit aussi
sacré que le fondateur de la ville ou comme l’esprit du lak muang de Vat Simuang. Son autel serait
actuellement situé à Pak Passak (ou dans la maison en bois à Ban Phyavat ?) Ainsi, les divers autels
des esprits forment un chapelet de lieux qui parcourent la ville, le long de la berge et dans les
rizières, puis remontant vers les butes.
Le culte de l’autel des esprits semble être un catalyseur des violences ; une rédemption
pour les fautes et les injustices qui auraient été commises par la société et le pouvoir, d’où cette
réhabilitation des coupables potentiellement innocents. C’est sans doute pour cela que l’autel des
esprits ne disparaît pas malgré l’essor du bouddhisme et malgré son éradication sous le règne de
Phothisarat : les objectifs des deux cultes (culte bouddhique, culte des phi) ne sont pas les mêmes,
d’où leur coexistence. Le bouddhisme local va même adopter les autels des phi dans son panthéon,
fait qui apparaît dans un syncrétisme spatial et dans l’expression cultuelle qui caractérise bien le
bouddhisme lao.
Les autels des esprits qui se trouvent en amont de la ville sont curieusement moins connus
et reconnus par les habitants et par l’autorité publique responsable des affaires des cultes. Les
esprits qui les habitent sont souvent des personnages historiques locaux ; comme ce fut le cas du
prince Mouy et de Phravô et Phrata à Ban Sak Muang au XVIIIe siècle. Le premier ayant été
exécuté par le roi pour rébellion, devenait l’un des plus vénérés et des plus craints des esprits de
571 Phraya Khoua Passak était gouverneur de Vientiane avant le Prince Mouy. Sont palais se situait à l’emplacement actuel
de l’Ecole Technique de Pak Passak. Il serait retourné à Luang Prabang, appelé à régner sur le Lane Xang sous le nom de
Saya Chakaphat Paèn Péo, succédant à son père Sam-Saèn-Tai entre 1439 et 1470.
Fig. 79. Un
autel des
espritsDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Vientiane ; les seconds ayant également été exécutés par le roi de Vientiane pour trahison, seraient
devenus les esprits protecteurs du muang et auraient été vénérés sur l’autel de Ban Sak muang en
amont de Pakxé. Les deux cas explicitent une morte violente, teintée de sentiment d’injustice et
ressemblent aux actes sacrificiels de l’individu face au pouvoir et à la communauté. Les esprits
ayant connu un trépas violent, auraient ainsi été à même d’incarner la force et la puissance qui
faisaient craindre et vénérer.
Ce qui est intéressant du point de vue spatiale, c’est que le rôle symbolique des esprits
sacrifiés configurait l’espace du passé et semble aujourd’hui identifier certains villages et certains
quartiers comme un ancrage identitaire et territorial fort : les habitants se seraient notamment
reconnus comme appartenants au territoire circonscrit par la puissance de l’esprit et du phi en
question. Par ailleurs, les esprits peuvent communiquer avec les hommes qui les vénèrent et
lesquels ils sont sensés protéger. Cela permet à la mémoire des cultes et des croyances de se
maintenir vivant et de se perpétuer dans un lieu donné.
Ho de Ban Sak Muang
Ban Sak Muang aurait été fondé par Phrakhou Gnot kéo Phonesamet vers 1710, dans la
même décennie que la fondation du royaume de Champassak et donc de Muang Kao. Mais les
vestiges archéologiques trouvés dans les environs du village montrent que le site a été occupé par le
culte de Shiva : les yonis et les lingams ont été découverts. Il y a dix ans environ dix-sept statuettes
de bouddha en or, en argent et en bronze ont été mises au jour dans les mêmes environs, attestant
l’existant de deux couches d’occupation. Mais le pilier du muang ou sak muang renvoie plus à la
période de fondation lao tai au début du XVIIIe siècle qu’à la période antérieure : les hô qui sont
vénérés aujourd’hui sont ceux de Phravo Phrata, deux personnages historiques venant de Vientiane,
qui ont occupé un rôle important dans l’histoire du Laos occidental.
572 Ils auraient résidé un temps à
Ban Sak Muang, et après leur mort, les princes seraient devenus des phi protecteurs du muang, leur
hô sont implantés dans le monastère du village au bord du Mékong. Ayant commis des actes de
révolte et ayant été exécutés par le roi de Vientiane, au moins pour Phrata, leur statut de phi
protecteur du muang de Champassak aurait été calé sur le même principe que le Prince Mouy de
Vientiane. Mais il est probable aussi qu’il soit calé sur le principe des monarques divinisés. Phravo
Phrata étant appartenus à la famille des monarques tai thaèn, qui observent le principe de la
divination des Prince après leur mort, leur divination en phi protecteurs aurait alors été coutume.
Ho mahésak de Champassak
D’après le sens du terme en pali, mahésak vient de mahesakkha qui désigne le grand dévata.
Le hô mahésak serait consacré au grand dévata. Le culte du hô mahésak aurait donc été le même
culte que le devata luang dont Archaimbault avait suggéré l’existence à Luang Prabang et à Xieng
Khouang. En ce cas, le fait qu’il soit ainsi désigné, cela l’aurait placé au-dessus des autres devata et
l’aurait confirmé dans sa position comme le plus important hô, le plus important devata du
royaume. Si l’esprit du hô mahésak correspond ainsi au culte des Thaèn sous une autre forme, il ne
serait donc pas le culte local autochtone, mais de souche lao tai du Nord, introduit avant, ou, avec
l’implantation de la dynastie de Vientiane à Champassak vers la fin du XVIIe siècle.
L’autel et le culte de phi Mahésak de Champassack –ou du Pou ta “pour les intimes”573– est
caractérisé par son côté familial et clanique. Par le simple fait que si nous rencontrons toute
personne qui, une fois, allume une paire de bougies, une paire de cierges, pose une paire de fleurs
572 Ils auraient appartenu à la famille des princes du Sip Song Phan Na réfugiés au Lane Xang au XVIIe siècle, gouvernant
la région de Sakonakhone. Les descendants seraient plus tard les fondateurs au XIXe siècle de Muang Oubon Rajathani. 573 Les « intimes » ici sont ceux qui avaient des racines familiales dans les villages qui vénère le phi mahésak, en
particulier à Ban Phaphine où est siègé le hô. Ma famille est originaire de ce village, et enfant nous appelons l’esprit, Phou
ta, qui veut dire arrière grand-père paternel. Pendant longtemps nous pensons que c’est un vrai ancêtre qu’il s’agit. C’est
en lisant Archaimbault que nous avons su que phou ta est le phi mahésak de Champassak.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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rouges, offre un verre d’eau et un verre d’alcool, ensembles posés sur un plateau ; ceci, avant de
voyager, de passer son examen, de se marier, demandant une guérison, un vœu, etc., nous savons
que cette personne est forcément un “ enfant ” du Pou ta de Champassack. Bien que dans sa forme
de pratique ce culte provient du culte très général et classique des esprits protecteurs et bien
veillants, le culte tel qu’il est pratiqué à Ban Pha Phine-Champassak est lié à un contexte particulier
d’un culte antérieur local. Il s’agit de personnage qui semble historique, mais plus probablement
mythique. Nous pensons que ce particularisme cultuel exprime un désir d’ancrage géographique et
un localisme identitaire d’une partie des populations lao du Sud. Les habitants du village disent que
“ Pou ta est le Phra Inta ”, c’est-à-dire, l’esprit de Indra. Indra étant appartenu au panthéon
hindouiste, on peux penser que le culte du Pou ta est hindouiste. Mais aucune souche de la pratique
hindouiste en tant que telle n’a survécu dans les différentes pratiques religieuses lao. Par contre, il
aurait été tout à fait probable qu’un des personnages du panthéon hindouiste, saisi localement, ait pu
incarner pour les lao un “ esprit local ” qu’ils auraient vénéré pour confirmer leur ancrage au terroir
et leur désir d’appartenir à une identité locale ou de fusionner avec elle. C’est une sorte d’adoption à
l’envers : “c’est le nouveau arrivé qui adopte l’autochtone”. Le Pou ta aurait été en fait intégré dans
le clan et devenant “ par adoption ” l’un des ancêtres divinisés. Son culte est pratiqué comme un
témoignage d’affection, de respect et de crainte envers un illustre membre du clan et du terroir,
presque dépourvu de caractère religieux, puisque la population qui le vénère est bouddhiste et
pratique ce rite religieux quotidiennement.
Les exemples des phi heuane, phi ban, phi muang chez les Lü, une hiérarchisation territoriale
De manière générale, le principe de hiérarchisation des esprits protecteurs chez les Lao Tai
aurait été altéré. Il subsiste encore mais ne peut être appréhendé de manière intégrale depuis les
esprits de la maison jusqu’à les esprits du ban et du muang sur le même site. On peut encore
observer des rites concernant les phi heuane des foyers ruraux et dans des familles de souche d’un
quelconque village. Mais dans ce même village, on n’y trouve plus de phi ban, et dans le même
muang on n’y trouve plus non plus de phi muang. Dans un autre village on peut encore trouver des
rites des phi ban et plus du tout des phi heuane dans aucun foyer, ni de phi muang dans lequel le
ban s’inscrit. L’étude ne peut donc être réalisée qu’en des lieux indifférenciés. Nous évoquons les
traditions lü comme piste possible pour notre étude à l’égard de la question de gestion territoriale, à
petite et à grande échelle : dans la tradition lü, le culte des phi heuane, phi ban et phi muang semble
plus subsistant et présente aussi des éléments de compréhension moins altérés que chez les autres
Lao Tai de la plaine.574
Pour le phi heuane, soulignons que toutes les maisons lü possèdent le symbole du phi
heuane présenté à l’entrée des maisons, où dans la maison. Les membres du foyer évoquent souvent
les phi du foyer, ce sont dans la majorité des cas les phi parents morts. On n’y manque pas de leur
verser un verre d’eau ou un verre d’alcool, de leur présenter des fleurs, des cierges et des bougies
quotidiennement. Le plus visible, ce sont les boulettes de riz collées sur les murs, sur les rampes
d’escalier. Les Tai Dam font chaque année des grandes fêtes pour nourrir leurs parents et ancêtres
morts et toujours après la fête des phi ban.
Pour le phi ban, nous avons vu à Botèn, que l’importance du phi protecteur est encore
d’actualité (en 2008). Lorsque le village doit être détruit et les habitants déplacés en dehors du
territoire qui font l’objet de concession du golden boten city, le phi ban a été d’abord déplacé dans
le nouveau site accompagné de rites, avant que le monastère et les villageois ne le suivent. C’est au
cours de ce déménagement du hô phi ban que les habitants tentent de “connaître” le nouveau site :
le nouveau village sera-t-il prospère, les habitants seront-ils heureux, la terre sera-t-elle riche, les
574 N’ayant pas fait d’enquête approfondie, nous pouvons seulement noter quelques observations à travers les courtes
discussions et interview que nous avons pu avoir à Muang Sing, à Botèn et à Bountaï (Luang Namtha, Oudomxay,
Phongsaly), des études supplémentaires et approfondies devraient structurer davantage la question.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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phi se sentiront-ils bien, etc.? Toutes ces questions qui semblent tout à fait abstraites trouvent en fait
des réponses latentes, du moins une, dans la géomancie. Les habitants nous disent que le nouveau
site est mauvais d’après le phi ban : situé sur les deux côtés d’une route de passages denses vers la
Chine, dans un terrain trop accidenté, trop loin des rivières, vues trop encaissées. Et le village est
soumis à un éventuel éboulement, étant trop proche d’un côté de la pente d’une colline qui a été en
occurrence creusée pour faire passer l’emprise de la route. Alors que le vieux village qu’ils doivent
quitter présente une situation idyllique : le village est en retrait, relié par un chemin à la grande
route. A l’entrée du chemin il y a une mine de sel assez importante ou les villageois y travaillent
depuis très longtemps (une carte du début du siècle montre qu’il y avait déjà des mines de sels dans
la zone). Une petite rivière passe dans le village, et un ensemble de rizières, de jardins potagers et
de vergers l’entourent.
Les exemples lü ne démontrent pas une autre forme de culte des phi et des devata. Dans
leur conservation hiérarchique –du phi de la maison au phi du ban et au phi du muang–
l’organisation de l’autorité des phi protecteurs chez les Lü (mieux conservée) reflétait leur
organisation territoriale. Autrefois il aurait été probablement de même chez les autres Lao Tai de la
plaine. Mais l’organisation des villages et des villes de ces derniers a plus ou moins perdu cette
pratique de base. Si certains villages pratiquent encore le culte du phi ban de manière fragmentée –
c’est-à-dire sans le culte du phi muang (notamment le cas de Ban Ilay Nakha), beaucoup ne le
pratiquent plus du tout, ni l’un, ni l’autre. Le schéma spatial dessiné successivement par le culte des
phi heuane, phi ban et phi muang définit en fait une hiérarchisation spatiale et une circonscription
territoriale attachée à chaque phi et reflétant le type de circonscription territoriale et politique de la
société du muang tai lü, dans lequel les Tai Lao doivent aussi y trouver leur compte d’une manière
ou d’une autre. Les exemples lü semblent montrer l’intégrité de ce qu’avait pu être l’organisation
spatio-cultuel de la société du muang des Lao Tai avant son altération. En occurrence, le cas lü
montre que ce n’est pas le bouddhisme qui a joué un rôle déterminant dans cette altération, puisque
le bouddhisme lü est autant plus pratiqué avec ferveur que ne le sont les autres villages et villes lao
de la plaine.
Le phi ban à caractère rural, l’exemple de Ban Ilay Nakha
Ilay Nakha, situé à une trentaine de kilomètres de Vientiane, est majoritairement de
Phouans et aussi de Tai Dam. La fête du hô ban doit a priori avoir un lien avec celle de Xieng
Khouang et celle des Tai Dam. Mais ici, les rites qui ont lieu deux fois par an sont axés sur le
monde agraire. Le premier appelé lieng Kheun (festivité ou nourriture de la lune montante) est
célébré à la fin des récoltes vers le mois de février, troisième jour de la lune croissante. Il est destiné
à remercier les génies de la bonne saison et des récoltes fructueuses de l’année. Le deuxième rite,
appelé Liang Long (festivité ou nourriture de la lune descendante) est célébré vers le mois de mai,
troisième jour de la lune décroissante, durant la période préparative de labourage des rizières. On
sollicite les génies du ban pour que l’année soit bénie et riche et que les récoltes soient bonnes. Les
deux rites sont dirigés par un mô cham, capable de communiquer avec les esprits. Le hô phi ban est
dressé à l’écart du village et les rites sont tenus à l’endroit où est dressé le hô. Très probablement
parce qu’il faut que de tels rites soient entrepris en dehors de l’enceinte du village bouddhiste qui
rejette l’acte sacrificiel d’animaux. Or effectivement les villageois donnent les uns l’alcool de riz,
les autres de la volaille, du cochon pour les préparatifs des nourritures au phi.
Il semble clair ici que l’absence de potentat et de stratification politique forte dans la
structure sociale villageoise et agraire donne aux rites du hô ban un aspect plus populaire par
rapport aux rites dédiés aux génies des ban à Xieng Khouang. Ici, il s’agit probablement du culte du
terroir car on invoque les génies de la terre ; à moins que les rites avaient les mêmes origines au
départ, mais que dans un contexte agraire, où la vie sociale et économique des habitants est basée
sur les activités agricoles, les rites se seraient transformés en cultes des génies du terroir. Et les phi
ban seraient aussi, de fait, devenus des phi du terroir.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le phi ban de Ban Ilay Nakha est aussi différent des phi protecteurs du centre de Vientiane,
du fait de son caractère très lié au terroir et aux activités rurales et agricoles du ban qu’il patronne.
Le phi ban habite dans un autel en bois, appelé ho ban, situé à l’écart du village. Selon les habitants,
le fait de disposer l’autel à l’écart du village est lié au fait que tout ce qui se dit et se fait ne doit pas
être vu et entendu par le phi. Les rites, accompagnés de sacrifices animaux, sont collectifs, les
villageois y participent immanquablement sans prosélytisme, comme une festivité. Comme
beaucoup de villages qui effectuent ce rite, durant la période du liang ho []P’s=] ou du kam ban
[da,[kho], le village est interdit aux personnes étrangères : un symbole confectionné avec du bambou
à l’entrée du village marque cet interdit. Dans son ensemble le kam ban à Ilay n’est pas très
différent des autres villages qui observent encore ce rite, avec quelques variants près. Sachant que
les habitants sont majoritairement originaires de Muang Phouane, ou du moins le village a été fondé
par les phouans, il serait probable que les rites étaient imprégnés des rites de Xieng Khouang,
étudiés par Archaimbault.
Ce qui est essentiel ici, c’est la liaison entre les phi protecteurs et le caractère rural et
agricole du culte. Ce qui peut sous-entendre qu’il existerait des phi du terroir, ou garantissant la
continuité du terroir. Par ailleurs, à la différence du culte des pieux qui met en valeur les rites du
Centre, et, à la différence du culte des ancêtres fondateurs, sorte d’esprits claniques qui assuraient la
lignée des gouvernants (culte des thaèn à Xieng Khouang), ou des rites pour l’ancrage de l’identité
locale (phi mahésack), ici le phi ban ne vit pas dans le même espace que les villageois qu’ils
protègent et ne rentre donc pas directement dans l’organisation sociale et politique du ban. Il serait
vraiment attaché à la prospérité agricole et du monde rural.
Les implications probables des autels des phi et l’organisation spatiale
Les esprits sacrés et leurs autels sont nombreux et de différents types. Nous avons déjà
évoqué précédemment les autels des devata et des phi protecteurs, nous tentons ici de comprendre
quels schémas symboliques et quels modèles spatiaux peuvent-ils dégager des exemples que nous
avons évoqués.
Le tiao song ou mô cham, cas de Vientiane
La communication entre les esprits et les hommes chez les Lao est une affaire courante. Elle
se fait par l’intermédiaire de phou khao song ou de mô cham ou de nang thiam [z6jg0Qk-q’F s,=9EF
ok’mP,]. A Vientiane, aujourd’hui les tiao song sont nombreux et très organisés. C’est un réseau
cultuel hiérarchisé, constituant une véritable religion avec ses pratiquants, ses adeptes, ses novices
et ses maîtres. Il y a aujourd’hui une revivification générale du culte des phi, on peut même dire
qu’une structure parallèle au bouddhique revient en force. Les tiao song ainsi que leurs disciples
habitent généralement dans les villages en amont de la ville, du côté de Muang Va, Sikhaï, Vat Taï
et Khao Lyéo (pour Vientiane). Il est de même dans le sud du Laos : Ban Sak Muang, siège d’un
esprit très vénéré, est situé en amont de Pakxé, très en amont de Champassack et de la vieille ville
Muang Kao.
A Vientiane, chaque année au mois de février,575 les tiao song viennent de tout le pays, mais
aussi du pays Issane, de Chiangmai, de Nan, etc., pour effectuer des rituels collectifs. Chaque tiao
song qui le désire peut organiser le rituel annuel chez lui. Après avoir reçu l’autorisation du chef
spirituel qui l’aide à fixer le jour, le tiao song organisateur peut monter un pham (pavillon rituel)
avec le concours du grand tiao song et les autres tiao song et novices. Il y convie les tiao song de la
ville et des provinces, parfois il convie même les tiao song des pays étrangers. Le rituel est en fait
une grande festivité de libération et de joie organisée pour les phi, une fête où les tiao song dansent,
575 Il semble que le grand culte annuel des esprits partout au Laos a lieu au mois de février. A Champassak par exemple, le
culte des phi f’a a lieu également en février. Nous n’avons pas pu approfondir plus le culte phi f’a à Chamapssak, nous
savons seulement que si le culte du Pou ta caractérise ban Pha Phine, cela en fait son honneur et le monastère bouddhiste
en fait aussi son affaire, le culte des phi f’a semble moins bien vu par la nomenclature du village.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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mangent et boivent à volonté toute la journée accompagné de musiques et de danses rituelles. Au
cours du rituel les danses sont rythmées par la danse de sabre autour d’un arbre reconstitué
(bananier ?) et garni de fleurs, de cierges, de bougies, de fruits variés, faisant office d’autel. Les
danses sont rythmées aussi par le fait que chaque mô cham est habité successivement par différents
esprits qui les ont habituellement habités. Chaque fois qu’ils changent d’esprit, ils changent d’habit
pour les symboliser. Tout le rituel doit avoir lieu dans le pavillon monté pour la circonstance et peut
être regardé librement par les passants et habitants du village, mais il est interdit que ces derniers
pénètrent dans l’enceinte du pavillon, si les personnes ne font pas partie de la famille des tiao song.
A la fin du rituel, les tiao song peuvent attacher le cordon blanc aux poignets des personnes de
l’assistance leur souhaitant la santé et la prospérité.
Schéma organisationnel des phi, et ancrage de la structure spatiale.
Si le Sangha a toujours eu une organisation très structurée avec une sorte de diocèse
hiérarchisée (un vat est dirigé par un vénérable du vat, un muang par un grand vénérable du muang,
et ainsi de suite, de la province jusqu’au pays, etc.), cette hiérarchie est axée sur une organisation
administrative et ne détermine pas un territoire. Alors que l’organisation du culte des phi f’a semble
couvrir l’organisation territoriale de manière très large, dépassant étonnamment les territoires
politiques d’un pays. Par exemple, le grand maître actuel de Vientiane qui habite du côté de Sikhaï
est plus important que le grand maître qui vit à Chiangmai. Ceci, parce que l’un des plus vénérés,
des plus craints et des plus importants esprits aurait choisi de l’habiter ou de communiquer avec les
vivants à travers lui. Le tiao song de Vientiane a à peine quarante ans, alors que les autres sont plus
âgés.
Aujourd’hui, les autorités officielles du Laos accordent plus de libertés aux cultes des phi,
il serait même permis d’effectuer une étude plus poussée sur ces cultes. Très liée à l’espace dans le
sens où les phi que les tiao song incarnent ont une importance qui couvre chacun un territoire,
l’étude de l’organisation hiérarchique et cultuelle des esprits pourrait apporter des éléments de
compréhension du point de vue de l’organisation spatiale des régions concernées. Elle pourrait
probablement aider à mieux comprendre l’organisation socio spatiale d’une partie du Laos sans le
bouddhisme ou parallèle au bouddhisme. Car contrairement à la conception générale, l’organisation
sociale du passé ou d’aujourd’hui en dehors du bouddhisme existait et existe toujours. Elle
s’organise et se structure aussi bien, avec un ancrage local et territorial plus prononcé que celui du
bouddhisme. Malgré l’importance de son imprégnation et de la grande valeur civilisatrice qu’il a
apportées au Laos, le bouddhisme s’avère être une importation qui n’a jamais pu enrailler le culte
des phi.
La pratique spatiale liée au culte provenant du passé et persistant au présent révèlent des
archétypes spatiaux certains. Notons d’abord qu’à Vientiane, il y a une concentration forte du culte
des phi et des esprits en amont de la ville, maintenu vivant. Son chef spirituel et hiérarchique vit
dans cette partie de la ville. Alors que les autres cultes, relégués aux traces de vestiges
archéologiques ou substitués par des pratiques ultérieures (notamment le culte du poteau de la ville
qui a été bouddhisé, placé au coeur du sanctuaire de Vat Simuang) sont plus en aval de la ville.
Dans les autres parties de la ville : points culminants, réseaux souterrains et zones basses, etc., le
culte des esprits semble moins présent. Probablement parce qu’il est moins concentré et plus
géographiquement éparpillé dans la ville. La répartition cultuelle des esprits dans la ville de
Vientiane semble nous révéler deux choses importantes. La première explique que l’amont de la
ville compose une unité homogène. La deuxième explicite le fait que l’organisation éparpillée des
lieux cultuels des esprits par tout ailleurs dans la ville peut être liée aux contextes plus
géographiques du site, et les esprits qui habitent les lieux sont plus mythiques ; alors que l’amont de
la ville rassemble des histoires et des personnages plus singulièrement humains.
Ces schémas sont-ils révélateurs d’une histoire de constitution spatiale de Vientiane ? Le
Tamnan Oulangkhrathat qui fait de Vientiane une implantation bipolaire : avec l’établissement de
Khambang en amont, vers Sikhaï et Kaolyo et l’établissement de Burichanh dans la plaine de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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rizières (du côté de Phonekèng-Hongsèng et de Ban Phay-Nong Chanh ?), s’avèrerait-il plausible ?
Si la réponse ne peut être obtenue avec aisance, ces cultes et leurs lieux contemporains permettent
de poser ouvertement ces questions. En tous les cas, c’est grâce à la persistance des pratiques
spatiales liées aux cultes et sous certains aspects (et non pas grâce aux traces proprement dites), que
les symboliques en tant que formateurs de modèles spatiaux se révèlent et nous parviennent. Ceci,
en forgeant des modèles d’usage et des pratiques de l’espace, au courant de leur évolution et dans
leur organisation, pouvant actualiser certains traits de leurs morphologies.
Les pieux de fondation et les lak muang
Nous avons vu que les phi muang sont en quelques sortes la mémoire des lak muang,
c’est-à-dire ce qui reste des lak muang- et également une certaine mémoire événementielle du
muang. Et à son tour les lak muang sont la mémoire des actes de fondations et du pouvoir de ceux
qui fondent le muang, c’est-à-dire ce qui reste de l’origine des fondations. De cette idée nous
retenons que le lak muang (sa matérialité et son symbolisme) est la mémoire politique et sociale, la
matérialité des fondations primitives, qu’elles soient urbaines (lak muang) ou villageoises (lak ban).
Une comparaison est à faire avec la pratique des pieux de la société Karen bouddhisée, elle peut
apporter quelques éclaircissements à la pratique des pieux des fondations lao. Ce qui se passe pour
les Karen est sans doute comparable à ce qui se passe pour les lak ban de certains villages lao dans
leur passage du culte des phi au culte bouddhiste, même s’il ne s’agit pas de la même époque, ni de
la même symbolique : on ignore si les lak ban des Karen ont la même portée symbolique que celle
des lak muang et des autels des phi chez les Lao que nous avons identifié précédemment comme un
catalyseur de violence sociale et politique d’une société complexe.
Dans son court article «le pieu du chédi vient du pieu de lak ban, dans la culture des
Lawa », Sourinh Leualamay576 explique que le pieu de lak ban des Karen Pholuang [3rs];j’] de
Ratchbury et de Phetchbury, a reçu l’influence de la culture lawa, les autochtones de l’Ouest.
Depuis le règne de Rama Ier, les deux communautés se sont assimilées pour former presque la même
communauté. Lorsque les Karen s’implantent quelque part, leurs traditions veuillent qu’ils fixent un
pieu lak ban pour marquer le centre religieux où sont localisées toutes les croyances du village et
c’est aussi l’endroit où ont lieu les activités collectives. Ce pieu serait assez haut, environ 4 mètres.
Lorsque le bouddhisme est adopté par cette communauté, grâce à un moine karen, la fonction et le
symbole du pieu ont été changés : il devient le saô chédi [glqkg9fu] “ pieu du chédi ” bouddhique. Ici,
le phi et le Boddhi se sont en quelque sorte fusionnés. Le sao hong [glqk3s’] (l’élégant pieu)577 est
alors construit devant le chédi selon la culture bouddhiste mône, parce que le moine karen qui a
introduit le bouddhisme chez les Karen a vécu auparavant à Muang Thava, une ville
majoritairement mône. Après le sao hong, on y plante l’arbre du boddhi et du frangipanier, et enfin
on y construit le sala. Cela en constitue dès lors un monastère bouddhiste à la manière karen. Le
premier type de vat karen de ce genre se trouve à Ban Phouprou (district Nong Gnapong, province
de Phetchburi). Il se développe ensuite à différents endroits : depuis le district Kengkachang Pak
Thô jusqu'au district Souanpheung dans la province de Rachatburi. Mais petit à petit les sao chédi
de ces vat seront abandonnés ou négligés. Ils ne seront remis au goût du jour que récemment, à
travers leur restauration, voire, leur nouvelle réimplantation, avec l’exemple à Souan Pheung, Ban
Phong, Katingbon et Ban Bo. Aujourd’hui, la tendance est de changer de pieux. Ces derniers auront
nettement un aspect plus ouvragé que les anciens qui ont été remplacés, tel celui de Ban katingbon,
réimplanté en 2008.
A travers ces exemples, trois éléments peuvent ouvrir des pistes de réflexion sur les pieux
de fondation au Laos : 1- nous apprenons que le lak ban (pieu de village) est d’origine lawa avant
576 “Sao chédi ma chak sao lak ban vathanatham Lawa”, Muang Boram Journal Vol 34. N3, July-Sept 2008. L’article est
accompagné d’un dessin d’illustration en couleur montrant des individus entrain de planter le pieu Lak Ban. 577 [3s’] Hong, est un oiseau mythique, sorte de phénix. Employé dans le vocabulaire architectural il représente l’élégance
et la noblesse des formes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’être adopté par les Karen. 2- nous constatons que le lak ban en tant qu’objet de culte ne disparait
pas après la conversion au bouddhisme des villages. Au contraire, il acquiert un statut dans le culte
bouddhique en devenant le sao chédi, “ pieu du stupa”, un objet autonome avec une désignation
propre de sao hong [glqk3s’]. En d’autre terme, il s’est ajouté en tant que nouveau programme dans
l’espace bâti religieux bouddhique. 3- ce sao hong construit devant un stupa rappelle les monastères
et la tradition bouddhique mône de Thava (Birmanie). Les Môns eux-mêmes, comme les Karens,
ont été influencés par les Lawa autochtones dans le culte des lak ban et lorsqu’ils ont assimilés ces
derniers, ils ont assimilé et conservé aussi leur tradition des pieux, mais comme éléments qui
accompagnent les stupas bouddhiques. En ce cas, ils auraient finalement eu la même réaction puis la
même pratique que les Karens, mais à une époque plus reculée. Ces constats nous éclairent sur le
fait que c’est une conversion classique au bouddhisme des traditions antérieures.
Vraisemblablement les pieux qui représentent à l’origine un culte antérieur ont été adoptés par les
communautés (bouddhistes ou non) arrivées postérieurement, qu’elles soient mônes, karennes ou
tai. Nous n’avons pas d’exemple de Vat lao avec un pieu qui accompagne le that. Par contre, le cas
du pilier Pancasila de That Luang qui marque les cinq préceptes bouddhiques, pourrait être la
mémoire de ce pieu et de cette croyance antérieure réappropriée sous une autre forme par les
Bouddhistes lao.
Nous pouvons penser que l’implantation des pieux dans les villages à des fins cultuels est
d’origine aborigène Lawa et Swa, culte et croyance qui va perdurer sous des formes variées chez les
communautés installées postérieurement : les Môns et les Tai vont les adopter et les intégrer dans
leur culte bouddhique respectif. Le rôle protecteur et de mémoire des fondations de ces pieux
demeure et se prolonge même si le contenu est substitué par des croyances nouvelles.
Le lak muang de Vat Simuang semble être également un cas de substitution, mais le lingam
vénéré comme le lak muang ne peut partager la même origine avec le lak muang dont nous avons
évoqué le contenu jusqu’à maintenant. Le lak muang dans le monde tai est le symbole de la
divination des monarques Thaèn f’a après leur mort, devenus des devata protecteurs du muang. Et
surtout, matériellement les lak muang des Tai n’auraient jamais eu des formes en pierre de la taille
du lingam de Vat Simuang, mais plutôt sous forme d’autel, avec reposoir, sans images ou objets de
représentation. Les deux histoires qui tentent d’illustrer le lak muang de Simuang ne peuvent se
recouper avec le lak muang des Tai : la première évoque l’acte sacrificiel de Dame Si et d’un jeune
bonze qui se sont volontairement jetés dans la fosse pour incarner l’esprit du muang ; la deuxième
étant une preuve archéologique : le lingam, relevant du culte shivaïte, réfute tout rapprochement
avec le culte des phi des Lao Tai.578
Les pieux du Dhamma, les lak tham de Ban Phaylom
Le lak tham [s]adma,] (pieux du dharma), à première lecture, fait partie de ce qu’il y a de
plus traditionnel d’une fondation religieuse, dont l’objet étant la consolidation dans l’espace des
fonds idéologiques du bouddhisme. Le contexte de la fondation du lak tham de Ban Phaylom fait
apparaître une particularité idéologique intervenue dans une période donnée de l’histoire du Laos, et
ne semble pas représentatif de la tradition religieuse classique. En d’autres termes, il ne s’agit pas
seulement ici de pieu des cinq préceptes bouddhistes, ou de pieux en tant que mémoire des anciens
cultes aborigènes. Le lak tham fait transparaître la naissance d’un nouvel espace, d’un mode de
production des établissements villageois et urbains d’une époque donnée. Situé à 26 km du centre
de Vientiane, il occupe une position centrale dans la zone de Ban Houa Xieng (“ village à la tête de
la ville ”) anciennement occupé par un ensemble de villages qui ont aujourd’hui disparu. Dans les
578 Le lak muang de Vat Simuang peut être comparé à celui de Khorat ou d’autre ville de la région d’Issane, où des
histoires semblables ont été racontées : l’autorité du muang aurait lancé des appels à ceux qui se porteraient volontaires
pour devenir l’esprit sacré protecteur du muang. Et lorsque personne ne se propose, il suffit pour un habitant de passer par
là, aussitôt on l’attrape et le jete vivant dans la fosse.
Fig. 80. Un
Autel rituel
phi F’a à Ban
Khounta-tha. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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années 1950, des ruines de fondations anciennes ont été repérées dans le périmètre qui regroupe
Ban Na Nong [okov’], Ban Na Gnan [okpa’], Na Ban Toum [ok[hko86,] et Ban Na ké [okc7]. Dans
ce dernier village qui jouxte Ban Phay Lom, des bouddha et des jarres funéraires de petite taille, ont
été exhumés, mais nous avons perdu aujourd’hui la trace de leur conservation et n’avons donc pas
pu connaître leur origine. Ban Phay Lom est constitué uniquement de Lao Loum, sa particularité
c’est sa manière de pratiquer le bouddhisme et l’existence de ses lak tham, un cas unique dans la
plaine de Vientiane, du moins s’il en avait pu exister, cette tradition n’a pas été conservée ou a été
perdue.
Les lak tham sont constitués de cinq pieux en bois disposés aux quatre coins extérieurs du
village. Le cinquième est planté dans la cour de la pagode, dans un pavillon d’abri construit à même
le sol. Ayant une appellation très générique, chaque lak tham n’a apparemment pas de nom
particulier, désignés au gré des situations de leur implantation. Le premier pieu visité est implanté
dans l’enceinte du monastère, dans le coin sud-ouest, appelé le “ pieu du dharma du monastère ”. Le
deuxième est implanté proche du premier, à une centaine de mètres, sous un ficus, à l’est du
village ; le troisième sous un arbre, “ None Kok Som Hong ” (le Sterculia foetida, de la même
famille que le cacaoyer) au nord du village ; le quatrième dans un champ à l’ouest du village ; le
cinquième, à None Sao-é (sur la bute aux jeunes filles parées), au sud du village. Toutes les
implantations sont dégagées et hautes par rapport à la planimétrie des rizières qui entourent le
village. Sous chaque pieu est enterrée une fine plaque métallique (étain, argent, or ?) gravée de sutra
du dharma. Pour les habitants, en entourant ainsi le village, les pieux protègent le village des phi
[zu] et des mauvais esprits. Ils marquent et délimitent l’espace dans lequel il est interdit de pratiquer
autre culte que le bouddhisme, en particulier le culte des phi longtemps pratiqué, mais chassé et
interdit au village depuis.
Les essences de bois utilisées pour fabriquer les pieux sont des mai chik [w,h9yd], shorea
obtusa wallich, et mai haï [w,hwI], ficus species generally, plantes hautement symboliques dans
l’histoire du bouddhisme.
579 Les pieux sont enfoncés dans le sol à environ 40 cm ou plus, laissant la
partie visible à environ 1m ou 1,20m. La forme des quatre pieux est arrondie, à partir de la taille
octogonale. La partie supérieure du pieu est entaillée profondément, formant comme une fleur de
lotus non éclose. Le cinquième pieu, situé dans le monastère, est le plus important : il est angulaire
et entièrement doré.
Les habitants du village sont exclusivement bouddhistes, les autres confessions étant
interdites. La tradition religieuse donne un rôle essentiel aux lak tham. Une fois l’an, à la plaine
lune du sixième mois, un grand rituel, Beuk ban [g[ud[hko] “ libération du village ”, est consacré aux
pieux. Chaque habitant confectionne un plateau triangulaire, Kathong Na Ngnoua [dt3m’sohk’q;],
réalisé avec les tiges de bananier et rempli de fleures blanches, de bougies, de cierges, de riz noir,
de riz rouge, de poissons pourris, de poussons séchés, etc. Réunis à la pagode les plateaux sont
bénis collectivement par les moines, ensuite, sont déposés au pied des pieux et encore une fois,
bénis par les moines sur place. A la fin des rituels, on tire les fusils en l’air et les coups de tambour
sont donnés, symbolisant la chasse aux mauvais esprits, la victoire du dharma. Le rituel est aussi
sensé apporter santé et prospérité aux habitants et confirmer de manière spectaculaire leur adhésion
au bouddhisme et leur refuse du culte des phi. Il y a cependant une ambigüité : les ingrédients
placés sur les plateaux ne sont pas des produits que nous trouvons habituellement dans les offrandes
destinées au bouddha, ni aux esprits des parents défunts, mais aux plateaux du culte des phi. Cela
579 Les deux essences de bois appartiennent aux essences utilisées dans les rites religieux. Le Ficus est considéré comme
l’arbre qui a abrité Bouddha au moment de sa naissance et de son Eveil. D’après Michel Bizot l’arbre de l’Eveil serait
plutôt un Figuier et non un ficus religiosa. Le Shora Obtusa est utilisé pendant la mise au feu de la femme après son
accouchement. Dans Thamnan Oulangkhrathat, est évoqué le symbolique de mai Chik [w,h9yd], Shorea obtusa Wallich et
mai Haï [w,hwI], Ficus species generally. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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voudrait dire qu’une fois l’an, on appelle les phi pour les nourrir et ensuite, on les chasse pour qu’ils
ne viennent pas déranger les habitants tout le long de l’année. Ces phi viennent chercher leur
nourriture à la limite du village au pied des poteaux puisqu’ils ne peuvent pas pénétrer dans l’aire
délimitée par les pieux du dharma. Ce rituel montre que l’on reconnaît l’existence des phi, mais on
ne les tolère pas dans le village.
Les pieux peuvent être remplacés lorsqu’ils sont détruits par les termites ou autres
intempéries. Un grand rituel sera organisé pour accompagner le moment de retirer l’ancien pieu et
au moment d’en remettre un nouveau. Pour les deux pieux nouvellement remplacés vers 2004, la
nature symbolique des essences n’a pas été respectée : ils ont été remplacés par des pieux en béton,
dont la qualité esthétique ne semble pas importante.
En ce qui concerne la vie sociale du village, notamment les mariages, les festivités, les
autres pratiques semi-religieuses, les habitudes alimentaires, nous relevons des contraintes que nous
ne voyons pas ailleurs chez les Lao Loum. Les futurs époux ou épouses qui viennent d’un autre
village savent qu’ils doivent respecter la spécificité religieuse de leur belle famille. Le maître de
cérémonie, un sala vat demande autorisation, protection et bénédiction aux lak tham avant
d’introduire les futurs époux et épouses étrangers, afin qu’ils puissent trouver santé et prospérité
dans la famille et le village d’accueil. Il est interdit de tuer des animaux, domestiques ou autres,
dans le périmètre du village délimité par les lak tham [s]adma,], et le jour du Bouddha, il est interdit
d’y introduire de la viande.
580 Le rituel de la récolte de riz est autorisé à être fêté à la pagode. La fête
des fusées est tolérée seulement lorsqu’il y a des mauvaises récoltes ou lorsqu’il n’y a pas assez
d’eau pour la culture. La fête des morts, le Boun kao padap dinh [[6og0Qkxtfa[fyo], est pratiquée
normalement en mémoire des parents défunts, mais pas dans un esprit de nourrir les phi. Il est
formellement interdit d’avoir dans son jardin et chez soi les autels des esprits et des génies
tutélaires, hô phra phoum [s=rtr6,], d’invoquer les esprits des parents, phi po phi mé [zur+ zuc,j] au
moment des fêtes ou dans quelconque évènement.
D’après les anciens, Ban Phay Lom aurait été fondé il y a 450 ans par Khun Sivongsa,
venu de Muang Phouan Noy avec une petite colonie.581 Ils seraient venus à Vientiane pour participer
à la construction du That Luang 582 en fournissant des matériaux de construction. Dans l’enceinte du
vat, nous y trouvons effectivement des grands blocs de latérite taillés, du même gabarit que les
blocs utilisés pour la construction du That Luang. En occurrence, le sol de Ban Phay Lom est
constitué de dalles de latérite effrité [fyosok,s,kd7v,].
583 Il n’est pas impossible que les blocs
utilisés pour la construction du That Luang soient en partie taillés ici, comme le rapporte la
mémoire du village. Il est, en tout cas, évident qu’il y a un rapport entre le village et le That Luang.
Cependant, sachant que That Luang a été bâti par-dessus d’une fondation antérieure, signalé par
l’existence de vestiges sous le that,
584 il est probable aussi que ces blocs aient pu appartenir à une
580 A ce sujet, mon informateur me signale, une année après mes enquêtes au village, qu’un accident est arrivé à son amie
qui a bravé les interdits : « elle a par omission introduit de la viande dans le village le jour du Bouddha. Des symptômes et
des troubles apparaît chez elle. La médecine moderne n’a pas pu diagnostiquer de maladie. Les sages du village et les
moines pronostiquent une infraction dans l’espace délimité par les pieux du Dhamma. Une cérémonie de bénédiction a dû
être faite pour qu’elle puisse guérir ». 581 Les habitants disent qu’ils viennent de Muang Phouan Noy (petit Muang Phouan). Les personnes intérogées ignorent
ce muang de Xieng Khouang. Nous pensons qu’il s’agit de Muang Kham, dans la mesure où ce muang est dirigé par la
branche cadette des princes Phouans et il a toujours été secondaire par rapport à Muang Khoun. 582 Au moment des travaux de restauration de That Luang par Fromberteaux, on voit apparaître les blocs de latérites dans
le socle des soubassements intermédiaires du Grand That. Ces vestiges mettent en évidence l’existence d’un autre
monument antérieur, recouvert par celui de Sethathirat. Cf. « Chronique. Laos – L. Fomberteau : travaux de restauration
du Vat Sissaket et du That Luong de Vieng Chan », BEFEO 30/3-4, p. 583-585 ; « Chronique. Laos : restauration du That
Luong de Vieng Chan », BEFEO 31/3-4, p. 623-625 ; « Chronique. Laos : restauration du That Luong de Vieng Chan »,
BEFEO 34/2, p. 771-772. Re cité par Michel Lorrillard in : « Les inscriptions du That Luang de Vientiane : données
nouvelles sur l’histoire d’un stupa lao », BEFEO, 2003-2004, 90-91. 583 Par leur qualité stabilisatrice, ce type de terre est aujourd’hui utilisé pour la construction des routes, il constitue la
couche la plus importante de la chaussée. 584 Mayouri et Pheuiphanh Ngaosrivathana évoquent également les éléments bâtis anciens antérieurs du That Luang
comme des constructions qui auraient fait parti des anciens grands établissements môns et khmers : notamment de la route
Fig. 81. Le
pieux lak
thamDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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époque antérieure. Ce qui voudrait dire que le village existe antérieurement aussi. Cela nous oblige
à situer le village au moins au moment de la refondation du That Luang à l’époque de Phothisarat et
de Sethathirat, au courant de la première moitié et au milieu du XVIe siècle. A Ban Donnoun, situé
au kilomètre 12 entre Vientiane et Ban Phay Lom, nous n’avons pas connaissance d’histoire se
rapportant à That Luang, et pourtant nous retrouvons une grande quantité de blocs de latérite
semblables. Les villageois les ont récupérés déjà taillés dans les rizières à Dong sang hin [fq’lkh’suo],
“ forêt pour confectionner les pierres ”, se trouvant à côté du village, et les ont réutilisés pour la
construction du rempart de leur vat au début du XXe siècle. Il est donc probable que cette zone ait
été une clairière d’exploitation de latérite, quelle que soit l’époque, mais au moins à l’époque de la
refondation du That Luang.
Selon ses habitants : « Il y a très longtemps aux origines lointaines, les habitants faisaient
des cultes aux phi. Ils faisaient des sacrifices et consultaient les médiums et les sorciers. Il y avait
toujours eu des mauvaises récoltes, des maladies et des morts. Le malheur du village serait venu de
ce culte des phi ».
585 Le culte évoqué apparaît pour eux comme archaïque, poussé à son paroxysme.
« Les sacrifices animaux étaient lourds et pouvaient avoir lieu toute l’année chaque fois qu’il était
nécessaire de satisfaire les phi. Cela allait de la volaille jusqu’au bovin. » Dans une société agraire
et villageoise vivant de l’élevage et de l’agriculture de subsistance, dont les besoins étaient réduits
au strict minimum, les sacrifices animaux auraient appauvri le village et les cultes, abruti ses
habitants. Ces derniers auraient alors recherché collectivement un autre appui spirituel. Le culte
bouddhique dans lequel ils ont trouvé appui aurait été pratiqué, par la suite, avec une volonté
inhabituelle, comme “ le combat du bien contre le mal ”, dont l’objectif étant la destruction
complète du culte des Phi.
La pratique du bouddhisme marquée par les pieux lak tham aurait donc été instituée dans le
contexte d’un renouvellement, que les habitants associent à la création du village lui-même. Or tout
porte à croire que la zone concernée a été habitée bien avant la refondation du village et bien avant
sa conversion au bouddhisme. Pour la mémoire orale, le lak tham a été instauré en même temps que
le village il y a 450 ans. Mais cette mémoire remonte seulement à trois générations de maîtres de
cérémonie. Au-delà de trois générations la mémoire devient imprécise et il y a peu d’information
sur les pieux. Le plus ancien maître de cérémonie parmi les trois est Gnapô Lak Kham [pkr+s]ad7e].
Il s’est occupé des pieux au début du XXe siècle. Le deuxième est Gnapô Bouadèng [pkr+[q;cf’],
maître de cérémonie dans les années 1940-1950. Une grande cérémonie de rappel à la protection du
dharma a été réalisée durant son exercice.586 Le dernier est Pôtou Lieng. Celui-ci a remplacé les
deux des cinq pieux de bois par les pieux en béton. Chaque génération a renouvelé le rituel, soit par
un rituel de “ rappel du grand dharma ” soit par le remplacement des pieux délabrés, soit les deux
rituels à la fois. Dans tous les cas, les entretiens laissent transparaître chez les maîtres de cérémonie
des fortes personnalités possédant un savoir et venus de l’extérieur du village. Cependant le dernier
maître de cérémonie est appelé Pôtou [r+86h] “ vieux père ”, sans connotation de personnalité lettrée,
alors que les autres se nomment Gnapô [pkr+], “ vénérable père ” avec une connotation nette de
personnalité instruite. Y a-t-il ici la mise en évidence d’une dégénérescence, d’un appauvrissement
du savoir dans la manière de perpétuer le rituel : Pôtou Lieng, en remplaçant les pieux en bois par
les pieux en béton, méconnait-il l’aspect symbolique des essences de bois utilisés.
Il est probable aussi que les villageois aient pu perpétuer une mémoire qui n’est pas la
leur, mais appartenant à ceux qui étaient là avant eux, qu’ils auraient convertis et avec lesquels ils
auraient été mélangés. Ces derniers n’auraient pas été bouddhistes ou auraient entretenu
impériale d’Angkor, in : « Ancient Luang Prabang, Vientiane, Môn, Realm and the angkor impérial road », texte annexé
à l’ouvrage des deux auteurs : Enduring Sacred Lanscape of Naga, Ed. Silkworm Book/ Mekong Press, Chiangmai, 2009. 585 Il semble que les anciens du village ne savent pas non plus de quel culte précisément il s’agit : le Laos ayant beaucoup
de cultes des phi, il peut s’agir ici de tous les cultes non bouddhistes possibles. 586 Potou Xay avec qui nous avons un entretien était enfant lorsque Gnapo Bouadèng organise le grand rituel, et se
souvient que « c’était comme si on menait une guerre contre les démons. C’était aussi une grande fête. »Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 335 -
parallèlement un autre culte. En ce qui concerne les Phouans, il est quasi certain qu’ils sont
bouddhistes avant et après leur installation dans le village, puisque le motif de leur venue à
Vientiane est lié à cette dévotion religieuse. En ce cas, les Phouans n’auraient pas fondé le village,
que ce soit au moment de leur arrivé il y a 450 ans ou après, mais l’auraient refondé sur de
l’existant. Refondation qu’ils considèrent volontairement aujourd’hui comme une fondation, parce
qu’ils se réfèrent à la conversion du village comme une renaissance, accompagnée d’un marquage
spatial et spirituel du lak tham. Nous ne pouvons cependant situer de manière précise cette période
de conversion. Nous pensons que c’est au moment de l’installation des Phouans dans le village ou
peu après. C’est notre première hypothèse. Notre deuxième hypothèse est de penser que la mémoire
du culte des phi est aussi la leur parallèlement au culte bouddhique, qui connaît un certain
relâchement après leur installation dans le village au contact avec les autochtones. Rappelons que
les Phouns, qu’ils soient à Xieng Khouang ou ailleurs pratiquent le bouddhisme parallèlement au
culte des phi devata. Il se peut qu’à un moment donné ce culte ait pu prendre le dessus, qu’il aurait
fallu recadrer. Le combat qu’ils mènent contre le culte des phi dans le contexte de Ban Phay Lom et
leur ferme volonté d’asseoir un bouddhisme “ radical ” seraient une réaction contre
“ l’asservissement ” du culte des phi. En ce cas, nous pouvons parler d’un contexte de renouveau
spirituel localisé qui illustre le cadre plus général du renouveau, exprimé dans la politique de
Phothisarat et de Sethathirat à la même époque.
Dans le cas de Ban Phaylom, bien que le lak Tham relève clairement le renouvellement et
l’affirmation du bouddhisme dans l’espace de l’habitat à une époque donnée, il est également
évident que sa forme matérielle de symbolisation provient d’un archétype, des traditions primitives
des pieux cultuels. Les pieux de fondation –ici cultuels– constituaient préalablement déjà un modèle
spatial que le bouddhisme s’était par la suite approprié et intégré dans son corpus symbolique.
Les pieux sont-ils sacrificiels ou shivaïtes ?
Si nous devons traduire “ pieux de fondation ” par lak muang, les lak muang pour les Lao
Tai correspondent au culte du Thaèn F’a pré-bouddhique –les monarques ancestraux divinisés,
comme nous l’avons déjà souligné. Quant aux pieux proprement dits –que nous abordons ici, ils
appartiennent aux cultes primitifs, proto-indochinois, pré-bouddhistes, que les lao avaient adopté
(pour certaines formes de pieux sacrificiels) ou côtoyé (pour les pieux hindouistes du culte shivaïte)
durant leur glissement vers le Sud, avant qu’ils ne soient convertis au bouddhisme ou
simultanément à leur glissement et à leur conversion. Au Laos, on peut trouver plusieurs types de
pieux. Ils se distinguent d’abord par leur morphologie et leur matériau –essentiellement en bois et
en pierre, ensuite par leurs types d’emplacement, disposés à décrire, à définir et à délimiter l’espace.
Leur mode cultuel et la symbolique qu’ils dégagent peuvent être différenciés.
Les pieux en bois auraient appartenu aux cultes très anciens des Tai et se seraient rapproché
du symbolisme de l’arbre cosmique. « Le symbole d’une montagne, d’un Arbre ou d’un Pilier situé
au Centre du Monde, est extrêmement répandu.» (M. Eliade) Tandis que les grands piliers en pierre
de fondation –tel le lak muang de Vat Simuang (toujours très vénéré de nos jours), est considéré
comme le pilier sacré et sacrificiel de la fondation de la ville, du moins pour le cas de Vientiane et
de Khorat. A Vientiane cette considération tente de se justifier par l’histoire de Dame Si et du jeune
bonze qui auraient été sacrifiés au poteau de la ville pour incarner les esprits sacrés et protecteurs.587
Mais les archéologues et les historiens s’accordent sur une autre interprétation : le pilier de Simuang
est un lingam consacré au culte shivaïte.588 On voit ici que deux cultes se disputent la propriété de
ce vestige : l’un sacrificiel et l’autre dédié au dieu Shiva ; cela montre un premier degré de
syncrétisme et explicite le fait que les territoires du Laos (urbains ou non) est une sédimentation de
cultures et de souches de populations différenciées. Cela révèle également que les différentes
587 Le sacrifice de Dame Si et du bonzillon au poteau de la ville à Simuang. Cf. Chayphet Sayarath, Vientiane, itinéraire
du patrimoine, Atelier du Patrimoine-IRU, Vientiane, 2003, document en trois langues : lao, français, anglais, 70 pp. 588 D’après Viengkéo Souksavatdy, archéologue.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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traditions des poteaux, dans leur forme, peuvent être similaires, bien que leur contenu cultuel
puissent être différent. Cela serait un archétype cultuel assez répandu et commun à beaucoup de
peuples.
Toujours est-il, le pilier de Vat Simuang dont l’implantation se trouve dans le quartier Sud
en aval du rempart intérieur a été consacré comme étant le pilier de la ville. Il acquiert une
importance telle que le schéma symbolique ancien de Vientiane se retrouve incarné entièrement par
lui, négligeant la partie amont où pourtant, depuis le Hô Kham jusqu’à Kaolyo, de nombreux autels
des esprits protecteurs avaient été dressés et des cultes y avaient été consacrés chaque année. La
découverte de nombreuses bornes et de bay séma en pierre sous la rue adjacente de Vat Simuang au
courant de l’année 2009 a été conclue comme faisant partie intégrante des objets auxiliaires au
poteau de fondation du muang, alors que les factures matérielles et la destination de leur fonction
semblent exprimer autres faits aussi.589 A cette conclusion, un monument officiel est en construction
pour consacrer ce pilier. A tort ou à raison, le souci de “ vérité ” importe peu, c’est le sens et
l’importance que l’on donne aujourd’hui au fait que la ville a connu un acte de fondation, et quelle
serait le sens de “ le fait de fonder ” dans l’organisation du centre urbain d’aujourd’hui. A cette
question, des éléments de discussion seront proposés dans la suite de notre recherche.
Le Cas du lak muang et du lak ban chez les Lü à Muang Sing et à Ban Na Vay : s’agit-il de la
mémorisation de leur propre fondation, des pieux du phi protecteur ou d’un signe d’inscription
territoriale du pouvoir ?
Comme nous avons pu le constater, la pratique des lak muang et des lak ban chez les Lao
Tai ont beaucoup été altéré. Alors que le cas des implantations lü nous permet de suggérer qu’il y a
une permanence des espaces hérités, malgré les changements. A Ban Navay, le pieu a été réinstallé.
Il est en dur, monté sur un reposoir bloqué dans une dalle en béton en forme carrée. La situation
physique de son implantation est fort curieuse. Il y a comme une volonté de moderniser le pieu. La
plate-forme carrée est placée parmi les maisons des habitants, sans disposition particulière. Le pieu
semble simplement indiquer le moment de la fondation du village. C’est en fait une sorte de
mémorisation de ce village, sa construction et l’implantation de ses habitants à un moment donné et
dans un réseau de territoire donné. C’est un marqueur temporel et spatial. Dans ce type d’usage, il
est probable aussi qu’au moment de son implantation le pieu puisse indiquer l’identité du village et
de ses habitants par rapport aux autres communautés d’ethnicité différente.
A Botèn les mauvaises conditions du déplacement du village (site d’implantation du
nouveau village dans lequel la population devait désormais vivre) mettent en évidence que le lak
ban et l’autel du phi ban requièrent toute leur importance et tout leur sens : dans de telle mauvaise
condition, les habitants ont besoin de protection pour pouvoir vivre et prospérer dans le nouveau
village. Les habitants demandent aux esprits si le nouveau site est propice. La réponse aurait été que
beaucoup de problèmes existent pour fonder un village prospère. Mais obligés de toute façon de
quitter l’ancien village, on exige alors des esprits plus de protections et d’accompagnement. Les
esprits et le symbole du pieu se réactualisent ainsi dans un contexte nouveau comme un élément
rassurant face à l’inconnu. La vivification en ce cas des lak ban se substitue à l’absence de l’autorité
politique moderne et défenseur de l’intérêt des habitants qu’aurait été l’autorité provinciale et l’État
face à la concession du golden Botèn city.
A Muang Sing, le pieu du muang aurait été implanté dans un des îlots centraux de la cité.590
Il aurait marqué l’esprit protecteur du muang formé par la divinisation des monarques thaèn après
589 Cf. Michel Lorrillard, « Vientiane au regard de l’archéologie », pp 51-75, in : Vientiane architecture d’une capitale :
traces, formes, structures, projets, les Cahiers de l’Ipraus, éd. Les Recherches/Ipraus, Paris, 2010. 590 Ayant été enlevé au début des années 1960 lorsque la ville fut libérée par le PPRL, nous n’avons pas pu effectuer des
observations. L’interdiction du culte de ces pieux après la libération de Muang Sing en 1962, avait-elle un lien avec les
deux conceptions symboliques des pieux ? Mise à part le côté supersticieux critiqué par l’autorité révolutionnaire, aucun
discours ni document ne mentionne le fait que le culte a été interdit parce qu’il est lié au pouvoir ancien des Chao F’a
divinisés.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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leur mort, comme nous l’avons déjà souligné pour Luang Prabang et Xieng Khouang. Mais c’est
aussi un marquage territorial et politique du muang. Du point de vue territorial, dans la citadelle de
Muang Sing les pieux auraient indiqué le fait que l’on est à l’intérieur d’un xieng, une cité et non un
village. Du point de vue politique, les pieux auraient indiqué le fait que ce sont les Chao F’a qui
régnaient ici et leur esprit divinisé y était présent pour marquer et protéger la cité.
Dans tous les cas de figure, que ce soit dans le culte animiste, shivaïte, bouddhiste,
remarquons que le rituel du poteau est « la variante la plus répandue du symbolisme du Centre
(c’est) l’arbre cosmique qui se retrouve au milieu de l’Univers et qui soutient comme un axe les
trois mondes. L’Inde védique, la Chine anciennes, la mythologie germanique aussi bien que les
religions ‘primitives’ connaissent, sous différentes formes, cet arbre Cosmique (…) ». Comme le
souligne ici Mircea Eliade, il semble que le culte des poteaux vient du symbolisme de la centralité
consacrant une fondation, un pouvoir. Les poteaux rituels et sacrificiels pratiqués au Laos, voire le
poteau de consécration de la maison, auraient aussi fait partie du “ rite du Centre ”. Il rejoint alors
l’arbre cosmique, le centre cosmique et vital du monde et de l’univers. Ces croyances étaient très
répandues en Inde et en Asie du Sud-Est. Même s’il est utilisé par le rituel bouddhique comme c’est
le cas du poteau en bois du dharma de Ban Phaylom, il n’est pas véhiculé par le bouddhisme, mais
par les traditions plus anciennes du culte du Centre pratiquées de manière variable à différents
endroits.
II. II. d. La conception et la tradition foncière d’après le droit coutumier
Dans le Khamphi Phosarat et Sangkrapakone du droit coutumier591 un certain nombre
d’articles donne un premier aperçu de la conception traditionnelle du foncier. Nous allons examiner
le chapitre III, codes portant l’habitat, le jardin et la rizière.
- Il est stipulé que : « Tous les territoires de la cité des dieux appartiennent au souverain qui donne
au peuple le droit de les habiter, ils ne lui appartiennent point ». Le texte met en évidence le statut
global des sols qui appartiennent juridiquement au pouvoir royal. Mais nous verrons qu’il en est
autrement dans la pratique. D’après cet article, la définition de la tenue foncière serait évidente, si
d’autres articles ne venaient par la suite la rendre plus complexe, en fixant des conditions de
jouissance qui la rend ostentatoire et apporte des nuances à la définition de la notion de propriété cidessus
décrite.
- Il est stipulé pour l’intégrité de la propriété privée que :
« (2.) Celui qui abandonne sa terre perd la jouissance de ses droits. Le nouvel occupant récupère
les droits s’il construit et exploite la terre en question ; Par contre, lorsqu’il a clôturé sa terre avant
de partir ailleurs il est considéré qu’il ne l’a pas abandonnée. En ce cas lorsqu’il revient, il faut lui
rendre ses biens.
(2-1.) Lorsque son absence dure jusqu’à 9-10 ans, il convient aux autorités d’attribuer la terre à
ceux qui ne trouvent pas d’habitation, car il ne faut pas laisser la terre vacante et inexploitée.
(2-1-1.) Et lorsque la terre en question possède des richesses (arbres fruitiers) et lorsque la terre
est bien remblayée devenant une terre exondée, le nouvel occupant, auquel l’autorité a attribué
(provisoirement) la terre, doit payer à l’ancien occupant absent, pour les produits et les frais de
remblaiement dont il a la jouissance. (2-2.) En tous les cas, il est interdit de vendre la terre en
question. »
- Il est stipulé pour les prêts et les dons que :
« (1.) Lorsqu’une personne prête ses terres à quelqu’un ou autorise de son propre chef quelqu’un à
591 Kotmai bouran lao [dqfs,kp[6Iko]k;], le droit coutumier a été annoté et publié en sept fascicules en Lao moderne par
Samlith Bouasisavath avec le soutien de la Fondation Toyota (Vientiane, 1995). Le texte d’origine en Tham, sur feuille de
latanier, serait écrit au XVIIe siècle à Vientiane, le nom de son auteur n’est pas mentionné.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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habiter sur ses terres, quelques années après lorsqu’ils sont en conflit, il faut simplement faire
partir l’emprunteur et récupérer la terre à l’amiable sans pouvoir porter plainte.
(1-1.) Lorsque l’emprunteur y construit une maison sur pilotis pour y habiter et lorsque le prêteur
l’autorise à construire une clôture délimitant la parcelle, deux ou trois ans après la parcelle lui
appartient pour la jouissance.
(1-1-1.) Lorsque l’emprunteur veut quitter la parcelle il peut vendre la maison mais en aucun cas la
parcelle, celle-ci retourne de droit au prêteur.
(1-1-2.) L’emprunteur ne peut pas non plus la transmettre à ses descendants, ni à qui que ce soit
car il peut seulement y habiter. A défaut, le bien retourne au prêteur.
(1-2.) Lorsque l’emprunteur construit une maison sur pilotis dans la parcelle, mais n’a pas
construit une clôture délimitant la parcelle, il n’a aucun droit sur la parcelle.
Les trois points constituent une sorte de préambule, viennent ensuite douze articles donnants des
précisions sur le domaine des sols.
Article 1, portant les sols en dehors de la cité. Il est stipulé que : « ils ne peuvent être vendus ou
achetés ; ils ne peuvent être laissés en friche en vue de spéculation ; les autorités compétentes (chef
de village, chef de district, gouverneur, chef des impôts) doivent les gérer de sorte que les terres
soient habitées. Lorsqu’une personne récupère une terre qui est en mauvais état en dehors de la
ville, l’exploite et y fait des rizières et des jardins, il sera exempté de taxe pendant un an, après un
an, il sera taxé normalement. »
Article 2, portant la transmission des terres : « lorsque la personne qui exploite les petits bois
d’héritage meurt, les biens reviennent à ses descendants. Lorsqu’une autre personne vient y
occuper et exploiter elle paiera une amende pour usurpation d’héritage de 1 lat592 et rendra les
biens à la famille du défunt. »
Article 3, portant le don des terres : « une personne peut faire don d’un habitat à une autre
personne en présence de témoins. Lorsque celui qui reçoit les biens meurt celui qui donne peut les
récupérer. La famille du défunt ne peut pas les réclamer. Si le donateur et le receveur meurent tous
deux la famille du donateur ne peut pas les réclamer non plus. »
Article 4, portant le don des terres agricoles : « les forêts, les jardins, les rizières, les mares, les
étangs qui ont été donnés en exploitation peuvent être récupérés par le donnateur seulement en
deça de trois ans. Au-delà de trois ans, les biens reviennent de droit au receveur afin de poursuivre
son exploitation. Par contre s’il ne les exploite pas, s’il veut les vendre, les hypothéquer, ou les
transmettre à ses descendants, il ne le peut. Les biens reviennent au donateur de départ. »
Article 5, portant les baux : « lorsqu’on loue une maison à un locataire de un à deux ans il incombe
au propriétaire de réclamer lui-même les frais de location, si durant une à deux années ce dernier
néglige de les réclamer, au de-là de trois années les frais de location seront réduits de moitié et les
biens loués continuent à être loués au locataire. »
Article 6, portant les baux des terres agricoles : « dans le cas où un locataire loue une terre agricole
et règle tous les frais de location au propriétaire, lorsque la saison agricole arrive et qu’il ne
cultive toujours pas mais sous-loue à une autre personne, il est convenu de lui réclamer les frais de
location en plus.593 Dans le cas où il n’y a pas de pluie empêchant le locataire de cultiver, ce
dernier ne peut pas rendre ou annuler le bail. Il attendra les saisons prochaines, car les rizières
dépendent de la pluie et ne dépendent pas du propriétaire. »
Article 7, portant le respect du bail : « lorsqu’il est établi entre locataire et propriétaire un contrat
592 Le Lat []kf] est une des monnaies utilisées jusqu’au XIXe siècle. Cf. E. Aymonier, Le Laos Siamois. 593 « Il est convenu de lui réclamer les frais de location en plus ». Il y a une incertitude dans la compréhension de cette
phrase, due à la transcription. Ce serait l’autorité publique qui en réclame ou plutôt le propriétaire ?Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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en bonne et du forme stipulant que le propriétaire fournira avec le bail des objets ou autres biens
utilitaires, dans le cas où le contrat n’a pas été honoré : c’est-à-dire les objets et les biens
utilitaires n’ont pas été donnés comme prévu par le propriétaire au locataire, ce dernier peut
réclamer le double de la valeur des objets non honorés en guise d’amande mais le paiement des
frais de location ne sera pas remis en question. »
Article 8, portant hypothèque des terres : « les terres hypothéquées en deça de dix ans peuvent être
récupérées par le propriétaire selon les conditions fixées par les deux parties. Au-delà de dix ans, le
propriétaire perd le droit de récupérer ses biens. »
Article 9, portant usurpation des biens : « lorsque les biens vendus ont été prouvés qu’ils
n’appartiennent pas au vendeur. Les biens seront rendus à son vrai propriétaire et l’argent de la
vente sera repris au vendeur. »
Article 10, portant les termes du contrat : « un acheteur en achetant une terre promis dans le
contrat à son propriétaire d’y cultiver qu’une année ou deux. Au-delà lorsque l’ancien propriétaire
désire exploiter la terre le nouveau propriétaire ne peut pas le refuser, car si le contrat le fixe ainsi
le nouveau propriétaire doit respecter les termes du contrat »
Article 11, portant les personnes compétentes : « les personnes compétentes devant lesquelles la
population doit porter les affaires et litiges sont les naï nam na,
594 les responsables des impôts, les
administrateurs et chefs du canton. »
Article 12, portant les dons royaux : « lorsque le roi fait don à ses sujets, qu’il s’agit des habits, des
bétails, de l’argent et de l’or, des impôts,595 des jardins et autres biens, personne ne peut remettre
en question les dons royaux. Les individus bénéficiaires jouissent pleinement de leurs droits ainsi
que leurs descendants. Si les biens ont été délaissés celui qui en prend soin ne peut être mis en
faute, mais les biens restent appartenus aux bénéficiaires. »
Dans Khamphi Rajasat du droit coutumier, on retrouve un article se rapportant à la terre et à
la propriété. L’article portant le débordement de branchages au-delà des limites de la parcelle
stipule que : « pour les arbres plantés dans une propriété, donnant des fruits et ayant des
branchages proliférants, lorsque leurs fruits tombent hors du terrain sur lequel ils sont plantés,
celui qui les ramasse commet un tort. Pour les arbres poussant sur un terrain n’appartenant à
personne, lorsque leurs fruits tombent dans une propriété, les fruits appartiennent au propriétaire
de la parcelle. Lorsqu’ils tombent dans le terrain de personne, les fruits appartiennent au
Phraya».596 Cet article met en évidence la jouissance de la propriété privée, alors que la propriété
publique est partiellement indiquée. Celle-ci est masquée par le terme Phraya qui peut désigner
aussi bien le roi, le seigneur ou l’administrateur local qui le représente, qu’un ministre dans le
système administratif lao ancien. Par extension, il désigne l’autorité publique. Dans le texte, il s’agit
sans aucun doute de l’autorité publique, qui, dans le contexte lao, est à prendre dans le sens le plus
primitif. L’autorité publique est en fait à la fois l’entité politique, éminente et légitime telle que
l’autorité royale et tout ce qui la représente où qui lui est lié, et l’entité administrative qui gère les
affaires publiques et qui exerce sa souveraineté, directe et indirecte, sur tout ce qui ne relève pas du
domaine privé, autrement dit les espaces vides, non défrichés, souvent qualifiés de Dinh Heuâ
[fuogINv].
597 Ce terme désigne non seulement “ l’état sauvage du sol ” mais également son statut
594 Textuellement Naï nam na [okpoeok] signifie “ chef chargé de faire le suivi des rizières ”. Nous ne sommes pas
certains de ce que pouvait représenter cette fonction. Il est probable, comme son nom l’indique, que ce soit la personne en
charge d’enregistrer et de suivre l’évolution des rizières, sans doute de connaître leur taille, leurs activités, leur statut
foncier.
595 Ici il peut sans doute s’agir de deux choses : 1-la jouissance du droit de fermage que le roi aurait accordé à certains de
ses sujets. 2-le roi aurait accordé à certains de ses sujets le droit de ne pas être prélévés d’impôts et de taxes. 596 [ritpk] Phraya est un titre nobilière mais également une fonction publique équivaut le rang de ministre dans le
système administratif lao. Ici il faut le comprendre comme une fonction publique.
597 [fyogINv : fyomuJIqdgINv 0kfdkof6c] s]n fyomuJ[+wfh4ndla[-jk;], sol sauvage ou sol qui retourne à l’état sauvage. Au sens primitif il
désigne le sol sauvage mais également le sol non-défriché, sans exploitant : lorsqu’une terre est laissée à l’abandon auDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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foncier sans exploitant (sans propriétaire). Le texte met par ailleurs en évidence la notion de limite
entre les différentes parcelles ; entre les parcelles privées et les parcelles publiques et/ou non
défrichées.
Dans le droit coutumier, d’après les trois points du préambule, les 12 articles et celui qui
porte sur le dépassement des branchages, que nous venons de noter, nous remarquons que la
question de propriété est aléatoire et qu’il est possible de perdre la jouissance de ses droits dans de
multiples conditions, même si des nuances doivent être notées selon les types de terre considérés.
Nous remarquons justement que la nature des terres et la mise en clôture font partie de ces
conditions. Ainsi, un terrain bâti et un terrain agricole ne seront pas soumis aux mêmes conditions.
Ce qu’il faut retenir en premier, c’est le caractère heuâ [gINv] des terrains. Il est évident que dans un
pays tropical –autrefois plus qu’aujourd’hui– une terre non exploitée pendant trois ans redevient
vite à l’état sauvage. Il en sera autrement pour les terrains bâtis : le caractère heuâ sera nuancé et
dépendra alors de l’état de conservation de la maison. Cela signifie que même si un terrain est
envahi par de la végétation après quelques années d’abandon, tant que les pilotis des habitations
tiennent debout, il ne peut être classé comme heuâ. Sans doute, si les pilotis tombent pourrait-on
considérer le terrain comme heuâ et dont potentiellement libre pour une nouvelle occupation.598
C’est en ce sens que la culture foncière lao rejette la notion de propriété privée inaliénable des sols
et adopte l’idée que le droit d’usage est lié à l’acte d’exploitation effectif, seules conditions assurant
un accès à la jouissance de la terre. A contrario, l’inaliénabilité de la propriété relève de l’autorité,
c’est-à-dire du roi, “ propriétaire des vies et des terres ”
599 [g9Qk-u;yf, g9Qkczjofuo], dont le pouvoir
éminent est investi par le sacré et l’intemporel. Il y a sans doute une concordance entre la fonction
sacrée du monarque, propriétaire des vies et des terres, et la fonction sacrée de la terre à travers le
culte de Nang Thôrani.
600 En fin de compte, en reliant le droit de jouissance des terres à leur
occupation –qu’il s’agisse de l’habiter ou de l’exploiter– les Lao reconnaissent les terres comme les
biens éminents du roi, “ propriétaire, mais aussi, protecteur des vies et des terres ”.
601
A l’instar du pouvoir royal et dans le prolongement de cette conception traditionnelle du
foncier, aujourd’hui l’État en tant que personne publique s’est substitué au Phraya. Mais sa
souveraineté est légitimée, non pas par le droit sacré, mais par un processus complexe de
représentation, par et pour le peuple en la personne morale du parti. L’Etat fusionne en quelques
sortes avec le parti pour former le pouvoir public.
Quel que soit le régime –ancien ou nouveau– la notion de propriété privée individuelle
inaliénable est ostentatoire, voire inexistante, même si par les actes d’occupation et d’exploitation,
l’occupant jouit incontestablement du droit d’usage et d’action du sol qu’il occupe. Le terme pour
désigner ce qui relève de la tenue demeure le même depuis des siècles, du moins depuis la rédaction
du droit coutumier. Nous parlons aujourd’hui en termes juridiques du “ droit d’agir sur le sol ”
[da,,tlyf]
602 au sens littéral du “ droit d’usage du sol ” et non de propriété. Le droit foncier
d’aujourd’hui “ modernisé ” ne mentionne à aucun moment la terminologie “ propriété ”. Nous
bout de trois ans –une terre agricole qui n’est pas cultivée par exemple (à l’exception des terres laissées en jachère)–
devient dinh heua, sans exploitant, et donc, libre de toute occupant et peut être défrichée par un nouveau venu. 598 Cette question a été évoquée en 1970 par Georges Condominas, Inpeng Souryadhay et Christian Taillard, in. « La
propriété foncière selon les traditions coutumières au Laos », Revue juridique et politique indépendance et coopération,
Paris, 1970 N°4, pp. 1215-1222. Les auteurs ont basé leur étude sur les anciens codes annotés par Phouvong
Phimmasone, in le BEFEO. Ce dernier élaborait ses études à partir d’un manuscrit ancien, sans doute un des livrets du Kot
mai bouran lao. Et il s’agit sans doute dans ce livre, non pas d’une compilation de codes généraux, mais de cas de
jurisprudence.
599 g9Qk [gxaog9Qkcsj’8qo G gxaookp8qogv’F gxaovylt]t ] chao ou tiao, maître, souverain, -u;yf [Sk. jivata, Pl. jivitam, 7;k,gxao16JF -u;yf]F
existence, ce qui est. g9Qk-u;yfF gxaog9Qk0v’vaomuJgxao16JD Chao sivit désigne alors propriétaire de ce qui est, propriétaire de la vie ;
phaèn dinh [czjofuo], terre, territoire. Chao phen dinh : propriétaire des territoires. Chao phaèn dinh : le souverain. 600 Dharani (Sk), sol, déesse de la terre. Nang Thôrani [ok’m=itou], l’esprit de la terre, de l’esprit tutélaire. 601 Cette idée n’est sans doute pas étrangère à la définition du statut des rois lao dont l’origine dynastique était à la fois
militaire et religieuse, historiquement fondée par F’a-Ngoum au milieu du XIVe siècle. Elle s’appuie d’abord sur un
pouvoir guerrier consolidé par la suite par un pouvoir sacré.
602 [da,,t], Karma (Sk), Khamma (Pl), action ; [lyfmy] (Pl. Sk), siddhi, droit. Khammasiddhi [da,,tlyf], droit d’action.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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lisons dans l’article 3, portant le droit d’action du sol mis en application en 2001, « le sol de la
République Démocratique Populaire Lao appartient à la communauté nationale […], l’État
l’administre de manière centralisée […] et donne aux personnes, aux familles et aux institutions
[…] le droit de l’utiliser […] et aux étrangers le droit de le louer ».
603 Le texte montre qu’il y a une
persistance terminologique du droit traditionnel dans la gestion du sol et dans le droit foncier
d’aujourd’hui.
II. II. d. 1. La nature et la fonction des sols, le statut foncier
Il est intéressant de comprendre comment les types de sols, qui sont liés aux usages et aux
interventions humaines –qu’elles soient religieuses ou profanes, ont été définis dans leur fonction,
qui sont de l’ordre de quatre : celles déterminant le statut foncier, celles ayant des incidences sur le
domaine du bâti, celles marquées par les croyances des sociétés, celles relatives à l’économie et à la
production.
Les deux définitions, dinh heuâ et dinh sap sao [fyogInHvF fyola[-jk;]
604 “ sol retourné à l’état
sauvage” et “sol défriché ” n’ont pas d’incidence directe sur l’évolution du bâti, ni sur les
croyances, mais relève du domaine juridique. A l’opposé de dinh heuâ [fyogInNv], le terme dinh sap
sao [fyola[-jk;] désigne du point de vue juridique, un sol défriché qui appartient de plein droit à celui
qui le défriche. Ce statut juridique est en même temps descriptif : un terrain défriché, signifie
surtout un terrain ayant un occupant qui possède le droit d’usage, visiblement débroussaillé, voire
désherbé. Son aspect sap sao semble précéder la mise en clôture pour marquer le périmètre du droit
d’usage sur un terrain. De ce point de vue, son statut juridique est donc lié à son aspect physique et
à son utilisation.
Dinh haeng pheun [fyoIJk’rNo],605 terme technique relatif à l’agriculture et à la géologie,
désignent les “ sols qui ne retiennent pas l’eau ”, dont inexploitable sur le plan agricole. Ce terme
est utilisé aussi dans d’autre domaine, par exemple dans la description parcellaire des terrains bâtis,
ce qui pourrait signifier que ce type de terrain –non-cultivable– est destiné uniquement à la
construction. Pour l’habitation, il n’y a pas d’exemple de construction utilisant ce type de sol,
puisque l’habitation lao doit être entourée de verdure et donc exige un sol riche et propice pour les
activités agricoles. Il est donc exclu que dinh haeng pheun soit utilisé habituellement pour
construire l’habitation. Pour les ensembles urbains, nous n’y trouvons pas non plus d’exemple. Par
contre, nous avons trouvé quelques sites et monuments isolés utilisant ce type de sol pour leur
édification : le site de That Luang et le site archéologique de Dane Soung notamment. Nous
pouvons sans doute suggérer que dinh haeng pheun peut être destiné à la construction de grands
monuments ou de sites à fréquentation publique. L’étude d’autres exemples de sites monumentaux
devrait confirmer ou non cette hypothèse.
Pour dinh phone [fyo3ro], site exondé ou site haut, ou dinh nonh [fyo3oo], site convexe, s’ils
sont propices pour les implantations des habitations, ils sont surtout liés à l’implantation de l’habitat
du sacré, tels les sites tutélaires, les lieux consacrés aux esprits protecteurs. Nous pouvons nous
référer à la cosmogonie héritée de la civilisation indienne606–pour le site de Phone Keng– et à une
cosmogonie locale et autochtone, pour le site de Saphang Mô.607 Ce dernier est plus lié à une
603 Droit foncier, éd. Département des Diffusions, ministère de la justice, Imp. Sibounheuang, Vientiane 2001. 604 fyola[-jk; s,kpg4y’fyomuJwfh4ndla[dqJogvqk7;k,sqdgInNvvvd .shgxaorNomuJ muJx6d/a’ s]n d+lhk’wfh s]n gIafdyf9tde.fobJ’wfh c]t fyooAo
d=s,qfltrk[.odko gxaoxJkD Dinh Sap Sao, sol défriché et domestiqué, gagné sur la forêt. 605 fyoIJk’rNogxaofyomuJcsh’D Dinh haeng pheun, sol qui reste sec. 606 Le mont Méru est matérialisé par le Phnom chez les Khmers, le Phù et le Phone chez les Lao, le doy dans le Lan Na,
sachant que le terme Phone a une connotation simplement géologique. 607 L’esprit tutélaire du Phone de Saphang mô est plus populaire et n’appartient sans doute pas à la même cosmogonie que
celui de Phone Keng qui est clairement bouddhisé.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 342 -
pratique païenne, aujourd’hui encore vivante dans de nombreux lieux à Vientiane.608 Ces croyances
et ces cultes ont pourtant été combattus par la pratique officielle bouddhiste établie au début du
XVIe siècle par Phothisarat.
609 Pour le cas de Phone Keng, l’implantation du bâti n’est pas
seulement liée à l’éminence du site, mais surtout à la présence d’un monument importance : le That
Luang. Dans les deux cas et dans de nombreux exemples, ces éminences accueillent
postérieurement des implantations bâties, type village ou unité d’habitation.
Il est important de signaler la notion de monumentalité concernant la question foncière, car
elle relie la notion parcellaire à celle du domaine dans lequel le monument s’insère et elle rend aussi
abstraite la notion d’échelle dans le passage de la parcelle au domaine. Elle donne aussi une
définition, un statut et un mode de fonctionnement spécifique à l’espace dans lequel est implanté le
monument. Elle participe surtout à déterminer une typologie urbaine. Ce fut le cas de bien des
monuments : les unités villageoises autour de That Inheng à Savannakhet et celles autour de That
Luang à Vientiane sont ainsi les plus parlantes. L’annotation et la relecture par M. Lorrillard610 des
deux stèles du That Luang ainsi que celle de Vat Nong Bone livrent des données intéressantes. Nous
apprenons par exemple que lors de la fondation de That Luang par Phothisarat et plus tard par
Sethathirat, des terres ainsi que des serviteurs ont été affectés au monument. Si les dons par le roi du
prince et de la princesse offerts en esclave au monument sont simplement honorifiques et
symboliques, l’attribution des personnes non-royales pour son entretien ainsi que l’attribution des
terres et des domaines, étaient effectives. Ce sont entre autres des terres et des domaines desquels
peuvent provenir des impôts et des bénéfices. Ce mode de fonctionnement idéologique, matérialisé
dans la gestion des sols, semble être un véritable outil de gestion territoriale et économique –que ces
territoires soient importants ou modestes, un moyen de production de biens fonciers, un catalyseur
du lien et de la hiérarchie sociale. Nous pouvons avancer l’hypothèse que ces sites suscitent la
formation des corps de métier, des quartiers d’habitation, voire des villages. Les habitants autour de
That Inheng, par exemple, se disent aujourd’hui être descendants des esclaves du monument. Si
nous ne pouvons pas dire de même pour tous les quartiers autour de That Luang, c’est sans doute
parce qu’ils ont été intégrés à la ville qui est soumise à d’autres critères de formation et d’évolution.
Du fait de leur éloignement par rapport à la ville, les villages entourant le That Inheng demeurent
indépendants et préservent mieux leur identité ancienne.
En confortant un système où le pouvoir politique et religieux forment une entité unique, où
nous pouvons parler à la fois d’une royauté religieuse et d’un ecclésiastique royal, le monument a
également fédéré un ensemble d’unités sociales et économiques. Cela signifie que le concept de site
monumental est lié en partie à la tradition foncière qui définit une des bases de la formation urbaine.
Le statut foncier de site monumental, le passage de la parcelle au domaine et au territoire ne sont
donc pas une simple question d’échelle, mais de mode de fonctionnement. Et la monumentalité sert
ce mode de fonctionnement, quelle que soit sa taille véritable.
II. II. d. 2. Les croyances dans le choix des sites
Les lieux sont nombreux à être associés aux croyances religieuses et païennes, en
particuliers les sites qui ont des particularités géographiques. Nous pouvons citer les éminences, les
berges, les embouchures des cours d’eau, les étangs, les mares, les marécages et les puits. Souvent,
les cultes bouddhistes se substituent aux croyances primitives déjà constituées, puis l’hindouisme
les remplace avant d’être rejeté un temps par le bouddhisme dans sa période la plus faste. Les lieux
sacrés de Vientiane sont, durant deux millénaires, des espaces religieux syncrétiques. Les cultes
608 Sur la bute de Saphang Mô, dans le jardin d’une maison lao en bois restauré vers 1995, il y a un autel où tous les jours
une gardienne-médium, vient déposer des offrandes. Une fois l’an, une cérémonie plus importante lui est consacrée. En
fait, la maison a été construite ultérieurement sur un site sacré dont le culte n’a jamais été interrompu. 609 Phothisarat (1520-1549) “ publie ” vers 1525 un édit contre le culte des phi et ordonne la destruction des autels païens
pour y construire à la place des monastères ou des ermitages bouddhistes.
610 Lorrillard, « Les inscriptions du That Luang de Vientiane : données nouvelles sur l’histoire d’un stupa lao », BEFEO,
2003-2004, 90-91. Op. cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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animistes et hindouistes, perdurent encore de nos jours dans certains sites, parfois en fusionnant
avec les cultes bouddhiques.611 Au cours du XVIe siècle, sous les règnes de Phothisarat et de
Sethathirat le bouddhisme theravāda du petit véhicule a triomphé et pris la possession de la plupart
des lieux de cultes antérieurs.
Nous avons vu que dinh phone [fuo3ro], ou dinh none [fuo3oo], terres hautes, sont des lieux
de prédilection pour vénérer la gloire et la mémoire du Bouddha ou pour sacraliser les esprits
puissants et protecteurs de la ville. Il est autant remarquable que la quasi-totalité des dinh phone de
Vientiane soit habitée de telles sortes. Nous pouvons citer Phone Phanao (qui est dans le
prolongement de la terrasse de That Luang) et Saphang Mô. La terrasse de That Luang selon le
Thamnan Oulangkhrathat était à Vientiane le lieu de la première implantation bouddhiste des
missionnaires de Açoka, où un pilier –forme primitive du grand That– a été dressé. Les Houay (s;hp,
rivières), les Nong (|v’, mare), les bung ([n’, étang) et les dinh Thaam (fuomk,, zone marécageuse),
sont autant des lieux où vivent les esprits puissants et sacrés. A Pak Passak un autel a été construit
pour vénérer l’esprit des guerriers qui protègent la ville, le long du Mékong –en amont et en aval–
vers Ban That Khao et vers Ban Khounta-Tha, d’autres autels vénèrent les esprits protecteurs. Dans
les zones basses, tel Ban Phra Pho, des puits représentant le monde souterrain, symbolisent l’habitat
du naga, etc.
II. II. d. 3. La fonction productive et économique des sols
Mis à part leur rôle sacré, les Houay, les Nong et les bung assurent également un rôle
économique. Nous retrouvons dans ces lieux des vestiges archéologiques attestant l’existence
d’unités de productions artisanales : ateliers de poterie, fabriques de briques et de tuiles, atelier
d’armuriers. Mais la conception du parcellaire de ce type d’espace n’est pas clairement explicite, en
raison sans doute du caractère non-privatif de l’usage du sol pour ce type d’activité, suggérant un
statut probablement communautaire. Pour les rizières, le parcellaire est plus nettement défini. Les
rizières se mesurent en laï [w]j] qui correspond à environ 1 600 m2, et est défini par le terme haï [wIj]
un genre d’identification. Haï na [wIjok], est alors une rizière immergée, l’eau est retenue par un
ensemble de petites digues. Quant au terme thong na [mqJ’ok] plaine ou étendu de rizière, plus
générique, il désigne un ensemble de haï na qui se définit ou qui se distingue par rapport à
l’ensemble d’habitation qui forme le village. Le monde agraire joue donc un rôle important dans la
mesure des parcelles, car cette unité de mesure est utilisée également pour les autres terres. La forêt
secondaire, pa [xJk], et la forêt primaire, dong [fq’], sont antinomiques à l’idée de civilisation
représentée par la conception même de l’habitat, du village et du muang. Pourtant, sur le plan
économique et spatial, nous constatons que pa et dong ne sont pas extérieurs à la ville, au contraire,
font partie intégrante. Ils constituent même un lieu de production. A titre d’exemple, Dong
Palane,
612 selon ses habitants, produisait des feuilles de latanier, et dong Passak613 produisait sans
doute du tek pour les besoins et les usages courants de la ville. Notons que ces deux lieux désignés
de dong ne sont pas des forêts primaires, mais des terres d’exploitation. Leur désignation par le
terme dong serait inappropriée si elle n’est pas intentionnelle pour marquer une certaine conception
de la ville.
II. II. d. 4. La nature du sol et l’habitat
Nous avons vu qu’il n’est pas exclu que les dinh haeng pheun (terre sèche) soient destinés à
l’implantation des constructions telles les esplanades en tant que lieux de rassemblement
(l’esplanade de That Luang), les stupas et les monastères isolés (les ermitages de Dan Soung et de
Tham Phra en lisière de la ville de Vientiane), ou simplement destinés à la tenue des activités
611 Kham Champakéomany, « Phra That Inheng, Indra Prasath », In. Histoire des stupas - des vat les plus importants et
celle de Phra khou Gno kéo Phonnesamek, ministère des cultes, Vientiane 1974. 612 Dong Palane : dong (jungle) pa (forêt) et lane (latania arécaceae) : forêt de lanier 613 Dong Pa Sak : pa (forêt) et sak (tectona verbénaceae) : forêt de tek.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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collectives. En revanche selon ce que nous savons de l’habitat lao, il est très peu probable que les
dinh haeng pheun soient aussi destinés à l’implantation de l’habitat. Car rappelons-le, les sols
destinés à l’habitat doivent être particulièrement riches et stables, aussi bien pour des raisons
pratiques que des raisons symboliques. Pratiques, parce qu’il est indispensable de pouvoir aménager
des jardins potagers, planter des arbres fruitiers ou creuser un bassin piscicole et aussi de pouvoir
assurer la stabilité des pilotis qui sont dans la majorité des cas enfoncés dans le sol ; symbolique
parce que la richesse du sol signifie la richesse du foyer et sa protection par l’esprit de la “ mèreterre
”, tiao mé thôrani614
La conception lao du parcellaire n’est pas aisément identifiable, ni maîtrisable par la
méthode rationnelle de la régulation foncière et la gestion urbaine d’aujourd’hui. La tradition
foncière repose sur une notion de propriété relative. Or, la conception de la propriété fonde la
définition et le statut juridique du parcellaire, et garantit même son existence. Les types de terre
participent à la définition des fonctions et des usages du parcellaire et influencent sur les typologies
du bâti. Il y a des fonctions propices à l’implantation des unités d’habitation, des fonctions propices
au sacré, à la symbolique et au profane, et enfin des fonctions économiques et productives. Il y a
aussi la question de monumentalité qui introduit de nouvelles dimensions au parcellaire, qui met en
évidence le fait que l’échelle importe peu et que c’est plutôt le mode de fonctionnement qui régit le
passage de la parcelle au domaine, et enfin qui induit également la naissance de certains types
d’unités d’habitat urbain.
II. II. e. La domestication des espaces naturels et le mode d’habiter, un savoir intemporel.
Le rôle des espaces naturels, des jardins et des paysages dans les villes
La domestication de la nature constitue le mode d’habiter chez les Lao, tout comme la
majorité des ethnies vivant au Laos, y compris les ethnies non tai. Comme nous l’avons déjà
suggéré dans la définition des modèles spatiaux à travers l’analyse de la formation du ban et du
muang, la nature et le site, sont des éléments déterminants de l’espace habité qu’il s’agit de s’y
intégrer plus que de maîtriser ou de dominer. La domestication de la nature, c’est ainsi avant tout la
manière des hommes de s’adapter à elle, de s’approprier d’elle, de l’utiliser et de la “ consommer ”,
à l’état brut ou modifié. L’appropriation de la nature se fait essentiellement par les activités
agricoles accompagnées des cultes du terroir et des rites agraires. La considération de la nature
passe aussi par une approche d’altérité et de distanciation, par l’acceptation de la nature comme un
mystère et un inconnu. Cette approche est matérialisée par le culte des génies et des phi du terroir,
avec des rituels qui en découlent, empreints de chamanisme, d’animisme, et même du bouddhisme.
Ces cultes établissent ainsi un lien symbolique et anthropologique entre l’homme et la nature.
II. II. e. 1. La perception de la nature
En fait, pour comprendre le mode d’habiter, l’intégration de l’habitat lao dans la nature et la
présence de la nature dans l’habitat, il faut comprendre parallèlement comment les Lao se voient
dans la nature et se placent dans la cosmogonie ; dans le sens où « toute habitation humaine est
projetée dans le centre du monde » (Mircea Eliade). Pour ce faire, nous distinguons quatre niveaux
de perception de la nature : 1- la nature en tant qu’altérité, mystère et puissance. Cette perception
conçoit l’existence des génies et des divinités dans toute chose et induit de nombreuses pratiques
religieuses et des rituels, parce que les lieux et la nature que l’on investit possèdent leur existence et
leur système propre ; 2- la nature en tant que cadre dans lequel on fait le choix de construire son
habitat. Cette perception met en évidence la connaissance empirique de l’environnement
géographique et climatique dans lequel on choisit de bâtir son cadre de vie. C’est pourquoi le cadre
de vie est particulier à chaque communauté et la nature est vue à travers une culture propre et
614 [g9Qkc,jm=itou] tiao mé dharani, déesse et esprit de la terre. Cet esprit est féminin. Au moment de la construction d’une
nouvelle maison, une cérémonie demandant autorisation et protection, lui est consacrée.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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particulière ; 3- la nature en tant qu’élément de subsistance et de vie. Cette perception assure la
survie et la prospérité de la communauté. L’homme, dans n’importe quelle culture, tente toujours de
trouver un lieu qui lui serait bénéfique. C’est la raison pour laquelle cette vision est universelle et
s’exerce dans le cadre des connaissances accumulées et transmises ; 4- la nature sous forme de
paysage est une donnée relative, presque abstraite. Elle est perçue de manière intériorisée et
individuelle, elle reflète l’âme et le tempérament humain, elle devient une appréciation dépendante
de la culture et de la sensibilité des peuples. Pourtant la nature n’est pas multiple mais Une ; elle
peut être appréhendée à différents angles. Les quatre niveaux de perception que nous venons de
suggérer ne faussent pas la réalité, ils mettent en évidence le fait que la perception de la nature est
un révélateur de l’aspect psychologique, de l’empirisme, de l’universalité et de la culture des
peuples. Par rapport à la nature, il y a à la fois savoir et méconnaissance, agir et subir, des faits
inhérents à la nature humaine, et pour cela ce rapport est intemporel. Les quatre niveaux de
perception mettent en relief toute la complexité du rôle de la nature dans l’habitat, à devenir des
espaces que l’on choisit, que l’on occupe, que l’on apprivoise et aménage ; des jardins et des
paysages que l’on regarde, mais aussi le monde inconnu, mystérieux et puissant, peuplé d’esprits et
de génies que l’on met à distance comme une altérité.
II. II. e. 2. L’habitat et la nature
La nature en tant que l’altérité, le mystère et l’inconnu, l’analyse de l’habitation lao,
réalisées par Pierre et Sophie Clément, a largement fait part de l’omniprésence de la nature et de son
esprit, présidant les moments les plus exceptionnels comme les plus banales de la vie quotidienne,
occupant les coins et les recoins du plus signifiants au plus insignifiants de l’espace habité, mais
aussi de l’espace mental de la maison. La nature organise concrètement l’habitat, l’habite et le rend
vivant.
La maison doit être dans le village
La maison doit d’abord être implantée dans un milieu et un lieu propice, sur une terre riche
de telles sortes que l’on puisse aménager un potager, un jardin aux herbes odorantes, un bassin
piscicole, planter des arbres fruitiers, etc. La terre doit aussi être exondée mais bien alimentée en
eau, par un cours d’eau ou par une nappe phréatique, qu’un puits peu profond, creusé à la main,
peut atteindre. Ensuite, une bonne situation d’une habitation est liée à la situation du village. Une
maison doit obéir aux règles et aux codifications communautaires villageoises. Parmi les
nombreuses règles, beaucoup renvoient à la logique de la nature. Souvent, ils reflètent une profonde
connaissance de la nature par la communauté villageoise de base. Les actions sont réglementées par
les rites conduits par un astrologue que l’on consulte lorsqu’on doit intervenir dans la nature,615
apportant des dispositifs de prévention contre les méfaits divers et variés que les hommes pourraient
lui causer par leurs actions, ou vice versa, que la nature pourrait causer aux hommes. A titre
illustratif, nous pouvons montrer (ci-dessous les exemples) que la nature est au cœur de l’habitat et
de l’habitation, non pas en tant qu’élément détourné de son origine mais en tant qu’élément dans
son intégrité matériel, temporelle et symbolique.
Les arbres comme produit et comme matériaux
L’importance des arbres et des plantes dans la construction, la consommation et la
pharmacopée montrent que l’identification et la perception de la nature peuvent se faire sous
différentes formes. Les arbres et les plantes sont considérés par les Lao comme ayant un esprit et
aussi comme étant des produits de consommation, des matériaux de construction et en conséquent
des techniques qui en découlent sont maîtrisées. Leur cueillette, leur plantation, leur consommation,
leur utilisation et toutes les traditions les concernant ne peuvent être que codifiées et conduites par
des règles mettant en avant le respect des esprits qui les habitent, du savoir-faire et de la maîtrise
615 Nous renvoyons le lecteur aux travaux de Pierre et de Sophie Clément dans l’Habitation lao, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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des techniques. Leur cueillette ou leur coupe dépend du temps et des saisons que l’on appelle
moment propice ou bon augure. Etant donné que les arbres ont un esprit, cela a un lien avec les
pieux de fondation fabriqués avec des essences particuliers : pour les Lao Tai, les pieux ne
représentent pas un lingam comme pour les Khmers, mais plutôt un arbre.616
Par exemple, la coupe du bois (la sélection du bois par rapport à sa maturité et à la
préservation de la forêt), le rangement (la préparation, l’étuvage du bois et son entretien par rapport
à l’économie du temps de travail) et la mise en œuvre (la technicité et ses limites) sont réglementés.
Comme le note Pierre et Sophie Clément617 : « […] Le jour fixé, on part en forêt avec quelques
proches en emmenant des […] cornets en feuille de bananier remplis de fleurs, des bougies et des
grains de riz. Lorsque l’on a choisi un arbre, on construit devant lui un petit autel en bambou sur le
quel on dépose ces offrandes, puis on s’adresse au génie de l’arbre (par des formules élogieuses)
[…]. Il y a de nombreuses règles à observer pour le choix des arbres qui constitueront les poteaux
esprits de la maison ; les unes obligent à considérer l’apparence de l’arbre, d’autres sa situation,
ou les manifestations de l’esprit qui l’habite […]. » Le choix de l’arbre se fait donc par son
apparence : « on ne peut retenir un arbre qui a des trous, un arbre qui fait une fourche […], ni
l’arbre […] dont une branche est morte, ni bien sur un arbre mort sur pied […] » ; par sa situation :
« on doit éviter les arbres qui poussent sur des termitières, […] ou ceux qui couvrent de leur ombre
une rivière » ; par son comportement, durant sa coupe ou durant son étuvage naturel en tant que
matériaux,
618 qui est alors attribué à la manifestation –bonne ou mauvaise– des génies de l’arbre :
« ainsi, on doit se méfier d’un arbre qui respire […] qui pète au moment de l’abatage […] lorsque
se produit une explosion violente […], écarter un arbre qui pisse […], arbre dans lequel les trous
se sont formés et par lesquels se répand la sève. » Les phénomènes attribués aux manifestations des
génies décrivent les comportements du bois en tant que matériaux ; et ceci indique sa mauvaise
résistance, pouvant entrainer une mauvaise qualité constructive. La manifestation du génie peut être
vérifiée et raisonnée par l’analyse de la qualité constructive de tel ou tel bois. Par exemple le bois
qui explose dans le sens de ses fibres –phénomène attribué au refuse du génie– de fait, peut
continuer à emmagasiner de minuscules fentes dans les parties non encore fendues au moment de
l’explosion, mais en séchant les fentes seront exponentielles, devenant de mauvais bois pour la
construction. La manifestation capricieuse du génie peut ainsi être un répondant par rapport à
l’exigence et à la qualité technique des matériaux et du savoir-faire des artisans.
Les arbres et leur fonction symbolique
L’insertion de l’habitat dans la nature ou la place que tient la nature dans l’habitat, semble
alors relever davantage d’un dialogue et d’une accumulation historique des connaissances et des
expériences empiriques, que des pratiques aveugles issues des croyances. Cependant, seule la
symbolique des choses est considérée comme pouvant être raisonnée en dehors des champs de
l’empirisme et de l’expérience. En effet de nombreux exemples illustrent le fait que les règles et les
codes ne trouvent pas des raisonnements logiques, mais semblent seulement répondre aux exigences
du symbolique. Concernant ce fait, nous voulons montrer un exemple. Cela concerne l’essence des
arbres, choisie autrefois pour construire les pieux de fondation des villages. Le choix ne semble pas
répondre au souci de solidité et de pérennité. A Ban Phay Lom, maï haï (Figus religiosa) et maï
tchik (Shora obtusa, dipterocarpaceae) ou maï tchik dong (Vatica odorata, dipterocarpaceae), qui
mettent du temps à sécher et qui se fendent facilement, ont été utilisés pour fabriquer les pieux de
fondation, alors qu’ils ne sont pas les essences les plus résistantes. Vulnérables face à l’agression
616 Terwiel, B. J. « The Origin and Meaning of the Thai ‘City Pillar’», op, cit. 617 Pierre et Sophie Clément, Ibid 618 Le séchage naturel consiste à faire sécher le bois pendant plusieurs annnées à l’air libre et dans l’ombre. Soit on laisse
le tronc d’arbre tel quel, soit on les prépare par des coupes en section que l’on veut utiliser. En ce cas on empille les
planches tous en prenant soins de créer des espaces entre les planches par des calles du même matériaux. Les bois sont
généralement rangés sous les pilotis des maisons ou sous le grenier à riz. On puise aussi dans ces réserves de bois pour
réparer la maison.
Fig. 83. Plan- masse de Ban
Donoun,
Vientiane, 1972.
L’habitation
lao. Vol I, p56
Fig. 82. Planmasse
d’un
village Tariang,
Ban Dak Seng, en
2003. D’après les
sources de
Vanitha
Posavatdy The
life and house of
the Tariang
people, IRCLMIC,
2003.
Project : a Study
on Preservation of
The Tariang
Architecture of
Dakcheung
District of Sekong
Province.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 347 -
des termites et des intempéries, ils ont dû être remplacés cycliquement. Pourquoi utiliser de telles
essences, alors qu’il existe de nombreuses essences plus résistantes ? Quelle que soit la qualité des
autres essences, force est de constater que les pieux de fondation du village qui voulait affirmer sa
radicalité religieuse et l’éradication du culte des phi, ne devraient être qu’en maï tchik et maï haï ;
parce que maï tchik aurait été utilisé pendant la mise au feu de la femme après son accouchement, et
maï haï aurait été de la même famille que les arbres du parc de Lumbini sous lesquels la reine Maya
a donné naissance à Sidharta, et la même famille que l’arbre qui a abrité son illumination.
La maison et son implantation dans le village, les règles communautaires
Une maison d’ethnie lao tai ne peut jamais être construite isolément à l’écart du village.
Autrement dit, on ne peut concevoir une habitation ou une ferme isolée quel que soit son degré de
ruralité ; à moins que ce soit une simple maison de rizière. Celle-ci étant une construction plus ou
moins provisoire destinée à être un abri de repos pour les heures chaudes de la journée durant les
travaux de rizière. On y passe exceptionnellement aussi la nuit pour surveiller les récoltes et les
paddys avant leur montée en grenier. Cette construction, appelée thieng na et thieng haï, peut alors
être construite loin du village, dans les rizières et dans le haï.
La maison est liée directement à l’implantation du village lui-même et aux règles qui lui
sont attachées ; elle doit respecter les nombreuses codes du village, les obligations et les interdits
que l’on appelle kam ban [da,[kho]. Parmi les règles, en font partie le bon ou le mauvais
emplacement, les jours fastes ou néfastes pour planter un arbre ou une plante, pour creuser un puits,
construire une clôture, etc. Autrefois, les règles sont respectées scrupuleusement car on ose
rarement les défier. Lorsqu’on les transgresse on devient phid ban [zyf[kho] ou kabin ban [dt[yo[kho].
Par exemple, il est connu qu’on ne peut réutiliser les anciens bois qui avaient servis à construire des
greniers à riz pour construire une habitation ; le malheur accablerait les occupants, pire, il peut aussi
accaparer les autres habitants du village. On trouve un certain nombre de cas de kabin ban figurant
dans le droit coutumier. Selon le degré de gravité on doit alors réparation vis-à-vis de tout le village
dont on a compromis la santé et le bien être ; on a surtout défié le phi ban qui nous donnait
protection. Les réparations sont alors adressées aux esprits du ban.
Le plan du village, les orientations des maisons et leur mode de construction, résultent des
règles assez précises. Le plan-masse des villages les plus anciens est caractérisé par une certaine
cohérence de l’orientation de leur façade principale, orientée parallèlement au fleuve ou à la rivière.
La façade principale étant parallèle au faîtage de la maison principale, la ligne de faîtage est alors
parallèle au cours d’eau. Et lorsqu’il y a ni fleuve, ni rivière, les maisons prennent pour référence, la
rue principale et plus couramment le parcours du soleil et l’édifice central de la pagode, le sim. Il en
est ainsi pour les maisons les plus anciennes qui subsistent encore dans les villes laotiennes.
A titre illustratif nous proposons de comparer le plan masse d’un village lao (ici à Ban
Donoune, Vientiane) à un village tariang de Muang Dak Cheung dans la province de Sékong
(population de parler môn-khmer). Cette comparaison, culturellement et techniquement, le plus
éloigné, montre comment la structure organisationnelle et symbolique de deux villages de cultures
distinctes pouvait être différente. Ceci dépend donc des données culturelles et ethniques de leurs
habitants. Le village lao se réfère : 1- aux orients, 2- au fleuve, 3- à la rue principale ou, 4- au
bâtiment principal du monastère, et 5- une maison doit s’articuler aussi avec une autre et ainsi de
suite ; par exemple, une maison ne peut tourner sa façade principale (là où se trouve son sya) du
côté de la terrasse à eau (san) d’une autre maison voisine (nouvelle ou existante) ; la coutume veut
qu’elle lui tourne plutôt son san ; de même, elle ne peut orienter son san à eau vers la façade
principale de la maison voisine.
Quant au village tariang, d’après le plan-masse de Ban Dak Seng, il s’organise autour d’une
place. La façade des maisons n’étant pas parallèle mais perpendiculaire au faîtage, le principe est
donc que la façade des maisons donne sur la place (parallèle à la place), les faîtages sont donc
perpendiculaires à la place du village.
Fig. 84. Plan-masse
de Ban Dak
Mouan, en
2003.
D’après les
sources de
Vanitha
PosavatdyDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 348 -
Le second plan, celui de Ban Dak Mouane, montre quant à lui un autre principe : lorsqu’on
est en présence de chemin, les maisons orientent leur faîte parallèlement au chemin et les façades ne
se donnent pas sur le chemin, mais lui sont perpendiculaires. Le principe qui se dégage de
l’implantation des maisons tariang est un déterminisme assez simple : l’orientation des faîtages
suffit pour montrer si devant la maison il y a une place ou un chemin. En fait lorsqu’on montre un
plan-masse (avec représentation de faitage de toiture des maisons) sur un site assez abstrait, on peut
savoir que perpendiculairement à la ligne de faîtage, il peut y avoir la place du village, et
parallèlement à cette ligne il peut y avoir un chemin. Alors que les villages lao possèdent des
éléments déterminants plus complexes : les orients, les cours d’eau, les chemins, le monastère, le
voisinage et l’organisation intérieure des habitations.
Il y a là une remarque importante à faire concernant le respect des règles d’orientation vis-à-
vis de la place où se déroulent les cérémonies et les rituels communautaires les plus importants du
village tariang. Nous remarquons dans le plan-masse de Ban Dak Seng que plus de la moitié des
maisons sont nouvellement construites, leur couverture ont subi des modifications : la partie
arrondie de la couverture en paillote qui indique la façade a disparu ; à la différence des maisons
plus anciennes qui préservent encore cet arrondi qui permet de repérer les façades des maisons en
regardant seulement le plan-masse. Et précisément ce sont ces dernières qui gardent la position
perpendiculaire de leur faîtage par rapport à la place (maison 3, 24, 22, 20, 09, 05.), alors que celles
qui ont perdu l’arrondi de leur façade tendent à avoir le faîtage orienté parallèlement à la place tout
en conservant leur façade parallèle et frontale par rapport à la place. Ce qui veut dire que, ce qui
prime dans les deux éléments déterminants (relation place / faîtage, place / façade) c'est le binôme
place et façade. Les règles pour l'orientation du faîtage seraient ici abrogées avec les nouvelles
maisons construites.
II. II. e. 3. La notion de jardin et de paysage
Le jardin a d’abord une fonction utilitaire et domestique
Le jardin et le paysage sont deux notions qui se distinguent. Le jardin, [souan, l;o] est une
création, une production de l’homme. Il a surtout une fonction agricole et servante. Dans la
conception du jardin en tant que démarche agricole et dont servante à la vie quotidienne, nous
n’avons retrouvé aucune documentation ou pratique qui indiquerait que le jardin acquiert aussi une
fonction d’agrément. Du petit carré de jardin suspendu à la cuisine où on plante les herbes
odorantes, aux grandes plantations royales, en passant par les plantes que l’on cultive pour la
tradition de chique de bételles, le potager et le verger à côté de la maison, les jardins de rizière à la
saison sèche ou sur la berge des fleuves, le jardin est un élément créé pour servir la vie domestique,
participer à la consommation et à la confection des mets quotidiens. C’est cela avant tout le sens du
jardin et du jardinage. Autrement dit, chez les particuliers et le simple peuple, il ne s’agirait
seulement que des jardins d’utilité : plantation d’arbres et de plantes qui donnent les fruits, les
feuilles, les écorces et les racines que l’on consomme : des fleurs pour l’autel de Bouddha et l’autel
des esprits, des feuilles pour envelopper et confectionner des objets, les plantes odorantes et
médicinales pour la pharmacopée, etc. Ce qui voudrait dire que chez le simple peuple, l’idée de
jardin d’agrément n’existe pas.
Parmi les services que la nature a rendu aux besoins domestiques, on voit que la maison doit
être construite dans un encadrement naturel riche, l’habitant apporte en plus son sens de la pratique
et de la domesticité à son habitation en la rendant encore plus luxuriante. Ceci, même si de
nombreuses règles et codes se sont imposés à lui, car il faut non seulement satisfaire la vie
domestique quotidienne, mais aussi contenter les esprits de la terre, des arbres, du foyer, du village,
etc. Dans les années 1970, on peut encore voir de nombreux exemples d’habitation qui illustrent la
fonction domestique des jardins telle que nous venons d’évoquer. Aujourd’hui, ces exemples se
raréfient, ils disparaissent même. Les relevés de l’habitation lao effectués par Pierre et Sophie Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 349 -
Clément demeurent quasiment les seuls exemples auxquels on peut encore se référer pour
comprendre la tradition de la domesticité de la nature dans l’habitat.
Le jardin d’agrément n’aurait existé qu’au palais royal et dans les monastères
Cependant, nous devons concevoir que le jardin comme lieu d’agrément n’est pas absent de
la culture lao. Le jardin royal créé de toute pièce autour de la résidence royale et le jardin des
monastères semblent être les seuls à être traités comme des lieux d’agrément et non-utilitaires. Mais
nous n’avons, pour le moment, aucune information ou documentation qui ferait allusion à leur
conception. Dans les notes de Père de Laria qui aurait visité Vientiane au XVIe siècle, il évoquait
des beaux espaces qui agrémentaient la résidence royale. Il n’est alors pas à douter que ces lieux ont
pu faire l’objet de traitement et de conception particulière. Il y aurait alors dans la culture lao la
conception de jardin d’agrément en dehors de son utilité et de ses services domestiques. Mais il
n’aurait existé probablement que dans les palais royaux et les monastères.
Par manque d’information et de continuité spatiale (aucun jardin qu’il soit royal ou
monastique n’a pu traverser l’histoire, ou être antérieur à la période coloniale) nous sommes un peu
devant un mur pour parler de l’origine et de la conception des jardins en tant que lieu d’agrément
concernant le jardin royal. Cependant, le jardin des monastères semble nous donner une piste à
explorer. L’état actuel des jardins des pagodes, ayant une fonction d’agrément, montre qu’ils ne
sont pas très différents des autres jardins d’agrément contemporains, que ce soit dans les lieux
privés ou publics. Largement influencé par la vulgarisation des espaces verts de la ville moderne
mise en place depuis la période coloniale, l’état de lieu actuel, montre pourtant que les jardins
monastiques développent une certaine thématique dans son aménagement, différente de la notion
des espaces verts traités dans l’urbanisme moderne. En étant attentif, il serait très probable que ces
thèmes de jardin puissent nous relier un jour à une origine plus ancienne. Les thèmes traités sont
totalement religieux et moraux. Les personnages du Jataka sont majoritairement représentés ainsi
que les animaux, en rapport avec les signes astrologiques lunaires, les mythes, etc. Les images, les
sculptures de représentation se mêlent dans la végétation, des parcours et des pas sont aménagés
entres ces représentations. Concernant le végétal lui-même, souvent l’ensemble est aménagé dans
un tel désordre folklorique qu’il est difficile de rechercher un ordonnancement éventuel. Les plantes
et les arbres plantés et cultivés n’ont pas forcément tous des liens avec les thèmes, mais choisi aussi
pour leur qualité propre. Il s’agit souvent des plantes symboliques et religieuses, telles que ficus
religiosa, ou des plantes considérées comme apportant des bons augures telles que kok khoune
(cassia fistula), kok champa (Michelia champaca, Plumeria alba). Si les plantes religieuses et
symboliques sont liées à la grande religion, les plantes des bons augures sont liées à des traditions et
des croyances populaires. A cela, on peut dresser toute une liste de plantes qui portent bonheur, qui
amènent de la chance et le renommé à ceux qui les plantent ; une liste que les gens considèrent avec
sérieuse aujourd’hui pour choisir les arbres à planter chez eux.
La représentation de la nature et de la végétation dans les fresques et les décors
architecturaux
S’il est difficile de retrouver un quelconque ordre de conception et de composition du jardin
et du végétal dans le désordre des jardins monastiques, à travers les thématiques et les décors
architecturaux, on peut néanmoins trouver le sens et le rôle que jouent les végétaux et leur
représentation, donnant à l’espace une certaine intemporalité. Sans rentrer dans les détails, on peut
retenir quelques principes de ces représentations picturales anciennes qui font apparaître deux
« écoles », provenant probablement de deux traditions ou de deux cultures différentes. La première
semble être primitive par rapport à la deuxième, et une certaine naïveté la caractérise. Les sujets
représentés sont créés sur un aplat (incrustation de céramique, gravure, dessin) sans contour
nerveux, sans notion de perspective et de dynamique picturale mouvementée. Mais la profondeur
existe pour exprimer les échelles (grande, petite), la distance (proche, lointaine), le temps (avant,
maintenant, après). Les personnages (plantes, animaux, humains) sont représentés avec clarté et
ingénue. L’histoire (événements et temps) se déroule dans une spontanéité picturale, dépourvue
Fig. 85
Illustrations
murales de la
bibliothèque
de Vat Xieng
Thong à
Luang
Prabang.
Une épisode
du Syaosavat
le Maha
BanditDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 350 -
d’artifice et de maniérisme ; la beauté qui s’en dégage est exceptionnelle et unique. Nous pouvons
nous conférer aux fresques en céramique de la bibliothèque de Vat Xieng Thong, narrant l’histoire
des Séna Makhika (un épisode du Syaosavat le Maha Bandit). La forme de représentation de la
nature ici, fait preuve de synthétisme, lui donnant une vision spontanée : dès les premiers regards,
on a la perception du caractère des sujets représentés.
La deuxième tradition se retrouve dans les arts appliqués : gravures et bas-reliefs des portes
des frontons des sanctuaires. La représentation de la végétation est exprimée de manière
ordonnancée, imposée par des règles assez précises. Les plantes deviennent des motifs qui
s’entrelacent et qui n’existent que par leurs mouvements, comme si toutes étaient des plantes
grimpantes. Les sujets humains sont reliés au mouvement vital des plantes et de la nature. Les
éléments végétaux, floraux, animaliers se reproduisent et se multiplient ainsi à profusion, poussant
et s’élançant ou s’enfouissant et se cachant. Ceci conduit par des dynamismes et des tentions
intérieures, exprimant la vivacité et la force de la vie. C’est ainsi qu’est caractérisé le vocabulaire
graphique des laï lao, rigoureusement réglementés. A partir des plantes, on distingue des familles de
vocabulaires : des dérivées des grimpants (khreua), des pousses (nô), des tiges (sô), des sommets
des pousses (gnot), etc. La liaison ou la reproduction des motifs entre eux se fait de manière
hiérarchique et par des règles strictes. Par exemple, ce n’est pas possible d’enchaîner les motifs
issus des pousses aux motifs issus des grimpants ; la compréhension de la nature des plantes permet
au graphiste d’enchaîner de manière juste les motifs et permet également d’inventer les nouveaux
vocabulaires sans commettre de fausses notes. Cet art qui prend racine dans la force et le
symbolisme de la nature et représenté de manière « baroque » est indéniablement influencé par l’art
khmer et indien, bien que le graphisme des laï lao a su se nourrir de ses sources endogènes pour
former ses propres vocabulaires graphiques et thématiques.
Quant aux thèmes animaliers, ils sont majoritairement mythiques. En plus d’être l’une des
sources des motifs, comme pour les éléments floraux, les animaux peuplent aussi le langage
architectonique et structurel du bâti plus que leurs décors. Ainsi le faîtage est la colonne vertébrale
du naga (nak sadoung), la panne faîtière est le ok kaï (la poitrine ou le cœur du coc), etc.
Les deux traditions sont nettement perceptibles dans l’art lao. Bien qu’elles soient
pratiquées de manière simultanée, il est fort probable que la première soit plus primitive par rapport
à la deuxième, comme le montre sa forme de représentation. Dans sa forme évolutive et élaborée
elle utilise un langage qui se rapproche indéniablement de celui des œuvres primitives que l’on
retrouve dans la représentation des hommes-grenouilles sur les falaises peintes (à Pak Ou
notamment), et de celui des motifs du tissage, eux aussi peuplés d’animaux et de végétaux ; eux
aussi synthétisées par des couleurs et des formes, voire, par un certain arithmétique. Les sujets
deviennent alors des motifs puis des symboles, définissant un langage idéographique. Ceci aurait été
une persistance formelle et inconsciente de la mémoire primitive oubliée. La première vision de la
nature par l’homme et la première capacité qu’il a à la représenter se retrouve ainsi mémorisée dans
cette première tradition artistique.
Le paysage, la recomposition de la nature par le mental
Du point de vue lexical, le mot pour désigner le paysage est thiéo thasanyaphab
[mu;mafltoyptrkp]. Il est composé de deux étymologies, le préfixe est en lao et le suffixe en palisanskrit.
Thiéo, théo [mu; c(;] désigne “ ligne, succession de lignes de vue horizontale ”. Le suffixe
peut provenir de deux étymologies. 1- La première est composée de deux mots : dassanìya-bhava.
Dassaniya (Pl) darsaniya (Sk) [maloypt] qui veut dire “ agréable à voir ” et bhava (Pl. Sk) [rk;t],
“ état, conception, existence ou condition, nature ”. L’ensemble de l’expression définit ainsi le
paysage comme « un ensemble de lignes visuelles horizontales, conçues par la nature pour être
agréables à la vue ». 2- La deuxième est composée de trois mots : dassana-niya-bhava. Dassana Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 351 -
(Pl) ou darsana (Sk) [malot], “ regarder, observer, vue, point de vue ” ; niya (Pl) [oypt], “ visionner,
imaginer, développer par la vue ”.
619 Ce qui donnerait à la définition du paysage comme « un
ensemble de lignes visuelles horizontales et successives, regardées et développées par une vision, à
partir d’un point de vue ». On peut retenir deux idées majeures. D’abords, le paysage est une
horizontalité. Il est composé de lignes horizontales qui se succèdent du proche au lointain, par
rapport à celui qui le regarde. Ensuite, le paysage est une seconde recomposition visuelle après que
la nature ait disposé ses données. Il dépend donc de celui qui le regarde, de la capacité de celui-ci de
recomposer et de développer visuellement les données. Le paysage serait donc une donnée relative,
un fait qui dépendrait de la culture visuelle de celui qui le regarde et qui le perçoit. En cela, le
paysage serait une création du mental. Dans le sens où la nature existe en tant que nature et dispose
des données qui vont composer le paysage, mais elle ne crée pas le paysage en tant que tel ; c’est la
perception de l’homme qui le crée. En regardant les données se trouvant devant lui, l’homme
percevrait ce qu’il a créé dans son mental visuel : il voit à travers une sorte de calque visuel et les
données qui se trouvent devant lui deviennent alors paysage. Si l’homme doit intervenir pour qu’il y
ait phénomène de paysage, il n’intervient pas physiquement, la nature et ses données sont une
altérité que l’on ne retouche pas, mais que l’on recompose mentalement puis visuellement. De quoi
serait constituée la culture visuelle qui compose le paysage chez les Lao. Nous pensons que les Lao
s’imprègnent beaucoup de ce qui les entoure, et au cours de ces imprégnations, les émotions, les
impressions et les perceptions naissent ; et ce serait cela qu’il retransposent et projettent dans le
paysage.
II. III. La modélisation par adaptation et par acculturation ou par rejet
et par rupture des espaces hérités, faces aux changements, de
l’indépendance à 1975
L’espace est un composant en devenir, mais aussi un composant hérité. Les interventions
des temps les plus anciennes jusqu’aux temps les plus proches de nous ont montré que la
modélisation de l’espace ne pouvait se faire sans eux. Ainsi nous avons pu le voir que les temps
anciens avant Sethathirat avaient forgé la formation des premiers modèles spatiaux, à partir des
dimensions anthropologique, mythique et géographique, de l’univers des croyances et des rituels.
La modélisation spatiale se poursuit avec les différentes périodes à partir du règne de
Sethathirat. Celles-ci avaient été caractérisées par la partie prise idéologique pour la restructuration
et le renouvellement des espaces hérités, à partir des données spatiales nouvelles de l’âge du
commerce et de la découverte territoriale que Sethathirat a su faire apparaître dans l’espace de
manière éclatante. La période de l’éclatement du Lane Xang en trois royaumes, les périodes
siamoise et coloniale qui mènent jusqu’à l’indépendance, ont également été les éléments forts de
modélisation de l’espace, que ceux-ci restent exogènes ou intériorisés et endogénisés.
Les espaces façonnés par les modèles historiques exogènes et endogènes que nous avons
évoqués ont caractérisé l’espace lao dans son ensemble. Mais ces espaces auraient été confrontés
essentiellement à trois composants de la modernité qui ont fait l’espace du XXe siècle. Il s’agit : 1-
de la partition territoriale et de la disparité politique du Laos durant la guerre froide entrainée par les
conflits idéologiques et politiques ; 2- des bouleversements socioéconomiques qui accompagnaient
la partition politique et le grand tournant urbanistique ; 3- du grand tournant spatial des années
1960.
619 Bounthanh Sinavong, Lexique étymologique lao Pali-sanskrit, op, cit ; Sissaveuy Souvannani, Dictionnaire Pali-Lao,
projet de développement lexical Pali-Lao, Vientiane, 2004.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 352 -
II. III. a. L’acculturation des modèles spatiaux
Les facteurs qui ont forgé la modélisation de l’espace lao ne seraient pas uniquement issus
des éléments endogènes à la question spatiale. Les données communes et extérieures à ce
problématique ont également été intériorisées et appropriées par le processus de modélisation
spatiale pour en faire ses principes. Cinq éléments semblent avoir connu une acculturation et avoir
été appropriés par le processus de modélisation et seraient devenus des facteurs influents dans la
formation du modèle spatial :
1- Les schémas symboliques et les modes d’usage de l’espace ont nourri les modèles spatiaux dans
leur période d’origine et ont marqué de manière récurrente l’espace lao dans son évolution, dans sa
morphologie et dans son mode d’organisation.
Nous avons déjà évoqué, les différents actes et rituels de fondation des temps anciens ainsi que les
croyances et les schémas symboliques qui en étaient issus et qui avaient joué un rôle majeur dans la
modélisation de l’espace, afin de comprendre les principes endogénisés qui participent à la
construction spatiale. Certains rituels sont encore d’actualité et rappellent leurs liens passés avec
l’espace habité. Rappelons essentiellemnet que les schémas symboliques qui configurent les
modèles spatiaux proviennent des juxtapositions du culte des phi et des devata et du culte
bouddhique. Les schémas symboliques de l’espace qui sont souvent décrits par les pratiques des
cultes et des croyances et aussi par l’usage des objets cultuels du passé, ont persisté et ont marqué
tant les lieux de vie privés que les lieux publics de la ville. Ils ont donné lieu aux modèles spatiaux
types. Nous l’avons vu notamment avec la pratique religieuse du site où a été implanté plus tard le
That Luang. Celle-ci avait induit des parcours particuliers entre la ville et le site et avait dessiné un
schéma symbolique pour tout le site, devenant un marqueur persistant dans la ville. Dans leur
ensemble, les schémas symboliques ont été formés par deux traditions historiques qui ont marqué
l’espace culturel du Laos. Il s’agit d’abord du culte des phi et des devata et il s’agit ensuite de la
tradition bouddhique. Le culte des phi aurait été composé de fonds animistes tai de tradition
septentrionale, associés aux cultes des autochtones proto-indochinois, comme le note Georges
Condominas.620 On peut non seulement distinguer deux origines cultuelles, mais aussi distinguer la
période qui avait suivi l’installation du culte bouddhique, où un phénomène de syncrétisme cultuel
entre les deux a été remarqué. Nous n’avons pas évoqué avec détail l’hindouisme, car il semble
qu’en dépit de ses traces archéologiques nombreuses, il n’a pas constitué aujourd’hui un modèle
spatial manifeste dans le territoire du Laos.
2- La conception du pouvoir par le passé a joué un rôle important dans la formation sociétale, puis
dans la création des modèles spatiaux. Quatre périodes du pouvoir ainsi que quelques traits de
l’organisation politique ont été déterminants. Ils auraient laissé leurs empreintes dans les données
spatiaux, et démontré que les modèles spatiaux historiques étaient profondément corollaires aux
modèles politiques. Et on retrouve cette coréllation avec une certaine constance dans les espaces qui
se constituent postérieurement.
Les deux idées ayant déjà été exposées (dans le sous chapitre précédent traitant des « modèles
endogènes »). Dans ce sous chapitre nous allons souligner trois idées : 1- la question
démographique était un problème récurrent et historique des villes lao, dont il semble que la
faiblesse avait contribué à produire une forme spatiale particulière. 2- l’évocation du mythe de la
ville invisible aurait apporté des données complémentaires à la conception et à la définition de la
ville. 3- le phénomène de déplacement forcé ou volontaire de la population, constamment pratiqué
620 « On a affaire dans ce culte aux vieux fonds animistes thaï enrichis de celui des premiers occupants proto-indochinois
assimilé par leurs conquérants. Non seulement ces phi sont communs aux populations de langue thaï (et correspondent
aux yang des proto-Indochinois orientaux), mais on retrouve leurs équivalents chez les Vietnamiens, les Cambodgiens, les
Birmans… » Cf. Georges Condominas Claude Gaudillot, La plaine de Vientiane, rapport de mission octobre 1959, réédité
par Seven Orient- Geuthner, en 2000.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 353 -
par les politiques au cours de l’histoire de la région du Moyen Mékong, aurait constitué un élément
majeur : il aurait forgé une certaine forme spatiale, un certain mode de gestion et de répartition des
hommes sur leur lieu de vie.
II. III. a. 1. La démographie, une question récurrente et historique des villes laotiennes,
mais leur faiblesse traditionnelle traduit-elle un modèle spatial ?
La faiblesse démographique, un fait indéniable
La faiblesse de la démographie du Laos était un fait indéniable et marque ce territoire tant
au cours de son histoire que durant sa période contemporaine. Ce constat est appliqué surtout à la
population lao et à la période lao de ce territoire. Et bien qu’il puisse s’appliquer très probablement
aussi à l’ensemble des populations qui l’ont occupé, les causes et les facteurs ne seraient pas les
mêmes. Si la faiblesse démographique était, dans une certaine mesure, commune aux petites
organisations anciennes de l’humanité avec quelques exceptions près, celle des Lao semble
particulièrement pointue et faire partie du principe organisationnel de sa société et de son espace.
Ceci, même si l’une des explications données à sa faiblesse démographique faisait partie des
explications données à la faiblesse de la démographie des sociétés humaines dans l’histoire :
effectivement, mise à part la guerre siamo lao qui a dépeuplé le Laos, on explique que le
paludisme –fait endémique– était aussi un grand facteur de ce sous-peuplement, comme le notent
les démographes 621
Le recensement des époques anciennnes est une catégorisation, il est aussi marqué par la
faiblesse et la rareté de la population
Le nombre de la population et sa répartition dans le territoire dans la période la plus
ancienne mettaient en évidence la rareté de la population qui constituait le Lane Xang. Ce fait était
aussi marquée par la catégorisation de la population au sein de la même composition spatiale. Ce
qui faisait du “ recensement ” ancien une sorte de catégorisation et donne un aperçu sur la
perception politique et de la gestion des hommes du Lane Xang.
Avant la période coloniale les chiffres étaient effectivement aléatoirs et concernaient des
catégories de population et non toute la population. Par exemple lorsqu’on évoque le
“ recensement ” de Sam-Saèn-Tai vers la fin du XIVe siècle, on sait maintenant que les trois cent
mille Tai correspondaient à une catégorie et non à la population du Lane Xang (voir plus bas). Plus
tard lorsqu’il y avait d’autres sources et d’autres chiffres, chaque source avançait des chiffres
différents. Cependant, les différentes époques et sources semblaient s’accorder sur l’aspect global
désignant le nombre de la population lao ainsi que son taux de croissance parmi les plus faibles de
l’Asie du Sud-est. Par ailleurs, la population des cités et plus tard celle des centres urbains est
également la plus faible, la plus difficile à constituer et la plus controversée aussi. Cette controverse
est liée à l’aspect rural des villes et du mode de vie de ses habitants qui, de manière globale,
brouillent la perception et les grilles de lecture dichotomique entre le rural et l’urbain et qui obligent
à revoir les critères d’évaluation. Les carences démographiques ont donc toujours été un enjeu
central dans l’histoire du Laos et exercent une grande influence sur la conception politique,
idéologique et spatiale de son territoire.
D’après le Nithan Khun Bourom, l’évaluation de la population du pays lao aurait été
réalisée pour la première fois par F’a-Ngoum vers le milieu du XIVe siècle. Les sources chinoises
621 « Les anophèles d’Asie, contrairement à ceux de l’Amérique et de l’Afrique tropicale, préfèrent les eaux courantes des
montagnes. Ainsi le paludisme transmis par les moustiques, plus actifs dans les montagnes que dans les plaines, explique
l’originalité du peuplement de l’Asie tropicale : sous-peuplement des régions hautes alors que les régions basses sont plus
peuplées et les deltas souvent surpeuplés. » In : Manuel de géographie, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 354 -
mentionnaient également que sous l’administration yuan622 les cartes des chefferies et des Etats
conquis devraient être accompagnées de chiffres sur les populations et les ethnies administrées. La
région occupée par le Lane Xang étant un territoire conquis des Yuan, ces chiffres s’ils existaient
dateraient du dernier quart du XIIIe siècle et porteraient sur un pays lao non encore formé, mais très
probablement administré sous forme de plusieurs chefferies éparses dont le site le plus important
serait Luang Prabang.
Mais revenons aux œuvres de F’a-Ngoum. En édifiant le Lane Xang celui-ci avait défini en
même temps l’identité des communautés ethniques qui le composaient tout en mettant en évidence
la communauté lao dominante623 à laquelle lui-même appartenait. Mais les chiffres n’ont pas été
mentionnés. Pourtant, l’histoire officielle prête à F’a-Ngoum le légendaire discours lors de la
proclamation du Lane Xang. Ce discours, s’il existe, mettait en évidence sa prise de conscience de
la faiblesse du nombre de la population. Faiblesse qu’il aurait prise en compte dans la conception du
pouvoir, dans la manière de diriger les hommes et de développer le pays, en soulignant l’importance
du nombre des hommes et de leurs forces de travail dans l’édification de son État 624
Plus tard, les sources chiffrées sur le nombre de la population lao seraient l’œuvre de Sam-SaènT’aï,
son fils, lorsque celui-ci accéda au trône vers 1380. Là encore, les 300 000 seuk qu’il recense
ne désigne qu’une catégorie de population.
625 Seuk [glyd] signifiant guerre, en l’employant le texte ne
désigne très probablement que les hommes aptes pour la levée d’arme. Le recensement de 300 000
Tai donna alors au monarque qui l’a réalisé le nom de Sam-Saèn-Tai. Le terme Tai [w8F wm] qui
signifie “ l’ethnie tai ” mais aussi “ citoyen libre ” associé avec le terme seuk, aurait alors désigné
les hommes libres, portants et corvéables, pouvant être levés à tout moment pour les guerres. Les
femmes et les enfants, les vieillards et les handicapés, les moines et les étrangers, les individus
appartenant aux minorités ethniques et les esclaves n’auraient pas été comptés parmi les 300 000
seuk. En ce cas, il serait permis d’imaginer que la population du Lane Xang était bien supérieure à
300 000 personnes, probablement deux ou trois fois plus.
Le manque de densité de la population
Le territoire lao, en particulier, les villes sont historiquement toujours confrontées à la
question de densité et de démographie. La notion de ville même a été remise en question par cette
forme particulière de carence démographique. Si nous nous référons uniquement à la densité de la
population, nous pouvons nous demander si la ville n’a-t-elle jamais existé, et nous pouvons dire de
manière générale et sans doute, un peu rapidement que le Laos ancien ne compte que deux villes :
Luang Prabang et Vientiane.
626 La vision non-urbaine que nous avons concernant les établissements
lao est induite davantage par l’absence de densité de leur population que par la faiblesse du nombre
de cette dernière, et aussi, davantage par le caractère des composants bâtis qui utilisent des
matériaux périssables (végétales : bois et bambou) pour leurs constructions, que par le mode de
gestion de leur espace social et politique. Car seules leurs fonctions politiques et militaires,
religieuses et intellectuelles, culturelles et économiques assureraient leur statut de ville. Nous
622 La dynastie yuan mongole règne sur la Chine entre 1264 et 1368. Mais nous ne connaissons pas la date exacte du début
de leur conquête sur l’ensemble du Moyen Mékong, sur les chefferies tai et les Etats plus importants môns et khmers.
Mais il semblerait que leur influence s’affaiblit dans cette région après l’investiture en Chine des Ming en 1368. 623 Le terme “ dominant ” doit être compris ici non pas en termes démographiques, mais en termes de domination politique
et culturelle. Car à l’époque il était très peu probable que le nombre des Lao soit supérieur au nombre de toutes les
minorités ethniques confondues et réunies dans le territoire.
624 « […] Gardez et protégez vos ban et vos muang de telle sorte qu’il n’y ait point de voleur ni de brigands et ne vous
entretuez point. Quelles que soient les fautes commises par les uns et les autres, que ce soient vos femmes, vos esclaves,
vos administrateurs et vos clients. Il faut que les autres puissent examiner les fautes avec raison et justice. N’exécutez
point la peine de mort si les fautes commises ne le méritent point. Emprisonnez les coupables, ensuite relâchez-les pour
qu’ils puissent vivre et trouver travail. La richesse de cette terre n’existe qu’avec les hommes, point d’homme, point de
richesses ni de biens. Je ne veux point que l’on tue pour ces raisons […] », in., Phongsavadan Lao, op, cit. 625 « Le seigneur ordonna le recensement des personnes vivant dans le territoire du Lane Xang. Les étrangers qui
viennent chercher refuge, les serfs et les serviteurs, les moines et les kha ne seront pas comptés. Il en résulte qu’il y a 300
000 seuk.» In : Annales du Laos, Luang Prabang, Vientiane, Traninh et Bassac, op, cit. 626 P-B. Lafont, Péninsule indochinoise, études urbaines.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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verrons que ces critères –matériels, démographiques et organisationnels– d’identification doivent
être constamment revus pour comprendre ce qu’est la ville dans cette culture particulière, sinon
nous risquerions de ne trouver nulle part au Laos une ville digne de ce nom.
Les hommes, une légitimation du pouvoir et du territoire
Les carences démographiques et le sous-peuplement du territoire lao ont toujours été les
facteurs tangibles pour l’existence du pays. La manière de conduire les hommes, d’édifier et de
développer le pays était historiquement marquée par la question démographique. Au cœur même de
la conception de l’unité politique et de la formation de l’Etat, l’homogénéité de la population
devenait un enjeu important, un composant “ rare ” et nécessaire dans la légitimation du territoire et
du pouvoir qui le composait. La population était non seulement la légitimation du pouvoir, mais
était surtout la légitimation matérielle d’un territoire, dans le sens où ce territoire devrait être habité
et l’espace façonné par elle et empreint de sa culture. La question démographique donnait donc à la
politique lao un trait de caractère particulier et renvoyait à la manière dont les pays limitrophes
conduisaient la leur à l’égard du Laos. Elle participait à la modélisation et à la construction des
références et des échelles spatiales. La conception lao de l’occupation de l’espace et la notion même
de territoire en dépendaient. Ainsi, le monarque -Chao phaèn dinh [g9Qkczjofyo], “ propriétaire des
terres ” était-il avant tout Chao sivit [g9Qk-u;yf], “ propriétaire des vies ” : son royaume véritable
n’était pas l’étendu des terres conquis et leurs richesses, mais le nombre des hommes sur lesquels il
règnait. Ce caractère aurait rapproché la structure sociale et politique des Lao de la structure des
peuples tribaux et nomades, dirigés par des chefs. Par ce caractère, même si ces derniers ne sont pas
un peuple nomade, nous pouvons penser qu’ils ont été marqués par les longues et successives
périodes de migration vers le Sud qu’ils ont connu, du moins au courant du premier millénaire.
Même lorsqu’ils se sont sédentarisés et ont fondé des cités, les enjeux humains seraient restés plus
forts que ceux du territoire. Nous avons déjà vu que cette notion est l’un des fondements de la
conception de l’espace politique lao au sein duquel serait défini l’État. Et c’est probablement en
restant des “ souverains des âmes ” que le pouvoir traditionnel lao n’a pu survivre aux changements
intervenus à partir de la fin du XVIIIe siècle dans le Sud-est asiatique continental : du pouvoir
souverain des âmes, on était passé au pouvoir souverain territorial.627 Un changement qui aurait été
bien compris par les souverains siamois, lorsque ces derniers cherchaient à annexer les royaumes
voisins : Lan Na, Lane Xang, Cambodge et Malaisie.
II. III. a. 2. Le mythe de la ville invisible et l’imaginaire
Le mythe de muang lap lé
Muang lap lé désigne la cité invisible, la ville cachée, plus exactement « la cité qui se
soustrait à la vue et à la connaissance du commun ». Mais elle serait vivante et ici maintenant.
« Seuls les gens bons, observant le dharma pouvaient la percevoir. Lorsqu’on y pénètre, rien, a
priori, ne distingue cette cité des autres. Les habitants vivraient sans cupidité, on serait envahi par
un sentiment de sécurité, de bonheur magique et de plénitude. Il faudrait rien prendre, rien
rapporter vers l’extérieur, et rien laisser si non, on perd son chemin de retour ». Tel était le mythe
de muang lap lé.
La conception de muang lap lé serait à la fois une théorie et un mythe. Elle n’aurait pas
existé qu’au Laos, puisqu’on peut rapprocher cette notion à une théorie politique liée à l’histoire de
la colonisation. Muang lap lé serait corollaire à l’instinct de préservation des peuples et de leur cité
contre l’invasion étrangère. La cité invisible est un lieu protégé et préservé contre les dangers et les
agressions extérieures. Pour cette raison, elle serait également liée à la protection du patrimoine et
de ses richesses, garant de la souveraineté et de l’identité des peuples menacés. Muang lap lé serait
aussi la représentation d’un mythe. La ville selon le Syaosavath, évoqué précédemment, serait l’une
627 P-B Lafont parle des souverains siamois à partir du XVIIIe siècle comme des « souverains territoriaux », ibid.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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des représentations de ce mythe. Dans la culture animiste-bouddhiste des Lao, les cités devraient
être sans cupidité, n’y vivraient que des gens bons observant le dharma. Une sorte de paradis
terrestre vivant et sans culpabilité, et non pas un paradis perdu du monde judéo-chrétien. Muang lap
lé incarne donc la cité idéale et la société idéale qui existent ici et maintenant, libre, dépourvue de
violences et de dominations. En ce sens muang lap lé incarnerait le mythe des origines et de la
finalité des cités. Il traduirait aussi dans le système de gouvernance, un projet de société, soutenu
par les principes moraux animistes et bouddhistes. C’est en cela et par bien des aspects que muang
lap lé peut incarner une théorie sociale et urbaine.
L’imaginaire du muang des populations déplacées, privées ou exclues de leur muang
Qu’est-ce que la ville, lorsqu’il n’y a plus de ville ou lorsqu’on n’accède plus à la ville ;
lorsque le sentiment d’avoir perdu la ville et d’être privé d’elle ramène les images de la ville
chargées de souvenirs, réels et réinventés ? Ces éléments ont-ils des influences sur la vision, le vécu
et l’invention de la ville d’aujourd’hui ? Ces questions jettent un éclairage sur les coins sombres
d’une réalité historique qu’une grande partie de la population lao a expérimentée durant les deux
derniers siècles. Dans une certaine mesure cette expérience s’inscrit quelque part dans le
subconscience culturel de la ville : pratique habitante, vision des monuments, rapport à la
gouvernance urbaine et l’imaginaire du politique portant sur la ville, etc.
Mise à part une culture particulière et ancienne du muang dans le monde lao tai dont nous
avons évoqué le contenu, l’histoire des deux derniers siècles a exercé une influence non-négligeable
sur la perception de la ville chez les Lao. Rappelons brièvement les événements historiques sans les
détailler (car ils sont traités de manière plus approfondie dans d’autres réflexions de notre
recherche). Effectivement suite aux événements successifs : déplacement d’une partie de la
population du Laos vers la Birmanie en traversant le Siam à la fin du XVIIIe siècle, destruction de
Vientiane et déplacement de sa population et de celle de Muang Phouan au Siam au début du XIXe
siècle, reconstruction des villes dans tout le Laos durant la période coloniale, ruralisation de la ville
durant les premières années de la RDPL, l’exile et la constitution de la diaspora lao en Europe et en
Amérique. Des groupes de populations ont ainsi été extraits physiquement ou mentalement de leur
ville ou de leurs lieux de vie, d’autres ont été mis à l’écart de la ville ou exilés, forcés ou
volontaires. Ces faits ont forgé certaines visions et certaines manières de vivre la ville. A travers
leurs visions a postériori, cinq définitions majeures de la ville semblent se constituées :
l- La ville dans son état de destruction. « La ville détruite, elle n’existe plus ». C’est ce qu’avaient
vécu les habitants de Vientiane et de Muang Phouan au début du XIXe siècle, lorsque leur cité
réciproque a été razziée. L’image de la destruction fait alors partie du caractère historique de la
ville. Les évocations plus que les descriptions à postériori des villes par leurs habitants nous sont
parvenues à travers les annales de Vientiane et de Muang Phouan. Ces évocations ne parlent pas de
l’espace lui-même, mais de la beauté abstraite de la ville transposée au travers des vocabulaires
évocateurs de sentiments. La ville est en ce cas les ruines de la grandeur et des fastes du passé, le
témoin de la fierté bafouée. Idéalisée, elle ne retrouvera jamais sa réalité, et peu à peu, elle fera
partie des villes mythiques qui font miroiter ses qualités multiples et imaginaires. Dans la mentalité
du simple peuple, mais aussi dans celle des politiques, elle s’installe comme un avatar de la “ ville
lao authentique ”. Elle est figée dans une description fortement pittoresque : des maisons en bois sur
pilotis partout, des toits à pignons jumeaux très effilés, des pieux de fondation et des remparts
reconstitués, etc. C’est l’image que l’architecture officielle tente aujourd’hui en partie de retrouver.
En cela il suffit de regarder le langage architectural utilisé dans les équipements publics les plus
représentatifs à Vientiane (palais du gouvernement, palais de Justice, nouvelle préfecture, etc.)
2- La ville devenant celle des autres. Lorsque la ville et les villes ont été reconstruites durant la
période coloniale, dans un système de gouvernance politique et urbaine inaugural, de nouvelles
cultures de la ville sont apparues, avec les nouveaux acteurs, les nouvelles règles, les nouveaux
habitants, etc., les Lao de souche ayant déserté la ville pour la plupart, avaient le sentiment d’être
exclus, d’être à l’extérieur de la ville. Les villes qui renaissent étaient alors étrangères, hors de leursDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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portées, elles devenaient celles des autres : ils ne voulaient plus y accéder, ni participer à leur
construction. La ville coloniale était ainsi la ville des occupants. Les Lao s’étaient extraits donc de
cette histoire urbaine. Aujourd’hui, cette vision traduite une certaine ambiguïté : il y a à la fois le
refuse et le salut de la ville coloniale qui y laisse encore sa trace. D’un côté, les bâtiments coloniaux
font partie de la liste des inventaires du patrimoine national à protéger, notamment à Luang Prabang
et à Vientiane, où la présence de la politique culturelle et diplomatique de la France a joué un rôle
important. Et de l’autre, la démolition de ces bâtiments considérée comme un fait tout à fait
acceptable si besoin est ; à Vientiane comme dans les autres anciens centres urbains coloniaux et en
particulier dans les provinces reculées, notamment à Attapeu où aucune liste et recommandation
patrimoniale n’a été faite. Le refuse de protéger les bâtiments coloniaux et son architecture ainsi que
ses trames viaires –qui ne font pourtant qu’exprimer aujourd’hui la mixité urbaine– traduit, semblet-il,
ce refuse de la ville des autres.
3- La ville imaginée et idéalisée, lorsqu’on a le sentiment de l’avoir perdue, non seulement son
cadre, mais aussi son mode de vie passée, est le symbole d’une vie meilleure. Ceci semble
correspondre au sentiment de beaucoup de Lao de la diaspora vivant en Europe et en Amérique. La
ville, voire, le pays entier qu’ils ont quitté n’aurait pas évolué, mais figé dans leurs souvenirs. La
ville aurait alors été le cadre de la vie passée, confondue à la joie et au bonheur qui se sont arrêtés
avec l’événement de 1975. Cette ville est celle d’avant 1975, c’est la ville de la jeunesse et de la
liberté. On ne garde alors dans ses souvenirs que les belles images, occultant presque le malheur de
la guerre du Viêtnam qui constituait pourtant la toile de fond des villes de l’époque. La ville est
ainsi réinventée en même temps que l’embellissement des souvenirs. L’image de la ville se focalise
souvent sur quelques quartiers qui ont été le théâtre de la vie individuelle et intime de chacun.
Viennent parfois casser l’image, ou plutôt la vie passée et idéalisée, les souvenirs violents des
premières années du nouveau régime. Ceci, pour ceux qui ont quitté le pays entre 1975 et 1982. La
ville s’enlaidit alors en se confondant aux souvenirs de destruction, de perte, des camps de
rééducation, de la traversée du Mékong et de communisme, etc. Beaucoup de personnes refusent de
revenir au Laos, se confortant dans les souvenirs douloureux, mais de peur aussi que ces images qui
étaient les raisons et les éléments justificatifs de leur exil ne soient trahis par l’actualité d’un pays
qui s’ouvre et qui change.
4. - La ville interdite. Les événements de 1975 marquent la fin de la ville. Dans la mesure où les
réjouissances de la ville étaient devenues interdites : lieux de rassemblement, espaces publics ou
privés aléatoires (rues, lieux privés, certains lieux de cultes, réunions familiales) ou organisés (les
loisirs divers et leurs lieux, les fêtes païennes et religieuses). La ruralisation de la ville amenait une
autre pratique de l’espace urbain et une population rurale qui se voulait laborieuse. Pour les citadins,
ce fut la fin de la ville, avec le sentiment d’être privés et d’interdits de la ville : la vie citadine
devenant simplement impossible, voir clandestine. On se retire à la campagne souvent, parce que le
jardin autour de la maison en ville qui était devenu productif, n’est plus suffisamment grand pour
aménager les jardins potagers et l’élevage de subsistance. La ville était devenue pauvre, la
consommation rationnée et réduite au minimum, la campagne se voulant productive aurait alors été
considérée comme riche : la ville a dû prendre en exemple.
5. La ville des réalités du passé, c’est la ville des souvenirs qui prend une ampleur et une dimension
symbolique plus grande. Les instants du passé, inscrivant ses réalités dans les mémoires
individuelles et familiales étaient devenus historiques. Ce sont alors les déplacés de la fin du XVIIIe
et du début du XIXe siècle avant la destruction des villes, qui auraient gardé les mémoires les plus
fidèles. En ce qui concerne les anciens habitants de Vientiane et de ceux qui l’avaient quitté avant
sa mise à sac en 1828-1829, nous pouvons évoquer leurs descendants qui vivent aujourd’hui en
Birmanie et à la frontière birmano-thaïe, appelé les Lao Long (les Lao égarés). Intérrogés dans un Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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documentaire,628 les plus âgés représentent encore Vientiane sous son visage doré, avec ses
monuments et ses habitations qui pointent leurs multitudes sô-f’a vers le ciel. Vientiane, c’était
aussi la richesse et la chaleur des foyers avec leurs jardins aromatiques suspendus, leurs arbres
fruitiers et leurs aréquiers. Pour les plus jeunes, lorsqu’on leur demande où se trouve Vientiane
maintenant, ils disent que c’est à Tavoy même, la ville Birmane la plus importante à une
cinquantaine de kilomètres de leur village. Vientiane n’est plus le nom d’une capitale, mais signifie
“ capitale ”. Une dame interviewée raconte que des générations passées avaient tenté de rejoindre
Vientiane, mais en général, ils n’arrivent qu’en Thaïlande, et aucune nouvelle de ceux qui auraient
atteint la ville des ancêtres ne leur serait parvenue. D’après une autre interview, réalisée vers 1990
par un jeune bonze de Vientiane629 auprès de la même communauté, les enfants auraient dessiné le
That Luang lorsqu’il leur demande comment est Vientiane. Mais aucune image du Laos n’est
repérée dans les foyers. La Ville des souvenirs des générations passées, c’est la ville imaginaire des
générations présentes et à venir, mais dépourvue de toute idéologie. L’imaginaire de Vientiane
continuerait à persister tant que ces derniers continuent à parler Lao avec clarté (accent de
Vientiane), tel qu’ils le font aujourd’hui : leur langue rappelle leur différence parmi les
communautés mônes, shanes et birmanes.
Vue à travers ces définitions, la ville absente serait unique, mais possèderait plusieurs
représentations qui rejoignent le mythe et l’imaginaire. Sans pouvoir les interroger de manière
approfondie, nous avons tenté ici de comprendre comment la ville a été vue et vécue à travers les
contextes évoqués, et surtout sous quel aspect a-t-elle été projetée dans l’espace d’aujourd’hui.
II. III. a. 3. Le déplacement de la population, mode et processus traditionnel d’occupation
ou d’abandon de l’espace, de développement ou de destruction des villes
La constitution des ensembles politiques dépendait aussi de deux faits : déplacement forcé
et migration. Schématiquement, nous constatons que derrière les longs processus d’occupation
territoriale, il y avait une instrumentalisation des données démographiques qui surgissait de manière
constante dans l’histoire régionale. Parfois, une population était déplacée d’un territoire vers un
autre pour combler l’insuffisance de la population et de la main d’œuvre, pour constituer une
conscription et prélever des taxes de capitation. Ou encore, on dépeuplait un territoire pour réduire
la puissance de son pouvoir politique, que ce soit à l’échelle d’une chefferie ou à l’échelle d’un Etat.
Ce phénomène était lié –comme nous l’avons souligné précédemment– à la légitimation du pouvoir
et du territoire par les données humaines. Par exemple pour déconsolider l’unité politique d’un
territoire constitué, les procédés n’étaient pas forcément son annexion, mais plutôt l’amputation de
la population qui la composait. Ce fut le cas notamment du déplacement des habitants de Vientiane
vers le Siam au début du XIXe siècle. Il existe un terme très descriptif en Lao : kouad-tone
[d;f8hvo], qui signifie “ nettoyer et regrouper pour déplacer ”, que les populations lao vivaient
généralement comme une rafle. Un sens tragique qui accompagnait leur mémoire jusqu’au milieu
des années 1970.
En fait, entre un déplacement volontaire et solidaire et un déplacement forcé, les régimes,
les fondations et les guerres –connus depuis le XIVe siècle dans le Moyen et le Haut Mékong,
qu’elles soient au profit du Lane Xang ou au détriment de celui-ci, recouraient aux déplacements de
la population. Cette pratique devient indéniablement un fait et un trait culturel qui participe à
l’identification de l’espace lao, partagée par les Siamois et les Birmans. La population était en fait
une donnée importante pour la conceptualisation des établissements lao tai, mais également une
628 Cf, « The Lost Laotians for more than 200 Years » (Lao Long, manout thi keut ma peua tuk kouad tone. Les Lao
égarés, des hommes nés pour être déplacés), documentaire vidéo, réalisé par Dok Champa, Etats-Unis, 2005. En Lao,
sous-titrage en Anglais. Un journaliste américain et un journaliste thaï effectuent des investigations à la frontière birmanothaïe
sur les clandestins sans-papiers. Ils découvrent que parmi clandestins apatrides beaucoup sont des descendants des
Lao qui ont été déplacés au XVIIIe et au début XIXe siècle, et qui restent toujours sans nationalité. 629 Novice à Vat Ongtù, le jeune bonze a été boursié pour étudier en Birmanie dans un programme d’échange religieux. Il
a visité trois villages du côté de Tavoy où il a rencontré les Lao de l’ancienne Vientiane.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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donnée instrumentale pour des manœuvres politiques et économiques spatialisées. C’est pourquoi
connaître l’origine ethnique d’un territoire donné est une tâche complexe quasi-impossible dans
cette région.
En occurrence, une littérature était née pour rappeler cette culture du déplacement. Celle-ci
est tantôt exaltante, emprunte de ton héroïque et légendaire lorsqu’il s’agit de construire un territoire
homogène. Notamment lorsque Sethathirat ordonna le peuplement de Vientiane pour renforcer son
statut de capitale au XVIe siècle en faisant venir les habitants du Nord (de Luang Prabang, de Xieng
Khouang, etc.), ou lorsque Phraku Gnotkéo Phonnesamek emmena depuis Vientiane une colonie de
plusieurs milliers de personnes peupler Champassack vers la fin du XVIIe et au début XVIIIe siècle.
Tantôt tragique lorsqu’il s’agit “ d’effacer ” un territoire, lorsque les Siamois déplaçaient les
Phouans de Xiang Khouang vers le Laos occidental au début du XIXe siècle, ou lorsque les grands
du royaume entrent en conflit : lorsque les princes entrent en rébellion contre le pouvoir central, il
quittent le royaume en embarquant avec eux des populations croyant reconstruire ailleurs leur
propre chefferie. Trimballée sans repos et parquée dans des situations invraisemblables lorsque les
princes en question venaient à disparaître. Ce fut le cas des Lao déportés jusqu’en Birmanie, suite
aux mésaventures des conflits princiers.630
Le Phongsavadane lao et le Tamnan Khun Bourom631 évoquent le côté héroïque de la
constitution du territoire lao, et parle du déplacement de la population comme une nécessité désirée,
alors que les chroniques -Phueun [rNo]- Phueun Vieng [rNo;P’] et Phueun Muang Phouan
[rNog,nv’r;o], retracent dans un autre contexte de manière plus locale le drame des déplacés. A côté
de cela, les autres sources d’importance secondaire sont nombreuses et disparates.
Dans les années 1960-1970, le gouvernement de Vientiane et le gouvernement du Parti du
Peuple Révolutionnaire Lao (PPRL) se disputaient à qui la population de tel ou tel territoire
appartient-elle. On appelle cela seuk gnat pasason [glydpkfxt-k-qo. “ Guerre pour la possession du
peuple ”. Le gouvernement qui rassemblait le plus de réfugiés qui avaient fui les combats et qui
étaient venus chercher refuge dans son territoire se targuait être en terre de paix et que la barbarie
était chez l’autre. Dans les débâcles pour mettre la population en sécurité pendant les combats, il
arrivait fréquemment que le gouvernement du PPRL débâclait le bout d’un village et le
gouvernement de Vientiane en débâclait l’autre bout. Les familles se retrouvaient ainsi séparées et
involontairement parquées dans deux camps opposés.632
Cette culture du déplacement, comme instrument politique et économique, mais aussi –toute
proportion gardée– comme garant de la face et des honneurs, a été partagée aussi par les Siamois :
« il faut vider Vientiane pour qu’elle ne puisse jamais revivre », devis qui aurait été prononcé par
les responsables siamois lors de la mise à sac de la ville. Conscients que Vientiane ne serait rien
d’autre qu’un hameau de villages sans sa population citadine et ses princes déplacés vers la rive
droite du Mékong. Nous avons déjà démontré dans notre étude traitant des « villes siamoises
comme facteurs exogènes » que le Laos occidental a vu surgir des nouvelles villes dans son
territoire quelques décennies après 1829.
633
630 Documentaire « Lao long, manut keut ma peua thuk kouad tone ». Op, cit. Les Lao Long seraient déplacés plusieurs
fois : durant la guerre siamo-lao mais aussi avant, lorsque les princes de Nongboulamphu (Phravo et Phrata) entrent en
cécession par rapport à Vientiane, ils auraient déplacé avec eux plus d’un millier de personnes. Des groupes seraient venus
jusqu’à la région frontalière birmano-thaïe. 631 Version annotée par S. Viravong et version annotée par K. Vongkotrattana, puis celle ré-annotée par A. Pavie, sont
considérées comme uniques sources historiques écrites. 632 Nous observons fréquemment, trente ans après, que les familles se retrouvent, les uns revenant des Etats-Unis ou de
France, parce qu’elles avaient été amenées à Vientiane puis entre 1975 et 1980 avaient quitté le pays devenant des
réfugiés politiques aux Etats-Unis ou en Europe ; les autres venant des zones libérées de Sam Neua. 633 « […] des groupements de populations. Et lorsque ces regroupements s’agrandissent assez, des ordonnances royales
(émanant de Bangkok) viennent les statuer en cité. On peut dire que sous le règne de Rama III, le Laos occidental compte
des créations de nouvelles villes plus que n’importe quel règne dans l’histoire du Siam […] ». In. La politique des deux
berges du Mékong, Dalalat Métanikanonh, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 360 -
II. III. b. La partition territoriale et la disparité politique du Laos durant la guerre
froide
La contextualisation locale des conflits mondiaux et régionaux de la guerre froide se traduit
dans la politique laotienne par une disparité territoriale accompagnant une disparité politique dès la
fin de la guerre de l’Indochine en 1954. Sont apparus deux pouvoirs politiques et deux zones
distinctes à l’intérieur du Laos. En 1953 parallèlement au gouvernement royal de Vientiane, un
autre gouvernement appelé Néo Lao Issara634 a été formé à Viengxay par le Prince Soupanouvong.
Ce gouvernement contrôlait les provinces de Sam Neua et de Phongsaly dites “ zone libérée ”, alors
que le reste du pays était resté sous le contrôle du gouvernement de Vientiane. Ceci, dans une
monarchie reconstituée et constitutionnalisée autour de la famille royale de Luang Prabang ; le
Prince de Champassak ayant renoncé à son droit dynastique en 1946.
635
Le Néo Lao Issara sera reconnu par la communauté internationale au même titre que le
gouvernement de Vientiane lors de la Convention de Genève en 1954 entérinant la fin de la guerre
de l’Indochine et inaugurant l’indépendance du Laos.636 Et lorsque le Royaume du Laos sera
membre des Nations-Unies en 1955, le gouvernement Néo Lao Issara aura aussi son représentant.
Bien que plusieurs tentatives d’unification aient été préconisées par les deux parties, la partition
territoriale inévitable, une fois faite le restera pour deux décennies (c’est-à-dire jusqu’au moment où
Luang Prabang et Vientiane deviennent la zone neutre lors du traité de réconciliation nationale le 21
février 1973). En 1957, sous le 8e gouvernement dirigé par Souvannaphouma, un premier
gouvernement de coalition a été formé. Les provinces de Sam Neua et de Phongsaly ont été
théoriquement restituées au gouvernement royal. Mais lorsque les membres du Néo Lao Hak Sat
(NLHS) ont été arrêtés en 1959 les hostilités reprenaient de nouveau dans les zones de combat. En
1962, l’affirmation d’un Etat neutraliste et la tentative de formation d’un gouvernement de
réconciliation et d’union nationale démontraient un désir de paix et d’harmonisation territoriale par
les deux parties. Mais les conflits régionaux et mondiaux qui se localisaient dans le territoire laotien
et qui se traduisaient dans sa politique nationale empêchaient toute tentative de paix. Alors que le
Viêtnam Nord qui soutenait le NLHS utilisait le territoire laotien pour mener des actions dans le
Sud Viêtnam, les Américains y menaient de leurs côtés des actions pour construire une barrière
anti-communiste.
Malgré tout, des tentatives d’union nationale se succédaient intercalées par des coups d’Etat
et des remaniements politiques, alors que sur le terrain les frappes aériennes américaines et les
frappes des Vietminh au sol s’intensifiaient. Ceci, jusqu’à le début tardif des années 1970. Le
nombre des réfugiés connaît une augmentation exemplaire dans tout le pays. Les mouvements se
faisaient des montagnes vers les plaines, de la campagne vers les villes, et de l’Ouest vers l’Est. Un
dernier et fatidique gouvernement de réconciliation nationale a été formé en 1973, marquant la fin
de la guerre. Mais il marqua aussi la partition du Laos en trois zones : la zone libérée occupait 4/5
du territoire, la zone neutre avec Luang Prabang et Vientiane, et la zone du gouvernement de
Vientiane qui occupait le reste du territoire. Cette partition tripartite allait s’achever en 1975, le
gouvernement de coalition ayant été dissout, le communisme ayant pris le pouvoir dans l’ensemble
du pays sous la bannière du NLHS. Le Congrès des Représentant du Peuple prendra en main le
destin du pays en le proclamant République Démocratique Populaire du Laos.
634 Néo lao Issara devient Néo lao hak sat en 1956. Cf. Annexe : « Eléments chronologique de l’histoire du Laos ». 635 Cf. Le Modus vivendi du 27 Aout 1946 prévoyait l’indépendance du Laos dans l’Union française et déterminait le
statut institutionnel de la principauté et du prince de Champassak dans le futur Etat indépendant. Afin de former un Laos
unifié le Prince Boun Oum a renoncé à son droit dynastique et accepte la fonction du troisième personnage du pays. 636 En cette même année : le Vietnam s’est séparé au niveau du 17e parallèle formant le Vietnam Nord et le Vietnam Sud ;
l’OTASE (Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est), organisation anticommuniste a été créée et le Laos du
gouvernement royaliste en faisait alors parti. Le Laos recevait également les premières aides américaines.
(Fig. 6. Op. cit.
Page 43)
Avancement de la
zone libérée par rapport à la zone du
gouvernement de
Vientiane.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 361 -
La création de la zone neutre en 1973 était artificielle et n’avait pas de conséquences
importantes sur le plan spatial. Il était uniquement stratégique et militaire permettant aux forces du
NLHS de prendre le pouvoir. C’était la partition en 1954 qui avait joué un rôle déterminant. Sur le
plan spatial, cette partition territoriale était calée sur une préfiguration géographique, humaine et
économique existante. Elle exprimait un déséquilibre –en terme démographique, de taux
d’urbanisation, de croissance économique et de circulation des hommes, correspondant aussi à une
préfiguration géographique, humaine et économique ancienne. Il y avait d’un côté, les zones
montagneuses et rurales qui étaient moins développées et moins peuplées. Il y avait de l’autre, les
zones de plaines et du bassin du Mékong, plus urbanisées, plus peuplées et plus développées. En fait
la situation politique s’était plaquée sur une donnée géographique, humaine et économique déjà
existante. C’était une forme particulière de contextualisation locale de la situation politique
régionale qui rendait la situation spatiale du Laos différente des autres territoires qui ont connu une
partition politique semblable. En outre, il n’était pas question de partition nord/sud (comme l’étaient
le Viêtnam et la Corée) ou est/ouest, comme l’était l’Allemagne, mais il s’agit de partition entre la
région de plaine et de montagne, entre les territoires vides et les territoires de peuplement.
Lorsqu’ils étaient confrontés à la partition territoriale et à la disparité politique, le et les
modèles de ville et d’établissement lao, forgés de manière exogène et endogène, telle que nous
l’avions évoqués précédemment, aboutissaient à deux formes et deux modes de fonctionnement
différenciés. Sur le plan spatial, il est important de comprendre quelle conséquence avait la partition
politique et territoriale sur la configuration spatiale et sociale de ces zones, quel type d’espace et
quelle ville vivait-on.
II. III. b. 1. La zone libérée
La zone libérée était d’abord constituée de deux provinces, Phongsaly et Sam Neua. Elle a
été formée en 1953 et reconnue en 1954. Son gouvernement, qui s’auto définissait comme
révolutionnaire et qui était dirigé par la section lao du PCI et donc étroitement soutenu par le Viet
Minh, s’installait à Viengxay. La petite ville devenait la capitale de la zone libérée et le quartier
général de la force armée révolutionnaire. En 1957 lorsque deux provinces ont été restituées au
gouvernement de coalition nationale de Souvannaphouma, la restitution n’a pas été effective : les
deux provinces continuaient à être le quartier général du NLHS. Et lorsque le deuxième
gouvernement de coalition nationale tripartite fut créé, à l’issu de la convention de Genève de 1962
qui devrait garantir la neutralité du Laos, la force du NLHS a occupé la province de Luang Nam
Tha et l’a intégré dans sa zone de contrôle. Celle-ci représentait alors 2/3 du territoire du pays, alors
que la population représentait 1/3 de sa population totale. En 1969, le territoire qu’il contrôlait a dû
passer à 4/5 du territoire national et le nombre de la population représentait alors la moitié de la
population du pays.637
La question spatiale dans la zone libérée
Les villes ou villages existant dans la zone libérée étaient, dans leur ensemble, peu peuplés
et étaient distancés des uns des autres, ce qui leur conférait un caractère parsemé et rural. Dans la
première décennie, la construction de cette zone était difficile pour le NLHS qui devrait concentrer
ses efforts pour créer des avancées militaires dans les zones contrôlées par le gouvernement de
Vientiane, afin de se munir des moyens de négociation sur la scène politique. Il était préoccupé
aussi à créer une cohérence et une harmonisation idéologique pour consolider la zone libérée par
rapport à une réalité historique et gagner l’adhésion de la population. Beaucoup de villages ont été
désertés ou abandonnés pour des regroupements afin de se sécuriser lors des combats. La
désertification de la zone libérée était aussi le fruit de l’abandon : beaucoup de villageois
rejoignaient la zone contrôlée par le gouvernement de Vientiane, en particuliers ceux qui étaient
637 In. Phongsavanh Boupha, Le développement de l’Etat lao, imprimerie Nakhone Luang, 2005, (en Lao)Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 362 -
attachés au système ancien de pouvoir : les khun, les tassèng, les Tiao muang. La conception de la
zone libérée étant fondée sur la pensée révolutionnaire communiste, lors de la libération de 1962,
les notables des provinces libérées ont été souvent emprisonnés et parfois assassinés pour
“ complicité ” avec le gouvernement royal.
638 C’est à force de propagandes que peu à peu, le petit
peuple finissait par adhérer au NLHS.
Au courant des années 1960, les combats étant intensifiés avec les offensives américaines,
les zones libérées ont été menacées. L’intensification des frappes aériennes à partir de 1964, a
beaucoup détruit les établissements et les villes anciennes du Laos (monuments, stupas qui étaient la
plupart du temps construits sur les collines selon des traditions du Nord, comme les stupas de Luang
Nam Tha, de Oudomxay, de xiang Khouang) mais aussi les zones agricoles en activités et les terres
fertiles. Les traces de ruines issues des bombardements étaient nombreuses sur les routes à Houa
Phanh et de Xieng Khouang. Les habitants ont dû fuir les combats et s’abriter dans les grottes où ils
ont dû en faire leur habitat, avec l’aide des troupes de l’armée populaire dans certaines zones.
La ville de Viengxay se construisait ainsi au cœur d’un ensemble de montagnes et de
falaises karstiques. Les grottes existant furent investies et d’autres créées artificiellement pour en
faire des habitations des dirigeants ; des dispensaires, des écoles, des pagodes y furent également
installés, et au moment des bombardements la population pouvait y trouver refuge. Les équipements
administratifs ont été bâtis dans les parties dégagées de la ville. C’était une architecture moderne
des années 1950-1960. Il y avait de petits groupes d’habitations pour faire bonne figure de ville. Les
résidences des dirigeants étaient construites en retrait, dans les parties plus couvertes, au pied des
falaises où étaient aménégés les grottes. Dans leurs ensembles, ce sont des constructions de belles
factures qui s’intégraient magnifiquement dans le paysage et dans le climat –le plus rude alors du
Laos. Entre un choix architectural, très au faîte de la modernité et du luxe non-envieux à celui de
Vientiane, et la rudesse de la pensée révolutionnaire ; entre une poésie paysagère et
environnementale exceptionnelle et la violence de la guerre, la résidence du Prince Souphanouvong
offre une image décalée.
La zone libérée, un État parallèle
La zone libérée possédait un système de fonctionnement digne d’un vrai État. Sa structure
administrative et politique était basée sur deux grands organes politiques :
- le Parti du Peuple Lao (PPL) “ Phak Pasason Lao ”
639 a été fondé le 22 mars 1955. Il était dérivé
du Parti Communiste Indochinois (PCI) fondé en 1930 et dont la section lao a été créée en 1934. Le
parti était une oligarchie qui monopolisait le pouvoir et donnait les directives politiques à suivre au
NLHS (ou anciennement le NLI). Le pouvoir est tenu par le secrétaire Général du PPL et ses
membres dirigeants.
638 Les premiers emprisonnements et exécutions sommaires dans les villages ont lieu bien après le milieu des années 1950.
C’est à la libération de Luang Nam Tha en 1962 que nous avons pu avoir des témoignages de ces faits. Un certains
nombre de pho ban, de tassèng et de tiao muang de Luang Nam Tha auraient été exécutés et de nombreux réfugiés
seraient descendus vers Houayxay, fuyant devant les forces communistes (Cf. Histoire de la famille de mes informateurs :
une famille lü d’ancien pho ban dans la province de Luang Nam Tha, une famille d’ancien tiao muang de Sam Neua).
Contrairement à la conception générale qui considèrait dans les années 1960 que les habitants de la zone libérée étaient
tous révolutionnaires, dans les provinces libérées on comptait aussi les opposants de la révolution. Pendant la guerre froide
les actes de violence ont été de fait commis par les deux parties. Rétrospectivement le NLHS semblait être conscient de
ses erreurs puisqu’il “ adoucissait ” ses méthodes dans les zones qu’il allait libérer dans les années qui ont suivies. Car
désigner certains groupes de population comme « partisans des impérialistes » suivies des exécutions sommaires
risquaient de déserter la zone sensée de leur servir de base. De l’autre côté, mes enquêtes auprès des anciens Thahan Team
(soldats formés et engagés à la solde par les Américains, séparément de l’armée nationale) ont montré que les violences du
même genre avaient également été commises par l’armée du gouvernement de Vientiane. Pour illustrer cette situation,
mes enquêtes auprès des familles originaires de Sam Neua ont révélé un phénomène étonnant : lorsque à tour de rôle les
forces armées de Vientiane et celles de la zone libérée se relayaient pour contrôler les villages, certains po ban et certains
tassèng ont dû organiser des cérémonies de serment successivement aux deux armées opposées pour sauver la vie de
l’ensemble des villageois.
639 Le PPL, Parti Populaire Lao, (Pak Pasason Lao radxt-k-qo]k;) devient en 1972 le PPRL, Parti du Peuple
Révolutionnaire Lao (Pak Pasason Pativat Lao radxt-k-qoxt8y;af]k;.)
Fig. 86.
Bâtiment
administratif
de Viengxay
Fig. 87. Le
jardin de la
résidence du
Prince
Souphanouvong
reliant la
résidence à son
abri troglodyteDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 363 -
- le Néo Lao Issara (NLI) a été fondé en 1950 par le Prince Souphanouvong à partir d’une petite
fraction du Lao Issara. 6 janvier 1956 le Néo Lao Hak Sat (NLHS) a été créé remplaçant le NLI. Le
NLHS est élu par le peuple. Son Comité Central était composé de 40 membres suprêmes. 11
membres du Comité Central constituaient les membres permanents. L’un des 11 était élu Président
du NLHS, et 3 des 11 étaient élus vices présidents. Les trois Vices-présidents étaient des
représentants respectifs des Lao Loum (Lao des plaines), Lao Theung (Lao des Hauts plateaux) et
Lao Soung (Lao des montagnes).640 A côté des 11 membres permanents il y avait le Secrétaire
Général du NLHS. Le Comité Central Permanent était dirigé par le Comité Politique du PPL et son
Comité Central. Chaque organe et bureau exécutif était équivalent à un ministère : organe
décisionnel suprême, l’armé de libération du peuple, bureau administratif du Comité Central du
NLHS, bureaux administratifs, bureau des luttes politiques, bureau des affaires étrangères, bureau
des propagandes, bureau des séminaires et de la culture, bureau des affaires éducatives, bureau des
affaires économiques et de la production, etc.
Le développement de la zone libérée
En 1968 dans la zone libérée y vivait la moitié de la population du pays. Du territoire qui
représentait 2/3 du territoire national en 1962, il passait à 4/5 en 1968. En 1970 la zone libérée était
composée de 12 provinces, dont 60 muang, 600 tassèng et plus de 10 000 villages,641 dans une zone
majoritairement montagneuse très rurale et avec peu d’infrastructures routières. Le NLHS, et
derrière lui, le PPL devrait non seulement contrôler politiquement cette partie du pays, mais aussi la
gérer et la faire vivre économiquement. Ces questions impliquaient globalement l’organisation du
travail de production et de sa répartition. Le système étant basé sur la force du prolétariat dirigé par
le parti marxiste-léniniste, l’organisation du travail devrait alors être collective. Mais dans la
pratique, le PPL a dû prendre en compte la réalité de la paysannerie et de la ruralité laotienne à la
place d’un prolétariat théorique d’une société industrielle et urbaine. Il a dû également se rendre à
l’évidence que la mise en application de l’idéologie pure et simple ne pouvait pas passer comme
telle. Il était important d’avoir le peuple dans son camp. Le phénomène de réfugiés qui rejoignaient
les zones du gouvernement de Vientiane a été une alerte pour les futures stratégies politiques du
PPL et du NLHS. Il fallait reconstruire la société et l’économie de la zone libérée qui partait sinon
en lambeau, sans mettre en fuite la population dont la majorité était restée attachée aux valeurs
anciennes de manière récalcitrante.
Avec les aides des pays socialistes, le Viêtnam Nord, la Chine et l’ancien URSS, le PPL et
le NLHS installaient les unités de production de l’Etat semi-industrielles : ateliers et usines de
confection, usines de meuble et scieries, fermes d’Etat, usines de médicaments, etc. Ces unités de
production participaient surtout à l’effort de guerre. L’économie à l’échelle individuelle et familiale
restait réduite et se basait sur la structure de subsistance traditionnelle comme elle l’était autrefois.
La monnaie de la zone libérée –le nouveau kip– qui avait été mise en circulation en 1968 n’a pas
vraiment été utilisée du fait des circuits fermés des échanges commerciaux, quasi inexistants.
Le domaine de l’éducation avait été planifié : les écoles primaires et secondaires ainsi que
les formations professionnelles, créées. Les maîtres ont été formés, les manuels scolaires et les
programmes artistiques créés. L’objectif étant de former des bras, mais aussi des élites dans la zone
révolutionnaire et endiguer la population contre le gouvernement de Vientiane. La formation des
ressources humaines dans son ensemble, comme l’installation des petites industries, a été soutenue
par les autres pays socialistes. Des bourses d’études ont été nombreuses pour étudier en Chine et en
Union Soviétique. Sur ce, comme l’a noté Phongsavang Boupha, la résolution du IIe Congrès du
640 Vocabulaires officiels et arbitraires utilisés pour classer les ethnies du Laos en suivant la logique géographique
verticale. Les Lao Loum désignent les laotiens de parler Tai Lao, les Lao Theung de parler Môn-Khmer et les Lao Soung
de parler Myo Yao.
641 Phongsavanh Boupha. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 364 -
NLHS642 qui avait régi la nouvelle politique, avait gardé dans ses démarches certaines valeurs liées
au régime des sakdina, tel notamment le respect de la monarchie et de la religion. Et dans son
ensemble, les projets politiques du IIe congrès avaient été largement bénéfiques de l’intérieur pour
consolider l’adhésion populaire et rehausser l’image du gouvernement de la zone libérée. C’est
donc après la mise en œuvre de ce nouveau projet politique de 1964, puis du IIIe congrès en 1968643
que certaines catégories de la population ont pu être attirées par les idées du NLHS. Un nombre
non-négligeable d’intellectuels ont rejoint la zone libérée. Sa cote de popularité était au summum,
au fur à mesure que les frappes aériennes américaines s’intensifiaient dans le pays.
Vis-à-vis de l’opinion internationale, un véritable programme de propagande a été mis en
place pour offrir au monde une belle image de la zone libérée et de la révolution laotienne. Celle-ci
serait multiethnique et progressiste, respectueuse des traditions, des croyances, et prônant la liberté.
Elle voulait communiquer au monde et dans l’air du temps “ la passion du peuple lao qui combat
pour la liberté ”. Afin de mener à bien cet objectif, les journalistes, les diplomates et les politiques
étrangers ont été invités à visiter la zone libérée. Des conseillers soviétiques ont été sollicités pour
réaliser des documentaires filmés ou photographiés. Ces documents précieusement archivés au
centre des archives cinématographiques nationales constituent aujourd’hui des œuvres artistiques de
grands intérêts, car ils ont été le fruit des mises en scène ou des scènes reconstituées, témoignant du
besoin fondamental d’image de représentation, passant nécessairement par la propagande qu’il a
fallu réaliser644
II. III. b. 2. La zone du gouvernement de Vientiane
La zone du gouvernement de Vientiane comptait les villes les plus peuplées, situées
généralement le long du Mékong et dans la basse vallée. Elles se développaient plus rapidement que
celles de la zone libérée qui étaient en rupture et décalées bien qu’elles aient occupé un territoire
beaucoup plus important. Si la zone libérée connait à cette époque une guerre intensive, notamment
les bombardements de ses villes et villages, ses monuments et ses terres agricoles, les grandes villes
du Mékong –la capitale et les capitales provinciales– jouissaient d’une paix relative. Ce qui
permettait à cette zone d’évoluer de manière plus naturelle, du moins, moins en décalage par rapport
au reste de la région du Sud-Est asiatique incarnée à proximité par la Thaïlande voisine. Mais la
paix dans la zone du gouvernement de Vientiane était artificielle : les coups d’Etat et les
changements de gouvernement étaient tels que la politique laotienne était souvent incompréhensible
par le commun des Lao, qui était parfois incapable de connaître le nom de son Premier ministre du
moment. Par exemple entre 1959 et 1969, il y avait plus de sept gouvernements, trois coups d’Etat,
et pas moins de dix arrestations et assassinats d’homme d’Etat.
645
N’acceptant pas que le pays devienne indépendant en 1954, l’opposition considère cette
zone comme une nouvelle forme de colonie occidentale.
646 Du côté du gouvernement de Vientiane,
642 Le IIe congrès du NLHS a été tenu à Sam Neua en avril 1964. Il fixe un nouveau programme politique et des nouvelles
stratégies. Dans la lutte intérieure armée, il préconisait de s’appuyer sur les minorités ethniques qu’il allait rassembler et
endiguer dans la lutte. « Le nouveau projet politique doit montrer qu’il respecte la royauté, la religion, la morale, qu’il
développe et promeut l’esprit démocratique du peuple lao dans son ensemble, qu’il agit pour l’égalité des sexes et pour la
création d’un gouvernement souverain et national, qu’il est contre l’ingérance étrangère et compte œuvrer pour faire
respecter les conventions de 1954 pour l’indépendance et celle de 1962 pour la neutralité du Laos ». Cf. Phongsavanh
Boupha. Ibid. 643 Le IIIe congrès du NLHS a été tenu à Viengxay en octobre 1968. Il reprenait les mêmes points que celui de 1964 mais
intensifiait ses actions politiques et de propagande pour drainer les intellectuels encore hésitants. Il visait cette fois-ci les
étudiants laotien en Europe qui se préparaient à rentrer au Pays et la population des zones du gouvernement royal.
644 Cf. Les archives du centre cinématographique national de Vientiane. Une série de photographies ont fait l’objet
d’exposition au centre de langue française en 2007.
645 Cf. Annexe : « Eléments chronologiques de l’histoire du Laos ». 646 Une partie du Lao Issara est engagée dans le PCI. Et en effet, il ne s’agit pas seulement d’obtenir l’indépendance
comme ce fut la volonté de la majorité des Lao Issara et de son noyau dont les valeurs étaient restés attachées à la
tradition, à la monarchie et à la religion bouddhiste. Mais il s’agit d’instaurer au Laos et dans toute l’Indochine un système de gouvernance basé sur une dictature prolétarienne selon le modèle marxiste-léniniste, par la force du prolétaire et du
paysan et par la révolution idéologique. La scission du Lao Issara n’avait donc pas ses racines dans le conflict éventuel de
la décolonisation, mais dans l’adhésion idéologique hétérotopique d’une partie de ses membres au PCI. Le conflit Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 365 -
il se retrouvait conforté dans sa légitimation par le symbole historique, identitaire et unificateur
autour du pouvoir traditionnel qu’est la royauté. Le caractère unificateur et identitaire est important
à souligner, car la fraction de Vientiane mettait tous ses efforts pour préserver ce symbole. Le
renoncement au droit dynastique de la maison royale de Champassak qui avait permis la formation
d’une seule monarchie faisait partie de ce même désir de préservation et de renforcement du
symbole. A cet égard, le renoncement au droit dynastique de Champassak devrait être revu par
l’histoire contemporaine du Laos comme un grand pas en avant ; dans le cas contraire, une
sécession dans le Sud du pays n’aurait pas été impossible, elle était même à craindre à l’époque.647
Le système politique de Vientiane étant une monarchie constitutionnelle, la démocratie était
assurée par la répartition des “ six ” pouvoirs : l’exécutif, le judiciaire et le constitutionnel
constituaient les trois pouvoirs fondamentaux propres aux systèmes démocratiques. Le Laos se
dotait de trois autres pouvoirs qui provenaient de ses traditions : les pouvoirs monarchique et
ecclésiastique symbolisaient l’unité nationale. Le roi ne gouvernait pas, mais régnait, le clergé ne
participait pas à la prise des décisions, mais avait pour rôle de régir la vie spirituelle. Le sixième
pouvoir consistait dans l’organisation et la répartition réelle du pouvoir dans l’organisation clanique
de la société. Non-formalisée et non-institutionnalisée, cette structure organisait la société et ses
affiliations politiques. Elle pouvait réguler les conflits politiques dans une société en apprentissage
des élections libres et du multipartisme. Malgré la perversion de la vie politique laotienne dans le
contexte de “ la guerre secrète ” menée par les Américains, le système de Vientiane avait des
principes démocratiques qui avaient permis la naissance de plusieurs partis et organisations civiles
ou associatives. La vie politique entre la fin des années 1950 et la fin des années 1960 a été alors
animée par plusieurs partis,648 y compris le parti de l’opposition, le NLI (ou le NLHS) qui avait son
siège officiel et ses membres à Vientiane. Même si les débats politiques étaient difficiles dans le
contexte de la guerre et de l’ingérence étrangère, qui faisaient que les partis naissaient et
disparaissaient et les hommes politiques menacés, la création des partis politiques mettait en
évidence l’intérêt que la population instruite portait au devenir du pays et son désir de participer à sa
construction, sans exclure parallèlement son désir de constituer des réseaux d’intérêts et
d’influences, suscités de manière latente par le mode et la structure sociale et politique
traditionnelle.649
Sous pression américaine, le gouvernement de coalition tripartite de 1962 a perdu toute sa
crédibilité. Le pouvoir était monopolisé par la droite, partagé “ à l’arrache ” avec les forces
neutralistes, mais sans la participation des membres du NLHS qui finissaient par déserter le
gouvernement. Un certain déséquilibre venait entériner l’insuccès de ce partage du pouvoir, ce qui a
amené deux coups d’Etat successifs : celui du Général Siho associé au Général Kouprasit Abhay le
19 avril 1964 (l’année où le gouvernement de Vientiane a accepté les interventions américaines)
idéologique mondial s’était contextualisé et localisé par la guerre dans un Laos dont la population ne prenait pas part. Il
trouvait son terrain de prédilection dans le milieu de l’intelligentsya locale convertie aux idéaux communistes durant la
colonisation. 647 L’idée de « sécession » du Sud avait effectivement traversé les esprits politiques, lorsque les manoeuvres d’unification
nationale essuyaient des échecs répétitifs et lorsque certaines fractions désapprouvaient la politique de Souvanna Phouma
considérée comme trop complaisante vis-à-vis du NLHS vers la fin des années 1960. 648 Notamment : le Parti Progessiste (Phak Kaona), le Parti Libéral (Phak Séri), le Parti de l’Union pour la Coalition Lao
(Phak Lao Houam Samphanh), le Parti Social Démocrate (Phak Pasa Sangkhom), le Parti Neutraliste (Phak Peng Kang),
le Parti de l’Union Centraliste Patriotique (Phak Khana Houam Peng Kang Hak Sat), le Parti de la Voie de la Jeunesse
(Phak Néothang Noum). 649 Un ancien Lao Issara et homme politique rappelle que la vie politique dans les premières années après l’indépendance
était animée dans une sorte de “ fraternité admirable ” par une classe politique de “ l’ancienne école ” qui était quasiment
toute issue de la même formation à la française. Les hommes politiques lao à la sortie de l’indépendance étaient peu
nombreux. Ces derniers, même s’ils avaient des idées différentes et provenaient des régions et des origines familliales
différentes se respectaient mutuellement et s’échangeaient volontiers. Ils n’envisageaient pas “des coups bas” comme cela
se fera plus tard dans les années 1960. Une des raisons était qu’ils étaient quasiment tous issus de la même école et plus
jeunes ils partageaient les mêmes dortoirs, étaient éduqués par les mêmes Vénérables lorsqu’ils étudiaient à la pagode. En
occurrence et dans beaucpup de cas, quelques dirigeants du NLHS étaient leurs amis des années du novicéat. Plus tard les
rapports de forces changeaient les comportements politiques. La jeune génération tenait de plus en plus les postes
décisionnelles les plus stratégiques, en particulier lorsqu’interviennent les Américains.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 366 -
puis celui du Général Phoumi Nosavanh en février 1965. Les aides militaires et financières
américaines soutenaient à elles seules, le gouvernement de Vientiane en décomposition. Les
retombées économiques de la guerre, les caisses noires rendaient de plus en plus dépendants les
groupes d’influence et la politique du pays vis-à-vis de la politique américaine. Le fléau de la
corruption, la lutte d’influences et de clans et l’abus de pouvoir, sévissaient le pays et l’appareil
gouvernemental, paralysant les actions politiques les plus constructives.
Bien que le Laos soit partitionné politiquement, il n’a pas été séparé en deux États, comme
l’étaient le Vietnam Nord et le Vietnam Sud. L’image du Laos et son territoire restaient entiers,
suivant sa configuration de 1946 lorsque les provinces de Xayaboury, Xédaun et Champassak lui
furent restituées par la Thaïlande au traité franco-thaï de Washington. La vision territoriale dans les
deux zones respectait naturellement cette configuration : pour le gouvernement NLHS, le Laos ne
s’arrêtait pas aux zones qu’il contrôlait, de même pour le gouvernement de Vientiane, le Laos était
les 16 provinces qui ont été définies en 1961,650 même si entre 1953 et 1973, il perdait
progressivement le contrôle de ces provinces. Du point de vue administratif et de l’organisation
territoriale de l’ensemble du pays le gouvernement royal continuait à enregistrer les provinces de la
zone libérée comme faisant partie intégrante de son administration. Un phénomène d’unités
administratives provinciales, emboitées les unes dans les autres, était à remarquer : le gouvernement
royal continuait à nommer les gouverneurs de Phongsaly, de Sam Neua, d’Attapeu, de Saravanh,
etc., pourtant prises et intégrées progressivement dans la zone libérée qu’il ne contrôlait plus. Par
exemple pour la province de Phongsaly, le siège du gouverneur se trouvait dans la province de
Luang Prabang, avec très peu de populations. Par ailleurs, certaines provinces pouvaient être, à un
moment donné, divisées, par exemple la province de Xayaboury divisée en trois : Xayaboury,
Paklay et Hongsa.
II. III. c. Les données socioéconomiques
La volonté de réconciliation nationale semblait avoir été sincère pour les deux parties et se
traduisait par les efforts de la classe politique, notamment les neutralistes incarnés par Souvanna
Phouma, pour faire des traités de paix et former une gouvernance de coalition nationale, bien que
ces efforts se soient soldé chaque fois par des échecs, et les nombreux plans d’actions reconduits ou
différés. La politique de propagande menée parallèlement et en contradiction dans les deux zones
accentuait au contraire la division et conduisait vers des tensions politiques entravant le plan de paix
et de réconciliation. Elle accusait en occurrence une réelle disparité et un déséquilibre
socioéconomique du territoire dans son ensemble. Déséquilibre, déjà préexistant dans l’histoire
entre une zone riche et peuplée et une zone plus pauvre et sous peuplée, qui ne sera jamais corrigé
tout le long de la guerre froide. Il formait au contraire les arguments pour les deux parties à agir
selon ses convictions.
Les villes de la vallée du Mékong ont été perçues à travers la littérature et la propagande
communiste comme « des villes socialement et économiquement prédatrices, exploitatrices et
abusives de la main d’œuvre du pays. Le peuple, la classe paysanne et prolétarienne ont été
exploités de manière inhumaine. » C’est une perception qui allait marquer pour longtemps le pays et
la société laotienne. Dans la réalité, des nuances sont à observer. Les biens et les services se
concentraient effectivement dans la capitale et les grandes villes provinciales. Favorisées dans
l’histoire par une situation géographique du Mékong et de la plaine, où la circulation des hommes et
des produits était plus facile et leur échange plus fructueux.
Si la vie économique se décollait lentement après l’indépendance, elle devenait plus
dynamique à l’approche et au courant des années 1960. Les aides américaines arrivaient dans le
650 Durant la période coloniale le Laos avait 12 provinces réparties sur deux zones, haut Laos et bas Laos. En 1961 quatre
autres provinces ont été créées, ce qui faisait augmenter le personnel administratif dans l’ensemble du pays.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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pays dès 1954 pour faire barrière contre l’avancée du communisme dans l’Asie du Sud-Est. Ces
aides étaient intercalées par des menaces de rupture lorsque le rapprochement entre le
gouvernement royal et le NLHS se faisait nettement senti avec la mise en place des plans de
réconciliation nationale. A Vientiane et dans les autres villes du Mékong, il y avait plus de monde,
d’industries, et donc, d’emplois, de terres à cultiver, de sécurités, de services et d’équipements. Les
lieux de loisirs, les écoles, les dispensaires et les hôpitaux ont été construits.
651
Les populations des autres zones plus menacées par la guerre, venaient se réfugier
nombreuses dans la zone du gouvernement de Vientiane. Les unes rejoignaient une partie de leur
famille déjà installée, les autres venaient chercher du travail ou fuyant les combats. Dans son
ensemble, la population laotienne était peu mobilisée par les idées politiques, dont elle ne
comprenait pas la complexité. Elle désirait vivre en sécurité à l’abri des combats, trouver de
l’emploi et pouvoir travailler ses rizières et ses jardins, envoyer les enfants à l’école et se soigner
convenablement, vivre en ville et trouver les lieux d’agrément et de loisir librement.
Deux organismes avaient joué un rôle important dans le développement du pays : le
ministère du Plan et de Coopération (appelé “ Le Plan ”) et la Banque de Développement du Laos
(BDL). Le Plan ainsi que la BDL ont été créés vers la deuxième moitié des années 1960, afin de
coordonner les projets de l’Etat et soutenir les initiatives privées dans certains secteurs de
développement. Les priorités étaient axées sur deux secteurs, l’agriculture et la production
d’énergie, puis orientées vers l’aménagement du territoire et la répartition des richesses sur
l’ensemble du pays.
Dans le domaine de l’agriculture, ont été mis en place des projets pilotes : projets de
périmètres irrigués de Hat dork kéo, de fermes expérimentales d’État, des périmètres irrigués
(Thang Ngon), des supports techniques et organisationnels agricoles. Ainsi a été introduit pour la
première fois au Laos le système de coopérative à la française qui devrait permettre une
amélioration des échanges entre agriculteurs (échange de grains et des savoirs notamment), une
meilleure production et distribution. L’objectif était de soutenir les revenus de la classe paysanne et
productrice, de permettre à cette dernière d’accéder aux marchés intérieurs directement sans passer
par les intermédiaires commerçants qui gagnaient de l’argent « sur le dos des petits producteurs et
des consommateurs ».
652 Le domaine de l’énergie était surtout orienté vers l’hydroélectricité avec
l’achèvement de la construction de trois barrages (Nam Ngum, Xélabam, Xédaun) à la fin des
années 1960. La quantité de l’énergie permettait de nourrir suffisamment le fonctionnement des
industries qui n’étaient pas très nombreuses, mais aussi les villes et petites villes. La BDL accordait
des prêts à des taux raisonnables pour permettre aux privés d’investir. Ces différents programmes
étaient très importants à l’échelle locale. Ils donnaient une vivacité générale au décollement
économique du pays. A côté du fléau de la corruption, du trafic d’influence et d’abus de pouvoir qui
entravaient bien souvent les actions civiques et citoyennes, le développement du Laos pendant la
guerre froide donnait de l’espoir au commun des Laotiens.
Si les priorités sectorielles avaient été pratiquées et expérimentées de manière plus ou moins
réussie, l’aménagement territorial et la répartition des richesses restaient cependant théoriques. Leur
réalisation a été empêchée par la guerre comme nous l’avons déjà noté. Le développement rural
ainsi que celui des infrastructures était à considérer seulement autour des centres régionaux. Les
chefs-lieux des provinces étant seulement des bureaux administratifs, ils ne pouvaient pas fournir un
cadre technique adéquat. Il n’était donc pas possible de mener des projets de manière répartie dans
les coins les plus reculés qui en avaient vraiment besoin. Mise à part la difficulté de mise en œuvre
651 Tel l’hôpital OB (Operation Brotherhood) à Vientiane dont le corps médical était majoritairement Phillippin. Pro
amécicains avec la Thaïlande, ces derniers accueillaient les bases aériennes américaines qui allaient avoir un rôle
important pour les frappes aériennes au Laos : trois millions de tonnes de bombes allaient y être lâchés entre 1964 et 1971. 652 Recueillis des propos de Phomma Sayarath, ingénieur responsable de la coopérative de Thang Ngon vers la fin des
années 1960. Cf. « fassicule de sensibilisation pour la coopérative » (1969)
Tab. 18.
Répartition des
investissements
industriels
1966-1972
Tab. 17.
Quelques
chiffres
montrant l’un
des aspects du
sousdéveloppement
du Laos à la fin
des années 1960Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 368 -
de l’ordre technique et budgétaire, la guerre servait de prétexte pour concentrer les efforts sur les
villes les plus proches du Mékong, mettant à l’écart les autres régions montagneuses, notamment
celles de la zone libérée. Cette mauvaise répartition des richesses et du progrès, due en grande partie
aux contextes politiques, devenait des arguments utilisés par l’opposition qui considérait que le
régime de Vientiane avait infligé tous les maux au pays. Et c’est ce qui justifiait la guerre menée par
le NLHS “ pour le libérer ”.
La zone du gouvernement de Vientiane offrait donc de fait et malgré tout un cadre
favorable, une vie de plus en plus citadine et occidentalisée. Par le nombre des observateurs et des
conseillers étrangers qui y venaient nombreux effectuer leur mission, l’emploi lié au domaine des
services et l’immobilier de location se développaient. Alors que la guerre était au summum de sa
violence, la population de Vientiane, de Luang Prabang, de Paksé, de Savannakhet, enfin ceux qui
avaient les moyens ou qui cherchaient à en avoir, vivaient dans l’instant et dans l’insouciance.
L’image qu’incarnaient les années 1960 et le début des années 1970, affichait une société opulente,
joyeuse, jeune et pleine de vie. Le cinéma a été importé par le biais de la Thaïlande et on
commençait aussi à le produire dans le pays, ainsi que le théâtre moderne. Les loisirs et la vie
nocturne, peu connus auparavant, faisaient leur apparition. Les musiques –le rock et le swing–
berçaient la jeunesse et animaient les soirées de la bourgeoisie des villes. L’image de ce bonheur
artificiel contrastait tant avec la vie dans la zone libérée.
Malgré cette artificialité, Vientiane ne produisait pas que la jeunesse dorée. Elle produisait
aussi une petite intelligentsia locale, consciente de la précarité du monde dans lequel elle vivait : la
guerre, l’injustice sociale et la fracture interne de leur propre société. Les uns par révolte devenaient
alors partisans de la zone libérée et épousaient ses causes, sans en connaître la finalité réelle. Les
autres plus réalistes faisaient leurs les problèmes et les affrontaient à leur manière. Nous pouvons
évoquer ici les jeunes militants qui s’engageaient dans les partis politiques ou les organisations
civiles, ou qui fondaient leur propre parti. Puis il y avait aussi les écrivains et compositeurs qui
dénonçaient de l’intérieur les problèmes sociaux et les injustices, la corruption matérielle et l’argent
facile, mais aussi la corruption idéologique, mettant en garde contre la séduction idéologique du
communisme.653 Mais dans l’ensemble du pays l’économie étant dépendante de la guerre,
« perfusionnée par les aides internationales » et surtout américaines, l’artificialité économique et la
paix dérisoire des villes du Mékong finissaient par remporter sur une recherche de véritable santé
économique et sociale. La vie étant value ce qu’elle devrait valoir durant la guerre, la société étant
fracturée et tenue artificiellement par l’illusion d’une paix et d’une réconciliation nationale chaque
fois détruite ou reconduite, les gens semblaient alors vivre une joie autant qu’ils pouvaient la vivre
et l’espérer d’un monde qui était en train de s’écrouler. L’aspect d’un pays sous-développé
caractérisait alors le Laos de la fin des années 1960. Outre par son caractère social que nous venons
d’évoquer, cet aspect peut être illustré par les données économiques.
II. III. d. Le grand tournant spatial des années 1960 : expansions urbaines, modes et
processus de développement, acculturation des modèles extérieurs
Le développement urbain et la production architecturale des années 1960 ont constitué le
tournant spatial du XXe siècle, voire, probablement celui des trois-quatre derniers siècles du Laos,
toute proportion gardée. De l’échelle individuelle et privée établie entre l’habitat et les équipements
communautaires (monastères, ruelles, marchés de proximité), des règles consensuelles et du savoirvivre
entre différents membres sociaux et par rapport aux esprits protecteurs des ban et de la ville
653 On peut évoquer les textes de Khamla Nokéo poète et compositeur qui, avec les titres comme « l’argent » (ngneun) et
« l’être humain » (khonh), dénonçaient la corruption et l’abu du pouvoir de l’ancien régime, mais n’a pas été inquièté pour
cela. Au contraire il avait été considéré comme un manipulateur des mots très aprécié. L’ancien régime semblait traiter ce
poète avec égars. Par contre le texte intitulé « où est la paix ? » (santiphab yusaï ?) en 1973 l’avait envoyé en prison de
Samké par le NLHS en 1975. Après sa libération quelques années plus tard il partira rejoindre ses enfants aux Etats-Unis.
Tab. 19.
Investissements
industriels tous
secteursDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 369 -
traditionnelle, la ville était passée clairement à une échelle plus grande et devient systémique. La
ville doit se plier au système urbain qui s’établit alors à travers le nouveau développement.
Provoquées par de multiples facteurs, situations et contextes, notamment l’indépendance et le
contact direct avec l’Occident moderne (non plus seulement colonial), partition territoriale et
politique du pays, guerre froide, etc., les villes du Laos commençaient à entamer une période
importante de mutation : formation des établissements urbains de nouveaux types, nouvelles formes
de répartition des hommes à l’échelle du territoire et à l’échelle urbaine, nouveaux partages inégaux
des biens et des services. Une nouvelle production architecturale et urbaine apparaissait, inaugurant
une période de transition urbaine et caractérisant le Laos des années 1960. C’est ce que ce
paragraphe propose de brosser.
II. III. d. 1. La création d’établissements de nouveaux types liés à la guerre
Dans les années 1960, s’étaient constitués trois types d’établissements qui étaient différents
des occupations constituées avant et pendant la période coloniale. Ceci, tant du point de vue des
habitants qui les composaient que du point de vue de la motivation ou de la raison de leur
constitution. Il s’agissait des établissements dont les objectifs étant d’être le refuge, le relais
militaire et le lieu d’acheminement des réfugiés. Leur existence était plus ou moins importante, et
plus ou moins pérenne, nous prenons trois exemples.
Les refuges de la zone libérée
Ils étaient essentiellement les grottes. Certaines d’entre elles pouvaient avoir une
programmation assez complexe. Quelles que soient la complexité de la programmation et la sécurité
qui pouvait y régner, les refuges aménagés avaient malgré tout l’aspect provisoire. Les enfants qui y
sont nés ou qui y avaient vécu un certain temps, pouvaient mesurer la précarité et garder un
souvenir fort, sinon douloureux.
- Derrière l’ancienne résidence du Prince Souphanouvong le complexe est intéressant. Ayant été
servi de quartier général, il pouvait accueillir pendant plusieurs jours les hauts membres du NLHS.
Il possédait ainsi un grand espace de travail, un dortoir collectif, une chambre privée du prince et les
cabines servant de chambre pour ses enfants, une infirmerie-dispensaire, des cabinets de toilette,
une cuisine, un (ou plusieurs) cabine-couchette du serviteur et cuisinier. Le complexe possède une
adduction d’eau, des ouvertures discrètes et protégées ont été aménagées pour ramener de la
lumière.
- Une grotte de Xieng Khouang abritait carrément un hôpital. C’est précisément sur celle-ci que des
bombes ont été tirées faisant plus de 300 morts.
- D’autres abris troglodytes dispensés partout dans les zones karstiques du Nord avaient été investis
par les villageois et l’armée populaire. S’y logeaient les écoles et les pagodes. Dans les grottes, on y
vivait le jour, la nuit, on sortait pour cultiver le riz et les potagers.
Les relais militaires
Créés de toute pièce suivant une localisation stratégique, les relais militaires existaient dans
toutes les régions militaires. Mais il y avait seulement deux qui se présentaient réellement comme
des établissements urbains, même si leur taille était modeste.
Les militaires étaient affectés dans ces établissements pour de longues durées, leur famille
les rejoignait bien souvent. Les écoles commençaient dès lors à s’installer, les petits commerces
s’ouvraient aussi. Peu à peu, c’étaient des petites villes qui se construisaient. Les gens dans les
villages reculés et dans les territoires plus ou moins proches affluaient soit pour trouver du travail,
soit pour vendre leurs produits agricoles ou de cueillettes. Les militaires avec leur famille vivaient
mélangés avec la population nouvellement constituée et la vie économique dépendait de l’économie
de la guerre et de ses retombées. Bien que la vie y fût animée, ces établissements demeuraient
pourtant des lieux de relais militaires, situés entre les terrains opérationnels (lieu de combat) et les
grandes bases de la capitale. Le paysage social était majoritairement militaire, il y avait des Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 370 -
officiers, des gradés et des simples soldats engagés et formés sur le tas et payés à la solde.
L’ambiance urbaine était caractérisée par les va-et-vient des missions militaires, mais surtout par
des vagues de réfugiés qui fuyaient les combats. Ces derniers arrivaient dans ces lieux affolés et
bigarrés, y restaient quelques jours, quelques mois avant d’être transités vers la capitale ou les
autres capitales régionales par l’armée royale.
Le cas les plus typiques de ville relais et militaire, fut la ville de Phonesavanh à Xieng
Khouang avant qu’elle ne soit prise par la force du NLHS et avant que l’armée royale ne se replie
sur Vientiane ou Luang Prabang, l’abandonnant. Dans une certaine mesure, la petite ville de Vang
Vieng était aussi une ville relais militaire à la porte de la province de Vientiane. Ce fut surtout la
ville de Samthong Long Chèng. En effet, si Phonesavanh avait été constituée à partir de petits
villages existants parmi les sites historiques de la plaine des jarres, avant de prendre de l’ampleur, la
ville de Long Chèng dans la même région était nouvelle, au milieu de nul part. C’était une plateforme
visible et dégagée pour faciliter l’atterrissage des avions de largage de bombes en mission.
Long Chèng au milieu des montagnes était une ville qui semblait visible seulement depuis l’avion,
comme s’il avait été impossible de l’atteindre par voie terrestre.654
Quant aux relais militaires de Vang Vieng et de Patang, ils s’étaient constitués dans un
cadre paysager grandiose profitant des petits établissements préexistants. Les vieux établissements
de Vang Vieng et de Patang ont été fondés et dirigés par une oligarchie venant de Sam Neua et de
Xieng Khouang 150 ans plus tôt. Par l’héritage ancien de chefs, dont le rôle a été reconnu par le
pouvoir royal, les familles dirigeantes locales continuaient à détenir le pouvoir ; leurs membres
étaient devenus des militaires hautement gradés et participaient à la direction des bases militaires de
la région.
Les caractéristiques communes de ces villes relais, étaient surtout leurs terrains d’aviation
réservés pour les avions militaires, mais utilisés aussi largement par les civiles des villages de la
région. Car les terrains d’aviation civile proprement dits n’existaient pas et les routes manquaient ou
très insécuritaires.
Les lieux d’acheminement et de replis des réfugiés
Ils auraient été constitués en général sur des établissements d’importance régionale. En tant
que lieux d’acheminement qui accueillaient de fait des populations qui se repliaient de la zone
libérée (car il n’avait pas été planifié comme Phonesavanh ou Long Chèng), ils étaient situés
géographiquement sur la dernière limite des régions qui venaient de tomber entre les armes de la
force du NLHS. C’étaient des villes qui auraient été suffisamment sécuritaires et suffisamment
dynamiques pour que les populations aient pu s’établir sans être obligées de repartir vers la capitale.
En se faisant les établissements en question s’étaient développés sur de l’existant, de telles sortes
que les nouveaux afflux qui entrainaient un développement nouvel aient pu marquer l’espace, du
point de vue des formes, des tissus, de l’organisation et du paysage urbain général.
Le cas de Houayxay aurait été exemplaire. La petite ville existant sur l’extrême sud de la
marge de la zone libérée de Luang Namtha a connu à ce moment-là un développement significatif
de par sa position. Cela a dû lui apporter un changement assez important. Lorsqu’on regarde
aujourd’hui les fronts de l’unique rue centrale qui longe la berge du Mékong en contre-bas de la
pagode centrale, on peut constater que la ville des années 1960 reste encore présente, ou est
redevenue présente, avec ses immeubles bas en compartiments, ses commerces et son port formant
654 Long Chèng était le fief de la CIA et la forteresse du Général Vang Pao, l’un des seigneurs de guerre les plus
controversés dans les années 1960. Vang Pao, issu du clan Vang, était un chef ethnique dont la position était moins
importante que le clan des Lyfoung qui était le représentant coutumier de tous les Hmong. Tout en jurant fidélité aux
monarques lao qui avaient accueilli 150 ans plus tôt ses ancêtres, Vang Pao avait aussi été l’instrument et l’homme de
terrain pour “ la guerre secrète ” américaine au Laos. Ce fut une instrumentalisation consenti par Souvanna Phouma,
lorsque celui-ci acceptait en 1964 l’aide militaire américaine pour que les troupes du Général Vang Pao repoussent la
force du Vietminh des hauts plateaux de Xieng Khouang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 371 -
un petit centre animé d’activités. Beaucoup d’argent de trafic passait dans cette ville située à une
cinquantaine de kilomètres à peine en aval du Triangle d’or. On pouvait la considérer comme la
dernière ville importante du gouvernement de Vientiane, à l’ouest de Luang Prabang et au nord de
Vientiane. Houayxay était contrôlée officiellement par le gouvernement de Vientiane, mais la
réalité était extra territoriale. Y pullulaient trafics de drogue, de pierres semi-précieuses et d’objets
archéologiques, lieu de transit de toute sorte de produits illégaux, en somme, c’était globalement les
personnalités influentes et probablement aussi militaires qui avaient la main mise sur la ville. Ce
type de ville accueillait en fait une forte population militaire où ayant un lien d’une manière ou
d’une autre avec l’armée.
En réalité Houayxay est une ville assez ancienne, mais son développement de la période
1960 avait tant de caractère qu’il donnait l’impression que la ville a été construite dans ces années.
La ville historique a presque disparu à ce moment-là, seule le monastère de la colline qui la
surplombe gardait encore quelques traces et mémoires du passé antérieur de la région à laquelle elle
appartenait. En effet à une quarantaine de kilomètres en amont, les traces de la vieille cité de
Souvannakhomkham rappellent la glorieuse histoire des différents établissements qui auraient
occupé la région : celui des aborigènes, des Môns, puis des Tai Gnouane.
Parmi les établissements qui s’étaient constitués dans le contexte de la guerre dont nous
venons d’évoquer les particularités, très peu ont perduré dans leur fonction urbaine, à l’exception de
Phonesavanh et de Houayxay. Par ailleurs, l’émergence de ces occupations restait marginale par
rapport au développement difficile des autres établissements urbains de l’époque.655
La guerre et la partition politique et territoriale ont ainsi configuré une nouvelle répartition
des hommes dans le territoire et dans les villes. Nous proposons d’examiner l’importance de cette
répartition à l’égard du développement des villes à travers l’échelle du territoire et de la ville et à
travers la question des infrastructures routières qui a été un problème crucial.
II. III. d. 2. Le rôle de la migration et de la répartition des hommes dans le développement
des villes
Les infrastructures routières, une armature territoriale difficile à mettre en place
La construction des infrastructures routières était à l’œuvre pour débloquer les liaisons entre
provinces afin de palier les désarticulations territoriales et développer les zones reculées. Certains
tronçons de l’unique route Nord-Sud, n’étaient pas entièrement utilisables à la saison des pluies,
encore moins en ce qui concernait les autres routes de branchement transversal. Ceux laissés par la
colonisation ont vieilli et ont besoin d’être réparés, et d’autres nouveaux réseaux avaient besoin
d’être construits. A vrai dire, les années 1960 ont poursuivi les constats qui ont déjà été établis dès
l’installation coloniale sur la nécessité de développer les réseaux routiers qui étaient et qui
demeuraient la clé de voûte du développement de l’ensemble du pays. Car la politique coloniale
pour le développement de ce secteur n’avait pas été menée à bout des besoins. Mettre en œuvre la
construction des infrastructures, c’était alors un des objectifs du gouvernement de Vientiane, mais
souvent les projets restaient théoriques. Gênés par le manque d’investissement publics et également
par les combats qui faisaient régner l’insécurité. Les projets ont souvent été bloqués ou abandonnés
et les agents qui y travaillaient étaient menacés dans leurs tâches. Les insuffisances des réseaux
routiers demeuraient un problème de taille pour le développement de l’époque et pour plusieurs
décennies qui allaient suivre. C’est la raison qui expliquait, pour les besoins du moment, l’existence
de nombreux terrains d’aviation qui étaient au nombre de 200 répartis dans l’ensemble du territoire,
mais seul l’aéroport de Vientiane pouvait accueillir les longs courriers internationaux.
La répartition des hommes à l’échelle du territoire
655 Il serait fortement intéressant d’aprofondir l’analyse de ces villes dans une nouvelle recherche qui porterait
éventuellement sur la pérennité et les modèles de villes fondées ou nées dans le contexte de la guerre.
Tab. 20. La
population et sa
densité dans les
villes les plus
importantes du
Laos, entre
1966 et 1968Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 372 -
Sur une population totale de 3 millions d’habitants en 1970, 15% vivaient en ville. En
occurrence la densité du pays était de 13 hab./km2. (contre 70 hab./km2 en Thaïlande pour 36
millions d’habitants). Seules Vientiane et Savannakhet avaient une densité supérieure à 50 hab/km2.
Luang Prabang, Viengxay, Khammouan, Khong Xédaun, Saravan, Paksé et Khong, avaient une
densité entre 20 et 50 hab/km2. Pour les villes d’importance en dessous, la densité était entre 10 et
20 hab/km2. Pour le reste du pays (80% du territoire) la densité était de zéro à 10 hab/km2.
Lorsqu’on compare la carte de la densité de la population de 1970 à la carte de la partition
territoriale de la même période entre le territoire du gouvernement royal et celui du NLHS, on
constate que la répartition humaine se dessinait selon trois configurations, dont les causes étaient la
fuite de l’insécurité des campagnes vers la la ville :
1- Une zone de densité transversale parcourait Houayxay-Luang Prabang jusqu’à la limite de Sam
Neua. Elle coupait le Nord du Laos en deux parties : les gens qui se trouvaient dans les zones
isolées entre Vang Vieng et Luang Prabang, remontaient vers Luang Prabang ou descendait vers
Vientiane. Ceux qui se trouvaient entre Luang Prabang et Oudomxay, descendaient vers Luang
Prabang ou remontaient vers Oudomxay.
2- Le même phénomène se constituait dans le Sud, mais de manière plus modeste, le territoire étant
plus étroit. Une ligne de densité transversale Khong Xédaun-Saravan semblait se dessiner, recevant
des mouvements de migration, celle qui descendait ou celle qui remontait, des populations de la
zone reculée d’Attapeu, de Karum, Samouay, Toumlan.
3- Une autre zone de densité plus importante se ramifiait sur le bord du Mékong formant nettement
une ligne nord-sud, de Vientiane à Khone. Cette ramification explicitait le mouvement transversal
de la population qui s’effectuait de l’Est vers l’Ouest.
La répartition des hommes à l’échelle de la ville
Dans cette répartition s’agit-il d’une densification des centres, d’une constitution des
quartiers périurbains ou d’un renforcement des villages ruraux ? D’un choix résidentiel rural, une
partie de Laotiens commençaient à choisir la ville comme cadre de vie, et surtout comme lieu de
travail, tout en préconisant une vie quotidienne en lien étroit et permanent avec le milieu rural. Non
pas tant parce que le mode de vie citadin gardait encore les composants ruraux qui se prolongeaient
et se reconstituaient dans le milieu urbain (avec l’aménagement individuel de potager et d’élevage
de basse-cour, avec les rapports que les foyers continuaient à entretenir avec les monastères, avec le
rapport de voisinage un peu particulier, etc.), mais plus parce que ces nouveaux citadins
établissaient une bipolarité foncière, une sorte de double résidence. Beaucoup vivaient en ville tout
en possédant une autre habitation en périphérie de la ville ou à la campagne, sans qu’il s’agit de la
maison de campagne que l’on aurait retrouvée en fin de semaine, car cette notion n’existait pas
encore dans un pays très rural comme le Laos. Le parcours entre la campagne et la ville était
presque quotidien, du moins il était fréquent.
Pour le commun des Lao, où l’opulence était plutôt le fait de la grande bourgeoisie liée au
pouvoir et aux commerces de l’importation et de l’exportation, à l’échelle familiale la production de
la campagne nourrissait la ville. Les activités et l’argent de la ville provenant des salaires ou des
commerces, mais aussi des retombées des aides américaines et de la guerre qui forgeait une
économie monétaire (circulation de la masse monétaire)656 comblaient les autres besoins de la
consommation modernes des familles (l’achat de médicaments, les loisirs, l’école, les moyens de
transport, etc.) Pour les plus aisés, ils satisfaisaient même le besoin de luxe et de représentation
sociale. Il y avait alors un certain équilibre entre le coût de la vie (devenant cher) et les revenus des
fonctionnaires et des grands commerçants, mais un déséquilibre s’établissait cependant pour les
656 Pane Rassavong, Considérations sur les grandes options de la politique de développement économique du Laos, thèse
de Science économie, université de Bordeaux, 1965. Cité par Labarthe, in : Quelques aspects du développement des villes
du Laos. Op, cit.
Tab. 22.
Population
urbaine. Fin
1950 et en
1968.
Source :
Statistiques.
Tab. 21. La
population
active
travaillant dans
l’administration
. Année 1958.
Sources :
Condominas et
HalpernDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 373 -
revenus moyens et surtout pour les plus pauvres. La société laotienne à deux vitesses faisait son
apparition. Parallèlement, les activités agricoles (production de riz autoconsommée) et de jardinage
permettaient à la majorité du commun des Lao qui les pratiquait jusqu’alors d’avoir un niveau de
vie convenable, du moins tenu à l’écart de la grande pauvreté qui apparaissait chez les groupes de
population les plus vulnérables et les plus exposés à la pauvreté qu’étaient les immigrés et les
réfugiés de guerre. Par la double activité citadin et rurale de leurs habitants, les habitations
existantes à l’extérieur de la ville pouvaient se retrouver améliorées, du moins pour ceux qui
menaient une bipolarité résidentielle, qui possédaient des revenus en ville, un emploi stable ou un
poste dans l’administration.
Après l’indépendance, on pouvait noter que le secteur tertiaire et administratif occupait une
part importante parmi la population active,657 corollaire à un fort développement de l’administration
et du fonctionnariat. Les petites élites provinciales étant arrivées nombreuses dans la capitale et
dans les capitales régionales pour occuper des postes dans le service public, les quartiers urbains et
les villages périphériques qui commençaient à être investis par eux se densifiaient alors. Du moins,
ils s’agrandissaient par l’augmentation du nombre de leurs habitants. Les offres foncières étaient
plus nombreuses et moins chères en périphérie des villes qu’en leurs centres. Plus modestes, ceux
qui n’avaient pas de doubles résidences, mais qui travaillaient en ville avaient ainsi élu domicile
dans les villages périphériques. Ceux-ci n’étant pas loin du centre ville, le transport à courte
distance étant facile (et sans grand embouteillage jusqu’au milieu des années 1960), qu’il était
même préférable pour eux de vivre dans les villages périphériques. La constitution ou la
densification et l’extension des villages proches des centres se produisaient dès les premières années
après l’indépendance. Cela donne lieu à un mouvement de production de l’habitat à Vientiane et
dans les capitales des provinces.
En ce qui concerne la migration des populations des provinces vers la capitale, ou de la
campagne vers la ville, on ne peut considérer ce fait, qui s’était produit dans les premières années de
l’indépendance, comme un véritable exode rural ou une migration définitive, puisque la majorité
gardait les liens, voire les domiciles familiaux (au sens large) en province pour pouvoir y retourner
au moins une fois par an, au nouvel an ou lors des événements familiaux importants. Sauf pour les
zones difficiles comme Sam Neua et Xieng Khouang ou Phongsaly, où les voyages de retour étaient
très peu fréquents à cause des difficultés du transport, des routes et des combats.
658 On peut par
contre évoquer l’exode rural et la migration à partir 1962 et plus intensément vers la fin des années
1960, lorsque les populations qui avaient fui les combats et qui s’étaient repliées dans les zones plus
sécurisantes qu’ils trouvaient alors dans les villes et leurs périphéries devenaient plus nombreuses ;
et lorsque fuyant la pauvreté les populations du Nord-Est de la Thaïlande émigraient aussi vers le
Laos. En ce cas, les liens avec les lieux de départ ont été rompus généralement. Une partie des
réfugiés et des immigrés venaient ainsi gonfler la démographie urbaine, dans les villages proches ou
dans les friches rurales se trouvant dans les villes. Des quartiers insalubres, sans infrastructures, à
faibles loyers et à problèmes, du point de vue de salubrité, social et économique, se constituaient
alors. Une forte concentration de population s’était également constituée, elle donnait à ce type de
quartier une densité supérieure aux autres quartiers, même les plus centraux.
Quelle que soit l’augmentation du nombre des citadins, la population urbaine demeurait
faible dans son ensemble et le phénomène urbain restait mesurable et relatif par rapport aux villes
thaïlandaises, notamment la mégapole de Bangkok qui comptaient trois millions d’habitants en
657 Le nombre des fonctionnaires était trop important au détriment d’autres secteurs, tels que les emplois techniques et
industriels de production qui manquaient. Cf. Manuel scolaire de géographie ; cf. Labarthe ; Halpern. Op, cit. 658 Il était assez fréquent de voir les avions militaires transformés en charter. Ayant plusieurs parents militaires, étant
enfant j’avais moi-même le souvenir d’avoir pris souvent les avions militaires, devenus pour la circonstance
“ charters familiaux ” afin de rejoindre les grands parents dans le Sud du Laos au nouvel an. Le dernier vol en 1975 (?)
nous a par ailleurs bloqués dans le Sud, le régime étant devenu communiste, les parents militaires étant envoyés aux
séminaires. De Champassack pour rejoindre Vientiane nous avons alors pris plusieurs jours, entre bus, pic-up et bateau par
le Mékong.
Tab. 23.
Population
active répartie
sur trois
secteurs à
Thakkek,
Paksé,
Savannakhet.
(d’après
Halpern, 1959)Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 374 -
1970, alors que Vientiane ne comptait que 132.253 habitants, la seule ville du pays à dépasser les
100.000 habitants. La ville de Vientiane était quasiment la seule à déborder de ses limites
historiques dès les années 1955. La ville se développait en dehors de son rempart intérieur, la zone
urbanisée étant débordée de la première couronne historique dessinée par le boulevard Khou Vieng
et Khoun Bourom. Les zones insalubres commençaient à se constituer dès le début des années 1960,
de çà et là, absorbant plus que les autres villes un exode rural et une migration créée par la guerre et
la précarité. Alors que dans les autres villes, où la démographie était modeste et leur attractivité
relativement moindre, c’était plutôt le phénomène de densification à l’intérieur que l’on remarquait
le plus, afin d’attraper le manque de densité traditionnelle. En fait, la ville ancienne offrait assez de
places pour les premières vagues de laocisation des centres juste après l’indépendance, sans qu’il
n’y ait l’effet de débordement. C’est après saturation des centres que la population se dispatchait à
l’extérieur et/ou constituait les zones insalubres dans les parties décentrées de la ville. Car c’est
surtout à Vientiane que le phénomène se remarquait.
II. III. d. 3. Le développement urbain : le tissu urbain et l’architecture des années 1960
L’expansion urbaine était surtout concentrée dans les villes de la vallée du Mékong, alors
que celle de la zone libérée était quasiment inexistante. Rappelons que les urbains lao étaient
minoritaires durant la période coloniale ; ils devenaient majoritaires à partir de 1954. A Vientiane
par exemple ils représentaient 40% de la population avant 1950 et passaient à 54% en 1954.659 La
partition du pays à partir de 1954 constituait aussi des nouvelles données, configurant autrement la
répartition des hommes dans le territoire et dans l’espace urbain. Comme nous l’avons noté à
l’instant. Les villes lao durant cette période étaient globalement caractérisées par trois éléments : 1-
les établissements qui pouvaient être qualifiés de villes étaient limités en nombre. 2- les villes
étaient de tailles modestes et avaient des caractères urbains peu marqués. 3- les plus importantes
parmi elles, telles que Vientiane, Paksé, Savannakhet, Luang Prabang et Thakkek, étaient toutes
situées dans le bassin du Mékong ; situation héritée de la période coloniale, comme nous l’avons
noté dans le chapitre traitant des villes coloniales. La situation durant la guerre froide reprenait le
même schéma en l’accentuant davantage. Leur développement s’était appuyé en continuité sur la
période précédente tout en étant redevable aux nouvelles données.
La densification urbaine
Les villes ont connu une densification toute relative. Elles n’avaient pas connu, jusqu’à une
période récente, des tendances à la verticalisation. Généralement, les immeubles et les
compartiments ne dépassaient pas R+3 dans les cinq villes les plus importantes du pays. La
densification, c’était d’abord les démembrements parcellaires, induisant une augmentation des
unités bâties. Et lorsque les terrains ne sont pas démembrés ces derniers avaient des surfaces
suffisamment grandes pour accueillir en plus d’autres constructions : des rangées de compartiments
ou d’immeubles, formant des nouvels fronts de rue. Ils remplaçaient parfois les anciens
compartiments à rez-de-chaussée ou les anciennes maisons lao en bois et enfermant ainsi en arrière
le jardin et les anciennes maisons. La densification, c’était aussi l’augmentation des taux d’emprise
au sol des éléments bâtis : une ou plusieurs parties des maisons pouvaient faire l’objet d’extension,
ou des nouvelles maisons pouvaient se construire facilement dans le jardin lorsque les enfants se
marient et forment leur propre foyer. En ce cas, la parcelle serait destinée à être démembrée
ultérieurement. Les poches de rizière, les jardins et les friches rurales subsistant encore à l’époque
dans les zones péricentrales et centrales des villes étaient également investis. Les délimitations entre
propriétés étant devenues plus nettes –permises par la parcellisation cadastrée et l’immatriculation
foncière de la période coloniale, elles avaient facilité tous les types de densification possible.
659 Cf. Lafont P-B, Péninsule indochinoise : études urbaines, l’Harmattan, 1991, Paris, 239 p., Illu., Tab., Cartes.,
Bibliogra., Recherches Asiatiques.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Notons enfin que la densification urbaine dans ces années, étant relativement souple, avait
permis de préserver les espaces verts et paysagers tant dans les propriétés privées que dans les
propriétés publiques. Cette remarque valait pour l’ensemble de la ville sauf pour les quartiers les
plus centraux (quartier des trois cinémas de Vientiane) dont les immeubles –occupant de manière
continue les fronts de rue, donnaient peu de places à la végétation. La première période de
densification était donc accompagnée d’une minéralisation du sol urbain, celle-ci pouvait même être
l’une de ses caractéristiques.
La politique de logement
Des efforts ont été mis en œuvre en faveur des logements pour fonctionnaires, surtout à
Vientiane et à Paksé, et de manière inégale dans les capitales provinciales. Ceci a été suscité par le
détachement des agents de l’administration de l’État, dont le nombre devenait croissant depuis le
milieu des années 1950. Mais cette action de l’État était limitée. On ne pouvait pas vraiment
évoquer la politique de logement, dans la mesure où les efforts étaient seulement dédiés au service
des agents administratifs et non à l’ensemble de la population. Dans le contexte de construction et
de modernisation du pays après l’indépendance l’État jugeait important de récompenser par des
logements exemplaires, les médecins, les professeurs et autres fonctionnaires nouvellement affectés
à leur fonction après leurs formations en France, et qui ont accepté parfois d’aller travailler en
province.
Il s’agit à partir de 1955 surtout des logements collectifs. Ceux-ci étaient assez modestes
construits en bois et parfois encore en torchis. Notamment ceux qui étaient sur les sites actuels des
hôtels Lao plazza et Parc view. L’immeuble d’appartements pour professeurs construit en face du
Lycée de Vientiane était un beau spécimen de l’architecture moderne de la fin des années 1950660 et
de cette politique de logement de l’Etat. Dans les années 1960, c’étaient plutôt quelques immeubles
de logement de style international, dépassant rarement R+3. Quelques lotissements de villas
relevant de l’autorité publique, presque entièrement destinés aux militaires, pouvaient être
remarqués. Dans leur ensemble, les immeubles et les programmes de logement ne s’inscrivaient pas
dans une logique nationale, mais dans des besoins isolés et fragmentés de chaque organisme ou
ministère.
Les besoins en logement n’avaient jamais été décisifs pour l’État laotien, la question du
logement demeurait dans son ensemble du ressort des privés. Les projets privés constituaient
l’essentiel des nouvelles habitations, qu’elles soient destinées à l’utilisation personnelle du maître
de l’ouvrage ou à la location et à la vente. Remarquons cependant que dans le secteur privé les
promoteurs d’appartements étaient rares, alors que les promoteurs des compartiments et des
maisons individuelles étaient plus nombreux. Dans les quartiers anciens ou centraux, on y trouvait
plus souvent les compartiments et les immeubles, les maisons individuelles étaient plus couramment
construites dans les quartiers plus décentrés. A Vientiane, on y trouvait des quartiers de villas à
plusieurs endroits et de manière différenciée : par exemple, celui de Sisangvone était résidentiel
pour classe aisée, alors que celui de Dong Païna étaient plus populaire.
Les tissus urbains, les types d’îlot
Vers le milieu des années 1970, Vientiane offrait la vision la plus complète de ce qu’était
une ville laotienne constituée dans son histoire urbaine récente, mais qui n’en gardait pas moins la
trace de son passé plus lointain. A travers sept types d’îlot (que j’ai analysé et classifié à postériori
vers 1996-1999), nous pouvons comprendre comment l’histoire urbaine récente a enregistré ou
rejeté les espaces hérités. Nous prenons comme exemple ici les études typologiques plus que les
études des quartiers. Car autant la notion de quartier est spécifique au lieu étudié et ne peut
représenter ou remplacer l’étude de quartiers des autres villes. Par contre, la classification
660 Il a été remplacé vers 2007 par le bureau de UNDP.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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typologique à l’échelle de l’îlot, elle, peut être représentative d’autres quartiers dans d’autres villes.
Autrement dit, les sept typologies que nous repérons peuvent être retrouvées dans le même contexte
dans d’autres villes du Laos. Il s’agit dans l’exemple ci-dessous d’une étude des types d’îlot du
centre de Vientiane.
1. Les îlots à grandes parcelles occupées par des édifices isolés, des habitations ou des équipements
Situés en centre ville et entourés de compartiments, l’îlot accueille l’implantation de remarquables
édifices isolées : des villas modernes et des maisons coloniales, comme des monastères entourées de
murs d’enclos formés par les murs arrières des immeubles ou des maisons qui l’entourent et qui
l’enferment au fur à mesure de la construction de ces derniers. Dans le cas où il s’agit d’un
monastère encerclé, entièrement ou sur deux à trois côtés, l’habitat laïc empiète incontestablement
son espace. L’accès à ce type de cœur d’îlot est souvent insalubre, à cause de la profondeur de la
voie d’accès, ancienne et peu entretenue et à cause aussi du partage un peu flou des responsabilités
sur la voirie.
2. Les poches d’habitat précaire
Elle est caractérisée par le manque d’infrastructures publiques pour l’évacuation d’eau de
ruissellement et de sanitaire de base (manque ou insuffisance de réseau d’évacuations ou
d’épandages local des eaux usées et des eaux vannes). Les accès aux habitations posent toujours
problème surtout à la saison des pluies. Le branchement sur le réseau des flux (électricité EDL et
eau Nam Papa Lao) a souvent été fait sans autorisation et sans norme. Les logements eux-mêmes
sont insalubres, denses et surpeuplés. Ils ont commencé à être construits dans les années 1960 avec
des matériaux en bois et en tôle ondulée. En case ou compartimentés leur usage est souvent
collectif. Ils sont aujourd’hui peu à peu remplacés par des matériaux en dur (mur en maçonnerie,
poteau en ciment). Les limites de propriétés et parcellaires sont indéterminées. Les habitants sont
souvent sans emploi ou avec emploi précaire : marchands ambulants, ouvriers journaliers,
chauffeurs de samlo (dans les années 1960 et 1970) et chauffeur de touk-touk (aujourd’hui.)
3. L’ensemble de maisons isolées en cœur d’îlot
L’îlot est caractérisé par des belles ruelles ombragées, malgré l’aspect rudimentaire et vieilli du
système d’assainissement. On y trouve quelques maisons lao anciennes et plus souvent des maisons
lao pagnuk. Bien que les maisons lao anciennes aient quasiment disparu, la subsistance des maisons
lao pagnuk, le rapport de proximité et d’intimité des habitations entre elles, montrent que ce type
d’îlot est bien issu d’une ancienne structure de village. Sans effet de forte densité, et peu touchés par
la mutation générale des tissus urbains qu’éprouvent les parcelles qui jouxtent les voies, les îlots de
ce type lorsqu’ils sont en recul par rapport aux grandes voies publiques préservent assez bien les
traces des anciens villages dont ils faisaient autrefois partie.
4. Les îlots en damier
A la fois résidentiel et commercial l’îlot est constitué d’immeubles, de compartiments et de maison
isolées. Les habitations ont souvent connu des modifications et des extensions ultérieures. Les
parcelles ont parfois été démembrées pour former des parcelles plus étroites accueillant des
compartiments. Des voies privées ou des impasses ont été créées ultérieurement formant des voies
de dessertes aux petites parcelles issues des démembrements qui se situaient au fond à l’intérieur de
l’îlot. Pour les besoins des habitants qui exerçaient aussi des activités commerciales, les extensions
en appentis qu’ils réalisaient ultérieurement au fur à mesure débordent souvent des façades de rue,
empiétant la voie publique. Dans certains îlots, ce type de constructions peut atteindre R+4. Enfin
l’îlot est caractérisé par la régularité de ses trames viaires qui se coupent en angle droit.
5. Les îlots dont le cœur est en friche
Caractérisé par ses grandes parcelles, entourées d’immeubles commerciaux en compartiment, ce
sont des équipements de loisir et de service (cinéma, hôtel). Les voies d’accès, qui traversaient les
compartiments et qui longeaient les façades arrières des compartiments et des immeubles, donnaient
accès à un ensemble de logements où une façade intérieure se reconstituait. Ce type de parcelle Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 377 -
constituait un potentiel foncier important et occupe une place centrale dans le quartier. L’abandon
de ses activités peut entraîner la déshérence des bâtiments et la mort du quartier. C’est ce qui s’était
passé après 1975, ce type d’îlot devenait une friche en plein cœur de la ville. Mais aujourd’hui les
anciennes friches des années 1980 deviennent des enjeux fonciers majeurs. Elles offrent de grandes
surfaces en plein cœur des quartiers centraux et pouvant accueillir des grands immeubles
(notamment l’ancien cinéma de Bouasavanh à Vientiane.)
6. Les îlots fermés occupés par une population immigrée
L’îlot est caractérisé par une forte densité de la population et de l’habitat, construit sur le principe
des murs mitoyens. Les voies de dessertes sont étroites et très sommairement aménagées et
assainies ou mal entretenues, avec un caniveau central de petit gabarit. Les constructions sont
tellement serrées qu’ils ne laissent pas de place, ni pour les espaces verts ni pour les vides. Cet îlot
était un fait remarquable dans son insertion dans le tissu urbain : un marché de proximité marquait
l’entrée de l’îlot, et il n’y avait quasiment qu’une seule entité sociale et ethnoculturelle qui le
compose.
7. Les îlots marqués par les formes des temps antérieurs
La présence de la végétation et du sol naturel y est remarquable. L’îlot étant situé dans une
partie basse de la ville (ligne de côte de niveau basse) possède donc des conditions favorables pour
avoir des zones humides. Les voies de dessertes sont étroites, tortueuses, informelles et souvent
inondées à la saison des pluies et le réseau d’assainissement est rudimentaire. Les composants bâtis,
plus ou moins denses, sont principalement constitués de maisons sur pilotis et de maisons lao
pagnuk. Dans son ensemble, l’îlot a un caractère rural et semble garder encore quelques traces et
quelques aspects de son passé. Il y a la présence de plan d’eau ancien (l’étang de Bungkragnon a été
conservé), on y trouve des vestiges archéologiques, tels les grands fours à terre cuite, les déchets
d’atelier de forge. Ceci semble expliciter que l’îlot abritait une fabrique de poterie ou de brique, des
ateliers d’armurier (à Ban Phra Pho). Ce qui peut suggérer que l’îlot avait probablement fait partie
d’ancien village d’artisans, une des vieilles structures de la ville.
Les quartiers insalubres
Les quartiers insalubres s’étaient constitués peu à peu dans les villes les plus importantes
pour accueillir réfugiés et immigrés. Les terrains qui ont été occupés par ces derniers étaient dans
les zones non loties, manquant de branchements sanitaires. Sans infrastructures de base ou très
rudimentaires, les terrains étaient peu chers et demandaient peu d’investissement aux propriétaires
qui se mettaient à construire des logements à faibles loyers. Parfois, les terres sans propriétaires,
c’est-à-dire des terres appartenant à l’Etat, ont été squattées et les squatters y construisaient leurs
logements en bois sur bas pilotis. A Vientiane par exemple, les quartiers de Nong Chanh-khoua
dinh et de Hongsi Noy devenaient deux grandes zones insalubres de la ville. Même la qualité
environnementale de leur cadre, en tant que zone humide, n’avait pas pu résorber les problèmes
divers qui s’y posaient.
Prenons en exemple le quartier de Nong Chanh-Khroua Dinh. Mise à part l’insalubrité,
l’essentiel des problèmes qui se posaient dans ces quartiers était l’enchaînement d’autres problèmes
qui leur sont liés. La diversité de la provenance des populations, le manque de souche sociale et
familiale de base, ne favorisaient pas la cohésion et la centralité sociale et ne permettaient pas le
contrôle et la conduction des comportements sociaux. Le manque de qualification professionnelle
des habitants et la pénurie de l’emploi, qui n’étaient pourtant pas des faits spécifiques à ce type de
quartier, mais un fait commun pour l’époque en devenaient des problèmes insalubres, déstabilisant
la cohésion sociale ; alors que partout ailleurs les problèmes sont limités à leur propre cadre et ne se
retrouvaient pas amplifiés et déplacés dans le champ social. Les activités existantes dans ces
quartiers étaient peu constructives, instables et parfois prohibées : délinquance, drogue, prostitution
trouvaient leur terrain de prédilection.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Malgré son insalubrité (eaux usées et eaux de pluies croupies.) la zone humide de Nong
Chanh-Khroua Dinh était pourtant l’endroit où les habitants les plus démunis pouvaient trouver un
minimum de quoi subsister avec la vente des plantes aquatiques.
661 L’accès au quartier se faisait par
la rue Dong Palane ou par le boulevard Khouvieng. Etant construit dans un milieu humide avec des
poches plus ou moins profondes, les voies d’accès à l’intérieur du quartier rendaient la circulation
des personnes anarchique : chemins en terre, passerelles en bois et en tôle plate, et la plupart était
des voies sans issue. La promiscuité des habitations en bois et en tôle, l’insécurité, la
marginalisation et la ghettoïsation faisaient que le quartier symbolisait tous les maux et l’image
négative de la ville. Le quartier symbolisait aussi la faillite de la gouvernance urbaine du régime de
Vientiane. La non-intervention de l’Etat en la matière amplifiait en quelques années le phénomène
de squattérisation, de ghettoïsation et de dégradation sociale. Les études urbaines commandées par
le gouvernement royal au BCEOM, achevées en 1964, ont montré que le problème était
préoccupant pour l’autorité publique. Les quartiers insalubres ont été inscrits dans le schéma
directeur d’urbanisme (SDU), mais la mise en œuvre de la politique urbaine pour apporter des
solutions aux problèmes était peu dynamique : rien n’a été fait à ce niveau de manière conséquente,
jusqu’à la fin du régime de Vientiane.
Les tissus urbains et les typologies architecturales des années 1960
Dans les années 1960, il n’y avait pas de construction de quartier et de villes de manière
isolée ou indépendamment du contexte de la guerre. Que ce soit la densité urbaine des quartiers
centraux ou des villages périphériques, il y a une persistance dans la mixité des tissus urbains,
dominée par la continuité des fronts de rue.
Les différentes typologies d’architecture sont apparues plus nettement que la période qui
précédait. Ils ont créé une différenciation entre quartiers de manière plus nette, ceci, par le
vocabulaire architectural, le gabarit et la hauteur des bâtiments, par l’utilisation des matériaux et la
composition sociale et économique des habitants. Mais cette différenciation a été gommée par la
persistance de la pratique habitante de l’espace et par la persistance de la végétation et des
composants paysagers qui ont joué un rôle déterminant. A l’exception des quartiers très centraux
tels notamment à Vientiane le quartier Anou et à Paksé le quartier du cinéma, dont les fronts de rues
étaient marqués par une continuité des façades d’immeubles, qui ne dépassaient pas de toute façon
R+3 et R+4. La continuité des façades d’immeuble en question, caractérisée par une occupation qui
combinait la fonction commerciale au rez-de-chaussée et la fonction d’habitation à l’étage, induisait
une densité plus grande.
C’est ce caractéristique globale qui avait défini l’aspect urbain de la ville laotienne des
années 1960. Ceci, dans la mesure où il y avait un phénomène de caractérisation des centres, se
distinguant des quartiers périphériques et des villages. C’est un phénomène spatial qui avait apparu
dans plusieurs villes : à Luang Prabang, à Savannakhet et à Paksé, et même dans la petite ville de
Houayxay. Les éléments de caractérisation des centres urbains qui étaient apparus avec la période
coloniale (compartiments sino-coloniaux, équipements administratifs, résidences coloniales, marché
central, faible minéralisation et forte présence de la végétation, etc.) étaient alors moins marqués
que ceux apparus dans les années 1960. Si les centres urbains coloniaux avaient une certaine
continuité avec les villages ruraux tout en se distinguant d’eux par leur fonction, les centres urbains
des années 1960 se démarquaient différemment des villages ruraux par la continuité du bâti sur les
façades de rue (phénomène qui n’existait pas dans les villages ruraux) et par le mode de vie du
661 Dans les eaux poussent en grande quantité phak top (Monochoria hastaefolia) et phak bong (Ipomoea aquatica). Ces
plantes aquatiques se développent vite et possèdent une grande capacité d’épuration des eaux ; bouillies avec le riz
concassé, elles deviennent une alimentation porcine. Nong Chanh produit naturellement une grande quantité de ces
plantes ; les plus démunis ramassaient phak top pour les vendre aux petits éleveurs de porc, et coupaient phak bong pour
les vendre aux marchés de la ville.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 379 -
centre urbain, devenant beaucoup plus commercial, plus nocturne, avec une population plus active,
etc. Comme nous allons le voir de suite traitant « d’ancienne centralité et de nouvelle centralité ».
Par contre à l’inverse, un autre phénomène s’était produit dans la composition spatiale :
certains villages et zones rurales ont été investis par des nouveaux éléments constructifs qui avaient
pris racine dans les centres urbains et à travers la typologie des équipements publics, avant de se
développer ensuite à travers la construction des villas et des immeubles privés. Nous voulons
évoquer les villas modernes qui avaient été construites de çà et là dans les centres ruraux se trouvant
à proximité immédiate des centres urbains de l’époque, comme le quartier de Sisangvone, le
quartier de Dong Païna, le quartier de Phone Sa-at à Vientiane. Ils devenaient des quartiers de
résidence, dont l’architecture de certains d’entre elles peut devenir aujourd’hui des exemples de la
modernité très typique de l’époque.
On peut dire que les typologies architecturales proprement dites des années 1960 étaient
globalement dominées par l’architecture moderne, en particulier dans la production des maisons
individuelles, des équipements publics et des immeubles en compartiment. Cependant, les maisons
lao pagnuk (maisons lao contemporaines) avaient marqué aussi indéniablement la production du
bâti durant ces années par leurs quantités.
L’architecture moderne des villas
Les villas modernes avaient été un des marqueurs de l’espace urbain, économique et social
par la nouveauté qu’elles apportaient. L’acte de construire de l’habitat était alors fractionné et faisait
apparaître de manière plus flagrante les différents corps de métier, par rapport à la période qui
précédait : l’utilisation de matériaux en dur dominés par le béton armé et de la maçonnerie, la mise
en œuvre de la construction plus sophistiquée nécessitant un savoir-faire nouveau, c’est-à-dire,
devant faire appel à des sociétés de construction, et surtout, au service des architectes. Le prix de la
construction devenait alors plus onéreux. Dans ces années, les villas exprimaient ainsi le mode de
vie nouveau, ils étaient devenus le signe extérieur de richesse, indiquant la santé financière et
économique de l’occupant. Celui-ci aurait forcément un lien quelconque avec le pouvoir politique
ou financier qui détenait le pouvoir du moment. Force est de constater que les villas les plus
intéressantes ont été construites dans ce contexte. Elles sont remarquables par leurs vocabulaires
architecturaux résolument modernes : fonctionnalité recherchée, volumétrie simple, plan libre,
structure en porte-à-faux, grands claustra, pergola et brise-soleil, toiture-terrasse, percement libre
des ouvertures, grandes baies vitrées, etc.
Les petites villas basses en bois constituaient une variante de cette modernité et exprimaient
une certaine adaptation du modèle d’origine au contexte local. Elles ont été construites à même le
sol, sur un soubassement (semelle filante) qui les séparait du sol d’une cinquantaine de centimètres.
Avec souvent un plan de fonctionnement similaire aux villas modernes en dur, leur construction
étaient moins onéreuse et donnait une indication sur la classe sociale des occupants. Du fait qu’elles
étaient en bois, elles appelaient davantage à un savoir-faire local dans leur mise en œuvre, en
particulier en ce qui concernait le bardage de bois des murs, invariablement celui des maisons lao.
Mais l’ensemble de leur construction montrait qu’elles étaient issues d’une démarche moderne
(appel aux entreprises de construction aussi petites sont-elles, au plan d’architecte et au permis de
construction). En fait, à travers leur plan d’agencement, la fonction de l’habitat avait changé. Situés
sur le même plan sans décrochement de niveau du plancher par rapport à leur fonctionnalité, les
espaces de la maison n’étaient plus hiérarchisés. La salle d’eau d’un côté et la cuisine de l’autre,
cette partition faisait partie alors de l’organisation intérieure de la maison. Elles n’étaient plus
construites dans une maison à part ou en appentis, mais côtoyaient la salle à manger qui se trouvait
dans une pièce communiquant avec le salon, parfois, il s’agissait de la même pièce.
L’architecture moderne des immeubles collectifs, des équipements publics et des immeubles en
compartiment
Les immeubles de logements collectifs sont bien apparus dans les années 1950 et 1960,
mais ils demeuraient des projets rares. Le mode d’habiter de ce type était assez étranger aux locaux.
Fig. 88.
Habitations et
immeubles
urbains des
années 1960 à
Vientiane :
immeubles
d’angle, mais
aussi des
habitats
précaires
Fig.89. Autres
équipements des
années 1960 dans
le centre de
Vientiane :
Banque, Piscine
municipale,
hotels, Université
Fig. 90.
Equipement des
années 1950 :
l’Assemblée
Nationale
(Aujourd’hui le
bâtiment fait
partie du
campus du
bureau du
Premier
Ministre)
Fig. 91.
L’Hôpital
Mahosot
(bâtiment des
années 1960,
dans un campus
qui date de la
période
coloniale)Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 380 -
Puisque ces derniers se conformaient dans le mode individuel de résidence et de propriété privée et
ignoraient jusqu’à cette période la résidence collective. La construction des immeubles collectifs
était pendant longtemps issue des besoins spécifiques d’une institution : pour loger les professeurs
des lycées et de l’université sous forme d’appartement, pour loger les étudiants sous forme de
chambre collective et de dortoir, pour le personnel des hôpitaux, etc. Les nombreux experts en
mission pour de longs séjours trouvaient également les moyens de se loger dans les appartements de
ce type, lorsqu’ils ne louaient pas les villas individuelles. Pour les séjours plus courts, ils logeaient
plutôt dans les hôtels, une autre forme alors de résidence collective. Les occupants étant
majoritairement étrangers et leurs venues étant, pour beaucoup, liées aux fonctions de la capitale,
c’est à Vientiane que l’on trouvait le plus ce type de logements.
Il était de même pour les immeubles en compartiment. Ils sont caractérisés par leur
fonctionnement et par leur plan intérieur constitué de plusieurs unités de logement standardisées et
répliquées sur le plan et sur plusieurs étages. Les unités sont ensuite desservies par des coursives
collectives fermées ou ouvertes sur l’extérieur. Il existait principalement deux types de façades.
L’un est caractérisé par l’uniformité des composants architecturaux, formant une unité de façade
unique. En ce cas, la façade ne reflète pas forcément le caractère sériel et standard du plan intérieur.
Et souvent il s’agissait alors d’immeuble de bureaux monofonctionnel, ou d’équipement avec
fonction unique. L’autre est caractérisé par la standardisation des unités répétitives des composants
architecturaux, et en ce cas la façade reflète le plan intérieur avec des unités d’habitation
(appartements ou chambres) répétitives et standardisées. Parfois, ce dernier type d’immeuble peut
être des immeubles en compartiment.
Les équipements publics étaient apparus nombreux dans les années 1960. Si parfois les
anciens équipements datant de la période coloniale continuaient à être utilisés pour les mêmes
fonctions, les immeubles isolés dans de petits campus administratifs ont été construits dans toutes
les villes importantes. A Vientiane, ils jalonnaient surtout le grand axe urbain de l’avenue Lane
Xang. Les plus emblématiques, telle l’Assemblée Nationale et l’immeuble de logement des
professeurs du lycée de Vientiane, empruntaient une architecture moderne un peu différenciée des
autres. Cette architecture se référençait curieusement aux différents courants modernes des années
1930 et 1940 : les expressions du « nouvel ordre de l’ère de la machine », reste du mouvement
futuriste et constructiviste, apparu et très débattu en Europe autour de la deuxième guerre mondiale.
Ces deux cas restant uniques, les autres empruntent un langage moderne proche de certains
vocabulaires de le Corbusier, de l’expression internationale et du rationalisme européen.
Bien que dans certains cas, les immeubles en compartiment pouvaient avoir des similitudes
avec les immeubles de logement collectif ou des équipements publics que nous venons de décrire,
ils étaient résolument différents du point de vue de l’opération immobilière, du point de vue des
fonctions et du mode d’habiter. Les immeubles en compartiment étaient caractérisés par une
appropriation verticalisée de R+1 jusqu’à R+3, ne dépassant pas R+4. Les compartiments
combinaient la fonction commerciale et d’habitation. Le rez-de-chaussée était consacré aux activités
commerciales, alors que le reste des étages était consacré au logement. A la différence des
habitations individuelles, il était très rare que les immeubles en compartiment de ce type soient issus
d’opération immobilière fractionnée. Le promoteur les construisait généralement à partir de trois
unités. Il y avait quelques exemples types dans le quartier Sihom.
Les maisons lao pagnuk
Les maisons lao pagnuk sont dérivées des maisons lao anciennes. Situées généralement
dans un milieu plus urbain (avant de se répandre aussi dans les campagnes), elles sont caractérisées
par leur rez-de-chaussée cloisonné, doublant ainsi les surfaces habitables recherchées. A l’étage, les
cloisons et les parements extérieurs sont en bardage de bois, alors qu’au rez-de-chaussée ils sont en
maçonnerie. La structure porteuse du rez-de-chaussée est en béton armé de petite section alors que
celle du haut est généralement en bois. Ceci crée une distinction assez nette entre le haut et le bas.
Et à la différence des maisons lao anciennes, on ne vit plus au premier étage mais au rez-deFig.
92.
L’immeuble de
logement des
professeurs du
lycée de
Vientiane,
construit à la fin
des années
1950.
Fig. 93.
Immeubles et
compartiments
des années
1960, dans le
quartier centre
de Vientiane.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 381 -
chaussée, le haut étant consacré à l’espace de nuit. La toiture est moins pentue et plus affaissée par
rapport à son modèle d’origine, permise par l’utilisation de la tôle ondulée, ce qui rend l’aspect
général de la maison moins effilé. Les terrasses (sya) sont souvent absentes remplacées par les
balcons de taille modeste, dont les motifs des garde-corps, variés et soignés constituent une fantaisie
apparente par rapport à son manque de décors par ailleurs. Les espaces intérieurs sont moins ouverts
sur l’extérieur, les ouvertures sont réduites et le plan d’organisation spatial est plus imbriqué.
L’absence de fluidité intérieur-extérieur rend compacte et volumineuse la perception de la majorité
des maisons lao pagnuk. L’ambiance intérieure est plus feutrée, plus sombre et moins ventilée.
Parfois, les éléments de liaison avec la partie attenante, en arrière ou latérale, que constituent la
cuisine et la pièce d’eau, les rendent plus ouvertes et moins compactes.
Le développement et la production des maisons lao pagnuk et de leurs déclinaisons
typologiques sont vraiment issus d’un contexte et d’une culture locale qui s’efforce de s’adapter à
un moment de développement urbain particulier, celui de l’apparition relativement forte du monde
citadin et urbain avec ses contraintes diverses. En fait au moment où plusieurs questions se
croissent pour rechercher comment mieux vivre l’époque, comment s’adapter à certaines contraintes
urbaines, construire une maison pour pas trop cher, avec un savoir local –voire même avec une
capacité d’auto construire. Comment avoir un espace de vie suffisant pour une famille nombreuse
lorsque l’emprise au sol est restreinte, etc. Ce sont là des questions auxquelles les maisons lao
pagnuk tentaient d’apporter des réponses. En fait c’était le moment où l’urbanité et la citadinité ne
sont plus seulement signifiés par le fait d’être “ dans le muang ” ou “ hors du muang ”, le fait d’être
dans l’enceinte de la ville ou en dehors, mais par un mode de vie, de production et de
consommation qu’il fallait adapter et renouveler. En cela les maisons lao pagnuk, est un vrai témoin
de la transition sociale lao traditionnelle et rurale vers un monde urbain. Il traduit la capacité, mais
aussi les limités d’adaptation de cette société traditionnelle à un tournant spatial crucial.
La centralité ancienne, la centralité nouvelle
Dans les années 1960, les quartiers à dominance commerciale et d’activités nocturnes
étaient apparus comme des nouvelles centralités. Mais souvent ces centralités nouvelles se
greffaient aux quartiers de centre ancien. Par exemple le quartier Anu des trois cinémas
(Bouasavanh, Viengsamaï, Sènglao) avec boutiques et restaurants, qui était le centre ville dans les
années 1960, animé et nocturne, côtoyait le quartier des cinq pagodes (Vat chanh, Inpèng, Ongtù,
Mixay et Haï sok), qui était effectivement l’ancien centre de Vientiane. Ce sont deux centralités
fondées sur des fonctions différentes. Le centre ancien des cinq pagodes était historiquement
prestigieux : Vat Ongtù logeait l’université religieuse et la cérémonie de l’eau du serment, qui avait
lieu chaque année depuis probablement le XVIe siècle, et Vat Chanh était probablement le lieu
officiel des ordinations des jeunes gens de l’ancienne époque. Quelques années après, les quartiers
anciens et nouveaux finissent par constituer un ensemble quasi-homogène formant le centre urbain
devenu maintenant historique.
La vie rurale, la vie urbaine, le temps de l’adaptation
La composition spatiale des années 1960, surtout l’architecture moderne qu’incarnaient les
villas d’habitation apportait donc un mode de vie nouveau : une certaine citadinité était entrée en
fusion avec la culture rurale qui persistait malgré tout. Ceci à travers la pratique de la maison ellemême
et à travers son insertion et appropriation paysagère. Le nouveau mode de vie que l’on peut
repérer était explicite à travers plusieurs faits. D’abord, la composition sociologique et économique
de l’habitant avait changé : le ou les chefs du foyer, parfois les autres membres du foyer, exerçaient
des activités qui apportaient des salaires, que ce soit dans la fonction publique ou dans les activités
commerciales. En occurrence, quelle que soit la souplesse du temps de travail connu dans le pays,
ils commençaient à avoir des horaires fixes (ce qui implique une clarification au niveau du temps
passé et vécu dans la maison), à avoir des parcours quotidiens en conséquent, liés à ce temps de
travail. Ce qui voudrait dire que les activités des membres du foyer ne sont plus seulement tournées
vers les travaux de rizière et de jardinage d’autoconsommation, mais orientées aussi vers le tertiaire. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 382 -
La gestion du temps au foyer devenait alors quelques chose de tout à fait nouveau qui s’imposait à
la vie citadine. L’organisation spatiale de la maison a dû alors se modifier en conséquent.
Dans les foyers, les liens avec la vie rurale devenaient moindres, mais s’étaient poursuivis
quel qu’en soit la pression du travail salarial sous une forme différente. Les revenus permettaient
d’augmenter le confort et la consommation liée à la ville. On peut aujourd’hui mesurer ce confort et
le détachement progressif vis-à-vis du monde rural des années 1960, à travers les ameublements et
autres produits et ustensiles, produits sur place ou importés, lorsque nous examinons les villas
modernes qui subsistent encore. On pouvait mesurer aussi cette modernité nouvelle à travers les
automobiles importées à cette époque.
On peut dire que la société lao se modernisait au rythme et à la mesure de l’urbanisation des
villes, ou plutôt, de la citadinisation des foyers laotiens. L’espace de la maison changeait en
conséquent. On vivait dans les villas modernes de manière plus intériorisée, la pièce des repas
n’était plus la même que celle qui accueillait les visiteurs (nous verrons dans les maisons lao que
ces deux fonctions sont associées). Désormais, il y a le salon et la salle à manger, une grande pièce
de réception pour les plus aisés. L’endroit où l’on préparait les repas était alors aménagé dans une
pièce à part (la cuisine) de manière fonctionnelle. Il n’était plus question de passer des heures pour
allumer et alimenter le feu de cuisine au feu de bois, pour aller chercher de l’eau au puits, etc. On
faisait la cuisine désormais debout et non plus assi. Le bois de chauffe avait été remplacé par le
charbon puis la gazinière. Ceci avait des conséquences énormes sur l’organisation de la vie
quotidienne dans l’espace de l’habitat et dans le temps. Il était donc courant pour les foyers les plus
aisés et/ou qui avaient des liens forts avec la vie rurale d’avoir une deuxième cuisine à l’extérieur.
C’était pratique pour le personnel ou pour les membres de la famille qui venaient de la campagne et
qui trouvaient impraticable la cuisine moderne pour préparer certains plats. Un bâtiment annexe a
alors souvent été construit en arrière ou sur le côté des villas. Il permettait de loger de nombreux
personnel de maison, mais aussi la famille qui venait de la campagne. Ce schéma était valable pour
la quasi-totalité des grandes familles donc le chef était dans la fonction publique. Plus la position et
la situation de ce dernier étaient importantes et honorables, plus il se sentait obligé. Ainsi par sa
position et par son devoir familial, il devrait parrainer et héberger de nombreux neveux et nièces
venus des provinces d’origine pour étudier. Certains d’entre eux deviendraient probablement à leur
tour des fonctionnaires. Ainsi dans certaines villas, on relevait beaucoup de chambres, voire, des
mini dortoirs. Les enfants lao et les adolescents en général n’aimaient pas dormir seuls, le fait de
partager la chambre avec les cousins et cousines de la campagne était alors courant et apprécié : ils
dormaient ainsi à plusieurs dans une chambre. Ces faits qui étaient propres aux maisons lao
anciennes étaient une pratique qui persistait dans les villas modernes, grâce à la valeur familiale que
la modernité des villas n’avait pas altéré.
II. III. d. 4. Le bouleversement des schémas symboliques anciens de la ville
Dans un rapport immédiat vis-à-vis de l’urbanisme colonial, l’urbanisme des années 1960,
ont apporté un grand bouleversement aux schémas symboliques anciens de la ville. L’exemple de ce
bouleversement peut être révélé par l’analyse urbaine d’une des sites monumentaux de Vientiane,
construit par Sethathirat au XVIe siècle. Ce site qui relie la ville à l’esplanade de That Luang et son
monument, est un cas unique du pays.662
Les schémas symboliques coloniaux : Luang Prabang et Vientiane
Le schéma symbolique installé par l’urbanisme colonial concerne particulièrement le
rapport entre le fleuve et le lieu central du pouvoir. Le phénomène est autant flagrant qu’il se
produit dans deux sites principaux : à Vientiane et à Luang Prabang.
662 L’analyse urbaine du site de That Luang a été effectuée dans un article rédigé en 2004 et publié dans un ouvrage
collectif édité en 2010. L’essentiel de cet article est repris dans ce chapitre et dans la 1e partie. Chapitre II. Cf. Chayphet
Sayarath, « Le site de That Luang et la ville, articulation spatiale des fonctions religieuse et politique. », in. Vientiane,
architectures d’une capitale. Traces, formes, structures, projets. Ed. Recherches/ Ipraus, Paris, 2010.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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A Luang Prabang, la conception du palais royal par les Français dans les premières années
du XXe siècle semble placer le Mont Phou Si dans une position et un ordre d’importance qu’il
n’avait pas auparavant. Si le mont est sacré et occupe géographiquement une position centrale, il
n’exerce pas ce rôle de manière exclusive, mais participant au schéma symbolique général de la
ville, qui était également constitué de sites sacrés des embouchures telle l’embouchure de la Nam
Khane. Les embouchures des rivières semblent aussi importantes, si non plus important que le Mont
Phu Si.
Par ailleurs, les annales ont mis en évidence le fait que la résidence royale au temps ancien
n’était pas à l’endroit où les Français allaient plus tard construire le palais royal. Certaines annales
suggèrent qu’elle était près de Vat Pafang, d’autres, plus proche de Vat Xiengthong. Il a même
semblé au cours de l’histoire qu’elle a du souvent changer d’endroit à l’intérieur de la péninsule,
cherchant un lieu propice.
663 L’interprétation coloniale a dû considérer le site actuel comme propice
en construisant la résidence royale en bas du Mont Phou Si. De plus, cette résidence a orienté sa
façade vers la montée du mont et a tourné alors son dos au fleuve. Devenant un lieu clos, pris entre
le fleuve et le Phou Si, le palais royal n’a pas de vue sur le Mékong. Ce schéma semble tout à fait
absurde pour le feng shui. Les plus au faîte des règles cosmogoniques attribuent même le malheur
qui accable la famille royale lao par ce mauvais schéma symbolique construit par les Français.
Il était de même pour Vientiane avec la position du Hô Kham. Autrefois, face au Mékong
où l’accès au fleuve était direct, le palais royal et son quartier avaient le fleuve comme limite de la
façade principale. En d’autres termes, le palais royal donnait entièrement sur le fleuve. Le bâtiment
de l’hôtel de la Résidence Supérieure qui a remplacé ses ruines dès les années 1912 est orienté dans
l’axe de l’avenue de la Résidence, l’embryon d’une autre grande percée viaire (l’avenue Lane
Xang). Celle-ci débute au niveau de l’axe de la salle des fêtes de l’Hôtel de la Résidence (futur Hô
Kham), l’ancien emplacement du palais royal. Cette fois-ci, la façade du bâtiment est tournée en
direction de la nouvelle route qui, en 1931, s’arrêtait encore au niveau de l’ancien rempart, et le dos
du bâtiment est alors tourné vers le fleuve. Même si une place semble y avoir été aménagée,
permettant un accès au fleuve depuis le bâtiment, cet accès était secondaire. Le plan de 1912,
montre en outre que l’on projetait une voie traversant le bâtiment et l’îlot entier, débouchant sur la
petite place avant de se jeter sur la berge du Mékong. Le plan de 1931 montre que la voie n’a pas
été construite comme prévu. Cependant, l’emprise du bâtiment demeure sur l’axe de l’avenue de la
Résidence qui le percute en plein centre de sa façade. Dans les années 1940, on a tracé la route
nationale 13 dans le prolongement de l’avenue de la Résidence, et celui-ci s’élançait dans les
rizières vers l’extérieur de la ville. Là encore le schéma symbolique de la ville a été complètement
renversé. Le lieu du pouvoir avait commencé ainsi à se démarquer du fleuve, alors que les deux
éléments étaient anciennement fusionnels.
L’urbanisme des années 1960 et le schéma symbolique de la ville
Alors que les plans qui ont été dressés durant la période coloniale, établissaient la route de
Nong Bone comme seule voie de liaison entre le That Luang et la ville, respectant encore le schéma
symbolique du XVIe siècle de Sethathirat ; l’avenue Lane Xang, construite dans les années 1960,
venait à la fois contre balancer et révéler le schéma symbolique ancien. L’urbanisme des années
1960 a prolongé le schéma urbain colonial tout en renouvelant les symboles nationaux et les
représentations, mettant en pratique un urbanisme emblématique.
Le site où s’était implanté l’Hôtel de la Résidence demeure le lieu du pouvoir, accueillant
alors le Hô Kham, symbole du jeune état indépendant. Sa façade principale est résolument celle qui
est percutée par l’axe de l’avenue Lane Xang. Des équipements publics sont construits le long de la
grande avenue, axe monumental par excellence, et le Hô Kham –nouvellement construit, lieu
663 Cf. Pheuiphanh et Mayouri Ngaosyvathana, Ancient Luang Prabang, Vientiane, Mon Realm and the Angkor impérial
road, 2009, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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symbolique du pouvoir en marque le début. En sortant de la première enceinte de la ville, l’axe
passait par une place où le mémorial Anousavary était construit. En quittant le mémorial, l’axe était
séparé en trois branches dont deux partaient en direction de l’esplanade du That Luang. L’axe de
droite arrivait quasiment dans l’axe du grand that, lui créant une belle perspective ondulatoire. La
route du milieu frôlait sur la droite l’esplanade du That Luang au niveau du village de Phone
Phanao avant de repartir vers l’extérieur de la ville.
En ce qui concerne le site de That Luang lui-même, la renaissance de la fête du grand that et
le transfert de son entrée principale au côté ouest, qui était à l’origine sa sortie arrière, a fait de
l’esplanade qui existe probablement depuis Sethathirath en quelque sorte son parvis. Les anciennes
voies d’accès, par l’ancienne entrée du that sur la façade Nord-est ont été complétement niées. Ces
anciennes voies qui se pratiquaient par canaux entourant la ville et qui se connectaient à la grande
mare de That Luang et au Mékong, caractérisaient l’ancienne structure spatiale de Vientiane et du
grand that. Désormais, d’un côté le quartier de Hô Kham tourne le dos au fleuve, de l’autre le That
Luang tourne le dos à la mare, les deux sites clés se font face. Cela perturbe le rapport ville / fleuve,
ainsi le rôle de ville fluviale en est autant affaibli. Une coupure assez nette apparaît entre ce qui est
en-deçà et ce qui est au-delà du boulevard Khou Vieng-Khun Bourom (construit sur l’ancien
rempart intérieur). Les quartiers du marché du matin, du ministère de l’Intérieur et des finances, du
Lycée de Vientiane, du service des cadastres et du service topographique, de l’ancienne Assemblée
Nationale, etc. Par ailleurs, le fait que l’axe monumental percute les deux sites en plein cintre, aurait
déstabilisé les croyances et dérangé les esprits des lieux. Car ceux-ci, comme les Lao eux-mêmes,
auraient le “vertige” des axes en plein cintre. Les mauvais esprits que l’on doit ménager de sorte
qu’ils ne puissent pas déranger les hommes, pourraient y rentrer sans pouvoir en sortir et donc
provoquer des actions négatives.
Le nouvel axe structurant permettait, à l’époque, une autre lecture du plan de la ville.
L’ancienne route Nong Bone était toujours utilisée, mais il n’y avait pas de constructions publiques
significatives dans ses abords. Son importance a été réduite au profit de l’avenue Lane Xang et de la
nouvelle route de That Luang. L’avenue Lane Xang et la route de Nong Bone ont donc été
construites sur des bases et selon des conceptions différentes, voire contradictoires. L’avenue Lane
Xang prônait l’axe monumental, la mise en perspective, voire la mise en place d’une scénographie
urbaine qui faisait travailler plus l'œil que l’esprit, et empruntait un concept fortement idéologique.
La route Nong Bone, par la tangente, prônait la simplicité, la discrétion et suggérait un
cheminement lent, laissant travailler l’esprit plus que l'œil pour découvrir le site religieux.
L’esplanade, disposée en diagonale, réconciliait les deux concepts de manière étonnante,
réceptionnant l’aboutissement de trois routes, l’une dans l’axe du monument et les deux autres dans
les extrémités de l’esplanade.
Les schémas symboliques anciens
La prédominance de la liaison et de la mise en perspective entre le lieu de pouvoir, le Hô
Kham, et le site religieux That Luang aménagé par l’urbanisme des années 1960 tel que nous
venons de décrire, révèle le schéma symbolique construit par Sethathirat au XVIe siècle, dont le rôle
a été considérablement réduit.
L’axe monumental de Lane Xang, rectiligne et rapide, en réduisant toute son importance
révèle l’ancien axe Nong Bone, lent et graduel qui reliait la ville, le palais royal, le fleuve au site
religieux de That Luang. Anciennement l’entrée principale du that se situait à l’est (nord-est), face à
la mare, le monument formait un écran entre la mare et l’esplanade et le that tournait alors le dos à
la ville, celle-ci suivait la courbure du Mékong. Palais royal, pagodes et quartiers d’habitations
s’ouvraient alors vers le fleuve. En revanche, du côté des rizières, le rempart doublé de fosse la
séparait de la plaine et de la terrasse d’une distance de quatre kilomètres du lieu où dominait le
stupa. Cette situation bipolaire était ensuite reliée par la route de Nong Bone, sans aucune mise en
perspective entre les deux pôles, mais avec un cheminement lent et graduel. Les points d’ancrage
aux deux extrémités de la voie longeaient d’un côté le palais royal, de l’autre l’un des deux vat qui Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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encadrait le grand that. Malgré une situation spatiale grandiose, ici un axe monumental entre la ville
et le monument n’a pas été aménagé. C’est l’urbanisme des années 1960, comme nous avons
précédemment noté, qui révèlera cette situation unique, en y créant un axe de représentation, servant
étroitement les idéologies politiques de l’époque. Force serait de constater que la culture lao
ancienne n’était pas sensible à cette forme de monumentalité. Le schéma ancien incarné par la route
de Nong Bone révèle une autre forme de sensibilité et de raffinement, il met en saillie un souci
esthétique et donne-là une leçon d’urbanité, ou du moins, en devient un cas d’école pour
l’urbanisme contemporain.
La restructuration spatiale et symbolique des années 1975 et 1990-2000
Initié par l’urbanisme des années 1960, le remaniement du schéma symbolique des années
1975, puis celui des années 1990 – 2000 est pourtant une réappropriation de l’ensemble de
l’héritage spatial du passé.
Le site de That Luang témoigne de la réinterprétation contemporaine de l’histoire, faire
table rase, légitimer et durer à travers un processus idéologique particulier. A partir de 1975, le
développement de la ville était quasiment au point mort. La construction de l’habitat à l’initiative
individuelle et les grands projets publics se raréfiaient, sauf les équipements provenant de l’aide des
pays socialistes. La mise en place de la politique planifiée et centralisée et de la production
collective, la pénurie de la consommation parallèlement à sa rationalisation obligeait l’Etat à
instaurer la politique de l’autosuffisance. En ville, le moindre espace libre, jardins, bassins
d’agrément, ont été occupé par des potagers et des activités piscicoles. La ville de Vientiane, déjà
très verte, les friches rurales côtoyant les quartiers urbains, se ruralisait plus encore avec les
activités agricoles, les travaux collectifs et la venue des populations rurales de la campagne.
Le site de That Luang a continué d’être un espace public important, témoignant des scènes
et des événements historiques. La fête religieuse de pèlerinage du that n’a pas été abolie mais
réutilisée même pour véhiculer les messages du parti. Après une période de table rase, l’exaltation
de la Révolution étant retombée, on a tenté de se réconcilier avec l’histoire nationale. Ceci par des
actes politiques et symboliques qui se voulaient réconciliateur. L’esplanade du That Luang en était
témoin de premier ordre, elle matérialisait les concepts les plus contradictoires, mais réunis dans la
vision longue et globale de l’histoire sociale.
La configuration de l’esplanade du That Luang est aujourd’hui dans sa troisième phase de
développement. Dans la décennie 1980 – 1990 un certain nombre d’édifices ont été construits pour
compléter le complexe. L’Assemblée Nationale construite vers 1984 d’orientation nord-sud donne
sur la place. Des clôtures et une porte monumentale ont été construites pour séparer la diagonale de
l’esplanade de la place située devant le grand that. Une grande partie du sol a été bétonnée, avec le
financement du gouvernement thaïlandais, symbolisant la fraternité entre les deux pays après les
affrontements frontaliers à ban Hom Kao. Un stupa blanc dédié aux héros (Virasonh) de la
révolution a été bâti à l’extrémité nord, et un parc d’attractions a été aménagé sur le site de Nong
Sapang Lèn, se trouvant au sud-ouest de l’esplanade. Ce site a été évoqué dans le Tamnan
Oulangkhrathat comme un site ancien et sacré. Lors des 450 ans en 2010 de la ville de Vientiane le
site fait l’objet d’aménagement de parc public, prolongeant le parc Sethathirat également
récemment aménagé. Du coup, le stupa blanc a été déplacé d’une centaine de mètres dans ce parc.
Rappelons qu’à partir de 2000, l’ensemble de la trame viaire de Vientiane a fait l’objet de
restructuration : avenue, routes et rues, qui donnent sur l’esplanade ont bénéficié des travaux et
l’ensemble du complexe a été remanié. Au nord-ouest, l’hôpital O.B très délabré datant de la guerre
froide, ainsi que quelques habitations ont été détruits pour libérer des terrains, construire le parc
Sethathirat et créer une courte percée entre la route de Phone Keng et l’entrée principale de
l’Assemblée Nationale. Encore une fois un axe central a été créé, mais cette fois-ci pour mettre en
valeur l’Assemblée Nationale. Il est quasi parallèle à celui qui a été aménagé dans les années 1960
entre le Anousavary et le That Luang. Au sud de l’esplanade – côté nord du stupa – un immense
bâtiment devant abriter l’assemblée religieuse a été construit. Elle domine le grand that et fait Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’objet de controverses.
Les aménagements suscitent deux observations, du point de vue spatiale. Le dernier
aménagement préfigure deux pôles au sein du site : le premier regroupe le stupa dédié aux héros de
la révolution, le parc, la petite percée et l’Assemblée Nationale. Le second rassemble le grand that,
Vat That Luang Nord, Vat That Luang Sud, l’Assemblée religieuse (le Dhamma Sapha) et
l’enceinte de séparation qui tend à isoler cette partie du reste de l’esplanade. Enfin, l’aménagement
du parc dilate et élargit la vision de l’esplanade à l’endroit où il est le moins large. Ces deux pôles
préfigurent sans doute une tentative de différenciation entre un pôle politique et un pôle religieux.
Les bouleversements intervenus dans les trois moments (années 1960, années 1975, années
1990-2000 et 2010) illustrent ni la rupture spatiale, ni la rupture de la capacité de produire des sens
de cet espace emblématique, mais traduisent une complémentarité et un enrichissement sémantique
plus grand. La nouvelle structure urbaine des années 1960 met en évidence la capacité des espaces
chargés de symboles et d’histoire forte à enregistrer à la fois les ruptures sociales et idéologiques et
la mise en valeur de la continuité et du prolongement spatial et historique. De même, celle de 1975
marque un autre prolongement et les années 1990 – 2000 une certaine continuité avec l’histoire
nationale.
Le schéma symbolique du site de That Luang, dans son intégration urbaine, exprime trois
concepts urbanistiques forts. Le premier concept serait explicite dans le cheminement lent et
graduel établi entre le lieu de pouvoir et le lieu religieux. Le second serait les voies d’accès au site
par les canaux, la mare de That Luang et le fleuve. Enfin, le troisième concept serait représenté par
le système d’axe monumental introduit par l’urbanisme moderne. Le premier concept a été
bouleversé par l’évolution générale de l’espace urbain, alors que le deuxième a tout simplement été
supprimé. Dans les deux cas, la fonctionnalité et la rapidité du déplacement urbain, permises la
rationalité de l’urbanisme moderne, raccourcissent et rendent obsolètes les parcours longs et lents
qui traduisaient si bien la conception et la pratique lao de l’espace. Malgré ces évolutions,
l’esplanade du That Luang n’a pas perdu sa fonction fondamentale. Dans les années 1960, elle a
déjà été appelée à participer à la restructuration de la ville par la mise en perspective du monument
à l’aide d’un axe monumental, dans une période urbaine qui renie radicalement le paysage
hydraulique, fluvial et marécageux. L’entrée principale du That Luang et celle du Khoum de Hô
Kham, ont été alors renversées. Autrefois dos à dos – face à la mare et face au fleuve, elles se
retrouvent face à face. À partir de 1975, les nouvelles données politiques et sociales exercent une
influence plus importante encore sur la configuration de l’esplanade. Cette dernière devient même
un lieu instrumentalisé. Conscient de la force symbolique et historique qu’elle représente, le pouvoir
va se l’approprier complètement afin d’imposer son idéologie et se fondre dans la continuité et dans
la légitimité de l’histoire du pays. Cependant, les programmes de construction et le choix
d’aménagement constituent deux pôles dans l’esplanade. D’un côté, le pôle politique et de l’autre le
pôle religieux. La fusion, dans le même espace du pouvoir politique et du pouvoir spirituel, qui
caractérisait depuis cinq siècles ce lieu touche sans doute à sa fin. Et si aujourd’hui le politique
entretient certain lien avec le spirituel, ce lien semble relever de l’instrumentalisation.
Conclusion
L’observation des villes, à l’échelle temporelle entre l’indépendance et 1975, montre que le
modèle spatial lao contemporain est fondé non seulement sur la capacité de compréhension des
acteurs des espaces hérités, mais aussi sur la réception et sur l’acculturation des espace exogènes.
En tant que modèles exogènes, la période siamoise précoloniale a produit, non pas des
villes, mais des territoires de capitation dans lesquels les facteurs humains et territoriaux ont été
considérés seulement comme un apport économique. Ce modèle n’a pas été sur le plan spatial un
modèle durable pour le développement des villes lao dans les périodes qui ont suivi. Au contraire, il
a contribué à déstructurer la base sociale et administrative des villes au détriment de leur futur Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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développement. La période coloniale, par contre, a favorisé une renaissance de la ville :
restructuration politique et administrative, production des villes nouvelles –et donc de phénomène
urbain, introduction de la gestion des sols avec l’établissement du cadastre et l’immatriculation des
titres fonciers, importation de nouveaux programmes d’équipements de l’habitat et de l’urbain –
modernisant la ville, reconsidération du composant démographique comme facteur de
développement urbain, réviser autrement la trame urbaine ainsi que ses tissus, etc. L’apport a été tel
que la ville se reconstruit sans la base de sa mémoire et de son espace hérité. On enregistre là,
probablement, le début de sa propension à la rupture.
La compréhension des espaces hérités ou endogènes a été manifeste dans la production
urbaine et de l’habitat, de manière non-exhaustive, mais un certain nombre de contextes et
d’éléments spatiaux ont été pris en compte. L’essentiel des éléments endogènes qu’on a pu
identifier en permanence sont entre autres : le modèle d’occupation de l’espace et de la gouvernance
–telle la hiérarchisation organisationnelle et administrative du ban, du tassèng et du muang qui
perdure, la conception ancienne du muang dans la réinterprétation du statut de la ville, la tradition
foncière et le mode d’habiter comme un savoir intemporel. Parmi les composants principaux des
espaces endogénisés évoqués, certains éléments ont persisté plus que d’autres dans l’espace que
nous examinons, par leur acculturation plus ou moins forte, plus ou moins appropriée, induisant à la
fois des ruptures et des continuités. Ce sont notamment les schémas symboliques et la conception
du pouvoir, spatialisés. Quant à la question de la faiblesse démographique, de la partition territoriale
et du déplacement de la population, ce sont des problématiques qui ont été endogénisés comme
éléments de modélisation spatiale bien avant notre période d’analyse récente.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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CHAPITRE III
Les dispositifs et les destins des villes et des territoires
Approche globale et état des lieux d’aujourd’hui
Les villes et les territoires laotiens auraient connu des destins parfois différents, comparés
aux villes, ou aux territoires de la région proche. Certaines d’entre elles vont demeurer des villes
traditionnelles qui fonctionnent encore sans changement significatif d’acteur économique et
politique, dans des processus de production et de gestion spatiale qui ont peu évolué ; d’autres, des
territoires en marge, abandonnant les facteurs traditionnels mais également dépourvus de facteurs
émergents ; et d’autres encore tendent à rejoindre les réseaux de métropoles de l’Asie du Sud-est
continentale comme aire émergente du point de vue économique et fonctionnel.
Le premier chapitre montre qu’une ville ou un établissement d’aujourd’hui est un espace en
construction, mais devant aussi gérer son espace hérité. Inscrit dans un territoire, cet espace hérité
s’est nourri des conditions géographiques, économiques et culturelles favorables. Les
établissements ne peuvent donc se former et se consolider en dehors du champ culturel (culte, rituel,
symbole). Ils sont des faits et des productions de la culture et de l’histoire.
A l’image de ses modèles culturels, l’espace des villes (formes et pratiques) se rend aussi
visible, compréhensible et transmissible à travers le processus de modélisation, de production et de
reproduction. Le terme “ modèle ” ne semble pas cependant approprié à la question spatiale, dans le
sens où le modèle explicite une forme spatiale arrêtée et aboutie, à laquelle se réfèrerait la
production spatiale ultérieure. Or l’espace ne peut être figé dans un état de modèle que très
rarement, sa dynamique et son altérité résident dans le fait qu’il est en perpétuel devenir. De ce fait,
nous avons limité l’idée de modélisation spatiale (dans le 2e chapitre) à certains éléments persistants
dont les formes et les pratiques permettent son identification.
Après une esquisse des modèles spatiaux, nous faisons maintenant l’état des lieux de
l’espace en devenir avant qu’il entame une nouvelle période de mutation autour de la fin des années
1970. Cet état des lieux met en évidence une évolution spatiale caractérisée par le passage du
traditionnel au moderne. Il s’agit de comprendre dans ce chapitre : quels étaient le mode et le
processus ainsi que les facteurs qui ont guidé cette évolution et cette transition, quels étaient les
liens formels et historiques entre les villes, pouvant influencer, voire, forger de manière
significative les destins de certaines d’entre elles.
III. I. L’évolution spatiale : modes et processus
Quels sont les grands principes qui ont guidé les destins des villes et des territoires ?
Aujourd’hui, l’évolution spatiale des villes laotiennes met en évidence le fait que la transition du
traditionnel au moderne connait un mode et un processus particulier. Notamment l’organisation
spatiale passe du système des limites aux systèmes des aires et des réseaux, de la primauté du
composant humain à la primauté des composants territoriaux. Dans ce parcours transitoire, les villes
et les territoires sont apparus sous quatre traits majeurs. Les traits explicitent d’un côté l’apparition
des établissements émergents et ouverts reliés potentiellement aux réseaux régionaux des villes
émergentes, et de l’autre, des établissements en marge et retranchés par rapport aux réseaux de
développement régional. De quelle manière et sous quelle forme les villes peuvent-elles être
qualifiées de traditionnelles et de retranchées, jouant un rôle marginal ou, au contraire, un rôle Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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émergent, créant de multiples liaisons spatiaux. Les quatre traits, constituent les définitions
localisées décrivant ces espaces en devenir. En fait, à travers des exemples, nous essayons de définir
ce qu’est le territoire traditionnel, le territoire moderne. Pour se faire, nous considérons les espaces
à l’échelle territoriale et comparons globalement les établissements entre eux, leur place et leur rôle
réciproque. Nous mettons en évidence le ou les types de relations ou de liens qui peuvent exister
entre les établissements et qui peuvent jouer un rôle déterminant.
III. I. a. La définition : villes et territoires traditionnels, villes et territoires modernes
Dans l’aire de notre étude, il semble d’abord que ce double qualificatif –traditionnel et
moderne– n’est pas complètement contradictoire. Il relève plus du champ politique et culturel que
morphologique. En d’autres termes, il relève de la gestion, de l’organisation et de la fonction, voire,
du processus de fabrication de l’espace plus que de ses formes produites. Dans le contexte de nos
lieux d’étude, ce qui caractérise d’abord le traditionnel, c’est l’instabilité de l’espace physique
autant que l’instabilité du pouvoir qui le gouverne. Dans le sens où le pouvoir est incarné
traditionnellement par la capacité d’un individu ou d’un groupe à mener les hommes et à former une
communauté ; le pouvoir ne se repose pas encore sur un système, mais sur la capacité et le charisme
du chef. Le système de pouvoir –s’il peut être ainsi nommé– se résume à la construction, à la
consolidation et à la représentation du chef, selon des principes qui se renouvellent sans être
modifiés. Il semble que nous pouvons également parler de territoire traditionnel à partir du moment
où le pouvoir politique –le chef qui domine un territoire– commence à se consolider et à se
perpétuer sur le même lieu géographique, mettant en évidence un phénomène de sédentarisation
politique et sociale d’une oligarchie, avec ses projections symboliques (telle la période de
Sethathirat). Et plus tard, lorsque le composant géographique devient secondaire par rapport au
composant humain, notamment avec le phénomène de déplacement forcé des populations, dont les
objectifs étant de construire ou de déconstruire un établissement, nous continuons à parler des
établissements traditionnels. Le principe reste le même : la construction du pouvoir central se base
sur les données humaines. Même si ces données sont conjuguées avec une importance accrue du
territoire, le système traditionnel prône l’importance du composant humain plus que l’importance
du territoire. Pour insister sur cette idée, nous pouvons voir à travers le droit coutumier, codifiant la
conduite de la classe gouvernante traditionnelle, que la consolidation d’un établissement serait avant
tout liée à l’intégrité et à l’homogénéité des populations, avant l’homogénéité du territoire luimême.
La transition vers la modernité peut être expliquée par la recrudescence du phénomène de
stabilisation et de sédentarisation physique et géographique des établissements en même temps que
la recrudescence du phénomène de mobilité du politique. En d’autres termes, ce qui donnerait trait
aux caractères modernes des établissements ce sont leur force de sédentarisation, leur capacité
d’immobilité (stabilité) physique par rapport à la mobilité (instabilité) plus grande de leur pouvoir
politique, où les hommes et le système politique passent mais le pays et l’espace physique
demeurent.664 Cela correspondrait au moment où le pouvoir passe de la “ domination des âmes ” à la
domination des territoires, du statut du monarque des vies au statut du monarque territorial : le
pouvoir politique traditionnel passe son temps à grouper et regrouper, à endiguer les hommes plus
664 Pour une grande partie de la diaspora lao, la formule « les hommes passent et le pays demeure » serait douter. Elle part
du principe que les mauvaises politiques ou la médiocrité des projets politiques, par leur manque d’indépendance peuvent
remettre en cause la souveraineté d’un pays. Par exemple, dans la seconde moitié des années 1940 il était question de la
disparition probable du Laos (durant la période de décolonisation). Et à partir de la fin des années 1980 la diaspora
considère que « le Laos peut disparaître si le pouvoir politique lao continue à être dirigé par le Vietnam ». Bien que cette
allégation ne soit pas infondée, elle a besoin d’être revisitée par des données actualisées sur le contexte régional et sur les
institutions et les conventions internationales, notamment celles des Nations Unies et de l’ASEAN. Or, ce qui fonde la
modernité c’est le fait qu’un État, à travers de multiples conventions et traités internationaux, ne peut disparaître de la
carte politique aussi facilement au tant qu’il ne peut apparaître de toute pièce. La vision traditionnelle portant sur la
question est sans doute due à la mémoire collective où on assistait au cours de l’histoire à la disparition des territoires et
des groupes de population.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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qu’à protéger son territoire. Et au contraire, le pouvoir moderne s’efforce de protéger le territoire
plus qu’à endiguer les hommes.
Historiquement, la modernité commence au moment où, dans la région du Mékong et de la
Ménam, les deux grands établissements tai deviennent des pôles politiques et culturels relativement
stables et distincts : l’un autour de Vientiane et l’autre autour de Bangkok. Les deux pôles qui sont
respectivement le centre des deux États ont permis du point de vue physique aux autres petits
établissements existants de se stabiliser et de se référer à eux. Ceci, bien qu’il y ait un déséquilibre
historique entre les deux centres dès le début de l’âge du commerce au XVIe siècle. En d’autre
terme, nous rentrons dans une certaine modernité à partir du moment où les petites villes ne peuvent
plus se créer de toute pièce, que ce soit pour installer quelconques élites locales en sécession contre
le pouvoir central (cas des trois royaumes du Laos et de ses chefferies), ou pour créer des
circonscriptions territoriales pour les taxes comme cela se faisait durant la période siamoise. Et
aujourd’hui, la disparition des unités politico-territoriales devient quasi-impossible, à moins de
placer cette considération directement, sans transition, dans les champs politico-économiques du
contexte de la mondialisation ; et encore, il faudrait rassembler toutes les conditions nécessaires
(disparition des États, primauté du pouvoir supra national et transnational), ce qui n’est pas encore
le cas dans la région.
La modernité réside également dans le fait que les mutations et les changements tournent
uniquement autour des remaniements ou des changements internes du politique et dans le fait que la
forme politique elle-même connaît une inertie relative, définie souvent par l’incapacité des États à
entreprendre des réformes et à s’engager dans les nouveaux défis, par exemple pour le cas du Laos.
Ce pays est dans une incapacité à procéder réellement au partage institutionnel des pouvoirs, à la
diversification des choix et d’orientation politique et de développement, à des pensées plurielles et
non uniques. De même, comme la Thaïlande a du mal à équilibrer le pouvoir dans son apprentissage
de la démocratie avec une population qui vit la politique partisane plus que le choix d’idée.
Ce qui a trait aussi à la modernité dans ce contexte, c’est la primauté du territoire par
rapport à la primauté des hommes qui était alors essentielle dans le système traditionnel. Déplacer
de manière forcée et organisée une population pour déconstruire un établissement, aussi bien en tant
que territoire physique que territoire politique, ou pour construire un autre établissement, relèverait
par excellence du caractère traditionnel (C’est ce qui a été fait à partir du règne de Rama I jusqu’au
règne de Rama IV, pour le Laos et le Laos occidental. Ici, le déplacement de la population serait vu
comme un instrument politique et économique). A contrario, le déplacement libre de la population :
“ migration ”, “ émigration ”, “ exode ”, signe de sa mobilité, incarnerait la modernité elle-même.
En particulier lorsque les raisons de cet exode sont économiques, liées à l’emploi et à la sécurité
civile. Soulignons cependant que la primauté du territoire et la liberté de déplacement de la
population ne signifient pas que la mobilité des hommes a cessé d’être un enjeu territorial et
politique. Car les États doivent coopérer pour traiter ensemble la question de mobilité des hommes :
le flux migratoire ne connait plus de frontières et peut devenir des éléments déclencheurs de conflit
entre les État.
Dès lors qu’il est permis de considérer que l’identité des populations vivant dans un
territoire peut être distincte de l’identité politique des territoires eux-mêmes, la question territoriale
est alors devenue indépendante à la question de l’identité ethnique et culturelle des populations qui
l’occupent. La modernité, c’est justement l’intégrité du territoire garantie par l’État avec un pouvoir
souverain. Par exemple, combien même le Nord-Est de la Thaïlande est constitué de population
d’ethnolinguistique et de culture différente de la culture thaïe officielle, formant une identité à part
(issane), cela importe peu. Seule serait importante l’intégrité politique du territoire dans l’État
Thaïlandais souverain, constitué et consolidé à partir des différents traités qu’il effectuait avec la
France et la Grande-Bretagne au début du XXe siècle, durant la période coloniale et après la
deuxième guerre Mondiale.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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A l’échelle locale, la vision moderne et la vision traditionnelle sont caractérisées par la
composition du pouvoir politique local et la vision qu’il suscite. Ce qui semble traditionnel, c’est de
constater dans le corps gouvernant qu’il y a une indéniable continuité de la classe dominante héritée
d’une souche sociale ancienne ou localement ancrée. Et au contraire, ce qui semble moderne, c’est
de voir en ce corps gouvernant la rupture avec le pouvoir héréditaire. Le corps gouvernant est alors
avant tout un groupe d’administrateurs, constitué à partir de logiques de compétence, ou de
groupement d’unions politiques partageant ou pas les mêmes idéologies. Ceci, sans exclure le fait
qu’une oligarchie ou qu’une élite intellectuelle, financière ou politique, puisse monopoliser le
pouvoir et le transmettre aux successeurs appartenant au même groupe qu’elle, comme dans une
monarchie héréditaire. Au Laos, nous pouvons par exemple parler d’une oligarchie consolidée
autour du Comité Central du Parti. En Thaïlande, nous pouvons évoquer une oligarchie consolidée
autour d’un noyau qu’est la monarchie bourgeoise et militaire. Et lorsque cette oligarchie se détache
de ce noyau un problème pourrait éventuellement éclater, comme nous pouvons le constater à
travers les conflits politiques actuels en Thaïlande.665
III. I. b. Les liaisons et les influences entre les établissements : les villes et les
territoires modernes ou retranchés, les villes et les territoires
historiquement en marge ou émergentes, leur schéma symbolique et
leurs enjeux historiques sont-ils fondamentaux ?
Les schémas symboliques et les données historiques des villes ont été des enjeux
significatifs dans l’évolution spatiale des villes. Ceci, dans le sens où les anciens schémas
symboliques ainsi que les liens culturels et historiques –voire les liens dynastiques des chefs des
muang– qui reliaient les villes entre elles ont conditionné certains des aspects de l’évolution des
villes d’aujourd’hui. Nous voulons souligner par là que les données du passé peuvent expliquer et
justifier certaines situations du présent : par le passé, les établissements inter-agissaient entre eux et
certains exerçaient même, des influences déterminantes sur les autres. Il s’agit maintenant de
comprendre la place et le rôle de chacun de ces établissements, leurs types de liaison –ancienne et
nouvelle, de comprendre les éléments qui pouvaient jouer un rôle déterminant dans le fait que
certains établissements tiennent aujourd’hui une place importante et d’autres moins. L’aspect
traditionnel d’un côté et moderne de l’autre qui qualifie la transition des villes ne peut être observé
qu’à travers une analyse globale et comparative à l’échelle du territoire et du temps. Leur état de
lieux, aujourd’hui, met en évidence le fait que les questions d’influence et de liaison historique qui
subsistent encore peuvent remonter aux périodes historiques plus ou moins proches. En fait dans
certains cas, les anciennes influences ou les anciens réseaux de relations, qu’ils soient politiques,
culturels, économiques, pouvaient être des facteurs déterminants qui expliquent pourquoi certains
établissements seraient en situation de retrait ou auxiliaire et d’autres en situation dominant ou de
médiateur ; en fait pourquoi certains seraient émergents et d’autres en marge. En occurrence,
interroger les anciens schémas et les anciens réseaux, peut non seulement expliquer le rôle et la
place que les établissements occupaient par le passé et au moment où nous les observons
aujourd’hui, mais cela peut aussi déboucher sur l’esquisse des caractéristiques spatiales,
déterminant une ou des généalogies probables des villes. En prenant des exemples illustratifs dans
les points qui suivent, nous rappelons en parallèle certains points historiques, sans les détailler.
665 Même si les slogans font taire des motifs réels et évoquent la lutte pour la démocratie, le coup d’Etat militaire contre
Taksin Shinawat et ensuite les conflits entre les “chemises jaunes ” partisans de la monarchie et les “chemises rouges ”
incarnant les aspirations populaires, cache le fait que les conflits sont en rapport avec le problème structurel, avec
l’exercise du pouvoir de l’oligarchie gouvernante et en rapport avec les injustices sociales dans le pays que cette
oligarchie suscite. Les conflits ne reflètent donc pas complètement le combat entre une aspiration démocratique et une
aspiration dictatoriale.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les villes retranchées et en marge
Les villes qui sont retranchées et en marge aujourd’hui ce sont souvent celles qui
conservent leur marginalité historique ou qui conservent certains aspects du passé spatial : la
résistance des anciens éléments de formation par rapport aux nouvelles données territoriales,
l’enclavement territorial, l’emprise psychologique d’une histoire politique mouvementée localisée.
Ces aspects du passé spatial, confrontés à l’actualité du développement territoriale des villes, nous
font constater plusieurs faits dominants : désertification et faiblesse démographique, investissements
économiques faibles ou inexistants, absence d’activité salariale, périssement des patrimoines,
population constituée essentiellement d’enfants, de très jeunes adolescents et des personnes âgées,
les jeunes et les adultes en âge actif étant partis trouver du travail ailleurs, taux de croissance de la
population négatif. Il en est ainsi pour la petite ville de Champassak, et de Muang Sing à une autre
échelle et contexte, et pour de nombreuses petites villes et villages du Laos où il n’y a rien à faire à
part le travail de la terre.
Les villes et les territoires émergents
Les villes et les territoires émergents aujourd’hui, ce sont souvent ceux qui étaient déjà
importants d’une manière ou d’une autre, dans l’histoire proche ou lointaine. Les villes qui
émergent ont une dynamique sur le plan des activités économiques, une population jeune et
diversifiée, une internationalisation des fonctions. Leurs activités dépassent largement les besoins
locaux, et les investissements locaux et étrangers sont significatifs. Les patrimoines fonciers privés
et/ou publics sont mis en valeur. Quant aux habitants, ils ne quittent quasiment plus leur ville, au
contraire, ceux qui étaient partis ailleurs revenaient. Le taux de croissance de la population est
élevé, etc. Des villes émergentes, il en va de soit pour la capitale et les grandes villes régionales
comme Savannakhet et Paksé et surtout comme Luang Prabang.
Cependant ceci n’a pas été les règles dominantes
Les villes qui étaient historiquement en marge ou peu dominant par le passé peuvent
acquérir une position assez porteuse aujourd’hui. Et au contraire, les établissements qui avaient un
rôle à jouer auparavant peuvent avoir du mal à retrouver son importance dans une reconfiguration
nouvelle du territoire. En fait, ce sont des villes qui ne fondent plus leur existence sur leur passé,
c’est-à-dire, ce sont celles dont les données ont changé pour aborder le développement autrement.
Elles ont partagé des histoires politiques et sociales mouvementées, ont connu le développement à
degré variable.
Pour le premier cas de figure, deux villes sont à considérer : Muang Xay et Luang Nam
Tha. La position marginale qu’elles occupaient, due certes à la guerre qui partitionnait le territoire,
semble avoir changé. Les deux villes connaissent un développement grandissant et un taux
démographique très positif même si –il est vrai– que leur démographie et leur développement sont
liés à l’immigration et aux investissements chinois, et donc, ne sont pas liés à la dynamique interne
et endogène de leur propre histoire sociale et économique. En occurrence, elles se situent sur des
noeuds stratégiques du Nord traversés par deux réseaux internationaux : le corridor Nord (YunnanLaos-Thaïlande)
et le corridor Est-Ouest (Vietnam-Laos-Thaïlande). Quant à la dynamique de leur
démographie et de leurs activités économiques, au fait que les deux villes se situent sur les noeuds
de deux corridors économiques s’ajoute le fait qu’elles sont sur la “ marche ” du poids de la Chine.
Le fait rappelle surtout la liaison historique beaucoup plus ancienne. En effet il n’est pas inutile de
rappeler que Luang Nam Tha et Oudomxay étaient historiquement les villes lü les plus importantes
et les plus au Sud, ceci par rapport à leur centre situé dans le Sip Song Phanh Na chinois. Donc,
mise à part la reconfirmation du poids de la Chine dans tous les domaines, la réminiscence
historique des liens anciens entre les villes lü n’aurait pas été tout à fait absente.
A contrario, les villes qui occupaient une position assez importante par le passé peuvent
devenir aussi marginales, du moins demeurer des villes provinciales qui ont du mal à s’aligner aux
autres de taille semblable, par exemple la ville d’Attapeu. Malgré son essor assez important, ces dix Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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dernières années (plus de trente ans après la guerre), dû en grande partie aux projets d’exploitation
des minerais dans sa région et aux projets de routes nationales de désenclavement et de liaisons qui
reliaient plus rapidement la ville à Paksé (en quatre heurs) et au Vietnam, Attapeu semble devenir
pas plus qu’un gros bourg, qui aura encore beaucoup de mal à acquérir un aspect citadin et de
capitale de la province. Attapeu a pourtant été une ville importante durant la période coloniale : la
liaison pour le transport des produits entre le Vietnam et le Sud de l’Issan passait par Attapeu de
manière assez significative. Dans l’administration coloniale, la ville a occupé une position
importante parmi les villes “ secondaires ” de l’époque : le tracé des trames viaires actuelles, les
petits complexes administratifs, le marché, l’hôpital, dataient de cette époque.
Si nous devrons conclure, dans les trois groupes de ville –les villes qui conservent leur
marginalité ou au contraire celles qui émergent, les villes qui ne gardent pas les caractéristiques de
leur passé, c’est-à-dire celles qui changent leurs donnes –qu’ont-elles de commun ou qu’ont-elles de
différent : forme physique, forme d’évolution, histoire et gouvernance politique, culture, taux de
croissance démographique, investissement économique ? Dans les trois situations et contextes
différenciés, chaque groupe de villes partagent certains éléments communs :
1- Pour les villes ou les établissements qui conservent leur marginalité, les caractéristiques
dominants (aussi bien, les caractéristiques actuelles que les anciens éléments de formation) étaient
l’enclavement territorial, la désertification et la faiblesse démographique, les investissements
économiques faibles ou inexistants, l’absence d’activité salariale, le dépérissement des patrimoines,
la population composée essentiellement d’enfants et de personnes âgées, l’absence de jeunes et
d’adultes en âge actif, taux de croissance de la population négatif.
2- Les villes qui émergent ont quasiment toutes en commun la dynamique des activités
économiques, une population jeunes et diversifiées, une internationalisation des fonctions et des
activités, des investissements locaux et étrangers significatifs, des patrimoines fonciers privés mis
en valeur, un taux de croissance de la population plus élevé.
3- Pour les villes qui prennent des trajectoires différentes non conditionnées par leur contexte ou par
leur passé historique, qu’elles aient été importantes ou pas dans le passé, ce sont les facteurs
extérieurs actuels qui les déterminent et qui peuvent décider de leur devenir. Ce sont des villes qui
ont partagé des histoires politiques et sociales mouvementées et qui en ont fait table-rase. Elles
connaissent des développements à degré variable, selon leur capacité de réceptionner les facteurs
extérieurs de développement et de s’intégrer dans les réseaux nouveaux. Elles peuvent être
émergentes ou connaître un développement plus lent. Il s’agit des villes comme Sam Neua,
Oudomxay et Luang Nam Tha.
A part les faits évoqués, il semble que la transition du territoire traditionnel au territoire
moderne a été induite aussi par des facteurs nouveaux et étrangers aux anciens facteurs qui
fondaient les territoires traditionnels dont nous avons en parti décrit l’aspect (par exemple avec une
forme particulière de la classe gouvernante). Les facteurs nouveaux et étrangers transforment non
seulement les villes à l’intérieur d’un territoire national, mais transforment aussi les territoires à
l’échelle transnationale, traversant les frontières et les systèmes politiques. Soulignons par
exemple : si la loi thaïlandaise autorisait la construction des casinos sur son sol, il serait peu
probable que les complexes de casino-hôtel de Ban Mom, celui de Savanh Vegas et de Botèn
Golden City puissent voir le jour. Comme nous l’avons déjà noté, les villes se relient et partagent les
facteurs de développement plus qu’auparavant à travers les réseaux territoriaux. Et si
opportunément leurs données culturelles étaient historiquement liées il y a comme une sorte
d’appropriation des nouveaux facteurs extérieurs, de manière plus rapide que lorsqu’il n’y a pas du
tout de liaisons culturelles entre elles. Pour l’histoire récente des années 1960 et 1970, soulignons
que la région du Triangle d’or –lao et thaï, avait partagé une histoire commune, celle de l’opium et
du narcotrafic. Pour l’histoire plus ancienne, Nakhone Phranom avait partagé une histoire millénaire
avec Thakkek, par le légendaire royaume de Sikhottabong. Le That Phranom et son pèlerinage Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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témoignent aujourd’hui de la fréquentation de ce lieu par les populations des deux villes et des deux
rives.
Autant dire que les réseaux ne datent pas d’aujourd’hui, même s’ils ne constituaient pas
l’armature des territoires (puisque les organisations anciennes étaient régies plutôt par des centres
organisateurs qui émettaient un rayonnement), ils trouvent aussi leurs terrains de prédilection dans
ce type d’anciennes organisations.
III. II. Les facteurs d’évolution, de la ville traditionnelle à la ville
moderne
L’évolution des villes laotiennes a été qualifiée par leur passage de l’espace traditionnel à
l’espace moderne, dont nous venons de donner l’un des aspects de la définition, de leur mode et de
leur processus. Nous abordons maintenant les deux facteurs majeurs qui ont joué un rôle important
dans cette évolution en particulier durant les deux derniers siècles : les acteurs de la construction
spatiale et la programmation du bâti et leur évolution.
III. II. a. Les acteurs de la constitution spatiale, leur renouvellement et leur
complexité, avant, pendant et après la période coloniale
Parmi l’analyse des types d’évolution spatiale, la mutation de la ville traditionnelle vers la
ville moderne est une forme d’analyse essentielle aujourd’hui pour comprendre l’espace lao
contemporain dans son ensemble. Comme nous avons pu le voir précédemment, la mutation est
avant tout d’ordre historique avec trois moments importants. Il s’agit d’abord de la période siamoise
et française qui a contribué à la constitution d’un modèle spatial exogène. Il s’agit ensuite de la
période des années 1960 qui a constitué un tournant urbanistique majeur. Dans ce paragraphe, nous
tentons de comprendre le processus de mutation de la ville traditionnelle vers la ville moderne, en
termes conceptuels.
Dans l’idée de traditionnelle et de modernité et à l’égard des antécédents historiques et
culturels particuliers du Laos dont nous venons de décliner quelques traits, le territoire du Moyen et
du Haut Mékong doit être regardé avec un certain particularisme. Très lié au contexte politique, le
passage de la ville traditionnelle à la ville moderne du territoire laotien est un processus aléatoire et
il n’est pas irréversible. Ceci, dans la mesure ou le changement de fonction et de certains usages de
l’espace ainsi que le renouvellement des acteurs peuvent faire entrer les villes dans un processus de
modernisation comme ils peuvent aussi les faire revenir dans une démarche plus traditionnelle. Bien
qu’il y ait une grande disparité entre les villes, globalement ce passage se fait essentiellement à
travers quatre processus : 1- la complexification des acteurs, 2- le développement des fonctions et
de la programmation, 3- les enjeux politiques et économiques, 4- l’établissement du cadastre et la
régulation foncière. Les processus 3 et 4 étant applicables à l’échelle nationale, nous ne les
développons pas dans ce sous-chapitre.
Le rôle des acteurs dans la constitution de l’espace peut être identifié dans l’histoire et
inscrit dans l’espace dès l’installation des établissements tai. Trois périodes conditionnent le profil
de ces acteurs. Avant la période coloniale, leur rôle était celui des groupes dominants, consolidé par
la structure socioculturelle, économique et religieuse de ces derniers. Durant la période coloniale, le
rôle et les manœuvres des acteurs étaient ceux du pouvoir colonial qui ont su susciter de nouvels
types d’acteurs et initier les privés à jouer un plus grand rôle dans la production de la ville
proprement dite, bien que le développement urbain et le nouveau programme étaient sous la
directive du pouvoir colonial dicté depuis la métropole. La période après l’indépendance a vu
apparaître de nouveaux acteurs. L’espace des villes, capitales et centres régionaux, connaissent alors
une nouvelle transition urbaine.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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III. II. a. 1. Les plus importants acteurs avant la période coloniale
Pour la production de l’espace de la cité avant la colonisation française, on peut identifier
les acteurs à travers trois approches :
1- La première approche est de considérer et focaliser arbitrairement les observations aux édifices
construits en dur tels que les monuments (vat et stupas), les routes, les remparts et les digues. Ces
éléments bâtis, par leur organisation complexe et aussi par leur durabilité, sont susceptibles de
laisser leurs empruntes sur l’espace plus que les autres, du moins de livrer plus d’informations par
leur matérialité. Cependant lorsque le nombre des commanditaires et des maîtres artisans décroit et
se raréfie, les constructions deviennent rares. La connaissance et les fonctions spatiales qui ont
permis leur production connaissent alors une rupture, en traversant l’histoire, ils tendent à devenir
des éléments muets, décrochés de la réalité. En ce cas, ce n’est plus forcément les marqueurs
spatiaux ou les matériaux les plus pérennes qui sont les plus parlants, mais les éléments qui peuvent
être reproduits sans le concours des maîtres ou des commanditaires dominants, pourvus que leur
usage demeure ou que ceux qui les utilisent subsistent. C’est le cas des éléments utilitaires et bâtis
de la quotidienneté, telles les habitations du peuple avec leurs matériaux de construction périssables.
Leur mode de production était soumis à un système communautaire et à l’auto construction, ne
nécessitant pas de spécialiste. Ce mode de production, cette manière de construire, plus facilement
transmissibles, possèdent une capacité de durer, dans la mesure où la production suit un processus
par lequel un domaine du savoir matériel et symbolique d’une culture se perpétue et est reproduit
sans être modifiés. C’est la “ production traditionnelle ”, contrairement à la “ production créative ”
définit par Mihaly Csikszentmihalyi lorsqu’il note que « la créativité (…) est un processus par
lequel un domaine symbolique de la culture se trouve modifié (…) Changer les traditions implique
des efforts. Les mêmes, par exemple, doivent être appris avant d’être modifiés (…) »
666
2- La deuxième approche est d’accorder de l’importance aux caractéristiques du pouvoir en tant que
groupe social et économique dominant, leur culture et leur croyance. Il s’agit de la classe régnant
qui comptait le monarque et les membres de sa famille ainsi que les phraya des muang (khun, hauts
dignitaires et administrateurs du royaume). Viennent ensuite la communauté du sangha et la
communauté villageoise citadine et rurale. Le Sangha était en quelques sortes la communauté
intermédiaire entre la population et le pouvoir régnant.
3- La troisième approche est d’accorder de l’importance aux organes administratifs traditionnels en
tant que système : ceux de l’administration royale, des armées, des cultes et des constructions, ceux
de la trésorerie et du commerce.
Le roi, l’aristocratie et les gouvernants des muang
Les monarques étaient les principaux commanditaires des monuments dans la capitale mais
aussi dans les muang qui leur semblaient importants. Ils entretenaient également les corps de métier
qui leur servent avec art :
667
« […] Ils dépensent tous leurs fortunes pour construire leurs temples
[…] » observait un visiteur européen au XVIIe siècle.668 La période flamboyante où l’autorité royale
a su être des commanditaires éclairés de l’art et de l’architecture, mais aussi des projets de cité, a été
repérée sous le règne de Sethathirat et de ses prédécesseurs, Vixun et Phothisarat. Les chao muang
666 Mihaly Csikszentmihalyi, La créativité. Psychologie de la découverte et de l’invention, Robert Lafont, 1996, édité et
traduit en français en 2006.
667 C’est ce que l’on identifie comme l’art de la coure. Aujourd’hui, à travers les objets dits “ antiquités ”, on peut
distinguer les œuvres fabriqués par un simple artisan ou par un artisan de la coure. Le simple artisan était plus libre dans la
mise en œuvre de son art. Il n’était pas contraint par les règles de proportion et ne respecte pas les canons esthétiques qui
ont été imposés aux maîtres. Notamment les statuettes de bouddha fabriquées par ces derniers doivent respecter la
synthétisation et le symbolisme des canons esthétiques correspondant à la qualité spirituelle de bouddha. La proportion
entre les parties du corps a été réglementée : représentation de la chevelue, allongement de lobe auriculaire, dessin de la
torse, proportion, synthétisation et symbolique des mains et des pieds, etc. Ces critères permettent également de
reconnaître les différentes écoles artistiques, souvent liées aux institutions et aux villes desquelles elles auraient été issues. 668 Van Wustoff, Le journal de voyage de Gerrit Van Wuystoff et de ses assistants au Laos. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 396 -
avaient également un rôle important en particulier dans les muang de leur circonscription. Lorsque
le monarque ne venait pas en personne construire ou embellir un monument en son nom, les chao
muang pouvaient endosser ce rôle et y laisser leur nom : en tant que maître d’ouvrage ces derniers
pouvaient aussi commanditer des grands projets. Nous avons vu notamment que le Prince
Vangboury, chao muang alors de Vientiane669 était commanditaire de Vat Sihom et que le phraya
Sri Thammataïlok l’était pour Vat Sissakhet, Vat Chanh et Phyavat.670
Avant la période d’affaiblissement, à partir du début du XIXe siècle, des premiers acteurs
que sont la famille royale et l’aristocratie, la ville s’était constituée et développée, ou au contraire,
avait disparu, en corrélation avec l’histoire de ces acteurs (nous avons déjà évoqué le rôle de
l’aristocratie dans la structuration de l’espace). A partir du début du XIXe siècle, en tant que
principaux commanditaires les actions du pouvoir devenaient considérablement limitées. Et encore
plus limitées lorsqu’il s’agissait de créations de nouvelles implantations. Le pouvoir devait avoir
l’aval du souverain de Bangkok pour entreprendre les grands travaux. Il ne devrait donc pas y avoir,
durant la période siamoise, de grands travaux, à part ceux du roi Anouvong, à Vientiane et dans
quelques sites sur les deux rives du Mékong ; ces projets étaient sans doute des exceptions.671 Plus
tard, sous les gouverneurs siamois les villes lao sous-administrées se délabraient rapidement, sans
parler de celles qui avaient été mises à sac par l’armée siamoise et les Hô, jamais rebâti jusqu’à la
colonisation française. Sans dirigeants –monarques et princes locaux– le sangha et la population
entretenaient les monuments religieux –monastères et stupas– qui faisaient partie de leur quotidien,
mais n’avaient pas d’emprise, ni de vision entreprenante sur la ville et les édifices civiles
structurants que sont les remparts et les routes. Par ailleurs, du fait qu’une partie de la population a
été déplacée et d’autre soumise aux capitations –plus nombreuses et plus lourdes après les
événements de Anouvong en 1829– leur rôle dans le maintien des centres et des ouvrages bâtis peut
être considéré comme insignifiant.
Avant le déclin du pouvoir royal et aristocratique, pour construire les projets publics on
utilisait l’argent de la caisse publique (phrakang luang. rit7a’s];’), mais aussi les fortunes privées
du roi ou de l’aristocratie. C’est pourquoi, s’ajoutant à l’aspect éclectique de l’empreinte des arts
utilisés, les constructions prestigieuses étaient plutôt considérées comme des projets royaux, même
si la contribution à leur construction n’était pas exclusivement royale, car les dons populaires
669 C’est le future Jaya Chakaphat Phaènphéo, roi du Lane Xang entre 1442 et 1480, succédant à Sam-Saèn-Tai. 670 Parmi ces quatre monastères trois subsistent de nos jours : Phyavat, Vat Chanh, vat Sissaketh. Vat Sihom était
probablement le site sur lequel est venu se construire Choua Balong vietnamien aujourd’hui. Quant à Vat Sissaket, il
aurait été nommé Vat Saèn au moment de sa construction, portant le titre de son constructeur le phraya saèn muang
Thammataïlok qui était alors gouverneur de Vientiane juste avant le transfert de la capitale de Luang Prabang à Vientiane.
Il est probable aussi que ce saèn muang ait été premier ministre, puisque le titre du phraya muang saèn (ou saèn muang)
était en même temps le titre du Premier ministre, du Régent et du chef des provinces.
671 Car si Anouvong était en mesure de construire et restaurer un nombre important d’ouvrages au Laos et au Laos
occidental sans attirer la méfiance de son suzerain, c’est sans doute parce qu’il avait su dans les premiers temps gagner la
confiance de Rama II. Dans plusieurs ouvrages il est apparu que le roi de Vientiane entretenait un bon rapport avec le roi
du Siam. Le royaume de Vientiane aurait possédé une armée et un roi vaillant. En tant que vassal il aurait apporté à
maintes reprises secours à Thongbury et remporter de grandes batailles sur les Birmans. Durant le règne de Rama II, le
rapport entre Vientiane et Thongbury était alors cordial, sans doute par la personnalité de Rama II qui semblait apprécier
les valeurs chevaleresques de ses vassaux. Après sa mort, les relations devenaient tendues débouchant progressivement sur
la guerre vers 1827. La personnalité décrite par les historiens lao comme “ vaniteuse et peu respectueuse ” des valeurs et
des règles traditionnelles des monarques tai de Rama III y contribuait à cette détérioration ? Nous lisons deux anecdotes
dans les annales historiques. Lorsque le roi de Vientiane et ses sujets venaient aux obsèques de Rama II à Bangkok, Rama
III l’obligea à y laisser des centaines de ses sujets qui l’accompagnaient afin d’en faire une main d’œuvre pour
l’exploitation du palmier royal. Et lorsque Anouvong demande à ce dernier le rapatriement de la princesse Gnotkham sa
cousine, des troupes de danseurs et de marionnettistes de Vientiane qui avaient été amenées à la coure de Bangkok durant
le règne de Rama II, sa demande a été rejetée. In. Souneth Phothisane. Cf. Bibliographie. Or selon les règles communes à
tous les monarques tai, en temps de deuil d’un monarque son successeur doit s’abstenir de tout acte d’affronte. Au
contraire il doit rendre justice et effectuer le boun (mérite) pour accompagner l’âme du défunt. En réduisant en esclave les
sujets libres venus pour les obsèques de son père et en blessant l’honneur d’un autre roi, vassal ou non, cela peut
effectivement mettre en relief l’arrogance et l’ignorance de Rama III par rapport à une longue tradition millénaire qu’un
chef tai ne doit pas ignorer. Cette ignorance serait attachée à l’origine populaire et à la jeunesse de la dynastie Charkrit née
avec Rama I, d’un général du roi sino thaï, Tarksin. N’étant pas issue d’une longue lignée des Thaèn que les grandes
familles tai s’autoproclamaient traditionnellement, les Charkrit n’auraient pas accès aux principes moraux de ces
monarques, considérés probablement aussi comme dépassés pour l’époque.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 397 -
participaient aussi aux projets. Ceci, parce que la construction des édifices religieux et des statues
de Bouddha est un acte votif, un boun [[6o], un mérite individuel. C’est en faisant don de ses biens
personnels que le boun prend tout son sens. Et en de ça du boun, il y avait bien entendu pour les
monarques et les grands du royaume la volonté de laisser leurs empreintes dans l’histoire. Par
ailleurs, la richesse et la puissance des personnes se mesuraient et se voyaient à travers leur capacité
de contribuer à la construction des édifices religieux.
La communauté du Sangha
Le Sangha est omnis présent dans différentes étapes de la production du bâti religieux, que
la dévotion et la commande soient royales, élitistes ou populaires. Par le simple fait que la
communauté du Sangha était le premier utilisateur de ces éléments bâtis, c’était elle aussi qui
contrôlait dans la pratique leur programmation ; ensuite parce qu’elle possédait le savoir historique
et sacralisé qui marquait la continuité dans le processus et le mode de fabrication de ces édifices.
Par ailleurs, mise à part les maîtres artisans attachés à l’administration corporatiste royale, le sapa
sang [ltrt-kJ’] (et encore, ces derniers ont été unanimement formés à la pagode avant de devenir
laïc), et à l’exception des maîtres artisans indépendants que l’on pouvait aussi faire venir de
l’étranger, il serait très probable que la grande majorité d’entre eux se recrutaient dans la
communauté du Sangha. Dans le cas précis, lorsque le Sangha était le commanditaire direct de
l’ouvrage, les contributions et les dons auraient été communautaires et élargis, toutes classes
sociales confondues. Parfois, un nom royal ou des noms prestigieux pouvaient être associés, comme
une sorte de parrainage. Il est à remarquer que le Sangha ne possédait pas de caisse à proprement
parler. C’était le sala vat,
672 une personne ou un comité laïque attaché à l’autorité villageoise, qui
gérait les fonds provenants des dons : royaux, élitistes et populaires et parfois, par-delà des
frontières.
La communauté villageoise, citadine et rurale
Mise à part les dons auxquels elle pouvait participer au profit d’un édifice commandité par
les grands du royaume, la population pouvait se rassembler pour former un groupe de
commanditaire ou devenir individuellement commanditaire d’un projet de constructions de
sanctuaire ou d’un élément architectural plus ou moins modeste qui compose l’enceinte du
monastère : un hô kong, un stupa, une sala, une fresque, etc. Et ces dons auraient de sens que s’ils
proviennent vraiment de leurs propres biens. Si ce dernier groupe d’acteurs en tant que
commanditaire ne produisait pas forcement les édifices de grands prestiges, les productions qui en
étaient issues sont nombreuses et ont mieux survécu aux destructions et à la guerre. Sans doute
parce que leurs factures étaient moins convoitées. C’est également le groupe le plus pérenne parmi
les trois groupes d’acteurs. C’est grâce à lui que les traditions perdurent, dans sa forme populaire,
passée par une certaine acculturation. Ce constat souligne le fait qu’une partie de l’art populaire
aurait été constituée à partir de la “ dégénérescence ” de l’art aristocratique des grands maîtres, et
qu’une autre partie aurait été la pérennisation de l’art populaire lui-même. Nous aurons l’occasion
d’évoquer cette question de manière plus détaillée dans le paragraphe traitant de la « question
architecturale ».
Certains organes administratifs traditionnels en tant que système
Les organes administratifs traditionnels auraient été habituellement au nombre de neuf.673 A
la tête de chaque organe il y aurait un phraya affecté par des charges. Un organe serait l’équivalent
672 Aujourd’hui le sala vat n’existe plus. Il est remplacé par le Néo-hom du village en concertation avec le grand vénérable
de la pagode pour certains fonds que le village est amené à gérer dans le cadre des besoins de la pagode. Le sala vat était
souvent une personne de qualité exemplaire pour avoir été choisi par la communauté, c’était parfois un groupe de
personne.
673 D’après le Phongsavadan lao (op, cit), les neuf organes auraient été callés sur celui du Nan Zhao : 1-les armés, 2-l’état
civil, 3-les coutumes et les cultes, 4-la justice, 5-les affaires intérieures, 6-les travaux et la construction, 7-les finances, 8-
les affaires étrangères, 9-le commerce.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’un ministère. Il nous semble que cinq organes auraient une implication directe sur le domaine de
la production du bâti : l’administration royale, les constructions, les armées, les cultes, la trésorerie
et le commerce. N’ayant pas de sources écrites, il serait difficile d’élaborer des liens ou d’établir des
responsabilités de chacun des organes au cours d’un projet public. Les responsables ne sont jamais
nommés dans les inscriptions et les dédicaces (trouvées en nombre limité dans les vestiges), seul le
commanditaire prestigieux et parfois les donateurs sont mentionnés. Une analyse plus approfondie
des missions et des charges de chacun de ces organes devrait permettre une approche de leur rôle
dans la production de la ville historique, mais ces éléments à analyser nous font défaut par leur
absence matérielle. Néanmoins, l’existence de ces organes, annotée dans le Phongsavadan lao,
laisse transparaître le fait que le secteur de la production du bâti était organisé, voir régi par
certaines règles. En particulier lorsqu’il s’agit des bâtiments religieux ou des habitations de grands
prestiges, les codifications et les ordres architecturaux s’imposaient et seuls les maîtres appartenant
à la corporation avaient les compétences requises pour diriger leur construction.
Les maîtres d’œuvres - artisans, les producteurs et fabricants, la main d’œuvre
Les maîtres et les artisans étaient anonymes : leur nom a été omis dans la quasi-totalité des
dédicaces, alors que les noms des donateurs et des maîtres d’ouvrages étaient parfois indiqués. Les
architectes, les maîtres artisans et artistes anonymes existaient pourtant socialement. Des titres
nobiliaires de corporation, sapa sang [ltrt-kj’], leur ont été accordés. Il y avait par exemple le titre
de meun-san [s,nJo-kj’]. A Luang Prabang dans les années 1950, le domaine des arts et de l’artisanat
étant parrainé par le roi, on pouvait encore trouver les meun-san.
674 Il est probable que le titre des
maîtres artisans n’aurait jamais atteint celui de saèn [clo] et de phraya [ritpk], deux rangs
supérieurs de responsabilité plus politique. Ce qui suppose le rôle strictement corporatiste des meun
san. Etant fonctionnaire et salarié du roi675 ces derniers auraient exercé des missions et des tâches
dans le cadre de leur fonction et sous l’ordre de leur ministre (le phraya responsable) ou
directement du roi, lorsque celui-ci était le commanditaire direct. Mise à part la conception des
projets, ils auraient probablement été en charge de l’exécution, du suivi, du contrôle et de la
sélection de la main d’œuvre et des matériaux.
Vu le contexte de constitution de la main d’œuvre (que nous allons voir plus loin) dans le
cadre de la construction de l’habitat privé du peuple d’une part, et dans le cadre de la construction
des édifices communautaires et publics d’autre part, il serait quasiment certain qu’il n’y avait pas eu
d’entreprise de construction. Par contre l’existence des fabricants de matériaux (brique, tuile) est
attestée par les données archéologiques. A Vientiane le long de Nam Passak et autour des plans
d’eau à Nong Chanh, on retrouve des fours à briques et des artéfacts d’objet d’atelier, etc.
La main d’œuvre et l’habitation
La construction de l’habitation du peuple, majoritairement rurale, se réalisait à travers un
mode de production communautaire. La maison se construisait en quelques jours, avec l’aide et le
savoir de toute la communauté villageoise : on ne dépensait pas de l’argent pour de la main d’œuvre
et peu pour les matériaux. Lorsqu’un propriétaire a décidé de construire sa maison, il faisait appel à
la communauté. Il aurait préalablement constitué depuis un certain temps une réserve de bois qu’il
ramenait petit à petit de la forêt, ainsi que d’autres matériaux qu’il avait besoin. Il était rarement
nécessaire de faire appel à un artisan extérieur, car les habitations se reproduisaient sur les mêmes
principes constructifs, avec une technique connue et acquise par la communauté du village. A la
différence des édifices religieux et des constructions de grande envergure, l’habitation du peuple
674 D’après Bounthien Siripaphanh, directeur de l’école des Beaux-Arts, son père était l’un des derniers meun-san du roi. 675 Le traitement salarial des fonctionnaires du roi serait établi en fonction de leur rang et leur fonction. Ils seraient payés
en argent et en nature. A l’époque où Vixun était Régent du royaume, avant de devenir roi en 1500, on fixe le salaire d’un
professeur à six cent monnaies par mois (on ignore de quelle monnaie il s’agissait) et à 600 000 poids de riz de paddy par
an et de nombreux autres denrée alimentaires. Dans le système de poids et mesures traditionnels, 10 000 poids de riz
équivalent à 12 kg. 600 000 poids de riz équivalent alors à 720 kg. Cf. Phongsavadan lao, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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aurait connu une certaine inertie et n’aurait pas été le fruit de la circulation des savoirs des
corporations. En revanche, sa production et le degré de sa complexité technique auraient été
transmis et enrichis in situ à partir des contextes locaux favorisés par le temps, le climat, la
spécificité géographique. L’habitation du peuple était donc le produit de l’esprit et du savoir local,
de l’empirisme des besoins, qui variait et se différenciait d’une région à l’autre. Cependant, le
fondement qui régissait les habitations de la même ethnicité dans différentes régions obéissait à des
règles communes : le respect des esprits du foyer, la hiérarchisation spatiale des rôles de chaque
membre de la famille habitant dans la maison, les emplacements et les orientations, etc. Pierre et
Sophie Clément l’ont montré dans leurs recherches sur l’habitation lao, en prenant en compte tous
les facteurs, à la fois les lieux communs et les variantes qui ont régi les caractéristiques des
habitations tant à Luang Prabang qu’à Vientiane.676
Sur le point de vue économique et de main d’œuvre, la production de l’habitation des
grands du royaume et de l’aristocratie se situait entre la maison du peuple et les temples ou la
résidence royale. Tout en puissant dans le savoir local ses meilleurs atouts, l’habitation des élites
mettait en évidence les interventions partielles du savoir extérieur. Par éclectisme dû à leur
éducation et aux “ vues de l’ailleurs ” lors des voyages dans les autres muang, les plus riches
seigneurs, à l’image de leur souverain, auraient aussi fait venir les artisans des autres muang.
Les routes et les remparts, les digues et les barrages
Les équipements publics du génie militaire et civil, tels les remparts et les routes relevaient
du seul acteur : l’administration royale. Alors que les digues, les barrages étaient localement relevés
de la responsabilité communautaire des villages. La mobilisation de la main d’œuvre pour la
construction, la réfection et l’entretien de ces deux types de construction semblent relever de deux
systèmes différents : le système de contribution sya-souay [glaP -;jp] d’une part, et le système
d’appel collectif et de travail communautaire, ladom []tfq,] et souan-louam [l;jo];,], d’autre
part.677
Le Syasouay ayant un caractère obligatoire s’apparente à une sorte d’impôt et de corvée que
toutes les populations vivant dans ou à l’extérieur du muang, mais rattachés à lui, devraient « rendre
au roi » répondant aux missions kep souay [gda[-;jp], sorte de prélèvement d’impôt, en argent, en
nature ou en main d’œuvre, effectuées par les autorités administratives du roi (le chao muang ou
une administration royale affairant, notamment l’organe de la trésorerie royal, le Phrakang luang).
Il n’est pas certain que ce service obligatoire soit annuel. Mais il est fort probable que l’appel
pouvait être fait à tout moment autant que besoin, sauf lorsque la population était en pleine saison
de rizière. Car cette activité faisait partie de la richesse du pays et constitue la priorité, inscrite dans
les rites religieux et dans le droit coutumier, que l’autorité royale elle-même avait dû respecter.
C’est probablement aussi à travers cet appel que l’on faisait des levées d’arme pour une guerre ou
quelconque action de nature militaire. La construction et la réfection des remparts et des routes
bénéficiaient très probablement de ce système d’appel.
Par contre les digues et les barrages dans les plaines agricoles semblent bénéficier du
système d’appel et de travaux communautaires ladom []tfq,] et souan louam [l;jo];,], relevant des
obligations morales, une sorte de consensus qui reliait chaque habitant à la vie communautaire du
village. En ce cas, l’autorité royale n’aurait pas à intervenir directement, ce sont les deux pouvoirs
locaux, le po ban (chef du village) et le tassèng (chef du canton), qui auraient joué un rôle essentiel.
676 Cf. Clément-Charpentier S. et Clément P., L’habitation lao, éditions Peeters, Paris, 1990, 2 vol. 677 Syasouay [glaP-;jp] désigne autrefois les tributs que le roi réclamait aux muang. Le terme plus complet est souaysa
akone qui désigne aujourd’hui “ impôt et taxe ”. Il viendrait de son origine ancienne Syasouay. Dans le Phongsavadan lao
(op, cit.) à l’époque de F’a-Ngoum, lorsque celui-ci exigeait aux chao muang qu’il a soumis de lui verser les tribut, le
terme employé est syasouay. Ladom []tfq,] recouvre le sens “ appel collectif ” pour désigner la mobilistion les forces de
travail des individus pour des travaux communautaires. Le terme souan louam [l;jo];,] désigne ici un mode d’action
communautaire.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les villages s’organisaient pour gérer leur rizière, leur réseau commun d’irrigation, leur terrain
communal, leur petite forêt, leur route, etc. Ils géraient aussi les festivités et les rites religieux, ils
faisaient appliquer dans toutes ses coutures le droit coutumier qu’ils appelaient « les 12 et les 14
règles » [Iufly[lv’ 7v’ly[luJ]. L’autorité royale pouvait aussi se saisir de ce système pour mobiliser la
population à participer et à entreprendre des travaux d’exception qui n’étaient pas liés directement
aux préoccupations quotidiennes des villages, à condition que l’on n’arrache pas cette dernière à ses
travaux de rizière, au moment de picages et de récoltes de riz. Ce système relevait en fait des
obligations morales et du volontariat.
C’est sous les deux systèmes : syasouay et ladom souan louam que l’ensemble de la
population aurait été mobilisée aussi pour la production des autres ouvrages en dehors des édifices
religieux. Et apparemment, tous les habitants sont concernés, sauf probablement les moines et les
seigneurs qui assumaient déjà une charge publique attribuée par le roi.
Les esclaves
Quant aux esclaves, il nous a semblé qu’ils n’étaient pas concernés en tant que tel par les
travaux collectifs. S’il peut arriver qu’ils étaient mobilisés pour les travaux d’intérêt public, ils ne
l’étaient non pas par le fait qu’ils étaient esclaves. Car s’ils étaient devenus esclaves ou serfs c’est
qu’ils l’étaient auprès d’un créancier (que ce dernier soit une riche personne ou un noble) qui l’y
aurait envoyé effectuer les travaux collectifs à sa place en guise de syasouay, ou qui l’aurait tout
simplement utilisé pour faire diverses tâches et travaux personnels, notamment construire sa
maison.678 En aucun cas, il ne pouvait être esclave auprès de l’administration royale, qui ne
possédait pas d’esclave à proprement parler, mais seulement des prisonniers de droit commun
auxquels le juge aurait affecté des travaux collectifs. En ce cas, tout paï f’a khra phaèn Dinh [wr2hk
0hkczjofuo]
679 pouvait être amené à le devenir lorsqu’il commis des fautes et jugé en conséquent.
L’expression paï f’a khra phaèn Dinh désigne “ les sujets libres au service des chao f’a et du pays ”.
Ce sont des “citoyens qui paient impôt et qui effectuent la corvée pour le service public ”. A ce
propos, dans un des discours de F’a-Ngoum, dont on retrouve le contenu dans le droit coutumier, il
mettait en garde en occurrence ses chao khun, administrateurs du royaume, contre les agissements
immoraux que ces derniers pourraient être tentés, en faisant subir au paï [wrj, sujet libre] dans le but
de les assujettir à eux par des dettes ou des amendes lourdes ou des jugements abusifs.
680
Il est indiqué aussi d’autres recommandations, comment un koun doit se comporter avec la
population : « Lorsqu’une personne est appelée, au bout de trois fois pour les travaux du ban et du
678 Le droit coutumier donne une définition de ce qu’est un khra et khroy et dans quelles conditions une personne peut le
devenir. Il y a deux manières pour qu’un praï (citoyen non noble) puisse devenir khroy (esclave) : « 1- Un praï endetté et
ne pouvant rembourser ses dettes peut le devenir, 2- Un praï qui en partant faire la guerre a laissé les biens qu’il ne peut
pas restituer à son retour, peut le devenir. […] Il y a six types de khroy : 1- Une enfante de parents esclaves d’un heuane
bya (maison auprès de laquelle ils doivent de l’argent) qu’un homme libre a fait acquiter pour son service ; 2- Une
personne sujette de rafle provenant d’un autre muang étranger ; 3- Une personne ou groupe de personnes qui ont commis
des effractions contre les règles du ban et du muang, que le phraya réduit en esclavage en guise de punition et de
réparation par rapport à la société ; 4- Un condamnée à mort qui désire vivre en sursis en se plaçant comme esclave, 5-
Une Personne démunie sans famille sans protection qui demande volontairement à être esclave auprès d’une autre
personne ou d’une autre famille, 6- Une personne mourant et souffrant de grave maladie à laquelle on a redonner vie par
des soins peut aussi devenir esclave de la personne qui l’a soignée. » 679 Le terme praï f’a-khra phaèn dinh [wr2hk 0hkczjofuo] est composé de deux mots. 1- Praï f’a signifie “ personne libre non
noble, sujet d’un monarque ”, praï désigne aujourd’hui le roturier, et f’a la lignée des chefs tai, ayant à peu près le même
sens que tiao. 2- Khra phaèn dinh signifie serviteur du territoire, du sol, du pays. Le terme khra étant très usité pour
désigner l’esclave et le serviteur non tai, on a tendance alors à comprendre khra phaèn dinh comme populations non tai
réduit en serviteur des Tai Lao des muang, alors que les praï f’a désigne les Tai Lao sujet du roi, les citoyens. En ce cas, le
terme complet aurait alors désigné deux catégories de population. Pour notre part, nous pensons que l’ensemble du mot
praï f’a-khra phaèn dinh désigne l’ensemble de la population -excepté le roi et la haute aristocratie- qui doit soumission et
tribut au roi et au service du pays. En ce sens le mot est proche de “ peuple, citoyen d’un royaume ”. 680 « […] Vous ne réduirez pas les paï [ wrj ] (les sujets libres) en esclave. […] Lorsque vous partez en guerre n’acceptez
point les rançons. […] Les chao khun qui attribuent une amende à un paï une somme supérieure à 100, seront déshonorés
et paieront la somme à sa place. […] Si un chao khun par vice punit ou rend coupable un innocent, qu’il paie une amende
de 200 et subit des peines de réparation de 5 bath. […] Un koun qui usurpe le paddy d’un paï sera démis de ses fonctions
et de ses titres et subira une peine lourde. […] Lorsqu’un paï se rend aux travaux de service public, il est interdit qu’un
khun lui fasse faire des travaux personnels chez lui […]». In. Rajasat kotmaï bouran lao, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 401 -
muang, et qu’elle n’est pas venue se présenter, il faut l’amener de force à sa responsabilité, mais il
ne faut pas lui prendre son argent ni ses biens. Vous les khun, contrôlez et gérez sans causer le
malheur au paï et ne donnez jamais une amande à un ‘serviteur libre’.681 Lorsque la saison de
culture arrive, il faut le laisser partir à ses rizières, il ne faut pas le retenir inutilement, c’est contre
la coutume. Lorsqu’un paï a des difficultés et vient emprunter de l’argent au chao muang, celui-ci
ne peut lui réclamer les intérêts qu’au-delà de trois années. Un khoun ne peut faire travailler un paï
pour ses rizières et ses jardins personnels. »
Bien que ces recommandations expriment en première lecture une prévention contre la
corruption et les abus de pouvoir des chao muang, elles met en évidence en seconde lecture une
distinction claire entre obligations de services publics, que toute la population doit rendre, et
différentes formes d’abus qui pourraient leur être apparentés, mais qui ne le sont pas, vus à partir de
l’angle de vision locale.
Quant au cas des populations non tai que les Lao désignaient en permanence par le terme
d’“ esclave ”, ils étaient soumis comme les autres Lao au système syasouay, et il ne semble pas
qu’ils auraient été soumis au système ladom souan louam, puisque leur organisation villageoise
n’était pas forcément la même que les autres Lao dont l’organisation sociétale était structurée autour
de la vie et des devoirs communautaires et du hid sip song - khong sip si.
682 Cependant, il était
récurrent de voir dans un certain nombre de cas que les populations dites “ esclave ” en général de
parler môn-khmer avaient été affectées à l’entretien des grands monuments. En ce cas, ils étaient
complètement exemptés de corvée. Ce sont des kha that [0hkmkf], textuellement “ esclave du that ”
qui n’avaient ni le statut, ni les obligations semblables à ceux des esclaves pour dette que nous
venons d’évoquer. Ils seraient même des privilégiés affectés aux services religieux uniquement.
III. II. a. 2. Les acteurs durant la période coloniale
Les acteurs qui allaient vraiment intervenir pour changer le paysage urbain étaient, de fait,
liés au contexte de la ville coloniale. Nous pouvons dresser la liste des acteurs en trois groupes et
décliner leur organisation et leur rôle dans la renaissance de la ville : 1- les acteurs indigènes, 2- les
acteurs publics, 3- les principaux acteurs économiques.
Les acteurs indigènes
L’organisation sociale locale qui a survécu aux événements historiques du début du XIXe
siècle entretenait un minimum d’espace afin de maintenir la vie sociale et politique. Ce maintien
vital ne permet pas vraiment aux villes de redécoller, même si la cohésion sociale lao à petite
échelle a su se reconstruire assez rapidement. La population locale avec ses organisations sociales et
politiques est apparue en petites entités et en petits groupes dispersés de manière quasi-autonome,
dans la mesure où le lien structurel entre les groupes et les lieux n’était pas organisé dans
l’ensemble du pays et restait très parsemé dans les dix premières années ; bien que chaque groupe
entretienne à la mesure de sa capacité un minimum d’espace et d’organisation de leur quotidienneté.
On pouvait constater par exemple à l’époque que la population de Vientiane ou de Xieng Khouang
n’était pas en mesure de reconnaître le roi de Luang Prabang ou le roi de Champassak avec leur
administration comme des entités qui sauraient les représenter ou sous l’autorité desquels ils
auraient cherché à se placer. De même, les deux structures royales n’étaient pas en mesure de
s’occuper d’autres muang que leur propre circonscription. Les faits historiques internes répétés,
681 Dans le texte le terme utilisé est : khra tai [0hkwm]. Tai signifiant “ citoyen libre ”, que peut signifier alors “ esclave
libre ” ? Nous avons des doutes pour le sens du terme : khra tai pourrait désigner soit la personne libre mais réduite en
serviteur par dette, soit l’esclave qui est au service d’un citoyen libre, soit des personnes de parler Môn-Khmer libres. P
72, Rajasat kotmaï bouran lao, op, cit.
682 Hid sip song - khong sip si [Iufly[lv’ 7v’ly[luJ] fait partie du droit coutumier qui régit la société lao dans son ensemble.
Le Hid sip song [Iufly[lv’] est composé de 12 codes, le khong sip si [7v’ly[luJ] de 14 codes. Ces codes sont pratiqués par la
population comme des codes moraux transmis oralement, alors qu’ils ont été transcrits clairement dans le Rajasat kotmaï
bouran lao, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 402 -
faits de scission et de trahison, de soumission et d’humiliation forgeait toute une génération de
princes qui ont failli à leur devoir traditionnel d’unificateur à la veille de la colonisation : les
premiers observateurs français les désignaient de “ roitelet ”. Malgré leur défaillance, certains
princes se préoccupaient pourtant fort bien du peu qui reste de leur muang et de leurs sujets.
Aymonier note avec étonnement avec quelle rigueur morale le petit roi de Champassak a su régner
avec justice et droiture dans son petit royaume déchiqueté et sans pouvoir afin d’y faire instaurer la
paix et la sécurité, alors qu’il note que les autres muang limitrophes, échappant à son autorité,
vivaient dans un climat d’insécurité où vols, crimes, exactions du pouvoir y régnaient.
Concrètement quels sont les acteurs indigènes et qu’avaient-ils contribué dans la
construction et dans l’évolution spatiale à l’aube du XXe siècle. C’est une structure décomposée, un
ensemble de lambeaux de pouvoir que les Français trouvent à leur arrivée dans le pays. Les acteurs
locaux peuvent être classés en cinq groupes :
1- Les rois étaient au nombre de deux : le roi de Luang Prabang et le roi de Champassak.
L’administration royale dans les deux muang a plus ou moins conservé l’organisation ancienne du
Lane Xang, avec quelques variantes, bien que l’occupation siamoise ait apporté quelques traits
nouveaux. Les rois ne régnaient pas durant la période coloniale, ils occupaient une charge et des
prérogatives reconnues par les indigènes, mais pas par le pouvoir colonial, ou du moins, seulement
de manière partielle. Ce dernier les considérait comme des chao muang, chef du muang, statut
facilement intégrable dans son administration. Des nuances sont à observer pour le cas du roi de
Luang Prabang : son statut de roi a été reconnu et Luang Prabang a été placé sous le système
protectorat. De ce fait, une certaine autonomie interne lui a été accordée. Le terme “ règne ” utilisé
pour Luang Prabang n’est donc chargé de son sens originel que de manière partielle. Nous
l’utilisons pour le faire correspondre au terme lao khong muang [7v’g,nv’] qui veut dire régner dans
un muang par une personne de sang royal. Si le chao muang n’est pas de sang royal on emploierait
davantage le terme Pokhong muang dans le sens d’administrer un muang. Néanmoins, les termes
demeurent symboliques.
2- Les princes qui gouvernent selon le droit dynastique existaient dans certains muang : les princes
Phouans de Xieng Khouang, les Chao F’a de Muang Sing.
3- Les chefs dynastiques qui ne sont pas reconnus comme tels existaient dans plusieurs muang. Au
Sip Song Chou Tai il y a les chefs tai de muang Lay,683 les chefs tai de Houa Phanh, les chefs des
hauts plateaux de parler Môn-Khmer du Sud, etc. Que ces chefs dynastiques soient tai ou
appartenant aux ethnies non tai, ils ont été intégrés dans le système féodal lao depuis plusieurs
siècles, certaines familles ont même été instituées par l’autorité du roi du Lane Xang. Par exemple
les chefs de Muang So-oy (Sam Neua) ont été crées à l’époque de Sethathirat. La majorité de ces
familles est affiliée, d’une manière ou d’une autre, à la parenté des rois lao, sauf celles qui étaient de
parler Môn-Khmer. Mais à la veille et durant la période coloniale la raison de la disparition de
certaines d’entre elles était souvent liée au fait que leur statut n’avait pas été reconfirmé par
l’autorité royale.
4- Les chefs de clan, les grandes familles qui puisaient une certaine forme d’autorité, à partir des
hautes charges assumées dans le passé par un ou plusieurs ancêtres. C’était l’aristocratie de
province, ou l’élite locale. C’était aussi l’intelligentsia religieuse ou laïque.
5- La population parsemée et bigarrée des anciennes chefferies, voire de la capitale, pouvait tout au
plus constituer une main d’œuvre difficilement utilisable par le pouvoir colonial. S’occupant de sa
propre survie et des séquelles passées dues à la guerre siamoise et hô, comprenant l’organisation
683 Déo Van Tri qui a mis à sac la ville de Luang Prabang était souvent assimilé aux pirates Hô (qui l’avaient rejoint) et
était devenu le “ brigand ” par excellence dans la mémoire coloniale, alors qu’il était issu d’une vieilles familles de chefs
coutumiers de Muang Lay, soumises à Luang Prabang. Son histoire ne semble être rien d’autre que le résultat de
l’incapacité des monarques lao à reconfirmer le statut et le rôle des chefs coutumiers. C’est l’une des manifestations de la
désintégration politique d’une ancienne unité politique fondée pour beaucoup sur les alliances et les pactes traditionnels.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 403 -
coloniale comme une exploitation abusive, la population recherchait sans cesse à s’y soustraire.
Dans les dizaines premières années de la colonisation et du protectorat, s’écartant de l’édification
des villes qu’ils considéraient comme un fait colonial (sauf le cas de Luang Prabang), la population
participaient à l’édification des centres urbains par contraintes. Lorsqu’elle le pouvait ou avait les
moyens, elle payait les corvées qu’elle ne voulait pas le faire. L’achat de corvée a été tel que
l’administration était contrainte de formaliser pour éviter tous abus et corruptions.
684 Le fait est que
le mode de production ainsi que le processus de production coloniale étaient bien différents de ceux
qui ont mobilisé traditionnellement les Lao. La centralité de l’espace colonial n’était pas capable de
rassembler la population lao. La centralité sociale et symbolique traditionnelle manquait au savoirfaire
de la gouvernance coloniale dans les premières années. Il a fallu quelques décennies
d’acculturation pour que peu à peu, les communautés lao se rapprochent de la ville. C’était ses élites
émergentes qui effectuaient les premiers pas, la majorité de la population, quant à elle, restait en
retrait.
Les acteurs publics
C’est avec le protectorat français qu’il y a émergence réelle des nouveaux acteurs de la
ville, et leur rôle se complexifie. Parmi les six organes administratifs, on peut retenir trois : le
service des finances et de la trésorerie pour les fonds dispensés dans la construction et pour la
répartition et la gestion des domaines publics ; le service des impôts et des douanes et régies pour
les recettes nées des activités commerciales et des productions et exploitations, ou nées des
domaines imposables dont les taux ou les montants étaient déterminés par zones ; le service,
vraiment affairant était nommé « Circonscription des travaux publics du Laos » pour toutes ses
attributions dans la construction, l’entretien, la gestion et le contrôle des travaux, etc.
L’administration coloniale installée au Laos se lance dès le départ à l’édification de la ville :
réparation, construction de nouvelles routes, pistes et rues afin de désenclaver le territoire laotien,
relier les établissements à l’intérieur du Laos entre eux et réorganiser les villes. Elle procède aussi à
la construction des équipements de base nécessaires pour installer le bureau des administrations,
pour loger son personnel. Rassembler la population, ramifier et organiser la structure administrative
locale en décomposition et l’intégrer dans celle de l’Indochine, constituer le personnel, en somme
créer des conditions favorables pour que le pays et les villes revivent. L’administration coloniale est
constituée essentiellement de six organes ou directions : 1- finance et trésorerie, 2- éducation
publique, 3- travaux publics, 4- eaux et forêts, 5- justice, 6- contributions et les douanes et régies.
En ce qui concerne les maîtres d’œuvre, ils étaient attachés à l’administration des travaux
publics. Ils ne sont plus anonymes comme l’étaient les époques anciennes. Mais leur travail de
conception se fondait dans des démarches impersonnelles imposées par le standard des programmes
publics dictés depuis la métropole, ou du moins depuis Hanoi, centre décisionnel de l’Indochine.
Pour construire la majorité des équipements publics, l’administration ne faisait pas appel forcément
aux sociétés de constructions, surtout dans les premières années, sans doute parce qu’il n’existaient
pas. C’est le bureau des travaux publics qui dirigeaient et contrôlaient les constructions avec des
corps d’ouvriers et d’artisans qu’ils faisaient venir du Viêtnam et qu’ils payaient en partie avec les
fonds provenant de l’achat des corvées.
684 Dans le « Rapport au Conseil Supérieur de l’Indochine sur la situation au Laos, 1909-1910 », le rapporteur souligne les
problèmes liés à la levée des corvées : les domaines de la construction et du développement n’ont pas avancé.
L’administration coloniale reproche aux chefs de province de ne pas avoir su organiser la levée des corvées auprès de la
population indigène pour les travaux collectifs. Les levées qui ont été faites n’ont pas apporté de grand résultat, la
population préférait payer au lieu d’aller aux corvées, et souvent, la « réquisition de corvées entrainait beaucoup d’abus »,
notait le même rapporteur. L’administration préférait alors pousser la population vers l’achat de corvée. Avec cette
ressource elle allait pouvoir payer de vraie main d’œuvre venant du Vietnam. Cf., Fond GGI, cote D3 (Administration
générale), CAOM.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les acteurs économiques
Les acteurs de la ville et de l’économie étaient, liés aux nouvelles données économiques et
politiques. Ils ont émergé grâce à l’installation coloniale des villes qu’il s’agissait de reconstruire.
La mise en place des services administratifs et des organes publics, la création de nouveaux
programmes d’équipements allaient révolutionner les acteurs économiques. L’administration
coloniale essayait sans cesse de mobiliser et de solliciter les acteurs économiques à tous les niveaux.
Des politiques incitatives pour favoriser leur émergence ont été mises en place, car cela aurait induit
la constitution des acteurs de la ville de manière plus durable. Inciter les commerçants lao et
étrangers à venir s’installer dans les communes et centres urbains en proposant des allègements
fiscaux, inciter les ouvriers et les artisans de toute l’Indochine avec proposition d’emploi et salaire
avantageux, proposer des plans de concession dans différents secteurs pour attirer les investisseurs
de la métropole, etc.685 Les deux dispositifs, conjugués à la faiblesse démographique et au fait que
peu de Laotiens étaient attirés par la ville, étaient un appel aux investisseurs et à une main d’œuvre
extérieure. Mais les réponses étaient, dans leur ensemble, mitigées. En finalité, les commerçants lao
étaient quasiment inexistants, la main d’œuvre lao peu nombreuse ou difficilement intégrable dans
le système colonial. Les commerçants chinois y venaient en nombre important, mais pas assez au
regard de l’administration ; les investisseurs et exploitants venant de la métropole étaient peu
nombreux comparés au Cambodge et au Viêtnam. Malgré tout, les nouveaux acteurs publics
qu’étaient les administrations et les nouveaux acteurs privés qu’étaient les investisseurs et
commerçants, même s’ils n’ont pas été nombreux comme ce fut le cas dans les autres parties de
l’Indochine, avaient permis la réalisation d’un certain nombre de nouvelles constructions et de
donner un peu de vies aux petits centres urbains de tailles variables crés autour des années 1915.
Pour les plus originaux, il y avait la petite ville de Paksong avec son centre thermal et ses
exploitants de café, Saravan et Attapeu avec ses tentatives de concessions d’or et d’autres minerais.
III. II. a. 3. Les acteurs après l’indépendance, le retour du prince ou de son avatar ?
Le rôle des acteurs privés
Après l’indépendance, les acteurs de la ville avaient évolué rapidement. Les maîtres
d’ouvrage publics n’avaient plus le monopole dans la construction des équipements, car les privés
interviendront également : les équipements éducatifs avec la fondation des écoles privées, les
équipements culturels et de loisir, tels les cinémas et les parcs d’attractions. Ces deux derniers
programmes corollairement à l’émergence de nouveaux investisseurs, étaient tout à fait inauguraux.
Une nouvelle culture de loisir et une nouvelle approche de la vie citadine avaient bouleversé la
société lao de l’époque. Quant aux maîtres d’œuvre, ils devenaient indépendants et sortaient enfin
de l’anonymat stylistique. Le fait qu’ils ont commencé à travailler avec beaucoup plus de libertés,
explique la diversité et l’intensité des constructions des décennies qui ont suivi et jusqu’à les années
1970. Le domaine de la construction devenait fructueux, les entreprises nombreuses et la main
d’œuvre abondante.
Les acteurs publics et institutionnels
La Circonscription des Travaux Publics du Laos qui avait été instituée durant la période
coloniale a été transférée aux autorités du Gouvernement Royal du Laos au moment de la
décolonisation, par le biais de l’annexe du 6 février 1950 de la Convention Générale franco-
685 « Concessions domaniales aux Européens et aux indigènes - statistiques », cf., Documents du Fonds GGI, CAOM,
« M-Colonisation, travail, régime foncier » ; cf. fond GGI, Cote D3, Rapport Circonscription Territoriale des Travaux
Publics du Laos 1941-1942. « Exploitation de sable à Pakson, concession accordée à M. Fivaz (1500 m3 / an) » ; « A
Savannakhet en 1941-1942, à M. Malpuech pour le gypse (société de ciment Portland, en raison de 3000 m3 / an) ». Sur
les travailleurs susceptibles de venir au Laos, in : Dossier de « Conférence des Gouverneurs Généraux. Paris 03 novembre
1936 ». Fond GGI, coté D2. Dans la lettre de l’Ingénieur Principal, chef de l’Arrondissement des Travaux Publics du
Laos, adressée au Résident Supérieure, il est mis en évidence que le Laos est le mieux placé pour accueillir l’immigration
et la main d’œuvre venant du Tonkin et du Nord d’Annam surpeuplé.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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laotienne du 19 juillet 1949, signée entre le Haut Commissaire de France en Indochine et le chef du
gouvernement royal du Laos.
686 La Circonscription des Travaux Publics du Laos devenait alors de
Service National des Travaux Publics du Royaume du Laos. Par la suite, sa mission allait s’élargir,
plusieurs appellations ont été adoptées. En 1950, on retrouvait sur les en-têtes des circulaires
administratives le « Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme / Service de la Reconstruction
et de l’Urbanisme du Laos / Subdivision des bâtiments civils. La Subdivision des bâtiments civils
s’occupait alors des dossiers des permis de construire. Un ministère affairant étant créé, le Service
de la Reconstruction et de l’Urbanisme, l’un de ses services, avait alors un nom tout à fait
évocateur : le pays doit se reconstruire après la colonisation. En 1952, c’était sous le titre
« Ministère des Travaux Publics, du Plan et de la Communication / Direction du Service Royal des
Travaux Publics du Laos » que le service avait exercé sa mission. En 1960, le titre « Ministère des
Travaux Publics et des Transports » remplaçait le précédent. En 1971, il devenait « Ministère des
Travaux Publics / Service de l’Habitat et de l’Urbanisme. En 1975, il devenait « Ministère des
Communications, des Travaux Publics et des Transports / Direction du Service National de la
Construction et de l’Urbanisme ». Dans les années 1990, de nouveau, il change de nom, en
devenant « Ministère des Communications, Transport, Postes et Constructions ».
A partir des années 1990, il était alors le plus grand ministère du pays, ses différents
services assumaient des missions très larges. Il était aussi confronté aux tâches immenses qui
devaient être réalisées au niveau local dans les provinces, corollairement au développement urbain à
l’œuvre. Le partage des tâches était alors devenu nécessaire. Les permis de construire, par exemple,
étaient sortis définitivement de ses responsabilités, placés alors dans les missions spécifiques de
deux organes administratifs. D’abord c’était le Département des Communications, des Transports,
des Postes et des Constructions (DCTPC), département déconcentré à la Préfecture de Vientiane qui
instruisait seul les dossiers. Ensuite ce dernier allait partager les tâches avec le Service des permis
de construire de l’Autorité Administrative pour le Développement Urbain (UDAA) nouvellement
créé. Ceci, avant de laisser ces missions à la responsabilité exclusive du UDAA pour les zones les
plus urbaines des villes. Dans les mêmes périodes, l’Institut de Recherche en Urbanisme (IRU), en
charge des études urbaines, attaché au MCTPC en tant que l’une de ses directions avait joué un rôle
très important. A travers les réseaux de coopérations internationales qu’il a su se lier, il a permis
d’initier dans la fin des années 1990 et dans la première moitié des années 2000 la recherche
urbaine au Laos. Comme son ministère, en changeant de nom et en renouvelant ses coopérations
avec les organismes de recherche, opérateurs et bailleurs de fond internationaux, l’IRU qui devient
l’Institut des Transports et des Travaux Publics (ITTP) change aujourd’hui de cape. Plus axé sur les
transports et les travaux publics, l’habitat et l’urbanisme ne semblent plus être au cœur de ses
préoccupations. Vers 2010, le ministère tutelle s’est scindé en deux : d’un côté, le ministère des
télécommunications et de l’autre le ministère des Transports et des Travaux Publics.
Il est clair que le secteur de la production urbaine (aussi bien au niveau des responsabilités
décisionnelles, politiques, institutionnelles, qu’au niveau des opérateurs et acteurs directs, et au
niveau de la planification et de la recherche) est toujours à la recherche d’une bonne adéquation
structurelle et fonctionnelle pour clarifier ses missions.
L’aspect particulier des acteurs urbains : le retour du Prince ou de son avatar ?
A partir de l’année 2007, où on commence à penser la ville par les grands monuments, par
les symboles historiques, par l’appropriation des espaces sensibles (les projets de fêter des 450 ans
de la ville et les projets qui l’accompagnent), nous nous posons la question s’il n’y aurait pas
aujourd’hui un retour du Prince qui serait en train de doubler la volonté de légitimation du pouvoir
dans l’histoire nationale. Cette question peut être surtout posée à Vientiane, lieu de décision, vitrine
686 Léon Pignon était le Haut Commissaire de France en Indochine et le Prince Boun Oum de Champassak était le Chef du
gouvernement royal du Laos.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 406 -
de la politique urbaine et de la stratégie de développement. Rappelons que le Laos a connu au XVIe
siècle la ville rayonnante du Prince. Ceci, dans le sens où cette dernière mettait en avant les
prérogatives princières, son goût éclectique, sa connaissance et son savoir, son désir de pérennité et
d’éternité qu’il affectionnait à relier à l’universel et à la sagesse suprême (l’image du prince
bodhisattva) à travers ses dons, son architecture et ses programmes de construction, teintés de
religiosité et de grandeur pieuse. A cette image de grandeur du passé, de nombreux et grandioses
projets d’équipement, par leur taille, donnent une nouvelle figure à la ville de Vientiane. Sans
préjudice stylistique, leurs expressions architecturales mettent en avant un langage commun. Celui
que le régime prône pour les bâtiments officiels « doit incarner avant tout l’architecture lao
authentique, inspirer le respect et la fierté nationale et historique. » C’est à travers cette image et ce
désir de grandeur évoqué que les commanditaires des projets publics d’aujourd’hui se rapprochent
du Prince, du moins ils en deviennent son avatar. Car le caractère éclectique et la générosité du
mécène manquent à toute opération pour qu’il y ait retour véritable à l’œuvre du Prince.
III. II. b. Le développement d’une nouvelle programmation urbaine après 1954
Le renforcement des grands équipements publics
Après les acteurs, ce sont les nouveaux programmes urbains à partir des années 1950 qui
allaient acheminer la transformation de la ville traditionnelle vers la ville moderne. Par rapports à la
programmation ancienne d’avant la colonisation française, nous avons déjà vu à travers les
programmes des équipements publics coloniaux, que les villes laotiennes passent à une autre échelle
et à un autre rapport du tissu urbain. Mais c’est avec la programmation liée à l’indépendance que
l’évolution de la ville va vraiment prendre de l’ampleur. Si le programme colonial contient encore
les villes dans leur enceinte (Vientiane), celui après l’indépendance explore l’extérieur des enceintes
avec les grands équipements. Pour les autres villes de province, nouvelles ou sans enceinte,
l’exploration spatiale s’est faite en dehors de la zone homogène qui constituait la ville coloniale.
Nous allons voir dans ce paragraphe le programme des constructions après l’indépendance.
En 1954, les administrations étant transférées au gouvernement royal, celui-ci devait
prendre le relais et tenir les rênes du développement du pays. Habitué à une gestion traditionnelle de
l’ancien temps, et ensuite habitué à une domination extérieure où la structure traditionnelle ancienne
a été mutilée, puis à une assistance quasi-totale avec la colonisation, les jeunes élites formées
essentiellement par la France ont peu d’expériences dans la gouvernance et la gestion d’un État
moderne. Ils se retrouvaient par ailleurs devant des difficultés budgétaires et des ressources
humaines pour gérer le pays. Certains anciens hauts fonctionnaires qui ont connu cette période
parlaient de l’indépendance comme un “ cadeau empoisonné ”. Malgré tout, le pays doit “ montrer
au monde son honneur et sa grandeur ”, let motive de tous les jeunes États indépendants. Cette
volonté politique va se traduit dans l’espace de manière flagrante. C’est l’émergence et la confiance
des acteurs de la ville, publics et surtout privés, qui allait rapidement imposer les nouveaux
programmes d’équipements urbains. Les programmes provenant des maîtres d’ouvrage publics
étaient majoritairement liés à la politique et aux idéologies du gouvernement du royaume du Laos,
un jeune État enthousiasmé par l’indépendance qu’il venait d’obtenir et par la “ liberté à disposer de
lui-même ”. Les équipements les plus significatifs vont voir le jour (Assemblée Nationale, Hô
kham, Place Nam Phou, Anousavary, casernes militaires, nouveaux bâtiments ministériels et de
Services administratifs provinciaux, agrandissement des hôpitaux, extension de l’aéroport,
construction des nouvelles écoles et des marchés.) Les uns densifiaient les équipements existants
(cas de l’hôpital Mahosot), les autres sortaient de la petite enceinte (Lycée de Vientiane, Marché du
matin), et d’autres encore prolongeaient les axes existant et conduisaient une nouvelle urbanisation
(l’axe Lane Xang). Dans les premières années seules la capitale et les villes les plus importantes
(comme Paksé, Luang Prabang, Savannakhet, Thakkek, qui sont devenues des villes secondaires
d’aujourd’hui) se réjouissaient de ces équipements. Dans les autres petites villes, tout au plus on
reconstruisait les bureaux de l’administration provinciale. Dans les premières années, la Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 407 -
construction de ces équipements traduisait les premiers besoins du pouvoir, sa volonté de conforter
son autorité, de montrer qu’il assumait pleinement son rôle et sa responsabilité. L’économie de
moyen et de temps était de rigueur.
L’apparition des équipements de loisir et de vie nocturne
Les programmes susceptibles d’être réalisés par les privés étaient plus lisibles près d’une
décennie plus tard, vers la fin des années 1950, début des années 1960. Les acteurs publics
déléguaient peu à peu certains équipements publics aux soins des privés. Les maîtres d’ouvrage
privés intervenaient de manière importante. Ils investissaient dans les équipements éducatifs en
construisant de nombreuses écoles privées, des équipements sportifs, culturels et de loisir, tels les
lieux de sport, les parcs d’attractions, les cinémas, les night-club, les hôtels, etc. Trois groupes de
programmes d’équipements sont corollaires à l’émergence de nouvelles formes d’investissement et
de nouveaux investisseurs. Les promoteurs devenaient plus nombreux en ville avec leurs immeubles
et immeubles en compartiment, leurs villas privées, à vendre et à louer. Le vieux quartier Anu
(ancien quartier Annam) dans le centre de la ville avec ses trois cinémas, ses night-club, ses
immeubles et compartiments commerciaux, puis le nouveau quartier du marché du soir –Talat Lèng,
avec son cinéma, son marché et ses groupes de boutiques et restaurants, constituaient les quartiers
les plus animés et les plus nocturnes de la ville. Ceci était tout à fait inaugural. Une nouvelle culture
des loisirs, une nouvelle approche de la vie citadine et nocturne, faisait son apparition et avait
bouleversé la société lao de l’époque.
L’apparition d’habitats précaires, à faible coût et à faible loyer
Comme nous l’avons noté pour le grande tournant de l’espace urbain des années 1960, les
nouvelles programmations urbaines suscitent une approche nouvelle de la ville. Celle-ci se
démarque de plus en plus de la campagne. Distincte, on trouvait en ville ce que l’on ne trouvait pas
à la campagne : les loisirs et la consommation et surtout le travail. Bien que les villes laotiennes les
plus urbanisées dans les années 1960, demeuraient très rurales du point de vue des critères
urbanistiques habituels, la campagne étant aussi présente en ville suscitée par l’existence de
nombreux villages à caractère rural, elles ne demeuraient pas moins un milieu urbain et citadin par
ses programmes et ses fonctions. C’est cette ville en développement qui attirait la population de la
campagne, car elle croyait y trouver son compte. De cet enchevêtrement des fonctions : travail,
services, loisirs, offres de consommation, etc., la ville devenait le mirage des plus pauvres, car seuls
ceux qui avaient les moyens y étaient à l’aise. Malgré tout, la ville n’allait pas seulement accueillir
des populations dotées d’emploi salarial, les investisseurs, les gens aisés de l’aristocratie de
province qui occupaient des places dans la fonction publique, mais aussi des populations pauvres
venues de la campagne, d’immigrés et de réfugiés chassés par la pauvreté et la guerre. Ils venaient
former ainsi en grande partie les quartiers insalubres. Le cas du quartier Nong Chanh - Khroua
Dinh, formé dès les années 1950-1960 sur une vieille structure de villages ruraux, était
démonstratif.687 Tout le quartier s’était constitué par greffe dans une zone humide, située entre le
rempart et Ban Fay - Dong Palane - Sala Dèng, à travers un processus d’auto construction, sans le
concours d’aucunes autorités publiques. Certains habitants des quartiers limitrophes y construisaient
des logements en bois rudimentaires, à faible coût et à faibles loyers. Le quartier portant alors en lui
de multiples pathologies.
687 Les études sur les habitations de Nong Chanh ont été réalisées par les étudiants de l’Atelier Map au début des années
2000. Du fait qu’il était en cours de démolition, et que près de la moitié de la population qui y habitait était partie, les
études ne rendent compte que partiellement de ce qu’elle a pu être dans les années 1960 - 1970. Cf. Mémoire d’étude de
Laurent Hertenberger, 2002. Les études urbaines de Vientiane réalisées par le BCEOM en 1963 pour le plan directeur
d’urbanisme de la ville avaient déjà repéré ce quartier comme insalubre. Cf. Ville de Vientiane : étude au plan directeur
d’urbanisme et des aménagements urbains, pour le compte du Royaume du Laos, BCEOM, 1958-1963. Une autre étude
sur le thème du « développement d’une rue commerçante, cas de Dong Palane » a également abordé les problèmes du
quartier insalubre de Nong Chanh, dans le cadre du PRUD. Nathalie Lancret, Emmanuel Cerice et Karine Péroni. Rapport
d’étude 2004.
Fig. 95. La
place du Nam
Phou a été
construite au
début des
années 1960,
remplaçant les
deux pavillons
du marché qui
date de la
période
coloniale
Fig. 94.
Equipements de
loisir et de
commerce des
années 1960
dans le centre de
Vientiane : les
Cinéma Vieng
Samaï et Sèng
LaoDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 408 -
Conclusion
Comme on a pu le constater, la deuxième partie de la recherche a tenté d’approcher les
principes et les modèles fondamentaux de fondation, en explorant les données immatérielles :
données anthropologiques, mythes et rites religieux et païens, pratiques habitantes, etc., en rapport
avec les fondations. Ces approches se sont beaucoup appuyées aussi sur les données historiques –
constituées par les historiens ou inédites (traitées pour la première fois ici dans l’angle de vue
spatiale), avec lesquelles nous avons essayé d’être le moins affirmatif possible. De ce fait, les
approches ont ainsi été théoriques : les éléments matériels persistants dans les espaces
contemporains, ayant des liens directs avec les fondations, sont fort lacunaires, alors que les
éléments immatériels sont plus prégnants.
Néanmoins, l’identification des éléments de formation primitive, dans le premier chapitre, a
permis de constater que les établissements qui ont préexisté à l’espace lao tai sont nombreux et forts
anciens. On a pu identifier quatre structures majeures avant la structuration de l’espace lao tai au
XVIe siècle :
1- Les occupations les plus anciennes et méconnues avant l’émergence des Tai. Celles-ci se
trouvent temporellement et culturellement à l’extérieur du monde môn-khmer que les
anthropologues désignent de proto indochinois.
2- Les fondations mônes que l’on continue à découvrir de manière fragmentée, et dont les contenus
culturels et conceptuels ne semblent pas sans lien ou éloignés des établissements lao tai. Les
connaissances les concernant restent –à ce jour– dépendantes de la découverte archéologique, mais
que l’histoire et l’archéologie des sites comme Xieng Saèn, Chiangrai et Vieng Phu Kha pourraient
apporter un éclairage nouveau sur ce lien spatial môn-tai, encore très négligé par l’historiographie.
3- Les établissements khmers, monumentaux et marqueurs du territoire. Cependant, les
établissements khmers qui renvoient aux fondations des monuments et des grands établissements
politiques et territoriaux, restent “muets” sur les établissements urbains et d’habitat qui font l’objet
privilégié dans notre observation.
4- Les occupations lao tai primitives qui ont préexisté à l’émergence des espaces lao tai
contemporains. Ces occupations à l’échelle temporelle sont importantes, car elles justifient notre
hypothèse sur la formation des établissements lao tai avant le XVIe siècle. Ceux-ci ont été
longuement préparés sur deux périodes : la première entre le VIIIe et le XIVe siècle –c’est la période
des chefferies dispersées ; la seconde entre le XIVe et le XVIe siècle –c’est la période des cités-État
où la configuration politique et spatiale devient plus structurée.
Ensuite les deux dernières parties du chapitre, qui explorent la période de structuration de
l’espace lao tai opérée autour de la fondation de la capitale par Sethathirat au XVIe siècle, ont mis
en évidence une organisation sociospatiale très structurée. Durant cette période, les principes
d’implantation se sont révélés à travers la persistance des pratiques spatiales, la permanence des
caractéristiques des sites, les mythes et rites de fondation comme un élément d’identité des espaces
primitifs. La restructuration politique de l’espace qui caractérise aussi cette période s’est réalisée de
manière plus formelle pendant et à partir du règne de Sethathirat. Ceci est identifiable à travers les
différents actes et dispositifs politiques réalisés, pouvant être considérés comme une inscription de
la pensée spatiale dans le territoire. Car, effectivement, il semble qu’il y ait un parti pris idéologique
pour restructurer l’espace non seulement territorial mais aussi social et religieux.
La constitution de l’espace lao tai est ainsi lisible à travers des faits culturels et idéologiques.
Elle est analysée dans sa strate de cité-État et à travers la structure du pouvoir politique constituant, Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’où découleraient la conception spatiale et son mode d’organisation. De ce fait, la constitution de
l’espace reste –toute proportion gardée– endogène, générant son propre modèle historique.
688
Le deuxième chapitre qui explore la capacité des espaces lao à réceptionner les modèles
spatiaux extérieurs et à se les approprier par acculturation, a montré d’abord que les villes siamoises
précoloniales ainsi que leurs structures administratives, installées surtout comme des lieux de
capitations au Laos et dans le Laos occidental au XIXe siècle, sont artificielles et ne peuvent
constituer un modèle. Elles ont induit deux éléments importants pour l’espace contemporain des
villes :
1- Ces établissements de capitations ont complètement déstructuré, atrophié la forme sociale et
politique du muang pour leur bon fonctionnement futur.
2- Ils ont contribué à faire naître dans le territoire le sentiment “localiste” qui a géné tout le long du
XXe siècle le développement et l’intégration de la région Issane dans l’unité nationale thaïlandaise.
Le deuxième chapitre a aussi mis en évidence le fait que les villes coloniales, contrairement
aux établissements de capitation siamoise, ont formé un modèle nouveau qui dure et qui est devenu
significatif pour l’espace contemporain, du point de vue administratif, programmatique, de la
gestion des sols et de la démographie. La culture administrative et le tissu urbain de ce passé
forment ainsi aujourd’hui une variante spatiale et urbaine des villes laotiennes. Ceci, sachant qu’au
moment de leur installation, les villes coloniales ont tenu une position ambigüe, voire, ont ignoré les
espaces anciens antérieurs (forme urbaine, limite, mode ancien de production et de gouvernance,
etc.) Les deux types de ville restent dans leur ensemble des modèles exogènes pour les villes
laotiennes futures : mise à part la forme de l’administration locale, peu d’éléments ont été
endogénisés pour un développement conceptuel et formel postérieur.
La capacité des espaces lao à réceptionner les modèles extérieurs est donc moindre par
rapport à leur capacité à gérer leurs propres modèles endogènes. Quatre principes semblent le
démontrer :
1- Le modèle spatial en rapport avec la forme de la gouvernance. On constate que l’organisation de
l’espace lao est reposée sur trois échelles et principes spatiaux : le ban le tassèng et le muang. Ces
principes ont perduré et ont assuré à l’organisation laotienne une pérennité, malgré les ruptures et
les transformations diverses que l’histoire a enregistré.
2- Les ancrages culturels de ces principes spatiaux ont été tels qu’ils génèrent une conception
idéalisée du muang. Dans le Syasavat, le muang –défini comme une cité-État par excellence– donne
la perception du cadre de vie, de penser et de gouvernance de la société lao.
3- Dans la pratique, les ancrages culturels des principes spatiaux donnent des règles au droit des
sols, stigmatisé dans le droit coutumier, auquel le droit foncier actuel se réfère encore.
4- La domestication des espaces naturels, en liaison avec le mode d’habiter, comme savoir
intemporel constitue une caractéristique des espaces et des villes lao. La conception et la perception
de la nature participent à la construction et aux fonctions des établissements. La nature fait partie de
la cité, en tant que paysage, en tant que lieu de production, ou en tant qu’altérité de vie, ici
divinisée.
La troisième partie du chapitre a tenté d’identifier, dans l’espace contemporain des villes
laotiennes autour des années 1975, les caractéristiques dominantes qui explicitent la permanence et
l’adaptabilité des structures spatiales anciennes héritées. Afin de voir s’il y a une rupture ou une
688 Dans l’idée de modèle constitué, notre étude ne prend pas en compte l’espace des minorités, celui-ci n’ayant pas
d’implications directes sur la constitution du monde urbain, même s’il peut constituer un élément d’équilibre. Leurs
structures, passant de l’empreinte tribale à l’empreinte rurale ne sont pas intégrées aujourd’hui dans la ville et sont même
menacées dans leur existence. A l’exception des Tai Lü qui seraient les seuls à posséder une tradition urbaine avec
l’exemple de Muang Sing. Du point de vue morphologique et conceptuel cette tradition urbaine septentrionale est un
modèle exceptionnel, pouvant expliquer l’origine du xieng [-P’].Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 410 -
continuité, face aux conjonctures socioéconomiques internes et externes, en rapport avec l’évolution
des aires urbaines régionales et avec leur propre cycle de transformation. En cela, on constate que :
1- Les modèles spatiaux hérités ont connu une acculturation : les schémas symboliques et les cultes
se retrouvent encore souvent dans l’usage de l’espace. La forme ancienne du pouvoir laisse aussi
des traces sur la structure urbaine et les lieux sensibles de la ville. La faiblesse démographique
traditionnelle est prise en compte dans la modélisation de l’espace et continue à être prise en compte
comme un handicap dans la gestion et l’économie des villes. Le déplacement de la population, une
pratique traditionnelle est encore d’actualité dans la restructuration spatiale de la ville. Et le mythe
de la ville imaginaire continue à “hanter ” ceux qui la construisent mais aussi ceux qui la vivent.
2- La partition territoriale parallèlement à la partition politique du Laos est une question induite par
le contexte politique de la Guerre froide, mais elle ne reflète pas moins une réalité géographique et
humaine inscrite dans la formation et dans l’évolution territoriale du pays. Cette partition s’est calée
sur le schéma de l’opposition entre zones vides montagneuses moins développées et zones basses,
peuplées, développées et faciles d’accès. La partition ne s’est pas calée, par exemple, sur la partition
politique ancienne des trois royaumes, mais sur la configuration historique plus ancienne de la
répartition des hommes et des richesses. Sans oublier bien entendu l’influence certaine de la piste
Hô Chiminh Nord-Sud qui constitue aussi la ligne de cette partition.
3- Le grand tournant spatial des années 1960 enregistre plus une transition qu’une rupture. Les
éléments traditionnels pris en compte comme une acculturation, comme une endogénisation
acquise, deviennent quasiment des éléments dépassés par rapports aux nouvelles données spatiales
qui apparaissent dans le contexte des années 1960 et de la Guerre froide : des établissements
naissants sont très liés à la guerre. Il est de même pour la nouvelle répartition des hommes sur le
territoire. Quant au développement et à la production architecturale et urbaine, dans bien des cas,
l’urbanisme et l’architecture des années 1960 ont révélé la dynamique de la structure symbolique
ancienne en s’appropriant d’elle comme une structure urbaine révélée.
Enfin, le troisième chapitre fait l’état des lieux des villes et identifie les années 1960 comme
le commencement d’un nouveau cycle de transformation spatiale. Et on identifie ce cycle de
transformation comme le passage de l’espace traditionnel à l’espace moderne. Ceci caractérise les
traits dominants de la transition urbaine des villes laotiennes. Tout en cherchant une définition
adéquate à l’espace traditionnel et à l’espace moderne, on a identifié les facteurs dominants qui ont
conduit cette transition. Ceux-ci ont été essentiellement la complexification des acteurs urbains et le
développement d’une nouvelle programmation urbaine.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Troisième partie
1975 – 1995 : période de transition,
racine de la fragilisation du rôle spatial des centres
historiques et des établissements anciens
Regards rétrospectifs
Dans la première partie de notre réflexion, nous avons mis en évidence que le
développement urbain et territorial à l’œuvre à partir de 1995 était accompagné par un processus de
transformations spatiales fortes au cours duquel le rôle de matrice structurante et identitaire des
centres historiques et des occupations anciennes avait commencé à se fragiliser. Pourtant, durant de
longues périodes et jusque dans les années 1970, les établissements avaient été marqués par des
persistances et des permanences spatiales liées à des pratiques anciennes, aux centres et aux aires de
fondations anciennes. Les bases fondatrices des villes et leur centre, ainsi que les pratiques
habitantes en tant que modèle avaient pu être définies comme un espace et une culture
autoréférencée se nourrissant de modèles endogènes et exogènes par un long et complexe processus
d’acculturation. Celui-ci renforçait les facteurs de permanence et consolidait l’adaptabilité des
établissements. En fait, malgré une longue période où les espaces étaient soumis à de multiples
transformations, les implantations lao connurent malgré tout une évolution endogène et une
idiosyncrasie.689 C’est ce qu’a principalement traité la seconde partie de notre recherche. Nous
pouvons alors nous demander quels étaient le contexte et les enjeux entre 1970 et 1995 pour que la
matrice structurante, liée à la fondation des villes et à des pratiques habitantes, soit ainsi altérée.
C’est l’objet de la troisième partie de notre recherche, qui est traité en trois parties, couvrant près de
vingt années. La première décrit les enjeux humains, spatiaux et économiques à l’insvestiture du
régime, ainsi que les bouleversements qui en étaient issus. La seconde étaille les dispositifs mis en
place pour construire le monde nouveau. La troisième dresse les bilans sur la politiques et les
dispositifs qui ont été planifiés et mis en application durant la première et la deuxième période et
qui force le régime à entreprendre les réformes.
Nous cherchons à montrer dans quelle mesure, durant ces périodes, les facteurs de
changement et de transition ont-ils été formés, expliquant le processus d’altération de la base de
fondation des villes, des occupations anciennes et de leurs pratiques spatiales – jusqu’à perdre leur
rôle et leur fonction, leur force et leur capacité de renouvellement. L’approche sociopolitique
devrait nous confronter à de nouvelles données spatiales, qui se mirent en place lors de l’installation
du nouveau régime politique en 1975. Mais avant d’aborder celle-ci, évoquons brièvement dans
quel contexte politique et économique, à la sortie de la guerre, le nouveau régime accéda au
pouvoir et eut à mener le pays.
Le Laos dans le contexte général de la sous-région, à la fin de la guerre du Vietnam
689 Une manière d’être particulière, induite par un processus d’appropriation et d’acculturation des modèles à la fois
endogènes et exogènes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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En avril 1975, la guerre du Vietnam prend fin avec la prise de Saigon et avec la chute de
Phnom Penh. S’ensuit un changement de données politiques, économiques et sociales qui a
bouleversé toute la région de l’Asie du Sud-Est. Laos, Cambodge et Viêtnam sont passés dans le
bloc communiste. Ce basculement idéologique a profondément transformé les sociétés de ces pays.
Il allait exclure pour un temps la péninsule indochinoise690 du reste de la communauté des nations
de l’Asie du Sud-Est, gouvernées par des régimes politiques divers, entre autoritarisme et
apprentissage de la démocratie.
Le Laos a été désigné comme « victime du péril rouge » par la Thaïlande voisine, qui avait
su enrayer les communistes de son territoire.691 Ceux-ci se recrutaient dans le milieu des artistes et
des intellectuels imprégnés de marxisme,692 mais surtout parmi les députés de l’Issan. Certains
d’entre eux faisaient cause commune avec les séparatistes ou du moins y étaient assimilés. Ils
revendiquaient l’identité et l’autonomie de l’Issan, un certain localisme teinté de culture laotienne.
Les revendications des députés “régionalistes” de l’Issan693 se réfèreraient à une période historique
particulière mettant en évidence leurs liens culturels avec les Laotiens. La Thaïlande – dont le
système politique reposait sur un appareil militaire puissant – était dirigée par un gouvernement
anticommuniste proaméricain soutenu par les États-Unis.694 En éliminant le communisme de son
territoire, elle s’était en même temps débarrassée de ses opposants séparatistes. D’après les
dirigeants politiques thaïs, ces derniers menaçaient l’unité nationale et risquaient d’entraîner les
autres communautés et territoires, notamment ceux du Sud et du Nord-Est, à agir dans le même
sens.695
La Thaïlande, comme la porte occidentale du Laos
Depuis près de deux siècles, la Thaïlande est confrontée sans cesse au problème d’identité
locale des territoires au sein de son ensemble national.696 Certaines de ses communautés, de cultures
différentes, adhèrent peu à la conception officielle d’État-Nation thaïlandaise, héritière de la pensée
pan-thaï née au début du XXe siècle.697
690 L’expression “péninsule indochinoise” est ici considérée du point de vue géographique et culturel. 691 Par l’exil forcé ou l’assassinat d’une partie des promoteurs du communisme. 692 Pour fuir la traque du gouvernement dans les années 1970, une partie d’entre eux se réfugie en Europe pour ne revenir
en Thaïlande que vers la fin des années 1980 ou au début des années 1990.
693 Issan (Sk), l’Orient, désigne le territoire de l’Est et du Nord-Est de la Thaïlande. Dans l’ouvrage de Dararat
Methanikanonh, les expressions “ localiste Issan” ou “ régionaliste Issan ” ont été préférées à “nationaliste Issan”, sans
doute pour écarter toute notion “séparatiste”. L’expression “nationaliste Issan” aurait rattaché les aspirations politiques des
populations Issanes à l’État lao voisin, ce qui n’est pas exact, même si à l’époque ces populations s’opposent
farouchement au gouvernement central de Bangkok. Dans les deux cas, la “laocité” de la région Issane marque l’identité
culturelle de ces groupes de députés. In. Methanikanonh D., La politique des deux rives du Mékong, le regroupement
politique des députés Issans entre 1933-1951, éd. Art and Culture, 2546, Bangkok, en thaï. 694 Durant la guerre du Vietnam, la Thaïlande a autorisé l’installation des bases américaines sur son territoire, à partir
desquelles l’armée américaine conduit des bombardements aériens sur le Nord-Vietnam et l’Est du Laos. Udon Thani, à
une heure de route de Vientiane, constituait une alternative lorsque les bases du Laos étaient mises en veille. Le Laos étant
à l’époque un pays supposé neutre, les États-Unis ne pouvaient y créer ouvertement ses bases militaires. Les bases d’Udon
Thani représentaient donc une alternative idéale pour calmer l’opinion internationale. L’ouverture de son espace aérien et
de son territoire aux troupes américaines démontrait l’adhésion de la Thaïlande à la politique américaine de lutte contre la
propagation du communisme en Asie du Sud-Est. 695 Les territoires dont les composants culturels se différencient des thaïs concernent la région du Sud peuplée de Malais et
de musulmans, la région du Nord peuplée de Gnouans et celle du Nord-Est peuplée de Lao et de Lao Phouans. Seuls les
Malais sont ethnolinguistiquement différents. Les Gnouans, les Phouans et les Lao partagent les mêmes origines Tai avec
les Thaïs. Concernant le séparatisme, les informations ont été recueillies auprès des Thaïs d’origine d’Issan qui ont quitté
la Thailande vers 1975 et qui ont vécu à Londre, à Paris et en Belgique. J’ai rencontré quelques uns de ces militants vers la
fin des années 1980 dans le milieu des mo lam. Ils envoyaient régulièrement des lettres d’information aux réfigiés laotiens
d’Europe. Ces lettres –écrites parfois en lao, parfois en Thai– énonçaient une certaine laoicité et surtout des idées anti
gouvernement royal thaïlandais. J’ai eu entre les mains plusieurs de ces lettres.
696 Dararat Méthanikanonh étudie le mécanisme qui permettait le regroupement politique des députés Issan s’opposant au
gouvernement central de Bangkok, tout en participant activement à la vie politique thaïe. Sa recherche souligne aussi les
liens entre le mouvement politique Issan et le mouvement politique formé au Laos pendant et après l’indépendance. In. La
politique des deux rives du Mékong, le regroupement politique des députés Issan entre 1933-1951, op, cit. 697 Après avoir évincé le démocrate Pridi Phranomyom, le maréchal Phibounsongkham ultra-nationaliste instaure une
dictature militaire et proclame la création de la Thaïlande en 1939. Le changement d’appellation du Siam, aurait pour
ambition la proclamation d’un État dans lequel tous les peuples Tai de toute l’Asie du Sud-Est se seraient reconnus. La
proclamation de la “terre des Thaïs” symbolisant la fédération des peuples Tai, aurait inquiété le gouvernement français Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 413 -
De par cette communauté de culture lao et thaïe à cheval sur les deux rives du Mékong –
frontière politique entre le Laos et la Thaïlande,698 le fleuve constituait une frontière perméable
jusqu’au milieu des années 1970. Les villes de la vallée et du Haut Mékong, ainsi que les hommes
qui les habitaient, gardaient un lien avec le reste de la population du Laos, du moins à travers leur
culture, leur langue et parfois les liens de parenté. Le Mékong était une voie de circulation, un trait
d’union, plus qu’une ligne de séparation. Les riverains du Mékong se considéraient différents des
riverains de la Ménam : pendant longtemps, la population de la vallée de la Ménam se sentait
étrangère, autant par la langue que par les us et coutumes, lorsqu’elle venait dans ce territoire,
pourtant siamois depuis plus de deux siècles et intégré définitivement dans la Thaïlande depuis plus
d’un siècle.699
L’intérieure du Laos, un monde clos
À l’investiture du nouveau régime, le 2 décembre 1975, cette frontière devint une réalité
politique autant que physique. Dans un climat de méfiance et de défi durant toute la période de
fermeture du Laos aux pays occidentaux et à leurs zones d’influence, le Mékong – devenu la
frontière entre le Laos et le “monde libre” – devint quasi infranchissable. Pourtant, d’une rive à
l’autre, les hommes et les produits continuaient de circuler, dans la plus grande clandestinité. Le
blocus officiel de la Thaïlande sur les produits transitant par son territoire vers le Laos renforçait
encore la dépendance économique du pays vis-à-vis du bloc socialiste et par rapport au système
informel de circulation des produits. La pénurie générale des produits de consommation, l’insuccès
de la première réforme agraire700 et de la production collective701 planifiée, de la rationalisation,702
d’alors, car une bonne partie de son territoire indochinois était peuplée de Tai. D’après les administrateurs français, les
Lao-Tai auraient pu être attirés par cette nation nouvelle, ce qui aurait pu entraîner la désintégration de l’Indochine
française.
À propos de Pridi Phranomyom, chef du mouvement séri Thaï, il est utile de rappeler ici qu’il y a un lien significatif dans
les années 1940 entre le mouvement Séri Thaï et le mouvement Lao Issara. Cf. Vanida Thongchanh, Savèng Phinith,
Phou-Ngeun Soukaloun. 698 Exceptés la province de Xayaboury et l’Ouest de la province de Champassak qui se trouvent sur la rive droite. Cette
frontière remonte à la période coloniale. La France et le Siam se partagent les territoires du Cambodge et du Laos, se
référant aux intérêts politiques et négligeant les réalités historiques, ethniques et culturelles. Près d’un siècle plus tard,
Laos, Thaïlande et Cambodge doivent encore régler les problèmes de frontières, sources de conflits incessants. 699 Le traité franco-siamois de 1893 marque la reconnaissance par le Siam de la souveraineté de la France sur la rive
gauche, et la reconnaissance par la France de la souveraineté du Siam sur la rive droite du Mékong. Le traité francoanglais
de Londres, en janvier 1896, qui faisait du Siam une zone tampon entre l’Empire britannique et l’Indochine
française, rappelle la garantie des intérêts des deux empires dans le commerce avec le Yunnan et le Sichuan (déjà
mentionnée dans les traités de mars 1894 et juin 1895). Ce traité consolide la position du Siam dans le Laos Occidental.
Après la Deuxième Guerre mondiale, le traité franco-thaï de Washington (1946), qui restitue à la France le territoire de
Xayaboury, Champassack et Xédaun, marque la fin de toute légitimité du pouvoir laotien sur le Laos Occidental.
Aujourd’hui, la démarche de délimitation de frontière entre le Laos et la Thaïlande est encore à l’ordre du jour concernant
la province de Xayaboury.
700 La réforme agraire a été mise en place indirectement à travers des dispositifs généraux, dès 1976, pour la
« construction du régime de dictature prolétarienne ». Nous retrouvons sa mise en application dans la définition du rôle
des ouvriers agricoles. La réforme agraire proprement dite est plus explicite dans le plan de trois ans mis en place entre
1978 et 1981.
701 La réforme agraire impose une collectivisation du travail et de la production, une redistribution collective du riz.
Traditionnellement les travaux agricoles sont communautaires, les agriculteurs pratiquent la main-d’œuvre tournante :
après avoir terminé les travaux de ses propres champs, on va aider les voisins. La moisson se termine par une fête de la
récolte commune, boun kong khao [[6odv’g0Qk] ; chaque propriétaire conserve le produit de ses rizières. Les semences sont
parfois échangées pour les saisons suivantes. Ceux qui ne possèdent pas de rizière peuvent la défricher ou la louer, en
contrepartie, ils donnent un tiers de la récolte au propriétaire. Si les paysans laotiens ont un sens fort de la communauté et
de la solidarité, ils ignorent le sens du collectivisme que le socialisme propose. L’expression “régime communisme” est
traduite par latthi kong kang []afmydv’dk’], littéralement “régime ou l’on cumule un tas au milieu”. Cette traduction n’est
pas due au hasard, mais au pragmatisme de la culture paysanne. Le mot kong [dv’], tas, se réfère au tas de riz après avoir
été séparés de leurs panicules. Par cet emprunt lexical au monde agraire, le monde paysan domine la sémantique en
interprétant à sa manière l’idéologie du régime. En occurence, le paysan est le premier à refuser le régime tel qu’il se
présente et pratiqué au Laos. 702 La rationalisation est pratiquée au sein de la structure de l’État. Les fonctionnaires reçoivent, dans les premières
années, des tickets pour échanger contre les produits dans les magasins de l’État : le lait en poudre, le sucre, la viande, etc.
Les produits proviennent majoritairement des pays socialistes (notamment l’URSS et Cuba). Dans les villages on rationne
autrement : pour tuer un coq ou un cochon de son élevage de subsistance, on doit demander l’autorisation aux autorités
locales. Passer outre équivaut enfreindre les règles du collectivisme. Ces écarts peuvent être sanctionnés par des séjours en
“séminaire” ou des séances d’autocritique, qui dévalorisent l’individu devant la communauté. Le Laotien de base vit
l’autocritique comme une menace pour son honneur et sa dignité. “Perdre la face” a une grande importance malgré un Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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induisait inévitablement un système de distributions parallèles : le marché noir alimenté par la
Thaïlande et par la “ débrouille ” locale. Le kip connut une dévaluation spectaculaire : la population
transportaient dans des sacs de riz cette devise pour aller l’échanger contre le nouveau kip potpoy,
“kip de libération” [du[xqfxvjp], monnaie du nouveau régime.
Parallèlement et malgré les chocs pétroliers des années 1970,703 l’économie thaïlandaise a
poursuivi un développement rapide avec des investissements étrangers et locaux significatifs, et a
connu un taux de croissance élevé. Ses villes au bord du Mékong et dans la région Issan, qui étaient
plus pauvres que les villes du bassin de la Ménam, ne cessaient de se développer. Le gouvernement
thaïlandais, de peur d’un rapprochement entre la région Issan et le Laos communiste, révisa ses
anciennes politiques en Issan, qui consistaient surtout à “exploiter” ses ressources naturelles en se
préoccupant peu de sa population, laissée dans la pauvreté (du point de vue des habitants de
l’Issan). Sous l’impact de ces nouveaux investissements, la région Issan commençait à se
développer davantage et les villes connurent une période d’extension et de croissance économique
importantes. Le taux d’urbanisation était progressif, même si l’exode rural – des provinces vers
Bangkok – atteignait des records durant cette période. Pour leur part, après avoir absorbé un très
important exode rural à la fin des années 1960 et au début des années 1970704 – en proportion de la
population du pays –, les villes du Laos se vidèrent de leur population, et ceci de manière assez
brutale. Une partie de la population fuit le nouveau régime et partit à l’étranger. Il fallut attendre
quelques années, bien après l’introduction d’une deuxième réforme agraire, pour que l’exode de la
population paysanne ralentisse705 ; celui des habitants de la ville vers l’étranger continuant jusqu’au
milieu des années 1980. À cette période, les investissements intérieurs et extérieurs étaient quasiinexistants.
C’est durant ces années que sont apparus les premiers écarts entre les villes et territoires des
deux rives du Mékong, qui avaient pourtant, à l’origine, des caractéristiques semblables. Ceci aura
des conséquences importantes sur l’aspect des villes et leur développement futur. C’est dans ce
contexte difficile, faisant face à des enjeux politiques et économiques, des défis spatiaux et humains
multiples, que le nouveau régime a dû mener le pays vers le “monde nouveau” qu’il se promettait
de construire. Ce grand projet de société, avec sa nouvelle représentation, était une hétérotopie qu’il
a fallu confronter à la réalité de l’histoire du Laos, celle de la société et des hommes. Avant que le
projet de société n’ait pu être conduit à son terme, cette confrontation força le régime à mener une
réforme au sein de son appareil institutionnel et à adopter une nouvelle orientation politique et
économique. Outre cette confrontation interne, les impératifs de la réforme étaient surtout dus aux
conséquences de l’effondrement du bloc socialiste, dans l’ex-Union Soviétique et en Europe.
La période de transition que constitue la période 1975-1995 peut être analysée en trois
temps : le premier est marqué par les enjeux que le nouveau régime a rencontrés et les défis qu’il a
dû relever au moment de sa proclamation ; le deuxième est caractérisé par la représentation et la
perspective nouvelle que le régime avait formulées pour la nouvelle société qu’il se proposait
d’édifier ; le troisième est le temps des bilans et de la réforme suscitée tant par les facteurs internes
qu’externes.
régime qui feint de l’ignorer, surtout dans une période où l’intégration sociale est fixée en référence à la vertu
révolutionnaire. 703 Le 1er et 2e chocs pétroliers ont lieu sur la période 1973-1980. In. Hugues Tertrais, Asie du Sud-Est : enjeu régional ou
enjeu mondiale ? éd. Gallimard, coll. Folio/Actuel, Paris, 2002 ; Asie tiers du monde, IRASEC, éd. ERES, coll. Outre- terre Revue française de géographie, 2003.
704 L’exode rural des années 1960, 1970 concerne les réfugiés qui quittent les zones libérées et les zones de combat pour
rejoindre les zones contrôlées par le gouvernement de Vientiane. Les réfugiés s’arrêtent d’abord dans les villes les plus
proches, souvent des capitales régionales, puis lorsqu’ils y trouvent du travail et de la famille installée avant, ils y restent,
sinon, ils rejoignent Vientiane. 705 La 2e réforme agraire a lieu vers 1980, lorsque prend fin le plan de trois ans. In. Le développement de l’État Lao,
Phongsavat Boupha, Imprimerie Nakhone Luang, Vientiane 2005. En Lao.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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CHAPITRE I
Temps un : les enjeux spatiaux, humains et économiques, un défi pour le
nouveau régime
Le nouveau leadership politique, à sa prise de pouvoir, trouve un pays désorganisé par les
guerres, civile et internationale, que ce dernier et ses habitants venaient de traverser. Les enjeux
étaient de réussir à reconstruire le pays et d’en rétablir la cohérence territoriale à partir d’une
nouvelle base idéologique et politique et avec des hommes nouveaux. Le défi à relever était ainsi à
la fois spatial, humain et économique.
I. I. Les enjeux et les défis spatiaux : faire table-rase, légitimer, durer
Les données humaines dans ce contexte sont liées à l’espace et à sa représentation.
L’espace est porté et légitimé par les hommes, et à leur tour les hommes sont représentés dans et par
l’espace. L’acte de déformation des hommes porteurs d’un espace que l’on voulait abolir participe
clairement à la destruction de cet espace. La table-rase de l’espace de représentation de l’Ancien
Régime doit donc être accompagnée de la table-rase sociale, du moins la table-rase des valeurs que
portait cet espace de représentation afin que le nouveau pouvoir puisse instaurer et construire sa
propre représentation. C’est ce qu’a entrepris le nouveau régime dès son arrivée au pouvoir : la
destruction des anciens symboles. Cependant, que ce soit les données spatiales ou humaines, les
représentations nécessitaient un processus de construction ancré dans l’histoire de ceux pour qui
étaient réalisées les représentations. Autrement dit, ces représentations appelaient une phase de
légitimation. Or si le nouveau régime possédait le pouvoir de déconstruire et de construire, il ne
portait pas la légitimité de représenter. L’espace fort est une construction de l’histoire que l’on ne
peut remplacer instantanément. L’instauration d’une nouvelle représentation devient dès lors ardue
devant les réalités constituées par l’histoire, ancrées dans les mentalités. La réappropriation de
l’espace a été préconisée dès les premières années du régime, la vision globalisante a été choisie à la
vision particulière, afin de pouvoir contrôler et s’approprier l’ensemble du territoire sans distinguer
l’ancien « fief de l’ennemi » du « territoire des libérateurs ».
I. I. a. La destruction des symboles anciens et la création de nouveaux
La société bourgeoise, liée aux capitaux et au pouvoir de l’Ancien Régime, n’ayant pas un
enracinement très profond dans la société laotienne ; elle peut disparaître assez rapidement avec
l’abolition du système sur lequel elle reposait. Les séminaires politiques, les emprisonnements et la
confiscation des biens, qui symbolisaient le pouvoir économique et politique que ses membres
détenaient, entérinent la destruction de cette société, considérée comme paria après 1975.
Cependant, la société laotienne de l’Ancien Régime n’est pas uniquement bourgeoise. Elle est
hiérarchisée mais pas stratifiée. Elle est surtout marquée par un système de lignage ou de cousinage
qui peut relier des individus issus de la paysannerie aux membres de l’aristocratie, des commerçants
aux lettrés, et ainsi de suite. Dans une telle société, la monarchie, qui symbolisait l’histoire et
l’unification du pays et de son peuple plus que la hiérarchisation sociale, est difficile à faire
disparaître. Pour construire les nouvelles représentations et les nouveaux symboles, il faut avant tout
abolir les anciens symboles, réunis et représentés par le pouvoir monarchique. Mais cela ne suffit Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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pas, il faut que tous les signes qui lui sont liés soient également détruits. Dans ce contexte, une
question importante a été soulevée dans le milieu révolutionnaire nationaliste : « Comment
construire une société juste pour laquelle la révolution était sensée faite ? »
706 La réponse à cette
question a toujours été différée. Aujourd’hui, elle n’est toujours pas débattue bien qu’elle ait été
soulevée, discrètement, testant le degré d’ouverture du régime.707
L’abdication du roi et la disparition du symbole
Après avoir forcé le roi Savang Vatthana à abdiquer et prononcer l’abolition de la
monarchie constitutionnelle, ainsi que l’instauration de la République démocratique populaire, le
nouveau pouvoir nomme l’ancien monarque comme conseiller suprême du Président de la RDPL ;
il déchoit le Prince Souvanna Phouma de son poste de Premier ministre, dissout son gouvernement
de coalition et le nomme conseil du nouveau gouvernement. Cependant malgré l’abolition du
système monarchique et de toutes les institutions qui l’accompagnaient, l’ancien monarque ne peut
pas se travestir en “camarade Vatthana” aux yeux de la population. Il demeure le symbole d’une
histoire ancienne qui gêne la marche du régime communiste dans son projet de fondation d’un
monde nouveau. Le nouveau pouvoir craint que la visibilité de l’ancien symbole ne soit le
déclencheur d’un mouvement de restauration, d’autant plus que les opposants au régime
s’organisent à la frontière thaïlandaise et entretiennent une guérilla au sud et au nord du pays.
Coupable d’être le représentant d’un système que le pouvoir combattait, l’ancien roi est placé en
résidence surveillée à Luang Prabang et, en 1977, le couple royal – Savang Vatthana et
Khamphoui – ainsi que le prince héritier Vong Savang sont discrètement arrêtés et envoyés au camp
de rééducation à Viengxay, d’où ils ne sont jamais ressortis comme beaucoup d’autres
“séminaristes”
La transformation de la communauté religieuse
Il s’agit pour le régime de tenir un discours clair et précis sur la religion : c’est un vrai
“débat” idéologique. L’endoctrinement est préconisé à la place des camps de rééducation en ce qui
concerne les affaires religieuses ; et c’est à l’intérieur de la communauté du Sangha elle-même que
la transformation se réalise, puisqu’il n’y a jamais eu de camps de rééducation pour les religieux.
Dans de rares cas, lorsque certains religieux tiennent un discours gênant pour l’idéologie du régime,
ils doivent être défroqués avant d’être envoyés au séminaire. L’image de moines envoyés aux
camps de rééducation aurait été trop choquante pour la population. Les séminaires sont organisés
dans les pagodes, où la formation politique est inscrite au programme de formation des religieux.
Les travaux collectifs sont aussi attribués à toute la communauté monastique. En théorie, beaucoup
de jeunes idéologues laotiens marxistes-léninistes ont tenté de démontrer à la communauté
religieuse que le communisme pouvait se rapprocher du bouddhisme, voir le remplacer.708
La transformation du rapport interpersonnel : l’institution familiale
Dans l’ancienne société laotienne, la famille et la parenté sont quasiment une institution. La
cellule familiale peut incarner ou faire naître un certain nombre de valeurs sociales. Probablement
pour cette raison, elle doit être revue. Le comité populaire, à travers l’autorité du village et à travers
706 Discussion avec un ancien révolutionnaire retraité, membre du PPRL. Il nous dit : « En effet, je n’ai pas fais trente ans
de révolution pour enfin retrouver ma maison mais constater en même temps que tous les membres de ma famille sont
partis ou exilés ou vivant dans la peur. » (Vientiane 2004) 707 Notamment, il s’agit d’une allocution en juillet 2011 à l’Assemblée nationale d’un député de Vientiane, Khampheuy
Pannemalaythong – qui siège au secrétariat du PPRL (vue sur YouTube). Il questionne, entre autres, la morale de
combattant révolutionnaire et l’idéologie marxiste-léniniste dans la construction de la société laotienne. Il appelle à une
relation apaisée et réconciliée à l’intérieur de la communauté nationale, sans distinguer les Laotiens de l’intérieur de ceux
de la diaspora. Il dénonce le fait de traiter d’ennemis et de réactionnaires ceux qui ne partagent pas l’idéologie du régime.
708 Les idéologues font un parallèle entre la vie communautaire du sangha et le communautarisme, le collectivisme
communiste, entre le renoncement aux biens matériels individuels des religieux – du moins dans le fait que les avoirs
traditionnels des moines sont réduits au strict minimum – et la privation communiste du droit de propriété privée. Cf.
Martin Stuart-Fox.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’école, s’immisce dans la vie privée des familles. L’embrigadement à l’école permet aux enfants
d’avoir un autre regard sur la famille, par exemple de prendre la responsabilité “d’éduquer” aussi
leurs parents. Les enfants gardent en fait un œil sur leurs actions pour s’assurer qu’elles sont
conformes à la nouvelle morale. Sur les recommandations des maîtres d’école et des professeurs, ils
peuvent empêcher leurs parents de quitter le pays ; d’acheter des produits au marché noir, surtout
avec des dollars ou des baths ; d’avoir des contacts avec les “réactionnaires” qui viennent semer le
trouble sur la rive gauche ; d’écouter de la musique occidentale ; de garder chez eux des images ou
des objets illicites qui appartiennent ou symbolisent l’Ancien Régime. Le Nouveau Régime mène
en quelque sorte des actions pour “affranchir” les enfants de l’emprise familiale. Dans le cas où les
rapports parents-enfants sont déjà fragiles, l’embrigadement réussit souvent. Dans certaines grandes
familles de l’Ancien Régime, on voit parfois des adolescents s’engager dans l’armée populaire ou
devenir fervents défenseurs des séminaires politiques, alors que les autres membres de la famille
peuvent tenter de quitter le pays clandestinement ; en ce cas, la délation des membres de leur propre
famille arrive fréquemment. On voyait aussi les cas contraires, où des parents demandent au comité
populaire du village d’envoyer les enfants les plus turbulents faire leur éducation dans les camps
pour la “jeunesse dépravée” ; d’après eux « cela ressemble au camp de scouts ». Ainsi, les valeurs
propres à chaque famille peuvent être bafouées et l’éducation fondamentale remise en question.709
La transformation du corps enseignant et le rapport qu’il entretenait avec la jeunesse
Le corps enseignant rajeunit à vue d’œil. Certains jeunes sont dévoués et enthousiastes pour
participer à la construction de la nouvelle société. Beaucoup d’entre eux se portent volontaires et
s’engagent dans les écoles de campagne après avoir reçu des formations politiques rapides.
D’autres, volontaires ou pas, sont envoyés dans les provinces éloignées de leur famille. L’image
sévère et paternaliste des maîtres d’école disparaît pour laisser la place aux jeunes institutrices et
instituteurs que l’on appelle désormais euil khrou et aï khrou (grande sœur et grand frère
instituteur). Ce sont des camarades qui sont plus âgés et qui guident les élèves pour des activités
collectives plus que des instituteurs qui enseignent.710
La transformation des rapports sociaux
Le rapport hiérarchique et relationnel est également modifié. La hiérarchisation sociale
ancienne, fondée beaucoup sur l’âge et la connaissance, puis sur le statut social et la fonction des
personnes, a été refondée sur de nouvelles bases. Idéologiquement, le nouveau pouvoir veut
instaurer une société égalitaire. Mais il n’a ni le temps, ni les nouveaux programmes politiques pour
le réaliser. Les actions sont menées dans l’urgence et portent sur le nivellement social. La morale
révolutionnaire, imprégnée de marxisme-léninisme, introduit les notions de « camarade » et de
« compagnon ». Ce sont des notions inconnues pour les Laotiens. D’après eux, elles frôlent le
ridicule et prêtent à rire du point de vue linguistique.711 Effectivement, si les villageois acceptent,
voire revendiquent, le principe d’une société plus juste qu’apporterait le nouveau régime, voir un
vieux chef de village interpelé d’un « camarade ! » par un jeune agent administratif de l’État en
détachement à la campagne est considéré comme ridicule. Sur ce fait, les “personnes de souche”
considèrent que « les jeunes révolutionnaires sont odieux et mal éduqués, ils ne distinguent pas ce
qui est haut de ce qui est bas. Ils ne savent pas utiliser le langage comme il faut ».
712
709 Notons par exemple que les tatouages, le port de jeans ou de cheveux longs pour les garçons sont considérés comme
dépravés. Ayant des frères et beaucoup de cousins adolescents à l’époque, ma famille a beaucoup de souvenirs de cette
période : deux frères convoqués plusieurs fois pour leur tatouage, un autre (âgé de 16 ans en 1976) emprisonné durant une
semaine pour avoir accompagné chez elle en vélo une camarade de classe à 9 heures du soir.
710 Cf. Note ibid. Vers 1976-1977, j’ai moi-même connu de très jeunes institutrices qui venaient de province. 711 Encore aujourd’hui, on pourrait recueillir les termes et les expressions qui ont fait l’objet de parodie à l’époque et
constituer un véritable lexique.
712 Propos du vieux chef de village de Ban Donoune (la plupart des Pô ban sont des thit ou des chane, titres portés après
avoir quitté la robe monastique), furieux de se faire traiter de « camarade ».Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Dans de telles situations, la mise en place du nivellement social rencontre des difficultés.
Au lieu d’une société parfaitement nivelée, on constate qu’il y a beaucoup d’irrégularités,
d’éléments de résistance, liés aux habitudes. Si la société laotienne peut se réjouir d’obtenir l’égalité
des droits et des chances devant la loi, elle ne peut se consolider avec la disparition de la
hiérarchisation sociale qui la constituait car elle repose beaucoup sur ce principe (c’est
probablement encore le cas aujourd’hui). Pour la changer, il faut alors la déstructurer et remettre en
cause ses anciens fondements. C’est ce qui a été tenté à l’époque, même si vingt-cinq ans après, le
régime revient sur certains de ces fondements. Malgré les résistances, le nivellement social
symbolisé par la notion de camaraderie transforme peu à peu les rapports sociaux existants. La
hiérarchisation sociale traditionnelle, qui structurait la vie des villages et qui indiquait le niveau de
civilité de leurs membres leur assurant une bonne cohésion, change peu à peu de nature. La
personne la plus respectée ou la plus crainte n’est plus le vieux chef du village, le médecin, l’ancien
phraya ou l’ancien phya, le médium phô lam ou le maître de cérémonie, mais celui qui a participé à
la révolution, capable d’animer les réunions politiques, celui qui tient une place importante dans la
hiérarchie du PPRL, détaché à l’échelon villageois. Ainsi apparaissent de nouvelles valeurs.
I. I. b. La réappropriation de l’espace : d’une vision partiale vers une vision globale
Il faut contrôler et s’approprier le territoire dans son intégralité ; de zones partitionnées et
multiples, il faut passer à une pensée du territoire unifié et unique. Tout en concevant le Laos dans
son intégralité, le nouveau pouvoir gère le pays en privilégiant la campagne, d’où les dispositifs à
supprimer l’autorité administrative de la ville pour rattacher cette dernière au pouvoir administratif
provincial, nouvellement créé. Par exemple à Vientiane, on supprime l’administration de la
préfecture urbaine pour la rattacher à l’administration de la province. Avant d’évoquer la
réorganisation administrative et les situations frontalières du territoire dans les premières années du
régime, notons des faits portant sur la place qu’occupent les campagnes et les villages dans la
politique territoriale du régime. Influencé par le marxisme-léninisme, il considère que les villes sont
la production et les faits des sakdina, des bourgeois, qui exploitaient la campagne. De ce fait, les
villages et le monde rural doivent constituer le territoire de prédilection pour propager l’idéologie du
communautarisme et du collectivisme. Or, comme nous l’avons noté, la campagne et le monde
villageois appartenaient à l’entité du muang. On retrouvait dans la société villageoise traditionnelle
ce que l’on trouvait dans la société du muang, entre autres les mêmes acteurs du pouvoir, et la
société villageoise était aussi hiérarchisée que la société du muang. La distinction sociale entre le
village et la ville, dans le principe de la gouvernance, est une conception occidentale née dans la
société industrielle, situation que le Laos n’avait pas connue. Le fait que le marxisme-léninisme
laotien oppose exagérément ville et village éloigne l’analyse de la réalité. À cause de cette
idéologie, le nouveau régime s’occupe beaucoup du milieu rural ; il en fait même l’apologie. Dans
les spectacles, on montre que la campagne est laborieuse et productive. Ne rencontrant pas vraiment
de prolétaires, le nouveau régime trouve dans la paysannerie les justificatifs de ses idéaux. C’est
pour le peuple, le paysan, que la révolution a été faite.
La réorganisation administrative
Pour comprendre l’organisation générale de l’administration que le nouveau régime met en
place, nous renvoyons le lecteur au paragraphe traitant de la réforme administrative (II. I. a.). Dans
cette section, nous voulons souligner la difficulté pour le régime de mettre en place une
administration en mesure de gérer tout le territoire.
Les provinces du Laos connaissent une réorganisation générale après la prise en main du
pays par le PPRL pour mettre en place l’administration locale. Entre 1976 et 1980, certaines
provinces et districts sont supprimés, d’autres créés. C’est le cas de Muang Vang Vieng et Muang
Paksan, redevenus des muang de la province-préfecture de Vientiane ; de Muang Hom et Muang
Kéo Oudom, nouvellement créés ; de Muang Kasi, détaché de Luang Prabang pour être rattaché à la
province-préfecture de Vientiane ; de Muang Phanthaboun et Thadeua, supprimés. L’administration Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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locale, inerte dans les premiers mois du régime – les efforts étant concentrés sur l’abolition de
l’ancien système –, fonctionne de nouveau dans une nouvelle structure basée sur les décisions prises
par le comité populaire. Le comité administratif populaire est instauré à ce moment-là à tous les
échelons : de la province au village, remplaçant l’ensemble de l’administration locale ancienne.
C’est en affectant les agents de l’État à tous les échelons administratifs que le nouveau pouvoir
mesure l’ampleur de la restructuration du pays et constate le manque de ressources humaines. C’est
seulement en réussissant cette affectation que le nouveau régime peut prétendre contrôler la totalité
du territoire, prenant ainsi en compte les spécificités des régions qu’il ne contrôlait pas auparavant.
Aussi, il consacre beaucoup d’efforts pour installer cette administration locale. Une des réussites du
régime a été la bonne répartition du pouvoir de l’État jusqu’à la cellule du nouay – nouvelle unité,
composée de dix maisons au maximum – afin de bien diffuser les décisions et recommandations
centrales.
En ce qui concerne l’administration centrale, le travail du pouvoir exécutif est plus
concentré sur les questions politiques et moins sur le système administratif du pays, qui a recours à
l’arbitrage et aux décisions prises de manière consultative, au cas par cas. La rencontre de la
planification théorique avec la réalité et le travail de terrain, rend celle-là souvent caduque, obligeant
à organiser des consultations collectives chaque fois pour permettre la prise de décision. Cette
méthode, adéquate dans la zone libérée en temps de guerre, se révèle inadaptée en temps de paix
pour gérer l’ensemble du pays. Quoiqu’il en soit, cette méthode utilisée au début perdure et s’ancre
dans le système administratif du régime ; elle a subsisté jusqu’à aujourd’hui. Par exemple, pour faire
appliquer une loi, prendre des décisions ou trancher dans une affaire, les juristes disent que, parmi
les difficultés à surmonter, il y a les habitudes de l’appareil décisionnel intermédiaire calées sur la
pratique des hauts dirigeants du régime. Cela consiste à convoquer des responsables en réunion pour
prendre une décision à main levée, permettant à celui qui est habilité à les prendre de s’y référer713 –
et cela, même si les articles de loi et les décrets d’application existent.
Quelle place tiennent les provinces frontalières après 1975 par rapport à la région ?
La situation physique des provinces à l’investiture du nouveau régime dépendait
entièrement de la situation politique entre le Laos et les pays voisins. Elle était à l’image des
relations politiques des pays, de leur rôle à la fin de la guerre du Viêtnam et dans l’accession au
pouvoir du PPRL.
La région frontalière avec la Thaïlande
Comme nous l’avons déjà souligné, les territoires de la vallée du Mékong et les villes
proches de la frontière avec la Thaïlande sont dans une situation ambiguë. Ils sont coupés du monde
occidental et de la Thaïlande ; ils conservent cependant un lien avec ce pays du fait du marché noir
et de l’exode d’une partie de la population laotienne, recueillie dans les camps de réfugiés sur le sol
thaïlandais. Par ailleurs, la Thaïlande donne asile aux opposants du régime, qui forment des
groupuscules de guérilla. Les provinces frontalières occidentales constituent ainsi les marches de la
guérilla. Pendant les dix premières années du pouvoir communiste, les incursions armées des
résistants sont fréquentes, provoquant des affrontements. Le PPRL et l’armée populaire concentrent
leurs efforts pour sécuriser ces provinces et mettre les opposants hors d’état de nuire. Lorsque les
conflits frontaliers éclatent entre le Laos et la Thaïlande – à propos de trois villages à Sayaboury –
les groupuscules de résistants, les Laotiens bloqués en Thaïlande (dans les camps de réfugiés ou
dans les maquis) doivent faire profil bas pour y rester. Ces derniers, comme la diaspora lao,
soutiennent la politique du gouvernement communiste de défense de la frontière occidentale, même
s’ils s’opposent idéologiquement, politiquement et militairement au gouvernement communiste. La
713 « La gestion du Laos est encore l’affaire des combattants, c’est comme ça que nos aînés gèrent le pays. Il faut attendre
une autre génération, celle qui est née avec la loi et les structures administratives pour que le pays soit gouverné avec des
règles, des codes et des lois, sans recours à des décisions ad hoc à main levée, qui rend responsable tout le monde et
personne. » Discussion en 2004 à Vientiane avec un juriste de 35 ans qui désire garder l’anonymat.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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chasse aux résistants laotiens stationnés en Thaïlande commence alors pour le gouvernement
thaïlandais. Puis, lorsque le traité de paix est signé entre les deux pays, la politique thaïe change de
cap : la “chasse” aux résistants devient quasiment officielle, pour réactiver les liens politiques avec
la RDPL et entamer une nouvelle relation fondée sur les relations commerciales et économiques. Le
gouvernement thaï préconise le renvoi des réfugiés et la fermeture des camps, différée sous la
pression du HCR, mais qui devient effective au début des années 1990 ; il ferme aussi les yeux sur
les assassinats des membres de la résistance lao sur son sol.714
La région frontalière avec la Chine
La frontière avec la Chine est de bon augure, conformément à l’entente cordiale que le
gouvernement lao entretient avec ce pays. Les échanges fructueux se traduisent par des échanges
culturels très importants, prolongeant les soutiens que la Chine donnait au gouvernement de la zone
libérée.715 Cependant, le conflit entre la Chine et le Viêtnam, qui a lieu en 1979, refroidit la relation
politique entre la Chine et le Laos, ami déclaré du Viêtnam. L’armée vietnamienne stationne en
nombre dans les deux provinces nord du Laos, à la frontière avec la Chine. Cela lui permet de
s’engager jusqu’à plus de 50 kilomètres dans le territoire chinois durant les affrontements armés. Si
l’armée laotienne ne participe pas directement aux affrontements, le territoire du Laos sert et
avantage incontestablement l’armée vietnamienne. Cependant, la Chine n’intervient pas
militairement au Laos. En revanche, durant cette période de crise, elle propose l’asile aux réfugiés
laotiens des camps de Thaïlande en les installant dans des fermes d’État. Près de 5 000 réfugiés
auraient ainsi été recueillis en Chine.716 Beaucoup d’entre eux font partie de la résistance. L’un de
leurs objectifs est de pénétrer par le Nord du Laos, armés par les Chinois, pour libérer les personnes
retenues dans les séminaires dans le Nord du Laos.
Malgré ces incidents, le Laos maintient sa relation diplomatique avec la Chine. Dans le
rapport du IVe congrès du PPRL, le gouvernement laotien place la Chine dans une position différente
du Viêtnam : ce n’est ni une relation spéciale, ni une relation cordiale et de partage idéologique que
la Chine lui inspire en 1986 ; la Chine est une grande puissance membre permanent du conseil de
sécurité des Nations-Unies qui joue un rôle majeur dans la paix et la sécurité en Asie : « Nous
espérons que notre pays et la République populaire de Chine retrouveront une relation normalisée
sur la base du respect réciproque […] ». Cet énoncé rappelle que les relations diplomatiques entre
la Chine et le Laos sont maintenues et que le Laos espère retrouver le niveau de relations étroit
d’avant le conflit sino-vietnamien.717 Il tente en fait de corriger la politique provietnamienne de
1979, identifiée dans de nombreux rapports politiques. Par exemple, dans un document officiel édité
en 1980 par le Comité de propagande et de formation du Comité central du PPRL, on lit : « En
trahissant notre régime marxiste-léniniste, en trahissant la révolution mondiale, les expansionnistes
territoriaux Chinois se sont clairement rendus complices des impérialistes [américains] pour
714 Les opposants de la diaspora attribuent l’assassinat des Laotiens en Thaïlande au service de sécurité de la PPRL. C’est
ainsi que les dernières personnalités de la résistance rejoignent leur famille en France et aux Etats-Unis, après plus de dix
ans passés à sillonner la frontière, aidées par les villageois thaïs frontaliers, majoritairement d’origine lao. Ce phénomène
est avéré dans la région de Oubon Rajthani, face à Champassak, et de Moukdahane, face à Savannakhet. 715 Un consulat chinois sur le mont Phu Fa à Phongsaly, installé au début des années 1960, rappelle encore le soutien et
les relations diplomatique et militaire passées entre la Chine et le gouvernement Néo Lao Hak Sat. C’est aujourd’hui un
hôtel.
716 Il aurait été possible militairement que la Chine intervienne au Laos, d’une part pour régler les problèmes avec le
Vietnam, d’autre part pour démontrer l’occupation du Laos par l’armée vietnamienne. Elle tenait probablement à garder
une relation politique claire avec le Laos, car il n’y avait pas eu de différend entre les deux pays. D’après Fabrice Mignot,
2 700 personnes furent recueillies en Chine dans ce cadre. À celles-ci s’ajoutent les « 1 250 réfugiés venus directement au
début des années 1980 (Bamber 1992) ainsi qu’un millier d’opposants thaï lao équipés par l’armée chinoise, la ‘division
Lan Na’ ». In : F. Mignot, « Le rocher de la prospérité. La réinsertion des réfugiés au Laos. » Horizon. Documentation.
Ird. fr Sur cette question, j’ai revu dans le camp de réfugiés (en 1978 ?) mon ancien maître d’école Naï khou Phet avant
qu’il ne parte pour la Chine avec quelques-uns de ses anciens élèves du primaire. Nous leur avons offert des broderies
sensée représenter le drapeau du Laos : ce sont des broderies d’enfant avec des têtes d’éléphant tricéphale.
717 Rapport du IVe congrès du PPRL, 1986.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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détruire la révolution laotienne dans l’espoir d’annexer tant le Laos que le Viêtnam et le
Cambodge. »
718
La région frontalière avec le Viêtnam
Le Viêtnam a joué un rôle majeur dans l’instauration du nouveau régime. Il était son
principal instigateur à travers le PPRL et à travers son armée, qu’il soutenait. Le PPRL inculque à
toutes les générations que le Laos a une dette morale et matérielle vis-à-vis du Viêtnam et du PCV.
Ces derniers ont combattu à ses côtés et l’ont aidé à gagner la guerre contre les “impérialistes”. Bien
que la liaison géographique entre les provinces laotiennes et vietnamiennes n’est pas aussi aisée
(sauf à Sam Neua) que celle reliant le Laos à la Thaïlande, la frontière entre les deux pays est très
perméable, favorisée par une fraternité combattante et une idéologie commune. Pourtant, un certain
nombre de personnes – se définissant comme nationalistes – défendent aujourd’hui l’idée que la
frontière orientale du Laos n’était pas aussi ouverte qu’il y paraît. Ils affirment qu’il y a souvent eu
des affrontements entre les armées vietnamienne et laotienne, celle-ci défendant ses frontières
devant l’expansionnisme des Vietnamiens, malgré le lien sacré entre le PPRL et le PCV.719 Ces
nationalistes se résignent probablement à accepter que la frontière est une « limite établie en
fonction d’un rapport de forces à un moment donné », comme le considèrent les Vietnamiens, et
dans le rapport de forces actuel, c’est le Viêtnam qui l’emporte.720
À l’échelle urbaine : l’état des villes
Que devient la ville, compte tenu de l’intérêt du nouveau pouvoir pour la campagne ? C’est
la question posée pour comprendre la pratique habitante dans ce nouveau contexte, la place
qu’occupe la ville dans les toutes premières années du régime.
Le sol à l’échelle parcellaire, l’habitat à l’échelle individuelle et les lieux de loisirs
ressemblent à un espace abandonné, la majorité de la population urbaine ayant quitté leurs
habitations, les laissant vacantes un laps de temps avant qu’elles ne soient réoccupées par une
nouvelle population venant de la campagne et de la zone libérée. Les lieux de loisirs urbains (club,
dancing, cinéma, restaurants, etc.) ferment leurs portes. Les habitants sont mobilisés pour les
travaux collectifs et concentrent leurs efforts sur la production – mot d’ordre du gouvernement. La
ville devient laborieuse : l’image qu’elle offre est pittoresque. Des centaines de personnes
s’affairent sur les routes des villages et dans les rues des villes ; les week-ends, ils sont des milliers
dans les canaux de Vientiane ou dans les rizières na sèng,
721 affectés aux travaux collectifs
d’entretien des ouvrages urbains et de la production agricole. Mise à part, cette manifestation
collective obligatoire dans les lieux publics et communautaires, qui ne peuvent remplacer les
services techniques et urbains malgré leur importance, les villes ressemblent à des villes fantôme.
Les équipements ne sont plus entretenus, les feux tricolores restent inutilisés, l’éclairage public ne
fonctionne presque plus. Les compartiments commerciaux des centres urbains, s’ils ouvrent encore
leur devanture, sont privés de produits à vendre. Les rues sont noires dans la nuit, et le jour, on voit
de rares voitures et beaucoup de vélos. Seules, les voitures des corps diplomatiques et des experts
718 Page historique de la lutte héroïque du peuple lao, comité de propagande et de formation du Comité central du PPRL,
édité par l’imprimerie de la RDPL, Vientiane 1980.
719 Ces incidents n’auraient jamais été divulgués pour des raisons politiques. Ces informations ont été recueillies auprès
d’anciens révolutionnaires à la retraite (à Vientiane en 2000) et auprès d’un Laotien ancien étudiant en Tchécoslovaquie (à
Paris en 1994). En 1979 lors des manœuvres militaires, l’animosité et la tension chez les militaires laotiens, auprès
desquels il effectuait son stage de « travaux pratiques de terrain », sont clairement exprimées vis-à-vis des militaires
vietnamiens, à propos de la question des frontières. Les militaires disent par exemple que Lak Sao (kilomètre 20) est une
dénomination codée pour que les Laotiens n’oublient jamais que le Vietnam a déplacé sa frontière en empiétant de 20
kilomètres sur leur territoire. Nous n’avons pas trouvé de sources écrites qui confirmeraient ces allégations. Les
recherches de Savèng Phinith et de Bernard Gay, s’appuyant sur les sources officielles (les derniers traités) et les cartes,
manquent de précision cartographique pour les confirmer ou les infirmer.
720 Cf. P-B. Lafont (éd.), Les frontières du Vietnam. Histoire des frontières de la péninsule Indochinoise. Ouvrage
collectif. Ed. L’Harmattan, Travaux du Centre d’Histoire et Civilisation de la péninsule Indochinoise, Paris 1989, 268
pages, 14 cartes. Cf. aussi Antunes Paul. Compte rendu de l’ouvrage in : BEFEO. Tome 78, 1991. Pp. 358-359. 721 Rizière irriguée effectuée comme deuxième récolte de l’année.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 422 -
des Nations-Unies, le minimum maintenu dans le pays, traversent encore les rues désertes de la
capitale. Citons le cas de Savannakhet et son quartier de cinémas situé dans l’ancien centre ville
coloniale. Abandonné – probablement pillé dans les deux premières années du régime –, le
complexe construit à partir de la fin des 1950 est aujourd’hui encore à l’état d’abandon, devenant
une friche foncière en plein cœur de la ville. Le centre de la ville est inanimé, tout se développe à
l’extérieur. La ville garde quasi-intact le souvenir de son délaissement après la révolution.
Les enjeux spatiaux en milieu urbain, pour l’État, sont de récupérer le plus possible des
habitations abandonnées par leurs propriétaires ou d’en confisquer à ceux qui en possèdent trop. Les
espaces vacants sont tels qu’ils économisent à l’État des moyens considérables, s’il avait eu à
construire des logements pour les nouveaux habitants des villes. L’enjeu est également d’instaurer
un sentiment d’appropriation et de maîtrise de ce territoire qui avait appartenu aux réactionnaires,
d’y assurer une sécurité interne. La ville est considérée comme un lieu de diversité, de
contradiction, de liberté et d’exploitation des prolétaires ; d’argent et aussi de pauvreté, d’orgueil et
de vanité ; faits considérés comme appartenant aux « réactionnaires bourgeois ennemis du peuple ».
L’anonymat, propre à la ville plus qu’à la campagne, contribue probablement à donner au nouveau
pouvoir le sentiment de mal contrôler la population. L’instauration du couvre-feu se justifie en
partie pour cela. Mais, de fait, les villes laotiennes avec leurs villages traditionnels – constitués par
des familles – facilitent le contrôle. Le fait de refuser l’anonymat conféré par la vie citadine et le fait
de créer des nouay au sein des villages, où le chef connaît aisément les habitants de son nouay et
leur activité, marque la volonté de méconnaître le caractère citadin lui-même.
Il n’y a aucun mouvement de production architecturale et urbaine avant le début des années
1980. C’est alors que des équipements sont construits, même si la ville n’a pas encore la priorité. La
ville, les habitations et les espaces vacants sont à réoccuper ; on n’en tire aucune leçon spatiale
particulière ; les espaces vacants deviennent une économie de moyen. La pagode, lieu
communautaire de base, est la plus occupée et la plus utilisée dans sa fonction sociale et politique,
les réunions politiques s’y déroulent.
I. I. c. À la recherche de nouvelles expressions et de nouveaux langages culturels
La reprise du pays par le PPRL étant basée sur la transformation de la société, elle passe par
l’endoctrinement idéologique pour que la politique imposée soit comprise et acceptée par la
population. La nouvelle culture est instaurée dès la première année du régime. Conscient de la
difficulté éventuelle du fond culturel lao à l’assimiler, le nouveau pouvoir poursuit ses efforts pour
que les idées soient reçues. Averti qu’il ne faut pas imposer, mais plutôt faire adhérer, le pouvoir
cherche à instituer son propre langage, en rupture avec celui de l’Ancien Régime, tout en essayant
de se lier à certains aspects de la culture laotienne. Les expressions esthétiques, le langage parlé et
l’écriture, l’utilisation des signes, etc., toutes les formes d’expression font l’objet d’un travail de
recherche considérable et servent à construire la nouvelle culture.
Les principes culturels du nouveau régime
La culture et l’information sont des domaines profondément liés à la révolution. Dès la
création du PPRL, la culture est utilisée dans l’objectif de sensibiliser la population aux idéologies
de la révolution “prolétarienne”. C’est la propagande et l’endoctrinement par excellence. Les
archives photographiques et cinématographiques, ainsi que les traités doctrinaux du régime qui
apparaissent dès la fin des années 1950, montrent que le travail de propagande a été rodé bien avant
la prise du pouvoir en 1975, en particulier dans les zones libérées. Il est plus avancé et plus élaboré
que celui du gouvernement de Vientiane.722 Les traités retrouvés dans les allocutions des dirigeants
722 Dans les territoires hors du contrôle du PPRL, les expressions artistiques et la culture sont plus exposées aux
influences occidentales. Étant un régime plus libéral, il y avait plus de liberté d’expression, bien que le gouvernement
royal ait tenté de formuler une culture officielle afin de donner une identité au jeune État indépendant. La culture et les
Fig. 96. Le
cinéma
« fanthome » de
Savannakhet.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 423 -
du PPRL tout au long des trente dernières années montrent que la culture et sa manipulation ont été
le fer de lance du régime. D’après Khamtaï Siphandon « […] notre parti considère de manière
permanente que ce travail est un autre terrain de combat. Il constitue notre devoir. Et nous
considérons que les acteurs de la culture, tels les artistes, sont les combattants du parti, que la
culture est le moyen et la finalité du développement économique et social de notre pays (…) ».
Soulignons, d’après le manifeste du PPRL, les trois caractéristiques essentielles de la culture du
nouveau régime :
723
- La culture doit être de caractère nationaliste : elle devrait se développer tout en se basant sur
l’héritage historique et culturel de la nation. C’est-à-dire « se développer de manière endogène en
préservant l’héritage et le patrimoine culturel de la nation ».
- La culture doit être une culture de masse : la masse populaire est actrice de l’histoire. La culture
est la mission et le devoir de la masse populaire. Dans le sens où la culture ne peut exister et
perdurer que par le peuple, pour le peuple et appartenant au peuple, servant le peuple, reflétant ses
aspirations et sa volonté.
- La culture doit être progressiste : la culture est corollaire au fondement progressiste du régime
marxiste-léniniste. Elle constitue la force et la richesse du pays et contribue au bonheur du peuple
pluriethnique de la société laotienne dans le progrès et dans la valeur civilisatrice.
La vertu du travail dans la culture de la paysannerie
À la valeur de la terre et aux vertus du travail dans la culture de la paysannerie locale, le
pouvoir tente de relier la valeur prolétarienne et la pensée révolutionnaire. Le marteau et la faucille
sont les symboles appropriés. Au travail communautaire par la pratique de la main-d’œuvre
tournante et à la jouissance de la propriété privée traditionnelle des récoltes, le nouveau régime
substitue les travaux collectifs et la propriété collective. Il fait leur apologie et leur attribue de
nouvelles vertus. À la campagne, le régime instaure la production collective à travers la coopérative
agricole. Les rizières irriguées sont cultivées deux fois par an. Pour celles qui n’ont pas de réseau
d’irrigations, ou un réseau défectueux, la population est mobilisée pour tenter de les mettre en
fonction. Le travail collectif de la terre est imposé non seulement de manière autoritaire mais
instauré aussi comme un moyen d’intégration sociale dans le nouveau régime. De ce fait, il
s’impose comme une nouvelle morale. L’autosuffisance est déclarée pour tous afin de prémunir
contre la pénurie alimentaire, le travail de production collective devient vital.
Les cultures ethniques liées à la politique du brassage culturel
La vision d’un État unifié autour d’un peuple pluriethnique est un des leitmotifs des
gouvernements laotiens depuis l’indépendance, en 1953. Pour l’Ancien Régime, l’État est unifié
autour d’une société nationale composite, respectueuse des identités des différentes communautés
ethniques dans leur forme sociale.724 Pour le nouveau régime, les minorités ethniques occupent
quasiment la même place que la paysannerie dans la politique nationale, considérant que l’ancienne
société sakdina exploitait depuis longtemps les minorités ethniques comme elle exploitait les
paysans. Pour y remédier, le nouveau régime commence par intégrer la représentation des minorités
dans la culture nationale. Mais la conception de cette intégration est réalisée à travers le nivellement
de la société et donc le nivellement des expressions culturelles et artistiques, sans soucis identitaire.
arts du régime de Vientiane connaissent une certaine continuité avec les fonds culturels anciens. Ses caractéristiques
globales sont conservatrices et nationalistes, en accord avec le fond culturel des indépendantistes Lao Issara. 723 Résolution du CC du PPRL portant sur la pensée culturelle, édité par le Département de l’imprimerie, des
bibliothèques et des devantures, Ministère de la Culture et de l’Information, Vientiane 1994. Op, cit 724 À quelques nuances près, cette idée peut remonter loin dans l’histoire du Laos. Comme nous l’avons déjà suggéré, les
communautés ethniques ont joué un rôle important dans la prospérité de la société lao dominante, son unité et sa richesse.
La politique du royaume du Laos, après l’indépendance, vise l’intégration des communautés ethniques tout en poursuivant
la préservation de l’intégrité des communautés dans la tradition ancienne ; régulièrement les chefs des communautés sont
anoblis et affectés à des postes de haute responsabilité, localement ou dans l’administration centrale.
Fig. 97.
Panneau de
propagande
et de
sensibilisation
Les années
1975-1980Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 424 -
En cela, elle diffère sensiblement de la conception de l’Ancien Régime. Dans le Nouveau Régime, il
n’y a pas eu de véritable intégration de la culture des ethnies dans la culture nationale.
L’intelligentsia révolutionnaire n’a quasiment jamais eu de connaissance approfondie des cultures
ethniques du fait qu’il n’y avait pas d’études très poussées pour effectuer une intégration
respectueuse des identités et des cultures de ces ethnies. L’abstraction des identités ethniques fait
partie du nivellement social : il s’agit d’effacer les cultures des minorités pour les assimiler dans la
culture majoritaire lao et dans celle du nouveau régime. Le gouvernement cherche à faire des
ethnies et de leur culture une des composantes progressistes du peuple révolutionnaire
multiethnique. Il promeut des installations nouvelles où par exemple les Khmu seraient voisins des
Hmong, les Tai noirs des Phounoy, et ainsi de suite, en leur donnant accès aux postes administratifs
ou en facilitant l’accès à l’école pour tous. Cela peut être également considéré comme un processus
de laoisation puisque, dans la morale révolutionnaire, l’essentiel de la culture lao n’a pas disparu
mais se trouve seulement modifié.
Le nouveau langage
Que ce soit pour exprimer l’ensemble de la nouvelle culture, chanter la vertu du travail
collectif et de la paysannerie ou promouvoir le brassage culturel et ethnique, le régime a besoin
d’expressions et de langage nouveaux. Cela commence par la reformulation du langage parlé, de
l’écriture et de la littérature. La transformation des différentes formes artistiques suit peu à peu.
Du point de vue du langage oral, il y a un retour vers un certain purisme. La manipulation
des mots et leur contorsion extrême pour exprimer les concepts idéologiques révolutionnaires
passent par la simplification des mots, débarrassés des lourdeurs intellectuelles de leurs étymologies
pali-sanskrit. Le lao étant une langue plus descriptive que conceptuelle, elle aide à simplifier les
concepts les plus complexes du marxisme-léninisme. Leur capacité de simplification des idées et
des choses est si forte qu’on retrouve avec le parler révolutionnaire la pureté originelle des mots. Ils
dévoilent avec simplicité les idées qu’ils véhiculent. En exprimant les idées avec des images, cela
simplifie beaucoup leur compréhension. Les plus belles expressions de cette littérature du parler,
dont les sens sont réinventés, peuvent être lues sur les banderoles, dans les slogans ou dans les
rapports et manifestes politiques.
725 Le langage révolutionnaire dévoile la beauté de la langue lao, sa
simplicité et sa capacité à porter les discours et à traduire les idées complexes par des images
simples.
Du point de vue de la grammaire et de l’orthographe, il en est autrement. La langue lao
révolutionnaire tend à abandonner les étymologies (g7Qkrklk) sanskrites et pali pour n’utiliser que le
lao monosyllabique. Cet abandon ne peut être total puisque beaucoup d’idées conceptuelles et
fondamentales sont corrollaires à ces deux langues anciennes. La suppression officielle des
étymologies, et donc de la manière d’écrire qui préservait leur trace, était préconisée et utilisée
depuis quelques années déjà dans les zones libérées par Phoumi Vongvichit. Elle est étendue à tout
le pays à partir de 1975. L’objectif est de faire en sorte que les personnes qui savent à peine lire
puissent lire et écrire plus facilement726. La purification de la langue lao révolutionnaire,
débarrassée du sanskrit et du pali, ne pose pas de problème particulier à la communication et au
développement de la langue et de la littérature véhiculaire et propagandiste. Cependant, du point de
vue didactique, c’est une vraie catastrophe qui pose encore problème aujourd’hui. Les langages,
scientifique, technique et conceptuel se sont considérablement appauvris. Les fonds pali et sanskrit
dans la langue lao permettaient des néologismes conceptuels et scientifiques corollaires au
développement des sciences, de leur enseignement et de leur diffusion. L’absence et la
725 Par exemple les expresssions « Dicter la voie à suivre » [-U oeF si nam] pour dire gouverner ou « peuple
multiethnique » (xt-k-qo [aofkgzqJk. pasason-bandaphao) pour désigner simplement la population. 726 Par exemple, dès l’école primaire, ce qui était une faute d’orthographe lorsqu’on écrivait thamma (me,t) au lieu de
dhamma (ma,,t) ne l’est plus en 1975. Écrire (ma,,t) signifie dès lors écrire à la manière des lettrés de l’Ancien Régime,
conservateur et antirévolutionnaire.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 425 -
méconnaissance de ces fonds linguistiques dans l’enseignement empêchent l’accès à la
connaissance, le langage la véhiculant est aussi appauvri. Ce constat n’était apparemment pas
méconnu de l’intelligentsia communiste. Cependant, le choix étant porté sur la démocratisation de
la langue et son nivellement pour la masse – du haut vers le bas – comme pour la vulgarisation des
discours politiques, la suppression des étymologies pali et sanskrites a été une priorité.727
Les expressions esthétiques et les arts plastiques
Pour les expressions esthétiques et les arts plastiques, le régime communiste a également
introduit un fond nouveau, sous l’influence chinoise et soviétique. L’École des Beaux-Arts de
Viengxay existait depuis les années 1960 ; ses professeurs ainsi que certains élèves ont été formés
en Union Soviétique, en Chine et au Viêtnam.
Dans le domaine des arts corporels et de la musique, les professeurs de danse, de théâtre et
de musique ont été formés en Chine et en Union Soviétique. Avant le conflit sino-vietnamien, les
échanges avec la Chine étaient fructueux dans le domaine des arts de la scène : les luttes
révolutionnaires sont théâtralisées et illustrées dans des pièces chorégraphiées. L’apologie des
travaux collectifs des rizières et les chants vocaux paramilitaires à la manière chinoise sont
introduits au Laos. Ces nouveautés apportent à la vie culturelle et artistique du pays une nouvelle
expression bouleversante. La pédagogie de l’école des arts corporels et de musique est entièrement
révisée. Le nouveau pouvoir trouve un nouveau langage pour exprimer sa sensibilité par
l’expression picturale, musicale, corporelle et chorégraphique. L’école de musique s’enrichit des
instruments de l’orchestre occidental et la danse classique lao de certaines compétences
acrobatiques avec la création de l’école de cirque. La mise en scène et les thèmes changent de
registre : versée complètement dans la propagande, l’influence chinoise est incontestable. Du point
de vue morphologique, ce nouvel art révolutionnaire bouscule le conservatisme habituel du domaine
des arts au Laos. Cependant, si l’on peut ressentir comme un nouveau souffle, les deux ou trois
premières années, le contenu devient vite ennuyeux, voire absurde. L’emprise idéologique et le
manque de liberté thématique emprisonnent très vite toutes les formes d’art.
Pour les arts plastiques et l’architecture, touchant la question spatiale, l’influence est plutôt
vietnamienne et soviétique. L’École des Beaux-Arts du nouveau régime est jumelée avec celle du
Vietnam. Certains élèves, qui deviennent par la suite des enseignants, sont formés au Viêtnam où
l’enseignement est beaucoup plus avancé, notamment en peinture, en sculpture et en art graphique.
L’enseignement artistique lié à la pratique artisanale locale, qui a été conservé à travers
l’association Chanthaboury jusqu’en 1975 et qui concernait les arts appliqués (orfèvrerie, vannerie,
gravure et sculpture sur bois et l’enseignement du graphisme qui leur est lié) s’est retrouvé
davantage chez les maîtres artisans, en-dehors de l’école, où le savoir-faire se transmet et se
conserve mieux. L’École d’Architecture est créée vers 1982. Conjoint au fait qu’il n’y avait pas
d’activité de construction dans les cinq premières années, l’enseignement après la création de
l’école est marqué par les enseignants russes, qui participent au programme d’enseignement. Cette
influence disciplinaire remarquable n’a pas été prolongée au-delà de la coopération des premières
années, ni replacée dans le contexte du Laos. Comme nous l’avons évoqué dans le paragraphe
traitant de « la production architecturale », l’architecture des équipements qui a été produite dans les
“années russes” sont les plus intéressantes. Elles prolongent l’architecture moderne occidentale dans
un contexte différent. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder les immeubles de logement des
professeurs et le campus de Sok Paluang, l’hôpital de l’Amitié, le cirque, etc.
727 La langue lao est très idiomatique et codifiée selon la hiérarchisation sociale, parentale et l’aînesse (fonctions sociales,
degré et lien de parenté, âge). Les vocubulaires peuvent indiquer la provenance sociale de celui qui les utilise. De même,
la place sociale et le degré de parenté ou l’âge indiquent le vocabulaire à utiliser. Une utilisation inadaptée marque non
seulement l’impolitesse, mais constitue de réelles fautes de langage. Aujourd’hui, la démarche en cours est de permettre à
certains termes de recouvrir leur étymologie pour développer des termes scientifiques, mais la réforme grammaticale
nécessaire pour cette fin n’est toujours pas à l’ordre du jour. Le débat était lancé depuis plus de dix ans déjà.
Fig. 98.
Souphanouvong,
à la présentation
de l’emblême
nationale..Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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I. II. Les enjeux et les défis humains et économiques
Le défi humain est récurrent à tous les pouvoirs politiques, mais pour le nouveau régime il
semble qu’il est particulièrement lourd : le nouveau pouvoir, avec ses idéologies révolutionnaires,
est confronté pour la première fois aux problèmes de tradition et de conservatisme qui qualifie la
société laotienne.
« Les Lao ne seront jamais communistes ». Cette phrase a été à mainte reprise prononcée par les
hommes politiques de droite, mais c’est aussi ce que se dit et croit la majorité des Laotiens.
728 Dans
quelle mesure, cette opinion peut-elle avoir un sens alors que tout le Laos est devenu une
République Démocratique Populaire depuis plus de trente ans ? Ce paradoxe serait à approfondir,
mais il serait laborieux et situé en dehors de notre compétence. Néanmoins tentons de trouver un
sens à ce propos et limitons-nous au fait que “ l’homme nouveau ” tel que le nouveau régime voulait
semble incompatible à “la nature du Lao” dans sa dimension culturelle et anthropologique. Nous
exprimons ci-contre les traits de caractère qui ne sont pas des exceptions lao, mais qui semblent
constituer des éléments réfractaires à la réalisation du marxisme-léninisme :
- Un Lao de souche (un Lao Tai de religion bouddhiste et animiste) ne croit pas au salut collectif,
mais aux efforts individuels et au karma que chacun doit assumer, et ce, de manière inégale selon le
karma de chacun. Ceci aboutit dans la vie courante à une acceptation plus facile des inégalités et des
différences sociales : il conçoit une société sans la “ lutte des classes ”.
- Pour évoluer socialement un Lao fait plus confiance à l’esprit du clan et au lignage qu’à la logique
des droits et des devoirs.
- Un Lao a une notion forte de la jouissance privée des terres, défrichées par ses soins ou par ses
ancêtres. La jouissance de son terroir est son identité, ses racines et sa liberté.
- Un Lao aime son image du paisible, de l’heureux ou du malheureux tranquille (probablement
vision pittoresque et caricaturale). Un député de Vientiane ne dit-il pas récemment devant
l’assemblée : « lorsqu’on représente les Vietnamiens on les voir en chapeau conique portant les
paniers à l’œuvre au travail, les chinois en laboureurs infatigables. Les Lao, on les représente en
train de danser le lamvong. Pourquoi alors dans notre éducation et dans nos discours
révolutionnaires, nous apprenons aux enfants que nous avons des ennemis partout, et surtout au
sein de notre propre communauté, alors que cela n’est pas de notre nature ».
729
En 2008 lorsque nous posons des questions individuelles et orientées à la jeune
génération730 pour avoir une perception sur ce que les Laotiens pouvaient avoir du régime politique
de leur pays. Sur le terme « communiste » il y a une mauvaise réception par le commun des
Laotiens. Apparemment, le terme est péjoratif, souvenirs probables des luttes anti-communistes de
l’Ancien Régime. Aux yeux de la population, le nouveau pouvoir ne peut donc pas être désigné par
le même terme tant galvaudé et rendu péjoratif par l’Ancien Régime. Les Laotiens disent quasiment
tous qu’ils ne sont pas communistes et préfèrent le terme « révolutionnaire » pour se désigner
lorsqu’ils ont participé à l’édification du régime. C’est probablement la raison qui explique
728 On entend par les « Laotiens », plutôt la « nature du Laotien du base ». 729 Propos de Khampheuy Panemalaythong. Vus sur Youtube. 2011. 730 Sachant que le régime politique d’un pays ne définit pas l‘orientation politique personnelle des individus, nos questions
ont été les suivantes : « Est-ce que votre pays est sous régime communiste ? ». Nous avons la réponse positive. Les plus
jeunes disent que « non, nous ne sommes pas sous un régime communiste, nous sommes sous un régime démocratique
populaire avec un parti unique ». « Est-ce que vous êtes vous-même communiste ? », la réponse
est catégoriquement « non, je ne le suis pas ! ». « Pourquoi vous ne l’êtes pas, si vous êtes dans un pays dont l’État est luimême
communiste, et il n’y a pas un autre parti, ni au pouvoir, ni en dehors du pouvoir ? ». Les questions ont été posées à
une dizaine de personne entre 30 et 40 ans, de professions différentes, la moitié ayant fait des études supérieures. Nos
questions sous-entendent que le peuple avait peut-être choisi le parti unique communiste, puisque le régime s’installe de
manière durable. Le peuple serait donc aussi communiste, car ceux qui ne l’étaient pas s’étaient enfuits pour manifester
leur refus. En guise de réponse à ces sous-entendus, nous avons droit aux sourires un peu ironiques.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 427 -
pourquoi la section lao du Parti Communiste Indochinois devenait complètement abstraite pour la
population, désignée par l’expression « Parti Populaire Révolutionnaire Lao. »
D’après nos interviews, il s’agit en rien d’idéologie. Toute proportion gardée, les gens qui
restent au pays ne sont pas partisans du régime et ceux qui le quittent ne le font pas pour déclarer
leur non-adhésion, mais tout simplement parce qu’il était difficile d’y vivre dans les premières
années du régime : « Nous avons eu peur de tout le monde : les voisins, les amis, et même les
enfants. Nous étions choqués par ce qu’ils apprenaient à l’école, par les questions qu’ils nous
posaient. Si cela continuait ainsi, ils auraient pu nous dénoncer. Nous avons peur d’être arrêtés en
pleine nuit comme les voisins. Nous avons peur de n’avoir rien à manger, de ne pas avoir des
médicaments pour soigner les enfants. »
731 Ces raisons étaient le leit motiv de tous ceux que nous
avons interviewés de la diaspora. Quasiment aucun ne tient un discours idéologique. Pour les
Laotiens de l’intérieur, ils nous disent : « Ceux qui nous gouvernent sont marxistes-léninistes, et
alors ! Nous ne le sommes pas, il n’y a pas de problème ».
732 Pour eux, seul le danger peut faire fuir,
pas une idéologie. Et seule une adhésion confessionnelle peut être concevable, mais une adhésion
politique semble dénudée de sens. Un Lao de base ne serait donc pas sensible aux idéologies. Il
serait un être fortement social, possédant un sens très affirmé du communautaire et du solidaire,
inscrit dans la base de sa culture. Il ne peut exister en outre que dans une échelle interpersonnelle
hiérarchisée et structurée, dans une société où il est important de reconnaitre la place des plus
grands des plus petits, des plus vieux des plus jeunes, des particuliers des communautés, des
différences et des semblables, etc. Autrement dit, savoir ménager le rapport entre les personnes,
connaître les choses à leur place et les gens à leur statut auraient fait partie de l’éducation d’un Lao
de base.
La non-adhésion idéologique au système communiste des Laotiens en général ne signifie
pas pour autant leur refus ou leur révolte, comme cela aurait pu l’être ailleurs. Ils laissent faire les
choses dans la force du courant : « Quand le vent souffle fort, il ne faut pas aller contre »
[g,njv]q,,kcI’ 1jkwx8hko]q,], un vieux proverbe que les Lao utilisent pour “ se préserver ” de tout acte de
violence (commettre ou subir). C’est ainsi que les Lao vivaient la révolution qui leur a été imposée :
« Ce qui a commencé en 1975, est ce vent fort qui souffle et ravage le pays, résister serait la mort,
alors allons dans le sens du courant, un jour il se calmera ». Autrement dit, si le régime a pu durer
plus de trente ans, c’est que la population une fois surmontée la période la plus dure aurait su
“ gérer ”, voire “ digérer ” le système ? Le Laos illustre la cohabitation entre une population et un
système auquel elle n’adhère pas mais qu’elle tolère et accepte par instinct de survie (comme
probablement au Moyen-Orient et en Birmanie). Dans ce raisonnement et de fait, ce peuple se
soumet indéniablement à tous les systèmes qui s’installent dans le pays, dans une contradiction
durable. C’est le paradoxe de ce pays : il y a une sorte de consensus qui a fait durer le régime dans
une société peu enclin au sens collectif, mais plus communautaire, imprégnée par le bouddhisme et
croit plus au salut individuel (de son propre karma) qu’à la providence du salut collectif que propose
le communisme.
Nous évoquons dans ce long préliminaire les fonds culturels du Laotien que le nouveau
pouvoir tentait de remouler. Nous essayons de comprendre comment les fonds culturels pouvaientils
accompagner ou résister à cette transformation. Nous nous plaçons de ce fait dans un contexte
particulier de la transformation de la société qui passait par la volonté du remoulage de l’homme
nouveau, plus connu sous l’expression « lavage de cerveau » pour désigner la rééducation politique.
Nous essayons de comprendre les différents dispositifs et processus que le nouveau pouvoir mettait
en œuvre.
731 Propos de Khamtanh Souidaray, mère de neuf enfants. Ce même propos peut être recueilli chez la majorité des anciens
réfugiés politiques qui ont vécu quelques mois ou quelques années dans le nouveau régime avant de quitter le pays. Paris
1990.
732 Vientiane, 2005. Propos d’une personne qui a connu, jeune, l’ancien régime.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 428 -
I. II. a. Imposer l’homme nouveau
Le régime mettait en perspective la nouvelle société en imposant le modèle de l’homme
nouveau. Contrairement à l’homme de l’Ancien Régime,
733 il devait être surtout l’homme éclairé
pour mener les autres vers la lumière, le monde nouveau où le socialisme proposait de construire. A
travers les discours des dirigeants du Parti et à travers les manifestes politiques, le régime expliquait
également comment l’homme nouveau devrait-il être formé et comment son cadre de vie devrait-il
être construit. Et surtout, il montrait comment se débarrasser de ce qui était à bannir de ce nouveau
monde : les idées subversives et les ennemis du régime.
I. II. a. 1. Le modèle de l’homme nouveau
Qui était cet homme nouveau ? Il y avait deux types d’hommes dans le régime communiste
laotien : le dirigeant –Pounam [z6ho=k] et le dirigé –l’homme nouveau [xt-k-qoz6jobJ’F xt-k-qo
z6jvvdcI’’ko]. Ce dernier avait besoin de dirigeant, son guide –quasiment spirituel– pour accéder au
nouveau monde égalitaire [z6ho=kgxaoz6j-vj’cl’co;mk’ g1Nv’mJk’cdj[5d7qo]. Du point de vue de la structure
politique nous retrouvons le même schéma, mais à la place du dirigeant nous avions le parti [rad], à
la place de l’homme nouveau nous avions le « peuple éveillé et combattant » [xt-k-qoz6j8nJo8q;,u,6og-Bv
8+l6h] : « le parti dirige, le peuple est maître de lui-même » [radoerk xt-k-qo gxaog9Qk].734 Dans ces
définitions, le « peuple prolétarien » était rarement évoqué, c’est plus souvent le « peuple éveillé et
combattant ».
Le modèle de dirigeant qui inspirait l’homme nouveau était incarné en premier plan par la
personnalité de Kayson Phomvihan et en second plan par le Prince Souphanouvong.735 Leur
biographie respective était différente, mais elle se racontait sur le même ton : une jeunesse instruite,
sensibilisée au sens de l’injustice commise par les « réactionnaires bourgeois locaux » (« Patikan,
sakdina thong-thin » xt8ydko ladfyokmvh’4yJo), les « colonialistes et impérialistes occidentaux »
(r;d]hksq;g,bv’0NoF r;d9addtraf) ; consciente de la nécessité de libérer la patrie de la « domination
étrangère, où règnent la stupidité et l’ignorance ». Kaysone Phomvihan était pourtant issu d’une
famille aisée lao-vietnamienne et Souphanouvong, d’une illustre famille de Vice-roi de Luang
Prabang, Tchao Vang Na [g9Qk;a’sohk], « les princes du palais de devant », en charge historiquement
des affaires politiques du royaume de Luang Prabang.736
Quant au modèle de peuple éveillé et combattant [xt-k-qoz6j8nJo8q; ,u,6og-Bv8+l6h], le régime tentait
de le placer dans la continuité du tempérament Lao. Mais comme nous l’avons fait remarquer,
l’homme nouveau semble culturellement éloigné de ce que l’on peut concevoir comme le « Lao de
base ». Mise à part les facteurs historiques et politiques, c’est la raison qui explique l’image figée de
l’homme nouveau que nous pouvons constater à travers le culte de la personnalité de Kaysone
Phomvihan. Ici le culte de la personnalité est bien différent du phénomène de l’édification du héro,
qui ne cesse de passionner, même ceux qui ne sont pas nationaliste : la personnalité du roi
Anouvong de Vientiane notamment. Dans l’idée de l’homme nouveau autoproclamé, les deux
personnalités politiques semblaient aussi surréalistes l’une que l’autre, par contre leur existence
respective peut être reliée à une dimension historique plus large. Kaysone Phomvihan était un
733 L’ancien régime n’avait pas établi de modèle de l’homme qui lui serait propre. Mais le nouveau régime établit un
portrait de l’homme de l’ancien régime qu’il combat et dont le moral serait antinomique de l’homme nouveau. 734 Cf. Les cinq leçons. 735 La place de ces deux personnages dans le nouveau régime fait objet de controverse : il y a une sorte de mise en
concurrence entre les deux. On dit que le véritable pouvoir du régime était incontestablement entre les mains de Kayson
Phomvihan, et que Souphanouvong était un paravent qui cachait le vrai visage du régime qui ne sera dévoilé qu’en 1975. 736 Dans ces deux portraits, nous savons qu’il y avait pourtant un tabou respectif. Effectivement, l’origine vietnamienne de
Kaysone Phomvihan était un défaut pour la fraction des révolutionnaires nationalistes, et les origines princières de
Souphanouvong en étaient un autre pour les révolutionnaires antimonarchistes. Mais c’était sous le visage de ce Prince
que le communisme se cachait entre la fin des années 1940 et 1975, pour être dévoilé à partir de cette date sous le visage
et la personnalité de Kaysone Phomvihan.
Fig. 99. Le
buste de
Kaysone
Phomvihane.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 429 -
personnage issu du contexte politique et social de l’Indochine française, puisque c’était avec les
installations coloniales que les centres urbains (dont celui de Savannakhet d’où était originaire la
famille Phomvihan) ont été peuplés de familles vietnamiennes (fonctionnaires, commerçantes ou
ouvrières) venues pour les besoins de l’administration coloniale. D’un contexte social indochinois
Kayson Phomvihan émergeait dans un contexte d’édification politique nationale du Laos. Ce
personnage ne serait sans doute pas intégré dans la longue continuité de l’histoire nationale, mais en
constituerait une rupture, du moins une parenthèse.
Tout en étant aussi le produit de la colonisation de par son éducation et la place qu’il tenait
dans l’administration coloniale, le personnage du Prince Souphanouvong serait plus en phase avec
l’histoire nationale. Comme ses deux frères, Phetsarath et Souvanna Phouma, et comme son éloigné
cousin Boun Oum de Champassak, il se situerait dans le contexte politique où le rôle des familles et
des chefs traditionnels aurait été clairement remis en question ainsi que tout le système qui l’aurait
accompagné à l’approche de la décolonisation. En effet, quel rôle, quelle place, ces princes
devraient-ils occupés dans une société et dans un cadre politique où ils n’étaient plus des êtres
sacralisés, des chefs de guerre qui ne dirigeaient plus la politique du pays, mais devenaient les
gardiens des traditions sous la Constitution. L’instinct de survie et d’existence de ces chefs
traditionnels se serait manifesté par leur désir d’avoir toujours un rôle à jouer dans la vie politique,
quelle que soit sa nature : circonstancielle ou réelle conviction. Dans cette vision, le personnage de
Souphannouvong serait au cœur de la question. Il incarnait le parfait cas d’une vieille tradition où
les chefs voulaient exister autrement que dans un cadre défini. C’est une histoire classique d’une
sécession dynastique ou clanique qui coïncide avec un contexte politique et social en pleine
mutation.737 Ce ne serait pas le révolutionnaire que la postérité retiendrait, mais un prince entré en
sécession qui avait précipité l’extinction de son clan et du système dans lequel il appartenait,
comme les autres l’ont fait avant lui dans l’histoire de ces grandes familles tai. L’histoire de ces
quatre princes qui incarnaient les quatre fractions politiques après la décolonisation ne serait
finalement qu’un dernier sursaut d’un vieux monde qui disparaît.738
I. II. a. 2. La formation de l’homme nouveau
D’après le nouveau régime, après la période de domination des impérialistes, la société
laotienne toute entière avait besoin d’être reconstruite. A l’arrivée au pouvoir le régime dressait
alors trois types d’hommes : ceux qui ne pouvaient être reconstruits, ceux qui pouvaient être
reformés, et enfin, ceux qui étaient à “ mouler ”.
L’homme irrécupérable, ennemi du peuple
L’homme réactionnaire, Patikane [xt8ydko], était l’ennemi du peuple. Figurant sur la liste
rouge des persona non grata, ils ont été bannis du pays. Pour Souvanna Phoumma, ce sont « ceux
qui n’aiment pas la paix ». Par la suite, le régime a constaté que l’ennemie n’était pas seulement à
l’extérieur du pays, mais pouvait être aussi à l’intérieur. Cependant, il était politiquement incorrect
d’annoncer cette idée : cela aurait sous-entendu que le parti n’était pas souverain, que le pouvoir
mis en place n’était pas légitime. Plus tard, à partir des années 1990, le régime a désigné ces
ennemis intérieurs, non plus de réactionnaires, mais de « mauvaises personnes », Khon Bo Di
[7qo[+fu], termes qui se rapportent à des jugements de valeurs moraux et qui n’avaient aucun lien et
737 Souphanouvong a été très critiqué par le reste de sa famille et par la diaspora. Il est considéré comme un pathétique
personnage qui épouse la révolution pour se construire autrement par opposition à sa famille, dans laquelle il occupait une
place peu importante, étant fils de la onzième femme du Vice-roi. Cf. propos du Prince Mangkra Souvannaphouma. 738 De source informelle émanant des proches du Prince Souphanouvong, ce dernier se serait senti coupable pour la
postérité concernant la question de la famille royale dont une partie des membres était morte en captivité. La nomination
du roi Sri Savang Vathana, Conseiller du Président de la République et du Prince Héritier Vong Savang, Conseiller du
gouvernement, aurait été issue d’une négociation par le Prince auprès du Parti. Mais leur emprisonnement une année après
puis leur mort en captivité aurait été une amertume sincère que Souphanouvong aurait beaucoup de mal à vivre avec. Peu
à peu mis à l’écart du pouvoir son « rôle de paravent » n’aurait plus été nécessaire.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 430 -
aucun sens du point de vue politique. Cependant, c’est uniquement à travers ce concept que les
ennemis de la Nation existent et sont désignés. La commodité dans laquelle les opposants politiques
du régime ont été identifiés est déconcertante. Le régime a bien compris que dans la vision
laotienne, profondément bouddhiste, il ne peut y avoir d’ennemis idéologiques et politiques ; les
ennemis du régime ne peuvent être que des personnes qui ont commis des mauvaises actions.
L’introduction des concepts moraux dans les actions politiques est ainsi un des traits de
l’acculturation du régime communiste au Laos.
L’homme à reformer
Au début du régime l’homme à reformer aurait été celui envoyé au séminaire qui aurait un
jour la chance de s’intégrer dans la nouvelle société s’il a bien appris, s’il a accepté l’autocritique.
Du moins, c’était ce que semblaient comprendre les personnes concernées. Mais la durée et la
méthode avec laquelle ils ont été formés montrent que les séminaristes n’étaient pas en fait des
hommes à reformer. Ces derniers étaient des irrécupérables qui n’avaient pas su quitter le pays à
temps. Qui aurait été alors l’homme à reformer ? Nous pensons que c’était le peuple lui-même. Sous
la lumière des dirigeants, ce peuple docile aurait été peu à peu remodelé. Il aurait appris à connaître
le nouveau monde et la vertu révolutionnaire, il aurait à défendre et à mettre en marche la nouvelle
société.
Le moulage d’une nouvelle jeunesse
La jeunesse, c’est l’avenir de la nouvelle société, la future élite dirigeante du pays.
Idéalement, elle n’a pas de clan, pas de famille, c’est l’enfant du parti, éduqué dans le moule. Cette
jeunesse a été envoyée, en deuxième et troisième vague,739 faire des études dans les pays socialistes
qui ont déjà atteint certain niveau de « civilisation » propre au monde socialiste. Dans la réalité,
notre entretien avec les anciens étudiants des pays de l’Est740 a montré que la sélection pour les
bourses était rude pour ceux qui n’avaient pas de parents qui ont participé à la révolution. Les places
étaient donc d’abord réservées aux enfants des membres du parti et de ceux qui avaient participé
activement à la mise en place du régime, et qui occupaient en conséquent une position importante
au sein de l’État. Ensuite, c’étaient les jeunes qui avaient des mérites personnels : ils étaient bien
absorbés par les idéologies du parti-État, ils ne manquaient jamais les séances d’autocritique et les
travaux collectifs. Enfin, en troisième position, ceux qui travaillaient exceptionnellement bien à
l’école. Autrement dit, les bonnes notes pouvaient tout de même être reconnues. Cependant, si la
qualité politique n’était pas acquise [0kf75olq,[af xt8y;af] le simple bon élève ne pouvait espérer une
bourse à l’étranger que rarement. « D’une manière ou d’une autre, nous avons dû nous battre
comme des acharnés pour parvenir jusqu’ici. », nous dit un grand nombre d’anciens étudiants.
I. II. a. 3. Le Sangha, un cas particulier
739 La première étant ceux qui étudiaient déjà dans les pays de l’Est avant 1975 ; la deuxième étant ceux qui étaient
envoyés juste après 1975. Ceux-ci avaient connu le lycée de l’ancien régime et étaient soit un peu francophone ou un peu
anglophone comme ceux d’avant 1975, et certains d’entre eux étaient déjà fonctionnaires. Ils avaient en général un bon
niveau de compétence ; la troisième génération étant ceux qui arrivaient dans les pays de l’Est dans la première moitié des
années 1980, à l’approche de la réforme ou après la réforme. Ils finissaient leurs études secondaires au début et au milieu
des années 1980, connaissant donc les années de lycée difficiles, ne parlant que rarement une langue étrangère et
possédant un niveau d’étude bien inférieur aux générations d’avant. Ces derniers ont du passer un an ou deux à apprendre
la langue du pays duquel ils ont obtenu une bourse. Apprendre deux ans de russe par exemple avant de débarquer dans une
université russe, cela paraît aujourd’hui invraisemblable. D’après les étudiants de l’Europe de l’Est rencontrés entre 1991
et 1995.
740 Les groupes que nous avons rencontrés entre 1991 et 1995 en différents pays sont près de 100 personnes. Ils ont étudié
en Allemagne de l’Est, en Tchécoslovaquie, en Pologne, en Hongrie. Au moment de la Perestroïka, depuis l’Europe de
l’Est certains d’entre eux ont dénoncé le régime en place au Laos pensant que celui-ci allait aussi faire son « perestroïka ».
L’inertie du régime politique du Laos, de ce point de vu, empêchait ces anciens étudiants, maintenant devenus
« dissidents », de revenir au pays. Ces derniers ont demandé l’asile politique, rejoignant les anciens réfugiés politiques lao
de l’Europe et ne sont plus revenus au pays.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 431 -
Dans un premier temps, le régime estimait que les hommes du Sangha n’étaient pas
directement des ennemis du peuple, mais ils « le droguaient » et l’empêchaient de s’élever.
C’étaient des individus qui ne devaient tout simplement pas exister en tant que tel. C’étaient
« des parias de la société, qui ne travaillent pas, qui vit sur le dos des gens, qui exploitent la
crédulité du peuple et qui le soumettent dans une stupide superstition, mais qui ont le peuple avec
eux ».
741
Il semblait évident pour le régime dès le début, que l’abolition de l’ordre monastique et
l’interdiction confessionnelle du bouddhisme étaient difficilement réalisables, mais le désir de le
faire n’y manquait pas. Il fallait plutôt procéder à une réforme radicale. D’abord du point de vue
intellectuel, les moines devaient avoir un discours progressiste et rigoureux. L’étude du Dhamma et
des textes sacrés, les paraboles et les symboles que le bouddhique utilise, à titre méthodologique
pour l’enseignement ont été durement critiqués. Ils ont été revus et corrigés à travers une vision
matérialiste, provoquant une souffrance intellectuelle dans le milieu ecclésiastique conservateur.
Certains rituels, qui n’étaient pas forcément bouddhiste mais qui avaient été intégrés dans les
pratiques religieuses générales, tels la fête des morts742 ou la fête consacrée aux Lak muang,743 ont
été interdits dans les premières années qui ont suivi l’année 1975. Durant cette période autoritaire
beaucoup de moines ont quitté le monastère, bien que certains aient défroqué pour des raisons
purement pécuniaires lorsque les privilèges de la vie monastique ont été bousculés. Les moines
devaient entre autres participer aux efforts collectifs en effectuant des travaux, en participant aux
formations politiques, inscrites de manière de plus en plus vive dans l’enseignement bouddhique.
Certains religieux quittaient les habilles ou alors le pays, comme des dizaines de milliers de laïcs,
pour rejoindre les temples de Thaïlande ou les camps de réfugiés. D’autres pensaient que « si
l’enseignement du dhamma est perverti, si la communauté du Sangha perd sa pureté, il n’y a pas de
raison de vivre cette perversion, cette instrumentalisation. C’est intellectuellement et religieusement
insupportable ». Une infime résistance s’était formée parmi les jeunes moines radicaux qui ne
quittaient pas les ordres et qui ne quittaient pas non plus le pays. A l’époque cette résistance
coïncidait avec quelques cas de suicide (dans l’habille monastique) de jeunes moines. Cela avait
beaucoup choqué la population.744 Si on ne pouvait pas prouver qu’il y avait un lien entre
l’endoctrinement politique de la communauté religieuse à la fin des années 1970 et au début des
années 1980 et le suicide des moines –cas très rare dans l’histoire du bouddhisme au Laos, il est
important de noter cette coïncidence. Le suicide étant interdit dans le bouddhisme et l’acte étant si
contraire à ses principes qu’il demeurait exceptionnel, démonstratif ou pas d’une forme de
résistance.
En peu de temps, le régime devait constater que le bouddhisme était trop ancré dans les
mentalités et dans le rythme quotidien de la vie. Les personnes âgées qui passaient la plus claire de
leur temps dans les pagodes ne reculaient devant aucun obstacle pour entretenir les cultes. Ils
n’avaient que faire des interdits et de la nouvelle autorité politique. Si réprimander les personnes
âgées était devenu usant pour les comités populaires, car les vieux continuaient de plus belle à
entretenir les cultes bravant les interdits, réprimander les jeunes était plus efficace : ces derniers
étaient alors devenus très peu pratiquants durant cette période. Quoi qu’il en soit, pour le régime, au
lieu de transformer cette religion en martyr, il valait mieux en faire un complice. Pour ce faire il
741 Discours de base des animateurs des réunions politiques dans les premiers mois du régime. Sources ? 742 A Luang Prabang, lors des premières heures du jour de « Boun Khao padam dinh » [[6og0Qkxtfa[fuo], « fête des morts »,
les Luang Prabanais allaient d’habitude coller des boulettes de riz sur les rampes de l’escalier qui mènaient vers le sommet
du Mont Phù Si. Dans les premières années du régime les soldats se postaient sur les marches de cet escalier et chassaient
les fidèles (souvent les vieilles personnes).
743 A Muang Sing, nous apprenons par les personnes âgées que cette interdiction avait déjà été faite en 1962 après la
libération de la ville par l’armée du Pathet Lao. 744 Propos recueillis auprès des jeunes religieux arrivés du camp de réfigiés d’Oubon Rajthani à la pagode Saint-Leu-LaForêt
au moment de sa fondation par la communauté lao de la région parisienne, vers 1987. L’un d’entre eux avait côtoyé
des condisciples qui s’étaient suicidés.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 432 -
fallait contrôler et diriger au mieux les actes cultuels. Petit à petit des compromis avaient été
trouvés. Ceci au gré des différents lieux et provinces et selon les opportunités et la situation, sans
que cela soit bien institué. Les fêtes religieuses et païennes liées au bouddhisme et la majorité des
pratiques cultuelles avaient été maintenues et tolérées à différents degrés par le régime dès le début,
par exemple, les fêtes des fusées, du nouvel an, des pirogues. Les fêtes consacrées aux phi ban
(esprit du village) continuaient à être interdites à Vientiane, mais pas à Muang Sing, où par contre la
fête du lak muang était interdite. La quête de nourritures du matin des bonzes a disparu un moment
de la capitale, alors qu’à Luang Prabang elle était revenue très vite.
Ce n’était seulement qu’avec la première constitution de la RDP Lao en 1991, que la place du
Sangha et le culte bouddhiste ont pu être véritablement définis. Comme nous avons vu dans la
deuxième partie de notre réflexion, les compromis ont solidement modifié le bouddhisme lao de
l’intérieur et son rôle dans la société ; la religion bouddhique ainsi que son espace cultuel et culturel
étaient devenus un terrain d’observation sociale et politique de premier ordre. C’était un
observatoire capable d’exprimer les formes de continuité et de rupture que la société lao avait
traversées ces quarante dernières années.
I. II. b. La fuite de la population, mobilité interne et séminaires politiques, 1975-1985
Le changement de régime officialisé le 2 décembre 1975 est une suite logique de plusieurs
événements qui se sont déroulés dans un laps de temps court. Il ne résulte pas d’un seul coup de
force, sans même évoquer la guerre du Viêtnam qui y a contribué depuis plusieurs années.
Rappelons quelques faits : d’abord, il y a le désengagement des Américains dans la guerre du
Viêtnam suivi par le retrait de leurs troupes et de leurs conseillers du Laos. Ensuite, il y a la
dissolution du dernier gouvernement de coalition, formé en 1973.745 Aux yeux de la population,
cette coalition est le symbole de la neutralité et de la réconciliation nationale, une tentative pour le
Laos de sortir de la guerre. Enfin, il y a la prise du pouvoir par le PPRL. L’abdication du roi le 29
novembre 1975 marque la fin de la monarchie constitutionnelle instaurée en 1946746 et le début de la
République démocratique populaire lao.747
Nous assistons durant cette période à un bouleversement des données sur la population. Ce fait est
lié à plusieurs événements clés. La peur du nouveau régime provoque la fuite d’une partie de la
population, au cours de l’année 1975, avant même que le nouveau régime ne soit proclamé. La
première vague, individuelle, n’atteignant pas encore un nombre élevé, concerne une population liée
à l’Ancien Régime – hauts membres du gouvernement de Vientiane, grands commerçants chinois.748
Après sa proclamation, le nouveau régime organise aussitôt des séminaires de formation
politique749 ; il procède à l’arrestation des personnes jugées dangereuses pour le régime ; il instaure
745 L’accord de Vientiane, signé en février 1973, met en place le troisième gouvernement de coalition. Le premier est
constitué en 1957 par deux factions, le deuxième en 1962 par trois factions. 746 11 mai 1946, adoption de la 1e Constitution. Le pays devient une monarchie constitutionnelle au sein de l’Union
Française
747 Le Congrès des représentants du peuple a lieu le 2 décembre 1975, présidé par Souphannouvong, chef de l’Union des
forces patriotiques lao (Pathan Sounkang Néo Lao Hak Sat) [xtmkol6odk’co;]k;Iad -kf]. Kaison Phomvihan, en tant que
secrétaire générale du PPRL [g]0kmydko.sjp 7tot[=]yskol6odk’radxt-k-qoxt8y;af]k;] lit le rapport dressant le bilan de la lutte du
parti et proposant les cadres et dispositifs qu’nevisage d’instaurer le nouveau régime. Le Congrès adopte les résolutions
qui marquent la fondation de la RDPL, dont : l’approbation du rapport-bilan politique de Kaison Phomvihan ; l’institution
de l’Assemblée suprême du peuple de la RDPL [ltrkxt-k-qol6’l5f] composée de 45 membres et présidée par
Souphannouvong ; la nomination des 39 membres du premier gouvernement de la RDPL ; l’adoption du drapeau et de
l’hymne national, du langage et de l’écriture officielle ; la définition du plan d’action du gouvernement de la RDPL en
politique intérieure et en politique étrangère, du plan de développement et de défense, du plan économique et social.
748 Les premiers réfugiés n’ont pas connu les camps de réfugiés installés en Thaïlande par le HCR entre 1976 et 1985. 749 Officiellement, les séminaires ont pour objectif la formation des cadres de l’ancien régime pour qu’ils puissent
s’intégrer dans le nouveau régime. Ces séminaires doivent durer de deux à six mois, selon les explications données par les
autorités aux séminaristes. Ce qui est appliqué montre que les objectifs réels sont différents : les séminaires sont de fait
des camps de rétention où tenir à l’écart les cadres de l’ancien régime susceptibles de s’opposer au nouveau régime.
Plusieurs points prouvent que ces camps n’étaient pas formateurs mais carcéraux, des camps de travaux forcés.
Premièrement, aucune liste de réaffectation de ces fonctionnaires n’a été réalisée dans les unités administratives de l’État.
Même après 6 à 14 ans de rééducation, d’anciens séminaristes frappent en vain aux portes des ministères « pour être Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 433 -
des restrictions concernant les activités et les déplacements des individus, les expressions festives
communautaires, la communication et la pratique des cultes ; il décrète le contrôle et l’étatisation
des activités commerciales, des biens financiers et fonciers, puis proclame l’autosuffisance. Ces
événements provoquent une autre vague de fuite, plus massive. Toutes les strates de la société et
tous les âges, en particulier la jeunesse et une population instruite et citadine, sont concernées. Cette
fuite marque sans doute la réaction la plus violente et la plus durable contre le régime. Par la suite,
en réaction à la réforme agraire, à la planification et à la collectivisation de la production agricole,750
des populations de la campagne – simples paysans ou grands propriétaires – quittent à leur tour le
pays. Durant cette période, il y a de nombreuses arrestations civiles pour cause
« antirévolutionnaire » (8+8hkoxt8y;af) ou « mauvaises mœurs » (rapla’7q,).
751
Cette fuite de la population, majoritairement urbaine – on évoque le départ de 50 % des
urbains pour Vientiane –, constitue la plus grande catastrophe démographique, depuis l’intégration
définitive du territoire occidental du Laos au Siam au XIXe siècle. Elle est par l’envoi d’une grande
partie de la population active dans les séminaires politiques,752 privant les villes de cadres supérieurs
compétents, déjà en nombre insuffisant pour l’Ancien Régime. On note par ailleurs une grande
mobilité de la population à l’intérieur du pays durant les premiers mois de la RDPL. Mise à part la
mobilité des populations venant des anciennes zones libérées encouragée par le nouveau pouvoir,
une partie significative de population profite de ce mouvement de migration interne pour aller vivre
ailleurs. La motivation la plus commune est la recherche de l’anonymat. En arrivant dans une ville
où ils sont inconnus, les gens peuvent commencer une nouvelle vie et se fondre dans la masse. Cette
mobilité ne peut être quantifiée du fait de la discrétion avec laquelle les gens “changent de vie”.753
Même s’il semble moins important que la fuite vers l’étranger, ce mouvement constitue un fait
significatif dans le nouveau du paysage social. Il a cessé lorsque le nouveau régime a imposé le port
d’un laissez-passer pour circuler d’un district à l’autre.
Le nouveau gouvernement doit faire face au manque de population et de ressources
humaines qualifiées, ce qui entrave considérablement le pays dans son développement754 même si
de grands efforts sont faits pour former de la matière grise dans les pays du bloc socialiste. Avant
que la première génération formée ne soit opérationnelle, le régime ne peut compter que sur un
groupe d’élites formées en Union Soviétique et dans les pays d’Europe centrale et orientale, et aussi
réaffectés de nouveau au travail pour aider le pays, mais nous n’existons nulle part. Les gens nous ont déjà oubliés. Nous
n’avons de place ni dans les ministères, ni dans la société. Nous n’existons plus. Le séminaire c’était pour nous enfermer
à vie, surtout pas pour nous former afin que nous puissions revenir servir notre pays », commentent les plus lucides des
séminaristes que nous avons interviewés, comme Chansamone Voravong, géographe, ancien directeur de l’IGN lao
(entretiens à Paris, 2004). Deuxièmement, les conditions de vie dans les camps « sont dignes du bagne du XIXe siècle ou du
Goulag » (propos de Ngneusamlith Don Sassorith, colonel de l’armée royale). Troisièmement, le taux de survie dans les
camps est faible : nous estimons qu’il y a 40 % de survivants. Sur un échantillon d’une centaine de personnes sorties des
camps, 10 % sont indemnes physiquement et mentalement ; les autres sont soit malades et meurent quelques années après
leur libération, soit ne s’intègrent plus ni dans la société ni dans leur famille. En 2008 nous avons essayé de trouver des
documents qui donneraient une version officielle sur les séminaires. Nous n’avons trouvé aucun rapport émanant du
gouvernement qui définisse ce qu’est le soun Sammana (l6ola,,tok), le camp de séminaire. Aucune donnée, notamment le
nombre des personnes, décédées, libérées ou réintégrées dans l’administration après leur libération, n’est communiquée.
Les seules sources sont la mémoire d’anciens séminaristes de la diaspora et la documentation d’Amnesty International. Le
sujet reste tabou et le gouvernement n’est pas prêt à traiter ni inscrire ce sujet historiquement grave dans la mémoire
nationale.
750 La première réforme agraire a lieu dès la première année ; elle s’intensifiée surtout en 1977. 751 Pour ces délits apolitiques, la durée de détention va de quelques mois à cinq années. 752 Cette population active est aussi la plus instruite, la mieux formée et elle est sans doute disposée à participer à la
reconstruction du pays, puisqu’elle est restée après la proclamation du nouveau régime.
753 Aucune étude n’a été menée de manière spécifique sur la mobilité motivée par la quête d’anonymat. Cependant la
migration des zones libérées vers les villes du Mékong a été mentionnée dans plusieurs études. Lors de mes travaux de
terrain sur les typologies, menés entre 1999 et 2002, j’ai constaté que les habitants de certaines maisons relevées se sont
installés à Vientiane en 1975 ou 1976 alors qu’ils ne venaient pas des zones libérées.
754 Malgré le constat, dès la deuxième année, de la pénurie en personnel qualifié dans tous les domaines, en particulier
dans la santé, le nouveau pouvoir ne libère pas les médecins ou les ingénieurs en séminaire. La plus grande vague de
libération intervient au bout de huit ans.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 434 -
sur quelques individus – formés dans les pays occidentaux dans les années 1960-1970 – qui
reviennent au pays, séduits par le nouveau régime.755
I. II. c. Les dispositifs de l’Etat à l’égard de la question démographique et de la
mobilité des hommes.
Rappelons que le Laos contemporain a toujours été confronté à la faible densité de sa
population. Le pouvoir politique, à différentes époques, a dû faire face à ce problème pour
développer le pays, qu’il s’agisse de constituer une masse corvéable et taxable, un corps de l’armée
ou une masse pour la consommation. Dans le contexte politique de la guerre froide, les deux
gouvernements du Laos menaient ce que l’on pouvait appeler la guerre de “partage des
populations”. Le régime qui mettait de son côté la plus importante partie de la population se targuait
d’être légitime et juste, l’autre aurait été traité de barbare.756 Cette question est en grande partie liée
à la démographie et à la répartition de la population dans le territoire. Après l’indépendance en
1953, la population dans son ensemble connaît peu à peu une croissance au profit des villes :
croissance de la natalité, amélioration des accès aux soins médicaux, à la consommation des
marchés urbains ou périurbains. Avant 1975, la guerre modifie le mode de répartition des hommes
sur le territoire : ils se rapprochent des zones à caractères urbains et se concentrent un peu plus dans
des aires urbaines. Cela favorise le développement à l’intérieur des aires urbaines et laisse de côté le
développement des réseaux extérieurs de communications, peu ou pas développés. En 1975, le Laos
compte trois millions d’habitants avec un taux de population urbaine faible (entre 10 et 15 %). Mais
le taux urbain existant dans les villages autour des aires urbaines n’a pas été bien repéré à l’époque.
On considère d’emblée que 85 à 90 % de la population est rurale. Lorsque nous examinons la
répartition de la population dans le pays sur la carte de 1973, nous voyons qu’il y a une nette
concentration de la population autour des aires urbaines au détriment des centres urbains euxmêmes,
ce qui ne permet pas de classer ces populations dans la population urbaine proprement dite.
Après 1975, les nécessités de la gouvernance du nouveau régime, ainsi que plusieurs faits
convergents, notamment la mobilité interne de la population ou sa fuite vers les pays étrangers, ont
suscité la mise en place des nouveaux dispositifs ainsi que du nouveau mode de répartition des
hommes dans le territoire.
En 1975, le Laos se retrouve devant quatre lourds défis humains : la mobilité interne de la
population, rendant difficile sa gestion et son contrôle ; la désertification urbaine ; l’hémorragie
démographique ; et une carence en ressources humaines. L’État réagit diversement face à ces défis.
Il faut d’abord arrêter la mobilité interne, qui ne facilite pas la bonne gestion des habitants
et trouble la sécurité des villes et des campagnes dans les premiers mois de l’installation du régime.
Cette difficulté menace la sécurité civile et la politique intérieure ; la guérilla formée à la frontière
thaïlandaise menaçant d’entraîner des révoltes à l’intérieur du pays. Le nouveau pouvoir prend des
précautions avec les laissez-passer – un document écrit avec sceaux, délivré par une autorité
compétente. Malgré les points de contrôle mis en place, des “faux laissez-passer” circulent dans les
villes, permettant le mouvement des habitants entre les districts.757 Il faut ensuite arrêter la fuite de
la population vers l’étranger et pour cela la dissuader, voire, la menacer. Pour rejoindre les camps
de réfugiés en Thaïlande, les gens doivent traverser forêts et montagnes – pour ceux qui partent des
provinces de Xayabouri et de Champassak – ou traverser le Mékong – pour ceux qui partent des
755 Beaucoup de ces élites de gauche étaient boursières du gouvernement Néo Lao Hak Sat, directement de l’Union
Soviétique ou du gouvernement royal. Aujourd’hui, certains postes au gouvernement sont occupés par ces anciens
étudiants formés dans les pays occidentaux.
756 D’après les divers entretiens avec molam Souban et molam Phimmasone (à Melun, Seine-et-Marne) entre 1980 et
1994. Les lam de propagande du gouvernement de Vientiane ont été chantés par plusieurs molam célèbres vers la fin des
années 1960. Les plus connus étaient molam Souban, molam Phimmasone, le maître Intong. À l’époque, diffusés à la
radio nationale, ces chants versifiés ont été une sorte de chronique commentant quasi quotidiennement le combat que le
gouvernement de droite menait contre le communisme. Cf. aussi les travaux de Catherine Charon-Baix sur les molam lao. 757 C’est avec ces vrais faux laissez-passer que la plupart des personnes ont pu sortir de Vientiane, aller dans des villes
plus petites puis traverser le Mékong vers la Thaïlande.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 435 -
autres provinces. La propagande échoue à retenir les fuyards, ils continuent à quitter le pays en
masse, bravant le danger et défiant les gardes-frontières lao et thaïs. Les forces armées sont
déployées tout au long des frontières tandis que la milice du nouay travaille dans les villages pour
déceler les éventuelles défections. Du discours de dissuasion à la répression, un pas est franchi.
L’ordre de tirer sur ceux qui traversent le Mékong est donné. S’ils sont attrapés, ils sont envoyés
soit en prison soit dans les camps de redressement et de rééducation.758 Les chiffres concernant le
nombre de réfugiés arrivés en Thaïlande puis accueillis dans les « pays tiers » [xtgmfmulk,] varient
selon les sources.
759
Malgré la violence des moyens de dissuasion, la fuite de la population ne s’arrête pas. Elle
se ralentit d’elle-même quelques années après ; un phénomène sans doute lié à la deuxième réforme
agraire qui rend la terre aux paysans. L’hémorragie démographique ne sera résorbée que dans la
deuxième moitié des années 1980, lorsque la population commence à se stabiliser puis à augmenter.
Avec la venue progressive des populations rurales, en particulier des zones libérées comme
Phongsaly et Samneua, les grandes villes regagnent peu à peu des habitants. D’après le Centre
National de Statistique : en 1970, le Laos comptait 3 millions d’habitants, contre 2,9 millions en
1975. Entre 1976 et 1987, le nombre des habitants passe de 2,886 millions à 3,828 millions. Les
chiffres de 1975 doivent être considérés avec précaution : entre 1971 et 1975, il est difficile d’avoir
des statistiques cohérentes à l’échelle du pays. Le dernier recensement avant la prise du pouvoir par
le PPRL est réalisé en 1970, le suivant en 1976.760
Pour remédier aux carences des ressources humaines des premières années, les cadres
révolutionnaires qui viennent des zones libérées sont installés nombreux dans les administrations
nouvellement créées. Certains sont compétents pour animer les débats politiques et les
planifications théoriques, mais rares sont ceux qui, une fois la guerre idéologique terminée, peuvent
réellement gérer, administrer et mener concrètement le programme de développement du pays. Les
cadres qui reviennent des pays socialistes ou de l’Occident (France, Australie, Canada, États-Unis)
sont « jeunes, sans expériences de terrain, idéalistes et ne connaissent le communisme qu’en
théorie ; ou, au contraire, ils sont opportunistes ».
761 D’après ces propos et la rareté des personnes à
interviewer sur ce sujet, on en déduit que les jeunes cadres revenus ne sont pas nombreux et sont
très vite dépassés par l’ampleur des tâches à accomplir comme par le décalage entre la réalité et ce
qu’ils avaient espéré trouver à leur arrivée. Le nombre de cadres du nouveau régime est significatif
mais insuffisant. Les différentes notes préparant les projets de coopération effectués dans les années
1990 et 2000 peuvent donner un aperçu sur ce qu’étaient les besoins de ces années.762 Dès le début,
le régime doit recourir à l’assistance technique des experts russes, vietnamiens et européens de
l’Est. À cela s’ajoute l’aide minimale maintenue par l’Organisation des Nations Unies ; les secteurs
de développement ainsi que le nombre de leurs experts ont été réduits, mais n’ont pas été supprimés.
758 Les camps de redressement les plus célèbres sont ceux qui se situent tout près de Vientiane, sur le lac de Nam Ngum :
« Done Thao, Done Nang » (l6ofaflhk’ fvomhk; fvook’), camp de redressement “l’île des messieurs, l’île des demoiselles”. 759 Entre 1975 et 1995, il y aurait eu 359 930 réfugiés. 320 718 se seraient installés dans les pays tiers et 23 247 auraient
été rapatriés au Laos à partir de 1990. Cependant aucun bilan n’a été dressé des décès des traversées du Mékong. D’après
les riverains, on aperçoit parfois des corps sans vie qui flottent sur le fleuve, et dans la nuit on peut entendre des rafales de
coups de feu. D’après le HCR (Fascicule Resettlement Section, juillet 1995, Genève), le nombre des réfugiés représente
un peu plus de 10 % de la population du pays. C’est sans compter ceux qui ne sont pas enregistrés dans les registres de
réfugiés, ni ceux qui sont déjà à l’étranger et qui ne retournent pas au pays, etc.
760 Cf. Basic statistics, about the socio-economic development in the Lao P.D.R. for 15 years (1975-1990), Ministry of
Economy planning and Finance, State Statistical Centre, Vientiane 1990 ; Manuel scolaire, Géographie-3e
. Le Laos et
l’Asie du Sud-Est. Royaume du Laos, Ministère de Education Nationale, Vientiane 1973 ; Kham Vorapheth, Laos. La
redéfinition des stratégies politiques et économiques (1975-2006), Les Indes Savantes, Paris 2007. 761 D’après les propos ironiques d’un ancien étudiant revenu au Laos en 1975 et reparti 3 ans après, estimant avoir essayé
de servir le pays, mais devant fuir, évitant de justesse une arrestation et un séminaire pour subversion idéologique.
Interview à Bangkok en 2004.
762 Cf. Le « Document cadre de partenariat avec la RDP Lao » (Ambassade de France–SCAC) ; la Proposition du
programme de coopération sectorielle avec la France pour la période 2006-2010. MCTPC-, N°1335, Vientiane 2006. Les
différents documents sollicitent toujours la formation des cadres, l’affectation des experts.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Dans les provinces, le régime compte sur les lycéens, les jeunes instituteurs envoyés « en
manœuvre » à la campagne, pour aider aux tâches administratives de base.
Pour contre-balancer la désertification urbaine, aucun effort n’est nécessaire : les habitants
des zones libérées, les ruraux, sont attirés par les villes désertées par leurs anciens habitants. Les
opportunités en termes de logement, dont le parc est constitué des confiscations par l’État,763 attisent
leur envie de s’installer en ville. Pour les villes et les régions trop faiblement habitées, l’État
encourage les gens à se mobiliser pour les occuper en vantant les bienfaits et les avantages. Des
villes nouvelles sont construites dans cette logique et des tentatives pour créer de toute pièce des
lieux “fraternels” et “multiethniques” voient le jour. Nous verrons plus loin les implications de cette
politique.
I. II. d. Les enjeux et les défis économiques
Les produits dans les marchés s’étant raréfiés, on a du mal à trouver de la viande, de
l’essence, du sucre, du lait, malgré le marché noir. Les tickets de rationnement pour les achats dans
les magasins d’État sont distribués aux seuls fonctionnaires. Le marché noir devient de plus en plus
florissant dans les villes les plus importantes du pays, alimenté par la circulation clandestine des
produits intérieurs – souvent, des produits de luxe d’occasion ayant appartenu aux classes aisées de
l’Ancien Régime – mais surtout par les marchés libres de la rive droite thaïlandaise. Le marché noir
explique la circulation clandestine des devises étrangères (dollar américain, bath) tandis que l’or
sert pour les transactions plus importantes, telles la “vente” ou “l’achat” de maisons. Curieusement,
ce sont des familles membre du nouveau gouvernement arrivant des zones libérées qui achètent les
produits intérieurs – vêtements, linge de maison, bijoux. Cette période de transactions illégales
contribuent à définir l’ambiance des habitations et celles de la ville pour les dix ou vingt années à
venir. L’ambiance des habitats change peu à peu : les maisons bourgeoises – grandes villas
modernes des années 1960 – deviennent plus sobres, les propriétaires se débarrassent des objets
inutiles et du mode de vie d’autrefois ; celles qui deviennent le logement des nouveaux arrivés
vieillissent et se délabrent d’année en année. La ville devient calme, ses rues désertes, jusqu’au
début des années 1990.
Devant les pénuries généralisées, le nouveau régime doit réorganiser les moyens de
production, répartir les biens lorsqu’ils existent, organiser la circulation des produits locaux de
subsistance, apprendre l’autosuffisance à la population, demander et gérer les aides provenant des
pays socialistes. En attendant, il ferme les yeux sur le marché noir alimenté par la Thaïlande et
laisse quelques vieilles familles – commerçantes ou pas – jouer les intermédiaires pour importer les
produits de grandes nécessités, sans que cela n’ait un quelconque caractère officiel.764 Malgré la
dépendance certaine vis-à-vis du marché et de l’économie thaïlandaise, la politique du Laos doit se
montrer anti-thaïs et anti-occidentale, n’assumant la dépendance qu’à ses deux grands voisins, le
Vietnam et la Chine.
À partir de 1975, eu égard à l’espace politique, le territoire et les espaces socioculturels et
économiques doivent être réorganisés. Les enjeux spatiaux ne sont plus les mêmes. Les villes lao
sont contraintes de vivre en autarcie, prônant la production et les biens collectifs ainsi que
l’autosuffisance. Un nouvel équilibre territorial et social interne, après la rupture, est recherché pour
763 L’État s’approprie les biens fonciers et immobiliers de ceux qui s’enfuient du pays mais également de ceux qui restent.
Lorsque les propriétaires possèdent plusieurs maisons, l’État leur laisse la maison où ils habitent et peut leur confisquer le
reste, car considéré comme un surplus qu’ils doivent partager.
764 Ces familles prospèrent dans les affaires encore aujourd’hui. Dans la majorité des cas, ce sont des femmes qui n’ont
tenu aucun rôle dans la politique de l’ancien régime. À titre d’exemple, et sans exhaustivité, nous citons le nom de famille
de ces femmes qui jouent un rôle économique non négligeable dans une ville comme Vientiane durant les années difficiles
: Pravongviengkham, Inthavong, Phonsanalack, Sihachark, Voravongsa, etc. Plus de 15 ans après, c’est par ce réseau que
les femmes des hauts cadres révolutionnaires entrent dans le monde des affaires. Discussion à Vientiane vers 2000 avec
deux des femmes dont le nom est cité.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 437 -
stabiliser, légitimer et faire perdurer le nouveau pouvoir et la société nouvelle. Il s’agit pour le
nouveau régime d’édifier son propre espace, de le gérer et de le réaménager en rupture avec le passé
tout en héritant des réalités avec lesquelles il faut composer : « une population superstitieuse et
récalcitrante aux progrès qu’il faut éduquer ».
765
Conclusion
Dans ce premier temps, le nouveau pouvoir ne pouvait pas relever tous les défis et venir à
bout de tous les enjeux. Mais sur ces questions, il a mené le pays avec détermination.
Sur le plan spatial et politique, il a tenté de créer de nouveaux symboles et de nouveau
langage, en remplacement des anciens que l’on a détruit ; de réapproprier l’espace et avoir une
vision globale et non-partisane, puisque le territoire devient entier et non plus partitionné comme
durant la guerre froide. Le Laos se retrouve coupé de l’Occident, représenté par la Thaïlande
voisine. Dans la vallée du Mékong, la politique territoriale se tourne plus vers l’intérieur des terres,
la frontière constituée par le Mékong devenant une barrière et non plus un lieu d’échange. Dans le
Nord, au contact avec la Chine, et dans l’Est, au contact avec le Viêtnam, les enjeux diffèrent de
ceux sur la frontière occidentale. Le nouveau pouvoir est amené à gérer la totalité du territoire du
Laos et de sa population, dans un contexte politique régional inédit, alors que les dirigeants
communistes, soutenus par le Viêtnam et la Chine, n’avaient été habitués à gérer que les seules
zones dites “libérées” et les populations embrigadées dans la cause révolutionnaire. Il était logique,
pour le nouveau pouvoir, de compter sur ses deux alliés pour gouverner le pays et garantir sa
sécurité. Ils étaient devenus des appuis idéologiques, politiques et militaires incontournables, et ce,
malgré la guerre frontalière sino-vietnamienne de 1979.
766 La politique laotienne devait composer
d’une part avec la Chine – historiquement dominante – et d’autre part avec le Viêtnam – le puissant
voisin avec qui le parti dirigeant était et reste toujours lié. La nécessité d’exister dans la dualité
sino-vietnamienne induisait non seulement une certaine différenciation territoriale, mais surtout
l’émergence de deux fractions politiques dans la direction de l’État laotien, et ce, jusqu’à la période
actuelle où il semble qu’un équilibre relatif a été trouvé. Durant le conflit sino-vietnamien, où le
Laos avait du mal à garder sa neutralité, le régime pencha du côté vietnamien –de par la
monopolisation cyclique du pouvoir politique par la faction provietnamienne et de par le lien
historique étroit qu’entretient le PPRL avec le PCV.
767 La Chine restait malgré tout un recours pour
éviter d’être entièrement dépendant du Viêtnam. Ainsi, l’axe Nord-Sud traditionnel fut mis en
veille, de la fin des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980, au profit de l’axe Est-Ouest.
Celui-ci avait déjà été mis en place par le pouvoir colonial français pour contrôler le territoire
indochinois : le centre de décision politique de l’Indochine était à Saigon. La lutte anti-coloniale,
qui a favorisé le rapprochement entre les futurs dirigeants communistes laotiens et vietnamiens au
lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, ne fait que reprendre autrement cet axe existant. Bien
que le lien avec la Chine ait été maintenu, l’axe Nord-Sud n’a été relancé que plus tard, à partir de la
seconde moitié des années 1990 pour se renforcer nettement à partir du début des années 2000.
Sur le plan humain, il était difficile de faire adhérer la population entière au nouveau système
politique. Le nouveau régime se retrouvait devant une réalité : se sentant menacée, une partie de la
765 Ces propos, dans les premiers discours révolutionnaires, progressistes et anticléricaux, forment un leit motiv bien
connu de la population laotienne. On les entend dans les réunions politiques partout dans le pays. Il est impossible de
savoir qui les a prononcés en premier. Par leur aspect très théorique, il est quasi certain qu’ils sont issus du Comité de
propagande.
766 17 février 1979, début de la guerre frontalière sino-vietnamienne. 767 Le Parti populaire révolutionnaire lao (PPRL), est lié dès sa naissance au Parti communiste vietnamien (PCV) – pour
ne pas dire qu’il en émane. Fondé par Ho Chi Minh en février 1930, le PCV devient le Parti communiste indochinois
(PCI), en octobre 1930, pour regrouper les communistes et les anticoloniaux de toute l’Indochine. Pour le partic
communiste du Laos, trois étapes sont à retenir : la section lao du PCI est créée en 1936 ; le 22 mars 1955, le Parti du
peuple lao (PPL), Phak Pasason Lao [radxt-k-qo]k;] est créé ; en 1972, le PPL devient le PPRL, Phak Pasason Pativat
Lao. Le Laos signe en 1977 le traité de coopération avec le Vietnam pour maintenir la “relation spéciale” entre les deux
pays. Ce traité est renouvelable tous les 25 ans et marque le lien profond entre PCV et PPRL.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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population fuyait le pays (d’après le HCR, 10 % de la population aurait quitté le pays). Les groupes
dirigeants de l’Ancien Régime qui ont fui n’étaient pas les seuls à être considérés comme des
réactionnaires – des personnes dont on pouvait se passer pour construire le pays, selon le nouveau
pouvoir : chacun était susceptible d’être qualifié de réactionnaire, y compris la grande majorité de la
population non-engagée politiquement. Dans cette confusion, il devenait difficile pour le régime de
distinguer les alliés des ennemis. La politique fut dès lors d’envoyer aux séminaires toute personne
potentiellement ennemie du régime et de surveiller les autres, afin de se parer contre tout risque de
renversement du régime. La gestion des hommes était autoritaire, basée sur l’arbitraire : la fuite de
la population a été sanctionnée sévèrement ; les séminaires politiques comme une nécessité pour
former des hommes nouveaux ; la mobilité des hommes comme un choix pour repeupler et
développer l’ensemble du pays ; une faiblesse démographique comme une fatalité sans solutions.
Sur le plan économique, le pays était plongé dans le marasme : dévaluation du kip, inertie de
la circulation monétaire, production à plat, absence d’investissements publics dans les services de
base (santé, éducation, administration locale), circulation des produits au point mort, etc. Le kip
étant dévalué, l’État décréta le nouveau kip potpoy — “kip de libération”. L’ancien kip ne valant
rien, on le pesait au kilo. Et pour l’échanger contre le kip potpoy, on mobilisait les lycéens pour
accompagner les soldats dans les régions reculées du pays.768 L’effondrement de l’ancien kip
entraîna la ruine des petits commerçants et de la population en général, qui n’eut pas le temps
d’échanger l’ancienne monnaie contre de l’or (moyen traditionnel de réserve monétaire des
Laotiens) avant la mise en circulation du nouveau kip. Ruinés, certains exprimèrent leur
mécontentement et leur refus du nouveau régime, qu’ils désignèrent comme responsable de
l’effondrement généralisé.769 Quoi qu’il en soit, il fallait pour le régime redresser l’économie. Le
choix fut porté vers la mise en œuvre de l’autosuffisance, l’étatisation des biens, le collectivisme ;
l’urgence était d’axer l’économie sur le secteur de la production et de tolérer officieusement et
provisoirement, le marché noir. Les problèmes dans leur ensemble n’ont été que différés,
débouchant peu à peu vers une réforme une décennie plus tard.
Quoiqu’il en soit, l’espoir d’une société plus juste, d’un pays réconcilié avec lui-même
semblait être là avec la fin de la guerre. Sans parler du contexte de guerre froide et tout en
considérant seulement la situation interne du pays, c’était le désir de paix qui semble permettre la
mise en place du régime et non pas son contenu idéologique. Et pourtant, devant les enjeux et les
défis que nous avons évoqués, c’était sur le contenu idéologique d’un monde nouveau que le régime
allait s’installer et se créer des perspectives nouvelles, s’imposer, se légitimer et perdurer : une
hétérotopie s’installa. Nous allons voir que la société laotienne n’est pas indemne du système. Si
idéologiquement les Laotiens se défendent d’être communistes, le système a pourtant apporté un
grand changement dans la société et dans les mentalités, en particulier pour les nouvelles
générations grandies ou nées après 1975. Formés à la vision et à la pensée unique, ils n’ont connu
aucun élément de comparaison possible.
770 La propagande et l’endoctrinement ne passent plus
seulement par les recommandations et les interdictions, par les meetings politiques et les séminaires,
ils passent aussi par le renouvellement du langage des arts et de la culture, touchant au plus près
l’individu. La construction du nouveau pays, l’édification du régime, la sécurité et l’ordre social,
passent également par un arbitrage sévère et un sacrifice humain irréversible.
768 D’après un entretien avec un ancien lycéen qui avait participé à ces opérations, les soldats dans son unité étaient
quasiment analphabètes. Ils suivaient un itinéraire prédéterminé et allaient de village en village. Ils étaient logés chez les
villageois. Pour certains villages, il fallait aller à pied, les sacs d’anciens kips sur le dos. (Entretien à Paris en 1994) 769 Il n’y a jamais eu de manifestation publique ou collective contre le régime. Une simple expression verbale pouvait
entraîner un séjour en prison. Le seul signe d’opposition civile, dans les premiers mois de l’investiture du régime, fut la
réunion d’un parti conservateur, Lao houam samphanh []k;I;,la,rao], dirigé par Bong Souvannavong. Lors de cette
réunion, dans le quartier du cinéma Bouasavanh, il y eut de nombreuses arrestations, notamment celle du chef du parti. Ce
dernier décéda dans un camp de détention quelques années après son arrestation.
770 Un vocabulaire spécifique désigne les deux générations : « Khon song labob » [7qolv’]t[v[] « individu de deux
régimes », contrairement à « Khon labob dyao » [7qo]t[v[fP;] « individu d’un seul régime ».Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 439 -
CHAPITRE II
Temps deux : perspective et représentation d’un monde nouveau
Il s’agissait pour le nouveau pouvoir de formuler un concept spatial adéquat à cette nouvelle
société en marche. Sur cette question spatiale, quatre types de transformation étaient essentiels pour
comprendre le processus de changement opéré dans les premières années du régime et avant les
retombées de la réforme : 1- la ruralisation, la disparition de la ville en tant qu’entité à part entière :
2- l’apparition des équipements et des programmes emblématiques, c’est-à-dire la projection
idéologique dans le « désir » de villes nouvelles ; et enfin, 3- l’instauration de la zone spéciale.
II. I. La ruralisation et la disparition de la ville dans sa fonction urbaine
et politique
La ruralisation de la ville, en particulier pour la ville de Vientiane où le phénomène était plus
visible qu’ailleurs du fait qu’elle était la plus urbaine de toutes, était caractérisée par la perception
générale que l’on avait de la ville durant cette époque. Celle-ci tendait à décrire un espace éclaté par
rapport à son rôle initial « civilisateur », centralisateur et structurant d’un territoire plus large. Ceci,
en devenant de plus en plus un espace autogéré, fragmenté et autonome. Ce fait induisait du point
de vue visuel et formel, non seulement une continuité entre la ville et le milieu rural, il induisait
aussi la disparition de l’entité et de l’identité urbaine proprement dite. L’aspect des zones centrales
acquérait le même aspect que les zones périphériques. En fait, nous ne distinguions plus ce qu’était
la ville et ce qu’était sa campagne, tout devenait campagne. Si traditionnellement la ruralité était
intrinsèque à l’espace urbain des villes laotiennes, la ruralité durant cette période nouvelle altérait le
milieu urbain et le faisait disparaître.
La ruralisation passait donc par des réformes administratives et des dispositifs politiques de
l’État et par l’autogestion de l’espace lui-même. L’ensemble de ces démarches et processus
concouraient à faire de l’entité urbaine –qui était déjà traditionnellement fragile– un qualificatif
dénudé de sens par rapport à la réalité spatiale que les villes laotiennes étaient en train de vivre à
cette époque. La citadinité au sens politique, économique et sociospatial s’était en fait retrouvée
atrophiée.
II. I. a. La réforme administrative
Le Laos ne disposait pas avant 1991 de Constitution qui aurait porté dans la majorité des cas
« État de droit » des nations et qui aurait garanti la séparation des pouvoirs, exécutif, judiciaire et
constitutionnel. En 1975, le nouveau régime mettait en place ce que nous pouvons appeler un « État
de fait ». Ce vocabulaire n’est pas un jeu de mots, mais explicite réellement la tenue administrative
avec laquelle le nouveau régime administrait et gérait le pays, par la création des comités
populaires. Il y avait deux champs principaux dans les réformes administratives qui avaient joué un
rôle majeur dans la gestion de l’espace. Il s’agit d’abord du mouvement de décentralisation, puis de
centralisation du pouvoir administratif déconcentré,771 ensuite il s’agit de la réunification de
771 Nous entendons par mouvement de décentralisation le fait d’accorder le pouvoir et l’autonômie matériel au pouvoir
déconcentré, et au contraire, par mouvement de centralisation le fait de ne pas accorder de l’autonômie au pouvoir Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’administration de la ville-préfecture à l’administration de la province et il s’agit aussi de la
création de la subdivision du village : le Nouay. Mais avant d’aborder ces questions particulières,
tout d’abord rappelons rapidement l’administration générale de l’Ancien Régime avant l’investiture
du nouveau et celle qui a été mise en place par le nouveau régime juste après.
II. I. a. 1. Un aperçu sur le système et sur la structure de l’administration générale
Les principes du système politique du gouvernement de Vientiane
Pour comprendre ce qui a été réformé il est important de rappeler en quelques points le
système politique de l’Ancien Régime avant l’accord de Vientiane du 21 février 1973. Le système
était fondé sur une monarchie constitutionnelle se basant sur la constitution du 14 septembre 1949.
Le système était composé de quatre institutions principales.
Le roi
Le roi était le chef suprême de l’État, il exerçait une souveraineté suivant les dispositifs
définis par la constitution. Il désigne son successeur au trône selon le droit coutumier. S’il ne
pouvait le faire pour quelconque raison, c’était le conseil de la famille royale de désigner un
nouveau souverain. En cas d’incapacité, le règne pouvait être exercé par un Régent désigné par le
Conseil du roi et approuvé par l’Assemblée Nationale, devant laquelle le Régent désigné devait
prêter serment avant d’entrer en fonction. En attendant la nomination d’un Régent ou en absence du
roi, c’était le Conseil du roi qui prenait la direction du royaume. Le roi sanctionnait ou approuvait
par ordonnance les lois votées par l’Assemblée Nationale. Il dictait par ordonnance les dispositifs
règlementaires proposés par le Conseil des ministres desquels il pouvait aussi présider. Avec
l’accord de la Commission permanente de l’Assemblée Nationale, le roi était habilité à prendre par
ordonnance des décisions législatives. Le roi était le chef suprême de l’armée, habilité à anoblir et à
donner les grades civils et militaires, à gracier et à commuter les peines. Il nommait les ministres,
nominations qui devaient être confirmées par l’Assemblée Nationale.
Le Conseil des ministres
Le président du Conseil des ministres était désigné par le roi. Le Président du Conseil forme
le gouvernement et le soumettait à l’agrément de l’Assemblée Nationale qui devait effectuer un vote
de confiance à la majorité 2/3 des membres présents. Les ministres pouvaient être choisis au sein de
l’Assemblée Nationale ou à l’extérieur. Les ministres dirigeaient les ministères et initiaient les lois.
Ils étaient responsables collectivement en tant que gouvernement et individuellement de leurs actes
et décisions devant l’Assemblée Nationale. La démission collective du gouvernement était faisable
si l’Assemblée Nationale votait la motion de censure ou refusait d’accorder sa confiance. Les
ministres n’avaient pas d’immunité et pouvaient être pénalisés pour des délits commis dans
l’exercice de leur fonction. Ils pouvaient être jugés par le Conseil du roi formé en Haute Cour de
justice.
L’Assemblée Nationale
Les députés étaient élus pour 4 ans au suffrage universel et devaient prêter serment avant
d’entrer en fonction. L’Assemblée Nationale se réunissait sur convocation du roi en une session
annuelle de trois mois ou en session extraordinaire, ou sur demande de la permanence de
l’Assemblée, ou par la moitié des députés. En tous les cas, les sessions étaient inaugurées et
clôturées par le roi ou son représentant. L’Assemblée était seule auto éligible : la démission ou la
déchéance de ses membres. L’Assemblée étudiait à travers ses commissions les budgets, les projets
de loi, etc., et les votait. Les lois votées étaient ensuite présentées au Conseil du Roi. Le bureau de
déconcentré. Il ne s’agit pas ici de la décentralisation (comme en France pour loi de la décentralisation de 1983) ou il y a
autonomie du pouvoir local élu. Nous entendons par pouvoir déconcentré le pouvoir de l’Etat déconcentré physiquement
dans le territoire géographique, comme par exemple le pouvoir du préfet ou du chef de province qui agit sous l’autorité du
gouvernement. C’est un pouvoir non élu, à la différence du pouvoir local élu, décentralisé donc, qui serait le maire d’une
ville.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 441 -
permanence de l’Assemblée pouvait contrôler l’action du Conseil des ministres. L’Assemblée
pouvait être dissoute par le Roi sur proposition du Conseil des ministres et après accord du Conseil
du Roi. Les membres de l’Assemblée étaient couverts par l’immunité parlementaire dans les limites
prévues par la constitution.
Le Conseil du Roi
Le conseil du roi était composé de six membres nommés directement par le roi et trois
membres désignés par l’Assemblée Nationale. Ils possédaient des mêmes droits que les députés. Il
donnait son avis sur les projets de loi et pouvait adresser leur proposition à l’Assemblée Nationale.
L’administration générale mise en place par le nouveau régime
Pour l’exécutif, dès l’investiture du régime le 2 décembre 1975, l’ancienne administration
s’était déjà effondrée par le fait que l’Assemblée Populaire Suprême a dissous le gouvernement de
coalition (le 1er décembre 1975), et par le simple fait qu’une partie des hauts fonctionnaires et des
cadres moyens ont quitté le pays ou ont été démis de leurs fonctions, certains d’entre eux ont été
envoyés aux séminaires, d’autres arrêtés et mis en détention. Il fallait dès lors réorganiser et
réaffecter non seulement le nouveau personnel administratif, mais aussi toute la structure
administrative. Cependant, la formation du gouvernement de coalition entre 1973 et 1975 même s’il
a été dissous, a permis au nouveau gouvernement de ne pas démettre entièrement de leur poste tous
les fonctionnaires. Le maintien de ce personnel dans le nouveau système a permis d’éviter de
justesse que le pays soit paralysé, bien que l’administration publique –centrale et locale– dans les
deux premières années ait pu être considérée comme paralysée. Ceci, parce que le travail
d’administration a été confié au Comité Administratif Révolutionnaire qui n’administrait pas, mais
qui passait son temps à organiser les « meetings » politiques, à faire des propagandes, à surveiller
les agissements de la population, même si le comité de propagande et la milice existaient et faisaient
déjà ce travail.
Avant la dissolution officielle du gouvernement de coalition le 1er décembre 1975, le 23 août
1975 le Comité Administratif Révolutionnaire a été créé à Vientiane et dans la province de
Vientiane, avant de créer plus tard les petits comités semblables dans les autres provinces. Les
ministères, avec leurs différentes directions ou départements, bureaux et services, continuaient à
exister comme dans l’Ancien Régime. Cependant s’y ajoutaient plusieurs organes politiques appelés
« organisations de masse ». Elles comptaient parmi elles, le Front Lao pour la Construction
Nationale (ou Front Lao pour l’Edification Nationale), l’Union des Femmes, l’organisation de la
Jeunesse et les syndicats.772 Ensuite il y avait le Parti Populaire Révolutionnaire Lao au dessus
duquel chapeautait le Comité Central du Parti –qui est contrôlé à son tour par le Bureau Politique–
et auquel étaient attachées toutes les organisations de masse, présentes dans tous les organes et
échelons de l’administration, gouvernementale et locale. La hiérarchisation et la position des
responsables politiques dans le gouvernement reflétaient la position et la hiérarchisation des
hommes au sein du parti. C’était le parti qui déterminait le gouvernement.
Pour le pouvoir judiciaire, le tribunal populaire a été mis en avant dès l’investiture du régime,
puisqu’il fallait justifier les nombreuses arrestations, même si aucun tribunal n’a été tenu
physiquement pour que « les présumés innocents »
773 puisaient être jugés ou défendus. Comme son
nom l’indiquait, le tribunal populaire n’avait pas besoin de tenue physique du tribunal, puisque
l’avis ou le jugement du peuple était unique et unanime et n’était pas divisible pour d’éventuels avis
772 Après 1975 notons que les syndicats et les organisations de masse font parti des 21 organismes [Sao-eth ongkane, -
k;gvafvq’dko ] qui ont émergé avec le traité Sangna-Anousangna de 1973 donnant naissance au gouvernement de coalition. 773 En pratique, dans les premières années du régime, les « présumés coupables » n’existaient pas. Car dans un système
policier et autoritaire où les gens vivaient dans la peur et la délation (la peur de ne pas être capable de s’intégrer dans le
moule de la nouvelle société) tout le monde aurait d’abord été coupable de quelque chose et ensuite aurait pu prétendre
être « présumé innocent ». Le droit fondamental de l’être humain figurant sur les textes proclamant le droit de l’homme a
été plus que jamais bafoué ; notamment le droit de l’individu d’être défendu ou de se défendre.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 442 -
contraires. Le parti qui représentait le peuple exécutait donc la volonté du peuple. C’est pourquoi, il
n’y avait plus d’avocat, plus de tribunaux. Le Laos fonctionnait de ce point de vue comme en « état
d’urgence » : les militaires remplaçaient souvent la police dans les procédures d’arrestations et ceci,
totalement sans mandat. L’ordre ou la condamnation d’emprisonnement (qui, dans un système
normal, ne devrait être exécuté uniquement qu’après un jugement) pouvait être donnée par le parti
ou autres personnes exécutives dont la position au sein du parti était importante.
Pour le constitutionnel, l’Assemblée Populaire Suprême avec 45 membres « élue par le
peuple » en novembre 1975 remplaçait l’Assemblée Nationale classique. Cette Assemblée était
constituée non pas de députés élus par des électeurs, mais de « représentants du peuple » désignés
par le parti unique.774 C’était par ailleurs la première assemblée de représentants du peuple qui avait
voté pour la dissolution du gouvernement de coalition et la proclamation de la République
Démocratique Populaire Lao le 2 décembre 1975.
Le parti était omniprésent dans toutes les structures. C’est par lui que nous avons compris
qu’il n’y avait pas de séparation du pouvoir (entre l’exécutif, le judiciaire et le constitutionnel) au
Laos, qui garantissait habituellement la base du système démocratique. La grande majorité des
Laotiens donnent habituellement une définition de leur système comme « une démocratie avec
des limites » [xt-kmyxt 8apc[[,u0v[g0f].775 Et face aux quelconques critiques qui tenteraient de définir
le Laos comme un système autoritaire et dictatorial par le fait que le pouvoir politique est dirigé par
un parti unique, ils répondent que : « Le multipartisme mettrait le pays dans le désordre. Le parti
unique permet de maintenir l’ordre et de gouverner avec efficacité ».
776
Avec le nouveau régime, il y avait en fin de compte une nouvelle culture administrative
naissante qui tendait à déresponsabiliser l’individu. Car celui-ci déléguait toute responsabilité vers
le collectif. Sans constitution (la Constitution n’a été promulguée qu’en 1991), sans loi cadre et
règles de détail pour l’exécutif, ni cahier des charges pour les postes de responsabilités techniques,
les décisions et orientations politiques des plus petites échelles (au niveau des services
administratifs) aux plus importantes (au niveau de la haute instance décisionnelle de l’État) se
faisaient par concertation et consultation collectives qui se résultaient par des votes à mains levées,
appelés Long matti []q’,af8y].
L’administration locale
Dans les premières années, comme dans l’Ancien Régime, quatre niveaux du pouvoir étaient
maintenus : le village [[hjhjko. ban], le canton [8kcl’D tassèng], le district [g,nv’D muang] et la province
[c0;’D Khrouèng]. Le Nouay a été ajouté comme une subdivision du village dès le début. Par contre
plus tard, en 1991, le tassèng a été supprimé.
Dans l’appareil administratif local, nous retrouvons le Comité Central du Parti, le Conseil du
Peuple et le Conseil du gouvernement répliqués à l’échelon du canton, du district et de la province.
Le Conseil du Peuple ou le Comité populaire était élu pour les trois niveaux administratifs. Le
gouverneur de province qui avait position égale au ministre n’était pas attaché au ministère de
l’Intérieur, mais était responsable directement devant le Premier ministre. Jusqu’à 1986, cette
administration locale déconcentrée pouvait être considérée comme politiquement centralisée par le
fait que le Comité Central du Parti, le Comité Populaire et le Conseil du gouvernement étaient
774 Les députés sont par définition les représentants des citoyens dans une démocratie normalisée, mais les « représentant
du peuple » dans le système laotien à partir de 1975 n’est pas élu par le peuple mais désigné par le parti unique. 775 On peut recueillir ce propos facilement auprès des personnes instruites. Même les fonctionnaires l’évoquent
facilement sans tabous : « nous avons une démocratie avec des limites » [gIqk,uxt-kmyxt8apc[[,u0v[g0f] est devenu un
maxime pour la majorité des laotiens.
776 Discusion au café de quartier de la rue Heng Boun à Vientiane (vers 2004). Ce café est fréquenté par les hommes
d’affaires et les membres du gouvernement, actifs ou à la retraite. Les gens lisent les journaux, discutent et commentent
les informations, se donnent aussi des tuyeaux pour les affaires. L’accès est libre à tous. Le café a été ouvert il y a près de
60 ans par les parents du propriétaire actuel. Même si le bâtiment lui même a été reconstruit, le café porte le même nom et
la plaque en lao et en chinois reste la même depuis 60 ans.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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présents dans les administrations locales. Par contre, elle pouvait être considérée comme
décentralisée par le fait qu’elle possédait sa propre administration et son propre budget. Même si
une petite partie du budget local venait tout de même de la rétribution du gouvernement central, la
grande majorité venait des perceptions locales, provenant entre autres des entreprises d’État et
autres, localisées dans les provinces.
Après la réforme de 1986, l’autonomie de l’administration locale devenait encore plus
importante. La réforme budgétaire demandait aux provinces de s’auto suffire économiquement et
financièrement. Elle permettait au gouvernement central de transférer la gestion et la planification
des ressources locales sous la responsabilité de l’administration provinciale. Les taxes
administratives dans les districts et dans les provinces relevaient de la compétence du gouverneur de
province. Les branches locales de la banque nationale menaient leur propre politique de crédit et de
taux de change. Le salaire du personnel administratif était déterminé par le pouvoir local et les
revenus des entreprises de l’État localisées dans les provinces étaient attribués au budget de la
province.
Nous constatons que la décentralisation menée jusque-là n’avait pas provoqué de grands
disfonctionnements entre le pouvoir central et local, au contraire cela aidait à maintenir un
mécanisme administratif de base que le pouvoir central ne pouvait pas assumer complètement. Mais
le fait que les provinces étaient obligées de s’autofinancer, petit à petit le pouvoir local menait une
politique de plus en plus autonome mettant progressivement le pouvoir central en porte-à-faux. En
fait, la forte décentralisation et le manque total de contrôle dans le secteur monétaire par la politique
nationale devenaient l’un des facteurs qui provoquaient l’inflation.777 Par ailleurs, les écarts entre les
provinces se creusaient, selon que certaines provinces possédaient peu ou beaucoup d’entreprise,
d’activités et donc de ressources et de revenus.
Devant de pareil disfonctionnement, les ministères ne pouvaient agir dans les secteurs qui
relevaient de leur compétence. Par exemple, ils ne pouvaient évoquer les problèmes et y intervenir
que de manière ponctuelle par le biais du pouvoir du Premier ministre. Ce qui prenait un temps long
et paralysait souvent les actions d’assistance que les ministères devaient normalement conduire dans
les secteurs de leurs compétences, notamment dans le secteur de l’éducation et de la santé, pour
mener à bien la politique sectorielle du gouvernement.
Lors de la promulgation de la première constitution de la RDPL en 1991, de grands
changements étaient prévus dans l’administration locale : l’État avait décidé de « reprendre les
choses en main ». Une « sérieuse » recentralisation a été préconisée. Elle a été clairement réalisée à
travers la réforme fiscale et budgétaire.778 Dès lors le ministère des Finances a commencé à
contrôler le budget et centraliser les finances (perceptions et rétribution). Le système de Budget
National a été institué et toutes les dépenses publiques (centrales ou locales) a dû être formulées
préalablement dans le plan budgétaire national. Dans les provinces, il était représenté par ses
bureaux des finances et à travers eux les taxes et autres perceptions remontaient vers l’État. La
Banque de l’État devenait alors la Banque Centrale qui contrôlait tout le système monétaire.
Donc par le biais de la recentralisation des budgets et des perceptions le pouvoir local ne
disposait plus de fonds propres et par la rétribution budgétaire annuelle de l’État il devenait moins
autonome. Même si les gouverneurs continuaient à avoir le même rang que les ministres, un
mécanisme administratif transversal a été établi pour que les décisions politiques de l’État à travers
ses ministères aient pu être transmises et appliquées dans les provinces et dans ses secteurs de
compétence.
777 Rapport de la Banque Asiatique de Développement. 778 Remarquons que le terme « réforme fiscale » peut être remplacé par « création fiscale », puisque la fiscalité était
auparavant quasiment inexistante. Car dans un système de production collective et de contrôle des échanges par l’État, la
fiscalité n’apportait pas grande chose à l’État. Pour simplifier nous pouvons dire que l’État ne pouvait pas s’auto taxer.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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II. I. a. 2. La réunification de l’administration provinciale à l’administration de la Ville -
Préfecture
Habituellement dans l’Ancien Régime, comme nous l’avons vu dans le point précédent, il y
avait trois canaux possibles dans l’exercice du pouvoir exécutif (à la fois du point de vue politique
qu’administratif), correspondant à trois échelles territoriales distinctes. Il s’agit du pouvoir
gouvernemental dirigeant la politique du gouvernement couvrant tout le pays (Premier ministre et
ministres), le pouvoir local coutumier émanant de fait du local pour gérer les affaires locales (chef
du village, d;o[hkoF r+[hko). Pour le troisième pouvoir, le pouvoir central déconcentré représentant le
gouvernement et exerçant sa politique, il y a deux personnes institutionnelles. Il y a d’abord le
Préfet, Chao Khrouang Kamphaèng Nakone [g9Qkc0;’d=kcr’ot7vo], en charge de la gestion de
l’agglomération urbaine, c’est-à-dire de la préfecture, avec ses subalternes chefs des districts, Chao
Muang [g9Qkg,nv’], en charge de la gestion des districts. Ensuite il y a le Gouverneur de province,
Chao Khrouang [g9Qkc0;’], en charge de la province (hors agglomération).
Dans l’administration du Nouveau Régime, c’est surtout le troisième pouvoir, le pouvoir
central déconcentré qui a été modifié. Effectivement, jusqu’en 1981 l’administration de la
préfecture a été supprimée ainsi que le préfet, pour être rattachée à l’administration unique de la
province, devenant par exemple pour Vientiane une seule unité appelée « province-préfecture de
Vientiane » [c0;’-d=kcr’ot7vo;P’9ao], dont le siège administratif a été installé dans la ville de
Vientiane. Ceci mettait sans doute en évidence la volonté de méconnaître la notion de centre et
l’identité administrative de la ville ou de l’agglomération urbaine. Car l’origine de l’administration
d’un chef-lieu est bien la mise en évidence de sa particularité citadine, son statut de cité par
excellence.
II. I. a. 3. La création d’une subdivision du village : le nouay
Dès l’investiture du régime, s’en était suivi un système autoritaire et policier. Car, si la
sécurité militaire semblait assurée, la sécurité civile était pour le régime encore à faire. La
« résistance » [d=k]a’d6h-kf] comme nous l’avons déjà souligné, menait des actions de guérilla à la
frontière thaïlandaise et agissait aussi parmi la population, dans l’espoir de renverser le régime. Cela
obligeait le nouveau régime à mener avec fermeté une politique de contrôle dans les frontières, mais
surtout à établir un maillage de contrôle des civils dans l’ensemble du pays. La structure du village
traditionnelle qui était la plus petite cellule administrative et qui incarnait le pouvoir local s’était
vue supplantée par des organisations politiques de masse, tels le Comité Populaire villageois du
parti PPRL, les cellules de sensibilisation et de propagande, les cellules de détachement de l’armée,
la milice, l’union des femmes, l’union de la jeunesse, etc. Mais ces cellules politiques ne semblaient
pas suffire pour se prémunir contre d’éventuelle résistance et « révolte » de l’intérieur, incitées par
les « ennemis » du régime. Pour garantir une sécurité sans faille, il fallait pouvoir contrôler le plus
près possible la société, aller au plus près de la cellule familiale, jusqu’à l’individu. La plus petite
cellule administrative a donc été créée. Il s’agissait du nouay [so;jp], une sorte d’unité de quartier.
Le nouay permettait de contrôler dix maisons au maximum. Dans chaque village on instaurait alors
plusieurs nouay, chaque nouay portait un numéro et à la tête duquel il y avait un chef. Ce dernier
devait connaître tous les membres de son unité, leurs activités, leurs liens de parenté, etc. Dès qu’un
étranger arrivait dans le village et dès qu’une famille avait de la visite d’un membre de sa famille
venant d’un autre district ou d’une autre province, il ou elle devait impérativement le signaler au
chef d‘unité. Le schéma fonctionne toujours ainsi aujourd’hui tout en étant devenu plus souple.
La création du nouay semblait réduire le rôle traditionnel du chef du village. Son
fonctionnement montrait en effet que la division en petite unité tendait à réduire le rôle et
l’importance de l’entité villageoise dans les relations interpersonnelles quasi-filiales entre le « pô
ban » [r+[hko] (père du village, chef du village) et le « louk ban » []6d[hko] (enfant du village, habitant
du village). Et ce, même si les chefs des nouay pouvaient faire remonter les informations au chef du
village et même s’il ne pouvait pas, à priori, tenir des réunions sans lui. Par contre, le chef du nouay
pouvait court-circuiter le chef du village en le dénonçant aux autorités supérieures, en apportant des
FIG. 169. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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informations le concernant directement au Comité Populaire du village, au quel cas il aurait constaté
que le « père du village » était trop complaisant avec ses « louk ban ». Ceci pouvait souvent arriver
lorsque le chef du village était un ancien. Celui-ci préférait protéger ses villageois par des conseils
s’il y avait des écarts commis à l’encontre des nouvelles directives du « Parti-État » [rad-]af].
Certains prenaient le risque de protéger les « louk ban » en cachant aux autorités du comité
populaire les actions qui valaient peine d’emprisonnement, par exemple en cachant les plans de
fuite vers la Thaïlande de certains villageois, alors qu’il était sensé de les dénoncer.779
Quant à l’existence du nouay, il semblait mettre en évidence l’idée du quartier urbain. Le
rôle du chef de village réduit, nous passons à un maillage de quartier qui était plutôt le propre du
milieu urbain. En fin de compte, nous voyons ici qu’il y avait deux démarches aux résultats
contradictoires. D’un côté, vouloir contrôler les habitants avec la création du maillage de quartier
composé de dix maisons, qui tendait à faire disparaître l’échelle villageoise traditionnelle, et de
l’autre, vouloir rendre la ville plus rurale qu’elle ne l’était, par certains modes d’usage de son espace
dont nous avons noté précédemment la démarche et les processus (de ruralisation).
II. I. b. Les principaux dispositifs politiques
Les dispositifs politiques étaient les premiers éléments qui contribuaient à la transformation
de l’espace urbain, bien que ces dispositifs ne soient directement liés ni à la politique de la ville, ni à
la gestion, ni à l’aménagement de l’espace. Quatre dispositifs politiques ont été essentiels : la mise
en application de la politique d’autosuffisance, le collectivisme des activités de production et la
réforme agraire, les travaux collectifs et l’absence des services urbains, et enfin l’étatisation des
biens fonciers et immobiliers.
II. I. b. 1. La politique d’autosuffisance
Dès le début de l’année 1976, la politique d’autosuffisance a été mise en place, suivie dans
la foulée par les travaux collectifs. L’autosuffisance était corollaire à l’idéologie du régime, mais
aussi à la nécessité réelle induite par la pénurie qui se manifestait dès le début. Tant en campagnes
qu’en centres urbains l’État demandait à tous les foyers d’aménager des lopins de terre pour la
culture, de créer des élevages pour subvenir aux consommations familiales. Toutefois, la
consommation a été réglementée : par exemple avant de tuer son cochon, sa vache ou ses poules, la
population devait signaler et demander l’autorisation au comité du village.
Si ce fait n’avait pas apporté de grands changements dans les habitations rurales de la
campagne ou périurbaines par rapport à la période avant 1975, car la population menait
habituellement déjà ces activités depuis toujours pour subvenir aux besoins quotidiens à l’échelle
familiale780 (en particulier pour les foyers à double résidence), par contre dans les quartiers les plus
centraux des villes, un grand changement modifiait les ambiances urbaines. Les terrains autour des
habitations ayant été occupés par les petits jardins de potager et les poulaillers, les habitants
utilisaient aussi les petites friches, les espaces interstice au bord des trottoirs, sur le bas-côté des
779 Une autre situation importante à signaler ici sur le lien social profond qui pouvait exister entre un pô ban et ses louk
ban : lorsqu’un jeune du village a été arrêté pour « mauvaises mœurs ou délinquance » parce qu’il se tatouait, portait des
Jeans, écoutait de la musique occidentale ou se promenait avec une jeune fille la nuit tombée, le chef du village allait
réclamer son louk ban jusqu’à la prison centrale avec son comité des sages, parfois très informel, pour prendre sous sa
responsabilité et se porter garant que le jeune homme ne ferait plus lesdites fautes.
780 Ayant vécu la première année du régime (un an et demi) j’ai encore des souvenirs de cette période. Nous vivions dans
un village à 12 kilomètres du centre-ville de Vientiane. La famille élargie possédait beaucoup de rizières et de sous-bois
depuis le début du xxe siècle, mon père, agronome, s’occupant de la coopérative au ministère de l’Agriculture dès le
milieu des années 1960. La riziculture immergée, les vergers, le potager, la pisciculture au milieu des rizières ont été les
principales activités familiales. L’autosuffissance étant assurée, une large partie des récoltes était vendue ou partagée.
Après 1975, la politique d’autosuffisance imposée par l’État ne constituait pas en soit une nouveauté. Les pénuries
connues en ville faisaient que l’on était plus à l’aise à la campagne. C’était le manque de main-d’œuvre agricole qui a été
difficile, il n’y a plus ni ouvrier agricole, ni cultivateurs pour louer les terres. Rappelons qu’avant 1975, les ouvriers
agricoles étaient soit des métayers, soit ils louaient les rizières contre 1/3 en riz reversé aux propriétaires. Le collectivisme
et la confiscation des terres par le nouveau régime bouleversaient ainsi ces pratiques.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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routes, entre les clôtures, pour planter des salades, des tomates, des aubergines, etc. De même, les
fonctionnaires des ministères transformaient les bassins d’agrément en bassin piscicole, utilisaient
les anciens parkings des ministères pour élever les lapins, les poulets. Lorsque les fonctionnaires
venaient travailler au bureau (beaucoup en vélo), il était courant de voir qu’ils ramenaient des
légumes de chez eux ou des liserons d’eau ramasser sur la route pour donner aux lapins. Toute la
ville était devenue ainsi utile. Quelques jardins d’agrément les plus importants subsistaient encore
dans la capitale (à Patouxay, à Simuang), mais dans les villes de province le manque d’entretien
faisait que les jardins d’agrément des équipements publics tombaient en déshérence. Ils étaient alors
réinvestis par des jardins potagers.
Si pour les habitants, les produits issus des jardins qu’ils aménageaient dans les lopins de
terre et dans les espaces d’interstices avaient pu compléter réellement les denrées alimentaires
déficientes de l’époque, par contre les activités agricoles menées dans le cadre des ministères ne
l’étaient que théoriquement. Elles satisfaisaient plutôt une directive politique, une attitude à prendre
pour correspondre à la morale du nouveau régime. Elles ne répondaient pas du tout à la réalité des
besoins. L’État avait dû importer du riz en raison de 150.000 tonnes par ans de 1976 à 1984.781
Par contre, la nuance était à remarquer pour les écoles et les universités qui avaient été les
plus laborieuses et les plus efficaces. Les campus universitaires qui logeaient des centaines
d’étudiants des provinces ont organisé des activités agricoles de manière plus efficace qu’ailleurs,
du fait que ces activités les faisaient vraiment vivre. Ayant très peu de fonds envoyés par la famille
et n’ayant pas autres endroits où se fournir en denrées alimentaires, les étudiants effectuaient très
sérieusement leur activité agricole et d’élevage. Celles-ci pouvaient couvrir presque entièrement
leur consommation quotidienne.
II. I. b. 2. Le contrôle de la production : le collectivisme dans la démarche de la réforme
agraire
Le collectivisme de la production et son contrôle complet passaient essentiellement par
deux ensembles d’actions : création des coopératives agricoles associées à la création des fermes
d’État, étatisation des moyens de production : les entreprises et les terres. L’objectif théorique du
gouvernement, comme bon nombre de pays socialistes, était de contrôler tous les domaines de
production. Les moyens de production devaient être remis entre les mains de l’État, car il estimait
que la clef de l’économie se trouvait dans ce contrôle. Et si l’État ne pouvait s’approprier de toutes
les terres, il estimait nécessaire le contrôle de leur production, espérant que cela pouvait être un bon
tremplin pour l’économie et pouvant assurer l’autosuffisance du pays à l’échelle nationale. La
reconnaissance partielle du droit d’usage privé avait été espérée comme un instrument pour rendre
possible l’autosuffisance alimentaire à l’échelle familiale, et la rétribution des terres comme un
instrument de nivellement social.
Étatisation des entreprises
L’État s’appropriait des entreprises pour réaliser lui-même la gestion, la production, la
distribution et pour bénéficier lui-même des produits et des plus-values des produits. Etant luimême
le producteur et le distributeur -voire le consommateur, dans le sens ou les produits étaient
« vendus » dans les boutiques d’État réservés prioritairement aux agents de l’État (on y venait
chercher les produits avec des tickets d’achat et de rationnement), son système de production
tournait en circuit fermé, l’argent ne circulait pas et les fonds d’investissement s’étiolaient. Le
réinvestissement pour améliorer la production et les produits et pour mieux gérer la distribution,
etc., était en fait peu important. Peu à peu, les moyens et les techniques de production se rouillaient,
entrainant de faibles rendements. Ce constat avait dû être fait dès le début, mais à chaque fois, il
était différé. C’est vers 1978 que l’État était obligé d’admettre ce constat en même temps que de
781 Note MS de Vienne et J. Népote.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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nombreuses difficultés constatées dans les autres secteurs. A la suite de quoi le plan de trois ans a
été mis en place.
Création des coopératives agricoles et des fermes d’État
L’État s’appropriait des terres pour y créer des coopératives agricoles, des fermes d’État ou
pour les redistribuer aux paysans qui n’en possédaient pas. Sur ce, soulignons trois choses
importantes :
1- Les coopératives agricoles étaient constituées de plusieurs fermes ou de plusieurs exploitants et
de plusieurs parcelles agricoles. Ces dernières étaient rassemblées pour constituer une unité
collective de production exploitée par les anciens propriétaires des terres et par les exploitants -
anciens ou nouveaux- sous les directives de l’État. Les rendements et les prix ont été fixés par lui,
ainsi que la méthode. En fait, l’État contrôlait complètement la production agricole à travers les
coopératives. Les paysans ne se sentaient pas propriétaires ni de leur terre, ni de leurs produits, ils
devenaient de simples ouvriers agricoles. Comparant à l’Ancien Régime, dans le pire des cas un
paysan sans terre, en « louant » la terre des autres pour exploiter gagnait deux tiers des produits
récoltés, le tiers est donné au propriétaire en guise de loyer. Dans une coopérative socialiste, les
produits qui lui revenaient de droits étaient beaucoup moins importants. Un bon agriculteur ayant un
bon savoir du terroir se sentait lésé parce qu’il devait partager ses récoltes aux autres qui réalisaient
peut-être moins bien que lui leur récolte, etc.
2- Certaines fermes d’Etat reprenaient celles qui avaient été expérimentées dans l’Ancien Régime
en changeant la méthode et les objectifs, il s’agissait par exemple de l’ancienne ferme
expérimentale de Thang-Ngon. Les fermes d’État étaient un peu différentes des coopératives. Pour
les fermes d’État l’État était propriétaire (par expropriation ou par le fait que le domaine appartenait
déjà à l’État) des terres et de l’exploitation. Les exploitants agricoles en ce cas, bien qu’ils soient
recrutés parmi les paysans, avaient plus ou moins le statut d’employé et d’ouvrier agricole. Les
matériels et les techniques appartenaient à l’État, aidé par les techniciens et coopérants étrangers
venant en majorité de l’Union Soviétique et parfois de Chine. Malgré cela la technique
d’exploitation restait, dans son ensemble, archaïque ou inappropriée. Il est utile de souligner, avec
quelques exemples, le côté « surréaliste » de certaines fermes d’État. Lorsque nous avons discuté
avec les paysans sur la route qui nous menait vers la Plaine des Jarres (le site numéro 2), ils ont
décrit, avec déception, les exploitations qui ont été mises en place à l’époque. Le plateau de Xiang
Khouang étant un peu vallonné, traditionnellement les paysans phouans avaient l’habitude
d’aménager des rizières avec des diguettes de petite taille pour pouvoir retenir suffisamment d’eau,
sans que cela soit des rizières en escalier comme ce fut le cas sur les flancs de collines. Lorsque
l’État avait décidé d’aménager les coopératives ou les fermes, les techniciens avaient enlevé les
diguettes pour faire des grands champs de riz travaillés avec des engins agricoles plus grands, l’eau
n’avait plus être retenue. Les rizières sensées être immergées, n’étaient plus immergées et le
rendement était catastrophique : « Après la coopérative et la ferme d’État, heureusement arrêtées,
nous avons dû mettre des années pour réinstaller de nouveau les diguettes. »
782
3- La rétribution des terres qui ont été confisquées au gens qui avaient quitté le pays ou qui avaient
simplement trop de terres, était orientée vers les populations qui venaient des zones libérées et
moins vers les pauvres paysans ou ouvriers agricoles qui vivaient sur place. Ces rétributions
n’avaient pas été réalisées suite à des enquêtes de terrain sérieuses, dans le cas contraire, il y aurait
une prise en compte de cette réalité.
Il y avait effectivement beaucoup de gens pauvres survivant tant bien que mal dans
l’Ancien Régime et qui continuaient à l’être, et plus encore, dans le Nouveau Régime. Car la terre
des paysans pauvres pouvait aussi être confisquée et ils pouvaient aussi être obligés d’entrer dans le
782 D’après un paysan sur la route du site archéologique des jarres numéro 2. Xiang Khouang 2002.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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système de coopérative. Une fois faite, la révolution, les ménages pauvres de l’Ancien Régime ne
trouvaient pas d’avantage de salut dans le Nouveau Régime, pourtant prometteur avec la rétribution
des terres. Mais la rétribution des terres a été avant tout une démarche idéologique, conformément
aux logiques du régime qui privilégiait d’abord les partisans de la révolution.
Toute proportion gardée, les trois points pouvaient expliquer le fait que parmi ceux qui
quittaient le pays il n’y a pas que les soi-disant réactionnaires et les partisans des « impérialistes » et
de l’Ancien Régime. Il y avait aussi les gens pauvres des grandes villes de la vallée du Mékong, les
paysans plus ou moins aisés qui consentaient à abandonner leurs terres pour les camps de réfugiés
en Thaïlande, tellement les expropriations des terres et les coopératives étaient pour eux absurdes.
En réalité, la pauvreté n’était pas forcément liée au fait de posséder ou pas des terres à
cultiver. Les facteurs de pauvreté étaient autrement plus complexes que le schéma simpliste : où
pauvreté serait égale à non-possession de terres à cultiver, ou pauvreté égale exploitée par les
bourgeois et les propriétaires terriens, ou encore, propriété égale richesse. La pauvreté au Laos à
l’époque était surtout liée à la guerre, à la migration, au sous-développement, où les droits
fondamentaux n’étaient pas acquis : accès à l’éducation, à la santé, à l’eau et à l’électricité, aux
informations, au droit d’être défendu par la loi, etc. La grande majorité des Laotiens et surtout les
paysans étaient traditionnellement propriétaires de leur terre et de leur exploitation, ce qui ne les
empêchait pas d’être dans le besoin, lorsque la récolte était mauvaise, lorsque le système de
transformation, de circulation et de distribution de leurs produits n’était pas bien organisé et soutenu
par l’État. Les spécialistes locaux estimaient dans les années 1960 qu’il suffisait à l’État de faire des
efforts et d’intervenir de manière mesurée pour améliorer la production et les conditions des
paysans, en leur aidant à organiser le système de distribution (réguler le marché), en favorisant leur
accès au crédit, en mettant à leur disposition des conseils et recommandations techniques, etc.783
C’était des dispositifs qui ont plus ou moins été déclenchés dès le milieu des années 1960, lorsque
le gouvernement de Vientiane avait permis la mise en place des projets de coopérative et de fermes
expérimentales. En l’occurrence, les agriculteurs ne sont pas taxés sur leurs produits. Le défi et le
combat étaient alors de l’ordre technique et économique. Aux yeux des gens les plus concernés, ils
étaient ni idéologiques, ni politiques, et ne nécessitant pas le renversement social. Les paysans
avaient a priori aucune animosité pour vouloir déposséder les riches propriétaires. Car les dispositifs
qui auraient remis en question la jouissance du droit d’usage des terres agricoles auraient remis en
question aussi leurs propres acquis, le fait qu’ils étaient eux-mêmes propriétaires. Et il n’y avait pas,
quel que soit le degré de dominance des sakdina (des personnes ayant un titre nobiliaire ou
mandarinal et des terres) sur le reste de la population, des riches propriétaires qui auraient été
favorisés par une quelconque système ou quelconque loi pour usurper la terre des paysans en toute
impunité. Bien entendu, il y avait des abus et des faits de société, relevant des litiges du droit
commun. En ce cas, ceci pouvait toucher aussi les autres secteurs et n’importe quelle classe sociale.
II. I. b. 3. L’étatisation des biens fonciers et immobiliers
Si la réforme agraire a été planifiée et appliquée dès 1976 dans la nouvelle république (les
agents de l’État ayant le temps d’expérimenter sa mise en œuvre depuis 1968 dans les zones
libérées), l’étatisation foncière et immobilière avait été mise en place de manière brutale, sans
justificatifs et sur la base des préjudices : les personnes, à qui l’État confisquait les biens, étaient
forcément coupables et fautives de quelque chose aux yeux de la nouvelle société qui se mettait en
place. De fait, ces personnes étaient mises à dos et se sentaient difficilement intégrées dans la
nouvelle société. Au contraire, les personnes dont l’État réattribuaient les biens étaient méritoires.
La nouvelle société était ainsi constituée de deux clivages, de deux groupes de population : les
783 Propos de Phomma Sayarath, agronome et hydraulicien, responsable de la coopérative à la ferme expérimentale de
Tang-Ngone, fin des années 1960, début des années 1970. Cf. Ses travaux de sensibilisation à la connaissance de la
coopérative agricole.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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personnes lésées et les personnes privilégiées. Les individus lésés quittaient peu à peu le pays quand
ils le pouvaient, mais beaucoup étaient restés malgré tout. Donc les victimes de l’expropriation
foncière et immobilière n’étaient pas que les membres de l’Ancien Régime ou ceux qui ont quitté le
pays, mais aussi ceux qui étaient restés.
Beaucoup de biens confisqués ont été rétribués aux populations nouvellement arrivées des
zones libérées. Parmi ces populations figuraient les privilégiés du régime : les membres du nouveau
gouvernement et du parti. Certains se voyaient attribués des villas privées des personnes de
l’Ancien Régime, qu’elles soient ou pas membres de l’ancien gouvernement de Vientiane. Les hauts
dignitaires du régime réoccupaient souvent le patrimoine de l’État. Le patrimoine foncier et
immobilier de l’État avait été constitué –rappelons-le– à l’indépendance du Laos. Lorsque
l’administration française et son personnel avaient quitté le pays, ils avaient transféré les biens
publics à l’État laotien. Celui-ci s’était doté d’un nombre important de bâtiments coloniaux, dont le
droit de jouissance a été dispatché entre les ministères. Notamment les ministères de la culture, de la
santé et des travaux publics qui se partageaient ainsi les plus belles villas coloniales dans le quartier
centre de la ville. Sous le gouvernement de Vientiane, les villas qui n’étaient pas appropriées pour
loger les sièges ministériels ont acquis une fonction de résidence officielle réservée aux hauts
dignitaires du gouvernement en poste. Les belles villas coloniales en centre ville qui avaient été
d’abord la résidence des administrateurs français ou le siège de leur administration et qui devenaient
ensuite les résidences officielles des ministres du régime de Vientiane, étaient occupées à vie à
partir de 1975 par les ministres ou hauts dignitaires du nouveau régime.784 Effectivement, ces villas
ne sont pas occupées comme une résidence officielle durant le temps du mandat de fonction, mais
comme une rétribution à vie. Aujourd’hui beaucoup de ministres révolutionnaires sont décédés, les
villas sont occupées par leurs enfants et petits enfants. Tardivement, le gouvernement a permis aux
descendants de procéder à l’immatriculation des titres fonciers, par des achats symboliques. En
2009, nous avons constaté que les descendants qui désiraient immatriculer ces biens en leur nom
propre ont parfois beaucoup de mal à le faire : le foncier étant devenu très valorisé en centre urbain,
l’Etat se montre réticent avant d’accorder cette immatriculation moyennant une somme symbolique
comme il a été prévu. En occurrence, la société mixte pour la gestion et le développement foncier
ayant été créée, les profits financiers ayant été mis en évidence par elle, il est probablement logique
que l’État veuille récupérer ces biens pour se doter de ces profits.
L’histoire depuis la période coloniale montre l’évolution statutaire de ces villas de manière
intéressante : du statut de bien public à fréquentation privée, elles demeuraient les biens publics
jusqu’à 1975, puis étaient passées au statut de bien complètement privé aujourd’hui. Il est tout à fait
curieux que le système collectiviste et d’étatisation socialiste a été l’auteur de ce passage du public
au privé : les villas qui ont pu être immatriculées ont été privatisées. Devenus des biens
complètement privés, leurs nouveaux propriétaires sont libres de les louer et de les donner en
concession, voire de les vendre.
II. I. b. 4. L’absence de services urbains et les travaux collectifs
Ce qui avait le plus marqué les premières années du régime, ce fut l’absence des
services urbains : ramassage des ordures ménagères, gestion des circulations, entretien des routes et
des caniveaux –fermés ou à ciel ouvert– qui étaient très vite envahis par la végétation, l’éclairage
public, etc. Soulignons que déjà dans l’Ancien Régime, la gestion des ordures ménagères,
l’entretien des caniveaux ainsi que la gestion de la circulation, étaient déplorables. Bien que
l’organisme s’occupant des services urbains ait été installé, ses missions ne couvraient pas tous les
secteurs, et dans l’ensemble, il peinait à fonctionner. Ceci était dû aux différents facteurs,
notamment les effractions par les usagers de diverses règles imposées (dépôt d’ordure impropre,
784 L’édifice qui loge aujourd’hui le restaurant Kop Chaï deu a été attribué aux écrivains officiels du nouveau régime, dont
l’un d’autre eux est le père du propriétaire de Kop Chaï Deu. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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mauvais code de conduite, etc.) Les études des experts internationaux qui avaient été sollicités à
l’époque ont démontré les préoccupations des gouvernants et les diverses difficultés pour apporter
des solutions dans ce secteur, notamment l’Etude sur la circulation de Vientiane.
785 Privé d’une
administration compétente et des services urbains –car toute la structure administrative a été abolie–
le nouveau régime devait faire face à la gestion de la ville. Pour y faire face, les travaux collectifs
instaurés étaient devenus l’une des principes de la reconstruction du pays. La mobilisation de la
population pour effectuer les travaux publics : curetage des caniveaux, nettoyage des rues,
désherbage des bords de route, redressement et nettoyage des canaux, etc., avaient permis à la ville
d’être à peu près propres, évitant les catastrophes sanitaires. Et en ce qui concerne la circulation, les
problèmes s’étaient réglés de soit : il n’y avait plus beaucoup de véhicules sur les routes désertiques
de la ville. Il n’y avait plus que des vélos, des camions militaires et quelques voitures des experts
étrangers et du corps diplomatique.
Les travaux collectifs dans de telles circonstances étaient alors devenus utiles et
indispensables. On ne voyait pas des tas d’ordures dans la rue de Vientiane ou de celles des villes de
province. Les hauts-parleurs dans les rues rappelaient chaque matin les comportements à adopter
pour les bons citoyens du nouveau régime, notamment les trois principes d’hygiène de base :
manger propre, habiter propre, habiller propre (sic). Tous les week-ends, les travaux collectifs du
quartier, du village ou de toute la ville étaient organisés. Et les hauts-parleurs mettaient de la
musique pour encourager et féliciter les habitants laborieux.
II. I. c. De l’auto gestion de l’espace au déploiement spatial non planifié
Les quatre points que nous venons de développer explicitent clairement l’auto-gestion de
l’espace de la ville. La population gérait son espace de vie, sous les recommandations avisées du
parti-État. Sans pouvoir parler réellement de développement urbain, car cette période en était
dépourvue, l’espace urbain se transformait peu et certains quartiers se déployaient en s’autoorganisant,
dans les quinze premières années du régime, sans aucune réglementation et planification
de la part de l’État. Ce fait peut être constaté à travers deux faits spatiaux majeurs : la constitution
progressive des quartiers périphériques et le changement de fonction de l’habitat et de la ville.
II. I. c. 1. La constitution des quartiers périphériques
Lorsque Vientiane (ainsi que les villes de province) avait perdu une grande partie de sa
population citadine et lorsqu’elle s’était dotée de nouvelles populations arrivées des zones libérées,
de la campagne ou des centres urbains provinciaux, les quartiers les plus centraux de la ville ont été
investis, mais pas seulement. Une bonne partie des villages périphériques qui ont connu un début
d’urbanisation dans le début des années 1970 ont également été investis par les nouveaux arrivés.
C’étaient essentiellement les militaires, les cadres moyens et subalternes du nouveau régime -
membres ou pas du PPRL, et leurs familles. C’étaient également les ruraux des zones libérées qui
les accompagnaient.
A Vientiane, c’était dans l’axe Nord surtout de la ville que le phénomène était le plus
manifeste. Ce sont des villages qui se développaient en direction du campus universitaire de Dong
Dok, développement qui s’étaient limités par la grande périphérique Nong Beuk-Dongdok, en
suivant les trois axes : Houay Hong, Phone Tong, Thongsang Nang. Les villages nouveaux sont
repérables par la présence des casernes dès le début du régime (notamment autour du centre
décisionnel du régime « le Kilomètre 6 »), par la construction d’usines et de fabriques (usine de
carton, de brique) et par quelques équipements au début des années 1980, tel que l’Hôpital de
l’Amitié.
785 L’étude a été réalisée, par R. L. Gollings dans le cadre de la mise en place de la Division de la Sécurité Publique,
commandité par l’Administration des Etats-Unis pour le Développement International en juillet 1969.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 451 -
Dans les autres villes de province, la constitution de ce type de quartier se faisait de manière
plus mixte, les nouveaux arrivés investissaient les quartiers existants en se mélangeant plus avec les
habitants locaux qui restaient et en réoccupant les habitations qui ont été abandonnées et rétribuées
par l’État, puis dans les villages excentrés lorsque les centres étaient saturés. En ce cas, il y avait
quelques nouvelles constructions, peu importantes et peu nombreuses.
Dans tous les cas, les habitations étaient, au début, semi-rurales : les parcelles étaient plus
vastes qu’en centre ville, pouvant accueillir des activités agricoles et d’élevages de subsistance plus
importantes. Souvent, il y avait des rizières et des vergers attenants, parfois des petits lambeaux de
forêts.
II. I. c. 2. Le changement de l’usage de l’habitat et de la ville par une population rurale
Les villes étaient devenues les campagnes dont les habitations étaient simplement plus
serrées. Le phénomène d’auto-gestion avait été l’élément de tenure de la ville et il a apporté des
changements dans les fonctions urbaines. En quelques mois, après la mise en place des travaux
collectifs, les différentes fonctions urbaines et citadines disparaissaient. De l’usage de l’habitat à
l’usage de la ville en passant par celui des espaces communautaires et publics, il y avait une
transformation très sensible par le renouvellement de la population urbaine. Près de la moitié des
citadins ont quitté le pays, un petit nombre changeait de province, ou partait vers la campagne
proche. Ces départs, comme nous l’avons déjà souligné, ont été remplacés par la population des
zones libérées, la population des autres villes de province et de la campagne. Dans son ensemble,
cette population, devenue plus mixte, avait un caractère à dominance rurale.
La première explication de cette ruralisation pouvait se trouver dans les activités de base ou
dans les métiers de ces nouveaux habitants ainsi que de l’ensemble de cette population urbaine
renouvelée. On pouvait remarquer deux choses importantes : d’abord, les nouveaux arrivés étaient
majoritairement des agriculteurs et des paysans, du moins des gens à l’aise dans les travaux de la
terre, même lorsqu’ils étaient militaires, policiers et cadres du PPRL. Ensuite, les habitants de
souche des villes, ceux qui n’avaient pas quitté le pays, même lorsqu’ils n’étaient pas paysans ou
agriculteurs à la base, s’étaient convertis aux activités agricoles et de pêche aisément et rapidement
en maitrisant les savoir-faire. On pouvait par exemple dire que si « un soit disant » citadin lao avait
été dans une rizière, où pour pouvoir vivre ce dernier devait cultiver le riz, pêcher et chasser, celuici
s’en sortirait très bien. Ceci peut expliquer soit l’origine paysanne de ces habitants citadins, soit
que les activités agricoles et la culture de la paysannerie faisaient partie intégrante de la culture d’un
lao de base, quelle que soit son origine citadine ou rurale. La ruralisation se manifestait surtout à
travers l’usage des habitations et à travers l’usage des espaces communautaires urbains.
L’habitation.
Les nouveaux habitants en arrivant dans la ville s’étaient approprié des habitations
existantes en apportant avec eux leurs habitudes et leur manière de vivre. Celles-ci étaient
explicitement différentes des usages pour lesquels avaient été construites les habitations qu’ils
occupaient. L’Etat intervenait très peu dans la gestion de ces habitations, mis à part le fait d’installer
plusieurs familles dans une même maison, transformant ainsi des villas individuelles en logements
collectifs. Les habitants devaient auto-gérer leur logement et leur vie collective. Dans la mesure où
les villas n’étaient pas au départ construites pour être occupées de manière collective, leur surcharge
ainsi que la manière de les utiliser les avaient détériorées assez rapidement. La transformation
fonctionnelle des logements, ignorant et méconnaissant leur fonction d’origine faisait que
l’appréciation de la qualité architecturale était complètement absente. Une grande villa qui avait été
construite dans les années 1960 pour une famille nombreuse avec parties attenantes réservées aux
espaces de service (cuisine et logement du personnel, etc.) et qui avait logé plus d’une dizaine de
personnes, pouvait loger dans le nouveau régime treize familles, c’est-à-dire près de trente
personnes. La grande villa a donc été partitionnée en treize unités. Une famille occupait le grand
salon qui a été partitionné encore en deux ou trois pièces : une chambre, un salon, une autre
chambre. La cuisine, la pièce humide et les toilettes étaient souvent aménagées à l’extérieur, dans Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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un petit baraquement en bambou ou en tôle construit, comme un appendis collé sur le mur extérieur
du salon. Ceux qui avaient la chance d’occuper la partie avec terrasse de la maison aménageaient la
salle d’eau et la cuisine sur la terrasse-même.
L’espace communautaire
L’auto-gestion des pagodes et leur fonction collective nouvelle étaient moins visibles et
apportaient moins de transformations à l’espace que les habitations et les espaces publics.
Probablement parce que le caractère communautaire qui leur est propre paraissait, à première vue,
proche du caractère collectif. En réalité, il n’en était pas ainsi. Le lieu de la quotidienneté religieux a
aussi connu un bouleversement profond. Il est à considérer que l’explication pouvait se trouver dans
les nuances entre la notion d’espace collectif et la notion d’espace communautaire. Le lieu
communautaire, tel qu’il était conçu dans les monastères bouddhiques laotiens, ne symbolisait pas
le nivellement des individus, mais leur connexion par des actions. La communauté mettait en valeur
la vertu de l’altérité et de l’altruisme qui fondait l’un des aspects de la pratique du bouddhisme lao.
L’espace des pagodes était fondé sur la volonté communautaire de constituer et de vivre un lieu de
culte partagé, de faire refléter dans les œuvres communes les croyances et les aspirations les plus
nobles. L’espace architectural religieux et le langage rituel ne servaient donc pas en premier lieu les
fonctions, même si chaque édifice servait une fonction précise. Par sa noblesse et sa vertu morale,
représentée par la finesse architecturale et artistique, par une organisation spatiale servant le sens de
la communauté, l’espace religieux était considéré comme un modèle ; modèle que la communauté
laïque ne cherchait pourtant pas à copier ou à répliquer dans leur habitation quotidienne. Si le savoir
bâtir se retrouvait à l’extérieur des espaces monastiques, il s’agit du savoir technique transféré.
Après 1975, la religion et les rituels étant considérés dans leur ensemble comme inutiles et
anti-révolutionnaires en particulier par la propagande, l’espace qui les abritait connaissait la même
considération (bien que des textes, notamment ceux de Phoumi Vongvichit, montrent que des
dirigeants communistes relevaient des éléments communs entre la religion bouddhiste et la doctrine
marxiste-léniniste, ces réflexions restaient du ressort de l’intelligentsia révolutionnaire. Et Phoumi
Vongvichit incarnait l’intellectuel de la révolution.) Faute de pouvoir déconsidérer complètement ce
lieu, l’espace religieux avait été considéré comme un équipement comme un autre, utile et
fonctionnel, du moins sa capacité à rassembler et sa base communautaire devaient être profitables
pour le système collectiviste. La pagode possédait habituellement de grands jardins, ce qui signifie
des grands espaces qui auraient été propices pour la politique d’autosuffisance. Les moines, au
même titre que les laïcs, ont été mobilisés pour se rendre utiles à la société, comme nous l’avons
déjà noté. Dans les premières semaines, les moines ont même été mobilisés pour les travaux
collectifs, le curetage des canaux. L’image avait produit un tel choc dans la conscience de la
population et même de celle des révolutionnaires qui venaient de la zone libérée (majoritairement
bouddhistes aussi) que leur mobilisation a été vite arrêtée. Et on faisait tout pour oublier cette «
image condescendante ». Les moines étaient donc restreints aux travaux des monastères et ne
travaillaient plus mélangés avec les laïcs. Ils devaient entretenir les bâtiments du monastère,
nettoyer les trottoirs qui l’entouraient, etc. Mais ceci ne constituait pas un changement particulier,
puisque ces travaux faisaient déjà partie de leur travail habituel. A l’intérieur des pagodes, ils
devaient toujours essayer d’être autosuffisants eux aussi : aménager des lopins de potager, des
bassins piscicoles et de poulaillers. Ceci contredisait tout à fait les règles monastiques qui les
interdisent de faire de l’élevage, de cultiver le riz et les jardins potager, en fait tout ce qui leur aurait
permis de faire à manger eux même. Par contre, ils peuvent planter les arbres fruitiers les jardins de
fleurs, élever et prendre soin des animaux abandonnés ou perdus. Les fruits peuvent être cueillis par
les paroissiens, les animaux accueillis peuvent être redonnés aux paroissiens ou relâchés dans la
forêt, etc.
Selon la logique du nouveau pouvoir, l’autosuffisance des moines devait être aussi une
nécessité, car les paroissiens devaient être occupés par leur autosuffisance et ne devaient plus être
nombreux et disponibles pour venir faire des offrandes. En réalité, cela ne fonctionnait pas comme Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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cela avait été voulu par l’autorité politique. Les jeunes et les actifs qui avaient peur de se montrer
trop enthousiastes vis-à-vis des rituels religieux, laissaient les personnes âgées s’occuper de la
cantine (ti’ang han) des moines. Ainsi avec peu de chose (riz gluant, purée de saumur de poisson,
légumes à la vapeur) les vieux du village n’avaient peur de rien pour continuer à apporter chaque
jour à 11 heures le déjeuner aux moines de leur pagode. Si l’idée que les moines en charge de
l’étude des textes sacrés et de veiller sur la morale et la sagesse pouvait être balayée de manière
conforme à l’idéologie marxiste-léniniste, par contre, dans leur rôle d’accompagnateur de l’âme des
morts, les moines ne pouvaient être substitués, même dans la période de doute spirituelle : qui
récitera le sutra de l’impermanence pour que la mort et le mort soient dignes ?
786 Ces rituels
marquent la différence entre l’homme et l’animal. Il était alors impossible, même pour le nouveau
régime, de voir disparaître le symbole qui marquait l’une des formes les plus significatives de
l’humanité.
II. II. Vers une nouvelle architecture des équipements et des bâtiments
emblématiques
Dans les toutes premières années du régime, comme nous avons déjà noté, il n’y avait pas
de production architecturale ni urbaine. Le parc immobilier était disponible pour être étatisé au
moment de l’installation du nouveau régime. C’est seulement au début des années 1980 que l’on
commençait à construire quelques équipements. Le soutien de l’Union Soviétique a été très
important en ce domaine. Les exemples de bâtiments construits durant cette période mettaient en
évidence qu’il y avait une volonté de construire une utopie sociale à travers la mise en place d’une
nouvelle programmation et qu’il y avait aussi une certaine réflexion faite sur le langage architectural
des bâtiments emblématiques ou des simples équipements. L’architecture de l’influence soviétique
et l’architecture qui se voulait être une tentative d’inspiration locale plaçaient indéniablement cette
courte période dans une expérience exceptionnelle.
II. II. a. L’hétérotopie sociale de la programmation
Lorsqu’une structure a été créée pour piloter et gérer la coopération et les aides de l’Union
Soviétique au Laos, une bonne partie du programme des équipements et des projets de constructions
a été planifiée. Le contenu des programmes était sorti tout droit de la conception des experts russes.
Il était fondé sur la base du projet de société, suivi de la mise en forme de la programmation type du
régime socialiste. Celle-ci avait pour objectif la construction de la nouvelle société égalitaire. Elle
faisait l’apologie de la vie collective, des productions et des consommations collectives, une culture
et des loisirs collectifs de la société, désintégrée de ses souches anciennes et historiques.
Etant déjà des utopies pour les pays socialistes qui ont hérité des idéologies fondatrices des
utopistes européens du XIXe siècle industriel,
787 les programmes effectués dans les années 1980 par
les experts socialistes ont été dans leur ensemble une hétérotopie pour le Laos. Cependant, à une
petite échelle et avec des efforts d’adaptation aux contextes, certains programmes d’équipement
issus de l’utopie sociale pouvaient être utiles et réussis, voire, des beaux projets, comme ce fut le
cas des logements, des écoles et des crèches et parc d’attractions à Cuba. Au Laos, trop éloignée de
l’idée de la lutte des classes, de la dictature prolétarienne et de la lutte pour le transfert des biens et
des terres aux paysans, la société lao expérimentait avec une curieuse attitude les idéologies qui ont
été traduites dans les programmes des équipements réalisés : les Laotiennes étaient peu
786 Souad sac anicca, sutras bouddhiques qui constitue la prière pour les morts. Il évoque la mort (Anicca,
l’impermanence), comme un passage entre la vie (Dukkha, la souffrance) et l’après la vie (Anatta, le non soi). Dukkha (Pl)
souffrance, Anicca (Pl) impermanence, Anatta (Sk) non-soi ou insubstantialité. 787 Notamment les fondateurs des familistères comme Fourrier, les fondateurs des cités ouvrières et des cités- jardins, les hygiénistes, etc.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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enthousiastes par le parc de Nong Saphanh Lène qui jouxtait l’esplanade du That Luang, par les
crèches aménagées par les ministères pour les enfants de leur personnel, dans lesquelles les
équipements utilisés (jouets, manuels scolaires, etc.) proviennent des aides de l’Union Soviétique.
En fin de compte, le parc a été peu fréquenté et tombait peu à peu en déshérence et les crèches
ministérielles ont fermé leur porte.
Les immeubles de logement des enseignants universitaires, les équipements hospitaliers
(hôpital de l’Amitié) et de loisirs (le cirque national), par contre, ont été des projets qui ont
beaucoup apporté au Laos. Ils répondaient aux besoins des locaux et ont été réalisés de manière
ponctuelle. Par leur côté unique (en nombre) ils semblaient être des projets pilotes initiés par les
Russes et devant être prolongés par le gouvernement lao lui-même. Probablement par manque de
moyen financier, les investissements publics laotiens durant les années 1980 étaient quasiinexistants,
comptant uniquement sur les aides internationales et celles des pays socialistes. Ainsi, ni
la politique de logement initiée, ni les réalisations des équipements de qualité, comme le cirque et
l’hôpital de l’amitié, n’avaient été renouvelées par le gouvernement laotien dans leurs contenus
programmatiques. Les réflexions portées sur le logement, les bâtiments emblématiques et les
équipements publics à travers ces réalisations-pilotes avaient été différées, puis simplement
abandonnées. Si celles-ci avaient été poursuivies de manière soutenue dans la politique de l’État et
dans la formation universitaire, avec la création de l’Ecole d’Architecture, la réflexion portée sur les
questions serait aujourd’hui autrement plus fructueuse. En particulier lorsque nous observons
aujourd’hui la grande difficulté pour l’État de prendre en compte les besoins en logement et de
mettre en oeuvre cette politique, très axée sur la mise en concession des anciens biens immobiliers
et fonciers. Par exemple, lorsque l’État cède à un investisseur privé la moitié d’un terrain, et en
contre partie l’investisseur lui construit des logements pour le personnel de l’État (notamment un
projet de construction de logements des professeurs du Lycée de Vientiane qui a été ainsi conclu sur
ce principe). Dans ce cas de figure, le cahier des charges, qui aurait fixé le standard du type et de la
qualité du logement, n’a pas été défini. Par économie, on doute que l’investisseur ait le souci de la
qualité des logements qu’il doit réaliser. Or la définition du programme de logement a déjà été
initiée dans les années 1980 à travers les projets pilotes. Le relevé de l’un des immeubles de
logements pour professeurs à Polytechnique de Sok Paluang construits au début des années 1980 a
démontré une richesse certaine de ce point de vue et serait un modèle intéressant. Bien que
l’expérience programmatique de ces années ne soit pas prolongée jusqu’à aujourd’hui, on voyait
certain aspect de cette expérience ressurgir ailleurs, dans le programme de rares villes nouvelles de
la même période. Nous allons voir dans le paragraphe suivant que la programmation hétérotopique
était appliquée comme un système qui devait faire ses preuves dans la construction des « villes
nouvelles socialistes ».
II. II. b. L’aspect architectural du début des années 1980
L’architecture du régime des années 1980 était marquée par deux écoles. D’abord, ce fut
curieusement une architecture qui possédait une certaine continuité avec la période moderne des
années 1960. Les architectes et urbanistes, acteurs de cette nouvelle image spatiale, étaient russes,
travaillant dans le cadre de la coopération entre les pays socialistes. Ce n’était plus ceux qui ont
construit les « anciens immeubles modernes » de Vientiane, bourgeois et capitalistes. Si l’idéologie
était différente, nous ne pouvions pas être insensibles au rapprochement entre les deux architectures
produites. Un lien doit être tracé entre ces deux groupes d’architectes. Effectivement ceci nous
étonne à moitié lorsque nous savons que l’architecture moderne internationale des années 1960,
incarnée par toute une génération d’immeubles barres (type HLM en France) dans les pays
européens, se retrouvait aussi dans l’Europe de l’Est et en Union Soviétique. Notamment avec la
mise en œuvre d’un système constructif basé sur les éléments standards préfabriqués et prêts à
poser, fortement développé en France pour son aspect économique (le temps gagné sur la
fabrication classique, l’installation, etc.) et transféré dans les pays de l’Est et en Union Soviétique.
Le système constructif basé sur une production de masse standardisée (non pas par des sociétés Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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privées, mais par des usines d’État) des éléments préfabriqués était beaucoup plus adapté dans les
pays pratiquant le système sévère des capitaux d’État comme l’Union Soviétique, que dans un
système capitaliste comme la France, qui, en occurrence, avait favorisé le développement des
grandes sociétés de bâtiments de capitaux privés.
Nous remarquons que certains aspects de ces systèmes de constructions se retrouvaient dans
les équipements construits au Laos dans les années 1980. Il y avait effectivement la volonté de
standardiser les éléments de façades et les systèmes constructifs, visibles dans le projet de l’hôpital
de l’Amitié, ou bien dans les bâtiments du campus de l’Ambassade russe. Cependant, les éléments à
standardiser ont été fabriqués sur-mesure. S’ils n’étaient pas complètement fabriqués sur place, ils
ont été fabriqués dans une petite fabrique locale et non à l’usine. Il y avait donc une différence nette
entre ces bâtiments et leurs modèles russes ou européens : c’était paradoxalement l’absence de la
préfabrication et de l’organisation des filières du système constructif. Les architectes russes
procédaient au Laos plus dans l’utilisation des matériaux bruts du béton armé, mise en œuvre et
fabriqué sur place. Très probablement le contexte culturel, économique et technique local ne
permettait pas la standardisation et la mise en système de cette filière. De ce fait, les bâtiments
construits dans les années 1980 se rapprochaient beaucoup des constructions tardives de
l’architecture moderne des années 1960 : bruts et exotiques, aux langages décalés. Expressions qui
qualifiaient déjà la modernité laotienne des années 1960.
Sur place, on pouvait ainsi rapprocher l’hôpital de l’amitié à la façade de l’hôpital Mahosot
ou au Lycée de Vientiane, comme s’ils faisaient partie de la même génération. Soulignons que ces
deux derniers bâtiments ont été construits durant la période américaine (1955-1973), ce qui ne
devait pas être normalement comparable.
En ce qui concerne un petit nombre d’édifices, ceux qui étaient construits dans la foulée des
années 1980 et qui se voulaient représentatifs du langage architectural du nouveau régime, ne
peuvent passer inaperçus. Mises à part des analyses formelles que l’on peut faire, un texte, un
discours ou un manifeste nous manquent pour effectuer une analyse plus approfondie du discours
théorique de ce type de constructions. Effectivement, l’Assemblée Nationale est un cas typique.
C’est un bâtiment sans intérêt architectural, il exprime même une pauvreté certaine de ce point de
vue : ayant un langage architectural composite et disparate, utilisant des matériaux de construction
et des techniques de mise en œuvre médiocres, ayant une structure du plan non adaptée aux
fonctions auxquelles il était destiné, étant mal implanté dans un site urbain et paysager pourtant
exceptionnel. Cependant, au moment de sa construction, il était sensé de représenter l’architecture
officielle du régime, et donc fondé sur un discours. Son architecte, Hongkat Souvannavong, formé à
Cuba, avait tenté de s’imprégner de la culture locale en reproduisant l’image des frontons et les
pignons de l’architecture lao, en travaillant sur le volume et l’image que le bâtiment devait donner à
voir aux spectateurs. La couverture, la forme du toit, les pignons, etc., constituent apparemment les
obsessions de ceux qui croyaient avoir fait revivre la richesse de l’architecture lao par ces éléments,
tant dans les années 1980 qu’aujourd’hui. Or le plan, les rapports de proportions et la fluidité
intérieurs / extérieure de l’architecture lao expriment le mieux son fondement spatial.
Nous pouvons dire que la période des années 1980 a été marquée par deux expériences
majeures, de valeur distincte. L’expérience russe, qui reliait certains bâtiments construits au Laos à
un mouvement plus large de l’architecture moderne internationale comme une variante, mérite une
étude approfondie : pourquoi avait-elle été si courte, et pour quelle raison elle n’avait pas apporté de
véritables influences sur la production de l’époque et de celle qui avait suivi ? Les tentatives pour
traduire le discours idéologique du marxiste-léministe nationaliste lao par des éléments
architecturaux emblématiques (l’Assemblée Nationale et le jardin public qui se trouvait en face), et
de surcroit, d’inspiration culturelle locale se plaçaient indéniablement dans une logique de
recherche identitaire du régime. Dans les deux cas, cette courte période était une expérience spatiale
exceptionnelle.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 456 -
II. III. Les projections idéologiques dans l’expérimentation de villes
nouvelles
Les villes nouvelles au Laos étaient définies en dehors du corpus de ce qui pouvait désigner
habituellement les “ villes nouvelles ”. Dans la majorité des cas, c’étaient des reconstructions des
villes détruites pendant la guerre froide, très exceptionnellement des nouvelles constructions sur un
site inoccupé par une occupation antérieure. La quasi-totalité des villes nouvelles était située dans
les anciennes zones libérées, refondées sur des bases nouvelles, après leur destruction par la guerre.
Victimes des bombes Napalm et des bombes phosphore à la fin des années 1960 et au début des
années 1970, on essayait près d’une décennie plus tard de les reconstruire. Les villes nouvelles sont
ainsi désignées parce qu’elles étaient refondées dans la méconnaissant de la base fondatrice
ancienne, détachées de leur passé et parfois de leur site. Elles étaient “ nouvelles ”, aussi parce
qu’elles avaient introduit le socialisme utopiste, obsédées par les répartitions fonctionnelles, et enfin
parce qu’elles se voulaient fondatrices d’un modèle de société, multiethnique et égalitaire.
II. III. a. La méconnaissance de la base fondatrice des villes nouvelles, l’ambiguïté de
l’idéalisation du peuple multiethnique : brassage culturel et “ laoisation ”
Le déracinement historique
On profitait aussi dans ces nouveaux établissements pour refonder les villes et les villages
dans un esprit nouveau, détaché de l’histoire locale, de manière plus ou moins involontaire de la
part de leurs habitants. Le détachement de l’histoire a été induit par le contexte de la guerre : une
bonne partie des espaces communautaires de rassemblement et de mémoire (comme les pagodes et
les monuments religieux, ou comme l’organisation sociale villageoise) a été touchée par les
bombardements : les habitations délaissées, les organes sociaux de base défaits, entrainant la perte
des usages et la déstructuration des schémas symboliques de l’espace des villes et des villages. De
même, les zones agricoles étaient difficilement exploitables à cause des bomby non explosées, etc.
La mémoire et les liens sociaux et culturels étaient parfois irréversibles, perdus avec les éléments et
les pratiques spatiaux anciens. Le détachement par rapport au passé et parfois par rapport au site
reflétait la méconnaissance des bases fondatrices anciennes par les nouveaux habitants et la
nouvelle autorité urbaine et villageoise. A Oudomxay le centre-ville actuel (la “ ville nouvelle ”) se
développait davantage sur la grande route pénétrante, alors que le vieux village qui était fort vivant
(d’après ses anciens habitants) se trouvait au pied de la colline, à l’opposé du centre actuel. De
même, à Samneua, le grand et vieux village, avec l’ancienne pagode, n’occupait plus la position
centrale, la ville nouvelle (aujourd’hui devenue assez vaste) s’étendait ailleurs en se détachant de
lui, le laissant devenir comme un quartier annexe.
Les caractéristiques physiques principales des “ villes nouvelles ”, étaient leurs grands îlots,
leurs larges voies, leurs larges trottoirs, avec parfois des lampadaires qui fonctionnaient la moitié du
temps, mais prévus pour des extensions futurs éventuelles. Car on prévoyait effectivement que ces
villes allaient s’étendre et se développer avec l’augmentation du nombre de leurs habitants, de leurs
activités, et les grands équipements allaient peut-être être nécessaires, etc. Sur les poteaux
électriques, il y avait régulièrement des hauts-parleurs donnant les informations et les
recommandations à suivre à la population. Les villes nouvelles étaient, pour ainsi dire, caractérisées
par un certain desserrement général, avec une population malgré tout un peu parsemée. Elles
ressemblaient aux villes fantômes, sans vie, à part les rassemblements de meeting politique
obligatoires. Les pratiques et les parcours spatiaux étaient devenus différents. Les grandes voiries
changeaient le rapport de proximité entre les équipements communautaires (pagodes et marché de
proximité) et les villages et entre les villages eux-mêmes. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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La notion du peuple multiethnique
Mise à part son aspect physique les “ villes nouvelles ” s’étaient illustrées aussi par leur
aspect social. Une bonne partie des habitants de souche avait migré avant 1975 vers les territoires
moins exposés aux combats. Parfois, ces derniers revenaient chez eux. Souvents, il s’agissait des
habitants qui s’étaient installés tout de suite après, lorsque la paix était revenue. Ces derniers
aidaient en partie à tempérer les liens sociaux entre les nouveaux habitants de diverses provenances
et aussi à anticiper sur la manière de s’installer dans le site et à raviver certaines pratiques
anciennes. Mais dans le milieu des années 1970 et au début des années 1980, cela a été insignifiant,
puisqu’il ne s’agissait pas de reconstituer une société d’avant, mais de construire une nouvelle
société révolutionnaire. En occurrence, le nouveau régime faisait beaucoup d’effort pour que ces
établissements puisaient revivre de nouveau, mais dans une recomposition sociospatiale et politique
nouvelle. La promotion pour les nouvelles installations se réalisait partout dans le pays. Tous les
groupes ethniques confondus étaient concernés. La reconsolidation par rapport à l’histoire locale et
par rapport à l’usage social habituel des lieux ne pouvait pas se réaliser aisément, parce qu’il y avait
beaucoup de nouveaux habitants qui venaient avec leur propre pratique et leur propre mémoire, en
particulier lorsque cette recomposition nouvelle était composite. A Muang Xay (capitale de la
province d’Oudomxay) autrefois majoritairement peuplé de Tai Lü ou à Muang Hongsa (province
de Xayaboury) peuplé de Gnouanes, le mélange ethnique dans un même lieu de vie était devenu
systématique. L’idéologie du “ citoyen multietnique ” (Pasason banda Phao xt-k-qo[aofkgzqJk) était un
concept politique pour se démarquer de l’Ancien Régime. Il était symbolisé par le fait que les divers
composants ethniques devaient vivre ensembles dans une société égalitaire, rassemblée autour du
parti-État. Celui-ci était le libérateur de ces peuples qui avaient longtemps été soumis et exploités
par les “ sakdina féodaux ” de l’Ancien Régime. En réalité la mixité espérée ne s’était pas vraiment
opérée : les études des anthropologues, par exemple, ont montré que l’endogamie a été, dans la
majorité des cas, fortement préservée dans les villes sensées être les plus mixtes,788 même si les
modes d’habiter et de paraître devenaient de plus en plus indistincts dans certaines localités. Alors
que dans le régime féodal dominé par les Lao Tai d’autrefois, on remarquait que certains groupes
khmu adoptaient depuis bien longtemps les vêtements tai lü tout en faisant reconnaître leur identité
d’origine (l’exemple du cas de Luang Namtha). D’autres, tels les kha Samtao à Vieng Phu kha,
adoptaient le bouddhisme lü probablement depuis le XVIe siècle.
Au résultat, le « peuple multiethnique » est un concept de brassage culturel dominé, à
termes, par une certaine laoisation des minorités ethniques, puisque la culture nationale de la
nouvelle société -celle de l’ethnie dominante- demeurait celle des Tai Lao. L’idéal de société
multiethnique aurait été instrumental pour adhérer en nombre les diverses populations, débarrassées
de leur passé et de leur histoire. Leurs liens et leurs pactes historiques passés avec l’ancienne société
lao ont été déstructurés, remplacés par les valeurs du nouveau régime. Dans la culture ancienne le
muang et le ban des Lao Tai, rappelons-le, étaient peuplés certes que de Lao Tai, mais à l’extérieur
de leurs « remparts » et de leurs « palissades » il y avait des communautés ethniques, avec qui les
Lao Tai du muang et du ban commercialisaient, troquaient et constituaient des pactes, et sur qui ils
fondaient aussi leurs richesses. La destruction de ces anciens pactes aurait alors facilité la
reconstruction des nouvelles souches sociétales révolutionnaires pour le nouveau régime. Ainsi, en
faisant adhérer les ethnies à la culture révolutionnaire, estimant mettre tout le monde à égalité, cela
revenait indirectement au fait que les communautés abandonnent leur propre identité. Coupées de
leurs fonds culturels, les communautés ethniques seraient aussi coupées de leur forme d’intégration
historique à l’organisation du Laos ancien. Et bien que le fonds culturel des populations non-LaoTai
ne repose pas uniquement sur les liens historiques avec les muang Tai-Lao, ces liens historiques
constituent les conditions majeures de la question d’intégration. Ceci, pour que l’intégration ne soit
788 D’après Grégoire Slémer. 2010.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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pas l’assimilation, voire, l’aliénation. C’était probablement aussi par le processus de délier les liens
historiques que la société lao ancienne serait définitivement abolie. L’exemple de l’intégration des
Hmong dans l’ancien système (cas le plus récent, car les Hmong étaient arrivés au Laos que dans le
milieu du XIXe siècle) serait le plus à même d’expliquer le phénomène.789
II. III. b. La ville socialiste et ses équipements, le souci de fonctionnalité
A partir des années 1980, quelques équipements publics et collectifs ont commencé à être
construits, la coopération avec l’Union Soviétiques étant devenue plus active, mettant en
perspective la coopération avec les autres pays de l’Est. Par ailleurs, le ministère des travaux publics
et de la construction a peu à peu été restructuré ; le plan d’action de trois ans a également clarifié les
besoins dans le secteur des bâtiments et des travaux publics, masqués auparavant par la méthode du
provisoire et du débrouillardise de la période des 2-3 premières années de l’après-révolution.
Les premiers équipements que l’administration considérait comme prioritaires étaient les
marchés pour permettre les échanges locaux des produits de consommations de base, et
l’amélioration des centres administratifs des chefs-lieux de province. Les hôpitaux et les écoles
(nouvelles constructions ou amélioration de l’existant) ont été inscrits mais les problèmes
économiques et le manque d’investissements publics n’avaient pas permis de les réaliser dans les
années 1980. Leurs constructions ont été ainsi différées de près de dix ans. Par contre, les lieux de
rassemblement ou de représentation du nouveau pouvoir ont été pensés assez tôt, même s’ils
n’avaient pas été construits de suite. Ce fut le cas de That Virason à Vientiane construit à
l’extrémité de l’esplanade du That Luang. Ce fut le cas des places aménagées dans les chefs-lieux
des provinces pour accueillir les rassemblements ou les événements populaires, telle l’aire où
étaient plus tard érigés les bustes de Kaison Phomvihan.
En ce qui concerne les infrastructures routières de base, les efforts ont été préconisés de
manière constante dès le début, car la mise en liaison entre les provinces dans l’ensemble du pays
était la clé du développement, du contrôle et de la sécurité du pays. Les prisonniers des camps de
rééducation, notamment les militaires ou les plus jeunes prisonniers de l’Ancien Régime ont été
mobilisés pour la construction des routes.790 A travers des témoignages et par bien des aspects
(travaux forcés, les gens séjournaient quelques fois dans les camps mobiles, au gré des besoins de
bras) on pouvait penser que les camps de rééducation n’avaient pas été créés pour la rééducation
politique, mais par besoin de bras pour créer des liaisons routiers sans dépenses pour la main
d’œuvre.
De manière générale, c’était le souci de fonctionnalité –lié au concept « progressiste »- qui
sous-tendait la manière de construire des équipements et de les insérer dans la ville. Ce souci était
lié à la programmation du système collectiviste, mais aussi à la formation d’une nouvelle génération
d’architecte et de techniciens du bâtiment et des travaux publics, nés avec la création de l’école
d’architecture et d’ingénierie attachée au ministère de la construction.
Vers 1981, l’école d’architecture a été fondée. Ses fondateurs étaient de formation française
issus plutôt de la formation en ingénierie. Mise à part cette spécificité, les coopérations avec
l’Union Soviétique et les autres pays de l’Est ont aussi joué un rôle important dans la formation de
l’école et dans la qualification des futurs architectes qui allaient plus tard travailler tant dans les
administrations urbaines que dans les secteurs privés. Les projets étudiants des premières années de
la fondation de l’école d’architecture (attachée alors au ministère des Travaux Publics et de la
789 Le chef coutumier du clan Ly qui était considéré comme le chef de la majorité des groupes et clans hmong du Laos et
qui avait été intégrés dans le système nobilière coutumier lao, au nom des traditions d’intégration des ethnies qui
remontait probablement au XVIe–XVIIe siècle, l’emprisonnement en 1975 du chef de clan -Phraya Touby Lyfoung- suivi
par son décès en détention, marquait la fin des pactes anciens, comme la fin de la monarchie lao.
790 Cf., le témoignage d’un ancien prisonnier dont tout le camp avait été mobilisé pour la construction de la route numéro
9. Mothana, La route numéro 9. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Construction) démontraient un lien évident entre une formation francophone, plus axée sur le
domaine technique et de l’ingénierie et une formation soviétique plus orientée vers le souci de
répartition des fonctions de l’espace architectural et urbain791 (voir les archives de l’ITTP.) Il n’y a
quasiment pas de pédagogie de recherche et d’analyse de terrain. L’histoire de l’architecture avait
été enseignée en bloc, sans mise à distance (quel manuel de l’histoire de l’art et de l’architecture, et
qui l’écrit ?) et sans contextualisation par rapport à l’espace lao et son histoire. Les projets étudiants
étaient théoriques et utopistes donc l’évaluation aurait été faite d’après « le degré de
l’imagination de l’étudiant ».
En tout état de cause, cet état d’esprit correspondait à la pensée des villes nouvelles que le
gouvernement avait tentée de promouvoir. Puis, lorsque la coopération avec les pays de l’Est
devenait encore plus fructueuse à partir du début des années 1980, et lorsque quelques équipements
collectifs avaient été construits avec leurs aides, la pédagogie de l’école ainsi que les projets
d’architecture des étudiants avaient également évolué vers la mise en formes des programmes
collectifs. Axer l’enseignement sur une production spatiale cantonnée au souci de fonctionnalité et
au souci du seul usage public et collectif sans l’étude programmatique, sans l’analyse des sites et
des modes d’usage, sans des relevées et des essais de classification typologique, etc. (oubliant
l’individuel et le familiale, l’individualité des perceptions, le pittoresque, qui caractérisent
finalement le contexte local) a profondément formaté les futurs architectes et ingénieurs, ainsi que
le système de production spatial en cours de formation alors, et bien plus tard. Le manque d’analyse
ou de connexion à la recherche et aux leçons du passé était une carence pédagogique qui allait
devenir un handicap pour les futurs opérateurs, acteurs et décideurs de la ville. Ce handicap a été
souligné à maintes reprises par les responsables du secteur : il est souvent constaté que les études
urbaines ou les études de projets effectuées par les experts internationaux, plus tard dans les années
1990 et 2000, n’étaient généralement pas compréhensibles et mises en application de manière
adéquate par les agents locaux. Une formation adaptée au contexte culturel et technique local aurait
été fortement souhaitée. De fait, les handicaps peuvent remonter aux premières années de la création
des formations en architecture et en ingénierie où les analyses, les recherches et les échanges
avaient été absents.
Conclusion
On voit apparaître dans cette deuxième période du régime la mise en place des perspectives
et des dispositifs spatiaux nouveaux pour restructurer l’ensemble du pays. Mais ils concourent
directement à ruraliser la ville : sa fonction urbaine et politique est réduite, selon des impératifs
idéologiques du régime qui fait l’apologie du travail, de la paysannerie et de la campagne au
détriment de la ville.
- L’administration et l’exécutif sont les premiers secteurs touchés. De la responsabilité individuelle
et hiérarchique basée sur les compétences, les décisions de l’administration et de l’exécutif sont
passés à la responsabilité collective, basée sur la logique de l’appareil politique valorisé au sein du
Parti Populaire Révolutionnaire, placé dans tous les échelons de la structure de l’Etat et du pouvoir
local. La structure de ce dernier a été modifiée : l’administration de la ville-agglomération urbaine,
par exemple, est réunie à l’administration de la province ; le nouay, un comité de quartier, une
subdivision du village, est créé, réduisant le rôle traditionnel paternaliste et fondateur du chef du
village.
- Les principaux autres dispositifs imposés à la population prônent l’autosuffisance comme une
vertu. Voulant contrôler la production, la répartition des biens dans une société qui se veut
791 Les titres des rendus de projets étudiants étaient en français, sous entendant que les experts enseignants russes
utilisaient aussi le français pour communiquer avec les professeurs lao ainsi qu’avec les étudiants. Beaucoup d’entre eux
sortant du lycée de Vientiane dans les années 1975 étaient francophones.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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égalitaire, l’Etat impose le collectivisme dans la démarche de la réforme agraire, étatise les biens
fonciers et immobiliers, impose les travaux collectifs à la campagne et en milieu urbain. L’absence
des services urbains et des services publics –disparus avec l’Ancien Régime– est considérée comme
une leçon inculquée à la population.
Au résultat, les diffétents dispositifs aboutissent sur un premier phénomène incontrôlé par
l’Etat : l’espace s’auto-gère peu à peu, la ville et ses espaces non planifiés se déploient de manière
anarchique : les quartiers périphériques se constituant dans le désordre et sans règles, l’usage de
l’habitat et de la ville changant de fonctions par la venue importante de la population rurale, leurs
états de conservation se dégradent rapidement.
Dans cet effacement de la ville au profit de la campagne, l’espace urbain expérimente une
production architecturale particulière, timide mais identifiable au début des années 1980, à travers
des nouveaux équipements et bâtiments emblématiques. Il se dote aussi de nouveaux programmes
architecturaux, démonstratifs souvent de projection sociale hétérotopique. A l’échelle du territoire,
le régime se projette aussi idéologiquement dans l’expérience de villes nouvelles. Annonçant
comme villes socialistes, soucieuses de fonctionnalité, elles sont conçues dans l’idéalisation du
peuple multiethnique –brassage culturel et “ laoisation ”– dans la méconnaissance et la négation
totale de la base fondatrice historique et sociale de l’espace et de l’humain.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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CHAPITRE III.
Temps trois : les bilans et leurs implications, nécessité de la réforme de
1986
La conception générale conçoit que la réforme politique laotienne rentre dans un
mouvement généralisé de l’effondrement du bloc socialiste et du changement de clivages
idéologiques qui s’est amorcé dix ans après la fin de la guerre froide. Ceci compose effectivement
les grandes lignes analytiques pour la compréhension de cette période historique mondiale.
Cependant, force est de constater que la répercussion de l’effondrement idéologique dans les pays
du bloc socialiste, ont des résultats et des implications différenciés d’un pays à l’autre.
Le Laos est parmi les cas atypiques que sont la Chine, le Viêtnam et Cuba. Le Laos ne
prend pas complètement part à l’effondrement du système communiste. Car la politique laotienne
ne conçoit pas cela comme la fin des idéologies, mais s’est approprié de cet effondrement comme
leur propre volonté de se réformer de l’intérieur. Il considère en fait qu’il y a au Laos une sorte
d’implosion nécessaire du système marxiste-léniniste qu’il conçoit toujours comme possible à
construire, et non pas son explosion qui aurait causé sa fin dans les pays de l’Est. Pour ce faire, les
bilans que le Comité Central du Parti (CCP) appelle « leçon » ont été élaborés.792 Nous abordons
dans ce chapitre d’abord la question de bilans que l’on doit traiter à travers deux niveaux de lecture.
Ensuite, nous évoquons le particularisme des actions préconisées pour la réforme et leurs
implications directes ou indirectes dans la restructuration spatiale dans les années qui ont suivi.
III. I. Les bilans
La nature opaque et autoritaire du régime politique793 nous oblige à considérer les bilans de
deux manières, selon deux lectures. Le premier bilan ou la première lecture est celle que le
gouvernement laotien annonce officiellement, celle que l’on trouve dans les rapports du CCP, en
particulier celui rédigé lors du IV congrès du PPRL au mois de novembre 1986. La deuxième
lecture ou bilan est celui des constats que nous tentons de comprendre à travers les faits et les
actions politiques qui n’étaient pas forcément inscrits dans les rapports officiels ou prévus dans les
plans d’action du PPRL. Le deuxième bilan est, de fait, celui qui donne des explications à la
nécessité de faire de la réforme. C’est celui que le pouvoir n’annonce pas, car sa reconnaissance
équivaut l’acceptation de l’effondrement idéologique, toujours en cours d’exercice. Ceux qui ont
tenté de remettre en question l’idéologie par rapport à la réalité en ont payé le prix fort.794 En
792 Thot Thone Bot Hiane, « tirer des leçons », concept galvaudé, utilisé dans les écrits officiels destinés à la formation des
membres du PPRL à la pensée réformatrice, notamment dans Les cinq leçons du PPRL dans la nouvelle réforme, comité
de propagande et de formation du CCP, Vientiane, 2000.
793 La particularité du régime laotien réside dans le fait que l’autocritique au sein de l’appareil décisionnel constitue l’une
des vertus révolutionnaires. Cependant les critiques extérieurs sont totalement proscrites et considérées comme actes
d’affront montés par « des ennemis dont les objectifs seraient la destruction du régime ». C’est l’une des raisons qui
expliquent l’existence de deux bilans distincts : celui que l’on accepte et que l’on diffuse et celui que l’on refuse et que
l’on considère comme infondé.
794 Ce fut le cas des dissidents de l’année 1990. Ces derniers, à partir des expériences empiriques avaient effectué un bilan
du régime. Ils constatèrent d’abord l’effondrement du système politique, économique et social du marxisme- léninisme
entrainant la fin des idéaux. Ils constatèrent ensuite que le système était inadapté au Laos, et ils proposèrent donc des
plans de réforme. En proposant le multipartisme, entre autres -comme l’une des conditions de la réforme, leurs plans Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 462 -
conservant le fond idéologique du régime dans la réalisation de la réforme économique, le régime
endossait un double faciès. L’identification des deux bilans est importante, car elle nous permet de
comprendre pourquoi le régime politique laotien ne s’était pas effondré comme ce fut le cas des
pays de l’Europe de l’Est. Elle nous permet également de comprendre que le double faciès avait
permis au régime de se renouveler et de se restructurer, sans perdre ni le pouvoir ni « la face » vis-à-
vis du monde, la « face », une importance spécifiquement lao.
III. I. a. Les bilans du Comité Central du Parti portant sur le régime
Nous tentons ici d’effectuer une lecture transversale des rapports du CCP présenté au IVe
Congrès du PPRL en 1986. Les bilans officiels nous expliquent la continuité de la politique du
gouvernement lao et nous donnent un éclairage sur le contexte des années qui ont suivi, notamment
en ce qui concerne la situation politique actuelle. A la différence des anciens blocs socialistes de
l’Europe de l’Est qui ont connu, selon les dirigeants lao, « une corruption idéologique » causant
l’effondrement de leur propre système,795 l’autorité dirigeante du PPRL réaffirmait dans le texte de
la réforme [chitanakhane maï, 9yf8tokdkows,j] sa fidélité à la base idéologique marxiste-léniniste et
rappelait le particularisme du régime politique laotien désigné de démocratie populaire. Tout en
insistant sur l’absence de rupture idéologique dans la réforme chitanakane maï que le régime
mettait en œuvre, il mettait en évidence la réalité économique ou le mécanisme économique –
l’angle d’attaque par lequel la réforme a été mise en œuvre afin de réadapter et réformer le système
politique, proposant ainsi le « Nouvel Mécanique Economique »
III. I. a. 1. Les justificatifs idéologiques et économiques
Les justificatifs de la réforme se voulaient avant tout corollaires au mécanique économique
et non au mécanisme doctrinal. Le PPRL remettait en cause le moins possible l’idéologie du régime.
Ils se voulaient scientifiques et progressistes, ils se défendaient d’être un régime « théorique et
utopiste ». La nécessité de la réforme mise en place voulait montrer au monde le côté pragmatique
et scientifique, éclectique et clairvoyant de la classe dirigeante et du parti-État lao : « Lorsque le
régime effectue ses analyses avec intelligence (autocritique), il prend l’initiative de faire la réforme
et ne persiste pas dans des actions qui n’étaient pas appropriées ».
796
A travers les discours politiques de la réforme, le fondement et la forme politique du régime
ont été ainsi mis à nu. Ceux-ci démontrent que l’idéologie a été étroitement associée, voire, a
dominé complètement la manière et le savoir bureaucratique et technicien de la gouvernance. La
réforme symbolisait davantage le fait que le régime consentait à distinguer d’une part le domaine
doctrinal du domaine technique de la gestion et du fonctionnement socioéconomique du pays.
L’idéologie du régime devait être placée à part, dans une autre sphère et protégée de l’insuccès
économique notamment lié au collectivisme. Avec la réforme, le PPRL consentait à affranchir le
savoir technicien et bureaucratique de la domination doctrinale du régime, en lui permettant de
réformateurs qui se veulent intellectuellement sincères se heurtèrent au noyau décisionnel du PPRL qui considéra que
leurs plans de réforme ne permettaient pas le renouvellement du régime mais conduisaient au contraire à la remise en
question du fondement même du régime et son système de pouvoir. Trois réformateurs étaient alors devenus dissidents :
Thongsouk Saysangkhi (au poste alors de Secrétaire d’État aux Sciences et Technologie), Lathsamy Khamphoui
(également au poste de Secrétaire d’État de l’Economie et du Plan), Phèng Sakchittaphong (haut fonctionnaire du
Ministère de la Justice) ont été emprisonnés le 8 octobre 1990 pour 14 années de détention après un rapide procès pour
« subversion idéologique ». Deux parmi les trois ont été libérés en novembre 2004, Thongsouk le leadeur étant décédé en
février 1998 en détention. Cf. Amnesty Internationale ; La Ligue pour le droit de l’homme. Ces trois hauts fonctionnaires
auraient représenté près de 200 partisans de la fin des années 1980, mais qui sont aujourd’hui à la retraite ou convertis aux
affaires ou qui font profil bas dans les bureaux des services ministériels. 795 Expressions (traduites) utilisées par les membres du PPRL eux-mêmes critiquant la transition politique des pays de
l’ancien bloc communiste de l’Europe, comme une trahison au marxisme-léninisme. In : Pages historiques de la lutte
héroïque du peuple lao, Comité de propagande et de formation du CCP, Imprimerie RDPL, Vientiane 1980, pp 39-40. Op,
cit. 796 « ,uc8jgIafco;oAo gIqk9nJ’[+8qdg0Qk.lJ ]afmy7eru », « C’est en procédant ainsi (différents points de réformes) que notre parti ne
sera pas qualifié de doctrine livresque », in : Kaison Phomvihan, Rapport politique du Comité Central du PPRL devant
le IVe congrès du parti, Imprimerie de la RDPL, Vientiane 1986, p13.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 463 -
s’ouvrir et de coopérer avec les institutions étrangères et internationales, tout en ayant un contrôle
sévère sur un écartement idéologique éventuel qui pouvait en être issu.
Le discours du Président Kaisone Phomvihan nous éclaire sur ces dispositifs. Pour remédier
aux difficultés qui avaient empêché le régime, durant les dix années passées entre 1975 et 1985,
d’atteindre le niveau suprême du socialisme, la période intermédiaire a été définie comme un temps
nécessaire pour que la société tout entière puisse effectuer sa transition vers le socialisme marxisteléniniste.
Cette période intermédiaire devait passer par certains compromis, notamment pratiquer
une économie de marché, donner plus de libertés aux échanges afin de créer la circulation des biens,
réviser certains aspects du collectivisme, etc.
Cinq leçons ont été énoncées pour permettre la mise en perspective des stratégies de
réforme (qui contenaient sept points majeurs) et mettre en place le deuxième plan quinquennal,
1986-1990, (contenant douze actions à entreprendre). Et pour « garantir » la réussite des stratégies
de réforme et la mise en place du plan quinquennal, Kaisone Phomvihan recommandait six actions à
mettre en œuvre pour maîtriser la réforme économique.
Les cinq leçons
Les cinq leçons se trouvaient en fait dans les cinq domaines d’action menés par le parti.
1. Le contrôle de la directive stratégique et opérationnelle du parti devait être encore renforcé afin
d’englober tous les secteurs et domaines. Les orientations devaient être ciblées de manière
pragmatique, flexible et adaptable par rapport aux contextes, de façon à ce que ces orientations en
soient effectives.
2. La consolidation de l’unité et de la solidarité à l’intérieur du parti et chez le peuple devait être
renforcée. Car elle était le cheval de bataille de la réussite de la révolution du pays.
3. Confirmation de l’attachement profond du pays à la base de fondation du régime (la politique,
l‘économie, le social et la culture, la défense et la sécurité), la construire et la renforcer avec
conviction et de manière complète, afin de réaliser la double grande stratégie tout en menant les
trois révolutions (révolution dans la force de production, dans les rapports de production, dans la
pensée et dans la culture) jusqu’au bout. Car cette base de fondation est le bastion du régime
socialiste.
4. Dans toutes les actions et décisions portant sur le domaine économique, il faut connaître les
règles et les contextes de leur réalisation, savoir évaluer les causes, les effets et les résultats de ces
actions.
5. Renforcer encore la coopération entre les pays socialistes frères. Avant tout, avec l’Union
Soviétique. Construire une force de l’union spéciale entre la RDPL, le Viêtnam et le Cambodge.
Utiliser toutes les conditions favorables de l’époque pour construire le socialisme du pays.
Les sept points stratégiques de la réforme économique
Les sept points ont été définis par le IVe congrès du parti, en complément des réalisations des dix
premières années du régime.
1. Pour atteindre le socialiste de manière complète, il faut procéder de manière progressive et par
étape la transformation de la production de la main d’œuvre artisanale vers une industrialisation
mécanisée.
2. Sachant que la période intermédiaire devant encore accepter l’existence de plusieurs formes de
production économique (ceux qui sont socialistes et ceux qui ne le sont pas), il faut procéder
progressivement à la transformation de ces structures économiques vers la structure socialiste
unique. Celle-ci n’existe que sous deux formes : structure économique de l’État et structure
collective. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 464 -
3. Etendre le nombre des prolétaires et améliorer leur niveau qualitatif. Faire en sorte que les
paysans des collectifs agricoles et les intellectuels socialistes existent vraiment et deviennent les
citoyens de base de la nouvelle société.
4. Améliorer et affirmer la dictature prolétarienne en élargissant la démocratie socialiste et en
renforçant l’unité sur la pensée politique et sociale.
5. Procéder à la révolution de la pensée et de la culture, visant à la construction de la nouvelle
culture et de la nouvelle société de manière progressive.
6. Améliorer et soigner les conditions de vie du peuple prolétarien et multiethnique et régler les
problèmes sociaux de manière adéquate.
7. Reconstruire le système de gestion et de contrôle dans tous les secteurs des mouvements sociaux,
tout en prenant en compte les intérêts de la société dans son ensemble, des intérêts collectifs et des
intérêts privés.
Les douze priorités du deuxième plan quinquennal, 1986-1990
1. Régler les problèmes des biens usuels et alimentaires sur la base du développement complet de la
production agricole. Les objectifs fixés étant que la production de produits alimentaires puisse
atteindre 450 à 500 kilogrammes par tête habitant et par an, qu’elle soit exportable et qu’elle
alimente l’industrie légère intérieure.
2. Limiter jusqu’à l’arrêt complet de la culture sur brûlis et développer le reboisement des forêts du
pays.
3. Construire la structure du secteur associé, agriculture - forêt - industrie, de manière à ce qu’elle se
concrétise, et qu’elle soit adéquate à la situation du pays.
4. Procéder à la constitution et à la répartition des zones économiques, planifier et fixer les règles
concernant la construction des unités rurales et des unités urbaines, notamment créer
progressivement des nouveaux centres socioéconomiques dans chaque district, tout en prenant soin
de créer les chefs-lieux des muang, les chefs-lieux des provinces existants, de sorte qu’ils
deviennent les centres urbains, des centres économiques, culturels et sociaux.
5. Développer le transport et la communication afin de favoriser les possibilités de développement
des ressources et des richesses diverses du pays, d’améliorer les liaisons entre le centre, les
provinces et les districts.
6. Mettre à profit les progrès scientifiques et techniques et mettre en place les travaux de sondage et
d’enquête des sols.
7. Réparer et augmenter la capacité dirigiste de l’économie de l’État. Développer le secteur
économique de coopérative. Parallèlement au développement de l’économie mixte, réparer les
coopératives existant dans différents domaines. Diversifier les métiers et augmenter la production
des produits issus des coopératives.
8. Améliorer et développer les systèmes commerciaux et de distribution socialiste. Associer
l’agriculture et l’industrie de sorte que le milieu rural et le milieu urbain soient reliés. Préconiser le
système de contribution des ouvriers et des agriculteurs afin de soutenir le développement de
l’économie nationale.
9. Mettre tous les efforts pour assainir le système financier et monétaire.
10. Développer les relations avec l’internationale. Le pays doit élargir ses relations extérieures et
tirer le plus possible de profits de la coopération et des aides internationales, non seulement avec les
pays du bloc soviétique, mais aussi avec les autres pays de la région et du monde.
11. Construire le système de droit socialiste et le rendre effectif : recherche et rédaction des règles et
des droits, former des organes juridiques (tribunal) et le comité de contrôle populaire de l’échelon
central au échelon du district, préconiser la création de l’école de droit et la formation des agents
compétents du domaine juridique, etc.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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12. Développer le secteur éducatif en améliorant le niveau et la qualité de la formation. Développer
le secteur culturel comme un combat important de sorte qu’il serve les orientations politiques et
socioéconomiques que l’État a planifié. Développer le secteur de la santé publique en donnant
priorité à l’éradication des maladies endémiques, notamment le paludisme.
Les recommandations du PPRL pour maitriser la nouvelle mécanique économique
1. « le parti-État doit comprendre et maîtriser les caractéristiques de base de l’économie de notre
pays, selon les points de vue suivants » :
a- créer l’équilibre entre les produits commerciaux et le système monétaire dans l’économie
du pays, de sorte qu’elle puisse devenir une économie planifiée et maîtrisée.
b- Utiliser les potentialités de toutes les unités économiques pour développer la production.
c- Construire l’économie centrale tout en développant l’économie locale.
d- Utiliser la coopération économique avec l’étranger de manière efficace.
e- Préoccuper des intérêts des travailleurs de manière adéquate.
f- Maîtriser les caractères et les analyses matérialistes de la gestion économique.
2. Le parti-État doit préconiser l’arrêt du contrôle économique de manière centralisée du haut vers
le bas. Il doit initier et favoriser les initiatives privées et l’autonomie individuelle des unités locales
ou se trouvant en bas de l’échelle. Il s’agit de l’autonomie financière, de planification et de décision
des unités économiques de base. Pour cela :
a- il faut régler les contradictions entre le droit à l’autonomie de gestion et de commerce des
unités économiques de base et le dirigisme centralisé du système.
b- L’économie planifiée étant le propre du système socialiste, il a cependant besoin d’être
réajusté. La planification de l’État doit aussi prendre en compte les contextes locaux, les
lois de l’offre et de la demande, elle doit se baser sur le marché. La production doit
répondre aux besoins, etc.
c- il faut utiliser les prérogatives existantes dans le bon sens pour permettre une
amélioration générale de la production, de la qualité, du prix de revient et du prix de
consommation. Les conditions de vie de la population, de celle qui fait la production et de
celle qui en consomme doivent être ensemble améliorées.
3. Dans le réajustement du mécanique économique, il y a également un autre point que le parti-État
souligne. Il s’agit de régler le rapport hiérarchique entre le pouvoir central et le pouvoir local de
manière équilibrée, afin de responsabiliser le pouvoir local dans la gestion socioéconomique
locale.797
III. I. a. 2. Les bilans économiques et les mesures concrètes réalisées
Contrairement aux justificatifs idéologiques qui esquivaient avec zèle le constat de
l’effondrement du système marxiste-léniniste et qui pointait plutôt le doigt sur l’inadéquation
technique de l’économie qui fallait corriger, le bilan économique sur quelques points a mis en cause
de manière intrinsèque l’idéologie politique du régime lui-même, du moins certains systèmes et
actions mis en place et conduits dans le cadre très doctrinal du régime. Les justificatifs idéologiques
et des principes économiques ont déjà mis en évidence les différents problèmes qui ont nécessité la
réforme, nous proposons dans ce petit paragraphe de souligner les différents points et chiffres pour
les illustrer.
Soulignons, avant les chiffres, les bilans du secteur économique dressés lors du IV congrès
du parti. Ceux-ci ressemblaient à une auto-critique qui mettait en évidence les « défauts et les points
797 Ibid.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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faibles » du système et qui permettaient une perspective sur les points de réforme que nous venons
de noter :
798
« - l’État n’a pas assez développé le secteur associé, agriculture - forêt - industrie, qui aurait été la
base de l’industrialisation du pays.
- Dans le développement du secteur des transports et des communications, les initiatives locales ont
été quasiment inexistantes. Les pouvoirs locaux ne sont pas assez autonomes. Attentistes, ils se sont
trop appuyés sur les directives et les budgets centraux.
- Le réseau commercial ne s’est pas constitué véritablement. La circulation et la distribution des
produits de l’État et ceux des collectifs ne peuvent toujours pas satisfaire quantitativement les
besoins de la population. La volonté de faire transiter l’économie d’autosuffisance (production
auto-consommée) vers l’économie de production des produits commercialisables que nous avons
préconisée, tâtonne et n’a pas pu atteindre l’objectif voulu.
- La construction du socialisme réalisée au Laos a été faite de manière trop rapide dans l’urgence
et ne prenant pas assez en compte le contexte et la réalité locale : dès l’investiture du régime, l’État
avait aboli les unités économiques existant qui n’étaient pas socialistes, pensant ainsi que le
socialisme allait être atteindre plus rapidement.
- Le changement du système de contrôle et de rétribution centralisée vers une gestion et une
autonomie financière locale n’a pas pu vraiment se faire. Les activités commerciales n’ont pas su
se doter de profits.
- Les outils économiques dans leur ensemble étaient incomplets dès le départ pour mener une bonne
construction de l’économie nationale. Certains agents de l’État, chargés de l’exécution des
dispositifs économiques, n’avaient pas de compétences requises ou étaient préoccupés par leurs
propres intérêts et les intérêts de leurs relations et parentés.
- Les échanges et la coopération commerciale avec les pays étrangers n’étaient pas assez
développés. Les fonds issus des prêts et des aides provenant des pays socialistes et des autres pays
n’étaient pas utilisés à bonne essence : il y avait beaucoup de gaspillage et les résultats étaient
médiocres. »
Ajoutés à ces points d’autocritique, quatre points résumaient la nécessité de réforme
économique de 1986 : 1- le statuquo de la production, voire la régression, 2- l’inflation, 3- la
pénurie des biens de consommation et des biens et des services, 4- les déficits budgétaires.
Quelques chiffres des années 1980799
- Les importations : 70% des importations des biens de consommation provenaient de la
Thaïlande. Ce qui correspondait à environ 273 articles consommables courants.
- Les exportations : elles représentaient le tiers de l’importation.
- Les aides étrangères : elles représentaient chaque année 95 millions de dollars US. Les aides
extérieures entre 1975 et 1986 représentaient 60% du budget national.
- Les dettes extérieures : elles représentaient 390 millions de dollars US en 1983, dont 260
millions envers le bloc socialiste et 128 millions envers les pays des zones convertibles.
- Le PNB : le PNB par habitant en 1984 était de 98 USD. La RDPL était classée parmi les pays
les plus pauvres du monde.
- La production industrielle : elle représentait 5% du PNB.
- Le pouvoir d’achat : il était très bas. Le salaire d’un fonctionnaire était de 20 à 50 USD.
Les mesures concrètes engagées, touchant le secteur économique800
798 Ibid. 799 Kham Voraphet, Laos. La redéfinition des stratégies politiques et économiques (1975-2006), éd. les Indes Savantes,
Paris, 2007.
800 Ibid.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 467 -
- Mise en place des dispositifs pour lutter contre l’inflation : tenter d’équilibrer le cours officiel
et le marché libre du kip, libéralisation des prix domestiques et des transactions
internationales.
- Réforme dans le domaine agricole : adoption du principe de la liberté des prix selon l’offre et
la demande, les anciennes terres des coopératives ont été redistribuées aux paysans, avec
droit de jouissance.
- Mise en place des dispositifs de sécurité alimentaire : encouragement à diversifier les
exploitations des produits agricoles et des élevages. Soutenir les produits à exporter tels que
le soja, le café, le tabac.801
- Libération des entreprises mixtes et des entreprises d’État.
- Réduction du monopole par l’État de l’importation : privatiser les entreprises import-export.
- Mise en place du comité pour l’investissement étranger afin d’attirer les investissements.
III. I. b. Les faits révélateurs
Mis à part les justificatifs idéologiques qui ont été effectués dans l’objectif de réaliser la
réforme tout en protégeant le régime et le système de pouvoir mis en place, et mis à part les bilans
économiques qui ont été mis en évidence (notamment par les observateurs extérieurs), les diverses
études ont montré que tous les sujets et tous les secteurs n’ont pas été traités et pris en compte
comme étant des éléments dont les problèmes ont concouru à la nécessité de réformer. Il est
probable que la mise à l’écart de certains problèmes aurait été des démarches volontaires de la part
des décideurs, lorsque ces questions embarrassaient et remettaient en cause la politique menée
jusqu’alors par le régime et qui l’aurait placé dans une position d’échec. Il est probable aussi, par
exemple, que la question des ressources humaines soit gaspillée par les camps de séminaires
politiques, que la cohésion sociale soit empêchée par le clivage « gens de l’Ancien Régime et
peuple révolutionnaire », que la liberté d’entreprendre soit freinée par le collectivisme, etc. Il est
probable également que la mise à l’écart de certains problèmes aurait été des démarches aussi
involontaires. Ceci, lorsque les questions échappaient à la pensée réformatrice la plus sincère, parce
que cette dernière manquait d’outils d’analyse et de paramètres de compréhension, de références et
de modèles économiques et sociopolitiques vers lesquels le régime tentait de s’ouvrir. Quoi qu’il en
soit, ceci semait le doute et l’incertitude dans la démarche de l’ouverture. Beaucoup d’observateurs
et d’analystes estimaient que la réforme du régime laotien n’était pas née d’une véritable volonté de
changer le système, mais des contraintes. C’était les difficultés économiques qui auraient forcé à
l’ouverture. Du moins, le grand souci de « ne pas perdre la face » avait masqué de manière
constante les actions de la directive politique de l’État laotien qui soutenaient l’idée que la réforme
était nécessaire uniquement du point de vue « technique ». En d’autre terme, la réforme portait sur
le mécanisme économique et ne devait pas remettre en question les idéologies du régime. Celles-ci
devaient continuer à rester « pures », un patrimoine « moune-seua » que les révolutionnaires et le
peuple lao multiethnique tout entier, devaient précieusement protéger. Par contre, les hauts
fonctionnaires du régime qui revenaient de l’Occident en 1975 et qui ont travaillé à la construction
du socialisme pensaient que la période d’ouverture pouvaient basculer dans l’un des deux excès :
renforcement de l’autoritarisme du régime ou au contraire, la fin du régime.
802 C’était « la voie du
milieu » que la haute décision du PPRL a choisi en concertation étroite avec le PCV.
801 D’après un ancien exploitant de cannabis, l’État avait aussi demandé à la population d’exploiter le cannabis pour de
l’exportation. Mais cette demande a durée un laps de temps, au bout de deux-trois saisons elle était devenue interdite.
Ainsi les agriculteurs de Ban Sala kham dans le boucle du Mékong à Vientiane se plaignaient des milliers de pied de
cannabis qu’il a fallu arracher sans indemnités. 802 D’après nos discussions avec certains d’entre eux, ils disent qu’ils ne savaient pas trop ce qu’il allait se passer au
moment de la préparation de la réforme. C’est l’une des raisons pour lesquelles ils décidèrent d’envoyer leurs enfants à
l’étranger vers 1986, confiés à leur famille respective de la diapora. Discussion à Vientiane en 1999.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Avant de rendre compte des constats portant sur les questions spatiales proprement dites qui
ont des implications sur les périodes qui ont suivi, évoquons d’abord les différentes questions
d’ordre général qui auraient contribué à déclencher la réforme, en reprenant les différents points qui
ont été les enjeux durant les premiers moments de l’installation du régime et qui ont conduit le
Comité Central du PPRL à entreprendre des actions pour poursuivre la construction et la
consolidation du régime socialiste marxiste-léniniste, mais dans une voie nouvelle.
III. I. b. 1. Les constats généraux : sentiment de désillusions, d’échecs et de gâchis ?
Le constat sur les actions menées par le nouveau régime était couronné par deux faits
majeurs. Le premier était l’illusion du monde nouveau et surtout de l’homme nouveau. Le deuxième
était le sentiment de gâchis et d’échec qui pouvait naître lorsqu’un regard approfondi était posé sur
la méthode employée pour la formation et le renouvellement de la société en marche vers le
socialisme. L’utopie s’était retrouvée ici expérimentée dans toute sa splendeur, usant « sans
économie » le facteur humain qui marquait profondément la société laotienne et l’histoire
contemporaine du pays.
Dans le premier temps, les enjeux et les défis étaient de faire table rase non seulement sur
les pouvoirs de l’Ancien Régime, mais aussi sur les symboles, les institutions, les codes et les règles
sociaux qui pouvaient le rappeler. Il s’agissait surtout d’installer le nouveaux pouvoir et les
nouvelles institutions, afin de diriger le pays en toute légitimité. Le nouveau langage officiel a été
adopté par le Congrès des Représentant du Peuple parmi d’autres adoptions lors de la proclamation
de la RDPL le 2 décembre 1975. Le nouveau langage était utilisé dans tous les domaines : dans
l’administration, la littérature, les arts et les expressions courantes. Comme nous l’avons déjà
signalé, la langue réformée par Phoumi Vongvichit, utilisée dans la zone libérée depuis les années
1960, a été mise en application dans tout le pays après 1975. Les espaces emblématiques ont été
réappropriés par des nouvelles fonctions. Cette appropriation se voulait symbolique de la maîtrise
spatiale de tout le pays par le nouveau pouvoir.
Cependant, le problème de légitimation se posait : pour avoir l’adhésion de tout le peuple,
et durer, il fallait acquérir la légitimité nécessaire. Or le pouvoir n’avait pas été installé et consolidé
de manière légitimité, mais à coup de fusil et de baïonnette, comme le qualifiaient les termes utilisés
par le nouveau pouvoir lui-même : gnat gnèng amnat, yut amnat [pkfcpj’ veokfF pbfveokf] pour
qualifier la prise du pouvoir. La fuite massive de la population –y compris la fuite des paysans pour
qui la révolution aurait été faite– vers l’étranger indiquait la peur. Elle confirmait la violence du
système qui ne durait pas le temps d’une révolution, mais qui s’installait dans leur vie quotidienne :
travaux forcés, séminaires politiques et endoctrinement, autocritiques publiques (pratique blessante
pour un lao, car s’autocritiquer c’est « perdre la face » en public ), délation, arrestation arbitraire,
restriction de circulation et de réunion,803 restriction d’expression et de liberté de parole et de culte,
etc.
La désillusion était fortement ressentie, non seulement chez la population des anciens
territoires du gouvernement de Vientiane qui aurait pu avoir des regrets du temps passé par son
appartenance, mais la désillusion atteignait aussi ceux qui croyaient à la révolution. Il y avait ainsi
de nombreux dissidents à la fin des années 1970, envoyés aux séminaires spéciaux. La raison
officielle donnée était la corruption et la déviation idéologique. Ils auraient oublié la vertu du
communautarisme inculquée par le marxisme-léninisme ; ils auraient utilisé le pouvoir pour des
intérêts personnels, ou, auraient été trop prochinois, durant le conflit sino-vietnamien, et oubliant
803 « Le Laos tout entier devenait une prison », le pays a été qualifié ainsi par une grande partie de la population.
Effectivement il fallait un laisser-passer pour circuler d’un district à un autre, ceux qui tentaient de quitter le pays étaient
emprisonnés, ou lorsqu’ils tentaient de traverser le Mékong les gardes frontières et la milice ouvraient feux, « comme si
on s’évadait de prison ». Les réunions familiales étaient susceptibles d’effraction, les rassemblements étant interdits en
dehors de ceux organisés par le Comité Populaire.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 469 -
que le PPRL avait une dette morale envers le PCV, grâce à qui la révolution laotienne a pu se
réaliser, etc.
Notre discussion avec les anciens révolutionnaires confirme les déceptions au sein-même du
PPRL. Elles portaient notamment sur la fuite en catastrophe d’une bonne partie de la population ;
les tires des gardes-frontières sur les gens qui tentaient de traverser le Mékong ; presque chaque
famille a au moins un de ses membres envoyés aux séminaires politiques. Trente années sacrifiées
pour la révolution et constater que la réconciliation nationale (et derrière cela, la réconciliation
familiale) ne s’était pas faite comme ils l’auraient souhaitée. C’était aussi désolant pour eux de
constater qu’il manquait des compétences pour construire le pays. Car, pour beaucoup, la nouvelle
société signifiait la fin de la domination américaine, mais surtout la paix retrouvée, la réconciliation
et l’union nationale. Probablement conscient que la fuite des 20% de la population n’étaient pas
entièrement liés au pouvoir de Vientiane, mais aussi à la peur des représailles du nouveau régime.
La première désillusion au sein du PPRL était donc probablement issue de cette fracture.804 De
nombreuses démarches individuelles ont été repérées de çà et là : certains membres révolutionnaires
tentaient de faire libérer, pour les uns, un cousin, pour les autres, un neveu, un frère, un oncle, etc.,
du camp de séminaire ou de prisons, incarcérés pour avoir tenté de fuir le pays ou pour avoir occupé
un poste dans l’administration du gouvernement de Vientiane. Mais devant les histoires
individuelles, le haut appareil décisionnel du PPRL restait froid. Et c’était probablement la
deuxième fracture à l’intérieur de l’appareil du pouvoir dès les années 1977-1980.
Les idéologies mises en application touchaient, dans le cas très particulier de la société
laotienne, les histoires intimes des familles, et était confrontée à une réalité qui menaçait sa propre
existence. Il fallait alors un certain pragmatisme. Même si aucun compromis n’a été trouvé
concernant les camps de séminaires politiques, quelques compromis avaient été établis dans les
autres domaines : rassurer les paysans en leur rendant les terres et en révisant la production
collective ; rassurer le peuple en leur accordant une liberté de culte et les droits de jouissance
individuelle des terres, les droits de commerce, qui avaient plus ou moins été enlevés dans les
premières années. Les compromis réalisés au cours du plan de trois ans (1978-1980) explicitaient
donc partiellement l’échec du régime. Le constat des années qui ont suivi démontrait que la
construction de l’homme nouveau trouvait ses limites, et l’ouverture du pays a révèlé que la plupart
des gens n’adhéraient que partiellement aux idéaux imposés trente années durant.
III. I. b. 2. Les constats portant sur la question spatiale
Le territoire à explorer et à fonder n’existe plus en tant que tel
Au moment où le régime laotien préconisait la réforme, deux idées principales soustendaient
la question spatiale. D’abord, il était à constater qu’un territoire vierge et inexploré, un
territoire où l’on pouvait y créer de nouvelles fondations ou de nouvel rayonnement n’existait plus
en tant que tel, dans le sens d’une conception de territoire vide et sans affectation de fonction. Car le
territoire du Laos était déjà exploré, bien qu’il soit relativement vaste, peu dense, avec une
installation parsemée d’établissements, en taches d’huile plus ou moins distancées, plus ou moins
complexes et importantes, dans les plaines arrosées comme dans les riches et hautes vallées, le long
des tracés routiers ou fluviaux. En fait, bien que beaucoup de parties de ce territoire soient
inhabitées, elles occupaient pourtant toutes, une fonction, ont été intégrées comme territoire affecté
de fonction dans le système spatial du muang ; que cette intégration territoriale soit des forêts ou
des jungles profondes, des montagnes, des zones agricoles ou autres, dépourvues d’habitant et
d’établissement. Comme nous l’avons déjà souligné dans la seconde partie de notre recherche, ces
804 Discussion avec des révolutionnaires à la retraite, Vientiane, 2001. L’un d’entre eux est un cousin de mon père. Je ne
le connaissait pas puisqu’il a pris le « marquis » à la fin des années 1950. Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois, il
s’excusait presque du fait que mon père avait été au camp de rééducation et qu’il n’avait pas pu le faire sortir.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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espaces vides n’étaient pas dépourvus de fonction, car le vide ou l’inhabité aurait fait partie
intégrant des fonctions de l’espace et du mode d’occupation des muang des populations tai.
Une nouvelle avancée dans ces espaces vides, qu’elle que soit la forme : une nouvelle
fondation, une extension, une reproduction, etc., doivent être alors considérées comme une
transformation, un changement de l’espace existant.
Comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent, rappelons-le ici : à partir de 1975
lorsque le PPRL entamait une nouvelle perspective pour construire une nouvelle société, l’espace
qui reflétait le mode de vie, mais aussi les idéaux qui ont conduit et régit les sociétés humaines,
devenaient des éléments opératoires de la mise en œuvre de cette nouvelle perspective. Des « villes
nouvelles », des changements de fonctions des espaces existant ont été ainsi mis en œuvre. Mais en
se faisant, le système idéologique du nouveau régime considérait l’espace inhabité dont nous
venons d’expliquer le caractère, comme des espaces vides dépourvus de fonction et de rôle, un vide
que le régime avait l’illusion de pouvoir combler. Or cela n’avait pas été ainsi. La vision
matérialiste de l’idéologie marxiste-léniniste posée sur l’espace lao aurait été sans doute mal à
propos et biaisée. Cet espace chargé de signification et de fonction aurait été confondu
intellectuellement au vide et au non-sens. Ainsi dans les premières années de son investigation, la
démarche intellectuelle du nouveau régime était d’inventer son propre espace muni de nouvelle
signification. C’était d’abord nier le temps et l’espace historique en général et c’était ensuite
méconnaitre la particularité de l’espace lao, trompeur par son aspect inoccupé et vide.
On constatait que les « villes nouvelles » qui se voulaient être le nouveau cadre des
établissements multiethniques, qui procédaient à la mixité des ethnies (dans le sens de mettre les
ethnies juste ensemble dans un même lieu) dans la méconnaissance des rapports d’inter ethnicité
circulaires, rencontraient de multiples incohérences, même s’il n’y avait pas eu de clivages et de
ségrégation. L’incohérence tenait au fait que les communautés vivaient côte à côte, mélangées, sans
vraiment partager des éléments qui fondent les valeurs d’une communauté. Comme nous l’avons
déjà noté, l’un des idéaux phares du régime était l’intégration inter ethnique des peuples afin
d’abolir les pratiques anciennes des sakdina qui, selon le régime, auraient considéré les ethnies
comme un « sous - peuple servile ». Et l’une de ses actions était donc la « détribalisation » par la
mixité et par le fait citadin : rassemblement multiethnique dans un même espace des populations de
parler môn-khmer à celles de parler tai et de parler myo-yao, etc., installer cette mixité dans les
nouveaux établissements de type muang, comme si le facteur spatial des villes nouvelles construites
sur les anciennes villes détruites par la guerre ou en quartiers annexes des villes existantes ou
encore sur des emplacements complètement nouveaux (construction de nouvelle structure pour faire
les bureaux du muang, de quelques projets d’équipements de base tels que : écoles, dispensaires,
nouvelles routes.) pouvait être des facteurs de détribalisation. Force était de constater que la
détribalisation, si elle pouvait être ainsi considérée n’était pas due ni au fait spatial du muang, ni à la
mixité, puisque la distinction ou le repérage ethnique continuait à être très claire et facile lorsque
l’on pénétrait dans l’une de ces villes. A travers le mode vestimentaire et alimentaire, à travers
l’organisation de leur espace habité, et puis plus âprement lorsqu’on s’intéressait aux pratiques
sociales, on pouvait constater que la vraie mixité (dans le sens de communauté cohérente partageant
certains espaces communs, des rituels communs, certaines valeurs communes, etc.), était rare chez
les différents groupes ethniques. L’endogamie par exemple est un fait persistant dans la grande
majeure partie des ethnies. Autrefois, alors qu’on ne les obligeait pas à vivre ensemble dans un
même village, cela ne les empêchait pas de s’emprunter réciproquement des coutumes, des modes
vestimentaires, culinaires, etc. Et ce phénomène avait toujours existé par le passé et existe encore
aujourd’hui, comme l’ont démontré les études de Grégoire Schlemmer.805
805 Grégoire Schlemmer, ethnologue, chargé de recherche à l’IRD (Unité de Rechecrhe 105, Savoir et Développement),
membre du Centre d’Etude de l’Inde et de l’Asie du Sud (CEIAS, UMR 8564, CRRS-EHESS). Il mène notamment des Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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La « détribalisation » a été en fait découvert ailleurs, en dehors des champs idéologiques
prévus au départ. Mais ce fait n’était pas nouveau. Elle a été pratiquée bien avant et dans un
contexte sociopolitique du régime sakdina lui-même,806 que le nouveau régime ne souhaitait pas se
référencer. Mais le fait est que c’était dans le fonctionnariat et dans les fonctions publiques de base
dans les provinces, plus encore que dans la hiérarchie du CCP, que de véritable intégration
interethnique a été réalisée et saluée par les intéressés. A Phongsaly nous ne pouvons restés
insensibles à la fierté des habitants, essentiellement Phou Noy et Hô, lorsqu’ils nous disent que
« nous avons aujourd’hui plusieurs ministres et plusieurs députés phou noy. Nos fonctionnaires des
muang et des provinces où nous vivons ne sont plus majoritairement tai mais toutes origines
confondues : tai lü, phou noy, hmong, khmu. Autrement, ils ne sauraient nous représenter.»807
Ce fait démontre en partie que l’utilisation de l’espace à l’usage uniquement idéologique ne
fonctionnait pas toujours. L’échec du point de vue spatial pour réaliser une intégration ethnique a
été rattrapé petit à petit par une politique d’ouverture des fonctions publiques de base aux individus
appartenant aux groupes minoritaires. Mais cette ouverture a dû être progressivement étalée dans le
temps : car il a fallu attendre que la politique de l’accès à l’éducation porte ses fruits. Les agents
administratifs d’origine minoritaire dans les premières années de la révolution étaient donc peu
nombreux, même dans les zones libérées. Aujourd’hui, dans certaines provinces, ils deviennent
même majoritaires, notamment à Phongsaly, et dans les districts à l’est de la province de Sékong.808
La négation et l’abstraction de la représentation de la ville et des fondations anciennes des
premières années de la révolution avaient besoin d’être revisitées
La remise en question de certaines idées politiques induites par la réforme était
accompagnée également des remises en question de certains fondements et questions portant sur la
ville et les espaces anciens. La ville en tant que symbole et représentation des pouvoirs anciens,
aristocratiques, bourgeois, impérialistes et étrangers ; la ville en tant que témoin de l’histoire ; la
ville en tant qu’entité spatiale ; qui a été niée dans les premières années de la révolution –dont nous
avons évoqué l’importance précédemment– fut alors reconsidérée. Que les questions ont été
exprimées ou formalisées ou pas, car beaucoup de questions ont été soulevées dans la haute sphère
du pouvoir du Comité Central du Parti sans qu’elles soient connues du bas peuple, les faits l’ont
montré que la négation des fondations anciennes comme facteur d’adaptabilité et de renouvellement
spatial a été remise en question en même temps que le réveil du régime dans son désir de se relier à
la continuité de l’histoire. Avec l’auto gestion de l’espace urbain, avec la négation de la ville et
l’abstraction des centres historiques à partir de 1975, l’anarchie semblait régner fortement dans les
années qui ont suivi, empêchant la gestion et le contrôle de la ville, mais aussi son appropriation par
ses habitants. Ce fait était accusé par une perte d’identification des habitants par rapport à leur ville.
Cela interrogeait donc l’appareil institutionnel et administratif (la gouvernance urbaine et
territoriale) et son rôle dans la gestion de l’espace et du territoire. Ces faits, qui résultaient du mode
de représentation, de conception et de gestion de l’espace du régime en place devaient-ils se
poursuivre ? La réforme et ses dispositifs qui devaient être mis en œuvre, nous ont démontré que
recherches sur le « rôle du savoir thérapeutique et l’émergence de singularité individuelle dans une zone multi-ethnique du
Nord Laos » ; Cf. Conférence à l’Institut Française de Vientiane, Grégoire Schlémer, mai 2012. 806 Nous pouvons repérer au cours de l’histoire récente de l’administration des Tai-Lao du Laos que de nombreux chefs
ethniques ont été intégrés dans la structure nobilière lao. Au XIXe siècle il y a le groupe de parler môn-khmer avec le
célèbre clan dont le chef Komadam promu au titre de phraya. Le cas de la famille Bac Kam (tai dam) est particulier
puisque les Lao par le droit coutumier reconnaissent l’origine aristocratique de cette famille comme la plus représentative
de la dynastie qui a dominé le Sip Song Chou Tai, et donc aussi le statut de ses descendants. Leur intégration dans la
structure administrative et nobilière lao ne requiert pas de prérogative particulière par rapport aux autres grandes familles.
Dans la première moitié du XXe siècle il y a le clan des Lyfoung (Hmong) dont plusieurs chefs sont promus également au
rang de phraya et intégrés dans la haute fonction publique (Gouverneur, député, ministre.) Et d’après Grégoire
Schlemmer, il y aurait quelques Hô et Phou Noy nommé phraya au XVIIIe et XIXe siècle. Ce fait est confirmé par Tiao
Khammanh Vongkotrattana, in : Pavat kanh Khouèng Phongsaly. (Histoire de Phongsaly). Op, cit. 807 D’après une discussion avec un habitant de Phongsaly d’origine Phou Noy. Juillet 2010. 808 A Sékong, d’après Vattana Pholséna qui y effectue actuellement une étude d’histoire.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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non. Nous pouvons mettre en perspective, quelques exemples concrets qui avaient permis à l’État
de revisiter les anciennes actions régressives et préconiser de les inscrire dans la réforme. Nous
tentons ici de dresser une liste.
Comment était installée la ruralisation contribuant à altérer le rôle de la ville et comment y
remédier ?
La dégradation des responsabilités et des savoir-faire des agents administratifs
La fonction de gouvernance des équipements administratifs a été parasitée par des tentatives
de productions de denrées alimentaires répondant à la politique d’autosuffisance. En corrélation, le
temps de travail avait également été fractionné : le matin, en arrivant au bureau les fonctionnaires
devaient d’abord s’occuper de l’élevage et du jardinage, aménagés dans le jardin du ministère. A la
fin de la journée, ils devaient repasser encore au jardinage et à l’élevage avant de rentrer à la
maison. Ainsi partagés, ils ne remplissaient qu’une partie de leur fonction : les taches
administratives et l’autosuffisance alimentaire demandées par l’État sont accomplies à moitié.
L’auto gestion spatiale et la dégradation des lieux et leur fonction
Personne n’était responsable, particulièrement, de l’entretien des rues et des routes, si non
tout le monde. La gestion urbaine et les services techniques de la ville étant une vraie fonction, un
travail complexe devant rassembler des compétences et des investissements (techniques et
financiers) des spécialités, puis des spécificités d’une ville à une autre, réclamant une institution
compétente. Ils ne pouvaient être assumés facilement par des individus. Or on demandait aux
individus à travers les travaux collectifs d’assumer une responsabilité publique. Ici, une
responsabilité civique a été confondue à une responsabilité publique qui devait relever normalement
des fonctions publiques, qu’elles soient à l’échelle centrale ou locale. Par cette pratique, la
gouvernance frôlait l’anarchie, puisque la fonction publique et ses compétences ont été réduites à
néant. Mise à part cette dégradation des fonctions, il y a la dégradation des lieux. Dans la pratique,
tout le monde était obligé de nettoyer devant chez soi, soucieux de bien faire que devant chez soi
sous peine d’autocritique, on n’ira pas se mêler des nettoyages qui n’étaient pas chez soi, si le
comité du village ne venait pas nous mobiliser. Certains édifices restaient ainsi en état d’abandon,
des tronçons de chemin envahis par des herbes, etc. Les ordures ménagères étaient brulées sur place
dans le jardin. Ceux qui n’avaient pas de jardin (cas des compartiments) brulaient leurs déchets
domestiques sur le trottoir-même, car il n’était pas question d’avoir des immondices dans la rue.
La réforme administrative territoriale corollaire à la transformation sociopolitique
Le fait de supprimer l’administration de la zone urbaine des villes pour l’attacher à
l’administration unique de la province, indique la volonté de réduire l’importance sociopolitique du
milieu urbain. Sachant que l’administration et les services urbains nécessaires à la ville n’étaient pas
de la même nature qu’en province. Les supprimer démontrait soit la méconnaissance, soi la volonté
politique de détruire la ville en tant qu’entité sociale et politique.
L’étatisation des biens fonciers
L’appropriation par l’État d’une bonne partie du patrimoine privé urbain avait mis un arrêt à
la spéculation foncière, mais ce fait a surtout coupé à l’État toutes possibilités de perception (taxe,
impôt). Le foncier devenait une coquille vide, sans prix, sans valeur, gratuite pour les futurs
occupants auxquels l’État attribuait les habitations. Pire, il aurait été une charge économique pour
l’État si celui-ci devait les entretenir. Un bien foncier sans valeur foncière était l’antithèse de la ville
par excellence.
L’autogestion de l’espace, dans le sens de l’absence de planification urbaine
Les quartiers périphériques constitués nouvellement ou greffés aux villages existant et qui
entamaient le début des extensions périphériques de la ville durant les dix premières années du
régime, n’avaient aucune planification prévue. L’État laissait libre cours aux habitations qui se
construisaient peu à peu, la seule règle était que les terres soient appartenues à ceux qui Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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entreprenaient les constructions, ou du moins, qui pouvaient justifier de leur droit, d’une manière ou
d’une autre, ou alors, que ce droit soit donné par l’État.
La population rurale
La venue de la population rurale en ville confortait l’usage rural de la ville imposé par
l’autorité politique du village et du district. Le fait que les nouveaux habitants ayant la réaction de
vivre la ville comme en milieu rural (aménager les rizières, les jardins, l’élevage dès qu’ils
trouvaient des terrains libres) faisait qu’il y avait une augmentation importante des activités de
production au sein même de l’espace urbain, productions aussitôt auto-consommées, et il y avait
moins d’activités de services, d’échange et de circulation des biens, qui devaient être normalement
le propre des villes.
Les bâtiments emblématiques et fonctionnels
Dans la construction des espaces symboliques du nouveau régime, bien qu’ils n’eussent pas
été nombreux les bâtiments emblématiques ont été les projets phares du nouveau programme à
partir du premier et du deuxième plan quinquennal. Les nouveaux édifices étaient sensés incarner la
nouvelle centralité idéologique spatialisée. Il y avait notamment le stupa dédié aux combattants de
la révolution, l’Assemblée Nationale, le Kilomètre six, etc. Il était de même des nouveaux
équipements, indispensables par leurs fonctions (hôpitaux, centres universitaires.) Ces édifices qui
se voulaient être les nouveaux éléments de rassemblement, que ce soit par leur capacité de
représentation ou par leur fonction, concouraient en premier temps à mettre en péril la ville et le
centre ancien.
Zone spéciale
La zone spéciale a été créée en 1994. Sa création répondait à une multitude de questions
d’ordre politique, économique et humaine. Mais ce qui intéressait la question de la ville et du centre
ancien, c’était la définition qu’on lui donnait. Il aurait existé en quelques sortes dans ce que l’on
appelait « la zone spéciale » une autre manière d’habiter et de concevoir l’espace de l’habitat, une
autre manière alors de gérer et de gouverner les hommes en dehors de ce que l’on pouvait concevoir
dans la ville ancienne et dans la ville nouvelle.
Villes nouvelles
Les villes nouvelles, pour la plupart reconstruites sur les anciens établissements (villages ou
villes anciennes) détruits par la guerre, se voulaient d’abord socialistes. Même si les budgets
manquaient pour les réaliser, les idées premières qui les ont conduites étaient claires. Elles devaient
posséder des équipements et des fonctionnalités pour tous. Le peuple multiethnique qui y habitait
était pleinement chez lui, dans un lieu neutre et fonctionnel, ayant des grandes routes pour faciliter
les accès et les futures extensions. On a été peu soucieux de l’histoire des lieux d’avant leur
destruction, car l’histoire individuelle et particulière aurait été l’obstacle de la société nouvelle
multiethnique. Le brassage ethnique, sans passé historique avait ainsi été la qualité première de ces
villes reconstruites. Elles ont été la cause de la déstructuration et de la méconnaissance des
fondamentaux de la ville et de l’urbain lui-même, qu’elle que soit la particularité de ces villes. Les
connaissances qui auraient été apportées par le mode d’habiter, la gestion et la gouvernance urbaine
des établissements anciens ont été reniées dans leur ensemble.
Les points soulignés, ci-contre, font probablement partie des bilans et pris en compte pour réviser
les dispositifs engagés, jusqu’alors, afin de poursuivre la réforme.
III. II. Les implications de la réforme dès 1994 et 1995
Théoriquement la Réforme a commencé avec la résolution adoptée lors du IV Congrès du
Parti en 1986. Elle n’aura des implications visibles du point de vue spatial qu’à partir de 1994 et
1995, période où s’est achevée la plupart des projets importants qui ont été engagés après l’année de
la réforme. Ce sont des projets clés mis en route et devant apporter des changements importants Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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dans le paysage urbain des villes, telles l’élaboration de nouveaux plans urbains et la création des
nouvelles instances administratives, la mise en place de la constitution et des décrets-lois, etc.
Nous pouvons constater que les différents projets qui ont été rendus possibles grâce à la
réforme, suscitent un certain nombre de questions, notamment celles portant sur la place de la ville
dans le territoire en cours de restructuration. Les projets induisent en quelques sortes une
redéfinition de l’entité de la ville, l’obligeant à se redéfinir à travers son mode de gestion, son
développement et ses limites. De même, la vision restrictive du centre et des quartiers historiques
doit être revisitée. Alors que des éléments de réponses à ces questions restent encore flous, la
démarche qui semble la plus évidente de la politique de gestion et de développement urbain, ce sont
les tentatives de ramification des quartiers extérieurs vers une certaine unité et vers une nouvelle
limite urbaine.
Avant de mettre en saillie les implications de la réforme dans l’espace urbain, il est
important de noter que les implications politiques et administratives à partir des années 1990 et
1991 ont véritablement créé les conditions et les cadres nécessaires et favorables, rendant possibles
et effectives les grandes lignes de la réforme. Il faut noter également que la période précédant le
début des années 1990 (entre 1986 et 1990) comportait certains éléments qui retardaient la
démarche et l’accomplissement de la réforme. Effectivement entre 1986 et 1990 la
« décentralisation du pouvoir déconcentré », en particulier la réforme budgétaire,809 qui permettait
au pouvoir local d’acquérir une autonomie plus grande a rendu difficile la planification nationale
dans le développement du secteur urbain. De fait, le gouvernement a du mal à faire appliquer la
directive politique nationale notamment dans le secteur du développement urbain et territorial : les
ministères qui avaient pour rôle d’assister les pouvoirs locaux à conduire les grandes lignes de la
politique de l’État peinaient à conduire leur mission en province dans les projets de voiries et
d’équipements publics notamment. Parce que les autorités et les administrations locales
conduisaient les projets avec leurs propres fonds jusqu’à la réforme de 1991. A partir de cette
réforme, qui s’illustra par le recentrage du pouvoir et de l’établissement du budget national, le
ministère des Communications, Transports, Postes et Constructions (MCTPC) a pu davantage
contrôler les projets que conduisaient les Départements des Communications Transports, Postes et
Constructions (DCTPC) attachés à l’administration locale des provinces qui lui étaient attachés dans
la structure administrative verticale, alors que ceux-ci étaient transversalement responsables devant
le Préfet ou le gouverneur de province.
La période entre 1990 et 1995 était une période charnière durant laquelle les différentes
initiatives de l’État prenaient le temps pour être comprises et mises en application par le pouvoir
local et les agents administratifs. Ceci, en ce qui concernait aussi bien la situation dans la capitale
que dans les provinces, accusée par un manque de ressources humaines et de cadres compétents. La
difficulté de la transition structurelle a été ressentie de manière plus forte durant cette période que
dans la période actuelle, même si le problème de ressources humaines n’est toujours pas résorbé
jusqu’à ce jour.
Entre 1990 et 1995 des initiatives plus importantes ont été mises en œuvre permettant
d’impliquer plus largement les autres secteurs et acteurs dans la réforme. Les initiatives ont été
d’ordre politique et administratif, notamment dans cinq domaines majeurs :
1- Dans le domaine constitutionnel, lors du Ve Congrès du PPRL, outre le remplacement de
l’Assemblée Populaire Suprême par l’Assemblée Nationale, la première Constitution de la RDPL a
été créée le 14 Août 1991.
2- Dans le domaine politique, comme nous l’avons signalé plus haut, la recentralisation
administrative a été préconisée par le décret N68/PM, au mois de novembre 1991. Elle permettait au
809 Cf. Réflexion sur « l’administration locale »Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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gouvernement central de contrôler et de mener de manière globale la politique de développement
national, notamment dans le domaine monétaire avec la création de la Banque Centrale et le
contrôle du taux de change, et dans le domaine budgétaire et financier avec la centralisation et le
contrôle des fonds et des budgets des provinces.
3- Dans le domaine administratif et institutionnel il y a un effort particulier pour redéfinir le rôle des
institutions et des administrations publiques existant et la création des nouvelles institutions qui
n’existaient pas. Notamment le Département de l’Administration Publique a été défini et restructuré
par le décret N98/PM du 17 décembre 1992. Ce département va devenir un rouage qui va aider
l’administration de l’État à améliorer ses différents composants et préciser les rôles qu’ils ont à
jouer dans les années à venir.
4- Dans le domaine budgétaire : le système de Plan National des Budgets a été établi, voté par
l’Assemblée Nationale en 1991. Plus tard, la nouvelle loi des budgets sera votée le 18 juillet 1994
suivie par le circulaire N1369/MF du 12 décembre 1995, portant l’enregistrement de tous dons et
aides internationales, rentrant comme revenus de l’État et comme budgets publics. Le Plan National
des budgets vient conforter et « gonfler » les investissements publics dans la mise en œuvre des
différents projets, notamment du secteur urbain.810
5- Dans le domaine de la régulation foncière et du système de taxation, le décret N50/PM du 13
mars 1993 a mis en place les taxes foncières, amendant le décret N47/CCM du 26 juin 1989 qui
portait en parti sur les taxes foncières. Puis la loi foncière N04/95/NA du 14 octobre 1995 a été mise
en application par le décret N72/PM du 22 mars 1996, remplacée par la suite par la loi foncière
N01/97AN du 31 mai 1997. La question foncière (immatriculation, taxation, transfert, loi et décret
la concernant) est un domaine privilégié qui a fait l’objet de plusieurs retouches. Elle est placée au
cœur des préoccupations de l’État dans sa recherche des lignes de perceptions financières et est
aussi très soutenue par les bailleurs de fonds internationaux.811
III. II. a. La nécessité de restructuration administrative : nouveaux outils
d’application, mode de gestion du territoire de la ville, nouvelles instances
administratives
L’évolution de la structure administrative locale et du secteur de la stratégie urbaine
aboutissant vers la création d’une structure de gestion urbaine
Nous avons abordé dans la première partie de notre recherche le contenu de ce qu’est la
municipalité que le Gouvernement tente de mettre en place. Nous abordons dans cette présente les
antécédents, les raisons ou la nécessité qui ont conduit à la création d’une Autorité Administrative
pour l’Aménagement Urbain, de Vientiane et de celle des villes secondaires (UDAAs), qui devrait
plus tard ouvrir la voie aux réflexions portant sur le pouvoir local et expérimenter la
« municipalisation ».
En fait, il était d’abord nécessaire de créer une structure aussi bien institutionnelle
qu’opérationnelle afin d’assurer une bonne conduction d’une partie de la politique de la ville et de
sa gestion. Cette structure a été jusqu’alors absente, mais dont les charges, rappelons-le, se
reposaient de fait sur l’État qui centralisait tout et qui, pour accomplir ces charges utilisait dans les
premières années du régime (sans doute faute de mieux et dans un esprit pragmatique) le système
des travaux collectifs, système que seul le régime communiste pouvait se permettre. Ces travaux ont
été imposés à la population à travers les comités populaires et les organes administratifs locaux et
810 Ce qui voudrait dire aussi que le financement public reposait essentiellement sur les aides internationales tous secteurs
confondus. En aides multilatérales et bilatérales, le Laos reçoit chaque année, entre 1994 et 2003, environ 250 à 350
millions de dollard US. Cf. Kham Voraphet. Op, cit. 811 Cf. notamment le projet d’immatriculation foncière : établissement des titres et des registres fonciers en province et
préfecture de Vientiane, à Luang Prabang, Savannakhet et Paksé ; avec le Financement de la BM et de Aus Aid, débuté en
1997 pour une durée 7 ans.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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de sécurité de quartier et de village (la milice), et également imposés aux fonctionnaires à travers les
administrations centrales. Régulièrement, collégiens, étudiants, fonctionnaires, simples habitants,
devaient participer aux travaux collectifs : creuser et ré calibrer les canaux, nettoyer les caniveaux et
les rues, etc.
Après les premières années de la RDPL, liées à la décentralisation administrative qui a eu
lieu jusqu’à 1991, les taches ont été inscrites de fait dans le cahier des charges du pouvoir exécutif.
Celui-ci est déconcentré et détaché des ministères, mais transversalement responsable devant le
Préfet et le Gouverneur de province. Il s’agissait de créer un service technique du Département des
Communications, des Transports, des Postes et des Constructions (DCTPC) au sein de
l’administration de la préfecture (pour Vientiane) et des provinces. Ce département existait déjà au
sein du ministère, mais n’existait pas dans l’administration de la préfecture et des provinces.
Cependant, il a été créé comme un département déconcentré au sein de l’administration de la
préfecture et des provinces au début des années 1990. Son rôle et ses compétences ont été définis et
portaient essentiellement sur les missions de conseil qu’il devait mener auprès des services locaux
des provinces dans le secteur concerné. En se faisant, il devait y conduire la politique et les
directives de la politique de développement territorial du gouvernement central.
De fait, le DCTPC a été en charge pendant longtemps de la question des travaux publics et
du développement urbain avant la création des UDAAs. Le DCTPC étant un organe déconcentré,
émanant du ministère, mais travaillant transversalement sous les directives du Préfet ou du
gouverneur de province, doit assurer localement les affaires urbaines ainsi que les travaux.
Le DCTPC se retrouve très vite dépassé par les lourdes tâches qui s’accumulent au fur à
mesure de la concrétisation de la réforme et de l’ouverture économique, renforcée par les
coopérations qui se densifiaient avec les partenaires extérieurs, divers et multiples. Le DCTPC
assumait en quelques sortes deux rôles : celui de mener la politique de l’État (donc un rôle
directionnel) et celui de mettre en œuvre les opérations (donc un rôle d’opérateur). Rôles qu’il
n’arrivait pas vraiment à accomplir. Ceci, obligeait le gouvernement à trouver des solutions
adéquates pour répartir et déléguer les charges au sein de ses propres structures exécutives. Très
vite, si ce n’était dès le départ, la question d’une administration et d’une gestion locale a été posée,
en particulier dans le domaine de l’aménagement et de gestion du territoire à l’échelle du district et
à l’échelle urbaine. La charge directionnelle, celle qui était corollaire à la stratégie du secteur
urbain, a été comprise comme une mission politique qu’assumait déjà le ministère, alors que la
charge de mise en œuvre des différentes orientations de cette politique a été comprise comme une
mission qui devait être prise en main par un autre organisme plus affairant, plus opérationnel. D’où
une vision claire pour distinguer deux échelles : une échelle d’orientation politique et stratégique
qui serait gouvernementale et une échelle plus opérationnelle qui relèverait du pouvoir local.
Cependant, jusqu’à l’approche de la création des UDAAs le pouvoir local provincial reste
purement un pouvoir déconcentré de l’État. La réflexion portée sur la nécessité d’une administration
locale née d’un certain pragmatisme technique préparait en fait une autre réflexion plus complexe et
plus politique, d’une possibilité d’un pouvoir locale possédant réellement des compétences
institutionnelles autonomes. Cette réflexion aurait été alors latente sous l’impulsion des bailleurs de
fonds internationaux. Pour des raisons politiques et constitutionnelles cette réflexion aurait conduit,
non pas directement vers la création d’un pouvoir local, mais vers la création d’une structure
technique spécifique de type « services technique de la ville » dans le cadre d’une administration
déconcentrée (et non décentralisée), capable de prendre en relais les charges et les responsabilités,
qui incombaient le DCTPC.
Ainsi le système des travaux collectifs (entretien des équipements et des réseaux publics,
etc.), et la politique de l’autosuffisance et de l’autogestion, hérités de la première période du régime,
devenaient-ils au fur à mesure obsolètes. Mise à part qu’ils ne pouvaient pas être vraiment efficaces,
la conduction des travaux de voirie et d’équipement de la ville à travers le système de travaux
collectifs, de politique de l’autosuffisance et d’autogestion dans une période de réforme et Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’ouverture serait vraiment mal à propos, impopulaire et franchement critiquable au regard de la
coopération internationale. C’est alors que l’idée de la création d’une structure de gestion urbaine
était devenue nécessaire. Le Comité pour le Développement et la Gestion Urbaine de Vientiane
(VUDMC) a alors été créé par le décret N40/FAMC, le 4 avril 1995.812 Ce Comité avait pour
mission essentielle la mise en application et la gestion des projets de développement urbain qui ont
été soutenus par les aides internationales (prêts et dons) dans le secteur, de préconiser un futur
service technique urbain éventuel. Il a permis, dans tous les cas, la conduction d’un nombre
important de projets qui commençaient à apporter des changements dans le paysage urbain. Il a
également permis aux agents de l’État en charge de la conduite des projets en concertation avec les
experts internationaux de se rapprocher de plus en plus de la gestion urbaine en dehors du système
centralisé et collectiviste. Mais la structure et les compétences de VUDMC restaient encore trop
restreintes. Les carences dans la gestion urbaine étaient encore loin d’être comblées. Ce Comité qui
servait plus à conduire des projets expérimentaux qu’à gérer le territoire urbain et ses projets, à
termes, ne pouvait pas évoluer vers une Autorité Administrative compétente comme il aurait été
plus tard espéré avec la création de VUDAA.
III. II. b. La recherche de la ville en tant qu’entité
Suite à une période de ruralisation et d’auto gestion du territoire urbain, des observations
ont mis en relief l’altération du statut de la ville et de l’entité urbain et aussi de ses acteurs. Mis à
part le besoin de doter la ville d’organisme de gestion, un réel besoin de restructurer la ville ou des
chefs-lieux en tant qu’entité à part entière, que ce soit dans la capitale ou dans les centres
provinciaux a également été soulevé. Ce besoin a été d’abord exprimé dans la formulation des
stratégies de développement, tout secteur confondu. Il a été ensuite étayé dans la stratégie du secteur
urbain proprement dit, lorsque les termes ont été formulés avec l’aide des interventions extérieurs :
celles des Nations Unies et des bailleurs de fonds internationaux, permises par la réforme et
l’ouverture du pays. La concrétisation de la stratégie du secteur urbain s’était exprimée par : 1- la
définition et l’identification des critères des échelles urbaines, mais aussi celles des différents
acteurs, anciens et nouveaux, 2- la mise en marche de l’élaboration des nouveaux plans de
développement urbain ainsi que la mise en place des organes techniques et administratifs
responsables du secteur de développement urbain. Mais avant d’aborder les deux principaux points
de concrétisation de la stratégie urbaine, examinons d’abord les formes de soutiens extérieurs
apportées au secteur urbain.
III. II. b. 1. Les soutiens et stratégie dans le secteur urbain : stratégie du gouvernement lao,
celle des bailleurs de fonds et des autres partenaires de la coopération
La volonté des instances politiques et financières internationales, notamment celle des
Nations Unies (ONU), des bailleurs de fonds comme la Banque Asiatique de Développement
(BAD) et la Banque Mondiale (BM), de faire du Laos « un État de droit », n’était le secret pour
personne, en particulier pour le gouvernement de la RDP Lao lui-même. « Sa réalisation ne serait
entre autres qu’une question de temps », pronostiquaient les observateurs étrangers. Les fonds
alloués indirectement pour cette fin, sous forme de prêts, ainsi que sous d’autres formes d’aides,
touchant de nombreux secteurs du développement étaient, de fait, l’un des contreparties des
réformes politiques que le gouvernement lao devait entreprendre. L’un des objectifs phares
consistait, dans la réforme institutionnelle, à créer un pouvoir local compétent (qui serait à termes,
éventuellement élu). Cette contrepartie n’avait pas été ignorée par le noyau central et décisionnel de
la politique laotienne : dans toutes les concertations internes et confidentielles, même les plus
techniques, l’un des mots d’ordre concernant cette question était un examen politique sans
exception de tous les projets d’aides et de coopérations provenant de l’extérieur, quel que soit le
812 FAMC : Comité pour la gestion des investissements étrangères ou The Foreign Aid Management Committee.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 478 -
secteur. La question majeure était souvent de savoir si les contreparties des aides ne seraient pas
trop contraignantes, s’il n’y avait pas de menaces pour le régime et le PPRL, ce qui l’aurait obligé à
se plier aux faits accomplis, à changer le fondement de sa politique et accepter les interventions
extérieures contrevenantes, une véritable ingérence alors dans la souveraineté politique nationale.813
Tels étaient en général le discours officiel et les craintes concernant l’examen et la réception des
projets de coopération avec l’extérieur. Du fait que les décisions dans les secteurs tout à fait
techniques et administratifs soient ainsi placées sous l’emprise des visions et décisions politiciennes
la mise en œuvre des décisions passait souvent au ralenti. C’était en fait cette prudence et cette
méfiance qui auraient aussi créé l’effet de lenteur dans le rouage administratif laotienne. Les projets
qui soutenaient la création du pouvoir local évoluaient donc lentement et passaient par des
procédures administratives et institutionnelles longues, faites d’embuches et de compromis. Nous
l’avons vu dans la question traitant de la « Recherche d’outils de développement, de maitrise et de
gestion urbaine » que les décisions politiques constituaient l’élément décisif même si la difficulté
était avant tout d’ordre institutionnel, technique et culturel.
Nous pouvons dire avant la mise en œuvre du projet de municipalisation en cours que la
tentative pour créer la structure technique et administrative locale remontait, de certains points de
vue, au début de la période de recentralisation de 1991 ; aux premiers projets de renforcement
technique et institutionnel pour la planification, la gestion et l’aménagement urbain et au Projet
Pilote Sihom qui les accompagnait (dont nous allons développer par la suite le contenu.)
Stratégie du gouvernement lao
Bien que traditionnellement la conception et la culture administrative de la ville et de la cité
existaient et ne pouvaient être ignorées dans la réalité spatiale et historique des villes lao, la
conception de l’urbain et de toutes ses implications est pourtant récente, si nous le considérons du
point de vue des critères fonctionnels et administratifs ainsi que du point de vue d’une démographie
agglomérée ; ou alors si nous considérons que l’urbain induit un ensemble de modes de vie et de
relation, d’espaces, de réseaux et de limites qui « conditionnent, normalisent et uniformisent les
comportements physiques et mentaux des habitants »,
814 donnant ainsi une définition autonome et
complexe (complexité des acteurs, des paramètres économiques, de la structure politique qui la
gère, etc.). C’est pourquoi la stratégie de développement du secteur urbain ne peut être que récente
au Laos, corollaire à l’histoire de la constitution et de l’évolution des villes et de l’urbain tel que
nous venons de le définir.
La stratégie du secteur urbain au Laos était née, pour ainsi dire, avec les considérations
portées sur les infrastructures qui étaient liées au développement et au désenclavement du monde
rural. Du point de vue système, la stratégie du secteur urbain était restée, jusqu’à récemment, un
secteur mineur rattaché à la stratégie générale de développement. Depuis 2005 cette stratégie
générale a été formulée sous le programme de la Stratégie Nationale pour la Croissance et
l’Eradication de la Pauvreté, (NGPES), qui a privilégié quatre secteurs prioritaires : l’agriculture,
l’éducation, la santé et le transport. Le NGPES lui-même a été intégré dans le sixième plan National
socio-économique 2006-2010.815 Cela veut dire que stratégiquement le début de la réflexion portée
sur le secteur urbain a été lié au développement et au désenclavement du monde rural et aujourd’hui
indirectement lié à la politique de réduction de la pauvreté et d’amélioration des conditions de vie.
Les premiers projets de développement dans le secteur urbain, mis en place vers 1987 avec le
financement du Centre pour l’Etablissement Humain-habitat des Nations Unies (United Nation
Center for Human Settlements, UNCHS), nous ont bien montrés comment et dans quel champ
813 Cf. Cinq leçons du PPRL dans la Réforme, Comité pour la Propagande et la Formation du CCP, 2000, Vientiane (en
Lao), pp. 30-31, portant sur la politique de « coopération avec l’étranger ». 814 E. Dorier-Apprill, Dénominations génériques de la ville, Vocabulaire de la ville, Ed. du Temps, Paris 2001. 815 En 2004 le gouvernement lao et les bailleurs de fonds internationaux ont approuvé ensemble le NGPES, visant à
réduire de moitié la pauvreté au Laos à l’horizon 2015.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’intervention le secteur urbain ou l’urbanisme a-t-il été abordé. Il faut attendre la loi de
l’urbanisme de 1991 et le premier schéma directeur approuvé la même année pour que le secteur
urbain soit abordé de manière plus autonome par rapport à la question de l’amélioration des
conditions de vie, et encore, au niveau de la mise en œuvre de la stratégie nationale le secteur urbain
était resté un secteur transversal qui s’était accroché aux secteurs verticaux plus importants.
Les facteurs qui favorisaient l’émergence du secteur urbain étaient donc classiques.
Officiellement, la politique laotienne conçoit l’idée que la croissance économique qui est due à la
Nouvelle Mécanique Economique (NME) devrait induire une migration rurale vers la ville de
manière plus importante. Et donc, pour cette raison, il allait y avoir une extension et une croissance
urbaine conséquente. Ce qui nécessiterait alors la mise en œuvre d’une stratégie urbaine. Le côté
« contextuel » de la stratégie du secteur urbain, lié à la nécessité de développement
socioéconomique du pays, avait une influence –du point de vue théorique et du champ
disciplinaire– sur le fait que les analyses spatiales et les études urbaines appliquées avaient du mal à
émerger comme un champ disciplinaire propre et autonome.
Pour mettre en œuvre la stratégie du secteur urbain le gouvernement lao a désigné trois
grandes catégories, regroupant plusieurs volets, qui nécessitaient un développement et un soutien
prioritaires : soutiens techniques et financiers dans la construction des infrastructures, assistance
dans la mise en place des institutions et des organes techniques compétents, formation des
ressources humaines dans le secteur concerné.
Projets et stratégies des bailleurs de fonds et des partenaires de la coopération
Les Nations Unies
Après 1975 beaucoup de pays occidentaux avaient coupé les relations avec le Laos et
avaient mis un certain temps pour reconnaître la légitimité de son gouvernement. D’autres pays
avaient maintenu symboliquement certaines relations. En tant que membre de l’Organisation des
Nations Unies (ONU) le Laos, comme les autres pays membres, devait bénéficier de la présence de
l’ONU et de son aide. L’ONU continuait donc à maintenir son soutien à la RDP Lao, du moins
assurant au minimum la ligne politique de l’Organisation dans sa neutralité et dans sa non-ingérence
vis-à-vis de l’idéologie politique du Laos. Bien que certaines actions politiques menées par ce pays
dans la violation du droit de l’homme et des libertés fondamentales des individus aient été
dénoncées maintes fois par l’Amnesty Internationale et bien que les camps de réfugiés aient été
installés par le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR), afin d’accueillir les gens fuyant les
exactions du gouvernement de lao, le Laos avait continué à être membre à part entière de l’ONU
même si aux yeux de beaucoup de pays membres sa place n’avait pas été honorable durant les
premières années du régime. La stratégie de l’ONU a été donc limitée, non seulement parce qu’il y
avait eu de la pression provenant des autres pays membres, mais aussi parce que le pays lui-même
avait été limité structurellement pour mener un dialogue fructueux et constructif avec les instances
internationales pour le développement du pays. Les rapports politiques du plan de trois ans et du
premier plan quinquennal du Comité Central du PPRL l’ont bien souligné. Parmi les aides de
l’ONU au Laos, le secteur urbain n’y était pas présent tout de suite, ou alors indirectement
concerné. Il fallait attendre les premières années après la réforme de 1986 pour que l’ONU monte
des projets dans le secteur urbain de manière plus conséquente. Notamment, en 1987 ce fut le
Programme de Développement Urbain de la Préfecture de Vientiane (Financement PNUD/UNCHS.
Lao/85/003). Ensuite, l’ONU a soutenu le Projet de Planification Urbaine de Luang Prabang, en
cofinancement avec la France. Ce fut le début de la coopération bilatérale entre la France et le Laos
dans le secteur urbain. Ce projet était cautionné et financé par le PNUD/UNCHS. C’était au travers
de ces projets que l’Institut des Etudes Techniques et Urbaines (IETU), ait pu être mis en place au
ministère MCTPC. L’institut était une assise et un tremplin important pour les travaux et projets
dans le secteur urbain pour les années qui ont suivi. En 1989, le PNUD a financé la mise en place
du projet d’étude du Schéma Directeur de Vientiane, selon la procédure française. En 1991, le
PNUD/UNCDF a financé le projet d’aménagement urbain et d’assainissement, avec la mise en Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 480 -
œuvre de projet pilote du quartier Sihom qui devait se réaliser entre 1990 et 1997, dont la phase I se
tenait entre 1991 et 1994. Ceci, avec les volontaires des Nations-Unies (UNVs, Lao/89/C01) et avec
un opérateur technique local qu’était l’IETU. Dans la foulée, un autre projet annexe a été mis en
œuvre et financé par le PNUD (Lao/89/002). C’était le Projet de renforcement technique et
institutionnel pour la planification, la gestion et l’aménagement urbain, afin d’améliorer la capacité
et les compétences techniques de l’IETU. C’était après le début des années 1990 que les autres
intervenants internationaux participaient plus activement au développement de ce secteur : les
bailleurs de fonds internationaux et les pays donateurs, etc., sous forme de coopération bilatérale ou
multilatérale. Lorsque les bailleurs de fonds tels que la BAD et les autres partenaires (les pays)
devenaient plus actifs dans la mise en application des projets et des programmes, l’ONU devenait
nettement moins présente ; ou alors, si elle continuait à l’être dans certains projets, elle jouait
surtout le rôle d’initiatrice ou de médiatrice et faisait intervenir directement les pays partenaires.
La Banque Asiatique de Développement
La Banque Asiatique de Développement intervenait au Laos dès 1992 dans divers secteurs
(développement rural, ressources humaines, environnement, secteur privé, renforcement des
capacités, infrastructures urbaines.) La BAD visait surtout la coopération régionale (à travers la
GMS, ACMECS, ASEAN) et cherchait à susciter les partenariats avec les autres bailleurs de fonds
sur les opérations qu’elle finançait, par exemple le partenariat de cofinancement avec l’AFD (à
partir de 2004) sur la suite du programme de financement du projet de Développement Urbain et
des Infrastructures de Vientiane (VIUDP) qu’elle avait lancé en 1993. Le projet prévoyait de mener
16 actions prioritaires dans les 100 villages qui composaient alors le périmètre urbain délimité par le
projet. En 1996, elle poursuivait la mise en œuvre du projet VIUDP, mais cette fois-ci engagée dans
les quatre districts de Vientiane. Le projet était engagé jusqu’en 2000. En 1997 elle lança la mise en
place du Projet de Développement Urbain Intégré pour les quatre villes Secondaires (STIUDP). La
même année dans le cadre du programme VIUDP elle finança un programme de formation et de
stage sur deux ans (BAD- VIUDP-TA 2377. 1997-1999), initiant et formant les agents laotiens à la
connaissance préliminaire de l’établissement du système administratif municipal. En 1997
parallèlement un programme de formation a été mis en place en inter-institutions (MCTPC-IETUBAD
TA Project-AIT BKK). C’était le programme AUPM (1997-2000) dispensant des formations
en planning et gestion urbaine, avec les formateurs internationaux et en coopération technique avec
Asia Institut of Technology (AIT) de Bangkok. La BAD commençait également en 1997 le
programme de 10 ans de réhabilitation, d’extension et de développement des aéroports du Laos.
C’était un programme multilatéral entre les banques et les pays nordiques. En 1998 la BAD
participait à un autre programme de formation (BAD- VIUDP-TA 2973, 1998-2000), mais cette
fois-ci c’est une formation destinée directement à l’Autorité Administrative pour le Développement
Urbain de Vientiane et des villes secondaires.
Les autres partenaires et les actions les plus porteurs
Les activités et les coopérations parmi les plus porteuses du secteur urbain menées avec les
partenaires par pays ont été inaugurées par l’Australie et la Thaïlande avec la construction du pont
de l’Amitié en 1994, entièrement financé par le gouvernement australien. Le Projet de consolidation
de la berge du Mékong à Vientiane, réalisé sur une section a été planifié entre 1994 et 1997 et mené
également dans le cadre du Financement australien. Entre 1996 et 1997 l’Union Européenne a
financé le Projet de la Mare de That Luang. Il concernait la canalisation et le traitement des eaux
usées. La même année, avec le soutien du Programme des Nations Unies pour le Développement
(PNUD) et de Norwegian Agency for Development (NORAD) le Projet de Gestion des déchets
urbains des villes secondaires a été mis en place, mené en parallèle avec le projet STIUDP. La
Banque Mondiale (BM) et Aus Aid engagèrent aussi le financement du projet d’établissement des
titres et des registres fonciers pour une durée de sept ans dans la province et préfecture de
Vientiane, à Luang Prabang, à Savannakhet et à Paksé. Depuis 1994 le Japon contribuait à plus de
55% des aides bilatérales, tous secteurs confondus. Dans le secteur urbain, sa contribution était plus Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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fructueuse à l’approche des années 2000 : financement dans la construction et réfection des
infrastructures routières, des ponts et des aéroports. La France, comme les autres pays d’Europe,
occupait une place importante dans la coopération bilatérale avec le Laos, en dehors du cadre
européen. Dans le secteur urbain son rôle a été important très tôt (dès 1987) après l’ouverture
économique du pays, surtout à travers ses expertises dans le cadre des financements du PNUD :
études des outils de planification urbaine avec le 1er Schéma Directeur Urbain (Groupe Huit 1989),
par exemple. La France s’était surtout illustrée dans ce secteur en reliant la question de
développement urbain à la question patrimoniale avec le projet d’étude de Luang Prabang en 1994
pour son classement au patrimoine mondial de l’Unesco. Parallèlement les travaux qu’elle
poursuivait ailleurs, telle la formation à l’élaboration des Plans d’Occupation des Sols (1994-1995)
et du SDU (1989-1991), aux enquêtes de terrain tant pour des études urbaines que pour les
inventaires du patrimoine, ont permis aux institutions laotiennes (notamment, l’IETU et le DCTPC)
d’aborder la question de développement urbain à travers des outils et de répondre en partie aux
besoins dans le domaine de la planification urbaine.
Les projets et les outils d’application
Les projets d’application dans le secteur urbain étaient surtout caractérisés par les projets
d’aménagement des infrastructures (réfection et construction des routes, des réseaux
d’assainissement et de drainages urbains, etc.), par les projets pilotes d’amélioration de l’habitat
(projet Sihom, projet Nong Tha.) et par le mode de financement des opérations, issu des prêts auprès
des banques et des donateurs par pays : Banque Asiatique de Développement, Banque Mondiale,
Coopération bilatérale et internationale, donateurs comme le Japon, la France, les pays nordiques,
l’Australie, etc. Les aides financières ainsi que les assistances techniques reçues par le Laos
faisaient que le pays figurait parmi les pays qui recevaient le plus d’aide et d’assistance au monde
par habitant. Dans les assistances techniques, il faut noter qu’en matière d’outils urbanistiques il y
avait une prédominance des outils français tels que le SDAU (Schéma Directeur d’Aménagement
Urbain), le POS (Plan d’Occupation des Sols), et après 1994 le PSMV (Plan de Sauvegarde et de
Mise en Valeur) pour la ville de Luang Prabang. Les derniers en date sont la ZPPAUP (Zone de
Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager) pour la petite enceinte de la ville de
Vientiane et pour la zone urbaine du site de Vat Phu de Champassak816 et le SCOT (Schéma de
Cohérence Territoriale) étudié par l’ADUC pour le développement de Luang Prabang en dehors de
son secteur de sauvegarde.
Sous le Programme du Centre des Nations Unies pour les Etablissements Humains-Habitat
(UNCHS), le SDAU a été élaboré pour la première fois en 1989,817 après celui réalisé entre 1958 et
1963.818 Ce nouveau SDAU de Vientiane a été mis en révision en 1994 et en 2001 par l’Institut de
Recherche en Urbanisme (IRU) et à partir de 2009 il a été révisé de nouveau par les experts de JICA
et financé par les prêts de la BAD.
Nous avons vu dans un autre chapitre que la prédominance des outils français est due en
partie au passé colonial des villes laotiennes, à leur culture administrative et à leur culture de
l’aménagement urbain et de la gestion des sols. Et nous pouvons constater sur le vif que l’expertise
internationale à ce sujet tend également à être majoritairement française ou du moins de formations
françaises et que du point de vue technique et de l’ingénierie, la tendance est plutôt d’origine anglo-
816 L’étude du ZPPAUP de Vientiane a été proposée en 2003 par l’Atelier du Patrimoine et l’IRU, mais n’a toujours pas
été approuvée en 2008. Le ZPPAUP de Champassak, concernant la ville-même de Champassak a été proposé pour étude
dans le cadre du projet FSP Vat-Phu. Mais en 2008, l’étude n’a toujours pas abouti. 817 Cette étude donne lieu à un rapport de présentation en quatre volumes : « Vientiane, schéma directeur d’aménagement
urbain, Programme de développement urbain de la Préfecture de Vientiane : Lao/85/003, 1989 » ; « Vientiane, étude du
schéma directeur, diagnostic urbain et proposition 1989, rapport final, programme de développement urbain de la
préfecture de Vientiane, Bouchaud, 1989 ». Les études ont été réalisées par le Groupe Huit/ IETU/ MCTPC et BCEOM. 818 Ville de Vientiane : étude au plan directeur d’urbanisme et des aménagements urbains, pour le compte du Royaume du
Laos, BCEOM, 1958-1963.
Fig. 100. La progression de
l’élaboration des
plans urbains,
avant l’année
2000.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 482 -
saxonne. Ce constat est dû sans doute au fait que la langue utilisée par les agents supérieurs de
l’État est le français, que ces derniers soient formés professionnellement en France ou en Europe de
l’Est. S’ils obtiennent leur baccalauréat au début des années 1970, le français serait leur première
langue étrangère. Cet acquis scolaire leur a servi fondamentalement plus tard pour travailler avec
l’expertise internationale, après l’ouverture du pays.819 Par contre, la culture anglophone a été plus
présente chez les jeunes ingénieurs formés dans les années 1990 et en liaison avec AIT avec le
financement de la BAD, du Japon, et aussi de la France.820 Cette culture française qui a marqué la
gouvernance urbaine était autant clairement visible dans la définition et dans la conception de la
« municipalité » et la question de sa création que l’on cherche, encore à la fin des années 2000, à
réaliser à Luang Prabang et à Vientiane comme chantiers pilotes. En terme de discipline et de
gouvernance, d’un côté, on parle de la « municipalisation » et de la « décentralisation », tout en se
référant à demi-mot au cas français de la loi de la décentralisation de 1983. Et de l’autre, on parle de
« Vientiane Municipality », en particulier chez les jeunes techniciens et agents anglophones, cachant
une réalité complexe qu’il faudrait éclaircir et démêler pour la rendre compréhensible et conciliable.
C’est aux prises avec la trivialité de trois cultures administratives, que le développement, la gestion
et la gouvernance urbaine du Laos doivent se soumettre, se synthétiser et s’appliquer.
III. II. b. 2. Le nouveau Plan Urbain et organes techniques et administratifs responsables
Les nouveaux plans d’aménagement urbain qui sont nés dans la décennie qui ont suivi la
création de l’IETU en 1987821 préfiguraient, par la création des plans urbains standard, une certaine
standardisation de l’image des villes. Cette génération de villes qui a été « désormais dotée de plan
urbain »
822 était inéluctablement liée aux contextes de l’ouverture du pays et au renouvellement
administratif et urbain. L’opérationalité de ces plans obéissait aux mêmes critères définis
conjointement par l’autorité politique centrale, désireuse de munir les villes de services et
d’équipements de base,823 de les moderniser et surtout de les rendre fonctionnelle, et par les
bailleurs de fonds internationaux désireux de faire du Laos un « pays de droit »
824 muni d’outils de
gestion et de contrôle de son territoire et de son sol, un pays stable pouvant participer au
développement et à une paix durable de la région, un partenaire économique parmi d’autres dans la
société des nations.
819 Les experts russes qui venaient travailler au Laos dans le cadre de la coopération entre pays socialistes, utilisaient
majoritairement le français avec les fonctionnaires locaux ainsi qu’à l’école d’ingénierie. Nous avons retrouvé les rapports
et les rendus de projets d’étudiant qui datent de la fin des années 1970 - début des années 1980, en français. 820 La France a beaucoup de mal à recruter des jeunes candidats francophones pour les bourses de formation de haut
niveau dans le secteur urbain (Cf. Rapport du SCAC, ambassade de France). Elle a du financer quelques bourses des
étudiants lao à AIT où seul l’anglais est utilisé et où l’engagement financier de la France n’est pas rendu visible. Notre
propos ici n’est pas de noter qu’il faut absolument avoir un acquis des connaissances urbaines à travers le Français ou de
redire le complexe de la langue française dans le transfert de la technologie et de la connaissance dans le réseau
international face à l’anglais, ou de rappeler le passé colonial. Mais il s’agit dans le court terme de pouvoir assurer une
continuité entre la génération d’avant et celle d’aujourd’hui. La génération d’avant a été majoritairement formée en
français, a travaillé en français (dans l’utilisation des termes techniques) et utilisé les outils français en matière
d’urbanisme. Le problème que nous soulevons n’est pas seulement de l’ordre de la communication, mais de l’ordre des
champs disciplinaires dans la formation et dans la création des compétences.
821 Après plusieurs missions des Nations-Unies, l’embryon du futur Institut pour les Etudes Techniques et Urbaines
(IETU) a été mis en place. L’IETU a été créé en février 1987, dans le cadre du financement PNUD/UNCHS. Lao/85/003.
Des programmes de formation ont été élaborés pour former les agents de l’État recrutés parmi les fonctionnaires du
ministère MCTPC dont beaucoup sont formés en URSS et dans les pays de l’Europe de l’Est (Tchécoslovaquie,
Allemagne, Bulgarie, Pologne etc.) et parmi les étudiants sortant de l’Ecole Supérieure de Bâtiment et d’Architecture
(ESBA) et de l’école polytechnique de Sok Paluang, pour de l’ingénierie. L’IETU a été mandaté pour l’étude et la mise en
place des plans urbains de tout le pays. Ses compétences et ses charges ont été redéfinies par décret N1727/MCTPC,
portant l’organisation et les compétences de l’Institut de Recherche en Urbanisme, en date du 26 mai 2000. Il a permis
aussi à l’IETU de changer d’appellation pour devenir l’IRU, Institut de Recherche en Urbanisme. En 2007, il devient
l’Institut des Transports et des Travaux Publics.
822 En référence au droit de l’Urbanisme N03/99/AN du 03/04/1999, mis en application par décret présidentiel N11 du
26/04/1999, la plannification ou les plans urbains ont quatre niveaux : 1-national, 2-régional, 3- provincial, 4- agglomérations (villes, muang). 823 En référence au droit de l’Urbanisme (Ibid,) les villes sont distinctes à trois niveaux : 1-Villes attachées au pouvoir
central ; 2-Villes attachées au pouvoir provincial, préfectoral et zone spéciale, 3-Villes attachées au pouvoir du district. 824 La notion de « pays de droit » ou de « pays de non droit » ici est considéré à partir du fait que le Laos ne possédait pas
de constitution jusqu’à 1991. Un pays sans constitution est de ce fait considéré comme un pays de non droit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Dans la deuxième moitié des années 1980, des missions d’assistance technique du PNUD
ont été réalisées. Il s’agissait notamment du Programme de Développement Urbain de la Préfecture
de Vientiane (projet LAO/85/003). Les missions ont surtout eu lieu au Ministère des
Communications, des Transports, des Poste et des Constructions (MCTPC). Tout d’abord, ces
missions ont mis en relief la nécessité de créer une structure compétente en charge des études, car
les besoins les plus urgents pour réaliser les outils d’étude et de planification étaient les collectes de
données socio-économiques et urbaines qui manquaient à l’ensemble des administrations
mandatées, et surtout aux experts des Nations Unis.
Il est important de signaler que les documents concernant le développement et la
planification urbaine antérieure à cette période étaient totalement absents. Il n’existait pas
d’archives proprement dites en ce domaine. Les documents (plans, cartes anciens, schémas
d’analyse, projets, etc.) ont été détruits durant la restructuration administrative après le changement
de régime en 1975. Pour mener une étude urbaine sur la ville dans la seconde moitié des années
1970, dans les années 1980 et 1990, il a fallu reconstituer une connaissance quasiment à partir de
zéro, malgré que quelques documents aient pu échapper à la destruction grâce aux intérêts très
personnels et éclectiques de quelques ingénieurs pour ces documents devenus historiques. Ces
derniers ont conservé, contre les consignes, des dossiers parmi les archives de l’Ancien Régime
destinées à être détruites. Grâce à cela, les anciennes cartes et plans et quelques documents
d’origine datant de la période coloniale (une partie des archives du Résident Supérieur du Laos)
ainsi que ceux datant des années 1950 et 1960 (dossiers des permis de construire) ont pu être
sauvés. Ils ont contribué par la suite à la connaissance de l’histoire récente du développement
urbain, en particulier pour toutes les études réalisées après 1998.825 Par ailleurs, le plan urbain de
Vientiane de 1964, réalisé par le BCEOM a également été retrouvé au bureau de la Direction de
l’Habitat et de l’Urbanisme (DHU) du MCTPC. Ce document a été fort utile : le Groupe Huit s’en
réfère pour élaborer vers 1989-1990 le schéma directeur d’aménagement urbain de Vientiane
(SDAU), approuvé en 1991.826
Les besoins en ressources humaines compétentes (architectes, urbanistes, socioéconomistes)
ont été aussi fortement formulés. Les personnes de ressource, non-négligeables, ont été trouvées
parmi les étudiants formés à l’Ecole Supérieure en Bâtiment et en Architecture (ESBA)827 et parmi
ceux qui ont été formés dans les pays de l’Europe de l’Est et en Union Soviétique. Une aide
précieuse des pays socialistes a été également importante dans la fin des années 1970 et dans la
première moitié des années 1980, aussi bien pour l’enseignement à l’ESBA que pour l’expertise de
certaines constructions.828 Nous pouvons compter effectivement quelques architectes et urbanistes
russes pour les projets de l’extension de l’Ecole polytechnique, du dortoir des étudiants, de l’hôpital
825 Les documents ont été sauvés par un ingénieur qui travaillait au Ministère de la construction. Ils devaient être
officiellement brûlés ou considérés comme disparus. En 1998-1999 lorsque l’IRU (ancien IETU) entamait une
coopération avec l’Institut Parisien de Recherche (IPRAUS) pour l’inventaire du patrimoine architectural urbain et
paysager de Vientiane, des travaux de réfection ont été réalisés au dernier étage du bâtiment qui abritait l’institut, pour
pouvoir loger l’Atelier du patrimoine issu de cette coopération. A cette occasion, ont été découverte toute une
documentation ancienne, plans et cartes entre autres, sous la poussière et abîmés. Ce sont des documents sensés avoir été
détruits. En réalité, après la fondation de l’Ecole Supérieur du Bâtiment et de l’Architecture (ESBA), l’ingénieur a remis
les documents à la bibliothèque de l’Ecole. Lorsque l’école a déménagée au kilomètre 5, les documents étaient restés dans
le grenier au dernier étage de l’ancien bâtiment de la rue Dong Palane qui devenait par la suite le siège de l’Institut de
Recherche en Urbanisme. Preuve que ces documents n’ont pas été beaucoup utilisés ni par les étudiants, ni par les
professeurs. Les cartes et les plans ont fait l’objet d’inventaire et une exposition a été organisée par l’Atelier du
Patrimoine dont j’était responsable : « 1900-2000, Vientiane à travers les cartes et les plans ». Le catalogue qui
l’accompagnait comportait en grande partie l’inventaire des cartes et des plans anciens de Vientiane. Par ailleurs, une
partie des dossiers de permis de construire des années 1960 a également été classé. Cf. Chayphet Sayarath, Archive,
permis de construire, projets et autorités compétentes, fonds de documentation de l’Atelier du Patrimoine-projet IEPAUP. 826 Décret présidentiel N18, du 16 mars 1991, portant l’approbation du SDAU de Vientiane. 827 L’ESBA a été créée par un groupe d’ingénieur et d’architecte, dont l’un d’entre eux -Sènekham Phinit- formé à l’Ecole
Supérieure des Travaux Publics ESTP (Paris-boulevard saint Germain.) 828 Nous retrouvons un certain nombre d’anciens projets étudiants archivés à l’IRU. Du point de vue pédagogique nous
pouvons constater l’influence des professeurs Soviétiques et le programme architectural utopiste propre au pays socialistes
de cette époque.
Fig. 101.
Progression
de l’étude
des plans
urbains au
courant de
l’année
2000. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 484 -
de l’amitié et du cirque national notamment.829 Même si cette période était caractérisée par une
faible activité de construction, les éléments construits étaient cependant significatifs du point de vue
de la production architecturale. Par ailleurs, même si le programme et la production de ces années
présentaient quelques utopies, en rupture avec la période précédente, l’architecture produite
présentait à contrario une certaine continuité avec l’expérience moderniste des années 1960 et le
début des années 1970, que nous avons développé dans la partie traitant du « grand tournant
urbanistique des années 1960 ».
A l’issu des missions d’assistance et d’expertise du PNUD, l’Institut des Etudes Techniques
et Urbaines (IETU) a été créé par décret en février 1987 dans le cadre du Programme de
Développement urbain de la Préfecture de Vientiane. L’IETU fonctionnait d’abord comme étant
l’un des bureaux exécutifs du ministère, puis comme sa sixième direction, du moins comme ayant
rang alors d’une direction ministérielle.830 Il devenait opérationnel dès sa création puisqu’il s’était
appuyé sur les projets de coopération avec lesquels il évoluait et aussi puisque les projets réalisés
étaient en même temps formateurs, servant de projet pilote. Peu à peu l’IETU se voyait confier des
études, assisté chaque fois par les experts internationaux et les volontaires des Nations Unies (VNs)
et avec les fonds des bailleurs internationaux : d’abord, le PNUD ensuite la BAD. Etant l’un de ses
services administratifs, il recevait également les rétributions budgétaires de l’État, bien que ces
budgets ne couvraient que ses frais de fonctionnement. Des budgets spécifiques pouvaient lui être
attribués dans le cadre de mise en étude et de l’élaboration de Plans Urbains d’une province,
sollicité par les autorités de cette même province via le gouvernement central et via le ministère
CTPC auquel il était attaché. Ses compétences s’étaient concrétisées par sa capacité à élaborer des
outils de développement à l’échelle du territoire, tel le schéma directeur d’Aménagement Urbain
(SDAU), et à l’échelle de la ville, tels les règlements et les Plan d’Occupation des Sols (POS).
Par ailleurs, d’autres organismes plus opérationnels ont été mis en place. La compétence de
ces derniers se faisait lentement avec un lourd programme d’assistance technique et institutionnel
financé par les bailleurs de fonds internationaux. Il s’agissait entre autres d’organe technique pour la
gestion foncière et pour l’élaboration de nouveau plan de cadastre et de l’organisme administratif
affairant au sein du ministère des Finances.831
Quant aux projets au stade de leur opérationalité, ils voyaient le jour avec les travaux menés
par les services techniques du Département des Communication, Transports, Postes et Constructions
(CTPC), préfectoraux pour Vientiane et provinciaux pour les provinces, seuls opérateurs jusqu’alors
de la plupart des projets urbains et des projets d’infrastructure. Des projets de coopération ont
également été affectés dans ces organismes opérationnels déconcentrés de l’État afin de les assister
dans la construction de leurs capacités opératoires et techniques. Nous pouvons dresser une liste
non-exhaustive des projets mis en œuvre, qui ont contribué à renforcer la capacité technique du
DCTPC des provinces et de la Préfecture avant la création des UDAAs.
Les toutes premières études des plans urbains réalisées pour les villes secondaires et surtout
pour les villes moyennes, étaient en quelques sortes des projets de réalisation de nouveaux plans
d’aménagement à caractère plus prospectif qu’analytique. Ils dépassaient largement la mise aux
normes ou la viabilisation des réseaux viaires ou sanitaires et la mise en place des équipements
publics primaires qui se manifestaient comme une première nécessité, au regard des besoins réels
des habitants. Faute de répondre seulement et précisément par étape aux besoins les plus urgents et
829 Nous n’avons pas pu retrouver le nom des architectes russes qui ont conçu ces équipements. Cela prouve une fois de
plus que le souci de continuité, exprimé par la conservation des documents, ne fait pas partie des préoccupations des
administrateurs laotiens, même lorsqu’il s’agit des documents produits dans les premières années du régime.
830 Le MCTPC possède cinq directions : 1-Ponts et Chaussées, 2-Transports, 3-Postes et Télécommunications, 4-Habitat
et Urbanisme, 5-Aviation. 831 Le Service du cadastre a été installé au ministère des finances, créant une nouvelle mission au sein de ce ministère. Le
même ministère pilotait le projet d’immatriculation foncière Land Tilting (Etablissement des titres et des registres
fonciers, de la province et préfecture de Vientiane, de Luang Prabang, de Savannakhet, de Paksé.) mis en place en 1997
pour une période de sept ans, sur financement BM et Aus Aid.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 485 -
plus que l’aspect prospectif, les plans dans la majorité des cas avaient un caractère plutôt utopiste.
Nous retrouvons souvent une réminiscence de l’utopie socialiste des plans urbains de la fin des
années 1970 que nous pouvons constater avec le plan de Muang Hongsa et de Muang Viengxay : on
y aménageait des voies larges avec trottoirs et éclairages de rue. Mais au bord de ces rues, les
habitations étaient parsemées, en absence de densité, de liaisons et de raccordements aux
infrastructures. L’éclairage et les trottoirs qui ne servaient pas à grand monde donnaient alors à ces
petites villes une ambiance de villes fantôme.
En fait, les premiers plans urbains dressés pour les villes secondaires et les villes moyennes
étaient souvent caractérisés par une rigidité exemplaire, explicitée dans la mise en zonage et en
compartimentage fonctionnels “ exagérés ” du territoire urbain : répartition fonctionnelle des
espaces, disposition, emprise et gabarits des trames viaires, etc. Nous sommes surtout frappés dans
ces plans par le peu de places que tenait “ l’existant ”, voire son absence. Il était autant vrai que sur
le plan méthodologique, les études historiques et socio-économiques des sites n’ont été réalisées
dans aucune ville, ou alors de manière très succincte. Conscient de ces carences les responsables de
l’IETU (auteurs des études) signalaient dans les rapports de présentation qui accompagnaient les
plans urbains, que « l’absence des études historiques, socio-économiques et paysagères des villes
est due aux manques budgétaires et de personnels qualifiés qu’il serait nécessaire de corriger à
l’avenir ». Des relevées de l’existant ont malgré tout été réalisées systématiquement, mais sans
aucune analyse spatiale qui aurait permis une compréhension approfondie des sites. Cette absence
de prise en compte de l’existant et de ce qui a été occupé antérieurement induisait inévitablement
leur disparition future, si les plans urbains en question venaient à être opérationnels. Et bien
entendu, les plans devenaient progressivement opérationnels. Cela dépendait du crédit et des
priorités de l’État, ainsi que des décisions des bailleurs de fonds sur lesquels s’appuyait la majorité
des opérations.
Alors, tant que le pays ne rentrait pas, jusqu'à les années 1994, dans une phase de
développement économique dynamique, nous pouvons nous réjouir du statuquo des plans non
réalisés. Mais dès que le Laos rentrait dans une phase de croissance économique soutenue832 et que
par conséquent les villes se développaient à grande vitesse, tel était le cas à partir de l’année 2000,
quelques plans urbains devenaient opérationnels dès lors et altéraient par la même occasion la
structure ancienne des implantations. Le schéma simplifié ci-contre montre le parcours administratif
et l’attribution budgétaire de l’État permettant la réalisation de l’étude des plans urbains des villes et
la carte ci-contre dresse la progression de la réalisation des plans urbains pour l’ensemble du pays.
De ce fait et à titre indicatif, c’était vers les villes sans plan urbain, en premier et dans
l’urgence, que nous avons orienté notre étude des trames historiques et structurelles avant que
celles-ci n’en soient planifiées. Le cas de Muang Sing était tout à fait exemplaire. Cette ville était
munie de plan urbain depuis la fin des années 1990 et une partie de ce plan a été effectivement
opérationnelle. En 2008, les opérations se poursuivent : les rues en damier envahies par les gazons
ont fait l’objet de réfection. Et nous ne pouvons que regretter que la grande route pénétrante
nouvellement construite selon ce plan a défiguré la morphologie du carré “ parfait ” de la ville
ancienne. Par sa planimétrie et son manque d’accident topographique, il en fallait de peu pour que
le nouveau plan urbain ait déstructuré et brouillé entièrement la lecture de l’organisation spatiale
historique de cette ville lü, unique exemple sur le territoire lao, un cas d’école dont la disparition
affecterait irréversiblement toute notre connaissance de la conception ancienne d’une des cités tai
septentrionales (que nous avons mis en valeur comme une référence théorique à l’égard de la
question spatiale.)
832 Le chiffre officiel note une croissance de 5 à 6% par an depuis 1999, grâce à la politique de stabilisation
macroéconomique menée depuis septembre 1999. Vers 2008 les chiffrent avancent une croissance de 7 à 8%.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 486 -
III. II. b. 3. La définition des critères et des échelles urbaines, la définition des acteurs
Ce qui contribue à la définition de l’entité de la ville passe également par les définitions et
les critères des nouvelles échelles urbaines. La définition et les critères des nouvelles échelles
urbaines s’étaient révélés bien avant 1999. C’est-à-dire avant la loi de l’urbanisme N03/99/AN,
mise en application par le décret présidentiel en 1999 (N11 en date du 26 avril). Il s’agissait
essentiellement de classer les priorités de développement par rapport au statut des villes : de la
capitale administrative aux villes moyennes en passant par les villes secondaires. Les critères de
classification des villes secondaires et des villes moyennes s’appuyaient sur des données assez
aléatoires, autant sur leur position historique de capitales provinciales que sur autres facteurs ou sur
leurs données statistiques (démographiques, potentialités économiques), leur taux d’urbanisation,
etc. En occurrence, si Phongsaly est une capitale provinciale comme Savannakhet ou Paksé, elle
n’était pas classée parmi les villes secondaires. Il était de même pour de nombreuses capitales de
province, telles que Phonnesavanh, Luang Nam Tha, ou Muang Say. Les villes secondaires sont
uniquement au nombre de quatre : Paksé, Savannakhet, Thakhek et Luang Prabang. La
classification des villes moyennes, quant à elle, semblait concerner plus directement les capitales
provinciales, et l’utilisation des critères statistiques pour les définir semblait être évidente.
Ainsi, les critères qui aidaient à classifier les villes dans les priorités du développement, et
qui servaient d’outil de dialogue avec les bailleurs de fonds internationaux dans le décaissement des
fonds pour les villes et les secteurs à développer en priorité, faisaient aussi partie des définitions
nouvelles de l’entité de la ville. Les critères venaient autant des exigences des bailleurs de fonds que
des réalités des besoins des villes identifiés par les autorités locales, même si parfois les deux
choses ne se concordaient pas toujours. D’un côté, les bailleurs de fonds déterminaient ce qui était
prioritaire à prendre en compte, et de l’autre les autorités locales déterminaient les leurs. Il pouvait y
avoir désaccord, par exemple lorsque les politiques laotiens désiraient construire un nouvel aéroport
à Savannakhet (dont la ville existant se retrouverait dans le cône d’atterrissage) alors que la priorité
était de réparer l’existant et procéder à son extension éventuelle. Ou alors, lorsque le gouvernement
laotien désirait construire une nouvelle capitale administrative à Viengkham jumelant Vientiane (à
la manière birmane), alors que la priorité était de restructurer Vientiane, ses vieux réseaux
d’infrastructure et d’équipements qui avaient besoin d’être réparés et reconstruits, etc.
Les champs de connaissance et des compétences fractionnés, le domaine économique, les
financements et les investissements publics faisaient ainsi alors partie de la définition de l’entité de
la ville. Les données statistiques constituaient alors le langage commun des acteurs du
développement. L’histoire et la singularité des villes étaient reléguées aux pittoresques, que les
aménageurs et bailleurs de fonds n’étaient pas obligés de tenir compte. Les critères de
développement et plus tard, le NGPES,
833 approuvé vers 2004 par l’État laotien et les bailleurs de
fonds, fournissaient l’essentiel du corpus pour définir ce qu’était la ville. La stratégie nationale pour
la croissance et l’éradication de la pauvreté (NGPES) était le moteur du développement économique
du pays mais elle avait surtout joué un rôle très important dans l’émergence du secteur urbain.
Beaucoup de projets de développement touchant le secteur urbain et territorial se rattachaient à elle
et relevaient de ses prérogatives.
III. II. b. 4. “ La zone spéciale ” créée en 1994, un territoire marginal, 30 ans de défis834
Le territoire qui avait été institué en 1994, “ zone spéciale ”, a été une enclave territoriale à
l’intérieur du Laos, située dans le Nord-Est entre Luang Prabang-Xiang Khouang et la province de
Vientiane. Difficile d’accès, une grande partie du territoire était couverte de forêts et de Montagnes.
Très peu peuplée, les conflits incessants depuis la guerre de l’Indochine l’ont rendue encore plus
parsemée. Durant la seconde moitié des années 1960, lorsque l’engagement américain dans la
833 National Growth and Poverty Eradication Strategy. 834 Cf. 1e partie. I.II.e.2.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 487 -
guerre du Vietnam atteignait son plus haut niveau –le Premier ministre, Souvanna Phouma, ayant
donné son accord à l’intervention et à l’aide américaine au Laos pour repousser les forces armées
nord-vietnamiennes– la zone a été utilisée comme un bastion anti-communiste pilotées par la CIA.
Le chef de guerre, le Général Vang Pao, qui était responsable de cette zone militaire au sein de
l’armée nationale royale, était responsable de toutes les opérations financées par la CIA, que ce soit
des opérations secrètes non reconnues ou des opérations officielles et approuvées par le
gouvernement royal. Par son autorité de chef de clan traditionnel, les Hmong constituaient des
combattants dévoués à leur chef. La quasi-totalité des combattants anti-communistes de l’armée
royale de ce territoire militaire était ainsi majoritairement hmong –s’y ajoutaient les soldats
appartenant à d’autres groupes ethniques : Yao, Khmu, Katang, etc., engagés dans cette guerre selon
différents statuts : officiers de métier, engagés, mercenaires.
La guerre du Viêtnam devenait une guerre secrète au Laos pour plusieurs raisons. D’abord,
elle était très liée au monde narcotique : le financement pour poursuivre son intervention militaire
au Laos n’ayant pas été approuvé par le Congrès américain, la CIA trouvait une bonne partie des
fonds dans le trafic de l’opium. Le Laos ainsi que le triangle d’or devenaient une plaque tournante
active. De fait, les populations hmong, yao et quelques groupes voisins en cultivant les pavots
devenaient des narco-fabricants, et certains militaires lao, des narco-trafiquants.
835
Juste avant la “ libération ” Longchèng a été le dernier bastion anti-communiste tombé aux
mains de l’armée du Pathet Lao. Après la “ libération ” le territoire restait difficile d’accès. Une
partie de la population hmong, qui n’avait pas quitté le pays, se serait retirée dans les montagnes,
fuyant –selon elle– “ les tractations ” du nouveau pouvoir et espérant “ être libérée ” un jour. Le
gouvernement considérait que les populations qui vivaient là étaient à la solde des américains et
“ féodaux ” de l’Ancien Régime qui les auraient maintenues sur place et les auraient financées pour
déstabiliser le nouveau régime ; d’où les tractations commises à leur égard. Les attaques armées et
l’insécurité sur la route de Luang Prabang et la zone limitrophe leur ont été attribuées.
836 D’année en
année, le territoire dans lequel ils vivaient a été exclu (jusqu’à récemment) du développement ; ils
auraient vécu dans un isolement et une grande pauvreté depuis de longues années.837
Quoi qu’il en soit, près de vingt années (1975-1994) la zone restait malgré tout
incontrôlable, un territoire hors territoire et marginal sur lequel l’État exerçait des actions
coercitives forçant les personnes à rester en reclus. Le gouvernement l’a institué en “ zone
spéciale ” en 1994. A quoi correspondait ce côté “ spécial ” ? Est-ce parce qu’elle ne pouvait être
gérée par une administration locale ; est-ce parce qu’il fallait traiter ce territoire autrement et
prendre des dispositifs particuliers vis-à-vis de sa population ? La réponse était probablement tout
cela à la fois. Quelle que soit la réponse, la situation concernant la zone spéciale était préoccupante
pour le pouvoir. Du point de vue ethnique, comment intégrer cette enclave dans la communauté
nationale et enterrer la crainte séparatiste hmong, qui préoccupait (rappelons-le) aussi l’Ancien
Régime. Du point de vue de la cohésion politique et sociale, comment traiter ces laissés-pour-
835 La culture de pavot n’était pas un fait nouveau dans l’économie du pays. L’opium était un produit important dans
l’économie coloniale. C’était un trafic qui rapportait et qui faisait même partie des causes des conflits entre l’autorité
coloniale et les minorités du Nord qui l’exploitaient et qui le trafiquaient traditionnellement. Après l’indépendance, la
caisse du jeune État laotien était à ce point en déficit que le gouvernement accepte, lors d’une cession de l’Assemblée
Nationale, que l’opium soit aussi un produit d’exportation de l’État durant un laps de temps. Réf. Deuve, Le Royaume du
Laos 1949-1965, Histoire événementielle de l’indépendance à la guerre américaine, L’Harmattan, Paris, 2003. 836 Il est curieux que l’expression “ les Chao F’a ” qui les désigne soit relié au chef mythique des Hmong, un dénomé
Chao F’a Patchay qui s’était battu contre les français pendant la colonisation, et reprise ici pour désigner un groupe de
rébellions contre le régime actuel.
837 Les reportages photographiques réalisés en 2006 par les reporters, notamment Grégoire Deniau (Cf.
WWW.factfinding.org, 2 février 2006), montrent des personnes et des familles démunies, malades, avec des vieilles armes
qui n’auraient pas été servies depuis longtemps. Les photos semblent décrédibiliser l’idée qu’ils étaient organisateurs des
attaques sur les routes du Nord. Cependant, si c’était eux qui étaient à l’origine des troubles dans cette zone, comment les
aides financières des opposants du régime qui vivent en France, aux Etats-Unis, en Australie, en Thaïlande, avaient-elles
pu atteindre cette zone reculée au cœur du Laos, dont la sécurité était si bien gardée ? A cette question, beaucoup de
tabous et de secrets politiques empêchent la découverte de la vérité.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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compte et panser les blessures de la guerre. Devant qui se trouvait-on ? Une résistance armée
nourrie par l’opposition, ou des narco-trafiquants ? fallait-il abattre l’ennemie malade et fatiguée ou
sauver une population en détresse ? Cela demeurait des questions, près de trente ans. Peu après les
investigations des journalistes, en 2006 le gouvernement a engagé les moyens pour désenclaver la
zone et faire sortir, de manière radicale, ces Hmong de leurs “ caches ”. Par cet acte, il y avait
probablement à la fois des ennemis abattus et une population en détresse sauvée.
La création de la zone spéciale du gouvernement montrait une des conceptions possibles de
la gestion, de la gouvernance et de la forme d’une occupation. Du moins, il démontrait comment un
pouvoir pouvait-il malgré tout intégrer ce lieu sociopolitique marginal dans la politique nationale.
Le statut spécial d’un territoire mal maitrisé et soumis aux actions particulières coercitives
exprimait ainsi le pragmatisme du gouvernement de la RDPL qui avait mis près de trente ans à
intégrer ce territoire.
III. II. c. La volonté de ruralisation revisitée dans la stratégie urbaine
La méconnaissance de la ville et son absence, dans la construction du régime dans les
premières années, n’avaient pas duré longtemps. Par exemple, la suppression de l’administration de
l’agglomération de la préfecture pour la rattacher à la seule administration provinciale en 1976 (qui
était une des initiatives de ruralisation de la ville) a été abrogée peu de temps après. La province et
l’agglomération préfectorale (agglomération urbaine) ont été séparées de nouveau, vers 1980.
Notamment l’administration du Kamphèng Nakhone Vientiane devenait autonome, son siège
demeurait dans la capitale, alors que celle de la province a été déplacée dans le chef-lieu de la
province de Vientiane : vers Muang Viengkham, à plus de 60 kilomètres de Vientiane.
Cette révision montrait bien l’inextricable difficulté à administrer indifféremment deux
ensembles de territoires physiques et sociaux qui étaient différents : l’un est de caractère rural et
l’autre de caractère plus urbain. Même si de nombreux dispositifs ont été pris pour ruraliser la ville,
du moins révéler son profond caractère rural, la fonction urbaine de la ville demeurait attachée à
celle de la capitale, et la fonction de capitale demeurait corollaire à son tour à la fonction politique,
nécessaire pour le rayonnement et l’exercice du pouvoir de l’État, quels que soient le régime
politique et son idéologie. La volonté d’altérer la ville, voire, de la faire disparaître en tant qu’entité,
parce qu’elle incarnait l’élite politique ou la bourgeoisie, ou parce qu’elle concentrait les avoirs
matériels et financiers au détriment de la campagne, marquait ainsi une méconnaissance totale de la
fonction urbaine et de l’entité de la ville par le nouveau pouvoir, qu’il a fallu corriger quelques
années après.
La ville n’est pas le produit d’un régime politique, social et économique particulier, du
moins pas pour longtemps et/ou juste le temps des tentatives, et beaucoup de pays en avaient
expérimenté les faits, notamment le Laos. Elle est le produit sociopolitique et socioéconomique de
convergence et d’intérêts diversifiés. Elle est aussi à la fois la projection et le produit de l’histoire et
de la mémoire, du vécu de ses habitants et de leur mode d’habiter. Vivre dans la ville, vivre dans le
muang c’est à la fois construire, assimiler et partager une expérience communautaire des lieux et
entrer dans l’univers de l’anonymat et d’individualité. Et plus que le fait de vivre dans la ville,
pouvoir percevoir et vivre spatialement les centres urbains et les quartiers historiques, c’est
expérimenter l’espace dans la continuité du passé et participer individuellement à la construction de
la mémoire communautaire.
Le retour vers la ville postérieurement démontrait l’une des limites du régime laotien qui se
voulait au départ clairement anti-urbain. Peu à peu, les divers dispositifs politiques ont changé afin
de normaliser et rendre à la ville ce qui appartenait à la ville. Notamment, par l’expérience des cinq
premières années, on consentait à considérer que la ville ne pouvait être un lieu de production autoconsommée
très efficace mais plus apte à produire des services et des activités de gestion, etc. Ce
retour a permis, dans les années qui ont suivi, l’orientation des projets économiques, politiques et Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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administratifs (accompagnant la réforme) qui a favorisé la “ renaissance ” de la ville en tant
qu’entité propre et entière.
III. II. d. L’approche de la ville par les réseaux et les quartiers péricentres et
périurbains
A l’approche de la réforme de 1986 et peu après, l’émergence des petits appendices
d’habitation et la constitution des quartiers urbains –tous deux anarchiques en périphérie de
Vientiane ou dans les poches péricentres de la ville– devenaient de plus en plus importantes et
pesaient sur la gestion et sur les coûts de la construction des infrastructures (routes, réseaux de
distributions d’eau, l’électricité, etc.) nécessaires à mettre en place et à construire. Cependant, dans
ces années-là, les investissements publics étaient faibles ou ne pouvant satisfaire ces appels que très
succinctement. Les aides des pays socialistes, celles des autres pays et des Nations-Unies étaient
présentes mais peu importantes dans le secteur urbain. Surtout, le manque de planification urbaine
globale et détaillée ne permettait pas de mener une politique de développement urbain et territorial
et de répondre aux besoins qui se faisaient fortement sentir dès le milieu des années 1980. En
occurrence, les institutions nationales et locales responsables étaient également manquantes, n’ayant
pas été créées. L’IETU n’a été formé qu’en 1987, les premières études urbaines n’ont été réalisées
qu’en 1989 par le Groupe Huit (financées par les Nations-Unies) et issu de ces études, le schéma
directeur n’a été réalisé qu’au début des années 1990.
Ainsi, à l’approche de la réforme de 1986 et avant que les études et les planifications soient
réalisées, à côté des annonces dans les congrès du PPRL sur les efforts qu’il a fallu faire pour la
construction des infrastructures routières et pour le développement territorial l’Etat laotien prenait
quelques initiatives dans le secteur du développement urbain. Ceci, afin de créer une meilleure
connexion entre le centre et les quartiers qui s’étaient constitués en sa périphérie de manière
disparate et afin d’organiser ces amas d’habitations qui s’étaient constitués dans les poches
péricentres de la ville, sans infrastructures de base (sans adductions d’eau et d’électricité, de
chemins praticables en saison de pluies, etc.) et sans centralité particulière. Les quartiers en question
devaient être ramifiés. C’était effectivement le recadrage des routes nouvelles ou existantes même si
elles restaient en terre et poussiéreuses. C’était aussi la ramification des habitations dans les
alentours des équipements publics comme l’hôpital de l’Amitié et l’hôpital 103, ou comme le
quartier Phonetong après le Cirque national. Peu après, les marchés de quartier et de proximité se
formaient. Les équipements, modestes ou importants devenaient, d’emblée, les points de centralité
qui apportaient une certaine cohésion à ces nouveaux habitats. Ces derniers prenaient peu à peu
place dans une perspective de futures extensions urbaines : les documents de planification urbaine
allaient plus tard les prendre en compte.
Cette ramification autour des équipements et des infrastructures, quelle que soit leur
modestie, était le commencement d’une tentative de réorganiser et de délimiter la ville. La ville
pouvait être, de ce fait, abordée à partir de l’extérieur par les réseaux viaires des péricentres et par
une tentative d’identifier l’organisation des quartiers péricentres et périurbains à travers des
équipements autour desquels leur formation s’était rendue plus cohérente. Ainsi, à partir des années
1995, on pouvait penser la ville à partir de ses limites incarnées par les quartiers périphériques.
Avec la prise en compte de ses limites territoriales, la ville devrait être mieux identifiée pour une
meilleure gestion et contrôle de son développement futur. Ainsi, cette notion de délimitation a été
inscrite dans les étapes de la maîtrise urbaine : les premières études du plan d’urbanisme ont
débouché sur la proposition du périmètre urbain de Vientiane à 100 villages, qui s’était ensuite
élargi à 160 puis à 189 villages (à plus de 200 villages pour une révision ultérieure du Schéma
directeur). Les notions de périmètre et de périphérie urbaine, de péricentre et de limite urbaine soustendaient,
de manière de plus en plus claire, l’existence de centre ancien et de la notion de centralité
urbaine qui avait été altéré.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 490 -
Conclusion
Le bouleversement spatial en question trouve ses causes dans le redéploiement des
fonctions symboliques et idéologiques de l’espace dans les années 1975 et les années 1980. Ce
redéploiement a des répercussions sur la recomposition spatiale des années qui ont suivi, jusqu’à la
période actuelle. Les centres historiques et les occupations anciennes ont été altérés corollairement à
l’altération de la notion de ville. La ville et ses composants spatiaux, sociaux, économiques,
politiques et symboliques, en tant que matrice structurante et identitaire, ont été ignorés durant cette
période. Négligeant les bases fondatrices, les expériences pédagogiques et le vécu des espaces
hérités que renferment les centres anciens, les acteurs – pouvoirs publics et habitants – occupaient
l’espace suivant une projection idéologique et un acte d’occupation physique sans acte
d’appropriation. Entre la période où l’espace et les villes évoluaient sur leurs matrices de fondation
et les moments où ils évoluaient vers une profonde recomposition caractérisant notre période
actuelle, les années 1975, 1980, et même le début des années 1990, constituent un temps de
transition qui illustre la notion de “ville absente”. Ces vingt années qui constituent aussi une période
de rupture, sont séparées en trois périodes.
1- A l’investiture du régime en 1975, le nouveau pouvoir ne doit pas seulement prendre le contrôle
de tout le pays, mais aussi le gérer entièrement, tâche difficiles lorsqu’il est habitué à ne gérer que la
zone libérée, placée sous son contrôle. Le Laos se retrouve coupé de l’Occident, et éloigné de la
communauté des nations, devant se composer avec l’aide du blocs communistes et compter, sur le
plan régional, sur le Viêtnam et la Chine, malgré les conflits sino-vietnamiens. La politique
territoriale se tourne vers l’intérieur des terres et entretient des relations fraternelles avec les voisins
dans ses frontières nord, sud et est, alors qu’à l’Ouest, la frontière avec la Thaïlande, constituée par
le Mékong, devient une barrière idéologique et non plus un lieu d’échange.
A l’intérieur du pays, la population n’adhère pas entièrement au nouveau système politique.
Le pouvoir entreprend la gestion des hommes de manière autoritaire et arbitraire : emprisonnement,
séminaires politiques, afin de former des hommes nouveaux et réprimander les éventuels opposants.
Ceci cause la mobilité interne de la population et la fuite de plus de 10 % d’entre elles ; fuite
sévèrement sanctionnée. Le pouvoir tente aussi de « retravailler la démographie » en encourageant
les hommes à s’installer dans les parties dépeuplées du pays.
Le marasme économique (dévaluation du kip ; circulation monétaire et des produits,
production, investissements publics, etc., sont au point mort) paralyse quasiment le pays. Il fallait
pour le régime redresser l’économie et régler les problèmes de pénuries. La politique de
l’autosuffisance, l’étatisation des biens, le collectivisme, sont mis en œuvre. Mais cela ne suffit pas :
l’urgence est de redresser le secteur de la production, mais en attendant, le marché noir et les
importations clandestines sont tolérés.
Quoi qu’il en soit, pour la population, la perspective d’une réconciliation nationale est
préférable à la guerre de laquelle le pays vient de sortir. Ainsi, le désir de paix, et moins le contenu
idéologique, permet la mise en place du régime et l’application de son idéologie : se créer des
perspectives nouvelles, s’imposer, se légitimer et durer. Pour y parvenir, la propagande et
l’endoctrinement, les recommandations et les interdictions, les meetings politiques et les séminaires,
sont mis en œuvre. Le langage, les arts et la culture, touchant au plus près l’individu, ont été aussi
réformés. L’Abolition de l’Ancien Régime et l’édification d’un nouveau pays, sa sécurité et son
ordre social, ont été réalisés de manière sévère et avec sacrifice irréversible de ressources humaines.
Le système a apporté un grand changement dans la société et dans les mentalités, pour les
générations à venir.
2- La période de perspective et de construction du régime c’est aussi la période de mise en place de
nombreuses dispositifs, notamment spatiaux :Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 491 -
- Les fonctions urbaines, sociales et politiques de la ville sont réduites par l’apologie du travail et de
la campagne qui caractérise désormais l’agglomération urbaine.
- Du point de vue administratif, les décisions sont prises collectivement, basée sur la directive du
Parti Populaire Révolutionnaire, placé dans tous les échelons administratifs, central et local. Le
nouay –une subdivision du village– qui a été créé, réduit le rôle paternaliste traditionnel du chef de
village.
- L’autosuffisance est instaurée comme une vertu. La confiscation-répartition des biens fonciers, la
réforme agraire, le collectivisme de productions, les travaux collectifs à la campagne comme à la
ville, l’absence des services urbains et des services publics, amorcent la nouvelle configuration
spatiale et sociale.
Incontrôlable par l’Etat, peu à peu l’espace s’auto-gère. La ville non planifiée poursuit sa
transformation, timidement, mais de manière anarchique : les quartiers périphériques se développent
sans règles, l’usage de l’habitat et de la ville est transformé par une population rurale, entrainant une
dégradation de son état de conservation. Mais dans cet effacement de la ville, l’espace urbain
expérimente une production architecturale particulière des années 1980, avec des nouveaux
programmes, quelques équipements et bâtiments emblématiques. Il est de même pour
l’expérimentation des villes nouvelles qui se veulent soucieuses de fonctionnalité et de mixité
ethnique. Elle contribue en réalité à la détribalisation et à la “ laoisation ” de la plupart des
minorités. Dans leur ensemble, le développement urbain et territorial, même s’il est modeste, met en
évidence les premiers signes de la méconnaissance, voire, du mépris pour la base fondatrice,
historique et sociale des espaces existants.
3- La gestion et le développement du pays étaient difficiles pour le nouveau pouvoir, conjoint à
l’inefficacité de l’économie planifiés et à l’écroulement du bloc communiste dans le monde. Ce qui
le contraint à effectuer des bilans dans la troisième période du régime. Les bilans qui se veulent
scientifiques et progressistes, reconnaissent l’inadaptation de l’économie planifiée pour le
développement du Laos, et mettent en exergue un certain nombre d’autres paramètres inappropriés,
mais non identifiés officiellement par le pouvoir. Les données reconnues et non reconnues par le
pouvoir, permettent de comprendre pourquoi il est nécessaire de mener la réforme. Dans le discours
officiel et pour l’intelligentsia révolutionnaire les anciens pays amis (notamment l’Ex-Union
Soviétique) sont considérés comme des traitres qui ont trahi l’idéal socialiste, « corrompus par les
opposants occidentaux. » Ceci explique cela : le maintien, voire, la conservation idéologique, du
système de parti unique (marxiste-léniniste) du Parti Populaire Révolutionnaire Lao (PPRL), a été
préféré à son abolition. C’est seulement à travers la critique économique et son système que le
gouvernement met en œuvre sa réforme.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 492 -Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 493 -
Conclusion
Depuis les années 1990 et les années 2000, le développement des villes et des territoires est
incontestablement en rupture avec les espaces sensibles : centres historiques et lieux anciens,
espaces paysagers à valeur environnementale. On constate que ces espaces sont altérés, perdant leur
capacité d’adaptation et de renouvellement, dans le contexte de développement en cours. De ce fait,
la politique et la gouvernance urbaine, la production spatiale, rencontrent des difficultés
particulièrement conflictuelles et interrogent le bien-fondé des options prises par les pouvoirs
publics et les orientations des acteurs, pour produire, concevoir, gérer et vivre les espaces de vie et
la ville elle-même.
Pourtant, avant les années 1970, malgré les grandes transformations spatiales opérées durant
plusieurs périodes, les espaces anciens et les lieux historiques n’ont pas été altérés. Ils évoluent dans
une certaine continuité : d’un côté, la ville en développement semblait respecter les composants
historiques et les structures fondatrices du passé, et de l’autre, les centres anciens possédaient des
capacités d’adaptation et des propensions à absorber ou intégrer les changements.
La période entre les années 1970 et les années 1990 peut être alors considérée comme une
période de transition. Entre le moment où les centres historiques marquent et structurent encore la
ville et le moment où ils perdent leur rôle structurant. Cette période a introduit des éléments de
rupture et de mutation importants.
1
La première partie de la recherche s’attache à montrer que les centres anciens dans la
recomposition spatiale, connaissent manifestement une altération : aujourd’hui, ils préoccupent peu
la stratégie et les projets urbains où ils sont peu pris en compte, tant dans les initiatives privées que
publiques. Souvent ignorés dans les nouveaux modes d’habiter et de production de l’espace,
négligés aussi dans la gestion urbaine et territoriale des politiques d’aménagement conduites par les
pouvoirs publics, à l’échelle locale et régionale, les centres anciens tendent à disparaître. Pour
l’illustrer, la planification urbaine est analysée parallèlement à l’observation de la pratique
habitante. Et à plus grande échelle, les différentes interactions spatiales et économiques et leurs
résultantes ont été étudiées. Entre le local et le global, entre le réseau et le territoire, entre la
disparité de croissance économique des villes et leur dislocation, entre effets fédérateurs et effets de
résistance, il s’agit de comprendre les implications de l’intégration régionale sur l’écosystème social
et urbain des villes. Décomposition, recomposition, recyclage, mais aussi conflit : ce sont des
processus qui décrivent aujourd’hui globalement la mutation de la plupart des villes ; mutation que
nous avons analysé à partir de la Réforme de 1986.
A partir de 1986, la Nouvelle Mécanique Economique a peu à peu déclenché le
développement économique, et par la suite, le développement et la mutation des espaces urbains.
Deux dispositifs ont été le moteur de cette mutation :
- Le passage de la production collectiviste à la production privée et au droit de commerce, de l’antiOccident
à l’ouverture plus grande à l’Occident, de l’Etat de fait à l’élaboration de la Constitution
de 1991, de l’isolement dans le bloc socialiste à l’ouverture à la coopération régionale et
internationale.
- La reconnaissance du droit de la propriété privée, suivie de la régulation foncière : rendre la terre à
la population, reconnaître son droit d’action, de jouissance et de transaction, ont permis d’améliorer
la relation très tendue entre le pouvoir et la population. Cela montre combien le foncier est
important pour l’habitant et pour la constitution et l’évolution du bâti et de la ville.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 494 -
La mutation spatiale met en évidence à la fois la marginalisation et l’émergence des espaces
et des territoires. Nous la décrivons en cinq points :
- Les pôles locaux de développement sont constitués à travers la restructuration des réseaux
d’infrastructures, la construction et le déplacement des équipements, la clarification du statut et de
l’échelle des villes. Parallèlement, les pôles régionaux révèlent le phénomène de monopole et de
concurrence qui induit, pour certaines villes laotiennes, plus leur mise en marge que leur intégration
dans le réseau régional.
- L’émergence et la mise en marge des espaces interrogent la “ qualité ” des réseaux d’échange
économique régionale : la capacité des projets à intégrer l’échelle locale et les données humaines
dans leur réalisation, à gérer les conflits et les retombées économiques de manière équitable. Cette
capacité se montre fortement limitée.
- Il en est de même pour les territoires de concession : les impératifs locaux et humains n’ont pas été
assez pris en compte. Les établissements humains autour des mines n’ont pas été bâtis comme un
établissement social et urbain durable, en conséquence, leur pérennisation et leur intégration sont
difficilement envisageables pour l’avenir et posent déjà aujourd’hui des problèmes.
- Les trois points précédemment soulevés révèlent des problèmes de différents ordres, tels, le
manque de souveraineté des territoires nationaux éprouvés par le gouvernement laotien, les conflits
d’échelle entre le local et le régional qui mettent en porte-à-faux la communauté régionale en cours
de construction, la sécurité et la pérennité des sociétés et des communautés locales menacées,
paradoxalement, par le développement.
- La mise en marge de certains territoires peut être aussi liée à leurs caractères endogènes. Les
contextes historiques de “zone libérée”, de “zone spéciale” et de “zone de trafic”, par exemple, le
montrent bien.
La mutation de l’espace fait aussi apparaître à la fois le phénomène de recyclage et
d’altération des espaces historiques ou des espaces constitués. Faits qui se sont opérés dans le
champ patrimonial, enlisé dans les problématiques de développement. Par exemple, les monastères
qui sont des espaces anciens, leur recyclage et leur altération sont manifestes à travers la place
qu’ils occupent aujourd’hui dans la ville en tant que centralité. Leur présence et leur convergence
sociale dans la ville, leur propension à devenir des modèles architecturaux sont incontestables, mais
aujourd’hui remises en question. Un regard introspectif (dans l’univers de la culture et de ses
pratiques) et rétrospectif (dans les faits historiques) s’impose pour comprendre le processus de
patrimonialisation, identifier sa prise de conscience et sa conception et prendre en compte ses
discours. Ceci, afin de saisir la confrontation forte entre la nécessité de développement et la
nécessité de mémoire qui caractérise la réalité urbaine et le manque de modèle clair de la politique
de développement laotienne en cours.
Enfin, la mutation de l’espace est aussi à l’œuvre à travers la constitution et la
recomposition des espaces politique et symbolique, social et économique :
- Le régime se retrouve sans modèle idéologique spatialisé, alors qu’il entame sa troisième décennie
de réforme. A partir des années 2000, le retour des symboles a été pressenti comme une nécessité et
représentatif d’un désir de légitimation du pouvoir politique et d’une volonté de donner à l’espace
une valeur identitaire, de rassemblement et de citadinité : réappropriation des espaces sensibles avec
des projets publics d’envergure, revitalisation de l’identité religieuse locale et des anciens
monuments, voire, les réinventer.
- Le regain des occupations anciennes devient actif, mais reste modeste dans les secteurs du
développement urbain. Il est question de considérer le patrimoine et les faits archéologiques comme
des éléments de développement urbain, économique et social. Mais il met en exergue aussi un effet
pervers : l’émergence des sites patrimoniaux peut aussi se cristalliser dans une monofonctionnalité ;
les fonctions touristiques uniques posent des problèmes d’équilibre socioéconomique et culturel, de
développement durable.
- La stratégie résidentielle des habitants constitue aussi une forme de recomposition spatiale. Quitter
ou rester dans le centre, considérer ou pas le Mékong comme une centralité ? Ces questions restent Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 495 -
corollaires aux offres d’emploi et d’activité, aux offres foncières, à la qualité du cadre de vie et à la
valeur écologique primitive liée au fleuve. Ces questions demeurent non maitrisées pour la politique
urbaine.
- Le foncier est un élément de recomposition spatiale majeur. Des dispositifs mis en place par l’Etat
pour le cadrer explicitent son importance. On constate aussi, indépendamment des dispositifs de
l’État, que le foncier se dote d’un principe spéculatif lié aux effets des grands projets de
développement annoncés, que ceux-ci soient réels ou fictifs.
- Les péricentres et les centres périurbains constitués viennent renforcer et consolider la vie des
petits centres. Tout en demeurant une caractéristique permanente des villes, la centralité est
reformulée : entre une ancienne et une nouvelle centralité, les nouveaux centres se constituent en
périphérie, en ramifiant les quartiers plus ou moins dispersés et en accompagnant la construction
des nouvelles routes et le déplacement des équipements publics.
- La reconstitution et la recomposition de l’espace à l’œuvre, appellent aux outils de gestion et de
développement urbain nouveaux et adéquats. La politique urbaine et territoriale entame ainsi des
procédures pour mettre en place une autorité urbaine –le UDAA– dont le rôle et le cadre technique
et institutionnel sont d’être l’embryon d’une future municipalité avec un éventuel “pouvoir local
élu”. Volonté appuyée et initiée par les bailleurs de fonds internationaux, intéressés pour mettre en
place un processus de transition structurelle, institutionnelle et politique. Mais sa réalisation est
freinée par une structure politique et constitutionnelle fondée sur le pouvoir d’un parti politique
unique et centralisé.
- Les investissements ainsi que la migration sont aussi des facteurs importants de modification des
espaces urbains. Les investissements intérieurs ont été peu importants, mais contribuent à apporter
des modifications aux tissus urbains des centres, alors que les investissements extérieurs modifient
la configuration des villes et des territoires à une plus grande échelle, en fabriquant des grands
projets urbains, en établissant des zones de concessions et en interrogeant la bonne gouvernance
urbaine et le choix du modèle de développement de l’État laotien. Quant à la migration interne, elle
participe au renouvellement des habitants dans l’espace citadin et modifie les données spatiales des
tissus urbains sans apporter des bouleversements, alors que la migration extérieure renvoie aux
relations historiques entre le Laos et ses voisins. Ce renvoi à l’histoire permet de comprendre
l’influence des deux migrations –chinoise et vietnamienne– exercées sur la gouvernance. Enfin, la
migration artificielle qui accompagne la coopération internationale permet la réhabilitation des
anciennes villas et bâtiments des années 1960 et la construction d’un nouveau type d’habitation,
sans être initiatrice d’une véritable production architecturale nouvelle.
- La question de la citoyenneté n’a pas été également étrangère à la recomposition de l’espace
urbain, puisqu’elle touche la question des pratiques habitantes et de la gouvernance urbaine. L’Etat
définit les critères des familles et des villages modèles et recommande aux citoyens les actions à
entreprendre pour atteindre les modèles définis.
- En interrogeant les quatre champs et acteurs impliqués dans la production du bâti –l’opérationnel
et l’économie, la nature des commandes et les commanditaires, les entrepreneurs et les architectes–
on découvre un autre aspect de la recomposition de l’espace et on mesure la forte dépendance de la
création et de la production architecturale vis-à-vis de ces champs et de ces acteurs.
Dans leur ensemble, le devenir des villes laotiennes traduit l’ambiguïté des politiques de
développement aussi bien locales que régionales : entre préservations des héritages du passé comme
conservation de leur identité dans un monde globalisant, et volonté de se projeter dans l’avenir
comme pensée légitime d’une société en cours de “ modernisation ”. Les villes laotiennes font face
à des nouvelles dynamiques spatiales imposantes –d’un côté l’intégration régionale et la mise en
réseau des métropoles, et de l’autre, les propensions internes des villes à appréhender les mutations
et à réceptionner les changements. L’espace des villes est appelé non plus seulement à évoluer, mais
à se métamorphoser en absence de modèle, ne comptant que sur ses qualités spatiales
idiosyncratiques. De ce constat, notre regard rétrospectif et introspectif nous amène à nous
intéresser à sa culture spatiale, à analyser dans son passé historique et ses espaces constitués, les Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 496 -
éléments porteurs et idiosyncratiques, qui ont nourri la qualité de ses espaces avant 1970. C’est ce
que propose d’analyser la deuxième partie de notre recherche.
2
La deuxième partie de la recherche est théorique. Elle a tenté d’approcher les principes et les
modèles fondamentaux de fondation, en explorant les données immatérielles (données
anthropologiques, mythes et rites religieux et païens, pratiques habitantes) en rapport avec les
fondations et les données historiques. Les éléments de formation primitive montrent que les
établissements qui ont préexisté à l’espace lao tai, structuré au XVIe siècle, sont essentiellement au
nombre de quatre : 1- les occupations proto-indochinoises qui se trouvent temporellement et
culturellement à l’extérieur du monde môn-khmer et tai ; 2- les fondations mônes proprement dites
que l’on continue à découvrir de manière fragmentée, et dont les contenus culturels et conceptuels
ne semblent pas très éloignés des établissements lao tai. Les connaissances les concernant restent
liées à la découverte historique et archéologique actuelle et à venir, notamment du Nord-Ouest du
Laos et du Nord de la Thaïlande ; 3-les établissements khmers, monumentaux et marqueurs de
territoire. Ils renvoient aux fondations des monuments et des grands établissements politiques et
territoriaux, même s’ils restent “muets” sur les établissements urbains et d’habitat qui font l’objet
privilégié dans notre observation ; 4- les occupations lao tai primitives qui ont préexisté à
l’émergence des espaces lao tai contemporains. Nous faisons l’hypothèse qu’à l’échelle temporelle,
ces établissements primitifs sont formés avant le XVIe siècle, sur deux longues périodes : la
première entre le VIIIe et le XIVe siècle –période des chefferies dispersées ; la seconde entre le XIVe
et le XVIe siècle –période des cités-états– avec une configuration politique et spatiale structurée.
A travers les pratiques spatiales, la permanence des caractéristiques des sites, les mythes et
rites de fondation, comme des éléments révélateurs, nous avons esquissé l’organisation
sociospatiale et les principes d’implantation de la période primitive lao tai. Mais notre analyse s’est
surtout attardée sur la structuration de l’espace lao tai opérée autour de la fondation de la capitale
par Sethathirat au XVIe siècle et à partir de ce règne, où la restructuration politique de l’espace s’est
réalisée de manière plus formelle, identifiable à travers différents actes et dispositifs politiques
réalisés, comme une inscription de la pensée dans le territoire. Effectivement, il y a un parti-pris
idéologique pour restructurer l’espace non seulement territorial mais aussi social, politique et
religieux. L’espace lao tai est ainsi lisible à travers des faits culturels et idéologiques, analysé dans
sa strate de cité-état et dans la structure du pouvoir politique constituant, d’où découleraient sa
conception spatiale et son mode d’organisation. De ce fait, la constitution de l’espace reste –toute
proportion gardée– endogène, générant son propre modèle historique.
Notre analyse a exploré, ensuite, la capacité des espaces lao tai à réceptionner les modèles
spatiaux extérieurs. Par leur artificialité, les villes siamoises précoloniales ainsi que leurs structures
administratives, installées comme des lieux de capitations dans le Laos et dans le Laos Occidental
au XIXe siècle, ne peuvent constituer un modèle durable, mais ont conditionné certains aspects de
l’espace contemporain : 1- Ils ont déstructuré et atrophié la forme sociale et politique du muang
traditionnel ; 2- leur fonctionnement ont induit la naissance du sentiment “localiste” qui a gêné, tout
le long du XXe siècle, le développement et l’intégration de la région Issane dans l’unité nationale
thaïlandaise. En ce qui concerne les villes coloniales, contrairement aux établissements siamois,
elles ont été un modèle nouveau et durable, devenu significatif pour l’espace contemporain, du
point de vue administratif, programmatique, de la gestion des sols et dans la prise en compte de la
démographie. La culture administrative et les bâtiments coloniaux forment aujourd’hui une variante
urbaine des villes laotiennes. Sachant qu’au moment de leur installation, elles ont tenu une position
ambigüe, voire, ont ignoré les espaces anciens antérieurs (forme urbaine, limite, mode ancien de
production et de gouvernance, etc.). Dans leur ensemble, les villes siamoises et les villes coloniales
restent des modèles exogènes et peu d’éléments ont été endogénisés pour un développement
conceptuel et formel des villes laotiennes postérieure, alors que leurs propres éléments endogènes
demeurent un modèle spatial marquant. Quatre principes semblent le démontrer :Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 497 -
1- Le modèle spatial en rapport avec la forme de la gouvernance. On constate que l’organisation de
l’espace lao est reposée sur trois échelles et principes spatiaux : le ban, le tassèng et le muang. Ces
principes ont perduré et ont assuré à l’organisation laotienne une pérennité, malgré les ruptures et
les transformations diverses que l’histoire a enregistrées.
2- Les ancrages culturels de ces principes spatiaux ont été tels qu’ils génèrent une conception
idéalisée du muang. Dans le Syasavat, le muang –défini comme une cité-état par excellence– donne
la perception du cadre de vie, de penser et de gouvernance de la société lao ancienne.
3- Dans la pratique, les ancrages culturels des principes spatiaux donnent des règles au droit des
sols, stigmatisé dans le droit coutumier, auquel le droit foncier d’aujourd’hui se réfère encore.
4- Jusqu’à récemment, la domestication des espaces naturels, en liaison avec le mode d’habiter,
comme savoir intemporel constitue une caractéristique des espaces et des villes laotiennes. La
conception et la perception de la nature participent à la construction et aux fonctions des
établissements. La nature fait partie de la cité, en tant que paysage, lieu de production ou d’altérité
de vie, parfois divinisée.
L’analyse urbaine, autour des années 1975, met en évidence une certaine permanence des
quatre principes hérités des structures spatiales anciennes, malgré les conjonctures
socioéconomiques internes et externes en rapport avec l’évolution des aires urbaines régionales et
avec leur propre cycle de transformation interne. En cela, on constate que :
1- les schémas symboliques et les cultes perdurent encore dans l’usage de l’espace : la forme
ancienne du pouvoir laisse des traces sur les lieux sensibles de la ville ; la faiblesse démographique
traditionnelle est prise en compte comme un handicap dans la modélisation de l’espace et continue à
l’être dans la gestion et l’économie des villes ; le déplacement de la population, qui est une pratique
traditionnelle, est encore d’actualité dans la restructuration spatiale ; le mythe de la ville imaginaire
continue aussi à “hanter ” tant ceux qui la construisent que ceux qui la vivent ;
2- le phénomène de partition territoriale et politique du Laos, qui est une question induite par le
contexte de la Guerre froide, reflète aussi une réalité géographique et humaine, inscrite dans la
formation et dans l’évolution territoriale du pays. Cette partition s’est calée sur l’opposition entre
zones vides montagneuses, moins développées et zones basses, peuplées, développées et faciles
d’accès. Elle ne s’est pas calée, par exemple, sur la partition ancienne des trois royaumes, mais sur
la configuration historique plus ancienne de la répartition des hommes et des richesses ;
3- le grand tournant spatial des années 1960 enregistre plus une transition qu’une rupture. Les
éléments traditionnels pris en compte –acculturation et endogénisation– sont presque dépassés par
rapports aux nouvelles données spatiales qui apparaissent dans le contexte de la Guerre froide : les
établissements naissants sont liés à la guerre, et il est de même pour la nouvelle répartition des
hommes sur le territoire. Quant au développement et à la production spatiale, dans bien des cas,
l’urbanisme et l’architecture des années 1960 ont révélé la dynamique des espaces symboliques
anciens comme une structure urbaine révélée et structurante. On identifie les années 1960 comme le
commencement d’un nouveau cycle de transformation spatiale, le passage de l’espace traditionnel à
l’espace moderne. Et les facteurs dominants qui ont conduit la transition urbaine des villes
laotiennes ont été la complexification des acteurs et le développement d’une nouvelle
programmation urbaine. La réflexion menée est une contribution à la connaissance d’une transition
urbaine spécifique et produite dans les villes lao tai d’aujourd’hui.
3
Avant les années 1970, les espaces anciens ne sont pas altérés et les implantations lao ont
connu une évolution idiosyncratique, se développant dans une certaine continuité, malgré les
grandes transformations spatiales opérées durant plusieurs périodes. Cela contraste si fortement
avec la période actuelle, où la matrice structurante, liée à la fondation des villes et des pratiques
habitantes, est altérée, perdant sa capacité d’adaptation et de renouvellement. La politique et la
gouvernance urbaine, ainsi que la production spatiale, rencontrent des difficultés dans le contexte de
développement en cours. Ce fait accuse le contexte sociopolitique et les enjeux spatiaux des deux Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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décennies entre 1970 et 1995, en tant que période transitoire. Explorer ces deux décennies, c’est
l’objet de la troisième partie de notre recherche.
En 1975, la fin de la guerre du Viêtnam a bouleversé toute la région de l’Asie du Sud-Est.
Le basculement idéologique de l’ancien Indochine, entré dans le bloc communiste, a profondément
transformé les sociétés de ces pays, et les a exclu, pour un temps, du reste de la communauté des
nations de l’Asie du Sud-Est et de l’Occident. Dans la vallée du Mékong, la politique territoriale se
tourne vers l’intérieur des terres, le Mékong devient une barrière et non plus un lieu d’échange avec
la Thaïlande. Le nouveau pouvoir doit gérer la totalité du territoire dans un contexte politique
régional inédit, alors que ses dirigeants, soutenus par le Viêtnam, la Chine et l’ancien URSS,
n’avaient été habitués à gérer que les zones “libérées” et les populations embrigadées. Malgré les
conflicts frontaliers sino-vietnamiens de 1979, la politique laotienne doit composer avec ses deux
grands voisins. La nécessité d’exister dans la dualité sino-vietnamienne induit non seulement une
différenciation territoriale, mais surtout l’émergence de deux fractions politiques dans la direction
de l’État laotien. Le régime penche clairement du côté vietnamien, par le lien historique
qu’entretient le PPRL avec le PCV. Ainsi, l’axe Nord-Sud traditionnel, avec la Chine, est mis en
veille, de la fin des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980, au profit de l’axe Est-Ouest,
rappelant la politique coloniale et aussi la lutte anti-coloniale, qui avait favorisé le rapprochement
entre les futurs dirigeants communistes laotiens et vietnamiens au lendemain de la Deuxième
Guerre mondiale. L’axe Nord-Sud, maintenu au minimum, est relancé à partir de la seconde moitié
des années 1990 pour se renforcer nettement à partir du début des années 2000. Trois temps ont
qualifié la période transitoire qui a fragilisé la capacité spatiale d’adaptation et de renouvellement
des villes laotiennes d’aujourd’hui.
Au moment de l’investiture du régime, le temps de l’appropriation
Dans la première année du régime, les enjeux spatiaux, humains et économiques sont
importants. C’est une réalité incontournable : une partie de la population fuit le pays face à un Etat
autoritaire et une gestion arbitraire des hommes. La fuite de la population a été sanctionnée, et les
séminaires politiques mis en place pour former des hommes nouveaux, selon le modèle établi par
l’idéologie du régime. La mobilité et le “ déplacement ” des hommes, le repeuplement des régions
deviennent un choix pour réguler l’occupation des territoires et développer l’ensemble du pays, où
la faiblesse démographique demeure une fatalité. Quoiqu’il en soit, le miroitement d’une société
plus juste, d’un pays réconcilié avec lui-même et en paix, semble permettre la mise en place du
régime et non pas son contenu idéologique. Devant les enjeux et les défis multiples, le régime tente
de se créer des perspectives nouvelles, s’imposer, se légitimer et perdurer : une hétérotopie est ainsi
installée. Bien que les Laotiens s’en défendent, le système a apporté un grand changement dans la
société et dans les mentalités. Les nouvelles générations, grandies ou nées après 1975, n’ayant pas
connu des éléments de comparaison, ont été formées à la vision et à la pensée unique.
Sur le plan économique, le pays est plongé dans le marasme : dévaluation du kip, inertie de la
circulation monétaire, production à plat, absence d’investissements publics dans les services de
base, circulation des produits au point mort, etc., l’État décrète le nouveau “ kip de libération ”.
Pour redresser l’économie, il met en œuvre l’autosuffisance, l’étatisation des biens, le collectivisme,
tout en tolérant, officieusement et provisoirement, le marché noir. Les problèmes dans leur
ensemble sont ainsi différés, débouchant vers une nécessité de réformer le système quelques années
plus tard.
Sur le plan spatial et politique, le nouveau pouvoir a tenté de réinventer des nouveaux
symboles, en remplacement des anciens abolis ; de se réapproprier l’espace avec une vision globale
et non plus partisane et partiale. La propagande et l’endoctrinement ne passent pas seulement par les
recommandations et les interdictions, les meetings politiques et les séminaires, ils passent aussi par
le renouvellement du langage des arts et de la culture, touchant au plus près l’individu. La
construction du nouveau pays, l’édification du régime, la sécurité et l’ordre social passent ainsi par
un arbitrage sévère et un sacrifice irréversible de ressources humaines.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 499 -
Les dispositifs spatiaux pour une nouvelle perspective
Les premiers dispositifs politiques que l’Etat a mis en place pour restructurer le pays,
concourent directement à ruraliser la ville, voire, à la faire “ disparaître ”, dans sa fonction urbaine
et politique, selon une hétérotopie et des impératifs idéologiques du régime, peu en phase avec la
réalité sociale et culturelle du pays.
- La réforme administrative est le premier secteur touché. De la responsabilité individuelle et
hiérarchique des compétences, l’administration est passée au système à responsabilité collective.
Les décisions ne se basent non pas sur les hiérarchies à compétences, mais sur l’appareil politique
valorisé au sein du parti, placé dans tous les échelons de la structure administrative. La place du
pouvoir local a été modifiée : l’administration de la ville-agglomération urbaine est réunie à
l’administration de la province ; le nouay, un comité de quartier, une subdivision du village, est
créé, réduisant le rôle traditionnel paternaliste et fondateur du chef de village.
- Les principaux dispositifs politiques imposés à la population prônent l’autosuffisance comme une
vertu. Voulant contrôler la production, l’Etat impose le collectivisme dans la démarche de la
réforme agraire. Voulant contrôler et répartir les biens dans une société qui se veut égalitaire, il
étatise les biens fonciers et immobiliers. Considérant le travail comme une vertu, il impose les
travaux collectifs et l’absence des services urbains et des services publics –disparus avec l’Ancien
Régime– est considérée comme une pédagogie, une leçon inculquée à la population et à la société
bourgeoise. Au résultat, les dispositifs débouchent sur le premier phénomène incontrôlé par l’Etat :
l’espace s’auto-gère, la ville et ses espaces non planifiés se déploient. Les quartiers périphériques se
constituent dans le désordre, l’usage de l’habitat et de la ville change de fonctions par une
population rurale : leurs états de conservation se dégradent rapidement.
Alors que la ville “ disparaît ” au profit de la campagne, l’espace urbain expérimente une
production architecturale, timide mais identifiable au début des années 1980, à travers des nouveaux
équipements et bâtiments emblématiques. Il se dote aussi de nouveaux programmes architecturaux,
démonstratifs souvent de projection sociale hétérotopique. A l’échelle du territoire, le régime se
projette aussi idéologiquement dans l’expérimentation de villes nouvelles, annonçant comme villes
socialistes, soucieuses de fonctionnalité. Elles sont conçues dans l’idéalisation du peuple
multiethnique –brassage culturel et “ laoisation ”– dans la méconnaissance et la négation totale de
l’histoire urbaine, de la base fondatrice historique et sociale.
Le temps des bilans et leurs implications
Lorsque le système communiste s’écroule en Europe de l’Est, le CCP qui dirige le Laos
préconise la Réforme de l’intérieur en dressant un bilan. Les justificatifs idéologiques, politiques et
économiques sont nombreux pour contraindre le régime à entamer une réforme : insuffisance lourde
de ressources humaines, démographie désastreuse, conjointe à l’insuccès de l’arbitraire du régime,
de sa politique collectiviste et de sa réforme agraire et foncière qui sont les causes des fuites
importantes de la population. Des mesures sont menées plus ou moins dans différents secteurs. Mais
les plus concrètes sont mises en œuvre dans le domaine de l’économie.
Parallèlement aux bilans officiels, certains constats sont révélateurs des sentiments de
désillusions, d’échecs et de gâchis. On constate que des fractures sont identifiables au sein de
l’appareil révolutionnaire. Elles portent sur le fait que la révolution n’a pas pu amener la
réconciliation nationale ni améliorer la pauvreté du pays : il manquait encore plus de compétences
pour gérer le pays, et la société est fracturée : fuite de la population, emprisonnements et séminaires
politiques, etc.
Sur la question spatiale, le territoire à explorer et à fonder n’existe plus en tant que tel, mais
doit être géré et développé par l’intérieur. Ainsi la création des nouveaux espaces de représentation
rencontre des limites. La négation et l’abstraction de la représentation de la ville et des fondations
anciennes, qui caractérisait la considération et l’occupation spatiale du nouveau régime durant les
premières années, ont besoin d’être révisées. En effet, la dégradation de la ville, de la cité en tant
que lieu de décision –même si on tentait de la ruraliser– peut menacer le statut du politique. Il fallait Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 500 -
donc essayer de relever certains points clefs du marasme : la dégradation des responsabilités et des
savoir-faire des agents administratifs, l’autogestion spatiale et la dégradation des lieux et leur
fonction, la réforme administrative territoriale corollaire à la transformation sociopolitique,
l’étatisation des biens fonciers, l’autogestion de l’espace en absence de planification urbaine, la
population rurale, les bâtiments emblématiques et fonctionnels, la zone spéciale, les villes
nouvelles, etc. Tous ces sujets doivent être revus.
La réforme entamée officiellement en 1986 va avoir des implications près d’une décennie
plus tard, à partir de 1994-1995. La nécessité de restructurer l’administration devient urgente, dans
la foulée de la promulgation de la Constitution de 1991. Tant sur le plan administratif que spatial, il
est nécessaire que la ville en tant qu’entité retrouve ses “ titres de noblesse ”. Des soutiens dans les
stratégies du secteur urbain ont été sollicités par l’Etat laotien à la coopération et aux bailleurs de
fonds internationaux. Le nouveau Plan Urbain est étudié et proposé en 1989. Les organes
techniques et administratifs responsables des affaires urbaines sont créés, mais l’opérationnalité de
ces organes reste limitée. Les critères et les échelles urbaines, ainsi que les acteurs de la ville, etc.,
sont également définis. La zone spéciale, un territoire en marge, incontrôlable et difficile d’accès,
est instituée en 1994. Elle explicite une variante peu commune du mode de gestion territoriale opéré
dans un territoire qui pose problèmes.
Avec la réforme et l’assistance internationale, l’Etat laotien se munit d’une certaine
politique urbaine. Elle permet de réviser la politique de ruralisation de la ville, entreprise au début
de l’investiture du régime, devenue obsolète et posant de multiples problèmes à la gestion urbaine.
Mais durant cette première décennie de réforme, le développement urbain ainsi que les
investissements étant limités, l’approche de la ville en tant que centralité et entité propre se fait
difficilement, après deux décennies de négligence. C’est par les réseaux viaires et les quartiers
péricentres et périurbains que l’on aborde la vitalité de la ville : des constructions nouvelles et
parsemées égrainent dans ces zones, tandis que le tissu urbain et le centre ancien qui ne font pas
encore l’objet d’intervention, revivent lentement par des reprises d’activités.
La réflexion menée dans cette recherche tente d’éclaircir les difficultés de développement
urbain et territorial rencontrées dans la période actuelle, d’interroger les options prises pour
l’aménagement et la mise en place des projets. Ces dernières ont-elles réellement contribué à
redonner à la ville ses fonctions et ses “ titres de noblesse ” comme espace partagé et géré ? Sous les
bannières du développement socioéconomiques, afin d’atteindre les objectifs d’enrayer la pauvreté,
d’urbaniser et de moderniser le Laos, les options actuelles n’ont-elles pas “ oublié ” l’essentiel : la
dimension humaine, la qualité spatiale respectant la mémoire et les identités ainsi que le mode de
vie de ses habitants et l’avenir environnemental pour lesquels elles sont destinées. Le partage et les
négociations entre les acteurs pour des intérêts communs, les consultations entre pouvoirs publics,
population et investisseurs dans la production spatiale et urbaine, ne sont-ils pas les conditions pour
toute transformation spatiale réussite et pour toutes les bonnes gouvernances ? Toute en relevant le
fait que les difficultés sont liées à la période transitoire et aux dispositifs engagés durant cette
période, la stratégie de développement urbain et territorial en cours comporte des problèmes de fond
et de contenus. Elle doit probablement être mise à un niveau de réflexion plus fine, en incorporant
des champs disciplinaires et des connaissances plus larges et plus ciblées à la fois.
Les expériences positives et négatives des années transitoires sont nécessaires. Cependant,
ce qui a été négligé aujourd’hui, telles, la notion de ville comme espace hérité de l’histoire, la
notion de citoyen habitant de la ville, la notion de création, de gestion et de partage des espaces, et
de manière plus large –des territoires et des ressources, de négociation et de gouvernance
participative, etc., devraient probablement être replacées au cœur des préoccupations des décideurs
et des habitants. Dans ce nouveau contexte régional, il semble que c’est en se nourrissant des
expériences du passé, en interrogeant ses propres données endogènes ou endogénisées tout au long
de l’histoire, et en suscitant aussi la notion de participation citoyenne dans les décisions, en gérant
et en négociant les intérêts des acteurs et des bénéficiaires, que le Laos pourrait constituer ses
modèles d’espace et de développement adaptés et durables.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien
dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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ANNEXEDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien
dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 502 -
1. BIBLIOGRAPHIE
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Jinakalamalini, Ratanapanna, XVIe Siècle, annotation de Coédès. lusokdao]t,k]uouF
ik8totxaopk
Nithan Khun Bourom. Il existe cinq versions en Tham lao. La 1e serait
collégiale, rédigée par Phra Maha Thep Luang et par les hauts dignitaires de
Luang Prabang. Datée vers 1503-1504, la chroniques s’arrête au règne de
Vixun et c’est la version la plus utilisée par les auteurs. La 2e
, écrite à
Vientiane s’arrête au règne de Saèn Soulinh et date de ce règne, l’année 1567.
Viravong suggère que Phra Arya Vangso en soit l’auteur. La 3e
, date de 1627
sous le règne de Nôkéo kumman. Le nom de l’auteur n’est pas mentionné. La
4e version serait écrite sous le règne de Say Ông Hué vers 1705-1708. Le nom
de l’auteur n’est pas mentionné. La 5e version serait écrite sous le règne de
Manthathourath vers 1856 par Houaphanh Muang Boun comportant en
annexe une chronologie résumée depuis la fin du règne de Suryavongsa
jusqu’à l’année 1847.
oymko05o[6iq,, 3fprt
,tskgm[s];’ 1503-
1504.
Oulangkhrathat, annotation de Phra Thammarajanouvat, 2551. v5]a’7tmkf
Phongsavadan hèng pathed lao, Luang Prabang, Vientiane, Traninh et
Bassac, publié la 22e année de règne de Sa Majesté Sisavang Vong, roi du
Luang-Prabang, 1927 (Annales du Laos). L’ouvrage est en Lao avec une
écriture ancienne. Les auteurs et éditeurs, dont les noms ne sont pas
mentionnés, basent leur écrit sur le Nithan Khun Bourom.
rq’lk;tfko csj’ xtgmf
]k; 7n s];’rt
[k’ ;P’9aoF g,Nv’r;o
c]t 9exkladD
Tamnan Meuang Souvannakhomkham, annotation de Rattanavong H. 8eokog,nv’l5;aoot37,7eD
Tamnan Muang P’uon, annoté par Archaimbault Ch. 8eokog,nv’r;oD
Tamnan Yolnok, annoté par Dorée A. 8eoko3poqd
Thao Hung Thao Tch’ueng, Viravong S., volume 1 publié en 2000, volume 2
en 2003, dans le cadre des études lancées par la bibliothèque Nationale et le
Comité de Recherche en Littérature de l’Université Nationale du Laos.
mkH;Ij5’mkH;g9nv’
Kotmai bouran lao (Moulatantaï, Soysaykham, Thammasat Luang, Souvannamoukha, Rajasat, Phosarat et Sangha pakhon, Anachark et
Thammachark du Thammasat.) Texte en Tham lao, sur feuille de latanier,
XVIIe siècle, le droit coutumier. Auteur anonyme, annoté par Samlith
Bouasisavath, en sept fascicules.
dqfs,kp[6Iko]k;
(,5o]t8aow8, lvhplkp7e,
rtme,tlkfs];’,
l5;aoot,5d0k, ik-lkf,
3rlt]kfD)
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dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Vientiane, et la création des UDMCs pour les quatre villes secondaires.
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Csikszentmihalyi Mihaly, La créativité. Psychologie de la découverte et de l’invention, Robert
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Detienne M. (sous la dir.), Tracés de fondation, Louvain-Paris, Peeter, 1990, 329 p., index
(Bibliothèque de l’Ecole des Hautes Etudes Section des Sciences religieuses, CXIII). Cf. Compte
rendu de : Jonkers D, in. Cahiers d'études africaines, 1992, Vol. 32, N° 127, pp. 523-525 ; Létoubon
F, in. Revue de l’histoire des religions, t. 211 n°3, 1994, pp. 345-348.
Donatella Calibi, Marcel Poëte et le Paris des années vingt, aux origines de « l’histoire des villes »,
L’Harmattan, Paris, 1997.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans
la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 516 -
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de l’Université de Saint-Etienne, 2003.
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la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 517 -
2. ENQUETES DE TERRAIN ET SOURCES ORALES
Les travaux de terrain comportent trois types : 1- Travail d’observation sur un lieu donné, pour réaliser un relevé
ou pour évaluer, par exemple, la fréquentation d’un lieu, sans interview ni questionnaires. 2- Recueil oral, basé
sur une discussion ou un entretien. 3- Enquête de terrain avec questionnaires. Lorsque les personnes
interviewées l’autorisent, leur nom figure dans la liste. Dans le cas contraire, le sujet d’interview est indiqué
sans le nom. Par contre, sont mentionnés soient leur statut social, leur métier et occupation, soit une simple
mention montrant le lien de pertinence entre le sujet et la personne interrogée.
Thèmes. Identification. Année
01 Camps de rééducation. Chanhsamone Voravong, 71 ans, géographe, ancien
séminariste du camp N°06.
2000
02 Camps de rééducation. Khammay Bouchasinh, ancien séminariste du camps
N°06, colonel de l’armé royale formé à Saint Cyr. 2000
03 Zone libérée Un architecte de l’IRU qui a vécu dans les grottes de
Sam Neua.
2003
04 Zone libérée 1962, Luang
Nam Tha.
Un Lü Kalrom originaire de Luang Nam Tha qui a
quitté la région natale durant la « libération » en
1962 et dont le père, chef de village, a été fusillé par
l’armé de libération.
2007
05 Corridor économique SaSEZ Un des directeurs thaïs du projet SEZA Savannakhet. 2008
06 Déplacement de la population
lü de Botèn, Muang Luang
Nam Tha.
Un groupe de villageois composé des membres du
Front d’Edification National du village lü de Botèn. 2007
07 Parcelles, symbolisme des
parcelles.
Enquête restreinte, testant le choix des parcelles :
leur forme et leur position par rapport à un axe de
voierie.
1999
08 Muang Kao et Vat Phrakéo à
Champassack.
Pothao Pheuang 82 ans, ancien moine de Vat
Phrakéo, Muang Kao.
2007
09 Muang Vieng Phou Kha
Histoire de Souvanna- khomkham
H. Rattanavong, Militaire, anthropologue
autodidacte, ancien Directeur de IRCL ; le
responsable du guide produit par le Bureau du
tourisme de Vieng Phu Kha.
2008
10 Ban Lingsan Le vénérable de Vat Kang, Ban Lingsan. 2003, 2007, 2008.
11 Muang Khoun, bombardement de Xiang
Khouang.
Un fonctionnaire originaire de Xieng Khouang, ingénieur des Pont et Chaussé, faisait partie de la
jeunesse révolutionnaire.
2008
12 Phi muang de Vientiane Le grand chao song (médium) de Vientiane. Gnapo
E-Noy.
2009
13 Pieux lak tham de Ban
Phaylom
Un groupe de personnes âgées composé des
membres du Front d’Edification National du village.
2006
14 Réinstallation récente au Laos
des Lao de la rive droite.
Santi, restaurateur à Savannakhet. 2008
15 Réinstallation au Laos des
Lao de la rive droite, au début
du XXe siècle.
Phomma Sayarath (décédé), d’après la mémoire de
son père et grand-père, famille de notables de Yaso- thone, Khemmalath (Thaïlande).
1999
16 Communauté Tai Dam Maître de cérémonie, notable Tai Dam de Ban
Thongpong.
2009
17 Ubon Rajthani Banyen Na Oubon, professeur d’Université,
écrivain, descendant d’une famille d’aristocrate lao
installée à Oubon (décédé).
2010Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans
la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 518 -
3. ADOPTION DES TERMES ET DES NOM PROPRES
Adoption officielle Prononciation
locale ou usage
courant
Prononciation
Origine
Adoption dans
la thèse
Scribe en lao
Chao Anouvong,
Chao Anu
Chao Anouvong,
Chao Anu
ເຈາອານຸວົງ
Chiang Saèn (Thai) Xieng Saèn (Nord) Xieng Saèn (Lao) Xieng Saèn
Chiang Saèn
-P’clo
Chiangmai (Thai) T’iang mai (Nord) Xieng mai (Lao) Chiangmai -P’ws,j
Chiangraï (Thai) T’iang Hai (Nord) Xieng laï (Lao) Chiangraï -P’Ikp
Fa-Ngoum Fa-Ngoum F’a-Ngoum
Khun Bourom (Lao) Khun Bourom Khun Bourom Khun Bourom 05o[6iq,
Khun Tch’ueng (Lao) Khun Tch’ueng Khun Tch’ueng Khun Tch’ueng 05og9nv’
Muang (Lao) Meueung (Lü) Muang, Meueung (Lao) Muang g,nv’F g,u’
Phothisarat (Lao) Phothisarat Bhodhi Rajya (Sk) Phothisarat 3rmylkikSamsènthaï
(Lao) Samsaènthaï Sam-Saèn-T’aï (Lao) Sam-Saèn-Tai lk,clowm
Sethathirat (Lao) Séthathirat Settha Rajya (Pl-Sk) Sethathirat glf4kmyikSoulignavongsa
(Lao) Sourignavongsa Suryavamsa (Sk) Suryavongsa l5iypt;q’lk
Thaèn F’a Thaèn F’a Thaèn F’a ແຖນຟາ
Lane Xang (Lao) Lane Xang Lane Xang Lane Xang ]kho-kh’
Lan Na (Lao) Lane Na Lane Na Lan Na ]khook
Ayuthia (Thai) Ayuthaya Ayuthia vkp5fmtpk
Sichuan Ban Na (Ch.) Sip Song Phan Na Sip Song Phan Na Sip Song Phan
Na
ly[lv’raook
Lue Lü Lü Lü (invariable) ລ
Lao-Tai Lao Lao Lao, Lao Tai,
Tai Lao
ລາວ, ໃຕລາວ
Lao Theung Kha Kha ຂ້າDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans
la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 519 -
4. LEXIQUES DES TERMES VERNACULAIRES
Pour les termes ne trouvant pas de correspondance adéquate en français nous les gardons en Lao (L) dans le
texte. Du fait de leur vulgarisation dans un territoire de langue commune ou proche mais dont la prononciation
et l’écriture se diffèrent, il est nécessaire d’adopter une écriture pour les termes vernaculaires gardés dans cette
thèse pour éviter amalgame et contre-sens. Pour les termes d’origine Pali et Sanskrit nous préférons adopter les
étymologies plutôt pali que sanskrit. Par exemple : Dhamma (Pl) au lieu de Dharma (Sk).
Agna Ajna (Sk), Ana (Pl), ordre, autorité, pouvoir étendu.
Ban (L) [kho Village.
Chao khouèng (L) g9Qkc0;’ Gouverneur de province.
Chao muang (L) g9Qkg,nv’ Chef du district, gouverneur ou seigneur d’un muang (ancien).
Chao-khong nakhone
(L+Pl)
g9Qk7v’ot7vo
s];’
Préfet, gouverneur de l’agglomération urbaine englobant les
neuf districts actuels de Vientiane.
Chao-khouèng khamphèng-nakhone
(L, Pl)
g9Qkc0;’de
cr’ot7vo
Préfet, gouverneur de l’agglomération urbaine. Terme utilisé
surtout dans l’ancien régime avant 1975.
Chédi (Pl, Sk) g9fu Cetiya (Pl), ou Caitya (Sk). Monument funéraire, reliquaire.
Dit aussi stupa.
Chitanakane maï
(Pl. Sk+L)
ຈິດຕະນາການໃ* Citta (Pl. Sk), pensée, esprit. Maï (L), nouvelle, nouvelle
pensée.
Dinh Heuâ (L) fuogINv Terre laissée à l’état sauvage, non débroussaillée, inoccupée.
Fay (L) /kp Digue en terre.
Gnouane (L) p;o Peuple d’origine tai vivant essentiellement dans le Lan Na et
dans le Nord-Ouest du Laos.
Hô s=H De manière générale le terme désigne les Chinois.
Historiquement il désigne les pillards chinois qui ont déserté
l’armée impériale à la fin du XIXe siècle et qui ont effectué des
raids dans le Nord du Laos et du Vietnam. Aujourd’hui il
désigne une grande partie des habitants de Phongsaly d’ethnie
hô, de famille sino tibétaine.
Ho luang (Sk+L) 3s s];’ L’astrologue, un des hauts dignitaires conseillers du roi. Vient
de Horasastra (Sk) : l’astrologie et de hora (Sk) : heure,
horoscope. Le latin hora, donnant “ horaire ” en français, vient
probablement de cette origine sanskrite.
Ho ou hông (L) s=F 3i’ Autel des esprits, pavillon, palais.
Hong (L) Ivj’ Canal, drain.
Khmer Peuple austro-asiatique du groupe ethnolinguistique môn- khmer, vivant essentiellement au Cambodge.
Khouèng (L) c0;’ Province.
Khouène ແຄວນ Territoire, région, pays (terme imprécis).
Khoum (L) 75h, Quartier. A l’origine il semble désigner surtout le quartier des
princes. A Champassack le quartier des princes est toujours
appelé Khoun. Il concerne ban Vat Luang, Ban Vat Thong,
etc., d’où le terme nay khoun-nay vang, “ du quartier
princier ”, “ du quartier royal ”, “ de la coure ”.
Kwan d;ko Terme lao désignant généralement un notable. A Xieng
Khouang il désigne surtout un notable qui tenait aussi des
activités commerciales.
Khouane (L) ຂວັນ Âme ໍ່ັ້ , esprit.
Lak muang (L) s]adg,nv’ Pieux, borne de la ville marquant souvent un acte de fondation.
Lak tham (L+Pl) s]adma, Pieux du dhamma, marquant une conversion religieuse d’un
lieu.
Lao (L) ]k; Peuple d’ethnolinguistique lao tai vivant majoritairement dans
le Laos, dans le Nord et le Nord-Est de la Thaïlande. Au
pluriel, sans “s” pour ne pas le confondre avec “Laos” (pays
des Lao) terme francisé depuis la période coloniale.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans
la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 520 -
Lao Tai Peuple d’ethnolinguistique lao tai, d’après l’adoption officielle
laotienne : Lao Tai ou Lao-Tai au lieu de Tai Lao.
Laotien Population du Laos de nationalité laotienne, étant ou pas
d’ethnie lao tai.
Lü (L) ]Hn Peuple d’ethnolinguistique lao tai vivant dans le Nord du Laos
et dans le Sud de la Chine (le Sip Song Phan Na.)
Luang (L) s];’ 1. Grand. Dans certain cas lorsqu’il est placé devant un nom
propre il peut désigner la ville. Exemple : Luang Namtha,
Luang Prabang. 2. Une personne titrée dans le système
monarchique. Diminutif d’un titre de Phraya placé devant un
prénom avec le préfixe “ Gna ”. Exemple : “ Gna Luang
Sing ”. Sans le terme “ gna ”, il semble que le terme est
seulement utilisé durant la période siamoise, le préfixe “ gna ”
étant seulement utilisé au Laos, dérivant de Ajna (Sk) ou de
Ana (Pl), ordre, autorité, pouvoir.
Meüeng (L) gs,nv’ Ouvrage de gestion des eaux, sous forme de barrage ou de
digue en terre.
Meun (L) s,no 3e rang d’une fonction publique et titre de noblesse équivalent
à 10 000. Il s’emploie aussi pour les poids de riz. Un meun est
équivalent à 12 kilogrammes.
Môn ,vo Peuple Austro-asiatique appartenant au groupe de parler MônKhmer
vivant essentiellement en Birmanie, dans l’Ouest et le
Nord-ouest de la Thaïlande.
Mou ban (L) |j6[kho Groupement de plusieurs villages, plus ou moins distancée.
Moune-seua (Pl.
Sk+L)
Mula (Pl), origine, source. Mulya (Sk), prix, valeur, capital. En
lao il désigne l’héritage, le patrimoine, utilisé dans le régime
de la RDPL pour désigner le patrimoine idéologique qui a
conduit la révolution lao.
Muang (L) g,nv’ Le district. Il peut aussi désigner la ville, le pays, la cité-État,
terme incorporant la notion politique et de gouvernance. Il
caractérise un espace politique et un système de gouvernance
propre aux Lao Tai.
Muang chatava (L+Sk) g,nv’9a88t;k 4e rang dans le système hiérarchique des muang.
Muang ek (L+Sk) g,nv’gvd Capitale, 1e rang dans le système hiérarchique des muang.
Muang Thaèn (L)
Muang Thien (L)
g,nv’c4o Il y aurait deux Muang Thaèn : Muang Thaèn, ou Tian (Dian)
que les Lao appelaient muang theung (muang du haut) situé
dans le Sud-ouest de Khunming et Muang Thaèn ou muang
loum (muang du bas), la capitale du royaume des 12 groupes
tai (Sip Song Tchou Tai) dans la région de Dien Bien Phu et de
Lai Chau. Dien ici serait la corruption de Dian (en chinois) ou
de Thaèn (en Lao).
Muang tho (L+Pl. Sk) g,nv’3m 2e rang dans le système hiérarchique ancien des muang.
Muang tri (L+Pl. Sk) g,nv’8iu 3e rang dans le système hiérarchique ancien des muang.
Naï phong (L) Chef du district, pour les districts dans le Nord du Laos.
D’après Vongkotrattana.
Nakhone (Pl. Sk) ot7vo Nagara, ville.
Pathesarat (Sk) xtgmfltik- Unité territoriale et administrative vassale, ou royaume ou
chefferie vassale. De Padesa (Sk), région, pays + Rajya (Sk),
en rapport avec le pouvoir royal. Padesaraj : un royaume
appartenant au pouvoir royal.
Phaï (L) wrJ Roturier, personne non noble, personne du peuple, citoyen.
Phi (L) zu Esprit, génie (L). Les monarques lao portent souvent le préfixe
phi devant leur nom, insistant sur leur personnalité sacrée, leur
immatérialité, dépassant leur existence humaine et considérant
comme des esprits. Khun Phi F’a le père de F’a-Ngoum est
ainsi nommé.
Phi f’a, Phi thaèn (L) Esprit des ancêtres tai de Muang thaèn devenu esprit
protecteur et faisant l’objet de vénération et de culte, en Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans
la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 521 -
particulier chez les Lao, les Lü et les Tai dam.
Phong (L) zQ’ D’après Vongkotrattana, village reculé dans la forêt, dans la
montagne, dont les habitants ou les chefs ne seraient pas lao tai
Phou, Phu (L) r6 Mont, montagne.
Phouane (L) r;o Peuple d’origine tai, sous groupe lao, vivant essentiellement au
Laos, en particulier à Xiang Khouang et déplacé au Nord-Est
de la Thaïlande à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle.
Phraya ou Phragna ritpk 1e rang d’une fonction publique équivalent au titre de ministre,
également un titre de noblesse.
Phya grap 4e rang d’une fonction publique, également un titre de noblesse
Pô ban, naï ban, kwan
ban (L)
r+[hkoF
okp[hkoF
d;o[hko
Chef de village, père du village. Kwan utilisé par les Phouans
désigne aussi une personne honorable qui fait du commerce.
Saèn (L) clo 2e rang d’une fonction publique, titre de noblesse, correspond à
cent mille.
Sān (L) -ko Terrasse non couverte dans la partie arrière de la maison lao.
Shan lko Peuple d’origine tai vivant essentiellement en Birmanie.
Sim (Pl) ly, Sanctuaire, édifice central d’un monastère bouddhique.
Sya (L) g-aP Terrasse couverte, espace de vie et de réception située dans la
partie avant de la maison lao.
Tai (L) w8 Peuple de parler tai vivant particulièrement dans la péninsule
indochinoise, auquel les Lao appartiennent. Terme invariable.
Tai dam, Tai dèng,
Tai Khao. (L)
w8feF w8cf’F
w80k;F
Peuple d’origine tai vivant essentiellement dans le Nord et
Nord-est du Laos, dans le Nord du Vietnam, la région du Sip
Song Chou Tai, ou Muang Thaèn du Bas.
Takong (L) 8k7v’ Canal.
Tassèng (L) 8kcl’ Un échelon administratif et territorial au-dessus du ban et en
dessous du muang, équivalent au canton. A Muang Sing il
désigne aussi un îlot à l’intérieur d’un xieng.
Thaèn (L) c4o Le ciel, le haut. Il désigne aussi l’esprit puissant considéré
comme ancêtre des Tai.
Thaèn f’a (L) c4o2hk Esprits gouvernant Muang Thaèn, esprit protecteur des Tai.
Monarque de Muang Thaèn et ancêtre de F’a-Ngoum.
Thahan lat (L) mtsko]kf Troupe armée constituée par levée d’arme auprès du peuple.
Thahan luang (L) mtskos];’ Troupe armée de métier, soldat appartenant à la troupe royale.
Thaï, Siamois (L) .mF ltspk, Peuple d’origine tai vivant dans la région de l’ancien
Sukhothaï et de l’ancien Ayuthia.
Tham (L) ma, D’après Viravong S., une écriture ancienne empruntée à
l’écriture indienne du Sud, le pali, utilisé au Laos pour
transcrire les textes bouddhiques et son enseignement.
That (Pl) mkf Stupa, relique ; de dhatu (Sk), élément naturel fondamental.
Thèï, Thaèn-Thèï, (L) .4hF c4o.4hD Esprit, esprit vénéré à Muang Thaèn,
Tiao (L), chao. (L) g9Qk Noble, ou, appartenant à l’aristocratie. Terme placé devant le
nom d’un aristocrate. L’autographe tiao s’applique dans le
Nord, dans le Sud on l’écrit Chao.
Vat (Pl. Sk) ;af Vatta (Pl), Vrata (Sk), pratique, habitude, observance
religieuse, aujourd’hui il désigne monastère, pagode, temple.
Vieng (L) ;P’ Cité, citadelle, ville avec fortification : sous forme de rempart
ou de digue ou de palissade ou de palanque. Le terme couvre
la notion spatiale plus que symbolique ou administrative.
Xieng (L) -P’ Selon la tradition lü, une unité spatiale à l’intérieur d’un vieng.
A Muang Sing il représente le quart de la citadelle. Il désigne
couramment chez les Lao la ville, la cité.
Yuan (Ch) 1;o Dynastie mongole dominant la Chine du XIIe du XIIIe
S..
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 522 -
5. ACRONYMES ET SIGLES
ACMECS Stratégie de coopération économique Ayeyawady-Chao Praya-Mékong.
AdP Atelier du Patrimoine de Vientiane (installé à l’IRU entre 1999 et 2004)
AFD Agence Française de Développement
AFTA ASEAN Free Trade Area
AN Assemblée Nationale
ANASE Association des Nations de l’Asie de Sud-Est
APEC Communauté Economique de l’Asie Pacifique
ASEM Asie Europe Meeting
AUPM Advance Urban Planning and Management
BAD Banque Asiatique de Développement
BCEOM Bureau Central pour les Etudes et équipements d’Outre-Mer
BDPA Bureau pour le Développement de la Production Agricole
BEFEO Bulletin de l’Ecole Française d’Extrême-Orient
BM Banque Mondiale
BSEI Bulletin de la Société d’Etudes Indochinoises
CAOM Centre des Archives d’Outre-mer
CAS Country Assistance Strategy
CBTS Convention pour le trafic transfrontalier
CCL Comité de Coopération avec le Laos
CCP Comité Central du Parti
CEEO Corridor Economique Est-Ouest, version francophone de EWEC.
CIRAD Centre International de Recherche Agronomique pour le Développement
CLP Comité Local du Patrimoine
CNGPCHE Comité National de Gestion du Patrimoine Culturel, Historique et Environnemental en RDPL
CNRS Centre National de Recherches Scientifiques
DANIDA Danish International Development Assistance
DCTPC Département des Communications, Transports, Postes, Constructions.
DHU Direction de l’Habitat et de l’Urbanisme
DIDM Développement de l’Irrigation Décentralisée
DMA Département des Musées et de l’Archéologie
DPA Département du Patrimoine et de l’Archéologie (remplaçant le DMA)
DTTP Département des Travaux Publics et des Transports (remplaçant le DCTPC).
EC Ere Chrétien.
EDL Electricité du Laos
EFEO Ecole Française d’Extrême-Orient
ENAG Ecole Nationale d’Administration et de Gestion (ancien nom de ONEPA)
ESBA Ecole Supérieure de Bâtiment et d’Architecture, anciennement la Faculté d’architecture.
EWEC East-West Economic Corridor, version anglophone de CEEO.
FEN ou NH Front d’Edification National ou NH (Néo Hom)
FENU Fond d’Equipement des Nations Unies
FSD Fond de Solidarité pour le Développement (anciennement FSP)
FSP Fond de Solidarité Prioritaire
GGI Gouverneur Général de l’Indochine (Fonds d’archive du CAOM)
IDA International Development Agency (Banque Mondiale)
IETU Institut des Etudes Techniques et Urbaines
IGE Institut Géographique d’Etat
IRCL Institut de Recherche sur la Culture Lao
IRD Institut de Recherche pour le Développement
IRDA Institut Royal d’Administration (ancien nom de l’ONEPA)
IRU Institut de Recherche en Urbanisme (remplaçant IETU)
ITTP Institut des Transports et des Travaux Publics (remplaçant l’IRU)
JICA Japan International Cooperation Agency
MAE Ministère des Affaires Etrangères (français)
MC Mekong Commission.
MCC Ministère de la Culture et de la Communication (française)
MCTPC Ministère des Communications, Transports, Postes et Constructions.
MIC Ministère de l’Information et de la Culture (lao)
MRC Mékong River Committee (Appellation plus ancienne).
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
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MTPT Ministère des Travaux Publics et des Transports (remplaçant MCTPC).
NGPES Nation Growth and Poverty Eradication Strategy. Stratégie Nationale pour la Croissance et
l’Eradication de la Pauvreté.
NH Néo Hom
NLHS Néo Lao Hak Sat
NLI Néo Lao Issara
NLSS Néo Lao Sang Sat (remplaçant le NLHS)
NME NEM Nouvelle Mécanique Economique, New Economic Mecanic
NORAD Norwegian Agency for Development
NORAO Nouvelles Organisations Régionales en Asie Orientale
NPL Nam PAPA Lao
NSEDP National Socio Economic Development Programme
NT2 Nam Theun 2
NTPC Nam Theun Power Committee
OMC Organisation Mondiale du Commerce
ONEPA Organisation Nationale des Etudes Politiques et Administratives.
ONG Organisation Non Gouvernemental
P-VT Préfet de Vientiane
PCI Parti Communiste Indochinois
PCV Parti Communiste Vietnamienne
PM Premier ministre
PMA Pays les Moins Avancés
PNUD,
UNDP Programme des Nations Unies pour le Développement
POS Plan d’Occupation des Sols
PPPV Plan de Protection du Patrimoine de Vientiane (proposition de l’Atelier du Patrimoine-IRU)
PPL Parti du Peuple Lao
PPRL Parti du Peuple Révolutionnaire Lao
PRSC Poverty Reduction Support Credit
PSMV Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur du Patrimoine
RDPL République Démocratique Populaire Lao
RGM Région du Grand Mékong, version française de GMS.
GMS Great Mekong Subregion, version anglophone de RGM.
SaSEZ Savanh-SENO Special Economic Zone.
SCOT Schéma de Cohérence Territorial
SDAU Schéma Directeur et d’Aménagement Urbain
SENO Sud-Est/Nord-Ouest (Point de coordination stratégique créé par l’administration coloniale)
SEZA Savan-SENO Special Economic Zone Authority (Autorité administrative)
SIDA Swedish International Development Agency
STUDP Secondary Towns Urban Development Project
UBL Union Bouddhique Lao
UDAAs Autorité Administrative pour le Développement Urbain des villes secondaires
UDMC Urban Development and Management Committee (for secondary town)
UNCDF United Nations Center for Development Fond
UNCHS United Nation Center for Human Settlements
UNESCO United Nations for Educations Sciences and Cultures Organization
UNL Université Nationale du Laos
UNVs Volontaires des Nations Unies
VIUDP Vientiane Integrated Urban Development Project
VUDAA Autorité Administrative pour le Développement Urbain de Vientiane
VUDMC Vientiane Urban Development and Management Committee
VUISP Vientiane Urban Infrastructure and Service Project
ZPPAUP Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager.
JSS Journal of the Siam Society.
NIAS Nordic Institute of Asian Studies.
CEGET Centre d’Etude de Géographie Tropicale (Domaine universitaire de Bordeaux)
CDRASEMI Centre de Documentation et de Recherche sur l’Asie du Sud-Est et le Monde Insulindien.
DAFI Société de Développement Agricole, Forestier et Industriel.
BPKP Borisat Phathana Khet Poudoï (société de développement des zones montagneuses)
OLREC Organisation Lao pour la Réconciliation et le Concorde National.
NORAO Nouvelles organisations régionales en Asie orientale (groupe des éditions scientifiques).
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 524 -
6. LISTE DES ILLUSTRATIONS
Introduction et 1ère Partie.
Figures.
Fig. 1. Carte du Laos. 5
Fig. 2. Planche montrant les principaux types de
parcellaires. 37
Fig. 3. Type de transformation parcellaire et du bâti. 39
Fig. 4. Parcelles appropriées et non appropriées 40
Fig. 5. Zones humides de Nong Douang 41
Fig. 6. Carte montrant l’avancement de la zone NLHX. 43
Fig. 7. Les quatre villes secondaires. 45
Fig. 8. Quelques images des villes frontalières 47
Fig. 9. Les Corridors Economiques. 50
Fig. 10. Master Plan de SAZE. 55
Fig. 11. La région du Haut Mékong et son réseau. 57
Fig. 12. Monument consacrant le pilier de Simuang. 89
Fig. 13. Les monastères à Luang Prabang 93
Fig. 14. Les monastère à Vientiane 93
Fig. 15. Ban Na Kheuane en 2006. 95
Fig. 16. Le site du futur Jardin Sethathirat. 97
Fig. 17. Le concept du Jardin Sethathirat. 104
Fig. 18. Le fardin de Houa Muang et le Jardin Sri Savang
Vong à Simuang. 105
Fig. 19. Le parc de Chao Anouvong et le Jardin Chao
F’a-Ngoum. 105
Fig. 20. L’Avenue Lane Xang-le Patouxay. 105
Fig. 21. Les Stupa de Oudomxay et de Luang Namtha. 108
Fig. 22. Le Monument de la ville de Sam Neua 109
Fig. 23. Les travaux sur les berges du mékong. 117
Fig. 24. Plan Directeur de Vientiane. 2002 IRU. 132
Fig. 25. Plan infrastructure, Schéma Directeur de
Vientiane. 2008 JICA. 138
Fig. 26. Fronts de rue, quartiers centre de Vientiane. 137
Fig. 27. L’architecture officielle. 162
Fig. 28. Des sièges de société nouvellement installés. 163
Tables.
Tab. 1. Listes des inventaires. 87
Tab. 2. Durée des beaux et des concessions. 125
Tab. 3. Taxe des beaux fonciers. 126
Tab. 4. Les ressources du VUDAA.142
Tab. 5. Les dépenses du VUDAA. 142
Tab. 6. Questionnaires d’évaluation de famille
modèle. 157
2ème partie.
Figures
Fig. 29. That Inheng, Savannakhet. 182
Fig. 30. Site Pré-Angkorien de Vat Phu. 183
Fig. 31. Le site de Dan Soung. 185
Fig. 32. Le site de Vang Sang. 185
Fig. 33. Le schéma symbolique de Luang Prabang. 186
Fig. 34. Schéma de l’articulation de That Luang par
rapport à Vientiane. Scénario d’accès local et régional du
grand that. 204
Fig. 35. Le village de Ban That à That Inheng. 209
Fig. 36. Schéma hypothétique de l’accès de Vientiane au
XVIIe siècle. 229
Fig. 37. Deux constructions de la même époque : Vat Sri
Sissaket ; Vat Sèngket. 231
Fig. 38. Le fort de Boun Taï. 240
Fig. 39. Le village de Boun Taï. 240
Fig. 40. Ruine d’un bâtiment colonial faisant partie du
site du fort de Muang Khoune. 240
Fig. 41. Phongsaly au début du XXe siècle. 241.
Fig. 42. Rue empierrée, village hô et phou noy à
Phongsaly. 241
Fig. 43. Le fort de Phongsaly au début du XXe siècle. 241
Fig. 44. Les différentes représentations des forts français,
autour de 1910, 1920. 242
Fig. 45. Vue de Oudomxay depuis le site de l’ancien fort
français. 243
Fig. 46. Plan parcellaire, de la ville de Vientiane, en 4
feuilles, 1912, échelle 1/2000e. Le géomètre Guillini. 244
Fig. 47. Plan de la ville de Vientiane, 1931, état existant
état projeté, échelle 1/2000e, Mariage. 244
Fig. 48. La typologie architecturale la plus représentative
de l’architecture coloniale. 244
Fig. 49. La ville de Savannakhet, état actuel. 245
Fig. 50. La ville de Paksé, état actuel. 245
Tabless.
Tab. 7. Liste non exhaustive des monuments
construits par Sethathirat au XVIe
s. 200
Tab. 8. Les produits exportés du Lane Xang au
milieu du XVIIe
s. 214
Tab. 9. Les produits imposés aux Lao du Lane
Xang comme taxe de capitation au XIXe
s. 214.
Tab. 10. Liste non exhaustive des muang du Laos
occidental à la fin du XIXe
s. 222
Tab. 11. Population de Vientiane, fin XIXe
s. 225
Tab. 12. L’organigramme de l’administration
locale pour le statut de colonie. 232
Tab. 13. L’organigramme de l’administration
locale pour le statut du protectorat. 233
Tab. 14. Classement des fonctions administratives
et du personnel administratif indigène. 233
Tab. 15. Liste comparative des programmes de
constructions lao et coloniales (avec des exemples
ds programmes de constructions des équipements
hospitaliers coloniaux). 257
Tab. 16. Liste non exhaustive des stèles et des
bornes les plus significatives évoquant les
fondations. 316
Tab. 17. Quelques chiffres montrant l’un des
aspects du sous-développement du Laos à la fin
des années 1960. 367
Tab. 18. Répartition des investissements
industriels 1966-1972. 367
Tab. 19. Investissements industriels tous secteurs. 368
Tab. 20. La population et sa densité dans les
villes les plus importantes du Laos, entre 1966 et
1968. 371
Tab. 21. La population active travaillant dans .
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 525 -
Fig. 51. Projet d’extension et de connexion de la ville de
Vientiane par rapport à sa région. 247
Fig. 52. Le plan cadastre de Vientiane, 1964. 248
Fig. 53. Marché de Nam Phou à Vientiane, 1930. 254
Fig. 54. Village types entourés de rizières. 267
Fig. 55. Monuments en ruine de Muang Khoun. 282
Fig. 56. Le sô f’a d’un sanctuaire. 288
Fig. 57. Les deux stupas de Xieng Khouang. 292
Fig. 58. Plan de représentation de Muang Khoun Xieng
khouang. 292
Fig. 59 Situation politique et géographique de Muang
Sing dans le Haut Mékong vers 1885. 293
Fig. 60. Schéma d’occupation de Muang Sing, 1996. 293
Fig. 61. Plan de Muang Sing. Traduction en français
d’après un plan siamois dressé vers 1889-1890. 294
Fig. 62. Schéma de hiérarchisation spatiale et symbolique
de Muang Sing. 295
Fig. 63. Un lak ban lü à Bountaï. 295
Fig. 64. Relevés de la fortification de Vieng Phu Kha. 299
Fig. 65. La ville de Chiang Saèn Thaïlandaise (rive
droite), état actuel. 301
Fig. 66. Reliefs de la région de BokéoTonh-pheung. 301
Fig. 67. Plan de Chiangmai. 302
Fig. 68. Site archéologique de l’ancien Souvanna- khomkham, d’après les relevés de H.Rattanavong. 302
Fig. 69. Situation de Souvanna-khomkham, en rapport
avec Chiang Saèn Thaïlandaise et Muang Tonhpheung lao
actuel, devenu chef-lieu du district. 302
Fig. 70. Vestiges archéologiques de Chiang Saèn
Thaïlandaise (rive droite), état actuel. 303
Fig. 71. Plan de Wien Kum Kam. 305
Fig. 72. Plan de Vientiane. 305
Fig. 73. Schéma d’occupation de Vientiane. 305
Fig. 74 Plan de Viengkham. 309
Fig. 75. Quartier de That Phranom. 310
Fig. 76. Plan de Khorat à la fin du XIXe siècle. 311
Fig. 77. Plan Khorat, état actuel. 311
Fig. 78. Muang Kao état actuel. 313
Fig. 79. Un autel des esprits. 324
Fig. 80. Un autel rituel phi f’a a Ban Khounta-tha. 331
Fig. 81. Le pieux lak tham. 333
Fig. 82. Plan-masse d’un village Tariang, Dak Seng. 346
Fig. 83. Plan-masse, Ban Donoune, Vientiane, 1972. 346
Fig. 84. Plan-masse de Ban Dak Mouan, en 2003. 347
Fig. 85. Illustrations murales de la bibliothèque de Vat
Xieng Thong à Luang Prabang : Syaosavat. 349
Fig. 86. Bâtiment administratif de Viengxay. 362
Fig. 87. Le jardin de la résidence du Prince
Souphanouvong. 362
Fig. 88. Habitations, immeubles urbains des années 1960
à Vientiane, mais aussi des habitats précaires. 379
Fig. 89. Autres équipements des années 1960 dans le
centre de Vientiane : Banque, Piscine, hotels. 379
Fig. 90. Equipement des années 1950. 379
Fig. 91. L’Hôpital Mahosot (bâtiment des années 1960,
dans un campus de la période coloniale). 379
Fig. 92. L’immeuble de logement des professeurs du lycée
de Vientiane, construit à la fin des années 1950. 380
Fig. 93. Autres immeubles des années 1960, dans le
quartier centre de Vientiane. 380
Fig. 94. Les Cinéma Vieng Samaï et Sèng Lao. 406
Fig. 95. La place Nam Phou. 407
l’administration. Année 1958. Sources :
Condominas et Halpern. 372
Tab. 22. Population urbaine. Fin 1950 et en 1968.
(Source : Statistiques. 372)
Tab. 23. Population active répartie sur trois
secteurs à Thakkek, Paksé, Savannakhet. (d’après
Halpern, 1959). 373
3ème partie et conclusion
Figures
Fig. 96. Le cinéma « fanthome » de Savannakhet. 422
Fig. 97. Panneau de propagande et de sensibilisation,
années 1970-1980. 423
Fig. 98. Souphanouvong, à la présentation de la
fabrication de l’emblême nationale.
Fig. 99. Le buste de Kaysone Phomvihane. 428
Fig. 100. Carte, montrant la progression de l’élaboration
des plans urbains. 481
Tables.
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 526 -
7. ELEMENTS CHRONOLOGIQUES DE L’HISTOIRE POLITIQUE
DU LAOS
Déclin et Siamisation du Lane Xang, 1707-1828.
1707 ■Première scission du Lane Xang en deux royaumes : sécession de Luang Prabang.
1713 ■Deuxième scission du Lane Xang : sécession de Champassak et création de la famille royale de
Champassak. Soysisamouth Phouthalangkhoune 1er roi lao de Champassak.
1723 ■Usurpation du pouvoir à Luang Prabang par Inthasom, le roi se réfugie à Chiangmai
1774 ■Révolte et conflit à Thakkek déstabilisant le Royaume de Vientiane.
1766- 1768 ■Phravô et Phrata se révoltent contre le roi de Vientiane et se réfugient à Champassak.
1767 ■Destruction d’Ayuthia par les Birmans.
1768- 1782 ■Restructuration et reconstruction du Siam par Tarksin.
1771 ■Usurpation du pouvoir à Luang Prabang par Suryavong au détriment de son frère Sothika avec
l’aide des Birmans stationnés à Chiangmai.
1772 ■Luang Prabang attaque Vientiane, les Birmans interviennent et soumettent les deux parties.
1777 ■Phravô quitte Champassak, demande protection au Siam. Il est exécuté par les troupes de
Vientiane. Le reste des scissionnistes demande l’intervention de l’armée siamoise.
1778- 1779 ■Le Siam attaque le Laos par les provinces Sud : Champassak, Moukdahan, Nakhone Phranom,
Nong Khaï, Viengkuk, jusqu’aux portes Sud de Vientiane. Luang Prabang l’attaque par le Nord.
La Ville résiste puis tombe aux mains siamoises en octobre 1779. Les membres de la famille royale
et une partie de la population sont amenés au Siam. Vientiane est pillée et Luang Prabang qui est
venue prêter main forte aux Siamois pour soumettre Vientiane est également soumis.
1783 ■Le Cambodge dont la capitale est à Oudong est occupé par le Siam.
1788 ■Xiang Khouang qui était tributaire de Daï Viet devient aussi tributaire de Vientiane.
1791 ■Révoltes à Champassak. Installation de la capitale du royaume de Champassak à Muang Kao
Keung en face de la ville de Paksé actuel.
1792 ■Luang Prabang est accusé de conspiration avec les Birmans contre le Siam, son roi est traduit en
procès à Thonboury pendant quatre ans ■Les Chao F’a de Xieng Hung tentent de se révolter contre
l’autorité siamoise.
1793 ■Le Siam place sur le trône du Cambodge un Prince khmer, Phra Naraï Ramathibodi, et partage
son territoire en deux : Batambong, Siem Reap et Sisophonh sont appelés le Cambodge intérieur et
sont placés sous la garde d’un gouverneur siamois pour être rattachés directement à Thonboury. Le
reste appelé le Cambodge extérieur est placé sous le règne de son roi et indirectement soumis à
Thonboury. Ceci jusqu’à le protectorat français en 1863. Le Cambodge intérieur ne redevient
Cambodgien, sous protectorat français, qu’en 1906 en échange de Muang Dan say Lao que la
France cède au Siam.
1794 ■Le roi de Vientiane est traduit en procès à Thonboury pendant deux ans pour conspiration avec le
gouverneur de Nakhone Phranom et le Daï Viet contre le Siam.
1798- 1799 ■Guerre siamo-birmane à Chiangmai, Vientiane envoie le renfort aux Siamois.
1802 ■Les Nguyên montent au pouvoir, Hué devient la capitale du Vietnam.
1803 ■Sous l’ordre de Bangkok, Chao Anou libère Xieng Saèn de l’occupation birmane.
1804 ■Chao Anou accède au pouvoir à Vientiane succédant à son frère Inthavong.
1807 ■Chao Anou restaure et construit certaines parties du palais royal de Ho Kham à Vientiane.
1808 ■Phrakéo de Muang Kao Champassak est amené au Siam par un commissaire siamois ■Chao Anou
inaugure un pont à That Phnom, construit Vat Sibounheuang à Nongkhaï.
1810 ■Chao Anou construit un pont entre Ban Sri Xieng mai et Ban Oumoung à Vientiane.
1815 ■Révolte de Sa Khyat Ngong à Champassak contre l’autorité royale de Champassak, le roi a été
puni à Thonboury pour ne pas avoir pu maîtriser la révolte.
1816 ■Chao Anu inaugure la bibliothèque et la fête de Hô Phra Kéo à Vientiane
1818 ■Maîtrise des révoltés à Champassak par Chao Rajabout Gno, fils aîné de Chao Anu.
1819 ■Nomination de Chao Rajabout Gno à Champassak ■Chao Rajabout Gno construit un rempart
autour de la ville doublé d’un canal, un enclos du palais, un sanctuaire pour abriter le Phrakéo et un
fort à Khan Kheung.
1825 ■Mort de Rama II. Rama III le succède et commet les premiers affronts ouverts en obligeant Chao
Anou à laisser les sujets qui l’accompagnent pour l’obsèque de Rama II à Thonboury afin de servir
de main d’œuvre. La même année Chao Anu demande le rapatriement des Lao déportés en 1793,
du Phrakéo, des troupes royales de danseurs et de marionnettistes, de la princesse Douang kham, sa
cousine. Mais toutes ses requêtes ont été refusées..
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 527 -
1826 ■Chao Anu sollicite la coopération de Luang Prabang pour s’émanciper de Bangkok. Son Vice roi
mène une mission secrète pour rallier les anciens muang de Vientiane dans le Laos Occidental.
Tous étaient favorables à Chao Anu sauf Muang Kalasinh et Luang Prabang qui alerte Bangkok.
1827 ■Début de la guerre de libération de Chao Anu contre le Siam : prise de Khorat par les Siamois,
retrait de Chao Anu qui demande le renfort du Daï-Viet. Prise de Vientiane et mise à sac de la ville
par l’armée siamoise. Grande déportation de Lao au Siam, puis retrait siamois.
1828 ■Retour des troupes siamoises à Vientiane et installation de leurs camps à Vat Kang. Retour de
Chao Anu de Gné Anh à Vientiane. Eclatement du camp siamois à Vat Kang. Départ de Chao Anu
pour Muang Phouan. Chao Anu et sa famille sont capturés et livrés aux siamois. Décès de Chao
Anu à Bangkok en Février ■Les unités politiques anciennes des muang lao Lane Xang sont
dissoutes pour être rattachées directement à Thonboury, qui fixe une nouvelle structure
administrative pour ses colonies orientales, telles les nouvelles taxes de capitation. Les muang qui
étaient alliés de Chao Anu sont durement traités et taxés.
Le Laos siamois, 1828-1893.
1828 ■Luang Prabang reconnaît aussi la suzeraineté de Hué.
1834 ■Début d’une période de hostilités siamo-vietnamiennes : en réactions contre l’annexion par le
Vietnam de la région de Houa Phanh et de certaines parties de Khamouane et de Savannakhet, les
troupes siamo-lao attaquent Xieng Khouang, Muang Thaèn et Muang Lay pour expulser les
troupes vietnamiennes. Les Siamois déplacent les Lao de la rive gauche vers le Siam.
1836 ■Les Siamois nomment Chao Ounkéo, Gouverneur, à Luang Prabang succédant à son frère Chao
Manthathourath.
1837 ■Incendie de Champassak. Fondation d’une nouvelle ville à Ban Hinlôt.
1838 ■Les Siamois intronisent Chao Soukaseum à Luang Prabang. Procès d’un prince de Luang Prabang
à Thonboury accusé de conspiration contre le Siam.
1840 ■Le Vice-roi Chao Nark est nommé roi de Champassak et décède à Bangkok en 1851.
1847 ■Révolte et tentative de sécession des Chao F’a de Xieng Hung, de Muang Phong et de Muang La.
Luang Prabang y lance une expédition punitive et ramène le Vice-roi lü à Luang Prabang ■Traité
siamo-vietnamien établissant leur co-suzeraineté sur la plaine des jarres. Les Phouans sont encore
déplacés vers le Siam et le Laos Occidental.
1852 ■Chao Chantharath est nommé roi de Luang Prabang succédant à son père décédé en 1850.
1853 ■Les troupes Siamo-Luang Prabanaises attaquent Muang Xieng Tung ■Des troubles à Xieng Hung
qui durent cinq années.
1854 ■Début des problèmes hô : les Hô en révolte contre l’Empereur Manchou occupent le Yunnan et
commencent à effectuer des raids dans le Sud.
1855 ■Chao Khamgnaï est nommé roi de Champassak et décède en 1857.
1859- 1861 ■Intervention française dans la Cochinchine.
1861 ■Le Naturaliste Henri Mouhot explore le Laos et meurt de malaria au Nord de Luang Prabang.
1862 ■La Cochinchine devient colonie française.
1863 ■11 Aout : convention Franco-Khmère plaçant le Cambodge sous le protectorat français.
1864 ■A la demande de l’Empereur, les Anglaises démantèlent les Hô dans le Sud de la Chine. Les Hô
se replient dans les montagnes et forment une armée de 5000 hommes, attaquent et pillent les
muang de la région. Les Hô se séparent en quatre groupes.
1866 ■Chao Khamsouk est nommé roi de Champassak. Rapatriement du Phra Bang de Bangkok à Luang
Prabang.
1867 ■Convention franco-siamoise reconnaissant la souveraineté de la France sur le Cambodge, mais le
Cambodge intérieur reste siamois ■Arrivé à Vientiane de la mission exploratoire Doudart de
Lagrée et Francis Garnier, qui explore entre 1866 et 1868 le Mékong de Saigon au Yunnan, traversant le Laos en 1868.
1869 ■Chao Khamsouk transfère la résidence de Hin Lôt à Muang Champassak actuel.
1872 ■Chao Ounkham est nommé roi de Luang Prabang ■Les troupes hô scindées en quatre
commencent à effectuer des raids dans le Nord du Laos et du Vietnam. Les étendards jaunes
occupent Muang La, le Sip Song Chou Tai et Houaphanh ; les étendards noirs occupent Lao Kaï et
se lient aux Vietnamiens pour se liguer contre les Français ; les étendards rouges occupent Muang
Phouan ; les étendards raillés occupent Xieng Kham.
1873- 1874 ■Batails contre les Hô à Muang Thaèn, Muang Aèt, Xieng Kham, Xieng Khouang. Les Phouans se
réfugient à Phonephisay Nongkhaï et ailleurs. Défaite des Hô à Muang Thaèn.
1875 ■Autres groupes hô attaquent Vientiane et la siègent pendant quatre mois, détruisant et pillant les
monuments. La même année 5000 soldats provenant de Luang Prabang, du Sud et du Laos
occidental attaquent les Hô à Vientiane. Les Hô se replient vers le Vietnam et poursuit le pillage
sur leur route en se séparant encore en sous groupes.
1877 Mission au Laos du Médecin Jules-François Hernand
1879 ■Les Hô attaquent et pillent aux différents endroits. L’un des groupes se joint aux minorités .
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 528 -
Tchu’eng (Tai du Sip Song Phanna) pour attaquer Muang Sop Aèt. Les batailles contre les Hô se
poursuivent par tout dans le Nord du Laos. Les Siamois en revenant des batails contre les Hô
ramènent les familles Phouanes avec eux vers Bangkok. Sur la route la peste et la famine déciment
les familles. A Xieng Khouang il ne reste plus que 1000 habitants. Les Hô reviennent à Xieng
Khouang et y restent pendant sept ans. Les habitants se cachent dans la forêt.
1880 ■Auguste Pavie explore le Laos.
1882 ■Nomination d’un nouveau gouverneur des Houa muang lao orientaux à Champassak.
1883 ■Le Tonkin devient colonie française et l’Annam devient son protectorat.
1885 ■Les Hô attaquent Vientiane et rencontrent les troupes siamoises. Les troupes siamo-luang
prabanaises repoussent les Hô à Muang Sop Aèt ■Les Anglais colonisent la Birmanie et rentrent en
possession de l’extrême-Sud du Siam ■Aymonier voyage dans le Laos siamois.
1886 ■Installation d’un gouverneur siamois et ses troupes à Xieng Khouang. Crise de Palu dans les
troupes Siamo-lao. Les Hô reviennent et encerclent le camp avant de se rendre.
1887 ■Création de l’Union Indochinoise comprenant Tonkin, Annam, Cochinchine et Cambodge.
Tentative de sécession de Muang Lay (Sip Song Chou Tai) par rapport à Luang Prabang. Maitrisés
par les troupes siamoises, les fils de Chao Muang Lay sont emmenés en captivité à Bangkok. Chao
Muang Lay, Déo Van Tri, réplique en attaquant Luang Prabang avec l’aide des Tai du Nord et des
Hô. La ville et le palais royal sont incendiés. Le roi se réfugie à Pak Lay accompagné d’Auguste
Pavie.
1888 ■Convention franco-siamoise afin d’installer le 1e Consul français (Pavie) à Luang Prabang ■Les
troupes françaises du Tonkin occupent le Sip Song Chou Tai qui appartenait à Luang Prabang,
pour l’attacher au Tonkin, sans aucune convention, Muang Thaèn lao devient alors Dien Bien Phu.
1889 ■Chao Sakkarinh succède à son père Ounkham.
1890 ■Début de la réforme administrative siamoise dans le Laos Occidental et Oriental. Désignation du
« Laos Intérieur » et du « Laos Extérieur ».
1891 ■Poursuite de la réforme de l’administration siamoise du Laos : Houa muang lao du centre, Houa
muang lao phoung kao comprenant le Sip Song Chou Tai, le Sip Song Phanna et Houaphan. Houa
muang lao de l’Est et Houa muang lao du Nord-est sont réunis et deviennent Houa Muang Lao
Kao. Houa muang lao du Nord devient Houa muang lao phouan.
Le Laos français. 1893-1954.
1893 ■Oct., trois navires de guerre français arrivent à Bangkok, obligeant le Siam à signer la convention
reconnaissant la souveraineté de la France sur la rive gauche du Mékong.
1894 ■Le roi de Luang Prabang récupère Xayaboury en y réinstallant son administration.
1895 ■Nomination d’un Commandant Supérieur à Luang Prabang et un autre Commandant Supérieur à
Muang Khong ■30 juin, Traité franco chinois : le territoire de Ôu-Neua est remis à la France.
1896 ■Janv, Traité franco-anglais de Londres reconnaissant le Siam comme zone franche entre l’Empire
Britannique et l’Indochine et rappelant aussi les intérêts des deux empires dans le commerce avec
le Yunnan et le Sichuan qui ont été mentionnés dans les traités de mars 1894 et de juin 1895.
1897 ■Reconfiguration des territoires siamois et aussi ceux ayant échappé à la souveraineté française qui
sont le Lan Na et le Cambodge intérieur. Ceci, pour créer 5 territoires distincts : 1/ Territoire Lao
Xieng (ancien Houa muang lao phoung dam, Lan Na) ; 2/ Territoire Lao phouan (ancien Houa
muang lao phouan) ; 3/ Territoire Lao kao (ancien Houa muang lao kao) ; 4/ Territoire Lao kang
(ancien Houa muang lao kang) ; 5/ Territoire khmer (ancien Houa muang khmer).
1899 ■Un décret royal de Rama V fixe les règles concernant ses colonies et leurs populations :
suppression de l’ancien système administratif local (traditions et rituels d’allégeance), suppression
des appellations créées en 1897, afin d’effacer toutes traces identitaires des territoires khmers et lao
occupés par le Siam et ayant échappé à la France. Désormais il s’agit de « Phra raj anakhèd pathet
siam » ou « Territoire du Royaume de Siam ». Dans, les formulaires administratifs, case
« race d’origine », les mentions « Lao » et « Khmer » sont proscrites ■La France supprime les
postes de Commandants Supérieurs et nomme un seul Résident Supérieur au Laos dont le siège est
d’abord à Savannakhet avant son transfert à Vientiane en 1900.
1900 ■Installation du siège de la Résidence Supérieure à Vientiane ■Installation de l’EFEO.
1901 ■Révolte anti Français et anti Siamois dans la région d’Issane par le groupe « phou mi boun ». Et
début des révoltes de Ong Kéo et de Ong Khom Madam.
1902- 1903 ■Oct. 1902, et Fév. 1903, Conventions franco-siamoise, permettant à la France de récupérer
Xayaboury, Champassak et Xédaun ■ 1903, Sri Savang Vong devient roi de Luang Prabang.
1904 ■La ville de Vientiane érigé en centre urbain.
1905 ■Intronisation de Sri Savang Vong, roi de Luang Prabang.
1906 ■Mars, la France échange Dane say lao contre Banthambong, Siem Reap et Sisophon cambodgiens
avec le Siam.
1907 ■Le Siam remodifie le nom des territoires lao : 1/ Territoire Issane (ancien territoire Nord-est) ; 2/
Territoire Oudone (ancien territoire phouan) ; 3/ Territoire Phagnab (ancien territoire lao xieng) ;
4/ Territoire Nakhone Rajasima (ancien Rajasima)
1908 ■ Révolte des Tai de Phongsaly contre l’autorité française (entre 1908 et 1910).
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
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1912 ■Le Siam réunifie les territoires 1-2-4 pour les séparer en 2 : Territoire Oudone Rajthani et
Territoire Loy-Et. Ceci, pour les remettre sous le nom de Nakhone Rajasima l’année suivante.
1913 ■Décret royal de Rama VI obligeant les Thaïs et les étrangers à porter les noms de familles.
Changement du droit de sol au droit de sang et supprimant la mention « race d’origine » dans les
documents administratifs.
1914- 1915 ■Révolte contre les Français à Sam Neua.
1916 ■Vientiane est instituée en commune. Autres communes sont créées.
1918- 1922 ■Révolte des minorités sous l’égide de Chao F’a Pachaï.
1920 ■Mouvement anti Français à Vientiane.
1928 ■Le ministère des colonies tente de faire appliquer une administration directe à Luang Prabang. Le
Prince Phetsarath s’y oppose.
1930 ■Fondation du Parti Communiste Indochinois (PCI), et création de la section laotienne en 1934.
1932 ■21 juin coup d’Etat de Pridi Phranomyong à BKK, une monarchie constitutionnelle est instituée.
1933 ■Au Siam, abolition du système d’administration en territoire et institutionnalisation de système
administratif provincial attachée au ministère de l’intérieur. Les Changvat remplacent les muang.
1935 ■Au Siam, abdication de Rama VII. Création du mouvement autonomiste Lao Issane.
1938 ■Au Siam gouvernement militaire du Général Pô Phiboun Songkhram.
1939 ■Début de la deuxième guerre mondiale ■Le Siam est proclamé « Thaïlande ».
1940 ■Début des conflits franco-siamois, suivis de plusieurs batailles sur le sol Lao.
1941 ■Les alliés s’affaiblissent, les Nazis gagnent les terrains, les Japonais contrôlent le Sud-est
Asiatique. Lors de la Convention de Tokyo la France cède les territoires récupérés en 1903 à la
Thaïlande ■Création en Thaïlande de Thaï Séri (Thaï libre) anti japonais avec le soutien anglo- américain. Les Lao de l’Issane s’engagent nombreux dans Thaï Séri.
1944 ■Déclaration d’Indépendence du Royaume du Laos dans « l’Empire de l’Orient » du Roi Sri
Savang Vong à Luang Prabang, forcé (?) par les Japonais.
Décolonisation et indépendance. 1945-1975. Le Royaume du Laos.
1945 ■En Thaïlande, la fraction Issane de Thaï Séri crée secrètement le mouvement autonomiste Lao
Pen Lao (Laos au Lao) ■9 mars, coup de force japonais sur les français ■8 avril, le Japon déclare le
Laos indépendant ■27 août, Reddition du Japon, retour des troupes françaises. ■2 sept., Hô Chi
Minh déclare l’Indépendance du Vietnam ■15 sept., déclaration d’unification des provinces du
Laos par le Vice-roi Phetsarat. ■9 oct., Lao Pen Lao qui a de solides partisans dans le Sud du Laos
crée le Comité de l’Indépendance du peuple lao dont l’objectif étant la libération de la région
Issane occupée par les siamois ■Le 10 oct., le Roi démit Phetsarat de ses fonctions de Vice-roi ■12
oct., Phetsarat déclare le Royaume du Laos indépendant, et le 14 oct., la formation du
gouvernement Lao Issara qui investit le gouvernement le 4 nov.
1946 ■21 mars, batail de Thakek entre les troupes françaises et une fraction Lao Issara associée aux Viet
Minh. ■Avril, Sri Savang Vong devient roi du Royaume du Laos ■Traité franco-thaï de
Washington : Xayaboury, Champassak, Xédaun restitués à la France ■Mai, le gouvernement Lao
Issara se réfugie en Thaïlande ■27 août, le modus vivendi prévoit l’indépendance du Laos dans
l’Union Française et le statut institutionnel du royaume de Champassak. Le Prince Boun Oum de
Champassak renonce à son droit dynastique afin de former un Laos unifié ■Phong Sithitham
fondateur du Phak Issane (mouvement autonomiste Lao Issane) demande aux Français et au Prince
Boun Oum le rattachement de Issane au Laos : demande sans suite ■Le Cambodge est autonome
dans l’Union Française. Le Khmer Issarak (Khmer libre) continue de lutter contre les Français avec
le soutien des Siamois, son dirigeant Son Ngoc Minh nationaliste s’allie au Viet Minh.
1947 ■Création de l’Assemblée Nationale ■11 mai, 1e constitution du Laos (elle sera abrogée en 1949,
en 1952, en 1956, en 1957, en 1961, en 1965) ■Aout, première élection législative. Formation du
sapha rajamountry (Conseil du roi).
1948 ■Janv., formation d’un 1e gouvernement de Chao Souvannarath ■4 janv., Indépendance de la
Birmanie ■Fév., prince Souphannouvong et une fraction Lao Issara rejoignent le Viet Minh. ■En
Thaïlande le gouvernement Phiboun Songkhram anticommuniste est soutenu par les Etats Unis.
1949 ■19 juillet, Convention générale franco-lao pour l’Indépendance du Laos dans l’Union française (8
mars pour le Vietnam, 8 nov., pour le Cambodge,) ■Formation d’un 2e gouvernement par le prince
Boun Oum ■24 sept., le gouvernement Lao Issara s’auto dissout à Bangkok. Le 25 oct., il se
disloque en trois groupes ■Proclamation de la République Démocratique Populaire de Chine.
1950 ■Formation d’un 3e gouvernement par Phoui Sananikone. ■6 fév., transfert du pouvoir et de
l’administration au Royaume du Laos. La France garde la Sécurité Intérieure et la Justice ■22
mars, création de l’armée royale du Laos ■Août, création de Néo-Lao Issara (NLI) à partir d’une
petite fraction des Lao Issara. (à Hanoi ou à SamNeua ?)
1951 ■Formation d’un 4e gouvernement par le Prince Souvanna Phoumma.
1953 ■Formation d’un autre gouvernement à Sam Neua par le Prince Souphannouvong qui, avec le Viet
Minh, contrôle les provinces de Samneua et de Phongsaly..
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 530 -
1954 ■7 mai, défaite française à Diên Biên Phu. Convention de Genève pour la fin de la guerre
d’Indochine : le Royaume du Laos recouvre son indépendance complète, les forces du Néo Lao
Issara et les provinces de Samneua et Phongsaly ont été reconnues ■Le Vietnam est séparé en deux
au niveau du 17e parallèle ■Formation d’un 5e gouvernement par Katay Don Sasorith ■Premières
aides américaines au Laos ■8 sept., création de l’OTASE, ligue anti-communiste : Laos,
Cambodge et Vietnam Sud bénéficient de sa protection mais n’en fait pas partie.
1955 ■Le Royaume du Laos est membre des Nations-Unies ■22 mars, création du Parti du Peuple Lao
Phak Pasason Lao, issu du PCI ■17-24 Avril, Souvanna Phoumma proclame le Laos, pays non- aligné et neutre à la Conférence de Bandung qui réunit 29 pays d’Asie Pacifique ■Début des
négociations entre Néo Lao Issara et le gouvernement de Vientiane ■ 23 oct., proclamation à
Saigon de la République du Vietnam Sud.
1956 ■6 janv., création de Néo Lao Hak Sat remplaçant Néo Lao Issara. ■Accord interne orientant la
politique nationale de pays non-aligné. ■Mars, formation du 6e gouvernement par Souvanna
Phoumma ■Accord de Vientiane prévoyant le 1e gouvernement de Coalition bipartite de 1957.
1957 ■23 Fév., formation d’un 7e gouvernement par Souvanna Phoumma ■18 Mai, formation du 8e
gouvernement par Souvanna Phoumma. C’est le 1e gouvernement de coalition bipartite avec la
participation de Souphannouvong et de Phoumi Vongvichit. Houa Phan et Phongsaly restituées au
gouvernement de Vientiane ■Retour de dix ans d’exil du Prince Phetsarat qui redevient Vice-roi.
1958 ■Problème de Frontière entre Hanoi et Vientiane. Hanoi utilise le territoire lao pour densifier la
lutte armée dans le Sud Vietnam. Succès de Néo Lao Hak Sat aux élections législatives ■ La CIA
et les Américains menacent de suspendre les aides au gouvernement de Vientiane si celui-ci
continue des pourparlers avec le Néo Lao Hak Sat. Souvanna Phouma démissionne ■Le 8e
gouvernement est dissout par Phoui Sananikone qui forme le 9e gouvernement ■Création du
Comité pour la Défense des Intérêts Nationaux (CDIN), organisme pro américain ■Déclaration de
la loi martiale du Maréchal Salit Thanarath en Thaïlande. ■Création du Comité du Mékong avec
l’appui de l’ONU regroupant Laos, Cambodge, Sud-Vietnam et Thaïlande.
1959 ■Le Laos dénonce à l’ONU la présence Viet Minh sur son territoire ■Deux remaniements dans
l’année du 9e gouvernement par Phoui Sananokone ■Arrestation des membres de Néo Lao Hak
Sat, Phoumi Vongvichit et Souphannouvong ■Décès du roi Sri Savang Vong, du Vice-roi
Phetsarat, du ministre Katay Don Sasorith.
1960 ■7 avril, formation du 10e gouvernement par Kou Abhay ■Souphannouvong et ses collaborateurs
s’évadent de prison ■6 juin, formation du 11e gouvernement par Chao Somsanith ■9 août, Coup
d’Etat du Capitaine Kong Lé. Une autre partie de l’armée forme une « comité anti coup d’Etat »
ayant comme chef le Général Phoumi Nosavanh et le Prince Boun Oum. Début de l’intervention
des militaires dans la politique nationale ■29 août, formation du 12e gouvernement à la suite du
coup d’Etat de Kong Lé ■12 déc., formation du 13e gouvernement ■16 déc., après deux semaines
de « guerre civile », le Général Phoumi s’empare de la capitale. Retraits de Kong Lé vers la Plaine
des jarres, s’associant aux Néo Lao Hak Sat, il poursuit la bataille contre l’armé de Vang Pao, soutenue par les Etats-Unis et la CIA. Des populations fuient les combats par milliers.
1961 ■Mars-avril, les démocrates sous la présidence de Kennedy sont favorables à la neutralité du Laos,
de même que l’Union Soviétique. Cela permet la tenue de la conférence internationale de Genève
en mai ■Mai, Conférence de Genève sensée garantir la neutralité du Laos. Elle permet de préparer
en juin la rencontre de Zurich des trois Princes, pour définir le principe d’un gouvernement
d’Union Nationale de Juin 1962 ■ Formation de l’alliance ASA (ancêtre de l’ASEAN) par les
Philippines, la Malaisie et la Thaïlande.
1962 ■Mai, défaite de l’armée royale à Luang Namtha, débâcle des réfugiés ■23 juin, formation du
gouvernement de coalition tripartite ■23 juillet, l’Accord de Genève réaffirme la neutralité du Laos
et fixe le retrait des troupes étrangères de son sol.
1964 ■Coup d’Etat du Général Siho associé à Kouprasith Abhay ■Souvanna Phoumma accepte le
soutien des Etat-Unis à Vang Pao dans les offensifs contre le Néo Lao Hak Sat soutenu par le Viet
Minh ■Bombardement intensif des zones du Néo Lao Hak Sat. La Thaïlande offre ses bases
aériennes et une partie de son armée dans la guerre, payée par les Etats-Unis.
1965 ■7 mars, 1e débarquement des troupes américaines au Vietnam.
1966 ■19 déc., la Banque Asiatique de Développement entre en fonction à Manille.
1967 ■8 Aout, déclaration de Bangkok pour la création de l’ASEAN avec cinq membres : Thaïlande,
Malaisie, Singapour, Indonésie et Philippines.
1968 ■Chute de Nam Bac dans le Nord de la province de Luang Prabang.
1969 ■Intensification des frappes aériennes américaines à partir de la base Thaïlandaise d’Oudon Thani,
dans le Nord et dans le Sud du Laos. Le nombre de refugiés connaît une augmentation exemplaire.
1970 18 mars, au Cambodge coup d’Etat du Général Lon Nol, renversant Norodom Sihanouk, le
Cambodge entre en guerre.
1971 ■Attapeü, Saravan et les Boloven tombent sous les forces du NLHS et des troupes vietnamiennes.
Certains villages proches de la vallée du Mékong et proches de Vientiane sont sous influence des
propagandes du NLHS ■Chao Sisouk de Champassak, ministre de la défense, tente de réformer
l’armée, pour en faire une « armée nationale » ■Déclaration de Kuala Lumpur par les membres de
l’ASEAN, pour la neutralité de la région, souhaitant être en dehors des conflits de la guerre froide.
1972 ■Dans la zone libérée, 2e congrès du parti, fixant les grandes lignes de la politique du futur RDPL..
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
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1973 ■23 janv., Accord de Paris entre les Etats-Unis et le Vietnam ■Cessez-le-feu au Vietnam et fin des
bombardements du Laos. Les forces américaines se retirent du Sud Vietnam et les « conseillers »
américains, du Laos ■21 fév., Accords de Vientiane pour la mise en place du gouvernement de
coalition. Luang Prabang et Vientiane deviennent zones neutres ■14 sept., signature de Sangna
anou sangna (petite convention) ■Oct., exil des chefs de la dictature militaire thaïlandaise sous la
pression des manifestants estudiantins de gauche.
1974 ■5 avril, création du gouvernement de coalition provisoire et du Mountri pasom kane muang
(Conseil politique de coalition) ■7 mai, manifestation étudiante à Paksé anti institution et anti
gouvernement de Vientiane, suivie par une contre manifestation ■Août, effraction du cessez-le-feu
par le Néo Lao Hak Sat qui mène des offensifs contre les forces de Vang Pao. ■Déc., adoption des
« projets politiques des 18 points » (Sanya sip phed kô). ■Dévaluation du Kip, le gouvernement de
Vientiane est paralysé.
1975 ■Avril, bataille de Phu Khoun où les troupes de Vang Pao sont décimées ■13 avril, le roi déclare
la dissolution de l’Assemblée Nationale du gouvernement de coalition ■17 avril, Prise de Phnom
Penh par les khmers rouges et instauration du Kampuchéa Démocratique ■Le 30 avril, prise de
Saigon ■6 mai, à Vientiane, assassinat du Prince Boun Om (frère de Boun Oum). ■Création des
« 21 ongkhane » (organisations de masse) qui sont derrières les manifestations populaires,
demandant la démission des ministres et des gouverneurs ■Destitutions effectives des personnes de
leur poste administratif ■Général Kham-ouane Boupha prend le commandement de l’armé et
l’ordonne le dépôt des armes ■5 avril, le Comité Central du Parti ordonne l’Armé de Libération du
Peuple d’entrer dans les villes et organise le soulèvement populaire.
Le Laos de la République Démocratique Populaire. 1975-1986.
1975 ■En juillet l’armée révolutionnaire remplace la force de police de coalition et l’armée de coalition
qui ont été toutes deux dissoutes ■23 août, le Comité Administratif Révolutionnaire est créé à
Vientiane et dans la province de Vientiane, remplaçant les organes administratifs anciens, dissouts ■Nov., élection nationale, constitution de l’Assemblée Populaire Suprême ayant 45 membres. Le
29, abdication du roi. Le 1e déc., dissolution du « gouvernement de coalition » et de « l’Assemblé
politique de coalition » permettant au Congrès des représentants du peuple de prendre en main le
pays. 2 déc., 1e tenue du Congrès des représentants du peuple, proclamant la RDP Lao, nommant le
roi Savang Vattana Conseiller du président de la RDPL, proclamant l’Assemblée Populaire
Suprême, mettant en place le nouveau gouvernement constitué de 39 membres ■Début de la
rééducation politique dans tout le pays ■Première fuite de la population.
1976 ■Construction du régime de « dictature prolétarienne » avec les mots d’ordre suivants : « installer
et améliorer le pouvoir administratif, les organisations de masse, le rôle des ouvriers agricoles,
l’unification du peuple ; panser les plaies de la guerre, normaliser la production, développer
l’économie et la culture de masse. » ■2 juillet 1976 proclamation de la République Socialiste du
Vietnam ■Début des fuites massives de la population ■Fév., 1e sommet de l’ASEAN à Bali, traité
d’amitié et de coopération.
1977 ■13 mars, emprisonnement du roi Savang Vattana à Viengsay ■Juin, dissolution de l’OTASE ■2e
Sommet de l’ASEAN à Kuala Lumpur ■31 déc., rupture diplomatique entre le Kampuchéa
Démocratique et le Vietnam ■18 juillet, Traité d’amitié et de coopération spécial Lao-Vietnam
pour 25 ans renouvelables.
1978- 1980
■Mise en application de la planification de 3 ans : 1-Remaniement du domaine de production, 2- Déclenchement du mécanisme d’échange et de partage dans le secteur commercial interne et avec
les pays socialistes 3-Développement des secteurs culture, information, santé, éducation, 4- Déclenchement du mécanisme de contrôle économique de l’Etat dans le secteur de production, 5- Amélioration du niveau de vie matériel et culturel de la population à travers le collectivisme des
productions et des biens, 6-Conduction des études afin de planifier le développement, améliorer et
étendre les productions ■Traité d’amitié entre le Vietnam et l’URSS ■17 mars, décède en exil du
prince Boun Oum.
1978 ■Déc., Deng Xiao Ping préconise la «libération idéologique et la recherche de pragmatisme » lors
du XIe congrès du parti ■25 déc., l’armée vietnamienne entre au Cambodge ■4 mai, mise en place
de programme de coopérative ■Début du gèle diplomatique franco - laotienne.
1979 ■Au Laos lors de la 7e réunion du CCP, reconnaissance de certains problèmes d’ordre économique
du système et la nécessité de le réajuster vers un mécanisme économique plus « libre » ■Création
du Front Lao d’Edification Nationale ou le Néo Lao Sangxat remplaçant le NLHS ■Fuites et
arrestation des cadres lao prochinois ■8 janv., prise de Phnom Penh, le FUNSK et l’armée
vietnamienne chassent les Khmers rouges de Phnom Penh ■17 fév., début de la Guerre frontalière
sino-vietnamienne. La RDPL se range du côté vietnamien.
1980 ■Difficultés économiques provoquant une autre vague de fuite de la population vers la Thaïlande.
1982 ■IIIe congrès du PPRL et adoption du 1e plan quinquennal (1981-1985). Reprise du lien
diplomatique avec la France.
1984 ■6 juin, début du conflit frontalier lao-thaï à Ban Hom Kao. L’armée thaïlandaise occupe 3 villages
lao ■10 janv., décès du prince Souvanna Phouma.
1985 ■Perestroïka en URSS et en Europe de l’Est ■Mars, 1e recensement de la population de la RDPL.
Le Laos après la Réforme. 1986-2008..
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
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1986 ■IVe congrès du PPRL préconisant la politique de l’ouverture économique ■VIe congrès du PCV,
adoptant le Doi moi ■Mise en place du 2e plan quinquennal.
1987- 1988
■Reprise du conflit frontalier entre la Thaïlande et la RDPL. Les Lao de la diaspora sont partisans
du gouvernement de la RDPL, malgré la condamnation de son régime ■8 mai 1988, promulgation
de la loi sur les investissements étrangers en RDPL ■23 nov., 1988, le gouvernement vietnamien
annonce le retrait de ses troupes de la RDPL.
1989 ■Avril - juin évènement de Tian nan men. ■9 nov., chute du mur de Berlin ■ 27 sept., retrait des
forces vietnamiennes du Cambodge ■26 mars, 1e élection de l’Assemblée Populaire Suprême.
1990 ■Arrestation le 8 oct., des hauts cadres dissidents qui proposent la démocratie et le multipartisme
pour la réforme du système politique en RDPL ■La Thaïlande change de politique : elle se
rapproche du gouvernement de la RDPL et commence sa politique de « chasse » contre les
résistants lao stationnés en Thaïlande. Mars, la princesse Sirindhorn de Thaïlande effectue une
visite officielle au Laos ■Déc., visite de Li Peng, 1e ministre chinois, reprise des relations entre la
RDPL et la Chine.
1991 ■Ve congrès du PPRL. Adoption de la 1e Constitution de la RDPL. Khaysone Phomvihane devient
président de la RDPL et du PPRL. La Diaspora laotienne d’Europe, opposant au gouvernement de
la RDPL, organise sous l’égide de OLREC une consultation publique de la première constitution
de la RDPL ■Annonce du gouvernement du plan de privatisation des entreprises d’Etat.
1992 ■Echange d’ambassadeur entre les Etats-Unis et la RDPL ■28 janv., accord pour la création d’une
zone de libre-échange (AFTA) au sein de l’ASEAN ■ Conférence de Manille et création du GMS
par la BAD ■21 nov., décès de Kaysonne Phomvihan. Nouhak Phoumsavanh devient président de
la RDPL, Khamtaï Siphandone devient 1e Ministre et Secrétaire Général du PPRL. Election
générale pour élire les représentants à l’Assemblée Nationale.
1993 ■Protocole pour les affaires frontalières entre la Chine et la RDPL ■ Les lois sur les réformes
économiques et sur la protection de l’environnement sont votées ■Au Cambodge, 21 sept., mise en
place de la Constitution permettant le rétablissement de la monarchie parlementaire. ■ 19-20 nov., 1e sommet de l’APEC à Seattle.
1994 ■Au Laos, fin de l’embargo américaine. ■20 déc., élection législative ■ 15-16 nov., 2e sommet de
l’APEC en Indonésie ■Avril, amendement de la loi portant les investissements qui peuvent être à
100% étrangers, sauf dans le secteur de l’énergie et des mines. ■8 avril, inauguration du pont de
l’Amitié Laos-Thaï, traversant le Mékong.
1995 ■VIe congrès du PPRL ■9 janv., décès du prince Souphanouvong ■Mars, 2e recensement de la
population de la RDPL ■Déc., Norodom Sihanouk visite Vientiane ■10 juillet, les Etats-Unis
reconnaissent le Vietnam un an après la levée de son embargo. Le 28 juillet, le Vietnam intègre
l’ASEAN ■16-19 nov., 3e Sommet de l’APEC.
1996 ■Mars, VIe congrès du PPRL ■Mai, sommet de l’ASEM à BKK ■Nov., 4e sommet de l’APEC.
1997 ■La RDPL et le Myanmar intègrent l’ASEAN après avoir été observateurs en 1995 ■27 sept., nouvelle constitution de la Thaïlande ■21 déc., élection générale pour l’Assemblée Nationale ■Le
Laos et le Vietnam célèbrent leur 20e anniversaire du Traité spécial d’amitié et de coopération ■La
RDPL a déposé sa demande d'accession à l'OMC le 16 juillet 1997■ Accord de coopération entre
le Laos et la communauté Européenne.
1998 ■2 fév., Luang Prabang est classé au Patrimoine Mondial de l’UNESCO ■Khamtay Siphandon
devient président de la RDPL remplaçant Nouhak Poumsavanh. Sisavat Kéobounphan devient 1e
ministre.
1999 ■26 octobre, arrestation à Vientiane des manifestants pour la démocratie ■30 avril, le Cambodge
est admis dans l’ASEAN.
2000 ■Avril, visite officielle au Cambodge du 1e ministre, Sisavat Kéobounphan ■Mai, visite officielle à
Vientiane du 1e ministre vietnamien,Pham Van Khai ■Mai, visite officielle de la RDPL du 1e
ministre Thaï, Chouan Leekpaï ■Juillet, visite officielle du 1e ministre lao Khamtaï Siphandon en
Chine.■ Juillet, visite officielle du vice-Premier ministre lao Lengsavat à Paris ■Nov., visite
officielle du président chinois, Jiang Zéming, à Vientiane ■Déc., visite officielle du vice-Président
du Conseil d’Etat Birman à Vientiane ■Déc., réunion ministérielle UE/ASEAN co-présidée par la
France et la RDPL ■Reprise des attentats et des révoltes internes dans différentes villes, qui vont
durer près de 4 années : les rébellions Hmong, les explosions à Vientiane, les événements de Ban
Vangtao, etc., en plus des événements non déclarés.
2001 ■Mars, VIIe Congrès du PPRL ■9 janv., le gouvernement de Tarksin Shinawat est vainqueur aux
élections législatives en Thaïlande ■Nong Duc Manh devient le nouveau Secrétaire Général du
PCV après le IXe congrès ■Nov., la Chine et l’ASEAN, annoncent la création d’une zone
commune de libre-échange avant 2010 ■Mai, le FMI autorise un prêt de 40 millions USD pour la
mise en place du programme de lutte contre la pauvreté, en recommandant à la RDPL la
restructuration bancaire, des taxes et des impôts.
2002 ■Fév., élections générales des délégués à l’Assemblée Nationale ■Sept., 1e discussion entre la
RDPL et la Chine à propos de la construction d’un chemin de fer reliant Kunming-Singapour
passant par le Laos ■Fév., visite officielle du 1e ministre Boungnang Vorachit en Chine ■Mai,
visite officielle du président Kamtaï Siphandone au Vietnam ■Juillet, célébration du traité spécial
d’amitié, Laos-Vietnam.
2003 ■Nov., signature du contrat pour l’achat de l’électricité lao par la Thaïlande, entre la société d’Etat .
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
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Thaïe EGAT et le consortium financier, le Nam Theun II power Compagny ■Janv., Inauguration
de la statue du roi F’a-Ngoum ■Fév-Août, plusieurs attaques sur la route de Luang Prabang
s’opposant au gouvernement ■Le gouvernement adopte un programme de réforme de la
gouvernance ■31 oct., le Laos adhère à la convention des UN contre la corruption.
2004 ■Sommet de l’ASEAN à Vientiane ■Fév., Symposium de l’année du Tourisme en Asie tenu au
Laos ■Avril, la Chine et la RDPL signent 11 accords de coopération, avec l’objectif de doubler le
volume d’échanges en 2005 ■Oct., le Laos participe pour la 1e fois au sommet de l’ASEM ■Nov., tenu de l’ « ASEAN Summit + 6 » à Vientiane ■Déc., les Etats-Unis instaurent le « Normal Trade
Relation » avec le Laos.
2005 ■Conférence sur la sécurité régionale à Vientiane, elle réunit l’ASEAN, la Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Australie, les Etats-Unis et la Nouvelle-Zélande ■Célébration du 30e anniversaire de la
RDPL.
2006 ■Mars, VIIIe Congrès du PPRL. Choumaly Sayasone devient Président de la PPRL et Président de
la RDPL. En avril, Bouasone Bouphavan est nommé 1e ministre. ■Mars, visite officielle de
Norodom Sihanouk à Vientiane ■Avril, élection générale des députés pour la 6e législature à
l’Assemblée Nationale ■Juin, visite officielle de Choummaly Sayasone en Chine ■Nov., visite
officielle de Hu Jintao à Vientiane ■Sommet de l’APEC à Saïgon ■Déc., inauguration du pont de
Savannakhet-Mukdahane ■Fondation de la nouvelle capitale du Myanmar ■ Juillet, ouverture du
procès des anciens dirigeant des Khmers rouges à Phnom Penh ■13 déc., le Laos adhère à la
convention du droit des personnes.
2007 ■4 juin 2007 arrestation aux Etats-Unis du général Vang Pao, accusé d’avoir préparé des actes
terroristes contre le gouvernement RDPL ■Oct., 2007, début du rapatriement des réfugiés lao
hmong du camp thailandais vers le Laos ■Début de la « révolution Safran » au Myanmar.
2008 ■4 juillet, à Genève, 4e session du Groupe de travail de l'accession du Laos à l'OMC ■Fin 2008,
achèvement officiel du rapatriement des réfugiés lao hmong ■Juillet, Forum régional de l’ASEAN
sur le thème de la sécurité de la région et de la diplomatie préventive..
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 534 -
8. DONNEES ETHNOGRAPHIQUES DU LAOS
Organigramme groupement des familles ethno linguistiques des populations du Laos et de Thaïlande.
Grande famille
ethno linguistique
Groupes Sous groupes
Lao - Tai (6 groupes)
Vivant au Laos.
Lao Phouan (Yoeuil), Kaleung, Bo (Yo), Phou Tai, Tai
Neua
Tai Tai Dam, Tai Daèng, Tai Khao, Tai Meuil
Nhouan (Gnouane) Kalom, Ngeu
Lü Kuen
Yang, Xaek
Lao - Tai (3 groupes)
Ne vivant pas au Laos.
Siam, Shan
Ahom
Mônes – khmères
(32 groupes)
Vivant au Laos
Khmou
Kasuck, Kwaen, Khong
Nyuan, Lue, Cheung
Khmou U, Mae, Rork
Katang Phra kéo
Katu
Trev, Alrna
Pheuang
Darkang, Asan
Kriang Tiatong, Ké-é
Kree/Kri
Khmer
Ngouan
Cheng
Samtao Doy
Sadang
Xuay
Xingmoun
Nhaheun
Ta-Oy Tomg, Yinr
Triang, Tri
Toum
Thaen
Bid/Bit
Brao
Pakoh/Pacoh Kado, Kanai
Pray
Phong Phongpiad, Phongchapuang
Phonglarn, Phongfan
Makong Trui, Phua
Maroy, Trong
Moy
Yrou Yroudark, Yroukong
Yae/Yè, Lavi/Lavy
Lamed/Lamet
Oy
Riya, Sapouan, Kreu, Konhahouy
Chamcheurk, Mekrong,Tammoleuy
Darkaya, Sark, Indri, Kilem Impao
Oedou
Harak
Sino – Tibétaine
(7 groupes)
Vivant au Laos
Singsily
Bantung, Laosangfai, Phongku
Pouyoid, Tapaad
Chahor, Laopan, Phongseth
Lahu Black Museur, Kui, White Museur
Lolo, Hor (Hô)
Akha, Hanyi, Sila
Hmong – Iu Mienne (2
groupes) Vivant au Laos
Hmong Hmong khao, Hmong dam, Hmong lay (Hmong
kyo)
Iewmien Laèn taèn, Yao Phom Maidaèng, Yao Khao
Sources : The Ethnic groups in Lao PDR, Département des Affaires Ethniques, Institut pour le fond de Développement de
la Banque Mondial..
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 535 -
9. EVOLUTION ADMINISTRATIVE ET POLITIQUE, PROGRAMME
DE COOPERATION INTERNATIONALE DE LA RDPL.
Lois, décrets, accords et projets promulgués et réalisés dans le secteur urbain et dans les secteurs
proches entre 1976 et 2008.
D A T E
1976 1978 1985 1986 1987 1989
PRINCIPAUX DECRETS , LOIS, ACCORDS.
ADMINISTRAT-ION
PUBLIQUE ET
POLITIQUE
IVe Congrès du
PPRL.
Réforme économ
ique.
GESTION
URBAINE.
Création de
l’IETU
(ITSUP) au
sein de DGHU
Décret portant la
création de
l’IETU
PATRIMOINE.
Texte pour la
planification
socio culture.
Page 98-99.
Décret
N1375/ESC,
14/06/78.
Conservation
des antiquités et
des trésors
cultuels.
Article 103-104.
Droit pénal,
N29/Assemblée
Populaire
23/12/1989.
AUTRES DECRETS ET PRINCIPAUX PROJETS.
FINANCE,ECONOMIE
FONCIER, TAXES.
Décret
N47/CCM,
26/06/89.
Système de taxe.
SECTEUR URBAIN
Financement
PNUD/UNCHS.
Lao/85/003.
Programme de
Développement
urbain de la
Préfecture de
Vientiane.
Financement
PNUD/UNCHS +
Soutien bilatéral
par la France
pour le Plan et la
planification
urbaine de Luang
Prabang.
Financement
PNUD. Projet
d’étude SDU de
Vientiane. Avec
la procédure
française
SECTEUR
PATRIMOINE ..
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 536 -
D A T E
1990 1991 1991 1991 1991 1991
PRINCIPAUX DECRETS , LOIS, ACCORDS.
ADMINISTRATION
PUBLIQUE ET
POLITIQUE
N39/Présidentiel.
04/05/90, Droit et
compétence du
MCTPC
Ve Congrès du
PPRL.
1è Constitution de
la RDPL 14/08/91.
L’Assemblée
Nationale remplace
l’Assemblée
Populaire Suprême.
Décret N68/PM,
11/1991. Sur la
Recentralisation.
Dans
l’organisation
territoriale :
l’administration
du tassèng est
abandonnée.
GESTION URBAINE.
Décret N09/PM,
01/02/91. Gestion
urbaine et des
espaces publics
dans l’ensemble du
pays.
Circulaire du
03/09/91, droit et
devoir des districts
et des villages dans
la mise en
application du
décret N18.
N18/Conseil
ministres,
16/03/91. Adoption
du Schéma
Directeur et du
périmètre urbain de
Vientiane.
OrdonnanceMCTPC-03/09/91.
Droit et devoir des
villages et des
districts dans la
mise en application
du Schéma directeur
de Vientiane.
N931/MCTPC.
25/06/91.Création
du Comité de
contrôle des
constructions
dans la Préfecture
de Vientiane
N1441/MCTPC.
08/09/91.
Création du
Service de
l’instruction des
permis de
construire..
N1512/MCTPC,
28/09/91.
Règlements
concernant le
permis de
construire.
Circulaire
N980/MCTPC.
04/07/91
Transfert du
Service des
permis de
construire au
Service du DHU
du MCTPC.
N1511/MCTPC,
28/09/91.
Création des
bureaux d’étude
d’architecture.
N1510/MCTPC,
28/09/91.
Création de
Société de
construction.
Règlement
N568/MCTPC,
04/07/91, Standard
technique des
stations de
services.
Lettre
N1715/MCTPC.
05/11/91.
Instruction des
demandes de
permis de
construire.
Décret
1818/MCTPC,
20/11/91,
Adduction d’eau
NPL et du réseau
téléphonique.
PATRIMOINE.
Texte de
recommandation
N139/MIC,
22/03/91.
Conservation du
patrimoine
culturel.
Article 41. Droit
de propriété,
N01/90/Assemblé
e Pop. 27/06/90.
Circulaire
N502/MIC,
07/08/91.
Ordonnant la
réalisation de
l’inventaire des sites
archéologiques et
des objets de valeur.
Article 19 de la
Constitution de la
RDPL, portant sur
le patrimoine.
Circulaire
N753/MIC,
16/10/91. Demande
de coopération pour
la gestion du
patrimoine culturel
national
Circulaire
N754/MIC,
06/10/91.
Demande pour la
coopération dans
le domaine de la
gestion du
patrimoine
culturel de grande
valeur.
AUTRES DECRETS ET PRINCIPAUX PROJETS.
FINANCE,
ECONOMIE,
FONCIER, TAXES.
Réforme fiscale,
budgétaire,
système bancaire.
Etablissement du
système du plan
National des
Budgets, voté par
l’Assemblée
Nationale.
Lettre
N1574/MPF,
22/11/91,
nécessité du titre
cadastral légal
pour les permis
de construire.
SECTEUR URBAIN
Financement
PNUD/UNCDF à
l’IETU et avec les
volontaires UNVs.
Lao/89/C01, projet
d’aménagement
urbain et
d’assainissement,
avec le projet pilote
SIHOM 1990-97.
(Phase I : 1991-94).
Financement
PNUD.
Lao/89/002. Projet
de Renforcement
Technique et
Institutionnel pour
la planification, la
gestion,
l’aménagement
urbain.
SECTEUR
PATRIMOINE ..
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 537 -
D A T E
1992 1993 1993 1994 1995 1996
PRINCIPAUX DECRETS , LOIS, ACCORDS.
ADMINISTRATION
PUBLIQUE ET
POLITIQUE
Accord AFTA,
28/01/92.
Décret N98/PM,
17/12/92.
Organisation du
Département
d’Administration
Publique.
Décret N102/PM,
05/07/93.
Organisation et
gestion
administrative du
village.
Nouvelle loi des
Budgets de
l’Etat.18/07/94.
Décret pour la
création de la
Zone Spéciale
Saysomboun.
Ve Congrès du
PPRL.
GESTION URBAINE.
Circulaire
N010/EDL,
15/01/92.
Adduction EDL
N07/ ? 29/01/93.
Etablissement du
statut MCTPC.
Décret
N40/FAMC,
04/04/95.
Création de
VUDMC (100
villages de
Vientiane).
Création de la
structure UDMCs
pour les 4 villes
secondaires.
N209/ Ministre
MCTPC,
05/02/96. Rôle et
statut des Plans
Urbains en RDPL.
N158/PM,
4/08/96. Adoption
du Plan Urbain de
Luang Prabang.
PATRIMOINE.
Décret N99/PM,
19/12/92.
Circulaire
N220/MIC,
28/04/93
Interdiction aux
organismes publics
et privés de
construire l’autel
des esprits devant
les édifices.
Circulaire
834/MIC, 24/09/93.
Concernant les
démolitions,
réhabilitation des
édifices de l’époque
coloniale.
Lettre N270/MIC,
28/05/93. Protection
des maisons
anciennes de
Vientiane qui sont
monuments
historiques.
Circulaire
350/MIC, 29/06/93.
Contrôle des
boutiques des
antiquités.
Circulaire
342/MIC, 24/06/93.
Contrôle plus strict
sur les vols des
antiquités.
Circulaire
343/MIC, 24/06/93.
Contrôle plus strict
par les services des
douanes par rapport
aux exportations
des antiquités
volées.
Décret N174/PM,
13/11/93.
Patrimoine National
Culturel Historique
et Naturel.
Décret
N194/PM,
12/11/94.
Ordonnance
N628/MIC,
22/06/95.
Demandant au
Service culturel
provincial
d’inventorier les
édifices anciens.
Arrêté
N943/MIC,
30/08/95.
Protection et
gestion du
patrimoine
national.
N157, 10/08/96.
N176/PM,
24/10/1996.
Création du
CNGPCHE.
N/1037/PM,
03/08/96.
Approbation du
programme de
Coopération
Décentralisée.
AUTRES DECRETS ET PRINCIPAUX PROJETS.
FINANCE, ECONOMIE,
FONCIER, TAXES.
Décret N35/PM,
22/12/92, Taxe
sur les véhicules.
Décret N99/PM
et Décret
N169/PM, pour
la Gestion de la
forêt et du
foncier.
Décret
N186/PM, Pour
Les terres rurales.
Décret N50/PM,
13/03/93. Taxe
foncière
amendement du
décret N47/CCM,
du 26/06/1989.
Décret
N104/PM.
Décret
N128/PM.
Circulaire
N1369/MF,
12/12/95.
Enregistrer
comme revenus
de l’Etat tous
dons et aides
internationales.
Décret N52/PM,
13/03/95,
Transfert et
enregistrement
foncier
Loi Foncière
N04/95/NA.
14/10/1995
Décret N72/PM,
22/03/96, d’application
loi foncière
N04/95/ NA
Décret N03/PM,
23/05/96, sur les
taxes foncières,
modifiant le
N50/PM.
Décret 19/PM,
15/05/96, taxe
routière.
SECTEUR URBAIN
Financement
Australien.
Construction du
Pont de l’Amitié.
Financement de la
BAD. Initiation du
projet VIUDP (16
actions dans 100
villages de
Vientiane)
Financement
australien. Projet
de consolidation
de la berge du
Mékong. (1994-
1997)
Financement
BAD. Implantation
et mise en
œuvre de VIUDP,
pour 4 districts de
Vientiane : 16
actions 100
villages (1995-
2000
Financement UE,
Projet Mare de
That Luang,
Canalisation et
Traitement eaux
Usées. 1996-1997)
SECTEUR
PATRIMOINE
.
Dossier de
Classement de
Luang Prabang au
patrimoine de
l’UNESCO.
Mise en place de
la Maison du
Patrimoine de
Luang Prabang..
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 538 -
D A T E
1997 1997 1998 1999 1999 2000
PRINCIPAUX DECRETS , LOIS, ACCORDS.
ADMINISTRATION
PUBLIQUE ET
POLITIQUE
La RDPL intègre
l’ASEAN
Décret N09/PM,
19/01/99,
Restructuration
des entreprises
d’Etat.
GESTION URBAINE.
Décret N0807/
Ministre MCTPC,
27/03/97. Création
du Comité
responsable des
projets de
développement
urbain des villes
secondaires.
Circulaire
N1836/PM,
4/10/97. Projet de
Développement de
Vientiane,
Application du Plan
d’Urbanisme et des
règlements de
construction.
Décret N177/PM,
02/12/97. Organisation
de l’UDAAs
Circulaire
N054/P-VT,
20/01/98. Mise
en œuvre du plan
d’Urbanisme, des
règlements de
constructions,
transports et
communications.
Loi d’Urbanisme
N03/99/NA,
03/04/99.
Décret
N11/P.RDPL,
26/04/99. Mise en
application de la
loi d’Urbanisme.
Décret N14/PM,
23/02/99. Création
de VUDAA,
remplaçant
VUDMC.
Décret
N157/PM,
08/1999. Création
du Comité de
pilotage du
VUDAA.
Décret N1836 et
1837/PVT, déc
1999. Transfert du
service de l’environnement
déchet
et création de
service de
maintenance de la
voirie au
VUDAA.
N1366/PVT, sept
1999. Nomination
des membres du
comité de pilotage
de VUDAA.
N561/MCTPC,
18/02/00.
Proposition
portant le
Contrôle et
l’Approbation du
Plan Urbain de
Vientiane.
Révision 2000.
Ordonnance
N/1804/P-VT,
25/12/00.
Attribution des
Fonds de
fonctionnement
de VUDAA.
Décret N1727/
CTPC. 26/05/00,
Organisation et
statut de l’IRU.
PATRIMOINE.
Convention de
Coopération
décentralisée Luang
Prabang-Chinon.
04/08/97.
Décret N03/CPR,
20/06/97. Préserva- tion du Patrimoine
National Culturel
Historique et
Naturel.
Convention
UNESCO-RDPL
classement de
Luang Prabang.
02/10/97.
AUTRES DECRETS ET PRINCIPAUX PROJETS.
FINANCE,
ECONOMIE,
FONCIER,
TAXES.
Loi Foncière
N01/97AN,
31/05/97.
Circulaire
N997/MF.
Enregistrement
du droit d’usage
des sols.1998.
Arrêté N296/
MIC, 09/04/02,
Organisation et
Activités de la
Maison du
Patrimoine de
Luang Prabang.
SECTEUR URBAIN
Financement ADB
pour la mise en
place du projet :
Secondary Towns
Integrated Urban
Development
Project. STIUDP
PNUD/NORAD.
Projet de Gestion
des déchets urbains
des villes
secondaires.
Parallèlement au
projet STIUDP.
BAD-VIUDPTA2377,
1997-
1999 : formation et
stage. Etablissement
du système
admi nistratif
municipal.
AUPM 1997-2000 :
Formation planning
et gestion Urbaine.
Coopération :
MCTPC-IRU-BAD
TA Project-AIT.
Financement BM
et Aus Aid : Début
projet (7 ans)
Etablissement des
titres, desregistres
fonciers : province
préfecture de
Vientiane, Luang
Prabang, Savannakhet,
Paksé.
Début du program
-me de 10 ans :
réhabilitation,
extension développement
des aéroports.
Coopération
multilatérale :
Banques, pays, etc.
BAD- VIUDPTA
2973, 1998- 2000 : (formation
et stage) Soutien
à l’UDAA
SECTEUR
PATRIMOINE.
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 539 -
D A T E
2001 2002 2003 2005 2007 2008
PRINCIPAUX DECRETS , LOIS, ACCORDS.
ADMINISTRATIO
N PUBLIQUE ET
POLITIQUE
GESTION URBAINE.
Décret N21/PM,
27/04/01,
attribution des
revenus au
VUDAA.
Arrêt N2157/PM,
24/09/01, création
Semaine Nationale
du Patrimoie.
Decret 216PM/,
10/12/02.
Approbation du
plan de
developpement de
Vientiane.
Decret
N426/CC.VT,
30/02/03.
Développement
de Vientiane pour
la Tranquilité,
l’ordre la propreté
et l’esthetique.
Ordonnance
114/P-VT.
18/02/03. Mise en
application du
decret
N462/CCP.VT
Décision N175/PVT,
04/04/03.
Création du
cComité
responable du
développement de
Vientiane.
N148/PM,
29/09/03.
Concernant la
SaSEZ
remplacant le
decret N02/PM.
Decret 177/PM,
13/11/03
concernant la
gestion la
régulation et la
promotion de la
politique de la
SaSEZ
Décret N83/PM,
13/11/05.
Création du
Comité
responsable de la
mise en place de
la municipalit de
de Vientiane et
de Luang
Prabang
PATRIMOINE.
AUTRES DECRETS ET PRINCIPAUX PROJETS.
FINANCE, ECONOMIE,
FONCIER, TAXES.
. Decret 162/PM.
8/10/02. Portant
zone de Commerce
Frontalière Boten,
Luang Namtha.
Decret 02/PM.
8/10/02. Portant
zone de Commerce
Frontalière Boten,
Luang Namtha.
Decret 148/PM,
29/09/03.
Decret
N177/PM,
13/11/03. Portant
les règles
admonistratives et
la plitique de
sensibilisation de
la SaSEZ
SECTEUR
URBAIN
Signature 1er
agrément
d’investissement
dans SaSEZ.
13/06/07
Investissement
KOYKA, Mise en
œuvre du projet de
Consolidation et
d’aménagement de
la berge du
Mékong.
SECTEUR
PATRIMOINE
..
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 540 -
10. TABLE DES MATIERES
Remerciements
Avant propos
Sommaire
Introduction ..................................................................................................................................................... Page 1
1e PARTIE. La mutation des centres historiques et des établissements anciens :
décomposition, recomposition, recyclage ? Etapes et processus .............................................................Page 29
Chapitre I. Le rôle de la réforme de 1986 dans la mutation spatiale. Rappel du contexte...................Page 32
I. I. la réforme, un enjeu majeur pour le régime ............................................................................................ Page 32
I. I. a. Les retombées de la réforme liées à la dynamique économique locale et régionale........................... Page 33
I. I. b. Le rôle de la régulation foncière dans la mutation de la structuration spatiale................................... Page 35
I. I. B. 1. Rappel historique : types parcellaires, constitution, transformation du bâti et du tissu urbain...... Page 36
I. I. b. 2. La pratique habitante traditionnelle et contemporaine de l’espace, quelle incidence
sur le parcellaire............................................................................................................................................. Page 39
I. II. La marginalisation et l’émergence des territoires d’aujourd’hui........................................................... Page 42
I. II. a. Les pôles d’attractions pour le développement.................................................................................. Page 42
I. II. a. 1. Les pôles et les réseaux locaux : infrastructures, déplacementS et nouvelles constructions
des équipements............................................................................................................................................. Page 43
I. II. a. 2. Les pôles et les réseaux régionaux : une place régionale, question de monopole et de
concurrence ................................................................................................................................................... Page 46
I. II. b. Les implications spatiales dans les zones d’échanges et dans les Corridors Economiques.............. Page 51
I. II. b. 1. Les implications spatiales du Corridor Economique Est-Ouest, CEEO........................................ Page 52
I. II. b. 2. Les implications spatiales du Quadrilatère d’or dans le Haut Mékong ......................................... Page 55
I. II. b. 3. Les implications spatiales de l’axe du Mékong............................................................................. Page 57
I. II. c. Les enjeux spatiaux dans les territoires de concession ...................................................................... Page 58
I. II. c. 1. Les enjeux spatiaux dans la zone de concession de Botén ............................................................ Page 58
I. II. c. 2. Les enjeux spatiaux dans les sites miniers..................................................................................... Page 63
I. II. d. Une intégration régionale pour quelle intégration nationale ............................................................. Page 63
I. II. d. 1. La question de souveraineté .......................................................................................................... Page 64
I. II. d. 2. La question d’échelle : liaison ou conflit d’échelle entre le local et le régional ........................... Page 65
I. II. d. 3. L’intégration ou la disparité régionale : déplacement de la population et projet social................ Page 66
I. II. e. Les enjeux spatiaux pour le cas des territoires historiquement en marge.......................................... Page 73
I. II. e. 1. Les implications historiques des anciennes zones libérées : Sam Neua et Xieng Khouang.......... Page 73
I. II. e. 2. Les implications historiques de la zone spéciale Xaysomboun..................................................... Page 74
I. II. e. 3. Les implications historiques de Muang Tonh Pheung, longtemps marginalisé ............................ Page 75
Conclusion ..................................................................................................................................................... Page 75
Chapitre II. L’émergence des occupations anciennes et des centres historiques, altération
et recyclage ...................................................................................................................................................Page 77
II. I. Le processus de constitution et de composition du patrimoine ............................................................. Page 77
II. I. a. Les différentes notions du patrimoine ............................................................................................... Page 79
II. I. a. 1. La pratique de l’espace sacré et la notion du patrimoine............................................................... Page 79
II. I. a. 2. La matérialité du patrimoine, question de conservation, de l’ancien et du neuf ........................... Page 81
II. I. a. 3. La notion de pérennité et de transmission du patrimoine .............................................................. Page 81
II. I. a. 4. La valeur symbolique, la valeur marchande .................................................................................. Page 82
II. I. a. 5. Le patrimoine, entre mythe et théorie ............................................................................................ Page 82
II. I. b. La prise de conscience et la conception du patrimoine ..................................................................... Page 83
II. I. b. 1. Prendre conscience autrement du patrimoine ................................................................................ Page 83
II. I. b. 2. La conception du patrimoine ......................................................................................................... Page 84
II. I. c. Le discours du patrimoine, entre instrumentalisation et valeur autonome ........................................ Page 87
II. I. c. 1. Le discours du patrimoine dans la culture révolutionnaire............................................................ Page 87
II. I. c. 2. L’instrumentalisation du patrimoine.............................................................................................. Page 88
II. I. c. 3. La valeur autonome du patrimoine ................................................................................................ Page 90
II. I. d. La nécessité de développement et la nécessité de mémoire, un dialogue de sourds......................... Page 91
II. II. Le monastère dans la centralité urbaine et sociale et en tant que modèle d’architecture..................... Page 92
II. II. a. La densité de la présence monastique dans l’espace urbain............................................................. Page 93
II. II. a. 1. Le processus de cloisonnement des espaces religieux, fait isolé ou signe de changement ? ....... Page 94
II. II. a. 2. L’exemple de Ban Na Kheuane, une nouvelle forme de centralité possible................................ Page 94.
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 541 -
II. II. b. La convergence et la centralité sociale ............................................................................................Page 96
II. II. c. Du modèle d’architecture au pastiche architectural .........................................................................Page 97
II. II. c. 1. Qu’en est-il du modèle d’architecture et de transmission des savoirs de l’espace religieux ? .....Page 98
II. II. c. 2. La centralité des monastères en terme de prestige et d’excellence ...............................................Page 99
Conclusion .....................................................................................................................................................Page 99
Chapitre III. La constitution et la recomposition de la ville et du territoire ...................................... Page 100
III. I. Le retour des symboles à partir de l’année 2000 ................................................................................Page 100
III. I. a. Le désir de légitimation du régime : le retour du Prince ou de son avatar ? ..................................Page 101
III. I. a. 1. Les symboles de légitimation et le processus d’intégration historique.......................................Page 101
III. I. a. 2. L’aristocratisation de la classe dirigeante ...................................................................................Page 102
III. I. a. 3. L’effet du prince ou de son avatar dans la réalisation des projets .............................................. page 102
III. I. b. La ramification spatiale aux valeurs de rassemblement et aux valeurs citadines et identitaires ....Page 103
III. I. b. 1 L’appropriation des espaces sensibles et des espaces symboliques ............................................Page 104
III. I. b. 2. Une identité retrouvée ? Le nouveau lak muang de Samneua, les that de Oudomxay
et de Luang Namtha .....................................................................................................................................Page 107
III. I. b. 3. L’identité religieuse et l’identité locale de Muang Phouan .......................................................Page 109
III. II. Le regain des occupations anciennes et des centres historiques .................................................... PAGE 109
III. II. a. Le patrimoine et le développement urbain ....................................................................................Page 109
III. II. a. 1. Les faits archéologiques et la patrimonialisation.......................................................................Page 110
III. II. a. 2. L’intégration patrimoniale dans le développement urbain et économique................................Page 111
III. II. b. La cristallisation des établissements anciens dans la vision patrimoniale et touristique ..............Page 113
III. II. c. L’émergence du réseau des sites patrimoniaux, approche comparative........................................Page 114
III. III. Les stratégies résidentielles : un centre mort ou un centre vivant ?.................................................Page 115
III. III. a. Quitter ou rester dans le centre : les emplois et le foncier dans le centre et dans la périphérie ...Page 115
III. III. b. Le Mékong occupe-t-il une centralité ?........................................................................................Page 116
III. IV. Le mouvement du foncier ................................................................................................................Page 118
III. IV. a. Le rétablissement du cadastre .....................................................................................................Page 119
III. IV. b. La libéralisation foncière ............................................................................................................Page 121
III. IV. b. 1. Les transactions foncières .......................................................................................................Page 123
III. IV. b. 2. Les baux et les concessions .....................................................................................................Page 125
II. IV. c. Les questions sur les biens gelés durant trente ans : questions de propriété, d’héritage,
de nationalité ................................................................................................................................................Page 126
III. IV. d. Le marché foncier, Vientiane et les centres régionaux ...............................................................Page 129
III. V. Les mouvements péricentre et périurbain, renforcement d’une poly centralité ...............................Page 133
III. V. a. La question de centralité : l’ancienne centralité, la nouvelle centralité ........................................Page 134
III. V. b. De la ramification des quartiers périphériques à la délocalisation des équipements ....................Page 135
III. V. b. 1. La construction et la réfection des trames viaires ....................................................................Page 136
III. V. b. 2. Le déplacement et la construction des équipements en périphérie ...........................................Page 138
III. VI. Recherche d’outils de développement, de maîtrise et de gestion urbaine .......................................Page 139
III. VI. a. Le processus de création d’une Autorité Administrative pour le développement urbain ............Page 139
III. VI. a. 1. Les rôles et les missions des UDAAs ......................................................................................Page 141
III. VI. a. 2. Les décrets et les projets réalisés dans le cadre des UDAAs ..................................................Page 143
III. VI. b. La municipalisation......................................................................................................................Page 145
III. VII. Le rôle des investissements et de la migration dans la conception de la citoyenneté et dans
la recomposition urbaine ..............................................................................................................................Page 149
III. VII. a. L’apport des investissements dans la modification du paysage urbain et de la politique
de la ville ......................................................................................................................................................Page 149
III. VII. a. 1. Les investissements internes...................................................................................................Page 150
III. VII. a. 2. Les investissements externes et la politique de la ville ..........................................................Page 152
III. VII. b. Le rôle de la migration dans le renouvellement du domaine bâti ..............................................Page 152
III. VII. b. 1. La migration interne et le renouvellement des habitants dans l’espace citadin .....................Page 152
III. VII. b. 2. La migration liée aux relations historiques entre le Laos et ses voisins.................................Page 154
III. VII. b. 3. La migration artificielle liée à la coopération internationale, renouvellement du bâti et
de l’habitat résidentiel ..................................................................................................................................Page 156
III. VII. c. La citoyenneté à travers les actions civiques propagandistes.....................................................Page 157
III. VIII. Les productions architecturales et urbaines...................................................................................Page 159
Conclusion ...................................................................................................................................................Page 166.
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 542 -
2e PARTIE. La permanence et l’adaptabilité deS FONDATIONS LAO DANS LA DURÉE.
Approches théoriques................................................................................................................................Page 171
Chapitre I. Les éléments de formation et de structuration de l’espace lao tai ...................................Page 173
I. I. Les établissements anciens : mythes et données anthropologiques, sites d’implantation primitive..... Page 173
I. I. a. Les occupations avant les établissements lao tai. Les fondationS et les mythes considérés
comme objets de connaissance de l’histoire matérielle............................................................................... Page 174
I. I. b. Les principes des implantations khmères, mônes et lao tai .............................................................. Page 182
I. II. Les modes et les modèles d’occupation de l’espace avant la fondation de Vientiane ........................ Page 187
I. II. a. La constitution et la maîtrise du territoire........................................................................................ Page 188
I. II. a. 1. L’enjeu sociétal du sol ou le rapport de l’homme à la terre......................................................... Page 189
I. II. a. 2. Les complémentarités : ancrage territorial-migration, savoir divinatoire-savoir empirique,
Paysannerie-politique .................................................................................................................................. Page 189
I. II. a. 3. Du ban au muang, un renforcement organisationnel ................................................................... Page 190
I. II. b. Les hommes et la terre, fondement de l’etat et identité politique.................................................... Page 191
I. II. b. 1. Le statut du chef : maître de la vie, maître de la terre et réciprocité de légitimation .................. Page 191
I. II. b. 2. Les détenteurs du muang face aux aborigènes et aux détenteurs des grandes cités.................... Page 192
I. II. b. 3. Le phi ban et le phi muang des Tai possèdent leur espace propre............................................... Page 193
I. II. b. 4. Un muang des thaèn f’a est-il un mandala ?................................................................................ Page 194
I. II. b. 5. La pensée de F’a-Ngoum comme définition du muang............................................................... Page 196
I. III. La restructuration politique de l’espace à partir du règne de sethathirat............................................ Page 198
I. III. a. L’appropriation de l’espace à travers le renouveau religieux......................................................... Page 198
I. III. a. 1. Un aperçu sur les monuments sous le règne de Sethathirat........................................................ Page 200
I. III. a. 2. Le That Luang, une édification politique et une conception de la monumentalité .................... Page 201
I. III. b. Les monuments générateurs d’une unité urbaine et d’une culture régionale ................................. Page 206
I. III. b. 1. Le That Luang, générateur de l’unité urbaine et villageoise...................................................... Page 207
I. III. b. 2. Une culture régionale, circulation des savoirs suscitée par la construction des stupas et
des nouvelles fondations religieuses............................................................................................................ Page 209
I. III. c. Une nouvelle perception du territoire............................................................................................. Page 210
I. III. c. 1. La consolidation des frontières et la politique de recentrage de sethathirat................................page 211
I. III. c. 2. La littérature géographique du XVIIe siècle, révélatrice de la découverte du territoire .............page 216
Conclusion ................................................................................................................................................... Page 217
Chapitre II. La réception de modèles spatiaux et leur acculturation...................................................Page 219
II. I. Les modèles exogènes ......................................................................................................................... Page 219
II. I. a. Les villes siamoises précoloniales................................................................................................... Page 220
II. I. a. 1. Les modèles artificiels, la création des muang de capitation : émergence d’une pensée
“localiste” .................................................................................................................................................... Page 222
II. I. a. 2. L’organisation territoriale et administrative siamoise ................................................................. Page 226
II. I. a. 3. Les modèles durables, entre la ville siamoise et le muang des Lao............................................. Page 228
II. I. b. Les villes coloniales......................................................................................................................... Page 232
II. I. b. 1. Les organisations politiques et administratives coloniales et l’intégration du monde indigène.. Page 232
II. I. b. 2. Les casernes et les forts, la castramétation dans les établissements coloniaux ........................... Page 240
II. I. b. 3. Les trames viaires dans la construction de l’espace colonial ...................................................... Page 243
II. I. b. 4. Les villes coloniales, les villes nouvelles, des exemples : thakkek, savannakhet, paksé ............ Page 244
II. I. b. 5. L’introduction du cadastre : de “ l’îlot à la parcelle ” ................................................................. Page 246
II. I. b. 6. Le nouveau programme et les équipements publics coloniaux ................................................... Page 249
II. I. b. 7. La démographie coloniale ........................................................................................................... Page 257
II. I. b. 8. L’ambigüité, entre méconnaissance de la ville lao et volonté d’établir une continuité spatiale . Page 263
II. II. Les modèles endogènes...................................................................................................................... Page 266
II. II. a. Les modèles d’occupation et de gouvernance .................................................................................page 267
II. II. a. 1. Ban, tassèng et muang, l’hiérarchisation spatiale et organisationnelle du territoire
physique et administratif ............................................................................................................................. Page 269
II. II. a. 2. Les concepts anciens de ville et de cité, quatre synonymes, l’ambigüité de certains termes..... Page 272
II. II. a. 3. La conception de la gouvernance des muang dans le Syaosavat................................................ Page 280
II. II. b. Les caractéristiques géographiques des sites et le choix des implantations................................... Page 282
II. II. b. 1. Les montagnes et les forêts et leur rôle économique. Le contrôle des minorités et
des ressources pour la pérennité et le développement des muang............................................................... Page 283
II. II. b. 2. Les plaines et les cours d’eau, la bonne maitrîse de l’eau des muang ....................................... Page 285
II. II. b. 3. Les Études des cas...................................................................................................................... Page 287
II. II. c. Les actes et les rituels de fondation................................................................................................ Page 314.
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 543 -
II. II. c. 1. Les objets de Fondation et les dispositifs spatiaux : bornes, stèles, édicules ; fondation et
organisation des espaces bouddhiques et leur insertion dans la ville, la composition spatiale et le
langage architectural des monastères et des monuments .............................................................................Page 315
II. II. c. 2. Les autels des phi protecteurs, les pieux de fondation, les lak muang : la mémoires et la
continuité des établissements, de l’habitat au village et à la ville. Le rôle des autels des Devata et
des phi protecteurs ; les pieux du dhamma, les lak tham de Ban Phaylom..................................................Page 321
II. II. d. La conception et la tradition foncière d’après le droit coutumier...................................................Page 337
II. II. d. 1. La nature et la fonction des sols, le statut foncier.......................................................................Page 341
II. II. d. 2. Les croyances liées au sol...........................................................................................................Page 342
II. II. d. 3. La fonction productive et économique .......................................................................................Page 343
II. II. d. 4. Le sol et l’habitat ........................................................................................................................Page 343
II. II. e. La domestication des espaces naturels et le mode d’habiter, un savoir intemporel. Le rôle des
espaces naturels, des jardins et des paysages dans les villes........................................................................Page 344
II. II. e. 1. La perception de la nature ...........................................................................................................Page 344
II. II. e. 2. L’habitat et la nature ...................................................................................................................Page 345
II. II. e. 3. La notion de jardin et de paysage................................................................................................Page 348
II. III. La permanence et l’adaptabilité structurelle, l’acculturation ou la rupture des espaces hérités
faces aux changements et aux défis de la modernité, de l’indépendance à 1975.........................................Page 351
II. III. a. L’acculturation des modèles spatiaux............................................................................................Page 351
II. III. A. 1. La démographie, une question récurrente et historique des villes laotiennes, mais leur faiblesse
traditionnelle traduit-elle un modèle spatial ? ..............................................................................................Page 353
II. III. A. 2. Le mythe de la ville invisible et l’imaginaire ...........................................................................Page 355
II. III. A. 3. Le déplacement de la population, mode et processus traditionnel d’occupation ou d’abandon de
l’espace, de développement ou de destruction des villes.............................................................................Page 358
II. III. b. La partition territoriale et la disparité politique du Laos durant la guerre froide ..........................Page 359
II. III. b. 1. La zone libérée...........................................................................................................................Page 361
II. III. b. 2. La zone du gouvernement de Vientiane ....................................................................................Page 364
II. III. c. Les données socioéconomiques.....................................................................................................Page 366
II. III. d. Le grand tournant spatial des années 1960 : expansions urbaines, modes et processus de
développement, acculturation des modèles extérieurs.................................................................................Page 368
II. III. d. 1. La création d’établissements de nouveaux types liés à la guerre ..............................................Page 369
II. III. d. 2. Le rôle de la migration et de la répartition des hommes dans le développement des villes......Page 371
II. III. d. 3. Le développement urbain : le tissu urbain et l’architecture des années 1960 ...........................Page 374
II. III. d. 4. Le bouleversement des schémas symboliques anciens de la ville.............................................Page 382
Conclusion...........................................................................................................................................................Page
Chapitre III. Les dispositifs et le destin des villes et des territoires. Approche globale et état des
lieux d’aujourd’hui ................................................................................................................................... Page 388
III. I. L’évolution spatiale : modes et processus ..........................................................................................Page 388
III. I. a. La définition : villes et territoires traditionnels, villes et territoires modernes...............................Page 389
III. I. b. Les liaisons et les influences entre les établissements : les villes et les territoires modernes ou
retranchés, les villes et les territoires historiquement en marge ou émergents, leur schéma symbolique
et leurs enjeux historiques sont-ils fondamentaux ?.....................................................................................Page 391
III. II. Les facteurs d’évolution, de la ville traditionnelle à la ville moderne ..............................................Page 394
III. II. a. Les acteurs spatiaux, leur renouvellement et leur complexité, avant, pendant et après la période
coloniale .......................................................................................................................................................Page 394
III. II. a. 1. Les plus importants acteurs avant la colonisation .....................................................................Page 394
III. II. a. 2. Les acteurs durant la période coloniale : acteurs indigènes, publics, économiques..................Page 401
III. II. a. 3. Les acteurs après l’indépendance, le retour du prince ou de son avatar? ..................................Page 404
III. II. b. Le développement d’une nouvelle programmation urbaine après 1954........................................Page 406
Conclusion....................................................................................................................................................Page 408
3e PARTIE. 1975–1995 : La période de transition, racine de la fragilisation du rôle spatial des centres
historiques et des établissements anciens. Vue rétrospective ................................................................ Page 411
Chapitre I. Temps un : les enjeux spatiaux et humains, un défi pour le nouveau régime ................ Page 416
I. I. Les enjeux et les défis spatiaux : faire table-rase, légitimer et durer.....................................................Page 416
I. I. a. La destruction des symboles anciens et la création de nouveaux ......................................................Page 416
I. I. b. La réappropriation de l’espace : d’une vision partiale vers une vision globale.................................Page 419
I. I. c. La recherche de nouvelles expressions et de nouveaux langages culturels.......................................Page 423
I. II. Les enjeux et les défis humains et économiques..................................................................................Page 427
I. II. a. Imposer l’homme nouveau ...............................................................................................................Page 429
I. II. a. 1. Le modèle de l’homme nouveau ..................................................................................................Page 429.
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 544 -
I. II. a. 2. La formation de l’homme nouveau.............................................................................................. Page 430
I. II. a. 3. Le Sangha, un cas particulier....................................................................................................... Page 431
I. II. b. La fuite de la population, la mobilité interne et les séminaires politiques 1975-1985 .................... Page 433
I. II. c. Les dispositifs de l’Etat à l’égard de la question démographique et de la mobilité des hommes.... Page 435
I. II. d. Les enjeux et les défis économiques............................................................................................... Page 437
Conclusion ................................................................................................................................................... Page 438
Chapitre II. Temps deux : Les perspectives et la représentation d’un monde nouveau.....................Page 440
II. I. La ruralisation et la disparition de la ville dans sa fonction urbaine et politique ............................... Page 440
II. I. a. La réforme administrative................................................................................................................ Page 440
II. I. a. 1. Un aperçu sur la structure de l’administration générale .............................................................. Page 441
II. I. a. 2. La réunification de l’administration de la province à l’administration de la ville – Préfecture .. Page 445
II. I. a. 3. La création du nouay, une subdivision du village ....................................................................... Page 445
II. I. b. Les principaux dispositifs politiques............................................................................................... Page 446
II. I. b. 1. La politique d’autosuffisance ...................................................................................................... Page 446
II. I. b. 2. Le contrôle de la production : le collectivisme dans la démarche de la réforme agraire ............ Page 447
II. I. b. 3. L’étatisation des biens fonciers et immobiliers........................................................................... Page 449
II. I. b. 4. L’absence de services urbains, et les travaux collectifs .............................................................. Page 450
Ii. I. c. De l’auto-gestion de l’espace au déploiement spatial non planifié.................................................. Page 451
II. I. c. 1. La constitution des quartiers périphériques................................................................................. Page 451
II. I. c. 2. Le changement de l’usage de l’habitat et de la ville par une population rurale............................ Page452
II. II. Vers une nouvelle architecture des équipements et des bâtiments emblématiques .......................... Page 454
II. II. a. L’hétérotopie sociale de la programmation.................................................................................... Page 454
II. II. b. L’aspect architectural du début des années 1980 ........................................................................... Page 455
II. III. Les projections idéologiques dans l’expérimentation de villes nouvelles........................................ Page 457
II. III. a. La méconnaissance de la base fondatrice des villes nouvelles, l’ambigüité de l’idéalisation
du peuple multi ethnique : le brassage culturel et la “ laocisation ”............................................................ Page 457
II. III. b. La ville socialiste et ses équipements, le souci de fonctionnalité ................................................. Page 459
Conclusion ................................................................................................................................................... Page 460
Chapitre III. Temps trois : les bilans et leurs implications, la nécessité de réforme de 1986.............Page 462
III. I. Les bilans............................................................................................................................................ Page 462
III. I. a. Les bilans du CCP portant sur le régime ........................................................................................ Page 463
III. I. a. 1. Les justificatifs idéologiques et économiques............................................................................ Page 463
III. I. a. 2. Les bilans économiques et les mesures concrètes réalisées ....................................................... Page 466
III. I. b. Les faits révélateurs........................................................................................................................ Page 468
III. I. b. 1. Les constats généraux : sentiment de désillusion, d’échec et de gâchis..................................... Page 469
III. I. b. 2. Les constats portant sur la question spatiale .............................................................................. Page 470
III. II. Les implications de la réforme dès 1994-1995 ................................................................................. Page 474
III. II. a. La nécessité de restructuration administrative .............................................................................. Page 476
III. II. b. La recherche de la ville en tant qu’entité ...................................................................................... Page 478
III. II. b. 1. Les soutiens et les stratégies dans le secteur urbain.................................................................. Page 478
III. II. b. 2. Le nouveau Plan Urbain et les organes techniques et administratifs responsables .................. Page 483
III. II. b. 3. La définition des critères et des échelles urbaines, la définition des acteurs............................ Page 486
III. II. b. 4. La zone spéciale instituée en 1994, un territoire marginal, 30 ans de défi ............................... Page 487
III. II. c. La volonté de ruralisation revisitée dans la stratégie urbaine ....................................................... Page 489
III. II. d. L’approche de la ville par les réseaux et par les quartiers péricentres et périurbains................... Page 490
Conclusion ................................................................................................................................................... Page 491
Conclusion ..................................................................................................................................................Page 493
Annexe
1. Bibliographie ........................................................................................................................................... Page 503
2. Enquêtes de terrains et sources orales ..................................................................................................... Page 517
3. Adoption des termes et des noms propres ............................................................................................... Page 518
4. Lexique des termes vernaculaires............................................................................................................ Page 519
5. Acronymes et sigles................................................................................................................................. Page 522
6. Liste des illustrations : tables, figures (voir planches des illustrations. Volume 2) ............................... Page 524
7. Eléments chronologiques de l’histoire politique du Laos ...................................................................... Page 526
8. Données ethnographiques du Laos ......................................................................................................... Page 534
9. Evolution administrative et politique, programme de coopération internationale de la RDPL............... Page 535
10. Table des matières ................................................................................................................................. Page 540
Résumé, Abstract.................................................................................................................................. Page 545-546.
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 545 -
RESUMÉ
À l’heure de la construction régionale de l’Asie du Sud-Est, les villes connaissent un
développement accéléré, leurs espaces économiques, culturels et humains sont recomposés et
restructurés. Leurs trajectoires de développement sont aussi diversifiées. Les villes laotiennes
entament au milieu des années 1990, et intensifiée depuis les années 2000, une nouvelle période
urbaine qui interroge non seulement l’avenir, mais aussi le passé : comment le Laos vit-il son
intégration régionale et surtout son intégration locale ?
À la recherche de ses limites, de son mode de gestion et des orientations pour son
développement, sans modèles et sans références claires, le nouveau développement des villes
laotiennes dans de tel processus, est mal maîtrisé. Il explicite des difficultés certaines dans la
construction des cadres de vie de qualité. Il met aussi en évidence la désolidarisation de la ville par
rapport à ses structures primitives composées par ses racines historiques : ses habitants et leurs
pratiques, ses centres anciens en tant qu’espaces hérités et référencés. À partir des années 1995 et
2000, espaces ou centres historiques sont modifiés peu à peu parallèlement à l’apparition de
nouveaux quartiers, aboutissant à une recomposition spatiale ; d’où la difficulté à identifier les
centres historiques et à délimiter le territoire urbain lui-même. Les liens entre les villes qui se
développent et leurs espaces anciens qui fonctionnaient jusqu’alors comme leurs lieux de référence,
de cohésion sociale et de structuration spatiale, sont fragilisés. Les notions de centre historique et
d’habitat ancien et le mode d’habiter la ville ont été, pour ainsi dire, altérés, corollairement à
l’altération de la notion même de ville. La ville, son espace, ses composants sociaux, politiques et
symboliques, en tant que matrice structurante et identitaire, semblent être aujourd’hui reniés ou
négligés.
Au constat, développé dans la première partie de la thèse, sont apposés dans la seconde
partie les regards introspectifs (dans le fondement culturel et humain qui a forgé les caractéristiques
des établissements lao), et rétrospectifs (dans l’histoire et le temps de la construction spatiale) sur
l’espace des villes laotiennes. Ces regards permettent de déceler la période qui s’étend entre 1975 et
1990 comme responsable des ruptures. Le redéploiement idéologique du nouveau régime,
accompagné de nouveaux dispositifs spatiaux intervenus dans cette période, aurait apporté des
transformations importantes dans la perception de la ville et de son histoire, dans la pratique
spatiale, dans la manière de gérer et de développer la ville. En négligeant les centres historiques et
leurs principes fondateurs, on néglige en même temps les facteurs pédagogiques des espaces hérités.
Les pouvoirs publics et les habitants occupaient respectivement l’espace, durant cette période, pour
les uns, suivant une projection idéologique de collectivisation des biens, et pour les autres, suivant
une pratique d’occupation sans acte d’appropriation. Entre la période où les villes évoluaient sans
trop s’écarter de leurs matrices de fondation et les moments où elles se développent dans une
profonde recomposition avec difficultés et handicaps, caractérisant la période actuelle, les années
1975 et les années 1980 semblent constituer une période transitoire, illustrée par la notion de “ ville
absente ” et par le phénomène de “ squattérisation publique. ”
La réflexion menée dans cette recherche est de démontrer que les difficultés de la période
actuelle sont liées à la période transitoire, que la stratégie de développement urbain et territorial en
cours doit probablement être mise en œuvre en revisitant les expériences de ces années transitoires.
Ce qui avait été négligé, telles la notion de ville comme composant hérité de l’histoire, la notion de
citoyen habitant de la ville, la notion de création, de gestion et de partage des espaces, devraient
probablement être replacée au cœur des préoccupations des décideurs et des habitants. Dans ce
nouveau contexte régional, c’est aussi en interrogeant ses propres données endogènes ou
endogénisées tout au long de l’histoire, que le Laos pourrait constituer ses modèles d’espace et de
développement adaptés et durables..
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 546 -
ABSTRACT
Today’s regional construction of the South-East Asia, cities are faced with accelerated
development, their economic, cultural and human spaces are recomposed and restructured. Their
trajectories of development are also diversified. Beginning in the mid 1990s and has intensified
since 2000s, the Laotian cities began a new urban period, which question not only the future but
also the past: how does Laos live its regional and especially its local integration?
In search of its limits and mode of management and in search of the direction for its
development, without models and clear references, the new development of Laotian cities is badly
handled. It clarifies certain difficulties in building quality of life. It also highlights the separation of
the city with regard to its primitive structures consisted by its historic roots: its inhabitants and their
practices, its old centers as inherited and referenced space. From 1995 and 2000, spaces or historical
centers are modified at the same time the new area appears, ending in a spatial reorganization,
causing difficulties in identifying the historic centers with the urban territory. The links between the
cities, which develop in progress with their former spaces, worked until their places of reference,
social cohesion and spatial structuring are weakened. As the city changes, the notions of historic
centers, the old housing environments and the mode to live in the city were altered. The city, its
space, social, economic, political and symbolic components, as structuring and identity matrix,
seem to be denied or neglected today.
This report developed in the first part of the thesis, are affixed in the second part the
introspective (in the cultural and human foundation of the space which forged establishments lao
and their characteristics) and retrospective regards (in the history and the time of the construction of
the space) to the space of the Laotian cities. These regards allow revealing periods extending
between 1975 and 1990 as something in charge of the break. The ideological redeployment of the
new political regime accompanied with new spatial devices intervened for this period would have
brought the important transformations in the perception of the city and its history, in the spatial
practice, the way of managing and of developing the city. Neglecting the historic centers and their
founding theory, we neglect at the same time the educational value of the inherited spaces. Public
authorities and inhabitants occupied respectively the spaces, during this period: for some, following
an ideological projection in collectivization of the properties, and for others, according to a practice
of occupation without act of appropriation. Between the period when cities evolved without moving
away from their matrices of foundation and when they have to develop a profound reorganization
with difficulties and handicaps, characterizes the current period. 1975s and 1980s seem to constitute
a period of transition illustrated by the notion of "absent city" and by the phenomenon of "public
squat".
The reflection led in this research is to demonstrate that dificulties of actual period are
linking with the transition period, that strategy of urban development of today has to be
implemented by revisiting the experiments of the period of transition. What had been neglected,
such the notion of the city with its components inherited from history, the citizen living in the city,
the creation, management and sharing of spaces and territories, should probably be replaced in the
concerns of the policies (decision-makers) and of the inhabitants. In this new regional context, in
questioning also its own endogenous data, or internalized data all along history, that Laos will
establish its models of space and development in an adapted and long-lasting way.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de
l’habitat ancien dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
UNIVERSITÉ PARIS-EST
Thèse de doctorat d’Université Paris-Est
Champ disciplinaire :
Architecture
Présentée par
Chayphet SAYARATH
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao
Persistance des pratiques et permanence des formes
La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la recomposition de la
ville d’aujourd’hui
Jury
Thèse dirigée par
Pierre CLEMENT, Professeur honoraire, ENSA – Paris Belleville
Nathalie LANCRET, Directrice de l’UMR AUSSER, directrice de recherche, CNRS, HDR
Soutenue le 28 Mai 2014
Charles GOLDBLUM, Professeur émérite, Université de Paris 8, HDR
Christine HAWIXBROCK, chercheure, permanente scientifique à l’EFEO-Vientiane
Vatthana PHOLSENA, chercheure CNRS, enseignante à l’Université de Singapour
Rapporteurs :
Manuelle FRANCK, professeur des Universités, INALCO, HDR
Hugues TERTRAIS, professeur des Universités, Paris I Panthéon-Sorbonne, HDRDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de
l’habitat ancien dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
PLANCHES DES ILLUSTRATIONS
Figures
TablesFig. 1-a. Carte du Laos avec la localisation des principales villes du Vietnam et de la Thailande.
C H I N E
Les villes et les régions du Vietnam et de la Thaïlande qui auraient partagé certains traits
et fondements culturels avec le Laos, en particulier durant la période du Lane Xang.
Stung Treng
Jyng HungFig. 1-b. Carte de la région de l’ancien Souvannaphoum. Les deux grands rayonnements
d’établissements au début du 2e millénaire.
Source : Musée du Wat Phu. Champassack. UNESCOFig. 2. Planche montrant les principaux types de parcelles. D’après les études menées dans le centre de Vientiane
8jvofyo [ao95xtgrfvk7ko[=]yraolkmk]totD
Parcelle contenant des équipements
8jvofuo [ao95xtgrfvk7kofjP;D
Parcelle contenant des édifices isolés
8jvofuo [ao95xtgrfvk7koc7[{g]ud g-aJoshv'c4; s^n 8bdshv'c4;D
Parcelle contenant des édifices étroits et profonds tels les
compartiments ou les immeubles en compartimentA
B
A et B. Parcelles non appropriées : sont
percutées dans l’axe d’une voie.
Les autres parcelles plus appropriées
Axes perturbateurs du choix des parcelles.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
Fig. 4. Des parcelles appropriées et non appropriées.
Fig. 3. Type de transformation parcellaire et du bâti.Photographie aérienne
(1998 ?) montrant la réduction
progressive des zones humides
et le tracé futur de la route T2.
Fig. 5. Zones humides
de Nong Douang.
Fig. 6. Carte montrant
l’avancement de la zone
libérée, 1971.
Source. Musée du Prince
Souphannouvong, Viengxay.
ZONE DU
GOUVERNEMENT
DE VIENTIANE
ZONE DU NLHSFig. 7. Les quatre villes secondaires.
Fig. 8. Quelques images des villes frontalières :
Casino Savanvégas, le Triangle d’or, Chiang
Khong vue de Houaysai
Les quatre villes secondaires : Luang Prabang, Thakkek,
Savannakhet, Paksé.
Chiang
Saèn
Udon
Thani
Nakhone
Phranom
Moukdahan
Les quatre couples de villes frontalières : Chiang Saèn
(et Chiang Khong) - Houaysai ; Vientiane - Udon Thani ;
Thakhek - Nakhone Phranon ; Muldahan – SavannakhetFig 9. Carte. Anciens et nouveaux réseaux de la région du Mékong. Ch. Taillard.PDR
C 9
D
B1
A. 305 ha B. 20 ha C. 211 ha D. 118 ha
B. 300 ha
Tha Khilek
Tonh Pheung
Chiang Saèn.
Houaysai
Chiang Khong
Boten
Mohan
L’ancien triangle d’or
Jyng Hong
Xieng Kok
Région du quadrilatère frontière internationale
Fig. 10.
Master plan de
la SaSez.
Source.
Sayavongkhamdy.
Fig. 11. La
région du
Haut Mékong
et son réseau. Fig. 12. Monument consacrant le pilier de
Simuang comme fondation de la ville de
Vientiane
Vues de Nam Khane depuis le Belvédère
L'intérieur du santuaire, utilisé en salle de classe
Vue de Ho Kong
Sur le Belvédère.
Le 2e santuaire de Vat Siphouthabath.
.............
....
....
.............
............
... Vues panoramiques sur les paysages de Nam Kham depuis le Belvédère
Accès depuis la rue principale
Passage arrière
Entrée principale
Accès vers Vat Tham Phou Si
..............
---
---
--------
---
---
---
-------
----
>
>
>
>
>
>
------VOIE DE BERGE, PEU FREQUENTEE----
-------RUE PRINCIPALE, FREQUENTEE ----------
>
>
>
>
>
NAM KHANE
>
>
LEGENDE
Fig. 13. Les monastères à Luang Prabang
Composition type : Vat Sri PhouthabatA l’extérieur de l’enceinte, les pagodes
forment le repérage des villages.
A l’intérieur, elles permettent
l’identification des quartiers.
Fig. 14. Les monastères à
Vientiane.
Une pagode, c’est avant tout des bonzes
pour la faire vivre…
C’est aussi un acte communautaire de
fondation (Bornes de fondations, successives du sanctuaire central).Habitations,
commerces, un
peu de tourisme,
mais le lieu
manque de
centralité et
d’unité sociale.
Fig. 15. Ban
Nakheuane.View point
1 2 4
5
3
3
Choix du concept :
plan axial et mise
en perspective de
l’Assemblée
Nationale
Fig. 16. Le site du
futur Jardin
Sethathirat dans le
prolongement de
l’esplanade du
That Luang. Etat
existant et
orientation.
Images finales voulues.
Fig. 17. Le concept
du jardin
Sethathirat.Fig. 18. Les Jardins « à la
tête de la ville »: le jardin
de Houa Muang et le
Jardin Sri Savang Vong
Vong à Simuang Fig. 19. Le retour des
symboles : l’effigie de F’aNgoum
et l’effigie de Chao
Anouvong installée dans le
parc qui porte son nom.Fig. 20. L’avenue Lane
Xang, le Jardin Néru et
le PatouxayFig. 21. Les stupa de Oudomxay et de Luang Namtha.
Fig. 22. Le monument
de la ville de Samneua.
Détruits par la guerre (bombardement au début des années
1960), les stupas sont reconstruits au sommet des collines
les plus hautes de la ville.Fig. 23. Les travaux de reconquêtes matérielles et symboliques du Mékong : Parc de Chao Anou, promenade, travaux de
voierie, consolidation de berges, extension d’une nouvelle zone urbaine à Done Chanh (phase 1), etc.Fig. 24. Plan de Zonage.
Schéma Directeur de
Vientiane. 2002. IRU.
Fig. 25. Réseau de route
de Vientiane, prévu dans
le Schéma Directeur de
2008. JICA.Fig. 26.
Certaines
images de
la ville de
Vientiane
: Fronts
de rues,
scènes
urbains,
trottoirs…Fig. 27. L’architecture officielleFig. 28. Hôtels, banques,
sièges de sociétés,
nouveaux équipements ...Fig. 31. Le site de Dan Soung (Vientiane).
Fig. 32. Le site de Vang Sang. (Phonehong).
Fig. 30. Vat Phu, (Champassack).
Fig. 29. That Inheng (Savannakhet).
Sources. Pichard.
Sources. Santoni
Source. Brunetti. Fig. 33. Le schéma
symbolique de
Luang Prabang.
Palais royal
That Luang
Aire de l’esplanade
Vat Phone Keng
Axe d’accès par voie terrestre
Ancien parcours probable par le petit canal
Ancien parcours par le grand canal qui
longe le rempart extérieur
Accès probable au site par le Mékong
Pak Houay (bouche du canal) Port intérieur
Vieng Kuk.
Liaison possible avec Vat Phone Keng
Axe années 1980-1990
Scénario d’accès au XVIe Siècle.
Axes modernes 1960-1970 et 1980-1990
Connexion de la période coloniale
Fig. 34. Schéma hypothétique de
l’articulation du That Luang par
rapport à Vientiane. Scénario
de l’accès local et régional du
grand that.
Embouchure
Nam Khan MékongFig. 36. Schéma
hypothétique de l’accès
de Vientiane au XVIIe
siècle, marquant son
intériorité (carte
succincte de localisation
de Vientiane au début
du XIXe siècle).
Fig. 35. Le village de
« Ban That » à That
Inheng. Savannakhet.
Fig. 37. Deux
constructions de la même
époque : sanctuaire de
Vat Sissaket
(Vientiane 1816) et la
bibliothèque de Vat
Sèngket (Ubon Rajthani).
VIENG KHUK
Port intérieur
Limite d’intériorité
en aval du fleuve.
Port intérieur
Limite d’intériorité
en amont du fleuve. Zone du vieux village lü Boun Taï
Fig. 38. Le fort de
Boun Taï et le
vieux village de
Boun Taï.
Fig. 39. Les ruines
actuelles du fort de
Boun Taï.Fig. 41. Phongsaly au début du
XXe siècle, Phongsaly aujourd’hui.
Fig. 40. Ruines d’un bâtiment
colonial du fort de Muang Khoun.
Fig. 42. Rue empierrée,
village hô et phou noy.
Fig. 43. Le post militaire de
Phongsaly au début du XXe siècle.
Fig. 44. Les
différentes
représentation du
fort français autour
de 1910, 1920,
dans le Haut
Mékong. Extrait du dossier du 5e
Territoire Militaire.
La schématisation
de l’emprise des
édifices fait preuve
d’une abstraction
absolue de la
nature des sites.
Fig. 45. Vue de
la ville de
Oudomxay,
depuis l’ancien
fort français.Fig. 47. Plan de la ville de
Vientiane. 1931. Etat
existant
- état projeté,
Echelle 1/2000
e
, Mariage.
Fig. 46. Plan cadastre de la ville
de Vientiane. 1912. Echelle
1/2000
e (en 4 feuilles), Guillini.Fig. 48. La typologie architecturale la plus
représentative de l’architecture coloniale.
Une villa construite dans le centre de Vientiane destinée
aux administrateurs français. Dans les années 1930.
Une villa construite à Houaysay
dans les années 1930. Fig. 49. La ville
de Savannakhet,
état actuel.
Fig. 50. La ville de
Parxé, état actuel.
Le centre ancien de Savannakhet, à l’abri du grand développement à l’extérieur
de la ville. Les anciens bâtiments sont peu à peu restaurés. Il reste encore des
friches urbaines à l’abandon.Fig. 51. Les projets d’extension et de connexion
de la ville de Vientiane par rapport à sa région.
Réseau de connexion Vientiane. 1912.
Plan d’extension de Vientiane. 1920.Fig. 52. Le plan de
parcellisation de
Vientiane. 1964.
Fig. 53. Le
marché de Nam
Phou, année
1930.
Fig. 54.
Villages types,
entourés de
rizières avant
l’urbanisation.
(Luang
Namtha)
Les parcelles sont plus visibles pour les équipements et les résidences des quartiers
centraux de Vientiane. Pour les habitations ordinaires, les parcelles ne sont pas
complètement cadastrées. Plus problématiques : les parcelles dans les zones humides et en bordures des déblaies de Khouvieng, vont rester longtemps non cadastrées.Fig. 55. Monument en
ruine de Muang Khoun.
Fig. 56. Le Sô f’a
d’un sanctuaire.
Fig. 57. Stupa au sommet
d’une colline à Xieng
Fig. 58. Plan de
représentation
de Muang
Khoun, Xieng
Khouang.
Source. Chao
Khamluang Nokham.Fig. 59. Carte. Situation politique et
géographique de Muang Sing dans le Haut
Mékong vers 1885, d’après une carte de
l’administration coloniale. Source : CAOM.
Fig.60. Schéma d’occupation de Muang
Sing en 1996.
Interprétation d’après les relevés de
Bowsky et Walter Kasper-Sochermann,
in. « Muang Sing, passé et présent. »Fig. 61. Plan de Muang Sing. Traduction en français d’après un plan siamois dressé vers 1889-1890, Archives Nationales
de Bangkok, rapport de service du gouvernement à propos de Muang Xiang Khaèng et Muang Sing-Muang Nang. 1e échelle : la plus petite structure viaire qui dessert la ville à l’échelle de l’îlot. Elle est composée de 12 voies, traversant la ville
en damier. C’est une structure intérieure qui ne permet pas des sorties directes par les 12 portes de la ville.
2e échelle : structure viaire secondaire qui dessert la ville à l’échelle du xiang. Elle est composée de 4 voies qui donnent
directement sur les 8 portes de sorties de la ville parmi les 12 existantes.
3e échelle : structure viaire primaire composée de deux voies qui se croisent au coeur de la ville. Le cœur de la ville est une
enceinte en palissade dont la superficie est équivalente à quatre îlots. Cette structure viaire donne sur 4 portes de la ville et
divise la ville en 4 xiang.
Îlots mesurant 50m x 50m. Chaque îlot accueille quatre parcelles d’habitation qui mesure chacune 25m x 25m, sauf les parcelles
réservées pour les monastères.
Rempart en remblai de terre avec 12 portes : 4 portes principales et 8 portes secondaires
Îlot réservé pour la construction de monastères : il y a 4 monastères pour 4 xiang.
Le cœur de la ville, lieu du pouvoir des princes de Xiang Khaèng : il y a le pavillon de gauche, le pavillon de réunion ou de
rassemblement, le pavillon de droite, le pavillon de dharma, le grand pavillon officiel, le pavillon des princes de Xiang Khaèng,
le pavillon de réfectoire ou de réserve.
Fig. 63. Les lak ban à Ban Bountaï. Fig. 64. Relevés de la fortification en forme d’escargot de Vieng Phu Kha.
Entrée, accèsFig. 65. Plan de la
ville de Chiang Saèn
Thaïlandaise (rive
droite), état actuel
Fig. 66. Localisation de
Chiang Saèn Thaï
actuel (rive droite)
dans la région de
Bokéo, l’ancien
Souvannakhomkham.
Chiang Saèn
Souvannakhomkham 1- Vientiane, le rectangle en montée de terre, entre la
citadelle et la terrasse du That Luang. Ancienne ville
probable de Vientiane.
2- Sukhothaï
3- Ayuthia
4- Rattanakosinh.
(Les photos sont datées des années 1950)
Fig. 67. Plan de Chiangmai.
Une morphologie mixte.
1
2
3
4 Fig. 68. Site archéologique de l’ancien
Souvannakhomkham (rive gauche).
D’après H. Rattanavong
Fig. 70. Une partie des vestiges de Chiang Saèn (rive droite)
Fig. 69. Une partie des vestiges de
Souvannakhomkham (rive gauche) Fig. 71. Wien kum kam. Légende.
1. Wat Chédilem
2. Wat Praya Mangrai
3.
Wat Prachao Ondam
4. Wat That Khao
5. Wat Pupia
6. Wat E
-Kang
7. Wat Nanchang
8. Wat
7. Wat
8. Wat Ku Padom
9. Wat Ubosot
10. Wat Patan
11.
Wat That Noy
12. Wat Kanthom Changkam
13. Wat Kum Kam
14. Wat Kum Kam 1
15. Wat Kailan
16. Wat Phanlao
17. Wat Huanong
18. Ku Ailan
19. Wat Ku Tonpho
20. Wat Ku Magluer
21.
Wat Ku Khao
22. Wat Kum Kam Teepram
23. Wat Kum Kam Teepram 1
24. Wat Kum Maisong
25.
Wat Ku Ridmai
26. Wat Ku Jokpok
27. Wat Bonamthip
Hypothèse de l’ancien lit
de la Méping La Méping actuelleFig.72. Plan de Vientiane (IGE. 2002)11
15
18
a
b
c
d
10
12
3
7
13
1
d
B
Nam Passak (en amont),
Nam Houay ( en aval).
Dong Palane, plantation de feuille
de latanier, réserve royale.
That Luang et ses environs,
espace sacré.
Villages implantés de
manière continue.
Mythes et géographie
3 sites mythiques
Implantation de Ban Nong
Kan Ké Seua Nam
Implantation de Muang
Souvannaphoum
Habitat du Naga, implantation
du grand stupa
Les éminences
Phone Papao
Phone Xay
Phone Sinouane
Phone Kèng
Phone Panao
Phone Tong
Les bois et forêts
Dong Palane
Dong Palep
Dong Passak
Les embouchures
Pak Houay
Pak Passak
Les mares : Nong et Bung
Nong Chanh
Nong Bone
Bung That Luang
Nong Tha
Les îles et îlots
Done Dou
Done Nok Khoum
Done Chanh
Done Pamai
cA
Fig. 73. Schéma de scénario
d'occupation primitive de Vientiane,
d’après les mythes et les données
géographiques. Schéma réalisé
sur la photographie aérienne
de 1961.
Sala Deng, grenier à riz réservé à la
communauté religieuse.
Temple de la forêt Sok Paluang
Thong Toum, zone agricole
Thong Khan Kham, zone agricole
(dans le rempart)
Na Haidyo, zones agricoles (dans le rempart)
Na Xay, zone agricole (dans le rempart)
Autres zones agricoles (dans le rempart)
abc
e
Scénario d'occupation
Citadelle et palai royal
Rempart extérieur.
Route Nong Bonne, cheminement
entre le palais royale et le site religieux.
Villages implantés de manière
distensée et discontinue.
e
14
17
19
16
A
B
c
Echelle 0 m 1525 m 3050 m
9
6
8
5
4
2
123456789
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19NAM NGUM
Légende.
- Restes de remblais qui
formaient un rempart en terre.
- Douves circulaires. On
suppose qu’elles ont été
construites au XIVe siècle par
F’a-Ngoum lors du siège de
Phay Nam.
- Restes de déblais, des
canaux reliant les douves les
uns aux autres.
Source : Service Culturel de la Province de Vientiane
Fig. 74. Muang
Vieng Kham
- Localisation du périmètre de protection de
l’ancienne cité Vieng Kham ou Phaynam.
- Localisation actuelle de Muang Vieng Kham,
nouveau chef-lieu de la Province de Vientiane.
Fig. 75. Quartier de
That Phranom à
Nakhone Phranom.Fig. 76. Khorat à la fin du XIXe siècle. Schéma fonctionnel et symbolique.
Aymonier transcrit phonétiquement la désignation du canal à la manière siamoise, Khrong, et à la manière lao, Takhong. Ce
dernier ne fait que retranscrire les appellations en usage chez les autochtones. L’usage de deux termes, siamois et lao, pour
désigner la même chose témoigne de la cohabitation de deux communautés.Fig. 77. Khorat,
photographie
aérienne actuelle.
Fig. 78. Muang Kao,
actuel (en face de
Parxé). Traces des
anciennes
fortifications.
- Restes de rempart de
Rajbout Gno ?
- Restes de la rue pavée
de terre cuite.
- Un autre rempart en
pierre ?
Fig. 79. Autel
des esprits de
Phravo Phrata,
ancêtres
fondateurs de
Muang Oubon.
(à Oubon
Rajthani)
Dans tous les
cas, les esprits :
ne sont pas
représentés par
des icônes.
Fig. 80. Un autel
rituel Phi F’a à ban
Khounta-tha.
Fig. 81. Le pieux lak tham
à ban Phaylom.Fig. 82. Le
village Tariang,
Dak Sèng.
Fig. 84. Le Village lao loum, Ban Donoune et ban Kok Ninh
Fig. 83. Le Village Tariang, Ban Dak Moual.
Schéma
d’organisation de
l’espace du ban
Tariang (à Dak
Moual et à Dak
Sèng.)
Maison tariang type.
Ban Donoune
Ban Kok Ninh
Source. P et S. Clément. L’habitat lao.
Source. Vanitha Posisavath.
Source. Vanitha Posisavath.
Zone de
cimetière
Zone d’habitation
Zone de rituels
Zone agricoleFig. 85. Le Syaosavat, thème
d’illustration murale de la
bibliothèque de Vat Xiengthong.
Luang Prabang.Immeubles et
Fig. 86. Bâtiments administratifs
de Muang Viengxay, capitale de la
zone libérée.
Fig. 87. La résidence du Prince
Souphanouvong à Viengxay.
Et une habitation troglodyte adjacente
Fig. 88. Habitations et immeubles urbains
modernes des années 1960, à Vientiane : Villas,
immeuble d’angle… Mais aussi des habitations
précaires
(Source : Atelier Map.)
Fig. 89. Autres équipements des années 1960
dans le centre de Vientiane : Banque, Piscine
municipale, hôtels, Université Fig. 90. Equipement des années 1950 : l’Assemblée
Nationale années 1950, (donnant sur le Patouxay.
Aujourd’hui le bâtiment fait partie du campus du bureau
du Premier Ministre),
Fig. 91. L’Hôpital Mahosot (bâtiment des années 1960,
dans un campus qui date de la période coloniale)
Fig. 92. L’immeuble de
logement des professeurs du
lycée de Vientiane, construit
à la fin des années 1950. Fig. 93. Immeubles et compartiments des années
1960, dans le quartier centre de Vientiane. Fig. 94. Equipements de loisir
et de commerce des années
1960 dans le centre de
Vientiane : les Cinéma Vieng
Samaï et Sèng Lao
Fig. 95. La place du Nam Phou a été
construite au début des années 1960,
remplaçant les deux pavillons du
marché qui date de la période colonialeFig. 96. Le cinéma « fantôme » de Savannakhet. Fig. 97. Panneaux de
propagande et de
sensibilisation, vers la fin
des années1970, dans les
années 1980 et les années
1990. Fig. 98. Le Prince Souphanouvong à la présentation de la fabrication
de l’emblème nationale. 1975. Ecole des beaux-Arts. Vientiane.
Sources. LFAA.
Fig. 99. L’image de Kaisone
Phomvihan.
Sources. LFAAFig. 100. Carte montrant la progression de
l’élaboration des plans urbains dans les
villes du Laos, entre 1990 et 2002.
Villes possédant un premier plan de
planification urbaine.
Villes dont le plan de planification a été
révisé pour la deuxième fois.
Villes n’ayant pas de plan de planification
urbaine
Les villes, avec et sans, plans de planification urbaine. Période 1990 - 2002.Tab. 1. Les inventaires réalisés par l’Atelier du Patrimoine et soumis aux autorités compétentes en 2002.
Liste des Monuments Nationaux de Vientiane.
Numéro des ensembles
patrimoniaux
Nombre
de fiches
Désignation
du bâtiment
Numéro de fiche
d’inventaire
Titre de
protection
Degré de
protection
1- Vat Inpèng 4
Sim M001-1 MN2 Inscrit
Kouty M002-1 MN2 Classé
Hô Taï M003-1 MN2 Classé
Petit sim M004-1 MN2 Classé
2- Vat Ongtu 2 Sim M005-2 MN2 Classé
Kouty M006-2 MN2 Inscrit
3- Vat Mixay 2 Sim M007-3 MN2 A inscrire
Kouty M008-3 MN2 Inscrit
4- Vat Haï Sok 2 Sim M009-4 MN2 Inscrit
Kouty M010-4 MN2 Inscrit
5- Vat Chanh 2 Sim M011-5 MN2 Classé
Kouty M012-5 MN2 Classé
6- Vat Xieng Ngneu 1 Sim M013-6 MN2 Inscrit
7- Vat Sissaket 5
Sim, galerie M014-7 MN2 Classé
Kouty M015-7 MN2 Inscrit
Kouty M016-7 MN2 Classé
Kouty M017-7 MN2 Inscrit
Hô taï M018-7 MN2 Classé
8- Vat Hô Phrakéo 1 Sim M019-8 MN2 Classé
9- Vat Kao Gnot 1 Sim M020-9 MN2 Inscrit
10- Vat Phyavat 2 Sim M021-10 MN2 Inscrit
Kouty M022-11 MN2 Classé
11- Vat Simuang 1 Sim M023-11 MN2 Inscrit
12- Vat That Khao 2 Sim M024-12 MN2 Inscrit
Kouty M025-12 MN2 Inscrit
13- Vat Phrapho 1 Sim M026-13 MN2 Inscrit
14- Vat Phrasay 1 Sim M027-14 MN2 Inscrit
15- Vat Bungkhragnong 1 Sim M028-15 MN2 Inscrit
16- Stade National 1 Stade M029-16 MN1 Inscrit
17- That Vat Nark 1 Stupa M030-17 MN1 Classé
18- That Dam 1 Stupa M031-18 MN1 Classé
19- Assemblée Nationale 1 Assemblée M032-19 MN1 Inscrit
20- That Luang 1 Stupa M033-20 MN1 Classé
21- Vat Kang 1 Sim M034-21 MN1 Inscrit
22- Patouxay, Anousvary 1 Mémorial M035-22 MN1 Classé
Liste des édifices existant dans l’enceinte intérieure de Vientiane faisant l’objet
d’inventaire, par typologie.
N° Typologie Nombre Total
1 Edifice lao ancien 17
2 Edifice lao pagnuk 35
3 Edifice lao coloniale 45
4 Edifice colonial 98
5 Compartiment 71
6 Edifice collectif 4
7 Edifice moderne 7
8 Edifice mixte 9 286
Tab. 2. Durée des baux. D’après l’article 65 de la loi foncière, N01/97AN en date du 12/04/1997.
Statut du
propriétaire
Locataire ou l’investisseur Durée Type de baux ou
de concession
Autorité compétente
pour l’approbation.
Un laotien Un étranger
Une société étrangère
20 ans renouvelables Bail de location. Autorité de la province, de la
préfecture, ou de la zone
spéciale, qui propose au
ministère des Finance
d’approuver.
L’Etat laotien. Investisseur étranger 50 ans renouvelables Concession. Gouvernementale
L’Etat laotien. Un étranger
Une société étrangère.
30 ans renouvelables Concession. Gouvernementale
L’Etat laotien. Investisseurs étrangers.pour
les zones de développement
économique.
75 ans Concession. Assemblée Nationale
L’Etat laotien. Investisseurs étrangers Non dit Concession pour plus
de 10 000 hectares.
Assemblée Nationale
L’Etat laotien. Un organisme publique
étranger
99 ans Bail, échange,
transfert.
IntergouvernementaleTab. 3. Taxes des beaux fonciers.
Type de biens loués. Nationalité du locataire Taxe forfaitaire, par M2,
par mois
Taxe au %, par type de biens,
par mois
Villa en dur Laotienne. 30 %
Maison lao pagnuk Laotienne. 25%
Villa en dur à R+1 Etrangère. 2 USD
Immeuble Etrangère. 2 USD
Villa en dur à R-d-C Etrangère. 1,70 USD
Compartiment ≥ R+1 Etrangère. 1,20 USD
Compartiment à R-de-C Etrangère. 1 USD
Terre et autres Indifférent. 25%
Remarques : Les chiffres ci-dessus proviennent du décret Présidentiel N01/RDP, article 4. Dans la réalité il est improbable que l’État
puisse percevoir ces recettes. Il y a des villas en dur de 200 m2 louées aux étrangers à 400 USD par mois. Si on se fie aux taxes à
payer les propriétaires devaient payer 400 USD à l’État. Ce qui fait qu’il n’a rien à gagner. Dans le meilleur des cas, l’État et le
propriétaire pourraient gagner quelques choses si le propriétaire déclare que son locataire est laotien. En ce cas l’État aurait taxé 120
USD par mois et le propriétaire aurait touché 280 USD par mois. Déjà, cette situation serait peu probable. Dans la réalité, il n’y a pas
d’agent d’Etat affecté pour vérifier sur le terrain.
Tab. 4. Les ressources et les perceptions de VUDAA entre 2000 et 2008, en million de kips. Source. VUDAA.
N° Ressources 2000-2001 2001-2002 2002-2003 2003-2004 2004-2005 2005-2006 2006-2007 2007-2008
01 Ramassage des déchets 1.082 1.744 1.995 2.457 2.917 2.776 2.840 2.402
02 Nam Papa Lao 105 409 409 445 442 480 471 320
03 EDL 156 728 624 624 624 624 624 416
04 Nettoyage et propreté
05 Places de stationnement 90 192 447 291 51 584
06 Obligation
07 Essence et stations 49 673 935 848 2.600 2.600 2.600
08 Hôtellerie 19 131 102 117 115 133 116 79
09 Permis de construire 47 67 77 74 103 85 137 89
10 Contravention sur voie
publiques
10 8 3
11 Frais administratifs et
autorisations
5 4 2
12 Toilettes publiques 21
Total des ressources 1.509 3.333 4.334 4.945 5.049 6.698 6.839 6.511
Rétribué par le budget de
l’Etat
6.484 11.251 7.156 9.115 19.149 11.887 9.500 9.029
Total des perceptions 7.993 14.584 11.490 14.060 24.198 18.585 16.339 15.540
Tab. 5. Les dépenses réelles de VUDAA entre 2000 et 2008, en million de kips. Source. VUDAA.
N° Dépenses 2000-2001 2001-2002 2002-2003 2003-2004 2004-2005 2005-2006 2006-2007 2007-2008
01 Ramassage des
déchets
1.082 1.744 1.995 2.457 2.917 2.776 2.840 2.402
02 Nettoyage et propreté
03 Frais administratifs 192 748 822 834 1.028 677 759 397
04 Nettoyage des routes
et des jardins
62 476 650 950 1.397 1.953 1.581
05 Entretien, routes et
caniveaux
44 62 648 350 1.401 1.856 1.943 2.068
06 Participation au
budget de l’Etat pour
des remboursements
de dettes.
6.484 11.251 7.156 9.115 19.149 11.887 9.500 9.029
Total des dépenses 7.802 13.903 11.097 13.406 25.445 18.593 16.995 15.477Tab. 6. Questionnaires pour évaluer “ la famille modèle”, réalisés dans les villages de Vientiane en 2010
Sources : traduit du lao du document distribué par l’autorité du village de Ban Khounta-Tha.
Le standard des familles modèles de la RDPL.
I. Participation aux dispositifs de Sécurité.
1. Les membres du foyer ont-ils agit selon la règle et la loi, conformément au plan d’action du ban comme suit :
Participer aux réunions, au programme de scolarisation des enfants, aux travaux collectifs, au soutien de la
milice, à se parer contre les incendies, à protéger l’environnement, à participer à financer ou à donner son
temps et son aide aux activités du ban ?
2. Le couple est-il conjugalement solidaire et respectueux l’un envers l’autre : bien éduquer les enfants dans le
respect et l’entente cordiale ; veiller à ce que les membres du foyer aient un emploi qui n’enfreint pas la loi, à
ce que les enfant soient scolarisés. Le couple est-il capable de régler tous les problèmes internes ?
3. Les membres du foyer se sont-ils gardés de commettre les choses suivantes : produire, acheter, vendre,
consommer les drogues ; être alcooliques, commettre l’adultère, pratiquer la prostitution, se marier en cachette
avec un étranger, tomber dans la délinquance, troubler l’ordre public, voler ou cambrioler, mentir et arnaquer
ou usurper les biens d’autrui ; trafiquer les produits illicites, tricher pour les taxes et les impôts, vendre les
armes et autres produits et objets illicites ; jouer aux jeux de hasard ; faire des extensions de leur habitation ou
de leur commerces qui nuisent à l’espace public et déranger les autres ; commettre des effractions aux codes de
la route, se garer n’importe comment sur la voie publique ?
4. Les membres du foyer ont-ils œuvré de façon dynamique pour la production et l’amélioration du niveau de vie
du foyer dans le respect de la loi ?
5. Le foyer est-il solidaire à la communauté en soutenant les autres familles pauvres en difficulté ?
II. Participation aux dispositifs de propreté.
1. Les membres du foyer ont-ils participé aux séances de sensibilisation portant sur les organisations et les projets
de « Vientiane ville propre » ?
2. Les membres du foyer ont-ils participé en fournissant les moyens financiers ou de la main d’œuvre, ou en
matériels à l’entretien des routes et à la réalisation des ouvrages de drainage et d’assainissement de leur propre
maison ?
3. Le foyer participe-t-il à la charte d’entretien et de propreté des routes, des drainages collectifs, adjacents aux
limites de son terrain (désherbage, déboucher les écoulements d’eau, nettoyer les drains, nettoyer la grande
route et la route goudronnée, faire la peinture de sa clôture.) ?
4. Avant toutes extensions le foyer a-t-il demandé des autorisations aux autorités compétentes et affairant ? Les
constructions illicites et désordonnées des annexes et des auvents en bordure de la route sont-elles enlevées
urgemment ?
5. Le foyer a-t-il passé des contrats ou souscrit aux services des organismes affairant pour le ramassage des
déchets ?
6. Les foyers ont-ils traité les eaux usées conformément à l’hygiène avant de les évacuer aux réseaux publics ?
7. Les foyers commerçants ont-ils respecté les dispositifs et les règles de limites donnés par l’autorité compétente
concernant les étalages commerciaux en bordures des voies ?
8. Les chefs de famille ont-ils recommandé aux membres de leur famille d’être vigilent et respectueux des lois,
des codes de conduite, de circulation, de stationnement : ne se stationnant pas n’importe où mais dans les
parking ?
III. Participation aux dispositifs de Verdure.
1. Les membres du foyer ont-ils participé aux séances de sensibilisation portant sur les projets « Vientiane ville
verte » ?
2. Les membres du foyer ont-ils participé au programme d’entretien des arbres existant, de plantation de
nouveaux arbres pour créer de l’ombrage et agrémenter la ville ; ont-ils dénoncé les coupes illicites des arbres ?
3. Les membres du foyer ont-ils participé à l’installation des plantes et des fleures au bord des routes et devant
chez eux, dénoncé les mauvais traitements de ces biens publics ?
4. Les membres du foyer ont-ils participé à la création des parcs et jardins publics, initié la création des zones
vertes appropriés, etc. Ont-ils dénoncé le vandalisme des espaces verts et des dépôts illicites des déchets dans
les jardins ?
IV. Participation aux dispositifs d’éclairage.
1. Les membres du foyer ont-ils participé aux séances de sensibilisation portant sur les projets de « Vientiane
lumière » ?
2. Les maisons sont-elles équipées d’éclairage et d’électricité de manière conforme aux règlements techniques ?
3. Les foyer ont-ils participé au programme d’installation des éclairages de la voie publique qui passe devant chez
eux ?
4. Les membres du foyer ont-ils dénoncé le vandalisme, s’il existe, de l’éclairage des voies publiques ? Tab. 9. Produits imposés aux Lao du Lane Xang par les Siamois comme taxe de capitation au XIXe s. Sources : Sangrana Chanthakhot, in : Histoire d’Attapeu.
Désignation des produits. Quantité/par personne
/par an
Si en liquide, il serait en bath,
sous le règne de Rama IV.
Conversion
approximative en
bath thaï actuel.
Uvaria cordata (Khang) * 12 kg 2,4 bath 6 250
Ivoire * 2,4 kg
Cire* 24 kg
Tissu blanc 4, 6 morceaux 4,6 bath 11 500
Soie 0,6 kg
Argent 4 bath
Or 2 salung 10 000
Cardamum(Amomum xanthioides)* 12 kg 10 000
Jute (Boehmeria nivea)* 30 kg 4 bath 20 000
Bois de Tec (Tectona grandis) * 2 troncs 8 bath
Remarques : 17 muang lao vassaux du Siam avaient payé les tributs de cette nature. Etaient concernés pour le Sud du Laos :
Champassak, Saravan, Attapeu, Siphandon, Khamthong Gnaï, Khamthong Noy, Sènepan, Songkhon, Lamnao, Samian, Xélamphao,
Saphad, Xieng Tèng, Soumphonne, Khong ; pour le Nord, seules étaient concernées Vientiane et Kènethao. Les autres muang non
mentionnés (Xieng Khouang et Samneua) étaient certainement en situations instables, les paiements auraient été irréguliers,
probablement lié au fait qu’ils avaient dû payer aussi les tributs au Vietnamiens. Les muang ne pouvaient payer les 10 produits à la fois,
mais seulement de un à sept. Par exemple : Champassak ne pouvait payer que 7 produits ; Siphandone, sènepan et Saravan 6 ; les 8
autres muang ne pouvaient collecter que 2 à 4 ; les 5 autres muang ne pouvaient collecter qu’un seul chacun. Lorsque les muang ne
pouvaient pas envoyer à Bangkok les produits exigés nominativement et quantitativement, ils avaient dû payer en argent comptant.
Tab. 8. Les produits exportés du Lane Xang au milieu du XVIIe siècle. Registre commercial de VOC.
Désignation Quantité Qualité Provenance
Essence de Styrax1 +++ +++ Haute montagne : Phongsaly, Luang Prabang, Houaphanh.
Uvaria cordata (Khang)2 +++ +++ Nord du Laos
Musk3 ? +++ Très haute altitude
No Hèd4 +++ +++ Sud ?
Ivoire5 +++ +++ Tout le Laos
Peau de cerf et peau de buffle6 ++ ++ Sud ?
Miele7 +++ +++ Nord et Sud ?
Cire d’abeille8 +++ +++ Nord ?
Coton9 + + Nord
Soie10 + +++ Tout le Laos
Argent11
Fer12
Or13
+
?
+++
+++
?
+++
+1
Au total 13 produits très recherchés
1 Essence provenant des écorces du styrax. Il existe trois variétés : annamensis, benzoides, tonkinensis. Leur utilisation est
essentiellement la parfumerie et la pharmacopée antiseptique.
2 Habitacle d’un insecte généralement utilisé en pharmacopée, en teinture et colorant.
3 Provenant d’un animal male utilisé en parfumerie et en pharmacopée. Masuhara note que cet animal n’aurait pas existé au Laos,
puisqu’il n’aurait existé qu’en très haute altitude, notamment en Chine et au Népal. Il suggère que le Musk venait de Chine et transité
par le Lane Xang.
4 Corne de rhinocéros ? Sources : Van Wustoff, Marini, Le Josne.
Tab. 7. Liste non exhaustive des monuments construits par Sethathirat ou soumis à ses interventions. (T) Thaïlande, (L) Lao
N Désignation Localisation Date Type d’intervention au XVIe
s. Antériorité
1 That Pholn Thakek (L) 1539 Restauré par Phothisarat Site fondé vers le VIe siècle.
2 That Inheng Savannakhet (L) 1548 Restauré par Sethathirat Monument fondé vers le VIe
s.
3 That Phnom Nakhon Phnom (T)
1550-
1572
Restauré, modifié par
Sethathirat
Monument fondé vers les Ie et
IIe
s.
4 That Luang Vientiane (L)
1560-
1566
Achevée par Sethathirat
(commencé par Phothisarat)
Site fondé vers le IIIe
s. av .JC.
5 That Sri Song-hak Loeuy (T) 1563 Construit par Sethathirat
Monument, nouvelle
construction.
6 Chédi Luang Chiangmai (T) 1560
Construit par Sethathirat
(commencé par Thiloka raja ?)
Monument, nouvelle
construction.
7 That Bang phouane Nongkaï (T)
1560-
1566 Construit par Sethathirat
Monument, nouvelle
construction.
8 That Dam Vientiane (L) Vers 1560
Construit par la 1e reine de
Sethathirat.
Monument, nouvelle
construction.
9 That Khao Vientiane (L) Vers 1560
Construit par l’une des 2e
reines de Sethathirat.
Monument, nouvelle
construction.
10 Hô Phrakéo Vientiane (L) 1565 Construit par Sethathirat
Sanctuaire, nouvelle
construction.
11 Vat Phrasay Vientiane (L) ? Construit par Sethathirat
Ensemble monastique,
nouvelle construction.
12 Vat Phrapho Vientiane (L) ? Construit par Sethathirat
Ensemble monastique,
nouvelle construction.
13 Vat Ongtù Vientiane (L) 1566
Ensemble monastique construit
par Sethathirath Site fondé vers le IIIe S.
14 Vat Inpèng Vientiane (L) ? Construit par Sethathirat Site fondé vers le IIIe S.
15 Vat Chanh Vientiane (L) ? ? Site fondé vers le IIIe S.
16 That Sikhottabong Thakek (L) 1568
Restauré, modifié par
Sethathirat Site fondé le VIe S.
17 Vat Mixay Vientiane (L) 1569 Construit par Sethathirat Nouvelle construction.Tab. 10. Liste non exhaustive des muang du Laos occidental à la fin du XIXe siècle. Notes Aymonier. E.
N° Muang Pop. du Nbre. Nbre. Taille Fleuve ou Rempart
Chef
lieu maison pagode Chef lieu rivière
1 Stung Trêng 1500 300 3 1000-1200 m Mékong, Stung Trêng
2 Sêng Pang 3
3 Attapeu 400-500 2 2000 m 2 rives du Attapeu
4 Nong kai* 6000 1000 17 2000 x 150 m 1 berge du Mékong
5 Nong Han 200 2 1200 x 1000 m Rectangle, levée de terre
6 Phon Pisaï 200 5 1 berge du Mékong
7 Lakhon 5 1600 m
8 Moukdahan
9 Khorat
10 Yasothone* 500 5 1200 x 400 m 1 berge de Nam Si
11 Siphoum 400 1800 x 300 m 1 berge de Nam Moun
12 Ratanavisaï 120 2 1 berge de Nam Si Recul /la berge de 250 m
13 Oubon* 1000 10 2000 x 400 m 1 berge de Nam Moun Levée de terre, fosse, palissade
14 Muang khong 300 3 2000 m
15 Champasack 600 13
*Khémarath, Yasothone, Nong kaï, Oubon ont une certaine affiliation
*Il y un gros village à 100 m au Nord de Oubon avec 8 pagodes.
Tab. 11. Population de Vientiane (Muang, province) - fin XIXe siècle. Source. Recensement de l’administration coloniale. CAOM/ GGI.
Muang Vientiane : tassèng, ban, habitants.
Nom de Tasseng Nbre. de Tassèng Nbre. de Ban Nbre. d’habitant Composition de la pop.
Tassèng muang Vientiane 5 1388 Lao
Sikai 18 2388 Lao
That Luang 24 1938 Lao
Vat Sop 4 1078 Lao
Ban Kang 3 1160 Lao
Sithanh Tai 5 820 Lao
Simano 9 1528 Lao
Thin Tien 16 992 Lao
Houai Sieng 15 1822 Lao, Phouane
Ban Touei 19 1178 Lao, Phouane, Tai neua
Ban San 10 750 Lao
Pa Kho 11 1190 Lao, tai neua
Hat Khieng 6 790 Lao, Phouane
Sa Khay 15 1212 Lao, tai neua
Nammi ou Hakha 4 595 Lao, tai neua
Nam Khieng 6 737 Lao, Kha, Phouane
Sam Meun Muang Pheuang 17 990 Lao, Kha, Phouane, Taineua
Hat Kan Tong (ou) Hamton 10 800 Lao, Kha, Phouane
Nam Sang 10 780 Lao, Kha, Phouane
Na Han 8 600
(nom d’un tassèng manquant) 7 ?
21 222 23 300*
*Chiffre 22 736 arrondi à 23 300 pour le tassèng manquant
Province de Vientiane : muang, tassèng, ban, habitants.
Nom des Muang Nombre muang Nombre de tassèng Nombre de ban Nobre habitant
Vientiane 21 222 23 300
Tourakhom 20 185
Patchoum 9 54 25 700
Borikhane 5 41
Total 4 55 502 49 000Tab. 12. L’organigramme de l’administration coloniale, statut de colonie pour les six provinces du Laos.
POUVOIR CENTRAL POUVOIR LOCAL DANS LES SIX PROVINCES.
Le Gouverneur
Général de
l’Indochine.
Ayant son siège
à Hanoï.
Commissaire du
Gouvernement.
Délégue
Inspecteur de la
garde civile
Commis des
Services civiles
Administrateur
et commis,
garde indigènes
Tiao muang
nommé par
le Résident
Supérieur
Tassèng
élu par la
population
Naï Ban
élu par la
population
POUVOIR COLONIALE
DECONCENTRE
POUVOIR INDIGENE, RESPONSABLE DEVANT LE POUVOIR COLONIAL
Ces postes dépendent de l’importance des provinces
Ou
Ou
Ou
POUVOIR COLONIAL
CENTRALISE A VIENTIANE.
Résident
Supérieur
Secrétariat du Hô
Sanam Luang
Roi de Luang Prabang
Secrétariat du Palais
(Affaires intérieures
du palais)
Maha Uparat
(1e ministre, inspecteur,
régent du royaume)
Hô Sanam Luang,
gouvernement
Commissaire
Tiao muang
nommé par
le Roi
Naï kong
nommé
POUVOIR INDIGENE CENTRALISE A LUANG PRABANG, RESPONSABLE
DEVANT LE POUVOIR COLONIAL CENTRALISE A VIENTIANE.
Conseil de la
famille royale
Phraya en charge
des affaires
intérieures
Phraya en charge de :
la justice, l’éducation,
la culture
Phraya en charge des
: finances, travaux
publics, commerces,
agricultures
3 ministres chargés
d’affaires
Gouverneur
nommé par
le Roi
Tassèng
élu
Naï Ban
élu
POUVOIR LOCAL
DANS LES PROVINCES
Ou
Gouverneur
de province
nommé par
le Résident
Supérieur
Naï kong
nommé par
le Résident
Supéteur
Tab. 13. L’organigramme de l’administration coloniale, statut de protectorat pour les quatre provinces du Laos
et le 5e territoire militaire.
Il est en
charge de :
- administrer
la province,
- Supléer le
commissaire
Il est en
charge de :
- Supléer le
gouverneur
- présider le
tribunal localTab. 14. Classement des fonctions administratives et du personnel administratif indigène durant la période coloniale.
Source. Décret du Résident Supérieur du 5 juillet 1935
Groupes Titres Fonctions Responsabilité,
devant
Elu ou nommé par
1e degré Tiao Khrouèng,
gouverneur de
province.
- Gestion locale,
- Assister le Commissaire
- le Commissaire - le Résident Supérieur colonie)
- le Roi et approuvé par RS
(pour le protectorat)
Tiao Muang,
chef du district
- Gestion locale,
- Supléer le tiao Khouèng,
- Spléer le Commissaire,
- Président du tribunal.
- le Commissaire - le Résident Supérieur
- le Roi et approuvé par RS
(pour le protectorat)
2e degré L’Uparat Ek - Equivalent à tiao muang
L’Uparat - Equivalent à tiao muang
- Vice-tiao muang
- Président du tribunal de 1er instance.
Le 1e Assisant
(Phusouay Ek)
- Supléant l’Uparat
L’Assistant
(Phusouay)
- Supléant l’Uparat
- Tâches diverses dans l’adminisration
et dans le tribunal.
Samiane - Secrétariat administratif
- Tâches diverses dans l’adminisration
et dans le tribunal.
Degré
spécial
Naï kong - Chef de zones constituées de
minorités ethniques.
- Tiao muang et
tiao khrouèng.
- le Résident Supérieur
Remarques : le tassèng et le Naï ban n’ont pas été inscrits dans ce classement. Ils ont été élus par la
population, une tradition administrative locale que l’administration coloniale n’a pas apportée beaucoup de
modifications.
Tab. 15. Liste comparative des programmes de constructions lao et de constructions coloniales.
N Désignation des
programmes actuels
Equipements existants avant l’installation coloniale. Equipements apparus dans la
période coloniale
1 Equipements de santé Absents (1) Hôpital,
Absents Dispensaire.
2 Equipements religieux Complexe du Vat (ensemble monastique avec un
programme lourd et spécifique). ;af(2) Eglise avec un programme
simple.
Stupa (reliquaire monumental). mkf Absent
Chapelle royale, s=ritcdH; Absent
3 Equipements éducatifs Bibliothèque religieuse. s=w8F non destiné au public Absent
Absent (3) Ecoles et Instituts
Absent Bibliothèque publique
4 Equipements culturels
et de loisir
Absent Salle des fêtes,
Absent * Parc et jardin publics
Hong lakhone de quartier (Théâtre de quartier) 3I’]t7vo Absent
Hô Khrön. s=37o Absent
Absent Musée
5 Equipements
funéraires, nécropoles
Hô mem pour usage royal. s=g,, Absent
Cimetière (hors de la ville). xjk-Hk Cimetière
Stupa funéraire en tant qu’édifice privé et public, mkf Absent
Caveau familiale. l5lko Absent
6 Autres équipements
administratifs et publics
Hô sanam luang, Sala Hô xay La Résidence Supérieure
Absent * Prison
Absent * Commissariat
Absent Douane et régis
Absent Messagerie fluviale
Absent * Caserne
Khraï. 7khp Fort
Talat 8k]kfF Marché
Grenier à riz : grenier communal, grenier royal (réserve
royale ?), lk]kcf’(4)
Absent
(1) Les monastères dispensaient parfois des soins mais ne disposaient pas d’équipement spécifique. On se soigne à la maison.
Mourir à l’extérieur est une mauvaise augure. Si quelqu’un meurt à l’extérieur du village, on ne peut pas ramener le défunt chez
lui pour les recueillements religieux, cela apporte malheur à tout le village et contrarie les esprits. Les veillées funèbres doivent
avoir lieu en ce cas dans le sala hô tcher du monastère. Cet pratique est encore d’actualité.
(2) L’enceinte du monastère par son aspect polyvalent offre des espaces culturels dédiés et possède une vie et des activités
culturelles intenses.
(3) Il n’y avait pas d’école en tant que programme autonome. Les écoles traditionnelles étaient installées dans les monastères, le
domaine éducatif étant relevé des missions de la communauté religieuse et du programme de son espace bâti.
(4) D’après une interview réalisée à Ban Phoxay - Ban Bungkragnon en 2002, sur le toponyme de sala Dèng (pavillon rouge), un
ancien clergé nous informe que le pavillon rouge aurait été le grenier à riz, sans doute la réserve royale. Mais il n’est pas certain
que cette réserve soit exclusivement destinée à l’institution royale ou religieuse. Nous savons peu de chose sur la réserve royale
de riz. Par contre, à Ban Sak Muang en amont de Pakxé nous avons retrouvé un grenier communal. Le riz est déposé chaque
année par les habitants en raison de 40 kg par famille. C’est une contribution que les villageois considèrent comme normale. Cela
semble nous suggérer que le grenier communal serait une sorte de banque de riz, faisant partie de la tradition villageoise, bien
qu’il n’assume plus la même fonction aujourd’hui : à Ban Sakmuang le riz du grenier étant réservé pour nourrir la milice et les
détachés de l’armé.
Absents * : au niveau du programme nous pensons que l’équipement existait mais il n’aurait pas été repéré en tant que tel ou
aurait déjà disparu au moment de l’installation coloniale.
Absents (sans étoile) : nous pensons que cet équipement n’existant pas en tant que programme dans les éléments bâtis lao.Tab. 15.a. Exemple d’interventions : travaux de réparations, nouveaux aménagements, organisation de la santé
publique. Source. CAOM/GGI.
N° Types d’interventions Ville Date
1 Assistance médicale : pour le choléra qui avait eu lieu. Laos 1895 - 1902
2 Assistance médicale aux hôpitaux. Laos 1911
3 Institution du comité d’hygiène. Laos 1905-1926
4 Installation des ambulances de Vientiane. Vientiane 1903
5 Construction de l’ambulance indigène. Vientiane 1907
6 Construction de 4 annexes aux ambulances de 1907 : Compléter le pavillon
indigène ; le pavillon des prisonniers ; le pavillons des contagieux.
Vientiane 1909
7 Construction des équipements sanitaires et de santé dans les provinces, sur le
même modèle que Vientiane : formations sanitaires, maternités, dispensaires.
Xieng Khouang,
Thakkek, Paksé,
Savannakhet,
1913
8 Programme d’amélioration des hôpitaux : aménagement des bâtiments de
consultation laotienne et du pavillon pour prisonniers ; grosses réparations de
pavillon des bronzes ; réparation et aménagement du pavillon de consultation
Annamite ; réparation de la toiture du pavillon des femmes ; agrandissement
du pavillon payant.
Vientiane 1936
9 Gros réparation du bâtiment du Service vétérinaire à Chinaimo. Vientiane. 1941
10 Aménagement de la nouvelle pharmacie et du pavillon européen à l’hôpital
principal.
Vientiane. 1941
11 Aménagement de la chirurgie sceptique et radiologie à l’hôpital principal. Vientiane. 1941
12 Réparations diverses apportées au bâtiment N°6 du service de santé. Vientiane. 1941
13 Construction et aménagement de bâtiment d’hospitalisation à l’hôpital
principale : construction d’un pavillon européen de 1e catégorie ;
aménagement à l’étage du pavillon européen existant ; agrandissement du
pavillon des payants et fonctionnaires indochinois.
Vientiane. 1942
Tab. 15.b. Hôpital de Savannakhet. Exemple de programme de construction et le descriptif succinct des ouvrages.
CAOM/GGI.
N° Désignation des ouvrages Détails des ouvrages
I. Indication sommaire de la programmation 1 pavillon d’hospitalisation de 16 lits
1 dispensaire complet avec dépendance
1 magasin
Des dépôts mortuaires
Buanderie, etc.
II. Indication sur les ouvrages à réaliser
1. Terrassement et maçonnerie Fouilles de fondation
Béton pour fondation
Béton de brique au mortier de chaux sous dallage
Maçonnerie de fondation
Maçonnerie en élévation
Enduit sur mur
Plafond avec lattis
Dallage au mortier de ciment
Voûte en brique ordinaire et mortier de chaux de 0,10
d ‘épaisseur.
2. Charpente en fer et en bois Fers non assemblés pour plancher et ancre de chainage
Charpente en bois assemblée
Charpente en bois non assemblée
Bois de chevron
3. Couverture Couverture en tuile
4. Zinguerie Zinc n°14 pour noue 5. Menuiserie Dormant en 8/8 droit
Dormant en 8/8 cintré
Dormant en 8/14 droit
Dormant en 8/14 cintré
Jet d’eau 8/16 droit
Menuiserie persienne de 0,04 d’épaisseur
Menuiserie pleine à panneaux
6. Quincaillerie Jattes à scellement de 25/5
Paumelles de 0,19
Equerres de 0,18
Crémones de 20m / mx3,00
Crémones de 18m / mx2,50
Loqueteaux à pompe
Serrures de 14e
/ m avec bouton double
7. Peinture, vitrerie, badigeons Peinture à l’huile à 3 couches
Badigeon 3 couches donc 2 teintées
Badigeon 3 couches à la chaux
Vitrerie en verre simple
Note : plusieurs techniques peuvent s’ajouter aux différents ouvrages (couverture : arrêtières en solin ; menuiseries
pleines à panneaux ; quincailleries crochets d’arrêts.)Tab. 16. Liste non exhaustive des stèles et des bornes les plus significatives évoquant les fondations.
N° Type Désignation Lieu Date Contenu Stèle Borne
01 × Inscription de Sayfong1 Vientiane XIIe
. S. Fondation de l’hôpital de
Jayavarman VII
02 × Inscription de Chao Anou2 Vat Sissakhet 1815 Construction/extention de
Vat Sissaket
03 × Inscription de Pak Ou3 Luang Prabang ? ?
04 × × Inscription de that Sisonghak4 Danesay XVIe
. S. Fondation de That et
limitation des frontières
05 × Inscription de Ban Tha-lat5 Thalat, Vientiane VIe
-XIIe ? Une fondation ?
06 x Inscription de That Luang et de
Vat Nong Bone Vientiane XVIe
. S. Fondation du grand that
1 Réf. Lorrillard, Gagneux. 2 Réf. Sounet. 3 Réf. Souksavatdy. 4 Réf. Sounet ; Viravong. 5 Réf. Gagneux, 6 Réf. Lorrillard
Tab. 17. Quelques chiffres et remarques montrant les aspects du sous-développement du Laos à la fin des années 1960.
Grandes lignes Conséquences et domaines Chiffres* Comparaison*
Ressources peu exploités - Sol total cultivé / superficie du pays Peu Thaïlande 22,2 %
- Terres cultivées < terres cultivables 1/3
- Terres cultivées 2% sont irriguées.
- Minerai d’étain est le seul exploité : 1500
tonnes par an.
Alors que cuivre, fer, or,
plomb, houille, Gypse,
calcaire, sont reconnus.
- Energie hydroélectrique Au début de son
utilisation avec 3
barrages : Xélabam,
Xédaun, Nam Ngum.
Economie de
l’autoconsommation
- Valeur de la production moyenne par hab. 70 usd. Thaïlande ≈150usd
Vitalité du commerce - Basée sur de l’importation.
- Droit de douane du commerce extérieur >
droit de douane du commerce intérieur.
Faibles équipements de base - Educatifs : taux d’alphabétisation 35 à 45%
- Santé : mortalité 23 °/oo
Population - Population paysanne 78,2%
- Population avec activités d’artisanales et
ouvrières.
2,5%
- Population de moins de 15 ans Thaïlande : 40 %
- Population de plus de 55 ans 10 %
- Population de la capitale 132 253 Thaïlande :
3 Millions
- Population urbaine 15% (chiffre de 1966)
Population et activité - Population active faible
Démographie - Natalité 47 °/oo Thaïlande : 34,2°/oo
- Mortalité 23 °/oo Thaïlande : 7,5°/oo
- Accroissement naturel annuel fort. 2,4 % Thaïlande : 2,67%
Déséquilibre économique et
social
- Effet d’opposition entre les caractères
traditionnels et les caractères modernes.
Equipements sanitaires
inégaux.
- Habitats et quartiers insalubres naissants,
parallèle aux quartiers de résidence.
Circulation des hommes,
liaison territoriale
- Infrastructure et transport routier faible
entre villes, entre provinces.
- Accès aux services et aux équipements
inégaux et mal répartis.
« Personnalité » de l’Etat - Dépendance vis à vis des aides étrangères.
- Soumis à la pression économique et à la
politique étrangère.
- La place et le rôle des militaires trop
importants dans la gouvernance de l’Etat.
Insécurité, instabilité politico
militaire.
- Interdit des grands investissements
Source. Manuel scolaire de géographie-3e
. Le Laos et l’Asie du Sud-Est, Royaume du Laos, MEN, Imprimerie Nationale Vientiane, 1973.
Tab. 18. Investissements industriels 1966-1972. Tab.19. Investissements industriels par secteur.
Année En million de Kip Secteurs Part en %
1966 194,6 Bois 44,2
1967 207,4 Textile 3,7
1968 635,7 Alimentation 18,4
1969 1265,5 Chimique 10,7
1970 693,7 Plastique 1,6
1971 807,1 Divers 21,4
1972 1906,5Tab. 20. La population et sa densité dans les villes les plus importantes du Laos, entre 1966 et 1968.
Les agglomérations urbaines Population de l’agglomération
urbaine
Densité
Vientiane 132 253 + de 50 hab./km2
Savannakhet 35 682 + de 50 hab./km2
Pakse 35 060 20 à 50 hab./km2
Luang Prabang 22 539 20 à 50 hab./km2
Thakkek 12 679 20 à 50 hab./km2
Tab. 21. La population active travaillant dans l’administration en 1958. Sources : Condominas, Halpern.
Province Nombre de
fonctionnaire
% par rapport à la
population active
Population des
provinces
Nombre d’habitant
pour un fonctionnaire
Vientiane 30 %
Saravan 356
Champassack 734
Tab. 22. Population urbaine. 1950 – 1968. Sources. Statistique.
Villes % De Lao
Fin 1950
% De Lao
En 1968
% De Chinois
En 1968.
% De Vietnamiens
en 1968.
% Autres
en 1968.
Vientiane 72, 6 % 73 % 4,5 % 7 % 16 %
Thakhek 86,5 % 86 % 5 % 7 % 1,5 %
Savannakhet 85, 8 % 87,5 % 4,5 % 7,5 % 3 %
Luang Prabang 82, 2 % 89 % ND ND 12 %
Pakse 72, 2 % 72 % 10 % 17 % ND
Tab. 23. Population active répartie sur trois secteurs, Thakek, Paksé, Savannakhet, 1959. Sources : Halpern.
Activités Du pourcentage de la population urbaine
Agricole à temps partiel. 80%
Petite industrie et artisanat 10%
Administration, transport, religion. 10%
Remarques : les 80% des urbains qui menaient des activités agricoles à temps partiel pouvaient être ceux qui menaient une
bipolarité résidentielle ou foncière.
Thermoformage du verre - D´eveloppement num´erique
d’un mod`ele thermom´ecanique
Benjamin Le Corre
To cite this version:
Benjamin Le Corre. Thermoformage du verre - D´eveloppement num´erique d’un mod`ele thermom´ecanique.
Modeling and Simulation. Universit´e de Lorraine, 2014. French.
HAL Id: tel-00975511
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00975511
Submitted on 8 Apr 2014
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publics ou priv´es.Collegium Sciences et Technologies
École doctorale Énergie Mécanique et MAtériaux (EMMA - ED 409)
THÈSE
présentée et soutenue publiquement le 16 Janvier 2014 pour l’obtention du titre de
Docteur de l’Université de Lorraine
en Mécanique et Énergétique
par
Benjamin Le Corre
Thermoformage du verre
Développement numérique d’un modèle thermomécanique
Composition du Jury :
Présidente : D. Baillis-Doermann Professeur, INSA Lyon
Rapporteurs : M. El Hafi Professeur, École des Mines d’Albi
A. Gasser Professeur, Université d’Orléans
Directeurs de thèse : G. Jeandel Professeur, Université de Lorraine
Y. Meshaka Maître de conférences, Université de Lorraine
Examinateur : A. Collin Maître de conférences, Université de Lorraine
Invités : P. Boulet Professeur, Université de Lorraine
M.-A. Skaper Directrice Recherche et Innovation, CERFAV
Laboratoire d’Énergétique et de Mécanique Théorique et Appliquée (UMR 7563), Université de Lorraine
Institut Jean Lamour (UMR 7198), Université de Lorraine
Centre Européen de Recherche et de Formation aux Arts Verriers (CERFAV), Vannes-le-ChâtelCollegium Sciences et Technologies
École doctorale Énergie Mécanique et MAtériaux (EMMA - ED 409)
THÈSE
présentée et soutenue publiquement le 16 Janvier 2014 pour l’obtention du titre de
Docteur de l’Université de Lorraine
en Mécanique et Énergétique
par
Benjamin Le Corre
Thermoformage du verre
Développement numérique d’un modèle thermomécanique
Composition du Jury :
Présidente : D. Baillis-Doermann Professeur, INSA Lyon
Rapporteurs : M. El Hafi Professeur, École des Mines d’Albi
A. Gasser Professeur, Université d’Orléans
Directeurs de thèse : G. Jeandel Professeur, Université de Lorraine
Y. Meshaka Maître de conférences, Université de Lorraine
Examinateur : A. Collin Maître de conférences, Université de Lorraine
Invités : P. Boulet Professeur, Université de Lorraine
M.-A. Skaper Directrice Recherche et Innovation, CERFAV
Laboratoire d’Énergétique et de Mécanique Théorique et Appliquée (UMR 7563), Université de Lorraine
Institut Jean Lamour (UMR 7198), Université de Lorraine
Centre Européen de Recherche et de Formation aux Arts Verriers (CERFAV), Vannes-le-ChâtelRemerciements
J’aimerais tout d’abord remercier les personnes qui ont initié ce projet, à savoir Gérard Jeandel
(directeur de thèse, professeur au LEMTA), Yves Meshaka (co-directeur de thèse, enseignantchercheur
à l’IJL), Marie-Alice Skaper (Directrice Recherche et Innovation du CERFAV) et
Denis Garcia (Directeur du CERFAV) et je souhaiterais souligner le plaisir que j’ai eu de travailler
avec eux.
Gérard, merci pour ta bonne humeur, ton optimisme et ta volonté de toujours valoriser le travail
effectué au cours de cette thèse, cela m’a été d’ailleurs d’un grand soutien dans les quelques
moments de doute qui ont jalonné ce projet. Yves, grâce à tes remarques justes, souvent distillées
avec un humour subtil, parfois grinçant, j’ai pu découvrir une nouvelle dimension du mot
« rigueur ». Cela me permet aujourd’hui de mieux saisir le niveau d’exigence qui est attendu
de la part d’un docteur, c’est pourquoi je te suis reconnaissant de m’avoir aidé à progresser,
particulièrement sur cet aspect. Marie-Alice, Denis, j’ai beaucoup apprécié votre disponibilité,
ainsi que votre volonté de mettre en place un environnement offrant des conditions de travail
optimales, une grande part de la réussite de ce projet vous échoit.
Je voudrais maintenant exprimer ma sympathie auprès des membres des différentes équipes du
CERFAV, du LEMTA et de l’IJL avec lesquels j’ai eu la chance de travailler. Je ne pourrai
pas citer tout le monde, néanmoins, chacune des personnes rencontrées a apporté sa pierre à
l’édifice. En premier lieu, je ne peux que remercier Anthony Collin pour sa grande disponibilité
et un investissement remarquable qui ont donné lieu, notamment, au développement d’un
code de Monte-Carlo utilisé pour le calcul des transferts radiatifs dans le verre. Merci aussi à
Laëtitia Soudre-Bau, Pascal Boulet, David Lacroix d’avoir répondu à mes questions diverses et
variées. Ce fut un plaisir d’avoir travaillé aux côtés de Bader, Bernard, Damien, Gilles, Issiaka,
Jérôme, Jonathan, Julien, Lionel, Mickaël, Mohamed, Omar, Sébastien, Simon, Valentin, Zoubir.
Je ne voudrais pas oublier non plus le rôle de Valérie, Irène, Édith et Christine qui m’ont sauvé
la vie plusieurs fois en ce qui concerne la gestion des dossiers administratifs !
J’exprime ma gratitude aux professeurs Mouna El Hafi, Alain Gasser et Dominique BaillisDoermann
pour m’avoir fait l’honneur de participer à mon Jury de thèse et pour avoir évalué
ce travail.
J’ai une pensée particulière pour les personnes rencontrées au cours de mon périple nancéen ;
Charles, David, Salima et Aurélien bien sûr, mais aussi les membres du club d’échecs et du club
de karaté, ainsi que ceux du groupe franco-zoreillo-sino-malbar-créole.
Pour leur soutien et leur présence, je dédie ce travail à mes proches et souhaitent qu’ils y trouvent
ici la preuve de ma reconnaissance et la récompense de leurs efforts.Table des matières
Remerciements 3
Tables des matières 5
Table des figures 9
Nomenclature 13
Introduction 17
1 Le verre 21
1.1 Définition et microstructure du verre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
1.2 Composition et élaboration du verre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
1.3 Caractéristiques du verre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
1.3.1 Propriétés thermiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
1.3.2 Propriétés optiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
1.3.3 Masse volumique et coefficient de dilatation thermique . . . . . . . . . . . 35
1.3.4 Module d’Young et coefficient de Poisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
1.3.5 Viscosité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
1.4 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
2 Le thermoformage 41
2.1 Description du procédé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
2.2 Exemples d’application . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
2.3 Intérêt de l’étude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
2.3.1 Les paramètres de l’essai . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
2.3.2 Description du banc d’essai de thermoformage . . . . . . . . . . . . . . . 53
2.3.3 Développement d’un modèle numérique - Objectifs . . . . . . . . . . . . . 55
3 Modélisation du comportement thermomécanique du verre 57
3.1 Modélisation du comportement mécanique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
53.1.1 Équations de base . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
3.1.2 Loi de comportement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
3.1.3 Variation de la viscosité en fonction de la température . . . . . . . . . . . 61
3.1.4 Conditions aux limites mécaniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
3.2 Modélisation du transfert thermique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
3.2.1 Résolution de l’équation de la chaleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
3.2.2 Transfert thermique par conduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
3.2.3 Transfert thermique par rayonnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
3.2.4 Conditions aux limites thermiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
4 Développement d’un code de calcul du transfert radiatif 75
4.1 Méthodes de calcul du transfert radiatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
4.1.1 Méthode des harmoniques sphériques (ou différentielles P-N) . . . . . . . 76
4.1.2 Méthode des zones . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
4.1.3 Méthode des transferts discrets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
4.1.4 Méthode des ordonnées discrètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
4.1.5 Méthode de Rosseland . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
4.1.6 Méthodes alternatives : éléments finis et différences finies . . . . . . . . . 77
4.1.7 Méthode de Monte-Carlo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
4.2 Développement de la méthode de Monte-Carlo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
4.2.1 Quelques bases théoriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
4.2.2 Représentation en 2D, calcul en 3D . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
4.2.3 Choix des éléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
4.2.4 Tirage du point d’émission et de la direction d’un quantum . . . . . . . . 84
4.2.5 Gestion de l’énergie d’un quantum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
4.2.6 Transmission ou réflexion du quantum au dioptre . . . . . . . . . . . . . . 88
4.2.7 Bilan d’énergie sur un élément . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
4.2.8 Propriétés optiques du verre et choix de la fréquence d’un quantum . . . 92
4.2.9 Validation numérique en rayonnement pur . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
4.2.10 Validation numérique en thermique pure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
5 Simulation thermomécanique 103
5.1 Problématique du couplage thermique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
5.2 Étude de la mise en forme du verre avec différents modèles thermiques . . . . . . 106
5.2.1 Thermoformage sur moule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
5.2.2 Thermoformage en suspension . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
5.2.3 Bilan de l’essai en suspension . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Conclusion 121Bibliographie 124
Annexes 135Table des figures
1.1 Variation du volume spécifique du matériau en fonction de la température . . . . 22
1.2 Structures atomiques de la silice (Zachariasen, 1932) . . . . . . . . . . . . . . . . 23
1.3 Structure d’une couche de silice déposée sur un substrat de graphène (Huang
et al., 2012) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
1.4 Représentation schématique en deux dimensions du verre silico-sodique (Warren,
1942) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
1.5 Conductivité phonique kc et capacité thermique massique cp de la silice (Kittel,
1949) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
1.6 Conductivité phonique du verre sodo-silico-calcique . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
1.7 Capacité thermique massique du verre sodo-silico-calcique . . . . . . . . . . . . . 30
1.8 Indice de réfraction nλ en fonction de la longueur d’onde λ (µm) . . . . . . . . . 31
1.9 Indice de réfraction du verre float (Synowicki et al., 2011) . . . . . . . . . . . . . 32
1.10 Coefficient d’absorption κλ en fonction de la longueur d’onde λ (µm) . . . . . . . 33
1.11 Variations du coefficient d’absorption κλ en fonction de la température (Viskanta
et Lim, 2002) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
1.12 Module d’Young et coefficient de Poisson d’un verre sodo-silico-calcique . . . . . 36
1.13 Viscosité d’un verre silico-sodo-calcique en fonction de la température . . . . . . 37
2.1 Les différentes techniques de thermoformage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
2.2 Exemple d’une courbe de température d’un cycle de thermoformage . . . . . . . 42
2.3 Cycle de mise en forme du pare-brise dans le four . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
2.4 Phénomène de reverse pouvant apparaitre sur un pare-brise . . . . . . . . . . . . 46
2.5 Mise en forme d’une pièce d’optique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
2.6 Cycle de température en fonction de l’épaisseur d’une plaque de verre de 35 × 30
mm2
(données CERFAV) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
2.7 Vue du four de thermoformage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
2.8 Appareillage de mesure du four de thermoformage . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
2.9 Température de l’air à différentes hauteurs dans le four . . . . . . . . . . . . . . 54
3.1 Couplage thermomécanique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
93.2 Modèle rhéologique de Maxwell . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
3.3 Viscosité de différents verres (Zarzycki, 1982) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
3.4 Courbes WLF et VFT obtenues en utilisant les données expérimentales de (Parsa
et al., 2005) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
3.5 Bande de longueurs d’onde du rayonnement thermique . . . . . . . . . . . . . . . 65
3.6 Représentation d’un angle solide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
3.7 Configuration d’échange entre un élément de surface dS1 et un élément de surface
dS2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
3.8 Luminance dans la direction ~s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
3.9 Angle solide représenté en utilisant les coordonnées sphériques . . . . . . . . . . . 68
3.10 Luminance du corps noir en fonction de la longueur d’onde . . . . . . . . . . . . 69
3.11 Bilan du transfert radiatif à la surface d’un milieu opaque . . . . . . . . . . . . . 70
3.12 Type de réflexion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
3.13 Représentation des échanges thermiques à la frontière verre/air . . . . . . . . . . 74
4.1 Définition de la direction d’un quantum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
4.2 Envoi de quanta depuis un élément dans un maillage 2D . . . . . . . . . . . . . . 81
4.3 Gamme d’éléments disponibles en 2D dans Abaqus® . . . . . . . . . . . . . . . . 82
4.4 Transformation d’un élément fini du repère de référence au repère réel . . . . . . 83
4.5 Tirage du point d’émission d’un quantum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
4.6 Tirage de la direction d’un quantum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
4.7 Traversée d’un quadrangle par un quantum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
4.8 Échanges radiatifs le long d’un chemin optique entre deux éléments de volume
dVi et dVj . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
4.9 Enceinte à 300K . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
4.10 Variance de la divergence de flux en fonction du nombre de quanta envoyés . . . 94
4.11 Enceinte à la température Tm et frontières noires à température nulle . . . . . . 95
4.12 Flux radiatif adimensionné reçu par la frontière inférieure de l’enceinte . . . . . . 95
4.13 Enceinte carrée absorbante avec face inférieure à la température Tm et les autres
faces à la température 0.5 Tm . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
4.14 Comparaison du code de volumes finis avec les résultats de D. Rousse (Rousse
et al., 2000) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
4.15 Température de l’air mesurée dans le four au niveau du moule . . . . . . . . . . . 98
4.16 Conditions aux limites thermiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
4.17 Représentation de la plaque en deux dimensions et maillage . . . . . . . . . . . . 99
4.18 Température au centre de la plaque et sensibilité à la méthode utilisée et au
nombre de quanta envoyés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
4.19 Profils de température de la plaque de verre à t = 3000 s . . . . . . . . . . . . . . 1005.1 Principe du couplage thermique fort et du couplage thermique faible . . . . . . . 104
5.2 Température du centre de la plaque de verre et écart entre couplage fort et couplage
faible. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
5.3 Géométrie de l’essai sur moule et maillage de la plaque de verre . . . . . . . . . . 107
5.4 Température et déplacement du centre de la plaque de verre au cours de l’essai
sur moule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
5.5 Température le long de l’axe x à t = 2000 s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
5.6 Formes de la plaque de verre à t = 3855 s et t = 12000 s . . . . . . . . . . . . . 111
5.7 Température et déplacement du centre de la plaque en faisant varier la valeur de
Kg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
5.8 Température et déplacement du centre de la plaque en faisant varier la valeur de cp113
5.9 Modification des conditions aux limites radiatives . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
5.10 Température et déplacement du centre de la plaque avec les nouvelles conditions
aux limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
5.11 Géométrie de l’essai en suspension . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
5.12 Température de l’air imposée pour les conditions aux limites . . . . . . . . . . . 116
5.13 Température et déplacement du centre de la plaque de verre au cours de l’essai
en suspension . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
5.14 Ecarts absolus et relatifs du déplacement du centre de la plaque . . . . . . . . . . 118
5.15 Formes de la plaque à t = 8000 s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
A.1 Milieu optiquement épais de coefficient d’extinction βν . . . . . . . . . . . . . . . 135
A.2 Algorigramme du code de Monte-Carlo (méthode réciproque) . . . . . . . . . . . 138
A.3 Glass sagging process . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
A.4 Numerical benchmark . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
A.5 Results of the radiative code . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
A.6 Geometry of the studied case . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
A.7 Mesh . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148
A.8 Radiative conductivity as a function of temperature . . . . . . . . . . . . . . . . 149
A.9 Air temperature during the process . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
A.10 Temperature (a) and displacement (b) of the plate center . . . . . . . . . . . . . 151
A.11 Temperature along the x-axis at t = 2000 s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
A.12 Plate shape at 3855 s (a) and 12000 s (b) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
A.13 Modification of the boundary conditions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
A.14 Temperature (a) and displacement (b) evolution after modification of the boundary
conditions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156Nomenclature
Grandeurs - Lettres romaines
c Vitesse de la lumière [m.s
−1
]
cp Capacité thermique massique à pression constante [J.kg−1
.K−1
]
cv Capacité thermique massique à volume constant [J.kg−1
.K−1
]
E Module d’Young [Pa]
G Module de cisaillement [Pa]
k Indice optique d’absorption [-]
K Module de compression [Pa]
Kg Coefficient d’échange global [W.m−2
.K−1
]
kc Conductivité phonique [W.m−1
.K−1
]
L Luminance [W.m−2
.sr−1
]
L
0 Luminance spectrale du corps noir [W.m−2
.sr−1
]
M Émittance [W.m−2
]
M0 Émittance du corps noir [W.m−2
]
n Indice optique de réfraction [-]
P Puissance [W]
Q Flux thermique [W]
s Abscisse curviligne [m]
S Surface [m2
]
t Temps [s]
T Température [°C ou K]
Tf Température de fusion ou de solidification du verre [°C ou K]
Tg Température de transition vitreuse [°C ou K]
V Volume [m3
]
13Grandeurs - Lettres grecques
αl Coefficient de dilatation thermique au-dessus de Tg [K−1
]
αs Coefficient de dilatation thermique en-dessous de Tg [K−1
]
α Absorptivité [-]
β Coefficient d’extinction [m−1
]
γ˙ Vitesse de cisaillement [s−1
]
ε Émissivité [-]
η Viscosité dynamique [Pa.s]
ηb Module visqueux de compressibilité [Pa.s]
ηs Module visqueux de cisaillement [Pa.s]
θ Angle polaire [rad]
κ Coefficient d’absorption [m−1
]
λ Longueur d’onde [m]
ν Fréquence [s−1
]
νp Coefficient de Poisson [-]
νη Coefficient de Poisson visqueux [-]
ρ Réflectivité [-]
ρv Masse volumique [kg.m−3
]
σ Contrainte [Pa]
σd Coefficient de diffusion [m−1
]
τ Transmittivité [-]
ϕ Angle azimutal [rad]
Φ Fonction de phase [-]
Ω Angle solide [sr]Vecteurs
~f Vecteur des forces volumiques [N.m−3
]
~q Vecteur densité de flux thermique [W.m−2
]
−→qc Vecteur densité de flux thermique conductif [W.m−2
]
−→qr Vecteur densité de flux thermique radiatif [W.m−2
]
~s Vecteur unitaire associé à la direction d’émission [-]
−→Ts Vecteur des efforts surfaciques [Pa]
~u Vecteur déplacement [m]
X~ Vecteur coordonnées [m]
~γ Vecteur accélération [m.s
−2
]
Tenseurs
E Tenseur de Green-Lagrange [-]
F Tenseur gradient de la déformation [-]
ε Tenseur des déformations [-]
σ Tenseur des contraintes [Pa]
Constantes
c0 Vitesse de la lumière dans le vide [2, 998.108 m.s
−1
]
h Constante de Planck [6, 626.10−34 J.s]
kB Constante de Boltzmann [1, 381.10−23 J.K−1
]
σB Constante de Stefan-Boltzmann [5, 67.10−8 W.m−2
.K−4
]
Notations mathématiques
~a Vecteur
a Matrice
t a Matrice transposée
−−−→ grad Opérateur gradient
div Opérateur divergence
∂ Dérivée partielle
d Différentielle totaleIntroduction
Un bref historique du verre
Le verre est un des plus anciens matériaux utilisé par l’Homme. Dès la préhistoire, l’obsidienne,
roche volcanique à base de silice, était taillée pour confectionner des outils et des armes (Scholze,
1980; Zarzycki, 1982). La fusion du verre a été mise en œuvre vers 2500 avant JC : des perles
étaient réalisées par pressage et des baguettes par étirage à des fins de décoration. L’invention
de la canne à souffler au 1er siècle avant J.-C. va révolutionner la fabrication du verre. Elle
permettra notamment de créer des formes beaucoup plus complexes. Une seconde révolution
apparaitra presque 20 siècles plus tard avec la mécanisation et l’industrialisation des procédés de
fabrication. Citons notamment, dans les années 1950, l’invention du procédé float, solidification
du verre sur bain d’étain, qui permet de produire du verre plat à des cadences qui peuvent
atteindre jusque 1000 tonnes/jour (Lehmann, 2010). Aujourd’hui, les procédés de mise en forme
sont très diversifiés. Parmi les plus utilisés, on retrouve le pressage, le soufflage, l’étirage, le
fibrage et le thermoformage. C’est ce dernier qui fait l’objet de ce travail de thèse.
Contexte et problématique
Les artisans éprouvent des difficultés à maîtriser parfaitement la mise en forme du verre par
thermoformage. Conscient des problèmes rencontrés par les verriers, le CERFAV 1
, en association
avec le LEMTA 2
, l’IJL 3
, le CIRTES 4
et les cristalleries de Daum et Baccarat, ont initié le projet
MIPIVERRE5
. Celui-ci a été déposé en 2006 et soutenu financièrement par l’ANR 6
, le FEDER 7
,
la Région Lorraine et le Conseil Général de Meurthe-et-Moselle. L’objectif est de permettre une
meilleure maîtrise du procédé de mise en forme du verre en réduisant les coûts et délais de
fabrication, d’objets de géométries complexes vendus en petites ou moyennes séries. Le projet a
fait l’objet de deux thèses, l’une portant sur le remplissage de moule (Nguyen, 2009) et l’autre
1. Centre Européen de Recherches et de Formation aux Arts Verriers
2. Laboratoire d’Énergétique et de Mécanique Théorique et Appliquée
3. Institut Jean Lamour
4. Centre français de développement rapide de produits en Europe
5. labellisé par le pôle de compétitivité lorrain MIPI : Matériaux Innovants, Produits Intelligents
6. Agence Nationale de la Recherche
7. Fonds Européen de DÉveloppement Régional
17Introduction
sur le thermoformage du verre (Soudre, 2008). La présente thèse s’inscrit dans la continuité de
cette dernière.
À long terme, la problématique à laquelle doit répondre la section du projet sur le thermoformage
du verre est la suivante : connaissant le type de verre, la géométrie du four et la
forme finale souhaitée, quels sont le chargement thermique, le moule (matériau et
géométrie) et la forme initiale à imposer pour obtenir le produit conforme ?
Afin d’apporter des éléments de réponse, L. Soudre a conçu et développé un banc d’essais original
et novateur dédié au thermoformage qui permet la mesure sans contact du champ de température
dans le four et à la surface du verre ainsi que la mesure du champ de déplacements. Le four utilisé
est équipé de 6 résistances, placées sur la voûte, qui rayonnent dans la gamme de l’infrarouge.
Le verre étant un matériau optiquement semi-transparent, le chauffage se fait par absorption de
l’énergie radiative émise depuis les résistances et par convection avec des échanges entre l’air et
la surface du verre.
Le développement d’un modèle numérique complet incluant mécanique et thermique ou tenant
compte des transferts par conduction et rayonnement, n’a pas pu être mené à son terme. C’est
pourquoi le CERFAV a financé une deuxième thèse, labellisée par le pôle de compétitivité lorrain
MATERALIA (fusion de MIPI et P2MI 8
), qui fait l’objet de ce présent rapport et dont l’objectif
principal est la mise en place d’un modèle numérique complet pour simuler la mise
en forme du verre lors du thermoformage.
Le fait de simuler le procédé de thermoformage présente trois intérêts. Le premier consiste
à étudier l’influence des paramètres sur la mise en forme du verre. Ainsi, il est possible de
s’affranchir d’une campagne d’essais qui est plus coûteuse en matière et qui peut aussi s’avérer
plus longue (ce dernier point dépend néanmoins de la puissance de calcul et de la précision
du modèle numérique). Le second intérêt repose sur une étude approfondie de l’influence du
transfert radiatif durant la mise en forme. Dans la majorité des travaux de simulation numérique,
les hypothèses retenues pour prendre en compte le rayonnement sont assez basiques. Or, à
une température qui dépasse nécessairement 600°C, le mode de transfert par rayonnement a
un impact non négligeable. Le troisième intérêt s’inscrit sur le long terme, au-delà du projet
de thèse. Une fois qu’un modèle numérique performant sera développé en 3D, il sera possible
d’inverser le problème : connaissant la géométrie finale de la pièce que l’on souhaite obtenir, les
paramètres qu’il faut imposer pour obtenir le résultat voulu seront déterminés numériquement.
Plan du rapport
Le document s’organise de la façon suivante :
8. Procédés de Mise en œuvre des Matériaux Innovants
18Introduction
• le chapitre 1 donne la définition scientifique d’un verre et se focalise plus particulièrement
sur la composition, l’élaboration et les propriétés physiques du verre à vitre de composition
silico-sodo-calcique ;
• le chapitre 2 introduit le thermoformage. Il y est expliqué en quoi consiste le procédé et
plusieurs exemples d’application sont abordés. La façon dont la modélisation sera mise en
œuvre est précisée à la fin du chapitre ;
• la modélisation du comportement thermomécanique du verre est décrite dans le chapitre 3.
Une attention particulière est accordée au transfert radiatif ;
• le chapitre 4 détaille le fonctionnement et le développement du code de Monte Carlo permettant
de calculer le transfert radiatif ayant lieu au sein du verre. Ce code est ensuite validé sur
plusieurs cas-tests ;
• les simulations numériques couplant le programme éléments finis Abaqus® avec le code basé
sur la méthode de Monte Carlo sont présentées dans le chapitre 5. Le transfert radiatif est
abordé de manière exhaustive.
19Chapitre 1
Le verre
Selon les récits de Pline l’ancien (23 - 79 ap. J.-C.), le verre aurait été élaboré involontairement
par des marchands phéniciens, lorsque ceux-ci préparaient leur repas sur les rives du fleuve Belus.
Ne trouvant pas de pierre pour soutenir leurs marmites, ils utilisèrent des blocs de natron
(carbonate de sodium) issus de leur cargaison. Sous l’effet de la chaleur dégagée par le feu, le
sable aurait fusionné avec le natron pour donner naissance au verre.
Cette histoire est aujourd’hui considérée comme une légende, car la température atteinte par
le feu dans les conditions susmentionnées est vraisemblablement inférieure à la température de
fusion du verre.
Devenu un matériau indispensable dans notre vie quotidienne, le verre est à l’heure actuelle produit
en grande quantité. Par exemple, pour l’année 2011, il représente un volume de 5 millions
de tonnes en France (d’après les chiffres de la fédération de l’industrie du verre).
Dans le sens commun, on entend par verre un matériau constituant le vitrage, les ampoules, les
récipients, qui pourrait être défini de manière empirique comme étant dur, fragile et transparent.
D’un point de vue scientifique, cette définition est, si ce n’est incorrecte, du moins incomplète : le
verre est décrit non pas en termes d’utilisation ou de propriétés physiques mais défini d’un point
de vue thermodynamique et structural, ce que nous proposons d’expliquer ici dans la première
partie de ce chapitre.
Dans la seconde partie du chapitre, sont répertoriées les caractéristiques physiques du verre. La
mise en forme du verre est pilotée par la viscosité qui est elle-même très dépendante de la tempé-
rature. C’est pourquoi une attention particulière a été accordée aux propriétés thermiques. Les
propriétés mécaniques sont aussi abordées dans ce chapitre et cela se traduit par le recensement
des valeurs usuelles de masse volumique, module d’Young, coefficient de Poisson, que l’on peut
retrouver dans la littérature scientifique.
21Chapitre 1 : Le verre
1.1 Définition et microstructure du verre
Lorsque qu’un liquide est refroidi, celui-ci commence à se solidifier après avoir atteint la tempé-
rature de fusion (ou solidification) Tf . Si la vitesse de refroidissement est suffisamment lente, le
liquide devient alors un cristal comme le montre la figure 1.1 (Scholze, 1980).
Température
Volume
Tg Tf
Liquide
surfondu
Liquide
Verre
Cristal
Figure 1.1 – Variation du volume spécifique du matériau en fonction de la température
À l’opposé, un verre est généralement défini comme un solide issu du refroidissement d’un liquide
sans qu’il n’ait subi de cristallisation (Scholze, 1980; Zarzycki, 1982; Phalippou, 2001). Pour obtenir
un verre, il est donc nécessaire de refroidir rapidement le liquide qui se retrouve alors sous
l’état de liquide surfondu (en-dessous de Tf ) dans un équilibre métastable. Cela implique que si
le refroidissement s’arrête ou qu’il n’est pas assez rapide, le liquide surfondu se réorganise d’un
point de vue atomique pour finalement former un cristal. Cependant, cette réorganisation est
d’autant plus lente que l’on se rapproche de la température dite de transition vitreuse Tg car la
viscosité augmente et limite le mouvement des atomes.
Dans le cas où le liquide surfondu continue à être refroidi assez rapidement, la cristallisation ne
s’opère pas. En-dessous de Tg, la viscosité est tellement importante que le matériau peut être
considéré comme figé. On obtient alors l’état vitreux qui caractérise un solide hors équilibre non
cristallisé qui se trouve dans un état configurationnel stable. La valeur de la viscosité à Tg est
généralement comprise entre 1012 et 1014 Pa.s (Mazurin, 2007). Par ailleurs, la température de
transition vitreuse peut dépendre de différents facteurs (par exemple la vitesse de refroidissement)
et il est alors recommandé de parler d’un domaine de transition.
Comme le verre est le produit d’un liquide figé, sa structure atomique est amorphe. Cela signifie
qu’il n’existe pas d’ordre atomique à longue distance. L’adjectif amorphe est à distinguer de
l’adjectif vitreux. En effet, amorphe renvoie à l’ordre atomique, vitreux renvoie à la définition
plus générale du verre et notamment au fait qu’il présente une très forte viscosité en-dessous du
domaine de transition vitreuse. Ainsi, cela permet de distinguer le verre de certains polymères
ou gels présentant des structures amorphes.
La figure 1.2 représente les différentes structures atomiques prises par la silice telles qu’elles
221.1 Définition et microstructure du verre
(a) Cristal de silice
silicium
oxygène
(b) Verre de silice
Figure 1.2 – Structures atomiques de la silice (Zachariasen, 1932)
ont été pensées par (Zachariasen, 1932) et validées par diffraction des rayons X par (Warren,
1937). Dans le cristal de silice, les motifs se répètent et il existe un ordre à longue distance. Ce
n’est pas le cas du verre de silice qui présente une structure amorphe. Comme il s’agit d’une
représentation plane, il faut en fait concevoir que la structure est composée de tétraèdres dont
les sommets sont les atomes d’oxygène et dont le centre est un atome de silicium.
Assez remarquablement, deux études assez récentes viennent encore confirmer l’hypothèse de
Zachariasen (Poggemann et al., 2001; Huang et al., 2012). Dans le cas de ce dernière article,
l’image d’une couche 2D de silice déposée sur un substrat de graphène et prise à l’aide d’un
microscope électronique à balayage par transmission peut s’observer sur la figure 1.3.
Figure 1.3 – Structure d’une couche de silice déposée sur un substrat de graphène (Huang
et al., 2012)
Cette image correspond bien à celle de la silice amorphe.
La théorie de Zachariasen et Warren, précédemment citée, met aussi en évidence le rôle spécifique
des atomes que l’on retrouve dans un verre. Ainsi, les oxydes SiO2, B2O3 ou encore P2O5 sont
appelés formateurs de réseau. Ces espèces, lorsqu’elles sont portées à haute température puis
refroidies, vont former un verre.
Il existe aussi des oxydes dits modificateurs qui peuvent rompre les liaisons du réseau. En effet,
dans la silice pure, un atome d’oxygène dit « pontant » est relié à deux atomes de silice formant
23Chapitre 1 : Le verre
Figure 1.4 – Représentation schématique en deux dimensions du verre silico-sodique (Warren,
1942)
la liaison Si-O-Si. L’inclusion d’oxyde de sodium qui apparait dans le réseau sous la forme d’un
ion Na+ vient rompre cette liaison Si-O-Si. L’oxygène, qui n’est alors plus relié qu’à un seul
atome de silice, est qualifié de « non pontant ». La représentation schématique du réseau est
alors celle de la figure 1.4. Les oxydes Na2O, K2O, CaO, MgO et PbO sont identifiés par Warren
comme des modificateurs de réseau.
1.2 Composition et élaboration du verre
Les caractéristiques et l’usage d’un verre dépendent principalement de sa composition. Ainsi,
les verres utilisés pour le vitrage, la cuisine, les arts, l’isolation (fibres de verre), le confinement
des matières radioactives, ont tous une structure atomique amorphe mais des compositions très
différentes. Dans le cas des verres à usage courant, il est possible de distinguer globalement 4
classes de composants, certaines ayant déjà été mentionnées dans le paragraphe précédent.
◦ Les vitrifiants : ils conduisent, par refroidissement, à la formation d’un verre.
- la silice SiO2, il s’agit du matériau de base du verre à vitre. Le sable de Fontainebleau, souvent
utilisé comme matière première, est composé à plus de 99,5 % de silice ;
- le borax B2O3, il est notamment utilisé pour les verres de cuisine ou de laboratoire et permet
de diminuer le coefficient d’expansion thermique et ainsi d’améliorer la résistance du verre
aux chocs thermiques ;
- l’anhydride phosphorique P2O5 que l’on retrouve dans les verres d’optique.
◦ Les fondants : ils permettent d’abaisser la température de fusion de la silice qui est de l’ordre
de 1750 °C aux alentours de 1500 °C, afin d’économiser de l’énergie et d’augmenter la durabilité
241.2 Composition et élaboration du verre
des réfractaires en contact avec la fonte de verre.
- l’oxyde de sodium Na2O, obtenu par décomposition de carbonates synthétiques ;
- l’oxyde de potassium K2O, provenant de nitrate de potassium KNO3. Il est notamment utilisé
pour les verres de soufflage car il permet une meilleure malléabilité sur une plus grande gamme
de température (appelé un verre long dans le jargon) ;
- l’oxyde de magnésium MgO, extrait d’un minerai appelé dolomite. Au-delà de son rôle de
fondant, il augmente la résistance chimique du verre.
◦ Les stabilisants : ils améliorent la stabilité chimique du verre. Sans eux, le verre serait soluble
au contact de l’eau.
- l’oxyde de calcium CaO (chaux vive) qui est issu du calcaire CaCO3 ;
- l’oxyde de plomb PbO qui entre dans la composition du cristal et qui accroit aussi sa masse
volumique et son éclat. 1
;
- l’alumine Al2O3 extraite du minerai de bauxite.
◦ Les agents secondaires ou additifs : ils donnent des propriétés particulières au verre.
- l’oxyde de fer Fe2O3 pour colorer le verre. Il fait aussi office de stabilisant ;
- les oxydes métalliques Cr2O3, CoO, CuO et les lanthanides CeO2, Nd2O3 utilisés pour la
coloration (Pajean, 2007) ;
- l’oxyde de soufre SO3 pour ajuster l’état d’oxydoréduction.
Type de verre SiO2 B2O3 Al2O3 PbO CaO MgO Na2O K2O
Silico-sodo-calcique 72 2 9 3 14
Borosilicate 80 12,5 2 5,5
Cristal 51 39 1,7 7,6
Tableau 1.1 – Pourcentage massique des principaux constituants de différents types de verre
(Phalippou, 2001)
Le tableau 1.1 fournit des compositions usuelles d’un verre à vitre silico-sodo-calcique, d’un
verre de cuisine borosilicaté et d’un verre de cristal. Il existe des gammes de variation assez
importantes pour chaque type de verre. Ainsi, pour un verre à vitre, les pourcentages massiques
de SiO2, Na2O et des autres éléments peuvent respectivement varier entre 70 et 75 %, entre 11
et 16 % et entre 10 et 15 % (Fourment et Fromentin, 2000). De ces compositions vont dépendre
les caractéristiques du verre. La plus dépendante de toutes est probablement la viscosité. Cependant,
la composition affecte aussi les propriétés mécaniques (masse volumique, module d’Young,
coefficient de dilatation thermique), thermiques (chaleur spécifique, conductivité thermique) et
1. Cependant, le plomb est aujourd’hui peu à peu remplacé par des matériaux de substitution à cause de son
impact sur la santé et l’environnement (Hynes et Jonson, 1997). Le cristal doit être suffisamment stable pour
éviter la migration du plomb dans les liquides en contact du verre. Les normes à respecter, imposées par l’union
européenne, sont entrées en vigueur le 18 Décembre 2006 dans le cadre du règlement REACH.
25Chapitre 1 : Le verre
optiques (coefficient d’absorption, indices optiques) du verre.
Concernant l’élaboration du verre, celle-ci peut se décomposer en 4 phases (Falipou, 1998; Fourment
et Fromentin, 2000) :
- la fusion : les matières premières du verre sont chauffées à une température de l’ordre de
1500 °C. Il est intéressant de noter qu’une quantité importante de verre broyé appelé calcin
est ajoutée au mélange. Dans le cadre d’une politique de développement durable et d’économie
des coûts, cette proportion augmente toujours plus et peut atteindre jusqu’à 90% de la
composition ;
- l’affinage : lors de la fusion, les composés gazeux produits par les diverses réactions chimiques
doivent être éliminés. Cela peut être réalisé par agitation mécanique ou par introduction
d’air, de vapeur d’eau ou encore de dioxyde de soufre qui entraîne la formation de bulles qui
emmènent les composés gazeux vers la surface ;
- l’homogénéisation : il s’agit d’assurer que la composition chimique et physique de la masse
vitreuse est uniforme. Généralement, cette étape a lieu dans le bassin de fusion en même temps
que l’affinage ;
- le conditionnement : le verre doit être porté à température de travail en vue d’être mis en
forme. Les canaux, appelés « feeders » dans l’industrie verrière, assurent la transition entre le
four et les machines de formage et sont équipés d’appareillage de chauffage et refroidissement.
Deux grandes technologies existent pour l’élaboration des produits verriers : le four à pot ou le
four à bassin.
Le four à pot est la plus ancienne des deux. Dans un grand four, les matières premières sont
placées dans des pots ou creusets qui sont ensuite chauffés jusqu’à la température de fusion du
verre. L’affinage et l’homogénéisation sont réalisés par le courant induit à l’intérieur des pots
qui subissent des changements de température au cours du cycle d’élaboration. La durée de vie
des pots est limitée à 5 ou 6 mois d’utilisation. Avant l’industrialisation des procédés, les fours à
pot étaient alimentés en bois. Depuis, les fours sont alimentés au gaz ou au fioul. Compte-tenu
de leurs rendements de production plus faibles que les fours à bassin, l’intérêt des fours à pot
réside dans leur capacité à travailler avec différentes compositions (si besoin, une par creuset).
Le four à bassin est aujourd’hui la technologie la plus utilisée. Dans le cas de la production du
verre à vitre silico-sodo-calcique, le procédé « float » a amené une véritable révolution industrielle.
Développé dans les années 50 par Alastair Pilkington, il consiste à déposer un verre fondu sur un
bain d’étain en fusion. Contrairement aux fours à pots, les fours à bassin permettent de réaliser
les 4 étapes de l’élaboration du verre de manière continue. En termes d’alimentation, l’énergie
peut être apportée par des combustibles fossiles s’il s’agit de fours à flammes ou par effet Joule
pour des fours électriques.
261.3 Caractéristiques du verre
1.3 Caractéristiques du verre
La mise en forme du verre va dépendre du chargement thermique imposé, de la géométrie de
la pièce et de ses propriétés physiques. Dans le cadre du thermoformage, la caractéristique du
verre la plus importante est la viscosité. C’est elle qui contrôle la vitesse de déformation en
fonction de la contrainte appliquée et elle est très dépendante de la température. C’est pourquoi
les propriétés thermiques et optiques ont aussi leur importance. Elles ont une influence sur la
répartition des flux thermiques au sein du verre et donc sur le champ de température de la
pièce. Quant à la masse volumique du verre, au module d’Young, au coefficient de Poisson ou
au coefficient d’expansion thermique, ils ont une influence non négligeable sur la déformation
du verre.
Ainsi, la présente section propose de répertorier les valeurs des propriétés du verre issues de la
littérature scientifique.
1.3.1 Propriétés thermiques
On distingue ici les propriétés thermiques du verre de ses propriétés optiques. Les propriétés
optiques influent sur le transfert radiatif mais n’apparaissent pas explicitement dans l’équation
de la chaleur, au contraire de la capacité thermique massique à pression constante cp et de la
conductivité thermique kc.
Il y a plus de 60 ans, Kittel (1949), se basant sur l’hypothèse du réseau désordonné de Zachariasen
(Zachariasen, 1932), proposait de relier la conductivité phonique du verre à sa capacité thermique
massique (à volume constant) cv, la vitesse de propagation d’un phonon v et le libre parcours
moyen des phonons lm de la façon suivante :
kc =
1
4
cv v lm (1.1)
Le facteur 1/4 est choisi arbitrairement et a depuis été remplacé par un facteur 1/3 (Mann et al.,
1992). Kittel fait ensuite l’hypothèse que la vitesse des phonons au sein du verre varie peu, de
même que le libre parcours moyen à une température égale ou supérieure à l’ambiante.
Pour un solide, la différence entre cv est cp peut être considérée comme négligeable et il est donc
possible de partir du principe que cp ≃ cv. L’équation 1.1 permet alors d’expliquer pourquoi cp
et kc ont globalement le même comportement pour le verre de silice, comme l’illustre la figure
1.5. On pourra remarquer que si les valeurs proposées ici ont été mesurées avec plus de précision
depuis, elles restent réalistes (André et Degiovanni, 1995). Néanmoins, bien que l’équation 1.1
présente un intérêt évident, il s’agit d’un modèle. Il est donc préférable de pas déduire cp à partir
de kc et inversement mais de mesurer séparément l’un et l’autre.
27Chapitre 1 : Le verre
−250 −200 −150 −100 −50 0 50 100
0
0.5
1
1.5
2
Température (°C)
k
c (W.m−1.K−1
)
−250 −200 −150 −100 −50 0 50 100
0
250
500
750
1000
c
p (J.kg−1.K−1
)
k
c
c
p
Figure 1.5 – Conductivité phonique kc et capacité thermique massique cp de la silice (Kittel,
1949)
Conductivité thermique
Lors de la résolution numérique de l’équation de la chaleur, il est nécessaire de connaître la
puissance qu’une cellule échange par conduction div(−→qc ) et par rayonnement div(−→qr ). Dans le
cas d’un matériau isotrope, le vecteur densité de flux conductif s’écrit, d’après la loi de Fourier :
−→qc = −kc
−−→grad(T) (1.2)
kc correspond à la conductivité thermique phonique et elle caractérise le transfert d’énergie ayant
lieu dans le verre en s’affranchissant de la part d’échange thermique dû au transfert radiatif.
En pratique, déterminer la part de transfert due à la conduction et la part due au rayonnement
s’avère complexe. Cela est d’autant plus vrai que la température est élevée et que le transfert
radiatif est important.
Comme le souligne (Degiovanni, 1994), les méthodes à régime transitoire sont généralement pré-
férées aux méthodes à régime permanent. Elle consistent à générer une perturbation thermique
à l’intérieur d’un matériau initialement à l’équilibre et à mesurer ensuite l’évolution de la température
ou des flux thermiques au cours du temps pour en déduire ses caractéristiques.
Parmi les méthodes transitoires, il en existe deux grandes classes : les méthodes par contact et
les méthodes photothermiques. Dans le premier cas, la perturbation thermique est amenée par
contact direct entre le dispositif de chauffage et le matériau étudié. Cependant, ce contact n’est
pas parfait et il est, de ce fait, la principale source d’erreur pour des méthodes régulièrement
utilisées comme le fil chaud ou la plaque chaude. Dans le second cas, la perturbation thermique
provient d’une source de rayonnement comme, par exemple, pour la méthode flash. Les sources
d’erreur peuvent provenir des incertitudes sur la mesure du flux incident et des propriétés ra-
281.3 Caractéristiques du verre
diatives et optiques du matériau. Nous ne décrirons pas ici en détail le fonctionnement de ces
méthodes car ce n’est pas l’objet de ce travail et certains documents en font déjà la synthèse
(Degiovanni, 1994; Krapez, 2007).
On pourra néanmoins préciser que la détermination de kc est généralement réalisée de la façon
suivante : dans un premier temps, le milieu est thermiquement perturbé et la température en
un point précis de l’échantillon est mesurée en fonction du temps. Ensuite, en confrontant les
données obtenues à des modèles théoriques représentant la façon dont s’établit le transfert thermique
à l’intérieur du verre, il est possible de déterminer la valeur de kc. Comme ces modèles
tiennent compte du couplage entre conduction et rayonnement, ils reposent souvent sur des
équations très complexes.
La figure 1.6 présente les valeurs de conductivité phonique obtenues par différents auteurs. (André,
1992) a utilisé une méthode flash, (Kiyohashi et al., 2002) ont mis en œuvre une méthode
à fil chaud et (Mann et al., 1992) ont développé un dispositif original. Les valeurs fournies par
0 200 400 600 800 1000 1200
0.5
1
1.5
2
2.5
3
3.5
Température (°C)
k
c (W.m−1.K−1
)
Mann 1992
Andre 1992
Kiyohashi 2002
Figure 1.6 – Conductivité phonique du verre sodo-silico-calcique
Andre sont régulièrement citées dans la littérature, par exemple (Carré, 1996; Bernard et al.,
2005; Devos et al., 2006) et les résultats obtenus par Mann et al. sont très proches. Par ailleurs,
ces derniers remarquent que la conductivité phonique est généralement considérée comme ayant
une dépendance linéaire en fonction de la température dans la plupart des travaux sur le sujet.
En ce qui concerne les valeurs obtenues par Kiyohashi et al., celles-ci sont légèrement décalées.
La façon dont Kiyohashi et al. s’affranchissent du rayonnement n’est pas explicitée de manière
claire dans l’article en question et il est donc possible que le modèle utilisé soit, par certains
aspects, moins précis que les modèles de Andre et Mann et al., ce qui expliquerait les écarts.
29Chapitre 1 : Le verre
Capacité thermique massique
Dans une étude sur la valeur de la capacité thermique massique en fonction de la composition
du verre, (Sharp et Ginther, 1951) font la synthèse des valeurs disponibles à l’époque. Dans
un premier temps, ils reportent l’approche de (Winkelmann, 1893) qui consiste à calculer cp en
l’écrivant comme la somme d’un facteur attribué à une espèce présente dans le verre multiplié
par le pourcentage massique de l’espèce. Ils en concluent que la démarche de Winkelmann donne
des résultats satisfaisants mais qu’elle est limitée à son application sur un faible intervalle de
température (en l’occurrence de 16 °C à 100 °C). Ils proposent alors d’utiliser une relation de la
forme :
cp =
0, 00146 aT2 + 2 aT + b
(0, 00146T + 1)2
(1.3)
Les coefficients a et b sont calculés en fonction du pourcentage de chaque espèce présente dans
le verre.
Les valeurs de capacité thermique massique obtenues pour un verre float de composition usuelle,
comme celle donnée dans le tableau 1.1, sont tracées sur la figure 1.7.
0 500 1000 1500
600
800
1000
1200
1400
1600
Température (°C)
c
p (J.kg−1.K−1
)
Sharp et Ginther (1951)
Primenko et Gudovich (1981)
Carré (1996)
Buonanno (2005)
Zhou (2007)
Figure 1.7 – Capacité thermique massique du verre sodo-silico-calcique
(Mann et al., 1992) comparent les valeurs de Sharp et Ginther avec les mesures de (Primenko et
Gudovich, 1981). Ils remarquent que la formule donnée par Sharp et al. ne peut rendre compte
de la soudaine augmentation de la capacité thermique massique autour de la transition vitreuse
mais aussi du fait que cp se stabilise à une valeur fixe au-dessus de la transition vitreuse. En
revanche, (Carré, 1996) et (Buonanno et al., 2005), dans des travaux plus récents, en tiennent
compte, à l’inverse de (Zhou et al., 2007) qui retient une valeur quasi-constante. Aux vues de
tous ces éléments, il apparait donc que les valeurs de Primenko et Gudovich sont probablement
les plus représentatives de cp et que les approximations retenues par Carré et Buananno et al.
leur sont relativement fidèles.
301.3 Caractéristiques du verre
1.3.2 Propriétés optiques
Un milieu semi-transparent comme le verre peut être caractérisé par son indice complexe de
réfraction n
∗ = n − ik. n est l’indice de réfraction du verre et k l’indice d’absorption. n contrôle
les échanges au dioptre (interface verre/air) puisqu’il a un impact sur la part de rayonnement
incident transmis à l’interface et sur l’angle d’incidence. Il joue aussi sur l’émission propre du
milieu car la luminance est pondérée par un facteur n
2
(voir chapitre 3, partie rayonnement). Le
coefficient d’absorption κ peut être calculé à partir de l’indice d’absorption k grâce à la relation :
κ =
4πνk
c0
(1.4)
Avec ν la fréquence de l’onde électromagnétique et c0 la vitesse de la lumière dans le vide. Le
coefficient d’absorption κ est très important puisque la puissance radiative émise ou absorbée
par un matériau lui est proportionnelle.
Indice de réfraction
0 1 2 3 4 5
1.35
1.4
1.45
1.5
1.55
1.6
Longueur d’onde λ (µm)
Indice de réfraction n
λ
Verre clair (Rubin 1985)
Borosilicate BK7 (Lee 1997)
Sodocalcique (Loulou 1999)
Verre clair (Nicolau 2001)
Verre float (Synowicki 2011)
Figure 1.8 – Indice de réfraction nλ en fonction de la longueur d’onde λ (µm)
La figure 1.8 présente les valeurs d’indice de réfraction spectral nλ entre 0 µm et 5 µm. Les
auteurs des différentes études n’indiquent pas tous de quel type de verre il s’agit. (Loulou et al.,
1999) précise qu’il s’agit d’un verre sodocalcique et (Rubin, 1985) d’un verre clair. Cependant,
beaucoup d’éléments de ces articles, qui indiquent généralement que le verre étudié correspond
à un verre industriel à usage commun, laissent supposer qu’il s’agit de verre float, à l’exception
de (Lee et Viskanta, 1997) dont le borosilicate BK7 a une composition sensiblement différente
31Chapitre 1 : Le verre
avec notamment une proportion de bore plus importante.
Plusieurs méthodes ont été mises en œuvre pour obtenir ces résultats. (Rubin, 1985) a utilisé
un spectromètre à transformée de Fourier pour mesurer la réflectance et la transmittance du
verre. Les indices spectraux ont ensuite été obtenus en appliquant les relations de KramersKrönig.
(Synowicki et al., 2011) ont eu recours à un ellipsomètre spectrométrique et (Nicolau et
Maluf, 2001) ont développé un montage expérimental qui intègre un monochromateur. (Loulou
et al., 1999) ne précisent pas comment les données ont été obtenues et (Lee et Viskanta, 1997)
fournissent les données du fabricant (Schott®).
Les indices obtenus en fonction de la longueur d’onde ont globalement la même allure. Endessous
de 0,5 µm, l’indice de réfraction prend des valeurs situées autour de 1,55. Ensuite, de
1 µm à 4 µm, l’indice diminue de façon quasi-linéaire d’une valeur légèrement supérieure à 1,5
pour atteindre 1,45. De 4 µm à 5 µm, l’indice diminue de 1,45 à 1,4. Globalement, les valeurs
obtenues en croisant les différentes sources sont relativement similaires.
Cependant, Synowicki et al. montrent que le procédé de fabrication float peut avoir un impact
sur la valeur de l’indice de réfraction. En effet, les valeurs d’indice de réfraction présentées en
figure 1.9 ne sont pas les mêmes dans l’épaisseur du verre et les couches inférieure (face étain)
et supérieure (face air) de la plaque. En ce qui concerne la face étain, l’indice de réfraction est
0 0.5 1 1.5 2 2.5
1.2
1.3
1.4
1.5
1.6
Longueur d’onde λ (µm)
Indice de réfraction n
λ
Face étain
Dans l’épaisseur
Face air
Figure 1.9 – Indice de réfraction du verre float (Synowicki et al., 2011)
légèrement supérieur à celui dans l’épaisseur. Cela s’explique notamment par la diffusion d’étain
dans le verre. Pour la face air, les valeurs des indices de réfraction ont été obtenues à partir des
mesures de transmittance et réflectance en faisant l’hypothèse que la couche en contact avec
l’air est constituée de 50% de vide. Cela explique pourquoi l’indice de réfraction en face air est
321.3 Caractéristiques du verre
très inférieur à l’indice dans l’épaisseur. De ce fait, il faut garder à l’esprit que les résultats sont
dépendants du modèle choisi pour le calcul de l’indice de réfraction.
Pour résumer, Synowicki et al. mettent donc en évidence le fait qu’il existe un gradient d’indice
de réfraction dans l’épaisseur d’un verre float et qu’il devrait être pris en compte dans un cas
idéal.
Coefficient d’absorption
Le coefficient d’absorption spectral est tracé sur la figure 1.10 en fonction de la longueur d’onde.
0 1 2 3 4 5
100
101
102
103
104
Longueur d’onde λ (µm)
Coefficient d’absorption
κ
λ (m−1
)
Verre à vitre (Gardon 1961)
Verre clair (Rubin 1985)
Verre clair (Nicolau 2001)
Verre float (Synowicki 2011)
Figure 1.10 – Coefficient d’absorption κλ en fonction de la longueur d’onde λ (µm)
κλ peut prendre des valeurs qui varient de plusieurs ordres de grandeur sur la plage [0 µm ; 5 µm].
Les compositions des verres ne sont pas données mais celles-ci doivent être proches puisqu’il
s’agit, dans chaque cas, d’un verre silico-sodo-calcique classique. Les mesures du coefficient
d’absorption spectral montrent une assez bonne similitude entre les différentes sources. Ce qui
est plutôt remarquable compte-tenu du fait que les caractéristiques du verre à vitre présentées
par (Gardon, 1961) ne correspondent pas, a priori, à un verre float, car une partie des données
date de 1952, soit avant que le procédé d’élaboration du verre sur bain d’étain ne soit développé
à l’échelle industrielle.
La température peut avoir une influence non négligeable sur les valeurs du coefficient d’absorption
spectral comme le montre la figure 1.11.
Le fait de passer d’une température de 500 oC à 1100 oC peut doubler voire tripler le coefficient
d’absorption spectral. Notons toutefois que ces courbes sont obtenues pour un verre d’écran de
télévision (les éléments principaux sont : 62,7% SiO2 ; 8,4% BaO ; 7,6% SrO ; 7,4% Na2O ; 7,1%
33Chapitre 1 : Le verre
0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5 4 4.5 5
100
101
102
103
104
Longueur d’onde λ (µm)
Coefficient d’absorption
κ
λ (m−1
)
500°C
800°C
1100°C
Figure 1.11 – Variations du coefficient d’absorption κλ en fonction de la température (Viskanta
et Lim, 2002)
K2O (Dondi et al., 2009)).
Le même phénomène de variation de κλ est observable pour du verre silico-sodo-calcique. Il est
par exemple mis en évidence par (Gardon, 1961; Krupa et al., 2001; Faber, 2002).
Par ailleurs, Krupa et al. ont étudié l’influence de la proportion de Fe2O3 et FeO dans un verre
float classique (75% SiO2 ; 15,6% Na2O ; 8,8% CaO ; 0,8% SO3 ; 0,2% MgO). Le fait d’augmenter
la proportion d’oxyde Fe2O3 de 0,05% à 0,53% peut élever la valeur du coefficient d’absorption
spectral de 2 à 10 fois sa valeur initiale.
Bilan pour le verre silico-sodo-calcique
Pour résumer les données présentées sur les propriétés thermiques du verre utilisé pour le thermoformage
:
• l’indice de réfraction dépend peu de la composition du verre et les différentes sources bibliographiques
s’accordent sur une valeur de n d’environ 1,5 à 1 µm et 1,4 à 5 µm avec une variation
quasi-linéaire sur la plage [1 µm ; 5 µm]. Par ailleurs, bien que les variations de κ en fonction
de la température soient étudiées, nous n’avons répertorié aucun résultat sur la variation de
l’indice de réfraction en fonction de la température dans les documents cités précédemment.
Néanmoins, il est généralement admis que l’indice de réfraction varie faiblement en fonction
de la température (Mann et al., 1992) ;
• l’allure globale du coefficient d’absorption en fonction de la longueur d’onde est similaire
pour tous les verres silico-sodo-calciques. Cependant, un changement de température du verre
341.3 Caractéristiques du verre
ou une variation de la proportion d’oxydes de fer (Fe2O3, FeO) dans la composition peut
modifier de presque un ordre de grandeur, dans les cas les plus critiques, la valeur du coefficient
d’absorption.
Il apparait donc que les valeurs d’indice de réfraction varient peu en fonction des différents
paramètres. De ce fait, même dans le cadre d’un travail spécifique, des mesures de nλ ne sont
pas forcément indispensables. En revanche, une mesure du coefficient d’absorption en fonction
de la longueur d’onde, sans être obligatoire, peut s’avérer très utile car κλ varie fortement en
fonction de la composition du verre et de la température.
1.3.3 Masse volumique et coefficient de dilatation thermique
Les valeurs de masse volumique et de coefficients de dilatation thermique du verre sont regroupées
dans le tableau 1.2.
Référence Masse volumique (kg.m−3
) αs (K−1
) αl (K−1
)
(Duffrène, 1994) 2508,4 9.10−6 3, 2.10−5
(Zhou et al., 2007) 2583[1 − 9, 05.10−5
(T − 1300)] 9.10−6 3, 02.10−5
(Soudre, 2008) 2527,5 9, 56.10−6 2, 72.10−5
(Su et al., 2011) 2483 8.36.10−6 /
Tableau 1.2 – Masse volumique et coefficients de dilatation thermique du verre
Les coefficients αs et αl correspondent respectivement aux coefficients de dilatation linéaire à
l’état solide (en-dessous de Tg) et liquide (au-dessus de Tg). Les valeurs obtenues, aussi bien
pour la masse volumique que pour les coefficients de dilatation, sont assez similaires. Ainsi,
il est généralement accepté que le verre silico-sodo-calcique a une masse volumique proche de
2500 kg.m−3 à température ambiante. Cette valeur est légèrement variable en fonction de la
composition du verre. Concernant les coefficients de dilatation thermique, en-dessous de Tg, αs
prend une valeur autour de 9.10−6
(K−1
) et au-dessus de Tg, αl vaut environ 3.10−5
(K−1
).
Dans le cas de (Soudre, 2008), les mesures de masse volumique ont été effectuées en utilisant
un ultrapycnomètre 1000 de Quantachrome instruments dont le fonctionnement se base sur le
principe d’Archimède. Les coefficients de dilatation thermiques ont, quant à eux, été déterminés
par un dilatomètre qui consiste à mesurer le changement de volume d’un échantillon en fonction
de sa température.
Pour les valeurs de coefficients de dilatation, (Duffrène, 1994) reprend les données du National
Bureau of Standards (NBS) devenu depuis le National Institute of Standards and Technology
(NIST). Quant aux autres sources, l’appareillage utilisé pour mesurer la masse volumique ou le
coefficient de dilatation thermique n’est pas précisé.
35Chapitre 1 : Le verre
1.3.4 Module d’Young et coefficient de Poisson
Le module d’Young d’un matériau caractérise le rapport entre la contrainte appliquée et la
déformation instantanée du matériau. Le coefficient de Poisson correspond au rapport de la
déformation dans la direction perpendiculaire à l’effort par rapport à la déformation subie dans
la direction de l’effort.
En-dessous de la température de transition vitreuse, ces paramètres varient peu. En revanche,
à plus haute température, le verre devenant moins visqueux, la déformation élastique augmente
pour une même contrainte imposée, ce qui implique que le module d’Young diminue. Cependant,
comme l’expliquent (Duffrène et al., 1998), il peut s’avérer difficile de mesurer les variations de
E à haute température par des méthodes dites statiques. On leur préfère alors les méthodes dynamiques
à hautes fréquences utilisant les ultrasons ou la diffusion Brillouin. C’est cette dernière
que Duffrène et al. mettent en oeuvre pour obtenir les valeurs de E. Celles-ci sont représentées,
après régression linéaire, sur la figure 1.12.
0 500 1000
0
20
40
60
80
100
Température (°C)
E (GPa)
Duffrène (1994)
Bernard (2005)
Zhou (2007)
Su (2011)
0 500 1000
0.18
0.2
0.22
0.24
0.26
0.28
0.3
Température (°C)
ν (−)
Duffrène (1994)
Bernard (2005)
Zhou (2007)
Su (2011)
Figure 1.12 – Module d’Young et coefficient de Poisson d’un verre sodo-silico-calcique
Les valeurs données par (Bernard et al., 2005) ont la même allure que celles de Duffrène et al.
même si la méthode de mesure n’est pas précisée. (Zhou et al., 2007) et (Su et al., 2011) retiennent
des valeurs de module d’Young qui correspondent à celles de la température ambiante.
Concernant le coefficient de Poisson, Duffrène et al. montrent que celui-ci augmente très légè-
rement avec la température en-dessous de la transition vitreuse. Au-dessus, cette évolution est
un peu plus rapide mais reste limitée. Ainsi, Bernard et al. prennent une valeur constante de
0,22, comme Su et al. De ce fait, la valeur de 0,19 retenue par Zhou et al. parait légèrement
sous-évaluée.
361.3 Caractéristiques du verre
1.3.5 Viscosité
La viscosité dynamique η est probablement la propriété la plus importante d’un verre pour le
thermoformage. D’un point de vue opérationnel, elle traduit sa capacité de mise en forme. Plus
la température est élevée, plus la viscosité est basse et plus le verre est malléable.
Ce phénomène peut s’expliquer d’un point de vue structurel. À température ambiante, l’énergie
nécessaire pour rompre les liaisons Si-O dans le verre n’est pas assez importante pour qu’il y
ait un réarrangement de la matière et on ne constate donc aucune déformation, même sur de
grandes échelles de temps. En revanche, plus la température augmente, plus le nombre de liaisons
rompues dans le verre est important, les possibilités de déplacement ne sont donc plus limitées
et l’on observe une déformation du verre d’un point de vue macroscopique.
Analytiquement, η traduit le rapport entre la contrainte appliquée σ et la vitesse de cisaillement
γ˙ :
η =
σ
γ˙
(1.5)
La figure 1.13 représente la viscosité en fonction de la température. Du fait de sa grande variabilité,
elle est tracée en échelle logarithmique.
0 500 1000 1500 2000
0
5
10
15
20
Temperature ( oC)
log10 (
η)
tension
transition vitreuse
recuisson
Littleton
travail
fusion
Thermoformage
Soufflage
Moulage
Etirage
Figure 1.13 – Viscosité d’un verre silico-sodo-calcique en fonction de la température
Au point de tension (η = 1013,5 Pa.s), un maintien en température de 4 heures élimine les
contraintes mécaniques résiduelles du verre. Si celles-ci sont trop importantes, le verre peut
rompre en conditions d’utilisation. Dans le même ordre d’idées, un maintien de 15 minutes à la
température du point de recuisson (η = 1012 Pa.s) permet d’obtenir des valeurs de contraintes
résiduelles commercialement acceptables. Comme il a déjà été précisé dans la section « défini-
37Chapitre 1 : Le verre
tion » du verre, la transition vitreuse correspond à l’intervalle de viscosité compris entre 1012 et
1014 Pa.s avec Tg généralement comprise entre 500 °C et 600 °C. Au-delà de 600 °C, la viscosité
devient suffisamment basse pour permettre les opérations de thermoformage. Le point fixe de
Littleton, ou point de ramollissement, indique une viscosité η = 106,6 Pa.s, valeur à laquelle les
opérations de soufflage peuvent être réalisées. Pour des températures de l’ordre de 1000 °C et
au-delà, la viscosité chute autour de 103 Pa.s et le verre devient suffisamment malléable pour
être mis en forme par moulage ou étirage. À la température de fusion, la viscosité du verre n’est
plus que de 10 Pa.s.
Un verre est dit « court » lorsque sa viscosité varie rapidement en fonction de la température.
À l’inverse, si sa viscosité varie lentement sur un grand intervalle de température, il s’agit d’un
verre long. Ce dernier type de verre est mieux adapté aux opérations de soufflage des artisans
verriers car cela leur laisse plus de temps pour le travailler.
En général, les valeurs de viscosité en fonction de la température sont traduites sous la forme
de lois. Elles dépendent de différents paramètres qui sont déterminés soit théoriquement, soit
de manière empirique. Cet aspect sera abordé plus en détails dans le chapitre 3 dédié à la
modélisation du comportement thermomécanique du verre.
1.4 Conclusion
Le verre peut être défini comme un solide obtenu par le refroidissement rapide d’un liquide
surfondu n’ayant pas cristallisé. Lorsque la température d’un verre est inférieure à sa température
de transition vitreuse Tg, son état structural est figé. En effet, la viscosité à Tg est généralement
comprise entre 1012 et 1014, ce qui empêche la relaxation du verre à une échelle macroscopique.
Le verre présente une structure amorphe, c’est-à-dire que les atomes ne présentent pas de motif
répétitif sur de grandes distances, à l’inverse d’une structure cristallisée. Cette hypothèse dite
du réseau désordonné a été proposée en 1932 par Zachariasen puis confirmée quelques années
plus tard par Warren, par diffraction des rayons X. Bien que perfectionné depuis, ce modèle est
devenu un classique de la littérature scientifique sur le verre.
Le verre de composition silico-sodo-calcique classique, qui constitue le vitrage des bâtiments et
d’un grand nombre de véhicules, est composé majoritairement de silice SiO2 assurant un rôle de
formateur de réseau, d’oxydes de sodium Na2O et de potassium MgO qui vont abaisser le point
de fusion, d’alumine Al2O3 et d’oxyde de calcium CaO qui vont renforcer la stabilité chimique
du verre. Dans un premier temps, ces matières premières sont chauffées à une température de
l’ordre de 1500 °C avant d’être mélangées puis débarrassées de leurs composés gazeux, pour
être finalement transportées par des feeders jusqu’aux machines de formage pour l’obtention du
produit final.
Des caractéristiques physiques du verre va dépendre sa mise en forme. La viscosité apparait
comme le paramètre-clé car elle varie très fortement en fonction de la température et traduit le
381.4 Conclusion
degré de formabilité du verre.
Concernant les autres propriétés, certaines sont très dépendantes de la composition du verre
et d’autres moins. Pour les propriétés mécaniques, à l’exception de la viscosité, la composition
du verre importe peu sur les valeurs des différentes grandeurs. En revanche, elle peut avoir un
impact non négligeable sur les propriétés thermiques et elle affecte très fortement les propriétés
optiques du verre.
Tout ceci nous amène à l’idée que dans un cas idéal, une campagne d’essais doit être menée afin
de caractériser précisément les propriétés physiques du verre étudié, tout en tenant compte de
la dépendance à la température.
Notons que dans le cadre de ce travail, entièrement consacré à la modélisation numérique, aucune
mesure expérimentale n’a été réalisée. Les propriétés du verre implémentées pour valider le
modèle numérique proviennent des articles de (Su et al., 2011), (Rubin, 1985) et (Parsa et al.,
2005).
Les aspects théoriques concernant le verre ayant été détaillés, le chapitre suivant se focalise plus
particulièrement sur le procédé de thermoformage.
39Chapitre 2
Le thermoformage
Il existe un grand nombre de procédés de mise en forme du verre. Comparativement aux techniques
de moulage ou de pressage, l’opération de thermoformage est relativement longue et peut
s’avérer plus coûteuse en pratique. Néanmoins, dans l’industrie, le procédé est particulièrement
intéressant lorsqu’il s’agit d’obtenir des pièces dont l’état de surface est excellent. En effet, le
verre, mis en forme soit en suspension, soit sur un moule, présente au moins une face qui ne
rentre en contact avec aucun dispositif de formage. Dans le cadre de l’artisanat et de plus petites
productions, le procédé a l’avantage de pouvoir être mis en œuvre avec des moyens matériels
relativement limités : un four et un support pour la mise en forme.
La première section de ce chapitre définit ce qu’est le thermoformage et les différentes options
de mise en forme. Une courbe type d’un cycle thermique permet d’illustrer chaque phase de
l’opération. Dans un second temps, sont présentés des exemples d’application du procédé pour
la production de pièces industrielles ou de haute technologie. En l’occurrence, il s’agit de parebrises
ou de moules et miroirs utilisés dans le domaine de l’optique. Le contexte de l’étude est
ensuite détaillé, en faisant le point notamment sur les paramètres influant sur le résultat d’un
essai de thermoformage et sur les travaux déjà réalisés par L. Soudre au cours de la précédente
thèse. En guise de conclusion, sont décrits les objectifs de la modélisation numérique et les
moyens dont nous disposons pour la développer.
2.1 Description du procédé
Le mot thermoformage renvoie à un procédé en particulier, et pas uniquement, d’un point de
vue étymologique, à la mise en forme à chaud, sans quoi tous les procédés de mise en forme
du verre pourraient être assimilés à du thermoformage. Concrètement, selon (Beveridge et al.,
2005), le thermoformage du verre est un « procédé qui consiste à mettre en forme le verre, en
général plat, en le faisant ramollir dans un four sur un support d’une forme déterminée, mais
sans qu’il dépasse un certain degré de fluidité ». Il convient de préciser que d’un point de vue
mécanique, la variable usitée n’est généralement pas la fluidité mais la viscosité.
41Chapitre 2 : Le thermoformage
Très souvent utilisé pour la conception de pièces en polymères (Jammet, 1998; Illig, 1999), le
thermoformage peut être employé dans l’industrie verrière pour la mise en forme :
• des pare-brises (Guardian®, Saint-Gobain®)(Groombridge et al., 2003) ;
• des lentilles (Schott®, Corning®)(Stokes, 2000) et autres appareillages d’optique comme les
télescopes (Zhang et al., 2003) ;
• des pièces de décoration, de mobilier ou d’art de la table (Arc International®, FIAM®, Daum®,
Baccarat®) (Beveridge et al., 2005; Soudre, 2008).
Dans le cas des pare-brises, le thermoformage est aussi appelé bombage. Par ailleurs, la traduction
anglaise courante du thermoformage est slumping ou encore sagging.
(a) Thermoformage par
suspension
(b) Thermoformage par
prise d’empreinte
(c) Thermoformage sur
moule convexe
(d) Thermoformage sur
moule concave
Figure 2.1 – Les différentes techniques de thermoformage
Il est possible de distinguer plusieurs types de thermoformage : par suspension, par prise d’empreinte,
sur moule convexe ou sur moule concave, avec utilisation ou non d’un pressage mécanique.
Ces différentes possibilités sont illustrées sur la figure 2.1. Le thermoformage par suspension
est par exemple utilisé pour la mise en forme des pare-brises. Les bords de la plaque de verre
sont posés sur des renforts métalliques, l’ensemble de ce cadre pouvant être dénommé squelette
(Haussone et al., 2005). Le thermoformage par prise d’empreinte ou sur moule convexe est plus
souvent réservé aux artisans verriers pour la réalisation de pièces d’art et de décoration.
temps
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 (min)
Zone de d´evitrification
Recuisson
Temp´erature de travail
T(oC)
470
540
630
680
730
860
Figure 2.2 – Exemple d’une courbe de température d’un cycle de thermoformage
La figure 2.2 montre un exemple type de courbe de thermoformage. La température de consigne
du four est tracée en fonction du temps et l’ensemble représente le cycle de mise en forme d’une
plaque de 6 mm d’épaisseur.
422.2 Exemples d’application
Lors de la montée en température, les paliers 2 et 4 servent à homogénéiser la température de la
pièce pour éviter les chocs thermiques. Le palier 6 correspond à la température de travail. Dans
cette gamme de 630°C à 860°C, la viscosité du verre atteint une valeur suffisamment faible pour
qu’il soit mis en forme sous l’effet de son propre poids. Dans le cas présenté ici, la température de
travail est de l’ordre de 680°C. Il est à noter que si celle-ci avait été supérieure à 730°C, les phases
de montée et descente 5 et 7 auraient dues être les plus rapides possibles afin de raccourcir au
maximum le passage dans la zone de dévitrification du verre, comprise entre 680°C et 730°C. Si
cette condition n’est pas respectée, il existe un risque que la structure atomique du verre soit
modifiée et que celui-ci cristallise. La phase 8 consiste en un maintien à la température dite de
recuisson qui sert à éviter les contraintes mécaniques résiduelles. Cette phase peut être suivie de
deux paliers 10 et 12, respectivement 40°C et 90°C en-dessous de la température de recuisson,
toujours dans un souci d’éviter les chocs thermiques et d’évacuer les contraintes résiduelles. La
durée et la température des paliers, ainsi que les phases de montée et descente en température,
1, 3, 9, 11 et 13 sont choisies en fonction du type de verre, de sa géométrie et du résultat final
souhaité.
2.2 Exemples d’application
On s’intéresse ici à la mise en œuvre du thermoformage pour des pare-brises ou des pièces
d’optique. Les pare-brises sont produits en très grandes quantités d’où l’intérêt d’étudier et
d’optimiser le procédé : il est important de réduire les coûts de production ou d’apprendre à
concevoir des formes de plus en plus complexes. Pour les pièces d’optique, il s’agit de produire
des miroirs qui permettent de focaliser la lumière dans des installations de hautes technologies
comme des télescopes ou des dispositifs photovoltaïques. Certains spécialistes cherchent aussi à
concevoir des moules pour lentilles polymères, cependant la forme obtenue n’est, pour l’instant,
pas optimale.
Sachant que le thermoformage est le procédé le plus utilisé pour la production de pare-brises, le
fait de ne retrouver dans la littérature scientifique qu’un faible nombre d’études traitant de sa
mise en forme est assez regrettable. Cela s’explique par une volonté de la part des industriels de
protéger leur savoir-faire.
Généralement, l’optimisation du thermoformage va s’appuyer sur l’expérience ou la simulation
numérique. La première repose sur une méthode d’essais-erreurs. La recherche des paramètres
optimaux est menée en répétant les essais et en ajustant les conditions opératoires, ce qui peut
représenter un coût matière et une perte de temps élevés. C’est pour cette raison que la simulation
numérique est de plus en plus privilégiée : elle permet d’économiser le coût matière. De plus, à
long terme, il est possible de mener une analyse inverse. Idéalement, elle consiste à déterminer
numériquement et du premier coup les paramètres à imposer pour obtenir le produit final désiré.
Pour pouvoir mettre en place une analyse inverse, il est indispensable de disposer d’un modèle
43Chapitre 2 : Le thermoformage
numérique qui respecte fidèlement le comportement réel du verre.
Tous ces aspects sont abordés plus en détail dans les paragraphes suivants.
Les pare-brises
(Manservisi, 2000) remarque que si l’étape de conception d’un pare-brise n’est généralement pas
la priorité des concepteurs, qui s’intéressent plus à l’allure globale d’un véhicule, elle n’en reste
pas moins une étape cruciale du projet. En effet, si le problème de faisabilité du pare-brise n’a
pas été traité en amont, cela peut entrainer des retards dans la conception du prototype. Dans
les cas critiques, les concepteurs peuvent être amenés à devoir simplifier la forme du pare-brise
pour pouvoir le réaliser.
On distingue deux grandes techniques de mise en forme : par pressage ou par thermoformage
(ou bombage dans le cas du pare-brise, « gravity bending process » étant son équivalent anglais).
Par pressage, la machine exerce une poussée sur l’ensemble de la surface qu’elle vient plaquer
contre une matrice pour lui donner sa forme finale. Cette opération peut se faire de manière
verticale (la plaque est perpendiculaire au sol) ou horizontale (la plaque est parallèle au sol).
Le procédé de pressage vertical est de moins en moins utilisé car il nécessite le recours à des
pinces pour tenir la plaque de verre et elles laissent des marques. On lui préfère alors le pressage
horizontal (Lochegnies et al., 1995).
Néanmoins, le thermoformage est de plus en plus privilégié aux dépens du pressage. (Buonanno
et al., 2005) affirment même qu’il s’agit du seul procédé qui permette de préserver ses qualités
optiques. On notera cependant que cela concerne uniquement le pare-brise avant d’un véhicule.
Pour le pare-brise arrière, les contraintes sont différentes car il est généralement élaboré par un
pressage suivi d’une trempe.
Bien qu’il apparaisse sous la forme d’une pièce unique, le pare-brise est en fait un assemblage
de deux plaques de verre entre lesquelles est placé une feuille de PVB (polyvinyle de butyral).
Ce PVB permet d’éviter que le pare-brise vole en éclats lors d’un choc trop violent. L’épaisseur
totale du pare-brise est d’environ 4 mm. Une méthode classique pour déterminer la géométrie
de la plaque initiale et la forme du squelette consiste à modéliser mathématiquement la forme
finale par des courbes de Bézier. (Lochegnies et al., 1996)
Le procédé de fabrication commence par le découpage des deux vitres dans une plaque de verre.
Une peinture noire est appliquée sur les bords du pare-brise, ainsi qu’à l’endroit où sera fixé le
rétroviseur. Un séparateur est ensuite déposé entre les deux vitres pour éviter qu’elles ne collent
lors de la mise en forme puis celles-ci sont placées sur un squelette à l’intérieur d’un « box ». Le
squelette a l’avantage, par rapport à un moule, de ne pas marquer le verre sur sa partie centrale.
Il permet aussi de réduire le transfert thermique entre le verre et le moule et donc de garder une
température relativement homogène à l’intérieur du verre.
Dans le four, le box est mobile et il va se déplacer, par à-coups, à travers les différentes sections
442.2 Exemples d’application
Figure 2.3 – Cycle de mise en forme du pare-brise dans le four
qui peuvent elles-mêmes être séparées en plusieurs compartiments. Le nombre total de compartiments
est de l’ordre de 15. Dans un premier temps, le verre est préchauffé par des résistances
rayonnant dans l’infrarouge et amené à une température relativement homogène et légèrement
inférieure à la température de formage (figure 2.3). S’ensuit la mise en forme, qui s’effectue autour
de 650 °C. Le refroidissement est contrôlé de sorte à éviter les chocs thermiques et l’étape
de recuisson va permettre d’évacuer les contraintes résiduelles.
Après la mise en forme, la couche de PVB est insérée entre les deux plaques et l’assemblage est
réalisé sous autoclave à une température de 120 °C et une pression de 10 bars, afin d’évacuer
les bulles qui auraient pu se former entre le PVB et le verre. La qualité du pare-brise peut être
testée, principalement les rayons de courbure, pour pouvoir s’assurer de sa conformité. Ensuite,
lors d’une dernière étape de finition, les supports en mousse ou en plastique sont collés, les
branchements pour les différents détecteurs, capteurs, etc., sont alors mis en place.
Les problèmes de mise en forme rencontrés sont majoritairement des défauts géométriques. Afin
d’obtenir un pare-brise conforme, celui-ci doit respecter les rayons de courbure spécifiés par les
designers. Lors de la montée en température, si le chauffage n’est pas optimal, il peut apparaitre
des zones dites de « reverse » où le rayon de courbure s’inverse comme illustré sur la figure
2.4. Ces phénomènes sont d’autant plus fréquents que la forme du pare-brise est complexe. Le
lien entre le chargement thermique imposé d’une part et la forme obtenue d’autre part est très
difficile à établir d’un point de vue expérimental. D’autres problèmes de mise en forme peuvent
survenir comme des ondulations au niveau des coins du pare-brise (Manservisi, 2000) ou de
non-homogénéité de l’épaisseur (Parsa et al., 2005).
Plusieurs travaux de recherche portent sur cette problématique et la plupart des auteurs tentent
45Chapitre 2 : Le thermoformage
Figure 2.4 – Phénomène de reverse pouvant apparaitre sur un pare-brise
d’y répondre en procédant à une analyse inverse. Comme le rappelle Manservisi, sans la simulation
numérique, l’amélioration du procédé passe par une méthode d’essais-erreurs coûteuse.
Parsa et al. étudient par exemple la mise en forme d’un pare-brise à 610 °C. À cette température,
l’opération dure 60 s (il s’agit ici du maintien à la température de palier et non pas de
l’ensemble du cycle thermique). Ils montrent alors qu’il est possible d’augmenter la cadence de
production en modifiant la température de palier imposée. En montant à 615 °C et 625 °C, les
temps de production passent respectivement à 30 s et 15 s, soit un gain de temps d’un rapport
2 ou 4. Parsa et al. proposent aussi d’optimiser le procédé en appliquant un chargement thermique
légèrement hétérogène (5 °C d’écart entre la zone la plus chaude et la zone la plus froide).
Ceci permet d’obtenir un produit de meilleure qualité d’un point de vue géométrique, ce qui est
confirmé aussi bien expérimentalement que numériquement. Cette condition de non-hétérogénité
des températures (jusqu’à un certain point bien évidemment, sans quoi le verre subirait, du fait
de la dilatation thermique, des contraintes mécaniques trop importantes) est même jugée comme
indispensable par (Buonanno et al., 2005) pour produire des formes complexes. Un chauffage
homogène risquerait de générer un rayon de courbure excessif, particulièrement aux bords de la
plaque. Afin de s’affranchir de ce problème, il est possible de placer des écrans devant certaines
zones du pare-brise pour limiter la quantité de rayonnement reçu.
Au-delà de la modification du chargement thermique non uniforme, (Lochegnies et al., 1995)
montrent qu’il est possible d’obtenir la forme finale voulue en changeant la forme initiale de
la plaque ou en modifiant la structure du squelette, par un système d’ajustement par vissage.
Cependant, dans les cas de géométries complexes, il faut parfois recourir à un pressage dans les
zones du pare-brise où le maintien de la qualité optique n’est pas indispensable (généralement
en périphérie de la pièce) pour s’assurer de la conformité du produit.
On peut finalement noter qu’il existe expérimentalement de très fortes incertitudes sur la température
du verre. Tandis que Parsa et al. parlent d’une température de mise en forme entre 610
°C et 625 °C, Manservisi ou Lochegnies et al. donnent une température de formage de 650 °C.
Bien que cet écart puisse s’expliquer par une différence entre les installations et les modèles de
pare-brise étudiés, cela peut aussi être dû aux incertitudes de mesure sur la température. Par
exemple, Buonanno et al. mettent en place une série de mesures de la température du verre avec
462.2 Exemples d’application
des thermocouples de type K. Sur la base de données fournisseurs, l’incertitude sur les valeurs
de température de l’ensemble de la chaîne de mesures est évaluée à ±30 °C. Numériquement,
les incertitudes sont plutôt dues aux propriétés thermiques du verre et au maillage utilisé.
À ces températures, sachant que la viscosité peut varier de plusieurs ordres de grandeur sur
quelques dizaines de degrés, on comprend alors mieux l’intérêt de disposer de modèles numé-
riques fiables et d’appareillages de mesure précis, sans quoi la difficulté inhérente à la maîtrise
du procédé devient insurmontable.
Le matériel d’optique
Il est possible de distinguer deux types d’objets réalisés par thermoformage et applicables au
domaine de l’optique : les moules pour les lentilles optiques et les miroirs.
Les moules en verre produits par thermoformage ont comme avantage de présenter une surface
très lisse. Ainsi, il est possible de réaliser des lentilles en PVB avec une grande précision (Lochegnies
et al., 2010). La mise en forme de la pièce de verre est relativement classique. Le schéma
proposé par (Chen et Yi, 2011) représente l’opération en figure 2.5. Dans un premier temps, une
préforme de verre est placée sur un moule et chauffée progressivement (figure 2.5-a). Dès que
le verre atteint une température de l’ordre de 600 °C, il se déforme suffisamment, par gravité,
pour prendre la forme du moule situé en-dessous (figure 2.5-b). Puis la pièce ainsi mise en forme
est refroidie puis démoulée (figure 2.5-c). La surface d’intérêt correspond à la surface supérieure
(a) Chauffage (b) Mise en forme (c) démoulage
Figure 2.5 – Mise en forme d’une pièce d’optique
qui n’est pas en contact avec le moule car son état de surface est préservé.
Les premiers travaux dans le domaine ont été publiés par (Stokes, 2000). Le terme « thermal
replication » employé en anglais fait référence à l’idée de dupliquer la forme du moule sur la
surface supérieure de la pièce. En pratique, cette opération pose de gros de problèmes. Le rayon
de courbure de la pièce de verre ne correspond pas exactement à celui du moule, ce qui signifie
que la copie n’est pas parfaite.
(Lochegnies et al., 2010) d’une part, Agnon et Stokes (Agnon et Stokes, 2005) d’autre part,
proposent d’utiliser la simulation numérique pour résoudre le problème par analyse inverse.
Contrairement à la mise en forme du pare-brise, la température ne joue pas un rôle aussi important.
Dans le cas où le cycle de consigne est bien contrôlé, la forme finale de la pièce va
plutôt dépendre du design du moule et de la géométrie initiale de la préforme. De ce fait, les
axes d’amélioration proposés par les auteurs sont de modifier légèrement la forme du moule et
de diminuer l’épaisseur de la préforme. En effet, plus l’épaisseur de la préforme est faible, plus
la forme finale de la surface supérieure de la pièce ressemble à celle du moule.
47Chapitre 2 : Le thermoformage
Concernant les miroirs, ceux-ci peuvent être utilisés pour le photovoltaïque ou dans le domaine
de l’astronomie pour les télescopes. Le moule peut être concave ou convexe, ce qui change complètement
la nature du problème. En effet, comme il l’a été montré précédemment, lorsque le
moule est concave, la surface supérieure de la pièce est la surface utilisée pour concentrer le
rayonnement. Or, cette surface ne correspond pas exactement à la forme du moule. Les problématiques
et les conclusions obtenues par (Su et al., 2011; Chen et Yi, 2011) sont donc très
proches de celles concernant les moules en verre pour lentilles PVB.
Dans le cas d’un moule convexe, c’est la surface inférieure en contact avec le moule qui sera
utilisée pour ses propriétés optiques. Cependant, le moule n’est pas exempt de petits défauts,
de rugosité, voire de poussières qui se sont déposées à sa surface. Tous ces éléments peuvent
marquer le verre et abimer sa surface. Cela signifie donc que le rayon de courbure obtenu peut
être meilleur qu’avec un moule concave mais au détriment de son état de surface.
Pour se débarrasser des poussières venant polluer le verre, (Ghigo et al., 2009) réalisent la mise
en forme sous vide. Pour éviter les problèmes de marquage, le moule est en Zerodur®, une
céramique à base silicate qui supporte les hautes températures et possède une micro-porosité
acceptable. Quant au verre, il s’agit d’un borosilicate. Dans cette étude, l’objectif est de réaliser
des miroirs de grande taille : une plaque de 500 mm de diamètre pour 1,7 mm d’épaisseur est
mise en forme. Lors de la phase de formage, une pression est appliquée sur le verre pour s’assurer
que celui-ci prenne au mieux la forme du moule. Les contraintes résiduelles doivent être évitées
à tout prix. Ainsi Ghigo et al. ont dû utiliser un cycle en température s’étalant sur 4 jours au
lieu de 3 pour diminuer au maximum toutes les contraintes.
Malgré toutes ces précautions, plusieurs problèmes sont apparus. Quelques poussières se sont
incrustées dans le verre même si le fait de travailler sous vide a fortement réduit leur nombre.
Le verre présente aussi une courbure non homogène. Le rayon de courbure théorique est de 10
m. Après essai, le rayon de courbure est conforme au centre mais plus important sur les bords,
et peut atteindre jusque 11,5 m, soit 15 % d’erreur. Ce phénomène serait dû au maintien de la
pression de mise en forme pendant le refroidissement. Quand le verre est démoulé, les contraintes
induites par la pression se relâchent et le rayon de courbure augmente.
Pour obtenir un rayon de courbure plus conforme, les auteurs proposent de ne plus appliquer la
pression pendant de la phase de refroidissement, peu de temps avant d’atteindre la température
de transition vitreuse. Pour améliorer l’état de surface de la pièce, ils préconisent de réduire
encore la pollution due aux poussières en étant plus méticuleux lors de la mise sous vide.
Les méthodes numériques adoptées
La majorité des simulations numériques du procédé utilisent, pour le modèle mécanique, une
approche lagrangienne associée à la méthode des éléments finis (Manservisi, 2000; Parsa et al.,
2005; Chen et Yi, 2011). Plus rarement, une approche de type mécanique des fluides est adoptée
482.3 Intérêt de l’étude
(Hunt, 2002). À la température de travail, le verre est souvent considéré comme un fluide purement
newtonien (Lochegnies et al., 1996; Chen et Yi, 2011). En ce qui concerne les différents
modèles rhéologiques disponibles dans la littérature scientifiques, ces aspects ont déjà été traités
dans le rapport de thèse de L. Soudre (Soudre, 2008).
Pour la partie thermique, une attention particulière doit être accordée au transfert par rayonnement.
En effet, au-dessus de la température de transition vitreuse, le rayonnement peut devenir
un mode de transfert majeur. Différentes approches sont adoptées dans la littérature scientifique.
Dans les cas les plus basiques, le transfert par rayonnement est purement négligé à l’intérieur du
verre ou aux frontières (Chen et Yi, 2011). Une autre possibilité assez simple consiste à imposer
la température du verre en la considérant comme homogène sur tout le domaine (Stokes, 2000).
D’autres auteurs font le choix de modéliser beaucoup plus finement le transfert radiatif, comme
(Buonanno et al., 2005) qui mettent en œuvre une méthode des ordonnées discrètes. Plus globalement,
le verre étant un milieu semi-transparent, un grand nombre de méthodes existe. Ces
méthodes sont présentées dans le chapitre 4 en faisant le point sur les forces et faiblesses de
chacune.
La thermodépendance de la viscosité, paramètre-clé du procédé, est souvent prise en compte par
une loi dite VFT (Parsa et al., 2005; Lochegnies et al., 2010) et plus rarement par une loi WLF
(Su et al., 2011). Ces aspects sont développés plus en détails dans le chapitre 3.
2.3 Intérêt de l’étude
Comme on vient de le montrer précédemment sur plusieurs cas concrets, le thermoformage n’est
pas complètement maîtrisé par les verriers. Des problèmes de non-conformité de la pièce sont
observés : la géométrie obtenue ne correspond pas à celle souhaitée ou des contraintes résiduelles
trop importantes mettent en péril l’intégrité de la pièce.
Cela s’explique par la difficulté de contrôler parfaitement tous les paramètres et de trouver les
conditions opératoires optimales. Ce problème concerne d’autant plus les artisans verriers car
leurs moyens financiers sont souvent bien moindres que ceux des industriels ou des laboratoires
de recherche. Pour réaliser un objet original, il ne leur est pas possible d’avoir recours à la
simulation numérique. Seule la coûteuse méthode d’essais-erreurs permettra de respecter le cahier
des charges de la pièce. Dans les cas les plus défavorables, il arrive même après plusieurs essais
que la pièce ne puisse pas être produite car la géométrie est trop complexe : il est difficile, voire
impossible d’obtenir les paramètres qui conviennent.
Il existe une grande diversité des techniques de thermoformage et des objets conçus : englober
l’ensemble de ces cas en une seule étude est simplement impossible. Dans un premier temps, il
apparait donc comme beaucoup plus raisonnable de recentrer l’étude sur un mode opératoire
en particulier, puis, sur du long terme, d’essayer d’extrapoler les résultats obtenus à d’autres
configurations d’essai. En l’occurrence, le cas retenu ici est le thermoformage d’une plaque de
49Chapitre 2 : Le thermoformage
verre sur moule concave. Il s’inscrit dans la continuité des travaux de (Soudre, 2008) qui a
développé un banc d’essais permettant de mesurer le champ de température et le champ de
déplacements en temps réel.
Dans cette section, les paramètres qui influent sur le déroulement d’un essai sont répertoriés puis
reliés aux problèmes qui peuvent survenir s’ils ne sont pas maitrisés. Nous présentons ensuite
le four de thermoformage et le banc d’essais développé par Laëtitia Soudre pour étudier le
procédé. Finalement, nous nous intéressons aux détails du modèle numérique que nous souhaitons
développer et les moyens mis en œuvre pour y parvenir.
2.3.1 Les paramètres de l’essai
Il est possible de distinguer globalement trois types de paramètres, ceux associés aux propriétés
intrinsèques de la pièce, ceux liés au support choisi et ceux qui dépendent du four. Les principaux
problèmes pouvant survenir sont les chocs thermiques, les contraintes résiduelles, la non
conformité géométrique de la pièce, le collage ou le marquage du moule sur la surface du verre.
La plaque de verre
Avant de procéder à un essai, il est nécessaire de connaitre le type de verre mis en forme et
les caractéristiques qui lui sont associées. Si ce n’est pas le cas, il existe un risque de mal
dimensionner le cycle de température. Lorsque le palier de formage est trop long, cela représente
en premier lieu une perte de temps et d’énergie et peut mener, dans un cas critique, à une
déformation excessive de la pièce. À l’inverse, lorsque le palier de formage est trop court, la
pièce ne peut pas se déformer suffisamment. Il existe aussi le risque d’introduire des contraintes
résiduelles si le cycle de refroidissement n’est pas adapté. Plus rarement, des chocs thermiques
peuvent survenir si les montées ou descentes en température sont trop rapides.
0 50 100 150 200 250
0
100
200
300
400
500
600
700
Temps (s)
Température (°C)
3 mm
6 mm
10 mm
Figure 2.6 – Cycle de température en fonction de l’épaisseur d’une plaque de verre de 35 × 30
mm2
(données CERFAV)
502.3 Intérêt de l’étude
La géométrie du verre a aussi une influence sur l’essai. Plus une pièce est épaisse, plus sa
température met du temps à s’homogénéiser. Les cycles de température utilisés par le CERFAV,
pour une plaque de verre de 35 × 30 mm2
, le mettent en évidence sur la figure 2.6. La température
du palier de mise en forme peut être légèrement augmentée si la pièce est particulièrement
massive.
Finalement, la forme initiale de la plaque de verre peut aussi avoir un impact sur l’essai, comme
l’ont montré les études citées précédemment concernant les pièces d’optique.
Le type de support
Il est possible de distinguer deux types de support : le moule et le squelette. Dans le premier
cas, le verre vient épouser la forme du moule. Dans le second cas, il s’agit de thermoformage en
suspension et la géométrie obtenue dépend de la durée et de la température de palier. Pour l’un
comme pour l’autre, la forme de la pièce obtenue ne correspond pas exactement à celle désirée
(cf. la mise en forme des pare-brises et pièces d’optique), ce qui n’est pas sans poser problème.
L’analyse inverse apparait comme un outil puissant pour améliorer la forme du moule ou du
squelette.
Les pare-brises sont généralement produits en utilisant des squelettes en acier inoxydable (Buonanno
et al., 2005; Groombridge et al., 2003) tandis que pour les pièces d’optique, il s’agit de
moules en céramique (Lochegnies et al., 2010; Agnon et Stokes, 2005). Le fait de favoriser l’acier
ou la céramique n’est pas forcément justifié dans les articles cités précédemment. En revanche,
une certitude s’en dégage, il ne s’agit pas d’un problème de collage puisque les deux peuvent
subir ce phénomène. Dans un article sur le pressage du verre, (Rieser et al., 2008) affirment que
ce problème ne dépend pas du matériau utilisé et que le fait de réaliser un dépôt de surface
n’a aucune influence. Ils soulignent aussi que les résultats de la littérature scientifique sur le sujet
sont contradictoires. Leurs propres expériences montrent que le phénomène de collage peut
apparaitre pour une température aux alentours de 550 °C et qu’au-delà de 650 °C, il est très
probable d’observer un collage entre le moule et le verre. Ces résultats sont confirmés par les
études de (Su et al., 2011) et (Chen et Yi, 2011). Dans ces deux études réalisées par le même
laboratoire (Department of Integrated Systems Engineering, The Ohio State University, USA),
le verre utilisé est un silico-sodo-calcique et le matériau du moule est une céramique MACOR®.
Dans les travaux de Chen et Yi, la température du palier de mise en forme est de 620 °C et
aucun collage n’est observé. En revanche, Su et al. observent un collage pour une température
de mise en forme de 680 °C.
Pour éviter ce problème, il est possible d’appliquer un séparateur entre le moule et le verre. Mais
celui-ci peut marquer le verre, ce qui dégrade ses qualités optiques. Une alternative consiste à
abaisser la température de travail et allonger la durée du palier.
La rugosité du moule et ses propriétés thermiques vont aussi avoir une influence sur le produit
51Chapitre 2 : Le thermoformage
final. La rugosité peut poser problème dans le cas où la face en contact avec le moule représente
la surface d’intérêt. Elle aura aussi une influence sur la résistance thermique de contact entre
le verre et le moule (Falipou, 1998). En effet, les propriétés thermiques du moule et la qualité
du contact vont avoir un impact sur les flux thermiques échangés à l’interface verre/moule. Le
champ de température du verre en sera affecté et sa mise en forme aussi.
Pour conclure, à la question « Quel type de moule choisir ? », la simulation numérique et les
essais expérimentaux apportent des éléments de réponse et il est nécessaire de rechercher, au
cas par cas, le meilleur compromis entre géométrie, propriétés du matériau et qualité optique
du moule et ce, sans négliger sa faisabilité et son coût.
Le four de thermoformage
Comme la viscosité du verre dépend de sa température, le cycle thermique de consigne est le
paramètre le plus important du procédé puisqu’il conditionne la mise en forme du verre.
Plusieurs technologies pour le chauffage de la pièce de verre existent. Il peut s’agir d’un chauffage
par contact. Cela implique que l’élément chauffant touche le verre, ce qui peut être gênant lors
de la phase de déformation. De plus, le chauffage par contact peut induire un fort gradient
thermique, ce que nous cherchons à éviter pour avoir une déformation homogène de la pièce et
minimiser les contraintes à l’intérieur du verre. Le chauffage par convection est mieux adapté.
Seulement, le verre étant un assez mauvais conducteur thermique, le chauffage peut s’avérer
beaucoup trop long en pratique.
C’est pourquoi la majorité des fours retenus pour le thermoformage sont équipés de résistances
qui rayonnent dans l’infrarouge. Une partie de ce rayonnement est directement reçu par le verre.
Une autre partie est réfléchie ou émise par les parois du four ou par le moule. Comme le verre
est un matériau semi-transparent sur les courtes longueurs d’onde, une partie du rayonnement
est absorbée de manière volumique par la pièce. Sur les plus grandes longueurs d’onde (en
général, au-dessus de 5 µm comme le montre la bibliographie sur le sujet), le verre est considéré
comme opaque : il absorbe et réfléchit le rayonnement directement à la surface. Sauf dans le cas
stationnaire, la température moyenne dans le four est différente de la température de la plaque
de verre, cela occasionne donc des échanges par convection entre l’air et la plaque.
De ce fait, au-delà de la température de consigne, la qualité du chauffage influe fortement sur
le procédé. Tout d’abord la disposition des résistances peut jouer sur la répartition des flux
thermiques dans le four et générer des gradients thermiques plus ou moins importants. Dans le
cas du four de thermoformage dont nous disposons au laboratoire ou des fours du CERFAV,
les résistances sont placées sur la voûte. Ainsi, une grande quantité de rayonnement arrive
directement sur la plaque de verre et permet d’homogénéiser assez rapidement sa température.
La puissance totale pouvant être dissipée par les résistances doit être suffisamment forte pour
pouvoir élever la température rapidement dans les zones de dévitrification.
522.3 Intérêt de l’étude
2.3.2 Description du banc d’essai de thermoformage
Le four de thermoformage, de l’Institut Jean Lamour, est installé dans les locaux de l’École Européenne
d’Ingénieurs en Génie des Matériaux (EEIGM). Il s’agit d’un four à cloche électrique à
chauffage radiant par le haut, dont la technologie est identique à ceux appartenant au CERFAV.
La figure 2.7-a présente une vue globale de l’installation. On observe une plaque de verre qui
(a) Vue globale de l’installation (b) Voûte et résistances de chauffage
Figure 2.7 – Vue du four de thermoformage
vient d’être mise en forme sur le moule, lui-même posé sur la sole. La vue de la figure 2.7-b
montre la voûte du four et les résistances de chauffage. La sole, les parois latérales du four et
la voûte sont composées de matériaux réfractaires qui réduisent les pertes thermiques et offrent
une bonne tenue à haute température.
Le four est équipé d’un appareillage de mesure décrit en détails dans l’article (Soudre-Bau et al.,
2013) dont nous allons succinctement décrire le fonctionnement. La voûte du four a été percée
pour y placer trois hublots transparents qui permettent de recevoir (ou d’envoyer) un signal depuis
l’intérieur du four tout en assurant l’isolation thermique. Par le hublot central (figure 2.8),
une caméra infrarouge équipée d’un filtre de Christiansen permet de mesurer la température de
surface du verre.
La surface supérieure du verre est recouverte d’une couche d’oxyde blanc sur laquelle est déposé
un mouchetis de peinture noire résistante aux hautes température. Une caméra CCD filme le
déplacement de ces points au cours de l’essai. Par une technique de corrélation d’image, il est
possible d’obtenir les déplacements dans le plan (~x,~y) de la plaque de verre (en partant du principe
que l’axe ~z du repère en trois dimensions est orienté vers le haut).
Par le hublot de gauche, un vidéo-projecteur projette des franges sur la surface du verre. La
53Chapitre 2 : Le thermoformage
Figure 2.8 – Appareillage de mesure du four de thermoformage
largeur de ces franges est modifiée en fonction de la hauteur de la plaque. Cela permet d’évaluer
le déplacement de la plaque sur l’axe ~z. Le four est donc équipé d’un matériel de mesure des
champs de déplacements et de température en temps réel.
Sur la figure 2.9, la température relevée à différentes hauteurs dans le four est tracée en imposant
comme température de consigne la courbe typique d’un essai de thermoformage. Les mesures
ont été prises par 36 thermocouples de type K, disposés sur une grille qui est parallèle à la sole.
0 2000 4000 6000 8000 10000 12000
0
100
200
300
400
500
600
700
Temps (s)
Température (°C)
Niveau des résistances
165 mm
75 mm
∆T = 80 °C
∆T = 50 °C
Figure 2.9 – Température de l’air à différentes hauteurs dans le four
Ces résultats sont très importants. Ils montrent que l’écart de température relevé entre l’air au
niveau des résistances et l’air au niveau du moule (à respectivement 75 et 165 mm de hauteur)
peut atteindre jusque 80 °C lorsque la température au niveau des résistances est de 600 °C (à
542.3 Intérêt de l’étude
t = 2800 s). La température de 600 °C correspond généralement au début du fluage du verre. Or,
on voit bien ici qu’il faut distinguer la température des résistances de la température du verre.
C’est d’autant plus critique que lors du palier de mise en forme, l’écart reste assez important,
autour de 50 °C. À cette température, 50 °C peut décaler les valeurs prises par la viscosité de
plusieurs décades.
Ainsi, il existe des axes d’amélioration concernant le chauffage du verre en choisissant, par
exemple, d’imposer la température de consigne en prenant comme référence non plus la température
du four mais la température du verre. Cette problématique fait d’ailleurs l’objet d’un
projet ANR PROTHERMOVERRE lancé en 2011 (LEMTA, IJL, CRAN, IECN, CERFAV).
2.3.3 Développement d’un modèle numérique - Objectifs
Resituons le contexte : le CERFAV a été sollicité par les artisans verriers qui éprouvaient des
difficultés à maitriser le thermoformage. Dans les cas critiques, les artisans sont confrontés à des
problèmes de rentabilité du procédé. La méthode d’essais-erreurs s’avère coûteuse sans garantir
que la pièce pourra être réalisée à coup sûr, surtout pour les géométries complexes. Pour palier
à ce problème, la modélisation numérique apparait comme un outil très puissant car :
• la simulation numérique permet de se mettre en conditions d’essai en économisant le coût
matière ;
• à long terme, un modèle inverse peut être développé avec en ligne de mire, la détermination
des paramètres optimaux de l’essai en vue de créer un objet dont on connait la géométrie
finale.
La mise en place d’un modèle numérique passe globalement par trois phases :
• le problème physique est exprimé sous la forme d’équations qui dérivent de modèles théoriques
ou de lois empiriques ;
• ensuite, le système d’équations valables pour un problème continu est résolu par des méthodes
s’appuyant sur une formulation discrète du problème ;
• finalement, le problème discret est résolu en implémentant les données dans un programme
dédié ou en développant son propre code de calcul.
Les deux premières phases reposent sur diverses hypothèses et simplifications qui peuvent être
sources d’approximations entre les résultats obtenus numériquement et les résultats de l’essai
réel. Pour la dernière phase, il est crucial d’éviter au maximum les erreurs de programmation et
donc de valider les codes sur des cas-tests de la littérature.
Dans notre étude, le problème physique peut être séparé en une partie mécanique et une partie
thermique. La partie mécanique peut être prise en charge par le logiciel commercial Abaqus ®
qui utilise une méthode éléments finis. Ce type de logiciel est utilisé en industrie depuis des
années avec des résultats très satisfaisants. La question de savoir si Abaqus résout la partie
55Chapitre 2 : Le thermoformage
thermique est plus délicate. En effet, Abaqus® ne peut pas tenir compte de la complexité des
transferts radiatifs dans le verre. Il est donc nécessaire de réaliser un travail de fond pour savoir
si le logiciel peut prendre en charge la conduction en traitant la partie rayonnement en externe
ou bien s’il faut externaliser l’ensemble du calcul thermique. Cet aspect sera abordé plus en
détails dans la suite du rapport.
Par rapport aux éléments exposés ci-dessus, pour développer la modélisation numérique du
thermoformage, il sera nécessaire de répondre aux questions suivantes :
• D’un point de vue thermomécanique, quelles sont les lois de comportement retenues pour
modéliser le comportement du verre ?
• Comment modéliser les transferts radiatifs et quelle méthode utiliser ?
• Abaqus® peut-il prendre en charge une partie du calcul thermique ? Quelle solution est adoptée,
comment est-elle mise en place et pour quels résultats ?
Afin de mener à bien le projet, nous disposons d’une station de travail HP Z820 équipée d’un
processeur Intel Xeon.
56Chapitre 3
Modélisation du comportement
thermomécanique du verre
Les aspects mécaniques et thermiques sont fortement liés en ce qui concerne la modélisation de
la mise en forme du verre.
Figure 3.1 – Couplage thermomécanique
La figure 3.1 illustre la problématique. D’une part, la viscosité η (mais aussi, dans une moindre
mesure, le module d’Young E, le coefficient de Poisson ν, etc.) est fortement thermodépendante
et contrôle la vitesse de déformation du verre : dans la zone de formage, une variation de 10 °C
peut entrainer une chute d’une décade de la viscosité. D’autre part, lorsque la plaque de verre
change de forme, cela amène une modification sensible des flux thermiques et la température du
verre varie. Cela signifie que la déformation mécanique du verre affecte sa température et vice
versa, ce qui induit un fort couplage thermomécanique.
Un couplage existe aussi entre conduction et rayonnement. En effet, dans l’équation de la chaleur,
57Chapitre 3 : Modélisation du comportement thermomécanique du verre
qui régit le transfert thermique, la variation de température d’un élément de volume dépend aussi
bien du transfert par conduction que du transfert par rayonnement.
Afin de modéliser le comportement du verre, les équations associées à la partie mécanique sont
présentées dans la première partie du chapitre et la deuxième partie est consacrée au transfert
thermique.
3.1 Modélisation du comportement mécanique
En premier lieu, on retient l’hypothèse que le verre est un milieu continu. Cela signifie que le
domaine étudié est suffisamment grand pour être considéré comme homogène et traité d’un point
de vue macroscopique.
Dans le cadre de la modélisation de la mise en forme du verre par thermoformage, deux grandeurs
mécaniques présentent un intérêt primordial :
• le vecteur déplacement ~u qui permet de déterminer la forme finale de la pièce à partir de sa
forme initiale à la condition qu’il soit connu en tous points et à tout instant t;
• le tenseur des contraintes σ dont les valeurs permettent d’indiquer l’état de tension dans lequel
se trouve le verre et ainsi de savoir s’il est susceptible de subir un choc thermique ou s’il existe
des contraintes résiduelles.
Le principe fondamental de la dynamique (PFD), aussi appelé équation locale du mouvement,
fait intervenir trois équations dont les inconnues sont les composantes du vecteur déplacement ~u.
Afin de résoudre le système, il est nécessaire de relier, d’une part, les déplacements ~u au tenseur
des déformations ε, et d’autre part, le tenseur des déformations ε au tenseur des contraintes σ
en utilisant une loi de comportement. Dans le cas du verre à la température de travail, la loi
de comportement est relativement complexe puisqu’elle fait intervenir un modèle rhéologique,
ce qui induit une relation non-linéaire entre contraintes et déformations. Il est nécessaire de
disposer des valeurs de viscosité en fonction de la température. Elles seront calculées grâce à des
lois semi-empiriques.
3.1.1 Équations de base
Principe fondamental de la dynamique
Le PFD est une application de la seconde loi de Newton. Il associe le vecteur accélération ~γ aux
tenseur des contraintes σ et au vecteur des forces volumiques ~f (Maya, 2013) :
ρv~γ = ρv
D
Dt
D~u
Dt
=
−−−−→
div(σ) + ~f (3.1)
583.1 Modélisation du comportement mécanique
ρv est la masse volumique du matériau, t est le temps. Dans notre cas, ~f est associé à la pesanteur
et s’exprime comme ~f = ρv~g.
L’opérateur différentiel D/Dt (dérivée particulaire) est défini comme :
Df
Dt
=
∂f
∂t + ~v ·
−−→grad(f) (3.2)
Avec f une fonction quelconque définie et dérivable sur l’ensemble du domaine.
Lien entre déplacements et déformations
Soit un point matériel dont les coordonnées sont définies par le vecteur X~
0 à l’état initial et le
vecteur X~ (X~
0, t) au cours du temps. Le tenseur gradient de la déformation, aussi appelé matrice
jacobienne s’écrit par définition :
F(X, t ~ ) = ∂X~ (X~
0, t)
∂X~
0
(3.3)
On définit ensuite le tenseur E de Green-Lagrange comme :
E =
1
2
t F · F − I
(3.4)
I est la matrice identité. Le tenseur E est symétrique. D’un point de vue physique, la composante
Eii du tenseur E représente le changement relatif de longueur d’un vecteur orienté dans la
direction i. La composante Eij traduit la variation d’angle entre un vecteur orienté dans la
direction i et la direction j. Sachant que le tenseur gradient de déformations peut s’écrire en
fonction des déplacements :
F =
∂X~
∂X~
0
=
∂(X~
0 + ~u)
∂X~
0
= I +
∂~u
∂X~
0
= I + grad (~u) (3.5)
En substituant dans 3.4, on obtient :
E =
1
2
grad (~u) +t
grad (~u) + grad (~u) ·
t
grad (~u)
(3.6)
Dans le cas où la matière se déforme peu, c’est-à-dire pour des déformations inférieures à 10%
(Lemaitre et al., 2007), il est possible de retenir l’hypothèse des petites perturbations (ou petits
gradients de déplacement). Elle implique que le lien entre le vecteur déplacement et le tenseur
des déformations est :
E ≃ ε =
1
2
grad (~u) +t
grad (~u)
(3.7)
ε est la notation usuelle du tenseur des déformations sous l’hypothèse des petites perturbations.
59Chapitre 3 : Modélisation du comportement thermomécanique du verre
Dans certains cas, comme celui de la conception d’un pare-brise, les déformations du verre lors
de la mise en forme sont cependant trop importantes pour négliger le terme grad (~u)·
t grad (~u).
Les équations liées aux grandes déformations sont relativement chargées, nous nous limiterons
donc dans ce mémoire à l’écriture des lois de comportement en petites déformations bien que
les grandes déformations soient utilisées numériquement. Pour plus de détails sur les grandes
déformations, il est possible de consulter des ouvrages spécialisés (Rougee, 1997; Dimitrienko,
2011).
3.1.2 Loi de comportement
On supposera que le comportement unidimensionnel du verre suit un modèle de Maxwell simple
comme illustré sur la figure 3.2 et qu’il est sujet à de la dilatation thermique. L’amortisseur
symbolise le comportement du solide visqueux qui correspond à celui d’un fluide newtonien. En
1D, la loi de comportement s’écrit :
ε˙η =
1
η(T)
ση (3.8)
η est la viscosité qui caractérise la vitesse de déformation du matériau en fonction de la contrainte
imposée. Cela signifie que lorsque le solide est sollicité, il se déforme continûment et lorsque cette
contrainte cesse, la déformation est rémanente.
η
εη
E
εe
α
εα
Figure 3.2 – Modèle rhéologique de Maxwell
Le ressort représente le comportement linéaire élastique qui s’écrit en 1D sous la forme de la loi
de Hooke :
εe =
σe
E
(3.9)
La déformation est proportionnelle à la force appliquée. Lorsqu’un solide est mis sous contraintes
puis relâché, il revient instantanément dans sa position initiale.
A température ambiante, c’est la déformation élastique qui est prépondérante. La déformation
visqueuse est quasi-inexistante car la viscosité est très grande. A l’inverse, pour une température
supérieure à 600 oC, la viscosité devient suffisamment faible pour que le verre soit mis en forme
par gravité. La déformation élastique est alors négligeable.
Il existe aussi un phénomène de dilatation thermique qui implique une déformation εα lors d’une
variation de température T˙
:
εα = αL T˙ (3.10)
603.1 Modélisation du comportement mécanique
αL caractérise la variation de longueur.
Dans le cas du modèle de Maxwell, la contrainte σ appliquée au système est identique pour
chaque élément : σ = ση = σe = σα. En revanche, la déformation totale est égale à la somme de
la déformation élastique, de la déformation visqueuse et de la dilatation thermique :
ε = εη + εe + εα (3.11)
En associant toutes les équations de 3.8 à 3.11, il est possible de relier déformation et contrainte :
ε˙ =
σ˙
E
+
σ
η
+ αL T˙ (3.12)
Il s’agit de la forme 1D de l’équation. Lorsque celle-ci est généralisée en trois dimensions (Richter,
2006; Richter et Hoffmann, 2011), elle devient :
ε˙ij =
1
2G
σ˙ +
1
3
1
3K
−
1
2G
σ˙ kkδij +
1
2ηs
σij +
1
3
1
3ηb
−
1
2ηs
σkkδij + α T δ ˙
ij (3.13)
δij est le symbole de Kronecker qui vaut 1 si i = j et 0 sinon. G et K sont respectivement les
modules de cisaillement et de compressibilité. Par analogie ηs et ηb peuvent être assimilés aux
modules visqueux de cisaillement et de compressibilité. Les indices s et b correspondent aux
termes anglais shear et bulk. Leur expression est :
G =
E
2(1 + νp)
(3.14)
K =
E
3(1 − 2νp)
(3.15)
ηs =
η
2(1 + νη)
(3.16)
ηb =
η
3(1 − 2νη)
(3.17)
Dans la réalité, E, νp et νη (νp et νη sont supposés égaux) sont dépendants de la température
(Duffrène et Gy, 1997; Duffrène et al., 1998). Cependant les supposer constants est une hypothèse
acceptable car bien que ces coefficients varient fortement à haute température, le comportement
élastique du verre n’est plus aussi prépondérant qu’à basse température. Certains auteurs considèrent
donc le verre comme un fluide Newtonien parfait à haute température (Hyre, 2002; Yi et
Jain, 2005), ce qui équivaut à négliger le comportement élastique.
3.1.3 Variation de la viscosité en fonction de la température
Différentes lois existent pour modéliser le comportement de la viscosité en fonction de la température.
La plus simple est la loi d’Arrhénius. Elle dérive d’un modèle de glissement des plans
61Chapitre 3 : Modélisation du comportement thermomécanique du verre
d’atomes dû à un processus thermiquement activé (Zarzycki, 1982) qui peut s’écrire comme :
η = η0 exp
∆G
kBT
(3.18)
∆G correspond à la barrière de potentiel qu’il faut vaincre pour générer un mouvement à l’échelle
atomique. kB correspond à la constante de Boltzmann. En pratique, l’équation s’exprime en
fonction de deux paramètres A et B (Mishra et Dubey, 2009; Hrma et Han, 2012) :
log η(T) = A +
B
T
(3.19)
A et B sont identifiés en utilisant au minimum deux valeurs de viscosité à des températures
différentes. Cependant, comme le remarque (Scholze, 1980), les valeurs sont correctes soit pour
des viscosités très élevées, soit pour des viscosités très faibles. En effet, sur la figure 3.3 où la
0 1 2 3 4 5 6
0
5
10
15
20
1000/T (°C−1)
log10
(η)
Silice
Verre
silico−sodo
−calcique As2
S3
Se Glycérol
Figure 3.3 – Viscosité de différents verres (Zarzycki, 1982)
viscosité est représentée sur une échelle logarithmique en fonction de l’inverse de la température,
on constate que les courbes obtenues pour différents types de verres ne sont pas linéaires. De ce
fait, la relation 3.19 est difficilement applicable pour les valeurs de viscosité dans la gamme de
température proche de Tg et au-delà.
Ainsi, les lois empiriques de Vogel-Fulcher-Tamman (VFT) ou Williams-Landel-Ferry (WLF)
sont souvent préférées à la loi d’Arrhénius(Grégoire et al. (2007); Chen et Yi (2011); Su et al.
(2011)).
La loi VFT (Fulcher, 1925) s’écrit sous la forme :
log η(T) = A +
B
T − T0
(3.20)
623.1 Modélisation du comportement mécanique
La VFT permet une bonne représentation des valeurs de viscosité notamment pour les tempé-
ratures de travail. Pour pouvoir identifier les paramètres A, B, et T0, les trois points de viscosité
fixes peuvent être utilisés.
La loi WLF (Williams et al., 1955) s’exprime comme :
η(T) = η(T0) × 10
C1(T−T0)
C2+(T−T0)
(3.21)
Avec η(T0), C1 et C2 les paramètres à déterminer. Il existe des études théoriques afin de justifier
les équations VFT (Dagdug, 2000) et WLF (Macedo et Litovitz, 1965) mais nous ne rentrerons
pas ici dans les détails.
550 600 650 700
7
8
9
10
11
12
13
Température (s)
log
η (Pa.s)
Parsa (2005)
VFT
WLF
Figure 3.4 – Courbes WLF et VFT obtenues en utilisant les données expérimentales de (Parsa
et al., 2005)
Utiliser la loi VFT ou la loi WLF présente peu de différences. Mathématiquement, il n’y a pas
d’équivalence théorique entre les deux courbes, cependant elles offrent des variations similaires
pour des températures proche de Tg et au-delà. Ce dernier point est mis en évidence sur la figure
3.4. Les données expérimentales pour un verre silico-sodo-calcique sont les valeurs de viscosité
mesurées par (Parsa et al., 2005). Dans ce cas précis, l’identification des paramètres de la loi
VFT donne A = −13.5, B = 16500, T0 = 150 °C. Pour la loi WLF, T0 = 400 °C est imposée
arbitrairement puis les trois paramètres identifiés sont η(T0 = 400 oC) = 1019
, C1 = −40 et
C2 = 710. Sur la plage de température allant de 550 à 700 °C, les deux lois présentent la même
allure. En général, la loi VFT est plus souvent utilisée car les paramètres A, B et T0 sont
comparables d’une étude à une autre alors que dans le cas de la WLF, les coefficients C1, C2 et
η(T0) vont dépendre de la température de référence T0 choisie.
63Chapitre 3 : Modélisation du comportement thermomécanique du verre
3.1.4 Conditions aux limites mécaniques
Les conditions aux limites peuvent être imposées en déplacement ou en contraintes.
Dans le cas de conditions limites en déplacement :
~u(~x) = ~f(~u) ∀~x ∈ ∂Ω (3.22)
∂Ω désigne la frontière du domaine Ω considéré.
Dans le cas de conditions limites en contraintes :
σ · ~n = T~
s(~u) ∀~x ∈ ∂Ω (3.23)
~n est le vecteur normal à la surface orienté vers l’extérieur. T~
s est le vecteur des efforts surfaciques.
Dans le cas où les deux types de conditions aux limites sont présents, il s’agit de conditions
limites dites mixtes.
3.2 Modélisation du transfert thermique
Comme cela a été souligné dans le paragraphe précédent, les caractéristiques mécaniques du
verre, particulièrement la viscosité, varient fortement en fonction de la température. C’est pourquoi
la connaissance précise du champ de température dans le verre est primordiale pour modé-
liser finement le thermoformage du verre. De manière générale, il existe trois modes de transfert
thermique : conduction, convection et rayonnement. A l’intérieur du verre, les échanges se font
par conduction et rayonnement. Les mouvements de matière au sein du verre sont suffisamment
faibles pour que le transfert par convection ne soit pas pris en compte. En revanche, les conditions
aux limites sont établies en faisant le bilan des flux conductif, convectif et radiatif entrant
et sortant à la surface du verre.
3.2.1 Résolution de l’équation de la chaleur
En faisant l’hypothèse qu’il n’existe ni source d’énergie, ni convection au sein du verre, l’équation
de la chaleur sous sa forme locale s’écrit :
ρv cp
∂T
∂t = −div(~qc + ~qr) (3.24)
cp est la capacité thermique massique, T est la température, ~qc est le vecteur densité de flux
thermique conductif et ~qr le vecteur densité de flux radiatif.
643.2 Modélisation du transfert thermique
3.2.2 Transfert thermique par conduction
Un gradient de températures au sein d’un milieu continu génère un transfert d’énergie thermique
par conduction. Ce mode de transfert est lié à la diffusion de l’énergie cinétique moyenne des
particules, de la zone où l’énergie est la plus élevée à la zone où elle est la plus faible. D’après
la loi établie par J. Fourier en 1822 (Sacadura, 1980), le vecteur densité de flux thermique −→qc
s’exprime comme :
−→qc = −kc(T)
−−−→grad (T) (3.25)
La capacité à diffuser l’énergie thermique est caractérisée par la conductivité kc qui peut être
considérée comme un scalaire dans le cas d’un matériau isotrope comme le verre.
3.2.3 Transfert thermique par rayonnement
Tout corps à une température différente de 0K rayonne : il émet ou absorbe des ondes électromagnétiques
qui peuvent se propager dans le vide. Le transfert d’énergie par rayonnement est le
seul pouvant se produire sans support matériel, à l’inverse du transfert par conduction ou par
convection.
Dans le vide, les ondes électromagnétiques se propagent à la vitesse de la lumière c0 = 299792458
m.s
−1
. Dans un milieu d’indice de réfraction n, la vitesse de propagation de la lumière c se calcule
par la relation :
c =
c0
n
(3.26)
Chaque onde électromagnétique possède une longueur d’onde λ, qui peut s’exprimer en fonction
de sa fréquence ν et de sa vitesse c :
λν = c ou λ =
c
ν
(3.27)
λ(µm)
ν(Hz)
0, 1 1 10 100
1015 1014 1013
0,4 0,8
UV
visible
infrarouge
Rayonnement thermique
Figure 3.5 – Bande de longueurs d’onde du rayonnement thermique
Il existe une grande gamme de longueurs d’onde qui va des ondes gamma (de l’ordre de 10−12m)
65Chapitre 3 : Modélisation du comportement thermomécanique du verre
aux ondes radios (supérieures à 10m). Comme le montre la figure 3.5, les ondes ayant une
influence sur la température de la matière sont comprises dans la gamme UV-visible-infrarouge
entre 0, 1µm et 100µm (Modest (1993); Sacadura (1980)).
Un échange par rayonnement ne tenant compte que d’une seule longueur d’onde (ou un intervalle
de longueur d’onde infinitésimal [λ; λ + dλ]) est appelé rayonnement monochromatique.
Dans le cadre des milieux solides dits semi-absorbants, comme le verre, les modèles régissant le
transfert radiatif sont généralement plus complexes que ceux décrivant les transferts conductif
et convectif. La suite de cette section est donc consacrée à la définition des notions de base du
rayonnement thermique.
Définitions
◦ Angle solide :
Une source ponctuelle, de coordonnées X~ (x, y, z) émet du rayonnement dans un ensemble de
directions privilégiées centrées autour de la direction ~s. Cet ensemble de directions est assimilé
à un cône comme l’illustre la figure 3.6.
dΩ
dS
r = 1
r = R (x, y, z)
~s
(a) Représentation 3D
dΩ
dS
θ
r = 1
r = R
~s
(x, y, z)
(b) Représentation 2D
Figure 3.6 – Représentation d’un angle solide
L’angle solide infinitésimal dΩ est défini comme la surface interceptée par le cône d’émission
et la sphère de rayon unité centrée autour de la source ponctuelle. Il s’exprime en stéradians
(abrégé : sr). La relation entre dS, qui est la surface interceptée par le cône et une sphère de
rayon R, et l’angle solide dΩ s’écrit :
dΩ = dS
R2
(3.28)
663.2 Modélisation du transfert thermique
◦ Luminance :
Soient deux éléments de surface dS1 et dS2 à une température différente de 0K et séparés par
un milieu transparent (qui n’interagit pas avec le rayonnement) comme sur la figure 3.7.
−→n2
−→n1
dS1
~s
dS2
θ1
θ2
L
Figure 3.7 – Configuration d’échange entre un élément de surface dS1 et un élément de surface
dS2
Le flux thermique radiatif monochromatique dQν,1→2 émis par l’élément de surface dS1 et reçu
par un élément de surface dS2 s’exprime comme :
dQν,1→2 = Lν(X, ~s, T ~ )
dS1 cos θ1 dS2 cos θ2
L2
dν (3.29)
Lν(X, ~s, T ~ ) est appelée luminance monochromatique ou spectrale. Il est possible d’écrire la
luminance en fonction du flux thermique radiatif comme :
Lν(X, ~s, T ~ ) = dQν,1→2
L
2
dS1 cos θ1 dS2 cos θ2dν
=
dQν,1→2
dΩ1 dS2 cos θ2dν
(3.30)
En générale, l’unité de la luminance spectrale est le W.m−2
.sr−1
.µm−1
lorsqu’elle est exprimée
en fonction de la longueur d’onde (µm). La luminance spectrale correspond donc à la puissance
envoyée par unité de surface projetée (perpendiculairement à la direction) par unité d’angle
solide dans une direction ~s (figure 3.8) par unité spectrale (en longueur d’onde ou en fréquence).
~z
Lν(X, ~s, T ~ )
θ
~s
dΩ
dS
dS cos θ
Figure 3.8 – Luminance dans la direction ~s
67Chapitre 3 : Modélisation du comportement thermomécanique du verre
Notion de corps noir
◦ Définition :
Il est défini comme un corps qui absorbe toute l’énergie radiative reçue à sa surface. Dans le
même ordre d’idées, il émet le maximum d’énergie thermique radiative que peut rayonner un
matériau à une température T d’équilibre. Il s’agit d’un idéal théorique, en pratique, il n’existe
pas de corps noir parfait. Cependant, certains matériaux peuvent se rapprocher du comportement
d’un corps noir dans des conditions particulières, comme le plâtre au-delà de 3 µm (Taine
et al., 2008). Une enceinte à une température T dotée d’une très légère ouverture peut faire
office de corps noir (Sacadura, 1980).
◦ Luminance du corps noir :
Soit un corps noir dont la surface est en contact avec un milieu d’indice n. Selon la loi de Plank,
établie en 1901 (Modest, 1993), la luminance du corps noir, notée L
0
ν
(T), s’écrit :
L
0
ν
(T) = 2h ν3 n
2
c
2
0
exp
h ν
kB T
− 1
−1
(3.31)
Avec :
– la constante de Planck h = 6, 626.10−34 J.s
– la constante de Boltzmann kB = 1, 3805.10−23 J.K−1
La luminance d’un corps noir ne dépend pas du point d’émission X~ ou de la direction ~s mais de
la fréquence ν, de la température T et de l’indice n du milieu environnant. Afin de connaître la
puissance rayonnée par un corps noir, il est nécessaire d’intégrer la luminance sur tout le spectre
de longueurs d’onde et sur l’ensemble de l’angle solide. Pour ce faire, il faut exprimer l’angle
solide en fonction des angles polaire θ et azimutal ϕ comme sur la figure 3.9.
~x
~y
~z
ϕ
dϕ
θ
dθ
Figure 3.9 – Angle solide représenté en utilisant les coordonnées sphériques
La puissance rayonnée par unité de surface, appelée émittance, se calcule alors comme :
683.2 Modélisation du transfert thermique
M0
(T) = Z +∞
0
Z π/2
0
Z 2π
0
Lν (X, ~s, T ~ )cos θ sin θ dϕ dθ dν =
Z +∞
0
π L0
ν
(T)dν = σBT
4
(3.32)
avec σB la constante de Stefan-Boltzmann égale à 5, 67.10−8W.m−2
.K−4
.
◦ Loi de Wien :
La luminance du corps noir en fonction de la longueur d’onde est représentée sur la figure 3.10
pour différentes températures.
0 2 4 6 8 10 12 14
0
2
4
6
8
10
12 x 109
Longueur d’ondes (µm)
Luminance (W.m−2.sr−1 )
L
ν
0
(T)
1200K
1000K
800K
600K
400K
Figure 3.10 – Luminance du corps noir en fonction de la longueur d’onde
Pour un corps noir à une température T, la loi de Wien donne la longueur d’onde λmax à laquelle
la luminance spectrale est la plus élevée :
T λmax = 2898K.µm (3.33)
Ainsi, plus la température d’un corps est élevée plus le maximum d’énergie radiative émis se
déplace vers les courtes longueurs d’onde et donc les hautes fréquences. Cette loi est pratique
pour délimiter l’intervalle utile de longueur d’onde ou de fréquence à considérer pour effectuer
les calculs radiatifs. Pour donner un ordre d’idées, un intervalle compris entre 0,5λmax et 5λmax
correspond à un peu plus de 95% de l’énergie totale rayonnée par un corps noir (Sacadura, 1980).
69Chapitre 3 : Modélisation du comportement thermomécanique du verre
Types de milieux
Il existe des milieux opaques, semi-transparents et transparents. La distinction entre ces trois
milieux dépend de la quantité de rayonnement absorbé après avoir parcouru une certaine distance.
◦ Loi de Beer-Lambert :
Soit un flux radiatif de luminance Lν(s, ~s) traversant un milieu d’épaisseur ds dans lequel est
négligé, dans un premier temps, les phénomènes dits d’émission propre et de diffusion (qui seront
explicités ultérieurement). La loi de Beer-Lambert s’exprime ainsi :
dLν(s, ~s) = −κν Lν(s, ~s) ds (3.34)
κν est le coefficient d’absorption du milieu.
Dans le cas où le coefficient d’absorption est très important, le rayonnement est absorbé sur une
très courte distance et il est possible alors d’effectuer les bilans de transfert radiatif à la frontière.
Il s’agit alors d’un matériau opaque. Si le coefficient d’absorption est nul ou négligeable,
le matériau est alors considéré comme transparent. Si le coefficient d’absorption n’est ni très
grand, ni négligeable, le rayonnement est absorbé au fur et à mesure de son trajet et l’on parle
alors de milieu semi-transparent.
◦ Le milieu opaque :
Pour un milieu opaque, aussi appelé corps opaque, les échanges par rayonnement s’effectuent
uniquement à sa frontière. Ces échanges ont lieu sous la forme d’émission, d’absorption ou de
réflexion comme l’illustre la figure 3.11. Lorsqu’un flux incident spectral de luminance L
i
ν
(
−→si
, T)
éclaire la frontière d’un corps opaque, une part caractérisée par la luminance L
a
ν
(
−→sa, T) est
absorbée, l’autre part L
r
ν
(
−→sr
, T) est réfléchie. Le corps opaque émet aussi une part d’énergie
radiative qui s’exprime en fonction de la luminance L
e
ν
(~s, T).
milieu transparent
corps opaque
flux incident
L
i
ν
(−→si
, T )
flux r´efl´echi
L
r
ν
(−→sr , T )
flux absorb´e
L
a
ν
(−→sa, T )
flux ´emis
L
e
ν
(~s, T )
Figure 3.11 – Bilan du transfert radiatif à la surface d’un milieu opaque
703.2 Modélisation du transfert thermique
Afin de quantifier expérimentalement la proportion d’énergie radiative émise, réfléchie ou absorbée,
des caractéristiques comme l’émissivité, la réflectivité ou l’absorptivité sont définies.
L’absorptivité spectrale αν s’écrit comme la part du flux incident à la surface, provenant de
toutes les directions et traversant la frontière, qui est absorbée par le matériau :
αν =
R
2π L
a
ν
(
−→sa , T) cos θa dΩa
R
2π Li
ν
(
−→si
, T) cos θi dΩi
(3.35)
Dans le même ordre d’idées, la réflectivité spectrale s’écrit :
ρν =
R
2π L
r
ν
(
−→sr
, T) cos θr dΩr
R
2π Li
ν
(
−→si
, T) cos θi dΩi
(3.36)
Comme le flux incident ne peut être qu’absorbé ou transmis, cela implique :
αν + ρν = 1 (3.37)
L’émissivité spectrale, sans unité, correspond au rapport du flux spectral émis par le matériau
dans toutes les directions sur le flux émis par un corps noir à la même température :
εν =
R
2π L
e
ν
(~s, T) cos θ dΩ
R
2π L0
ν
(~s, T) cos θ dΩ =
Mν(T)
M0
ν
(T)
(3.38)
Dans le cas d’un équilibre thermodynamique local, la loi de Kirchhoff induit que :
αν = εν (3.39)
Elle est valable pour des grandeurs directionnelles et peut être étendue aux grandeurs hémisphé-
riques sous l’hypothèse d’un rayonnement diffus.
Remarque : un corps noir est un cas particulier de corps opaque pour lequel εν = αν = 1 et
ρν = 0
En général, la réflexion du rayonnement est considérée comme étant soit spéculaire, soit diffuse,
comme le montre la figure 3.12.
~n L
i
ν
(θi
, T )
θi
L
r
ν
(θr, T )
θr
surface
(a) Réflexion spéculaire
~n L
i
ν
(θi
, T )
surface
(b) Réflexion diffuse
Figure 3.12 – Type de réflexion
71Chapitre 3 : Modélisation du comportement thermomécanique du verre
Lorsque la réflexion est spéculaire, le rayonnement est réfléchi dans le même plan que le rayonnement
incident et θi = θr. Dans le cas d’une réflexion diffuse, il n’existe pas de direction
préférentielle et le rayonnement est réfléchi de manière homogène dans toutes les directions.
◦ Le milieu transparent :
Un milieu transparent n’interagit pas avec les ondes électromagnétiques le traversant. Le vide
est un milieu transparent et son coefficient d’absorption κ est nul. En faisant l’hypothèse que
l’air contient des quantités négligeables de vapeur d’eau ou de dioxyde de carbone, il peut être
considéré comme un milieu transparent.
◦ Le milieu semi-transparent :
Dans un milieu semi-transparent, le rayonnement peut être absorbé mais aussi renforcé par
émission propre. Il existe aussi un phénomène de diffusion, c’est-à-dire modification de la direction
de propagation du rayonnement, qui peut soit renforcer, soit atténuer le rayonnement. En
général, les flux radiatifs dans un milieu semi-transparent sont calculés en établissant l’Équation
de Transfert Radiatif (E.T.R.) et en la résolvant via des méthodes numériques. Ainsi, il faut
exprimer la variation de luminance dLν(s, ~s, T) le long d’un chemin optique d’abscisse s orienté
dans la direction ~s.
Le phénomène d’absorption a été abordé précédemment et se traduit analytiquement par la loi
de Beer-Lambert (éq. (3.34)). Le renforcement de la luminance par émission propre du milieu
s’écrit (Modest, 1993) :
dL
e
ν
(s, ~s, T) = κν L
0
ν
(T) ds (3.40)
Le phénomène de diffusion du rayonnement peut entraîner :
– une atténuation du rayonnement car une partie du rayonnement orienté dans la direction ~s se
réoriente dans une nouvelle direction
−→
s
′
,
– un renforcement du rayonnement car le rayonnement orienté dans une direction
−→
s
′ peut se
réorienter dans la direction ~s.
La proportion de pertes par diffusion est donnée par le coefficient de diffusion spectral σd,ν
comme :
dL
d−
ν
(s, ~s, T) = −σd,ν Lν(s, ~s, T)ds (3.41)
Le renforcement du flux par diffusion s’écrit :
dL
d+
ν
(s, ~s, T) = σd,ν
4π
Z
4π
Φν(
−→
s
′ → ~s)Lν(s,
−→
s
′
, T) dΩ ds (3.42)
723.2 Modélisation du transfert thermique
Φν(
−→
s
′ → ~s) est la fonction de phase. Elle traduit la densité de probabilité du changement de
direction de
−→
s
′ vers ~s.
En regroupant tous les termes de pertes par diffusion et absorption ainsi que les gains par
diffusion et émission propre, il est possible d’établir l’équation de transfert radiatif :
1
c
∂Lν (~s)
∂t +
∂Lν (~s)
∂s = −
dL
a
ν
(~s)
ds
−
dL
d−
ν
(~s)
ds
+
dL
d+
ν
(~s)
ds
+
dL
e
ν
(~s)
ds
= −κνLν(~s) − σd,νLν(~s) + σd,ν
4π
Z
4π
Φν(
−→
s
′ → ~s)Lν(
−→
s
′
)dΩ + κν L
0
ν
(~s) (3.43)
Afin d’alléger les notations, les variables s et T sont sous-entendues.
Dans le cas des transferts radiatifs au sein du verre, le phénomène de diffusion est inexistant sur
la gamme du rayonnement thermique (de 0,1 µm à 100 µm). Compte-tenu du fait que l’évolution
du système est très lente pendant l’opération de thermoformage, il est possible de négliger le
terme de variation temporelle de la luminance. Ce qui permet de simplifier l’équation de transfert
radiatif :
∂Lν(~s)
∂s = −κνLν(~s) + κν L
0
ν
(~s) (3.44)
La méthode de Monte-Carlo, présentée dans le chapitre suivant, permettra de résoudre cette
équation de manière stochastique et non pas déterministe.
3.2.4 Conditions aux limites thermiques
En supposant que le verre est entouré d’air, les conditions aux limites peuvent s’écrire comme :
Kg(Ta − Tv) + −−−→
q
a→v
r
· ~n =
h−−−→
q
v→a
r + kc
−−−→ grad (T)
i
· ~n (3.45)
Kg est un coefficient d’échange global en W.K−1
.m−2
. ~n est le vecteur normal à la surface orienté
vers l’extérieur. q
i→j
r
est le flux radiatif qui traverse l’interface du milieu i vers le milieu j. Dans
notre cas, les indices a et v désignent respectivement l’air et le verre. La figure 3.13 schématise
l’ensemble de ces échanges.
En ce qui concerne le rayonnement, les échanges au dioptre (interface verre/air) sont pilotés par
la transmittivité τν qui dépend des indices de réfraction spectraux du verre nν,v et de l’air nν,a
mais aussi de l’angle polaire qui correspond à l’angle formé entre la surface et le flux incident.
73Chapitre 3 : Modélisation du comportement thermomécanique du verre
Kg
−−−→
q
a→v
r
−−−→
q
v→a
r
−kc
−−→grad(T)
~n
Air (Ta)
Verre (Tv)
Figure 3.13 – Représentation des échanges thermiques à la frontière verre/air
Les relations de Fresnel permettent de calculer τν de la façon suivante :
τν = 1 − ρν(θv , nν)
= 1 −
1
2
cos θv − nν
q
1 − (nν)
2 sin2θv
cos θv + nν
q
1 − (nν)
2 sin2θv
2
+
cos θv −
q
1 − (nν)
2 sin2θv
cos θv +
q
1 − (nν)
2 sin2θv
2
(3.46)
Avec θv l’angle polaire formé entre la direction du flux radiatif incident et l’axe −→zl orthogonal
à la surface. nν est le rapport des indices spectraux du verre et de l’air : nν = nν,a /nν,v .
Sur la gamme spectrale correspondant à la semi-transparence, en supposant que le flux incident
de la figure 3.13 provenant de l’air peut être caractérisé par sa luminance spectrale L
0
ν
(Ta , nν),
la part transmise au verre peut être calculée de la façon suivante :
−−−→
q
a →v
r(ST) · ~n =
Z νmax
ST
νmin
ST
Z 2π
0
Z π/2
0
τ (θa , nν)L
0
ν
(Ta , nν) × cos θa sin θa dθa dϕa dν
Avec, respectivement, les dénominations ST pour la gamme semi-transparente, a pour l’air et
v pour verre. ν
min et ν
max indiquent les bornes de l’intervalle semi-transparent.
Sur la gamme opaque, au-delà de 5 µm (Rubin, 1985), le verre est assimilé à un corps gris :
−−−−−−→
q
a →v
r(opaque) · ~n =
Z νmax
opaque
νmin
opaque
πεν I
0
ν
(Ta , nν)dν (3.47)
L’émissivité du verre peut alors être considérée comme constante en retenant la valeur εν = 0, 9
(Lee et Viskanta, 2001).
74Chapitre 4
Développement d’un code de calcul
du transfert radiatif
Sur l’intervalle de longueurs d’onde compris entre 0,1 et 5 µm, le verre est un matériau semitransparent
absorbant et non diffusant. La modélisation du transfert radiatif dans ce type de
milieu est relativement complexe. Contrairement à un corps noir, le rayonnement n’est pas absorbé
en surface mais de manière volumique. Il est donc nécessaire de tenir compte des propriétés
optiques du verre, de son coefficient d’absorption, de son indice de réfraction et de la variation
spectrale de toutes ces grandeurs.
Dans ce chapitre, nous évoquons dans un premier temps les principales méthodes numériques
qui existent pour résoudre le transfert radiatif dans le but d’exposer les forces et faiblesses de
chacune d’entre elles. Ensuite, nous expliquons pourquoi la méthode de Rosseland a été retenue
en première approximation et pourquoi nous utilisons la méthode de Monte-Carlo pour des calculs
nécessitant une précision optimale. Le reste du chapitre est dédié au fonctionnement global
du code de Monte-Carlo et à sa validation.
4.1 Méthodes de calcul du transfert radiatif
Dans la littérature scientifique, de nombreuses méthodes permettent de résoudre l’équation de
transfert radiatif avec des hypothèses plus ou moins fortes ayant un impact sur la précision
des résultats et la durée des temps de calcul. Les principales méthodes sont recensées ici en
explicitant rapidement le principe de résolution et les cas dans lesquels elles sont utilisées. Parmi
celles-ci, dans le cadre de notre étude, nous avons retenu la méthode de Rosseland en première
approximation et la méthode de Monte-Carlo qui sera décrite plus en détail à la suite de cette
section.
75Chapitre 4 : Développement d’un code de calcul du transfert radiatif
4.1.1 Méthode des harmoniques sphériques (ou différentielles P-N)
Les méthodes d’approximation différentielle permettent d’écrire l’expression de la luminance
sous la forme d’une somme infinie d’harmoniques sphériques ne dépendant que de la direction.
Développée par (Jeans, 1917), la méthodes des harmoniques sphériques est généralement mise
en œuvre en choisissant des ordres faibles (P1 ou P3), mais ces troncatures conduisent souvent à
des approximations trop importantes, notamment pour les milieux optiquement épais (Modest,
1993).
4.1.2 Méthode des zones
Cette méthode a été développée par (Hottel et Cohen, 1958) : des facteurs d’échange sont calculés
entre chaque zone du domaine et le bilan radiatif est ensuite écrit sous la forme d’une matrice
NxN, avec N le nombre d’inconnues. Elle se limite à des milieux simples car elle s’avère peu
performante si les géométries étudiées sont complexes ou si le milieu est semi-transparent et très
hétérogène. Le fait d’utiliser une discrétisation spectrale rend la méthode difficilement applicable
car il est alors nécessaire de calculer les facteurs d’échange sur chaque bande considérée.
4.1.3 Méthode des transferts discrets
La méthode des transferts discrets (ou suivi de rayons) est relativement récente et a été exposée
pour la première fois par (Lockwood et Shah, 1981). Elle est basée sur une technique de résolution
de l’équation de transfert radiatif sur l’ensemble du chemin optique parcouru par le rayon. La
méthode peut souffrir du problème appelé « effet de rayons » car, comme le souligne (Collin,
2006), la qualité des résultats peut être affectée si le nombre de directions discrètes choisi n’est
pas suffisant.
4.1.4 Méthode des ordonnées discrètes
La méthode des ordonnées discrètes a été développée par (Chandrasekhar, 1960) pour le calcul
du transfert radiatif unidimensionnel en astrophysique puis appliquée aux problèmes de transfert
radiatif multidimensionnel par (Truelove et Hyde, 2007; Fiveland, 1982). Certains auteurs
se sont intéressés à sa mise en œuvre pour modéliser les transferts dans le verre (Lacroix et al.,
2002). La méthode se base sur la transformation de l’équation de transfert en équations diffé-
rentielles partielles. L’espace angulaire est discrétisé en un nombre fini de directions et le calcul
du flux radiatif est réalisé en intégrant numériquement la luminance dans toutes les directions.
La méthode est sujette à des problèmes dits de "fausse diffusion" qui peuvent mener à la surestimation
des températures du milieu (Lee et Viskanta, 2001) ou encore des effets de rayons qui
génèrent des discontinuités dans les valeurs de flux (Coelho, 2002; Trovalet, 2011). Elle nécessite
souvent un processus itératif afin d’obtenir les bonnes valeurs de luminance. Elle conduit à des
764.1 Méthodes de calcul du transfert radiatif
résultats fiables mais les temps de calcul seront d’autant plus importants que le milieu étudié
est complexe.
La méthode des volumes finis repose sur le même principe.
4.1.5 Méthode de Rosseland
La méthode de Rosseland, aussi connue sous l’appelation "méthode d’approximation de diffusion",
doit son nom à un astrophysicien norvégien (Rosseland, 1936). Retenue en première
approximation pour nos simulations numériques, elle sera un peu plus détaillée que les précé-
dentes sur le plan théorique. En premier lieu, la méthode de Rosseland est préconisée pour les
milieux optiquement épais (la distance moyenne d’absorption du rayonnement doit être infé-
rieure à la dimension caractéristique du domaine) sans quoi les résultats obtenus peuvent être
trop grossiers et donc inexploitables. Comparativement à d’autres méthodes, elle est relativement
simple à mettre en place et les temps de calcul sont raisonnables. En revanche, elle peut
conduire à une sous-estimation des températures au niveau de la frontière (Lee et Viskanta,
2001).
Le principe de la méthode se base sur l’hypothèse que lorsque le milieu est suffisamment épais, le
transfert par rayonnement peut être considéré comme diffusif. Le vecteur densité de flux radiatif
peut alors d’écrire sous la forme :
−→qr = −kr
−−−→grad (T) (4.1)
kr, appelée conductivité radiative, s’écrit (Siegel et Howell, 1992) :
kr =
Z ∞
0
4π
3κν
∂L0
ν
(T)
∂(T)
dν (4.2)
Lorsque le milieu est absorbant et diffusant, il faut prendre en compte le coefficient d’extinction
βν au lieu du coefficient d’absorption κν . La démonstration permettant d’obtenir l’expression
de kr est fournie en annexe 1.
Après dérivation, kr a pour expression :
kr =
Z +∞
0
4π
3κν
"
2h
2ν
4n
2
c
2
0
k
#
×
(1/T2
)(e
hν/kT )
e
hν/kT − 1
2
!
dν (4.3)
Concernant les conditions aux limites, le rayonnement incident reçu et transmis à la frontière
est considéré comme directement absorbé par le matériau. La conductivité radiative va ensuite
traduire la capacité du matériau à diffuser le rayonnement en son sein.
4.1.6 Méthodes alternatives : éléments finis et différences finies
Nous nous contentons ici de citer des études utilisant ces méthodes de calcul, moins souvent
rencontrées pour la résolution du transfert radiatif, comme la méthode des éléments finis (Rousse
77
Algorithmique distribu´ee d’exclusion mutuelle : vers une
gestion efficace des ressources
Jonathan Lejeune
To cite this version:
Jonathan Lejeune. Algorithmique distribu´ee d’exclusion mutuelle : vers une gestion efficace
des ressources. Data Structures and Algorithms. Institut d’Optique Graduate School, 2014.
French. .
HAL Id: tel-01077962
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Submitted on 27 Oct 2014
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scientifiques de niveau recherche, publi´es ou non,
´emanant des ´etablissements d’enseignement et de
recherche fran¸cais ou ´etrangers, des laboratoires
publics ou priv´es.Ecole doctorale EDITE de Paris ´
Algorithmique distribu´ee d’exclusion
mutuelle : vers une gestion efficace des
ressources
THESE `
pr´esent´ee et soutenue publiquement le 19 septembre 2014
pour l’obtention du
Doctorat de l’Universit´e Pierre et Marie Curie
(mention informatique)
par
Jonathan Lejeune
Composition du jury
Pr´esident : Franck Petit Professeur UPMC
Rapporteurs : Abdelmadjid Bouabdallah Professeur UTC
Christine Morin Directrice de recherche Inria
Examinateurs : Achour Mostefaoui Professeur Universit´e de Nantes
Mohamed Naimi Professeur Universit´e de Cergy-Pontoise
Encadrants : Luciana Arantes Maˆıtre de conf´erences UPMC
Julien Sopena Maˆıtre de conf´erences UPMC
Directeur de thèse : Pierre Sens Professeur UPMC
Laboratoire d’Informatique de Paris 6 — UMR 7606Mis en page avec la classe thesul.i
Cette thèse est dédiée à :
ma mère
mon père
pépère Alexandre
mémère Antoinette
pépère Michel
mémère Mireille
et Rebeccaiiiii
Remerciements
Une thèse marque la fin de longues années d’études. Sa rédaction permet de se rendre
compte qu’un travail d’expertise approfondi a été accompli et donne l’agréable sensation
d’avoir apporté une pierre à l’édifice. Je tiens dans un premier temps à remercier toute
personne qui a contribué d’une façon ou d’une autre à la réalisation et à l’aboutissement
de cette thèse.
Je n’aurais jamais pu imaginer, il y a 8 ans, lors de mes premiers pas dans l’enseignement
supérieur, dans ma petite université de Picardie, que je serai allé découvrir la capitale
pour préparer un doctorat en informatique. Je n’étais d’ailleurs pas destiné initialement
à l’informatique croyant à tort qu’il fallait être un "geek" pour y prendre goût. J’ai donc
un premier remerciement pour M. Gwenaël Richomme qui a contribué grandement à mon
changement d’orientation grâce à son cours passionnant d’introduction à l’algorithmique
et à la programmation. Lors de ma venue à Paris en septembre 2009 pour préparer le
master SAR de l’UPMC, je pensais encore être destiné à l’industrie. Le changement de
cap, je le dois à Olivier Marin que je remercie pour m’avoir aider à faire le premier pas
dans le domaine de la recherche grâce à son sujet de projet sur le Map/Reduce. Le projet
a ensuite débouché sur un stage au LIP6 où j’ai fait la connaissance de Julien Sopena et de
Luciana Arantes. C’est sans nul doute grâce à ce stage ayant abouti sur deux publications
et un voyage à Lisbonne que l’idée de faire une thèse commençait à germer.
Cette thèse fait suite à mon stage de fin d’études qui m’a été proposé par Pierre
Sens, Julien Sopena et Luciana Arantes. Ce stage a été très bénéfique pour moi car il
m’a donné 6 précieux mois de plus et a sans nul doute contribué à terminer cette thèse
dans les temps. Je tiens donc à remercier chaleureusement mon directeur de thèse et mes
encadrants pour la confiance qu’ils m’ont accordée lors de ce recrutement ainsi que l’aide
et conseils précieux qu’ils m’ont apportés durant ces trois ans.
J’adresse un grand merci à mes collègues doctorants et ex-doctorants de l’équipe
REGAL (en particulier Florian David qui a été aussi un très bon colocataire) et de
l’équipe Move.
Je remercie particulièrement Sébastien Monnet qui a participé quasiment à toutes mes
répétitions de présentation et de soutenance de cette thèse.
Je remercie le projet ANR MyCloud qui a été à l’origine du sujet ainsi que ses membres
avec qui j’ai eu d’enrichissantes conversations scientifiques.
Je remercie Mme Christine Morin et M. Abdelmadjid Bouabdallah d’avoir accepté de
rapporter cette thèse ainsi que M. Mohamed Naimi, M. Achour Mostefaoui et M. Franck
Petit d’avoir accepté de faire partie du jury.
Je terminerai cette page en remerciant les personnes de ma famille qui ont très grandement
contribué à mon éducation et sans qui je ne serai pas ce que je suis devenu : mes
parents et mes grands-parents. Il me reste à remercier immensément ma chère Rebecca
qui fait mon bonheur tous les jours et qui m’a sans cesse encouragé pendant ces trois ans.ivRésumé
Les systèmes à grande échelle comme les Grilles ou les Nuages (Clouds) mettent à disposition
pour les utilisateurs des ressources informatiques hétérogènes. Dans les Nuages,
les accès aux ressources sont orchestrés par des contrats permettant de définir un niveau
de qualité de service (temps de réponse, disponibilité ...) que le fournisseur doit respecter.
Ma thèse a donc contribué à concevoir de nouveaux algorithmes distribués de verrouillage
de ressources dans les systèmes large échelle en prenant en compte des notions de qualité
de service. Dans un premier temps, mes travaux de thèse se portent sur des algorithmes
distribués de verrouillage ayant des contraintes en termes de priorités et de temps. Deux
algorithmes d’exclusion mutuelle ont été proposés : un algorithme prenant en compte les
priorités des clients et un autre pour des requêtes avec des dates d’échéance. Dans un
second temps, j’ai abordé le problème de l’exclusion mutuelle généralisée pour allouer
de manière exclusive plusieurs types de ressources hétérogènes. J’ai proposé un nouvel
algorithme qui réduit les coûts de synchronisation en limitant la communication entre
processus non conflictuels. Tous ces algorithmes ont été implémentés et évalués sur la
plateforme nationale Grid 5000. Les évaluations ont montré que nos algorithmes satisfaisaient
bien les contraintes applicatives tout en améliorant de manière significative les
performances en termes de taux d’utilisation et de temps de réponse.
Mots-clés: Algorithmique distribuée, exclusion mutuelle, QoS, expérimentation
Abstract
Distributed large-scale systems such as Grids or Clouds provide large amounts of
heterogeneous computing resources. Clouds manage ressource access by contracts that allow
to define a quality of service (response time, availability, ...) that the provider has to
respect. My thesis focuses on designing new distributed locking algorithms for large scale
systems that integrate notions of quality of service. At first, my thesis targets distributed
locking algorithms with constraints in terms of priorities and response time. Two mutual
exclusion algorithms are proposed : a first algorithm takes into account client-defined priorities
and a second one associates requests with deadlines. I then move on to a generalized
mutual exclusion problem in order to allocate several types of heterogeneous resources in
a exclusive way. I propose a new algorithm that reduces the cost of synchronization by
limiting communication between non-conflicting processes. All algorithms have been implemented
and evaluated over the national platform Grid 5000. Evaluations show that
our algorithms satisfy applicative constraints while improving performance significatively
in terms of resources use rate and response time.
Keywords: Distributed algorithm, mutual exclusion, QoS, experiments
vviSommaire
1 Introduction générale 1
1.1 Présentation et contexte général de la thèse . . . . . . . . . . . . . . . 1
1.2 Contributions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
1.3 Organisation du manuscrit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Partie I Exclusion mutuelle distribuée : concepts, modèles et algorithmes
2 Exclusion mutuelle distribuée 7
2.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
2.2 Description et formalisation du système considéré . . . . . . . . . . . . 8
2.3 Définition de l’exclusion mutuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.3.1 États des processus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.3.2 Propriétés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
2.3.3 Ordonnancement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
2.3.4 Métriques d’évaluation de performances . . . . . . . . . . . . . 10
2.4 Taxonomie des algorithmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
2.4.1 Algorithmes à permissions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
2.4.2 Algorithmes à jeton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
2.4.3 Algorithme centralisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
2.4.4 Algorithmes hybrides et hiérarchiques . . . . . . . . . . . . . . 14
2.5 Algorithmes de bases des contributions de la thèse . . . . . . . . . . . . 15
2.5.1 L’algorithme de Raymond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
2.5.2 Les algorithmes de Naimi-Tréhel . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
2.6 Extensions de l’exclusion mutuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
2.7 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
viiviii Sommaire
3 Exclusion mutuelle à priorités 25
3.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
3.2 Extension du modèle du système considéré . . . . . . . . . . . . . . . . 26
3.3 Taxonomie des algorithmes à priorité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
3.3.1 Priorités statiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
3.3.2 Priorités dynamiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
3.4 Description des algorithmes principaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
3.4.1 Algorithme de Mueller . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
3.4.2 Algorithme de Chang . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
3.4.3 Algorithme de Kanrar-Chaki . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
3.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Partie II Exclusion mutuelle à priorité et exclusion mutuelle à
contraintes temporelles 31
4 Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle 33
4.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
4.2 Définition des inversions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
4.3 Réduction des inversions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
4.3.1 Corps de l’algorithme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
4.3.2 Amélioration des communications . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
4.3.3 Retard d’incrémentation de priorité . . . . . . . . . . . . . . . . 39
4.3.4 Prise en compte de la topologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
4.4 Évaluation du mécanisme de réduction d’inversions . . . . . . . . . . . 40
4.4.1 Protocole d’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
4.4.2 Résultats en charge constante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
4.4.3 Résultats en charge dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
4.4.4 Étude en charge constante avec priorité constante . . . . . . . . 51
4.4.5 Synthèse de l’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
4.5 Réduction du temps d’attente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
4.5.1 Un équilibre sur deux objectifs contradictoires . . . . . . . . . . 56
4.5.2 Principes de l’algorithme Awareness . . . . . . . . . . . . . . . 56
4.5.3 Description de l’algorithme Awareness . . . . . . . . . . . . . . 57ix
4.6 Évaluation des performances de l’algorithme Awareness . . . . . . . . . 61
4.6.1 Protocole d’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
4.6.2 Résultats pour une fonction de palier donnée . . . . . . . . . . 62
4.6.3 Impact de la fonction de palier sur les inversions et le temps de
réponse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
4.7 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
5 Exclusion mutuelle avec dates d’échéance 69
5.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
5.2 Motivations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
5.2.1 Cloud Computing . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
5.2.2 Service Level Agreement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
5.3 Description de l’algorithme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
5.3.1 Description générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
5.3.2 Contrôle d’admission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
5.3.3 Mécanisme de préemption . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
5.4 Évaluation des performances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
5.4.1 Protocole d’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
5.4.2 Métriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
5.4.3 Impact global . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
5.4.4 Impact de la préemption pour une charge donnée . . . . . . . . 84
5.4.5 Impact de la charge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
5.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
Partie III Contribution dans la généralisation de l’exclusion mutuelle
89
6 Présentation de l’exclusion mutuelle généralisée 91
6.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
6.2 Généralités et notations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
6.3 Le modèle à une ressource en plusieurs exemplaires . . . . . . . . . . . 92
6.3.1 Section critique à entrées multiples ou k-mutex . . . . . . . . . 92
6.3.2 Plusieurs exemplaires par demande . . . . . . . . . . . . . . . . 93x Sommaire
6.4 Le modèle à plusieurs ressources en un seul exemplaire . . . . . . . . . 94
6.4.1 Les conflits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
6.4.2 Propriétés à respecter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
6.4.3 Algorithmes incrémentaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
6.4.4 Algorithmes simultanés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
6.5 Le modèle à plusieurs ressources en plusieurs exemplaires . . . . . . . . 98
6.6 Conclusion et synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
7 Verrouiller efficacement les ressources sans connaissance préalable
des conflits 101
7.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
7.2 Objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
7.3 Suppression du verrou global . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
7.3.1 Mécanisme de compteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
7.3.2 Ordonnancement total des requêtes . . . . . . . . . . . . . . . . 104
7.4 Évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
7.4.1 Protocole d’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
7.4.2 Résultats sur le taux d’utilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
7.4.3 Résultats sur le temps d’attente . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
7.5 Ordonnancement dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
7.5.1 Principes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
7.5.2 Évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
7.6 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
Partie IV Conclusion générale 113
8 Conclusion générale 115
8.1 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
8.2 Perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
8.2.1 Perspectives spécifiques aux contributions . . . . . . . . . . . . 117
8.2.2 Perspectives globales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Bibliographie 119
Publications associées à cette thèse 125xi
Liste des notations 127
Annexes 129
A Implémentation distribuée de l’algorithme d’exclusion mutuelle gé-
néralisée 129
A.1 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
A.2 Les messages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
A.2.1 Information véhiculée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
A.2.2 Mécanisme d’agrégation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
A.3 États des processus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
A.4 Variables locales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
A.5 Description . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132xii SommaireTable des figures
2.1 Machine à états de l’exclusion mutuelle classique . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.2 Algorithme de Raymond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
2.3 Exemple d’exécution de l’algorithme de Raymond . . . . . . . . . . . . . . 17
2.4 Algorithme de Naimi-Tréhel avec file distribuée [NT87a] . . . . . . . . . . 19
2.5 Algorithme de Naimi-Tréhel avec files locales [NT87b] . . . . . . . . . . . . 19
2.6 Exemple d’exécution des deux versions de l’algorithme de Naimi-Tréhel . . 21
2.7 Schéma récapitulatif de l’état de l’art de l’exclusion mutuelle . . . . . . . . 24
3.1 Exemple d’exécution de l’algorithme de Kanrar-Chaki . . . . . . . . . . . . 30
4.1 Exemple de classe d’inversions de priorité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
4.2 Algorithme retard-distance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
4.3 Performances du mécanisme de retard avec une charge intermédiaire . . . 42
4.4 Analyse approfondie des inversions pour une charge intermédiaire . . . . . 44
4.5 Étude de l’impact de la charge sur le nombre de messages, le taux d’utilisation
et le nombre d’inversions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
4.6 Impact de la charge sur les requêtes pénalisées et favorisées . . . . . . . . . 48
4.7 Rapport (nombre total d’inversions / nombre total de requêtes) avec une
charge dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
4.8 Schémas des distributions de priorités considérées dans l’arbre . . . . . . . 52
4.9 Temps de réponse moyen en fonction de la distribution des priorités dans
l’arbre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
4.10 Temps de réponse moyen en fonction de la distribution des priorités dans
l’arbre (tableau des valeurs) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
4.11 Différence de comportement entre les différents algorithmes . . . . . . . . . 58
4.12 Ordre de grandeur en nombre d’émissions de requêtes de priorité p, pour
acheminer le jeton en zone de priorité p
0 < p . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
4.13 Algorithme Awareness . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
4.14 Performances de l’algorithme "Awareness" en charge moyenne (ρ = 0.5N)
et en charge haute (ρ = 0.1N) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
4.15 Étude de cinq familles de fonction de palier en charge moyenne (ρ = 0.5N)
et en charge haute (ρ = 0.1N) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
5.1 Algorithme à dates d’échéances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
5.2 Contrôle d’admission avec acquittement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
xiiixiv Table des figures
5.3 Contrôle d’admission sans acquittement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
5.4 Exemple pour comparer les deux stratégies de validation . . . . . . . . . . 78
5.5 Fonction de condition de préemption . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
5.6 Description des différentes politiques de préemption . . . . . . . . . . . . . 80
5.7 Comparaison globale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
5.8 Impact de la taille de préemption ψ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
5.9 Impact de la charge pour ψ = 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
6.1 Exemple de construction de graphe de conflit . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
6.2 Exemple illustrant l’effet domino . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
6.3 Schéma récapitulatif de la généralisation de l’exclusion mutuelle distribuée 99
7.1 Illustration de l’impact des objectifs sur le taux d’utilisation . . . . . . . . 103
7.2 Exemple d’exécution d’obtention des compteurs . . . . . . . . . . . . . . . 105
7.3 Illustration du taux d’utilisation pour l’exclusion mutuelle généralisée . . . 107
7.4 Impact sur le taux d’utilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
7.5 Impact sur le temps d’attente moyen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
7.6 Évaluation du mécanisme de prêt en mémoire partagée . . . . . . . . . . . 111
A.1 Structures véhiculées par les messages de l’implémentation distribuée . . . 131
A.2 Machine à états des processus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
A.3 Implémentation distribuée : procédures d’initialisation, de demande et de
libération de section critique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
A.4 Implémentation distribuée : procédures de réception de requêtes 1 et 2 et
de compteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
A.5 Implémentation distribuée : procédure de réception et d’envoi de jeton . . . 136Chapitre 1
Introduction générale
Sommaire
1.1 Présentation et contexte général de la thèse . . . . . . . . 1
1.2 Contributions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
1.3 Organisation du manuscrit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.1 Présentation et contexte général de la thèse
Si nos sociétés modernes sont souvent décrites comme égoïstes, elles sont en réalité
basées sur le partage des ressources : le guichet de bureau de poste, la caisse du supermarché,
le médecin ou bien encore la bouteille de vin du repas dominical. Ce partage peut
être inéquitable et résulte plus d’une somme d’intérêts individuels que d’une véritable gé-
nérosité. Il ne serait en effet guère rentable d’avoir son propre médecin, son propre réseau
postal, etc. Une mutualisation des ressources est donc indispensable et nous oblige à défi-
nir des règles, des conventions sociales pour l’organiser : prise de rendez-vous, émission de
tickets, salles d’attente, politesse, ... Ces protocoles structurent notre société. D’un point
de vue informatique, les programmes évoluent dans un système composé de ressources
partagées pouvant aussi bien être matérielles (processeur, carte graphique, carte réseau,
disque, etc.) que logicielles (variables, table de base de données, etc.). Il faut donc à l’instar
de la société humaine définir des protocoles, des algorithmes pour synchroniser les
accès des différents processus.
Ce problème de synchronisation est un des piliers de l’algorithmique. Identifié par
Edsger Dijkstra [Dij65], il est connu sous le nom de l’exclusion mutuelle. Ce paradigme
permet d’assurer que l’exécution d’une portion de code manipulant une ressource partagée
(section critique) se fera toujours de manière exclusive (propriété de sureté) et que
tout processus souhaitant l’utiliser y accédera en temps fini (propriété de vivacité).
Pour mettre en place un algorithme d’exclusion mutuelle, les processus doivent obligatoirement
communiquer. Ils peuvent alors communiquer de deux façons : soit par l’intermédiaire
d’une mémoire partagée (principalement rencontré dans le système d’exploitation
d’une machine), soit par l’intermédiaire d’un réseau par passage de messages (principalement
rencontré dans les systèmes répartis comme les clusters, les grilles ou les nuages).
12 Chapitre 1. Introduction générale
Le sujet de cette thèse porte sur l’exclusion mutuelle par passage de messages. Dans
ce mode de communication, de nombreuses solutions ont été apportées pour lesquelles on
peut distinguer deux grandes classes : l’approche à permissions [Lam78, RA81, Mae85] où
il est possible d’entrer en section critique après la réception de la permission d’un ensemble
de processus et l’approche basée sur la circulation d’un jeton unique [Mar85, SK85, NT87a]
où la possession du jeton donne le droit exclusif d’entrer en section critique. Le jeton
se transmet alors généralement entre les processus sur une topologie logique comme un
anneau [Mar85] ou un arbre [Ray89b, NT87a].
Les nombreux algorithmes distribués d’exclusion mutuelle ne sont pas forcément bien
adaptés aux besoins spécifiques des systèmes distribués modernes. Ces systèmes tels que
les Clouds mettent souvent à disposition un ensemble de ressources partagées hétérogènes
et les applications s’exécutant sur ces systèmes peuvent avoir des contraintes différentes
en termes de priorité, temps de réponse ou fiabilité. Plusieurs extensions de l’exclusion
mutuelle ont été introduites ces dernières années pour prendre en compte les priorités
des demandes d’accès, assurer un accès exclusif à plusieurs exemplaires de ressources (kmutex),
gérer plusieurs types de ressources, tolérer les pannes, etc. Cependant, la plupart
de ces algorithmes se montrent inefficaces et/ou inadaptés aux grands systèmes actuels,
à cause de coûts de synchronisation élevées, de temps d’attente trop important ou un
non respect des priorités. Cette thèse a donc pour but de concevoir de nouveaux algorithmes
d’exclusion mutuelle. Nous nous intéressons plus particulièrement à la prise en
compte des requêtes à priorités différentes, à assurer l’accès à une ressource avant une
date d’échéance requise et enfin à l’exclusion mutuelle généralisée pour gérer les requêtes
nécessitant plusieurs ressources.
1.2 Contributions
Cette thèse apporte les trois contributions suivantes dans le domaine de l’exclusion
mutuelle distribuée.
Exclusion mutuelle distribuée à priorités. Les algorithmes d’exclusion mutuelle
classiques assurent que les requêtes soient satisfaites selon un ordre FIFO. Cependant,
un tel ordre peut être incompatible avec les différents niveaux de requêtes exprimées par
les clients. L’exclusion mutuelle à priorité permet de prendre en compte cette différence.
Son but est de satisfaire les requêtes en respectant l’ordre des priorités. Cependant, un
respect strict de cet ordre peut amener à des famines pour les requêtes de faibles priorités.
Un mécanisme de priorités dynamiques que l’on peut trouver dans les algorithmes de
Chang [Cha94] ou Kanrar-Chaki [KC10] est donc indispensable afin d’assurer que toute
requête atteindra en temps fini la priorité maximale et ainsi préserver la vivacité. Mais une
telle stratégie génère beaucoup d’inversions de priorités. Nous proposons donc un premier
algorithme afin de ralentir l’incrémentation de priorité ([CCgrid12, Compas13]). Bien que
ce ralentissement assure toujours la propriété de vivacité, les petites priorités peuvent
avoir des temps d’attente énormes dans certaines configurations. Un second algorithme a
donc été proposé dans [ICPP13]. Cet algorithme se base sur la circulation d’un jeton dans
une topologie d’arbre statique et permet de réduire considérablement le temps d’attente1.3. Organisation du manuscrit 3
d’obtention de l’accès à la section critique pour un taux d’inversions donné.
Exclusion mutuelle distribuée à contrainte temporelles. Les algorithmes actuels
n’intègrent pas les notions de qualité de service en termes de temps de réponse.
Nous avons donc proposé une extension de l’exclusion mutuelle en prenant en compte
les contraintes temporelles exprimées par les applications. Notre algorithme publié dans
[CCgrid12, CCgrid13] se base sur la circulation d’un jeton dans un arbre statique et permet
aux requêtes clientes de spécifier au moment de leur émission une date d’échéance
de satisfaction. Un mécanisme de contrôle d’admission accepte ou refuse les requêtes en
fonction de l’état actuel du système. Si une requête passe avec succès le contrôle, le système
s’engage à satisfaire la requête avant la date d’échéance (exigence client). Afin de
maximiser l’utilisation de la ressource partagée (exigence fournisseur), l’algorithme ordonnance
les requêtes en fonction de leur localité dans la topologie tout en respectant les
dates d’échéance des requêtes acceptées.
Exclusion mutuelle généralisée à plusieurs ressources. Il est possible dans un
système à grande échelle qu’une section critique concerne plusieurs ressources. Il s’agit
du paradigme du "Cocktail des philosophes" introduit par Chandy-Misra [CM84]. Le
fait d’introduire plusieurs ressources dans une requête peut amener à des interblocages
dans les requêtes conflictuelles (qui demandent des ressources communes) violant ainsi
la vivacité. La plupart des algorithmes existants [Lyn81, SP88, CM84, GSA89, BL00]
peuvent résoudre ce problème d’interblocage soit au prix d’une connaissance préalable
sur les conflits entre les requêtes amenant une hypothèse très forte sur le système soit
au prix d’un coût important de synchronisation impliquant une perte d’efficacité dans
l’utilisation des ressources. Nous avons donc conçu un algorithme qui ne nécessite pas
de connaître a priori les requêtes conflictuelles et qui réduit de manière significative les
coûts de synchronisation. Cet algorithme limite entre autres les échanges entre les sites qui
n’accèdent pas aux mêmes ressources. Cette réduction des coûts réduit le temps d’attente
global des requêtes et améliore le taux d’utilisation des ressources. Cette contribution a
donné lieu à une publication dans une conférence francophone [Compas14]. Une version
internationale est en cours de soumission.
Tous les algorithmes produits dans cette thèse ont été implémentés avec OpenMPI
[oMP] et évalués sur la plate-forme nationale académique Aladin Grid 5000 [g5k]. Ces
évaluations montrent un gain très important de nos algorithmes par rapport aux algorithmes
de l’état de l’art.
1.3 Organisation du manuscrit
Ce manuscrit s’articule autour de quatre parties. La première partie présente l’exclusion
mutuelle de manière générale. Cette partie est composée de deux chapitres :
• le chapitre 2 introduit le problème de l’exclusion mutuelle, donne ses principales
propriétés et présente une taxonomie d’algorithmes répartis. Les algorithmes de4 Chapitre 1. Introduction générale
bases sur lesquels nos travaux reposent (Raymond [Ray89b] et Naimi-Tréhel [NT87a,
NT87b]) seront présentés plus en détails.
• le chapitre 3 présente un état de l’art de l’exclusion mutuelle à priorité. Il présente
également les algorithmes sur lesquels nos travaux se baseront (Chang [Cha94],
Kanrar-chaki [KC10] et Mueller [Mue99])
La deuxième partie présente les contributions relatives à la synchronisation autour d’une
seule ressource :
• le chapitre 4 présente notre contribution sur l’exclusion mutuelle à priorités. On
décrit dans un premier temps notre algorithme réduisant le nombre d’inversions de
priorités avec une étude de performances approfondie. Dans un second temps nous
présenterons l’algorithme amélioré permettant d’équilibrer le temps d’attente et le
taux d’inversions indépendamment de la topologie considérée.
• le chapitre 5 présente la contribution sur les requêtes à contrainte de temps. Les
différents mécanismes qui composent cet algorithme y sont détaillés et évalués.
La troisième partie traite du problème de l’exclusion mutuelle généralisée :
• le chapitre 6 présente un état de l’art des différents modèles de généralisation d’exclusion
mutuelle. Il schématise également les liens entre ces modèles.
• le chapitre 7 présente les principes de notre algorithme d’exclusion mutuelle généralisée
pour verrouiller plusieurs ressources hétérogènes. L’implémentation distribuée
étant relativement complexe est décrite en annexe de ce manuscrit.
Enfin, la quatrième partie conclut ce manuscrit. Cette partie rappelle les contributions et
présente en dernier lieu nos ouvertures et perspectives de recherche.Première partie
Exclusion mutuelle distribuée :
concepts, modèles et algorithmes
5Chapitre 2
Exclusion mutuelle distribuée
Sommaire
2.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
2.2 Description et formalisation du système considéré . . . . 8
2.3 Définition de l’exclusion mutuelle . . . . . . . . . . . . . . 9
2.3.1 États des processus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.3.2 Propriétés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
2.3.3 Ordonnancement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
2.3.4 Métriques d’évaluation de performances . . . . . . . . . . . 10
2.4 Taxonomie des algorithmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
2.4.1 Algorithmes à permissions . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
2.4.2 Algorithmes à jeton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
2.4.3 Algorithme centralisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
2.4.4 Algorithmes hybrides et hiérarchiques . . . . . . . . . . . . 14
2.5 Algorithmes de bases des contributions de la thèse . . . . 15
2.5.1 L’algorithme de Raymond . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
2.5.2 Les algorithmes de Naimi-Tréhel . . . . . . . . . . . . . . . 18
2.6 Extensions de l’exclusion mutuelle . . . . . . . . . . . . . . 20
2.7 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
2.1 Introduction
Dans un système distribué, les processus sont susceptibles d’accéder à une ou plusieurs
ressources partagées (variables, pages mémoires, fichiers, etc.). Pour éviter les incohérences
dues aux accès concurrents des processus, il est indispensable que ceux-ci synchronisent
leurs accès. Ce problème fut identifié par Edsger Dijkstra en 1965 [Dij65]. Il l’a formalisé
au travers du paradigme de l’exclusion mutuelle qui est devenu un pilier de l’algorithmique
répartie. Ce paradigme assure qu’à un instant donné, au plus un processus peut exécuter
une partie d’un code concurrent, appelée section critique. Dans le cadre de cette thèse
nous nous intéresserons à l’exclusion mutuelle distribuée où les processus communiquent
78 Chapitre 2. Exclusion mutuelle distribuée
par passage de messages. Ce chapitre a pour but de présenter ce problème fondamental
et se découpe de la manière suivante.
La section 2.2 décrit le système que nous considérons et introduit les notations qui
serviront tout au long de ce manuscrit. La section 2.3 définit formellement l’exclusion
mutuelle. Ensuite la section 2.4 donne une classification des algorithmes distribués que
l’on trouve dans la littérature. Deux algorithmes d’exclusion mutuelle classique à jeton sur
lesquels les contributions de cette thèse sont basées (les algorithmes de Raymond [Ray89b]
et de Naimi-Tréhel [NT87a, NT87b]) seront présentés en section 2.5. Enfin la section 2.6
décrit brièvement les différentes extensions de l’exclusion mutuelle et la section 2.7 donne
un schéma récapitulatif de cet état de l’art.
2.2 Description et formalisation du système considéré
Nous considérons un système distribué composé d’un ensemble Π= {s1, s2, ..., sN } de
N nœuds. Ces nœuds n’exécutant qu’un seul processus, dans la suite les mots "nœuds",
"processus" et "sites" sont interchangeables. Le système est considéré statique, autrement
dit Π est constant. Les différentes hypothèses sur le système sont données ci dessous.
Hypothèse 1. Tous les sites sont fiables, ne partagent pas de mémoire et communiquent
uniquement par circulation de messages au travers de liens point à point.
Hypothèse 2. Les liens sont fiables (ni duplication ni perte de message) et FIFO.
Hypothèse 3. Le temps de communication entre deux nœuds est borné mais inconnu.
Hypothèse 4. Le graphe de communication est complet, i.e,. chaque processus peut communiquer
avec n’importe quel autre processus.
Pour demander un accès à la section critique, un processus doit faire appel à la fonction
bloquante Request_CS de l’algorithme permettant d’assurer l’exclusivité d’exécution sur
la section critique. Lorsque son exécution de section critique se termine il doit faire appel
à la fonction Release_CS pour indiquer à d’autres processus que la section critique est
libre.
Hypothèse 5. Un processus peut demander la section critique en appelant la primitive
Request_CS si et seulement si sa précédente requête a été satisfaite par une section
critique qui s’est terminée par un appel à Release_CS.
L’hypothèse 5 implique qu’il y a au plus N requêtes pendantes dans le système.
Hypothèse 6. Le temps d’exécution de la section critique est fini.
Dans la suite de ce rapport, les algorithmes seront spécifiés avec un pseudo-code
événementiel. A chaque réception d’un message de type typem le site exécute la fonction
Receive_typem. Les primitives de l’algorithme se résument donc aux primitives
Request_CS, Release_CS et l’ensemble des primitives Receive_ correspondantes aux
types de messages de l’algorithme. Enfin, nous supposons que les processus possèdent un2.3. Définition de l’exclusion mutuelle 9
Figure 2.1 – Machine à états de l’exclusion mutuelle classique
verrou local permettant aux primitives de s’exécuter de manière exclusive afin d’éviter
toute incohérence sur les variables locales partagées.
Nous notons le temps d’exécution du système T. T est discrétisé par rapport aux
exécutions des primitives sur les différents sites et peut être vu comme un ensemble d’instants
t. L’instant t0 ∈ T correspond au moment où le système s’initialise. Par conséquent
il n’existe pas d’instant t 6= t0 tel que t < t0. L’instant tnow désigne l’instant courant.
2.3 Définition de l’exclusion mutuelle
Cette section présente les notions de bases qui serviront tout au long de ce manuscrit à
savoir : la machine à états du problème, les propriétés fondamentales définissant l’exclusion
mutuelle, l’ordonnancement des requêtes de section critique. Le lecteur pourra trouver une
présentation complémentaire du problème de l’exclusion mutuelle dans le chapitre 2 de la
thèse de J. Sopena [Sop08].
2.3.1 États des processus
Dans les modèles classiques de la littérature les processus ont trois états possibles :
• tranquilt
si
: le processus si ne demande pas la section critique à l’instant t ∈ T.
• requestingt
si
: le processus si est en attente de la section critique à l’instant t ∈ T.
• inCSt
si
: le processus si est en train d’exécuter la section critique à l’instant t ∈ T.
La machine à états est composée de trois transitions :
• de tranquilsi
à requestingsi
: événement provoqué par le processus ssi
lorsque celuici
souhaite entrer en section critique en faisant appel à Request_CS.
• de requestingsi
à inCSsi
: événement indiquant que le processus si peut entrer en
section critique
• de inCSsi
à tranquilsi
: événement provoqué par le processus si
lorsque celui-ci sort
de la section critique en faisant appel à Release_CS.
Le schéma de la machine à états est représenté dans la figure 2.1.10 Chapitre 2. Exclusion mutuelle distribuée
2.3.2 Propriétés
Les algorithmes d’exclusion mutuelle doivent respecter deux propriétés fondamentales :
• la sûreté : au plus un processus exécute la section critique.
Formellement : ∀t ∈ T∃si ∈ Π tel que inCSt
si ⇒ @sj ∈ Π tel que inCSt
sj
• la vivacité : si le temps d’exécution de section critique est fini, chaque processus
demandeur accédera à la section critique dans un temps fini (pas de famine).
Formellement : ∀si ∈ Π, ∀t ∈ T, ∃t
0 ∈ T tel que t
0 > t,
requestingt
si ⇒ inCSt
0
si
2.3.3 Ordonnancement
Toute requête pendante doit pouvoir être différenciée d’une autre pour déterminer celle
qui accédera à la section critique d’abord. Cette différenciation se fait selon un ordre total
propre à l’algorithme qui définit sa politique d’ordonnancement. Pour éviter la famine
toute requête pendante doit devenir en un temps fini la plus prioritaire de cet ordre. La
politique d’ordonnancement de l’algorithme est primordiale pour assurer la vivacité.
L’exclusion mutuelle classique obéit à un ordonnancement du type "premier arrivé,
premier servi", c’est à dire que les requêtes sont satisfaites en fonction de leur date d’enregistrement
dans le système. Ce mécanisme de date peut s’implémenter entre autres par
une horloge logique ou bien par un ajout dans une file d’attente gérée de manière distribuée
ou centralisée. Cette politique d’ordonnancement permet d’assurer la vivacité : toute
nouvelle requête q
0 plus récente que q sera satisfaite après q et comme nous considérons
un système où le nombre de processus N est fini, ceci implique que toute requête q a un
nombre fini de requêtes plus prioritaires. Ainsi toute requête deviendra en un temps fini
la plus prioritaire.
2.3.4 Métriques d’évaluation de performances
En plus de leurs propriétés fondamentales, les algorithmes distribués d’exclusion mutuelle
doivent être performants. D’après [Sin93], les performances d’un algorithme d’exclusion
mutuelle se caractérisent par la minimisation des métriques suivantes :
• le temps de réponse ou temps d’attente : le temps entre le moment où un site
envoie une requête et le moment où il est autorisé à entrer en section critique.
• le temps de synchronisation : le temps entre le moment où un site libère la
section critique et le moment où le site suivant entre en section critique. Le temps de
synchronisation désigne le temps du protocole entre deux utilisations successives de
la ressource critique. Si on considère négligeable le temps de calcul, ceci se ramène
au temps de communication. Dans le cadre de cette thèse, cette métrique a été
remplacée par le taux d’utilisation de la ressource qui désigne le pourcentage
de temps passé à l’utilisation de la ressource sur une période donnée.
• la complexité en messages : le nombre de messages nécessaires pour chaque
demande d’entrée en section critique. Cette métrique n’est pas directement liée aux
performances d’accès à la ressources mais reflète la capacité de l’algorithme à passer
à l’échelle.2.4. Taxonomie des algorithmes 11
2.4 Taxonomie des algorithmes
Plusieurs publications comme Michel Raynal [Ray91b], Mukesh Singhal [Sin93] et
Martin G. Velasquez [Vel93] décrivent au début des années 90 une classification des algorithmes
d’exclusion mutuelle. Ces classifications, classent les algorithmes en deux grandes
catégories :
• Les algorithmes à permissions : le site demandeur doit recevoir l’accord d’un ensemble
d’autres sites pour accéder à la section critique.
• Les algorithmes à jeton : un jeton unique circule sur l’ensemble des sites et donne
le droit à son possesseur d’entrer en section critique. L’unicité du jeton assure la
sûreté.
2.4.1 Algorithmes à permissions
Dans ce type d’algorithmes, un processus désirant entrer en section critique doit envoyer
une requête à un groupe de processus et attendre leur accord. En absence d’horloge
globale, les requêtes sont généralement estampillées avec les horloges logiques de Lamport
[Lam78]. Ces estampilles temporelles permettent d’ordonner totalement les requêtes
concurrentes dans une file d’attente et ainsi assurer un accès équitable à la section critique.
Les algorithmes à permissions peuvent être encore subdivisés en trois sous-catégories :
permissions individuelles, permissions d’arbitre et permissions généralisées.
Permissions individuelles
Dans ce type d’algorithmes, un processus donne sa permission à un site ayant envoyé
une requête, s’il n’est pas en section critique ou s’il attend la section critique mais que
sa requête est moins prioritaire, i.e., moins récente d’après l’horloge logique. Un site peut
donc donner plusieurs permissions à différents sites de manière simultanée. Une requête
est satisfaite lorsque le site demandeur reçoit N − 1 permissions.
La demande de permission peut se faire de deux manières :
• Statique : les destinataires des requêtes sont l’ensemble des nœuds. Ce principe de
diffusion générale a été introduit par G. Ricart et A.K. Agrawala dans [RA81] qui
améliore l’algorithme de Lamport [Lam78] au niveau de la complexité en nombre de
messages (2N − 1 au lieu de 3N − 1 ), en utilisant toujours les horloges de Lamport
et en enlevant l’hypothèse des canaux FIFO qui est indispensable pour l’algorithme
de Lamport.
• Dynamique : Pour diminuer le nombre de messages par requête, les processus maintiennent
de l’information sur la liste des permissions. Un processus si peut considérer
qu’il a la permission d’un site sj
, si sj ne lui a pas envoyé de nouvelle requête. Ainsi
un site n’enverra pas de requête aux sites non-demandeurs. O.S.F. Carvalho et G.
Roucairol nous donnent un algorithme à permissions individuelles dynamiques dans
[CR83].12 Chapitre 2. Exclusion mutuelle distribuée
Permissions d’arbitre
Dans cette approche, un site (l’arbitre) donne sa permission à un seul site à la fois. ainsi
lorsqu’il donne sa permission à un site si
, toute autre requête reçue sera mise en attente.
Le site pourra alors donner sa permission à la prochaine requête lorsque si sortira de sa
section critique. Il est ainsi impossible d’avoir deux permissions simultanées provenant
d’un même site. L’algorithme de référence est celui de M. Maekawa [Mae85]. Il utilise
un mécanisme de quorum. L’ensemble des sites est divisé en sous-ensembles de manière
à ce que l’intersection de chaque sous-ensemble E ⊆ Π avec un autre sous-ensemble
E
0 ⊆ Π ne soit pas vide. Ceci permet théoriquement de réduire la complexité en nombre
de messages à O(
√
N) alors qu’elle est en moyenne de O(N) dans les algorithmes à
permissions individuelles. Cependant, le fait qu’un arbitre ne donne sa permission qu’à
un seul demandeur, peut conduire à des situations d’interblocages. De plus, la construction
des ensembles est un problème NP-complet.
Permissions généralisées
Ces algorithmes combinent les deux stratégies décrites ci-dessus. Ils ont été introduits
par Sanders [San87] et ont été repris par Singhal [Sin92]. Ainsi, chaque site si maintient un
sous-ensemble de sites E ⊆ Π. Lorsque si reçoit une demande de la part d’un site sj ∈ E,
si donnera une permission de type arbitre et dans le cas contraire (sj ∈/ E) une permission
de type individuel. Ces algorithmes permettent de résoudre le problème d’inter-blocage
de l’algorithme de Maekawa.
2.4.2 Algorithmes à jeton
Dans ces algorithmes, un seul processus obtient une permission globale qui est matérialisé
par la possession d’un jeton. La présence d’un unique jeton assure de manière
triviale la sûreté. Le jeton se transmet de processus en processus. Il existe deux sous
catégories d’algorithmes à jeton :
• Non-structurés : pas de topologie logique imposée sur les sites.
• Structurés : les sites sont organisés selon une topologie bien particulière (un arbre
ou un anneau par exemple).
Algorithmes à jeton structurés
Une topologie logique relie les sites via des liens. Cette topologie peut évoluer au cours
de l’exécution de l’algorithme, dans ce cas cette topologie est dite dynamique et dans le
cas contraire elle est dite statique, i.e., les liens logiques restent les mêmes durant toute
l’exécution et seule leur direction peut changer.
• Topologie statique : Nous pouvons distinguer dans la littérature trois types de
topologies statiques :
∗ Anneau : Dans les algorithmes [Lan78] et [Mar85] le jeton circule le long d’un
anneau unidirectionnel. L’anneau permet d’assurer la propriété de vivacité. En
effet, étant donné que le jeton circule le long de l’anneau, il est certain qu’un
processus aura le jeton à un moment donné. L’algorithme de J. Martin [Mar85]2.4. Taxonomie des algorithmes 13
adapte sa complexité en messages en fonction de la charge (i.e., la quantité de
requêtes pendantes) : en faible charge la complexité est de O(N) alors qu’en forte
charge la complexité devient constante.
∗ Arbre : Le nœud racine de l’arbre est le site qui détient le jeton. Les liens sont
orientés vers la racine de manière à ce que lorsqu’un site demande le jeton, cette
demande soit propagée jusqu’à la racine. Ainsi, un lien entre deux nœuds indiquera
toujours la direction de la racine, i.e., du site possédant le jeton. La complexité
moyenne de ces algorithmes est de O(logN). Dans cette catégorie nous pouvons
citer les algorithmes de Nielsen-Mizuno [NM91] et de Raymond [Ray89b]. Nos
algorithmes des chapitres 4 et 5 se basant sur l’algorithme de Raymond [Ray89b],
la section 2.5.1 détaillera ce dernier.
∗ Graphe : Tous les nœuds sont placés dans une topologie arbitraire. Contrairement
à la topologie de l’arbre, les cycles de la topologie sont possibles. Les requêtes d’un
site se propagent sur le réseau par un mécanisme d’inondation. Le jeton est ensuite
retransmis de site en site jusqu’à son destinataire. [CSL90] et [HPR88] sont deux
exemples de ce type d’algorithme.
• Topologie dynamique : Dans ce type d’algorithme, la topologie logique change
au cours de l’exécution. La dynamicité de la structure reflète l’historique des accès
à la section critique permettant ainsi d’accroître les performances pour les sites qui
ont un accès fréquent à la section critique. Les algorithmes de référence de cette
catégorie sont les algorithmes de Naimi-Tréhel [NT87a, NT87b] et Naimi-TréhelArnold
[NTA96]. Leur topologie est un arbre dynamique ou plus exactement une forêt
dynamique. Chaque nœud maintient deux listes chaînées distribuées : next pour
sauvegarder l’ordre des requêtes pendantes et f ather (ou last) qui indique le chemin
vers le dernier demandeur. Ainsi le dernier demandeur est la racine d’un arbre de
la forêt. Ces algorithmes ont une complexité moyenne en nombre de messages de
O(logN). Notons que l’algorithme de Naimi-Tréhel avec files locales [NT87b] permet
d’avoir une complexité constante en cas de forte charge. Ces algorithmes servant de
base à l’algorithme du chapitre 7 sont détaillés en section 2.5.2.
Algorithmes à jeton non-structurés
Les algorithmes non-structurés n’imposent pas de topologie particulière : le graphe
logique correspond à un graphe complet. Les requêtes se font par diffusion, i.e., un site
demandeur enverra une demande de jeton à un ensemble de nœuds. L’ordre des requêtes
peut être sauvegardé dans une file d’attente incluse dans le jeton. De façon identique aux
algorithmes à permissions individuelles, il existe deux sous-classes d’algorithmes :.
• Algorithmes statiques : Ces algorithmes ne sauvegardent pas l’historique des
différentes exécutions en section critique. Chaque requête est ainsi diffusée à l’ensemble
des nœuds. Nous pouvons donner l’exemple de l’algorithme de Susuki-Kasami
[SK85]. Le site possédant le jeton, une fois sorti de sa section critique, le renverra
au site le plus ancien dont la requête n’a pas encore été satisfaite.
• Algorithmes dynamiques : pour réduire le nombre de messages et éviter de solliciter
les sites qui utilisent peu souvent la section critique, les sites maintiennent14 Chapitre 2. Exclusion mutuelle distribuée
un historique des derniers demandeurs. Une requête n’est alors diffusée qu’aux sites
présents dans l’historique. Chang, Singhal et Liu [CSL91] ont proposé en 1991 un
algorithme de ce type en améliorant l’algorithme de Susuki-Kasami [SK85].
2.4.3 Algorithme centralisé
Des solutions centralisées existent où les différents processus demandant l’accès à la
section critique s’adressent à un site coordinateur. Le coordinateur a une connaissance
globale de l’ensemble des requêtes pendantes et ordonne les accès à la section critique.
Les processus entrent en section critique uniquement sur l’accord du coordinateur. Bien
que cette solution ait une complexité en messages constante, son principal défaut réside
dans le fait qu’il y ait un goulot d’étranglement au niveau de ce coordinateur ce qui rend
un passage à l’échelle difficile lorsque la charge augmente. En effet la capacité à gérer les
requêtes dépend beaucoup de la puissance de traitement de la machine centrale.
Il est à noter que l’algorithme centralisé est un cas particulier d’un algorithme à
jeton à arbre statique de hauteur 1 (topologie en étoile) où le nœud central fait office de
coordinateur.
2.4.4 Algorithmes hybrides et hiérarchiques
Ces algorithmes répartissent le graphe de communications sur plusieurs niveaux hié-
rarchiques. Ainsi les nœuds d’un niveau k sont partitionnés en plusieurs groupes. Chaque
groupe est souvent représenté par un nœud mandataire (le proxy) qui fait l’intermédiaire
avec le niveau k+1. Un nœud de niveau k ne peut s’adresser qu’aux nœuds de son groupe
et aux nœuds d’un groupe de niveau k+1 s’il est mandataire. A l’instar d’un routeur dans
un réseau, les mandataires jouent le rôle de coordinateurs vis-à-vis des autres membres du
groupe. Autrement dit, les mandataires d’un niveau k font aussi partie du niveau k + 1.
Souvent, on se limite à seulement deux niveaux. Une des caractéristiques de ces algorithmes
est que chaque niveau est cloisonné et peut être associé à un type d’algorithme
différent. Ceci qui permet de faire cohabiter par exemple un algorithme à jeton avec un
algorithme à permissions. Cependant, comme dans le modèle centralisé, les mandataires
représentent un goulot d’étranglement et sont sensibles aux pannes.
Voici trois exemples représentatifs de ce type d’algorithme :
• Erciyes [Erc04] : Cet algorithme s’exécute sur deux niveaux hiérarchiques. Le premier
niveau utilise un algorithme centralisé avec un coordinateur qui fait office
d’intermédiaire avec le niveau supérieur. Au niveau supérieur les coordinateurs du
premier niveau sont organisés en anneau. Lorsqu’un coordinateur reçoit une requête
d’un de ses sites, il envoie cette requête à son successeur dans l’anneau. La requête
peut être satisfaite si cette dernière fait un tour complet de l’anneau (adaptation
de l’algorithme de Ricart-Agrawala [RA81] sur un anneau). L’information sur l’ensemble
des requêtes pendantes est entièrement répartie sur les coordinateurs.
• Bertier-Arantes-Sens [BAS04, BAS06] : La topologie sous-jacente du système
est une grille (un ensemble de clusters). Le principe est de privilégier les demandes
locales au sein du cluster possédant le jeton au détriment des demandes des autres
clusters. Pour éviter la famine, un mécanisme de préemption a été mis en place :2.5. Algorithmes de bases des contributions de la thèse 15
au-delà d’un certain seuil, dans le cluster qui possède le jeton, les requêtes internes
ne sont plus prioritaires sur les requêtes externes. Les deux niveaux se basent sur
l’algorithme de Naimi-Tréhel [NT87a].
• Sopena et al. [SLAAS07] : L’algorithme est sur deux niveaux hiérarchiques :
un niveau coordinateur (niveau 2) et un niveau pour les nœuds applicatifs (niveau
1). Il existe ainsi deux types de verrou : inter pour le niveau 2, et intra pour un
groupe de nœuds au niveau 1. L’algorithme est générique, c’est-à-dire qu’il peut
combiner n’importe quel type d’algorithme. Si l’on considère des algorithmes à jeton,
le nombre total de jetons est de k + 1 (k intra et 1 inter).
Les algorithmes hiérarchiques trouvent leur intérêt dans les environnements hétérogènes
en termes de latence réseau. Ils sont principalement utilisés pour des applications qui
s’exécutent sur une grille ou un ensemble de clusters éloignés géographiquement.
2.5 Algorithmes de bases des contributions de la thèse
Cette section détaille les trois algorithmes d’exclusion mutuelle classique sur lesquels
les contributions de cette thèse sont basées. Ces algorithmes sont l’algorithme de Raymond
[Ray89b] et les deux versions de l’algorithme de Naimi-Tréhel [NT87a, NT87b].
Ces algorithmes sont des algorithmes à jeton circulant dans un arbre statique pour Raymond
et une forêt d’arbres dynamiques pour Naimi-Tréhel. Le choix de ces algorithmes
s’explique par leurs bonnes performances en termes de complexité en messages qui est en
moyenne logarithmique.
2.5.1 L’algorithme de Raymond
Présentation
L’algorithme de Raymond [Ray89b] repose sur la circulation d’un jeton entre processus
dans un arbre statique : seule la direction des liens change de sens pendant l’exécution
de l’algorithme. Les nœuds forment ainsi un arbre orienté dont la racine est toujours le
possesseur du jeton et donc le seul à pouvoir entrer en section critique. Cet arbre est
utilisé pour acheminer les requêtes en direction du jeton : à la réception d’un message de
requête sur si ou bien à la création d’une nouvelle requête de si
, ce dernier stocke cette
requête dans une FIFO locale et retransmet le message à son père. Cependant, pour des
raisons d’efficacité, les requêtes ne sont pas retransmises par un nœud ayant déjà fait une
demande (la file locale n’est pas vide). Un nœud devient requesting à partir du moment
où sa file locale est non vide et toute requête qu’un site retransmet le fait en son nom
et non au nom de l’initiateur de la requête. Ainsi chaque nœud fait office de mandataire
pour ses fils directs. Lorsque la racine sort de la section critique, elle envoie le jeton au
premier élément de sa file locale et prend ce dernier comme père. Quand un processus
reçoit le jeton, il dépile la première requête de sa file locale. Si cette requête est de lui, il
peut exécuter la section critique ; sinon il retransmet le jeton au premier élément de sa file
locale, le choisit comme nouveau père et si des requêtes demeurent pendantes, lui envoie16 Chapitre 2. Exclusion mutuelle distribuée
Local variables :1
begin2
3 father : site ∈ Π or nil;
4 Q : FIFO queue of sites ;
5 state ∈ {tranquil, requesting, inCS}
end6
7 Request_CS()
begin8
if father 6= nil then9
10 add self in Q;
11 if state = tranquil then
12 state ← requesting;
13 send Request to father;
14 wait(father = nil);
15 state ← inCS;
16 /* CRITICAL SECTION */
end17
18 Release_CS()
begin19
20 state ← tranquil;
if Q 6= ∅ then21
22 father ← dequeue(Q);
23 send Token to father;
if Q 6= ∅ then24
25 state ← requesting;
26 send Request to father;
end27
Initialization28
begin29
30 Q ← ∅;
31 state ← tranquil;
32 father ← according to the initial topology;
end33
34 Receive_Request() from sj
begin35
if father = nil and state = tranquil then36
37 father ← sj ;
38 send Token to father;
else if father 6= sj then39
40 add sj in Q;
if state = tranquil then41
42 state ← requesting;
43 send Request to father;
end44
45 Receive_T oken() from sj
begin46
47 father ← dequeue(Q);
if father = self then48
49 father ← nil;
50 notify(father = nil);
else51
52 send Token to father;
if Q 6= ∅ then53
54 state ← requesting;
55 send Request to father;
else56
57 state ← tranquil;
end58
Figure 2.2 – Algorithme de Raymond
une requête pour récupérer le jeton. La figure 2.2 montre le pseudo-code de l’algorithme
de Raymond.
Exemple
La figure 2.3 présente un exemple commenté d’exécution de l’algorithme de Raymond
dans un système distribué de 5 processus.
Avantages
Sa complexité est en moyenne logarithmique par rapport au nombre de nœuds N
lorsque la charge est faible et devient constante lorsque la charge augmente. Cette économie
de messages est possible grâce au fait qu’un site ne retransmet pas de message de
requête à son père si sa file locale contient des requêtes. L’autre avantage de l’algorithme
de Raymond est que il est possible de considérer un graphe de communication non complet.
Ainsi, la topologie logique peut correspondre complètement ou partiellement à la
topologie physique du réseau sous-jacent.2.5. Algorithmes de bases des contributions de la thèse 17
État initial : s1 possède le
jeton et est en section critique.
Étape 1 : s5 et s3 entrent
en état requesting. Des messages
de requête sont envoyés
aux pères respectifs.
Étape 2 : s2 et s1 reçoivent
les requêtes : ils les ajoutent
dans leur file locale. s2 devient
requesting pour la requête
de s5 et envoie une requête
à s1. De plus, s4 entre
en état requesting et envoie
une requête à s2.
Étape 3 : s2 reçoit la requete
de s4 : aucun message n’est
retransmis car ceci a déjà été
fait pour s5.
Étape 4 : s1 sort de la section
critique, dépile le premier
élément de sa file locale
et envoie le jeton à s3.
Comme Q1 n’est pas vide,
s1 envoie également, un message
de requête pour la requête
de s2.
Étape 5 : s3 reçoit le jeton
et entre en section critique
puisque s3 est le premier élé-
ment de sa file locale. s3 re-
çoit ensuite le message de requête
et ajoute s1 dans Q3.
état requesting état requesting par délégation état tranquil porteur du jeton
message de requête message de jeton lien structurel f ather
Figure 2.3 – Exemple d’exécution de l’algorithme de Raymond18 Chapitre 2. Exclusion mutuelle distribuée
2.5.2 Les algorithmes de Naimi-Tréhel
Présentation
Les deux versions de l’algorithme de Naimi-Tréhel (file distribuée [NT87a, NTA96] et
files locales [NT87b]) se basent sur la circulation d’un jeton dans une structure de forêt
d’arbres dynamiques. Sur le même principe que l’algorithme de Raymond, les nœuds
envoient toujours leurs requêtes à leur père. Chaque site si possède deux variables :
• last : indique l’identifiant du dernier demandeur de section critique du point de vue
de si
, autrement dit l’identifiant du site de l’initiateur du dernier message de requête
reçu par si
. Cette variable permet de définir une structure d’arbre dynamique où
la racine d’un arbre (last = nil) est le dernier site qui obtiendra le jeton parmi
l’ensemble des sites ayant une requête pendante. Initialement, la racine est le porteur
du jeton. Lorsqu’un site souhaite entrer en section critique il envoie un message
de requête au site pointé par son last qui correspond au porteur de jeton le plus
probable car il est de son point de vue le demandeur le plus récent.
• next : cette variable permet de stocker l’ordre dans lequel les requêtes seront satisfaite.
Elle diffère entre les deux versions. Dans la version à file distribuée [NT87a,
NTA96] c’est un pointeur de site indiquant le prochain porteur du jeton. Dans la
version à files locales, cette variable est une FIFO locale.
Version avec file distribuée [NT87a, NTA96] : En recevant un message de requête,
la requête est transmise au site pointé par la variable last si cette dernière est différente
de nil. Si au contraire last est égal à nil, le site receveur est donc une racine : si il possède
le jeton sans être en section critique, le jeton est directement transmis à l’initiateur de la
requête sinon il met à jour son pointeur next sur ce dernier. À la réception du jeton, un
site passe directement en section critique. Le pseudo-code de cet algorithme est donné en
figure 2.4.
Version avec files locales [NT87b] : L’objectif de cette version est de réduire le
nombre de messages de requête. À l’instar de l’algorithme de Raymond il est inutile
de transmettre une requête au last si le site courant est lui-même en état requesting
signifiant qu’il aura le jeton dans un temps fini. La file distribuée des next est donc
remplacée par une FIFO locale. Un site restera une racine tant qu’il est en état inCS
ou en état requesting. Par conséquent, lorsqu’un site reçoit un message de requête et
qu’il est dans un de ces deux états, cette requête est ajoutée dans la FIFO locale. À la
libération du jeton, la file locale est transmise dans le jeton jusqu’au prochain porteur.
À sa réception, le nouveau porteur fusionne sa file locale avec celle du jeton. Afin de
respecter la propriété de vivacité, les requêtes présentes dans la file du jeton précèdent
celles de la file du nouveau porteur. L’ensemble des files locales next forment donc une file
distribuée virtuelle pour laquelle il est possible de trouver une file distribuée équivalente
dans la première version de l’algorithme. Le pseudo-code de cet algorithme est donné en
figure 2.5.2.5. Algorithmes de bases des contributions de la thèse 19
Local variables :1
begin2
3 state ∈ {tranquil, requesting, inCS}
next : site ∈ Π or nil;
4 last : site ∈ Π or nil;
end5
Initialization6
begin7
8 state ← tranquil;
9 next ← nil;
if self = elected_node then10
11 last ← nil;
else12
13 last ← elected_node;
end14
15 Request_CS()
begin16
17 state ← requesting;
if last 6= nil then18
19 send Request(self) to last;
20 last ← nil;
21 wait(state = inCS);
22 state ← inCS;
23 /* CRITICAL SECTION */
end24
25 Release_CS()
begin26
27 state ← tranquil;
if next 6= nil then28
29 send Token to next;
30 next ← nil;
end31
32 Receive_Request(requester : site) from sj
begin33
if last = nil then34
if state 6= tranquil then35
36 next ← requester;
else37
38 send Token to requester;
else39
40 send Request(requester) to last;
41 last ← requester;
end42
43 Receive_T oken() from sj
begin44
45 state ← inCS;
46 notify(state = inCS);
end47
Figure 2.4 – Algorithme de Naimi-Tréhel avec file distribuée [NT87a]
Local variables :1
begin2
3 state ∈ {tranquil, requesting, inCS}
next : FIFO queue of sites;
4 last : site ∈ Π or nil;
end5
Initialization6
begin7
8 state ← tranquil;
9 next ← ∅;
if self = elected_node then10
11 last ← nil;
else12
13 last ← elected_node;
end14
15 Request_CS()
begin16
17 state ← requesting;
if last 6= nil then18
19 send Request(self) to last;
20 last ← nil;
21 wait(state = inCS);
22 state ← inCS;
23 /* CRITICAL SECTION */
end24
25 Release_CS()
begin26
27 state ← tranquil;
if next 6= ∅ then28
29 last ← getLast(next);
30 site next_holder ← dequeue(next);
31 send Token(next) to next_holder;
32 next ← ∅;
end33
34 Receive_Request(requester : site ) from sj
begin35
if last = nil then36
if state 6= tranquil then37
38 add requester in next;
else39
40 send Token(∅) to requester;
41 last ← requester;
else42
43 send Request(requester) to last;
44 last ← requester;
end45
46 Receive_T oken(remote_queue : Queue ) from sj
begin47
48 state ← inCS;
49 next ← remote_queue + next;
50 notify(state = inCS);
end51
Figure 2.5 – Algorithme de Naimi-Tréhel avec files locales [NT87b]20 Chapitre 2. Exclusion mutuelle distribuée
Exemple
La figure 2.6 présente une comparaison d’exécution des deux versions de l’algorithme de
Naimi-Tréhel dans un système distribué de 5 processus. Il permet d’illustrer les différences
entre les deux versions. Nous pouvons nous rendre compte à l’étape de deux de l’exemple
que la version à file locale permet d’économiser deux messages de requête. a l’étape 3,
nous pouvons constater à file d’attente globale équivalente, que la version à files locales
réduit de manière significative le nombre de liens logiques.
Avantages
Contrairement à l’algorithme de Raymond, un envoi de jeton donnera directement
un accès à la section critique par le prochain porteur ce qui réduit les transferts réseau,
permettant ainsi d’augmenter le taux d’utilisation de la ressource critique. De plus, un
site ayant besoin peu souvent de la section critique n’est pas sollicité pour transmettre des
messages de requête. Dans les deux versions la complexité en messages est en moyenne
logarithmique par rapport à N, mais la version avec file locale a une complexité constante
lorsque la charge augmente.
2.6 Extensions de l’exclusion mutuelle
Le problème de l’exclusion mutuelle classique permet de gérer un accès FIFO sur une
ressource partagée. Cependant, diverses extensions de ce problème fondamental peuvent
être trouvées dans la littérature.
Exclusion mutuelle à priorité : les requêtes sont associées à un niveau de priorité
et l’objectif principal est de respecter le plus possible cet ordre (éviter les inversions).
Ce type d’extension permet de considérer différents types d’utilisation (ex : utilisateur
et administrateur) ou différents types de client (ex : Nuages). Cette extension fait partie
d’une des contributions de cette thèse (chapitre 4). Le chapitre 3 présente un état de l’art
de l’exclusion mutuelle à priorité.
Exclusion mutuelle à contraintes de temps : les requêtes doivent être satisfaites
avant une date limite requise. Ce type d’extension applicable aux systèmes temps-réel à
passage de messages a été défini au cours de cette thèse dans la contribution [CCgrid12]
et est détaillée dans le chapitre 5.
Exclusion mutuelle généralisée : Dans cette extension, on propose de généraliser le
problème initial :
1. soit à plusieurs exemplaires de la ressource et ainsi autoriser plusieurs processus à
être en section critique en utilisant un ou plusieurs exemplaires de la ressource. Le
problème du k-mutex, est un exemple de ce type de problème.
2. soit à plusieurs ressources en un seul exemplaire et autoriser plusieurs processus à
être en section critique s’ils utilisent des ensembles de ressources disjoints. Cette2.6. Extensions de l’exclusion mutuelle 21
Etape File distribuée Files locales
État initial : s1 possède le
jeton et est en section critique.
Étape 1 : s2, s3, s4, et
s5 demandent la section critique
et envoient un message
request à leur lien last. Tous
les sites sont désormais racines.
Étape 2 : s1 reçoit la requête
de s3 puis la requête de s2. s2
reçoit la requête de s4 puis la
requête de s5.
Étape 3 : Pour la version
avec file distribuée, s3 (respectivement
s4) reçoit la requête
de s2 (resp. s5).
Étape 4 : s1 sort de section
critique et envoie le jeton à
s3. s3 reçoit le jeton et entre
en section critique.
état requesting état tranquil porteur du jeton
message de requête message de jeton lien next lien structurel last
Figure 2.6 – Exemple d’exécution des deux versions de l’algorithme de Naimi-Tréhel22 Chapitre 2. Exclusion mutuelle distribuée
extension aussi connu sous le nom du "cocktail des philosophes" a été introduite
par Chandy et Misra en 1984 [CM84].
3. soit l’union des deux extensions précédentes en considérant plusieurs ressources en
plusieurs exemplaires.
Ces extensions font l’objet d’une contribution de cette thèse et le lecteur pourra trouver
une description plus détaillée dans le chapitre 6.
Exclusion mutuelle de groupe : introduit par Joung en 1998 [Jou98] où des groupes
de processus du système accèdent simultanément à une ressource partagée. Ce problème
est aussi connu sous le nom de la "conversation des philosophes" où les philosophes passent
leur temps à penser tout seul ou bien à discuter ensemble dans une salle de réunion sur
un sujet particulier. Lorsqu’ils cessent de penser (souhaitent entrer en section critique),
ils choisissent un sujet de conversation de leur choix pour en discuter dans la salle de
réunion. Comme il n’y a qu’une seule salle (la ressource partagée), la conversation peut
commencer si et seulement si la salle est vide. Des philosophes intéressés par la discussion
peuvent la rejoindre en cours de route. Le temps de conversation est supposé fini pour
assurer que la salle sera à terme disponible pour une autre conversation. La propriété de
sûreté assure qu’il y ait au plus un seul sujet de conversation dans la salle. La propriété
de vivacité assure que tout philosophe accédera à la salle en temps fini avec le sujet de
conversation qui l’intéresse. Enfin, on peut ajouter une propriété de concurrence assurant
que tout philosophe intéressé par une conversation en cours pourra accéder à la salle
de réunion. Dans cette extension nous pouvons référencer les articles [WJ00], [Jou03],
[Vid03], [JPT03], [MN06] et [AWCR13].
Combinaison : Toutes ces extensions sont orthogonales et peuvent être combinées.
Nous pouvons citer l’algorithme de Swaroop-Singh qui combine l’exclusion mutuelle de
groupe avec l’exclusion mutuelle à priorité [SS07].
2.7 Conclusion
L’exclusion mutuelle classique se définit sur deux propriétés : la sûreté et la vivacité.
Il existe une grande diversité d’algorithmes d’exclusion mutuelle pour les systèmes distribués.
Ces algorithmes reposent soit sur l’obtention de permissions soit sur la circulation
d’un jeton.
Les algorithmes à base de permissions sont plus coûteux en nombre messages du fait
qu’un site demandeur fait une diffusion sur un ensemble de sites. Leur complexité est
en général de O(N) mais celle-ci peut être réduite si les processus s’adressent non pas
à la totalité des processus mais à un sous-ensemble. Il est possible pour cela d’utiliser
les quorums de Maekawa [Mae85] qui restent cependant assez complexes à construire.
Le mécanisme d’ordonnancement des requêtes dans les algorithmes à permissions est
principalement basé sur les horloges de Lamport [Lam78] et garantit ainsi la politique
d’ordonnancement du « premier arrivé premier servi » assurant une équité.2.7. Conclusion 23
Le nombre de messages des algorithmes à jeton est réduit lorsqu’ils ne se basent pas
sur un mécanisme de diffusion comme [SK85] mais sur une topologie logique. Le fait
de rendre un algorithme dynamique améliore ses performances car un site demandeur
s’adressera aux sites qui ont le plus de chances d’avoir le jeton. Les sites qui ont rarement
besoin de la section critique sont donc mis à l’écart des communications et ne servent pas
d’intermédiaires. La propriété de sûreté ne se résume qu’à l’unicité du jeton et la vivacité
est respectée grâce à la propriété de la structure utilisée pour la topologie des sites.
De nombreux articles cités dans ce chapitre prouvent que le problème originel de
l’exclusion mutuelle a été grandement étudié. Il s’agit d’un problème simple qui n’est cependant
pas adapté à certaines utilisations. Nous avons ainsi présenté plusieurs extensions
(priorité, nombre de ressources, priorité, ...). La suite de ce manuscrit se propose d’étudier
et d’apporter des solutions nouvelles à ces différents types de problème.
Pour conclure ce chapitre la figure 2.7 synthétise et classifie des algorithmes d’exclusion
mutuelle classique.24 Chapitre 2. Exclusion mutuelle distribuée
Figure 2.7 – Schéma récapitulatif de l’état de l’art de l’exclusion mutuelleChapitre 3
Exclusion mutuelle à priorités
Sommaire
3.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
3.2 Extension du modèle du système considéré . . . . . . . . . 26
3.3 Taxonomie des algorithmes à priorité . . . . . . . . . . . . 26
3.3.1 Priorités statiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
3.3.2 Priorités dynamiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
3.4 Description des algorithmes principaux . . . . . . . . . . . 27
3.4.1 Algorithme de Mueller . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
3.4.2 Algorithme de Chang . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
3.4.3 Algorithme de Kanrar-Chaki . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
3.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
3.1 Introduction
Nous avons vu dans le chapitre précédent que l’exclusion mutuelle classique satisfaisait
les requêtes dans un ordre "premier arrivé, premier servi". Or dans certains systèmes
distribués, cette approche n’est pas adaptée lorsque l’on doit gérer des processus avec des
priorités différentes. Le modèle de l’exclusion mutuelle a donc été étendu pour gérer ce
type d’ordonnancement et des algorithmes distribués ont été proposés (généralement une
extension ou une combinaison des algorithmes de base présentés en section 2.4). L’exclusion
mutuelle à priorités ajoute une contrainte supplémentaire dans l’ordonnancement des
requêtes : les requêtes doivent être satisfaites dans l’ordre de leur priorité dans la mesure
du possible. Cette priorité est généralement représentée par une valeur entière : plus cette
valeur est élevée, plus la priorité de la requête est haute. La notion de priorité induit
donc des ré-ordonnancements dynamiques de la file des requêtes pendantes en fonction
des niveaux de priorité des nouvelles requêtes.
Le non respect de l’ordre des priorités introduit des inversions de priorités. Une inversion
de priorité est le fait qu’une requête soit satisfaite avant une requête pendante plus
prioritaire. Une définition plus approfondie de l’inversion de priorité est donnée en section
4.2.
2526 Chapitre 3. Exclusion mutuelle à priorités
Le strict respect de l’ordre des priorités peut cependant induire des famines, c’est à
dire un temps infini pour qu’un processus obtienne la section critique violant ainsi la
propriété de vivacité. La famine peut apparaître lorsqu’un processus de haute priorité
émet des requêtes en permanence empêchant ainsi les autres processus de plus basses
priorités d’accéder à la section critique. Ainsi, pour éviter ceci, nous verrons qu’il existe
des algorithmes à priorités dynamiques qui augmentent les priorités des requêtes en attente
pendant l’exécution de l’algorithme. Toute requête pourra alors atteindre à terme
la priorité maximale et ainsi assurer qu’elle sera satisfaite en temps fini.
La section 3.2 étend le modèle du système considéré décrit en section 2.2. Dans la
section 3.3 nous présenterons les deux familles d’algorithmes d’exclusion mutuelle à priorité
(statique et dynamique). La section 3.4 décrira trois algorithmes (Mueller, Chang et
Kanrar-Chaki) qui nous serviront de base de comparaison.
3.2 Extension du modèle du système considéré
Nous définissons l’ensemble des priorités P⊂ IN de P éléments. Si deux priorités
pi
, pj ∈ P et pi < pj alors la priorité pj est plus importante que pi
. Nous notons pmin∈ P
la priorité minimale du système où @p ∈ P, p < pmin. De même, nous notons pmax ∈ P la
priorité maximale du système où @p ∈ P, pmax < p.
La demande de section critique se fait désormais en ajoutant un paramètre p ∈ P,
pmin ≤ p ≤ pmax à la primitive Request_CS, qui devient alors Request_CS(p).
3.3 Taxonomie des algorithmes à priorité
La taxonomie des algorithmes d’exclusion mutuelle à priorité peut se résumer en deux
familles : priorité statique et priorité dynamique.
3.3.1 Priorités statiques
Dans cette famille d’algorithme, la priorité d’une requête reste la même jusqu’à sa
satisfaction. Elle respecte scrupuleusement l’ordre des priorités impliquant aucune inversion
de priorité. Cependant une famine pour les plus basses priorités reste possible si
des requêtes de priorité haute demandent en permanence la section critique. Nous citons
ci-dessous quelques algorithmes à priorité statique.
• L’algorithme de Goscinksi [Gos90] est une extension de l’algorithme de SuzukiKasami
[SK85]. Cet algorithme se base sur un mécanisme de diffusion (complexité
en nombre de messages de O(N)). Les requêtes pendantes sont enregistrées dans
une file globale et sont ordonnée en fonction de leur priorité. La file est incluse dans
le jeton.
• L’algorithme de Housni-Tréhel [HT01] adopte une approche hiérarchique où les
nœuds sont groupés par priorité. Dans chaque groupe, un nœud routeur représente le
groupe auprès des autres groupes. Les processus d’un même groupe sont organisés
en arbre statique comme dans l’algorithme de Raymond [Ray89b] et les routeurs
appliquent entre eux l’algorithme de Ricart-Agrawala [RA81]. L’inconvénient est3.4. Description des algorithmes principaux 27
que chaque processus ne peut faire des requêtes qu’en gardant toujours la même
priorité (celle de son groupe).
• Johnson-Newman-Wolfe ont décrit trois algorithmes dans [JNW96]. Deux d’entre
eux utilisent une technique de compression de chemin de Li-Hudak [LH89] pour un
accès rapide et un faible coût en messages. Le troisième algorithme étend l’algorithme
de Raymond [Ray89b]. Chaque processus maintient une file locale de requêtes
reçues triée par ordre de priorité. Seules les nouvelles requêtes avec une priorité plus
importante sont retransmises au père dans la structure logique.
• L’algorithme de Mueller [Mue98] étend l’algorithme de Naimi-tréhel avec files
locales [NT87b]. Une description plus détaillée de cet algorithme est donnée en
section 3.4.1.
3.3.2 Priorités dynamiques
Dans la famille de priorité dynamique, la priorité d’une requête est incrémentée au
cours du temps pour assurer la vivacité. Généralement les priorités des requêtes pendantes
augmentent à chaque enregistrement d’une nouvelle requête de plus haute priorité. Ainsi,
l’émission de requêtes de plus haute priorité a pour effet d’augmenter les petites priorités
ce qui à terme amène l’accès à la section critique.
L’inconvénient majeur d’une telle approche est que des inversions de priorités peuvent
désormais se produire. En effet, l’incrémentation des priorités amènera au fait que des
requêtes à petites priorités entreront en section critique avant d’autres requêtes de priorité
supérieure. De plus ces algorithmes ont un surcoût en messages dû aux mises à jour des
priorités dans le système. Les deux algorithmes de référence de cette famille sont :
• l’algorithme de Chang [Cha94]
• l’algorithme de Kanrar-Chaki [KC10]
Ces deux algorithmes se basent sur la circulation d’un jeton dans un arbre statique comme
l’algorithme de Raymond [Ray89b]. Ils sont décrits de manière détaillée respectivement
en section 3.4.2 et 3.4.3.
3.4 Description des algorithmes principaux
3.4.1 Algorithme de Mueller
L’algorithme de Mueller [Mue98] se base sur l’algorithme de Naimi-Tréhel qui utilise un
arbre dynamique comme structure logique pour la transmissions des requêtes. Comme la
file des requêtes pendantes peut être réordonnancée dynamiquement à cause d’éventuelles
nouvelles requêtes de priorité plus importante, la version à file distribuée [NT87a] n’est
pas adaptée. En effet, elle rend difficile l’insertion de requêtes au milieu de la file. Le
coût de maintien de la cohérence de cette file devient alors prohibitif. L’algorithme de
Mueller se base par conséquent sur la version à files locales [NT87b]. Les files locales sont
triées en fonction des priorités des requêtes qu’elles contiennent et la concaténation de ces
files permet de former une file d’attente virtuelle. La retransmission de requêtes se fait à
l’instar de l’algorithme de Raymond [Ray89b], où un site retransmet une requête à son28 Chapitre 3. Exclusion mutuelle à priorités
père que si sa file locale ne contient aucune requête de plus forte priorité. Ce mécanisme
est récursif jusqu’à la racine qui est le détenteur du jeton. À chaque libération du jeton,
la file locale du site correspondant est transmise dans le jeton et le pointeur de structure
indiquant la direction du jeton est mis à jour en y affectant l’identifiant du destinataire
du jeton. À la réception du jeton, la file transmise est fusionnée avec la file locale du
récepteur. La file qui en résulte est réordonnée en fonction des priorités. L’algorithme
possède en plus, des mécanismes temporels et de datation des requêtes pour différencier
deux requêtes de même priorité et ainsi privilégier la plus ancienne.
Pour limiter l’inversion de priorité, Mueller a étendu son algorithme dans [Mue99]
afin de l’améliorer avec les protocoles PCP (Priority Ceiling Protocol) et PIP (Priority
Inheritance Protocol [SRL90]) utilisés dans les systèmes temps-réel.
L’implémentation de cet algorithme est cependant relativement complexe. De plus,
en cas de système chargé l’arbre dynamique tend à devenir une chaîne puisque la racine
n’est pas le dernier demandeur mais le détenteur du jeton. L’algorithme présente alors
une complexité en messages en O(
N
2
).
3.4.2 Algorithme de Chang
Chang [Cha94] reprend l’algorithme de Raymond [Ray89b] en se basant sur une topologie
d’arbre statique. Sur le même principe que l’algorithme de Raymond :
• chaque site possède une file locale triée par priorité et par ordre FIFO en cas de
priorité égale ;
• un site retransmet un message de requête que si celle-ci a une priorité supérieure à la
priorité maximale de la file locale. Il est en effet inutile de transmettre un message de
requête de plus faible priorité sachant qu’il existe une requête de priorité supérieure
qui sera satisfaite avant.
Chang applique un mécanisme de priorités dynamiques aux requêtes. Ce mécanisme
est appelé aging strategy :
• un processus incrémente de un chaque priorité des requêtes dans sa file locale avant
d’envoyer le jeton ;
• à la réception d’une requête de priorité p, le processus met à la priorité p toute
requête dans la file locale dont la priorité est inférieure à p ;
• à la réception du jeton qui inclut le nombre total d’exécutions de la section critique,
le processus incrémente la priorité de toutes ses anciennes requêtes du nombre de
sections critiques qui ont été exécutées depuis son dernier passage.
Un tel mécanisme réduit l’écart en terme de temps de réponse moyen entre les priorités
(contrairement à l’algorithme de Kanrar-Chaki décrit en section 3.4.3) mais induit un plus
grand nombre d’inversions.
Cet algorithme possède une légère optimisation dans l’envoi des messages. Dans l’algorithme
de Raymond, rappelons que lorsque le jeton est envoyé par un processus qui
possède une file locale non-vide, ce processus enverra aussi un message de requête pour
éviter la famine de ses requêtes présentes dans sa file locale. L’optimisation de Chang
consiste à inclure cette requête directement dans le jeton.
L’algorithme de Chang hérite des propriétés de l’algorithme de Raymond. Sa complexité
moyenne en messages reste toujours logarithmique par rapport à N.3.5. Conclusion 29
3.4.3 Algorithme de Kanrar-Chaki
L’algorithme de Kanrar-Chaki [KC10] introduit également un mécanisme de priorité
dynamique en se basant sur une topologie statique d’arbre comme l’algorithme de Raymond.
Le mécanisme de propagation des requêtes et la politique de stockage dans les
files locales sont similaires à l’algorithme de Chang : les files locales sont triées en fonction
des priorités (FIFO en cas de priorités égales) et un site retransmet un message de
requête que si celle-ci a une priorité supérieure à la priorité maximale de la file locale.
Cependant le mécanisme de priorité dynamique de l’algorithme de Kanrar-Chaki diffère
de celui de Chang. En effet, la priorité d’une requête de la file locale est incrémentée d’un
niveau à la réception de chaque message requête ayant une priorité strictement supérieure.
Contrairement à Chang, la réception de requête est le seul moment où une priorité peut
augmenter. De plus l’algorithme de Kanrar-Chaki n’utilise pas l’optimisation de Chang
qui est d’inclure une requête dans le jeton.
Nous donnons un exemple d’exécution de cet algorithme dans la figure 3.1 afin de
faciliter sa compréhension car notre nouvel algorithme à priorités présenté dans le chapitre
4 est inspiré de celui de Kanrar-Chaki.
3.5 Conclusion
Nous avons vu dans ce chapitre, les deux familles d’algorithmes d’exclusion mutuelle à
priorité. La famille à priorité statique respecte scrupuleusement l’ordre des priorités mais
ne respecte pas la propriété de vivacité tandis que la famille à priorité dynamique permet
de respecter la vivacité mais génère des inversions. Globalement les algorithmes que nous
avons présenté en section 3.4 se basent sur la circulation d’un jeton dans une topologie
logique. Ils ont le même mécanisme de propagation des requêtes :
• la racine de l’arbre est le détenteur du jeton,
• chaque processus possède une file locale triée en fonction des priorités et en cas de
priorité égale c’est la requête la plus ancienne qui sera favorisée,
• une requête est retransmise au site père que si elle est de priorité supérieure à la
priorité maximale de la file.
Les algorithmes de Chang et Kanrar-Chaki héritent des avantages de la topologie
statique de l’algorithme de Raymond, en particulier la simplicité de mise en œuvre et
la complexité en messages logarithmique par rapport à N. En revanche, un site situé au
cœur de l’arbre utilisant peu la section critique sera sollicité tout de même à transmettre
le jeton.
L’algorithme de Mueller a l’avantage que les sites peu demandeurs de la section critique
resteront peu sollicités par la transmission de messages : les messages de jeton sont envoyés
directement au prochain site qui exécutera la section critique. Cependant, le fait que le
site racine soit possesseur du jeton dégrade la complexité en message car les liens logiques
tendront à former à chaque transfert du jeton une chaîne et non un arbre.30 Chapitre 3. Exclusion mutuelle à priorités
État initial : s1 possède le
jeton et est en section critique.
s3 et s5 demandent
la section critique avec les
priorités respectives 1 et 3.
Étape 1 : s1 et s2 re-
çoivent les requêtes de s3
et s5 : ils les ajoutent dans
leur file locale. s2 devient
requesting pour la requête
de s5 et envoie une requête
à s1. De plus s4 entre en
état requesting et envoie
une requête à s2 avec la
priorité 4.
Étape 2 : s2 reçoit la requête
de s4, incrémente la
priorité locale de s5, insère
la requête et transmet une
requête de priorité 4 à s1
car sa priorité maximale a
changé.
s1 reçoit la requête de s2,
incrémente localement la
priorité de s3 et insère la requête.
Étape 3 : s1 reçoit la requête
de s2, il incrémente
la priorité de s3 et met à
jour la priorité de s2. Notons
qu’à ce stade la priorité
de s3 est égale à 3 pour
s1 alors qu’elle reste toujours
à 1 pour s3.
Étape 4 : s1 sort de la section
critique, dépile le premier
élément de sa file locale
et envoie le jeton à
s3. Comme Q1 n’est pas
vide, s1 envoie également,
un message de requête pour
la requête de s3.
Étape 5 : s2 reçoit le jeton
et le retransmet à s5 en
lui envoyant aussi une requête
de priorité 4 pour la
requête de s4. s2 ajoute la
requête de s1 de priorité 3
à la réception mais ne retransmet
rien car sa priorité
maximale est de 4.
état requesting état requesting par délégation état tranquil porteur du jeton
message de requête message de jeton lien structurel f ather
Figure 3.1 – Exemple d’exécution de l’algorithme de Kanrar-ChakiDeuxième partie
Exclusion mutuelle à priorité et
exclusion mutuelle à contraintes
temporelles
31Chapitre 4
Temps d’attente et inversions de
priorité dans l’exclusion mutuelle
Sommaire
4.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
4.2 Définition des inversions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
4.3 Réduction des inversions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
4.3.1 Corps de l’algorithme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
4.3.2 Amélioration des communications . . . . . . . . . . . . . . 38
4.3.3 Retard d’incrémentation de priorité . . . . . . . . . . . . . 39
4.3.4 Prise en compte de la topologie . . . . . . . . . . . . . . . . 39
4.4 Évaluation du mécanisme de réduction d’inversions . . . . 40
4.4.1 Protocole d’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
4.4.2 Résultats en charge constante . . . . . . . . . . . . . . . . 41
4.4.3 Résultats en charge dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . 49
4.4.4 Étude en charge constante avec priorité constante . . . . . 51
4.4.5 Synthèse de l’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
4.5 Réduction du temps d’attente . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
4.5.1 Un équilibre sur deux objectifs contradictoires . . . . . . . 56
4.5.2 Principes de l’algorithme Awareness . . . . . . . . . . . . . 56
4.5.3 Description de l’algorithme Awareness . . . . . . . . . . . . 57
4.6 Évaluation des performances de l’algorithme Awareness . 61
4.6.1 Protocole d’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
4.6.2 Résultats pour une fonction de palier donnée . . . . . . . . 62
4.6.3 Impact de la fonction de palier sur les inversions et le temps
de réponse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
4.7 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
3334 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
4.1 Introduction
Nous avons vu dans le chapitre 3 que dans l’exclusion mutuelle distribuée à priorité, les
algorithmes pouvaient être classés en deux catégories : les algorithmes à priorités statiques
qui respectent scrupuleusement l’ordre des priorités mais violent la propriété de vivacité et
les algorithmes à priorités dynamiques qui permettent d’assurer la vivacité mais induisent
des inversions de priorités. Nous proposons alors un nouvel algorithme qui :
1. respecte la propriété de vivacité : ceci ne peut se faire que par un algorithme à
priorité dynamique. Par conséquent notre solution finale appartiendra à cette famille
et se basera sur l’algorithme de Kanrar-Chaki (voir section 3.4.3) qui repose sur une
topologie en arbre statique.
2. limite le nombre d’inversions : les inversions sont indispensables pour assurer
la vivacité car sans inversion, il y a un risque de famine. Notre objectif est donc de
les limiter en introduisant un mécanisme de ralentissement des incrémentations de
priorités.
3. garde une bonne complexité en messages : Le mécanisme de ralentissement
des incrémentations pour réduire les inversions induit un surcoût en messages. Nous
introduisons donc un mécanisme qui prend en compte la localité des requêtes pour
limiter ce surcoût.
4. garde un temps d’attente raisonnable pour les requêtes à faibles priorités.
La limitation en inversions de priorités peut induire dans certaines topologies des
temps d’attente très importants pour les requêtes à faible priorité. Nous avons donc
étendu notre mécanisme de réduction d’inversion pour donner lieu à un nouvel
algorithme appelé "Awareness" s’appuyant sur une vision globale des requêtes. Cet
algorithme permet d’être indépendant de la topologie sous-jacente et ainsi d’éviter
les cas pathologiques du premier algorithme.
Les trois premiers objectifs sont associés aux publications [CCgrid12] et [Compas13].
La contribution du quatrième objectif a été publiée dans [ICPP13]. Ce chapitre est composé
de la section 4.2 qui définit formellement la notion d’inversion de priorité. La contribution
est ensuite décrite en deux parties : la première partie décrit et évalue nos mécanismes
permettant de satisfaire les trois premiers objectifs dans une topologie aléatoire (sections
4.3 et 4.4) et la deuxième partie décrit et évalue l’algorithme "Awareness" (sections 4.5
et 4.6).
4.2 Définition des inversions
Intuitivement, une inversion de priorité se produit lorsque une requête est satisfaite
avant une autre requête pendante de priorité supérieure ou bien plus simplement lorsque
l’ordre des priorités a été violé. Lorsqu’une inversion se produit on peut distinguer deux
types de requêtes :
• Une requête favorisée : la requête qui est satisfaite avant la requête de priorité
plus importante.4.2. Définition des inversions 35
• Une requête pénalisée : la requête du processus qui attend le jeton pendant que
le processus de requête de priorité inférieure entre en section critique.
La figure 4.1 montre cinq requêtes avec leur priorité originale respective où les lignes
horizontales représentent le temps d’attente de chaque requête. On rappelle qu’une requête
reqi de priorité pi est plus prioritaire qu’une requête reqj de priorité pj si pi > pj
. On
observe que la requête req1 est donc une requête favorisée puisqu’elle est satisfaite pendant
que la requête req2 attend le jeton. La requête req2 est alors une requête pénalisée. Nous
notons qu’une requête peut être à la fois favorisée et pénalisée (par exemple les requêtes
req2 et req3).
Figure 4.1 – Exemple de classe d’inversions de priorité
Soit le triplet (p, tr, ta) ∈ P × T × T qui représente une requête où p est la priorité,
tr est la date où elle a été émise, et ta la date où le jeton a été acquis. Chaque triplet est
unique car la sûreté assure qu’il n’est pas possible que la date d’acquisition du jeton soit
la même pour deux requêtes différentes.
Les métriques relatives à l’inversion de priorité peuvent être exprimées par :
• Le nombre de requêtes favorisées :
#{(p, tr, ta) ∈ P × T × T | ∃(p
0
, t0
r
, t0
a
) ∈ P × T × T, p < p0 ∧ ta ∈ ]t
0
r
, t0
a
[ }
• Le nombre de requêtes pénalisées :
#{(p, tr, ta) ∈ P × T × T | ∃(p
0
, t0
r
, t0
a
) ∈ P × T × T, p0 < p ∧ t
0
a ∈ ]tr, ta[ }
• Le nombre total d’inversions de priorité :
#{((p, tr, ta),(p
0
, t0
r
, t0
a
)) ∈ (P × T × T)
2
| p
0 < p ∧ t
0
a ∈ ]tr, ta[ }
Si l’on considère de nouveau la figure 4.1, on dénombre ainsi :
• 3 requêtes favorisées (lignes en pointillés) ;
• 4 requêtes pénalisées (lignes horizontales ayant au moins un point) ;
• 8 inversions (nombre total de points).
Contrairement à ce que l’on pourrait penser intuitivement, le nombre d’inversions
n’est pas la somme du nombre de requêtes pénalisées et de requêtes favorisées comme
nous pouvons le remarquer dans l’exemple.36 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
4.3 Réduction des inversions
Notre solution pour améliorer les communications et réduire les inversions se base sur
l’algorithme de Kanrar-Chaki (voir section 3.4.3). Nous avons choisi cet algorithme car il
a un faible nombre de messages par section critique (O(Log(N))). De plus, son mécanisme
d’incrémentation de priorité assure l’absence de famine.
Dans un premier temps, nous appliquons l’optimisation du trafic de messages proposée
dans l’algorithme de Chang [Cha94] à savoir l’ajout d’une requête dans le jeton lorsqu’il
reste des requêtes pendantes. Nous ajoutons ensuite deux mécanismes :
• le mécanisme "retard" qui utilise des paliers pour ralentir l’incrémentation des priorités
;
• le mécanisme "distance" limite le nombre de transmission du jeton en considérant
le nombre de nœuds intermédiaires entre l’actuel possesseur du jeton et les nœuds
demandeurs.
L’optimisation du trafic de messages et ces deux mécanismes seront décrits après une
description du corps de l’algorithme permettant d’améliorer les communications et de
réduire les inversions.
4.3.1 Corps de l’algorithme
Pour chaque site si
, l’algorithme définit les variables locales suivantes (ligne 1 à 5) :
• state : indique l’état du processus
• f ather : l’identifiant du site voisin sur le chemin menant au processus qui détient
le jeton (processus racine).
• Q : la file locale de requêtes pendantes reçues par le site.
Chaque élément de la file est un tuple (s, p, l, d) ∈ Π × (P ∪ {pmax + 1}) × IN × IN où
• s est l’identifiant du voisin qui a transmis la requête
• p est la priorité courante de la requête dans la file locale. Il est possible que cette
priorité locale soit supérieure à pmax. Ce point est détaillé dans la section 4.3.4
• l est le niveau de retard courant qui correspond au nombre courant de requêtes
concurrentes de priorité supérieure qui ont déjà été prises en compte pour augmenter
la priorité p à la priorité p + 1.
• d est la distance en nombre de nœuds intermédiaires dans l’arbre séparant l’initiateur
de la requête et le nœud courant.
Chaque file locale est triée par ordre décroissant de priorité p, puis par ordre croissant
de distance d en cas de priorité égale, par ordre de niveau de retard l décroissant en cas
de distance égale puis enfin par ordre FIFO en cas de niveaux de retard égaux.
Nous définissons les fonctions suivantes qui manipulent la file locale Q :
• add(s, p, l, d) : ajoute une requête (s, p, l, d) en fonction de la politique d’ordre
définie ci-dessus.
• dequeue(Q) : considère que Q n’est pas vide, retourne le premier élément en l’effaçant
de la file Q.
• head(Q) : retourne le premier élément de Q mais ne l’efface pas. Si Q est vide
l’élément retourné est (nil, nil, nil, nil).
• reorder(Q) : permet de réordonner la file en fonction de sa politique de tri.4.3. Réduction des inversions 37
Local variables :1
begin2
3 father : site ∈ Π or nil;
4 Q : queue of tuple
(s, p, l, d) ∈ Π × (P ∪ {pmax + 1}) × IN × IN
;
5 state ∈ {tranquil, requesting, inCS};
end6
7 Initialization
begin8
9 Q ← ∅;
10 state ← tranquil;
11 father ← according to the initial topology;
end12
13 Receive_Request(pj ∈ P, dj ∈ IN) from sj
begin
if father = nil and state = tranquil then14
15 Send Token(∅,∅) to sj ;
16 father ← sj ;
17 else if sj 6= father then
18 (sold, pold, lold, dold) ← head(Q);
19 foreach (s, p, l, d) ∈ Q do
20 (shead, phead, lhead, dhead) ←
head(Q);
if s = sj then21
if pj ≥ p then22
23 p ← pj ;
24 d ← dj ;
25 l ← 0 ;
26 else if pj > p or (pj = p and
p = phead) then
27 l ← l + 1;
if l = F(p + 1) then28
29 p ← p + 1;
30 l ← 0;
if @(s, p, l, d) ∈ Q, s = sj then31
32 add (sj , pj , 0, dj ) in Q;
33 reorder (Q) ;
if father 6= nil then34
35 if (sold, pold, lold, dold) 6=
head(Q) then
36 Send Request(pj , dj + 1) to
father;
end37
Request_CS(p ∈ P)38
begin39
40 state ← requesting;
if father 6= nil then41
42 add (self, p, 0, 0) in Q ;
if (self, p, 0, 0) = head(Q) then43
44 Send Request(p,1) to father;
45 wait(father = nil);
46 state ← inCS;
47 /* CRITICAL SECTION */
end48
Release_CS()49
begin50
51 state ← tranquil;
if Q 6= ∅ then52
53 (snext, pnext, lnext, dnext) ← dequeue(Q);
54 (shead, phead, lhead, dhead) ← head(Q);
Send Token
min(phead, pmax),dhead + 1
55 to
snext;
56 father ← snext;
end57
58 Receive_Token(pj ∈ P, dj ∈ IN) from sj
begin59
60 father ← nil ;
61 (snext, pnext, lnext, dnext) ← dequeue(Q);
if pj 6= nil then62
63 foreach (s, p, l, d) ∈ Q do
64 (shead, phead, lhead, dhead) ← head(Q);
65 if pj > p or (pj = p and p = phead)
then
66 l ← l + 1;
if l = F(p + 1) then67
68 p ← p + 1;
69 l ← 0;
70 add (sj , pj , 0, dj ) in Q;
71 reorder (Q) ;
if snext = self then72
73 notify(father = nil);
74 else
75 (shead, phead, lhead, dhead) ← head(Q);
Send Token
min(phead, pmax),dhead + 1
76 to
snext;
77 father ← snext;
end78
Figure 4.2 – Algorithme retard-distance38 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
Lorsqu’un site désire accéder à la ressource avec une priorité p, il exécute la fonction
Request_CS (ligne 38). Celle-ci inclut sa requête dans sa file locale (ligne 42). Si cette
requête est la première de la file (c’est à dire la plus prioritaire), le processus envoie un
message de requête à son père (ligne 44).
Chaque requête reçue contient la priorité de la requête p et sa distance d en nombre de
sauts depuis l’initiateur. Lorsqu’un processus si reçoit une requête (ligne 13) d’un voisin
sj
, si si est la racine mais n’utilise pas le jeton (état tranquil) alors le jeton est envoyé en
direction du demandeur (ligne 15) via sj
. Si si n’est pas la racine, la requête est ajoutée
dans Q. Si il existe déjà une requête dans Q provenant de sj
, la priorité et la distance sont
mises à jour et l’indice de retard réinitialisé à zéro (lignes 22 à 25). Les indices de retard
et éventuellement les priorités des autres requêtes pendantes dans Q sont incrémentés
(lignes 26 à 30). Ensuite si le processus a ajouté la requête en tête de file alors le message
de requête est retransmis au père (ligne 36). Le test de la ligne 17 est utile quand le
jeton est en transit entre le site courant et sj
. En effet, lorsque le jeton est en transit, il
existe un cycle sur les liens f ather entre l’envoyeur du message jeton et son destinataire.
Il peut donc arriver qu’un message de requête provenant de sj croise le message de jeton
que le processus courant vient d’envoyer. Le test de la ligne 17 permet ainsi de ne jamais
enregistrer une requête venant du site père et évite ainsi des cycles dans la transmission
de messages.
Lorsqu’un processus reçoit le jeton, si le jeton contient une requête (voir section 4.3.2),
il met à jour les priorités des requêtes dans la file locale et y ajoute ensuite cette requête
(lignes 62 à 70). Si sa propre requête est la tête de file (sa requête est la plus prioritaire),
le processus peut entrer en section critique et passer à l’état inCS (ligne 73). Sinon, le
jeton est transmis au nœud de la requête de la tête de file (ligne 76)
Enfin, lorsqu’un site sort de section critique en appelant la procédure Release_CS
(ligne 50), si sa file locale n’est pas vide, le jeton est envoyé au processus de la requête
de la tête de file. Si après la suppression de cette requête, la file demeure non vide, le
processus inclut dans le jeton la première requête de la file. Le jeton est ensuite envoyé et
le lien f ather est mis à jour (lignes 55 et 56).
4.3.2 Amélioration des communications
Dans l’algorithme de Kanrar-Chaki, lorsqu’un site ayant plusieurs requêtes en attente
envoie le jeton pour satisfaire la première requête de la file, il envoie également un message
de requête pour récupérer le jeton. Ceci permet de satisfaire les autres requêtes en attente
dans la file locale. Ces envois successifs de deux messages causalement liés posent un
problème d’efficacité. Une solution proposée dans l’algorithme de Chang est d’adjoindre
la requête lors de l’envoi du jeton (lignes 55 et 76). On économise ainsi un message à
chaque envoi du jeton tout en maintenant la cohérence du protocole.
Un autre défaut de l’algorithme de Kanrar-Chaki, réside dans l’envoi systématique
d’une requête lorsqu’un site désire entrer en section critique. Nous proposons alors de
limiter cet envoi au seul cas où aucune requête pendante de priorité supérieure n’a été
émise (ligne 43). On évite ainsi de nombreux envois inutiles en cas de forte charge.4.3. Réduction des inversions 39
4.3.3 Retard d’incrémentation de priorité
Outre l’envoi de messages inutiles, l’algorithme de Kanrar-Chaki présente un grand
nombre d’inversions. En effet, le mécanisme d’incrémentation conduit rapidement à ce que
des requêtes initialement de faible priorité obtiennent la priorité maximale dans une file
locale. Nous proposons donc un nouveau mécanisme permettant de retarder l’incrémentation
de priorité. La valeur d’une priorité d’une requête pendante n’est pas incrémentée à
chaque insertion d’une nouvelle requête de plus haute priorité mais seulement après un certain
nombre d’insertions. Nous définissons alors une fonction de palier notée F : P → IN.
F(p) qui permet de définir la politique d’incrémentation c’est à dire le nombre d’insertions
de requêtes de priorité supérieure à p−1 pour qu’une requête de priorité p−1 passe
localement à la priorité p (lignes 27 à 30 et lignes 66 à 69). F est une fonction monotone
croissante et positive et peut être assimilée à un paramètre de l’algorithme. Puisque notre
objectif premier est de réduire le nombre d’inversions au maximum, nous considérerons
dans les expérimentions une fonction de palier exponentiellement croissante (F(p) = 2p+c
,
où la constante c permet d’éviter que les petites priorités n’augmentent trop vite). Ainsi
plus la priorité suivante à atteindre est grande plus il sera long de l’obtenir.
4.3.4 Prise en compte de la topologie
Dans l’algorithme original de Kanrar-Chaki, les requêtes de même priorité ne sont pas
ordonnées. Cependant la topologie induit des coûts de transmission différents suivant la
localisation des sites demandeurs. En ajoutant de l’information à une requête, il devient
envisageable d’optimiser le transfert du jeton et donc le nombre de messages ainsi que
le taux d’utilisation de la section critique. On ajoute à chaque requête un compteur
incrémenté à chaque retransmission. On utilise alors ce compteur pour prendre en compte
la localité des requêtes. Cette localité est quantifiée par le nombre de liens intermédiaires
entre si et sj que le jeton doit traverser. Ainsi, pour deux requêtes pendantes de même
priorité, le jeton sera envoyé à la plus proche. Cependant un tel mécanisme peut introduire
des famines puisqu’il peut arriver que le jeton se transmette indéfiniment dans une portion
de l’arbre où il existe des processus qui demandent en permanence la section critique avec
la même priorité. Ceci peut générer une famine pour d’éventuels processus de même
priorité en attente de la section critique se situant loin de cette portion d’arbre : les
processus proches dans l’arbre passeront en permanence devant les requêtes éloignées.
Pour palier à ce problème, lorsqu’un nœud reçoit une requête de priorité p, il incrémente
l’indice de retard de toutes les requêtes de priorité p
0
si p > p0 ou bien si p est la plus
haute priorité locale et p = p
0
(lignes 26 et 65). Ainsi il est possible que localement une
requête soit de priorité pmax + 1, ce qui permet d’assurer que dans un temps fini toute
requête sera la première d’une file locale.40 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
4.4 Évaluation du mécanisme de réduction d’inversions
4.4.1 Protocole d’évaluation
Les expériences ont été réalisées sur une grappe de 32 machines avec un processus
par machine. Ceci permet d’éviter les effets de bord de contention au niveau des cartes
réseau puisqu’il y a un seul processus par carte. Chaque nœud a deux processeurs Xeon
2.5GHz, 16 Go de mémoire RAM, s’exécute sur un noyau Linux 2.6 (cluster Grid5000
Nancy). Les nœuds sont reliés par un switch Ethernet de 20 Gbit/s. Les algorithmes ont
été implémentés en C++ en utilisant l’intergiciel OpenMPI.
Une expérience est caractérisée par :
• N : le nombre de processus (32 dans notre cas).
• α : le temps d’une section critique (5 millisecondes dans notre cas).
• β : intervalle de temps d’attente entre la sortie d’une section critique par un processus
et l’émission de la prochaine requête par ce même processus, autrement dit
le temps où un site reste à l’état tranquil (paramètre calculé grâce à une valeur de
charge ρ décrite ci-après)
• γ : la latence réseau,i.e., le temps d’acheminement d’un message entre deux processus
voisins (0,15 millisecondes dans notre cas)
• ρ : la charge du système exprimée par le rapport β/(α + γ). La charge détermine
la fréquence à laquelle la section critique est demandée, autrement dit le débit de
requêtes en entrée du système. Ce paramètre est inversement proportionnel à la
charge du système : plus la valeur de ce paramètre est faible, plus la charge est
haute et vice versa. Ce rapport s’exprime proportionnellement à N. Le paramètre γ
doit être pris en compte dans le calcul de la charge ρ si sa valeur n’est pas négligeable
par rapport à α. En effet le temps de transfert du jeton peut être vu comme une
extension du temps de section critique α.
• θ : le temps de l’expérience (120 secondes dans notre cas).
• F(p) : fonction de palier (égale à 2
p+c
, où c = 6)
Les métriques considérées dans cette évaluation de performances sont celles décrites
en section 2.3.4, à savoir :
• le nombre de messages moyen par requête : le ratio entre le nombre de total
de messages de ce type émis par le protocole nombre total de requêtes.
• le temps de réponse moyen : le temps moyen entre l’émission d’une requête
et l’obtention de la section critique. Cela correspond au temps moyen en état
requesting. Dans cette étude, cette métrique est donnée par niveau de priorité.
• le taux d’utilisation : le pourcentage de temps passé en section critique durant
l’expérience.
En plus de ces métriques propres à l’exclusion mutuelle classique, nous ajoutons une
métrique supplémentaire propre à l’exclusion mutuelle à priorité qui est le nombre total
d’inversions de priorités décrit en section 4.2. Nous normalisons ici ce nombre total
d’inversions par le nombre total de requêtes émises car les différents algorithmes considérés
n’ont pas le même débit d’exécution de section critique.
Dans chaque expérience nous avons considéré une topologie logique en arbre binaire
et 8 priorités différentes. Nous avons comparé les algorithmes suivants :4.4. Évaluation du mécanisme de réduction d’inversions 41
• L’algorithme de Kanrar-Chaki [KC10] (voir section 3.4.3).
• L’algorithme de Chang [Cha94] (voir section 3.4.2).
• CommOpti correspond à une version modifiée de l’algorithme de Kanrar-Chaki avec
l’optimisation de communication décrit en section 4.3.2.
• CommOpti_retard correspond à l’algorithme CommOpti auquel on a ajouté le
mécanisme de retard d’incrémentation de priorité (voir section 4.3.3).
• CommOpti_retard_distance correspond à l’algorithme CommOpti_retard auquel
on a ajouté le mécanisme de prise en compte de topologie : le mécanisme "distance"
(voir section 4.3.4)
4.4.2 Résultats en charge constante
Dans cette partie, nous présentons des résultats d’évaluation de performances lorsque
la charge de requête reste constante dans une expérience, i.e., la fréquence de demandes
de section critique (paramètre ρ) ne varie pas dans une expérience. L’intervalle entre deux
demandes (paramètre β) est calculé de manière aléatoire suivant une loi de Poisson où la
moyenne est calculée grâce au paramètre de charge ρ.
Dans chaque expérience, les processus demandent la section critique périodiquement
et choisissent de manière uniformément aléatoire une priorité à chaque nouvelle requête.
Pour considérer un régime stationnaire durant les mesures, nous avons introduit un temps
de préchauffage au moment du démarrage du système. Par conséquent la charge de requête
pendante est constante durant les mesures de l’expérience. Dans cette partie, notre étude
comporte deux étapes : nous considérons dans un premier temps une charge fixe donnée
et dans un second temps nous étudions l’impact de différentes charges (chacune toujours
constante dans une expérience) sur le comportement de l’algorithme.
Évaluation de performance pour une charge donnée
Étude globale
La charge est fixée à ρ = 0, 5N qui correspond à une charge intermédiaire (environ 50
% des processus attendent la section critique). La figure 4.3 montre le comportement des
algorithmes sur les différentes métriques considérées.
Nous pouvons observer dans la figure 4.3(a) que l’algorithme de Kanrar-Chaki pré-
sente environ 25 % d’inversions en moins que l’algorithme de Chang tout en ayant 1 taux
d’inversion très élevé avec en moyenne 4 inversions par requête. Cependant ceci se fait
au détriment de la complexité en nombre de messages (figure 4.3(b)) : 40 % de messages
supplémentaires. Les performances de CommOpti montrent que le simple ajout des mé-
canismes d’optimisation des messages à l’algorithme de Kanrar-Chaki suffisent à obtenir
une complexité comparable à celle de Chang tout en conservant le même taux d’inversion.
Toutefois, le nombre d’inversions de priorités obtenues par CommOpti reste encore très
important (4 inversions par requête). L’ajout du mécanisme de retard d’incrémentation
permet de réduire considérablement ce nombre d’un facteur 25. Ce bon résultat sur la
métrique la plus importante pour un algorithme à priorité se fait au détriment du nombre
de messages. En effet, avec le mécanisme de retard, les sites atteignent la priorité maximale42 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
0
1
2
3
4
5
6
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
(a) Nombre total d’inversions / nombre total de
requêtes
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
Nombre de messages par requête
REQUEST
TOKEN
(b) Nombre de messages par requête
1
10
100
1000
10000
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
temps de réponse moyen (en ms)
prio0
prio1
prio2
prio3
prio4
prio5
prio6
prio7
(c) Temps d’attente moyen par priorité 0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
Taux d’utilisation de la ressource (pourcentage)
(d) Taux d’utilisation de la ressource critique
Figure 4.3 – Performances du mécanisme de retard avec une charge intermédiaire4.4. Évaluation du mécanisme de réduction d’inversions 43
plus lentement et sont donc susceptibles de retransmettre d’avantage de requêtes. Pour
contrebalancer le surcoût en messages généré par le mécanisme de retard, l’ajout du
mécanisme "distance" qui prend en compte la topologie des requêtes permet d’économiser
5 % des messages tout en conservant un taux d’inversions de priorités très faible. Nous
pourrons constater plus tard que ce gain est plus important lorsque la charge augmente.
En ce qui concerne le temps de réponse moyen, nous observons dans la figure 4.3(c)
que l’algorithme original de Kanrar-Chaki a un comportement régulier (en forme d’escalier),i.e.,
quand la priorité augmente, le temps de réponse moyen diminue. À l’inverse,
avec le mécanisme de retard, les écarts de latence entre les différentes priorités
sont moins réguliers : la priorité 0 voit sa latence largement augmentée (traitement
"best-effort"), tandis que les plus hautes priorités bénéficient d’une forte amélioration
des temps d’accès. Enfin, lorsque l’on compare les latences de CommOpti_retard avec
CommOpti_retard_distance, on remarque qu’il n’y a pas de différence sur les latences
moyennes des différentes priorités. Le gain en nombre de messages ne se fait qu’au prix
d’une augmentation de l’écart type pour les faibles priorités.
Pour terminer, la figure 4.3(d) nous permet de vérifier que les performances de nos
différents mécanismes en termes de respect des priorités ne se font pas au dépend des
performances globales : le taux d’utilisation du jeton reste inchangé autour de 80%.
En conclusion cette étude confirme que le retard de l’incrémentation est essentiel pour
le respect de l’ordre des priorités tandis que la localité des requêtes est utile pour la
réduction du nombre de messages générés par l’algorithme.
Approfondissement de l’étude sur les inversions
La figure 4.4 présente une série de résultats visant à affiner l’étude de performance sur
les inversions. Ainsi, les sous-figures montrent pour chaque algorithme :
• Le pourcentage de requêtes pénalisées et le nombre de requêtes favorisées (Figures
4.4(a) et 4.4(b)).
• Pour chaque niveau de priorité, le pourcentage de requêtes pénalisées et favorisées
respectivement (Figures 4.4(c) et 4.4(d)).
• Le nombre moyen de requêtes favorisées par requête pénalisée et le nombre moyen
de requêtes pénalisées par requête favorisée (Figures 4.4(e) et 4.4(f)).
Comme nous pouvons l’observer dans les figures 4.4(a) et 4.4(b), les algorithmes sans
mécanisme de retard induisent plus de requêtes pénalisées que de favorisées mais pour les
algorithmes avec mécanisme de retard, ces deux métriques ont la même valeur.
Dans les figures 4.4(c) et 4.4(d), on retrouve cette différence pour chacune des priorités.
Mais cette figure nous montre aussi des différences sur la distribution des requêtes
pénalisées et favorisées au sein d’un même algorithme : dans les algorithmes avec mécanisme
de retard, le nombre de requêtes pénalisées augmente linéairement avec la priorité,
tandis que dans les autres algorithmes, les requêtes les plus pénalisées sont les requêtes
de priorités intermédiaires.
Pour comprendre ces différences, il faut savoir que le risque d’être pénalisé est un
compromis entre deux phénomènes :
• le nombre de requêtes susceptibles de dépasser une requête plus prioritaire dépend
uniquement de la priorité initiale, et non de l’algorithme. En effet, plus la priorité44 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
Pourcentage de requête pénalisées
(a) Pourcentage de requêtes pénalisées
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
Pourcentage de requêtes favorisées
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti_retard
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
(b) Pourcentage de requêtes favorisées
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
Pourcentage de requêtes pénalisées par priorité
prio0
prio1
prio2
prio3
prio4
prio5
prio6
prio7
(c) Pourcentage de requêtes pénalisées par priorité
0
20
40
60
80
100
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
Pourcentage de requêtes favorisées par priorité
prio0
prio1
prio2
prio3
prio4
prio5
prio6
prio7
(d) Pourcentage de requêtes favorisées par priorité
0
2
4
6
8
10
12
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
Nombre moyen de requêtes favorisées par requête pénalisée
(e) Nombre moyen de requêtes favorisées par requête
pénalisée
0
2
4
6
8
10
12
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
Nombre moyen de requêtes pénalisées par requête favorisée
(f) Nombre moyen de requêtes pénalisées par requête
favorisée
Figure 4.4 – Analyse approfondie des inversions pour une charge intermédiaire4.4. Évaluation du mécanisme de réduction d’inversions 45
d’une requête est haute, plus le nombre de requêtes de priorité inférieure augmente.
Ainsi, la probabilité de se faire dépasser par une requête de priorité inférieure augmente.
• La probabilité de dépasser qui dépend du mécanisme d’incrémentation et de la
priorité initiale. Plus la priorité initiale d’une requête est basse et plus le mécanisme
d’incrémentation est rapide, plus elle risque de pénaliser des requêtes de priorité
supérieure.
Dans les algorithmes bénéficiant du retard de l’incrémentation, le deuxième phénomène
devient négligeable. Le premier phénomène explique à lui seul la linéarité entre le nombre
d’inversions et la priorité. À l’inverse, dans le cas des autres algorithmes, l’augmentation
est rapide et donc non négligeable, on remarque ainsi que :
• La vitesse d’augmentation est très rapide pour les faibles priorités (priorités 0 et
1) puisqu’elles ont de grande chance de se faire dépasser par des requêtes de priorité
supérieure. Cette augmentation rapide a pour effet de fortement pénaliser les
priorités intermédiaires de valeur 3.
• Les requêtes de plus hautes priorités (priorités 6 et 7) peuvent être doublées par
plus de requêtes mais ces dernières n’augmentent que plus lentement leur priorité
(cas pour les priorités 4 et 5) ou sont très éloignées ( cas pour les priorités 0 et 1).
Dans ces algorithmes on observe donc un compromis entre les deux phénomènes conduisant
à pénaliser d’avantage les priorités intermédiaires.
La figure 4.4(e) montre que pour les algorithmes avec retard d’incrémentation, les
requêtes pénalisées ne sont doublées en moyenne qu’une seule fois (écart-type faible),
tandis qu’elles le sont 5 à 6 fois dans les autres approches. En considérant les figures
4.4(a) et 4.4(b), on peut conclure que les requêtes pénalisées sont moins nombreuses et
qu’elles sont doublées par moins de requêtes. Ceci explique les très bons résultats en
termes d’inversions globales observées dans la figure 4.3(a).
Évaluation de l’impact de la charge
Nous présentons maintenant les résultats d’une étude de l’impact de la charge (paramètre
ρ) sur les performances des différents algorithmes. Nous avons ainsi renouvelé
les expériences avec différentes valeurs de ρ proportionnellement au nombre de processus
N : 0.1N, 0.375N, 0.5N, 1N, 3N, 5N, et 10N. Ces valeurs correspondent respectivement
environ à 85%, 65%, 55%, 15%, 1%, 0.5% et 0.2% de processus en moyenne en attente
de section critique à un instant donné. Pour structurer notre étude nous distinguons trois
ensemble de charge :
• Charge haute (0, 1N ≤ ρ < 0, 375N ) : une majorité de processus demande la
section critique de manière concurrente
• Charge intermédiaire (0, 375N ≤ ρ < 3N) : en moyenne la moitié des processus
demande la section critique
• Charge basse (3N ≤ ρ ≤ 10N) : les requêtes concurrentes sont rares
Dans la figure 4.5, nous étudions le nombre de messages par requête, le taux d’utilisation
de la section critique et le nombre de violations tandis que dans la figure 4.6, nous
approfondissons de nouveau l’analyse des inversions.46 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
0
2
4
6
8
10
12
0.1 N
0.375 N
0.5 N
1 N
3 N
5 N
10 N
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Charge décroissante
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
(a) Nombre total d’inversions / nombre total de
requêtes
0
2
4
6
8
10
12
0.1 N
0.375 N
0.5 N
1 N
3 N
5 N
10 N
Nombre de messages par requête
Charge décroissante
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
(b) Nombre de messages par requête
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
0.1 N
0.375 N
0.5 N
1 N
3 N
5 N
10 N
Taux d’utilisation de la ressource (pourcentage)
Charge décroissante
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
(c) Taux d’utilisation de la ressource critique
Figure 4.5 – Étude de l’impact de la charge sur le nombre de messages, le taux d’utilisation
et le nombre d’inversions4.4. Évaluation du mécanisme de réduction d’inversions 47
Étude globale
Nous remarquons sur la figure 4.5(a) que les algorithmes avec mécanisme de retard
sont insensibles aux fortes charges : le nombre d’inversions reste très faible quelle que
soit la valeur de ρ. En revanche, le nombre d’inversions augmente considérablement pour
les autres algorithmes ne bénéficiant pas de ce mécanisme lorsque la charge augmente.
En effet, la forte charge accroît le nombre de requêtes concurrentes, ce qui les conduit
rapidement à atteindre la priorité maximale. Ces algorithmes ne pouvant plus distinguer
les priorités, génèrent donc un grand nombre d’inversions.
D’autre part, nous observons sur la figure 4.5(b) que le nombre de messages diminue
lorsque la charge augmente quel que soit l’algorithme. Ce phénomène est une conséquence
directe de l’algorithme de Raymond à la base des cinq algorithmes : un nœud ne retransmet
pas de requête si il est déjà demandeur de la section critique. En cas de forte charge, ce
cas est très courant, ce qui réduit naturellement le nombre de retransmissions. Outre ce
phénomène global, on peut observer également dans cette figure, le surcoût en messages
engendré par le mécanisme de retard, ainsi que le gain apporté par le mécanisme de
prise en compte de la topologie (mécanisme "distance"). Il est cependant intéressant de
remarquer que l’efficacité du mécanisme "distance" est d’autant plus importante que la
charge augmente, l’algorithme devenant plus économe pour une charge de 0, 1N (' 85 %).
Ceci est particulièrement intéressant pour des applications présentant des pics de charges.
Concernant le taux d’utilisation de la section critique, nous observons dans la figure
4.5(c) que tous les algorithmes ont le même comportement, i.e., pour une valeur de ρ
donnée, ils satisfont tous le même nombre de requêtes.
Il est important de souligner, que les trois graphiques de la figure 4.5 confirment qu’en
cas de faible charge (ρ > 3N), tous les algorithmes se comportent de la même manière
car en absence de concurrence la priorité est ignorée.
Approfondissement de l’étude sur les inversions (figure 4.6)
Nous représentons respectivement dans les figures 4.6(a), 4.6(b), 4.6(c) et 4.6(d), le
nombre de requêtes pénalisées, le nombre de requêtes favorisées, le nombre moyen de fois
où une requête est pénalisée et le nombre moyen de fois où une requête est favorisée.
Dans la figure 4.6(a), nous remarquons, qu’en cas de faible charge (10N), il n’y a
aucune requête pénalisée quel que soit l’algorithme. Lorsque la charge commence à augmenter
(de 10N à 3N), quelques requêtes pénalisées commencent à apparaître. Avec une
charge moyenne (de 3N à 0.5N), nous remarquons que seuls les algorithmes sans mécanisme
de retard, augmentent de manière significative le nombre de requêtes pénalisées
(jusqu’à 80%) tandis que les algorithmes avec mécanisme de retard continuent d’augmenter
très légèrement.
Finalement lorsque la charge est forte (ρ < 0, 5N), le pourcentage de requêtes pénalisées
augmente légèrement pour atteindre 85% pour les algorithmes sans mécanisme de
retard. Ceci représente la proportion des requêtes ayant une priorité initiale strictement
supérieure à zéro. En effet, les requêtes avec une priorité initiale de 0 ne peuvent pas être
pénalisées. Autrement dit 100% des requêtes pénalisables sont pénalisées. On retrouve le
même type de comportement pour les requêtes favorisées (Figure 4.6(b)).48 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
0.1 N
0.375 N
0.5 N
1 N
3 N
5 N
10 N
Pourcentage de requête pénalisées
Charge décroissante
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
(a) Pourcentage de requêtes pénalisées
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
0.1 N
0.375 N
0.5 N
1 N
3 N
5 N
10 N
Pourcentage de requête favorisées
Charge décroissante
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
(b) Pourcentage de requêtes favorisées
0
2
4
6
8
10
12
0.1 N
0.375 N
0.5 N
1 N
3 N
5 N
10 N
Nombre moyen de requêtes favorisées par requête pénalisée
Charge décroissante
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
(c) Nombre moyen de requêtes favorisées par requête
pénalisée
0
2
4
6
8
10
12
0.1 N
0.375 N
0.5 N
1 N
3 N
5 N
10 N
Nombre moyen de requêtes pénalisées par requête favorisée
Charge décroissante
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
(d) Nombre moyen de requêtes pénalisées par requête
favorisée
Figure 4.6 – Impact de la charge sur les requêtes pénalisées et favorisées4.4. Évaluation du mécanisme de réduction d’inversions 49
Pour terminer, nous nous intéressons au nombre moyen de requêtes doublant une
requête pénalisée (Figure 4.6(c)). En comparant ces résultats avec la figure 4.6(a), nous
remarquons que si le nombre de requêtes pénalisées devient important (40%) pour une
charge intermédiaire (1N), elles ne sont doublées en moyenne que deux fois. Une fois
passé le seuil de 0, 5N, presque toutes les requêtes pénalisables sont pénalisées, mais le
nombre de requêtes les dépassant continue d’augmenter fortement. Ceci explique pourquoi
la quantité d’inversions continue d’augmenter en forte charge (entre 0, 5N et 0, 1N) dans
la figure 4.5(a). On comprend alors les mauvaises performances en forte charge : toutes
les requêtes pénalisables sont doublées environ 10 fois.
Les résultats présentés dans cette section ont montré l’impact de la charge sur les
performances des algorithmes. On peut donc se demander comment ils s’adapteraient à
des changements de charge durant leur exécution.
4.4.3 Résultats en charge dynamique
Le but de l’évaluation décrite dans cette section est d’évaluer le comportement des
algorithmes lorsque la charge varie dans une même expérience pendant son exécution.
Nous voulons ainsi montrer la capacité des algorithmes à s’adapter à la variation de
charge. Ainsi nous allons injecter des pics de charge (forte demande) à intervalles réguliers
au cours d’une expérience. Nous modélisons ici la charge par le pourcentage de processus
qui sont en attente du jeton. Comme dans la section précédente, les processus choisissent
de manière uniformément aléatoire une priorité à chaque nouvelle requête.
Les figures 4.7(a), 4.7(b),4.7(c), 4.7(d), et 4.7(e) montrent respectivement le nombre
d’inversions pour Kanrar-Chaki, Chang, CommOpti, CommOpti_retard et
CommOpti_retard_distance.
Les figures 4.7 montrent pour tous les algorithmes, le nombre d’inversions de priorités à
un intervalle de temps donné de chaque expérience. Un point d’abscisse est un échantillon
égal à un intervalle de 50 ms. Dans cette analyse, le temps d’expérience θ est égal à 300
secondes.
Les figures 4.7(a), 4.7(b), et 4.7(c) confirment que la quantité d’inversions augmente
de manière significative pendant la durée du pic de charge pour les algorithmes sans mé-
canisme de retard : pendant le pic de charge, le nombre total d’inversions par requête
varie entre une valeur minimum proche de 1 et une valeur maximale au alentour de 25 .
Ce résultat est cohérent avec la figure 4.5(a) où nous pouvions observer une absence d’inversion
en cas de faible charge puisque le nombre de requêtes augmente plus rapidement
que le nombre d’inversions.
En revanche, les algorithmes à mécanisme de retard sont insensibles à la variation
de charge. Pendant le pic de charge, la quantité d’inversions est bornée par une valeur
maximale qui est plus petite que la valeur minimale des autres algorithmes.
En conclusion, l’étude en charge dynamique confirme que le mécanisme de retard
d’incrémentation s’adapte à la charge en ce qui concerne la quantité d’inversions générées.50 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
0
5
10
15
20
25
50
100
150
200
250
300
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Pourcentage de site en attente du jeton
Temps (s)
rapport nb_inversions/nb_requetes
Charge
(a) Kanrar-Chaki
0
5
10
15
20
25
50
100
150
200
250
300
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Pourcentage de site en attente du jeton
Temps (s)
rapport nb_inversions/nb_requetes
Charge
(b) Chang
0
5
10
15
20
25
50
100
150
200
250
300
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Pourcentage de site en attente du jeton
Temps (s)
rapport nb_inversions/nb_requetes
Charge
(c) CommOpti
0
5
10
15
20
25
50
100
150
200
250
300
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Pourcentage de site en attente du jeton
Temps (s)
rapport nb_inversions/nb_requetes
Charge
(d) CommOpti_retard
0
5
10
15
20
25
50
100
150
200
250
300
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Pourcentage de site en attente du jeton
Temps (s)
rapport nb_inversions/nb_requetes
Charge
(e) CommOpti_retard_distance
Figure 4.7 – Rapport (nombre total d’inversions / nombre total de requêtes) avec une
charge dynamique4.4. Évaluation du mécanisme de réduction d’inversions 51
4.4.4 Étude en charge constante avec priorité constante
Dans les sections 4.4.2 et 4.4.3, nous considérions que les priorités étaient choisies de
manière aléatoire à chaque nouvelle requête. Cependant, dans beaucoup d’applications,
les priorités sont assignées statiquement au processus. Ainsi, contrairement aux précé-
dentes expériences, les processus demanderont désormais la section critique avec la même
priorité pendant toute la durée de l’exécution de l’application. D’autre part, puisque notre
approche se base sur une topologie logique en arbre statique, la position des nœuds a une
influence sur les performances. Dans les précédentes expériences, cette influence n’était pas
perceptible car les processus changeaient de priorité à chaque nouvelle requête. Le but de
cette section est d’étudier le comportement des algorithmes avec différentes distributions
des priorités sur l’arbre.
Nous notons centre du graphe, l’ensemble des nœuds pour qui l’excentricité est égale
au rayon du graphe (excentricité minimale). Par conséquent, les distances maximales entre
les nœuds centraux du graphe et les autres nœuds sont les plus petites.
Nous définissons alors trois politiques possibles de distribution de priorité :
• Aléatoire : les processus sont placés de manière aléatoire dans la topologie (Figure
4.8(a)).
• Centre prioritaire : les processus à plus haute priorité sont placés dans le centre
du graphe. Ainsi, plus un site est éloigné du centre, plus sa priorité diminue (Figure
4.8(b)). Autrement dit, si nous considérons que la racine initiale de l’arbre est le
nœud central alors un nœud a une priorité strictement plus faible que son père initial
(sauf pour les nœuds au niveau 1) mais ont une priorité strictement plus forte que
leurs fils initiaux (sauf pour le nœud racine initial). Cette distribution possède deux
avantages :
∗ le coût en messages des requêtes est moins important. En effet les trajets du jeton
sont réduits car il restera la plupart du temps dans la zone centrale, "attiré" par
les processus à forte priorité
∗ le nombre d’inversions de priorité est intrinsèquement réduit : lorsque le jeton
s’éloigne de la zone centrale du graphe pour satisfaire des requêtes à faible priorité,
il est probable que pendant son transfert, il satisfasse les requêtes à priorités
intermédiaires dans un ordre décroissant. Ceci induit donc un meilleur respect
des priorités.
• Centre non-prioritaire : À l’inverse de la distribution "Centre prioritaire", les
processus à plus basse priorité sont placés dans le centre du graphe. Ainsi, plus un
site s’éloigne du centre, plus sa priorité augmente (Figure 4.8(c)).
Les expériences de cette section ont été menées avec une charge constante intermédiaire
(ρ = 0.5N). Le nombre de processus N considéré est toujours égal à 32 et le nombre de
priorités P toujours égal à 8 : à chaque niveau de priorité il y a 4 processus. Nous nous
intéresserons uniquement au temps de réponse. Les résultats sont donnés pour chaque
topologie sous forme d’histogrammes (Figure 4.9) et sous forme de tableaux de valeurs
(Figure 4.10).
En premier lieu, quelle que soit la distribution, on observe globalement le même comportement
des algorithmes par rapport aux précédentes expériences de la section 4.4.2 :
les algorithmes CommOpti_retard et CommOpti_retard_distance ont de meilleures52 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
(a) Distribution aléatoire (b) Distribution "centre prioritaire"
(c) Distribution "centre nonprioritaire"
Figure 4.8 – Schémas des distributions de priorités considérées dans l’arbre
performances car les grandes priorités ont un temps de réponse plus faible au détriment
des petites priorités.
En second lieu cette expérience montre que la topologie a un réel impact sur les
performances des algorithmes. En disposant les processus plus prioritaires au centre du
graphe (Distribution "centre prioritaire", Figure 4.9(b) et Tableau 4.10(b)), le temps
d’attente des moyennes et grandes priorités est réduit pour tous les algorithmes lorsque
l’on fait une comparaison avec la distribution aléatoire (Figure 4.9(a) et Tableau 4.10(a)).
Ce résultat est tout à fait cohérent puisque dans la disposition "centre prioritaire", les
sites centraux, plus prioritaires ont plus de chance d’intercepter le jeton pour entrer en
section critique.
Les expériences montrent aussi trois autres résultats intéressants :
• globalement le gain en temps de réponse des hautes priorités est réduit dans la
distribution "centre prioritaire" quelque soit l’algorithme
• Le temps de réponse des hautes priorités des algorithmes de Chang et KanrarChaki
en distribution "centre prioritaire" (donc favorable aux plus hautes priorités)
sont encore très supérieurs à ceux des algorithmes CommOpti_retard et
CommOpti_retard_distance en distribution aléatoire. Les requêtes à haute priorité
(respectivement à faible priorité) des algorithmes à mécanisme de retard présentent
un plus faible temps de réponse (respectivement plus fort) en distribution aléatoire
que les autres algorithmes en distribution "centre prioritaire" (distribution qui est
normalement favorable aux plus hautes priorités). Cependant, les algorithmes sans
mécanisme de retard, ont des meilleures performances dans une distribution "centre
prioritaire" que dans une distribution aléatoire. Ceci confirme que le placement de
priorité dans la topologie a un impact sur le temps de réponse (voir tableaux 4.10(a)
et 4.10(b)).
• Quel que soit l’algorithme et quelle que soit la distribution, les écart-types des temps
de réponse des requêtes à hautes priorités sont faibles. Cependant la distribution
aléatoire augmente les écart-types des petites priorités pour tout les algorithmes.
Cette différence peut s’expliquer par le fait que la probabilité qu’une priorité d’une
requête augmente est fortement lié à la position du processus dans le graphe : à4.4. Évaluation du mécanisme de réduction d’inversions 53
1
10
100
1000
10000
100000
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
Temps de réponse moyen (en ms)
prio0
prio1
prio2
prio3
prio4
prio5
prio6
prio7
(a) Distribution aléatoire
1
10
100
1000
10000
100000
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
Temps de réponse moyen (en ms)
prio0
prio1
prio2
prio3
prio4
prio5
prio6
prio7
(b) Distribution "centre prioritaire"
1
10
100
1000
10000
100000
Kanrar_Chaki
Chang
CommOpti
CommOpti_retard
CommOpti_retard_distance
Temps de réponse moyen (en ms)
prio0
prio1
prio2
prio3
prio4
prio5
prio6
prio7
(c) Distribution "centre non-prioritaire"
Figure 4.9 – Temps de réponse moyen en fonction de la distribution des priorités dans
l’arbre54 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle Aléatoire prio0 prio1 prio2 prio3 prio4 prio5 prio6 prio7
_ moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type
Kanrar_Chaki 250,64 50,61 261,27 56,61 178,62 22,08 162,29 09,17 83,25 18,66 53,14 08,80 35,26 04,84 23,38 01,19
Chang 202,14 29,32 194,14 24,42 153,29 04,57 120,03 14,09 99,40 13,02 68,58 10,63 61,49 19,43 51,18 08,47
CommOpti 312,89 105,34 334,91 102,74 197,40 22,05 193,45 34,42 90,61 26,49 53,29 10,13 33,64 03,91 21,98 00,77
CommOpti_retard 34233,85 12746,94 29158,51 19071,79 12675,00 1871,17 238,27 10,42 41,50 01,56 14,53 00,73 06,93 00,52 03,95 00,12
CommOpti_retard_distance 27194,55 21432,00 26597,70 18229,90 10205,80 5973,76 194,48 69,97 35,05 03,13 12,93 02,54 06,47 00,70 03,83 00,34
(a) Distribution aléatoire
Centre prioritaire prio0 prio1 prio2 prio3 prio4 prio5 prio6 prio7
_ moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type
Kanrar_Chaki 379,09 37,13 281,63 17,56 208,94 17,85 149,36 06,87 93,83 06,41 51,62 01,73 29,97 01,05 19,49 01,93
Chang 221,79 17,36 193,30 02,48 166,10 04,25 138,61 01,70 97,51 16,24 68,19 03,49 49,06 06,18 38,66 02,23
CommOpti 473,59 73,12 326,99 34,75 226,17 28,11 148,14 12,63 86,01 04,44 45,89 02,19 24,89 00,83 14,69 01,58
CommOpti_retard 45528,14 9531,29 39304,08 9208,16 11007,86 1920,55 190,47 36,32 35,24 01,70 12,70 00,26 06,37 00,16 03,65 00,13
CommOpti_retard_distance 42140,91 12315,02 38438,71 5899,04 7891,51 2848,17 191,07 29,20 34,99 02,69 12,54 00,33 06,32 00,30 03,52 00,44
(b) Distribution "centre
prioritaire"
Centre non prioritaire prio0 prio1 prio2 prio3 prio4 prio5 prio6 prio7
_ moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type moy Ec-type
Kanrar_Chaki 144,21 21,85 143,93 18,13 176,29 18,16 118,65 05,10 126,79 17,46 82,35 14,55 39,63 00,25 33,18 02,12
Chang 108,58 21,64 143,00 24,33 158,06 07,05 145,92 10,33 108,09 03,88 84,04 06,10 72,31 05,24 60,53 01,61
CommOpti 153,41 22,41 152,98 28,77 195,29 21,10 131,80 22,92 141,68 17,07 90,65 15,76 39,42 00,18 31,66 01,99
CommOpti_retard 7963,77 1815,43 8946,36 3387,89 12166,91 1638,32 312,45 62,72 42,74 05,21 14,33 00,75 06,81 00,27 04,07 00,06
CommOpti_retard_distance 7326,17 1582,07 7820,12 2334,06 10075,06 1079,55 221,74 73,01 33,55 03,79 12,86 01,29 06,48 00,29 03,84 00,17
(c) Distribution "centre nonprioritaire"
Figure 4.10 – Temps de réponse moyen en fonction de la distribution des priorités dans
l’arbre (tableau des valeurs)4.5. Réduction du temps d’attente 55
l’inverse des sites en bordure de graphe, les sites centraux ont plus de chance de
recevoir des requêtes et donc plus de chance d’augmenter en priorité.
Contrairement aux distributions aléatoires et "centre prioritaire", la distribution "centre
non-prioritaire" groupant les processus à petite priorité dans le centre du graphe, dégrade
les performances des algorithmes (figure 4.9(c)). Nous pouvons observer une inversion
dans le temps de réponse : les priorités 1 et 2 ont un temps de réponse plus important que
les priorités 0. Ce comportement illustre de nouveau l’impact du placement des priorités
sur les performances de l’algorithme. Il existe un compromis entre la priorité et la place
du processus dans le graphe : les petites (respectivement les hautes) priorités comme 0
et 1 (respectivement 6 et 7) sont favorisées (respectivement pénalisées) par leur position
centrale (respectivement en bordure) mais sont pénalisées (respectivement favorisées) par
leur valeur de priorité. D’autre part, les requêtes de priorité intermédiaire (2 et 3) ne pro-
fitent ni de la position centrale ni de leur valeur de priorité. Par conséquent, ces dernières
ne sont pas du tout favorisées, ce qui explique qu’elles présentent le pire temps de réponse
dans la distribution "centre non-prioritaire" .
En conclusion, lorsque les priorités sont directement associées aux processus, leur place
dans l’arbre a un impact sur le temps de réponse des requêtes.
4.4.5 Synthèse de l’évaluation
Nous avons comparé notre mécanisme avec les algorithmes de Chang et de KanrarChaki
dans deux configurations.
Dans la première configuration où les processus pouvaient changer de priorité à chaque
nouvelle requête, nous avons pu constater que le retard de l’incrémentation permettait un
meilleur respect de l’ordre des priorités et que la prise en compte de la localité des requêtes
était utile pour réduire le surcoût en nombre de messages générés par ce mécanisme. Ce
résultat restait valable aussi bien en faible charge qu’en forte charge.
Dans la seconde configuration où les processus avaient une priorité qui leur était associée
statiquement, nous avons pu constater l’impact de la topologie sur le temps de
réponse. Si les processus à faible priorité se situent dans la partie centrale du graphe,
alors les requêtes les plus pénalisées sont les requêtes à priorité intermédiaire. À l’inverse,
si les processus à faible priorité se trouvent en bordure de graphe, nous avons constaté
qu’entre deux priorités successives, le temps d’attente de la priorité supérieure était moins
important. Ceci implique donc un meilleur respect de priorités.
4.5 Réduction du temps d’attente
Les évaluations de performances de la section 4.4 ont montré que le mécanisme de retard
d’incrémentation de priorité permettait de réduire de manière conséquente le nombre
d’inversions. Cependant elle a aussi montré que le temps d’attente augmentait significativement.
Cette section a pour objectif d’introduire un mécanisme améliorant l’équité de
l’algorithme tout en conservant un bon respect des priorités.56 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
4.5.1 Un équilibre sur deux objectifs contradictoires
Vouloir minimiser le nombre d’inversions et le temps d’attente des requêtes à faible
priorité sont deux objectifs contradictoires : d’une part, si il n’y a pas d’inversion de
priorité alors le temps de réponse des requêtes à faible priorité peut être infini (cas des
algorithmes à priorités statiques), d’autre part, une réduction du temps de réponse des
requêtes à faible priorité implique un grand nombre d’inversions : les requêtes moins
prioritaires doublent celles plus prioritaires (cas de l’algorithme de Chang et de KanrarChaki).
Par conséquent, il faut trouver un équilibre entre ces deux objectifs contradictoires. À
notre niveau il n’est pas possible de connaître le point d’équilibre car celui-ci dépend des
besoins de l’application qui utilise l’algorithme de verrouillage. Il est en revanche possible
de fournir des mécanismes permettant d’ajuster ce compromis. Dans notre cas, pour une
charge donnée, le réglage entre le temps de réponse et le nombre d’inversions peut se faire
grâce à deux paramètres fixés par l’utilisateur :
• la fonction de palier F : permet de définir la vitesse d’incrémentation des priorités.
Plus cette fonction est croissante plus l’incrémentation sera retardée impliquant une
réduction du nombre d’inversions au détriment du temps de réponse et vice versa.
• le placement des processus dans la topologie : la section 4.4.4 a montré que
la place des processus dans la topologie logique a un impact sur les performances :
si les nœuds placés au centre du graphe sont les plus prioritaires (e.g distribution
"centre prioritaire") alors le nombre d’inversions diminue naturellement mais le
temps d’attente des petites priorités est plus important.
Cependant, cette dépendance à la topologie, et de facto du nombre de processus,
apporte une forte dépendance entre les besoins de l’application et le système.
4.5.2 Principes de l’algorithme Awareness
Comme nous venons de le voir, les performances de algorithme "retard-distance"
peuvent être affectées par la topologie. En effet si la distribution choisie par l’utilisateur
est de type "centre prioritaire" (choix motivé par une meilleure performance en termes de
complexité en messages par exemple) et si nous considérons un plus grand nombre de processus,
il est possible lorsque la charge devient suffisamment haute que les temps d’attente
des requêtes à faible priorité deviennent énormes et inacceptables pour une application.
En cas de forte charge, le jeton restera la plupart du temps dans la région centrale du
graphe. En effet dans l’algorithme "retard-distance", un processus n’incrémente les priorités
de sa file locale qu’à à la réception d’une requête de plus forte priorité provenant
de son sous-arbre. Or, dans la topologie "centre prioritaire", le sous arbre d’un processus
si est la plupart du temps composé de processus de priorités inférieures. Les priorités
des requêtes dans la file locale de si ne seront donc incrémentées qu’aux très rares réceptions
du jeton contenant probablement une requête de plus forte priorité. Par conséquent,
la distribution des priorités peut amener l’algorithme à pénaliser énormément les faibles
priorités. Pour mieux comprendre le problème il faut raisonner en termes de connaissance.
Dans l’algorithme "retard-distance", un processus ne connaît que les requêtes émises dans
son sous-arbre courant et ignore toutes les requêtes émises dans le reste du système. Un4.5. Réduction du temps d’attente 57
tel manque de connaissance limite l’efficacité de prise de décision.
Notre allons donc modifier notre algorithme en lui ajoutant un mécanisme assurant
que chaque processus connaisse à terme le nombre total de requêtes émises pour chaque
niveau de priorité. Il sera alors possible d’incrémenter les priorités en prenant en compte
celles qui proviennent du sous-arbre mais aussi celles qui proviennent du reste du système.
Les requêtes émises dans la zone centrale du graphe pourront être comptabilisées par les
processus en bordure de graphe (de faible priorité). Ces derniers ne seront donc plus
pénalisés par leur position dans le graphe.
Ce mécanisme a fait l’objet de la contribution [ICPP13] avec l’algorithme Awareness 1
qui étend l’algorithme de "retard-distance". La figure 4.11 illustre les différences entre
les algorithmes de "Kanrar-Chaki", "retard-distance", et "Awareness", dans une topologie
"centre prioritaire". Cet exemple montre le nombre de requêtes de priorité initial p
nécessaires pour atteindre la configuration 2 à partir de la configuration 1. Dans la confi-
guration 1 le jeton est utilisé en zone de priorité p (le centre du graphe) et les processus s1
et s2 attendent le jeton pour entrer en section critique. Dans la configuration 2, s2 détient
le jeton et la priorité de s1 dans la file locale de s2 a été incrémentée. Cette exemple
montre qu’il y a une différence de facteur F(p) entre les algorithmes "retard-distance"
et "Awareness". La figure 4.12 résume pour chaque algorithme un ordre de grandeur en
termes de nombre de requêtes nécessaires émises de priorité p pour qu’une requête de
priorité initiale p
0 ≤ p reçoive le jeton.
4.5.3 Description de l’algorithme Awareness
Cette section présente l’algorithme "Awareness" qui étend l’algorithme "retard-distance"
(voir section 4.3). Le but de cet algorithme est de faire en sorte qu’un nœud puisse considé-
rer l’ensemble des requêtes pendantes du système pour incrémenter la priorité des requêtes
enregistrées dans la file locale. Le mécanisme de distance reste inchangé mais le mécanisme
de retard de d’incrémentation présente des différences notables.
Pour propager la connaissance de l’ensemble des requêtes dans le système, nous utilisons
le jeton. Ainsi, un vecteur V tok de P entrées (une entrée par priorité) est inclus
dans le jeton. Chaque entrée p de ce vecteur est à terme égal au nombre total de requêtes
émises de priorité p. Le pseudo code de l’algorithme "Awareness" est donné figure 4.13.
Variables locales et messages
Chaque site si maintient les variables suivantes :
• les variables communes à l’algorithme "retard-distance" (voir section 4.3.1) :
∗ state : indique l’état du processus
∗ f ather : l’identifiant du site voisin sur le chemin menant au processus qui détient
le jeton (processus racine).
∗ Q : la file locale de requêtes pendantes reçues par le site. La définition d’un élément
de la file et la politique de tri restent inchangées.
• les variables supplémentaires :
1. le nom de cet algorithme a été inspiré d’un dicton d’un célèbre philosophe contemporain : "Être
aware c’est être conscient de tout ce qui se trouve autour de nous, à l’intérieur et entre nous." JCVD58 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
Figure 4.11 – Différence de comportement entre les différents algorithmes
Algorithme ordre de
Kanrar-Chaki p − p
0
"Retard-distance" X
p
i=p
0+1
Y
p
j=i
F(j)
Awareness (p − p
0
)F(p)
Figure 4.12 – Ordre de grandeur en nombre d’émissions de requêtes de priorité p, pour
acheminer le jeton en zone de priorité p
0 < p4.5. Réduction du temps d’attente 59
Local variables :1
begin2
3 father : site ∈ Π or nil;
4 state ∈ {tranquil, requesting, inCS};
5 Q : queue of tuple
(s, p, l, d) ∈ Π × (P ∪ {pmax + 1}) × IN × IN ;
6 last_token : Vector of P integers ;
7 pending : Vector of P integers ;
end8
U pdateLocalQueue(V : Vector of P integers)9
begin10
11 (shead, phead, lhead, dhead) ← head(Q);
12 for priority pk from pmin + 1 to pmax do
for n from 1 to V [pi] do13
foreach (s, p, l, d) in Q do14
15 if pk > p or (pk = p and
pk = phead) then
16 l ← l + 1;
if l = F(p + 1) then17
18 p ← p + 1;
19 l ← 0;
20 reorder (Q) ;
end21
Request_CS(p ∈ P)22
begin23
24 state ← requesting;
if father 6= nil then25
26 add (self, p, 0, 0) in Q ;
27 if (self, p, 0, 0) = head(Q) then
28 Send Request(p,1) to father;
29 else
30 pending[p] ← pending[p] + 1;
31 wait(father = nil);
else32
33 pending[p] ← pending[p] + 1;
34 state ← inCS;
35 /* CRITICAL SECTION */
end36
Release_CS()37
begin38
39 state ← tranquil;
40 UpdateLocalqueue(pending);
41 last_token ← last_token + pending ;
42 pending[i] ← 0 ∀i ∈ [1, P];
43 if Q 6= ∅ then
44 (snext, pnext, lnext, dnext) ← dequeue(Q);
45 (shead, phead, lhead, dhead) ← head(Q);
Send Token
46 min(phead, pmax),dhead + 1,
last_token
to snext;
47 father ← snext;
end48
Initialization49
begin50
51 father ← according to the initial topology;
52 Q ← ∅;
53 state ← tranquil;
54 last_token[i] ← 0 ∀i ∈ [1, P];
55 pending[i] ← 0 ∀i ∈ [1, P];
end56
57 Receive_Request(pj ∈ P, dj ∈ IN) from sj
begin58
if father = nil and state = tranquil then59
60 last_token[pj ] ← last_token[pj ] + 1;
61 Send Token(∅,∅,last_token) to sj ;
62 father ← sj ;
63 else if sj 6= father then
64 (sold, pold, lold, dold) ← head(Q);
if ∃(s, p, l, d) ∈ Q, s = sj then65
if p ≤ pj then66
67 p ← pj ;
68 d ← dj ;
69 l ← 0;
70 reorder(Q) ;
else71
72 addqueue(< sj , pj , 0, dj >,Q) ;
if (sold, pold, lold, dold) 6= head(Q) then73
if father 6= nil then74
75 Send Request(pj , dj + 1) to father;
else76
77 pending[pj ] ← pending[pj ] + 1;
else78
79 pending[pj ] ← pending[pj ] + 1;
end80
81 Receive_Token(pj ∈ P, dj ∈ IN, V tok) from sj
begin82
83 father ← nil ;
84 (snext, pnext, lnext, dnext) ← dequeue(Q);
85 V tok ← V tok + pending;
86 UpdateLocalqueue(V tok − last_token);
87 last_token ← V tok;
88 pending[i] ← 0 ∀i ∈ [1, P];
89 if pj 6= nil then
90 add (sj , pj , 0, dj ) in Q;
if snext = self then91
92 notify(father = nil);
else93
94 (shead, phead, lhead, dhead) ← head(Q);
Send Token
min(phead, pmax),dhead + 1
95 to
snext;
96 father ← snext;
end97
Figure 4.13 – Algorithme Awareness60 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
∗ pending (vecteur de P entiers) : pending[pj
] correspond au nombre de requêtes
de priorité pj qui n’ont pas encore été prises en compte pour incrémenter les
priorités. Ce vecteur est utilisé pour compter le nombre global de requêtes en
attente connues par si depuis la dernière fois où il a, soit libéré la section critique,
soit reçu le jeton. Parmi l’ensemble des vecteurs pending du système, une requête
est comptabilisée exactement une seule fois.
∗ last_token (vecteur de P entiers) : l’image du dernier vecteur du jeton V tok
connue par si
.
Les deux types de message de cet algorithme sont toujours les messages de requête et
de jeton incluant respectivement les informations suivantes :
• request (< p, d >) : p est la priorité courante de la requête ; d est la distance séparant
le nœud initiateur de la requête et le nœud destinataire du message.
• token (< p, d, V tok >) : p est la priorité courante de la requête incluse dans le jeton
(valeur nil si aucune requête) ; d est la distance séparant le nœud initiateur de la
requête et le destinataire du message de jeton ; V tok est un vecteur de compteurs
du nombre global de requêtes émises.
Les fonctions add(s, p, l, d), dequeue(Q), head(Q) et reorder(Q) qui manipulent la file
Q restent inchangées.
Description de l’algorithme
En appelant la procédure Request_CS (ligne 22), s’il ne possède pas le jeton, si
ajoute sa requête dans sa file locale (ligne 26). Si la requête est la tête de file (donc
la plus prioritaire localement), si envoie un message de requête au site père (ligne 28).
D’autre part, si si ne retransmet pas la requête (lignes 30 et 33), il enregistre la requête
en incrémentant l’entrée correspondante du vecteur pending. Enfin si si possède le jeton,
il entre directement en section critique (ligne 34).
En sortant de la section critique, la procédure Release_CS (ligne 37) met à jour la
priorité des requêtes dans la file locale de si en appelant la fonction UpdateLocalQueue
décrite ci-après. Elle actualise le vecteur du jeton en ajoutant le nombre de requêtes
pendantes de chaque priorité (ligne 41) et remet à zéro les compteurs du vecteur pending
(ligne 42). Si la file locale n’est pas vide, si envoie le jeton à snext, le nœud en tête de
file (ligne 46) et efface cette requête de la file (ligne 44). Si après la suppression de cette
requête, la file demeure non vide, le processus inclut dans le jeton la première requête de
la file. La variable f ather pointe désormais sur snext (ligne 47).
À la réception d’une requête provenant d’un site sj (ligne 57), si le nœud courant est le
nœud racine mais n’est pas en section critique, le compteur correspondant du vecteur du
jeton est incrémenté. Le jeton est ensuite renvoyé (ligne 61) vers sj et la variable f ather
pointe désormais sur sj
. D’autre part, si le nœud courant n’est pas le site racine ou n’est
pas en section critique, la nouvelle requête est enregistrée dans la file locale Q s’il n’existe
pas de requête en provenance de sj dans Q (ligne 72). Si au contraire, il existe une requête
en provenance de sj dans Q, la requête concernée est mise à jour en actualisant les valeurs
de priorité et de distance reçues (lignes 65 à 66). La requête est ensuite retransmise au
père si il n’est pas la racine et si la tête de file a changé (ligne 74) ; sinon, la requête est
comptabilisée dans le vecteur pending (ligne 77). Contrairement à l’algorithme "retard-4.6. Évaluation des performances de l’algorithme Awareness 61
distance", on peut remarquer que l’incrémentation des priorités ne se fait plus au moment
où le site reçoit la requête. La ligne 79 permet de comptabiliser tout de même la requête
si le message de requête provenant de sj a croisé le message de jeton que le processus
courant a déjà envoyé en direction de sj
. Si cette comptabilisation n’était pas faite alors
la requête correspondante n’aurait jamais été prise en compte.
De manière similaire à la procédure Release_CS, lorsqu’un site si reçoit le jeton (ligne
81), il ajoute le vecteur pending au vecteur V tok du jeton (ligne 85). La file locale est
alors mise à jour par l’appel à la fonction UpdateLocalQueue (line 86) dont le paramètre
est la différence entre la nouvelle valeur de V tok et l’ancienne valeur de V tok contenue
dans last_token. Cette différence représente pour si
les requêtes qui n’ont pas encore été
prises en compte pour incrémenter les priorités des requêtes de la file locale. La variable
last_token est alors mise à jour et le vecteur pending remis à zéro. Si une requête est
incluse dans le jeton (pj 6= nil), si
inclut cette requête dans la file locale (ligne 90). Si
sa propre requête est la tête de file (c’est à dire la requête à la plus forte priorité), le
processus peut alors entrer en section critique (ligne 73). Sinon le jeton est retransmis
au processus en tête de file locale (ligne 95). La variable f ather pointe désormais vers le
destinataire du jeton (ligne 96).
Mise à jour de la file locale (fonction UpdateLocalQueue)
Comme mentionné précédemment, un site met à jour les priorités des requêtes enregistrées
dans sa file locale en appelant la fonction UpdateLocalQueue (ligne 9) à chaque
fois qu’il reçoit le jeton ou qu’il libère la section critique.
Pour chaque priorité pi du vecteur paramètre V , la fonction incrémente de un le niveau
de retard l de chaque requête req de la file locale qui possède une priorité inférieure à
pk (ligne 15). Similairement à l’algorithme "retard-distance", à chaque fois que la valeur
de ce niveau atteint F(pk + 1), la priorité de req est incrémentée et le niveau de retard
remis à zéro. La première condition du test de la ligne 15 empêche la priorité de req d’être
supérieure à la variable de boucle pk variant de pmin+1 à pmax. La seconde condition du test
permet de résoudre le problème de famine induit par le mécanisme de prise en compte de
la topologie (voir section 4.3.4). Comme dans l’algorithme "retard-distance", une priorité
d’une requête peut être localement incrémentée au dessus de la priorité maximale de la
file locale (bornée par pmax, la priorité maximale du système) et ainsi à terme préempter
les processus de même priorité de distance plus petite.
4.6 Évaluation des performances de l’algorithme Awareness
Nous comparons dans cette section, l’algorithme Awareness avec les algorithmes de
Kanrar-Chaki, Chang et "retard-distance".62 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
4.6.1 Protocole d’évaluation
Les expériences ont été menées sur la même plate-forme que les expériences de la
section 4.4. Les paramètres d’expérience sont à grande majorité les mêmes que la section
4.4 sauf pour :
• N : le nombre de processus est désormais de 64. On peut ainsi étudier le comportement
des différents algorithmes avec un nombre plus important de processus.
• α : temps d’exécution d’une section critique est maintenant égal à 2,5 ms.
• γ : le temps d’acheminement d’un message entre deux processus voisins maintenant
égal à 2,5 ms. Ceci nous permet de constater le comportement des algorithmes
lorsque la latence réseau n’est pas négligeable par rapport à α.
La topologie considérée est de type "centre prioritaire" (voir section 4.4.4) dans un
arbre binaire complet. Ceci implique donc que désormais le nombre de priorités considérées
est de 6 (Log2(64)). Nous considérons deux valeurs de charge : haute (ρ = 0, 1N) et
intermédiaire (ρ = 0, 5N).
4.6.2 Résultats pour une fonction de palier donnée
Dans cette section, nous considérons la même fonction de palier que la section 4.4.4 à
savoir F(p) = 2p+c avec c = 6. Nous étudions également les mêmes métriques. La figure
4.14 montre pour deux valeurs de charge considérées (moyenne charge à gauche et forte
charge à droite) les résultats concernant ces métriques.
Temps de réponse moyen
Dans les figures 4.14(b) et 4.14(a), nous pouvons observer le même comportement
que dans la section 4.4.4 pour les algorithmes de Chang et de Kanrar-Chaki. Cependant
l’algorithme "retard-distance" diffère car nous pouvons observer que les petites priorités
(0,1 et 2 pour ρ = 0, 5N et priorité 0 ρ = 0, 1N) ont un temps de réponse supérieur à la
durée d’expérimentation. L’algorithme "retard-distance" pénalise trop les petites priorités.
Nous nommerons un tel temps d’attente une "pseudo-famine". En effet, la famine réelle
ne peut en théorie jamais arriver mais les requêtes à faibles priorités sont satisfaites après
un très long temps d’attente. L’algorithme "retard-distance" ne passe donc pas à l’échelle
en termes de temps d’attente à charge haute et moyenne dans la configuration "centre
prioritaire".
Nous pouvons remarquer que sur l’ensemble des algorithmes, le temps de réponse des
priorités faibles et intermédiaires est globalement plus haut en forte charge qu’en charge
intermédiaire. En effet en charge intermédiaire, les priorités faibles et intermédiaires ont
plus de chances d’être satisfaites puisque la fréquence des requêtes à hautes priorités est
moins importante qu’en forte charge. En comparant les algorithmes "retard-distance" et
"Awareness", nous observons que les hautes priorités (4 et 5) présentent presque le même
temps de réponse dans les deux algorithmes. D’autre part, les priorités intermédiaires (2
et 3) sont plus pénalisées dans l’algorithme "Awareness" que dans l’algorithme "retarddistance"
tandis que les petites priorités (0 et 1) sont beaucoup moins pénalisées dans
l’algorithme "Awareness".4.6. Évaluation des performances de l’algorithme Awareness 63
4
8
16
32
64
128
256
512
1024
2048
4096
8192
16384
32768
>= 65536
Kanrar_Chaki
Chang
RetardDistance
Awareness
Temps d’atente moyen (en ms)
prio0
prio1
prio2
prio3
prio4
prio5
(a) Temps d’attente moyen par priorité ρ =
0.5N
4
8
16
32
64
128
256
512
1024
2048
4096
8192
16384
32768
>= 65536
Kanrar_Chaki
Chang
RetardDistance
Awareness
Temps d’atente moyen (en ms)
prio0
prio1
prio2
prio3
prio4
prio5
(b) Temps d’attente moyen par priorité ρ =
0.1N
0
2
4
6
8
10
12
14
16
Kanrar_Chaki
Chang
RetardDistance
Awareness
Nombre total d’inversions / nombre total de requêtes
(c) Nombre total d’inversions / nombre total
de requêtes ρ = 0.5N
0
2
4
6
8
10
12
14
16
Kanrar_Chaki
Chang
RetardDistance
Awareness
Nombre total d’inversions / nombre total de requêtes
(d) Nombre total d’inversions / nombre total
de requêtes ρ = 0.1N
0
1
2
3
4
5
6
7
Kanrar_Chaki
Chang
RetardDistance
Awareness
Nombre de messages par requête
REQUEST
TOKEN
(e) Nombre de messages par requête ρ = 0.5N
0
1
2
3
4
5
6
7
Kanrar_Chaki
Chang
RetardDistance
Awareness
Nombre de messages par requête
REQUEST
TOKEN
(f) Nombre de messages par requête ρ = 0.1N
0
5
10
15
20
25
30
35
40
Taux d’utilisation de la ressource (pourcentage)
Kanrar_Chaki
Chang
RetardDistance
Awareness
(g) Taux d’utilisation de la ressource critique
ρ = 0.5N
0
5
10
15
20
25
30
35
40
Taux d’utilisation de la ressource (pourcentage)
Kanrar_Chaki
Chang
RetardDistance
Awareness
(h) Taux d’utilisation de la ressource critique
ρ = 0.1N
Figure 4.14 – Performances de l’algorithme "Awareness" en charge moyenne (ρ = 0.5N)
et en charge haute (ρ = 0.1N)64 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
Inversions de priorités
Les figures 4.14(d) et 4.14(c) montrent une grande différence entre nos algorithmes et
les algorithmes de Chang et Kanrar-Chaki en termes de quantité d’inversions de priorité.
Cet écart est dû au mécanisme de retard d’incrémentation. On remarque cependant un lé-
ger surcoût pour l’algorithme "Awareness" par rapport à l’algorithme "retard-distance".
Ceci est cohérent car l’algorithme "Awareness" favorise plus facilement les requêtes de
faibles priorités. Lorsque la charge diminue (Figure 4.14(c)), le nombre d’inversions de
priorités diminue pour les algorithmes de Chang et Kanrar-Chaki. Cette réduction s’explique
par la réduction du nombre de requêtes diminue également impliquant potentiellement
moins d’inversions. On observe l’inverse pour l’algorithme "Awareness" : la quantité
d’inversions par requête augmente. Lorsque la charge est moins importante, la probabilité
que le jeton s’éloigne du centre est plus importante car le débit d’entrée de requêtes
de forte priorité diminue. Comme la latence réseau (paramètre γ) n’est pas négligeable
par rapport au temps de section critique α le temps pour qu’une requête à forte priorité
atteigne le porteur du jeton est accru. Pendant ce transfert, des requêtes de priorités plus
faible, proche du jeton, peuvent alors être satisfaites.
Nombre de messages par requête
Les figures 4.14(f) et 4.14(e) montrent que pour tous les algorithmes, le nombre total
de messages par requête est plus important en charge intermédiaire qu’en haute charge.
Analysons en premier lieu les messages de requête. Dans la configuration "centre prioritaire",
une réception de requête sur un site si concerne une requête qui a très probablement
une priorité inférieure à la priorité de si (les fils d’un processus sont la plupart
du temps des processus en zone moins prioritaire). Par conséquent en cas de forte charge,
les requêtes ont moins de chances d’être retransmises dans la zone supérieure de l’arbre
puisque les algorithmes ne retransmettent une requête que les requêtes de plus haute
priorité. Ainsi le nombre de messages de requête est réduit en forte charge.
Analysons maintenant les messages contenant le jeton. Le transfert du jeton depuis
une zone de l’arbre de priorité p vers une zone de priorité inférieure à p a lieu dans deux
cas :
(1) soit il n’y a plus de requête pendante dans la zone de priorité p
(2) soit il existe au moins une requête de priorité inférieure à p qui a été incrémentée
dans la zone de priorité p et qui est devenue égale à p.
En cas de forte charge, le jeton a beaucoup moins de chances de quitter la zone de haute
priorité pour aller dans une zone de priorité inférieure à cause du second cas. Le jeton
voyage principalement dans le centre du graphe (les zones les plus prioritaires). En charge
intermédiaire, le premier cas peut se produire plus fréquemment (absence de requête pendante)
ce qui implique que le jeton peut plus facilement quitter le centre du graphe.
La conséquence directe est une augmentation du nombre de messages de jeton. Si nous
considérons les deux types de messages, en cas de forte charge, les algorithmes "Retarddistance",
"Awareness" et Chang présentent un nombre de messages moins important
que l’algorithme de Kanrar-Chaki ceci grâce à la possibilité d’inclure le jeton dans une
requête tel que cela a été proposé par Chang (voir section 4.3.2). D’autre part, les algo-4.6. Évaluation des performances de l’algorithme Awareness 65
rithmes "Retard-distance" et "Awareness" présentent un nombre de messages inférieur à
l’algorithme de Chang grâce à :
• l’exploitation de la localité des requêtes (voir section 4.3.4),
• un meilleur respect des priorités ; dans l’algorithme Chang, les processus atteignent
rapidement la priorité maximale induisant plus de transferts de jeton dans la topologie.
En comparant les deux figures 4.14(e) et 4.14(f), en cas de charge moyenne, les algorithmes
"Retard-distance" et "Awareness" présentent une augmentation en messages d’environ
50% tandis que les algorithmes de Chang et Kanrar-Chaki ont une augmentation de
seulement 5%. Nous avons remarqué que la diminution de la charge induit une augmentation
du nombre de messages. Nous pouvons alors souligner que cette baisse de charge a
un impact plus important sur les algorithmes "Retard-distance" et "Awareness" que les
algorithmes de Chang et Kanrar-Chaki.
Taux d’utilisation de la ressource
Puisque le paramètre de latence réseau est comparable au temps de section critique
(γ ' α), la valeur maximum théorique du taux d’utilisation est de 50 % . Ainsi, dans
le meilleur des cas (chaque réception de jeton implique le début d’une section critique),
le jeton passe au moins autant de temps dans le réseau qu’à être utilisé. De manière
générale, les algorithmes de Chang et Kanrar-Chaki sont moins efficaces en cas de forte
charge et plus particulièrement pour l’algorithme de Chang. Ce comportement est une
conséquence directe de son nombre important d’inversions de priorités : les processus
atteignent rapidement la priorité maximale impliquant que le jeton a plus de chance de
voyager sur des plus longues distances entre deux sections critiques, ce qui dégrade le taux
d’utilisation de la ressource lorsque la latence réseau n’est pas négligeable par rapport au
temps d’exécution de la section critique.
Synthèse
Le mécanisme de retard d’incrémentation de priorité et le mécanisme permettant à
tout site de connaître l’ensemble des requêtes émises réduisent de manière importante le
nombre d’inversions de priorités (jusqu’à 10 fois en cas de moyenne charge et 15 fois en
cas de forte charge). Ces mécanismes n’induisent pas de surcoût en messages lorsqu’on les
compare à l’algorithme de Chang. De plus, l’algorithme de Chang est moins efficace en
termes de taux d’utilisation de la ressource. Enfin notre algorithme "Awareness" réduit
de manière significative le temps de réponse des requêtes à faible priorité tout en gardant
une faible quantité d’inversions. De plus il ne dégrade ni la complexité en message ni le
taux d’utilisation lorsqu’on le compare à l’algorithme "retard-distance"
4.6.3 Impact de la fonction de palier sur les inversions et le temps
de réponse
Dans cette section, nous évaluons l’impact de la fonction de palier sur les quatre
algorithmes précédemment considérés. Nous définissons donc cinq familles de fonction de66 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
palier ;
• constante : Fc(p) = c
• linéaire : Fc(p) = p ∗ c
• polynomiale : Fc(p) = p
c
• exponentielle : Fc(p) = c
p
• puissance de deux : Fc(p) = 2p+c
(famille considérée jusqu’à présent avec c = 6)
Pour une valeur de charge donnée et une constante c donnée, nous avons mesuré le
nombre d’inversions et le temps de réponse maximum. En faisant varier la constante c entre
chaque expérience, nous étudions le comportement des algorithmes "retard-distance" et
"Awareness" pour différentes fonctions.
La figure 4.15 montre cette étude pour une charge haute et intermédiaire. Chaque
sous-figure montre l’impact sur les algorithmes d’une famille de fonction pour une charge
donnée. Les coordonnées d’un point correspond aux métriques suivantes : l’axe des abscisses
représente le rapport du nombre d’inversions sur le nombre de requêtes et l’axe
des ordonnées représente le temps de réponse maximum toute priorité confondue. Ainsi
pour un rapport inversions/requêtes donné, nous pouvons comparer le temps de réponse
maximum entre les différents algorithmes. L’objectif de la fonction de palier est de trouver
un point qui est le plus proche de l’origine des deux axes (coin inférieur gauche).
Nous observons pour les algorithmes "retard-distance" et "Awareness" différentes valeurs
d’inversion. Cependant pour une valeur donnée de la constante c, l’intervalle de valeurs
pour les deux courbes ne sont pas les mêmes, impliquant une comparaison difficile.
Nous avons aussi inclus dans les sous-figures, les algorithmes de Chang et de Kanrar-Chaki
afin d’être exhaustif dans la comparaison. Ces deux algorithmes sont représentés par un
point puisqu’ils n’utilisent pas de fonction de palier. Par conséquent, ces points sont les
mêmes pour chaque sous-figure d’une charge donnée.
Dans l’ensemble, on peut observer que pour une charge quelconque et une fonction de
palier quelconque, l’algorithme "Awareness" a un temps de réponse moins important que
l’algorithme "retard-distance" (au moins 2 fois moins). Il est intéressant de noter que pour
une charge donnée, toutes les courbes de l’algorithme "Awareness" sont presque similaires,
indépendamment de la famille de fonction. En fait, son mécanisme de connaissance globale
permet de réduire l’incidence du choix de la famille de fonction de palier.
Enfin, sur l’algorithme "Awareness", pour une fonction de palier donnée, on peut
remarquer qu’en charge intermédiaire la pente de la courbe est légèrement plus importante
qu’en charge haute ( entre les valeurs 2 et 4 de l’abscisse, on constate une pente plus
importante en charge intermédiaire). Ceci illustre l’influence de la charge sur l’effet de la
fonction de palier. Plus la charge est haute, plus le nombre de requêtes de haute priorité
sera grand et donc plus l’indice de retard augmentera rapidement. Par conséquent la
dégradation du temps de réponse est moins rapide en forte charge.
4.7 Conclusion
Dans ce chapitre nous avons présenté des mécanismes permettant de construire un
nouvel algorithme d’exclusion mutuelle à priorité. L’algorithme final "Awareness" remplit
les objectifs définis en section 4.1, à savoir :4.7. Conclusion 67
0.25
0.50
1
2
4
8
16
32
64
128
>= 240
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
Temps d’atente maximum (s)
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Awareness
Chang
Kanrar_Chaki
RetardDistance
(a) Fc(p) = c et ρ = 0.5N
0.25
0.50
1
2
4
8
16
32
64
128
>= 240
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
Temps d’atente maximum (s)
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Awareness
Chang
Kanrar_Chaki
RetardDistance
(b) Fc(p) = c et ρ = 0.1N
0.25
0.50
1
2
4
8
16
32
64
128
>= 240
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
Temps d’atente maximum (s)
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Awareness
Chang
Kanrar_Chaki
RetardDistance
(c) Fc(p) = p ∗ c et ρ = 0.5N
0.25
0.50
1
2
4
8
16
32
64
128
>= 240
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
Temps d’atente maximum (s)
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Awareness
Chang
Kanrar_Chaki
RetardDistance
(d) Fc(p) = p ∗ c et ρ = 0.1N
0.25
0.50
1
2
4
8
16
32
64
128
>= 240
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
Temps d’atente maximum (s)
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Awareness
Chang
Kanrar_Chaki
RetardDistance
(e) Fc(p) = p
c
et ρ = 0.5N
0.25
0.50
1
2
4
8
16
32
64
128
>= 240
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
Temps d’atente maximum (s)
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Awareness
Chang
Kanrar_Chaki
RetardDistance
(f) Fc(p) = p
c
et ρ = 0.1N
0.25
0.50
1
2
4
8
16
32
64
128
>= 240
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
Temps d’atente maximum (s)
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Awareness
Chang
Kanrar_Chaki
RetardDistance
(g) Fc(p) = c
p
et ρ = 0.5N
0.25
0.50
1
2
4
8
16
32
64
128
>= 240
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
Temps d’atente maximum (s)
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Awareness
Chang
Kanrar_Chaki
RetardDistance
(h) Fc(p) = c
p
et ρ = 0.1N
0.25
0.50
1
2
4
8
16
32
64
128
>= 240
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
Temps d’atente maximum (s)
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Awareness
Chang
Kanrar_Chaki
RetardDistance
(i) Fc(p) = 2p+c
et ρ = 0.5N
0.25
0.50
1
2
4
8
16
32
64
128
>= 240
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
Temps d’atente maximum (s)
Nombre d’inversions / nombre total de requêtes
Awareness
Chang
Kanrar_Chaki
RetardDistance
(j) Fc(p) = 2p+c
et ρ = 0.1N
Figure 4.15 – Étude de cinq familles de fonction de palier en charge moyenne (ρ = 0.5N)
et en charge haute (ρ = 0.1N)68 Chapitre 4. Temps d’attente et inversions de priorité dans l’exclusion mutuelle
• le respect de la vivacité en se basant sur l’algorithme de Kanrar-Chaki .
• une limitation des inversions de priorités : le mécanisme de retard réduit considérablement
le taux d’inversions avec une fonction de palier exponentielle comme
nous avons pu l’analyser dans la section 4.4 .
• une complexité en messages comparable à l’existant : le mécanisme de retard
augmentait de facto le nombre de messages par requête mais grâce au mécanisme
"distance" qui tient compte de la localité de requête et au mécanisme d’inclusion
d’une requête dans le jeton, cette complexité a pu être réduite.
• une limitation du temps d’attente maximum : l’algorithme "Awareness" permet
à n’importe quel processus, quelle que soit sa position dans la topologie, de
connaître l’ensemble des requêtes émises dans le système. Grâce à ce mécanisme, il
est possible de réduire considérablement le temps d’attente maximum pour un taux
d’inversions équivalent.
Enfin, l’utilisateur de l’algorithme peut ajuster le compromis entre le temps d’attente
et le taux d’inversion grâce à la fonction de palier F : plus cette fonction est croissante, plus
le taux d’inversions diminuera et plus le temps d’attente des petites priorités augmentera.Chapitre 5
Exclusion mutuelle avec dates
d’échéance
Sommaire
5.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
5.2 Motivations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
5.2.1 Cloud Computing . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
5.2.2 Service Level Agreement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
5.3 Description de l’algorithme . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
5.3.1 Description générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
5.3.2 Contrôle d’admission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
5.3.3 Mécanisme de préemption . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
5.4 Évaluation des performances . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
5.4.1 Protocole d’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
5.4.2 Métriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
5.4.3 Impact global . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
5.4.4 Impact de la préemption pour une charge donnée . . . . . . 84
5.4.5 Impact de la charge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
5.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
5.1 Introduction
Dans ce chapitre nous considérons une extension du problème de l’exclusion mutuelle
qui consiste à satisfaire les requêtes des processus en fonction de contraintes temporelles.
Plus précisément, nous considérons que les requêtes incluent une date d’échéance et le but
de notre algorithme est d’assurer qu’un maximum de requêtes soient satisfaites avant la
date d’échéance.
Pour réduire le plus possible le nombre de requêtes non satisfaites avant leur échéance,
l’algorithme contrôle dans un premier temps que la contrainte de la requête soit réalisable.
Lors de cette phase de contrôle, l’algorithme devra tenir compte de l’ensemble des requêtes
6970 Chapitre 5. Exclusion mutuelle avec dates d’échéance
pendantes. Une fois que cette phase de contrôle d’admission est positive, la requête est
définitivement acceptée : le système s’engage donc à la satisfaire avant sa date d’échéance.
À l’inverse, si l’admission est négative, alors la requête est définitivement rejetée et ne
donnera pas lieu à une section critique : le processus est alors obligé de refaire une nouvelle
requête en donnant éventuellement des contraintes plus faibles.
Ce type d’exclusion mutuelle avec contrainte s’inscrit dans un modèle plus général
d’application avec SLA où un contrat de qualité de service est négocié avec le fournisseur.
Les applications s’exécutent souvent dans le modèle du Cloud Computing où il a été
reconnu dans [AFG+09] que le verrouillage de ressources était un défi majeur.
Ce chapitre décrit en section 5.2 les particularités du modèle du Cloud Computing
permettant de motiver cette contribution. L’algorithme sera ensuite décrit avec ses deux
mécanismes principaux en section 5.3 : le mécanisme de contrôle d’admission et un mé-
canisme de préemption permettant d’améliorer le débit de section critique. S’ensuivra
ensuite une évaluation de performances en section 5.4.
Cette contribution a donné lieu à deux publications, [CCgrid12] et [CCgrid13] dont la
deuxième a été faite en collaboration avec les membres du projet ANR MyCloud [MyC].
5.2 Motivations
5.2.1 Cloud Computing
Dans les Clouds, les ressources sont considérées comme des services qu’il s’agisse de
matériel (ex : serveur, routeur, GPU ...), de plates-formes de développement ou de logiciel
(ex : webmail, office). Ceci permet de ne plus acheter (ou louer) ces ressources mais
de payer uniquement que ce que l’on consomme (informatique à la demande). Il existe
plusieurs niveaux de couche de service. À l’instar de la pile OSI pour les réseaux, une
couche d’un niveau k fournit un service pour la couche de niveau k+1. Les trois couches
principales dans ce modèle ([LKN+09, RCL09, ZCB10]) sont par ordre de niveau croissant :
• IaaS : "Infrastructure as a Service", permet de fournir des ressources matérielles virtualisées.
Par exemple, Amazon EC2 [EC2] fournit des machines serveurs virtuelles
et Amazon S3 [S3] fournit des ressources pour le stockage.
• PaaS : "Platform as a Service", fournit une interface de programmation pour une
application qui s’exécutera dans un Cloud. Par exemple, Google offre Google App
engine [App] qui est une plate-forme de conception et d’hébergement. d’applications
web.
• SaaS : "Software as a Service", fournit une application pour les utilisateurs finaux
(exemple : bureautique en ligne) ou bien pour des développeurs d’applications de
haut niveau. Cette couche repose sur une couche PaaS mais peut aussi utiliser
directement la couche IaaS.
Les ressources étant mutualisées entre les différents utilisateurs du système, des mécanismes
de verrouillage sont donc nécessaires pour éviter toute incohérence ou dysfonctionnement.
Ces mécanismes peuvent être présents à différents niveaux. En IaaS, ils servent à
réserver des ressources à accès exclusif. En PaaS, ils servent pour la programmation d’applications
réparties (exemple : MPI-IO). Nous pouvons citer comme exemple le service5.3. Description de l’algorithme 71
de verrouillage de Chubby [Bur06] proposé par Google qui assure une fiabilité de service
grâce à une réplication de serveurs.
5.2.2 Service Level Agreement
Le Cloud Computing s’accompagne d’un modèle commercial dans lequel le client
n’achète plus de machine ou de logiciel mais un service donné avec une qualité négociée.
Il doit donc convenir d’un contrat avec le fournisseur qui définit un niveau et un
type de qualité de service que ce dernier doit respecter. Ce contrat est plus communément
appelé SLA (Service Level Agreement) et fait suite à une phase de négociation entre le
client et le fournisseur (gérée usuellement par un contrôle d’admission) or les algorithmes
distribués d’exclusion mutuelle ne prennent pas (ou peu) en compte la notion de QoS
associée aux requêtes clientes. Notre but est donc de fournir une API pour un service de
verrouillage intégrant la notion de SLA. L’algorithme décrit dans ce chapitre pourrait être
ainsi appliqué sur des plates-formes de Cloud de type PaaS.
5.3 Description de l’algorithme
Cette section décrit notre algorithme d’exclusion mutuelle permettant de satisfaire les
requêtes avant leur date d’échéance. Cet algorithme doit :
• éviter les violations de SLA, c’est-à-dire les requêtes non satisfaites avant leur date
d’échéance (exigence du client).
• satisfaire le plus de requêtes possibles afin d’avoir un bon débit de section critique
(exigence du fournisseur).
Notre algorithme se base sur l’algorithme de Raymond décrit en section 2.5.1. On
décrira dans un premier temps les principes de base de l’algorithme puis le fonctionnement
des deux mécanismes principaux :
• le contrôle d’admission qui permet de décider si une requête peut être satisfaite
ou non,
• le mécanisme de préemption qui permet de décider du chemin que le jeton
suivra dans la topologie afin d’en rentabiliser son utilisation.
Notre algorithme implique des changements au niveau applicatif. Désormais lorsqu’un
processus demande la section critique, il fournit deux valeurs de contraintes :
• la date d’échéance d’accès à la section critique,
• le temps de section critique requis
De plus, la requête doit être soumise à un contrôle d’admission avant d’être définitivement
acceptée. Par conséquent, la procédure Request_CS devra renvoyer à l’application un
résultat booléen indiquant si le processus peut exécuter la section critique ou au contraire
si sa requête ne peut être acceptée.
5.3.1 Description générale
Comme dans l’algorithme original de Raymond, notre algorithme repose sur la circulation
d’un unique jeton dans une topologie en arbre statique où le nœud racine est le72 Chapitre 5. Exclusion mutuelle avec dates d’échéance
Local variables :1
begin2
3 father : site ∈ Π or nil;
4 Q : queue of (si, sn, t, α, d) ∈ Π × Π × T × IN × IN ;
5 state ∈ {tranquil, requesting, inCS}
end6
Initialization7
begin8
9 Q ← ∅;
10 state ← tranquil;
11 father ← according to the initial topology;
end12
Request_CS(tdead ∈ T, α ∈ IN) with boolean result13
begin14
15 state ← requesting;
16 boolean accept;
17 accept ← controlReqCS(tdead, α);
18 if accept = false then
19 state ← tranquil;
20 return false;
21 /* Cancel : rejected */
if father 6= nil then22
23 wait(father = nil or tnow > tdead);
if tnow > tdead then24
25 state ← tranquil;
26 Q ← Q − {(si, sn, t, α, d) ∈ Q|si = self} ;
27 return false;
28 /* Cancel : too late */
29 state ← inCS;
30 return true;
31 /* CRITICAL SECTION */
end32
33 Release_CS()
begin34
35 state ← tranquil;
36 Q ← Q−{(si, sn, t, α, d) ∈ Q|si = self ∨t < tnow}
;
if Q 6= ∅ then37
38 (sinext, snnext, tnext, αnext, dnext) ←
preempt();
39 send Token(Q) to snnext;
40 father ← snnext;
41 Q ← Q − {(si, sn, t, α, d) ∈ Q|sn = father} ;
end42
43 Receive_Request(si ∈ Π, tdeadj ∈ T, α ∈ IN, dj ∈ IN)
from sj
begin44
if father = nil and state = tranquil then45
46 send Token(∅) to sj ;
47 father ← sj ;
else if father 6= sj then48
Q ← Q − {(s
0
i
, s0
n, t0
, α0
, d0
) ∈ Q|s
0 49 i = si} ;
50 controlRecvReq(si, sj , tdeadj , α, dj );
end51
52 Receive_Token(Qj ) from sj
begin53
54 father ← nil;
55 controlRecvTok(Qj , sj );
56 Q ← Q − {(si, sn, t, α, d) ∈ Q|t < tnow} ;
if Q 6= ∅ then57
58 (sinext, snnext, tnext, αnext, dnext) ←
preempt();
if snext = self then59
60 notify(father = nil);
else61
62 send Token(Q) to snnext;
63 father ← snnext;
64 Q ← Q − {(si, sn, t, α, d) ∈ Q|sn =
father} ;
end65
Figure 5.1 – Algorithme à dates d’échéances
détenteur du jeton. De plus, chaque site maintient une file locale de requête. Le pseudo
code de notre algorithme est donné dans la figure 5.1.
Variables
Les variables locales à chaque processus restent inchangées par rapport à l’algorithme
de Raymond hormis pour la file locale qui est un ensemble de tuples de type
(si
, sn, t, α, d) ∈ Π × Π × T × IN × IN où
• si est l’identifiant du site initiateur de la requête,
• sn est l’identifiant du voisin qui a transmis la requête, (similaire à Raymond)
• t est la date d’échéance de la requête associée,
• α est le temps de section critique requis en unité de temps,
• d est la distance en nombre de liens intermédiaires séparant l’initiateur de la requête
et le nœud courant. Ce paramètre est utilisé pour le mécanisme de préemption.5.3. Description de l’algorithme 73
Chaque file locale est ordonnée selon une politique Earliest Deadline First (EDF) c’est-à-
dire par ordre de dates d’échéance croissantes. En cas de dates égales, l’ordre appliqué est
celui du temps de section critique requis croissant. On préfère ainsi favoriser la requête
qui demande moins de temps de section critique. Cependant l’ordre de satisfaction des
requêtes ne dépend pas uniquement de cet ordre mais dépend aussi de la politique de
préemption. Les différentes politiques de préemptions seront détaillées section 5.3.3.
Messages
Nous considérons deux types de message :
• request(si
, tdead, α, d) : message de requête contenant l’identifiant du nœud initiateur,
les deux valeurs de contrainte et la distance en nombre de liens entre le nœud
receveur du message et le nœud initiateur.
• token(Qj ) : message de jeton qui contient la file des requêtes à traiter. Nous verrons
ultérieurement que la file du porteur du jeton est un élément clé dans notre
algorithme.
Fonctions
Pour avoir un maximum de modularité dans les différentes politiques de décision,
nous considérons que les mécanismes de contrôle d’admission et de préemption qui seront
détaillés respectivement en section 5.3.2 et 5.3.3 fournissent l’API suivante :
• Pour le contrôle d’admission :
∗ controlReqCS (ligne 17) : appelée au moment où une nouvelle requête est émise.
Cette procédure retourne un résultat booléen qui vaut vrai si la nouvelle requête
a été acceptée, faux sinon. Elle retournera également faux si la date d’échéance
de la requête a expiré.
∗ controlRecvReq (ligne 50) : appelée lorsque le processus reçoit un message de
requête, cette fonction permet de contrôler si la requête reçue peut être validée
localement ou non.
∗ controlRecvTok (ligne 55) : appelée lorsque le processus reçoit le jeton, cette
fonction permet de fusionner la file du jeton avec la file locale du site courant.
Le contrôle d’admission a la responsabilité de transmettre les messages de requêtes
ainsi que les messages nécessaires pour son fonctionnement. En cas de réponse positive
sur une requête, le contrôle d’admission assure au processus qu’elle est enregistrée
dans le système et qu’elle sera satisfaite avant la date d’échéance.
• Pour le mécanisme de préemption :
∗ preempt : appelée au moment où un site décide d’un prochain destinataire pour
envoyer le jeton soit lors d’une sortie de section critique, soit lors de la réception
du jeton. Cette fonction renvoie le tuple de la file locale correspondant à la requête
qui peut réquisitionner le jeton.
Description
En exécutant la procédure Request_CS (ligne 14) le site appelle en premier lieu la
fonction controlReqCS(tdead, α) (ligne 17) en passant en paramètre les deux valeurs de74 Chapitre 5. Exclusion mutuelle avec dates d’échéance
contrainte. Si le résultat de cette fonction est négatif alors le processus se remet à l’état
tranquil et abandonne sa requête (lignes 18 à 20). Sinon, si le résultat est positif, le
processus se met en attente du jeton (ligne 23). Cependant, si le jeton n’arrive pas avant
la date d’échéance, il y a violation de SLA : la requête est alors abandonnée et ne donnera
pas lieu à une section critique (lignes 24 à 27). En effet, ce cas est possible en cas d’erreur
d’estimation du contrôle d’admission. Nous annulons donc les requêtes qui ne sont pas
satisfaites à leur date d’échéance pour éviter l’effet cascade sur les autres requêtes et ne
pas dégrader ainsi le taux de violations.
À la réception d’un message de requête (ligne 44) réclamé par si
, si le processus possède
le jeton mais ne l’utilise pas, le jeton est alors envoyé en direction du demandeur (lignes
45 à 47). Sinon, en ligne 49, le processus efface de sa file locale une requête obsolète de si
qui pourrait éventuellement subsister et appelle ensuite la fonction controlRecvReq du
contrôle d’admission en passant en paramètre les informations transmises dans le message
de requête.
Lorsqu’un processus reçoit le jeton (ligne 53), il appelle la fonction controlRecvTok
du contrôle d’admission en lui passant en paramètre la file du jeton (ligne 55). Le traitement
qui suit est alors similaire à la méthode Release_CS. Afin d’éviter de stocker
indéfiniment des requêtes qui auraient manqué leur date d’échéance, le processus efface
de sa file locale toute requête obsolète (lignes 36 et 56). Si la file demeure non vide alors le
processus cherche un prochain destinataire du jeton avec le mécanisme de préemption en
appelant la méthode preempt (lignes 38 et 58). Le jeton est ensuite envoyé (ligne 62) ou
bien éventuellement utilisé par le processus (ligne 60).Afin d’assurer qu’un processus ne
connaisse pas les requêtes provenant de son père (invariant de l’algorithme de Raymond),
le processus efface ces dernières de sa file locale (lignes 41 et 64 ) à chaque transmission
du jeton. Notons que lorsque le site entre en section critique, sa requête n’est pas effacée
de la file locale (contrairement à l’algorithme de Raymond) car ses contraintes peuvent
encore servir pour la décision du contrôle d’admission.
5.3.2 Contrôle d’admission
Comme nous l’avons évoqué précédemment, le contrôle d’admission permet d’éviter
d’accepter des requêtes que l’on ne peut pas satisfaire dans l’état actuel du système. Sa
décision permet d’accepter ou de rejeter les requêtes en amont. Si la réponse est positive,
alors le système s’engage à satisfaire la requête en respectant ses contraintes avec une forte
probabilité. Si la réponse est négative, la requête est définitivement rejetée et le processus
applicatif doit reformuler une nouvelle requête avec des contraintes moins importantes
et/ou attendre que la charge du système diminue.
Notre mécanisme de contrôle d’admission est entièrement distribué. Chaque processus
a donc, en fonction de sa place dans l’arbre, un rôle dans ce mécanisme. Pour cela, nous
nous servons de la propriété hiérarchique de la topologie. Ainsi, plus un processus se
situe proche de la racine, plus sa connaissance potentielle sur les requêtes pendantes du
système est grande. Par conséquent, le site racine est le seul à pouvoir connaître l’ensemble
des requêtes pendantes du système et donc le seul à pouvoir prendre la décision finale
d’accepter ou pas une requête. Cependant, chaque processus connaît un sous-ensemble
des requêtes pendantes de son père. Il est alors possible de filtrer les messages de requêtes5.3. Description de l’algorithme 75
et éviter à ce qu’une requête invalidée par un processus soit retransmise au père qui
donnerait la même décision. Ainsi, à la réception ou à l’initiation d’une nouvelle requête,
le processus va dans un premier temps décider en fonction des requêtes déjà présentes dans
sa file locale si la requête est faisable ou pas. Si tel est le cas, la requête est alors retransmise
au père. Si la décision locale est négative, alors la requête est rejetée définitivement. Ce
mécanisme est récursif jusqu’au processus racine.
Un site qui envoie le jeton y inclus dans le message sa file locale. Ainsi le prochain
détenteur du jeton pourra fusionner sa file locale avec celle du jeton lors de l’appel à
controlRecvTok. Cette fusion permet d’assurer que le porteur du jeton connaîtra toujours
l’ensemble des requêtes pendantes du système.
Décision locale
La file locale Q est ordonnée selon une politique EDF. À la création ou à la réception
d’une requête req (controlReqCS ou controlRecvReq), le processus détermine la place
potentielle i que req pourrait occuper dans Q. Il peut alors déterminer si req peut être
satisfaite ou pas. Nous avons considéré qu’une requête req est faisable si :
(1) la requête à la place i − 1 dans Q (notée reqi−1) doit respecter les contraintes de
req après son insertion
(2) req doit respecter les contraintes de la requête à la position i + 1 dans Q (notée
reqi+1) qui a déjà été validée.
Pour respecter ces deux conditions, il est nécessaire de considérer le pire scénario où les
requêtes validées seront satisfaites à leur date d’échéance. Ainsi pour assurer (1), la date
d’échéance de la requête à la place i − 1 plus le temps de sa section critique et le temps
réseau pour acheminer le jeton entre le site initiateur de reqi−1 au site initiateur de req
ne doit pas dépasser la date d’échéance de req. Symétriquement, pour assurer (2), la date
d’échéance de req plus son temps de section critique et le temps réseau pour acheminer
le jeton entre le site initiateur de req au site initiateur de reqi+1 ne doit pas dépasser la
date d’échéance de reqi+1. Il est important de préciser que dans notre cas, ces conditions
sont strictement appliquées (aucune marge de dépassement n’est prise en compte).
Le calcul de faisabilité implique l’ajout de deux hypothèses sur le système :
1. les horloges des différents sites sont synchronisées (présence d’un serveur NTP)
2. les sites connaissent le temps d’acheminement maximal d’un message vers un voisin
noté γmax.
La suppression de ces hypothèses sera une perspective de recherche de ce chapitre et sera
discutée en chapitre 8.
Nous considérons que le calcul de la décision locale se fait par l’appel à la fonction
localDecision qui retourne vrai si elle est positive, faux sinon.
Notification du résultat au site initiateur
Lorsqu’une requête est rejetée par un site, un message de rejet Reject est alors renvoyé
vers le site initiateur. Un tel message est transmis jusqu’à ce dernier qui pourra finalement
annuler sa requête. En revanche en cas d’acceptation de la requête, nous avons défini deux
stratégies de notification.76 Chapitre 5. Exclusion mutuelle avec dates d’échéance
Local variables :66
begin67
68 Qtmp : queue of
(si, sn, t, α, d) ∈ Π × Π × T × IN × IN ;
69 permission ∈ {no, yes, empty};
end70
Initialization71
begin72
73 Qtmp ← ∅;
74 permission ← empty;
end75
76 controlReqCS(tdead ∈ T, α ∈ IN ) with boolean
result
begin77
78 if localDecision(tdead, α) then
if father = nil then79
80 add (self, self, tdead, α, 0) in Q;
81 return true ;
else82
83 add (self, self, tdead, α, 0) in Qtmp;
84 permission ← empty;
85 Send Request(self, tdead, α, 1)) to father ;
86 wait(permission 6= empty or
tnow > tdead);
87 if tnow > tdead or permission = no then
88 return false ;
else89
90 return true ;
else91
92 return false;
end93
94 controlRecvReq(si ∈ Π, sn ∈ Π, tdead ∈ T, α ∈ IN, d ∈
IN)
begin95
Qtmp ← Qtmp − {(s
0
i
, s0
n, t0
, α0
, d0
) ∈ Q|s
0 96 i = si} ;
if localDecision(tdead, α) then97
if father = nil then98
99 Validate(si, sn, tdead, α, d);
100 else
101 add (si, sn, tdead, α, d) in Qtmp;
102 Send Request(si, tdead, α, d + 1)) to
father ;
else103
104 Send Reject(si,tdead) to sn ;
end105
106 controlRecvTok(Qtoken, sj ∈ Π)
107 begin
foreach (si, sn, tdead, α, d) ∈ Qtoken do108
if sn 6= self then109
110 add (si, sj , tdead, α, d + 1) in Q;
foreach (si, sn, tdead, α, d) ∈ Qtmp do111
if @(s
0
i
, s0
n, t0
dead, α0
, d0
) ∈ Q|s
0
i = si then112
if localDecision(tdead, α) then113
114 Validate(si, sn, tdead, α, d);
else115
116 Invalidate(si, sn, tdead);
117 Qtmp ← ∅;
end118
119 Receive_Reject(si ∈ Π, tdead ∈ T) from sj
begin120
if ∃(s
0
i
, s0
n, t0
dead, α0
, d0
) ∈ Qtmp, si = s
0 121 i ∧ tdead =
t
0
dead then
remove (s
0
i
, s0
n, t0
dead, α0
, d0 122 ) from Qtmp;
Invalidate(s
0
i
, s0
n, t0
dead 123 );
else124
125 /* ne rien faire, ceci concerne une
requête obsolète */
end126
127 Receive_Validation(si ∈ Π, tdead ∈ T) from sj
begin128
if ∃(s
0
i
, s0
n, t0
dead, α0
, d0
) ∈ Qtmp, si = s
0 129 i ∧ tdead =
t
0
dead then
remove (s
0
i
, s0
n, t0
dead, α0
, d0 130 ) from Qtmp;
Validate(s
0
i
, s0
n, t0
dead, α0
, d0 131 );
else132
133 /* ne rien faire, ceci concerne une
requête obsolète */
end134
Validate(si ∈ Π, sn ∈ Π, tdead ∈ T, α ∈ IN, d ∈ IN)135
begin136
if tdead ≥ tnow then137
138 add (si, sn, tdead, α, d) in Q;
if si = self then139
140 permission ← yes;
141 notify(permission 6= empty)
else142
143 Send Validation(si,tdead) to sn ;
end144
145 Invalidate(si ∈ Π, sn ∈ Π, tdead ∈ T)
146 begin
if tdead ≥ tnow then147
if si = self then148
149 permission ← no;
150 notify(permission 6= empty)
else151
152 Send Reject(si,tdead) to sn ;
end153
Figure 5.2 – Contrôle d’admission avec acquittement5.3. Description de l’algorithme 77
Stratégie avec acquittement : Le processus initiateur doit attendre un message
d’acquittement de son père qui confirme que sa requête a été acceptée par le système. Ainsi
lorsque la requête est localement acceptée, elle n’est pas immédiatement ajoutée dans la
file locale Q mais dans une file temporaire Qtmp. Le pseudo-code de cette version est
donné figure 5.2. Une requête est ajoutée dans la file locale définitive seulement après
la réception du message d’acquittement envoyé par le père. Puisque seul le site racine
connaît toutes les requêtes du système, il est le seul à pouvoir initier le transfert du
message d’acquittement. Ce message est alors retransmis le long des processus séparant
la racine du processus initiateur. Une requête est effacée de la file locale Q du processus
initiateur une fois que la section critique a été libérée ou bien si la date d’échéance de la
requête a expiré.
Stratégie sans acquittement : Le processus initiateur et les processus intermé-
diaires ajoutent directement la requête dans la file locale Q. Par conséquent, ils n’attendent
aucun message d’acquittement. Une requête est alors définitivement acceptée lorsque le
porteur du jeton l’a reçue et validée. Les requêtes contenues dans la file du jeton sont
les seules à être définitivement validées. À la réception du jeton, le processus doit donc
contrôler localement toutes les requêtes présentes dans sa file locale et absentes de la file
du jeton. Dans ce type de notification, une requête est effacée de la file locale Q du processus
initiateur une fois que la section critique a été libérée ou bien à la réception d’un
message de rejet ou bien si la date d’échéance de la requête a expiré. Le pseudo-code de
cette version est donné figure 5.3.
Comparaison entre les deux stratégies : la deuxième stratégie est plus économe
en messages car elle n’utilise pas de message de validation. Cependant elle a une vision
plus pessimiste et peut rejeter des requêtes qui pourraient être validées. Prenons par
exemple la configuration de la figure 5.4(a) avec quatre sites distincts si
, sj
, sinter et sroot
où sroot est la racine du système et sinter est un ancêtre commun de si et sj
. Considérons
que si a émis une requête reqi qui est validée par tous les processus entre si et sroot sauf
par sroot. Considérons que sj a émis une requête reqj qui elle peut être validée par sroot.
Supposons que reqi soit ajoutée dans la file locale du site sinter se trouvant entre si et
sroot mais soit encore en transit entre sinter et sroot (figure 5.4(b)). Si pendant ce temps
sinter reçoit reqj et l’invalide à cause des contraintes de reqi alors reqj (figure 5.4(c)) sera
définitivement perdue dans la version sans acquittement alors qu’elle aurait pu être validée
dans la version avec acquittement. Ainsi dans la version sans acquittement on refusera
deux requêtes tandis que dans la version avec acquittement on ne refusera que reqi
. Si ce
cas de figure apparaît régulièrement, alors la version sans acquittement sera moins efficace
en termes de taux d’utilisation de la ressource critique.
5.3.3 Mécanisme de préemption
Le mécanisme de préemption permet d’améliorer le taux d’utilisation de la ressource
critique en prenant en compte la localité des requêtes. Contrairement à un ordonnancement
classique d’exclusion mutuelle (FIFO ou à priorité), l’ordre dans lequel les requêtes78 Chapitre 5. Exclusion mutuelle avec dates d’échéance
Local variables :154
begin155
156 permission ∈ {no, yes, empty};
end157
Initialization158
begin159
160 permission ← empty;
end161
162 controlRecvTok(Qtoken, sj ∈ Π)
163 begin
164 queue Qold ← Q;
165 Q ← ∅;
166 foreach (si, sn, tdead, α, d) ∈ Qtoken do
if sn 6= self then167
168 add (si, sj , tdead, α, d + 1) in Q;
else169
if ∃(s
0
i
, s0
n, t0
dead, α0
, d0
) ∈ Qold, s0 170 i = si
then
add (s
0
i
, s0
n, t0
dead, α0
, d0 171 ) in Q;
172 foreach (si, sn, tdead, α, d) ∈ Qold do
if @(s
0
i
, s0
n, t0
dead, α0
, d) ∈ Q, s0 173 i = si then
if localDecision(tdead, α) then174
175 add (si, sn, tdead, α, d) in Q;
176 if si = self then
177 permission ← yes;
178 notify(permission 6= empty);
else179
180 Invalidate(si, sn, tdead);
end181
controlReqCS(tdead ∈ T, α ∈ IN ) with boolean182
result
begin183
184 /* identique à la version avec acquittement
en remplaçant Qtmp par Q */
end185
186 controlRecvReq(si ∈ Π, sn ∈ Π, tdead ∈ T, α ∈
IN, d ∈ IN)
begin187
if localDecision(tdead, α) then188
189 add (si, sn, tdead, α, d) in Q;
if father 6= nil then190
191 Send Request(si, tdead, α, d + 1)) to
father ;
else192
193 Send Reject(si,tdead) to sn ;
end194
195 Receive_Reject(si ∈ Π, tdead ∈ T) from sj
196 begin
197 /* identique à la version avec acquittement
en remplaçant Qtmp par Q */
end198
Invalidate(si ∈ Π, sn ∈ Π, tdead ∈ T)199
begin200
201 /* identique à la version avec acquittement
*/
end202
Figure 5.3 – Contrôle d’admission sans acquittement
(a) État initial (b) Étape 1 : propagation des requêtes
de si et sj
(c) Étape 2 : rejet des requêtes de
si et sj
Figure 5.4 – Exemple pour comparer les deux stratégies de validation5.3. Description de l’algorithme 79
sont satisfaites importe peu à condition que l’ensemble des requêtes acceptées soient satisfaites
avant leur date d’échéance. Il peut alors être possible entre deux sections critiques
successives d’un ordonnancement EDF de satisfaire d’autres requêtes de nœuds se situant
entre les deux processus concernés. Nous notons reqhead la requête du site shead qui se
trouve en tête de file du jeton, i.e., la prochaine requête à satisfaire selon l’ordonnancement
EDF. Pendant le trajet du jeton, chaque processus intermédiaire peut donc l’utiliser
à la seule contrainte que le jeton doit arriver sur shead avant sa date d’échéance.
Pour que des sites puissent utiliser le jeton pendant son trajet ils doivent respecter la
condition de préemption : la somme des durées de leur section critique ajoutée au temps
de transmission du jeton ne doit pas dépasser la date d’échéance de shead. La condition de
préemption est vérifiable en appelant la fonction canPreempt dont le pseudo-code est
donné en figure 5.5.
canPreempt(req) with boolean result203
begin204
205 /* La fonction retourne vraie si la requête req peut préempter reqhead, faux sinon */
206 (si, sn, tdead, α, d) ← req;
207 (shead, snhead, thead, αhead, dhead) ← head(Q);
208 if sn = snhead then
209 /* le site courant n’est pas un site appartenant au chemin (si, shead), le jeton peut donc se
diriger vers si sans risque de violer reqhead */
210 return true ;
211 else
212 return (2 ∗ d + dhead) ∗ γmax + α < thead
end213
Figure 5.5 – Fonction de condition de préemption
Nous avons défini trois politiques de préemption :
• Pas de préemption : Le jeton suit scrupuleusement l’ordonnancement EDF. Il
n’est pas utilisé durant son trajet vers shead. Lorsqu’un site reçoit le jeton, il le
transfère directement au voisin correspondant à la requête en tête de Qtoken.
• Préemption simple : Le jeton peut être utilisé uniquement par les sites se situant
sur le chemin menant à shead. À la réception du jeton, un site ayant une requête
pendante peut entrer en section critique même s’il n’est pas le site shead à condition
qu’il satisfasse la contrainte de préemption.
• Préemption étendue : Le jeton peut être détourné du chemin menant à shead.
À la réception d’un jeton, si une préemption simple n’est pas possible le processus
pourra contrôler s’il existe un voisin de distance 1 (pas nécessairement sur le chemin
menant à shead) qui respecte la condition de préemption. Si tel n’est pas le cas,
il contrôlera pour des sites de distance 2 et ainsi de suite jusqu’à une distance
maximale paramétrable. Cette distance notée ψ est appelée taille de préemption
maximum et est bornée par le diamètre de l’arbre.
Ces trois politiques sont illustrées en figure 5.6. À chaque politique, nous donnons
un exemple et le pseudo-code de la fonction preempt. Dans les exemples, les flèches
rouges indiquent une transmission de jeton. Un nœud rouge indique que le processus
correspondant est entré en section critique lorsqu’il a reçu le jeton.
Nous pouvons remarquer que la préemption étendue est une généralité des deux autres80 Chapitre 5. Exclusion mutuelle avec dates d’échéance
Pas de préemption Préemption simple Préemption étendue
Pas d’utilisation du jeton
jusque shead
s2 et s4 ont pu utiliser le
jeton.
En plus de s2 et s4, le jeton
a été détourné pour que s6,
s7 et s9 entrent en section
critique.
preempt()214
begin215
216 return head(Q);
end217
preempt()218
begin219
220 if ∃ reqself =
(self, self, t, α, 0) ∈ Q and
canPreempt(reqself ) then
221 return reqself ;
else222
223 return head(Q);
end224
preempt()225
begin226
for dtmp from 0 to ψ do227
228 if ∃ req =
(si, sn, t, α, dtmp) ∈ Q
and canPreempt(req)
then
229 return req;
230 return head(Q);
end231
Figure 5.6 – Description des différentes politiques de préemption5.4. Évaluation des performances 81
types de préemption : pour la version sans préemption ψ < 0 et pour la version simple
ψ = 0.
5.4 Évaluation des performances
Dans cette section, nous allons analyser les performances de notre algorithme. Dans
notre protocole, nous prédéfinissons plusieurs niveaux de SLA où chaque niveaux correspond
à un temps de réponse requis. Plus ce niveau est grand, plus les contraintes
temporelles sont grandes et par conséquent plus le temps de réponse associé est petit.
Chaque processus choisira donc un niveau de SLA avant d’émettre une nouvelle requête.
Comme à notre connaissance il n’existe pas dans la littérature d’autres algorithmes
d’exclusion mutuelle à passage de messages se basant sur l’exclusion mutuelle à date
d’échéance, nous comparons les deux versions de notre algorithme ("avec acquittement"
et "sans acquittement") avec l’algorithme de Raymond (voir section 2.5.1) et notre algorithme
à priorités "Awareness" associé à une fonction de retard F(p) = 2p
(voir section
4.5.3). Nous pouvons ainsi comparer le comportement des ordonnancements FIFO et
à priorités avec notre algorithme qui applique une stratégie EDF. Ces deux algorithmes
étant dépourvus de contrôle d’admission, toute requête émise est supposée satisfiable. Ces
deux algorithmes ont été légèrement adapté : un site peut détecter que sa date d’échéance
a été dépassée et dans ce cas annuler sa requête en l’effaçant de sa propre file locale. De
plus, pour l’algorithme "Awareness", nous avons fait une correspondance directe entre
priorité et niveau de SLA : plus la priorité est élevée, plus le niveau de SLA est haut.
5.4.1 Protocole d’évaluation
Les expériences ont été réalisées sur une grappe de 32 machines de Grid 5000 avec un
processus par machine. Ceci permet d’éviter les effets de bord de contention au niveau des
cartes réseau puisqu’il y a un seul processus par carte. Chaque nœud a deux processeurs
AMD 1.7GHz et 47 Go de mémoire RAM, s’exécute sur un noyau Linux 2.6 (cluster
Grid5000 Reims). Les nœuds sont reliés par un switch de 1 Gbit/s en ethernet. Les
algorithmes ont été implémentés en C++ en utilisant l’intergiciel OpenMPI.
Une expérience se caractérise par
• N : le nombre de processus fixé à 32.
• α : le temps d’une section critique. Cette valeur est comprise entre 25 ms et 50 ms.
Bien que la plate-forme de test possède un mécanisme NTP de synchronisation des
nœuds, il peut persister un décalage d’horloge. C’est pour cela que les valeurs de α
ont été choisies volontairement hautes afin de rendre ce décalage négligeable dans
le calcul du contrôle d’admission.
• γ : la latence réseau,i.e., le temps d’acheminement d’un message entre deux processus
voisins fixée à 20 ms. Nous avons choisi de rendre le temps réseau non négligeable
par rapport au temps de section critique car dans un Cloud, les nœuds physiques
peuvent être séparés par une grande distance.
• θ : le temps de l’expérience est fixée à 35 secondes. Cette valeur est très élevée par
rapport au temps de section critique et permet de réaliser un nombre important de82 Chapitre 5. Exclusion mutuelle avec dates d’échéance
section critique par expérience.
• ρ : la charge du système (voir section 4.4.1 pour plus de détails sur ce paramètre)
• N bSLA : Le nombre de niveaux de SLA considéré fixé à 4. Un identifiant de SLA
est compris entre 0 et N bSLA − 1. Plus cet identifiant est haut et plus le niveau de
contrainte est grand.
• W aitM in : le temps de réponse requis minimal qui correspond au plus haut niveau
de SLA (identifiant N bSLA − 1). Ce paramètre est fixé à 600 ms.
• ψ : la taille de préemption (voir section 5.3.3 )
À chaque nouvelle requête, un site choisit selon une loi aléatoire uniforme une valeur
α de temps de section critique et un identifiant de SLA noté sla compris entre 0 et
N bSLA−1. Un site peut alors déterminer le temps d’attente maximum requis à la requête
par W aitM in ∗ (N bSLA − sla). La date d’échéance associée est donc la date à laquelle
la requête a été émise en y ajoutant le temps maximum d’attente requis.
5.4.2 Métriques
Nous considérons les métriques habituelles de l’exclusion mutuelle :
• le nombre de messages moyen par requête : pour un type de message donné,
cette métrique se calcule en faisant le ratio entre le nombre total de messages de ce
type émis normalisé par le nombre total de requêtes à l’exception du type T OKEN
qui est normalisé par le nombre total de requêtes acceptées par le contrôle d’admission
(les requêtes rejetées n’ont pas lieu de recevoir le jeton).
• le taux d’utilisation : le pourcentage de temps passé en section critique.
En plus de ces métriques propres à l’exclusion mutuelle classique, nous ajoutons une
métrique supplémentaire propre à l’exclusion mutuelle à dates d’échéances qui est le
taux de violations de SLA qui est le pourcentage de requêtes acceptées n’ayant pas
été satisfaites avant leur date d’échéance. Nous ne traiterons pas le temps de réponse car
il est compris entre 0 et le temps d’attente maximum requis.
5.4.3 Impact global
Dans cette section nous considérons une charge constante avec ρ = 0.5N qui correspond
à une charge intermédiaire (environ 50% des sites en attente). Le mécanisme de
préemption est désactivé sur nos algorithmes (ψ = −1) afin de pouvoir analyser uniquement
l’impact du contrôle d’admission. Les résultats sont donnés en figure 5.7.
Algorithme de Raymond : L’algorithme de Raymond exploite implicitement la localité
des requêtes lorsque la latence réseau n’est pas négligeable. En effet, les sites éloignés
du porteur du jeton sont naturellement pénalisés par l’ordonnancement FIFO : les messages
de requêtes ont peu de chances d’arriver jusqu’au porteur du jeton (grâce au mécanisme
de non-retransmission). De ce fait, les trajets du jeton entre deux sections critiques
seront moins importants mais les sites éloignés du jeton ont plus de chances d’annuler
leur requête lors du dépassement de leur date d’échéance. Ce phénomène se confirme sur
la figure 5.7(a) où l’on peut remarquer que le nombre de messages de jeton par requête
est beaucoup plus important pour nos algorithmes que pour l’algorithme de Raymond.5.4. Évaluation des performances 83
0
5
10
15
20
25
30
35
40
Raymond
Awareness
Avec_Acq
Sans_Acq
Taux d’utilisation (pourcentage)
(a) Taux d’utilisation
0
2
4
6
8
10
12
Raymond
Awareness
Avec_Acq
Sans_Acq
Nombre de messages par requete
REQUEST
TOKEN
REJECT
VALIDATION
(b) Nombre de messages par requête
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
Raymond
Awareness
Avec_Acq
Sans_Acq
Pourcentage de violations
(c) Taux de violations
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
Raymond
Awareness
Avec_Acq
Sans_Acq
Pourcentage de violations
sla0
sla1
sla2
sla3
(d) Taux de violations par niveau de SLA
Figure 5.7 – Comparaison globale
Bien que son taux d’utilisation soit supérieur à nos algorithmes (figure 5.7(c)), 40 % des
requêtes acceptées ne sont pas satisfaites dans les temps impartis (figure 5.7(c)).
Algorithme à priorités : L’ordonnancement à priorité de l’algorithme "Awareness"
privilégie les requêtes de niveau 3 proche du porteur du jeton dans le graphe (grâce au
mécanisme de distance, voir section 4.3.4) ce qui explique son faible nombre de messages
de jeton (figure 5.7(b)). Mais la correspondance priorités-niveaux de SLA n’est pas une
approche satisfaisante car on remarque dans la figure 5.7(c) que 86 % des requêtes ne sont
pas satisfaites dans les temps impartis.
Algorithmes avec et sans acquittement : On peut remarquer sur la figure 5.7(a)
que nos deux algorithmes ont un taux d’utilisation plus faible que celui de Raymond.
Cette différence est due aux politiques d’ordonnancement. L’ordonnancement EDF de nos
algorithmes sans préemption ne tient pas compte de la localité des requêtes impliquant
potentiellement de longs trajets du jeton. Il est notable sur les figures 5.7(c) et 5.7(d) que
le contrôle d’admission réduit le nombre de violations de SLA au prix d’un surcoût en
messages (figure 5.7(b)) à cause des mécanismes de notification qui envoient des messages
de validation ou de rejet. De plus les messages de requêtes sont plus nombreux car ils sont84 Chapitre 5. Exclusion mutuelle avec dates d’échéance
systématiquement retransmis au processus père tant que la décision locale est positive. La
version avec acquittement génère cependant des violations de SLA alors que l’on observe
aucune violation dans la version sans acquittement. Ceci s’explique par le fait que la
version avec acquittement ne tient pas compte de son propre surcoût en temps dans
son évaluation. En effet le temps de contrôle n’est pas négligeable puisque le site doit
systématiquement attendre la notification de son père pour être accepté définitivement.
En revanche, dans la version sans acquittement, les requêtes satisfiables sont validées
systématiquement impliquant un contrôle d’admission gratuit en temps.
Synthèse
Notre mécanisme de contrôle d’admission associé à l’ordonnancement EDF permet de
réduire fortement la quantité de requêtes n’ayant pas été satisfaites à temps. Nous pouvons
remarquer que le gain théorique de taux d’utilisation de notre algorithme avec acquittement
sur l’algorithme sans acquittement n’est pas mis en évidence dans nos graphiques.
De plus, le taux d’utilisation de nos algorithmes (25 %) reste inférieur à l’algorithme de
Raymond (40 %) qui favorise la localité des requêtes.
5.4.4 Impact de la préemption pour une charge donnée
Nous avons remarqué que sans préemption le taux d’utilisation de la ressource critique
est réduit. Nous analysons maintenant le comportement de nos algorithmes lorsque l’on
augmente le paramètre de taille de préemption ψ (figure 5.8). Nous comparons le nombre
de messages quand il n’y a pas de préemption (figure 5.8(c)) et une valeur intermédiaire
de ψ (figure 5.8(d)). Cette valeur intermédiaire (égale à 4) est la taille de préemption où
nous pouvons avoir les meilleures performances en termes de taux d’utilisation (voir figure
5.8(a)).
Impact sur le taux d’utilisation : Nous pouvons observer dans la figure 5.8(a)
que l’algorithme de Raymond est plus efficace que nos algorithmes quand ces derniers
sont privés du mécanisme de préemption. Lorsque le niveau de préemption augmente, le
taux d’utilisation augmente puis se dégrade légèrement après une valeur seuil (3 pour la
version avec acquittement et 4 pour la version sans acquittement). En effet quand la taille
de préemption augmente, l’importance de la déviation du jeton de son chemin initial a
plus de chances d’augmenter. Lorsque la latence réseau n’est pas négligeable, une longue
déviation est trop coûteuse car elle empêche l’utilisation du jeton sur le chemin initial
vers shead.
Impact sur le taux de violations : On remarque sur la figure 5.8(b) que la taille
de préemption n’a aucun impact sur la version sans acquittement : le taux de violation
est toujours nul. En revanche, dans la version avec acquittement la quantité de violation
augmente avec la taille de préemption. Le contrôle d’admission est d’autant plus coûteux
en temps car le temps de validation augmente. En effet on peut remarquer dans les figures
5.8(c) et 5.8(d) que lorsque la taille de préemption augmente le nombre de messages de
validation par requête augmente également.5.4. Évaluation des performances 85
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
pas de preemption
preemption locale
1
2
3
4
5
6
7
Taux d’utilisation (pourcentage)
taille de preemption
Raymond
Awareness
Avec_Acq
Sans_Acq
(a) Taux d’utilisation
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
pas de preemption
preemption locale
1
2
3
4
5
6
7
Pourcentage de violations
taille de preemption
Raymond
Awareness
Avec_Acq
Sans_Acq
(b) Taux de violations
0
2
4
6
8
10
12
Raymond
Awareness
Avec_Acq
Sans_Acq
Nombre de messages par requete
REQUEST
TOKEN
REJECT
VALIDATION
(c) Nombre de messages par requête sans pré-
emption
0
2
4
6
8
10
12
Raymond
Awareness
Avec_Acq
Sans_Acq
nombre de messages par requete
REQUEST
TOKEN
REJECT
VALIDATION
(d) Nombre de messages par requête ψ = 4
Figure 5.8 – Impact de la taille de préemption ψ
Impact sur le nombre de messages : On note dans les figures 5.8(c) et 5.8(d) que l’on
peut économiser des messages de jeton par requête satisfaite lorsque la taille de préemption
augmente. En effet, grâce au mécanisme de préemption, le jeton satisfait davantage de
requêtes pendant son trajet rentabilisant ainsi son utilisation. Ceci est cohérent avec la
figure 5.8(a).
De manière globale, la figure 5.8 montre que notre algorithme sans acquittement égale
le taux d’utilisation de l’algorithme de Raymond pour une valeur seuil de taille de pré-
emption tout en gardant un taux de violation nul.
Synthèse
Nous remarquons que le gain théorique de l’algorithme avec acquittement n’est toujours
pas mis en évidence. Lorsque l’on active le mécanisme de préemption, nous pouvons
obtenir avec notre algorithme sans acquittement un taux d’utilisation équivalent à celui
de Raymond tout en gardant un taux de violation faible. Cette amélioration se fait avec
une petite valeur du paramètre ψ (2 ou 3).86 Chapitre 5. Exclusion mutuelle avec dates d’échéance
5.4.5 Impact de la charge
Dans la figure 5.9, nous montrons l’impact de la valeur de la charge sur le taux d’utilisation
et le taux de violation. Chaque point est évalué à partir d’une charge donnée ρ
statique que l’on a fait varier de 5N (faible charge) à 0.1N (haute charge).
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
50
0.1 N
0.3 N
0.5 N
0.8 N
1 N
3 N
5 N
Taux d’utilisation (pourcentage)
charge
Raymond
Awareness
Avec_Acq
Sans_Acq
(a) Taux d’utilisation
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
0.1 N
0.3 N
0.5 N
0.8 N
1 N
3 N
5 N
Pourcentage de violations
charge
Raymond
Awareness
Avec_Acq
Sans_Acq
(b) Taux de violations
Figure 5.9 – Impact de la charge pour ψ = 4
La figure 5.9(a) montre que notre algorithme sans acquittement suit le même comportement
que l’algorithme de Raymond en termes de taux d’utilisation : en faible charge,
notre algorithme est légèrement moins performant que l’algorithme de Raymond alors
qu’en moyenne et en forte charge, le taux d’utilisation de notre algorithme est au moins
équivalent à l’algorithme de Raymond. Cependant le taux de violation de notre algorithme
sans acquittement reste toujours nul quelle que soit la valeur de la charge. On peut donc
en déduire que notre algorithme sans acquittement possède des performances équivalentes
à l’algorithme de Raymond en termes de taux d’utilisation mais sans générer de violation
de SLA grâce à son contrôle d’admission et son mécanisme de préemption.
5.5 Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons présenté une nouvelle extension de l’exclusion mutuelle
permettant de satisfaire des requêtes avant une date d’échéance requise.
Nous avons conçu un nouvel algorithme pour ce type d’exclusion mutuelle. Cet algorithme
se base sur l’algorithme de Raymond et possède deux mécanismes principaux :
un contrôle d’admission et un mécanisme de préemption. Le contrôle d’admission permet
de minimiser les violations de SLA et le mécanisme de préemption permet de prendre en
compte la topologie du système afin d’utiliser au mieux le jeton.
Les performances ont montré que le contrôle d’admission associé à un ordonnancement
EDF permettait de limiter la quantité de requêtes qui n’ont pas été satisfaites à temps.
Pour améliorer le taux d’utilisation, nous avons introduit un mécanisme de préemption
qui permet de prendre en compte la localité des requêtes sans induire de violation. Ce mé-5.5. Conclusion 87
canisme permet de rentabiliser l’utilisation du jeton en satisfaisant des requêtes pendantes
de processus se trouvant sur son trajet.
Il serait cependant possible d’améliorer davantage le taux d’utilisation en ajoutant une
fourchette de tolérance dans la décision locale du contrôle d’admission mais il y aurait
alors un risque d’avoir une augmentation du nombre de violations de SLA. La limite de
notre approche réside dans le fait que le temps maximal d’acheminement réseau entre deux
voisins (paramètre γmax) est supposé connu ce qui apporte une hypothèse relativement
forte.88 Chapitre 5. Exclusion mutuelle avec dates d’échéanceTroisième partie
Contribution dans la généralisation de
l’exclusion mutuelle
89Chapitre 6
Présentation de l’exclusion mutuelle
généralisée
Sommaire
6.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
6.2 Généralités et notations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
6.3 Le modèle à une ressource en plusieurs exemplaires . . . 92
6.3.1 Section critique à entrées multiples ou k-mutex . . . . . . . 92
6.3.2 Plusieurs exemplaires par demande . . . . . . . . . . . . . 93
6.4 Le modèle à plusieurs ressources en un seul exemplaire . 94
6.4.1 Les conflits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
6.4.2 Propriétés à respecter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
6.4.3 Algorithmes incrémentaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
6.4.4 Algorithmes simultanés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
6.5 Le modèle à plusieurs ressources en plusieurs exemplaires 98
6.6 Conclusion et synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
6.1 Introduction
Dans les chapitres précédents, nous avons considéré le problème de l’exclusion mutuelle
simple. Cependant, il existe plusieurs généralisations de ce problème. La généralisation
peut se faire soit en augmentant le nombre d’exemplaires de la ressource soit en en considérant
plusieurs types de ressource ou bien les deux.
Ce chapitre présente un état de l’art sur la généralisation de l’exclusion mutuelle
afin d’introduire notre contribution décrite au chapitre suivant. Dans la section 6.2 nous
donnons un aperçu des différents modèles. Dans les sections 6.3, 6.4 et 6.5 nous présenterons
pour chaque modèle, les différents algorithmes existants dans la littérature qui sont
bien souvent une extension d’un des algorithmes d’exclusion mutuelle classique décrits
en section 2.4. En section 6.6, le lecteur pourra trouver dans la conclusion un schéma
récapitulatif des différents modèles.
9192 Chapitre 6. Présentation de l’exclusion mutuelle généralisée
6.2 Généralités et notations
Il est possible de généraliser l’exclusion mutuelle classique selon deux critères [Ray92] :
• le nombre d’exemplaires de la ressource critique : la ressource existe en k exemplaires.
• le nombre de types de ressource : le système possède non pas une seule ressource
mais un ensemble R= {r1, r2, ...rM} de M types de ressources
Les deux critères étant orthogonaux, il est possible de définir un troisième modèle
ultime de généralisation en faisant l’union des deux précédents. On peut donc définir
un multi-ensemble de ressources noté (R, κ), où κ défini pour chaque élément de R un
nombre d’exemplaires existants.
Nous notons Dt
si⊆ R l’ensemble de ressources demandées par le site si ∈ Π à l’instant
t ∈ T et δ
t
si
la fonction définissant à l’instant t le nombre d’exemplaires demandés par si
pour chaque ressource r ∈ Dt
si
. L’ensemble de ressources demandées à l’instant t par le
site si est donc le multi-ensemble noté (Dt
si
, δt
si
) que l’on notera (D, δ)
t
si
.
La généralisation implique que désormais tout processus si devra préciser lors de l’appel
à la primitive Request_CS à l’instant t, le multi-ensemble (D, δ)
t
si
associé à sa requête
pour entrer en section critique. Cette primitive sera bloquante jusqu’à l’acquisition
de l’ensemble des exemplaires demandés de chaque type de ressource. Lors de l’appel à la
primitive Release_CS, les exemplaires obtenus seront libérés.
6.3 Le modèle à une ressource en plusieurs exemplaires
Dans ce modèle M = 1 et κ = k où k ≥ 1. Il y a donc au plus k processus en section
critique à un instant t.
Il est possible de sous-diviser ce modèle en fonction de (D, δ)
t
si
.
6.3.1 Section critique à entrées multiples ou k-mutex
Dans ce modèle de demande, les processus ne peuvent demander qu’un seul exemplaire
de la ressource (δ
t
si = 1, ∀t ∈ T). Ceci est similaire à un sémaphore. Il existe de nombreux
algorithmes qui peuvent être classés de la manière suivante :
• Permissions : les processus attendent un message de permission de chaque processus
du système pour entrer en section critique. On peut citer l’algorithme de
Raymond [Ray89a] qui s’inspire de l’algorithme de Ricart-Agrawala [RA81]. Pour
entrer en section critique, un site envoie N − 1 messages de requête et attend N − k
messages de permission.
• Jetons : Il existe k jetons dans le système. Les processus attendent l’acquisition
d’un des jetons pour entrer en section critique. Comme dans l’exclusion mutuelle
classique, l’obtention d’un jeton peut reposer sur une diffusion ou sur l’exploitation
d’une structure logique :
∗ diffusion : Srimani-Reddy [SR92] se sont basés sur l’algorithme de Suzuki-Kasami
[SK85]. Baldoni-Ciciani [BC94] ont étendu [SR92] aux requêtes à priorités.
∗ arbre statique : basé sur la circulation de k jetons dans la topologie, chaque site
maintient k liens qui indiquent la direction de la racine qui est soit le détenteur6.3. Le modèle à une ressource en plusieurs exemplaires 93
d’un jeton (DeMent-Srimani [DS94] et Satyanarayanan-Muthukrishnan [SM94])
soit le dernier demandeur (Naimi [Nai93]). À chaque nouvelle requête les sites
envoient une requête à chacun de leurs pères et se mettent en attente d’un des
jetons. Les requêtes sont ainsi propagées jusqu’aux racines. Le routage des jetons
se fait toujours à la manière de l’algorithme classique de Raymond [Ray89b].
Afin d’éviter la réception multiple de jetons venant des différents liens, des mécanismes
d’annulation de requêtes peuvent être déclenchés ([DS94]) lorsque le site
demandeur entre en section critique.
∗ arbre dynamique : Dans ce genre de topologie, les différents liens évoluent au cours
de l’exécution de l’algorithme contrairement à l’arbre statique où seule la direction
des liens peut s’inverser. Dans cette catégorie nous pouvons citer [MBB+92] qui
utilise un unique jeton contenant une file globale des requêtes pendantes, alors
que [BV95] et [RMG08] se basent sur l’algorithme de Naimi-Tréhel [NT87a] et
utilisent k jetons où l’accès à chaque jeton est géré par une file distribuée.
• Hiérarchique centralisé : Dans cette catégorie, les processus sont partitionnés en
plusieurs groupes. Chaque processus ne peut communiquer qu’avec un processus du
même groupe. Dans chaque groupe il existe un processus mandataire permettant
de communiquer avec les autres mandataires et de facto avec le reste du système.
Une telle répartition permet de répartir les processus en fonction de leur localité
physique. Nous pouvons citer l’algorithme de Chaudhuri-Edward [CE08] qui répartit
les processus en √
N groupes de √
N processus. Chaque groupe est associé à un
processus coordinateur qui fait l’intermédiaire entre les deux niveaux de hiérarchie.
6.3.2 Plusieurs exemplaires par demande
Désormais les processus peuvent demander au plus k exemplaires de la ressource (formellement
δ
t
si ≥ 1, ∀t ∈ T). Dans ce sous-modèle on ne trouve que des algorithmes à
permissions :
• L’ algorithme de Raynal [Ray91a] se base sur l’algorithme de Ricart-Agrawala
[RA81] qui ordonnance les requêtes selon une horloge logique de Lamport [Lam78].
Chaque site maintient un vecteur de N compteurs où chaque entrée e indique du
point de vue du site courant le nombre d’exemplaires possédés par le site se. Chaque
nouvelle requête induit une diffusion de messages de requête contenant le nombre
d’exemplaire voulu et une mise à jour pessimiste du vecteur en incrémentant de k
chaque compteur. À la réception d’un message de requête, un site sj envoie une
réponse contenant le nombre d’exemplaires non utilisés (k si la requête de sj est
moins prioritaire, k − δ
t
sj
sinon). À chaque réception de réponse un site décrémente
du nombre reçu le compteur correspondant et peut entrer en section critique lorsque
la somme des compteurs du vecteur et de δ
t
si
est inférieure à k.
• L’algorithme de Baldoni [Bal94] est une extension de l’algorithme à permissions
d’arbitres de Maekawa [Mae85] se basant sur des quorums. En construisant judicieusement
les quorums, sa complexité en messages est de O(Nk/(k+1)) (pour k = 1,
on retrouve la complexité de l’algorithme de Maekawa en O(
√
N)).94 Chapitre 6. Présentation de l’exclusion mutuelle généralisée
Figure 6.1 – Exemple de construction de graphe de conflit
6.4 Le modèle à plusieurs ressources en un seul exemplaire
Dans ce modèle M ≥ 1 et κ = 1 impliquant que le multi-ensemble de ressources (R, κ)
se réduit à l’ensemble R. Par conséquent, le multi-ensemble de demande de ressources
(Dt
si
, δt
si
) sera réduit à l’ensemble Dt
si
. Ce problème multi-ressource, aussi appelé "ANDsynchronisation"
a été introduit par Dijkstra [Dij71] avec le problème du "Dîner des
philosophes" où les processus demandent un ensemble de ressources statiques ( ∀ t, t0 ∈ T,
Dt
si = D
t
0
si
). Ce problème a été étendu par Chandy et Misra [CM84] sous le nom du
problème du "cocktail des philosophes" où les processus peuvent demander à chaque
nouvelle requête un ensemble de ressources différent.
6.4.1 Les conflits
Dans le cadre de ce modèle, les requêtes peuvent être conflictuelles si leurs ensembles
de ressources ne sont pas disjoints. Autrement dit, un conflit existe entre deux processus
si et sj si Dt
si
∩ Dt
sj
6= ∅. Il est possible alors de définir un graphe de conflits noté G
où les nœuds correspondent aux processus du système et un lien modélise le partage
d’une ressource entre deux nœuds. La construction d’un tel graphe se fait par l’union des
graphes de conflits complets Gi associé à chaque ressource ri ∈ R. La figure 6.1 montre
la construction d’un graphe de conflits à partir de 4 ressources et de 6 processus. Dans
le graphe de conflits G, chaque arrête représente désormais une ressource virtuelle qui
est partagée par exactement deux processus. Dans le problème du dîner des philosophes,
pour qu’un site sk verrouille la ressource réelle ri ∈ R, il lui faut donc verrouiller toutes
les ressources virtuelles correspondantes aux arrêtes (sk, s0
k
) du graphe Gi
. Dans notre
exemple, si s5 souhaite verrouiller la ressource r4, il a besoin des ressources virtuelles (s5,s3)
et (s5,s4). Un graphe de conflits peut s’appliquer à plusieurs ensembles de ressources R
de départ : dans notre exemple, pour un graphe de conflits équivalent, on aurait pu aussi
considérer un ensemble de ressources réelles égal à l’ensemble des arrêtes du graphe G.6.4. Le modèle à plusieurs ressources en un seul exemplaire 95
6.4.2 Propriétés à respecter
Sûreté. Contrairement à l’exclusion mutuelle classique, la propriété de sûreté doit être
modifiée afin d’autoriser que deux processus non-conflictuels puissent être tous les deux
à un instant t à l’état inCS. Par conséquent, à un instant donné, une ressource peut être
utilisée par au plus un processus. Formellement : ∀t ∈ T,
∃si ∈ Π, inCSt
si ⇒ @sj ∈ Π, inCSt
sj
∧ D
t
si
∩ D
t
sj
6= ∅
Vivacité. La définition de la propriété de vivacité reste inchangée et permet d’éviter
la famine. Cependant, pour qu’elle soit respectée, il faut que deux sous-propriétés soient
vérifiées :
• La distinguabilité : cette propriété assure que si deux requêtes sont conflictuelles
alors il est toujours possible de déterminer dans un temps fini un ordre de satisfaction
entre ces deux requêtes. Assurer un accès exclusif à chaque ressource du système
n’est pas suffisant pour garantir cette propriété car les accès aux ressources seraient
gérés de manière indépendante les uns des autres sans prendre en compte l’ensemble
Dt
si
qui les lie. Par conséquent, le non-respect de cette propriété peut conduire à
un état d’interblocage dans lequel aucune progression n’est possible. Dans notre
modèle, un interblocage peut se produire par exemple lorsque deux processus sont
chacun en train d’attendre la libération d’une ressource verrouillée par l’autre.
• l’équité : permet d’assurer que dans un temps fini, toute requête émise sera satisfaite
(propriété de base pour la vivacité).
Concurrence. Cette propriété assure que deux processus ayant des requêtes non
conflictuelles peuvent exécuter leurs sections critiques simultanément. Cette propriété
exclut ainsi toute solution qui utiliserait un algorithme d’exclusion mutuelle classique où
l’ensemble des ressources R représenterait une seule ressource.
6.4.3 Algorithmes incrémentaux.
Dans cette famille d’algorithme chaque processus verrouille de manière incrémentale
ses ressources suivant un ordre préalablement défini sur l’ensemble des ressources du
système R. Chaque verrou peut être implémenté avec un algorithme d’exclusion mutuelle
classique. Cependant, une telle stratégie peut être inefficace puisqu’un effet domino
des attentes peut se produire : un processus attend des ressources qui ne sont pas en
cours d’utilisation mais qui sont verrouillées par des processus qui attendent l’acquisition
d’autres ressources. L’effet domino dégrade la propriété de concurrence et par conséquent
réduit fortement le taux d’utilisation des ressources. La figure 6.2 illustre cet effet dans
un graphe de conflits en anneau à 7 processus.
Pour éviter l’effet domino, Lynch [Lyn81] propose de construire un graphe dual au
graphe de conflit : les nœuds sont les ressources et il existe un lien entre deux nœuds si les
deux ressources correspondantes sont susceptibles d’être demandées au sein d’une même
requête. En coloriant ce graphe et en minimisant le nombre de couleurs, il est possible96 Chapitre 6. Présentation de l’exclusion mutuelle généralisée
Graphe de conflits initial : 6 processus
et un ensemble R = {r1, r2, r3, r4, r5, r6}
où ri < rj si i < j.
s2 est en section critique avec r6 et r1. Les
processus s3 et s5 verrouillent respectivement
r5 et r3 et attendent respectivement
r6, et r4. Les processus s4 et s6 verrouillent
r4, r2 et attendent respectivement r5 et r3
à cause de s3 et s5 alors qu’ils auraient pu
entrer en section critique en même temps
que s2. L’effet domino séquentialise les requêtes.
Figure 6.2 – Exemple illustrant l’effet domino
alors de définir un ordre partiel sur l’ensemble des ressources du système si on définit un
ordre total sur l’ensemble des couleurs. Les processus demanderont alors les ressources
dans l’ordre des couleurs associées. Ceci réduit l’effet domino et améliore l’exploitation
du parallélisme. Cependant le coloriage de graphe est un problème NP-complet et il est
difficile de trouver un coloriage optimal.
Styer et Peterson [SP88] ont proposé une solution en considérant un coloriage quelconque
(de préférence optimisé) pour réduire le temps d’attente avec un mécanisme d’annulation
de verrouillage : un processus peut libérer une ressource (ou une couleur) même
si il ne l’a pas encore utilisée. Ceci permet de casser dynamiquement les possibles chaînes
de processus en attente causées par l’effet domino. Ainsi, un processus peut libérer toutes
ou une partie de ses ressources acquises et essayer ensuite de les réacquérir jusqu’à satisfaction
de la requête.
6.4.4 Algorithmes simultanés
Dans cette famille d’algorithme, les ressources ne sont plus ordonnées. Les algorithmes
ont des mécanismes internes pour éviter les interblocages et permettre de verrouiller l’ensemble
des ressources requises de manière atomique.
Chandy et Misra [CM84] ont décrit le problème du cocktail des philosophes où les
processus (les philosophes) partagent un ensemble de ressources (les bouteilles). Ce problème
est une extension du problème du dîner des philosophes ([Dij71]) où les processus
partagent un ensemble de fourchettes. Le problème du cocktail des philosophes permet au
site de demander un ensemble de ressources différent à chaque nouvelle requête contrai-6.4. Le modèle à plusieurs ressources en un seul exemplaire 97
rement au problème du dîner des philosophes où les processus demandent en permanence
le même ensemble de ressources. Le graphe de communication correspond directement au
graphe des conflits et implique de le connaître a priori. Chaque processus partage une
bouteille ou une fourchette (en fonction du problème considéré) avec chaque voisin. En
orientant le graphe des conflits, il en résulte un graphe de précédence. Si les circuits sont
évités dans ce graphe de précédence, les interblocages ne peuvent pas se produire. Il a été
montré que le problème du dîner des philosophes respecte cette acyclicité. Cependant ceci
n’est pas le cas pour le problème du cocktail. Chandy et Misra ont adapté le problème
du cocktail en utilisant les procédures du dîner : pour verrouiller un sous-ensemble de
bouteilles, un processus doit acquérir préalablement toutes les fourchettes de ses voisins
avant de demander les bouteilles requises. Les fourchettes peuvent être vues comme des
ressources auxiliaires et sont libérées lorsque le processus a obtenu toutes ses bouteilles.
La phase d’acquisition des fourchettes sert à sérialiser les requêtes de bouteilles dans le
système. Cette sérialisation évite les circuits dans le graphe de précédence et supprime
par conséquent les interblocages.
Ginat et al. [GSA89] ont remplacé la phase d’acquisition des fourchettes de l’algorithme
de Chandy-Misra par une horloge logique [Lam78]. Lorsqu’un processus demande
des ressources, il estampille sa requête par une horloge logique et envoie un message à
chaque voisin concerné. À la réception d’une requête, la bouteille associée est envoyée
immédiatement au demandeur si l’estampille de la requête est plus petite que l’horloge
du receveur. L’association d’une horloge logique et d’un ordre total sur les identifiants des
processus permet de définir un ordre total sur les requêtes évitant ainsi les interblocages.
Dans [Rhe95, Rhe98] Rhee propose un ordonnanceur où chaque processus gère l’ordre
d’attribution d’une des ressources. Chaque processus gérant une ressource maintient une
file d’attente qui peut être réordonnancée en fonction des nouvelles requêtes pendantes.
Les interblocages sont ainsi évités.
Maddi [Mad97] a proposé un algorithme basé sur un mécanisme de diffusion. Chaque
ressource est représentée par un unique jeton. À chaque demande, un processus diffuse aux
autres processus un message de requête estampillé par une horloge logique. À sa réception,
la requête est stockée dans une file locale triée selon les estampilles temporelles. Cet
algorithme peut être vu comme plusieurs instances de l’algorithme d’exclusion mutuelle
classique de Suzuki-Kasami [SK85].
L’algorithme de Bouabdallah-Laforest [BL00] est plus détaillé que les précédents
car il nous servira par la suite de base de comparaison. Cet algorithme est basé sur la
circulation de jetons entre les processus. Chaque ressource est représentée par un unique
jeton et est associée à une file d’attente distribuée dont le premier élément est le possesseur
du jeton. Avant de demander un ensemble de ressources, le processus doit d’abord obtenir
un unique jeton de contrôle. L’algorithme d’exclusion mutuelle gérant ce jeton de contrôle
est l’algorithme de Naimi-Tréhel [NT87a]. Un jeton protégeant une ressource peut être
possédé par un processus ou être directement stocké dans le jeton de contrôle si il n’est
pas utilisé. Le jeton de contrôle contient donc un vecteur de M entrées. Si un jeton de98 Chapitre 6. Présentation de l’exclusion mutuelle généralisée
ressource n’est pas dans le jeton de contrôle, l’entrée correspondante du vecteur indique
l’identifiant du dernier processus ayant demandé cette ressource. Ainsi, lorsqu’un site
reçoit le jeton de contrôle, il prend les jetons associés aux ressources requises inutilisées
et envoie pour chaque jeton manquant un message INQUIRE au dernier demandeur.
Avant de libérer le jeton de contrôle, le processus attend un message d’acquittement
(message INQACK1) de chaque processus à qui un message INQUIRE a été envoyé. Un
message d’acquittement, peut contenir plusieurs jetons de ressource si l’envoyeur ne les
utilise pas. Un processus recevant un message INQUIRE affecte l’identifiant de l’envoyeur
dans les variables next permettant de maintenir les différentes files distribuées. Ainsi
lorsqu’un processus libère les jetons de ressources en sortant de section critique, il envoie
directement la ressource dans un message INQACK2 aux sites pointés par les variables
next des ressources correspondantes. Le jeton de contrôle permet de sérialiser les requêtes
ce qui assure qu’une requête sera enregistrée de manière atomique dans les différentes files
d’attente distribuées. Ainsi, aucun cycle n’est possible dans l’union des files. La complexité
en messages de cet algorithme est de O(Log(N)).
Autres algorithmes. Des extensions du problème multi-ressource ont été proposées
pour prendre en compte des systèmes dynamiques où l’ensemble des processus peut changer
durant l’exécution de l’algorithme. Awerbuch et Saks [AS90] proposent le maintien
d’une file d’attente globale qui peut être implémentée de manière centralisée ou distribuée.
BarIlan et Peleg [BIP92] ont étendu la solution de Awerbuch-Saks pour améliorer le
temps d’attente dans une version centralisée. Enfin, Weidman et al. [WPP91] ont adapté
l’algorithme de Chandy-Misra.
6.5 Le modèle à plusieurs ressources en plusieurs exemplaires
Ce modèle de verrouillage de ressources est le plus général. Il fait l’union des deux
modèles précédemment décrits en sections 6.3 et 6.4.
Il est généralement trivial de transformer un algorithme du modèle de plusieurs ressources
à un seul exemplaire vers le modèle à plusieurs ressources en plusieurs exemplaires.
En effet, la principale difficulté du multi-ressource est de résoudre le problème des interblocages.
Comme le modèle de plusieurs ressources à un seul exemplaire résout ce problème,
il suffit en général pour les algorithmes à jeton de transformer des booléens (présence
ou pas du jeton) en compteurs (représentant un nombre d’exemplaires). Ainsi, il existe
une extension possible sans dégradation de la complexité en messages de l’algorithme de
Ginat et al. [GSA89] qui prend en compte plusieurs bouteilles par lien implémentée grâce
à des compteurs. De même [Mad97] et [BL00] peuvent être étendus en remplaçant leurs
jetons par des compteurs. Cependant, il n’est pas certain que ces transformations triviales
résultent en une solution optimale.
Il existe aussi une extension possible à partir du modèle de plusieurs exemplaires d’une
seule ressource. Cette extension se fait à partir de l’algorithme de Raynal [Ray91a] où
chaque site diffuse pour chaque type de ressource voulue, un message de requête contenant6.6. Conclusion et synthèse 99
le nombre d’exemplaires requis. Il y a cependant une dégradation de la complexité en
messages qui devient O((2N − 1) ∗ M).
6.6 Conclusion et synthèse
Nous avons présenté dans ce chapitre les différents modèles de généralisation de l’exclusion
mutuelle. Il est possible de généraliser soit par le nombre d’exemplaires de la
ressource soit par le nombre de types de ressource. La figure 6.3 schématise les différents
modèles de généralisation recensés dans ce chapitre.
Figure 6.3 – Schéma récapitulatif de la généralisation de l’exclusion mutuelle distribuée100 Chapitre 6. Présentation de l’exclusion mutuelle généraliséeChapitre 7
Verrouiller efficacement les ressources
sans connaissance préalable des conflits
Sommaire
7.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
7.2 Objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
7.3 Suppression du verrou global . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
7.3.1 Mécanisme de compteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
7.3.2 Ordonnancement total des requêtes . . . . . . . . . . . . . 104
7.4 Évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
7.4.1 Protocole d’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
7.4.2 Résultats sur le taux d’utilisation . . . . . . . . . . . . . . 107
7.4.3 Résultats sur le temps d’attente . . . . . . . . . . . . . . . 109
7.5 Ordonnancement dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
7.5.1 Principes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
7.5.2 Évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
7.6 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
7.1 Introduction
Le chapitre précédent a présenté les différentes façons de généraliser le problème de
l’exclusion mutuelle. Ce chapitre décrit une contribution dans le modèle à plusieurs ressources
en un seul exemplaire (voir section 6.4) qui est facilement généralisable au cas
d’exemplaires multiples. Dans ce modèle, la plupart des solutions de la littérature supposent
que le graphe des conflits est connu a priori et ne change jamais pendant l’exécution
de l’algorithme ce qui induit une hypothèse forte et irréaliste sur le système. Ces solutions
peuvent néanmoins fonctionner sans connaissance préalable du graphe de conflits
en considérant de façon pessimiste un graphe complet. Cependant une telle considération
induit un coût de synchronisation élevé et dégrade le taux d’utilisation des ressources :
101102 Chapitre 7. Verrouiller efficacement les ressources sans connaissance préalable des conflits
• Les algorithmes de la famille incrémentale sont très pénalisés par un effet domino
inévitable des attentes car il est impossible de colorier de manière optimale un graphe
complet (théorème de Brooks [Bro87], théorie des graphes).
• Les algorithmes de la famille simultanée font communiquer des processus qui ne
rentrent pas en conflit et qui n’ont donc aucune raison d’interagir entre eux. Les algorithmes
du cocktail des philosophes de Chandy-Misra [CM84] et de Ginat-ShankarAgrawala
[GSA89] utilisent dans le cas d’un graphe complet, un algorithme de diffusion
(acquisition des ressources auxiliaires pour l’un et enregistrement des requêtes
pour l’autre) impliquant en plus d’un coût de synchronisation élevé, une forte complexité
en messages. Enfin, l’algorithme de Bouabdallah-Laforest [BL00] utilise une
section critique de contrôle (verrou global) impliquant un goulot d’étranglement.
Dans ce chapitre nous proposons donc une solution permettant de verrouiller efficacement
des ressources en réduisant le coût des synchronisations sans connaître a priori
le graphe des conflits. Notre solution n’utilise pas de mécanisme de diffusion et limite la
communication entre processus non conflictuels.
Dans la section 7.2, nous présentons les objectifs de cette contribution. La section
7.3 décrit un mécanisme supprimant la communication entre processus non conflictuels.
L’implémentation distribuée de ce mécanisme est donnée en annexe A du manuscrit.
L’évaluation de performance de ce mécanisme est donnée en section 7.4. La section 7.5
présente l’idée d’un mécanisme de préemption permettant d’améliorer le taux d’utilisation
des ressources.
7.2 Objectifs
Puisque l’on considère un graphe de conflits inconnu, il est difficile de s’appuyer sur un
algorithme de la famille incrémentale (cf. section 6.4.3) car leurs performances dépendent
des techniques coûteuses de coloration de graphe. Par conséquent, notre choix s’est porté
sur la famille simultanée (cf. section 6.4.4).
Ces algorithmes ont un point commun : ils possèdent un mécanisme permettant d’ordonner
totalement les requêtes du système évitant ainsi les cycles dans le graphe de précé-
dence et donc les interblocages. Ce mécanisme associe un identifiant unique à toute requête
quel que soit son ensemble de ressources. En définissant un ordre total sur ces identifiants,
on obtient facilement un ordonnancement sans interblocage. Chandy-Misra [CM84] s’appuie
sur un algorithme de "Dîner des philosophes", [GSA89] et [Mad97] utilisent des
horloges logiques et Bouabdallah-Laforest [BL00] utilise une section critique de contrôle.
Cependant, l’utilisation d’horloge logique est généralement associée à un mécanisme de
diffusion impliquant une forte complexité en messages, ce qui est problématique pour un
passage à l’échelle. Les solutions de Chandy-Misra et de Bouabdallah-Laforest utilisent
une section critique de contrôle : pour Chandy-Misra, le "dîner" dans un graphe complet
est équivalent à l’algorithme d’exclusion mutuelle classique de Ricart-Agrawala [RA81], et
l’algorithme de Bouabdallah-Laforest utilise l’algorithme de Naimi-Tréhel [NT87a]. L’algorithme
de Ricart-Agrawala est basé sur des permissions et utilise aussi un mécanisme de
diffusion (complexité en messages de O(2N − 1)) alors que l’algorithme de Naimi-Tréhel
est basé sur la circulation d’un jeton dans un arbre dynamique (complexité en messages de7.2. Objectifs 103
O(log(N))). L’algorithme de Bouabdallah-Laforest apparaît aujourd’hui comme le plus
efficace. On peut le décomposer en deux grandes étapes :
• Première étape : obtenir la section critique de contrôle.
• Deuxième étape : demander toutes les ressources nécessaires, attendre un acquittement
et enfin libérer la section critique de contrôle de la première étape.
Bien que cet algorithme ait une bonne complexité en messages, il possède néanmoins
deux limites qui dégradent le taux d’utilisation des ressources :
• deux processus non conflictuels doivent communiquer ensemble par le biais du jeton
de contrôle impliquant un surcoût en synchronisation,
• l’ordonnancement des requêtes est statique : il dépend uniquement de l’ordre d’acquisition
de la première étape (cette remarque est aussi valable pour les algorithmes
avec horloge logique). En effet, il est impossible de revenir sur l’ordre de verrouillage.
Une requête ne peut pas préempter une autre requête qui a eu le jeton de contrôle
avant ce qui peut être problématique si on souhaite changer l’ordonnancement dynamiquement.
Nous avons donc deux objectifs :
• éviter l’utilisation d’un verrou global pour éviter la communication entre deux processus
non conflictuels,
• pouvoir ordonnancer dynamiquement les requêtes.
La figure 7.1 illustre sous la forme d’un diagramme de Gantt l’impact de nos deux
objectifs sur le taux d’utilisation des ressources dans un système à 5 ressources :
• la suppression du verrou global permet de réduire le temps entre deux sections
critiques conflictuelles successives.
• le mécanisme d’ordonnancement dynamique permet de donner l’accès aux ressources
à des processus dans les intervalles de temps où les ressources ne seraient pas utilisées
dans le cas d’un ordonnancement statique (Figure 7.1(c))
On peut ainsi satisfaire le même ensemble de requêtes dans un intervalle de temps
plus petit.
(a) Avec verrou global avec ordonnancement
statique
(b) Sans verrou global avec ordonnancement
statique
(c) Sans verrou global avec ordonnancement
dynamique
Figure 7.1 – Illustration de l’impact des objectifs sur le taux d’utilisation104 Chapitre 7. Verrouiller efficacement les ressources sans connaissance préalable des conflits
7.3 Suppression du verrou global
Dans cette section, nous décrivons de manière globale notre mécanisme permettant de
supprimer le verrou global tout en assurant une sérialisation des requêtes.
7.3.1 Mécanisme de compteurs
Le but du jeton de contrôle est de donner un ordre de passage commun sur l’ensemble
des files d’attentes associées aux ressources. Pour supprimer le verrou global, nous proposons
d’utiliser un compteur par ressource. Ces derniers donneront un ordre de passage
par ressource pour chacune des requêtes. Le système maintient donc M compteurs à accès
exclusif. Dans notre cas, les compteurs sont stockés dans les jetons, un jeton étant associé
à chaque ressource.
La première étape de notre algorithme consiste à demander la valeur de chaque compteur
associé aux ressources requises et de les incrémenter de un : ceci assure une valeur
différente à chaque nouvelle lecture.
Une fois que le site connaît l’ensemble des compteurs, sa requête peut être associée
à un vecteur de M entiers dans l’ensemble INM (les ressources non demandées ont une
valeur nulle dans le vecteur). Par conséquent, la requête est définie de manière unique
quel que soit l’instant où elle a été émise et quel que soit son ensemble de ressources
requises. Ainsi, lors de la seconde étape, le processus pourra demander chaque ressource
indépendamment les unes des autres en indiquant ce vecteur. Notons que ce mécanisme
de compteur et le mécanisme de verrouillage sont décorrellés. Il est toujours possible de
demander la valeur d’un compteur pendant que la ressource associée est utilisée.
La figure 7.2 illustre ce mécanisme pour quatre ressources.
7.3.2 Ordonnancement total des requêtes
Une requête reqi émise par le site si ∈ Π pour une ressource donnée est associée à
deux informations : le site initiateur de la requête (si) et un vecteur vi ∈ INM (voir section
7.3.1 ). Les interblocages sont évités si nous définissons un ordre total sur les requêtes.
Nous allons d’abord utiliser un ordre partiel sur l’ensemble des vecteurs en définissant
une fonction A : INm → IR qui transforme un vecteur d’entiers en un réel. Puisque A
donne un ordre partiel (deux vecteurs peuvent avoir le même réel résultant), nous devons
utiliser un ordre total arbitraire ≺ sur Π pour ordonner totalement les requêtes.
L’ordre total sur les requêtes est noté / où reqi / reqj ssi A(vi) < A(vj ) ∨ (A(vi) =
A(vj )∧si ≺ sj ). Ainsi, en cas de valeur égale par A, le site de plus petit identifiant d’après
l’ordre total ≺ sera le plus prioritaire. Bien que ce mécanisme évite les interblocages en
assurant que toutes les requêtes sont différentiables, le respect total de la propriété de
vivacité dépend aussi de la définition de A. En effet, la famine est évitée si la définition
de A assure que toute requête sera dans un temps fini la plus petite dans l’ordre /.
La fonction A permet de définir une heuristique donnant une politique d’ordonnancement
sur les requêtes. C’est un paramètre de l’algorithme qui peut permettre de favoriser
les requêtes en fonction du nombre de ressources utilisées. Notons que si A est bien choisie,7.4. Évaluation 105
État initial : Le système est
composé de 4 ressources. Un
compteur est associé à chaque ressource.
Étape 1 : Le site s1 demande les
ressources res1 et res4.
Étape 2 : À chaque consultation
de compteur, la valeur du compteur
est renvoyée au demandeur
puis incrémentée. Le vecteur est
complété à chaque valeur reçue.
Étape 3 : Le site s1 demande indépendamment
chaque ressource
voulue en indiquant le vecteur.
Figure 7.2 – Exemple d’exécution d’obtention des compteurs
les cas d’égalité seront peu probables. L’utilisation de l’identifiant du site ne posera donc
pas de problème d’équité.
7.4 Évaluation
Dans cette section , nous présentons une évaluation de performances de notre algorithme
que nous comparons avec deux algorithmes de l’état de l’art. Nous nous intéressons
à deux métriques : le taux d’utilisation des ressources et le temps d’attente pour obtenir
la section critique.
7.4.1 Protocole d’évaluation
Algorithmes considérés
Cette section d’évaluation de performances compare :
• un algorithme incrémental fixant un ordre prédéfini d’accès aux ressources et utilisant
M instances d’algorithme de Naimi-Tréhel avec files locales [NT87b] (cf. section
2.5.2)
• l’algorithme de Bouabdallah-Laforest [BL00]106 Chapitre 7. Verrouiller efficacement les ressources sans connaissance préalable des conflits
• l’implémentation distribuée de notre mécanisme basé sur les compteurs (voir annexe
A)
Notre algorithme nécessitant la définition de la fonction A, nous avons choisi de comparer
deux politiques :
• Politique équitable : La première politique calcule la moyenne des compteurs
non nuls : le résultat donne donc un compteur moyen par ressource demandée.
• Politique favorisant les petites requêtes Une solution naïve pour améliorer
le taux d’utilisation serait d’avoir une définition de A qui favoriserait les requêtes
requérant peu de ressources. En effet, ces requêtes ont moins de chances d’être en
conflit avec une autre du fait de leurs petites tailles. Dans cette politique, A est
égale à la moyenne de l’ensemble des valeurs du vecteur de la requête. Puisque les
ressources non requises ont une valeur nulle dans le vecteur, les petites requêtes
demandant peu de ressources en seront privilégiées.
Dans les deux cas, la famine est impossible car les compteurs augmentent à chaque
nouvelle requête impliquant que la valeur minimum de A augmentera également à chaque
nouvelle requête. La propriété de vivacité est ainsi toujours respectée. L’avantage du
mécanisme de la fonction A réside dans le fait que la famine est évitée seulement grâce à
un calcul qui n’implique aucun surcoût en communication.
Plate-forme et paramètres d’expérimentation
Les expériences ont été menées sur un cluster de 32 machines (Grid5000 Lyon) avec
un processus par machine pour éviter les effets de bords de contention sur les cartes
réseau. Chaque machine a deux processeurs Xeon 2.4GHz, 32 GB de mémoire RAM et
fonctionne sous Linux 2.6. Les machines sont reliées par un switch Ethernet 10 Gbit/s.
Les algorithmes ont été implémentées en C++ et OpenMPI avec la version 4.7.2 de gcc.
Une application est caractérisée par :
• N : le nombre de processus (32 dans notre cas).
• M : le nombre total de ressources dans le système (80 dans notre cas).
• α : le temps d’exécution de la section critique (variable entre 5 ms et 35 ms selon le
nombre de ressources demandées).
• β : l’intervalle de temps entre le moment où un processus libère la section critique
et le moment où il la redemande.
• γ : la latence réseau pour envoyer un message entre deux processus.
• ρ : le rapport β/(α + γ), qui exprime la fréquence à laquelle la section critique est
demandée. La valeur de ce paramètre est inversement proportionnelle à la charge
en requêtes : une valeur basse donne une charge haute et vice-versa. Dans nos
expériences, nous avons considéré une charge haute et moyenne.
• SizeReq : le nombre maximum de ressources qu’un site peut demander. Ce paramètre
est compris entre 1 et M.
À chaque nouvelle requête, un processus choisit x ressources uniformément entre 1 et
SizeReq. Le temps de section critique de la requête dépend alors de la valeur de x : plus
cette valeur est grande et plus le temps de section critique risque d’être grand car nous
considérons qu’une requête demandant beaucoup de ressources doit en pratique avoir un7.4. Évaluation 107
plus grand temps de calcul en section critique.
7.4.2 Résultats sur le taux d’utilisation
La métrique principale pour l’évaluation des algorithmes est le taux d’utilisation. Cette
métrique globale est le pourcentage de temps où les ressources sont utilisées. On peut la
voir comme le pourcentage de l’aire colorée des diagrammes de la figure 7.3. Ainsi, la figure
7.3(a) donne un exemple d’exécution où les ressources ne sont pas utilisées efficacement
alors que la figure 7.3(b) illustre une exécution avec un meilleur taux d’utilisation (zone
blanche moins importante).
(a) Exécution peu efficace (b) Exécution efficace
Figure 7.3 – Illustration du taux d’utilisation pour l’exclusion mutuelle généralisée
Sur les graphiques de la figure 7.4, nous faisons varier en abscisse la taille maximale
des requêtes (paramètre SizeReq). Les figures 7.4(a) et 7.4(b) montrent l’impact de ce
paramètre sur le taux d’utilisation respectivement en moyenne et haute charge. L’augmentation
de la taille maximale fait varier deux facteurs :
• la taille moyenne des requêtes qui aura un effet positif sur la métrique : on
utilise plus de ressources à chaque section critique
• le nombre de conflits qui aura un effet négatif sur la métrique : la parallélisation
des requêtes est plus difficile.
Performances globales
Dans la figure 7.4 nous avons ajouté une courbe témoin représentant un algorithme en
mémoire partagée ayant une connaissance globale des nouvelles requêtes émises et un coût
de synchronisation nul. Cette connaissance globale lui permet d’ordonnancer les requêtes
afin d’utiliser au mieux les ressources. Ainsi, l’écart avec cette courbe donnera le coût de
synchronisation des algorithmes. En cas de charge moyenne, nous pouvons voir que l’impact
des conflits est toujours moins important que le facteur taille (les courbes augmentent
en permanence). En revanche, nous remarquons qu’en forte charge le comportement global
passe par trois phases :108 Chapitre 7. Verrouiller efficacement les ressources sans connaissance préalable des conflits
0
10
20
30
40
50
60
10
20
30
40
50
60
70
80
taux d’utilisation des ressources (%)
Taille maximale des requêtes
Incremental
Bouabdallah Laforest
Politique equitable
Petites requetes prioritaires
en mémoire partagée
(a) Taux d’utilisation en moyenne charge
0
10
20
30
40
50
60
10
20
30
40
50
60
70
80
taux d’utilisation des ressources (%)
Taille maximale des requêtes
Incremental
Bouabdallah Laforest
Politique equitable
Petites requetes prioritaires
en mémoire partagée
(b) Taux d’utilisation en haute charge
Figure 7.4 – Impact sur le taux d’utilisation
• en cas de petites requêtes : la courbe augmente car le facteur de la taille moyenne
est plus important que le facteur conflit.
• en cas requêtes de taille inférieure à la moyenne : le facteur conflit reprend le dessus
sur le facteur taille.
• en cas de requête de taille supérieure à la moyenne : la courbe augmente de nouveau
grâce au facteur taille qui redevient plus important que le facteur conflit.
Les requêtes de taille moyenne sont donc les plus coûteuses en matière de taux d’utilisation
car leur taille est assez grande pour générer des conflits mais trop insuffisante pour avoir
un taux d’utilisation important.
Performances des algorithmes distribués
Une première remarque sur ces résultats, est que l’algorithme incrémental ne suit en
aucun cas le comportement global du taux d’utilisation. En effet, il ne fait que diminuer
à cause de l’effet domino. L’algorithme de Bouabdallah-Laforest ne profite pas du parallélisme
potentiel lorsqu’il y a peu de conflits à cause de sa section critique de contrôle qui
est très coûteuse en synchronisation.
De manière générale, notre algorithme permet d’avoir un meilleur taux d’utilisation
car il réduit les communications entre processus non conflictuels. On peut remarquer une
différence entre les deux politiques : la deuxième politique donnant une priorité aux petites
requêtes a un taux d’utilisation moins important que la première politique lorsque la taille
maximale augmente. Ceci s’explique par le fait que les requêtes de tailles moyennes (les
plus coûteuses en termes de dégradation du taux d’utilisation comme nous avons pu le
voir précédemment) sont privilégiés par rapport aux requêtes de taille plus importante
qui sont dans cette politique moins prioritaires alors qu’elles maximisent l’utilisation des
ressources. Ainsi, on pouvait penser que favoriser les requêtes de petites tailles améliorerait
le taux d’utilisation grâce à leurs faibles impacts en termes de conflits. Cette solution n’est
donc pas satisfaisante.7.5. Ordonnancement dynamique 109
7.4.3 Résultats sur le temps d’attente
Dans la figure 7.5, nous montrons le temps d’attente moyen pour entrer en section
critique (figures 7.5(b) et 7.5(a)) ainsi que le temps d’attente par taille de requêtes (fi-
gures 7.5(d) et 7.5(c)). Nous n’indiquons pas les performances de l’algorithme incrémental
car l’effet domino le pénalise énormément comme nous avons pu le remarquer dans les
précédentes courbes : le temps d’attente moyen des points considérés est trop important
par rapport au temps de l’expérience.
Nous pouvons remarquer dans les figures 7.5(b) et 7.5(a) que nos deux politiques ont
un temps d’attente moyen plus faible que l’algorithme de Bouabdallah-Laforest grâce
à leur coût de synchronisation plus faible. Cependant ce dernier a une variance moins
importante. Ceci s’explique par le fait que cet algorithme est très équitable : on peut en
effet remarquer sur les figures 7.5(d) et 7.5(c) que le temps d’attente est similaire entre
les différentes tailles de requête. Cette équité est due au mécanisme d’acquisition du jeton
de contrôle qui ne permet aucune préemption entre les différentes requêtes.
La politique favorisant les petites requêtes a une grande variance comparée à la politique
équitable. En effet, puisqu’elle se base sur un ordonnancement similaire à un algorithme
à priorité, nous pouvons remarquer dans les figures 7.5(d) et 7.5(c) que les grandes
requêtes ont un temps d’attente très grand par rapport aux petites requêtes. Bien que la
politique équitable soit la plus performante, on peut remarquer qu’elle ne favorise pas les
petites requêtes dans son ordonnancement. En effet, on peut constater que ces requêtes
sont plus pénalisées : leur temps d’attente moyen est le plus important. Cependant, leur
variance est également importante. En effet, dans cette politique, l’ordre d’accès d’une
requête concernant une seule ressource dépend de la valeur du compteur correspondant.
La moyenne n’est donc calculée qu’à partir de cette unique valeur qui peut varier selon
la popularité de la ressource demandée : une ressource très populaire aura une valeur de
compteur importante par rapport à d’autres ressources moins populaires.
7.5 Ordonnancement dynamique
Dans cette section nous décrivons le principe du mécanisme de préemption permettant
d’ordonnancer les requêtes dynamiquement.
7.5.1 Principes
Pour améliorer le taux d’utilisation des ressources, il peut paraître intéressant d’introduire
un mécanisme de "prêt". En effet dans bien des cas les ressources sont acquises
progressivement pour n’être réellement utilisées qu’une fois l’ensemble des jetons acquis.
De nombreuses ressources sont ainsi verrouillées par des sites ne pouvant pas entrer en
section critique, limitant d’autant le taux d’utilisation des ressources partagées.
L’idée de l’ordonnancement dynamique serait de limiter la détention des ressources
aux seules sections critiques, en offrant la possibilité de prêter des ressources inutilement
possédées. L’introduction de "prêt" n’est cependant pas triviale, puisqu’elle remet en
cause la propriété de vivacité : une ressource acquise puis prêtée ne permet plus d’entrer
en section critique. L’algorithme nécessitera donc des mécanismes complexes qui pourront110 Chapitre 7. Verrouiller efficacement les ressources sans connaissance préalable des conflits
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
Temps de reponse moyen (en ms)
BouabdallahLaforest
equitable
priorite_petite_req
(a) Temps d’attente moyen en moyenne charge
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
Temps de reponse moyen (en ms)
BouabdallahLaforest
equitable
priorite_petite_req
(b) Temps d’attente moyen en haute charge
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
Temps de reponse moyen (en ms)
. Bouabdallah_Laforest
equitable
priorite_petite_req
1res
17res
33res
49res
65res
80res
(c) Temps d’attente moyen par taille de requête
en moyenne charge
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
Temps de reponse moyen (en ms)
. Bouabdallah_Laforest
equitable
priorite_petite_req
1res
17res
33res
49res
65res
80res
(d) Temps d’attente moyen par taille de requête
en haute charge
Figure 7.5 – Impact sur le temps d’attente moyen
peser sur les performances. Il nous faudra donc veiller à en limiter le surcoût pour espérer
gagner globalement sur le taux d’utilisation.
Pour assurer la vivacité, le mécanisme de "prêt" doit assurer qu’un site finisse à terme
par disposer simultanément de ses ressources précédemment acquises. Il devra ainsi éviter
l’éparpillement des ressources et les interblocages dus aux ressources prêtées.
Éviter l’éparpillement des ressources
Le fait qu’on ne puisse pas assurer qu’un processus possédera l’ensemble des ressources
requises induit des famines. Pour palier à ce problème, on peut introduire un mécanisme
de compteurs qui permet de borner le nombre de prêts et ainsi assurer dans un temps fini
que l’on ne prêtera plus de ressource. Cependant, les latences induites pourraient rendre
inefficace l’algorithme.
Nous proposons donc un mécanisme simple en restreignant le prêt à un seul site à
la fois. Le processus prêteur est ainsi assuré de réacquérir et en temps fini toutes les
ressources prêtées puisque le temps de section critique de l’emprunteur est supposé fini.7.5. Ordonnancement dynamique 111
Éviter les interblocages dus aux ressources prêtées
Le fait d’emprunter des ressources à plusieurs sites peut induire des cycles dans les files
d’attente ce qui conduit à des interblocages. Pour régler le problème il serait envisageable
d’avoir un mécanisme de prêt à deux phases mais ceci serait trop complexe et induirait
des latences trop grandes.
Nous proposons donc un mécanisme simple en restreignant l’emprunt à un seul site
uniquement s’il possède toutes les ressources manquantes. Un site rentrera directement
en section critique à la réception des ressources prêtées.
7.5.2 Évaluation
Ce mécanisme n’a pas été implémenté dans notre algorithme distribué. Nous l’avons
cependant développé dans un simulateur en mémoire partagée,i.e., sans mécanisme distribué
de synchronisation. Cette évaluation a pour but de mesurer le potentiel d’un tel
mécanisme de prêt. Nous considérons le même nombre de processus et le même nombre
de ressources que la section 7.4 (32 processus et 80 ressources).
La figure 7.6 montre les résultats de cette étude pour le taux d’utilisation en fonction
de la taille maximale des requêtes en forte charge. Nous comparons l’approche basée sur
les prêts avec :
• un ordonnancement avec vue globale correspondant à l’algorithme témoin de la
section 7.4.
• un ordonnancement avec vue locale correspondant à une implémentation en mémoire
partagée de l’ordonnancement statique.
Figure 7.6 – Évaluation du mécanisme de prêt en mémoire partagée
Nous pouvons remarquer que le mécanisme de prêt améliore le taux d’utilisation quelle
que soit la taille maximale de requête par rapport à l’ordonnancement à vue locale. Ce
gain est le plus important lorsque la taille maximale de requête est comprise entre 5 et 20112 Chapitre 7. Verrouiller efficacement les ressources sans connaissance préalable des conflits
ressources. On peut en effet constater dans ces valeurs d’abscisse un gain compris entre
100% et 15%. La taille des petites requêtes rend plus facile la préemption. C’est ce qui
explique qu’en cas de grande requête (à partir d’une taille maximale de 40), le gain est
réduit et ne dépasse pas 8 %. Cette évaluation donne donc des résultats prometteurs.
7.6 Conclusion
Nous avons présenté dans ce chapitre, un nouveau schéma pour verrouiller un ensemble
de ressources différentes dans un système distribué. Ce schéma ne nécessite pas
de connaître a priori le graphe de conflits et limite la communication entre les processus
qui n’ont pas de conflit en remplaçant le verrou global par un mécanisme de compteur.
Notre solution améliore le taux d’utilisation des ressources et réduit le temps d’attente
moyen. L’ordonnancement des requêtes peut être modifié de manière modulaire grâce à la
définition de la fonction A. Nous avons comparé deux politiques d’ordonnancement : une
politique classique et une politique donnant priorité aux petites requêtes dans l’idée de
privilégier les requêtes qui génèrent moins de conflit. Nous avons pu nous rendre compte
que cette politique n’est pas satisfaisante car elle augmente le temps d’attente moyen des
grandes requêtes et réduit le taux d’utilisation des ressources par rapport à la première
politique. Le mécanisme de compteur n’est cependant pas suffisant pour casser complètement
l’effet domino : des attentes en cascades peuvent toujours se produire.
Nous proposons d’associer un nouveau mécanisme de prêt en permettant de réordonner
dynamiquement les requêtes. Il permet de réduire la probabilité que l’effet domino
se produise. Une première évaluation par simulation montre une amélioration du taux
d’utilisation. Il serait intéressant d’introduire ce mécanisme dans notre implémentation
distribuée afin d’évaluer son coût en synchronisation dans un environnement réel.Quatrième partie
Conclusion générale
113Chapitre 8
Conclusion générale
Sommaire
8.1 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
8.2 Perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
8.2.1 Perspectives spécifiques aux contributions . . . . . . . . . . 117
8.2.2 Perspectives globales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
8.1 Conclusion
Cette thèse a abordé le problème fondamental de la synchronisation pour l’accès à des
ressources partagées dans les systèmes répartis. Nous avons fait trois contributions sur
des extensions du problème de l’exclusion mutuelle distribuée. Nous avons proposé des
algorithmes pour gérer la priorité de demande d’accès, prendre en compte des contraintes
de temps et traiter plusieurs types de ressources. Les évaluations de ces algorithmes en
environnement réel ont montré leur efficacité.
Requêtes à priorités : Dans l’étude de l’état de l’art des algorithmes d’exclusion
mutuelle à priorité (chapitre 3) nous avons distingué deux familles d’algorithmes : les
algorithmes à priorités statiques et ceux à priorités dynamiques. Les approches statiques
respectent de manière stricte les priorités fixées par les applications et peuvent donc
induire des famines. En revanche, les algorithmes à priorités dynamiques assurent la propriété
de vivacité mais génèrent beaucoup d’inversions de priorités dues à l’augmentation
trop rapide des petites priorités. Nous avons donc conçu un algorithme reposant sur la
circulation d’un jeton dans une topologie d’arbre statique qui lui permet d’avoir une complexité
moyenne en messages en O(Log(N)). L’évaluation en environnement réel permet
de constater que notre algorithme réduit considérablement le nombre d’inversions de priorités
grâce à un mécanisme de retard d’incrémentation paramétrable par une fonction de
palier. De plus, nous avons réussi à réduire le surcoût en messages de notre mécanisme
d’ajustement dynamique des priorités en prenant en compte la localité des requêtes dans
la topologie reliant les nœuds. Dans un second temps, nous avons mis en évidence l’impact
115116 Chapitre 8. Conclusion générale
de cette topologie sur le temps de réponse des différentes priorités. Nous avons montré
que dans certains cas les temps d’attente étaient énormes pour les requêtes à petites priorités.
Nous avons donc proposé un algorithme qui incrémente les priorités en considérant
l’ensemble des requêtes émises. Les expériences ont montré que notre algorithme présentait
un bon compromis entre le temps d’attente maximum et le nombre d’inversions de
priorités.
Requêtes à contraintes temporelles : Nous avons ensuite conçu un algorithme se
basant également sur la circulation d’un jeton dans une topologie d’arbre statique et
permettant de satisfaire des requêtes avant une date d’échéance. Cette extension de l’exclusion
mutuelle permet de répondre à des contraintes temporelles (SLA) pour l’accès aux
ressources que l’on peut trouver dans les systèmes de réservation de ressources des Clouds.
Pour éviter la violation de SLA, i.e., les requêtes satisfaites après leur date d’échéance,
notre algorithme fait un contrôle d’admission des requêtes et les ordonnance selon une
politique Earliest Deadline First. Nos évaluations ont permis de constater que la politique
d’admission choisie minimisait la quantité de violations. Cependant, nous avons pu constater
que la politique d’ordonnancement EDF dans une topologie statique dégradait le taux
d’utilisation de la ressource critique. Un mécanisme de préemption a donc été ajouté. Il
permet d’utiliser au mieux le jeton lors de son transfert dans la topologie sans générer de
violations. Cette préemption est paramétrable par un entier et permet d’améliorer jusqu’à
70% le taux d’utilisation.
Requêtes à plusieurs ressources : En dernier lieu, nous avons proposé un algorithme
d’exclusion mutuelle généralisée permettant de verrouiller un ensemble de ressources hé-
térogènes. Par rapport à une grande majorité des solutions que l’on peut trouver dans la
littérature, notre algorithme ne nécessite pas de connaître à l’avance le graphe des conflits
liant les requêtes. De plus notre solution réduit les coûts de synchronisation en évitant
que deux processus non conflictuels communiquent entre eux. Les évaluations d’une implémentation
distribuée de notre mécanisme sur la plateforme nationale Grid5000 ont
montré qu’il était possible d’améliorer le taux d’utilisation des ressources d’un facteur
1 à 10 par rapport aux algorithmes de l’état de l’art et de réduire le temps d’attente
moyen des requêtes. Dans un second temps nous avons simulé en mémoire partagée un
ordonnancement dynamique. Les expériences ont montré qu’un gain en termes de taux
d’utilisation est possible en particulier lorsque la taille moyenne des requêtes reste faible.
8.2 Perspectives
Cette section traite des différentes perspectives de travail de cette thèse. Nous aborderons
les perspectives spécifiques aux contributions dans un premier temps et nous traiterons
des perspectives globales de la thèse dans un second temps.8.2. Perspectives 117
8.2.1 Perspectives spécifiques aux contributions
Requêtes à contraintes temporelles
Dans notre étude nous avons proposé un contrôle d’admission avec des dates d’échéance
strictes qui ne faisait pas de surréservation dans les décisions locales. Il serait alors possible
de considérer une politique plus souple qui accepterait plus de requêtes avec une marge
d’erreur paramétrable. Il serait donc intéressant d’étudier l’impact de cette marge sur le
taux de violations et le taux d’utilisation de la ressource critique. On pourrait également
envisager une négociation lors de la soumission d’une requête. En cas de réponse négative
du contrôle d’admission, il serait possible d’estimer les modifications de contraintes nécessaires
(retardement de la date d’échéance ou bien diminution du temps de section critique
par exemple) pour que la requête puisse être acceptée. Ces estimations pourraient être
proposées par le système à l’utilisateur qui pourra à sa guise les accepter ou les refuser.
Concernant le mécanisme de préemption de requête pour augmenter le taux d’utilisation,
il serait possible d’exploiter plus finement la topologie reliant les nœuds pour router plus
efficacement le jeton . En effet, le porteur du jeton connaît l’ensemble des requêtes à satisfaire
dans le système. Il lui est alors possible de tirer parti de cette connaissance globale :
on peut privilégier par exemple le sous-arbre qui donnera le plus de sections critiques tout
en assurant que la première requête de la file d’attente sera satisfaite à temps. Enfin, il
reste possible de ne plus considérer l’hypothèse de connaissance du temps de transmission
γmax entre deux sites voisins en incluant des mécanismes d’estimation et de calcul de
latence réseau.
Requêtes à plusieurs ressources
Notre mécanisme de préemption par prêts de ressources a été évalué uniquement sur
un simulateur en mémoire partagée. Les résultats sont particulièrement prometteurs et
une perspective à court terme est donc d’ajouter ce mécanisme dans notre implémentation
distribuée et d’en évaluer le coût de synchronisation dans un environnement réel. Une autre
perspective serait de généraliser notre algorithme à plusieurs exemplaires par ressource.
D’autre part, puisque notre solution limite la communication entre processus non
conflictuels, il serait particulièrement intéressant de tester notre algorithme sur une topologie
physique hiérarchique telle qu’on peut la trouver dans les grandes infrastructures
de Clouds. En effet, la suppression du verrou global permet maintenant d’éviter la communication
inutile entre les différents sites géographiques. Il y a ainsi moins de risques à
ce qu’un processus attende un message d’un site très éloigné. Cette étude permettrait de
mettre en évidence nos gains de performances en termes de taux d’utilisation et de temps
d’attente.
8.2.2 Perspectives globales
Combinaison
Cette thèse a abordé trois problèmes différents dans la réservation de ressources : les
priorités, les contraintes de temps et l’hétérogénéité des ressources. L’idée d’étudier une118 Chapitre 8. Conclusion générale
solution qui combinerait plusieurs de ces problèmes semble assez naturelle. On pourrait
ainsi prendre en compte dans une même requête un ensemble de ressources requises avec
une priorité ou/et une date d’échéance. Ce type de requête a de l’intérêt dans les systèmes
de réservation de ressources tel que OAR [OAR] qui gère l’accès des utilisateurs à des ressources
physiques dans une grille de calcul mais de manière centralisée. Chaque utilisateur
peut ainsi verrouiller un ensemble de ressources hétérogènes en indiquant éventuellement
une date de réservation requise (dates d’échéance) ainsi qu’un niveau de priorité pour
différencier par exemple les administrateurs des utilisateurs.
Élasticité
Enfin, dans cette thèse nous avons traité deux particularités des systèmes large échelle :
l’hétérogénéité des ressources et l’hétérogénéité des requêtes que l’on peut associer à un
niveau de SLA. Cependant, les Nuages informatiques ont une particularité supplémentaire
: l’élasticité. Cette particularité est due à la virtualisation des machines qui peuvent
s’ajouter, se supprimer et se déplacer d’un site physique à l’autre en fonction des pics de
charge. Cela implique des changements dynamiques dans la topologie qu’il serait intéressant
d’étudier.Bibliographie
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En cours de soumission
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Fair Starvation-free Prioritized Mutual Exclusion Algorithm for Distributed
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Conférences internationales
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prioritized distributed mutual exclusion algorithm balancing priority inversions
and response time In International Conference on Parallel Processing
(ICPP-2013).
[CCgrid13] Damián Serrano, Sara Bouchenak, Yousri Kouki, Thomas Ledoux, Jonathan
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Conférence francophone
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algorithme distribué efficace d’exclusion mutuelle généralisée sans connaissance
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Architecture et Système (Renpar), April 2014, (Meilleur article Renpar).
[Compas13] Jonathan Lejeune, Luciana Arantes, Julien Sopena, and Pierre Sens. Un
algorithme équitable d’exclusion mutuelle distribuée avec priorité. In 9ème
125126 Publications associées à cette thèse
Conférence Française sur les Systèmes d’Exploitation (CFSE’13), Chapitre
français de l’ACM-SIGOPS, GDR ARP, January 2013.Liste des notations
N Nombre de processus du système, i.e. le cardinal de Π . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Π Ensemble des processus du système . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
si 1 ≤ i ≤ N, site appartenant à Π . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
T Temps d’exécution du système. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
t0 Instant appartenant à T correspondant à l’initialisation du système . . . . . . . 9
tnow Instant courant appartenant à T . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
P nombre de priorités dans le système . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
pmax priorité maximale du système . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
pmin priorité minimale du système . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
P ensemble totalement ordonné des priorités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
F(p) fonction de palier permettant de retarder l’incrémentation de priorité . . . . . 39
ρ charge : exprime la fréquence à laquelle la section critique est demandée . . 40
θ temps d’une expérience d’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
α le temps d’une section critique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
γ le temps d’acheminement d’un message entre deux processus voisins . . . . . . 40
β le temps où un site reste à l’état tranquil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
N bSLA le nombre de niveaux de SLA considérés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
ψ taille de préemption maximum. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
W aitM in temps de réponse requis minimal (correspond au plus haut niveau de SLA). 82
A Fonction calculant un réel à partir d’un vecteur de M entiers . . . . . . . . . . . . . 104
Dt
si
Ensemble des ressources ∈ R que le site si demande à l’instant t . . . . . . . . . . 92
G Graphe de conflits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
M Nombre de types de ressources dans le système . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
R Ensemble des ressources du système {r1, r2, ..., rM} . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
127128 Liste des notationsAnnexe A
Implémentation distribuée de
l’algorithme d’exclusion mutuelle
généralisée
Sommaire
A.1 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
A.2 Les messages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
A.2.1 Information véhiculée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
A.2.2 Mécanisme d’agrégation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
A.3 États des processus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
A.4 Variables locales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
A.5 Description . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
Cette annexe décrit l’implémentation distribuée de l’algorithme de verrouillage de
ressources basé sur des compteurs (chapitre 7). Sur le même principe que l’algorithme
de Bouabdallah-Laforest, notre implémentation distribuée se base sur la transmission de
jetons. Son pseudo-code est donné en figures A.3, A.4 et A.5.
A.1 Généralités
Chaque ressource est associée à un unique jeton. Les compteurs sont stockés dans le
jeton de la ressource associée. Ainsi le possesseur du jeton est le seul à pouvoir accéder
à la valeur du compteur assurant ainsi un accès exclusif. Chaque jeton est géré par une
instance d’une version simplifiée de l’algorithme à priorité de Mueller (cf section 3.4.1).
Par conséquent, les messages de requêtes pour une ressource (ou pour un compteur)
sont acheminés jusqu’au porteur de jeton grâce à une structure d’arbre dynamique. Le
choix d’un algorithme à priorité permet de réordonnancer de manière dynamique la file
d’attente d’un jeton si une requête de précédence plus importante, i.e., avec un vecteur
plus prioritaire, est émise. Ainsi plus la valeur résultante de A est basse plus la priorité
de la requête est haute.
129130 Annexe A. Implémentation distribuée de l’algorithme d’exclusion mutuelle généralisée
A.2 Les messages
A.2.1 Information véhiculée
Nous définissons quatre types de messages : Request1, Counter, Request2 et T oken.
Chaque type de message véhicule une ou plusieurs structures de données qui lui est propre
(déclarations données en figure A.1). Ces structures de données sont :
• Request1 : demande de la valeur du compteur associé à r. Elle contient l’identifiant
du site initiateur, l’identifiant de la requête concernée et un booléen drapeau qui
vaut vrai si la requête concerne une seule ressource, faux sinon.
• Counter : indication de la valeur du compteur associé à r. Cette émission fait suite à
une réception d’un message de type Request1 sur le porteur du jeton correspondants.
• Request2 : demande de la ressource r. Elle contient l’identifiant du site initiateur,
l’identifiant de la requête concernée et un réel égal au résultat de A à partir du
vecteur originel.
• T oken : jeton de la ressource r. Il stocke la valeur du compteur associé, une liste
de requêtes de type 2 à satisfaire qui représente la file d’attente de la ressource r et
deux tableaux de N identifiants de requêtes :
∗ lastReq1 : indique pour chaque site sj
l’identifiant de la dernière requête de sj
auquel le porteur du jeton a envoyé la valeur du compteur.
∗ lastCS : pour chaque site sj
l’identifiant de la dernière requête de sj satisfaite
par ce jeton.
A.2.2 Mécanisme d’agrégation
Afin d’économiser des envois de messages, chaque message peut véhiculer plusieurs
structures qui lui correspondent. En effet, les structures du même type adressées au même
destinataire seront agrégées dans un seul message. Par conséquent, la réception d’un message
concerne non pas une seule ressource mais un ensemble de ressources. Ce mécanisme
implique donc des tampons locaux : un par type de message et par destinataire.
Nous définissons la fonction buffer(site sdest, type t, data) qui stocke temporairement
la structure de type t à destination du site sdest.
Nous définissons alors pour chaque type de message une fonction qui consomme les
structures stockées par la fonction buffer en les envoyant à leur destinataire :
• SendBufReq1( visited : set of sites) : envoie les structures de type Request1
à leur destinataire. Comme ce type de message n’est pas directement transmis au
destinataire final, i.e. le porteur du jeton, il stocke au fur et à mesure de son transfert
les nœuds qu’il a déjà visités afin d’éviter les cycles de messages dans la structure
dynamique.
• SendBufCnt() : envoie les structures de type Counter à leur destinataire.
• SendBufReq2( visited : set of sites) : même principe que le type Request1.
• SendBufTok() : envoie les structures de type T oken à leur destinataire.A.3. États des processus 131
Type Request1 :1
begin2
3 sinit : site;
4 r : resource;
5 id : integer ;
6 isOne : boolean ;
end7
8 Type Counter :
begin9
10 r : resource;
11 val : integer ;
end12
Type Request2 :13
begin14
15 sinit : site;
16 r : resource;
17 id : integer ;
18 mark : float;
end19
20 Type Token :
begin21
22 r : resource;
23 counter : integer;
24 lastReq1 : array of
N integers;
25 lastCS : array of N
integers;
26 req2 : sorted list of
Request2 ;
end27
Figure A.1 – Structures véhiculées par les messages de l’implémentation distribuée
Figure A.2 – Machine à états des processus
A.3 États des processus
L’état requesting a été divisé en deux sous-états : waitS et waitCS. Les processus
ont donc quatre états possibles :
• tranquil : le processus ne demande rien.
• waitS : le processus attend les compteurs requis (première étape).
• waitCS : le processus attend les ressources requises (seconde étape).
• inCS : le processus utilise les ressources requises (section critique).
La figure A.2 représente la machine à états des processus.
Nous avons ajouté une optimisation permettant aux requêtes ne demandant qu’une
seule ressource de passer directement de l’état tranquil à l’état waitCS (lignes 67 à 70).
En effet, ces requêtes ne demandent qu’un seul compteur. Puisque cet unique compteur
est stocké dans le jeton, le nœud racine peut calculer le résultat de A et ainsi transformer
directement la requête de type 1 en requête de type 2, la stocker dans la file d’attente
du jeton et éventuellement renvoyer le jeton si la nouvelle requête est plus prioritaire.
Ce mécanisme permet de réduire le coût de synchronisation des requêtes demandant une
seule ressource.
A.4 Variables locales
Chaque processus maintient les variables locales suivantes :
• tokDir : un tableau de M sites, où chaque entrée indique le père dans l’arbre
dynamique gérant la ressource correspondante. L’entrée vaut nil si le processus est132 Annexe A. Implémentation distribuée de l’algorithme d’exclusion mutuelle généralisée
la racine de l’arbre correspondant (possession du jeton).
• MyV ector : le vecteur correspondant à la requête en cours du site courant.
• lastT oken : tableau de M structures de jetons. Cette variable permet de stocker
localement les informations d’un jeton lors de sa dernière réception.
• T Required : ensemble de ressources que le site demande.
• T Owned : ensemble de ressources que le site a en sa possession.
• CntNeeded : ensemble de ressources requises dont le processus n’a pas encore reçu
le compteur associé.
• curId : compteur local permettant d’identifier et de dater une requête. Sa valeur
s’incrémente à chaque nouvelle requête (ligne 65).
• pendingReq1 et pendingReq2 : tableaux de M ensembles de requêtes de type 1
(respectivement de type 2) reçues pour chaque ressource. Ces ensembles sont utiles
pour éviter que des requêtes ne soient perdues lorsque le jeton est en transit dans
le réseau. Puisque les structures de requête contiennent la date locale de la requête
(champs id), il est possible de sauvegarder uniquement la requête la plus récente
pour un site donné. Si le processus possède une ressource, les entrées correspondantes
sont égales à l’ensemble vide.
A.5 Description
Lors de l’appel à Request_CS (ligne 63), le processus demande les compteurs concernés
(ligne 71). S’il possède des jetons requis alors il sauvegarde dans son vecteur la valeur
du compteur et incrémente ce dernier (lignes 76 à 78). Sinon, il sauvegarde dans
CntNeeded les ressources pour lesquels une requête de type 1 a été envoyée (lignes 72 à
75). Si la requête concerne une seule ressource, il est inutile de sauvegarder la ressource
dans CntNeeded puisque ces requêtes ne recquièrent pas d’attendre un compteur. Une
fois les requêtes de type 1 envoyées (ligne 79), le processus se met en attente jusqu’à ce
que l’ensemble des ressources requises soient possédé (lignes 80 et 81).
À la réception d’un message de requêtes de type 1 (ligne 97), le site traite l’ensemble
de Request1 contenu dans le message. Si une requête est obsolète (ligne 102) alors elle
est ignorée. Si le site ne possède pas la ressource concernée, la requête est ajoutée dans
l’ensemble pendingReq1 et est envoyée au père dans l’arbre correspondant (lignes 132
et 133) en s’assurant que ce dernier n’a pas déjà transmis la requête (ligne 131). Si
au contraire, le site possède la ressource (il est le site racine de l’arbre correspondant),
l’identifiant de la requête est sauvegardé dans le tableau lastReq1 du jeton (ligne 105).
Trois cas peuvent alors se produire :
• le site n’a pas besoin de la ressource (ligne 106) : le jeton est directement
envoyé au site demandeur (ligne 107)
• le site a besoin de la ressource et la requête concerne plusieurs ressources
(ligne 108) : la valeur du compteur est envoyée au demandeur et incrémentée (lignes
110 et 111).
• le site a besoin de la ressource et la requête concerne une seule ressource
(ligne 112) : la requête est considérée comme une requête de type 2. Sa valeur réelle
peut alors être calculée avec la fonction A et la valeur du compteur (lignes 113 à 118A.5. Description 133
Local variables :28
begin29
30 state ∈ {tranquil, waitS, waitCS, inCS};
31 tokDir : array of M sites;
32 M yV ector : array of M integers;
33 lastT ok : array of M Token;
34 T Required : set of resources;
35 T Owned : set of resources;
36 CntNeeded : set of resources;
37 curId : integer ;
38 pendingReq1 : array of M sets of Request1;
39 pendingReq2 : array of M sorted lists of Request2;
end40
41 Initialization
begin42
if self = elected_node then43
44 tokDir[r] ← nil ∀r ∈ R;
45 T Owned ← R ;
else46
47 tokDir[r] ← elected_node ∀r ∈ R;
48 T Owned ← ∅ ;
49 T Required ← ∅;
50 CntNeeded ← ∅;
51 state ← tranquil;
52 curId ← 0;
foreach resource r ∈ R do53
54 M yV ector[r] ← 0;
55 lastT ok[r].r ← r;
56 lastT ok[r].counter ← 1;
57 lastT ok[r].lastReq[s] ← 0 ∀s ∈ Π;
58 lastT ok[r].lastCS[s] ← 0 ∀s ∈ Π;
59 lastT ok[r].req2 ← ∅;
60 pendingReq1[r] ← ∅;
61 pendingReq2[r] ← ∅;
end62
63 Request_CS(D : set of resources)
begin64
65 curId ← curId + 1;
66 T Required ← D;
if |T Required| = 1 then67
68 state ← waitCS;
else69
70 state ← waitS;
foreach resource r ∈ T Required do71
72 if tokDir[r] 6= nil then
if |T Required| 6= 1 then73
74 CntNeeded ← CntNeeded ∪ {r};
75 buffer(tokDir[r],Request1,
< self, r, curId, |T Required| = 1 > );
76 else
77 M yV ector[r] ← lastT ok[r].counter;
78 lastT ok[r].counter ←
lastT ok[r].counter + 1;
79 SendBufReq1({self});
if T Required * T Owned then80
81 wait(T Required ⊆ T Owned);
82 state ← inCS;
83 /* CRITICAL SECTION */
end84
Release_CS85
begin86
87 state ← tranquil;
foreach ressource r ∈ T Required do88
89 lastT ok[r].lastCS[self] ← curId;
90 if lastT ok[r].req2 6= ∅ then
< s, r0 91 , seq, m >←
dequeue(lastT ok[r].req2);
92 SendToken(s,r);
93 T Required ← ∅;
94 M yV ector[r] ← 0 ∀r ∈ R;
95 SendBufTok();
end96
Figure A.3 – Implémentation distribuée : procédures d’initialisation, de demande et de
libération de section critique134 Annexe A. Implémentation distribuée de l’algorithme d’exclusion mutuelle généralisée
). Si le site est en attente de compteurs (état waitS), alors la requête en question
est prioritaire : le jeton est alors envoyé (ligne 120). Sinon si le site est en attente
de jetons (état waitCS), sa requête et la requête reçue sont alors comparées (ligne
123). Si la requête distante est plus prioritaire, alors le site ajoute sa propre requête
dans la file locale du jeton et le transmet au site prioritaire (lignes 124 et 125). Dans
le cas contraire si le site courant est en section critique, c’est la requête distante qui
est ajoutée dans la file d’attente du jeton (lignes 127 et 130).
À la réception d’un message de compteur (ligne 138), la valeur du compteur est sauvegardée
dans l’entrée correspondante du vecteur (ligne 141) et l’ensemble des compteurs
requis est mis à jour (ligne 142). Comme le site envoyeur est le porteur du jeton le plus
récent du point de vue du site courant, le pointeur de parenté est alors mis à jour (ligne
143) : des messages de requêtes peuvent alors être économisés. Si le site n’attend plus
de compteur (ligne 144) la fonction processCntNeededEmpty est appelée. Cette fonction
fait passer le site courant à l’état waitCS. Le site peut ensuite envoyer pour toute
ressource requise non possédée, un message de requête de type 2 (ligne 181).
La réception un message de requêtes de type 2 (ligne 147), implique dans un premier
temps une vérification de l’obsolescence de la requête (ligne 152). Si le site possède la
ressource demandée (lignes 155 à 164) alors le traitement est le même que la réception
d’une requête de type 1 concernant une seule ressource . Si le site ne possède pas la
ressource et si la requête n’a pas déjà visité le processus père du site courant (ligne 165)
alors la requête est enregistrée dans la file locale pendingReq2. Le test de la ligne 167
permet de décider si le message nécessite d’être retransmis au père ou non (principe de
l’algorithme de Mueller). Si le site courant et le site demandeur sont en conflit sur la
ressource en question et s’ils sont tous les deux en état waitCS alors il est possible de
différencier les deux requêtes. Si la requête du site courant est plus prioritaire que le site
distant alors il est inutile de retransmettre le message car le site courant obtiendra le jeton
avant le site distant. Il subsiste néanmoins une exception où la requête sera retransmise :
la requête du site courant concerne une seule ressource. En effet, puisque dans ce cas le
site courant ne connaît pas le réel de sa requête, il est donc impossible pour lui de la
différencier de celle du site distant.
À la réception d’un message de jeton (ligne 184) le processus va dans en premier
temps mettre à jour ses variables locales pour chaque jeton contenu dans le message en
appelant la fonction processUpdate (ligne 188). Cette fonction met à jour dans un premier
temps les variables T Owned, tokDir puis sauvegarde d’éventuels compteurs manquants
(lignes 226 à 229). Ensuite on traite les requêtes de type 1 enregistrées dans pendingReq1
et qui n’ont pas été prises en compte (lignes 230 à 249)). Le traitement est similaire
à la réception d’une requête de type 1 lorsque le site possède la ressource concernée.
Chaque requête de type 2 enregistrée dans pendingReq2 est ensuite copiée dans la file
d’attente du jeton si elle n’a pas encore été prise en compte (lignes 251 à 257). Une
fois les variables locales mises à jour, le site contrôle s’il peut entrer en section critique
(lignes 189 à 191). S’il ne peut pas encore entrer en section critique, il contrôle d’abord si
l’ensemble des compteurs manquants ont été acquis dans la fonction processUpdate et le
cas échéant appelle la fonction processCntEmpty permettant de passer à l’état waitCS
et d’envoyer les messages de requête de type 2 (lignes 177 à 181). Il contrôle ensuite si leA.5. Description 135
97 Receive request1 (visitedN odes : set of sites,
Req1sRecv : set of Request1) from sj
begin98
99 foreach Request1 req1 ∈ Req1sRecv do
100 ressource r ← req1.r;
101 site si ← req1.sinit;
102 if req1.id ≤ lastT ok[r].lastReq1[si] or
req1.id ≤ lastT ok[r].lastCS[si] then
103 continue;
if r ∈ T Owned then104
105 lastT ok[r].lastReq1[si] ← req1.numSeq;
if r /∈ T Required then106
107 SendToken(si, r);
108 else if ¬req1.isOne then
109 /* send Counter */
110 buffer(si,Counter,<
r, lastT ok[r].counter > );
111 lastT ok[r].counter ←
lastT ok[r].counter + 1;
112 else
113 V tmp : array of M integer;
114 V tmp[rk] ← 0 ∀rk ∈ R;
115 V tmp[r] ← lastT ok[r].counter;
116 lastT ok[r].counter ←
lastT ok[r].counter + 1;
117 float mark ← A(V tmp);
118 Request2 newReq ←< si, r, seq, mark >;
if state = waitS then119
120 SendToken(si, r);
121 else if state = waitCS then
122 Request2 myReq ←<
self, r, curId, A(M yV ector) > ;
if newReq / myReq then123
124 add(lastT ok[r].req2,myReq);
125 SendToken(si, r);
126 else
127 add(lastT ok[r].req2,newReq);
else128
129 /* inCS */
130 add(lastT ok[r].req2,newReq);
else if tokDir[r] ∈/ visitedN odes then131
132 add(pendingReq1[r],req1);
133 buffer(tokDir[r],Request1, req1 );
134 SendBufReq1(visitedN odes ∪ {self});
135 SendBufTok();
136 SendBufCnt();
end137
138 Receive Counter(CntsRcv : sets of Counter) from sj
139 begin
foreach Counter cnt ∈ CntsRcv do140
141 M yV ector[cnt.r] ← cnt.val;
142 CntNeeded ← CntNeeded − {cnt.r};
143 tokDir[r] ← sj ;
if CntNeeded = ∅ then144
145 processCntNeededEmpty();
end146
147 Receive Request2(visitedN odes : set of sites,
Req2sRcv : sets of Request2) from sj
148 begin
foreach Request2 req2 ∈ Req2sRecv do149
150 ressource r ← req2.r;
151 site si ← req2.sinit;
152 if req2.id < lastT ok[r].lastReq1[si] or
req2.id ≤ lastT ok[r].lastCS[si] then
153 continue;
154 Request2
myReq2 ←< self, r, curId, A(M yV ector) >;
155 if r ∈ T Owned then
156 if r /∈ T Required or state = waitS
then
157 SendToken(si, r);
else if req2 ∈/ lastT ok[r].req2 then158
159 if state = waitCS ∧ req2 / myReq2
then
160 add(lastT ok[r].req2,myReq2);
161 SendToken(si, r);
162 else
163 /* (waitCS ∧ myReq2 /
req2) ∨ inCS */
164 add(lastT ok[r].req2,req2);
165 else if tokDir[r] ∈/ visitedN odes then
166 add(pendingReq2[r],req2);
167 if state = waitCS ∧ r ∈ T Required ∧
myReq2 / req2 ∧ |T Required| 6= 1 then
168 /* Do not forward */
else169
170 buffer(tokDir[r],Request2, req2
);
171 SendBufReq2(visitedN odes ∪ {self});
172 SendBufTok();
end173
174 processCntNeededEmpty()
175 begin
176 /* precond : state = waitS ∧ CntNeeded = ∅ */
177 state ← waitCS;
foreach resource r ∈ T Required do178
179 Request2
myReq2 ←< self, r, curId, A(M yV ector) >;
180 if r /∈ T Owned then
181 buffer(tokDir[r],Request2, myReq2 );
182 SendBufReq2({self});
end183
Figure A.4 – Implémentation distribuée : procédures de réception de requêtes 1 et 2 et
de compteur136 Annexe A. Implémentation distribuée de l’algorithme d’exclusion mutuelle généralisée
184 Receive Token (T oksRcv : sets of Token) from sj
begin185
186 /* t.r must be in T Required */
foreach T oken t ∈ T oksRcv do187
188 processUpdate(t);
if T Required ⊆ T Owned then189
190 state ← inCS;
191 notify(T Required ⊆ T Owned);
else192
if state = waitS ∧ CntNeeded = ∅ then193
194 processCntNeededEmpty();
foreach resource r ∈ T Owned do195
if lastT ok[r].req2 6= ∅ then196
197 Request2 req2 ← Head(lastT ok[r].req2);
198 site si ← req2.sinit;
199 if state = waitS then
200 dequeue(lastT ok[r].req2);
201 SendToken(si, r);
else if state = waitCS then202
203 Request2 myReq2 ←<
self, r, curId, A(M yV ector) >;
if req2 / myReq then204
205 dequeue(lastT ok[r].req2);
206 add(lastT ok[r].req2,myReq2);
207 SendToken(si, r);
else208
209 /* IMPOSSIBLE */
210 SendBufCounters();
211 SendBufTokens();
end212
SendToken(sdest : site, r : resource)213
begin214
215 /* precond : r∈T Owned */
216 buffer(sdest,T oken, lastT ok[r] );
217 tokDir[r] ← sdest;
218 T Owned ← T Owned − {r};
end219
processUpdate(t : Token)220
begin221
222 ressource r ← t.r;
223 lastT ok[r] ← t;
224 T Owned ← T Owned ∪ {r};
225 tokDir[t.r] ← nil;
if r ∈ CntNeeded then226
227 CntNeeded ← CntNeeded − {r};
228 M yV ector[r] ← lastT ok[r].counter;
229 lastT ok[r].counter ← lastT ok[r].counter + 1;
foreach Request1 req1 ∈ pendingReq1[r] do230
231 site si ← req1.sinit;
232 if req1.id ≤ lastT ok[r].lastReq1[si] or
req1.id ≤ lastT ok[r].lastCS[si] then
233 /* req1 is out of date */
234 continue;
235 lastT ok[r].lastReq1[si] ← req1.id;
if pendingReq1[r].isOne then236
237 /* transform it in req2 */
238 V tmp : array of M integer;
239 V tmp[rk] ← 0 ∀rk ∈ R;
240 V tmp[r] ← lastT ok[r].counter;
241 lastT ok[r].counter ←
lastT ok[r].counter + 1;
242 float mark ← A(V tmp);
243 Request2
newReq2 ←< si, r, req1.id, mark >;
244 if newReq2 ∈/ lastT ok[r].req2 then
245 add(lastT ok[r].req2,newReq2);
else246
247 /* send Counter */
248 buffer(si,lastT ok[r].counter);
249 lastT ok[r].counter ←
lastT ok[r].counter + 1;
250 pendingReq1[r] ← ∅;
foreach Request2 req2 ∈ pendingReq2[r] do251
252 site si ← req2.sinit;
253 if req2.id < lastT ok[r].lastReq1[si] or
req2.id ≤ lastT ok[r].lastCS[si] then
254 /* req2 is out of date */
255 continue;
256 if req2 ∈/ lastT ok[r].req2 then
257 add(lastT ok[r].req2,req2);
258 pendingReq2[r] ← ∅;
end259
Figure A.5 – Implémentation distribuée : procédure de réception et d’envoi de jetonA.5. Description 137
jeton en question doit être retransmis à un éventuel site plus prioritaire présent dans la
file d’attente (lignes 195 à 207).
Enfin lorsque le site sort de la section critique (ligne 85), il repasse à l’état tranquil et
transmet éventuellement les jetons possédés aux prochains processus demandeurs (lignes
88 à 92).
Segmentation par coupes de graphe avec a priori de
forme Application `a l’IRM cardiaque
Damien Grosgeorge
To cite this version:
Damien Grosgeorge. Segmentation par coupes de graphe avec a priori de forme Application `a
l’IRM cardiaque. Image Processing. Universit´e de Rouen, 2014. French.
HAL Id: tel-01006467
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01006467
Submitted on 16 Jun 2014
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scientifiques de niveau recherche, publi´es ou non,
´emanant des ´etablissements d’enseignement et de
recherche fran¸cais ou ´etrangers, des laboratoires
publics ou priv´es.THÈSE
En vue de l’obtention du grade de
DOCTEUR DE NORMANDIE UNIVERSITÉ
Délivré par
L’UNIVERSITÉ DE ROUEN
LABORATOIRE D’INFORMATIQUE, DU TRAITEMENT DE L’INFORMATION ET
DES SYSTÈMES
École doctorale : SCIENCES PHYSIQUES, MATHÉMATIQUES ET DE L’INFORMATION
POUR L’INGÉNIEUR
Discipline : PHYSIQUE - TRAITEMENT DU SIGNAL
Présentée par
Damien GROSGEORGE
Segmentation par coupes de graphe
avec a priori de forme
Application à l’IRM cardiaque
Directrice de thèse : Pr Su RUAN
Co-encadrant : Mme Caroline PETITJEAN
Soutenue le 27 mai 2014
JURY
Pr Laurent NAJMAN Université Paris-Est Président du jury
Pr Fabrice MERIAUDEAU Université de Bourgogne Rapporteur
Pr Abderrahim ELMOATAZ-BILLAH Université de Caen Rapporteur
Pr Jean-Nicolas DACHER Université de Rouen Examinateur
Pr Su RUAN Université de Rouen Directrice
Mme Caroline PETITJEAN Université de Rouen EncadrantRemerciement
Je souhaite tout d’abord remercier les membres du jury de cette thèse pour l’intérêt porté
à mes travaux. Je remercie tout particulièrement Monsieur Fabrice Meriaudeau, Professeur à
l’Université de Bourgogne, et Monsieur Abderrahim Elmoataz-Billah, Professeur à l’Université
de Caen, d’avoir accepté de rapporter ma thèse. Je remercie également Monsieur Laurent Najman,
Professeur à l’Université Paris-Est, de m’avoir fait l’honneur de présider le jury. Je suis
particulièrement reconnaissant pour l’ensemble des remarques formulées, critiques et conseils
très enrichissants qui m’ont été prodigués.
Je tiens tout particulièrement à exprimer ma reconnaissance à Madame Su Ruan, Professeur
à l’Université de Rouen et directeur de cette thèse, pour m’avoir fait bénéficier de ses
nombreuses connaissances et de son expertise. Sa disponibilité ainsi que ses précieux conseils
ont été d’une grande aide à la réalisation de cette thèse. Je tiens également à adresser toute
ma reconnaissance et mes remerciements à Madame Caroline Petitjean, Maitre de Conférence
à l’Université de Rouen et encadrant de cette thèse, qui m’a formé et donné goût au traitement
d’images lors de mon Master. Ses compétences, sa disponibilité et ses qualités humaines ont
permis à cette thèse de se dérouler dans les meilleures conditions. Je souhaite à tout thésard
un encadrement de cette qualité.
Ma reconnaissance va également à Monsieur Jean-Nicolas Dacher, Professeur des Universités
et Praticien Hospitalier au CHU de Rouen, pour son expertise médicale en imagerie cardiaque,
sa gentillesse et sa disponibilité malgré un emploi du temps chargé. Ses conseils et
suggestions ont été d’une grande aide à l’appréhension de la problématique de segmentation
cardiaque.
iRemerciements
Je remercie également tous les membres de l’équipe QuantIF, en particulier Benoît Lelandais,
Pierre Buyssens et Maxime Guinin qui ont rendu ces années de thèse agréables et sympathiques,
et les membres de l’équipe DocApp, en particulier David Hébert, pour nos nombreux
échanges qui m’ont permis d’élargir mon horizon.
C’est également l’occasion de remercier ma famille et mes amis dont le soutien a été pré-
cieux. En particulier, le soutien du sinpou, Elsa Vavasseur, a été primordial à l’accomplissement
de cette thèse. Sa compréhension lors de mes nuits de travail, son soutien à tout épreuve et son
Amour ont permis à cette thèse d’en arriver là aujourd’hui.
iiTable des matières
Introduction générale 1
I Contexte médical et problématiques de segmentation 5
1 - 1 Le cœur : anatomie et imagerie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1 - 1.1 Structure et vascularisation du cœur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1 - 1.2 Imagerie cardiaque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1 - 2 Evaluation de la fonction contractile cardiaque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1 - 2.1 Pourquoi recourir à l’IRM ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1 - 2.2 Méthodes de mesure de la fonction contractile du VG . . . . . . . . . . . 14
1 - 2.3 Méthodes de mesure de la fonction contractile du VD . . . . . . . . . . . 17
1 - 3 Problématiques de segmentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
1 - 3.1 Difficultés liées à l’acquisition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
1 - 3.2 Difficultés inhérentes aux images . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
1 - 4 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
II Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules cardiaques en
IRM 29
2 - 1 Segmentation du VG et du VD : état de l’art . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
2 - 1.1 Méthodes sans a priori ou avec un a priori faible de forme . . . . . . . . 30
2 - 1.2 Méthodes avec un a priori fort de forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
2 - 1.3 Comparaison des méthodes, résultats et étude des erreurs . . . . . . . . . 38
2 - 1.4 Choix d’une méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
2 - 2 Méthode des coupes de graphe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
iiiTable des matières
2 - 2.1 Modèle d’énergie d’une coupe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
2 - 2.2 Segmentation binaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
2 - 2.3 Segmentation multi-labels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
2 - 2.4 Algorithmes de recherche de coupe minimum . . . . . . . . . . . . . . . . 54
2 - 2.5 Intégration d’a priori . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
2 - 3 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
III Segmentation binaire par coupes de graphe avec un modèle de forme statistique
61
3 - 1 Représentation d’un modèle statistique de forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
3 - 1.1 Représentation des formes basée sur la fonction distance . . . . . . . . . 63
3 - 1.2 Comparaison des modèles de forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
3 - 1.3 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
3 - 2 Méthode de segmentation binaire par coupes de graphe avec a priori de forme . 68
3 - 2.1 Création d’un a priori de forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
3 - 2.2 Intégration au graphe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
3 - 3 Resultats expérimentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
3 - 3.1 IRM cardiaques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
3 - 3.2 Construction du modèle de forme et paramétrisation . . . . . . . . . . . 74
3 - 3.3 Résultats de segmentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
3 - 4 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
IV Segmentation par GC multi-labels intégrant des a priori de forme 81
4 - 1 Segmentation avec atlas multi-labels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
4 - 1.1 Recalage des atlas par coupes de graphe . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
4 - 1.2 Création du modèle de forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
4 - 1.3 Segmentation multi-labels par coupes de graphe . . . . . . . . . . . . . . 86
4 - 2 Résultats expérimentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
4 - 2.1 Sélection automatique d’une région d’intérêt . . . . . . . . . . . . . . . . 88
4 - 2.2 Base d’atlas et sélection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
4 - 2.3 Paramétrisation et implémentation de la méthode . . . . . . . . . . . . . 92
4 - 2.4 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
4 - 3 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
ivTable des matières
V Comparaison des méthodes : challenge MICCAI 2012 103
5 - 1 Données et mesures d’évaluation du challenge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
5 - 1.1 Base segmentée d’IRM cardiaques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
5 - 1.2 Méthodologie d’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
5 - 2 Challenge et méthodes participantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
5 - 2.1 Préparation des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
5 - 2.2 Méthodes participantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
5 - 3 Résultats et comparaisons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
5 - 3.1 Performances techniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
5 - 3.2 Performances cliniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
5 - 3.3 Comparaisons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
5 - 4 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Conclusion générale et perspectives 125
Liste des publications 129
Annexe 131
A.1 Volumétrie du VG : compléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
A.1.1 Appréciation semi-quantitative du VG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
A.1.2 Méthode planaire 2D grand-axe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
Références bibliographiques 135
vTable des matières
viIntroduction générale
Les maladies cardiovasculaires sont la principale cause de décès dans les pays occidentaux
[1]. Parmi les troubles cardiaques les plus fréquents, il est possible de citer l’hypertension pulmonaire,
les maladies coronaires, les dysplasies ou encore les cardiomyopathies. Afin de détecter
ces pathologies ou réaliser leur suivi, il est nécessaire d’évaluer la fonction cardiaque. Or l’Imagerie
par Résonance Magnétique (IRM) est l’outil standard dans l’évaluation de la fonction
contractile cardiaque gauche et droite [2, 3]. Afin de déterminer ses différents paramètres cliniques,
tels que les volumes ventriculaires ou la fraction d’éjection, la segmentation des cavités
ventriculaires gauche (VG) et droite (VD) est nécessaire. Bien que des solutions existent pour
la segmentation du VG, la segmentation du VD est plus difficile et est actuellement effectuée
manuellement en routine clinique. Cette tâche, longue et fastidieuse, nécessite en moyenne 20
minutes pour un expert et est sujette à la variabilité intra et inter-expert. Parmi les difficultés
principales de cette application, on peut noter (i) le flou aux frontières des cavités ventriculaires
du fait de la circulation sanguine, (ii) des artefacts d’acquisition et de l’effet de volume partiel,
ainsi que la présence de trabéculations (irrégularités) dans le VD, qui ont le même niveau de
gris que le myocarde environnant, (iii) la forme en croissant du VD, complexe et qui varie fortement
en fonction du patient et du niveau de coupe d’imagerie. L’objectif est ainsi de réaliser
la segmentation des ventricules cardiaques en IRM.
En segmentation d’images, les méthodes fondées sur les coupes de graphe (GC, Graph Cut)
ont suscité un fort intérêt depuis l’article de Boykov et Jolly [4]. En s’appuyant sur des algorithmes
issus de la communauté combinatoire, elles permettent d’optimiser des fonctions de
coût de manière globale, et ainsi d’éviter les minima locaux. Or dans notre application, la
forme à segmenter est connue a priori. Le processus de segmentation peut ainsi être guidé par
1Introduction générale
un modèle de forme ou des contraintes sur celle-ci. Pour des images ayant un contraste faible
ou un taux de bruit élevé, une telle contrainte permet d’améliorer la précision de la segmentation.
Les modèles de formes basés sur une analyse en composantes principales ou sur des atlas
ont été largement étudiés. Ces modèles ont montré leur capacité à capturer la variabilité des
formes. Bien que la méthode des coupes de graphe ait la capacité de donner efficacement une
solution optimale pour l’utilisation conjointe de différentes informations sur l’image, à ce jour,
les travaux de segmentation par coupe de graphe en prenant en compte des formes a priori sont
encore peu nombreux dans la littérature. Deux problèmes se posent en effet : la modélisation
de la forme de l’objet à segmenter et son intégration dans l’algorithme de coupe de graphe.
L’objectif de cette thèse est de concevoir et développer des méthodes de segmentation à
base de coupes de graphe, graphe dans lequel est intégré un a priori de forme statistique, afin
de l’appliquer à la segmentation des ventricules en IRM cardiaque. Les méthodes que nous
proposons peuvent bien sûr être utilisées afin de segmenter d’autres objets, dans le cas où des
connaissances a priori sont disponibles.
Afin d’utiliser ces connaissances a priori à travers la construction d’un modèle statistique
de forme, le choix d’un espace de représentation des formes est nécessaire. Le modèle de distribution
de points (PDM, Point Distribution Model) [5] est la représentation la plus largement
utilisée dans la littérature. Cette représentation explicite consiste à représenter les objets par
un nombre fini de points de correspondance. Nous avons cependant fait le choix d’utiliser une
représentation implicite, la distance minimale au contour de l’objet (SDF, Signed Distance
Function). Nous montrerons que cette représentation permet de modéliser correctement les variabilités
des formes, sans nécessiter la mise en place de points de correspondance et de leur
alignement, tout en étant plus robuste que le PDM à un désalignement initial des formes. Notre
première contribution consiste en une méthode de segmentation : (i) un modèle de forme sera
défini à partir d’une Analyse en Composantes Principales (ACP) permettant de représenter les
variabilités du VD par rapport à la moyenne de l’ensemble d’apprentissage, (ii) une carte d’a
priori de forme sera créée à partir de ce modèle, afin de l’intégrer au graphe des GC binaires,
à partir de l’ajout de termes originaux d’a priori de forme dans la fonctionnelle d’énergie du
graphe. Nous montrerons que cette première méthode permet d’obtenir une bonne efficacité de
segmentation du VD sur IRM cardiaques.
Cependant, certaines applications nécessitent la segmentation conjointe de plusieurs objets
au sein d’une même image. Par exemple sur IRM cardiaques, le ventricule droit et le ventricule
2Introduction générale
gauche sont tous les deux visibles et proches, et leurs contours présentent un contraste faible
et peuvent être bruités. Une segmentation du VD peut déborder vers le VG (et vice-versa),
l’intégration d’un modèle de l’ensemble de ces objets à la méthode de segmentation permet
de résoudre ce problème. Notre méthode précédente n’est pas adaptée à ce type de situation
pour plusieurs raisons : (i) la représentation par SDF ne permet pas de différencier plusieurs
objets, auquel cas il faudrait construire un modèle par objet, rendant laborieux le traitement
des conflits entre les différentes modélisations, (ii) les GC binaires doivent être remplacés par
les GC multi-labels, nécessitant des modifications à l’intégration de termes d’a priori de forme
au graphe. Afin de représenter judicieusement les formes des différents objets, nous constituerons
un ensemble d’images labellisées par un expert, appelé également un ensemble d’atlas. Un
recalage non-rigide de cet ensemble d’atlas sur l’image à segmenter sera réalisé à partir de la
méthode des GC multi-labels, une technique récente qui n’a pas encore été très étudiée. A la
suite de ce recalage, des cartes d’a priori de forme pour chaque objet seront créées à partir de
la fusion des atlas recalés. Nous intégrerons dans le graphe un terme déduit des cartes précé-
demment construites, ainsi qu’une contrainte topologique de position des objets entre eux. Nos
contributions principales quant à cette méthode reposent sur l’intégration d’a priori de forme
à la méthode des GC multi-labels, ce qui à notre connaissance n’a pas été réalisée dans la litté-
rature dans le cas multi-objets. Nous montrerons que cette seconde méthode permet d’obtenir
une bonne efficacité de segmentation d’un ensemble d’objets.
La suite de ce mémoire est ainsi articulée autour de 5 chapitres :
– Le chapitre I présente le contexte médical. Nous verrons tout d’abord quelques notions
sur l’anatomie du cœur ainsi que les différentes modalités permettant sa visualisation par
imagerie. Nous montrerons que l’IRM est l’outil standard dans la détermination de la fonction
contractile cardiaque, malgré un besoin de contourage manuel ou semi-automatique
du contour des ventricules. Ce chapitre montre également que cette tâche de contourage
n’est pas aisée, due à un certain nombre de difficultés inhérentes aux images, posant la
problématique de nos travaux.
– Le chapitre II présente un état de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
gauche et droit. Les méthodes sont catégorisées selon l’ajout ou non d’un a priori de
forme. Les méthodes sans a priori ou avec un a priori faible sont globalement basées sur les
intensités de l’image, sur la classification de pixels ou sur les approches variationnelles, et
les méthodes utilisant un a priori fort utilisent généralement les modèles déformables, les
modèles actifs de forme et d’apparence, ou les méthodes à base d’atlas. Une comparaison
des résultats obtenus par ces méthodes justifiera le choix de l’utilisation d’un a priori de
3Introduction générale
forme statistique, et son intégration à la méthode des coupes de graphe. Le cadre général
de la méthode des GC sera alors présenté, à la fois dans le cas binaire et dans le cas
multi-labels. Nous présenterons également l’état de l’art actuel quant à l’intégration d’a
priori de forme à cette méthode.
– Le chapitre III présente notre première contribution, permettant la segmentation d’un
unique objet. Cette première méthode est dédiée à la segmentation du VD, cette tâche
étant la plus difficile et la moins traitée dans la littérature. Une première partie est
consacrée à la comparaison de deux représentations des formes pour la modélisation : une
représentation explicite par correspondance de points et une représentation implicite par
carte de distances signées. Issue de cette comparaison, nous avons défini un modèle de
forme basé sur la carte des distances. Notre but est alors d’intégrer ce modèle à la méthode
des coupes de graphe, sans la nécessité d’un procédé itératif. Or il est difficile d’intégrer
directement le modèle dans le graphe. C’est pourquoi une carte a priori est créée à partir
de ce modèle et intégrée directement dans les pondérations du graphe. Nous montrerons
que cette méthode permet d’obtenir une bonne efficacité de segmentation du VD sur IRM
cardiaque.
– Le chapitre IV présente notre seconde contribution, permettant la segmentation conjointe
de plusieurs objets. En effet, sachant que les deux ventricules sont visibles sur les images
et que leurs contours peuvent présenter un contraste faible et être bruités, l’intégration
d’un modèle de l’ensemble de ces objets à la méthode de segmentation permet de résoudre
ce problème. Plus précisément, un ensemble d’atlas est créé avec la labellisation par un
expert du VD, du VG et du myocarde. Les atlas sont tout d’abord recalés sur l’image à
segmenter et combinés afin de construire un modèle probabiliste de forme à 4 labels (VG,
VD, myocarde et fond). Ce modèle est alors intégré à la méthode des coupes de graphe
multi-labels afin de réaliser la segmentation du VD, du VG et du myocarde de manière
totalement automatique. Cette méthode permet également l’obtention de bons résultats
pour les différents objets considérés.
– Nos deux contributions sont comparées aux méthodes de l’état de l’art à partir du challenge
de segmentation MICCAI’12 au chapitre V. Ce challenge que nous avons organisé
propose une importante base labellisée d’IRM cardiaques composée de 48 patients, ainsi
que des mesures d’évaluation technique et clinique permettant une comparaison honnête
des méthodes sur cette application difficile. Nous montrerons l’efficacité de nos méthodes,
à la fois à travers l’évaluation technique et clinique des résultats.
Enfin, la conclusion générale synthétisera les résultats obtenus ainsi que les perspectives envisageables
à ces travaux.
4Chapitre I
Contexte médical et problématiques de
segmentation
Ce chapitre est consacré à l’anatomie du cœur ainsi qu’à sa visualisation par imagerie. Dans
une première partie sont présentées les caractéristiques physiques du cœur, ainsi que les modalités
principales de l’imagerie cardiaque. Dans une seconde partie, nous verrons l’importance de
l’IRM dans la détermination de la fonction contractile cardiaque, malgré un besoin de contourage
manuel ou semi-automatique. Dans une dernière partie, nous montrerons que cette tâche
de contourage n’est pas aisée, due à un certain nombre de difficultés inhérentes aux images,
posant la problématique de nos travaux.
1 - 1 Le cœur : anatomie et imagerie
Le cœur est un organe creux et musculaire servant de pompe au système circulatoire, i.e.
permettant la circulation du sang vers les vaisseaux sanguins et les divers organes du corps
à partir de contractions rythmiques. Le cœur est ainsi un système complexe que nous allons
aborder dans cette partie.
1 - 1.1 Structure et vascularisation du cœur
Le cœur est un muscle qui a pour fonction de faire circuler le sang dans l’organisme en
agissant comme une pompe par des contractions rythmiques. Il est situé dans le médiastin
antéro-inférieur, 2/3 à gauche et 1/3 à droite de la ligne médiane. Légèrement plus petit pour
une femme que pour un homme, il mesure en moyenne chez ce dernier 105 mm de largeur,
98 mm de hauteur, 205 mm de circonférence et pèse en moyenne chez l’adulte de 300 à 350
grammes. Ces dimensions sont sujettes à des augmentations en cas de pathologies cardiaques.
Le cœur est composé de quatre chambres appelées cavités cardiaques (Figure I.1) : deux cavités
5Chapitre I. Contexte médical et problématiques de segmentation
1. Atrium droit 5. Artère pulmonaire 9. Ventricule gauche 13. Valve sigmoïde
2. Atrium gauche 6. Veine pulmonaire 10. Ventricule droit 14. Septum interventriculaire
3. Veine cave supérieure 7. Valve mitrale 11. Veine cave inférieure 15. Piliers
4. Aorte 8. Valve aortique 12. Valve tricuspide
Figure I.1 – Schématique (à gauche, sous licence GFDL) et anatomie du cœur (à droite, d’après [6]).
droites, l’atrium (ou oreillette) droite (AD) et le ventricule droit (VD) et deux cavités gauches,
l’atrium gauche (AG) et le ventricule gauche (VG). Les cavités droite et gauche sont séparées
par une cloison musculaire épaisse, le septum atrio-ventriculaire. Celui-ci permet d’éviter le
passage du sang entre les deux moitiés du cœur. Les atria sont reliés aux ventricules par l’intermédiaire
de valves qui assurent un passage unidirectionnel et coordonné du sang des atria
vers les ventricules : la valve mitrale à gauche et la valve tricuspide à droite. Un muscle, appelé
myocarde, entoure ces quatre cavités. Il est lui-même entouré d’une membrane, le péricarde.
La paroi interne du myocarde est appelé endocarde, la paroi externe l’épicarde. La partie haute
du cœur est appelée base, sa pointe est appelée apex. Deux axes sont souvent utilisés pour sa
représentation : l’axe apex-base, appelé grand axe, et le plan lui étant perpendiculaire, appelé
petit axe (Figure I.2).
Les deux parties gauche et droite du cœur fonctionnent en parallèle durant le cycle cardiaque.
Au repos, ce dernier dure environ 800 ms (75 battements par minute). La contraction des
ventricules vide dans les artères un débit de sang de l’ordre de 5 à 6 litres par minute. Chaque
battement entraîne une succession d’événements appelée révolution cardiaque, consistant en
trois étapes majeures : la systole auriculaire, la systole ventriculaire et la diastole. Voici leurs
définitions :
(i) Pendant la systole auriculaire, la contraction des atria entraîne l’éjection du sang vers les
6I.1 - 1 Le cœur : anatomie et imagerie
Figure I.2 – Géométrie du ventricule gauche (VG) et du ventricule droit (VD) (d’après [7]).
ventricules : on parle de remplissage actif des ventricules. A la suite de ce remplissage, les
valves auriculo-ventriculaires se ferment, ce qui produit le son familier du battement du
cœur. Le sang continue d’affluer vers les atria bien que les valves soient fermées, ce qui
permet d’éviter tout reflux de sang (Figure I.3-(a)).
(ii) Pendant la systole ventriculaire, les ventricules se contractent afin d’expulser le sang vers
le système circulatoire. Tout d’abord, les valves sigmoïdes sont fermées brièvement, puis
s’ouvrent dès que la pression à l’intérieur des ventricules est supérieure à la pression
artérielle. Après l’expulsion du sang, les valves sigmoïdes (valve aortique à gauche et valve
pulmonaire à droite) se ferment afin de l’empêcher de refluer vers les ventricules. Cette
action provoque un deuxième son cardiaque, plus aigu que le premier. La pression sanguine
augmente à la suite de cette étape (Figure I.3-(b)).
(iii) Enfin, la diastole est l’étape où toutes les parties du cœur sont totalement relaxées, ce
qui permet le remplissage passif des ventricules à partir des veines cave et pulmonaire en
passant par les atria gauche et droit : ces derniers se remplissent doucement et le sang
s’écoule alors dans les ventricules. Ce remplissage concerne plus de 80% de la capacité
totale dans les conditions usuelles (Figure I.3-(a)).
Au repos, la diastole dure environ 60% du cycle cardiaque et la systole 40% du cycle cardiaque.
Les termes protosystole et télésystole (respectivement protodiastole et télédiastole) désignent
le début et la fin de la systole (respectivement diastole).
7Chapitre I. Contexte médical et problématiques de segmentation
(a) Diastole et systole auriculaire (b) Systole ventriculaire
Figure I.3 – Illustration de la diastole, systole auriculaire et ventriculaire (sous licence GFDL).
Les ventricules cardiaques ont ainsi pour fonction de pomper le sang vers le corps (VG) ou
vers les poumons (VD). Par conséquent, leurs parois sont plus épaisses que celles des atria, et
leur rôle de distribution du sang leur confère une contraction bien plus importante. Le VG est
également plus développé (muscle plus important, paroi plus épaisse) que le VD. En effet, le VG
est considéré comme la chambre pompante principale puisqu’il doit être capable d’envoyer le
sang à l’organisme entier, lorsque le VD ne dessert que les poumons : la pression sanguine dans
l’aorte est environ quatre fois plus importante que dans l’artère pulmonaire. D’autres éléments
d’anatomie cardiaque peuvent être retrouvés dans les annexes de [8].
Le cœur repose sur différents mécanismes intercorrélés, qui doivent être pris en compte
lors de son exploration et sa visualisation. La section suivante 1 - 1.2 va présenter différentes
modalités d’imagerie cardiaque utilisées en routine clinique et en recherche.
1 - 1.2 Imagerie cardiaque
Le diagnostic, les soins, la thérapeutique sont autant de nécessités à l’imagerie cardiaque.
Le cœur étant un organe complexe, il est nécessaire de déterminer des plans de coupe permettant
une bonne visualisation de cet organe. Pour l’imagerie en coupe en radiologie, les
incidences orthogonales, i.e. transverses (ou axial), sagittales et frontales (ou coronales) sont
habituellement utilisées. Par définition, les coupes transverses sont des vues par dessous (avec
8I.1 - 1 Le cœur : anatomie et imagerie
le côté droit du patient à gauche de l’image et la face antérieure en haut), les coupes frontales
sont des vues par devant (côté droit du patient à gauche de l’image, direction craniale
en haut) et les coupes sagittales sont des vues de côté (direction craniale en haut mais face
antérieure à gauche ou à droite). Cependant, ces coupes ne sont pas les plus pertinentes pour
l’étude du cœur. Les orientations spécifiques indispensables à la visualisation du cœur sont
les plans de coupe obliques, orientés selon la direction du ventricule gauche. Cet ensemble de
plan de coupe standard a été défini en 2002 par la Société Américaine de Cardiologie (AHA)
[9]. En effet, le choix de l’orientation ou même encore l’épaisseur des plans de coupe restaient
jusqu’alors sujettes au choix du radiologue, ce qui pouvait résulter en des difficultés de comparaison
entre les différentes modalités d’imagerie, et même pour une même modalité. Les trois
incidences fondamentales définies consistent en un système de plans orthogonaux deux à deux :
l’incidence sagittale oblique ou grand axe vertical, l’incidence transverse oblique appelé grand
axe horizontal ou encore 4 cavités, et l’incidence petit axe. Ces différents plans sont illustrés
à la Figure I.4. Selon cette même standardisation, l’épaisseur de coupe ne doit pas excéder 1 cm.
Différentes modalités d’imagerie permettent d’obtenir ces différents plans de coupe. Nous
allons présenter dans cette partie les plus couramment utilisées en routine clinique.
L’échocardiographie est une échographie du cœur. Cet examen est le plus communément
utilisé en cardiologie. Il consiste en l’application d’une sonde d’échographie recouverte d’un gel
(qui permet un meilleur passage des ultrasons à travers la peau) sur la peau du patient en
des zones précises constituant les fenêtres d’échographie. Cet examen est totalement indolore
et dure de dix minutes à une demi-heure. Il permet de déterminer les volumes ventriculaires,
le volume des atria, de diagnostiquer des anomalies ou épaississement du septum, de visualiser
et vérifier la mobilité et l’épaisseur des quatre valves cardiaques, de même pour les parois
cardiaques [10]. Cependant, l’échocardiographie souffre de certaines limitations : (i) l’air et les
os ne transmettant pas les ultrasons, les fenêtres de visualisation peuvent être très réduites,
voire inexistantes, et se limiter à certaines incidences (en particuliers chez les sujets obèses,
très maigres ou souffrant d’une maladie pulmonaire), (ii) la résolution des images est médiocre,
(iii) les résultats peuvent varier en fonction du plan de coupe choisi, l’examen dépend donc de
l’expérience de l’expert. Des images de meilleures qualités peuvent être obtenues à partir d’une
échographie trans-œsophagienne, qui consiste à introduire par l’œsophage une sonde ultrasonore.
Les structures postérieures du cœur (valves et atria en particulier) sont mieux définies sur
les images. Cependant, cet examen invasif est difficile à supporter pour le patient et demande
plus de temps (préparation et examen).
9Chapitre I. Contexte médical et problématiques de segmentation
Figure I.4 – Illustration des plans de coupe petit axe, grand axe vertical et grand axe horizontal (d’après
[7]).
Le scanner cardiaque est un scanner thoracique avec injection de produit de contraste
[11]. Il consiste en un tube délivrant des rayons X et effectuant une rotation continue permettant
l’exploration d’un volume. Les données recueillies permettent la reconstruction de ce volume
en une image en deux ou trois dimensions. L’acquisition des images par le scanner dure 10 à 15
secondes, pendant laquelle le patient doit réaliser une apnée. La qualité des images est corrélée
au rythme cardiaque qui doit être lent et régulier pour une qualité optimale. Cet examen permet
l’obtention des différents plans de coupe cardiaques et d’accéder à la fonction contractile
cardiaque. Cependant, dans la plupart des cas, il est utilisé pour diagnostiquer les maladies coronaires,
bien que l’examen de référence soit la coronarographie, un examen médical invasif
(introduction d’une sonde) et utilisant la technique de radiographie aux rayons X avec injection
d’un produit de contraste iodé. Le scanner cardiaque permet une bonne visualisation des gros
troncs coronaires mais sa qualité de visualisation des artères distales reste médiocre. De plus, il
10I.1 - 2 Evaluation de la fonction contractile cardiaque
n’est pas complètement non invasif : il délivre des radiations ionisantes nettement supérieures
à celles d’une coronarographie et nécessite l’utilisation de produit de contraste allergisant et
toxique pour le rein de patients présentant une insuffisance rénale. Enfin, cet examen ne permet
pas de traiter directement les artères malades.
L’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) cardiaque est l’examen radiologique de
référence pour l’exploration du muscle cardiaque [11]. C’est un examen non invasif permettant
d’obtenir des vues 2D ou 3D avec une résolution en contraste relativement élevée. Elle a
l’avantage de ne pas délivrer de radiations mais nécessite l’injection d’un produit de contraste
au patient, celle-ci étant peu risquée mais coûteuse et contraignante, et requérant une voie
veineuse. L’IRM anatomique (ciné-IRM) permet d’avoir accès à des informations sur la ciné-
matique des parois endo- et épicardiques. Des variantes de l’IRM conventionnelle permettent
également une étude précise de la fonction segmentaire transmurale (en particulier l’IRM de
marquage et l’IRM à contraste de phase), ce qui n’est réalisable par aucun autre examen [12].
Des précisions sur l’imagerie par résonance magnétique, son principe ainsi que ses spécificités
dans le cas de l’IRM cardiaque, peuvent être trouvées en [7].
Ainsi, l’apport de l’IRM conventionnelle en diagnostic cardiaque est intéressant (Figure
I.5) : celle-ci permet par exemple de préciser la sévérité et la localisation de pathologies en cas
d’échec de l’échocardiographie chez les patients peu échogènes. De plus, elle permet de mesurer
directement et précisément des paramètres de la fonction contractile cardiaque (fraction d’éjection
à partir des volumes, voir Section 1 - 2 ). Nous verrons dans la section suivante comment
obtenir ces paramètres à partir des séquences ciné-IRM. Enfin, cet examen est totalement non
invasif.
1 - 2 Evaluation de la fonction contractile cardiaque
Les maladies cardiovasculaires sont la principale cause de décès dans les pays occidentaux
[1, 13]. L’étude de la fonction contractile cardiaque permet l’évaluation de la fonction du cœur
(sain ou pathologique), et est ainsi nécessaire à la prévention d’accidents cardiaques. L’Imagerie
par Résonance Magnétique permet d’obtenir des informations anatomiques et fonctionnelles
précises et est une modalité de plus en plus utilisée comme un outil standard dans l’évaluation
du ventricule gauche [14] et du ventricule droit [2, 3]. Cette section va ainsi s’intéresser à la
segmentation du cœur en IRM cardiaque, et plus précisément accéder à la volumétrie et donc
11Chapitre I. Contexte médical et problématiques de segmentation
Figure I.5 – Images RM cardiaques (d’après Petitjean [7]).
aux indices de la fonction contractile cardiaque du VG et du VD dans un but de diagnostic.
Les différents indicateurs classiques de la fonction contractile cardiaque sont l’index de volume
télédiastolique (IVTD) en ml/m2
, l’index de masse ventriculaire (IMV) en g/m2
, le volume
éjecté et la fraction d’éjection F E définie par :
F E =
Vdiastole − Vsystole
Vdiastole
(I.1)
Les volumes absolus des ventricules peuvent également être intéressants dans le suivi longitudinal
de certains patients, en particulier pour le VD, dans le cas de pathologies congénitales peu
stéréotypées comme la tétralogie de Fallot. Différentes techniques d’évaluation de la fonction
contractile cardiaque gauche et droite vont être abordées, basées sur [15]
1
.
1 - 2.1 Pourquoi recourir à l’IRM ?
L’échocardiographie est l’examen de référence pour l’étude de la fonction cardiaque. En
effet, cet examen est aisé à réaliser, peu coûteux, sans contre-indication, indolore, non invasif
et permet de choisir immédiatement la mesure thérapeutique adaptée. Cependant, pour l’étude
du VG, et plus encore pour le VD, cette modalité souffre de deux limitations principales : (i)
le champ d’exploration peut être restreint selon l’échogénicité des patients, (ii) la capacité de
quantification est limitée, surtout en cas de déformation des ventricules par une pathologie (par
exemple infarctus). En effet, l’estimation du volume du VG en échocardiographie 2D repose sur
1. www.irmcardiaque.com
12I.1 - 2 Evaluation de la fonction contractile cardiaque
une modélisation, soit ellipsoïde de révolution pour la méthode surface-longueur, soit comme
une pile de disques de diamètres définis par le petit axe depuis la base jusqu’à l’apex pour la
méthode Simpson. Ces modélisations impliquent une forte variabilité dans les résultats du fait
des imprécisions inhérentes. L’échocardiographie 3D n’a pas besoin de ces modélisations mais
n’est pas d’utilisation courante.
Ainsi, l’IRM est une bonne solution car elle permet de résoudre ces deux problèmes : il n’y
a pas de limitation du champ de vue, et d’autre part la possibilité d’acquisition de l’ensemble
des données 3D rend inutile l’utilisation d’un modèle géométrique. Cependant, la technique
d’acquisition ainsi que les post-traitements nécessaires à la réalisation de la volumétrie 3D est
beaucoup plus fastidieuse, et dépend du médecin. Avant même l’étude quantitative, la qualité
des ciné obtenus dans les 3 plans permet déjà une analyse qualitative de la contraction
globale et segmentaire, et permet une description systématisée des anomalies : selon le territoire
anatomique considéré (antérieur, septal, inférieur, latéral, apical), selon la zone le long du
grand axe (basale, médiane, apicale) et avec des qualifitatifs du plus normal au plus pathologique
(normo, hypo, akinétique, dyskinétique), ce dernier évoquant un mouvement paradoxal
d’expansion du segment pendant la contraction segmentaire. De plus, une nomenclature standardisée
permet une appréciation semi-quantitative de la contraction du VG et l’obtention de
résultats comparables quelque soit le lieu d’examen (voir Section A.1.1 de l’Annexe). Des outils
de quantification plus précis existent cependant, comme nous le verrons partie 1 - 2.2 et 1 -
2.3 .
Afin de réaliser l’étude quantitative de la fonction du VG et du VD, il est nécessaire de
sélectionner la séquence ciné. Depuis le début des années 2000, les séquences ciné SSFP (TE
1.1/TR 2.5) sont utilisées car elles sont plus rapides, ont un meilleur RSB et un meilleur
contraste entre parois et cavités cardiaques que sur les anciennes séquences en Echo de Gradient
(FL2D). Les normes doivent ainsi être établies en fonction de la séquence utilisée. De plus, une
acquisition optimale d’une pile de coupes des volumes ventriculaires est fait de compromis entre
deux exigences contradictoires : la résolution et le temps d’acquisition. La résolution spatiale
utilisée typiquement est une largeur de pixel de 1.5 à 2 mm et une épaisseur de coupe entre 6 et
9 mm (cette épaisseur conditionne le nombre de coupes nécessaires). Concernant la résolution
temporelle, plus celle-ci est résolue, plus on obtient d’images pour un cycle cardiaque et plus
on risque d’observer le plus petit volume réel en systole. Seule la systole peut poser problème,
le temps diastolique étant long une résolution temporelle médiocre permet d’obtenir un volume
proche de la réalité. La résolution temporelle typique est de 50 ms, celle-ci permettant d’obtenir
les instants où le cœur est totalement dilaté (fin de diastole, ED) et totalement contracté (fin de
systole, ES). Concernant le temps d’acquisition, sur les meilleurs appareils utilisés actuellement,
13Chapitre I. Contexte médical et problématiques de segmentation
Figure I.6 – Exemple d’acquisition de 3 coupes en une apnée de 14 secondes, pour une résolution
temporelle de 33 ms et une résolution spatiale d’environ 2 mm (d’après [15]).
seules 3 à 4 apnées de 15 secondes sont nécessaires à l’obtention de la volumétrie cardiaque
complète. Un exemple d’acquisition est donné à la Figure I.6.
Ces acquisitions réalisées, il est possible de réaliser des mesures de la fonction contractile du
VG ainsi que du VD afin de détecter d’éventuelles pathologies. Différentes techniques existent,
que nous allons détailler dans la suite de cette partie.
1 - 2.2 Méthodes de mesure de la fonction contractile du VG
La première étape consiste à déterminer les 2 dimensions de base du VG qui se mesurent sur
l’incidence 4-cavités en diastole : (i) l’épaisseur des parois, plus précisément la portion médiane
du septum, qui est normalement de 10 à 11 mm et qui au-dessus de 12 mm est considérée
comme une hypertrophie pariétale, (ii) le diamètre du VG en dessous des valves mitrales, qui
est normalement de l’ordre de 50 mm et qui au-delà de 56 mm est considéré comme une
dilatation du VG pour un patient de corpulence normale (en petit axe, avec la forme elliptique
du VG, la limite du diamètre verticale est de 60 mm). La Figure I.7 illustre l’obtention de ces
mesures.
L’étape suivante consiste à quantifier les volumes ventriculaires gauches. Deux méthodes
14I.1 - 2 Evaluation de la fonction contractile cardiaque
Diamètre diastolique en grand axe Diamètre diastolique en petit axe
Figure I.7 – Illustration de l’obtention des dimensions de base du VG (en haut), exemple du diamètre
du VG en grand axe et petit axe (en bas) avec un diamètre vertical de 53 mm et horizontal de 42 mm
(d’après [15]).
différentes sont disponibles :
Méthode planaire 2D grand axe : Deux principes de quantification peuvent être utilisés
sur les coupes grand axe, la méthode ’surface-longueur’ et la méthode Simpson. La Section A.1.2
de l’Annexe présente ces deux techniques. Ces méthodes sont beaucoup moins précises que la
méthode 3D que nous allons détailler dans la suite, puisqu’elles reposent sur une modélisation
du ventricule.
Volumétrie 3D petit axe : L’incidence petit axe est l’incidence privilégiée pour l’étude
du VG, et nécessite en moyenne 8 à 10 coupes jointives de 8 mm d’épaisseur pour obtenir la
cavité ventriculaire de la base à l’apex (Figure I.8). Le principe de calcul du volume sur cette
incidence est similaire à celui de la méthode de Simpson illustrée à la Figure A.2 (Annexe,
Section A.1.2 ), à la différence que les contours de chaque disque sont tracés sur des coupes
petit axe réellement acquises et ne repose plus sur un modèle géomètrique : la méthode 3D
offre une volumétrie vraie. Les contours endocardique et épicardique (Figure I.9) peuvent être
tracés manuellement ou à l’aide d’un logiciel semi-automatique, avec par convention les piliers
15Chapitre I. Contexte médical et problématiques de segmentation
exclus du contourage myocardique (donc inclus dans le volume ventriculaire), ce qui entraîne
une sous-estimation de la masse du VG d’environ 9% par rapport à la masse effective [16], mais
une meilleure reproductibilité des tracés. L’opération de tracé, fastidieuse, peut se limiter au
volume diastolique et systolique afin d’accéder à la fraction d’éjection. Il est également possible
à l’aide de tracés semi-automatisés de réaliser la segmentation sur l’ensemble des images de
la série et disposer de la courbe temps-volume (Figure I.9). Cette dernière permet d’accéder
aux vitesses maximales d’éjection et de remplissage par sa dérivée. Une difficulté réside dans
l’exclusion des coupes extrêmes en systole : le plan valvulaire mitral et tricuspidien se déplace
vers l’apex du ventricule pendant la systole, alors que l’apex ne bouge pas. Des problèmes de
reproductibilité des mesures peuvent se poser si deux observateurs ne choisissent pas le même
plan de coupe comme plan basal. Concernant le plan apical, les observateurs sont en général
concordants. Le plan mitral donnant la première coupe basale de la cavité du VG en diastole
peut ainsi contenir une portion de l’oreillette gauche en systole (Figure I.10). Un problème similaire
peut également intervenir à l’apex bien que les observateurs soient en général concordants
sur le plan apical. Ces coupes problématiques doivent être exclues du calcul volumique, car elles
peuvent entrainer de fortes erreurs de calcul. Leur détection est cependant relativement aisée,
car la couronne myocardique est de l’ordre de 1 cm dans le myocarde VG alors qu’elle n’est que
de l’ordre de 3 mm pour l’oreillette gauche. Il peut également arriver que le tracé du myocarde
ne soit pas elliptique mais en croissant latéro-basal lorsque la racine aortique apparaît sur la
coupe basale.
A partir des tracés précédemment effectués, il est possible de réaliser une volumétrie du VG
permettant d’accéder aux différents indicateurs de la fonction contractile cardiaque : IVTD,
IMV, volume éjecté et fraction d’éjection F EV G. Ceux-ci doivent alors être comparés aux
valeurs dites normales. Ces valeurs sont variables dans la littérature, car elles dépendent de
facteurs physiologiques : taille et surface corporelle (d’où l’utilisation de valeurs indexées),
sexe (valeurs supérieures chez l’homme), âge (supérieures entre 20 et 45 ans qu’après 45 ans),
l’ethnie (africains > hispaniques > caucasiens > asiatiques), l’entrainement physique (chez les
athlètes : IVTD supérieure de 21%, IMVG supérieure de 42% [17, 18]), mais également de
facteurs méthodologiques : mesures sur coupes grand axe ou petit axe (IVTD beaucoup plus
grand avec l’approche ’surface-longueur’ qu’avec la volumétrie 3D petit axe, qui est beaucoup
plus précise), le type d’Echo (IVTD et IMVG : Echo de Spin en sang noir (BB) > Echo de
Gradient classique > SSFP), selon le type d’apnée et si elle est réalisée, selon l’exclusion des
piliers ou non (9.6% de différence [16]). Des valeurs normales peuvent être trouvées dans la
littérature pour l’IVTD et l’IMVG en volumétrie 3D petit axe selon le type d’Echo : ciné EG
16I.1 - 2 Evaluation de la fonction contractile cardiaque
Figure I.8 – Exemple de 5 coupes petit axes où seront tracés les contours endocardiques (d’après [15]).
non SSFP [19], ciné EG SSFP [17] ou encore Turbo spin-écho [20]. Pour ces mêmes auteurs, le
volume d’éjection systolique est de l’ordre de 50 à 60 ml/m2 pour l’homme et 40 à 50 ml/m2
chez la femme, et les normes de fraction d’éjection F EV G sont uniformes : NF E = 56 à 75%.
On observe des variations très importantes selon la méthode IRM utilisée mais également entre
les normes échographique et IRM (l’IMVG normal en échographie TM est de 120 g/m2 alors
qu’elle est de 90 g/m2
en IRM SSFP). Des études sur la variabilité des mesures montrent des
écarts moyens sur l’IMVG de ±8g en IRM contre ±49g en échographie TM [21], et des écarts
types de différences intra-observateur de 9.2g en IRM contre 24g en échographie 2D [22].
1 - 2.3 Méthodes de mesure de la fonction contractile du VD
L’état fonctionnel du VD peut être mesuré à l’aide d’indices fonctionnels, tel que l’indice
TAPSE (Tricuspid Annular Plane Systolic Excursion) quantifiant l’excursion de l’anneau
tricuspidien. Celui-ci se mesure facilement sur des coupes axiales en ciné-IRM (Figure I.11) et
détermine une dysfonction du VD si ce déplacement est inférieur à 15 - 20 mm. Certains indices
du VD ne sont pas accessibles en IRM : c’est le cas par exemple de l’indice TEI correspondant
à la somme des périodes de relaxation et de contraction isovolumique sur la durée de l’éjection
17Chapitre I. Contexte médical et problématiques de segmentation
Figure I.9 – Exemple de tracé endocardique en rouge et épicardique en vert du VG (en haut, diastole
à gauche, systole à droite) et de la courbe du volume du VG et de ses indicateurs de fonction (en bas)
(d’après [15]).
ventriculaire, dont le seuil maximal de normalité est N < 30 à 40%, calculé à partir des courbes
de flux mitral et de flux aortique sur échocardiographie doppler. De nombreux autres indices
fonctionnels sont également accessibles à partir des nouvelles méthodes écho-doppler basées sur
le speckle tracking notamment pour l’étude du synchronisme du VD, alors que sa réalisation en
IRM reste du domaine de la recherche.
Cependant, l’évaluation de la fonction systolique du VD est difficile en échographie. La
fraction d’éjection réelle du VD ne peut être atteinte facilement et seule l’étude de la variation
de surface en coupe 4-cavités médio-ventriculaire permet de réaliser une approche quantitative
de la fonction contractile (avec des valeurs de normalité de 40 à 75%). Cette étude ne prend
pourtant pas en compte toutes les parties du VD, dont l’infundibulum comptant pour 25% du
volume. L’IRM reste le meilleur outil d’analyse du VD afin de quantifier le volume 3D puisqu’elle
n’a aucune limitation de champ de vue et ne nécessite aucune modélisation géométrique
ou mathématique. Deux incidences différentes sont utilisées pour la quantification du VD, pré-
18I.1 - 2 Evaluation de la fonction contractile cardiaque
Figure I.10 – Illustration de l’exclusion de la coupe basale en systole : alors qu’en diastole la rondelle
myocardique est bien définie (en haut), le mouvement du cœur défini par les flèches implique que le myocarde
sort du plan de coupe et on observe alors l’oreillette gauche (OG, en bas) qui doit être exclu du volume
(d’après [15]).
sentant chacune des avantages et des faiblesses, que nous allons détailler :
Approche avec une pile de coupes axiales : Cette approche consiste à réaliser la volumétrie
sur l’ensemble des coupes axiales du cœur. Son avantage repose sur une excellente
identification du plan tricuspidien, ce qui permet de bien définir la cavité ventriculaire pour
ces niveaux de coupe, en diastole comme en systole. Cependant, un fort effet de volume partiel
affecte les coupes extrêmes en haut et en bas. En haut, la valve pulmonaire peut généralement
être identifiée mais également rendre plus difficile le tracé, ce qui n’est objectivement pas critique,
la contribution à la volumétrie du VD étant marginale. Le problème est plus critique à la
partie basse où le plancher du VD peut entrer et sortir du plan de coupe et où, du fait de l’effet
de volume partiel, un mélange des intensités avec la paroi inférieure atténue le signal sanguin.
Le VD est alors plus difficile à segmenter à ce niveau de coupe alors que sa contribution est
significative dans la volumétrie totale du VD. La Figure I.12 présente un exemple de volumétrie
du VD chez un patient présentant un infarctus du VD.
Approche petit axe : Cette approche consiste à réaliser la volumétrie sur l’ensemble des
coupes petit axe du cœur. Sa difficulté réside dans la détection de la coupe basale extrême
19Chapitre I. Contexte médical et problématiques de segmentation
(a) Image diastolique (b) Image systolique (c) Mesure du TAPSE
Figure I.11 – Illustration de mesure de l’indice TAPSE à partir de la superposition de l’image diastolique
(a) et systolique (b) donnée par la double flêche bleue (c) (d’après [15]).
Figure I.12 – Tracé endocardique manuel du VD (diastole en haut, systole en bas) chez un patient
atteint d’un infarctus du VD, dont la coupe la plus basse (coupe numéro 1, à gauche) pose problème au
contourage du fait de l’effet de volume partiel au niveau du plancher ventriculaire (d’après [15]).
du VD, au niveau du plan tricuspidien, qui peut être confondue avec une coupe de l’oreillette
droite. Le même type de problème avait été rencontré pour la coupe basale du VG, mais dans
le cas du VD l’épaisseur de la paroi myocardique ne permet pas de distinguer le VD de l’OD
aussi facilement (si la coupe passe devant ou derrière l’anneau tricuspidien), comme le montrent
les Figures I.13 et I.14. Le choix de la première coupe basale en systole par l’expert doit donc
être l’objet d’une attention toute particulière car le déplacement de l’anneau tricuspidien est
de l’ordre de 20 mm (indice TAPSE présenté précedemment), soit jusqu’à 3 niveaux de coupe.
Puisqu’il n’est pas possible de considérer le même plan basal en systole et en diastole, il faut
donc choisir le plan basal de la systole et le plan basal de la diastole sur les coupes orthogonales
(Figure I.13). Une autre solution consiste à pointer les 2 extrémités de la valve tricuspide et
20I.1 - 2 Evaluation de la fonction contractile cardiaque
Figure I.13 – Illustration du déplacement de l’anneau tricuspidien selon le cycle cardiaque entre la
diastole (en haut) et la systole (en bas). La coupe basale est indiquée par la ligne rouge oblique sur
l’incidence 4-cavités (à gauche) et montre que la coupe passe dans le VD en diastole alors qu’elle est
localisée dans l’OD en systole (d’après [15]).
mitral à tout instant de la révolution cardiaque afin de ne conserver que les volumes de sang
qui sont réellement dans le ventricule (système syngo via de siemens). Malgré ces difficultés,
cette incidence a le grand avantage de permettre l’analyse simultanée des ventricules droit et
gauche et un contourage des ventricules plus aisé que sur l’approche avec une pile de coupes
axiales. Elle reste ainsi l’approche la plus employée en routine clinique pour la mesure de la
fonction contractile cardiaque : dans la suite, nous ne considérerons donc que l’approche petit
axe dans un but de segmentation du VG et du VD. Un exemple de segmentation manuelle des
contours endo- et épicardique du VG, et endocardique du VD est donné à la Figure I.15 sur
l’incidence petit axe en diastole et en systole.
Comme pour le VG, il existe des valeurs normales de volume (IVTD) et de masse ventriculaire
(IMV) droite, qui dépendent des méthodes de mesure. Ces valeurs sont déterminées
par [23] dans le cas de séquence Ciné SSFP (pour des adultes, des normes spécifiques pour les
enfants existent [24]). Par convention, les trabéculations sont exclus du contour, ils sont donc
inclus dans la cavité ventriculaire. On peut noter que les volumes et masses ventriculaires sont
plus élevés chez l’homme que chez la femme, que le volume ventriculaire droit est légèrement
supérieur au gauche mais que sa fraction d’éjection est plus faible. Enfin, la masse ventriculaire
du VD est beaucoup plus faible que celle du VG, d’un facteur 2 à 3.
21Chapitre I. Contexte médical et problématiques de segmentation
Figure I.14 – Exemple de cavité ventriculaire droite à inclure dans la mesure en diastole (en rouge, en
haut) et à exclure en systole car dans la cavité de l’OD (en jaune, en bas) (d’après [15]).
L’IRM est un excellent outil d’étude et de quantification du VG et du VD. Elle permet
d’accéder à la fonction contractile cardiaque à partir d’une volumétrie 3D précise puisque chaque
niveau de coupe est disponible sur cette modalité. De plus, l’utilisation de l’incidence petit axe
a le grand avantage de permettre l’analyse simultanée des deux ventricules cardiaques et est la
plus utilisée en routine clinique. Cependant, cette analyse précise a un coût : elle requiert le
contourage par un expert du VG et du VD sur chaque coupe. Cette tâche n’est pas aisée, due
à certaines caractéristiques des données d’acquisition, ainsi qu’à la qualité des images, et est
coûteuse en temps pour un expert. Compte tenu de la méthode clinique de contourage (semiautomatique
pour le VG et manuel pour le VD), la réalisation de méthodes de segmentation
des ventricules pose une véritable problématique.
1 - 3 Problématiques de segmentation
L’objectif est d’aider à la mesure de la fonction contractile cardiaque en réalisant la segmentation
des ventricules sur les coupes de l’incidence petit axe en IRM. Cette segmentation est
effectuée en 2D sur chaque coupe du fait de la résolution anisotropique de la séquence, comme
nous le verrons dans la suite. Elle doit faire face à un certain nombre de difficultés. Certaines
sont liées aux données d’acquisition, lorsque d’autres sont liées à la nature des images. Cette
partie va présenter les différents problèmes rencontrés à la réalisation de cette tâche.
22I.1 - 3 Problématiques de segmentation
(a)
(b)
Figure I.15 – Segmentation manuelle du VD (en vert) et du VG (endocarde en bleu, épicarde en rouge)
en diastole (a) et systole (b) sur incidence petit axe. Patient 2 de la base du challenge MICCAI’12 (voir
Chapitre V).
1 - 3.1 Difficultés liées à l’acquisition
Grandes variations des formes : Bien que la résolution spatiale des plans de coupe
soit bonne (de l’ordre du millimètre pour un pixel), l’épaisseur des coupes et la distance entre
deux coupes successives sont assez importantes (de 6 à 9 millimètres chacune) : la résolution
d’un volume cardiaque est ainsi anisotropique. Ceci implique de grandes variations des formes
entre deux coupes successives, comme l’illustre la Figure I.16 présentant les différentes coupes
d’un volume cardiaque en fin de systole. Cet écart entre les coupes peut poser problème à un
traitement 3D pour la segmentation. En effet, il est difficile de recréer un volume 3D correct
sans une étape d’interpolation des coupes manquantes. Cependant, les variations très importantes
rendent cette interpolation malaisée et sujette aux erreurs. De plus, le nombre de coupes
varie en fonction de la taille du cœur, et donc du patient. Ces différentes considérations doivent
être prises en compte pour la réalisation de la segmentation, et il semble ainsi plus pertinent
d’effectuer la segmentation en 2D.
23Chapitre I. Contexte médical et problématiques de segmentation
1 2 3 4 5
Figure I.16 – Visualisation des variations entre les coupes successives d’un volume ES (1 : coupe basale
à 5 : coupe apicale). La segmentation a été tracée par un expert : VD (en vert) et VG (endocarde en bleu,
épicarde en rouge).
Effet de volume partiel : Cette épaisseur de coupe a également une autre conséquence
lors de l’acquisition : des erreurs sur les mesures du signal d’IRM, dénommées artefacts de
volume partiel. Ce dernier se produit lorsque le diamètre de l’objet examiné est inférieur à
l’épaisseur de la coupe. Deux phénomènes peuvent alors se produire : le phénomène de coupe
tangentielle et le phénomène de masquage. Le premier provient du signal des structures étroites
et orientées selon l’axe vertical qui sont représentées dans le signal moyen d’un voxel donné par
rapport à celles des structures obliques (ou horizontales) qui sont moins aisément identifiables.
La résolution axiale dans le plan vertical sera ainsi d’autant moins bonne que l’épaisseur de
coupe est élevée. Le second provient des structures fines et situées dans le plan axial transverse
qui ne peuvent être identifiées que si leurs intensités ne diffèrent que très nettement de celles
des structures avoisinantes. Dans le cas contraire, un phénomène de masquage de ces structures
fines se traduit visuellement par un effet optique de flou visuel. Ce phénomène de masquage est
souvent observé pour les coupes apicales [25], comme l’illustre la Figure I.17.
Autres artefacts : Enfin, d’autres artefacts d’acquisition peuvent apparaître, se traduisant
sur les images par des irrégularités dans les intensités ou un flou aux frontières. On peut noter
en particulier les artefacts dus au mouvement : un flou aux frontières des cavités en raison de la
circulation sanguine, ou encore un léger flou global dû au mouvement du patient. Des artefacts
apparaissent également en cas d’arythmie.
1 - 3.2 Difficultés inhérentes aux images
Irrégularités dans les cavités : En amont de toute segmentation, le traitement des
muscles papillaires, piliers et trabéculations peut poser problème. Ces derniers devraient être
exclus du calcul des volumes ventriculaires. En effet, afin de calculer le volume exact des cavités
24I.1 - 3 Problématiques de segmentation
(a) Deux coupes apicales (b) Avec contourages manuels superposés
Figure I.17 – Illustration de l’effet de volume partiel, créant un flou aux frontières des cavités sur les
coupes apicales. La segmentation a été tracée par un expert : VD (en vert) et VG (endocarde en bleu,
épicarde en rouge).
ventriculaires, il serait nécessaire de les contourer indépendamment afin d’exclure leur volume
de celui des cavités. Cependant, les conventions de segmentation recommandent de les considé-
rer comme partie intégrante des cavités ventriculaires. De ce fait, les segmentations manuelles
sont plus reproductibles. Les muscles papillaires ayant les mêmes intensités que le myocarde,
cette intégration à la cavité peut ne pas être aisée. La Figure I.15 présente des exemples de
segmentation du VG et du VD avec cette convention.
Contraste faible : La segmentation de l’épicarde du VG est également une difficulté majeure
: elle forme la frontière entre le myocarde et les tissus voisins (en particulier graisse et
poumon). Ces derniers ont des profils d’intensité tous différents et présentent un contraste faible
avec le myocarde, d’où la difficulté à le déterminer. Cette difficulté est encore plus importante
pour le VD du fait de l’épaisseur très faible de la paroi ventriculaire droite.
Complexités anatomiques : La complexité de la segmentation dépend également du niveau
de coupe de l’image. Les coupes basales et apicales sont plus difficiles à segmenter que
les coupes mi-ventriculaires. En effet, la forme des ventricules peut être fortement modifiée par
la présence des atria sur les coupes basales, et nous avons vu précédemment que les coupes
apicales souffraient d’un effet de volume partiel créant un flou aux frontières des cavités. Bien
que la forme du VG (en forme d’anneau) ne varie que peu en fonction du niveau de coupe, le
VD a une forme complexe en croissant, qui varie fortement selon le niveau de coupe d’imagerie
(Figure I.18) et selon le patient (Figure I.19). De plus, de nombreuses pathologies peuvent
affecter la forme déjà complexe du VD. D’un point de vue morphologique, on peut considérer
les surcharges VD barométriques (augmentation de la pression) entrainant une hypertrophie
des parois myocardiques, causées par un obstacle sur la voie d’éjection droite (sténose pulmo-
25Chapitre I. Contexte médical et problématiques de segmentation
Figure I.18 – Représentation schématique des volumes ventriculaires et leurs images MR obtenues à la
coupe basale et apicale.
naire, hypertension artérielle pulmonaire ou HTAP, embolie pulmonaire). Cette augmentation
de pression dans le VD va inverser la courbure septale et le VD va alors prendre la forme d’un
VG et inversement. Cette inversion sera plus prononcée en passant du cœur pulmonaire aigü à
l’HTAP constituée. On peut observer dans un premier temps une dilatation de la cavité ventriculaire
droite, puis le septum qui bombe vers le VG, et enfin le VD peut devenir sphérique
et l’oreillette droite se dilater. On peut également considérer les surcharges volumétriques, la
plus commune étant la distension de la cavité ventriculaire droite. Ces surcharges proviennent
essentiellement de cardiopathies congénitales, telles que l’insuffisance pulmonaire, le shunt de
communications inter-auriculaires (CIA), un retour veineux pulmonaire anormal et les suites de
chirurgie réparatrice de tétralogie de Fallot [15, 26]. Ces différentes pathologies ajoutent encore
en complexité à cette difficile tâche de segmentation.
1 - 4 Conclusion
La segmentation des cavités ventriculaires gauche et droite en IRM cardiaques est une
tâche difficile, et pourtant nécessaire afin d’accéder à la fonction contractile cardiaque. Certaines
méthodes commerciales relativement efficaces sont disponibles en routine clinique pour
la segmentation du VG sur les images IRM : QMASS MR (Medis, Leiden, Pays-Bas) [27], syngo
26I.1 - 4 Conclusion
Figure I.19 – Images MR typiques afin d’illustrer la variabilité de la forme du VD (en rouge) chez
différents patients.
ARGUS 4D VF (Siemens Medical Systems, Allemagne) [28], CMR42 (Circle CVI, Canada) ou
encore CAAS (PIE Medical Imaging, Pays-Bas) [29]. Cependant, ces méthodes commerciales
ne permettent pas d’obtenir de bons résultats pour le VD, du fait de sa difficulté à segmenter.
La segmentation du VD est actuellement effectuée manuellement en routine clinique. Cette
tâche, longue et fastidieuse, nécessite environ 20 minutes pour un expert et est aussi sujette
à la variabilité intra et inter-expert. Une méthode de segmentation permettrait d’éviter ces
inconvénients, mais doit faire face à un certain nombre de difficultés : le flou aux frontières des
cavités en raison de la circulation sanguine, des artefacts d’acquisition et des effets de volume
partiel, la présence de trabéculations (irrégularités) dans le VD, qui ont le même niveau de gris
que la myocarde environnant, la forme complexe en croissant, qui varie selon le niveau de coupe
d’imagerie et selon le patient. Ces difficultés sont probablement l’une des raisons pour lesquelles
l’évaluation fonctionnelle du VD a longtemps été considérée comme secondaire par rapport à
celle du VG, laissant le problème de segmentation du VD grand ouvert [30]. Le chapitre suivant
(II) va ainsi s’intéresser à l’état de l’art concernant la segmentation du VG et du VD sur IRM
cardiaques dans la littérature, afin de définir une méthodologie efficace pour cette tâche difficile
de segmentation.
27Chapitre I. Contexte médical et problématiques de segmentation
28Chapitre II
Etat de l’art des méthodes de segmentation des
ventricules cardiaques en IRM
Ce chapitre va d’abord s’intéresser aux publications présentant des méthodes de segmentation
du VG et/ou du VD en séquence ciné IRM incidence petit-axe, ayant une validation
qualitative ou quantitative et des illustrations sur des images MR cardiaques. Cette étude est
basée sur la review de Petitjean et Dacher [30] augmentée des dernières publications. La catégorisation
proposée par [30] a été reprise : l’ajout d’un a priori ou pas à la méthode. Cet a
priori, s’il existe, peut être faible si la relation est géométrique (VD à gauche du VG, forme
circulaire du VG) ou encore biomécanique (mouvement du cœur selon la phase considérée), ou
fort par la construction d’un a priori de forme statistique. La suite de ce chapitre va d’abord
être divisée en 4 parties :
– La section 2 - 1.1 présente les méthodes sans a priori ou avec un a priori faible. Cette
section concerne essentiellement les méthodes basées uniquement sur les intensités de
l’image, sur la classification de pixels et sur les modèles déformables.
– La section 2 - 1.2 présente les méthodes utilisant un a priori fort et concerne également
les modèles déformables mais aussi les modèles actifs de forme et d’apparence, et les
méthodes à base d’atlas.
– La section 2 - 1.3 présente et compare les résultats fournis par ces méthodes de la
littérature, ainsi qu’une étude des erreurs obtenues.
– Enfin, la section 2 - 1.4 définit la méthodologie de la suite de nos travaux, intégrer un a
priori fort à une méthode de segmentation.
Nous verrons que la méthodes des coupes de graphe est particulièrement adaptée à notre problématique
de segmentation. Les travaux de segmentation par coupe de graphe en prenant en
compte des formes a priori sont cependant peu nombreux dans la littérature. Cette technique
sera détaillée à la section 2 - 2 .
29Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
2 - 1 Segmentation du VG et du VD : état de l’art
2 - 1.1 Méthodes sans a priori ou avec un a priori faible de forme
Méthodes basées sur les intensités : Concernant les méthodes reposant uniquement
sur les intensités des images, deux techniques ont été principalement utilisées. La première
consiste en un seuillage des intensités, permettant de séparer la cavité ventriculaire du reste de
l’image [31–34]. Il s’agit de séparer l’histogramme des intensités de l’image en différents modes
correspondant aux différents tissus, comme l’illustre la Figure II.1-(a). La seconde consiste à
déterminer le chemin optimal dans une matrice de coût (chemin 1D par une transformation en
coordonnées polaires du fait de la forme circulaire du VG) assignant un coût faible aux frontières
de la cavité par programmation dynamique [35–37]. Cette matrice peut être construite
par seuillage [27, 38], par logique floue [39], en utilisant les intensités améliorées par ondelettes
[40] ou lignes radiales [41], ou encore les valeurs de gradient pour pondérer un graphe
spatio-temporel [42]. Le schéma général multi-dimensionnel de ce type de méthode est donné
à la Figure II.1-(b). Un algorithme du plus court chemin a également été proposé [43], sur
une image moyenne formée par toutes les phases du cycle cardiaque. Ces méthodes permettent
d’obtenir le contour endocardique du VG, qui peut être affiné par certains post-traitements :
le calcul de l’enveloppe convexe du contour obtenu [27, 44], l’application d’opérateurs de morphologie
mathématique [33, 42] ou encore l’ajustement d’une courbe paramétrique au contour
afin de le lisser [45]. Le contour épicardique lorsqu’il est recherché est déduit du contour endocardique
par des opérations de morphologie mathématique ou un modèle spatial incorporant
l’épaisseur du myocarde. Ces méthodes nécessitent une interaction utilisateur assez faible pour
l’initialisation, allant d’un point au centre du VG au placement d’un cercle aux alentours du
contour myocardique. Une interaction plus importante est requise lorsque les contours endocardique
et épicardique sont recherchés simultanément : le tracé manuel des contours sur la
première coupe [37, 46, 47]. Ce tracé est alors propagé sur les coupes restantes par des mé-
thodes de split-and-merge [46] ou un recalage non-rigide [47].
Méthodes basées sur la classification : Une autre famille de méthodes est particuliè-
rement utilisée dans le domaine de la segmentation d’images médicales : la classification de
pixels. Le principe consiste à décrire chaque pixel par un ensemble de caractéristiques, afin de
lui attribuer une classe parmi plusieurs. L’attribution de différentes classes aux différents pixels
permet de partitionner l’image en régions, et ainsi d’obtenir une segmentation. Deux techniques
de partitionnement existent : les méthodes supervisées et les méthodes non-supervisées.
30II.2 - 1 Segmentation du VG et du VD : état de l’art
(a) Histogramme d’une image cardiaque et ses modes (d’après [33])
(b) Schéma général de la programmation dynamique multi-dimensionnel (d’après [37])
Figure II.1 – Illustrations concernant les méthodes reposant uniquement sur les intensités des images.
(a) pour le seuillage, (b) pour la programmation dynamique.
Les approches supervisées nécessitent une phase d’apprentissage à partir de pixels labellisés,
ce qui peut être une tâche fastidieuse, et sont moins nombreuses dans la littérature pour cette
application. Un réseau de neurone est généré par [48] à partir de clics manuels sur des pixels
du myocarde, de la cavité ventriculaire et du poumon. Un masque spatial peut également être
utilisé pour un apprentissage automatique [49], associé à l’algorithme des k plus proches voisins
pour la classification, comme par [50]. Des forêts de classification ont également été proposées
[51]. Mais les méthodes non supervisées sont les plus utilisées, et plus particulièrement deux
techniques classiques : l’ajustement d’un modèle de mélange de gaussiennes (GMM, Gaussian
Mixture Model), et le clustering. Le GMM est un modèle statistique dépendant d’une densité
de mélange de K gaussiennes, p(x|θ) = PK
k=1 ωk g(x|µk, Σk), où x est un individu sur l’espace
vectoriel IRD, ωk les poids du mélange et g(x|µk, Σk) les densités des composantes gaussiennes
définies par :
g(x|µk, Σk) = 1
(2π)
D
2 |Σk|
1
2
exp
−
1
2
(x − µk)
TΣ
−1
k
(x − µk)
(II.1)
avec µk et Σk la moyenne et la matrice de covariance de la k-ème composante. Les poids du
mélange doivent satisfaire la contrainte PK
k=1 = 1. La paramétrisation du GMM est réalisée sur
les moyennes, les matrices de covariance et les poids du mélange pour chaque densité, notés
θk = {ωk, µk, Σk}. Pour maximiser la vraisemblance de cette quantité, l’algorithme espérance-
31Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
maximisation (EM) [52], qui est une méthode générale de données manquantes, peut être appliqué
à l’ajustement du mélange de gaussiennes et permettre l’obtention d’un maximum local.
Pour l’application cardiaque, le nombre de gaussiennes correspond au nombre de modes de
l’histogramme de l’image : de deux à cinq modes selon les tissus considérés (par exemple :
myocarde, gras, fond, cavité ventriculaire), mais des gaussiennes peuvent être ajoutées pour
prendre en compte l’effet de volume partiel [53] ou les muscles papillaires [54]. Pour compenser
le manque d’informations spatiales, l’ajustement d’un GMM peut précéder une étape basée sur
les champs de Markov [55] ou de programmation dynamique [53]. Des techniques de clustering
ont également été utilisées, consistant à construire une collection d’objets, similaires au sein
d’un même groupe, dissimilaires quand ils appartiennent à des groupes différents. La méthode
la plus connue est l’algorithme k-means, qui tend à réduire :
E =
X
k
i=1
X
p∈Ci
|p − Mi
|
2
(II.2)
avec Ci un regroupement correspondant à une classe parmi les k objets, et Mi son barycentre.
L’algorithme k-means a été appliqué par [56], et une généralisation de cet algorithme permettant
une adhésion partielle à un regroupement, nommée fuzzy C-means, a été proposée par [57].
Après l’obtention des regroupements, la cavité ventriculaire gauche est identifiée en calculant la
distance de chaque regroupement à un cercle [56]. Cependant, les regroupements sont construits
à partir du barycentre des objets, ce qui peut poser problème en cas de classes non-convexes
(le barycentre pouvant ne pas appartenir à l’objet).
Méthodes basées sur les modèles déformables : Enfin, une dernière famille de mé-
thodes a été particulièrement utilisée : les modèles déformables. Deux grandes familles de
modèles déformables ont ainsi été proposées : les modèles paramétriques [58] et les modèles
géométriques [59]. Dans le premier cas, la courbe est représentée explicitement pendant la
déformation, ce qui permet des implémentations rapides et même du temps réel. Cependant,
le changement de topologie est très difficile à gérer. Dans le second cas, la représentation du
contour est implicite, ce dernier étant vu comme le niveau 0 d’une fonction scalaire de dimension
supérieure. La paramétrisation est donnée après la déformation mais cette méthode permet une
adaptation naturelle de la topologie des contours, pour une dimension de l’espace de calculs
supérieure. Les deux modèles sont sensibles à l’initialisation. Plus précisément dans le cas des
modèles paramétriques, le contour déformable est une courbe v(s) = [x(s), y(s)], avec s ∈ [0, 1]
l’abscisse curviligne, qui se déforme vers une position qui minimise la fonctionnelle d’énergie
32II.2 - 1 Segmentation du VG et du VD : état de l’art
Etotale = Einterne (v(s)) + Eexterne (v(s)). L’énergie interne classique est définie par :
Einterne (v(s)) = Z 1
0
α(s)
∂v(s)
∂s !2
+ β(s)
∂
2
v(s)
∂s2
!2
ds (II.3)
avec α(s) le coefficient d’élasticité sur la longueur du contour et β(s) le coefficient de rigidité
sur la courbure du contour. Le terme Eexterne (v(s)) est classiquement défini par une intégrale
d’un potentiel de force Eexterne (v(s)) = R 1
0 P (v(s)) ds, c’est-à-dire avec une valeur basse sur les
contours des objets de l’image. Par exemple, avec les informations de gradient :
P(x, y) = −w|∇I(x, y)|
2
(II.4)
Le contour v(s) minimisant l’énergie totale, c’est-à-dire proche des contours des objets de
l’image en évitant les étirements et fléchissements, peut alors se poser comme un problème variationnel.
Dans la plupart des travaux de la littérature, le terme classique de régularisation basé
sur la courbure est utilisé. La force externe quant à elle peut être basée sur le gradient [35, 36, 60]
ou encore sur une mesure d’homogénéité de région [61–64]. Des termes ont été ajoutés pour
améliorer la robustesse de la méthode, comme le flux de vecteur gradient [65–70], des termes
de recouvrement des distributions d’intensité [71] ou des modèles paramétriques de forme pour
contraindre le contour à être lisse [63, 72, 73]. Les modèles déformables ont également été étendus
en 3D [66, 74–76], en utilisant des modèles de maillage 3D. Le but est d’obtenir les contours
ventriculaires sur le cycle cardiaque complet, à partir de contraintes temporelles d’évolution.
Ces dernières peuvent être des trajectoires moyennes de points [75, 77], une approche couplée
recalage/segmentation [78] ou des modèles biomécaniques [66, 79–83]. Pour ces derniers, le
myocarde est modélisé par un tissu élastique linéaire à partir d’un ensemble de paramètres (par
exemple le rapport de Poisson ou le module de Young), intégré à la matrice de rigidité [66, 79].
Le maillage est ensuite déformé en utilisant une force dépendant de l’image et une force interne
dépendant du modèle biomécanique, utilisé en tant que terme de régularisation. Le but est alors
de minimiser l’énergie globale, couplant les données de l’image avec les déformations du modèle.
Discussion : De nombreuses méthodes utilisant peu ou pas d’a priori dans un but de segmentation
des ventricules sur IRM cardiaques ont été développées. Ces méthodes nécessitent
pour la plupart une interaction utilisateur, qu’elle soit faible ou importante. Bien que les mé-
thodes basées uniquement sur les intensités ou sur la classification de pixels ne permettent pas
facilement l’intégration d’a priori de forme fort, les modèles déformables ont été très étudiés
dans ce sens.
33Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
2 - 1.2 Méthodes avec un a priori fort de forme
D’une façon générale, la segmentation d’organe en imagerie médicale peut être guidée par
l’utilisation de modèles de formes et/ou d’intensités, afin d’augmenter sa robustesse et sa pré-
cision [84]. Ceci est particulièrement vrai si la forme considérée ne varie pas fortement d’un
individu à un autre. L’utilisation d’un a priori de forme dans un but de segmentation requiert
trois étapes :
(i) L’alignement des formes de l’ensemble d’apprentissage, afin de compenser les différences
de position et de taille des objets à segmenter. Cette tâche peut être particulièrement
difficile en 3D. Une forme quelconque de l’ensemble est classiquement choisie en tant que
référence. Un recalage affine de chaque forme est alors réalisé sur cette référence. Ces
opérations peuvent être itérativement recommencées en calculant la forme moyenne de la
base et en l’utilisant comme référence. De nombreuses méthodes ont été proposées pour
réaliser cette étape [85–89].
(ii) La définition mathématique d’une représentation et d’une modélisation des formes. Dans
la littérature, les formes sont représentées soit par un modèle explicite tel que le modèle de
distribution de points (PDM, Point Distribution Model) [5], soit par un modèle implicite
tel que la fonction distance signée (SDF, Signed Distance Function) [90], ou encore par
leurs intensités. Le principe est de calculer la forme ou image moyenne puis de modéliser
les variabilités présentes dans la base d’apprentissage. Une alternative est l’analyse en
composantes principales (ACP), qui consiste en une décomposition en valeurs propres
de la matrice de covariance de l’ensemble des formes. Cette dernière permet l’obtention
des vecteurs propres représentant les variabilités par rapport à la moyenne de l’ensemble
d’apprentissage. Il est alors possible de décrire toute nouvelle forme par une combinaison
linéaire de la moyenne et de ses vecteurs propres pondérés. Les détails de cette technique
sont données au chapitre III.
(iii) Le choix d’une méthode de segmentation intégrant ce modèle de forme. Initialement proposée
dans le cadre des modèles déformables, la modélisation PDM a par exemple été
utilisée essentiellement avec les modèles actifs de forme (ASM, Active Shape Model) et
d’apparence (AAM, Active Appearance Model) [5]. Il s’agit ainsi d’intégrer le modèle à une
méthode afin de guider la segmentation en prenant en compte les variabilités définies par
la base d’apprentissage. Ce choix doit être fait en fonction du modèle de formes réalisé.
Les méthodes de segmentation et les modèles de forme sont considérés ensembles, et généralement
adaptés conjointement. Trois catégories sont habituellement utilisées afin de classifier
les méthodes basées sur les modèles statistiques : la segmentation par a priori de formes [84],
34II.2 - 1 Segmentation du VG et du VD : état de l’art
Figure II.2 – Variabilité de forme du VG obtenue par ACP. (a) forme moyenne, (b)-(c) déformations
selon le premier axe de variation, (d)-(e) selon le second axe de variation, (f)-(g) selon le troisième axe de
variation (d’après [85]).
les ASM et AAM [91] et les méthodes basées atlas [92]. La principale différence entre ces mé-
thodes réside dans la réalisation de l’étape (iii), i.e. l’utilisation du modèle dans la méthode de
segmentation.
Modèles de formes : L’utilisation d’un a priori fort dans le cadre des modèles déformables
que nous avons vu précédemment consiste à introduire un nouveau terme à la fonctionnelle
d’énergie, qui va prendre en compte une contrainte anatomique. Cette dernière peut être une
carte des distances signées à une référence, dont le critère à minimiser intègre des paramètres
d’alignement à cette référence [78]. Cet alignement permet de déduire une fonction de probabilité
de densités, qui peut être intégrée à l’équation d’évolution [93] ou intégrée à la fonctionnelle
d’énergie de la méthode des coupes de graphe [94]. La contrainte anatomique peut également
être basée sur la réalisation préliminaire d’une ACP sur une base d’apprentissage [85, 95], dont
les paramètres d’alignement et les poids des formes propres sont mis à jour itérativement en
minimisant les termes d’énergie basés région. Un exemple de cette modélisation du VG est pré-
senté à la Figure II.2. Ces approches permettent une propagation couplée de l’endocarde et de
l’épicarde du VG selon un modèle de distances [78, 93, 95]. Enfin, d’autres approches reposent
sur une formulation bayésienne afin de considérer l’aspect temporel dans la segmentation. Le
modèle de forme est formé à partir d’une ACP [96] ou à partir d’une représentation de Fourrier
dont les paramètres sont appris sur une base d’apprentissage étiquetée [54]. La méthode de
segmentation repose sur une estimation du maximum a posteriori selon le modèle statistique
de l’image. Le terme de régularisation est basé sur l’a priori, composé d’un modèle de forme et
d’un modèle de mouvement, permettant le suivi des contours ventriculaires selon le temps.
PDM : Une autre famille de méthodes a été très utilisée depuis leur définition par [5] :
les modèles actifs de forme. Ils consistent en un modèle de distribution de points, appris sur
une base de données contenant de nombreux exemples alignés. Une analyse en composantes
35Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
principales est réalisée afin de diminuer l’espace de représentation et permet de commander le
modèle en réglant un nombre limité de paramètres, la seule limitation à la flexibilité du modèle
étant les variations données par la base d’apprentissage (les détails de l’ACP sont données
au chapitre III). La segmentation est réalisée en estimant itérativement les paramètres de
translation, rotation et échelle par la méthode des moindres carrés sur l’image à segmenter. Le
principe des ASM a été étendu à la modélisation des intensités des images, donnant les modèles
actifs d’apparence [97]. La méthode des AAM a été appliquée à la segmentation de l’endocarde
et de l’épicarde du VG [98, 99], puis des approches hybrides ASM/AAM ont été proposées
[100–102]. Ces approches permettent de combiner les avantages des deux techniques : les AAM
sont optimisés sur l’apparence globale et proposent donc une solution avec des bords imprécis,
alors que les ASM permettent une bonne définition des structures locales selon [100]. L’apport
de cette approche hybride sur les erreurs de segmentation est donné à la Figure II.3. Pour [101],
des AAM 2D permettent de déterminer les contours sur chaque image, pendant que l’ASM
3D permet l’obtention d’une cohérence globale du modèle. Des variantes ont été proposées au
cadre général : l’utilisation d’une analyse en composantes indépendantes au lieu de l’ACP pour
la modélisation [103], l’introduction de caractéristiques invariantes aux ASM [104], ces deux
derniers travaux se limitant cependant aux coupes mi-ventriculaires sur des images ED. On
peut noter que trois méthodes spécifiques à la segmentation du VD ont été proposées dans ce
cadre de segmentation : dans [105], la recherche locale des points de correspondance pendant
la phase de segmentation de l’ASM est améliorée par un estimateur robuste dénommé Robust
Matching Point ; dans [106], un modèle d’apparence est construit sur des noyaux de produits
de probabilités à partir d’un seul patient, les contraintes se basant alors sur des fonctionnelles
non-linéaires, résolues par partie par relaxation convexe ; enfin, dans [107], un ASM est appliqué
en utilisant des relations sur les variations inter-profil. La dimension temporelle a également été
prise en compte avec cette famille de segmentation, avec les modèles actifs d’apparence et de
mouvement en 2D + temps (AAMM), en considérant directement une séquence d’images sur
un cycle complet [108]. Ce modèle permet d’obtenir rapidement l’ensemble des segmentations
sur un cycle cardiaque, bien que limité aux coupes mi-ventriculaires. Enfin, l’extension en 3D
des ASM et des AAM a également été étudiée [109–111]. Celle-ci n’est cependant pas aisée
puisqu’elle nécessite des points de correspondance entre les formes en 3D, et une augmentation
du temps de calcul en considérant la taille des données.
Atlas : Dernière famille de méthodes particulièrement utilisée, les atlas, décrivant les différentes
structures présentes dans un type donné d’image. Un atlas est composé d’une image
des intensités et d’une carte de labels associée. Il peut être généré à partir d’une segmentation
36II.2 - 1 Segmentation du VG et du VD : état de l’art
Figure II.3 – Erreurs RMS de segmentation selon les différentes étapes d’une approche hybride
ASM/AAM [100].
manuelle ou en intégrant les informations provenant d’images segmentées sur plusieurs individus.
Le principe de cette technique est de recaler l’atlas labellisé sur l’image à segmenter,
puis d’appliquer la transformation T obtenue à l’atlas afin d’obtenir la segmentation finale,
comme l’illustre la Figure II.4. Très utilisée pour la segmentation du cerveau [112], les atlas ont
également été appliqués à la segmentation du cœur, à travers plusieurs méthodologies pour sa
construction : à partir d’une seule image segmentée [113], d’un résultat moyen de segmentation
à partir d’un ensemble d’images [114, 115] ou d’un ensemble d’atlas [116]. Un recalage non rigide
(NRR) est alors réalisé afin de cartographier l’atlas sur un nouvel individu. Ce type de transformation
prend en compte les déformations élastiques, et consiste à maximiser une mesure de
similarité entre une image source (l’atlas) et une image cible ou référence (l’image à segmenter).
De nombreux critères ont été proposés : la différence absolue des intensités (SAD), la différence
des intensités au carré (SSD), l’information mutuelle (MI) et normalisée (NMI) [117] basée sur
les distributions individuelles et jointes des intensités. Cependant, la maximisation seule d’un
critère de similarité donne lieu à des équations sous-contraintes. Le recalage non-rigide nécessite
ainsi l’utilisation de contraintes additionnelles. Ainsi, l’espace de transformation peut être
restreint aux transformations paramétriques, telles que les splines cubiques [113], ou basée sur
les formes propres déterminées par une ACP [115]. Une autre possibilité est d’ajouter un terme
de régularisation au critère de similarité, tel que le modèle des fluides visqueux classique [116]
ou un modèle statistique [115]. Les atlas probabilistes ont également été utilisés pour initialiser
les paramètres d’un algorithme EM [114]. La segmentation obtenue après convergence de l’algorithme
EM est alors affinée en utilisant des informations contextuelles modélisées à partir de
champs de Markov.
37Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
Figure II.4 – Illustration du recalage d’un atlas sur une image à segmenter, selon une transformation T
(d’après [113]).
Discussion : Le choix d’une modélisation particulière impose certaines contraintes. Par
exemple, les ASM ne peuvent pas modéliser des variations non présentes dans l’ensemble d’apprentissage.
Certains auteurs tentent de s’affranchir de ce problème en introduisant une autre
source d’information, par exemple une segmentation manuelle de la première coupe [102]. La
méthode est alors plus robuste mais perd l’avantage d’être indépendante de l’utilisateur. Le
cadre du recalage non-rigide est beaucoup plus flexible puisqu’il permet la modélisation de
formes inconnues de l’ensemble d’apprentissage, mais n’impose aucune contrainte anatomique
à la transformation. De ce fait, la composition de l’atlas n’a que peu d’influence sur le résultat
de segmentation finale puisqu’il ne sert que de point de départ au recalage [116].
2 - 1.3 Comparaison des méthodes, résultats et étude des erreurs
Toutes les méthodes présentées précédemment ne traitent pas les différentes difficultés de
segmentation de la même manière. Très peu de méthodes sont dédiées à la segmentation du
VD, la plupart étant dédiée au VG. Certaines proposent cependant une segmentation conjointe
des deux ventricules. Comme mentionné précédemment, les caractéristiques physiques du VD
ainsi que son rôle moins vital que le VG ont restreint les efforts portés sur sa segmentation.
Cependant, l’IRM devenant un outil standard et le plus précis dans l’évaluation de la fonction
cardiaque du VD, l’intérêt de sa segmentation et du calcul de son volume a fortement augmenté
[2, 3]. A cause de la forte variation de la forme du VD, les méthodes dédiées à sa segmentation
reposent sur des a priori forts, et en particulier sur des méthodes basées atlas de par leur
flexibilité. De plus, comme expliqué au chapitre I, la segmentation des images en ED et ES est
suffisante à l’estimation de la fonction contractile cardiaque en routine clinique. C’est pourquoi
peu de méthodes exploitent les informations fournies par le mouvement cardiaque (en fonction
38II.2 - 1 Segmentation du VG et du VD : état de l’art
du temps), en plus de la complexité et de la variabilité d’un modèle de mouvement. L’utilisation
de la dimension temporelle peut cependant aider la segmentation à obtenir des solutions cohé-
rentes. Le suivi des contours selon le temps peut être fait avec ou sans connaissance externe,
et dans ce dernier cas, reposer sur les propriétés intrinsèques de la méthode de segmentation.
Les approches variationnelles des modèles déformables sont ainsi des outils performants pour
le suivi [66, 71, 73, 118]. Des améliorations de propagation des contours ont également été
proposées, comme le suivi en avant et en arrière dans le temps [73] ou une contrainte de position
sur le contour d’après des préférences de l’utilisateur à travers des profils d’intensité [118].
La propagation a également été réalisée par des techniques de recalage non-rigide, à partir de
contours initialisés manuellement ou d’atlas du cœur [47, 113, 116]. Le problème de segmentation
est alors vu comme un problème de recalage, ajuster une image segmentée sur une autre
inconnue, et appliquer la transformation afin d’obtenir le nouveau contour déformé. La segmentation
et le recalage peuvent également être couplés pour chercher conjointement les contours
endocardique et épicardique et une transformation d’alignement à une forme de référence [78].
Les contours endocardique et épicardique peuvent être traités séparément (notamment avec les
méthodes basées images ou classification de pixels) ou simultanément (notamment avec les mé-
thodes basées sur des modèles). Le traitement des muscles papillaires a également fait l’objet de
questionnement : bien qu’ils n’appartiennent pas à la cavité du VD (et devraient être exclus au
calcul du volume), ils lui sont souvent intégrés pour des raisons de reproductibilité. Certaines
méthodes proposent cependant leurs segmentations, afin de permettre au radiologiste de les
intégrer ou pas à la cavité [53, 56]. On peut remarquer dans les travaux de la littérature que
l’utilisation d’interaction avec l’utilisateur est corrélée à l’utilisation d’informations a priori :
les méthodes sans ou avec un a priori faible nécessitent une interaction utilisateur de limité à
avancé, lorsque l’utilisation d’un a priori fort permet une automatisation des méthodes. Les
interactions peuvent être faites pendant la phase d’initialisation ou pendant le processus de
segmentation.
Critères d’évaluation : L’évaluation de la qualité de segmentation varie grandement en
fonction des différents travaux de la littérature. Certains ne présentent que des résultats visuels,
lorsque d’autres utilisent différents indices entre le contour manuel par un expert et le
contour (semi-)automatique (score de recouvrement, distance perpendiculaire moyenne entre
les contours, volume et masse ventriculaire, fractions d’éjection). Néanmoins, lorsque des ré-
sultats quantitatifs sont fournis, la distance perpendiculaire moyenne (P2C, point to curve) est
souvent utilisée dans la littérature. Les comparaisons entre les méthodes doivent cependant être
l’objet d’une attention particulière. En effet, chaque étude propose sa propre base d’évaluation,
39Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
qui diffère sur le nombre d’images, le nombre et la nature des patients (sains ou pathologiques),
la phase du cycle cardiaque (ED, ES, toutes les phases), les niveaux de coupe (que les coupes
mi-ventriculaires ou tous les niveaux de coupe). Ces études ne présentent parfois pas toutes ces
informations. Pourtant, ces conditions ont une influence sur les résultats de segmentation (par
exemple les coupes apicales sont beaucoup plus difficiles à segmenter que les coupes basales
et mi-ventriculaires). Le tableau II.1 présente un certain nombre de résultats de la littérature
pour la segmentation du VG et/ou du VD sur IRM cardiaques, en présentant ces informations.
Les dernières lignes de ce tableau présentent les résultats obtenus au challenge de segmentation
du VG de MICCAI 2009, composé de deux bases (une pour l’apprentissage, une pour le test).
Les résultats sont donnés sur une ou les deux bases selon le type de la méthode. Les méthodes
de cette compétition sont représentatives de celles présentes dans la littérature : des techniques
basées images [119, 120], basées ASM et AAM [121, 122], sur les modèles déformables [83, 123],
les méthodes de montées des eaux 4D [124] ou du recalage [125].
Comparaison : Le choix de la distance perpendiculaire moyenne entre le résultat de la
méthode et les contours tracés manuellement par un expert du tableau II.1 permet la comparaison
avec la variabilité intra et inter-observateur du contourage manuel, qui est de l’ordre
de 1 à 2 mm [115, 124, 126, 127]. Les résultats se comparent favorablement à cette valeur en
moyenne. On peut remarquer que l’erreur de segmentation est supérieure pour l’épicarde que
pour l’endocarde. Les résultats obtenus sur les images ED sont également meilleurs que ceux
des autres phases. Il est à noter que certaines méthodes se restreignent à la segmentation d’un
nombre réduit de coupes mi-ventriculaires (en particulier pour le VD), montrant la difficulté
de segmentation des coupes extrêmes apicales et basales. De plus, les erreurs de segmentation
sont plus importantes pour le VD que pour le VG. Certaines études confirment de plus grandes
difficultés de segmentation pour les coupes apicales en présentant la distribution spatiale des
erreurs [43, 44, 128]. Dans nos travaux [128], la distribution des erreurs du P2C pour le VG
et le VD pour une méthode basée sur les contours actifs sans bords montre de fortes erreurs à
l’apex et en particulier en ES (voir Figure II.5).
Conclusion : A cause des différentes conditions de test, il est difficile de tirer des conclusions
définitives. Le challenge MICCAI’09 de segmentation du VG montre que les techniques basées
images [119, 120] donnent les meilleurs résultats, mais ces méthodes ne traitent pas toutes les
phases et nécessitent une interaction avec l’utilisateur. Certains résultats sont ainsi intéressants
[119, 120, 123] mais sont spécifiques à la segmentation du VG et ne peuvent être appliqués au
VD, contrairement aux méthodes proposées par [121, 122]. Le choix d’une méthode doit reposer
40II.2 - 1 Segmentation du VG et du VD : état de l’art
Tableau II.1 – Résultats de segmentation pour le VG et le VD dans la littérature. N : nombre de
patients, S/P : sain (S) et pathologique (P), Co : nombre de coupes (mi : mi-ventriculaire), épi : épicarde,
endo : endocarde.
Auteurs N S/P Co Phases Erreurs moyennes (mm)
VG épi VG endo VD endo
Sans ou avec un a priori faible
Basé image
[37] 20 2/18 8-12 Toutes 1.77 ± 0.57 1.86 ± 0.59 -
[43] 19 - Toutes ED, ES 2.91 2.48 -
[42] 18 0/18 9-14 ED, ES 1.42 ± 0.36 1.55 ± 0.23 -
Classification de pixels
[56] 25 - 5-12 ED, ES 1.31 ± 1.86 0.69 ± 0.88 -
Modèles déformables
[118] 69 - 9/14 ES 1.84 ± 1.04 2.23 ± 1.10 2.02 ± 1.21
[69] 13 - 3 ED 1.3 ± 0.7 0.6 ± 0.3 -
Avec un a priori fort
A priori de forme
[95]
121 0/121 7-10 ED 2.62 ± 0.75 2.28 ± 0.93 -
ES 2.92 ± 1.38 2.76 ± 1.02 -
[54]
30 - 5 ED 1.98 1.34 -
ES 2.74 2.62 -
[93] 4 - - Toutes 1.83 ± 1.85 0.76 ± 1.09 -
ASM / AAM
[100] 20 11-9 3 mi ED 1.75 ± 0.83 1.71 ± 0.82 2.46 ± 1.39
[108] 25 - 3 mi Toutes 0.77 ± 0.74 0.63 ± 0.65 -
[109] 56 38/18 8-14 ED 2.63 ± 0.76 2.75 ± 0.86 -
[104] 74 13/61 3 mi 5 1.52 ± 2.01 1.80 ± 1.74 1.20 ± 1.47
[127] 15 15/0 10-12 ED 2.23 ± 0.46 1.97 ± 0.54 -
[105] 13 - - ED - - 1.1
[106] 20 - Toutes 20 - - 2.30 ± 0.12
[102]
25 25/0 - Toutes 1.67 ± 0.3 1.81 ± 0.4 2.13 ± 0.39
25 0/25 - Toutes 1.71 ± 0.45 1.97 ± 0.58 2.92 ± 0.73
Atlas
[114]
10 0/10 3 mi Toutes 2.99 ± 2.65 2.21 ± 2.22 2.89 ± 2.56
ED 2.75 ± 2.62 1.88 ± 2.00 2.26 ± 2.13
[115] 25 25/0 4-5 ED 2.77 ± 0.49 2.01 ± 0.31 2.37 ± 0.5
Challenge MICCAI 2009
[83] 15 3/12 6-12 ED, ES 2.72 - -
[122] 15 3/12 6-12 ED, ES 2.29 2.28 -
[120] 15 3/12 6-12 ED, ES 2.07 ± 0.61 1.91 ± 0.63 -
[124] - - 6-12 ED, ES 3 ± 0.59 2.6 ± 0.38 -
[123] 30 6/24 6-12 ED, ES 2.04 ± 0.47 2.35 ± 0.57 -
[125] 30 6/24 6-12 ED, ES 2.26 ± 0.59 1.97 ± 0.48 -
[119] 30 6/24 6-12 ED, ES 2.06 ± 0.39 2.11 ± 0.41 -
[121] 30 6/24 6-12 ED, ES 3.73 3.16 -
41Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
Figure II.5 – Distribution des erreurs de P2C selon les niveaux de coupes (base, mid, apex) et la phase
(ED, ES) pour le VG (à gauche) et le VD (à droite). N est le nombre d’images. Issue de nos travaux [128].
sur un compromis entre performance et généricité et tenir compte des difficultés de segmentation
de certaines coupes (apicales et phase ES en particulier). On peut remarquer que la
méthode des coupes de graphe n’a été que peu exploitée dans ce but.
2 - 1.4 Choix d’une méthodologie
Nous avons observé qu’il est difficile de conclure sur la supériorité d’une méthodologie,
puisque les expérimentations ont été réalisées sous diverses conditions et sur des bases diffé-
rentes. On peut néanmoins remarquer que les résultats sont satisfaisants pour la segmentation
du VG, en particulier sur les coupes mi-ventriculaires, puisque la précision est de l’ordre de
la variabilité du tracé manuel. Les améliorations pour le VG sont ainsi limitées aux coupes
extrêmes basales et apicales. Au contraire, on remarque qu’un nombre limité de travaux s’est
attaqué à la segmentation du VD. En effet, cette tâche est toujours critique, due à la difficulté
de délinéation du VD, dont la forme est très variable et dont les contours sont mal définis, en
particulier sur les coupes apicales. De plus, il n’existe pas de base publique conséquente d’IRM
cardiaques labellisées pour le VD. Si le problème de segmentation du VD est toujours actuel, il
l’est en partie du fait d’un manque de données publiques et de protocoles d’évaluation permettant
de comparer les performances des différentes méthodes proposées. Aujourd’hui, de telles
bases de données pour le VG sont disponibles (en particulier les données du challenge MICCAI
2009), ce qui n’est pas le cas pour VD. Il est ainsi nécessaire de créer cette base étiquetée
pour le VD, cette tâche de segmentation très difficile présentant un intérêt croissant pour la
communauté. C’est pourquoi nous avons organisé un challenge de segmentation du VD MICCAI’12,
comme nous le verrons au chapitre V. L’avantage est de permettre une comparaison
42II.2 - 2 Méthode des coupes de graphe
honnête entre les futures méthodes proposées. A partir de cette base, notre méthodologie de
segmentation du VD en IRM cardiaques s’articule autour de deux axes :
– La définition d’un a priori de forme. La segmentation du VD est une tâche difficile
et nécessite l’utilisation d’informations a priori fortes afin de guider la segmentation.
L’analyse en composantes principales a été très utilisée dans la littérature, et a prouvé
son efficacité. Cette piste doit être étudiée pour la modélisation de la forme du VD dans
un but de segmentation.
– L’intégration de cet a priori de forme dans un cadre de segmentation. Dans la littérature,
de nombreuses pistes ont été étudiées, mais la représentation de l’image par un graphe
[4, 129], et plus particulièrement la méthode des coupes de graphe (relativement récente)
n’a été que peu explorée, notamment quant à l’ajout d’un a priori fort à la méthode.
La méthode des coupes de graphe est basée sur une optimisation globale d’une fonction
de coût et est très efficace et rapide en 2D. De plus, la méthode est assez flexible pour
prendre en compte assez facilement des informations de forme. Enfin, bien que notre
objectif premier soit la segmentation du VD (segmentation binaire), cette méthode permet
facilement une extension en multi-labels.
Notre objectif est ainsi d’utiliser la souplesse de la méthode des coupes de graphe et de son faible
coût de calcul afin de proposer une approche de segmentation efficace basée sur un a priori
de forme fort, afin de l’appliquer à la segmentation du VD en IRM cardiaques. La prochaine
partie de ce chapitre présente ce cadre général de segmentation.
2 - 2 Méthode des coupes de graphe
La méthode des coupes de graphe, ou graph cuts (GC), est une technique polyvalente qui a
suscité un fort intérêt depuis son introduction [4, 130]. Avant de définir plus formellement les
GC dans la suite de cette partie, voyons le principe de cette méthode à travers la construction
d’un graphe sur une image. Considérons un champ d’observation, telle que l’image de la Figure
II.6-(a), composée de i pixels. Le but est de réaliser une segmentation binaire de cette image, les
intensités claires formant l’objet et les intensités foncées le fond. Chaque pixel correspond à un
nœud dans le graphe (Figure II.6-(b)). Afin de représenter l’objet et le fond, deux nœuds sont
ajoutés, appelés nœuds terminaux : la source S (représentant l’objet) et le puits T (représentant
le fond). Des liens sont créés entre les nœuds et les nœuds terminaux, appelés t-links (Figure
II.6-(c)). Ces liens sont pondérés par un terme région Ri(ω) qui est un terme d’attache aux
données (Figure II.6-(d)). En considérant notre définition initiale de l’objet et du fond, ce poids
43Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
Figure II.6 – Principe de la méthode des GC à partir de la construction d’un graphe. Plus de détails
dans le texte.
est fort entre les pixels clairs et la source S et entre les pixels foncés et le puits T, modélisé par
un lien plus large (Figure II.6-(e)). Des liens sont également créés entre les pixels voisins, appelés
n-links (Figure II.6-(f)). Ces liens sont pondérés par un terme de régularisation Bi,j (Figure
II.6-(g)). Le graphe est alors totalement défini. La méthode des GC permet de déterminer la
coupe d’énergie minimale, modélisée par des lignes discontinues jaunes sur la Figure II.6-(h),
définissant le partitionnement final et ainsi la segmentation.
2 - 2.1 Modèle d’énergie d’une coupe
Le modèle d’énergie classique utilisé avec les GC est composé de deux termes distincts : un
terme région et un terme contour. Le terme région, noté Rp(Ap), assigne un coût à un pixel p ∈ P
(avec P l’ensemble des pixels de l’image) d’appartenir à Ap, où A représente une labellisation
et Rp(Ap) le coût tel que p appartienne à A. Ce coût est généralement déterminé à partir de
l’intensité du pixel p par rapport à la distribution des intensités connue de la labellisation Ap. Le
terme contours, noté Bp,q(Ap, Aq), assigne un coût à chaque paire de pixels p et q voisins (noté
alors {p, q} ∈ N). Le voisinage d’un pixel p, noté N, est défini comme un ensemble de pixels
proche de p selon une distance qui reste au choix de l’utilisateur, avec comme seule condition
la symétrie : si p est voisin de q, alors q est voisin de p. Les voisinages les plus utilisés sont les
connexités 4 et 8. Ce terme prend en compte les interactions de paire de pixels et cherche à
regrouper les pixels proches du point de vue de l’intensité dans un même objet, et au contraire
44II.2 - 2 Méthode des coupes de graphe
à séparer en plusieurs objets deux pixels ayant des intensités très différentes. Ce terme peut
ainsi être vu comme un terme de régularisation. Le modèle d’énergie pour une image est alors
donnée par :
E(A) = R(A) + λB(A) (II.5)
où :
R(A) = X
p∈P
Rp(Ap) (II.6)
B(A) = X
{p,q}∈N
Bp,q(Ap, Aq) (II.7)
avec λ une constante déterminant le poids de la régularisation. Nous avons prétendu précédemment
que la méthode des GC permet d’obtenir une optimisation exacte. Afin de le prouver, il
est nécessaire de déterminer le maximum a posteriori (MAP) de ce modèle d’énergie, permettant
une explication probabiliste de la définition de segmentation optimale. L’utilisation de ce
modèle d’énergie est justifiée par le fait qu’il peut être utilisé pour optimiser une estimation
du maximum a posteriori (MAP) d’un champ de Markov aléatoire (MRF). Le MAP détermine
la segmentation A∗ ayant la plus forte probabilité d’être en adéquation avec les données D
contenues dans l’image, tel que :
A
∗ = arg max
A
P(A|D) (II.8)
Afin de déterminer l’estimation du MAP, il est nécessaire de faire certaines hypothèses sur
les données permettant de simplifier cette estimation. La première hypothèse concerne les labels
Lp, indiquant l’objet auquel p appartient. Ces derniers doivent être des variables aléatoires et
l’ensemble des labels L = {L1, L2, . . . , L|P|} forment alors un MRF, i.e. un ensemble de variables
aléatoires, ayant chacune un voisinage symétrique N formant un sous-ensemble de variables
aléatoires. La propriété principale des MRF est l’hypothèse de Markov : la probabilité qu’une
variable aléatoire prenne une valeur selon toutes les autres du champ est égale à celle donnée par
son voisinage seul [131]. Cette hypothèse peut se traduire par P(Lp = Ap|A) = P(Lp = Ap|ANp
)
où A = {A1, A2, . . . , A|P|} est la labellisation de l’image et ANp
la labellisation des pixels
dans le voisinage Np. Pour définir un MRF, il faut également définir une taille de clique, ces
derniers étant des groupes de pixels entièrement connectés. Cette taille dicte les hypothèses
d’indépendance entre les pixels voisins de p lors du calcul de la probabilité de p à un label
particulier. Pour des cliques de taille c, alors P(Lp = Ap|ANp
) est un produit de P(Lp = Ap|C)
pour chaque clique C ∈ Np ∪ p ayant la taille c. Cette taille de clique va dépendre du voisinage
45Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
considéré : une connexité 4 ne permet que des cliques de taille 2, alors qu’une connexité 8
permet des tailles de 2, 3 ou 4. Pour simplifier les calculs, la taille typique choisie est de 2 et
donc P(Lp = Ap|ANp
) = Q
q∈Np P(Lp = Ap|Aq). Ainsi, le label d’un pixel p, en ne considérant
qu’un unique voisin q, est indépendant de tout autre pixel voisin. Cette formulation permet
d’utiliser la théorie associée aux MRF, et plus particulièrement le théorème Hammersly-Clifford
(H-C) :
P(L = A) ∝
Y
{p,q}∈N
Vp,q(Ap, Aq) (II.9)
avec Vp,q(Ap, Aq) la probabilité a priori d’un étiquetage donné pour une clique [130].
Une seconde hypothèse concerne la probabilité des caractéristiques observées pour un pixel
p. Soit D = {D1, D2, . . . , D|P|} les données de l’image tel que Dp soit par exemple l’intensité,
la couleur ou encore la texture. On fait l’hypothèse que la probabilité du pixel p dont la
caractéristique est dp ne dépend que du label considéré au pixel p, et donc indépendant des
autres, soit :
P(D|A) = Y
p
P(Dp = dp|Ap) (II.10)
Ceci correspond à une distribution des données identiquement et indépendamment distribuées,
ce qui est vrai par exemple pour les intensités d’un objet ne variant que d’un bruit Gaussien.
Il est alors possible de déterminer l’estimation du MAP A∗
, en notant H l’ensemble des
segmentations possibles A :
A
∗ = arg max
A∈H
P(A|DP)
= arg max
A∈H
P(DP|A)P(A)
P(DP)
par loi de Bayes
= arg max
A∈H
P(DP|A)P(A) puisque P(DP) est une constante indépendante de A
= arg max
A∈H
Y
p∈P
P(dp|Ap)
Y
{p,q}∈N
Vp,q(Ap, Aq) par indép. de dp sachant Ap et théorème de H-C
= arg min
A∈H
X
p∈P
− ln P(dp|Ap) + X
{p,q}∈N
− ln Vp,q(Ap, Aq) (II.11)
On remarque alors deux termes : le premier est une somme sur tous les pixels, fonction de
P(dp|Ap), étant ainsi le terme région et donnant une estimation de l’adéquation entre l’étiquetage
et les données de l’image ; le second est une somme sur tous les pixels, fonction de
Vp,q(Ap, Aq), étant ainsi le terme contours et donnant les probabilités d’un étiquetage spécifique
46II.2 - 2 Méthode des coupes de graphe
pour chaque paire de pixels voisins. La définition classique de ces deux termes est la suivante :
Rp = − ln P r(Ip|Ap) (II.12)
Bp,q =
exp
−
(Ip−Iq)
2
2σ2
.
1
(Xp−Xq)
2 si {p, q} ∈ N, Ap 6= Aq
0 sinon
(II.13)
avec Ip l’intensité du pixel p et Xp sa position physique sur l’image. Le premier terme est le
même que celui déterminé par le MAP MRF, avec comme caractéristique l’intensité de p. Cette
probabilité est calculée à partir d’informations de l’utilisateur sur les intensités des objets.
Le second terme dérive également du MAP MRF en considérant que la probabilité que deux
pixels voisins aient différents labels est modélisée par une distribution Gaussienne selon les
intensités des pixels. Ainsi, une approche probabiliste nous a permis d’obtenir la fonctionnelle
d’énergie initiale, sous certaines hypothèses définies. Cette formalisation des hypothèses permet
une meilleure compréhension de la précision des résultats en vérifiant si ces conditions sont
réunies sur les images traitées.
2 - 2.2 Segmentation binaire
Nous avons défini à l’équation II.5 la fonctionnelle d’énergie à minimiser. Nous allons tout
d’abord détailler un cas simplifié de la méthodes de GC, la segmentation binaire telle que
présentée par [4, 132]. A partir de ce cas, la méthode sera généralisée à la segmentation multilabels.
La segmentation binaire consiste à séparer un seul objet du reste de l’image, cet objet pouvant
être composé de plusieurs parties distinctes. La première étape consiste en une interaction
utilisateur afin d’identifier un certain nombre de pixels spécifiques appartenant à l’objet et au
fond. Ces pixels sont appelés graines. Les pixels labellisés objet sont dans le sous-ensemble
O ⊂ P de l’ensemble des pixels P, ceux pour le fond dans le sous-ensemble B ⊂ P. Ces graines
permettent de bien définir le problème de segmentation binaire et de créer une distribution des
intensités de l’objet et du fond pour le terme région de la fonctionnelle d’énergie. Le but est
alors le suivant : à partir d’une image donnée composée d’un ensemble de pixels P, déterminer
47Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
le vecteur A = {A1, A2, . . . , A|P|} tel que :
Ai =
”objet” ou 1
”fond” ou 0
(II.14)
minimisant l’énergie d’une segmentation E(A), définie par :
E(A) = X
p∈P
Rp(Ap) + λ
X
{p,q}∈N
Bp,q.δ(Ap, Aq) (II.15)
où :
δ(Ap, Aq) =
1 si Ap 6= Aq
0 sinon
(II.16)
Cette fonctionnelle est plus spécifique que celle vue précédemment puisqu’elle ajoute une condition
: le coût entre deux pixels voisins de même label doit être nul. L’idée fondamentale de l’algorithme
des GC est alors de définir un graphe sur la grille des pixels de l’image, les segments
du graphe étant pondérés par des poids tels que la coupe minimum du graphe définisse une
segmentation minimisant la fonctionnelle d’énergie. Considérons un graphe G = (V, E), composé
d’un ensemble de nœuds V et de segments E, et de deux nœuds supplémentaires appelés
nœuds terminaux, l’un représentant l’objet appelé source S et l’autre le fond appelé puits T.
Une coupe est alors définie comme un ensemble de segments C ⊂ E, tel que S et T soient dans
des composantes séparées dans le sous graphe G′ = (V, E − C). Le coût d’une coupe C vaut
alors la somme des poids des segments contenus dans C :
|C| =
X
e∈C
we (II.17)
où we est le poids du segment e. La coupe minimum d’un graphe est la coupe de coût minimum.
Elle correspond à une partition des nœuds à la source S ou au puits T, ce qui est équivalent
à une segmentation binaire. Il faut ainsi définir la construction du graphe telle que la coupe
minimale du graphe soit la segmentation d’énergie minimale. Pour cela et pour rappel, nous
considérons que les pixels de l’image sont les nœuds du graphe, auxquels on ajoute les deux
nœuds terminaux S et T pour représenter l’objet et le fond. Les liens entre nœuds voisins
sont appelés n-links, {p, q} notant un n-link entre deux nœuds p et q. Les liens entre les nœuds
terminaux S et T et les pixels de l’image sont quant à eux appelés t-links. La figure II.7 présente
48II.2 - 2 Méthode des coupes de graphe
un exemple de construction d’un tel graphe à partir d’une image en niveau de gris et d’une
graine objet et une graine fond, (II.7 (a) et (b)), afin de déterminer la coupe minimale et ainsi
la segmentation (II.7 (c) et (d)), tel que proposé par [4]. Dans le graphe G′
, il est naturel
de considérer que les nœuds étant dans la même composante que S font partie de l’objet et
ceux dans la même composante que T du fond. Ceci peut être formalisé en définissant une
segmentation A(C) déterminée par une coupe C telle que :
Ap(C) =
”objet” ou 1, si {p, T} ∈ C
”fond” ou 0, si {p, S} ∈ C
(II.18)
La façon intuitive de définir les poids des segments du graphe est que le coût de la coupe soit
égale à l’énergie de segmentation A(C), soit |C| = E(A(C)). Ainsi, en minimisant |C|, l’énergie
E(A(C)) est minimisée. On peut tout d’abord remarquer que le poids des n-links correspond
au terme contours. Il faut juste s’assurer qu’une coupe de n-link n’est possible que si les deux
pixels voisins ne sont pas dans la même composante, permettant l’ajout du coût contour approprié
à la coupe. D’une façon similaire, il est possible d’assigner aux t-links le terme région. Si
{p, T} fait partie de la coupe (resp. {p, S}), alors Ap(C) = 1 (resp. 0) et le poids de {p, T} doit
être Rp(1) (resp. Rp(0) pour {p, S}). De plus, le coût des nœuds provenant des graines, dont on
sait qu’ils appartiennent à O ou à B, doit être nul ou infini afin de forcer ou interdire la coupe.
Le tableau II.2 présente l’assignation des poids pour chaque segment dans la construction du
graphe. Cette construction du graphe permet l’obtention d’une segmentation A où E(A) est minimale
pour toute segmentation A satisfaisant les contraintes fortes provenant des graines [132].
Tableau II.2 – Les différents poids assignés aux segments lors de la construction du graphe.
Segment Poids Cas d’assignation
{p, q} Bp,q {p, q} ∈ N
λRp(0) p ∈ P, p /∈ O ∪ B
{p, S} ∞ p ∈ O
0 p ∈ B
λRp(1) p ∈ P, p /∈ O ∪ B
{p, T} 0 p ∈ O
∞ p ∈ B
La méthode des coupes de graphe que nous avons présentée possède certaines limitations
mais également de bonnes propriétés. Une première limitation peut être la nécessité de placer
les graines. Cette interaction peut être assez lourde pour des cas compliqués de segmentation,
49Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
Figure II.7 – Illustration de la construction du graphe et de la segmentation par la méthode des coupes
de graphe. A partir d’une image et de graines objet O = {v} et fond B = {p} (a), il est possible de créer le
graphe dont l’épaisseur des segments représente les coûts (b). La détermination de la coupe minimale (c)
permet d’obtenir la segmentation finale (d). Cette figure est tirée de [4].
et sujet à la variabilité. Ces graines sont pourtant importantes puisqu’elles permettent à la fois
de limiter l’espace de recherche et déterminer les probabilités a priori permettant de calculer
Rp(Ap). La détermination automatique de graines est possible, mais n’est pas une tâche aisée.
Un avantage de la méthode des GC est sa gestion des différentes topologies sans aucun biais,
contrairement à d’autres techniques favorisant les régions elliptiques ou nécessitant des régions
connectées, comme une variante de l’algorithme k-means [133].
2 - 2.3 Segmentation multi-labels
L’algorithme des GC peut être étendu à la segmentation d’un nombre arbitraire de régions
dans une image. La méthode des coupes de graphe multi-labels a été utilisée dans des cadres
très différents. Tout d’abord la stéréo, pour du calcul de profondeur de scène [134], l’estimation
de disparité [135] ou de la reconstruction [136]. La méthode a également été utilisée afin
de réaliser du recalage non-rigide pour différentes mesures de similarités [137–141]. D’autres
applications ont également été étudiées, tel que le suivi [142, 143] ou la restauration d’image
[144, 145]. Cependant, dans ce cas, il n’est plus possible de déterminer la solution globale exacte
50II.2 - 2 Méthode des coupes de graphe
comme pour la méthode binaire, le problème étant NP-difficile [146]. Il est cependant possible
de déterminer une approximation de la solution. Nous verrons dans la suite de cette partie
une solution d’approximation au problème multi-labels appelée α-expansion [146, 147]. Il est
à noter qu’il est nécessaire de connaître à l’avance le nombre de labels possibles. Cette limitation
peut également être un avantage pour des problèmes de segmentation spécifiques où le
nombre d’objets à segmenter est connu, comme en imagerie médicale. Ce problème peut être
formulé d’une façon similaire à la segmentation binaire : un vecteur A = (A1, A2, . . . , A|P|) est
recherché, avec P l’ensemble des pixels, tel que Ai ∈ L avec L l’ensemble des N labels. Le but
est toujours de minimiser la fonctionnelle d’énergie de l’équation II.15, mais la minimisation
n’est pas exacte. Les travaux originaux [146] ont proposé deux méthodes d’approximations reposant
sur le même principe. A partir d’une labellisation arbitraire, l’assignation des labels est
itérativement modifiée en résolvant un sous-problème binaire.
La première méthode, appelée α-β swap, ne considère que les sous-ensembles de pixels dans
l’image ayant les labels courants fp = α ou fp = β, et permet l’échange de ces deux labels à
chaque itération. Ce procédé est réalisé jusqu’à convergence pour chaque paire de labels. Cette
méthode ne sera pas détaillée plus en détails car la seconde approximation, appelée α-expansion,
est plus rapide et est plus proche de la solution optimale dans la plupart des applications
[148]. Il est cependant important de noter que cette méthode permet l’utilisation de classes de
fonctionnelles d’énergie plus importantes qu’avec l’α-expansion : une semi-métrique sur l’espace
des labels pour le terme contours au lieu d’une métrique [147], ce qui limite le choix des énergies
contours comme nous le verrons par la suite.
Le principe de la méthode α-expansion est de considérer un label α contre tous les autres,
noté ¯α. A chaque itération, la segmentation optimale binaire est réalisée, chaque pixel pouvant
prendre le label α ou conserver son ancien label, permettant une expansion α. Cette étape
est réitérée jusqu’à la convergence des labels. La construction du graphe est cependant plus
difficile que précédemment puisqu’en considérant deux pixels initiaux de labels différents de
α, fp 6= α et fq 6= α, le coût de Bp,q(α, α¯) = Bp,q(α, fq) et Bp,q(¯α, α) = Bp,q(fp, α) ne sont
généralement pas les mêmes, contrairement au cas binaire. Le coût de coupe d’un n-link est
ainsi dépendant des assignations respectives de p et q. Pour résoudre ce problème, l’article
original [146] propose l’ajout de nœuds supplémentaires aux pixels et nœuds terminaux pour la
construction du graphe. Un article plus récent permet une construction du graphe plus simple
[147], sans ajout de nœuds, mais en utilisant un graphe orienté. Nous appuierons la suite de
cette description sur ce dernier article.
Afin de décrire la construction du graphe, il est nécessaire d’introduire certaines notations :
soit un label α, notons Pα l’ensemble des pixels ayant comme label courant α et Pα¯ les autres
51Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
pixels, tel que Pα ∪Pα¯ = P. Un voisinage orienté doit alors être créé, qui consiste à ajouter une
direction à chaque n-link. Ce voisinage orienté peut être arbitraire, mais par simplicité pour un
pixel p et tout q ∈ Np, nous définissons comme voisin entrant tout pixel q à gauche ou au-dessus
de p, noté
−→Np, et comme voisin sortant tout pixel q à droite ou en dessous de p, noté
←−Np. La
construction du graphe peut alors débuter : soit G = (V, E) un graphe où V = P ∪ {S} ∪ {T}
et S et T sont les nœuds terminaux. Les segments de E sont orientés, les t-links de S à tout
p ∈ P sont notés (S, p) et de tout p ∈ P à T sont notés (p, T). E contient également les n-links
(p, q) (orientés, (p, q) 6= (q, p)) entre toute paire de pixels p ∈ P et q ∈
←−Np. Le but est alors
d’assigner aux segments des coûts appropriés tels que la coupe minimale C minimise l’énergie
et détermine la segmentation suivante :
Ap(C) =
α si {S, p} ∈ C
α¯ = fp si {p, T} ∈ C
(II.19)
où fp est le label courant du pixel p. Comme pour le cas binaire, il semble naturel d’assigner
les poids tel que le coût d’une coupe |C| soit égale à E(A(C)). Nous considérerons séparément
dans la suite les termes régions et contours R(A) et B(A) afin d’assigner les coûts appropriés
à chaque segment. Ces coûts seront alors ajoutés, puisque E(A) est une somme [147]. La prise
en compte du terme R(A) dans la construction du graphe est aisée : pour tout p ∈ Pα¯, si p ne
change pas de label le coût est de Rp(fp) (ce qui revient à couper le t-link (p, T)), et si p change
son label en α le coût est alors de Rp(α) (ce qui revient à couper le t-link (S, p)). Dans le cas
où p ∈ Pα, on ne peut assigner le label ¯α puisqu’il n’est pas unique. Dans ce cas, le t-link (S, p)
doit être coupé et son coût de coupe doit être nul, alors que le t-link (p, T) doit avoir un coût
de coupe infini. Le tableau II.3 présente cette affectation des poids pour le terme R(A) dans la
construction du graphe.
Tableau II.3 – Les différents poids assignés aux segments pour le terme région R(A) lors de la construction
du graphe.
Segment Poids Cas d’assignation
(S, p)
λRp(α) p ∈ Pα¯
0 p ∈ Pα
(p, T)
λRp(fp) p ∈ Pα¯
∞ p ∈ Pα
Concernant le terme contour B(A), on peut considérer la somme des coûts pour chaque lien
n-link coupé [147]. Pour chaque paire de pixels p et q, les coûts du terme contour sont basés
52II.2 - 2 Méthode des coupes de graphe
sur les assignations Ap et Aq :
(Ap, Aq) = (¯α, α¯) : Bp,q(fp, fq) = Vp,q, (Ap, Aq) = (α, α¯) : Bp,q(α, fq) = Vα,q,
(Ap, Aq) = (¯α, α) : Bp,q(fp, α) = Vp,α, (Ap, Aq) = (α, α) : Bp,q(α, α) = Vα,α.
Ces différentes assignations de p et de q correspondent à une coupe spécifique du sous-graphe
contenant p, q ainsi que S et T. Afin de définir le coût approprié à une assignation spécifique,
il est nécessaire de sommer les coûts de chaque segment coupé de ce sous-graphe. Par exemple,
si Ap = ¯α et Aq = α, alors trois segments sont coupés : wS,p + wp,q + wp,T = Vp,α. Ce coût total
peut être déterminé pour chaque coupe possible. Du fait que le graphe est orienté, si Ap = α
et Aq = ¯α alors le lien (p, q) n’est pas considéré car le coût d’une coupe est la somme des
coupes de la source S vers le puits T. L’orientation du graphe permet de résoudre l’ensemble
des équations linéaires des assignations possible de p et de q. Les poids obtenus sont alors les
suivants :
wS,p = Vα,q, wS,q = Vα,α − Vα,q, wp,T = Vp,q,
wq,T = 0, wp,q = Vα,q + Vp,α − Vα,α − Vp,q.
Certains de ces poids sont négatifs, alors que des poids positifs sont nécessaires à l’obtention
de la coupe minimale. En effet, puisqu’un coût contour n’est affecté que si les assignations sont
différentes alors V (α, α) = 0, ce qui implique que wS,q < 0. De plus wp,q n’est positif que si
Vα,q + Vp,α ≥ Vp,q. Ce problème peut être résolu en ajoutant une constante aux segments (S, q)
et (q, T), un de ces deux liens apparaissant pour chaque coupe possible. Cette constante doit
valoir au moins Vα,q afin que wS,q ≥ 0. On obtient finalement les poids suivants :
wS,p = Vα,q, wS,q = 0, wp,T = Vp,q,
wq,T = Vα,q, wp,q = Vα,q + Vp,α − Vp,q.
Finalement, la seule condition restante est : Vα,q + Vp,α ≥ Vp,q. Comme montré par [147], la
méthode des GC avec l’α-expansion permet ainsi de minimiser des classes d’énergie satisfaisant
l’inégalité suivante : Bp,q(α, α) + Bp,q(fp, fq) ≥ Bp,q(α, fq) + Bp,q(fp, α). La classe d’énergie
utilisée doit donc être une métrique sur l’espace des labels afin que Vp,q soit sous-modulaire. Lors
de la création d’un poids contour, il est donc important et nécessaire de vérifier ces conditions.
Les poids finaux des segments du graphe peuvent alors être déterminés en combinant le terme
région et le terme contour : ces poids sont donnés par le tableau II.4.
La preuve que la coupe minimum par cette construction du graphe pour un label α permet
l’obtention de l’assignation optimale des α peut être trouvée en [147]. Afin de déterminer la
segmentation multi-labels, il est nécessaire de répéter le processus d’α-expansion pour chaque
53Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
Tableau II.4 – Les différents poids assignés aux segments pour l’approximation α-expansion, pour un
label α et un voisinage orienté N.
Segment Poids Cas d’assignation
(p, q) Bp,q(α, q) + Bp,q(p, α) − Bp,q(p, q) p ∈ P, q ∈
←−Np
(S, p)
λRp(α) + P
q∈
←−Np
Bp,q(α, q) p ∈ Pα P
q∈
←−Np
Bp,q(α, q) p ∈ Pα
(p, T)
λRp(fp) + P
q∈
←−Np
Bp,q(p, q) + P
q∈
−→Np
Bp,q(α, q) p ∈ Pα¯
∞ p ∈ Pα¯
label jusqu’à convergence. Ceci permet d’obtenir une approximation proche de la segmentation
optimale [146] : si ˆf est la segmentation obtenue par cette approximation et f
∗
la segmentation
optimale, alors les auteurs ont prouvé que :
E(
ˆf) ≤ 2k.E(f
∗
) (II.20)
où k est une constante dépendant des valeurs de Bp,q et valant k =
max{Bp,q(α,β):α6=β}
min{Bp,q(α,β):α6=β}
.
2 - 2.4 Algorithmes de recherche de coupe minimum
La détermination de la coupe minimale d’un graphe est un problème qui a été très étudié
dans la littérature, et des solutions efficaces sont disponibles. Cette partie va brièvement exposer
le principe d’un des algorithmes les plus connus de détermination de la coupe minimum, basé
sur [146, 149]. La clé de ce principe est le théorème de Ford et Fulkerson (1956) [150] statuant
que déterminer la coupe minimale dans un graphe orienté avec une source et un puits équivaut
à déterminer le flot maximal. Le flot d’un graphe peut être vu comme une valeur assignée à
chaque segment, telle que sa valeur soit inférieure au poids du segment, et que la somme du flot
entrant dans un nœud équivaut à la somme du flot sortant de ce nœud. Le poids d’un segment
peut alors être vu comme la capacité maximale de flot de ce segment. Plus formellement, le flot
d’un graphe est une fonction f à valeurs réelles sur les segments tel que ∀e ∈ E, fe ≤ we, et
∀v ∈ V \{S, T},
P
e∈(.,v) fe =
P
e∈(v,.) fe. S’il est possible de déterminer une coupe dont la somme
des poids des segments vaut c, alors c est l’unité maximale pour traverser cette coupe, et donc
le flot vaut au plus c. De même, s’il existe un flot f de S à T, alors le coût de toute coupe
séparant S et T vaut au minimum f. Ce théorème min-cut max-flow est intéressant puisqu’il
affirme que si une coupe et un flot ont la même valeur, alors cette coupe est minimale et ce flot
est maximal. La figure II.8 illustre cette équivalence entre coupe minimale et flot maximal.
L’équivalence entre coupe minimum et flot maximum a été utilisée afin de créer un algo-
54II.2 - 2 Méthode des coupes de graphe
Figure II.8 – Illustration de l’égalité entre coupe minimale et flot maximal. Les segments sont pondérés
par une fraction x/y où x est le flot et y le poids du segment. Le flot courant est de 5, déterminé en sommant
le flot en sortie de S (ou d’une façon équivalente arrivant à T). La coupe est visualisée par par la ligne
noire, séparant le graphe en deux sous-ensembles S et T. En ajoutant les poids des segments, on remarque
que le coût de la coupe est également de 5. Puisque le coût de coupe est égal au flot, alors la coupe est
minimale et le flot maximal. Cette figure est issue de [151].
rithme de recherche de la coupe minimum, appelé algorithme augmenting path (chemin augmentant)
et développé par Ford et Fulkerson. Le principe est de continuellement augmenter
le flot dans le graphe. Lorsqu’il ne peut plus être augmenté, alors la coupe de même valeur a
été déterminée et est la coupe minimale. En partant d’un flot nul, un chemin de S vers T est
recherché, tel que we − fe > 0 si le segment est orienté vers le puits et fe > 0 si le segment
e est dirigé vers la source. Ce chemin est appelé augmenting path. Le but est de rechercher
tout chemin où un flot peut être ajouté, et d’augmenter le flot tel qu’au moins un segment soit
saturé, c’est-à-dire we = fe si le segment est dirigé vers le puits, fe = 0 sinon. Cette étape
est réitérée jusqu’à ce qu’aucun augmenting path ne puisse être trouvé. Le flot maximum, et
donc la coupe minimum, ont ainsi été déterminés. La figure II.9 illustre cet algorithme sur un
exemple simple.
La variation Dinic de l’algorithme original propose la recherche de l’augmenting path le plus
court à chaque étape. Cette recherche permet de déterminer la coupe minimum en un temps
O(n
2m), avec n le nombre de nœuds du graphe et m son nombre de segments. En pratique,
dans le cas où l’image est un graphe, l’algorithme le plus efficace est basé sur les augmenting
paths et a été défini par [152]. C’est sur ce dernier algorithme que repose la minimisation de
l’énergie de la méthode des coupes de graphe.
55Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
Figure II.9 – Illustration des différentes étapes de l’algorithme augmenting path. Les segments sont
pondérés par une fraction x/y où x est le flot et y le poids du segment. (a) présente le graphe initiale,
(b)-(d) les différentes étapes d’augmentation du flot, (e) le flot maximal. Cette figure est issue de [151].
2 - 2.5 Intégration d’a priori
La méthode des coupes de graphe binaire a donné lieu à de nombreux développements théoriques
[153] et applicatifs [154–158]. Nous avons vu l’intérêt de l’utilisation d’informations a
priori fortes afin de guider la segmentation à la section 2 - 1.3 . La méthode des coupes de graphe
permet de facilement prendre en compte des informations de forme. Ainsi, des contraintes ou
des modèles concernant l’objet à segmenter peuvent être introduits, au travers d’un terme supplémentaire
dans la formulation de l’énergie de l’équation II.15. La manière d’incorporer ces
informations a priori dépend des informations disponibles : soit les contraintes sont faibles
et sont de simples hypothèses sur la forme générale de l’objet (convexe par exemple), soit les
contraintes sont fortes et concernent une forme précise à retrouver dans l’image.
Contraintes faibles : Dans la littérature, les contraintes sur la forme générale d’un objet
sont généralement spécifiées au travers des n-links, modifiant l’étiquetage dans le voisinage des
pixels selon l’hypothèse effectuée. Dans [159], les valeurs de l’énergie contours Bp,q sont modifiées
56II.2 - 2 Méthode des coupes de graphe
(a) (b)
Figure II.10 – (a) Exemple de contrainte faible imposée à la segmentation par coupe de graphe selon
[161] avec calcul de l’angle α, permettant au contour (rouge) d’évoluer vers une forme convexe (vert) ; (b)
Schéma de connectivité permettant l’introduction de contraintes entre les coupes proposé par [162] pour
un point de contrôle c (cylindre rouge) avec ses voisins Nc (sphères grises), ses points de contrôle voisins
sur la même coupe, ou slice (cylindres oranges) et sur les coupes voisines u et r (cubes bleus).
en interdisant certaines positions relatives de p et q, favorisant ainsi les formes compactes.
La même méthodologie est utilisée dans [160] pour des formes plus générales que des formes
convexes, définies en imposant que si C est le centre de la forme et p un point dans la forme, tout
point q situé sur la droite (C, p) après p soit également dans la forme. Notons que cette méthode
présente un effet intéressant contrant le biais de rétrécissement généralement observé dans
la segmentation par coupe de graphe, mais pose des problèmes importants de discrétisation.
Imposer que le résultat de la segmentation soit convexe peut également être fait au travers d’un
terme d’énergie supplémentaire de la forme 1 − cos(α) où α est l’angle entre (p, q) et (p, C) où
C est le centre de l’objet, désigné par un clic de l’utilisateur [161]. On voit ainsi comment des
angles importants sont pénalisés par de fortes valeurs de l’énergie, encourageant ainsi les coupes
grossièrement convexes dans le graphe (Figure II.10-(a)). Plus récemment, des informations sur
les intensités et des contraintes de régularisation entre les contours de différentes coupes ont été
intégrées aux n-links du graphe pour la segmentation 3D du VG [162]. Cette méthode repose
sur des règles contraignant les caractéristiques géométriques, de topologie et d’apparence du
VG à partir de points de contrôle issus d’un modèle fixe placé lors d’une phase d’initialisation.
La Figure II.10-(b) présente le schéma de connectivité du graphe pour cette méthode.
Contraintes fortes : Lorsqu’un modèle de l’objet à segmenter est disponible, il est en
général imposé à la segmentation au travers des t-links, ce qui inclut, dans la formulation de
57Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
l’énergie du graphe, un terme supplémentaire qui peut être similaire au terme régional Rp. Les
formulations classiques de Rp sont reprises en remplaçant les modèles d’intensités sur l’objet
par les étiquettes du modèle, qui peut être une courbe paramétrique permettant de segmenter
des structures circulaires [163], ou par une carte des probabilités [164, 165], et dans ce cas
l’énergie liée à l’a priori prend la forme :
Es(ωp) = − ln(P rA(ωp)) (II.21)
où (P rA(ωp)) représente la probabilité du pixel p d’appartenir à la classe ωp selon le modèle.
Notons que l’utilisation d’un a priori de forme pose un problème difficile de mise en correspondance
du modèle avec l’image. Le recalage peut être fait de façon itérative et donc coûteux en
temps de calcul : les phases d’estimation des paramètres de pose et de calcul de la segmentation
sont alternées [165–168]. Par exemple, la méthode proposée par [166] consiste à rechercher
alternativement les paramètres de pose, de l’ACP et du GMM en utilisant une descente de
gradient (étape de maximisation) et à segmenter par la méthode des coupes de graphe en utilisant
la forme courante donnée par l’ACP (étape d’estimation), par une approche EM. Dans le
cas où le recalage est préalable à la segmentation, le processus repose sur une intervention de
l’utilisateur [164, 169]. Le modèle est défini dans ce cas par une carte des distances ou un atlas.
Notons que ces modèles sont limités pour représenter judicieusement les variabilités de forme.
Une particularité est à noter dans les travaux de Freedman and Zhang [169], une des premières
méthodes intégrant un a priori de forme fort dans la méthode des GC : le terme d’a priori
est intégré aux n-links. Leur méthode consiste en l’utilisation d’un modèle de forme unique,
décrit par une carte des distances non signées aux contours de l’objet φ¯, recalé sur l’image à
segmenter par une analyse Procruste réalisée grâce à des graines définies par l’utilisateur. L’a
priori de forme est pris en compte dans l’énergie du graphe par un terme additionnel φ¯
p+q
2
dans les n-links :
E(A) = X
p∈P
(1 − λ)µRp(Ap) + X
(p,q)∈N:Ap6=Aq
(1 − λ)Bp,q + λφ¯
p + q
2
(II.22)
avec Rp et Bp,q respectivement définis aux équations II.12 et II.13, et λ et µ des paramètres
contrôlant respectivement la régularisation et l’influence de l’a priori de forme. Les graines de
l’utilisateur sont nécessaires au recalage du modèle de forme, mais également à la modélisation
des intensités de l’objet et du fond pour le terme Rp.
Concernant la méthode des coupes de graphe multi-labels, peu de travaux ont été proposés
58II.2 - 3 Conclusion
dans un but de segmentation : une première étape par GC avant une méthode basée sur le
clustering [170] ou pour la segmentation d’images naturelles [171, 172]. Et à notre connaissance,
seules une méthode itérative basée sur un ASM par [173] et une méthode interactive basée sur
un modèle d’apparence par [174], intègrent un a priori fort à la méthode des coupes de graphe
multi-labels.
2 - 3 Conclusion
Dans les applications où la forme à segmenter est connue a priori (par exemple un organe en
imagerie médicale), le processus de segmentation peut être guidé par un modèle de forme ou des
contraintes sur celle-ci. Pour des images ayant un contraste faible ou un taux de bruit élevé, une
telle contrainte permet d’améliorer la précision de la segmentation. Dans le cadre des modèles
déformables par exemple, l’intégration de contraintes de forme a été largement étudiée, avec
des modèles basés sur une analyse en composantes principales ou sur des atlas. L’avantage de
la méthode des coupes de graphe est sa capacité à donner efficacement une solution optimale
pour l’utilisation conjointe de différentes informations sur l’image. A ce jour, les travaux de
segmentation par coupe de graphe en prenant en compte des formes a priori sont encore peu
nombreux dans la littérature. Deux problèmes se posent en effet : la modélisation de la forme
de l’objet à segmenter et son intégration dans l’algorithme de coupe de graphe.
L’objectif du prochain chapitre va être de concevoir et développer une méthode de segmentation
à base de coupes de graphe, utilisant un a priori de forme statistique. L’intérêt va être
d’intégrer un a priori de forme statistique fort à la méthode des coupes de graphe dans un but
de segmentation, avec comme application la segmentation du VD en IRM cardiaques.
59Chapitre II. Etat de l’art des méthodes de segmentation des ventricules
cardiaques en IRM
60Chapitre III
Segmentation binaire par coupes de graphe avec
un modèle de forme statistique
Le chapitre II a montré que l’intégration d’un modèle de forme statistique à une méthode
permet de guider la segmentation, et d’augmenter la robustesse et la précision de la méthode
[84]. Nous avons vu que de nombreux travaux ont été réalisés dans la littérature sur la construction
et l’utilisation de modèles statistiques de forme dans le but d’aider à segmenter des images
[175–182]. Ce modèle de forme peut être explicite, tel que le modèle de distribution de points
(PDM) [5]. Ce dernier a été très utilisé, mais nécessite le placement de points de correspondance.
Il peut également être implicite en utilisant la fonction distance signée (SDF) [90], ne
nécessitant alors qu’un alignement grossier des données au préalable. Des modèles utilisant ces
deux représentations (PDM vs. SDF) seront présentées et comparées dans la section 3 - 1 .
Issue de cette comparaison, nous avons proposé un modèle de forme basé sur la SDF. Notre
objectif est d’utiliser la souplesse et le faible coût de calcul de la méthode des coupes de graphe
afin de proposer une approche de segmentation efficace basée sur un a priori de forme statistique,
sans la nécessité d’un procédé itératif. Or il est difficile d’intégrer directement le modèle
dans le graphe. C’est pourquoi nous avons défini un a priori de forme à partir de ce modèle afin
de l’intégrer directement dans les pondérations du graphe. Cette contribution sera présentée
dans la section 3 - 2 . Enfin, la section 3 - 3 présentera les résultats expérimentaux obtenus
sur IRM cardiaque.
61Chapitre III. Segmentation binaire par coupes de graphe avec un modèle de
forme statistique
3 - 1 Représentation d’un modèle statistique de forme
Avant de définir notre modèle de forme, nous allons présenter les deux modèles statistiques
de forme : PDM et SDF. Le modèle de distribution de points est la représentation la plus
largement utilisée, notamment dans le cadre des ASM. La représentation PDM est explicite :
les objets sont représentés par un nombre fini de points de correspondance [97, 115, 183]. La
correspondance entre les points est une condition nécessaire à la réalisation de l’analyse. En
pratique, l’utilisation du PDM peut poser problème : le nombre de formes disponibles dans l’ensemble
d’apprentissage doit être suffisant pour réaliser l’analyse, la labellisation manuelle des
données médicales peut être une tâche très fastidieuse et l’établissement des correspondances
peut aussi être très difficile. De plus, cette étape peut être sujette à la variabilité si elle est
manuelle, et à l’erreur de détection si automatique.
Une autre représentation consiste à utiliser la distance minimale (généralement Euclidienne)
au contour de l’objet, ou SDF [90, 184]. La SDF consiste à considérer les frontières de la forme
comme une courbe de niveau zéro et la carte des distances est construite en calculant la distance
minimale signée au contour de l’objet. Une analyse en composantes principales (ACP)
permet alors de modéliser les variabilités présentes dans la base d’apprentissage par une décomposition
en valeurs et vecteurs propres de la matrice de covariance de l’ensemble des formes.
Les vecteurs propres, appelés également formes propres, représentent les variabilités des formes
de l’ensemble d’apprentissage par rapport à la moyenne, ces variabilités étant représentées implicitement
par la variabilité des distances. La décomposition en formes propres utilisant la
représentation implicite par SDF tolère de légers désalignements des objets, puisque des pixels
légèrement désalignés sont généralement fortement corrélés avec cette représentation. Néanmoins,
la combinaison linéaire de la forme moyenne et de ses vecteurs propres pondérés pour
décrire une nouvelle forme par la représentation SDF peut résulter en un espace invalide, puisque
la combinaison linéaire de carte de distances ne résulte pas en une carte de vraies distances.
En effet, une approximation est réalisée en considérant l’espace comme étant linéaire. De plus,
cette décomposition ne permet pas d’obtenir l’espace des probabilités conditionnelles, d’où la
proposition de certains auteurs de remplacer la SDF par le logarithme de la probabilité d’une
structure d’être présente à l’emplacement considéré [185], ou logOdds. Cependant, comme cela
est souligné dans [90], bien que les surfaces résultantes ne soient pas forcément de réelles cartes
de distances avec la représentation SDF, elles ont généralement l’avantageuse propriété d’être
lisse, de permettre des déformations locales des formes et d’avoir une courbe de niveau zéro
cohérente avec la combinaison des courbes originales.
62III.3 - 1 Représentation d’un modèle statistique de forme
(a) (b)
Figure III.1 – Illustration de la carte de distance sur une forme carrée : à partir du contour de ce carré
(a), la carte de distance signée est créée (b), avec par exemple des valeurs négatives à l’intérieur du carré.
Plus l’intensité est claire, plus la distance au contour de la forme est importante.
Dans la section suivante, un modèle de forme statistique basé sur la carte des distances est
proposé, dérivé de la représentation SDF précédemment introduite par [90, 186], avec lequel
nous réaliserons une comparaison avec la représentation PDM.
3 - 1.1 Représentation des formes basée sur la fonction distance
Soit un ensemble de n images binaires 2D alignées, de taille H × W, composé de formes
de la même classe d’objet. La carte signée SDF de chaque image/forme est définie comme
H × W échantillons codant la distance au point le plus proche du contour, avec par convention
des valeurs négatives à l’intérieur de l’objet. Un exemple de carte de distances est donné à
la Figure III.1. Soit Z la matrice SDF, où chaque vecteur colonne est l’ensemble des H × W
échantillons distance de chaque forme et où chaque ligne représente les distances pour un même
pixel à chaque forme de l’ensemble d’apprentissage. L’objectif est d’extraire les variations des
formes de la matrice Z. La moyenne des cartes des distances est réalisée en moyennant chaque
ligne de Z :
ρ =
1
n
Xn
i=1
Z.,i (III.1)
63Chapitre III. Segmentation binaire par coupes de graphe avec un modèle de
forme statistique
ρ est un vecteur de taille H.W. Pour capturer la variabilité, nous proposons une approche
différente que celle proposée dans la littérature [85, 90] utilisant une représentation par la fonction
distance. Généralement, la moyenne signée des cartes de distances est choisie en tant que
référence, ce qui implique que l’analyse en composantes principales est effectuée dans l’espace
des fonctions distances. Or, la moyenne de distances signées n’est pas une distance signée, nous
réinitialisons donc cette carte avec sa vraie distance. Nous proposons ainsi de d’abord calculer
la forme moyenne à partir de la carte moyenne des distances signées puis ensuite de calculer sa
carte des distances signées. Soit p un point du domaine de l’image inclus dans IR2
. La forme
moyenne binaire est définie par :
χρ
(p) =
−1 if ρ(p) ≥ 0
+1 if ρ(p) < 0
(III.2)
Soit C l’ensemble des points du contour de la forme moyenne binaire χρ
(p). La référence µ est
calculée en déterminant les distances au contour :
µ(p) = χρ
(p) × inf
q∈C
|p − q| (III.3)
Chaque forme est alors centrée :
M =
h
(Z.,1 − µ) · · · (Z.,n − µ)
i
(III.4)
De cette façon, l’ACP est construite dans l’espace des variations des formes. La variabilité des
formes est capturée par l’utilisation de l’ACP : en utilisant la méthode de décomposition en
valeurs singulières (SVD), la matrice de covariance définie par 1
nMMT, est décomposée afin de
déterminer les modes orthogonaux de variations de forme et leurs valeurs propres correspondantes
:
1
n
MMT = UΣUT (III.5)
où U est une matrice dont les vecteurs colonnes représentent l’ensemble des modes orthogonaux
de variation de forme, nommés vecteurs propres, et Σ est une matrice diagonale de taille n × n
des valeurs singulières correspondantes, ou valeurs propres. Il est à noter que la dimension de
1
nMMT est très grande et dépend du nombre de pixels H.W × H.W. Le calcul de valeurs
et formes propres de cette matrice est très coûteuse. Une solution existe pour faire face à de
grandes tailles d’échantillons pour l’ACP [187]. Soit W une matrice de plus petite taille n × n
64III.3 - 1 Représentation d’un modèle statistique de forme
définie par :
W =
1
n
MTM (III.6)
Afin de déterminer les vecteurs propres de la matrice originale, si e est un vecteur propre de
W dont la valeur propre correspondante est λ, alors Me est un vecteur propre de 1
nMMT de
valeur propre λ :
1
n
MMT(Me) = M(
1
n
MTM)e
= M(We)
= Mλe
= λ(Me) (III.7)
Pour chaque forme propre e de W, Me est le vecteur propre de 1
nMMT. Ainsi, la taille de la
matrice des vecteurs propres U est de H.W × n.
Dans la suite, nous considérons que les vecteurs propres ont été triés en fonction de l’importance
de leur valeur propre correspondante. Soit k ≤ n le nombre de modes à considérer,
ces derniers définissant la quantité de variations de forme retenue. Soit z une forme inconnue
de la même classe d’objet. Une estimation ˆz de z peut être calculée par :
ˆz = µ +
X
k
i=1
αiUk.,i
(III.8)
où αi est obtenue avec :
α = UT
k
(z − µ) = {α1 . . . αk} (III.9)
avec UT
k
la matrice des k premières colonnes de U utilisées pour projeter z dans le sous-espace.
3 - 1.2 Comparaison des modèles de forme
Afin d’illustrer les différences entre la modélisation PDM et la nôtre, une comparaison empirique
a été effectuée sur une base de données de 12 images d’avions de taille 114 × 114 [85]
(Figure III.2). L’ensemble des images a été préalablement aligné. Chaque modèle a été construit
à partir des images alignées, le PDM a été calculé à partir de ℓ points de correspondances. La
superposition des deux formes moyennes et de leurs modes de variation principaux est donnée
par la figure III.3. Celle-ci illustre la similarité des deux formes moyennes et montre que bien
que les deux modèles ne représentent pas la variabilité des formes dans le même espace, leurs
65Chapitre III. Segmentation binaire par coupes de graphe avec un modèle de
forme statistique
Figure III.2 – Base de données binaire de 12 images alignées d’avion (tiré de [85]).
axes de variations semblent similaires.
Dans la suite de cette partie, nous tâchons de quantifier la différence entre les deux modèles
lors de son utilisation pour définir une forme nouvelle. Chaque forme de la base d’avions a été
reconstruite en utilisant les deux représentations, SDF et PDM, avec une stratégie leave-oneout
: n − 1 formes sont utilisées pour construire les modèles, et la dernière est utilisée pour
l’estimation. Il est à noter que le PDM consiste en ℓ points de correspondances créés sur des
points facilement identifiables. Deux métriques standard ont été calculées afin de comparer la
forme estimée à la forme réelle : (i) le coefficient Dice DM(A, B), une mesure de recouvrement
entre deux formes A et B définie par :
DM(A, B) = 2|A ∩ B|
|A| + |B|
(III.10)
et (ii) la distance perpendiculaire moyenne, ou Point To Curve (P2C) entre les deux contours
définie par :
P2C(A, B) = 1
|A|
X
a∈A
min
b∈B
d(a, b) (III.11)
où |A| représente le nombre de points du contour A et d(.) la distance euclidienne. Les résultats,
présentés à la table III.1, présentent le score de recouvrement et la distance perpendiculaire
moyenne en pixels pour différents nombre de points ℓ (PDM) et différents choix du nombre de
formes propres k utilisées pour la reconstruction. Sans surprise, l’erreur de reconstruction décroit
lorsque k augmente. Il est à noter aussi que le PDM semble capturer les détails légèrement mieux
que la représentation par SDF, et ce quelque soit le nombre de points. Cela peut également
66III.3 - 1 Représentation d’un modèle statistique de forme
(a)
(b) Premier mode
(c) Second mode
Figure III.3 – Variabilité des formes des avions en utilisant la représentation SDF et PDM. (a) la
superposition des images de la base d’apprentissage, (b) les variations ±2σ du mode principal de variation,
(c) les variations ±2σ du second mode principal de variation. La partie en noir est commune aux deux
représentations, la partie rouge ne représente que le PDM (composé de ℓ = 37 points), la partie verte que
la SDF.
être observé à la figure III.4, où la reconstruction de deux formes par les deux représentations
PDM et SDF est illustrée. Bien que légèrement moins précis en termes de reconstruction, les
résultats obtenus par la représentation SDF montrent qu’une reconstruction correcte des formes
peut être obtenue, sans la nécessité d’une coûteuse détection de points de correspondance et
du processus d’appariement.
3 - 1.3 Conclusion
En conclusion, la représentation PDM et la représentation SDF permettent toutes deux de
correctement représenter les variabilités des formes. Cependant, la représentation SDF présente
des avantages que la représentation PDM n’offre pas :
– Elle ne nécessite pas la mise en place de points de correspondance, un processus sujet à
la variabilité si manuel et à l’erreur de détection si automatique ;
– Elle ne nécessite pas l’alignement des points de correspondance, un pré-requis nécessaire
avant l’analyse des formes, qui est difficile à établir.
67Chapitre III. Segmentation binaire par coupes de graphe avec un modèle de
forme statistique
Tableau III.1 – Moyenne du coefficient Dice (DM) et de la distance perpendiculaire (P2C, en pixels)
entre la forme reconstruite et la forme réelle pour les deux représentations PDM et SDF. DM varie entre 0
(pas de recouvrement) à 1 (recouvrement parfait). ℓ est le nombre de points du PDM. k est le nombre de
modes considérés pour la reconstruction.
k = 3 k = 6 k = 10
DM
SDF 0.89 ± 0.04 0.91 ± 0.02 0.93 ± 0.02
PDM ℓ = 16 0.92 ± 0.03 0.94 ± 0.02 0.96 ± 0.01
PDM ℓ = 28 0.92 ± 0.03 0.94 ± 0.02 0.96 ± 0.01
PDM ℓ = 38 0.93 ± 0.03 0.94 ± 0.02 0.96 ± 0.01
P2C
SDF 1.76 ± 0.49 1.35 ± 0.33 1.02 ± 0.26
(pixels)
PDM ℓ = 16 1.41 ± 0.57 1.06 ± 0.36 0.74 ± 0.23
PDM ℓ = 28 1.38 ± 0.56 1.10 ± 0.42 0.71 ± 0.19
PDM ℓ = 38 1.34 ± 0.51 1.08 ± 0.40 0.79 ± 0.19
Figure III.4 – Deux formes reconstruites avec le PDM (courbe rouge) et SDF (courbe verte).
– Elle est plus robuste que le PDM à un désalignement initial des formes [90].
La représentation SDF est ainsi retenue dans notre méthode de segmentation, que nous allons
décrire dans la partie suivante.
3 - 2 Méthode de segmentation binaire par coupes de
graphe avec a priori de forme
Notre objectif est de proposer une approche de segmentation efficace basée sur un a priori
de forme statistique intégré à la méthode des coupes de graphe, sans la nécessité d’un procédé
itératif. La difficulté réside dans l’intégration du modèle au graphe. En effet, le modèle est
composé d’une forme moyenne et de ses formes propres : son utilisation classique consiste à
68III.3 - 2 Méthode de segmentation binaire par coupes de graphe avec a priori
de forme
Figure III.5 – Vue d’ensemble de la méthode proposée avec a priori de forme. Pour la carte d’a priori,
plus la couleur est sombre plus la distance est importante.
optimiser les poids des formes propres selon un critère basé sur l’image à segmenter, afin de
lui faire correspondre au mieux le modèle. Ce procédé, itératif, peut être coûteux en temps de
calcul et être sujet aux minima locaux. De plus, il semble difficile d’intégrer directement ce
modèle dans le graphe. C’est pourquoi nous avons défini un a priori de forme à partir de ce
modèle afin de l’intégrer directement dans les pondérations du graphe.
La méthode de segmentation que nous proposons repose ainsi sur deux étapes : (i) un modèle
de forme est construit à partir d’une ACP et résumé dans une seule carte d’a priori (Section 3
- 2.1 ), (ii) cette carte est recalée sur l’image à partir d’une faible interaction avec l’utilisateur
(deux points) et est incorporée dans la fonctionnelle d’énergie du graphe avant la segmentation
finale (Section 3 - 2.2 ). Une vue d’ensemble de la méthode est donnée par la figure III.5.
3 - 2.1 Création d’un a priori de forme
Considérons un ensemble de N formes binaires de l’endocarde du ventricule droit, obtenue
par une segmentation manuelle du VD sur N IRM cardiaques. Pour chaque forme binaire, une
carte des distances φi au contour du VD est calculée. Les formes sont alignées rigidement sur
69Chapitre III. Segmentation binaire par coupes de graphe avec un modèle de
forme statistique
une référence arbitraire et moyennées créant la forme moyenne Φ¯ (Fig. III.7(a)) :
Φ¯ =
1
N
X
N
i=1
φi (III.12)
Puisque moyenner ne garantit pas l’obtention d’une fonction distance, nous proposons de réinitialiser
Φ¯ à une SDF du contour du VD, qui est la courbe de niveau zéro. Une ACP est alors
réalisée sur l’ensemble des formes centrées, ce qui détermine les formes propres notées Φi
, avec
i = 1..N, et leurs valeurs propres associées, notées λi
[85]. Un nombre de k ≤ N formes propres
est retenu selon les pondérations des valeurs propres, avec une valeur k choisie assez large afin
de prendre en compte les plus importantes variations des formes présentes dans l’ensemble
d’apprentissage. La forme moyenne et les variations autour du premier axe données par l’ACP
(i.e. associé à la plus grande valeur propre) sur des formes du VD sont illustrées à la Figure III.6.
Décrivons maintenant comment une carte unique d’a priori est calculée à partir de l’ACP.
Notre objectif est d’isoler les zones de variation de la forme moyenne pour chaque axe principal.
Nous générons ainsi des instances de déformation maximum pour chaque axe (Fig. III.7(b)-(c)) :
γ
±
i = Φ¯ ± 3
q
λiΦi
, pour tout i = 1..k (III.13)
En effet, étant donné que la variance de la pondération de la forme propre Φi peut être vue
comme valant λi et que la majeure partie de la population se situe dans trois écarts-types de
la moyenne, les limites de déformations sont fixées à ±3
√
λi
.
Les zones de variation de la forme moyenne pour le mode considéré i peuvent ensuite être
obtenues par un OU exclusif entre la forme moyenne binaire et les déformations maximales
binarisées γ
±
i
:
Γi(p) = H(Φ¯ ) ⊕ H(γ
+
i
) + H(Φ¯ ) ⊕ H(γ
−
i
), pour tout i = 1..k (III.14)
où H(·) est la fonction de Heaviside. Γi est la carte binaire contenant les zones de variation de
la forme moyenne, pour le mode propre i (Fig. III.7(d)). Cette carte est superposée aux valeurs
des distances de la forme moyenne Φ¯ (Fig. III.7(e)-(g))) :
PMi(p) = Γi(p) · Φ¯ , pour tout i = 1..k (III.15)
Les k cartes de distances sont alors moyennées dans une seule carte de distances (Fig. III.7(h)) :
70III.3 - 2 Méthode de segmentation binaire par coupes de graphe avec a priori
de forme
(a) Φ¯ − 3
√
λ1Φ1 (b) Φ¯ − 2
√
λ1Φ1 (c) Φ¯ −
√
λ1Φ1
(d) Φ¯
(e) Φ¯ +
√
λ1Φ1 (f) Φ¯ + 2√
λ1Φ1 (g) Φ¯ + 3√
λ1Φ1
Figure III.6 – Premier axe de variation donné par l’ACP, à partir de la forme moyenne (d), les déformations
opposées (a)-(c) et (e)-(g).
PS(p) = 1
k
X
k
i=1
PMi(p) (III.16)
Ainsi, la carte finale d’a priori PS comprend une région basée distance où le contour est
censé se trouver, et sa région complémentaire remplie par des valeurs nulles.
3 - 2.2 Intégration au graphe
La carte d’a priori est créée, mais comment peut-elle être intégrée à la méthode des coupes
de graphe ? Dans la littérature, des termes additionnels d’énergie sont ajoutés à la fonction de
coût de la méthode des coupes de graphe. Certains auteurs intègrent ces termes aux pondérations
des t-links [164, 165], lorsque d’autres les combinent aux n-links [169] (voir Section 2 -
2.5 du chapitre II). Nous proposons que l’a priori de forme contribue à pondérer à la fois les
71Chapitre III. Segmentation binaire par coupes de graphe avec un modèle de
forme statistique
(a) H(Φ¯ ) (b) H(γ
−
2
) (c) H(γ
+
2
) (d) Γ2
(e) PM1 (f) PM2 (g) PM3 (h) PS
Figure III.7 – Les différentes étapes de calcul de la carte d’a priori. (a) La forme moyenne binaire, (b)-
(c) déformations extrêmes de la forme moyenne pour le second axe, (d) masque final des zones de variation
pour le second axe, (e)-(g) distances à la forme moyenne pour les trois premiers axes superposées à l’image,
(h) carte finale d’a priori superposée à l’image, définie par les zones colorées (plus la couleur est sombre
plus la distance est importante).
t-links et les n-links.
Préalablement, l’a priori de forme est recalé rigidement sur l’image à segmenter à partir de
deux points (voir Section 3 - 3 ). Le terme région Rp peut alors être défini par :
R
S
p
(O) =
− ln (P r(O|Ip)) si PS(p) 6= 0
+∞ si PS(p) = 0 et H(Φ¯ (p)) = 1 (Fond)
0 si PS(p) = 0 et H(Φ¯ (p)) = 0 (Objet)
(III.17)
R
S
p
(B) =
− ln(1 − P r(O|Ip)) si PS(p) 6= 0
0 si PS(p) = 0 et H(Φ¯ (p)) = 1 (Fond)
+∞ si PS(p) = 0 et H(Φ¯ (p)) = 0 (Objet)
(III.18)
72III.3 - 3 Resultats expérimentaux
avec P r(O|Ip) le modèle de probabilité a posteriori calculé à partir des intensités des pixels p
de l’image selon notre a priori de forme, telles que PS(p) = 0 and H(Φ¯ (p)) = 0.
L’a priori de forme que nous avons construit est basé contours et peut être ajouté en tant
que terme d’a priori à la pondération des n-links. Nous proposons ainsi d’ajouter un nouveau
terme frontière noté BS
p,q et défini par :
B
S
p,q =
PS(p) + PS(q)
2
(III.19)
L’énergie finale d’une coupe C pour le graphe intégrant un a priori de forme est alors donnée
par :
E(C) = λ
X
p,q∈N
(Bp,q + γBS
p,q).δ(ωp 6= ωq) + X
p∈V
R
S
p
(ωp) (III.20)
où Bp,q est défini à l’équation II.13, λ pondère la contribution relative entre les termes n-link et
t-link et γ pondère le terme frontière d’a priori de forme BS
p,q et le terme frontière classique Bp,q.
La prochaine partie va permettre d’évaluer notre méthode sur la segmentation du ventricule
droit en IRM cardiaques. Nous montrerons l’apport de l’a priori par rapport à la méthode
classique et comparerons les résultats obtenus avec une méthode de la littérature.
3 - 3 Resultats expérimentaux
3 - 3.1 IRM cardiaques
Notre méthode a été appliquée à notre base de données, issue de routine clinique et collectée
au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Rouen. Elle comprend 491 Images à Résonance
Magnétique (IRM) petit axe, acquise sur 32 patients présentant diverses pathologies et ayant
donné leur consentement écrit à leur utilisation. Pour chaque patient, deux volumes d’un total
de 16 images (en moyenne) sont disponibles à deux instants d’intérêt particulier : 9 images (ou
coupes) en fin de diastole ED et 7 images en fin de systole ES (instants définis au chapitre I).
Les ensembles appelés Training set et Test1 sont chacun composés de 16 patients. Les images
cardiaques ont été zoomées et recadrées dans une région d’intérêt de taille 256 × 216 pixels (ou
216 × 256), laissant le ventricule gauche visible sur chaque image pour permettre une segmentation
jointe des deux ventricules.
73Chapitre III. Segmentation binaire par coupes de graphe avec un modèle de
forme statistique
La segmentation manuelle de l’endocarde et de l’épicarde des ventricules droit et gauche a
été réalisée par un radiologue cardiaque, avec la convention que les muscles papillaires et les
trabéculations soient inclus dans la cavité ventriculaire. Plus d’informations sur les données
sont données au chapitre V, lors de la présentation du challenge MICCAI 2012 de segmentation
du ventricule droit en IRM cardiaque que nous avons organisé.
3 - 3.2 Construction du modèle de forme et paramétrisation
Les modèles de forme sont construits exclusivement avec la base d’apprentissage. Un modèle
est créé pour chaque instant (ED ou ES), et plusieurs modèles décrivent les différents niveaux
de coupe de la base à l’apex du cœur : 6 en ED, 5 en ES. Chacune de ces 11 ACP a été
réalisée en utilisant entre 16 et 32 images. Puisque la taille de chaque valeur propre indique
l’importance de son vecteur propre correspondant pour modéliser la forme, nous avons choisi
empiriquement k pour conserver 99% des variations de la forme moyenne. Ceci correspond à
7-10 vecteurs propres selon le niveau de coupe. Le recalage préliminaire est réalisé en positionnant
manuellement deux points anatomiques sur la cloison interventriculaire, ou septum
(Fig. III.5). Ces points anatomiques ont été choisis à partir de deux critères, (i) une interaction
utilisateur minimum, (ii) des points anatomiques facilement identifiable par un expert. Basé
sur ces critères, le choix de deux points à la jonction du septum pour recaler le modèle sur les
images 2D semble être cohérent.
Les différents paramètres de la méthode ont été définis empiriquement à partir de l’ensemble
d’apprentissage de 16 patients : le paramètre gaussien pour la modélisation des intensités a été
déterminé à σ = 10 et le terme de régularisation à λ = 100, à la fois pour ED et ES. Concernant
la pondération de l’a priori de forme dans le terme des n-links, il a été fixé à γ = 0.001 pour
ED et γ = 0.005 pour ES. On peut remarquer que pour les coupes plus difficiles (ES), la
pondération de l’a priori est un peu plus important. Ces paramètres ne sont pas critiques et
possèdent des plages de réglage assez importantes permettant l’obtention de résultats similaires.
L’implémentation de Boykov et Kolmogorov pour l’algorithme mincut-maxflow 1 a été utilisée
pour déterminer la coupe de coût minimal pour le graphe [152].
1. Disponible en ligne : http://pub.ist.ac.at/~vnk/software.html.
74III.3 - 3 Resultats expérimentaux
3 - 3.3 Résultats de segmentation
Notre algorithme de segmentation a été appliquée à la base Test1 contenant 16 patients
inconnus. Notre méthode est comparée à la méthode pionnière de segmentation par la méthode
des coupes de graphe avec a priori de forme, proposé par Freedman et Zhang [169], que nous
avons présentée à la Section 2 - 2.5 du chapitre II. Leur méthode consiste en l’utilisation d’un
unique modèle de forme décrit par une carte de distances non-signées φ¯. Nous avons également
comparé notre méthode à la méthode originale des coupes de graphe [4], afin de quantifier
l’apport du terme d’a priori à la méthode. Ces deux méthodes nécessitent le placement de
marqueurs objet et fond pour la modélisation des intensités de l’objet et du fond, et pour le
recalage du modèle (pour la méthode de Freedman et Zhang [169]). Ces marqueurs sont également
utilisés comme des contraintes dures dans le graphe. Nous avons placé en moyenne pour
ces méthodes 5 marqueurs pour la cavité du VD et 10 marqueurs pour le fond (Voir Figure
III.8). Les paramètres de ces méthodes ont été définis empiriquement à partir de la base d’apprentissage.
Figure III.8 – Exemples de marqueurs placés par interaction utilisateur pour l’objet (vert) et le fond
(rouge), utilisés pour la méthode des coupes de graphe sans a priori et la méthode de Freedman et Zhang.
Concernant notre méthode, pour chaque image de chaque patient, l’utilisateur doit définir
les deux points anatomiques utilisés pour recaler le modèle de forme sur l’image. Les résultats
de segmentation de chaque méthode sont comparés à la vérité terrain manuelle à travers
le coefficient Dice (DM) (voir Eq. III.10) et la distance perpendiculaire moyenne (P2C) (voir
Eq. III.11). Le tableau III.2 présente les résultats obtenus : notre méthode permet d’obtenir
un bon score de recouvrement de 0.83 ± 0.15 en ED et 0.70 ± 0.22 en ES, avec une distance
75Chapitre III. Segmentation binaire par coupes de graphe avec un modèle de
forme statistique
perpendiculaire moyenne de 2 à 3 mm (ED et ES). On peut remarquer que seules les dernières
coupes apicales posent des difficultés de segmentation et font légèrement chuter les résultats.
Des exemples de segmentation sont présentés à la figure III.9.
Tableau III.2 – Moyenne (± écart type) du coefficient Dice (DM) et de la distance perpendiculaire
(P2C, en mm) entre la segmentation automatique et le contourage manuel du contour de l’endocarde du
VD en ED et ES de la base (B) à l’apex (A) du cœur sur 16 patients.
Notre méthode Méthode Freedman [169] Coupes de graphe originale [4]
Dice P2C (mm) Dice P2C (mm) Dice P2C (mm)
B 0.91 ± 0.09 2.25 ± 1.86 0.87 ± 0.12 4.37 ± 4.12 0.86 ± 0.12 10.99 ± 6.78
0.90 ± 0.10 2.31 ± 1.76 0.90 ± 0.09 3.80 ± 3.49 0.88 ± 0.09 10.34 ± 8.12
0.88 ± 0.12 2.11 ± 1.80 0.80 ± 0.18 7.55 ± 7.34 0.77 ± 0.19 15.29 ± 10.61
E
0.83 ± 0.10 2.55 ± 1.28 0.75 ± 0.19 9.87 ± 9.48 0.71 ± 0.20 20.01 ± 12.40
D
0.81 ± 0.12 2.39 ± 1.39 0.66 ± 0.23 12.73 ± 11.26 0.61 ± 0.24 23.62 ± 13.54
A 0.70 ± 0.18 2.27 ± 1.35 0.56 ± 0.21 12.24 ± 11.14 0.48 ± 0.22 29.62 ± 14.29
Mean 0.83 ± 0.15 2.32 ± 1.57 0.74 ± 0.22 8.77 ± 9.37 0.70 ± 0.24 19.22 ± 13.67
B 0.84 ± 0.14 2.89 ± 2.46 0.83 ± 0.12 7.12 ± 6.68 0.83 ± 0.08 16.97 ± 9.84
0.82 ± 0.15 2.85 ± 1.67 0.75 ± 0.17 9.06 ± 8.24 0.74 ± 0.21 16.47 ± 9.77
0.73 ± 0.19 3.59 ± 1.98 0.65 ± 0.24 9.67 ± 9.60 0.64 ± 0.23 18.07 ± 11.62
E 0.66 ± 0.19 2.96 ± 1.28 0.56 ± 0.21 11.62 ± 10.01 0.50 ± 0.21 23.59 ± 13.20
S A 0.52 ± 0.21 2.86 ± 1.57 0.39 ± 0.22 19.30 ± 18.79 0.40 ± 0.16 32.30 ± 16.43
Mean 0.70 ± 0.22 3.05 ± 1.82 0.61 ± 0.25 12.00 ± 12.98 0.60 ± 0.24 22.26 ± 14.28
Les valeurs en gras indiquent les meilleurs résultats entre les méthodes.
Une segmentation précise est obtenue lorsqu’est atteint la variabilité intra et inter-opérateur
de la segmentation manuelle, qui est de l’ordre de 2mm pour le VD [115]. Notre méthode donne
des résultats encourageants se comparant favorablement à une méthode de l’état de l’art et
surpasse sans surprise l’approche originale sans a priori. Notre méthode fournit également de
meilleurs résultats que la méthode de Freedman et Zhang, en particulier sur les images apicales,
qui sont plus difficiles à segmenter (voir Figure III.9) : elles présentent de petites structures, qui
sont souvent floues (dues à l’effet de volume partiel). Le modèle a priori de Freedman et Zhang
semble ne pas être assez précis pour ce type d’application. Concernant les coupes basales, les
résultats sont comparables entre notre méthode et celle de Freedman et Zhang, au prix d’une
interaction substantielle de l’utilisateur pour la méthode de Freedman et Zhang.
Sans surprise, les résultats de segmentation sont meilleurs pour les images ED que pour
celles en ES, pour les trois méthodes : les images ED sont les plus faciles à traiter, puisque
le cœur y est le plus dilaté. Les résultats sont également meilleurs pour les coupes basales et
mi-ventriculaires que pour les coupes apicales. Un mauvais résultat de segmentation sur les
coupes apicales a peu d’influence sur le calcul du volume du cœur, mais peut être un facteur li-
76III.3 - 4 Conclusion
mitant dans d’autres domaines tels que des études sur la structure des fibres. Dans une moindre
mesure, cela est également vrai pour les images ES.
Enfin, en ce qui concerne le temps de calcul, notre algorithme est implémenté en C++ sans
aucune optimisation particulière et nécessite environ 45 secondes par patient (comprenant les
volumes ED et ES) sur un ordinateur portable Dell E6510 avec 4Go de RAM et un processeur
Intel(R) Core(TM) i7, M460 @ 2.80GHz. Ce temps de calcul est compatible avec une utilisation
en routine clinique.
3 - 4 Conclusion
Dans cette partie, nous avons présenté une méthode de segmentation du ventricule droit
basée sur la méthode des coupes de graphe utilisant un a priori de forme. Le modèle de forme
est construit à partir d’une ACP pour un ensemble de formes représentatives du VD obtenues
par une segmentation manuelle. Un terme original d’a priori est introduit dans la fonctionnelle
d’énergie de la méthode des coupes de graphe. Notre méthode de segmentation a été validée
sur 491 images provenant de 32 patients. Nous avons montré que notre méthode surpasse l’approche
originale de la méthode des coupes de graphe et se compare favorablement à une méthode
de l’état de l’art. Néanmoins, il est à noter que bien que les résultats soient satisfaisant pour
les coupes basales et mi-ventriculaires, des améliorations sont possibles pour les coupes apicales.
Ainsi, plusieurs points peuvent être améliorées pour cette méthode :
(i) La segmentation multi-objets. Sur les coupes petit-axe, le VD et le VG sont tous les deux
visibles. De plus, le VG étant plus aisé à segmenter, il peut être utilisé pour aider la
segmentation du VD. Une segmentation conjointe des deux ventricules permettrait ainsi
de faciliter la segmentation.
(ii) La précision du modèle. Afin d’améliorer la segmentation pour les coupes apicales, le
modèle doit être plus précis et coller au mieux à l’image considérée. Contrairement à l’ACP
donnant les variations générales des formes, l’utilisation des atlas peut être envisagée afin
d’augmenter la spécificité de l’a priori de forme.
(iii) L’automatisation de la méthode. Le recalage du modèle à partir de deux points facilement
identifiables est aisé et rapide mais nécessite l’intervention de l’expert pour chaque coupe
de chaque volume. Automatiser la méthode donnerait un avantage supplémentaire. Dans
ce but, une étape de recalage automatique pourrait être mis en place.
77Chapitre III. Segmentation binaire par coupes de graphe avec un modèle de
forme statistique
Nous proposons ainsi dans la section suivante une approche répondant à ces perspectives pour
la segmentation conjointe du VD (endocarde) et VG (endocarde et épicarde) par une méthode
automatique de segmentation multi-objets intégrant un a priori de forme basé sur des atlas.
78III.3 - 4 Conclusion
Notre méthode
Méthode de Freedman et Zhang [169]
Méthode originale des coupes de graphe [4]
Figure III.9 – Résultats de segmentation obtenue par l’algorithme automatique (vert) et vérité terrain
manuelle (rouge) pour le patient 20 de Test1 en ED (de la base à l’apex). En haut : notre méthode, au
milieu : méthode de Freedman et Zhang [169], en bas : méthode originale des coupes de graphe [4].
79Chapitre III. Segmentation binaire par coupes de graphe avec un modèle de
forme statistique
80Chapitre IV
Segmentation par GC multi-labels intégrant des
a priori de forme
Nous avons proposé au chapitre précédent une méthode semi-automatique de segmentation
du VD par GC utilisant un modèle de forme construit à partir d’une ACP. Notre but est
d’améliorer cette méthode afin de (i) la rendre automatique, (ii) permettre la segmentation
conjointe du VD, du VG et du myocarde, (iii) améliorer la précision du modèle. Nous proposons
ainsi une méthode de segmentation multi-objets automatique et non itérative basée sur les GC
multi-labels intégrant un a priori de forme basé sur des atlas. En effet, sachant que le VG et
le VD sont proches, que leurs contours présentent un contraste faible et peuvent être bruités,
une segmentation du VD peut déborder vers le VG (et vice-versa). L’intégration d’un modèle
de l’ensemble de ces objets à la méthode de segmentation permet de résoudre ce problème.
Plus précisément, nous supposons que nous disposons d’un ensemble d’images labellisées par
un expert, appelé aussi un ensemble d’atlas. Les atlas sont recalés sur l’image à segmenter [188]
et combinés afin de construire un modèle probabiliste de forme à 4 labels (VG, VD, myocarde
et fond). Nous proposons comme contribution principale d’intégrer ce modèle à la méthode des
coupes de graphe multi-labels afin de réaliser la segmentation du VD, du VG et du myocarde
de manière totalement automatique. Nous proposons une méthode non-itérative afin de limiter
les coûts de calcul, contrairement à ce qui a pu être proposé dans la littérature [168].
Nous présentons dans une première partie la méthode dans sa globalité (section 4 - 1 ). Une
deuxième partie (section 4 - 2 ) porte sur les spécificités de la méthode pour la segmentation
conjointe des ventricules cardiaques et l’étude des résultats obtenus.
81Chapitre IV. Segmentation par GC multi-labels intégrant des a priori de forme
4 - 1 Segmentation avec atlas multi-labels
Trois étapes composent notre méthode : (i) le recalage des atlas sur l’image à segmenter,
(ii) la fusion des atlas afin de créer un modèle de forme probabiliste multi-labels, (iii) la
segmentation multi-objets par GC intégrant ce modèle.
4 - 1.1 Recalage des atlas par coupes de graphe
Différentes méthodes ont été proposées afin de réaliser le recalage non-rigide d’un ensemble
d’atlas [189–191]. L’utilisation de la méthode des GC a l’avantage de permettre de minimiser
efficacement une fonctionnelle d’énergie et d’obtenir un minimum global, ou un minimum local
fort, en un temps polynomial. Cette technique récente n’a cependant pas encore été très étudiée
dans la littérature [137–139, 141]. Nous présentons dans cette partie le recalage d’un ensemble
d’atlas par la méthode des GC.
Le recalage des atlas est une étape nécessaire à la création d’un a priori de forme pour
l’image à segmenter, afin de les considérer dans le même repère. Cette tâche peut être ardue
pour de nombreuses raisons : fortes variabilités des objets de l’image, différences d’illumination,
contraste faible, etc. Afin de minimiser les causes d’erreur, deux recalages successifs ont été mis
en place : un recalage rigide d’abord, permettant de déterminer les paramètres de translation et
de rotation à appliquer afin de superposer au mieux l’atlas sur l’image à segmenter. Dans cette
étape, les transformations réalisées sur l’atlas n’entraînent pas de déformation structurelle des
objets. Un recalage non-rigide est ensuite effectué, permettant cette fois des déformations élastiques,
afin de faire coller au mieux l’atlas et l’image à segmenter. Notons I l’image à segmenter,
dont le domaine spatial est noté Ω ∈ IR2
, et dont les objets à segmenter sont représentés par
un ensemble de labels L. Soit N le nombre d’atlas représentatifs, chacun étant composé d’une
image d’intensité A[1..N] et d’une carte de labels L[1..N]
, tel que A = {(A1; L1), . . . ,(AN ; LN )}.
Nous allons tout d’abord réaliser un recalage rigide de l’ensemble des atlas A sur I.
Recalage rigide : Le recalage rigide peut se voir comme le problème de minimisation
suivant :
T
∗ = arg min
T
C(I, AT) (IV.1)
où le but est de rechercher la transformation optimale T∗
telle que l’image de référence I et
l’image flottante A se superposent au mieux, selon la mesure de similarité C déterminant le
degré de similarité entre I et AT, AT étant l’image flottante transformée. Dans le cadre du
82IV.4 - 1 Segmentation avec atlas multi-labels
recalage rigide, le champ de transformation T est restreint aux paramètres de translation et
de rotation T = {Tx, Ty, Tθ} : la transformation est paramétrique. Nous avons choisi d’utiliser
une mesure de similarité classique et très rapide à calculer : la somme des différences absolues
d’intensités (SAD). Pour chaque point spatial x = (x, y) ∈ Ω, I(x) et A(x) sont les valeurs des
intensités en x pour chaque image. La recherche de la transformation rigide optimale est alors
donnée par :
T
∗ = arg min
T
Z
Ω
kI(x) − A
T(x)kdΩ (IV.2)
Cette minimisation a été réalisée de manière exhaustive, en force brute, étant très rapide à
calculer. Les transformations optimales T
∗ obtenues sont appliquées aux images d’intensités et
aux cartes de labels des atlas, que nous continuerons de noter A = {(A1; L1), . . . ,(AN ; LN )}
après ce recalage par soucis de simplicité. Il est alors possible de réaliser le recalage non-rigide.
Recalage non rigide : Dans le cas où les déformations peuvent être complexes, par exemple
avec des structures anatomiques variant fortement en géométrie ou en topologie, la transformation
doit être flexible et donc non paramétrique. Cette transformation est alors un champ
de vecteurs de déplacement, noté D, permettant de déplacer tout point x ∈ Ω de sa position
originale à un nouveau point x + D(x) ∈ Ω par le vecteur D(x) ∈ IR2
. Il est dans ce cas
nécessaire d’ajouter un terme de régularisation à l’équation IV.1, afin de prendre en compte la
corrélation entre les pixels voisins et de permettre une déformation lisse :
D∗ = arg min
D
C(I, AD) + λrS(D) (IV.3)
avec C la mesure de similarité, AD l’image flottante après application de D à A et λr une
constante positive contrôlant le terme de régularisation S. Outre le choix des transformations
considérées, il est nécessaire de choisir un critère de similarité. Dans le cas du recalage monomodal
dans lequel nous nous situons, les critères classiques sont l’erreur absolue ou norme L
1
(SAD), l’erreur quadratique ou norme L
2
(SSD) et l’information mutuelle. Ce critère doit être
choisi en fonction de l’application et sera déterminé à la Section 4 - 2 . Le terme de régularisation
S est défini classiquement par l’amplitude de la dérivée première [137]. L’équation IV.3
peut se réécrire sous la forme :
D∗ = arg min
D
Z
Ω
C
I(x), AD(x)
dX + λr
Z
Ω
kD(x)k dΩ (IV.4)
En théorie, cette équation peut être minimisée par n’importe quel outil d’optimisation. Les
deux méthodes principales considérées comme état de l’art dans l’analyse d’images médicales
83Chapitre IV. Segmentation par GC multi-labels intégrant des a priori de forme
sont la méthode Free-Form Deformations (FFD) [189] et la méthode Demons (DEMONS) [190].
Dans le cas de la FFD, un ensemble de points de contrôle sur une grille régulière de l’image est
autorisé à se déplacer librement, le déplacement des autre points étant obtenu par des fonctions
d’interpolation basées sur les B-splines et les points de contrôle voisins. Cependant, dans le cas
de déformations complexes, cette transformation peut ne pas être assez flexible [137]. Pour la
méthode DEMONS, une approche basée sur la diffusion est proposée, sans aucune contrainte sur
la transformation D : chaque pixel peut avoir son propre déplacement, défini à chaque itération
à partir de différences d’intensité et de gradient entre l’image source et l’image à transformer.
Une étape de régularisation (lissage Gaussien) est appliquée à la fin de chaque itération. Cette
dernière n’étant pas intégrée à la fonctionnelle d’énergie, les déplacements importants ou aigus
ne sont pas pénalisés. De plus, cette méthode est sensible aux artéfacts d’acquisition [137]. Dans
notre cas de transformation non paramétrique, le processus d’optimisation peut être très coû-
teux en temps de calculs, notamment en cas d’utilisation de méthodes itératives. L’utilisation
de la méthode des coupes de graphe permet de minimiser efficacement et non itérativement
l’équation IV.4 [137], et de ce fait réduire le temps de calcul. Elle permet l’obtention d’un minimum
global, ou d’un minimum local fort, en un temps polynomial, sous certaines conditions : la
restriction de D(x) ∈ IR à un ensemble fini. Une fenêtre discrète W = {0, ±s, ±2s, . . . , ±ws}
2
en
2D est ainsi choisie (généralement ws = 8 pixels) telle que D(x) ∈ W. Il est à noter que si s < 1,
des déplacements avec interpolation seront à considérer. Cette discrétisation permet d’assigner
une valeur à tout D(x). Ainsi, l’équation IV.4 peut être résolue en utilisant la méthode des
coupes de graphe par des séquences d’expansion alpha (α-expansion) [146] et converge vers un
minimum local garanti à un facteur près du minimum global. Kolmogorov et Zabih [147] ont
montré que la méthode des coupes de graphe permettait de déterminer le minimum global d’un
problème deux labels si les termes de somme de coûts Vp,q respectent l’inégalité suivante (plus
de détails sur cette condition à la section 2 - 2.3 ) :
Vp,q(0, 0) + Vp,q(1, 1) ≤ Vp,q(0, 1) + Vp,q(1, 0) (IV.5)
Considérons une labellisation f et deux pixels adjacents p, q avec fp = β et fq = γ et β, γ ∈ W.
En cas d’expansion d’un nouveau label α ∈ W, les différents coûts possibles de Vp,q sont les
suivants [137] :
– Vp,q(0, 0) = kβ − γk si p et q conservent leurs anciens labels β et γ.
– Vp,q(1, 1) = kα − αk = 0 si p et q choisissent le nouveau label α.
– Vp,q(0, 1) = kβ − αk si p conserve β et q choisit α.
– Vp,q(1, 0) = kα − γk si p choisit α et q conserve γ.
84IV.4 - 1 Segmentation avec atlas multi-labels
En considérant le terme de régularisation correspondant à Vp,q de l’équation IV.4, on a α, β, γ ∈
W ⊂ IR2
et k.k l’opérateur de norme L2. Par l’inégalité triangulaire et pour tout vecteur α, β,
γ nous avons kβ − γk ≤ kβ − αk + kα − γk. L’inégalité de l’équation IV.5 est ainsi vérifiée et
chaque expansion α donne ainsi un optimum global. Dans ces conditions, Boykov et al. [146]
ont prouvé que l’algorithme α-expansion, composé de plusieurs séquences d’expansion α pour
tout α ∈ W, converge vers un minimum local garanti à un facteur près du minimum global
(voir équation II.20, chapitre II).
A la suite de ce recalage non rigide, nous obtenons un ensemble de N champs de vecteurs de
déplacement D∗
1..N. Ces champs sont appliqués aux images d’intensités et aux cartes de labels,
pour donner les atlas recalés notés AD = {(AD
1
; L
D
1
), . . . ,(AD
N ; L
D
N )}. Ces atlas sont fusionnés
dans une seconde étape afin de créer un a priori de forme permettant de guider la segmentation
finale.
4 - 1.2 Création du modèle de forme
Chaque atlas recalé (AD
i
(x);L
D
i
(x)) a une opinion sur le label de chaque pixel x. Notre but
est de pondérer et de combiner toutes les décisions des atlas afin de créer une carte statistique
d’a priori, la pondération dépendant de la similarité entre l’intensité du pixel source I(x) et
celui de l’atlas AD
i
(x). Dans la littérature, le vote à la majorité est généralement utilisé pour
fusionner les atlas, mais d’autres méthodes ont également été proposées [192–195]. Nous avons
choisi de déterminer le poids de fusion pour un label l et un pixel de coordonnées x par :
P(L(x) = l|L
D
i
(x + ∆x), I(x), AD
i
(x + ∆x))
=
1
1 + D(∆x)
.
1
√
2πσi
exp
−
(I(x)−AD
i
(x+∆x))2
2σ2
i .δl,LD
i
(x+∆x)
(IV.6)
avec x+∆x les coordonnées des pixels voisins au pixel considéré, D(∆x) la distance euclidienne
du pixel voisin au pixel considéré, σi
le paramètre pour la distribution gaussienne et δl1,l2
la
fonction delta Kronecker. ∆x est défini par une région de recherche S centrée en x. Cette
fusion permet de compenser d’éventuelles erreurs de régularité dans le recalage en considérant
le voisinage de x.
La fusion des labels des atlas consiste généralement à déterminer le label estimé L¯ à un
pixel de coordonnées x comme étant le label de poids maximum :
L¯(x) = arg max
l
X
|L|
i=1
X
∆x∈S
P(L(x) = l|L
D
i
(x + ∆x), I(x), AD
i
(x + ∆x)) (IV.7)
85Chapitre IV. Segmentation par GC multi-labels intégrant des a priori de forme
Dans notre cas, il ne s’agit pas de prendre une décision du label final à cette étape, mais de
définir une carte d’a priori de forme pour chaque label, utilisable par notre prochaine étape de
segmentation. Dans ce but, une étape de normalisation de l’équation IV.6 est nécessaire afin
que la somme des scores des labels pour un pixel x soit égale à 1. Notre carte d’a priori Cl(x)
pour chaque label l ∈ L est définie par :
Cl(x) =
P
∆x∈S P(L(x) = l|L
D
i
(x + ∆x), I(x), AD
i
(x + ∆x))
P|L|
i=1
P
∆x∈S P(L(x) = l|L
D
i
(x + ∆x), I(x), AD
i
(x + ∆x))
(IV.8)
Cet a priori de forme Cl(x) est intégré à la méthode de segmentation dans la section suivante.
4 - 1.3 Segmentation multi-labels par coupes de graphe
La segmentation proprement dite est réalisée à l’aide de la méthode des coupes de graphe
multi-labels, à laquelle l’a priori de forme est intégré. Nous rappelons que l’image I est considé-
rée comme un graphe, dont l’ensemble des nœuds (pixels) est noté P et l’ensemble des segments
ε. Les nœuds (p, q) dans un voisinage N sont connectés par un segment appelé n-link. Chaque
nœud est également connecté à un nœud terminal par un segment appelé t-link. Les nœuds
terminaux sont les labels l ∈ L représentant les objets. Nous noterons dans la suite fp le label
du nœud p. Nos contributions portent sur (i) l’intégration d’un terme d’a priori de forme aux
t-links, (ii) l’ajout d’une contrainte aux n-links empêchant un objet inclus dans un autre d’avoir
une frontière commune avec tout autre objet, dans une méthode totalement automatique.
Nous ajoutons à la formulation de l’énergie de coupe des GC un terme d’a priori Es dé-
pendant de nos cartes Cl pour chaque label l, afin de guider le processus de segmentation.
Comme deux valeurs adjacentes de la carte d’a priori Cl(p) et Cl(q) (avec p, q ∈ N) pour un
label l donné peuvent être différentes, l’hypothèse de sous-modularité ne peut être vérifiée en
cas d’ajout aux n-links [147]. Le terme Es est alors ajouté aux t-links :
E(f) = X
p∈P
( Dp(fp)
| {z }
Attache aux données
+γs Esp
(fp)
| {z }
Attache à l’a priori
) + λs
X
(p,q)∈N
Vp,q(fp, fq)
| {z }
Régularisation
(IV.9)
avec γs la pondération de l’a priori Esp
(fp) par rapport au terme d’attache aux données Dp(fp),
et λs la pondération du terme de régularisation.
Définissons d’abord les termes associés aux t-links. Dans la littérature, le terme d’attache
aux données Dp(fp) est classiquement défini à partir de modèles de niveaux de gris des objets,
obtenus à partir d’une interaction avec l’utilisateur, permettant de définir P r(I(p)|l), la
probabilité que l’intensité I(p) du pixel p appartienne au label l. Afin de rendre la méthode
86IV.4 - 1 Segmentation avec atlas multi-labels
totalement automatique, nous proposons la création automatique de germes en utilisant l’ensemble
des atlas recalés : si pour un pixel p, tous les atlas L
D
i
(p) ont la même opinion de label l,
i.e. Cfp=l(p) = 1, alors l’intensité I(p) est utilisée pour modéliser l’objet de label l en utilisant
une modélisation gaussienne. Si un objet n’a pu être modélisé (les atlas n’ont jamais eu la même
opinion pour un label), les pixels de plus haute opinion selon les atlas sont sélectionnés, à partir
d’un seuil s (initialement, s = 1). Le terme d’attache aux données est alors défini par :
Dp(fp) = − ln P r(I(p)|Cfp
(p) ≥ s) (IV.10)
Notre terme d’a priori de forme Esp
(fp) pondère également les t-links. Il est défini à partir de
la carte d’a priori Cfp
(p) calculée précédemment :
Esp
(fp) = − ln Cfp
(p) (IV.11)
Esp
(fp) peut prendre des valeurs dans IR+
. Une valeur faible de Esp
(fp) signifie un coût faible
de labellisation du pixel p par le label fp.
Le terme pondérant les n-links, i.e. le terme de régularisation Vp,q(fp, fq), doit être sousmodulaire
afin de permettre la minimisation de l’équation (IV.9) par la méthode des coupes
de graphe. Nous souhaitons introduire une contrainte spatiale sur les objets : dans le cas où un
objet de label 0 est inclus dans un autre objet de label 1, alors pour tout objet de label l (l 6= 0
et l 6= 1), il n’existe pas de frontière commune entre l’objet 0 et l’objet l. Le coût de coupe
entre fp = 0 et fp = l doit alors être maximum. Cette contrainte concernant l’inclusion d’un
objet dans un autre peut être introduite grâce au terme de régularisation Vp,q, et doit donc être
sous-modulaire, i.e. vérifier l’inégalité IV.5. Ainsi, nous proposons l’énergie suivante :
Vp,q(fp, fq) =
0 si fp = fq
Γp,q(fp, fq) si fp 6= fq
(IV.12)
avec Γp,q(fp, fq) ∈ R+ l’opérateur de pénalisation frontière. Si les objets de labels fp et fq
peuvent avoir une frontière commune, la pénalisation doit être minimale : notons Γp,q(fp, fq) = κ
cette valeur minimum possible. Concernant sa valeur maximale, en reprenant l’inégalité de
l’équation (IV.5) pour l’expansion d’un nouveau label α sur deux nœuds voisins p et q de labels
courants β et γ, les différents coûts possibles de Vp,q sont les suivants :
– Vp,q(0, 0) = Γp,q(β, γ) si p et q conservent leurs anciens labels β et γ.
– Vp,q(1, 1) = 0 si p et q choisissent le nouveau label α.
87Chapitre IV. Segmentation par GC multi-labels intégrant des a priori de forme
– Vp,q(0, 1) = Γp,q(β, α) si p conserve β et q choisit α.
– Vp,q(1, 0) = Γp,q(α, γ) si p choisit α et q conserve γ.
On obtient alors la condition suivante :
Γp,q(β, γ) ≤ Γp,q(β, α) + Γp,q(α, γ) (IV.13)
Or, sachant que :
min (Γp,q(β, α) + Γp,q(α, γ)) = 2κ (IV.14)
la valeur maximum que peut prendre Γp,q(fp, fq) pour respecter l’inégalité de l’équation IV.13
vaut :
max Γp,q(β, γ) = 2κ (IV.15)
On a finalement :
Γp,q(fp, fq) =
κ si fp et fq peuvent avoir une frontière commune
2κ sinon
(IV.16)
Dans ce cas, l’algorithme α-expansion peut être utilisé pour minimiser la fonctionnelle d’énergie
de l’équation IV.9. L’algorithme converge alors vers un minimum local garanti à un facteur près
du minimum global [147], fournissant la segmentation finale.
4 - 2 Résultats expérimentaux
Notre méthode a été appliquée à notre base de données (qui a été utilisée lors de la compétition
MICCAI 2012 de segmentation du ventricule droit en IRM cardiaque), afin de réaliser
la segmentation conjointe du VD, du VG et du myocarde. Elle est composée d’une base d’apprentissage
de 16 patients et de deux bases de test (Test1 et Test2) composées chacune de 16
patients. Plus de détails sur cette base sont donnés au chapitre V. Sur cette base publique
dédiée au VD, mais où le VG est visible sur chaque image afin de permettre une segmentation
conjointe des deux ventricules, les contours endocardique et épicardique du VG ont été tracés
par un radiologue cardiaque.
4 - 2.1 Sélection automatique d’une région d’intérêt
La sélection d’une région d’intérêt (ROI) consiste à déterminer la zone de l’image où se
situent les objets à considérer (dans notre cas les ventricules), tout en éliminant les zones
88IV.4 - 2 Résultats expérimentaux
superflues (voir Figure IV.1). La méthode utilisée est basée sur le travail de Cocosco et al.
[196]. Elle repose sur les hypothèses suivantes :
– Les intensités des voxels aux frontières du myocarde ont une grande variabilité temporelle
(dans le cas de protocoles récents, IRM cardiaques structurelles 3D + temps). Celle-ci
est causée par le mouvement dû aux battements du cœur et au contraste élevé entre le
myocarde et le sang (ou possible graisse épicardique).
– Le cœur a une forme allongée et son grand axe est proche de l’axe Z de l’image (hypothèse
valide pour une séquence petit-axe correctement acquise).
– Après une projection des intensités maximales selon l’axe Z de l’image, le cœur correspond
au regroupement de voxels de plus grande variabilité temporelle des intensités pour le plan
petit-axe.
– Dans le plan petit-axe, le contour du cœur est globalement une forme convexe.
Les différentes étapes de la méthode proposée par les auteurs sont les suivantes, à partir d’une
séquence 3D + temps :
(i) Calcul de l’écart type des intensités (autrement dit la variabilité) pour chaque voxel suivant
la dimension temporelle. Le résultat est un volume 3D.
(ii) Calcul de la projection d’intensité maximale selon l’axe Z du volume 3D, afin d’ajouter la
variabilité selon les plans petit-axe et donc d’augmenter la robustesse de la méthode. Le
résultat est une image 2D.
(iii) Flouter le résultat précédent par un noyau large (Gaussien, FWHM=16mm), ce qui permet
d’éliminer les éléments de petite taille et de réduire l’influence des artefacts. La valeur
FWHM est liée à la taille d’un cœur adulte, et les auteur ont vérifié visuellement la
robustesse des résultats aux variations de ce paramètre
(iv) Binariser deux fois le résultat précédent par la méthode d’Otsu [197] : une première fois
sur le quart supérieur de l’échelle des intensités, une seconde fois sur le résultat obtenu.
La méthode d’Otsu est rapide, robuste et ne dépend d’aucun paramètre. Dans un but
de robustesse contre les valeurs aberrantes et les erreurs d’arrondi, cette segmentation ne
considère que les voxels dans le percentile 0.5 . . . 99.5% de l’histogramme des intensités de
l’image. Ces valeurs sont liées au rapport entre le volume physique du cœur et le champ
de vision, et sont appropriées pour cette application, i.e. ne nécessite aucun réglage. Cette
étape sélectionne ainsi les emplacements de forte variabilité temporelle des intensités.
(v) Réaliser une séquence d’opérations morphologiques basiques avec un noyau de connexité
4 : (5a) dilater ’A’ fois afin de connecter les différentes parties du cœur ensemble, sans
pour autant lier les autres organes, (5b) identifier et conserver la composante connexe la
89Chapitre IV. Segmentation par GC multi-labels intégrant des a priori de forme
plus grande, (5c) dilater ’C’ fois afin de définir la taille finale de la région d’intérêt et
permettre de régler la sensibilité de la méthode.
(vi) Calculer l’enveloppe convexe du résultat binaire précédent, afin d’augmenter la robustesse
dans le cas où certaines parties du myocarde présentent des contractions réduites (et
donc moins de variabilité temporelle des intensités) en raison d’une maladie cardiaque. Le
résultat obtenu est la région d’intérêt finale.
La région d’intérêt obtenue est valable pour chaque coupe et chaque instant de la séquence
d’IRM. Les auteurs ont prouvé à travers 79 patients que cette méthode était très sensible (pas
de faux négatifs, tout le myocarde est inclus dans la région d’intérêt), avec une faible spécificité
(une région d’intérêt plus importante que nécessaire a été observée sur 5 patients), ce qui est
acceptable pour l’application visée.
Cependant, cette méthode propose la même région d’intérêt à la base et à l’apex du cœur
alors que la difficulté principale de cette application est la segmentation des coupes apicales,
où la région d’intérêt sera alors trop grande. C’est pourquoi nous avons modifié cette méthode
afin de créer une région d’intérêt adaptée à chaque niveau de coupe de la séquence. L’étape (i)
reste identique, puis les étapes (ii), (iii), (iv), (v) et (vi) sont répétées pour chaque niveau de
coupe avec la modification de l’étape (ii) de la manière suivante :
(ii) Calcul de la projection d’intensité maximale selon l’axe Z du volume 3D pour tous
les niveaux de coupe inférieurs ou égaux au niveau de coupe considéré, afin d’ajouter
la variabilité des coupes inférieurs selon les plans petit-axe et donc d’augmenter la
robustesse de la méthode.
Notre variation de la méthode proposée par Cocosco et al. [196], a été vérifiée visuellement sur
les 48 patients des 3 bases de données. Les deux paramètres de la méthode, ’A’ et ’C’, sont
ceux déterminés originellement en [196] : A = 10 mm/R et C = 15 mm/R, avec R la taille d’un
pixel en mm. Comme soulignés par les auteurs, ces valeurs se sont avérées appropriées pour
des cœurs adultes de dimension classique. Il en résulte une spécificité faible, la région d’intérêt
pouvant être plus ou moins éloignée des frontières des ventricules, mais surtout une sensibilité
forte, caractéristique nécessaire à notre application : aucun faux négatif n’est à déplorer sur
l’ensemble des bases, le myocarde est toujours inclus dans la région d’intérêt. La définition d’une
région d’intérêt dépendant du niveau de coupe permet d’obtenir des résultats plus cohérents à
l’apex du cœur par rapport à la méthode originale, comme le montre la figure IV.1.
90IV.4 - 2 Résultats expérimentaux
Notre méthode
Méthode originale [196]
Figure IV.1 – Région d’intérêt obtenue pour le patient 14 de la base d’apprentissage en fin de diastole
ED (de la base à l’apex). En haut : notre méthode, en bas : la méthode originale de Cocosco et al. [196].
4 - 2.2 Base d’atlas et sélection
La base d’atlas est formée à partir de l’intégralité de la base d’apprentissage, soit 16 patients
(243 images), 16 volumes ED (134 images) et 16 volumes ES (109 images). Pour des
raisons évidentes de coûts de calcul, il n’est pas possible de recaler l’intégralité de la base des
91Chapitre IV. Segmentation par GC multi-labels intégrant des a priori de forme
atlas sur l’image à segmenter. Ainsi, avant l’étape de recalage rigide, une première sélection est
réalisée. Pour chaque volume des atlas, les 3 coupes les plus proches de la coupe à segmenter
sont choisies : coupe inférieure, équivalente et supérieure selon l’axe Z. Cette valeur de 3 est
justifiée par la distance entre chaque coupe (8.4 mm) et les fortes variations induites entre deux
coupes successives. L’étape de recalage rigide étant très rapide, ce maximum de 48 atlas à recaler
ne pose aucune difficulté. Au contraire, le recalage non-rigide de 48 atlas serait beaucoup
trop coûteux pour pouvoir être envisagé. Ainsi, une deuxième sélection est réalisée en sortie du
recalage rigide, en ne conservant que les N atlas donnant l’énergie minimum à l’équation IV.2.
De plus, sachant que les coupes à l’apex du cœur sont plus difficiles à segmenter que celles
à la base du cœur, il peut être intéressant d’utiliser le résultat de la coupe précédente pour
guider la segmentation de la coupe courante. Notre algorithme automatique débute par la
segmentation de la coupe la plus basale du cœur. Les coupes suivantes jusqu’à l’apex sont alors
traitées automatiquement par notre algorithme en utilisant la coupe précédemment segmentée
(après recalage sur l’image courante).
4 - 2.3 Paramétrisation et implémentation de la méthode
Les différents paramètres de notre méthode ont été définis empiriquement à partir de la base
d’apprentissage selon une stratégie leave-one-out. Concernant le recalage non-rigide, le critère
de similarité le plus adapté à cette application a été sélectionné en comparant trois critères :
la somme des différences absolues des intensités (SAD) [137, 138], la somme des différences
des intensités au carré (SSD), et un critère que nous proposons basé sur une combinaison du
SAD et de la différence absolue du gradient. Le critère d’information mutuelle n’a pas été testée
pour deux raisons : (i) l’information mutuelle est un critère global sur l’image, alors que
nous avons besoin d’une estimation locale pour créer le graphe. Les travaux de So et Chung
[139] permettent d’estimer l’information mutuelle locale, mais nécessite cependant le réglage de
plusieurs paramètres supplémentaires ; (ii) le coût de calcul de l’information mutuelle est trop
important pour notre application. Nous avons vérifié empiriquement que les meilleurs recalages
étaient obtenus pour le critère combinant SAD et différence absolue de gradient. La Figure IV.2
présente un exemple d’amélioration de ce critère. On remarque que sur l’image I se trouve une
zone extérieure au ventricule droit ayant des intensités similaires à l’objet. Cette zone n’existe
pas sur l’atlas présenté sur la Figure. Avec le critère SAD, on remarque qu’une partie de cette
zone est incorporée au ventricule droit. A l’inverse, grâce à la pénalisation par le gradient, cette
zone est totalement séparée du ventricule.
92IV.4 - 2 Résultats expérimentaux
I A′
Ii
AD∗
Ii
(avec gradient) AD∗
Ii
(SAD)
Figure IV.2 – Comparaison du recalage non-rigide pour deux critères de similarité. De gauche à droite :
l’image à segmenter I, l’atlas recalé rigidement, l’atlas recalé non rigidement par notre critère de similarité
prenant en compte le gradient, l’atlas recalé non rigidement par le critère SAD. L’amélioration du recalage
en utilisant le gradient au critère de similarité est illustrée dans la zone rouge.
Le tableau IV.1 présente les valeurs obtenues empiriquement pour les différents paramètres
de la méthode. Afin de tenir compte des spécificités de segmentation à la base et à l’apex du
cœur, ainsi qu’en ED et ES, des paramètres différents ont été étudiés pour chacun des cas dans
la phase de segmentation. Leurs choix ont été déterminés lors de cette étude.
La majorité des paramètres présente des plages de réglage assez larges n’entrainant que
peu de variations dans les résultats. Ainsi, dans le cas de la segmentation par exemple, il
est possible d’augmenter l’influence de l’a priori de forme γs en augmentant la régularisation
λs (et inversement). Les couples de paramètres présentant les meilleurs résultats sur la base
d’apprentissage ont été sélectionnés, et on remarque en ED la nécessité d’une régularisation
plus faible à l’apex permettant un poids plus important à l’a priori de forme. Deux paramètres
93Chapitre IV. Segmentation par GC multi-labels intégrant des a priori de forme
Tableau IV.1 – Paramétrisation empirique de la méthode à partir de la base d’apprentissage. La segmentation
des coupes basales est notée .s1
, la segmentation des coupes apicales .s2
Etape Notation Type Valeur
Recalage non-rigide ws Taille fenêtre discrète 8
Equation IV.4 N Nombre d’atlas sélectionnés 3
λr Pondération de la régularisation 20
Création du modèle ∆x Voisinage considéré ±4
Equation IV.6 σi Distribution gaussienne 65
Segmentation ED λs1 Régularisation 0.5
Equation IV.9 λs2 0.2
γs Pondération de l’a priori 0.1
Segmentation ES λs1 Régularisation 0.04
Equation IV.9 λs2 0.06
γs Pondération de l’a priori 0.01
peuvent être considérés comme critique, et concerne le recalage : la taille de la fenêtre discrète ws
(autrement dit les degrés de liberté du recalage non rigide) et le nombre d’atlas à sélectionner N.
En effet, ils influent fortement sur le résultat de fusion et de segmentation finale (en particulier
N), mais également sur le temps de calcul (en particulier ws). La figure IV.3 illustre les résultats
de fusion obtenus en fonction de ws et de N (indice Dice, voir équation (III.10)). Bien qu’une
augmentation du nombre d’atlas permet d’améliorer la qualité de la fusion, il augmente le
temps de calcul en conséquence. Comme le montre cette figure, le choix de N = 3 et ws = ±8
représentent un bon compromis entre rapidité et performances.
4 - 2.4 Résultats
Nous allons voir dans cette partie les résultats obtenus aux différents niveaux de notre mé-
thode, en les comparant, lorsque cela est possible, aux travaux de la littérature. Nos résultats
n’ont bénéficié d’aucun post-traitement permettant d’affiner les contours.
Recalage : Le recalage rigide est illustré à la Figure IV.4, présentant les trois meilleurs
atlas retenus pour une coupe d’un patient. Le recalage non-rigide obtenu sur cette même coupe
est illustré à la figure IV.5. Nous avons vérifié empiriquement que le critère de similarité sélectionné
(SAD et gradient) permettait d’obtenir de meilleurs résultats que les critères SAD ou
SSD seuls. La Table IV.2 présente une comparaison des recalages non-rigides obtenus en fonction
des critères de similarités. Les résultats obtenus par notre méthode combinant différence
absolue d’intensité et de gradient sont globalement supérieurs à ceux obtenus par le critère
94IV.4 - 2 Résultats expérimentaux
Figure IV.3 – Résultats de fusion (indice dice) et temps de calcul en fonction de la taille de fenêtre de
déplacement ws (en haut) et du nombre d’atlas N (en bas) pour le recalage non rigide.
SSD, et proches de ceux du SAD, bien que les écarts soient plus significatifs pour les cas de
segmentation les plus difficiles : myocarde et ventricule droit en fin de systole (ES).
Fusion des atlas : Dans notre méthodologie, l’étape de fusion des atlas permet de créer un
modèle de forme pour l’étape suivante de segmentation. Il est néanmoins possible de quantifier
les résultats de fusion à l’aide de l’équation IV.7. Le tableau IV.3 compare la vérité terrain
aux résultats obtenus par fusion. Afin de déterminer l’influence du recalage sur la fusion, le
résultat est également donné pour la méthode SAD. La fusion des atlas permet d’améliorer
significativement tous les résultats pour chaque base (en comparaison avec le tableau IV.2).
On peut remarquer sur ces résultats que la fusion est corrélée à la qualité du recalage, mais
également à la distribution des erreurs de chaque atlas. Or, les résultats de fusion sont légère-
95Chapitre IV. Segmentation par GC multi-labels intégrant des a priori de forme
Tableau IV.2 – Moyenne (± écart type) de Dice Metric (DM) entre la vérité terrain et les labels donnés
par les atlas recalés pour Test1 et Test2. Première ligne : notre méthode combinant différence absolue
d’intensité et de gradient, deuxième ligne : différence absolue d’intensité (SAD), troisième ligne : différence
d’intensité au carré (SSD).
ED ES
Test1 Test2 Test1 Test2
SAD + VD 0.75 ± 0.22 0.81 ± 0.19 0.56 ± 0.28 0.63 ± 0.28
Gradient VG 0.91 ± 0.07 0.93 ± 0.07 0.71 ± 0.32 0.79 ± 0.23
Myo 0.70 ± 0.12 0.79 ± 0.10 0.63 ± 0.29 0.76 ± 0.17
SAD
VD 0.74 ± 0.22 0.80 ± 0.19 0.55 ± 0.29 0.61 ± 0.28
VG 0.91 ± 0.07 0.93 ± 0.07 0.70 ± 0.32 0.78 ± 0.23
Myo 0.70 ± 0.12 0.78 ± 0.10 0.61 ± 0.28 0.74 ± 0.17
SSD
VD 0.74 ± 0.22 0.80 ± 0.17 0.55 ± 0.27 0.59 ± 0.29
VG 0.89 ± 0.07 0.92 ± 0.07 0.74 ± 0.26 0.74 ± 0.26
Myo 0.65 ± 0.13 0.74 ± 0.10 0.62 ± 0.24 0.72 ± 0.18
Les valeurs en gras indiquent les meilleurs résultats entre les méthodes.
Tableau IV.3 – Moyenne (± écart type) de Dice Metric (DM) entre la vérité terrain et les labels donnés
par la fusion pour notre méthode (première ligne) et le critère SAD (seconde ligne).
ED ES
Test1 Test2 Test1 Test2
SAD + VD 0.84 ± 0.19 0.88 ± 0.16 0.63 ± 0.33 0.70 ± 0.31
Gradient VG 0.93 ± 0.06 0.95 ± 0.07 0.75 ± 0.33 0.83 ± 0.23
Myo 0.77 ± 0.13 0.85 ± 0.09 0.68 ± 0.30 0.82 ± 0.17
SAD
VD 0.83 ± 0.19 0.87 ± 0.16 0.62 ± 0.32 0.68 ± 0.31
VG 0.93 ± 0.07 0.95 ± 0.07 0.74 ± 0.33 0.81 ± 0.23
Myo 0.77 ± 0.13 0.85 ± 0.09 0.67 ± 0.30 0.80 ± 0.18
Les valeurs en gras indiquent les meilleurs résultats entre les méthodes.
ment meilleurs avec notre critère de similarité, notamment pour les cas difficiles (ES), ce qui
justifie une nouvelle fois l’apport du gradient au critère de similarité. La figure IV.6-(a) illustre
la fusion pour l’exemple précédemment donné. On peut constater que les résultats présentent
des régions parasites, des manques et des irrégularités. Nous verrons dans la prochaine partie
que l’utilisation de la fusion comme a priori de forme dans une étape de segmentation plutôt
que comme résultat final permet d’améliorer ces résultats.
96IV.4 - 2 Résultats expérimentaux
I AIi
I et AIi A′
Ii
I et A′
Ii
Figure IV.4 – Illustration des 3 atlas (un par ligne) après le recalage rigide. De gauche à droite :
l’image à segmenter I, l’atlas original AIi
, la superposition de I et de AIi
, l’atlas recalé rigidement A′
Ii
, la
superposition de I et de A′
Ii
. Pour la superposition des dernières figures : le vert est utilisé pour I, le rose
pour les atlas (Patient 21, coupe 1, Test1 en fin de diastole ED).
I A′
Ii
I et A′
Ii AD∗
Ii
I et AD∗
Ii
Figure IV.5 – Illustration des 3 atlas (un par ligne) après le recalage non-rigide. De gauche à droite :
l’image à segmenter I, l’atlas recalé rigidement A′
Ii
, la superposition de I et de A′
Ii
, l’atlas recalé non
rigidement AD∗
Ii
, la superposition de I et de AD∗
Ii
. Superposition : vert pour I, rose pour les atlas (Patient
21, coupe 1, Test1 en fin de diastole ED).
97Chapitre IV. Segmentation par GC multi-labels intégrant des a priori de forme
Tableau IV.4 – Moyenne (± écart type) de Dice Metric (DM) en pourcentage entre la vérité terrain et
le résultat de la segmentation pour notre méthode (première ligne) et le critère SAD (seconde ligne).
ED ES
Test1 Test2 Test1 Test2
Notre VD 0.86 ± 0.17 0.89 ± 0.13 0.74 ± 0.27 0.73 ± 0.28
Méthode VG 0.94 ± 0.06 0.96 ± 0.06 0.75 ± 0.34 0.82 ± 0.26
Myo 0.78 ± 0.14 0.85 ± 0.08 0.69 ± 0.29 0.82 ± 0.14
SAD
VD 0.86 ± 0.15 0.88 ± 0.14 0.74 ± 0.25 0.72 ± 0.29
VG 0.93 ± 0.07 0.95 ± 0.07 0.74 ± 0.34 0.82 ± 0.26
Myo 0.78 ± 0.14 0.84 ± 0.09 0.68 ± 0.29 0.81 ± 0.15
Les valeurs en gras indiquent les meilleurs résultats entre les méthodes.
Segmentation : L’étape de segmentation utilise le résultat de la fusion en tant qu’a priori
de forme afin d’améliorer les résultats. Cette étape est négligeable en temps de calcul par
rapport au recalage. Le Tableau IV.4 présente les résultats de segmentation selon le critère de
similarité que nous avons choisi (SAD + gradient) et le critère SAD. En comparant les résultats
donnés par notre méthode et ceux donnés par un recalage avec le critère SAD, on observe un
écart moyen absolu (resp. signé par rapport à notre méthode) de l’indice dice de 0.01 (+0.01)
pour la fusion ainsi que pour la segmentation. Notre étape de segmentation multi-labels est
ainsi robuste au terme d’a priori de forme qui lui est injecté.
Le tableau IV.4 permet plusieurs constatations : tout d’abord, en comparant les résultats
avec le tableau IV.3 relatif à la fusion, on observe une amélioration moyenne de l’indice Dice en
ED (resp. ES) de : +0.02 (+0.07) pour le VD, +0.01 (0.00) pour le VG et +0.01 (+0.01) pour
le myocarde. Les améliorations pour le VD sont plus importantes que celles pour le VG et le
myocarde. De plus, sans surprise, les résultats de segmentation sont meilleurs pour les images
ED que pour celles en ES : les images ED sont les plus faciles à traiter, puisque le cœur y est le
plus dilaté. Les résultats sont également meilleurs pour les coupes basales et mi-ventriculaires
que pour les coupes apicales.
La figure IV.6 illustre bien les améliorations de la segmentation : la suppression des faux
positifs et les contours des objets lissés. Un autre exemple de segmentation est donné à la figure
IV.7, présentant un résultat complet pour un patient. On peut remarquer quelques irrégularités
sur les contours du myocarde pour les coupes ES. Ce type d’erreur pourrait être corrigé par
des post-traitements.
98IV.4 - 2 Résultats expérimentaux
(a) Résultats de fusion
(b) Résultats de segmentation
Figure IV.6 – Illustration de (a) la fusion et (b) la segmentation obtenue pour toutes les coupes d’un
patient. De gauche à droite, haut en bas : les coupes de la base à l’apex du cœur. Rouge : ventricule droit,
vert et bleu respectivement l’endocarde et l’épicarde du ventricule gauche (Patient 21, Test1, en fin de
diastole ED).
99Chapitre IV. Segmentation par GC multi-labels intégrant des a priori de forme
ED
ES
Figure IV.7 – Segmentation obtenue pour toutes les coupes d’un patient en ED et ES. De gauche à droite,
haut en bas : les coupes de la base à l’apex du cœur. Rouge : ventricule droit, vert et bleu respectivement
l’endocarde et l’épicarde du ventricule gauche (Patient 45, Test2).
100IV.4 - 3 Conclusion
4 - 3 Conclusion
Dans le chapitre précédent, nous avons proposé une méthode semi-automatique de segmentation
du VD sur IRM cardiaques basée sur la méthode des GC binaires. Cette méthode
permet d’obtenir des résultats efficaces sur le VD. Cependant, les IRM cardiaques en coupe petit
axe permettant une vue simultanée du VD et du VG, l’utilisation d’une méthode multi-labels
permet leur segmentation conjointe. Nous avons ainsi proposé dans ce chapitre une méthode
automatique reposant sur 3 étapes : (i) le recalage non-rigide d’un ensemble d’atlas sur l’image
à segmenter, réalisé à l’aide de la méthode des GC. Le recalage par GC est une problématique
récente et peu de travaux ont été proposés dans la littérature afin d’évaluer le recalage par
GC ; (ii) la création d’un modèle de forme par fusion des atlas recalés ; (iii) la segmentation
multi-labels par GC, intégrant un a priori de forme. L’intégration d’un a priori à la méthode
des GC multi-labels n’a été que peu étudiée, et nous avons montré qu’elle permet d’obtenir de
bons résultats de segmentation. De plus, les résultats obtenus sont comparables à la première
méthode que nous avons proposé.
Afin de déterminer l’efficacité de ces deux méthodes, une comparaison entre nos contributions
et des méthodes de segmentation de la littérature permettrait de déterminer quelle
méthodologie permet d’obtenir les meilleurs résultats pour cette application difficile. Le dernier
chapitre de cette thèse va ainsi s’intéresser à cette comparaison à travers le challenge de
segmentation du VD MICCAI 2012, que nous avons organisé.
101Chapitre IV. Segmentation par GC multi-labels intégrant des a priori de forme
102Chapitre V
Comparaison des méthodes : challenge MICCAI
2012
Nous avons présenté deux méthodes de segmentation dans les chapitres précédents : au chapitre
III, nous avons proposé une méthode semi-automatique de segmentation du VD basée sur
la méthode des GC binaires intégrant un a priori de forme obtenu à partir d’une ACP. Cette
méthode sera nommée GCAF dans la suite de ce chapitre. Au chapitre IV, nous avons proposé
une méthode automatique de segmentation conjointe du VD et du VG basée sur la méthode
des GC multi-labels intégrant un a priori de forme obtenu à partir de la fusion d’un ensemble
d’atlas recalés. Cette méthode sera nommée GCAF-multi dans la suite de ce chapitre. Dans
cette dernière partie, notre objectif est de comparer nos méthodes GCAF et GCAF-multi à
d’autres méthodes de segmentation dédiées aux IRM cardiaques.
Cependant, bien que des bases publiques incorporant les segmentations du VG aient été
mises à la disposition de la communauté scientifique à travers deux challenges de segmentation
1
, il n’existe pas de bases publiques pour le VD. C’est pourquoi nous avons créé une base
de données conséquente et organisé un challenge de segmentation du VD lors de la conférence
MICCAI 2012. Son but est de permettre l’évaluation commune de méthodes de segmentation
sur cette problématique à travers une base de données d’IRM cardiaques possédant une réfé-
rence de segmentation manuelle et des mesures standards d’évaluation.
Nous présenterons dans une première partie (Section 5 - 1 ) les données ainsi que les mesures
d’évaluation utilisées lors de ce challenge. La seconde partie (Section 5 - 2 ) présentera le
déroulement du challenge ainsi que les différentes méthodes participantes. Enfin, la Section 5
1. Le challenge de segmentation du VG en IRM cardiaques MICCAI’09 : http://smial.sri.utoronto.ca/
LV_Challenge/ et le challenge STACOM MICCAI’11 : http://cilab2.upf.edu/stacom_cesc11.
103Chapitre V. Comparaison des méthodes : challenge MICCAI 2012
- 3 va comparer nos deux méthodes de segmentations, GCAF et GCAF-multi, aux différentes
méthodes participantes.
5 - 1 Données et mesures d’évaluation du challenge
5 - 1.1 Base segmentée d’IRM cardiaques
Choix des patients : La collecte des données a été réalisée au Centre Hospitalier Universitaire
de Rouen dans le cadre d’une étude clinique de juin 2008 à août 2008. Les patients
nécessitaient un examen par IRM cardiaque et ont donné leur consentement écrit quant à la
participation à cette étude. Les critères d’exclusion à cette étude sont les suivants : un âge infé-
rieur à 18 ans, une contre-indication à l’utilisation de l’IRM, de l’arythmie pendant l’examen,
ou une non-nécessité de l’analyse de la fonction ventriculaire lors de leur examen (par exemple
en cas d’angiographie des veines pulmonaires ou de l’aorte thoracique). 59 patients ont ainsi été
intégrés à l’étude, dont l’âge moyen est de 53.5 ± 17.5 ans. 70% des patients (soit 42) sont des
hommes. Les principales pathologies cardiaques sont représentées dans ce panel : myocardite,
cardiomyopathie ischémique, suspicion de dysplasie arrhythmogénique du VD, cardiomyopathie
dilatée, cardiomyopathie hypertrophiée, sténose aortique [198].
Protocole expérimental : Les examens d’IRM cardiaques ont été réalisés à 1.5T (Symphony
Tim®, Siemens Medical Systems, Erlanger, Allemagne). Une bobine cardiaque dédiée à
balayage électronique à 8 éléments a été utilisée. Une synchronisation rétrospective avec une sé-
quence en précession libre en régime permanent équilibré (bSSFP) a été réalisée pour l’analyse
ciné, avec une répétition d’apnées de 10-15 secondes. Tous les plans conventionnels (vues 2-, 3-
et 4-chambres) ont été acquis et un total de 8-12 coupes continues petit axe ont été réalisées
de la base à l’apex des ventricules. Les paramètres de séquence sont les suivants : T R = 50 ms,
T E = 1.7 ms, l’angle de bascule est de 55˚, l’épaisseur de coupe de 7 mm, la taille de la matrice
de 256×216, le champ de vision de 360−420 mm et 20 images sont collectées par cycle cardiaque.
Sélection des données : Les images cardiaques ont été zoomées et recadrées dans une
région d’intérêt de taille 256 × 216 pixels (ou 216 × 256). 48 patients ont été sélectionnés pour
créer la base finale, laissant le ventricule gauche visible sur chaque image afin de permettre une
segmentation conjointe des deux ventricules. Chaque séquence d’IRM cardiaques pour un patient
est composée d’un ensemble de 200 à 280 images. La résolution spatiale dépend du patient
considéré, et vaut en moyenne 0.75 mm/pixel. Les données ont été séparées en trois ensembles :
104V.5 - 1 Données et mesures d’évaluation du challenge
Figure V.1 – Illustration de coupes segmentées de la base de données MICCAI’12, pour le patient 35 en
ED. L’endocarde du VD est superposé à l’image en rouge, l’épicarde en vert.
l’ensemble d’apprentissage (16 patients), l’ensemble Test1 (16 patients) et l’ensemble Test2 (16
patients). Les données ont été anonymisées, formattées et nommées suivant la convention du
challenge de segmentation du VG MICCAI’09.
Segmentation manuelle du VD : Elle est sujette à la variabilité inter-expert [198],
notamment sur la sélection des coupes basales et apicales extrêmes en petit-axe à partir de
la détermination des plans des valves tricuspide et pulmonaire, bien que certaines conventions
existent afin de guider le tracé manuel de l’expert. Pour ce challenge de segmentation, une
première convention concerne la définition des coupes ED et ES : la fin de diastole ED est
définie comme étant la première image temporelle de chaque niveau de coupe, alors que la
fin de systole ES est définie par l’image avec la plus petite cavité ventriculaire à partir d’une
coupe mi-ventriculaire petit-axe. La définition des coupes basales ED et ES est déduite de la
position de l’anneau tricuspidien définie sur la vue 4-cavités en ED et ES. La coupe apicale
est définie par la dernière coupe présentant une cavité ventriculaire détectable. Enfin, le tracé
manuel de l’endocarde et de l’épicarde du VD a été réalisé par un expert sur les coupes ED et
ES. Les trabéculations et muscles papillaires ont été inclus à la cavité ventriculaire. Le septum
interventriculaire n’a pas été inclus à la masse du VD. La Figure V.1 illustre quelques coupes
segmentées de la base de données pour un patient en ED. La segmentation de l’ensemble des
coupes pour un patient est réalisée manuellement en 15 minutes environ.
5 - 1.2 Méthodologie d’évaluation
De nombreuses mesures d’évaluation existent et permettent d’analyser les performances
d’une méthode. Dans le cadre du challenge, les performances techniques, i.e. la précision de la
segmentation par rapport au tracé manuel, sont déterminées à partir de deux indices standards :
105Chapitre V. Comparaison des méthodes : challenge MICCAI 2012
une mesure globale de recouvrement, l’indice Dice (DM), et une mesure locale, la distance de
Hausdorff (HD). Le score de recouvrement Dice a été défini précédemment à l’équation III.10.
Cet indice permet une appréciation globale de la précision de la segmentation donnée par une
méthode par rapport à la vérité terrain. Le deuxième indice, la distance de Hausdorff [199] est
une mesure symétrique de distance entre le contour manuel Cm composé des points p
i
m et le
contour automatique Ca composé de points p
j
a
. Elle est définie par :
HD(Cm, Ca) = max
max
i
min
j
d
p
i
m, p
j
a
, max
j
min
i
d
p
i
m, p
j
a
(V.1)
où d(., .) est la distance euclidienne. La distance de Hausdorff est calculée en mm en utilisant
la résolution spatiale de l’image considérée. Cet indice est sensible aux valeurs aberrantes et
permet une appréciation locale de la précision de la segmentation donnée par une méthode par
rapport à la vérité terrain.
En plus des performances techniques, les performances des paramètres cliniques sont déterminées
à partir du calcul des indices de la fonction contractile cardiaque. Les volumes endocardiques
en ED, V
ED
endo, et ES, V
ES
endo, peuvent être déterminés en sommant les aires de chaque
coupe multipliées par la distance entre les différentes coupes. La fraction d’éjection peut alors
être calculée à l’aide de l’équation I.1 (voir chapitre I). Dans le cas où le contour épicardique
est recherché, il est possible de calculer la masse ventriculaire (g) :
vm = densité ∗ (V
ED
epi − V
ED
endo) (V.2)
avec densité = 1.05 g/cm3
[200]. Les paramètres cliniques étant obtenus pour les contours automatiques
et manuels, ils peuvent être comparés afin de déterminer la corrélation ou un biais
fixe, afin de déterminer si une méthode sous-estime ou sur-estime systématiquement un paramètre
clinique donné. Cela est réalisé en calculant le coefficient de corrélation R, la régression
linéaire et l’analyse de Bland-Altman.
5 - 2 Challenge et méthodes participantes
5 - 2.1 Préparation des données
Le challenge de segmentation du VD (RVSC) a été organisé par Caroline Petitjean, Su Ruan,
Jean-Nicolas Dacher, Jérôme Caudron et moi-même, et a débuté en mars 2012 par l’invitation
106V.5 - 2 Challenge et méthodes participantes
électronique des chercheurs du domaine et l’annonce de la création du challenge. Différentes
étapes définies ci-après ont donné lieu à une compétition finale sur place organisée lors d’un
atelier à la 15ème Conférence Internationale Medical Image Computing and Computer Assisted
Intervention (MICCAI) le 1er octobre 2012 à Nice, France. Sur 47 équipes initialement enregistrées
au challenge, 7 ont soumis leurs résultats et ont participé à la compétition finale. Ces
7 méthodes seront détaillées dans la section suivante.
La première étape (apprentissage) a commencé en mars 2012 avec la mise à disposition
de l’ensemble d’apprentissage de 16 patients, incluant toutes les images DICOM, la liste des
images à segmenter (correspondant aux phases ED et ES) ainsi que les contours manuels de ré-
férence pour chaque image. De plus, un code d’évaluation implémenté sous Matlab a été fourni
aux participants afin de pouvoir évaluer la performance de leur méthode. Il fournit les mesures
de DM et HD pour chaque image, leur moyenne et écart type (par patient, phase et global)
ainsi que le coefficient de corrélation, la régression linéaire et les erreurs relatives concernant les
performances des paramètres cliniques. Ce même code a été utilisé par les organisateurs pour
évaluer les résultats de segmentation lors des étapes suivantes du challenge.
La seconde étape (Test1) a commencé en juin 2012 avec la mise à disposition de l’ensemble
Test1 composé de 16 patients, comprenant l’ensemble des images DICOM ainsi que la liste
des images à segmenter. Les participants ont alors pu faire tourner leurs algorithmes afin de
segmenter l’endocarde du VD (et optionnellement l’épicarde du VD), en utilisant peu ou pas
d’interaction avec l’utilisateur. Afin d’obtenir les évaluations des méthodes, les participants devaient
envoyer les contours de segmentation obtenus aux organisateurs du challenge, ces derniers
leur fournissant à partir du code d’évaluation précédemment cité l’évaluation technique et des
paramètres cliniques de la précision de segmentation. Les participants avaient alors jusqu’au 5
juillet pour fournir un article décrivant leur méthode ainsi que les résultats obtenus sur Test1.
Ces différents articles sont disponibles à l’adresse suivante : http://www/litislab.eu/rvsc/.
Enfin, la dernière étape du challenge (Test2) a eu lieu le jour de la compétition, le 1er octobre
2012, à MICCAI. Une nouvelle base de 16 patients, Test2, a été fournie aux participants, ceux-ci
ayant 3 heures sur place afin de fournir la segmentation délivrée par leur méthode. Considérant
le coût en terme de calculs et de mémoire du traitement de base de données importantes,
les participants étaient autorisés à utiliser des serveurs de calcul distants. Les résultats ont
été calculés et présentés par les organisateurs lors de la conférence. Il est à noter que les
participants pouvaient améliorer leur algorithme entre la soumission des résultats de Test1 et
107Chapitre V. Comparaison des méthodes : challenge MICCAI 2012
le jour du challenge.
5 - 2.2 Méthodes participantes
Sept équipes ont participé au challenge de segmentation, trois d’entre elles présentant des
méthodes automatiques et quatre semi-automatiques, i.e. nécessitant une faible étape d’initialisation
manuelle de l’algorithme. Le tableau V.1 présente un aperçu des différentes méthodes
des participants détaillés dans la suite de cette partie, dénommées à partir du nom de l’équipe.
Dans notre cas, la méthode du chapitre III, GCAF, a participé à la compétition sur site contrairement
à celle du chapitre IV, GCAF-multi.
Tableau V.1 – Liste des participants au challenge. Les équipes non présentes lors de la compétition sur
site sont indiquées par ∗
. A/SA : Automatique/Semi-Automatique.
Equipes Référence Principe de la méthode A/SA Contours
CMIC, GB [201] Recalage multi-atlas 2D A Endo+épi
NTUST, Taiwan [202] clustering et mouvement A Endo+épi
SBIA∗
, USA [203] Recalage multi-atlas 3D A Endo+épi
ICL, GB [204] Recalage multi-atlas 3D SA Endo+épi
LITIS, France [205] GC binaire avec a priori SA Endo+épi
BIT-UPM, Espagne [206] Watershed 4D SA Endo
GEWU∗
, Canada [207] Correspondance de distributions SA Endo
Méthodes automatiques
CMIC [201] : Cette méthode automatique repose sur une stratégie d’affinements successifs
de la segmentation à partir de la propagation d’un ensemble d’atlas. Trois étapes sont réalisées :
d’abord la localisation du cœur, puis la segmentation grossière du VD et enfin, l’affinement de
la segmentation de l’endocarde et de l’épicarde du VD. La segmentation obtenue à chaque
étape est utilisée comme un masque à l’étape suivante, permettant d’améliorer graduellement
l’initialisation du recalage d’atlas et sa précision. Cette méthode traitant chaque coupe 2D, une
sélection d’atlas est nécessaire en considérant la grande variabilité des images cardiaques. Afin
de choisir les atlas les plus adaptés à une image inconnue, un critère de classement multi-labels
a été choisi [208], basé sur une corrélation croisée locale normalisée. La fusion est réalisée à
partir des meilleurs atlas à chaque étape de l’algorithme.
NTUST [202] : Cette méthode de segmentation automatique et non supervisée est basée
principalement sur le mouvement cyclique du cœur. Elle combine des modèles de morphologie
108V.5 - 2 Challenge et méthodes participantes
spatiale 2D et du mouvement cyclique des images cardiaques sur la dimension temporelle afin
de déterminer le contour endocardique du VD sur les données 4D.
Une détection grossière du VG est réalisée en recherchant les objets connectés dans une zone
carrée, possédant un mouvement répété. Cette étape permet de filtrer les objets ayant un mouvement
cardiaque cyclique. Cette détection du VG est d’abord appliquée aux images de la
séquence médiane sur la dimension temporelle, où les cavités du VG et du VD sont les plus
importantes en taille comparées aux autres séquences temporelles. La détection du VG sur les
autres coupes est réalisée en utilisant cette première détection : les objets connectés possédant
un fort mouvement et un fort recouvrement avec le VG des séquences voisines sont sélectionnés.
La détection du VD est réalisée d’une façon similaire, sur la séquence médiane temporelle, en
excluant le VG précédemment détecté. A partir de cette détection et en utilisant des contraintes
géométriques selon l’axe Z, le VD est détecté en cherchant les objets de fort mouvement sur la
dimension temporelle, avec un faible recouvrement avec le VG et un fort recouvrement avec le
VD des images voisines de la séquence.
SBIA [203] : Cette équipe a proposé un cadre de segmentation automatique et itératif basé
sur le recalage d’un ensemble d’atlas et la fusion des labels. Les atlas sont recalés sur les images
cibles par un outil publique de recalage appelé DRAMMS. La fusion des labels est réalisée à
partir d’une stratégie de vote à la majorité, pondéré selon la similarité locale entre l’atlas et
l’image cible. Dans un cadre itératif, la segmentation initiale est utilisée pour restreindre la
zone de recherche aux alentours du VD et pour sélectionner un sous-ensemble des atlas les plus
similaires à l’image cible dans cette zone restreinte, avant une seconde étape de recalage. De
cette façon, la grande variabilité des images cardiaques est partiellement réduite. La méthode
converge vers un masque final du VD après deux itérations.
Méthodes semi-automatiques
ICL [204] : La méthode de segmentation repose sur le recalage d’un ensemble d’atlas 3D
dont les labels de la cavité du VD (endocarde) et de sa paroi (épicarde) sont obtenus par la
fusion des opinions de l’ensemble des atlas. La méthode est semi-automatique mais ne requiert
que quelques points de correspondances sur les images. Chaque atlas est alors aligné en utilisant
un recalage affine basé sur les points de correspondance, suivi par un recalage non rigide basé
sur les B-splines. Afin d’estimer le label pour un voxel x, les labels des atlas sont combinés en
109Chapitre V. Comparaison des méthodes : challenge MICCAI 2012
utilisant une fusion locale pondérée des labels :
L˜(x) = arg max
l
X
N
n=1
X
∆x∈S
P(I(x)|In(x + ∆x)).P(L(x) = l|Ln(x + ∆x)) (V.3)
où N est le nombre d’atlas, S est une zone volumique de recherche centrée en x. Le premier
terme de pondération P(I(x)|In(x+∆x)) est déterminé par la similarité de l’intensité en x entre
l’image cible et l’atlas, le second terme P(L(x) = l|Ln(x + ∆x)) est déterminé par la distance
entre le voxel cible de l’image et le voxel considéré de l’atlas. Ainsi, le voxel d’un atlas ayant une
intensité similaire au voxel cible et proche de ce dernier à une influence plus importante dans la
détermination du label final qu’un voxel de l’atlas plus distant ou moins similaire. Finalement,
le label ayant le poids final sommé le plus important est attribué au voxel cible.
BIT-UPM [206] : Cette équipe a proposé une méthode de segmentation 4D basée sur la
technique de montée des eaux et la fusion des régions résultantes par GC 4D. Cette méthode
semi-automatique nécessite le tracé manuel de la cavité du VD sur 4 à 5 coupes 2D de la
première phase ED. Ces tracés sont utilisés afin de déterminer la zone de recherche, et sont
propagés dans la dimension temporelle des images en utilisant la symétrie du cycle cardiaque.
Le volume 4D est ensuite pré-segmenté en petites régions à partir de le technique de montée
de eaux. Enfin, ces régions sont fusionnées à partir de la méthode des GC 4D dont le terme
contour est basé sur l’intensité. Cette approche est basée sur les travaux de [209] et [210], mais
étendue en 4D. Considérant l’écart important entre les coupes et la nécessité de cohérence entre
les coupes successives pour la méthode des GC, une interpolation de coupes manquantes est
réalisée. Une seule passe de l’algorithme est alors nécessaire à la segmentation 4D du VD.
GEWU [207] : La méthode de segmentation 3D repose sur la relaxation convexe et la
correspondance de distributions. L’algorithme requiert un unique patient pour l’apprentissage
et une interaction avec l’utilisateur, un unique clic aux alentours du centre du VG sur une seule
coupe pour un patient. La solution finale est obtenue par l’optimisation d’une fonctionnelle
d’énergie basée sur des a priori de forme et d’intensité. A partir d’une mesure globale de
similarité entre les distributions, l’a priori de forme est invariant à la translation. Les auteurs
ont également introduit une variable concernant le facteur d’échelle afin de définir une équation à
point-fixe, permettant une invariance à l’échelle à partir de quelques calculs rapides. La méthode
permet ainsi de s’affranchir d’une étape coûteuse d’alignement ou de recalage, et de la nécessité
d’une base manuellement labellisée. De plus, elle peut être parallélisée : l’implémentation sur
110V.5 - 3 Résultats et comparaisons
GPU permet un temps de calcul de l’ordre de 5 secondes pour la segmentation d’un volume
cardiaque. Les auteurs démontrent que la performance de l’algorithme n’est pas affectée par le
choix d’un patient en particulier de la base d’apprentissage et que la description des formes est
similaire quelque soit le patient considéré. L’apprentissage de l’algorithme par un seul patient
est ainsi supposé comme suffisant.
5 - 3 Résultats et comparaisons
Dans cette partie, nous allons évaluer et comparer nos deux méthodes de segmentation
GCAF et GCAF-multi en utilisant les données du challenge. Nous rappelons que la méthode
GCAF-multi n’était pas participante au challenge de segmentation du VD MICCAI’12 (contrairement
à la méthode GCAF), mais les mêmes conditions d’évaluation ont été respectées.
Nous nous intéresserons aux performances techniques et des paramètres cliniques en ne
considérant que la segmentation de l’endocarde du VD, afin de comparer les différentes mé-
thodes et déterminer les méthodologies adaptées à la résolution de ce problème de segmentation
difficile. Les performances ont été déterminées sur la base Test1 de 16 patients (248 images) et
sur la base Test2 de 16 patients (252 images).
5 - 3.1 Performances techniques
Le tableau V.2 présente la précision moyenne de la segmentation de l’endocarde pour chaque
méthode. Les valeurs du coefficient Dice varient entre 0.55 et 0.81 et la distance de Hausdorff
de 7 mm à 23 mm. Nos deux méthodes GCAF et GCAF-multi présentent parmi les meilleurs
résultats avec respectivement un DM de 0.76 et 0.79 (Test1), 0.81 et 0.81 (Test2) et une distance
de Hausdorff de 9.97 et 12.54 (Test1), 7.28 et 9.69 (Test2). On peut remarquer qu’en moyenne,
les méthodes semi-automatiques permettent d’obtenir des segmentations plus précises que les
méthodes automatiques. Cependant, deux méthodes automatiques 2D, CMIC et GCAF-multi,
permettent d’obtenir des résultats similaires aux meilleurs méthodes semi-automatiques, ICL,
GCAF et BIT-UPM. On peut noter que nos méthodes GCAF et GCAF-multi obtiennent les
meilleurs résultats sur Test2. Enfin, les résultats de ce tableau présentent des écarts-types
importants : les performances des méthodes sont ainsi variables selon les patients. GCAF et
GCAF-multi sont parmi les méthodes de plus faibles écarts types, ce qui montre leur performance
face à la variabilité des patients.
111Chapitre V. Comparaison des méthodes : challenge MICCAI 2012
Tableau V.2 – Valeurs moyennes (± écart type) du coefficient Dice (DM) et de la distance de Hausdorff
(HD). Ces valeurs sont moyennés sur ED et ES. A/SA : Automatique/Semi-Automatique.
Test1 Test2
DM HD (mm) DM HD (mm)
CMIC A 0.78 ± 0.23 10.51 ± 9.17 0.73 ± 0.27 12.50 ± 10.95
NTUST A 0.57 ± 0.33 28.44 ± 23.57 0.61 ± 0.34 22.20 ± 21.74
SBIA A 0.55 ± 0.32 23.16 ± 19.86 0.61 ± 0.29 15.08 ± 8.91
GCAF-multi A 0.79 ± 0.22 12.54 ± 10.74 0.81 ± 0.21 9.69 ± 7.71
ICL SA 0.78 ± 0.20 9.26 ± 4.93 0.76 ± 0.23 9.77 ± 5.59
GCAF SA 0.76 ± 0.20 9.97 ± 5.49 0.81 ± 0.16 7.28 ± 3.58
BIT-UPM SA 0.80 ± 0.19 11.15 ± 6.62 0.77 ± 0.24 9.79 ± 5.38
GEWU SA 0.59 ± 0.24 20.21 ± 9.72 0.56 ± 0.24 22.21 ± 9.69
Les valeurs en gras indiquent les meilleurs résultats entre les méthodes.
Si on considère l’analyse des images ED et ES séparément (voir Figure V.2), on peut remarquer
que quelque soit la méthode, les résultats sont supérieurs pour les phases ED que pour
les phases ES. En effet, les images ED sont plus faciles à segmenter, la cavité ventriculaire y
étant la plus dilatée. De plus, les images ES sont plus floues du fait de l’effet de volume partiel.
Selon la méthode considérée, les écarts de performance entre les segmentations ED et ES
varient entre 5 et 17%. On peut remarquer que pour certaines méthodes (BIT-UPM, GCAF,
ICL), la distribution est resserrée autour de la médiane, ce qui indique un comportement stable
de ces méthodes. Il est à noter que ces trois méthodes sont semi-automatiques. Notre méthode
automatique GCAF-multi présente également une distribution relativement resserrée autour de
la médiane, elle a donc un comportement stable.
Il est également possible d’analyser les résultats obtenus en fonction des niveaux de coupe,
afin de déterminer la distribution des erreurs pour chaque méthode. Sachant que chaque volume
possède un nombre différent de coupes (entre 6 et 12, avec une valeur moyenne de 8.94 ± 1.53
pour les volumes ED), il est nécessaire d’interpoler les valeurs du coefficient Dice sur un nombre
fixe de coupe, que nous avons fixé à 12. La Figure V.3 présente la moyenne du coefficient Dice
selon le plan longitudinal du VD en fonction du niveau de coupes. Sans surprise, les erreurs
sont plus importantes pour les coupes apicales, pour toutes les méthodes. De la base à l’apex
du cœur, le coefficient Dice décroît d’environ 1/3 : les coupes les plus basales ont en moyenne
un score de 0.91 (moyenne sur les trois meilleures méthodes CMIC, ICL, GCAF), alors que les
coupes les plus apicales ont un score de 0.62. Cela montre que les améliorations dans la précision
de la segmentation doit reposer essentiellement sur les coupes apicales. Il est à noter que
pour certaines méthodes, la segmentation des premières coupes basales peut également poser
112V.5 - 3 Résultats et comparaisons
Figure V.2 – Médiane du coefficient Dice sur les segmentations obtenues sur les patients de Test1 et de
Test2. La médiane est illustrée par une barre rouge. La boîte indique le premier quartile (25% des valeurs
sont inférieures ou égales à sa valeur) et le troisième quartile (75% des valeurs sont inférieures ou égales à
sa valeur).
problème. Nos deux méthodes GCAF et GCAF-multi présentent des amplitudes du coefficient
Dice les plus faibles parmi toutes les méthodes, prouvant leur efficacité sur les coupes apicales.
Des résultats de segmentation typiques pour toutes les coupes d’un patient sont présentés
à la Figure V.4 pour les coupes les plus basales ED, à la Figure V.5 pour les coupes les plus
apicales ED et à la Figure V.6 pour le volume ES. Les contours de 4 méthodes sont proposés
dans ces figures : CMIC, GCAF-multi, ICL et GCAF. Bien que la plupart des coupes présentent
une bonne précision de segmentation, on peut remarquer que la méthode ICL présente une sousestimation
des contours, en particulier pour la coupe la plus basale en ED et ES, au contraire de
la méthode CMIC qui sur-estime certains contours. Dans une moindre mesure, une légère surestimation
peut également apparaître sur certaines coupes avec notre méthode GCAF-multi,
mais nos méthodes proposent les résultats de segmentation les plus proches de la vérité terrain
en ED et en ES.
113Chapitre V. Comparaison des méthodes : challenge MICCAI 2012
Figure V.3 – Distribution spatiale des erreurs sur les images ED de Test1 et Test2 selon les méthodes
utilisées.
5 - 3.2 Performances cliniques
Les volumes endocardiques en ED et ES sont calculés comme étant la somme de toutes les
aires endocardiques déterminées par les contours, multipliées par la distance entre les coupes. La
Figure V.7 présente l’analyse de la corrélation entre les volumes automatiques et manuels. Même
si nous avons vu que les segmentations sur les coupes apicales étaient d’une précision inférieure
(quelle que soit la méthode), la corrélation entre les volumes automatiques et manuels est plutôt
bonne. En effet, les erreurs sur les coupes apicales n’ont que peu d’influence sur le calcul du
volume total, même si d’autres champs de recherche, telle que l’étude de la structure des fibres,
nécessitent une bonne précision de sa segmentation. Pour les méthodes semi-automatiques, le
coefficient de corrélation calculée à partir d’une régression linéaire atteint un maximum de 0.99
en ED et 0.98 en ES, et 0.96 en ED et 0.96 en ES pour les méthodes automatiques. Notre
méthode GCAF-multi permet d’obtenir des résultats meilleurs ou comparables aux méthodes
semi-automatiques, ces dernières présentant en moyenne les meilleurs coefficients de corrélation.
A partir de ces volumes, il est possible de déterminer la fraction d’éjection. Les Figures V.9
et V.8 présente la régression linéaire et une analyse Bland-Altman entre les fractions d’éjection
déterminées manuellement et automatiquement. Pour les méthodes automatiques, le coefficient
114V.5 - 3 Résultats et comparaisons
de corrélation est mitigé, avec une tendance globale à la surestimation de la fraction d’éjection
(surévaluation de la santé du cœur), comme le montre la courbe de Bland-Altman : la différence
moyenne (ligne rouge) montre en moyenne des valeurs positives et par ce fait un biais fixe. Les
mêmes remarques peuvent être faites concernant les méthodes semi-automatiques, exceptées
que la fraction d’éjection est soit surestimée, soit sous-estimée. Concernant nos méthodes, on
peut remarquer que GCAF est la méthode semi-automatique ayant la différence moyenne la
plus proche de 0, et n’a pas de biais fixe. Notre méthode automatique GCAF-multi est la seule
à avoir une différence moyenne proche de 0, avec un fort regroupement des erreurs autour de
cette moyenne. On peut toutefois remarquer que les méthodes présentent des performances sur
les paramètres cliniques relativement proches, contrairement aux performances techniques qui
étaient plus différentes.
5 - 3.3 Comparaisons
Nous avons proposé dans cette thèse deux méthodes différentes, une semi-automatique et
une automatique, basées sur des a priori de forme. La comparaison de nos méthodes avec celles
du challenge permet de répondre à certaines questions : est-il plus judicieux d’utiliser une mé-
thode automatique ou semi-automatique ? Quel est l’apport d’un a priori de forme ? Est-ce que
le choix d’une méthodologie 2D que nous avons proposé est le plus approprié ? Et enfin, quelle
méthode permet d’obtenir les meilleurs résultats sur cette application ?
Si on compare les méthodes semi-automatiques et automatiques du challenge, on peut remarquer
en moyenne de meilleurs résultats de segmentation pour les méthodes semi-automatiques.
Cependant, la méthode CMIC et notre méthode GCAF-multi prouvent qu’il est possible d’obtenir
automatiquement des résultats comparables aux méthodes nécessitant une interaction
avec l’utilisateur. Cependant, l’automatisation des méthodes a un coût, comme le montre le
Tableau V.3. Les bonnes performances de CMIC et GCAF-multi sont obtenues sans aucune
interaction de l’utilisateur mais avec un coût de calcul beaucoup plus important que les autres
méthodes. Bien que pour cette application le temps réel ne soit pas requis, le temps de calcul
pour un patient doit se limiter à quelques minutes. Si on considère les 3 meilleures méthodes
semi-automatiques (ICL, GCAF et BIT-UPM), notre méthode est la plus rapide pour une
interaction utilisateur plus faible que BIT-UPM, et une interaction plus forte que ICL. Cependant,
la méthode ICL est la plus longue bien que la méthode soit parallélisée sur 32 processeurs.
Concernant les méthodes automatiques, notre méthode GCAF-multi permet d’obtenir
les meilleurs résultats (comparables aux meilleurs résultats globaux) au coût d’un temps de
115Chapitre V. Comparaison des méthodes : challenge MICCAI 2012
Tableau V.3 – Temps de calcul moyen par patient (volumes ED et ES) et type d’interaction utilisateur
nécessaire pour les méthodes semi-automatiques. A/SA : Automatique/Semi-Automatique.
Equipe Contours Temps de calcul Interaction
CMIC A Endo+Epi 12 min sur PC avec processeur -
quad-core à 2.13 GHz
NTUST A Endo+Epi 90.3 sec sur PC avec processeur -
dual-core à 3.1 GHz
SBIA A Endo+Epi 2-3 min sur linux avec processeur -
dual-core à 2.8 GHz
LITIS-multi A Endo (VD) 30 min sur PC avec processeur -
Endo+Epi (VG) dual-core à 2.8 GHz
ICL SA Endo+Epi 5 min avec calcul parallélisé 5 landmarks
sur un serveur 32-core par volume
LITIS SA Endo+Epi 45 sec sur PC avec processeur 2 landmarks
dual-core à 2.8 GHz par image
BIT-UPM SA Endo 2.25 min sur PC avec processeur Contourage manuel de 4 à 5
quad-core à 2.13 GHz coupes sur la phase ED
GEWU SA Endo 10 sec sur PC avec programmation 1 landmark
parallélisée sur GPU par patient
Les valeurs en gras indiquent les meilleurs résultats entre les méthodes.
calcul encore plus important que la méthode CMIC. Ce coût de calcul peut également provenir
de la programmation Matlab, mais il est à noter que notre méthode permet la segmentation
conjointe du VD, du VG et du myocarde.
Les méthodes 3D sont aujourd’hui la norme dans de nombreux domaines de segmentation.
Quatre méthodes 3D ont ainsi été proposées au challenge, une automatique par SBIA, et trois
semi-automatiques par ICL, BIT-UPM et GEWU. Or l’écart entre les coupes de 8.4 mm ainsi
que l’épaisseur de coupe de 7 mm dans nos données cardiaques par IRM sont bien supérieurs à
la résolution spatiale de l’image, inférieure à 1 mm par pixel. Ces données sont dans la norme,
sachant que la plupart des centres d’imagerie acquiert les données cardiaques avec une épaisseur
de coupe de 8 à 10 mm. Nos données ne peuvent donc pas être considérées comme réellement 3D.
C’est pourquoi nous avons défini une méthodologie 2D pour nos deux méthodes. La cohérence
de ce choix est vérifiée empiriquement par les résultats obtenus sur la base du challenge : les mé-
thodes 2D permettent d’obtenir des résultats parmi les meilleurs (CMIC, GCAF-multi, GCAF).
Enfin, la dernière question que l’on peut se poser : quelle méthodologie permet d’obtenir les
meilleurs résultats ? Bien que cette question soit ouverte et difficile à répondre, on peut considérer
que ce challenge présente les méthodologies principales et que des éléments de réponse
peuvent y être déterminés. Tout d’abord, la majorité de ces méthodes (6) inclut des connais-
116V.5 - 4 Conclusion
sances a priori, lorsque les deux autres sont spécialement dédiées à la segmentation du VD et se
basent sur les intensités de l’image et le mouvement cardiaque. On peut également remarquer
le fort intérêt des méthodes basées sur les atlas pour cette problématique. Du point de vue des
performances techniques et cliniques, notre méthode automatique GCAF-multi permet d’obtenir
les meilleurs résultats et permet de segmenter le VD, le VG et le myocarde simultanément.
Le coût de calcul est important, mais il est possible de le diminuer fortement en améliorant
l’implémentation.
5 - 4 Conclusion
Les différentes comparaisons réalisées à partir de la base de données du challenge MICCAI
montrent que nos deux méthodes de segmentation permettent d’obtenir de très bons résultats
sur l’application cardiaque. Nos méthodes permettent d’atteindre un score de recouvrement
de l’ordre de 80% pour une distance de Hausdorff d’environ 8 mm pour notre méthode semiautomatique
et 11 mm pour notre méthode automatique. Les performances cliniques montrent
que nos méthodes n’ont pas de biais fixe et qu’elles permettent d’obtenir des paramètres proches
de ceux déterminés manuellement. De plus, l’analyse de Bland-Altman montre que la méthode
GCAF-multi permet d’obtenir des fractions d’éjection proches de la vérité terrain lorsque les
autres méthodes surestiment ce paramètre, au coût d’un temps de calcul plus important qui
pourrait être réduit en optimisant l’implémentation.
Ces différents résultats sur la base publique de ce challenge permettent également une future
comparaison des travaux de la littérature avec nos méthodes. Le challenge de segmentation étant
récent, peu de publications extérieures au challenge ont présenté des résultats sur cette base
[211, 212] (la méthode présentée par [213] ne doit pas être considérée puisqu’elle ne respecte pas
les conditions d’évaluation). Nous espérons que dans le futur, cette base de données deviendra
une référence permettant une comparaison honnête des méthodes sur cette application difficile.
117Chapitre V. Comparaison des méthodes : challenge MICCAI 2012
CMIC
GCAF-multi
ICL
GCAF
Figure V.4 – Contours automatiques et manuels ED du VD sur le patient 47 de Test2 pour différentes
méthodes du challenge. De haut en bas : les méthodes CMIC, GCAF-multi, ICL et GCAF. De gauche à
droite : de la coupe la plus basale à la coupe mi-ventriculaire. Les coupes apicales sont illustrées à la Figure
V.5. Contours manuels : vert ; contours automatiques : rouge.
118V.5 - 4 Conclusion
CMIC
GCAF-multi
ICL
GCAF
Figure V.5 – Contours automatiques et manuels ED du VD sur le patient 47 de Test2 pour différentes
méthodes du challenge. De haut en bas : les méthodes CMIC, GCAF-multi, ICL et GCAF. De gauche à
droite : de la coupe mi-ventriculaire à la coupe à la plus apicale. Les coupes basales sont illustrées à la
Figure V.4. Contours manuels : vert ; contours automatiques : rouge.
119Chapitre V. Comparaison des méthodes : challenge MICCAI 2012
CMIC
LITIS-multi
ICL
LITIS
Figure V.6 – Contours automatiques et manuels ES du VD sur le patient 33 de Test2 pour différentes
méthodes du challenge. De haut en bas : les méthodes CMIC, LITIS-multi, ICL et LITIS. De gauche à
droite : de la coupe la plus basale à la coupe la plus apicale. Contours manuels : vert ; contours automatiques :
rouge.
120V.5 - 4 Conclusion
Figure V.7 – Paramètres de la régression linéaire y = ax + b et R le coefficient de corrélation entre les
volumes automatiques et manuels ED et ES du VD (ml).
121Chapitre V. Comparaison des méthodes : challenge MICCAI 2012
Figure V.8 – Fraction d’éjection : régression linéaire, coefficient de corrélation (R) et analyse de BlandAltman
sur la fraction d’éjection pour les méthodes automatiques de Test1 et Test2. La ligne pointillée
noire est la fonction identité.
122V.5 - 4 Conclusion
Figure V.9 – Fraction d’éjection : régression linéaire, coefficient de corrélation (R) et analyse de BlandAltman
sur la fraction d’éjection pour les méthodes semi-automatiques de Test1 et Test2. La ligne pointillée
noire est la fonction identité.
123Chapitre V. Comparaison des méthodes : challenge MICCAI 2012
124Conclusion générale et perspectives
La détermination de la fonction contractile cardiaque est d’une grande importance dans la
détection et le traitement de la plupart des troubles cardiaques. Afin d’y accéder, la segmentation
des cavités ventriculaires est une tâche nécessaire. Nous avons montré que cette tâche
est difficile, en particulier pour le VD. Diverses méthodes ont été proposées dans la littérature
concernant la segmentation du VG, reposant sur des techniques basées sur les intensités des
images, sur les ASM et AAM, les modèles déformables ou encore le recalage multi-atlas. Cependant,
peu de solutions se sont montrées efficaces pour le traitement du VD. L’étude de l’état
de l’art nous montre la nécessité de l’intégration d’un a priori fort à la méthode afin de guider
le processus de segmentation. De plus, afin d’être utilisable en routine clinique, une méthode
de segmentation des IRM cardiaques se doit d’être relativement rapide, de l’ordre de quelques
minutes.
Or la méthode des coupes de graphe permet d’optimiser des fonctions de coût de manière
globale et d’obtenir une convergence rapide en 2D. Son avantage est sa capacité à donner
efficacement une solution optimale pour l’utilisation conjointe de différentes informations sur
l’image, permettant ainsi l’intégration d’informations a priori. Ainsi, des contraintes ou des modèles
concernant l’objet à segmenter peuvent être introduits à travers un terme supplémentaire
dans la formulation de la fonctionnelle d’énergie. La manière d’incorporer ces informations a
priori dépend des informations disponibles : soit les contraintes sont faibles et sont de simples
hypothèses sur la forme générale de l’objet (convexe par exemple), soit les contraintes sont fortes
et concernent une forme précise à retrouver dans l’image. Cependant, bien que la méthode gé-
nérale ait donné lieu à de nombreux développements théoriques et applicatifs, les travaux de
segmentation par coupe de graphe prenant en compte des formes a priori sont encore peu nombreux
dans la littérature. Deux problèmes se posent en effet : la modélisation de la forme de
l’objet à segmenter et son intégration dans l’algorithme des coupes de graphe.
125Conclusion générale et perspectives
La première contribution de cette thèse concerne l’intégration à la méthode des coupes de
graphe d’un modèle de forme robuste représentant les variations de l’ensemble d’apprentissage.
La modélisation des formes de la base d’apprentissage est réalisée à partir d’une représentation
par la fonction distance signée, et l’étude de leurs variations à partir d’une analyse en composantes
principales. Nous avons montré que l’utilisation de la fonction distance permettait de
représenter correctement les variabilités des formes en la comparant à un modèle de distribution
de points. L’avantage de cette représentation réside dans le fait qu’elle ne nécessite ni la mise en
place de points de correspondances, sujets à la variabilité, ni leurs alignements. De plus, elle est
plus robuste que le PDM à un désalignement initial des formes. Afin de pouvoir intégrer cette
modélisation au graphe, une carte d’a priori est déduite des données de l’ACP et recalée sur
l’image à partir d’une interaction faible avec l’utilisateur (deux points anatomiques à positionner
sur la cloison interventriculaire). Nous avons proposé que l’a priori de forme contribue à
pondérer à la fois les t-links et les n-links à travers un terme original d’a priori dans la fonctionnelle
d’énergie. Les résultats obtenus sur la segmentation du VD en IRM cardiaques montrent
l’efficacité de notre méthode, même si des améliorations sont possibles pour les coupes apicales.
Notre deuxième contribution est une deuxième méthode segmentation qui permet : (i) la
segmentation conjointe de plusieurs objets, (ii) l’amélioration de la précision du modèle, en
particulier pour les coupes difficiles, (iii) l’automatisation de la méthode. Nous avons ainsi proposé
une méthode de segmentation multi-objets automatique et non-itérative basée sur les GC
multi-labels et intégrant un a priori de forme basé sur des atlas. Notre première étape est basée
sur le recalage non-rigide des atlas par GC multi-labels sur l’image à segmenter, une technique
récente qui n’a pas encore été très étudiée dans la littérature, et qui permet d’automatiser
la méthode. La fusion des atlas a alors permis de créer une carte d’a priori de formes pour
chaque label. L’intégration d’a priori dans un graphe multi-objets à des fins de segmentation
n’a pas encore été étudiée dans la littérature. Notre contribution porte ainsi sur l’intégration
d’un terme d’a priori de forme aux t-links et l’ajout d’une contrainte aux n-links empêchant un
objet inclus dans un autre d’avoir une frontière commune avec tout autre objet. Cette méthode
automatique permet d’obtenir de bons résultats de segmentation, comparables à la première
méthode que nous avons proposée, avec comme avantage la possibilité de segmenter plusieurs
objets, et l’automaticité totale.
Enfin, nous avons comparé nos méthodes à celles de la littérature à partir du challenge
de segmentation du VD MICCAI’12 que nous avons organisé. Nos méthodes permettent d’at-
126Conclusion générale et perspectives
teindre un score de Dice de l’ordre de 80% pour une distance de Hausdorff d’environ 8 mm pour
notre méthode semi-automatique et 11 mm pour notre méthode automatique, et se comparent
favorablement aux autre méthodes de la littérature. De plus, les performances concernant les
paramètres cliniques montrent que nos méthodes n’ont pas de biais fixe et que notre méthode
automatique permet d’obtenir des fractions d’éjection proches de la vérité terrain lorsque les
autres méthodes surestiment ce paramètre (surestimant de fait la santé d’un patient). Cependant,
un temps de calcul plus important est nécessaire à notre méthode, qui pourrait être
fortement réduit en optimisant l’implémentation.
Ainsi, ce travail de recherche ouvre des perspectives multiples d’un point de vue méthodologique
mais également médical :
(i) Une question fondamentale concerne le choix des atlas dans la détermination de l’a priori
de forme. Nous avons validé et comparé notre méthode automatique à partir de la base du
challenge MICCAI’12, dont la base d’apprentissage est composé de 16 patients. Or ces 16
patients sont de genres différents, et ont des caractéristiques telles que le poids, la taille
ou l’âge également différentes. Il serait intéressant d’étudier les résultats de segmentation
obtenus en cas d’ajout de critères de sélection des atlas en fonction du patient considéré,
en particulier pour le genre (le cœur est de plus petite taille chez la femme) et la corpulence.
Dans une moindre mesure, cette remarque est également vraie pour notre méthode
semi-automatique lors de la création des variations des formes par ACP.
(ii) Pour la segmentation par GC multi-objets, nous avons ajouté une unique contrainte d’inclusion
aux n-links. Or, de nombreuses contraintes pourraient avoir des effets bénéfiques
sur les résultats de segmentation : par exemple la courbure des contours, la compacité
des formes ou même encore l’attractivité entre deux formes. Cependant, la contrainte
de sous-modularité induite par la méthode des GC rend difficile l’ajout de contraintes
supplémentaires. Cette même contrainte a d’ailleurs limité la force maximale de notre
contrainte d’inclusion. Cependant, une publication relativement récente [214] propose
une nouvelle méthode d’approximation de la minimisation de l’énergie du graphe, appelé
Alpha-Expansion Beta-Shrink Moves, et ne nécessitant aucune contrainte sur la fonctionnelle
d’énergie. Cette minimisation ouvre ainsi de nouvelles perspectives concernant
l’ajout d’a priori au terme des n-links.
127Conclusion générale et perspectives
(iii) Il est envisageable d’étendre nos méthodes en 3D. En effet, l’ajout d’une dimension aux
données ne change pas le cadre général de nos méthodologies. Pour notre première mé-
thode, l’ACP peut être réalisée sur la matrice de covariance 3D des distances aux contours
des volumes et le graphe défini en 3D. Pour la seconde méthode, il s’agirait de réaliser le
recalage et la segmentation en 3D, en définissant des graphes 3D. L’étude des résultats
obtenus en 3D permettrait de définir si le compromis entre la précision de segmentation
et le temps de calcul est avantageux par rapport à la segmentation en 2D. L’ajout de
cette troisième dimension est bien sûr corrélé à l’utilisation de données 3D : notre base
d’IRM cardiaques n’était pas adaptée à ce type de traitement du fait du fort écart entre
les coupes et de leur épaisseur, il faudrait utiliser une base de données "réellement" 3D.
(iv) De manière plus générale, les travaux récents sur l’espace de représentation des formes
par manifold learning ainsi que les approches patch-based permettant l’intégration d’a
priori de forme sans la nécessité de phase de recalage sont des pistes intéressantes, afin
de modéliser les variations des formes et permettre leurs intégrations à une méthode de
segmentation sans une étape coûteuse de recalage.
(v) Les perspectives médicales concernent tout d’abord la poursuite de la validation clinique
des méthodes sur un large corpus, afin de pouvoir les utiliser comme outils en routine
clinique. Il est également envisageable d’étendre la méthode à la segmentation de toutes
les images du cycle cardiaque, en prenant en compte par exemple l’information temporelle
dans un terme énergétique supplémentaire. De plus, nos méthodes ont été validées sur
l’application d’imagerie cardiaque, mais le caractère générique de celles-ci permet de les
transposer à d’autres contextes de segmentation, comme par exemple la prostate (IRM et
scanner) ou le foie (scanner).
128Liste des publications
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Grosgeorge, D., Petitjean, C., Dubray, B., et Ruan, S. (2013). Esophagus Segmentation
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Conférences internationales
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Grosgeorge, D., Petitjean, C., Ruan, S., Caudron, J., et Dacher, J. N. (2012). Right ventricle
segmentation by graph cut with shape prior. 3D Cardiovascular Imaging : a MICCAI
Segmentation Challenge, Nice : France.
129Conclusion générale et perspectives
Participation à l’organisation du challenge de segmentation MICCAI ’12 : Petitjean, C.,
Ruan, S., Grosgeorge, D., Caudron, J., et Dacher, J. N. (2012). Right ventricle segmentation in
cardiac MRI : a MICCAI’12 challenge. 3D Cardiovascular Imaging : a MICCAI Segmentation
Challenge, Nice : France.
Conférences nationales
Grosgeorge, D., Petitjean, C., et Ruan, S. (2014). Segmentation par coupes de graphe multilabels
avec a priori de forme. Accepté à Reconnaissance des Formes et Intelligence Artificielle
2014.
Grosgeorge, D., Petitjean, C., et Ruan, S. (2012). Segmentation d’images par coupe de
graphe avec a priori de forme. In Actes de la conférence Reconnaissance des Formes et Intelligence
Artificielle 2012.
Petitjean, C., Ruan, S., Grosgeorge, D., Caudron, J., et Dacher, J. N. (2012). Segmentation
Semi-Automatique du Ventricule Droit en IRM Cardiaque. Journées Françaises de Radiologie
(JFR’2012), Paris, France, 23 octobre.
Article soumis
Petitjean, C., Zuluaga, M., Dacher, J. N., Grosgeorge, D., Caudron, J., Bai, W., Ben Ayed,
I., Cardoso, J., Chen, H.C., Jimenez-Carretero, D., Ledesma-Carbayo, M., Davatzikos, C., Doshi,
J., Erus, G., Maier, O., Nambakhsh, C., Ou, Y., Ourselin, S., Peng, C.W., Peters, N.,
Peters, T., Rajchl, M., Rueckert, D., Santos, A., Shi, W., Wang, C.W., Wang, H., Yuan, J. et
Ruan, S. (2014). Right Ventricle Segmentation From Cardiac MRI : A Collation Study. Soumis
à Medical Image Analysis.
130Annexe
A.1 Volumétrie du VG : compléments
A.1.1 Appréciation semi-quantitative du VG
Une nomenclature standardisée permet une appréciation semi-quantitative de la contraction
du VG, présentée à la Figure A.1. L’appréciation qualitative de la contraction segmentaire est
fortement utilisée en routine clinique par sa simplicité, bien que des outils de quantification
précis existent, comme expliqués dans les parties 1 - 2.2 et 1 - 2.3 .
A.1.2 Méthode planaire 2D grand-axe
Deux principes de quantification peuvent être utilisés sur les coupes grand-axe, la méthode
’surface-longueur’ et la méthode Simpson (voir Figure A.2). Pour la méthode ’surface-longueur’
ou ALEF (Area-Length Ejection Fraction), le VG est modélisé par une ellipsoïde de révolution
et son volume est calculé par la formule suivante :
VV G =
8.SA.SB
3.π.L
(1)
avec SA (respectivement SB) l’ellipse de la cavité du VG sur la coupe verticale grand axe
(respectivement coupe grand-axe 4-cavités) dont l’endocarde doit être tracé manuellement (voir
Figure A.3, L la longueur du grand axe. Si un seul plan de coupe a été réalisé, on peut considérer
SB = SA, la technique est alors appelée monoplan. Cette méthode est très rapide, et ne
nécessite que deux tracés, un en diastole et un en systole, pour calculer la fraction d’éjection
de la façon suivante :
F EV G =
VV Gdiastole − VV Gsystole
VV Gdiastole
(2)
131Annexe
Figure A.1 – Appréciation semi-quantitative du VG. En haut : la classification en 17 segments de l’ASE
du VG, représenté en carte polaire ; en bas : illustrations du calcul d’un indice global de dysfonction à partir
de score qualitatif de chaque segment (d’après [15]).
La fraction d’éjection du VG doit être supérieure à 55-60%. Cependant, cette méthode est très
approximative bien que très rapide, et ne permet pas l’accès à une bonne quantification en cas
de déformation anévrysmale ou anomalie de la contraction segmentaire (méthode non-adaptée
aux cardiopathies ischémiques). Une alternative un peu plus précise est proposée par la méthode
des disques de simpson (Figure A.2), qui ne repose non plus sur une ellipse dans son grand axe,
mais au tracé d’un ensemble de disques sur l’incidence grand-axe. Le modèle peut être appliqué
en biplan (modélisation de disques par des ellipses) ou en monoplan (modélisation circulaire).
Cependant, cette méthode reste tout de même moins précise que la méthode 3D puisqu’elle
repose sur une modélisation du ventricule.
132A.1 Volumétrie du VG : compléments
Figure A.2 – Illustration de la méthode de quantification du volume du VG ’surface-longueur’ (à gauche)
et méthode de Simpson (à droite) (d’après [15]).
Figure A.3 – Exemple de tracé manuel de la cavité du VG, avec la convention que les piliers sont exclus
du contour, ils sont donc inclus dans la cavité ventriculaire gauche (d’après [15]).
133Annexe
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127
153Le contourage des ventricules cardiaques sur IRM est nécessaire à la détermination de la fonction contractile du
cœur. Cette tâche est difficile, en particulier pour le ventricule droit (VD), due au flou aux frontières des cavités,
aux irrégularités des intensités et à sa forme complexe et variable. Peu de travaux ont cependant été réalisés afin
de résoudre cette problématique de segmentation. Dans ce but, nous avons proposé et développé deux méthodes
de segmentation basées sur la méthode des coupes de graphe (GC), à laquelle nous avons incorporé des a priori
de forme. La première méthode, semi-automatique, repose sur une carte d’a priori statistique créée à base
d’Analyses en Composantes Principales et intégrée à la méthode des GC binaires. La seconde, automatique,
permet la segmentation d’un ensemble d’objets par GC multi-labels à partir d’un modèle de forme probabiliste
basé sur le recalage et la fusion d’atlas. Ces méthodes ont été évaluées sur une base importante d’IRM cardiaques,
composée de 48 patients. Une comparaison aux méthodes de l’état de l’art pour cette application à travers le
challenge de segmentation du VD MICCAI’12, que nous avons organisé, montre l’efficacité de nos méthodes.
Mots clés : Segmentation d’images, coupes de graphe, a priori de forme, IRM, ventricules cardiaques
Segmenting the cardiac ventricles on MR Images is required for cardiac function assessment. This task is difficult,
especially for the right ventricle (RV), due to the fuzziness of the boundaries of the cavities, intensity irregularities
and its complex and variable shape. This is probably one of the reasons why RV functional assessment has long
been considered secondary compared to that of the left ventricle (LV), leaving the problem of RV segmentation
wide open. For this purpose, we proposed and developed two segmentation methods based on graphcuts (GC),
in which we have incorporated a shape prior. The first method, semi-automatic, is based on a statistical prior
map build from a Principal Component Analysis, integrated in the GC. The second, automatic, enables multiobject
segmentation from a probabilistic shape model based on the registration and the fusion of atlases. These
methods have been evaluated on a large database of cardiac MRI, consisting of 48 patients. We have compared
our methods with the state of the art methods for this application through the RV segmentation challenge
MICCAI’12 we organized and have shown the effectiveness of our methods.
Keywords : Image segmentation, graph-cut, shape prior, MRI, cardiac ventricles
Mod´elisation d’un r´eseau de r´egulation d’ARN pour
pr´edire des fonctions de g`enes impliqu´es dans le mode
de reproduction du puceron du pois
Valentin Wucher
To cite this version:
Valentin Wucher. Mod´elisation d’un r´eseau de r´egulation d’ARN pour pr´edire des fonctions de
g`enes impliqu´es dans le mode de reproduction du puceron du pois. Bioinformatics. Universite
Rennes 1, 2014. French.
HAL Id: tel-01095967
https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01095967
Submitted on 16 Dec 2014
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THÈSE / UNIVERSITÉ DE RENNES 1
sous le sceau de l’Université Européenne de Bretagne
pour le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE RENNES 1
Mention : Biologie
École doctorale Vie-Agro-Santé
présentée par
Valentin WUCHER
préparée à l’unité mixte de recherche UMR1349 – IGEPP et
UMR6074 – IRISA
Institut de Génétique, Environnement et Protection des Plantes et
Institut de Recherche en Informatique et Système Aléatoires
Composante Universitaire SVE
Modélisation d’un ré-
seau de régulation
d’ARN pour prédire
des fonctions de gènes
impliqués dans le
mode de reproduction
du puceron du pois
Thèse soutenue à Rennes
le 3 Novembre 2014
devant le jury composé de :
Christian DIOT
Directeur de recherche INRA / Président
Roderic GUIGO
Research director CRG Barcelone ✴ Rapporteur
Emmanuelle JACQUIN-JOLY
Directrice de recherche INRA ✴ Rapporteure
Julien BOBE
Directeur de recherche INRA ✴ Examinateur
Hélène TOUZET
Directrice de recherche CNRS ✴ Examinatrice
Denis TAGU
Directeur de recherche INRA ✴ Directeur de thèse❘❡♠❡r❝✐❡♠❡♥ts
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✹✳✶✳✶ ▲✬❡✛❡t ❞✉ ❜r✉✐t s✉r ❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ✭❆❈❋✮ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✾✵
✹✳✶✳✷ Pr♦❝❡ss✉s ❞❡ ré♣❛r❛t✐♦♥ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✾✹
✹✳✶✳✸ ❊①♣ér✐♠❡♥t❛t✐♦♥ s✉r ❞❡s ❝♦♥t❡①t❡s ❜r✉✐tés s✐♠✉❧és ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✾✻
✹✳✶✳✹ ❊①♣ér✐♠❡♥t❛t✐♦♥ s✉r ❞❡s ❞♦♥♥é❡s ❞❡ rés❡❛✉① ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s s✐♠✉❧és ✳ ✾✾
✹✳✷ ❱✐s✉❛❧✐s❛t✐♦♥ ❞✉ rés❡❛✉ ♣❛r r❡❣r♦✉♣❡♠❡♥t ❞❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❡♥ ❝❧✉st❡r ✳ ✳ ✶✵✹
✹✳✷✳✶ ❉❡s❝r✐♣t✐♦♥ ❞❡ ❧❛ ♠ét❤♦❞❡ ❞❡ ❝♦♠♣r❡ss✐♦♥ ❡t ❞❡ ✈✐s✉❛❧✐s❛t✐♦♥ P♦✲
✇❡r ●r❛♣❤ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✶✵✹
✹✳✷✳✷ P❛r❛❧❧è❧❡ ❡♥tr❡ P♦✇❡r ●r❛♣❤ ❡t ❧✬❆❈❋ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✳ ✶✵✺
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t✐♦♥ ❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠✳▲✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ✷✺
✶✳✹ ▲✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s
▲✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ✭❆❈❋✮ ❡st ✉♥ ❢♦r♠❛❧✐s♠❡ ✐♥tr♦❞✉✐t ♣❛r ●❛♥t❡r ❡t ❲✐❧❧❡
❬✽✹❪ q✉✐ ♣❡r♠❡t ❞❡ ❢♦r♠❡r ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❡♥ r❡❣r♦✉♣❛♥t ❞❡s ♦❜❥❡ts ❡♥ ❢♦♥❝t✐♦♥ ❞❡ ❧❡✉rs
❛ttr✐❜✉ts✳ ❖♥ ♣❛rt ❞❡ ❞❡✉① ❡♥s❡♠❜❧❡s✱ ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬♦❜❥❡ts ❡t ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬❛ttr✐❜✉ts✱
❡t ❞✬✉♥❡ r❡❧❛t✐♦♥ ❜✐♥❛✐r❡ ❡♥tr❡ ❝❡s ♦❜❥❡ts ❡t ❝❡s ❛ttr✐❜✉ts ✭❛ttr✐❜✉ts ❛ss♦❝✐és à ❝❤❛q✉❡
♦❜❥❡t✮✳ ❈❤❛q✉❡ ❝♦♥❝❡♣t s❡r❛ ❞é✜♥✐ ♣❛r s♦♥ ❡①t❡♥s✐♦♥✱ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬♦❜❥❡ts s✉r ❧❡q✉❡❧ ❧❡
❝♦♥❝❡♣t s✬❛♣♣❧✐q✉❡✱ ❡t ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬❛ttr✐❜✉ts q✉✐ ❝❛r❛❝tér✐s❡ ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t✱ s♦♥ ✐♥t❡♥s✐♦♥✳
❊♥ ♣❧✉s ❞❡ ❧❛ ❢♦r♠❛❧✐s❛t✐♦♥ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts✱ ❧✬❆❈❋ ♣❡r♠❡t ❞✬♦r❞♦♥♥❡r ♣❛rt✐❡❧❧❡♠❡♥t ❧❡s
❝♦♥❝❡♣ts✳ ◆♦✉s ✉t✐❧✐s♦♥s ❧✬❆❈❋ ♣♦✉r ❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s✳
✶✳✹✳✶ ▲✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ✿ ♥♦t❛t✐♦♥ ❡t ❞é✜♥✐t✐♦♥s
❯♥ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❡st ✉♥ tr✐♣❧❡t K = (G, M, I) ♦ù G ❡st ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬♦❜❥❡ts✱ M
✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬❛ttr✐❜✉ts ❡t I ⊆ G × M ❡st ✉♥❡ r❡❧❛t✐♦♥ ❜✐♥❛✐r❡ ❡♥tr❡ ❧❡s ♦❜❥❡ts ❡t ❧❡s
❛ttr✐❜✉ts✳ ▲✬♦♣ér❛t❡✉r (.)
0
❡st ❞é✜♥✐ s✉r K ♣♦✉r A ⊆ G ❡t B ⊆ M ❝♦♠♠❡ ✿
A
0 = {m ∈ M|∀g ∈ A : gIm}; B
0 = {g ∈ G|∀m ∈ B : gIm}.
A0
❡st ❞♦♥❝ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬❛ttr✐❜✉ts ❝♦♠♠✉♥s à t♦✉s ❧❡s ♦❜❥❡ts ❞❡ A ❡t B0
❧✬❡♥s❡♠❜❧❡
❞✬♦❜❥❡ts ❝♦♠♠✉♥s à t♦✉s ❧❡s ❛ttr✐❜✉ts ❞❡ B✳
❯♥ ❝♦♥❝❡♣t ❢♦r♠❡❧ ❡st ✉♥❡ ♣❛✐r❡ (A, B) ❞é✜♥✐❡ s✉r K ❛✈❡❝ A ⊆ G ❡t B ⊆ M ♦ù
A = B0
❡t B = A0
✳ A ❡st ❛♣♣❡❧é ❧✬❡①t❡♥s✐♦♥ ❞✉ ❝♦♥❝❡♣t ❡t ❇ ❧✬✐♥t❡♥s✐♦♥ ❞✉ ❝♦♥❝❡♣t✳
❉❛♥s ❧❛ s✉✐t❡ ❞❡ ❧❛ t❤ès❡✱ ❧❡ ♠♦t ❝♦♥❝❡♣t s❡r❛ ✉t✐❧✐sé ♣♦✉r ❢❛✐r❡ ré❢ér❡♥❝❡ ❛✉① ❝♦♥❝❡♣ts
❢♦r♠❡❧s✳
▲❡s ❝♦♥❝❡♣ts ♣❡✉✈❡♥t êtr❡ ♦r❞♦♥♥és ❡♥ s❡ ❜❛s❛♥t s✉r ❧✬✐♥❝❧✉s✐♦♥ ❞❡ ❧❡✉rs ❡♥s❡♠❜❧❡s ✿
♣♦✉r ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts (A, B) ❡t (C, D)✱ s✐ A ⊂ C ✭ré❝✐♣r♦q✉❡♠❡♥t C ⊂ A✮ ❛❧♦rs ♦♥ ♥♦t❡
(A, B) < (C, D) ✭ré❝✐♣r♦q✉❡♠❡♥t (C, D) > (A, B)✮✳ ❉❡ ♣❧✉s✱ A ⊂ C ✐♠♣❧✐q✉❡ D ⊂ B✳ ❙✐
(A, B) < (C, D) ❡t q✉✬✐❧ ♥✬❡①✐st❡ ❛✉❝✉♥ ❝♦♥❝❡♣t ❢♦r♠❡❧ (E, F) t❡❧ q✉❡ (A, B) < (E, F) <
(C, D) ❛❧♦rs ♦♥ ♥♦t❡ q✉❡ (A, B) ≺ (C, D) ✭ré❝✐♣r♦q✉❡♠❡♥t (C, D) (A, B)✮✳
▲❛ r❡❧❛t✐♦♥ < ❣é♥èr❡ ✉♥ tr❡✐❧❧✐s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ♥♦té B(K) s✉r ❧❡ ❝♦♥t❡①t❡ K✳ ▲✬♦r❞r❡
≺ r❡♣rés❡♥t❡ ❧❡s ❛rêt❡s ❞✉ ❣r❛♣❤❡ ❝♦✉✈r❛♥t B(K)✳ ❈❡s r❡❧❛t✐♦♥s ♣❡r♠❡tt❡♥t ❞❡ ❞é✜♥✐r
❧✬✐♥✜♠✉♠ ❞❡ ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts✱ ❝✬❡st✲à✲❞✐r❡ ❧❛ ♣❧✉s ❣r❛♥❞❡ ❜♦r♥❡ ✐♥❢ér✐❡✉r❡ ❞❡ ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts
❡t ❧❡ s✉♣r❡♠✉♠ ❞❡ ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts✱ ❧❛ ♣❧✉s ♣❡t✐t❡ ❜♦r♥❡ s✉♣ér✐❡✉r❡ ❞❡ ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts✳ ❉❛♥s
❧❛ s✉✐t❡ ❞❡ ❧❛ t❤ès❡✱ ❧♦rsq✉✬✐❧ s❡r❛ ❢❛✐t ré❢ér❡♥❝❡ ❛✉ tr❡✐❧❧✐s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ✐❧ s❡r❛ ❢❛✐t ré❢ér❡♥❝❡
❛✉ ❣r❛♣❤❡ ❝♦✉✈r❛♥t B(K) ❣é♥éré ♣❛r ❧❛ r❡❧❛t✐♦♥ ≺✳ ❙✉r ❧❡ tr❡✐❧❧✐s✱ ♦♥ ♣❡✉t ❞é✜♥✐r ✉♥
❝♦♥❝❡♣t ♠❛①✐♠✉♠ ❛♣♣❡❧é t♦♣ ✭>✮✳ ▲✬❡①t❡♥s✐♦♥ ❞❡ ❝❡ ❝♦♥❝❡♣t ❡st ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ G ❞❡s ♦❜❥❡ts
❞✉ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❡t s♦♥ ✐♥t❡♥s✐♦♥ ❡st ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ é✈❡♥t✉❡❧❧❡♠❡♥t ✈✐❞❡ ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts
♣♦ssé❞és ♣❛r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♦❜❥❡ts ❞✉ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧✳ ❘é❝✐♣r♦q✉❡♠❡♥t ♦♥ ♣❡✉t ❞é✜♥✐r
✉♥ ❝♦♥❝❡♣t ♠✐♥✐♠✉♠✱ ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ❜♦tt♦♠ ✭⊥✮✳ ▲✬✐♥t❡♥s✐♦♥ ❞❡ ❝❡ ❝♦♥❝❡♣t ❡st ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡
M ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts ❞✉ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❡t s♦♥ ❡①t❡♥s✐♦♥ ❡st ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ é✈❡♥t✉❡❧❧❡♠❡♥t ✈✐❞❡
❞❡s ♦❜❥❡ts q✉✐ ♣♦ssè❞❡♥t ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts ❞✉ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧✳
▲❡ ❚❛❜❧❡❛✉ ✶✳✶ ♣rés❡♥t❡ ✉♥ ❡①❡♠♣❧❡ ❞❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❡t ❧❡ tr❡✐❧❧✐s ❛ss♦❝✐é ❡st
♣rés❡♥té ❋✐❣✉r❡ ✶✳✾✳ ❈❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❝♦♥t✐❡♥t q✉❛tr❡ ❝♦♥❝❡♣ts ✿ C1, C2✱ ❡t ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts > ❡t
⊥✳
▲❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ♣❡✉✈❡♥t êtr❡ ✈✉s ❝♦♠♠❡ ❞❡s r❡❝t❛♥❣❧❡s ♠❛①✐♠❛✉① ❞❡ ✶ ❞❛♥s
❧❛ r❡❧❛t✐♦♥ ❜✐♥❛✐r❡ ♠♦❞✉❧♦ ❞❡s ♣❡r♠✉t❛t✐♦♥s ❞❡ ❧✐❣♥❡s ❡t✴♦✉ ❞❡ ❝♦❧♦♥♥❡s✳ ❉❡s r❡❝t❛♥❣❧❡s✷✻ ■♥tr♦❞✉❝t✐♦♥
a1 a2 a3 a4
o1 ✶ ✶
o2 ✶ ✶
o3 ✶ ✶
o4 ✶ ✶
o5 ✶ ✶
❚❛❜❧❡❛✉ ✶✳✶ ✕ ❈♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ K❡① = (G❡①, M❡①, I❡①) ❛✈❡❝ G❡① = {o1, .., o5} ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡
❞❡s ♦❜❥❡ts ❡t M❡① = {a1, .., a4} ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts✳ ▲❡s ✶ r❡♣rés❡♥t❡♥t ❧❛ r❡❧❛t✐♦♥
❜✐♥❛✐r❡ I❡①✳
> = {o1, o2, o3, o4, o5} × ∅
C1 = {o1, o2, o3} × {a1, a2} C2 = {o4, o5} × {a3, a4}
⊥ = ∅ × {a1, a2, a3, a4}
❋✐❣✳ ✶✳✾ ✕ ❚r❡✐❧❧✐s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts B(K❡①) ❞✉ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ K❡①✳ ▲❡s ❝♦♥❝❡♣ts s♦♥t
♣rés❡♥tés ❞❡ ❧❛ ❢❛ç♦♥ s✉✐✈❛♥t❡ ✿ ♥♦♠ ❞✉ ❝♦♥❝❡♣t = A × B ❛✈❡❝ ❆ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♦❜❥❡ts
❞✉ ❝♦♥❝❡♣t ❡t ❇ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts ❞✉ ❝♦♥❝❡♣t✳
s♦♥t ❞✐t ♠❛①✐♠❛✉① s✐ ❧✬♦♥ ♥❡ ♣❡✉t r❛❥♦✉t❡r ❛✉❝✉♥❡ ❝♦❧♦♥♥❡ ❛✈❡❝ ❞❡s ✶ s✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡
❞❡s ❧✐❣♥❡s ❡t ❛✉❝✉♥❡ ❧✐❣♥❡ ❛✈❡❝ ❞❡s ✶ s✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦❧♦♥♥❡s✳ ❙✉r ❧✬❡①❡♠♣❧❡ ❚❛❜❧❡❛✉
✶✳✶ ♦♥ ♣❡✉t ✈♦✐r q✉❡ ❧❡s ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s C1 ❡t C2 ❞é✜♥✐s ❋✐❣✉r❡ ✶✳✾ s♦♥t ❡♥ ❡✛❡t
❞❡s r❡❝t❛♥❣❧❡s ♠❛①✐♠❛✉①✳
✶✳✹✳✷ ▲❡ ❣r❛♣❤❡ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❡♥tr❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ❡t ❆❘◆♠ ✿ ✉♥ ❣r❛♣❤❡
❜✐♣❛rt✐ ♠♦❞é❧✐s❛❜❧❡ ❝♦♠♠❡ ✉♥ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧
❯♥ ❣r❛♣❤❡ G = (N, E) ❡st ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ♥÷✉❞s N r❡❧✐és ♣❛r ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ E
❞✬❛rêt❡s✳ ♦♥ ♣❡✉t ❧❡ r❡♣rés❡♥t❡r ♣❛r s❛ ♠❛tr✐❝❡ ❞✬❛❞❥❛❝❡♥❝❡✳ P♦✉r ✉♥ ❣r❛♣❤❡ G = (N, E)
s✐♠♣❧❡✱ ❝✬❡st✲à✲❞✐r❡ t❡❧ q✉✬✐❧ ❡①✐st❡ ❛✉ ♠❛①✐♠✉♠ ✉♥❡ s❡✉❧❡ ❛rêt❡ ❡♥tr❡ ❞❡✉① ♥÷✉❞s✱ ❧❛
♠❛tr✐❝❡ ❞✬❛❞❥❛❝❡♥❝❡ T ❞✉ ❣r❛♣❤❡ ❡st ✉♥❡ ♠❛tr✐❝❡ ❜♦♦❧é❡♥♥❡ ❞❡ ❞✐♠❡♥s✐♦♥ |N| × |N| ♦ù
❧❛ ✈❛❧❡✉r ❞❡ ❧❛ ❝❛s❡ tij ❞❡ ❧❛ ♠❛tr✐❝❡ ❞✬❛❞❥❛❝❡♥❝❡ T ✈❛✉t ✿
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(
1 s✐ ✐❧ ② ❛ ✉♥❡ ❛rêt❡ ❡♥tr❡ ❧❡ ♥÷✉❞ i ❡t ❧❡ ♥÷✉❞ j ❞❛♥s E✱
0 s✐♥♦♥✳
P♦✉r ❝❤❛q✉❡ ♥÷✉❞ ❞✉ ❣r❛♣❤❡✱ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞✬❛rêt❡s q✉✐ s♦♥t r❡❧✐é❡s à ❧✉✐ ❡st ❛♣♣❡❧é ❧❡
❞❡❣ré ❞✉ ♥÷✉❞✳
▲❡s ❣r❛♣❤❡s ❜✐♣❛rt✐s s♦♥t ✉♥ ❝❛s ♣❛rt✐❝✉❧✐❡r ❞❡ ❣r❛♣❤❡ ♦ù ✐❧ ❡①✐st❡ ✉♥❡ ♣❛rt✐t✐♦♥ ❞❡
❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♥÷✉❞s ❡♥ ❞❡✉① s♦✉s✲❡♥s❡♠❜❧❡s ❞✐st✐♥❝ts U ❡t V t❡❧ q✉❡ ❝❤❛q✉❡ ❛rêt❡ ❞❡▲✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ✷✼
E r❡❧✐❡ ✉♥ ♥÷✉❞ ❞❡ U à ✉♥ ♥÷✉❞ ❞❡ V ✳ ❖♥ ♣❡✉t ♥♦t❡r ✉♥ ❣r❛♣❤❡ ❜✐♣❛rt✐ ❞❡ ❧❛ ❢❛ç♦♥ s✉✐✲
✈❛♥t❡ ✿ G = (U, V, E) ❛✜♥ ❞❡ ❞✐st✐♥❣✉❡r ❧❡s ❞❡✉① ❡♥s❡♠❜❧❡s ❞❡ ♥÷✉❞s✳ P❛r ❡①❡♠♣❧❡✱ ✉♥
rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❡♥tr❡ ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ❞❡s ❆❘◆♠ ❡st ✉♥ ❣r❛♣❤❡ ❜✐♣❛rt✐
♥♦té R = (µ, ARN, I) ♦ù ❧❡s ♥÷✉❞s ❞❡ µ s♦♥t ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✱ ❧❡s
♥÷✉❞s ❞❡ ARN ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ❧❡s ❛rêt❡s I ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❡♥tr❡
❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ✐ss✉s ❞❡ µ ❡t ❧❡s ❆❘◆♠ ✐ss✉s ❞❡ ARN✳ ❊♥ ❡✛❡t✱ ❧❡s s❡✉❧❡s ✐♥t❡r✲
❛❝t✐♦♥s q✉✐ ❡①✐st❡♥t ❞❛♥s ❝❡ rés❡❛✉ s♦♥t ❞❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❡♥tr❡ ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t
❧❡s ❆❘◆♠✱ ✐❧ ♥✬❡①✐st❡ ❛✉❝✉♥❡ ❛rêt❡ ❡♥tr❡ ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ❛✉❝✉♥❡ ❛rêt❡ ❡♥tr❡
❧❡s ❆❘◆♠✳ ❉❛♥s ❧❛ s✉✐t❡ ❞❡ ❧❛ t❤ès❡ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s s❡r❛ r❡♣rés❡♥té
♣❛r ❧❡s ❧✐❣♥❡s ❞❡ ❧❛ ♠❛tr✐❝❡ ❞✬❛❞❥❛❝❡♥❝❡ ❡t ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❆❘◆♠ s❡r❛ r❡♣rés❡♥té ♣❛r ❧❡s
❝♦❧♦♥♥❡s ❞❡ ❧❛ ♠❛tr✐❝❡ ❞✬❛❞❥❛❝❡♥❝❡✳
▲❛ ❋✐❣✉r❡ ✶✳✶✵ ♠♦♥tr❡ ✉♥ ❣r❛♣❤❡ ❜✐♣❛rt✐ R❡① = (µ❡①, ARN❡①, I❡①) ❡t s❛ ♠❛tr✐❝❡ ❞✬❛❞✲
❥❛❝❡♥❝❡ T❡① ❝♦rr❡s♣♦♥❞❛♥t❡ ❛✈❡❝ ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s I❡① ❡♥tr❡ ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ µ❡① ❞❡
♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ARN❡① ❞✬❆❘◆♠✳ ❖♥ ♣❡✉t ✈♦✐r q✉❡ ❧❛ ♠❛tr✐❝❡ ❞✬❛❞✲
❥❛❝❡♥❝❡ T❡① ❞✉ ❣r❛♣❤❡ ❜✐♣❛rt✐ R❡① ♣rés❡♥té❡ ❋✐❣✉r❡ ✶✳✶✵ ❡st ✐❞❡♥t✐q✉❡ ❛✉ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧
K❡① ♣rés❡♥té ❚❛❜❧❡❛✉ ✶✳✶✳ ▲❛ ♠❛tr✐❝❡ ❞✬❛❞❥❛❝❡♥❝❡ T❡① ♣❡✉t ❞♦♥❝ êtr❡ ♠♦❞é❧✐sé❡ ❝♦♠♠❡
✉♥ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ♦ù ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♦❜❥❡ts ❝♦rr❡s♣♦♥❞ à ❧✬✉♥ ❞❡s ❞❡✉① ❡♥s❡♠❜❧❡s ❞❡
♥÷✉❞s ✭✐❝✐ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ µ❡① ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✮✱ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts ❝♦rr❡s♣♦♥❞
à ❧✬❛✉tr❡ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ♥÷✉❞s ✭✐❝✐ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ARN❡① ❞❡s ❆❘◆♠✮ ❡t ❧❛ r❡❧❛t✐♦♥ ❜✐♥❛✐r❡
❡♥tr❡ ♦❜❥❡ts ❡t ❛ttr✐❜✉ts ❝♦rr❡s♣♦♥❞ à ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❛rêt❡s ❞✉ ❣r❛♣❤❡ ✭✐❝✐ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡
I❡① ❞❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❡♥ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ❆❘◆♠✮✳
❊♥ t❤é♦r✐❡ ❞❡s ❣r❛♣❤❡s✱ ✉♥❡ ❝❧✐q✉❡ ❡st ✉♥ s♦✉s✲❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ♥÷✉❞s q✉✐ s♦♥t t♦✉s r❡❧✐és
❧❡s ✉♥s ❛✉① ❛✉tr❡s ♣❛r ❞❡s ❛rêt❡s✳ ❖♥ ❞✐t ❞✬✉♥❡ ❝❧✐q✉❡ q✉✬❡❧❧❡ ❡st ✭❞❡ t❛✐❧❧❡✮ ♠❛①✐♠❛❧❡
s✐ ❧✬♦♥ ♥❡ ♣❡✉t ❛❥♦✉t❡r ❛✉❝✉♥ ♥÷✉❞ à ❧❛ ❝❧✐q✉❡ ♣♦✉r ❢♦r♠❡r ✉♥❡ ❝❧✐q✉❡ ♣❧✉s ❣r❛♥❞❡✳ ▲❡s
❜✐❝❧✐q✉❡s s♦♥t ❞❡s ❡①t❡♥s✐♦♥s ❞❡ ❧❛ ♥♦t✐♦♥ ❞❡ ❝❧✐q✉❡ ❛❞❛♣té❡s ❛✉① ❣r❛♣❤❡s ❜✐♣❛rt✐s ✿ ❡❧❧❡s
s♦♥t ❢♦r♠é❡s ❞❡ ❞❡✉① s♦✉s ❡♥s❡♠❜❧❡s ❞❡ ♥÷✉❞s r❡❧✐és ❡♥tr❡ ❡✉①✳ ▲❛ ❜✐❝❧✐q✉❡ ❡st ✭❞❡ t❛✐❧❧❡✮
♠❛①✐♠❛❧❡ s✐ ♦♥ ♥❡ ♣❡✉t ❛❥♦✉t❡r ❛✉❝✉♥ ♥÷✉❞ s❛♥s ♣❡r❞r❡ ❝❡tt❡ ♣r♦♣r✐été✳ ❙✉r ❧❡s ♠❛tr✐❝❡s
❞✬❛❞❥❛❝❡♥❝❡s ❞❡ ❣r❛♣❤❡s ❜✐♣❛rt✐s✱ ✉♥❡ ❜✐❝❧✐q✉❡ ❡st r❡♣rés❡♥té❡ ♣❛r ✉♥ s♦✉s✲❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡
❧✐❣♥❡s ❡t ✉♥ s♦✉s✲❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ❝♦❧♦♥♥❡s q✉✐ ❢♦r♠❡♥t ✉♥ r❡❝t❛♥❣❧❡ ❞❡ ✶✳ ❉❛♥s ❧❡ ❝❛s ❞❡s
❜✐❝❧✐q✉❡s ♠❛①✐♠❛❧❡s✱ ❝❡s r❡❝t❛♥❣❧❡s s♦♥t ❡✉① ❛✉ss✐ ♠❛①✐♠❛✉①✳ ❉❡ ❧❛ ♠ê♠❡ ❢❛ç♦♥ q✉❡ ❧❡s
♠❛tr✐❝❡s ❞✬❛❞❥❛❝❡♥❝❡s ❞❡ ❣r❛♣❤❡s ❜✐♣❛rt✐s s♦♥t ❞❡s ❝♦♥t❡①t❡s ❢♦r♠❡❧s✱ ❧❡s ❜✐❝❧✐q✉❡s ❞❡
t❛✐❧❧❡s ♠❛①✐♠❛❧❡s s♦♥t ❡♥ ❢❛✐t❡s ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s✳
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▲✬❆❈❋ ❡st ✉t✐❧✐sé❡ ♣♦✉r ❞❡ ♥♦♠❜r❡✉s❡s ❛♣♣❧✐❝❛t✐♦♥s q✉❡ ❝❡ s♦✐t ❡♥ ❢♦✉✐❧❧❡ ❞❡ ❞♦♥♥é❡s✱
❢♦✉✐❧❧❡ ❞❡ t❡①t❡✱ ✇❡❜ sé♠❛♥t✐q✉❡ ♦✉ ❡♥❝♦r❡ ❡♥ ❜✐♦❧♦❣✐❡✳ ❈♦♥❝❡r♥❛♥t ❧❛ ❜✐♦❧♦❣✐❡✱ ❞❡s
♠ét❤♦❞❡s ♦♥t été ❞é✈❡❧♦♣♣é❡s ♣r✐♥❝✐♣❛❧❡♠❡♥t s✉r ❞❡s ♣✉❝❡s à ❆❉◆ ❬✽✺✱ ✽✻✱ ✽✼✱ ✽✽❪✳
❉✬❛✉tr❡s ♠ét❤♦❞❡s ✉t✐❧✐s❡♥t ❛✉ss✐ ❧✬❆❈❋ ♣♦✉r ❝♦♠♣❧ét❡r ❞❡s rés❡❛✉① ❞❡ ré❣✉❧❛t✐♦♥ ❞❡
❣è♥❡s à ❧✬❛✐❞❡ ❞❡ ❝✐♥ét✐q✉❡s ❞✬❡①♣r❡ss✐♦♥ ❬✽✾❪ ♦✉ ❡♥❝♦r❡ ♣♦✉r ❡①♣❧♦r❡r ❞❡s ❞é♣❡♥❞❛♥❝❡s
t❡♠♣♦r❡❧❧❡s s✉r ❞❡s rés❡❛✉① ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s ❜♦♦❧é❡♥s ❬✾✵❪✳ ▼ê♠❡ s✐ ❧✬❆❈❋ ♣❡✉t s✬❛♣♣❛r❡♥t❡r
à ❞✉ ❜✐❝❧✉st❡r✐♥❣✱ ❡❧❧❡ ❛ ❧✬❛✈❛♥t❛❣❡ ❞❡ ❣é♥ér❡r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s r❡❣r♦✉♣❡♠❡♥ts ♣♦ss✐❜❧❡s
❜❛sés s✉r ❧❡ r❡❧❛t✐♦♥ ❜✐♥❛✐r❡ ❡♥tr❡ ♦❜❥❡ts ❡t ❛ttr✐❜✉ts ❡t ♥♦♥ ♣❛s ❝♦♠♠❡ ❧❛ ♣❧✉♣❛rt ❞❡s
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s❡♠❜❧❡ ❞✉ ❣é♥♦♠❡ ❞✬✉♥❡ t❛✐❧❧❡ ❞❡ ✺✹✶✱✻✾ ▼❜✳ ▲✬ét✉❞❡ ❞❡ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❣è♥❡s ❝♦❞❛♥t
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▲❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ❢❛♠✐❧❧❡s ❞❡ ❣è♥❡s ❞✉♣❧✐q✉és s✬é❧❡✈❛✐t à ✷✳✹✺✾ ♣♦✉r ❧❛ ♣r❡♠✐èr❡ ✈❡rs✐♦♥ ❞❡
❧✬❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ❞✉ ❣é♥♦♠❡ ❬✶✺✱ ✾✺❪✳
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▲✬❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ❢♦♥❝t✐♦♥♥❡❧❧❡ ♣❛r ❧❡s t❡r♠❡s ❞❡ ❧❛ ●❡♥❡ ❖♥t♦❧♦❣② ✭●❖✮ ❞❡s tr❛♥s❝r✐ts
❞✬❆❘◆♠ ❛ été ré❛❧✐sé❡ ❞❛♥s ❧✬éq✉✐♣❡ ➱❝♦❧♦❣✐❡ ❡t ●é♥ét✐q✉❡ ❞❡s ■♥s❡❝t❡s à ❧✬■●❊PP ♣❛r
❋❛❜r✐❝❡ ▲❡❣❡❛✐ ❡t ❆♥t❤♦♥② ❇r❡t❛✉❞❡❛✉ à ❧✬❛✐❞❡ ❞✉ ❧♦❣✐❝✐❡❧ ❇❧❛st✷●❖ q✉✐ ♣❡r♠❡t ❞✬❛♥♥♦✲
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❞❡s séq✉❡♥❝❡s ❡t ❞❡s ❞♦♠❛✐♥❡s ♣r♦té✐q✉❡s ❝♦♥♥✉s✳ P♦✉r ❧❛ r❡❝❤❡r❝❤❡ ❞❡ séq✉❡♥❝❡s s✐♠✐✲
❧❛✐r❡s ♣❛r ❇▲❆❙❚✱ s❡✉❧❡s ❧❡s ✹✵ ♠❡✐❧❧❡✉rs séq✉❡♥❝❡s ❛✈❡❝ ✉♥❡ ❊✲✈❛❧✉❡ ✐♥❢ér✐❡✉r❡ ♦✉ é❣❛❧❡
❛✉ s❡✉✐❧ ❞❡ ✶✵✲✽ ♦♥t été ❣❛r❞é❡s✳ ❯♥❡ ♣ré❞✐❝t✐♦♥ ❞❡ ❞♦♠❛✐♥❡s ♣r♦té✐q✉❡s ❛ été ♦❜t❡♥✉❡
❛✈❡❝ ■♥t❡rPr♦❙❝❛♥ ❛✜♥ ❞✬❡♥r✐❝❤✐r ❧✬❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ❢♦♥❝t✐♦♥♥❡❧❧❡ ♦❜t❡♥✉❡ ♣❛r ❇❧❛st✷●❖✳ ▲❡
❚❛❜❧❡❛✉ ✷✳✶ ♣rés❡♥t❡ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ tr❛♥s❝r✐ts ❞✬❆❘◆♠ ❞✉ ♣✉❝❡r♦♥ ❞✉ ♣♦✐s ♣♦ssé❞❛♥t
✉♥❡ ♦✉ ♣❧✉s✐❡✉rs séq✉❡♥❝❡s ❤♦♠♦❧♦❣✉❡s✱ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ tr❛♥s❝r✐ts ❛✈❡❝ ✉♥ ❞♦♠❛✐♥❡ ♣r♦✲
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❙✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ✸✻✳✾✾✵ tr❛♥s❝r✐ts✱ ✶✵✳✵✻✷ ♦♥t ♣✉ êtr❡ ❛♥♥♦tés ❢♦♥❝t✐♦♥♥❡❧❧❡♠❡♥t
♣❛r ✹✶✳✵✸✶ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ●❖✱ s♦✐t à ❧✬❛✐❞❡ ❞❡ séq✉❡♥❝❡s ❤♦♠♦❧♦❣✉❡s ✭✸✶✳✶✺✶ ♣r♦té✐♥❡s ❛✈❡❝
❞❡s séq✉❡♥❝❡s ❤♦♠♦❧♦❣✉❡s ♦❜t❡♥✉❡s ♣❛r ❇▲❆❙❚P✮✱ s♦✐t à ❧✬❛✐❞❡ ❞❡ ❧✬✐❞❡♥t✐✜❝❛t✐♦♥ ❞❡
❞♦♠❛✐♥❡s ♣r♦té✐q✉❡s ✭✷✽✳✾✹✺ ♣r♦té✐♥❡s ❛✈❡❝ ❞❡s ❞♦♠❛✐♥❡s ♣r♦té✐q✉❡s ❛♥♥♦tés ❢♦♥❝t✐♦♥✲
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✶
❤tt♣✿✴✴✇✇✇✳❛♣❤✐❞❜❛s❡✳❝♦♠✴❊①tr❛❝t✐♦♥✱ séq✉❡♥ç❛❣❡ ❡t ❛♥❛❧②s❡ ❞❡s ❧♦♥❣s ❡t ♣❡t✐ts ❆❘◆ ✸✺
❚②♣❡ ◆♦♠❜r❡ P♦✉r❝❡♥t❛❣❡
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❚❛❜❧❡❛✉ ✷✳✶ ✕ ❆♥♥♦t❛t✐♦♥ ❞❡s ❣è♥❡s ❝♦❞❛♥t ❞❡s ❆❘◆♠ ❞❛♥s ❧❡ ❣é♥♦♠❡ ❞✬❆✳ ♣✐s✉♠✳
▲❡s ♥♦♠❜r❡s ❞❡ tr❛♥s❝r✐ts ❞✬❆❘◆♠ ❛✈❡❝ ✉♥❡ séq✉❡♥❝❡ ❤♦♠♦❧♦❣✉❡✱ ✉♥❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ■♥✲
t❡rPr♦❙❝❛♥ ❡t ✉♥❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ❢♦♥❝t✐♦♥♥❡❧❧❡ ✐ss✉❡s ❞❡ ❧❛ ●❡♥❡ ❖♥t♦❧♦❣② s♦♥t ✐♥❞✐q✉és✳
✷✳✶✳✷ ➱❧❡✈❛❣❡ ❞❡s ♣✉❝❡r♦♥s✱ ❡①tr❛❝t✐♦♥ ❡t séq✉❡♥ç❛❣❡ ❞❡s ❧♦♥❣s ❆❘◆
❡t ❞❡s ♣❡t✐ts ❆❘◆
▲❡s ♣r♦t♦❝♦❧❡s ❞é❝r✐ts ❝✐✲❞❡ss♦✉s ♦♥t été ♠✐s ❛✉ ♣♦✐♥t ❡t s✉✐✈✐s ♣❛r ●❛ë❧ ▲❡ ❚r✐♦♥♥❛✐r❡✱
❙②❧✈✐❡ ❚❛♥❣✉②✱ ❙②❧✈✐❡ ❍✉❞❛✈❡r❞✐❛♥ ❡t ◆❛t❤❛❧✐❡ ▲❡t❡r♠❡✳ ■❧s s♦♥t ❛❞❛♣tés ❞❡ ❝❡✉① ❞é❝r✐ts
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❝❛r ❧❡s ✈✐t❡ss❡s ❞❡ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t ❞❡ ❝❡s ❞✐✛ér❡♥ts t②♣❡s ❞✬❡♠❜r②♦♥s ♣❡✉✈❡♥t ✈❛r✐❡r s♦✉s
❧❡s ❞✐✛ér❡♥t❡s ♣❤♦t♦♣ér✐♦❞❡s ❝♦✉rt❡s ♦✉ ❧♦♥❣✉❡s✳ ●❛❧❧♦t ❡t ❛❧✳ ❬✼✼❪ ♦♥t ❛❞❛♣té ♣♦✉r ❝❡❧❛
✉♥ ♣r♦t♦❝♦❧❡ q✉✐ ♣❡r♠❡t s♦✉s ✉♥❡ ♠ê♠❡ ♣❤♦t♦♣ér✐♦❞❡ ❞❡ ♣r♦❞✉✐r❡ s♦✐t ❞❡s ❡♠❜r②♦♥s
s❡①✉és✱ s♦✐t ❞❡s ❡♠❜r②♦♥s ❛s❡①✉és ❞❡ ❢❛ç♦♥ s②♥❝❤r♦♥❡✳ ❈❡tt❡ s②♥❝❤r♦♥✐❡ ❡st ♦❜t❡♥✉❡
♣❛r ❧✬❛♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❞❡ ❦✐♥♦♣rè♥❡✱ ♠♦❧é❝✉❧❡ ❛♥❛❧♦❣✉❡ ❞❡ ❧✬❤♦r♠♦♥❡ ❥✉✈é♥✐❧❡ ❡t q✉✐ ♣❡r♠❡t
❞❡ r❡♥✈❡rs❡r ❧✬❡✛❡t ❞✬✉♥❡ ♣❤♦t♦♣ér✐♦❞❡ ❝♦✉rt❡ ❬✾✻❪✳ ●❛❧❧♦t ❡t ❛❧✳ ❬✼✼✱ ✽✸❪ ♦♥t ❞ét❡r♠✐♥é
❧❡ ♠♦♠❡♥t ❞✬❛♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❞✉ ❦✐♥♦♣rè♥❡ ♣♦✉r ❞é✈✐❡r ❧❡ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t s❡①✉é ❛tt❡♥❞✉
✭♣❤♦t♦♣ér✐♦❞❡ ❝♦✉rt❡✮ ❡♥ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t ❛s❡①✉é✳
▲❡ ♣r♦t♦❝♦❧❡ ❡st ❞é❝r✐t s✉r ❧❛ ❋✐❣✉r❡ ✷✳✶✳ ➚ ❝❛✉s❡ ❞❡ ❧❛ ✈✐✈✐♣❛r✐té✱ ❝❡ ♣r♦❝❡ss✉s
s❡ ❞ér♦✉❧❡ s✉r ♣❧✉s✐❡✉rs ❣é♥ér❛t✐♦♥s✳ ❉❡s ❧❛r✈❡s ❛✉ st❛❞❡ ▲✶ s♦♥t ✐s♦❧é❡s ❡t ♣❧❛❝é❡s ❡♥
♣❤♦t♦♣ér✐♦❞❡ ❧♦♥❣✉❡ ✭✶✻❤✮ ❥✉sq✉✬à ❧❡✉r ♠✉❡ ❛✉ st❛❞❡ ▲✸ ✿ ❝✬❡st ❧❛ ❣é♥ér❛t✐♦♥ ●✵✳ ▲❡s
▲✸ ❞✉ ♠ê♠❡ â❣❡ s♦♥t ❛❧♦rs ♣❧❛❝é❡s s✉r ❞❡s ♣❧❛♥t❡s ❡♥ ♣❤♦t♦♣ér✐♦❞❡ ❝♦✉rt❡ ✭✶✷❤✮ ♣♦✉r
❡♥❝❧❡♥❝❤❡r ❧❡ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t ❞✬❡♠❜r②♦♥s s❡①✉és✳ ▲♦rsq✉❡ ❧❡s ❛❞✉❧t❡s ❛♣♣❛r❛✐ss❡♥t✱ ❡❧❧❡s
❝♦♠♠❡♥❝❡♥t à ♣r♦❞✉✐r❡ ❧❡✉rs ❞❡s❝❡♥❞❛♥ts✱ ❞❡s ❧❛r✈❡s ❞❡ st❛❞❡ ▲✶ ❞❡ ❧❛ ❣é♥ér❛t✐♦♥ ●✶✳
◗✉❡❧q✉❡s ❧❛r✈❡s ❞❡ ❝❡s ❣é♥ér❛t✐♦♥s s♦♥t ✐s♦❧é❡s✱ ❛✉ ♠ê♠❡ â❣❡ ❡t ♣❧❛❝é❡s s✉r ❞❡ ♥♦✉✈❡❧❧❡s
♣❧❛♥t❡s✱ t♦✉❥♦✉rs ❡♥ ♣❤♦t♦♣ér✐♦❞❡ ❝♦✉rt❡✳
▲♦rsq✉❡ ❝❡s ❧❛r✈❡s ❛rr✐✈❡♥t ❛✉ st❛❞❡ ▲✹ ✰ ✷✹❤ ✭✷✹❤ ❛♣rès ❧❡✉r ♠✉❡ ▲✸ ✈❡rs ▲✹✮✱ ❡❧❧❡s
s♦♥t sé♣❛ré❡s ❡♥ ❞❡✉① ❧♦ts ✿ ❧❡ ♣r❡♠✐❡r ❧♦t s❡ ✈♦✐t ❛♣♣❧✐q✉❡r ❞❡ ❧✬❛❝ét♦♥❡ ✭✺✵ ♥▲✮ s✉r ❧❡✉r
❛❜❞♦♠❡♥✳ ▲❡ s❡❝♦♥❞ ❧♦t s❡ ✈♦✐t ❛♣♣❧✐q✉❡r ❞❛♥s ❧❡s ♠ê♠❡s ❝♦♥❞✐t✐♦♥s ✺✵ ♥▲ ❞❡ ❦✐♥♦♣rè♥❡
✭✹✵✵ ♥❣✱ ❙✐❣♠❛ ❆❧❞r✐❝❤✮ ❞✐❧✉é ❞❛♥s ❧✬❛❝ét♦♥❡✳ ▲❡s ❞❡✉① ❧♦ts s♦♥t ❧❛✐ssés ❡♥ ♣❤♦t♦♣ér✐♦❞❡
❝♦✉rt❡✳ ▲♦rsq✉❡ ❝❡s ▲✹ ❞❡✈✐❡♥♥❡♥t ❛❞✉❧t❡s✱ ❡❧❧❡s ❞♦♥♥❡♥t ♥❛✐ss❛♥❝❡ à ❧❛ ❣é♥ér❛t✐♦♥ ✷
✭●✷✮ q✉✐ s❡r❛ s♦✐t s❡①✉é❡ ✭♣❛s ❞✬❛♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❞❡ ❦✐♥♦♣rè♥❡✮ s♦✐t ❛s❡①✉é❡ ✭❛♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❞❡
❦✐♥♦♣rè♥❡✮✳ ▼❛✐s ❧❡s é❝❤❛♥t✐❧❧♦♥s s♦♥t ré❝♦❧tés ❛✈❛♥t q✉❡ ❝❡tt❡ ●✷ s♦✐t ♠✐s❡ ❜❛s✳ ▲❡s
❢❡♠❡❧❧❡s ❞❡ ❧❛ ●✶ s♦♥t ❞✐sséq✉é❡s ❛♣rès ❛♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❞❡ ❧✬❛❝ét♦♥❡ ♦✉ ❞✉ ❦✐♥♦♣rè♥❡✱ ❛✜♥
❞✬❡①tr❛✐r❡ ❡t ❞✬✐s♦❧❡r ❧❡s ❡♠❜r②♦♥s ✭❢✉t✉rs ●✷✮✳ ◗✉❛tr❡ st❛❞❡s ❞✬❡♠❜r②♦♥s s♦♥t ❞✐sséq✉és ✿
❧❡ st❛❞❡ ✶✼ ✭▲✹ ✰ ✷✹❤✱ ❛✉ ♠♦♠❡♥t ❞❡ ❧✬❛♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❞❡ ❧✬❛❝ét♦♥❡ ❛✈❡❝ ♦✉ s❛♥s ❦✐♥♦♣rè♥❡✮✱✸✻ ❈❛t❛❧♦❣✉❡s ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ❞✉ ♣✉❝❡r♦♥ ❞✉ ♣♦✐s ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠
❧❡ st❛❞❡ ✶✽ ✭▲✹ ✰ ✹✽❤✮✱ ❧❡ st❛❞❡ ✶✾ ✭❆❞✉❧t❡ ✰ ✷✹❤✮ ❡t ❧❡ st❛❞❡ ✷✵ ✭❛❞✉❧t❡ ✰ ✹✽❤✮✳ ▲❡s
❞✐ss❡❝t✐♦♥s ❛✉① st❛❞❡s ✶✽✱ ✶✾ ❡t ✷✵ s♦♥t ré❛❧✐sé❡s ♣♦✉r ❧❡s ❧♦ts s❛♥s ❡t ❛✈❡❝ ❦✐♥♦♣rè♥❡✳
P♦✉r ❝❤❛q✉❡ ❞✐ss❡❝t✐♦♥✱ s❡✉❧s ❧❡s ❡♠❜r②♦♥s ❞❡s st❛❞❡s ✐♥❞✐q✉és s♦♥t ❞✐sséq✉és✱ ❡♥ s❡
ré❢ér❛♥t ❛✉① ♠♦r♣❤♦❧♦❣✐❡s ❞é❝r✐t❡s ❞❛♥s ▼✐✉r❛ ❡t ❛❧✳ ❬✼✻❪✳ ▲❡s ❞✐✛ér❡♥ts ❧♦ts ❞✬❡♠❜r②♦♥s
✭✼ ❛✉ t♦t❛❧✮ s♦♥t ❝♦♥❣❡❧és ✐♠♠é❞✐❛t❡♠❡♥t ❞❛♥s ❧✬❛③♦t❡ ❧✐q✉✐❞❡ ❡t ❝♦♥s❡r✈és à ✲✽✵✝❈✳
Génération
G0
Génération
G1
L3 Adulte
L1 L4
Induction de la production de
descendants sexupares en
jours courts (G1).
Jours longs Jours courts
17 18 19 20
Application d'acétone (A)
ou de kinoprène (K).
F
Femeles
virginipares
Femeles
sexupares
Embryons sexués (A) F ou asexués (K) Embryons
flexibles
Descendants
Génération
G2 F
Extraction de l'ARN
Embryons
L1
Adulte
❋✐❣✳ ✷✳✶ ✕ ❙❝❤é♠❛ ❡①♣ér✐♠❡♥t❛❧ ❞❡ ❧❛ ♣r♦❞✉❝t✐♦♥ ❞✬❡♠❜r②♦♥s ❢❡♠❡❧❧❡s à ❧✬❛✈❡♥✐r s❡①✉é
♦✉ ❛s❡①✉é à ♣❛rt✐r ❞❡ ❢❡♠❡❧❧❡s ♣❛rt❤é♥♦❣é♥ét✐q✉❡s✳ ▲❛ ❞✉ré❡ ❞✉ ❥♦✉r✱ ❧♦♥❣ ♦✉ ❝♦✉rt✱ ❡st
✐♥❞✐q✉é❡ ❡♥ ❤❛✉t ❀ ❧❛ ❣é♥ér❛t✐♦♥ ●✵ ❡st r❡♣rés❡♥té❡ ❡♥ ❤❛✉t ❡♥ r♦✉❣❡ ❀ ❧❛ ❣é♥ér❛t✐♦♥ ●✶
❡st r❡♣rés❡♥té❡ ❛✉ ♠✐❧✐❡✉ ❡♥ ❜❧❡✉ ❀ ❧❛ ❣é♥ér❛t✐♦♥ ●✷ ❡st r❡♣rés❡♥té❡ ❡♥ ❜❛s ❡♥ ♥♦✐r✳ ▲❡
♠♦r♣❤❡ ❞❡ r❡♣r♦❞✉❝t✐♦♥ ❡t ❧❡ t②♣❡ ❞❡ ❞❡s❝❡♥❞❛♥❝❡ s♦♥t ✐♥❞✐q✉és à ❝ôté ❞❡s ❣é♥ér❛t✐♦♥s
●✵ ❡t ●✶✳ P♦✉r ❧❛ ❣é♥ér❛t✐♦♥ ●✷✱ ❧✬ét❛t ✢❡①✐❜❧❡ ❡t ❧❡s ❞❡✉① ♠♦❞❡s ❞❡ r❡♣r♦❞✉❝t✐♦♥s s♦♥t
✐♥❞✐q✉és✳ ▲❡s ♣♦✐♥ts ❞✬❡①tr❛❝t✐♦♥ ❞❡s ❆❘◆ s♦♥t ✐♥❞✐q✉és ♣♦✉r ❧❡s st❛❞❡s ❡♠❜r②♦♥♥❛✐r❡s
✶✼✱ ✶✽✱ ✶✾ ❡t ✷✵ ❞❡ ❧❛ ❣é♥ér❛t✐♦♥ ●✷✳ ■❧ ❡st à ♥♦t❡r q✉❡ ❧❡ s❝❤é♠❛ ♥✬❡st ♣❛s à ❧✬é❝❤❡❧❧❡
t❡♠♣♦r❡❧❧❡✳
❊①tr❛❝t✐♦♥ ❡t séq✉❡♥ç❛❣❡ ❞❡s ❆❘◆
▲✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✉ ♣r♦t♦❝♦❧❡ ❞é❝r✐t ♣ré❝é❞❡♠♠❡♥t ❛ été ❡✛❡❝t✉é sé♣❛ré♠❡♥t ♣♦✉r ❧✬❡①✲
tr❛❝t✐♦♥ ❞❡s ❧♦♥❣s ❡t ❞❡s ♣❡t✐ts ❆❘◆ ❡t à ❞✐✛ér❡♥t❡s r❡♣r✐s❡s ❛✜♥ ❞✬♦❜t❡♥✐r ❞❡s ré♣❧✐❝❛ts
❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s ✿
✕ ✶ ré♣❧✐❝❛t ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡ ♣♦✉r ❧✬❡①tr❛❝t✐♦♥ ❞❡s ❧♦♥❣s ❆❘◆ ❛✉ st❛❞❡ ✶✼ ❀
✕ ✸ ré♣❧✐❝❛ts ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s ♣♦✉r ❝❤❛❝✉♥ ❞❡s ♣♦✐♥ts ❞✬❡①tr❛❝t✐♦♥ ❞❡s ❧♦♥❣s ❆❘◆ ❛✉①
st❛❞❡s ✶✽✱ ✶✾ ❡t ✷✵ ❡t ♣♦✉r ❝❤❛❝✉♥ ❞❡s ❞❡✉① ❣r♦✉♣❡s ✿ ❢✉t✉rs ❛s❡①✉és ❡t ❢✉t✉rs
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q✉❡ ❧❡ ❣è♥❡ ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✸✷❜ ❢❛✐t ♣❛rt✐❡ ❞✬✉♥❡ ❢❛♠✐❧❧❡ ♦ù ✐❧ ② ❛ ✉♥ ❛✉tr❡ ❣è♥❡✱ ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✸✷❛❈❛t❛❧♦❣✉❡ ❡t ❝❛r❛❝tér✐s❛t✐♦♥ ❞❡s ❆❘◆♠✱ ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ❡t ❞❡ ❧❡✉rs ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ✺✶
0 10 20 30 40 50
Nombre de gènes de microARN présents dans le cluster
Pourcentage du nombre de clusters (%)
2 3 4 5 6 7 8 9 10 12 14 16
A. pisum
D. melanogaster
❋✐❣✳ ✷✳✺ ✕ ❍✐st♦❣r❛♠♠❡ ❞✉ ♣♦✉r❝❡♥t❛❣❡ ❞✉ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ❝❧✉st❡rs ❡♥ ❢♦♥❝t✐♦♥ ❞✉ ♥♦♠❜r❡
❞❡ ❣è♥❡s ❞❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ❛✉ s❡✐♥ ❞❡s ❝❧✉st❡rs✳ ❊♥ ❜❧❡✉ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ❝❧✉st❡rs ♣♦✉r ❆✳ ♣✐s✉♠
❡t ❡♥ r♦✉❣❡ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ❝❧✉st❡rs ♣♦✉r ❉✳ ♠❡❧❛♥♦❣❛st❡r✳
♠❛✐s q✉❡ ❝❡ ❣è♥❡ ❡st s✉r ✉♥ ❛✉tr❡ s❝❛✛♦❧❞✳
❙✉r ❧❡ ❝❧✉st❡r ❞❡ t❛✐❧❧❡ ✶✹✱ tr♦✐s ❢❛♠✐❧❧❡s s♦♥t ❝♦♠♣❧èt❡s ✿ ❛♣✐✲♠✐r✲♥♦✈❡❧✸✽ ✭tr♦✐s ❣è♥❡s✮✱
❛♣✐✲♠✐r✲♥♦✈❡❧✶✻ ✭tr♦✐s ❣è♥❡s✮ ❡t ❛♣✐✲♠✐r✲♥♦✈❡❧✸✸ ✭q✉❛tr❡ ❣è♥❡s✮ ❛✈❡❝ ✉♥❡ très ❣r❛♥❞❡
s✐♠✐❧❛r✐té ❞❡ séq✉❡♥❝❡ ❡♥tr❡ ❝❡s tr♦✐s ❢❛♠✐❧❧❡s✳ ▲❡ ♣ré❝✉rs❡✉r ❛♣✐✲♠✐r✲♥♦✈❡❧✺✽ ♥✬❛ q✉❡
❞❡✉① s✉❜st✐t✉t✐♦♥s✱ ♣rés❡♥t❡s ❞❛♥s ❧❡ ♠❛t✉r❡ ✸♣✱ ❛✈❡❝ ❝❡✉① ❞❡ ❧❛ ❢❛♠✐❧❧❡ ❛♣✐✲♠✐r✲♥♦✈❡❧✸✸✳
▲❡ ♣ré❝✉rs❡✉r ❛♣✐✲♠✐r✲♥♦✈❡❧✷✾❛✲✷✱ ❧✉✐ ❛✉ss✐ ❛✈❡❝ ✉♥❡ séq✉❡♥❝❡ ♣r♦❝❤❡ ❞❡s ♣ré❝✉rs❡✉rs
♣ré❝é❞❡♥ts✱ ❡st ❧❡ s❡✉❧ r❡♣rés❡♥t❛♥t ❞❡ s❛ ❢❛♠✐❧❧❡✱ q✉✐ ❡st ❝♦♥st✐t✉é❡ ❞❡ q✉❛tr❡ ❣è♥❡s✳
▲❡ s❡✉❧ ❛✉tr❡ ❣è♥❡ ❞❡ ❝❡tt❡ ❢❛♠✐❧❧❡ ❛✉ss✐ ♣rés❡♥t s✉r ❝❡ ❝❧✉st❡r ❡st ❛♣✐✲♠✐r✲♥♦✈❡❧✷✾❜✲
✷✱ ♠❛✐s ❝❡ ❣è♥❡ s❡ s✐t✉❡ à ✉♥❡ ❞✐st❛♥❝❡ ❞❡ ✸✳✶✾✾ ♥✉❝❧é♦t✐❞❡s ❞❡ ❧❛ ✜♥ ❞✉ ❝❧✉st❡r ❞❡
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♥✉❝❧é♦t✐❞❡s✮✳ ▲❡s ❞❡✉① ❞❡r♥✐❡rs ♠✐❝r♦❆❘◆✱ ❛♣✐✲♠✐r✲♥♦✈❡❧✷✶❛✲✶ ❡t ❛♣✐✲♠✐r✲♥♦✈❡❧✷✶❛✲✹
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♣rés❡♥ts s✉r ♣❧✉s ❞❡ ✺✵ ✪ ❞❡s séq✉❡♥❝❡s s♦♥t r❡♣rés❡♥tés s✉r ❢♦♥❞ ❜❧❡✉✱ ❧❡s ❛✉tr❡s s✉r
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s✐♠✐❧❛r✐té ❞❡ ❝❡s séq✉❡♥❝❡s ❧❛✐ss❡ s✉♣♣♦s❡r q✉❡ ❝❡s tr♦✐s ❣è♥❡s s♦♥t ✐ss✉s ❞✉ ♠ê♠❡ ❣è♥❡
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100k 101k 102k 103k 104k
GL350396GL350396
match:clustermicroarn
GL350396_1
Official gene set 2.1
ACYPI54131-RA
❋✐❣✳ ✷✳✾ ✕ ❘é❣✐♦♥ ❣é♥♦♠✐q✉❡ ❝♦♥t❡♥❛♥t ❧❡ ❝❧✉st❡r ●▲✸✺✵✸✾✻❴✶ ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ❛♣✐✲
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❞❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ❡t ❧❡ ❜r✐♥✳ ▲❡s ❣è♥❡s s♦♥t r❡♣rés❡♥tés ❡♥ ❜❛s ❡♥ ✈✐♦❧❡t✳ ▲❡s r❡❝t❛♥❣❧❡s s❝❤é✲
♠❛t✐s❡♥t ❧❡s ❡①♦♥s ✭❢♦♥❝é ♣♦✉r ❧❡s ré❣✐♦♥s tr❛❞✉✐t❡s✱ ❝❧❛✐r ♣♦✉r ❧❡s ré❣✐♦♥s ♥♦♥ tr❛❞✉✐t❡s✮✱
❧❡s tr❛✐ts ❧❡s ✐♥tr♦♥s ❡t ❧❛ ✢è❝❤❡ ❧❡ ❜r✐♥✳ ▲❛ ✜❣✉r❡ ❛ été ❡①tr❛✐t❡ ❞✬❆♣❤✐❞❇❛s❡✳
▲❡ ❞❡✉①✐è♠❡ ❝❧✉st❡r ✭❡①♦♥✐q✉❡ ❡t ✐♥tr♦♥✐q✉❡✱ ❋✐❣✉r❡ ✷✳✶✵✮ ❝♦♥t✐❡♥t t♦✉s ❧❡s ❣è♥❡s ❞❡
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s♦♥t ❡①♦♥✐q✉❡s ✭❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✹✸✲✶ ❡t ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✹✸✲✸✮ ❡t ❧✬❛✉tr❡ ❡st ✐♥tr♦♥✐q✉❡✳ ❈❡s ✸ ❣è♥❡s
s♦♥t q✉❛s✐♠❡♥t éq✉✐❞✐st❛♥ts ❧❡s ✉♥s ❞❡s ❛✉tr❡s ❛✈❡❝ ❞❡s ❞✐st❛♥❝❡s ❞❡ ✶✳✸✹✶ ♥✉❝❧é♦t✐❞❡s ❡t
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❣è♥❡ ❞❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ❡①♦♥✐q✉❡✱ ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✹✸✲✸ ❡t ❞❡✉① ❣è♥❡s ❞❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ✐♥tr♦♥✐q✉❡s
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▲❡ tr♦✐s✐è♠❡ ❝❧✉st❡r ✭✐♥tr♦♥✐q✉❡ ❡t ✐♥t❡r❣é♥✐q✉❡✱ ❋✐❣✉r❡ ✷✳✶✶✮ ✐♥❝❧✉t q✉❛tr❡ ❣è♥❡s✺✻ ❈❛t❛❧♦❣✉❡s ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ❞✉ ♣✉❝❡r♦♥ ❞✉ ♣♦✐s ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠
609k 610k 611k 612k 613k 614k 615k 616k 617k 618k 619k 620k 621k 622k
GL349650GL349650
match:clustermicroarn
GL349650_1
Official gene set 2.1
ACYPI48456-RA
ACYPI082069-RA
ACYPI080956-RA
ACYPI27700-RA
❋✐❣✳ ✷✳✶✵ ✕ ❘é❣✐♦♥ ❣é♥♦♠✐q✉❡ ❝♦♥t❡♥❛♥t ❧❡ ❝❧✉st❡r ●▲✸✹✾✻✺✵❴✶ ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ❛♣✐✲♠✐r✲
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✈✐♦❧❡t✳ ▲❡s r❡❝t❛♥❣❧❡s s❝❤é♠❛t✐s❡♥t ❧❡s ❡①♦♥s ✭❢♦♥❝é ♣♦✉r ❧❡s ré❣✐♦♥s tr❛❞✉✐t❡s✱ ❝❧❛✐r ♣♦✉r
❧❡s ré❣✐♦♥s ♥♦♥ tr❛❞✉✐t❡s✮✱ ❧❡s tr❛✐ts ❧❡s ✐♥tr♦♥s ❡t ❧❛ ✢è❝❤❡ ❧❡ ❜r✐♥✳ ▲❛ ✜❣✉r❡ ❛ été ❡①tr❛✐t❡
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❝❡s ❞❡✉① ❢❛♠✐❧❧❡s s♦♥t très ♣r♦❝❤❡s✳ ❙✉r ❝❡s ✹ ❣è♥❡s ❞❡ ♠✐❝r♦❆❘◆✱ ✸ s♦♥t ✐♥tr♦♥✐q✉❡s
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❝♦rr❡❝t❡✳
630k 631k 632k 633k 634k 635k
GL349650GL349650
match:clustermicroarn
GL349650_3
Official gene set 2.1
ACYPI084584-RA
❋✐❣✳ ✷✳✶✶ ✕ ❘é❣✐♦♥ ❣é♥♦♠✐q✉❡ ❝♦♥t❡♥❛♥t ❧❡ ❝❧✉st❡r ●▲✸✹✾✻✺✵❴✸ ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ❛♣✐✲
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s✐t✐♦♥s✱ ✐❧ ❛♣♣❛r❛ît q✉❡ ❧❡s ❣è♥❡s ❞❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ q✉✐ ❝♦♥st✐t✉❡♥t ❝❤❛❝✉♥ ❞❡s ❝❧✉st❡rs❈❛t❛❧♦❣✉❡ ❡t ❝❛r❛❝tér✐s❛t✐♦♥ ❞❡s ❆❘◆♠✱ ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ❡t ❞❡ ❧❡✉rs ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ✺✼
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❞✉♣❧✐q✉és ❡t ✉♥ ❣r❛♥❞ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ❢❛♠✐❧❧❡s ❞❡ ❣è♥❡s ❞✬❆❘◆♠ ✭❡♥✈✐r♦♥ ✷✳✵✵✵✮ ❛ s✉❜✐ ✉♥❡
❡①♣❛♥s✐♦♥ ❬✶✺❪✳ ▲❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ séq✉❡♥❝❡s ✉♥✐q✉❡s ❞❡ ♣ré❝✉rs❡✉rs ❞❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♣ré❞✐ts
❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠ ✭✸✷✾✮ ✐♥❢ér✐❡✉r ❛✉ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ❣è♥❡s ✭✹✵✶✮ ✐♥❞✐q✉❡ q✉❡✱ ♣♦✉r
❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆✱ ✐❧ ② ❛ ❛✉ss✐ ❡✉ ✉♥❡ ♣♦t❡♥t✐❡❧❧❡ ❞✉♣❧✐❝❛t✐♦♥ ♦✉ ❡①♣❛♥s✐♦♥ à ❞❡s ♣♦s✐t✐♦♥s
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❡t q✉❡ ❧✬❡①♣r❡ss✐♦♥ ❛✉ t❡♠♣s ❚✷❙ ❡st st❛t✐st✐q✉❡♠❡♥t ♣❧✉s é❧❡✈é❡ q✉❡ ❧✬❡①♣r❡ss✐♦♥ ❛✉
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❝❡s ♣r♦✜❧s s❡①✉és ✭❙✮ ♦✉ ❛s❡①✉és ✭❆✮ ❛ss♦❝✐és ❛✉① ❆❘◆♠ ❡t ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✳
✸✳✶✳✸ ❈❧❛ss✐✜❝❛t✐♦♥ ❞❡s tr❛♥s✐t✐♦♥s ❝✐♥ét✐q✉❡s
❆✜♥ ❞❡ ❝❛r❛❝tér✐s❡r ❧❡s tr❛♥s✐t✐♦♥s ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s s❡①✉é❡s ✈❡rs ❧❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s ❛s❡①✉é❡s
♣♦✉r ❝❤❛❝✉♥ ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✱ ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ♥❡✉❢ rè❣❧❡s q✉✐
❣é♥ér❛❧✐s❡♥t ❡t ❝❧❛ss✐✜❡♥t ❧❡s ❞✐✛ér❡♥❝❡s ❡♥tr❡ ❧❡ ❝❛r❛❝tèr❡ s❡①✉é ❡t ❧❡ ❝❛r❛❝tèr❡ ❛s❡①✉é
❛ été ❞é✜♥✐✳ ❈❡s rè❣❧❡s ♦♥t ♣♦✉r ❜✉t ❞✬❛✐❞❡r à ❧✬✐♥t❡r♣rét❛t✐♦♥✱ ❝✬❡st✲à✲❞✐r❡ ❞❡ ❞✐st✐♥❣✉❡r
❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s ❝♦♠♣❛r❛❜❧❡s ❞✉ ♣♦✐♥t ❞❡ ✈✉❡ ❞❡ ❧❛ ré❣✉❧❛t✐♦♥✳ ❊❧❧❡s ♣❡r♠❡tt❡♥t tr♦✐s
❝❤♦s❡s ✿
✶✳ P❛rt✐t✐♦♥♥❡♠❡♥t ❞❡s ❝♦✉♣❧❡s ❞❡ ♣r♦✜❧s ❀
✷✳ Pr✐s❡ ❡♥ ❝♦♠♣t❡ ❞✬✉♥❡ é✈♦❧✉t✐♦♥ ♠♦♥♦t♦♥❡✱ tr❛♥s✐t♦✐r❡ ♦✉ ❡♥❝♦r❡ ❞✬✉♥ ❞é❝❛❧❛❣❡
t❡♠♣♦r❡❧ ❀
✸✳ ❘❡❣r♦✉♣❡♠❡♥t ♣♦ss✐❜❧❡ ❞❡s rè❣❧❡s ♣❛r ♣❛✐r❡s ♣♦s✐t✐✈❡s✴♥é❣❛t✐✈❡s✳
❈❡s rè❣❧❡s ❝❛r❛❝tér✐s❡♥t ❧❡ ❝❤❛♥❣❡♠❡♥t ❞❡ ❧❛ ❝✐♥ét✐q✉❡ s❡①✉é❡ ✈❡rs ❧❛ ❝✐♥ét✐q✉❡
❛s❡①✉é❡✱ ❞❛♥s ❝❡t ♦r❞r❡✳ ❊❧❧❡s ♦♥t été ❞é✜♥✐❡s ♣♦✉r ❝♦✉✈r✐r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s 3
6 − 3
3 = 702✻✽ ❆♥❛❧②s❡✱ ❝❧❛ss✐✜❝❛t✐♦♥ ❡t ❝♦♠♣❛r❛✐s♦♥ ❞❡s ❡①♣r❡ss✐♦♥ ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ♠✐❝r♦❆❘◆
❝♦♠❜✐♥❛✐s♦♥s ♣♦ss✐❜❧❡s ♣♦✉r ❧❡s s✐① ✈❛❧❡✉rs ❛ss♦❝✐é❡s à ✉♥ é❧é♠❡♥t ❡t ♦ù ✐❧ ② ❛ ❛✉ ♠♦✐♥s
✉♥❡ ❞✐✛ér❡♥❝❡ ❡♥tr❡ ❧❡ ♣r♦✜❧ ❙ ❡t ❆ ♣♦✉r ✉♥❡ i
è♠❡ ✈❛❧❡✉r ✿ ∃i ∈ {1, 2, 3} v
s
i
6= v
a
i
✳ ▲❛
♣❛rt✐❡ q✉✐ s✉✐t ❞é❝r✐t ❝❡s ♥❡✉❢ rè❣❧❡s✱ ❧❡s ❝❧❛ss❡ ♣♦s✐t✐✈❡♠❡♥t ♦✉ ♥é❣❛t✐✈❡♠❡♥t ❡t ❞♦♥♥❡
❡♥tr❡ ♣❛r❡♥t❤ès❡ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ❝♦♠❜✐♥❛✐s♦♥ ❞❡ ♣r♦✜❧s q✉✐ s♦♥t ❝♦✉✈❡rts ♣❛r ❝❤❛❝✉♥❡ ❞❡s
rè❣❧❡s✳ ❖♥ ♥♦t❡ regle(S, A) s✐ ❧❡ ❝♦✉♣❧❡ ❞❡ ♣r♦✜❧ ❙✱❆ ❝♦rr❡s♣♦♥❞ à ❧❛ rè❣❧❡ regle✳
❉❡✉① rè❣❧❡s s♦♥t ❞é✜♥✐❡s ♣♦✉r ✉♥❡ é✈♦❧✉t✐♦♥ ♠♦♥♦t♦♥❡✱ ✉♥❡ ♣♦s✐t✐✈❡ ✿ ✓ ❛✉❣♠❡♥t❡ ✔
✭✶✽✾✮ ❡t ✉♥❡ ♥é❣❛t✐✈❡ ✿ ✓ ❞✐♠✐♥✉t✐♦♥ ✔ ✭✶✽✾✮ ✿
augmente(S, A) ⇔ ∀v
s
i
, va
i
, i ∈ {1, 2, 3} v
s
i ≤ v
a
i
;
diminution(S, A) ⇔ ∀v
s
i
, va
i
, i ∈ {1, 2, 3} v
s
i ≥ v
a
i
.
❉❡✉① rè❣❧❡s s♦♥t ❞é✜♥✐❡s ♣♦✉r ✉♥ ❞é❝❛❧❛❣❡ t❡♠♣♦r❡❧✱ ✉♥❡ ♣♦s✐t✐✈❡ ✿ ✓ ❛✈❛♥❝❡ ✔ ✭✶✽✮
❡t ✉♥❡ ♥é❣❛t✐✈❡ ✿ ✓ r❡t❛r❞ ✔ ✭✶✽✮✱ ♦ù x1, x2 ∈ {−1, 1} ✿
avance(S, A) ⇔ S = (0, 0, x1) ∧ A = ((0, x1, 0) ∨ (x1, 0, 0)) ∨
S = (0, x1, 0) ∧ A = (x1, 0, 0) ∨
S = (0, x1, x2) ∧ A = ((x1, 0, x2) ∨ (x1, x2, 0)) ∨
S = (x1, 0, x2) ∧ A = (x1, x2, 0).
retard(S, A) ⇔ S = (0, x1, 0) ∧ A = (0, 0, x1) ∨
S = (x1, 0, 0) ∧ A = ((0, x1, 0) ∨ (0, 0, x1)) ∨
S = (x1, 0, x2) ∧ A = (0, x1, x2) ∨
S = (x1, x2, 0) ∧ A = ((0, x1, x2) ∨ (x1, 0, x2)).
◗✉❛tr❡ rè❣❧❡s ♦♥t été ❞é✜♥✐❡s ♣♦✉r ✉♥❡ é✈♦❧✉t✐♦♥ tr❛♥s✐t♦✐r❡✱ ❞❡✉① ♣♦s✐t✐✈❡s ✿ ✓ ❛♣♣❛✲
r✐t✐♦♥ ♣✐❝ ♣♦s✐t✐❢ ✔ ✭✼✮ ❡t ✓ ❞✐s♣❛r✐t✐♦♥ ♣✐❝ ♥é❣❛t✐❢ ✔ ✭✼✮ ❡t ❞❡✉① ♥é❣❛t✐✈❡s ✿ ✓ ❛♣♣❛r✐t✐♦♥
♣✐❝ ♥é❣❛t✐❢ ✔ ✭✼✮ ❡t ✓ ❞✐s♣❛r✐t✐♦♥ ♣✐❝ ♣♦s✐t✐❢ ✔ ✭✼✮✱ ♦ù x ∈ {−1, 0, 1} ✿
apparitionP icP ositif(S, A) ⇔ S = (x, 0, 0) ∧ A = (x, 1, −1) ∨
S = (0, 0, x) ∧ A = (1, −1, x) ∨
S = (0, 0, 0) ∧ A = (1, 0, −1).
disparitionP icNegatif(S, A) ⇔ S = (x, −1, 1) ∧ A = (x, 0, 0) ∨
S = (−1, 1, x) ∧ A = (0, 0, x) ∨
S = (−1, 0, 1) ∧ A = (0, 0, 0).
apparitionP icNegatif(S, A) ⇔ S = (x, 0, 0) ∧ A = (x, −1, 1) ∨
S = (0, 0, x) ∧ A = (−1, 1, x) ∨
S = (0, 0, 0) ∧ A = (−1, 0, 1).
disparitionP icP ositif(S, A) ⇔ S = (x, 1, −1) ∧ A = (x, 0, 0) ∨
S = (1, −1, x) ∧ A = (0, 0, x) ∨
S = (1, 0, −1) ∧ A = (0, 0, 0).
❯♥❡ rè❣❧❡✱ ✓ ❞é❢❛✉t ✔ ✭✷✻✵✮✱ ❡st ❛ss♦❝✐é❡ ♣❛r ❞é❢❛✉t à t♦✉s ❧❡s ❝♦✉♣❧❡s ❞❡ ♣r♦✜❧s q✉✐
♥❡ ❝♦rr❡s♣♦♥❞❡♥t à ❛✉❝✉♥❡ ❞❡s ❤✉✐t rè❣❧❡s ♣ré❝é❞❡♥t❡s✳ ▲❡ ❚❛❜❧❡❛✉ ✸✳✶ r❡❞♦♥♥❡ ✉♥❡
❞é✜♥✐t✐♦♥ ❞❡s rè❣❧❡s ❡t ❧❛ ❋✐❣✉r❡ ✸✳✶ ✐❧❧✉str❡ ❝❡s rè❣❧❡s✳❉✐s❝rét✐s❛t✐♦♥ ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s ❡t ❝❧❛ss✐✜❝❛t✐♦♥ ❞❡s tr❛♥s✐t✐♦♥s ❝✐♥ét✐q✉❡s ✻✾
❈❡s rè❣❧❡s s♦♥t ♠✉t✉❡❧❧❡♠❡♥t ❡①❝❧✉s✐✈❡s✱ ❝✬❡st✲à✲❞✐r❡ q✉✬✉♥ ❝♦✉♣❧❡ ❞❡ ♣r♦✜❧s ♥❡ s❡r❛
❛ss♦❝✐é q✉✬à ✉♥❡ ❡t ✉♥❡ s❡✉❧❡ rè❣❧❡ ❛✜♥ ❞✬❛✐❞❡r à ❧✬✐♥t❡r♣rét❛t✐♦♥✳ P♦✉r ❝❤❛❝✉♥ ❞❡s ❆❘◆♠
❡t ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✱ ❧❛ rè❣❧❡ à ❧❛q✉❡❧❧❡ ❝♦rr❡s♣♦♥❞ ❧❡ ❝♦✉♣❧❡ ❞❡ ♣r♦✜❧s s❡r❛ ❛ss♦❝✐é❡
à ❝❡t ❆❘◆♠ ♦✉ ❝❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡✳
rè❣❧❡ ❞❡s❝r✐♣t✐♦♥ ✭s❡①✉é ✈❡rs ❛s❡①✉é✮ ❡①❡♠♣❧❡
s❡①✉é ❛s❡①✉é
❛✉❣♠❡♥t❛t✐♦♥
❆✉ ♠♦✐♥s ❧✬✉♥❡ ❞❡s tr♦✐s ✈❛❧❡✉rs
❛✉❣♠❡♥t❡ ❡t ❧❡s ❛✉tr❡s s♦♥t ✐❞❡♥✲
t✐q✉❡s✳
✲✶✱ ✵✱ ✲✶ ✲✶✱ ✶✱ ✵
❞✐♠✐♥✉t✐♦♥ ❆✉ ♠♦✐♥s ❧✬✉♥❡ ❞❡s tr♦✐s ✈❛❧❡✉rs ❞✐✲
♠✐♥✉❡ ❡t ❧❡s ❛✉tr❡s s♦♥t ✐❞❡♥t✐q✉❡s✳ ✲✶✱ ✵✱ ✲✶ ✲✶✱ ✲✶✱ ✲✶
❛✈❛♥❝❡
❯♥❡ ♦✉ ❞❡✉① ✈❛❧❡✉rs s♦♥t ❛✈❛♥❝é❡s✳
❈❡✴❝❡s ✈❛❧❡✉rs r❡♠♣❧❛❝❡♥t ✉♥ ③ér♦
♦✉ ✉♥❡ ❞❡s ✈❛❧❡✉rs q✉✐ ❜♦✉❣❡♥t✳
✵✱ ✶✱ ✶ ✶✱ ✶✱ ✵
r❡t❛r❞
❯♥❡ ♦✉ ❞❡✉① ✈❛❧❡✉rs s♦♥t r❡t❛r❞é❡s✳
❈❡✴❝❡s ✈❛❧❡✉rs r❡♠♣❧❛❝❡♥t ✉♥ ③ér♦
♦✉ ✉♥❡ ❞❡s ✈❛❧❡✉rs q✉✐ ❜♦✉❣❡♥t✳
✲✶✱ ✲✶✱ ✵ ✲✶✱ ✵✱ ✲✶
❛♣♣❛r✐t✐♦♥ ♣✐❝ ♣♦s✐t✐❢ ❯♥ ♣✐❝ ❞✬❡①♣r❡ss✐♦♥ ♣♦s✐t✐❢ ❛♣♣❛✲
r❛ît✳ ✲✶✱ ✵✱ ✵ ✲✶✱ ✶✱ ✲✶
❛♣♣❛r✐t✐♦♥ ♣✐❝ ♥é❣❛t✐❢ ❯♥ ♣✐❝ ❞✬❡①♣r❡ss✐♦♥ ♥é❣❛t✐❢ ❛♣♣❛✲
r❛ît✳ ✲✶✱ ✵✱ ✵ ✲✶✱ ✲✶✱ ✶
❞✐s♣❛r✐t✐♦♥ ♣✐❝ ♣♦s✐t✐❢ ❯♥ ♣✐❝ ❞✬❡①♣r❡ss✐♦♥ ♣♦s✐t✐❢ ❞✐s♣❛✲
r❛ît✳ ✶✱ ✵✱ ✲✶ ✵✱ ✵✱ ✵
❞✐s♣❛r✐t✐♦♥ ♣✐❝ ♥é❣❛t✐❢ ❯♥ ♣✐❝ ❞✬❡①♣r❡ss✐♦♥ ♥é❣❛t✐❢ ❞✐s♣❛✲
r❛ît✳ ✲✶✱ ✶✱ ✶ ✵✱ ✵✱ ✶
❞é❢❛✉t ▲❡ ❝♦✉♣❧❡ ♥❡ ❝♦rr❡s♣♦♥❞ à ❛✉❝✉♥❡
❛✉tr❡ rè❣❧❡✳ ✵✱ ✶✱ ✶ ✶✱ ✵✱ ✵
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❧❡s ❞✐✛ér❡♥❝❡s ❡♥tr❡ ❧❡ ♣r♦✜❧ s❡①✉é ❡t ❧❡ ♣r♦✜❧ ❛s❡①✉é ♣♦✉r ❧❡s ❆❘◆♠ ❡t ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆
♠❛t✉r❡s✳ P♦✉r ❝❤❛❝✉♥❡ ❞❡s rè❣❧❡s✱ ✉♥❡ ❞❡s❝r✐♣t✐♦♥ ❡st ❞♦♥♥é❡ ❛✐♥s✐ q✉✬✉♥ ❡①❡♠♣❧❡✳
✸✳✶✳✹ ➱t✉❞❡ ❞❡s ❆❘◆♠ ❞✐✛ér❡♥t✐❡❧❧❡♠❡♥t ❡①♣r✐♠és ❡♥r✐❝❤✐s ❡♥ ❛♥♥♦✲
t❛t✐♦♥s ❢♦♥❝t✐♦♥♥❡❧❧❡s
❖❜t❡♥t✐♦♥ ❞❡s ❆❘◆♠ ❞✐✛ér❡♥t✐❡❧❧❡♠❡♥t ❡①♣r✐♠és ❡♥r✐❝❤✐s ❡♥ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥s
❢♦♥❝t✐♦♥♥❡❧❧❡s ♣❛r ❇❧❛st✷●❖
❇❧❛st✷●❖ ❬✾✼✱ ✾✽❪ ♣❡r♠❡t✱ ❡♥ ♣❧✉s ❞❡s ❢♦♥❝t✐♦♥♥❛❧✐tés ❞é❝r✐t❡s ♣ré❝é❞❡♠♠❡♥t✱ ❞❡
❝❛❧❝✉❧❡r ✉♥ ❡♥r✐❝❤✐ss❡♠❡♥t ❡♥ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥s ❢♦♥❝t✐♦♥♥❡❧❧❡s ❞✬✉♥ s♦✉s✲❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬❆❘◆♠
❞✬✐♥térêt ♣♦ssé❞❛♥t ✉♥❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ❢♦♥❝t✐♦♥♥❡❧❧❡ ✭✐❝✐ ❧❡s ❆❘◆♠ q✉✐ s❡r♦♥t ❞✐✛ér❡♥t✐❡❧❧❡✲
♠❡♥t ❡①♣r✐♠és✮ ❝♦♥tr❡ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❆❘◆♠ ❛♥♥♦tés ✭❧❛ ❧✐st❡ ❞❡ ré❢ér❡♥❝❡✮✳ ▲✬❛♥♥♦t❛✲
t✐♦♥ ✉t✐❧✐s❡ ❞❡s t❡r♠❡s ❞❡ ❧✬♦♥t♦❧♦❣✐❡ ●❖✳ P♦✉r s❛✈♦✐r s✐ ✉♥❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ●❖ ❞♦♥♥é❡ ❡st
❡♥r✐❝❤✐❡ ❞❛♥s ✉♥❡ ❧✐st❡ ❞✬❆❘◆♠ s♣é❝✐✜q✉❡✱ ❇❧❛st✷●❖ ❡✛❡❝t✉❡ ✉♥ t❡st ❡①❛❝t ❞❡ ❋✐s❤❡r
❡♥tr❡ ❞✬✉♥❡ ♣❛rt ❧❡ r❛t✐♦ ❡♥tr❡ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞✬❆❘◆♠ ♣♦ssé❞❛♥t ❝❡tt❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ❡t ❝❡✉① ♥❡
♣♦ssé❞❛♥t ♣❛s ❝❡tt❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ❞❛♥s ❧❡ s♦✉s✲❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬❆❘◆♠ ❞✬✐♥térêt✱ ❝♦♥tr❡ ❞✬❛✉tr❡✼✵ ❆♥❛❧②s❡✱ ❝❧❛ss✐✜❝❛t✐♦♥ ❡t ❝♦♠♣❛r❛✐s♦♥ ❞❡s ❡①♣r❡ss✐♦♥ ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ♠✐❝r♦❆❘◆
S -1 0 -1
A -1 1 0
T0 T1 T2 T3
augmentation
S -1 0 -1
A -1 -1 -1
S 0 1 1
A 1 1 0
avance
S -1 -1 0
A -1 0 -1
S -1 0 0
A -1 1 -1
apparition pic positif
S -1 0 0
A -1 -1 1
S 1 0 -1
A 0 0 0
disparition pic positif
S -1 1 1
A 0 0 1
diminution retard apparition pic négatif disparition pic négatif
T0 T1 T2 T3 T0 T1 T2 T3 T0 T1 T2 T3 T0 T1 T2 T3
T0 T1 T2 T3 T0 T1 T2 T3 T0 T1 T2 T3
❋✐❣✳ ✸✳✶ ✕ ❙❝❤é♠❛ ❞❡s ❝♦✉♣❧❡s ❞❡ ♣r♦✜❧s ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s s❡①✉é❡s ❡t ❛s❡①✉é❡s ❛ss♦❝✐és
❛✉① ♣r✐♥❝✐♣❛❧❡s rè❣❧❡s ❞❡ tr❛♥s✐t✐♦♥s ❞é❝r✐t❡s ❞❛♥s ❧❡ ❚❛❜❧❡❛✉ ✸✳✶✳ P♦✉r ❝❤❛❝✉♥ ❞❡s ❤✉✐t
s❝❤é♠❛s ✐❧❧✉str❛♥t ❧❡s ❤✉✐t rè❣❧❡s✱ ❧❡s q✉❛tr❡ t❡♠♣s ❚✵✱ ❚✶✱ ❚✷✱ ❚✸ s♦♥t ✈✐s✐❜❧❡s ❡♥ ❤❛✉t
❡t ❧❡ ♥♦♠ ❞❡ ❧❛ rè❣❧❡ ❡♥ ❜❛s✳ ▲❡ ♣r♦✜❧ s❡①✉é ❡st s❝❤é♠❛t✐sé ❡♥ ❜❧❡✉ ❡t ♣❛r ❧❛ ❧❡ttr❡ ❙ ❡t
❧❡ ♣r♦✜❧ ❛s❡①✉é ❡st s❝❤é♠❛t✐sé ❡♥ r♦✉❣❡ ❡t ♣❛r ❧❛ ❧❡ttr❡ ❆✳ P♦✉r ❝❤❛❝✉♥❡ ❞❡s rè❣❧❡s✱ ❞❡s
✢è❝❤❡s ❧✐❡♥t ❧❡s ✈❛❧❡✉rs q✉✐ ❝❤❛♥❣❡♥t ❡♥tr❡ ❧❡ ♣r♦✜❧ s❡①✉é ❡t ❛s❡①✉é ❡t q✉✐ ❝❛r❛❝tér✐s❡♥t
❧❡ ❝❧❛ss❡♠❡♥t ❞✉ ❝♦✉♣❧❡ ❞❡ ♣r♦✜❧s ♣❛r ❝❡tt❡ rè❣❧❡✳
♣❛rt ❝❡ ♠ê♠❡ r❛t✐♦ ♠❛✐s ♦❜t❡♥✉ s✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❆❘◆♠ ❞❡ ré❢ér❡♥❝❡✳ ▲❡s ❞✐✛ér❡♥ts
t❡sts ❡①❛❝ts ❞❡ ❋✐s❤❡r ♦♥t été ré❛❧✐sés ✐❝✐ ❡♥ ✉t✐❧✐s❛♥t ❧✬✐♥t❡r❢❛❝❡ ❣r❛♣❤✐q✉❡ ❞❡ ❇❧❛st✷●❖✶
❛✈❡❝ ✉♥ s❡✉✐❧ s✉r ❧❡s ♣✲✈❛❧✉❡s ❛❥✉sté❡s à ✺ ✪✳
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❆✜♥ ❞❡ s✉♣♣r✐♠❡r ❧❛ r❡❞♦♥❞❛♥❝❡✱ ❞❡ rés✉♠❡r ❡t ❞❡ ✈✐s✉❛❧✐s❡r ❧❡s rés✉❧t❛ts ♦❜t❡♥✉s s✉r
❧❡s ❛♥♥♦t❛t✐♦♥s ●❖ q✉✐ s♦♥t ❡♥r✐❝❤✐❡s✱ ❧❡ ❧♦❣✐❝✐❡❧ ❘❊❱✐●❖✷
❬✶✸✶❪ ❛ été ✉t✐❧✐sé✳ ❘❊❱✐●❖
❢♦✉r♥✐t✱ à ♣❛rt✐r ❞✬✉♥❡ ❧✐st❡ ❞❡ t❡r♠❡s ●❖✱ ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ❝❧✉st❡rs ❞❡ t❡r♠❡s ●❖
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➱t❛♥t ❞♦♥♥é ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ t❡r♠❡s ●❖ ❡♥r✐❝❤✐s ❛✈❡❝ ✉♥❡ ♣✲✈❛❧✉❡ ❛ss♦❝✐é❡✱ ❘❊❱✐●❖
✈❛ ♣♦✉r ❝❤❛q✉❡ ♣❛✐r❡ ❞❡ t❡r♠❡s ❝❛❧❝✉❧❡r ✉♥❡ s✐♠✐❧❛r✐té ✿ ❝❡❧❧❡ ♣❛r ❞é❢❛✉t ❡t q✉✐ ❛ été
✉t✐❧✐sé❡ ✐❝✐ ❡st ❧❛ s✐♠✐❧❛r✐té ❙✐♠❘❡❧ ❬✶✸✷❪✳ ❊❧❧❡ r❡♥✈♦✐❡ ✉♥❡ ✈❛❧❡✉r ❝♦♠♣r✐s❡ ❡♥tr❡ ✵ ❡t ✶✱
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✷
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♦ù ✉♥❡ ✈❛❧❡✉r ❞❡ ✶ s✐❣♥✐✜❡ q✉❡ ❧❡s t❡r♠❡s s♦♥t s✐♠✐❧❛✐r❡s✳ ❊♥ ♣❛rt❛♥t ❞❡s ❞❡✉① t❡r♠❡s ti
❡t tj ❧❡s ♣❧✉s s✐♠✐❧❛✐r❡s✱ ❘❊❱✐●❖ ❣❛r❞❡ ❧❡s ❞❡✉① t❡r♠❡s s✬✐❧s ♦♥t ✉♥ ❞❡❣ré ❞❡ s✐♠✐❧❛r✐té
✐♥❢ér✐❡✉r à ✉♥ ❝❡rt❛✐♥ s❡✉✐❧ ✭✵✱✼ ♣❛r ❞é❢❛✉t✮✳ ❙✐♥♦♥ ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ rè❣❧❡s ❡st ✉t✐❧✐sé ♣♦✉r
❝❤♦✐s✐r q✉❡❧ t❡r♠❡ ❡st s✉♣♣r✐♠é✳ ❯♥ rés✉♠é ❞❡s ❞✐✛ér❡♥t❡s ét❛♣❡s ❡t ❞❡s rè❣❧❡s ❞❡ ❝❤♦✐①
s♦♥t ♣rés❡♥té ❋✐❣✉r❡ ✸✳✷✳
❋✐❣✳ ✸✳✷ ✕ ▲❡s ❞✐✛ér❡♥t❡s ét❛♣❡s ❡t rè❣❧❡s ❞❡ ❧❛ ♠ét❤♦❞❡ ❘❊❱✐●❖✳ ✯❙✐ ❧❡ t❡r♠❡ ✜❧s
r❡♣rés❡♥t❡ ✼✺ ✪ ♦✉ ♣❧✉s ❞❡ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s t❡r♠❡s ✜❧s ✉ t❡r♠❡ ♣❛r❡♥t✱ ❛❧♦rs ❧❡ t❡r♠❡
♣❛r❡♥t ❡st s✉♣♣r✐♠é à ❧❛ ♣❧❛❝❡ ❞✉ t❡r♠❡ ✜❧s✳ ❋✐❣✉r❡ t✐ré❡ ❞❡ ❙✉♣❡❦ ❡t ❛❧✳ ❬✶✸✶❪✳
▲❡s t❡r♠❡s q✉✐ s✉❜s✐st❡♥t à ❧❛ ✜♥ ❞❡ ❝❡tt❡ ♣r♦❝é❞✉r❡ s♦♥t ❧❡s t❡r♠❡s q✉✐ r❡♣rés❡♥t❡✲✼✷ ❆♥❛❧②s❡✱ ❝❧❛ss✐✜❝❛t✐♦♥ ❡t ❝♦♠♣❛r❛✐s♦♥ ❞❡s ❡①♣r❡ss✐♦♥ ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ♠✐❝r♦❆❘◆
r♦♥t ❧❡s ❝❧✉st❡rs ❞❡ t❡r♠❡s ●❖ ❡t ♦ù ✉♥ t❡r♠❡ ❡st ❛ss♦❝✐é à ✉♥ ❝❧✉st❡r s✐ s❛ s✐♠✐❧❛r✐té
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❡t ❚✸ s♦♥t s♣é❝✐✜q✉❡s ❛✉① ❝✐♥ét✐q✉❡s✳ ▲❡s t❡♠♣s ❙❂④❚✵✱❚✶❙✱❚✷❙✱❚✸❙ ⑥ ❝♦♥st✐t✉❡♥t ❧❛
❝✐♥ét✐q✉❡ s❡①✉é❡ ❡t ❧❡s t❡♠♣s ❆❂④❚✵✱❚✶❙✱❚✷❙✱❚✸❙ ⑥ ❝♦♥st✐t✉❡♥t ❧❛ ❝✐♥ét✐q✉❡ ❛s❡①✉é❡✳
Stade 18 Stade 19 Stade 20
T1S T2S T3S
T2A T3A
Sexué
Asexué
Stade 17
flexible
Jours courts
Jours longs
Embryon T1A
T0
❋✐❣✳ ✸✳✸ ✕ ❙❝❤é♠❛ ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s ♦❜t❡♥✉❡s s✉r ❞❡s ❡♠❜r②♦❣❡♥ès❡s ❞❡ ♣✉❝❡r♦♥ ❢❡♠❡❧❧❡s
à ❧✬❛✈❡♥✐r s❡①✉é ♦✉ ❛s❡①✉é ♣♦✉r ❧❡s st❛❞❡s ✶✼✱ ✶✽✱ ✶✾ ❡t ✷✵✳ ❊♥ ❜❧❡✉ ✿ ❧✬❡♠❜r②♦❣❡♥ès❡
s❡①✉é❡ ✭❙✮ ❀ ❡♥ r♦✉❣❡ ❧✬❡♠❜r②♦❣❡♥ès❡ ❛s❡①✉é❡ ✭❆✮ ❀ ❧❡s t❡♠♣s ❚✵✱ ❚✶❙✱ ❚✷❙✱ ❚✸❙ ❡t ❚✶❆✱
❚✷❆✱ ❚✸❆ r❡♣rés❡♥t❡♥t r❡s♣❡❝t✐✈❡♠❡♥t ❧❡s ❡①tr❛❝t✐♦♥s ❛✉① st❛❞❡s ✶✼✱ ✶✽ s❡①✉é✱ ✶✾ s❡①✉é✱
✷✵ s❡①✉é ❡t ✶✽ ❛s❡①✉é✱ ✶✾ ❛s❡①✉é✱ ✷✵ ❛s❡①✉é✳
❈❡tt❡ ♣❛rt✐❡ ♣rés❡♥t❡ t♦✉t ❞✬❛❜♦r❞ ❧✬✐❞❡♥t✐✜❝❛t✐♦♥ ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ q✉✐
s♦♥t ❞✐✛ér❡♥t✐❡❧❧❡♠❡♥t ré❣✉❧és ❡♥tr❡ ❧❡s ❡♠❜r②♦❣❡♥ès❡s s❡①✉é❡s ❡t ❛s❡①✉é❡s✳ P❛r ❧❛ s✉✐t❡✱
✐❧ ❡st ❞é❝r✐t ❝♦♠♠❡♥t ❧❛ ré❞✉❝t✐♦♥ ❞❡ ❝❡s ❞❡✉① ❝❛t❛❧♦❣✉❡s ♣❡r♠❡t ❞❡ ❧✐♠✐t❡r ❧❡ ♥♦♠❜r❡
❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❞✉ rés❡❛✉✳✼✹ ❆♥❛❧②s❡✱ ❝❧❛ss✐✜❝❛t✐♦♥ ❡t ❝♦♠♣❛r❛✐s♦♥ ❞❡s ❡①♣r❡ss✐♦♥ ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ♠✐❝r♦❆❘◆
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s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♣❛✐r❡s ❞❡ ♣❛s ❞❡ t❡♠♣s ❝♦♥sé❝✉t✐❢s ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s s❡①✉é❡s✳ P♦✉r ❧❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s
❛s❡①✉é❡s✱ ❧❡ ♣♦✉r❝❡♥t❛❣❡ ❞❡ ❞✐✛ér❡♥❝❡ ❡st ♣rés❡♥té ❡♥tr❡ ♣❛r❡♥t❤ès❡s✳ ▲✬❛♥❛❧②s❡ ❛ été
❢❛✐t❡ s✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ✸✻✳✾✾✵ séq✉❡♥❝❡s ✉♥✐q✉❡s ❞✬❆❘◆♠✳ ▲❛ ❞❡r♥✐èr❡ ❧✐❣♥❡ r❡♣rés❡♥t❡
❧❛ s♦♠♠❡ ❞❡s ❧✐❣♥❡s ✲✶ ❡t ✶✳
❖♥ ♣❡✉t ✈♦✐r q✉❡ ❧❛ ré♣❛rt✐t✐♦♥ ❞❡s ❆❘◆♠ ❡♥ ✲✶✱ ✵ ❡t ✶ ♣♦✉r ❞❡s t❡♠♣s ❝♦♥sé❝✉t✐❢s
✐❞❡♥t✐q✉❡s ❡st s❡♠❜❧❛❜❧❡ ❡♥tr❡ ❧❛ ❝✐♥ét✐q✉❡ s❡①✉é❡ ❡t ❧❛ ❝✐♥ét✐q✉❡ ❛s❡①✉é❡✳ ▲❡ ♥♦♠❜r❡
❞✬❆❘◆♠ ❛②❛♥t ✉♥❡ ✈❛❧❡✉r ❞✐✛ér❡♥t❡ ❞❡ ③ér♦ ✈❛r✐❡ ❡♥tr❡ ❡♥✈✐r♦♥ ✶✵ ✪ ✭❞✐✛ér❡♥❝❡ ❡♥tr❡
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❧❡s ♣❧✉s ❣r❛♥❞❡s ✈❛r✐❛t✐♦♥s ❞✬❡①♣r❡ss✐♦♥ s❡ ❢♦♥t ❡♥tr❡ ❧❡ t❡♠♣s ❚✵ ❡t ❧❡ t❡♠♣s ❚✶ ♣♦✉r
❧❛ ❝✐♥ét✐q✉❡ s❡①✉é❡ ❡t ❧❛ ❝✐♥ét✐q✉❡ ❛s❡①✉é❡✳ ▲❡ t❡♠♣s ❚✵ ❡st ❧❡ ❞❡r♥✐❡r t❡♠♣s ♣❡♥❞❛♥t
❧❡q✉❡❧ ❧✬❡♠❜r②♦♥ ❡st s❡♥s✐❜❧❡ ❛✉ ❦✐♥♦♣rè♥❡✱ ♦ù s♦♥ ❛✈❡♥✐r ♥✬❡st ♣❛s ❡♥❝♦r❡ ❞ét❡r♠✐♥é✱ ❝❡
q✉✐ ✈❡✉t ❞✐r❡ q✉❡ ❧❡ ♠♦♠❡♥t ♦ù ❧✬♦♥ ♦❜s❡r✈❡ ❧❡ ♣❧✉s ❞✬❆❘◆♠ ❞♦♥t ❧✬❡①♣r❡ss✐♦♥ é✈♦❧✉❡
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P♦✉r ❝❤❛❝✉♥ ❞❡s ❆❘◆♠✱ ❞❡✉① ♣r♦✜❧s ❝✐♥ét✐q✉❡s ❞✐s❝rét✐sés s♦♥t ♦❜t❡♥✉s ✿ ❧✬✉♥ ♣♦✉r
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ré❢ér❡♥❝❡ à ❝❡s ♣r♦✜❧s s❡①✉és ♦✉ ❛s❡①✉és ❛ss♦❝✐és ❛✉① ❆❘◆♠ ❡t ❝♦♠♣♦sés ❞❡ ✈❛❧❡✉rs❈♦♠♣❛r❛✐s♦♥ ❞❡s ❡①♣r❡ss✐♦♥s ❣é♥✐q✉❡s ❡♥tr❡ ❡♠❜r②♦♥s s❡①✉és ❡t ❛s❡①✉és ✼✺
❞✐s❝rèt❡s✳ P❛r♠✐ ❧❡s ✸✻✳✾✾✵ ❆❘◆♠✱ ✹✳✾✾✻ ❆❘◆♠ ✭✶✸✱✺ ✪✮ ♦♥t ✉♥ ♣r♦✜❧ s❡①✉é q✉✐ ❡st
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s❡①✉é❡s ❡t ❛s❡①✉é❡s✳ P♦✉r ❝❤❛❝✉♥❡ ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s✱ s❡①✉é❡ à ❣❛✉❝❤❡ ❡t ❛s❡①✉é❡ à ❞r♦✐t❡✱ ❧❡
♥♦♠❜r❡ ❞❡ séq✉❡♥❝❡s ❞❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡ ♣♦ssé❞❛♥t ❞❡s ❡①♣r❡ss✐♦♥s ❞é❝r♦✐ss❛♥t❡s ✭✲✶✮✱
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s✐♦♥ ❞❡s ❆❘◆♠ ♣❛r ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❝❛r ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s q✉✐ ♣♦ssè❞❡♥t
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❜❧❡r ❡♥ ♣r✐♦r✐té ❞❡s ❆❘◆♠ ❛✈❡❝ ✉♥❡ ❝✐♥ét✐q✉❡ ❛s❡①✉é❡ q✉✐ ❛✉❣♠❡♥t❡ ❡♥ ❝♦♠♣❛r❛✐s♦♥ à
❧❛ ❝✐♥ét✐q✉❡ s❡①✉é❡✳ ■❧ ♥✬❡st ♣❛s ét♦♥♥❛♥t ❞✬♦❜s❡r✈❡r ❝❡tt❡ ré♣❛rt✐t✐♦♥ ❡♥ ♣♦✉r❝❡♥t❛❣❡ ❞❡
r❡♣rés❡♥t❛t✐♦♥ ❝❛r ✶✵ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ♣❛r♠✐ ❧❡s ✶✺ ✭✻✼ ✪✮ s♦♥t ❛ss♦❝✐és à ❧❛ rè❣❧❡
✓ ❞✐♠✐♥✉t✐♦♥ ✔ ❡t ❧❛ q✉❛s✐✲t♦t❛❧✐té ❞❡s ❆❘◆♠ ♣rés❡♥ts ❞❛♥s ❧❡ rés❡❛✉ s♦♥t ❛ss♦❝✐és ❛✉①
rè❣❧❡s ✓ ❛✉❣♠❡♥t❛t✐♦♥ ✔ ✭✺✸✱✽ ✪✮ ♦✉ ✓ ❞✐♠✐♥✉t✐♦♥ ✔ ✭✸✾✱✾ ✪✮✳
❖❜s❡r✈❛t✐♦♥ ❞❡s ❞❡❣rés ❞❡s é❧é♠❡♥ts ❞✉ rés❡❛✉
▲❡ ❞❡❣ré ❞✬✉♥ ♥÷✉❞ ❞❛♥s ✉♥ rés❡❛✉ ❡st ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞✬❛rêt❡s r❡❧✐é à ❝❡ ♥÷✉❞✳ ▲❛
ré♣❛rt✐t✐♦♥ ❞❡s ❞❡❣rés ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❞♦♥♥❡ ✉♥❡ ✐❞é❡ ❞❡ ❧❛ ❝♦♠❜✐♥❛✲
t♦✐r❡ ❡♥tr❡ ❡✉①✳ ▲❛ ❋✐❣✉r❡ ✸✳✺ ♣rés❡♥t❡ ❧✬❤✐st♦❣r❛♠♠❡ ❞❡s ❞❡❣rés ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ❧❡ ❞❡❣ré
♣♦✉r ❝❤❛❝✉♥ ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✳ ❖♥ ♣❡✉t ✈♦✐r q✉❡ ❧❛ ré♣❛rt✐t✐♦♥ ❞❡s ❞❡❣rés ❝❤❡③
❧❡s ❆❘◆♠ ❡st très ✐♥é❣❛❧❡ ❛✈❡❝ q✉❛s✐ ❡①❝❧✉s✐✈❡♠❡♥t ❞❡s ❆❘◆♠ ❝✐❜❧és ♣❛r ✉♥ s❡✉❧ ♠✐✲
❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡ ✭✼✾ ✪✮✳ ❈❡❧❛ s✐❣♥✐✜❡ q✉❡ ❧❛ ♠❛❥♦r✐té ❞❡s ❝✐❜❧❡s ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s
s❡r♦♥t ❞❡s ❝✐❜❧❡s s♣é❝✐✜q✉❡s à ❝❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✳
▲❡ ♣r❡♠✐❡r ❢❛✐t ♠❛rq✉❛♥t ❡♥ ♦❜s❡r✈❛♥t ❧❡s ❞❡❣rés ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡st ❧❡
♥♦♠❜r❡ très é❧❡✈é ❞❡ ❝✐❜❧❡s ♣♦✉r ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✶✾✲✺♣ q✉✐ ❝✉♠✉❧❡ à ❧✉✐ s❡✉❧ ✶✳✸✵✵ ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s
✭✺✽ ✪✮✳ ❙✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❆❘◆♠ ❝✐❜❧és ♣❛r ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✶✾✲✺♣ ✭✶✳✸✵✵✮✱ ✾✼✻ ✭✺✹ ✪ ❞❡s
❆❘◆♠ ❞✉ rés❡❛✉✮ ♥❡ s♦♥t ❝✐❜❧és q✉❡ ♣❛r ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✶✾✲✺♣✳ ▲❡s é❝❛rts ❡♥tr❡ ❧❡s ❛✉tr❡s
❞❡❣rés ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s s❡ ré♣❛rt✐ss❡♥t ❞❡ ♠❛♥✐èr❡ ♣❧✉s ♦✉ ♠♦✐♥s ✉♥✐❢♦r♠❡ ❞❛♥s ❧❛
tr❛♥❝❤❡ ❞❡ ✹ à ✶✾✼ ❆❘◆♠✳ ❖♥ ♥✬♦❜s❡r✈❡ ♣❛s ❞❡ ❞✐✛ér❡♥❝❡ ❞❡ ❞❡❣ré ❡♥tr❡ ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆
♠❛t✉r❡s ✐❞❡♥t✐✜és ❞❛♥s ❞✬❛✉tr❡s ❡s♣è❝❡s ❡t ❝❡✉① ✐❞❡♥t✐✜és ✉♥✐q✉❡♠❡♥t ❝❤❡③ ❆✳ ♣✐s✉♠✳❈♦♠♣❛r❛✐s♦♥ ❞❡s ❡①♣r❡ss✐♦♥s ❣é♥✐q✉❡s ❡♥tr❡ ❡♠❜r②♦♥s s❡①✉és ❡t ❛s❡①✉és ✽✺
0 200 400 600 800 1000 1400
Degré des ARNm
Nombre d'ARNm
1 2 3 4
1426
337
38 9
0 200 600 1000
Degré des microARN matures
api−mir−3019−5p
api−mir−1000−5p
api−mir−novel146−5p
api−mir−316−5p
api−mir−14−3p
api−mir−1−3p
api−mir−87−3p
api−mir−263a−5p
api−mir−3038−3p
api−mir−novel183−5p
api−mir−34−5p
api−mir−3026−5p
api−mir−278−5p
api−mir−281−5p
api−mir−novel185−3p
microARN matures
197158155 96 87 84 55 26 25 23 15 13 12 4
1300
❋✐❣✳ ✸✳✺ ✕ ❍✐st♦❣r❛♠♠❡ ❞❡s ❞❡❣rés ❞❡s ❆❘◆♠ ✭❡♥ ❤❛✉t✮ ❡t ❧❡ ❞❡❣ré ♣♦✉r ❝❤❛❝✉♥ ❞❡s
✶✺ ♠✐❝r♦❆❘◆ ✭❡♥ ❜❛s✮ ❛②❛♥t ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s ❞✐✛ér❡♥t❡s ❡t ♣rés❡♥ts ❞❛♥s ❧❡ rés❡❛✉✳✽✻ ❆♥❛❧②s❡✱ ❝❧❛ss✐✜❝❛t✐♦♥ ❡t ❝♦♠♣❛r❛✐s♦♥ ❞❡s ❡①♣r❡ss✐♦♥ ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ♠✐❝r♦❆❘◆
✸✳✸ ❘és✉♠é ❡t ❝♦♥❝❧✉s✐♦♥ ✿ ❞❡s ❡①♣r❡ss✐♦♥s ❞✬❆❘◆♠ ❡t ❞❡
♠✐❝r♦❆❘◆ q✉✐ ❞✐✛èr❡♥t s❡❧♦♥ ❧❡ t②♣❡ ❞✬❡♠❜r②♦❣❡♥ès❡
❉❛♥s ❝❡ ❝❤❛♣✐tr❡✱ ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❛✈❡❝ ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s ❞✬❡①✲
♣r❡ss✐♦♥ q✉✐ s♦♥t ❞✐✛ér❡♥t❡s s❡❧♦♥ ❧❡ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t s❡①✉é ♦✉ ❛s❡①✉é ♦♥t été ✐❞❡♥t✐✜és✳
❈❡tt❡ ✐❞❡♥t✐✜❝❛t✐♦♥ ❛ été ❝♦♥❞✉✐t❡ ❡♥ ❞✐s❝rét✐s❛♥t ❧❡s ❡①♣r❡ss✐♦♥s ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s ❛✜♥ ❞❡
❧❡s ❝❛r❛❝tér✐s❡r ♣❛r ✉♥❡ ❡①♣r❡ss✐♦♥ ✐♥t❡r♣rét❛❜❧❡ ❡♥ t❡r♠❡s s✐♠♣❧❡s ✈✐s✲à✲✈✐s ❞❡s ♠é❝❛✲
♥✐s♠❡s ❞❡ ré❣✉❧❛t✐♦♥s✳ ❈❡tt❡ ❝❛r❛❝tér✐s❛t✐♦♥ ❞❡ ❧❛ ✈❛r✐❛t✐♦♥ ❞❡ ❧✬❡①♣r❡ss✐♦♥ ♣❡r♠❡t ❞❡
❞é❝r✐r❡ s②♥t❤ét✐q✉❡♠❡♥t ❧✬é✈♦❧✉t✐♦♥ ❞❡s ❞✐✛ér❡♥t❡s ❡①♣r❡ss✐♦♥s ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ❞❡s ♠✐✲
❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❧♦rs ❞❡ ❝❡s ❞❡✉① ❡♠❜r②♦❣❡♥ès❡s✳ ❉❡✉① s♦✉s✲❡♥s❡♠❜❧❡s✱ ❧✬✉♥ ♣♦✉r ❧❡s
❆❘◆♠ ❡t ❧✬❛✉tr❡ ♣♦✉r ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✱ ♦♥t été ❡①tr❛✐ts ❡♥ ♥❡ ❣❛r❞❛♥t q✉❡ ❧❡s
é❧é♠❡♥ts q✉✐ ❛✈❛✐❡♥t ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s ❞✐s❝rèt❡s ❞✐✛ér❡♥t❡s ❡♥tr❡ ❧❡s ❞❡✉① ♠♦r♣❤❡s✳ ❉❡s
rè❣❧❡s ♦♥t été ❞é✜♥✐❡s ♣♦✉r ❝❧❛ss❡r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❞✐✛ér❡♥❝❡s q✉❡ ❧✬♦♥ ♣♦✉✈❛✐t ♦❜s❡r✈❡r
❡♥tr❡ ❧❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s✳ ❈❡s rè❣❧❡s ♣❡r♠❡tt❡♥t ❞✬✐♥t❡r♣rét❡r ❞❡ ❢❛ç♦♥ ❣é♥ér❛❧❡ ❧❡s ✈❛r✐❛t✐♦♥s
♦❜s❡r✈é❡s ❡♥tr❡ ❧❡s ❞❡✉① ❝✐♥ét✐q✉❡s ♣♦✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s é❧é♠❡♥ts✳
✹✳✾✾✻ ❆❘◆♠ ♣♦ssè❞❡♥t ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s ❞✐✛ér❡♥t❡s✱ ❝❡ q✉✐ r❡♣rés❡♥t❡ ✶✸✱✺ ✪ ❞❡s
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♣❛r ❇❧❛st✷●❖ ❡t ❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝❡s rés✉❧t❛ts ♣❛r ❘❊❱✐●❖✱ ❞✐✛ér❡♥t❡s ❢♦♥❝t✐♦♥s s♦♥t r❡s✲
s♦rt✐❡s✳ ❊❧❧❡s ❝♦♥❝❡r♥❡♥t ♥♦t❛♠♠❡♥t ❧❡ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t✱ ❝❡ q✉✐ ❡st ❝♦❤ér❡♥t ❛✈❡❝ ❧✬❡♠✲
❜r②♦❣❡♥ès❡✱ ❡t ❧❛ ré❣✉❧❛t✐♦♥ ❞❡ ❧❛ tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥✱ ❝❡ q✉✐ ✐♠♣❧✐q✉❡r❛✐t ❧❛ ♠✐s❡ ❡♥ ♣❧❛❝❡ ❞❡
s②stè♠❡s ❞❡ ré❣✉❧❛t✐♦♥s ❝♦♠♣❧❡①❡s ♣❛r ❧✬❛❝t✐✈❛t✐♦♥ ♦✉ ❧✬✐♥❛❝t✐✈❛t✐♦♥ ❞❡ ❣è♥❡s ✐♠♣❧✐q✉és
❞❛♥s ❧❛ ré❣✉❧❛t✐♦♥ ♣♦s✐t✐✈❡ ♦✉ ♥é❣❛t✐✈❡ ❞❡ ❧❛ tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥✳ ▼ê♠❡ s✐ ❧♦rs ❞❡ ❝❡tt❡ ❛♥❛✲
❧②s❡ ✐❧ s❡♠❜❧❡ q✉❡ ❧❛ ré❣✉❧❛t✐♦♥ ♥é❣❛t✐✈❡ r❡ss♦rt❡ ♣❧✉s q✉❡ ❧❛ ré❣✉❧❛t✐♦♥ ♣♦s✐t✐✈❡✱ ✐❧ ❢❛✉t
❝♦♥s✐❞ér❡r ❝❡s rés✉❧t❛ts ❛✈❡❝ ♣ré❝❛✉t✐♦♥ ❝❛r ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞✬❆❘◆♠ ❛♥♥♦tés ♣❛r ✉♥ t❡r♠❡
●❖ ♥❡ r❡♣rés❡♥t❡ q✉❡ ✸✸ ✪ ❞❡s ❆❘◆♠ ❛②❛♥t ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s ❞✐✛ér❡♥t❡s✳ ◆♦✉s ❛✈♦♥s ♣✉
♥♦t❡r q✉❡ ❧❛ ré♣❛rt✐t✐♦♥ ❡♥tr❡ ❧❡s rè❣❧❡s ✓ ❛✈❛♥❝❡ ✔ ❡t ✓ r❡t❛r❞ ✔ ét❛✐t ❞✐✛ér❡♥t❡✱ ♦ù ❞❡✉①
❢♦✐s ♣❧✉s ❞✬❆❘◆♠ s✉✐✈❡♥t ❧❛ rè❣❧❡ ✓ ❛✈❛♥❝❡ ✔✳
❙✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ✽✵✷ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ✐❞❡♥t✐✜és ❝❤❡③ ❆✳ ♣✐s✉♠✱ s❡✉❧❡♠❡♥t ✶✺
♣♦ssè❞❡♥t ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s ❞✐✛ér❡♥t❡s✳ ❙✉r ❝❡s ✶✺ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✱ ♥❡✉❢ ♦♥t ❞é❥à été
✐❞❡♥t✐✜és ❝❤❡③ ❞✬❛✉tr❡s ❡s♣è❝❡s✱ ♥♦t❛♠♠❡♥t ❉r♦s♦♣❤✐❧❛ ♠❡❧❛♥♦❣❛st❡r ♦✉ ❡♥❝♦r❡ ❇♦♠✲
❜②① ▼♦r✐✳ ❙✉r ❝❡s ♠✐❝r♦❆❘◆✱ ✼ ♣♦ssè❞❡♥t ❞❡s ❛♥♥♦t❛t✐♦♥s ✐❞❡♥t✐✜é❡s q✉✐ ❧❡s ✐♠♣❧✐q✉❡♥t
♥♦t❛♠♠❡♥t ❞❛♥s ❧✬❛♣♦♣t♦s❡✱ ❞❛♥s ❧❛ ré❣✉❧❛t✐♦♥ ♣❛r ❧✬❡❝❞②s♦♥❡✱ ♣❛r ❧✬✐♥s✉❧✐♥❡✱ ❧❛ ❞✐✛é✲
r❡♥t✐❛t✐♦♥ ❞❡ ❝❡❧❧✉❧❡s ♠✉s❝✉❧❛✐r❡s✱ ❞✐✈✐s✐♦♥ ❞❡s ❝❡❧❧✉❧❡s s♦✉❝❤❡s ❞❡s ❧✐❣♥é❡s ❣❡r♠✐♥❛❧❡s ♦✉
❡♥❝♦r❡ ❧❡✉r ❡①♣r❡ss✐♦♥ ❞❛♥s ❧❛ têt❡✳ ❉❡ ♣❧✉s✱ ❤✉✐t ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ♣❡✉✈❡♥t êtr❡ ❛ss♦✲
❝✐és à ✉♥❡ ❞✐✛ér❡♥❝❡ ❞✬❡①♣r❡ss✐♦♥ ❡♥tr❡ ❧❡ st❛❞❡ ✶✼ ✭❚✵✮ ❡t ✶✽ ✭❚✶✮ ❞✉ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t✱
st❛❞❡ ♦ù ❧✬❡♠❜r②♦♥ ♣❛ss❡ ❞✬✉♥ ét❛t ✢❡①✐❜❧❡ à ✉♥ ét❛t ❞ét❡r♠✐♥é s✉r s♦♥ ❢✉t✉r ♠♦❞❡ ❞❡
r❡♣r♦❞✉❝t✐♦♥✳
▲✬❡①tr❛❝t✐♦♥ ❞❡s ❆❘◆♠ ❡t ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s à ❞❡✉① s♦✉s✲❡♥s❡♠❜❧❡s ré❣✉❧és
♣❡r♠❡t ❞❡ ré❞✉✐r❡ ❧❡ rés❡❛✉ à ❝❡s s❡✉❧s é❧é♠❡♥ts✳ ■❧ ❛ été ❞é❝✐❞é ❞❡ ❣❛r❞❡r ❧❡ rés❡❛✉ ré❞✉✐t
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✐♥❢ér✐❡✉r à ✲✵✳✸✳ ▲✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ❝❡s ré❞✉❝t✐♦♥s✱ s✉r ❧❡s é❧é♠❡♥ts ❡t s✉r ❧❡ s❝♦r❡✱ ❞♦♥♥❡ ✉♥
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✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s✳ ▲❡s ❆❘◆♠ ❞✉ rés❡❛✉ ♣♦ssé❞❛♥t ✉♥❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ●❖ ✭✻✾✵✮ ♥❡ ♣♦ssè❞❡♥t
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▲✬❛♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❞✬✉♥❡ ♠ét❤♦❞❡ ❞✬✐❞❡♥t✐✜❝❛t✐♦♥ ❞❡ ❝✐♥ét✐q✉❡s ❞✐✛ér❡♥t❡s ♣❛r ❞✐s❝rét✐✲
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❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ❡t s❡s ❡①t❡♥s✐♦♥s ♣♦✉r ❛♠é❧✐♦r❡r ❡t ♣❡r♠❡ttr❡ ✉♥❡ ✈✐✲
s✉❛❧✐s❛t✐♦♥ ❞❡ ❝❡ rés❡❛✉✳ ❉❛♥s ✉♥ ♣r❡♠✐❡r t❡♠♣s ♦♥ s❡ r❡♣♦s❡ s✉r ❧❛ str✉❝t✉r❛t✐♦♥ ❡♥
❝♦♥❝❡♣ts ❞✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♣♦✉r ❡ss❛②❡r ❞❡ ré♣❛r❡r ❡♥ ♣❛rt✐❡ ❧❡s ❡rr❡✉rs ❞❛♥s ❧❡s
♣ré❞✐❝t✐♦♥s✳ ❉❛♥s ✉♥ ❞❡✉①✐è♠❡ t❡♠♣s✱ ♦♥ ✉t✐❧✐s❡ ❧❛ ❝❧❛ss✐✜❝❛t✐♦♥ ✐♥❞✉✐t❡ ♣❛r ❧✬❛♥❛❧②s❡
❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ♣♦✉r ❣é♥ér❡r ✉♥❡ ✈✐s✉❛❧✐s❛t✐♦♥ s②♥t❤ét✐q✉❡ ❞✉ rés❡❛✉✳
✽✾✾✵ ❆♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ❛♣♣❧✐q✉é à ✉♥ rés❡❛✉ ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠
✹✳✶ ▼ét❤♦❞❡ ❞❡ ré♣❛r❛t✐♦♥ ❞❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❜r✉✐té
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▲✬❆❈❋ ❡st ✉♥❡ ♣✉✐ss❛♥t❡ ♠ét❤♦❞❡ ❞✬❛♥❛❧②s❡ ♣♦✉r ❞❡s ❞♦♥♥é❡s ❜✐♥❛✐r❡s✳ ❊❧❧❡ ♣❡r♠❡t
❞✬❡①tr❛✐r❡ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❣r♦✉♣❡s ❞✬♦❜❥❡ts ❡t ❞✬❛ttr✐❜✉ts ❡♥ r❡❧❛t✐♦♥ ❝♦♠♣❧èt❡✳ ◆é❛♥✲
♠♦✐♥s✱ ❝❡t ❛✈❛♥t❛❣❡ ♣❡✉t ❞❡✈❡♥✐r ✉♥ ✐♥❝♦♥✈é♥✐❡♥t ❞❛♥s ❧❡ ❝❛s ❞❡ ❞♦♥♥é❡s ❜r✉✐té❡s ❞û à
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❉❡s ét✉❞❡s ♦♥t ❞é❥à été ♠❡♥é❡s s✉r ❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s t♦❧ér❛♥t❡ ❛✉①
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❝✬❡st✲à✲❞✐r❡ ❛✉t♦r✐s❡r ❝❡rt❛✐♥s ♦❜❥❡ts à ♥❡ ♣❛s êtr❡ ❡♥ r❡❧❛t✐♦♥ ❛✈❡❝ ❝❡rt❛✐♥s ❛ttr✐❜✉ts à
❧✬✐♥tér✐❡✉r ❞❡s r❡❝t❛♥❣❧❡s✳ ▲❛ ❝♦♥tr❛✐♥t❡ ❝♦♥s✐st❛♥t à ❛✈♦✐r ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❝♦♠♣❧❡t ❞❡ r❡❧❛✲
t✐♦♥s ♣❡✉t êtr❡ r❡❧â❝❤é❡ ❡♥ ❝❤❡r❝❤❛♥t à ♠❛①✐♠✐s❡r ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ r❡❧❛t✐♦♥s✳ P❡✉ ❞❡ tr❛✈❛✉①
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▲✬✉♥❡ ❞❡s ét✉❞❡s ❧❡s ♣❧✉s ❛✈❛♥❝é❡s ❡st ❞✉❡ à ❑❧✐♠✉s❤❦✐♥ ❡t ❛❧✳ ❬✶✹✻❪✳ ■❧s ❝❤❡r❝❤❡♥t✱
❞❛♥s ✉♥ tr❡✐❧❧✐s ✐ss✉ ❞✬✉♥ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❜r✉✐té✱ à r❡tr♦✉✈❡r ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❞✬♦r✐❣✐♥❡s✳ P♦✉r
❝❡❧❛✱ ✐❧s ✉t✐❧✐s❡♥t tr♦✐s ✐♥❞✐❝❡s ❞❡ sé❧❡❝t✐♦♥ s✉r ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts ✿ ❧❛ st❛❜✐❧✐té ❞❡ ❧✬❡①t❡♥s✐♦♥ ❞✉
❝♦♥❝❡♣t q✉✐ r❡♣rés❡♥t❡ à q✉❡❧ ♣♦✐♥t ❧✬❡①t❡♥s✐♦♥ ❞✬✉♥ ❝♦♥❝❡♣t ❞é♣❡♥❞ ❞❡ s♦♥ ✐♥t❡♥s✐♦♥
❡t ré❝✐♣r♦q✉❡♠❡♥t ♣♦✉r ❧❛ st❛❜✐❧✐té ❞❡ s♦♥ ✐♥t❡♥s✐♦♥ ❀ ❧❛ ♣r♦❜❛❜✐❧✐té ❞❡ ❧✬✐♥t❡♥s✐♦♥ ❞✬✉♥
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♠❡♥t ♣♦✉r ❧❛ st❛❜✐❧✐té ❞❡ s♦♥ ❡①t❡♥s✐♦♥ ❀ ❧✬✐♥❞✐❝❡ ❞❡ sé♣❛r❛t✐♦♥ ❞✬✉♥ ❝♦♥❝❡♣t q✉✐ ✐♥❞✐q✉❡
s✐ ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ♣❡r♠❡t ❞❡ ❜✐❡♥ sé♣❛r❡r ❧❡s ♦❜❥❡ts ❞❡ s♦♥ ❡①t❡♥s✐♦♥ ❞✉ r❡st❡ ❞❡s ♦❜❥❡ts ❡t
❞❡ ♠ê♠❡ ♣♦✉r s♦♥ ✐♥t❡♥s✐♦♥✳ ■❧s ❜r✉✐t❡♥t ❞❡s ❝♦♥t❡①t❡s ❞❡ ❞❡✉① ❢❛ç♦♥s ❞✐✛ér❡♥t❡s✱ s♦✐t
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❛❥♦✉t❛♥t ❞❡s ♦❜❥❡ts ♦✉ ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts ❛✉ ❝♦♥t❡①t❡✳ ■❧s ♠♦♥tr❡♥t q✉✬✐❧s ♣❡✉✈❡♥t ré❝✉♣é✲
r❡r ✉♥❡ ♣❛rt✐❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❞✬♦r✐❣✐♥❡ ❡♥ ✉t✐❧✐s❛♥t ❧✬✐♥❞✐❝❡ ❞❡ st❛❜✐❧✐té ❞❡ ❧✬✐♥t❡♥s✐♦♥ ❞❡s
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◆♦✉s ❝♦♠♠❡♥❝❡r♦♥s ❡♥ ✐♥tr♦❞✉✐s❛♥t ✉♥ ❡①❡♠♣❧❡ ❞❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❜r✉✐té ❛✜♥
❞✬✐❧❧✉str❡r ❧✬❡✛❡t ❞✉ ❜r✉✐t s✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❡t ❧❡ tr❡✐❧❧✐s ❛ss♦❝✐é✳ ❯♥❡ ❛♥❛✲
❧②s❡ ♣❧✉s ❣é♥ér❛❧❡ ❡st ❞é✈❡❧♦♣♣é❡ ♣❛r ❧❛ s✉✐t❡✳
❊①❡♠♣❧❡ ❞❡ ❧✬❡✛❡t ❞❡ ❞♦♥♥é❡s ❜r✉✐té❡s ❡♥ ❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣t ❢♦r♠❡❧
❉❛♥s ❧❡ ❝♦♥t❡①t❡ K❜r✉✐té ✭❋✐❣✉r❡ ✹✳✶✮✱ ✉♥❡ ❢❛✉ss❡ r❡❧❛t✐♦♥ (o5, a2) ❛ été r❛❥♦✉té❡ ❛✉
❝♦♥t❡①t❡ K❡① ✭✈♦✐r ♣❛rt✐❡ ✶✳✹✳✶ ❡t ❚❛❜❧❡❛✉ ✶✳✶✮ ❡t ✉♥ s❝♦r❡ ❞❡ ❞✐ss✐♠✐❧❛r✐té ❛ été ❛❥♦✉té
♣♦✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♣❛✐r❡s ❡♥ r❡❧❛t✐♦♥ q✉✐ r❡♣rés❡♥t❡ ❧✬♦❜s❡r✈❛t✐♦♥ ❞❡ ❞♦♥♥é❡s ❜r✉t❡s
❛✈❛♥t ❧❛ tr❛♥s❢♦r♠❛t✐♦♥ ❡♥ t❛❜❧❡❛✉ ❜✐♥❛✐r❡✳ ❊♥ ♥❡ ❣❛r❞❛♥t q✉❡ ❧❡s r❡❧❛t✐♦♥s ❛②❛♥t ✉♥
s❝♦r❡ ✐♥❢ér✐❡✉r à ✉♥ s❡✉✐❧ ❞❡ −0.2✱ ❧❛ r❡❧❛t✐♦♥ ❞✬♦r✐❣✐♥❡ (o3, a2) ❡st r❡❥❡té❡ ❛❧♦rs q✉❡ ❧❛
❢❛✉ss❡ r❡❧❛t✐♦♥ (o5, a2) ❡st ❣❛r❞é❡✳ ❈♦♠♣❛ré ❛✉ tr❡✐❧❧✐s ❋✐❣✉r❡ ✶✳✾✱ ✐❧ ② ❛ ♠❛✐♥t❡♥❛♥t ✼
❝♦♥❝❡♣ts✱ ✸ ❞❡ ♣❧✉s q✉❡ ♣♦✉r ❧❡ ❝♦♥t❡①t❡ K❡① ✭✈♦✐r ❋✐❣✉r❡ ✹✳✶✮✳ ▲❛ s✉♣♣r❡ss✐♦♥ ❞❡ ❧❛
r❡❧❛t✐♦♥ (o3, a2) ❛ ❝♦✉♣é ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t C1 ❡♥ ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts C
0
1
❡t C
00
1
✳ ▲❡ ❝♦♥❝❡♣t C2 ❡①✐st❡
t♦✉❥♦✉rs ❞❛♥s K❜r✉✐t✱ r❡♥♦♠♠é C
0
2
✳ ❉❡✉① ♥♦✉✈❡❛✉① ❝♦♥❝❡♣ts✱ C3 ❡t C4 ♦♥t été ❝réés ❡♥
❝♦♥séq✉❡♥❝❡ ❞❡ ❧✬❛❞❞✐t✐♦♥ ❞❡ ❧❛ ❢❛✉ss❡ r❡❧❛t✐♦♥ (o5, a2)✳▼ét❤♦❞❡ ❞❡ ré♣❛r❛t✐♦♥ ❞❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❜r✉✐té ✾✶
a1 a2 a3 a4
o1 ✲✵✳✸ ✲✵✳✷✺
o2 ✲✵✳✺ ✲✵✳✹✺
o3 ✲✵✳✻ ✲✵✳✶
o4 ✲✵✳✹ ✲✵✳✷
o5 ✲✵✳✸ ✲✵✳✷✽ ✲✵✳✹✶
❚❛❜❧❡❛✉ ✹✳✶ ✕ ❈♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❜r✉✐té K❜r✉✐t ❛✈❡❝ ❞❡s s❝♦r❡s ❞❡ ❞✐ss✐♠✐❧❛r✐té ✭❧❛ ❢❛✉ss❡
r❡❧❛t✐♦♥ ❡st ❡♥ r♦✉❣❡ ❡t ❧❛ r❡❧❛t✐♦♥ ❛✉ ❞❡ss✉s ❞✉ s❡✉✐❧ ❡♥ ❜❧❡✉✮✳
> = {o1, o2, o3, o4, o5} × ∅
C1 = {o1, o2, o3} × {a1, a2} C2 = {o4, o5} × {a3, a4}
⊥ = ∅ × {a1, a2, a3, a4}
B(K❡①)
> = {o1, o2, o3, o4, o5} × ∅
C
0
1 = {o1, o2, o3} × {a1}
C
00
1 = {o1, o2} × {a1, a2}
C3 = {o1, o2, o5} × {a2}
C
0
2 = {o4, o5} × {a3, a4}
C4 = {o5} × {a2, a3, a4}
⊥ = ∅ × {a1, a2, a3, a4}
B(K❜r✉✐té)
❋✐❣✳ ✹✳✶ ✕ ▲❡ tr❡✐❧❧✐s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts B(K❡①) ❡t ❧❡ tr❡✐❧❧✐s B(K❜r✉✐té) ❛ss♦❝✐é ❛✉ ❝♦♥t❡①t❡
❢♦r♠❡❧ ❜r✉✐té K❜r✉✐t ❡♥ ♥❡ ❝♦♥s✐❞ér❛♥t q✉❡ ❧❡s r❡❧❛t✐♦♥s q✉✐ ♣♦ssè❞❡♥t ✉♥ s❝♦r❡ ❞❡ ❞✐s✲
s✐♠✐❧❛r✐té ✐♥❢ér✐❡✉r ❛✉ s❡✉✐❧ ❞❡ −0.2✳ ❊♥ ❜❧❡✉ ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts ✐ss✉s ❞❡ ❧❛ s✉♣♣r❡ss✐♦♥ ❞❡ ❧❛
r❡❧❛t✐♦♥ (o3, a2) ❡t ❡♥ r♦✉❣❡ ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts ✐ss✉s ❞❡ ❧✬❛❥♦✉t ❞❡ ❧❛ r❡❧❛t✐♦♥ (o5, a2)✳✾✷ ❆♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ❛♣♣❧✐q✉é à ✉♥ rés❡❛✉ ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠
❉❡s❝r✐♣t✐♦♥ ❞✉ ❜r✉✐t ✿ ❧❡s ❢❛✉ss❡s r❡❧❛t✐♦♥s
❆✜♥ ❞❡ ♠✐❡✉① ❝♦♠♣r❡♥❞r❡ ❧✬❡✛❡t ❧♦❝❛❧ ❞❡ ❧✬❛❥♦✉t ❞❡ ❢❛✉ss❡s r❡❧❛t✐♦♥s s✉r ✉♥ ❝♦♥❝❡♣t✱
✐❧ ❢❛✉t ❞✐✛ér❡♥❝✐❡r ❞❡✉① t②♣❡s ❞❡ r❡❧❛t✐♦♥s ✿
✕ ▲❡s r❡❧❛t✐♦♥s ❞✬♦r✐❣✐♥❡ I
o ⊆ G × M ❀
✕ ▲❡s ❢❛✉ss❡s r❡❧❛t✐♦♥s I
f ⊆ G × M ❛✈❡❝ I
o ∩ I
f = ∅✳
❈❡s ❞❡✉① t②♣❡s ❞❡ r❡❧❛t✐♦♥s ✐♠♣❧✐q✉❡♥t tr♦✐s t②♣❡s ❞❡ ❝♦♥t❡①t❡s q✉✐ ❞é✜♥✐ss❡♥t tr♦✐s
t②♣❡s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ✿
✕ ▲❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❞✬♦r✐❣✐♥❡ s❛♥s ❢❛✉ss❡s r❡❧❛t✐♦♥s Ko = (G, M, Io
) ❡t ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s
❝♦♥❝❡♣ts ❞✬♦r✐❣✐♥❡ C
o
❀
✕ ▲❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❝♦♥t❡♥❛♥t ✉♥✐q✉❡♠❡♥t ❧❡s ❢❛✉ss❡s r❡❧❛t✐♦♥s Kf = (G, M, If
) ❡t ❧✬❡♥✲
s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❢❛✉① ❝♦♥❝❡♣ts C
f
❀
✕ ▲❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❛✈❡❝ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s r❡❧❛t✐♦♥s Kos = (G, M,(I ∪I
s
)) ❡t ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s
❝♦♥❝❡♣ts ♦❜s❡r✈é C
of
✳
▲❛ ❝♦♥str✉❝t✐♦♥ ❞❡ C
of à ♣❛rt✐r ❞❡ C
o
❡t C
f ❞é♣❡♥❞ ❞❡ ❧❛ ❝♦♥tr✐❜✉t✐♦♥ ❞❡ ❝❤❛q✉❡ ♣❛✐r❡
❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❞❛♥s C
o × C
s
✳
❈♦♥s✐❞ér♦♥s ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts C
o = (Ao
, Bo
) ∈ C
o
❡t C
f = (Af
, Bf
) ∈ C
f
✳ ❈♦♠♠❡
I
o
❡t I
f
s♦♥t ❡①❝❧✉s✐❢s✱ ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❞❛♥s C
o
❡t C
f
s♦♥t ❞✐s❥♦✐♥ts✳ ❈❡❧❛ ✐♠♣❧✐q✉❡ q✉❡
Ao ∩ Af = ∅ ♦✉ Bo ∩ Bf = ∅✳ ❙✉♣♣♦s♦♥s q✉❡ Ao ∩ Af 6= ∅ ❡t Bo ∩ Bf = ∅✳ ❆❧♦rs ✉♥
♥♦✉✈❡❛✉ ❝♦♥❝❡♣t C
of = (Aof , Bof ) ♣❡✉t êtr❡ ❝réé ❛✈❡❝ Aof = Ao∩Af
❡t Bof = Bo∪Bf
✳
◆♦t♦♥s q✉❡ s✐ Af ⊆ Ao
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❉é✜♥✐t✐♦♥ ✹✳✶ ▲✬♦♣ér❛t❡✉r ❞❡ ❢✉s✐♦♥ f(., .) ❡st ❞é✜♥✐ ♣♦✉r ✉♥❡ ♣❛✐r❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❞✐s✲
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, Cj
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) ∪ (Aj × Bj
)}✳
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i
, Cj
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j
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j
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j
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j
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j
6⊆ {∅, Bi
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❡t q✉✐ ❡st ❝❧♦s ♣❛r f✳ ▲❡s
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❉❡s❝r✐♣t✐♦♥ ❞✉ ❜r✉✐t ✿ ❧❡s r❡❧❛t✐♦♥s ♠❛♥q✉❛♥t❡s
❉❡ ❧❛ ♠ê♠❡ ❢❛ç♦♥ q✉❡ ♣♦✉r ❧❡s ❢❛✉ss❡s r❡❧❛t✐♦♥s✱ ❞❡✉① t②♣❡s ❞❡ r❡❧❛t✐♦♥s ♣❡✉✈❡♥t
êtr❡ ❞✐st✐♥❣✉és ✿▼ét❤♦❞❡ ❞❡ ré♣❛r❛t✐♦♥ ❞❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❜r✉✐té ✾✸
✕ ▲❡s r❡❧❛t✐♦♥s ❞✬♦r✐❣✐♥❡ I
o ⊆ G × M ❀
✕ ▲❡s r❡❧❛t✐♦♥s ♠❛♥q✉❛♥t❡s I
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❊❧❧❡s ✐♠♣❧✐q✉❡♥t tr♦✐s t②♣❡s ❞❡ ❝♦♥t❡①t❡s q✉✐ ❞é✜♥✐ss❡♥t tr♦✐s t②♣❡s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ✿
✕ ▲❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❞✬♦r✐❣✐♥❡ s❛♥s r❡❧❛t✐♦♥s ♠❛♥q✉❛♥t❡s Ko = (G, M, Io
) ❡t ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡
❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ♦r✐❣✐♥❛✉① C
o
❀
✕ ▲❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❝♦♥t❡♥❛♥t s❡✉❧❡♠❡♥t ❧❡s r❡❧❛t✐♦♥s ♠❛♥q✉❛♥t❡s Km = (G, M, Im) ❡t
❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ♠❛♥q✉❛♥ts C
m ❀
✕ ▲❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❛✈❡❝ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s r❡❧❛t✐♦♥s ❞✬♦r✐❣✐♥❡ ❡①❝❡♣té ❧❡s r❡❧❛t✐♦♥s ♠❛♥✲
q✉❛♥t❡s Kom = (G, M,(I
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m)) ❡t ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts C
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o = (Ao
, Bo
) ∈ C
o
❡t C
m = (Am, Bm) ∈ C
m✱ s✐ Ao ∩ Am 6= ∅
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o ♥❡ ♣❡✉t êtr❡ ❞❛♥s C
om ét❛♥t ❞♦♥♥é q✉✬✐❧ ✐♥❝❧✉t
❧❡s r❡❧❛t✐♦♥s ♠❛♥q✉❛♥t❡s Am × Bm✳ ➚ ❧❛ ♣❧❛❝❡✱ ❞❡✉① ♥♦✉✈❡❛✉① ❝♦♥❝❡♣ts s♦♥t ❝réés
❞❛♥s C
om✱ C
om
1 = (Ao
, Bo \ Bm) ❡t C
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2 = (Ao \ Am, Bo
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om
1
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2
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❋♦r♠❡❧❧❡♠❡♥t✱ ♦♥ ♣❡✉t ❞é✜♥✐r ❧❛ ❝♦♥tr✐❜✉t✐♦♥ ❞❡ ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts ❝❤❡✈❛✉❝❤❛♥ts à ❧✬❡♥✲
s❡♠❜❧❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts C
om ♣❛r ❧✬❛♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❞✬✉♥ ♦♣ér❛t❡✉r ❞✬❡①❝❧✉s✐♦♥ ✿
❉é✜♥✐t✐♦♥ ✹✳✷ ▲✬♦♣ér❛t❡✉r ❞✬❡①❝❧✉s✐♦♥ e(., .) ❡st ❞é✜♥✐ ♣♦✉r ✉♥❡ ♣❛✐r❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❝❤❡✲
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, Cj
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, Bj
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, Cj
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j\i ♦ù C
j\i
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❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ♦❜t❡♥✉ s✉r ❧❡s r❡❧❛t✐♦♥s {(Aj × Bj
) \ (Ai × Bi
)}✳
▲❡s rés✉❧t❛ts ♦❜t❡♥✉s ♣❛r ❧✬❛♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❞❡ ❧✬♦♣ér❛t❡✉r e✱ q✉✐ ❞é♣❡♥❞❡♥t ❞❡s ✐♥t❡rs❡❝✲
t✐♦♥s ❞❡s ♦❜❥❡ts ❡t ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts✱ s♦♥t é♥✉♠érés ❝✐✲❞❡ss♦✉s ✿
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i
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i
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, Bj
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i
6= ∅; ✭✹✳✼✮
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j
6⊆ A
i
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; ✭✹✳✾✮
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j ⊆ A
i
, Bj ⊆ B
i
. ✭✹✳✶✵✮
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om ♣❡✉t êtr❡ ❞é✜♥✐ ❝♦♠♠❡ ✉♥ ♣♦✐♥t ✜①❡ ✿ C
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❣r❛♥❞ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts q✉✐ s♦♥t ✐♥❝❧✉s ❞❛♥s ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❞❡ C
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❡t q✉✐ ❡st ❝❧♦s ♣❛r
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❉❡s❝r✐♣t✐♦♥ ❞✉ ❜r✉✐t ✿ ❡✛❡t ❣❧♦❜❛❧ s✉r ❧❡ tr❡✐❧❧✐s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts
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●❧♦❜❛❧❡♠❡♥t✱ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ♥♦✉✈❡❛✉① ❝♦♥❝❡♣ts ❛✉❣♠❡♥t❡ ❧✐♥é❛✐r❡♠❡♥t ❛✈❡❝ ❧❡ ♥♦♠❜r❡
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P♦✉r ré♣❛r❡r ✉♥ ❝♦♥t❡①t❡ Kofm = I
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❈❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s ♣❡✉✈❡♥t t✐r❡r ♣❛rt✐ ❞✉ ❢❛✐t q✉❡ ❞❛♥s ❧❛ ♣❧✉♣❛rt ❞❡s ❝❛s✱ ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts q✉✐
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♦✉ ✉♥❡ r❡❧❛t✐♦♥ ❥✉♠❡❧❧❡✳
P♦✉r ❧✬♦♣ér❛t❡✉r f✱ ❞❛♥s ❧✬éq✉❛t✐♦♥ ✭✹✳✸✮ ❧❡s ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts rés✉❧t❛♥ts s♦♥t ♦r❞♦♥♥és
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❞❡✉① ❡♥s❡♠❜❧❡s Aj
❡t Bj ❞✉ ❝♦♥❝❡♣t ♦r✐❣✐♥❛❧ ♣❡✉✈❡♥t êtr❡ r❡tr♦✉✈és ♣❛r ❝r♦✐s❡♠❡♥t ❞❡s
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✹✳✶✳✷ Pr♦❝❡ss✉s ❞❡ ré♣❛r❛t✐♦♥
❉é✜♥✐t✐♦♥ ❞❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s ❞❡ ré♣❛r❛t✐♦♥
❉❡✉① ♥♦✉✈❡❧❧❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s✱ delete ❡t add✱ ♦♥t été ❞é✜♥✐❡s à ♣❛rt✐r ❞❡s ♦♣ér❛t❡✉rs
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❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞✉ tr❡✐❧❧✐s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts✳ ❉❛♥s ❧❛ s✉✐t❡✱ ♥♦✉s ❝♦♥s✐❞ér♦♥s q✉❡ ❝❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s
s✬❡✛❡❝t✉❡♥t s✉r ❞❡s ♣❛✐r❡s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts (X, Y ) ❛✈❡❝ X = (A, B) ❡t Y = (C, D)✳
❉❡✉① t②♣❡s ❞❡ ♣❛✐r❡s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ♣❡✉✈❡♥t êtr❡ ❝❤♦✐s✐❡s ✿
✕ ▲❡s ♣❛✐r❡s ❧✐é❡s (X, Y )l ♦r❞♦♥♥é❡s ❞❛♥s ❧❡ tr❡✐❧❧✐s s✐ X ≺ Y ♦✉ s✐ X Y ❀
✕ ▲❡s ♣❛✐r❡s ❥✉♠❡❧❧❡s (X, Y )j q✉✐ ♣♦ssè❞❡♥t ✉♥ ❝♦♥❝❡♣t ♣ré❝é❞❡♥t ♦✉ s✉✐✈❛♥t ❡♥
❝♦♠♠✉♥ q✉✐ ❞✐✛èr❡ ❞❡s é❧é♠❡♥ts ❡✉① ♠ê♠❡ s✐ ∃Z | X ≺ Z ❡t Y ≺ Z ♦✉ s✐
∃Z | X Z ❡t Y Z✳
▲✬❛♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❞❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s delete ❡t add s✉r ❧❡s ♣❛✐r❡s ❧✐é❡s ❡t ❥✉♠❡❧❧❡s s✬❡✛❡❝t✉❡
s✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ❧❛ ❢❛ç♦♥ s✉✐✈❛♥t❡ ✿
∀ (X, Y )l ♦✉ (X, Y )j ✿
delete(X, Y ) : C := C − Y ; Bruit := Bruit ∪ (Y \ X);
bruit(delete(X, Y )) = (Y \ X);
∀ (X, Y )l
✿
❙✐ A ⊂ C ❡t D ⊂ B ✿
add(X, Y ) : C := C − X − Y + (C, B); Bruit := Bruit ∪ (C \ A) × (B \ D);
bruit(add(X, Y )) = (C \ A) × (B \ D);
❙✐ C ⊂ A ❡t B ⊂ D ✿
add(X, Y ) : C := C − X − Y + (A, D); Bruit := Bruit ∪ (A \ C) × (D \ B);
bruit(add(X, Y )) = (A \ C) × (D \ B).▼ét❤♦❞❡ ❞❡ ré♣❛r❛t✐♦♥ ❞❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❜r✉✐té ✾✺
♦ù C✱ ✐♥✐t✐❛❧❡♠❡♥t ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ♦❜s❡r✈és✱ ❡st ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts rés✉❧✲
t❛♥t ❞❡ ❧✬❛♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ♠✉❧t✐♣❧❡ ❞❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s delete ❡t add ❡t Bruit ❡st ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s
r❡❧❛t✐♦♥s s✉♣♣r✐♠é❡s ❡t ❛❥♦✉té❡s r❡s♣❡❝t✐✈❡♠❡♥t ♣❛r ❧❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s delete ❡t add✳
➚ ♥♦t❡r q✉❡ ❝❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s ♥❡ ♣❡r♠❡tt❡♥t ♣❛s ❞❡ ré♣❛r❡r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥t❡①t❡s
❜r✉✐tés✳ ❊♥ ❡✛❡t✱ ❞❛♥s ❧❡s ❝❛s ❞é❝r✐ts ♣❛r ❧❡s éq✉❛t✐♦♥s ✭✹✳✷✮ ❡t ✭✹✳✸✮ ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ❞✬♦r✐❣✐♥❡
♥❡ ❞❡✈✐❡♥t ♣❧✉s ❛❝❝❡ss✐❜❧❡ ♣❛r ❝❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s ❝❛r ❧❡ ❢❛✉① ❝♦♥❝❡♣t ❛❥♦✉t❡ ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡
❞✬♦❜❥❡ts ♦✉ ❞✬❛ttr✐❜✉ts ❛✉ ❝♦♥❝❡♣t✳ ❉❛♥s ❧❡s éq✉❛t✐♦♥s ✭✹✳✽✮✱ ✭✹✳✾✮ ❡t ✭✹✳✶✵✮✱ ✉♥❡ ♣❛rt✐❡
❞❡ ❧✬❡①t❡♥s✐♦♥ ❡t✴♦✉ ❞❡ ❧✬✐♥t❡♥s✐♦♥ ❞✉ ❝♦♥❝❡♣t ❞✬♦r✐❣✐♥❡ ❞✐s♣❛r❛ît✳ ❉❛♥s ❝❡s ❝✐♥q ❝❛s✱
✐❧ s❡ ♣❡✉t q✉❡ ❧❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s ❞é✜♥✐❡s ✐❝✐ ♥❡ ♣❡r♠❡tt❡♥t ♣❛s ❞❡ r❡tr♦✉✈❡r ❧❡s r❡❧❛t✐♦♥s
❞✬♦r✐❣✐♥❡✳
❉❛♥s ❧❛ ❋✐❣✉r❡ ✹✳✶✱ ❧❛ sé❧❡❝t✐♦♥ ❞❡ ❧❛ ♣❛✐r❡ (C
0
2
, C4)l ❡t ❧✬♦♣ér❛t✐♦♥ delete(C
0
2
, C4) =
delete(({o4, o5}, {a3, a4}),({o5}, {a2, a3, a4})) s✉♣♣r✐♠❡♥t ✉♥❡ ❢❛✉ss❡ r❡❧❛t✐♦♥ ✿
C := C − C4 ❡t Bruit := Bruit ∪ {(o5, a2)}✳
❉❡ ❧❛ ♠ê♠❡ ❢❛ç♦♥✱ ❧❛ sé❧❡❝t✐♦♥ ❞❡ ❧❛ ♣❛✐r❡ (C
00
1
, C0
1
)l ❡t ❧✬♦♣ér❛t✐♦♥ add(C
00
1
, C0
1
) =
add(({o1, o2}, {a1, a2}),({o1, o2, o3}, {a1})) ❛❥♦✉t❡♥t ✉♥❡ r❡❧❛t✐♦♥ ♠❛♥q✉❛♥t❡ ✿
C := C − C
00
1 − C
0
1 + ({o1, o2, o3}, {a1, a2}) ❡t Bruit := Bruit ∪ {(o3, a2)}✳
P♦✉r ✉♥❡ ♣❛✐r❡ ❥✉♠❡❧❧❡✱ ❧❛ sé❧❡❝t✐♦♥ ❞❡ ❧❛ ♣❛✐r❡ (C
0
1
, C3)j ❡t ❧✬♦♣ér❛t✐♦♥ delete(C
0
1
, C3) =
delete(({o1, o2, o3}, {a1}),({o1, o2, o5}, {a2})) s✉♣♣r✐♠❡♥t ✉♥❡ ❢❛✉ss❡ r❡❧❛t✐♦♥ ♠❛✐s ❛✉ss✐
❞❡✉① ✈r❛✐s r❡❧❛t✐♦♥s ✿
C := C − C3 ❡t Bruit := Bruit ∪ {(o1, a2),(o2, a2),(o5, a2)}✳
❉é✜♥✐t✐♦♥ ❞❡s ❝♦♥tr❛✐♥t❡s s✉r ❧❡ ❝❤♦✐① ❞❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s
▲❛ ré♣❛r❛t✐♦♥ ❞✉ rés❡❛✉ ❝♦♥s✐st❡ à ❛♣♣❧✐q✉❡r s✐♠✉❧t❛♥é♠❡♥t ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬♦♣ér❛✲
t✐♦♥s delete ❡t add s✉r ✉♥ s♦✉s✲❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♣❛✐r❡s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ✐ss✉ ❞❡ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s
❝♦♥❝❡♣ts ♦❜s❡r✈és ✐♥✐t✐❛❧❡♠❡♥t✳ ▲✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s ❝❤♦✐s✐❡s ❡st s♦✉♠✐s à ✉♥ ❡♥✲
s❡♠❜❧❡ ❞❡ ❝♦♥tr❛✐♥t❡s ✭♦ù X, Y, Z ❡t W s♦♥t ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❡t o ✉♥ ♦❜❥❡t ❡t a ✉♥ ❛ttr✐❜✉t✮ ✿
✶✳ ∀X, Y, Z (¬delete(X, Y ) ∨ ¬delete(Z, X)) ✿ ✉♥ ❝♦♥❝❡♣t ✉t✐❧✐sé ♣♦✉r ❞é✜♥✐r ❧❛ s✉♣✲
♣r❡ss✐♦♥ ❞✬✉♥ ❛✉tr❡ ❝♦♥❝❡♣t ♣❛r ✉♥❡ ♦♣ér❛t✐♦♥ delete ♥❡ ♣❡✉t ♣❛s êtr❡ ❧✉✐ ❛✉ss✐
s✉♣♣r✐♠é ♣❛r ✉♥❡ ❛✉tr❡ ♦♣ér❛t✐♦♥ delete ❀
✷✳ ∀X, Y, Z X 6= Y ⇒ (¬delete(X, Z)∨ ¬delete(Y, Z)) ✿ ✉♥ ❝♦♥❝❡♣t ♥❡ ♣❡✉t ♣❛s êtr❡
s✉♣♣r✐♠é ♣❛r ❞❡✉① ♦♣ér❛t✐♦♥s delete ❞✐✛ér❡♥t❡s ❀
✸✳ ∀X, Y, Z delete(X, Y ) ⇒ ¬add(Z, Y )∧ ¬add(Y, Z) ✿ ✉♥ ❝♦♥❝❡♣t s✉♣♣r✐♠é ♣❛r ✉♥❡
♦♣ér❛t✐♦♥ delete ♥❡ ♣❡✉t ♣❛s ❢❛✐r❡ ❛✉ss✐ ♣❛rt✐❡ ❞✬✉♥❡ ♦♣ér❛t✐♦♥ add ❀
✹✳ ∀X, Y, W, o, a ∃Z (o, a) ∈ bruit(delete(X, Y )) ∧ (o, a) ∈ bruit(delete(Z, W)) ∧
delete(X, Y ) ⇒ delete(Z, W) ✿ ❧❛ s✉♣♣r❡ss✐♦♥ ❞✬✉♥❡ ♣❛✐r❡ ✐♥❝❧✉s❡ ❞❛♥s ✉♥ ❝♦♥❝❡♣t
♣❛r ✉♥❡ ♦♣ér❛t✐♦♥ delete ❞♦✐t ❛✉ss✐ êtr❡ s✉♣♣r✐♠é❡ ❞❛♥s ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts q✉✐ ✐♥❝❧✉❡♥t
❝❡tt❡ r❡❧❛t✐♦♥ ❀
✺✳ ∀X, Y, W, o, a ∃Z (o, a) ∈ bruit(add(X, Y ))∧(o, a) ∈ bruit(add(Z, W))∧add(X, Y ) ⇒
add(Z, W) ✿ ❧✬❛❥♦✉t ❞✬✉♥❡ ♣❛✐r❡ ♣❛r ✉♥❡ ♦♣ér❛t✐♦♥ add ❞♦✐t ❛✉ss✐ êtr❡ ❛❥♦✉té❡ ♣❛r
❧❡s ❛✉tr❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s add q✉✐ ♣❡r♠❡tt❡♥t ❞✬❛❥♦✉t❡r ❝❡tt❡ r❡❧❛t✐♦♥ ❀✾✻ ❆♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ❛♣♣❧✐q✉é à ✉♥ rés❡❛✉ ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠
◆♦t♦♥s q✉❡ ❧❡s ❝♦♥tr❛✐♥t❡s ✹ ❡t ✺ ✐♠♣❧✐q✉❡♥t q✉✬✉♥❡ ♦♣ér❛t✐♦♥ ❞♦♥♥é❡ q✉✐ ♥é❝❡ss✐t❡r❛✐t
✉♥❡ ♣r♦♣❛❣❛t✐♦♥ ✐♠♣♦ss✐❜❧❡ à ❡✛❡❝t✉❡r ♥❡ s❡r❛ ❡✛❡❝t✐✈❡♠❡♥t ♣❛s ❛♣♣❧✐q✉é❡✳
❈❡s ❝♦♥tr❛✐♥t❡s ré❞✉✐s❡♥t ❧❡s ❡♥s❡♠❜❧❡s ❞✬♦♣ér❛t✐♦♥s ♣♦ss✐❜❧❡s ♠❛✐s ✐❧ r❡st❡ ❡♥❝♦r❡
❞❡ ♥♦♠❜r❡✉s❡s ♣♦ss✐❜✐❧✐tés ♠❡♥❛♥t à ❞✐✛ér❡♥ts rés✉❧t❛ts ❞✬❡♥s❡♠❜❧❡s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts✳ ❆✜♥
❞❡ sé❧❡❝t✐♦♥♥❡r ❧❡s ❡♥s❡♠❜❧❡s ❧❡s ♣❧✉s ✐♥tér❡ss❛♥ts✱ ♥♦✉s ♣♦s♦♥s ❧❡ ♣r♦❜❧è♠❡ ❝♦♠♠❡
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▲❡s s♦❧✉t✐♦♥s ♦❜t❡♥✉❡s ♣❛r ❧✬❛♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ s✐♠✉❧t❛♥é❡ ❞❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s delete ❡t add s♦♥t
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❬✶✹✼❪✳ ➱t❛♥t ❞♦♥♥é ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts C✱ ♦♥ ♣♦s❡ ✿
score(C) = X
(A,B)∈C
(|A| + |B|) + α |Bruit| ❀
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◆♦✉s ❛✈♦♥s ♠♦❞é❧✐sé ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥tr❛✐♥t❡s ❡t ❧❛ r❡❝❤❡r❝❤❡ ❞✬✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬♦♣é✲
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❛ été t❡sté ❛✈❡❝ ❧❛ s✉✐t❡ ❧♦❣✐❝✐❡❧ P♦t❛ss❝♦ ❬✾✸❪✳ ❈❡ ♣r♦❣r❛♠♠❡ ♣r❡♥❞ ❡♥ ❡♥tré❡ ❧✬❡♥✲
s❡♠❜❧❡ ❞❡s r❡❧❛t✐♦♥s✱ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❡t ❧❡ tr❡✐❧❧✐s ❛ss♦❝✐é ❡t r❡♥✈♦✐❡ ❡♥ s♦rt✐❡ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s
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✶✳ ■♥✐t✐❛❧✐s❛t✐♦♥ ✿ ♣rétr❛✐t❡♠❡♥t ❞❡s ❞♦♥♥é❡s ❜r✉t❡s ♣♦✉r ♦❜t❡♥✐r ❧❡s ❢❛✐ts ♥é❝❡ss❛✐r❡s
♣♦✉r ❧❛ s✉✐t❡ ❞✉ ♣r♦❣r❛♠♠❡ ❀
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té❡s ♣❛r ❧❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s delete ❡t add✳ ❉é✜♥✐t✐♦♥ ❞❡s ❝♦✉♣❧❡s ♣♦✉r ❧❡sq✉❡❧s ♦♥ ♥❡
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♣r♦♣❛❣❛t✐♦♥ q✉✐ ♥❡ ♣❡✉t ♣❛s êtr❡ ❢❛✐t❡ ❀
✹✳ ❙é❧❡❝t✐♦♥ ❞❡s ❝♦✉♣❧❡s ✿ sé❧❡❝t✐♦♥ ❞❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s delete ❡t add à ❡✛❡❝t✉❡r ❡t ✜❧tr❛❣❡
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✺✳ ❖♣t✐♠✐s❛t✐♦♥ ✿ ❝❛❧❝✉❧ ❞✉ s❝♦r❡ ❡t ♠❛①✐♠✐s❛t✐♦♥ ❞❡ ❝❡ s❝♦r❡✳
❋✐♥❛❧❡♠❡♥t ❧❡s r❡❧❛t✐♦♥s s✉♣♣r✐♠é❡s ❡t ❛❥♦✉té❡s s♦♥t ❛✣❝❤é❡s ❡♥ s♦rt✐❡✳
❆✜♥ ❞❡ t❡st❡r ❧✬❡✣❝❛❝✐té ❞❡s ♦♣ér❛t✐♦♥s ❡t ❞✉ s❝♦r❡ ❞é✜♥✐s ♣♦✉r ré♣❛r❡r ✉♥ ❝♦♥t❡①t❡
❢♦r♠❡❧ ❜r✉✐té✱ ❧❛ ♠ét❤♦❞❡ ❛ été t❡sté❡ s✉r ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ❝♦♥t❡①t❡s ❜r✉✐tés s✐♠✉❧és✳
✹✳✶✳✸ ❊①♣ér✐♠❡♥t❛t✐♦♥ s✉r ❞❡s ❝♦♥t❡①t❡s ❜r✉✐tés s✐♠✉❧és
P❧✉s✐❡✉rs ❝♦♥t❡①t❡s ❛❧é❛t♦✐r❡s ♦♥t été s✐♠✉❧és ❛✈❡❝ ✉♥ ♥♦♠❜r❡ ✜①❡ ❞✬♦❜❥❡ts ❡t ❞✬❛t✲
tr✐❜✉ts ✭✷✵✱ ✹✵ ♦✉ ✻✵✮ ❛✜♥ ❞❡ t❡st❡r ❧❛ ❞ét❡❝t✐♦♥ ❞❡s r❡❧❛t✐♦♥s ❢❛✉ss❡s ❡t ♠❛♥q✉❛♥t❡s✳
P♦✉r ❝❤❛❝✉♥ ❞❡ ❝❡s ❝♦♥t❡①t❡s✱ ✺ ❡♥s❡♠❜❧❡s ❞❡ r❡❧❛t✐♦♥s ♦♥t été ❝réés ❝♦rr❡s♣♦♥❞❛♥t à ✺
❝♦♥❝❡♣ts ❛✈❡❝ ❞❡s t❛✐❧❧❡s ❞✬❡①t❡♥s✐♦♥s ❡t ❞✬✐♥t❡♥t✐♦♥s ❛❧é❛t♦✐r❡s s✉✐✈❛♥t ✉♥❡ ❞✐str✐❜✉t✐♦♥▼ét❤♦❞❡ ❞❡ ré♣❛r❛t✐♦♥ ❞❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❜r✉✐té ✾✼
♥♦r♠❛❧❡ ❞❡ ♠♦②❡♥♥❡ ✺ ❡t ❞✬é❝❛rt✲t②♣❡ ✷✳ ▲❡s ❝♦♥t❡①t❡s s♦♥t ❡♥s✉✐t❡ ❜r✉✐tés ❛✈❡❝ ✉♥❡
♣r♦❜❛❜✐❧✐té pf ✭✵✱✵✶✱ ✵✱✵✺ ♦✉ ✵✱✶✮ ♣♦✉r q✉✬✉♥❡ r❡❧❛t✐♦♥ ❛♣♣❛r❛✐ss❡ ❡♥tr❡ ✉♥ ♦❜❥❡t ❡t ✉♥
❛ttr✐❜✉t ✭✉♥❡ ❢❛✉ss❡ r❡❧❛t✐♦♥✮ ❡t ✉♥❡ ♣r♦❜❛❜✐❧✐té pm ✭✵✱✶✺✱ ✵✱✷✺ ♦✉ ✵✱✸✺✮ ♣♦✉r q✉✬✉♥❡
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❙✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥t❡①t❡s✱ ❧❡s ♣♦✉r❝❡♥t❛❣❡s ❡t ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ r❡❧❛t✐♦♥s s✉♣♣r✐♠é❡s✾✽ ❆♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ❛♣♣❧✐q✉é à ✉♥ rés❡❛✉ ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠
♦✉ ❛❥♦✉té❡s ❞✐♠✐♥✉❡♥t ❧♦rsq✉❡ ❧❛ ✈❛❧❡✉r ❞❡ α ❛✉❣♠❡♥t❡ ♣♦✉r êtr❡ é❣❛❧❡ à ③ér♦ s✉r ❧✬❡♥✲
s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❡①♣ér✐♠❡♥t❛t✐♦♥s ❧♦rsq✉❡ α = 2✳ ❈❡ rés✉❧t❛t ❡st ❝♦❤ér❡♥t ❛✈❡❝ ❧❛ ❞é✜♥✐t✐♦♥
❞✉ s❝♦r❡ ♦ù α r❡♣rés❡♥t❡ ❧❡ ♣♦✐❞s ❞❡s ♠♦❞✐✜❝❛t✐♦♥s ❛♣♣♦rté❡s à ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts
❡♥ ❝♦♠♣❛r❛✐s♦♥ à ❧❛ t❛✐❧❧❡ ❞❡ ❧❛ ❞❡s❝r✐♣t✐♦♥ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ré♣❛rés✳ P❧✉s ❧❡ ♣♦✐❞s ❞✬✉♥❡
♠♦❞✐✜❝❛t✐♦♥ ❡st ❢♦rt✱ ♣❧✉s ❝❡tt❡ ♠♦❞✐✜❝❛t✐♦♥ ❞❡✈✐❡♥t ❞é❢❛✈♦r❛❜❧❡✳
❙✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s rés✉❧t❛ts✱ ❧❡ ♣♦✉r❝❡♥t❛❣❡ ❞❡ r❡❧❛t✐♦♥s ♦r✐❣✐♥❛❧❡s s✉♣♣r✐♠é❡s ❡st
❡♥ ♠♦②❡♥♥❡ très ❢❛✐❜❧❡ ❡t ❡st ♣r♦❝❤❡ ❞❡ ③ér♦✱ ❡①❝❡♣té ♣♦✉r ❧❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❛✈❡❝ ❝♦♠♠❡
♣❛r❛♠ètr❡s ✭♦❜❥ ❀ ❛tt ❀ pf ❀ pm ❀ α✮❂✭✹✵ ❀ ✹✵ ❀ ✵✱✵✶ ❀ ✵✱✷✺✮ ♦ù ❧❡ ♣♦✉r❝❡♥t❛❣❡ ❞❡ r❡❧❛t✐♦♥s
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❛❥♦✉té❡s ♣❛r ❧✬♦♣ér❛t✐♦♥ add ♠❛✐s q✉✐ ♥❡ s♦♥t ♣❛s ♠❛♥q✉❛♥t❡s✳ ❈❡ ♥♦♠❜r❡ ❡st é❧❡✈é
♣♦✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s t❡sts ❡✛❡❝t✉és ❛✈❡❝ ✉♥ ♣❛r❛♠ètr❡ α ❞❡ ✶✱ s❛✉❢ ♣♦✉r ❧❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❞❡
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▲❡s rés✉❧t❛ts ❞❡ ❧❛ ré♣❛r❛t✐♦♥ ❛✈❡❝ ✉♥ ♣❛r❛♠ètr❡ α = 1 ❞❡s ❝♦♥t❡①t❡s ❞❡ t❛✐❧❧❡s
20 × 20 ❡t 40 × 40 ❛✈❡❝ ❧❡s ♠ê♠❡s ♣❛r❛♠ètr❡s ❞❡ ❜r✉✐ts pf = 0.05 ❡t pm = 0.25 s♦♥t
très s❡♠❜❧❛❜❧❡s ❡t ❝❡ ♣♦✉r ❧❡s ❞❡✉① ♦♣ér❛t✐♦♥s delete ❡t add✳ ❊♥✈✐r♦♥ ✶✻ ✪ ❞❡s ❢❛✉ss❡s
r❡❧❛t✐♦♥s s♦♥t s✉♣♣r✐♠é❡s ❡t ✸✼ ✪ ❞❡s r❡❧❛t✐♦♥s ♠❛♥q✉❛♥t❡s s♦♥t r❡tr♦✉✈é❡s✳ P♦✉r ❧❡
❝♦♥t❡①t❡ ❞❡ t❛✐❧❧❡ 60 × 60 ❛✈❡❝ ❧❡s ♠ê♠❡s ♣❛r❛♠ètr❡s✱ ❧❡s rés✉❧t❛ts ❞✬❛❥♦✉ts ❞❡ r❡❧❛t✐♦♥s
♠❛♥q✉❛♥t❡s s♦♥t q✉❛s✐ ✐❞❡♥t✐q✉❡s ♠❛✐s ❧❡ ♣♦✉r❝❡♥t❛❣❡ ❞❡ ❢❛✉ss❡s r❡❧❛t✐♦♥s s✉♣♣r✐♠é❡s
✭✾✱✺ ✪✮ ❡st ♣❧✉s ❢❛✐❜❧❡✳
▲❛ r♦❜✉st❡ss❡ ❞❡ ❧❛ ♠ét❤♦❞❡ ❛✈❡❝ ✉♥ ♣❛r❛♠ètr❡ α = 1 ❢❛❝❡ à ❧❛ ♣r♦❜❛❜✐❧✐té ❞✬❛♣♣❛r✐✲
t✐♦♥ ❞✬✉♥❡ ❢❛✉ss❡ r❡❧❛t✐♦♥ ♣❡✉t êtr❡ ét✉❞✐é❡ ❡♥ ❝♦♠♣❛r❛♥t ❧❡s ❝♦♥t❡①t❡s ❞❡ t❛✐❧❧❡ 40 × 40
❡t pm = 0, 25 ❛✈❡❝ ✉♥❡ ♣r♦❜❛❜✐❧✐té pf q✉✐ ✈❛r✐❡ ❡♥tr❡ ✵✱✵✶✱ ✵✱✵✺ ♦✉ ✵✱✶✳ ❖♥ ♣❡✉t ✈♦✐r
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♠❡♥t❡✱ r❡s♣❡❝t✐✈❡♠❡♥t ✸✵✱✼ ✪✱ ✶✻✱✺ ✪ ❡t ✶✱✼ ✪✱ ❛✐♥s✐ q✉❡ ❧✬é❝❛rt✲t②♣❡✱ r❡s♣❡❝t✐✈❡♠❡♥t
✶✷✱✸ ✪✱ ✻ ✪✱ ✶✱✾ ✪✳ ❈❡tt❡ ♦❜s❡r✈❛t✐♦♥ ♣❡✉t êtr❡ ❡①♣❧✐q✉é❡ ♣❛r ❧❡ ❢❛✐t q✉❡ ♣❧✉s ✐❧ ② ❛ ❞❡
❢❛✉ss❡s r❡❧❛t✐♦♥s✱ ♣❧✉s ❧❛ ♣r♦❜❛❜✐❧✐té q✉❡ ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ❞✬♦r✐❣✐♥❡ ❞✐s♣❛r❛✐ss❡ ❝♦♠♣❧èt❡♠❡♥t
❛✉❣♠❡♥t❡✱ ❝♦♠♠❡ ❞é❝r✐t ❞❛♥s ❧❡s éq✉❛t✐♦♥s ✭✹✳✷✮ ❡t ✭✹✳✸✮ ♣❛rt✐❡ ✹✳✶✳✶✳ ▲❡ ♣♦✉r❝❡♥t❛❣❡
♠♦②❡♥ ❞❡ r❡❧❛t✐♦♥s ♠❛♥q✉❛♥t❡s ❛❥♦✉té❡s ❛✉❣♠❡♥t❡ ❛✈❡❝ ✉♥❡ ✈❛❧❡✉r ❞❡ pf q✉✐ ❛✉❣♠❡♥t❡✳
◆é❛♥♠♦✐♥s✱ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ r❡❧❛t✐♦♥s ♠❛♥q✉❛♥t❡s ❛❥♦✉té❡s ❡st q✉❛s✐ ✐❞❡♥t✐q✉❡ ♣♦✉r ❧❡s
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✭40 × 40✮ ❡t ❧❛ ♣r♦❜❛❜✐❧✐té ❞✬❛♣♣❛r✐t✐♦♥ ❞❡ ❢❛✉ss❡s r❡❧❛t✐♦♥s ✭pf = 0, 05✮✳ P♦✉r ❝❡s tr♦✐s
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✹✳✶✳✹ ❊①♣ér✐♠❡♥t❛t✐♦♥ s✉r ❞❡s ❞♦♥♥é❡s ❞❡ rés❡❛✉① ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s s✐♠✉❧és
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❝rét✐sé❡s ♣❛r ❧✬✉t✐❧✐s❛t✐♦♥ ❞✬✉♥ s❡✉✐❧✳ ❉❛♥s ❧❛ ♣❛rt✐❡ ♣ré❝é❞❡♥t❡✱ ✐❧ ❛ été ♠♦♥tré q✉❡ ❞❡s
♠♦❞✉❧❡s ❜r✉✐tés ✭❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts✮ ❡t ❧❡✉rs r❡❧❛t✐♦♥s ✭❧❡ tr❡✐❧❧✐s✮ ♣♦✉✈❛✐❡♥t ❛✐❞❡r à ❞ét❡❝t❡r
❞❡s r❡❧❛t✐♦♥s ❢❛✉ss❡s ♦✉ ♠❛♥q✉❛♥t❡s✳ ■❝✐ ♥♦✉s ❢❛✐s♦♥s ❧✬❤②♣♦t❤ès❡ q✉❡ ❝❡tt❡ ♠ét❤♦❞❡ ❡st
❛♣♣❧✐❝❛❜❧❡ à ❧❛ ❞ét❡❝t✐♦♥ ❞❡s ❢❛✉ss❡s ♣ré❞✐❝t✐♦♥s ✐♥❞✉✐t❡s ♣❛r ❧❡s ♠ét❤♦❞❡s ❞❡ ♣ré❞✐❝✲
t✐♦♥ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ ❛✐♥s✐ q✉❡ ❧❡s ✈r❛✐❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s s✉♣♣r✐♠é❡s ♣❛r
❧✬✉t✐❧✐s❛t✐♦♥ ❞✬✉♥ s❡✉✐❧✳ ▲✬✐❞é❡ ❡st ❞♦♥❝ ❞❡ ré❝✉♣ér❡r ✉♥❡ ♣❛rt✐❡ ❞❡s ❡rr❡✉rs ❞❡ ♣ré❞✐❝t✐♦♥
❡♥ ét✉❞✐❛♥t ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ❡t ❧❡ tr❡✐❧❧✐s ♦❜t❡♥✉s s✉r ❧❡ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s✳ P♦✉r
t❡st❡r ❝❡tt❡ ✐❞é❡✱ ❞❡s rés❡❛✉① s♦♥t t♦✉t ❞✬❛❜♦r❞ s✐♠✉❧és à ♣❛rt✐r ❞❡s ♣❛r❛♠ètr❡s ♦❜t❡♥✉s
s✉r ❧❡ rés❡❛✉ ❞✬❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠ ♣✉✐s ❧❛ ♠ét❤♦❞❡ ❡st ❛♣♣❧✐q✉é❡ s✉r ❝❡s rés❡❛✉①✳
❙✐♠✉❧❛t✐♦♥ ❞❡ rés❡❛✉① ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ ✐ss✉s ❞❡ ❝❡❧✉✐ ♣ré✲
❞✐t ❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠ ❙✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥ s❛♥s s❡✉✐❧ ❡t
ré❞✉✐t ❛✉① é❧é♠❡♥ts ❛✈❡❝ ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s ❞✐✛ér❡♥t❡s ❧♦rs ❞❡s ❡♠❜r②♦❣❡♥ès❡s✱ s❡✉❧ ❧❡s ✶✷
♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ♣♦ssé❞❛♥t ❧❡s ❞❡❣rés ❧❡s ♣❧✉s ❢❛✐❜❧❡s s♦♥t ❣❛r❞és ❛✜♥ ❞❡ ❢❛❝✐❧✐t❡r ❧✬❛♥❛✲
❧②s❡ ❡t ❧❛ s✐♠✉❧❛t✐♦♥ ❞✉ rés❡❛✉✳ ❉❡ ♣❧✉s✱ ♣♦✉r ❝❤❛❝✉♥ ❞❡s ❝♦✉♣❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠✱
s❡✉❧ ❧❡ s✐t❡ ❞❡ ✜①❛t✐♦♥ ❛✈❡❝ ❧❡ ♣❧✉s ❢❛✐❜❧❡ s❝♦r❡ ❣❧♦❜❛❧ ❚❛r❣❡t❙❝❛♥ ❡st ❣❛r❞é ❝❛r ❝✬❡st
❧✉✐ q✉✐ ❞ét❡r♠✐♥❡ ♣♦✉r q✉❡❧ s❡✉✐❧ ❧❡ ❝♦✉♣❧❡ s❡r❛ ♣rés❡♥t ♦✉ ♥♦♥ ✭❡♥ ♥❡ ♠❡tt❛♥t ❛✉❝✉♥❡
❝♦♥tr❛✐♥t❡ s✉r ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ s✐t❡s ❞❡ ✜①❛t✐♦♥✮✳ ▲❛ ❞✐str✐❜✉t✐♦♥ ❞✉ s❝♦r❡ ❞❡s s✐t❡s ❞❡
✜①❛t✐♦♥ ♣♦✉r ❝❡ rés❡❛✉ ❧✐♠✐té à ✶✷ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ❛✈❡❝ ❧❡s s✐t❡s ❞❡ ✜①❛t✐♦♥ ❛✉①
s❝♦r❡s ❧❡s ♣❧✉s ❢❛✐❜❧❡ ❡st ♣rés❡♥té❡ ❋✐❣✉r❡ ✹✳✷✳ ❈❡tt❡ ❞✐str✐❜✉t✐♦♥ ♣❡✉t êtr❡ ✈✉❡ ❝♦♠♠❡
✉♥ ♠é❧❛♥❣❡ ❞❡ ❞❡✉① ❧♦✐s ❣❛✉ss✐❡♥♥❡s✳ ❖♥ s❛✐t q✉❡ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ❢❛✉ss❡s ♣ré❞✐❝t✐♦♥s ❧♦rs
❞❡ ❧❛ ❞ét❡❝t✐♦♥ ❞❡s s✐t❡s ❞❡ ✜①❛t✐♦♥ ❡st é❧❡✈é ❡t q✉❡✱ ♣♦✉r ❧❛ ♠ét❤♦❞❡ ❚❛r❣❡t❙❝❛♥✱ ♣❧✉s ❧❡
s❝♦r❡ ❡st ❢❛✐❜❧❡ ♣❧✉s ❧✬❡✣❝❛❝✐té ❞❡ ❧❛ ré♣r❡ss✐♦♥ ❡st é❧❡✈é❡✳ ➚ ♣❛rt✐r ❞❡ ❝❡s ❝♦♥st❛t❛t✐♦♥s✱
♦♥ ♣❡✉t é♠❡ttr❡ ❧✬❤②♣♦t❤ès❡ q✉❡ ❧❡s ❞❡✉① ❣❛✉ss✐❡♥♥❡s ♦❜s❡r✈é❡s s✉r ❧❛ ❞✐str✐❜✉t✐♦♥ ❞❡s
s❝♦r❡s ❋✐❣✉r❡ ✹✳✷ r❡♣rés❡♥t❡♥t ❞❡✉① ❞✐str✐❜✉t✐♦♥s ❞❡ s❝♦r❡s ✿ ❧✬✉♥❡✱ ❝❡♥tré❡ s✉r ❞❡s ❢❛✐❜❧❡s
✈❛❧❡✉rs ❞❡ s❝♦r❡s ❞❡ ♠♦②❡♥♥❡ ✲✵✱✹✻✱ r❡♣rés❡♥t❡ ❧❡s s❝♦r❡s ❛ss♦❝✐és ❛✉① ✈r❛✐❡s ♣ré❞✐❝t✐♦♥s
❡t ❧❛ s❡❝♦♥❞❡✱ ❣❛✉ss✐❡♥♥❡ ❝❡♥tré❡ s✉r ❞❡s s❝♦r❡s ♣❧✉s é❧❡✈és ❞❡ ♠♦②❡♥♥❡ ✲✵✳✷✱ r❡♣rés❡♥t❡
❧❡s ❢❛✉ss❡s ♣ré❞✐❝t✐♦♥s✳
❆✜♥ ❞❡ ❝❛♣t✉r❡r ❧❡s ❝❛r❛❝tér✐st✐q✉❡s ❞❡ ❝❡ rés❡❛✉✱ ♣❧✉s✐❡✉rs ♣❛r❛♠ètr❡s ♦♥t été ❡①✲
tr❛✐ts ✿ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✱ ❞✬❆❘◆♠ ❡t ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s✱ ❧❡s ❞❡✉① ❞✐str✐✲
❜✉t✐♦♥ ❞❡ s❝♦r❡s ❡♥ ✉t✐❧✐s❛♥t ✉♥ ♠♦❞è❧❡ ❞❡ ♠é❧❛♥❣❡s ❣❛✉ss✐❡♥s ❡t ❧❡s ❞✐str✐❜✉t✐♦♥s ❞❡s
❞❡❣rés ♣♦✉r ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s à ❧❛ ❢♦✐s ♣♦✉r ❧❡ rés❡❛✉ ❧✐♠✐té ❛✉① s❝♦r❡s très ❢❛✐❜❧❡s
❡t à ❧❛ ❢♦✐s ♣♦✉r ❧❡ rés❡❛✉ ❧✐♠✐té ❛✉① s❝♦r❡s très é❧❡✈és✳
❈❡ rés❡❛✉ ❝♦♠♣♦rt❡ ✶✷ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✱ ✶✳✹✻✽ ❆❘◆♠ ❡t ✷✳✶✹✵ ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ✭❧❡
♥♦♠❜r❡ ❞❡ s✐t❡s ❡t ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❡st ✐❞❡♥t✐q✉❡ ❝❛r ✉♥ s❡✉❧ s✐t❡ ❡st ❝♦♥s❡r✈é ♣❛r ❝♦✉♣❧❡✮✳✶✵✵ ❆♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ❛♣♣❧✐q✉é à ✉♥ rés❡❛✉ ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠
Score TargetScan
Effectif
−0.6 −0.4 −0.2 0.0
0 50 100 150
Gaussiennes :
Vraies interactions
Fausses interactions
Ensemble des interactions
❋✐❣✳ ✹✳✷ ✕ ❍✐st♦❣r❛♠♠❡ ❞❡s s❝♦r❡s ❞❡s s✐t❡s ❞❡ ✜①❛t✐♦♥ ♣♦✉r ❧❡ rés❡❛✉ ❧✐♠✐té à ✶✷
♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ❛✈❡❝ ❧❡s s✐t❡s ❞❡ ✜①❛t✐♦♥ ❛✉① s❝♦r❡s ❧❡s ♣❧✉s ❢❛✐❜❧❡✳
▲❡ ♠♦❞è❧❡ ❞❡ ♠é❧❛♥❣❡ ❞❡ ❧♦✐s ❣❛✉ss✐❡♥♥❡s ❛ été ♦❜t❡♥✉ à ❧✬❛✐❞❡ ❞❡ ❧❛ ❢♦♥❝t✐♦♥
❞❡♥s✐t②▼❝❧✉st ❞✉ ♣❛q✉❡t ♠❝❧✉st ❬✶✹✽✱ ✶✹✾❪ ❞✉ ❧♦❣✐❝✐❡❧ ❘✳ ▲❛ ♠ét❤♦❞❡ ✐♠♣❧é♠❡♥té❡
♣❛r ❝❡tt❡ ❢♦♥❝t✐♦♥ ♣❡r♠❡t ❞✬♦❜t❡♥✐r ❧❡ ♠♦❞è❧❡ q✉✐ ♠❛①✐♠✐s❡ ❧❡ ❝r✐tèr❡ ❞✬✐♥❢♦r♠❛t✐♦♥
❜❛②és✐❡♥ ❬✶✺✵❪ ✭❇■❈✮✱ ❝r✐tèr❡ q✉✐ ❞é♣❡♥❞ ❞✉ ♠❛①✐♠✉♠ ❞❡ ✈r❛✐s❡♠❜❧❛♥❝❡ ❞✉ ♠♦❞è❧❡ ❡t
q✉✐ ❡st ♣é♥❛❧✐sé ♣❛r ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ♣❛r❛♠ètr❡s ❞✉ ♠♦❞è❧❡ ✭✐❝✐ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❧♦✐s ❣❛✉ss✐❡♥♥❡s✮✳
▲❡ ♠♦❞è❧❡ ❛✈❡❝ ❧❛ ♣❧✉s ❣r❛♥❞❡ ✈❛❧❡✉r ❇■❈ ❡st ✉♥ ♠♦❞è❧❡ à ❞❡✉① ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ✿
✶✳ ❯♥❡ ♠♦②❡♥♥❡ ❞❡ ✲✵✱✹✻✱ ✉♥❡ ✈❛r✐❛♥❝❡ ❞❡ ✵✱✵✵✹✹ ❡t ✉♥❡ ♣r♦♣♦rt✐♦♥ ❞❡ ✵✱✶✼ ♣♦✉r ❧❛
♣r❡♠✐èr❡ ❧♦✐ ♥♦r♠❛❧❡✱ q✉❡ ♥♦✉s ❛♣♣❡❧❧❡r♦♥s N1 ❡t q✉✐ ❡st ❝♦♥s✐❞éré❡ ❝♦♠♠❡ ❧❛ ❧♦✐
♥♦r♠❛❧❡ ❝♦rr❡s♣♦♥❞❛♥t❡ ❛✉① ✈r❛✐❡s ♣ré❞✐❝t✐♦♥s ❀
✷✳ ❯♥❡ ♠♦②❡♥♥❡ ❞❡ ✲✵✱✷✵✱ ✉♥❡ ✈❛r✐❛♥❝❡ ❞❡ ✵✱✵✵✼✹ ❡t ✉♥❡ ♣r♦♣♦rt✐♦♥ ❞❡ ✵✱✽✸ ♣♦✉r
❧❛ s❡❝♦♥❞❡✱ q✉❡ ♥♦✉s ❛♣♣❡❧❧❡r♦♥s N2 ❡t q✉✐ ❡st ❝♦♥s✐❞éré❡ ❝♦♠♠❡ ❧❛ ❧♦✐ ♥♦r♠❛❧❡▼ét❤♦❞❡ ❞❡ ré♣❛r❛t✐♦♥ ❞❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❜r✉✐té ✶✵✶
❝♦rr❡s♣♦♥❞❛♥t❡ ❛✉① ❢❛✉ss❡s ♣ré❞✐❝t✐♦♥s✳
❊♥ ♣❧✉s ❞❡ ❧❛ ❞✐str✐❜✉t✐♦♥ ❞❡s s❝♦r❡s✱ ❧❡s ❞✐str✐❜✉t✐♦♥s ❞❡s ❞❡❣rés ❞❡s ✶✷ ♠✐❝r♦❆❘◆
♠❛t✉r❡s ♦♥t été ♦❜s❡r✈é❡s ♣♦✉r ❧❡s ❞❡✉① ❡①tré♠✐tés ❞❡ ❧❛ ❞✐str✐❜✉t✐♦♥ ❞❡s s❝♦r❡s✳ ▲❡s
❞❡✉① ❞✐str✐❜✉t✐♦♥s ♦♥t été ❡①tr❛✐t❡s ❞❡ ❧❛ ❢❛ç♦♥ s✉✐✈❛♥t❡ ✿
✶✳ P♦✉r ❧❛ ❞✐str✐❜✉t✐♦♥ ❞❡s ❞❡❣rés D1 ❛✈❡❝ ❞❡ ❢❛✐❜❧❡s ✈❛❧❡✉rs ❞❡ s❝♦r❡s ✿ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s
❝♦✉♣❧❡s ❞❡ ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ ❛✈❡❝ ❞❡s s❝♦r❡s ♠✐♥✐♠✉♠✱ t❡❧s q✉❡ P(X ≤ s) = 0, 05
s♦✉s N2 ❀
✷✳ P♦✉r ❧❛ ❞✐str✐❜✉t✐♦♥ ❞❡s ❞❡❣rés D2 ❛✈❡❝ ❞❡ ❢♦rt❡s ✈❛❧❡✉rs ❞❡ s❝♦r❡s ✿ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s
❝♦✉♣❧❡s ❞❡ ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ ❛✈❡❝ ❞❡s s❝♦r❡s ♠❛①✐♠✉♠✱ t❡❧s q✉❡ P(X ≥ s) =
0, 05 s✉r N1✳
P♦✉r ❧❛ ♣r❡♠✐èr❡ ❞✐str✐❜✉t✐♦♥ ❞❡s ❞❡❣rés s✉r ❧❡s ✶✷ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✱ ❝❡✉①✲❝✐
✈❛r✐❡♥t ❡♥tr❡ ✷ ✭✶ ✪✮ ❡t ✻✹ ✭✸✵ ✪✮ ♣♦✉r ✉♥ ♥♦♠❜r❡ ♠♦②❡♥ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❞❡ ✷✶✳ P♦✉r
❧❛ ❞❡✉①✐è♠❡ ❞✐str✐❜✉t✐♦♥ ❞❡s ❞❡❣rés✱ ✐❧s ✈❛r✐❡♥t ❡♥tr❡ ✹✸ ✭✸ ✪✮ ❡t ✷✷✶ ✭✶✺ ✪✮ ♣♦✉r ✉♥
♥♦♠❜r❡ ♠♦②❡♥ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❞❡ ✶✳✺✶✶✳
▲❡s ♣❛r❛♠ètr❡s s✉✐✈❛♥ts ♦♥t été ✉t✐❧✐sés ♣♦✉r ❧❛ s✐♠✉❧❛t✐♦♥ ❞✉ rés❡❛✉ ✿
✕ ▲❡ ♥♦♠❜r❡ nmicro ❞❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❀
✕ ▲❡ ♥♦♠❜r❡ narn ❞✬❆❘◆♠ ❀
✕ ▲❡ ♥♦♠❜r❡ ninter ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❀
✕ ▲❛ ♣r♦♣♦rt✐♦♥ p2 ❛ss♦❝✐é❡ à N2 ❀
✕ ❉❡✉① ❧♦✐s ♥♦r♠❛❧❡s N1(µ1, σ2
1
) ❡t N2(µ2, σ2
2
)❀
✕ ▲❡s ♣r♦♣♦rt✐♦♥s ♠✐♥✐♠✉♠s min1 ❡t min2 ❡t ♠❛①✐♠✉♠s max1 ❡t max2 ❛ss♦❝✐és
❛✉① ❞❡✉① ❞✐str✐❜✉t✐♦♥s ❞❡s ❞❡❣rés D1 ❡t D2✳
▲❛ s✐♠✉❧❛t✐♦♥ ❞✬✉♥ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ s✉✐✈❛♥t ❝❡s ♣❛r❛♠ètr❡s
s✉✐t ❧❡ ♣r♦t♦❝♦❧❡ s✉✐✈❛♥t ✿
✶✳ ▲❡ t✐r❛❣❡ ❛❧é❛t♦✐r❡ ❡♥ ♠♦②❡♥♥❡ ❞❡ ninter×(1−p2) ✈r❛✐❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❡♥tr❡ nmicro ❡t
narn✱ t❡❧ q✉❡ ❧❡s ❞❡❣rés ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s s✉✐✈❡♥t ✉♥❡ ❧♦✐ ✉♥✐❢♦r♠❡ ❝♦♠♣r✐s❡
❡♥tr❡ min1 × ninter × (1 − p2) ❡t max1 × ninter × (1 − p2)❀
✷✳ ▲❡ t✐r❛❣❡ ❛❧é❛t♦✐r❡ ❡♥ ♠♦②❡♥♥❡ ❞❡ ninter × p2 ❢❛✉ss❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❡♥tr❡ nmicro ❡t
narn✱ t❡❧ q✉❡ ❧❡s ❞❡❣rés ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s s✉✐✈❡♥t ✉♥❡ ❧♦✐ ✉♥✐❢♦r♠❡ ❝♦♠♣r✐s❡
❡♥tr❡ min2 × ninter × p2 ❡t max2 × ninter × p2 ❀
✸✳ ▲✬❛ss♦❝✐❛t✐♦♥ ❞✬✉♥ s❝♦r❡ ♣♦✉r ❧❡s ✈r❛✐❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s s✉✐✈❛♥t ✉♥❡ ❧♦✐ ♥♦r♠❛❧❡ N1(µ1, σ2
1
)
❡t ♣♦✉r ❧❡s ❢❛✉ss❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s s✉✐✈❛♥t ✉♥❡ ❧♦✐ ♥♦r♠❛❧❡ N2(µ2, σ2
2
)✳
❯♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ✶✳✵✵✵ rés❡❛✉① ❛ été s✐♠✉❧é ❛✈❡❝ ❝❡ ♣r♦t♦❝♦❧❡ ❡t ❛✈❡❝ ❧❡s ♣❛r❛♠ètr❡s
♦❜t❡♥✉s s✉r ❧❡ rés❡❛✉ ❞❡ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠ ✿
✕ nmicro = 12 ❀
✕ narn = 1.468 ❀
✕ ninter = 2.140 ❀
✕ p2 = 0, 83 ❀
✕ N1(−0, 46, 0, 0044) ❡t N2(−0, 20, 0, 0074)❀
✕ min1 = 0, 01✱ max1 = 0, 30 ❡t min2 = 0, 03 ❡t max2 = 0, 15✳
❈♦♥tr❛✐♥t❡ s✉♣♣❧é♠❡♥t❛✐r❡ s✉r ❧❛ ré♣❛r❛t✐♦♥ ❞❡s ❝♦♥t❡①t❡s ❈♦♥tr❛✐r❡♠❡♥t ❛✉①
❝♦♥t❡①t❡s ❜r✉✐tés s✐♠✉❧és ❞✐r❡❝t❡♠❡♥t ❞❛♥s ♥♦tr❡ ♣r❡♠✐èr❡ ❡①♣ér✐♠❡♥t❛t✐♦♥✱ ✐❧ s✬❛❣✐t
✐❝✐ ❞✬♦❜t❡♥✐r ✉♥❡ r❡❧❛t✐♦♥ ❜✐♥❛✐r❡ à ♣❛rt✐r ❞✬✉♥ t❛❜❧❡❛✉ ❞❡ s❝♦r❡ ❡t ❞✬✉♥ s❡✉✐❧ s✉r ❧❡s✶✵✷ ❆♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ❛♣♣❧✐q✉é à ✉♥ rés❡❛✉ ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠
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G = (V, E) ♦ù ❱ ❡st ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♥÷✉❞s ❡t E ⊆ V × V ❡st ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❛rêt❡s✱ ✉♥
♣♦✇❡r ❣r❛♣❤ ✭P●✮ G0 = (V
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❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♣r❡♠✐❡rs ✈♦✐s✐♥s ❞✬✉♥ ♥÷✉❞ u ❡st ❝♦♥st✐t✉é ❞❡s ♥÷✉❞s ❡♥ ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥
❞✐r❡❝t❡ ❛✈❡❝ ♥÷✉❞ u✳ ▲✬✐♥❞✐❝❡ ❞❡ ❏❛❝q✉❛r❞ ❡♥tr❡ ❞❡✉① ♥÷✉❞s ❡st ✿ J(N1, N2) = (N1 ∩
N2)/(N1 ∪ N2)✱ ♦ù N1 ❡st ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♣r❡♠✐❡rs ✈♦✐s✐♥s ❞✉ ♣r❡♠✐❡r ♥÷✉❞ ❡t N2
❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♣r❡♠✐❡rs ✈♦✐s✐♥s ❞✉ s❡❝♦♥❞ ♥÷✉❞✳ ▲✬✐♥❞✐❝❡ ❞❡ ❏❛❝q✉❛r❞ ❡st ❞♦♥❝ ❝♦♠♣r✐s
❡♥tr❡ ✵ ✭❧❡s ❞❡✉① ♥÷✉❞s ♥✬♦♥t ❛✉❝✉♥ ✈♦✐s✐♥ ❡♥ ❝♦♠♠✉♥✮ ❡t ✶ ✭❧❡s ❞❡✉① ♥÷✉❞s ♦♥t ❧❡s
♠ê♠❡s ✈♦✐s✐♥s✮✳
❘❡❝❤❡r❝❤❡ ❞❡s ♣♦✇❡r ❡❞❣❡s
▲❛ ❣é♥ér❛t✐♦♥ ❞❡s ♣♦✇❡r ❡❞❣❡s ❞✉ ♣♦✇❡r ❣r❛♣❤ ✭P●✮ ❡st ❡✛❡❝t✉é❡ ♣❛r ✉♥❡ r❡❝❤❡r❝❤❡
❣❧♦✉t♦♥♥❡ q✉✐ ♣❡r♠❡t ❞✬♦❜t❡♥✐r ❧❛ s♦❧✉t✐♦♥ ♠✐♥✐♠❛❧❡ ♦✉ ✉♥❡ ❛♣♣r♦①✐♠❛t✐♦♥ ❞❡ ❝❡tt❡
s♦❧✉t✐♦♥ ❬✶✻✵❪✳ P♦✉r ❝❤❛q✉❡ ♣❛✐r❡ ❞❡ ♣♦✇❡r ♥♦❞❡s ♦❜t❡♥✉❡✱ ✉♥ ♣♦✇❡r ❡❞❣❡ ♣❡✉t êtr❡
❛ss♦❝✐é✳ ➚ ❝❤❛q✉❡ ✐tér❛t✐♦♥ ❞❡ ❧❛ r❡❝❤❡r❝❤❡✱ ❧❡ ♣♦✇❡r ❡❞❣❡ q✉✐ ♣❡r♠❡t ❞❡ ré❞✉✐r❡ ❛✉
♠✐❡✉① ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞✬❛rêt❡s ❞✉ ❣r❛♣❤❡✱ ❝✬❡st✲à✲❞✐r❡ ❝❡❧❧❡ q✉✐ ❝♦✉✈r❡ ❧❛ ♣❧✉s ❣r❛♥❞❡ s✉r❢❛❝❡
t♦✉t ❡♥ ✈ér✐✜❛♥t ❧❡s ❝♦♥❞✐t✐♦♥s s✉r ❧❡s ♣♦✇❡r ♥♦❞❡s ❡t ❧❡s ♣♦✇❡r ❡❞❣❡s✱ ❡st ❛❥♦✉té✳ ❙✐
✉♥❡ ♣♦✇❡r ❡❞❣❡ ❡st ❝réé❡ ❡♥tr❡ ❞❡✉① ♣♦✇❡r ♥♦❞❡s ♣♦t❡♥t✐❡❧✱ ❛❧♦rs ❝❡s ❞❡✉① ♣♦✇❡r ♥♦❞❡s
s♦♥t ❛❥♦✉tés ❞❛♥s ❧❡ P●✳ ▲❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❝♦✉✈❡rt❡s ♣❛r ❝❡tt❡ ♣♦✇❡r ❡❞❣❡ s♦♥t ♦té❡s ❞✉
❣r❛♣❤❡ ❡t ❧❛ r❡❝❤❡r❝❤❡ ❝♦♥t✐♥✉❡✳ ➚ ♥♦t❡r q✉✬✉♥ ♣♦✇❡r ♥♦❞❡ ♣❡✉t ♥❡ ❝♦♥t❡♥✐r q✉✬✉♥ s❡✉❧
♥÷✉❞✳
❉✐s♣♦♥✐❜✐❧✐té ❞❡ ❧❛ ♠ét❤♦❞❡
▲❛ ♠ét❤♦❞❡ ❞✬❛❜str❛❝t✐♦♥ ❞✬✉♥ ❣r❛♣❤❡ ❡♥ P● ❡st ❞✐s♣♦♥✐❜❧❡ s♦✉s ❧❛ ❢♦r♠❡ ❞✬✉♥
♠♦❞✉❧❡✱ ❈②❖♦❣✱ ♣♦✉r ❧❡ ❧♦❣✐❝✐❡❧ ❈②t♦s❝❛♣❡ ❬✶✻✶❪✱ ✉♥ ♦✉t✐❧ ❞❡ ✈✐s✉❛❧✐s❛t✐♦♥ ❡t ❞✬❛♥❛❧②s❡
❞❡ ❣r❛♣❤❡✳ ❈❡ ♠♦❞✉❧❡ ❡st ❛✉ss✐ ❞✐s♣♦♥✐❜❧❡ s✉r ✐♥t❡r♥❡t ❞❛♥s ✉♥❡ ✈❡rs✐♦♥ ♣ré✲✐♥st❛❧❧é❡✶
✳
✹✳✷✳✷ P❛r❛❧❧è❧❡ ❡♥tr❡ P♦✇❡r ●r❛♣❤ ❡t ❧✬❆❈❋
❉❛♥s ❧❡ ❝❛s ♣❛rt✐❝✉❧✐❡r ♦ù G ❡st ✉♥ ❣r❛♣❤❡ ❜✐♣❛rt✐✱ ✐❧ ❡①✐st❡ ✉♥ ♣❛r❛❧❧è❧❡ ❡♥tr❡ ❧❛
♠♦❞é❧✐s❛t✐♦♥ ❡t ❧❛ ré❞✉❝t✐♦♥ ♣❛r ❧❛ ♠ét❤♦❞❡ ❞❡ P● ❞✉ rés❡❛✉ ❡t ❧✬❆❈❋ s✉r ❝❡ ♠ê♠❡
rés❡❛✉✳ ❊♥ ❡✛❡t✱ ✉♥ ❝♦♥❝❡♣t ❢♦r♠❡❧ C = (A, B) ♣❡✉t êtr❡ ✈✉ ❝♦♠♠❡ ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡
❞❡✉① ♣♦✇❡r ♥♦❞❡s ❡t ❞✬✉♥❡ ♣♦✇❡r ❡❞❣❡✳ ▲❡s ❞❡✉① ♣♦✇❡r ♥♦❞❡s s♦♥t ❝♦♥st✐t✉és ♣♦✉r ❧✬✉♥
❞❡s é❧é♠❡♥ts ❞❡ A✱ ♣♦✉r ❧✬❛✉tr❡ ❞❡s é❧é♠❡♥ts ❞❡ B✱ ❡t ❧❛ ♣♦✇❡r ❡❞❣❡ ❝♦✉✈r❡ ❧❡s ❛rêt❡s
❞❡ A × B✳ ❉❡ ❝❡ ❢❛✐t✱ ❧❡ tr❡✐❧❧✐s ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts✱ ❞♦♥❝ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts✱ é♥✉♠èr❡
❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s tr✐♣❧❡ts (P N1, P N2, P E1,2) ♠❛①✐♠❛✉① ♦ù P N1 ❡t P N2 s♦♥t ❞❡✉① ♣♦✇❡r
♥♦❞❡s ♣♦t❡♥t✐❡❧s ❡t P E1,2 ❧❡ ♣♦✇❡r ❡❞❣❡ ♣♦t❡♥t✐❡❧ ❡♥tr❡ P N1 ❡t P N2✳ ■❧s s♦♥t ♠❛①✐♠❛✉①
❞❛♥s ❧❡ s❡♥s ♦ù ❧❛ ❝♦✉✈❡rt✉r❡ ❡♥ ♥♦♠❜r❡ ❞✬❛rêt❡s ❞❡ P E1,2 ❡st ♠❛①✐♠❛❧❡ ♣♦✉r P N1 ❡t
P N2✳
✶✇✇✇✳❜✐♦t❡❝✳t✉✲❞r❡s❞❡♥✳❞❡✴r❡s❡❛r❝❤✴s❝❤r♦❡❞❡r✴♣♦✇❡r❣r❛♣❤s✴❞♦✇♥❧♦❛❞✲❝②t♦s❝❛♣❡✲♣❧✉❣✐♥✳❤t♠❧✶✵✻ ❆♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ❛♣♣❧✐q✉é à ✉♥ rés❡❛✉ ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠
▲❡s tr♦✐s ❝♦♥tr❛✐♥t❡s ❞❡s P●✱ ❤✐ér❛r❝❤✐❡ ❞❡s ♣♦✇❡r ♥♦❞❡s✱ ❝♦✉✈❡rt✉r❡ ❞❡s ♣♦✇❡r
❡❞❣❡s ❡t ♣❛rt✐t✐♦♥♥❡♠❡♥t ❞❡s ❛rêt❡s ♣❡✉✈❡♥t êtr❡ tr❛♥s♣♦sé❡s ❡♥ t❡r♠❡ ❞✬❆❈❋✳ ❖♥ ♥♦t❡
choix(Ci) ❧❡ ❝❤♦✐① ❞✬✉♥ ❝♦♥❝❡♣t Ci = (Ai
, Bi) r❡♣rés❡♥t❛♥t ❞❡✉① ♣♦✇❡r ♥♦❞❡s ❡t ✉♥
♣♦✇❡r ❡❞❣❡✳ ❖♥ ♥♦t❡ Ii = Ai × Bi
❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❛rêt❡s ❝♦✉✈❡rt❡s ♣❛r ❝❡ ❝♦♥❝❡♣t ❡t e
✉♥❡ ❛rêt❡ ❞✉ ❣r❛♣❤❡ G✳ ▲❡s ❝♦♥tr❛✐♥t❡s ♣❡✉✈❡♥t ❛❧♦rs êtr❡ ❞é✜♥✐❡s ❞❡ ❧❛ ❢❛ç♦♥ s✉✐✈❛♥t❡ ✿
✶✳ ❍✐ér❛r❝❤✐❡ ❞❡s ♣♦✇❡r ♥♦❞❡s ❡♥ ❆❈❋ ✿ ∀C1, C2 (choix(C1) ∧ choix(C2)) ⇒ (A1 ∩
A2) ∈ {∅, A1, A2} ∧ (B1 ∩ B2) ∈ {∅, B1, B2}✳ ❉❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts ❝❤♦✐s✐s ♦♥t ❧❡✉rs
❡♥s❡♠❜❧❡s A1, A2 ❡t B1, B2 s♦✐t ❞✐s❥♦✐♥ts✱ s♦✐t ❧✬✉♥ ✐♥❝❧✉s ❞❛♥s ❧✬❛✉tr❡ ❀
✷✳ ❈♦✉✈❡rt✉r❡ ❞❡s ❛rêt❡s ❡♥ ❆❈❋ ✿ ∀e ∃choix(C1) ∧ e ∈ I1✳ P♦✉r t♦✉t❡ ❧❡s ❛rêt❡s e
❞❡ G✱ ✐❧ ❡①✐st❡ ✉♥ ❝♦♥❝❡♣t ❝❤♦✐s✐ q✉✐ ❝♦✉✈r❡ ❝❡tt❡ ❛rêt❡ ❀
✸✳ P❛rt✐t✐♦♥♥❡♠❡♥t ❞❡s ♣♦✇❡r ❡❞❣❡s ❡♥ ❆❈❋ ✿ ∀C1 6= C2 (choix(C1) ∧ choix(C2)) ⇒
I1 ∩ I2 = ∅✳ ❉❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts ❝❤♦✐s✐s ❝♦✉✈r❡♥t ❞❡s ❛rêt❡s ❞✐✛ér❡♥t❡s ❞❡ G✳
▲❡s ❝♦♥tr❛✐♥t❡s ❞❡ ❤✐ér❛r❝❤✐❡ ❡t ❞❡ ♣❛rt✐t✐♦♥♥❡♠❡♥t ♣❡✉✈❡♥t êtr❡ ❡①♣r✐♠é❡s ❝♦♠♠❡
❞❡s ❝♦♥tr❛✐♥t❡s s✉r ❧❡ tr❡✐❧❧✐s ❞❡ ❧❛ ❢❛ç♦♥ s✉✐✈❛♥t❡ ✿
✶✳ ❍✐ér❛r❝❤✐❡ ❞❡s ♣♦✇❡r ♥♦❞❡s s✉r ❧❡ tr❡✐❧❧✐s ✿ ∀C1, C2 (choix(C1) ∧ choix(C2)) ⇒
sup(C1, C2) ∈ {C1, C2, >} ∧ inf(C1, C2) ∈ {C1, C2, ⊥} ❡t sup(C1, C2) = > ∧
C1 6= C2 6= > ⇒ intension(>) = ∅ ❡t inf(C1, C2) = ⊥ ∧ C1 6= C2 6= ⊥ ⇒
extension(⊥) = ∅✱ ❛✈❡❝ sup ❡t inf q✉✐ r❡♥✈♦✐❡♥t r❡s♣❡❝t✐✈❡♠❡♥t ❧❛ ❜♦r♥❡ s✉♣é✲
r✐❡✉r❡ ❡t ❧❛ ❜♦r♥❡ ✐♥❢ér✐❡✉r❡ ❞❡ ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts ❡t intension ❡t extension q✉✐ r❡♥✲
✈♦✐❡♥t r❡s♣❡❝t✐✈❡♠❡♥t ❧✬✐♥t❡♥s✐♦♥ ❡t ❧✬❡①t❡♥s✐♦♥ ❞✬✉♥ ❝♦♥❝❡♣t✳ ❙♦✐t ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts
♦♥t ❝♦♠♠❡ ❜♦r♥❡ s✉♣ér✐❡✉r❡ ❡t ❝♦♠♠❡ ❜♦r♥❡ ✐♥❢ér✐❡✉r❡ ❧✬✉♥ ❡t ❧✬❛✉tr❡ ❞❡s ❞❡✉①
❝♦♥❝❡♣ts✳ ❙♦✐t ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts ❞✐✛ér❡♥ts ❝❤♦✐s✐s ♦♥t ❝♦♠♠❡ ❜♦r♥❡ s✉♣ér✐❡✉r❡ ❧❡ s✉✲
♣r❡♠✉♠ ❞✉ tr❡✐❧❧✐s ✭>✮ ❡t ❝♦♠♠❡ ❜♦r♥❡ ✐♥❢ér✐❡✉r❡ ❧✬✐♥✜♠✉♠ ❞✉ tr❡✐❧❧✐s ✭⊥✮ ❡t
❧✬✐♥t❡♥s✐♦♥ ❞✉ s✉♣r❡♠✉♠ ❡t ❧✬❡①t❡♥s✐♦♥ ❞❡ ❧✬✐♥✜♠✉♠ s♦♥t é❣❛✉① à ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ✈✐❞❡ ❀
✷✳ P❛rt✐t✐♦♥♥❡♠❡♥t ❞❡s ♣♦✇❡r ❡❞❣❡s s✉r ❧❡ tr❡✐❧❧✐s ✿ ∀C1, C2 choix(C1, C2) ⇒ C1 ≮
C2 ∧ C1 ≯ C2✳ ❉❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts ❝❤♦✐s✐s s♦♥t ✐♥❝♦♠♣❛r❛❜❧❡s✳
❉❡ ♣❧✉s✱ ❧❡s ét❛♣❡s ❞❡ sé❧❡❝t✐♦♥ ❞❡s ♣♦✇❡r ❡❞❣❡s ❝♦rr❡s♣♦♥❞❡♥t à ❞❡s sé❧❡❝t✐♦♥s ❞❡
❝♦♥❝❡♣ts ❡t s♦✉s✲❝♦♥❝❡♣ts ❞❛♥s ❧❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❞✉ ❣r❛♣❤❡ G✱ ✉♥ s♦✉s✲❝♦♥❝❡♣t ét❛♥t
❞é✜♥✐ ❝♦♠♠❡ ✉♥❡ ❜✐❝❧✐q✉❡ rés✉❧t❛♥t ❞❡ ❧❛ s✉♣♣r❡ss✐♦♥ ❞✬✉♥❡ ♣❛rt✐❡ ❞❡s r❡❧❛t✐♦♥s ❝♦✉✲
✈❡rt❡s ♣❛r ✉♥ ♦✉ ❞❡✉① ❛✉tr❡s ❛✉tr❡ ❝♦♥❝❡♣ts✳ ▲❡s r❡❧❛t✐♦♥s s♦♥t s✉♣♣r✐♠é❡s s✐ ❡❧❧❡s s♦♥t
❝♦✉✈❡rt❡s ♣❛r ✉♥ ♣♦✇❡r ❡❞❣❡ sé❧❡❝t✐♦♥♥é✳ ❖♥ r❡tr♦✉✈❡ ❞❛♥s ❝❡ ♣r♦❝❡ss✉s ❞❡ s✉♣♣r❡s✲
s✐♦♥ ✉♥❡ ♣❛rt✐❡ ❞❡ ❧❛ ❞é✜♥✐t✐♦♥ ❞❡s r❡❧❛t✐♦♥s ♠❛♥q✉❛♥t❡s ❞é❝r✐t❡ s✉r ❧❛ ré♣❛r❛t✐♦♥ ❞❡s
❝♦♥t❡①t❡s ❢♦r♠❡❧s ❜r✉✐tés ✭♣❛rt✐❡ ✹✳✶✳✶✮✳ ❖♥ ♣❡✉t ❞♦♥❝ ❧à ❛✉ss✐ ❞é✜♥✐r ✉♥ ♦♣ér❛t❡✉r ❛✜♥
❞❡ ❝❛r❛❝tér✐s❡r ❧✬❛❝t✐♦♥ ❞❡ s✉♣♣r❡ss✐♦♥ ❞✬✉♥ ❝♦♥❝❡♣t s✉r ✉♥ ❛✉tr❡ ❝♦♥❝❡♣t ✿
❉é✜♥✐t✐♦♥ ✹✳✸ ➱t❛♥t ❞♦♥♥és ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts C
i = (Ai
, Bi
) ❡t C
j = (Aj
, Bj
)✱ ❧✬♦♣ér❛t❡✉r
❞❡ s♦✉str❛❝t✐♦♥ s(., .) ❡st ❞é✜♥✐ ❝♦♠♠❡ s(C
i
, Cj
) = (Ai×Bi\Aj ×Bj
) s✐ C
i < Cj∨C
i >
C
j
❡t s(C
i
, Cj
) = (Ai × Bi
) s✐♥♦♥✳
➚ ♣❛rt✐r ❞✬✉♥ ❝♦♥❝❡♣t C
i ❞♦♥♥é✱ ❧✬♦♣ér❛t❡✉r s r❡♥✈♦✐❡ ✉♥ r❡❝t❛♥❣❧❡ ❝♦♥st✐t✉é ❞❡ ❧❛
s♦✉str❛❝t✐♦♥ ❞✬✉♥ ❝♦♥❝❡♣t C
j ❛✉ ❝♦♥❝❡♣t ✐♥✐t✐❛❧ C
i
s✬✐❧s s♦♥t s✉r ✉♥❡ ♠ê♠❡ ❝❤❛î♥❡✳
❙✐♥♦♥ ❧✬♦♣ér❛t❡✉r r❡♥✈♦✐❡ ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t C
i
✐♥✐t✐❛❧✳ ➚ ❧✬❛✐❞❡ ❞❡ ❧✬♦♣ér❛t❡✉r s✱ ❧❡s ❛rêt❡s ❡t ❧❡s
♥÷✉❞s ❞é❥à ❝♦✉✈❡rts ♣❛r ✉♥ ❝♦♥❝❡♣t ♣❡✉✈❡♥t êtr❡ ❡♥❧❡✈és ❞❡s ❛✉tr❡s ❝♦♥❝❡♣ts s✐t✉és s✉r
❧❛ ♠ê♠❡ ❝❤❛î♥❡✳ ❈❡t ♦♣ér❛t❡✉r ❡st s✐♠✐❧❛✐r❡ à ❧✬♦♣ér❛t❡✉r e ❞é✜♥✐ s✉r ❧❛ ré♣❛r❛t✐♦♥ ❞❡s
❝♦♥t❡①t❡s ❢♦r♠❡❧s ❜r✉✐tés✳ ❆♣♣❧✐q✉❡r ❧✬♦♣ér❛t❡✉r s r❡✈✐❡♥t à ❛♣♣❧✐q✉❡r ❧✬♦♣ér❛t❡✉r e s✉r
❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts ❞✬✉♥❡ ♠ê♠❡ ❝❤❛î♥❡✳❱✐s✉❛❧✐s❛t✐♦♥ ❞✉ rés❡❛✉ ♣❛r r❡❣r♦✉♣❡♠❡♥t ❞❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❡♥ ❝❧✉st❡r ✶✵✼
❖♥ ♣❡✉t ❞é✜♥✐r ✉♥ ♦♣ér❛t❡✉r ❞❡ ❞♦✉❜❧❡ s♦✉str❛❝t✐♦♥ ❝♦♠♠❡ ✉♥❡ ❡①t❡♥s✐♦♥ ❞❡ ❧✬♦♣é✲
r❛t❡✉r ❞❡ s♦✉str❛❝t✐♦♥ q✉✐ ♣❡r♠❡t ❞❡ ❢♦r♠❛❧✐s❡r ❧❛ s♦✉str❛❝t✐♦♥ ❞❡ ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts à ✉♥
s❡✉❧ ✿
❉é✜♥✐t✐♦♥ ✹✳✹ ➱t❛♥t ❞♦♥♥és tr♦✐s ❝♦♥❝❡♣ts C
i = (Ai
, Bi
)✱ C
j = (Aj
, Bj
) ❡t C
k =
(Ak
, Bk
)✱ ❧✬♦♣ér❛t❡✉r ❞❡ ❞♦✉❜❧❡ s♦✉str❛❝t✐♦♥ s2(., ., .) ❡st ❞é✜♥✐ ❝♦♠♠❡ s2(C
i
, Cj
, Ck
) =
(Ai × Bi \ (Aj × Bj ∪ Ak × Bk
)) s✐ C
k < Ci < Cj
❡t s2(C
i
, Cj
, Ck
) = (Ai × Bi
) s✐♥♦♥✳
❈❡tt❡ ♦♣ér❛t❡✉r s2 ♣❡r♠❡t ❞❡ s♦✉str❛✐r❡ ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts C
j
❡t C
k à ✉♥ ❝♦♥❝❡♣t C
i
s✐ ✐❧s
s♦♥t t♦✉s s✉r ❧❛ ♠ê♠❡ ❝❤❛î♥❡✱ ❝✬❡st✲à✲❞✐r❡ ✉♥ ♠ê♠❡ ❝❤❡♠✐♥ s✉r ❧❡ tr❡✐❧❧✐s✳
➚ ❧✬❛✐❞❡ ❞❡ ❝❡s ❞❡✉① ♦♣ér❛t❡✉rs ❞❡ s♦✉str❛❝t✐♦♥✱ ♦♥ ♣❡✉t ❞é✜♥✐r ✉♥❡ r❡♣rés❡♥t❛t✐♦♥
✐♥s♣✐ré❡ ♣❛r ❧❡s P●✳ ❖♥ ♥♦t❡ valide(C) ❧❡ ❢❛✐t q✉❡ ❧❡s ♣♦✇❡r ♥♦❞❡s ❡t ♣♦✇❡r ❡❞❣❡s
♦❜t❡♥✉s à ♣❛rt✐r ❞✬✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ C ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ♦✉ s♦✉s✲❝♦♥❝❡♣ts r❡s♣❡❝t❡♥t ❧❡s ❝♦♥❞✐t✐♦♥s
❞❡ ❤✐ér❛r❝❤✐❡ ❡t ❞❡ ♣❛rt✐t✐♦♥♥❡♠❡♥t✳ ▲❛ str❛té❣✐❡ s✉✐✈❛♥t❡ ❛ été ♠✐s❡ ❡♥ ♣❧❛❝❡ ♣♦✉r
♦❜t❡♥✐r ❧❛ ré❞✉❝t✐♦♥ G0 ❞✬✉♥ ❣r❛♣❤❡ ❜✐♣❛rt✐ G à ❧✬❛✐❞❡ ❞❡ s♦♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣t C à
❧✬❛✐❞❡ ❞❡ ❧✬❆❈❋ ✿
✶✳ ■♥✐t✐❛❧✐s❛t✐♦♥ ✿ ♣rétr❛✐t❡♠❡♥t ❞❡s ❞♦♥♥é❡s ❜r✉t❡s ♣♦✉r ♦❜t❡♥✐r ❧❡s ❢❛✐ts ♥é❝❡ss❛✐r❡s
♣♦✉r ❧❛ s✉✐t❡ ❞✉ ♣r♦❣r❛♠♠❡ ❀
✷✳ ❙é❧❡❝t✐♦♥ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ✿ sé❧❡❝t✐♦♥ ❞✬✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ C1 ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts t❡❧ q✉❡ ✿ valide(C1)❀
✸✳ ❙é❧❡❝t✐♦♥ ❞❡s s♦✉s✲❝♦♥❝❡♣ts ♣❛r s✐♠♣❧❡ s♦✉str❛❝t✐♦♥ ✿ sé❧❡❝t✐♦♥ ❞✬✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ C2
❞❡ s♦✉s✲❝♦♥❝❡♣ts t❡❧ q✉❡ ✿ valide(C1 ∪ C2) ❡t ∀C
s ∈ C2 ⇒ ∃C1 ∈ (C \ C1) ∧ ∃C2 ∈
C1 ∧ s(C1, C2) = C
s
✳ ▲✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts C1 ∈ (C \ C1) ✉t✐❧✐sé ♣♦✉r ♦❜t❡♥✐r
C2 ❡st ♥♦té C
0
2
❀
✹✳ ❙é❧❡❝t✐♦♥ ❞❡s s♦✉s✲❝♦♥❝❡♣ts ♣❛r ❞♦✉❜❧❡ s♦✉str❛❝t✐♦♥ ✿ sé❧❡❝t✐♦♥ ❞✬✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ C3
❞❡ s♦✉s✲❝♦♥❝❡♣ts t❡❧ q✉❡ ✿ valide(C1 ∪ C2 ∪ C3) ❡t ∀C
s2 ∈ C3 ⇒ ∃C1 ∈ (C \ (C1 ∪
C
0
2
)) ∧ ∃C2, C3 ∈ (C1 ∪ C2) ∧ s2(C1, C2, C3) = C
s2
❀
✺✳ ❖♣t✐♠✐s❛t✐♦♥ ✿ ❝❛❧❝✉❧ ❞❡ ❧❛ s✉r❢❛❝❡ ❝♦✉✈❡rt❡ ♣❛r C1 ∪ C2 ∪ C3 ❡t ♠❛①✐♠✐s❛t✐♦♥ ❞❡
❝❡tt❡ s✉r❢❛❝❡✳
❈❡tt❡ ♠ét❤♦❞❡ ♣❡r♠❡t ❞❡ ❞é✜♥✐r ✉♥ r❡❣r♦✉♣❡♠❡♥t ❞❡s ♥÷✉❞s ❡t ❞❡s ❛rêt❡s ❜❛sé s✉r ❧❡s
❝♦♥❝❡♣ts ❡t ❧✬❛♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❞❡s ♦♣ér❛t❡✉rs s ❡t s2✳
▲✬❛✈❛♥t❛❣❡ ❞❡ ❝❡tt❡ ♠ét❤♦❞❡ ❡st q✉❡ ❧✬♦♣t✐♠✉♠ ❞❡ ❧✬ét❛♣❡ ✺ ♣❡✉t êtr❡ ❛✣♥é ♣♦✉r
♦♣t✐♠✐s❡r ❞✐✛ér❡♥ts ❝r✐tèr❡s ❞❡ r❡❣r♦✉♣❡♠❡♥t✳ P❛r ❡①❡♠♣❧❡✱ ❞❛♥s ♥♦tr❡ ❝❛s ❞✬✉♥ rés❡❛✉
♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠✱ ♦♥ ♣❡✉t ✈♦✉❧♦✐r ❢❛✈♦r✐s❡r ❧❡ r❡❣r♦✉♣❡♠❡♥t ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♦✉ ❡♥❝♦r❡
❢❛✈♦r✐s❡r ❧❡ r❡❣r♦✉♣❡♠❡♥t ❞❡s ❆❘◆♠ ♣♦ssé❞❛♥t ❞❡s ❛♥♥♦t❛t✐♦♥s s✐♠✐❧❛✐r❡s✳ ❉❛♥s ❧❛
s✉✐t❡ ❞❡ ❧❛ t❤ès❡✱ ❧❛ ♠ét❤♦❞❡ P● ❡t ♥♦tr❡ ♠ét❤♦❞❡ ❜❛sé❡ s✉r ❧✬❆❈❋ s♦♥t ❛♣♣❧✐q✉é❡s
❛✉ rés❡❛✉ ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ ❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠✳ ◆♦✉s ♥✬❛✈♦♥s ♣❛s ❡✉ ❧❡ t❡♠♣s
❞❡ ❞é✈❡❧♦♣♣❡r ❡♥ ♣r♦❢♦♥❞❡✉r ❧❛ ♠ét❤♦❞❡ ♣❛r ❆❈❋ ❡t ❧❡s rés✉❧t❛ts ♣rés❡♥tés ✐❝✐ ❞♦✐✈❡♥t
❞♦♥❝ êtr❡ ❝♦♥s✐❞érés ❝♦♠♠❡ ♣ré❧✐♠✐♥❛✐r❡s✳
✹✳✷✳✸ ❆♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❛✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥ ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ ❝❤❡③ ❆❝②r✲
t❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠
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q✉❡ ❝❡ ❜r✉✐t ✐♥❞✉✐t ❞❛♥s ❧❡ tr❡✐❧❧✐s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts✳ ➚ ♣❛rt✐r ❞❡ ❝❡tt❡ ❢♦r♠❛❧✐s❛t✐♦♥✱ ❞❡✉①
♦♣ér❛t✐♦♥s ♦♥t été ♣r♦♣♦sé❡s ♣♦✉r ❞ét❡❝t❡r ❡t ré♣❛r❡r ❧✬❡✛❡t ❞✉ ❜r✉✐t s✉r ❧❡ tr❡✐❧❧✐s✳ ❈❡s
♦♣ér❛t✐♦♥s ♦♥t été t❡sté❡s s✉r ❞❡s ❥❡✉① ❞❡ ❞♦♥♥é❡s ✐♥ s✐❧✐❝♦ s✐♠✉❧és à ❧❛ ❢♦✐s s❛♥s ♣❛r❛♠é✲
tr❛❣❡ ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡ ❡t à ❧❛ ❢♦✐s à ❧✬❛✐❞❡ ❞❡ ♣❛r❛♠ètr❡s ❞ér✐✈és ❞✉ rés❡❛✉ ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠
❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠✳ ▲❡s rés✉❧t❛ts ♦❜t❡♥✉s s✉r ❧❡s s✐♠✉❧❛t✐♦♥s s❛♥s ❛ ♣r✐♦r✐ s♦♥t
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s✉r ❧❡s ❣r❛♣❤❡s s✐♠✉❧és à ♣❛rt✐r ❞❡ ♣❛r❛♠ètr❡s ✐ss✉s ❞✉ rés❡❛✉ ré❡❧ s♦♥t ♠♦✐♥s ❜♦♥s✳ ❊♥
❡✛❡t✱ ❧❛ ♠ét❤♦❞❡ ♥❡ ♣❡r♠❡t ♣❛s ❞❛♥s ❝❡ ❝❛s ❧à ❞❡ ré♣❛r❡r ❝♦♥✈❡♥❛❜❧❡♠❡♥t ❧❡ ❣r❛♣❤❡✳
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▲❛ ❞❡✉①✐è♠❡ ♣❛rt✐❡ ✐♥tr♦❞✉✐t ❧❡ ♣r♦❜❧è♠❡ ❞❡ ❧❛ ✈✐s✉❛❧✐s❛t✐♦♥ ❞✬✉♥ ❣r❛♣❤❡ ❜✐♣❛rt✐✳
▲❛ ♠ét❤♦❞❡ P♦✇❡r ●r❛♣❤ ✭P●✮ ❡st ✉♥❡ s♦❧✉t✐♦♥ q✉✐ ♣❡r♠❡t ❞❡ ré♣♦♥❞r❡ à ❝❡ ♣r♦❜❧è♠❡
❡♥ ❝♦✉✈r❛♥t ❧❡s ❛rêt❡s ❞✬✉♥ ❣r❛♣❤❡ ❜✐♣❛rt✐ ♣❛r ❞❡s ❜✐❝❧✐q✉❡s ♣❛r ✉♥❡ ❛♣♣r♦❝❤❡ ❤✐ér❛r✲
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s♦✉s✲❝♦♥❝❡♣ts ❝♦✉✈r❛♥t ❛✉ ♠✐❡✉① ❝❡ ❣r❛♣❤❡ ❛ été ♣r♦♣♦sé❡✳ ❊❧❧❡ s✬✐♥s♣✐r❡ ❞❡ ❧❛ ♠ét❤♦❞❡
P●✳ ❈❡tt❡ ♠ét❤♦❞❡ ♥♦✉✈❡❧❧❡ ♣❡r♠❡t ❞❡ ♠✐♥✐♠✐s❡r ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞✬❛rêt❡s ❡♥ r❡♣rés❡♥t❛♥t
✉♥ ❝♦♥❝❡♣t ♦✉ s♦✉s✲❝♦♥❝❡♣t ♣❛r ✉♥❡ s❡✉❧❡ ❛rêt❡✳ ▲✬❛✈❛♥t❛❣❡ ❞❡ ♥♦tr❡ ♠ét❤♦❞❡ ❡st q✉✬❡❧❧❡
♣❡r♠❡t ❞✬✐♠♣❧é♠❡♥t❡r ❞✐✛ér❡♥t❡s ♦♣t✐♠✐s❛t✐♦♥s✱ ❛✉tr❡s q✉✬✉♥❡ ♦♣t✐♠✐s❛t✐♦♥ ❞❡ ❝♦✉✈❡r✲
t✉r❡ ❞❡ s✉r❢❛❝❡s ❝♦♠♠❡ ❧❛ ♠ét❤♦❞❡ P●✳ ❈❡t ❛✈❛♥t❛❣❡ ❛ été ✐❧❧✉stré ♣❛r ❧✬♦♣t✐♠✐s❛t✐♦♥
❞✉ r❡❣r♦✉♣❡♠❡♥t ❞❡s ❛rêt❡s ❛ss♦❝✐é❡s à ❞❡s ❝♦✉♣❧❡s ❞❡ rè❣❧❡s ❞é✜♥✐s ❝♦♠♠❡ ✓ ❝♦♥tr❛✐r❡ ✔
s✉r ❧❛ ❜❛s❡ ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ❞❡s ❧✬❆❘◆♠ ❛ss♦❝✐és à ❝❡s ❛rêt❡s✳
✷▲✐✈r❡ ❞✐s♣♦♥✐❜❧❡ ✜♥ ✷✵✶✹ ✿ ❤tt♣✿✴✴✇✇✇✳s♣r✐♥❣❡r✳❝♦♠✴st❛t✐st✐❝s✴❜♦♦❦✴✾✼✽✲✸✲✻✻✷✲✹✹✾✽✷✲✵❈❤❛♣✐tr❡ ✺
➱t✉❞❡ ❞✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♣❛r
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▲❡ ❝❤❛♣✐tr❡ ✷ ❛ ♣rés❡♥té ❧❛ ❝ré❛t✐♦♥ ❞✬✉♥ ♣r❡♠✐❡r rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❡♥tr❡ ❧❡s ♠✐✲
❝r♦❆❘◆ ❡t ❧❡s ❆❘◆♠ ❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠ ❡t ❧❡ ❝❤❛♣✐tr❡ ❛ ✸ ❞é❝r✐t ❧❛ ré❞✉❝t✐♦♥ ❞❡
❝❡ rés❡❛✉ ❛✉① ♠✐❝r♦❆❘◆ ❡t ❆❘◆♠ q✉✐ ♣♦ssè❞❡♥t ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s ❞✐✛ér❡♥t❡s ❡♥tr❡ ❧✬❡♠✲
❜r②♦❣❡♥ès❡ s❡①✉é❡ ❡t ❧✬❡♠❜r②♦❣❡♥ès❡ ❛s❡①✉é❡✳ ❈❡ ❝❤❛♣✐tr❡ ❞é❝r✐t ❝♦♠♠❡♥t ♥♦✉s ❛✈♦♥s
✉t✐❧✐sé ❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ❡t s❡s ❡①t❡♥s✐♦♥s ♣♦✉r ♣❡r♠❡ttr❡ ❧✬❡①♣❧♦r❛t✐♦♥ ❞❡
❝❡ rés❡❛✉✳ ▲✬❛❥♦✉t ❞❡ ♥♦✉✈❡❧❧❡s ✐♥❢♦r♠❛t✐♦♥s ❤étér♦❣è♥❡s ❡t ❧✬✉t✐❧✐s❛t✐♦♥ ❞❡ ❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡
❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ♥♦✉s ♣❡r♠❡t ❞❡ ❢❛✐r❡ ❞❡ ❧❛ ❢♦✉✐❧❧❡ ❞❡ ❞♦♥♥é❡s ❞❛♥s ❝❡ rés❡❛✉ ❛✜♥ ❞✬❡①✲
tr❛✐r❡ ❞❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❡t ❞❡s ❡♥s❡♠❜❧❡s ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♣❡rt✐♥❡♥t❡s ♣♦✉r ❧❛ ♣r♦❜❧é♠❛t✐q✉❡
ét✉❞✐é❡✳
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❡t ❆❘◆♠ ❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠ ♣❡✉t êtr❡ ❝♦♥s✐❞éré ❝♦♠♠❡ ✉♥ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧✱
❛♣♣❡❧é ♣❛r ❧❛ s✉✐t❡ ❧❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❞❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s✳ ▲✬é♥✉♠ér❛t✐♦♥ ❞❡ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts
❢♦r♠❡❧s s✉r ❧❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❞❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♥♦✉s ♣❡r♠❡t ❞✬♦❜t❡♥✐r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆
♠❛t✉r❡s q✉✐ ❝✐❜❧❡♥t ❧❡s ♠ê♠❡s ❆❘◆♠✳
◆é❛♥♠♦✐♥s✱ ❡①tr❛✐r❡ ❞❡ ❧❛ ❝♦♥♥❛✐ss❛♥❝❡ ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡ ❡t ✐♥t❡r♣rét❡r ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡♠❡♥t ❝❡s
❝♦♥❝❡♣ts s❛♥s ❛♣♣♦rt❡r ❞✬✐♥❢♦r♠❛t✐♦♥s ❡①tér✐❡✉r❡s✱ q✉❡ ❝❡ s♦✐t s✉r ❧❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♦✉
s✉r ❧❡s é❧é♠❡♥ts ❞❡ ❝❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s✱ s❡ ré✈è❧❡ ❝♦♠♣❧✐q✉é✳ ❉❛♥s ❧✬♦♣t✐q✉❡ ❞✬❛ss♦❝✐❡r ❞❡s
✐♥❢♦r♠❛t✐♦♥s ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s ❛✉① ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s✱ ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s s♦♥t r❛❥♦✉tés
❛✉ ❝♦♥t❡①t❡ ❡♥tr❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ❆❘◆♠✳ ❈❡s ❛ttr✐❜✉ts ✈♦♥t ♥♦✉s ♣❡r♠❡ttr❡ ❞❡
❝❛r❛❝tér✐s❡r ❧❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠✳
▲❛ ♣r❡♠✐èr❡ ♣❛rt✐❡ ❞é❝r✐t ❝♦♠♠❡♥t ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts s♦♥t ❛❥♦✉tés à ✉♥ ❝♦♥t❡①t❡ ❛✜♥ ❞❡
♣♦✉✈♦✐r ✐♥t❡r♣rét❡r ✉♥ rés❡❛✉✳ ❉❛♥s ✉♥❡ s❡❝♦♥❞❡ ♣❛rt✐❡ ❝❡tt❡ ♠ét❤♦❞❡ ❡st ❛♣♣❧✐q✉é❡ à
♥♦tr❡ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❝❤❡③ ❆✳ ♣✐s✉♠✳
✺✳✶ ❉❡s❝r✐♣t✐♦♥ ❞❡ ❧✬❛❥♦✉t ❞✬✐♥❢♦r♠❛t✐♦♥s ❤étér♦❣è♥❡s à ✉♥
❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧
P♦✉r ❝❛r❛❝tér✐s❡r ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❞✬✉♥ rés❡❛✉ ❜✐♣❛rt✐✱ ❧❛ ♠ét❤♦❞❡ ♥é❝❡ss✐t❡ tr♦✐s ❝♦♥t❡①t❡s
❢♦r♠❡❧s ✿
✕ ▲❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ q✉✐ ❞é❝r✐t ❧❡ rés❡❛✉ ❜✐♣❛rt✐ ♣❛r ✉♥❡ r❡❧❛t✐♦♥ R ❡♥tr❡ ❧❡s ❡♥✲
s❡♠❜❧❡s ❞✬♦❜❥❡ts O1 ❡t O2 ✿ Kr❡❧ = (O1, O2, R)❀
✕ ▲❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ q✉✐ ❞é❝r✐t ❧❡s ♦❜❥❡ts O1 ♣❛r ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬❛ttr✐❜✉ts A1 ✿
K1 = (O1, A1, I1)❀
✕ ▲❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ q✉✐ ❞é❝r✐t ❧❡s ♦❜❥❡ts O2 ♣❛r ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬❛ttr✐❜✉ts A2 ✿
K2 = (O2, A2, I2)✳
➚ ❝❤❛❝✉♥ ❞❡ ❝❡s ❝♦♥t❡①t❡s✱ ✉♥ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❡st ❛ss♦❝✐é ✿ C
r❡❧
✱ C
1
❡t C
2
r❡s♣❡❝t✐✈❡♠❡♥t ♣♦✉r Kr❡❧
✱ K1
❡t K2
✳
➚ ♣❛rt✐r ❞❡ ❝❡s tr♦✐s ❝♦♥t❡①t❡s✱ ✉♥ ♥♦✉✈❡❛✉ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ Kr❡❧,1,2
❡st ❢♦r♠é ♣❛r
❧❛ ❢✉s✐♦♥ ❞❡ ❝❡s tr♦✐s ❝♦♥t❡①t❡s s✉r ❧❛ ❜❛s❡ ❞❡ ❧❡✉rs ❡♥s❡♠❜❧❡s ❝♦♠♠✉♥s✱ O1 ❡t O2✳ ▲❡
♥♦✉✈❡❛✉ ❝♦♥t❡①t❡ ❡st ❢♦r♠é ❞❡ ❧❛ ❢❛ç♦♥ s✉✐✈❛♥t❡ ✿
K
r❡❧,1,2 = (O1 ∪ A2, O2 ∪ A1, R ∪ I1 ∪ ¯I2)
❛✈❡❝ ¯I2 ⊆ A2 × O2 ❡t (a, b) ∈ I2 ⇔ (b, a) ∈ ¯I2✳
▲✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts C
r❡❧,1,2 ❞❡ Kr❡❧,1,2 à ♣❛rt✐r ❞❡s ❡♥s❡♠❜❧❡s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts C
r❡❧
✱ C
1
❡t C
2 ♣❡✉t êtr❡ ❞é✜♥✐ ♣❛r ❧✬✉t✐❧✐s❛t✐♦♥ ❞✬✉♥ ♦♣ér❛t❡✉r ❛❞❛♣té à ♣❛rt✐r ❞❡ ❧✬♦♣ér❛t❡✉r ❞❡
❢✉s✐♦♥ f ❞é✜♥✐ s✉r ❧❛ ré♣❛r❛t✐♦♥ ❞❡ ❝♦♥t❡①t❡s ❜r✉✐tés ✭♣❛rt✐❡ ✹✳✶✳✶✮✳ ▲✬❡♥s❡♠❜❧❡ C
r❡❧ s❡r❛✐t
❝♦♥s✐❞éré ❝♦♠♠❡ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❞✬♦r✐❣✐♥❡ ❡t ❧❡s ❡♥s❡♠❜❧❡s C
1
❡t C
2
❝♦♠♠❡ ❧❡s
✓ ❢❛✉① ✔ ❝♦♥❝❡♣ts ✭❝❡ q✉✐ ♥✬❡st ♣❛s ❧❡ ❝❛s ✐❝✐✮✳
❈♦♠♠❡ ❧✬♦♥ s♦✉❤❛✐t❡ ❝❛r❛❝tér✐s❡r ❧❡s r❡❧❛t✐♦♥s ❞❡ Kr❡❧✱ ♣❛r♠✐ t♦✉s ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts ♦❜t❡✲
♥✉s s✉r Kr❡❧,1,2
✱ s❡✉❧s ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts ✐♥❝❧✉❛♥t ❛✉ ♠♦✐♥s ✉♥❡ r❡❧❛t✐♦♥ ❞❡ R s♦♥t ✐♥tér❡ss❛♥ts✳
❈❡ s♦♥t ❧❡s s❡✉❧s q✉✐ ❝❛r❛❝tér✐s❡♥t ♣♦t❡♥t✐❡❧❧❡♠❡♥t ❧❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❞✉ rés❡❛✉✳ ❈✬❡st ♣♦✉r✲
q✉♦✐ ♥♦✉s ❞é✜♥✐ss♦♥s ✉♥ s♦✉s ❡♥s❡♠❜❧❡ CAr❡❧,1,2 ⊆ C
r❡❧,1,2 q✉✐ ❞✐st✐♥❣✉❡ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s
❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ❞❡ Kr❡❧,1,2 q✉✐ ❝♦♠♣r❡♥♥❡♥t ✉♥❡ r❡❧❛t✐♦♥ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥ ✿❉❡s❝r✐♣t✐♦♥ ❞❡ ❧✬❛❥♦✉t ❞✬✐♥❢♦r♠❛t✐♦♥s ❤étér♦❣è♥❡s à ✉♥ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ✶✶✼
❉é✜♥✐t✐♦♥ ✺✳✶ ❖♥ ❛♣♣❡❧❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ❛♥♥♦té ✉♥ ❝♦♥❝❡♣t ❞✉ s♦✉s ❡♥s❡♠❜❧❡ CAr❡❧,1,2 ⊆
C
r❡❧,1,2 ❞é✜♥✐ ❞❡ ❧❛ ❢❛ç♦♥ s✉✐✈❛♥t❡ ✿
∀ C
r❡❧,1,2 ∈ CAr❡❧,1,2 ⇒ ∃o1 ∈ extension(C
r❡❧,1,2
)∧∃o2 ∈ intension(C
r❡❧,1,2
)∧(o1, o2) ∈ R,
❛✈❡❝ extension(C
r❡❧,1,2
) ❡t intension(C
r❡❧,1,2
) ❧✬❡①t❡♥s✐♦♥ ❡t ❧✬✐♥t❡♥s✐♦♥ ❞❡ C
r❡❧,1,2
✳
▲❡ s♦✉s ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts CAr❡❧,1,2
r❡♣rés❡♥t❡ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❞❡ C
r❡❧,1,2 q✉✐
♣♦ssè❞❡♥t ❛✉ ♠♦✐♥s ✉♥❡ r❡❧❛t✐♦♥ ❞❡ Kr❡❧
✳
◆✬♦❜t❡♥✐r q✉❡ ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts C
r❡❧,1,2 ∈ CAr❡❧,1,2 ❞❡ Kr❡❧,1,2 q✉✐ ♣♦ssè❞❡♥t ❛✉ ♠✐♥✐♠✉♠
✉♥❡ r❡❧❛t✐♦♥ ✐♥❝❧✉s❡ ❞❛♥s R ♣❡r♠❡t ❞✬♦❜t❡♥✐r tr♦✐s t②♣❡s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❧✐stés ❝✐✲❞❡ss♦✉s✳
❉❛♥s ❝❡ q✉✐ s✉✐t✱ C
r❡❧,1,2 ∈ CAr❡❧,1,2
✱ C
r❡❧ = (C, D) ∈ C
r❡❧
✱ A1 ❡st ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts
❞❡ K1
❡t A2 ❡st ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts ❞❡ K2
✿
✶✳ C
r❡❧,1,2 ∈ C
r❡❧ ✿ ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ♥❡ ❝♦♥t✐❡♥t ❛✉❝✉♥❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ❛ss♦❝✐é s✉r ❧❡s ❡♥s❡♠❜❧❡s
❞✬❛ttr✐❜✉ts A1 ❡t A2 ❀
✷✳ C
r❡❧,1,2 = (D ∪ A0
2
, E) ∧ A0
2 ⊆ A2 ∧ A0
2
6= ∅ ♦✉ C
r❡❧,1,2 = (D, E ∪ A0
1
) ∧ A0
1 ⊆
A1 ∧ A0
1
6= ∅ ✿ ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ♣❡✉t êtr❡ ❛ss♦❝✐é à ✉♥ ❝♦♥❝❡♣t ❞❡ C
r❡❧ ❡t ❝♦♥t✐❡♥t ✉♥❡
❛♥♥♦t❛t✐♦♥ s✉r ❧❡s ❡♥s❡♠❜❧❡s ❞✬❛ttr✐❜✉ts A1 ♦✉ A2 ❀
✸✳ C
r❡❧,1,2 = (D0 ∪ A0
2
, E0
) ∧ D0 ⊂ D ∧ E0 ⊂ E ∧ D0 6= ∅ ∧ E0 6= ∅ ∧ A0
2 ⊂ A2 ∧ A0
2
6= ∅
♦✉ r❡❧,1,2 = (D0
, E0∪A0
1
)∧D0 ⊂ D ∧E0 ⊂ E ∧D0 6= ∅∧E0 6= ∅∧A0
1 ⊂ A1∧A0
1
6= ∅ ✿
❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ❝♦♥t✐❡♥t ✉♥ r❡❝t❛♥❣❧❡ ♥♦♥ ♠❛①✐♠❛❧ ❞❡ C
r❡❧ ❡t ❝♦♥t✐❡♥t ✉♥❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥
s✉r ❧❡s ❡♥s❡♠❜❧❡s ❞✬❛ttr✐❜✉ts A1 ♦✉ A2✳
❙✉r ❧❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ Kr❡❧✱ ❛✉❝✉♥❡ r❡❧❛t✐♦♥ ♥✬❡st ❞é✜♥✐❡ s✉r ❧❡s ❡♥s❡♠❜❧❡s A2 ❡t A1✱
A2 × A1 = ∅✳ ❈✬❡st ♣♦✉r ❝❡tt❡ r❛✐s♦♥ q✉❡ ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❞❡ CAr❡❧,1,2
✐♥❝❧✉❡♥t s♦✐t ❞❡s
❛ttr✐❜✉ts ❞❡ A2 s♦✐t ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts ❞❡ A1 ♠❛✐s ♣❛s ❧❡s ❞❡✉① ✭❝❛s ✷ ❡t ✸ ❝✐✲❞❡ss✉s✮✳ ❈❡❧❛
✐♠♣❧✐q✉❡ q✉✬✐❧ ♣❡✉t ❡①✐st❡r ❞❡✉① ❛♥♥♦t❛t✐♦♥s ♣♦✉r ✉♥ ♠ê♠❡ ❝♦♥❝❡♣t ❞❡ C
r❡❧ ✭❝❛s ✷✮ ♦✉
✉♥❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ♣♦✉r ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ❞❡ C
r❡❧ ❡t ✉♥❡ ❛✉tr❡ s✉r ❧✬❛✉tr❡ ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞✬❛ttr✐❜✉t ✉♥
r❡❝t❛♥❣❧❡ ♥♦♥ ♠❛①✐♠❛❧ ❞❡ C
r❡❧ ✭❝❛s ✷✱✸✮✳
◆♦✉s t❡r♠✐♥❡r♦♥s ❝❡tt❡ ❡①❡♠♣❧❡ ♣❛r ✉♥❡ ✐❧❧✉str❛t✐♦♥✳ Pr❡♥♦♥s tr♦✐s ❝♦♥t❡①t❡s ❢♦r✲
♠❡❧s ✿ ❧❡ ❝♦♥t❡①t❡ K✐
s✉r ❞❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠✱ ❧❡ ❝♦♥t❡①t❡ Kµ
s✉r ❧❡s
❛ttr✐❜✉ts ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ❧❡ ❝♦♥t❡①t❡ Ka
s✉r ❧❡s ❛ttr✐❜✉ts ❞❡s ❆❘◆♠ ❛✐♥s✐
q✉❡ ❧❡ tr❡✐❧❧✐s B(K✐
) ❛ss♦❝✐é à K✐
✭❋✐❣✉r❡ ✺✳✶✮✳ ❈❡s tr♦✐s ❝♦♥t❡①t❡s ❝♦rr❡s♣♦♥❞❡♥t ❛✉①
❝♦♥t❡①t❡s Kr❡❧
✱ K1
❡t K2
❡t ❧❡ tr❡✐❧❧✐s r❡♣rés❡♥t❡ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts C
r❡❧✳ ▲❛ ❢✉s✐♦♥
❞❡ ❝❡s tr♦✐s ❝♦♥t❡①t❡s ❞♦♥♥❡ ❧❡ ❝♦♥t❡①t❡ K✐,µ,a ❡t s♦♥ tr❡✐❧❧✐s B(K✐,µ,a) ✭❋✐❣✉r❡ ✺✳✷✮✳ ■❧s
❝♦rr❡s♣♦♥❞❡♥t ❛✉ ❝♦♥t❡①t❡ Kr❡❧,1,2
❡t à ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts C
r❡❧,1,2
✳
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1
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♣rét❛t✐♦♥ ❞❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠✳
▲❡ ❝❛s ✶ ❡st ✐❧❧✉stré ♣❛r ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t C
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4
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7
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2
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5
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2
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1
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1
✭{µ1} × {a1, a2}✮ ♣❛r ❧✬❛ttr✐❜✉t µatt2
s✉r ❧❡
♠✐❝r♦❆❘◆ µ1✳
a1 a2 a3 a4
µ1 ✶ ✶
µ2 ✶ ✶
µ3 ✶ ✶ ✶ ✶
µ4 ✶ ✶
µ5 ✶ ✶
K✐
µ❛tt1 µ❛tt2
µ1 ✶
µ2
µ3 ✶
µ4 ✶
µ5 ✶ ✶
Kµ
a❛tt1 a❛tt2
a1
a2 ✶
a3 ✶
a4 ✶
Ka
>✐ = {µ1, µ2, µ3, µ4, µ5} × ∅
C
✐
1 = {µ1, µ2, µ3}
×
{a1, a2}
C
✐
2 = {µ3, µ4, µ5}
×
{a3, a4}
⊥✐ = {µ3} × {a1, a2, a3, a4}
B(K✐)
❋✐❣✳ ✺✳✶ ✕ ❚r♦✐s ❝♦♥t❡①t❡s ❢♦r♠❡❧s ❡t ✉♥ tr❡✐❧❧✐s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ✿ K✐
r❡♣rés❡♥t❡ ❧❡s ✐♥t❡r❛❝✲
t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠✱ Kµ
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r❡♣rés❡♥t❡♥t r❡s♣❡❝t✐✈❡♠❡♥t ❧❡s ❛ttr✐❜✉ts ♣♦ssé❞és
♣❛r ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s µ1..µ5 ❡t ❧❡s ❆❘◆♠ a1..a4✳ ▲❡ tr❡✐❧❧✐s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts B(K✐) ❡st
r❡♣rés❡♥té ❡♥ ❞❡ss♦✉s✳
✺✳✷ ❆♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❛✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠
❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠
▲✬❛❥♦✉t ❞✬✐♥❢♦r♠❛t✐♦♥s ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s ❤étér♦❣è♥❡s ❛✉ ❝♦♥t❡①t❡ ❢♦r♠❡❧ ❞❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s
✭♠❛tr✐❝❡ ❞✬❛❞❥❛❝❡♥❝❡ ❞✉ ❣r❛♣❤❡ ❜✐♣❛rt✐ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠✮ ♣❛r ❧❛ ♠é✲
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✶✳ ❊st✲❝❡ q✉❡ ❧❡ r❡❣r♦✉♣❡♠❡♥t ❞✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ❞✬❆❘◆♠ ❡♥ ✐♥✲
t❡r❛❝t✐♦♥ ✐♠♣❧✐q✉❡ ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s s♣é❝✐✜q✉❡s ♣♦✉r ❝❡s ❞❡✉① ❡♥s❡♠❜❧❡s ❄
✷✳ ❊st✲❝❡ q✉❡ ❧✬❛❥♦✉t ❞✬❛ttr✐❜✉ts ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s ♣❛rt✐❝✉❧✐❡rs ♣❡r♠❡t ❞✬♦❜s❡r✈❡r ❞❡ ♥♦✉✲
✈❡❛✉① r❡❣r♦✉♣❡♠❡♥ts ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ✐♠♣❧✐q✉és ♣❛r ❝❡s ❛ttr✐❜✉ts ❄
❉❛♥s ❧❛ s✉✐t❡ ❞❡ ❝❡tt❡ ♣❛rt✐❡✱ ❧❡s ❛ttr✐❜✉ts ❛❥♦✉tés ❛✉ ❝♦♥t❡①t❡ s♦♥t t♦✉t ❞✬❛❜♦r❞
❞ét❛✐❧❧és ♣✉✐s ♦♥ ♣rés❡♥t❡ ✉♥❡ ❛♥❛❧②s❡ ❞❡s rés✉❧t❛ts ♦❜t❡♥✉s ♣❛r ❝❡tt❡ ♠ét❤♦❞❡ s✉r ❝❡s
❛ttr✐❜✉ts✳❆♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❛✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ ❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠ ✶✶✾
a1 a2 a3 a4 µatt1 µatt2
µ1 ✶ ✶ ✶
µ2 ✶ ✶
µ3 ✶ ✶ ✶ ✶ ✶
µ4 ✶ ✶ ✶
µ5 ✶ ✶ ✶ ✶
aatt1
✶
aatt2
✶ ✶
K✐,µ,a
>✐,1,2 = {µ1, µ2, µ3, µ4, µ5, aatt1
, aatt2
}
×
∅
C
✐,1,2
1 = {µ1, µ5}
×
{µatt2
}
C
✐,1,2
2 = {µ1, µ2, µ3, aatt1
}
×
{a2}
C
✐,1,2
3 = {µ3, µ4, µ5, aatt2
}
×
{a3, a4}
C
✐,1,2
4 = {µ1, µ2, µ3}
×
{a1, a2}
C
✐,1,2
5 = {µ3, µ4, µ5}
×
{a3, a4, µatt1
}
C
✐,1,2
6 = {µ1}
×
{a1, a2, µatt2
}
C
✐,1,2
7 = {µ3}
×
{a1, a2, µatt1
}
C
✐,1,2
8 = {µ5}
×
{a3, a4, µatt1
, µatt2
}
⊥ = ∅
×
{a1, a2, a3, a4, µatt1
, µatt2
}
B(K✐,µ,a)
❋✐❣✳ ✺✳✷ ✕ ▲❡ ❝♦♥t❡①t❡ K✐,µ,a ❡t s♦♥ tr❡✐❧❧✐s ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts✳ ❊♥ r♦✉❣❡ ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t q✉✐ ♥❡
❝♦♠♣♦rt❡ ❛✉❝✉♥❡ ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥ ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ ❡t ♥❡ ❢❛✐t ❞♦♥❝ ♣❛s ♣❛rt✐❡ ❞❡ CA✐,µ,a✶✷✵ ➱t✉❞❡ ❞✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♣❛r ❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s
✺✳✷✳✶ ❆ttr✐❜✉ts ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s ✉t✐❧✐sés ♣♦✉r ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ❡t ❧❡s ❆❘◆♠
❘è❣❧❡s ❞❡ tr❛♥s✐t✐♦♥ ❞❡ ♣r♦✜❧ ❝✐♥ét✐q✉❡
❈❡t ❛ttr✐❜✉t ❡st ✐❞❡♥t✐q✉❡ ❛✉① rè❣❧❡s ✐ss✉❡s ❞❡ ❧❛ ❝❧❛ss✐✜❝❛t✐♦♥ ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s
❡t ❞❡s ❆❘◆♠ ❞✐✛ér❡♥t✐❡❧❧❡♠❡♥t ré❣✉❧és ❡♥ ❢♦♥❝t✐♦♥ ❞❡ ❧❡✉rs ♣r♦✜❧s ❝✐♥ét✐q✉❡s s❡①✉és ❡t
❛s❡①✉és ❞é❝r✐ts ❝❤❛♣✐tr❡ ✸✳ P♦✉r ❝❤❛q✉❡ é❧é♠❡♥t ❞✉ rés❡❛✉✱ ✉♥❡ rè❣❧❡ ❞❡ tr❛♥s✐t✐♦♥ ❡st
❛ss♦❝✐é❡✳ ■❧ s✬❛❣✐t ❞✬♦❜s❡r✈❡r s✐ ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ♦✉ ❞❡s ❆❘◆♠ ♣♦ssé❞❛♥t ❞❡s
rè❣❧❡s ❞❡ tr❛♥s✐t✐♦♥s ✐❞❡♥t✐q✉❡s ♣rés❡♥t❡♥t ❞❡s ❝❛r❛❝tér✐st✐q✉❡s ❝♦♠♠✉♥❡s✳ ❈❤❛❝✉♥ ❞❡s
❛ttr✐❜✉ts r❡♣rés❡♥t❡ ❧✬✉♥❡ ❞❡s ♥❡✉❢ rè❣❧❡s ❞❡ ❝❧❛ss✐✜❝❛t✐♦♥ ❡t ✐❧ ❡①✐st❡ ✉♥❡ r❡❧❛t✐♦♥ ❡♥tr❡
❧✬♦❜❥❡t ❡t ❧✬❛ttr✐❜✉t s✐ ❧❡ ❝♦✉♣❧❡ ❞❡ ♣r♦✜❧s ❞❡ ❧✬♦❜❥❡t ❝♦rr❡s♣♦♥❞ à ❧❛ rè❣❧❡✳ P♦✉r ❧❡s
✶✺ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ✐❧ ② ❛ ❡①❛❝t❡♠❡♥t ✉♥ ❝❤♦✐① ❡✛❡❝t✉é ♣❛r♠✐ ❧❡s q✉❛tr❡ ❛ttr✐❜✉ts
❡①❝❧✉s✐❢s ❛ss♦❝✐és ❝❡ q✉✐ ❣é♥èr❡ ✶✺ ❝♦✉♣❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆✴rè❣❧❡ ❡t ♣♦✉r ❧❡s ✶✳✽✶✵ ❆❘◆♠ ✐❧
② ❛ ♥❡✉❢ ❛ttr✐❜✉ts ❝❡ q✉✐ ❣é♥èr❡ ✶✳✽✶✵ ❝♦✉♣❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆✴rè❣❧❡✳
➱❧é♠❡♥ts ❞✐✛ér❡♥t✐❡❧❧❡♠❡♥t ré❣✉❧és ❛✉ ♣r❡♠✐❡r t❡♠♣s ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s
■❧ ❛ été ♠♦♥tré q✉❡ ♣❛ssé ❧❡ st❛❞❡ ❞❡ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t ❧❛r✈❛✐r❡ ✶✼✱ ❧❡s ❡♠❜r②♦♥s ♥❡
s♦♥t ♣❧✉s ✢❡①✐❜❧❡s ❛✉ ❦✐♥♦♣rè♥❡ ❡t q✉❡ ❧❡✉r ❛✈❡♥✐r✱ s❡①✉é ♦✉ ❛s❡①✉é✱ ❞❡✈✐❡♥t ❞ét❡r♠✐♥é
❬✼✼❪✳ ▲❡ ♣♦✐♥t ❞❡ tr❛♥s✐t✐♦♥ ❡♥tr❡ ❧❡ ❙t❛❞❡ ✶✼ ❡t ❧❡s st❛❞❡s s✉✐✈❛♥ts ♠ér✐t❡ ✉♥❡ ❛tt❡♥t✐♦♥
♣❛rt✐❝✉❧✐èr❡✳ ◆♦✉s ❛✈♦♥s ❞♦♥❝ ✐♥tr♦❞✉✐t ✉♥ ❛ttr✐❜✉t ♣♦✉r ✐❞❡♥t✐✜❡r t♦✉t é❧é♠❡♥t ré❣✉❧é
♣♦ssé❞❛♥t ✉♥❡ ❞✐✛ér❡♥❝❡ ❞❡ ♣r♦✜❧s ❞✬❡①♣r❡ss✐♦♥ ❡♥tr❡ ❧❡ ❚✵ ✭❙t❛❞❡ ✶✼✮ ❡t ❧❡s ❚✶❙ ✭s❡①✉é✮
♦✉ ❧❡s ❚✶❆❙ ✭❛s❡①✉é✮✳ ❊♥ ♣r♦❝é❞❛♥t à ❝❡tt❡ sé❧❡❝t✐♦♥✱ ❤✉✐t ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ✹✼✺
❆❘◆♠ ♦♥t été ♠❛rq✉és ♣❛r ❝❡t ❛ttr✐❜✉t ✐♥t✐t✉❧é ✓ P❈❉ ✔ ✭♣♦✉r Pr❡♠✐èr❡ ❈✐♥ét✐q✉❡
❉✐✛ér❡♥t❡✮✳
❆♥♥♦t❛t✐♦♥ ❢♦♥❝t✐♦♥♥❡❧❧❡ ♣❛r ●❖
P♦✉r ❝❤❛q✉❡ ❆❘◆♠ ❞✉ rés❡❛✉ ❛✈❡❝ ❛✉ ♠♦✐♥s ✉♥❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ❢♦♥❝t✐♦♥♥❡❧❧❡ ●❖ ✭♣♦✉r
r❛♣♣❡❧ ✻✾✵ ❆❘◆♠✮✱ ❝❡tt❡ ♦✉ ❝❡s ❛♥♥♦t❛t✐♦♥s ❢♦♥❝t✐♦♥♥❡❧❧❡s ❧✉✐ s♦♥t ❛ss♦❝✐é❡s✳ ❈❤❛❝✉♥❡
❞❡s ❛♥♥♦t❛t✐♦♥s r❡♣rés❡♥t❡ ✉♥ ❛ttr✐❜✉t ❡t ✐❧ ❡①✐st❡ ✉♥❡ r❡❧❛t✐♦♥ ❡♥tr❡ ❧✬❆❘◆♠ ❡t ❧✬❛ttr✐❜✉t
s✐ ❧✬❆❘◆♠ ❡st ❛♥♥♦té ♣❛r ❝❡tt❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥✳ ■❧ ② ❛ ✶✳✹✵✾ ❛ttr✐❜✉ts ♣♦✉r ✸✳✵✻✹ r❡❧❛t✐♦♥s✳
❈❡t ❛ttr✐❜✉t ❡st ❛♣♣❡❧é ✓ ●❖ ✔ ♣❛r ❧❛ s✉✐t❡✳
❆♥♥♦t❛t✐♦♥ ❢♦♥❝t✐♦♥♥❡❧❧❡ ♠❛♥✉❡❧❧❡ ♣❛r t❡r♠❡s ●❖ ❞✬✐♥térêt
❯♥❡ ❧✐st❡ ❞❡ ❢♦♥❝t✐♦♥s ❞✬✐♥térêt à ♦❜s❡r✈❡r ❞❛♥s ❧❡ rés❡❛✉ ❛ été ❡①tr❛✐t❡ à ♣❛rt✐r
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sé❡s s✉r ❧✬❡①♣r❡ss✐♦♥ ❞✐✛ér❡♥t✐❡❧❧❡ ❞✬❆❘◆♠ ❝❤❡③ ❆✳ ♣✐s✉♠ ❛✈❡❝ ✉♥ ♣r♦t♦❝♦❧❡ ❡①♣ér✐✲
♠❡♥t❛❧ ✐❞❡♥t✐q✉❡ ❛✉ ♥ôtr❡✳ ❈❡s q✉❛tr❡ ❢♦♥❝t✐♦♥s s♦♥t ✿ ❧✬♦✈♦❣❡♥ès❡ ✭✶✮✱ ❧❛ ré❣✉❧❛t✐♦♥
♣♦st✲tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡ ✭✷✮✱ ❧✬é♣✐❣é♥ét✐q✉❡ ✭✸✮ ❡t ❧❡ ❝②❝❧❡ ❝❡❧❧✉❧❛✐r❡ ✭✹✮✳ ➚ ❝❡s ❢♦♥❝t✐♦♥s
s♦♥t ❛❥♦✉té❡s tr♦✐s ❛✉tr❡s ❢♦♥❝t✐♦♥s ✿ ❧❡ s②stè♠❡ ♥❡✉r♦❡♥❞♦❝r✐♥❡ ✭✺✮✱ ❧❡ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t
♠✉s❝✉❧❛✐r❡ ✭✻✮ ❡t ❧❛ ré❣✉❧❛t✐♦♥ tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡ ✭✼✮✳
P♦✉r ❧❛ ❢♦♥❝t✐♦♥ ✺✱ ✐❧ ❛ été ❞é❝✐❞é ❞❡ ❧✬❛❥♦✉t❡r ❝❛r ❝❡s é❧é♠❡♥ts ❥♦✉❡♥t ✉♥ rô❧❡ ❛✈éré ♦✉
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❧❡s ❢❡♠❡❧❧❡s s❡①✉é❡s ❡t ❛s❡①✉é❡s ♥❡ s♦♥t ♣❛s ✐❞❡♥t✐q✉❡s✱ ❞✬♦ù ✉♥❡ ❞✐✛ér❡♥❝❡ ❞❡ ré❣✉❧❛t✐♦♥
♣♦t❡♥t✐❡❧❧❡ ❞❡s ❆❘◆♠ ✐♠♣❧✐q✉és ❞❛♥s ❧❡ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t ♠✉s❝✉❧❛✐r❡✳ ▲❛ ❢♦♥❝t✐♦♥ ✼ ❛ été❆♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❛✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ ❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠ ✶✷✶
❛❥♦✉té❡ ❝❛r ♦♥ ❛ ❝♦♥st❛té ✉♥ ❡♥r✐❝❤✐ss❡♠❡♥t ❡♥ t❡r♠❡s ●❖ ❛ss♦❝✐és à ❝❡tt❡ ❢♦♥❝t✐♦♥ ❞❛♥s
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t❡r♠❡s ●❖✳ ❙✐ ✉♥ ❆❘◆♠ ♣♦ssè❞❡ ✉♥ ❞❡s t❡r♠❡s ●❖ ❛ss♦❝✐és à ❧✬✉♥❡ ❞❡s ❢♦♥❝t✐♦♥s✱ ❛❧♦rs
✐❧ ❡st ❛✉ss✐ ❛ss♦❝✐é à ❝❡tt❡ ❢♦♥❝t✐♦♥✳ ▲✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s s❡♣t ❢♦♥❝t✐♦♥s ❡t ❧❡✉rs ❛♥♥♦t❛t✐♦♥s
❡t ♥✉♠ér♦ ●❖ s♦♥t ❧✐sté❡s ❝✐✲❞❡ss♦✉s ✿
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♥✬② ❛ q✉❡ ✻✾✵ ❆❘◆♠ s✉r ❧❡s ✶✳✽✶✵ q✉✐ ♣♦ssè❞❡♥t ❛✉ ♠♦✐♥s ✉♥ ❛ttr✐❜✉t ●❖ ❡t q✉❡ ❧❛
♣ré❝✐s✐♦♥ ❞❡s ❛♥♥♦t❛t✐♦♥s ♥✬❡st ♣❛s ❧❛ ♠ê♠❡ ♣♦✉r ❝❡s ✻✾✵ ❆❘◆♠✳ P♦✉r ❝❡tt❡ r❛✐s♦♥✱ ✐❧
❛ été ❞é❝✐❞é ❞❡ s✉♣♣r✐♠❡r ❧✬❛ttr✐❜✉t ♣♦rt❛♥t s✉r ❧✬❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ❢♦♥❝t✐♦♥♥❡❧❧❡ ♣❛r ●❖✱ ❝❡
q✉✐ r❛♠è♥❡ ❧❡ ❝♦♥t❡①t❡ ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts ❞❡s ❆❘◆♠ à ✿ ✶✳✽✶✵ ❆❘◆♠✱ ✶✼ ❛ttr✐❜✉ts ❡t ✷✳✺✺✾
r❡❧❛t✐♦♥s✳
▲❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ♦❜t❡♥✉s ❡♥ s✉♣♣r✐♠❛♥t ❧✬❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ●❖ ❞❡ ❧✬❛♥❛❧②s❡ ♣❛ss❡ à
✺✺✺ ❝♦♥❝❡♣ts✱ ❝❡ q✉✐ ❡st très ✐♥❢ér✐❡✉r ❛✉ ♥♦♠❜r❡ ♣ré❝é❞❡♥t ✭✷✳✷✷✺✮✳ ❙✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s
❝♦♥❝❡♣ts ♦❜t❡♥✉s ❡♥ ❡①❝❧✉❛♥t ❧❡ t♦♣ ✭s✉♣r❡♠✉♠ ❞✉ tr❡✐❧❧✐s✮ ❡t ❧❡ ❜♦tt♦♠ ✭✐♥✜♠✉♠ ❞✉
tr❡✐❧❧✐s✮✱ ✻✺ ❝♦♠♣♦rt❡♥t ❛✉ ♠♦✐♥s ✉♥ ❛ttr✐❜✉t s✉r ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✱ ✹✼✸ ❛✉ ♠♦✐♥s
✉♥ ❛ttr✐❜✉t s✉r ❧❡s ❆❘◆♠ ❡t ✶✺ ♥❡ ❝♦♠♣♦rt❡♥t ❛✉❝✉♥ ❛ttr✐❜✉t✳
❆✈❛♥t ❞✬❛❜♦r❞❡r ❧✬❛♥❛❧②s❡ ♣r♦♣r❡♠❡♥t ❞✐t❡✱ ♥♦✉s ♣rés❡♥t♦♥s ❋✐❣✉r❡ ✺✳✸ ✉♥ ❡①❡♠♣❧❡
❞✉ t②♣❡ ❞❡ rés✉❧t❛t q✉❡ ❧✬♦♥ ♣❡✉t ♦❜t❡♥✐r✳ ❊❧❧❡ ❡st ✐ss✉❡ ❞❡ ❧✬❡①tr❛❝t✐♦♥ ❞❡ ❝✐♥q ❝♦♥❝❡♣ts
❞✉ tr❡✐❧❧✐s✳ ❈❤❛q✉❡ ❝♦♥❝❡♣t ❡st ❝♦♥st✐t✉é ❞❡ ❝✐♥q ♣❛rt✐❡s ✭sé♣❛ré❡s ♣❛r ✉♥ tr❛✐t✮ t♦✉❥♦✉rs
♣rés❡♥té❡s ❞❛♥s ❝❡t ♦r❞r❡ ✿
✶✳ ▲❡ ♥✉♠ér♦ ❞✉ ❝♦♥❝❡♣t ❀
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✸✳ ▲✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❆❘◆♠ ✭♥♦♠❡♥❝❧❛t✉r❡ ❆♣❤✐❞❇❛s❡ ✿ ❆❈❨P■✮✳ ❙✐ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞✬❆❘◆♠
♣rés❡♥ts ❞❛♥s ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ❞é♣❛ss❡ ❧❡s ✷✺✱ ❛❧♦rs ❞❛♥s ❝❡ ❝❛s s❡✉❧ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞✬❆❘◆♠
♣rés❡♥ts ❡st ❛✣❝❤é ❀
✹✳ ▲✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❀
✺✳ ▲✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts ♣♦ssé❞és ♣❛r ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✳
➚ ♥♦t❡r q✉❡ ♣♦✉r ❢❛❝✐❧✐t❡r ❧❛ ❧✐s✐❜✐❧✐té ❡t ❧✬✐♥t❡r♣rét❛t✐♦♥ ❞❡s ✜❣✉r❡s✱ ❝❡rt❛✐♥s ❛ttr✐❜✉ts
♦♥t été ❛❥♦✉tés ❛✉① ❝♦♥❝❡♣ts ❛♣rès ❧❛ ❝ré❛t✐♦♥ ❞✉ tr❡✐❧❧✐s✳ ❈❡s ❝❛s ❝♦rr❡s♣♦♥❞❡♥t ❛✉①❆♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❛✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ ❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠ ✶✷✸
❝♦♥❝❡♣ts ♣♦ssé❞❛♥t ✉♥❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥ à ❧❛ ❢♦✐s s✉r ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ❧❡s ❆❘◆♠
✭❝❛s ✷ ❡t ❝❛s ✷✱✸✮✳ ▲❡s ❛ttr✐❜✉ts s♦♥t ❞♦♥❝ ❛❥♦✉tés s✐ ❡t s❡✉❧❡♠❡♥t s✐ ✐❧s s♦♥t ♣rés❡♥ts
♣♦✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s é❧é♠❡♥ts ✭♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ♦✉ ❆❘◆♠ ❞✉ ❝♦♥❝❡♣t✮✳ ▲❡s ❛ttr✐❜✉ts
❛❥♦✉tés ❛♣♣❛r❛✐ss❡♥t ❡♥tr❡ ❛❝❝♦❧❛❞❡s✳
Concept 429
« diminution »
ACYPI000346
ACYPI082800
ACYPI083520
ACYPI48937
api-mir-316-5p
api-mir-novel146-5p
{ augmentation }
Concept 238
« diminution »
...
65
...
api-mir-316-5p
{ augmentation }
Concept 283
« diminution »
...
62
...
api-mir-novel146-5p
{ augmentation }
{ PCD }
Concept 505
« diminution »
« PCD »
ACYPI001421
ACYPI001777
ACYPI002240
ACYPI002982
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ACYPI22226
ACYPI29370
ACYPI33621
ACYPI33946
ACYPI44738
ACYPI46195
ACYPI51768
api-mir-316-5p
{ augmentation }
Concept 528
« diminution »
« PCD »
« système neuroendocrine »
ACYPI008556
ACYPI44738
api-mir-316-5p
{ augmentation }
❋✐❣✳ ✺✳✸ ✕ ❈✐♥q ❝♦♥❝❡♣ts ❡①tr❛✐ts ❞✉ tr❡✐❧❧✐s ❞❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❛♣rès ❛❥♦✉t ❞✬✐♥❢♦r♠❛t✐♦♥✳
❯♥❡ ❞❡s ❢❛ç♦♥s ❞❡ ❧✐r❡ ❝❡tt❡ ✜❣✉r❡ ❡st ❧❛ s✉✐✈❛♥t❡ ✿ ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ✷✸✽ ✐♥❝❧✉t ✻✺ ❆❘◆♠
❝✐❜❧és ♣❛r ❧❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ❛♣✐✲♠✐r✲✸✶✻✲✺♣✱ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❆❘◆♠ s✉✐✈❡♥t ❧❛ rè❣❧❡ ✓ ❞✐♠✐♥✉✲
t✐♦♥ ✔ ❡t ❛♣✐✲♠✐r✲✸✶✻✲✺♣ s✉✐t ❧❛ rè❣❧❡ ✓ ❛✉❣♠❡♥t❛t✐♦♥ ✔✳ ❊♥s✉✐t❡✱ ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ✷✽✸ r❡❣r♦✉♣❡
✻✷ ❆❘◆♠ q✉✐ s✉✐✈❡♥t ❧❛ rè❣❧❡ ✓ ❞✐♠✐♥✉t✐♦♥ ✔ ❡t s♦♥t ❝✐❜❧és ♣❛r ❛♣✐✲♠✐r✲♥♦✈❡❧✶✹✻✲✺♣ q✉✐
❧✉✐ ♣♦ssè❞❡ ❧❡s ❛ttr✐❜✉ts ✓ ❛✉❣♠❡♥t❛t✐♦♥ ✔ ❡t ✓ P❈❉ ✔ ✭é❧é♠❡♥t ❞✐✛ér❡♥t✐❡❧❧❡♠❡♥t ré❣✉❧é
❛✉ ♣r❡♠✐❡r ♣❛s ❞❡ t❡♠♣s ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s✮✳ ▲❡ ❝♦♥❝❡♣t ✹✷✾ r❡❣r♦✉♣❡ q✉❛tr❡ ❝✐❜❧❡s ❝♦♠✲
♠✉♥❡s ❞❡ ❛♣✐✲♠✐r✲✸✶✻✲✺♣ ❡t ❛♣✐✲♠✐r✲♥♦✈❡❧✶✹✻✲✺♣ q✉✐ s✉✐✈❡♥t ❧❛ rè❣❧❡ ✓ ❞✐♠✐♥✉t✐♦♥ ✔✳ ❖♥
♣❡✉t ✈♦✐r ❛✉ss✐ q✉❡ ❝❡s ❞❡✉① ♠✐❝r♦❆❘◆ s✉✐✈❡♥t ❧❛ rè❣❧❡ ✓ ❛✉❣♠❡♥t❛t✐♦♥ ✔✳ ▲❡s q✉❛tr❡
❆❘◆♠ ❞✉ ❝♦♥❝❡♣t ✹✷✾ ❢♦r♠❡♥t ✉♥ s♦✉s ❡♥s❡♠❜❧❡ à ❧❛ ❢♦✐s ❞❡s ❆❘◆♠ ❞✉ ❝♦♥❝❡♣t ✷✸✽
❡t ❞❡s ❆❘◆♠ ❞✉ ❝♦♥❝❡♣t ✷✽✸✳ ▲❡ ❝♦♥❝❡♣t ✺✵✺ r❡❣r♦✉♣❡ ✉♥ s♦✉s ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❆❘◆♠
❝✐❜❧és ♣❛r ❛♣✐✲♠✐r✲✸✶✻✲✺♣ ❡t ♣rés❡♥ts ❞❛♥s ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ✷✸✽ ♠❛✐s ♦ù ❝❡tt❡ ❢♦✐s✲❝✐ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡✶✷✹ ➱t✉❞❡ ❞✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♣❛r ❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s
❞❡ ❝❡s ❆❘◆♠ ♣♦ssè❞❡♥t ❧❡s ❛ttr✐❜✉ts ✓ ❞✐♠✐♥✉t✐♦♥ ✔ ❡t ✓ P❈❉ ✔✳ ❉❡ ❧❛ ♠ê♠❡ ❢❛ç♦♥✱
❧❡s ❆❘◆♠ ❞✉ ❝♦♥❝❡♣t ✺✷✽ ✭s♦✉s ❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ❝❡✉① ♣rés❡♥ts ❞❛♥s ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ✺✵✺✮ ♣♦s✲
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❊①♣❧♦r❛t✐♦♥ ♥♦♥ s✉♣❡r✈✐sé❡ ❞❡s ♠♦❞✉❧❡s
▲✬❡①♣❧♦r❛t✐♦♥ ♥♦♥ s✉♣❡r✈✐sé❡ ❝♦♥s✐st❡ à ♦❜s❡r✈❡r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ♠♦❞✉❧❡s ❢♦r♠és s❛♥s
❛ ♣r✐♦r✐ ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡ ❡♥ r❡❣❛r❞❛♥t ♣ré❢ér❡♥t✐❡❧❧❡♠❡♥t ❞❡s ♠♦❞✉❧❡s r❡s♣❡❝t❛♥t ❝❡rt❛✐♥❡s
❝♦♥tr❛✐♥t❡s✳ ❖♥ ♣❡✉t ❛✐♥s✐ ❝❤❡r❝❤❡r à ♦❜s❡r✈❡r ❧❡s ♠♦❞✉❧❡s ❝♦♥t❡♥❛♥t ❛✉ ♠✐♥✐♠✉♠ ❞❡✉①
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♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s s♦✐t ❝♦❤ér❡♥t❡s à ❝❡❧❧❡s s✉✐✈✐❡s ♣❛r ❧❡s ❆❘◆♠✳
❊①♣❧♦r❛t✐♦♥ ❞❡s ♠♦❞✉❧❡s ❝♦♥t❡♥❛♥t ❛✉ ♠✐♥✐♠✉♠ ❞❡✉① ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s
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❞❛♥s ❞❡s ❢♦♥❝t✐♦♥s ✐❞❡♥t✐q✉❡s✳
❙✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ✺✺✺ ❝♦♥❝❡♣ts ♦❜t❡♥✉s✱ ✉♥ t✐❡rs ✭✶✻✹✮ ♣♦ssè❞❡♥t ❛✉ ♠✐♥✐♠✉♠
❞❡✉① ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ❞❡✉① ❆❘◆♠✳ ▲❡s s♦✉s✲❣r❛♣❤❡s ❝♦♠♣♦rt❛♥t ✉♥✐q✉❡♠❡♥t ❝❡s
❝♦♥❝❡♣ts ♦♥t été ❡①tr❛✐ts✳ ■❧s s❡ ❞✐✈✐s❡♥t ❡♥ ✷✵ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ❝♦♥♥❡①❡s✱ ♦ù ✉♥❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡
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▲❡s ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ❝♦♥♥❡①❡s s♦♥t ♠❛❥♦r✐t❛✐r❡♠❡♥t ❝♦♠♣♦sé❡s ❞✬✉♥ s❡✉❧ ❝♦♥❝❡♣t ✭✶✷ ❝♦♠✲
♣♦s❛♥t❡s✮✱ s✐① ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ✐♥❝❧✉❡♥t ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts✱ ✉♥❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡ ✐♥❝❧✉t tr♦✐s ❝♦♥❝❡♣ts
❡t ❧❛ ❞❡r♥✐èr❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡ ✐♥❝❧✉t ✶✸✼ ❝♦♥❝❡♣ts✳ ❊♥ ♦❜s❡r✈❛♥t ❝❡tt❡ ❞❡r♥✐èr❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡✱
✐❧ ❛♣♣❛r❛ît q✉✬❡❧❧❡ ❡st ❝♦♠♣♦sé❡ q✉❛s✐ ❡①❝❧✉s✐✈❡♠❡♥t ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ✐♥❝❧✉❛♥t ❧❡ ♠✐❝r♦❆❘◆
❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✶✾✲✺♣✱ q✉✐ ♣♦✉r r❛♣♣❡❧ ❝✐❜❧❡ ✺✹ ✪ ❞❡s ❆❘◆♠ ❞✉ rés❡❛✉✳ ■♥t❡r♣rét❡r ❧❛ ❢♦♥❝t✐♦♥
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❝r✐tèr❡s s✉r ❧❡s ♠♦❞✉❧❡s ♣ré❝é❞❡♠♠❡♥t ❡①tr❛✐ts ♦♥t ❞♦♥❝ été r❛❥♦✉tés ♣♦✉r ❞ét❡r♠✐♥❡r
s✐ ✉♥ ❝♦♥❝❡♣t ❞❡✈❛✐t êtr❡ ❣❛r❞é ♦✉ ♥♦♥ ♣♦✉r ❝❡tt❡ ❛♥❛❧②s❡ ✿
✕ ❯♥ ♠♦❞✉❧❡ q✉✐ ♥❡ ❝♦♥t✐❡♥t q✉❡ ❞❡✉① ♠✐❝r♦❆❘◆ ♥❡ ❞♦✐t ♣❛s ❝♦♥t❡♥✐r ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✶✾✲
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ré♣❛rt✐t✐♦♥ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❛✉ s❡✐♥ ❞❡s ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ♥❡ ❝♦♠♣♦rt❡ ♣❧✉s q✉❡ ✼✻ ❝♦♥❝❡♣ts
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✕ ❝✐♥q ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ❛✈❡❝ q✉❛tr❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❀
✕ ❞❡✉① ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ❛✈❡❝ ❝✐♥q ❝♦♥❝❡♣ts ❀
✕ q✉❛tr❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ❛✈❡❝ s✐① ❝♦♥❝❡♣ts✳
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❝♦♥❝❡♣ts ✸✹ ❡t ✸✺✳ ▲❡s tr♦✐s ❆❘◆♠ ❛ss♦❝✐és s✉✐✈❡♥t ❧❛ rè❣❧❡ ✓ ❛✉❣♠❡♥t❛t✐♦♥ ✔ ❡t ❧❡s
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t✐♦♥s ●❖ ❞❡ ❆❈❨P■✵✵✺✺✶✹✱ ♦♥ ✈♦✐t q✉❡ ❝❡ ❣è♥❡ ❡st ✐♠♣❧✐q✉é ❞❛♥s ❧❡ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t ❞✉
s②stè♠❡ ♥❡r✈❡✉① ♣ér✐♣❤ér✐q✉❡✱ ❝❡ q✉✐ ❡st ❝♦❤ér❡♥t ❛✈❡❝ ❧❛ ❧♦❝❛❧✐s❛t✐♦♥ ❞❡ ❛♣✐✲♠✐r✲✶✵✵✵✲✺♣
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r❡❣✉❧❛t♦r② s✉❜✉♥✐t ✸✼ ✔ ❡t ✉♥❡ ✓ ❢♦r❦❤❡❛❞ ❜♦① ♣r♦t❡✐♥ ♦✲❧✐❦❡ ✔ ✭❢❛❝t❡✉r ❞❡ tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥✮✳
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❢♦r❦❤❡❛❞ ❜♦①✱ s♦♥t ✐♠♣❧✐q✉é❡s ❞❛♥s ❧✬❛♣♦♣t♦s❡ ❬✶✻✸❪✱ ❝❡ q✉✐ ét❛✐t ❞é❥à ❧❡ ❝❛s ♣♦✉r ❧❡s
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❍♦r♠✐s ❝❡s ❞❡✉① ❝❛s✱ ✐❧ ♥❡ s❡♠❜❧❡ ♣❛s ② ❛✈♦✐r ❞✬❛✉tr❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ♣❛rt❛❣❡❛♥t
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❊①♣❧♦r❛t✐♦♥ ❞❡s ♠♦❞✉❧❡s ❝♦♥t❡♥❛♥t ❞❡s ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❛✉① rè❣❧❡s ❝♦❤ér❡♥t❡s
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Concept 37
{ augmentation }
ACYPI000235
ACYPI002763
ACYPI005514
api-mir-1000-5p
api-mir-263a-5p
« diminution »
« PCD »
Concept 36
« augmentation »
ACYPI000235
ACYPI002763
ACYPI005514
api-mir-1000-5p
api-mir-263a-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 35
{ augmentation }
ACYPI000235
ACYPI002763
api-mir-1000-5p
api-mir-263a-5p
api-mir-3019-5p
« diminution »
« PCD »
Concept 34
« augmentation »
ACYPI000235
ACYPI002763
api-mir-1000-5p
api-mir-263a-5p
api-mir-3019-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 456
ACYPI004009
ACYPI008827
api-mir-14-3p
api-mir-263a-5p
« diminution »
Concept 384
« disparition pic négatif »
« PCD »
ACYPI003493
api-mir-263a-5p
{ diminution }
{ premiereCinDiff }
Concept 295
« apparition pic négatif »
ACYPI005988
api-mir-316-5p
{ augmentation }
Concept 381
« disparition pic négatif »
« PCD »
ACYPI000827
ACYPI003684
ACYPI007739
ACYPI086589
ACYPI32340
api-mir-3019-5p
{ diminution }
{ premiereCinDiff }
Concept 322
« apparition pic positif »
« PCD »
ACYPI50271
ACYPI55488
api-mir-3019-5p
{ diminution }
{ premiereCinDiff }
Concept 310
« avance »
ACYPI005313
ACYPI008685
api-mir-263a-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 286
« diminution »
ACYPI004108
ACYPI008273
ACYPI009473
ACYPI009680
ACYPI063015
ACYPI067556
ACYPI071213
api-mir-34-5p
{ augmentation }
Concept 244
« disparition pic positif »
« PCD »
ACYPI55019
api-mir-316-5p
{ augmentation }
Concept 13
« disparition pic négatif »
« PCD »
ACYPI006918
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ premiereCinDiff }
❋✐❣✳ ✺✳✻ ✕ ▲❡s ❤✉✐t ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ❝♦♥♥❡①❡s ❛✈❡❝ ✉♥ s❡✉❧ ❝♦♥❝❡♣t ✐ss✉❡s ❞❡ ❧❛ r❡❝❤❡r❝❤❡
❞❡ ♠♦❞✉❧❡s ❝♦♥t❡♥❛♥t ✉♥✐q✉❡♠❡♥t ❞❡s rè❣❧❡s ❝♦❤ér❡♥t❡s✳
❛♣✐✲♠✐r✲♥♦✈❡❧✶✹✻✲✺♣ ✭❝❛❞r❡ ❛♣✐✲♠✐r✲♥♦✈❡❧✶✹✻✲✺♣✮ ❡t ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ✹✷✾ ❛✉ ❝❡♥tr❡ ❛✈❡❝ ❧❡s
❞❡✉① ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡ ❝♦♥♥❡❝t❛♥t ❧❡s ❞❡✉① ❜❧♦❝s✳ ❖♥ ♣❡✉t ♥♦t❡r ❧❛ ♣rés❡♥❝❡ ❞❛♥s ❧❡
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P♦✉r ❧❛ ❞❡r♥✐èr❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡✱ ❝❡❧❧❡ ✐♥❝❧✉❛♥t ✶✸✼ ❝♦♥❝❡♣ts✱ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ♥❡
♣❡r♠❡t ♣❛s ❞❡ ❣é♥ér❡r ✉♥❡ ✐♠❛❣❡ ✐♠♣r✐♠❛❜❧❡ ❞❛♥s ❧❡ ❞♦❝✉♠❡♥t✳ ❉❡ ♣❧✉s✱ ❛✉❝✉♥ ♠♦❞✉❧❡
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❝❤❛❝✉♥❡ ❞❡s ❢♦♥❝t✐♦♥s ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s ❞é✜♥✐❡s ♠❛♥✉❡❧❧❡♠❡♥t✱ ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts q✉✐ ♣♦ssè❞❡♥t
❝❡tt❡ ❢♦♥❝t✐♦♥ ♦♥t été ❡①tr❛✐ts ❛✐♥s✐ q✉❡ ❧❡s ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ❝♦♥♥❡①❡s ✐♠♣❧✐q✉❛♥t ❝❡tt❡ ❢♦♥❝✲
t✐♦♥✳ ➚ ❧❛ ❞✐✛ér❡♥❝❡ ❞❡s ❡①tr❛❝t✐♦♥s ♣ré❝é❞❡♥t❡s✱ ❧❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❞✐r❡❝t❡♠❡♥t ✐♥❢ér✐❡✉rs ❛✉①❆♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❛✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ ❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠ ✶✷✾
Concept 133
« avance »
ACYPI003072
ACYPI006522
api-mir-3038-3p
{ diminution }
Concept 141
« avance »
« PCD »
ACYPI003072
api-mir-3038-3p
{ diminution }
Concept 296
« retard »
ACYPI006305
ACYPI069910
ACYPI55154
ACYPI55738
api-mir-316-5p
{ augmentation }
Concept 362
« PCD »
« retard »
ACYPI55154
ACYPI55738
api-mir-316-5p
{ augmentation }
Concept 230
« retard »
« cycle cellulaire »
« développement musculaire »
« ovogenèse »
ACYPI006305
api-mir-316-5p
{ augmentation }
Concept 388
« développement musculaire »
ACYPI000882
ACYPI006305
api-mir-316-5p
{ augmentation }
❋✐❣✳ ✺✳✼ ✕ ▲❡s ❞❡✉① ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ❝♦♥♥❡①❡s ❛✈❡❝ ❞❡✉① ❡t q✉❛tr❡ ❝♦♥❝❡♣ts ✐ss✉❡s ❞❡ ❧❡
r❡❝❤❡r❝❤❡ ❞❡ ♠♦❞✉❧❡s ❝♦♥t❡♥❛♥t ✉♥✐q✉❡♠❡♥t ❞❡s rè❣❧❡s ❝♦❤ér❡♥t❡s✳
❝♦♥❝❡♣ts ❝♦♥t❡♥❛♥t ❧❛ ❢♦♥❝t✐♦♥ ♦♥t ❛✉ss✐ été ❡①tr❛✐ts✳ P❛r ❡①❡♠♣❧❡ ❞❛♥s ❧❛ ❋✐❣✉r❡ ✺✳✾ q✉✐
❝♦♥❝❡r♥❡ ❞❡s ♠♦❞✉❧❡s ❧✐és à ❧✬♦✈♦❣❡♥ès❡✱ ❧❡ ❝♦♥❝❡♣t ✼✼ ♥❡ ♣♦ssè❞❡ ♣❛s ❝❡t ❛ttr✐❜✉t ♠❛✐s
✐❧ ❡st ❞✐r❡❝t❡♠❡♥t r❡❧✐é à ❧✬✉♥ ❞✬❡✉①✳ ❈❡tt❡ sé❧❡❝t✐♦♥ ét❡♥❞✉❡ t✐❡♥t ❝♦♠♣t❡ ❞✉ ❢❛✐t q✉❡
❝❡rt❛✐♥s ❆❘◆♠ ♣❡✉✈❡♥t ♥❡ ♣❛s êtr❡ ❛♥♥♦tés ♣❛r ✉♥❡ ❢♦♥❝t✐♦♥ ♣ré❝✐s❡ ✭♣❛s ❞✬❛♥♥♦t❛t✐♦♥
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❝❡ ♣r♦❝❡ss✉s ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡✳ P♦✉r ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s s❡♣t ❢♦♥❝t✐♦♥s✱ ✉♥ rés✉♠é ❞❡s rés✉❧t❛ts s✉r
❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❡t ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ❝♦♥♥❡①❡s ❡st ♣rés❡♥té ❚❛❜❧❡❛✉ ✺✳✸✳
❢♦♥❝t✐♦♥ ♥♦♠❜r❡ ❞❡
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❈❡ t❛❜❧❡❛✉ ❞♦♥♥❡ à ❧✉✐ s❡✉❧ ✉♥❡ ✈✐s✐♦♥ ❣❧♦❜❛❧❡ ❞❡s ❣r❛♥❞❡s ❢♦♥❝t✐♦♥s ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s
r❡♣rés❡♥té❡s ❞❛♥s ❧❡ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s✳ ❈❡❝✐ s✐❣♥✐✜❡ q✉❡ ♥♦s tr❛✈❛✉① ♦♥t ❝❡r♥é ❞❡s✶✸✵ ➱t✉❞❡ ❞✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♣❛r ❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s
api-mir-316-5p
api-mir-novel146-5p
Concept 200
« diminution »
« PCD »
« cycle cellulaire »
« système neuroendocrine »
ACYPI44738
api-mir-316-5p
{ augmentation }
Concept 197
« diminution »
« cycle cellulaire »
« système neuroendocrine »
ACYPI008876
ACYPI009979
ACYPI081754
ACYPI44738
api-mir-316-5p
{ augmentation }
Concept 528
« diminution »
« PCD »
« système neuroendocrine »
ACYPI008556
ACYPI44738
api-mir-316-5p
{ augmentation }
Concept 199
« diminution »
« cycle cellulaire »
« épigénétique »
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« système neuroendocrine »
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tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡ s♦✉❧✐❣♥❡ ❡♥❝♦r❡ ✉♥❡ ❢♦✐s ✉♥ ♠é❝❛♥✐s♠❡ ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t❛❧
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té✐♥❡s ❢♦r♠❡♥t s♦✉✈❡♥t ❞❡s ❜♦✉❝❧❡s ❞❡ ré❣✉❧❛t✐♦♥s tr✐♣❛rt✐t❡s ❡♥tr❡ ♠✐❝r♦❆❘◆✱ ❆❘◆♠
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t✐♦♥s✱ ❡♥tr❡ ✷✻ ♣♦✉r ❧❛ ré❣✉❧❛t✐♦♥ ♣♦st✲tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡ ❡t ✷✸✾ ♣♦✉r ❧❡ ❝②❝❧❡ ❝❡❧❧✉❧❛✐r❡✳
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❝♦♥tr❡ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ❝♦♥♥❡①❡s✱ ❡♥tr❡ ✉♥❡ ❡t tr♦✐s✱ ♥❡ s✉✐t ♥✐ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞❡
❝♦♥❝❡♣ts ♥✐ ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞✬❆❘◆♠✳ P♦✉r t♦✉t❡s ❧❡s ❢♦♥❝t✐♦♥s ♦ù ✐❧ ② ❛ ♣❧✉s ❞✬✉♥❡ ❝♦♠♣♦✲
s❛♥t❡ ❝♦♥♥❡①❡✱ ✐❧ ② ❛ t♦✉❥♦✉rs ✉♥❡ ❣r❛♥❞❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡ ✐♠♣❧✐q✉❛♥t à ❧❛ ❢♦✐s ❧❛ ♠❛❥♦r✐té ❞❡s
❝♦♥❝❡♣ts ❡t ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✶✾✲✺♣ ❡t ❞✬❛✉tr❡s ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ♣❧✉s ♣❡t✐t❡s✱ ❞✬✉♥❡ t❛✐❧❧❡ ❝♦♠♣r✐s❡
❡♥tr❡ ✷ ❡t ✶✾ ❝♦♥❝❡♣ts✳ ■❧ ❛ été ❝❤♦✐s✐ ❞✬❡①♣♦s❡r ♣❧✉s ❡♥ ❞ét❛✐❧s ❝❡rt❛✐♥s s♦✉s✲❣r❛♣❤❡s
❡t ❝♦♥❝❡♣ts ✐ss✉s ❞❡ ❝❡✉① ❝♦✉✈r❛♥t ❧❡s ❛ttr✐❜✉ts ✓ ♦✈♦❣é♥ès❡ ✔ ❡t ✓ ré❣✉❧❛t✐♦♥ ♣♦st✲
tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡ ✔ ❝❛r ❝❡s s♦✉s✲❣r❛♣❤❡s s♦♥t ❢❛❝✐❧❡♠❡♥t ✐♥t❡r♣rét❛❜❧❡s ❡t ❝♦♠♣♦rt❡♥t
❞❡s ♠♦❞✉❧❡s ✐♥tér❡ss❛♥ts✳
▲❛ ❢♦♥❝t✐♦♥ ✓ ♦✈♦❣é♥ès❡ ✔ ❡st ❝♦♠♣♦sé❡ ❞❡ tr♦✐s ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ❝♦♥♥❡①❡s ❝♦♥t❡♥❛♥t r❡s✲
♣❡❝t✐✈❡♠❡♥t ✹✱ ✶✾ ❡t ✸✽ ❝♦♥❝❡♣ts✳ ❈❡s tr♦✐s ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ❝♦✉✈r❡♥t ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s
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❝♦♠♣♦s❛♥t❡ ♥❡ ♣rés❡♥t❡ ♣❛s ❞❡ ❝❛r❛❝tèr❡ ♣❛rt✐❝✉❧✐❡r✱ ❞❡ ♠ê♠❡ q✉❡ ❧❛ tr♦✐s✐è♠❡ ❝♦♠✲
♣♦s❛♥t❡ q✉✐ ❡st très ❣r❛♥❞❡ ❡t q✉✐ ♠❡t ❡♥ ❥❡✉ q✉❛s✐ ❡①❝❧✉s✐✈❡♠❡♥t ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✶✾✲✺♣✳ ▲❛
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✐♥tér❡ss❛♥t❡s✳ ❈❡tt❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡ ✐♠♣❧✐q✉❡ ♣r✐♥❝✐♣❛❧❡♠❡♥t ❛♣✐✲♠✐r✲✶✵✵✵✲✺♣ ❡t ❛♣✐✲♠✐r✲
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❣é♥ès❡ ✔ ♠❛✐s ❧❡s ❛ttr✐❜✉ts ✓ ❝②❝❧❡ ❝❡❧❧✉❧❛✐r❡ ✔ ❡t ✓ ré❣✉❧❛t✐♦♥ tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡ ✔ ♣♦✉r
✼✼ ❡t ✓ é♣✐❣é♥ét✐q✉❡ ✔ ♣♦✉r ✾✸✳ ❉❡ ♣❧✉s✱ ❝❡s ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts s♦♥t ❧❡s ❞❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts ❧❡s ♣❧✉s
❜❛s ❞❛♥s ❧❛ ♣❛rt✐❡ ❞✉ s♦✉s✲❣r❛♣❤❡ ✐♠♣❧✐q✉❛♥t ✉♥✐q✉❡♠❡♥t ❛♣✐✲♠✐r✲✶✵✵✵✲✺♣✱ ❡t ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡
❞❡s ❛✉tr❡s ❝♦♥❝❡♣ts ✐♠♣❧✐q✉❛♥t ❛♣✐✲♠✐r✲✶✵✵✵✲✺♣ s♦♥t r❡❧✐és à ❛✉ ♠♦✐♥s ❧✬✉♥ ❞❡ ❝❡s ❞❡✉①
❝♦♥❝❡♣ts✳ ❈❡ q✉✐ s✐❣♥✐✜❡ q✉❡✱ ❛✈❡❝ ❧❡s ❞♦♥♥é❡s ❞✬❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ❞✐s♣♦♥✐❜❧❡s✱ t♦✉s ❧❡s ❆❘◆♠
❝✐❜❧és ♣❛r ❛♣✐✲♠✐r✲✶✵✵✵✲✺♣ ❡t q✉✐ s♦♥t ❝♦♥♥✉s ♣♦✉r êtr❡ ✐♠♣❧✐q✉és ❞❛♥s ❧✬♦✈♦❣é♥ès❡ s♦♥t
❛✉ss✐ ✐♠♣❧✐q✉és s♦✐t ❞❛♥s ❧❡ ❝②❝❧❡ ❝❡❧❧✉❧❛✐r❡ ❡t ❧❛ ré❣✉❧❛t✐♦♥ tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡ s♦✐t ❞❛♥s
❧❡ ❝♦♥trô❧❡ é♣✐❣é♥ét✐q✉❡✳
▲❛ ❢♦♥❝t✐♦♥ ✓ ré❣✉❧❛t✐♦♥ ♣♦st✲tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡ ✔ ❡st ♣♦✉r s❛ ♣❛rt ❝♦♥st✐t✉é❡ ❞✬✉♥❡
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Concept 116
« augmentation »
« cycle cellulaire »
« épigénétique »
« ovogenèse »
« régulation transcriptionnelle »
« système neuroendocrine »
ACYPI007984
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{ diminution }
{ PCD }
Concept 109
« augmentation »
« cycle cellulaire »
« ovogenèse »
« régulation transcriptionnelle »
« système neuroendocrine »
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{ diminution }
{ PCD }
Concept 79
« augmentation »
« cycle cellulaire »
« épigénétique »
« ovogenèse »
« régulation transcriptionnelle »
ACYPI007984
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Concept 23
« augmentation »
« PCD »
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{ diminution }
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Concept 55
« augmentation »
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Concept 134
« augmentation »
« PCD »
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Concept 77
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« régulation transcriptionnelle »
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{ diminution }
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Concept 114
« diminution »
« cycle cellulaire »
« régulation transcriptionnelle »
« système neuroendocrine »
ACYPI23921
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api-mir-1000-5p
{ diminution }
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Concept 107
« cycle cellulaire »
« régulation transcriptionnelle »
« système neuroendocrine »
ACYPI004772
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ACYPI008075
ACYPI067710
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api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 108
« augmentation »
« cycle cellulaire »
« développement musculaire »
« ovogenèse »
« régulation transcriptionnelle »
« système neuroendocrine »
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{ diminution }
{ PCD }
Concept 111
« cycle cellulaire »
« développement musculaire »
« régulation transcriptionnelle »
« système neuroendocrine »
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{ diminution }
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Concept 110
« cycle cellulaire »
« ovogenèse »
« régulation transcriptionnelle »
« système neuroendocrine »
ACYPI007984
ACYPI008075
ACYPI38042
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 112
« augmentation »
« cycle cellulaire »
« régulation transcriptionnelle »
« système neuroendocrine »
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Concept 81
« augmentation »
« cycle cellulaire »
« ovogenèse »
« régulation transcriptionnelle »
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{ diminution }
{ PCD }
Concept 80
« cycle cellulaire »
« ovogenèse »
« régulation transcriptionnelle »
ACYPI007984
ACYPI008075
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ACYPI38042
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 113
« diminution »
« cycle cellulaire »
« ovogenèse »
« régulation transcriptionnelle »
« système neuroendocrine »
ACYPI38042
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 78
« augmentation »
« cycle cellulaire »
« régulation transcriptionnelle »
ACYPI002653
ACYPI004772
ACYPI007984
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ACYPI080522
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Concept 8
« augmentation »
« PCD »
« cycle cellulaire »
« épigénétique »
« ovogenèse »
« régulation transcriptionnelle »
ACYPI080522
api-mir-1000-5p
api-mir-3038-3p
{ diminution }
Concept 93
« augmentation »
« épigénétique »
ACYPI007984
ACYPI008539
ACYPI080522
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{ diminution }
{ PCD }
❋✐❣✳ ✺✳✾ ✕ ❉❡✉①✐è♠❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡ ❝♦♥♥❡①❡ ✐♠♣❧✐q✉❛♥t ❧❛ ❢♦♥❝t✐♦♥ ✓ ♦✈♦❣é♥ès❡ ✔✳❆♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❛✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ ❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠ ✶✸✸ ❋✐❣✳ ✺✳✶✵ ✕ ❩♦♦♠ ❞❡ ❧❛ ♣❛rt✐❡ ❤❛✉t❡ ❞❡ ❧❛ ❞❡✉①✐è♠❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡ ❝♦♥♥❡①❡ ✐♠♣❧✐q✉❛♥t ❧❛ ❢♦♥❝t✐♦♥ ✓ ♦✈♦❣é♥ès❡ ✔✳ ❈♦rr❡s♣♦♥❞ ❛✉① ❞❡✉① ♣r❡♠✐❡rs ♥✐✈❡❛✉①✳✶✸✹ ➱t✉❞❡ ❞✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♣❛r ❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s
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♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s s✉✐✈❡♥t ❝❡tt❡ rè❣❧❡✱ q✉✐ ❡st ❝♦❤ér❡♥t❡ ❛✈❡❝ ❝❡❧❧❡ ❞❡s ❞❡✉① ♠✐❝r♦❆❘◆
♠❛t✉r❡s q✉✐ ♣♦ssè❞❡♥t ❧❛ rè❣❧❡ ✓ ❞✐♠✐♥✉t✐♦♥ ✔✳ ❉❡✉① ❝♦♥❝❡♣ts✱ ✶✶✼ ❡t ✽✷ ✭❋✐❣✉r❡ ✺✳✶✸✮✱
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✺♣ ❡t ❛♣✐✲♠✐r✲✶✵✵✵✲✺♣ ❡t ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✶✾✲✺♣✳ ▲❡ ❝♦♥❝❡♣t ✶✶✼ ✐♥❝❧✉t ❧✬❆❘◆♠ ❆❈❨P■✵✵✹✼✼✷
❛♥♥♦té ❝♦♠♠❡ ✓ r✐❜♦s♦♠❛❧ ♣r♦t❡✐♥ s✻ ❦✐♥❛s❡ ❛❧♣❤❛✲✸✲❧✐❦❡ ✔ ❡t ✐♠♣❧✐q✉é ❞❛♥s ❧❛ tr❛♥s✲
❞✉❝t✐♦♥ ❞✉ s✐❣♥❛❧✳ ■❧ ♣♦✉rr❛✐t ré❣✉❧❡r ❧✬❛❝t✐✈✐té ❞❡ ♣❧✉s✐❡✉rs ❢❛❝t❡✉rs ❞❡ tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥✳
▲❡s s✐t❡s ❞❡ ✜①❛t✐♦♥ s♦♥t tr♦♣ é❧♦✐❣♥és ❧✬✉♥ ❞❡ ❧✬❛✉tr❡ ✭✶✻✶ ♥✉❝❧é♦t✐❞❡s✮ ♣♦✉r ♣❡r♠❡ttr❡
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❧♦rs ❞✉ ♣r❡♠✐❡r t❡♠♣s ❞❡s ❝✐♥ét✐q✉❡s ▲✬❛ttr✐❜✉t ✓ P❈❉ ✔ ❝♦rr❡s♣♦♥❞ à ❧❛ tr❛♥s✐✲
t✐♦♥ ❡♥tr❡ ❧❡ st❛❞❡ ❡♠❜r②♦♥♥❛✐r❡ ❡♥❝♦r❡ s❡♥s✐❜❧❡ ❛✉① ❝♦♥❞✐t✐♦♥s ❝❤❛♥❣❡❛♥t❡s ❞✉ ♠✐❧✐❡✉
❡t ❧❡s st❛❞❡s ✉❧tér✐❡✉rs ❞✉ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t ❡♥❣❛❣és ❞❛♥s ❞❡s ❡♠❜r②♦❣❡♥ès❡s ❞✐✛ér❡♥t❡s✳
▲✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ♦ù ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ❧❡s ❆❘◆♠ ♣♦ssè❞❡♥t ❝❡t ❛ttr✐❜✉t
❛ été ❡①tr❛✐t ✿ ✾✸ ❝♦♥❝❡♣ts s❡ ré♣❛rt✐ss❡♥t ❞❛♥s ✉♥❡ s❡✉❧❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡ ❝♦♥♥❡①❡✳ ❊♥❝♦r❡
✉♥❡ ❢♦✐s✱ ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✶✾✲✺♣ ❡st ✐♠♣❧✐q✉é s❡✉❧ ❞❛♥s ✉♥ très ❣r❛♥❞ ♥♦♠❜r❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts✳ ❆✜♥
❞❡ s✐♠♣❧✐✜❡r ❧❛ ✈✐s✉❛❧✐s❛t✐♦♥ ❡t ❧✬❛♥❛❧②s❡✱ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ♦ù ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✶✾✲✺♣
❛♣♣❛r❛ît s❡✉❧ ♦♥t été s✉♣♣r✐♠és✳ ❖♥ ♦❜t✐❡♥t tr♦✐s ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ❝♦♥♥❡①❡s ❛✈❡❝ ✉♥✱ q✉❛tr❡
❡t ✺✾ ❝♦♥❝❡♣ts ♣♦✉r ✉♥ t♦t❛❧ ❞❡ ✻✹ ❝♦♥❝❡♣ts✳
▲❛ ♣r❡♠✐èr❡ ❡t ❞❡✉①✐è♠❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s ✐♥❝❧✉❡♥t r❡s♣❡❝t✐✈❡♠❡♥t ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛✲
t✉r❡s ❛♣✐✲♠✐r✲✷✽✶✲✺♣ ❡t ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✷✻✲✺♣✱ ❛♣✐✲♠✐r✲✸✵✶✾✲✺♣✳ ❯♥ s❡✉❧ ❆❘◆♠ ❞❛♥s ❧❛ s❡✲
❝♦♥❞❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡✱ ❆❈❨P■✵✵✾✶✻✹✱ ♣♦ssè❞❡ ✉♥❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ✿ ✓ ❛r②❧s✉❧❢❛t❛s❡ ❜✲❧✐❦❡ ✔✳
▲❡ ♣❡✉ ❞✬✐♥❢♦r♠❛t✐♦♥ ❞✐s♣♦♥✐❜❧❡ ♣♦✉r ❧❡s ❆❘◆♠ ❞❡ ❝❡s ❝♦♠♣♦s❛♥t❡s r❡♥❞ ❧✬✐♥t❡r♣rét❛✲
t✐♦♥ ❞❡ ❝❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❞✐✣❝✐❧❡✳ ▲❛ tr♦✐s✐è♠❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡✱ ♣rés❡♥té❡ ❋✐❣✉r❡ ✺✳✶✺ ❡t ✺✳✶✻✱
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❧✉❧❛✐r❡ ✔✱ ✓ s②stè♠❡ ♥❡✉r♦❡♥❞♦❝r✐♥❡ ✔✱ ✓ ♦✈♦❣❡♥ès❡ ✔✱ ✓ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t ♠✉s❝✉❧❛✐r❡ ✔✱
✓ é♣✐❣é♥ét✐q✉❡ ✔ ❡t ✓ ré❣✉❧❛t✐♦♥ tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡ ✔✱ ❝✬❡st✲à✲❞✐r❡ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❢♦♥❝✲
t✐♦♥s s❛✉❢ ✓ ré❣✉❧❛t✐♦♥ ♣♦st✲tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡ ✔✳ ▲❡ ❝♦♥❝❡♣t ✷✵ ✭❋✐❣✉r❡ ✺✳✶✻✮ ✐♥❝❧✉t ✉♥
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r❛♣♣❡❧ ❧❡ ❞❡❣ré ❧❡ ♣❧✉s é❧❡✈é ♦❜s❡r✈é ♣♦✉r ❧❡ ♥♦♠❜r❡ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ❞✬✉♥ ❆❘◆♠✳ ❈❡t
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api-mir-1000-5p
api-mir-1-3p
api-mir-3019-5p
Concept 112
« augmentation »
« cycle cellulaire »
« régulation transcriptionnelle »
« système neuroendocrine »
ACYPI008075
ACYPI007984
ACYPI004772
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 83
« augmentation »
« régulation post-transcriptionnelle »
ACYPI008539
ACYPI004772
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 41
« augmentation »
...
109
...
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 93
« épigénétique »
« augmentation »
ACYPI080522
ACYPI008539
ACYPI007984
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 195
« cycle cellulaire »
« régulation transcriptionnelle »
ACYPI004772
ACYPI000186
api-mir-1-3p
{ defaut }
{ PCD }
Concept 167
« cycle cellulaire »
« système neuroendocrine »
ACYPI38406
ACYPI004772
api-mir-1-3p
{ defaut }
{ PCD }
Concept 145
« augmentation »
« cycle cellulaire »
ACYPI005883
ACYPI004772
ACYPI001717
api-mir-1-3p
{ defaut }
{ PCD }
Concept 519
« augmentation »
« système neuroendocrine »
ACYPI009908
ACYPI006545
ACYPI004772
ACYPI003833
api-mir-1-3p
{ defaut }
{ PCD }
Concept 354
« augmentation »
« régulation transcriptionnelle »
ACYPI009993
ACYPI004772
api-mir-1-3p
{ defaut }
{ PCD }
Concept 156
« augmentation »
« cycle cellulaire »
ACYPI070244
ACYPI010117
ACYPI008663
ACYPI006635
ACYPI005673
ACYPI004639
ACYPI002275
ACYPI000800
« ovogenèse »
api-mir-3019-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 554
« augmentation »
...
702
...
api-mir-3019-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 270
« épigénétique »
« augmentation »
« régulation post-transcriptionnelle »
ACYPI088085
ACYPI008539
api-mir-3019-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 466
« épigénétique »
« augmentation »
ACYPI56610
ACYPI088085
ACYPI085026
ACYPI084268
ACYPI069638
ACYPI060844
ACYPI008539
ACYPI004190
ACYPI002814
ACYPI002722
ACYPI002182
api-mir-3019-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 268
« augmentation »
« régulation post-transcriptionnelle »
ACYPI46078
ACYPI43037
ACYPI088085
ACYPI008539
ACYPI000800
api-mir-3019-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 271
« augmentation »
« PCD »
« épigénétique »
« régulation post-transcriptionnelle »
ACYPI088085
api-mir-3019-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 499
« augmentation »
« PCD »
api-mir-3019-5p
ACYPI088085
ACYPI084268
« épigénétique »
{ diminution }
{ PCD }
Concept 269
« augmentation »
« PCD »
« régulation post-transcriptionnelle »
ACYPI43037
ACYPI088085
api-mir-3019-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 280
« augmentation »
« PCD »
...
156
...
api-mir-3019-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 175
« augmentation »
« cycle cellulaire »
« ovogenèse »
« régulation post-transcriptionnelle »
ACYPI000800
api-mir-3019-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 117
« augmentation »
« cycle cellulaire »
« régulation post-transcriptionnelle »
« régulation transcriptionnelle »
« système neuroendocrine »
ACYPI004772
api-mir-1000-5p
api-mir-1-3p
{ PCD }
Concept 66
« augmentation »
ACYPI42473
ACYPI009392
ACYPI008383
ACYPI004772
api-mir-1000-5p
api-mir-1-3p
{ PCD }
Concept 82
« épigénétique »
« augmentation »
« régulation post-transcriptionnelle »
ACYPI008539
api-mir-3019-5p
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 42
« augmentation »
...
45
...
api-mir-3019-5p
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
❋✐❣✳ ✺✳✶✷ ✕ ❉❡✉①✐è♠❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡ ❝♦♥♥❡①❡ ✐♠♣❧✐q✉❛♥t ❧❛ ❢♦♥❝t✐♦♥ ré❣✉❧❛t✐♦♥ ♣♦st✲tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡✳ ▲❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❡♥❝❛❞rés ❢♦♥t
✐♥t❡r✈❡♥✐r ✉♥ ♠ê♠❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡✳❆♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❛✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ ❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠ ✶✸✼ ❋✐❣✳ ✺✳✶✸ ✕ ❩♦♦♠ s✉r ❧❛ ♣❛rt✐❡ ❣❛✉❝❤❡ ❞❡ ❧❛ ❞❡✉①✐è♠❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡ ❝♦♥♥❡①❡ ✐♠♣❧✐q✉❛♥t ❧❛ ❢♦♥❝t✐♦♥ ré❣✉❧❛t✐♦♥ ♣♦st✲tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡✳ ▲❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❡♥❝❛❞rés ❢♦♥t ✐♥t❡r✈❡♥✐r ✉♥ ♠ê♠❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡✳✶✸✽ ➱t✉❞❡ ❞✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♣❛r ❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s
❋✐❣✳ ✺✳✶✹ ✕ ❩♦♦♠ s✉r ❧❛ ♣❛rt✐❡ ❞r♦✐t❡ ❞❡ ❧❛ ❞❡✉①✐è♠❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡ ❝♦♥♥❡①❡ ✐♠♣❧✐q✉❛♥t
❧❛ ❢♦♥❝t✐♦♥ ré❣✉❧❛t✐♦♥ ♣♦st✲tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡✳ ▲❡s ❝♦♥❝❡♣ts ❡♥❝❛❞rés ❢♦♥t ✐♥t❡r✈❡♥✐r ✉♥
♠ê♠❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡✳❆♣♣❧✐❝❛t✐♦♥ ❛✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♠✐❝r♦❆❘◆✴❆❘◆♠ ❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠ ✶✸✾
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✜①❛t✐♦♥ ❡t ❧❛ ❞✐st❛♥❝❡ ❡♥tr❡ ❧❡s s✐t❡s ❞❡ ✜①❛t✐♦♥ ❞❡ ❛♣✐✲♠✐r✲♥♦✈❡❧✶✹✻✲✺♣ ❡t ❛♣✐✲♠✐r✲✶✵✵✵✲
✺♣ ❞❡ ✻✽ ♥✉❝❧é♦t✐❞❡s ❡st ♣r♦❝❤❡ ❞❡ ❧❛ ❧✐♠✐t❡ ✭✻✵ ♥✉❝❧é♦t✐❞❡s✮ ♣♦✉r ❧❛ ❝♦♦♣ér❛t✐♦♥ ❞❡s
s✐t❡s✳
❊♥ ❝♦♥❝❧✉s✐♦♥✱ ❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞✉ rés❡❛✉ ❝♦♠♣r❡♥❛♥t ❞❡s é❧é♠❡♥ts ré❣✉❧és ❡♥tr❡ ❧❡s ❞❡✉①
t②♣❡s ❞✬❡♠❜r②♦❣❡♥ès❡ ❛ été r❡♥❞✉❡ ♣♦ss✐❜❧❡ ❣râ❝❡ à ❧✬❡♥r✐❝❤✐ss❡♠❡♥t ♣❛r ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts✱
❡t ♣❛r ✉♥❡ sé❧❡❝t✐♦♥ ❞❡ s♦✉s✲rés❡❛✉① ♣♦✉r ❢❛❝✐❧✐t❡r ❧❡✉r ✐♥t❡r♣rét❛t✐♦♥✳ ❉❡s ❢♦♥❝t✐♦♥s
s❡♠❜❧❡♥t ❝❛r❛❝tér✐s❡r ❝❡ rés❡❛✉ ✭♦✈♦❣❡♥ès❡ ♣ré❝♦❝❡✱ ❞é✈❡❧♦♣♣❡♠❡♥t✳✳✳✮ ❡t ❞❡s é❧é♠❡♥ts
❝❧❡❢s ❞✉ rés❡❛✉① ♦♥t été ✐❞❡♥t✐✜és✳ ▲✬✐♥t❡r♣rét❛t✐♦♥ ✜♥❡ ❞❡s rés❡❛✉① ❡t s♦✉s✲rés❡❛✉① ré✲
❝❧❛♠❡♥t ✉♥❡ ❛♥♥♦t❛t✐♦♥ ❡t ❛♥❛❧②s❡ ❡①♣❡rt❡ ❛✜♥ ❞✬✉t✐❧✐s❡r ❝❡s rés❡❛✉① ❝♦♠♠❡ ❞❡ ✈ér✐t❛❜❧❡s
♦✉t✐❧s ❞✬❛✐❞❡ à ❧❛ ❞é❝✐s✐♦♥✳ ❈❡❝✐ ❡st ♣rés❡♥té ❡♥ ❞✐s❝✉ss✐♦♥ ❣é♥ér❛❧❡✳✶✹✵ ➱t✉❞❡ ❞✉ rés❡❛✉ ❞✬✐♥t❡r❛❝t✐♦♥s ♣❛r ❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s
Concept 339
« retard »
« PCD »
api-mir-1-3p
ACYPI38131
{ defaut }
{ PCD }
Concept 333
« PCD »
ACYPI38131
ACYPI36720
ACYPI26074
ACYPI25229
ACYPI23727
ACYPI23312
ACYPI088463
ACYPI087927
ACYPI084962
ACYPI082993
ACYPI082899
ACYPI072792
ACYPI067785
ACYPI063298
ACYPI009908
ACYPI009167
ACYPI007104
ACYPI006040
ACYPI006028
ACYPI005365
ACYPI004760
ACYPI004733
ACYPI002827
ACYPI000186
api-mir-1-3p
{ defaut }
{ PCD }
Concept 229
« diminution »
« PCD »
« cycle cellulaire »
« développement musculaire »
« ovogenèse »
« système neuroendocrine »
ACYPI003261
api-mir-3019-5p
api-mir-novel146-5p
{ PCD }
Concept 444
« diminution »
« PCD »
ACYPI47138
ACYPI45625
ACYPI29828
ACYPI24144
ACYPI083590
ACYPI083520
ACYPI080717
ACYPI067418
ACYPI004280
ACYPI003261
ACYPI001347
api-mir-3019-5p
api-mir-novel146-5p
{ PCD }
Concept 222
« PCD »
« cycle cellulaire »
« système neuroendocrine »
ACYPI009245
ACYPI003261
api-mir-novel146-5p
{ augmentation }
{ PCD }
Concept 334
« diminution »
« PCD »
ACYPI36720
ACYPI25229
ACYPI23727
ACYPI082993
ACYPI067785
ACYPI007104
ACYPI005365
ACYPI004760
ACYPI000186
api-mir-1-3p
{ defaut }
{ PCD }
Concept 196
« diminution »
« PCD »
« cycle cellulaire »
« épigénétique »
« régulation transcriptionnelle »
ACYPI000186
api-mir-1-3p
api-mir-3019-5p
{ PCD }
Concept 345
« diminution »
« PCD »
ACYPI36720
ACYPI25229
ACYPI067785
ACYPI007104
ACYPI005365
ACYPI000186
api-mir-1-3p
api-mir-3019-5p
{ PCD }
Concept 494
« PCD »
ACYPI35357
ACYPI31064
ACYPI23509
ACYPI069860
ACYPI008887
api-mir-3019-5p
{ diminution }
api-mir-87-3p
{ PCD }
Concept 291
« PCD »
{ diminution }
api-mir-87-3p
ACYPI55968
ACYPI49595
ACYPI38693
ACYPI35357
ACYPI31064
ACYPI26074
ACYPI23509
ACYPI088682
ACYPI069860
ACYPI068608
ACYPI008887
ACYPI007348
ACYPI005819
ACYPI002608
ACYPI001934
{ PCD }
Concept 391
« avance »
« PCD »
{ diminution }
api-mir-87-3p
ACYPI005819
{ PCD }
Concept 498
« diminution »
« PCD »
ACYPI008827
ACYPI004342
ACYPI004158
api-mir-3019-5p
api-mir-263a-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 497
« diminution »
« PCD »
ACYPI50323
ACYPI081297
ACYPI008827
ACYPI004342
ACYPI004158
api-mir-263a-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 490
« PCD »
ACYPI008827
ACYPI006911
ACYPI004342
ACYPI004158
ACYPI000235
api-mir-3019-5p
api-mir-263a-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 489
« augmentation »
« PCD »
ACYPI55779
ACYPI084323
ACYPI006911
ACYPI006449
ACYPI000235
api-mir-263a-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 471
« PCD »
ACYPI55779
ACYPI50323
ACYPI084323
ACYPI081297
ACYPI008827
ACYPI006911
ACYPI006449
ACYPI004342
ACYPI004158
ACYPI003493
ACYPI000235
api-mir-263a-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 495
« augmentation »
« PCD »
ACYPI23509
ACYPI008887
api-mir-3019-5p
{ diminution }
api-mir-87-3p
{ PCD }
Concept 473
« augmentation »
« PCD »
{ diminution }
api-mir-87-3p
ACYPI38693
ACYPI26074
ACYPI23509
ACYPI008887
ACYPI007348
ACYPI002608
{ PCD }
Concept 493
« diminution »
« PCD »
ACYPI35357
ACYPI31064
ACYPI069860
api-mir-3019-5p
{ diminution }
api-mir-87-3p
{ PCD }
Concept 472
« diminution »
« PCD »
{ diminution }
api-mir-87-3p
ACYPI35357
ACYPI31064
ACYPI088682
ACYPI069860
ACYPI068608
ACYPI001934
{ PCD }
Concept 24
« augmentation »
« PCD »
ACYPI34018
ACYPI087914
ACYPI087611
ACYPI070720
ACYPI062334
ACYPI060431
ACYPI008887
ACYPI002569
ACYPI001366
ACYPI000235
api-mir-3019-5p
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 22
« PCD »
ACYPI37227
ACYPI34018
ACYPI28767
ACYPI25229
ACYPI087914
ACYPI087611
ACYPI085231
ACYPI081660
ACYPI080456
ACYPI070720
ACYPI069860
ACYPI062334
ACYPI060431
ACYPI010204
ACYPI008887
ACYPI007104
ACYPI005771
ACYPI005338
ACYPI004350
ACYPI004280
ACYPI004202
ACYPI003090
ACYPI002569
ACYPI001366
ACYPI000235
api-mir-3019-5p
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 23
« augmentation »
« PCD »
ACYPI41809
ACYPI34018
ACYPI26655
ACYPI087914
ACYPI087715
ACYPI087611
ACYPI086601
ACYPI085765
ACYPI084893
ACYPI080522
ACYPI070720
ACYPI062334
ACYPI060566
ACYPI060431
ACYPI008916
ACYPI008887
ACYPI007230
ACYPI003380
ACYPI002569
ACYPI001366
ACYPI000235
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
« avance »
Concept 25
« PCD »
ACYPI085231
ACYPI010204
ACYPI004202
api-mir-3019-5p
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
« avance »
Concept 10
« PCD »
ACYPI56665
ACYPI085231
ACYPI010204
ACYPI004202
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 27
« augmentation »
« PCD »
ACYPI008887
api-mir-3019-5p
api-mir-1000-5p
{ diminution }
api-mir-87-3p
{ PCD }
Concept 28
« PCD »
ACYPI069860
ACYPI008887
api-mir-3019-5p
api-mir-1000-5p
{ diminution }
api-mir-87-3p
{ PCD }
Concept 20
« diminution »
« PCD »
ACYPI004280
api-mir-3019-5p
api-mir-1000-5p
api-mir-novel146-5p
{ PCD }
Concept 18
« diminution »
« PCD »
ACYPI25229
ACYPI080456
ACYPI069860
ACYPI007104
ACYPI005771
ACYPI005338
ACYPI004350
ACYPI004280
ACYPI003090
api-mir-3019-5p
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 30
« PCD »
ACYPI004280
ACYPI000235
api-mir-3019-5p
api-mir-1000-5p
api-mir-novel146-5p
{ PCD }
Concept 9
« PCD »
...
50
...
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 29
« augmentation »
« PCD »
ACYPI000235
api-mir-3019-5p
api-mir-263a-5p
api-mir-1000-5p
api-mir-novel146-5p
{ PCD }
Concept 446
« augmentation »
« PCD »
ACYPI30699
ACYPI083191
ACYPI082709
ACYPI080059
ACYPI068902
ACYPI060366
ACYPI009636
ACYPI000235
api-mir-3019-5p
api-mir-novel146-5p
{ PCD }
Concept 488
« augmentation »
« PCD »
ACYPI006911
ACYPI000235
api-mir-3019-5p
api-mir-263a-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 344
« PCD »
ACYPI36720
ACYPI25229
ACYPI088463
ACYPI087927
ACYPI084962
ACYPI067785
ACYPI009908
ACYPI009167
ACYPI007104
ACYPI006040
ACYPI006028
ACYPI005365
ACYPI004733
ACYPI002827
ACYPI000186
api-mir-1-3p
api-mir-3019-5p
{ PCD }
Concept 346
« augmentation »
« PCD »
ACYPI087927
ACYPI009908
ACYPI009167
ACYPI006028
ACYPI004733
api-mir-1-3p
api-mir-3019-5p
{ PCD }
Concept 336
« augmentation »
« PCD »
ACYPI26074
ACYPI23312
ACYPI087927
ACYPI082899
ACYPI072792
ACYPI063298
ACYPI009908
ACYPI009167
ACYPI006028
ACYPI004733
api-mir-1-3p
{ defaut }
{ PCD }
Concept 521
« augmentation »
« PCD »
« système neuroendocrine »
ACYPI009908
api-mir-1-3p
api-mir-3019-5p
{ PCD }
Concept 324
« apparition pic négatif »
« PCD »
{ diminution }
api-mir-87-3p
ACYPI49595
{ PCD }
Concept 349
« avance »
« PCD »
ACYPI088463
ACYPI084962
ACYPI006040
api-mir-1-3p
api-mir-3019-5p
{ PCD }
Concept 360
« PCD »
« defaut »
ACYPI002827
api-mir-1-3p
api-mir-3019-5p
{ PCD }
Concept 547
« augmentation »
« PCD »
« système neuroendocrine »
{ diminution }
api-mir-87-3p
ACYPI38693
{ PCD }
Concept 443
« diminution »
« PCD »
ACYPI47138
ACYPI45625
ACYPI38409
ACYPI29828
ACYPI24144
ACYPI20218
ACYPI085221
ACYPI083590
ACYPI083520
ACYPI083112
ACYPI082917
ACYPI081643
ACYPI080717
ACYPI068490
ACYPI067418
ACYPI061023
ACYPI007970
ACYPI005191
ACYPI004280
ACYPI003261
ACYPI001347
api-mir-novel146-5p
{ augmentation }
{ PCD }
Concept 428
« PCD »
...
43
...
api-mir-novel146-5p
{ augmentation }
{ PCD }
Concept 442
« augmentation »
« PCD »
ACYPI54794
ACYPI52537
ACYPI50304
ACYPI42006
ACYPI31730
ACYPI30699
ACYPI29946
ACYPI083191
ACYPI082709
ACYPI080059
ACYPI068902
ACYPI068498
ACYPI063619
ACYPI060366
ACYPI009636
ACYPI009245
ACYPI006010
ACYPI002177
ACYPI000235
api-mir-novel146-5p
{ augmentation }
{ PCD }
Concept 445
« PCD »
ACYPI47138
ACYPI45625
ACYPI30699
ACYPI29828
ACYPI24144
ACYPI084962
ACYPI083590
ACYPI083520
ACYPI083191
ACYPI082709
ACYPI080717
ACYPI080059
ACYPI068902
ACYPI067418
ACYPI060366
ACYPI009636
ACYPI004280
ACYPI003261
ACYPI001347
ACYPI000235
api-mir-3019-5p
api-mir-novel146-5p
{ PCD }
Concept 382
« disparition pic négatif »
« PCD »
ACYPI009484
api-mir-novel146-5p
{ augmentation }
{ PCD }
Concept 384
« disparition pic négatif »
« PCD »
ACYPI003493
api-mir-263a-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 243
« disparition pic positif »
« PCD »
{ diminution }
api-mir-87-3p
ACYPI55968
{ PCD }
Concept 221
« augmentation »
« PCD »
« cycle cellulaire »
« système neuroendocrine »
ACYPI009245
api-mir-novel146-5p
{ augmentation }
{ PCD }
Concept 13
« disparition pic négatif »
« PCD »
ACYPI006918
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 12
« retard »
« PCD »
ACYPI28767
api-mir-3019-5p
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 15
« apparition pic négatif »
« PCD »
ACYPI081660
ACYPI004131
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 14
« PCD »
« defaut »
ACYPI37227
api-mir-3019-5p
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 17
« diminution »
« PCD »
ACYPI40652
ACYPI36864
ACYPI32969
ACYPI25229
ACYPI081110
ACYPI080985
ACYPI080456
ACYPI069860
ACYPI067597
ACYPI066634
ACYPI062513
ACYPI060454
ACYPI007104
ACYPI006950
ACYPI005806
ACYPI005771
ACYPI005338
ACYPI004350
ACYPI004280
ACYPI003090
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 16
« apparition pic négatif »
« PCD »
ACYPI081660
api-mir-3019-5p
api-mir-1000-5p
{ diminution }
{ PCD }
Concept 19
« diminution »
« PCD »
ACYPI25229
ACYPI007104
api-mir-1000-5p
api-mir-1-3p
api-mir-3019-5p
{ PCD }
Concept 379
« PCD »
« defaut »
ACYPI085955
api-mir-novel146-5p
{ augmentation }
{ PCD }
Concept 352
« augmentation »
« PCD »
api-mir-87-3p
api-mir-1-3p
ACYPI26074
{ PCD }
❋✐❣✳ ✺✳✶✺ ✕ ❚r♦✐s✐è♠❡ ❝♦♠♣♦s❛♥t❡ ❝♦♥♥❡①❡ ♦ù ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ✐♥❝❧✉❡♥t ❞❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ❞❡s ❆❘◆♠ q✉✐ ♣♦ssè❞❡♥t
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❡t ❧❡s ❆❘◆♠ ❝❤❡③ ❆❝②rt❤♦s✐♣❤♦♥ ♣✐s✉♠ ❛ été ♦❜t❡♥✉ ♣✉✐s ré❞✉✐t à ❧❛ q✉❡st✐♦♥ ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡
❞✬✐♥térêt ✿ ❧❛ ❞✐s❝r✐♠✐♥❛t✐♦♥ ❞❡ ❞❡✉① ❡♠❜r②♦❣❡♥ès❡s✱ s❡①✉é❡ ❡t ❛s❡①✉é❡✱ ♣❛r ❞❡s ré❣✉❧❛✲
t✐♦♥s ❞✐✛ér❡♥t❡s ❞❡s ❆❘◆♠ ♣❛r ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s✳ ▲❡ rés❡❛✉ ét❛♥t tr♦♣ ✐♠♣♦rt❛♥t
♣♦✉r ♣♦✉✈♦✐r êtr❡ ét✉❞✐é ♠❛♥✉❡❧❧❡♠❡♥t✱ ✉♥❡ ♠ét❤♦❞❡ ❞❡ ❢♦✉✐❧❧❡ ❞❡ ❞♦♥♥é❡s à ❧✬❛✐❞❡ ❞❡
❧✬❛♥❛❧②s❡ ❞❡ ❝♦♥❝❡♣ts ❢♦r♠❡❧s ❛ été ❞é✈❡❧♦♣♣é❡✳ ❈❡tt❡ ♠ét❤♦❞❡ ❛ r❡♥❞✉ ♣♦ss✐❜❧❡ ❧✬❛❥♦✉t
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❣✐q✉❡s ❝♦♥❝❡r♥❛♥t ❝❡s ❞❡✉① ❡♥s❡♠❜❧❡s ❞✬♦❜❥❡ts✳ ▲✬❛❥♦✉t ❞✬❛ttr✐❜✉ts ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s ♣❡r♠❡t
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t♦✉s ✉♥ ♦✉ ♣❧✉s✐❡✉rs ❛ttr✐❜✉ts✱ ❝❡ q✉✐ ❛✐❞❡ à ❧✬✐♥t❡r♣rét❛t✐♦♥ ❞❡ ❝❡s ♠♦❞✉❧❡s✳
▲✬é♥✉♠ér❛t✐♦♥ ❞❡s ❝♦♥❝❡♣ts ♣♦ssé❞❛♥t ❛✉ ♠♦✐♥s ✉♥❡ ✐♥t❡r❛❝t✐♦♥ ✐ss✉s ❞✉ ♥♦✉✈❡❛✉
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❞❡s ❛ttr✐❜✉ts s✉r ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ✹✼✸ s♦♥t ❝❛r❛❝tér✐sés ♣❛r ❞❡s ❛ttr✐❜✉ts s✉r ❧❡s
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✕ ▲❡s ♠♦❞✉❧❡s ♦ù ♣❧✉s✐❡✉rs ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t ❆❘◆♠ ✐♥t❡r✈✐❡♥♥❡♥t ❀
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✕ ▲❡s ♠♦❞✉❧❡s ❛✈❡❝ ❞❡s ❢♦♥❝t✐♦♥s ❜✐♦❧♦❣✐q✉❡s ❞é✜♥✐❡s ♠❛♥✉❡❧❧❡♠❡♥t ❀
✕ ▲❡s ♠♦❞✉❧❡s ♦ù ❧❡s ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡s ❡t✴♦✉ ❧❡s ❆❘◆♠ s♦♥t ré❣✉❧és ❧♦rs ❞✉
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❝❛s ♣❛rt✐❝✉❧✐❡rs s❡♠❜❧❡♥t ♣❧✉s ✐♥tér❡ss❛♥ts q✉❡ ❞✬❛✉tr❡s✱ ❝♦♠♠❡ ♣❛r ❡①❡♠♣❧❡ ❧✬✉♥ ❞❡s
s♦✉s✲❣r❛♣❤❡s s✉r ❧✬❛ttr✐❜✉t ✓ ♦✈♦❣❡♥ès❡ ✔✳ ➚ ♣❛rt✐r ❞❡ ❝❡ s♦✉s✲❣r❛♣❤❡✱ ♥♦✉s ♣♦✉✈♦♥s
♦❜s❡r✈❡r q✉❡ ❧✬❡♥s❡♠❜❧❡ ❞❡s ❆❘◆♠ ❝✐❜❧és ♣❛r ❧❡ ♠✐❝r♦❆❘◆ ♠❛t✉r❡ ❛♣✐✲♠✐r✲✶✵✵✵✲✺♣ q✉✐
♣♦ssè❞❡♥t ❧✬❛ttr✐❜✉t ✓ ♦✈♦❣é♥ès❡ ✔ ♣rés❡♥t❡♥t ❛✉ss✐ s♦✐t ❧❡s ❛ttr✐❜✉ts ✓ ❝②❝❧❡ ❝❡❧❧✉❧❛✐r❡ ✔
❡t ✓ ré❣✉❧❛t✐♦♥ tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡ ✔ s♦✐t ❧✬❛ttr✐❜✉t ✓ é♣✐❣é♥ét✐q✉❡ ✔✳ ❈❡tt❡ ♦❜s❡r✈❛t✐♦♥
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✐♠♣❧✐q✉és ❞❛♥s ❧❛ ré❣✉❧❛t✐♦♥ tr❛♥s❝r✐♣t✐♦♥♥❡❧❧❡ ❡t ❧❡ ❝②❝❧❡ ❝❡❧❧✉❧❛✐r❡ ❧♦rs ❞❡ ❧✬♦✈♦❣❡♥ès❡✳❈❤❛♣✐tr❡ ✻
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❲❡♥❞② ❲✉✱ ▼✐❝❤❛❡❧ ❉✐❈✉❝❝✐♦✱ P❛✉❧ ❑✐tts✱ ❉♦♥♥❛ ❘ ▼❛❣❧♦tt✱ ❚❡r❡♥❝❡ ❉ ▼✉r♣❤②✱
❛♥❞ ❏❛♠❡s ▼ ❖st❡❧❧✳ ❘❡❢❙❡q ✿ ❛♥ ✉♣❞❛t❡ ♦♥ ♠❛♠♠❛❧✐❛♥ r❡❢❡r❡♥❝❡ s❡q✉❡♥❝❡s✳
◆✉❝❧❡✐❝ ❛❝✐❞s r❡s❡❛r❝❤✱ ✹✷✭❉❛t❛❜❛s❡ ✐ss✉❡✮ ✿❉✼✺✻✕✻✸✱ ❏❛♥✉❛r② ✷✵✶✹✳
❬✶✵✾❪ ❏❛✐♠❡ ❍✉❡rt❛✲❈❡♣❛s✱ ❙❛❧✈❛❞♦r ❈❛♣❡❧❧❛✲●✉t✐érr❡③✱ ▲❡s③❡❦ P Pr②s③❝③✱ ▼❛r✐♥❛
▼❛r❝❡t✲❍♦✉❜❡♥✱ ❛♥❞ ❚♦♥✐ ●❛❜❛❧❞ó♥✳ P❤②❧♦♠❡❉❇ ✈✹ ✿ ③♦♦♠✐♥❣ ✐♥t♦ t❤❡ ♣❧✉✲
r❛❧✐t② ♦❢ ❡✈♦❧✉t✐♦♥❛r② ❤✐st♦r✐❡s ♦❢ ❛ ❣❡♥♦♠❡✳ ◆✉❝❧❡✐❝ ❛❝✐❞s r❡s❡❛r❝❤✱ ✹✷✭❉❛t❛❜❛s❡
✐ss✉❡✮ ✿❉✽✾✼✕✾✵✷✱ ❏❛♥✉❛r② ✷✵✶✹✳
❬✶✶✵❪ ❙✉s❛♥ ❊ ❙t P✐❡rr❡✱ ▲❛✉r❛ P♦♥t✐♥❣✱ ❘❛②♠✉♥❞ ❙t❡❢❛♥❝s✐❦✱ ❛♥❞ P❡t❡r ▼❝◗✉✐❧t♦♥✳
❋❧②❇❛s❡ ✶✵✷✕❛❞✈❛♥❝❡❞ ❛♣♣r♦❛❝❤❡s t♦ ✐♥t❡rr♦❣❛t✐♥❣ ❋❧②❇❛s❡✳ ◆✉❝❧❡✐❝ ❛❝✐❞s r❡✲
s❡❛r❝❤✱ ✹✷✭❉❛t❛❜❛s❡ ✐ss✉❡✮ ✿❉✼✽✵✕✽✱ ❏❛♥✉❛r② ✷✵✶✹✳
❬✶✶✶❪ ▼✐❝❤❡❧ ❏ ❲❡❜❡r✳ ◆❡✇ ❤✉♠❛♥ ❛♥❞ ♠♦✉s❡ ♠✐❝r♦❘◆❆ ❣❡♥❡s ❢♦✉♥❞ ❜② ❤♦♠♦❧♦❣②
s❡❛r❝❤✳ ❚❤❡ ❋❊❇❙ ❥♦✉r♥❛❧✱ ✷✼✷✭✶✮ ✿✺✾✕✼✸✱ ❏❛♥✉❛r② ✷✵✵✺✳
❬✶✶✷❪ ❊✉❣❡♥❡ ❇❡r❡③✐❦♦✈✱ ◆✐❝♦❧❛s ❘♦❜✐♥❡✱ ❆♥❛st❛s✐❛ ❙❛♠s♦♥♦✈❛✱ ❏❛❦✉❜ ❖ ❲❡st❤♦❧♠✱
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✶✼✶Edge Selection in a Noisy Graph by Concept
Analysis: Application to a Genomic Network
Valentin Wucher1,2
, Denis Tagu1
, and Jacques Nicolas2
1
INRA, UMR 1349 IGEPP, Le Rheu, 35653, France
valentin.wucher@rennes.inra.fr; denis.tagu@rennes.inra.fr
2
IRISA-INRIA, Campus de Beaulieu, 35042 Rennes cedex, France
jacques.nicolas@inria.fr
Abstract. MicroRNAs (miRNAs) are small RNA molecules that bind messenger
RNAs (mRNAs) to silence their expression. Understanding this regulation mechanism
requires the study of the miRNA/mRNA interaction network. State of the
art methods for predicting interactions lead to a high level of false positive: the
interaction score distribution may be roughly described as a mixture of two overlapping
Gaussian laws that need to be discriminated with a threshold. In order to
further improve the discrimination between true and false interactions, we present
a method that considers the structure of the underlying graph. We assume that the
graph is formed on a relatively simple structure of formal concepts (associated to
regulation modules in the regulation mechanism). Specifically, the formal context
topology of true edges is assumed to be less complex than in the case of a noisy
graph including spurious interactions or missing interactions. Our approach consists
thus in selecting edges below an edge score threshold and applying a repair process
on the graph, adding or deleting edges to decrease the global concept complexity.
To validate our hypothesis and method, we have extracted parameters from a real
biological miRNA/mRNA network and used them to build random networks with
fixed concept topology and true/false interaction ratio. Each repaired network can
be evaluated with a score balancing the number of edge changes and the conceptual
adequacy in the spirit of the minimum description length principle.
1 Introduction
MicroRNAs (miRNAs) are small RNA molecules that bind to and regulate
the flow of messenger RNAs (mRNAs). They have a sequence of 6 nucleotides
that bind to a complementary sequence, the binding site, of the target mRNA.
Bound miRNAs repress the expression of their target mRNAs.
The interaction network created by miRNAs/mRNAs interactions is by
definition a bipartite graph between miRNA nodes and mRNA nodes. Several
bioinformatics methods can predict miRNAs/mRNAs interactions. The
current state of the art offers only methods having a high level of false positive
predictions (Chil et al. (2009), Reyes-Herrera et al. (2011)). Even with2 Valentin Wucher, Denis Tagu, and Jacques Nicolas
scoring functions and a threshold, it is still hard to discriminate between true
and false predictions.
Based on the biological function of miRNAs, i.e. repressing mRNAs translation,
and their implication in many biological processes (Janga and Vallabhanenis
(2011)), authors have provided some evidence that miRNAs combine
to regulate functional modules, i.e. clusters of mRNAs sharing similar functions
(Bryan et al. (2014) and Enright et al. (2005)). This assumption is compatible
with the observations of similar complexes for another major regulation
actor, transcription factors. Thus true interactions could be distinguished
in principle from false one on the basis of functional clusters (modules), i.e.
set of miRNAs that regulate mRNAs with the same function.
Once a score threshold has been set, we intend to improve edge selection
by detecting false negatives and false positives by taking into account the
previous assumption in the framework of formal concept analysis.
2 Definition of formal concept analysis
This section briefly recalls some notions of formal concept analysis as defined
by Ganter and Wille (1999) and Klimushkin et al. (2010).
A formal context is a triplet K = (G, M, I) where G is the set of objects,
M the set of attributes and I ⊆ G × M is a binary relation between objects
and attributes. The operator (.)
′
is defined on K for A ⊆ G and B ⊆ M
as: A′ = {m ∈ M|∀g ∈ A : gIm} and B′ = {g ∈ G|∀m ∈ B : gIm}. A′
is
the set of common attributes to all objects in A and B′
the set of common
objects to all attributes in B.
A formal concept is a pair (A, B) defined on K with A ⊆ G and B ⊆ M
where A = B′ and B = A′
. Concept ordering can be based on set inclusion:
For all formal concepts (A, B) and (C, D), let (A, B) ≤ (C, D) if A ⊆ C. If
(A, B) ≤ (C, D) and there is no formal concept (E, F) such that (A, B) <
(E, F) < (C, D) then we write (A, B) ≺ (C, D).
The relation < generates a concept lattice structure B(K) on context K.
The order ≺ generates the edges in the covering graph of B(K).
a1 a2 a3 a4
o1 1 1
o2 1 1
o3 1 1
o4 1 1
o5 1 1
❅
❅
⊤ = {o1, o2, o3, o4, o5} × ∅
C1 = {o1, o2, o3} × {a1, a2} C2 = {o4, o5} × {a3, a4}
⊥ = ∅ × {a1, a2, a3, a4}
Fig. 1. A formal context Kex (left) with Gex = {o1..5} the set of objects and
Mex = {a1..4} the set of attributes and the associated concept lattice B(Kex) (right).
Figure 1 gives a small example of formal context and the associated concept
lattice. It contains four formal concepts, namely C1, C2, the top concept ⊤
and the bottom concept ⊥.Edge selection in a noisy graph by concept analysis 3
3 The effect of noise on formal concept analysis
Formal concept analysis is a powerful method for binary data analysis because
it extracts every complete group of related elements, i.e. such that every element
from one set is related to every element in the second set. This advantage
become a drawback in case of noisy data, because of its sensitivity to the presence
of each relation.
Studies have already been conducted on fault-tolerant or approximated
concepts analysis (Besson et al. (2004), Belohlavek and Vychodil (2006), Blachon
et al. (2007)). It consists mostly in retrieving dense rectangles of 1 in
a binary matrix: a concept is indeed a submatrix filled with 1 values, up to
line and column reordering. The constraint of requiring a complete set of 1
may be released by an optimisation constraint requiring a maximal number
of 1. Very few works exist aiming at retrieving original concepts from noisy
formal concepts. One of the most advanced study in this domain is due to
Klimushkin et al. (2010), which showed that formal concepts can be recovered
from a formal context including false relations and between 300 to 400
objects and 4 to 12 attributes. They used three statistical values on concepts
to find the original concepts and concept lattice.
The next subsection introduces a toy example of noisy context in order to
illustrate the effect of noise on the associated concept lattice. A more formal
characterization of this effect is provided in a subsection.
3.1 Example of noise effect
In the context Knoise (Figure 2), one spurious relation (o5, a2) has been added
compared with Figure 1 and a dissimilarity score is available for every relation.
By setting a threshold of −0.2 and keeping every relation below this threshold,
(o3, a2), an original relation, is discarded while (o5, a2), a spurious relation,
is kept. There are now 7 concepts, 3 more than in Kex (see Figure 2). The
deletion of element (o3, a2) has split concept C1 into two concepts C
′
1 and C
′′
1
.
Concept C2 still exists in Knoise, renamed C
′
2
in the figure. Two new concepts,
C3 and C4 have been created due to the addition of (o5, a2).
a1 a2 a3 a4
o1 -0.3 -0.25
o2 -0.5 -0.45
o3 -0.6 -0.1
o4 -0.4 -0.2
o5 -0.3 -0.28 -0.41
✏✏ PP
✏✏
✏✏
PPPP
PP ✏✏
⊤ = {o1, o2, o3, o4, o5} × ∅
C
′
1 = {o1, o2, o3} × {a1}
C
′′
1 = {o1, o2} × {a1, a2}
C3 = {o1, o2, o5} × {a2}
C
′
2 = {o4, o5} × {a3, a4}
C4 = {o5} × {a2, a3, a4}
⊥ = ∅ × {a1, a2, a3, a4}
Fig. 2. Formal context Knoise (left) with scores (spurious relation underlined) and
the associated concept lattice B(Knoise) (right) obtained at threshold −0.2.4 Valentin Wucher, Denis Tagu, and Jacques Nicolas
3.2 Spurious relations
To better understand the local effect of spurious relations on a concept, we
need to discriminate two types of relations: the original relations, I
o ⊆ G×M
and the spurious relations, I
s ⊆ G × M with I
o ∩ I
s = ∅. These two types of
relations involve three types of contexts: the original context with no spurious
relation Ko = (G, M, I), the context containing only the spurious relations
Ks = (G, M, Is
) and the context with all the relations Kos = (G, M,(I ∪I
s
)).
They generate three types of formal concepts, the set of original concepts C
o
defined on Ko
, the set of spurious concepts C
s defined on Ks and the set of
concepts C
os defined on Kos. The construction of C
os from C
o and C
s depends
on the contribution of each concept pair in C
o × C
s
.
Consider C
o = (Ao
, Bo
) ∈ C
o and C
s = (As
, Bs
) ∈ C
s
. Since I
o and I
s are
exclusive, the concepts in C
o and C
s need to be disjoint. It means that either
Ao ∩ As = ∅ or Bo ∩ Bs = ∅.
Assume with no lack of generality that Ao ∩ As 6= ∅ and Bo ∩ Bs = ∅.
Then a new concept C
os = (Aos, Bos) may be created with Aos = Ao ∩ As
and Bos = Bo ∪ Bs
. Note that if As ⊆ Ao
(resp. Ao ⊆ As
), then C
s
(resp.
C
o
) is not maximal in Kos since it is included in C
os
.
Formally the contribution of two disjoint concepts to the set of extended
concepts C
os can be defined through the application of an inclusion operator:
Definition 1. The inclusion operator i(., .) is defined for a pair of disjoint
concepts (C
i
, Cj
) = ((Ai
, Bi
),(Aj
, Bj
)) as i(C
i
, Cj
) = C
i∪j where C
i∪j
is the
set of concepts obtained on relation {(Ai × Bi
) ∪ (Aj × Bj
)}.
The various types of results deriving from i application depending on the
intersection between object or attribute sets are listed below:
i(C
i
, Cj
) = {C
i
, Cj
} if A
i ∩ A
j = B
i ∩ B
j = ∅; (1)
= {(A
i ∪ A
j
, Bi ∪ B
j
)} if A
i = A
j
or B
i = B
j
; (2)
= {C
j
,(A
i ∪ A
j
, Bi ∪ B
j
)} if A
i ⊂ A
j
or B
i ⊂ B
j
; (3)
= {C
i
, Cj
,(A
i ∩ A
j
, Bi ∪ B
j
)} if A
i ∩ A
j
6⊆ {∅, Ai
, Aj
}; (4)
= {C
i
, Cj
,(A
i ∪ A
j
, Bi ∩ B
j
)} if B
i ∩ B
j
6⊆ {∅, Bi
, Bj
}. (5)
C
os can be defined using a fixpoint characterization: C
os is the smallest
set of concepts that cover the concepts of C
s and C
o and is closed under i.
Concepts from C
s and C
o and concepts generated by operator i belong to C
os
if they are not covered by other concepts from C
os as described above.
3.3 Missing relations
As for spurious relations, one can proceed by distinguishing two types of
relations: the original relations, I
o ⊆ G × M and the missing relations, I
m ⊆
I
o
. They imply three types of contexts: the original context without missing
relations Ko = (G, M, Io
), the context containing only the missing relations
Km = (G, M, Im) and the context with all except the missing relations Kom =Edge selection in a noisy graph by concept analysis 5
(G, M,(I
o \Im)). These contexts entail three types of formal concepts, the set
of original concepts C
o defined on Ko
, the set of missing concepts Cm defined
on Km and the set of concepts C
om defined on Kom. As for spurious relations,
the objective is to describe how the sets C
o and Cm are combining in C
om.
We first describe the general case where the relations of a concept in Cm are
overlapping those of a concept in C
o
.
Consider C
o = (Ao
, Bo
) ∈ C
o and C
m = (Am, Bm) ∈ Cm, if Ao ∩ Am 6= ∅
and Bo ∩ Bm 6= ∅, then the concept C
o
cannot be in C
om since it includes
missing relations Am ×Bm. Instead, two new concepts will be created in C
om,
C
om
1 = (Ao
, Bo \ Bm) and C
om
2 = (Ao \ Am, Bo
). Note that if Ao ⊆ Am (resp.
Bo ⊆ Bm), then only the concept C
om
1
is created (resp. C
om
2
).
Formally the contribution of two overlapping concepts to the set of restricted
concepts C
om can be defined through the application of an exclusion
operator:
Definition 2. The exclusion operator e(., .) is defined for a pair of overlapping
concepts (C
i
, Cj
) = ((Ai
, Bi
),(Aj
, Bj
)) as e(C
i
, Cj
) = C
j\i where C
j\i
is the
set of concepts obtained on relation {(Aj × Bj
) \ (Ai × Bi
)}.
The various types of results deriving from e application depending on the
intersection between object and attribute sets are listed below:
e(C
i
, Cj
) = C
j
if A
j ∩ A
i
or B
j ∩ B
i = ∅; (6)
= {(A
j
, Bj
\ B
i
),(A
j
\ A
i
, Bj
)} if A
j ∩ A
i
6= ∅, Bj ∩ B
i
6= ∅;
(7)
= {(A
j
, Bj
\ B
i
)} if A
j ⊆ A
i
, Bj
6⊆ B
i
; (8)
= {(A
j
\ A
i
, Bj
)} if A
j
6⊆ A
i
, Bj ⊆ B
i
; (9)
= ∅ if A
j ⊆ A
i
, Bj ⊆ B
i
. (10)
C
om can be defined using a fixpoint characterization: C
om is the largest set
of concepts which are included in the concepts of C
o and is closed under e.
Concepts from C
o and concepts generated by operator e belong to C
om if they
do not contain a relation of Im as described above.
3.4 Managing the noise
The previous study points out that the number of concepts will increase depending
on the type of noisy relations (spurious or missing) and the number
of purely noisy concepts except for equations (1) and (6) where no new concepts
are created. For spurious relations, the number of new concepts in C
os
is bounded by the number ns of disjoint concepts C
s
j ∈ C
s with only one set
that intersect with C and is bounded by ns. For missing relations, the number
of new concepts C
om
i ∈ C
om locally created from a concept C depends on
the number nm of concepts C
m
j ∈ Cm that overlap with C and is bounded
by 2nm. Overall, the evolution of the number of new concepts is linear when
adding spurious concepts and exponential when deleting missing concepts. To6 Valentin Wucher, Denis Tagu, and Jacques Nicolas
repair the context Kosm (the context with I
osm = ((I
o ∪ I
s
) \ Im)) in order
to retrieve Ko
, we need to define new operations that reverse the effect of
operators i and e. These operations take advantage of the fact that most of
the time, concepts resulting from the application of i or e are connected in
the concept lattice by a direct relation or a sibling relation.
Concerning operator i, in equation (3) the two result concepts are ordered
by ≺ in the concept lattice. As for equations (4) and (5), the new concept
is the direct precursor or the direct successor of C
i and C
j
in the concept
lattice. For operator e, in equation (7) the result concepts are ordered by ≺.
The two sets Aj and Bj of the original concept can be easily recovered by
crossing the noisy concepts.
4 Repair process
4.1 Definition of repair operations
We have introduced two operations delete and add resp. defined from operators
i and e, which select then suppress or insert relations based on concept
lattice analysis. We assume in the following that these operations act on a
pair of concepts (X, Y ) with X = (A, B) and Y = (C, D).
Two types of selected (X, Y ) pair selection exist, link pair if X ≺ Y and
sibling pair, X ≈ Y , if ∃Z|X ≺ Z and Y ≺ Z. The following operations apply
on these pairs:
∀ (X, Y ) | X ≺ Y or Y ≺ X or X ≈ Y :
delete(X, Y ) : C := C − Y ; Noise := Noise ∪ Y \ X;
∀ (X, Y ) | X ≺ Y or Y ≺ X :
add(X, Y ) : C := C − X − Y + (C, B); Noise := Noise ∪ (C \ A) × (B \ D);
where C, initially the set of observed concepts, is the resulting set of concepts
and Noise is the set of spurious or missing interactions.
In Figure 2, (C
′
2
, C4)l and delete(C
′
2
, C4) = delete(({o4, o5}, {a3, a4}),
({o5}, {a2, a3, a4})) results in deleting a spurious relation: C := C − C4 and
Noise := Noise ∪ {(o5, a2)}. The same way, (C
′′
1
, C′
1
)l and add(C
′′
1
, C′
1
) =
add(({o1, o2}, {a1, a2}),({o1, o2, o3}, {a1})) results in adding a missing relation:
C := C−C
′′
1 −C
′
1+({o1, o2, o3}, {a1, a2}) and Noise := Noise∪{(o3, a2)}
The whole repair process consist of the simultaneous application of a set of
delete/add operations on a subset of pairs extracted from the initially observed
set of concepts. The space of admissible pairs is naturally constrained: once
a concept has been chosen for deletion for instance, it cannot be used for an
add operation in another selection. This leads to a space of different subsets
of concepts, induced by different repair alternatives. These alternatives have
to be scored in order to keep the best one.
4.2 Minimum description length optimization
In the spirit of the minimum description length principle, each set of concepts
C resulting from the application of delete/add operations on a subset of
concept pairs C gets a score defined as:Edge selection in a noisy graph by concept analysis 7
score(C) = X
(A,B)∈C
(|A| + |B|) + α card(Noise);
where α is an integer parameter set by default to 1. This score is minimized
over all possible applications of delete and add operations on all admissible
concept subsets C.
5 Experiments on simulated noisy data
We have generated several random contexts with a fixed number of objects
and attributes (from 20 to 40) to test our method for the detection of spurious
interactions. For each context, 5 sets of interactions have been created, corresponding
to 5 cross-products of a random number of objects and a random
number of attributes each following a normal distribution (mean 5, standard
deviation 2). The original concepts are obtained on these sets of interactions.
The noisy concepts are obtained by adding a uniform noise with a fixed probability
for each cell to be changed. For each set of parameters (number of objects/attributes,
noise level and weight α) 1,000 random contexts have been
tried and the average ratio of original and spurious relations deleted has been
computed. Results for the delete operation are shown Table 1.
Table 1. Mean and standard deviation (sd) on simulated noisy data of the percentage
of original and spurious relations deleted by the repair process.
objects attributes noise α original (%) spurious (%)
mean sd mean sd
20 20 0.05 1 3.5 4.2 43.1 21.3
2 3.3 4.1 43 21.3
3 3.1 4 42.2 21.3
40 40 0.01 1 3.5 4.3 60.4 16
2 2.3 3.1 60.6 15.9
3 1.5 2.4 58.9 16.2
0.05 1 0.4 1.5 29 11.2
2 0.4 1.3 27.8 10.4
3 0.3 0.1 24.2 9.1
0.1 1 0.1 1.4 0.8 3.9
2 0.1 1.4 0.8 3.9
3 0 0 0.4 0.9
60 60 0.05 1 0.1 0.3 17.4 8.4
2 0 0.3 15.7 6.8
3 0 0.3 13.1 6.1
For all experiments in Table 1, the percentage of original and spurious
relations deleted decreases when α increases. This observation is coherent
with the defined score since α represents the relative minor importance of the
number of deleted relations with respect to the description length of repaired
concepts. In all cases, very few original concepts were affected by deletions.
Half of spurious relations are detected for contexts that do not exceed 40
objects and 40 attributes and this rate decreases in line with context size
increase and noise level increase. These results seemed sufficient for real data
management with a relatively stringent selection of interactions (a limited
level of noise) and we have further experimented with more realistic data.8 Valentin Wucher, Denis Tagu, and Jacques Nicolas
6 miRNAs/mRNAs interaction graph
The pea aphid (Acyrthosiphon pisum) is a crop pest that is a model for
the study of phenotypic plasticity (The Intern. Aphid Genomics Consortium
(2010)). During the warm seasons viviparous parthenogenetic females are produced
whereas during autumn, sexual males and oviparous sexual females are
produced. In order to understand the differences in the regulation between
sexual and asexual embryogenesis, kinetic data for mRNA and miRNA expression
have been collected in both contexts (Gallot (2012)). From these
data, we have extracted 43 miRNAs and 2,033 mRNAs of interest exhibiting
kinetics differences in the two embryogenesis.
To predict miRNAs/mRNAs interactions, we used TargetScan v5 (Grimson
et al. (2007)). TargetScan provides for each prediction a dissimilarity
score, i.e. the lower the score, the stronger the interaction. This resulted in
a scored interaction graph with 6,763 interactions between 41 miRNAs and
1,479 mRNAs. The prediction score distribution is shown Figure 3.
TargetScan context score
Density
−0.6 −0.4 −0.2 0.0 0.2
0 1 2 3 4
Gaussian mixture model
True distribution
False distribution
Fig. 3. TargetScan context score distribution (solid line: complete; dashed line: true
prediction distribution; dotted line: spurious interactions).
The total distribution can be seen as a Gaussian mixture model (GMM,
solid line) divided into two Gaussian curves, one centered around low values
(dashed line) and the other centered around high values (spurious interactions,
dotted lines). These curves are in agreement with the literature (Chil
et al. (2009), Reyes-Herrera and Ficarra (2011)), which reveals a high false
positive rate in the prediction methods. The TargetScan prediction forms thus
a bipartite graph with a high level of noise, something that does not allow
to directly apply our method. Fortunately, it is possible to select the most
interesting interactions by choosing a relatively stringent score threshold. Every
true interactions above this threshold will be missing and all spurious
interactions below this threshold will be retained.
7 Experiments on simulated biological data
Since no miRNAs/mRNAs interactions dataset exist where actual interactions
are known, we needed to simulate the interaction graphs in a controlled wayEdge selection in a noisy graph by concept analysis 9
to test our method. The scores were simulated by fitting a GMM to the data
(solid line in Figure 3). The degree of miRNAs and mRNAs vertices were
determined using score dependent degree distributions for true interactions
and spurious interactions.
We have generated 1,000 random miRNA/mRNA interactions graphs,
keeping the number of miRNAs, mRNAs and interactions in real data: 41
miRNAs, 1,479 mRNAs and 6,763 interactions. Two thresholds have been
tested, -0.3 and a more stringent one of -0.35, to restrict the number of spurious
interactions while keeping a high number of true interactions (see Figure
3). A threshold defines the set of original interactions (true interactions below
the threshold), spurious interactions (false interactions below the threshold)
and missing interactions (true interactions above the threshold).
For each graph and each threshold, the concept lattice has been computed
and the ratio of deleted original and spurious relations has been obtained for
α = 1. Results for the delete operation are shown in Table 2.
Table 2. Mean and stand. dev. (sd) on simulated data of the percentage of original
and spurious relations deleted by the repair process with α = 1.
miRNAs mRNAs interactions threshold original (%) spurious (%)
mean sd mean sd
41 1,479 6,763 -0.3 5.6 3.2 8.7 4.5
-0.35 22.5 4.9 34.8 7.6
In contrast to results on simulated noisy contexts, deletions affects both
original and spurious relations. For both thresholds, the mean and standard
deviation for spurious interactions is slightly higher than for the original interactions.
A comparison between the two thresholds shows that the more
stringent threshold has a higher mean and standard deviation. Interestingly,
the same behaviour is observed when comparing simulated noisy contexts of
size 40 × 40 with a noise probability of 0.01 or 0.05 (Table 1).
8 Conclusion
We have formalized the effect of noise on a microRNAs/mRNAs interaction
graph by considering it has a formal context. Two types of noise may occur,
namely spurious and missing relations. We showed that noise has the effect
of increasing the set of original concepts linearly or exponentially respectively
with respect to purely spurious or missing concepts. In most cases, there exists
some intersection/inclusion relation between noisy concepts observable as a
direct or a sibling relation in the modified concept lattice, which allows to
recover the original concepts.
Based on these observations, two repair operations: delete and add have
been defined for spurious and missing relations. These operations are applied
on subsets of concept pairs, looking for the optimization of a score based
on minimum description length principle. We have shown on simulated noisy10 Valentin Wucher, Denis Tagu, and Jacques Nicolas
contexts that there exists a range of context sizes such that our method allows
to increase the sensitivity of a highly specific prediction with the delete
operation.
In order to test our method on more realistic data, we used a set of simulation
parameters derived from a real miRNAs/mRNAs interaction graph.
Unfortunately, the discriminative power of the repairing method on these data
is insufficient as it deletes a significant number of true interactions.
Additional work is necessary to increase the deletion rate of spurious relations,
to improve the discriminative power of the method for small and very
large contexts and greater levels of noise. In the continuation of this work, we
will also evaluate how well the add operation performs on the same data. Another
perspective is to check how missing relations detected by our method
compare to missing relations in approximated concepts, i.e. the 0 in dense
rectangles of 1 (see section 3).
Acknowledgement
This work was founded by ANR project miRNAdapt and R´egion Bretagne. The
authors thank R. Jullien, V. Picard and C. Galiez for constructive remarks on the
paper.
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REVIEW ARTICLE
Genome expression control during the photoperiodic
response of aphids
G A E L L E T R I O N N A I R E , V A L E N T I N W U C H E R and D E N I S T A G U
INRA Rennes, UMR IGEPP, Le Rheu, France
Abstract. Aphids are major crop pests and show a high level of phenotypic plasticity.
They display a seasonal, photoperiodically-controlled polyphenism during their life
cycle. In spring and summer, they reproduce efficiently by parthenogenesis. At the
end of summer, parthenogenetic individuals detect the transition from short nights
to long nights, which initiates the production of males and oviparous females within
their offspring. These are the morphs associated with the autumn season. Deciphering
the physiological and molecular events associated with this switch in reproductive
mode in response to photoperiodic conditions is thus of key interest for understanding
and explaining the remarkable capacity of aphids to adapt to fluctuations in their
environment. The present review aims to compile earlier physiological studies,
focussing on the neuroendocrine control of seasonal photoperiodism, as well as a series
of large-scale transcriptomic approaches made possible by the recent development of
genomic resources for the model aphid species: the pea aphid Acyrthosiphon pisum.
These analyses identify genetic programmes putatively involved in the control of the
initial steps of detection and transduction of the photoperiodic signal, as well as in
the regulation of the switch between asexual and sexual oogenesis within embryonic
ovaries. The contribution of small RNAs pathways (and especially microRNAs) in
the post-transcriptional control of gene expression, as well as the role of epigenetic
mechanisms in the regulation of genome expression associated with the photoperiodic
response, is also summarized.
Key words. Aphids, epigenetic mechanisms, neuroendocrine control, microRNAs,
photoperiodism, transcriptomic analysis.
Introduction
Photoperiodism in the living world
Demographic success and the survival of most organisms is
highly dependent on their ability to cope with and respond to a
variety of environmental factors that can be either biotic or abiotic.
Biotic factors mainly correspond to pathogens, parasites or
predators that limit the development of a given species. Abiotic
factors mainly include temperature, humidity and photoperiod,
and their combined and continuous fluctuations across seasons
can have a strong impact on the fitness of a wide range of
organisms. To face the constant modifications of environmental
Correspondence: Gael Le Trionnaire, INRA Rennes, UMR ¨
1349 IGEPP, BP 35327, 35657 Le Rheu, Cedex, France.
Tel.: +33 2 2348 51 65; e-mail: gael.letrionnaire@rennes.inra.fr
factors, organisms have developed strategies enabling their
long-term adaptation to season alternation. The most common
and perhaps reliable mechanism is known as photoperiodism,
where organisms can detect variations of day length that occur
during the year and use them as signals to trigger the establishment
of phenotypic/behavioural modifications, allowing their
adaptation to seasons. Manifestations of photoperiodism are
widespread amongst a variety of organisms, such as fungi,
plants and animals. Plants synchronize their life cycle with season
alternation. Arabidopsis thaliana is a facultative long-day
plant because flowering is promoted by long days and delayed
under short-day conditions. By contrast, flowering time in rice
is induced by short days (Yanovsky & Kay, 2003). In numerous
species of birds, reproduction and migration timing are
controlled by endogenous circannual rhythmicity. The expression
(or not) of such rhythms depend on the photoperiod and
its fluctuation across seasons (Gwinner, 2003). Humans are
also sensitive to photoperiod changes because afflictions such
© 2013 The Royal Entomological Society 117118 G. Le Trionnaire et al.
as seasonal affective disorder can be diagnosed at the arrival
of autumn and winter (Davis & Levitan, 2005). In invertebrates,
insects are striking examples of organisms displaying a
photoperiodic response. Cold tolerance, migration and growth
rate regulation are common responses of insects to day-length
changes. However, the two most striking examples of photoperiodism
within the insects are diapause and the appearance of
seasonal morphs. Diapause is an arrest of development during
the life cycle of the insect that allows the anticipation
of adverse environmental conditions (drought or cold) and is
often triggered by photoperiod (Saunders et al., 2004). The
production of seasonal morphs in aphids is historically documented
(Tagu et al., 2008): the detection of short days induces
a shift from clonal, viviparous reproduction (parthenogenesis)
to sexual, oviparous reproduction. A switch from viviparous
to oviparous embryogenesis thus occurs within the individuals
that detect changes in day length (Tagu et al., 2005). At the
population scale, lineages that are able to respond to photoperiodic
cues coexist with lineages that have lost this ability and
reproduce asexually during their life cycle (Simon et al., 2011).
Depending on the type of organism, photoperiodic response
can either result in a behavioural change or in the expression
of a plasticity of the phenotype that will be more suited
to the future environmental conditions. In this context, aphids
represent an extreme case of phenotypic plasticity because the
sexual morphs produced by asexual individuals that experience
photoperiod changes correspond to different and contrasting
phenotypes. This discrete phenotypic plasticity is also called
polyphenism (Simpson et al., 2011). In aphids, photoperiodism
is thus achieved by a plasticity of the reproductive mode.
Understanding the molecular basis of this phenomenon offers
the possibility not only to decipher the molecular mechanisms
involved in the detection and transduction of the photoperiodic
signal, but also to understand the molecular events governing
the transition from an asexual to a sexual reproductive
mode and embryogenesis. Aphids represent an ideal model for
understanding the direct phenotypic consequences of the modification
of photoperiod. The present review first introduces
the aphid model and then focusses on the physiological and
transcriptomic bases of key steps of this phenomenon such as
the detection and transduction of the photoperiodic signal and
the switch from asexual to sexual oogenesis within embryonic
ovaries. The second part of this review focusses on the putative
role of post-transcriptomic and epigenetic mechanisms associated
with the establishment of phenotypic plasticity in response
to the photoperiodic changes in aphids.
Aphids: major crop pests remarkably adapted to their
environment
Aphids are phloem sap-feeding hemipterous insects that can
cause significant economic losses on various crops such as
wheat or maize. In temperate and continental regions, most
aphid species reproduce quickly and efficiently by viviparous
parthenogenesis during spring and summer. At the arrival of
autumn, parthenogenetic individuals detect short days. Once
sensed, this signal is transmitted to the embryos, which, in
turn, direct their development towards becoming sexual adults.
The sexual individuals produced (i.e. males and oviparous
females) mate and females lay cold-resistant eggs that can
withstand potentially adverse winter conditions (Fig. 1). The
aphid genome is thus highly ‘plastic’ in the sense that it
is able to predict and respond to environmental parameters
(seasons) that can be strongly limiting for their survival
and general fitness. Aphids are insects that are remarkably
adapted to their environment by being able to respond to
its fluctuation, explaining their success as one of the major
crop pests. Understanding the molecular events regulating
the photoperiodic response and more generally phenotypic
plasticity in aphids is of major fundamental and agronomical
interest for developing sustainable crop pest management
strategies. The development of genomic resources within the
aphid scientific community in the early years of the 21st
Century has allowed significant progress. The pea aphid
Acyrthosiphon pisum genome has recently been sequenced and
annotated (Richards et al., 2010), which constitutes an absolute
pre-requisite for a wide range of genetic and genomic analyses.
Physiological and transcriptomic bases of photoperiodism in
aphids
Photoperiodic signal, photoperiodic clock and
photoreceptors. Studies on photoperiodism in aphids started
to emerge in the second part of the 20th Century, when
it was demonstrated that aphids could measure scotophase
(night length). For each species, there is a minimum length
of scotophase (i.e. critical night length) above which the
induction of sexual morphs is effective (Lees, 1973). A
minimum number of consecutive long nights is also necessary
to trigger the reproductive mode switch under controlled
conditions. It can vary between species, although an average
of at least ten consecutive long nights is sufficient to trigger
the reproductive mode switch. This might be because day
length is interpreted as an adaptive strategy to limit a too rapid
switch that could be induced by a short period of exposure to
long-nights. Complementary studies showed that temperature
could also modulate the photoperiodic response (Lees, 1989).
The nature of the photoperiodic clock involved in detecting
short days has nevertheless not been clearly stated. The
involvement of the circadian clock in the photoperiodic
response in aphids has been questioned for a long-time.
Three main theoretical models for the mechanism of insect
photoperiodic clocks have been proposed, two of which
suggest an involvement of the circadian clock (Internal or
External Coincidence Model), whereas the third (‘Hourglass’
model) does not involve any circadian component. These
models are at their essence theoretical and are still largely
debated (Danks, 2005; Saunders, 2005). The accumulation of
molecular evidence would thus clearly help in discriminating
these different models. A recent study (Cortes´ et al., 2010)
revealed the presence in the pea aphid genome of orthologues
for several well-known Drosophila circadian clock genes
such as period, timeless, Clock, vrille and Pdp1 . Expression
analyses confirmed a circadian rhythmicity for some of those
© 2013 The Royal Entomological Society, Physiological Entomology, 38, 117–125Seasonal photoperodism in aphids 119
Fig. 1. Pea aphid life cycle and the production of seasonal morphs. In sexual lineages, aphids reproduce efficiently and quickly by parthenogenesis
during spring and summer. At the end of summer, parthenogenetic individuals detect short days and initiate the production of sexual individuals
in their offspring. Such individuals that produce sexual forms are also called ‘sexuparae’. Autumn morphs (i.e. sexual females and males) are thus
produced and will mate to produce cold-resistant eggs that can overcome winter.
genes, as well as a significant effect of photoperiod on the
amplitude of oscillations. Nevertheless, the exact contribution
of the circadian clock to the photoperiodic response remains
unknown. The nature and localization of putative photoperiodic
photoreceptors has also been investigated. Antibodies
directed against a wide range of opsins and other phototransduction
proteins were tested and shown to be localized in the
ventral anterior region of the protocerebrum, suggesting that
the photoperiodic photoreceptors could be located in this area
of the brain (Gao et al., 1999). The molecular nature and
the precise function of these receptors in the photoperiodic
response remain unknown.
Neuroendocrine control. In insects, both endocrine glands
and neurosecretory cells can release hormonal components.
Steel & Lees (1977) showed that one of the five groups of
neurosecretory cells from the protocerebrum (Cell Group I)
was involved in the photoperiodic response because microcauterization
of those cells abolished the response. These cells
have long axons spreading into the abdomen of the aphid.
Steel & Lees (1977) suggested that secretions (hormones or
neuropeptides) from these cells are transported all along the
axon and released at specific sites close to the ovarioles, which
are the target tissues of the photoperiodic signal, although this
has never been demonstrated. The nature of these neurosecretory
molecules remains unknown. A recent combination of
bioinformatics analyses, brain peptidomics and cDNA analyses
allowed the establishment of a catalogue of pea aphid
neuropeptides and neurohormones. Forty-two genes encoding
neuropeptides and neurohormones were identified. The neuropeptides
accumulated in the Group I of neurosecretory cells
are probably rich in cysteine (because they respond to fuchsin
staining). By correlating the type of neuropeptides rich in
cysteine present in the pea aphid genome, and also the knowledge
of neuropeptides secreted in other insects, it appears
© 2013 The Royal Entomological Society, Physiological Entomology, 38, 117–125120 G. Le Trionnaire et al.
that insulins could represent good candidates for neuropeptides
involved in the regulation of photoperiodism (Huybrechts
et al., 2010). This hypothesis appears to be realistic considering
the results obtained from recent transcriptomic analyses of
the photoperiodic response (Le Trionnaire et al., 2009), which
show the differential expression of transcripts involved in the
insulin signalling pathway (see below).
The involvement of Juvenile Hormones (JH) (known to
regulate a wide range of developmental processes in insects)
in the control of photoperiodism has also been studied. Topical
application of JH or Kinoprene (a JH analogue) on the
abdomen of viviparous aphids producing sexual individuals
resulted in the reversion of the response to production of
asexual individuals (Hardie & Lees, 1985). JH thus appears
to play a role in the transduction of the photoperiodic signal.
The role of melatonin in the photoperiodic response has also
been investigated. In insects, this hormone is involved in
the regulation of the visual system and displays a circadian
rhythm of expression in head tissues (Bloch et al., 2012).
Long-day, parthenogenetic aphids treated with this hormone
produce sexual individuals in their offspring instead of asexual
individuals (Gao & Hardie, 1997). These results indicate that
melatonin might also play a role in the transduction of the
photoperiodic signal. To further elucidate the molecular bases
of the photoperiodic response, a fine analysis of the genetic
programmes set up during this process was needed.
Genetic programmes associated with photoperiodic signal
detection and transduction. Initial studies used methods
such as the differential display reverse transcriptasepolymerase
chain reaction (DD-RT-PCR) or suppression subtractive
hybridization to identify transcripts differentially
expressed between aphids reared under long days (producers
of parthenogenetic progeny) and short days (producers
of sexually-reproducing offspring). A transcript homologous
to an amino acid transporter within GABAergic neurones
was first identified by DD-RT-PCR as being over-expressed
in short-day, sexual-offspring-producing individuals (Ramos
et al., 2003). A putative role for this transcript in the transduction
of the photoperiodic signal was proposed. Suppression
subtractive hybridization approaches coupled with quantitative
RT-PCR then allowed the identification of transcripts coding
cuticular proteins and a β-tubulin that could play a role in hormone
responses (Cortes´ et al., 2008). The precise function of
these candidate genes in the regulation of photoperiodism is
nevertheless unknown.
Genomic resources such as expressed sequence tag libraries
from various aphid tissues were generated (Sabater-Munoz ˜
et al., 2006). These libraries were used to build two generations
of cDNA microarrays containing, respectively, 1700 (Le
Trionnaire et al., 2007) and 7000 transcripts (Le Trionnaire
et al., 2009, 2012). Heads of aphids reared under long-day
or short-day photoperiods were collected at five stages of
development during the process of sexual morph induction. By
focusing on heads and cerebral tissues, the aim was to capture
the genetic programmes set up during the initial steps of
photoperiodic signal detection and transduction (Le Trionnaire
et al., 2007, 2009). Microarray hybridizations combined
with proteomics approaches (two dimensional differential in
gel electrophoresis) revealed the differential expression of a
significant number of transcripts (10% of spotted cDNAs)
and peptides within the heads of aphids in response to short
photoperiods, allowing the identification of several genetic
programmes that could be associated with the photoperiodic
response (Fig. 2). Among these, a subset of transcripts showed
homologies with Drosophila melanogaster genes involved in
the visual system such as Arrestin and Calnexin, known to
play a role in rhodopsin phototransduction and maturation.
This confirmed an earlier study showing that antibodies
against a vertebrate arrestin strongly labelled the putative brain
photoperiodic photoreceptors (Gao et al., 1999). Another set
of transcripts were related to the nervous system, with several
transcripts differentially expressed displaying homologies with
Drosophila genes involved in axon guidance (Rho I, NLaz,
Capulet and Wunen) and neurotransmission (Kinesin, Dunc
10-4A, Dunc 13-4A and a DEP-containing domain protein),
strongly suggesting an involvement of the nervous system in
the transduction of the photoperiodic signal. Insulin signalling
might also play a role because one transcript encoding an
insulin-degrading enzyme and another one coding for an
insulin receptor were found to be differentially expressed
in response to short photoperiods. Unexpectedly, a large
number (n = 38) of cuticular protein transcripts appeared to be
regulated. Most of them (n = 25) contained a RR domain (RR1
or RR2) that allows chitin-cuticular protein linkage (Gallot
et al., 2010). Most of these transcripts were down-regulated
under short-day photoperiods, suggesting a putative relaxing of
the chitin-cuticular protein network in response to short days.
Cuticle also contains N-β alanyl dopamine (NBAD) that allows
linkage between cuticular proteins to produce hard-cuticle or
sclerotization. NBAD is made of dopamine and β-alanine and
the enzyme responsible for this conjugation is coded by the
ebony gene. β-Alanine is synthesized from aspartate by the
action of an enzyme coded by black gene. Transcriptomic
analyses revealed that ebony and black transcripts were downregulated
in short-day reared aphids. Consequently, it can be
hypothesized that less NBAD is synthesized under short-day
conditions. This suggests that short photoperiods could result
in the reduction of sclerotization level in the aphid heads,
thereby modifying cuticle structure. These observations also
raise the question of the level of dopamine in aphid heads under
short-day conditions. Indeed, if less NBAD is synthesized, is
the general level of dopamine affected? Dopamine synthesis
involves two main enzymes: tyrosine hydroxylase (th), which
metabolizes tyrosine into l-3,4-dihydroxyphenylalanine (lDOPA),
and dopa-decarboxylase (ddc), which metabolizes lDOPA
into dopamine. RT-PCR experiments showed that th
and ddc transcripts were down-regulated in short-day reared
aphid heads, suggesting that short photoperiods could result in
a diminution of dopamine synthesis within aphid brains (Gallot
et al., 2010). Because dopamine is a neurotransmitter (and a
neurohormone), it is tempting to speculate that this molecule
might be involved in the transduction of the photoperiodic
signal. A recent study in Locusta migratoria demonstrated that
the dopamine synthesis pathway was involved in the transition
© 2013 The Royal Entomological Society, Physiological Entomology, 38, 117–125Seasonal photoperodism in aphids 121
from the solitary to the gregarious phase (Ma et al., 2011).
More precisely, the data showed that th (tyrosine hydroxylase),
henna and vat1 (vesicle amino-acid transporter), three genes
coding for enzymes involved in dopamine biosynthesis and
synaptic release, were significantly down-regulated during
the solitary phase. Functional and pharmacological analyses
confirmed that the dopamine pathway was clearly involved
in the behavioural transition (Ma et al., 2011). Because
such a behavioural change in the locust is a case of phase
polyphenism (but not triggered by day length changes), a
clear parallel with reproductive polyphenism (triggered by
photoperiod shortening) can be made and the dopamine
biosynthesis pathway might also be involved in the transition
from asexual to sexual reproduction in response to short days in
aphids. To address this, the level of expression, the localization
and the functional characterization of pale, vat1 and henna
transcripts in both long- and short-day reared aphids all have
to be investigated. It is striking to emphasize that some of
these transcriptomic modifications observed on aphids reared
under controlled conditions were also detected in aphids reared
outdoor under natural photoperiodic conditions. However, the
differential expression of several heat-shock protein transcripts
also suggested a strong response of aphids to additional
environmental parameters such as temperature (Le Trionnaire
et al., 2012).
Transcriptomic modifications associated with the transition
from asexual to sexual oogenesis within embryonic ovaries.
Once short days/long nights are detected by aphids, this
signal has to be transduced to the target tissues, which are
the embryos. A recent large-scale transcriptomic approach
thus aimed to study the consequences of photoperiodic signal
detection and transduction on embryo phenotypic plasticity.
Transcriptomes from sexual and asexual embryos along a
developmental series were compared using an oligo-nucleotide
microarray with approximately 24 000 transcripts (Gallot et al.,
2012). Based on previous studies (Corbitt & Hardie, 1985),
a perfectly synchronized system was developed to target
transcriptomic modifications associated only with the asexual
to sexual oogenesis transition in the embryonic ovaries. Aphids
reared under short photoperiods contain sexual embryos
with a haploid meiotic germline. When Kinoprene (a JH
analogue) is applied to the dorsal side of the abdomen, these
embryos reverse their reproductive mode and produce asexual
embryos containing a diploid non-meiotic germline. Under
these conditions, sexual and asexual embryos are perfectly
synchronized because the photoperiod does not change. This
fine-tuned experimental design was used to compare the
transcriptomes of asexual and sexual embryos at three stages
of development: 18, 19 and 20 as defined by Miura et al.
(2003). These are the final three developmental stages in aphid
embryogenesis and correspond to eye differentiation (stage
18), muscle formation (stage 19) and the mature embryo
(stage 20). Kinoprene treatment is performed when embryos
are at stage 17 (i.e. the latest stage that responds to the
hormonal treatment). After that specific stage, embryos are
no longer responsive. This developmental window was chosen
to study the direct effect of kinoprene on the sexual to
asexual oogenesis switch. Statistical analysis of microarrays
hybridization results revealed that only a few transcripts
(n = 33) were differentially expressed between the two types
of embryos. In situ hybridizations confirmed that most of the
transcripts were located within germ cells and/or oocytes of
asexual and/or sexual ovaries. Regulated transcripts could be
assigned to four main functional categories (Fig. 2). Seven of
those are involved in oogenesis, with a few playing a role
in oocyte axis formation and specification (orb and nudel)
or female meiosis chromosome segregation (nanos). Five
transcripts play a role in post-transcriptional regulation, such
as polyA-tail stabilization (Pop2 ). Four transcripts are also
involved in epigenetic regulations (see below) and three in
cell cycle control (cyclin J ). These transcripts may therefore
determine the aphid clonal or sexual oogenesis. It was thus
revealed that JH signalling might control (directly or indirectly)
the reproductive fate of aphid embryos.
Combined together, these large-scale transcriptomic
approaches allowed the identification of a significant number
of candidate transcripts that could play a key role in the
detection and transduction of the photoperiodic signal, as well
as in the transition from asexual to sexual oogenesis within
embryonic ovaries (Fig. 2). The precise function of these
different transcripts needs to be tested. The development of
stable transgenesis tools remains challenging in aphids, mainly
as a result of the complexity of the biological model (telescoping
of generations, asexuality with lack of recombination
events being predominant during the life cycle). So far, only
transitory methods of transcripts silencing (RNA interference)
have been developed in aphids with the direct injection
of double-stranded RNAs into aphids (Mutti et al., 2006,
2008; Jaubert-Possamai et al., 2007; Shakesby et al., 2009)
or by feeding aphids on plants expressing double-stranded
RNAs in phloem sap (Pitino et al., 2011; Pitino & Hogenhout,
2013). These technologies displayed various levels of
efficiency, mainly depending on the tissue localization of
targeted transcripts. Pharmacological approaches (hormone
or neurotransmitters injected or topically applied) appear
to be a promising alternative for validating the function of
specific candidate transcripts or at least signalling/biosynthetic
pathways. Nevertheless, strong and efficient methods to
modify gene expression in aphids are still missing.
Contribution of post-transcriptional and epigenetic
mechanisms
The global expression of a genome is the result of a combination
of transcriptomic and post-transcriptomic events that
contribute to the establishment of a given phenotype. Small
noncoding RNAs and especially microRNAs have emerged in
the last years as key post-transcriptional regulators of gene
expression (Kim et al., 2009). However, the expression of
these different molecules (mRNAs and small RNAs) depends
on the accessibility of corresponding genomic regions to transcriptional
machinery or transcriptional modulators/regulators.
This so-called ‘epigenetic’ state of the genome will thus be at
© 2013 The Royal Entomological Society, Physiological Entomology, 38, 117–125122 G. Le Trionnaire et al.
Fig. 2. Hypothetical model for regulation of seasonal photoperiodism in aphids. Recent large-scale transcriptomic analyses combined with earlier
physiological studies allowed the identification of genetic programmes that might play key roles in the regulation of the photoperiodic response.
The initial steps of detection and transduction of the photoperiodic signal appear to be associated with a modification of cuticle structure that could
be linked to a reduction in dopamine levels within aphid heads. Visual and brain nervous systems might also play a role in this signalling step.
Juvenile Hormones were also shown to play a central role in the endocrine transduction of this signal from the brain to the target tissues displaying
the reproductive mode switch in the embryos. Later steps corresponding to a shift from asexual to sexual oogenesis appear to be associated with the
differential expression of transcripts involved in germline fate and oogenesis, transcriptional and post-transcriptional control, as well as epigenetic
modifications.
the basis of global genome expression and shape phenotypes.
A given epigenome can be explained by a combination of
DNA methylation patterns and chromatin structure and organization.
Integrating post-transcriptional and epigenetic data with
already well-identified transcriptomic changes associated with
the photoperiodic response should thus allow the fine characterization
of genome expression modifications associated with
seasonal photoperiodism in aphids.
MicroRNAs and alternative morph production. The first
catalogue of pea aphid microRNAs has been recently
completed (Legeai et al., 2010). A combination of
bioinformatic prediction of putative hairpin structures (typical
of pre-microRNAs) on the genome and high-throughput
sequencing of small RNAs from the whole bodies of
parthenogenetic individuals allowed the identification of 149
microRNAs, including 55 conserved and 94 new microRNAs.
The level of expression of candidate microRNAs between
different aphid morphs (parthenogenetic females producing
asexual progeny, oviparous/sexual females and parthenogenetic
females producing sexual offspring, also called
sexuparae) was then tested using a dedicated microRNA
chip. Statistical analyses allowed the identification of 17
microRNAs (12 mature miRNAs and 5 miR*) displaying
morph-specific profiles of expression. Seven microRNAs
were differentially expressed between oviparous females and
sexuparae, and nine were differentially expressed between
oviparous and parthenogenetic females. Interestingly, ap-let-7
and ap-mir-100 were up-regulated in oviparous females
© 2013 The Royal Entomological Society, Physiological Entomology, 38, 117–125Seasonal photoperodism in aphids 123
compared with parthenogenetic and sexuparae females. Their
Drosophila homologues let-7 and miR-100 have been reported
to play a role in metamorphosis and the response to ecdysone,
a hormone involved in insect development. Ap-miR-34 also
showed different expression levels between sexuparae and
parthenogenetic females, which differ by the type of embryos
they contain (sexual versus asexual). Interestingly, miR-34
is regulated in D. melanogaster by ecdysone as well as by
JH. These microRNAs might thus target transcripts that could
play key roles in morph specification and, by extension, in
the photoperiodic response.
Sequencing and annotation of the pea aphid genome (IAGC,
2010) revealed that it displayed a high rate of gene duplication.
For example, it shows an unexpected expansion of the
microRNA pathway for genes that are highly conserved and
have only a single copy in most organisms (Jaubert-Possamai
et al., 2010; Ortiz-Rivas et al., 2012). There are indeed two
copies of the microRNAs pathway-specific dcr1 and ago1
genes. One of the two copies (dic1-b and ago1-b) shows
accelerated evolution. RT-PCR experiments also showed a
morph-biased expression of these genes showing an accelerated
evolution (e.g. dic1-b and ago1-b). This observation raises
questions about the specific function of these duplicated copies
in the microRNAs pathway within specific aphid morphs,
especially in morphs displaying the reproductive mode switch.
Further functional analysis will be needed to assess the specific
roles of these duplicated copies.
However, systems biology could possibly leverage the
lack of functional characterization. MicroRNAs and mRNAs
work as a network of interactions because thousands of such
interactions are usually predicted for one given species and one
specific trait. Genes network and graphs methods are currently
being developed to answer this question. A graph can integrate
different information: microRNAs–mRNAs interactions, their
differential level of expression between two conditions, and
additional relationships, such as regulation by transcription
factors. This integrated graph allows a global view of a given
biological phenomenon. The constitution of such networks in
the course of asexual to sexual oogenesis within embryonic
ovaries might thus help identify new key regulators of
photoperiodism in aphids.
DNA methylation in the pea aphid A. pisum
In mammals, DNA methylation is usually associated with
promoter regions and highly methylated regions are correlated
to low transcription. This methylation pattern is somehow
different in insects. Even if some insect species such as beetles
and Drosophila appear to have lost DNA methylation (Patalano
et al., 2012), pea aphid as well as honey bee Apis mellifera
or locust genome annotation confirmed that all the genes
from the DNA methylation pathway are present (Walsh et al.,
2010; Hunt et al., 2010). Methylation appears to be important
in social insects such as honey bees, which also exhibit a
phenotypic plasticity (caste morphs). A recent study showed
that 550 genes displayed a differential methylation pattern
between queens and workers. Strong correlations between
methylation patterns and splicing sites were also found. It was
proposed that modulation of alternative splicing could be one
of the mechanisms by which DNA methylation is linked to
gene regulation in the context of phenotypic plasticity (Lyko
et al., 2010). In the case of the pea aphid, Walsh et al.
(2010) showed that 0.69% of all cytosines were methylated.
Methylation appears to be restricted to gene coding sequences
at CpG sites. The precise role of DNA methylation in
reproductive mode plasticity in response to photoperiod has
not been studied yet, although some studies are currently
underway aiming to analyse the role of DNA methylation in
the regulation of dispersal polyphenism (Srinivasan & Brisson,
2012). It would thus be of great interest to evaluate the
contribution of this epigenetic pathway to the regulation of
photoperiodism by evaluating in details DNA methylation
patterns between morphs.
Chromatin organization and histone modifications. Chromatin
is defined as the association between DNA and proteins
(histones and nonhistone proteins). Nucleosomes are sub-units
of chromatin made of a DNA fragment of 140 bp wrapped
around a protein complex of two copies of each histone protein
(H2A, H2B, H3 and H4). Nucleosome numbers and organization
all along the chromosome can shape accessibility of
genomic regions such as promoters to transcription factors
or other regions such as enhancers to regulatory molecules.
Nucleosome occupancy can be studied by recently developed
methods such as FAIRE-seq (formaldehyde-associated
isolation of regulatory elements; Kaplan et al., 2008) and
MAINE-seq (MNase-mediated purification of mononucleosomes;
Simon et al., 2012) that allow the isolation of proteinfree
DNA and histone-bound DNA, respectively. Such methods
are of great interest for identifying genomic regions epigenetically
regulated during a given phenomenon. Nucleosomic
histones can also be modified post-translationally. Histone
residues such as specific lysines (K) can be methylated or
acetylated. The combination of different histone modifications
will have consequences for the level of DNA accessibility. Different
chromatin states can then be defined by a combination of
several histone modification marks. For example, genome-wide
profiling of a combinatorial pattern of enrichment or depletion
for specific histone modification marks has been established for
all the chromosomes of Drosophila, allowing the establishment
of a nine-state model for Drosophila chromatin (Kharchenko
et al., 2011). So far in aphids, only H3K9me mark and HP1
proteins have been localized on heterochromatic regions (Mandrioli
& Borsatti, 2007). More recently, it has been shown that
the pea aphid genome possesses a complement of metazoan
histone-modifying enzymes with greater gene family diversity
than that seen in a number of other arthropods. Several genes
have undergone recent duplication and divergence, potentially
enabling greater combinatorial diversity among the chromatinremodelling
complexes (Rider et al., 2010). The comparison of
sexual and asexual aphid transcriptomes (Gallot et al., 2012)
demonstrated the differential expression of transcripts coding
proteins involved in epigenetic mechanisms, such as Histones
H2B.3 and H1, which are known to participate to chromatin
© 2013 The Royal Entomological Society, Physiological Entomology, 38, 117–125124 G. Le Trionnaire et al.
assembly and disassembly. Another example concerns Suv4-
20H1 , which is involved in histone methylation. This fine comparison
of sexual and asexual embryos transcriptomes already
suggests that some epigenetic regulations involving chromatin
structure modifications are occurring during phenotypic plasticity.
Depicting the type of histone modifications associated
with the reproductive mode switch of embryos in response to
photoperiodic cues would thus be of great interest.
Perspectives
The regulation of photoperiodism in aphids and its effects
on the embryo phenotypic plasticity has been extensively studied
at the transcriptomic level. These large-scale studies have
allowed the identification of some of the genetic programmes
involved in the photoperiodic signal detection and transduction
and in the embryos’ reproductive mode switch. These
studies have established an extensive catalogue of transcripts,
hormones and neurotransmitters (e.g. insulin, dopamine) as
candidates for further functional and pharmacological validation
experiments. The recent and on-going development of
high-throughput sequencing technologies now allows the identification
of key post-transcriptional regulators of gene expression
(such as microRNAs), as well as the mapping of distinct
epigenetic marks (nucleosome occupancy, histone modification
marks and DNA methylation patterns). The establishment of
alternative phenotypes in response to environmental cues such
as photoperiod definitely involves a combination of epigenetic,
transcriptomic and post-transcriptomic regulatory events. An
integrative view [in accordance with the modENCODE model
(Celniker et al., 2009) but for a non-model organism such as
aphids] of the contribution of these different mechanisms thus
appears to be an ideal approach that should allow the identification
of key genomic regions involved in the regulation
of phenotypic plasticity, especially in the case of the aphid
photoperiodic response.
Acknowledgements
Jennifer Brisson (University of Nebraska) is sincerely thanked
for her help in reading and correcting this manuscript.
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265–275.
Accepted 22 March 2013
© 2013 The Royal Entomological Society, Physiological Entomology, 38, 117–125❘és✉♠é
Mise en œuvre de cryptosyst`emes bas´es sur les codes
correcteurs d’erreurs et de leurs cryptanalyses
Gr´egory Landais
To cite this version:
Gr´egory Landais. Mise en œuvre de cryptosyst`emes bas´es sur les codes correcteurs d’erreurs
et de leurs cryptanalyses. Cryptography and Security. Universit´e Pierre et Marie Curie, 2014.
French.
HAL Id: tel-01097806
https://hal.inria.fr/tel-01097806
Submitted on 22 Dec 2014
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scientifiques de niveau recherche, publi´es ou non,
´emanant des ´etablissements d’enseignement et de
recherche fran¸cais ou ´etrangers, des laboratoires
publics ou priv´es.THÈSE DE DOCTORAT DE
l’UNIVERSITÉ PIERRE ET MARIE CURIE
Spécialité
Informatique
École doctorale Informatique, Télécommunications et Électronique (Paris)
Présentée par
Grégory Landais
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR de l’UNIVERSITÉ PIERRE ET MARIE CURIE
Sujet de la thèse :
Mise en œuvre de cryptosystèmes basés sur les codes correcteurs
d’erreurs et de leurs cryptanalyses
soutenue le 18 Septembre 2014
devant le jury composé de :
M. Nicolas Sendrier Directeur de thèse
M. Pierre Loidreau Rapporteur
M. Philippe Gaborit Rapporteur
M. Jean-Claude Bajard Examinateur
M. Matthieu Finiasz Examinateur
Mme Caroline Fontaine Examinateur
M. Antoine Joux Examinateur
M. Jean-Pierre Tillich ExaminateuriiRemerciements
Cette thèse a été effectuée dans l’équipe-projet SECRET de l’Inria ParisRocquencourt.
Je vais tenter dans ces lignes de remercier tous ceux qui ont
rendu celle-ci possible ainsi que tous ceux qui ont rendu ces années des plus
agréables. Je vais commencer par Nicolas Sendrier, mon directeur de thèse
qui a pris sous son aile le béotien que j’étais. Merci d’avoir de m’avoir fait
partager tes connaissances et ta vision de la recherche ainsi que d’avoir su
apprécier mon sens de la concision.
Je suis également très reconnaissant envers mes rapporteurs, Pierre Loidreau
et Philippe Gaborit qui ont donné de leur temps pour la relecture de
ce manuscrit ainsi qu’envers Jean-Claude Bajard, Matthieu Finiasz, Caroline
Fontaine, Antoine Joux et Jean-Pierre Tillich qui ont accepté de faire
parti de mon jury.
Cette thèse n’aurait pas été la même sans la bonne ambiance du projet
SECRET. À ce titre, je remercie les permanents de l’équipe Anne Canteaut,
André Chailloux, Pascale Charpin, Gaëtan Leurent, Anthony Leverrier,
María Naya-Plasencia, Nicolas Sendrier, Jean-Pierre Tillich et je tiens à
saluer la bienveillance qu’ils ont envers leurs étudiants. Un grand merci également
à Christelle, championne souriante des tâches administratives. Merci
également aux étudiants et invités que j’ai pu côtoyer : Adrien, Alexander,
Andrea, Antonia, Audrey, Ayoub, Baudoin, Benoît, Bhaskar, Christina,
Chrysanthi, Céline, Denise, Dimitris, Joëlle, Julia, Mamdouh, Marion B.,
Marion V., Mathieu, Matthieu, Maxime, Nicky, Rafael, Sébastien, Stéphane
J., Stéphane M., Valentin, Valérie, Vincent, Virginie, Yann H., Yann L.-C..
Un autre grand merci aux teams baby-foot et mots croisés pour tous ces
bons moments.
Mention spéciale au meilleur bureau du monde, j’ai nommé le bureau 1,
où la bonne ambiance règne et où l’on peut toujours trouver quelqu’un à qui
demander de l’aide ou avec qui pratiquer la méthode du canard en plastique.
À Valentin, pour ses nombreux cours de maths et son humour trop souvent
incompris, à Virginie, et ses amis imaginaires, à Marion, et ses pantalons
aux couleurs improbables, à Christina, pour sa bienveillance et ses petits
plats, à Céline et Ayoub pour leur écoute. Votre page de man préférée vous
remercie. Deuxième mention spéciale cette fois pour le bureau 2, empli de
iiiiv REMERCIEMENTS
personnes sûrement jalouses de ne pas être dans le bureau 1 ; à Joëlle, qui
doit prendre conscience que l’ordinateur a plus peur d’elle que l’inverse, à
Audrey, enfin une personne ayant de bons goûts culinaires, à María, désolé
d’être aussi râleur, et enfin à Benoît pour son aide et son soutien. Dernière
mention spéciale (elles commencent à perdre leur coté « spécial » à force) à
Mamdouh pour nos discussions scientifiques, à Matthieu pour tout ce qu’il
m’a appris, ces séances de pair programming et les cours à l’ENSTA ; à
Rafael pour nos partages de chambre et sa ponctualité, ainsi qu’à Vincent
pour tous les problèmes que personne n’a jamais rencontré (et ne rencontrera
jamais) qu’il m’a demandé de résoudre.
Merci également aux membres de l’équipe PEQUAN qui m’ont si bien
accueilli, Anastasiia, Benoît, Jean-Claude, Julien, Olga, et Valérie.
Je termine par remercier ma famille et mes amis ainsi que la plus importante
à mes yeux, ma future épouse, Stéphanie.Table des matières
Remerciements iii
1 Introduction 1
1.1 Cryptographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
1.2 Codes correcteurs d’erreurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.2.1 Codes linéaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.2.2 Décodage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1.2.3 Exemples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.2.4 Codes de Goppa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.3 Cryptographie basée sur les codes . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.3.1 L’ordinateur quantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.3.2 Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.3.3 McEliece et Niederreiter . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.3.4 Sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
I Le schéma de signature CFS 11
2 Introduction 15
3 Contexte 17
3.1 Codes de Goppa binaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
3.2 Décodage complet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
3.3 CFS initial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
3.4 Attaques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
3.4.1 Décoder un parmi plusieurs (DOOM) : . . . . . . . . . 20
3.5 Parallel-CFS : une contre-mesure à DOOM . . . . . . . . . . 20
3.6 Implémentation passée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
4 Sélection des paramètres 23
5 Décodage algébrique des codes de Goppa 25
5.1 Équation clé des codes de Goppa . . . . . . . . . . . . . . . . 25
5.2 Équation clé des codes alternants . . . . . . . . . . . . . . . . 26
vvi TABLE DES MATIÈRES
5.3 Recherche de racines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
6 Mise en œuvre 29
6.1 Arithmétique des corps finis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
6.1.1 Bit-slicing . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
6.2 Décodage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
6.2.1 Mise sous forme polynomial du syndrome : . . . . . . 30
6.2.2 Résolution de l’équation clé : . . . . . . . . . . . . . . 30
6.2.3 Recherche des racines : . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
6.3 Rejet des instances de décodage dégénérées . . . . . . . . . . 31
6.4 Gérer les échecs de décodage . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
7 Performances 33
7.1 Génération d’une signature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
7.2 Comparaisons des décodeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
8 Conclusion 37
II Information Set Decoding 39
9 Le problème du décodage par syndrome 43
9.1 Décodage par paradoxe des anniversaires . . . . . . . . . . . . 45
9.2 Décodage par ensemble d’information . . . . . . . . . . . . . 45
10 Le décodage par ensemble d’information 49
10.0.1 Cadre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
10.0.2 L’outil de base : la fusion de liste . . . . . . . . . . . . 49
10.0.3 Les algorithmes SubISD . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
11 Mise en œuvre 57
11.1 Fusion de liste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
11.1.1 Fusion par tri . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
11.1.2 Fusion par indexation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
11.1.3 Comparaison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
11.2 Analyse de la complexité et estimation des paramètres . . . . 61
11.2.1 Probabilité de succès d’une itération . . . . . . . . . . 62
11.2.2 Coût des algorithmes SubISD . . . . . . . . . . . . . 64
11.3 Optimisations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
12 Mise en œuvre logicielle 77
13 Challenges Wild McEliece 79TABLE DES MATIÈRES vii
14 Attaque d’un schéma de chiffrement basé sur des codes
convolutifs 83
14.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
14.2 Un schéma de McEliece basé sur des codes convolutifs . . . . 84
14.3 Description de l’attaque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
14.3.1 Démêler la structure convolutive . . . . . . . . . . . . 86
14.3.2 Décoder les messages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
14.4 Mise en œuvre de l’attaque pour les paramètres proposés . . 88
14.5 Analyse de la sécurité du schéma . . . . . . . . . . . . . . . . 90
14.5.1 Une attaque améliorée . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
14.5.2 Preuve de la proposition 1 . . . . . . . . . . . . . . . . 92
14.5.3 Réparer le schéma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93viii TABLE DES MATIÈRES1 | Introduction
Les travaux présentés dans ce manuscrit sont le résultat de mes quatre
années de thèse effectuées à l’Inria Paris-Rocquencourt sous la direction de
Nicolas Sendrier d’octobre 2010 à 2014.
Dans ce premier chapitre introductif, je présente les notions de base ainsi
que le contexte et les enjeux de la cryptographie basée sur les codes correcteurs
d’erreurs. Le manuscrit est ensuite divisé en deux parties. La première
partie décrit le schéma de signature CFS ainsi que les meilleurs décisions à
prendre lors de la mise en œuvre de ce schéma. Les résultats relatés dans
cette partie ont fait l’objet d’une publication lors de la conférence Indocrypt
2012 [43] ainsi qu’à la publication d’un logiciel [42] montrant que le schéma,
malgré ses inconvénients, est peut-être utilisé en pratique. La deuxième partie
traite de la cryptanalyse Information Set Decoding et des divers compromis
faisables lors de la mise en œuvre des variantes de cet algorithme.
Ces travaux ont donné lieu à un logiciel [41] qui a été évalué face à des
challenges cryptographiques et qui a été utilisé lors de la cryptanalyse [44]
d’un système proposé l’année passée.
1.1 Cryptographie
Depuis l’antiquité, l’homme a cherché à communiquer des informations
de façon confidentielle malgré l’exposition potentielle à des regards indiscrets.
L’essor des télécommunications a accru le besoin d’outils assurant
la confidentialité, l’authenticité et l’intégrité des informations. Des secrets
d’États à la protection de la vie privé, en passant par la sécurité des transactions
commerciales, la cryptographie a aujourd’hui de nombreux usages.
Jusqu’aux années 1970, les systèmes de chiffrement se basaient sur une information
secrète, partagée entre les deux interlocuteurs. Ces systèmes, dits à
clé secrète, ont pour avantage un débit élevé mais leur utilisation implique un
partage antérieur de cette information secrète. Ce scénario est envisageable
à petite échelle pour des besoins ponctuels mais ne l’est pas dans le monde
actuel où chacun communique quotidiennement avec des centaines d’entités
distinctes potentiellement inconnues (via courrier électronique, navigateur
web, téléphonie mobile, matériel réseau, . . . ).
12 CHAPITRE 1. INTRODUCTION
En 1976, Diffie et Hellman [25] publient ce qui deviendra la base de la
cryptographie à clé publique. Ils énoncent les propriétés nécessaires à de tels
systèmes et donnent un protocole permettant à deux interlocuteurs de se
partager une information secrète uniquement à partir de données publiques.
En pratique, les systèmes respectant ce protocole, dits à clé publique, ont
souvent des débits faibles ; ils sont donc souvent utilisé afin de démarrer
une communication protégée par un chiffrement à clé secrète. Ce procédé
est connu sous le nom de cryptographie hybride. En 1977 naît l’algorithme
RSA de Rivest, Shamir et Adelman [63], le premier cryptosystème à clé
publique.
Depuis ce jour, la recherche sur ce sujet n’a eu de cesse de proposer de
nouveaux systèmes et d’affaiblir les existants. Cryptographes et cryptanalystes
s’affrontent afin de concevoir et d’évaluer des systèmes à la fois rapides
et dignes de confiance.
Ces systèmes sont constitués des éléments suivants :
– Une fonction de génération de clé qui génère un couple (Ksec, Kpub)
aléatoirement.
– Une fonction de chiffrement Enc qui, en utilisant la clé publique Kpub,
associe à un message clair m un message chiffré c.
c = Enc(Kpub, m)
– Une fonction de déchiffrement Dec qui, en utilisant la clé secrète Ksec,
calcule le message clair m associé à un message chiffré c.
m = Dec(Ksec, c)
Il existe actuellement trois familles de cryptosystèmes à clé publique se
basant sur trois domaines différents : la théorie des nombres, les réseaux
euclidiens et les codes correcteurs d’erreurs. Les systèmes les plus répandus
aujourd’hui sont basés sur la théorie des nombres et reposent sur deux
problèmes supposés difficiles, le problème de la factorisation et celui du logarithme
discret. Ce quasi-monopole est inquiétant car il n’existe aucune
preuve mathématique de la réelle difficulté de ces problème si ce n’est la
non-existence de preuve opposée. Autre faille de ces systèmes, Shor [66] a
montré que ces deux problèmes pouvaient être résolus en temps polynomial
dans le modèle de l’ordinateur quantique. Certes, celui ci est loin d’être opé-
rationnel mais la menace est bien réelle et il faudra, le jour venu, disposé
d’alternatives crédibles afin de ne pas se retrouver dépourvu. Voilà pourquoi
depuis plusieurs années la recherche examine les systèmes basés sur les ré-
seaux euclidiens et les codes correcteurs d’erreur. Cette thèse s’insère dans le
contexte de l’évaluation des cryptosystèmes basés sur les codes correcteurs
d’erreurs.
Les fonctions de chiffrement asymétriques se basent sur des fonctions
à sens unique munis d’une trappe. Une fonction à sens unique doit être1.2. CODES CORRECTEURS D’ERREURS 3
évaluable efficacement pour tout message clair, et trouver la préimage d’un
élément généré par cette fonction doit être une opération difficile. La trappe
permet au destinataire légitime de simplifier l’inversion et donc de déchiffrer
le message. Elle doit en conséquence rester secrète pour conserver le caractère
à sens unique de la fonction.
Une opération sera considérée difficile lorsqu’il sera considéré déraisonnable,
en termes de temps ou de moyens et tenant compte du bénéfice potentiel,
par l’entité adverse de tenter d’effectuer cette opération.
Un système cryptographique dispose de b bits de sécurité si un ordinateur
doit effectuer au moins 2
b opérations pour résoudre le plus simple des
problèmes sur lequel se base le système.
Étant donné l’évolution perpétuelle de la technologie, il faut régulièrement
réévaluer le nombre de bits de sécurité nécessaire pour considérer une
opération difficile.
Il est considéré aujourd’hui qu’un minimum de 112 bits de sécurité est
nécessaire pour protéger une information d’ordre gouvernementale [5].
1.2 Codes correcteurs d’erreurs
Les codes correcteurs d’erreurs ont pour objectif de permettre la transmission
d’information malgré l’ajout éventuel d’erreurs lors de la transmission.
Afin d’y parvenir, les codes ajoutent une redondance au message à
transmettre qui, lorsqu’un nombre suffisament faible d’élément de ce message
étendu est perdu ou altéré, permettra de reconstituer le message initialement
envoyé. Cette reconstitution est appellé le décodage. Je m’interesserai
principalement aux codes en blocs ; codes découpant le message en
blocs de taille fixe, et les traitant indépendament l’un après l’autre et plus
précisément aux codes linéaires.
1.2.1 Codes linéaires
Lors de l’envoi d’un message composé de lettres d’un alphabet A, celui-ci
est découpé en bloc de k lettres auxquels sont ajoutés une redondance via une
application linéaire transformant un bloc de k lettres en un bloc de n lettres
(où n sera évidement choisi supérieur à k). Ce nouveau bloc est transmis à
travers un canal de communication, ce qui altérera potentiellement le bloc.
Puisque n est supérieur à k, le message reçu ne fera peut-être par parti de
l’image de l’application linéaire appliquée (on en déduit la présence d’au
moins une erreur). Le destinataire devra donc trouver l’élément de l’image
qui a vraisemblablement été envoyé à l’origine. Cependant, si le nombre
d’erreurs ajoutées est trop important, il se peut qu’un autre élément de
l’image apparaisse plus vraisemblablement comme étant le bloc d’origine ;
voire que le bloc reçu devienne un autre élément de l’image, ce qui nous
empêcherait de deviner la présence d’erreurs.4 CHAPITRE 1. INTRODUCTION
Dans ce cadre, un bon code correcteur d’erreur est un code qui disperse
suffisamment les mots de codes (afin de pouvoir corriger plus d’erreurs) tout
en ayant un rendement, le ratio k
n
, le plus haut possible (afin de limiter le
surcoût du codage).
Les blocs de k lettres avant transmission sont des vecteurs de k éléments
de l’alphabet A et sont appelés des mots d’information. En pratique A sera
un corps fini F, ce qui permet de créer l’espace vectoriel, de dimension k, des
mots d’information. L’application linéaire appliquée aux mots d’information
associe à chacun de ces mots un élément d’un espace vectoriel de dimension
n. Puisque n est supérieur à k, l’image de l’application linéaire est un sousespace
de dimension k de l’espace F
n
. Cette image est appelée un code
linéaire. La dimension du sous-espace, k, est appelée dimension du code
et la dimension de l’espace d’arrivée, n, est appelée longueur du code. Les
éléments d’un code linéaire sont appelés mots de code.
Une matrice formée des vecteurs d’une base d’un code C est appelée
matrice génératrice de C . Un mot d’information peut être codé en le multipliant
par une matrice génératrice puis le mot de code obtenu peut être
décodé en le multipliant par l’inverse de cette même matrice.
La matrice génératrice d’un code dont les k premières colonnes 1
forment
la matrice identité k ×k est dite sous forme systématique. Il n’existe qu’une
matrice génératrice sous forme systématique pour un code linéaire donné. Un
mot d’information codé via une telle matrice est simple à décoder puisqu’il
suffit d’extraire les k premières coordonnées du mot de code pour retrouver
le mot d’information.
Le code dual C
⊥ d’un code C de dimension k et de longueur n sur F est
le sous-espace vectoriel orthogonal à C c’est-à-dire le sous-espace vectoriel
défini par
C
⊥ =
c
0 ∈ F
n
| c · c
0 = 0, c ∈ C
.
où l’opérateur · est le produit scalaire qui à x = x0 . . . xn−1 et y = y0 . . . yn−1
associe
x · y =
nX−1
i=0
xiyi
.
Il s’agit d’un code de longueur n et de dimension n − k.
Les matrices génératrices de C
⊥ sont dites matrices de parité de C . Le
produit Hmt où H est un matrice de parité de C et m est un mot de F
n
est
appelé le syndrome de m. Le syndrome d’un mot de C est nul et tout mot
de F
n ayant un syndrome nul appartient à C , c’est-à-dire
c ∈ C ⇐⇒ Hct = 0.
1. N’importe quelles k colonnes pourraient faire l’affaire ; on peut contraindre la défi-
nition aux k premières sans perdre de généralités1.2. CODES CORRECTEURS D’ERREURS 5
1.2.2 Décodage
Le canal le plus utilisé est le canal binaire symétrique. Il s’agit d’un
canal qui transmet des éléments binaires et qui, indépendamment les uns
des autres, peut modifier la valeur de chaque bit avec probabilité p. Lors de
la réception d’un mot de code bruité, il faut trouver le mot de code qui est
vraisemblablement celui qui a été envoyé, c’est-à-dire celui qui a le plus de
coordonnées en commun avec ce premier. Dans le cas de mots binaires la
distance de Hamming apportent une notion de distance entre des mots et
permet donc d’exprimer la notion de "mot le plus proche".
Soit F un corps fini et x = x0 . . . xn−1 un mot de F
n
, le poids de Hamming
de x est défini par
Poids(x) = |{xi
| xi 6= 0}|.
Il s’agit du nombre de coordonnées non-nulles de x.
Soit y = y0 . . . yn−1 un mot de F
n
, la distance de Hamming entre x et y
est définie par
d(x, y) = |{i | xi 6= yi}|.
Il s’agit du nombre de coordonnées en lesquelles x et y diffèrent. Cette
distance peut également s’écrire
d(x, y) = Poids(x − y).
Décoder un mot x ∈ F
n vis-à-vis d’un code C de longueur n consiste
à trouver le mot de C le plus proche de x, c’est-à-dire trouver c ∈ C tel
que @ c
0 ∈ C , d(c
0
, x) < d(c, x). Il est à noter que selon cette définition, le
décodage n’est pas forcément unique.
La distance minimale d’un code C est définie par
d(C ) = min{d(x, y) | x ∈ C , y ∈ C , x 6= y}.
Il s’agit de la distance de Hamming séparant deux mots distincts du code
C . De par la linéarité du code, elle est également le poids du mot non-nul
de C ayant le plus petit poids et s’écrit donc
d(C ) = min{Poids(x) | x ∈ C }.
Soient c un mot de C et e est un mot de poids b
d(C )−1
2
c, alors c est
l’unique mot de code le plus proche de c + e.
On parlera de succès de décodage lorsque le décodage d’un mot de code
bruité c + e donne de façon unique le mot de code non-bruité c.
Un code linéaire C permet de décoder avec succès tout mot m = c + e
où c ∈ C et e est un mot de poids inférieur à b
d(C )−1
2
c.6 CHAPITRE 1. INTRODUCTION
Cependant l’existence de cette possibilité de décoder ne donne pas d’algorithme
de décodage, si ce n’est un parcours exhaustif des mots de codes.
Puisqu’il est difficile de décoder un code aléatoire, des codes particuliers
possédant des structures particulières ont été créés afin de générer des
familles de codes munies d’algorithmes de décodage efficace.
Les trois codes suivants sont des codes sur F2 illustrant ces notions.
1.2.3 Exemples
Le code à répétition
Le code à répétition émet chaque bit a fois. Par exemple, pour a = 4, si
l’on veut transmettre la chaîne 1011, la séquence codée correspondante est
1111000011111111. Ce code est de dimension 1 et de longueur a, chaque bit
étant pris un par un et transformé en a bits. Le rendement est donc de 1
a
,
ce qui est très faible. La distance minimale entre deux mots de code est a.
En effet, il faut changer les a répétitions d’un bit d’un mot de code pour
obtenir un autre mot de code. Ce code permet de corriger jusqu’à b
a
2
c erreur
et dispose d’un algorithme de décodage très simple : il suffit de prendre le
bit majoritaire de chaque bloc de a bits. Si l’on reprend l’exemple a = 4 et
que le mot reçu est 0100, le mot de code le plus proche est 0000 et le mot
d’information qui a sûrement été envoyé est 0. On remarque que dans cet
exemple si le mot reçu est 0110 alors il existe deux mots de code à distance
2 ; on détecte toujours la présence d’une erreur mais le décodage n’est plus
unique, on ne sait pas si le mot envoyé est 0 ou 1. Si a est impair alors
ce scénario ne peut se produire et tous les mots de l’espace peuvent être
décodés de façon unique.
Le code de parité
Le code de parité adjoint à un mot d’information la somme (le Xor)
de chacun de ses symboles. Ce code a pour dimension k et pour longueur
k + 1 ce qui donne un rendement de k
k+1 , et permet de détecter une erreur
mais ne permet pas de la corriger. En effet la distance minimale de ce code
est 2 ; il suffit de changer 2 bits d’un mot du code pour obtenir un autre
mot du code. La matrice génératrice systématique de ce code est simple,
elle consiste en un matrice identité k × k accolée à une colonne de taille k
tout à 1. La matrice de parité est une matrice ligne de taille k + 1 tout à
1 puisqu’un mot appartient à ce code si et seulement si la somme de ces
composantes est nulle.
Le code de Hamming
Le code de Hamming est un code, pour un entier r donné, de longueur
2
r − 1 et de dimension 2
r − 1 − r. Il est construit via sa matrice de parité1.3. CRYPTOGRAPHIE BASÉE SUR LES CODES 7
qui est constituée de toutes les colonnes distinctes et non nulles de r bits.
Ces codes ont tous une distance minimale valant 3 et permettent donc de
corriger une erreur. L’algorithme de décodage est simple : si le mot reçu est
un mot de code bruité en une seule position (c + e) alors le calcul de son
syndrome donne le syndrome du motif d’erreur ((c + e)H = eH) et donc le
syndrome d’un mot de poids 1. Trouver un motif d’erreur de poids 1 ayant
un syndrome donné est simple puisque la matrice de parité du code est
constituée de colonnes uniques, il suffit de rechercher l’indice de la colonne
correspondante pour trouver l’indice du bit erroné.
1.2.4 Codes de Goppa
Les codes de Goppa sont une sous-classe des codes alternant. Ils peuvent
être définis sur le corps fini Fqm à partir d’un polynôme unitaire, dit de
Goppa, g(x) ∈ Fqm[x] de degré t et d’un ensemble L = {α0, α1, . . . , αn−1},
sous-ensemble de Fqm dont aucun élément n’est racine de g. Le code de
Goppa Γ(L, g) est alors défini par sa matrice de parité construite à partir
de la matrice
Haux =
1
g(α0)
. . .
1
g(αn−1)
.
.
.
.
.
.
α
t−1
0
g(α0)
. . .
α
t−1
n−1
g(αn−1)
Chaque élément de cette matrice, qui est un élément de Fqm, est déroulé ;
c’est-à-dire qu’il est projeté sur F
m
q puis écrit comme une colonne de m
éléments de Fq, pour finalement former une matrice H de taille mt × n. Le
code de Goppa Γ(L, g) est alors le code de matrice de parité H, c’est-à-dire
l’ensemble des mots c de F
n
q vérifiant Hct = 0.
Un code de Goppa dont le polynôme de Goppa est irréductible sera dit
code de Goppa irréductible.
1.3 Cryptographie basée sur les codes correcteurs
d’erreurs
1.3.1 L’ordinateur quantique
Un ordinateur quantique est un ordinateur qui repose sur les propriétés
quantiques de la matière pour résoudre des problèmes hors de portée d’un ordinateur
classique. Dans [66], Peter Shor montre que tous les cryptosystèmes
basés sur la difficulté de la factorisation ou le calcul d’un logarithme discret
peuvent être attaqués en temps polynomial sur un tel ordinateur (voir [14]
pour un rapport détaillé). Cela menace la quasi-totalité des cryptosystèmes
à clé publique déployés en pratique, tels que RSA [63] ou DSA [40]. D’un8 CHAPITRE 1. INTRODUCTION
autre côté, la cryptographie basée sur la difficulté de décoder un code linéaire
est estimée résistante aux attaques quantiques et est donc considérée
comme une alternative viable à ces schémas à l’avenir. Cependant, indépendamment
de leur prétendue nature post-quantique, les cryptosystèmes basés
sur les codes offres d’autres bénéfices même pour des applications actuelles
grâce à leur excellente efficacité algorithmique, meilleure de plusieurs ordres
de grandeurs en termes de complexité que les schémas traditionnels.
1.3.2 Historique
Le premier cryptosystème basé sur les codes est le cryptosystème de
McEliece [50], qui proposait d’utiliser des codes de Goppa. Suite à cela,
plusieurs familles de code ont été suggérées pour remplacer les codes de
Goppa dans ce schéma : les codes de Reed–Solomon généralisés (GRS) [56]
ou bien des sous-codes de ces derniers [10], des codes de Reed–Muller [67], des
codes algébriques géométriques [36], des codes LDPC [2], des codes MDPC
[54] ou plus récemment des codes convolutifs [47]. Certains de ces schémas
permettent d’obtenir des clés publiques plus petites que celle du système
original tout en vraisemblablement conservant le même niveau de sécurité
contre les algorithmes de décodage génériques.
Cependant, pour plusieurs des schémas susmentionnés, il a été montré
qu’une description du code sous-jacent aidant au décodage peut être obtenue,
cassant par là-même le schéma. Cela s’est produit pour les codes de
Reed–Solomon généralisés (GRS) dans [68] et pour leurs sous-codes dans
[74]. Dans ce cas, l’attaque retrouve entièrement et en temps polynomial la
structure du code à partir de la clé publique. Les codes de Reed–Muller ont
également été attaqué, mais cette fois, l’algorithme trouvant la description
du code permuté a une complexité sous-exponentielle [52], ce qui est suf-
fisant pour casser les paramètres proposés dans [67] mais qui ne casse pas
complètement le schéma. Les systèmes basés sur les codes de géométrie algébrique
sont également cassé en temps polynomial mais uniquement pour
les courbes hyperelliptiques de faible genre [31]. Un schéma basé sur des
codes LDPC [3] a été attaqué dans [57] (le nouveau schéma présenté dans
[2] semble insensible à ce genre d’attaque). Deux variantes [1] [73] du schéma
basé sur les GRS supposées résister à l’attaque de [68] ont été cassées (respectivement
[34] et [24]) par une approche liée au distingueur des codes de
Goppa proposé dans [28].
Le cryptosystème de McEliece d’origine reste lui intact. Une modification
a été apporté dans [9, 53], utilisant les versions quasi-cycliques ou quasidyadiques
des codes de Goppa (ou plus généralement des codes alternant
dans [9]) afin de réduire significativement la taille de la clé publique. Cependant,
il a été montré dans [30, 70] que la structure de ces codes permet
de réduire radicalement le nombre d’inconnus de l’attaque algébrique. La
plupart des schémas proposés dans [9, 53] ont été cassés par cette approche.1.3. CRYPTOGRAPHIE BASÉE SUR LES CODES 9
Ce genre d’attaque a une complexité exponentielle et peut être contrecarré
en choisissant de petits blocs cycliques ou dyadiques afin d’augmenter le
nombre d’inconnues du système algébrique. Lorsque le rendement du code
de Goppa est proche de 1 (tel que dans le schéma de signature CFS [22]
(voir partie I)), il a été montré dans [29] qu’il était possible de distinguer
la clé publique d’une clé aléatoire. Cela invalide les preuves de sécurité des
schémas utilisant des codes de rendement proche de 1 puisque tous reposent
sur l’hypothèse d’indistinguabilité des codes de Goppa.
1.3.3 McEliece et Niederreiter
En 1978, McEliece [50] propose une fonction à sens unique qui code le
message clair puis bruite le mot de code obtenu. Si le code est aléatoire et a
des paramètres non triviaux, cette fonction est évaluable efficacement pour
tout message et trouver une préimage revient à décoder un code aléatoire, ce
qui est difficile. Il ne reste qu’à introduire une trappe. Pour cela, McEliece
propose d’utiliser la famille des codes de Goppa. En effet, une fois maquillée,
la matrice de parité d’un code de Goppa est semblable à une matrice aléatoire
pour une personne ignorant la structure algébrique qui y est cachée alors
qu’une personne connaissant cette structure peut utiliser l’algorithme de
décodage associé aux codes de Goppa.
Plus concrètement, le système se décrit de cette façon :
La génération de clé consiste à tirer un code de Goppa binaire aléatoire
de longueur n et de dimension k capable de corriger t erreurs. La clé
secrète est une matrice génératrice Gsec de ce code et la clé publique
est la matrice Gpub = SGsecP où S est une matrice inversible aléatoire
k × k et P est une matrice de permutation aléatoire n × n.
Le chiffrement d’un message m de k bits consiste à calculer c = mGpub
et à transmettre c
0 = c + e où e est un vecteur d’erreur de poids de
Hamming t.
Le déchiffrement d’un message chiffré c
0
consiste à calculer
c
0P
−1 = mGpubP
−1 + eP −1 = mSGsec + eP −1
puis d’utiliser l’algorithme de décodage pour éliminer le vecteur d’erreur
et obtenir mS et en déduire m.
En 1986 [56], Niederreiter propose une variante de la fonction à sens
unique basé sur le même problème mais utilisant une matrice de parité d’un
code de Goppa.
La génération de clé est similaire à celle du système de McEliece si ce
n’est que la clé publique est cette fois la matrice Hpub = SHsecP où
Hsec est une matrice de parité du code de Goppa, S est une matrice
inversible aléatoire r×r et P est une matrice de permutation aléatoire
n × n.10 CHAPITRE 1. INTRODUCTION
Le chiffrement d’un message commence par utiliser un codage en mot de
poids constant pour transformer ce message en un motif d’erreur e de
longueur n et de poids t. Le syndrome du mot obtenu s
0 = eHt
pub est
le chiffré transmis.
Le déchiffrement d’un message s
0t = SHsecP et
est similaire à celui du système
de McEliece 2
. On commence par calculer s = S
−1
s
0t = HsecP et
puis, étant donné que P et
est un mot de poids t, on peut utiliser l’algorithme
de décodage pour retrouver le motif d’erreur dont le syndrome
est s. On finit par défaire la permutation et le codage en mot de poids
constant pour retrouver le message clair.
1.3.4 Sécurité
Comme tout système à clé publique, il existe deux approches pour attaquer
le système de McEliece :
– obtenir une partie du secret à partir des données publiques,
– ou parvenir à inverser la fonction à sens unique pour retrouver un
message clair à partir de son chiffré.
Dans le cas du système de McEliece, la sécurité de la clé secrète est assurée
par la taille exponentiellement grande de la famille des codes de Goppa.
En effet, la meilleure attaque connue aujourd’hui est l’algorithme Support
Splitting Algorithm [64] qui permet de décider si un code C1 peut être obtenu
à partir d’un code C2 en permutant les coordonnées des mots de C2. Un
attaquant doit alors tirer un code de Goppa binaire aléatoire et vérifier s’il
est équivalent au code public. La grande taille de la famille des codes de
Goppa rend cette attaque impraticable.
La sécurité des messages repose sur la difficulté de décoder un code
binaire aléatoire. Ne disposant pas de l’algorithme de décodage algébrique
fourni par le secret, l’attaquant doit se contenter d’une recherche proche de
l’exhaustif (voir partie II).
2. la transposition permet l’alléger la notationPremière PARTIE
LE SCHÉMA DE SIGNATURE
CFS
1113
Cette partie traite de la mise en œuvre du schéma de signature CFS.
Ces travaux ont menés à une publication lors de la conférence Indocrypt
2012 [43] ainsi qu’à un logiciel diffusé sous licence libre [42].
Un système de signature numérique est un système associant à un document
numérique, c’est-à-dire une suite de nombres, une signature numérique,
une autre suite de nombres. Cette signature est calculée en utilisant le message
ainsi qu’un secret connu uniquement du signataire. Une signature doit
ensuite pouvoir être vérifié grâce à une procédure publique.
Ces systèmes peuvent être utilisés pour garantir l’intégrité d’un document,
c’est-à-dire le fait qu’il n’a pas été modifié depuis la création de la
signature ou bien pour authentifier l’entité ayant apposé une signature à un
document.
Pour réaliser ces objectifs, les systèmes de signatures numériques s’appuient
sur la cryptographie asymétrique. L’émetteur calcule en utilisant sa
clé secrète (connue de lui uniquement) et le message la signature associée au
message. Les destinataires utilisent la clé publique (connue de tous) associée
à la clé secrète, le message et la signature pour vérifier que la signature a
été conçue par quelqu’un possédant la clé secrète.
Pour qu’un système de signature soit qualifié de sûr, il faut que les opé-
rations suivantes soient difficiles :
– retrouver la clé secrète à partir de la clé publique et d’un nombre
quelconque de documents signés,
– altérer le message de telle façon que la signature reste valide aux yeux
de la procédure de vérification,
– créer une signature valide sans connaissance de la clé secrète.
Un système de signature classique repose sur une fonction de chiffrement
asymétrique E, de la fonction de déchiffrement associé D et d’une fonction
de hachage h. Pour signer un message m, un signataire commencera par
calculer h(m) puis à déchiffrer cette empreinte comme s’il s’agissait d’un
message chiffré. La signature de m est alors s = D(h(m)). Pour vérifier
une telle signature, il faut également calculer h(m) puis vérifier que h(m) =
E(s). Ce fait prouvera que le signataire dispose des secrets nécessaires au
déchiffrement.
Dans le cas du schéma CFS, qui utilise le système de Niederreiter, toutes
les empreintes ne peuvent être déchiffrées. Contourner ce problème se fait
en ajustant l’empreinte jusqu’à en obtenir une déchiffrable.142 | Introduction
CFS [23] est un schéma de signature numérique basé sur le cryptosystème
de Niederreiter [50]. Il fut publié en 2001 et s’appuie sur la difficulté du
problème du décodage par syndrome (voir section 9) et sur l’indistinguabilité
des codes de Goppa binaires.
Le monde de la signature numérique est peu diversifiée ; il existe relativement
peu de primitive de signature et beaucoup sont basées sur la théorie
des nombres. CFS, étant basé sur la théorie des codes, ne sera pas vulnérable
aux améliorations algorithmiques que l’ordinateur quantique apporterait s’il
venait un jour à atteindre des performances raisonnables et offrirait une alternative
le moment venu.
Cependant, les problèmes liés à la mise en œuvre de CFS ont reçus
peu d’attention. Cela vient peut-être de l’aspect peu pratique apparent du
système et des résultats de cryptanalyses qui ont affaibli le schéma, au moins
d’un point de vue théorique.
L’apparence peu pratique du système viens de la grande taille de la clé
publique et des longs temps de signature. Certes la taille de la clé publique
peut être un problème pour certaines applications, mais certains scénarios
d’utilisation peuvent s’accommoder d’un espace de stockage de quelques mé-
gaoctets pour vérifier des signatures. L’impression de lenteur de la primitive
de signature peut s’expliquer par les premiers temps donnés dans le papier
d’origine [23] qui font mention d’une mise en œuvre logicielle générant une
signature en une minute. Or il s’agissait là d’une démonstration de faisabilité.
Une mise en œuvre sur circuit logique programmable (ou FPGA) décrite
dans [19] annonce une signature en moins d’une seconde.
Il a été prouvé dans [28] que la clé publique de CFS pouvait être distinguée
en temps polynomial d’une matrice binaire aléatoire. Cette propriété
affaiblit la preuve de sécurité du système mais aucune attaque n’en a été
déduite.
1516 CHAPITRE 2. INTRODUCTION3 | Contexte
Nous considérerons uniquement les codes linéaires binaires. La plupart
des faits énoncés ici pourraient se généraliser à un alphabet plus grand mais
aucun schéma semblable à CFS utilisant des codes non binaires n’a été
proposé jusqu’à présent.
3.1 Codes de Goppa binaires
Soit F2m le corps fini à 2
m éléments. Soit n ≤ 2
m, le support L =
(α0, . . . , αn−1) un séquence ordonnée d’éléments distincts de F2m et le polynôme
générateur g(z) ∈ F2m un polynôme irréductible unitaire de degré
t. Le code de Goppa binaire de support L et de polynôme générateur g est
défini par :
Γ(L, g) = {(a0, . . . , an−1) ∈ {0, 1}
n
|
nX−1
j=0
aj
z − αj
mod g(z) = 0}.
Ce code a pour longueur n ≤ 2
m et une dimension ≥ n − mt. Ce code
bénéficie d’une procédure de décodage algébrique pouvant corriger jusqu’à t
erreurs. Pour la signature, nous prendrons toujours n = 2m, puisque choisir
n plus petit ne ferait qu’accroître le coût de la signature. Pour les paramètres
dignes d’intérêt, la dimension sera exactement k = n − mt. Nous noterons
r = mt la codimension du code.
Dans les cryptosystèmes basés sur les codes de Goppa, les paramètres
sont m et t sont connus de tous, la clé secrète est la paire (L, g) et la clé
publique est H ∈ {0, 1}
r×n une matrice de parité du code.
Densité des syndromes décodables pour un code de Goppa : L’algorithme
de décodage algébrique du code ayant pour matrice de parité H
pourra décoder un syndrome s si et seulement s’il est de la forme s = eHt
,
où e a un poids de Hamming inférieur ou égal à t. Il existe Pt
i=0 n
i
≈
n
t
syndromes vérifiant cette propriété. Le nombre de syndromes total étant de
2
r
, la proportion des syndromes décodables par la procédure est proche de
n
t
2
r
=
2m
t
2mt =
2
m(2m − 1)· · ·(2m − t + 1)
t!2mt ≈
1
t!
. (3.1)
1718 CHAPITRE 3. CONTEXTE
Telle est donc la probabilité d’un syndrome tiré aléatoirement d’être
décodable. Il est donc nécessaire de pouvoir associer à un message une grande
famille de syndrome afin d’avoir une chance que l’un de ces syndromes soit
décodable.
3.2 Décodage complet
Étant donné un code linéaire binaire de matrice de parité H ∈ {0, 1}
r×n
,
un décodeur complet est une procédure qui pour tout syndrome s ∈ {0, 1}
r
retournera un motif d’erreur de poids minimal tel que eHT = s. L’espé-
rance du poids w de e sera immédiatement supérieure au rayon de GilbertVarshamov
τgv, défini comme le nombre réel 1
tel que
n
τgv
= 2r
. L’effet de
seuil peut être observé dans deux exemples du tableau 3.1.
En pratique, nous définirons un décodeur complet comme un décodeur
borné par w (avec w ≥ τgv), c’est-à-dire une procédure ψ : s ∈ {0, 1}
r →
{0, 1}
n
renvoyant un motif d’erreur de syndrome s et de poids ≤ w s’il en
existe un.
Un tel décodeur peut échouer même si w ≥ τgv (voir le tableau 3.1 pour
(m, t) = (20, 8) et w = 9 > τgv = 8.91 par exemple). Cela se produira si
aucun des n
w
motifs d’erreurs de poids w n’a pour syndrome s. La probabilité
d’échec de cet évènement correspond à la probabilité de ne pas tirer
un élément donné lors de n
w
tirages avec remise dans un espace de taille
2
r
; c’est-à-dire
1 −
1
2
r
(
n
w)
.
(m, t) τgv w = 8 w = 9 w = 10 w = 11
(20,8) 8.91 1 − 2
−15 0.055 2
−131583 2
−1010
(18,9) 10.26 1 − 2
−33 1 − 2
−18 0.93 2
−2484
Table 3.1 – Probabilité d’échec d’un décodeur borné à w pour un code de
longueur n = 2m et de codimension r = mt
3.3 CFS initial
Une instance de CFS est définie par un code de Goppa binaire Γ de
longueur n capable de corriger jusqu’à t erreurs ; de matrice de parité H ;
sur le corps fini F2. Nous appellerons decode la fonction de décodage de Γ.
Cette fonction prend un syndrome binaire en entrée et renvoie un t-uplet
1. la bijection x 7→
n
x
s’étend aux nombres réels, cela rend la définition de τgv valable3.3. CFS INITIAL 19
de positions d’erreur correspondant à un motif d’erreur ayant l’entrée pour
syndrome ou échoue si un tel motif n’existe pas. La matrice H est publique
et la procédure decode est secrète. Signer un document se fait de cette façon :
1. Calculer l’empreinte du document (via une fonction de hachage).
2. Supposer que cette empreinte est un syndrome et utiliser decode pour
tenter de la décoder.
3. La signature est le motif d’erreur obtenu.
Puisque l’empreinte du document a très peu de chance d’être un syndrome
décodable (c’est-à-dire le syndrome d’un mot à distance de Hamming
t ou moins d’un mot du code Γ), l’étape 2 va très sûrement échouer. Deux
solutions sont proposées pour contourner cette limitation :
– Le décodage complet [voir Algorithme 1] ajoute un certain nombre de
colonnes de H au syndrome jusqu’à ce qu’il devienne décodable (cela
revient à tenter de deviner quelques erreurs).
– L’adjonction d’un compteur modifie le message avec un compteur puis
calcule l’empreinte jusqu’à ce le syndrome associé devienne décodable.
Le compteur qui a rendu le syndrome décodable est adjoint à la signature.
Les deux méthodes nécessitent une moyenne de t! tentatives de décodage
avant succès (conséquence de (3.1), voir [23]). L’adjonction d’un compteur
a pour inconvénient d’inclure la fonction de hachage dans la procédure de
décodage ce qui oblige à la mettre en œuvre sur la plateforme cible, ce qui
serait dérangeant pour un coprocesseur dédié. De plus, cette méthode rend
la taille de la signature variable puisque celui-ci fait partie de la signature et
qu’il a un écart type élevé. Pour finir, la contre-mesure Parallel-CFS (voir
§3.5) n’est pas applicable si cette méthode est employée.
Algorithme 1 Signature utilisant le décodage complet
Entrée :
Un message M,
un entier w > t,
une fonction de hachage h.
Sortie :
La signature du message M, composée d’un w-uplet de positions.
Fonction signer(M, w, h)
s ←− h(M)
Boucle
(it+1, . . . , iw)
R←− {0, . . . , n − 1}
w−t
(i1, . . . , it) ←− decode(s + Hit+1 + . . . + Hiw , t)
Si (i1, . . . , it) 6= échec Retourner (i1, . . . , iw)20 CHAPITRE 3. CONTEXTE
3.4 Attaques
Il existe des attaques permettant de distinguer efficacement une clé publique
CFS (une matrice de parité d’un code de Goppa binaire) d’une matrice
aléatoire de même taille [28]. Cependant n’a aujourd’hui pas encore
affaibli la sécurité de la clé secrète. En pratique, les meilleurs techniques
pour contrefaire une signature sont basés sur le décodage générique d’un
code linéaire, c’est-à-dire la résolution du problème de décodage par syndrome
(CSD).
Les deux principales techniques pour résoudre le problème CSD sont le
décodage par ensemble d’information (ISD), décrit partie II, et le décodage
utilisant le paradoxe des anniversaires généralisé (GBA).
3.4.1 Décoder un parmi plusieurs (DOOM) :
Dans un scénario de forge de signature (la création d’une signature valide
sans connaissance du secret), un attaquant peut créer autant de messages
lui convenant qu’il le souhaite et être satisfait par le fait d’obtenir une signature
valide pour un de ces messages. Les bénéfices d’un accès à plusieurs
syndromes ont été mentionné par Bleichenbacher pour l’algorithme GBA 2
.
L’adaptation à l’algorithme ISD fut proposée dans [37] et fut ensuite généralisée
et analysée dans [65] sous le nom Decoding One Out of Many (DOOM).
Ce dernier montre que si l’on dispose de N syndromes cibles et que le décodage
d’un d’entre eux est suffisant, la complexité temporelle est réduite d’un
facteur approchant √
N par rapport à la situation d’un unique syndrome à
décoder. Le gain cesse de croître une fois que N a atteint une limite supé-
rieure dépendante de l’algorithme utilisé (ISD ou GBA). En pratique, pour
contrer cette attaque et récupérer 80 bits de sécurité, il faut multiplier la
taille de la clé par 400 ; ou bien par 100 si l’on est prêt à multiplier le coût
de la signature par 10. La contre-mesure Parallel-CFS offre un bien meilleur
compromis.
3.5 Parallel-CFS : une contre-mesure à DOOM
Parallel-CFS est une contre-mesure proposée par M. Finiasz en 2010
[32], visant à annuler le bénéfice obtenu par un attaquant souhaitant signer
un message parmi plusieurs. L’idée consiste à produire λ empreintes diffé-
rentes du document à signer (entre 2 et 4 en pratique) et de signer chacune
séparément. Finalement, la signature consistera en la collection des signatures
de chacune de ces empreintes (voir Algorithme 2). De cette façon, si
un attaquant parvient à créer une signature pour l’empreinte d’un de ses
messages, il sera contraint de créer les autres signatures à partir de cette
2. Attaque présentée en 2004, jamais publiée mais décrite dans [60]3.6. IMPLÉMENTATION PASSÉE 21
seule empreinte, ce qui le ramène au scénario initial, c’est-à-dire le décodage
d’un unique syndrome cible. Comme mentionné dans [32], signer en utilisant
la méthode de l’adjonction d’un compteur devient impossible puisque la
contre-mesure impose de décoder plusieurs empreintes d’un unique message
et que l’adjonction d’un compteur modifie le message. Cette contre-mesure
augmente d’un facteur λ le coût de la signature, la taille de la signature et
le coût de la vérification.
L’attaque DOOM fait passer la sécurité du schéma CFS de ≈
r
2
bits
de sécurité à ≈
r
3
. La contre-mesure Parallel-CFS fait remonter celle-ci à
≈
2
λ−1
2
λ−1
r bits de sécurité. Cette valeur tendant vers r
2
lorsque λ croît, il est
possible de se rapprocher autant que souhaité de la sécurité initiale.
Algorithme 2 Parallel-CFS avec un décodage complet
Entrée :
Un message M,
un entier w > t,
un entier λ > 0,
un ensemble de fonctions de hachage H = {Hi}1≤i≤λ.
Sortie :
La signature totale composée de λ signatures individuelles.
Fonction sign_mult(M, w, λ, H)
Pour 1 ≤ i ≤ λ
si ←− sign(M, w, Hi)
Retourner (si)
1≤i≤λ
Dans [32], l’attaque de Bleichenbacher est généralisée pour attaquer plusieurs
empreintes. Cette analyse montre que pour la plupart des paramètres,
trois empreintes, parfois même deux, suffisent pour annuler les bénéfices de
l’attaque. Pour ISD, il est montré dans [65] que les bénéfices de DOOM ne
sont pas aussi important que pour GBA. Ce résultat n’a pas été généralisé
au cas des empreintes multiples comme dans [32], mais cela n’aurait que peu
de chance de changer la situation ; si le nombre d’empreintes est assez haut
pour contrecarrer DOOM-GBA, il en sera très probablement de même pour
DOOM-ISD.
3.6 Implémentation passée
Nous n’avons connaissance d’aucune mise en œuvre logicielle publique
de CFS. Il existe une mise en œuvre sur FPGA décrite dans [19], pour
les paramètres originaux, à savoir n = 216
, t = 9, et w = 11. Celle-ci utilise
l’algorithme de Berlekamp-Massey pour décoder et annonce la création d’une
signature en 0.86 secondes sur un FPGA de petite taille.22 CHAPITRE 3. CONTEXTE4 | Sélection des paramètres
Pour décoder un unique syndrome, ISD est plus efficace que GBA, et
pour plusieurs, DOOM-GBA (l’attaque de Bleichenbacher généralisée) est
plus efficace que DOOM-ISD. Le tableau 4.1 donne le nombre d’opérations
binaires requises par les attaques suivantes :
– ISD-MMT [49], une variante d’ISD, permet de décoder λ instances
distinctes à un syndrome.
– ISD-Dumer [26], une variante précédant ISD-MMT ; les nombres sont
extraits de [33].
– GBA-DOOM [32], l’attaque de Bleichenbacher généralisée, permet de
décoder un Parallel-CFS de multiplicité λ.
proba. taille clé bits de sécurité
m t w λ τgv d’échec publique (1) (2) (3)
16 9 11 3 10.46 ∼ 0 1 MB 77.4 78.7 74.9
18 9 11 3 10.26 ∼ 0 5 MB 87.1 87.1 83.4
18 9 11 4 10.26 ∼ 0 5 MB 87.5 87.5 87.0
20 8 10 3 8.91 ∼ 0 20 MB 82.6 85.7 82.5
20 8 9 5 8.91 5.5% 20 MB 87.9 91.0 87.3
24 10 12 3 11.05 ∼ 0 500 MB 126.4 126.9 120.4
26 9 10 4 9.82 10−8 2 GB 125.4 127.5 122.0
(1) ISD-MMT (2) ISD-Dumer (3) GBA-DOOM
Table 4.1 – Jeux de paramètres pour Parallel-CFS utilisant un code de
Goppa binaire de longueur 2
m. Les bits de sécurité sont le log2 du nombre
d’opérations binaires requises par l’attaque.
Le tableau 4.1 donne les principales caractéristiques (dont la sécurité)
pour quelques jeux de paramètres. Les paramètres d’origine sont donnés
pour référence mais sont désormais sous la barre des 80 bits de sécurité.
Nous proposons deux familles de codes de Goppa : les codes de longueur 2
18
corrigeant jusqu’à 9 erreurs et les codes de longueur 2
20 corrigeant jusqu’à
8 erreurs. Ces derniers permettent de signer plus rapidement (car le temps
de signature dépend de t!) mais ont en contrepartie une clé publique plus
grande. Ces deux familles permettent d’atteindre 80 bits de sécurité en uti-
2324 CHAPITRE 4. SÉLECTION DES PARAMÈTRES
lisant λ = 3 décodages parallèles. Les derniers paramètres sont donnés pour
des critères de sécurité plus grand mais n’ont pas été implémentés.
Le tableau 4.1 ne mentionne pas la variante BJMM [7] d’ISD car la
complexité non-asymptotique de cette variante est difficile à évaluer et car
les paramètres considérés ne sont pas ceux où l’amélioration apportée par
cette variante est la plus importante. Il sera nécessaire de considérer cette
attaque pour dimensionner le schéma à la sécurité voulu.5 | Décodage algébrique des
codes de Goppa
Ce chapitre décrit le décodage algébrique non pas dans un contexte communication
mais dans le contexte cryptographique du schéma CFS. Ici, le
secret est un code de Goppa Γ(L, g) binaire de longueur n = 2m, de dimension
n − r, de polynôme générateur g et de support L. Le polynôme g
est de degré t, unitaire, irréductible et à coefficient dans F2m. Le support
L = (α0, . . . , αn−1) consiste en tous les éléments de F2m dans un ordre spéci-
fique. La clé publique H est une matrice de parité sous forme systématique
de Γ(L, g). Nous dénommons LS = (β0, . . . , βr−1) les éléments du support
correspondants à la partie identité de H (les premières ou dernières r coordonnées
de L par exemple). Un décodeur algébrique de codes de Goppa
prend en entrée un syndrome binaire s = (s0, . . . , sr−1) ∈ {0, 1}
r
et renvoie,
si celui ci existe, un motif d’erreur e ∈ {0, 1}
n de poids t tel que eHt = s.
Il existe plusieurs algorithmes (décrit plus tard dans cette section) réalisant
ce décodage. Chacun ont en commun ces trois étapes :
1. Transformer le syndrome binaire s en un nouveau syndrome, polynôme
à coefficient dans F2m.
2. Résoudre une équation clé liant ce nouveau syndrome au polynôme
localisateur d’erreur.
3. Calculer les racines du polynôme localisateur pour trouver les positions
non nulles du vecteur d’erreurs.
5.1 Équation clé des codes de Goppa
Le syndrome algébrique R(z) = P
0≤j t et
donc s ne peut être décodé en utilisant le décodeur algébrique qui ne peut
corriger que t erreurs. Si, comme décrit dans l’algorithme 1, nous devinons
correctement δ = w − t positions de l’erreur, nous pourrons décoder avec
succès en utilisant le décodeur algébrique le syndrome modifié. Il a été prouvé
dans [23] que cela réussit après une moyenne de t! essais. Nous présentons
dans l’algorithme 3 une variante où le syndrome est modifié sous forme
polynomiale. Cela permet de réduire le coût du calcul de l’équation clé en
factorisant le calcul ne dépendant pas des δ positions choisis. De plus un
crible est utilisé pour décider si le polynôme localisateur est scindé dans
F2m (s’il possède t racines distinctes dans ce corps). Cela permet de vérifier
pour un coût moindre qu’une recherche de racine si le décodage a réussi.
6.2.1 Mise sous forme polynomial du syndrome :
Le premier syndrome polynomial R0(z) est calculé une fois seulement à
partir de s. Ensuite, pour chaque essai de décodage, R0(z) est mis à jour en
y ajoutant δ = w − t syndromes élémentaires fβ(z). Cette mise à jour a un
coût proportionnel à δt opérations dans le corps fini, ce qui est négligeable
en pratique.
6.2.2 Résolution de l’équation clé :
Comme mentionné précédemment, il existe plusieurs équations clés et
parfois plusieurs façons de les résoudre. Dans tous les cas, cette résolution
doit être effectuée complètement et produit le même polynôme localisateur
σ(z). Le coût de cette opération est proportionnel à t
2 opérations dans le
corps fini.6.3. REJET DES INSTANCES DE DÉCODAGE DÉGÉNÉRÉES 31
Algorithme 3 Signer en utilisant des codes de Goppa binaires
Entrée :
Un message M,
une fonction de hachage h.
Sortie :
La signature composée d’un w-uplet de positions ou échec.
Fonction signer(M, h)
s ←− h(M)
R0(z) ←− P
0≤j L1[j, 1])
j ← j + 1
Sinon
i0 ← i, j0 ← j
Tant que i < N et L0[i, 1] = L0[i0, 1]
j ← j0
Tant que j < M et L1[j, 1] = L1[j0, 1]
j ← j + 1
L ← L ∪ {L0[i, 0] + L1[j, 0]}
Retourner L
Commentaires :
L1 + s désigne la liste [(x, y + s) ∀(x, y) ∈ L1]
La procédure Tri(L) organise les éléments de la liste L dans l’ordre croissant
de leur deuxième élément.
L[i, j]j∈{0,1} désigne le j-ième élément du i-ième couple de la liste L.11.1. FUSION DE LISTE 59
Algorithme 8 Recherche de collisions en indexant une liste
Entrée :
Une liste L0 de N couples (x, y) ∈ {0, 1}
b × {0, 1}
c
,
une liste L1 de M couples (x, y) ∈ {0, 1}
b × {0, 1}
c
,
un vecteur s ∈ {0, 1}
c
.
Sortie :
L’ensemble {x0 + x1 | (x0, y0) ∈ L0,(x1, y1) ∈ L1, y0 + y1 = s}.
Fonction Fusion_Index(L0, L1, s)
L ← ∅
L1 ← L1 + s
Allouer une structure indexée T initialisée à ∅
Pour (x, y) ∈ L0
T[y] ← T[y] ∪ {x}
Pour (x, y) ∈ L1
L ← L ∪ T[y]
Retourner L
La fusion par tri (algorithme 7) en revanche a une complexité temporelle
en O(N log(N) + M log(M)) (le coût des deux tris) mais qui, une fois les
listes triées, effectue la plupart des accès mémoires de façon séquentielle, ce
qui permet de rentabiliser le chargement d’une page mémoire ainsi que de
profiter des mécanismes de préchargement de données. De plus, si l’on utilise
un algorithme de tri tirant parti des mécanismes de cache (le radix-sort par
exemple, voir l’algorithme 6.10 de [38]), l’algorithme peut s’exécuter quasientièrement
en manipulant des données présentes dans les caches mémoires.
La figure 11.1 montre le pourcentage d’accès mémoire qui n’ont pas été
satisfait par le cache L1 et le cache L2 lors de la fusion de deux listes de 2
`
éléments aléatoires de J0, 2
`
J. Ces valeurs ont été mesurées en utilisant l’outil
cachegrind de la suite valgrind [55] sur une machine disposant de 32Ko de
cache L1 par cœur et de 256Ko de cache L2 par cœur.
La figure 11.2 montre le nombre de collisions par microsecondes (mesuré
en utilisant gettimeofday()) générées par les algorithmes 7 et 8 lors de la
fusion de deux listes de 2
`
éléments aléatoires de J0, 2
`
J.
On remarque que les mécanismes de cache ne suffisent pas à compenser
le facteur logarithmique de l’algorithme 7, ce qui fait de l’algorithme 8 le
plus rapide.
Autre avantage de l’algorithme 8, il est possible de l’appliquer quasiment
à la volée ; il peut démarrer dès que la liste L0 est complète et se dérouler
au fur et à mesure que la liste L1 est construite. Cela permet d’économiser
en mémoire puisqu’il n’y a pas besoin de conserver la liste L1.60 CHAPITRE 11. MISE EN ŒUVRE
6 8 10 12 14 16 18 20
0
2
4
6
8
10
`
Pourcentage d’échec
Index L1
Index L2
Tri L1
Tri L2
Figure 11.1 – Pourcentage d’échec d’accès mémoire dans les différentes
mémoires caches lors de 100 fusions de deux listes de 2
`
éléments
6 8 10 12 14 16 18 20
20
40
60
80
`
Éléments/
µs
Index
Tri
Figure 11.2 – Nombre de collisions générées par microsecondes lors de 100
fusions de deux listes de 2
`
éléments de ` bits.11.2. ANALYSE DE LA COMPLEXITÉ ET ESTIMATION DES PARAMÈTRES61
11.2 Analyse de la complexité et estimation des
paramètres
Pour cette analyse, nous ferons ces hypothèses :
Hypothèse 1. Nous appliquons l’algorithme à un problème d’ordre cryptographique
; c’est-à-dire que la probabilité pour un mot de longueur n et de
poids p tiré aléatoirement d’être solution du problème est très inférieur à 1.
Hypothèse 2. Le problème ne possède qu’une solution (ou bien on cherche
une solution spécifique dans l’ensemble des solutions).
Hypothèse 3. La valeur 1 − (1 − p)
N où p 1 et N est un entier positif
peut être approximée par min(1, pN) (voir figure 11.3).
0 0.2 0.4 0.6 0.8 1
·105
0
0.2
0.4
0.6
0.8
1
N
min(1, pN)
1 − (1 − p)
N
Figure 11.3 – Approximation de 1 − (1 − p)
N par min(1, pN)
.
Le coût moyen de l’algorithme 4 est
WF =
1
P
(KG + KS + µKF )
où :
– P est la probabilité de succès d’une itération,
– KG est le coût de la permutation et de l’élimination de Gauss,
– KS est le coût d’une itération de l’algorithme SubISD,
– KF est le coût d’un test final,
– µ est le nombre moyen de candidats produits par l’algorithme SubISD.62 CHAPITRE 11. MISE EN ŒUVRE
Afin de mesurer les coûts des diverses étapes nous utiliserons comme
unité de base une opération de colonne, définie comme étant une lecture
ou écriture d’une colonne en mémoire accompagnée d’une addition de deux
colonnes ou d’un test de poids d’une colonne.
Lors du calcul de tous les éléments eM où M est une matrice binaire
et où e prend successivement toutes les valeurs de l’ensemble des mots de
support et de poids donné, le coût pour construire un de ces éléments sera
ramené à celui d’une addition. En effet, en conservant les sommes partielles,
il est possible de construire un nouvel élément eM en une seule addition ; la
somme de p colonnes étant calculée en ajoutant une colonne à la somme de
p − 1 colonnes.
Il est possible de ramener le coût d’un test final à celui d’une lecture en
mémoire et d’un test de poids (voir la section 11.3), c’est-à-dire à 1 selon
notre unité de base.
Dans le cadre de l’hypothèse 1, le coût du pivot de Gauss partiel (coût
O(r
3
)) s’efface face au reste de l’algorithme (coût exponentiel en p). Le
paramètre p grandissant avec la taille du problème considéré, nous pourrons
ignorer ce coût lors des calculs. On constate en pratique que cette hypothèse
se confirme rapidement lorsque la difficulté du problème croît.
Il est évident qu’une itération d’un algorithme SubISD pourrait se terminer
dès que la liste des solutions à renvoyer est non vide. Cependant ce
gain potentiel est négligeable vis-à-vis du nombre d’itérations nécessaires
pour résoudre un problème d’ordre cryptographique. Nous ignorerons cet
aspect pour l’analyse afin d’alléger les formules de complexité.
11.2.1 Probabilité de succès d’une itération
Lemme 1. Soit X le nombre d’éléments distincts après n tirages uniformes
avec remise dans un ensemble de taille M. L’espérance de X est :
E(X) = M
1 −
1 −
1
M
n
Démonstration. Soient A = {a1, . . . , aM} et B l’ensemble des éléments distincts
obtenus après n tirages uniformes avec remise dans A.
Soit yi =
(
1 si ai ∈ B
0 sinon11.2. ANALYSE DE LA COMPLEXITÉ 63
X =
X
M
i=1
yi
E(X) = X
M
i=1
E(yi)
E(yi) = P(ai ∈ B) = 1 − P(ai ∈/ B) = 1 −
M − 1
M
n
E(X) = M
1 −
1 −
1
M
n
La probabilité P de succès d’une itération dépend de la variante utilisée
et du nombre de candidats distincts µd renvoyés par l’algorithme SubISD
ainsi que de la probabilité qu’a un de ces candidats d’être solution du problème.
P = 1 − (1 − 2
`
E(p, `))µd
≈ 2
`
E(p, `)µd
où E(p, `) =
r−`
w−p
2
r
1 − (1 −
1
2
r−` )
(
n
w)
≈
r−`
w−p
min(2r
, 2
l
n
w
)
Démonstration. Soit Wi,j l’ensemble des mots binaires de longueur i et de
poids j. Soient H, H0
, s et s
0
tels que représentés figure 10.1
La probabilité P est la probabilité qu’au moins un des µd candidats
générés par l’algorithme SubISD passe le test final. Le vecteur s
0
est tiré
dans U = {e(I|H0
)
t
| e ∈ Wn,w} donc un candidat e passe le test final avec
probabilité
Pf = P(Poids(eH0t + s
0
) = w − p) =
r−`
w−p
E(|U|)
.
En effet, tirer un vecteur e dans Wk+`,p revient à tirer simultanément
r−`
w−p
éléments de U car il existe
r−`
w−p
vecteurs e
0 dans Wr−`,w−p et que chacun
d’eux nous permet de construire (e
0
|e)(I|H0
)
t
, élément de U.
L’ensemble U est l’ensemble des mots obtenus en multipliant chaque
mot de Wn,w par (I|H0
)
t
. Si l’on suppose les mots e(I|H0
)
t où e ∈ Wn,w
indépendants, chaque élément de U peut être vu comme le résultat d’un64 CHAPITRE 11. MISE EN ŒUVRE
tirage uniforme dans {0, 1}
r−`
. Le lemme 1 nous donne donc
E(|U|) = 2r−`
1 − (1 −
1
2
r−`
)
(
n
w)
Si l’on note E(p, `) la probabilité pour un mot e quelconque de longueur
k+` et de poids p d’être solution du problème, c’est-à-dire de vérifier eHt = s
et de passer le test final. Ces deux évènements étant indépendants, nous
avons donc
E(p, `) = P(eHt = s)Pf =
1
2
`
Pf
Finalement
P = 1 − (1 − Pf )
µd = 1 − (1 − 2
`
E(p, `))µd
≈ 2
l
E(p, `)µd
et E(p, `) = Pf
2
`
=
r−`
w−p
2
r
1 − (1 −
1
2
r−` )
(
n
w)
≈
r−`
w−p
min(2r
, 2
l
n
w
)
11.2.2 Coût des algorithmes SubISD
Pour calculer le coût d’un algorithme SubISD, nous réécrivons ceux-ci
en déroulant les appels à la fonction Fusion (en utilisant une fusion par
indexation) puis nous comptons le nombre d’exécutions de chaque instruction
effectuant une opération de colonne, notre opération de base qui, pour
rappel, est définie comme étant une lecture ou écriture d’une colonne en mé-
moire accompagnée d’une addition de deux colonnes ou d’un test de poids
d’une colonne.
Stern/Dumer
Pour calculer le coût de l’algorithme 9, nous allons compter le nombre
d’exécutions des instructions (1), (2) et (3) puis sommer ces nombres. Le
nombre d’éléments renvoyés par l’algorithme sera égal au nombre d’exécutions
de l’instruction (3).
(1) |W0|
(2) |W1|
(3) |W1|E(|E |)11.2. ANALYSE DE LA COMPLEXITÉ 65
Algorithme 9 Stern/Dumer
Fonction SubISDSD(H, s, p, S)
(W0, W1) ← InitSD(p, S)
T ← InitStruct()
L ← ∅
Pour e0 ∈ W0
Stocker(T, e0Ht
, e0) (1)
Pour e1 ∈ W1
E ← Lire(T, s − e1Ht
) (2)
Pour e0 ∈ E
L ← L ∪ {e0 + e1} (3)
Retourner L
Commentaires :
InitSD(S, p) initialise la liste des mots de poids p et de support S et son
complémentaire. Voir section 10.0.3.
InitStruct() initialise une structure associant à un mot une liste de
vecteur.
Stoquer(T, i, v) ajoute le vecteur v dans la liste associée au mot i dans
la structure T.
Lire(T, i) renvoie la liste de vecteurs associée au mot i dans la structure
T.
Les instructions (1) et (2) effectuent chacune une opération de colonne.
En effet, chaque produit eHt
est une somme de p/2 colonnes de H qui
est presque tout le temps partiellement calculé par l’itération de la boucle
précédente.
Le nombre d’exécutions de l’instruction (3) dépend du nombre d’élé-
ments présents dans l’ensemble E . Si l’on suppose que les éléments e0, insérés
dans T lors de l’instruction (1), y sont répartis uniformément, l’espérance
du cardinal de E vaut |W0|
2
`
; il s’agit du nombre d’éléments insérés dans T
multiplié par la probabilité pour qu’un élément donné se trouve à l’emplacement
indexé s − e1Ht
. Le nombre d’insertions dans T est donné par le
nombre d’exécutions de l’instruction (1).
Si l’on se place dans le cas idéal et que l’on pose L = |W0| = |W1| =
(k+`)/2
p/2
, le coût moyen de l’algorithme est donc :
KSD = |W0| + |W1| +
|W0||W1|
2
`
= 2L +
L
2
2
`
Le nombre moyen d’éléments renvoyés est :
µ =
|W0||W1|
2
`
=
L
2
2
`66 CHAPITRE 11. MISE EN ŒUVRE
Certaines variantes peuvent renvoyer plusieurs fois un même élément
mais cette variante considère des mots de supports disjoints. Nous avons
donc µd = µ et, si l’on néglige le coût de l’élimination de Gauss, le facteur
de travail est
WFSD =
1
P
2L + 2
L
2
2
`
!
En approximant que ce facteur de travail est minimum lorsque les deux
termes de la somme sont égaux, nous obtenons un facteur de travail minimal
lorsque ` ≈ log2
(L). Cette approximation peut faire perdre un facteur proche
de 2, si les contraintes mémoires le permettent, il faudra choisir ` légèrement
supérieur à cette valeur (voir figure 11.4).
Pour conclure, nous avons
WFSD(p) ≈
4L
2
P2
`
=
c
E(p, `)2`
où c est une constante ; p sera choisi pour minimiser cette formule et ` sera
choisi légèrement supérieur à log2
(
(k+`)/2
p/2
).
Minimum approximé
Vrai minimum
20 25 30 35 40
0
2
4
6
·108
L
L
2/2
`
L + L
2/2
`
Figure 11.4 – Approximation de min(L +
L2
2
` ). Ici k = 524, p = 8
May, Meurer et Thomae
Comme précédemment, pour calculer le coût de l’algorithme 10, nous
allons compter le nombre d’exécutions des instructions (1) à (7) puis sommer
ces nombres. Le nombre d’éléments renvoyés par l’algorithme sera égal au
nombre d’exécutions de l’instruction (7).11.2. ANALYSE DE LA COMPLEXITÉ 67
Algorithme 10 MMT
Fonction SubISDMMT(H, s, p, `2, S0, S2, A)
(H0
, H00, s0
, s00, W0, W1, W2, W3) ← InitMMT(H, s, p, `2, S0, S2)
T0 ← InitStruct(); T2 ← InitStruct()
L ← ∅
Pour e0 ∈ W0
Stocker(T0, e0Ht
, e0) (1)
Pour e2 ∈ W2
Stocker(T2, e2Ht
, e2) (2)
Pour a ∈ A
T01 ← InitStruct()
Pour e1 ∈ W1
E0 ← Lire(T0, e1Ht + a) (3)
Pour e0 ∈ E0
Stocker(T01,(e0 + e1)H0t
, e0 + e1) (4)
Pour e3 ∈ W3
E2 ← Lire(T2, s − e3Ht − a) (5)
Pour e2 ∈ E2
E01 ← Lire(T01, s0 − (e2 + e3)H0t
) (6)
Pour e01 ∈ E01
L ← L ∪ {e01 + e2 + e3} (7)
Retourner L
(1) |W0|
(2) |W2|
(3) |A||W1|
(4) |A||W1|E(|E0|)
(5) |A||W3|
(6) |A||W3|E(|E2|)
(7) |A||W3|E(|A2|)E(|E01|)
En supposant que les éléments insérés dans T0, T2 et T01 y sont insérés
uniformément (ce qui est naturel si H est aléatoire), nous obtenons les espérances
des ensembles E0, E1 et E01 en multipliant le nombre d’insertions
dans chaque structure par la probabilité pour qu’un élément donné se trouve
dans un emplacement donné. Le nombre d’insertions dans T0 et T2 est donné
respectivement par le nombre d’exécutions des instructions (1) et (2). T01
étant réinitialisée à chaque nouvelle valeur de a, le nombre d’insertions dans
T01 est égal au nombre d’exécutions de l’instruction (4) pour une valeur de68 CHAPITRE 11. MISE EN ŒUVRE
a donnée ; soit |W1|E(|E0|).
E(|E0|) = |W0|
2
`2
E(|E2|) = |W2|
2
`2
E(|E01|) = |W1|E(|E0|)
2
`−`2
=
|W0||W1|
2
`
Si l’on pose L = |W0| = |W1| = |W2| = |W3| =
(k+`)/2
p/4
, le coût moyen de
l’algorithme est donc :
KSubISD = |W0| + |W2|+
|A|
|W1| +
|W0||W1|
2
`2
+ |W3| +
|W2||W3|
2
`2
+
|W0||W1||W2||W3|
2
`+`2
KSubISD = 2L + |A|
2L + 2
L
2
2
`2
+
L
4
2
`+`2
!
Le nombre moyen d’éléments renvoyés est :
µ = |A||W3|E(|E2|)E(|E01|) = |A|
L
4
2
`+l2
Il faut sélectionner A tel que |A| 2
`2
; ainsi le nombre de doubles
(candidats générés plusieurs fois) est limité et on peut faire l’hypothèse
µd = µ. On obtient alors pour le facteur de travail de l’algorithme
WFMMT =
1
P
2L + |A|
2L +
2L
2
2
`2
+
L
4
2
`+`2
!
+
|A|L
4
2
`+`2
!
Il faut par contre choisir A suffisamment grand pour rentabiliser la construction
des structures T0 et T2 (instructions (1) et (2)) ainsi que l’élimination
de Gauss. Leurs coûts peuvent alors être négligés. Choisir `2 suffisamment
petit par rapport à log2
(L), permet d’obtenir des ensembles E0 et E2 non
vides, de rentabiliser les interrogations aux structures T0 et T2 (instructions
(3) et (5)) et de négliger leurs coûts dans la formule. Celle-ci devient :
WFMMT =
2|A|
P
L
2
2
`2
+
L
4
2
`+`2
!
En approximant (comme pour le facteur de travail de l’algorithme Stern/Dumer)
que le minimum est atteint lorsque les deux termes de la sommes sont égaux11.3. OPTIMISATIONS 69
nous obtenons que le facteur de travail est minimum lorsque ` ≈ log2
(L
2
).
De même que pour WFSD il faudra choisir ` légèrement supérieur à cette
valeur pour se rapprocher de la vraie valeur minimum.
Pour résumer, le facteur de travail est
WFMMT(p) ≈
4|A|L
4
P2
`+`2
=
c
E(p, `)2`
où c est une constante ; p sera choisi pour minimiser cette formule et ` sera
choisi légèrement supérieur à log2
(
(k+`)/2
p/4
2
). Il est intéressant de remarquer
que si A et `2 sont choisis tels que proposés précédemment, leurs valeurs ne
rentrent pas en compte dans le calcul du facteur de travail.
La variante MMT est supérieure à la version Stern/Dumer car même
si l’expression des facteurs de travail est similaire, la valeur optimale du
paramètre ` est supérieure pour l’algorithme MMT.
11.3 Optimisations
Cette section utilise les notations de la figure 11.5.
Critère d’abandon prématuré d’un candidat
L’idée d’abandon prématuré d’un candidat fut évoquée dans [45] puis
utilisée dans [15]. Lorsqu’un candidat est fourni par l’algorithme SubISD,
il faut tester ce candidat sur le reste de la matrice H0. Cependant, il n’est
pas nécessaire de calculer la somme correspondante à ce candidat sur toute
sa longueur ; dès que le poids de la somme dépasse w −p, on peut considérer
le candidat non-valide. Si l’on considère que tous les candidats non-valides
vont produire un mot aléatoire de poids moyen (r − `)/2, un candidat sera
éliminé en moyenne après calcul de 2(w − p) bits.
De manière générale, si on élimine tous les candidats donnant un mot de
poids supérieur à t après avoir calculé d bits de la somme correspondante,
la probabilité d’éliminer un candidat qui est la solution est :
Pm(d, t) = 1 −
X
t
i=0
d
i
r−d−`
w−p−i
r−`
w−p
Dans ce même contexte, la probabilité de fausse alarme, c’est-à-dire la probabilité
qu’un mot aléatoire (correspondant donc à un mot non-valide) ne
soit pas éliminé à ce stade est :
Pfa(d, t) = X
t
i=0
d
i
2
d70 CHAPITRE 11. MISE EN ŒUVRE
Calcul partiel de la forme échelonnée partielle
Puisqu’il est possible d’éliminer un candidat sans effectuer le test final
complet, il n’est pas nécessaire de calculer la forme échelonnée partielle en
entier lors de l’élimination de Gauss. Si lors de cette étape, on ne calcule
que d lignes de la partie supérieure (pour former la matrice H0
ici) et que
l’on fixe un seuil t au-delà duquel on considère un mot non-valide, le test
final d’un candidat e revient au calcul du poids de Hamming de eH0t puis
si ce poids est inférieur à t, il faut calculer le poids de eH00t
. Ce dernier
calcul nécessite de calculer au moins partiellement H00 mais sera effectué
avec probabilité Pfa(d, t), ce qui permet de le rendre aussi négligeable que
souhaité. En revanche, il devient possible de manquer la solution ce qui
multiplie le nombre de candidats moyen nécessaire, et donc le coût total de
l’algorithme, par 1
1−Pm(d,t)
.
0 H
1
1 H0
H00
s
t
s
0t
s
00t
=
e
0 e
×
r
`
d
Figure 11.5 – Nouveau découpage de la matrice H0 après élimination de
Gauss. Seules H et H0
sont calculées initialement.
L’algorithme 11 est une version simplifiée de l’algorithme 4 intégrant ces
deux optimisations.
Extension et mémorisation des sommes de colonnes
Les algorithmes SubISD calculent des sommes de colonnes de H. En
pratique ` est souvent inférieur à la taille d’un mot machine (qui font typiquement
64 bits aujourd’hui). Il en résulte donc que calculer une somme de
colonnes de H n’utilise pas pleinement la capacité d’une unité de calcul. Afin
de ne pas gaspiller ces bits sommés, il est possible de choisir d (figure 11.5)
tel que d + ` soit égale à la taille d’un mot machine et de faire en sorte
que l’algorithme SubISD fasse les sommes sur les colonnes de la matrice
composée des H et H0
empilées. Les d bits supplémentaires du résultat correspondants
à la matrice H0
seront stockés pour être réutilisés lors du calcul
de eH0t
(étape (1) de l’algorithme 11).
Une fois d fixé, le seuil t sera choisi afin de minimiser le coût de l’algorithme.
En pratique, il est simple d’exécuter le programme sur quelques11.3. OPTIMISATIONS 71
Algorithme 11 Information Set Decoding avec abandon prématuré
Entrée :
Voir l’algorithme 4
un entier 0 < d < r − `,
un entier 0 ≤ t ≤ d.
Sortie :
Voir l’algorithme 4
Fonction ISD_EarlyAbort(H0, s0, w, p, `, d, t)
Boucle
(H, H0
, H00, s, s0
, s00, P) ← InitISD(H0, `, s0) . voir figure 11.5
Pour e ∈ SubISD(H, s, p)
w
0 ← Poids(eH0t + s
0
) (1)
Si w
0 < t
Si Poids(eH00t + s
00) + w
0 = w − p
Retourner (eH00t
|eH0t
|e)P
−1
itérations pour mesurer les coûts des différentes étapes puis de minimiser le
coût total de l’algorithme en faisant varier t sur l’intervalle J1, min(d, w−p)K.
Sacrifice de candidats
Lors d’une fusion de listes par indexation (voir section 11.1.2), il peut
être coûteux de résoudre les collisions dans la structure de données. Une collision
dans la structure se produit lorsque un élément doit être rangé à un
indice déjà occupé. Il existe est possible de gérer ces collisions en chaînant
les éléments ou en utilisant un adressage ouvert, c’est-à-dire l’utilisation
d’une méthode de sondage qui trouvera un nouvel emplacement pour l’élé-
ment. Ces méthodes ont l’inconvénient d’imposer l’ajout de contrôle et des
accès mémoires potentiellement aléatoires lors de l’insertion ou la consultation
de la structure. Il est cependant possible d’ignorer ces collisions et de
simplement conserver le premier ou dernier élément que l’on voudra ranger
à un indice donné. Cela permet d’éviter ces inconvénients mais toutes les
collisions entre les deux listes ne sont plus trouvées. Du point de vue des
algorithmes SubISD, tous les candidats potentiels ne sont plus générés donc
le nombre d’itérations de l’algorithme global augmente mais cela réduit le
coût d’une itération. La figure 11.6 compare le nombre d’éléments générés
par microsecondes lors de 100 fusions de deux listes de 2
`
éléments aléatoires
de ` bits dans le cas où les collisions dans la structure de données sont gé-
rées (l’équivalent d’une table de hachage où les collisions sont résolues via
chaînage) et celui où elles ne le sont pas (un simple tableau).
On pourrait penser que cette optimisation pourrait se dégrader avec le
rapport (taille de la liste à indexer)/(nombre de bits de chaque élément)72 CHAPITRE 11. MISE EN ŒUVRE
6 8 10 12 14 16 18 20
100
200
300
400
500
600
`
Éléments/
µs
Collisions ignorées
Collisions gérées
Figure 11.6 – Nombre d’éléments générés par µs lors de 100 fusions de deux
listes de 2
`
éléments aléatoires de ` bits.
de par l’augmentation du nombre d’éléments devant être rangé à un même
indice. En pratique on constate la tendance inverse. La figure 11.7 est équivalente
à la figure 11.6 mais fait varier la taille des listes en fixant la taille
des éléments (11 bits ici).
8 10 12 14 16 18 20
200
400
600
800
1,000
`
Éléments/
µs
Collisions ignorées
Collisions gérées
Figure 11.7 – Nombre d’éléments générés par µs lors de 100 fusions de deux
listes de 2
`
éléments aléatoires de 11 bits.11.3. OPTIMISATIONS 73
Parcourir les mots de poids constants
Toutes les variantes de l’algorithme 4 nécessitent de parcourir tout ou
partie des mots binaires de longueur et de poids donnés et de les multiplier
par une matrice. Il est possible de faire cela de deux façons différentes.
Supposons que l’on veuille parcourir tous les mots de poids p de longueur
n et les multiplier par une matrice H ∈ mats`n. La première consiste à
écrire une fonction qui à partir d’un mot de poids p calcule le mot suivant
selon une relation d’ordre prédéfinie. Il reste ensuite à multiplier le mot par
H et à traiter le résultat avant d’itérer. Il est préférable que la relation
d’ordre minimise la distance de Hamming entre deux mots successifs afin de
rentabiliser le calcul des sommes partielles. L’algorithme 12 est un exemple
d’une telle fonction.
Algorithme 12 Parcours de mots de poids constant
Entrée :
Un entier p,
un entier n,
un mot binaire t de poids p sous forme d’un tableau de p entiers ∈ J0, nJ.
Ces entiers représentent les positions non nulles de t. Les éléments de t
vérifient t[i] < t[i + 1] ∀i ∈ J0, p − 1J.
Sortie :
Le mot binaire u suivant t selon la relation d’ordre, ou t si t n’a pas de
successeur,
le plus grand i tel que u[i] 6= t[i], ou −1 si t n’a pas de successeur.
Fonction Suivant(t, p, n)
u ← t
i ← p − 1
Tant que i ≥ 0 et t[i] ≥ n − p + i
i ← i − 1
Si i < 0 Retourner u, −1
Pour j ← i + 1, p
u[j] ← u[j − 1] + 1
Retourner u, i
Commentaires :
Retourner i indique à une fonction appelante à partir de quel indice le
tableau de sortie diffère du tableau d’entrée.
La deuxième approche consiste à imbriquer p boucles de tel façon que
le p-uplet formé des indices de chaque boucle parcoure l’ensemble des puplets
d’entiers appartenant à J0, nJ. Cette approche n’est pas flexible car
elle impose d’utiliser une procédure de génération de code mais elle est plus
rapide.74 CHAPITRE 11. MISE EN ŒUVRE
En pratique, les algorithmes SubISD calculent un tel produit puis stockent
le résultat dans une structure de données à un emplacement indexé sur `
bits. De ce fait, lorsque ce paramètre croît, le nombre d’echec d’accès au
cache L1 (puis L2) augmente. Cela rend le calcul du produit négligeable
en comparaison du coût des accès mémoire et donc amenuise le bénéfice de
cette optimisation.
Pistes à explorer
Lors d’une fusion de grandes listes par indexation (voir section 11.1.2),
les accès aléatoires en mémoire sont ce qui coûte le plus cher. Il est cependant
possible de réduire la taille de la structure à interroger. En effet, il
est possible de commencer par interroger une structure de taille plus petite
qui nous dira s’il y a ou non un élément rangé à cet emplacement dans la
structure principale. Ce comportement, ressemblant à celui d’une mémoire
cache, peut être mis en place via l’utilisation d’un tableau d’octet (rapide à
interroger), un bit field (plus lent mais plus compacte) ou un filtre de Bloom
(encore plus lent et plus compacte mais introduit une probabilité de faux
positifs) [21].
Autre moyen de limiter les échecs d’accès à la mémoire cache, l’algorithme
6.15 de [38] est un algorithme réalisant une recherche de collisions
dans une liste en utilisant des piles. Celui-ci répartit les éléments dans des
piles de taille inférieure à la liste initiale puis effectue une recherche de collision
dans chaque pile. La mise en œuvre de cette technique adaptée à la
fusion de liste est en cours d’étude.
Comportement que nous n’avons pas su exploiter, si l’on modifie l’algorithme
9 et que l’on insère un tri de la matrice H (soit sur sa globalité soit
sur les deux matrices issues de la restriction de H aux supports S et S¯) on
observe un motif dans l’évolution de la valeur e0Ht
, c’est-à-dire de l’index où
sera rangé l’élément e0 dans la structure T. Cette évolution est représentée
figure 11.8. Ce comportement peut améliorer la localité spatiale des données
puisque l’emplacement où sera écrite la donnée de l’itération suivante est la
plupart du temps proche (ou du moins semble prévisible) de l’emplacement
où est écrite la donnée de l’itération en cours. Ce comportement se produit
également dans la deuxième boucle, cette fois sur l’indice où est interrogé
la structure T ; la remarque précédente s’applique donc cette fois sur les
données lues.
Ce potentiel gain de localité d’accès aux données n’est sûrement pas
suffisant pour que les accès mémoires bénéficient des mécanismes de cache. Il
est peut-être possible d’aiguiller le mécanisme de préchargement de données
pour tirer profit de ce comportement.11.3. OPTIMISATIONS 75
0 500 1,000 1,500
1
2
3
·104
Itération
Indice
Figure 11.8 – Évolution de l’indice mémoire accédé lors des 2000 premières
itérations de l’instruction (1) de l’algorithme 9 après tri de H. Ici H ∈
{0, 1}
15×285 et p = 476 CHAPITRE 11. MISE EN ŒUVRE12 | Mise en œuvre logicielle
L’une des contributions de cette thèse est un logiciel mettant un œuvre
les variantes de Stern/Dumer et de May, Meurer et Thomae incluant les
optimisations décrites section 11.3. Cette section détaille les choix effectués
lors de la réalisation de ce logiciel.
Les colonnes de la matrice H sont manipulées via une représentation
en colonne , c’est-à-dire qu’une colonne est stockée dans un tableau de r/b
mots machines où r est la taille de la colonne et b le nombre de bits que
peut contenir un mot machine. En effet, la majorité des opérations effectuées
sont des sommes de section de colonnes ; sommer deux colonnes revient
donc à sommer les mots machines correspondants. Cela permet aussi
d’échanger simplement deux colonnes puisqu’il suffit d’échanger les adresses
des tableaux.
La bibliothèque M4RI [4] est utilisée pour l’algèbre linéaire. Elle dispose
de fonctions de manipulations de matrices binaires telles que le découpage
ou la transposition mais surtout met en œuvre la méthode des quatre russes
qui permet de gagner un facteur logarithmique sur l’élimination de Gauss.
Lors de la mise sous forme échelonnée partielle de la matrice H0, la sousmatrice
Hmod, version étendue de H de hauteur 64, représentée figure 12.1
est calculée 1
. Les colonnes de la sous-matrice H0
mod seront calculé plus tard
au besoin. Chaque colonne de Hmod tient alors dans un mot machine. Les
algorithmes SubISD manipulent la matrice H mais plutôt que de tronquer
les colonnes de Hmod avant de les sommer, leurs sommes sont calculées sur
Hmod (les 64 bits) puis conservées en mémoire pour usage futur avant d’être
tronquées pour l’algorithme de fusion.
Lorsqu’un candidat e (un mot de poids p qui vérifie eHt = s) est trouvé
par l’algorithme SubISD, le mot eHt
mod + smod est calculé (en utilisant les
sommes conservées en mémoire précédemment) et son poids est evalué. Si
ce poids dépasse un certain seuil, alors le candidat est rejeté ; sinon les p
colonnes de H0
mod correspondantes sont calculées (en utilisant la matrice
de passage qui a mis H0 sous cette forme), sommées puis le poids de cette
somme est évalué.
Le seuil appliqué au poids de eHt
mod + smod permet de décider s’il est
1. par conséquence, l’une des contraintes du logiciel est que ` ne peut excéder 64.
7778 CHAPITRE 12. MISE EN ŒUVRE LOGICIELLE
préférable d’appliquer le test final (calculer le poids de eH0t
mod +s
0
mod) ou s’il
vaut mieux considérer ce candidat invalide (quitte à manquer la solution).
Si l’on reprend les notations de la section 11.3, le coût de la vérification
d’un candidat généré par SubISD revient au coût du calcul du poids de
eHt
mod + smod (2 additions et un poids puisque l’on somme deux éléments
des listes de SubISD au syndrome) auquel s’ajoute le coût du calcul du poids
de eH0t
mod + s
0
mod multiplié par la probabilité d’effectuer ce calcul Pfa(64, t).
En revanche, le coût total est multiplié par la probabilité de mettre de
côté un candidat qui était la vraie solution : Pm(64, t)
Si ` n’est pas trop proche de 64, il est possible de positionner le seuil t de
telle sorte que Pfa(64, t) et Pm(64, t) soit très faible, ce qui permet de pouvoir
négliger le coût du test final sans pour autant faire croître enormément le
coût global.
Il est donc possible de calculer la valeur de ` qui minimise ces deux
probabilités mais il est également possible de mesurer l’évolution des performances
du programme en faisant varier ce seuil (le programme utilise la
valeur heuristique t =
64−`
4
si le seuil ne lui est pas précisé).
0
Hmod
1
1
H0
mod
s
t
mod
s
0t
mod
r
`
64
=
=
0 H
1
1
H0
s
t
s
0t
r
`
n
k + `
Figure 12.1 – Le logiciel calcule Hmod, une version étendue de H.13 | Challenges Wild McEliece
En 2011, Bernstein, Lange et Peters ont mis en ligne une page web [16]
regroupant un ensemble de challenges cryptographiques concrets afin d’encourager
la communauté des cryptographes à étudier la sécurité des cryptosystèmes
basés sur les codes. Ces challenges ont été créés dans le contexte
d’un système de McEliece utilisant des codes de Goppa non-binaires [18]
mais certains sont basés sur des codes binaires. Les problèmes sont de diffi-
culté croissante et sont des décodages de codes sur des corps finis ayant des
alphabets de taille variant entre 2 et 32. Les challenges basés sur des codes
binaires sont utilisés afin de mesurer les performances des algorithmes et du
logiciel présenté chapitre 12. Les challenges basés sur des codes non-binaires
n’ont pas été étudiés.
Les challenges binaires sont au nombre de 61 et sont présentés sous la
forme d’une clé publique et d’un chiffré. Il s’agit en réalité de la variante de
Niederreiter donc sont donnés une matrice de parité et un syndrome. Les
auteurs invitent les challengers à :
– retrouver les textes clairs correspondant aux chiffrés ;
– retrouver les clés secrêtes correspondant aux clés publiques ;
– mesurer les performances des cryptanalyses publiques pour les plus
petits challenges afin de permettre à la communauté de constater les
améliorations des algorithmes d’attaque ;
– donner des estimations de la difficulté de résolution des plus grands
challenges.
Le logiciel a pu résoudre 23 des 61 challenges proposés en utilisant l’algorithme
Stern/Dumer avec le paramètre p = 4. Le tableau 13.1 répertorie
pour chaque challenge résolu le paramètre ` utilisé, le nombre de cycles
processeur requis pour effectuer une itération de l’algorithme, le nombre
théorique d’itération que l’on s’attend à devoir exécuter avant de trouver la
solution ainsi que le nombre d’itérations qui ont été réalisées avant de trouver
la solution. Le tableau 13.2 donne une estimation du nombre théorique
d’itération que l’on s’attend à devoir réaliser avant de trouver la solution.
7980 CHAPITRE 13. CHALLENGES WILD MCELIECE
Nombre d’itérations
Challenge ` Cycles/itération (log2) Attendu (log2) Mesuré (log2)
5 15 21.17 13.32 13.30
6 15 21.28 15.10 14.72
7 15 21.53 16.98 16.76
9 15 21.54 17.87 17.76
10 17 22.35 19.51 16.73
11 16 22.29 20.42 19.90
12 16 22.34 21.36 22.24
13 17 22.77 23.26 20.86
14 17 22.80 24.19 22.16
15 17 22.67 25.24 24.13
16 17 23.04 27.07 23.01
17 17 22.97 28.07 25.87
18 17 23.04 29.04 28.69
19 17 23.12 30.00 24.89
20 17 23.16 30.95 30.30
21 17 23.23 31.90 31.74
22 17 23.30 32.83 32.90
23 18 23.55 33.83 30.48
24 18 23.74 35.66 34.67
25 17 23.45 35.73 34.63
26 17 23.57 36.67 27.68
27 18 23.74 37.72 32.21
28 18 23.57 38.67 27.92
Table 13.1 – Résultats de l’application du logiciel sur les 23 premiers challenges.
Ajouter la colonne Cycles/itération et une colonne Nombre d’itérations
donne le log2 de l’effort de travail attendu/mesuré81
Nombre d’itérations
Challenge ` Cycles/itération (log2) Attendu (log2)
32 17 23.70 38.58
34 19 24.32 39.16
36 19 24.36 40.18
38 19 24.35 42.09
40 19 24.38 43.16
42 20 25.05 45.06
44 19 24.42 46.08
46 19 24.54 47.02
48 19 24.75 48.88
50 19 24.75 49.90
52 19 24.75 50.92
54 20 25.36 52.80
56 20 25.25 53.83
58 19 25.09 54.75
60 19 25.04 55.71
62 20 25.24 56.79
64 20 25.48 58.58
68 20 25.41 60.66
72 20 25.47 62.63
76 20 25.43 64.60
80 20 25.92 66.39
84 21 26.42 69.35
88 21 26.43 71.33
92 20 25.92 72.34
96 20 26.09 74.32
100 20 26.02 76.25
104 20 26.01 77.27
108 20 25.91 79.23
112 20 25.86 80.25
128 20 25.77 80.27
136 21 26.94 82.81
144 22 27.44 85.75
152 22 27.58 88.66
160 21 27.16 90.65
168 22 27.64 93.58
176 22 27.59 96.58
184 21 27.38 98.55
192 22 27.83 101.45
Table 13.2 – Estimation de l’effort de travail à fournir pour résoudre les
challenges restants. Ajouter la colonne Cycles/itération et la colonne Nombre
d’itérations donne le log2 de l’effort de travail attendu82 CHAPITRE 13. CHALLENGES WILD MCELIECE14 | Attaque d’un schéma de
chiffrement basé sur des
codes convolutifs
Les travaux présentés dans ce chapitre ont fait l’objet d’une publication
lors de la conférence PQCrypto 2013 [44].
14.1 Introduction
Löndahl et Johansson ont proposé en 2012 [47] une variante du cryptosystème
de McEliece remplaçant les codes de Goppa par des codes convolutifs.
Cette modification se veut rendre les attaques structurelle plus difficiles
puisque la matrice génératrice publique de ce schéma contient de grandes
parties générées entièrement aléatoirement. Deux schémas sont proposés,
l’un consiste à étendre un code de Goppa en y ajoutant la matrice génératrice
d’un code convolutif évolutif. Nous montrons ici que ce schéma peut
être attaqué en recherchant des mots de code de poids faible dans le code
public du schéma et en les utilisant pour démêler la partie convolutive de la
partie Goppa. Il ne reste ensuite qu’à casser la partie Goppa de ce schéma,
ce qui peut être fait en moins d’un jour de calcul.
La proposition d’utiliser des codes convolutifs émise dans [47] s’insère
dans le fil de recherche présenté section 1.3.2 visant à proposer des alternatives
aux codes de Goppa dans le système de McEliece. La nouveauté inté-
ressante de ce schéma est le fait que la clé secrète est composée de grandes
parties générées complètement aléatoirement, dépourvues donc de structure
algébrique contrairement aux codes de Reed–Solomon, les codes algébriques
géométriques, les codes de Goppa ou les codes de Reed–Muller.
Dans [47], deux schémas sont proposés. Le premier envisage un système
ou la clé secrète est simplement la matrice génératrice d’un code convolutif
tail-biting évolutif. Des paramètres supposés rendre le schéma résistant aux
attaques de complexité temporelle 2
80 opérations élémentaires et permettant
une complexité de décodage raisonnable y sont suggérés. L’inconvénient de
cette construction est que la complexité du décodage augmente exponentiel-
8384 CHAPITRE 14. ATTAQUE D’UN MCELIECE CONVOLUTIF
lement avec le niveau de sécurité souhaité. Les auteurs donnent cependant
un deuxième schéma qui, lui, passe à l’échelle et qui est construit en partant
d’un code de Goppa et en l’étendant en y adjoignant la matrice génératrice
d’un code convolutif évolutif.
Nous étudions la sécurité de ce second schéma. La proposition plaide que
la structure convolutive du code ne peut être retrouvée de par la suffisamment
grande distance minimale du code dual. Cependant, nous montrons
ici que cette défense supplémentaire peut être attaquée en recherchant des
mots de code de poids faible dans le code public du schéma. En utilisant
une procédure de filtrage adaptée de ces mots de code, nous parvenons à
démêler la partie convolutive de la partie Goppa de la matrice publique.
L’élément principal qui permet à cette attaque de fonctionner est le phé-
nomène suivant : le code public de ce schéma contient des sous-codes de
support bien plus petit que celui du code public alors que leurs rendements
restent proches de celui du code public. Le support de ces mots peut être facilement
trouvé par des algorithmes de recherche de mots de poids faible. Il
est intéressant de remarquer que le schéma de signature KKS [39] a été cassé
par cette même approche [58]. Le support de ces sous-codes révélant la structure
convolutive, il suffit de poinçonner le code public pour ne conserver que
la partie Goppa. Après cela, déchiffrer un message chiffré devient possible
vis-à-vis des paramètres données dans [47], car ceux-ci sont suffisamment
faibles pour que les algorithmes génériques de décodage de codes linéaires
fonctionnent en temps raisonnable. En effet, dans ce contexte, l’attaque ne
nécessite que quelques heures de calcul. Il semble possible de modifier les
paramètres du schéma pour éviter ce genre d’attaque. Afin de donner un
aperçu du nouveau niveau de sécurité de ce schéma, une version améliorée de
cette attaque est décrite et sa complexité est analysée dans la section 14.5.1.
Celle-ci suggère que le schéma pourrait être réparé en le paramétrant de
manière plus conservatrice. Quelques indications sur la manière de procéder
sont donnée section 14.5.3.
14.2 Un schéma de McEliece basé sur des codes
convolutifs
Le schéma peut se résumer de la façon suivante :
Clé secrète :
– Gsec une matrice génératrice k × n construite par blocs telle que
montré figure 14.1 ;
– P une matrice de permutation n × n ;
– S une matrice aléatoire inversible k × k sur F2.
Clé publique : Gpub
def = SGsecP .
Chiffrement : Le chiffré c ∈ F
n
2 d’un texte clair m ∈ F
k
2
est obtenu14.3. DESCRIPTION DE L’ATTAQUE 85
en tirant aléatoirement e dans F
n
2 de poids t et en calculant c
def =
mGpub + e.
Déchiffrement : Il consiste en les étapes suivantes :
1. Calculer c
0 def = cP −1 = mSGsec + eP −1
et utiliser l’algorithme
de décodage du code de matrice génératrice Gsec pour retrouver
mS partant de c
0
;
2. Multiplier le résultat du décodage par S
−1 pour retrouver m.
Ce qui permet à ce schéma de fonctionner est le fait que si t est correctement
choisi alors la partie Goppa du mot peut être décodé avec grande
probabilité, ce qui permet au décodeur séquentiel du code convolutif évolutif
de décoder les erreurs restantes. Nous dénoterons désormais par Cpub le code
de matrice génératrice Gpub et par Csec le code de matrice génératrice Gsec.
0
GB
Gij
0
b
b
b
b
c c
c
mb
Gsec =
Lb
kB
nB
Partie Goppa
Lc
Partie convolutive Partie aléatoire
Figure 14.1 – La matrice génératrice secrète. Les zones non-blanches indiquent
les éléments non-nuls de la matrice. GB est une matrice génératrice
d’un code de Goppa binaire de longueur nB et de dimension kB. À cette
matrice est concaténée la matrice génératrice d’un code convolutif évolutif
transformant b bits d’information en c bits de donnée (les blocs Gij sont
donc de taille b × c) ainsi que c colonnes aléatoires. La dimension du code
final est donc k
def = kB + Lb et sa longueur est n
def = nB + (L + 1)c où L est
la taille de la fenêtre de temps sur laquelle s’étend le codage convolutif.
14.3 Description de l’attaque
Le but de cette section est d’expliquer l’idée sous-jacente de l’attaque qui
est une attaque de récupération de message tirant parti d’une récupération86 CHAPITRE 14. ATTAQUE D’UN MCELIECE CONVOLUTIF
partielle de la clé. L’attaque est divisée en deux parties. La première consiste
en une récupération partielle de la clé visant à retrouver quelles positions
du chiffré correspondent à la partie convolutive du code. La deuxième partie
consiste en une attaque de récupération de message tirant parti du fait
que si la partie convolutive est révélée, alors un attaquant peut, avec forte
probabilité, déchiffrer un message s’il est capable de décoder un mot de code
linéaire de longueur nB bruité en moins de tB
def = t
nB
n
positions (il s’agit du
nombre moyen d’erreur que la partie Goppa doit décoder).
14.3.1 Démêler la structure convolutive
Les auteurs de [47] ont choisi les paramètres de leur schéma de telle
sorte qu’il soit difficile de trouver des mots de poids faible dans le code
dual du code public Cpub. L’article plaide que la seule distinction entre le
code public et un code aléatoire est la présence de la structure convolutive
en terme d’équation de parité de poids faible. Par exemple, les paramètres
(n, k, c, b, t) = (1800, 1200, 30, 20, 45) sont proposés et les auteurs proposent
d’écarter les codes ayant des équations de parité de poids inférieur à 125
lors de la construction. Cependant, le fait que la structure de Cpub mène
de façon naturelle à des mots de poids faible dans le code lui-même n’est
pas pris en compte. En effet, le nombre de mots de codes de poids inférieur
ou égal à c est très grand (≈ 2
b−1
). Cela provient du fait que le sous-code
généré par les c dernières lignes de Gsec (et permuté par P ) a un support
de taille 2c et une dimension b. Par conséquence, tout algorithme cherchant
des mots de poids inférieur à c devrait trouver les mots de ce sous-code. Le
support de ces mots révèle les 2c dernières positions de G. En poinçonnant
ces colonnes, nous obtenons un code contenant un sous-code de dimension b
et de support de taille c, généré par les pénultièmes lignes de Gsec. On peut
donc répéter le processus précédent mais en cherchant cette fois des mots
de poids inférieur à c/2 pour révéler les c colonnes du bloc précédent. En
d’autres termes, nous récupérons un premier sous-code de dimension b et
ayant pour support les 2c dernières positions de Csec. Puis nous récupérons
un deuxième sous-code de dimension b ayant pour support les 3c dernières
positions de Csec et ainsi de suite jusqu’à obtenir, en échangeant les colonnes
appropriées, la matrice génératrice G0 d’un code équivalent à Cpub qui aurait
la forme présentée figure 14.2.
Plus formellement, l’algorithme 13 permet de retrouver une matrice gé-
nératrice d’un tel code.
Nous supposons ici que :
– la fonction MatriceGénératriceCodePoinçonné prend en entrée
un code C de longueur n et un ensemble ordonné de positions L,
sous-ensemble de J1, nK, et retourne une matrice génératrice du code
C poinçonné en les positions appartenant ) L;14.3. DESCRIPTION DE L’ATTAQUE 87
0
GB
b
b
b
b
2c
c
G0 =
Lb
kB
nB
Partie Goppa
Lc + c
Partie convolutive+aléatoire
Figure 14.2 – La matrice génératrice d’un code équivalent obtenu par notre
approche. G0
B est la matrice génératrice d’un code de Goppa équivalent au
code de matrice génératrice GB.
– ChoisirW est une fonction ajustant le poids des mots recherchés en
fonction de l’itération (ce paramétrage est détaillé section 14.4) ;
– Support(C ) retourne le support (ordonné) du code C
– l’opérateur || est l’opérateur de concaténation de listes ;
– la fonction PoidsFaible prend en entrée un code C et un poids w.
Elle retourne une matrice génératrice d’un sous-code de C obtenu
en cherchant des mots de code de poids inférieur ou égaux à w. Un
certain nombre de mots de code de poids ≤ w sont produits et les
positions impliquées dans au moins t mots de codes sont placés dans
une liste L (ou t est un seuil dépendant de w, de la longueur n et de la
dimension k du code, ainsi que du nombre de mots de codes produits
par l’appel précédent à cette fonction). Cela signifie que la position
i est sélectionnée dès qu’au moins t éléments c dans C pour lesquels
ci = 1 (voir algorithme 14).
– la fonction MatriceGénératriceÉtendue prend en entrée une matrice
génératrice d’un code C
0
, un ensemble ordonné de position L et
un code C tels que C
0
est le résultat du poinçonnage de C en les
positions appartenant à L. Elle retourne une matrice génératrice de
C
00, sous-code permuté de C dont les positions sont réordonnées de
telle façon que les premières positions correspondent au code C
0
et
les autres positions à la liste ordonnée L. Ce code C
00 correspond aux
mots du code C
0 qui sont étendues comme étant des mots du code C
sur les position appartenant à L d’une façon linéaire arbitraire.88 CHAPITRE 14. ATTAQUE D’UN MCELIECE CONVOLUTIF
Algorithme 13 Un algorithme pour trouver G0
.
Entrée :
La matrice génératrice publique Gpub.
Sortie :
Une matrice génératrice G0 d’un code équivalent à Cpub ayant la forme
présentée fig. 14.2.
Fonction ConstruireCodeÉquivalent(Gpub)
L ← []
Pour i = L, . . . , 1
G ← MatriceGénératriceCodePoinçonné(Cpub,L)
G ← PoidsFaible(G, w)
w ← ChoisirW(i)
Gi ← MatriceGénératriceÉtendue(G,L, Cpub)
L ← Support(G)||L
G ← MatriceGénératriceCodePoinçonné(Cpub,L)
G0 ← MatriceGénératriceÉtendue(G,L, Cpub)
G0
est la concaténation des lignes de G0, G1, . . . , GL.
Retourner G0
14.3.2 Décoder les messages
Si nous sommes capables de décoder le code généré par la matrice G0
B,
alors les algorithmes standard de décodage de code convolutifs pourront
décoder les (L + 1)c dernières positions. Soit G0
B la matrice génératrice
d’un code équivalent au code de Goppa secret choisi pour le schéma spécifié
figure 14.2. Un tel code peut être décoder par des algorithmes de décodage de
code linéaires génériques (présentés partie II). Ces algorithmes fonctionnent
en temps raisonnable vis-à-vis des paramètres proposés dans [47].
14.4 Mise en œuvre de l’attaque pour les paramètres
proposés
Nous avons appliqué l’attaque sur les paramètres proposés dans [47].
Ceux-ci sont reporté dans le tableau 14.1.
Table 14.1 – Paramètres pour le deuxième schéma proposés dans [47].
n nB k kB b c L m t (nombre d’erreurs)
1800 1020 1160 660 20 30 25 12 45
Ajuster correctement le paramètre w de la fonction PoidsFaible est la14.4. MISE EN ŒUVRE DE L’ATTAQUE 89
Algorithme 14 La fonction PoidsFaible
Entrée :
Une matrice G de taille k × n génératrice d’un code C ,
un entier w.
Sortie :
une matrice G0
génératrice d’un sous-code de C obtenu à partir des supports
d’un sous-ensemble de mots de C de poids ≤ w.
Fonction PoidsFaible(G, w)
C ← RechercheMotsPoidsFaible(G, w)
Initialiser un tableau tab de taille n à zéro
t ← Seuil(w, n, k, |C |)
Pour tout c ∈ C
Pour i ∈ [1..n]
Si ci = 1
tab[i] ← tab[i] + 1
L ← []
Pour i ∈ [1..n]
Si tab[i] ≥ t
L ← L||{i}
G0 ← CodeRaccourci(G,L)
Retourner G0
.
Commentaires :
RechercheMotsPoidsFaible(G, w) produit un ensemble de combinaisons
linéaire de ligne de G de poids ≤ w
CodeRaccourci(G,L) produit une matrice génératrice du sous-code de
C formé des mots de C dont les coordonnées hors de L sont nulles.
clé permettant de trouver les 60 dernières positions du code. Si w est choisi
trop grand, les mots retrouvés ne permettent pas de discriminer comme
souhaité les dernières positions du code. Par exemple, la figure 14.3 donne
les fréquences des positions impliqués dans les supports des mots de codes de
poids inférieur à 22 trouvés par l’algorithme de Dumer [26] (voir partie II)
On peut voir sur cette figure que ces fréquences discriminent les 90 dernières
positions du code et non les 60 désirées. Par contre, choisir w = 18
discrimine correctement ces positions, comme montré figure 14.4.
La figure 14.4 a été produite à partir de 3900 mots de code générés en une
heure et trente minutes par le programme présenté chapitre 12 sur un Intel
Xeon W3550 (3 GHz). La récupération d’un message, consistant à décoder
une moyenne de 25.5 erreurs dans un code de dimension 660 et de longueur
1020, a une complexité en temps ≈ 2
42. Celle-ci peut être exécutée par ce
même programme sur cette même machine en 6.5 heures en moyenne.90 CHAPITRE 14. ATTAQUE D’UN MCELIECE CONVOLUTIF
1600 1650 1700 1750 1800 Frequency
Column index
Figure 14.3 – Les fréquences des positions du code impliquées dans le support
des mots de codes de poids ≤ 22 générés par l’algorithme de Dumer.
14.5 Analyse de la sécurité du schéma
14.5.1 Une attaque améliorée
Le but de cette section est de donner une analyse brute de la sécurité
du schéma. Nous n’analyserons pas l’attaque détaillée section 14.3 puisque,
même si elle suffit à casser le deuxième schéma proposé dans [47], elle n’est
pas la plus efficace. Nous donnerons un aperçu d’une meilleure attaque ainsi
qu’une ébauche d’analyse. Le problème fondamental du schéma est l’existante
d’un sous-code C de Cpub de support très restreint (de taille 2c ici), à
savoir le code généré par les b dernière lignes de G permuté par la matrice de
permutation secrète P . Par exemple, il existe ≈ 2
b−1 mots de code c de poids
inférieur à c qui peuvent être trouvé par un algorithme de recherche de mots
de poids faible et qui révèlent le support de C . C’est là l’idée sous-jacente
de notre attaque. Cependant, il existe d’autres sous-codes de support plutôt
restreint qui donnent des mots de code de poids faible, à savoir les codes
Cs générés par les s × b dernières lignes de G pour s allant de 2 à L. Le
support de Cs est de taille (s + 1)c. On peut remarquer que leur rendement
s’approche du rendement 2
3
(qui est plus ou moins le rendement du code
final) lorsque s augmente. Ce phénomène aide les algorithmes de recherche14.5. ANALYSE DE LA SÉCURITÉ DU SCHÉMA 91
1600 1650 1700 1750 1800 Frequency
Column index
Figure 14.4 – Les fréquences des positions du code impliquées dans le support
des mots de codes de poids ≤ 18 générés par l’algorithme de Dumer.
de mots de petit poids.
Une amélioration de notre attaque consiste à utiliser un algorithme de
recherche de mots de code de poids faible pour trouver l’un des mots de Cs
puis d’utiliser ce mot pour amorcer la recherche du support entier de Cs.
Cela correspond à l’idée de l’attaque du schéma de signature KKS expliquée
par l’algorithme 2 de la section 4.4 de [58]. Cette approche utilise le mot de
code trouvé c pour trouver de nouveaux mots appartenant au même souscode
de support restreint en imposant à l’algorithme de recherche de mot
de petit poids le choix un ensemble d’information sans intersection avec le
support de c La complexité de l’attaque est donc dominée par le coût de
la recherche d’un seul mot de code de C , lorsqu’il est possible d’identifier
efficacement les candidats (en vérifiant leur poids ici). Remarquons qu’il
est vraisemblable que C soit le sous-code C de dimension b ayant le plus
petit support. Cela est précisément la notion retranscrite par le poids de
Hamming généralisé d’un code [72], wi étant défini comme la taille du plus
petit support d’un sous-code de dimension i. En d’autres termes, w1 est la
distance minimale du code et dans notre cas il est vraisemblable que wb = 2c
(et plus généralement wsb = (s + 1)c pour s = 1..L). Exprimé différemment,
le problème qui devrait être difficile est le suivant
Problem 1. Trouver l’un des sous-codes de dimension s × b dont la taille92 CHAPITRE 14. ATTAQUE D’UN MCELIECE CONVOLUTIF
du support est le s × b-ième poids de Hamming généralisé de Cpub.
Nous allons maintenant nous concentrer sur l’approche suivante pour
résoudre ce problème. Considérons un algorithme recherchant des mots de
poids faible dans un code de dimension k tel que ceux présentés dans la partie
II. Nous exécutons un tel algorithme et nous intéressons à la complexité
de retrouver un mot appartenant à C . Cette approche est celle qui a permis
de casser avec succès le schéma KKS [58] et qui est le candidat naturel pour
casser le schéma proposé dans [47].
Pour analyser un tel algorithme, nous utiliserons les hypothèses simpli-
ficatrices suivantes :
– Le coût de vérification d’un des ensembles d’information I est de
l’ordre de O
L +
L 2
2
l
où L =
q
k+l
p
. Nous négligeons ici le coût de
mise sous forme systématique de la matrice de parité et ne considérons
pas les améliorations récentes [49, 8]. Cette approximation est faite à
des fins de simplicité.
– Dénotons par k
0
la dimension du sous-code C , par n
0
la taille de son
support J . Nous supposons que le code résultant du poinçonnage de
C en toutes les positions n’appartenant pas à J se comporte comme
un code aléatoire de dimension k
0
et de longueur n
0
.
La complexité d’un tel algorithme est donnée par la proposition suivante.
Proposition 1. Soit
– f(x) la fonction définie sur les nombres réels positifs par f(x)
def
=
max
x(1 − x/2), 1 −
1
x
;
– π(s)
def
=
(
n
0
s
)( n−n
0
k+l−s
)
(
n
k+l
)
;
– λ(s)
def
=
s
p
2
k
0−s
;
– C(k, l, p)
def
= L +
L 2
2
l où L
def
=
q
k+l
p
;
– Π
def
=
Pn
0
s=1 π(s)f(λ(s)).
Le coût de la recherche d’un mot de poids faible appartenant à C est alors
de l’ordre de
O
C(k, l, p)
Π
.
14.5.2 Preuve de la proposition 1
Notre premier outil est une borne inférieure sur la probabilité qu’a un
ensemble donné X ⊆ F
n
2
ait une intersection non-nulle avec un code linéaire
aléatoire Crand de dimension k et de longueur n tiré uniformément.
Ce lemme donne une borne inférieure fine même lorsque X est très grand
et quand il existe un grand écart entre les quantités prob(X ∩Crand 6= ∅) =
prob(∪x∈X{x ∈ Crand}) et P
x∈X prob(x ∈ Crand).14.5. ANALYSE DE LA SÉCURITÉ DU SCHÉMA 93
Lemme 2. Soit X un sous-ensemble de F
n
2 de taille m et f la fonction
définie par f(x)
def
= max
x(1 − x/2), 1 −
1
x
. Si l’on nomme x la quantité
m
2n−k
, alors
prob(X ∩ Crand 6= ∅) ≥ f(x).
Ce lemme est donné et prouvé dans [58].
Terminons désormais la preuve de la proposition 1. Dénotons J le support
de C :
J
def = supp(C ).
Commençons par calculer le nombre attendu d’ensemble I qu’il faut
prendre en compte avant de trouver un élément de C . Un tel évènement se
produit précisément lorsque il y a un mot non-nul dans C dont la restriction
à I ∩ J est de poids p. Soit CI∩J la restriction des mots de C aux positions
appartenant à I ∩ J , c’est-à-dire
CI∩J
def = {(ci)i∈I∩J : (ci)1≤i≤n ∈ C }.
Soit X l’ensemble des mots binaires non-nuls de support I ∩ J et de
poids p. Dénotons W la taille de I ∩ J . La probabilité qu’a W d’être égal à
s est précisément
CI∩J
def = {(ci)i∈I∩J : (ci)1≤i≤n ∈ C }.
La probabilité Π qu’a le choix d’un certain I de donner, parmi les mots
de codes examinés par l’algorithme, un mot de C peut s’exprimer
Π =
nX0
s=1
prob(W = s)prob(X ∩ CI∩J 6= ∅)
≥
nX0
s=1
π(s)f(λ(s))
14.5.3 Réparer le schéma
Une réparation possible consiste à augmenter la taille de la partie aléatoire
(correspondant ici aux c dernières colonnes de G). Plutôt que de
prendre cette taille égale à c comme suggéré dans [47], sa taille peut être
augmentée afin de contrecarrer l’algorithme décrit section 14.5.1. Notons r
le nombre de colonnes aléatoires ajoutées à la fin de la partie convolutive
de Gsec. Si l’on choisit r = 140, alors l’attaque susmentionnée est capable94 CHAPITRE 14. ATTAQUE D’UN MCELIECE CONVOLUTIF
de retourner un élément de C (le sous-code permuté correspondant aux b
dernières lignes de Gsec) en ≈ 2
80 opérations. Comme précédemment, notons
Cs le sous-code permuté de Cpub généré par les s×b dernières lignes de
Gsec. Nous pouvons utiliser l’analyse précédente pour estimer la complexité
de l’obtention d’un élément de Cs par l’algorithme précédent. Les résultats
sont réunis dans le tableau 14.2.
Table 14.2 – Complexité d’obtention d’au moins un élément de Cs par
l’algorithme décrit section 14.5.1
s 1 5 10 15 20 21 22 25
complexité (bits) 80.4 72.1 65.1 61.0 59.4 59.3 59.4 59.8
Ce tableau montre que, dans ce cas, la menace principale ne vient pas de
la recherche de mot de poids faible provenant de C1, mais des mots de poids
modéré provenant de C20. Les mots de C20 ont un poids moyen de r+20c
2 =
370. Conserver tous les candidats de poids inférieur à cette quantité lors de
l’exécution de l’algorithme décrit section 14.5.1 permet vraisemblablement
de filtrer la vaste majorité des mauvais candidats et de conserver avec forte
probabilité les éléments de C20. De tels candidats peuvent être utilisés tel que
décrit section 14.5.1 pour vérifier si ils appartiennent ou non à un sous-code
de grande dimension et de support restreint.
Il existe une façon simple d’expliquer ce phénomène. Il faut remarquer
que le rendement de C vaut b
c+r
, ce qui est bien plus faible que le rendement
du schéma global qui est proche de b
c
. Cependant, lorsque s augmente, le
rendement de Cs s’approche de b
c
, puisque son rendement est sb
sc+r =
b
c+r/s .
Supposons un instant que le rendement de Cs soit b
c
. Dans ce cas, mettre
Gpub sous forme systématique (ce qui revient à utiliser l’algorithme précé-
dent avec p = 1 et l = 0) va vraisemblablement révéler une grande partie
du support de Cs puisqu’il suffit d’examiner le support des lignes ayant un
poids proche de sc+r
2
(ce phénomène a déjà été observé dans [59]). Cela peut
s’expliquer de la façon suivante. Choisissons I de taille k, la dimension de
Cpub, comme ensemble d’information de Cpub. Alors, puisque le rendement
de Cs est égal à celui de Cpub, la taille de I ∩ J (où J est le support de Cs)
a de bonnes chances d’être inférieure ou égale à la dimension de Cs. Cela
implique qu’il est possible d’obtenir des mots de Cs en choisissant n’importe
quel ensemble d’information I de poids 1 non nul sur I ∩J (et donc de poids
1 ici). Plus généralement, même si I ∩ J est légèrement plus grand que la
dimension de Cs nous espérons être capables d’obtenir des mots de Cs dès
que p est plus grand que la distance de Gilbert-Varshamov de la restriction
C
0
s de Cs à I ∩ J , car il y a dans ce cas de bonne chance que ce code poin-
çonné ait des mots de poids p. Cette distance de Gilbert-Varshamov sera14.5. ANALYSE DE LA SÉCURITÉ DU SCHÉMA 95
petite dans ce cas, car le rendement de Cs est très proche de 1 (on s’attend
à ce qu’elle vaille dim(Cs)
|I∩J | ).
Quoi qu’il en soit, il est clair qu’il est possible de paramétrer le schéma
(en particulier en augmentant r) de telle façon que les algorithmes de recherche
de mots de poids faible soient incapables de trouver les sous-codes Cs
avec une complexité inférieure à un certain seuil. Cependant, tous ces codes
doivent être pris en compte. De plus, les attaques sur le code dual doivent
également être reconsidérée ; [47] ne considère que les attaques sur le dual
cherchant des mots de code de poids faible, mais il est évident que la technique
utilisé pour trouver les sous-codes Cs fonctionne également sur le code
dual. Qui plus est, même si par construction la restriction de C = C1 à son
support devrait se comporter comme un code aléatoire, cela n’est plus vrai
pour Cs avec s supérieur à un, à cause de la structure convolutive. L’analyse
esquissée section 14.5.1 devrait être adaptée légèrement pour ce cas et
devrait prendre en compte les améliorations récentes dans le domaine des
algorithmes de recherche de mots de poids faible [49, 8]. Pour finir, le choix
des paramètres nécessite également une étude soigneuse de la probabilité
d’échec du décodage séquentiel.96 CHAPITRE 14. ATTAQUE D’UN MCELIECE CONVOLUTIFBibliographie
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M´ethodes de reconstruction tridimensionnelle int´egrant
des points cycliques : application au suivi d’une cam´era
Lilian Calvet
To cite this version:
Lilian Calvet. M´ethodes de reconstruction tridimensionnelle int´egrant des points cycliques
: application au suivi d’une cam´era. Computer Vision and Pattern Recognition. Institut
National Polytechnique de Toulouse - INPT, 2014. French.
HAL Id: tel-00981191
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Submitted on 4 Jun 2014
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En vue de l’obtention du
DOCTORAT DE L’UNIVERSITE DE TOULOUSE ´
D´elivr´e par : l’Universit´e Toulouse 3 Paul Sabatier (UT3 Paul Sabatier)
Pr´esent´ee et soutenue le 23/01/2014 par :
Lilian CALVET
Méthodes de reconstruction tridimensionnelle intégrant des points
cycliques : application au suivi d’une caméra
JURY
Peter STURM Directeur de Recherche,
INRIA Rhône-Alpes
Pr´esident du Jury
Richard HARTLEY Professeur, Australian
National University
Rapporteur
Adrien BARTOLI Professeur, Université
d’Auvergne
Rapporteur
David FOFI Professeur, Université de
Bourgogne
Examinateur
Vincent CHARVILLAT Professeur,
INPT/ENSEEIHT
Examinateur
Pierre GURDJOS Ingénieur de recherche
CNRS, INPT/ENSEEIHT
Examinateur
Ecole ´ doctorale et sp´ecialit´e :
MITT : Image, Information, Hypermedia
Unit´e de Recherche :
Institut de Recherche en Informatique de Toulouse (UMR 5505)
Directeur(s) de Th`ese :
Vincent Charvillat, Professeur, INPT/ENSEEIHT et
Pierre Gurdjos, Ingénieur de recherche CNRS, INPT/ENSEEIHT
Rapporteurs :
Adrien Bartoli, Professeur, Université d’Auvergne et
Richard Hartley, Professeur, Australian National UniversityÀ mes parents.Remerciements
Je remercie tout d’abord Vincent Charvillat pour m’avoir offert l’opportunité de réaliser cette
thèse au sein de son équipe. Je remercie la région Midi-Pyrénées et la communauté de communes
de Saint-Laurent-de-Neste pour avoir financé ces travaux. Je souhaite également remercier l’agence
nationale de la recherche pour le soutien dont a pu bénéficier le laboratoire durant le projet
ANR-ROM.
Je remercie mes encadrants Pierre Gurdjos et Vincent Charvillat pour le soutien dont ils ont
fait preuve tout au long de cette thèse. C’est avec grand plaisir que j’ai bénéficié de leurs qualités
prédagogiques, scientifiques et humaines qui m’ont permises de mener à bien ces travaux de
recherche. Un immense merci à Pierre qui m’a guidé tout au long de cette thèse avec beaucoup
d’enthousiasme. Je tiens à le remercier pour sa disponibilité, les nombreuses discussions que nous
avons eues, son partage de connaissances et sa rigueur scientifique.
Je remercie Adrien Bartoli et Richard Hartley pour avoir accepté d’évaluer mon manuscrit,
pour leurs remarques à la fois critiques et constructives. Je tiens également à remercier David Fofi
et Peter Sturm pour l’intérêt qu’ils ont porté à ce travail en acceptant d’en être les examinateurs.
Je remercie les membres permanents : Simone Gasparini et Jean-Denis Durou (surnommé
« Maître Capello ») pour leurs précieuses relectures, Sylvie Chambon et Géraldine Morin pour
leur soutien. Je remercie Sylvie Eichen et Sylvie Armengaud pour leur support lors des missions
et dossiers administratifs. Je remercie l’ensemble des membres de l’équipe pour la bonne humeur
apportée au laboratoire : Jean-Denis D. pour ses immanquables pauses café, ses « disciples » Yvain
Q., Bastien D., Benjamin R. et Nicolas B., mes collègues de bureau Axel C., Rabih A. et Florent
B. avec qui j’ai partagé de très bons moments, Pauline J., Viorica P., Benoît B. et Jérome G.
Je tiens à remercier mes amis pour leur soutien et leurs encouragements : Marco K., Olive P.,
Mickou G., José P., Olive C., Fifou SBS., Mathieu B., Guillaume B., Nath B., Philou M., Marie
M., Bastien C., Brice F., Margot L., Cyril D. et mes chers amis Salvetois.
Je souhaite enfin exprimer ma gratitude envers mes proches qui m’ont toujours encouragé,
Monique et Louis, ma soeur Amandine, et une extrême reconnaissance envers mes parents pour
m’avoir donné les moyens de réaliser mes études. Enfin, mes plus profonds remerciements vont à
ma compagne Maeva pour sa patience, sa compréhension et son soutien.7
Résumé
Cette thèse traite de la reconstruction tridimensionnelle d’une scène rigide à partir d’une collection
de photographies numériques, dites vues. Le problème traité est connu sous le nom du «
calcul de la structure et du mouvement » (structure-and/from-motion) qui consiste à « expliquer »
des trajectoires de points dits d’intérêt au sein de la collection de vues par un certain mouvement de
l’appareil (dont sa trajectoire) et des caractéristiques géométriques tridimensionnelles de la scène.
Dans ce travail, nous proposons les fondements théoriques pour étendre certaines méthodes de calcul
de la structure et du mouvement afin d’intégrer comme données d’entrée, des points d’intérêt
réels et des points d’intérêt complexes, et plus précisément des images de points cycliques. Pour
tout plan projectif, les points cycliques forment une paire de points complexes conjugués qui, par
leur invariance par les similitudes planes, munissent le plan projectif d’une structure euclidienne.
Nous introduisons la notion de marqueurs cycliques qui sont des marqueurs plans permettant de
calculer sans ambiguïté les images des points cycliques de leur plan de support dans toute vue.
Une propriété de ces marqueurs, en plus d’être très « riches » en information euclidienne, est que
leurs images peuvent être appariées même si les marqueurs sont disposés arbitrairement sur des
plans parallèles, grâce à l’invariance des points cycliques. Nous montrons comment utiliser cette
propriété dans le calcul projectif de la structure et du mouvement via une technique matricielle
de réduction de rang, dite de factorisation, de la matrice des données correspondant aux images
de points réels, complexes et/ou cycliques. Un sous-problème critique abordé dans le calcul de la
structure et du mouvement est celui de l’auto-calibrage de l’appareil, problème consistant à transformer
un calcul projectif en un calcul euclidien. Nous expliquons comment utiliser l’information
euclidienne fournie par les images des points cycliques dans l’algorithme d’auto-calibrage opérant
dans l’espace projectif dual et fondé sur des équations linéaires. L’ensemble de ces contributions
est finalement utilisé pour une application de suivi automatique de caméra utilisant des marqueurs
formés par des couronnes concentriques (appelés C2Tags), où il s’agit de calculer le mouvement
tridimensionnel de la caméra dans la scène à partir d’une séquence vidéo. Ce type d’application est
généralement utilisé dans l’industrie du cinéma ou de la télévision afin de produire des effets spé-
ciaux. Le suivi de caméra proposé dans ce travail a été conçu pour proposer le meilleur compromis
possible entre flexibilité d’utilisation et précision des résultats obtenus.89
Abstract
The thesis deals with the problem of 3D reconstruction of a rigid scene from a collection
of views acquired by a digital camera. The problem addressed, referred as the Structure-fromMotion
(SfM) problem, consists in computing the camera motion (including its trajectory) and the
3D characteristics of the scene based on 2D trajectories of imaged features through the collection.
We propose theoretical foundations to extend some SfM paradigms in order to integrate real as
well as complex imaged features as input data, and more especially imaged circular points. Circular
points of a projective plane consist in a complex conjugate point-pair which is fixed under
plane similarity ; thus endowing the plane with an Euclidean structure. We introduce the notion of
circular markers which are planar markers that allows to compute, without any ambiguity, imaged
circular points of their supporting plane in all views. Aside from providing a very “rich” euclidean
information, such features can be matched even if they are arbitrarily positioned on parallel planes
thanks to their invariance under plane similarity ; thus increasing their visibility compared to natural
features. We show how to benefit from this geometric property in solving the projective SfM
problem via a rank-reduction technique, referred to as projective factorization, of the matrix whose
entries are images of real, complex and/or circular features. One of the critical issues in such a
SfM paradigm is the self-calibration problem, which consists in updating a projective reconstruction
into an euclidean one. We explain how to use the euclidean information provided by imaged
circular points in the self-calibration algorithm operating in the dual projective space and relying
on linear equations. All these contributions are finally used in an automatic camera tracking application
relying on markers made up of concentric circles (called C2Tags). The problem consists in
computing the 3D camera motion based on a video sequence. This kind of application is generally
used in the cinema or TV industry to create special effects. The camera tracking proposed in this
work in designed in order to provide the best compromise between flexibility of use and accuracy.10TABLE DES MATIÈRES 11
Table des matières
1 Introduction 21
2 Notations et rappels géométriques 25
2.1 Question de notations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
2.2 Rappels de géométrie projective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
2.2.1 L’espace projectif et son dual . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
2.2.2 Quadriques projectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
2.2.2.1 Conjugaison et polarité relatives à une quadrique . . . . . . . . 29
2.2.2.2 Tangence à une quadrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.2.3 Quadriques projectives duales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.2.4 Quadriques dégénérées des espaces projectifs de dimensions deux et trois 30
2.2.4.1 Enveloppes des quadriques dégénérées lorsque n ∈ {2, 3} . . . 31
2.2.5 Transformation d’une quadrique projective . . . . . . . . . . . . . . . . 31
2.2.6 Signature d’une quadrique projective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
2.2.7 Stratifications projectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2.2.7.1 Structure affine d’un espace projectif. Hyperplan à l’infini. . . 33
2.2.7.2 Structure affine euclidienne de l’espace projectif tridimensionnel.
Conique absolue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
3 Calcul de la structure et du mouvement par factorisation projective incorporant des
points cycliques 35
3.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
3.2 Calcul de la structure et du mouvement à partir de marqueurs cycliques . . . . . 38
3.2.1 Marqueurs cycliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
3.2.2 Marqueurs cycliques appariés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
3.3 État de l’art . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
3.4 Complexification de l’espace projectif réel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
3.4.1 Pourquoi et comment complexifier un espace projectif réel ? . . . . . . . 45
3.4.2 La paire de points cycliques d’un plan projectif . . . . . . . . . . . . . . 46
3.5 Le problème de la factorisation de points complexes . . . . . . . . . . . . . . . . 4812 TABLE DES MATIÈRES
3.5.1 Les données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
3.5.2 Le problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
3.5.3 Mise à l’échelle des blocs de la matrice des données . . . . . . . . . . . 51
3.5.3.1 Les grandes lignes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
3.5.3.2 Généralisation de la mise à l’échelle d’une donnée réelle à une
donnée complexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
3.5.4 Réduction du rang de la matrice des données . . . . . . . . . . . . . . . 52
3.6 Premier cas d’usage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
3.6.1 Factorisation d’images de K > 1 points cycliques . . . . . . . . . . . . 53
3.6.1.1 Équation de mise à l’échelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
3.6.1.2 Résolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
3.6.1.3 Prédiction des blocs manquants de la matrice des données . . . 56
3.6.1.4 Heuristique de sélection de vues . . . . . . . . . . . . . . . . 57
3.6.2 Reconstruction euclidienne post-factorisation de la structure et du mouvement
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
3.7 Deuxième cas d’usage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
3.7.1 Factorisation d’images de points naturels et de points cycliques . . . . . 60
3.7.1.1 Équations de mise à l’échelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
3.7.1.2 Résolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
3.7.1.3 Algorithme de prédiction des blocs manquants de la matrice des
données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
3.7.1.4 Heuristique de sélection de vues . . . . . . . . . . . . . . . . 67
3.7.2 Reconstruction euclidienne post-factorisation de la structure et du mouvement
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
3.8 Résultats expérimentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
3.8.1 Résultats du premier cas d’usage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
3.8.2 Résultats du deuxième cas d’usage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
3.9 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
4 Rectification euclidienne d’une reconstruction projective 73
4.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
4.1.1 Notre problème spécifique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
4.2 État de l’art . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
4.3 Autocalibrage dans l’espace projectif dual . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
4.3.1 Formulation linéaire de [Pollefeys 1999] . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
4.3.1.1 Les équations de base . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
4.3.1.2 Résolution avec contrainte de signature (3, 0) a posteriori . . . 80
4.3.2 Formation linéaire étendue intégrant une paire de points cycliques . . . . 81
4.3.2.1 Points cycliques et contraintes d’autocalibrage . . . . . . . . . 81
4.3.2.2 Les équations du problème intégrant une paire de points cycliques 82
4.3.3 Équations de base revisitées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85TABLE DES MATIÈRES 13
4.3.3.1 Algorithme d’autocalibrage unifié . . . . . . . . . . . . . . . . 86
4.4 Résultats expérimentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
4.4.1 Résultats sur données synthétiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
4.4.2 Résultats sur données réelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
4.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
5 Le système de marqueurs C2Tags 97
5.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
5.2 État de l’art . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
5.2.1 Marqueurs 0D . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
5.2.2 Marqueurs 2D . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
5.2.3 Les codes-barres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
5.3 Le problème et ses motivations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
5.4 La solution proposée : le motif C2Tag . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
5.4.1 Un marqueur circulaire « idéal » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
5.4.2 Le C2Tag, support des équipotentielles du motif « idéal » . . . . . . . . 110
5.4.3 Aperçu du système de détection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
5.4.4 Détection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
5.4.4.1 Système de vote pour l’ellipse interne . . . . . . . . . . . . . . 114
5.4.4.2 Regroupement des candidats en segments de contour de l’ellipse
interne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
5.4.4.3 Estimation initiale de l’ellipse externe . . . . . . . . . . . . . 118
5.4.5 Optimisation de l’image du centre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
5.4.6 Identification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
5.5 Résultats expérimentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
5.5.1 Résultats sur données de synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
5.5.1.1 Étude de validité de l’approximation des lignes de champ . . . 129
5.5.1.2 Résultats de l’algorithme de détection . . . . . . . . . . . . . 130
5.5.2 Résultats sur données réelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
5.6 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
5.6.1 Calcul de la circonférence de l’ellipse dans l’image de contours . . . . . 135
6 Application au suivi de caméra 139
6.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
6.1.1 Contexte - le projet ANR ROM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
6.1.2 État de l’art . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
6.1.3 Notre problème spécifique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
6.1.4 Notations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
6.1.5 Formulation du problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
6.2 Suivi de caméra hors ligne basé sur les C2Tags . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
6.2.1 Suivi de caméra à partir de deux C2Tags coplanaires . . . . . . . . . . . 14914 TABLE DES MATIÈRES
6.2.2 Suivi de caméra à partir de N ≥ 2 C
2Tags . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
6.2.2.1 Suivi à partir des vues-clés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
6.2.2.2 Suivi à partir des vues intermédiaires par resection . . . . . . . 155
6.3 Suivi de caméra en ligne basé sur une base de connaissances 3D . . . . . . . . . 157
6.4 Ajustement de faisceaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
6.4.1 Formulation générale du problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
6.4.2 Paramétrage 3D euclidien minimal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
6.4.2.1 Paramétrage d’un C2Tag . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
6.4.2.2 Paramétrage de deux C2Tags coplanaires . . . . . . . . . . . . 161
6.4.3 Paramétrage 3D projectif minimal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
6.5 Résultats expérimentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
6.5.1 Résultats sur données de synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
6.5.2 Résultats sur données réelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
6.6 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
7 Conclusion 171TABLE DES FIGURES 15
Table des figures
1.1 Effets spéciaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
3.1 Exemples de marqueurs plans. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
3.2 Restriction de la projection centrale à un plan de la scène . . . . . . . . . . . . . 37
3.3 Apport d’un suivi de marqueurs cycliques appariés . . . . . . . . . . . . . . . . 43
3.4 Erreur 3D fournie par la méthode de factorisation projective des images de paires
de points cycliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
3.5 Résultats sur données réelles du calcul de la structure et du mouvement reposant
sur la factorisation de points cycliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
3.6 Résultats sur données réelles du calcul de la structure et du mouvement reposant
sur la factorisation de points cycliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
3.7 Résultats sur données réelles du calcul de la structure et du mouvement reposant
sur la factorisation de points naturels et de des points cycliques . . . . . . . . . . 71
4.1 Résultats sur des données réelles de l’utilisation des images des paires de points
cycliques pour la calcul de la structure et du mouvement . . . . . . . . . . . . . 77
4.2 Les droites, rétroprojections des images des points cycliques, sont tangentes à la
conique absolue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
4.3 Preuve de la proposition 29 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
4.4 Interprétation géométrique des équations pour l’autocalibrage intégrant les points
cycliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
4.5 Erreur 3D fournie par la méthode proposée utilisant les contraintes liées aux images
des points cycliques pour la factorisation projective et pour l’autocalibrage . 91
4.6 Reconstructions denses basées sur des séquences d’images calibrées via la paradigme
de reconstruction proposé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
4.7 Reconstruction dense basée sur une séquence d’images calibrées via une méthode
de reconstruction incrémentale initialisée avec la reconstruction euclidienne
fournie par la méthode proposée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
5.1 Chaîne de traitement de l’ARToolkit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10116 TABLE DES FIGURES
5.2 RUNE-Tag . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
5.3 Codes-barres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
5.4 Un cercle et son centre encode naturellement les points cycliques . . . . . . . . . 104
5.5 Image de vote fournie par la motif M . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
5.6 Motif M . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
5.7 Champ du gradient du motif I(M). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
5.8 C2Tag . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
5.9 Vote le long des lignes de champ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
5.10 Diagramme de flux du système de détection des C2Tags . . . . . . . . . . . . . . 113
5.11 Pyramide d’images . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
5.12 Procédure de vote pour l’ellipse interne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
5.13 Segmentation de contour convexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
5.14 Loi de conservation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
5.15 Exemples du protocole de vote sur images réelles . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
5.16 Un résultat de la procédure de vote . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
5.17 Expansion d’ellipse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
5.18 Optimisation de l’image du centre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
5.19 Sélection des coupes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
5.20 Fonctions d’identifications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
5.21 Exemples d’identifications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
5.22 Étude de validité de l’approximation des lignes de champ . . . . . . . . . . . . . 129
5.23 Exemples d’images de synthèse pour l’évaluation de l’algorithme de détection . . 131
5.24 Résultats fournis par l’algorithme de détection appliqué à des images de synthèse 132
5.25 Calcul du périmètre d’une ellipse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
5.26 Quelques résultats de l’algorithme de détection sur images réelles (1) . . . . . . . 136
5.27 Quelques résultats de l’algorithme de détection sur images réelles (2) . . . . . . . 137
6.1 Diagramme de flux de la méthode de suivi de caméra proposée . . . . . . . . . . 142
6.2 Paradigme du suivi de caméra à partir d’un dispositif de deux C2Tags coplanaires 150
6.3 La relation pôle-polaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
6.4 Un cercle 3D dans l’espace projectif dual . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
6.5 Scène composée de deux C2Tags coplanaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
6.6 Erreur 3D issue de l’estimation linéaire de la pose de la caméra à partir de l’image
de deux C2Tags . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
6.7 Résultats de simulation pour l’ajustement de faisceaux d’un dispositif de deux
C
2Tags coplanaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
6.8 Résultats de simulation pour l’ajustement de faisceaux d’un dispositif de deux
C
2Tags coplanaires avec une initialisation peu précise . . . . . . . . . . . . . . . 165
6.9 Résultats sur une séquence vidéo réelle du suivi de caméra à partir de deux C2Tags
coplanaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
6.10 Sélection de vues-clés pour un suivi de caméra à partir de deux C2Tags coplanaires 167TABLE DES FIGURES 17
6.11 Photographies utilisées comme données d’entrée de l’algorithme de reconstruction
3D des C2Tags pour la constitution de la base de connaissances 3D . . . . . . . . 168
6.12 Résultats à partir d’images réelles d’un suivi de caméra reposant sur la factorisation
intégrant des points cycliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16918 TABLE DES FIGURESLISTE DES TABLEAUX 19
Liste des tableaux
3.1 Algorithme de mise à l’échelle des images des points cycliques . . . . . . . . . . 57
3.2 Calcul des images des points cycliques manquantes . . . . . . . . . . . . . . . . 58
3.3 Algorithme de mise à l’échelle des images d’une paire de points cycliques en
présence de points naturels. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
3.4 Algorithme du calcul de l’image d’une paire de points cycliques manquante en
présence de points naturels. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
4.1 Algorithme d’autocalibrage unifié basé sur les images des points cycliques . . . . 88
4.2 Médianes des erreurs sur la distance focale en faisant varier le nombre de vues . . 90
4.3 Informations relatives aux séquences vidéo réelles . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
5.1 Algorithme de vote . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
5.2 Algorithme d’expansion d’ellipse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
5.3 Dimensions moyennes des demi-axes des ellipses externes des images synthétisées
des marqueurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
5.4 Analyse du taux de faux positifs de l’algorithme de détection . . . . . . . . . . . 132
5.5 Least Median of Squares . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13420 LISTE DES TABLEAUX21
Chapitre 1
Introduction
La vision par ordinateur (ou vision par calculateur) est une discipline relativement récente
qui trouve ses racines dans la photogrammétrie, dont un des objectifs était au début des années
soixante « d’obtenir des mesures précises et fiables, à partir de photographies » [Slama 1980]. Il
est communément admis de dire que la vision par ordinateur est la discipline qui étudie les bases
théoriques et algorithmiques grâce auxquelles de l’information quantitative ou qualitative sur une
scène peut être inférée à partir de photographies prises selon des points de vue différents. Au
croisement de l’informatique et des mathématiques appliquées, l’ensemble des tâches qui en dé-
coulent est disparate, mais on peut le scinder au moins en deux catégories. On peut distinguer les
problèmes géométriques des problèmes photométriques, ces derniers étant des problèmes énergé-
tiques où l’énergie mise en jeu est la lumière. Ces tâches opèrent sur les trois entités dont la mise
en présence permet de prendre une photographie, à savoir : la scène, les sources lumineuses et
l’appareil photographique, appelé de façon générique « caméra », lui-même composé d’un objectif
et d’un boîtier muni d’un récepteur photosensible. Ces problèmes sont soit à inconnues continues
soit à inconnues discrètes et, généralement, concernent l’estimation de paramètres continus liés à
un modèle.
Le problème traité dans cette thèse est celui connu sous le nom du « calcul de la structure
et du mouvement » (Structure-and-Motion) qui consiste à « expliquer » des « trajectoires » de
primitives appariées dans un ensemble de photographies par un certain mouvement de l’appareil
(dont sa trajectoire) et des caractéristiques géométriques de la scène photographiée relativement à
une certaine représentation tridimensionnelle de l’espace projectif associée à la scène.
Contexte et enjeux. Dans le cadre de cette thèse, les enjeux liés à la résolution du problème sont
à considérer dans le cadre d’une application de suivi de caméra (les termes anglophones consacrés
sont camera tracking ou matchmoving) dont l’objectif est de calculer le mouvement de l’appareil
dans un certain référenciel de la scène à partir d’une séquence vidéo. Le calcul de la structure de
la scène est dans ce cas secondaire, et peut se limiter au strict minimum permettant un repérage
tridimensionnel. Cette application est en général utilisée dans les phases de post-production audiovisuelle
pour la création d’effets spéciaux, dont le but est d’incruster de façon réaliste les images22 Chapitre 1. INTRODUCTION
d’objets 3D virtuels dans une photographie existante en respectant les paramètres géométriques et
photométriques de l’appareil (cf. figure 1.1). On parle de réalité augmentée lorsque cette opération
doit être effectuée en temps réel. Bien que les ordinateurs permettent aujourd’hui de produire des
images dont la qualité et le réalisme rivalisent avec celles que produisent nos appareils photos et
nos caméras, combiner les deux de manière cohérente et imperceptible est loin d’être simple et
constitue une des tâches de la vision par ordinateur. Ce réalisme ne peut être obtenue que si le
mouvement de l’appareil est précisément calculé afin de garantir que l’objet incrusté soit correctement
positionné dans les images réelles. Les autres tâches de la vision par ordinateur pour ce
problème sont l’augmentation du degré d’automatisme et du degré de flexibilité lié à la diversité
des scènes filmées et/ou des mouvements de la caméra.
FIGURE 1.1: Exemple d’utilisation du suivi de caméra dans la chaîne de traitement pour la réalisation d’effets
spéciaux.
Calcul de la structure et du mouvement. Nous supposons disposer d’une séquence de photographies,
aussi appelées vues, produites par un appareil non calibré d’un point de vue géométrique,
c.-à-d. dont les paramètres internes sont inconnus. Ce calibrage pourrait être obtenu à partir d’un
traitement hors ligne nécessitant l’utilisation d’un équipement spécial, précédant le lancement de
l’application proprement dite. Cependant, dans notre contexte, nous n’envisageons pas d’étape
préalable et nous souhaitons proposer une solution automatique ne nécessitant pas d’avoir accès
à la caméra. Les données d’entrée pour le calcul de la structure et du mouvement sont des
correspondances de primitives image, c.-à-d. les images d’une même primitive 3D. Le paradigme
général reposant sur l’analyse d’une collection d’images non calibrées se compose des trois étapes
principales suivantes :
– extraction et mise en correspondance des primitives image ;
– calcul d’une reconstruction projective de la structure et du mouvement ;
– rectification de la reconstruction projective obtenue en une reconstruction euclidienne.
Bien qu’un très grand nombre de travaux aient été proposés sur le sujet, il n’en reste pas moins
que ces méthodes présentent des limitations inhérentes au problème, telles que :
i. le possible manque de texture de l’environnement ou la présence de motifs répétitifs qui rendent
très difficile les tâches d’extraction et de mise en correspondance des primitives images ;
ii. les singularités de la géométrie de la scène et/ou du mouvement de la caméra pour le calcul
projectif de la structure et du mouvement et pour sa mise à jour euclidienne.23
Dans ce manuscrit, nous tentons de répondre au mieux à ces limitations à travers la conception
d’un système de marqueurs, dont le principe consiste à disposer dans la scène des objets artificiels
de modèle 3D connus, ceci dans l’optique de proposer une solution de suivi de caméra présentant
le meilleur compromis entre flexibilité et performances. Ainsi, lors de la conception de ce système,
les questions qui ce sont naturellement posées sont les suivantes :
– De quelles caractéristiques géométriques doit disposer le marqueur pour rendre son image
facilement détectable et identifiable afin de répondre au mieux aux problèmes (i) ?
– Quelle information géométrique de référence pour le calcul de la structure et du mouvement
doit fournir l’image d’un marqueur afin de répondre au mieux aux problèmes (ii) ?
Lignes directrices. Nous souhaitons résoudre le problème du calcul de la structure et du mouvement
en utilisant simultanément toutes les correspondances dans toutes les vues, c.-à-d. toutes
les contraintes garantissant la rigidité de la scène. Ceci est exactement ce qui fait l’objet des mé-
thodes de reconstruction par factorisation. Dans cette thèse, nous nous sommes ainsi intéressés
aux méthodes de factorisation en proposant des extensions de certains paradigmes « classiques »
du calcul de la structure et du mouvement à partir de données d’entrée intégrant points d’intérêt
réels et points d’intérêt virtuels, c.-à-d. les images de points situés sur une conique virtuelle. Cette
approche est motivée par l’utilisation de ces extensions aux points cycliques, points virtuels dont
les images sont en général utilisées par les méthodes de « calibrage plan », c.-à-d. les méthodes de
calibrage interne de la caméra à partir d’homographies induites par des primitives planes. En effet,
les propriétés géométriques de ces primitives images présentent un grand intérêt pour le calcul de
la structure et du mouvement reposant sur une factorisation projective à travers la notion de marqueur
cyclique. Ce type de marqueur à la propriété d’être invariant par les déplacements parallèles
à son plan de support. Ainsi, l’intérêt majeur d’une telle primitive est une mise en correspondance
très flexible qui va nous permettre de pallier à un des problèmes critiques des méthodes de calcul
de la structure et du mouvement par factorisation, à savoir le problème des données manquantes,
c.-à-d. lorsque les primitives ne sont pas visibles dans toutes les vues.
Un des sous-problèmes critiques abordé dans le calcul de la structure et du mouvement est
celui de l’autocalibrage de la caméra, problème consistant à transformer un calcul projectif de
la structure et du mouvement en un calcul euclidien. Nous expliquons comment, dans le cas des
points cycliques, utiliser l’information euclidienne fournie par les images de ces points d’intérêt
virtuels, très « riches » en information euclidienne, dans l’algorithme d’autocalibrage opérant dans
l’espace projectif dual et fondé sur des équations linéaires.
Dans notre cas, ces points d’intérêt virtuels sont en relation directe avec la notion de C2Tags
qui sont des marqueurs plans formés d’un ensemble de couronnes circulaires concentriques. Nous
montrons en quoi ce type de marqueur comporte des propriétés intrinsèques « idéales » pour sa
détection, son suivi et le calcul des images des points cycliques de son plan de support.
Organisation du manuscrit. Dans cette introduction, nous avons donné les idées générales sur
le sujet étudié dans ce manuscrit.
Dans le chapitre 3, nous proposons des extensions du calcul de la structure et du mouvement24 Chapitre 1. INTRODUCTION
reposant sur un schéma de factorisation à partir de données d’entrée intégrant des points d’intérêt
virtuels. Nous motivons notre approche via l’utilisation des images des points cycliques et fournissons
l’intégralité du paradigme du calcul de la structure et du mouvement reposant sur de telles
primitives image.
Dans le chapitre 4, nous traitons du problème de l’autocalibrage en proposant, d’une part, de
nouvelles contraintes 3D linéaires reposant sur les images des points cycliques pour le problème
de l’autocalibrage et, d’autre part, un algorithme d’autocalibrage unifié opérant dans l’espace 3D
projectif dual.
Dans le chapitre 5, nous présentons le système de marqueurs C2Tags ainsi que ses algorithmes
de traitement, à savoir les algorithmes de détection et d’identification de leurs images.
Enfin, dans le chapitre 6, l’ensemble de ces contributions est mis au profit d’une méthode de
suivi automatique de caméra.25
Chapitre 2
Notations et rappels géométriques
Dans ce chapitre, nous présentons les notations
employées dans cette thèse, à savoir
les représentations des différentes entités
géométriques mises en jeu ainsi que la plupart des
opérateurs utilisés. Quelques rappels de géométrie
projective sont également fournis.26 Chapitre 2. NOTATIONS ET RAPPELS GÉOMÉTRIQUES
2.1 Question de notations
Dans cette thèse, nous essaierons de distinguer le plus souvent possible les entités géométriques
de leur représentation algébrique. Pour éviter une trop grande lourdeur d’écriture, nous nous autoriserons
parfois à faire de telles confusions, si elles n’introduisent aucune ambiguïté dans le
texte. Par exemple, dans le chapitre 3, aucune différence n’est faite entre un point et son vecteur
de coordonnées ni entre une quadrique/conique et sa matrice de coefficients.
– Un vecteur est représenté par un caractère gras, par exemple v, et une matrice par un caractère
sans empattement (de typologie sans serif), par exemple M. La composante j du
vecteur v sera notée vj et l’élément (j, k) de la matrice M sera noté Mjk.
– Le vecteur nul de taille s est désigné par 0s et la matrice nulle de dimension r × c —aussi
notée (r, c)— est désignée par 0r×c ou 0s dans le cas d’une matrice carrée d’ordre s. La
matrice identité d’ordre s est représentée par Is.
– Les angles sont représentés par des caractères grecs minuscules, en général φ, θ, ψ, etc.
– Le caractère i est réservé à l’entité complexe telle que i
2 = −1.
– L’opérateur diag est utilisé pour désigner les matrices diagonales tel que diag(v) représente
la matrice diagonale dont les éléments diagonaux sont les composantes du vecteur v.
– Le signe ∧ représente l’opérateur du produit vectoriel et [e]∧ la matrice anti-symétrique
associée au vecteur e = (e1 e2 e3)
> tel que e ∧ x = [e]∧x. La matrice [e]∧ s’écrit
[e]∧ =
0 −e3 e2
e3 0 −e1
−e2 e1 0
(2.1)
– La valeur det(A) représente le déterminant de la matrice A.
– L’opérateur > désigne l’opérateur de transposition (matrice ou vecteur) et −> l’opérateur de
transposition de l’inverse d’une matrice (régulière).
– La notation v/p représente le vecteur v privé de sa p-ème composante.
– L’opérateur ⊗ représente le produit de Kronecker.
– L’opération de vectorisation par colonne d’une matrice est notée vec. Par exemple, si l’on
définit la matrice
A =
h
c1 . . . cc
i
alors
vec(A) =
c1
.
.
.
cc
.
– Afin de procéder à la vectorisation des éléments uniques d’une matrice symétrique, nous
utiliserons l’opérateur de semi-vectorisation par colonne, noté vech. Pour une matrice symétrique2.2 RAPPELS DE GÉOMÉTRIE PROJECTIVE 27
A d’ordre n, on a :
A11
.
.
. A21
.
.
.
.
.
. · · · A(n−1)(n−1)
An1 An2 · · · An(n−1) Ann
| {z }
A
vech
7−→
A11
.
.
.
An1
A21
.
.
.
An2
.
.
.
A(n−1)(n−1)
An(n−1)
Ann
| {z }
vech(A)
où vech(A) désigne le vecteur colonne de taille n(n + 1)/2 obtenu par vectorisation de la
partie triangulaire inférieure de A.
– Nous désignons par matrice de duplication Pn l’unique matrice de dimension n
2 × n(n +
1)/2 qui associe vech(A) à vec(A) telle que
vec(A) = Pn vech(A). (2.2)
– L’évaluation de certains algorithmes présentés dans ce manuscrit est faite via l’expression
de la racine carrée de l’erreur quadratique moyenne
REQM =
s
1
n
X
j
(ˆx
(k)
j − xj )
2 (2.3)
avec n le nombre de paramètres estimés, xˆ
(k)
j
le j
ème paramètre, calculé à l’itération k
lorsqu’il s’agit d’algorithmes d’optimisation itératifs, et xj le paramètre exact associé.
2.2 Rappels de géométrie projective
Il est indéniable que c’est grâce à l’apport de la géométrie projective que la vision par ordinateur
a atteint une maturité qui a permis la conception d’algorithmes fiables et performants
permettant de résoudre ses principales tâches, notamment celles de la reconstruction 3D. Le but
des prochaines sections n’est pas de donner un cours complet sur la géométrie projective et la vision
par ordinateur mais de définir certaines bases utilisées par la suite. De nombreux ouvrages très
complets existent déjà et pour disposer d’informations complémentaires, nous invitons le lecteur
à se reporter aux ouvrages [Semple 1952, Hartley 2004b].28 Chapitre 2. NOTATIONS ET RAPPELS GÉOMÉTRIQUES
2.2.1 L’espace projectif et son dual
L’espace projectif. Soit Kn+1 un espace vectoriel de dimension n + 1. Soit la relation d’équivalence
∼ définie sur Kn+1\{0n+1} par
∀X, Y ∈ Kn+1\{0n+1} X ∼ Y ⇔ ∃λ ∈ K\{0} | X = λY.
Dans ce qui suit, la relation d’équivalence ∼ est appelée égalité projective et sera généralisée aux
matrices.
On définit l’application P qui à tout vecteur de Kn+1\{0n+1} lui associe sa classe d’équivalence
modulo l’égalité projective ∼. L’ensemble P(Kn+1\{0n+1}), c’est-à-dire l’ensemble quotient
de Kn+1\{0} suivant ∼, est appelé espace projectif déduit de Kn+1 et est noté Pn(K). Par
définition,
dim(Pn(K)) = dim(K
n+1) − 1 = n.
Pour tout X ∈ Kn+1\{0n+1}, l’élément P(X) est appelé point projectif de Pn(K) et s’identi-
fie à la droite vectorielle de Kn+1\{0} de vecteur directeur X. Ainsi il est usuel de dire que Pn(K)
est l’ensemble des droites vectorielles de Kn+1 auquel on aurait soustrait le vecteur 0n+1. Tout
sous-espace vectoriel F ⊂ Kn+1\{0n+1} de dimension r + 1 engendre un sous-espace projectif
P(F) ⊂ Pn(K) de dimension r.
Dual d’un espace projectif. Le dual de l’espace projectif Pn(K) est un espace projectif de
même dimension, noté P
∗
n
(K). La dualité vient de la relation bijective existant entre tout espace
vectoriel et son dual : à tout point projectif de ce nouvel espace est associé un hyperplan de
Pn(K), de même qu’à tout hyperplan de P
∗
n
(K) est associé un point projectif de Pn(K). Un hyperplan
de Pn(K) est donc un « point » de P
∗
n
(K) et peut être ainsi représenté par un vecteur
h ∈ Kn+1\{0n+1}. Il s’ensuit que les points de Pn(K), de vecteur X ∈ Kn+1\{0n+1}, appartenant
à cet hyperplan vérifient :
h
>X = 0.
2.2.2 Quadriques projectives
Définition 1 (Quadrique projective) Toute forme quadratique Q non nulle sur Kn+1 définit une
quadrique projective Q˜ de Pn(K) qui est l’ensemble des points de Pn(K), appelé lieu de la
quadrique, dont les vecteurs X ∈ Kn+1 satisfont l’équation Q(X) = 0.
La matrice non nulle, symétrique et d’ordre n + 1
Q =
Q1,1
1
2Q1,2 · · ·
1
2Q1,n+1
1
2Q1,2 Q2,2 · · ·
1
2Q2,n+1
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
1
2Q1,n+1
1
2Q2,n+1 · · · Qn+1,n+1
2.2 RAPPELS DE GÉOMÉTRIE PROJECTIVE 29
associée à la forme quadratique
Q(X) =
nX
+1
i=1
nX
+1
j=i
Qi,jxixj = X>QX
définit une quadrique projective Q˜ dont le lieu a pour équation
X>QX = 0.
On appelle matrice de la quadrique Q˜ toute matrice (non nulle, symétrique et d’ordre n + 1)
proportionnelle à Q.
2.2.2.1 Conjugaison et polarité relatives à une quadrique
Deux points X˜ et Y˜ , de vecteurs X et Y, sont conjugués relativement à une quadrique Q˜ de
matrice Q si et seulement si
X>QY = 0.
L’ensemble des points conjugués à X˜, relativement à Q˜ est un hyperplan U˜ dont le vecteur U
est donné par
U ∼ QX. (2.4)
Définition 2 L’hyperplan U˜, de vecteur (2.4), formé par l’ensemble des points conjugués à un
point X˜, relativement à Q˜, est appelé hyperplan polaire de X˜, et le point X˜ est appelé pôle de U˜.
2.2.2.2 Tangence à une quadrique
Soit Q˜ une quadrique et soient X˜ et Y˜ deux points, non situés sur Q˜. Soient A˜ et B˜ les deux
points où la droite passant par X˜ et Y˜ intersecte Q˜. Si A˜ et B˜ coïncident en un même point, alors
la droite est dite droite tangente à la quadrique Q˜ en ce point, et celui-ci est dit point de contact.
On notera les points suivants :
– Le point de contact de la droite tangente à la quadrique Q˜ passant par deux points X˜ et Y , ˜
non situés sur Q˜, est conjugué à X˜ et Y˜ , relativement à Q˜.
– Pour X˜ (ou Y˜ ) fixé, l’ensemble des points de contact, relatif aux droites passant par X˜ (ou
Y˜ ) qui sont tangentes à la quadrique Q˜, est inclus dans le plan polaire de X˜ (ou Y˜ ).
Si A˜ appartient au lieu de la quadrique, alors l’ensemble des droites tangentes à Q˜ au point
A˜ forme un hyperplan. Ainsi, l’hyperplan formé par l’ensemble des droites tangentes à Q˜ en un
point de contact est appelé hyperplan tangent à la quadrique Q˜ en ce point.
2.2.3 Quadriques projectives duales
Définition 3 Toute forme quadratique Q∗ non nulle sur (Kn+1)
∗définit une quadrique projective
Q˜∗ de P
∗
n
(K), dite quadrique projective duale, qui est l’ensemble des hyperplans de Pn(K),
appelé enveloppe de la quadrique, dont les vecteurs U satisfont l’équation Q∗
(U) = 0.30 Chapitre 2. NOTATIONS ET RAPPELS GÉOMÉTRIQUES
La matrice non nulle, symétrique et d’ordre n + 1
Q
∗ =
Q∗
1,1
1
2Q∗
1,2
· · ·
1
2Q∗
1,n+1
1
2Q∗
1,2 Q∗
2,2
· · ·
1
2Q∗
2,n+1
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
1
2Q∗
1,n+1
1
2Q∗
2,n+1 · · · Q∗
n+1,n+1
,
associée à la forme quadratique sur (Kn+1)
∗
Q
∗
(U) =
nX
+1
i=1
nX
+1
j=i
Q
∗
i,juiuj = U>Q
∗U.
définit une quadrique projective Q˜ dont l’enveloppe a pour équation
U>Q
∗U = 0.
On appelle matrice de la quadrique de Q˜∗
toute matrice (non nulle, symétrique et d’ordre n + 1)
proportionnelle à Q∗
.
Si Q˜ est une quadrique de Pn(K), dont la matrice Q est de rang plein, alors l’ensemble des
hyperplans tangents à Q˜ définit l’enveloppe d’une quadrique projective Q˜∗ de P
∗
n
(K) dont la
matrice Q∗ vérifie
Q
∗ ∼ Q
−1
. (2.5)
Ainsi, puisqu’on identifie les hyperplans de Pn(K) aux points de P
∗
n
(K), la quadrique Q∗ de
P
∗
n
(K) identifiée à Q est la quadrique projective de matrice (2.5) et, pour cette raison, est parfois
appelée quadrique duale de Q.
2.2.4 Quadriques dégénérées des espaces projectifs de dimensions deux et trois
Nous nous plaçons maintenant dans le cadre des espaces projectifs de dimensions deux et trois
même si les définitions 4 et 5 restent valides pour les espaces projectifs de toute dimension. Nous
restreindrons le cadre de notre travail aux formes quadratiques à coefficients dans K = R et ainsi
nous ne considérerons que les quadriques projectives de matrices réelles. Dans le cas général, une
quadrique a n(n+3)
2
degrés de liberté correspondant aux (n+1)(n+2)
2
éléments de sa matrice moins
le facteur constant non nul :
– si n = 2, les quadriques (qui sont alors appelées coniques) ont cinq degrés de liberté ;
– si n = 3, les quadriques ont neuf degrés de liberté.
Définition 4 On appelle rang d’une quadrique projective le rang de sa matrice associée. Une
quadrique de rang plein est dite quadrique propre.
Définition 5 Une quadrique projective dégénérée est une quadrique projective qui n’est pas de
rang plein, c.-à-d. une quadrique projective dont la matrice a un rang strictement inférieur à n+1
dans un espace projectif de dimension n.2.2 RAPPELS DE GÉOMÉTRIE PROJECTIVE 31
2.2.4.1 Enveloppes des quadriques dégénérées lorsque n ∈ {2, 3}
Nous nous restreignons à l’interprétation géométrique des quadriques dégénérées de P
∗
3
(K)
dans la proposition 6 ; celle-ci ne se déduit pas trivialement par dualité de l’interprétation géométrique
des quadriques dégénérées de P3(K).
Proposition 6
n = 3 et rang Q˜∗ = 3 : l’enveloppe d’une quadrique projective Q˜∗ de P
∗
3
(K) de rang 3 est
formée par l’ensemble des faisceaux de plans de P3(K) dont les axes sont des droites contenues
dans un plan p de P3(K) et tangentes à une quadrique non dégénérée A˜ de P3(K).
On dira que Q˜∗
est le « cône dual » d’une conique projective. Si p est le vecteur de p et si
A
∗
est la matrice de la quadrique duale A˜∗ alors la matrice Q de Q˜∗
, de rang 3, admet la
décomposition suivante :
Q
∗ ∼ (p
>A
∗p)A
∗ − (A
∗p)(A
∗p)
>.
n ∈ {2, 3} et rang Q˜∗ = 2 : l’enveloppe d’une quadrique projective Q˜∗ de P
∗
n
(K) de rang 2 est
formée par l’ensemble des droites de P
∗
n
(K) passant par au moins un point d’une paire de
points distincts de Pn(K). Si u et v sont les vecteurs de ces points, alors la matrice Q∗ de
Q˜∗
, de rang 2, admet la décomposition suivante :
Q
∗ ∼ uv>+vu>.
n ∈ {2, 3} et rang Q˜∗ = 1 : l’enveloppe d’une quadrique projective Q˜∗ de P
∗
n
(K) de rang 1 est
formée par un point de P
∗
n
(K). Si u est le vecteur de ce point alors la matrice Q∗ de Q˜∗
, de
rang 1, admet la décomposition suivante :
Q
∗ ∼ uu>.
2.2.5 Transformation d’une quadrique projective
Soit H la matrice d’une homographie quelconque H de l’espace projectif. La transformation
de toute quadrique projective de matrice Q par l’homographie H s’écrit
Q
0 ∼ H
−T QH−1
.
Dans l’espace projectif dual, la transformation par H de toute quadrique projective duale de
matrice Q∗
s’écrit
Q
∗0 ∼ HQ∗H
>.
2.2.6 Signature d’une quadrique projective
Nous appelonsinvariant projectif toute quantité qui reste inchangée quelle que soit la représentation
projective considérée de l’espace. L’unique invariant projectif des quadriques projectives à32 Chapitre 2. NOTATIONS ET RAPPELS GÉOMÉTRIQUES
coefficients dans C est le rang de leur matrice. Puisque nous ne considérons que les quadriques
à coefficients dans R, il est possible de définir un autre invariant projectif appelé signature de la
quadrique.
Définition 1 La signature d’une quadrique projective de matrice Q (respectivement Q∗
sous sa
forme duale) est défini par (ξ1, ξ2), où :
ξ1 = max(ρ, ν) et ξ2 = min(ρ, ν),
avec ρ et ν qui dénombrent respectivement les valeurs propres positives et les valeurs propres
négatives de Q (respectivement Q∗
).
Proposition 7 La signature d’une quadrique projective à coefficients dans R est projectivement
invariante.
La démonstration de cette proposition est immédiate à établir à partir de la signature d’une
forme quadratique et de la loi d’inertie de Sylvester [Golub 1996, p. 403]. On notera que
ξ1 + ξ2 = rank Q,
ce qui confirme que le rang de Q∗
est aussi invariant projectivement.
Définition 8 On appelle quadrique virtuelle toute quadrique projective de signature (ξ1, ξ2) =
(R, 0) où R désigne le rang de la quadrique, c’est-à-dire dont la matrice réelle de rang R à R
valeurs propres de même signe.
Il est facile de montrer qu’une quadrique virtuelle ne contient pas de points réels (représentés par
des vecteurs réels) mais uniquement des points complexes conjugués (représentés par des vecteurs
complexes conjugués).
Plus généralement, la signature définie précédemment permet d’établir la classification suivante
des quadriques projectives. Nous dirons que deux quadriques sont projectivement équivalentes
s’il existe une homographie transformant l’une en l’autre et vice-versa.
Pour les quadriques projectives Q et Q∗ de matrices réelles respectives Q et Q∗ = Q−1
, on a :
(ξ1, ξ2) =
(4, 0) : Q, Q∗ projectivement équivalentes à une sphère virtuelle
(3, 1) : Q, Q∗ projectivement équivalentes à une sphère réelle
(2, 2) : Q, Q∗ projectivement équivalentes à un hyperboloïde à une nappe
(2.6)
On peut remarquer qu’il n’existe pas d’homographie qui transforme une sphère (virtuelle ou non)
en un hyperboloïde à une nappe.
Pour les signatures d’une quadrique duale Q∗ de rang 3 on a :
(ξ1, ξ2) = (
(3, 0) : Q, Q∗ projectivement équivalentes à un cercle virtuel
(2, 1) : Q, Q∗ projectivement équivalentes à un cercle réel
(2.7)2.2 RAPPELS DE GÉOMÉTRIE PROJECTIVE 33
2.2.7 Stratifications projectives
2.2.7.1 Structure affine d’un espace projectif. Hyperplan à l’infini.
Hyperplan à l’infini. Si F désigne un hyperplan vectoriel de R
n+1, alors Pn(R)\P(F) possède
une structure d’espace affine de dimension n ; P(F) est alors appelé hyperplan à l’infini de Pn(R)
et est noté H∞. On dit que la donnée de l’hyperplan à l’infini munit l’espace projectif d’une
structure affine car on montre que Pn(R)\P(F) a de facto une structure affine.
Représentation affine. Une représentation affine de l’espace projectif correspond au choix d’un
système de coordonnées homogènes dans lequel l’hyperplan à l’infini est H∞ = P(Kn × {0})
c.-à-d. dont le vecteur s’écrit
H∞ = [0, ..., 0, 1]>
.
Une représentation affine de Pn(K) s’obtient par le plongement de l’espace affine Kn
associé à
lui-même dans l’espace projectif par la bijection de Kn
sur P(Kn × {1})
(x1, · · · , xn)
> ↔ P(x1, · · · , xn, 1)>.
De l’égalite P(Kn × {1}) = Pn(K) \ P(Kn × {0}), on en déduit que P(Kn × {1}) correspond
aux points de Pn(K) à l’exception de ceux contenus dans l’hyperplan projectif P(Kn × {0}) c.-
à-d. aux droites vectorielles de Kn+1 à l’exception de celles contenues dans l’hyperplan vectoriel
d’équation xn+1 = 0. Le plongement étant une bijection de Kn
sur P(Kn × {1}), nous concluons
que P(Kn × {1}) possède une structure d’espace affine de dimension n.
De plus,
– les points projectifs de P(Kn × {0}) sont dits points à l’infini et s’identifient aux droites
vectorielles de l’espace vectoriel Kn
, c.-à-d. aux directions des droites de l’espace affine
Kn
;
– les points projectifs de P(Kn × {1}) sont dits, par opposition, points finis, et s’identifient
aux points de l’espace affine Kn
.
2.2.7.2 Structure affine euclidienne de l’espace projectif tridimensionnel. Conique absolue.
Soit Pn(K) l’espace projectif de dimension n = 3 associé à une représentation affine, c.-
à-d. tel que l’ensemble de ses points finis soit P(Kn × {1}). La partie Kn × {1} de Kn+1 est
un hyperplan affine de Kn+1 que l’on peut munir d’une structure euclidienne en définissant le
produit scalaire via la relation de conjugaison par rapport à un certain cône Λ∞, ayant l’origine
pour sommet et circonscrit à une conique virtuelle Ω∞ de l’hyperplan à l’infini de signature (3, 0).
Dans toute représentation affine de Pn(K), la matrice du cône s’écrit
Λ∞ =
"
Ω∞ 0n
0
>
n 0
#
où Ω∞ est une matrice réelle d’ordre n et définie positive.34 Chapitre 2. NOTATIONS ET RAPPELS GÉOMÉTRIQUES
Le produit scalaire sur Kn
s’écrit alors :
hx, yiΩ∞ = (¯x
>, 1)Λ∞
¯y
1
!
= ¯x
>Ω∞y
où ¯x et ¯y sont les vecteurs de coordonnées cartésiennes de deux points finis de Pn(K).
Conique absolue. La conique Ω∞ est appelée conique absolue. Comme toute conique virtuelle,
elle ne contient aucun point réel, uniquement des points conjugués complexes. Le cercle absolu
est l’unique conique de l’espace projectif qui est invariant par les similitudes de l’espace affine
euclidien Pn(K)\P(H∞). On dira que la donnée de la conique absolue munit l’espace projectif
affine Pn(K) d’une structure euclidienne.
Représentation affine euclidienne. Une représentation affine euclidienne de l’espace projectif
est une représentation affine dans laquelle
Ω∞ = In
c.-à-d. dans laquelle la conique absolue est un cercle absolu de rayon √
−1.
Quadrique absolue duale. La conique absolue peut être définie dans l’espace projectif dual
comme l’enveloppe d’une quadrique duale virtuelle, dégénérée de rang 3, notée Q∗
∞. Cette enveloppe
est le cône dual à la conique absolue et est communément désignée par le terme quadrique
absolue duale. C’est l’unique quadrique duale qui est invariante par les similitudes de l’espace
projectif, c.-à-d. par des homographies dont les matrices sont de la forme
T =
"
sR t
0
>
n 1
#
où s est un scalaire non nul, R une matrice orthogonale (représentant une rotation si det R = 1) et
t un vecteur de translation. La matrice de Q∗
∞ a la forme canonique suivante :
Q
∗
∞ =
"
In 0n
0
>
n 0
#
pour toute représentation affine euclidienne de l’espace projectif et son rayon est √
−1.
L’invariance du cercle absolu par toute similitude de matrice T se traduit ici simplement par
l’égalité :
TQ∗
∞T
> ∼ Q
∗
∞.
Le fait que H∞ ∈ ker Q∗
∞ indique que Q∗
∞ « encode » simultanément les données de l’hyperplan
à l’infini et du cercle absolu.35
Chapitre 3
Calcul de la structure et du mouvement
par factorisation projective incorporant des
points cycliques
Dans ce chapitre, nous proposons d’utiliser les
images de points cycliques, points virtuels situés
sur la conique absolue, dans le calcul de la structure
et du mouvement. Nous commençons par
présenter les avantages liés à l’utilisation de telles
primitives pour ce problème en introduisant la notion
de marqueur cyclique. Nous montrons ensuite
comment intégrer les images de points complexes
dans un schéma de factorisation projective.
Une méthode de factorisation projective inté-
grant les images des points cycliques est présentée,
résolvant notamment les problèmes de mise
à l’échelle des entrées de la matrice des données
et de prédiction des données manquantes, et ceci,
avec ou sans la présence d’images de points « naturels
» réels.36
Chapitre 3. CALCUL DE LA STRUCTURE ET DU MOUVEMENT PAR FACTORISATION
PROJECTIVE INCORPORANT DES POINTS CYCLIQUES
3.1 Introduction
Le calcul de la structure et du mouvement fait ici référence au problème consistant à « expliquer
» un ensemble « suffisamment grand » d’images de K points dans V vues, représentées par
des vecteurs xvk ∈ R
3
, par une reconstruction tridimensionnelle des V caméras, représentées par
des matrices de projection Pv ∈ R
3×4
, et des K points, représentés par des vecteurs Xk ∈ R
4
,
conformément à l’équation de projection
xvk ∼ PvXk, (3.1)
où ∼ désigne l’égalité projective.
La spécialisation euclidienne de ce calcul consiste à obtenir une représentation euclidienne de
l’espace projectif tridimensionnel dans laquelle : (i) les matrices de projection sont de la forme
[Hartley 2004b, p. 156]
Pv = KvRv
h
I | −cv
i
(3.2)
où Kv désigne la matrice de calibrage [Hartley 2004b, p. 154], Rv désigne la matrice de rotation
et cv le vecteur de translation qui déterminent la « pose » de la caméra ; (ii) les vecteurs Xk ont
pour composantes les « coordonnées cartésiennes augmentées » des points.
Nous différencions ici les méthodes qui résolvent le problème du calcul de la structure et
du mouvement selon qu’elles considèrent comme données d’entrée des correspondances intervues
de points et/ou des matrices fondamentales et/ou des matrices d’homographies associées à
la restriction de la projection centrale à un plan de la scène. Le paradigme que nous proposons a
pour ambition d’unifier les méthodes de calcul de la structure et du mouvement à partir de données
contenant
– des images de primitives (planes) associées à des marqueurs plans [Bergamasco 2011,
Kim 2005, Fiala 2005, Poupyrev 2000], cf. figure 3.1,
– et/ou des correspondances inter-vues d’images de points « naturels », c.-à-d. les images de
primitives ponctuelles présentes naturellement dans la scène.
FIGURE 3.1: Exemples de marqueurs plans.
Ce paradigme repose sur un schéma de factorisation des images de points complexes.
Dans ce chapitre, nous appelons technique de factorisation toute technique de calcul fondée
sur la réduction du rang de la matrice par blocs obtenue par concaténation des représentations matricielles
de toutes les données, où la connaissance du rang théorique correspond à une contrainte
de résolution, exprimant par exemple une contrainte de rigidité liée à la scène. Les techniques3.1 INTRODUCTION 37
de factorisation présentent un grand intérêt car elles considèrent de manière uniforme l’ensemble
des données issues de toutes les vues. Le champ d’application de ces techniques est vaste et on
trouvera dans [Wang 2011] un grand nombre de problèmes de vision par ordinateur résolus par
factorisation. Les techniques de factorisation introduisent néanmoins des sous-problèmes délicats
à résoudre : il faut « mettre à l’échelle » les données et traiter le cas (très courant en pratique) de
celles manquantes, c.-à-d. lorsque les primitives ne sont pas visibles dans toutes les vues.
Calcul de la structure et du mouvement à partir de marqueurs plans. Les méthodes existantes
de calcul de la structure et du mouvement à partir de marqueurs plans, comme ceux de
[Fiala 2005, Poupyrev 2000], utilisent comme données principales les homographies du plan p de
support d’un marqueur dans le plan pixélique d’une vue v, dont les matrices sont décomposables
sous la forme
Hpv = KvR
>
v
w1
p
| w2
p
| qp − cv
(3.3)
où, relativement au repère orthonormé de la scène, le couple (Rv, cv) détermine la « pose » de
la caméra, conformément à l’équation générale de projection (3.2), et où
qp; w1
p
, w2
p
définit un
repère orthonormé bidimensionnel du plan p ; qp ∈ R
3
représente l’origine et
w1
p
, w2
p
∈ R
3×R
3
est la paire de vecteurs orthonormés associée à la direction du plan. La restriction de la projection
centrale au plan p est illustrée sur la figure 3.2.
FIGURE 3.2: Restriction de la projection centrale à un plan de la scène.
Ces méthodes ont pour clef de voûte le « calibrage plan » [Hartley 2004b, p. 211], c.-à-d. le
calibrage interne de la caméra à partir de ces homographies, dont les équations de base sont
(h
1
pv)
>ωvh
2
pv = 0 (3.4)
(h
1
pv)
>ωvh
1
pv − (h
2
pv)
>ωvh
2
pv = 0 (3.5)
où h
j
pv représente la colonne numéro j de Hpv. Le prérequis d’avoir comme données d’entrée les
matrices Hpv oblige à connaître exactement la géométrie du marqueur, par exemple à connaître les
coordonnées cartésiennes (x, y) de tout point du marqueur dans un repère orthonormé bidimen-
Typologies textuelles et partitions musicales :
dissimilarit´es, classification et autocorr´elation.
Christelle Cocco
To cite this version:
Christelle Cocco. Typologies textuelles et partitions musicales : dissimilarit´es, classification
et autocorr´elation.. Methods and statistics. Universit´e de Lausanne, 2014. French.
HAL Id: tel-01074904
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01074904
Submitted on 16 Oct 2014
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recherche fran¸cais ou ´etrangers, des laboratoires
publics ou priv´es.FACULTÉ DES LETTRES
SECTION DES SCIENCES DU LANGAGE ET DE L’INFORMATION
Typologies textuelles et partitions musicales :
dissimilarités, classification et autocorrélation.
THÈSE DE DOCTORAT
présentée à la
Faculté des lettres
de l’Université de Lausanne
pour l’obtention du grade de
Docteur ès lettres
en Informatique et
Méthodes Mathématiques
par
Christelle Cocco
Directeur de thèse
François Bavaud
Jury
Frédéric Kaplan, EPFL
Ludovic Lebart, TELECOM-ParisTech
Aris Xanthos, UNIL
LAUSANNE
2014FACULTÉ DES LETTRES
SECTION DES SCIENCES DU LANGAGE ET DE L’INFORMATION
Typologies textuelles et partitions musicales :
dissimilarités, classification et autocorrélation.
THÈSE DE DOCTORAT
présentée à la
Faculté des lettres
de l’Université de Lausanne
pour l’obtention du grade de
Docteur ès lettres
en Informatique et
Méthodes Mathématiques
par
Christelle Cocco
Directeur de thèse
François Bavaud
Jury
Frédéric Kaplan, EPFL
Ludovic Lebart, TELECOM-ParisTech
Aris Xanthos, UNIL
LAUSANNE
2014Résumé
Axée dans un premier temps sur le formalisme et les méthodes, cette thèse est construite sur
trois concepts formalisés : une table de contingence, une matrice de dissimilarités euclidiennes
et une matrice d’échange. À partir de ces derniers, plusieurs méthodes d’Analyse des données
ou d’apprentissage automatique sont exprimées et développées : l’analyse factorielle des correspondances
(AFC), vue comme un cas particulier du multidimensional scaling ; la classification
supervisée, ou non, combinée aux transformations de Schoenberg ; et les indices d’autocorrélation
et d’autocorrélation croisée, adaptés à des analyses multivariées et permettant de considérer
diverses familles de voisinages. Ces méthodes débouchent dans un second temps sur une pratique
de l’analyse exploratoire de différentes données textuelles et musicales.
Pour les données textuelles, on s’intéresse à la classification automatique en types de discours
de propositions énoncées, en se basant sur les catégories morphosyntaxiques (CMS) qu’elles
contiennent. Bien que le lien statistique entre les CMS et les types de discours soit confirmé, les
résultats de la classification obtenus avec la méthode K-means, combinée à une transformation
de Schoenberg, ainsi qu’avec une variante floue de l’algorithme K-means, sont plus difficiles à
interpréter. On traite aussi de la classification supervisée multi-étiquette en actes de dialogue
de tours de parole, en se basant à nouveau sur les CMS qu’ils contiennent, mais aussi sur les
lemmes et le sens des verbes. Les résultats obtenus par l’intermédiaire de l’analyse discriminante
combinée à une transformation de Schoenberg sont prometteurs. Finalement, on examine
l’autocorrélation textuelle, sous l’angle des similarités entre diverses positions d’un texte, pensé
comme une séquence d’unités. En particulier, le phénomène d’alternance de la longueur des mots
dans un texte est observé pour des voisinages d’empan variable. On étudie aussi les similarités
en fonction de l’apparition, ou non, de certaines parties du discours, ainsi que les similarités
sémantiques des diverses positions d’un texte.
Concernant les données musicales, on propose une représentation d’une partition musicale
sous forme d’une table de contingence. On commence par utiliser l’AFC et l’indice d’autocorré-
lation pour découvrir les structures existant dans chaque partition. Ensuite, on opère le même
type d’approche sur les différentes voix d’une partition, grâce à l’analyse des correspondances
multiples, dans une variante floue, et à l’indice d’autocorrélation croisée. Qu’il s’agisse de la
partition complète ou des différentes voix qu’elle contient, des structures répétées sont effectivement
détectées, à condition qu’elles ne soient pas transposées. Finalement, on propose de
classer automatiquement vingt partitions de quatre compositeurs différents, chacune représentée
par une table de contingence, par l’intermédiaire d’un indice mesurant la similarité de deux
configurations. Les résultats ainsi obtenus permettent de regrouper avec succès la plupart des
œuvres selon leur compositeur.
iAbstract
Focused on formalism and methods in its first part, this thesis is constructed from three
basic formalised concepts, namely : a contingency table, an Euclidean dissimilarity matrix and
an exchange matrix. Those concepts permit the expression and development of several Data
Analysis or Machine Learning methods : Correspondence Analysis (CA), interpreted as a particular
case of Multidimensional Scaling ; classification and clustering, combined with Schoenberg
transformations ; and the autocorrelation and cross-autocorrelation indices, adapted to multivariate
analysis and allowing the consideration of various neighbourhood families. In the second
part of the thesis, these methods lead to an Exploratory Data Analysis of textual and musical
data of various types.
For textual data, we are interested in clustering clauses into discourse types, based upon the
distribution of part-of-speech (POS) tags in the clauses. Although the statistical link between
POS tags and discourse types is significant, the results obtained with the K-means algorithm or
a fuzzy variant of it, possibly combined with a Schoenberg transformation, remain difficult to
interpret. We also deal with multi-label classification into dialog acts of turns, again based on
the POS tags they contain, but also on lemmas and on the meaning of verbs. Results obtained
by means of discriminant analysis combined with a Schoenberg transformation are promising.
Finally, we examine the textual autocorrelation, in terms of similarities between various positions
in a text, thought as a sequence of localized units. In particular, the phenomenon of word
length alternation in a text is studied for a family of neighbourhoods of variable span. We also
consider presence-absence similarities, according to the apparition of specific POS, as well as
the semantic similarities between textual positions.
Regarding musical data, we propose to represent a musical score as a contingency table. We
begin by using CA and the autocorrelation index to discover underlying structures within each
score. Then, we apply the same approach on the different voices in a musical score, with a
procedure alike to a fuzzy variant of multiple correspondence analysis and making use of the
cross-autocorrelation index. Whether in the whole musical scores or in different voices they
contain, repeated structures are actually detected, provided they are not transposed. Finally,
we propose to cluster twenty musical scores by four different composers, each represented by
a contingency table, by introducing a similarity index between the pairs of configurations. A
majority of scores turn out to be thus successfully regrouped according to their composer.
iiiRemerciements
J’aimerais remercier tous les gens que j’ai rencontrés durant cette thèse, ceux avec qui j’ai
pu échanger, même brièvement, ainsi que ceux qui m’ont donné leur avis ou qui m’ont motivée.
Parmi toutes ces personnes, et j’espère que vous serez nombreux à vous reconnaître dans cette
description, un grand merci à ma famille et mes amis.
Pour rester succincte, je ne vais pas nommer tout le monde, mais simplement revenir sur
les gens sans qui cette thèse n’aurait pas pu exister. Pour commencer, j’aimerais remercier
Pathé Barry, un ami de longue date, et Jérémie Mariller, mon compagnon, sans qui je ne me
serais jamais lancée dans l’aventure d’une thèse. Ils m’ont tous deux encouragée à postuler pour
ce doctorat en informatique et méthodes mathématiques de la faculté des Lettres, domaine
relativement éloigné de mes études de master. J’aimerais particulièrement remercier Jérémie
pour m’avoir soutenue durant tout mon doctorat.
Merci encore à François Bavaud et Aris Xanthos sans qui rien n’aurait commencé. Ils ont tous
deux consacré beaucoup de temps à partager leurs expériences avec moi, ce qui m’a permis de
me familiariser avec ce nouveau domaine, la recherche et le monde académique. En particulier,
je remercie François pour sa disponibilité, ses conseils et ses nombreuses relectures.
J’aimerais aussi remercier tous les membres de l’ancienne section d’Informatique et Méthodes
Mathématiques, ainsi que tous ceux de la nouvelle section des Sciences du Langage et de l’Information.
Parmi eux, je voudrais en particulier remercier Jérôme Jacquin avec qui le projet qui
m’a permis d’écrire le chapitre 4 a débuté. Concernant ce même chapitre, mes remerciements
vont à Gilles Merminod pour ses conseils et nos discussions qui m’ont éclairée sur la dimension
linguistique de ce sujet. Merci aussi à Guillaume Guex et Théophile Emmanouilidis avec qui
nous avons non seulement partagé un bureau, mais aussi des idées, des avis et des discussions.
Concernant les chapitres 7 et 8, j’aimerais remercier Jamil Alioui, qui m’a aidée à me familiariser
avec les fichiers MIDI ; ainsi que le Dr. Daniel Müllensiefen, pour les différentes pistes de
départ à propos des recherches actuelles dans le domaine, et surtout des formats symboliques,
qu’il a proposées à François et dont j’ai bénéficié.
Merci aussi à l’équipe de la Formation Doctorale Interdisciplinaire de la faculté des Lettres,
et à l’équipe des Humanités Digitales de l’UNIL et l’EPFL, pour m’avoir donné l’occasion de
présenter mon travail et d’échanger des idées. Merci enfin, particulièrement, aux membres du
jury, dont les remarques, toutes pertinentes, m’ont permis de prendre du recul sur ma thèse,
d’améliorer différents points et d’aboutir à un ensemble plus clair et cohérent. J’espère que vous
aurez du plaisir à lire cette thèse.
vTable des matières
Introduction 1
I Méthodes et formalisme 7
1 Table de contingence et analyse factorielle des correspondances 9
1.1 Table de contingence et matrice documents-termes . . . . . . . . . . . . . 9
1.2 Lien entre deux variables catégorielles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.2.1 Test d’indépendance du khi2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.2.2 Cas des variables binaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.3 Dissimilarité du χ
2
et dissimilarités euclidiennes carrées . . . . . . . . . . . . 12
1.3.1 Dissimilarité du χ
2
et dualité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.3.2 Dissimilarités euclidiennes carrées . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.3.3 Principe de Huygens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.3.4 Transformations de Schoenberg. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.4 Analyse factorielle des correspondances . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.4.1 MDS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
2 Classification supervisée et non supervisée 17
2.1 Classification non supervisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
2.1.1 Classification ascendante hiérarchique, critère de Ward . . . . . . . . . . 19
2.1.2 K-means sur les dissimilarités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
2.1.3 K-means flou sur les dissimilarités . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
2.2 Classification supervisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
2.2.1 Analyse discriminante sur les dissimilarités. . . . . . . . . . . . . . . 23
2.3 Évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
2.3.1 Accord entre partitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
2.3.2 Précision, rappel et F-mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
3 Indices d’autocorrélation et d’autocorrélation croisée 29
3.1 Matrice d’échange . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
3.1.1 Exemples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
3.2 Indice d’autocorrélation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
3.2.1 Test d’autocorrélation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
3.3 Indice d’autocorrélation croisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
viiviii TABLE DES MATIÈRES
II Applications textuelles 35
4 Classification non supervisée en types de discours 37
4.1 Données. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
4.1.1 Types de discours et annotation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
4.1.2 Corpus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
4.1.3 Prétraitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
4.1.4 Analyse préliminaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
4.2 Visualisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
4.2.1 Propositions et CMS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
4.2.2 Types de discours et CMS avec bootstrap . . . . . . . . . . . . . . . 51
4.3 Classification non supervisée et résultats. . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
4.3.1 K-means . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
4.3.2 K-means flou. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
4.4 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
5 Classification supervisée multi-étiquette en actes de dialogue 67
5.1 Données. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
5.2 Liens entre étiquettes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
5.2.1 Traitements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
5.2.2 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
5.3 Classification supervisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
5.3.1 Prétraitements et caractéristiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
5.3.2 Traitements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
5.3.3 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
5.4 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
6 Autocorrélation textuelle 81
6.1 Longueur des mots. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
6.1.1 Principe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
6.1.2 Traitements et résultats. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
6.2 Parties du discours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
6.2.1 Dissimilarités binaires relatives à une partie du discours . . . . . . . . . . 84
6.2.2 Traitements et résultats. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
6.3 Sens des mots selon WordNet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
6.3.1 Dissimilarités sémantiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
6.3.2 Autocorrélation sémantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
6.3.3 MDS et autocorrélation sur les premiers facteurs . . . . . . . . . . . . 89
6.4 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
III Applications musicales 97
7 Formats symboliques de données musicales 99
7.1 Partitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
7.2 Format MIDI en bref . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
7.3 Formats « textuels » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
7.3.1 Le format Melisma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
7.3.2 Le format ABC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
7.3.3 Le format Humdrum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
7.3.4 Comparaison de ces trois formats . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107TABLE DES MATIÈRES ix
8 Analyse de données musicales 109
8.1 Représentation des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
8.1.1 Formalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
8.1.2 Pré-traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
8.2 Analyses d’une partition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
8.2.1 Traitements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
8.2.2 Partition monophonique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
8.2.3 Partitions polyphoniques avec un seul instrument . . . . . . . . . . . . 115
8.2.4 Partition polyphonique avec plusieurs instruments . . . . . . . . . . . . 119
8.3 Analyses inter-voix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
8.3.1 Traitements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
8.3.2 Un canon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
8.3.3 Un quatuor à cordes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
8.4 Analyses inter-partitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
8.4.1 Données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
8.4.2 Traitement et résultat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
8.5 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
Conclusion et discussion 131
Annexes 139
A Textes de Maupassant annotés 141
A.1 L’Orient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
A.2 Le Voleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148
A.3 Un Fou ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
A.4 Un Fou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
B Liens entre types de discours et CMS 179
B.1 Tables des effectifs croisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
B.2 Khi2 ponctuel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182
C Classification non supervisée en types de discours 185
C.1 K-means. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
C.1.1 Indices d’accord entre partitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
C.1.2 V de Cramer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
C.2 K-means flou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190
Bibliographie 202Introduction
Cette thèse se propose d’étudier et de révéler certaines structures existant dans des données de
type textuel ou musical, par l’intermédiaire de méthodes standard ou novatrices en Analyse des
données. En d’autres termes, elle adopte essentiellement l’approche de l’analyse exploratoire
des données, par opposition aux approches inférentielles ou basées sur des modèles a priori.
Alors que ces dernières sont basées sur des hypothèses ou des postulats a priori qu’il s’agira
de confirmer ou de rejeter, le but est ici de « laisser parler les données » à l’aide d’algorithmes
et d’ordinateurs, i.e. d’extraire la structure des données qui pourra être ensuite interprétée. En
d’autres termes :
[...] La notion de forme ou de modèle devrait émerger d’une mer de données, non par des
postulats nominalistes ou des axiomes a priori, ni par des mesures trop fragmentaires de
faits isolés, en eux-mêmes dénués de sens puisqu’ils dépendent du milieu ambiant et se ré-
organisent sans cesse, mais par la synthèse simultanée (synthèse pris au sens éthymologique
[sic] : mettre ensemble) d’un bon nombre de faits élémentaires qui nous aide à gravir les
échelons de la hiérarchie des causes. Mais un cerveau humain ne peut accomplir une synthèse
multidimensionnelle sans faire de nombreux choix arbitraires qui ôtent souvent toute
signification au résultat. Il faut donc l’aide d’une calculatrice pour appliquer aux données
préalablement rassemblées un ensemble de calculs ou plutôt de transformations telles qu’on
puisse lire avec sûreté à la sortie ce qui, à l’entrée, était indéchiffrable. (Benzécri et al.,
1973, pp. 15-16)
Dans le passage ci-dessus, extrait de Benzécri et al. (1973), on trouve une expression centrale
pour l’analyse des données : « synthèse multidimensionnelle ». Effectivement, le terme
d’Analyse des données regroupe plusieurs méthodes, toutes basées sur des statistiques multidimensionnelles
et descriptives, avec pour objectif de synthétiser l’information contenue dans les
données en réduisant le nombre de dimensions effectives, grâce à la redondance générée par les
relations entre les descripteurs. L’ensemble de ces méthodes peut être divisé en deux grandes
familles principales. La première famille de méthodes permet de représenter graphiquement
l’information synthétisée, en deux dimensions par exemple, ce qui la rend intelligible pour un
être humain. Quant à la seconde famille de méthodes, elle vise à classifier automatiquement
les observations en les regroupant de la manière la plus homogène possible, selon leurs profils.
Benzécri et al. (1973) les commentent ainsi lorsqu’ils abordent la question de la reconnaissance
de formes dans l’introduction générale du premier tome sur « L’Analyse des Données » :
[...] C’est le problème de la reconnaissance des formes : traiter mécaniquement des informations
qui ne soient ni réduites à une expression logique séquentielle et définie à l’avance
[...], ni représentées analogiquement par des grandeurs physiques [...], mais gardent la multidimensionnalité
présente presque partout dans la nature. [...]
La portée de telles recherches dépasse en fait l’objectif initial limité que nous leur avons
assigné : réussir dans une ambiance multidimensionnelle et d’abord confus [sic], des tâches
12 INTRODUCTION
de discrimination accessibles aux moins doués des hommes ou aux animaux. On ne résoudra
sur machine de tels problèmes qu’au moyen d’algorithmes de classification et de réduction
du nombre de dimensions, i.e. d’algorithmes qui à partir d’un vaste ensemble d’individus
(de nature quelconque...), chacun décrit par un grand nombre de mesures numériques ou de
relations, reconnaissent les propriétés structurellement importantes et les dimensions selon
lesquelles se répartissent continûment les membres de l’ensemble étudié : or, ces propriétés et
ces dimensions ne sont généralement aucune de celles que comportait la description initiale,
elles en sont des fonctions souvent complexes [...] (Benzécri et al., 1973, pp. 3-4)
Pour pouvoir exprimer les méthodes d’Analyse des données spécifiques qui seront utilisées
dans cette thèse, il est nécessaire de définir clairement un formalisme. Le formalisme mathématique
adopté ici est relativement succinct et repose sur trois concepts formalisés, à savoir :
— une table de contingence,
— une matrice de dissimilarités euclidiennes carrées et
— une matrice d’échange.
Techniquement, chaque objet est caractérisé par un certain nombre d’attributs (ou caracté-
ristiques). La table de contingence, connue aussi sous le terme de table documents-termes en
statistique textuelle, compte le nombre de chacun des attributs contenu dans chaque objet et
constitue ainsi le premier concept du formalisme. Le second concept consiste en une matrice de
similarités ou de dissimilarités construite entre les objets en fonction de leurs attributs. Concernant
la matrice d’échange, elle sert à modéliser le voisinage spatial ou temporel qui peut exister
entre les différents objets.
Partant de ces trois concepts, trois types de méthodes sont développés, les deux premiers
correspondant aux deux grandes familles de méthodes d’Analyse des données décrites ci-dessus.
Premièrement, pour visualiser l’information synthétisée que contient une table de contingence,
on utilisera l’analyse factorielle des correspondances qui permet de représenter simultanément
les objets (ou documents) et les attributs (ou termes) sur un graphique. Ainsi, il est possible
de visualiser les correspondances des objets par rapport aux attributs, et inversement.
Cette méthode, spécifique aux tables de contingence, est très connue et très populaire, comme
en témoignent Benzécri et al. (1980) qui y consacrent la totalité de leur deuxième tome sur
« L’Analyse des Données » et déclarent :
[...] l’analyse des correspondances, méthode qui bien mieux que toute autre nous a permis
de découvrir les faits de structure que recèle un tableau de données quel qu’il soit. (Benzécri
et al., 1980, p. VII)
Deuxièmement, on traitera de la classification en se basant sur la matrice de dissimilarités
euclidiennes carrées. Alors que l’Analyse des données vise, comme il a déjà été mentionné, à
faire émerger la structure des données sans a priori, ce qui correspond à ce que l’on appelle la
classification non supervisée, on traitera en plus de classification supervisée. Dans ce deuxième
cas, l’information contenue dans les données est également synthétisée, mais le but est alors
de créer un algorithme capable d’identifier l’appartenance à des groupes définis a priori, en se
basant sur un échantillon d’apprentissage.
Troisièmement, on s’intéressera à mesurer la proximité entre des objets, en fonction des attributs
qui les composent, du point de vue de leur voisinage spatial ou temporel. Pour ce faire,
on utilise deux des concepts formalisés présentés plus haut : la matrice de dissimilarités euclidiennes
carrées et la matrice d’échange. Leur interaction est à la base de la construction des
indices d’autocorrélation et d’autocorrélation croisée.
Si le formalisme et les méthodes associées sont centraux dans ce travail, leurs applications
textuelles et musicales le sont également. La suite de l’étude vise ainsi à extraire des structures
existant dans les données, structures qui peuvent être attendues, ou au contraire nouvelles,
justement découvertes grâce au formalisme. Dans certains cas, l’analyse a été poussée au-delà
de la phase exploratoire stricte : il s’agit alors de s’assurer que les structures révélées ne soient
pas le fruit du hasard en recourant alors à l’approche inférentielle.INTRODUCTION 3
Sans être spécialiste de l’étude des textes ou de la musique, on se positionne ici un peu
comme le microscope d’un biologiste qui lui permet d’observer un objet ou une substance de
plus près et différemment, donc d’un autre point de vue. Cette thèse n’ambitionne donc pas de
développer ou de proposer de nouvelles théories dans des domaines, tels que la littérature, la
linguistique, la musicologie ou encore la psychologie, mais plutôt d’offrir un nouveau point de
vue à l’une ou l’autre de ces disciplines. En effet, pour reprendre encore les mots de Benzécri
et ses collaborateurs dans l’avant-propos de leur premier tome :
[...] La puissance du calcul électronique permet au statisticien d’aborder d’un point de
vue unique les ensembles de faits les plus vastes et les plus divers. Aussi ne s’étonnera-t-on
pas qu’il doive être traité ici tant des sciences de la nature [...], que des sciences de l’homme :
Psychologie, Linguistique, Economie, Politique [...] ; cependant que la méthode même de la
connaissance est l’objet ultime de cette recherche.
Dans chaque volume, on s’efforcera de placer simultanément des exposés théoriques, des
programmes de calcul, des exemples d’application. Nous ne croyons pas devoir dissimuler
que c’est à ces exemples que va notre prédilection. Nous sommes en effet convaincu que
le statisticien a tout à apprendre de la nature et que la statistique, refrénant son vol mathématique,
doit s’honorer d’être une science expérimentale. Bien mieux qu’à des modèles
conjecturaux, c’est à l’observation qu’on doit demander quel est l’ordre de la réalité : le
mérite du calculateur étant de découvrir sans parti pris, sans a priori, quels courants de
lois traversent l’océan des faits. (Benzécri et al., 1973, p. V)
Ou encore, lorsque Lebart, Morineau et Piron (1995) expliquent la différence qu’il existe entre
statistique descriptive et statistique descriptive multidimensionnelle dans l’introduction de leur
ouvrage :
Mais le passage au multidimensionnel induit un changement qualitatif important. On ne
dit pas en effet que des microscopes ou des appareils radiographiques sont des instruments de
description, mais bien des instruments d’observation ou d’exploration, et aussi de recherche.
La réalité multidimensionnelle n’est pas seulement simplifiée parce que complexe, mais aussi
explorée parce que cachée.
Le travail de préparation et de codage des données, les règles d’interprétation et de
validation des représentations fournies par les techniques utilisées dans le cas multidimensionnel
n’ont pas la simplicité rencontrée avec la statistique descriptive élémentaire. Il ne
s’agit pas seulement de présenter, mais d’analyser, de découvrir, parfois de vérifier et prouver,
éventuellement de mettre à l’épreuve certaines hypothèses. (Lebart et al., 1995, p. 1)
En résumé, il s’agira donc de revisiter, à partir de leur définition de base, des méthodes bien
connues en Analyse des Données, tout en les combinant avec des éléments théoriques moins
balisés ou plus originaux ; et, aussi, de les appliquer sur de nouveaux types de données, c’est-
à-dire sur des données sur lesquelles ces analyses n’ont pas (ou peu) encore été pratiquées, à
notre connaissance.
En particulier, on s’intéressera, pour les applications textuelles, à la classification automatique
(ou non supervisée) de propositions énoncées en types de discours, à la classification supervisée
de tours de parole en actes de dialogue, ainsi qu’à la mesure de l’indice d’autocorrélation sur
différents textes, en considérant différents attributs et différents voisinages.
Concernant la musique, on se concentrera sur trois niveaux différents. Premièrement, on
observera la structure existant dans des partitions considérées séparément. Deuxièmement, on
s’intéressera à la structure des différentes voix qui composent une partition, ainsi qu’aux liens
qui existent entre elles. Troisièmement, on traitera plusieurs partitions que l’on regroupera à
l’aide d’une méthode de classification non supervisée.
Il faut remarquer que le nombre d’applications présenté ici est clairement restreint par rapport
aux possibilités du formalisme et des méthodes exposées. C’est pourquoi ces derniers ont volontairement
était présentés de manière systématique, avec un effort de clarté et de simplicité,
pour pouvoir être envisagés sur d’autres données. Plus précisément, ces méthodes se veulent
entièrement transparentes, tout à l’opposé des « boîtes noires ».4 INTRODUCTION
Afin de mener à bien ce programme, la thèse est structurée ainsi : la partie I présente les
méthodes principales utilisées dans ce travail, toutes basées sur des dissimilarités euclidiennes
carrées, extraites le plus souvent à partir d’une table de contingence. Ensuite, la partie II expose
plusieurs applications de ces méthodes sur diverses données textuelles. Finalement, la partie III
présente une exploration de ces méthodes sur des données musicales.
En particulier, la Partie I expose les définitions et le formalisme utilisés dans le reste de la
thèse. Bien que cette première partie expose des concepts généraux, elle n’a pas pour ambition
de donner une revue complète des méthodes existantes, mais plutôt de définir les méthodes
essentielles qui serviront de base aux applications présentées dans le reste de la thèse. Elle se
compose de trois chapitres.
Pour commencer, le chapitre 1 rappelle les notions relatives à une table de contingence,
telles que le quotient d’indépendance ou les dissimilarités du khi2. Plus précisément, les dissimilarités
du khi2 constituent des dissimilarités euclidiennes carrées, dont les propriétés fondamentales
qui en découlent sont rappelées, parmi lesquelles deux éléments essentiels : d’une part
la notion de transformations de Schoenberg, transformant des dissimilarités euclidiennes carrées
en d’autres dissimilarités euclidiennes carrées dans un espace de plus haute dimensionnalité ;
d’autre part l’analyse factorielle des correspondances, obtenue comme un cas particulier du
multi-dimensional scaling. Ces deux derniers points, sans être entièrement originaux, s’écartent
toutefois des exposés couramment rencontrés dans la littérature « ordinaire ».
Ensuite, le chapitre 2 expose différentes techniques de classification, supervisée ou non,
toutes basées sur les dissimilarités euclidiennes carrées présentées précédemment, ainsi que les
approches permettant d’évaluer ces différentes classifications. En particulier, un autre point
original de ce travail est qu’en exposant les différentes techniques de classification à partir du
concept formalisé de la matrice des dissimilarités, il est possible de les combiner aux transformations
de Schoenberg et donc d’en étendre la portée.
Finalement, le chapitre 3 introduit le concept de matrice d’échange, issue de la notion
de poids spatiaux en statistique spatiale et formalisant la notion de voisinage. Deux mesures
peuvent alors être définies, à savoir l’indice d’autocorrélation, basé sur la relation entre une
matrice de dissimilarités euclidiennes carrées et une matrice d’échange, ainsi que l’indice d’autocorrélation
croisée. Ces deux indices permettent, d’une part, d’étendre les notions d’autocorrélation
et de corrélation croisée des séries temporelles ordinaires à des séries multivariées ; et,
d’autre part, de généraliser la notion de décalage à une notion de voisinage. Bien que ces deux
indices ne soient pas complétement originaux, ils n’ont été que très peu utilisés sous cette forme
en analyse textuelle ou musicale multivariée.
Trois types d’applications textuelles sont étudiées dans la Partie II. Les chapitres 4 et 5
s’intéressent à la classification d’unités linguistiques. Plus exactement, le chapitre 4 traite de
la classification non supervisée de propositions énoncées en types de discours ; et le chapitre 5,
de la classification supervisée multi-étiquette de tours de parole en actes de dialogue. Dans ces
deux chapitres, les données sont représentées sous la forme de tables de contingence inédites.
Le chapitre 6 s’intéresse à mesurer les similarités entre diverses positions d’un texte, compris
comme une séquence d’unités, par l’intermédiaire de l’indice d’autocorrélation, ce qui semble
constituer un point de vue novateur.
Enfin, la Partie III comprend deux chapitres : le chapitre 7, qui présente différents formats
symboliques de données musicales, et le chapitre 8, qui propose une analyse exploratoire de
partitions musicales polyphoniques. Dans ce dernier, les partitions polyphoniques sont repré-
sentées, une fois de plus, par des tables de contingence (peu ou pas exploitées sous la forme
spécifique présentée dans le chapitre pour des données musicales symboliques), ce qui permet
d’utiliser le formalisme et les méthodes de la partie I. Spécifiquement, les partitions seront
d’abord étudiées dans leur ensemble, grâce à l’analyse factorielle des correspondances et à l’indice
d’autocorrélation, pour une unité temporelle donnée. Ensuite, les différentes voix d’une
même partition seront analysées, à l’aide de l’indice d’autocorrélation croisée et d’une varianteINTRODUCTION 5
de l’analyse des correspondances multiples. Finalement, à partir de la représentation en tables
de contingence, une approche originale de classification non supervisée de plusieurs partitions
est proposée.
Il faut encore préciser que le matériel exposé dans ce travail reprend, en bonne partie, du
matériel déjà publié ou en voie de l’être, à savoir :
— Cocco, C., Pittier, R., Bavaud, F. et Xanthos, A. (2011). Segmentation and Clustering
of Textual Sequences: a Typological Approach. In Proceedings of the International
Conference Recent Advances in Natural Language Processing 2011, pp. 427–433. Hissar,
Bulgaria: RANLP 2011 Organising Committee.
— Cocco, C. (2012a). Catégorisation automatique de propositions textuelles en types de
discours. In Lire demain : des manuscrits antiques à l’ère digitale = Reading tomorrow :
from ancient manuscripts to the digital era, pp. 689–707. Lausanne: PPUR.
— Cocco, C. (2012b). Discourse Type Clustering using POS n-gram Profiles and HighDimensional
Embeddings. In Proceedings of the Student Research Workshop at the 13th
Conference of the European Chapter of the Association for Computational Linguistics, pp.
55–63. Avignon, France: Association for Computational Linguistics.
— Bavaud, F., Cocco, C. et Xanthos, A. (2012). Textual autocorrelation: formalism and
illustrations. In JADT 2012: 11èmes Journées internationales d’Analyse statistique des
Données Textuelles, pp. 109–120.
— Cocco, C. (2014). Classification supervisée multi-étiquette en actes de dialogue : analyse
discriminante et transformations de schoenberg. In JADT 2014: 12èmes Journées
internationales d’Analyse statistique des Données Textuelles, pp. 147–160.
— Cocco, C. et Bavaud, F. (accepté pour publication). Correspondence Analysis, CrossAutocorrelation
and Clustering in Polyphonic Music. In Data Analysis, Learning by
Latent Structures, and Knowledge Discovery, Studies in Classification, Data Analysis,
and Knowledge Organization. Berlin; Heidelberg: Springer.
— Bavaud, F., Cocco, C. et Xanthos, A. (accepté pour publication). Textual navigation and
autocorrelation. In G. Mikros et J. Mačutek (Eds.), Sequences in Language and Text,
Quantitative Linguistics. Berlin: De Gruyter.
Bien qu’il ne soit que très peu exploité dans cette thèse, du matériel connexe aux méthodes
utilisées dans ce travail a également été développé :
— Bavaud, F. et Cocco, C. (accepté pour publication). Factor Analysis of Local Formalism.
In Data Analysis, Learning by Latent Structures, and Knowledge Discovery, Studies in
Classification, Data Analysis, and Knowledge Organization. Berlin; Heidelberg: SpringerPartie I
MÉTHODES ET FORMALISME
7CHAPITRE 1
Table de contingence et analyse factorielle des correspondances
Ce premier chapitre, dont le but est de fixer les notations, traite des tables de contingence et
de l’analyse factorielle des correspondances. Cette dernière permet d’analyser les dépendances
entre deux variables catégorielles tout en les visualisant. Alors que la plupart des ouvrages proposent
de pratiquer l’analyse des correspondances directement sur les tables de contingences, la
méthode exposée ici (section 1.4) se base sur un MDS (multi-dimensional scaling) pondéré des
dissimilarités du khi2 (section 1.3.1) obtenues sur la table de contingence (section 1.1). Bien
que ces deux méthodes aboutissent au même résultat, la seconde permettra d’introduire plus
simplement les concepts des prochains chapitres et d’exploiter les transformations de Schoenberg
(section 1.3.4). On reviendra aussi sur les différentes mesures possibles du lien entre deux
variables catégorielles (section 1.2) et sur les propriétés des dissimilarités du khi2 (section 1.3)
qui sont aussi euclidiennes carrées (section 1.3.2).
1.1 Table de contingence et matrice documents-termes
Soit deux variables catégorielles X et Y avec, respectivement, m1 et m2 modalités. La table
de contingence N = (njk) compte les effectifs njk de la modalité j = 1, . . . , m1 de X et de la
modalité k = 1, . . . , m2 de Y . Le profil marginal de la ligne j est défini comme nj• =
P
k njk ;
celui de la colonne k, comme n•k =
P
j njk ; et la taille de l’échantillon, comme n•• =
P
jk njk.
La table 1.1 propose un résumé de ces différentes notations.
Modalités de Y
1 . . . k . . . m2
Modalités
de
X
1 n11 . . . n1k . . . n1m2 n1•
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
j nj1 . . . njk . . . njm2 nj•
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
m1 nm11 . . . nm1k . . . nm1m2 nm1•
n•1 . . . n•k . . . n•m2 n••
Table 1.1 – Vue synthétique des notations d’une table de contingence N = (njk).
La matrice documents-termes, qui est souvent utilisée en analyse textuelle, est un cas particulier
de la table de contingence. Dans ce cas, les modalités j de X représentent différents
documents ; et les modalités k de Y , différents termes (voir par exemple Lebart et Salem, 1994,
910 1. TABLE DE CONTINGENCE ET AFC
section 2.4.5 sur les tableaux lexicaux et chapitre 3 sur l’analyse des correspondances des tableaux
lexicaux). Les njk représentent généralement les effectifs, soit le nombre d’occurences
de chaque terme dans chaque document. Cependant, en statistique textuelle, ils peuvent aussi
correspondre à la présence ou l’absence (1/0) de chaque terme dans chaque document ou encore
à différents poids de chaque terme dans chaque document, comme, par exemple, la fréquence
inverse de document (idf - inverse document frequency) (voir par exemple Salton et McGill,
1983, figure 1-12 et chapitre 3).
1.2 Lien entre deux variables catégorielles
A partir d’une table de contingence, il est possible de tester si les deux variables catégorielles
sont significativement liées. Le test le plus utilisé est celui du khi2 (section 1.2.1). Cependant,
il existe d’autres coefficients et tests, spécifiques à la quantification du lien entre deux variables
catégorielles binaires (section 1.2.2).
1.2.1 Test d’indépendance du khi2
Les effectifs de la table de contingence sous indépendance théorique sont définis comme n
th
jk =
nj•n•k
n••
. Ainsi, l’écart des effectifs observés à l’indépendance est mesuré par la variable de décision
du khi-carré :
khi2 =
Xm1
j=1
Xm2
k=1
(njk − n
th
jk)
2
n
th
jk
(1.1)
Pour en tester la significativité (hypothèse H0 : X et Y sont indépendantes) la variable de
décision est comparée à la valeur critique χ
2
1−α
[(m1 − 1)(m2 − 1)], c’est-à-dire au (1 − α)ème
quantile de la loi du χ
2 à (m1 − 1)(m2 − 1) degrés de liberté.
1.2.1.1 Quotient d’indépendance
Alors que le khi2 mesure le lien entre les variables X et Y , le quotient d’indépendance, aussi
connu sous le nom de quotient de localisation (location quotient) en géographie et en économie
(voir par exemple Hildebrand et Mace, 1950), permet de mesurer le lien entre deux modalités
j et k. Il se calcule comme :
qjk =
njk
n
th
jk
=
njkn••
nj•n•k
(1.2)
Les deux modalités sont en attraction mutuelle si qjk > 1, en répulsion mutuelle si qjk < 1 et
en neutralité mutuelle si qjk ∼= 1.
1.2.2 Cas des variables binaires
Les variables binaires (ou bimodales) sont des variables pour lesquelles il n’y a que deux
modalités possibles. Ceci engendre un tableau de contingence de taille 2 × 2. Fréquemment, on
utilise une variable binaire pour représenter une modalité et son complémentaire, i.e. l’ensemble
des autres modalités, et ce sera toujours le cas dans ce qui suit (table 1.2). Ainsi, chacune des
modalités de la table 1.1 peut être transformée en modalité binaire (cf. table 1.3).
Pour quantifier le lien entre deux variables binaires, il est possible d’utiliser les mêmes coeffi-
cients que ceux proposés ci-dessus. Alors que le quotient d’indépendance reste identique (pour
une formulation basée sur le principe de la table 1.2, voir Li, Luo et Chung, 2008, équation 6), le
khi2 peut être reformulé (section 1.2.2.1). Il existe aussi d’autres indices particulièrement adaptés
au calcul de l’accord entre deux partitions binaires (voir par exemple Warrens, 2008), dont
deux seront présentés ici : le coefficient phi (section 1.2.2.2) et le Q de Yule (section 1.2.2.3).1.2. Lien entre deux variables catégorielles 11
Y
Présence de k Absence de k
X
Présence de j n11 n10
Absence de j n01 n00
n••
Table 1.2 – Table de contingence pour deux variables binaires, avec n•• = n11+n00+n10+n01.
1.2.2.1 Khi2 ponctuel
En appliquant la formule du khi2 (1.1) à une table de contingence 2 × 2, on obtient, avec les
notations de la table 1.2, le khi2 ponctuel entre les paires de modalités j de X et k de Y (voir
par exemple Yang et Pedersen, 1997 ; Saporta, 2006, p.152 ; Li et al., 2008) :
χ
2
jk =
n••(n11n00 − n01n10)
2
(n11 + n01)(n10 + n00)(n11 + n10)(n01 + n00)
(1.3)
Ce dernier est significatif lorsqu’il est plus grand que χ
2
1−α
[1]. Par exemple : χ
2
1−0.001[1] = 10.83.
Pour pourvoir calculer ce khi2 ponctuel pour toutes les paires de modalités d’une table de
contingence et obtenir ainsi une matrice du khi2, les termes de (1.3) sont remplacés par ceux
de la table 1.3, ce qui permet finalement de trouver :
χ
2
jk =
n••(njk − n
th
jk)
2
n
th
jk(n•• − nj• − n•k + n
th
jk)
=
n••(qjkn
th
jk − n
th
jk)
2
n
th
jk(n•• − nj• − n•k + n
th
jk)
=
n••(qjk − 1)2 n
th
jk
n•• − nj• − n•k + n
th
jk
Y
Présence de k Absence de k
X
Présence de j njk nj• − njk nj•
Absence de j n•k − njk n•• − nj• − n•k + njk n•• − nj•
n•k n•• − n•k n••
Table 1.3 – Transformation d’une paire de modalités (j et k) de deux variables multimodales
en variables binaires (présence/absence). Les termes écrits en gras sont ceux identiques aux
termes de la table de contingence multimodale (table 1.1). Les autres termes se déduisent des
termes en gras.
1.2.2.2 Coefficient phi
Le coefficient phi équivaut à la corrélation de Pearson appliquée à deux variables binaires
(Yule, 1912). Cet indice, en rapport avec le chi carré (φ
2
jk =
χ
2
jk
n••
, voir (1.3) et (1.17)) se définit
comme :
φjk = p
n11n00 − n10n01
(n11 + n10)(n01 + n00)(n11 + n01)(n10 + n00)
(1.4)
φjk = 1 si et seulement si chaque élément présent (respectivement absent) dans X est présent
(respectivement absent) dans Y (n01 = 0 et n10 = 1). Inversement, φjk = −1, indique que les
éléments présents dans X ne le sont pas dans Y , et vice-versa (n11 = 0 et n00 = 1). Lorsque
φjk = 0, il n’y a pas de lien entre les deux variables X et Y . La significativité de ce coefficient
peut être testée en le comparant à q
χ
2
1− α
2
[1], qui vaut 0.059 pour α = 0.05.12 1. TABLE DE CONTINGENCE ET AFC
1.2.2.3 Q de Yule
Le Q de Yule et est défini comme (Yule, 1900) :
Qjk =
n11n00 − n10n01
n11n00 + n10n01
(1.5)
Si Qjk = 1, tous les éléments présents dans X sont présents dans Y ou/et inversement (n01 = 0
ou/et n10 = 1). Tandis que si Qjk = −1, soit aucun élément n’est simultanément présent dans
les deux variables X et Y (n11 = 0), soit tous les éléments sont présents dans au moins une des
deux variables (n00 = 0), ou les deux. Qjk = 0 a la même interprétation que φjk = 0.
1.3 Dissimilarité du χ
2
et dissimilarités euclidiennes carrées
En se basant sur une table de contingence (section 1.1), il est possible de calculer des dissimilarités
entre les modalités (section 1.3.1). Ces dissimilarités ont la propriété d’être des
dissimilarités euclidiennes carrées (section 1.3.2). Ce dernier point permet d’utiliser le principe
de Huygens (section 1.3.3) et d’appliquer les transformations de Schoenberg à ces dissimilarités
(section 1.3.4).
1.3.1 Dissimilarité du χ
2
et dualité
La dissimilarité du χ
2
entre les modalités i et j de X se calcule comme :
Dˆ χ
ij =
Xm2
k=1
ρk(qik − qjk)
2
(1.6)
avec ρk :=
n•k
n••
, le poids des colonnes. Par la dualité existant entre les lignes et les colonnes
d’une table de contingence, il est possible de calculer la dissimilarité du χ
2
entre les modalités
k et l de Y de manière analogue, soit :
Dˇ χ
kl =
Xm1
j=1
fj (qjk − qjl)
2
(1.7)
avec, cette fois, fj :=
nj•
n••
, le poids des lignes.
Dans la suite de ce chapitre, les équations en prise avec cette dualité seront toujours données
par paire, soit celle pour les lignes de la table de contingence et sa duale pour les colonnes.
1.3.2 Dissimilarités euclidiennes carrées
Soit un ensemble d’individus i = 1, . . . , n possédant des caractéristiques k = 1, . . . , p et dont
les coordonnées sont représentées par X = (xik). Les individus sont munis de poids fi positifs
(fi > 0) et normalisés (P
i
fi = 1)
1
; la pondération uniforme s’obtient avec fi = 1/n.
On définit la matrice D = (Dij ) des dissimilarités euclidiennes carrées entre des individus i
et j comme 2
:
Dij := X
p
k=1
(xik − xjk)
2 = kxi − xjk
2
(1.8)
1. Dans le cas particulier de la table de contingence, les poids, fj pour les lignes et ρk pour les colonnes, sont
définis selon les équations de la section 1.3.1.
2. Dans cette thèse, Dij désignera toujours une dissimilarité euclidienne carrée entre les objets i et j.1.3. Dissimilarité du χ
2
et dissimilarités euclidiennes carrées 13
La dissimilarité du khi2 est aussi une distance euclidienne carrée, car les équations (1.6) et
(1.7) peuvent être reformulées comme (voir par exemple Bavaud, 2004) :
Dˆ
ij =
Xm2
k=1
( x
∗
ik − x
∗
jk)
2 Dˇ
kl =
Xm1
j=1
( y
∗
jk − y
∗
jl)
2
(1.9)
où
x
∗
ik =
√
ρk(qik − 1) et y
∗
jk =
p
fj (qjk − 1) (1.10)
sont les coordonnées brutes ou de haute dimensionnalité. Celles-ci, directement calculées à partir
de la table de contingence, s’opposent aux coordonnées factorielles (1.25) qui ont la propriété
d’exprimer une proportion maximale d’inertie (1.17) dans les basses dimensions.
La matrice B = (bij ) des produits scalaires entre i et j, pour les dissimilarités euclidiennes
carrées (1.8) et relativement à la pondération f, se définit comme :
bij =
X
p
k=1
(xik − x¯
f
k
)(xjk − x¯
f
k
) avec x¯
f
k =
Xn
i=1
fixik (1.11)
Dans le cas particulier des dissimilarités du khi2, les produits scalaires entre les lignes Bˆ =
(bij ) et entre les colonnes Bˇ = (bkl) peuvent, par conséquent, s’écrire comme :
ˆbij =
Xm2
k=1
ρk(qik − 1)(qjk − 1) ˇbkl =
Xm1
j=1
fj (qjk − 1)(qjl − 1)
Aussi, il est possible de reformuler toute dissimilarité euclidienne carrée (1.8) en se basant
sur les produits scalaires correspondant (1.11) 3
:
Dij = bii + bjj − 2bij (1.12)
Cette dernière relation peut aussi s’obtenir à partir du théorème du cosinus. Ce denier peut
se reformuler, avec des distances et des produits scalaires, de la manière suivante (Young et
Householder, 1938) :
Dij = Dif + Djf − 2bij (1.13)
où Dif = Dix¯f =
P
k
(xik − x¯
f
k
)
2
est la dissimilarité euclidienne carrée entre un point i et la
moyenne pondérée des points x¯
f
k
(1.11). Comme Dif =
P
k
(xik−x¯
f
k
)
2 =
P
k
(xik−x¯
f
k
)(xik−x¯
f
k
) =
bii, alors (1.13) est équivalente à (1.12).
L’équation (1.13) permet aussi de déterminer les produits scalaires à partir des distances
(Young et Householder, 1938) :
bij =
1
2
(Dif + Djf − Dij ) (1.14)
Young et Householder (1938) montrent, en partant de l’équation (1.14), que la matrice D
représente des dissimilarités euclidiennes carrées si et seulement si la matrice B est semi-définie
positive.
3. Preuve pour des dissimilarités euclidiennes carrées entre i et j :
Dij =
Xp
k=1
(xik − xjk)
2 =
Xp
k=1
((xik − x¯
f
k
) − (xjk − x¯
f
k
))2
=
Xp
k=1
(xik − x¯
f
k
)
2 − 2
Xp
k=1
(xik − x¯
f
k
)(xjk − x¯
f
k
) +Xp
k=1
(xjk − x¯
f
k
)
2
= bii − 2bij + bjj14 1. TABLE DE CONTINGENCE ET AFC
1.3.3 Principe de Huygens
Étant donné que les distances du khi2 sont euclidiennes carrées (1.9), le principe de Huygens
s’applique.
Le principe (fort) de Huygens, également connu sous le nom de « théorème de Steiner » en
mécanique des solides, s’écrit, pour toute matrice de dissimilarités euclidiennes carrées (1.8) et
un formalisme pondéré, comme :
Xn
j
fjDij = ∆f + Dif (1.15)
En d’autres termes, la dispersion du nuage de points par rapport à un point i équivaut à la
dispersion du nuage de point (par rapport au centre) ∆f , additionné de la dissimilarité entre le
point i et le centre de gravité de l’ensemble des points.
À partir de ce premier principe, découle le principe (faible) de Huygens qui définit l’inertie
(ou la variance, ou la dispersion) de l’ensemble des individus comme :
∆ := ∆f =
1
2
X
ij
fifjDij =
X
i
fiDif (1.16)
Ainsi, la dispersion du nuage de points peut s’exprimer de manière équivalente comme la dissimilarité
moyenne entre toutes les paires de points ou comme la dissimilarité moyenne entre
chaque point et le centre de gravité de l’ensemble des points.
Dans le cas particulier du khi2, l’inertie est égale au khi2 divisé par l’effectif total de la table
de contingence n••, nommé φ
2
:
∆ = 1
2
X
ij
fifjDˆ
ij =
X
i
fiDˆ
if =
1
2
X
kl
ρkρlDˇ
kl =
X
k
ρkDˇ
kρ
=
1
n••
X
jk
(njk − n
th
jk)
2
n
th
jk
=
khi2
n••
= φ
2
(1.17)
où Dˆ
if est la dissimilarité du khi2 entre la modalité i et la moyenne des modalités de X, soit
x¯
∗ f
k =
P
i
fi x
∗
ik ; et Dˇ
kρ, la dissimilarité du khi2 entre la modalité k et la moyenne des modalités
de Y , soit x¯
∗ ρ
i =
P
k
ρk x
∗
ik.
Soit un groupe g et une matrice d’appartenance Z = (zig) qui détermine la probabilité 4
que l’individu i appartienne au groupe g, telle que P
g
zig = 1. Alors, le poids du groupe vaut
ρg =
P
i
fizig, tel que P
g
ρg = 1 ; et la distribution des individus i du groupe, f
g
i = fizig/ρg,
telle que P
i
f
g
i = 1. Avec x¯
g
k =
P
i
f
g
i
xik pour la moyenne du groupe et Dig = Dix¯
g , le principe
fort de Huygens (1.15) devient :
Xn
j
f
g
j Dij = Dig + ∆g (1.18)
et le principe faible de Huygens (1.16), pour l’inertie du groupe g :
∆g =
1
2
X
ij
f
g
i
f
g
j Dij =
X
i
f
g
i Dig (1.19)
Ce qui précède, et en particulier (1.15) et (1.16), permet de trouver que la dissimilarité euclidienne
carrée Df g entre les moyennes x¯
f
k =
P
i
fixik et x¯
g
k =
P
i
gixik de deux groupes ou deux
4. Dans le cas particulier d’un partitionnement dur des données, la matrice d’appartenance détermine la présence
zig = 1 ou l’absence zig = 0 d’un individu dans un groupe.1.4. Analyse factorielle des correspondances 15
distributions f et g peut se calculer uniquement grâce aux distributions et aux dissimilarités
entre les individus Dij , soit (Bavaud, 2011) :
Df g = Dx¯
f x¯
g = −
1
2
X
ij
(fi − gi)(fj − gj )Dij (1.20)
En remplaçant les termes de (1.14) par ceux des principes de Huygens (1.15) et (1.16), on
peut facilement montrer que, avec une matrice de dissimilarités euclidiennes carrées, la matrice
des produits scalaires, relativement à f, (1.11) peut aussi s’obtenir matriciellement par 5
:
B = −
1
2
HfD(Hf
)
0
avec Hf = (h
f
ij ) = I − 1f
0
(1.21)
1.3.4 Transformations de Schoenberg
Les transformations de Schoenberg (Schoenberg, 1938) transforment les dissimilarités euclidiennes
carrées originales, D, en d’autres dissimilarités euclidiennes carrées, D˜ = ϕ(D) (Bavaud,
2011, et références y incluses). Tout comme les méthodes à noyaux, les transformations
de Schoenberg s’appuient sur un plongement de haute dimensionnalité des objets de départ.
Une liste non exhaustive des diverses transformations de Schoenberg possibles se trouve dans
l’article de Bavaud (2011). Parmi ces possibilités, une seule est envisagée dans la suite de ce
travail, à savoir, la transformation de puissance (Schoenberg, 1937), telle que :
ϕ(D) = D˜ = Dq
(1.22)
où 0 < q ≤ 1.
Cette transformation permet de rappeler que toute distance euclidienne est aussi une dissimilarité
euclidienne carrée 6
, mais que l’inverse n’est pas toujours vrai.
1.4 Analyse factorielle des correspondances
Soit cik =
√
fi x
∗ c
ik =
√
fi( x
∗
ik − x¯
f
k
), avec x
∗
ik, les coordonnées de haute dimensionnalité,
telles que définies dans l’équation (1.10). Il existe alors deux méthodes afin de pratiquer l’analyse
factorielle des correspondances (AFC) permettant de visualiser simultanément les modalités de
X et de Y .
La première se base sur la décomposition spectrale de la matrice des variances-covariances,
soit Σ = C
0C. Cette technique est largement décrite dans la littérature (voir par exemple
Greenacre, 1984, en particulier le chapitre 4, pp. 83-125 ; Lebart et al., 1995, section 1.3, pp. 67-
107 ; Le Roux et Rouanet, 2004, chapitre 2, pp. 23-74 ; Saporta, 2006, chapitre 9, pp. 201-217).
En outre, dans le logiciel R (R Core Team, 2013), il existe plusieurs packages qui produisent
des AFC, tels que « ca » (Nenadic et Greenacre, 2007) ou « FactoMineR » (Husson, Josse, Le
et Mazet, 2013).
Une seconde méthode consiste à appliquer un MDS et se base alors sur la décomposition
spectrale de la matrice des produits scalaires pondérés K = CC0
. Elle sera exposée dans la
section suivante.
Les deux matrices Σ et K étant duales (Bavaud et Cocco, accepté pour publication), ces deux
méthodes produisent des résultats complètement équivalents. Cependant, la seconde a l’intérêt
d’être plus générale, car applicable à toute dissimilarité euclidienne carrée, et d’introduire des
quantités utiles dans la suite de ce travail.
5. Dans le cas des dissimilarités du khi2, la matrice des produits scalaires entre les modalités de X se calcule de
manière analogue comme Bˆ = −
1
2HfDˆ(Hf
)
0
. Par dualité, la matrice des produits scalaires entre les modalités
de Y est définie comme Bˇ = −
1
2HρDˇ(Hρ
)
0
, avec Hρ = I − 1ρ
0
, la matrice de centration.
6. Soit dij , la distance euclidienne entre deux individus i et j, alors dij =
p
(dij )
2 =
p
Dij = D
0.5
ij . Comme
ϕ(Dij ) = D˜ij = D
0.5
ij est aussi une dissimilarité euclidienne carrée, alors dij est une dissimilarité euclidienne
carrée.16 1. TABLE DE CONTINGENCE ET AFC
1.4.1 MDS
Le but du MDS est de reconstituer les coordonnées d’un nuage de points dont on connaît
les dissimilarités. Le MDS classique (ou métrique), contrairement au MDS ordinal (ou nonmétrique),
s’applique exclusivement à des dissimilarités euclidiennes carrées et va créer des
coordonnées qui reproduisent exactement ces dissimilarités. Pour pouvoir appliquer le MDS
classique, la matrice des produits scalaires B, calculée par exemple par (1.21), doit donc être
semi-définie positive (cf. section 1.3.2), ce qui est bien le cas des dissimilarités du khi2 (cf. 1.11),
étant donné qu’elles sont euclidiennes carrées (1.9).
Le MDS, dans sa version ordinaire, (voir par exemple Mardia, Kent et Bibby, 1979) se base
sur la décomposition spectrale de B = UΛU
0 dont découlent les nouvelles coordonnées de l’objet
j sur le facteur α, soit xjα =
√
λαujα.
Par extension, le MDS pondéré (voir par exemple Cuadras et Fortiana, 1996; Bavaud, 2010)
est effectué grâce à la matrice K = (kij ) des produits scalaires pondérés définis comme :
kij =
p
fifj bij (1.23)
La décomposition spectrale de K = UΛU
0
, qui est semi-définie positive ssi B l’est aussi, permet
alors de calculer les nouvelles coordonnées comme xjα =
√
√
λα
fj
ujα.
Dans le cas particulier des dissimilarités du khi2, les produits scalaires entre les modalités de
X, Kˆ = (ˆkij ), et ceux entre les modalités de Y , Kˇ = (ˇkkl), sont définis, de manière analogue à
(1.23), comme :
ˆkij =
p
fifj
ˆbij ˇkkl =
√
ρkρl
ˇbkl (1.24)
La décomposition spectrale de Kˆ (respectivement de Kˇ ) engendre les vecteurs propres ujα
(respectivement vkα) et les valeurs propres λα (identiques pour les deux matrices de produits
scalaires), où α = 1, . . . , r et r ≤ min(m1, m2)−1. Avec ces derniers, les coordonnées factorielles
des modalités de X et de Y sont reliées par des formules de transition et calculées comme :
ykα =
√
λα √ρk
vkα =
1
√
λα
Xm1
j=1
fjqjkxjα (1.25a)
xjα =
√
p
λα
fj
ujα =
1
√
λα
Xm2
k=1
ρkqjkykα (1.25b)
Avec les coordonnées factorielles, il est alors possible de réécrire les dissimilarités du χ
2
, (1.6)
et (1.7), comme les distances euclidiennes carrées entre ces nouvelles coordonnées :
Dij =
Xr
α=1
(xiα − xjα)
2 Dkl =
Xr
α=1
(ykα − ylα)
2CHAPITRE 2
Classification supervisée et non supervisée
Il existe de nombreuses méthodes de classification, supervisée ou non, et de nombreuses
distinctions entre ces méthodes. Plutôt que d’en donner une vue exhaustive, ce chapitre vise
à expliciter quelques méthodes de classification (section 2.1 et 2.2) ainsi que des méthodes
d’évaluation des résultats obtenus (section 2.3), toutes utilisées dans les applications des parties
II et III.
Les méthodes de classification peuvent se diviser en deux groupes principaux : les méthodes
dites supervisées (section 2.2) et celles dites non supervisées (section 2.1). Ces deux types de
méthodes se distinguent par le fait que les groupes (ou classes) sont connus a priori dans
le premier cas, alors qu’ils ne le sont pas pour le second. Ainsi, l’avantage de la méthode
supervisée est que les groupes de départ ont, par construction, un sens clair pour l’utilisateur,
ce qui n’est pas garanti avec les méthodes non supervisées. En contre-partie, l’inconvénient
principal de la méthode supervisée est la nécessité de disposer de données dont on connaît le
groupe. Cela implique, pour le traitement informatique des textes, de créer un corpus annoté
conséquent, tâche exigente en ressources. L’avantage de la seconde méthode est donc de pouvoir
être appliquée directement aux corpus avec un minimum de traitement.
Généralement, ces méthodes considèrent un jeu de données X = (xik) multivarié, donnant
les caractéristiques k = 1, . . . , p des individus i = 1, . . . , n. La classification supervisée contient
une colonne supplémentaire spécifiant le groupe g = 1, . . . , m auquel appartient l’individu i.
Dans ce chapitre, toutes les méthodes de classification seront présentées en utilisant une matrice
de dissimilarités euclidiennes carrées D = (Dij ) entre les individus. Cette dernière
peut, typiquement, être calculée par (1.8) si les données de départ sont sous la forme d’un
jeu de données numériques X, ou par (1.6) ou (1.7) si elles sont sous la forme d’une table de
contingence. Les données sous forme de table de contingence seront les plus courantes dans l’ensemble
de ce travail. Ce choix, consistant à travailler sur des dissimilarités euclidiennes carrées,
va permettre de combiner les méthodes de classification abordées ici avec les transformations
de Schoenberg présentées dans la section 1.3.4.
2.1 Classification non supervisée
Comme déjà mentionné, pour les méthodes de classification non supervisée (clustering),
les groupes ne sont pas connus a priori.
Il existe de nombreuses méthodes de classification non supervisée (voir par exemple Jain,
Murty et Flynn, 1999). Pour résumer celles qui sont utilisées dans cette thèse, on peut d’abord
1718 2. CLASSIFICATION (NON-)SUPERVISÉE
classification
non supervisée
✓
✓
✓
✓
✓
✓
✓
✓
partitionnement
hiérarchique
❙
❙
❙
❙
❙
❙
❙
❙
partitionnement
non hiérarchique
ascendant
❅
❅
❅
❅
descendant
K-means
(dur)
section 2.1.2
❅
❅
❅
❅
K-means
flou
section 2.1.3
❛❛❛❛❛❛❛❛❛❛
...
✚
✚
✚
✚
✚
✚
✚
✚
saut
maximal
✔
✔
✔
✔
✔
✔
saut
minimal
saut
moyen
❚
❚
❚
❚
❚
❚
...
❩
❩
❩
❩
❩
❩
❩
❩
critère
de Ward
section 2.1.1
Figure 2.1 – Principales méthodes de classification non supervisée, avec, en gras, les méthodes
traitées dans ce travail, et, en italique, celles qui ne le sont pas.
opposer les algorithmes de partitionnement hiérarchique à ceux de partitionnement non hiérarchique
(figure 2.1).
Parmi les méthodes de partitionnement hiérarchique, on peut distinguer deux grandes familles
: la classification ascendante hiérarchique et la classification descendante hiérarchique.
La première est agglomérative, c’est-à-dire que l’on commence avec les n individus qui sont
successivement regroupés à chaque étape jusqu’à n’obtenir finalement plus qu’un seul groupe.
À l’inverse, la seconde est divisive : l’ensemble des individus est successivement fractionné à
chaque étape, pour aboutir finalement à n groupes formés chacun d’un seul individu. Seule la
première de ces familles sera traitée ici, et plus particulièrement la classification ascendante
hiérarchique avec le critère de Ward (section 2.1.1).
Concernant le partionnement non hiérarchique, seules deux méthodes seront abordées ici :
la méthode K-means (section 2.1.2) et la méthode K-means flou (section 2.1.3). La différence
principale entre ces deux méthodes est que la première effectue un partitionnement dur des
individus i en groupes g, alors que la seconde effectue un partitionnement flou. Pour rappel (cf.
section 1.3.3), dans le cas d’une matrice d’appartenance Z = (zig) dure, zig vaut 1 ou 0 selon que
l’individu i appartient ou non au groupe g ; alternativement, pour une matrice d’appartenance
floue, zig est la probabilité que l’individu i appartienne au groupe g.
Il existe deux distinctions importantes entre la classification ascendante hiérarchique et la
méthode K-means (flou ou non). Premièrement, l’algorithme K-means implique de choisir un
nombre de groupes initial, contrairement à la classification ascendante hiérarchique. Deuxiè-
mement, la classification ascendante hiérarchique s’appuie avant tout sur une matrice de dissimilarités
entre paires d’objets, alors que pour la méthode K-means, c’est une matrice de
dissimilarités objet-groupe. Dans le premier cas, les données les plus similaires seront regroupées
dans les mêmes groupes et, par suite, les plus dissimilaires seront classées dans des groupes
différents (section 2.1.1). Pour les dissimilarités objet-groupe, un nombre de centroïdes (ou2.1. Classification non supervisée 19
centres de gravité), correspondant au nombre de groupes choisis initialement, sera sélectionné.
Ensuite, itérativement, les données seront attribuées au groupe le plus proche et les centroïdes
re-positionnés (sections 2.1.2 et 2.1.3).
Au final, le point commun de toutes ces méthodes est qu’elles ont pour but de minimiser
l’inertie intra-groupe (ou intra-classe), et donc de maximiser l’inertie inter-groupe (ou interclasse),
créant ainsi des groupes homogènes. L’inertie (1.16) s’écrit aussi :
∆ = ∆W + ∆B (2.1)
où ∆W , pour des groupes g = 1, . . . , m, est l’inertie intra-groupe :
∆W =
Xm
g=1
ρg∆g (2.2)
avec ∆g, l’inertie du groupe g, définie en (1.19) ; et ∆B est l’inertie inter-groupe, soit :
∆B =
Xm
g=1
ρgDgf (2.3)
Dans cette équation, Dgf est la dissimilarité euclidienne carrée entre le centroïde du groupe g,
x¯
g
k =
P
i
f
g
i
xik, et la moyenne pondérée de l’ensemble des individus, x¯
f
k =
P
i
fixik. De plus,
pour rappel (cf. section 1.3.3), ρg =
P
i
fizig est le poids du groupe g ; et f
g
i = fizig/ρg, la
distribution des individus i dans le groupe g.
2.1.1 Classification ascendante hiérarchique, critère de Ward
Soit une matrice de dissimilarités, euclidiennes ou non, de composantes dij . La classification
ascendante hiérarchique regroupe les individus (ou objets) les plus similaires, qui vont former
de nouveaux individus agrégés, dont les plus similaires sont à nouveau regroupés pour créer,
au final, un dendrogramme. Le point crucial consiste à définir la dissimilarité entre le nouvel
individu formé par le regroupement de deux individus a et b, et un autre individu i, noté
comme d((a, b), i). Plusieurs critères d’agrégation, bien connus, ont été proposés pour calculer
cette nouvelle dissimilarité, tels que le saut maximal, le saut minimal, la moyenne des distances,
etc. (voir par exemple Lebart et al., 1995, section 2.2 ; Jain et al., 1999, section 5.1 ; Le Roux
et Rouanet, 2004, section 3.6 ; Saporta, 2006, section 11.3). Toutes ces méthodes constituent
des cas particuliers de la formule de Lance et Williams généralisée (voir par exemple Saporta,
2006, section 11.3.2.2). Parmi ces dernières, seul le critère de Ward, utilisé dans le chapitre 8,
est présenté ici.
Étant donné une matrice de dissimilarités euclidiennes carrées D = (Dij ), le critère de Ward
consiste à minimiser l’inertie intra-groupe et donc à maximiser l’inertie inter-groupe à chaque
étape. À la première étape, tous les individus représentent un groupe, et donc l’inertie intragroupe
est nulle (∆0
W = 0) et l’inertie inter-groupe est égale à l’inertie totale (∆0
B = ∆). Après
la première agrégation, l’inertie intra-groupe ∆1
W augmente, et l’inter-groupe ∆1
B
diminue, et ce
jusqu’à la dernière étape, r, lorsque tous les individus ne forment plus qu’un groupe. L’inertie
intra-groupe est alors maximale (∆r
W = ∆) ; et l’inter-groupe, minimale (∆r
B = 0).
Plus précisément, si à la première étape, les individus a et b sont regroupés, alors la différence
d’inertie intra-groupe vaudra ∆1
W − ∆0
W qui, en vertu de (2.1), sera équivalente à ∆0
B − ∆1
B
.
Cette différence s’écrit, avec (2.3), comme :
∆0
B − ∆1
B = ρ1D1f + ρ2D2f + · · · + ρaDaf + ρbDbf
− ρ1D1f − ρ2D2f − · · · − (ρa + ρb)D(ab)f
= ρaDaf + ρbDbf − (ρa + ρb)D(ab)f
(2.4)20 2. CLASSIFICATION (NON-)SUPERVISÉE
Par le principe fort de Huygens (1.15), avec f = (f1, f2) =
ρa
ρa+ρb
,
ρb
ρa+ρb
, on obtient le
théorème de la médiane :
D(ab)f =
1
ρa + ρb
(ρaDaf + ρbDbf −
ρaρb
ρa + ρb
Dab)
En remplaçant D(ab)f dans (2.4), la perte d’inertie inter-groupe, qui s’exprime finalement
comme :
δ(a, b) = ρaρb
ρa + ρb
Dab (2.5)
constitue le critère d’agrégation de la méthode de Ward.
Pratiquement, à la première étape, la matrice des dissimilarités, D, est transformée en une
nouvelle matrice de pertes d’inertie inter-groupe, D0 = (δ(i, j)), qui donne, pour chaque paire
d’individus (i, j), la valeur du critère d’agrégation (2.5). Comme avec les autres critères, la paire
d’individus dont la valeur est la plus petite (a et b par exemple) sont regroupés pour former
un nouvel individu. Puis, pour recalculer D1
, on peut soit recalculer δ((a, b), i) par (2.5) en
obtenant D(ab)i par (1.20), soit utiliser la formule de Lance et Williams avec les paramètres
adéquats (voir par exemple Le Roux et Rouanet, 2004, équation 3.14 ; Saporta, 2006, p. 259 ;
Murtagh et Legendre, 2011).
Il existe de légères variantes de cette méthode (Murtagh et Legendre, 2011). Il faut noter
qu’avec la fonction « hclust » du logiciel R et l’option « method = "ward" », qui a été utilisée
dans ce travail, les dissimilarités transmises à la fonction doivent être euclidiennes carrées
(Murtagh et Legendre, 2011).
2.1.2 K-means sur les dissimilarités
La méthode K-means (ou méthode des centres mobiles), déjà brièvement présentée avec les
dissimilarités objet-groupe au début de cette section, est relativement intuitive et sa paternité
n’est pas clairement établie. Lebart et al. (1995) proposent cependant quelques pistes dans
l’introduction de leur section 2.1. On peut, entre autres, noter que l’algorithme K-means présenté
par MacQueen (1967) diffère de la procédure ci-dessous, car la position des centroïdes (ou
centres de gravité) est recalculée après chaque nouvelle attribution d’un individu, et non après
l’attribution de tous les individus à tous les centroïdes.
Généralement, l’algorithme K-means est proposé en travaillant directement sur la table des
coordonnées X = (xik) et se compose de quatre étapes (voir par exemple Lebart et al., 1995,
section 2.1 ; Manning et Schütze, 1999, section 14.2.1 ; Saporta, 2006, section 11.2.1).
La première opération, étape 0), consiste à choisir un nombre de groupes m. Ensuite, les
m centres provisoires sont positionnés aléatoirement, bien que souvent sélectionnés parmi les
individus. Puis, l’algorithme se poursuit itérativement :
1) les distances entre les individus et les centroïdes (ou centres provisoires lors du premier tour),
Dig, sont calculées,
2) chaque individu est attribué au centroïde le plus proche,
3) les positions des centroïdes (moyennes pondérées x¯
g
k =
P
i
f
g
i
xik ou non des individus attribués
à un groupe) sont recalculées.
L’itération se poursuit jusqu’à convergence de la solution. Pour une justification de l’algorithme
montrant que l’inertie intra-groupe diminue à chaque itération, voir, par exemple, la section
2.1.2 de Lebart et al. (1995).
Avec le formalisme choisi ici, qui se base sur D = (Dij ), une matrice de dissimilarités qui
doivent être euclidiennes carrées , les étapes sont un peu différentes. Lors de l’initialisation, soit
lors de l’étape 0), on commence par décider d’un nombre de groupes m, comme dans la version
« ordinaire » de l’algorithme. Puis, une matrice d’appartenance dure Z de taille n×m est créée,2.1. Classification non supervisée 21
où chaque individu est attribué aléatoirement à un des m groupes (d’autres variantes existent).
À ce stade, on décide d’opérer deux vérifications supplémentaires pour effectivement avoir m
groupes à la fin des itérations. Premièrement, on contrôle qu’aucun groupe ne soit vide et on
réinitialise la procédure avec une nouvelle matrice Z le cas échéant. Deuxièmement, on vérifie
qu’il n’y ait pas une configuration des positions des centroïdes particulière qui engendrerait la
disparition d’un ou plusieurs groupes au premier tour d’itération. Pour ce faire, une première
itération est exécutée et si l’un des groupes disparaît, la matrice Z est recréée. Pendant cette
étape d’initialisation, on calcule aussi la matrice des dissimilarités euclidiennes carrées D =
(Dij ) entre tous les individus.
Les dissimilarités euclidiennes carrées entre les individus et le centroïde d’un groupe de
l’étape 1) sont déduites indirectement des dissimilarités Dij et de l’inertie d’un groupe (1.19)
grâce au principe fort de Huygens (1.18) :
Dig =
X
j
f
g
j Dij − ∆g (2.6)
Ces valeurs sont calculées pour chaque groupe, produisant ainsi une matrice de taille n × m.
Puis, l’étape 2) consiste à actualiser la matrice d’appartenance comme :
zig =
1 si g = argmin
h
Dih
0 sinon
(2.7)
Quant à l’étape 3), elle n’est plus nécessaire dans ce formalisme, car la position des centroïdes
est indirectement déduite de (2.7) dans (2.6).
Pour terminer, on choisit d’arrêter l’algorithme soit quand la matrice Z n’est plus modifiée,
soit lorsqu’un certain nombre d’itérations Nmax est atteint. Il faut noter que la solution finale
dépend de la position initiale des centres à l’étape 0).
Finalement, il est possible de combiner simplement la méthode K-means avec les transfomations
de Schoenberg (cf. section 1.3.4) en remplaçant, lors de l’initalisation, D par D˜ = ϕ(D).
Comme déjà mentionné, la seule transformation utilisée dans ce travail est celle de la puissance
(1.22).
2.1.3 K-means flou sur les dissimilarités
Les étapes de l’algorithme K-means flou sont presque identiques à celles de l’algorithme Kmeans
présenté ci-dessus. Une première différence est qu’à l’étape 0), au lieu de créer une matrice
d’appartenance dure, on décide de créer un matrice d’appartenance Z floue. Pour ce faire, une
matrice de taille n × m est créée avec des valeurs aléatoires extraites d’une loi uniforme et
comprises entre 0 et 1. Puis, les lignes sont normalisées pour que P
g
zig = 1. Pour le reste,
cette étape est identique à celle de la méthode K-means, i.e. il faut aussi choisir un nombre de
groupes m et calculer les dissimilarités euclidiennes carrées Dij .
L’étape 1) est strictement identique à l’étape 1) décrite en 2.1.2.
Naturellement, à l’étape 2), l’actualisation de la matrice d’appartenance est différente, soit
(voir par exemple Rose, Gurewitz et Fox, 1990; Bavaud, 2009) :
zig =
ρg exp(−βDig)
Xm
h=1
ρh exp(−βDih)
(2.8)
où Dig est défini par (2.6), ρg est le poids relatif du groupe g (cf. section 1.3.3) et β s’interprète
comme une « température inverse » ou l’inverse d’une variance, paramétrée comme β := 1/(trel×
∆) (Bavaud, 2010). Pour cette dernière, ∆ représente l’inertie, telle que définie par (1.16) à partir22 2. CLASSIFICATION (NON-)SUPERVISÉE
des dissimilarités Dij ; et trel, la température relative qui doit être fixée par l’utilisateur en amont,
tout comme le nombre de groupes de départ m. Il se trouve que les valeurs « intéressantes » de
trel se situent dans un intervalle compris entre 0.02 et 0.3 environ (cf. section 4.3.2), des valeurs
plus basses de trel générant des instabilités numériques. À l’inverse, des valeurs plus élevées
ne produisent qu’un seul groupe final, suite à l’agrégation effectuée lors de l’étape 4) décrite
ci-dessous.
L’équation (2.8) découle de la minimisation de l’inertie intra-groupe ∆W (2.2), régularisée
par un terme d’entropie (Rose et al., 1990) ou d’information mutuelle (Bavaud, 2009). Elle peut
aussi être dérivée de l’algorithme d’espérance-maximisation (EM) associé au modèle gaussien
multivarié isotrope (Celeux et Govaert, 1992; McLachlan et Krishnan, 1997).
À nouveau, on choisit d’itérer les étapes 1) et 2) jusqu’à la convergence de la solution ou
jusqu’à ce qu’un nombre maximum d’itérations, Nmax, soit atteint.
Ensuite, une étape supplémentaire d’agrégation entre les groupes dont les profils sont assez
similaires est effectuée, soit l’étape 4), réduisant le nombre de groupes de m à M. En effet, la
valeur de β contrôle l’étendue moyenne de chaque groupe et donc le nombre de groupes final M.
Ainsi, avec m ≤ n choisi assez grand, le nombre de groupes est indirectement, mais entièrement,
déterminé par le choix de trel. Plus précisément, plus β sera élevé, plus M le sera aussi.
Concrètement, à l’étape 4), l’agrégation entre deux groupes similaires s’effectue en additionnant
les appartenances des individus, i.e. z
[g∪h]
i = z
g
i +z
h
i
. Pour déterminer si deux groupes sont
assez similaires, on peut utiliser, comme critère de fusion des groupes : θgh/
p
θggθhh ≥ 1−10−5
,
où θgh =
Pn
i=1 fiz
g
i
z
h
i mesure le chevauchement entre g et h (Bavaud, 2010). Cette approche
produit généralement de bons résultats, sans toutefois empêcher l’apparition d’instabilités numériques
pour quelques valeurs de trel (voir section 4.3.2).
Finalement, une dernière étape 5) consiste à attribuer chaque individu au groupe le plus
probable, soit argmin
g
zig.
Cette méthode floue, un peu plus complexe à implémenter que la méthode K-means (dur), est
plus robuste par rapport au choix de la partition initiale. Elle a de plus l’avantage de ramener
le problème épineux de la détermination du nombre de groupes à celui de la dispersion β de ces
mêmes groupes, un paramètre plus facile à interpréter et indépendant de la taille des données.
2.2 Classification supervisée
Pour la classification supervisée (classification en anglais), on dispose d’un ensemble de
données (échantillon d’objets ou d’individus) dont on connaît les profils ou caractéristiques,
ainsi que le groupe (ou classe ou étiquette) de chaque individu. Dans un premier temps (phase
d’apprentissage), l’algorithme « apprend » des règles sur l’ensemble des données. Ensuite (phase
de test), on soumet de nouvelles données à l’algorithme, sans lui spécifier les groupes auxquels
ces données appartiennent, et il attribue un groupe à chaque donnée selon les règles élaborées
durant la phase d’apprentissage. Puisque l’on connaît les groupes auxquels les nouvelles données
appartiennent, la phase de test permet de vérifier si l’algorithme fonctionne correctement ou,
en d’autres termes, sa capacité à produire des règles généralisables.
Parmi les nombreuses méthodes de classification supervisée existantes, telles que le « classi-
fieur Bayésien naïf », les « séparateurs à vastes marges » (Support Vector Machine), les arbres
de décisions, les réseaux de neurones, la méthode des k plus proches voisins (kNN ), etc. (voir
par exemple Yang, 1999; Sebastiani, 2002, et références y incluses), seule l’analyse discriminante
(Fisher, 1936) sera présentée ici.2.2. Classification supervisée 23
2.2.1 Analyse discriminante sur les dissimilarités
Soit, comme ensemble d’apprentissage, un jeu de données, X = (xik), donnant les caracté-
ristiques k = 1, ..., p des individus i = 1, ..., n. Alors les dissimilarités euclidiennes carrées, Dij ,
entre deux individus i et j peuvent être caculées par (1.8) .
L’ensemble de test est formé d’individus supplémentaires. Les dissimilarités euclidiennes carrées
Dxj entre un individu x de l’ensemble de test et un individu j de l’ensemble d’apprentissage
sont, à nouveau, calculées selon (1.8).
Dans le cas particulier d’une table de contingence, dont les modalités en lignes sont des
individus i = 1, ..., n ; et celles en colonnes, des caractéristiques k = 1, ..., p, les dissimilarités
du khi2 entre deux individus de l’ensemble d’apprentissage ou entre un individu de l’ensemble
de test et un autre de l’ensemble d’apprentissage sont calculées par (1.6). Il est important de
remarquer que, dans ces deux cas, les poids des caractéristiques, ρk, sont déterminés à partir de
l’ensemble d’apprentissage uniquement. Ainsi, les colonnes qui ne seraient présentes que dans
l’ensemble de test devraient être supprimées.
k
i,j
x
Dij Dxj
Figure 2.2 – Principe du calcul des dissimilarités entre deux individus de l’ensemble d’apprentissage,
Dij , et entre un individu de l’ensemble de test et un autre de l’ensemble d’apprentissage,
Dxj .
Il est possible d’utiliser deux critères d’analyse discriminante. Le premier (plus proches voisins)
attribue le nouvel individu x de l’ensemble de test au groupe contenant les individus
d’apprentissage les plus proches de x en moyenne (Cocco, 2014), i.e. :
argmin
g
Xng
j=1
f
g
j Dxj (2.9)
où f
g
j = 1(j ∈ g)/ng est la distribution des individus j dans le groupe g, contenant ng individus
1
.
Le second critère (plus proche centroïde) attribue l’individu test x au groupe d’apprentissage
dont le centroïde est le plus proche (Bavaud, 2011; Cocco, 2014), soit :
argmin
g
Dxg (2.10)
où g est le profil moyen des ng individus constituant le groupe g. Ces deux critères sont liés
par le théorème de Huygens (1.18) qui permet de calculer les dissimilarités Dxg à partir des
dissimilarités Dxj et de l’inertie du groupe ∆g, calculée sur l’ensemble d’apprentissage (Dij ) par
(1.19). Ainsi, si les inerties de tous les groupes sont égales, alors les critères (2.9) et (2.10) sont
identiques ; sinon, l’attribution d’un nouvel individu au groupe g dépend tant de la position
du centroïde que de l’inertie du groupe pour le critère des plus proches voisins, alors qu’il ne
dépend que de la position du centroïde pour le critère du plus proche centroïde
Comme pour l’algorithme K-means, les deux critères ci-dessus peuvent être étendus en considérant
des transformations de Schoenberg (section 1.3.4), et en particulier la transformation
1. 1(A) représente la fonction caractéristique de A qui vaut 1 si A est vrai, et 0 sinon.24 2. CLASSIFICATION (NON-)SUPERVISÉE
de puissance (1.22). Cette transformation est appliquée, pour le premier critère (2.9), sur Dxj
transformé en D˜
xj = ϕ(Dxj ); et pour le second critère (2.10), sur Dxj et Dij , transformés en
D˜
xj = ϕ(Dxj ) et D˜
ij = ϕ(Dij ). Il faut noter que D˜
ij := ϕ(Dij ), donc ∆˜
g := 1/2
P
ij f
g
i
f
g
j D˜
ij ,
mais que D˜
xg := P
j
f
g
j D˜
xj − ∆˜
g 6= ϕ(Dxg). En d’autres termes, appliquer la transformation
de Schoenberg sur Dij et sur Dxj , avant d’utiliser le principe de Huygens pour obtenir Dxg,
n’est pas équivalent à utiliser le principe de Huygens pour déterminer Dxg, puis à y appliquer
la transformation de Schoenberg.
2.3 Évaluation
Il est souvent nécessaire de pouvoir évaluer une classification, qu’elle soit supervisée ou non.
En général, dans le cas d’une classification non supervisée, les groupes auxquels appartiennent
les individus ne sont pas connus a priori et les méthodes d’évaluation, basées sur des critères
internes (internal criteria), consistent alors principalement à vérifier l’homogénéité des groupes
(voir par exemple Estivill-Castro, 2002; Halkidi, Batistakis et Vazirgiannis, 2002). Elles ne seront
pas présentées ici. Cependant, pour une des applications présentée dans ce travail (chapitre 4),
basée sur un corpus restreint, une classification non supervisée a été effectuée, bien que les
groupes soient connus a priori. Dans ce cas, les groupes créés par l’algorithme ne possèdent
pas de signification particulière et ne sont pas forcément de même nombre que les groupes
« recherchés », rendant toute comparaison directe difficile. On peut alors utiliser une mesure
d’accord entre partitions (section 2.3.1) pour comparer les résultats connus a priori avec ceux
obtenus par l’algorithme (external criteria).
Concernant la classification supervisée, la comparaison entre les groupes connus a priori et les
résultats de l’algorithme est plus directe et de nombreux indices d’évaluation ont été proposés
dans la littérature (voir par exemple Manning et Schütze, 1999, section 8.1 ; Sokolova et Lapalme,
2009). Seuls trois indices seront présentés ici : la précision, le rappel et la F-mesure (section
2.3.2).
2.3.1 Accord entre partitions
On considère deux partitions, X et Y , obtenues soit avec deux classifications non supervisées
différentes (deux méthodes différentes ou en changeant un paramètre par exemple), soit par une
classification non supervisée et une autre créée par un expert humain. On peut alors construire
une table de contingence (section 1.1), dont les composantes njk comptent le nombre d’objets
ou d’individus attribués simultanément au groupe j de la première partition X et au groupe k
de la seconde partition Y . Toutes les mesures d’accord entre partitions se basent sur cette table
de contingence.
Il existe de nombreux indices servant à mesurer l’accord entre deux partitions (voir par
exemple Pfitzner, Leibbrandt et Powers, 2009), tels que l’indice de Meilˇa (Meilˇa, 2003) ou, dans
le cas de deux partitions binaires, le coefficient phi ou le Q de Yule (sections 1.2.2.2 et 1.2.2.3).
Seul deux de ces indices seront présentés et utilisés dans ce travail, à savoir : l’indice de Jaccard
et l’indice de Rand corrigé.
L’indice de Jaccard (Youness et Saporta, 2004; Denœud et Guénoche, 2006), dont les valeurs
varient entre 0 et 1, se définit comme :
J =
r
r + u + v
(2.11)
où r =
1
2
P
jk njk(njk −1) est le nombre de paires simultanément dans un même groupe dans X
et dans Y , u =
1
2
(
P
k n
2
•k −
P
jk n
2
jk) est le nombre de paires qui sont dans des groupes distincts
dans X et dans un même groupe dans Y et v =
1
2
(
P
j n
2
j• −
P
jk n
2
jk) compte le nombre de
paires dans le même groupe de X, mais dans des groupes distincts de Y .2.3. Évaluation 25
Quant à l’indice de Rand corrigé (Adjusted Rand Index ) (Hubert et Arabie, 1985; Denœud
et Guénoche, 2006), il se calcule comme :
RC =
r − Exp(r)
Max(r) − Exp(r)
(2.12)
Dans cette équation, Exp(r) = 1
2n(n−1)
P
i ni•(ni• − 1)P
j n•j (n•j − 1) représente le nombre
attendu de paires d’individus, sous l’hypothèse du hasard, dans un même groupe de X et dans
un même groupe de Y et Max(r) = 1
4
P
i ni•(ni•−1)+P
j n•j (n•j−1) calcule la valeur maximum
de l’indice de Rand. Ainsi, l’indice de Rand corrigé possède une valeur maximale de 1. De plus, il
vaut 0 lorsque les similarités entre les deux partitions correspondent aux valeurs attendues sous
l’hypothèse du hasard. Cependant, cet indice peut aussi prendre des valeurs négatives lorsque
r < Exp(r), i.e. que l’accord entre les deux partitions est moins bon qu’un accord obtenu au
hasard.
2.3.2 Précision, rappel et F-mesure
Comme déjà expliqué dans la section 2.2 sur la classification supervisée, après la phase d’apprentissage,
vient la phase de test où l’algorithme attribue un groupe g à chaque individu i de
l’ensemble de test (jeu de données de référence). Pour mesurer la performance de l’algorithme,
il faut alors comparer, pour chaque individu, le groupe attribué par l’algorithme (décision) à
celui déjà connu (référence).
Il existe trois mesures très généralement utilisées qui permettent d’évaluer les méthodes de
classification supervisée : la précision, le rappel et la F-mesure, qui combine les deux premières
(voir par exemple Manning et Schütze, 1999, section 8.1 ; Sebastiani, 2002 ; Sokolova et Lapalme,
2009 ; Cocco, 2014, dont cette section reprend une partie de l’exposé).
Avant tout, précisons qu’il existe différents problèmes de classification supervisée, à savoir :
binaire Il existe un seul groupe et chaque individu appartient ou non à ce groupe.
multi-classe Il existe m groupes et chaque individu appartient à un de ces m groupes.
multi-étiquette Il existe m étiquettes et chaque individu peut se voir attribuer une ou plusieurs
étiquettes. Évidemment, si une seule étiquette est attribuée à chaque
individu, alors cette classification est complètement équivalente à la classifi-
cation multi-classe.
Dans le cas d’une classification binaire pour un groupe g, on peut construire une matrice de
confusion
Groupe g Référence
Décision OUI NON
OUI VPg FPg
NON FN g VN g
dont les composantes comptent :
— les vrais positifs, VPg, i.e. le nombre d’individus attribués au groupe g par la classification
supervisée et classés dans le groupe g dans le jeu de données de référence,
— les faux positifs, FPg, i.e. le nombre d’individus attribués au groupe g par la classification
supervisée et non classés dans le groupe g dans le corpus de référence ,
— les faux négatifs, FN g, i.e. le nombre d’individus non attribués au groupe g par la classi-
fication supervisée et classés dans le groupe g dans le corpus de référence et
— les vrais négatifs, VN g, i.e. le nombre d’individus non attribués au groupe g par la classification
supervisée et non classés dans le groupe g dans le corpus de référence.26 2. CLASSIFICATION (NON-)SUPERVISÉE
Alors, la précision détermine le rapport entre le nombre d’individus correctement classés
par le système dans le groupe g et le nombre total d’individus classés dans ce même groupe g,
correctement ou non, soit :
Pg =
VPg
VPg + FPg
(2.13)
Quant au rappel, il se définit comme le rapport entre le nombre d’individus correctement
classés par l’algorithme dans le groupe g et le nombre d’individus appartenant effectivement à
ce groupe dans le jeu de données de référence :
Rg =
VPg
VPg + FN g
(2.14)
Si la classification est parfaite, alors la précision et le rappel seront tous deux égaux à 1. Un
système performant exige des valeurs élevées pour ces deux mesures. En effet, il serait simple,
de construire un système qui renvoie tous les documents dans le même groupe. Dans ce cas, et
pour ce groupe, le rappel serait égal à 1, mais la précision très faible, d’où la nécessité d’étudier
ces deux valeurs simultanément.
Dans son chapitre 7, van Rijsbergen (1979) propose de mesurer la proportion de la différence
entre les éléments appartenant réellement au groupe g et ceux attribués à ce même groupe par
l’algorithme, comme :
E = 1 −
1
α(
1
Pg
) + (1 − α)
1
Rg
où α est un paramètre défini comme α =
1
(β2+1) , dans lequel le nouveau paramètre β permet
de spécifier différentes situations, telles que :
— l’utilisateur attache la même importance à la précision et au rappel (β = 1 et α = 1/2),
— l’utilisateur n’attache aucune importance à la précision (β → ∞ et α → 0) et
— l’utilisateur n’attache aucune importance au rappel (β → 0 et α → 1).
La fonction Fβ, communément utilisée, n’est autre que 1 − E (Manning et Schütze, 1999,
section 8.1), soit :
Fβ =
(β
2 + 1)PgRg
β
2Pg + Rg
La F-mesure, cas particulier de la fonction Fβ pour β = 1, constitue la moyenne harmonique
entre la précision et le rappel :
Fg =
2PgRg
Pg + Rg
(2.15)
Dans le cas d’une analyse multi-classe ou multi-étiquette, deux types de moyennes des
mesures (2.13), (2.14) et (2.15) peuvent être utilisées pour évaluer la performance de la classi-
fication sur l’ensemble des groupes (voir par exemple Sebastiani, 2002, section 7), à savoir, la
macro-moyenne :
Pmacro =
Pm
g=1 Pg
m
Rmacro =
Pm
g=1 Rg
m
Fmacro =
2PmacroRmacro
Pmacro + Rmacro
(2.16)
et la micro-moyenne :
Pmicro =
Pm
g=1 VPg
Pm
g=1(VPg + FPg)
Rmicro =
Pm
g=1 VPg
Pm
g=1(VPg + FN g)
Fmicro =
2PmicroRmicro
Pmicro + Rmicro
(2.17)
Dans la macro-moyenne, tous les groupes ont le même poids, alors que dans la micro-moyenne,
tous les individus ont le même poids. Ainsi, dans cette dernière, les groupes les plus fréquents2.3. Évaluation 27
auront plus d’importance (Yang, 1999). On peut aussi remarquer que dans le cas d’une analyse
multi-classe, Pm
g=1 FPg =
Pm
g=1 FN g, ce qui implique que Pmicro = Rmicro = Fmicro (Van Asch,
2012).CHAPITRE 3
Indices d’autocorrélation et d’autocorrélation croisée
En analyse des séries temporelles (voir par exemple Box et Jenkins, 1976), la corrélation
croisée mesure la corrélation entre deux signaux numériques univariés, dont un est décalé d’un
certain temps (lag) par rapport à l’autre. Quant à l’autocorrélation, elle mesure la corrélation
croisée entre un signal et lui-même.
Les indices d’autocorrélation et d’autocorrélation croisée présentés dans ce chapitre ont une
double visée : d’une part, étendre l’analyse des séries temporelles à des problèmes numériques
multivariés, ainsi qu’à des variables catégorielles multimodales (via la dissimilarité du khi2) ; et
d’autre part, généraliser la notion de décalage à une notion de voisinage.
Soit i, j = 1, . . . , n, des positions ordonnées, et D = (Dij ), la matrice des dissimilarités
euclidiennes carrées entre ces positions. Plus précisément, ces dissimilarités sont calculées par
rapport aux caractéristiques k des unités localisées sur ces positions. En définissant un voisinage
par l’intermédiaire d’une matrice d’échange E = (eij ) (section 3.1), l’indice d’autocorrélation
(section 3.2) va mesurer la différence entre la variabilité des dissimilarités sur l’ensemble des
positions et la variabilité locale dans un voisinage, tel que défini par E. L’indice d’autocorrélation
croisée (section 3.3) généralise celui d’autocorrélation en considérant deux jeux de données et
mesure la similarité entre les positions de ces deux jeux, par rapport aux caractéristiques k de
chacun de ces jeux, selon le voisinage défini par E.
3.1 Matrice d’échange
Les voisins j de la position i sont déterminés par une matrice d’échange E = (eij ), de taille
n × n, qui a pour propriétés d’être :
— non négative,
— symétrique,
— compatible avec le poids des individus ei• = e•i = fi
,
— et normalisée e•• = 1.
Ainsi, eij peut s’interpréter comme la probabilité jointe de sélectionner les positions i et j, sans
considération de l’ordre de ces positions ; et ei• = fi
, comme la probabilité de sélectionner la
position i. On peut aussi remarquer que wij =
eij
fi
correspond aux composantes de la matrice
W = (wij ) de transition d’une chaîne de Markov de distribution stationnaire f.
2930 3. INDICES D’AUTOCORRÉLATION ET D’AUTOCORRÉLATION CROISÉE
3.1.1 Exemples
En toute généralité, les « positions » i, j réfèrent à des objets (localisés dans l’espace, dans le
temps, ou plus généralement simplement identifiés par leurs indices i, j) exempts de relations
mutuelles particulières a priori, ces dernières étant précisément définies par la matrice d’échange
E.
Dans cette thèse, le cas particulier des séries temporelles est abordé, ce qui signifie que les
indices i et j peuvent être mis en correspondance au moyen de relations de la forme j = i + r,
où r est un entier relatif. Parmi les nombreuses matrices d’échange potentiellement pertinentes
dans ce contexte particulier, trois familles seront présentées ici et utilisées par la suite.
La première matrice d’échange E˚, qu’on appellera matrice d’échange itérée, considère des
voisinages à r itérations avec corrections dans les bords (Bavaud, Cocco et Xanthos, 2012).
Pour r = 1, la matrice d’échange vaut 1
:
˚e
(1)
ij :=
1
2n
[1(j = i ± 1) + 1(i = j = 1) + 1(i = j = n)] (3.1)
Puis, pour r > 1, on définit E˚(r) = ΠWr
, avec Π = diag(f). Étant donné que cette matrice
produit des poids uniformes, tels que fi = 1/n, alors wij = n˚eij , avec ˚eij = ˚e
(1)
ij , et donc
E˚(r) =
1
nWr = n
(r−1)E˚r
.
La deuxième est une matrice d’échange périodique, E˘, qui considère les voisins j à une distance
(lag) r (à gauche et à droite) de la position i (Cocco et Bavaud, accepté pour publication) :
e˘
(r)
ij =
1
2n
[1(j = (i ± r) mod n) + 1((i ± r) mod n = 0) · 1(j = n)] (3.2)
Comme la matrice d’échange itérée, cette matrice d’échange produit des poids uniformes. De
plus, comme le voisinage est périodique, alors E˘(r) = E˘(n−r)
.
Finalement, la matrice d’échange à fenêtres mobiles, E˙
, considère toutes les positions dans
deux fenêtres de largeur r, l’une à gauche et l’autre à droite (Bavaud et al., 2012) :
e˙
[r]
ij =
c
[r]
ij
c
[r]
••
c
[r]
ij := 1(|j − i| ≤ r) · 1(i 6= j) (3.3)
Contrairement aux deux autres matrices, les poids résultants ne sont pas uniformes, mais plus
petits pour les positions de bord que pour les autres.
Toutes ces matrices d’échange dépendent principalement de la différence |j − i| des positions
i et j (à des effets de bord près), et l’on s’attend à ce que leur utilisation permette de révéler
d’autant mieux un phénomène que la loi le gouvernant soit stationnaire, i.e. invariante par
translation |j − i|. Ce qui, on peut le préciser, n’affecte en rien la question de la légitimité
de leur utilisation dans le cadre d’une analyse exploratoire de données, telle qu’effectuée aux
chapitres 6 et 8.
Deux exemples (r = 1 et r = 2) de chacun de ces trois types de matrices d’échange sont
présentés dans la table 3.1 pour 5 positions ordonnées. Le réseau non pondéré et non orienté
correspondant à chacun de ces six exemples est exposé dans la table 3.2. On remarque que
les matrices d’échange périodique et à fenêtres mobiles sont assez similaires, cependant elles
présentent deux différences essentielles :
— premièrement, comme son nom l’indique, la matrice d’échange périodique considère que
les positions sont périodiques et donc que la position 1 se trouve après la position n,
contrairement à la matrice d’échange à fenêtres mobiles ;
1. Comme déjà mentionné (cf. chapitre 2, note 1), 1(A) représente la fonction caractéristique associée à l’évé-
nement A.3.2. Indice d’autocorrélation 31
— deuxièmement, avec la matrice d’échange à fenêtres mobiles toutes les positions des deux
fenêtres de largeur r sont considérées, à l’inverse de la matrice d’échange périodique pour
laquelle on ne considère que deux positions à une distance r d’une position donnée, sans
prendre en compte les positions intercalaires qui les séparent.
r E˚ (itérée) E˘ (périodique) E˙ (fenêtres mobiles)
r = 1 1
10
1 1 0 0 0
1 0 1 0 0
0 1 0 1 0
0 0 1 0 1
0 0 0 1 1
1
10
0 1 0 0 1
1 0 1 0 0
0 1 0 1 0
0 0 1 0 1
1 0 0 1 0
1
8
0 1 0 0 0
1 0 1 0 0
0 1 0 1 0
0 0 1 0 1
0 0 0 1 0
r = 2 1
20
2 1 1 0 0
1 2 0 1 0
1 0 2 0 1
0 1 0 2 1
0 0 1 1 2
1
10
0 0 1 1 0
0 0 0 1 1
1 0 0 0 1
1 1 0 0 0
0 1 1 0 0
1
14
0 1 1 0 0
1 0 1 1 0
1 1 0 1 1
0 1 1 0 1
0 0 1 1 0
Table 3.1 – Exemples pour les trois matrices d’échanges étudiées, avec n = 5.
1 2 3 4 5
r E˚ (itérée) E˘ (périodique) E˙ (fenêtres mobiles)
r = 1
r = 2
Table 3.2 – Réseau non pondéré et non orienté des trois matrices d’échange étudiées, repré-
sentant les liens non nuls (eij > 0) entre les n = 5 positions.
3.2 Indice d’autocorrélation
L’indice d’autocorrélation se définit comme (Bavaud et al., 2012) :
δ :=
∆ − ∆loc
∆
∈ [−1, 1] (3.4)
où ∆ est l’inertie (globale) qui se calcule, à partir de la matrice des dissimilarités euclidiennes
carrées entre les positions Dij , par (1.16) et ∆loc est l’inertie locale, telle que :
∆loc :=
1
2
X
ij
eijDij
Cet indice d’autocorrélation généralise le I de Moran (Moran, 1950), la mesure standard
de l’autocorrélation spatiale d’une variable numérique, ou son complémentaire, le c de Geary
(Geary, 1954; Lebart, 1969), au cas multivarié. Concernant l’interprétation, comme le montre
l’équation (3.4), δ sera élevé si les individus sont plus similaires dans le voisinage défini par E
qu’en prenant des positions choisies aléatoirement, et inversement.
Rappelons que la dissimilarité euclidienne carrée Dij est basée sur les caractéristiques des
unités apparaissant en i et j. Dans le cas de caractéristiques catégorielles, Dij ne sera autre32 3. INDICES D’AUTOCORRÉLATION ET D’AUTOCORRÉLATION CROISÉE
que la dissimilarité du khi2 entre les lignes (ou les colonnes) i et j de la table de contingence
associée, calculée par (1.6) (ou (1.7)), ou encore par (1.9) : voir le chapitre 8. Le chapitre 6 décrit
d’autres applications impliquant des dissimilarités euclidiennes carrées distinctes de celles du
khi2.
3.2.1 Test d’autocorrélation
L’espérance de l’indice d’autocorrélation sous l’hypothèse H0 d’absence d’autocorrélation vaut
(voir par exemple Bavaud, 2013) :
E0(δ) = trace(W) − 1
n − 1
(3.5)
avec W = (wij ), la matrice de transition de Markov, telle que définie dans la section 3.1. Concernant
les exemples de la section 3.1.1, l’espérance sous indépendance de la matrice d’échange
itérée est variable selon r et vaut E
(r)
0 = (trace(Wr
) − 1)/(n − 1), alors qu’elle a une valeur fixe
pour les deux autres matrices d’échange, soit E
(r)
0 = −1/(n − 1).
La variance correspondante s’écrit (voir par exemple Cliff et Ord, 1981) :
Var0(δ) = 2
n2−1
h
trace(W2
) − 1 −
(trace(W)−1)2
n−1
i
Sous approximation normale, on peut ainsi évaluer la significativité statistique de l’indice
d’autocorrélation au niveau α en effectuant le test suivant :
δ − E0(δ)
p
Var0(δ)
≥ u1−α/2
(3.6)
où u1−α/2 est le α-ème quantile de la loi normale standardisée.
3.3 Indice d’autocorrélation croisée
Soit deux jeux de coordonnées X = (xik) et Y = (yik) munis des mêmes positions i = 1, . . . , n
et des mêmes caractéristiques k = 1, . . . , p, mais dont les valeurs diffèrent 2
. Alors, on définit
l’indice d’autocorrélation croisée comme (Cocco et Bavaud, accepté pour publication) :
δ(X, Y ) := ∆(X, Y ) − ∆loc(X, Y )
p
∆(X)∆(Y )
∈ [−1, 1] (3.7)
Dans cette équation, ∆(X) représente l’inertie globale de X (1.16), identique à celle utilisée
dans (3.4). Puis, en définissant la dissimilarité croisée entre deux positions i et j des deux jeux
de coordonnées X et Y comme :
D
xy
ij =
X
k
(xik − xjk)(yik − yjk)
on peut définir l’inertie croisée entre X et Y comme :
∆(X, Y ) = 1
2
X
ij
fifjD
xy
ij =
X
i
fi
X
k
xikyik −
X
k
x¯ky¯k
et l’inertie croisée locale comme :
∆loc(X, Y ) = 1
2
X
ij
eijD
xy
ij =
X
i
fi
X
k
xikyik −
X
ij
eij X
k
xikyjk
2. Il pourrait s’agir, par exemple, de différents indices k concernant la population, tels que le taux de naissance
ou d’immigration, pour des régions i, à deux dates différentes, soit X et Y .3.3. Indice d’autocorrélation croisée 33
Étant donné que ∆(X, X) = ∆(X) et que ∆loc(X, X) = ∆loc(X), il apparaît que l’indice
d’autocorrélation croisée est une généralisation de l’indice d’autocorrélation, car δ(X, X) =
δ(X) = δ, tel que défini dans l’équation (3.4).
L’indice δ(X, Y ) (3.7) est applicable à deux jeux de coordonnées, X et Y , ssi, comme déjà
mentionné, les deux jeux de coordonnées sont munis des mêmes positions i et des mêmes caractéristiques
k, mais aussi ssi les poids des positions de X, f
x
i
, sont identiques à ceux de Y , f
y
i
,
soit f
x
i = f
y
i = fi
. L’autocorrélation croisée δ(X, Y ) peut aussi se concevoir comme une version
pondérée du coefficient de codispersion (voir par exemple Matheron, 1965; Rukhin et Vallejos,
2008) utilisé en Géostatistique.
Si les données de départ sont catégorielles, alors l’indice d’autocorrélation croisée entre deux
tables de contingence Nα et Nβ
est δ(
∗Xα, X∗ β
) (respectivement δ( Y
∗ α, Y∗ β
)), où x
∗ α
ik et
x
∗ β
ik (respectivement y
∗ α
ik et y
∗ β
ik) sont les coordonnées de haute dimensionnalité (1.10) des
lignes (respectivement des colonnes). Dans ce cas, l’indice d’autocorrélation croisée δ(
∗Xα, X∗ β
)
mesure la similarité entre la distribution des caractéristiques catégorielles k de la table de
contingence α et la distribution des caractéristiques de la table β dans un voisinage déterminé
par E. Il est ainsi utilisé dans le chapitre 8, section 8.3.Partie II
APPLICATIONS TEXTUELLES
35CHAPITRE 4
Classification non supervisée en types de discours
Le travail présenté dans ce chapitre est à la fois un résumé et une extension de trois articles
(Cocco, Pittier, Bavaud et Xanthos, 2011; Cocco, 2012a,b) et en reprend de larges extraits. Le
but de ce chapitre est de catégoriser automatiquement des propositions énoncées par rapport
à des séquences textuelles, comprises ici comme des types de discours, tels que le narratif,
l’argumentatif, l’explicatif, le descriptif, le dialogal et l’injonctif (section 4.1.1).
Pour ce faire, quatre contes de Maupassant ont d’abord été segmentés en propositions et
annotés par un expert humain (section 4.1). Ensuite, les propositions ont été représentées à
l’aide d’une AFC (section 4.2.1). Puis elles ont été classées automatiquement (classification non
supervisée) en se basant sur les catégories morphosyntaxiques (CMS) qu’elles contiennent, et
plus précisément sur les n-grammes de CMS et les résultats sont évalués par le biais d’indices
d’accords entre partitions (section 4.3).
Les CMS ont été choisies comme caractéristiques de cette classification non supervisée, car
elles ont déjà montré leur utilité dans des travaux connexes. En effet, les CMS ont été de
plus en plus exploitées, parmi d’autres caractéristiques, pour la catégorisation automatique de
textes depuis les travaux de Biber (1988), qui s’intéresse à la détection de types de textes. Par
exemple, Malrieu et Rastier (2001) travaillent sur la distinction, d’une part, et la classification
automatique, d’autre part, de textes selon les genres (comédie, tragédie, drame, etc.) et selon
les discours (littéraire, juridique, politique, etc.) en utilisant des variables majoritairement morphosyntaxiques.
Karlgren et Cutting (1994) s’intéressent à la classification supervisée en genres
de textes avec des CMS. On peut encore citer Palmer, Ponvert, Baldridge et Smith (2007) qui
travaillent, en utilisant des CMS parmi d’autres caractéristiques, sur la classification supervisée
de situation entities, un élément essentiel des modes de discours (modes of discourse) en
linguistique anglaise (Smith, 2003), concepts relativement similaires aux types de discours en
linguistique française. Pour déterminer si les CMS sont également utiles dans la détection des
types de discours traités ici, une analyse préliminaire visant à mesurer le lien entre les CMS et
les types de discours est effectuée dans la section 4.1.4. Finalement, la méthode et les résultats
obtenus sont discutés dans la section 4.4.
4.1 Données
Les données se composent de quatre contes de Maupassant, du 19ème siècle, annotées en
types de discours par un expert humain. Ce dernier a proposé de travailler sur des contes de
Maupassant pour trois raisons : les textes n’étaient pas trop longs et pouvaient être annotés
en un temps raisonnable, ils étaient susceptibles de contenir tous les types de discours et ils
3738 4. CLASSIFICATION NON SUPERVISÉE EN TYPES DE DISCOURS
étaient disponibles sur Internet. Aussi, un seul auteur et un seul genre sont considérés, car
comme déjà expliqué dans l’introduction, les CMS varient en fonction des genres, mais aussi en
fonction de l’auteur (voir par exemple Koppel et Schler, 2003). L’expert humain a utilisé des
balises XML pour annoter les textes, une pratique standard dans ce domaine (voir par exemple
Daoust, Marcoux et Viprey, 2010). Avant de pouvoir annoter les textes en types de discours, il a
commencé par segmenter le texte en propositions énoncées, car le niveau des phrases, composées
d’une ou plusieurs propositions énoncées, était trop grossier. C’est cette segmentation manuelle
qui va servir de base à la classification non supervisée.
Après avoir présenté les critères utilisés par l’expert humain pour l’annotation en types de
discours (section 4.1.1), le corpus, ainsi que quelques statistiques descriptives le caractérisant,
sont exposés dans la section 4.1.2. Ensuite, le prétraitement pour la création des tables de
contingence croisant les propositions et les CMS est expliqué (section 4.1.3). De plus, comme
déjà mentionné dans l’introduction de ce chapitre, une analyse préliminaire a été effectuée afin
de s’assurer que les CMS sont des caractéristiques utiles à la distinction des types de discours
et les résultats sont présentés dans la section 4.1.4.
4.1.1 Types de discours et annotation
Les types de discours retenus pour ce projet sont adaptés des travaux de Jean-Michel Adam,
spécialiste en linguistique textuelle et de Jean-Paul Bronckart, spécialiste en psycholinguistique
et didactique des langues.
En premier lieu, il faut noter que l’appellation « types de discours » est abusive, mais sera
généralement utilisée dans ce qui suit. En effet, même si elle est courante en Français (Filliettaz,
2001), le terme « types de séquences » est plus précis, car il fait référence à des passages de textes
et non à des textes entiers, et c’est celui utilisé par Adam (2008a,b) en général et par Bronckart
(1996) lorsqu’il aborde les types traités ici. De plus, lorsque Bronckart (1996, section 5.2) parle de
types de discours, il distingue quatre architypes psychologiques : le discours interactif, le discours
théorique, le récit interactif et la narration, qu’il différencie des séquences décrites par Adam
(2008a,b). Partant de cela, il définit ensuite des types linguistiques (Bronckart, 1996, section
5.3). Au chapitre suivant, il passe en revue les « Séquences et autres formes de planification »
qui sont les éléments traités dans ce projet, (Bronckart, 1996, p. 219, chapitre 6) :
Dans notre approche, les types de discours constituent les ingrédients fondamentaux de
l’infrastructure générale des textes, [...] L’infrastructure textuelle se caractérise cependant
aussi par une autre dimension, qui est celle de l’organisation séquentielle ou linéaire
de son contenu thématique.
De là, il reprend les séquences décrites par J.-M. Adam auxquelles il ajoute la séquence injonctive.
Les types de discours (ou séquences) considérés par Adam (2008a,b) sont le narratif, l’argumentatif,
l’explicatif, le dialogal et le descriptif. En plus de ces cinq types, on considérera ici le
type de discours (ou séquence) injonctif, suggéré par Bronckart (1996), qui, dans les textes traités
dans ce projet, est toujours un « sous-type » du type dialogal 1
. Il a été demandé à l’expert
humain, Raphaël Pittier, alors étudiant de master en sciences du langage et de la communication,
ainsi qu’en français moderne (orientation linguistique française), d’annoter des textes
selon ces six types de discours en se basant sur le travail de Adam (2008a,b) et Bronckart
(1996). Dans ce qui suit, les types sont définis selon ces théories, ainsi que selon les critères retenus
par l’expert humain, spécialiste dans ce domaine. De plus, il est fait mention des marques
linguistiques que ce dernier a trouvé pertinentes.
Il faut aussi noter que Adam (2008a,b) différencie les périodes et les séquences de chaque
type ; les séquences étant plus complexes et étendues que les périodes. Dans le cadre de ce
1. Pour l’anglais, l’appellation courante semble être Modes of discourse et selon Smith (2003), il y en a cinq :
narrative, description, report, information et argument.4.1. Données 39
travail, cette distinction n’a pas été retenue. C’est pourquoi, les parties de textes, annotées
comme étant d’un certain type, peuvent être des séquences ou des périodes ; voire même des
parties plus courtes que la période comme dans le cas du discours direct pour le type dialogal
(voir section 4.1.1.5). Néanmoins, il est important d’envisager les différences entre séquences et
périodes dans l’esposé théorique des types de discours.
4.1.1.1 Narratif
Le type de discours narratif correspond au récit raconté. Trois sortes de parties de textes ont
été annotées comme étant narratives :
1. la séquence narrative qui est composée d’étapes précises, dont certaines sont facultatives
(cf. Adam, 2008a, schéma 20, p. 147) :
— Pn0 : entrée-préface ou résumé : facultative,
— Pn1 : situation initiale (orientation),
— Pn2 : noeud (déclencheur),
— Pn3 : (ré-)action ou évaluation,
— Pn4 : dénouement (résolution),
— Pn5 : situation finale,
— PnΩ : chute ou évaluation finale (morale) : facultative.
Lorsque les étapes facultatives sont présentes, on ne parle plus de séquence narrative, mais
d’intrigue narrative.
2. la période narrative ou l’épisode narratif où un état de départ est suivi d’un événement
qui transforme cet état initial afin de parvenir à un autre état.
3. le narratif itératif qui correspond à une description d’actions répétées ou simplement à
des actions répétées, comme par exemple : « Tous les matins, il buvait du café... ». En
raison de la répétition, cette catégorie de texte, annotée comme narrative, tend vers le
type de discours descriptif.
Marques linguistiques : Pour la séquence narrative (point 1), tout comme pour la période
narrative (point 2), on note souvent la présence de passé simple, mais ce n’est pas un critère
absolu. En plus du passé simple, il peut exister des déclencheurs tels que la conjonction or ou
la locution adverbiale tout à coup. Une autre tendance est la juxtaposition d’actions, soit des
groupes qui se suivent dans l’ordre chronologique, comme par exemple : « Il alla à la bibliothèque,
prit un livre, lut trois pages... ». Pour le narratif itératif (point 3), l’imparfait est généralement
utilisé. Mais à nouveau, il s’agit plus d’une tendance que d’un critère absolu. Bronckart (1996,
pp. 179–181) propose une liste de marques linguistiques pour la narration, dont certaines, listées
ci-avant, correspondent à celles utilisées par l’expert humain.
4.1.1.2 Argumentatif
Le type de discours argumentatif correspond à des textes, ou parties de textes, ayant pour
but de convaincre l’autre de son argument, c’est-à-dire de démontrer, justifier ou réfuter une
thèse.
En résumé, la séquence argumentative se compose (cf. Adam, 2008a, schéma 21, p. 150) :
— de données (prémisses) ou fait(s), suivies
— d’un étayage qui mène à
— une assertion conclusive.
Une présentation plus complète de cette séquence est exposée dans Adam (2008a, schéma 22,
p. 151).
Concernant la période argumentative, il s’agit d’une « suite de propositions liées par des
connecteurs argumentatifs » (Adam, 2008a, p. 150). Pour ce projet, nous avons considéré que40 4. CLASSIFICATION NON SUPERVISÉE EN TYPES DE DISCOURS
lorsque les prémisses sont implicites ou déjà mentionnées en amont, ou que l’étayage est implicite
ou douteux, il s’agissait d’une période argumentative.
Marques linguistiques : Présence de connecteurs argumentatifs qui peuvent être (Adam,
2008a, p. 120) :
— argumentatifs et concessifs : mais, pourtant, cependant, certes, toutefois, quand même, ... ;
— explicatifs et justificatifs : car, parce que, puisque, si - c’est que, ... ;
— de simples marqueurs d’un argument : même, d’ailleurs, de plus, non seulement, ... ; et
— le si et le quand des phrases hypothétiques.
4.1.1.3 Explicatif
Le type explicatif se différencie du type argumentatif par sa fonction, qui n’est pas de
convaincre, mais d’expliquer quelque chose de non su. Il s’agit plutôt de délivrer un type de
savoir encyclopédique. L’explication répond à la question « Pourquoi ? » (Adam, 2008b, pp.
127–138).
La séquence explicative (cf. Adam, 2008a, schéma 26, p. 157) :
— commence par une schématisation initiale qui présente un objet complexe ;
— ensuite, par un premier opérateur pourquoi, passe à une schématisation qui construit
l’objet comme problématique ;
— enfin, par un second opérateur parce que, passe à une schématisation explicative.
Quant aux périodes explicatives, elles sont souvent composées d’une proposition qui pose
un problème et qui est introduite par si et d’une explication introduite par c’est que ou c’est
parce que (Adam, 2008a, p. 153).
Marques linguistiques : Présence de locutions phraséologiques telles que (Adam, 2008a,
section 4.5) : (Si)... c’est parce que/c’est pour (que)/c’est pourquoi/c’est que/c’est en raison
de/cela tient à..., voilà pourquoi..., etc.
4.1.1.4 Descriptif
Le type descriptif consiste en un arrêt sur image où le temps de l’histoire s’arrête. Ce type de
discours correspond donc à l’attribution des propriétés propres à un sujet, qu’il soit animé ou
non. Il peut s’agir, par exemple, d’un personnage, d’un objet, d’un lieu ou d’une action (pour
cette dernière, il s’agira plutôt, en général, de narratif itératif). Au plan de l’équilibre textuel,
on n’observe pas une forme de séquence, mais plutôt différentes opérations, à savoir (Adam,
2008a, section 4.2) les opérations :
— de thématisation,
— d’aspectualisation,
— de mise en relation et
— d’expansion par sous-thématisations.
Par exemple, dans les opérations d’aspectualisation, le sujet à décrire peut être fragmenté en
parties. Puis, ces parties peuvent être qualifiées par des adjectifs (Adam, 2008a, p. 142). En
d’autres termes, des propriétés sont attribuées (essentiellement des adjectifs) au substantif de la
description par l’intermédiaire, en général, d’un verbe d’état. Un substantif peut aussi remplacer
l’adjectif, comme dans la phrase : « Cette table est un chef-d’œuvre. ».
Il faut encore noter que la description n’est pas, en général, dominante, mais plutôt au service
d’un autre type (Bronckart, 1996, p. 238), notamment de la narration (Adam, 2008b, p. 100).
Marques linguistiques : Plusieurs marques linguistiques se retrouvent pour ce type :
— utilisation, en général, de verbes au passé et souvent à l’imparfait (cependant, lorsque la
narration ou le discours est au présent, la description sera aussi au présent) ;4.1. Données 41
— forte proportion d’adjectifs, en raison de l’attribution de propriétés par des groupes nominaux
de la forme nom + adjectif (Adam, 2008a, p. 142) ;
— présence d’organisateurs spatio-temporels : à gauche, à droite, hier, demain, en haut, en
bas, au premier plan, au second plan,... ;
— présence de verbes d’état : être, paraître, sembler,... ; et
— présence, parfois, de constructions analogiques par l’intermédiaire de mots, tels que comme,
tel, etc.
4.1.1.5 Dialogal
Le type dialogal se comprend comme la représentation d’un échange verbal se situant à un
niveau différent du reste du récit ; il peut aussi se trouver dans un système verbo-temporel
différent. Par exemple, un dialogue au présent peut être inclus dans une narration au passé.
Théoriquement, la séquence dialogale implique un échange. Typiquement, un texte conversationnel
se compose (cf. Adam, 2008a, schéma 29, p. 161) :
— d’un échange d’ouverture (séquence phatique) ;
— d’une séquence transactionnelle comprenant
— une question,
— une réponse et
— une évaluation ; et
— d’un échange de clôture (séquence phatique).
Notons que dans l’annotation utilisée pour ce travail, le discours direct a été considéré comme
étant de type dialogal.
Marques linguistiques : Présence de guillemets, changement de tiroir verbo-temporel et,
souvent, ponctuation forte, telle que le point d’interrogation ou d’exclamation. Parfois, on trouve
aussi les points de suspension qui indiquent un discours non terminé ou interrompu. De plus,
on note la présence de verbes introducteurs de discours direct tels que il dit, elle demanda, etc.
Bien que ces verbes n’appartiennent pas directement au discours direct, ils permettent de faire
la transition entre le récit principal et le discours direct.
4.1.1.6 Injonctif
Le type injonctif représente le fait d’ordonner quelque chose à quelqu’un. C’est une incitation
à l’action, dont les formes de textualisation varient selon le genre de cette incitation (Adam,
2008a, p. 133). En résumé, le but est de « faire agir le destinataire d’une certaine manière
ou dans une direction donnée » (Bronckart, 1996, p. 240). Ce type est considéré par Bronckart
(1996), mais rejeté par Adam qui reconnaît les propriétés d’incitation à l’action du discours
injonctif, mais qui se demande s’il ne s’agit pas d’« actualisations singulières d’un simple genre
de description » (Adam, 2008b, p. 95).
Il se trouve que, dans le corpus traité ici, le type de discours injonctif est toujours placé dans
une séquence dialogale (ou dans du discours direct).
Marques linguistiques : Verbes à l’impératif, points d’exclamation et verbes introducteurs
du dialogue tel que il lui ordonna.
Remarque : Ce type de discours étant constamment inclus dans le type de discours dialogal
dans nos textes, il serait possible de ne pas le considérer et d’attribuer tout ce qui le concerne
au type dialogal, réduisant ainsi le nombre de types de discours à cinq. S’il s’agissait d’un texte
correspondant à une recette de cuisine et annoté comme injonctif, il faudrait alors lui attribuer
le type descriptif selon les séquences décrites par (Adam, 2008b, p. 95), mais cette situation ne
se produit jamais dans les textes utilisés dans ce travail.42 4. CLASSIFICATION NON SUPERVISÉE EN TYPES DE DISCOURS
4.1.1.7 Structure hiérarchique et récursive
Il est clair que ces types de discours ne sont pas univoques et que leur interprétation pourrait
différer pour un autre expert. Il faut encore ajouter que ces périodes ou séquences sont
généralement imbriquées les unes dans les autres. Par exemple, dans un conte, on ne sera pas
surpris de trouver une longue séquence narrative, parfois le conte entier, qui contiendra d’autres
séquences, explicatives ou descriptives par exemple. Ces dernières pourront à leur tour contenir
d’autres séquences du même type ou d’un autre type. Comme déjà expliqué, l’annotateur
a utilisé des balises XML pour annoter le texte, ce qui a permis de prendre en compte cette
structure hiérarchique (cf. figure 4.1). Cependant, dans la suite de ce chapitre, la structure du
texte est considérée comme linéaire et seules les feuilles de l’arbre sont traitées.
4.1.2 Corpus
Comme déjà mentionné, l’expert humain a segmenté et annoté quatre textes de Maupassant
qu’il a obtenu sur internet :
— « L’Orient » (de Maupassant, 1883),
— « Le Voleur » (de Maupassant, 1882),
— « Un Fou ? » (de Maupassant, 1884) et
— « Un Fou » (de Maupassant, 1885).
Il a choisi de traiter des contes de Maupassant, car il estimait que ces textes étaient susceptibles
de contenir les six types de discours. Il faut aussi préciser que puisque l’annotation a été une
tâche difficile qui a nécessité beaucoup de temps, il n’a pu annoter que quatre textes.
Pour annoter ces quatre textes, l’expert a utilisé les balises XML suivantes :
. . . Balises ouvrantes et fermantes qui délimitent les propositions.
Balises vides qui marquent la fin des paragraphes (ou les retours chariot).
. . .
Balises ouvrantes et fermantes qui délimitent les différents types de discours
et contiennent un attribut, nommé type, indiquant le type de discours.
Une valeur supplémentaire, nommée date, a été ajoutée à cet attribut
pour le texte « Un Fou » ; ceci afin de délimiter les dates, ce texte
étant écrit sous la forme d’un journal intime.
Un exemple est présenté dans la figure 4.1 pour le texte « L’Orient » et l’ensemble des quatre
textes annotés se trouve dans l’annexe A.
Je le trouvai tantôt couché sur un divan,
en plein rêve d’opium.
Il me tendit la main sans remuer le corps,
et me dit :
Reste là, parle,
je te répondrai de temps en temps,
mais je ne bougerai point,
car tu sais qu’une fois la drogue avalée
il faut demeurer sur le dos.
Figure 4.1 – Extrait annoté de « L’Orient » correspondant aux lignes 14 à 29 de l’annexe A.1.4.1. Données 43
Les statistiques descriptives concernant les quatre textes annotés par l’expert humain sont
données dans la table 4.1. Ces valeurs sont basées sur l’utilisation d’unigrammes. Pour les biet
les trigrammes, on a supprimé les propositions composées respectivement de moins de deux
ou trois occurrences selon TreeTagger (Schmid, 1994), l’outil utilisé pour annoter les textes en
CMS. Ainsi, pour « L’Orient », trois propositions ont été retirées pour l’analyse basée sur des
trigrammes. Concernant « Le Voleur », une proposition a été supprimée pour l’utilisation de
trigrammes. Pour le texte « Un Fou ? », treize propositions ont été soustraites, à nouveau pour
l’analyse avec des trigrammes. Pour le texte « Un Fou », une étape additionnelle a été effectuée.
Comme déjà mentionné, des balises supplémentaires entourant les dates ont été ajoutées, car ce
texte est écrit, majoritairement, sous la forme d’un journal intime et il est difficile d’attribuer
les dates à l’un des six types de discours proposés. Ces dates ont donc été retirées, réduisant
le nombre de proposition de 401 à 376. Finalement, deux propositions ont été retirées pour les
bigrammes et dix de plus pour les trigrammes.
Textes ] phrases ] prop.
] occurrences ] formes % de types de discours selon l’expert humain
ponct. s/ ponct. mot CMS nar arg expl descr dial inj
L’Orient 88 189 1’749 1’488 654 27 28.04 4.23 19.05 20.11 25.93 2.65
Le Voleur 102 208 1’918 1’582 667 29 61.54 4.81 4.81 12.02 13.94 2.88
Un Fou ? 150 314 2’625 2’185 764 28 33.76 18.15 14.65 10.51 14.65 8.28
Un Fou 242 376 3’065 2’548 828 29 42.55 17.82 11.70 13.83 1.86 12.23
Table 4.1 – Statistiques descriptives pour les quatre textes annotés de Maupassant. Pour le
texte « Un Fou », les dates ont préalablement été retirées du texte. Nombre de phrases telles que
considérées par TreeTagger (Schmid, 1994). Nombre de propositions telles que segmentées par
l’expert humain. Nombre d’occurrences (tokens) incluant les ponctuations et les mots composés
comme TreeTagger les a étiquetés. Nombre d’occurrences sans ponctuations, ni chiffres, et dont
les mots composés sont considérés comme des occurrences séparées. Nombre de formes (types) de
mots. Nombre de formes de CMS. Les dernières colonnes donnent le pourcentage de propositions
pour chaque type de discours (nar = narratif, arg = argumentatif, expl = explicatif, descr =
descriptif, dial = dialogal et inj = injonctif).
4.1.3 Prétraitement
Par l’intermédiaire d’un programme écrit en Perl, chacun des quatre textes est transformé
en trois tables de contingence, N = (nik), comptant, pour chaque proposition i délimitée par
l’annotateur, le nombre nik de chaque uni-, bi- ou tri-gramme de CMS de type k. De surcroît,
le type de discours de chaque proposition est extrait des textes annotés et ajouté comme une
colonne supplémentaire.
Dans le détail, le texte est d’abord étiqueté par TreeTagger (Schmid, 1994) à l’aide du module
Perl Lingua::TreeTagger 2
. Ce dernier permet d’obtenir, pour chaque mot ou balise XML
rencontrée dans le texte, respectivement la CMS du mot ou la balise XML originale, toutes
regroupées sous le terme d’étiquette dans la suite de ce paragraphe. Ensuite, pour chaque
étiquette, on vérifie si elle correspond, ou non, à une balise XML. S’il ne s’agit pas d’une balise
XML, l’étiquette correspond à une CMS et elle est stockée dans un tableau temporaire. Sinon,
l’étiquette correspond à une balise délimitant un type de discours ou une proposition. Étant
donné que seules les « feuilles » de la structure hiérarchique de l’annotation sont considérées (cf.
section 4.1.1.7), il n’est pas nécessaire de conserver l’entièreté de la structure de l’annotation
en types de discours. Ainsi, les types de discours peuvent être sauvegardés sous la forme d’une
pile (stack)
3
. Dès lors,
2. http://search.cpan.org/dist/Lingua-TreeTagger
3. Pour rappel, en informatique, une pile est une structure de données basée sur le principe de « dernier arrivé,
premier sorti » (LIFO : « Last-In-First-Out »).44 4. CLASSIFICATION NON SUPERVISÉE EN TYPES DE DISCOURS
— s’il s’agit d’une balise ouvrante délimitant un type de discours (), alors
le type de discours est conservé dans la pile,
— s’il s’agit d’une balise ouvrante délimitant une proposition (), alors le type de discours
conservé dans la pile est attribué à cette proposition,
— s’il s’agit d’une balise fermante délimitant un type de discours (
), alors de dernier
type de discours entré dans la pile est retiré, et
— s’il s’agit d’une balise fermante délimitant une proposition (), alors les n-grammes de
CMS contenus dans le tableau temporaire sont comptés et attribués à cette proposition.
Cette procédure est exécutée trois fois pour chaque texte, soit une fois pour chaque longueur
de n-gramme de CMS.
4.1.4 Analyse préliminaire
Avant de passer à la classification non supervisée, il convient de s’assurer que la représentation
des données choisie est pertinente. Pour ce faire, il va être déterminé, d’une part, s’il existe
un lien général entre les types de discours et les CMS, et d’autre part, si certaines CMS sont
spécifiquement présentes dans chacun des types de discours. Ceci sera fait pour les quatre textes
regroupés, puis pour chaque texte pris séparément.
En premier lieu, des tables de contingence spécifiant le nombre de fois que chaque CMS
apparaît dans un des six types de discours sont construites pour chaque texte, puis pour les
quatre textes réunis. Ceci est fait en agrégeant les propositions appartenant à un même type
de discours dans les tables de contingence propositions - unigrammes de CMS préalablement
construites (cf. section 4.1.3). Les cinq tables ainsi créées sont exposées dans l’annexe B, section
B.1.
Pour vérifier s’il existe un lien général entre les CMS et les types de discours, un test du khi2
(1.1) est effectué sur chacune de ces cinq tables, conduisant aux résultats suivants :
Texte ddl khi2 valeur p
4 textes réunis 150 1100.18 < 2.2 × 10−16
L’Orient 130 304.15 5.46 × 10−16
Le Voleur 140 587.22 < 2.2 × 10−16
Un Fou ? 135 671.01 < 2.2 × 10−16
Un Fou 140 586.63 < 2.2 × 10−16
Les CMS et les types de discours sont donc significativement dépendants, que ce soit pour les
quatre textes réunis ou pour chaque texte étudié séparément. Ainsi, le choix d’utiliser les CMS
comme caractéristiques semble pertinent.
Ensuite, pour savoir s’il existe une attraction mutuelle entre certaines CMS et certains types
de discours, on calcule le quotient d’indépendance (1.2) et le khi2 ponctuel (1.3) sur les cinq
tables pour chaque paire de CMS - type de discours. Les résultats pour le khi2 ponctuel sont
présentés dans l’annexe B, section B.2. Quant aux quotients d’indépendance, les résultats pour
les quatre textes réunis sont exposés dans la table 4.2 ; et ceux pour chacun des quatre textes,
dans la table 4.3. De plus, dans ces tables, les valeurs significatives selon le khi2 ponctuel pour
α = 0.1% sont marquées par une étoile 4
. Une définition de toutes les abréviations de CMS
utilisées dans ces tables, ainsi que sur les figures de la section 4.2, se trouve dans l’annexe B.
En considérant les quatre textes réunis (table 4.2), on observe qu’il existe une attraction
mutuelle entre des CMS et des types de discours correspondant aux marques linguistiques
décrites dans la section 4.1.1. Par exemple, la ponctuation de citations (PUN:cit) est, comme
on pouvait s’y attendre, la CMS en attraction la plus forte avec le type dialogal. De plus,
ces deux modalités sont significativement dépendantes selon le khi2 ponctuel. On remarque
4. Naturellement, un traitement inférentiel rigoureux devrait tenir compte du problème des comparaisons multiples
non poursuivi ici.4.1. Données 45
nar arg expl descr dial inj
ABR 2.56 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00
ADJ 0.82 0.87 1.06 1.57* 1.02 0.86
ADV 0.93 1.12 1.13 0.80 1.04 1.37
DET:ART 0.99 1.18 0.77 1.16 0.90 0.88
DET:POS 1.21 0.95 0.95 0.84 0.79 0.70
INT 1.12 1.07 1.16 0.00 1.56 1.04
KON 0.94 1.25 1.30 0.80 0.93 0.78
NAM 1.21 0.34 0.74 1.52 0.70 1.11
NOM 0.95 1.15 0.87 1.15 0.90 1.04
NUM 1.05 1.06 0.94 1.50 0.71 0.00
PRO 2.56 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00
PRO:DEM 0.64* 1.49 1.52 1.03 1.18 0.58
PRO:IND 0.73 1.53 1.53 1.03 1.11 0.00
PRO:PER 1.24* 0.86 1.06 0.60* 1.02 0.64
PRO:REL 0.78 1.12 1.28 1.18 1.03 1.04
PRP 1.01 1.01 1.00 1.15 0.87 0.79
PRP:det 0.63* 1.18 0.68 1.28 1.51 1.83
PUN 1.03 0.96 0.82 1.12 0.86 1.27
PUN:cit 0.00* 0.20* 0.34 0.47 4.77* 4.24*
SENT 1.02 0.87 1.09 0.83 1.14 1.16
VER:cond 1.10 1.91 0.88 0.24 1.11 0.00
VER:futu 0.43 0.37 0.46 0.37 4.55* 1.44
VER:impe 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 17.33*
VER:impf 1.22 0.50 0.43 2.27* 0.36 0.10
VER:infi 0.98 0.94 1.52 0.93 0.96 0.50
VER:pper 1.21 0.75 0.97 1.07 0.82 0.51
VER:ppre 1.61* 0.25 0.61 0.85 0.72 0.64
VER:pres 0.68* 1.20 1.46* 0.71 1.18 2.05*
VER:simp 2.29* 0.25* 0.17* 0.28* 0.04* 0.00*
VER:subi 0.64 0.00 5.50* 0.55 0.00 0.00
VER:subp 0.26 1.34 1.65 0.00 3.12 1.73
Table 4.2 – Quotients d’indépendance entre les CMS et les types de discours pour les quatre
textes réunis. Les valeurs en gras désignent le quotient d’indépendance maximum pour chaque
CMS ; celles en italique, le quotient d’indépendance maximum pour chaque type de discours ;
et celles suivies d’une étoile, les valeurs significatives à α = 0.1% selon le khi2 ponctuel.
aussi qu’il existe une attraction mutuelle entre les interjections (INT) et le type dialogal, ce qui
semble cohérent, bien que ces CMS n’aient pas été considérées comme des marques linguistiques.
Cependant, la dépendance n’est ici pas significative.
Concernant le narratif, il existe une attraction mutuelle entre ce dernier et le passé simple
(VER:simp) et cette dépendance est significative, ce qui correspond aux marques linguistiques
retenues par l’expert humain. Il existe aussi une répulsion mutuelle entre le type narratif et la
ponctuation de citation, et il s’agit d’une dépendance significative. En effet, en observant les
effectifs des CMS dans les types de discours (table B.1), on remarque que c’est le seul type
de discours pour lequel la ponctuation de citation n’apparaît jamais. Plus surprenant, pour ce
type de discours, l’attraction mutuelle la plus importante a lieu avec les abréviations (ABR),
d’une part, et les pronoms (PRO), d’autre part. Néanmoins, aucune de ces deux CMS n’est
significativement dépendante de ce type de discours. En se référant à nouveau à la table B.1, on
remarque que bien que ces deux CMS n’apparaissent que dans le type narratif, elles sont rares,
soit une apparition pour les abréviations et deux, pour les pronoms. Ces deux pronoms apparaissent
dans le texte « Un Fou » (cf. table B.2) et correspondent à des pronoms interrogatifs.46 4. CLASSIFICATION NON SUPERVISÉE EN TYPES DE DISCOURS
Qui PRO qui
le PRO:PER le
croirait VER:cond croire
? SENT ?
Figure 4.2 – Extrait étiqueté par TreeTagger d’« Un Fou », correspondant à ligne 463 de
l’annexe A.4.
Un exemple est présenté dans la figure 4.2.
Pour l’injonctif, l’attraction mutuelle se produit, comme attendu d’après les marques linguistiques,
avec l’impératif (VER:impe) et cette dépendance est significative, bien que cette CMS
n’apparaisse que dans ce type de discours (table B.1). Concernant le descriptif, il est, sans
surprise, en attraction mutuelle avec les adjectifs (ADJ) et les verbes à l’imparfait (VER:impf).
Finalement, concernant l’argumentatif et l’explicatif, les résultats sont moins évidents à interpréter.
On peut simplement constater que l’argumentatif possède l’attraction mutuelle la plus
importante avec les verbes au conditionnel (VER:cond), sans que cette dépendance ne soit significative.
Pour l’explicatif, l’attraction mutuelle la plus élevée est avec les verbes à l’imparfait
du subjonctif (VER:subi) et il s’agit d’une dépendance significative. Néanmoins, uniquement
huit occurrences de cette CMS apparaissent dans l’ensemble des quatre textes (table B.1).
Au vu de ces premiers résultats, il est clair que le khi2 ponctuel et le quotient d’indépendance
donnent des informations différentes, mais complémentaires, qu’il pourrait être avantageux de
combiner, en particulier si l’on voulait faire une sélection de caractéristiques (feature selection).
À titre d’exemple, Li et al. (2008) proposent une telle combinaison qui ne sera pas utilisée ici.
Concernant les quatre textes étudiés séparément (table 4.3), une première constatation est
que malgré la présence de certains points communs, il existe des différences entre ces quatre
textes. En effet, on retrouve que le narratif est en attraction mutuelle avec le passé simple pour
les quatre textes, et le descriptif avec l’imparfait, même s’il ne s’agit pas systématiquement de
dépendances significatives. Cependant, les autres observations faites sur les quatre textes réunis
sont moins évidentes ici.
Par exemple, les adjectifs sont clairement en attraction mutuelle avec le descriptif pour les
textes « Un Fou ? » et « Un Fou », mais cette attraction est moins évidente pour le texte « Le
Voleur » et, inversement, pour le texte « L’Orient », il y a répulsion mutuelle entre les adjectifs
et le descriptif. Néanmoins, dans ces deux derniers textes, on remarque une attraction mutuelle
importante entre les adjectifs et l’injonctif.
Aussi, on constate que les interjections sont en attraction mutuelle avec le dialogal pour les
textes « L’Orient », « Le Voleur » et « Un Fou », mais avec l’injonctif pour le texte « Un Fou ? ».
Quant à la ponctuation de citation, elle est en attraction mutuelle avec le dialogal et l’injonctif
pour « L’Orient », mais cette attraction est plus élevée pour l’injonctif, alors qu’il existe une
dépendance significative selon le khi2 avec le dialogal. On retrouve une situation analogue pour
« Le Voleur », si ce n’est que dans ce texte, la dépendance entre la ponctuation de citation
est significative pour les deux types de discours. Cette même CMS est clairement en attraction
mutuelle avec l’injonctif pour « Un Fou ? » et avec le dialogal pour « Un Fou ». Il semble donc
que ces deux types de discours se confondent, ce qui peut certainement s’expliquer par le fait
que dans notre corpus, l’injonctif est, comme déjà mentionné, systématiquement inclus dans le
type dialogal.
Finalement, on peut remarquer que les conjonctions (KON) sont en attraction mutuelle avec
l’argumentatif pour « L’Orient » et « Un Fou », alors qu’elles sont en attraction mutuelle avec
l’explicatif pour « Le Voleur » et « Un Fou ? ».
Ces différences entre les quatre textes peuvent probablement s’expliquer par le fait que, bien
que les quatre textes soient des contes du même auteur, leur forme varie. Par exemple, comme
déjà mentionné plus haut, « Un Fou » est écrit sous la forme d’un journal intime et comporte4.1. Données 47
« L’Orient » « Le Voleur »
nar arg expl descr dial inj nar arg expl descr dial inj
ABR
ADJ 0.93 0.34 1.00 0.93 1.15 1.67 1.00 1.21 0.27 1.32 0.73 2.08
ADV 1.56 1.02 1.09 0.64 0.79 1.01 0.86 2.11 0.56 1.20 1.17 0.97
DET:ART 0.84 1.18 0.95 1.19 1.05 0.00 1.09 1.01 0.34 1.23 0.70 0.58
DET:POS 0.55 2.31 0.86 0.40 1.24 5.67* 1.03 1.35 2.40 0.45 0.93 0.00
INT 0.00 0.00 0.00 0.00 3.09 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 7.21* 0.00
KON 1.11 1.37 0.92 0.50 1.19 1.35 0.96 1.30 2.33 1.05 0.63 0.00
NAM 0.77 0.00 1.79 1.25 0.77 0.00 1.00 0.99 0.89 1.83 0.34 0.00
NOM 0.79 1.24 0.89 1.24 1.03 0.80 1.06 0.91 0.81 0.94 0.91 0.87
NUM 1.43 2.40 0.34 1.25 0.77 0.00 1.20 0.00 0.00 2.00 0.00 0.00
PRO
PRO:DEM 0.63 0.00 1.67 1.73 0.64 0.00 0.58 1.81 0.00 1.52 2.51 0.00
PRO:IND 0.26 0.00 1.49 0.84 1.55 0.00 1.01 4.17 1.86 0.70 0.00 0.00
PRO:PER 1.75* 0.94 0.89 0.61 0.83 0.58 1.06 1.08 1.23 0.66 1.05 0.45
PRO:REL 0.51 0.00 1.49 1.39 1.03 0.00 1.10 2.41 0.72 0.81 0.55 0.00
PRP 0.90 1.17 1.15 0.86 1.06 0.86 1.09 0.72 1.28 1.05 0.54 1.10
PRP:det 0.43 1.09 0.61 1.51 1.34 0.00 0.84 0.00 0.72 1.08 1.94 1.84
PUN 0.96 0.98 0.79 1.24 0.96 1.51 1.16 0.53 1.05 1.01 0.48 0.74
PUN:cit 0.00 1.83 0.00 0.48 2.21* 4.50 0.00* 0.43 1.52 0.14 5.15* 7.83*
SENT 1.15 0.87 1.16 1.03 0.77 1.61 0.84 0.82 0.73 0.96 1.77 1.88
VER:cond 1.53 0.00 3.59 0.00 0.00 0.00 0.56 0.00 0.00 2.33 2.40 0.00
VER:futu 0.00 0.92 0.26 0.24 2.65* 0.00 0.00 6.95 0.00 0.00 4.81 0.00
VER:impe 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 47.95*
VER:impf 1.53 0.00 0.90 1.67 0.52 0.00 0.73 0.87 1.16 2.92* 0.30 0.00
VER:infi 0.39 1.10 2.61* 0.72 0.71 0.00 0.77 1.25 1.49 1.12 1.73 0.00
VER:pper 1.00 1.20 0.84 0.78 1.26 0.00 1.01 0.39 1.76 1.45 0.54 0.00
VER:ppre 0.00 0.00 1.54 0.72 1.77 0.00 1.58 0.00 0.00 0.41 0.00 0.00
VER:pres 1.05 0.95 1.19 1.31 0.58* 2.32 0.26* 1.81 1.62 0.61 3.45* 5.21*
VER:simp 4.59* 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 1.51* 0.58 0.70 0.26 0.00* 0.00
VER:subi 1.68 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00
VER:subp 0.00 0.00 0.00 0.00 3.09 0.00 0.00 20.85* 0.00 0.00 0.00 0.00
« Un Fou ? » « Un Fou »
nar arg expl descr dial inj nar arg expl descr dial inj
ABR 2.59 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00
ADJ 0.93 1.11 1.08 1.90* 0.39 0.18 0.68 0.77 1.06 2.03* 1.37 0.93
ADV 0.77 1.13 1.43 0.60 1.31 0.95 0.94 0.92 0.86 0.86 1.74 1.56
DET:ART 1.02 1.36 0.45 1.35 0.77 0.78 0.90 1.17 1.11 0.96 0.50 1.04
DET:POS 1.70* 0.93 0.69 0.38 0.00 0.95 1.09 0.70 0.90 1.75 1.36 0.20
INT 0.23 1.22 1.09 0.00 2.06 5.56* 1.65 0.68 1.53 0.00 3.72 0.00
KON 0.92 1.21 1.51 0.69 0.83 0.17 0.89 1.22 0.91 0.99 0.50 1.09
NAM 1.55 0.61 0.00 0.56 1.03 2.78 0.32 0.00 1.26 2.27 0.00 3.33
NOM 1.06 1.23 0.76 1.18 0.56 1.04 0.86 1.16 0.98 1.12 0.64 1.06
NUM 1.38 1.46 0.00 1.79 0.00 0.00 0.71 0.82 3.68 1.10 0.00 0.00
PRO 2.59 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00
PRO:DEM 0.20* 1.76 1.51 1.04 1.56 0.64 1.25 1.01 1.40 0.52 0.00 0.61
PRO:IND 1.01 1.03 1.71 0.94 0.43 0.00 0.68 1.96 0.88 1.32 0.00 0.00
PRO:PER 1.12 0.75 1.19 0.75 1.21 0.60 1.36* 0.94 0.89 0.46* 1.12 0.75
PRO:REL 0.74 1.31 1.27 0.44 1.61 0.54 0.77 0.99 1.11 1.42 0.00 1.25
PRP 1.22 0.93 0.94 0.93 0.78 0.50 0.81 1.15 0.79 1.54* 0.24 0.87
PRP:det 0.92 1.44 0.72 1.33 0.92 0.00 0.61 1.34 0.63 0.85 0.00 2.36*
PUN 1.01 1.11 0.81 0.96 0.88 1.50 0.90 0.87 0.79 1.25 1.96 1.26
PUN:cit 0.00* 0.00 0.00 1.49 2.06 12.98* 0.00 0.00 0.00 0.00 61.30* 0.00
SENT 0.72 0.88 1.00 1.13 1.60 1.93 1.29* 0.76 1.30 0.55 2.28 0.70
VER:cond 0.00 2.78 0.93 0.00 2.36 0.00 1.73 1.20 0.00 0.00 4.09 0.00
VER:futu 0.00 0.00 3.26 0.00 4.13 0.00 1.56 0.00 0.00 0.61 0.00 2.67
VER:impe
VER:impf 1.38 0.30 0.39 2.85* 0.50 0.00 1.30 0.59 0.19 1.91 1.14 0.16
VER:infi 1.34 0.30 1.22 0.78 1.44 0.00 0.95 1.17 1.35 1.03 0.00 0.63
VER:pper 0.90 0.11 1.51 2.08 1.54 0.00 1.40* 0.94 0.73 0.71 0.00 0.56
VER:ppre 2.10* 0.23 0.62 0.43 0.39 0.00 0.58 0.50 0.00 2.69 0.00 1.97
VER:pres 0.40* 1.23 1.42 0.30 1.97* 2.50* 1.02 1.00 1.46 0.46* 0.28 1.44
VER:simp 2.33* 0.33 0.00* 0.61 0.14 0.00 2.59 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00
VER:subi 0.50 0.00 4.74* 0.81 0.00 0.00
VER:subp 0.00 0.00 0.00 0.00 8.25* 0.00 0.52 0.90 4.05 0.00 0.00 1.78
Table 4.3 – Quotients d’indépendance entre les CMS et les types de discours pour chaque
texte considéré séparément. Les valeurs en gras désignent le quotient d’indépendance maximum
pour chaque CMS ; celles en italique, le quotient d’indépendance maximum pour chaque type
de discours ; et celles suivies d’une étoile, les valeurs significatives à α = 0.1% selon le khi2
ponctuel.
donc un grand nombre de verbes au présent, aussi dans les types narratifs et descriptifs. Le
texte « L’Orient » contient aussi plusieurs longs monologues écrits au présent. Au vu de ces48 4. CLASSIFICATION NON SUPERVISÉE EN TYPES DE DISCOURS
différences, les quatre textes seront systématiquement étudiés séparément et non plus réunis
dans la suite de ce chapitre.
4.2 Visualisation
4.2.1 Propositions et CMS
Les données étant représentées sous la forme de tables de contingence croisant les propositions
et les n-grammes de CMS (ici seuls les unigrammes de CMS sont traités), il est possible d’y
appliquer l’analyse factorielle des correspondances (AFC) (cf. section 1.4). Pour ce faire, il
est possible de calculer les dissimilarités du khi2, puis d’effectuer un MDS sur ces dernières.
Il est aussi possible d’utiliser directement un logiciel dédié qui se base sur la décomposition
spectrale de la matrice des variances-covariances. La seconde solution a été adoptée ici, avec
le package « ca » de R (Nenadic et Greenacre, 2007). Plus précisément, afin d’obtenir des
résultats identiques à ceux qui seraient produits par le MDS, on utilise, pour créer les biplots, les
coordonnées dites principales, extraites grâce à la fonction « summary », au lieu des coordonnées
dites standardisées qui sont produites par défaut (Nenadic et Greenacre, 2007). Les résultats
ainsi obtenus sont présentés dans les figures 4.3 à 4.6.
-3000 -2000 -1000 0 1000
-2000 -1000
0 1000
Premier axe factoriel 10.07 %
Deuxième axe factoriel 8.09 %
argumentatif
descriptif
dialogal
explicatif
injonctif
narratif
-3000 -2000 -1000 0 1000
-2000 -1000
0 1000
Premier axe factoriel 10.07 %
Deuxième axe factoriel 8.09 %
PRO:IND VER:ppre
PUN:cit
VER:impf
VER:simp
NUM
SENT
VER:cond
VER:pper
PRO:PER
VER:futu
NAM
NOM PRP
PRP:det
ADV
DET:POS
INT
DET:ART
PRO:DEM
PRO:REL
ADJ
VER:pres
VER:infi
KON
VER:subp
PUN
-1000 -500 0 500
-1000 -500
0 500 1000
Premier axe factoriel 10.07 %
Deuxième axe factoriel 8.09 %
-1000 -500 0 500
-1000 -500
0 500 1000
Premier axe factoriel 10.07 %
Deuxième axe factoriel 8.09 %
PRO:IND VER:ppre
PUN:cit
VER:impf
NUM
SENT
VER:cond
VER:pper
PRO:PER
VER:futu
NAM
NOMPRP
PRP:det
ADV
DET:POS
INT
DET:ART
PRO:DEM
PRO:REL
ADJ
VER:pres
VER:infi
KON
VER:subp
PUN
Figure 4.3 – AFC sur « L’Orient ». Coordonnées factorielles des propositions (en haut à gauche)
et des unigrammes de CMS (en haut à droite). En bas : zoom sur le centre des figures du haut.4.2. Visualisation 49
Un premier constat est que l’inertie expliquée par les deux premiers facteurs est assez faible
pour les quatre textes, systématiquement inférieure à 20 % et il n’est donc pas évident d’interpréter
ces biplots. Il est tout de moins possible de remarquer quelques tendances.
La figure 4.3 montre le résultat de l’AFC sur le texte « L’Orient ». Bien qu’il soit difficile de
distinguer clairement des groupes, la vue d’ensemble (figures en haut) montre que les deux axes
différencient principalement le passé simple des autres CMS (figure droite). Le passé simple, qui
marque le narratif (cf. sections 4.1.1.1 et 4.1.4), est en attraction mutuelle avec les propositions
narratives (figure gauche, quadrant sud-ouest). Concernant, les AFC agrandies (figures en bas),
il est difficile de distinguer des groupes. Néanmoins, on remarque une concentration plus élevée
de propositions de type dialogal dans le quadrant sud-est (figure gauche) qui sont certainement
en attraction mutuelle avec la ponctuation de citation, les verbes au futur (VER:futu), les verbes
au participe présent (VER:ppre) et les verbes au subjonctif présent (VER:subp) (cf. table 4.3).
0 2000 4000 6000
0 5000 10000 15000
Premier axe factoriel 11.14 %
Deuxième axe factoriel 7.32 %
argumentatif
descriptif
dialogal
explicatif
injonctif
narratif
0 2000 4000 6000
0 5000 10000 15000
Premier axe factoriel 11.14 %
VER:ppre Deuxième axe factoriel 7.32 % VER:subi PRO:IND PUN:cit VER:impf VER:simp NUM
SENT
VER:cond
VER:pper PRO:PER NAM NOM
VER:futu
VER:impe
PRP PRP:det ADV
INT
DET:ART DET:POS
PRO:REL PRO:DEM
ADJ
VER:infi VER:pres KON VER:subp PUN
-500 0 500 1000 1500
-3000 -2000 -1000
0
Premier axe factoriel 11.14 %
Deuxième axe factoriel 7.32 %
-500 0 500 1000 1500
-3000 -2000 -1000
0
Premier axe factoriel 11.14 %
Deuxième axe factoriel 7.32 %
PRO:IND VER:ppre
VER:subi
VER:impf
VER:simp
NUM
SENT
VER:cond
VER:pper
PRO:PER
NAMNOM
VER:futu
PRP
PRP:det
ADV
DET:ART
DET:POS
PRO:DEM
PRO:REL
ADJ
VER:infi VER:pres
KON
PUN VER:subp
Figure 4.4 – AFC sur « Le Voleur ». Coordonnées factorielles des propositions (en haut à
gauche) et des unigrammes de CMS (en haut à droite). En bas : zoom sur le centre des figures
du haut.
Concernant le texte « Le Voleur » (figure 4.4), on observe, pour les CMS (figure en haut, à
droite), que le premier axe différencie les verbes à l’impératif, marque linguistique de l’injonctif
(cf. section 4.1.1.6) et les interjections, souvent présentes dans le type dialogal (cf. section 4.1.4),
des autres CMS. Quant au second axe, il différencie à nouveau les verbes à l’impératif des autres
CMS. Cependant, il est difficile de distinguer des groupes de types de discours (figure en haut, à50 4. CLASSIFICATION NON SUPERVISÉE EN TYPES DE DISCOURS
gauche). En observant le figure agrandie sur les propositions (en bas, à gauche), le premier axe
factoriel différencie les propositions dialogales et injonctives (à l’est) des propositions narratives
(à l’ouest). Ce contraste est certainement en relation avec la présence des interjections et de la
ponctuation de citation dans la zone est (figure en haut à droite). À nouveau, on constate que
le type injonctif et le type dialogal sont difficiles à distinguer dans notre corpus.
-4000 -3000 -2000 -1000 0
-2000
0 2000 4000 6000
Premier axe factoriel 9.76 %
Deuxième axe factoriel 8.71 %
argumentatif
descriptif
dialogal
explicatif
injonctif
narratif
-4000 -3000 -2000 -1000 0
-2000
0 2000 4000 6000
Premier axe factoriel 9.76 %
Deuxième axe factoriel 8.71 %
PRO:IND VER:ppre
PUN:cit
VER:subi NUM VER:impf VER:simp SENT VER:cond PRO:PER VER:pper VER:futu NOM
NAM
ADV PRP PRP:det
INT
DET:ART DET:POS
PRO:DEM PRO:RELADJ VER:pres
VER:subpPUN KONVER:infi
-1000 -500 0 500
-400 -200
0 200 400
Premier axe factoriel 9.76 %
Deuxième axe factoriel 8.71 %
-1000 -500 0 500
-400 -200
0 200 400
Premier axe factoriel 9.76 %
Deuxième axe factoriel 8.71 %
PRO:IND
VER:ppre
VER:subi
VER:impf
VER:simp
NUM
SENT
VER:cond
VER:pper PRO:PER
VER:futu
NOM
NAM
PRP
PRP:det ADV DET:POS
DET:ART
PRO:DEM
PRO:REL
ADJ
VER:pres
VER:infi
KON
VER:subp
PUN
Figure 4.5 – AFC sur « Un Fou ? ». Coordonnées factorielles des propositions (en haut à
gauche) et des unigrammes de CMS (en haut à droite). En bas : zoom sur le centre des figures
du haut.
Sur la figure 4.5, pour le texte « Un Fou ? », on observe sur la vue d’ensemble pour les propositions
(figure en haut à gauche) un détachement de propositions injonctives dans le quadrant
sud-ouest. On constate aussi la présence de ponctuation de citation dans ce même quadrant (fi-
gure en haut à droite), qui est en attraction mutuelle avec ce type dans ce texte (cf. table 4.3).
Sur la figure agrandie pour les propositions (figure en bas à gauche), les propositions narratives
se concentrent dans la zone est du graphique et sont certainement en attraction mutuelle avec
les verbes au passé simple dans le quadrant nord-est (figure en bas à droite).
Concernant le texte « Un Fou » (figure 4.6), il est nettement plus difficile de distinguer les six
types de discours que pour les autres textes. On peut tout de même remarquer (figure en haut
à droite) que le premier axe différencie les interjections des autres CMS ; et le second axe, les
pronoms (PRO), des autres CMS. Aussi, quelques CMS, soit les chiffres (NUM), la ponctuation
marquant la fin d’une phrase (SENT), la ponctuation de citation, les abréviations et les verbes4.2. Visualisation 51
-5000 -4000 -3000 -2000 -1000 0
0 5000 10000 15000
Premier axe factoriel 10.57 %
Deuxième axe factoriel 8.45 %
argumentatif
descriptif
dialogal
explicatif
injonctif
narratif
-5000 -4000 -3000 -2000 -1000 0
0 5000 10000 15000
Premier axe factoriel 10.57 %
Deuxième axe factoriel 8.45 %
PRO:IND
PRO
PUN:cit
VER:ppre VER:impf SENT NUMVER:simp
VER:cond
PRO:PER VER:pper VER:futu
NOM PRP PRP:det NAM
ADV
INT
DET:ART DET:POS
ABR
PRO:DEM PRO:REL ADJ KON VER:pres VER:infi VER:subp PUN
-600 -400 -200 0 200 400
-500
0 500 1000
Premier axe factoriel 10.57 %
Deuxième axe factoriel 8.45 %
-600 -400 -200 0 200 400
-500
0 500 1000
Premier axe factoriel 10.57 %
Deuxième axe factoriel 8.45 %
PRO:INDVER:ppre
VER:impf
VER:simp
NUM
PRO:PER
VER:pper
VER:futu
NAM
NOMPRP
PRP:det
ADV
DET:ART
DET:POS PRO:DEM
ADJ
PRO:REL
VER:pres
VER:infi KON
VER:subp
PUN
Figure 4.6 – AFC sur « Un Fou ». Coordonnées factorielles des propositions (en haut à gauche)
et des unigrammes de CMS (en haut à droite). En bas : zoom sur le centre des figures du haut.
au conditionnel, se distinguent du rassemblement compact des autres CMS au centre (figure
en bas à droite). Par conséquent (figure en haut à gauche), quelques propositions se détachent
du noyau central, mais n’étant pas toutes du même type, il est difficile d’en proposer une
interprétation.
En conclusion, cette section a permis de visualiser les observations déjà décrites numériquement
dans la section 4.1.4. Ainsi, on constate à nouveau des différences pour ces quatre textes
et on remarque, en utilisant uniquement les deux premières dimensions, qu’il n’est pas simple
de distinguer les six types de discours et que cette difficulté varie selon les textes, mais aussi
selon les types de discours.
Naturellement, il serait aussi possible, sur ces figures, de visualiser les résultats obtenus avec
les classifications automatiques présentées dans la section 4.3. Trois exemples de classification
non supervisée pour le texte « Un Fou ? » sont présentés dans les articles suivant : Cocco et al.
(2011) avec l’algorithme K-means flou et 8 groupes après agrégation, et Cocco (2012a) avec
l’algorithme K-means, dur et flou, et 6 groupes.
4.2.2 Types de discours et CMS avec bootstrap
Comme il a été possible de représenter les tables de contingence croisant les CMS et les propositions
grâce à l’AFC, il est aussi possible de le faire avec les tables de contingence croisant52 4. CLASSIFICATION NON SUPERVISÉE EN TYPES DE DISCOURS
les CMS et les types de discours, constitués de groupes de propositions, présentées dans l’annexe
B.1 et analysées dans la section 4.1.4. Les graphiques présentés dans cette section ont été
créés avec le logiciel Dtm-Vic 5 pour pouvoir valider les résultats par la technique du bootstrap
qui y est intégrée. Le bootstrap est une méthode empirique de validation d’un paramètre (ou
estimateur) basée sur le rééchantillonnage (voir par exemple Efron et Tibshirani, 1993). Le
principe consiste à créer plusieurs nouveaux échantillons de même taille que l’échantillon de
départ par un tirage avec remise dans cet échantillon de départ, puis de calculer le paramètre
sur ces nouveaux échantillons afin de simuler sa distribution. Il est alors possible de déterminer
l’intervalle de confiance dudit paramètre (voir par exemple Saporta, 2006, section 15.3.1 ;
Lebart et al., 1995, section 4.2.2). En particulier, pour l’AFC, plusieurs tables de contingence
sont créées en tirant n•• observations de la table de contingence initiale avec remise. Ceci est
équivalent à faire un tirage selon une loi multinomiale de probabilité pij = nij/n•• (Lebart
et al., 1995, section 4.2.3.a). Ensuite, pour construire des intervalles de confiance, qui seront ici
des ellipses de confiance, il existe deux possibilités : projeter les modalités des nouvelles tables
en tant que variables supplémentaires sur l’AFC produite avec la table initiale (bootstrap partiel)
; ou refaire une AFC pour chaque nouvelle table (bootstrap total) (voir par exemple Lebart,
2007; Dupuis et Lebart, 2009). La première solution a été adoptée ici en utilisant 30 réplications
de la table d’origine. Précisons encore que l’on n’a pas pratiqué le bootstrap sur les tables de
contingence propositions - CMS utilisées dans la section précédente, à cause du caractère creux
de ces dernières, susceptible de ne pas permettre le rééchantillonnage de certaines modalités qui
seraient alors supprimées avant l’application du bootstrap.
Figure 4.7 – AFC sur « L’Orient » entre les CMS et les types de discours avec validation par
bootstrap. Inertie expliquée par le premier axe factoriel : 46.73% ; et par le deuxième : 24.99%.
Les figures 4.7 à 4.10 présentent les résultats pour les quatre contes étudiés. À nouveau, les
5. Ce logiciel peut être librement téléchargé sur le site de Ludovic Lebart : http://www.dtmvic.com/.4.2. Visualisation 53
visualisations obtenues sont différentes pour chacun des textes. Aussi, étant donné que ces tables
de contingence comportent moins de modalités que celles utilisées dans la section 4.2.1, l’inertie
expliquée par les deux premiers facteurs est plus élevée, soit systématiquement supérieure à
70%.
Le résultat obtenu pour le texte « L’Orient » est présenté dans la figure 4.7. Pour commencer,
on constate que les CMS ont des positions relativement similaires à celles de la figure 4.3.
Rappelons que les tables utilisées dans cette section sont des agrégations des tables utilisées
dans la section 4.2.1 par rapport aux types de discours. En d’autres termes, les types de discours
représentés sur les figures de cette section sont les moyennes des propositions appartenant à ces
types de discours.
Concernant les types de discours de ce texte (figure 4.7, haut), la validation nous donne des
informations supplémentaires à celles que l’on aurait obtenues par une AFC simple d’une part ;
et à celles obtenues dans la section 4.1.4 d’autre part. Par exemple, on constate que les types de
discours argumentatif et injonctif ne sont pas significativement différents de l’origine, associée
au profil du « type de discours moyen ». Cela signifie que ces types de discours et les CMS
ne sont pas significativement dépendants. À l’inverse, les types narratif, explicatif, dialogal et
descriptif sont significativement différents de l’origine, et donc significativement dépendants des
CMS. De plus, on observe l’absence d’intersection entre les ellipses de confiance de ces types
qui sont donc bien différenciés selon les CMS qu’ils contiennent.
Les ellipses de confiance obtenues pour les CMS sont plus difficiles à distinguer, car elles sont
nombreuses (figure 4.7, bas). On peut néanmoins remarquer qu’elles ne sont jamais isolées et
qu’il existe donc une continuité entre elles. On constate aussi, par exemple, que la ponctuation
de citation et les verbes au futur sont significativement différents de l’origine.
Figure 4.8 – AFC sur « Le Voleur » entre les CMS et les types de discours avec validation par
bootstrap. Inertie expliquée par le premier axe factoriel : 65.29% ; et par le deuxième : 12.53%.54 4. CLASSIFICATION NON SUPERVISÉE EN TYPES DE DISCOURS
Les positions des CMS pour le texte « Le Voleur » de la figure 4.8 sont à nouveau assez
similaires à celles de la figure 4.4, quoique ce soit moins évident que pour le texte « L’Orient ».
Au sujet des types de discours (figure 4.8, haut), on observe que les types de discours injonctif,
dialogal, argumentatif, descriptif et narratif sont significativement différents de l’origine. Seul
le type explicatif ne l’est pas. Aussi, le type narratif est isolé des autres et il est stable, au
sens de faiblement variable. L’ellipse de confiance du type dialogal est quasiment incluse dans
l’ellipse de confiance du type injonctif, ce qui confirme à nouveau que ces deux types sont
relativement similaires. Les ellipses de confiance des types descriptif, argumentatif et explicatif
se chevauchent aussi et ne sont donc pas clairement distincts par rapport aux CMS. Concernant
les CMS (figure 4.8, bas), il est à nouveau difficile de les distinguer. Cependant, on remarque que
les verbes au présent (VER:pres) et la ponctuation de citation sont significativement différents
de l’origine et sont en attraction mutuelle avec les types injonctif et dialogal, ce que l’on pouvait
déjà observer dans la table 4.3.
Figure 4.9 – AFC sur « Un Fou ? » entre les CMS et les types de discours avec validation par
bootstrap. Inertie expliquée par le premier axe factoriel : 46.20% ; et par le deuxième : 25.00%.
À nouveau, on remarque que la configuration des CMS de la figure 4.9 partage des similitudes
avec celle de la figure 4.5, avec tout de même quelques différences importantes. Concernant les
types de discours (figure 4.9, haut), ils sont tous significativement différents de l’origine et donc
dépendants des CMS. De plus, il n’y a aucune intersection entre toutes les ellipses de confiance
de ces types de discours, ils sont donc clairement distincts. Concernant les CMS, on constate, par
exemple, que les interjections et la ponctuation de citation sont significativement différentes de
l’origine. Cependant, les ellipses de confiance sont étendues et donc ces CMS ne sont pas stables.
Quant aux verbes au présent et au conditionnel, ils sont aussi significativement différents de
l’origine, mais ils sont plus stables que les deux autres CMS.
Finalement, la figure 4.10 présente les résultats obtenus pour le texte « Un Fou ». Pour ce4.3. Classification non supervisée et résultats 55
Figure 4.10 – AFC sur « Un Fou » entre les CMS et les types de discours avec validation par
bootstrap. Inertie expliquée par le premier axe factoriel : 47.79% ; et par le deuxième : 27.06%.
dernier texte, le représentation des CMS est très différente à celle de la figure 4.6. Tous les
types de discours sont significativement différents de l’origine. La grande différence entre le
type dialogal et les autres types est que pour le premier, l’ellipse de confiance est très étendue
et donc que ce type n’est pas très stable. Concernant les CMS, on peut distinguer que les
interjections, les verbes au conditionnel et les les adjectifs sont significativement différents de
l’origine. De plus, ce dernier est en attraction mutuelle avec le type descriptif, comme il avait
déjà été observé dans la section 4.1.4.
4.3 Classification non supervisée et résultats
En premier lieu, les tables de contingence, croisant propositions et n-grammes de CMS (cf.
section 4.1.3), sont transformées par (1.6) en matrices de dissimilarités du khi2 entre les propositions
D = (Dij ). Cette étape est effectuée pour chacun des quatre textes et pour chaque
longueur de n-gramme de CMS, soit les uni-, bi- et trigrammes. Ensuite, deux méthodes de
classification non supervisée (présentées dans la section 2.1) sont utilisées : l’algorithme Kmeans
(section 4.3.1) et l’algorithme K-means flou (section 4.3.2). Leurs résultats sont évalués
au moyen d’indices d’accord entre partitions.
4.3.1 K-means
4.3.1.1 Choix des paramètres
Pour effectuer l’algorithme K-means, la matrice de dissimilarités du khi2 est utilisée avec l’algorithme
tel qu’il est décrit dans la section 2.1.2, en y incluant les transformations de puissance56 4. CLASSIFICATION NON SUPERVISÉE EN TYPES DE DISCOURS
de Schoenberg.
Plus particulièrement, l’algorithme K-means a été appliqué aux quatre textes, considérés
séparément, pour les uni-, bi- et trigrammes de CMS. La principale visée de cette classification
non supervisée étant de retrouver les 6 types de discours, on choisit un nombre de groupes m = 6.
Aussi, le nombre d’itérations maximal est fixé à Nmax = 400.
6 Concernant la transformation de
puissance (1.22), la puissance q varie de 0.1 à 1, avec des incréments de 0.05. Ainsi, la méthode
K-means est effectuée pour les 4 textes avec les 3 longueurs de n-gramme différentes, pour 19
valeurs de q, ce qui conduit à 228 cas différents.
Il faut encore noter que, puisque la solution de l’algorithme K-means dépend de la position
initiale des centres, déterminée ici par la matrice Z, générée aléatoirement, chaque cas est calculé
300 fois et l’on prend ensuite la moyenne des résultats obtenus pour chacun des cas.
Plus précisément, pour chacun des résultats, l’indice de Jaccard (2.11), J, et l’indice de Rand
corrigé (2.12), RC, sont calculés sur la table de contingence croisant les effectifs des propositions
catégorisées en 6 groupes par l’annotateur et classifiées en 6 groupes selon l’algorithme. Puis,
la moyenne de ces résultats, pour chaque cas, est calculée.
Une version de la méthode K-means, non pondérée, a aussi été testée en posant fi = 1/n
pour le calcul de f
g
j
dans (2.6). Les résultats ainsi obtenus sont exposés dans l’article de Cocco
et al. (2011).
4.3.1.2 Résultats
Les moyennes des résultats, obtenus pour J et RC en fonction de q avec l’algorithme K-means,
sont présentées dans les figures 4.11 à 4.14, sans les écarts-types. Les figures « complètes »,
avec les écarts-types des deux indices d’accord entre partitions, se trouvent dans l’annexe C,
section C.1.1.
1.0 0.8 0.6 0.4 0.2
0.00 0.01 0.02 0.03 0.04 0.05
Puissance (q)
Indice de Rand corrigé
1.0 0.8 0.6 0.4 0.2
0.11 0.12 0.13 0.14 0.15 0.16 0.17
Puissance (q)
Indice de Jaccard
Figure 4.11 – « L’Orient » avec l’algorithme K-means. Indice de Rand corrigé (gauche) et
de Jaccard (droite) en fonction de la puissance q. (◦ = unigrammes, 4 = bigrammes et × =
trigrammes). Pour rappel, q = 1 est équivalent à ne pas effectuer de transformation.
Deux premières constatations sont évidentes. Premièrement, les résultats obtenus pour les
quatre textes sont différents, comme le laisser supposer les liens entre les CMS et les types de
discours (cf. sections 4.1.4 et 4.2). Deuxièmement, les deux indices d’accord entre partitions
choisis produisent des résultats très différents. Cette différence entre les deux indices découle
6. Cette valeur n’est jamais atteinte, car la solution se stabilise rapidement (le nombre d’itérations maximum
observé sur l’ensemble des résultats jusqu’à stabilisation de la solution est de 46).4.3. Classification non supervisée et résultats 57
certainement du fait que l’indice de Jaccard ne considère pas le nombre de paires simultanément
séparées dans les deux partitions (Milligan et Cooper, 1986).
Cependant, on remarque aussi des régularités. Par exemple, concernant les textes « L’Orient »,
« Le Voleur » et « Un Fou ? », avec l’indice de Rand corrigé (graphiques de gauche des figures
4.11, 4.12 et 4.13), les unigrammes produisent les meilleurs résultats ; et les trigrammes, les
moins bons résultats en général. Pour le texte « Le Voleur » (figure 4.12, droite), avec l’indice
de Jaccard, les unigrammes révèlent aussi de meilleurs résultats.
1.0 0.8 0.6 0.4 0.2
-0.05 0.00 0.05 0.10 0.15
Puissance (q)
Indice de Rand corrigé
1.0 0.8 0.6 0.4 0.2
0.14 0.16 0.18 0.20 0.22
Puissance (q)
Indice de Jaccard
Figure 4.12 – « Le Voleur » avec l’algorithme K-means. Indice de Rand corrigé (gauche) et
de Jaccard (droite) en fonction de la puissance q. (◦ = unigrammes, 4 = bigrammes et × =
trigrammes).
Concernant l’indice de Jaccard avec les trois autres textes, soit « L’Orient », « Un Fou ? » et
« Un Fou » (graphiques de droite des figures 4.11, 4.13 et 4.14), on constate que les trigrammes
engendrent de meilleurs résultats pour des valeurs faibles de q et que la tendance s’inverse, avec
les meilleurs résultats pour les unigrammes, lorsque q > 0.65, respectivement 0.45 et 0.7.
1.0 0.8 0.6 0.4 0.2
-0.02 0.00 0.02 0.04 0.06 0.08
Puissance (q)
Indice de Rand corrigé
1.0 0.8 0.6 0.4 0.2
0.11 0.12 0.13 0.14 0.15 0.16 0.17
Puissance (q)
Indice de Jaccard
Figure 4.13 – « Un Fou ? » avec l’algorithme K-means. Indice de Rand corrigé (gauche) et
de Jaccard (droite) en fonction de la puissance q. (◦ = unigrammes, 4 = bigrammes et × =
trigrammes).
Avec l’indice de Rand corrigé, on observe aussi que les transformations de puissance semblent58 4. CLASSIFICATION NON SUPERVISÉE EN TYPES DE DISCOURS
améliorer les résultats. En effet, le meilleur résultat obtenu pour « L’Orient » (figure 4.11,
gauche), avec les unigrammes, est RC = 0.048 pour q = 0.55 ; pour « Le Voleur » (figure 4.12,
gauche), RC = 0.125 pour q = 0.95 ; pour « Un Fou ? » (figure 4.13, gauche), RC = 0.072 pour
q = 0.85 ; et pour « Un Fou » (figure 4.14, gauche), RC = 0.046 pour q = 0.25, mais cette fois
pour les trigrammes. De plus, que ce soit pour les uni-, les bi- ou les trigrammes de CMS dans
ce dernier texte, l’introduction de la transformation de puissance améliore systématiquement
les résultats au regard de l’indice de Rand corrigé.
1.0 0.8 0.6 0.4 0.2
0.00 0.01 0.02 0.03 0.04 0.05
Puissance (q)
Indice de Rand corrigé
1.0 0.8 0.6 0.4 0.2
0.12 0.14 0.16 0.18
Puissance (q)
Indice de Jaccard
Figure 4.14 – « Un Fou » avec l’algorithme K-means. Indice de Rand corrigé (gauche) et de
Jaccard (droite) en fonction de la puissance q. (◦ = unigrammes, 4 = bigrammes et × =
trigrammes).
Finalement, il est difficile de comparer les résultats et beaucoup de différences subsistent
entre les indices d’accord entre partitions. Cependant, malgré ces différences, les résultats sont
toujours meilleurs pour le texte « Le Voleur », et ce avec les deux indices utilisés. Comme déjà
mentionné (cf. section 2.3.1), il existe d’autres indices. À titre d’exemple, les mêmes essais ont
été faits en comparant les partitions par le biais du V de Cramer et les résultats sont présentés
dans la section C.1.2 de l’annexe. Derechef, les résultats les plus élevés sont obtenus, lorsque
l’on considère des unigrammes de CMS, pour le texte « Le Voleur ».
4.3.2 K-means flou
4.3.2.1 Choix de paramètres
Pour appliquer l’algorithme K-means flou, on utilise, à nouveau, pour chaque texte et pour
chaque longueur de n-gramme de CMS différente, la matrice des dissimilarités du khi2, D (cf.
introduction de cette section 4.3). L’algorithme K-means flou, tel qu’il est présenté dans la
section 2.1.3, est appliqué sur chacune de ces matrices D.
En particulier, pour chaque texte, le nombre de groupes de départ, m, est choisi égal au
nombre n de propositions présentes dans chacun des textes. Ainsi, le nombre de groupes final
après agrégation, M, est déterminé uniquement par la température relative, trel. Après plusieurs
essais, on choisit de faire varier cette dernière entre 0.022 et 0.3, avec des incréments de 0.001.
Concernant le texte « Un Fou », qui contient plus de propositions (table 4.1), on choisit de faire
varier trel entre 0.02 et 0.3, avec des incréments de 0.01, pour maintenir un temps de calcul
raisonnable.
À nouveau, le nombre d’itérations maximum a été fixé à Nmax = 400. Contrairement à la
méthode K-means (dur), cette valeur est parfois atteinte, car la solution semble se stabiliser4.3. Classification non supervisée et résultats 59
plus lentement, en particulier lorsque les valeurs de trel sont basses, mais pas forcément pour
les valeurs minimales choisies. Finalement, pour chaque trel, l’algorithme a été exécuté 20 fois,
puis les moyennes des indices d’accord entre partitions, J et RC, ont été calculées.
Il faut préciser que les 20 exécutions n’ont pas systématiquement abouti à un résultat, car
deux problèmes d’instabilités numériques différents ont été détectés. Le premier se produit lors
de la seconde itération si les valeurs de trel sont trop petites ; et le second, lors de l’agrégation des
m groupes en M groupes avec le critère de fusion des groupes (cf. section 2.1.3). Ces instabilités
numériques étant rares, les résultats ont simplement été supprimés, sans être recalculés.
4.3.2.2 Résultats
Les figures 4.15 à 4.22 présentent un résumé des résultats obtenus en appliquant l’algorithme
K-means flou sur les quatre textes. Sur toutes ces figures, les graphiques de droite présentent
un indice d’accord entre partitions en fonction du nombre de groupes final M. En réalité, il
s’agit d’une représentation paramétrique de la moyenne de l’indice d’accord entre partitions et
de la moyenne de M, sur les 20 exécutions, en fonction de la température relative trel. Aussi,
les résultats pour les moyennes de M et pour les moyennes des indices d’accord entre partitions
en fonction de trel sont présentés dans l’annexe C.2.
En premier lieu, on observe, sur les graphiques de gauche des figures 4.15 à 4.22, ainsi que
sur les graphiques du haut des figures de la section C.2, que, comme déjà annoncé dans la
section 2.1.3 présentant l’algorithme, le nombre de groupes final M, pour les trois longueurs
de n-gramme de CMS, diminue lorsque la température relative augmente. Aussi, comme pour
l’algorithme K-means (dur), on remarque que les résultats différent fortement selon l’indice
d’accord entre partitions utilisé et selon les textes.
0.05 0.10 0.15 0.20 0.25 0.30
0 20 40 60 80 100 120
-0.01 0.00 0.01 0.02 0.03
Température relative (trel
)
Nombre de groupes après agrégation
Indice de Rand corrigé
Nombre de groupes
Indice de Rand corrigé
0 20 40 60 80 100 120
-0.01 0.00 0.01 0.02
Nombre de groupes
Indice de Rand corrigé
Unigrammes
Bigrammes
Trigrammes
Figure 4.15 – « L’Orient » avec l’algorithme K-means flou. Moyenne (ligne épaisse) et écartstypes
(ligne fine) de l’indice de Rand corrigé, RC, et du nombre de groupes après agrégation, M,
en fonction de la température relative, trel, pour les unigrammes de CMS (gauche) et moyenne
de RC en fonction de la moyenne de M pour les uni-, bi- et trigrammes de CMS (droite).
La figure 4.15 montre que, pour « L’Orient » avec l’indice de Rand corrigé, les meilleurs ré-
sultats sont obtenus avec des unigrammes pour un nombre de groupe élevé, alors que pour un
nombre de groupes plus petit, en particulier pour M < 8 environ, les bigrammes engendrent
de meilleurs résultats. La valeur la plus élevée de l’indice, RC = 0.027, est obtenue avec les
unigrammes, lorsque M = 92.2, ce qui correspond à trel = 0.074. Ainsi, le meilleur résultat
s’obtient lorsqu’il y a environ 92 groupes pour 189 propositions (table 4.1), donc les groupes
contiennent 2 propositions en moyenne. Aussi, toujours pour les unigrammes, les résultats sont60 4. CLASSIFICATION NON SUPERVISÉE EN TYPES DE DISCOURS
0.05 0.10 0.15 0.20 0.25 0.30
0 20 40 60 80 100 120
0.05 0.10 0.15 0.20
Température relative (trel
)
Nombre de groupes après agrégation
Indice de Jaccard
Nombre de groupes
Indice de Jaccard
0 20 40 60 80 100 120
0.05 0.10 0.15 0.20
Nombre de groupes
Indice de Jaccard
Unigrammes
Bigrammes
Trigrammes
Figure 4.16 – « L’Orient » avec l’algorithme K-means flou. Moyenne (ligne épaisse) et écartstypes
(ligne fine) de l’indice de Jaccard, J, et du nombre de groupes après agrégation, M, en
fonction de la température relative, trel, pour les unigrammes de CMS (gauche) et moyenne de
J en fonction de la moyenne de M pour les uni-, bi- et trigrammes de CMS (droite).
parfois négatifs, ce qui signifie que l’accord entre la partition obtenue par l’algorithme et celle
créée par l’expert humain est moins bon qu’un accord qui serait obtenu au hasard (cf. section
2.3.1). Concernant les résultat obtenus avec l’indice de Jaccard (figure 4.16), on constate
un petit pic pour les bigrammes, J = 0.224, lorsque M = 1.9 (trel = 0.066), qui est le meilleur
résultat obtenu pour ce texte. À l’exception de ce pic, les meilleurs résultats sont obtenus avec
les trigrammes lorsque le nombre de groupes est petit (M < 54 environ). Pour un nombre de
groupes plus élevé, l’indice de Jaccard n’a pas pu être calculé en raison d’instabilités numériques
dues à des valeurs de trel (0.022 et 0.023) trop petites.
0.05 0.10 0.15 0.20 0.25 0.30
0 20 40 60 80 100 120
0.00 0.05 0.10 0.15 0.20 0.25 0.30
Température relative (trel
)
Nombre de groupes après agrégation
Indice de Rand corrigé
Nombre de groupes
Indice de Rand corrigé
0 20 40 60 80 100 120
0.00 0.05 0.10 0.15 0.20 0.25 0.30
Nombre de groupes
Indice de Rand corrigé
Unigrammes
Bigrammes
Trigrammes
Figure 4.17 – « Le Voleur » avec l’algorithme K-means flou. Moyenne (ligne épaisse) et écartstypes
(ligne fine) de RC et de M en fonction de trel, pour les unigrammes de CMS (gauche)
et moyenne de RC en fonction de la moyenne de M pour les uni-, bi- et trigrammes de CMS
(droite).
Concernant le texte « Le Voleur » (figures 4.17 et 4.18), les meilleurs résultats sont obtenus
avec les unigrammes pour les deux indices d’accord entre partitions. Aussi, il existe un pic4.3. Classification non supervisée et résultats 61
0.05 0.10 0.15 0.20 0.25 0.30
0 20 40 60 80 100 120
0.0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5
Température relative (trel
)
Nombre de groupes après agrégation
Indice de Jaccard
Nombre de groupes
Indice de Jaccard
0 20 40 60 80 100 120
0.0 0.1 0.2 0.3 0.4
Nombre de groupes
Indice de Jaccard
Unigrammes
Bigrammes
Trigrammes
Figure 4.18 – « Le Voleur » avec l’algorithme K-means flou. Moyenne (ligne épaisse) et écartstypes
(ligne fine) de J et de M en fonction de trel, pour les unigrammes de CMS (gauche) et
moyenne de J en fonction de la moyenne de M pour les uni-, bi- et trigrammes de CMS (droite).
remarquable sur chacune de ces deux figures, bien que plus important avec l’indice de Rand
corrigé. Pour l’indice de Rand corrigé (figure 4.17), il atteint une moyenne de RC = 0.305,
lorsque trel = 0.145, ce qui correspond à une moyenne de groupes M = 14.4. Quant à l’indice
de Jaccard (figure 4.18), sa valeur maximale est de J = 0.478, pour M = 13.4 (trel = 0.148). Il
semble donc que le nombre de groupes optimal soit plutôt de 14 que de 6. À titre d’exemple,
la table 4.4 présente une exécution typique de l’algorithme aboutissant à la génération de 14
groupes. En particulier, on constate que le groupe le groupe 1 est clairement dominant et qu’il
est associé au type de discours narratif, attribué à plus de 60% des propositions (cf. table 4.1).
Aussi, la majorité des propositions classées dans le groupe 11 par l’algorithme correspondent
à celles annotées comme descriptives par l’expert humain. Les propositions correspondant aux
différents groupes définis par l’algorithme sont fournies dans la table 4.5.
Effectifs
Algorithme K-means flou
Expert 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
argumentatif 7 0 0 0 1 1 0 0 1 0 0 0 0 0
descriptif 19 2 0 0 1 0 1 0 0 1 0 0 1 0
dialogal 7 0 1 0 0 0 0 2 2 1 15 0 0 1
explicatif 7 0 0 0 0 0 0 0 0 0 3 0 0 0
injonctif 2 0 0 1 0 0 0 0 0 0 2 0 0 1
narratif 116 1 0 0 2 0 3 0 0 1 0 4 1 0
Quotients d’indépendance
Algorithme K-means flou
Expert 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
argumentatif 0.92 0.00 0.00 0.00 5.20 20.80 0.00 0.00 6.93 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00
descriptif 1.00 5.55 0.00 0.00 2.08 0.00 2.08 0.00 0.00 2.77 0.00 0.00 4.16 0.00
dialogal 0.32 0.00 7.17 0.00 0.00 0.00 0.00 7.17 4.78 2.39 5.38 0.00 0.00 3.59
explicatif 0.92 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 3.12 0.00 0.00 0.00
injonctif 0.44 0.00 0.00 34.67 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 3.47 0.00 0.00 17.33
narratif 1.19 0.54 0.00 0.00 0.81 0.00 1.22 0.00 0.00 0.54 0.00 1.62 0.81 0.00
Table 4.4 – Exemple d’un résultat obtenu avec l’algorithme K-mean flou sur le texte « Le
Voleur » avec trel = 0.146, aboutissant à la création de 14 groupes. Pour cet exemple : RC =
0.322 et J = 0.483.62 4. CLASSIFICATION NON SUPERVISÉE EN TYPES DE DISCOURS
Groupe Exemple Autres membres du groupe
1
Et le vieil artiste se mit à cheval sur une
chaise. 21
8, 11, 12, 13, 17, 23, 25, 28, 29, 32, 33, 35, 36, 37, 38, 39,
42, 43, 44, 46, 47, 49, 50, 51, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65,
69, 70, 74, 76, 78,79, 80, 81, 82, 83, 85, 86, 87, 91, 92, 95,
96, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 109, 111, 112, 114, 116, 117,
120, 121, 123, 124, 125, 126, 128, 129, 130, 131, 132, 133,
137, 139, 143, 144, 145, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153,
154, 159, 160, 161, 162, 167, 169, 170, 172, 173, 175, 176,
178, 179, 180, 184, 185, 186, 194, 198, 199, 200, 206, 207,
208, 209, 211, 215, 222, 224, 229, 230, 232, 233, 234, 235,
237, 238, 240, 241, 242, 244, 245, 246, 247, 248, 252, 253,
254, 255, 256, 264, 265, 266, 267, 268, 269, 270, 271, 273,
274, 275, 276, 283, 284, 285, 286, 287, 290, 295, 296, 297
2 Il était sombre et profond. 113 34, 158
3 celui-ci doit être livré au bourreau. 225 -
4 "Soyons prudents", 106 -
5 où l’esprit farceur sévissait si bien 16 97, 115, 146
6 qui ont connu cette époque 15 -
7 où il fut englouti. 48 84, 118, 210
8
"Eh bien, mon pauv’vieux, comment ça
va-t-il ?" 258 141
9
Les peintres seuls ne s’étonneront point,
surtout les vieux 14 6, 93
10 mais je n’oserais affirmer 30 136, 273
11 "Vous voulez rire, sans doute." 182 5, 53, 67, 72, 90, 135, 156, 164, 190, 192, 203, 213, 218,
226, 250
12 Puis il dit : 187 88, 166, 260
13 que c’était lui. 31 45
14 "Au secours !" 196 55
Table 4.5 – Propositions énoncées correspondant au résultat présenté dans la table 4.4 et
obtenu avec l’algorithme K-means flou. Les nombres dans cette table font référence aux lignes
de l’annexe A.2.
0.05 0.10 0.15 0.20 0.25 0.30
0 50 100 150
0.00 0.02 0.04 0.06
Température relative (trel
)
Nombre de groupes après agrégation
Indice de Rand corrigé
Nombre de groupes
Indice de Rand corrigé
0 50 100 150
0.00 0.01 0.02 0.03 0.04 0.05 0.06
Nombre de groupes
Indice de Rand corrigé
Unigrammes
Bigrammes
Trigrammes
Figure 4.19 – « Un Fou ? » avec l’algorithme K-means flou. Moyenne (ligne épaisse) et écartstypes
(ligne fine) de RC et de M en fonction de trel, pour les unigrammes de CMS (gauche)
et moyenne de RC en fonction de la moyenne de M pour les uni-, bi- et trigrammes de CMS
(droite).
Concernant le texte « Un Fou ? » (figures 4.19 et 4.20), à l’instar du texte « Le Voleur »,
les unigrammes produisent systématiquement les meilleurs résultats. En fait, pour les bi- et les
trigrammes, le nombre de groupes après agrégation M chute rapidement à 1, plus précisément
lorsque trel > 0.079 pour les bigrammes, et lorsque trel > 0.028 pour les trigrammes. De plus,
pour des valeurs basses de trel, des instabilités numériques se produisent. Ainsi, peu de résultas
sont exploitables. Avec l’indice de Rand corrigé (figure 4.19), deux pics apparaissent pour les
unigrammes. Le premier vaut RC = 0.051, lorsque M = 7.8 (trel = 0.158) ; et le second, plus
élevé, RC = 0.062, lorsque M = 24.5 (trel = 0.126). Avec l’indice de Jaccard (figure 4.20),4.3. Classification non supervisée et résultats 63
0.05 0.10 0.15 0.20 0.25 0.30
0 50 100 150
0.05 0.10 0.15 0.20
Température relative (trel
)
Nombre de groupes après agrégation
Indice de Jaccard
Nombre de groupes
Indice de Jaccard
0 50 100 150
0.05 0.10 0.15 0.20
Nombre de groupes
Indice de Jaccard
Unigrammes
Bigrammes
Trigrammes
Figure 4.20 – « Un Fou ? » avec l’algorithme K-means flou. Moyenne (ligne épaisse) et écartstypes
(ligne fine) de J et de M en fonction de trel, pour les unigrammes de CMS (gauche) et
moyenne de J en fonction de la moyenne de M pour les uni-, bi- et trigrammes de CMS (droite).
on observe un petit pic pour les unigrammes, J = 0.216, lorsque M = 7.1 (trel = 0.157),
donc pour un nombre de groupes proche de celui du premier pic observé avec l’indice de Rand
corrigé. Cependant, il ne correspond pas à la valeur maximale obtenue pour ce texte, qui est de
J = 0.217 pour M = 3.7 (trel = 0.202).
0.05 0.10 0.15 0.20 0.25 0.30
0 50 100 150
-0.04 -0.03 -0.02 -0.01 0.00
Température relative (trel
)
Nombre de groupes après agrégation
Indice de Rand corrigé
Nombre de groupes
Indice de Rand corrigé
0 50 100 150
-0.03 -0.02 -0.01 0.00
Nombre de groupes
Indice de Rand corrigé
Unigrammes
Bigrammes
Trigrammes
Figure 4.21 – « Un Fou » avec l’algorithme K-means flou. Moyenne (ligne épaisse) et écartstypes
(ligne fine) de RC et de M en fonction de trel, pour les unigrammes de CMS (gauche)
et moyenne de RC en fonction de la moyenne de M pour les uni-, bi- et trigrammes de CMS
(droite).
Comme pour « L’Orient », les résultats pour « Un Fou » prennent des valeurs négatives avec
l’indice de Rand corrigé (figure 4.21), mais sur une plus grande étendue pour ce texte, en
particulier avec les unigrammes. Il faut noter que peu de résultats obtenus avec les bigrammes
sont exploitables, et encore moins avec les trigrammes, car pour ces derniers tous les résultats,
indépendamment de la valeur de trel correspondent à M = 1 (cf. graphique du haut de la
figure C.12). Concernant les résultats obtenus avec l’indice de Jaccard (figure 4.22), ils sont
aussi très similaires à ceux obtenus pour le texte de « L’Orient », sans pics cependant.64 4. CLASSIFICATION NON SUPERVISÉE EN TYPES DE DISCOURS
0.05 0.10 0.15 0.20 0.25 0.30
0 50 100 150
0.05 0.10 0.15 0.20 0.25
Température relative (trel
)
Nombre de groupes après agrégation
Indice de Jaccard
Nombre de groupes
Indice de Jaccard
0 50 100 150
0.05 0.10 0.15 0.20 0.25
Nombre de groupes
Indice de Jaccard
Unigrammes
Bigrammes
Trigrammes
Figure 4.22 – « Un Fou » avec l’algorithme K-means flou. Moyenne (ligne épaisse) et écartstypes
(ligne fine) de J et de M en fonction de trel, pour les unigrammes de CMS (gauche) et
moyenne de J en fonction de la moyenne de M pour les uni-, bi- et trigrammes de CMS (droite).
Malgré l’hétérogénéité des résultats, on constate, comme avec l’algorithme K-means, plusieurs
régularités. En particulier, les unigrammes produisent généralement de meilleurs résultats avec
l’indice de Rand corrigé. On remarque aussi que le nombre de groupes semble évoluer différemment
en fonction de trel selon que les uni-, bi- ou trigrammes de CMS sont utilisés. Il pourrait
donc être intéressant de faire varier différemment trel pour les bi- et trigrammes, malgré les
résultats souvent moins bons pour ces derniers.
Aussi, les résultats obtenus pour le texte « Le Voleur », quel que soit l’indice d’accord entre
partitions utilisé, sont nettement meilleurs, tout comme avec l’algorithme K-means (dur). Les
résultats sont plus décevants pour les textes « L’Orient » et « Un Fou » qui, pour rappel (cf.
section 4.1.4), ont certainement une structure un peu différente des deux autres contes. On
note aussi que, par construction, l’indice de Jaccard (graphiques de droite des figures de la
section C.2) prend une valeur constante et positive lorsqu’il ne reste qu’un groupe (pour un
exemple de calcul avec « Le Voleur » voir Cocco, 2012b).
4.4 Discussion
Concernant la classification non supervisée, il est clair que les résultats sont difficiles à interpréter,
que les deux indices choisis ne fournissent pas la même information et que les différents
textes engendrent des résultats différents, et ce quelque soit l’algorithme choisi. Cependant,
plusieurs régularités ont été observées et permettent quelques conclusions. Premièrement, les
unigrammes de CMS donnent généralement de meilleurs résultats que les bi- et les trigrammes
de CMS. Cela s’explique peut-être par le fait que pour les bi- et les trigrammes, la table de
contingence est creuse, conduisant au problème du « fléau de la dimension » ou de « la malé-
diction de la dimension » (curse of dimensionality), en particulier dans le cadre la classification
(voir par exemple Houle, Kriegel, Kröger, Schubert et Zimek, 2010). Deuxièmement, l’introduction
de la transformation de puissance peut améliorer les résultats. Aussi, les résultats sont
systématiquement meilleurs pour le texte « Le Voleur », peu importe l’algorithme de classification
ou la méthode d’évaluation. Il faut noter que ces résultats sont à considérer avec précaution
en raison de deux limitations : la taille relativement courte des textes et le fait qu’il n’y ait qu’un
seul annotateur.
Au-delà de ces résultats intéressants, il reste de nombreuses pistes à explorer. Au niveau de la4.4. Discussion 65
méthode de classification, il est clair qu’il serait intéressant de combiner les transformations de
Schoenberg avec l’algorithme K-means flou. Pratiquement, pour ce faire, il suffirait, comme pour
l’algorithme K-means, de transformer D en D˜ = ϕ(D) lors de l’initialisation (cf. section 2.1.3).
Une toute autre voie serait d’utiliser des algorithmes de classification supervisée (cf. section 2.2)
qu’il serait avantageux d’associer avec des méthodes de sélection de caractéristiques (feature
selection) (voir par exemple Yang et Pedersen, 1997). Il s’agirait alors de les appliquer à des
textes plus longs pour se prémunir des risques de sur-paramétrisation.
Concernant le choix des caractéristiques, une première piste de recherche serait d’utiliser spé-
cifiquement les marques linguistiques de chaque type de discours décrites dans la section 4.1.1.
Aussi, on pourrait s’intéresser au fonctionnement du logiciel Tropes 7 qui permet, entre autres
choses, de classer l’ensemble d’un texte, à condition qu’il soit suffisamment long, dans un des
quatre « styles » suivants : argumentatif, narratif, énonciatif et descriptif (basés sur les modes
d’organisation du discours de Charaudeau, 1992, troisième partie, pp. 631-835). Bien que ces
modes de discours ne soient pas strictement identiques aux types de discours étudiés dans ce
travail, les caractéristiques retenues par le logiciel sont de même type que celles proposées dans
les marques linguistiques (cf. section 4.1.1), mais plus fines que les CMS obtenues avec TreeTagger.
Il pourrait ainsi être intéressant de se baser sur ces caractéristiques. Dans cette même
perspective, il serait possible d’utiliser un autre étiqueteur morpho-syntaxique, tel que Cordial
Analyseur 8
. Il serait aussi possible d’utiliser les lemmes, à la place de ou en combinaison avec
les CMS. La difficulté principale de toutes ces approches serait le risque d’obtenir des matrices
creuses et donc de rencontrer, à nouveau, le problème du fléau de la dimension. Il faudrait aussi,
dans la perspective d’obtenir un système totalement indépendant d’un annotateur, définir une
méthode de segmentation automatique du texte en propositions.
Une autre étape supplémentaire qu’il faudrait envisager est la prise en compte de la structure
hiérarchique des types de discours (cf. section 4.1.1.7), car seules les feuilles de la structure ont
été utilisées ici. Par exemple, il serait intéressant de déterminer le type de discours dominant
pour chaque proposition, ce qui devrait d’abord être défini par un expert humain. Ainsi, il serait
possible de travailler sur des unités plus longues que les propositions. Aussi, le type de discours
injonctif étant systématiquement inclus dans le type dialogal à l’intérieur de notre corpus, il
pourrait être supprimé pour obtenir un groupe dialogal plus important.
Finalement, il serait idéal d’obtenir plus de textes annotés, ce qui permettrait d’améliorer les
résultats et d’utiliser les méthodes proposées ci-dessus. Il faudrait aussi un second annotateur,
au minimum, pour pouvoir mesurer la difficulté de la tâche d’annotation pour un expert humain.
7. http://www.tropes.fr/
8. http://www.synapse-fr.com/Cordial_Analyseur/Presentation_Cordial_Analyseur.htmCHAPITRE 5
Classification supervisée multi-étiquette en actes de dialogue
Ce chapitre reprend, presque intégralement, l’article Cocco (2014), en présentant quelques
résultats supplémentaires. La visée de ce chapitre est la classification supervisée multi-étiquette
en actes de dialogue des tours de parole des contributeurs aux pages de discussion de Simple
English Wikipedia (Wikipédia en anglais simple).
Les articles de Wikipédia sont créés par ses contributeurs, qui partagent leurs informations
et leurs critiques sur des pages de discussion, chaque article étant lié à une page de discussion.
Ces discussions fournissent une base de données que Ferschke, Gurevych et Chebotar (2012) ont
segmentée, pour Simple English Wikipedia, en tours de parole, définis comme les interventions
successives des intervenants. Ils ont ensuite annoté ces tours de parole avec des actes de dialogue
(section 5.1).
De nombreux travaux (voir par exemple Stolcke et al., 2000) se sont intéressés à la classifi-
cation de dialogues écrits ou oraux en actes de dialogue (dialogue acts) ou en actes de langage
ou de discours (speech acts), servant à caractériser la fonction d’un énoncé dans un dialogue
(Austin, 1962; Searle, 1969). Les actes de dialogue peuvent être différents selon le but de la classification
(pour une comparaison des principaux actes de dialogue et de langage utilisés, voir par
exemple Goldstein et Sabin, 2006). Ferschke et al. (2012) utilisent leur propre jeu d’étiquettes
d’actes de dialogue avec pour but de comprendre les « efforts de coordination pour l’amélioration
d’un article ». Dans un second temps, ils ont procédé à une classification multi-étiquette.
En général, un acte de dialogue est attribué à chaque énoncé, ce qui conduit à une classification
ordinaire mono-étiquette. Dans ce jeu de données, les tours de parole, pouvant être composés
de plusieurs énoncés, sont étudiés et peuvent donc se voir attribuer un ou plusieurs actes de
dialogue, ce qui conduit à une classification multi-étiquette (cf. section 2.3.2 et 5.3.2.1) des
tours de paroles en actes de dialogue. Pour examiner la cohérence de ces annotations et pour
déterminer une méthode de classification, on commence ici par analyser les relations entre les
étiquettes (section 5.2).
Concernant les actes de dialogue, Colineau et Caelen (1995) distinguent quatre types de
marqueurs :
— linguistiques (morphologiques, syntaxiques et lexicaux),
— prosodiques,
— situationnels (phases du dialogue et règles d’enchaînement préférentiel) et
— du geste.
Ici, le jeu de données contient exclusivement des textes écrits, sans annotation des actions
qui découlent du dialogue ; ainsi seuls les marqueurs linguistiques et situationnels peuvent être
employés. Ferschke et al. (2012) utilisent les deux types de marqueurs, i.e. des uni-, des bi- et des
6768 5. CLASSIFICATION SUPERVISÉE MULTI-ÉTIQUETTE EN ACTES DE DIALOGUE
trigrammes (linguistiques), d’une part, et le temps entre les tours de parole, leur indentation,
etc. (situationnels), d’autre part, puis les combinent. Ce travail propose d’utiliser trois autres
caractéristiques (features), toutes de nature linguistique, et de les étudier séparément pour
mieux comprendre l’impact de chacune d’entre elles, sans visée de performance globale. Les
trois types de caractéristiques employées sont (section 5.3.1) :
— les lemmes (unigrammes), donnant des résultats légèrement meilleurs que les mots-formes
dans la classification en actes de dialogues de messages dans des chats (Kim, Cavedon et
Baldwin, 2010) ;
— les catégories morphosyntaxiques (CMS), dont l’intérêt pour la classification en actes
de dialogue est démontré dans plusieurs travaux (voir par exemple Cohen, Carvalho et
Mitchell, 2004; Boyer, Ha, Phillips, Wallis, Vouk et Lester, 2010) ; et
— le sens des verbes selon WordNet (Fellbaum, 1998). Deux articles, l’un étudiant la
classification de messages sur des forums (Qadir et Riloff, 2011), l’autre la classification
d’e-mails (Goldstein et Sabin, 2006), concluent que des classes de verbes (selon des listes
prédéfinies) aident à la reconnaissance de certains actes de langage. L’idée, un peu différente
ici, est de voir si les classes recréées à l’aide de WordNet permettent une telle
reconnaissance dans le jeu de données étudié.
Finalement, concernant la méthode de classification, alors que les auteurs du jeu de données
ont employé des approches classiques, telles que le classifieur Bayésien naïf ou les Séparateurs à
Vastes Marges (SVM), ce travail utilise l’analyse discriminante linéaire, étendue aux transformations
de Schoenberg. Les résultats ainsi obtenus sont exposés dans la section 5.3.3, puis les
extensions possibles de la méthode sont discutées dans la section 5.4.
5.1 Données
Les données utilisées dans ce projet sont celles de Ferschke et al. (2012) et mises librement
à disposition sur Internet (http://www.ukp.tu-darmstadt.de/data/wikidiscourse). Comme
déjà expliqué ci-dessus, elles concernent les pages de discussion de Wikipédia en anglais simple.
Une partie de ces pages de discussion ont été extraites, segmentées automatiquement en tours
de parole (1450 au total), puis classifiées en actes de dialogue. Pour cette dernière étape, deux
annotateurs ont classifié l’ensemble du corpus. Ensuite, dans les cas où les deux annotateurs
n’étaient pas d’accord, un troisième annotateur expert a pris la décision finale, ce qui a permis
constituer un corpus de référence (pour la structure des données et le détail, voir Ferschke et al.,
2012).
Les étiquettes qu’ils ont utilisées se divisent en quatre groupes principaux, lesquelles se subdivisent
en un jeu de 17 étiquettes, soit 1
:
— Les étiquettes interpersonnelles (Interpersonal) « décrivent l’attitude qui est exprimée
envers les autres participants dans la discussion et/ou les commentaires ». Ces étiquettes
se divisent en trois sous-étiquettes :
— « une approbation ou un rejet partiel » (ATTP),
— « une attitude négative envers un autre participant ou un rejet » (ATT-) et
— « une attitude positive envers un autre participant ou une approbation » (ATT+).
— Les étiquettes de critique d’articles (Article Criticism) « dénotent les commentaires
qui identifient des insuffisances dans l’article. La critique peut porter sur l’article entier
ou sur une partie de l’article ». Cet ensemble se subdivise en sept parties :
— « les insuffisances de langage ou de style » (CL),
— « un contenu incomplet ou un manque de détail » (CM),
— « d’autres sortes de critiques » (CO),
1. Les définitions de ce paragraphe sont une traduction personnelle des définitions proposées dans Ferschke et al.
(2012). Des exemples de tours de parole appartenant à chacune de ces 17 étiquettes et extraites du jeu de données
se trouvent dans leur article.5.2. Liens entre étiquettes 69
— « des problèmes objectifs » (COBJ),
— « des problèmes structurels » (CS),
— « un contenu inapproprié ou inutile » (CU) et
— « le manque de précision ou d’exactitude » (CW).
— Les étiquettes sur le contenu informationnel (Information Content) « décrivent la
direction de la communication ». Elles se divisent en trois catégories :
— « une correction de l’information » (IC),
— « un apport d’information » (IP) et
— « une demande d’information » (IS).
— Les étiquettes de performativité explicite (Explicit Performative) concernent « l’annonce,
le rapport ou la suggestion d’activités d’édition ». Elles se divisent en quatre souscatégories
:
— « un engagement à une action dans le futur » (PFC),
— « le rapport d’une action accomplie » (PPC),
— « une référence explicite ou un indicateur » (PREF) et
— « une suggestion, une recommandation ou une demande explicite » (PSR).
5.2 Liens entre étiquettes
Chaque tour de discussion pouvant avoir plusieurs étiquettes ou appartenir à plusieurs groupes
g = 1, . . . , m, il semblait pertinent de commencer par déterminer s’il existe des liens entre ces
étiquettes. En plus de permettre une meilleure compréhension de l’annotation et de sa cohérence,
cette première étude permet de choisir une méthode de classification multi-étiquette appropriée,
i.e. prenant en compte ou non le lien entre les étiquettes (cf. section 5.3.2.1).
5.2.1 Traitements
Pour mesurer le lien qui existe entre deux étiquettes (ou classes ou groupes) g et g
0
, on utilise
les indices présentés dans la section 1.2.2, et en particulier, le coefficient phi (cf. section 1.2.2.2)
et le Q de Yule (cf. section 1.2.2.3).
Pour ce faire, une table de contingence 2 × 2 a été créée pour chaque paire d’étiquettes,
représentant le nombre d’absences et de présences (codées 0 et 1) simultanées de chaque classe
pour chaque étiquette i = 1, . . . , n, comme présenté dans la table 1.2. Dans cette table, la
variable catégorielle X possède deux modalités, soit la présence et l’absence de g, et la variable
Y , la présence et l’absence de g
0
. Ceci nous permet de calculer φgg0 (1.4) et Qgg0 (1.5).
Dans un second temps, à partir de la matrice des corrélations entre toutes les classes Φ =
(φgg0) , une analyse en composantes principales (ACP) (voir par exemple Lebart et al., 1995,
section 1.2) a été effectuée afin de visualiser les relations entre les différentes étiquettes et étudier
la diversité de ces dernières. Pour pratiquer l’ACP, on utilise la fonction « PCA » du package
« FactoMineR » (Lê, Josse et Husson, 2008; Husson et al., 2013) de R.
5.2.2 Résultats
Les résultats pour le coefficient phi et le Q de Yule sont présentés dans la table 5.1. Pour les
coefficients phi, la valeur maximale de 0.358 est obtenue pour la paire d’étiquettes CS et PSR,
ce qui signifie que, souvent, les tours de parole classés comme parlant de problèmes structurels
sont aussi classés comme constituant une suggestion, une recommandation ou une demande
explicite, et inversement, ce qui semble cohérent. Quant à la valeur minimale de -0.306, elle se
produit entre les classes IP et PFC. Cela suggère qu’en général, si un tour de parole apporte de
l’information, il ne propose pas en même temps un engagement à une action dans le futur.
En ce qui concerne le Q de Yule, la valeur maximale de 0.925 est atteinte pour les classes IP
et IC, ce qui signifie qu’une des classes est presque incluse dans l’autre ; en fait, IC est presque70 5. CLASSIFICATION SUPERVISÉE MULTI-ÉTIQUETTE EN ACTES DE DIALOGUE
ATTP ATT- ATT+ CL CM CO COBJ CS CU
ATTP -0.039 -0.051 -0.051 -0.028 -0.028 0.047 -0.049 -0.026
ATT- -1 -0.055 -0.107* -0.053 -0.047 0.008 -0.071* -0.026
ATT+ -1 -0.527 -0.089* -0.013 -0.010 0.022 -0.051 -0.030
CL -0.707 -1 -0.532 0.018 -0.046 0.056 0.043 -0.004
CM -0.477 -0.590 -0.084 0.086 0.031 -0.003 0.123* 0.010
CO -1 -1 -0.099 -0.464 0.253 0.003 -0.020 -0.032
COBJ 0.564 0.115 0.229 0.415 -0.042 0.059 -0.009 0.067*
CS -1 -0.809 -0.364 0.183 0.503 -0.222 -0.130 0.001
CU -1 -0.455 -0.383 -0.034 0.098 -1 0.632 0.009
CW -1 -0.381 -0.301 -0.034 -0.064 -0.417 0.229 -0.271 0.473
IC 0.008 0.204 -0.670 0.817 -0.152 0.279 -0.105 -0.118 -0.333
IP 0.842 0.723 0.232 0.722 0.605 0.287 0.638 0.663 0.760
IS -0.288 -0.358 -0.534 0.132 0.284 0.410 -0.387 0.042 0.281
PFC 0.435 -0.424 0.584 -0.370 0.074 -1 0.180 -0.320 -0.059
PPC -0.196 -0.597 -0.144 -0.742 -0.736 -0.576 -0.311 -0.776 -0.523
PREF 0.347 0.058 -0.415 -0.594 -0.594 -0.207 -1 -0.648 -0.139
PSR -0.722 -0.562 -0.168 0.683 0.810 0.583 0.418 0.845 0.528
CW IC IP IS PFC PPC PREF PSR
ATTP -0.034 0.001 0.080* -0.026 0.046 -0.023 0.026 -0.075*
ATT- -0.030 0.033 0.118* -0.050 -0.034 -0.098* 0.005 -0.099*
ATT+ -0.032 -0.080* 0.056 -0.089* 0.137* -0.035 -0.033 -0.043
CL -0.005 0.353* 0.190* 0.036 -0.048 -0.188* -0.053 0.303*
CM -0.007 -0.021 0.118* 0.067* 0.010 -0.133* -0.038 0.309*
CO -0.024 0.036 0.040 0.072* -0.044 -0.070* -0.011 0.125*
COBJ 0.017 -0.008 0.059* -0.030 0.013 -0.032 -0.025 0.062*
CS -0.028 -0.018 0.138* 0.009 -0.034 -0.151* -0.044 0.358*
CU 0.057 -0.025 0.084* 0.042 -0.004 -0.061* -0.007 0.103*
CW 0.222* 0.120* 0.021 0.033 -0.084* 0.034 0.060*
IC 0.758 0.176* -0.072* -0.053 -0.124* 0.013 0.159*
IP 0.855 0.925 -0.115* 0.099* -0.306* 0.089* 0.295*
IS 0.128 -0.438 -0.322 -0.023 -0.149* -0.031 0.002
PFC 0.267 -0.588 0.632 -0.157 -0.064* -0.007 -0.024
PPC -0.570 -0.622 -0.627 -0.563 -0.389 -0.066* -0.293*
PREF 0.329 0.123 0.776 -0.301 -0.096 -0.551 -0.050
PSR 0.277 0.497 0.802 0.005 -0.127 -0.825 -0.366
Table 5.1 – Pour toutes les paires d’étiquettes, g et g
0
, coefficients φgg0, suivis d’une étoile pour
les valeurs significatives au niveau α = 5% (matrice triangulaire supérieure) et Qgg0 (matrice
triangulaire inférieure). Les valeurs maximales et minimales de chaque coefficient sont notées
en gras.
incluse dans IP, car cette dernière a été assignée à la grande majorité des tours de parole, soit
78,3 % (Ferschke et al., 2012). Ainsi, la plupart des tours de parole proposant une correction
de l’information, amènent aussi de l’information. Aussi, la majorité de cette classe IP devrait
impliquer que la plupart des autres classes soient, en parties, incluses dans celle-ci. En effet, on
observe que le Q de Yule est positif entre la classe IP et chaque autre classe, à l’exception des
classes IS et PPC.
Quant à la valeur minimale de -1, elle est obtenue pour plusieurs paires de classes. Cela signifie,
pour rappel (cf. section 1.2.2.3), que soit aucun tour de parole n’appartient simultanément aux
deux classes, soit tous les tours de parole appartiennent à au moins une des deux classes. En
fait, il s’agit du premier cas pour toutes les paires de classes. En particulier, on remarque qu’une
approbation ou un rejet partiel (ATTP) exclut une attitude négative (respectivement positive)
envers un autre participant ou un rejet (resp. une approbation) (ATT- resp. ATT+), diverses
critiques (CO), des problèmes structurels (CS), un contenu inapproprié (CU) ou la manque
d’exactitude (CW). Cependant, cette exclusion, qui pourrait sembler utile à la classification,
est certainement due au fait que l’étiquette ATTP est peu présente dans le corpus (elle est
attribuée à seulement 2.4 % des tours de parole selon Ferschke et al., 2012).
Finalement, comme il a été exposé dans la section précédente, une ACP a été effectuée5.3. Classification supervisée 71
5 10 15
0
2
4
6
8 10 12
Dimensions
Proportion de variance expliquée [%]
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
Variables factor map (PCA)
Dim 1 (12.95%)
Dim 2 (8.18%)
ATTP
ATTATT+
CL
CM
CO
COBJ
CS
CU
CW
IC
IP
IS
PFC
PPC
PREF
PSR
ATTP
ATTATT+
CL
CM
CO
COBJ
CS
CU
CW
IC
IP
IS
PFC
PPC
PREF
PSR
ATTP
ATTATT+
CL
CM
CO
COBJ
CS
CU
CW
IC
IP
IS
PFC
PPC
PREF
PSR
ATTP
ATTATT+
CL
CM
CO
COBJ
CS
CU
CW
IC
IP
IS
PFC
PPC
PREF
PSR
ATTP
ATTATT+
CL
CM
CO
COBJ
CS
CU
CW
IC
IP
IS
PFC
PPC
PREF
PSR
ATTP
ATTATT+
CL
CM
CO
COBJ
CS
CU
CW
IC
IP
IS
PFC
PPC
PREF
PSR
ATTP
ATTATT+
CL
CM
CO
COBJ
CS
CU
CW
IC
IP
IS
PFC
PPC
PREF
PSR
ATTP
ATTATT+
CL
CM
CO
COBJ
CS
CU
CW
IC
IP
IS
PFC
PPC
PREF
PSR
ATTP
ATTATT+
CL
CM
CO
COBJ
CS
CU
CW
IC
IP
IS
PFC
PPC
PREF
PSR
Figure 5.1 – ACP sur la matrice des corrélations Φ : proportion de variance expliquée par
chaque dimension (gauche) et cercle des corrélations (droite).
sur la matrice des corrélations Φ. Le diagramme des valeurs propres de la figure 5.1 (gauche)
montre qu’un faible pourcentage de la variance totale est expliqué par les deux premiers facteurs
(moins de 22%), ce qui signifie que les étiquettes sont diversifiées et que l’information qu’elles
contiennent peut difficilement être compressée. Le cercle des corrélations (figure 5.1 droite) est
difficilement interprétable, un phénomène attendu au vu de la non significativité d’un grand
nombre de coefficients phi.
5.3 Classification supervisée
5.3.1 Prétraitements et caractéristiques
Comme déjà mentionné dans l’introduction de ce chapitre, les caractéristiques utilisées dans
ce travail sont uniquement linguistiques. La première étape du prétraitement, exécuté à l’aide
d’un programme écrit en Perl, a consisté à « nettoyer » les données de Ferschke et al. (2012), pour
en enlever les balises HTML (concernant principalement la mise en forme) 2
, les ponctuations
découlant de la mise en forme du texte, les informations concernant les utilisateurs, l’heure à
laquelle le tour de parole a été posté, les symboles indiquant l’indentation du tour de parole
par rapport au premier tour de parole de la discussion, les éléments concernant les liens et les
tags dans Wikipédia et les divers symboles, tels que des coeurs ou des lettres grecques, car ces
derniers n’étaient pas compatibles avec la suite du prétraitement. Aussi, les caractères spéciaux
en code HTML ont été remplacés par les caractères correspondants en latin1.
Ensuite, trois types de caractéristiques ont été extraites pour chaque tour de parole : les
lemmes, les CMS, et le sens des verbes (selon WordNet). Les lemmes et les CMS ont été extraits
à l’aide de TreeTagger (Schmid, 1994) 3
, à l’aide du même module Perl que celui exposé dans
la section 4.1.3.
L’extraction du sens des verbes a été effectuée à l’aide de WordNet et TreeTagger. Dans
WordNet, les verbes sont organisés sous forme d’ontologie par des relations sémantiques, dont
2. Par conséquent, les quelques balises faisant partie d’une question ou d’une réponse sur leurs utilisations, par
exemple, ont aussi été supprimées.
3. À ce stade, quelques petites modifications ont été apportées au texte pour qu’il soit plus correctement étiqueté
par TreeTagger. En particulier, des espaces ont été ajoutés entre certains symboles et les mots qu’ils entouraient ;
les guillemets simples ont été remplacés par des guillemets doubles ; et les symboles, tels que « = », répétés deux
ou trois fois, ont été remplacés par une seule occurrence de ce même symbole.72 5. CLASSIFICATION SUPERVISÉE MULTI-ÉTIQUETTE EN ACTES DE DIALOGUE
l’hyperonymie (pour plus d’information, voir section 6.3.1). Aussi, l’ensemble des concepts de
verbes n’ont pas une seule racine commune, consistant en un seul plus petit hyperonyme commun.
Ainsi, pour chaque tour de parole, les lemmes des mots considérés comme des verbes par
TreeTagger ont été soumis à WordNet, par l’intermédiaire du module Perl WordNet::QueryData
(Rennie, 2000). En particulier, le premier sens du verbe proposé, pour des raisons d’automatisation,
a été retenu, puis l’hyperonyme le plus général a été conservé et ce dernier hyperonyme
est retenu comme caractéristique de ce tour de parole. Les verbes modaux ne sont pas traités
par WordNet. Cependant, au vu de leur importance supposée pour la classification en actes de
dialogue, il semblait intéressant de les ajouter explicitement au même titre que les hyperonymes
traités par WordNet.
À ce stade, trois tables de contingence sont créées : tours de parole - CMS, tours de parole
- lemmes et tours de paroles - verbes (hyperonyme le plus général ou un des verbe modaux),
comptant le nombre d’occurrences de chaque caractéristique par tour de parole. Les tours de
parole qui n’étaient pas étiquetés ont été supprimés ; il s’agissait généralement de tours de parole
soit trop longs et contenant toutes sortes d’informations, soit écrits en français ou encore mal
segmentés. Les tours de parole ne contenant aucune des caractéristiques décrites plus haut ont
également été supprimés. Au final, la base de données a été réduite de 1’450 à 1’324 tours de
parole, contenant 5’198 lemmes distincts, 57 CMS distinctes et 155 sens de verbes distincts.
5.3.2 Traitements
5.3.2.1 Classification multi-étiquette
Deux types d’approche sont couramment pratiqués pour la classification multi-étiquette
(Tsoumakas, Katakis et Vlahavas, 2010) : le premier (problem transformation) consiste à recoder
le jeu de données pour le transformer en problème de classification ordinaire, sans modification
des algorithmes de classification ; le second (algorithm adaptation) adapte les algorithmes pour
qu’ils puissent directement traiter des données multi-étiquette.
Pour ce travail, il a été choisi d’utiliser le premier traitement, i.e. le recodage des données.
Parmi les nombreux recodages possibles, celui du recodage binaire (Binary Relevance (BR))
a été choisi. Cela signifie que chaque tour de parole sera classé de façon binaire, i.e. comme
faisant partie ou non d’une classe donnée (avec un classifieur pour chaque étiquette). Bien que ce
recodage soit parfois critiqué, car il ne prend pas en compte les dépendances entre les étiquettes,
il a ici plusieurs avantages :
— il permet de rendre les résultats comparables à ceux de Ferschke et al. (2012) qui utilisent
le même principe ;
— il a le mérite, en plus d’avoir une complexité computationnelle faible, d’être simple, intuitif,
résistant au surapprentissage des combinaisons d’étiquettes et de pouvoir traiter les
étiquetages irréguliers (Read, Pfahringer, Holmes et Frank, 2011) ; et
— il est particulièrement adapté aux situations où il n’y a pas de dépendance entre les
étiquettes, ce qui semble être le cas ici (cf. section 5.2.2).
Par ailleurs, Luaces, Dìez, Barranquero, del Coz et Bahamonde (2012) proposent un indice qui
mesure la dépendance entre toutes les étiquettes comme la moyenne des corrélations φgg0 pour
chaque paire d’étiquettes g et g
0
, pondérée par le nombre d’individus (ici les tours de parole)
communs |g ∩ g
0
| :
dépendance =
P
g E0(δ)
pour r ≤ 226 avec les noms (respectivement r ≤ 370 avec les verbes), ce qui laisse supposer
qu’il y a une attraction sémantique entre les noms (respectivement les verbes) dans un large
voisinage. Plus particulièrement, on remarque que pour les noms, le résultat est opposé à celui
obtenu pour le texte de l’Atlantic Charter, avec une attraction sémantique relativement élevée
dans un proche voisinage, ce qui signifie peut-être qu’avec ce texte sous forme de nouvelle, le
champ lexical est plus similaire dans un proche voisinage.
6.3.3 MDS et autocorrélation sur les premiers facteurs
Les dissimilarités entre concepts (6.3) étant euclidiennes carrées, il est possible d’appliquer
un MDS, une approche originale à notre connaissance dans le cas sémantique. Les mots, que ce
soit les noms ou les verbes, n’ont pas été pondérés, ainsi le MDS ordinaire est utilisé, équivalent
à la version pondérée (1.25) en prenant des poids uniformes.
Dans un second temps, les coordonnées xjα (1.25b) des deux premiers facteurs (α = 1, 2)
ont été extraites et une nouvelle dissimilarité euclidienne carrée a été calculée, telle que Dα
ij =
(xiα−xjα)
2
. Avec ces dissimilarités et une matrice d’échange à fenêtre mobiles, l’autocorrélation
est à nouveau mesurée pour ces deux premières dimensions sémantiques.
6.3.3.1 Atlantic Charter
Le résultat obtenu en appliquant un MDS sur les dissimilarités sémantiques entre les noms
est exposé dans la figure 6.10. Malgré un pourcentage faible d’inertie expliquée par les deux
premiers facteurs (18.4%), on remarque trois groupes de noms clairement distincts. Dans le90 6. AUTOCORRÉLATION TEXTUELLE
0 20 40 60 80
0
2
4
6
8 10
Dimensions
Proportion d'inertie expliquée [%]
-2.0 -1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
premier axe factoriel 9.65 %
deuxième axe factoriel 8.78 %
majesty future
world
people
government
term advancement
tyranny
nation
boundary
life
freedom
hindrance
reason
air
frontier
security
disarmament
armament
Figure 6.10 – MDS sur le sens des noms de l’Atlantic Charter. Gauche : valeurs propres ;
droite : coordonnées pour les deux premiers axes factoriels.
quadrant nord-ouest, on trouve des noms tels que nation, government, country ou people, dont
le plus petit hyperonyme commun est le concept « group, grouping », défini dans WordNet
comme « any number of entities (members) considered as a unit ». Dans le quadrant nord-est
se trouvent des noms, tels que freedom, security ou majesty, qui sont englobés dans le concept
« attribute » qui est défini comme étant « an abstraction belonging to or characteristic of an
entity ». Finalement, le troisième groupe, dans la zone sud, est composé de tous les autres noms,
donc ceux qui ne sont pas englobés dans les concepts « group, grouping » ou « attribute ».
Ainsi, le premier axe différencie les noms concernant le « group, grouping » de ceux concernant
« attribute », et le deuxième oppose les noms englobés dans ces deux concepts aux autres.
0 5 10 15 20 25 30
-0.2 -0.1 0.0 0.1 0.2
matrice d'échange à fenêtres mobiles, r
indice d'autocorrélation
δ
0 5 10 15 20 25 30
-0.2 -0.1 0.0 0.1 0.2
matrice d'échange à fenêtres mobiles, r
indice d'autocorrélation
δ
Figure 6.11 – Sens des noms de l’Atlantic Charter : δ pour la première (gauche) et la deuxième
(droite) dimension sémantique en fonction de r = 1, . . . , 30, avec un matrice d’échange à fenêtres
mobiles.
L’autocorrélation mesurée sur la première dimension sémantique des noms (figure 6.11 gauche)
n’est jamais significative et inférieure à E0(δ) pour r ≤ 3. Ceci laisse penser que dans un voisinage
restreint, il peut y avoir alternance entre les noms relatifs au concept « group, grouping »
et ceux relatifs au concept « attribute ». Quant à la deuxième dimension sémantique (figure 6.116.3. Sens des mots selon WordNet 91
gauche), on remarque que l’autocorrélation n’est à nouveau pas significative, mais que les valeurs
négatives sont plus élevées, en valeur absolue, pour r petit, ce qui semble indiquer une
alternance entre les noms en relation avec les concepts « group, grouping » et « attribute » et
tous les autres noms.
0 10 20 30 40 50
0
2
4
6
8
Dimensions
Proportion d'inertie expliquée [%]
-0.5 0.0 0.5 1.0 1.5 2.0
-2.0 -1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
premier axe factoriel 8.71 %
deuxième axe factoriel 6.63 %
be
deem
seek
see
have
further
desire hope
afford
believe
aid
lighten
Figure 6.12 – MDS sur le sens des verbes de l’Atlantic Charter. Gauche : valeurs propres ;
droite : coordonnées pour les deux premiers axes factoriels.
0 5 10 15 20 25 30
-0.2 -0.1 0.0 0.1 0.2
matrice d'échange à fenêtres mobiles, r
indice d'autocorrélation
δ
0 5 10 15 20 25 30
-0.2 -0.1 0.0 0.1 0.2
matrice d'échange à fenêtres mobiles, r
indice d'autocorrélation
δ
Figure 6.13 – Sens des verbes de l’Atlantic Charter : δ pour la première (gauche) et la deuxième
(droite) dimension sémantique en fonction de r = 1, . . . , 30, avec un matrice d’échange à fenêtres
mobiles.
Comme pour les noms, avec un pourcentage d’inertie expliquée un peu plus faible pour les
deux premiers facteurs (15.3%), trois groupes apparaissent en appliquant le MDS sur les dissimilarités
sémantiques entre les verbes (figure 6.12). Le plus petit hyperonyme commun des
verbes présents dans le quadrant sud-est est le concept « desire, want », défini comme « feel
or have a desire for ; want strongly ». Dans le quadrant sud-ouest se trouvent des verbes tels
que lighten, deem ou respect, tous englobés dans le concept « think, cogitate, cerebrate », défini
comme « use or exercise the mind or one’s power of reason in order to make inferences, decisions,
or arrive at a solution or judgments ». Enfin, le troisième groupe, dans le quadrant nord-ouest,
est composé de verbes sémantiquement hétérogènes et ne possédant pas un hyperonyme com-92 6. AUTOCORRÉLATION TEXTUELLE
mun. Il semble donc que le premier facteur oppose les verbes englobés dans le concept « desire,
want » à ceux qui ne le sont pas. Pareillement, le second facteur différencie les verbes relatifs
au concept « think, cogitate, cerebrate » des autres.
Comme pour les noms, on remarque qu’en mesurant l’autocorrélation sur la première et la
deuxième dimension sémantique, elle n’est jamais significative (figure 6.13) (sauf pour r = 50
dans la seconde dimension). Cependant, elle est supérieure à E0(δ) pour r ≤ 2 avec la première
dimension, et inférieure à E0(δ) pour r ≤ 12. Il semblerait donc que, dans un voisinage restreint,
il y a peu d’alternance entre les verbes reliés au concept « desire, want » et les autres, et qu’il y
en a plus entre les verbes englobés dans le concept « think, cogitate, cerebrate » et les autres.
6.3.3.2 The Masque of the Red Death
Pour ce texte, plus long que le précédent, l’inertie expliquée par les deux premiers axes
factoriels dans le cas des noms est plus faible (14.9%) et les groupes sont plus nombreux (figure
6.14).
0 100 200 300 400 500
0
2
4
6
8 10
Dimensions
Proportion d'inertie expliquée [%]
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 1.5
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
premier axe factoriel 9.8 %
deuxième axe factoriel 5.08 %
body
progress
bolt
impulse
duke
turn
glass
ceiling
fold
candle
suite
part
none
gaiety
night visage
chamber
account
terror
shadow
Figure 6.14 – MDS sur le sens des noms de The Masque of the Red Death. Gauche : valeurs
propres ; droite : coordonnées pour les deux premiers axes factoriels.
Le groupe dans le quadrant nord-ouest est composé de noms (terror, gaiety, courage, magni-
ficence, etc.) englobés dans le concept « attribute » qui est « an abstraction belonging to or
characteristic of an entity », lui-même englobé dans le concept plus général de « abstraction,
abstract entity ». Dans le quadrant sud-ouest, on distingue deux groupes. Celui qui est plus
au sud et qui contient des noms tels que progress, impulse, sympathy ou creation, a pour plus
petit hyperonyme commun le concept « psychological feature », défini comme « a feature of the
mental life of a living organism » et est à nouveau hyponyme de « abstraction, abstract entity ».
L’autre groupe de ce quadrant contient tous les noms qui sont englobés dans le concept « abstraction,
abstract entity », soit « a general concept formed by extracting common features from
specific examples », mais qui ne sont pas des hyponymes de « attribute » ou de « psychological
feature », comme par exemple : night, part, music ou orchestra.
Les noms chamber, candle, minute hand, structure, etc. forment un groupe dans le quadrant
nord-est et ont comme plus petit hyperonyme commun le concept « artifact, artefact », soit « a
man-made object taken as a whole ». A l’est, entre les quadrants nord-est et sud-est, se trouve
un groupe composé de noms, tels que body, duke, mummer ou violet, englobés dans le concept
« whole, unit » qui désigne « an assemblage of parts that is regarded as a single entity », mais qui
ne sont pas un « artifact, artefact ». En effet, il faut préciser que le concept « artifact, artefact »
est un hyponyme de « whole, unit », lui-même hyponyme indirect de « physical entity ». Enfin,6.3. Sens des mots selon WordNet 93
le groupe dans le quadrant sud-est, proche du centre, contient tous les noms, tels que glass,
visage, flame ou stream, englobés dans le concept de « physical entity », mais qui ne sont pas
des hyponymes de « whole, unit ».
En conclusion, le premier axe s’interprète comme l’oppositions entre « abstraction, abstract
entity » et « physical entity », mais le second axe reste difficile à interpréter de manière univoque.
0 100 200 300 400 500
-0.05 0.00 0.05
matrice d'échange à fenêtres mobiles, r
indice d'autocorrélation
δ
0 100 200 300 400 500
-0.05 0.00 0.05
matrice d'échange à fenêtres mobiles, r
indice d'autocorrélation
δ
Figure 6.15 – Sens des noms de The Masque of the Red Death : δ pour la première (gauche)
et la deuxième (droite) dimension sémantique en fonction de r, qui varie de 1 à n = 491, avec
un matrice d’échange à fenêtres mobiles.
La mesure de δ sur le premier axe factoriel (figure 6.15 gauche) est positive et clairement
significative lorsque r ≤ 107 (sauf pour r = 2). Ainsi, de longs segments de textes doivent
contenir une majorité de noms relatifs à un seul des deux concepts : « abstraction, abstract entity
» ou « physical entity ». Le second axe factoriel étant difficile à interpréter, l’autocorrélation
mesurée sur celui-ci (figure 6.15 droite) l’est tout autant. On peut simplement constater que δ
n’est presque jamais significatif , qu’il est positif pour r = 1, puis négatif avant de rapidement
s’approcher de E0(δ).
0 100 200 300
0
2
4
6
8 10
Dimensions
Proportion d'inertie expliquée [%]
-1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 1.5
premier axe factoriel 11.07 %
deuxième axe factoriel 6.55 %
have
be depend
emanate
stand
float
lie
fall
go
arrest excite
seem
exist
draw
summon
Figure 6.16 – MDS sur le sens des verbes de The Masque of the Red Death. Gauche : valeurs
propres ; droite : coordonnées pour les deux premiers axes factoriels.
Concernant les verbes (figure 6.16), l’inertie expliquée par les deux premiers facteurs est de94 6. AUTOCORRÉLATION TEXTUELLE
17.6%. On peut distinguer quatre groupes. Dans le quadrant nord-ouest se trouvent les verbes
d’état (seem, gleam, sound, etc.), tous englobés dans le concept « be », défini comme « have the
quality of being ; (copula, used with an adjective or a predicate noun) ». Seul le verbe have se
situe dans le quadrant nord-ouest. Finalement, on observe deux groupes dans le quadrant sudest
: celui plus au sud contient des verbes, tels que go, fall, approach ou rush, dont le plus petit
hyperonyme commun est le concept de « travel, go, move, locomote » défini comme « change
location ; move, travel, or proceed, also metaphorically » ; quant à celui plus proche du centre,
il contient tous les autres verbes qui n’ont pas d’hypernoyme commun. En résumé, le premier
axe factoriel oppose les verbes d’états aux autres ; et le second, le verbe have aux autres.
0 100 200 300
-0.10 -0.05 0.00 0.05 0.10
matrice d'échange à fenêtres mobiles, r
indice d'autocorrélation
δ
0 100 200 300
-0.10 -0.05 0.00 0.05 0.10
matrice d'échange à fenêtres mobiles, r
indice d'autocorrélation
δ
Figure 6.17 – Sens des verbes de The Masque of the Red Death : δ pour la première (gauche)
et la deuxième (droite) dimension sémantique en fonction de r, qui varie de 1 à n = 375, avec
un matrice d’échange à fenêtres mobiles.
L’autocorrélation mesurée sur la première dimension sémantique (figure 6.17 gauche) est
clairement positive pour l’ensemble des voisinages, même s’elle n’est pas significative pour r = 1
et quelques autres r, ce qui laisse supposer qu’il y a peu d’alternances entre les verbes d’état
et les verbes d’action. L’explication la plus plausible de ce phénomène est que les verbes d’état
sont peu nombreux et donc que, généralement, les verbes d’actions se suivent. Concernant la
deuxième dimension sémantique (figure 6.17 droite), bien que δ ne soit pas significatif, il est
clairement inférieur à E0(δ) pour r = 1, 2, ce qui est peut-être dû à l’utilisation de have comme
auxiliaire des temps composés.
6.4 Discussion
Ce chapitre a présenté l’application de l’indice d’autocorrélation, exposé dans la section 3.2, à
différents traitements textuels. Calculé sur la base de deux éléments, une matrice d’échange E et
une matrice de dissimilarités euclidiennes carrées D, cet indice, d’abord développé pour l’analyse
spatiale, dont les séries temporelles sont un cas particulier, permet de modéliser différentes
navigations séquentielles dans un texte, grâce à E, et de mesurer la variation de caractéristiques
mesurées sur les unités textuelles dans ces navigations, grâce à D.
Le premier exemple (section 6.1), assez simple, concernant la longueur des mots, a permis de
comparer les différentes matrices d’échange et de retrouver le résultat, présupposé, d’alternance
entre mots longs et mots courts. Puis, le second exemple (section 6.2), sur les parties du discours,
a mis en lumière certaines structures syntaxiques. Finalement, le troisième exemple (section
6.3), sur l’autocorrélation sémantique, a montré qu’il est possible de mesurer une sorte de6.4. Discussion 95
variabilité sémantique dans un voisinage donné. De plus, les dissimilarités sémantiques, qui sont
euclidiennes carrées, ont pu être, par le biais du MDS, visualisées et décomposées en dimensions
factorielles, sur lesquelles l’autocorrélation a pu être à nouveau mesurée. Pour une approche
comparable, quoique distincte, sur l’autocorrélation sémantique, voir Samsonovich (2014).
Seul un petit aperçu des applications textuelles possibles ont été présentées ici. Signalons
que l’on peut également mesurer, pour un texte, l’autocorrélation de la présence et l’absence
de termes. Concernant un dialogue ou une pièce de théâtre, il est possible de calculer l’autocorrélation
de la longueur d’une réplique, du sexe de l’interlocuteur ou du profil de catégories
morpho-syntaxiques d’une réplique par l’intermédiaire d’une table de contingence et de dissimilarités
du khi2. De surcroît, en plus de modéliser la navigation à l’intérieur d’un document,
on peut aussi modéliser la navigation hypertextuelle dans un réseau textuel (voir Bavaud et al.,
2012 ; Bavaud et al., accepté pour publication). Cet indice permet aussi de mesurer les variations
présentes dans les séquences musicales (voir section 8.2). En conclusion, cet indice, δ, permet
d’explorer une large palette de données textuelles en résumant l’information concernant une
dissimilarité et un voisinage à un seul indicateur.Partie III
APPLICATIONS MUSICALES
97CHAPITRE 7
Formats symboliques de données musicales
La musique se transmet principalement de deux manières : par le son ou par l’écriture (pour
une revue des sources de données musicales et de leur historique, voir par exemple Vatolkin, 2013,
section 2.1.2). Si l’on compare cela à la linguistique, le son représente la parole ; et l’écriture,
le texte qui retranscrit cette parole. Concernant le son, des fichiers audio sont utilisés (voir par
exemple Kriesel, 2013, section 2.2). Dans le cas de l’écriture, ce qui nous intéresse ici, on utilise
le plus souvent des partitions (section 7.1).
Cependant, pour traiter les partitions avec un ordinateur, il faudra les numériser et leur
donner un aspect « textuel ». Ceci est à peu près équivalent à utiliser, pour l’analyse textuelle,
un fichier en format .txt et non un .pdf. On parlera alors de partitions numériques (digital
scores) ou de formats symboliques (symbolic formats)
1
. Pour rappel, les données musicales
symboliques sont définies comme « La description détaillée de toutes les informations nécessaires
à l’affichage (ou gravure) précis d’une partition. » (Faget, 2011, p. 12).
Un format symbolique très connu pour la musique est le MIDI qui, de plus, produit du son
(section 7.2). Bien que ce ne soit pas fait dans ce travail, il est possible d’extraire l’information
d’un fichier MIDI pour pouvoir l’analyser de manière « textuelle ». Cependant, il existe
aussi d’autres formats qui reproduisent les partitions sous forme de texte et qui sont souvent
accompagnés de logiciels permettant de transformer des fichiers MIDI dans ce format et inversément.
Parmi les nombreux formats existants, uniquement trois seront présentés dans ce qui
suit (section 7.3) : Melisma, ABC et Humdrum.
7.1 Partitions
C ♯
4 ♩ ♩♩♩ ♩ ♩
Do « serrure »
♩♩
Chiffrage
4
Armature
Adagio (♩= 60 ) Tempo
Figure 7.1 – Principales informations transmises par une partition.
Les principales informations transmises par une partition (figure 7.1) sont :
1. Il faut éviter de parler de formats numériques, car ces derniers incluent aussi les fichiers audio.
99100 7. FORMATS SYMBOLIQUES DE DONNÉES MUSICALES
— les informations générales, telles que le titre, le nom du compositeur, etc. ;
— le tempo, indiqué par un mot ou un groupe des mots, comme par exemple lento, adagio,
allegretto, presto ou andante non troppo e con molta espressione ; ou indiqué par une
pulsation pas minute pour une durée ou une valeur de note donnée ;
— les instruments, lorsque la partition concerne plusieurs instruments ;
— l’armure ou l’armature, qui est l’ensemble d’altérations indiquant la tonalité du morceau
de musique ;
— le chiffrage ou la mesure, qui donne une information sur la rythmique ;
— les répétitions ;
— les notes, et en particulier :
— leur hauteur (do (C en anglais), ré (D), ..., la (A) et si (B), et au milieu d’un clavier
de piano, le do « serrure ») et
— leur durée ou leur valeur (croche (), noire (♩), blanche (), ronde (), etc.) ;
— les silences ;
— les nuances (ppp, pp, p, mp, mf, f, ff, fff, crescendo, diminuendo, appassionato, pesante,
etc.) ;
— etc.
Deux extraits de partitions, qui seront utilisés pour les exemples concernant les formats symboliques
dans la suite de ce chapitre, sont présentés dans les figures 7.2 et 7.3.
MINUETTO Allegretto
2 3 4 5 6 7
4
3
4
3
p
Figure 7.2 – Extrait de la « sonate pour piano n˚1 en fa mineur, op. 2 n˚1, 3ème mouvement »
de Beethoven.
Figure 7.3 – Extrait de « Für Elise » de Beethoven, en Angleterre [sic], résultant du code au
format ABC de la figure 7.7. Source : http://abcnotation.com/getResource/downloads/
image/fur-elise.png?a=trillian.mit.edu/~jc/music/abc/mirror/home.quicknet.nl/
england/1837.7.2. Format MIDI en bref 101
7.2 Format MIDI en bref
Le M.I.D.I (Musical Instrument Digital Interface = Interface numérique pour instrument
de musiques) est apparu en 1982-1983 (http://www.midi.org). À la base, c’est à la fois une
interface et un protocole qui permettent aux instruments de musique numérique ou électronique
de communiquer entre eux. Ce qui nous intéresse ici est le format de fichier MIDI qui est une
structure de données permettant de transcrire de la musique. Ce fichier ne contient pas des
sons, mais des instructions individuelles correspondant à des notes de musique pour chaque
instrument. Les principales instructions qu’on trouve dans un fichier MIDI sont :
— les informations générales, telles que le rythme, le chiffrage, la tonalité, etc. ; et
— des pistes contenant le début et la fin des notes, leur hauteur, leur volume, etc.
En particulier, la hauteur des notes est codée par des nombres compris entre 0 et 127, avec le
nombre 60 pour le do « serrure ».
7.3 Formats « textuels »
7.3.1 Le format Melisma
Le système The Melisma Music Analyzer (http://www.link.cs.cmu.edu/music-analysis/)
permet d’analyser de la musique et prend, en entrée, des fichiers que l’on appellera « fichiers
au format Melisma ». Ce système contient un programme, « mftext », qui permet de convertir
des fichiers MIDI en fichiers Melisma. L’extension de ces derniers est .notes. Ils contiennent,
dans l’ordre chronologique, les notes jouées avec leur hauteur en nombres, identiques à ceux
des fichiers MIDI, ainsi que les temps de début et de fin de ces notes en millisecondes. Il existe
deux types de formats Melisma : un dont chaque ligne représente une note (figures 7.4 et 7.5) ;
et un autre dont chaque note est écrite sur deux lignes, soit une ligne pour le début de la note
et l’autre pour la fin de la même note (figure 7.6).
Note 750 937 68
Note 1125 1500 61
Note 1125 1500 70
Note 1500 1875 58
Note 1500 1875 67
Note 2250 2625 60
Note 2250 2625 68
Note 2625 2906 56
Note 2625 2906 65
Note 3000 3375 60
Note 3000 3375 65
Note 3375 3750 60
Note 3375 3750 64
Note 3750 4125 60
Note 3750 4125 65
Note 4125 4500 60
Note 4125 4406 67
Note 4500 4875 70
Note 4500 5250 60
Note 4875 5156 68
Note 5250 5437 63
Note 5250 5437 72
Note 5625 6000 65
Note 5625 6000 73
Note 6000 6281 61
Note 6000 6281 70
Note 6750 7125 63
Note 6750 7125 72
Note 7125 7500 60
Note 7125 7500 68
Note 7500 7781 63
Note 7500 7781 68
Note 7875 8250 63
Note 7875 8250 67
Note 8250 8625 63
Note 8250 8625 68
Note 8625 9000 63
Note 8625 8906 70
Figure 7.4 – Format Melisma (une note par ligne) pour l’extrait de la partition de la figure 7.2.
Ce fichier est une retranscription de la partition, mais il semblerait qu’il ne contienne que la
première des deux portées, qu’il manque le premier do et que la durée d’une noire soit environ
égale à 375 ms. Source : http://www.link.cs.cmu.edu/link/ftp-site/music-analysis/
notefiles/misc/beet.fmison.III.q.notes. Il faut remarquer que dans cette figure, ainsi que
dans les suivantes de ce chapitre, les encadrés sont « empilés », c’est-à-dire qu’ils constituent
les parties successives d’un seul et même fichier.102 7. FORMATS SYMBOLIQUES DE DONNÉES MUSICALES
Reference COM: Beethoven, Ludwig van
Reference CDT: 1770///-1827///
Reference OTL: Piano Sonata no. 1, mvmt. 3
Reference OMD: Minuet: Allegretto
Reference OPS: Op. 2
Reference ONM: No. 1
Reference OMV: No. 3
Reference AGN: Minuet and Trio
Comment Minuetto: Allegretto
Info keysig 4 sharps
Info key F Minor
Info Tempo 118 MM per quarter note
Note 0 508 60
Note 0 508 68
Note 508 1017 61
Note 508 1017 70
Note 1017 1525 58
Note 1017 1525 67
Note 1525 2034 53
Note 2034 2542 60
Note 2034 2542 68
Note 2542 3051 56
Note 2542 3051 65
Note 3051 3559 53
Note 3051 3559 56
Note 3051 3559 60
Note 3051 3559 65
Note 3559 4068 55
Note 3559 4068 58
Note 3559 4068 60
Note 3559 4068 64
Note 4068 4576 53
Note 4068 4576 56
Note 4068 4576 60
Note 4068 4576 65
Note 4576 5085 52
Note 4576 5085 55
Note 4576 5085 60
Note 4576 5085 67
Note 5085 6102 53
Note 5085 6102 56
Note 5085 5593 70
Note 5085 6102 60
Note 5593 6102 68
Note 6102 6610 63
Note 6102 6610 72
Note 6610 7119 65
Note 6610 7119 73
Note 7119 7627 61
Note 7119 7627 70
Note 7627 8136 44
Note 7627 8136 56
Note 8136 8644 63
Note 8136 8644 72
Note 8644 9153 60
Note 8644 9153 68
Note 9153 9661 56
Note 9153 9661 60
Note 9153 9661 63
Note 9153 9661 68
Note 9661 10169 58
Note 9661 10169 61
Note 9661 10169 63
Note 9661 10169 67
Note 10169 10678 56
Note 10169 10678 60
Note 10169 10678 63
Note 10169 10678 68
Note 10678 11186 55
Note 10678 11186 58
Note 10678 11186 63
Note 10678 11186 70
Figure 7.5 – Format Melisma (une note par ligne) pour l’extrait de la partition de la fi-
gure 7.2, avec le même principe « d’empilement » des encadrés que dans la figure 7.4. Ce
fichier a été créé par une conversion automatique d’un fichier Humdrum (cf. section 7.3.3),
c’est pourquoi les premières lignes contiennent des informations générales supplémentaires. De
plus, le tempo indique 118 pulsations par minutes pour une noire, soit une durée d’environ
508.5 ms pour une noire. Source : http://kern.ccarh.org/cgi-bin/ksdata?l=users/craig/
classical/beethoven/piano/sonata&file=sonata01-3.krn&f=melisma.7.3. Formats « textuels » 103
Note-on 2326 60
Note-on 2327 68
Note-off 2395 68
Note-off 2462 60
Note-on 2687 70
Note-on 2704 61
Note-on 3020 58
Note-off 3025 61
Note-on 3037 67
Note-off 3038 70
Note-off 3158 67
Note-off 3213 58
Note-on 3384 53
Note-off 3517 53
Note-on 3739 68
Note-on 3747 60
Note-off 4027 68
Note-on 4055 56
Note-off 4063 60
Note-on 4078 65
Note-off 4157 56
Note-off 4172 65
Note-on 4422 65
Note-on 4443 60
Note-on 4446 56
Note-on 4477 53
Note-off 4698 60
Note-off 4707 53
Note-off 4739 56
Note-on 4772 55
Note-on 4779 64
Note-on 4780 58
Note-on 4784 60
Note-off 4833 65
Note-off 4990 60
Note-off 5037 58
Note-off 5097 55
Note-on 5134 60
Note-on 5135 56
Note-on 5138 53
Note-on 5139 65
Note-off 5178 64
Note-off 5333 60
Note-off 5408 56
Note-off 5437 53
Note-on 5460 67
Note-on 5468 55
Note-on 5470 60
Note-on 5476 52
Note-off 5493 65
Note-off 5718 60
Note-off 5795 55
Note-on 5812 53
Note-off 5817 52
Note-on 5827 70
Note-on 5828 60
Note-on 5839 56
Note-off 5840 67
Note-off 6108 70
Note-on 6156 68
Note-off 6169 53
Note-off 6199 60
Note-off 6221 56
Note-off 6235 68
Note-on 6521 63
Note-on 6538 72
Note-off 6628 72
Note-off 6672 63
Note-on 6888 65
Note-on 6900 73
Note-off 7221 73
Note-on 7231 61
Note-on 7237 70
Note-off 7281 65
Note-off 7356 70
Note-off 7400 61
Note-on 7579 44
Note-on 7598 56
Note-off 7697 44
Note-off 7769 56
Note-on 7941 63
Note-on 7951 72
Note-off 8244 72
Note-off 8253 63
Note-on 8264 60
Note-on 8277 68
Note-off 8370 60
Note-off 8416 68
Note-on 8604 63
Note-on 8614 68
Note-on 8617 56
Note-on 8628 60
Note-off 8847 63
Note-off 8907 56
Note-on 8946 58
Note-on 8962 63
Note-on 8966 61
Note-on 8967 67
Note-off 8969 60
Note-off 8995 68
Note-off 9167 63
Note-off 9243 61
Note-on 9295 63
Note-on 9304 60
Note-on 9310 68
Note-on 9317 56
Note-off 9352 67
Note-off 9355 58
Note-off 9504 63
Note-off 9565 60
Note-off 9590 56
Note-on 9640 58
Note-on 9649 63
Note-on 9652 70
Note-on 9672 55
Note-off 9695 68
Note-off 9878 63
Note-off 9982 55
Note-off 10004 70
Figure 7.6 – Format Melisma (deux lignes pour une note) pour l’extrait de la partition de la
figure 7.2, avec le même principe « d’empilement » des encadrés que dans la figure 7.4. Ce fichier
a été produit par la conversion automatique d’un fichier MIDI (cf. section 7.2), ainsi la durée
d’une noire peut varier selon l’interprétation du musicien. Source : http://www.link.cs.cmu.
edu/link/ftp-site/music-analysis/notefiles/misc/beet.fmison.III.p.notes.104 7. FORMATS SYMBOLIQUES DE DONNÉES MUSICALES
7.3.2 Le format ABC
X:1838
T:F\"ur Elise
T:Bagatelle No.25 in A, WoO.59
O:england
C:Ludwig van Beethoven
%http://www.musicaviva.com/beethoven-ludwig-van.abc
V:1 Program 1 0 %Piano
V:2 Program 1 0 bass %Piano
M:3/8
L:1/16
Q:3/8=40
K:Am
V:1
e^d|e^deB=dc|A2 z CEA|B2 z E^GB|c2 z Ee^d|
V:2
z2|z6|A,,E,A, z z2|E,,E,^G, z z2|A,,E,A, z z2|
%
V:1
e^deB=dc|A2 z CEA|B2 z EcB|[1A2 z2:|[2A2z Bcd|
V:2
z6|A,,E,A, z z2|E,,E,^G, z z2|[1A,,E,A, z :|[2A,,E,A, z z2|
Figure 7.7 – Format ABC pour l’extrait de la partition de la figure 7.3. Source :
http://abcnotation.com/tunePage?a=trillian.mit.edu/~jc/music/abc/mirror/home.
quicknet.nl/england/1837.
Un fichier au format ABC (http://abcnotation.com/) a comme extension : .abc. 2 Comme
pour le format Melisma, il existe un programme permettant de transformer un fichier MIDI en
fichier ABC. Il se compose d’un préambule et d’un corps (figures 7.7 et 7.8). Les principales
informations du préambule sont :
— un numéro de référence (X) ;
— un titre (T) ;
— le nom du compositeur (C) ;
— la durée de référence des notes (L), qui va servir de base pour indiquer la durée de chaque
note dans le corps du fichier, où 1/4 correspond à une noire, 1/8, à une croche, 1/16, à
une double croche, etc. ;
— le chiffrage (M) ;
— le tempo (Q), indiqué, comme pour les partitions (cf. section 7.1), avec un mot ou des
pulsations par minute pour une durée de note donnée ;
— la tonalité (K) ;
— etc.
L’ordre du préambule est strict concernant le numéro de référence et le titre, qui doivent toujours
être au début, et la tonalité, qui doit toujours être à la fin du préambule, contrairement aux
autres éléments.
Dans le corps, chaque ligne représente une portée telle qu’elle apparaît sur la partition. Lorsqu’il
s’agit d’un système de portées, toutes les portées du système sont représentées à la suite
et indiquées par « V » suivi d’un nombre. Les principales notations utilisées dans le corps sont
les suivantes :
2. Il existe une variante de ce format, très similaire, nommée « ABC Plus » (http://abcplus.sourceforge.
net/), dont un exemple est présenté dans la figure 7.8.7.3. Formats « textuels » 105
— des lettres pour la hauteur des notes, correspondant aux noms des notes en anglais, avec
« C » pour le do « serrure », « C, » pour le do une octave en-dessous, et pour chaque
octave plus basse, une virgule est ajoutée ; « c » représente le do une octave en-dessus du
do « serrure », « c’ », le do encore une octave au-dessus, et des apostrophes sont ajoutées
pour chaque octave plus haute ;
— la lettre « z » pour les silences ;
— des nombres, pour la durée des notes, relatifs à la durée de référence indiquée dans le
préambule (L) et précédés d’un « / » lorsque la durée est plus courte que celle de référence ;
— d’autres symboles pour les altérations : _ pour [ , = pour \ et ˆ pour ];
— des guillemets pour les accords écrits explicitement sur une partition, par exemple "Gm7" ;
— des crochets pour les notes jouées simultanément, ou en d’autres termes, les accords écrits
note par note sur une portée, par exemple [CEGc] ;
— divers symboles pour représenter les différentes barres de mesure, tels que | pour une barre
de mesure simple, || pour une barre de mesure double marquant une partie du morceau,
|] pour la barre de mesure indiquant la fin d’un morceau, :| pour la barre de mesure qui
indique une répétition, etc. ;
— etc.
En conclusion, ce format est particulièrement adapté pour la création de partitions.
X: 1
T: Piano Sonata no. 1, mvmt. 3
C: Ludwig van Beethoven
%%abc-version 2.0
%%abcx-abcm2ps-target-version 5.9.1 (29 Sep 2008)
%%abc-creator hum2abc beta
%%abcx-conversion-date 2012/04/13 12:40:19
%%abc-edited-by Craig Stuart Sapp
%%abcx-initial-encoding-date 2004/04/06/
%%gracespace 0 6 6
%%notespacingfactor 1.85
%%humdrum-veritas 3897117643
%%humdrum-veritas-data 871200473
%%continueall 1
%%barnumbers 0
F: http://kern.ccarh.org/cgi-bin/ksdata?l=users/craig/
classical/beethoven/piano/
sonata&file=sonata01-3.krn&f=abcplus
L: 1/4
M: 3/4
Q: "Minuet: Allegretto" 1/4=116
%%staves {1 2}
V: 1 clef=treble
V: 2 clef=bass
K: Ab
[V:1] .[CA] [I:setbarnb 1]|
[V:2] z |
[V:1] ([DB][B,G])z |
[V:2] zzF, |
[V:1] ([CA][A,F])([CF] |
[V:2] zz([F,A,] |
[V:1] [C=E][CF][CG]) |
[V:2] [G,B,][F,A,][=E,G,]) |
[V:1] (BA)[Ec] & C2z |
[V:2] [F,2A,2]z |
[V:1] ([Fd][DB])z |
[V:2] zz[A,,A,] |
[V:1] ([Ec][CA])([EA] |
[V:2] zz([A,C] |
[V:1] [EG][EA][EB]) |
[V:2] [B,D][A,C][G,B,]) |
Figure 7.8 – Format ABC Plus pour l’extrait de la partition de la figure 7.2, avec
le même principe « d’empilement » des encadrés que dans la figure 7.4. Ce fichier
a été créé par une conversion automatique d’un fichier Humdrum (cf. section 7.3.3).
Source : http://kern.ccarh.org/cgi-bin/ksdata?l=users/craig/classical/beethoven/
piano/sonata&file=sonata01-3.krn&f=abcplus.
7.3.3 Le format Humdrum
Les fichiers au format Humdrum (ou format **kern), disponibles sur le site http://kern.
ccarh.org/, ont été créés, le plus souvent avec un programme de reconnaissance optique de
musique, pour être traités avec le Humdrum Toolkit for Music Research 3
(Sapp, 2005). Ce
logiciel a été conçu pour assister les chercheurs en musique et offre de nombreuses possibilités
3. http://humdrum.org/Humdrum/install.html.106 7. FORMATS SYMBOLIQUES DE DONNÉES MUSICALES
(Huron, 1994, 1998). En plus de ce logiciel, il existe une série de programmes (Humdrum extras,
http://extra.humdrum.org/) qui permettent, comme le logiciel, la transposition de partitions
ou la sélection de différentes parties, mais aussi de de convertir les fichiers Humdrum en d’autres
formats, tels ceux présentés ci-dessus (figures 7.5 et 7.8). Cette série de programmes sera utilisée
pour les manipulations des fichiers dans le chapitre 8.
!!!COM: Beethoven, Ludwig van
!!!CDT: 1770///-1827///
!!!OTL: Piano Sonata no. 1, mvmt. 3
!!!OMD: Minuet: Allegretto
!!!OPS: Op. 2
!!!ONM: No. 1
!!!OMV: No. 3
!!!AGN: Minuet and Trio
**kern **dynam **kern **dynam
*Ipiano *Ipiano *Ipiano *Ipiano
*>[A,A,B,B,C,C,D,D,A,B] *>[A,A,B,B,C,C,D,D,A,B]
*>[A,A,B,B,C,C,D,D,A,B] *>[A,A,B,B,C,C,D,D,A,B]
*>norep[A,B,C,D,A,B] *>norep[A,B,C,D,A,B]
*>norep[A,B,C,D,A,B] *>norep[A,B,C,D,A,B]
!! Minuetto: Allegretto
*>A *>A *>A *>A
*clefF4 *clefF4 *clefG2 *clefG2
*k[b-e-a-d-] *k[b-e-a-d-] *k[b-e-a-d-] *k[b-e-a-d-]
*f: *f: *f: *f:
*M3/4 *M3/4 *M3/4 *M3/4
*MM118 *MM118 *MM118 *MM118
4r . 4c’/ 4a-’/ p
=1 =1 =1 =1
4r . (4d-/ 4b-/ .
4r . 4B-/) 4g/ .
4F\ . 4r .
=2 =2 =2 =2
4r . (4c/ 4a-/ .
4r . 4A-/) 4f/ .
4F\ (4A-\ . (4c/ 4f/ .
=3 =3 =3 =3
4G\ 4B-\ . 4c/ 4e/ .
4F\ 4A-\ . 4c/ 4f/ .
4E\ 4G\) . 4c/) 4g/ .
=4 =4 =4 =4
* * *^ *
2F\ 2A-\ . (4b-/ 2c\ .
. . 4a-/) . .
4r . 4e-/ 4cc/ 4r .
* * *v *v *
=5 =5 =5 =5
4r . (4f/ 4dd-/ .
4r . 4d-/) 4b-/ .
4AA-\ 4A-\ . 4r .
=6 =6 =6 =6
4r . (4e-/ 4cc/ .
4r . 4c/) 4a-/ .
4A-\ (4c\ . (4e-/ 4a-/ .
=7 =7 =7 =7
4B-\ 4d-\ . 4e-/ 4g/ .
4A-\ 4c\ . 4e-/ 4a-/ .
4G\ 4B-\) . 4e-/) 4b-/ .
=8 =8 =8 =8
etc.
==:|! ==:|! ==:|! ==:|!
*-*-*-*-
!!!ENC: Craig Stuart Sapp
!!!END: 2004/04/06/
!!!ONB: preliminary proof
reading done on 2008/10/20/
!!!hum2abc: --spacing 1.85
Figure 7.9 – Format Humdrum pour l’extrait de la partition de la figure 7.2,
avec le même principe « d’empilement » des encadrés que dans la figure 7.4.
Source : http://kern.ccarh.org/cgi-bin/ksdata?l=users/craig/classical/beethoven/
piano/sonata&file=sonata01-3.krn&f=kern.
L’extension utilisée pour ce format est : .krn. Comme pour le format ABC, il est composé
d’un préambule et d’un corps (figure 7.9). En plus, une série de commentaires est généralement
présente au début du fichier. La structure de ces fichiers est très différente de celle des fichiers
ABC, car ici chaque colonne représente une voix de la partition.
Les informations générales (comme le titre et le compositeur) se trouvent dans les commentaires
au début du fichier 4
. Le préambule est divisé en colonnes comme le corps. Chaque colonne
contient :
— le début, indiqué par l’expression : **kern ;
— une indication de la portée ou de l’instrument ;
4. Selon la littérature, les commentaires généraux sont indiqués par deux point d’exclamation (! !) et les commentaires
concernant une seule des voix, par un point d’exclamation (!). Cependant, il semblerait que dans les
fichiers disponibles sur http://kern.ccarh.org/, un point d’exclamation ait été ajouté à cette convention pour
les premiers et les derniers commentaires du fichier.7.3. Formats « textuels » 107
— la clé ;
— l’armature (k[...]) ;
— la tonalité ;
— le chiffrage (M) ;
— parfois, le tempo (MM) ;
— etc.
et chaque information commence par une étoile.
Dans le corps du fichier, chaque ligne représente un moment, apparaissant dans l’ordre chronologique.
Les principales notations utilisées sont les suivantes :
— des lettres pour la hauteur des notes, correspondant aux noms des notes en anglais, avec
« c » pour le = do « serrure », puis « cc » pour le do une octave en-dessus, puis « ccc »,
etc., et le même principe est appliqué avec des lettre majuscules pour les notes plus graves,
soit « C » pour le do une octave en-dessous de « c », puis « CC », etc. ;
— la lettre « r »pour les silences ;
— des nombres fixes pour la durée des notes, avec, par exemple, 1 pour la ronde, 4 pour la
noire et 2. pour la blanche pointée ;
— d’autres symboles pour les altérations : - pour [, n pour \ et # pour ]
5
;
— des signes d’égalité pour indiquer les barres de mesures, éventuellement suivis du numéro
de la mesure dans la partition.
7.3.4 Comparaison de ces trois formats
Le format ABC est particulièrement bien conçu pour conserver un maximum d’informations
et donc pour écrire des partitions (après transposition, ou autre changement), mais moins pour
le traitement informatique, ne serait-ce qu’en raison de sa flexibilité. Le format Melisma est
beaucoup plus simple, certainement le plus pratique pour l’analyse informatique, mais perd
beaucoup d’information. Entre les deux, le format **kern est suffisamment structuré et fixe
pour être traité informatiquement et conserve la grande majorité des informations contenues
sur la partition. De plus, comme il a déjà été mentionné, il existe une base de données dédiée
à ce format et il a l’avantage d’être lié à de nombreux programmes permettant, d’une part,
d’obtenir les autres formats les plus utilisés, dont les trois présentés dans ce chapitre et, d’autre
part, de transposer les partitions, d’extraire certaines informations, etc.
5. Contrairement au format ABC, ici les altérations sont notifiées pour chaque note, même lorsqu’elles sont déjà
mentionnées dans le préambule.CHAPITRE 8
Analyse de données musicales
Ce chapitre, qui reprend la structure, les méthodes, une partie du texte traduite et les résultats
présentés dans l’article Cocco et Bavaud (accepté pour publication) et ajoute de nombreux
résultats, présente une analyse exploratoire de données de musique polyphonique en format
symbolique.
À cet effet (section 8.1), on divise la partition en durées égales, puis on transforme des partitions
numériques (cf. chapitre 7) en tables de contingence qui comptent la durée de chaque
note pour chaque intervalle de temps. Cette représentation, très proche de la représentation sur
rouleau de piano pneumatique (piano-roll representation) et, pour les fichiers audio, de la repré-
sentation Chroma (voir par exemple Ellis et Poliner, 2007; Müller et Ewert, 2011; Kriesel, 2013,
section 2.4), a l’avantage de représenter de la musique polyphonique dans un format compatible
avec des méthodes d’analyse de données courantes, telles que l’AFC, et d’être invariante sous
agrégation (cf. section 8.1.1).
Pour commencer (section 8.2), des morceaux de musique complets sont analysés, par l’intermédiaire
de l’AFC et de l’indice d’autocorrélation. Ces deux méthodes permettent de découvrir
des structures intrinsèques dans des partitions de musique, ainsi que d’en visualiser les patterns.
Elles sont illustrées par un exemple monophonique et par plusieurs exemples polyphoniques.
Ensuite, dans la section 8.3, les différentes voix d’une même partition, ainsi que les liens qui
existent entre elles, sont analysés par l’intermédiaire d’une analyse des correspondances multiples
(ACM) floue et de l’indice d’autocorrélation croisée. Ces deux méthodes sont appliquées
à deux partitions polyphoniques composées pour plusieurs instruments.
Finalement, une mesure de similarité entre deux partitions, basée sur la représentation des
partitions de musique par des tables de contingence, est présentée dans la section 8.4. À partir
de cette mesure de similarité, des partitions écrites par plusieurs compositeurs sont regroupées
par une classification ascendante hiérarchique.
8.1 Représentation des données
8.1.1 Formalisme
Une partition musicale peut être représentée par une table de contingence brute X = (xtj )
qui croise les intervalles de temps (t = 1, . . . , n) et la hauteur des notes (j = 0, . . . , m). Cette
table compte la durée de chaque hauteur de note dans chaque intervalle de temps. Ainsi, la
répétition de notes de même hauteur dans un intervalle de temps n’est pas codée.
109110 8. ANALYSE DE DONNÉES MUSICALES
Aussi, toutes les hauteurs de note sont rapportées à l’octave et l’on attribue la valeur de
0 à do ; de 1 à do] ou ré[; de 2 à ré, etc. 1 Ensuite, un vrai silence, z, qui correspond à un
moment durant lequel aucune note n’est jouée, est ajouté. Au final, j peut prendre 13 valeurs
différentes : 0 à 11 et z. Concernant les intervalles de temps, ils ont une durée constante qui vaut
τ . Cette durée peut prendre n’importe quelle valeur, telle qu’un nombre de doubles croches, de
mesures ou de millisecondes. Par conséquent, la durée totale d’une partition (ou d’un extrait)
vaut τtot = nτ . Les figures 8.1 et 8.2 présentent deux exemples de la table de contingence
transposée, un pour l’extrait d’une partition de piano et un autre pour l’extrait d’une partition
pour un quatuor à cordes, chacune avec deux valeurs de τ .
11 12
4
3
4
3
p sfz
Intervalles de temps t avec τ = ♩
notes j 29 30 31 32 33 34 35 36 37
0 0 4 0 4 4 0 4 0 0
1 4 0 4 0 0 4 0 0 0
3 4 4 0 4 4 4 0 0 0
5 0 0 4 0 0 0 0 0 2
7 0 0 0 0 0 4 0 0 2
8 4 4 0 4 4 0 8 0 0
10 0 0 4 0 0 4 0 0 0
z 0 0 0 0 0 0 0 4 0
Intervalles de temps t avec τ = .
notes j 10 11 12
0 4 8 4
1 8 4 0
3 8 12 0
5 4 0 2
7 0 4 2
8 8 8 8
10 4 4 0
z 0 0 4
Figure 8.1 – Extrait de la « sonate pour piano n˚1 en fa mineur, op. 2 n˚1, 3ème mouvement » de
Beethoven. Table de contingence transposée X = (xtj ), qui donne la durée de chaque hauteur
de note en nombre de double-croches pour τ égal à une noire (haut) et à une blanche pointée
(bas).
En plus de permettre de traiter de la musique polyphonique, cette représentation a l’avantage
d’être invariante sous agrégation : ainsi doubler la valeur de τ revient à sommer les effectifs de
deux intervalles de temps successifs. Donc, si T représente un intervalle de temps composé
d’intervalles de temps plus petits t, alors les nouveaux effectifs deviennent :
x˜T j := X
t∈T
xtj
comme l’illustrent les figures 8.1 et 8.2. Lavrenko et Pickens (2003) et Morando (1981) utilisent
des représentations relativement similaires, à ceci près que les premiers ne considèrent ni la
durée des notes, ni celle entre les notes, et que le second base sa représentation sur la succession
des accords. De plus, ces représentations ne sont pas invariantes sous agrégation, à l’inverse de
celle présentée ici.
1. Si l’on décidait de ne pas reporter les notes à l’octave, le formalisme serait strictement identique, il suffirait
d’augmenter le nombre de modalités j.8.1. Représentation des données 111
9 10 11
4
3
4
3
4
3
4
3
f
f
f
f
Intervalles de temps t avec τ = ♩
notes j 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31
0 6 6 8 0 0 0 16 0 0 0
4 0 0 4 0 0 8 0 0 0 0
5 4 4 0 16 12 8 0 0 0 16
7 0 0 4 0 4 0 0 0 0 0
9 4 4 0 0 0 0 0 0 0 0
11 2 2 0 0 0 0 0 0 0 0
z 0 0 0 0 0 0 0 4 4 0
Intervalles de temps t avec τ = .
notes j 8 9 10 11
0 20 0 16 0
4 4 8 0 0
5 8 36 0 16
7 4 4 0 0
9 8 0 0 0
11 4 0 0 0
z 0 0 8 0
Figure 8.2 – Extrait du « 1er mouvement « Allegro con brio » du Quatuor à cordes en fa
majeur, op. 18 no 1 » de Beethoven. Table de contingence transposée X = (xtj ), qui donne la
durée de chaque hauteur de note en nombre de double-croches pour τ égal à une noire (haut)
et à une blanche pointée (bas).
Dans un second temps, la table brute X = (xtj ) est normalisée à Ξ = (ξtj ), de façon à ce que
la somme de chaque ligne ξt• soit égale à 1 :
ξtj =
xtj
xt•
(8.1)
Par conséquent, la même importance est donnée à chaque intervalle de temps (ft = 1/n), quels
que soient la durée et le nombre de notes qu’il contient, ce qui implique que ξ•• = n.
Comme pour la table brute, il est possible d’agréger les intervalles de temps de la table
normalisée. La table normalisée agrégée Ξ˜ s’obtient soit par des moyennes pondérées :
˜ξT j =
P
t∈T
P
xt•ξtj
t∈T
xt•
soit directement à partir de la table brute :
˜ξT j =
P
t∈T
P
xtj
t∈T
xt•
=
x˜T j
x˜T•
8.1.2 Pré-traitement
Pour obtenir la représentation des données exposée ci-dessus, on commence par utiliser des
fichiers au format Humdrum, qui sont bien structurés, indépendants de l’interprétation d’un112 8. ANALYSE DE DONNÉES MUSICALES
musicien et disponibles sur Internet (cf. section 7.3.3). En particulier, pour conserver l’œuvre
dans sa version complète, on utilise les fichiers comportant toutes les répétitions, telles qu’elles
sont indiquées sur la partition. Lorsque des modifications sont nécessaires, telle qu’une transposition
ou l’extraction d’une voix, par exemple, la série de programmes Humdrum extras est
utilisée. Ensuite, ils sont transformés en format Melisma (cf. section 7.3.1), plus simple pour le
traitement informatique, à l’aide du programme « kern2melisma » de la série Humdrum extras.
Avant cette transformation, le tempo des fichiers Humdrum est fixé, arbitrairement et sans
conséquences sur les applications, à 100 pulsations par minute pour une noire (*MM100). Ainsi,
lors de la transformation en fichier Melisma, une noire aura une durée exacte de 600 ms. Finalement,
les fichiers Melisma sont transformés en tables de contingence brutes par l’intermédiaire
d’un programme en Perl.
Soit un fichier Melisma dont chaque ligne, l = 1, . . . , L, représente une note j, avec tdeb le
temps de début de la note et tfin le temps de fin de cette note. On choisit une durée τ , en
millisecondes 2
, puis, pour chaque ligne l, on obtient, pour les s entiers compris entre b
tdeb
τ
c
(inclus) et d
tfin
τ
e (non inclus), les éléments de la table de contingence (temporaire) comme :
X
temp
sj = min (tfin, τ (s + 1)) − max (tdeb, τs) (8.2)
On procède de la même manière pour les silences (j = z), soit lorsque le temps de début de la
note sur la ligne l, tdeb (l), est plus grand que les temps de fin des notes précédentes, soit des
lignes 1, . . . , l − 1, tfin (l − 1), en posant, dans (8.2), tdeb = tfin (l − 1) et tfin = tdeb (l). Pour
terminer, tous les effectifs de ces tables temporaires sont additionnés pour obtenir la table de
contingence brute X.
Lors de cette procédure, les silences présents sur la partition à la fin ou au début du morceau
de musique sont perdus. Ils sont alors ajoutés « manuellement » pour conserver toutes les
informations de la partition.
Dans un second temps, l’agrégation est exécutée dans R. Dans toutes les applications de
ce chapitre, à l’exception des figures 8.21 et 8.22, lorsque la durée τ est plus grande ou égale
à une mesure et que le morceau de musique commence avec une anacrouse (ou levée), cette
dernière est ajoutée à la première mesure lors de l’agrégation. Aussi, si le choix de la durée τ ne
permet pas d’obtenir des diviseurs entiers de τtot, alors le dernier intervalle de temps, n, sera
plus court lors de l’agrégation. Finalement, toujours dans R, les tables de contingence brutes
sont normalisées pour obtenir la table Ξ (8.1).
8.2 Analyses d’une partition
8.2.1 Traitements
Comme expliqué dans la section 1.4 et mis en œuvre dans la section 4.2, il est possible
de pratiquer une AFC pour visualiser des données représentées sous la forme d’une table de
contingence. Pour ce faire, on utilise le MDS (cf. section 1.4.1). En premier lieu, les dissimilarités
du khi2 entre les intervalles de temps Dˆ
st (respectivement entre les hauteurs de notes Dˇ
ij ) sont
calculées par (1.6) (resp. (1.7)) sur la table de contingence normalisée (8.1). Ensuite, par (1.24),
on obtient la matrice des produits scalaires pondérés entre les intervalles de temps Kˆ (resp.
entre les hauteurs de note Kˇ ), dont la décomposition spectrale va permettre de calculer les
coordonnées factorielles (1.25).
D’autre part, les intervalles de temps, ordonnés chronologiquement, peuvent s’interpréter
comme des positions. Ainsi, il est possible de mesurer la différence entre la variabilité de l’ensemble
des dissimilarités du khi2 entre les intervalles de temps (Dˆ
st) et la variabilité locale
2. Pour ne procéder qu’une fois à la transformation des fichiers Melisma en tables de contingence avant les
éventuelles agrégations, on choisit une valeur assez faible de τ , par exemple une croche.8.2. Analyses d’une partition 113
de ces dissimilarités dans un voisinage défini par E, grâce à l’indice d’autocorrélation δ (3.4),
comme il a été fait pour les textes dans le chapitre 6. Concernant la matrice d’échange, seule
la matrice périodique (3.2), déjà utilisée pour les textes dans la figure 6.2, sera adoptée. Pour
rappel, cette dernière, contrairement aux autres matrices d’échange, a l’avantage de permettre
de considérer deux positions (une à gauche et une à droite) à une distance r d’une position
donnée, sans considérer les positions qui les séparent. De plus, le voisinage est périodique, ce
qui correspond au cas d’un morceau de musique joué en continu.
8.2.2 Partition monophonique
Afin de mieux appréhender les résultats obtenus avec ces méthodes, le premier exemple traite
une chanson enfantine, dont la mélodie est connue et qui, en plus, a l’avantage d’être monophonique.
2 3 4
4
4
5 6 7 8
Figure 8.3 – Partition de « Frère Jacques » en do majeur.
La figure 8.3 présente la partition de Frère Jacques transposée en do majeur (le fichier Humdrum
original était en mi[ majeur) ; et la figure 8.4, l’AFC appliquée sur cette partition. Dans
cette dernière, lorsque τ est égal à une croche (graphiques du haut), alors une note, au maximum,
est jouée durant chaque intervalle de temps, ce qui signifie que la représentation est totalement
monophonique. Dans ce cas, les dissimilarités euclidiennes carrées entre les intervalles de temps
sont des dissimilarités en étoile, donc de la forme Dˆ
st = as + at (voir par exemple Critchley
et Fichet, 1994). Par conséquent, toutes les valeurs propres sont identiques et il est difficile
de compresser les données par l’intermédiaire d’une analyse factorielle. Aussi, sur le biplot, les
coordonnées des intervalles de temps coïncident exactement avec les coordonnées des hauteurs
de notes, il est donc possible de suivre visuellement la partition. En augmentant la valeur de
τ à une noire (graphique en bas, à gauche), le nombre d’intervalles de temps diminue et, ainsi,
l’inertie expliquée par les deux premières dimensions augmente. On remarque aussi que les coordonnées
factorielles dans les deux premières dimensions sont identiques pour trois notes, à
savoir fa (5), sol (7) et la (9). Finalement, avec τ égal à une mesure (graphique en bas, à droite),
la structure du morceau de musique apparaît, avec chaque mesure jouée deux fois. On remarque
aussi l’alignement de la succession des intervalles de temps en forme de « fer à cheval ». Cet
alignement est typique d’un effet de Guttman (arch ou horseshoe effect) se produisant lorsque
les modalités sont ordonnées, ce qui est le cas ici selon l’ordre chronologique (voir par exemple
Gauch, Whittaker et Wentworth, 1977; Camiz, 2005).
De plus, on observe sur la figure 8.4, comme déjà évoqué, que l’inertie expliquée par les deux
premiers facteurs varie en fonction de τ , car le nombre d’intervalles de temps diminue lorsque
la durée τ augmente et, par conséquent, le nombre de dimensions α (cf. section 1.4.1) décroît
aussi. Ainsi, l’inertie expliquée par les premiers facteurs augmente (graphique de gauche de la
figure 8.5) et l’inertie totale ∆ (1.17) diminue (graphique de droite de la figure 8.5) avec τ .
En particulier, dans ces deux figures, l’inertie reste constante lorsque τ est plus petit ou égal
à une croche, soit la plus petite durée d’une note dans la partition, et lorsque τ est compris
entre une ronde, donc une mesure, et deux rondes, car chaque mesure est répétée une fois. On
observe aussi, qu’à l’inverse des résultats obtenus avec les diviseurs entiers de τtot qui évoluent
régulièrement, les résultats calculés avec toutes les valeurs de τ sont plus fluctuants. En fait, lors114 8. ANALYSE DE DONNÉES MUSICALES
-3 -2 -1 0 1
-1
0 1 2
3
Premier axe factoriel 20 %
Deuxième axe factoriel 20 %
1
3
5
19
64 0
2
4
5
7
9
τ =
1 2 3 4 5
15 20 25
Dimensions
Proportion d'inertie expliquée [%]
τ =
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
-1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 1.5
Premier axe factoriel 23.76 %
Deuxième axe factoriel 23.76 %
1
2
3
11
32 0
2
4
5
7
9
τ = ♩
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
-1.0 -0.5 0.0 0.5
Premier axe factoriel 60.29 %
Deuxième axe factoriel 26.64 %
1
2
3
4
5 6
7
8
0
2
4
5
7
9
τ = mesure
Figure 8.4 – AFC sur « Frère Jacques ». En haut, à gauche : biplot avec τ égal à une croche.
Sur ce graphique et sur les suivants dans ce chapitre, les triangles, avec des nombres en italique
de grande taille, représentent les hauteurs de notes, la taille des triangles étant proportionnelle
au nombre de notes dans le morceau de musique ; et les cercles pleins, parfois étiquetés avec
des nombres de petite taille, les intervalles de temps. Ces derniers sont reliés dans l’ordre chronologique
selon la progression du temps. En haut, à droite : valeurs propres pour le biplot de
gauche. En bas à gauche : biplot avec τ égal à une noire. En bas à droite : biplot avec τ égal à
une mesure.
de l’agrégation des effectifs des tables de contingence dans ce second cas, comme déjà mentionné,
la durée du dernier intervalle de temps est plus courte et, par conséquent, le partitionnement
du morceau de musique n’est pas régulier. Finalement, on constate que la courbe de l’inertie
totale décroît de façon convexe, comme une hyperbole ou une exponentielle à exposant négatif.
La figure 8.6 présente l’indice d’autocorrélation calculé sur le morceau de musique « Frère
Jacques » avec deux valeurs de τ différentes. En premier lieu, comme déjà expliqué pour la
figure 6.2, on remarque que δ = 1 lorsque r = 0 et que le graphique est symétrique. Sur le
graphique de gauche, soit pour une valeur de τ égal à une noire, un pic significatif (δ = 0.495)
apparaît lorsque r = 4, soit pour une distance correspondant à une mesure. En fait, en raison de
la répétition systématique de chaque mesure, à chaque moment t, les mêmes notes sont jouées à
une distance r = 4, parfois à gauche, parfois à droite de t. Ce pic correspond à la durée τ d’une
mesure, soit celle qui permet d’obtenir la meilleure visualisation de la partition par l’AFC dans
cet exemple (graphique en bas à droite de la figure 8.4).
En posant τ égal à une mesure (graphique gauche de la figure 8.6), aucune valeur n’est
significative et aucun pic n’apparaît. Il semble donc que cette durée soit trop élevée et que, par
conséquent, trop d’information soit perdue. Cependant, il est tout de même possible d’observer
que l’autocorrélation est positive (δ = 0.382) lorsque r = 1, soit pour la répétition de chaque8.2. Analyses d’une partition 115
20 40 60 80 100
Durée des intervalles de temps τ [ronde]
Inertie expliquée par les premiers facteurs [%]
1/16 1/2 1 2 4
Premier facteur
Somme des deux premiers facteurs
0 1 2
3
4
5
Durée des intervalles de temps τ [ronde]
Inertie totale
Δ
1/16 1 2 4 8
Figure 8.5 – AFC sur « Frère Jacques ». Proportion d’inertie expliquée par les premiers facteurs
(gauche) et inertie totale (droite) en fonction de la valeur de τ . Dans ces deux graphiques, la
ligne pointillée représente les résultats pour toutes les durées et la ligne continue, les résultats
pour les diviseurs entiers de τtot.
0 5 10 15 20 25 30
-0.5 0.0 0.5 1.0
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation
δ
τ = ♩
0 2 4 6 8
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation
δ
τ = mesure
Figure 8.6 – Indice d’autocorrélation en fonction du décalage r variant entre 0 et n pour « Frère
Jacques », avec τ égal à une noire (gauche) et à une mesure (droite). Dans cette figure, ainsi
que dans les suivantes de ce chapitre, la ligne continue représente l’indice d’autocorrélation ; la
ligne traitillée, la valeur attendue E0(δ) (3.5) ; et les lignes pointillées, l’intervalle de confiance
à 95% (3.6).
mesure, et qu’elle est négative pour r compris entre 2 et 4, soit quand on compare des mesures
qui sont différentes, ce qui semble cohérent.
8.2.3 Partitions polyphoniques avec un seul instrument
Dans cette section, quatre partitions polyphoniques pour piano sont étudiées :
— la « Mazurka en fa] mineur, Op. 6, No1 » de Chopin :
— avec un chiffrage 3/4 et 112 mesures, passages répétés inclus ;
— le « Prélude No1 en do majeur, BWV 846 » de J. S. Bach :
— avec un chiffrage 4/4 et 35 mesures ;
— la « Sonate en ré majeur, Andante cantabile, L. 12 (K. 478) » de Scarlatti :
— avec un chiffrage 3/4 et 230 mesures, passages répétés inclus ;
— le 3e mouvement, « Minuetto e Trio », de la « Sonate pour piano No1 en fa mineur, Op.
2, No1 » de Beethoven :
— avec un chiffrage 3/4 et 186 mesures, passages répétés inclus.116 8. ANALYSE DE DONNÉES MUSICALES
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
-2.0 -1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 1.5
Premier axe factoriel 17.55 %
Deuxième axe factoriel 15.46 %
1
337
0
1
2
3
4
5 6
7
8
9
10
11
τ = ♩
-1.0 -0.5 0.0 0.5
-0.5 0.0 0.5 1.0
Premier axe factoriel 27.62 %
Deuxième axe factoriel 22.11 %
1
2
3
4
5
112
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
τ = mesure
-0.8 -0.6 -0.4 -0.2 0.0 0.2 0.4
-0.5 0.0 0.5 1.0
Premier axe factoriel 52.89 %
Deuxième axe factoriel 33.09 %
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
0
1
2
3
4
5
6
7
8 9
10
11
τ = 8 mesures
Figure 8.7 – AFC sur la « Mazurka en fa] mineur, Op. 6, No1 » de Chopin. Biplots avec τ égal
à une noire (gauche), à une mesure (centre) et à huit mesures (droite).
La figure 8.7 présente les résultats de l’AFC appliquée sur la Mazurka de Chopin, avec trois
valeurs différentes de τ . La structure de la partition de musique apparaît plus clairement pour
des valeurs de τ élevées. En particulier, le graphique de droite, lorsque τ est égal à huit mesures,
révèle les passages similaires (1, 3, 6, 9 et 13 d’une part ; 2, 4, 7, 10 et 14 d’autre part ; ainsi
que 5 et 8) et les passages différents (12 par rapport à 13 par exemple).
0 10 20 30 40 50
40 60 80 100
Durée des intervalles de temps τ [mesure]
Inertie expliquée par les premiers facteurs [%]
Premier facteur
Somme des deux premiers facteurs
0 20 40 60 80 100
0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0 1.2
Durée des intervalles de temps τ [mesure]
Inertie totale
Δ
Figure 8.8 – AFC sur la « Mazurka en fa] mineur, Op. 6, No1 » de Chopin. Proportion d’inertie
expliquée par les premiers facteurs (gauche) et inertie totale (droite) en fonction de la valeur
de τ .
Comme pour la partition musicale de « Frère Jacques », augmenter la valeur de τ implique
une augmentation de l’inertie expliquée par les premiers facteurs et une diminution de l’inertie
totale ∆ (figure 8.8). En particulier, pour l’inertie expliquée par le premier facteur, on constate
qu’elle est plus élevée lorsque τ est égal à 14 mesures, puis qu’elle ne varie que très peu entre
τ égal à 16 mesures et τ égal à 28 mesures, l’explication de ce phénomène restant à établir.
Concernant le graphique τ - ∆, il possède, à nouveau la même structure que celui pour « Frère
Jacques » (graphique de droite de la figure 8.5). Ceci se produisant pour toutes les partitions,
ce graphique sera donc omis dans les prochains exemples.
Le choix consistant à sélectionner τ égal à huit mesures dans le graphique de droite de la
figure 8.7, résulte, d’une part, de l’étude de la partition, et d’autre part, des résultats obtenus
pour l’indice d’autocorrélation (figure 8.9). En effet, on observe que des pics significatifs se
produisent toutes les 24 noires (graphique de gauche) ou toutes les 8 mesures (graphique de
droite), ce qui est équivalent. Les deux graphiques apportent donc une information semblable,
si ce n’est que dans le premier cas, les résultats sont plus détaillés. Ainsi, pour l’étude des trois
autres partitions de piano, on choisira systématiquement τ égal à une mesure pour les indices8.2. Analyses d’une partition 117
0 50 100 150 200 250 300 350
0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation
δ
τ = ♩
0 20 40 60 80 100
-0.2 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation
δ
τ = mesure
Figure 8.9 – Indice d’autocorrélation en fonction du décalage r variant entre 0 et n pour la
« Mazurka en fa] mineur, Op. 6, No1 » de Chopin, avec τ égal à une noire (gauche) et à une
mesure (droite).
d’autocorrélation, car il semble être plus adapté à la mise en évidence de la structure globale
de ces partitions polyphoniques. On remarque aussi un pic plus élevé lorsque r = 72 avec τ égal
à une noire (respectivement r = 24 avec τ égal à une mesure), ce qui s’explique certainement
par le fait qu’un passage composé de 24 mesures se répète, donc que les proportions de notes
des intervalles de temps t = 33, . . . , 56 sont identiques aux proportions de notes des intervalles
t = 57, . . . , 80.
-1 0 1 2
-1
0 1 2
Premier axe factoriel 20.21 %
Deuxième axe factoriel 16.31 %
1 3
5
70
0
1
2
3
4
5
6
7
9 8
10
11
τ =
-2 -1 0 1
-1
0 1 2
Premier axe factoriel 20.21 %
Deuxième axe factoriel 16.32 %
1 2
3
35
0
1
2
3
4
5
6
7
8 9
10
11
τ = mesure
-0.5 0.0 0.5 1.0 1.5
-0.5 0.0 0.5 1.0 1.5
Premier axe factoriel 38.68 %
Deuxième axe factoriel 25.23 %
2 1
3
4
5
6
7
8
9
0
1
2
3
4 5
6
7
8
9
10
11
τ = 4 mesures
Figure 8.10 – AFC sur le « Prélude No1 en do majeur, BWV 846 » de J. S. Bach. Biplots avec
τ égal à une blanche (gauche), à une mesure (centre) et à quatre mesures (droite).
Concernant le prélude de Bach (figure 8.10), aucune structure claire n’apparaît dans les
biplots obtenus par l’AFC, excepté lorsque la durée τ est égale à quatre mesures. En observant
l’indice d’autocorrélation pour cette même partition (graphique de gauche de la figure 8.13),
on remarque un pic lorsque r = 4 mesures qui, bien qu’il ne soit pas significatif, semble donc
constituer une division intéressante de la partition. Il faut préciser que pour l’AFC, le morceau
comportant 35 mesures, le temps t = 9 n’est composé que des 3 dernières mesures. Aussi, en
observant les graphiques de gauche et du centre de la figure 8.10, on constate que les graphiques
pour τ égal à une blanche et τ égal à une mesure sont quasiment identiques (au signe du premier
facteur près). Cela s’explique par le fait que dans tout ce morceau de musique, à l’exception
des mesures 33 et 34, les deux derniers temps d’une mesure sont identiques aux deux premiers.
De plus, dans les mesures 33 et 34, il existe des différences entre les deux premiers et les deux
derniers temps, mais les hauteurs de note rapportées à l’octave sont identiques, bien que de
durées différentes. Évidemment, le même phénomène aurait pu être observé sur la partition de
« Frère Jacques » : exactement le même résultat (aux signes des facteurs près) aurait été obtenu118 8. ANALYSE DE DONNÉES MUSICALES
avec τ égal à deux mesures que celui qui est obtenu avec τ égal à une mesure (figure 8.4).
0 1 2 3 4 5 6
-3 -2 -1
0 1
Premier axe factoriel 31.15 %
Deuxième axe factoriel 12.46 %
1
230
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
z
-3 -2 -1 0 1
-1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
Deuxième axe factoriel 12.46 %
Troisième axe factoriel 10.86 %
1
230 0
1 2
3
4
5
6
7
8 9
10
11 z
0 20 40 60 80 100
40 60 80 100
Durée des intervalles de temps τ [mesure]
Inertie expliquée par les premiers facteurs [%]
Premier facteur
Somme des deux premiers facteurs
Figure 8.11 – AFC sur la « Sonate en ré majeur, Andante cantabile, L. 12 (K. 478) » de
Scarlatti. Biplots avec τ égal à une mesure, 1re et 2e dimensions (gauche) et 2e et 3e dimensions
(centre). Proportion d’inertie expliquée par les premiers facteurs (droite).
Les résultats obtenus pour l’AFC sur la sonate de Scarlatti, avec τ égal à une mesure (graphique
de gauche et du centre de la figure 8.11) sont considérablement différents de ceux obtenus
pour les autres partitions de musique, en raison de la présence de vrais silences z. En fait, le
profil de z est opposé au profil des autres hauteurs de note et cette opposition est capturée par
le premier facteur. Par construction, le même phénomène se produit lorsque τ est plus petit
ou égal à une mesure. Ainsi, pour ce morceau de musique, on remarque que l’inertie expliquée
par le premier facteur (graphique de droite de la figure 8.11) n’augmente pas systématiquement
avec τ , mais qu’elle diminue lorsque τ est plus petit ou égal à cinq mesures.
Aussi, il n’a pas été trouvé de valeur de τ permettant de mettre clairement en évidence la
structure de la partition. En observant l’indice d’autocorrélation (graphique du centre de la
figure 8.13), deux pics significatifs apparaissent (δ = 0.251 et δ = 0.208) lorsque r = 54 et
r = 61 mesures. Cela s’explique par le fait que les 61 premières mesures sont répétées une fois,
puis les 54 mesures suivantes sont aussi répétées une fois et que ces deux parties constituent le
morceau entier. Évidemment, il aurait été possible de choisir τ égal à 54 mesures pour obtenir
un biplot plus simple à lire avec l’AFC, car dans ce cas, il n’y aurait eu que cinq intervalles
de temps qui auraient, comme pour la partition de « Frère Jacques », manifesté un effet de
Guttman.
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 1.5 2.0
-1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
Premier axe factoriel 18.79 %
Deuxième axe factoriel 16.42 %
1
2
16
86 96
114137
186
0
1
3 2
4
5
6
7
8
9
10
11
z
τ = mesure
-0.5 0.0 0.5 1.0
-0.4 -0.2 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0
Premier axe factoriel 61.41 %
Deuxième axe factoriel 23.52 %
1
2
3
4
5 6
7
8
0
1
2
3
4 5
6
7 8
9 10 11
z τ = 26 mesures
0 20 40 60 80
20 40 60 80 100
Durée des intervalles de temps τ [mesure]
Inertie expliquée par les premiers facteurs [%]
Premier facteur
Somme des deux premiers facteurs
Figure 8.12 – AFC sur le 3e mouvement, « Minuetto e Trio », de la « Sonate pour piano No1 en
fa mineur, Op. 2, No1 » de Beethoven. Biplots avec τ égal à une mesure (gauche) et à vingt-six
mesures (centre). Proportion d’inertie expliquée par les premiers facteurs (droite).
Le biplot obtenu avec l’AFC sur le 3e mouvement de la sonate de Beethoven, avec τ égal à une
mesure (graphique de gauche de la figure 8.12) montre que de nombreux intervalles de temps
sont superposés (par exemple le 114 et le 137), ce qui est dû aux multiples répétitions présentes
dans ce morceau, mais aussi au fait que certaines mesures se composent exactement des mêmes8.2. Analyses d’une partition 119
hauteurs de note rapportées à l’octave (elles sont parfois sur des octaves différentes), avec les
mêmes durées. Si l’on avait produit le biplot pour τ égal à une noire, on aurait obtenu, comme
pour la partition de Scarlatti avec τ égal à une mesure, un premier axe différenciant les vrais
silences des autres notes, car la durée la plus longue d’un vrai silence dans ce morceau vaut une
noire.
Pour sélectionner une valeur de τ permettant de visualiser la structure de la partition, l’indice
d’autocorrélation, avec τ égal à une mesure, est examiné (graphique de droite de la figure 8.13).
Trois pics apparaissent clairement, soit lorsque r = 26, r = 54 et r = 80 mesures. Alors que le
premier pic s’explique certainement par le fait que la deuxième partie du morceau, qui est la plus
longue, s’étend sur 26 mesures qui sont répétées une fois, le troisième pic s’explique peut-être par
la présence des deux autres pics, puisque 26 + 54 = 80. Cependant, la signification du deuxième
pic reste encore à établir. Ainsi, le premier pic, soit le seul à être significatif, est sélectionné
comme valeur de τ pour le biplot présenté sur le graphique du centre de la figure 8.12. Bien que
peu d’intervalles de temps soient représentés sur ce graphique, il reste tout de même difficile de
l’interpréter. À noter que le dernier intervalle de temps t = 8 n’est composé que de 4 mesures,
car la division de τtot par 26 mesures ne donnait pas un nombre entier.
Finalement, on observe que bien que l’inertie expliquée par les premiers facteurs augmente
avec la durée τ , comme pour les autres partitions de musique, la courbe croît de manière concave,
sans paliers, ni pics (graphique de droite de la figure 8.12).
0 5 10 15 20 25 30 35
-0.4 -0.2 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation
δ
Bach
0 50 100 150 200
-0.2 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation
δ
Scarlatti
0 50 100 150
-0.2 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation
δ
Beethoven
Figure 8.13 – Indice d’autocorrélation en fonction du décalage r variant entre 0 et n, avec τ
égal à une mesure, pour le « Prélude No1 en do majeur, BWV 846 » de J. S. Bach (gauche),
pour la « Sonate en ré majeur, Andante cantabile, L. 12 (K. 478) » de Scarlatti (centre) et pour
le 3e mouvement, « Minuetto e Trio », de la « Sonate pour piano No1 en fa mineur, Op. 2, No1 »
de Beethoven (droite).
8.2.4 Partition polyphonique avec plusieurs instruments
Pour terminer cette analyse de partitions complètes, un morceau polyphonique composé pour
quatre instruments est étudié, à savoir le « Canon en ré majeur » de Pachelbel, qui comporte
57 mesures, avec un chiffrage 4/4.
La figure 8.14 présente les résultats obtenus avec l’AFC. Lorsque τ est égal à une noire
(graphique en haut à gauche), une structure du morceau de musique apparaît clairement, bien
qu’elle soit difficile à comprendre. En retirant les lignes qui relient les intervalles de temps et
en attribuant le même symbole aux intervalles de temps avec un même décalage de t mod 8
(graphique en haut à droite), on observe que la position d’un intervalle de temps chaque huit
noires ne varie que peu sur les deux premiers axes factoriels. En fait, le canon est joué par
quatre instruments : trois violons et un clavecin. Alors que le clavecin joue continuellement, le
premier violon commence à jouer la mélodie à la 3e mesure, puis le second violon reprend cette
mélodie à la 5e mesure et finalement, le troisième violon recommence la même mélodie à partir
de la 7e mesure. Ainsi, la structure de base de ce morceau de musique semble se baser sur deux120 8. ANALYSE DE DONNÉES MUSICALES
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 1.5
-0.5 0.0 0.5 1.0
Premier axe factoriel 45.19 %
Deuxième axe factoriel 26.49 %
τ = ♩
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 1.5
-0.5 0.0 0.5 1.0
Premier axe factoriel 45.19 %
Deuxième axe factoriel 26.49 %
0
1
2
4
6
7
9
11
Décalage
(modulo 8) de
1
2
3
4
5
6
7
8
τ = ♩
-0.8 -0.6 -0.4 -0.2 0.0 0.2 0.4
0.0 0.5 1.0 1.5 2.0 2.5 3.0
Premier axe factoriel 66.04 %
Deuxième axe factoriel 15.62 %
1
57
0
1
7 11 42 9 6
τ = mesure
Figure 8.14 – AFC sur le « Canon en ré majeur » de Pachelbel. Biplots avec τ égal à une noire
(haut) et à une mesure (bas).
mesures, soit huit noires. En particulier, le clavecin, qui constitue la basse du morceau, joue
plus de notes simultanément et influence donc fortement le résultat obtenu.
Concernant le biplot obtenu lorsque τ est égal à une mesure (graphique du bas), il est plus
difficile de visualiser la structure du morceau de musique, car le second axe ne différencie que
le do naturel (0) des autres notes. Cela s’explique par le fait que ce do naturel n’apparaît que
dans quelques mesures.
Contrairement aux partitions de musique polyphoniques pour un seul instrument étudiées
dans la section 8.2.3, l’indice d’autocorrélation a été calculé avec τ égal à une noire (graphique
de gauche de la figure 8.15), car le résultat obtenu apporte des informations supplémentaires
à celles que l’on peut observer lorsque τ est égal à une mesure (graphique de droite de la
figure 8.15). En effet, lorsque τ vaut une noire, δ exhibe de nombreuses fluctuations régulières.
En particulier, des pics significativement positifs et plus élevés apparaissent toutes les huit
noires, ce qui semble cohérent avec l’AFC produite pour τ égal à une noire. Aussi, certaines
valeurs de δ, toujours à intervalles réguliers, sont significativement négatives, ce qui n’a jamais
été observé pour les autres partitions de musique étudiées. De plus, bien qu’ils soient moins
élevés que les premiers, d’autres pics significativement positifs apparaissent pour r = 8c + 2 et
pour r = 8c + 6 noires, où c ∈ N. Ces derniers correspondent probablement, en se basant sur
une structure de huit noires, aux distances entre les intervalles de temps similaires, soit le cinq8.3. Analyses inter-voix 121
0 50 100 150 200
-0.4 -0.2 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation
δ
τ = ♩
0 10 20 30 40 50
-0.5 0.0 0.5 1.0
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation
δ
τ = mesure
Figure 8.15 – Indice d’autocorrélation en fonction du décalage r variant entre 0 et n pour le
« Canon en ré majeur » de Pachelbel, avec τ égal à une noire (gauche) et à une mesure (droite).
et le sept, pour le premier, et le deux et le huit, pour le second, selon le graphique en haut à
droite de la figure 8.14. En se basant sur ce même graphique, on pourrait s’attendre à trouver
des valeurs positives de δ aussi lorsque r = 8c + 5, en raison de la similarité des intervalles de
temps un et six. Cependant, ces valeurs sont négatives, car plusieurs positions s’opposent selon
le premier axe factoriel, dont l’inertie expliquée est élevée, comme par exemple les intervalles
deux et sept.
Lorsque τ est égal à une mesure, on constate que δ forme une courbe en dents de scie, oscillant
entre des valeurs positives et négatives. Ainsi, lorsque r est paire, δ est positif, et inversement,
ce qui, à nouveau, semble cohérent avec une structure de la partition de musique basée sur deux
mesures.
8.3 Analyses inter-voix
8.3.1 Traitements
Soit Ξ
v
, la table de contingence normalisée pour une des voix v = 1, . . . , V d’une partition de
musique. Alors, la table de contingence complète pour une partition s’obtient comme la matrice
concaténée Ξ
COMP = (Ξ1
|Ξ
2
|...|Ξ
V
). Une AFC est appliquée sur cette table de contingence, de
manière identique à celle expliquée dans la section 8.2.1. Alors qu’une analyse des correspondances
multiples (AMC) se pratique sur une table disjonctive (voir par exemple Lebart et al.,
1995, section 1.4 ; Saporta, 2006, chapitre 10 ; Le Roux et Rouanet, 2010), la procédure est
appliquée ici sur des lignes qui, en raison de la normalisation (8.1), contiennent les proportions
des hauteurs de note de chaque voix pour un t donné, ce qui constitue une variante « floue » de
l’AMC.
D’autre part, afin d’étendre l’indice d’autocorrélation à deux voix (α et β), l’indice d’autocorrélation
croisée, mesurant la similarité entre la distribution de la hauteur des notes de la
voix α et la distribution de la hauteur des notes de la voix β dans un voisinage fixé, est utilisé
(cf. section 3.3). Pour ce faire, les coordonnées de haute dimensionalité des lignes, ξ
∗ v
tj , sont
obtenues par (1.10), puis ces dernières permettent de calculer δ( Ξ∗ α, Ξ
∗ β
) (3.7). Comme pour
l’indice d’autocorrélation, on utilise la matrice d’échange périodique (3.2).
Pour rappel, plusieurs conditions sont nécessaires à l’application de l’indice d’autocorrélation
croisée, à savoir que les deux tables comparées comportent 1) le même nombre de positions,
ici les intervalles de temps t, 2) le même nombre de caractéristiques, ici les hauteurs de notes
j et que 3) les poids des lignes des deux tables, ft
, soient identiques. La condition 1) est
systématiquement remplie, car les partitions sont de même longueur pour toutes les voix ; et122 8. ANALYSE DE DONNÉES MUSICALES
la condition 3), car la table Ξ
v
est normalisée. Quant à la condition 2), elle n’est pas toujours
remplie, car une hauteur de note peut être présente dans une voix et non dans une autre. Le
cas échéant, la note absente dans une des voix est ajoutée avec une faible valeur (10−30) pour
chaque t (cf. section 8.3.2).
8.3.2 Un canon
Pour commencer, les méthodes décrites ci-dessus sont appliqués au Canon de Pachelbel déjà
traité lors de l’étude des partitions complètes (cf. section 8.2.4). En premier lieu, il faut préciser
que le fichier Humdrum comportait cinq voix, dont deux pour le clavecin. Néanmoins, pour ce
travail, on a choisi de ne considérer que quatre voix, soit une pour chaque instrument.
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
-2.0 -1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
Premier axe factoriel 11.71 %
Deuxième axe factoriel 11.1 %
V1_0
V1_1
V1_2
V1_4
V1_6
V1_7
V1_9
V1_11
V1_z
V2_0
V2_1
V2_2
V2_4
V2_6 V2_7
V2_9
V2_11
V2_z
V3_0
V3_1
V3_2
V3_4
V3_6 V3_7
V3_9
V3_11
V3_z
V4_0
V4_1
V4_2
V4_4
V4_6
V4_7
V4_9
V4_11
τ = ♩
-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
-2.0 -1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5
Premier axe factoriel 11.71 %
Deuxième axe factoriel 11.1 %
1
228 2
10
15
21
24
25
30
31
102
114
119
192
τ = ♩
-2.0 -1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5
-1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
Premier axe factoriel 29.38 %
Deuxième axe factoriel 10.8 %
V1_0
V1_1
V1_2 V1_4
V1_6
V1_7
V1_9
V1_11
V1_z
V2_0
V2_1
V2_2
V2_4
V2_6
V2_7
V2_9
V2_11
V2_z
V3_0
V3_1
V3_2
V3_4 V3_6
V3_7
V3_9
V3_11
V3_z
V4_0
V4_1
V4_2
V4_4
V4_6
V4_7
V4_9 V4_11
τ = mesure
-2.0 -1.5 -1.0 -0.5 0.0
-0.5 0.0 0.5
Premier axe factoriel 29.38 %
Deuxième axe factoriel 10.8 %
1
57
2
3
4
5
6
24
25
28
29
49
50
14
21
30
τ = mesure
Figure 8.16 – ACM floue sur le « Canon en ré majeur » de Pachelbel, avec τ égal à une noire
(haut) et à une mesure (bas). Gauche : coordonnées factorielles des hauteurs de note, dont les
noms sont précédés par V1 pour le violon I, V2 pour le violon II, V3 pour le violon III et V4
pour le clavecin. Droite : coordonnées factorielles des intervalles de temps.
En appliquant l’ACM sur le canon de Pachelbel (figure 8.16), on constate que lorsque τ est
égal à une noire (graphiques du haut), le premier et le second axe factoriel différencient les
silences des trois violons de toutes les autres notes, pour la même raison évoquée lorsque l’AFC
a été appliquée à la sonate de Scarlatti (cf. figure 8.11). Cela permet aussi de remarquer que des8.3. Analyses inter-voix 123
vrais silences existent pour les trois violons, mais non pour le clavecin 3
. Cette opposition entre
les vrais silences et les autres notes met en évidence la structure de la partition de musique
par l’intermédiaire de la représentation des intervalles de temps (graphique en haut à droite).
En effet, les huit premiers intervalles de temps sont regroupés dans l’extrémité sud-ouest du
quadrant sud-ouest, correspondant au début du morceau de musique, lorsque seul le clavecin
joue. Ensuite, on observe un regroupement des intervalles de temps neuf à seize, soit la durée
pendant laquelle le violon I a rejoint le clavecin. Puis, durant les intervalles de temps dix-sept
à vingt-quatre, les violons I et II jouent avec le clavecin. Et finalement, le plus grand groupe au
nord est constitué de la majorité des intervalles de temps pendant lesquels tous les instruments
jouent. On constate aussi qu’il existe un autre groupe, contenant, par exemple, les intervalles
de temps 114 ou 119, et qui correspond à des moments durant lesquels des silences, qui durent
une croche, se produisent pour l’un des violons.
Les graphiques du bas de la figure 8.16, obtenus avec τ égal à une mesure, ont une interpré-
tation similaire. En effet, dans ce cas, le premier axe factoriel (graphique de gauche) oppose
les silences aux autres notes et on retrouve (graphique de droite) les deux premières mesures
dans cette zone, puis les mesures trois et quatre plus proche du centre, etc. Ces graphiques
comportant moins de points que les précédents (graphiques du haut de la figure 8.16), il est
aussi possible de mieux observer les mesures contenant des silences lorsque tous les instruments
jouent, comme par exemple, les mesures vingt-quatre ou vingt-cinq. La principale différence
entre les résultats obtenus avec τ égal à une noire ou égal à une mesure réside dans le fait que
les mêmes notes jouées par des instruments différents sont regroupées dans le premier cas et
non dans le second (graphiques de gauche).
0 10 20 30 40 50
-0.1 0.0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation croisée
δ(*
Ξ
α,*
Ξβ
)
Violons I et II
Violons I et III
Violons II et III
0 10 20 30 40 50
-0.10 -0.05 0.00 0.05 0.10 0.15 0.20
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation croisée
δ(*
Ξ
α,*
Ξβ
)
Violon I et Clavecin
Figure 8.17 – Indice d’autocorrélation croisée en fonction de la distance r variant entre 0 et n
pour le « Canon en ré majeur » de Pachelbel, avec τ égal à une mesure.
Sur le graphique de gauche de la figure 8.17, représentant l’indice d’autocorrélation entre les
trois violons avec τ égal à une mesure, on observe trois pics plus importants : le premier, entre
les violons I et II lorsque r = 2, le second entre les violons II et III aussi lorsque r = 2 et le
troisième entre les violons I et III lorsque r = 4 ; ce qui correspond bien aux décalages de deux
ou quatre mesures entre les départs de chaque violon.
Concernant l’autocorrélation croisée entre le violon I et le clavecin avec τ égal à une mesure,
on observe un comportement très similaire à celui de l’autocorrélation pour l’ensemble des instruments
avec la même durée τ (cf. figure 8.15), soit des valeurs positives lorsque r est paire et
3. Ainsi, pour calculer l’indice d’autocorrélation croisée entre le clavecin et un autre instrument, il faudra ajouter
le silence au premier avec de faibles valeurs, comme il est expliqué dans la section 8.3.1.124 8. ANALYSE DE DONNÉES MUSICALES
inversement. En fait, l’indice d’autocorrélation entre le clavecin et n’importe quel autre violon
suit toujours cette même alternance. Aussi, en prenant τ égal à une noire, l’autocorrélation croisée
entre l’un des violons et le clavecin est très similaire à l’indice d’autocorrélation obtenu avec
la même durée τ . Il semble donc que le clavecin comportant plus de notes influence totalement
l’indice d’autocorrélation croisée, à l’inverse de chacun des violons.
8.3.3 Un quatuor à cordes
Le second et dernier exemple étudié pour l’analyse inter-voix d’une partition est le 1er mouvement
« Allegro con brio » du « Quatuor à cordes No1 en fa majeur, Op. 18 No1 » de Beethoven,
avec un chiffrage 3/4 et 427 mesures, répétitions incluses.
-0.5 0.0 0.5 1.0 1.5
-0.5 0.0 0.5 1.0 1.5 2.0
Premier axe factoriel 5.93 %
Deuxième axe factoriel 4.89 %
V1_0
V1_1
V1_2
V1_3
V1_5V1_4
V1_6
V1_7
V1_8
V1_9
V1_10
V1_11
V1_z
V2_0
V2_1
V2_2
V2_3
V2_4
V2_5
V2_6
V2_7
V2_8
V2_9
V2_10
V2_11
V2_z
V3_0
V3_1
V3_2
V3_3
V3_4
V3_5
V3_6
V3_7
V3_8
V3_9
V3_10
V3_11 V3_z V4_0
V4_1
V4_2
V4_3
V4_4 V4_5
V4_6
V4_7
V4_8
V4_9
V4_10
V4_11
V4_z
τ = ♩
-0.5 0.0 0.5 1.0 1.5
-1
0 1 2
3
Premier axe factoriel 5.93 %
Deuxième axe factoriel 4.89 %
1
1281
τ = ♩
-0.5 0.0 0.5 1.0 1.5
-1
0 1 2
3
Premier axe factoriel 5.93 %
Deuxième axe factoriel 4.89 %
1
1281
116
181 195
748
854
925
947
1019
1030
1192
τ = ♩
-1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 1.5
-2.0 -1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
Premier axe factoriel 6.75 %
Deuxième axe factoriel 6.14 %
V1_0
V1_1
V1_2
V1_3
V1_4
V1_5
V1_6
V1_7
V1_8
V1_9
V1_10
V1_11
V1_z
V2_0
V2_1
V2_2
V2_3
V2_4
V2_5
V2_6
V2_7
V2_8
V2_9
V2_10
V2_11
V2_z
V3_0
V3_1
V3_2
V3_3
V3_4
V3_5
V3_6
V3_7
V3_8
V3_9
V3_10
V3_11
V3_z
V4_0
V4_1
V4_2
V4_3
V4_4
V4_5
V4_6
V4_7
V4_8
V4_9
V4_10
V4_11
V4_z
τ = mesure
-2 -1 0 1
-1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
Premier axe factoriel 6.75 %
Deuxième axe factoriel 6.14 %
τ = mesure
-2 -1 0 1
-1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0
Premier axe factoriel 6.75 %
Deuxième axe factoriel 6.14 %
1
427
58
269 256
321
331
390
τ = mesure
Figure 8.18 – ACM floue sur le 1er mouvement du « Quatuor à cordes No1 en fa majeur, Op. 18
No1 » de Beethoven, avec τ égal à une noire (haut) et à une mesure (bas). Gauche : coordonnées
factorielles des hauteurs de note, dont les noms sont précédés par V1 pour le violoncelle, V2
pour l’alto, V3 pour le violon II et V4 pour le violon I. Centre : coordonnées factorielles des
intervalles de temps reliées dans l’ordre chronologique. Droite : coordonnées factorielles des
intervalles de temps non reliées.
Les résultats obtenus avec l’ACM « floue » sont présentés dans la figure 8.18. Lorsque τ est égal
à une noire (graphiques du haut), le premier axe oppose, comme pour le Canon de Pachelbel,
les silences aux autres hauteurs de note. Ne s’agissant pas d’un canon, il semble difficile de
déterminer des zones pour les intervalles de temps du graphique du centre. Cependant, en
supprimant les lignes qui relient les intervalles de temps (graphique de droite), plusieurs zones
distinctes apparaissent. À l’extrême est se trouvent les intervalles de temps durant lesquels
aucun instrument ne joue et à l’extrême ouest, ceux durant lesquels tous les instruments jouent.
Concernant les résultats obtenus en posant que τ est égal à une mesure (graphiques du bas),
les vrais silences des quatre instruments à cordes sont regroupés dans le quadrant sud-est, mais
il est difficile de visualiser la structure du morceau de musique.
La figure 8.19 présente l’indice d’autocorrélation croisée entre les différentes paires d’instruments.
On remarque diverses oscillations pour toutes les courbes, difficiles à interpréter.
Cependant, on retrouve un pic plus important, pour plusieurs des courbes, lorsque r = 1148.3. Analyses inter-voix 125
0 100 200 300 400
0.00 0.05 0.10 0.15 0.20
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation croisée
δ(*
Ξ
α,*
Ξβ
)
Alto et Violoncelle
Violon I et Violon II
0 100 200 300 400
0.00 0.05 0.10 0.15 0.20
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation croisée
δ(*
Ξ
α,*
Ξβ
)
Alto et Violoncelle
Violon I et Violoncelle
0 100 200 300 400
0.00 0.05 0.10 0.15
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation croisée
δ(*
Ξ
α,*
Ξβ
)
Violon II et Alto
Violon I et Violoncelle
0 100 200 300 400
0.00 0.05 0.10 0.15
matrice d'échange périodique, r
indice d'autocorrélation croisée
δ(*
Ξ
α,*
Ξβ
)
Violon II et Violoncelle
Violon I et Alto
Figure 8.19 – Indice d’autocorrélation croisée en fonction de la distance r variant entre 0 et n
pour le 1er mouvement du « Quatuor à cordes No1 en fa majeur, Op. 18 No1 » de Beethoven,
avec τ égal à une mesure.
mesures, correspondant à la répétition de la première partie de la partition de musique. Deux
autres pics (r = 8 et r = 53 mesures) apparaissent pour l’autocorrélation croisée entre le violon
II et l’alto, probablement dus à des passages joués une première fois par l’un des instruments et
repris par l’autre, ou simplement des hauteurs de notes similaires ; le recours à l’interprétation
d’un expert serait ici nécessaire.
Aussi, lorsque r = 0, il n’existe pas de décalage entre les deux voix α et β, et l’indice
d’autocorrélation croisée δ( Ξ∗ α, Ξ
∗ β
)
(r=0) s’interprète alors comme une mesure de similarité
entre ces deux voix. Sur la figure 8.19, on constate que certaines paires de voix sont plus
similaires que d’autres.
La dissimilarité entre les deux voix s’obtient comme Dαβ = 1 − δ( Ξ∗ α, Ξ
∗ β
)
(r=0) qui se
trouve être une dissimilarité euclidienne carrée. Ainsi, il est possible d’utiliser la classification
ascendante hiérarchique, avec le critère de Ward, pour classifier les différents instruments (cf.
section 2.1.1). Le résultat obtenu, avec la fonction « hclust » de R, est présenté dans la figure 8.20.
Il en ressort que l’alto et le violoncelle, d’une part, et que le violon I et le violon II, d’autre
part, partagent plus de similarités mélodiques que les autres paires d’instruments.126 8. ANALYSE DE DONNÉES MUSICALES Violoncelle AltoViolon II Violon I
0.76 0.80 0.84 0.88
Cluster Dendrogram
hclust (*, "ward")
dist_hclust
Hauteur
Figure 8.20 – Classification ascendante hiérarchique des quatre voix du 1er mouvement du
« Quatuor à cordes No1 en fa majeur, Op. 18 No1 » de Beethoven selon δ( Ξ∗ α, Ξ
∗ β
)
(r=0), avec
τ égal à une mesure.
8.4 Analyses inter-partitions
Dans cette dernière section, on cherche à déterminer les similarités qui existent entre les
partitions de musique, de manière à pouvoir les classer selon leur compositeur. Pour ce faire, un
échantillon de vingt partitions de musique est constitué (section 8.4.1), puis, en se basant sur
une mesure de similarité, une classification ascendante hiérarchique de ces morceaux de musique
est effectuée (section 8.4.2).
8.4.1 Données
Le jeu de données comprend 20 morceaux de musique écrits par 4 compositeurs, à savoir :
— cinq sonates de Domenico Scarlatti (1685 - 1757) ayant toutes un chiffrage 2/2, soit :
— la « Sonate en do majeur, Allegro, L. 1 (K. 514) »,
— la « Sonate en mi bémol majeur, Allegro, L. 16 (K. 306) »,
— la « Sonate en sol mineur, Allegro, L. 336 (K. 93) »,
— la « Sonate en la majeur, Allegrissimo, L. 345 (K. 113) », et
— la « Sonate en si mineur, Allegro, L. 346 (K. 408) » ;
— le premier mouvement de cinq sonates pour piano de Wolfgang Amadeus Mozart (1756 -
1791), soit :
— la « Sonate pour piano N˚1 en do majeur, K1 279 / K6 189d, 1. Allegro »,
— la « Sonate pour piano N˚2 en fa majeur, K1 280 / K6 189e, 1. Allegro assai »,
— la « Sonate pour piano N˚3 en si bémol majeur, K1 281 / K6 189f, 1. Allegro »,
— la « Sonate pour piano N˚4 en mi bémol majeur, K1 282 / K6 189g, 1. Adagio », et
— la « Sonate pour piano N˚5 en sol majeur, K1 283 / K6 189h, 1. Allegro » ;
— le premier mouvement de cinq sonates pour piano de Ludwig van Beethoven (1770 - 1827),
soit :
— la « Sonate pour piano N˚1 en fa mineur, Op. 2, N˚1, 1. Allegro »,
— la « Sonate pour piano N˚2 en la majeur, Op. 2, N˚2, 1. Allegro vivace »,
— la « Sonate pour piano N˚3 en do majeur, Op. 2, N˚3, 1. Allegro con brio »,
— la « Sonate pour piano N˚4 en mi bémol majeur, Op. 7, 1. Allegro molto con brio », et
— la « Sonate pour piano N˚5 en do mineur, Op. 10, N˚1, 1. Allegro molto e con brio » ;
et
— cinq mazurkas de Frédéric François Chopin (1810 - 1849), soit :
— la « Mazurka en fa dièse mineur, Op. 6, N˚1 »,
— la « Mazurka en si bémol majeur, Op. 7, N˚1 »,
— la « Mazurka en si bémol majeur, Op. 17, N˚1 »,8.4. Analyses inter-partitions 127
— la « Mazurka en sol mineur, Op. 24, N˚1 »,
— la « Mazurka en do mineur, Op. 30, N˚1 ».
8.4.2 Traitement et résultat
Pour mesurer la similarité de la configuration (configuration similarity) entre deux partitions
a et b, on utilise une version duale pondérée du coefficient RV proposé par Robert et Escoufier
(1976), à savoir :
CSab =
Tr(Kˇ aKˇ b
)
q
Tr((Kˇ a)
2)Tr((Kˇ b)
2)
où Kˇ a
(respectivement Kˇ b
) sont les produits scalaires pondérés entre les hauteurs de notes de la
partition de musique a (resp. b), identiques à ceux calculés dans la section 8.2.1 par (1.24). Cela
implique que les deux partitions possèdent les mêmes hauteurs de note. Cependant, si une note
est présente dans une des partitions de musique et non dans l’autre, les composantes Kˇ a
(ou
Kˇ b
) sont nulles par définition. Ainsi, des composantes nulles ont simplement été ajoutées dans
les matrices le cas échéant. De plus, pour rendre les partitions comparables, elles ont toutes été
transposées en do.
Ensuite, on définit la dissimilarité entre deux partitions comme Dab = 1 − CSab. Cette dissimilarité,
tout comme la dissimilarité entre deux voix Dαβ, peut s’interpréter comme une géné-
ralisation de la distance du cosinus (voir par exemple Weihs, Ligges, Mörchen et Müllensiefen,
2007) et se trouve être une dissimilarité euclidienne carrée. Ainsi, les méthodes de classification
usuelles (cf. chapitre 2) peuvent être utilisées sur les dissimilarités Dab, et on utilise, à nouveau,
la classification ascendante hiérarchique avec le critère de Ward, par l’intermédiaire de la
fonction « hclust ».
50
100
150
50
100
0.2
0.4
0.6
0.8
Mazurka 6: τ [noire]
Mazurka 24: τ [noire]
1 −
C
S
2
4
6
8
10
12
14
2
4
6
8
10
12
0.0
0.1
0.2
0.3
0.4
0.5
0.6
Mazurka 6: τ
Mazurka 24:
[noire]
τ [noire]
1 −
C
S
Figure 8.21 – Dissimilarité entre la « Mazurka en fa dièse mineur, Op. 6, N˚1 » et la « Mazurka
en sol mineur, Op. 24, N˚1 » de Chopin en fonction de τ .
Avant de procéder à une classification, il faut noter qu’étant donné que Kˇ a
et Kˇ b dépendent
de la durée τ , il en sera de même pour la dissimilarité Dab. On observe, sur les deux exemples
présentés dans les figures 8.21 et 8.22, que la dissimilarité entre les deux partitions Dab augmente
de façon irrégulière lorsque la durée τ augmente 4
.
4. Il faut noter que pour créer ces figures, comme déjà mentionné dans la section 8.1.2, les éventuelles anacrouses
ont été supprimées pour pouvoir agréger les intervalles de temps de manière complètement automatique.128 8. ANALYSE DE DONNÉES MUSICALES
50
100
150
100
200
300
400
0.2
0.4
0.6
0.8
Chopin, Mazurka 6: τ [noire]
Mozart, Sonate 2: τ [noire]
1 −
C
S
2
4
6
8
10
12
14
2
4
6
8
10
12
0.0
0.1
0.2
0.3
0.4
0.5
0.6
Chopin, Mazurka 6: τ [noire]
Mozart, Sonate 2: τ [noire]
1 −
C
S
Figure 8.22 – Dissimilarité entre la « Mazurka en fa dièse mineur, Op. 6, N˚1 » de Chopin et
le 1er mouvement de la « Sonate pour piano N˚2 en fa majeur, K1 280 / K6 189e » de Mozart
en fonction de τ . Beethoven:sonata04-1 Beethoven:sonata02-1 Beethoven:sonata03-1 Beethoven:sonata01-1 Beethoven:sonata05-1
Mozart:sonata02-1
Mozart:sonata03-1
Mozart:sonata01-1
Mozart:sonata05-1
Scarlatti:L001K514
Chopin:mazurka17-1
Mozart:sonata04-1
Chopin:mazurka07-1
Chopin:mazurka30-1
Chopin:mazurka06-1
Chopin:mazurka24-1
Scarlatti:L016K306
Scarlatti:L336K093
Scarlatti:L345K113
Scarlatti:L346K408
0.0 0.2 0.4 0.6
Cluster Dendrogram
hclust (*, "ward")
dist_hclust
Hauteur
Figure 8.23 – Classification ascendante hiérarchique des 20 partitions de musique avec le critère
d’agrégation de Ward.
Ainsi, afin d’avoir une unité de durée commune à toutes les partitions de musique lors du
calcul des distances Dab, on pose τ égal à une mesure. Le résultat obtenu est présenté dans la
figure 8.23. Bien que le jeu de données soit restreint, ce premier résultat est encourageant, car
les morceaux de musique sont bien regroupés selon leur compositeur, en particulier en ce qui
concerne les partitions de Beethoven.8.5. Discussion 129
8.5 Discussion
Pour commencer, il faut se rappeler que seul l’aspect catégoriel des notes a été exploité, et
non les valeurs numériques des hauteurs. Ainsi, une transposition de l’ensemble de la partition
ne changerait pas les résultats et il en serait de même si deux hauteurs de notes étaient systé-
matiquement échangées. À l’inverse, un partie répétée mais transposée aura une représentation
différente de l’originale. En d’autres termes, la représentation choisie implique que, à l’intérieur
d’un intervalle de temps donné t, les notes forment « un sac de notes ». Néanmoins, l’ordre
temporel des notes est pris en compte lorsqu’elles n’apparaissent pas durant le même intervalle
de temps.
Concernant les analyses pratiquées sur les partitions complètes (section 8.2), l’AFC et l’autocorrélation
ont été utilisées, et ces deux méthodes ont permis de visualiser certains aspects
de la structure des partitions. En particulier, l’AFC a mis en évidence la structure du morceau
lorsqu’une valeur adéquate de τ était utilisée et que la partition contenait des motifs récurrents.
Les résultats sont plus difficiles à interpréter lorsqu’un motif est transposé ou lorsqu’un
vrai silence apparaît, car comme on l’a vu (figure 8.11), dans ce second cas, le premier facteur
n’exprime que l’opposition entre le silence et le son. Concernant l’indice d’autocorrélation, il
permet principalement de détecter les répétitions, qu’elles soient exactes ou approximatives,
mais à la condition qu’elles ne soient pas transposées. De plus, il est souvent un bon indicateur
des valeurs de τ pouvant donner lieu à des AFC intéressantes.
Au sujet des analyses inter-voix des partitions (section 8.3), l’ACM floue, tout comme l’AFC
dans le cas des partitions de musique complètes, a permis de visualiser des éléments structurels
des partitions, de manière plus ou moins évidente selon le choix de la valeur de τ . Quant à l’indice
d’autocorrélation croisée, il a permis de comparer les différentes voix d’une même partition en
mesurant leur similarité selon une distance r. Il est particulièrement adapté pour révéler les
passages similaires, mais dans deux voix distinctes. Cet indice pourrait aussi être utilisé pour
comparer deux variantes d’un même morceau de musique. Par exemple, Ellis et Poliner (2007)
utilisent l’auto-corrélation croisée pour comparer des variantes d’un même morceau dans des
fichiers audio. Finalement, l’analyse inter-partitions (section 8.4) a montré des premiers résultats
encourageants.
En conclusion, la représentation de la musique polyphonique en tables de contingence a permis
de visualiser certaines structures inhérentes des partitions, ainsi que d’obtenir une classification
non supervisée avec de bons résultats. Évidemment, de nombreuses pistes restent encore à
explorer.
En premier lieu, seul un petit nombre de partitions a été étudié dans l’ensemble de ce chapitre
et il serait assurément intéressant d’en analyser un plus grand nombre, afin de déterminer si
certains résultats sont systématiques. En particulier, il faudrait découvrir s’il est possible de
déterminer la valeur de τ idéale pour les analyses factorielles, et selon quel critère.
Concernant les différents choix opérés lors de la représentation des partitions, d’autres possibilités
pourraient être envisagées. Par exemple, les parties répétées et explicitement indiquées
comme telles sur la partition pourraient être omises (étape facile à réaliser à partir du format
Humdrum). Ainsi, ces parties répétées ne seraient plus détectées, ce qui permettrait peut-être
de voir émerger d’autres structures. Aussi, les anacrouses pourraient être retirées, ce qui permettrait
d’automatiser davantage la procédure pour la suite des opérations.
Pour terminer, concernant la classification des partitions de musique selon les compositeurs,
une prochaine étape pourrait consister à augmenter le jeu de données, puis à utiliser des mé-
thodes de classification supervisée, telles que l’analyse discriminante (cf. section 2.2.1).Conclusion et discussion
Comme il a été expliqué dans l’introduction, la première visée de ce travail était de pratiquer
une analyse exploratoire de données textuelles et musicales au moyen d’un formalisme et de
méthodes bien contrôlés et compatibles avec des unités de poids possiblement non-uniformes.
En particulier, le formalisme s’appuyait sur trois concepts fondamentaux : (i) une table de
contingence, (ii) une matrice de dissimilarités euclidiennes carrées et (iii) une matrice d’échange.
Grâce à ce formalisme, plusieurs méthodes ont pu être exprimées, à savoir : l’AFC, basée sur
(i) ou sur (ii), à condition que ces dernières soient produites sur (i) ; la classification supervisée
ou non, parfois combinée aux transformations de Schoenberg, de nouveau basée sur (ii) ; et les
indices d’autocorrélation et d’autocorrélation croisée, basés sur (ii) et (iii). Les dissimilarités
euclidiennes carrées sont donc au cœur de ces méthodes.
Ainsi la première question qu’on est en droit de se poser est « Quelles structures ont pu
être découvertes sur les données textuelles et musicales choisies par l’intermédiaire de ces mé-
thodes ? », ainsi que « Quelles conclusions peut-on en retirer le cas échéant ? ». Comme déjà
mentionné, on ne se positionne pas ici comme spécialiste de l’un ou l’autre des domaines spéci-
fiques aux données traitées, mais comme un observateur, ou même un explorateur, espérant que
l’une de ses découvertes puisse être utile et offrir un nouveau point de vue à des spécialistes.
Concernant la classification automatique de propositions énoncées en types de discours (chapitre
4), plusieurs conclusions émergent. En premier lieu, il faut se demander si le choix de
ne représenter les propositions énoncées que par les uni-, bi- et trigrammes de CMS qu’elles
contiennent constituait une bonne approche 1
. En d’autres termes, est-ce que le choix d’utiliser
des représentations si simples était suffisant pour un problème si complexe ? La littérature relative
à ce type de problèmes ne semblait pas aller à l’encontre de ce choix. Ensuite, une première
analyse inférentielle (test du khi2) et descriptive (quotient d’indépendance) sur les liens existant
entre les CMS et les types de discours, basés sur l’annotation des propositions énoncées par un
expert humain, a confirmé ce choix. De plus, les visualisations obtenues par l’AFC semblaient
encourageantes, bien que parfois atténuées par la validation par bootstrap.
Les résultats de la classification non supervisée pour chacun des quatre contes de Maupassant,
par l’intermédiaire de la méthode K-means, combinée à la transformation de puissance de
Schoenberg, ainsi que par l’algorithme K-means flou, n’ont finalement pas été aussi concluants
que l’on aurait pu l’espérer. Pour commencer, comme il avait déjà été remarqué lors de l’analyse
descriptive et de l’AFC, des tendances différentes sont obtenues pour les quatre contes. Qui plus
est, les deux indices d’accord entre partitions utilisés ont des comportements très différents et
il était donc difficile de parvenir à une conclusion générale pour un texte donné. Néanmoins,
1. On ne reviendra pas ici sur la capacité de TreeTagger à associer correctement, ou non, les CMS à chaque mot
(voir par exemple Dejean, Fortun, Massot, Pottier, Poulard et Vernier, 2010, pour le français).
131132 CONCLUSION ET DISCUSSION
sans pouvoir en élucider vraiment la raison, il est clair que cette représentation des textes par
les CMS a été plus performante pour retrouver les types de discours du conte « Le Voleur »
que pour les autres textes. Aussi, au regard des résultats obtenus avec la méthode K-means
flou avec laquelle on a fait varier le nombre de groupes construit par l’algorithme, il semble que
parfois la génération de plus de six groupes permette un meilleur accord avec les six types de
discours annotés. Sans pouvoir l’assurer, faute d’analyses à cet effet, on peut imaginer qu’un
autre niveau de structure entre en jeu, peut-être en lien avec la structure hiérarchique des types
de discours.
On pourrait aussi se demander s’il n’aurait pas été plus pertinent de faire usage de classification
supervisée, sortant ainsi du cadre strict de l’analyse exploratoire. Cependant, étant
donné qu’une classification supervisée nécessite un ensemble d’apprentissage, le nombre de propositions
de certains types de discours semblait trop faible lorsque l’on considère chaque texte
séparément. Une alternative pourrait consister à modifier la méthodologie de ce chapitre et
concaténer les quatre textes. Finalement, comme on aurait peut-être pu s’y attendre, n’utiliser
que les CMS fut un choix un peu trop drastique au vu de la complexité de la tâche à effectuer.
Comme il est vrai pour chacune des applications, le sujet reste ouvert et les pistes, nombreuses.
Dans le chapitre 5 qui traitait de la classification supervisée multi-étiquette des tours de
parole des pages de discussion de Simple English Wikipedia en actes de dialogue, la démarche
était clairement différente s’agissant d’un problème supervisé. À nouveau, la représentation des
données se voulait simple, intelligible et uniquement axée sur des caractéristiques linguistiques.
Pour rappel, les tours de parole étaient représentés par trois caractéristiques considérées séparé-
ment : les lemmes, les CMS et le sens des verbes selon WordNet. Ces trois caractéristiques, qui
semblaient en accord avec la littérature, ont été sélectionnées pour diverses raisons. Concernant
les lemmes, ils ont été pris en compte car il s’agit d’une unité souvent considérée dans ce type
d’approches, simple et généralement efficace. Quant aux CMS, elles ont été utilisées au vu des
liens qui avaient été déterminés entre ces dernières et les types de discours dans le chapitre
précédent. En effet, bien qu’un acte de dialogue ne soit pas un type de discours, il nous semblait,
en tant que néophyte dans ces domaines, que ces deux concepts devaient avoir des points
communs, choix qui s’avéra judicieux au vu des résultats obtenus. Finalement, l’idée d’utiliser
les hyperonymes les plus généraux naquit après avoir travaillé sur les dissimilarités sémantiques
présentées dans le chapitre 6. Il nous semblait en effet que certains verbes devaient souvent se
retrouver dans certains actes de dialogue et qu’il faudrait donc considérer des classes de verbes.
Ainsi, plutôt que de constituer manuellement des classes de verbes comme il avait déjà été
fait dans la littérature, on a décidé de les constituer automatiquement par l’intermédiaire de
WordNet 2
.
Concernant la méthode de classification multi-étiquette, il fallait commencer par décider si
les données devaient être transformées pour aboutir à une série de classifications binaires pour
chaque étiquette ; ou si au contraire il fallait opter pour une transformation de l’algorithme permettant
de traiter en une fois toutes les étiquettes pour chaque individu. Ainsi, une première
analyse consista à déterminer l’existence, ou non, de liens entre les étiquettes. Ces liens étant
faibles, le choix s’est porté sur la série de classifications binaires. Elle a été effectuée grâce à l’analyse
discriminante, encore une fois combinée à la transformation de puissance de Schoenberg.
Plusieurs conclusions émergent. En premier lieu, le critère du plus proche centroïde est souvent
plus efficace que le critère des plus proches voisins sur ces données. Deuxièmement, la transformation
de puissance améliore les résultats obtenus avec la classification selon la F-mesure.
Troisièmement, le meilleur résultat sur l’ensemble des étiquettes est obtenu en utilisant les CMS
comme caractéristiques. Finalement, bien que les CMS permettent une meilleure classification
de l’ensemble des étiquettes, certaines étiquettes sont mieux discriminées par une des deux
autres caractéristiques. Au final, il nous semble que l’intérêt de chacune des caractéristiques
2. Comme pour TreeTagger, on ne s’étendra pas ici sur les limitations de WordNet et sur le fait de sélectionner
systématiquement le premier sens des mots rencontrés (voir par exemple Hawker et Honnibal, 2006).CONCLUSION ET DISCUSSION 133
linguistiques a été mis en évidence.
Le chapitre 6 concernait la dernière application sur des textes, à savoir l’autocorrélation
textuelle. Dans ce chapitre, on s’est intéressé à différentes caractéristiques concernant les mots
d’un texte, pensé comme une séquence d’unités ordonnées. Pour rappel, les textes ont été choisis
pour des raisons techniques, l’accent étant davantage mis sur les propriétés génériques que
spécifiques à un texte. Pour commencer, l’indice d’autocorrélation a été mesuré en considérant
la longueur des mots, avec des voisinages définis par les trois matrices d’échange présentées
dans le chapitre 3, en fonction de r (itérations, distance ou largeur). Comme on l’espérait pour
le français, l’indice a correctement détecté une alternance entre des mots courts et des mots
longs, correspondant certainement aux mots outils et aux mots pleins lorsque l’on considère un
voisinage restreint.
Ensuite, l’apparition, ou non, de quatre parties du discours a été analysée avec la matrice
d’échange à fenêtres mobiles. Concernant les noms, on a observé qu’ils sont rarement suivis
(ou précédés) par un autre nom, ce qui est cohérent avec l’utilisation du français. Inversement,
les verbes sont souvent suivis par d’autres verbes, ce que l’on a attribué à l’emploi de temps
composés. Concernant les adjectifs et les adverbes, l’indice d’autocorrélation n’était jamais
significatif, et seule une tendance à ne pas avoir deux adjectifs (respectivement deux adverbes)
qui se suivent, mais à avoir deux adjectifs (respectivement deux adverbes) séparés par une autre
CMS, a été observée.
Pour terminer, des dissimilarités sémantiques, basées sur WordNet, ont été étudiées avec la
matrice d’échange à fenêtres mobiles sur deux textes différents, pour deux parties du discours :
les noms et les verbes. Bien qu’en général le choix des textes ait été arbitraire, ici le second
texte a été sélectionné avec l’espoir qu’une nouvelle contienne un matériel plus intéressant
et hétérogène du point de vue sémantique. En premier lieu, l’indice d’autocorrélation a été
mesuré pour chacun des textes et pour chacune des parties du discours, sur la matrice des
dissimilarités sémantiques. Dans les deux textes et pour les deux parties du discours, il n’était
jamais significatif et se comportait de façon assez régulière en fonction de la taille du voisinage
envisagé. On remarque cependant que pour la nouvelle, il est clairement positif et ce pour une
grande gamme de voisinages. On peut donc supposer l’existence d’un champ lexical cohérent
dans un proche voisinage. Après avoir représenté graphiquement ces dissimilarités au moyen du
Multidimensional Scaling (MDS), l’autocorrélation a été mesurée sur les deux premiers facteurs
extraits de ce MDS. Finalement, l’interprétation des résultats obtenus pour les deux textes était
différente, car les structures produites par le MDS étaient différentes. Premièrement, alors que
l’indice d’autoccorélation n’était jamais significatif pour le premier texte, il l’était pour le second
texte plus littéraire lorsque le premier facteur était considéré. En particulier, on a constaté que
de longs segments de textes contenaient des noms appartenant au même concept parmi les deux
concepts observés. Concernant les verbes, on a pu constater la coprésence des verbes d’action,
plus nombreux que les verbes d’état.
En résumé, même en se limitant à quelques applications, on peut déjà observer les possibilités
de cet indice dans une analyse exploratoire de textes. En plus des autres applications qui sont
présentées dans les articles cités dans ce chapitre, il en existe de nombreuses autres.
Comme dernière application, le chapitre 8 s’intéressait à l’analyse purement exploratoire de
partitions musicales. Dans une première partie, les partitions, représentées à l’aide de tables
de contingence selon différentes durées d’intervalles de temps, ont été analysées dans leur ensemble.
Pour ce faire, l’AFC et l’indice d’autocorrélation ont été utilisés. Notre espoir était
ici, d’une part, de pouvoir visualiser la structure d’une partition avec l’AFC et de percevoir
des groupements de notes selon les accords ; et d’autre part, de détecter des motifs avec l’indice
d’autocorrélation. L’analyse a d’abord été effectuée sur une partition monophonique, ce qui nous
a permis de mieux appréhender le genre de résultats que l’on était en droit d’attendre avec ces
analyses. Il a rapidement semblé évident que certaines structures pouvaient être visualisées par
l’AFC et mises en évidence par l’indice d’autocorrélation, mais qu’il serait difficile de détecter134 CONCLUSION ET DISCUSSION
des accords. L’analyse effectuée ensuite sur des partitions polyphoniques a confirmé qu’il était
possible de visualiser des structures présentes dans une partition, à condition de sélectionner
la « bonne » durée d’intervalles de temps. En revanche, l’indice d’autocorrélation a repéré les
structures partiellement répétées, à condition qu’il n’y ait pas de modulation, donc de transposition
à l’intérieur d’une partition. Finalement, on comprend qu’il est plus simple de synthétiser
l’information de morceaux de musique contenant des formes de répétition et qui correspondent
probablement à ceux que l’on retient facilement.
L’analyse s’est ensuite portée sur les différentes voix que comprend une partition. Dans ce
second cas, il n’y avait pas d’attentes particulières, l’idée étant plutôt d’étendre les analyses
effectuées dans la première partie de ce chapitre. Ainsi, une variante flou de l’analyse multiple
des correspondances, ainsi qu’un indice d’autocorrélation croisée, ont été utilisés. À nouveau,
il a été possible de visualiser certaines structures présentes dans une partition au moyen de
l’analyse factorielle et de repérer des répétitions (partielles ou complètes), cette fois entre les
différentes voix, grâce à l’indice d’autocorrélation croisée. Malgré ces résultats intéressants, on
est derechef confronté au problème de la détermination de la « bonne » durée d’intervalles de
temps, question qu’il reste à élucider.
Finalement, au vu des caractérisations particulières obtenues pour chaque partition dans la
première partie de l’analyse grâce à la représentation choisie, il semblait cohérent de comparer les
représentations de chacune des partitions pour examiner si des similitudes se dégageaient entre
certaines d’entre elles. Pour cela, une adaptation du coefficient RV permettant de mesurer la
similarité entre deux tables de contingence a été proposée. Après avoir transformé les similarités
entre 20 partitions en dissimilarités, une classification ascendante hiérarchique a permis de
constater qu’en général, les partitions d’un même compositeur étaient regroupées.
S’agissant d’une thèse, la recherche ne s’achève pas avec cette conclusion : plusieurs questions
restent ouvertes et un grand nombre de pistes concernant les suites possibles de ce travail
peuvent être explorées. Ainsi, la deuxième question sera : « Quelles pistes de recherche semblent
les plus pertinentes pour continuer cette recherche ? »
Pour reprendre la structure de la thèse, on se penchera d’abord sur les nouvelles possibilités à
envisager concernant les méthodes. La méthode de visualisation (AFC), ainsi que les méthodes
classiques de classification, supervisée ou non, ont été choisies pour leur compatibilité avec des
dissimilarités euclidiennes carrées. Ainsi, il a été possible de les utiliser avec des transformations
de Schoenberg. Dans cette thèse, seule la transformation de puissance a été envisagée. Bien
qu’elle permette des améliorations dans certaines des applications de classification proposées, il
serait sans nul doute judicieux d’en expérimenter d’autres, telles que, pour n’en citer qu’une, la
transformation gaussienne :
ϕ(D) = 1 − exp(−qD) où q ≥ 0
Aussi, comme il a été fait avec la classification non supervisée par l’algorithme K-means, et celle
supervisée, avec l’analyse discriminante, il serait possible de combiner facilement les transformations
de Schoenberg avec la méthode K-means flou. De plus, il serait également imaginable
de visualiser des dissimilarités du khi2 alliées aux transformations de Schoenberg par le MDS.
Finalement, une piste certainement pertinente serait, comme il a déjà été proposé dans la
discussion du chapitre 5 pour un cas restreint (5.1), de combiner différentes matrices de dissimilarités
euclidiennes carrées (correspondant à différentes caractéristiques mesurées sur des
données, éventuellement associées à des transformations de Schoenberg), avec des poids nonnégatifs
β et normalisés, ce qui permettrait d’obtenir une matrice de dissimilarités euclidiennes
carrées globale :
Dtot = β1D1 + β2D2 + . . . + βpDp où βk ≥ 0 et β1 + β2 + . . . + βp = 1CONCLUSION ET DISCUSSION 135
Cette nouvelle matrice pourrait alors être utilisée de manière analogue aux autres matrices de
dissimilarités avec les différentes méthodes proposées dans cette thèse. À l’extrême, il serait
toujours possible de l’associer à de nouvelles transformations de Schoenberg.
Pour revenir sur le choix des dissimilarités, seules les dissimilarités du khi2, ou les dissimilarités
euclidiennes carrées en général ont été utilisées, car ces dernières possédaient la forme
adéquate pour l’ensemble des méthodes expérimentées dans cette thèse. Cela étant, d’autres
distances auraient pu être utilisées pour faire de la classification. En particulier, il serait intéressant
de considérer des dissimilarités adaptées, pour autant qu’elles existent, aux matrices
creuses rencontrées dans certaines de nos applications, en particulier lors de la classification non
supervisée des types de discours.
À propos de la classification non supervisée : seule une partie des possibilités de la méthode
K-means flou a été exploitée dans ce travail. Il serait possible, en particulier, d’y implémenter
le principe du recuit-simulé. En bref, ce dernier consiste à démarrer l’itération de l’algorithme,
comme dans la version proposée ici, à partir d’une température élevée, puis, à abaisser lentement
la température à chaque itération, i.e. suffisamment lentement pour que la convergence soit
assurée à chaque étape. L’algorithme convergera alors vers une solution dure, dont on peut
espérer que la variance intra-groupe résultante sera plus faible que celle résultante de la méthode
K-means dur. Les itérations initiales à température élevée visent, en effet, à permettre au
système d’explorer plus efficacement l’ensemble des partitions floues possibles et d’éviter ainsi
d’être emprisonné dans une configuration locale dont la variance intra-groupe serait trop élevée
(voir par exemple Rose et al., 1990).
Au sujet des applications, divers axes de recherche qui nous semblent prometteurs pourraient
encore être exploités. Ils seront simplement résumés ici et en partie étendus, car ils ont déjà été
largement exposés dans la dernière section de chaque chapitre concernant les applications.
Concernant le chapitre 4, la question de la structure hiérarchique des types de discours a
simplement été éludée, bien qu’elle puisse, à première vue, déboucher sur différentes nouvelles
pistes d’étude. Par exemple, on pourrait analyser si certains types de discours tendent à être
systématiquement inclus dans d’autres. On le sait déjà pour le type injonctif qui est systématiquement
inclus dans le type dialogal dans les textes traités ici, mais il existe peut-être d’autres
inclusions significatives. Aussi, il semblerait que certains passages aient un type de discours
dominant. Il serait alors utile qu’un expert humain indique ces dominances dans la hiérarchie,
ce qui permettrait de travailler sur des segments plus longs et donc susceptibles de contenir
plus d’information à classer. Finalement, il serait certainement précieux de pouvoir disposer
d’un plus grand nombre de textes annotés.
Dans le chapitre 4, tout comme dans le chapitre 5, il pourrait aussi être intéressant de se
pencher sur une vision plus « ingénieure » du problème, c’est-à-dire clairement axée sur la
performance, en contraste avec le propos principal de la thèse, axé sur l’analyse exploratoire
des données. Il faudrait alors combiner un grand nombre de caractéristiques, y appliquer une
sélection de ces caractéristiques, puis combiner différentes méthodes. De plus, il faudrait disposer
de données plus étendues : la prise en compte d’un grand nombre de caractéristiques sur des
jeux de données relativement réduits étant particulièrement susceptible de produire des règles
surparamétrées.
Spécifiquement, au sujet du chapitre 5, il a été mis en évidence que certaines des caractéristiques
linguistiques utilisées étaient plus efficaces pour discriminer certains actes de dialogue et
que les transformations de Schoenberg s’avéraient utiles. En plus de combiner ces caractéristiques
et ces transformations comme proposé dans le chapitre ou ci-dessus, on pourrait étudier
l’intérêt des différentes caractéristiques pour chaque acte de dialogue. En d’autres termes, il faudrait
analyser le rapport entre ces actes et ces caractéristiques. Aussi, comme déjà mentionné
dans le chapitre, il pourrait s’avérer intéressant d’utiliser un algorithme qui permette d’attribuer
directement toutes les étiquettes à un tour de parole donné, plutôt que de procéder à une série
de classifications binaires pour chaque étiquette, malgré la faiblesse des liens statistiques entre136 CONCLUSION ET DISCUSSION
les différentes étiquettes.
Concernant le chapitre 6, on ne reviendra pas sur l’étendue des applications qui pourraient
être effectuée avec cet indice sur des textes, telles que la navigation hypertextuelle. Bien qu’il
ne s’agisse pas d’un point strictement central dans ce chapitre, on peut se rappeler que les dissimilarités
sémantiques ont pu être représentées grâce à un MDS sur des dissimilarités adéquates,
permettant l’émergence de différents groupes de mots. Bien que ces derniers étaient concentrés,
effectuer une validation expérimentale de ces groupes par le bootstrap aurait pu certifier
la présence desdits groupes. Aussi, ces dissimilarités sémantiques nous semblent particulièrement
fascinantes et il serait assurément profitable de les utiliser sur d’autres textes sur lesquels
les analyses proposées dans ce chapitre pourraient être effectuées. Un autre axe de recherche
pourrait se concentrer sur la définition de nouvelles matrices d’échange, alternatives aux trois
familles proposées dans cette thèse, et susceptibles de modéliser différents modes de lecture.
Finalement, le chapitre 8 reposait sur une représentation originale de la musique, exploitée
en partie seulement. Pour rappel, il resterait encore à définir systématiquement la durée de
l’intervalle de temps qui serait la mieux à même de faire émerger des structures intéressantes. Il
faudrait aussi étudier dans quelle mesure le problème des passages répétés transposés pourrait
être contourné. Effectuer les mêmes analyses que celles présentées dans cette thèse, mais sur
un plus grand nombre de partitions, semble une voie toute tracée pour favoriser l’apparition
de régularités robustes et de classifications susceptibles d’être interprétées de façon plus stable.
Dans le même esprit, il serait également possible d’appliquer le bootstrap pour vérifier la significativité
des représentations obtenues à l’aide de l’AFC et de l’analyse des correspondances
multiples, comme il a été fait dans le chapitre 4 pour les données textuelles.
En guise de conclusion ouverte à ce travail, on peut proposer quelques perspectives supplé-
mentaires, dont certaines se situent au-delà des théories ou des données considérées dans cette
thèse.
La musique et le texte ont clairement été étudiés séparément dans cette thèse, se voyant même
dédier deux parties différentes. Cependant, on aurait pu, par exemple, envisager le texte comme
une séquence d’unités ordonnées, tel qu’il l’a été fait pour la musique. On pourrait typiquement
s’intéresser à la suite des propositions de l’un des textes étudiés au chapitre 4 et, grâce à la
table de contingence propositions – CMS à disposition, on pourrait bien évidemment utiliser
l’indice d’autocorrélation pour étudier la similarité entre ces propositions (des applications de
ce type ont été produites dans les articles cités dans le chapitre 6). Cependant, il serait aussi
envisageable de représenter graphiquement ces propositions reliées selon le déroulement du texte
avec l’AFC, comme il a été fait pour la musique. On pourrait aussi imaginer de comparer des
textes représentés ainsi en mesurant la similarité des configurations avec la version pondérée du
coefficient RV utilisé pour la musique, à condition que les textes comportent le même nombre
de positions, ce qui est typiquement le cas de corpus parallèles.
Aussi, un indice d’autocorrélation croisée a été proposé et appliqué uniquement à la musique.
En particulier, il a servi à mesurer les similarités entre les différentes voix d’une même
partition. Dans ce contexte particulier, toutes les conditions d’utilisation de l’indice étaient à
peu près remplies, à savoir : le même nombre de positions (les intervalles de temps), le même
nombre de caractéristiques (les hauteurs de notes) et les mêmes poids en ligne (poids uniformes).
Cependant, on imagine l’intérêt que pourrait avoir cet indice pour les textes. Il serait
par exemple possible, selon certaines caractéristiques qu’il reste à préciser, de comparer un texte
et sa traduction dans une autre langue ou deux versions d’un même texte. Il faudrait alors soit
étudier s’il est possible de remplir les différentes conditions d’utilisation, soit généraliser l’indice
d’autocorrélation afin qu’il puisse être utilisé dans d’autres conditions.
Pour terminer, la musique est souvent accompagnée de texte. Il peut s’agir de métadonnées,
mais aussi des paroles d’une chanson ou d’un opéra. Il apparaît alors qu’un grand nombre
d’analyses, combinant les deux types de données, pourraient être effectuées. Pour n’en citerCONCLUSION ET DISCUSSION 137
que quelques unes : le rapport entre le texte et la musique, à un instant donné, pourrait être
examiné ; les textes associés à une partition pourraient constituer, en des termes qu’il resterait à
préciser, une caractéristique supplémentaire pour une classification ; ou encore il serait possible
de compléter les dissimilarités concernant la musique par celles caractérisant le texte, produisant
finalement de nouvelles mesures d’autocorrélation.ANNEXES
139ANNEXE A
Textes de Maupassant annotés
Cette annexe présente les textes de Maupassant annotés en types du discours, avec des balises
XML, par Raphaël Pittier, étudiant de master en sciences du langage et de la communication,
ainsi qu’en français moderne (orientation linguistique française), en 2011. Ces textes ont été
utilisés pour les analyses du chapitre 4. La définition des balises employées pour l’annotation,
ainsi que la description de ce corpus, se trouvent dans la section 4.1.2.
Les quatre contes annotés sont :
— « L’Orient » (section A.1),
— « Le Voleur » (section A.2),
— « Un Fou ? » (section A.3) et
— « Un Fou » (section A.4).
A.1 L’Orient
1 xml version =" 1.0 " encoding = " ISO -8859 -1 " ? >
2 < text source = " http: // un2sg4 . unige . ch / athena / selva / maupassant /
textes / orient . html " date = " 2011.03.05 " >
3 < title >L ’ Orient title >
4 < div type =" narratif ">
5 Voici l ’ automne !
6 Je ne puis sentir ce premier frisson d ’ hiver sans songer à
l ’ ami e >
7 qui vit là - bas sur la fronti è re de l ’ Asie . < cr />
8 La derni è re fois que j ’ entrai chez lui , e >
9 je compris e >
10 que je ne le reverrais plus . e >
11 < div type = " descriptif " >
12 C ’é tait vers la fin de septembre , voici trois ans .
13 div >
14 Je le trouvai tant ô t couch é sur un divan , en plein r ê ve d ’
opium . e >
15 Il me tendit la main sans remuer le corps ,
16 et me dit : < cr / >
17 < div type = " dialogal " >
141142 A. TEXTES DE MAUPASSANT ANNOTÉS
18 < div type =" injonctif " >
19 Reste là , parle , e >
20 div >
21 < div type =" argumentatif " >
22 je te ré pondrai de temps en temps , e >
23 < div type =" explicatif " >
24 mais je ne bougerai point ,
25 car tu sais qu ’ une fois la drogue aval ée
26 il faut demeurer sur le dos . < cr / >
27 div >
28 div >
29 div >
30 Je m ’ assis
31 et je lui racontai mille choses , des choses de Paris et du
boulevard . < cr / >
32 Il me dit : < cr / >
33 < div type =" dialogal " >
34 - Tu ne m ’ int é resses pas ;
35 je ne songe plus qu ’ aux pays clairs .
36 Oh ! comme ce pauvre Gautier devait souffrir , toujours
habit é par le d é sir de l ’ Orient .
37 Tu ne sais pas
38 ce que c ’est ,
39 comme il vous prend , ce pays , e >
40 vous captive , e >
41 vous pén è tre jusqu ’au coeur ,
42 et ne vous l â che plus .
43 Il entre en vous par l ’oeil , par la peau , par toutes ses
sé ductions invincibles , e >
44 et il vous tient par un invisible fil
45 qui vous tire sans cesse , en quelque lieu du monde
46 que le hasard vous ait jet é.
47 < div type =" explicatif " >
48 Je prends la drogue e >
49 pour y penser dans la d é licieuse torpeur de l ’ opium . < cr />
50 div >
51 div >
52 Il se tut e >
53 et ferma les yeux .
54 Je demandai : < cr / >
55 < div type =" dialogal " >
56 < div type =" explicatif ">
57 - Qu ’é prouves - tu de si agr é able à prendre ce poison ?
e >
58 Quel bonheur physique donne -t - il donc , e >
59 qu ’on en absorbe jusqu ’à la mort ? e >
60 div >
61 div >
62 Il ré pondit : < cr / >
63 < div type = " dialogal " >A.1. L’Orient 143
64 < div type =" explicatif " >
65 < div type =" descriptif " >
66 - Ce n ’ est point un bonheur physique ;
67 c ’ est mieux ,
68 c ’ est plus .
69 Je suis souvent triste ;
70 div >
71 je dé teste la vie ,
72 qui me blesse chaque jour par tous ses angles , par
toutes ses duret és .
73 L ’ opium console de tout , e >
74 fait prendre son parti de tout . e >
75 Connais - tu cet é tat de l ’âme e >
76 que je pourrais appeler l ’ irritation harcelante ? e >
77 Je vis ordinairement dans cet é tat .
78 Deux choses m ’en peuvent gu é rir : l ’ opium , ou l ’ Orient
.
79 < div type =" narratif " >
80 A peine ai - je pris l ’ opium
81 que je me couche , e >
82 et j ’ attends .
83 J ’ attends une heure , deux heures parfois . e >
84 Puis , je sens d ’ abord de l é gers fr é missements dans
les mains et dans les pieds , non pas une crampe , mais
un engourdissement vibrant .
85 Puis peu à peu j ’ ai l ’é trange et dé licieuse sensation
de la disparition de mes membres .
86 Il me semble e >
87 qu ’on me les ô te . e >
88 Cela gagne , e >
89 monte ,
90 m ’ envahit enti è rement .
91 Je n ’ ai plus de corps .
92 Je n ’ en garde plus qu ’ une sorte de souvenir agr é able .
e >
93 Ma tê te seule est là ,
94 et travaille . e >
95 Je pense .
96 Je pense avec une joie mat é rielle infinie , avec une
lucidit é sans é gale , avec une pé né tration surprenante
.
97 Je raisonne ,
98 je dé duis ,
99 je comprends tout ,
100 je dé couvre des id é es
101 qui ne m ’ avaient jamais effleur é ;
102 je descends en des profondeurs nouvelles ,
103 je monte à des hauteurs merveilleuses ;
104 je flotte dans un oc é an de pens ées ,
105 et je savoure l ’ incomparable bonheur , l ’ id é ale
jouissance de cette pure et sereine ivresse de la144 A. TEXTES DE MAUPASSANT ANNOTÉS
seule intelligence . < cr />
106 div >
107 div >
108 div >
109 Il se tut encore
110 et ferma de nouveau les yeux .
111 Je repris : < cr />
112 < div type =" dialogal ">
113 < div type =" explicatif ">
114 - Ton dé sir de l ’ Orient ne vient que de cette constante
ivresse .
115 Tu vis dans une hallucination . e >
116 Comment dé sirer ce pays barbare
117 où l ’ Esprit est mort ,
118 où la Pens é e st é rile ne sort point des é troites limites
de la vie ,
119 ne fait aucun effort pour s ’é lancer , grandir et conqu é
rir ? e >
120 div >
121 div >
122 Il ré pondit : < cr / >
123 < div type =" dialogal " >
124 < div type = " explicatif " >
125 - Qu ’ importe la pens ée pratique !
126 Je n ’ aime que le rê ve .
127 Lui seul est bon , e >
128 lui seul est doux .
129 La ré alit é implacable me conduirait au suicide
130 si le rê ve ne me permettait d ’ attendre . < cr />
131 div >
132 < div type =" argumentatif ">
133 " Mais tu as dit e >
134 < div type =" descriptif ">
135 que l ’ Orient é tait la terre des barbares ; e >
136 div >
137 < div type =" injonctif " >
138 tais - toi , malheureux e >
139 div >
140 < div type =" descriptif " >
141 c ’ est la terre des sages , la terre chaude e >
142 où on laisse couler la vie ,
143 où on arrondit les angles . < cr />
144 div >
145 < div type =" descriptif ">
146 Nous sommes les barbares , nous autres gens de l ’
Occident e >
147 qui nous disons civilis é s ;
148 nous sommes d ’ odieux barbares
149 qui vivons durement , comme des brutes . < cr />
150 div >
151 < div type =" injonctif " >A.1. L’Orient 145
152 " Regarde nos villes de pierres , nos meubles de bois
anguleux et durs .
153 div >
154 < div type =" explicatif ">
155 Nous montons en haletant des escaliers é troits et
rapides e >
156 pour entrer en des appartements é trangl és ,
157 où le vent glac é pén è tre en sifflant pour s ’ enfuir
aussit ô t par un tuyau de chemin ée en forme de pompe , <
/e >
158 qui é tablit des courants d ’ air mortels , forts à faire
tourner des moulins .
159 div >
160 < div type =" descriptif ">
161 Nos chaises sont dures ,
162 nos murs froids , couverts d ’un odieux papier ;
163 partout des angles nous blessent . e >
164 Angles des tables , des chemin é es , des portes , des
lits . e >
165 div >
166 < div type =" explicatif " >
167 Nous vivons debout ou assis , jamais couch és , sauf
pour dormir ,
168 ce qui est absurde ,
169 car on ne per ç oit plus dans le sommeil le bonheur d ’ê
tre é tendu . < cr />
170 div >
171 < div type =" injonctif " >
172 " Mais songe aussi à notre vie intellectuelle .
173 div >
174 < div type =" descriptif ">
175 C ’ est la lutte , la bataille incessante . e >
176 div >
177 Le souci plane sur nous ,
178 les pr é occupations nous harc è lent ; e >
179 nous n ’ avons plus le temps de chercher et de poursuivre
les deux ou trois bonnes choses à port é e de nos mains
. < cr />
180 < div type =" descriptif ">
181 " C ’ est le combat à outrance . e >
182 div >
183 Plus que nos meubles encore , notre caract è re a des
angles , toujours des angles ! < cr / >
184 "A peine lev és , nous courons au travail par la pluie ou
la gel ée .
185 Nous luttons contre les rivalit és , les comp é titions ,
les hostilit és .
186 < div type =" descriptif " >
187 Chaque homme est un ennemi e >
188 qu ’ il faut craindre et terrasser ,
189 avec qui il faut ruser . 146 A. TEXTES DE MAUPASSANT ANNOTÉS
190 div >
191 < div type =" descriptif " >
192 L ’ amour mê me a , chez nous , des aspects de victoire et
de dé faite : e >
193 c ’ est encore une lutte ."
194 div >
195 div >
196 div >
197 Il songea quelques secondes et reprit : e >
198 < div type =" dialogal " >
199 < div type = " descriptif " >
200 - La maison que je vais acheter , e >
201 je la connais . e >
202 Elle est carr ée , avec un toit plat et des dé coupures de
bois à la mode orientale . e >
203 De la terrasse , on voit la mer ,
204 où passent ces voiles blanches , en forme d ’ ailes
pointues , des bateaux grecs ou musulmans .
205 Les murs du dehors sont presque sans ouvertures .
206 Un grand jardin ,
207 où l ’ air est lourd sous le parasol des palmiers , e >
208 forme le milieu de cette demeure .
209 Un jet d ’ eau monte sous les arbres
210 et s ’é miette en retombant dans un large bassin de
marbre
211 dont le fond est sabl é de poudre d ’or .
212 Je m ’y baignerai à tout moment , entre deux pipes , deux
rê ves ou deux baisers . e >
213 div >
214 " Je n ’ aurai point la servante , la hideuse bonne au
tablier gras ,
215 et qui rel è ve en s ’ en allant , d ’ un coup de sa savate us ée
, le bas fangeux de sa jupe .
216 Oh ! ce coup de talon
217 qui montre la cheville jaune ,
218 il me remue le coeur de dé go ût ,
219 et je ne le puis é viter .
220 Elles l ’ ont toutes , les mis é rables ! < cr />
221 " Je n ’ entendrai plus le claquement de la semelle sur le
parquet , le battement des portes lanc é es à toute vol ée ,
le fracas de la vaisselle
222 qui tombe . < cr />
223 " J ’ aurai des esclaves noirs et beaux , drap és dans un
voile blanc
224 et qui courent , nu - pieds , sur les tapis sourds . e >
225 " Mes murs seront moelleux et rebondissants comme des
poitrines de femmes ,
226 et , sur mes divans en cercle autour de chaque appartement
, toutes les formes de coussins me permettront de me
coucher dans toutes les postures
227 qu ’ on peut prendre . < cr />A.1. L’Orient 147
228 " Puis ,
229 quand je serai las du repos d é licieux , las de jouir de l ’
immobilit é de mon rê ve é ternel , las du calme plaisir d ’ê
tre bien ,
230 je ferai amener devant ma porte un cheval blanc ou noir
e >
231 qui courra tr ès vite . < cr / >
232 " Et je partirai sur son dos , en buvant l ’ air e >
233 qui fouette e >
234 et grise ,
235 l ’ air sifflant des galops furieux . < cr / >
236 " Et j ’ irai comme une fl è che sur cette terre color ée e >
237 qui enivre le regard ,
238 dont la vue est savoureuse comme un vin . < cr />
239 " A l ’ heure calme du soir , j ’ irai , d ’ une course affol ée ,
vers le large horizon
240 que le soleil couchant teinte en rose .
241 < div type =" descriptif " >
242 Tout devient rose , là -bas , au cr é puscule : les
montagnes br û lées , le sable , les v ê tements des Arabes ,
la robe blanche des chevaux . e >
243 div >
244 " Les flamants roses s ’ envoleront des marais sur le ciel
rose ;
245 et je pousserai des cris de d é lire , noy é dans la roseur
illimit ée du monde . < cr />
246 " Je ne verrai plus , le long des trottoirs , assourdis par
le bruit dur des fiacres sur les pav és , des hommes v ê tus
de noir , assis sur des chaises incommodes , boire l ’
absinthe en parlant d ’ affaires . < cr / >
247 "J ’ ignorerai le cours de la Bourse , les fluctuations des
valeurs , toutes les inutiles bê tises
248 où nous gaspillons notre courte , mis é rable et trompeuse
existence .
249 < div type =" explicatif " >
250 Pourquoi ces peines , ces souffrances , ces luttes ?
251 div >
252 Je me reposerai à l ’ abri du vent dans ma somptueuse et
claire demeure . < cr />
253 " Et j ’ aurai quatre ou cinq é pouses en des appartements
moelleux , cinq é pouses venues des cinq parties du monde
,
254 et qui m ’ apporteront la saveur de la beaut é f é minine é
panouie dans toutes les races ." < cr / >
255 div >
256 Il se tut encore ,
257 puis pronon ça doucement : e > < cr />
258 < div type =" dialogal " >
259 < div type =" injonctif " >
260 - Laisse - moi . < cr />
261 div >148 A. TEXTES DE MAUPASSANT ANNOTÉS
262 div >
263 Je m ’ en allai .
264 Je ne le revis plus . < cr />
265 Deux mois plus tard , il m ’ é crivit ces trois mots seuls :
266 < div type =" dialogal " >
267 " Je suis heureux ."
268 div >
269 Sa lettre sentait l ’ encens et d ’ autres parfums tr è s doux .
e >< cr / >
270 div >
271 text >
A.2 Le Voleur
1 xml version =" 1.0 " encoding = " ISO -8859 -1 " ? >
2 < text source = " http: // un2sg4 . unige . ch / athena / selva / maupassant /
textes / voleur . html " date = " 2011.07.06 " date - origin =" 1882.06.21 " >
3 < title > LE VOLEUR title >
4 < div type = " dialogal " >
5 " Puisque je vous dis e >
6 qu ’ on ne la croira pas . < cr />
7 < div type =" injonctif " >
8 - Racontez tout de m ê me . < cr / >
9 div >
10 < div type =" argumentatif " >
11 - Je le veux bien .
12 Mais j ’ é prouve d ’ abord le besoin de vous affirmer
13 que mon histoire est vraie en tous points , quelque
invraisemblable qu ’ elle paraisse .
14 Les peintres seuls ne s ’ é tonneront point , surtout les
vieux
15 qui ont connu cette é poque e >
16 où l ’ esprit farceur s é vissait si bien
17 qu ’ il nous hantait encore dans les circonstances les
plus graves ." e >
18 div >
19 div >
20 < div type =" narratif " >
21 Et le vieil artiste se mit à cheval sur une chaise . < cr /
>
22 < div type =" descriptif " >
23 Ceci se passait dans la salle à manger d ’un hô tel de
Barbizon . < cr / >
24 div >
25 Il reprit :
26 < div type =" dialogal ">
27 < div type =" descriptif ">
28 " Donc nous avions d în é ce soir -là chez le pauvre
Sorieul , aujourd ’ hui mort , le plus enrag é de nous .
29 Nous é tions trois seulement : Sorieul , moi et LeA.2. Le Voleur 149
Poittevin , je crois ;
30 mais je n ’ oserais affirmer
31 que c ’é tait lui . e >
32 Je parle , bien entendu , du peintre de marine Eug è ne Le
Poittevin , mort aussi , et non du paysagiste , bien
vivant et plein de talent . < cr / >
33 Dire que nous avions d îné chez Sorieul , cela signifie
e >
34 que nous é tions gris .
35 Le Poittevin seul avait gard é sa raison , un peu noy ée
il est vrai , mais claire encore .
36 Nous é tions jeunes , en ce temps -l à.
37 Etendus sur des tapis , nous discourions extravagamment
dans la petite chambre qui touchait à l ’ atelier .
38 Sorieul , le dos à terre , les jambes sur une chaise ,
parlait bataille ,
39 discourait sur les uniformes de l ’ Empire , e >
40 div >
41 < div type =" narratif " >
42 et soudain se levant , il prit dans sa grande armoire
aux accessoires une tunique compl è te de hussard ,
43 et s ’en rev ê tit .
44 Apr è s quoi il contraignit Le Poittevin à se costumer
en grenadier .
45 Et comme celui - ci r é sistait ,
46 nous l ’ empoign â mes ,
47 et , apr ès l ’ avoir d é shabill é , nous l ’ introduis î mes
dans un uniforme immense
48 où il fut englouti . e >
49 Je me dé guisai moi - mê me en cuirassier . e >
50 Et Sorieul nous fit ex é cuter un mouvement compliqu é.
e >
51 Puis il s ’é cria : e >
52 < div type =" dialogal " >
53 " Puisque nous sommes ce soir des soudards ,
54 < div type =" injonctif " >
55 buvons comme des soudards ." e > < cr />
56 div >
57 div >
58 Un punch fut allum é , aval é ,
59 puis une seconde fois la flamme s ’é leva sur le bol
rempli de rhum .
60 Et nous chantions à pleine gueule des chansons
anciennes , des chansons e >
61 que braillaient jadis les vieux troupiers de la grande
arm é e. < cr / >
62 Tout à coup Le Poittevin , e >
63 qui restait , malgr é tout , presque ma î tre de lui ,
64 nous fit taire ,
65 puis , apr è s un silence de quelques secondes , il dit à
mi - voix : 150 A. TEXTES DE MAUPASSANT ANNOTÉS
66 < div type =" dialogal " >
67 " Je suis sû r qu ’ on a march é dans l ’ atelier ."
68 div >
69 Sorieul se leva comme il put ,
70 et s ’é cria : e >
71 < div type =" dialogal ">
72 " Un voleur ! quelle chance !" e >
73 div >
74 Puis , soudain , il entonna la Marseillaise : < cr / >
75 < div type =" dialogal ">
76 Aux armes , citoyens ! < cr / >
77 div >
78 Et , se pr é cipitant sur une panoplie , il nous é quipa ,
selon nos uniformes .
79 J ’ eus une sorte de mousquet et un sabre ; e >
80 Le Poittevin , un gigantesque fusil à ba ï onnette ,
81 et Sorieul , ne trouvant pas ce qu ’il fallait ,
82 s ’ empara d ’un pistolet d ’ar ç on e >
83 qu ’il glissa dans sa ceinture , et d ’ une hache d ’
abordage e >
84 qu ’il brandit .
85 Puis il ouvrit avec pr é caution la porte de l ’ atelier
,
86 et l ’ arm ée entra sur le territoire suspect . < cr / >
87 Quand nous fû mes au milieu de la vaste pi è ce encombr ée
de toiles immenses , de meubles , d ’ objets singuliers et
inattendus ,
88 Sorieul nous dit :
89 < div type =" dialogal ">
90 " Je me nomme g én é ral .
91 Tenons un conseil de guerre .
92 Toi , les cuirassiers , tu vas couper la retraite à l ’
ennemi , c ’est -à - dire donner un tour de clef à la
porte .
93 Toi , les grenadiers , tu seras mon escorte ." < cr / >
94 div >
95 J ’ex é cutai le mouvement command é ,
96 puis je rejoignis le gros des troupes e >
97 qui op é rait une reconnaissance . < cr / >
98 Au moment o ù j ’ allais le rattraper derri è re un grand
paravent ,
99 un bruit furieux é clata .
100 Je m ’é lan ç ai , portant toujours une bougie à la main .
e >
101 Le Poittevin venait de traverser d ’ un coup de ba ï
onnette la poitrine d ’un mannequin e >
102 dont Sorieul fendait la t ê te à coups de hache . e >
103 L ’ erreur reconnue , le gé né ral commanda :
104 < div type =" dialogal ">
105 < div type =" injonctif " >
106 " Soyons prudents " , A.2. Le Voleur 151
107 div >
108 div >
109 et les op é rations recommenc è rent . < cr / >
110 < div type =" descriptif ">
111 Depuis vingt minutes au moins on fouillait tous les
coins et recoins de l ’ atelier , sans succ ès , e >
112 quand Le Poittevin eut l ’id ée d ’ ouvrir un immense
placard .
113 Il é tait sombre et profond ,
114 j ’ avan ç ai mon bras
115 qui tenait la lumi è re ,
116 et je reculai stup é fait ;
117 un homme é tait l à , un homme vivant ,
118 qui m ’ avait regard é. < cr / >
119 div >
120 Imm é diatement , je refermai le placard à deux tours de
clef , e >
121 et on tint de nouveau conseil . < cr / >
122 < div type =" descriptif " >
123 Les avis é taient tr ès partag és .
124 Sorieul voulait enfumer le voleur .
125 Le Poittevin parlait de le prendre par la famine .
126 Je proposai de faire sauter le placard avec de la
poudre . e >
127 div >
128 L ’ avis de Le Poittevin pr é valut ;
129 et , pendant qu ’ il montait la garde avec son grand
fusil ,
130 nous all â mes chercher le reste du punch et nos pipes ;
e >
131 puis on s ’ installa devant la porte ferm ée ,
132 et on but au prisonnier . < cr / >
133 Au bout d ’ une demi - heure , Sorieul dit : e >
134 < div type =" dialogal " >
135 "C ’ est é gal ,
136 je voudrais bien le voir de pr è s .
137 Si nous nous emparions de lui par la force ?" < cr
/ >
138 div >
139 Je criai :
140 < div type =" dialogal " >
141 " Bravo !"
142 div >
143 Chacun s ’é lan ça sur ses armes ;
144 la porte du placard fut ouverte ,
145 et Sorieul , armant son pistolet e >
146 qui n ’é tait pas charg é ,
147 se pr é cipita le premier . e >
148 Nous le suiv î mes en hurlant . e >
149 Ce fut une bousculade effroyable dans l ’ ombre ; 152 A. TEXTES DE MAUPASSANT ANNOTÉS
150 et apr è s cinq minutes d ’ une lutte invraisemblable ,
nous ramen â mes au jour une sorte de vieux bandit à
cheveux blancs , sordide et dé guenill é .
151 On lui lia les pieds et les mains ,
152 puis on l ’ assit dans un fauteuil .
153 Il ne pronon ç a pas une parole . < cr / >
154 Alors Sorieul , p én é tr é d ’ une ivresse solennelle , se
tourna vers nous : < cr / >
155 < div type =" dialogal " >
156 " Maintenant nous allons juger ce mis é rable . "
157 div >
158 J ’é tais tellement gris e >
159 que cette proposition me parut toute naturelle . < cr
/>
160 Le Poittevin fut charg é de pr é senter la dé fense
161 et moi de soutenir l ’ accusation .
162 Il fut condamn é à mort à l ’ unanimit é moins une voix ,
celle de son dé fenseur . < cr />
163 < div type =" dialogal ">
164 " Nous allons l ’ ex é cuter "
165 div >
166 , dit Sorieul .
167 Mais un scrupule lui vint :
168 < div type =" dialogal " >
169 " Cet homme ne doit pas mourir priv é des secours de
la religion .
170 Si on allait chercher un pr ê tre ? "
171 div >
172 J ’ objectai e >
173 qu ’ il é tait tard .
174 < div type =" argumentatif " >
175 Alors Sorieul me proposa de remplir cet office ;
176 et il exhorta le criminel à se confesser dans mon
sein . < cr />
177 div >
178 L ’ homme , depuis cinq minutes , roulait des yeux é pouvant
és ,
179 se demandant à quel genre d ’ ê tres il avait affaire .
180 Alors il articula d ’ une voix creuse , br ûl ée par l ’
alcool
181 < div type =" dialogal " >
182 " Vous voulez rire , sans doute . "
183 div >
184 Mais Sorieul l ’ agenouilla de force ,
185 et , de crainte que ses parents eussent omis de le
faire baptiser ,
186 il lui versa sur le cr â ne un verre de rhum . < cr / >
187 Puis il dit : e > < cr />
188 < div type =" dialogal " >
189 < div type = " injonctif " >A.2. Le Voleur 153
190 " Confesse - toi à monsieur ;
191 div >
192 ta derni è re heure a sonn é ." < cr / >
193 div >
194 Eperdu , le vieux gredin se mit à crier : < cr / >
195 < div type =" dialogal " >
196 " Au secours ! "
197 div >
198 avec une telle force qu ’ on fut contraint de le b â
illonner pour ne pas ré veiller tous les voisins .
199 Alors il se roula par terre , ruant et se tordant ,
renversant les meubles , crevant les toiles .
200 A la fin , Sorieul , impatient é , cria : e >
201 < div type =" dialogal " >
202 < div type =" injonctif " >
203 " Finissons - en . "
204 div >
205 div >
206 Et visant le mis é rable é tendu par terre , il pressa la
dé tente de son pistolet .
207 Le chien tomba avec un bruit sec .
208 Emport é par l ’ exemple , je tirai à mon tour .
209 Mon fusil , qui é tait à pierre , lan ça une é tincelle
210 dont je fus surpris . < cr />
211 Alors Le Poittevin pronon ça gravement ces paroles : e >
212 < div type =" dialogal " >
213 " Avons - nous bien le droit de tuer cet homme ? " <
cr />
214 div >
215 Sorieul , stup é fait , r é pondit : e >
216 < div type =" dialogal " >
217 < div type = " explicatif " >
218 " Puisque nous l ’ avons condamn é à mort !" e > < cr />
219 div >
220 div >
221 < div type =" argumentatif ">
222 Mais Le Poittevin reprit : e >
223 < div type =" dialogal " >
224 " On ne fusille pas les civils ,
225 celui - ci doit ê tre livr é au bourreau .
226 Il faut le conduire au poste ." < cr / >
227 div >
228 div >
229 L ’ argument nous parut concluant . e >
230 On ramassa l ’ homme ,
231 < div type =" explicatif ">
232 et comme il ne pouvait marcher ,
233 il fut plac é sur une planche de table à mod èle ,
solidement attach é ,
234 et je l ’ emportai avec Le Poittevin ,
235 tandis que Sorieul , arm é jusqu ’ aux dents , fermait la154 A. TEXTES DE MAUPASSANT ANNOTÉS
marche . < cr />
236 div >
237 Devant le poste , la sentinelle nous arr ê ta .
238 Le chef de poste , mand é , nous reconnut ,
239 < div type =" explicatif ">
240 et , comme chaque jour il é tait té moin de nos farces ,
de nos scies , de nos inventions invraisemblables ,
241 il se contenta de rire
242 et refusa notre prisonnier . < cr />
243 div >
244 Sorieul insista : e >
245 alors le soldat nous invita sé vè rement à retourner
chez nous sans faire de bruit . < cr / >
246 La troupe se remit en route
247 et rentra dans l ’ atelier .
248 Je demandai :
249 < div type =" dialogal " >
250 "Qu ’ allons - nous faire du voleur ?" < cr / >
251 div >
252 Le Poittevin , attendri , affirma
253 qu ’il devait ê tre bien fatigu é , cet homme .
254 En effet , il avait l ’ air agonisant , ainsi ficel é , bâ
illonn é , ligatur é sur sa planche . e >
255 Je fus pris à mon tour d ’ une piti é violente , une piti é
d ’ ivrogne , e >
256 et , enlevant son bâ illon , je lui demandai :
257 < div type =" dialogal " >
258 " Eh bien , mon pauv ’ vieux , comment ç a va -t - il ?" e > <
cr / >
259 div >
260 Il gé mit :
261 < div type =" dialogal " >
262 "J ’ en ai assez , nom d ’ un chien !"
263 div >
264 Alors Sorieul devint paternel .
265 Il le dé livra de tous ses liens , e >
266 le fit asseoir ,
267 le tutoya , e >
268 et , pour le ré conforter , nous nous m î mes tous trois à
pr é parer bien vite un nouveau punch . e >
269 Le voleur , tranquille dans son fauteuil , nous
regardait .
270 Quand la boisson fut pr ête ,
271 on lui tendit un verre - e >
272 nous lui aurions volontiers soutenu la tê te , e >
273 et on trinqua . e >
274 Le prisonnier but autant qu ’un ré giment .
275 Mais , comme le jour commen ç ait à para î tre ,
276 il se leva , et , d ’un air fort calme :
277 < div type =" dialogal " >A.3. Un Fou ? 155
278 < div type =" explicatif " >
279 " Je vais ê tre oblig é de vous quitter ,
280 parce qu ’ il faut que je rentre chez moi ." < cr / >
281 div >
282 div >
283 Nous fû mes dé sol és ; e >
284 on voulut le retenir ,
285 mais il se refusa à rester plus longtemps . e >
286 Alors on se serra la main , e >
287 et Sorieul , avec sa bougie , l ’é claira dans le
vestibule . en criant :
288 < div type =" dialogal ">
289 < div type =" injonctif ">
290 " Prenez garde à la marche sous la porte coch è re
." < cr / >
291 div >
292 div >
293 div >
294 div >
295 On riait franchement autour du conteur .
296 Il se leva , alluma sa pipe ,
297 et il ajouta , en se campant en face de nous . < cr />
298 < div type =" dialogal ">
299 " Mais le plus dr ô le de mon histoire c ’ est qu ’ elle est
vraie ." e >< cr / >
300 div >
301 div >
302 text >
A.3 Un Fou ?
1 xml version =" 1.0 " encoding = " ISO -8859 -1 " ? >
2 < text source = " http: // un2sg4 . unige . ch / athena / maupassant / maup_fou .
html " date =" 2011.02.07 " >
3 < title > Un fou ? title >
4 < div type = " explicatif " >
5 < div type =" narratif " >
6 Quand on me dit:
7 < div type = " dialogal " >
8 " Vous savez e >
9 que Jacques Parent est mort fou dans une maison de sant
é" ,
10 div >
11 un frisson douloureux , un frisson de peur et d ’ angoisse
me courut le long des os ;
12 et je le revis brusquement , ce grand gar ç on é trange , fou
depuis longtemps peut -ê tre , maniaque inqui é tant ,
effrayant m ê me . < cr / >
13 < div type =" descriptif ">
14 C ’é tait un homme de quarante ans , haut , maigre , un peu
vo ûté , avec des yeux d ’ hallucin é , des yeux noirs , si156 A. TEXTES DE MAUPASSANT ANNOTÉS
noirs
15 qu ’on ne distinguait pas la pupille , e >
16 des yeux mobiles , r ô deurs , malades , hant é s.
17 Quel ê tre singulier , troublant e >
18 < div type =" narratif " >
19 qui apportait , qui jetait un malaise autour de lui ,
un malaise vague , de l ’âme , du corps , un de ces é
nervements incompr é hensibles
20 qui font croire à des influences surnaturelles . <
cr />
21 div >
22 Il avait un tic g ê nant: la manie de cacher ses mains .
e >
23 < div type =" narratif ">
24 Presque jamais il ne les laissait errer ,
25 comme nous faisons tous sur les objets , sur les
tables .
26 Jamais il ne maniait les choses tra î nantes avec ce
geste familier
27 qu ’ ont presque tous les hommes .
28 Jamais il ne les laissait nues , ses longues mains
osseuses , fines , un peu f é briles . e >
29 Il les enfon ç ait dans ses poches , sous les revers de
ses aisselles en croisant les bras .
30 < div type =" explicatif " >
31 On eû t dit
32 qu ’il avait peur
33 qu ’ elles ne fissent , malgr é lui , quelque besogne dé
fendue , e >
34 qu ’ elles n ’ accomplissent quelque action honteuse ou
ridicule e >
35 s ’il les laissait libres et ma î tresses de leurs
mouvements . < cr />
36 div >
37 Quand il é tait oblig é de s ’ en servir pour tous les
usages ordinaires de la vie ,
38 il le faisait par saccades brusques , par é lans
rapides du bras
39 < div type =" explicatif " >
40 comme s ’il n ’eût pas voulu leur laisser le temps d ’
agir par elles -m ê mes , de se refuser à sa volont é , d
’ex é cuter autre chose . e >
41 div >
42 A table , il saisissait son verre , sa fourchette ou
son couteau si vivement
43 qu ’on n ’ avait jamais le temps de pr é voir
44 ce qu ’il voulait faire
45 avant qu ’il ne l ’eû t accompli . < cr />
46 div >
47 div >
48 < div type =" argumentatif ">A.3. Un Fou ? 157
49 Or , j ’ eus un soir l ’ explication de la surprenante
maladie de son â me . < cr />
50 div >
51 II venait passer de temps en temps quelques jours chez
moi , à la campagne ,
52 < div type =" descriptif ">
53 et ce soir - là il me paraissait particuli è rement agit é
! < cr />
54 div >
55 < div type =" descriptif ">
56 Un orage montait dans le ciel , é touffant et noir , apr ès
une journ é e d ’ atroce chaleur . e >
57 Aucun souffle d ’ air ne remuait les feuilles .
58 Une vapeur chaude de four passait sur les visages ,
59 faisait haleter les poitrines .
60 div >
61 < div type =" descriptif ">
62 Je me sentais mal à l ’ aise , agit é , e >
63 div >
64 et je voulus gagner mon lit . < cr / >
65 Quand il me vit me lever pour partir ,
66 Jacques Parent me saisit le bras d ’un geste effar é . <
cr />
67 < div type =" dialogal ">
68 - Oh ! non ,
69 < div type =" injonctif ">
70 reste encore un peu ,
71 div >
72 div >
73 me dit - il . < cr / >
74 Je le regardai avec surprise en murmurant: e > < cr />
75 < div type =" dialogal ">
76 - C ’ est que cet orage me secoue les nerfs . < cr / >
77 div >
78 Il gé mit ,
79 ou plut ô t il cria:
80 < div type =" dialogal " >
81 - Et moi donc ! Oh ! e >
82 < div type = " injonctif " >
83 reste ,
84 je te prie ; e >
85 div >
86 je ne voudrais pas demeurer seul . e >
87 div >
88 < div type =" descriptif " >
89 Il avait l ’ air affol é . < cr />
90 div >
91 Je pronon ç ai: < cr />
92 < div type =" dialogal ">
93 - Qu ’est - ce que tu as ?
94 Perds - tu la t ê te ? 158 A. TEXTES DE MAUPASSANT ANNOTÉS
95 div >
96 Et il balbutia: < cr / >
97 < div type =" dialogal " >
98 < div type =" explicatif " >
99 - Oui , par moments , dans les soirs comme celui -ci ,
dans les soirs d ’é lectricit é ... j ’ ai ... j ’ ai ... j ’ai
peur ... j ’ ai peur de moi ... e >
100 tu ne me comprends pas ?
101 C ’ est que je suis dou é d ’ un pouvoir ... non ... d ’ une
puissance ... non ... d ’ une force ... e >
102 Enfin je ne sais pas dire
103 ce que c ’est ,
104 < div type =" argumentatif " >
105 mais j ’ ai en moi une action magn é tique si
extraordinaire
106 que j ’ai peur , oui , j ’ ai peur de moi ,
107 comme je te le disais tout à l ’ heure ! < cr / >
108 div >
109 div >
110 div >
111 Et il cachait , avec des frissons é perdus , ses mains
vibrantes sous les revers de sa jaquette .
112 < div type =" descriptif " >
113 Et moi -m ê me je me sentis soudain tout tremblant d ’ une
crainte confuse , puissante , horrible .
114 div >
115 J ’ avais envie de partir , de me sauver , de ne plus le voir
, de ne plus voir son oeil errant passer sur moi , puis s ’
enfuir , tourner autour du plafond , chercher quelque coin
sombre de la pi è ce pour s ’y fixer , e >
116 < div type =" explicatif " >
117 comme s ’il eû t voulu cacher aussi son regard redoutable
. < cr />
118 div >
119 Je balbutiai: < cr />
120 < div type =" dialogal " >
121 - Tu ne m ’ avais jamais dit ça !
122 div >
123 Il reprit: e >
124 < div type = " dialogal " >
125 - Est - ce que j ’en parle à personne ?
126 < div type =" injonctif " >
127 Tiens ,
128 é coute ,
129 div >
130 ce soir je ne puis me taire .
131 Et j ’ aime mieux
132 que tu saches tout ;
133 d ’ ailleurs , tu pourras me secourir . < cr />
134 < div type =" explicatif ">
135 < div type =" argumentatif ">A.3. Un Fou ? 159
136 Le magn é tisme !
137 Sais - tu ce que c ’ est ?
138 Non .
139 Personne ne sait .
140 On le constate pourtant .
141 On le reconna ît , e >
142 les m é decins eux -m ê mes le pratiquent ;
143 un des plus illustres , M. Charcot , le professe ;
144 donc , pas de doute , cela existe . < cr / >
145 Un homme , un ê tre a le pouvoir , effrayant et
incompr é hensible , d ’ endormir , par la force de sa
volont é , un autre ê tre , et ,
146 pendant qu ’il dort , e >
147 de lui voler sa pens ée
148 comme on volerait une bourse .
149 Il lui vole sa pens ée , c ’est -à - dire son âme , l ’â me ,
ce sanctuaire , ce secret du Moi , l ’âme , ce fond de
l ’ homme e >
150 qu ’on croyait imp é né trable ,
151 l ’âme , cet asile des inavouables id é es , e >
152 de tout ce qu ’on cache ,
153 de tout ce qu ’on aime ,
154 de tout ce qu ’on veut celer à tous les humains ,
155 il l ’ ouvre , e >
156 la viole ,
157 l ’é tale ,
158 la jette au public !
159 div >
160 N ’est - ce pas atroce , criminel , inf â me ? e >
161 Pourquoi , comment cela se fait - il ?
162 Le sait - on ?
163 Mais que sait - on ?
164 Tout est myst è re .
165 Nous ne communiquons avec les choses que par nos mis é
rables sens , incomplets , infirmes , si faibles
166 qu ’ ils ont à peine la puissance de constater
167 ce qui nous entoure .
168 Tout est myst è re .
169 < div type =" argumentatif ">
170 < div type =" injonctif " >
171 Songe à la musique , cet art divin , cet art
172 qui bouleverse l ’â me , e >
173 l ’ emporte ,
174 la grise ,
175 l ’ affole ,
176 div >
177 qu ’est - ce donc ?
178 Rien . < cr />
179 Tu ne me comprends pas ?
180 < div type =" injonctif " >
181 Ecoute . 160 A. TEXTES DE MAUPASSANT ANNOTÉS
182 div >
183 Deux corps se heurtent .
184 L ’ air vibre .
185 Ces vibrations sont plus ou moins nombreuses , plus
ou moins rapides , plus ou moins fortes , selon la
nature du choc .
186 Or nous avons dans l ’ oreille une petite peau
187 qui re ç oit ces vibrations de l ’ air e >
188 et les transmet au cerveau sous forme de son .
189 < div type =" injonctif " >
190 Imagine qu ’un verre d ’ eau se change en vin dans
ta bouche .
191 div >
192 Le tympan accomplit cette incroyable m é tamorphose ,
ce surprenant miracle de changer le mouvement en
son . e >
193 Voil à. < cr / >
194 La musique , cet art complexe et myst é rieux , pr é cis
comme l ’ alg è bre et vague comme un r êve , cet art
fait de math é matiques et de brise , ne vient donc
que de la propri été é trange d ’ une petite peau .
195 Elle n ’ existerait point , cette peau ,
196 que le son non plus n ’ existerait pas , e >
197 puisque par lui - mê me il n ’ est qu ’ une vibration . e >
198 Sans l ’ oreille , devinerait - on la musique ?
199 Non .
200 < div type =" explicatif ">
201 Eh bien ! nous sommes entour és de choses
202 que nous ne soup ç onnerons jamais ,
203 parce que les organes nous manquent
204 qui nous les r év é leraient . < cr / >
205 div >
206 div >
207 Le magn é tisme est de celles -là peut -ê tre .
208 Nous ne pouvons que pressentir cette puissance ,
209 que tenter en tremblant ce voisinage des esprits ,
210 qu ’ entrevoir ce nouveau secret de la nature , e >
211 parce que nous n ’ avons point en nous l ’ instrument rév
é lateur .
212 div >
213 Quant à moi ... Quant à moi , je suis dou é d ’ une
puissance affreuse .
214 On dirait un autre ê tre enferm é en moi ,
215 qui veut sans cesse s ’é chapper ,
216 agir malgr é moi , e >
217 qui s ’ agite ,
218 me ronge ,
219 m ’é puise .
220 Quel est - il ?
221 Je ne sais pas , e >
222 < div type =" argumentatif " >A.3. Un Fou ? 161
223 mais nous sommes deux dans mon pauvre corps ,
224 et c ’ est lui , l ’ autre , qui est souvent le plus fort ,
comme ce soir . < cr / >
225 div >
226 Je n ’ai qu ’à regarder les gens pour les engourdir
227 comme si je leur avais vers é de l ’ opium .
228 Je n ’ai qu ’à é tendre les mains pour produire des choses
... des choses ... terribles .
229 Si tu savais ?
230 Oui .
231 Si tu savais ?
232 < div type =" argumentatif ">
233 Mon pouvoir ne s ’é tend pas seulement sur les hommes ,
mais aussi sur les animaux et m ê me ... sur les objets
... < cr / >
234 div >
235 Cela me torture
236 et m ’é pouvante .
237 J ’ai eu envie souvent de me crever les yeux et de me
couper les poignets .
238 Mais je vais ...
239 je veux que tu saches tout .
240 < div type =" injonctif " >
241 Tiens .
242 div >
243 < div type =" argumentatif " >
244 Je vais te montrer cela ... non pas sur des cr é atures
humaines ,
245 c ’ est ce qu ’on fait partout , e >
246 mais sur ... sur ... des bê tes . < cr / >
247 div >
248 < div type =" injonctif " >
249 Appelle Mirza . < cr / >
250 div >
251 div >
252 Il marchait à grands pas avec des airs d ’ hallucin é ,
253 et il sortit ses mains cach é es dans sa poitrine .
254 < div type =" descriptif ">
255 Elles me sembl è rent effrayantes
256 comme s ’il eû t mis à nu deux é pé es . e >
257 div >
258 Et je lui ob é is machinalement , subjugu é , vibrant de
terreur et dé vor é d ’ une sorte de dé sir imp é tueux de voir
.
259 J ’ ouvris la porte
260 et je sifflai ma chienne
261 qui couchait dans le vestibule .
262 J ’ entendis aussit ôt le bruit pr é cipit é de ses ongles sur
les marches de l ’ escalier ,
263 et elle apparut , joyeuse , remuant la queue . < cr / >
264 Puis je lui fis signe de se coucher sur un fauteuil ; e >162 A. TEXTES DE MAUPASSANT ANNOTÉS
265 elle y sauta ,
266 et Jacques se mit à la caresser en la regardant . < cr / >
267 < div type =" descriptif " >
268 D ’ abord , elle sembla inqui è te ;
269 elle frissonnait ,
270 tournait la t ê te pour é viter l ’ oeil fixe de l ’ homme ,
271 semblait agit ée d ’ une crainte grandissante . e >
272 div >
273 Tout à coup , elle commen ç a à trembler ,
274 comme tremblent les chiens . e >
275 Tout son corps palpitait , secou é de longs frissons ,
276 et elle voulut s ’ enfuir .
277 < div type =" argumentatif ">
278 Mais il posa sa main sur le cr â ne de l ’ animal
279 qui poussa , sous ce toucher , un de ces longs hurlements
e >
280 qu ’on entend , la nuit , dans la campagne . < cr />
281 div >
282 < div type =" descriptif ">
283 Je me sentais moi -m ê me engourdi , é tourdi ,
284 ainsi qu ’on l ’est e >
285 lorsqu ’on monte en barque .
286 div >
287 Je voyais se pencher les meubles , remuer les murs .
288 Je balbutiai: e >
289 < div type = " dialogal " >
290 < div type =" injonctif " >
291 " Assez , Jacques , assez . " e >
292 div >
293 div >
294 < div type = " argumentatif " >
295 Mais il ne m ’é coutait plus ,
296 div >
297 il regardait Mirza d ’ une fa ç on continue , effrayante . e >
298 Elle fermait les yeux maintenant
299 et laissait tomber sa tê te
300 comme on fait en s ’ endormant .
301 Il se tourna vers moi . < cr / >
302 < div type =" dialogal " >
303 - C ’ est fait ,
304 div >
305 dit - il , e >
306 < div type = " dialogal " >
307 < div type =" injonctif " >
308 vois maintenant .
309 div >
310 div >
311 Et jetant son mouchoir de l ’ autre cô té de l ’ appartement ,
il cria:
312 < div type = " dialogal " >A.3. Un Fou ? 163
313 < div type =" injonctif " >
314 " Apporte ! " e >
315 div >
316 div >
317 La bê te alors se souleva
318 et chancelant , tr é buchant
319 comme si elle eût ét é aveugle , remuant ses pattes
320 comme les paralytiques remuent leurs jambes , e >
321 elle s ’ en alla vers le linge
322 qui faisait une tache blanche contre le mur .
323 Elle essaya plusieurs fois de le prendre dans sa gueule
,
324 mais elle mordait à cô té
325 < div type =" explicatif ">
326 comme si elle ne l ’e ût pas vu .
327 div >
328 Elle le saisit enfin ,
329 et revint de la m ê me allure ballott é e de chien somnambule
. < cr / >
330 < div type =" descriptif " >
331 C ’é tait une chose terrifiante à voir .
332 div >
333 Il commanda:
334 < div type =" dialogal ">
335 < div type =" injonctif " >
336 " Couche - toi ." e >
337 div >
338 div >
339 Elle se coucha .
340 Alors , lui touchant le front , il dit: e >
341 < div type =" dialogal ">
342 < div type =" injonctif " >
343 " Un li è vre , pille ,
344 pille ."
345 div >
346 div >
347 Et la bê te , toujours sur le flanc , essaya de courir ,
348 s ’ agita e >
349 comme font les chiens
350 qui r ê vent , e >
351 et poussa , sans ouvrir la gueule , des petits aboiements é
tranges , des aboiements de ventriloque . e >
352 < div type =" descriptif " >
353 Jacques semblait devenu fou .
354 div >
355 La sueur coulait de son front .
356 Il cria: e >
357 < div type =" dialogal " >
358 < div type =" injonctif " >
359 " Mords - le ,
360 mords ton ma î tre ." 164 A. TEXTES DE MAUPASSANT ANNOTÉS
361 div >
362 div >
363 Elle eut deux ou trois soubresauts terribles .
364 < div type =" explicatif " >
365 On eû t jur é e >
366 qu ’ elle ré sistait ,
367 qu ’ elle luttait . e >
368 div >
369 Il ré pé ta: e >
370 < div type = " dialogal " >
371 < div type =" injonctif " >
372 " Mords - le ."
373 div >
374 div >
375 Alors , se levant , ma chienne s ’en vint vers moi ,
376 et moi je reculais vers la muraille , fr é missant d ’é
pouvante , le pied lev é pour la frapper , pour la repousser
. < cr / >
377 Mais Jacques ordonna: e >
378 < div type = " dialogal " >
379 < div type =" injonctif " >
380 " Ici , tout de suite ."
381 div >
382 div >
383 Elle se retourna vers lui .
384 Alors , de ses deux grandes mains , il se mit à lui frotter
la tê te
385 < div type = " explicatif " >
386 comme s ’il l ’eût dé barrass é e de liens invisibles . e > <
cr / >
387 div >
388 Mirza rouvrit les yeux:
389 < div type = " dialogal " >
390 "C ’ est fini " , e >
391 div >
392 dit - il . e >
393 Je n ’ osais point la toucher
394 et je poussai la porte
395 < div type =" explicatif ">
396 pour qu ’ elle s ’ en all â t .
397 div >
398 Elle partit lentement , tremblante , é puis ée ,
399 et j ’ entendis de nouveau ses griffes frapper les marches .
e >
400 Mais Jacques revint vers moi:
401 < div type = " dialogal " >
402 " Ce n ’ est pas tout .
403 Ce qui m ’ effraie le plus ,
404 c ’ est ceci ,
405 < div type =" injonctif " >
406 tiens . A.3. Un Fou ? 165
407 div >
408 Les objets m ’ ob é issent . " e >
409 div >
410 < div type =" descriptif " >
411 Il y avait sur ma table une sorte de couteau - poignard
e >
412 dont je me servais pour couper les feuillets des livres
.
413 div >
414 Il allongea sa main vers lui . e >
415 < div type =" descriptif " >
416 Elle semblait ramper , e >
417 s ’ approchait lentement ;
418 div >
419 et tout d ’ un coup je vis , oui , je vis le couteau lui - mê me
tressaillir , e >
420 puis il remua , e >
421 puis il glissa doucement , tout seul , sur le bois vers la
main arr êt ée
422 qui l ’ attendait ,
423 et il vint se placer sous ses doigts . < cr / >
424 Je me mis à crier de terreur .
425 < div type =" argumentatif ">
426 Je crus
427 que je devenais fou moi -m ême ,
428 mais le son aigu de ma voix me calma soudain . < cr />
429 div >
430 Jacques reprit: < cr / >
431 < div type =" dialogal ">
432 - Tous les objets viennent ainsi vers moi .
433 < div type =" explicatif ">
434 C ’ est pour cela que je cache mes mains .
435 div >
436 Qu ’ est cela ?
437 Du magn é tisme , de l ’é lectricit é , de l ’ aimant ?
438 Je ne sais pas ,
439 < div type =" argumentatif ">
440 < div type =" descriptif ">
441 mais c ’ est horrible . < cr / >
442 div >
443 div >
444 < div type =" explicatif " >
445 Et comprends - tu e >
446 pourquoi c ’ est horrible ?
447 Quand je suis seul ,
448 aussit ô t que je suis seul ,
449 je ne puis m ’ emp ê cher d ’ attirer tout
450 ce qui m ’ entoure .
451 Et je passe des jours entiers à changer des choses de
place , ne me lassant jamais d ’ essayer ce pouvoir
abominable , 166 A. TEXTES DE MAUPASSANT ANNOTÉS
452 comme pour voir
453 s ’il ne m ’a pas quitt é . < cr />
454 div >
455 div >
456 Il avait enfoui ses grandes mains dans ses poches e >
457 et il regardait dans la nuit .
458 Un petit bruit , un fr é missement l é ger semblait passer
dans les arbres . < cr />
459 C ’é tait la pluie qui commen ç ait à tomber . < cr / >
460 Je murmurai:
461 < div type =" dialogal " >
462 < div type =" descriptif " >
463 "C ’ est effrayant !" e >
464 div >
465 div >
466 Il ré pé ta: e >
467 < div type = " dialogal " >
468 < div type =" descriptif " >
469 "C ’ est horrible ." < cr / >
470 div >
471 div >
472 < div type = " descriptif " >
473 Une rumeur accourut dans ce feuillage , comme un coup de
vent . e >
474 C ’é tait l ’ averse , l ’ ond ée é paisse , torrentielle . < cr
/>
475 div >
476 Jacques se mit à respirer par grands souffles
477 qui soulevaient sa poitrine . < cr / >
478 < div type =" dialogal " >
479 < div type =" injonctif " >
480 - Laisse - moi ,
481 div >
482 div >
483 dit - il ,
484 < div type =" dialogal " >
485 la pluie va me calmer .
486 Je dé sire ê tre seul à pr é sent . < cr / >
487 div >
488 div >
489 div >
490 text >
A.4 Un Fou
1 xml version =" 1.0 " encoding = " ISO -8859 -1 " ? >
2 < text source = " http: // un2sg4 . unige . ch / athena / selva / maupassant /
textes / unfou . html " date =" 2011.04.26 " >
3 < title > UN FOU title >
4 < div type = " narratif " >
5 < div type =" descriptif " >A.4. Un Fou 167
6 Il é tait mort chef d ’un haut tribunal , magistrat int è gre
7 dont la vie irr é prochable é tait cit ée dans toutes les
cours de France .
8 Les avocats , les jeunes conseillers , les juges saluaient
en s ’ inclinant tr ès bas , par marque d ’un profond respect
, sa grande figure blanche et maigre
9 qu ’é clairaient deux yeux brillants et profonds . < cr / >
10 < div type =" argumentatif " >
11 Il avait pass é sa vie à poursuivre le crime et à prot é
ger les faibles . e >
12 Les escrocs et les meurtriers n ’ avaient point eu d ’
ennemi plus redoutable , e >
13 car il semblait lire , au fond de leurs â mes , leurs
pens é es secr è tes , et d ém ê ler , d ’ un coup d ’oeil , tous
les myst è res de leurs intentions .
14 div >
15 Il é tait donc mort , à l ’â ge de quatre - vingt - deux ans ,
entour é d ’ hommages et poursuivi par les regrets de tout
un peuple .
16 Des soldats en culotte rouge l ’ avaient escort é jusqu ’à
sa tombe , e >
17 et des hommes en cravate blanche avaient r é pandu sur son
cercueil des paroles d é sol é es et des larmes
18 qui semblaient vraies .
19 div >
20 Or , voici l ’é trange papier que le notaire , é perdu , dé
couvrit dans le secr é taire
21 o ù il avait coutume de serrer les dossiers des grands
criminels . < cr / >
22 Cela portait pour titre : < cr />< cr />
23 < div type =" explicatif ">
24 POURQUOI ? < cr / >< cr / >
25 < div type =" date " >
26 20 juin 1851. e >
27 div >
28 - Je sors de la sé ance ?
29 J ’ai fait condamner Blondel à mort !
30 Pourquoi donc cet homme avait - il tu é ses cinq enfants ? <
/e >
31 Pourquoi ? e >
32 < div type =" argumentatif " >
33 Souvent , on rencontre de ces gens e >
34 chez qui d é truire la vie est une volupt é.
35 Oui , oui , ce doit ê tre une volupt é , la plus grande de
toutes peut - ê tre ; e >
36 car tuer n ’est - il pas ce qui ressemble le plus à cr é er
?
37 Faire et d é truire !
38 Ces deux mots enferment l ’ histoire des univers , toute
l ’ histoire des mondes , tout ce qui est , tout ! 168 A. TEXTES DE MAUPASSANT ANNOTÉS
39 div >
40 Pourquoi est - ce enivrant de tuer ? < cr />
41 div >
42 < div type =" date " >
43 25 juin .
44 div >
45 - Songer qu ’un ê tre est l à qui vit , e >
46 qui marche ,
47 qui court ...
48 Un ê tre ? e >
49 Qu ’est - ce qu ’un ê tre ? e >
50 Cette chose anim ée , e >
51 qui porte en elle le principe du mouvement et une volont é
ré glant ce mouvement ! e >
52 Elle ne tient à rien cette chose .
53 Ses pieds ne communiquent pas au sol . e >
54 C ’ est un grain de vie e >
55 qui remue sur la terre ;
56 et ce grain de vie , venu je ne sais d ’où , on peut le d é
truire comme on veut .
57 Alors rien , plus rien . e >
58 Ça pourrit ,
59 c ’ est fini . < cr />
60 < div type =" explicatif ">
61 < div type =" date " >
62 26 juin .
63 div >
64 - Pourquoi donc est - ce un crime de tuer ?
65 oui , pourquoi ?
66 C ’est , au contraire , la loi de la nature .
67 Tout ê tre a pour mission de tuer :
68 il tue pour vivre e >
69 et il tue pour tuer . e >
70 div >
71 < div type =" argumentatif " >
72 - Tuer est dans notre temp é rament ;
73 il faut tuer ! e >
74 La bê te tue sans cesse , tout le jour , à tout instant de
son existence .
75 - L ’ homme tue sans cesse pour se nourrir ,
76 mais comme il a besoin de tuer aussi , par volupt é ,
77 il a invent é la chasse !
78 L ’ enfant tue les insectes
79 qu ’ il trouve ,
80 les petits oiseaux , tous les petits animaux
81 qui lui tombent sous la main .
82 Mais cela ne suffisait pas à l ’ irr é sistible besoin de
massacre e >
83 qui est en nous .
84 Ce n ’ est point assez de tuer la bê te ;
85 nous avons besoin aussi de tuer l ’ homme . A.4. Un Fou 169
86 Autrefois , on satisfaisait ce besoin par des sacrifices
humains .
87 Aujourd ’ hui la n é cessit é de vivre en soci été a fait du
meurtre un crime .
88 On condamne e >
89 et on punit l ’ assassin !
90 Mais comme nous ne pouvons vivre
91 sans nous livrer à cet instinct naturel et imp é rieux de
mort , e >
92 nous nous soulageons de temps en temps , par des guerres <
/e >
93 où un peuple entier é gorge un autre peuple .
94 C ’ est alors une dé bauche de sang , une d é bauche
95 où s ’ affolent les arm é es e >
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