Méthodes et structures non locales pour la restauration d'images et de surfaces 3D - Thèse Informatique
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M´ethodes et structures non locales pour la restauration
d’images et de surfaces 3D
Guillemot Thierry
To cite this version:
Guillemot Thierry. M´ethodes et structures non locales pour la restauration d’images et de
surfaces 3D. Signal and Image Processing. Telecom ParisTech, 2014. French.
HAL Id: tel-01022843
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01022843
Submitted on 16 Jul 2014
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H
È
S
E
EDITE - ED130 2014-ENST-0006
Doctorat ParisTech
T H È S E
pour obtenir le grade de docteur délivré par
Télécom ParisTech
Spécialité : Signal et Images
Présentée et soutenue publiquement par
Thierry GUILLEMOT
le 3 Février 2014
Méthodes et structures non locales
pour la restauration d’images
et de surfaces 3D
Jury :
Mme. Julie DELON, Professeur, Université Paris Descartes Présidente
M. Pierre ALLIEZ, Directeur de recherche, Inria Sophia-Antipolis Rapporteur
M. Jean-Michel MOREL, Professeur, CMLA, Ecole Normale Supérieure de Cachan Rapporteur
M. Cyril CRASSIN, Chercheur, Nvidia Examinateur
Mme Pooran MEMARI, Chargé de Recherche, CNRS-LTCI, Télécom ParisTech Examinatrice
M. Andrés ALMANSA, Chargé de Recherche, CNRS-LTCI, Télécom ParisTech Directeur
M. Tamy BOUBEKEUR, Professeur, CNRS-LTCI, Télécom ParisTech Directeur
TELECOM ParisTech
École de l’Institut Mines-Télécom - Membre de ParisTech
46 rue Barrault 75013 Paris - (+33) 1 45 81 77 77 - www.telecom-paristech.frRemerciements
Tout d’abord, je tiens à remercier mes directeurs de thèse Andrès Almansa et Tamy
Boubekeur pour leurs qualités pédagogique, scientifique mais surtout humaine. Grâce à
eux, j’ai pu découvrir le monde de la recherche, apprendre beaucoup sur le traitement des
images et des données 3D. Leur soutien, gentillesse et optimisme m’ont permis de travailler
dans un cadre idéal pour réaliser ce doctorat.
Je remercie les membres du Jury, Pierre Alliez, Jean-Michel Morel, Cyril Crassin, Julie Delon
et Pooran Memari d’avoir accepté d’évaluer mon travail ainsi que pour leurs remarques
et conseils.
Mais que serait une thèse sans les soutiens de ces collègues devenus des amis au fils des
années ? Je pense ici aux amis du bureau C07 (ou "Bureau Link") : Baptiste et Cécilia
soutiens infaillibles depuis les premiers jours de stage, Alasdair pour sa touche anglaise et
son optimisme, Yann pour la sagesse de l’ancien et son goût de la bonne bière et Guillaume
pour sa gloutonnerie et ces blagues qui ne font rire que lui (et Alasdair). Je pense également
aux autres collègues de TSI, les sages Noura et Jean-Marc pour leurs innombrables conseils
et soirées improvisées, Charline, Emilie et Loredana pour leur inflexible bonne humeur,
Guillaume pour ses remotivations ludiques, Edoardo pour son amour de la cuisine, David
pour son amour de la bière, Joseph pour sa passion des débats, Julien pour son accent
américain, Pooran pour sa gentillesse, ainsi que tous les autres Malik, Hélène, Stéphane,
Flora, Sonia, Flora, Beibei, Leila, Mathias et Bert pour leurs discussions et conseils.
Je souhaite également remercier les anciens collègues pour m’avoir acceuilli dans les premiers
jours de thèse : Charles, Vincent et plus particulièrement Benoit pour son humour,
sa passion du monde ludique, son immense culture... et ses talents d’improvisation. Je voudrais
aussi remercier Andrés, Tamy, Isabelle, Yann, Julie, Florence et Michel pour m’avoir
donné l’envie de faire une thèse quand j’étais étudiant et pour leur accueil au laboratoire
TSI.
Avant de terminer, je voudrais exprimer ma gratitude à tous mes amis. Les plus Vieux :
Ludovic, Tom, Fabien, Sandrine et Mylène, les plus Récents : Cédric, Marine, Sophie et
Valérie, les plus Toulousains : Delphine et Manu, les plus Anglais : Terry, Cécile et Laurie,
les plus Théatreux : Marie, Cyril, Anne, Benoit, Florian, Bianka, Emmanuelle, Alban et
Sophie et les plus Télécommiens : Alexis, Romane, Rémi, Chloé, Laure et Morgane qui
ont toujours été là pour moi, même dans les moments les plus difficiles.
Je voudrais terminer ces remerciements en exprimant ma gratitude à mes proches : mon
père, ma mère et mes deux soeurs Karine et Coralie qui m’ont toujours encouragé, aidé
et soutenu pendant toutes ces années. A vous tous, sans qui rien de tout cela n’aurait été
possible, merci !
Je dédie cette thèse à mes neuveux et nièces à qui je souhaite d’avoir autant de soutien,
d’aide et d’encouragement que ce que j’ai pu avoir jusqu’à présent pour réussir ce qu’ils
entreprendront.
iTable des matières
Table des matières iii
1 Introduction 1
1.1 Contextes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
1.2 Du Local au Non Local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.2.1 Méthodes de restauration locales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.2.2 Méthodes de restauration non locales . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.3 Problématiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.4 Contributions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1.5 Organisation de la thèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1.6 Prix et Publications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
2 Tour d’horizon des méthodes de restauration non locales 7
2.1 Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
2.2 Filtres à moyennes non locales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
2.2.1 Formulations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
2.2.2 Limitations et améliorations des NL-Means . . . . . . . . . . . . . . 12
2.3 Filtres 3D non locaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
2.3.1 Filtres surfaciques non locaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
2.3.2 Filtres non locaux de nuage de points . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
2.3.3 Limitations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
2.4 Filtres collaboratifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
2.4.1 Principe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
2.4.2 Méthodes de restauration collaboratives . . . . . . . . . . . . . . . . 18
2.4.3 Généralisation des filtres collaboratifs . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
3 Surface de points non locale 21
3.1 Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
3.1.1 Acquisition 3D . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
3.1.2 Travaux existants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
3.1.3 Généralisation des PSS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
3.1.4 Problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
3.2 Surfaces de points non locales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
3.2.1 Principe général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
3.2.2 Carte de déplacement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
3.2.3 Fonction de pondération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
3.2.4 Opérateur de projection non local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
3.3 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
3.3.1 Détails d’implémentation et performance . . . . . . . . . . . . . . . 30
3.3.2 Analyse des paramètres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
3.3.3 Performances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
iiiiv
3.3.4 Analyse de la qualité de la surface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
3.3.5 Applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
3.4 Limitation et possibles améliorations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
4 Arbre de covariances 51
4.1 Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
4.1.1 Filtrage à hautes dimensions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
4.1.2 Travaux existants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
4.1.3 Problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
4.2 Arbre de Covariance Simplifié . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
4.2.1 Principe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
4.2.2 Construction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
4.2.3 Apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
4.2.4 Requête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
4.3 Généralisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
4.3.1 Notations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
4.3.2 CovTree généralisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
4.3.3 Algorithme généralisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4.4 Analyse et temps de calcul . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
4.4.1 Complexité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
4.4.2 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
4.5 Limitations et possibles améliorations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
5 Filtrage collaboratif généralisé 75
5.1 Débruitage d’images par filtre collaboratif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
5.1.1 Non Local Bayes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
5.1.2 Débruitage d’images par CovTree . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
5.1.3 Analyse des paramètres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
5.1.4 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
5.2 Restauration par dictionnaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
5.2.1 Principe général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
5.2.2 Débruitage d’images . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
5.2.3 Reconstruction d’image échantillonnée aléatoirement . . . . . . . . . 92
5.2.4 Limitations et possibles améliorations . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
5.3 Restauration de surface 3D . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
5.3.1 Positionnement du problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
5.3.2 Surface de points par NLB . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
5.3.3 Restauration de surface par dictionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . 96
6 Conclusion 99
7 Perspectives 101
Bibliographie 103C h a p i t r e 1
Introduction
1.1 Contextes
Les technologies à base de semi-conducteurs ont évolué de façon significative au début
des années 90 et ont permis l’arrivée de nouveaux systèmes d’acquisition numérique. Cependant,
leur qualité de capture était à l’origine trop limitée par rapport aux systèmes
analogiques. L’augmentation de la résolution des capteurs est donc rapidement devenue
un enjeu crucial de cette décennie. C’est à cette époque qu’apparaissent les premiers appareils
photographiques entièrement numériques : les pellicules et leur développement sont
respectivement remplacées par des cartes de stockages réutilisables et des impressions instantanées.
Les appareils numériques réussissent ainsi à s’imposer progressivement face aux
analogiques.
Les précédentes avancées ont permis le développement d’autres techniques dans des domaines
différents de la photographie. De nouveaux systèmes de capture ont ainsi émergés
tels que les scanners 3D. Les systèmes de capture 3D classiques, estimant la profondeur
par contact, sont ainsi améliorés par l’utilisation de capteurs CCD et de Laser. Ce nouveau
type de scanner est particulièrement employé dans des domaines tels que la conservation
du patrimoine (par ex. project Michelangelo - Figure 1.1) où il est nécessaire de numériser
des objets sans qu’ils ne subissent de détériorations. Cependant la nature des données
3D diffère de celle des images 2D. Des outils spécifiques à leur traitement ont donc été
introduits et définissent ainsi les toutes premières chaines d’acquisition 3D.
À la fin des années 90, les capteurs numériques réussissent à atteindre des résolutions équivalentes
ou supérieures à celles obtenues par des systèmes classiques. Malheureusement,
l’utilisation des appareils numériques reste réservée à une élite. Ce phénomène peut être
expliqué par plusieurs facteurs : un prix d’achat trop élevé, et des systèmes de capture
qui ne sont généralement pas adaptés aux besoins du grand public (difficulté d’utilisation,
encombrement, poids élevé, etc.). Ainsi, l’adaptation des systèmes d’acquisition numérique
à ces besoins est devenu l’enjeu principal des années 2000.
Cette démocratisation est particulièrement visible avec l’apparition des appareils photos
compacts. L’utilisation de nouveaux algorithmes de gestion automatique des paramètres
intrinsèques (focus, ouverture, balance des blancs, etc.) les rendent facile d’utilisation pour
les non-connaisseurs. La photographie numérique devient donc accessible à tous à partir
12
Figure 1.1: Résultat du projet Michelangelo : Gauche : numérisation 3D sans détérioration
utilisant des capteurs CCD et Laser. Droite : comparaison entre la statue réelle et le
résultat 3D obtenu. Les images proviennent de [LPC+00]
du début des années 2000. À partir de là, de nombreux constructeurs se sont mis à dé-
velopper des appareils de plus en plus performants à des prix toujours plus bas afin de
mieux satisfaire les demandes de ces nouveaux utilisateurs. Au milieu des années 2000,
de nouvelles avancées technologiques permettent de produire des capteurs miniaturisés à
l’extrême pour des coûts dérisoires. Désormais plus petits qu’une pièce de monnaie, ils
se retrouvent rapidement intégrés aux téléphones portables et bouleversent par la même
occasion les habitudes d’utilisation du grand public. La résolution et les performances de
capture (zoom, iso etc.) deviennent progressivement des arguments de vente incontournables.
Pendant ces années 2000, les systèmes de captures 3D ne cessent d’évoluer. De nouveaux
types de capteurs font leur apparition en proposant l’exploitation de plusieurs images
par stéréovision, la projection de motifs connus par lumière structurée, l’analyse du focus
d’un appareil photo ou, plus récemment, les capteurs plénoptiques. Pendant cette période,
l’utilisation des capteurs 3D se généralise à de nombreux domaines tels que le cinéma, les
jeux vidéo, la robotique, l’automobile, etc. . Durant plusieurs années, l’utilisation de ces
scanners 3D reste néanmoins réservée à un public restreint. Ce n’est qu’à partir du début
des années 2010 que les capteurs 3D grand public sont démocratisés par l’industrie des jeux
vidéos (par ex. Microsoft Kinect). Grâce à leur faible prix, il devient facile d’acquérir des
données 3D. Cela permet d’attirer de nouveaux utilisateurs et d’élargir les types d’usage
de ces données.
À l’heure actuelle, la démocratisation des capteurs numériques est telle, qu’en France, des
millions d’appareils photos numériques sont vendus chaque année, environ la moitié de
la population possède un capteur photo sur son téléphone (smartphone) et environ un
million de personnes possèdent une Kinect. Ainsi, chaque jour, une quantité astronomique
de données 2D et 3D est ainsi générée à travers le monde. Avec l’essor des réseaux de communications
et avec l’apparition des smartphones, une grande partie de cette information
se retrouve partagée avec le reste du monde. En guise d’exemple, des dizaines de milliards
de photos sont échangées chaque année sur l’un des principaux réseaux sociaux actuels
(Facebook).
Désormais, la majorité des systèmes d’acquisition numérique modernes sont connectés
aux réseaux de communications (3G, 4G en préparation, etc.). Ils peuvent donc trans-1.2. DU LOCAL AU NON LOCAL 3
Restauration locale Restauration non locale Restauration par base de données
Figure 1.2: Illustration des différentes méthodes de restauration. Nous représentons en
rouge le voisinage retenu.
mettre très facilement l’information acquise. Aujourd’hui, ces données partagées restent
néanmoins difficilement exploitables par les machines de calculs modernes (ordinateur
personnel, smartphone, etc.) dans la mesure où elles ne disposent pas d’une capacité de
mémoire suffisante pour pouvoir les gérer. Ainsi, les différentes évolutions récentes laissent
à penser que cette exploitation sera le nouveau challenge de ces années 2010.
Cette thèse s’inscrit au cœur de cette évolution en proposant quelques éléments de réponse
à l’un des enjeux technologiques des années 2010, à savoir : la capture, transmission et
traitements de masses de données 2D et 3D. Après cette brève introduction sur l’historique
de la capture numérique, nous introduisons les enjeux de la restauration moderne.
1.2 Du Local au Non Local
Durant ces dernières années, les technologies d’acquisition numériques n’ont cessées de
se perfectionner. Ces différentes évolutions ont donc permis l’apparition de capteurs miniaturisés,
économes en énergie et surtout capables d’acquérir des données avec une qualité
toujours plus fine. Malgré ces différentes améliorations, les capteurs restent sujet à
des perturbations (tel que bruit électronique, résonance magnétique, etc.). Ces problèmes
électroniques ajoutés aux contraintes d’acquisition (distorsions, effets de masquage, etc.)
viennent perturber la capture entrainant l’apparition de défauts tels que du bruit, des
points parasites, des trous dans les données acquises, etc.
Ces imperfections sont inhérentes à toute technologie de capture et ne peuvent pas être
corrigées matériellement. Elles nécessitent donc un traitement logiciel particulier. Ainsi,
en même temps que l’apparition des tout premiers capteurs numériques dès le début des
années 90 apparaissent les premières méthodes de restauration telles que le débruitage, la
reconstruction, le suréchantillonnage, etc.
1.2.1 Méthodes de restauration locales
Jusqu’au milieu des années 2000, ces approches s’appuient uniquement sur un traitement
local des données (Figure 1.2). Dans le cadre du traitement des images, cette localité
s’exprime de deux manières différentes :4
Durant les années 90, la puissance de calcul et la capacité de stockage en mémoire restant
limitées, seul des filtres simples pouvaient être évalués. Ainsi, le support du filtre a été
restreint à un support local : un pixel est filtré par rapport aux pixels appartenant à un
voisinage local. C’est à cette époque que sont introduits les filtres par minimisation de la
variation totale, bilatéraux, etc..
Avant le milieu des années 2000, les réseaux de communications ne permettent pas d’échanger
une quantité de donnée importante. Ainsi, les approches de restauration sont réduites
à l’utilisation d’une seule image : un pixel est filtré à partir de l’information contenue dans
l’image à filtrer.
1.2.2 Méthodes de restauration non locales
À partir du milieu des années 2000, les performances de calcul et la quantité de mémoire
présentes sur les ordinateurs ont suffisamment évolué pour que les limitations locales pré-
cédentes soient supprimées.
Dans un premier temps, les méthodes non locales proposent d’étendre le support local
du filtre de restauration à l’ensemble de l’image en faisant l’hypothèse que les données
acquises sont autosimilaires (Figure 1.2). Ainsi, l’information détériorée est restaurée en
utilisant des données similaires présentes en d’autres endroits de l’image. Face à leur
succès en traitement des images, ces méthodes sont progressivement étendues au cas 3D
où l’hypothèse d’autosimilarité peut être supposée de manière équivalente.
Dans un deuxième temps, de nouvelles méthodes plus générales ont permis de combiner
les idées introduites par les méthodes non locales avec la multiplication de la quantité de
données (Figure 1.2). La non localité est désormais définie par rapport à une information
extraite à partir de plusieurs images.
1.3 Problématiques
S’il est vrai qu’il y a eu un développement récent des méthodes non locales, ces dernières
ont principalement été utilisées afin de restaurer des données régulières et structurées
telles que des images. À l’heure actuelle, ces méthodes restent encore peu étendues dans
le cadre de données irrégulières. Dans le cas extrême des nuages de points 3D qui sont à
la fois irréguliers et non structurés, il n’existait au début de cette thèse aucune méthode
de restauration capable d’exploiter la redondance de l’information judicieusement afin de
définir une surface 3D.
Avec la démocratisation des capteurs numériques, la quantité de données transmise sur
les réseaux de communication ne cesse d’augmenter. Le challenge est donc de réussir à
exploiter judicieusement ces grands ensembles d’information. Néanmoins, à l’heure actuelle
seules quelques grosses entreprises possèdent les infrastructures de calcul et de stockage
nécessaires pour y arriver. Bien évidémment, le grand public ne peut avoir à sa disposition
de telles structures. Il faut donc réussir à trouver un moyen pour que cette exploitation
puisse être réalisée sur des systèmes possédant des capacités limitées (par ex. smartphones).1.4. CONTRIBUTIONS 5
Malheureusement, les données accessibles sont généralement brutes, semi-structurées ou
non structurées. Il devient donc nécessaire de trouver un moyen pour les regrouper.
Les évolutions récentes des filtres non locaux tendent à incorporer une problématique
orientée big data en proposant des nouvelles démarches qui analysent l’information de
sorte à extraire un modèle pour améliorer la restauration des données. Malheureusement,
ce type de méthodes reste peu utilisable en pratique à cause du temps qu’il nécessite
pour effectuer l’analyse. Il devient donc nécessaire d’introduire des nouvelles méthodes
non locales qui soient à la fois flexibles pour pouvoir être utilisées sur n’importe quel type
de données et génériques pour être utilisables par une large variété d’applications.
1.4 Contributions
Le point de départ de cette thèse est le débruitage non local de nuages de points. Ce
problème a mis en évidence le besoin de structures dédiées aux traitements non-locaux
des données de dimension deux et supérieure, ainsi que la possibilité de généraliser les
méthodes existantes de restauration non-locale 2D et 3D.
Les principales contributions de cette thèse sont :
– une définition de surface de points capable d’exploiter le caractère autosimilaire d’un
nuage de points. Cette définition permet d’étendre n’importe quelle définition de surface
de points locales précédente.
– une structure de données flexible et générique capable d’apprendre les distributions d’un
grand ensemble d’échantillons avec une capacité de mémoire limitée. Cette structure
permet de définir pour tout voisinage, la gaussienne anisotrope associée aux échantillons
qui sont compris dans ce voisinage.
– une généralisation des méthodes de restauration par filtres collaboratifs appliquées aux
données 2D et 3D qui utilisent la structure de données introduite précédemment pour
apprendre un modèle statistique a priori à partir d’un grand ensemble de données.
1.5 Organisation de la thèse
Dans le Chapitre 2, nous introduisons de manière générale les méthodes de restauration non
locales. Au travers ce chapitre, nous présenterons les méthodes de débruitage par moyenne
non locale, leurs applications aux cas 3D ainsi qu’une analyse générale des méthodes
collaboratives.
Le Chapitre 3 sera consacré à l’adaptation de la méthode de filtrage par moyennes non
locales au cas des nuages de points.
Dans le Chapitre 4, nous introduisons une nouvelle structure capable d’apprendre rapidement
une grande base de données en utilisant uniquement une quantité de mémoire
limitée.
Cette structure sera utilisée au Chapitre 5 pour résoudre différents problèmes de restauration
collaboratifs.6
Finalement, le Chapitre 6 offrira une conclusion générale des contributions de cette thèse
et le Chapitre 7 une ouverture générale des travaux de recherche à venir.
1.6 Prix et Publications
Covariance Tree for 2D and 3D Processing, Thierry Guillemot, Andrés Almansa et
Tamy Boubekeur, Computer Vision and Pattern Recognition (CVPR), Columbus, 2014
Non Local Point Set Surface, Thierry Guillemot, Andrés Almansa et Tamy Boubekeur,
3D Imaging Modeling Processing Visualization Transmission (3DIMPVT), Zurich, 2012
Non Local Point Set Surface, Thierry Guillemot, Andrés Almansa et Tamy Boubekeur,
Symposium on Geometry Processing (SGP), Tallinn, 2012 - Best Poster AwardC h a p i t r e 2
Tour d’horizon des méthodes de
restauration non locales
Dans ce chapitre, nous allons introduire un état de l’art des méthodes non locales. Nous
commençons par présenter un contexte général de la restauration des images ainsi qu’un
historique des méthodes de débruitage par moyenne de valeurs. Cet historique est suivi
d’une analyse des méthodes non locales qui se concentrera sur l’influence des paramètres,
les limitations et les évolutions des méthodes non locales. Nous présentons ensuite, une
généralisation de ces méthodes au cas 3D en nous focalisant sur le débruitage surfacique
et de nuage de points. Finalement, nous introduisons les filtres collaboratifs ainsi que leurs
différentes applications en traitement des images. Durant ce chapitre, nous introduisons
les notions indispensables qui seront utilisées durant l’ensemble de cette thèse. Nous précisons
au lecteur que des analyses de l’état de l’art plus spécifiques aux travaux développés
durant cette thèse seront présentées en début des Chapitres 3, 4 et 5.
2.1 Contexte
Quel que soit le système d’acquisition et la précision de ce dernier, les signaux modernes
restent altérés lors de leur capture. Ces dégradations, généralement dues aux contraintes
matérielles (optique, capteur CCD, etc.), algorithmiques (compression JPEG, etc.) ou
transmissives (satellitaires, internet, etc.), doivent être traitées afin de récupérer au mieux
l’information originalle contenue dans ces signaux. Dans cette partie, nous considérerons
des images discrètes dont chaque élément (pixel) est associé à une couleur (Rouge, Vert,
Bleu - RGB).
Plusieurs hypothèses sont généralement faites afin de modéliser les dégradations subies par
l’image. En particulier, nous supposerons que nous avons accès à une observation dégradée
de l’image qui associe à chaque pixel xi une couleur f(xi) obtenue à partir de la couleur
réelle u(xi) en ajoutant un bruit n(xi) gaussien i.i.d. (indépendant et identiquement distribué)
de variance σ connue :
fi = f(xi) = u(xi) + n(xi) (2.1)
Ce modèle est utilisé de manière standard dans la communauté du traitement des images,
car il est à la fois simple et efficace pour modéliser le bruit dû à l’acquisition de l’image.
78Zone homogène Contour Zone texturée
Images bruitées Poids gaussien Poids bilatéral Poids non local
Figure 2.1: Nous illustrons la définition des poids gaussien, bilatéral et non local pour
trois différentes zones de l’image : une zone homogène, un contour, une zone texturée. Pour
tout ces exemples, les poids sont calculés en fonction du pixel central de chaque image.
Les poids élevés sont représentés en blanc tandis que les poids faibles sont représentés en
noir.
D’autres modèles, par exemple les modèles poissoniens, ne seront pas abordés dans cette
thèse (voir [Bov05] pour plus de détails).
Le principe des méthodes de débruitages consiste à éliminer le bruit ajouté lors de l’acquisition
afin d’estimer une couleur ˆu(xi) proche de la couleur originale u(xi). Pour résoudre
ce problème, des nombreux travaux ont été introduits proposant une minimisation de
la variation totale [ROF92], l’application de filtres de Wiener empiriques [YY85], une
décomposition de l’image en ondelettes [Don95], l’utilisation de voisinages de taille variable
[PS00,KEA02,KFEA04,FKEA04], ou plus récemment une analyse de l’a priori des
textures de l’image par dictionnaire [DFKE09,ZDZS10,YSM10], etc..
Parmi toutes ces méthodes, un grand nombre de filtres peuvent s’exprimer comme une
moyenne sur les pixels de l’image. En considérant un sous-ensemble de pixels N(xi) proches
du pixel d’intérêt xi
, la forme générale de ces filtres peut être exprimée comme une combinaison
des couleurs fj pondérées par les poids wij :
uˆ(xi) = X
xj∈N(xi)
wij fj (2.2)2.1. CONTEXTE 9
Images bruitées Filtrage gaussien
Filtrage bilatéral Filtrage non local
Figure 2.2: Résultat des différents filtrages gaussien, bilatéral et non local appliqués sur
l’image barbara bruitée avec un bruit gaussien de variance 0.08.
Les poids wij sont normalisés : P
xj∈N(xi) wij = 1, et leur définition permet de définir
les caractéristiques du filtre souhaité. Ce dernier peut dépendre de la position spatiale xi
,
de la couleur des pixels fi
, ou de toute autre caractéristique de l’image. En particulier,
l’Équation 2.2 peut être utilisée pour exprimer la convolution par un noyau gaussien φ
d’écart type hp. Dans ce cas, les poids wij sont fonction de l’éloignement spatial entre les
pixels de l’image xj et le pixel d’intérêt xi
:
wij ∝ φ(kxi − xjk
2
/h2
p
) (2.3)
Une analyse du filtre gaussien [BCM05] démontre que l’écart entre l’image originale et
l’image filtrée est directement proportionnel au laplacien de l’image. Il en résulte que
le filtre gaussien permet de récupérer correctement les valeurs des zones homogènes de
l’image, mais floute les bords et les zones texturées (Figure 2.1 et 2.2). Par conséquent,
à cause de ces faibles performances, ce filtre est assez peu utilisé par les systèmes de
débruitage modernes.10
La simplicité de la formulation du filtre gaussien restant très attrayante, de nombreux
travaux ont proposé d’améliorer ses performances afin d’obtenir un débruitage des images
plus efficace. En proposant une approche similaire aux travaux de Lee [Lee83] et de Yaroslavsky
[YY85], Tomasi introduit le filtre bilatéral [TM98] en définissant un poids dépendant
à la fois de la distance spatiale entre les pixels et de la distance entre leurs couleurs
associées (distance colorimétrique). D’une manière totalement équivalente, le filtre bilatéral
peut être vu comme un filtre gaussien défini dans un espace augmenté qui mélange
les positions des pixels xi et leurs valeurs associées fi
. Les poids du filtre sont calculés en
combinant deux noyaux φ, ψ définis respectivement dans les domaines spatial (différence
des positions des pixels) et colorimétrique (différences des couleurs des pixels) :
wij ∝ φ(kxi − xjk
2
/h2
p
)ψ(kfi − fjk
2
/h2
f
) (2.4)
Ces noyaux, généralement gaussiens, sont dépendants de deux paramètres hp et hc utilisés
pour limiter la taille du voisinage spatial et colorimétrique. Désormais seuls les pixels qui
possèdent à la fois des positions et des couleurs proches du point d’intérêt ont un poids
élevé. Par exemple, les pixels proches d’un contour appartenant à une zone différente de
celle du pixel d’intérêt possèdent dans ce cas un poids négligeable. Le filtre bilatéral permet
de débruiter correctement les zones homogènes tout en préservant les bords de l’image.
Néanmoins, l’utilisation d’une unique valeur pour estimer un voisinage colorimétrique reste
trop sensible au bruit de l’image (Figure 2.1 et 2.2). Les zones texturées de l’image restent
donc difficilement récupérables par une telle approche.
Face au succès des méthodes de synthèse de texture [EL99] et d’inpainting [CPT03,CPT04]
utilisant la notion de patch (correspondant à une imagette de l’image considérée), Buades
et coll. [BCM05] (et en même temps [AW05,KB06,AW06]) introduisent le filtre à moyennes
non local (Non Local Means - NL-Means). Ce dernier étend l’idée du filtre bilatéral d’utiliser
la couleur des pixels pour raffiner l’estimation du voisinage en la remplaçant par un
patch (ou imagette) décrivant l’information contenue autour du pixel. Ce patch PW
f,xi
∈ R
dP
de dimension dP = (2W + 1)2
est défini comme l’ensemble des valeurs de f comprises dans
une fenêtre carrée de taille W centrée sur le pixel considéré xi
. Les poids non locaux wij
sont donc définis par l’intermédiaire d’un noyau de pondération φ dépendant de la distance
entre patchs :
wij ∝ φ(kP
W
f,xi − P
W
f,xj
k
2
/h2
) ∝ φ(
X
dP
k=1
kfi+k − fj+kk
2
/h2
) (2.5)
Le paramètre h permet de définir le nombre de voisins utilisés pour le débruitage. Désormais
le poids dépend uniquement de la similarité entre les patchs et non de l’éloignement
spatial entre les pixels (d’où son caractère non local). Il est intéressant de noter qu’une
version dégénérée des NL-Means, où la taille du patch est réduite à un unique pixel, nous
permet d’obtenir une forme équivalente au filtre bilatéral. Tout comme ce dernier, le filtre
NL-Means peut être exprimé de manière équivalente comme un filtre gaussien appliqué
dans l’espace des patchs. Par l’utilisation d’un ensemble de couleurs {fi+k}k∈[[1,dP]], les
poids définis par les NL-Means sont moins dépendants du bruit et permettent d’obtenir
un débruitage de l’image satisfaisant dans les zones homogènes, les contours et les zones
texturées de l’image (Figure 2.1 et 2.2). Cette propriété est due au fait que les images naturelles
présentent une auto similarité affine locale [Ale05]. De par leur formulation simple
et leur capacité de débruitage, les NL-Means sont devenus durant ces dernières années l’un
des filtres les plus utilisés pour le débruitage d’images.2.2. FILTRES À MOYENNES NON LOCALES 11
2.2 Filtres à moyennes non locales
Dans cette partie, nous effectuons une étude plus approfondie des NL-Means. Nous nous intéresserons
en particulier à l’analyse de ses différents paramètres, évolutions et limitations.
Lebrun et. coll. [LCBM12] fait une analyse en profondeur des propriétés mathématiques
de ces filtres et ses généralisations en traitement d’images.
2.2.1 Formulations
Nous rappelons ici la définition des NL-Means telle qu’elle a été introduite par Buades et
coll. [BCM05] :
uˆi =
X
xj∈N(xi)
φ(kP
W
f,xi − P
W
f,xj
k
2
/h2
)fj (2.6)
où N(xi) est un ensemble de pixels voisins de xi
, φ un noyau de pondération, W la taille
des patchs PW
f,xi
centrés sur xi et h le facteur d’autosimilarité. Tous ces paramètres sont
directement liés à la qualité de la restauration. De nombreux travaux ont proposé une
analyse détaillée de leur influence respective.
Noyau de pondération
Le noyau de pondération φ permet de définir le poids de chaque échantillon en fonction
de la similarité de leurs voisinages. La pondération est normalisée de sorte que :
X
xj∈N(xi)
φ(kP
W
f,xi − P
W
f,xj
k
2
/h2
) = 1 (2.7)
Les travaux originels des NL-Means [BCM05, AW05, KB06, AW06] utilisent un noyau de
pondération gaussien. Chaque pixel de la somme possède un poids non nul qui influence
l’estimateur final. L’accumulation des poids des pixels les plus éloignés peut par conséquent
biaiser le débruitage. Par conséquent, n’importe quel point, même le plus éloigné, influence
l’estimateur non local. Pour résoudre ce problème, de nombreux travaux [GLPP08,DAG10,
Sal10a] arrivent à la conclusion qu’il est préférable d’utiliser un noyau à support compact
qui permet d’annuler l’influence des échantillons trop différents.
Dans l’Équation 2.6, le patch PW
f,xi
possède le double rôle de patch de référence (utilisé
pour définir la similarité entre deux patchs) et de patch estimateur (combiné pour définir
la moyenne). Ce pixel particulier possédera donc un poids plus important que les autres
pixels de l’image biaisant par la même occasion l’estimateur non local. Pour résoudre
ce problème, Buades et coll. [BCM05] suggèrent de le remplacer par le poids maximal
des autres pixels utilisés dans la somme. Cette solution n’est pas vérifiée théoriquement,
mais permet d’obtenir de bons résultats pratiques. Zimmer et coll. [ZDW08] proposent
d’annuler l’influence de ce patch particulier. Néanmoins, une telle solution ne permet
pas de concilier le double rôle du patch central. Salmon [Sal10b] résout ce problème en
supprimant la variance du bruit dans la distance euclidienne utilisée pour comparer les
patchs. Ainsi, tout patch qui possède une distance inférieure à la variance du bruit possède
un poids égal à 1.12
Facteur d’autosimilarité
Le facteur d’autosimilarité h définit le degré de similarité des échantillons. Il est choisi de
manière globale et peut être assimilé à la quantité de flou des méthodes locales. Le choix
d’une valeur globale pour ce facteur reste dfficile à choisir, en effet certaines textures de
l’image sont plus redondantes que d’autres. Ce paramètre est donc généralement estimé
par une analyse heuristique sur un ensemble représentatif d’images. Des estimations de h
basées sur l’estimateur SURE (Stein’s Unbiased Risk Estimate) sont néanmoins calculées
globalement par Van et coll. [VDVK09] et localement par Duval et coll. [DAG10].
Taille des patchs
La taille des patchs W correspond au niveau de détail à utiliser pour définir la similarité
entre deux patchs. Augmenter l’échelle W permet de définir une mesure de similarité plus
robuste et moins dépendante du bruit. Malheureusement, cela limite le nombre de patchs
similaires utilisés pour le débruitage et augmente le temps de calcul des NL-Means.
Par conséquent, la taille W doit être idéalement choisie en fonction de la quantité de
bruit et de l’image à traiter. Généralement, elle est déterminée par une analyse statistique
effectuée sur une base d’images représentatives.
Zones de recherche
Initialement, le voisinage N(xi) a été introduit comme un moyen d’accélérer l’estimation
des NL-Means [BCM05]. En effet, le temps de calcul est directement proportionnel au
nombre d’échantillons utilisé par l’Équation 2.6. Nous pourrions penser qu’augmenter la
taille du voisinage améliorerait la qualité de restauration. En effet, nous obtiendrions dans
ce cas un nombre de patchs similaires plus élevé. Malheureusement, nous augmenterions
par la même occasion le nombre de mauvais candidats susceptibles de parasiter le résultat
final. Pour résoudre ce problème, Kervrann et coll. [KB06] proposent de définir un voisinage
adaptatif permettant de récupérer un plus grand nombre de patchs similaires sans
introduire un trop grand nombre de mauvais représentants.
2.2.2 Limitations et améliorations des NL-Means
Les NL-Means sous leur forme originale présentent des limitations. De nombreux travaux
ont été proposés pour enrichir le modèle de départ afin de corriger ces problèmes tout en
améliorant les performances qualitatives et temporelles de la restauration.
L’un des problèmes principaux des NL-Means vient de la redondance des patchs. En effet,
nous avons supposé que le patch était suffisamment bien représenté pour pouvoir être
débruité correctement. Malheureusement, il arrive que certains pixels de l’image soient
moins bien représentés que d’autres. Une première catégorie de méthodes propose entre
autres d’augmenter le nombre de patchs similaires en utilisant le caractère autosimilaire
local des images naturelles [Ale05]. Plusieurs approches [ZDW08, JCSX09] utilisent une
analyse des moments robuste aux bruits afin de rendre les patchs invariants par rotation.2.2. FILTRES À MOYENNES NON LOCALES 13
D’autres travaux [BCM05] suggèrent l’utilisation d’espace échelle afin de simuler l’invariance
par changement d’échelles. Dans ce cas, les patchs calculés sur les différentes images
sous-échantillonnées sont ajoutés à l’ensemble des patchs utilisé classiquement.
La mesure de similarité est faite sur un ensemble de patchs bruités. Idéalement, cette
dernière devrait être effectuée sur des patchs non bruités. Ces données étant inaccessibles,
Buades et coll. [BCM05] ont proposé l’utilisation de la distance euclidienne, car elle permet
d’être peu dépendant du bruit de l’image. D’autres méthodes [BC07,BKC08] proposent de
calculer la similarité sur les patchs débruités de manière itérative. Ces NL-Means itératifs
débruitent l’image en utilisant une mesure de similarité calculée sur des patchs extraits de
l’image qui a été débruitée à l’itération précédente. En d’autres termes, ce type d’approches
permet un regroupement des patchs en fonction de la ressemblance du voisinage débruité
à l’itération précédente.
À l’origine, les patchs utilisés sont centrés sur le pixel d’intérêt xi
. Dans le cas d’un patch
contenant un contour de l’image, la mesure de similarité risque d’être biaisée et donc de
favoriser un côté du contour par rapport à l’autre. Ce phénomène d’adhérence introduit des
poids parasites dans la combinaison finale des pixels. Il en résulte une apparition de halos
autour des bords de l’image. D’autres méthodes [DFKE07, DFKE08, DFKE09, LBM13]
proposent d’utiliser des patchs carrés décentrés pour corriger ces halos en reformulant
l’Équation 2.6 d’une manière équivalente par :
Pˆ W
f,xi =
X
xj∈N(pi)
φ(kP
W
f,xi − P
W
f,xj
k
2
/h2
)P
W
f,xj
(2.8)
L’estimation finale est définie en effectuant des moyennes sur les estimateurs [SS12]. Ce
type de solutions permet d’étendre l’agrégation d’estimateurs [Nem00] au cas des patchs.
Parmi ces méthodes, Deledalle, Salmon et Duval [DDS12] proposent en particulier l’utilisation
d’un estimateur SURE (Estimateur de risque sans biais de Stein - Stein’s Unbiased
Risk Estimate) couplée à l’utilisation de patchs de différentes formes (non carrés). Cette
idée (utilisée de manière similaire par Baraniuk et coll. [MNB12]) permet de tirer parti
de la géométrie locale de l’image tout en étant peu victime du phénomène d’adhérence.
Salmon [Sal10a] propose une étude plus détaillée concernant l’agrégation d’estimateurs
dans le cas des NL-Means.
En plus de ces facteurs limitant la qualité de restauration de l’image, l’un des problèmes
majeurs des NL-Means reste son temps de calcul. De nombreuses approches ont été proposées
afin d’accélérer l’estimation. Certaines proposent une estimation approchée des plus
proches patchs [BSFG09,OA12,KA11,Tas09,HS12], une approximation de l’image filtrée
par regroupement de patchs similaires [AGDL09,ABD10,HST10,GO12], etc. Une analyse
plus détaillée de ce point de l’état de l’art sera proposée en Section 4.1.1.
La simplicité et les performances des NL-Means ont favorisé la généralisation des filtres
non locaux à de nombreux domaines connexes tels que l’imagerie satellitaire [DDT09], la
vidéo [BCM08,AGDL09], l’imagerie médicale [MCCL+08], etc. Nous focaliserons la suite
de notre analyse sur le traitement 3D.14
Figure 2.3: Nous présentons plusieurs exemples de surface numérisée à partir d’objet
réels d’origine humaine. Tous ces objets peuvent être considérés comme autosimilaires du
fait qu’ils présentent un ensemble de structures redondantes. Une telle hypothèse peut être
faite pour la plupart des objets d’orgines humaine ou naturelle.
2.3 Filtres 3D non locaux
Une chaîne d’acquisition 3D permet d’obtenir une surface maillée à partir d’un objet réel.
Cette dernière peut être résumée par deux principales étapes : l’étape d’acquisition et
l’étape de reconstruction. Tout d’abord, l’étape d’acquisition définit à partir de l’objet
réel un nuage de points 3D. Pour ce faire, cette étape utilise généralement des capteurs
automatiques (par ex. systèmes d’acquisitions Kinect), des appareils photo et/ou camé-
ras vidéo couplés à des méthodes de stéréovision [BBH08,BBB+10,BHB+11], etc. Lors de
cette étape, le nuage de points obtenu peut être dégradé par du bruit, des trous, des points
aberrants et/ou des taux d’échantillonnages variables. Ensuite, l’étape de reconstruction
permet de définir une surface maillée à partir du nuage de points acquis. Plusieurs mé-
thodes peuvent être utilisées telles que les Marching Cubes [LC87], la reconstruction de
Poisson [KBH06], etc.
Si elles ne sont pas traitées correctement, les dégradations introduites lors de l’étape d’acquisition
parasitent la reconstruction de la surface maillée. Durant ces dernières années, les
méthodes de débruitage ont donc été particulièrement utilisées afin de corriger les erreurs
apportées par la chaîne d’acquisition. Nous pouvons diviser ces méthodes en deux principales
catégories. La première catégorie, que nous appellerons filtres de nuages de points
est appliquée sur le nuage de points 3D obtenu en amont de l’étape de reconstruction.
Ces filtres permettent d’obtenir une surface maillée résultante de meilleure qualité. La
deuxième, appelée filtre surfacique, est appliquée sur la surface maillée obtenue en aval de
l’étape de reconstruction. Ces filtres sont utilisés dans le cas où l’utilisateur ne peut pas
avoir accès à la chaîne d’acquisition.
La plupart de ces méthodes ont été inspirées des avancées en traitement des images [FDCO03,
JDD03,VB11]. Des hypothèses similaires à celles utilisées pour les images peuvent en effet
être faites concernant les données 3D. En particulier, ces dernières sont considérées de nature
autosimilaire, car elles sont généralement issues d’objets réels d’origines naturelles ou
humaines et possèdent de nombreuses primitives et structures redondantes (Figure 2.3).
Les méthodes non locales ont donc logiquement été adaptées afin d’améliorer la qualité
de la restauration 3D. Pour ce faire, ces dernières nécessitent la définition d’un signal à
débruiter et d’une mesure de similarité adaptée aux données 3D considérées. Contrai-2.3. FILTRES 3D NON LOCAUX 15
rement aux images qui possèdent un échantillonnage régulier et une définition de signal
bruité évidente, les données 3D ne possèdent pas de support pouvant être utilisé pour les
deux définitions précédentes. Plusieurs solutions ont donc été introduites dans le cas des
surfaces et des nuages de points pour définir des notions équivalentes.
2.3.1 Filtres surfaciques non locaux
Yoshizawa et coll. [YBS06] étendent les NL-Means aux filtrages surfaciques comme un
moyen de supprimer les dégradations tout en préservant les structures principales de la
surface maillée. Ils proposent une approche itérative basée sur [FDCO03] qui déplace les
points du maillage xi dans la direction de la normale n(xi). Ce déplacement est calculé
comme une combinaison des valeurs < xi − xj , n(xi) > des points xj ∈ N (xi) compris
dans un voisinage de xi pondérées par rapport à la similarité des surfaces locales autour de
xi et de xj . Dans ce cas, l’utilisation de Radial Basis Functions (RBF) permet de définir
une interpolation de la surface ainsi qu’un repère de comparaison normalisé.
Wang et coll. [WCZ+08] proposent une démarche similaire à [YBS06] en remplaçant la
mesure de similarité sur les RBF par une mesure plus proche des NL-Means classiques
qui utilisent des patchs. Ainsi, ils introduisent un repère normalisé local défini par le plan
tangent à la surface au point du maillage xi orienté par rapport à l’analyse en composantes
principales des points compris dans le voisinage de xi
. Dans ce repère, ils définissent des
patchs de la variation géométrique locale de la surface. Ils utilisent une grille régulière
centrée sur xi dont les valeurs sont calculées en interpolant la hauteur des points du
maillage du voisinage. Pour accélérer le temps de calcul et obtenir de meilleurs résultats,
ils proposent d’effectuer un regroupement des points du maillage par Meanshift [CM02].
Adams et coll. [AGDL09] introduisent leur propre filtre surfacique non local comme une
application de sa structure d’accélération de filtres à hautes dimensions. Ils proposent
d’utiliser une surface de référence. Cette dernière, calculée par application itérative du
filtre laplacien sur le maillage, permet d’associer à chaque point du maillage une valeur
bruitée (correspondant à l’écart entre la surface bruitée et la surface de référence). Dans
leur approche la similarité est calculée en utilisant des histogrammes 2D représentant la
répartition locale des points bruités du maillage appartenant aux différentes zones d’un
descripteur cylindrique.
Morigi et coll. [MRS12] proposent un filtre surfacique différent capable de préserver les
structures principales du maillage par un débruitage non local de la courbure moyenne.
Dans ce cas la mesure de similarité de la géométrie locale est définie par rapport à un
descripteur basé sur la courbure moyenne locale.
2.3.2 Filtres non locaux de nuage de points
Malgré les bonnes performances des filtres surfaciques non locaux, il reste difficile de
corriger les dégradations de l’acquisition après reconstruction de la surface maillée. En
effet, une partie de l’information contenue dans le nuage de point 3D est perdue à ce
moment de la chaîne d’acquisition. Par conséquent, il semble plus judicieux de filtrer le
nuage de points 3D avant de reconstruire une surface. Contrairement aux surfaces maillées,16
les nuages de points 3D ne possèdent aucune information de structure. Cette dernière
est malheureusement indispensable pour définir un signal à débruiter et une mesure de
similarité appropriée indispensables à toute restauration non locale.
Pour résoudre ce problème, Deschaud et coll. [DG10] suggèrent l’utilisation de méthodes de
projection par moindres carrés glissants (Moving Least Square - MLS) [Lev98,ABCO+01]
qui définissent localement une surface à partir d’un nuage de points. Leur approche peut
être résumée par trois principales étapes. Tout d’abord, ils définissent pour chaque point du
nuage un système de coordonnées local défini à partir des vecteurs associés aux deux plus
grands vecteurs propres de la covariance des points. Ensuite, les variations de la surface
autour du point d’intérêt sont approchées localement par un polynôme bivarié exprimé
dans ce repère. Finalement, la position débruitée est estimée comme une combinaison
des points proches pondérée par la similarité de leur polynôme bivarié. Cette démarche
appliquée à chaque point du nuage permet d’obtenir le nuage débruité. Malheureusement,
comme le démontre [Dig12], la paramétrisation du repère local n’est pas suffisamment
stable.
Digne [Dig12] propose de décomposer le nuage de points en une surface grossière et un
champ scalaire bruité en utilisant un filtre isotropique [DMSL11]. Elle propose ensuite de
filtrer le champ scalaire par NL-Means. Pour ce faire, elle utilise un patch qui décrit les
variations locales de la surface définie dans un repère local. La paramétrisation du repère
local est calculée à partir d’une analyse en composantes principales des normales du nuage
plus robuste aux variations de la surface [DM11]. Les valeurs du patch sont calculées par
une interpolation sur une grille des hauteurs des points voisins par RBF.
Plus récemment, une méthode de débruitage de nuage de point par analyse spectrale
collaborative de patchs a été introduite [RDK13]. Ces patchs utilisent un opérateur de
Laplace-Beltrami afin débruiter le nuage d’une manière robuste.
2.3.3 Limitations
Les méthodes non locales ont été introduites pour améliorer la correction des dégradations
introduites lors de l’étape d’acquisition. Ces approches ont été définies pour être utilisées
sur deux types de données : la surface maillée, corrigeant ainsi les erreurs introduites par
l’utilisation d’un nuage de points dégradé lors de l’étape de reconstruction ; le nuage de
points, avant que la surface ne soit définie.
En utilisant la méthode de débruitage surfacique, il devient difficile de récupérer l’information
dégradée, car une partie a été perdue lors de la phase de reconstruction. Par
conséquent, il est préférable d’utiliser les méthodes de débruitage de nuages de points.
Néanmoins, dans ce cas, la reconstruction ne permet pas d’exploiter correctement l’ensemble
de l’information présente dans le nuage de points. En particulier, la propriété
autosimilaire du nuage n’est pas exploitée par la reconstruction de la surface.
Nous introduisons au Chapitre 3 un nouvel opérateur capable de définir une surface implicite
qui exploite correctement le caractère autosimilaire du nuage de points. Nous utilisons
ce dernier pour définir des surfaces maillées, le débruitage de nuage de points et l’intensi-
fication des structures de l’objet.2.4. FILTRES COLLABORATIFS 17
Approche des NL-Means Approches collaboratives
Figure 2.4: Principe des filtres collaboratifs : Nous considérons ici un ensemble d’individus
possédant chacun une caractéristique bruitée (cercle interne à chaque individu). Pour les
NL-Means, un individu ( cercle rouge) utilise les caractéristiques que lui transmettent les
individus voisins (cercle discontinu) pour restaurer la valeur de sa propre caractéristique.
Une telle approche peut utiliser des individus qui ne font pas nécessairement partie de la
même famille que l’individu considéré. Dans le cas des filtres collaboratifs, les individus
sont regroupés en familles (cercles en pointillé). L’information sur les caractéristiques des
individus d’une même famille est mise en commun (cercle bleu au centre de chaque famille),
analysée puis retransmise à l’ensemble des individus de la famille. Dans ce cas, toutes les
valeurs des individus d’une même famille sont restaurées en même temps en utilisant une
information partagée par la famille uniquement.
2.4 Filtres collaboratifs
Les récents travaux sur les filtres non locaux ont permis une généralisation des NL-Means à
des domaines d’applications différents de ceux de la restauration d’images et une évolution
de ces principes originaux pour une meilleure exploitation de la redondance de l’information.
De plus en plus, ces évolutions ont rapproché la restauration non locale d’un autre
genre de filtrage : le filtrage collaboratif.
2.4.1 Principe
Le filtrage collaboratif est un procédé de filtrage de l’information utilisant des techniques
qui impliquent une collaboration entre de multiples agents, points de vue, sources de données,
etc. À l’origine, ces derniers ont été particulièrement utilisés dans le domaine de
l’e-commerce comme un système de recommandation automatique à partir d’une connaissance
de l’intérêt d’un grand nombre d’utilisateurs. De manière générale, ces méthodes
consistent à prédire une information inconnue d’un individu (débruitage, complétion, etc.)
par une analyse détaillée d’un groupe de personnes qui possède des caractéristiques communes
à l’individu considéré. Ce genre d’idées diffèrent d’approches plus simples qui four-18
nissent un score moyen non spécifique exprimant l’intérêt d’un ensemble d’utilisateurs
(basé par exemple sur le nombre de votes).
Ce principe de filtrage a été généralisé au traitement des images par [DFKE07]. L’idée
principale dans ce cas consiste à rassembler les patchs similaires par famille puis de les
débruiter en utilisant l’information commune de la famille à laquelle ils appartiennent. Pour
bien comprendre la différence entre NL-Means et les méthodes collaboratives, considérons
un ensemble d’individus chacun associé à une caractéristique bruitée. Pour les deux types
de méthodes, le but est de débruiter chaque caractéristique à l’aide d’autres individus
(Figure 2.4). Dans le cas des NL-Means, elle est débruitée en combinant les caractéristiques
des individus proches. L’individu en question ne retransmet aucune information qu’il a pu
récupérer de ses voisins. Pour les filtres collaboratifs, les individus sont d’abord regroupés
par familles d’individus proches. Ensuite, les individus d’une même famille se mettent
d’accord mutuellement sur les valeurs débruitées de leurs caractéristiques respectives. En
opposition aux filtres collaboratifs classiques, la collaboration en traitement d’image vient
d’une analyse commune du groupe de patch qui est ensuite utilisée pour améliorer la qualité
de la restauration. Ce type de filtre permet de révéler les détails partagés par l’ensemble du
groupe tout en conservant les caractéristiques uniques de chaque patch. Le patch obtenu
est donc plus proche de la position originale qu’en le débruitant par NL-Means.
2.4.2 Méthodes de restauration collaboratives
Dabov et coll. [DFKE07,DFKE08,DFKE09] sont les premiers à introduire le filtrage collaboratif
pour la restauration des images. Leur méthode, appelée BM3D (Block Matching
and 3D Filtering), se base sur trois principales étapes. Tout d’abord ils empilent les patchs
en les regroupant en fonction de leurs similarités de sorte à former des piles de patchs. Ensuite,
cette pile 3D est débruitée en gardant les fréquences principales d’une transformée
(ondelettes, transformées en cosinus discret) appliquées sur la pile. Un filtrage appliqué sur
cette troisième dimension permet de garder les caractéristiques communes de la famille
tandis que le filtrage des deux autres dimensions permet de garder les caractéristiques
spécifiques à chaque patch. Ainsi, la collaboration vient du fait que les patchs d’une même
famille sont débruités conjointement en considérant l’analyse globale de la pile. Finalement,
les patchs débruités sont agrégés de sorte à définir les valeurs débruitées de l’image.
Ces trois étapes sont itérées deux fois afin d’améliorer la qualité finale du débruitage.
BM3D constitue l’une des méthodes applicatives les plus performantes actuellement pour
le débruitage d’images. Néanmoins, l’influence de ces nombreux paramètres reste difficile
à analyser.
Yu et coll. [YSM12] proposent d’étendre le principe des filtrages collaboratifs à d’autres
problèmes inverses tels que le débruitage, l’amélioration de la résolution ou d’inpainting
en introduisant l’estimateur linéaire par morceaux (Piecewise Linear Estimator - PLE).
Leur idée basée sur les travaux sur les structures parcimonieuses [MBP+09] approxime
l’ensemble des patchs par un modèle de mélange de gaussiennes (Gaussian Mixture Model
- GMM). Les gaussiennes sont ajustées à l’ensemble des patchs inconnus à restaurer via
une Maximisation A Posteriori (MAP) qui utilise un algorithme d’espérance-maximisation
(Expectation Maximisation - EM) itératif. Pour cette méthode il est difficile de trouver le
bon nombre de classes des GMM ainsi qu’une bonne initialisation afin que la procédure2.4. FILTRES COLLABORATIFS 19
EM converge vers un bon minimum de la fonction objectif non convexe. En pratique, le
nombre de gaussiennes est fixé à l’avance à environ une dizaine afin de garder la complexité
du calcul sous contrôle.
Quand l’ensemble des patchs est corrompu par un bruit gaussien de variance σ
2
, l’Équation
2.6 des NL-Means peut être reformulée comme une Espérance A Posteriori (EAP)
bayésienne. Lebrun et coll. [LBM13] reformule les NL-Means pour définir les Non Local
Bayes (NLB) en remplaçant la formulation EAP des NL-Means par une Maximisation A
Posteriori (MAP). Désormais en plus de la moyenne non locale, chaque patch est associé
à une matrice de covariance Σ décrivant la variabilité au sein du groupe de patchs. La
covariance étant bruitée, le côté collaboratif de ce filtre vient du fait que tous les patchs
sont débruités conjointement par l’opération de filtrage de la covariance Σ˜ = Σ−σ
2
Id. En
utilisant une approche similaire aux BM3D, le patch est débruité en deux étapes : la première
étape débruite à partir de variations estimées sur les patchs bruités et la deuxième
à partir des patchs débruités à la première étape. Tout comme BM3D, une phase d’agré-
gation permet de définir un meilleur débruitage des pixels de l’image. Nous proposons
en Section 5.1.1 plus de détails concernant les NLB. Les NLB permettent actuellement
d’obtenir les meilleures performances de débruitage. Néanmoins, leur approche nécessite
une grande quantité de calcul dans la mesure où un modèle gaussien local a besoin d’être
appris deux fois autour de chaque patch. Pour être calculable, l’estimation du voisinage
est approchée par une recherche des k plus proches voisins dans l’espace des patchs.
2.4.3 Généralisation des filtres collaboratifs
Durant ces dernières années, la formulation collaborative des méthodes de débruitage a
permis d’améliorer significativement la qualité de la restauration d’images bruitées. Le
principe introduit par BM3D [DFKE07, DFKE08, DFKE09] a ensuite été amélioré par
NLB [LBM13] en remplaçant la formulation EAP des NL-Means par une formulation
MAP qui permet de mieux récupérer les structures communes d’un groupe de patchs similaires
tout en préservant ses caractéristiques spécifiques. Néanmoins, de telles approches
nécessitent une grande quantité de calculs et sont généralement simplifiées pour pouvoir
être calculables.
De plus, PLE [YSM12] a proposé une généralisation des filtres collaboratifs à d’autres
applications du traitement des images. Cette solution offre d’excellentes performances,
mais utilise une GMM simplifiée pour pouvoir obtenir de bons résultats dans un temps
raisonnable. Par conséquent, une telle approche semble difficilement applicable sur de
grands ensembles de données.
Nous introduisons au Chapitre 4 une nouvelle structure de données capable d’apprendre
les variations d’un grand ensemble de points avec une quantité de mémoire limitée. Elle
représente les variations des données apprises en n’importe quelles positions et échelles
de l’espace des patchs par une gaussienne anisotropique. Une telle structure est définie
comme une approche hybride entre PLE et NLB.
Nous utilisesons cette structure au Chapitre 5 pour reformuler des problèmes de restauration
2D et 3D d’un point de vue d’une MAP collaborative. En outre, nous apprendrons20
les variations de grandes bases de données avec une quantité de mémoire limitée afin de
mieux restaurer des données dégradées.C h a p i t r e 3
Surface de points non locale
Dans ce chapitre, nous proposons de définir la première surface qui exploite l’autosimilarité
présente dans un nuage de points (Non Local Point Set Surfaces — NLPSS). Nous
commencerons par décrire dans la Section 3.1 une généralisation des méthodes de surface
de points. En Section 3.2, nous introduisons notre opérateur de projection non local ainsi
que l’ensemble des outils nécessaires à sa définition. Nous montrerons en Section 3.3 que
notre approche permet de retrouver les caractéristiques importantes de l’objet tout en
comblant l’information manquante par une augmentation locale du ratio signal sur bruit.
Finalement en Section 3.4, nous proposons différentes améliorations possibles pour notre
opérateur non local.
3.1 Contexte
3.1.1 Acquisition 3D
Avec la démocratisation des appareils d’acquisition 3D, il est devenu aujourd’hui facile de
numériser des objets réels avec une haute précision. Généralement sous la forme de nuages
de points bruts corrompus par du bruit, des points aberrants, des trous et/ou des taux
d’échantillonnages variables, ces acquisitions doivent être traitées pour définir des surfaces
maillées exploitables.
Les méthodes basées points ont donc été introduites comme un moyen d’améliorer la
qualité des données acquises sans pour autant faire de choix concernant la nature de la
surface sous-jacente. Les surfaces de nuages de points (Point Set Surfaces — PSS) ont été
définies en ce sens, et permettent de faire le lien entre les nuages de points et les surfaces
maillées. Elles introduisent une représentation surfacique lisse non maillée essentiellement
définie par l’ensemble des points fixes d’un opérateur de projection.
3.1.2 Travaux existants
Alexa [ABCO+01] introduit initialement les PSS en se basant sur les travaux de Levin
[Lev98,Lev03] qui étend une classe de méthodes d’approximation fonctionnelles de don-
2122
nées parcimonieuses — les moindres carrés glissants (Moving Least Squares - MLS) [She68]
— au cas d’approximation de formes. Cette première version des PSS est définie par l’intermédiaire
d’un opérateur de projection itératif. À chaque étape, un point d’évaluation
est projeté sur une surface localement définie par un polynôme bivarié paramétré sur
un plan qui approxime les données. Ces deux derniers sont estimés localement par une
minimisation non linéaire du carré de la distance des données aux points d’évaluation.
Amanta et coll. [AK04] démontre qu’il est possible de définir une surface d’aussi bonne
qualité en effectuant une moyenne pondérée des positions, sans utiliser de polynôme bivarié
ou de minimisation non linéaire. Ils introduisent une fonction de distance signée
permettant une représentation implicite de la surface. Cette représentation peut être utilisée
par différents algorithmes de remaillage comme les Marching Cubes [LC87] ou une
triangulation de Delaunay restreinte [BO05] pour définir une surface polygonale.
Adamson et coll. [AA04a] exploitent cette idée pour introduire un modèle simple de surface
de nuages de points (Simple Point Set Surfaces — SPSS). Dans le cas de nuages de points
munis de normales, le plan local de projection peut être estimé par une combinaison linéaire
pondérée des positions et des normales. Si le nuage de point ne comporte pas de normales,
une analyse en composantes principales [HDD+94] permet d’équiper chaque point du nuage
avec une normale estimée. Avec les SPSS, Adamson [AA04b] introduit trois procédures
différentes pour estimer itérativement la projection d’un point sur la surface : l’orthogonale
qui projette le point d’évaluation précisément au terme de calculs sophistiqués, la basique
d’une faible complexité, mais peu précise, et l’orthogonale approximative qui constitue un
bon compromis entre simplicité et précision.
Fleishman et coll. [FCOS05] améliorent cette définition en introduisant une formule implicite
des moindres carrés glissants (Implicit Moving Least Squares - IMLS) qui préserve les
bords anguleux de la surface. Alexa et Adamson [AA09] proposent une surface de point
hermitienne (Hermite Point Set Surfaces — HPSS) qui limite les effets de réduction des
méthodes précédentes. Au lieu de projeter le point sur un seul plan, il est projeté sur
l’ensemble des plans définis par chaque échantillon voisin. Ensuite la position est calculée
par une combinaison pondérée de ces différentes projections permettant de définir une
combinaison hermitienne.
La procédure d’estimation du plan peut devenir rapidement instable quand le nuage de
points n’est pas assez dense par rapport à la taille du support de l’opérateur ou quand
les taux d’échantillonnage du nuage de points sont trop variables. Guennebaud et coll.
[GG07] proposent de remplacer le plan par une sphère algébrique définissant une nouvelle
surface de points algébrique (Algébraic Point Set Surfaces — APSS). Ce modèle est ensuite
amélioré en contraignant les gradients de la sphère algébrique à correspondre aux normales
des échantillons [GGG08].
Les méthodes précédentes ne sont pas adaptées pour définir une surface à partir d’un nuage
de points corrompu par des points aberrants. En utilisant une méthode de régression par
noyau qui ajuste itérativement les poids de chaque échantillon, Öztireli et coll. [ÖGG09] introduisent
une nouvelle formule implicite et robuste des moindres carrés glissants (Robust
Implicit Moving Least Square - RIMLS). En plus d’une résistance aux points aberrants,
cette définition permet une meilleure préservation des caractéristiques de la surface. Nous
vous renvoyons vers [CWL+08] pour un état de l’art plus complet sur les surfaces MLS.3.1. CONTEXTE 23
Figure 3.1: Gauche : Le SPSS [AA04a] définit une surface à partir d’un nuage de points
X muni de normales par l’intermédiaire d’un opérateur Π qui projette pour tout x ∈ R
3
sur
un plan estimé localement de normale n(x). Droite : L’opérateur de projection Π introduit
une fonction implicite f(x) dont l’ensemble des valeurs nulles définissent la surface de
l’opérateur (en orange).
3.1.3 Généralisation des PSS
Jusqu’à la fin de ce chapitre, nous considérerons comme entrée des PSS un nuage de points
X = {xi
, ni} où xi ∈ R
3
correspond à la position spatiale d’un point et ni ∈ R
3
est la
normale qui lui est associée. D’après la procédure de projection orthogonale approximative
introduite par Adamson et Alexa [AA04b], l’ensemble des définitions PSS précédentes
peuvent s’exprimer à l’aide d’un opérateur de projection Π :
MLSX : R
3 → R
3
, x → Π(x) (3.1)
Chaque point d’évaluation x est projeté sur une primitive Q localement estimée par
moindres carrés (e. g. plan pour le SPSS, sphère algébrique pour l’APSS) :
Π(x) = x − f(x)n(x) (3.2)
Cette formulation permet de mettre en évidence la distance implicite f(x) entre x et sa
projection sur Q et n(x) la normale PSS définie en cet emplacement. Q est paramétrée
sur X par rapport à x à une échelle t liée à la taille du support choisie pour le noyau de
pondération spatial sous-jacent.
Par exemple dans le cas des SPSS (Figure 3.1), cette définition générale peut être exprimée
par :
n(x) =
P
xi∈X wt(x, xi)ni
k
P
xi∈X wt(x, xi)nik
c(x) =
P
xi∈X wt(x, xi)xi
P
xi∈X wt(x, xi)
f(x) =< x − c(x), n(x) >24
Figure 3.2: Gauche : les opérateurs PSS conventionnels définissent la surface en considé-
rant un voisinage local. Face aux conditions réelles de capture, ce point de vue purement
local devient insuffisant pour définir une surface correcte. Droite : le principe de notre
algorithme est d’exploiter le caractère autosimilaire des nuages de points pour augmenter
localement le ratio signal sur bruit et ainsi proposer une définition de surface plus adaptée
aux conditions de capture.
Le noyau de pondération spatial wt(x, xi) est généralement défini à partir d’une fonction
à support compact polynomiale par morceaux g :
wt(x, xi) = 1
Zt(x)
g(
1
t
kx − xik)
Zt(x) est choisie de manière à assurer la somme unitaire des poids P
xi∈X wt(x, xi) = 1.
Le paramètre t associé à wt correspond au paramètre de filtrage de la surface : plus t
est grand, plus la surface résultante est lisse. Faire varier t permet de décomposer le PSS
à différentes échelles. Au cours de ce chapitre, nous appellerons respectivement Πt
(x),
f
t
(x) et n
t
(x) l’opérateur de projection, la distance implicite et la normale définie par
l’opérateur PSS à cette échelle t.
3.1.4 Problématique
Dans tous les modèles PSS, le choix de la taille du support du noyau spatial induit la
qualité de la surface résultante : une taille élevée lissera la surface en éliminant les défauts
introduits lors de l’acquisition, et à l’opposé une taille fine fera ressortir les détails importants
de l’objet sans débruiter la surface. Malheureusement, il est difficile de trouver une
taille de support idéale pour satisfaire le compromis lissage/préservation des caractéristiques
de l’objet car le problème est restreint à un point de vue strictement local.
Pour résoudre ce problème de manière adéquate, nous proposons de ne plus nous limiter
à un point de vue strictement local, mais d’utiliser l’information apportée par l’ensemble
du nuage lors de la projection d’un point d’évaluation. Comme le montre la Figure 3.2,
une telle approche permet d’augmenter le ratio information/bruit et ainsi de résoudre les
ambiguïtés dues aux défauts du nuage de points.
Ainsi, nous proposons de définir une surface de points non locale (Non Local Points Set
Surfaces — NLPSS) qui possède les avantages suivants :3.2. SURFACES DE POINTS NON LOCALES 25
1. Définition d’une surface non locale : Notre définition n’est pas restreinte au
débruitage de nuages de points dans le sens où nous proposons un nouvel opérateur
PSS exploitant l’autosimilarité du nuage et qui peut être utilisé pour de la reconstruction,
du débruitage et d’autres traitements plus génériques sur un ensemble non
organisé du nuage de points.
2. Généralisation : Nous proposons une extension de toutes les méthodes PSS précé-
dentes en leur incorporant une propriété non locale.
3. Dégénérescence : Notre définition dégénère en la définition traditionnelle du PSS
sur lequel il se base dans le cas de faible autosimilarité.
3.2 Surfaces de points non locales
Dans cette partie nous allons définir notre opérateur non local de surface de points. Pour
pouvoir introduire cette définition, nous introduirons trois notions :
1. Signal : De par la nature non structurée des nuages de points, il n’est pas possible
de définir un signal en considérant directement leur positions spatiales des points
du nuage. Nous introduirons un signal adapté qui contient les défauts du nuage sur
lequel nous appliquerons les méthodes non locales.
2. Descripteur local : La comparaison de deux sous-ensembles d’un nuage de points
doit être peu sensible à la nature des nuages de points et aux défauts introduits
lors de l’acquisition. Nous définirons un descripteur local adapté au nuage de points
défini dans un repère local normalisé.
3. Fonction de pondération : Nous proposerons une fonction de pondération tenant
compte de la quantité d’information non locale qui est présente.
3.2.1 Principe général
En considérant une échelle t0 suffisamment large, le PSS peut être décomposé en une surface
grossière St0
et un champ scalaire de déplacement résiduel m(xi)n
t0 (xi) qui contient
les caractéristiques du nuage de points contaminées par le bruit. L’idée principale de notre
approche est d’utiliser les méthodes non locales pour supprimer le bruit du champ scalaire
résiduel, et, simultanément, calculer la projection (interpolation) à une échelle fine pour
tous les points d’évaluation x ∈ R
3
.
Nous appliquons tout d’abord un opérateur de projection PSS local Πt0 à une échelle large
t0 pour définir une surface grossière St0
. Nous ajoutons ensuite à St0 un champ scalaire
de déplacement fin mNL(x)n
t0 (x) défini par une approximation non locale de la distance
résiduelle m(x) entre la surface grossière et la reconstruction de X . Les différentes étapes
de notre approche sont présentées figure 3.3.
Nous introduisons donc la première définition de surface de points non locale (Non Local
Point Set Surfaces — NLPSS) par l’opérateur de projection :
ΠNL(x) = Πt0
(x) − mNL(x)n
t0
(x) (3.3)
Nous présentons Figure 3.4 notre schéma de projection non local.26
+
Estimation non locale
PSS à échelle grossière
Figure 3.3: Nous utilisons un opérateur PSS grossier sur notre nuage de points d’entrée
X pour décomposer le signal en une surface grossière St0
(en vert) et un champ scalaire de
déplacement résiduel m. Ce dernier étant éventuellement bruité et défini seulement aux
points du nuage de points original, nous approximons ces valeurs en tout point de la surface
grossière mNL par une méthode non locale qui améliore la qualité de l’approximation
en exploitant le caractère autosimilaire du nuage. Notre surface non locale SNL est par
conséquent définie en ajoutant à la surface grossière le champ scalaire de déplacement
approximé.
3.2.2 Carte de déplacement
Le champ scalaire de déplacement m(x) est défini par la distance résiduelle entre la surface
grossière St0
et X . Pour tout x = xi ∈ X :
m(xi) = D
xi − Π
t0
(xi), n
t0
(xi)
E
= f
t0
(xi) (3.4)
Malheureusement, la nature parcimonieuse du nuage de points et les défauts introduits
par l’acquisition 3D font que le champ de déplacement est défini seulement pour les points
du nuage xi ∈ X et peut être bruité.
Dans le but de débruiter ces valeurs et d’étendre sa définition pour tous les points x ∈ R
3
,
nous considérons une moyenne pondérée non locale des m(xi) :
mNL(x) = X
xi∈X
wNL(x, xi)m(xi) (3.5)
Ainsi nous allons devoir introduire une mesure de similarité wNL entre les voisinages
locaux des deux points x et xi
. Pour cela, nous introduirons un descripteur 3D défini par
l’intermédiaire de repères locaux pour faciliter leur comparaison.
3.2.3 Fonction de pondération
Dans cette partie nous allons introduire une mesure de similarité entre deux sous-ensembles
du nuage de points. Par conséquent nous allons introduire un patch qui décrit localement3.2. SURFACES DE POINTS NON LOCALES 27
Figure 3.4: Notre définition permet de projeter tout point x ∈ R
3 par l’intermédiaire de
l’opérateur ΠNL. x est projeté dans un premier temps sur la surface grossière (représentée
en vert) en Πt0 (x). La projection ΠNL(x) sur la surface NLPSS (représentée en rouge)
est définie en ajoutant la valeur du champ scalaire de déplacement débruité mNL dans la
direction de la normale grossière n
t0 (x).
le champ scalaire de déplacement dans un repère normalisé tangent à la surface grossière
St0
.
Descripteur 3D
Figure 3.5: Gauche : Nous définissons la mesure de similarité entre deux sous-ensembles
du nuage de points par l’intermédiaire d’un patch de taille l = 5δ (où δ correspond à l’écart
moyen entre les points) avec n = 2 centré en Πt0
(x). L’ensemble des points qui composent
le patch sont disposés sur le plan tangent à la surface St0 définie par la normale nt0
(x).
Droite : Les valeurs du patch sont calculées en utilisant la surface St1
(en bleu). Les valeurs
colorées du patch représentent les différences locales entre St0
(en vert) et St1
.28
La définition de notre patch est présentée figure 3.5. Pout tout point x ∈ R
3
, notre patch
local de déplacement est défini par un ensemble de dimension (2n + 1) × (2n + 1) points
D = [[−n, n]]2 ⊂ Z
2
. Ces points sont localisés dans un carré de taille l × l défini par
l’intermédiaire d’un systeme de coordonnées local centré en xt0 = Πt0 (x) dont deux axes
définissent le plan tangent à la surface grossière en xt0
. Pour (i, j) ∈ D, chaque point xi,j
du patch a une valeur Pxt0
(i, j) correspondant à la valeur de déplacement m(xi,j ).
Comme nous l’avons expliqué section 3.2.2, les valeurs de la carte de déplacement ne sont
connues que pour les points du nuage x = xi ∈ X . Par conséquent, nous approximons les
valeurs de m(xi,j ) en utilisant un PSS local pour définir une surface St1
à une échelle fine
t1 ≪ t0. Ici, St1
représente une surface peu débruitée et interpolée de X .
Les valeurs Pxt0
correspondent donc à la projection des points du patch sur la surface fine
St1
:
Pxt0
(i, j) = f
t1
(xi,j ) ∀(i, j) ∈ D. (3.6)
Pour que la distance entre les points xi,j et St0
soit négligeable par rapport à Pxt0
, nous
choisissons la taille du patch l ≈
t0
3
.
Orientation du repère
Pour comparer les descripteurs locaux d’une manière similaire, nous introduisons un repère
orthonormé local (u, v, n
t0 ). Pour bien définir le patch de distance, les deux axes u, v
appartiennent au plan tangent à la surface grossière St0
au point xt0
. Par conséquent notre
patch est défini à une orientation près. Pour que cette dernière reste robuste au bruit et
au taux d’échantillonnage, nous la choisissons en fonction des directions principales de
courbures de la surface. Digne [Dig12,DM11] a montré qu’il était possible de les calculer
par une simple analyse en composantes principales des normales. Le vecteur propre associé
à la plus grande valeur propre est tangent à la direction principale.
Nous estimons la moyenne nm et la matrice de covariance Σn des normales en considérant
un sous-ensemble de points X˜ autour de xt0
:
nm =
1
|X | ˜
X
ni∈X˜
ni (3.7)
Σn =
1
|X | ˜
X
ni∈X˜
(ni − nm).
t
(ni − nm) (3.8)
Le vecteur propre u˜ associé à la plus grande valeur propre de la matrice de covariance Σn
n’appartient pas nécessairement au plan tangent à la surface St0
. Par conséquent, nous
redéfinissons les directions u et v par v =
n
t0∧u˜
knt0∧u˜k
et u =
v∧n
t0
kv∧nt0 k
. Désormais, le repère
(u, v, n
t0 ) est défini à une direction près.
Si nous définissons, les moments mk d’ordre k du patch par :
mk =
X
i,j
< (xi,j − xt0
), u >
k
. < (xi,j − xt0
), nt0 >
mk =
X
i,j
< (xi,j − xt0
), u >
k
.Pxt0
(i, j)
(3.9)3.2. SURFACES DE POINTS NON LOCALES 29
Nous utilisons le moment m1 d’ordre 1 pour lever l’ambiguïté sur la direction de u lors du
calcul du patch. La direction pour le vecteur u est obtenue de telle sorte que m1 > 0.
Mesure de similarité
1
0similarity
Figure 3.6: Résultats de notre mesure de similarité par rapport à un point appartenant
à un bord de l’objet (gauche) et à un point appartenant à un plan (droite) représenté dans
chaque cas en blanc. Les couleurs représentent la similarité entre le point de référence et
les autres points de l’objet, allant du rouge (très similaire) au bleu (peu similaire).
Pour deux points y, z ∈ R
3
, nous définissons la distance entre leurs patchs associés par :
d(y, z) = 1
2n + 1
kPyt0
− Pzt0
k2 (3.10)
La mesure de similarité correspondante est définie par l’intermédiaire d’un paramètre h :
wNL(y, z) = 1
ZNL(y)
exp
−
d(y, z)
2
h
2
!
(3.11)
La constante de normalisation ZNL(y) assure que P
xi∈X wNL(y, xi) = 1. Le paramètre h
permet d’ajuster la mesure en fonction de l’autosimilarité du nuage de points.
Nous présentons figure 3.6 les résultats de notre mesure de similarité entre un point de
référence et l’ensemble des points de l’objet.
3.2.4 Opérateur de projection non local
Notre opérateur de projection ΠNL(x) est défini en utilisant la distance implicite fNL(x)
d’un point x ∈ R
3 à la surface de points non locale :
ΠNL(x) = x − fNL(x)n
t0
(x) (3.12)
La distance implicite non locale est définie par :
fNL(x) = f
t0
(x) −
X
xi∈X
wNL(x, xi)m(xi) (3.13)30
Dégénérescence du noyau de pondération non local
Pour des points x dont le facteur d’autosimilarité est faible, notre définition aura tendance
à ne pas débruiter suffisamment le point résultant introduisant ainsi des artefacts dans la
définition de notre surface non locale. Dans ces cas-là, l’utilisation de PSS locaux semble
plus adaptée. Notre définition précédente peut être facilement modifiée pour tenir compte
de cette particularité. Pour cela, nous ajoutons au noyau non local wNL un noyau spatial
wt (correspondant à la définition locale des PSS). Notre nouveau noyau de pondération
w˜NL permet de combiner l’information locale et non locale par l’intermédiaire d’un facteur
de contrôle α :
w˜NL(x, xi) = 1
Z(x)
(αZt(x)wt(x, xi) + ZNL(x)wNL(x, xi)) (3.14)
La constante de normalisation Z(x) est choisie pour assurer une somme unitaire. Dans
cette formule, quand x fait partie d’un ensemble très représenté, le terme non local domine,
permettant d’augmenter la qualité du débruitage et d’améliorer la résolution. Au contraire,
si x appartient à une zone peu représentée, le terme spatial domine, assurant ainsi une
meilleure completion des trous du nuage. Le paramètre α permet de choisir l’impact du
noyau non local par rapport au noyau local dans la définition de la surface finale.
Noyau à support compact
Lors du calcul de la projection non locale, dû à l’utilisation d’un noyau gaussien, chaque
point xi ∈ X possède un poids wNL non nul. Par conséquent, la somme des points de poids
faibles ne peut plus être considérée comme négligeable. Ce phénomène est d’autant plus
important que le paramètre h est élevé (ce qui aura pour conséquence de rendre similaires
l’ensemble des patchs de l’image).
En traitement des images, cette somme est généralement réduite à un sous ensemble de
pixels locaux autour du point d’évaluation. Dans ce cas, l’impact des points similaires
dans la somme finale est plus significatif. Malheureusement, une telle démarche peut dif-
ficilement être appliquée au cas des nuages de points. En effet, il est plus intéressant de
considérer le nuage de points dans sa totalité permettant, par conséquent, de débruiter les
caractéristiques du nuage les plus rares.
Ainsi, pour limiter l’impact des points parasites, nous remplaçons le voisinage local par
l’ensemble des k patchs qui sont les plus similaires. Le poids des autres points du nuage
est imposé à zéro. Cette démarche permet à la fois d’obtenir des résultats d’une meilleure
qualité et une accélération du temps de calcul.
3.3 Résultats
3.3.1 Détails d’implémentation et performance
Nous avons implémenté notre algorithme en C++. La recherche des k plus proches patchs
telle que nous l’avons décrite section 3.2.4 est accélérée par l’utilisation d’un algorithme3.3. RÉSULTATS 31
Figure 3.7: Nuage de points original Fandisk (gauche) qui a été bruité par un bruit
uniforme (droite) permettant de simuler un système d’acquisition 3D de basse qualité.
de recherche approximatif des plus proches voisins : FLANN [ML12,ML09]. Pour mieux
représenter les différences des résultats, nous présenterons les surfaces NLPSS maillées
finement. L’entrée de notre algorithme restera malgré tout un nuage de points muni de
normales et non une surface maillée.
3.3.2 Analyse des paramètres
Dans cette partie nous allons présenter en détail l’influence des paramètres de notre opérateur
non local. Pour permettre une meilleure analyse des résultats, nous utiliserons, jusqu’à
la fin de cette section, le même objet Fandisk comme entrée des différents algorithmes. Le
nuage de points original a été bruité artificiellement avec un bruit uniforme de variance
égale à l’espacement moyen entre les points du nuage (Figure 3.7). Toutes les mesures
d’écart des surfaces résultantes seront effectuées par rapport au maillage original.
Échelle grossière
L’échelle grossière t0 est utilisée pour définir la surface grossière St0
ainsi que le champ scalaire
de déplacement résiduel bruité m(x). Pour que l’utilisation des méthodes non locales
ait du sens, cette dernière doit définir un signal autosimilaire bruité dont les variations
principales sont liées aux traits principaux de l’objet considéré. Nous présentons Figure 3.8
différents choix pour l’échelle t0 ainsi que le champ scalaire résiduel et les surfaces NLPSS
associées.
Le choix idéal pour l’échelle t0 (représenté en vert sur la Figure 3.8) est dépendant de la
quantité de bruit appliqué à l’objet. Si nous choisisson une valeur de t0 trop faible (cas
t0 = 5), la surface grossière résultante exhibera uniquement les structures de bruit locales
introduisant un champ scalaire dont les variations ne sont pas liées à l’aspect de l’objet
considéré. De la même manière, si t0 est trop large (cas t0 = 30) les lignes caractéristiques
de l’objet seront filtrées excessivement entraînant l’apparition de variations parasites dans
le champ de déplacement résiduel.32
Surface grossière Distance résiduelle
bruitée
Distance résiduelle
débruitée
NLPSS
2.5 10
-2
Déplacement:
-2.5 10 0
-2
Figure 3.8: Évolution de la surface NLPSS en fonction de l’échelle grossière t0. Cette
dernière permet de définir une surface dont le bruit et les caractéristiques principales ont
été lissés et a fortiori une carte de déplacement résiduel contenant les variations principales
de l’objet. Un choix idéal pour le paramètre t0 a été représenté en vert.3.3. RÉSULTATS 33
Surface fine Écart entre la surface
grossière et fine
NLPSS
1.5 10
-2
Déplacement:
-1.5 10 0
-2
Figure 3.9: Évolution de la surface NLPSS en fonction de l’échelle fine t1. Cette dernière
permet de définir la carte d’écart entre la surface grossière St0
et St1 utilisée par nos patchs
pour définir la mesure de similarité de deux sous-ensembles du nuage de points. Un choix
idéal pour le paramètre t1 a été représenté en vert.
Par conséquent, la valeur t0 idéale doit être choisie de manière à définir un champ scalaire
dont les variations correspondent à l’aspect de l’objet. En pratique, si la valeur de t0 est
choisie entre 10 et 20 fois l’écart moyen des points du nuage.
Échelle fine
L’échelle fine t1 définit une surface fine St1 utilisée par notre mesure de similarité pour
estimer les variations des patchs. Pour définir une surface d’une meilleure qualité, t1 doit
être choisi de manière à ce que la mesure de similarité soit peu dépendante des structures34
locales de bruits. En Figure 3.9, nous présentons différents choix pour t1, la carte d’écart
entre St0
et St1
ainsi que les surfaces NLPSS associées.
Une fois encore, le choix idéal de l’échelle t1 (représenté en vert sur la Figure 3.9) dépend
du niveau de bruit appliqué à l’objet. Elle doit être choisie suffisamment petite par rapport
à t0 de manière à approcher les caractéristiques de l’objet tout en lissant les structures
locales de bruit. Pour des valeurs de t1 faibles (cas t1 = 3), la mesure de similarité rassemblera
des structures locales de bruits similaires exagérant ainsi les variations parasites de
l’objet. Au contraire pour des valeurs de t1 élevées (cas t1 = 10), la mesure de similarité
associera ensemble des traits non similaires de l’objet tendant à introduire des artefacts
et à uniformiser les traits principaux de la surface NLPSS résultante.
Choisir une valeur de t1 supérieure à t0, n’aurait pas de sens et résulterait d’un mauvais
choix de t0. De plus, prendre t1 = t0 définirait un ensemble de patchs égaux rendant
impossible toute mesure de similarité de deux sous-ensembles du nuage de points. En
pratique, nous choisissons t1 ≈ 0.5t0 .
Opérateur PSS local sous-jacent
Notre opérateur NLPSS est défini pour étendre n’importe quel opérateur PSS local afin
d’exploiter le caractère autosimilaire des nuages de points. Nous présentons en Figure 3.10
une comparaison des surfaces non locales générées en considérant différents opérateurs
PSS locaux.
La qualité de notre NLPSS est très dépendante du choix du PSS local sous-jacent. Ce
dernier permet de définir la surface grossière et la surface fine à partir du nuage de points
(Figure 3.11). Il est important de noter que les propriétés intéressantes des PSS locaux
sont transmises au NLPSS. Ainsi, un opérateur qui préserve les bords d’un objet produira
un NLPSS qui les préserve également (cf. NLPSS basé sur le RIMLS). Notre définition
permet également de corriger les imperfections introduites par les PSS locaux. Dans le cas
du SPSS et HPSS qui exagèrent les caractéristiques principales d’un objet sans filtrer les
structures de bruits locales, notre NLPSS réussit à définir une surface les supprimant tout
en préservant les arêtes et les coins de l’objet.
Malheureusement, notre définition est très dépendante de la qualité de la surface grossière :
toutes les discontinuités introduites par l’opérateur PSS local à échelle grossière seront
difficilement corrigées par notre approche. De manière équivalente, un PSS local capable de
définir une surface fine qui préserve les caractéristiques principales d’un objet définira une
mesure de similarité plus précise. Mesure qui est utile pour définir une surface non locale
de meilleure qualité. L’APSS et le RIMLS qui génèrent des surfaces grossières exemptes
de défauts remarquables et des surfaces fines préservant les caractéristiques de l’objet
définissent des NLPSS idéaux. En pratique, nous utilisons l’APSS comme opérateur de
notre NLPSS car il donne de manière générale les meilleurs résultats.3.3. RÉSULTATS 35
Resultat Local NLPSS Erreur Local Erreur NLPSS
SPSS HPSS APSS RIMLS
7.0 10
-3 0 Erreur
Figure 3.10: Comparaison des surfaces NLPSS utilisant différents opérateurs PSS sousjacents
et des surfaces PSS originales. Les erreurs ont été calculées par rapport au Fandisk
original.36
Échelle fine Échelle grossière
SPSS HPSS APSS RIMLS
Figure 3.11: Surfaces fines St1
et grossières St0 utilisées par notre NLPSS pour étendre
les PSS conventionnels.
NLPSS
Figure 3.12: Évolution de la surface NLPSS en fonction de la taille du patch l. Cette
taille est utilisée pour définir la taille des détails qui doivent être pris en compte lors
du débruitage par les méthodes non locales. Si cette dernière est choisie trop fine, notre
approche non locale dégénère en une approche bilatérale. La définition du patch sur un
plan tangent à la surface grossière St0
, implique que le paramètre l ne doit pas être choisi
supérieur à l’échelle fine t1. Le choix idéal pour l a été représenté en vert.
Taille du descripteur
La largeur l des patchs permet de sélectionner la taille des traits de l’objet présents dans
le nuage de points que notre NLPSS doit récupérer. En Figure 3.12, nous présentons
différents choix pour la taille l du descripteur ainsi que les surfaces NLPSS résultantes.3.3. RÉSULTATS 37 NLPSS Temps (s)
5
10
15
Figure 3.13: Évolution de la surface NLPSS en fonction du nombre de points n par patch.
Les surfaces résultantes sont peu influencées par le nombre de points compris dans chaque
patch. Néanmoins, le temps de calcul pour estimer ces dernières augmente linéairement
avec le nombre de points. En définitive, des patchs de taille 5 × 5 semblent être un bon
compromis qualité/temps de calcul.
Il est intéressant de noter que pour des valeurs faibles de l (cas l = 1), notre approche non
locale dégénère en un simple opérateur de projection bilatéral [TM98, JDZ04]. La surface
NLPSS résultante aura donc tendance à s’accrocher aux valeurs du champ scalaire résiduel
les plus proches. Pour des valeurs de l plus élevées (cas l = 4), la mesure de similarité est
peu influencée par le bruit présent dans le nuage de points résultant en une suppression
des variations locales dans les zones plates.
Néanmoins, à cause de l’approximation de la surface grossière par un plan tangent à
la surface (cf. Section 3.2.3), l doit être choisie inférieure à t1. Pour des valeurs de l
supérieures à t1 (cas l = 10) les variations décrites par les patchs ne correspondent pas
aux variations réelles entre la surface grossière et la surface fine. Ainsi, la mesure de
similarité est faussée ce qui entraîne l’apparition d’artefacts dans la surface NLPSS. En
pratique, nous choisissons l variant entre 3 et 5 fois l’écart moyen des points du nuage.
Nombre de points par patch
Le nombre de points du patch n est utilisé pour décrire plus précisément les variations
locales de la surface. Figure 3.13, nous présentons une analyse du temps de calcul des38
Distance résiduelle
débruitée
NLPSS
1.0 10
-2
Déplacement:
-1.0 10 0
-2
Figure 3.14: Évolution de la surface NLPSS en fonction du degré d’autosimilarité h du
nuage de points. Ce dernier permet de sélectionner le degré de débruitage des caracté-
ristiques principales de l’objet. Si ce dernier est choisi trop faible, les caractéristiques de
l’objet resteront bruitées. À l’opposé, pour des valeurs trop élevées ces dernières seront
complètement lissées. Le choix idéal (représenté en vert) correspond au degré de filtrage
de notre méthode. L’utilisateur peut interagir avec ce paramètre sans contrainte de temps
de calcul.
patchs en fonction de la qualité de la surface NLPSS associée à des nombres de points
différents par patchs.
De toute évidence, augmenter le nombre de points par patch permet de définir une mesure
de similarité plus fiable en contrepartie d’un temps de calcul élevé. En pratique, l’influence
du nombre de points par patchs reste négligeable. Ainsi, le choix d’un nombre points par
patch faible s’impose. Dans de rares cas, le choix de patch 3 × 3 peut être insuffisant pour
décrire correctement la différence entre les surfaces grossière et fine. Par conséquent, nous
avons opté pour des patchs 5 × 5 ce qui constitue un bon compromis qualité/temps de
calcul.
Facteur d’autosimilarité du nuage
Le paramètre h définit le degré de similarité présent dans le nuage de points et correspond
au facteur de filtrage du nuage de points. Nous présentons Figure 3.14 différents choix
pour h ainsi que le champ scalaire résiduel débruité et les surfaces NLPSS associées.3.3. RÉSULTATS 39
Pour des valeurs h ≈ 0 (cas h = 0.1), la mesure de similarité aura tendance à différencier
l’ensemble des patchs ce qui s’exprimera en pratique par des poids qui tendent vers
0. Comme la somme des poids de l’équation 3.11 est assurée d’être unitaire, les points
prendront la valeur m(xi) du point pi
le plus similaire. Par conséquent, le champ scalaire
résiduel ne sera pas débruité et la surface non locale résultante approximera le bruit
contenu dans le nuage. De même, pour des valeurs trop faibles de h (cas h = 10), les
lignes singulières de l’objet seront peu débruitées. À l’opposé des zones plates, ces zones
sont plus rares dans l’objet entraînant un débruitage plus faible. À l’opposé, si h est choisi
trop grand (cas h = 100), les poids de l’équation 3.11 seront tous égaux entraînant une
uniformisation du champ scalaire de déplacement résiduel.
La valeur idéale de h (représentée en vert sur la Figure 3.14) doit être choisie par l’utilisateur
et correspond au facteur de filtrage de notre méthode. Une fois l’ensemble des patchs
calculés et les k plus proches patchs déterminés, l’estimation d’une surface pour différentes
valeurs de h n’est pas coûteuse. Ainsi, l’utilisateur peut intéragir avec le paramètre h sans
contrainte sur le temps de calcul.
Facteur de dégénérescence local
L’utilisation du facteur α de l’équation 3.14 nous permet de choisir des valeurs h moins
élevées. Ainsi, les traits peu présents dans l’objet sont mieux préservés et les artefacts
introduits par les éléments les plus rares de l’objet sont lissés par l’opérateur local. En
Figure 3.15, nous présentons l’évolution de la surface NLPSS pour différentes valeurs de
α.
Lorsque α = ∞, l’équation 3.15 dégénère simplement en une définition locale des PSS.
Au contraire quand α = 0, le résultat obtenu correspond à la surface NLPSS. Les valeurs
intermédiaires de α permettent d’obtenir une combinaison de ces deux surfaces. Pour des
valeurs croissantes de α, les traits les moins présents dans le nuage sont les premiers à être
remplacés par les valeurs des PSS locaux permettant d’améliorer la qualité de la surface
NLPSS résultante. Ainsi, comme le montre la figure 3.15 pour des valeurs croissantes de
α, les coins, les arêtes puis finalement les zones plates vont être remplacés par les PSS
locaux.
La valeur idéale dépendra de la présence de points peu autosimilaires dans le nuage. Il
est intéressant de noter que changer la valeur du facteur α ne nécessite que peu de calcul
supplémentaire. En effet l’équation 3.2.4 peut s’exprimer comme une combinaison linéaire
des points des nuages résultants de l’opérateur PSS local et non local.
Choix pratique
Parmi les sept différents paramètres que possède notre NLPSS, seulement deux d’entre
eux ont besoin d’être réellement choisis par l’utilisateur : le facteur d’autosimilarité h et
le facteur de dégénérescence α.
En pratique, pour des nuages de points issus de scanners 3D dont l’écart moyen entre
les points est défini par ¯δ, les meilleurs résultats sont obtenus pour des NLPSS basés sur
l’APSS dont l’échelle grossière t0 = 12¯δ, l’échelle fine t1 = 7¯δ et les patchs de taille l = 4¯δ40
NLPSS PSS local NLPSS dégénéré
Figure 3.15: Évolution de la surface NLPSS en fonction du facteur α. Ce paramètre
est complémentaire au paramètre h et permet de remplacer les structures peu débruitées
(peu autosimilaires) par leurs versions débruitées en utilisant l’opérateur PSS sous-jacent.
Pour des valeurs croissantes de α notre définition remplace en premier les structures peu
autosimilaires pour finir par les caractéristiques les plus présentes dans le nuage de points.
Nous pouvons par conséquent faire un compromis entre localité (pour les structures peu
autosimilaires) et similarité (pour les structures très autosimilaires). Calculer les surfaces
résultantes pour différentes valeurs de α est possible sans avoir besoin d’estimer de nouveau
l’ensemble des patchs et les k plus proches voisins. α peut donc être choisi interactivement
par l’utilisateur.3.3. RÉSULTATS 41
i) Calcul de la surface grossière ii) Calcul des patches iii) Calcul des plus proches patches iv) Calcul des valeurs débruitées
Temps de calcul avec accélération
5
10
15
10000 50000 100000
Temps (s)
Temps de calcul sans accélération
Temps (s)
150
300
10000 50000 100000
Figure 3.16: Gauche : Temps de calcul des différentes étapes de notre approche estimés en
utilisant un seul cœur. Notre approche est plus longue que les opérateurs PSS précédents,
car elle nécessite un plus grand nombre de projections (dû aux projections successives sur
la surface grossière et sur la surface fine). Droite : Temps de calcul des différentes étapes
de notre approche en utilisant différents outils d’accélération (parallélisation, GPU). En
pratique, nous avons grandement accéléré le temps de calcul (20x) permettant de définir
une utilisation plus interactive de notre NLPSS.
sont définis avec une précision de 5 × 5 points. De plus, dans la mesure où ces paramètres
sont fixés, le calcul des patchs du nuage peut être effectué une fois pour toutes. Ainsi, les
surfaces résultantes peuvent être générées rapidement pour différentes valeurs de h et α.
3.3.3 Performances
Notre approche non locale reste plus lente que des méthodes PSS conventionnelles. Ces
performances inférieures peuvent s’expliquer par : (i) un nombre de projections sur les
surfaces plus conséquent que les approches locales, (ii) la nécessité de comparer l’ensemble
des patchs entre eux. Nous présentons en Figure 3.16, l’évolution des temps de calcul pris
par chacune des étapes de notre algorithme en fonction du nombre de points à projeter.
Certains paramètres du NLPSS influencent directement le temps de calcul, comme les
échelles t0 et t1 du PSS sous-jacent. Ces dernières sont directement liées à la taille du
voisinage nécessaire pour estimer les projections sur les surfaces grossières et fines. Ainsi,
plus ce voisinage est grand, plus le temps de calcul est élevé. De la même manière, le
nombre de points influence le nombre de projections nécessaires (Figure 3.13). Néanmoins
comme nous l’avons expliqué en Section 3.3.2, le nombre de points par patch est fixé car il
influence peu la qualité de la surface résultante. Pour estimer rapidement le voisinage d’un
point donné, chaque PSS est basé sur un ball-tree tels qu’il est introduit par Guennebaud
et coll. [GGG08]. De même, pour accélérer la comparaison des patchs, la moyenne non
locale définie par l’Équation 3.13 est limitée à une recherche approximée des 500 plus
proches voisins du patch considéré par FLANN [ML12,ML09].
Pour une meilleure interactivité avec l’utilisateur, ces temps de calcul sont grandement
diminués (Figure 3.16) grâce à des outils de parallélisation CPU et GPU. De plus, notre
approche peut être divisée en quatre étapes successives : (i) calcul de la surface grossière,
(ii) estimation des patchs, (iii) calcul approché des plus proches voisins et (iv) calcul des
valeurs débruitées (réglage de h et α). Comme les paramètres utilisés par notre approche42
Original SPSS HPSS
APSS RIMLS NLPSS
Figure 3.17: Comparaison entre les reconstructions PSS locales et notre NLPSS obtenues
à partir d’un nuage de point 2D.
peuvent être généralisés, seule l’étape ( iv) nécessite une interaction réelle avec l’utilisateur.
De plus, une fois les étapes précédentes estimées, cette dernière peut être calculée
rapidement (comme le montre le graphique de droite de la Figure 3.16) sans avoir besoin
de réappliquer la chaîne complète. Les valeurs idéales de h et α peuvent donc être choisies
interactivement par l’utilisateur.
3.3.4 Analyse de la qualité de la surface
Les opérateurs PSS conventionnels essayent d’extraire une surface à partir d’un voisinage
purement local. Comme le montre la Figure 3.17 qui présente différentes reconstructions de
surfaces PSS à partir d’un nuage de points 2D synthétique, ce point de vue ne permet pas
de conserver les caractéristiques présentent dans le nuage de points d’entrée supprimant
par la même occasion les symétries originales du nuage d’entrée. En utilisant un point
de vue plus global, notre NLPSS permet de générer une surface capable de conserver les
symétries présentes dans l’objet original.
Dans le cas d’un nuage de points réel issu d’un scanner 3D (Figure 3.18), les opérateurs
PSS conventionnels doivent, en plus, faire un compromis entre la préservation des caracté-
ristiques principales de l’objet et la suppression du bruit. Ce problème est particulièrement
visible pour les SPSS qui tendent à trop filtrer les arêtes et pour le HPSS qui exagère les
structures locales de bruits. D’autres opérateurs, comme l’APSS, possèdent un fort pouvoir
débruitant, mais doivent être utilisés à des échelles de filtrage fines pour éviter une sup-3.3. RÉSULTATS 43
Original SPSS HPSS APSS RIMLS NLPSS
Figure 3.18: Comparaison entre différentes surfaces obtenues par des PSS locaux et notre
NLPSS obtenues à partir du modèle 3D scanné Ramesses
pression complète des arêtes de l’objet. Malheureusement, à de telles échelles, ce dernier
est incapable de supprimer complètement le bruit. Contrairement aux autres opérateurs,
le RIMLS a été défini pour extraire les arêtes tout en supprimant le bruit de l’objet. Cette
définition fournit de bons résultats dans le cas d’objets purement géométriques possédant
des arêtes vives (par ex. objets manufacturés). Malheureusement, dans le cas d’objets réels,
le RIMLS tend à exagérer les caractéristiques de l’objet.
En comparaison, notre NLPSS réussit à éliminer le bruit introduit par la numérisation sans
altérer les structures présentes dans l’objet. Cet avantage est dû à l’utilisation de l’information
non locale qui peut augmenter localement le rapport signal sur bruit. Contrairement
au RIMLS qui exagère les structures, notre opérateur NLPSS réussit à générer une surface
qui est proche du nuage d’entrée.
Il est important de comprendre que notre définition de surface non locale est plus gé-
nérale qu’une simple combinaison d’un algorithme de filtrage de nuage de points (par
exemple [DM11,Dig12]) et d’un modèle de reconstruction de surface existant. Pour mieux
appréhender les différences fondamentales entre ces deux types d’approches, nous présentons
en Figure 3.19 deux reconstructions de surfaces différentes. Dans le premier cas, la
surface est définie en utilisant L’APSS à partir d’un nuage de points préalablement dé-
bruité par un algorithme de débruitage non local. Dans le deuxième cas, la surface est
directement définie en utilisant notre NLPSS. La première approche réussit à débruiter
les points en exploitant l’autosimilarité du nuage, mais reste incapable de reconstruire une
surface en exploitant l’autosimilarité du nuage. Ainsi, la surface résultante ne permet de
compléter les trous en respectant le caractère périodique du nuage original. Au contraire,
notre modèle NLPSS est capable de reconstruire la surface pour chaque point en exploitant
l’autosimilarité et la redondance des structures du nuage de points. De manière similaire,
une troisième approche, qui consisterait à reconstruire une surface directement à partir
des points du nuage puis à utiliser une méthode non locale de débruitage de maillage surfacique
[FDCO03,YBS06,WCZ+08,MRS12], n’exploiterait pas totalement l’autosimilarité
du nuage tout en introduisant des problèmes de définition.
Comme le montre la Figure 3.20, dans le cas de nuages très épars et bruités, les modèles
PSS existants peuvent difficilement générer une surface correcte à des tailles de filtrage44
Largeur du patch :
NL APSS
NLPSS
Figure 3.19: Comparaison des surfaces obtenues en utilisant l’APSS [GGG08] à partir
d’un nuage de points débruité par un algorithme de filtrage non local et la surface obtenue
directement avec notre définition de surface NLPSS.
Nuage de points original APSS RIMLS NLPSS
Figure 3.20: Comparaison entre différentes surfaces obtenues en utilisant des opérateurs
PSS locaux et notre NLPSS sur un modèle d’étoile 3D synthétique.
petites. Pour résoudre ce problème, les modèles de PSS conventionnels doivent augmenter
leur niveau de filtrage, supprimant par conséquent toute l’information de basse échelle
présente dans le nuage. Contrairement à ces définitions, notre NLPSS est capable de
générer une surface plus stable. Cette propriété est due à (i) l’utilisation d’une surface
grossière comme base à notre surface qui définit une structure topologique à notre PSS
et (ii) la moyenne non locale qui est capable de débruiter des structures fines et de les
rajouter sur la surface grossière sans introduire de fausses structures comme le font les
modèles de PSS conventionnels.
En Figure 3.21 et 3.22, nous présentons les surfaces obtenues par notre NLPSS à partir de
nuages de points bruités issus de scanners 3D. Il est intéressant de noter que notre NLPSS
est capable d’utiliser l’ensemble de l’information pour compléter les trous du nuage de3.3. RÉSULTATS 45
Original NLPSS
Figure 3.21: Illustration du pouvoir débruitant de notre NLPSS sur le nuage de points
3D Dragon (413k points) acquis par numérisation 3D.
Original NLPSS
Figure 3.22: Application du NLPSS sur le nuage de points Ramesses (350K points) issu
d’une numérisation 3D. Notre approche est capable de combler les trous de l’objet en
utilisant l’autosimilarité présente dans le nuage de points.
points. Cette propriété est illustrée en Figure 3.22) où l’information inconnue du visage
d’un relief est complétée par l’information connue d’un relief similaire présent sur la statue.
Néanmoins, cette propriété reste très dépendante de la qualité de la surface grossière sousjacente.46
Figure 3.23: Application de notre opérateur NLPSS au cas du débruitage de nuages de
points. Nous avons utilisé le jeu de données Pyramid (120k points) issue de [DAL+11]
Figure 3.24: Application de notre NLPSS pour définir une surface maillée en utilisant
un algorithme de type Marching Cubes [LC87].
3.3.5 Applications
Filtrage de nuages de points
Une des applications les plus évidentes des PSS est le filtrage de nuages de points. En
considérant un nuage de points bruités, l’opération de débruitage du nuage consiste à
remplacer chaque point xi ∈ X du nuage par leur projection x˜i = ΠNL(xi) sur la surface
définie par l’opérateur de projection ΠNL définie par l’Équation 3.12. Ainsi, le nuage
débruité est défini par P˜ = {x˜i}. Nous présentons en Figure 3.23, le résultat du débruitage
obtenu par NLPSS.
Reconstruction de surface
L’une des utilisations majeures des opérateurs PSS est de définir une surface maillée à
partir de la définition implicite de la surface. Nous définissons la surface comme la 0-3.4. LIMITATION ET POSSIBLES AMÉLIORATIONS 47
Figure 3.25: Application de notre NLPSS à l’édition de surfaces. Le paramètre β permet
de moduler à quel point le champ scalaire de déplacement doit être ajouté à la surface
grossière. Gauche : pour des valeurs β > 1, ces détails sont exagérés. Droite : pour des
valeurs β < 0, ces derniers sont inversés.
surface de la distance implicite fNL définie par l’Équation 3.13. La surface maillée est
obtenue en utilisant un algorithme de Marching Cubes. Nous présentons en Figure 3.24 la
surface NLPSS maillée obtenue à partir d’un nuage de points bruités.
Améliorations des détails
Pour illustrer le potentiel de notre NLPSS, nous proposons une utilisation de notre dé-
finition pour l’édition de surfaces. Comme nous l’avons expliqué en Section 3.2.1, notre
opérateur NLPSS est défini par une surface grossière sur laquelle nous ajoutons un champ
scalaire de déplacement. Nous pouvons modifier la fonction implicite fNL définie en Équation
3.13 en multipliant le champ scalaire de déplacement par un champ scalaire continu
β(x) :
fNL(x) = f
t0
(x) − β(x)
X
xi∈X
wNL(x, xi)f
t0
(xi) (3.15)
Par conséquent, β(x) permet de décrire pour chaque x à quel point les détails fins fNL(x)
sont ajoutés à la surface grossière St0
. Les détails sont ajoutés à la surface grossière pour
des valeurs de β(x) > 0, et exagérés si β(x) > 1. Des valeurs de β(x) négatives permettent
de supprimer les détails de la surface grossière, inversant de la même manière les caractéristiques
de l’objet. Ainsi, l’utilisateur peint directement sur la surface grossière St0
les
valeurs de β(x) choisissant, de la même manière, les éléments de l’objet qu’il souhaite
exagérer. Nous présentons en Figure 3.25 une illustration de cette démarche.
3.4 Limitation et possibles améliorations
Dans cette partie nous avons défini un opérateur PSS capable d’exploiter le caractère
autosimilaire des nuages de points pour définir une surface. Notre définition est capable48
Figure 3.26: Gauche : Notre approche non locale peut résulter en l’apparition de halos
sur la surface. Centre : Une solution simple pour résoudre ce problème consiste à définir
différentes surfaces NLPSS en utilisant des patchs décentrés. Droite : Une simple moyenne
de ces différentes valeurs débruitées permet de limiter les effets des halos introduits.
d’améliorer la qualité des surfaces définies par des opérateurs PSS locaux en augmentant
le rapport signal/bruit. Néanmoins, les résultats de notre opérateur sont très dépendants
de l’aspect autosimilaire du nuage à traiter. Plus le nuage de points présentera de parties
similaires, plus la qualité de la surface générée par notre approche sera élevée. Dans le cas,
peu probable, d’absence d’autosimilarité dans le nuage de points, notre NLPSS obtiendra
des résultats identiques à l’opérateur PSS local sous-jacent (Section 3.2.4).
Il est courant que l’utilisation de patchs par les méthodes non locales introduise des oscillations
ou halos autour des arêtes des images. Le même phénomène peut être observé sur
les surfaces définies par notre approche autour des arêtes vives de l’objet (Figure 3.26). Ce
problème peut s’expliquer par le phénomène d’adhérence des patchs. [LBM13] proposent
une solution simple pour résoudre ce problème. Elle consiste à faire une moyenne des différentes
cartes débruitées en considérant des patchs décentrés. Nous présentons en Figure
3.26 une extension de cette solution à notre NLPSS. Cette solution permet d’éliminer les
halos et d’améliorer la qualité de la surface résultante au prix de temps de calcul plus
coûteux.
Pour définir notre mesure de similarité (Section 3.2.3), nous avons utilisé une distance
euclidienne entre les patchs. Cette distance nous permet de définir des surfaces NLPSS
correctes, mais reste néanmoins trop sensible au bruit et aux points aberrants. Remplacer
la norme L2 par une norme L1 permettrait de définir une surface moins sensible aux points
aberrants. Il serait intéressant de redéfinir les patchs en ajoutant pour chaque point projeté
la normale associée à cette projection. Ainsi, la distance entre les patchs correspondrait à
une distance L2,1 qui tient compte à la fois des variations des positions et des normales. Une
telle approche revient à étendre les patchs de manières "géodésique" plus qu’euclidienne
permettant ainsi de différencier les caractéristiques intrinsèques de l’objet tout en étant
moins sensibles au bruit.
En comparaison avec les définitions de PSS conventionnelles, le NLPSS requiert un temps
de calcul supérieur. Ce phénomène s’explique par la nécessité de projeter plus de points
que les méthodes PSS précédentes et de rechercher les patchs les plus similaires. Durant3.4. LIMITATION ET POSSIBLES AMÉLIORATIONS 49
ces dernières années, beaucoup de travaux se sont fixés comme objectif d’accélérer le calcul
des filtres à moyennes non locales (Section 4.1.1). Un point important de notre travail futur
consistera à essayer d’adapter ces méthodes au cas des nuages de points et à utiliser les
technologies de parallélisation offerte par les cartes graphiques modernes pour que notre
approche soit utilisable en temps réel.
Pour conclure, notre NLPSS permet le remplissage de trous d’une taille similaire à celle
utilisée pour définir les patchs de surface. Pour des trous d’une échelle supérieure, une
telle approche n’est pas suffisante. Il est donc nécessaire d’utiliser une méthode itérative
d’inpainting de surfaces. Malheureusement, de telles méthodes restent difficile à calculer
et nécessitent la connaissance d’un a priori sur les surfaces 3D.C h a p i t r e 4
Arbre de covariances
Dans ce chapitre, nous présentons une structure de données capable d’apprendre les variations
de grands ensembles d’échantillons en utilisant une quantité de mémoire limitée.
En Section 4.1, nous présentons un historique des méthodes d’accélérations des filtres à
hautes dimensions. Dans la Section 4.2, nous introduisons une version simplifiée de notre
arbre définie dans un domaine spatial. Cette version est ensuite étendue en Section 4.3 en
distinguant deux domaines : spatial et des attributs. Les performances de notre structure
sont ensuite analysées en Section 4.4. Finalement, nous proposons en Section 4.5 diverses
améliorations de notre structure de données.
4.1 Contexte
4.1.1 Filtrage à hautes dimensions
Avec l’apparition des nouvelles technologies et de nouvelles capacités de calculs, le filtrage
à hautes dimensions est devenu durant ces dernières années une brique fondamentale pour
une variété d’applications telles que le débruitage [BCM05], la récoloration [CPD07], le
suréchantillonage [KCLU07], la manipulation de détails [BPD06,FAR07], le filtrage spatiotemporel
[BM05]. Implémentés naïvement, de tels filtres restent difficiles et lents à calculer
et nécessitent d’être accélérés. Ainsi, le rapport entre le temps de calcul et la qualité des
résultats obtenue est devenu un enjeu important pour les communautés de la vision par
ordinateur, du traitement des images et de la photographie calculatoire.
De nombreuses approches ont été introduites afin d’accélérer leur estimation. Parmi
elles, une première catégorie de méthodes propose une accélération par estimation d’un
champ approché des k-plus proches voisins comme par exemple PatchMatch [BSFG09]
(récemment étendu à d’autres domaines [NFP+13, CFGS12, BRR11] et accéléré par kdtree
[HS12], l’utilisation d’images intégrales [OA12], l’utilisation d’une transformée de Fourier
[WGY+06, DDS12], la réduction de la dimensionnalité des patches par les filtres de
Haar [KA11] ou une analyse en composantes principales [APG07,Tas08,Tas09], la limitation
de la recherche à un voisinage 2D local (utilisé en pratique par [BCM05,LBM13]).
Ces méthodes restent néanmoins trop spécifiques aux problèmes de traitement des images
et peuvent difficilement être étendues au cas 3D. De plus, les approches de débruitage par
5152
filtres collaboratifs, définissant une meilleure restauration de l’image que les approches
par moyenne non locale, ne peuvent être accélérées par une estimation approchée des
k-plus proches voisins. Par conséquent, nous focaliserons notre étude sur l’utilisation de
structures d’accélération qui permettent une réduction de la complexité computationnelle
des filtres au prix d’approximations visuelles résultantes.
4.1.2 Travaux existants
Parmi tous les filtres non linéaires, le filtre bilatéral [TM98] a été l’un des premiers à avoir
été accéléré car il constitue une approximation intéressante des filtres anisotropes [Bar02].
Durand et Dorsey [DD02] sont parmi les premiers à proposer une accélération de ce filtre
appliquée à l’affichage d’images à grande dynamique (High Dynamic Range - HDR). Leur
idée principale est de réduire la complexité du filtre en utilisant une approximation linéaire
par morceaux du filtre bilatéral, ce qui revient à appliquer un filtre gaussien, plus rapide à
calculer, sur un sous-échantillonnage du domaine spatial. Ces valeurs sous-échantillonnées
sont ensuite interpolées pour obtenir le signal filtré.
En remarquant que le filtre bilatéral peut être exprimé par un filtre gaussien appliqué dans
un espace de dimensions supérieures, Paris et Durand [PD06] introduisent la grille bilaté-
rale. Cette dernière sous-échantillonne le signal à filtrer par des voxels de taille uniforme
en exprimant le signal à filtrer comme une variété linéaire par morceaux définie dans un
espace qui associe le domaine spatial et colorimétrique (appelé par la suite espace augmenté).
Pour rendre l’accélération plus performante, l’espace colorimétrique est réduit à
une unique dimension. Néanmoins, les distances en chrominance ne sont pas respectées ce
qui introduit des effets de flou parasites. Ce problème est résolu dans une version ultérieure
de leurs travaux [PD09] par l’utilisation de toutes les dimensions colorimétriques. La grille
bilatérale, définissant désormais un volume 5D, nécessite une quantité de mémoire et en
temps supérieur. En particulier pour des échelles de filtrage faibles, cette méthode devient
impraticable.
Adams et coll. [AGDL09] proposent de remplacer le pavage régulier par un pavage adaptatif
de l’espace augmenté. Ils introduisent une structure d’accélération indépendante de
l’échelle de filtrage, le kd-tree gaussien (Gaussian KD-Tree - GKD-Tree), en se basant sur
les travaux de Aray et coll. [AMN+98]. Ils proposent de paver l’espace augmenté avec des
voxels de tailles non uniformes en utilisant un kd-tree [Ben75] qui regroupe les échantillons
proches. Les valeurs des voxels sont estimées par diffusion des valeurs des échantillons qui
lui sont proches (splatting), filtrées entre elles (blurring) et finalement interpolées pour
définir les valeurs filtrées de chaque échantillon (slicing). Cette approche peut être gé-
néralisée à l’accélération de l’ensemble des filtres non linéaires à poids gaussiens (filtre
gaussien, bilatéral, à moyenne non locale, etc.). Ultérieurement, Adams et coll. [ABD10]
étendent leurs travaux en pavant l’espace avec des simplexes et en stockant les valeurs de
ces derniers dans une table de hachage. Ainsi, la structure d’accélération permet d’appliquer
des filtres non linéaires de hautes dimensions avec une complexité linéaire par rapport
au nombre de points et polynomiale par rapport à la dimensionnalité du filtre.
Dans le cas des filtres à très hautes dimensions, la complexité polynomiale par rapport aux
nombres de dimensions des précédentes approches ne permet pas qu’elles soient appliquées
en temps réel. He et coll. [HST10] proposent de réduire la dimensionnalité du problème4.1. CONTEXTE 53
en comparant indirectement chaque pixel de l’image par rapport à leur relation à un
guide. Même si cette approche permet une accélération significative, elle introduit des
artefacts dus à l’utilisation d’une distance non euclidienne. De la même manière, Gastal et
Oliveira [GO11] proposent, dans le cas des filtres bilatéraux, l’utilisation d’une transformée
de l’image qui déforme la géométrie du domaine spatial 2D du signal à filtrer de sorte
que la distance spatiale entre deux points de l’espace déformé corresponde à la distance
géodésique dans l’espace augmenté 5D. Ainsi, le filtre bilatéral est approximé par un filtre
gaussien appliqué dans le domaine spatial.
Ces travaux sont ensuite généralisés au cas de filtres de plus hautes dimensions [GO12].
Gastal et Oliveira démontrent que le signal à filtrer peut rarement être défini par une
variété linéaire. Par conséquent, l’utilisation de voxels n’est pas adaptée pour obtenir un
sous-échantillonnage correct de l’espace. À la place, ils proposent l’utilisation de variétés
non linéaires adaptatives qui sont définies en appliquant récursivement un filtre passebas
sur les échantillons du signal. Le signal filtré est estimé en utilisant une approche
similaire au GKD-Tree [AGDL09] : les valeurs des variétés sont estimées par diffusion des
valeurs des échantillons (splatting), puis filtrées entre elles indépendamment des valeurs
des autres variétés (blurring) et finalement interpolées pour définir les valeurs filtrées de
chaque échantillon (slicing). Cette approche permet d’obtenir une complexité qui est à la
fois linéaire par rapport à la dimensionnalité du filtre et du nombre d’échantillons.
4.1.3 Problématique
Si l’on devait résumer les progrès de ces dernières années, le calcul de filtres non linéaires
a été accéléré de deux manières : (i) en redéfinissant les filtres non linéaires par des
filtres linéaires exprimés dans des espaces augmentés qui associent les domaines spatial et
colorimétrique (ii) en interpolant une version sous-échantillonnée du signal filtré adapté
à l’échelle de filtrage. Même si les structures d’accélérations associées sont aujourd’hui
capables d’appliquer en temps réels des filtres non linéaires à hautes dimensions, elles ne
peuvent pas être utilisées pour accélérer le calcul de filtres probabilistes collaboratifs tels
que les Non-Local Bayes. De plus, elles doivent être entièrement reconstruites pour chaque
modification des paramètres de filtrage.
D’un autre point de vue, avec l’augmentation de la quantité d’information, peu de mé-
thodes à l’heure actuelle exploitent réellement l’information contenue dans les grandes
bases de données ou au prix d’une quantité de mémoire et de calculs beaucoup trop importante.
Les structures d’accélération de filtrage non linéaire actuelles ne sont pas conçues
pour être directement exploitées sur ces bases.
Nous proposons d’associer les avancés récentes sur les structures d’accélération des filtres
non linéaire avec les dernières avancées du domaine non local. Nous proposons une nouvelle
structure de données, plus générale qu’une simple structure d’accélération, capable d’apprendre
les distributions locales d’un grand ensemble d’échantillons en les représentant
par des gaussiennes anisotropes. Contrairement aux méthodes qui représentent les distributions
d’échantillons par un modèle de mixture de gaussiennes de nombre fini [YSM12],
ces gaussiennes sont estimées en fonction de la région de l’espace considéré.54
Ainsi, nous introduisons l’arbre de covariance (Covariance Tree - CovTree) qui possède les
caractéristiques suivantes :
1. Apprentissage de grande base de données : En utilisant une approche similaire
aux structures d’accélérations des filtres non linéaires, l’ensemble des échantillons est
réparti en sous-ensembles adaptés représentés par des gaussiennes indépendantes du
nombre d’échantillons.
2. Optimisation de la mise à jour des données : L’ajout d’un échantillon dans
notre structure n’entraîne pas la reconstruction complète de la structure. Seules les
gaussiennes qui décrivent les distributions de chaque sous-ensemble sont modifiées.
L’ajout d’un point dans notre structure permet d’améliorer l’estimation des statistiques
des distributions sans changer la quantité de mémoire utilisée.
3. Estimation des distributions locales à différentes échelles : Contrairement
aux structures d’accélération des filtres non linéaires, notre CovTree a été conçu
pour être indépendant des paramètres d’échelles. Ainsi, l’estimation des distributions
locales peut être effectuée en un temps raisonnable sans avoir besoin de reconstruire
entièrement la structure.
4. Généralisation de la structure d’apprentissage : Notre approche est générique
et peut être appliquée dans un espace de dimensions arbitraires. Pour être utilisable
par un plus grand nombre d’applications, elle est définie en utilisant deux
domaines distincts : un domaine spatial (utilisé pour calculer une distance entre les
échantillons) et un domaine des valeurs (utilisé pour exprimer les statistiques sur les
distributions).
Notre structure d’apprentissage est beaucoup plus générique qu’une simple structure d’accélération
de filtres collaboratifs. Comme nous le montrerons dans le chapitre 5, cette
dernière peut être utilisée pour des applications 2D et 3D variées.
4.2 Arbre de Covariance Simplifié
Pour mieux appréhender les idées fondamentales de notre approche, nous introduisons
dans cette section une version simplifiée de notre CovTree qui sera utilisé pour apprendre
les distributions d’échantillons dans un espace fini. Elle nous permettra d’introduire les
principes sous-jacents à notre structure de données.
Néanmoins, cette définition reste trop spécifique pour être utilisée en pratique. Par consé-
quent, nous introduisons en Section 4.3 une définition plus générique de notre CovTree
utilisable pour résoudre des problèmes de restauration variés.
4.2.1 Principe
Idée générale
Considérons un ensemble d’échantillons P = {pi} où pi ∈ S ⊂ R
dS . Notre CovTree est
défini comme une structure de données qui apprend localement la distribution des points
de P à partir d’un sous-échantillonnage adaptatif (cellules) de S. Pour n’importe quelle4.2. ARBRE DE COVARIANCE SIMPLIFIÉ 55
Figure 4.1: Gauche : Nous illustrons le principe de notre CovTree sur un nuage de points
pi extrait d’une courbe 2D pour un voisinage centré en q et de rayon σq. Droite : Le but de
notre CovTree est d’apprendre la distribution des points P et de modéliser la répartition
des points qui sont compris dans ce voisinage par une gaussienne anisotrope représentée
par une moyenne µˆ et une matrice de covariance Σˆ .
requête de position q ∈ S et échelle σq ∈ R, la structure retourne la gaussienne anisotrope
correspondante à la distribution locale des échantillons de P appris.
En Figure 4.1, nous illustrons les entrées et sorties de notre Cov-Tree dans le cas où P
correspond à un nuage de points 2D issu d’une courbe. Dans ce cas, les pi définis dans un
espace S = R
2
représentent les positions des points du nuage. Notre CovTree permet donc
d’apprendre la répartition des points du nuage et fournit pour n’importe quel voisinage
euclidien, la gaussienne anisotrope correspondante à la distribution des points du nuage
compris dans ce voisinage.
Dans le cas où P correspond à l’ensemble des patchs d’une image bruitée, cette structure
de donnée simplifiée peut être utiliser pour estimer le résultat de filtres collaboratifs tels
que les Non Local Bayes [LBM13].
Représentation des distributions locales
Pour apprendre les distributions des échantillons de P, nous effectuons une analyse statistique
de sous-ensembles C ⊂ P d’échantillons locaux. L’idée fondamentale de notre
CovTree est de remplacer ces sous-ensembles par leurs statistiques respectives. Dans cette
partie, nous fournissons une analyse de pouvoir synthétique de ces dernières et de leur
impact sur les performances de notre CovTree.
En considérant que l’ensemble des points de C sont compris dans une boule de rayon
négligeable, la distribution peut être représentée correctement par une simple moyenne
des points de C. Cette solution est utilisée pour accélérer le calcul des filtres à hautes
dimensions [AGDL09] car pour des échelles inférieures à l’échelle de filtrage, il est inutile de
conserver de plus fines variations des échantillons. Comme nous le présentons en Figure 4.2,
cette solution est équivalente à conserver l’ensemble des échantillons de P en mémoire pour
des échelles de filtrage fines. De plus, comme la moyenne ne fournit aucune information56
(a) Nuage de points 2D
(c) Représentation par des gaussiennes isotropes
(b) Représentation par des moyennes
(d) Représentation par des
gaussiennes anisotropes
Figure 4.2: Différentes représentations statistiques du nuage de points 2D. (a) Nuage
de points 2D original. (b) Utiliser une moyenne par cellules pour représenter un nuage de
points revient à garder l’ensemble des points du nuage pour des tailles de cellules faibles et
ne permet de représenter efficacement les variations du nuage à de grandes échelles. (c) En
utilisant des gaussiennes isotropes, la modélisation devient plus fiable à des échelles fines,
mais reste malgré tout trop grossière pour représenter la distribution à des échelles élevées.
(d) Nous proposons l’utilisation de gaussiennes anisotropes qui permettent de représenter
correctement les distributions à de grandes échelles avec un nombre de gaussiennes limitées.
sur les variations des échantillons qu’elle représente, elle ne peut être utilisée correctement
à de larges échelles pour représenter la distribution de grands ensembles de données.
Pour de grandes échelles comme la moyenne ne fournit aucune information variationnelle,
il devient difficile de représenter correctement la distribution des échantillons d’un grand
ensemble de données.
Pour des ensembles d’échantillons de C distribués de manière isotrope dans une boule,
l’approche précédente peut être améliorée en associant à la moyenne des points de C une
variance. La distribution peut par conséquent être modélisée par une gaussienne isotrope.
Désormais, la représentation dépend directement de la répartition des données et non
de l’échelle de filtre à appliquer. Comme nous l’illustrons en Figure 4.2, cette contrainte
d’isotropie reste difficile à satisfaire pour des échelles élevées. De plus, elle revient à garder
en mémoire l’ensemble des échantillons pour des échelles fines.
Les deux approches précédentes ne sont pas suffisantes pour apprendre les distributions
d’échantillons. Par conséquent, nous préférons les représenter par l’intermédiaire de gaussiennes
anisotropes. Nous associons donc chaque sous-ensemble C à sa moyenne µ et sa
matrice de covariance Σ. Comme nous le démontrons en Figure 4.2, ce choix permet de4.2. ARBRE DE COVARIANCE SIMPLIFIÉ 57
Figure 4.3: Notre CovTree est basé sur trois étapes principales. Construction : à partir
d’un ensemble d’échantillons, nous construisons un arbre binaire qui partitionne l’espace
en fonction des positions des échantillons {pi} pour créer des cellules de taille σb. Apprentissage
: chaque nœud apprend les distributions statistiques locales modélisées par des
noyaux anisotropes en propageant l’ensemble des échantillons à travers l’arbre en fonction
de leur position pi et ajoutant une contribution pondérée des pi au noyau de chaque
nœud de l’arbre traversé. Requête : pour toute requête constituée d’une position q ∈ S et
échelle σq ∈ R, notre CovTree modélise la distribution locale des données apprises en q
et à l’échelle σq par une gaussienne multivariée définie par sa moyenne µˆ et sa matrice de
covariance Σˆ .
représenter correctement les distributions des échantillons à des échelles fines et élevées.
De plus, l’utilisation d’une gaussienne anisotrope nous permet de diminuer la quantité de
mémoire nécessaire, d’augmenter le pouvoir descriptif de notre CovTree et d’être plus indé-
pendant des contraintes d’échantillonnages (complétion des trous/données manquantes).
Chaîne de traitement
Notre approche, résumée en Figure 4.3, peut être divisée essentiellement en trois étapes.
Ces dernières peuvent être comparées avec les trois étapes de splatting, blurring, slicing
utilisé par les travaux sur l’accélération de filtres à hautes dimensions [PD09, ABD10,
GO12].
1. Construction : Nous effectuons un sous-échantillonnage hiérarchique pyramidal de
S basé sur les échantillons de P jusqu’à l’obtention de cellules de taille σb. Il en
résulte un arbre binaire dont chaque nœud (correspondant à un sous-espace de S)
est associé à un noyau anisotrope modélisant la distribution statistique des points
de P appartenant à la cellule spatiale correspondante (Section 4.2.2).
2. Apprentissage : Nous apprenons les distributions de points par propagation (entraînement)
des données à travers l’arbre binaire. Chaque point est classifié en considérant
sa position et ajoute une contribution pondérée au noyau anisotrope de chaque
nœud de l’arbre qu’il traverse (Section 4.2.3).
3. Requête : Pour toute requête définie par une boule de centre q ∈ S et échelle
σq ∈ R, notre CovTree fournit la distribution des données apprises correspondant
à ce voisinage. Elle est modélisée par une gaussienne multivariée représentée par58
(a) Partionnement par grille (b) Partionnement par kd-tree (c) Partionnement par bsp-tree
Figure 4.4: Nous proposons ici différents partitionnements de l’espace. (a) : Une grille
régulière permet de définir des cellules régulières. Ces dernières sont définies indépendamment
des données qu’elles contiennent résultant des cellules vides ou mal définies. (b) : Le
kd-tree définit un partitionnement hiérarchique de l’espace dont les partitions sont faites
dans des directions indépendantes des données à apprendre. Il ne crée pas de cellules
vides, mais ne tient pas compte de l’anisotropie des données. (c) : Notre bsp-tree définit
un partitionnement hiérarchique de l’espace qui permet de tenir compte de l’anisotropie
des données à apprendre.
une une moyenne µˆ et d’une matrice de covariance Σˆ interpolée en q à l’échelle σq
(Section 4.2.4).
Il est important de comprendre que σb et σq sont liés à la quantité d’informations que nous
voulons récupérer. L’application successive des trois étapes de construction, d’apprentissage
et de requête est approximativement équivalente à estimer une matrice de covariance
avec un noyau gaussien de taille √
2σq.
Pour prévenir tout problème de calcul σq doit être choisi plus grand que σb, suffisamment
large pour outrepasser le bruit, mais suffisamment petit pour capturer les structures
locales. Généralement, σb ≈ σn et σq ≥ σn.
4.2.2 Construction
Pavage adapté de l’espace
Durant l’étape de construction, nous définissons un partitionnement de l’espace S en
cellules spatiales. Ces cellules doivent être adaptées à la distribution des échantillons de P
afin de respecter les variations topologiques de P (et d’obtenir un meilleur apprentissage
des données). Nous fournissons dans cette partie une analyse de plusieurs solutions pour
partitionner l’espace et de leur impact sur les performances du CovTree.
Une des solutions les plus faciles est de diviser l’espace en un ensemble de cellules régulières
par l’intermédiaire d’une grille [PD06, PD09]. Malgré sa simplicité de mise en œuvre,
utiliser ce schéma de subdivision pour notre CovTree présente trois problèmes (Figure 4.4).
Tout d’abord, la quantité de mémoire utilisée est d’autant plus grande que l’espace S est
de dimension élevée et que la taille des cellules est faible. Ensuite, les cellules sont définies
indépendamment du signal à considérer, ainsi, les gaussiennes anisotropes ne sont pas
nécessairement représentatives des variations des échantillons. Le problème majeur vient4.2. ARBRE DE COVARIANCE SIMPLIFIÉ 59
du fait que ces cellules ne contiennent pas obligatoirement des échantillons et accaparent
inutilement de l’espace mémoire.
Pour résoudre ce problème, il est plus judicieux d’utiliser des structures de subdivision
hiérarchique telle que le kd-tree [AGDL09]. Ce dernier est défini comme un arbre binaire
dans lequel chaque nœud est associé à un sous-espace de S. Chaque nœud interne de l’arbre
divise l’espace en deux demi-espaces distincts selon un hyperplan normal à la direction
de plus grande variation des points. Cette direction est choisie parmi les directions d’un
repère orthonormé fixe de l’espace S définie indépendamment de P. Une fois encore, les
cellules spatiales échouent à capturer l’anisotropie des données correctement (Figure 4.4).
Les échantillons, regroupés de manière inadéquate, définissent des distributions locales de
P parasites. De plus, le partitionnement ainsi défini est différent pour tout changement
d’orientation.
Par conséquent, nous définissons notre CovTree par l’intermédiaire d’une structure de
partitionnement binaire de l’espace, le bsp-tree [FKN80], qui divise l’espace en deux sousespaces
distincts par l’intermédiaire d’un hyperplan orienté selon la direction de plus
grande variation des données d’entrées. Les cellules ainsi obtenues ne sont pas nécessairement
parallélépipédiques et permettent de tenir compte de l’anisotropie des données
à apprendre (Figure 4.4). Les gaussiennes anisotropes résultantes permettent de mieux
représenter le signal.
Algorithme
Nous divisons l’espace par l’intermédiaire d’un bsp-tree dont chaque nœud est associé à un
sous-espace C ⊂ S, un sous-ensemble d’échantillons pj ∈ P ∩ C et à un rayon de cellule
ηr (utilisé pour apprendre les distributions à différentes échelles). Chaque nœud interne
de l’arbre divise l’espace en deux demi-espaces distincts par l’intermédiaire d’un plan de
coupe {ηc, ηd} dont la normale ηd est définie comme le vecteur propre normalisé associé
à la plus grande valeur propre de la covariance des {pj} et ηc par la moyenne des {pj}.
En pratique, ηd est estimé avec une complexité linéaire par rapport à la dimension de S
et au nombre d’échantillons en utilisant la méthode de la puissance itérée. Le rayon de
cellule est défini par :
ηr = max
pj
kpj − ηck (4.1)
L’ensemble des points {pj} est partagé en deux sous-ensembles par rapport à leur distance
signée au plan (pj − ηc)
tηd. Les deux sous-branches du nœud η sont ensuite construites
en se basant sur ces deux sous-ensembles.
En initialisant le nœud racine avec l’ensemble des données d’entrée {pi}, nous appliquons
récursivement ce schéma de subdivision tant que le rayon de cellule ηr > σb. Par consé-
quent, l’utilisateur peut choisir la précision d’apprentissage de notre CovTree (ainsi que la
quantité de mémoire qu’il va utiliser) en modifiant la valeur du paramètre σb. L’Algorithme
1 présente le pseudo-code de cette étape de construction.60
Algorithm 1: Construction de l’arbre
Fonction ConstruireNœud(C ⊂ P, σb ∈ R)
Entrées: C un sous-ensemble de P, σb l’échelle d’arrêt
Sorties: η le nœud créé
Allouer un nouveau nœud η
// Estimation des paramètres de la cellule
ηd ← le vecteur associé à la plus grande valeur propre de cov(C)
ηc ← mean
pi∈Ck
(pi)
ηr ← max
pi∈Ck
kpi − ηck
si ηr ≤ σb alors
Marquer η comme feuille de l’arbre
sinon
// Répartition des points dans les deux sous-espaces
Cgauche ← {pi ∈ Ck,(pi − ηc)
tηd ≤ 0}
Cdroit ← {pi ∈ Ck,(pi − ηc)
tηd ≥ 0}
// Création des deux sous-arbres
ηgauche ← ConstruireNœud(Cgauche, σb)
ηdroit ← ConstruireNœud(Cdroit , σb)
fin
retourner η
fin
4.2.3 Apprentissage
Algorithme
Une fois la structure de l’arbre initialisée, nous pouvons calculer les statistiques de chaque
cellule en propageant l’ensemble des données d’apprentissage {pi} à travers l’arbre. En
partant de la racine, les points traversent l’arbre jusqu’à atteindre une feuille. Le parcours
est effectué en considérant les positions des points pi
. Les gaussiennes anisotropes associées
à chacun des nœuds η traversés sont enrichies des valeurs pi pondérées par un poids
wi = φ
kpi−ηck
ηr
. Ce poids est défini grâce à une approximation compacte, linéaire par
morceaux du noyau gaussien φ centré en ηc et de variance ηr :
φ(x) =
4 − 0.75x
2
(2 − x) si 0 < |x| ≤ 1
0.25(2 − x)
3
si 1 < |x| ≤ 2
0 sinon
(4.2)
Pour simplifier les deux étapes d’apprentissage et de requête, la moyenne et la covariance
des échantillons ne sont pas directement conservées en chaque nœud. A la place, nous4.2. ARBRE DE COVARIANCE SIMPLIFIÉ 61
Algorithm 2: Apprentissage des variations locales
Fonction ApprendreVariations(p, η)
Entrées: p un point à ajouter dans la structure, η un nœud de l’arbre
// Calcul des poids w par approximation d’une gaussienne de variance ηr
w ← φ
kpi−ηck
ηr
// Mise à jour des statistiques de chaque nœud
wη := wη + w
w2η := w2η + w.w
µη
:= µη + w.p
Ση := Ση + w.p
tp
// Apprentissage des statistiques à une échelle inférieure
si η n’est pas une feuille de l’arbre alors
si (p − ηc)
tηd ≤ 0 alors
ApprendreVariations(p, ηgauche)
sinon
ApprendreVariations(p, ηdroit)
fin
fin
fin
stockons une somme partielle µη
, une somme croisée partielle des positions Ση et deux
constantes de normalisation wη et w2η :
wη := wη + wi
w2η := w2η + wi
.wi
µη
:= µη + wi
.pi
Ση := Ση + wip
t
ipi
(4.3)
La moyenne et la covariance représentatives des variations du nœud peuvent être retrouvées
à partir de ces quatres variable. L’Algorithme 2 présente le pseudo-code de l’étape
d’apprentissage.
Complétion des données d’apprentissage
De manière générale, le même ensemble de points P est utilisé lors de l’étape de construction
et d’apprentissage. Néanmoins, il est possible d’utiliser un sous-ensemble représentatif
P
′ ⊂ P différent pour définir un partitionnement de l’espace S lors de l’étape de construction.
Cette approche possède deux avantages : (i) le partitionnement de l’espace peut être
défini plus rapidement (en particulier dans le cas d’une large base de données), (ii) il n’est
pas nécessaire de connaître l’ensemble des données pour commencer l’apprentissage des
données (par ex. traitement vidéo).
De plus, comme nous utilisons une analyse statistique partielle (nous stockons en mémoire
uniquement des sommes partielles et non directement les statistiques), il devient possible62
d’ajouter au fur et à mesure des échantillons par l’intermédiaire de l’Équation 4.3. Chaque
point ajouté durant l’étape d’apprentissage augmente la précision des distributions apprises
par chaque cellule. L’avantage d’une telle approche est que l’espace mémoire utilisé
reste constant quel que soit le nombre d’échantillons rajoutés. En effet, nous ne gardons
pas en mémoire l’ensemble des échantillons, mais uniquement les quatre variables wη, w2η,
µη
et Ση.
Cette propriété peut être utilisée pour apprendre la distribution d’échantillons issus d’une
grande base de données. Notre structure représente localement la répartition des échantillons
par l’intermédiaire de gaussiennes multivariées utilisant peu d’espace mémoire.
Cette propriété sera utilisée en Section 5.2 pour approcher l’a priori sous-jacent aux patchs
des images naturelles.
4.2.4 Requête
Accélération de la requête
Pour tout voisinage de centre q ∈ S et de rayon σq ∈ R, la gaussienne anisotrope est
estimée par une combinaison des données apprises sur chaque nœud de l’arbre avec des
poids décroissants par rapport à l’éloignement au centre de la requête q. Pour accélérer
le calcul de cette estimation, il suffit de sélectionner uniquement les nœuds qui possèdent
les poids les plus élevés.
Certaines méthodes [AGDL09] proposent par exemple un schéma de requête à importance
des échantillons. L’idée principale est de distribuer un nombre d’échantillons à travers
l’arbre jusqu’à atteindre les feuilles en favorisant les nœuds de poids les plus élevés. Cette
démarche peut être perçue comme une méthode de Monte-Carlo qui propage les points
dans l’arbre de manière probabiliste de sorte à atteindre les nœuds les plus proches. Même
si une telle démarche fonctionne relativement bien pour des espaces de basses dimensions
(car peu d’échantillons sont nécessaires pour estimer correctement les distributions), pour
des espaces de dimensions élevées il devient nécessaire de faire un choix entre précision de
l’estimation et temps de calculs. En effet le nombre d’échantillons nécessaires pour avoir
une précision de l’estimation suffisante est plus élevé.
Par conséquent, ce genre d’approche ne peut être utilisé dans notre CovTree. Pour ré-
soudre ce problème, nous proposons d’utiliser l’apprentissage des distributions à différents
niveaux de l’arbre et le rayon ηr associé à chaque nœud. Cette démarche nous permet de
limiter le parcours en profondeur de l’arbre, le nombre de nœuds à explorer et d’être plus
indépendant de l’échelle de la requête σq.
Algorithme
Une fois notre CovTree complètement construit et appris, nous utilisons un schéma de requête
pour estimer la gaussienne anisotrope décrivant la distribution des données apprises
pour n’importe quel voisinage centré en q ∈ S d’échelle σq ∈ R.
Tout d’abord, nous collectons l’ensemble des nœuds η qui intersecte la boule [q, σq]. Pour
ce faire, chaque requête traverse l’arbre jusqu’à atteindre une feuille ou un nœud vérifiant4.2. ARBRE DE COVARIANCE SIMPLIFIÉ 63
Algorithm 3: Interroger l’arbre
Fonction InterrogerArbre(q, σq)
Entrées: q ∈ S un point requête et σq une échelle de requête
Sorties: la gaussienne anisotrope N (µˆ, Σˆ )
// Requête de l’arbre en commençant par la racine η0
{w, ˆ wˆ2, µ, Σ} ←CalculerVariations(q, σq, η0)
// Estimation des paramètres de la gaussienne multivariée
µˆ ← 1
wˆµ
Σˆ ← wˆ
2−wˆ2
wˆ
(Σ − wˆµˆ
tµˆ)
retourner N (µˆ, Σˆ )
fin
Fonction CalculerVariations(q, σq, η)
Entrées: q ∈ S un point requête, σq une échelle de requête et η un nœud de
l’arbre
Sorties: µ, Σ, ˆw et ˆw2
si ηr ≤ σq où η est une feuille de l’arbre alors
// Calcul des poids w par approximation d’une gaussienne de variance σq
w ← φ
kq−ηck
σq
// Ajout des variations du nœud η
wˆ := ˆw + w
wˆ2 := ˆw2 + w
2
µ := µ + wµη
Σ := Σ + wΣη
sinon
// Ajout des variations du nœud η en résultat
si (q − ηc)
tηd ≤ σq alors
{w, ˆ wˆ2, µ, Σ} := {w, ˆ wˆ2, µ, Σ}+CalculerVariations(q, σq, ηgauche)
sinon
{w, ˆ wˆ2, µ, Σ} := {w, ˆ wˆ2, µ, Σ}+CalculerVariations(q, σq, ηdroit)
fin
fin
retourner {w, ˆ wˆ2, µ, Σ}
fin
ηr > σq. Lors de la propagation de la requête, nous considérons que chaque cellule est
élargie de σq. Ainsi pour des distances au plan de coupe |(q − ηc)
tηd| < σq, les deux
sous-arbres gauche et droit sont explorés.64
Au final, la distribution en q est estimée par une combinaison des distributions des nœuds
collectés {µi
, Σi} pondérées par des poids wi définis à partir de l’approximation du noyau
gaussien φσq
centré en q et de variance σq :
wˆ =
X
i
wiwηi
wˆ2 = ˆw
2−
X
i
wiw2ηi
µˆ =
1
wˆ
X
i
wiµηi
Σˆ =
wˆ
wˆ2
X
i
wiΣηi − wˆµˆ
tµˆ
(4.4)
Si σq est choisi suffisamment large, la gaussienne anisotrope obtenue décrit la distribution
de l’ensemble des données apprises. L’Algorithme 3 présente le pseudo-code de l’étape de
requête.
4.3 Généralisation
Dans la partie précédente, nous avons présenté une version simplifiée de notre CovTree
qui permet d’apprendre la distribution d’un ensemble de points d’un espace de dimension
arbitraire. Pour une majorité d’applications de notre CovTree, cette définition reste trop
limitée. Nous proposons dans cette section de la généraliser en utilisant deux domaines
distincts : le domaine spatial S qui définit les distances entre les différents échantillons de
l’espace et le domaine des attributs R qui associe chaque échantillon à une valeur.
4.3.1 Notations
Soit un domaine spatial S ∈ R
dS et un nuage de points P = {pi}i∈[[1,N]] de N échantillons.
Nous allons considérer une correspondance f : S → R associant à chaque échantillon de
position spatiale pi ∈ S, une valeur fi du domaine des attributs R ∈ R
dR.
Pour une meilleure compréhension, il peut être utile de considérer f comme une fonction.
Néanmoins, notre structure ne requiert pas que la correspondance f soit connue explicitement,
bien définie ou unique pour n’importe quel p ∈ S. L’association entre les p
et les f est apprise à l’aide de notre approche à partir d’une base de données de paires
d’échantillons (pi
,fi).
Une telle représentation peut par exemple être utilisée pour représenter des images RGB
associant à chaque pixel de l’image pi = (xi
, yi)
T une valeur couleur fi = (ri
, gi
, bi)
T
,
des nuages de points 3D définis par leurs positions spatiales et normales pi = fi =
(xi
, yi
, zi
, nx
i
, n
y
i
, nz
i
)
T
, etc.4.3. GÉNÉRALISATION 65
(a) Population (pi
, fi
) (b) Principe de notre CovTree généralisé
f0
f5
f2
f1
f7
f6
f4
f3
f0
f5
f2
f1
f7
f6
f4
f3
{f1 f3 f6 f4 f7 {
Figure 4.5: Gauche : Considérons une foule dont chaque individu possède une position
spatiale pi définie dans le domaine spatial S et un attribut fi défini dans le domaine des
attributs R. À l’aide de notre CovTree généralisé, nous apprenons la répartition des {fi}
par rapport à leur position spatiale {pi} et à différentes échelles spatiales. Droite : Ainsi en
considérant un sous-ensemble spatial de centre q ∈ S de taille σq ∈ R (représenté en Vert),
notre structure de données permet d’estimer la distribution des attributs des individus qui
sont compris dans ce voisinage en la modélisant par une gaussienne multivariée définie dans
l’espace des attributs R. Cette dernière est définie par une moyenne µˆ ∈ R et une matrice
de covariance Σˆ ∈ R × R.
4.3.2 CovTree généralisé
Principe général
Tout comme sa version simplifiée, la version généralisée de notre CovTree permet d’apprendre
des distributions pour différentes échelles et de fournir pour tout voisinage requête
une gaussienne anisotrope modélisant la distribution des données locales apprises comprise
dans ce voisinage. Cette structure est définie par l’intermédiaire d’un domaine spatial S
(utilisé pour définir le voisinage des échantillons) et d’un domaine des attributs R (utilisé
pour définir les distributions). Ainsi, tout regroupement des échantillons et requête
de voisinage sont effectués dans S alors que les distributions apprises et résultantes sont
définies dans R.
Cette différence étant difficile à appréhender, nous proposons une illustration du principe
du CovTree généralisé ainsi que la distinction entre les deux domaines S et R en Figure
4.5 considérons une population d’individus possédant une position spatiale pi ∈ S (correspondant
à leur position dans l’espace) et un attribut fi ∈ R associé (correspondant
aux valeurs inscrites dans chaque individu). Ici, nous ne posons aucune condition sur le
lien qui existe entre pi et fi
. Par l’intermédiaire de notre CovTree généralisé, nous souhaitons
analyser les variations des attributs associés à un sous-ensemble d’individus de cette
foule. Cette distribution d’attributs sera modélisée par l’intermédiaire d’une gaussienne
anisotrope.66
Applications
S
R Méthode de reconstruction
Gaussien 1D Position des pixels Niveau de gris Moyenne
(xi, yi) (gi)
Gaussian 3D Position des pixels Valeur couleur Moyenne
(xi, yi) (ri, gi, bi)
Bilateral Position des pixels + Valeur couleur Valeur couleur Moyenne
(xi, yi, ri, gi, bi) (ri, gi, bi)
NLM patches autour du pixel Valeur couleur EAP
Pxi,yi
(ri, gi, bi)
NLB Patches Patches MAP
Pxi,yi Pxi,yi
Completion de trous pyramidal Patches basse résolutions Patches hautes résolutions MAP
PSS Point 3D Point 3D Moyenne
xi, yi, zi
n
x
i , n
y
i , n
z
i
xi, yi, zi
n
x
i , n
y
i , n
z
i
NLPSS Patches 3D Champs scalaire EAP
Pxi,yi,zi
vi
NLB-PSS Patches 3D Patches 3D + champs scalaire MAP
Pxi,yi,zi
(Pxi,yi,zi , vi)
Table 4.1: Notre CovTree est très flexible : Cette table montre comment définir les domaines spatiaux
S et des attributs
R ainsi que
la méthode de reconstruction à utiliser.4.3. GÉNÉRALISATION 67
Les regroupements des individus (sous-ensembles) sont définis dans le domaine spatial S,
c’est-à-dire en considérant uniquement les positions spatiales pi de chacun de ces individus.
Ensuite, les distributions de ces différents regroupements sont estimées en considérant
uniquement les attributs fi associés à chaque individu de ce sous-ensemble. Par conséquent,
la gaussienne anisotrope résultante correspond uniquement aux variations dans l’espace
des attributs R de ce sous-ensemble d’individus (et non de leur position spatiale pi).
Notre CovTree généralisé permet donc d’apprendre de grandes bases de données de couples
d’échantillons exemples (pi
,fi) et fournit pour tout voisinage spatial q ∈ S de rayon σq ∈ R
la distribution des attributs associée à ces échantillons représentés par une gaussienne
anisotrope définie dans R. Il est possible de retrouver la version simplifiée de notre CovTree
en confondant les deux domaines spatiaux et des attributs : S = R.
Problèmes de restauration simple
Avant de présenter les modifications apportées par la version généralisée de notre CovTree,
nous illustrons ici quelques problèmes de restauration simple qui peuvent être traités par
notre structure :
1. Convolution gaussienne : Considérons une image à niveaux de gris bruitée
u˜(x, y) = u(x, y)+n(x, y). Dans ce cas dS = 2 (correspondant aux deux coordonnées
spatiales) et dR = 1 (correspondant au niveau de gris). En supposant l’image homogène,
un a priori de la valeur ˜u(x, y) peut être estimé à partir des valeurs ˜u(x
′
, y′
)
d’un ensemble de voisins p = (x
′
, y′
) proche du point requête q = (x, y). Dans ce cas,
la convolution gaussienne peut être définie comme Estimation A Posteriori (EAP)
de cet a priori.
2. Filtre Bilateral : Considérons désormais une image bruitée couleur ˜u(x, y) =
u(x, y) + n(x, y). En définissant dS = 5 (correspondant aux deux coordonnées spatiales
(x, y) plus trois canaux couleurs (r, g, b)) et dR = 3 (les trois canaux couleurs
(r, g, b)). Cette fois l’estimation de la valeur débruitée obtenue est plus fine, en effet,
les points (x, y) proches d’un contour pourront être rejetés grâce à l’information de
couleur qui a été ajoutée au domaine spatial S.
3. Filtre Non-Local : Pour des images hautement texturées, la supposition d’image
lisse des deux précédentes illustrations n’est plus valable. Dans ce cas, les filtres non
locaux supposent que l’ensemble des patchs d’une image texturée appartiennent à
une variété lisse de basse dimension. En prenant pi = fi comme l’ensemble de tout
les patchs de l’image, un patch requête q peut être débruité par les NLB [LBM13]
en calculant une gaussienne multivariée à partir d’un ensemble de patchs voisins
{pj , pj ∈ N(q)} proches de la requête q. Cette distribution gaussienne est utilisée
pour estimer le patch débruité via une Maximisation A Posteriori (MAP) Bayesienne.
En complément des exemples précédents, nous présentons en Table 4.1 d’autres problèmes
de restauration qui peuvent être modélisés par cette structure.
4.3.3 Algorithme généralisé
Les principes sous-jacents et les différents explications proposées pour définir la version
simplifiée de notre CovTree 4.2 restent toujours valables dans sa version généralisée. Ainsi,68
Algorithm 4: Construction de l’arbre généralisé
Fonction ConstruireNœud(C ⊂ pi
, σb ∈ R)
Entrées: C un sous-ensemble de pi
, σb l’échelle d’arrêt
Sorties: η le nœud créé
allouer un nouveau nœud η
// Estimation des paramètres de la cellule
ηd ← le vecteur associé à la plus grande valeur propre de cov(C)
ηc ← mean
pi∈Ck
(pi)
ηr ← max
pi∈Ck
kpi − ηck
si ηr ≤ σb alors
Marquer η comme feuille de l’arbre
sinon
// Répartition des points dans les deux sous-espaces
Cgauche ← {pi ∈ Ck,(pi − ηc)
tηd ≤ 0}
Cdroit ← {pi ∈ Ck,(pi − ηc)
tηd ≥ 0}
// Création des deux sous-arbres
ηgauche ← ConstruireNœud(Cgauche, σb)
ηdroit ← ConstruireNœud(Cdroit , σb)
fin
retourner η
fin
nous présenterons uniquement dans cette section les différences entre les opérateurs simplifiés
et les opérateurs généralisés. Pour que le lecteur appréhende bien ces différences,
nous fournissons le pseudo-code généralisé de chaque étape dans leur intégralité.
Construction
Durant l’étape de construction, nous définissons un partitionnement de l’espace spatial S.
Seules les positions spatiales pi des couples d’échantillons interviennent ici pour définir
des cellules représentatives. En effet, comme nous l’avons illustré en Figure 4.5, notre
structure de données fournit une analyse statistique des variations des attributs en fonction
de regroupements spatiaux (et non en fonction des attributs). Par conséquent, le critère
d’arrêt σb ∈ R correspond désormais à une échelle spatiale. L’Algorithme 4 fournit le
pseudo-code de l’étape de construction généralisée.
Apprentissage
Désormais, l’apprentissage des distributions des échantillons est effectué sur le domaine
des attributs. Comme l’arbre est défini en considérant le domaine spatial S, chaque couple
d’échantillons (pi
,fi) explore l’arbre en fonction de sa position spatiale pi
. Chaque échan-4.4. ANALYSE ET TEMPS DE CALCUL 69
Algorithm 5: Apprentissage des variations locales généralisé
Fonction ApprendreVariations(p,f, η)
Entrées: p un point à ajouter dans la structure, η un nœud de l’arbre
// Calcul des poids w par approximation d’une gaussienne de variance ηr
w ← φ
kpi−ηck
ηr
// Mise à jour des statistiques de chaque nœud
wη := wη + w
w2η := w2η + w.w
µη
:= µη + w.f
Ση := Ση + w.f
t
f
// Apprentissage des statistiques à une échelle inférieure
si η n’est pas une feuille de l’arbre alors
si (p − ηc)
tηd ≤ 0 alors
ApprendreVariations(p,f, ηgauche)
sinon
ApprendreVariations(p,f, ηdroit)
fin
fin
fin
tillon ajoute une contribution partielle pondérée de ces attributs fi
. Le poids est défini par
l’approximation de la gaussienne φ et dépend de la distance spatiale entre pi et le centre
spatial de la cellule ηc.
Lors de cette étape, chaque nœud de l’arbre est associé à une gaussienne anisotrope définie
dans le domaine des attributs R, exprimant la distribution des attributs fi des échantillons
qu’il contient. L’Algorithme 5 présente le pseudo-code de l’opérateur d’apprentissage.
Requête
Pour toute requête définie par une position spatiale q ∈ S et échelle spatiale σq ∈ R,
notre CovTree fournit la distribution des attributs de l’ensemble des échantillons appris
appartenant à ce voisinage spatial par l’intermédiaire d’une gaussienne multivariée définie
dans R. Par conséquent la moyenne µˆ et la matrice de covariance Σˆ estimée par notre
CovTree seront respectivement de dimensions dR et dR × dR. L’Algorithme 6 présente le
pseudo-code de l’étape de requête généralisée.
4.4 Analyse et temps de calcul
Dans cette section, nous analysons la complexité et les temps de calcul de chaque étape
de notre CovTree. Cette analyse est effectuée indépendamment des applications possibles70
Algorithm 6: Interroger l’arbre
Fonction InterrogerArbre(q, σq)
Entrées: q ∈ R un point requête et σq une échelle de requête
Sorties: la gaussienne anisotrope N (µˆ, Σˆ )
// Requête de l’arbre en commençant par la racine η0
{w, ˆ wˆ2, µ, Σ} ←CalculerVariations(q, σq, η0)
// Estimation des paramètres de la gaussienne multivariée
µˆ ← 1
wˆµ
Σˆ ← wˆ
2−wˆ2
wˆ
(Σ − wˆµˆ
tµˆ)
retourner N (µˆ, Σˆ )
fin
Fonction CalculerVariations(q, σq, η)
Entrées: q ∈ S un point requête, σq une échelle de requête et η un nœud de
l’arbre
Sorties: µ, Σ, ˆw et ˆw2
si ηr ≤ σq où η est une feuille de l’arbre alors
// Calcul des poids w par approximation d’une gaussienne de variance σq
w ← φ
kq−ηck
σq
// Ajout des variations du nœud η
wˆ := ˆw + w
wˆ2 := ˆw2 + w
2
µ := µ + wµη
Σ := Σ + wΣη
sinon
// Ajout des variations du nœud η en résultat
si (q − ηc)
tηd ≤ σq alors
{w, ˆ wˆ2, µ, Σ} := {w, ˆ wˆ2, µ, Σ}+CalculerVariations(q, σq, ηgauche)
sinon
{w, ˆ wˆ2, µ, Σ} := {w, ˆ wˆ2, µ, Σ}+CalculerVariations(q, σq, ηdroit)
fin
fin
retourner {w, ˆ wˆ2, µ, Σ}
fin
de notre structure de données. Par conséquent, seules les performances temps et mémoire
pour estimer des gaussiennes anisotropes seront prises en compte ici.
Pour une analyse plus détaillée concernant les performances qualitatives de notre CovTree,
nous renvoyons le lecteur en Section 5.1.1 où une implémentation des filtrages collaboratifs
réalisés par l’intermédiaire de notre structure est comparée aux méthodes de l’état de l’art.4.4. ANALYSE ET TEMPS DE CALCUL 71
4.4.1 Complexité
Notre CovTree est basé sur les trois principaux opérateurs de construction, apprentissage
et requête. Nous rappelons que S est un domaine spatial de dimension dS et R un domaine
des valeurs de dimension dR.
Nous proposons d’analyser la complexité temporelle de ces trois principales étapes :
1. Construction : Supposons que nous utilisons Nb points pour définir le partitionnement
de l’espace. Durant cette étape de construction, chacun des Nb points apparaît
une seule fois dans chaque nœud de l’arbre. À chaque division est effectuée une
analyse en composantes principales pour déterminer la direction de plus grande variation.
Cette dernière est accélérée par la méthode des puissances qui estime le
vecteur propre principal avec une complexité O(2mdSNb) ou la constante m = 3.
Ainsi, en considérant que notre arbre possède Kb nœuds l’étape de construction
complète prend O(dSNblog(Kb)).
2. Apprentissage : Supposons que nous utilisons Nl échantillons pour apprendre les
distributions des données (e. g. Nl >> Nb). Comme les Nl points parcourent l’arbre
en partant de la racine jusqu’à atteindre une feuille en n’explorant qu’une seule
des deux sous-branches de chaque nœud, la classification des points prend donc
O(NldSlog(Kb)). Pour chaque nœud rencontré, les matrices de covariance et moyenne
sont mises à jour ce qui requiert un temps de O(Nld
2
Rlog(Kb)). L’étape d’apprentissage
totale requiert donc O(Nl(dS + d
2
R)log(Kb)).
3. Requête : Supposons que nous utilisons Nq points en requête de notre arbre. Tout
d’abord nous effectuons la recherche des Kq plus proches nœuds demandant une
complexité de O(NqdSKq). Ensuite, l’estimation des gaussiennes anisotropes né-
cessite O(Nqd
2
RKq). Au total, notre étape de requête possède une complexité de
O(Nq(dS + d
2
R)Kq).
Le coût mémoire de notre structure dépend uniquement du nombre de nœuds créés lors
de l’étape de construction. En effet chaque point appris lors de l’étape d’apprentissage ne
fait que mettre à jour les données apprises par chaque nœud de l’arbre sans prendre plus
de mémoire. Par conséquent, le coût total en mémoire de notre structure de données est
O(Kbd
2
R).
4.4.2 Discussion
Il est intéressant de noter que l’arbre peut être construit sur un ensemble d’échantillons
différents de ceux de la base d’apprentissage. De toute évidence pour que cette propriété
soit intéressante, il est nécessaire que l’ensemble utilisé pour la construction soit significatif
par rapport à l’ensemble des échantillons de l’étape d’apprentissage. Outre l’accélération
évidente qu’apporte la diminution du nombre d’échantillons, notre structure permet un
apprentissage progressif des données. Il devient possible de raffiner la précision des distributions
pour un budget mémoire constant en apprenant des données supplémentaires.
Cette propriété est l’un des aspects principaux de notre CovTree. Nous pouvons donc apprendre
la distribution d’échantillons issue de grandes bases de données tout en contrôlant
la quantité mémoire nécessaire à son apprentissage. Cette propriété permet également de72
1
5.5
10
128 256 512 1024
Temps (s)
Facteur de filtrage
Figure 4.6: Temps de calcul (en seconde) pour estimer 5.105
requêtes (excluant les étapes
de construction et d’apprentissage qui sont exécutées une seule fois) par notre CovTree
pour différentes échelles σq. Le temps est mesuré en se contraignant à l’utilisation d’un
seul cœur de calcul sur un PC avec un processeur 2.4 GHz Intel Xeon avec 12 GB de
mémoire.
pouvoir réapprendre et/ou mettre jour les distributions sans pour autant avoir besoin de
reconstruire complètement l’arbre.
Une fois les données apprises, l’arbre peut être réutilisé pour différentes applications sans
avoir besoin de recommencer son apprentissage complet. Cette propriété, particulièrement
utile dans les technologies mobiles qui possèdent des capacités limitées, est possible grâce à
notre algorithme de requête. L’estimation d’une gaussienne anisotrope pour tout voisinage
de centre q ∈ S et toute échelle σq ∈ R ne requiert pas de recalculer l’arbre.
Nous présentons en Figure 4.6 la courbe des temps de calcul pour interroger notre CovTree
pour différentes échelles σq. Il est intéressant de noter que le temps requis pour
résoudre une requête reste peu affecté par la taille σq de la requête. Cet avantage est dû à
l’apprentissage des distributions à différentes échelles qui permet de limiter le nombre de
nœuds (et du coup la complexité de calcul) nécessaires pour évaluer une requête. Comme
nous le montrons en Figure 4.7, pour des échelles σq faibles, le parcours de l’arbre est
uniquement effectué en profondeur. Pour des échelles σq élevées, au lieu de parcourir un
grand nombre de nœuds (et ainsi de renvoyer les variations d’un grand nombre de feuilles),
notre démarche permet d’effectuer un parcours en largeur de l’arbre tout en limitant son
exploration en profondeur. Le pire des cas correspond aux échelles σq de taille moyenne.
En effet, la requête doit effectuer un parcours en largeur et en profondeur. Il en résulte un
grand nombre de nœuds à explorer pour pouvoir estimer cette requête.
4.5 Limitations et possibles améliorations
Dans ce chapitre, nous avons introduit une nouvelle structure de données capable de traiter
une famille continue de gaussiennes multivariés locales. Notre structure est efficace pour
apprendre de grandes quantités d’échantillons avec peu d’espace mémoire et permet une
estimation rapide des requêtes. Le modèle extrait varie continûment sur un domaine de valeurs
R quand le point requête varie sur un domaine spatial S (potentiellement différent).
En plus de la position, différentes échelles peuvent être spécifiées à la requête permet-4.5. LIMITATIONS ET POSSIBLES AMÉLIORATIONS 73
Figure 4.7: Notre requête accélérée permet de limiter le nombre de nœuds du CovTree
à explorer (en vert) pour estimer une distribution anisotrope locale. (a) Quand la requête
possède une échelle σq large, seuls les nœuds supérieurs de l’arbre sont explorés. (b) Pour
des valeurs plus petites de σq, l’arbre est parcouru plus en profondeur tout en limitant
son parcours en largeur.
tant de définir différents degrés de localité spatiale pour le modèle statistique extrait.
Cette structure de données sera utilisée dans le chapitre suivant pour résoudre différents
problèmes de restauration.
Néanmoins, notre structure de données peut être améliorée. En effet, lors de la construction
de l’arbre, nous définissons un partitionnement de l’espace par l’intermédiaire d’un bsp-tree.
Par rapport à d’autres structures de partitionnement, cet type d’arbre permet de mieux
gérer l’anisotropie des données. Néanmoins, il n’offre aucune garantie sur la conservation
de la topologie des échantillons que nous souhaitons apprendre. Par conséquent, les sousespaces
définis de cette manière ne sont pas obligatoirement les plus significatifs pour
représenter la variété sous-jacente aux données. Il en résulte une augmentation significative
du nombre de nœuds pour représenter les échantillons ainsi qu’une mauvaise estimation
des matrices de covariances correspondantes. Ce genre de problème peut être résolu par
l’utilisation de structures de partitionnement qui respectent la topologie des données.
Dans tout ce chapitre, nous avons fait la supposition que l’ensemble des échantillons étaient
connus à l’avance ou qu’une partie suffisamment significative était connue. Pour de nombreuses
applications où les échantillons arrivent au fur et à mesure (par ex. traitement
vidéo, internet), il est impossible de définir un sous-ensemble significatif sans connaître
l’intégralité des données. Ce type de problèmes peut être géré par notre structure de données
en modifiant l’étape de construction. Une solution possible serait de partitionner
l’arbre progressivement en fonction des données qui sont fournies en entrée de l’arbre. Il
faut donc distinguer trois cas : (a) quand le nombre d’échantillons d’un nœud est trop
faible, il est nécessaire de garder en mémoire l’ensemble des échantillons (b) quand le
nombre d’échantillons d’un nœud est trop élevé le sous-espace correspondant doit être
divisé en deux (c) sinon il faut garder en mémoire la distribution des échantillons. Malheureusement,
une telle solution ne permet pas de résoudre les problèmes concernant la
propagation des données apprises d’un nœud à ses enfants.74
Une autre amélioration possible de notre structure de données serait de faire évoluer les
données apprises avec le temps. Considérons le cas où un ensemble d’échantillons a besoin
d’être appris à des temps {t0, t1, . . . , tn} (par ex. flux vidéo). Nous supposons que pour deux
temps consécutifs tk, tk+1, les variations entre échantillons à apprendre sont faibles. Au
temps tk+1, il est intéressant de conserver partiellement les données apprises au temps tk.
Nous proposons d’introduire un facteur d’oubli 0 ≤ α ≤ 1. Ce dernier serait multiplié aux
données apprises à chaque changement de temps pour permettre de simuler une persistance
mémorielle. Pour α = 0, l’ensemble d’échantillons appris est oublié d’un temps à l’autre.
Pour α = 1, l’ensemble des échantillons est gardé en mémoire indéfiniment. Pour toutes
valeurs de α, les données sont oubliées au fur et à mesure et remplacées par les nouveaux
échantillons. Une telle solution suppose que le partitionnement de l’espace spatial S n’a
pas besoin d’être mis à jour, ce qui est rarement vérifiable en pratique.C h a p i t r e 5
Filtrage collaboratif généralisé
Dans cette partie, nous présentons plusieurs applications de restauration d’images et de
surfaces 3D basées sur notre structure de données, le CovTree, introduite au Chapitre 4.
En Section 5.1, nous proposons d’appliquer notre CovTree au débruitage d’images pour
calculer l’algorithme des Non Local Bayes. Cette section nous permet de valider les performances
qualitatives de notre structure de données, en comparant les performances des
Non Local Bayes obtenues par notre CovTree et leur implémentation originale [LBM13].
En Section 5.2, nous utilisons notre CovTree pour apprendre un grand ensemble de patchs
non bruités de sorte à définir un a priori des images naturelles. Nous l’utilisons pour amé-
liorer le débruitages des images et pour définir la reconstruction d’images échantillonnées
aléatoirement. En Section 5.3, nous introduisons les problèmes et les idées principaux pour
pouvoir étendre les filtres collaboratifs au cas des nuages de points 3D. Dans cette section,
nous utilisons les outils développés au Chapitre 3, pour étendre les NLPSS au cas des
Non Local Bayes. Nous présentons également comment définir une base de données 3D
appliquée à l’augmentation de la résolution du nuage de points.
5.1 Débruitage d’images par filtre collaboratif
Durant ces dernières années, les différentes évolutions des filtres non locaux ont permis
de développer un nouveau type de filtre : les filtres collaboratifs. Contrairement aux approches
par NL-Means qui débruitent les patchs de l’image sans se soucier d’une information
globale, ce type de filtre effectue une analyse commune de l’information basée sur des
regroupements de patchs similaires. Ces méthodes permettent d’extraire les détails communs
d’un groupe tout en préservant les caractéristiques spécifiques du patch considéré.
Nous allons particulièrement nous intéresser aux NLB (Non Local Bayes) [LBM13] car
ils exploitent l’information commune par l’intermédiaire d’une analyse de la moyenne et
de la covariance du groupe de patchs. Malheureusement, comme il est coûteux et difficile
d’effectuer des regroupements directement dans l’espace des patchs, ces statistiques sont
généralement approchées de sorte que le filtre reste calculable.
La formulation des NLB étant particulièrement adaptée, nous proposons, dans cette section,
de les accélérer par l’intermédiaire de notre CovTree généralisé (Section 4.3.3). Cette
application nous permet d’étendre au cas des NLB certaines accélérations classiques des
7576
NL-Means (telle que la réduction de la dimensionnalité globale des patchs par une analyse
en composantes principales [APG07, Tas08, Tas09]) et de fournir une analyse qualitative
des performances de notre CovTree.
5.1.1 Non Local Bayes
Principe
Considérons un ensemble P = {fi} de patchs de dimension dP obtenu à partir d’un ensemble
de patchs non bruités P˜ = {ri} corrompu par un bruit additif ni gaussien d’écart
type σn :
fi = ri + ni
La probabilité du bruit qui est rajoutée à chaque patch correspond donc à une gaussienne
isotrope d’écart type σn.
Introduit par Lebrun et coll. [LBM13], les NLB débruitent un patch d’intérêt q ∈ R
dP en
utilisant une Maximisation A Posteriori (MAP) bayésienne. Cette maximisation, équivalente
à projeter le patch q localement sur la variété de patchs non bruités, suppose que les
variations probabilistes des patchs s’expriment par une gaussienne anisotrope N (µq
, Σq)
de moyenne µq
et de matrice de covariance Σq. Ne pouvant être directement calculée sur
un ensemble de patchs non bruités, cette gaussienne est estimée à partir des patchs bruités
{fi}.
Les NLB sont basés sur trois principaux opérateurs inspirés des travaux concernant les
BM3D (Block Matching 3D) [DFKE07,DFKE08,DFKE09] :
1. Regroupement : un groupe de patchs N(q) similaires à q est formé en considérant
une distance quadratique normalisée. Le voisinage est défini à la fois dans l’espace
des patchs et dans l’espace spatial (distance pixelique entre les centres des patchs).
Cette restriction permet de rendre la recherche des patchs similaires calculables pour
de grandes images, car elle devient indépendante de la taille de l’image. De plus, pour
ne pas être trop sensible aux patchs parasites, le groupe est généralement limité aux
k plus proches patchs.
2. Débruitage collaboratif : les variations des patchs associés au groupe sont modélisées
de manière probabiliste par une gaussienne anisotrope N (µq
, Σq) qui est
ensuite utilisée pour définir un estimateur par MAP du patch débruité. Lors de cette
étape, chaque patch est débruité indépendamment les uns des autres.
3. Agrégation : chaque pixel de l’image, commun à plusieurs patchs, est associé à
plusieurs valeurs débruitées. Une valeur débruitée finale est donc obtenue par une
moyenne sur l’ensemble des valeurs débruitées.
Débruitage itératif
Afin d’améliorer les performances du débruitage et d’estimer une gaussienne anisotropique
N (µq
, Σq) non biaisée, ces trois étapes sont itérées deux fois.
Lors de la première itération, le patch d’intérêt q est débruité en considérant l’ensemble des
patchs bruités {fi}. La gaussienne anisotrope correspond donc aux variances de l’ensemble5.1. DÉBRUITAGE D’IMAGES PAR FILTRE COLLABORATIF 77
des patchs bruités. Afin de débruiter conjointement les patchs du groupe tout en obtenant
une modélisation des patchs non bruités, la matrice de covariance Σq est filtrée par un
facteur σ
2
d
correspondant à la variance du bruit estimée que contient l’image (σd ≈ σn) :
Σ′
q = Σq − σ
2
d
Id. L’estimateur de débruitage NLB(1) est défini pour tout patch bruité q
associé à une moyenne µq
et une matrice de covariance Σq calculée sur l’ensemble {fi}
par :
NLB(1)(q, µq
, Σq) = µq + [Σq − σ
2
d
Id]Σ−1
q
(q − µq
) (5.1)
Les patchs bruités {fi} sont donc débruités une première fois par :
ˆr
(1)
i = NLB(1)(fi
, µfi
, Σfi
) (5.2)
Durant la deuxième itération, le patch d’intérêt q est débruité en considérant l’ensemble
des patchs {ˆr
(1)
i
}. La gaussienne anisotrope décrit donc, désormais, les variations de
l’ensemble des patchs débruités autour du patch d’intérêt débruité une première fois
q
(1) = NLB(1)(q, µq
, Σq). L’estimateur de débruitage NLB(2) est défini pour tout patch
bruité q associé à une moyenne µq(1) et une matrice de covariance Σq(1) calculée sur
l’ensemble {ˆr
(1)
i
} par :
NLB(2)(q, µq(1) , Σq(1) ) = µq(1) + Σq(1) [Σq(1) + σ
2
d
Id]
−1
(q − µq(1) ) (5.3)
Les patchs bruités {fi} sont donc débruités une deuxième fois par :
ˆr
(2)
i = NLB(2)(fi
, µˆr
(1)
i
, Σˆr
(1)
i
) (5.4)
Critère d’homogénéité
Lors du calcul de l’Équation 5.1, certaines instabilités peuvent apparaître lorsque σd ≤ σn.
Ces instabilités sont dues à l’estimation de la matrice de covariance débruitée Σ′
q
. Il faut
donc s’assurer par une Analyse en Composantes Principales (ACP) que l’ensemble des
valeurs propres de Σ′
q
restent positives ou nulles. Malheureusement, effectuer une ACP
est d’autant plus coûteux que la dimension de l’espace des patchs dP est élevée. Les NLB
proposent une résolution partielle de ce problème en introduisant un critère d’homogénéité.
Dans le cas où l’ensemble des valeurs propres de Σ′
q
sont négatives, les variations du
groupe dans n’importe quelle direction correspondent uniquement à celles du bruit (cas
d’un groupe de patchs homogène). Par conséquent, le meilleur estimateur pour le patch
débruité est un patch moyen ¯r dont les valeurs sont toutes définies par :
∀k ∈ [[1, dP]], ¯r(k) = X
fi∈N(q)
X
dP
l=1
fi(l) (5.5)
Le critère d’homogénéité permet de vérifier que le patch d’intérêt q n’est pas un patch
homogène avant d’appliquer l’une des deux Équations 5.1 ou 5.3 accélérant ainsi le temps
de calcul. En considérant un ensemble de m valeurs (correspondant à l’ensemble des valeurs
contenues dans chaque patch du groupe), le critère d’homogénéité définit l’écart type des
valeurs du groupe σh :
σ
2
h =
1
m − 1
X
fi∈N(q)
X
dP
k=1
fi(k)
2 −
X
fi∈N(q)
X
dP
k=1
fi(k)
2
(5.6)78
Lorsque σh ≤ σn, le patch débruité est défini par l’Équation 5.5 sinon il reste débruité par
les Équations 5.1 ou 5.3.
Il est important de noter que ce critère permet de résoudre les problèmes d’instabilités
quand l’ensemble des valeurs propres de Σ′
q
sont négatives, mais ne permet pas résoudre
les instabilités de calculs lorsqu’une partie des valeurs propres sont négatives. En pratique,
ce problème reste peu visible, car il est atténué par l’étape d’Agrégation et l’utilisation de
la double itération de l’algorithme.
5.1.2 Débruitage d’images par CovTree
Adaptation des NLB
Nous rappelons que le CovTree, tel qu’il a été introduit en Section 4.3.3, est une structure
de données capable d’apprendre les variations d’un ensemble d’échantillons (pi
,fi) où pi
est une position dans le domaine spatial S et fi est un attribut du domaine des attributs R.
Le domaine spatial S est utilisé pour effectuer des regroupements entre les échantillons et le
domaine des attributs R est utilisé pour analyser les variations des échantillons. Pour toute
requête (q ∈ S, σq ∈ R), la structure retourne la gaussienne anisotrope N (µq,σq
, Σq,σq
)
de moyenne µq,σq ∈ R et de covariance Σq,σq ∈ R × R modélisant les variations des
échantillons compris dans un voisinage spatial N(q, σq).
La formulation des NLB étant particulièrement adaptée pour être calculée par notre CovTree,
nous pouvons faire un parallèle entre les opérateurs du CovTree et les étapes des
NLB. Par exemple, les opérateurs d’Apprentissage et de Requête peuvent être utilisés pour
estimer une gaussienne anisotropique équivalente à celle estimée lors de l’étape de Débruitage
collaboratif. Dans ce cas-là, le domaine des attributs R est défini par l’espace des
patchs. Les attributs appris correspondent donc aux patchs de l’image.
Pour pouvoir appliquer les deux itérations des NLB de manière équivalente, nous devons
utiliser deux CovTree différents. La première est construite et apprise en utilisant
l’ensemble des patchs de l’image bruités {fi} puis utilisée afin de débruiter l’ensemble
des patchs par l’Équation 5.1 pour obtenir un premier débruitage des patchs {ˆr
(1)
i
}. La
deuxième est définie par rapport à l’ensemble des patchs débruités {ˆr
(1)
i
} de sorte à pouvoir
être utilisée par l’Équation 5.3 pour définir le patch débruité final.
La gaussienne anisotropique N (µq,σq
, Σq,σq
) estimée par notre CovTree dépend explicitement
de la taille du voisinage σq considéré. Contrairement aux NLB originaux qui fixent
définitivement cette taille pour accélérer le calcul du filtre, nous pouvons estimer diffé-
rentes images débruitées en changeant la taille σq avec une influence négligeable sur le
temps de calcul total.
Critère de regroupement
La distinction entre le domaine spatial S et celui des attributs R nous permet de définir
différents critères de regroupement. En effet l’étape de Construction de notre CovTree
permet d’effectuer des divisions dans S qui servent à rassembler les échantillons proches.5.1. DÉBRUITAGE D’IMAGES PAR FILTRE COLLABORATIF 79
La Construction du CovTree est donc équivalente à l’étape de Regroupement. La définition
des données spatiales utilisées par notre CovTree permet d’introduire différents types de
regroupement N(q).
Nous introduisons donc trois différents types de voisinage pour les NLB :
1. Voisinage global : nous définissons un domaine spatial S qui est confondu avec
le domaine des attributs R par p = fi
. Dans ce cas, le voisinage N(q) dépend
uniquement de la similarité entre les patchs bruités fi et le patch requête q. Le
domaine spatial S est donc de dimension dS = dP.
2. Voisinage local : afin de définir un voisinage équivalent à celui utilisé dans la version
originale des NLB, nous proposons d’augmenter S avec les coordonnées pixéliques du
centre du patch x = (xi
, yi). Par conséquent, les pi doivent désormais être proches
spatialement de q. Ce voisinage est défini dans un domaine spatial S de dimension
dS = dP + 2.
3. Voisinage local compressé : l’idée ici est d’adapter la réduction de dimensionnalité
des patchs proposée dans le cas des NL-Means [APG07,Tas08,Tas09] au NLB. Nous
proposons donc de réduire les dP dimensions de l’espace des patchs aux l < dP
dimensions principales par une ACP globale de l’ensemble des patchs bruités de
l’image. Dans ce cas, S est de dimension dS = l + 2.
Il est important de noter que seul le domaine spatial S est changé (et a fortiori les regroupements
des différents patchs). En particulier, le domaine des attributs R ne change pas,
ce qui permet de calculer les NLB avec différent types de voisinages sans avoir à modifier
les équations originales.
Critère d’homogénéité
Tout comme dans la version originale des NLB, nous pouvons définir un critère homogène
calculable à partir de la moyenne µq
, la matrice de covariance Σq et des deux constantes
de normalisation wq et w2q estimées par notre CovTree. Dans notre cas, l’écart type des
valeurs du groupe σh est défini par :
σ
2
q =
1
w2
qdP − w2q
(w
2
q − w2q)
Tr(Σq) + wq
µq
2
2
−
w
2
q
dP
X
l=1
µq
(l)
!2
(5.7)
De plus, l’ensemble des valeurs de patch moyen ¯r sont définies par
∀k ∈ [[1, dP]], ¯r(k) = 1
dP
X
dP
l=1
µq
(l) (5.8)
Le critère d’homogénéité tel qu’il a été introduit dans les cas de NLB originaux reste
inchangé dans le cas de l’utilisation de notre CovTree.
5.1.3 Analyse des paramètres
Dans cette partie, nous proposons une analyse des différents paramètres de l’application
du CovTree au débruitage d’images. Nous n’analysons pas ici l’influence de l’échelle d’arrêt
de notre CovTree car il est lié uniquement à la taille mémoire finale utilisée par notre80
structure. Nous n’analysons pas non plus l’influence de la taille des patchs sur la reconstruction,
nous renvoyons donc le lecteur vers une analyse plus approfondie de ce paramètre
effectué par Lebrun et coll. [LBM13].
Facteur de filtrage
Le facteur de filtrage σd correspond à la quantité de bruit que contiennent les patchs
bruités. Nous présentons en Figure 5.1 les restaurations d’une image corrompue par un
bruit gaussien d’écart type σn = 0.08 obtenu pour différentes valeurs de σd. Pour mieux
analyser l’influence de ce paramètre sur la qualité de la restauration finale, une seule
itération des NLB sans utiliser le critère d’homogénéité a été appliquée (Équation 5.1).
Une analyse de la qualité de la restauration de l’image en fonction de l’évolution de ce
paramètre n’est généralement pas effectuée car il est évident que la meilleure restauration
sera obtenue pour des valeurs , σd ≈ σn. Dans notre cas, l’évolution de ce facteur nous
permet d’analyser les performances qualitatives de notre CovTree.
Pour des valeurs de σd trop faibles (cas σd = 0.04), la matrice de covariance Σ′
q =
Σq − σ
2
d
Id n’est pas assez débruitée. Ainsi, le patch débruité obtenu est proche du patch
bruité passé en requête. Pour des valeurs de σd trop élevées (cas σd = 1.00), l’ensemble
des valeurs propres associées à la matrice de covariance Σ′
q
sont nulles. Le patch débruité
obtenu est donc confondu avec la moyenne µq
estimée par notre CovTree. Pour des valeurs
de σd moyennes (cas σd = 0.08), la matrice de covariance Σ′
q
est exploitée efficacement de
sorte à extraire l’information commune à l’ensemble des patchs bruités du groupe. L’image
résultante réussit à supprimer le bruit tout en préservant les détails fins.
Il est important de noter que l’image moyenne (cas σd = 1.00) conserve les caractéristiques
principales de l’image d’entrée. Ainsi, les différentes divisions effectuées par notre structure
de données dans le domaine spatial S respectent la topologie des patchs. L’image moyenne
réussit en effet à flouter les zones homogènes tout en préservant les contours principaux de
l’image. Une grande majorité des détails de l’image ont néanmoins été supprimés, car le
nombre de nœuds de notre structure reste limité. Contrairement à d’autres structures d’accélération
telle que les Gaussian KD-Tree [AGDL09], notre structure utilise des matrices
de covariance pour représenter les variations du groupe. Le pouvoir de représentation des
covariances étant plus important que celui de simples moyennes, le nombre de noeuds né-
cessaire pour apprendre l’information contenue dans l’image est inférieur. Cette propriété
est illustrée dans le cas σd = 0.08 où des détails fins de l’image sont restaurés, confirmant
que les gaussiennes anisotropes estimées lors des étapes d’Apprentissage et de Requête sont
représentatives des variations de chaque groupe de patchs.
Taille du voisinage spatial
Par l’intermédiaire de notre CovTree, on peut estimer une gaussienne anisotrope pour
différentes tailles de voisinage σq. Contrairement au NLB classique, il est possible d’estimer
les gaussiennes anisotropes pour différentes échelles pour un coût équivalent (Section 4.4.2).
Nous présentons en Figure 5.2, les restaurations de trois différentes images bruitées avec
un bruit additif gaussien d’écart type σn = 0.5 obtenues pour différentes tailles σq.5.1. DÉBRUITAGE D’IMAGES PAR FILTRE COLLABORATIF 81
Image originale
Bruit d'écart type 0.08
Figure 5.1: Restauration d’une image corrompue par un bruit gaussien d’écart type 0.08
obtenu pour différents σd. Le choix idéal de σd est représenté en gras.82
Figure 5.2: Restaurations d’une image corrompue par un bruit additif gaussien d’écart
type 0.2 obtenues pour différentes échelles d’estimation de la gaussienne anisotrope σq.
Plus la taille σq est élevée plus la gaussienne anisotrope résultante est grossière. La taille
idéale pour estimer la matrice de covariance est représentée en gras. Contrairement au
NLB, la taille du voisinage peut être changée sans nécessiter de calculs supplémentaires.
Pour des valeurs de σq trop larges (cas σq = 1.5), la gaussienne anisotrope estimée est
trop grossière pour correctement modéliser la variété sous-jacente des patchs débruités.5.1. DÉBRUITAGE D’IMAGES PAR FILTRE COLLABORATIF 83
Bruit écart type 0.08 Crit. global (147-D) Crit. local (147+2-D) Crit. compressé (6+2-D)
PSNR 22.7 dB PSNR 27.6 dB PSNR 28.0 dB PSNR 28.4 dB
Figure 5.3: Comparaison des restaurations obtenues pour différents critères de voisinage.
La première ligne correspond aux débruitages obtenus et la deuxième à l’écart entre le
débruitage et l’image originale.
Par conséquent, l’image restaurée perd toute l’information haute fréquence qu’elle contient
entraînant la création de zones floues.
Pour des tailles σq faibles (cas σq = 0.5), il n’est pas possible d’extraire les caractéristiques
communes à chaque groupe. Ainsi, la gaussienne anisotrope résultante permet de
représenter uniquement les structures de bruit locales ce qui se traduit par l’apparition
d’un bruit de haute fréquence sur les images restaurées. La taille de voisinage idéale (cas
σq = 0.6) doit être choisie par rapport à la quantité de bruit contenue dans les patchs bruités.
Une telle taille permet de limiter l’apparition des hautes fréquences tout en préservant
les caractéristiques de l’image.
Choix du voisinage
Nous présentons en Figure 5.3 différentes restaurations d’une image corrompue par un
bruit additif gaussien d’écart type 0.08 pour différents types de voisinages.
En utilisant un critère global, les regroupements de patchs se font uniquement en considérant
une distance calculée dans l’espace des patchs. L’ensemble des patchs appris étant
bruité, cette distance est très dépendante de la quantité de bruit dans les patchs. Ainsi,
les groupes de patchs contiennent plus facilement des patchs parasites influençant négativement
la qualité de la restauration finale. Un critère global peut donc être difficilement
utilisé dans le cas de patchs bruités.
Pour résoudre ce problème, il suffit d’augmenter de deux dimensions le domaine spatial
correspondant à la position pixelique du centre du patch. Ce critère local permet de limiter84
30.7
31
31.3
1 2 4 8 16 32 64
PSNR(dB)
Dimensionnalité spatiale ( )
Figure 5.4: Évolution du PSNR du débruitage de 20 images par notre CovTree-NLB en
fonction de la réduction par ACP de la dimensionnalité du domaine spatial. La courbe
moyenne est représentée en rouge et l’écart type des données centrées en gris. Les courbes
de PSNR de chaque images présentent des formes similaires et montrent un pic autour des
valeurs dS = 4.
le nombre de points parasites présents dans un groupe. L’image restaurée est donc d’une
meilleure qualité. Dans la version originale des NLB, ce critère est également utilisé afin
d’accélérer le calcul du filtre en rendant indépendante de la taille de l’image l’étape de
Regroupement.
Comme nous le présentons en Figure 5.4, le critère compressé qui effectue une réduction
de dimensionnalité par ACP appliqué sur le domaine S permet non seulement d’accélérer
la recherche, mais de produire également de meilleurs résultats. Ce phénomène peut être
expliqué par le fait que les valeurs propres les plus petites contiennent principalement du
bruit. En gardant uniquement les valeurs propres les plus élevées, la distance entre les
patchs devient donc moins sensible au bruit permettant de définir des regroupements de
patchs plus pertinents.
Schéma itératif
Nous présentons en Figure 5.5, trois images restaurées obtenues après la première itération
(Équation 5.1 puis la deuxième itération (Équation 5.3) des NLB. Les images sont
corrompues avec un bruit additif gaussien d’écart type σn = 0.2.
La première itération des NLB permet de récupérer les caractéristiques principales de
l’image. Étant calculée uniquement sur l’ensemble des patchs bruités, l’estimation des gaussiennes
anisotropes reste néanmoins biaisée entraînant l’apparition d’artefacts de hautes
fréquences et de changements de teinte de certaines zones de l’image.
Appliquer une deuxième itération calculée sur l’ensemble des patchs débruités permet
de corriger ces problèmes. Désormais les variations et les regroupements sont calculés en
considérant une distance entre les patchs qui n’est plus biaisée par le bruit. Les regroupements
formés sont donc plus pertinents et permettent de mieux faire ressortir les détails
communs à chaque groupe de patchs. Les images résultantes obtenues préservent mieux
les caractéristiques.5.1. DÉBRUITAGE D’IMAGES PAR FILTRE COLLABORATIF 85 Première itération des NLB Deuxième itération des NLB
PSNR 24.1 dB
PSNR 24.6 dB PSNR 29.2 dB PSNR 29.6 dB
PSNR 29.0 dB PSNR 29.6 dB
Figure 5.5: Images débruitées obtenues après la première et la deuxième itération de notre
CovTree-NLB à partir de trois images corrompues par un bruit additif gaussien d’écart
type 0.2. Afin de mieux comparer les performances, nous fournissons des agrandissements
des trois images sur les deux lignes centrales.
Néanmoins, lorsque l’information d’un groupe est trop filtrée lors de la première itération,
il devient difficile de récupérer cette information lors de la deuxième itération. Inversement,
si le bruit présent dans le groupe n’est pas totalement éliminé alors il pourra être
considéré comme une caractéristique principale du groupe diminuant ainsi la qualité de la
restauration.86Original NL-Means NLB Original NLB par CovTree Bruit
PSNR 14.7 dB PSNR 14.6 dB PSNR 14.8 dB
PSNR 27.9 dB PSNR 23.8 dB PSNR 28.8 dB
PSNR 29.0 dB PSNR 24.7 dB PSNR 29.5 dB
PSNR 29.2 dB PSNR 24.6 dB PSNR 29.6 dB
Figure 5.6: Résultats de restaurations obtenus pour différents algorithmes de débruitages
non locaux : les NL-Means [GO12], les NLB originaux [LBM13] et notre CovTree-NLB.
Un agrandissement de ces images est proposé en Figure 5.7
5.1.4 Résultats
Nous présentons en Figure 5.6 les résultats obtenus pour trois méthodes : les NL-Means
calculées par l’approche de Gastal et coll. [GO12], les NLB originaux [LBM13] et notre
CovTree-NLB. Ces méthodes sont appliquées à trois différentes images corrompues par
un bruit additif gaussien d’écart type 0.2. Pour mieux percevoir les différences entre les
différentes méthodes, nous présentons en Figure 5.7 des vues détaillées de ces différents
résultats. Les résultats du CovTree sont obtenus sans utiliser le critère d’homogénéité et
en réduisant la dimensionnalité des patchs aux 6 principales dimensions.5.1. DÉBRUITAGE D’IMAGES PAR FILTRE COLLABORATIF 87 Original NL-Means NLB Original NLB par CovTree
PSNR 14.7 dB PSNR 14.6 dB PSNR 14.8 dB
PSNR 27.9 dB PSNR 23.8 dB PSNR 28.8 dB
PSNR 29.0 dB PSNR 24.7 dB PSNR 29.5 dB
PSNR 29.2 dB PSNR 24.6 dB PSNR 29.6 dB
Bruit
Figure 5.7: Comparaison de différents algorithmes non locaux : les NL-Means [GO12],
les NLB originaux [LBM13] et notre CovTree-NLB.88
Dans le cas des NL-Means, les pixels de l’image sont débruités à partir d’une combinaison
de valeurs bruitées. Le poids de chaque élément est calculé en fonction d’une mesure de
similarité évaluée à partir d’un voisinage autour du pixel. Malheureusement, ce voisinage
est défini à partir de l’image bruitée. Par conséquent, la mesure de similarité aura tendance
à rechercher des pixels dans l’image qui possèdent des voisinages qui sont bruités de la
même manière que le patch d’intérêt. Ce phénomène reste peu visible pour des écarts types
σn faibles, mais se traduit par l’apparition d’un bruit résiduel haute fréquence pour des
valeurs de σn élevées. Ce problème est particulièrement visible en Figure 5.7, où il entraine
l’apparition d’imprécisions et la modification des contours de l’image.
Ce problème est corrigé dans les NLB originaux en analysant l’information commune
à un groupe de patchs similaires. À la différence des NL-Means, le filtrage est effectué
collaborativement. Les caractéristiques principales communes à l’ensemble des patchs du
groupe sont donc extraites indépendamment du bruit puis utilisées pour filtrer le patch.
Les NLB permettent donc de mieux préserver les détails principaux contenus dans l’image
sans introduire de bruit haute fréquence.
Notre CovTree-NLB permet d’obtenir des résultats légèrement supérieurs aux NLB originaux.
Nous pouvons expliquer cette différence par l’utilisation du critère de voisinage
local compressé. Il permet de former des groupes de patchs similaires moins dépendants
du bruit. De plus, dans la formulation originale des NLB, la moyenne et la covariance sont
estimées avec un poids constant à partir d’une combinaison des k plus proches voisins.
Dans notre cas, la combinaison est pondérée en utilisant un noyau gaussien qui limite
l’influence des patchs parasites.
En effectuant une comparaison plus détaillée, nous pouvons remarquer que les NLB originaux
ont tendance à créer des zones régulières. Ce problème est dû à l’utilisation du
critère homogénéité qui a tendance à uniformiser l’ensemble des valeurs du patch. Comme
notre CovTree-NLB n’utilise pas le critère d’homogénéité, le patch est remplacé dans notre
cas par la moyenne estimée durant la phase de requête de notre CovTree. Comme nous
l’avons vu précédemment, la moyenne estimée par notre structure permet de bien préserver
les caractéristiques principales. Elle remplace donc les zones régulières qui provoquent
un phénomène de quantification par des variations lisses entre les différentes zones.
Pour conclure, les deux implémentations des NLB produisent des résultats globalement
équivalents. Ce constat nous permet donc d’affirmer que notre CovTree est correctement
défini pour estimer la moyenne et la covariance d’un ensemble d’échantillons pour diffé-
rentes requêtes qui peuvent être utilisées dans des approches telles que les NLB.
5.2 Restauration par dictionnaires
Une propriété intéressante de notre CovTree est qu’il peut être utilisé pour apprendre les
variations à différentes échelles de grandes bases d’échantillons en utilisant une quantité de
mémoire limitée. Nous proposons d’exploiter ce caractère compressif afin de résoudre deux
applications : le débruitage par dictionnaire et la reconstruction d’images échantillonnées
aléatoirement.5.2. RESTAURATION PAR DICTIONNAIRES 89
Figure 5.8: Échantillons de la base de données de façades parisiennes comprenant plus
de 120 images (soit plus de 108 patchs).
5.2.1 Principe général
Avec la démocratisation des capteurs numériques et la facilité d’accès aux réseaux de communication,
il est devenu facile aujourd’hui de récupérer et/ou partager de l’information.
Malgré la multiplication de ces données, il existe encore peu de moyens réussissant à exploiter
cette grande quantité d’informations et d’en extraire des caractéristiques utiles.
Pourtant, l’utilisation d’une telle connaissance pourrait être particulièrement utile dans
des domaines tels que la restauration.
Durant ces dernières années, les méthodes de restauration des images ont proposé des approches
de plus en plus performantes pour réussir à récupérer l’information contenue dans
des images corrompues. Néanmoins, les performances de ces méthodes resteront toujours
limitées du fait que les données sont trop détériorées ou trop rares pour être récupérées.
L’utilisation d’une analyse de l’information commune à de grands ensembles d’images
pourrait donc permettre de résoudre ce problème tout en améliorant la qualité de la restauration.
Cette idée est confirmée dans [LN11] où l’utilisation de grandes bases d’images est proposée
comme un moyen d’apprendre l’a priori sous-jacent aux patchs d’images naturelles. Ce
genre d’approche (appelée shotgun NLM [LCBM12]) a été utilisé pour estimer les limites
fondamentales des méthodes de débruitage non locales. Néanmoins, aucune proposition n’a
été faite afin de rendre ce genre de méthodes calculables dans le cas d’applications réelles.
Une idée similaire a ensuite été proposée par [ZW11]. Elle définit un apprentissage sur une
large base de données par l’intermédiaire d’une approche similaire à celle des PLE [YSM12].
Malheureusement, une telle approche nécessite plusieurs jours pour apprendre l’a priori
sous-jacent.
Nous proposons donc d’utiliser notre CovTree généralisé afin d’apprendre l’a priori sousjacent
aux patchs des images naturelles rapidement et en utilisant une quantité de mémoire
limitée. Une fois encore, cet avantage est possible, car la quantité de mémoire utilisée par90
notre structure de données dépend uniquement de la précision de l’information que l’on
souhaite apprendre et non du nombre d’échantillons à apprendre.
Dans toute cette section, nous considérons un ensemble de 108 patchs non bruités de
dimension 7×7 extraits d’une base de plus de 120 images de façades parisiennes. Ces patchs
seront utilisés lors de l’étape d’Apprentissage de sorte à pouvoir définir une approximation
de l’a priori sous-jacent de l’ensemble des patchs appartenant aux images naturelles. Nous
présentons en Figure 5.8 un sous-ensemble d’images appartenant à cette base de données.
En terme de performance, un tel apprentissage nécessite environ 5 heures de calcul sur un
PC possédant un processeur 2.4 GHz Intel Xeon et utilise 8GB de RAM pour retenir l’ensemble
de la structure de données. En comparaison, ce temps de calcul est bien plus rapide
que les temps de calcul reportés dans [LN11, ZW11] alors que la quantité d’échantillons
apprise par notre structure est largement supérieure.
5.2.2 Débruitage d’images
Principe
Les démarches par NLB restaurent l’image en utilisant uniquement un ensemble de patchs
bruités. Par conséquent, la gaussienne anisotrope utilisée pour modéliser l’a priori sousjacent
représente les variations des patchs bruités. Les NLB résolvent ce problème en
débruitant la matrice de covariance d’un facteur σd et en itérant deux fois leurs différentes
étapes. Néanmoins, l’estimation de la gaussienne reste limitée.
Dans cette section nous proposons de définir une approche similaire à [LCBM12]. Nous
définissons un algorithme de débruitage, le Shotgun NLB, qui utilise un a priori appris
sur une grande base de données à partir notre CovTree. Cette idée a deux principaux
avantages : nous pouvons augmenter le nombre de patchs appris (par rapport aux NLB
classiques) et les données utilisées ne sont pas dégradées par du bruit, permettant ainsi
d’augmenter la précision de la gaussienne anisotropique estimée.
En pratique, nous construisons notre arbre en considérant un critère de voisinage global
(sans coordonnées pixeliques) afin de définir les cellules dans le domaine spatial S. Ensuite,
nous apprenons le modèle gaussien de chaque cellule à partir de l’ensemble des patchs non
bruités provenant de la base de données. Finalement, la matrice de covariance Σq et le
vecteur moyen µq
sont estimés à partir d’un patch bruité q avec un rayon σq proche de
l’écart type du bruit du patch. Contrairement aux NLB classiques, les gaussiens anisotropes
N (µq
, Σq) estimées par la structure sont non bruitées. Par conséquent, nous appliquons
directement l’Équation 5.3 sans avoir besoin de débruiter la matrice de covariance.
Résultats
En Figure 5.9, nous présentons une comparaison d’images filtrées par les NLB originaux, les
CovTree-NLB et notre Shotgun NLB. Les résultats sont obtenus à partir d’images corrompues
par un bruit gaussien additif d’écart type 0.08. Dans cette partie, les CovTree-NLB
sont calculés à partir du critère de voisinage local compressé aux 6 principales dimen-5.2. RESTAURATION PAR DICTIONNAIRES 91
Bruit écart type 0.08 NLB Original (147+2-D) NLB CovTree (147+2-D) Shotgun NLB (147-D)
PSNR 22.4 dB PSNR 30.2 dB PSNR 30.0 dB PSNR 31.1 dB
Figure 5.9: Comparaison des images débruitées obtenues pour différentes versions des
NLB : le NLB original, notre CovTree NLB et notre Shotgun NLB. La deuxième ligne
présente des agrandissements des résultats obtenus sur la première ligne.
sions sans utiliser de critère d’homogénéité. Notre Shotgun-NLB est évalué avec une seule
itération.
Pour mieux illustrer nos propos, nous allons baser nos explications sur les agrandissements
proposés en Figure 5.9 représentant un mur de briques. Ce cas de restauration est particulièrement
difficile, car les détails fins et le bruit de l’image sont confondus. La gaussienne
anisotrope résultante de ce groupe de patchs sera donc principalement composée du bruit
du groupe. En effet, la distance utilisée pour former les groupes de patch aura tendance à
rassembler les patchs par rapport à la similarité de leur bruit respectif plutôt que de l’information
réelle qu’ils contiennent. Les groupes ainsi formés contiendront donc un grand
nombre de patchs parasites qui perturberont l’extraction des caractéristiques communes.
La légère perte de performance de notre CovTree-NLB par rapport aux NLB originaux
est due à ce problème. Les NLB originaux utilisent le critère d’homogénéité pour éviter
d’exacerber les structures de bruits locales. Il permet d’harmoniser l’ensemble des valeurs
quand il est difficile de faire la distinction entre l’information contenue dans le groupe et
le bruit.
Le Shotgun-NLB est particulièrement efficace pour résoudre ce genre de cas. En effet, il
permet d’estimer, en toutes circonstances, des gaussiennes anisotropes représentatives des
variations des patchs non bruités. Pour ce faire, il utilise l’information commune de la base
de patchs non bruités pour définir un a priori qui approche celui des patchs des images
naturelles. Cet a priori peut donc contenir une information sur les caractéristiques fines des
patchs qui se retrouvaient précédemment confondues dans le bruit de l’image. Le ShotgunNLB
permet de restaurer des détails fins de l’image que les filtres classiques ne sont pas
capables de retrouver. De plus amples expérimentations restent néanmoins nécessaires92
pour déterminer si la restauration obtenue est proche de la limite fondamentale présentée
par [LN11].
5.2.3 Reconstruction d’image échantillonnée aléatoirement
Principe
Dans cette section, nous proposons de reconstruire une image à partir d’un sous-ensemble
aléatoire de ces pixels. Comme le proposent entre autres les PLE [YSM12], nous proposons
d’utiliser l’a priori sous-jacent aux patchs des images naturelles qui a été appris par l’intermédiaire
de notre CovTree sur une large base de données pour compléter l’information
manquante.
Considérons un patch q˜ échantillonné aléatoirement à partir d’un patch original q par
un opérateur q˜ = Sq. Ici, l’opérateur S dépend de la position spatiale de q. De manière
équivalente aux filtres NLB, nous allons considérer ici que les patchs de l’image peuvent être
modélisés localement par une gaussienne anisotrope dont la moyenne µq
et la covariance
Σq ont été estimées à partir d’un dictionnaire local. Par conséquent, nous pouvons définir
le patch reconstruit qˆ comme une MAP bayésienne :
qˆ = (ΣqS
HS +
σ
2
2
Id)
−1
(ΣqS
Hq˜ +
σ
2
2
µq
) (5.9)
Dans la minimisation précédente, la gaussienne anisotrope N (µq
, Σq) est estimée autour
du patch complet original q. Ce patch étant bien évidemment inconnu, nous utilisons une
approche itérative basée sur trois étapes pour approcher cette gaussienne :
1. Estimation : le patch qˆt−1 reconstruit à l’itération précédente t − 1 est utilisé en
requête de notre CovTree afin de définir une approximation de l’a priori statistique
local autour de q représentée par une gaussienne anisotrope N (µqˆt−1
, Σqˆt−1
).
2. Reconstruction : le patch qˆt est reconstruit à l’itération t à partir d’une MAP
bayésienne et de la gaussienne anisotrope N (µqˆt−1
, Σqˆt−1
) par :
qˆt = (Σqˆt−1S
HS +
σ
2
2
Id)
−1
(Σqˆt−1S
Hq˜ +
σ
2
2
µqˆt−1
) (5.10)
3. Agrégation : tout comme pour les NLB, un pixel de l’image appartient à plusieurs
patchs de l’image. Par conséquent, le patch qˆt et l’image sont estimés à l’itération t
par une moyenne des valeurs des pixels reconstruits.
En pratique, nous initialisons la reconstruction à partir d’une estimation initiale qˆ0 du
patch complet effectué en utilisant une interpolation cubique basée sur une triangulation
de Delaunay des pixels connus. De plus, pour obtenir une meilleure reconstruction de
l’image, lors de l’étape d’Estimation nous utilisons des échelles de filtrage σqˆ,t = α
tσqˆ,0 de
plus en plus fines à partir d’une échelle grossière σqˆ,0 et d’un facteur d’échelle α ∈ [0, 1].
Résultats
Nous présentons en Figure 5.9 la restauration obtenue à partir d’une image où seulement
20% des pixels échantillonnés aléatoirement ont été conservés. Notre approche est initia-5.2. RESTAURATION PAR DICTIONNAIRES 93
Original 20% pixels originaux Reconstruction cubique Notre reconstruction
PSNR 24.9 dB PSNR 27.2 dB
Figure 5.10: Résultat de la reconstruction d’une image dont 20% des pixels échantillonnés
aléatoirement ont été retenus. Notre approche est initialisée à partir d’une reconstruction
cubique définie sur la triangulation de Delaunay des pixels connus.
lisée par une première interpolation cubique définie sur la triangulation de Delaunay des
pixels connus pour des valeurs α = 0.8 et σqˆ,0 = 0.65.
Comme nous l’avons expliqué précédemment, nous avons théoriquement besoin de
connaître le patch restauré pour pouvoir définir un modèle local des patchs. Pour ré-
soudre ce problème, nous avons introduit une approche itérative qui évalue à chaque étape
une reconstruction de plus en plus fine. Ce schéma itératif est initialisé à partir d’une
restauration grossière de l’image. Il est important de comprendre que tout le cœur de
notre problème de restauration réside dans l’estimation d’une gaussienne anisotrope correcte.
C’est grâce à elle que l’information manquante est comblée. Par conséquent, plus la
requête sera proche du patch original meilleure sera la restauration.
Pour éviter de bloquer les itérations dans des minimums locaux, nous utilisons des échelles
de requêtes σqˆ,t décroissantes. Cette idée nous permet de récupérer des détails de l’image
qui n’était pas nécessairement présents dans l’approximation originale. Ce phénomène est
parfaitement illustré en Figure 5.10 par la restauration des briques ou des carreaux de la
porte de la maison. Malheureusement, une telle solution ne permet pas de résoudre toutes
les ambiguïtés. Les patchs restaurés peuvent parfois être assez éloignés de leur version
originale. Néanmoins, ce problème n’est pas forcément choquant visuellement.
5.2.4 Limitations et possibles améliorations
Dans cette section, nous avons utilisé notre CovTree pour apprendre rapidement la distribution
d’une grande base de données de patchs issues d’images naturelles et avec une94
quantité de mémoire limitée. Nous avons démontré que ce modèle peut être utilisé effi-
cacement pour résoudre des problèmes de restauration par MAP bayésienne tels que le
débruitage ou la reconstruction d’images.
Nous avons fait la supposition que l’a priori sous-jacent est appris sur une base de patchs
non bruités représentatifs des patchs à restaurer. Cette hypothèse n’est pas toujours vérifiée
en pratique. En effet, l’apprentissage est effectué ici sur un ensemble de patchs extraits
d’images différentes. Ces images ne sont pas nécessairement acquises avec des appareils
ou dans des conditions équivalentes. Par conséquent, des changements de teintes ou de
contraste peuvent limiter la qualité de l’apprentissage.
Ce problème peut bien évidemment être résolu en augmentant la quantité d’images apprises.
Mis à part l’augmentation de la quantité de temps nécessaire à l’apprentissage, les
statistiques apprises pourraient être corrompues par l’introduction de patchs aberrants.
Pour résoudre ce problème, une première solution consisterait à apprendre les statistiques
indépendamment des changements de contraste et/ou de teintes. Cette solution reviendrait
en quelque sorte à normaliser les patchs avant de les apprendre. Notre CovTree devrait
donc être modifié pour gérer indépendamment la moyenne et les covariances. Plus simplement,
nous pourrions utiliser l’information contenue dans les patchs corrompus quand
celles de l’a priori ne sont pas suffisante. Cette idée est équivalente à celle de la dégéné-
rescence du noyau non local introduit en Section 3.2.4 pour les NLPSS.
5.3 Restauration de surface 3D
Notre CovTree peut être utilisé pour résoudre des problèmes de restauration d’images tels
que le débruitage ou la reconstruction. Nous proposons d’étendre ces différentes applications
au cas des nuages de points 3D. Pour cela, nous utilisons les principes et outils
introduits pour les NLPSS ainsi que le CovTree dans sa version étendue. Nous présentons
uniquement les idées et les problèmes sous-jacents à la mise en œuvre de ces applications.
5.3.1 Positionnement du problème
Nous rappelons ici les notations introduites au Chapitre 3. Soit X = (xi
, ni) un nuage
de point 3D extrait à partir d’une surface S inconnue, où xi ∈ R
3
est la position d’un
point et ni ∈ R
3
est la normale qui lui est associée. Pour tout point x ∈ R
3
, l’opérateur
PSS Πt projette x sur la surface S
t définie à l’échelle t. Nous appelons respectivement
Πt
(x), f(x) et n(x), la projection de x sur S
t
, la distance implicite et la normale associée.
En appliquant Πt0 à une échelle t0 large, nous obtenons une surface grossière S
t0 et un
champ scalaire résiduel bruité m(xi) défini uniquement pour les points du nuage xi ∈ X
(Section 3.2.2).
De manière générale, adapter les méthodes restaurations MAP non locales pose principalement
deux contraintes :
1. Tout d’abord, elles nécessitent la définition d’un signal corrompu et d’un descripteur
pour définir la mesure de similarité entre deux échantillons. En traitement
des images (et en particulier dans le cas des filtres collaboratifs), c’est le patch qui5.3. RESTAURATION DE SURFACE 3D 95
Figure 5.11: Reconstruction de surface obtenue à partir de notre opérateur NLB-PSS.
possède le double rôle de descripteur et de signal à débruiter. Dans le cas des NLPSS,
le signal est défini par le champ scalaire résiduel bruité m(xi) (uniquement pour tout
xi ∈ X ) et le descripteur par un patch de surface 3D (Section 3.2.3). 1
2. Ensuite, les formulations MAP (par ex. l’Équation 5.1) nécessitent de connaître
le signal corrompu en tout point du domaine. En effet, elles peuvent être
vues généralement comme une projection d’un échantillon corrompu sur une variété
locale (Section 5.1.1). Leur formulation fait donc explicitement intervenir le signal
corrompu. Un tel problème ne se pose pas nécessairement dans le cas de formulations
EAP (par ex. l’Équation des NLPSS).
En conclusion, tout l’enjeu de l’adaptation des restaurations MAP au cas de surface 3D
sera dans la définition d’une valeur du signal corrompue pour tout point de l’espace x ∈ R
3
.
5.3.2 Surface de points par NLB
Nous proposons maintenant de définir un opérateur NLB-PSS qui étend les NLPSS au cas
des NLB. Dans le cas des nuages de points 3D, il est difficile de définir un signal bruité
pour tout x ∈ R
3
. Dans les NLPSS, ce problème a été résolu en utilisant le champ scalaire
résiduel bruité m(pi) qui est uniquement défini pour les points du nuage xi ∈ X . Pour
pouvoir définir un patch de surface 3D, ce signal a été approché par un opérateur PSS
Πt1 à une échelle t1. Πt1 permet de définir une surface S
t1 qui approxime finement X . Le
patch de surface 3D peut donc être considéré comme une approximation peu filtrée du
signal bruité. Il peut donc être débruité par l’Équation 5.1.
Nous définissons l’opérateur NLB-PSS ΠNLB pour tout x ∈ R
3 par :
ΠNLB(x) = x − fNLB(x)n
t0
(x) (5.11)
1. Ces deux notions sont intimement liées aux deux domaines des attributs R et spatial S introduit
dans la version généralisée de notre CovTree. R correspond au signal à débruiter et S aux descripteurs.96
où fNLB(x) correspond à la valeur centrale du patch de surface débruitée définie à partir du
patch de surface bruité Px par l’Équation 5.3. Pour les NLB-PSS, nous n’effectuons aucune
étape d’agrégation En effet, contrairement aux patchs définis en traitement des images, les
patchs de surface ne possèdent aucunes valeurs en commun. En pratique, le NLB-PSS est
accéléré par notre CovTree. Nous le construisons et l’apprenons en considérant l’ensemble
des patchs 2 Pxi
associé à chaque point xi ∈ X . Une requête de notre arbre est donc définie
par un patch de surface Px et un rayon de requête σx ∈ R. Nous présentons en Figure 5.11
les premiers résultats des NLB-PSS.
5.3.3 Restauration de surface par dictionnaire
Comme nous l’avons proposé dans le cas des images, nous pouvons apprendre les variations
d’un ensemble de patchs de surface non bruités afin de définir un a priori des surfaces 3D.
Il peut être utilisé pour des applications telles que le débruitage et la reconstruction de
surface.
Problèmes
Dans les NLPSS, les patchs de surface (Section 3.2.3) sont définis par rapport à une
surface grossière S
t0 (utilisée pour définir les valeurs du patch) et à une largeur de patchs
(employée pour estimer l’orientation du patch). Malheureusement ces deux paramètres
sont dépendants de la résolution du nuage de points considérée. Par conséquent, un nuage
acquis à différentes résolutions ne produira pas des ensembles de patchs qui contiennent
des informations équivalentes.
Dans le cas de grands ensembles de nuages de points, ce problème est d’autant plus présent
que les nuages ne sont pas acquis par le même capteur. Pour résoudre ce problème, nous
proposons d’extraire les patchs du nuage à différentes échelles. La base de données ainsi
constituée sera donc moins dépendante des problèmes d’acquisition. Plus d’expérimentations
sont néanmoins nécessaires pour valider cette hypothèse.
Densification de nuages de points 3D
L’apprentissage de grand ensemble de patchs est particulièrement utile pour augmenter
la résolution d’un nuage de points. Pour pouvoir être défini de manière équivalente aux
problèmes de reconstruction d’image échantillonnée aléatoirement, nous proposons d’introduire
un patch de surface incomplet P˜
x, pour tout x ∈ R
3
, en projetant les points
xj ∈ N(x) ⊂ X sur le plan du patch (Figure 5.12). Une discrétisation du plan permet
de définir les valeurs du patch ainsi qu’un opérateur d’échantillonnage S. Les valeurs sont
obtenues par une combinaison pondérée des m(xj ) et l’opérateur d’échantillonnage comme
la somme des poids reçus dans les cases correspondantes.
2. Pour tout point xi ∈ X , la valeur centrale du patch correspond à la valeur du signal bruité m(xi).
Par conséquent, chaque xi ∈ X est associé à un patch amélioré P
′
xi
. En pratique, notre arbre est donc
construit par rapport à l’ensemble des patchs approchés {Pxi } et appris sur l’ensemble des patchs améliorés
{P
′
xi
}.5.3. RESTAURATION DE SURFACE 3D 97
0.8 0.6 0.8
0.2 0.7 0.2
0.8 0.4 0.8
S =
xj
Figure 5.12: Définition d’un patch de surface incomplet. Les points xj sont projetés sur
le plan du patch. À partir d’une discrétisation du plan, nous obtenons les valeurs du patch
et l’opérateur d’échantillonnage S.
Par conséquent, les patchs incomplets peuvent être reconstruits en considérant une approche
similaire à celle proposée en Section 5.2.3. Une fois l’ensemble des {P˜
xi
} reconstruits
par l’Équation 5.10 un nuage est densifié en ajoutant des points en fonction des
valeurs du patch reconstruit (Figure 5.12).C h a p i t r e 6
Conclusion
À partir du débruitage non local de nuages de points, nous avons mis en évidence le
besoin de structures dédiées aux traitements non-locaux des données de dimension deux et
supérieure, ainsi que la possibilité de généraliser les méthodes existantes de restauration
non-locale 2D et 3D. Pour pouvoir y répondre nous avons introduit les contributions
suivantes :
Surface de point non locale Les opérateurs de surface de points (PSS) conventionnels
permettent de définir une surface à partir d’un voisinage local. Malheureusement face
aux conditions réelles de capture, ce point de vue devient rapidement insuffisant pour
définir une surface correcte. Pour résoudre ce problème, nous avons proposé une nouvelle
définition qui étend toutes les définitions PSS locales précédentes en exploitant le
caractère autosimilaire du nuage de points. Pour ce faire, nous utilisons un opérateur PSS
défini à une échelle grossière pour définir une surface grossière (servant de support à notre
méthode) et un champ scalaire résiduel contenant les caractéristiques bruitées de la surface.
Notre surface non locale est définie en ajoutant à cette surface grossière le champ
scalaire de déplacement résiduel débruité par la méthode des moyennes non locales. La
mesure de similarité entre deux parties du nuage de points est définie par l’intermédiaire
de patchs de surfaces dont les valeurs représentent les variations entre la surface grossière
et une surface calculée par un PSS à échelle fine. Nous avons démontré que notre définition
est capable d’améliorer la qualité des surfaces PSS locales en augmentant le rapport
signal/bruit. Néanmoins ces résultats sont très dépendants du caractère autosimilaire du
nuage à traiter. Dans le cas peu probable, d’absence d’autosimilarité, notre opérateur non
local obtiendra des résultats identiques à ceux de l’opérateur PSS sous-jacent. En pratique,
l’estimation de notre opérateur non local est accélérée par GPU permettant une utilisation
plus interactive.
Arbre de covariances Avec l’augmentation de la quantité d’information, peu de mé-
thodes à l’heure actuelle exploitent réellement l’information contenue dans les grandes
bases de données ou au prix d’une quantité de mémoire et de calculs beaucoup trop
importante. Comme solution, nous introduisons le CovTree, une nouvelle structure de
données capable d’apprendre les distributions locales d’un grand ensemble d’échantillons
en les représentant par des gaussiennes anisotropes. Cette structure est définie par l’in-
99100
termédiaire de trois principales étapes. Tout d’abord, nous construisons un arbre binaire
à partir d’un ensemble d’échantillons qui partitionne l’espace en fonction de la position
des différents échantillons. Ensuite, nous apprenons les distributions statistiques locales
de chaque nœud en propageant l’ensemble des échantillons à travers l’arbre en fonction de
leur position et ajoutant une contribution pondérée des points au noyau de chaque nœud
de l’arbre traversé. Finalement, pour toute requête, notre arbre modélise la distribution
locales des données apprises. Pour permettre une utilisation générique, nous définissons
une version généralisée de notre structure par l’intermédiaire de deux domaines : spatial
correspondant au descripteur du point et des attributs correspondant à signal associé.
Par l’intermédiaire d’un schéma de requête adaptatif, il devient possible d’interroger à
n’importe quelle échelle pour des temps sensiblement équivalents.
Restauration collaboratives Les filtres collaboratifs utilisent l’information commune
à des ensembles de patchs similaires afin d’améliorer la qualité de la restauration. Malheureusement,
il est coûteux et difficile d’analyser l’information contenue dans une grande base
de données. Ces approches sont donc généralement simplifiées et limitées à un ensemble de
points réduit. Pour résoudre ce problème, différents ensemble de données sont appris par
l’intermédiaire du CovTree. Nous introduisons différentes applications de débruitages et
de reconstructions de données 2D et 3D. Par rapport aux approches précédentes, il devient
possible d’apprendre un a priori à partir d’une grande base d’échantillons de données non
détériorées. Nous utilisons cet a priori pour améliorer les performances des méthodes de
restauration. Dans cette partie, nous effectuons une analyse qualitative des performances
de notre CovTree qui permet de valider son utilisation.
En conclusion, nos différentes contributions permettent de s’attaquer aux problématiques
soulevées par les évolutions récentes des méthodes de restaurations non locales et de l’augmentation
de la quantité de données. Cette thèse s’inscrit donc au cœur de cette évolution
en proposant quelques éléments de réponse à l’un des enjeux technologiques des années
2010, à savoir : la capture, transmission et traitements de masses de séquences temporelles
de données 2D et 3D.C h a p i t r e 7
Perspectives
Dans cette thèse, nous avons travaillé sur différents thèmes découlant de la restauration
par méthodes non locales d’un ensemble de données 2D et 3D. Au-delà des contributions
techniques proposées, un certain nombre de nouvelles pistes plus générales que celle abordées
en Section 3.4 et 4.5 peut découler de ce travail de recherche.
La définition des NLPSS suppose que le nuage de points 3D est corrompu par un bruit
additif gaussien 3D. Cette supposition est indispensable pour pouvoir utiliser les moyennes
non locales. Néanmoins, à l’heure actuelle, il n’existe (à notre connaissance) aucune analyse
du modèle statistique du bruit introduit par les scanners 3D car il est trop dépendant du
type de capteurs utilisé. Il serait donc intéressant de définir les NLPSS pour des bruits
différents comme c’est proposé en traitement des images dans [DDT09]. Une telle idée
nécessiterait de définir des mesures de similarité spécifiques. Les travaux de Deledalle et
coll. [DDT12] et Desolneux et coll. [DD13] donnent quelques pistes le deuxième étant
particulièrement pertinent car il pourrait permettre de rendre le NLPSS plus robuste aux
points aberrants. Néanmoins, le changement du type de bruit entrainerait nécessairement
un problème dans l’estimation du repère de normalisation des patchs.
L’amélioration des systèmes de captures par agrégation des données 3D du type Kinect
Fusion [IKH+11] pourrait être une autre piste de recherche intéressante. Une telle application
nécessiterait de coupler notre CovTree afin de cumuler les données dans le temps,
avec un système d’acquisition de données 3D en temps réel (tels que Microsoft Kinect par
exemple). Une telle idée nécessite néanmoins de faire évoluer notre CovTree temporellement
(Section 4.5).
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Computer Vision (ICCV), pages 479–486. IEEE, 2011.Méthodes et structures non locales pour la restauration
d’images et de surfaces 3D
Thierry GUILLEMOT
Résumé : Durant ces dernières années, les technologies d’acquisition numériques n’ont cessé
de se perfectionner, permettant d’obtenir des données d’une qualité toujours plus fine. Néanmoins, le
signal acquis reste corrompu par des défauts qui ne peuvent être corrigés matériellement et nécessitent
l’utilisation de méthodes de restauration adaptées.
Jusqu’au milieu des années 2000, ces approches s’appuyaient uniquement sur un traitement ocal du
signal détérioré. Avec l’amélioration des performances de calcul, le support du filtre a pu être étendu à
l’ensemble des données acquises en exploitant leur caractère autosimilaire. Ces approches non locales
ont principalement été utilisées pour restaurer des données régulières et structurées telles que des
images. Mais dans le cas extrême de données irrégulières et non structurées comme les nuages de
points 3D, leur adaptation est peu étudiée à l’heure actuelle. Avec l’augmentation de la quantité de données
échangées sur les réseaux de communication, de nouvelles méthodes non locales ont récemment
été proposées. Elles utilisent un modèle a priori extrait à partir de grands ensembles d’échantillons pour
améliorer la qualité de la restauration. Néanmoins, ce type de méthode reste actuellement trop coûteux
en temps et en mémoire.
Dans cette thèse, nous proposons, tout d’abord, d’étendre les méthodes non locales aux nuages
de points 3D, en définissant une surface de points capable d’exploiter leur caractère autosimilaire.
Nous introduisons ensuite une nouvelle structure de données, le CovTree, flexible et générique, capable
d’apprendre les distributions d’un grand ensemble d’échantillons avec une capacité de mémoire limitée.
Finalement, nous généralisons les méthodes de restauration collaboratives appliquées aux données
2D et 3D, en utilisant notre CovTree pour apprendre un modèle statistique a priori à partir d’un grand
ensemble de données.
Mots-clefs : non local, restauration, structure de données, débruitages, surface, nuage de points,
filtre collaboratif
Abstract : In recent years, digital technologies allowing to acquire real world objects or scenes
have been significantly improved in order to obtain high quality datasets. However, the acquired signal
is corrupted by defects which can not be rectified materially and require the use of adapted restoration
methods.
Until the middle 2000s, these approaches were only based on a local process applyed on the
damaged signal. With the improvement of computing performance, the neighborhood used by the filter
has been extended to the entire acquired dataset by exploiting their self-similar nature. These non-local
approaches have mainly been used to restore regular and structured data such as images. But in the
extreme case of irregular and unstructured data as 3D point sets, their adaptation is few investigated at
this time. With the increase amount of exchanged data over the communication networks, new non-local
methods have recently been proposed. These can improve the quality of the restoration by using an a
priori model extracted from large data sets. However, this kind of method is time and memory consuming.
In this thesis, we first propose to extend the non-local methods for 3D point sets by defining a surface
of points which exploits their self-similar of the point cloud. We then introduce a new flexible and generic
data structure, called the CovTree, allowing to learn the distribution of a large set of samples with a
limited memory capacity. Finally, we generalize collaborative restoration methods applied to 2D and 3D
data by using our CovTree to learn a statistical a priori model from a large dataset.
Keywords : non local, restauration, data structure, denoising, surface, points set, collaborative filter
Couplage de mod`eles, algorithmes multi-´echelles et
calcul hybride
Jean-Matthieu Etancelin
To cite this version:
Jean-Matthieu Etancelin. Couplage de mod`eles, algorithmes multi-´echelles et calcul hybride.
Analysis of PDEs. Universit´e de Grenoble, 2014. French.
HAL Id: tel-01094645
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01094645v2
Submitted on 15 Dec 2014
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publics ou priv´es.THÈSE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE GRENOBLE
Spécialité : Mathématiques Appliquées
Arrêté ministériel : 7 août 2006
Présentée par
Jean-Matthieu Etancelin
Thèse dirigée par Georges-Henri Cottet
et codirigée par Christophe Picard
préparée au sein du Laboratoire Jean Kuntzmann
et de l’école doctorale MSTII: Mathématiques, Sciences et Technologies
de l’Information, Informatique
Couplage de modèles, algorithmes
multi-échelles et calcul hybride
Thèse soutenue publiquement le 4 décembre 2014,
devant le jury composé de :
M. Stéphane Labbé
Professeur, Université Joseph Fourier, Président
M. Florian De Vuyst
Professeur, École Normale Supérieure de Cachan, Rapporteur
M. Philippe Helluy
Professeur, Université de Strasbourg, Rapporteur
M. Guillaume Balarac
Maître de conférences, Grenoble INP, Examinateur
M. Georges-Henri Cottet
Professeur, Université Joseph Fourier, Directeur de thèse
M. Alexis Herault
Maître de conférences, Conservatoire National des Arts et Métiers, Examinateur
M. Christophe Picard
Maître de conférences, Grenoble INP, Co-Directeur de thèse
M. Christophe Prud’homme
Professeur, Université de Strasbourg, Examinateur
M. Jean-Baptiste Lagaert
Maître de conférences, Université Paris-Sud, InvitéCouplage de modèles, algorithmes
multi-échelles et calcul hybride
Thèse présentée et soutenue publiquement par :
Jean-Matthieu Etancelin
le 4 décembre 2014
Composition du jury :
Président :
Stéphane Labbé,
Professeur, Université Joseph Fourier
Rapporteurs :
Florian De Vuyst,
Professeur, École Normale Supérieure de Cachan
Philippe Helluy,
Professeur, Université de Strasbourg
Examinateurs :
Guillaume Balarac,
Maître de conférences, Grenoble INP
Georges-Henri Cottet,
Professeur, Université Joseph Fourier (Directeur de thèse)
Alexis Herault,
Maître de conférences, Conservatoire National des Arts et Métiers
Christophe Picard,
Maître de conférences, Grenoble INP (Co-Directeur de thèse)
Christophe Prud’homme,
Professeur, Université de Strasbourg
Invité :
Jean-Baptiste Lagaert,
Maître de conférences, Université Paris-Sud
Thèse préparée au sein du Laboratoire Jean Kuntzmann
et de l’école doctorale MSTII : Mathémaiques, Sciences
et Technologies de l’Information, Informatique.
Cette thèse a été effectuée dans le cadre du projet ANR HAMM (ANR-10-COSI-0009).iiRemerciements
Je voudrais exprimer ma gratitude auprès de toutes les personnes, du Laboratoire Jean
Kuntzmann ou d’ailleurs, qui ont contribué à la réussite de cette thèse aussi bien sur le plan
scientifique qu’humain.
Je remercie très chaleureusement mon directeur de thèse, Georges-Henri Cottet, et mon
co-encadrant, Christophe Picard, pour leur disponibilité et leur soutient tout au long de ces
trois années. Votre encadrement a été réel et complémentaire sur le fond et la forme de ces
travaux.
Je remercie l’ensemble des membres de mon jury d’avoir pris le temps d’examiner mon
travail, en particulier Florian De Vuyst et Philippe Helluy, rapporteurs de cette thèse.
Je remercie également Franck, Chloé, Jean-Baptiste et Éric pour les nombreux questionnements
et discussions lors des réunions du groupe de travail. Ces échanges ont été en
grande partie à l’origine des avancées majeures des travaux et ont permis de conserver une
motivation à chaque instant.
Je voudrais adresser ma reconnaissance aux membres de l’équipe des Moyens Informatiques
et Calcul Scientifique du LJK et du mésocentre CIMENT qui ont contribué à la
résolution des nombreux problèmes techniques qui se sont posés tout au long de la thèse.
Je remercie en particulier Franck (encore) pour sa grande disponibilité, surtout le vendredi
après-midi, pour répondre à mes très nombreuses questions techniques. Pour les aspects informatiques,
je remercie aussi Frédéric pour ses nombreuses remises en route de la machine
de calcul du laboratoire. Je voudrais remercier l’ensemble des gestionnaires administratives
du laboratoire qui assurent une présence rassurante pour mener à bien toutes les démarches.
Je remercie l’ensemble des doctorants et post-doctorants sur lesquels on peut compter
pour un repas au RU, un café, des mots fléchés, de bons conseils, une soirée jeux, une
sortie cinéma, une bière, une randonnée, des crêpes, une sortie ski, un footing, un trail,. . .
Pour tout cela, merci à Chloé, Roland, Vincent, Bertrand, Thomas, Madison, Lukáš, PierreOlivier,
Matthias, Nelson, Romain, Morgane, Pierre-Jean, Meriem, Kevin, Gilles, Euriell,
Amin, Kolé, Louis, Federico Z., Mahamar, Abdoulaye, Federico P., Margaux, Olivier, . . .
Merci à Martial pour les très nombreuses « buissonnades » en tout genre dans lesquelles
on se laisse facilement embarquer. Je remercie également les copains de l’INSA pour leur
promptitude à traverser la France et à proposer des hébergements pour passer du bon temps.
Merci à ma famille pour son soutient tout au long de mes études.
Enfin, et non des moindres, merci à Myriam pour tout ces instants que l’on partage au
quotidien.
iiiRésumé
Dans cette thèse nous explorons les possibilités offertes par l’implémentation de mé-
thodes hybrides sur des machines de calcul hétérogènes dans le but de réaliser des simulations
numériques de problèmes multiéchelles. La méthode hybride consiste à coupler des
méthodes de diverses natures pour résoudre les différents aspects physiques et numériques
des problèmes considérés. Elle repose sur une méthode particulaire avec remaillage qui
combine les avantages des méthodes Lagrangiennes et Eulériennes. Les particules sont dé-
placées selon le champ de vitesse puis remaillées à chaque itération sur une grille en utilisant
des formules de remaillage d’ordre élevés. Cette méthode semi-Lagrangienne bénéficie des
avantages du maillage régulier mais n’est pas contrainte par une condition de CFL.
Nous construisons une classe de méthodes d’ordre élevé pour lesquelles les preuves de
convergence sont obtenues sous la seule contrainte de stabilité telle que les trajectoires des
particules ne se croisent pas.
Dans un contexte de calcul à haute performance, le développement du code de calcul
a été axé sur la portabilité afin de supporter l’évolution rapide des architectures et leur
nature hétérogène. Une étude des performances numériques de l’implémentation GPU de la
méthode pour la résolution d’équations de transport est réalisée puis étendue au cas multiGPU.
La méthode hybride est appliquée à la simulation du transport d’un scalaire passif
dans un écoulement turbulent 3D. Les deux sous-problèmes que sont l’écoulement turbulent
et le transport du scalaire sont résolus simultanément sur des architectures multi-CPU et
multi-GPU.
Mots clés: Méthodes pariculaires ; couplage de modèles ; calcul hybride ; écoulements turbulents.
ivAbstract
In this work, we investigate the implementation of hybrid methods on heterogeneous
computers in order to achieve numerical simulations of multi-scale problems. The hybrid
numerical method consists of coupling methods of different natures to solve the physical
and numerical characteristics of the problem. It is based on a remeshed particle method
that combines the advantages of Lagrangian and Eulerian methods. Particles are pushed
by local velocities and remeshed at every time-step on a grid using high order interpolation
formulas. This forward semi-lagrangian method takes advantage of the regular mesh on
which particles are reinitialized but is not limited by CFL conditions.
We derive a class of high order methods for which we are able to prove convergence
results under the sole stability constraint that particle trajectories do not intersect.
In the context of high performance computing, a strong portability constraint is applied
to the code development in order to handle the rapid evolution of architectures and their
heterogeneous nature. An analysis of the numerical efficiency of the GPU implementation
of the method is performed and extended to multi-GPU platforms. The hybrid method
is applied to the simulation of the transport of a passive scalar in a 3D turbulent flow.
The two sub-problems of the flow and the scalar calculations are solved simultaneously on
multi-CPU and multi-GPU architectures.
Keywords: Particle methods; model coupling; hybrid computing; turbulent flows.
vTable des matières
Remerciements iii
Résumé iv
Introduction générale 1
1. Calcul intensif pour la mécanique des fluides 5
1.1. Mécanique des fluides numérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.1.1. Modèle mathématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
Équations de Navier-Stokes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
Fluides incompressibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.1.2. Principales méthodes de résolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Méthodes Eulériennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Méthodes de Lattice Boltzmann . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Méthodes Lagrangiennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Qualité des résultats numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
1.1.3. Exemples d’application . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
1.2. Calcul intensif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
1.2.1. Augmentation des besoin et des ressources de calcul . . . . . . . . . 18
Ressources de calcul pour les simulations numériques . . . . . . . . 18
Augmentation de la puissance de calcul des machines . . . . . . . 18
Difficulté d’adaptation des codes de calcul . . . . . . . . . . . . . . 20
1.2.2. Mesure de performances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Scalabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Modèle roofline . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Efficacité énergétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
1.2.3. Défi de l’exascale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
Pourquoi l’exascale ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
Principales difficultés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Quelques stratégies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
1.3. Transport de scalaire passif dans un écoulement turbulent . . . . . . . . . . 26
1.3.1. Domaines d’application . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
1.3.2. Physique du problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
1.3.3. Formulation mathématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
viiTable des matières
2. Méthode particulaire pour l’équation de transport 31
2.1. Méthode particulaire avec remaillage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
2.1.1. Deux classes de méthodes semi-Lagrangiennes . . . . . . . . . . . . . 32
2.1.2. Principe général de la méthode particulaire avec remaillage . . . . . 33
2.1.3. Cas monodimensionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
2.1.4. Lien avec la méthode des différences finies . . . . . . . . . . . . . . . 37
2.1.5. Construction des formules de remaillage . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Construction à partir des moments discrets . . . . . . . . . . . . . 39
Construction à partir de B-splines . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Extrapolation à partir de noyaux réguliers . . . . . . . . . . . . . . 40
2.1.6. Exemple d’implémentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
2.2. Advection semi-Lagrangienne d’ordre élevé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
2.2.1. Construction de formules de remaillage d’ordre élevé . . . . . . . . . 42
Utilisation des poids de remaillage . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Précision numérique du schéma d’Horner . . . . . . . . . . . . . . 46
2.2.2. Consistance de la méthode semi-Lagrangienne . . . . . . . . . . . . . 47
Advection par un schéma d’Euler . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
Advection par un schéma de Runge-Kutta du second ordre . . . . 50
Cas d’une seule particule par cellule . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
2.2.3. Stabilité de la méthode semi-Lagrangienne . . . . . . . . . . . . . . . 51
Advection à vitesse constante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
Advection à vitesse non constante . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
3. Méthode hybride pour le transport turbulent 59
3.1. Idée générale d’une méthode hybride . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
3.1.1. Méthode hybride en méthode numérique . . . . . . . . . . . . . . . . 60
3.1.2. Méthode hybride en résolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
3.1.3. Méthode hybride en matériel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
3.2. Application au transport turbulent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
3.2.1. Méthodes spectrale et différences finies . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
3.2.2. Méthodes spectrale et semi-Lagrangienne . . . . . . . . . . . . . . . 62
3.2.3. Méthodes semi-Lagrangiennes et architecture hybride . . . . . . . . . 62
4. Développement d’un code multiarchitectures 65
4.1. Développement d’une librairie de calcul scientifique . . . . . . . . . . . . . . 66
4.1.1. Conception préliminaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
Découpage sémantique des concepts mathématiques . . . . . . . . 66
Différents niveaux d’abstraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
Couplage faible et cohésion forte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
Schéma d’utilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
4.1.2. Conception détaillée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
4.1.3. Fonctionnement de la librairie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
Langages de programmation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
Dépendances externes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Fonctionnement global . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
viiiTable des matières
4.2. Calcul générique sur carte graphique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
4.2.1. Description du matériel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
Fonctionnement des cartes graphiques . . . . . . . . . . . . . . . . 72
Architecture des cartes graphiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
4.2.2. Différentes méthodes de programmation . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Programmation par directives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Programmation directe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
4.2.3. Les modèles de programmation OpenCL . . . . . . . . . . . . . . . . 76
4.2.4. Analyse de performances par le modèle roofline . . . . . . . . . . . . 80
4.3. Utilisation de cartes graphiques dans la librairie . . . . . . . . . . . . . . . . 82
5. Mise en œuvre sur cartes graphiques 85
5.1. Implémentations GPU de méthodes semi-Lagrangiennes . . . . . . . . . . . 86
5.1.1. Méthodes semi-Lagrangiennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
5.1.2. Deux types d’interpolations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
5.2. Implémentation et performances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
5.2.1. Adéquation de la méthode au matériel . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
5.2.2. Préambule à l’étude des performances . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
5.2.3. Initialisation des particules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
Copie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
Transposition XY . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
Transposition XZ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
5.2.4. Advection et remaillage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
Advection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
Remaillage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
Noyau complet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
5.3. Application simple GPU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
5.3.1. Transport de scalaire 2D . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
5.3.2. Transport de scalaire 3D . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
6. Implémentation sur architectures hétérogènes 115
6.1. Lien entre la méthode et l’architecture hybride . . . . . . . . . . . . . . . . 116
6.1.1. Description d’une machine hybride . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
6.1.2. Différents niveaux de parallélisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
6.1.3. Stratégie d’utilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
6.2. Application multi-GPU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
6.2.1. Mécanisme de communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
6.2.2. Performances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
6.3. Transport turbulent d’un scalaire passif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
6.3.1. Application hybride . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
6.3.2. Exploitation d’une machine hétérogène . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
6.3.3. Résultats et performances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
Conclusion générale 135
Bibliographie 139
ixTable des matières
A. Formules de remaillage de type Λp,r 145
A.1. Formules de type Λ2,r . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
A.2. Formules de type Λ4,r . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148
A.3. Formules de type Λ6,r . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
A.4. Formules de type Λ8,r . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
B. Publications 157
B.1.. High order semi-Lagrangian particle methods for transport equations : numerical
analysis and implementation issues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
B.2.. Multi-scale problems, high performance computing and hybrid numerical methods
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190
xIntroduction générale
La réalisation de simulations numériques est une activité majeure dans les secteurs de
la recherche et de l’industrie. Une simulation numérique permet d’obtenir une solution à
un problème mathématique qu’il n’est généralement pas possible de résoudre analytiquement.
Ces problèmes sont constitués d’équations modélisant un phénomène à étudier. Les
premières simulations numériques datent du milieu du XXe
siècle lorsque l’informatique
commence à être utilisée dans ce but. En 1955, Fermi et al. réalisent une des premières
simulations numériques d’un système dynamique monodimensionnel constitué de 64 masses
reliées par des ressorts. Depuis, l’usage des calculateurs n’a cessé de se développer avec
l’essor de l’informatique et des machines de calcul.
D’une part, les objectifs des simulations numériques sont de permettre une validation
des modèles physiques et mathématiques utilisés pour l’étude d’un phénomène, par rapport
à la théorie et à d’éventuelles données expérimentales. D’autre part, elles servent d’outils de
conception et d’optimisation à des fins industrielles et permettent d’éviter le recours à de
nombreux et coûteux modèles réduits et prototypes. L’explosion de la puissance de calcul
développée par les machines parallèles au cours des dernières décennies permet la réalisation
de simulations numériques de plus en plus précises et complexes tout en conservant des
temps de calculs comparables. Ainsi, dans le domaine de la mécanique des fluides, l’évolution
des simulations numériques contribue fortement à l’amélioration de la compréhension
de phénomènes complexes comme la turbulence. En effet, les machines sont capables de
traiter des résolutions toujours plus grandes, ce qui permet d’accroître la finesse des résultats,
en particulier pour des Simulations Numériques Directes (DNS en anglais). De même,
des études de fluides complexes (non Newtoniens, biologiques, alimentaires, . . .) ou de problèmes
multiphysiques (interaction fluide-structure, combustion, plasma, . . .) font appel à
des schémas numériques plus complexes et dont la mise en œuvre nécessite d’importantes
ressources de calcul. Enfin, dans le cadre d’applications graphiques pour le cinéma ou les
jeux vidéos, les capacités des machines actuelles permettent une utilisation de véritables modèles
de fluide plutôt que des approximations afin d’augmenter le réalisme des écoulements
dans des temps de calcul compatibles avec les contraintes de l’application.
Les simulations numériques reposent à la fois sur une ou plusieurs méthodes numériques
et sur un code de calcul qui transcrit ces méthodes sur les machines de calcul. Le choix de la
méthode de résolution dépend essentiellement de l’adéquation entre la nature du problème
à résoudre, les caractéristiques attendues pour les solutions et les spécificités de la méthode.
Le code de calcul met en œuvre les algorithmes issus de la méthode.
1Introduction générale
Le rôle de l’informatique est primordial pour l’obtention d’un code de calcul efficace. La
qualité d’une méthode se mesure à la fois à travers les résultats qu’elle produit, mais aussi à
son implémentation. L’efficacité numérique d’un code se mesure, entre autres, par le temps
de calcul nécessaire à l’obtention de la solution en fonction de la qualité désirée. Ainsi,
l’implémentation d’une méthode nécessite une attention particulière dans le but d’exploiter
au mieux les ressources informatiques disponibles. Le développement d’un code efficace
dans un contexte de calcul à hautes performances est un véritable défi sur des machines
hétérogènes et massivement parallèles. Par conséquent, les méthodes numériques doivent
non seulement être adaptées aux caractéristiques des problèmes à résoudre, mais également
aux architectures des machines sur lesquelles elles seront implémentées. En particulier,
l’aspect hétérogène des composants (CPU, GPU, coprocesseurs, . . .) doit être pris en compte
dès la conception de l’algorithme de résolution et de l’élaboration de la méthode numérique.
Dans cette thèse, nous considérons un problème de transport de scalaire passif dans un
écoulement turbulent comme cadre applicatif. De nombreuses applications sont concernées
par ce type de problème notamment dans les domaines de l’environnement, de l’industrie
ou de la biologie (Shraiman et al., 2000). Le scalaire transporté peut représenter une quantité
réelle comme une concentration en espèce chimique ou en bactéries, ou bien abstraite
comme une interface entre deux fluides. Dans ce travail nous nous limitons à l’étude du
transport de scalaires passifs qui n’influent pas sur l’écoulement en retour. En général, la
physique de ce type de problème se caractérise par la présence de plusieurs phénomènes à
différentes échelles (Batchelor, 1958). L’approche envisagée ici est celle d’une résolution par
une méthode hybride. Cette notion nécessite une précision quant au sens du mot hybride
tel que nous l’entendons. Une méthode hybride consiste à résoudre les différents aspects
physiques à l’aide d’une ou plusieurs méthodes numériques adaptées en fonction de leurs
caractéristiques respectives. La méthodologie employée dans cette thèse est de chercher à
exploiter les spécificités des aspects physiques des problèmes par la mise en place d’une
méthode hybride (Gotoh et al., 2012 ; Lagaert et al., 2014).
Une des problématiques traitées dans ce manuscrit concerne l’exploitation de l’analogie
entre l’aspect hybride de la méthode numérique et la nature hétérogène des machines de
calcul. Nous nous intéressons à exécuter les différents éléments de résolution sur différents
composants des machines. Nous en exposerons les raisons dans le chapitre 6. La mise en
œuvre d’une stratégie hybride sera explorée en combinant des méthodes numériques de
diverses natures, des résolutions différentes et une implémentation sur architecture hétérogène.
L’approche suivie repose sur une implémentation sur cartes graphiques d’une méthode
particulaire avec remaillage. Cette dernière permet, entre autres, de résoudre naturellement
des équations de conservations sans imposer de condition de type Courant-Friedrichs-Lewy
mais une condition de stabilité moins restrictive permettant l’usage de plus grands pas
de temps. L’utilisation de cette méthode conduit, à travers la présence d’une grille sousjacente,
à des algorithmes et des structures de données régulières, ce qui est parfaitement
adapté à l’emploi de cartes graphiques. Enfin, nous utiliserons la puissance de calcul offerte
par les GPU pour proposer une extension à un ordre élevé de la méthode particulaire avec
remaillage. L’analyse des schémas numériques se base sur une approche similaire à celle employée
pour l’étude de schémas aux différences finies (Cottet et al., 2006). Un des aspects
informatiques considéré est lié à la nécessité du développement d’un code de calcul portable
et non spécifique à une architecture afin de supporter l’évolution rapide des matériels et des
librairies.
2L’enchaînement des six chapitres de ce manuscrit reprend une démarche classique du
calcul scientifique. En partant de la description des modèles puis des méthodes numériques et
de leurs spécificités, on aboutit à l’implémentation générique multicœur GPU et hybride sur
des machines hétérogènes combinant des processeurs multicœurs et des cartes graphiques.
La progression et la répartition des différents chapitres sont schématisés par la figure 1.
Chapitre 1
Chapitres 2 et 3
Chapitre 4 Chapitres 5 et 6
Modèle physique
Modèle mathématique
Modèle numérique
Modèle algorithmique
Implémentation
Validation
Observations
Expériences
Figure 1. – Cycle de résolution d’un problème en mathématiques appliquées
Dans un premier chapitre, les modèles mathématiques pour la modélisation de fluides
Newtoniens seront exposés. Nous présenterons également quelques méthodes numériques
usuelles. Elles font appel à des ressources informatiques dont l’évolution, en termes de
capacité et d’architecture, joue un rôle important dans le développement des codes de calcul.
Une description des applications envisagées et notamment le transport de scalaire passif
dans un écoulement turbulent terminera ce chapitre. Le second chapitre sera consacré à la
description de la méthode particulaire avec remaillage. À travers une revue bibliographique
de son évolution et de ses utilisations, nous exposerons l’analogie entre cette méthode et
celle des différences finies. Cette revue sera complétée par une extension à un ordre élevé
faisant intervenir la construction de formules de remaillage appropriées. Une analyse des
schémas numériques en termes de consistance et de stabilité sera également développée.
Dans un troisième chapitre, nous introduirons, à partir de travaux existants, la stratégie
hybride envisagée pour la résolution de problèmes de transport de scalaire. Son application
à un contexte de machine de calcul hétérogène sera abordé. Le quatrième chapitre sera
consacré aux détails du développement d’une librairie de calcul scientifique portable et
multiarchitecture. En particulier, nous verrons comment une conception souple simplifie
l’utilisation de composants comme les cartes graphiques. Le chapitre cinq est dédié aux
détails techniques de l’implémentation sur cartes graphiques de la méthode particulaire avec
remaillage. Les choix d’implémentation seront éclairés par l’analyse de travaux similaires
existants. Ce chapitre sera illustré par des exemples de transport de scalaire dans des cas
où la vitesse est analytique afin de valider la méthode et d’en exposer les performances. Le
3Introduction générale
sixième chapitre sera consacré à l’extension multi-GPU de la méthode. Une analyse de la
stratégie de couplage entre la méthode hybride et l’architecture hétérogène des machines
de calcul sera donnée à travers un exemple de transport turbulent de scalaire passif. Enfin,
nous terminerons ce manuscrit par un chapitre de conclusion donnant lieu à une critique
des travaux effectués ainsi qu’à un énoncé des perspectives dégagées par cette étude.
41. Calcul intensif pour la
mécanique des fluides
Le contexte des travaux de cette thèse est celui des mathématiques appliquées, au point
de rencontre d’une application, d’une méthode numérique et d’un code de calcul. À partir
d’observations de phénomènes naturels ou artificiels, des modèles physiques sont élaborés
puis mis en équations sous la forme de modèles mathématiques. La spécialisation de ces
modèles par rapport à une situation concrète se fait par la spécification de divers paramètres,
de conditions initiales et de conditions aux limites des modèles. Ils expriment ainsi
les conditions d’observations des phénomènes et le contexte expérimental des reproductions
en laboratoire. Dans le cadre de simulations numériques, les modèles mathématiques sont
discrétisés selon une ou plusieurs méthodes numériques conduisant à l’expression d’algorithmes
qui sont implémentés dans des codes de calcul. L’exécution de ces codes sur des
machines de calcul permet d’une part de valider les méthodes et les modèles par rapport
aux phénomènes physiques mais aussi d’explorer les configurations qui ne sont pas aisément
observables ou mesurables.
Ce premier chapitre est dédié à la présentation du contexte mathématique de la mécanique
des fluides à travers la construction du modèle des équations de Navier-Stokes. Nous
donnerons ensuite quelques méthodes de résolution classiques. Dans un second temps, nous
verrons que la mise en pratique des méthodes numériques est étroitement liée à l’exploitation
des ressources de calcul. Une forte contrainte de portabilité et d’adaptivité pèse sur les
algorithmes et leurs implémentations du fait de la rapidité à laquelle les technologies des
machines évoluent. Afin de garantir une certaine pérennité pour les codes de calcul, il est
nécessaire de prendre en compte, dès la conception, non seulement les types ressources et
les technologies actuelles mais aussi à venir, en particulier dans la perspective de l’exascale.
Dans ce cadre, une grande importance est attachée à l’évaluation des performances des
implémentations et à des comparaisons d’algorithmes dont nous donnerons quelques mé-
triques couramment utilisées. Enfin, nous détaillerons les modèles physiques des applications
envisagées pour ce travail.
51. Calcul intensif pour la mécanique des fluides
1.1. Mécanique des fluides numérique
L’objectif de la mécanique des fluides est d’analyser et de comprendre les comportements
de fluides, qu’ils soient liquides ou gazeux, lorsqu’ils sont en mouvement et éventuellement
en présence d’obstacles ou de structures avec lesquels ils interagissent. La majeure partie
des problèmes de mécanique des fluides sont issus de l’ingénierie avec notamment l’industrie
aéronautique et plus généralement les domaines des transports, de l’énergie, du génie civil
et des sciences de l’environnement. Des applications portant sur l’étude de fluides moins
conventionnels sont également considérées en biologie et par l’industrie agro-alimentaire.
La modélisation mathématique de ces problèmes conduit à des systèmes d’équations trop
complexes pour être résolus formellement. Dans de nombreux cas, la démonstration formelle
de l’existence de solutions à ces système reste encore un problème ouvert. Une modélisation
numérique de ces problèmes permet d’approcher une solution par l’utilisation de méthodes
numériques.
Les équations de Navier-Stokes permettent de décrire de manière générale le comportement
d’un fluide en se basant sur des principes physiques de conservation de masse, de
quantité de mouvement et d’énergie.
1.1.1. Modèle mathématique
Équations de Navier-Stokes
Conservation de la masse : Ce principe fondamental de la physique stipule que la masse
totale contenue dans un système fermé reste constante au cours du temps. La matière, ou
l’énergie, du système considéré peut éventuellement changer de forme ou se réarranger dans
l’espace. La variation temporelle de la masse totale contenue dans un volume Ω est égale
au bilan de masse traversant la frontière du domaine, ∂Ω :
d
dt
Z
Ω
ρdx
= −
I
∂Ω
ρu · nds,
où ρ est la masse volumique, u la vitesse et n la normale extérieure unitaire à la surface
du volume de fluide Ω. L’équation se réécrit de manière équivalente sous sa forme locale :
∂ρ
∂t + div(ρu) = 0. (1.1)
Conservation de la quantité de mouvement : De même, la variation temporelle de la
quantité de mouvement d’un système, notée ρu, est égale à son bilan sur la frontière auquel
s’ajoutent d’éventuelles forces F. On note u : u le produit tensoriel de u avec lui-même.
Cela se traduit par la relation :
d
dt
Z
Ω
ρudx
= −
I
∂Ω
ρu : u · nds +
Z
Ω
Fdx,
ou encore sous forme locale :
∂ρu
∂t + div(ρu : u) = F.
61.1. Mécanique des fluides numérique
Le développement de cette équation se simplifie avec l’équation de conservation de la
masse (1.1) pour donner :
ρ
∂u
∂t + (u · ∇)u
= F.
Les forces F s’exerçant sur un volume de fluide se décomposent en deux termes selon leur
nature :
F = div σ¯¯ + fe
.
Les forces extérieures qui agissent sur l’ensemble du système sont notées fe
, et les forces
générées par les contraintes internes du fluide dépendent du tenseur des contraintes totales
σ¯¯ qui se décompose également en deux termes :
σ¯¯ = −PI
¯¯ + τ¯¯ , (1.2)
où P est la pression, I
¯¯ le tenseur identité et τ¯¯ le tenseur des contraintes. Ainsi on obtient
la formulation suivante :
ρ
∂u
∂t + (u · ∇)u
= −∇P + div τ¯¯ + fe
. (1.3)
Loi de comportement : Le tenseur des contraintes τ¯¯ issu de la décomposition du tenseur
des contraintes totales (1.2) permet de modéliser le comportement d’un fluide en particulier.
Dans le cadre de fluides Newtoniens, le tenseur des contraintes est proportionnel au taux
de déformations :
τ¯¯ i,j = ν
∂ui
∂xj
+
∂uj
∂xi
,
avec ν la viscosité dynamique du fluide. Lorsque la viscosité ne dépend pas de l’espace, on
a :
div τ¯¯ = ν (∆u − ∇ div u). (1.4)
Équations de Navier-Stokes : Dans le cadre général, les équations de Navier-Stokes
constituent un système d’équations aux dérivées partielles obtenues à partir des équations de
conservation de masse, (1.1), de quantité de mouvement (1.3) et de la loi de comportement
du fluide (1.4).
∂ρ
∂t + div(ρu) = 0,
ρ
∂u
∂t + (u · ∇)u
= −∇P + ν (∆u − ∇ div u) + ρfe
.
(1.5)
Les inconnues du problème sont la vitesse u, la masse volumique ρ, et la pression P. Une
troisième équation est alors nécessaire pour obtenir un modèle complet. Une équation de
conservation de l’énergie est généralement utilisée. Les forces extérieures sont à préciser
selon le cas d’étude.
71. Calcul intensif pour la mécanique des fluides
Formulation vitesse-vorticité : Dans bon nombre d’écoulements, les zones d’intérêts,
où se forment et évoluent des tourbillons, sont généralement de petite taille relativement au
domaine d’étude et se localisent, entre autres, dans les couches limites et les sillages. Il est
naturel d’employer une formulation adaptée. La vorticité de l’écoulement ω est un champ
vectoriel défini comme le rotationnel du champ de vitesse.
ω = rotu (1.6)
On obtient la formulation vitesse-vorticité en appliquant l’opérateur rotationnel à la
seconde équation du système (1.5) :
ρ
∂ω
∂t + (u · ∇) ω
= ρ(ω · ∇)u + ν∆ω + ρ rot fe
. (1.7)
Fluides incompressibles
Hypothèse d’incompressibilité : Dans de nombreux cas, les fluides considérés ont une
très faible compressibilité. Un fluide est dit incompressible lorsque que la variation de volume
sous l’effet d’une pression extérieure est négligée. Cette hypothèse n’est valide que lorsque
la vitesse du fluide est inférieure à la vitesse du son dans ce fluide. Dans ce cas, la densité
ρ est approchée par une constante, l’équation (1.1) se réduit à :
div u = 0, (1.8)
et la loi de comportement (1.4) se simplifie en :
div τ¯¯ = ν∆u. (1.9)
L’obtention d’un champ de vitesse à divergence nulle, vérifiant (1.8), est généralement
effectuée par l’utilisation d’une méthode de projection. Cette méthode a été introduite par
Chorin (1968) et Temam (1968) et se base sur une décomposition du champ de vitesse selon
une composante à divergence nulle et une composante à rotationnel nul :
u = u∇ + ∇φ, avec div u∇ = 0 et rot ∇φ = 0.
En pratique, un champ de vitesse intermédiaire u
∗ à divergence non nulle est obtenu par la
méthode de résolution puis la fonction scalaire φ est obtenue par résolution d’une équation
de Poisson :
div u
∗ = ∆φ,
et enfin le champ de vitesse incompressible est calculé simplement par : u = u
∗ −∇φ. Dans
le cas de la formulation vitesse-pression, la pression peut jouer le rôle de la fonction scalaire
φ.
Équations de Navier-Stokes pour les fluides Newtoniens incompressibles : À
l’aide de l’hypothèse d’incompressibilité (1.8) et pour une loi de comportement correspondant
à un fluide Newtonien (1.9), le système générique (1.5) se réécrit :
div u = 0,
ρ
∂u
∂t + (u · ∇)u
= −∇P + ν∆u + ρfe
.
(1.10)
81.1. Mécanique des fluides numérique
La formulation vitesse-vorticité conduit au système suivant :
div u = 0,
ω = rotu,
ρ
∂ω
∂t + (u · ∇) ω
= ρ(ω · ∇)u + ν∆ω + ρ rot fe
.
(1.11)
La vorticité et la vitesse sont couplées par la relation ω = rotu, ou bien, de façon équivalente,
par une équation de Poisson, en utilisant ∇ · u = 0 :
(
∆ψ = −ω,
u = rot ψ.
(1.12)
1.1.2. Principales méthodes de résolution
Dans cette section nous donnons quelques unes des méthodes de résolution classiques des
équations précédentes. La plupart de ces méthodes ne se restreignent pas à la mécanique des
fluides et sont utilisées pour résoudre des problèmes aux dérivées partielles plus généraux.
Méthodes Eulériennes
Dans le cas des méthodes Eulériennes, la discrétisation des équations se fait par un
découpage du domaine de calcul en un maillage, structuré ou non. Un maillage structuré se
caractérise par une connectivité régulière des éléments, ce qui permet un accès efficace aux
données des éléments voisins. Dans le cas non structuré, une table de connectivité définissant
les relations de voisinage est nécessaire et permet alors une meilleure discrétisation de
géométries complexes.
Différences finies La plus ancienne et la plus simple de ces méthodes est celle des différences
finies. Elle a été formalisée par Euler en 1768. La méthode est construite sur la
définition de la dérivée :
U
0
(x) = lim
h→0
U(x + h) − U(x)
h
,
qui se généralise sous la forme d’un développement limité :
U(x + h) = U(x) + hU0
(x) + h
2
2
U
00(x) + · · · (1.13)
Lorsque la quantité h représente une distance entre deux points d’une grille et que la
quantité U est approchée en chaque point xi par U(xi) = Ui
, le développement précédent,
tronqué au premier ordre, donne le schéma aux différences finies du premier ordre décentré
en amont suivant :
U
0
i =
Ui+1 − Ui
h
+ O(h). (1.14)
Il est possible de combiner différents développements d’ordres plus élevés pour construire
des schémas d’ordre plus élevés ou approcher des dérivées d’ordres supérieurs. Ces schémas
91. Calcul intensif pour la mécanique des fluides
peuvent être étendus pour l’approximation de variables multidimensionnelles, puis à la
discrétisation de dérivées partielles. Le cas des grilles non uniformes se traite en prenant un
paramètre h dépendant de la grille. Au point d’indice i, on a hi = xi+1 − xi
.
Ainsi la méthode conduit à un calcul relativement simple à mettre en œuvre, dans les cas
explicites, avec un schéma identique sur chaque point du domaine. Dans les cas implicites,
il est nécessaire de résoudre un système linéaire. L’inconvénient majeur de cette méthode
est la difficulté de prise en compte de géométries complexes.
Volumes finis La méthode des volumes finis, est aujourd’hui très largement utilisée,
notamment par les industriels dans les domaines de l’aéronautique et de l’hydrodynamique.
Cette popularité vient, entre autres, du fait que le caractère conservatif des équations est
traduit directement dans la discrétisation. De plus cette méthode s’adapte parfaitement à
de nombreux problèmes qu’ils soient en domaines fermés ou ouvert et sur des discrétisation
spatiales structurées ou non.
Cette méthode permet de résoudre une équation de conservation, sous forme intégrale :
∂
∂t Z
Ω
UdΩ + I
S
F · dS =
Z
Ω
QdΩ, (1.15)
où U représente le vecteur des variables conservatives, F est un flux et Q un terme source.
La discrétisation de ces équations repose sur le découpage du domaine de calcul en petits
volumes de contrôle ΩJ autour d’un point de maillage J. L’équation (1.15) se discrétise
donc sur chaque volume élémentaire par la relation suivante :
∂
∂t (UJΩJ ) + X
Ωk∈ voisins de Ωj
Fk,j · Γk,j = QJΩJ , (1.16)
puis est intégrée entre deux instants consécutifs tn et tn+1. Les quantités UJ et QJ
sont les
valeurs moyennées sur ΩJ à l’instant tn. Ainsi, il est possible d’utiliser un schéma d’inté-
gration en temps implicite ou explicite. L’application de ce schéma nécessite une méthode
de calcul des flux Fk,j traversant la face Γk,j commune aux éléments de maillage Ωj et Ωk.
En plus du calcul des flux en chaque face du maillage, la méthode nécessite un calcul
direct, dans le cas explicite en temps, ou la résolution d’un système, pour le cas implicite.
Le principal inconvénient de cette méthode est la difficulté de la montée en ordre.
Éléments finis La méthode des éléments finis est issue du domaine de la mécanique des
structures. Elle repose sur des principes bien plus abstraits que ceux des deux méthodes
précédentes. L’espace est discrétisé en un ensemble de cellules appelés éléments et se base
sur une formulation intégrale du problème.
Le point clé de la méthode consiste à exprimer le problème sous forme variationnelle,
à partir de sa formulation intégrale. Cette formulation variationnelle du problème fait intervenir
des espaces fonctionnels qu’il est nécessaire de décrire avec précision ainsi que les
normes qui leur sont associées afin de pouvoir déterminer certaines propriétés de convergence.
Les espaces fonctionnels utilisés définissent des classes d’éléments finis sur les élé-
ments de maillage. À partir de ce maillage, le plus souvent non structuré, il est nécessaire de
101.1. Mécanique des fluides numérique
définir des fonctions d’interpolation des variables du problème sur les éléments du maillage.
La discrétisation de la formulation variationnelle sur ces éléments conduit à l’obtention
d’un système linéaire creux dont la taille dépend de la finesse du maillage. L’approximation
d’une quantité u sur un élément se fait par combinaison linéaire des fonctions de base vI
pour chaque nœud I de l’élément.
u˜(x) = X
I
uIvI (x). (1.17)
Selon l’ordre d’approximation, les nœuds sont définis aux sommets, sur les arrêtes ou encore
à l’intérieur des éléments du maillage.
Une fois la discrétisation effectuée, la solution est calculée par l’inversion d’un système
linéaire dont la taille dépend du nombre d’éléments et du nombre de degrés de libertés associé.
Le cadre mathématique de cette méthode permet de réaliser des études des propriétés
numériques des schémas, une montée en ordre assez aisée ainsi que la prise en compte
de géométries complexes. Toutefois, le système linéaire obtenu, peut parfois être difficile
à résoudre. Pour cela des méthodes itératives avec préconditionnement sont généralement
employées. D’autre part, l’inversion d’un système de grande taille creux n’est pas parallélisable
aisément sans utiliser de méthodes additionnelles, de décomposition de domaine
par exemple. Dans le cas des équations de Navier-Stokes, les variables ne sont pas exprimées
dans les mêmes espaces fonctionnels. L’introduction de contraintes supplémentaires
entre les classes d’éléments finis utilisés pour discrétiser la vitesse et la pression permettent
d’assurer la convergence.
Cette méthode n’est pas la plus adaptée pour la résolution de problèmes dont la physique
est dominée par l’advection. Dans un contexte de mécanique des fluides, elle est utilisée
essentiellement pour des simulations de fluides complexes.
Méthodes spectrales Le principe général des méthodes spectrales est de transformer
l’ensemble du problème dans un espace spectral. Pour ce faire, on exprime les variables du
problème dans cet espace, par exemple en séries de Fourier tronquées :
u(x, t) = X
N/2
k=−N/2
uˆk(t)e
ik·x
,
avec uˆk(t) les coefficients de Fourier tels que :
uˆk(t) =
1
2π
3 Z 2π
0
u(x, t)e
−ik·xdx.
Avec ces représentations, le système d’équations à résoudre se réécrit pour les uˆk. On aboutit
généralement à un système d’équations différentielles ordinaires complexes ne dépendant que
du temps. Les équations dans l’espace spectral sont généralement plus simples à résoudre que
dans l’espace réel et permettent une précision numérique très importante même avec un petit
nombre de coefficients. Néanmoins, il est assez difficile de traiter, avec cette méthodes, des
domaines non périodiques ainsi que des géométries complexes. De plus, les transformations
dans l’espace spectral impliquent un calcul global sur l’ensemble du domaine.
111. Calcul intensif pour la mécanique des fluides
L’utilisation de méthodes spectrales nécessite quelques précisions quant à leur mise en
œuvre sur des équations non linéaires. En effet, un produit de fonctions ou des termes
non linéaires dans l’espace réel conduisent à des opérations de type convolution en espace
complexe. Dans le cas discret, une erreur d’aliasing apparaît lors du calcul de ces termes
de manière directe. Il existe différentes techniques de suppression de cette erreur. La règle
des 3/2 est couramment utilisée et son principe est de réaliser les transformées de Fourier
discrètes sur M points au lieu de N, avec M > 3N/2. Les coefficients de Fourier des termes
du produit de convolution pour des nombres d’ondes supérieurs à N/2 sont simplement pris
égaux à zéro. De même, le résultat est tronqué aux N premiers coefficients permettant, par
transformée inverse, d’obtenir les valeurs réelles. En 3D, des erreurs d’aliasing doubles et
triples sont corrigées par des des troncatures adaptées (Canuto et al., 1987).
Méthodes de Lattice Boltzmann
Cette classe de méthode n’est pas basée sur la résolution des équations de Navier-Stokes
mais sur une équation de Boltzmann qui modélise l’évolution cinétique de particules de
fluide (Chen et al., 1998). La méthode de Lattice Boltzmann dérive d’un modèle discret
de dynamique particulaire sur une grille qui peut être vu comme un automate cellulaire
(Lattice gaz method). Le principe de base de cette méthode est de modéliser l’évolution
d’une fonction de distribution de la vitesse des particules f en fonction d’un opérateur de
collision Ω pour les interactions entre particules :
fi(x + ei
, t + ∆t) = fi(x, t) + Ωi(f(x, t)). (1.18)
Cette équation est donnée pour chaque direction i de la grille utilisée. La figure 1.1 représente
les vecteurs ei utilisés dans des grilles courantes. La notation DxQy est employée
pour référencer ces grilles où x est la dimension de l’espace et y le nombre de vecteurs ei
considérés.
(a) Grille D2Q9 (b) Grille D3Q15
Figure 1.1. – Exemple de grilles pour la méthode Lattice Boltzman
Les grandeurs macroscopiques de l’écoulement sont retrouvées à partir des moments de
f :
ρ =
X
i
fi et ρu =
X
i
fiei
.
Dans le cas le plus simple, un modèle de collision de Bhatnagar-Gross-Krook (BGK)
permet d’exprimer Ωi comme une relaxation vers une distribution à l’équilibre f
eq
i
en un
temps caractéristique τ :
Ωi =
f
eq
i − fi
τ
,
121.1. Mécanique des fluides numérique
avec :
f
eq
i = ρwi
1 + 3ei
· u +
9
2
(ei
· u)
2 −
3
2
u
2
, (1.19)
où les wi sont des poids associés à chaque direction ei
.
Le schéma numérique obtenu est local et la mise en œuvre est généralement réalisée en
deux étapes. Dans un premier temps, le membre de droite de l’équation (1.18) est évalué
avec le modèle de collision (1.19). Dans un second temps, l’équation (1.18) est résolue dans
une étape de propagation des fonctions de distribution.
Méthodes Lagrangiennes
De manière générale, les méthodes Lagrangiennes sont adaptées à la résolution d’équations
de conservation de la forme :
d
dt
Z
Ω
U(x, t)dx =
Z
Ω
F(x, t, U, ∇U, . . .)dx. (1.20)
Elles se distinguent des méthodes Eulériennes par le fait que la discrétisation spatiale du
domaine de calcul par un ensemble de particules suit la dynamique du système contrairement
au cadre Eulérien où le maillage reste fixe. On définit la dérivée Lagrangienne d’une fonction
f à partir de la trajectoire d’un point de l’écoulement.
Df
Dt
(x(t), t) = ∂f
∂t (x, t) + dx
dt
· ∇f(x, t)
=
∂f
∂t (x, t) + (u · ∇)f(x, t)
(1.21)
Dans un cadre Lagrangien, les variables sont discrétisées sur un ensemble de particules
qui correspondent à un volume élémentaire du domaine. Le principe général est que les
particules portent des quantités correspondant aux variables du problème. Une quantité U
est ainsi approchée par l’ensemble des particules selon la formule :
U(x) = Z
Ω
U(y)δ(x − y)dy, (1.22)
ou sa forme discrète régularisée :
U(x) '
X
p
UpWε(x − xp). (1.23)
La quantité portée par la particule p, est donnée par sa valeur moyenne :
vpUp =
Z
Vp
U(x)dx,
sur le volume Vp. La fonction Wε, qui apparaît dans l’équation (1.23) est une fonction de
régularisation dont le choix et les propriétés sont propres à chaque méthode. Dans tous les
cas, elle est construite de telle sorte que sa limite quand ε tend vers 0 soit la mesure de
Dirac δ.
131. Calcul intensif pour la mécanique des fluides
Au cours de la résolution, les particules sont déplacées relativement au champ de vitesse
puis interagissent pour donner une nouvelle répartition des quantités transportées qui
conduisent à un nouveau champ de vitesse. La position de chaque particule, xp, est solution
d’une équation de mouvement :
dxp
dt
= u(xp, t). (1.24)
D’autre part, la discrétisation de l’équation (1.20) donne le système d’équations différentielles
:
dUp
dt
= vpFp, (1.25)
où Fp représente le terme source local à la particule p. La difficulté de ces méthodes réside
dans le calcul du second membre de cette équation, en particulier le terme Fp, à partir des
particules. Différentes approches sont possible et conduisent à des méthodes comme SPH
et Vortex, détaillées plus loin. Enfin, le volume des particules varie selon l’équation :
dvp
dt
= vp div u(xp). (1.26)
Une propriété remarquable des méthodes particulaires est que la stabilité du schéma
numérique ne dépend pas explicitement du maillage ou de la distance entre deux particules
contrairement aux méthodes Eulériennes dont le pas de temps est contraint par une condition
de Courant Friedrichs Lewy, notée CF L, dont la constante C est souvent inférieure à
1.
CF L =
∆t||u||∞
∆x
6 C (1.27)
Dans le cas des méthodes particulaires, la contrainte sur le pas de temps dépend du gradient
du champ de vitesse et consiste en l’inégalité suivante :
LCF L = ∆t||∇u||∞ 6 C (1.28)
En pratique, la constante C, appelée quelquefois nombre LCFL (pour Lagrangian CFL),
conduit à une condition moins restrictive que la condition de CFL (1.27). Cela permet géné-
ralement d’utiliser de plus grands pas de temps que dans le cas d’une méthode Eulérienne,
le nombre de CFL obtenu peut alors atteindre des valeurs de plusieurs dizaines.
Méthode SPH Dans la méthode Smoothed Particle Hydrodynamics (SPH), les dérivées
spatiales des variables sont calculées sur les particules à partir d’une régularisation de la
mesure de Dirac, à l’aide d’un noyau Wε. Pour tendre vers la mesure de Dirac lorsque ε
tend vers 0, la fonction Wε est construite à partir d’une fonction d’intégrale égale à 1, à
symétrie radiale et à support compact de rayon supérieur à ε (Liu et al., 2010). Enfin le
noyau Wε doit être suffisamment régulier pour approcher les dérivées spatiales des variables
intervenant dans le calcul des forces.
Le principe suppose qu’en plus de l’équation d’approximation (1.23), on dispose d’approximations
des dérivées obtenues à partir des dérivées de Wε :
∇U(xi) '
X
p
U(xp)∇Wε(xi − yp
)vp. (1.29)
141.1. Mécanique des fluides numérique
Ainsi, avec un schéma d’intégration en temps explicite et une discrétisation du membre
de droite de l’équation (1.20), on obtient le schéma de résolution globale. Les sommes dans
les équations (1.23) et (1.29) impliquent des interactions entre toutes les paires de particules.
Cependant, la compacité du support de la fonction Wε permet de ne considérer que les
particules les plus proches du point de calcul courant à l’aide d’un tri des particules. Les
particules dont le support du noyau d’interpolation intersecte le bord du domaine nécessitent
un traitement particulier en fonction des conditions limites. L’inconvénient majeur de cette
méthode est la difficile montée en ordre du schéma de résolution.
Méthode vortex La méthode vortex est une méthode Lagrangienne adaptée à la résolution
des équations de Navier-Stokes en formulation vitesse et vorticité (1.11). Les particules
portent alors la vorticité de l’écoulement, selon l’approximation (1.23) :
ω(x) = X
p
ωpWε(x − xp). (1.30)
La méthode développée par Chorin (1973) et Leonard (1980) conduit à résoudre le système
d’équations différentielles suivant :
dxp
dt
= u(xp), (1.31a)
dωp
dt
= ωp∇u(xp) + ν∆ω(xp). (1.31b)
Le champ de vitesse est alors obtenu en résolvant l’équation de Poisson (1.12) en fonction
de la vorticité portée par les particules :
u(x) = u∞ +
Z
Ω
Kε(x − y)ω(y)dy. (1.32)
Le noyau Kε est une régularisation d’un noyau obtenu par le rotationnel de la solution
fondamentale de l’équation de poisson. Ce noyau s’exprime comme la convolution de la
fonction de Green pour l’opérateur laplacien et du champ de vorticité. D’autre part, le
gradient du champ de vitesse est obtenu par :
∇u(x) = Z
Ω
∇Kε(x − y)ω(y)dy.
Différentes techniques peuvent être employées pour discrétiser le terme de diffusion des
équations (1.31). Nous pouvons citer par exemple la méthode de marche aléatoire, Randomwalk,
introduite par Chorin (1973) ou encore la méthode PSE, Particle Strength Exchange
par Degond et al. (1989) et Cottet et al. (1990).
La discrétisation du terme d’étirement au second membre de l’équation (1.31b) et de
l’équation de Poisson par une équation de Biot-Savart (1.32) nécessitent l’évaluation d’interactions
entre toutes les paires de particules, ce qui engendre une complexité en O(N2
)
pour N particules. Une complexité en O(N) est possible en utilisation une méthode FMM
(Fast Multipole Method). Cette dernière consiste en un algorithme hiérarchique, basé sur
un arbre, permettant de traiter des problèmes à N corps par une approximation des interactions
combinant des développement locaux et multipôles du noyau Kε (Cheng et al.,
1999).
151. Calcul intensif pour la mécanique des fluides
Méthode particulaire avec remaillage Cette méthode faisant l’objet du chapitre 2,
nous donnons ici uniquement l’idée générale de la méthode. Le remaillage est employé dans
les méthodes particulaire, en particulier les méthodes Vortex, et consiste en une redistribution
des particules sur une grille (Koumoutsakos et al., 1995). Il permet d’assurer le recouvrement
nécessaire au maintient des propriétés de convergence de la méthode. La méthode
obtenue lorsque le remaillage est effectué systématiquement à chaque itération s’apparente
à une méthode semi-Lagrangienne explicite. Ainsi, après une advection des particules de
manière Lagrangienne, une étape de remaillage permet de redistribuer les quantités portées
par les particules sur une grille sous-jacente. Enfin les termes d’étirement et de diffusion
ainsi que l’équation de Poisson peuvent être résolus sur cette grille.
Qualité des résultats numériques
Toutes ces méthodes de résolution reposent sur une approximation numérique des variables
et des équations. Le principe commun est de discrétiser le domaine de calcul en
divers éléments : grille, maillage ou particules. Dans tous les cas, la solution est donnée sur
ces éléments discrets. Ainsi, l’augmentation du nombre d’éléments conduit à un meilleur
niveau de détail de la solution. Une discrétisation temporelle plus fine permet également
une meilleure description de la solution. Cependant, les pas de temps sont généralement
choisis les plus grands possibles tout en veillant à préserver la stabilité du schéma.
D’autre part, la plupart des méthodes permettent une estimation de l’erreur d’approximation
des équations par le schéma numérique. Cette erreur s’exprime généralement en
fonction des résolutions spatiales et temporelles de la discrétisation. En contrepartie de
l’amélioration de la précision et du niveau de détail des solutions, le coût de calcul augmente
avec la résolution. Ce coût provient du nombre d’opérations arithmétiques à réaliser
mais aussi du stockage et de l’accès aux données. En pratique, l’obtention de résultats pour
une résolution plus fine permet généralement une plus grande précision dans la prise en
compte des phénomènes physiques, ce qui contribue à une meilleure compréhension des
mécanismes mis en jeu.
La conséquence de ce phénomène est que les ressources informatiques nécessaires à un
raffinement des solutions numériques deviennent importantes et que les stratégies mises en
œuvre pour l’implémentation des méthodes ont un impact direct sur cette augmentation de
qualité numérique.
1.1.3. Exemples d’application
Dans ce paragraphe nous donnons quelques exemples d’implémentation des méthodes
décrites précédemment dans un contexte de calcul à haute performance. L’objectif est simplement
d’illustrer comment sont employées les différentes méthodes numériques à travers
les quantités de ressources de calcul nécessaires.
Récemment, une méthode de volumes finis a été implémentée par Rossinelli et al. (2013)
pour la simulation de la coalescence de 15 000 bulles de vapeur. Les auteurs ont réalisé
des simulations allant jusqu’à 13.1012 points de calcul en utilisant 1,6 millions de cœurs
CPU. Les performances obtenues sont, en partie, dues à l’utilisation de schémas numériques
161.2. Calcul intensif
d’ordre élevés en espace ce qui conduit à un nombre d’opérations par itérations élevé. Les
auteurs emploient également des techniques permettant d’augmenter la localité des données
ainsi que des opérations vectorisées spécifiques à la machine utilisée.
L’écoulement autour d’un modèle complet de voiture a été étudié par Jansson et al.
(2011) en utilisant une méthode de résolution par éléments finis. Le domaine de calcul est
discrétisé par 4,5 millions de points et 24 millions d’éléments et les solutions sont obtenues
en utilisant 3 000 cœurs CPU. Cette étude montre que les résultats obtenus par une
méthode par éléments finis associée à simulation aux larges échelles adaptative et à un raf-
finement automatique de maillage sont comparables, voire meilleurs, que certains modèles
de turbulence.
Enfin, une comparaison de méthodes spectrales et vortex est réalisée par Yokota et al.
(2013) sur 4 000 cartes graphique pour des résolutions de 69 milliards de particules ou points
de calcul dans le cadre de simulations de turbulence homogène. Dans cet article, les auteurs
montrent les limites des méthodes spectrales lors de l’utilisation d’un très grand nombre
de cartes graphiques. En particulier, les opérations non locales des transformées de Fourier
engendrent un coût de communication très important, ce qui n’est pas le cas en utilisant une
méthode multipôle rapide (Fast Multipole Method). Ainsi, l’étude montre que la méthode
FMM permet d’atteindre une efficacité parallèle bien meilleure que les méthodes spectrales
sur plusieurs milliers de cartes graphiques.
Ces études montrent l’importance d’une bonne exploitation des ressources informatiques.
En général, les méthodes numériques ne sont pas directement adaptées à de grandes machines
de calcul car les coûts de communication deviennent prohibitifs. Ainsi, il est nécessaire
de prendre en compte ces architectures au niveau de la méthode numérique développée.
L’implémentation de méthodes numériques, nécessaire à la résolution de nombreux problèmes
physiques, est indissociable des ressources informatiques disponibles. En particulier
lorsque les applications considérées nécessitent un haut niveau de détail des solutions, ce
qui implique un coût de calcul élevé.
1.2. Calcul intensif
Le calcul intensif est un domaine de l’informatique qui consiste à utiliser des supercalculateurs
pour des applications relevant généralement du calcul scientifique. L’objectif est
d’exploiter au maximum de leurs performances l’ensemble des ressources disponibles pour
obtenir la solution d’un problème numérique.
On distingue deux contextes d’utilisation intensive des ressources de calcul. Le premier,
que nous considérerons par la suite, consiste à résoudre un seul problème sur un ensemble
de ressources d’une machine de calcul. Dans ce cas, la méthode numérique employée est
distribuée sur les éléments de calculs de manière collaborative, ce qui implique des communications
entre les éléments. Une machine de calcul est constituée de différents niveaux
hiérarchiques de ressources. Elle est composée de nœuds de calcul interconnectés sur lesquels
est installé un système d’exploitation. Un nœud comprend généralement de la mémoire vive,
un disque local, des processeurs et éventuellement des accélérateurs, coprocesseurs ou cartes
graphiques. Ces ressources sont partagées par les différents processeurs multicœurs. Les uti-
171. Calcul intensif pour la mécanique des fluides
lisateurs se partagent la machine et peuvent réserver des ressources selon leurs besoins par
l’intermédiaire d’un gestionnaire de ressources.
D’un autre côté, pour des calculs d’optimisation, des études de sensibilité par rapport
à des paramètres ou des calculs de quantification d’incertitudes, le problème initial est de
taille relativement modeste mais il doit être résolu un très grand nombre de fois à partir
de données initiales différentes . Pour cela, des grilles de calcul sont utilisées, comme
par exemple dans le projet Folding@home de l’Université de Standford. Dans ce cadre, un
réseau composé d’un très grand nombre de machines grand public est constitué à travers
Internet par les utilisateurs volontaires et est en perpétuelle évolution au gré des connexions
et déconnexions des utilisateurs. Les différentes exécutions sont indépendantes et ne nécessitent
pas de communications entre elles. Une des difficultés techniques rencontrées dans
ce contexte est que les machines présentent de très nombreuses caractéristiques différentes
notamment en termes de matériels et de systèmes d’exploitation.
1.2.1. Augmentation des besoin et des ressources de calcul
Ressources de calcul pour les simulations numériques
Comme nous l’avons vu en section 1.1.2, l’obtention de nouveaux résultats physiques
permettant une meilleure compréhension des phénomènes se fait par une amélioration de
la précision et du niveau de détail des résultats numériques. Pour la plupart des méthodes
cela implique une complexité plus grande aussi bien en terme de calcul qu’en terme de
quantité de données. Le temps de calcul est directement lié à cette complexité et augmente
rapidement avec la résolution. C’est pourquoi il est nécessaire, pour rendre réalisable cette
augmentation, que le temps de calcul soit le plus faible possible.
Par exemple, lorsque l’on souhaite simplement doubler la résolution dans toutes les
directions spatiales d’un problème tridimensionnel, on obtient un facteur 8 sur le nombre
total d’éléments. Ce qui implique un facteur au moins égal à 8 sur l’empreinte mémoire du
code. De même, la complexité algorithmique du code est multipliée par un facteur 8, 16 ou
64 selon que la complexité s’exprime en O(N), O(N ln(N)) ou O(N2
). Cela implique que
le coût total de calcul devient rapidement assez élevé et justifie le recours à des techniques
de parallélisation mises en places dans le cadre du calcul intensif.
Deux points de vue sont envisageables. D’une part, pour un problème donné, l’augmentation
des ressources allouées à sa résolution permettent de réduire le temps nécessaire à
l’obtention de la solution. D’autre part, à temps de calcul constant, une solution plus précise
est obtenue en augmentant conjointement les ressources et la taille du problème.
Augmentation de la puissance de calcul des machines
Loi de Moore Une caractéristique marquante de l’évolution de l’informatique est la loi
de Moore, énoncée en 1965 par un des cofondateur d’Intel, G. Moore. En considérant la
complexité de fabrication des circuits intégrés ainsi que leur coût en fonction du nombre de
transistors, Moore postule que le nombre de transistors par puce double chaque année. Il
observe par la suite, en 2005, que cette croissance est légèrement plus faible mais tout de
181.2. Calcul intensif
même exponentielle. Nous illustrons cette loi en figure 1.2 où le nombre de transistors par
processeur en fonction des dates de mise sur le marché suit une tendance exponentielle. Il
103
104
105
106
107
108
109
1010
1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015
Nombre de transistors par puce
Année de mise sur le marché
CPU
GPU
Tendance : 1.4
x
Tendance : 1.6
x
Figure 1.2. – Évolution du nombre de transistors par processeurs.
est à noter que les processeurs graphiques suivent également une tendance similaire.
Top500 Depuis 1993, le projet Top500 établit un classement mondial des 500 machines
les plus performantes. La figure 1.3 montre l’évolution de la puissance de calcul théorique
développée par ces machines. Sur cette figure sont représentés les machines de rang 1 et
500 ainsi que quelques composants introduits sur le marché en 2012 et 2013. Ces courbes
conduisent à deux remarques : en 8 ans, une machine donnée passe de la première à la
dernière place du classement ; sur la même durée, la puissance totale de la dernière machine
du classement est disponible en un seul composant sur le marché grand public. Ainsi, une
machine de bureau standard récente dispose de la puissance de calcul de la première machine
du classement il y a 20 ans.
La tendance de ces courbes laisse suggérer que le régime de l’exascale sera vraisemblablement
atteint d’ici 2020 (Shalf et al., 2010 ; Dongarra et al., 2011 et 2014). Il correspond
à la construction et à l’exploitation de systèmes capables d’exécuter 109 GFLOPS. C’est un
défi majeur dans la communauté du calcul haute performance. Dans les années 90, l’augmentation
de la puissance des machines était principalement due à l’augmentation de la
fréquence des processeurs et à la diminution de leurs taille. Ce mécanisme a atteint ses
limites principalement à cause d’une trop forte densité d’énergie dans les composants. Par
la suite, seule l’augmentation du nombre de processeurs par machine a permis de poursuivre
cette évolution. Désormais, la tendance serait plutôt à l’augmentation du nombre de cœurs
par processeurs comme c’est le cas, entre autres, avec les cartes graphiques et la dernière
génération de processeurs Intel Xeon Phi.
191. Calcul intensif pour la mécanique des fluides
10−1
100
101
102
103
104
105
106
107
108
109
1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011 2013 2015
Petascale
Exascale
8 ans 8 ans
8 ans 12 ans
8 ans
Puissance théorique (GFLOPS)
Année de publication
Top500 #1
Top500 #500
GPU
Coprocesseur
CPU
Machine standard
Figure 1.3. – Évolution du classement du TOP500
Difficulté d’adaptation des codes de calcul
Le détail des caractéristiques des machines du Top500 montre une hétérogénéité de composants
depuis ces dernières années. En effet, bon nombre de machines de ce classement
ne contiennent pas seulement des processeurs mais aussi des accélérateurs, que ce soit des
cartes graphiques ou des coprocesseur. La difficulté majeure de l’exploitation de ces élé-
ments est que le développement et l’optimisation des codes de calculs ne fait pas appel aux
mêmes techniques que sur une machine homogène. De plus, les techniques de programmation
sont parfois différentes entre les processeurs et les accélérateurs. Ce qui implique une
réécriture du code. D’autre part, la réutilisation d’un code sur une architecture plus récente
conduit parfois à des temps de calculs plus grands dans les cas où aucune adaptation n’est
réalisée. Ce travail est assez lourd et ne peut pas être réalisé pour chaque nouvelle architecture.
Toutefois, cette difficulté est atténuée par l’utilisation de langages portables pour
le développement de codes multiarchitectures.
1.2.2. Mesure de performances
Dans le cadre du calcul intensif, il est important de pouvoir comparer les différentes implémentations
et codes de calculs et d’en mesurer les performances. Pour cela des métriques
spécifiques sont utilisées.
La première métrique utilisée est la puissance brute développée par un algorithme. Cette
grandeur est exprimée par le nombre d’opérations sur des nombres réels à virgules flottante
réalisées par secondes d’exécution. On utilisera la notation FLOPS pour désigner cette unité,
également notée FLOP s−1 dans la littérature. Cette mesure est notamment utilisée pour
établir le classement du Top500, En pratique, le nombre d’opérations effectuées lors d’une
201.2. Calcul intensif
exécution peut être obtenu par un outil de profilage et dépend fortement du compilateur,
des options de compilations employées ainsi que de l’architecture utilisée.
Scalabilité
Scalabilité forte Lors de la parallélisation d’un code, la performance maximale atteignable
est bornée par la loi d’Amdahl donnée par Rodgers (1985). L’accélération maximale
dépend de la proportion de code parallélisable, notée p ∈ [0; 1]. Le temps de calcul total,
pour un problème de taille fixe, sur n processeurs Tn est donné en fonction du temps de
calcul séquentiel T1 par : Tn = T1(1−p+p/n). Le facteur d’accélération, Sn, égal au rapport
entre le temps de calcul sur n processeurs et le temps de calcul sur un seul processeur est
alors donné par l’expression :
Sn =
T1
Tn
=
1
1 − p + p/n < n. (1.33)
On remarque que lorsque le nombre de processeurs devient grand, le rapport tend vers
(1 − p)
−1
. Cela signifie que l’accélération maximale, lorsque la partie parallélisable devient
négligeable, est bornée par la partie non parallélisable du code. De manière optimale, pour
p = 1, on attend que le facteur d’accélération du code soit égal au nombre de processeurs.
La performance d’un code peut être mesurée en réalisant une étude de scalabilité forte. Il
s’agit d’étudier l’évolution du facteur d’accélération du code pour un problème de taille fixe
en faisant augmenter les ressources employées à la résolution. Généralement, ces résultats
sont présentés sur un graphe donnant le rapport T1/Tn en fonction de n. Une scalabilité
idéale conduit à l’obtention d’une droite de pente égale à 1.
Scalabilité faible On peut également considérer l’évolution du facteur d’accélération
lorsque l’augmentation des ressources est réalisée simultanément avec une augmentation de
la taille des données du problème. Dans ce cas, la loi de Gustafson-Barsis (Gustafson, 1988)
conduit à une décomposition du temps de calcul sur n processeurs en une partie séquentielle
ts et une partie parallèle tp, Tn = ts + tp. Ainsi, le temps de calcul de ce problème sur un
seul processeur est égal à T
(n)
1 = ts + ntp et le facteur d’accélération est donné par :
Sn =
T
(n)
1
Tn
= n −
ts
ts + tp
(n − 1) (1.34)
De même que précédemment, on représente Sn en fonction de n dans un graphe. Dans
le cadre d’une étude de scalabilité faible, à chaque Sn correspond une taille de problème
contrairement à la scalabilité forte où l’étude complète est réalisée pour une même taille de
problème. Dans le cas idéal, le temps de calcul est entièrement dédié à la partie parallèle,
ts = 0, on obtient une droite de pente 1.
Le temps de calcul séquentiel du problème associé à n processeur, T
(n)
1
, peut parfois
devenir prohibitif et même impossible à obtenir lorsque n est grand. Pour cela, on pose
l’hypothèse que ce temps est proportionnel au temps de calcul séquentiel du problème
unitaire T
(n)
1 = nT(1)
1
. On représente alors le facteur d’accélération par :
S˜
n =
T
(1)
1
Tn
=
T
(n)
1
nTn
= 1 −
ts(n − 1)
n(ts + tp)
. (1.35)
211. Calcul intensif pour la mécanique des fluides
Modèle roofline
Les architectures multicœurs se caractérisent par le partage d’une mémoire entre les
différents cœurs dans lesquelles la bande passante est parfois un facteur limitant les performances.
Le modèle roofline, introduit par Williams et al. en 2009, est un modèle de visualisation
de performances basé sur l’intensité opérationnelle d’une implémentation. Cette
grandeur est définie comme le nombre d’opérations en virgule flottante par Byte de donnée
transférée entre les unités de calcul et la mémoire globale. La quantité de données échangées
entre les unités de calculs et la mémoire du système est constituée des accès en lecture
et écriture. Ce modèle permet de représenter graphiquement les performances de calcul
en fonction de l’intensité opérationnelle. Le graphe, en échelle logarithmique, présente la
performance atteignable en fonction de l’intensité opérationnelle selon la formule :
P
A = min(P, B × I), (1.36)
avec P
A la puissance atteignable en GFLOPS, P la puissance crête théorique de la machine,
également en GFLOPS, B la bande passante théorique en GByte/s et I l’intensité
opérationnelle du code en FLOP/Byte. L’intensité opérationnelle dépend de la machine et
du code et peut être calculée à partir des compteurs présents dans le matériel et éventuellement
accessibles via un outil de profilage. Dans certains cas, il est possible d’approcher cette
intensité par un comptage des opérations du code. Le modèle conduit à la représentation
donnée en exemple en figure 1.4.
On détermine si une implémentation est bornée par la bande passante, comme pour
l’intensité IA, ou par la puissance de calcul théorique, comme pour IB. Cela donne une
borne de performance maximale atteignable pour une implémentation donnée. Une première
stratégie d’optimisation pour un algorithme donné consiste à se déplacer vers une
intensité opérationnelle plus grande, flèches horizontales sur la figure 1.4. Elle consiste en
une optimisation de l’implémentation pour limiter les accès à la mémoire globale afin de
maximiser la puissance atteignable. La seconde stratégie consiste à optimiser le code pour
diminuer le temps de calcul. En effet, la performance atteinte lors d’une exécution correspond
à un point sur le graphe. Visuellement, les optimisations visent à déplacer ce point
vers la borne théorique le long d’une demi-droite correspondant à l’intensité opérationnelle
de l’implémentation évaluée. Cette seconde stratégie est représentée par les flèches verticales
sur la figure 1.4.
Efficacité énergétique
Dans le cadre de l’étude de l’impact environnemental des machines, la puissance de
calcul est mise en regard de la consommation électrique. En particulier, depuis fin 2007, le
classement du Green500 ordonne les éléments du Top500 en fonction de leur performance
énergétique qui est exprimée en MFLOPS par watt consommé au cours d’un calcul. La
figure 1.5 donne l’évolution des machines de rang 1 et 500 du classement Green500 ainsi
que, à titre de comparaison, du Top500.
La figure 1.6 représente les 150 premières machines des classements du Top500 et
Green500 par groupes de couleurs selon le type d’accélérateurs ou selon l’architecture.
Comme le montre Subramaniam et al. (2013), dans leur analyse de la consommation énergétique
des super-calculateurs l’utilisation d’accélérateurs graphiques, GPU, ou de coprocesseurs
semble contribuer fortement à l’amélioration de l’efficacité énergétique. À titre de
221.2. Calcul intensif
0.1
1
10
100
1000
0.1 IA 1 IA0 10 IB 100
Borne calcul
Borne bande passante
Puissance atteignable (GFLOPS)
Intensité opérationnelle (FLOP/Byte)
Roofline
Figure 1.4. – Exemple de modèle roofline.
100
101
102
103
104
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015
Efficacité énergétique (MFLOPS/W)
Date de publication des classements
Green500 - #1
Green500 - #500
Top500 - #1
Top500 - #500
Figure 1.5. – Évolution de l’efficacité énergétique des machines.
231. Calcul intensif pour la mécanique des fluides
comparaison, les ordres de grandeurs de puissance consommée sont illustrés par des maté-
riels usuels.
Le code de couleurs utilisé sur la figure 1.6 permet de distinguer quatre types d’architecture.
L’architecture classique correspond à une machine constituée de processeurs
multicœurs traditionnels et ne contenant aucun accélérateur. L’architecture BlueGene se
distingue de la précédente par un nombre bien plus grand de processeurs, par une faible
fréquence des processeurs et une faible quantité de mémoire des nœuds. Ces deux dernières
caractéristiques permettent à ce type de machine d’être extrêmement efficace en termes de
performance énergétique. Les machines dotées de coprocesseurs représentées sur la figure 1.6
sont constituées de processeurs multicœurs Xéon Phi comportant jusqu’à 61 cœurs de calcul
et qui ont été introduits récemment par Intel. La machine à coprocesseurs la plus efficace
est constituée de processeur PEZY-SC contenant 1 024 cœurs qui sont développés par la
société japonaise PEZY Computing. Enfin, le second type d’accélérateur est représenté par
les GPU dont les caractéristiques seront détaillées dans le chapitre 4.
105
106
107
108
10−1
100
101
20 MW
1 MW
0.1 MW
éolienne
motrice de TGV
voiture
Puissance de calcul (GFLOPS)
Efficacité énergétique (GFLOPS/W)
Top500
Green500
GPU
Coprocesseur
BlueGene
Classique
Figure 1.6. – Comparaison des performances énergétiques des 150 premières machines du
Top500 et Green500 selon le matériel (classements de novembre 2014).
1.2.3. Défi de l’exascale
Pourquoi l’exascale ?
Comme nous l’avons vu précédemment, l’amélioration de la qualité des simulations numériques
nécessite des résolutions plus importantes, afin d’obtenir de nouveaux résultats
pour améliorer la compréhension et la prise en compte de phénomènes physiques. Cela
permet ensuite d’envisager une complexification des modèles physiques puis des modèles
241.2. Calcul intensif
mathématiques et numériques dans le processus itératif schématisé en figure 1. De ce point
de vue, ces simulations ont besoin de ressources de calcul toujours plus importantes. D’autre
part, les classements du Top500 et Green500 nous montrent que la puissance des supercalculateurs
est en augmentation, apportant ainsi une réponse à ces besoins en ressources de
calcul. Cette réponse permet d’envisager la simulation de problèmes physiques encore plus
complexes.
Toutefois, les applications sont encore loin d’exploiter toute la puissance offerte par ces
calculateurs. La littérature ne fait état que de très peu d’applications capables d’atteindre le
PFLOP. Des simulations d’interactions gravitationnelles en astrophysique entre 1012 corps
atteignant 4.45 PFLOPS ont été obtenues par Ishiyama et al. (2012), soit 42% de la puissance
maximale de la machine pour leurs configuration. Plus récemment, une performance
de 11 PFLOPS a été atteinte par Rossinelli et al. (2013) pour la simulation de la coalescence
de 15 000 bulles de vapeur sur 13.1012 points de calcul en utilisant 1.6 millions de cœurs
CPU. Cette performance correspond à 55% de la puissance de la machine. Enfin, 4096 cartes
graphiques ont permis à Yokota et al. (2013) d’atteindre 1.08 PFLOPS en simple précision,
soit 25% de la puissance maximale théorique.
Principales difficultés
Le développement d’applications capables d’exploiter une telle puissance se confronte
à de nouvelles problématiques dont nous reprenons quelques éléments, d’après Dongarra
et al. (2011).
Concurrence L’architecture des machines de l’exascale, basée sur des composants multicœurs
ayant un très grand nombre de cœurs, soulève de nombreuses difficultés quant à
l’utilisation des mécanismes et des algorithmes actuels notamment en terme de synchronisation
des différents processus ou encore d’accès aux données. En effet, les architectures
multicœurs ont la particularité de partager une même mémoire entre l’ensemble des cœurs
ce qui rend complexe l’accès aux données, à travers une hiérarchie de caches, qui ont éventuellement
été modifiées dans le même temps. Leur originalité est qu’elles disposent d’une
quantité de mémoire disponible par cœur de calcul plus faible que dans les architectures
classiques. L’augmentation du nombre de cœurs par processeurs conduit à une diminution
de la mémoire disponible par cœurs.
Les accès à des données distantes, non présentes sur la mémoire associée à un processus,
deviennent rapidement très coûteux pour un très grand nombre de cœurs. Ce qui pose la
question de l’élaboration d’algorithmes de communications et de synchronisations distants
adaptés à ces architectures.
Énergie La consommation énergétique de ces supercalculateurs devient un problème
non seulement au niveau de l’alimentation électrique globale des machines mais aussi du
refroidissement des composants. Une limite de faisabilité d’une consommation de 20 MW
a été proposée dès 2008 par Bergman et al. et détaillée plus récemment par Subramaniam
et al. (2013). Les performances énergétiques des algorithmes commencent à être considérées,
en complément des mesures traditionnelles, notamment à travers le classement Green500
et contribuent à une amélioration des performances énergétiques des machines.
251. Calcul intensif pour la mécanique des fluides
Robustesse Les applications déployées sur des machines exascale devront être robustes
aux pannes. En effet, statistiquement, la probabilité qu’un cœur tombe en panne au cours
de l’exécution d’un programme est non négligeable. Des solutions doivent être développées
afin de s’affranchir de la technique traditionnelle de la sauvegarde de l’état complet d’un
programme à un instant donné en vue d’un redémarrage qui devient impossible à mettre en
place dans un tel environnement. De nombreuses techniques sont développées (Dongarra et
al., 2014) afin de pouvoir, d’une part, détecter les pannes et les erreurs introduites dans les
résultats et, d’autre part, effectuer un redémarrage local des processus en échec en utilisant
les données locales pour reconstruire une solution au moment de la panne. Dans ce contexte
l’exécution devient non reproductible.
Quelques stratégies
Les contraintes de ce passage à l’échelle permettent, par nécessité, de dégager quelques
stratégies au niveaux des algorithmes et des méthodes numériques employées. Ces straté-
gies sont détaillées de manière exhaustive par Dongarra et al. (2014). Les auteurs soulignent
notamment que l’utilisation de modèles couplés, de méthodes d’ordre élevé ou de parallé-
lisation en temps permettent d’aboutir à des implémentations susceptibles de s’adapter à
l’architecture des machines. L’intérêt est de pouvoir introduire des considérations maté-
rielles dès la spécification des méthodes numériques et même au niveau de la modélisation
mathématique du problème. D’autre part, au niveau des algorithmes, l’accent est mis sur
la scalabilité des solveurs, l’utilisation d’algorithmes multiniveaux et de librairies de calcul
existantes pour lesquelles les optimisations par rapport aux architectures auront été
réalisées de manière très pointue.
Le cadre applicatif de la mécanique des fluides s’adapte assez bien aux caractéristiques du
calcul intensif. En effet, à travers une application, nous allons pouvoir employer une méthode
de résolution ayant de bonnes propriétés de parallélisation dans l’optique de l’exploitation
de serveurs de calculs hétérogènes. Le développement et l’implémentation de cette méthode
numérique est réalisé dans le cadre défini par l’application que nous détaillons ci-après.
1.3. Transport de scalaire passif dans un écoulement
turbulent
1.3.1. Domaines d’application
De très nombreux phénomènes physiques sont basés, au moins en partie, sur le transport
d’un ou plusieurs scalaires par un écoulement turbulent. Les scalaires correspondent à des
quantités de diverses natures (Shraiman et al., 2000). Dans le domaine de l’environnement,
le scalaire peut représenter un polluant transporté par l’air ou l’eau (Michioka et al., 2008).
En biologie il peut s’agir de l’évolution des concentrations de certaines molécules chimiques,
comme les phéromones, que de nombreuses espèces utilisent pour communiquer ou se repérer
(Murtis et al., 1992) ou encore la concentration de bactéries et de leur nourriture
(Taylor et al., 2012). Le domaine de l’ingénierie est concerné par de nombreux problèmes
261.3. Transport de scalaire passif dans un écoulement turbulent
de ce type, notamment en combustion. Dans ces problèmes, plusieurs scalaires peuvent
être transportés simultanément comme les différentes concentrations en réactifs chimiques
ou encore la fraction de mélange entre le combustible et l’oxydant (Pitsch et al., 2008). La
température est un autre exemple de quantité scalaire, importante dans l’étude de systèmes
de refroidissements (Kuczaj et al., 2010).
Un transport de scalaire peut également être utilisé comme outil de modélisation. Par
exemple, le transport d’une fonction levelset permet de modéliser les interfaces dans un
fluide multiphasique (Tryggvason et al., 2011) ou un objet en mouvement (Sethian et al.,
2003).
1.3.2. Physique du problème
Généralement, le scalaire a une influence sur l’écoulement dans lequel il est transporté.
Par exemple dans les cas où on considère la densité d’un fluide multiphasique, ou encore
lors du transport de concentrations en réactifs chimiques dans une réaction de combustion.
Dans certaines applications, les effets du scalaire sur l’écoulement deviennent négligeables,
ce qui est le cas dans le transport de petits éléments comme des polluants, molécules ou
colorants. Le scalaire est alors passif dans l’écoulement et n’a pas d’effet rétroactif sur le
fluide.
Dans un écoulement turbulent et indépendemment du transport de scalaire, des structures
de différentes tailles se forment. Des structures de grandes tailles sont créées et entretenues
par l’écoulement. Les fluctuations de ces structures génèrent des structures plus
petites qui elles-mêmes génèrent, en cascade, d’autre structures encore plus fines. Un tel
écoulement se caractérise par une large palette de taille de structures s’étalant sur plusieurs
ordres de grandeur. Cependant, à partir d’une certaine échelle, dite de Kolmogorov, les effets
visqueux du fluide deviennent prédominants et engendrent une dissipation de l’énergie
cinétique de l’écoulement (Lesieur, 2008). La longueur de cette échelle ne dépend que des
caractéristiques du fluide dont notamment la viscosité ν. Ainsi, un écoulement turbulent ne
présente pas de structures de tailles inférieures à la longueur de l’échelle de Kolmogorov,
notée ην. Lors d’une simulation directe, DNS en anglais pour Direct Numerical Simulation,
l’écoulement est résolu à toutes les échelles jusqu’à l’échelle de Kolmogorov. Le maillage doit
avoir une longueur de maille suffisamment petite pour capter les plus petites structures de
l’écoulement. Dans les cas où le maillage ne résout pas toutes les échelles, il est nécessaire
de faire appel à un modèle de turbulence permettant de simuler cette dissipation d’énergie
par les petites échelles non résolues (Lesieur et al., 2005 ; Sagaut, 2006).
La dynamique du scalaire se caractérise par deux phénomènes : une dispersion par
convection du scalaire puis sa diffusion. Le premier effet, induit par le fluide turbulent, a pour
conséquence d’étirer les structures du scalaire, de générer des fluctuations à des échelles de
plus en plus petites et d’amplifier ses concentrations locales. De manière similaire au fluide,
l’échelle de Batchelor, notée ηκ, décrit l’échelle de concentration d’un scalaire à partir de
laquelle la diffusion moléculaire devient prédominante (Batchelor, 1958). Là encore, cette
échelle ne dépend que des caractéristiques du fluide, dont la viscosité et du coefficient de
diffusion, noté κ. Cette diffusion permet une dissipation des variations, localement fortes,
du scalaire.
271. Calcul intensif pour la mécanique des fluides
Le nombre de Schmidt, sans dimension, est défini par le rapport entre la viscosité du
fluide et le coefficient de diffusion du scalaire, Sc = ν/κ. Dans la plupart des fluides, le
nombre de Schmidt est grand, au moins égal à 1. Ce nombre permet de relier les échelles
de dissipation du fluide et du scalaire à travers la relation :
ηκ
√
Sc = ην.
En pratique, l’échelle de Batchelor est donc (beaucoup) plus petite que l’échelle de Kolmogorov.
Cela implique que le transport du scalaire développe des structures plus petites que
les plus petites structures développées par le fluide. Pour de grands nombre de Schmidt,
la dynamique du scalaire est essentiellement donnée par l’advection du scalaire sous l’effet
du fluide. Un cadre théorique décrit l’influence du nombre de Schmidt sur des quantités
statistiques du scalaire. En particulier, la décroissance du spectre de variance du scalaire,
en fonction du nombre d’onde k, est modélisé par une loi de puissance en k
−5/3 qui est associée
au transfert d’énergie en cascade vers les petites échelles. Cette décroissance est suivie
d’une loi en k
−1 puis de la dissipation par les plus petites échelles. Cette lente décroissance
renforce la nécessité d’une résolution des petites échelles de l’écoulement.
1.3.3. Formulation mathématique
Un problème de transport d’un scalaire dans un fluide incompressible turbulent est
modélisé par les équations de Navier-Stokes (1.10) pour la partie fluide et une équation
de convection et diffusion pour le transport du scalaire. Ces deux parties sont liées par le
champ de vitesse. Le problème consiste en le système d’équations suivant, en considérant
une densité ρ = 1 et en l’absence de forces extérieures fe = 0 :
div u = 0,
Du
Dt
=
∂u
∂t + (u · ∇)u
= −∇P + ν∆u,
Dθ
Dt
=
∂θ
∂t + (u · ∇)θ = κ∆θ
(1.37)
Les trois inconnues du problème sont le champ de vitesse u, la pression P et le scalaire
passif θ.
Dans le cadre d’un scalaire actif, l’effet sur l’écoulement est généralement pris en compte
à travers une force fθ présente au second membre de la seconde équation du système. Ici,
à travers le couplage faible entre les deux parties, nous obtenons une décomposition du
problème global en deux sous-problèmes quasi indépendants. En effet, le champ de vitesse
peut être vu simplement comme une donnée d’entrée du problème de transport de scalaire.
Conclusion
À partir d’un même problème mathématique, différentes méthodes numériques peuvent
être envisagées. Le choix de l’une ou l’autre dépend des objectifs visés, des applications
considérées et des architectures de calcul disponibles. Dans ce chapitre, nous avons exposé
281.3. Transport de scalaire passif dans un écoulement turbulent
les grandes lignes des méthodes classiques relativement à la résolution d’un problème de
mécanique des fluides. L’utilisation d’une méthode numérique permet de discrétiser un
problème continu pour en approcher une solution. Leur point commun est que la précision de
la solution dépend de la finesse de la discrétisation et de l’ordre d’approximation du schéma
numérique. Ces deux paramètres ont une forte incidence sur le temps de calcul. Ce dernier
peut rapidement devenir prohibitif en l’absence d’utilisation de techniques de parallélisation
et d’optimisation du code. L’exploitation des machines de calcul, dont l’architecture peut
être fortement hétérogène, dans le cadre du calcul intensif, implique une prise en compte
du matériel et des technologies employées dès la conception des algorithmes. L’importance
de cette prise en compte est encore plus grande lors de l’utilisation d’une grande quantité
de ressources, notamment dans la perspective de l’évolution des machines vers l’exascale.
Le transport d’un scalaire passif par un écoulement turbulent nous conduit à résoudre un
problème, composé de deux parties assez indépendantes, présentant plusieurs échelles. Dans
la suite, nous mettons en place une résolution basée sur différentes méthodes ainsi que des
algorithmes multiéchelles.
292. Méthode particulaire pour
l’équation de transport
Comme nous l’avons exposé dans le chapitre 1, la modélisation du transport d’un scalaire
passif dans un écoulement turbulent s’effectue à l’aide un système d’équations continues
constitué des équations de Navier-Stokes et d’une équation d’advection-diffusion du scalaire.
Ces deux équations présentent une équation de transport, une pour la vorticité et l’autre
pour le scalaire. Parmi les différentes techniques de résolution possibles, ce travail se base
sur le développement d’une méthode semi-Lagrangienne. En effet, elle permet de combiner
les avantages des méthodes Lagrangiennes tout en se basant sur une structure de donnée
régulière. Ainsi, cette méthode nous permet de choisir de grands pas de temps pour la
réalisation de simulations numériques tout en bénéficiant de la régularité des données liée
à la présence de la grille sous-jacente.
Dans une première partie de ce chapitre, nous présenterons un état de l’art des méthodes
particulaires semi-Lagrangiennes. Elles consistent en une méthode Lagrangienne avec une
étape de remaillage systématique à chaque itération permettant de remédier aux éventuels
problèmes de distorsions du champ de particules. Elles se distinguent des méthodes semiLagrangiennes
classiques (backward) par une descente des caractéristiques. Cette méthode
particulaire semi-Lagrangienne (forward) explicite peut être formalisée comme un schéma
aux différences finies à travers le remaillage. Une analyse des schémas ainsi obtenus est possible
en utilisant une approche propre à la méthode des différences finies. Nous présenterons
également les différentes techniques de construction des formules de remaillage ainsi qu’un
exemple d’implémentation.
Dans une seconde partie, nous proposerons une méthode systématique pour obtenir des
méthodes particulaires semi-Lagrangiennes d’ordres élevés. L’augmentation de l’ordre est
obtenu par l’utilisation de formules de remaillage ayant une forte régularité et conservant un
grand nombre de moments. Une nouvelle méthode de construction de ces formules permet
de produire des formules d’ordre arbitraire. Des analyses de stabilité et consistance seront
réalisées pour la méthode semi-Lagrangienne utilisant cette classe de formules de remaillage.
312. Méthode particulaire pour l’équation de transport
2.1. Méthode particulaire avec remaillage
2.1.1. Deux classes de méthodes semi-Lagrangiennes
À l’origine, les méthodes semi-Lagrangiennes ont été développées pour la résolution
d’écoulements dominés par l’advection, essentiellement dans le domaine de la météorologie
(Staniforth et al., 1991). Leur principe général est basé sur l’exploitation des caractéristiques
en chaque point d’une grille et de combiner les avantages des méthodes Eulériennes et Lagrangiennes.
En effet, elles reposent sur le fait que la quantité transportée est invariante le
long des caractéristiques. Dans une méthode semi-Lagrangienne rétrograde classique (backward
semi-Lagrangian method en anglais) la résolution consiste à remonter la trajectoire
depuis un point de grille et interpoler la quantité transportée au point de départ. Le résultat
de l’interpolation donne directement la valeur de la quantité au point de grille considéré.
Une seconde classe dont principe est similaire repose sur une descente des caracté-
ristiques est appelée forward semi-Lagrangian method. Après intégration de l’équation de
mouvement, l’étape de distribution de la quantité transportée sur les points de grille est
réalisée de manière implicite et nécessite la résolution d’un système dont la complexité dé-
pend de la nature de l’interpolation employée. La seule différence se situe dans le traitement
des contributions sur les points de grille. Une comparaison avec la méthode classique a été
proposée par Crouseilles et al. (2009) sur différents modèles d’équations de Vlasov pour la
simulation de plasmas. Nous illustrons les deux classes de méthodes par les figures 2.1.
(a) Backward (b) Forward
Figure 2.1. – Méthodes semi-Lagrangiennes
La méthode particulaire avec remaillage que nous détaillons dans la suite de ce chapitre
est très similaire à la méthode forward mais en utilisant un schéma explicite. Notre méthode
permet facilement de monter en ordre et est conservative.
322.1. Méthode particulaire avec remaillage
2.1.2. Principe général de la méthode particulaire avec
remaillage
Une méthode particulaire permet de résoudre une équation de transport :
∂u
∂t + div(au) = 0, (2.1)
où la quantité u est transportée à vitesse a. Comme nous l’avons évoqué en section 1.1.2,
la quantité u est discrétisée sur un ensemble de particules et est approchée en tout point
de l’espace par l’expression :
u(x) = X
p
upWε(x − xp),
avec up la quantité portée par la particule p, Wε une fonction de régularisation et xp la
position d’une particule. L’évolution des particules est soumise au champ de vitesse de
l’écoulement et leurs trajectoires sont données par les équations :
dxp
dt
= a(xp, t).
La présence d’un éventuel second membre dans l’équation de transport (2.1) se traduit
par une équation d’évolution de la quantité transportée par les particules. Par exemple, pour
une équation de transport de vorticité ω à vitesse u, issue des équations de Navier-Stokes :
∂ω
∂t + u · ∇ω = ω · ∇u + ν∆ω,
le second membre conduit aux équations suivantes :
dωp
dt
= ωp∇u(xp) + ν∆ω(xp).
Un inconvénient bien connu des méthodes particulaires est qu’au cours de l’évolution
de la simulation, les particules ont des trajectoires qui suivent le champ de vitesse. Par
conséquent, il peut arriver que ces particules se retrouvent trop éloignées les unes des autres
ou inversement regroupées dans une petite région du domaine. Ainsi, selon les zones de
l’écoulement, on assiste à une dégradation de la représentation des champs par manque ou
excès de particules. Un contrôle du recouvrement des particules est alors nécessaire pour
assurer de la convergence de la méthode. Dans de nombreuses implémentations de cette
méthode, une redistribution des particules sur une grille est appliquée régulièrement au cours
de la simulation afin de garantir un recouvrement suffisant et les propriétés de consistance
de la méthode (Koumoutsakos et al., 1995). Une méthode semi-Lagrangienne est obtenue
lorsque le remaillage est effectué systématiquement après chaque étape d’advection. Cela
permet également une représentation des variables sur la grille et d’exploiter des méthodes
de décomposition de domaine (Cottet, 1991 ; Ould Salihi et al., 2000 ; Cottet et al., 2000 ;
Cocle et al., 2008), d’adaptation automatique de maillage (Bergdorf et al., 2005) ou de
multirésolution basée sur des ondelettes (Bergdorf et al., 2006). Ainsi, les termes au second
membre des équations de transport peuvent être résolus sur la grille et non sur les particules.
332. Méthode particulaire pour l’équation de transport
Par conséquent, la quantité transportée par les particules est conservée lors de l’advection
car la trajectoire des particules suit les caractéristiques et on a :
dup
dt
= 0.
Ainsi, dans ce type de méthode, les particules sont créées au début de chaque étape d’advection
et sont détruites par le remaillage. En pratique, on ne crée des particules qu’aux
points de grille où la quantité transportée par les particules est supérieure à une certaine valeur
seuil fixée à l’avance. Cela permet d’éviter le traitement, par advection puis remaillage,
de particules dont la quantité transportée est nulle ou négligeable.
Le remaillage consiste en une interpolation des particules sur la grille à l’aide d’un
noyau de remaillage, également appelé formule de remaillage. Le cas multidimensionnel
est généralement traité par produit tensoriel de noyaux monodimensionnels. Cependant,
comme nous le verrons par la suite, ces formules ont généralement un coût arithmétique
élevé en 3D si des noyaux avec un large support sont utilisés. La figure 2.2 illustre une étape
de résolution pour un cas 2D où la taille des disques représente les valeurs portées par les
particules. Après un déplacement des particules selon le champ de vitesse représenté par
les flèches en trait épais sur la figure 2.2b, les particules sont remaillées sur les S points de
grille voisins. Les contributions d’une particule sur les points de grille sont représentées par
des flèches en trait fin. La particule colorée sur la figure 2.2a est répartie dans les valeurs
des points de grille colorés selon la contribution sur la figure 2.2c.
(a) Instant t
n (b) Advection et remaillage (c) Instant t
n+1
Figure 2.2. – Remaillage par produit tensoriel
Magni et al. (2012) proposent une alternative à la résolution multidimensionnelle basée
sur un splitting dimensionnel. Cette méthode permet de découpler les directions spatiales à
travers la résolution de problèmes monodirectionnels en alternant les directions. Le splitting
de Strang, d’ordre deux en temps, conduit à résoudre, pour un problème 2D, une première
direction sur l’intervalle [t
n
;t
n+1/2
[, la seconde direction sur un pas de temps complet et revenir
à la première direction pour terminer l’itération sur [t
n+1/2
;t
n+1[. En trois dimensions,
l’algorithme est identique, toutes les étapes sont réalisées sur des demi pas de temps excepté
la troisième direction. Nous illustrons ce splitting dimensionnel en figure 2.3 en utilisant les
342.1. Méthode particulaire avec remaillage
mêmes conventions que pour l’illustration précédente. Dans un souci de clarté, l’exemple
ne concerne qu’un splitting du premier ordre qui, selon le même principe, consiste en une
alternance des directions pour des pas de temps complets. À chaque étape, une particule est
remaillée seulement sur les S points voisins dans la direction concernée, soit respectivement
3S et 5S contributions par particule pour une itération complète de la formule de Strang
en 2D et en 3D, au lieu de S
2
et S
3 pour un remaillage tensoriel.
(a) Instant t
n (b) Advection et remaillage, direction
X
(c) État intermédiaire
(d) Advection et remaillage, direction
Y
(e) Instant t
n+1
Figure 2.3. – Remaillage par splitting dimensionnel du premier ordre
À travers l’utilisation d’un splitting dimensionnel de Strang, la résolution d’une équation
de transport multidimensionnelle se réduit à une succession de problèmes 1D. Cela permet
d’obtenir un coût de calcul proportionnel au nombre de particules dont la constante multiplicative
dépend uniquement de la formule de remaillage. Dans un remaillage tensoriel,
chaque particule contribue une fois par itération à S
3
(S
2
) points de grilles voisins en 3D
(2D). En revanche, dans notre cas, une itération est constituée de plusieurs étapes dans
lesquelles une particule contribue simplement aux S points de grille. D’autres avantages en
termes de complexité algorithmique seront donnés ultérieurement.
352. Méthode particulaire pour l’équation de transport
2.1.3. Cas monodimensionnel
La méthode semi-Lagrangienne d’advection avec remaillage est donnée ici pour une
équation de transport monodimensionnelle :
∂u
∂t +
∂
∂x(au) = 0. (2.2)
On note la vitesse, a et la quantité transportée par les particules, u. À chaque instant, ces
deux variables sont connues en chaque point de la grille.
À chaque itération temporelle de la méthode, les particules sont initialisées à un instant
t
n
, en chaque point de grille x˜
n
i = xi avec u˜
n
i = u
n
i
pour la quantité transportée. Puis l’équation
de mouvement est résolue pour chaque particule à l’aide d’un schéma d’intégration en
temps. La nouvelle position de la particule i, x˜
n+1
i
est la solution du problème suivant :
d˜xi
dt
= a(˜xi) t ∈ [t
n
, tn+1[,
x˜
n
i = xi
.
(2.3)
En pratique, pour chaque particule, le problème (2.3) est résolu par un schéma d’inté-
gration explicite. La vitesse de la particule i, a(˜xi), est supposée constante tout au long de
l’intervalle de temps [t
n
;t
n+1[ et son approximation est notée a˜
n
(˜xi). Dans un cadre multié-
chelle, la vitesse est connue sur une grille plus grossière que celle du scalaire, on utilise alors
une interpolation linéaire du champ de vitesse pour obtenir l’approximation a˜
n
en un point
de la grille fine. Dans le cas d’une même résolution pour les deux grilles, l’approximation
du champ de vitesse sur un point de grille est directement donnée par la valeur de la vitesse
en ce point, sans interpolation, a˜
n
(xi) = a
n
i
. Pour une intégration du premier ordre, avec
un schéma d’Euler, la position de la particule après advection s’exprime par :
x˜
n+1
i = xi + a
n
i ∆t. (2.4)
Comme nous l’avons exposé précédemment, un splitting de Strang du second ordre est
utilisé pour les cas multidimensionnels. Cela implique l’utilisation d’un schéma d’intégration
d’ordre plus élevé afin de conserver le second ordre en temps. En utilisant un schéma de
Runge-Kutta, du second ordre, la position de la particule est donnée par l’expression :
x˜
n+1
i = xi + ˜a
n
xi + a
n
i
∆t
2
∆t. (2.5)
Ici encore, la valeur du champ de vitesse a
n
i
n’est utilisée directement que dans les cas d’une
même résolution pour la vitesse et le scalaire, sinon une interpolation linéaire supplémentaire
est nécessaire.
Après déplacement des particules, l’étape de remaillage permet de redistribuer les quantités
portées par les particules sur la grille. Cette étape est réalisée à l’aide du noyau de
remaillage W :
u
n+1
i =
X
p
u
n
pW
x˜
n+1
p − xi
∆x
!
(2.6)
362.1. Méthode particulaire avec remaillage
2.1.4. Lien avec la méthode des différences finies
Comme nous l’avons vu précédemment, une particule initialement au point de grille
xp se retrouve après advection, par la résolution de (2.3), en position x˜p, transportant la
quantité up. Ensuite la particule est remaillée sur les 2S points de grille voisins de x˜p par
un noyau de remaillage Λp,r. Si on note xi
le point de la grille le plus proche à gauche de
x˜p, la quantité up est distribuée sur les points de grille d’indices [i − S + 1;i + S], comme
l’illustre la figure 2.4.
Particules
Grille
i − 2 i − 1 i i + 1 i + 2 i + 3
x˜p
Figure 2.4. – Remaillage d’une particule pour un noyau de support [−2; 2]
De même, un point de la grille se voit collecter toutes les contributions de particules
situées à sa proximité indépendemment du nombre de particules. En effet, le nombre de
particules par cellules peut changer (c.-à-d. être différent de un) selon les variations locales
du champ de vitesse. Toutefois, les particules ne peuvent se croiser au cours de l’advection
lorsque le pas de temps est contraint par une condition CFL Lagrangienne :
∆t||a
0
||∞ 6 C (2.7)
Particules
Grille
i
Figure 2.5. – Remaillage sur un point de grille pour un noyau de support [−2; 2]
La méthode d’advection suivie d’un remaillage montre une similarité avec la méthode
des différences finies. Nous l’illustrons sur un exemple linéaire simple, lorsque le nombre CFL
des particules, λi = ai∆t/∆x, est inférieur à 1 et que la vitesse est positive. En utilisant la
formule de remaillage à deux points (2.10), les poids sont donnés par :
αi = 1 − λi
, βi = λi
.
Cette configuration est schématisée sur la figure 2.6.
αi−1 βi−1 αi βi
λi−1 λi λi+1
i − 1 i i + 1
i − 1 i i + 1
Instant t
n
Instant t
n+1
Advection
Remaillage
Figure 2.6. – Analogie entre le remaillage et les différences finies
372. Méthode particulaire pour l’équation de transport
À l’issue du remaillage, le point de grille d’indice i collecte des contributions des particules
i − 1 et i :
u
n+1
i = βi−1u
n
i−1 + αiu
n
i
= λi−1u
n
i−1 + (1 − λi)u
n
i
=
a
n
i−1u
n
i−1∆t
∆x
+ u
n
i −
a
n
i u
n
i ∆t
∆x
On reconnaît ici aisément un schéma aux différences finies du premier ordre consistant avec
l’équation de transport :
u
n+1
i − u
n
i
∆t
=
(au)
n
i−1 − (au)
n
i
∆x
Cette approche permet à Cottet et al. (2006) de démontrer le parallèle entre cette
méthode semi-Lagrangienne et le schéma de Lax-Wendroff pour l’équation de Burgers. Les
auteurs distinguent les cas linéaires et non linéaires. Pour une équation à vitesse constante,
l’utilisation d’une formule de remaillage de support [−1.5; 1.5] conservant les trois premiers
moments conduit, lorsque la CFL est inférieure à 1/2, à un schéma aux différences fines de
Lax-Wendroff. Pour une CFL dans [1/2; 1], le schéma obtenu est décentré. Une formule de
remaillage de support [−2; 2] conservant quatre moments est également analysée et conduit
à un schéma d’ordre 3. Le cas non linéaire est bien plus complexe et n’est étudié que pour la
formule Λ2 et une CFL inférieure à 1/2. Le schéma aux différences finies obtenu est d’ordre
deux si les particules sont advectées avec un schéma également d’ordre deux. Un point
intéressant de cette étude est que l’ordre des schémas obtenus ne dépend pas explicitement
de la formule de remaillage mais simplement du nombre de moments qu’elle conserve.
L’exploitation des outils de la méthodologie des différences finies permet à Cottet et
al. (2009b) de développer des limiteurs pour les formules de remaillage Λ2. Les auteurs se
restreignent à des CFL inférieures à 1 dans les cas linéaires et non linéaires pour l’équation
de Burgers. En pratique des CFL plus grandes sont traitées en deux étapes. Les particules
sont d’abord advectées sans remaillage sur la partie entière de la CFL puis advectées et
remaillées avec une CFL inférieure à 1.
Plus récemment, Magni et al. (2012) étendent la construction de formules de remaillage
avec limiteurs d’ordre 2 et 4 corrigées pour pouvoir traiter le cas de grands pas de temps.
En effet, lors d’une advection avec une CFL supérieure à 1, les nombres CFL peuvent
varier d’une particule à l’autre ce qui entraîne une perte de consistance avec l’équation de
transport. L’idée développée consiste en un regroupement des particules en blocs selon leur
nombre CFL local. Les particules d’un même blocs sont remaillées soit avec une formule
de remaillage centrée soit décentrée à gauche. Ainsi, au sein des blocs, la consistance est
assurée directement. Par contre, entre deux blocs de types différents, la consistance de la
méthode nécessite une correction des formules de remaillage selon les nombres CFL locaux
des particules à l’interface entre les blocs. Les corrections consistent en une modification du
nombre de points de grille sur lesquels ces particules sont remaillées. La consistance pour
les grands pas de temps conduit à des formules de remaillage de plus grande complexité
algorithmique du fait de l’étape de construction des blocs et de choix de la correction à
appliquer.
Enfin, Weynans et al. (2013) proposent une extension des formules de remaillage avec
limiteurs dans le cas non linéaire pour une vitesse de signe quelconque. Les auteurs proposent
également une preuve de convergence de la méthode en utilisant leurs schémas. Cette
382.1. Méthode particulaire avec remaillage
démonstration est réalisée dans le cadre de la résolution d’une équation de Burgers. Il s’agit,
à notre connaissance, de la seule preuve de convergence des méthodes particulaires pour
l’équation de Burgers.
2.1.5. Construction des formules de remaillage
Du fait de leur nature, les méthodes particulaires sont adaptées à la résolution d’équations
de conservation. Il est donc impératif que le remaillage, par l’équation (2.6), possède
également ces propriétés de conservation des moments des quantités transportées. Mathé-
matiquement le moment discret d’ordre p d’une quantité u est défini par :
X
i
x
p
i
ui
. (2.8)
Par conséquent, un noyau de remaillage doit satisfaire les égalités de conservation des moments
discrets d’ordre α suivantes :
X
i
x
α
i u
n+1
i =
X
i
x
α
i u
n
i
, 0 6 α 6 p,
ou encore, en utilisant la relation (2.6) :
X
k∈Z
k
αW(x − k) = x
α
, 0 6 α 6 p, x ∈ R. (2.9)
Construction à partir des moments discrets
La première catégorie de noyaux est obtenue directement à partir des relations (2.9) et
les noyaux sont notés Λp, pour un noyau conservant les moments d’ordre 0 à p. Le support
est fixé à une largeur égale à p + 1 et le noyau est défini par une fonction polynomiale par
morceaux de p + 1 polynômes de degrés p. Les p
2 + p coefficients sont alors obtenus de
manière à vérifier les relations (2.9). Cette méthode permet notamment d’obtenir le noyau
d’interpolation linéaire :
Λ1(x) = (
1 − |x| si |x| 6 1
0 sinon
(2.10)
Les quatre premiers noyaux de cette classe sont représentés en figure 2.7. Comme le montre
la figure 2.7, certains de ces noyaux ne sont pas continus. Les pertes de précisions numérique
dues au manque de régularité de ces noyaux ont été étudiées par Cottet et al. (2009b).
L’ordre du remaillage peut être conservé à l’aide de corrections locales.
Construction à partir de B-splines
Une seconde classe de noyaux est obtenue à partir de B-splines régulières (Schoenberg,
1946) :
Mp(x) = 1
2π
Z ∞
−∞
sin ξ/2
ξ/2
p
e
iξxdξ. (2.11)
392. Méthode particulaire pour l’équation de transport
−0.2
0
0.2
0.4
0.6
0.8
1
0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5 4
Λ1(x)
Λ2(x)
Λ3(x)
Λ4(x)
Figure 2.7. – Noyaux de remaillage de type Λp
Ainsi un noyau Mp sera de classe C
p−2 avec un support de largeur 2p − 3. La figure 2.8
représente quelques noyaux de type Mp. On remarque que M1 est la fonction chapeau
de support [−1/2; 1/2] et que M2 = Λ1. Cependant, ces noyaux ne permettent qu’une
conservation des deux premiers moments uniquement.
−0.2
0
0.2
0.4
0.6
0.8
1
0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5 4
M1(x)
M2(x)
M4(x)
M8(x)
Figure 2.8. – Noyaux de remaillage de type Mp
Extrapolation à partir de noyaux réguliers
En utilisant l’extrapolation de Richarson, Monaghan (1985) produit des noyaux basés
sur les fonctions Mp et leurs dérivées afin d’obtenir des ordres plus élevés en conservant leur
régularité. On construit alors un noyau de la forme W(x) = Pp/2
c=0 ckx
kM
(k)
p (x). Les coeffi-
402.1. Méthode particulaire avec remaillage
cients ck sont obtenus de telle sorte que le nouveau noyau vérifie les conditions suivantes :
Z
W(x)dx = 1,
Z
x
αW(x)dx = 0, 1 6 α 6 p,
ce qui conduit à la résolution d’un système linéaire. Seules les contraintes pour α pair sont
à considérer, car les moments impairs sont nuls par symétrie des noyaux. Par exemple, pour
le noyau M4, on est ramené à la résolution du système :
R
M4(x)dx
R
xM0
4
(x)dx
R
x
2M4(x)dx
R
x
3M0
4
(x)dx
c0
c1
=
1 −1
1/3 −1
c0
c1
=
1
0
,
dont la solution est c0 = 3/2 et c1 = 1/2. On obtient donc le noyau noté M0
4
. Par construction,
ce noyau est de classe C
1
, comme M4 est C
2
, mais il conserve les moments jusqu’à
l’ordre 3. Il est utilisé dans la plupart des implémentations depuis la fin des années 90
(Koumoutsakos, 1997 ; Ould Salihi, 1998).
M0
4
(x) = 1
2
3M4(x) + x
dM4
dx
(x)
M0
4
(x) =
1 −
5
2
|x|
2 +
3
2
|x|
3
si |x| 6 1
1
2
(1 − |x|)(2 − |x|)
2
si 1 < |x| 6 2
0 sinon
(2.12)
−0.2
0
0.2
0.4
0.6
0.8
1
0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5 4
M0
4(x)
M0
5(x)
M0
8(x)
Figure 2.9. – Noyaux de remaillage type M0
p
Un comparatif de ces différents noyaux est donné dans le tableau 2.1 en termes de
moments conservés, de régularité, de largeur de support et de degré polynomial.
412. Méthode particulaire pour l’équation de transport
Nom Moment maximal conservé Régularité Support Degré
Λ1 1 C
0
[−1; 1] 1
Λ2 2 - [−1, 5; 1, 5] 2
Λ3 3 C
0
[−2; 2] 3
Λ4 4 - [−2, 5; 2, 5] 4
M1 1 - [−0, 5; 0, 5] 0
M2 1 C
0
[−1; 1] 1
M4 1 C
2
[−2; 2] 3
M8 1 C
6
[−4; 4] 7
M0
4
2 C
1
[−2; 2] 3
M0
5
3 C
2
[−2, 5; 2, 5] 4
M0
8
4 C
4
[−4; 4] 7
Tableau 2.1. – Comparatif des différents noyaux de remaillage de la littérature.
2.1.6. Exemple d’implémentation
La principale implémentation de méthodes semi-Lagrangiennes (également appelées mé-
thodes particules-grille) a été proposée par Sbalzarini et al. (2006). La librairie PPM (Parallel
Particle-Mesh) repose sur une unification de méthodes de grilles et de méthodes particulaires
à travers des interpolations entre les particules et la grille. Cette librairie propose
une interface pour l’exploitation de machines à mémoire distribuée de manière transparente
pour l’utilisateur. Le parallélisme est géré par des méthodes de décomposition de domaine
et d’adaptation de charge. Des algorithmes efficaces pour l’évaluation des interactions entre
particules, des méthodes de grilles globales utilisant des FFT et des solveurs multigrille ainsi
que des interpolations entre les particules et la grille conduisent à de bonnes performances
numériques.
Dans la suite de ce chapitre nous exposons une méthode de construction de formules
de remaillage dont les propriétés de régularité et du nombre de moments conservés sont
choisis arbitrairement. Nous considérons ensuite ces formules dans des études de consistance
et de stabilité des schémas ainsi obtenus. Nous observons que l’ordre de la méthode
semi-Lagrangienne dépend directement du nombre de moments conservés par la formule
de remaillage ainsi que de sa régularité. Les détails techniques des étapes d’advection et
remaillage propres à l’implémentation seront donnés dans les chapitres 5 et 6.
2.2. Advection semi-Lagrangienne d’ordre élevé
2.2.1. Construction de formules de remaillage d’ordre élevé
Une caractéristique intéressante des noyaux de type Λp est la propriété d’interpolation
suivante :
Λp(x) = (
1, si x = 0
0, si x ∈ Z
∗
.
(2.13)
422.2. Advection semi-Lagrangienne d’ordre élevé
Cette propriété permet une conservation exacte de la quantité remaillée pour les particules
dont la position coïncide avec un point de grille, en particulier si la vitesse est nulle. En
pratique, l’utilisation de noyaux possédant cette propriété donne des résultats plus précis.
Cependant, les noyaux réguliers de type Mp et M0
p perdent cette propriété. Dans cette
section, nous donnons une méthode de construction de noyaux de remaillage d’ordre élevé,
réguliers et vérifiant la propriété (2.13). Le principe est similaire à celui employé pour la
construction des noyaux de type Λp, donnée en Section 2.1.5. Il s’agit de trouver une fonction
vérifiant les propriétés suivantes :
P1 : parité ;
P2 : support compact [−S, S] ;
P3 : polynomiale par morceaux de degré q sur les intervalles entiers ;
P4 : régularité C
r
;
P5 : conservation les moments jusqu’à l’ordre p, selon l’égalité (2.9) ;
P6 : vérification de la propriété d’interpolation (2.13).
Ces propriétés conduisent à l’expression d’une régularité des noyaux Λp,r en terme d’espaces
fonctionnels :
Λp,r ∈ C
∞ (]l, l + 1[), l ∈ Z,
Λp,r ∈ Wr+1,∞(R) = n
f ∈ L
∞(R), ∀l ∈ N
∗
, l 6 r + 1, D
l
f ∈ L
∞
o
,
(2.14)
où Dlf est la dérivée d’ordre l de f au sens des distributions.
Les propriété P1, P2 et P3 permettent de restreindre la recherche à seulement S polynômes
de degré q, soit S(q + 1) coefficients inconnus. Le noyau s’écrit donc de manière
générale :
Λp,r(x) = (
Qi(x), si i 6 |x| < i + 1, i = 0 . . . S − 1
0 sinon,
avec
Qi(x) = X
q
k=0
c
i
k
|x|
k
.
Avec ces notations, la propriété P4 implique que q > r ainsi que les (r + 1)(S + 1)
contraintes de raccords entre les polynômes aux points de coordonnées entières du support :
Q
(j)
i
(i + 1) = Q
(j)
i+1(i + 1), 0 6 j 6 r, 1 6 i 6 S − 1,
Q
(j)
0
(0) = (
1 si j = 0
0 sinon
, 0 6 j 6 r,
Q
(j)
S−1
(S) = 0, 0 6 j 6 r.
Les p+ 1 égalités polynomiales imposées par la propriété P5 se traduisent par (1+p)(q + 1)
contraintes sur les coefficients polynomiaux. Cependant, par parité des noyaux, les moments
432. Méthode particulaire pour l’équation de transport
Nom Moment maximal conservé Régularité Support Degré
Λ2,1 2 C
1
[−2; 2] 3
Λ2,2 2 C
2
[−2; 2] 5
Λ4,2 4 C
2
[−3; 3] 5
Λ4,4 4 C
4
[−3; 3] 9
Λ6,4 6 C
4
[−4; 4] 9
Λ6,6 6 C
6
[−4; 4] 13
Λ8,4 8 C
4
[−5; 5] 9
Tableau 2.2. – Comparatif de quelques noyaux de remaillage de type Λp,r.
d’ordre impair ne conduisent pas à des contraintes supplémentaires car elles sont vraies
quelque soient les coefficients c
i
k
. On ne retient donc que (1 + [p/2])(q + 1) contraintes.
Enfin, la propriété d’interpolation conduit à S − 1 contraintes supplémentaires, les valeurs
aux points de coordonnées 0 et S étant redondantes avec les contraintes issues de P4. Nous
avons donc au total S(r + 2) + (1 + [p/2])(q + 1) + r contraintes. Des solutions uniques sont
envisageables si :
S(q + 1) 6 S(r + 2) + (1 + [p/2])(q + 1) + r. (2.15)
Pour un couple de (S, q) donné et en considérant l’ordre p et la régularité r comme fixés,
l’ensemble de ces contraintes conduit à un système linéaire dont les inconnues sont les
coefficients polynomiaux c
k
i
. Comme les contraintes de conservation des moments d’ordre
impair sont vérifiées par parité, un choix naturel est de prendre p pair. Dans ce cas, en
prenant S = 1 + p/2, l’inégalité 2.15 est vérifiée car S(r + 2) + r > 0. Expérimentalement,
nous obtenons des solutions uniques en prenant, en plus des deux hypothèses précédentes,
q = 2r + 1. Les noyaux obtenus par cette méthode sont notés Λp,r. Nous retrouvons le
noyau M0
4 = Λ2,1 ainsi que le noyau Λ4,2 qui a été introduit par Bergdorf et al. (2006) sous
la notation M000
6
. Les caractéristiques des noyaux utilisés dans la suite sont résumées dans
le tableau 2.2 et leurs expressions sont données en annexe A. Une représentation de ces
noyaux est donnée en figure 2.10.
Cette méthode de construction de formules de remaillage permet de contrôler explicitement
le nombre de moments conservés p ainsi que la régularité du noyau r. Ces deux
paramètres, nous le verrons au cours de l’analyse de consistance qui suit, sont en lien direct
avec la précision du schéma et l’ordre numérique de la méthode. Ainsi, une méthode d’ordre
élevé sera obtenue en utilisant des formules avec p et r grands. Cependant, l’augmentation
du nombre de moments conservés par les formules de remaillage conduit à un élargissement
du support des noyaux. Cela a pour conséquence qu’un plus grand nombre de points de
grille seront contenus dans le support de la formule impliquant une plus grande complexité
en terme d’accès aux données lors de l’implémentation. D’autre part, l’augmentation de la
régularité de la formule implique une augmentation du degré des polynômes constituant
les noyaux. L’incidence de cette augmentation se traduit par une plus grande complexité
numérique lors de l’évaluation de ces fonctions pour le calcul des poids de remaillage.
442.2. Advection semi-Lagrangienne d’ordre élevé
−0.2
0
0.2
0.4
0.6
0.8
1
0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5 4
Λ2,1
Λ2,2
Λ4,2
Λ4,4
Λ6,4
Λ6,6
Λ8,4
Figure 2.10. – Noyaux de remaillage de type Λp,r
Utilisation des poids de remaillage
En pratique, on exprime les poids de remaillage en fonction de la distance entre la
particule et le point de grille le plus proche. Le support est découpé en intervalles de
longueur égale à la distance entre deux points de grille sur lesquels la formule s’identifie à
un polynôme. Ainsi, on a exactement un point de grille dans chaque morceau d’intervalle,
ce qui conduit à l’expression de 2S poids de remaillage. La figure 2.11 illustre l’obtention
des poids de remaillage pour une formule Λ2,1, de support de longueur 4.
Λ2,1(x) =
1 −
5
2
|x|
2 +
3
2
|x|
3 = p0(|x|) 0 6 |x| < 1
2 − 4|x| +
5
2
|x|
2 −
1
2
|x|
3 = p1(|x|) 1 6 |x| < 2
0 |x| > 2
Particules
Grille
xi
y
x˜p
Λ2,1(x)
x
x
x
x
p1(−x) p0(−x) p0(x) p1(x)
-2 -1 0 1 2 x
y
α(y) β(y) γ(y)
δ(y)
Figure 2.11. – Obtention des poids de remaillage pour une formule de support [−2; 2]
452. Méthode particulaire pour l’équation de transport
Lorsque xi est le point de grille le plus proche de coordonnée inférieure à x˜p, y est défini
comme la distance normalisée entre ces deux points : y = (˜xp − xi)/∆x, y ∈ [0; 1]. De ce
fait, on obtient les poids en fonction de y :
α(y) = Λ2,1(−1 − y) = p1(y) = y + y
2 −
1
2
y
3
,
β(y) = Λ2,1(−y) = p0(y) = 1 −
5
2
y
2 +
3
2
y
3
,
γ(y) = Λ2,1(1 − y) = p0(1 − y) = 1
2
y + 2y
2 −
3
2
y
3
,
δ(y) = Λ2,1(2 − y) = p1(1 − y) = −
1
2
y
2 +
1
2
y
3
.
Les poids sont donnés pour les formules de type Λp,r en annexe A. Pour les formules
d’ordre élevé, les poids de remaillage sont de degré assez grand. Une implémentation efficace
de l’évaluation de ces polynômes est réalisée par la méthode de Horner :
α(y) = y(y(−y + 2) − 1)/2,
β(y) = (y
2
(3y − 5) + 2)/2,
γ(y) = y(y(−3y + 4) + 1)/2,
δ(y) = y
2
(y − 1)/2.
Ainsi ce schéma permet de minimiser le nombre d’opérations arithmétiques pour l’évaluation
de ces polynômes en évitant notamment le calcul des termes en y
n
. L’évaluation d’un
polynôme de degré q ne nécessite que 2q additions et multiplications au lieu des q(q + 1)/2
pour un algorithme naïf.
Précision numérique du schéma d’Horner
Lors de l’évaluation d’un polynôme par le schéma d’Horner, la précision numérique
atteinte, en tenant compte des erreurs d’arrondi, dépend du degré et du conditionnement
du polynôme. L’erreur relative pour l’évaluation d’un polynôme p(x) = Pq
i=0 aix
i par un
schéma de Horner est bornée par (Higham, 2002) :
|p(x) − Horner(p, x)|
|p(x)|
6 Kq cond(p, x) = Kq
Pq
i=0 |ai
||x
i
|
|
Pq
i=0 aix
i
|
.
La constante Kq dépend du degré q du polynôme et de l’erreur relative lors de l’arrondi des
nombres en virgule flottante, u = 2−53 en double précision selon la norme IEEE-754. De
manière générale, on a :
Kq = γ2q =
2qu
1 − 2qu
,
et lorsque des opérations FMA (Fused Multiply and Add) sont disponibles, comme c’est le cas
sur la plupart des GPU, l’erreur est plus faible. En effet dans une FMA, la multiplication et
l’addition sont effectuées en une seule opération arithmétique conduisant à une seule erreur
d’arrondi au lieu de deux, la constante s’écrit alors :
Kq = γq =
qu
1 − qu
.
462.2. Advection semi-Lagrangienne d’ordre élevé
Les polynômes permettant de calculer les poids de remaillage pour les formules Λp,r ont
un conditionnement qui augmente fortement au voisinage de 1. Cela conduit à des erreurs
pouvant être assez grandes lorsque les particules s’approchent d’un point de grille par position
inférieure (y → 1). Ce phénomène est d’autant plus marqué que l’ordre des formules
est élevé. Nous représentons sur la figure 2.12 la borne d’erreur relative pour les poids de
remaillage pour trois des formules couramment utilisées.
0 0.2 0.4 0.6 0.8 1
y
Λ6,4
p3(y)
p2(y)
p1(y)
p0(y)
p0(1 − y)
p1(1 − y)
p2(1 − y)
p3(1 − y)
0 0.2 0.4 0.6 0.8 1
y
Λ4,2
p2(y)
p1(y)
p0(y)
p0(1 − y)
p1(1 − y)
p2(1 − y)
10−16
10−14
10−12
10−10
10−8
10−6
10−4
10−2
100
0 0.2 0.4 0.6 0.8 1
Précision relative
y
Λ2,1
p1(y)
p0(y)
p0(1 − y)
p1(1 − y)
Figure 2.12. – Erreur numérique maximale du schéma de Horner pour l’évaluation des
poids de remaillages pour les formules Λ2,1, Λ4,2 et Λ6,4 en double précision
(sans FMA)
Dans le cadre de ce travail, nous avons conservé le schéma de Horner pour l’implémentation
de ces formules.
2.2.2. Consistance de la méthode semi-Lagrangienne
Dans ce paragraphe nous démontrons la consistance du schéma d’advection et remaillage (2.4)
ou (2.5) et (2.6) lorsque la formule de remaillage est de type Λp,r, définie en section 2.2.1.
Cette démonstration est présentée dans un article paru en 2014 dans ESAIM : Mathematical
Modelling and Numerical Analysis pour un schéma d’Euler, inclus en annexe B. Nous
détaillons ici le cas d’une approximation d’ordre deux de la vitesse lors de l’advection. La
démonstration suit une démarche similaire à celle de l’article, la seule différence est que les
développements sont conservés à un ordre quelconque.
472. Méthode particulaire pour l’équation de transport
Proposition 2.1
Soit un noyau de remaillage Λp,r de support [−S; S], vérifiant les contraintes de régularité
(2.14), la propriété d’interpolation (2.13) ainsi que l’égalité de conservation des
moments (2.9) jusqu’à un ordre p. Soient un champ de vitesse a et un scalaire u suffisamment
réguliers tels que u soit solution de l’équation de transport (2.2). Lorsque la condition
(2.7) est vérifiée, α est l’ordre d’approximation du champ de vitesse et β = inf(p, r),
nous avons :
u(xi
, tn+1) = u
n+1
i + O(∆t
α+1) + O(∆t∆x
β + ∆x
β+1). (2.16)
De plus, dans le cas où chaque cellule contient une seule particule, β = p.
Démonstration de la proposition 2.1 : L’indice p d’une particule peut être réfé-
rencé à partir de l’indice i et d’un décalage k de telle sorte que xp = xi + k∆x
et ainsi :
u(xp, tn
) = X
β
j=0
k
j∆x
j
j!
∂
ju
∂xj
(xi
, tn
) + O(∆x
β+1). (2.17)
Ici, nous nous plaçons dans le cadre d’une grille cartésienne uniforme où xi+k =
xi + k∆x. De même, la position des particules devient :
x˜
n+1
p = xi + k∆x + ˜a
n
i+k∆t,
qui se réécrit en posant λi = ˜a
n
i ∆t/∆x, le nombre CFL local :
x˜
n+1
p − xi
∆x
= k + λi+k.
La règle de dérivation des fonctions composées, se généralise par :
(f ◦ g)
(m)
(x) = X
|q|=m
m!cq
f
(q1+···+qm)
◦ g
(x)
Ym
s=1
g
(s)
(x)
qs
,
cq =
1
q1!1!q1 q2!2!q2 · · · qm!m!
qm
,
où q est le multi-indice q = (q1, q2, . . . , qm) tel que |q| = q1 + 2q2 + · · · + mqm.
En utilisant cette formule, en posant ν = ∆t/∆x et en prenant g(xi) = k + λi =
k + νa˜
n
(xi), on obtient que :
Λp,r(k + λi)
(m) =
X
|q|=m
m!cqΛ
(q1+···+qm)
p,r (k + λi)ν
q1+···+qm Ym
s=1
a˜
n (s)
qs
. (2.18)
Le développement de Λp,r(k + λi+k) au voisinage de k + λi à l’ordre r est obtenu
en utilisant la relation (2.18). Cependant, comme Λp,r ∈ Wr+1,∞(R), cela implique
que ||Λ
(β+1)
p,r ||∞ < ∞ pour 0 6 β 6 r. Par conséquent, le développement est donc
482.2. Advection semi-Lagrangienne d’ordre élevé
effectué à l’ordre β = inf(p, r) :
Λp,r(k + λi+k) = X
β
m=0
k
m∆x
m
m!
X
|q|=m
m!cqΛ
(q1+···+qm)
p,r (k + λi)ν
q1+···+qm Ym
s=1
a˜
n (s)
qs
+ O
∆x
β+1||Λ
(β+1)
p,r ||∞||a˜
(β+1)||∞
X
|q|=β+1
ν
q1+q2+···+qβ+1
.
(2.19)
D’autre part, comme q1+q2+· · ·+qβ+1 6 |q|, alors ν
q1+q2+···+qβ+1 6 ν
β+1 6 ν
β+1+ν,
le résidu précédent se réécrit en :
O
∆t
β+1 + ∆x∆t
β
.
Finalement, l’approximation du schéma (2.6) est obtenue à partir du produit des
relations (2.17) et (2.19), noté Ek :
u
n+1
i =
X
k
u(xk, tn
)Λp,r(k + λi+k)
=
X
k
X
β
m=0
k
m∆x
m X
|q|=m
cqΛ
(q1+···+qm)
p,r (k + λi)ν
q1+q2+···+qm Ym
s=1
a˜
n (s)
qs
X
β
j=0
k
j∆x
j
j!
∂
ju
∂xj
(xi
, tn
)
+ O
∆t
β+1 + ∆x∆t
β + ∆x
β+1
=
X
k
Ek + O
∆t
β+1 + ∆x∆t
β + ∆x
β+1
.
Le produit des deux sommes d’indices m et j des termes Ek se regroupent :
X
k
Ek =
X
β
m=0
j=0
∆x
m+j
j!
∂
ju
∂xj
(xi
, tn
)
X
|q|=m
cq
X
k
k
m+jΛ
(q1+···+qm)
p,r (k + λi)ν
q1+q2+···+qm Ym
s=1
a˜
n (s)
qs
.
Par dérivation de la relation (2.9), on a :
X
k
k
αΛ
(δ)
p,r(k + x) = α!
(α − δ)!(−1)δ
(−x)
α−δ
si 0 6 δ 6 α 6 β.
Par conséquent, on a également :
X
k
k
m+jΛ
(q1+···+qm)
p,r (k + λi)ν
q1+q2+···+qm = di,m+j,qν
m+j
,
avec :
di,s,q =
s!(−1)q1+···+qm
(s − (q1 + · · · + qm))!(−a˜
n
i
)
s−(q1+···+qm)
, si 0 6 q1 + · · · + qm 6 s 6 β.
492. Méthode particulaire pour l’équation de transport
Ce qui permet d’aboutir à :
X
k
Ek =
X
β
m=0
j=0
∆x
m+j
j!
∂
ju
∂xj
(xi
, tn
)
X
|q|=m
cqdi,m+j,qν
m+j Ym
s=1
a˜
n (s)
qs
=
X
β
m=0
j=0
∆t
m+j
j!
∂
ju
∂xj
(xi
, tn
)
X
|q|=m
cqdi,m+j,q Ym
s=1
a˜
n (s)
qs
.
Finalement, la troncature du schéma à l’ordre α en temps donne :
u
n+1
i =
Xα
m=0
j=0
∆t
m+j
j!
∂
ju
∂xj
(xi
, tn
)
X
|q|=m
cqdi,m+j,q Ym
s=1
a˜
n (s)
qs
+ O
∆t
α+1 + ∆x∆t
β + ∆x
β+1
.
(2.20)
Advection par un schéma d’Euler
Les couples (m, j) possibles pour la première somme tels que m + j 6 α + 1 sont
(0, 0), (0, 1) et (1, 0). Pour m = 0, le multi-indice q se réduit à un simple indice égal
à 0. L’expression (2.20) devient :
u
n+1
i = u(xi
, tn
)− ∆ta˜
n
i
∂u
∂x(xi
, tn
)− ∆t(˜a
n
i
)
0u(xi
, tn
) +O
∆t
2 + ∆x∆t
β + ∆x
β+1
.
D’autre part, si le champ de vitesse est approché à l’ordre 1, on a a˜
n
i = a(xi
, tn
), ce
qui donne :
u
n+1
i = u(xi
, tn
) − ∆t
∂an
i u
∂x (xi
, tn
) + O
∆t
2 + ∆x∆t
β + ∆x
β+1
. (2.21)
Puis, en utilisant l’équation de transport (2.2) on aboutit au résultat :
u
n+1
i = u(xi
, tn+1) + O
∆t
2 + ∆x∆t
β + ∆x
β+1
. (2.22)
Advection par un schéma de Runge-Kutta du second ordre
Dans ce cas, en plus des termes présents pour le cas du schéma d’Euler, on ajoute
les termes correspondants aux couples (m, j) = (0, 2), (1, 1) et (2, 0).
u
n+1
i = u(xi
, tn
) − ∆ta˜
n
i
∂u
∂x(xi
, tn
) − ∆t(˜a
n
i
)
0u(xi
, tn
)
+
∆t
2
2
(˜a
n
i
)
2 ∂
2u
∂x2
(xi
, tn
) + 4˜a
n
i
(˜a
n
i
)
0 ∂u
∂x(xi
, tn
)
+ 2((˜a
n
i
)
02 + ˜a
n
i
(˜a
n
i
)
00)u(xi
, tn
)
+ O
∆t
3 + ∆x∆t
β + ∆x
β+1
.
502.2. Advection semi-Lagrangienne d’ordre élevé
Pour une approximation du second ordre, on a a˜
n
i = a(xi + a(xi)∆t/2). Les
développements de a˜
n
i
sont réalisés à l’ordre maximal puis injectés dans l’expression
précédente :
∆ta˜
n
i = ∆tan
i +
∆t
2
2
a(xi)a
0
(xi) + O(∆t
3
),
∆t(˜a
n
i
)
0 = ∆ta0
(xi) + ∆t
2
2
a(xi)a
00(xi) + ∆t
2
2
a
02
(xi) + O(∆t
3
),
∆t
2
(˜a
n
i
)
00 = ∆t
2
a
00(xi) + O(∆t
3
),
u
n+1
i = u(xi
, tn
) − ∆t
a
n
i
∂u
∂x(xi
, tn
) + (a
n
i
)
0u(xi
, tn
)
+
∆t
2
2
(a
n
i
)
2 ∂
2u
∂x2
(xi
, tn
) + 3˜a
n
i
(˜a
n
i
)
0 ∂u
∂x(xi
, tn
)
+ ((˜a
n
i
)
02 + ˜a
n
i
(˜a
n
i
)
00)u(xi
, tn
)
+ O
∆t
3 + ∆x∆t
β + ∆x
β+1
.
Par simplifications on obtient :
u
n+1
i = u(xi
, tn
) − ∆t
∂an
i u
∂x (xi
, tn
) + ∆t
2
2
∂
∂x
∂an
i u
∂x
(xi
, tn
)
+ O
∆t
3 + ∆x∆t
β + ∆x
β+1
.
(2.23)
Puis en utilisant l’équation de transport (2.2) on obtient finalement :
u
n+1
i = u(xi
, tn+1) + O
∆t
3 + ∆x∆t
β + ∆x
β+1
. (2.24)
Cas d’une seule particule par cellule
Dans ce cas, le développement (2.19) peut être effectué à n’importe quel ordre,
en particulier à l’ordre β = r. La suite des calculs reste identique.
2.2.3. Stabilité de la méthode semi-Lagrangienne
Les démonstrations de la stabilité de la méthode sont données dans l’article Cottet et al.
(2014) inclus en annexe B. Les preuves sont basées sur les propriétés de décroissance des
noyaux qui sont vérifiées pour les méthodes d’ordre 2 et 4. Nous proposons ici une approche
permettant de démontrer la propriété de stabilité linéaire de la méthode pour les noyaux
de type Λp,r jusqu’à p = 8.
512. Méthode particulaire pour l’équation de transport
Advection à vitesse constante
Dans un premier temps, la stabilité du schéma est analysée pour un champ de vitesse
constant en espace. La démonstration se base sur le nombre CFL local : λ = a∆t/∆x,
constant. Nous définissons les suites de fonctions suivantes, pour k ∈ Z :
αk(λ) = Λp,r(k + λ), (2.25)
Ak(λ) = X
i
αi(λ)αi+k(λ). (2.26)
Les noyaux de remaillage étant à support compact, seuls quelques éléments de ces suites
sont non nuls.
Proposition 2.2
Les suites αk(λ) et Ak(λ) vérifient :
X
k,l
(k − l)
qαk(λ)αl(λ) = 0, et X
k
k
qAk(λ) = 0, q 6 p. (2.27)
Démonstration de la proposition 2.2 : Le membre de gauche de la première équation
se développe en :
X
k,l
(k − l)
qαk(λ)αl(λ) = X
k,l
X
q
m=0
C
m
q k
ml
q−mαk(λ)αl(λ).
La propriété (2.9) étant vérifiée pour les formules de type Λp,r, on a :
X
k,l
k
ml
q−mαk(λ)αl(λ) = (−λ)
m(λ)
q−m,
et donc
X
k,l
(k − l)
qαk(λ)αl(λ) = X
q
m=0
C
m
q
(−λ)
m(λ)
q−m = (λ − λ)
q = 0.
La seconde équation vient du fait que Ak(λ) = A−k(λ).
Proposition 2.3
Pour un champ de vitesse a constant en espace et pour un noyau de remaillage Λp,r
de support [−S; S] vérifiant les contraintes de régularité (2.14), la propriété d’interpolation
(2.13) ainsi que l’égalité de conservation des moments (2.9) jusqu’à un ordre p, le
schéma de remaillage est inconditionnellement stable.
Démonstration de la proposition 2.3 : Soient I un entier tel que λ ∈ [I; I + 1[ et
µ = λ − I ∈ [0; 1[. En posant vi = u
n
i−I
, le schéma (2.6) se réécrit :
u
n+1
i =
X
k
vi+kαk(µ).
522.2. Advection semi-Lagrangienne d’ordre élevé
Montrons que
X
i
u
n+1
i
2
6
X
i
|u
n
i
|
2
.
En utilisant (2.27), il vient :
X
i
u
n+1
i
2
=
X
i
X
k,l
vi+kvi+lαk(µ)αl(µ). (2.28)
La formule de remaillage possède un support [−S; S], par conséquent, seuls quelques
αk(µ) sont non nuls, pour k ∈ [−S; S−1]. Pour alléger les notations, comme µ ∈ [0, 1[
ne joue aucun rôle, il sera omis dans la suite.
X
i
|u
n+1
i
|
2 =
X
i
X
k,l
vi+kvi+lαkαl
=
X
i
X
k
v
2
i+kα
2
k + 2X
k 0
=
X
i
X
k
2
X
S−1
j=1
αkαk+j
|vi+k − vi+k+j
|
2
=
X
k
2
X
S−1
j=1
αkαk+j
X
i
|vi − vi+j |
2
=
2
X
S−1
j=1
Aj
X
i
|vi − vi+j |
2
.
532. Méthode particulaire pour l’équation de transport
La suite consiste à démontrer que R > 0. On définit alors les suites {δJ,i}J=1,...,2S−1
de différences successives telles que :
δ1,i = vi − vi+1,
δ2,i = δ1,i − δ1,i+1,
δJ,i = δJ−1,i − δJ−1,i+1,
(2.29)
ainsi que des sommes de termes de ces suites :
sJ,j =
X
i
X
j−1
k=0
δJ,i+k
2
.
Pour J = 1, on a simplement s1,j =
P
i
|vi − vi+j |
2
, donc R se réécrit :
R =
2
X
S−1
j=1
Ajs1,j . (2.30)
Par définition de sJ,j , on a :
sJ,j =
X
i
X
j−1
k=0
δJ,i+k
2
=
X
i
X
j−1
k=0
δ
2
J,i+k +
X
j−2
k=0
j−X
1−k
l=1
2δJ,i+kδJ,i+k+l
!
= j
X
i
δ
2
J,i +
X
j−1
l=1
(j − l)
X
i
2δJ,iδJ,i+l
.
En utilisant la relation 2δJ,iδJ,i+l = δ
2
J,i + δ
2
J,i+l − |δJ,i − δJ,i+l
|
2
, on obtient que :
sJ,j = j
X
i
δ
2
J,i +
X
j−1
l=1
(j − l)
2
X
i
δ
2
J,i −
X
i
|δJ,i − δJ,i+l
|
2
!
=
j + 2X
j−1
l=1
(j − l)
!X
i
δ
2
J,i −
X
j−1
l=1
(j − l)
X
i
|δJ,i − δJ,i+l
|
2
= j
2X
i
δ
2
J,i −
X
j−1
l=1
(j − l)
X
i
|δJ,i − δJ,i+l
|
2
= j
2X
i
δ
2
J,i −
X
j−1
l=1
(j − l)sJ+1,l.
Ainsi, le second terme de l’expression précédente contient j − 1 termes en sJ+1,l
dont les seconds membres contiennent au maximum j − 2 termes, pour sJ+1,j−1. Le
développement complet de sJ,j fait intervenir j − 1 niveaux de récurrence jusqu’au
542.2. Advection semi-Lagrangienne d’ordre élevé
niveau J + j − 1. On obtient, en posant DJ =
P
i
δ
2
J,i pour alléger les notations, le
développement suivant :
sJ,j = j
2DJ −
X
j−1
l=1
(j − l)sJ+1,l
= j
2DJ −
X
j−1
l=1
(j − l)l
2DJ+1 +
X
j−1
l=1
(j − l)
X
l−1
m=1
(l − m)sJ+2,m
=
X
j
k=1
(−1)k+1Ck,jDJ+k−1.
Avec les coefficients Ck,j définis par :
C1,j = j
2
;
C2,j =
X
j−1
l=1
(j − l)l
2
, si j > 2,
0, sinon ;
C3,j =
X
j−1
l=1
(j − l)
X
l−1
m=1
(l − m)m2
, si j > 3,
0, sinon ;
C4,j =
X
j−1
l=1
(j − l)
X
l−1
m=1
(l − m)
mX−1
n=1
(m − n)n
2
, si j > 4,
0, sinon ;
.
.
.
L’expression (2.30) se réécrit donc :
R =
2
X
S−1
j=1
Aj
X
j
k=1
(−1)k+1Ck,jDk
!
,
puis en permutant les sommes, on obtient :
R =
2
X
S−1
k=1
Dk
2
X
S−1
j=k
(−1)k+1Ck,jAj
. (2.31)
Deux remarques permettent de simplifier la recherche du signe de R. Premièrement,
les Dk étant positifs comme sommes de carrés, le dernier terme de la somme,
pour k = 2S−1, est toujours positif. En effet, ce terme se simplifie en D2S−1A2S−1 =
D2S−1α−SαS−1 et les α−S et αS−1 sont de même signe car on observe que les formules
de type Λp,r présentent une alternance de signe sur chaque intervalle entier.
Les noyaux sont positifs sur l’intervalle [−1; 1], négatifs sur [−2; −1] ∪ [1; 2] et ainsi
sur l’ensemble des intervalles entiers du support. En particulier, il est positif sur l’intervalle
[−S; −S + 1] ∪ [S − 1; S] si S est impair et négatif sinon. Deuxièmement, en
552. Méthode particulaire pour l’équation de transport
remarquant que les coefficients Ck,j se réécrivent comme des combinaisons linéaires
de puissances paires de j :
C2,j =
−j
2
12
+
j
4
12
, C3,j =
j
2
90
−
j
4
72
+
j
6
360
, C4,j =
−j
2
560
+
7j
4
2880
−
j
6
1440
+
j
8
20160
,
les termes de la forme PCk,jAj s’annulent lorsque k 6 [p/2] en utilisant la propriété
de conservation des moments pairs (2.9). Ainsi, si la formule de remaillage conserve
p moments alors les [p/2] premiers termes de la somme d’indice k sont nuls. Ainsi
on obtient la majoration suivante :
R >
2
X
S−2
k=[p/2]+1
Dk
2
X
S−1
j=k
(−1)k+1Ck,jAj
.
Pour toutes les formules de remaillage de type Λp,r, il a été vérifié numériquement
que :
2
X
S−1
j=k
(−1)k+1Ck,jAj > 0 pour k = [p/2] + 1, . . . , 2S − 2
Ainsi nous obtenons que toutes les formules de type Λp,r données en annexe A
conduisent à une méthode stable car R > 0.
Advection à vitesse non constante
Nous donnons ici les grandes lignes de la démonstration de stabilité dans le cas général
qui est détaillée dans l’article Cottet et al. (2014) inclus en annexe B.
Proposition 2.4
Pour un champ de vitesse a suffisamment régulier et pour un noyau de remaillage Λp,r
de support [−S; S] vérifiant les contraintes de régularité (2.14), la propriété d’interpolation
(2.13) ainsi que l’égalité de conservation des moments (2.9) jusqu’à un ordre p et
lorsque le pas de temps est suffisamment petit vérifiant la condition (2.7), il existe une
constance C indépendante de ∆t et ∆x telle que :
X
i
u
n+1
i
2
6 (1 + C∆t)
X
i
|u
n
i
|
2
. (2.32)
Démonstration de la proposition 2.4 : Nous ne donnons ici que l’idée générale de
la démonstration qui est détaillée dans l’article en annexe. Lorsque la vitesse est
non constante et le pas de temps suffisamment petit (2.7), le nombre CFL local est
différent pour chaque particule :
λp =
ap∆t
∆x
.
Les particules peuvent alors être partitionnées selon l’intervalle entier auquel appartient
λp :
JI =
p ∈ Z, λp ∈ [I; I + 1[
. (2.33)
562.2. Advection semi-Lagrangienne d’ordre élevé
Le schéma de remaillage (2.6) se réécrit :
u
n+1
i =
X
I
X
k∈JI
u
n
kΛp,r(λk + k − i).
En posant
RI (i) = X
k∈JI
u
n
kΛp,r(λk + k − i),
le membre de gauche de l’équation (2.32) devient :
X
i
u
n+1
i
2
=
X
i
X
I
RI (i)
2
=
X
i
X
I
R
2
I
(i) +X
i
X
I6=I
0
RI (i)RI
0(i).
L’étude du premier terme est similaire à l’analyse dans le cas à vitesse constante
et se base sur le fait que dans chaque élément de la double somme, les particules
ont un nombre CFL local dans le même intervalle entier. Dans ce cas, on aboutit au
résultat :
X
i
R
2
I
(i) 6
X
i∈JI
|u
n
i
|
2 + C∆t (2.34)
Dans le second terme, il apparaît des produits de la forme :
Λp,r(λk + k − i)Λp,r(λk
0 + k
0 − i), k ∈ JI , k0 ∈ JI
0, I 6= I
0
.
Ces produits sont non nuls seulement dans le cas où les particules son suffisamment
proches après advection. De plus, chaque particule ne contribue que dans, au plus,
2S sommes RI (i). Ainsi on aboutit au résultat :
X
i
X
I6=I
0
RI (i)RI
0(i) 6 C∆t
X
i
|u
n
i
|
2
(2.35)
Finalement, en combinant les résultats (2.34) et (2.35), on aboutit au résultat (2.32).
Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons détaillé la méthode de résolution que nous employons pour
résoudre une équation de transport. Nous avons vu comment l’étude des propriétés numé-
riques de la méthode semi-Lagrangienne est réalisée en exploitant la similarité de la méthode
avec celle des différences finies. En particulier, cela nous permet de produire des schémas
numériques à un ordre arbitraire en utilisant des formules de remaillage appropriées. Ces
formules possèdent, par construction, des propriétés de régularité et de conservation de
moments des quantités transportées qui sont directement liées à l’ordre de la méthode.
Cette méthode semi-Lagrangienne permet de résoudre les équations de transport pré-
sentées au chapitre 1. Les autres éléments constituant le problème de transport de scalaire
dans un fluide turbulent tels que les termes d’étirement et de diffusion ainsi que l’équation
de Poisson sont traités par d’autres méthodes. Cela conduit à l’obtention d’une méthode
hybride comme nous le verrons dans le chapitre 3.
573. Méthode hybride pour le
transport turbulent
Dans ce chapitre nous proposons de construire une méthode hybride, utilisant la méthode
semi-Lagrangienne détaillée dans le chapitre 2, pour résoudre un problème de transport
d’un scalaire dans un fluide turbulent, exposé dans le chapitre 1. Comme nous l’avons
mentionné précédemment, ce système présente à la fois un caractère multiéchelle et un
faible couplage entre les sous-problèmes que sont la résolution du fluide et le transport du
scalaire. Ces caractéristiques nous conduisent à l’élaboration d’une méthode hybride qui est
d’une part adaptée à la résolution de ce type de problème et d’autre part capable de traiter
des résolutions importantes sur des machines massivement parallèles.
Dans un premier temps, nous décrirons l’idée générale d’une méthode hybride puis nous
donnerons quelques approches hybrides présentées dans la littérature avant de proposer la
stratégie que nous emploierons par la suite.
3.1. Idée générale d’une méthode hybride
Le principe d’une méthode hybride est d’utiliser différentes méthodes conjointement
afin de résoudre un problème complexe en exploitant les forces de chacune des méthodes.
Ainsi, le problème initial est décomposé selon ses aspects physiques en différentes parties
qui sont résolues avec des méthodes différentes. Même si chacune des méthodes est bien
connue individuellement, comme pour les méthodes exposées en section 1.1.2, le couplage
doit être étudié en détail.
La décomposition du problème global selon ses aspects physiques permet, par exemple
dans le cadre de l’étude d’interactions entre un fluide et une structure, de séparer la ré-
solution du fluide et du solide. De même pour le cas d’un transport de scalaire passif, il
est possible de séparer la résolution du fluide de celle du transport du scalaire. Enfin, nous
avons vu dans les chapitres précédents, que l’emploi d’une méthode semi-Lagrangienne pour
la résolution d’un écoulement fait intervenir une équation de transport de la vorticité ainsi
qu’une équation de Poisson permettant de calculer le champ de vitesse associé. Là encore
une décomposition peut avoir lieu pour séparer la résolution de l’équation de Poisson de
celle de l’équation de transport.
593. Méthode hybride pour le transport turbulent
Ainsi dans une méthode hybride, les différentes parties du problème, issues de la décomposition
selon les aspects physiques et numériques, sont résolues par différentes méthodes.
Trois niveaux d’hybridation peuvent être distingués et sont détaillés dans la suite.
3.1.1. Méthode hybride en méthode numérique
Le premier niveau consiste en l’utilisation de différentes méthodes numériques. Par
exemple, pour la résolution d’un écoulement turbulent, une méthode hybride est utilisée
par Cottet et al. (2002), Cottet et al. (2009b) et Rees et al. (2011). Cette méthode consiste
en une résolution semi-Lagrangienne du transport de la vorticité combinée à une méthode
spectrale pour le calcul du champ de vitesse en fonction du champ de vorticité à partir de
l’équation de Poisson. La résolution de l’équation de Poisson par une méthode spectrale est
une alternative à celle basée sur la loi de Biot-Savart employée dans les méthodes Vortex.
Cette dernière conduit à une résolution directe sur le champ de particules, ce qui constitue
un problème à N corps à travers le calcul des interactions entre les paires de particules. Les
implémentations efficaces nécessitent la gestion d’une structure de données complexe basée
sur des arbres afin de regrouper les particules en fonction de leurs distances pour exploiter
les approximations multipoles rapides (méthodes FMM). Ainsi, la méthode spectrale est
bien plus simple à mettre en œuvre. Ce type de couplage entre méthodes semi-Lagrangienne
et spectrale est utilisé également pour des simulations d’écoulements en présence de solides
rigides, pris en compte par pénalisation (Coquerelle et al., 2008 ; Rossinelli et al., 2010).
D’autre part, dans le cas du transport turbulent d’un scalaire passif, des méthodes hybrides
consistent en une résolution par méthode spectrale de l’écoulement puis un transport
du scalaire par différences finies (Gotoh et al., 2012) ou par une méthode semi-Lagrangienne
(Lagaert et al., 2012 ; Lagaert et al., 2014).
3.1.2. Méthode hybride en résolution
Un second aspect des méthodes hybrides est d’employer des grilles de résolutions diffé-
rentes pour discrétiser les équations présentes dans le modèle. Par exemple, Cottet et al.
(2009a) proposent l’utilisation d’une méthode particulaire hybride en résolution pour le
transport de scalaire. Les auteurs utilisent la même méthode semi-Lagrangienne pour ré-
soudre l’écoulement et le scalaire. Le couplage est réalisé par interpolation du champ de
vitesse pour le transport du scalaire. Dans cette méthode, le scalaire est discrétisé à une
résolution plus fine que les champs de vitesse et de vorticité. Généralement, des modèles
sous-maille sont utilisés dans le cadre de simulations des grandes échelles (LES) pour prendre
en compte la dissipation d’énergie par son transfert vers les petites échelles. Cependant, ce
modèle n’est pas suffisant pour prendre en compte les effets des plus petites échelles de
fluctuations du scalaire qui ne sont pas résolues car de taille inférieure au maillage. Cottet
et al. (2009a) montrent que l’emploi d’une méthode multiéchelle remédie naturellement à
ce problème par une simulation directe des petites échelles du scalaire tout en conduisant
à un coût de calcul similaire.
Les études menées par Gotoh et al. (2012), Lagaert et al. (2012) et Lagaert et al. (2014)
dans le cadre de l’analyse du comportement d’un scalaire transporté par un écoulement de
603.2. Application au transport turbulent
turbulence homogène montrent que cette approche hybride en résolution permet d’obtenir
des résultats cohérents avec le cas d’une méthode spectrale classique, en simple résolution.
En effet, comme nous l’avons souligné dans la partie 1.3, ce problème se caractérise par la
présence de différentes échelles et la résolution du fluide à l’échelle du scalaire n’apporte pas
d’amélioration de la prise en compte de la physique de l’écoulement. Les méthodes utilisées
dans ces travaux seront détaillées plus loin, en section 3.2.
3.1.3. Méthode hybride en matériel
Comme nous l’avons vu dans la partie 1.2, les machines de calcul présentent de nombreuses
architectures différentes. Un dernier niveau de construction d’une méthode hybride
consiste en l’exploitation des différentes architectures d’une même machine. L’idée est de
distribuer les différentes parties du problème sur différents matériels. Par exemple, dans le
cas du transport de scalaire, la résolution du fluide est effectuée sur les processeurs CPU
et le transport du scalaire est résolu sur les cartes graphiques d’une machine hétérogène.
Cette approche sera complétée plus loin dans ce chapitre et sa mise en œuvre détaillée dans
le chapitre 6.
Une combinaison de ces différents niveaux est évidemment possible. En effet, une mé-
thode hybride peut être définie par des résolutions et des méthodes différentes pour les
parties du problème. Les approches semblables de Gotoh et al. (2012) et Lagaert et al.
(2014) illustrent parfaitement ce cas de figure. Dans leurs études, le fluide est résolu par une
méthode spectrale à une résolution grossière et le scalaire par différences finies ou méthode
semi-Lagrangienne à une résolution plus fine. Les nombreuses possibilités de construction
de méthodes hybrides nécessitent quelques précisions quant à l’application au transport
de scalaire passif dans un écoulement turbulent. En effet, les caractéristiques du problème
permettent d’aiguiller les choix pour la mise en place d’une méthode hybride.
3.2. Application au transport turbulent
3.2.1. Méthodes spectrale et différences finies
Dans le cas du transport de scalaire passif, Gotoh et al. (2012) proposent une comparaison
de leur méthode hybride avec une méthode entièrement spectrale. La méthode
hybride consiste en la résolution de l’écoulement à l’aide d’une méthode spectrale alors que
le transport du scalaire est résolu par différences finies d’ordre élevé. L’intérêt majeur de
cette approche est que les opérations non locales sur le scalaire, issues des transformées de
Fourier de la méthode spectrale, sont remplacées par des schémas locaux. Cela permet de
limiter les communications lors de l’exploitation d’un grand nombre de cœurs de calcul. Les
différentes échelles physiques présentes dans les cas à nombre de Schmidt élevé permettent
à Gotoh et al. de réaliser des simulations en multirésolution. Le fluide est calculé sur 2563
points de grille alors que 1 0243 points sont utilisés pour discrétiser le scalaire.
613. Méthode hybride pour le transport turbulent
Une réduction du temps de calcul est obtenue à travers ces différentes simulations. En
particulier, les auteurs obtiennent un facteur d’accélération de 1,4 grâce à l’utilisation de
leur méthode hybride au lieu d’une méthode entièrement spectrale. D’autre part, le fait de
réduire le nombre de points de 1 0243 à 2563 pour la résolution du fluide, pour Sc = 50,
leur permet d’obtenir un facteur d’accélération supplémentaire de 3. L’ensemble des calculs
ont été réalisés en utilisant 4 096 cœurs de calcul.
Une limite de cette approche est que le pas de temps reste limité par la résolution
du maillage du scalaire à travers l’expression d’une condition de CFL. Ainsi, lorsque le
problème est résolu en utilisant des grilles résolutions différentes, les auteurs sont limités à
l’utilisation d’un pas de temps dépendant de celle du scalaire.
3.2.2. Méthodes spectrale et semi-Lagrangienne
Une approche similaire a été proposée par Lagaert et al. (2012) et Lagaert et al. (2014).
Les auteurs utilisent une méthode hybride où le fluide est résolu de façon spectrale couplée
à une méthode semi-Lagrangienne pour le transport du scalaire. L’intérêt majeur est de
pouvoir bénéficier de l’avantage des méthodes particulaires dont le pas de temps n’est pas
contraint par une condition aussi restrictive que la condition CFL des méthodes Eulériennes,
dans certains cas. Cela permet à Lagaert et al. de choisir un pas de temps pour le transport
du scalaire dix fois plus grand que celui du fluide. Ainsi, dans le cas d’un grand nombre
de Schmidt, non seulement les résolutions spatiales sont différentes mais les pas de temps
aussi. Cela permet d’atteindre un facteur d’accélération approchant 40 par rapport à une
méthode entièrement spectrale avec une seule résolution, dans le cas Sc = 50 avec 2563
points pour le fluide et 1 0243 points pour le scalaire.
Toutefois, la méthode semi-Lagrangienne utilisée par Lagaert et al. reste d’un ordre
spatial plus faible (ordre 4) que le schéma aux différences finies d’ordre 8 employé par Gotoh
et al.
3.2.3. Méthodes semi-Lagrangiennes et architecture hybride
Dans ce travail, nous reprenons l’idée de Cottet et al. (2009a) pour l’utilisation d’une
méthode hybride. La méthode que nous utilisons exploite les trois niveaux d’hybridation
exposés plus haut : maillages de résolutions différentes pour le scalaire et l’écoulement, couplage
de méthodes de natures différentes et utilisation d’architectures matérielles différentes
pour la résolution de l’écoulement et du transport du scalaire. Nous exploitons le caractère
multiéchelle du problème avec une méthode hybride en résolution dans laquelle le scalaire
transporté est résolu de manière plus fine que la vorticité. L’écoulement est résolu par une
méthode semi-Lagrangienne pour le transport de la vorticité, avec des différences finies pour
le terme d’étirement et une diffusion spectrale. Nous calculons le champ de vitesse à partir
de la vorticité à l’aide d’un solveur spectral pour l’équation de Poisson. Le scalaire est
également transporté par une méthode semi-Lagrangienne avec une diffusion en différences
finies. Enfin au niveau matériel, le fluide sera résolu sur une architecture multicœurs CPU
classique et nous tirons parti de la puissance de calcul disponible dans les cartes graphiques
pour résoudre le transport du scalaire.
623.2. Application au transport turbulent
Comme toutes les résolutions en temps sont effectuées par méthode semi-Lagrangienne,
cela nous permet de choisir de grands pas de temps contraints uniquement par la condition
de CFL Lagrangienne qui fait intervenir le gradient du champ de vitesse et non la taille de la
grille. D’autre part, comme nous l’avons vu en section 2.2, la méthode d’ordre élevé conduit
à l’utilisation de formules de remaillage d’une forte complexité arithmétique. En effet, le
remaillage d’une particule nécessite l’évaluation de polynômes de degré relativement élevés
en chacun des nombreux point du support. Cette complexité est maîtrisée par l’utilisation
de cartes graphiques. L’intérêt de cette approche est de pouvoir accélérer, à l’aide des GPU,
la partie la plus intensive du code dont la résolution pourra être réalisée en même temps
que l’écoulement par l’utilisation de matériels différents pour chaque partie. D’un point
de vue pratique, lors de l’exploitation de machines de calcul, il est d’usage de réserver les
cartes graphiques par nœuds complets ce qui, sur la plupart des machines, donne accès à un
nombre de cœurs CPU bien plus grand que le nombre de GPU. L’objectif d’une exploitation
efficace des ressources est envisageable à travers une utilisation simultanée des GPU et des
cœurs CPU pour résoudre respectivement le transport du scalaire et le fluide.
Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons vu comment une méthode hybride permet d’exploiter les
forces des différentes méthodes en fonction des caractéristiques du problème à résoudre.
Ainsi, la méthode que nous utiliserons par la suite combine la méthode semi-Lagrangienne
exposée dans le chapitre 2 avec des méthodes de grille classiques, différences fines et spectrales.
L’idée principale de cette méthode est de profiter à la fois de la puissance de calcul
développée par les cartes graphiques et de l’algorithme de splitting dimensionnel pour réaliser
des simulations d’ordre élevé pour le transport du scalaire. Les résultats de cette méthode
seront présentés dans le chapitre 6.
634. Développement d’un code
multiarchitectures
L’un des objectifs de cette thèse consiste en l’implémentation sur cartes graphiques de
la méthode particulaire avec remaillage introduite dans le chapitre 2. Cette étape s’inscrit
dans un cadre plus global de construction d’une méthode hybride, dont les principes ont été
donnés dans le chapitre 3, afin d’explorer les possibilités d’une exploitation les ressources de
machines de calcul hétérogènes telles que décrites dans le chapitre 1. Comme nous l’avons
souligné dans le chapitre 2, la méthode semi-Lagrangienne semble être bien adaptée à une
implémentation sur cartes graphiques du fait de la régularité des structures de données et
des algorithmes qui en découlent. De plus, l’utilisation de formules de remaillage d’ordre
élevé conduit à l’exécution de nombreuses opérations arithmétiques simples notamment
pour le calcul des poids de remaillage. Actuellement, de nombreuses machines de calcul
sont équipées de cartes graphiques. Cependant, comme nous l’avons vu dans le chapitre 1,
cette tendance n’est pas immuable et peut éventuellement changer dans les prochaines années
du fait des évolutions technologiques des composants. Par conséquent, dans un souci
de pérennité du code, la librairie que nous développons doit pouvoir être facilement adaptée
à une nouvelle architecture tout en conservant la possibilité d’une exploitation de machines
classiques. D’autre part, la volonté d’une forte portabilité permettant de réaliser des simulations
à la fois sur une machine de bureau, un portable ou une machine de calcul offre
également une grande souplesse pour les différentes étapes de développement, de parallélisation
et de production.
Dans ce chapitre, nous présentons la librairie de calcul que nous utiliserons dans la suite
pour les simulations numériques. Dans un premier temps, nous exposerons la conception
de cette librairie qui est basée sur une stratégie de découpage sémantique en concepts
mathématiques puis en différents niveaux d’abstraction, comme suggéré par Labbé et al.
(2004). Dans un second temps, l’architecture et les moyens de programmation des cartes
graphiques sont détaillés puis nous introduirons les principes du standard de programmation
OpenCL. Enfin, l’intégration des modèles de programmation des GPU à la librairie de
calcul sera rapidement décrite. Cette étape du développement est largement facilitée par la
conception globale de la librairie.
654. Développement d’un code multiarchitectures
4.1. Développement d’une librairie de calcul
scientifique
4.1.1. Conception préliminaire
Bien que de nombreux codes numériques soient encore implémentés dans un paradigme
de programmation impérative, une tendance récente consiste à employer un paradigme de
programmation orientée objet pour le développement de codes de calcul scientifique. L’intérêt
majeur de cette technique est de pouvoir atteindre une forte flexibilité à la fois pour
le développement mais aussi pour l’utilisation. La programmation orientée objet repose
sur une représentation des concepts et des entités du domaine d’application sous la forme
d’objets dont les interactions constituent l’exécution du programme. Le code regroupe un
ensemble de classes permettant de décrire les attributs et les méthodes des objets. L’ensemble
des valeurs des attributs constituent l’état d’un objet et les méthodes expriment les
interactions possibles avec cet objet.
La programmation orientée objet se base sur les quatre concepts fondamentaux que sont
l’encapsulation, l’héritage, l’abstraction et le polymorphisme. Leur mise en œuvre permet,
lors de la conception, de décrire les relations entre les différentes classes. Selon le principe de
l’encapsulation, les interactions avec les objets se font uniquement en utilisant ses méthodes
et non directement ses données. Cela permet de garantir l’intégrité des propriétés de l’objet
en cachant ses données. Par le principe d’héritage, il est possible de créer une classe à partir
de classes existantes pour éventuellement leur ajouter de nouvelles propriétés ou fonctionnalités.
De manière similaire, l’abstraction permet d’exposer uniquement les informations
utiles et de laisser les détails pour des niveaux d’abstractions inférieurs. Cela permet d’accroître
l’efficacité des objets ainsi que de réduire leur complexité. Enfin le polymorphisme
consiste en la redéfinition de méthodes à travers les classes. L’exécution d’une méthode est
réalisée par son plus proche parent dans la hiérarchie de classes si elle n’est pas définie par
la classe de l’objet. L’intérêt de l’utilisation de ce type de paradigme de programmation est
que cela permet aux utilisateurs et développeurs de manipuler des objets aussi proches que
possibles des concepts physiques ou mathématique qu’ils représentent.
La conception d’un programme orienté objet consiste en la description de l’ensemble des
classes avec leurs attributs et leurs méthodes ainsi que leurs relations. En plus de l’héritage,
des relations de composition et d’agrégation figurent parmi les plus couramment utilisées.
Elles permettent de décrire la combinaison de plusieurs éléments pour en former un plus
complexe. La composition se distingue de l’agrégation par une notion de propriété forte. Les
objets qui composent un autre plus complexe n’ont pas d’existence en dehors de ce dernier.
Découpage sémantique des concepts mathématiques
Pour le développement de codes de calculs scientifiques, il est nécessaire d’employer une
méthodologie de conception plus spécifique, comme celle décrite par Labbé et al. (2004).
Dans leur approche, les auteurs se focalisent sur la résolution de systèmes d’équations
différentielles par des méthodes d’algèbre linéaire. Ils aboutissent à une décomposition d’un
problème de résolution d’équations aux dérivées partielles générique en différents concepts :
664.1. Développement d’une librairie de calcul scientifique
Problème : Il correspond au problème mathématique global que l’on cherche à résoudre ;
Opérateur : Généralisation de la notion mathématique d’opérateur, il définit un opérateur
mathématique élémentaire comme le gradient ou le laplacien et, plus généralement,
un terme d’une équation du problème. Il peut être vu comme un sous-problème
élémentaire.
Variable : Ce sont les entités mathématiques mises en relation par les opérateurs au sein
du problème, qu’elles soient données ou inconnues.
Domaine : Il décrit le contexte formel sur lequel sont définies les variables. Il comprend
la spécification d’une géométrie et des conditions aux limites.
Différents niveaux d’abstraction
Toujours en suivant la méthodologie de Labbé et al. (2004), nous introduisons différents
niveaux d’abstractions pour les concepts définis ci-dessus. Le point clé de cette conception
est un découplage des concepts abstraits, des méthodes de résolution et des algorithmes.
Ainsi, l’utilisateur manipule les éléments du niveau d’abstraction le plus élevé, qui correspondent
aux concepts mathématiques des problèmes, opérateurs, variables et domaines.
Un second niveau est constitué des algorithmes de résolution et de la discrétisation des
variables. Enfin, un dernier niveau regroupe les implémentations des méthodes spécifiques
au stockage des données des variables ainsi qu’à l’architecture permettant de réaliser les
calculs. L’intérêt majeur est que les opérations réalisées à un niveau ne dépendent pas de
la manière dont fonctionnent les autres niveaux. En particulier, il est aisé de changer de
méthode de résolution ou d’architecture sans que l’utilisateur n’ait à modifier son code.
Couplage faible et cohésion forte
La structure basée sur un découpage sémantique et en niveaux d’abstraction permet
d’obtenir une forte cohésion des différents composants. Les fonctionnalités de haut niveau
(employées par l’utilisateur) font appel à des fonctions de niveau inférieur jusqu’à arriver
au niveau le plus bas où les calculs sont effectués dans des fonctions élémentaires réalisant
une tâche précise.
Parallèlement, cela permet un couplage faible des différentes parties. A un niveau donné,
les fonctionnalités ne sont pas interdépendantes. Ainsi, les effets de bords sont limités lors du
développement et de la maintenance du code. Du point de vue de l’utilisation, les éléments
sont autosuffisants à travers leurs niveaux d’abstraction.
En suivant ces principes, il est possible de changer d’algorithme pour une méthode donnée
sans avoir à modifier le reste des éléments. De même, plusieurs versions d’un même
algorithme peuvent cohabiter, du moment qu’ils implémentent la même interface. Comme
remarqué dans le chapitre 1, les architectures évoluent rapidement et une implémentation
peut devenir inutilisable en changeant d’architecture. D’où l’importance d’une grande flexibilité
car il sera aisé d’introduire une nouvelle version pour une architecture donnée ou, au
contraire, d’écarter une version incompatible avec l’architecture courante au moment du
déploiement. D’autre part, les choix de conception et de langages doivent garantir une por-
674. Développement d’un code multiarchitectures
tabilité du code suffisante. Ainsi, face à une nouvelle architecture, le code existant devrait
pouvoir être simplement reconfiguré et non réécrit.
Schéma d’utilisation
Du point de vue de l’utilisation, le code se décompose selon les étapes suivantes :
1. Description d’un problème à partir d’un domaine sur lequel sont définies des variables
utilisées par des opérateurs.
2. Initialisation du problème à travers la discrétisation et l’initialisation des variables.
Cette étape consiste essentiellement en l’allocation des zones mémoires ainsi qu’au
branchement des différentes méthodes numériques parmi l’ensemble des versions disponibles.
3. Résolution du problème en appliquant ses opérateurs sur leurs variables.
Ces étapes s’organisent dans le diagramme d’utilisation de la figure 4.1.
Résout
Problème
Applique
Opérateur
Initialise
Problème
Discrétise
Opérateur
Discrétise
Variable
Définit
Problème
Définit
Opérateur
Définit
Variable
Définit
Domaine
Utilisateur
1. Description
2. Initialisation
3. Résolution
Figure 4.1. – Diagramme de cas d’utilisation.
4.1.2. Conception détaillée
Les entités issues du découpage en concepts et en différents niveaux d’abstraction sont
décrites dans le diagramme de classe présenté en figure 4.2.
684.1. Développement d’une librairie de calcul scientifique
Problems
Domains
Operators Variables
Parallelism
Tools
Simulation
current time
current iteration
time step
end time
advance time
Problem
domain
list of variables
list of operators
simulation manager
setUp
solve
<>
Domain
dimension
list of Topologies
Mesh
position
grid
ghosts
Variable
nb components
domain
dict of (Topology, DVariable)
init function
discretize
DVariable
topology
data
<>
Operator
input variables
output variables
discretize
setUp
finalize
<>
DOperator
input discrete variables
output discrete variables
apply
finalize
Topology
domain
mesh
MPI process layout
<< neighbors interface>>
NumMethod
compute
scales fftw h5py numpy mpi4py
External Libraries
n
n n
1
1
n
n
1
1
1
1
n
1
n
1
1
uses
uses
uses uses
uses
Abstract level
Algorithm level
Method level
Figure 4.2. – Diagramme de classe.
694. Développement d’un code multiarchitectures
Domaine
Le domaine correspond à la définition mathématique sur lequel sont définies les variables
et équations du problème. Cette entité nous permet de gérer la distribution des données et
des calcul dans les simulations parallèles. En effet, dans ce cadre, le domaine est distribué
à travers l’ensemble des processeurs et chaque sous-domaine est affecté à un processus.
Variables
Une variable est définie sur un domaine spatial. Les vecteurs et les scalaires ne sont pas
distingués et diffèrent uniquement par leur nombre de composantes. Il est possible d’avoir
différentes discrétisations d’une même variable selon leurs résolutions et leurs découpages
à travers les différents processus. Les données discrètes des variables sont référencées indé-
pendemment de leur stockage par un pointeur.
Opérateurs
Un opérateur est défini à partir de ses variables d’entrée et de sortie. Un opérateur
discret est créé en fonction d’une paramétrisation de la méthode numérique, et fait appel à
un ou plusieurs algorithmes de calcul et méthodes numériques en utilisant les données des
variables discrètes.
Méthodes numériques
Ces entités de bas niveau permettent de réaliser des calculs sur les données numériques
indépendemment de leur emploi et de leur provenance. Les schémas numériques issus des
méthodes de résolution, comme les intégrateurs en temps, les schémas de différences finies
ou les formules de remaillage sont implémentés de manière à traiter des données numériques
à partir d’un espace mémoire générique. En pratique, diverses versions d’une même méthode
selon le stockage des données employé peuvent cohabiter, la version appropriée étant choisie
à l’initialisation des opérateurs.
Problèmes
Comme son équivalent mathématique, un problème est construit à partir d’une liste
d’opérateurs, de variables et de domaines. Il constitue une partie de l’interface utilisateur
de notre librairie et permet de discrétiser l’ensemble des entités ainsi que de piloter la
simulation numérique tout au long de la boucle en temps par l’application successive des
différents opérateurs.
4.1.3. Fonctionnement de la librairie
Langages de programmation
La conception de la librairie de calcul, donnée en sections 4.1.1 et 4.1.2, est indépendante
de tout langage de programmation. Étant données les caractéristiques requises par
704.1. Développement d’une librairie de calcul scientifique
notre code, le choix s’est rapidement tourné vers le langage Python. C’est un langage qui
permet l’utilisation des paradigmes de programmation impératifs, objets et fonctionnels, ce
qui contribue à la flexibilité du code. Python est un langage interprété, ce qui facilite le
développement par l’absence d’étape de compilation. Python est présent par défaut sur de
nombreux systèmes et grâce à un mécanisme de gestionnaire de modules, il est aisé d’installer
les dépendances du code sur n’importe quelle machine et sans les droits d’administrateur
du système. Ce langage est caractérisé par une large base de bibliothèques relatives à de
nombreux domaines, en particulier pour le calcul scientifique. Il tend à être de plus en plus
utilisé pour le développement de codes de calcul parallèles. Toutefois, il présente l’inconvé-
nient, dû à l’aspect interprété, de conduire à des performances numériques de base assez
médiocres dans le cadre d’une utilisation naïve. Il existe de nombreux moyens d’améliorer
ces performances comme les modules NumPy et Cython. Le premier fournit un grand nombre
d’outils et d’algorithmes pour le calcul scientifique. Le second propose des optimisations
plus poussées permettent de retrouver des performances équivalentes à celles obtenues avec
des langages compilés. D’autre part, Python est généralement utilisé comme interface pour
l’utilisation de différentes librairies compilées et optimisées. Le surcoût de la couche Python
est négligeable et on obtient directement les performances de ces librairies. De nombreux
exemples de code de calcul scientifique sont écrits en Python (Pérez et al., 2011 ; Rashed
et al., 2012 ; Logg et al., 2012).
Dépendances externes
Fort de toutes ces caractéristiques, ce langage est en plein essor dans la communauté
scientifique. Cela se traduit par une très forte activité des développeurs qui fournissent
de très nombreux modules sans cesse améliorés. La plupart des librairies traditionnelles
possèdent une interface Python qui sont bien souvent augmentées de fonctionnalités ou
de simplifications inhérentes au langage. En particulier, nous utilisons le module MPI4Py
qui permet d’utiliser la librairie d’envoi de message MPI pour le parallélisme à mémoire
distribuée. De même, la librairie H5py permet l’écriture et la lecture de données numériques
au format HDF5.
Dans le but de l’exploitation de machines de calcul parallèles, nous intégrons différents
niveaux de parallélisme. Nous verrons par la suite que l’utilisation d’une carte graphique
revient à l’expression d’un parallélisme à mémoire partagée. Nous détaillerons également
les mécanismes mis en place pour l’utilisation de machines à mémoire distribuée, à travers
la librairie MPI.
D’autre part, Python permet de réaliser simplement des interfaces avec des langages
compilés comme le C ou Fortran. Cela nous permet d’utiliser les librairies fftw pour les
transformées de Fourier des méthodes spectrales ainsi que l’implémentation en Fortran de
la méthode semi-Lagrangienne développée par Lagaert et al. (2014).
714. Développement d’un code multiarchitectures
Fonctionnement global
Nous achevons cette partie par une illustration de son utilisation à travers un exemple
simple permettant la résolution d’un problème de transport. Un exemple de script minimal
dont la majorité du code concerne l’étape de description du problème est donné en
figure 4.3. Les deux fonctions permettent d’initialiser les variables. Le problème est créé
avec un seul opérateur dont les calculs s’effectuent à une résolution de 1283
lors de chacune
des 10 itérations. Dans cet exemple simple, l’opérateur d’advection se construit sur
ses paramètres de résolution par défaut. En pratique, il convient de donner les détails de
la méthode numérique comme l’ordre d’intégration en temps ou la formule de remaillage et
éventuellement des spécifications en rapport avec l’architecture employée.
Comme le montre l’exemple, l’interface utilisateur ainsi développée permet d’exprimer,
à travers les classes Python, une sémantique proche du langage mathématique. Cela rend
l’utilisation proche de celle proposée par un langage dédié. Un tel langage constitue l’expression
idéale d’une interface utilisateur car il consiste en la définition d’un nouveau langage
de programmation dont la sémantique est issue du domaine d’application du programme.
Ainsi, l’utilisateur exprime ses besoins dans un langage ayant un sens pour l’application,
ce qui conduit à une grande simplicité d’utilisation. Cependant, le développement de ce
langage est assez difficile. Une approche plus simple consiste à embarquer seulement de
nouveaux éléments de syntaxe dans le langage du programme (Mernik et al., 2005).
La librairie décrite précédemment nous permet, de par sa conception, d’intégrer un
module pour l’exploitation de cartes graphiques sans perte de portabilité sur les machines
dépourvues de ce matériel. Les GPU diffèrent sensiblement des processeurs classiques tant
par leurs architectures que par leurs modèles de programmation. Dans cette seconde partie,
nous détaillons le fonctionnement de ces cartes.
4.2. Calcul générique sur carte graphique
4.2.1. Description du matériel
Fonctionnement des cartes graphiques
Les cartes graphiques que nous utilisons aujourd’hui ont été introduites à la fin des
années 90. La fonction principale de ces cartes est de générer des images bidimensionnelles
destinées être affichées sur un écran. Dès le milieu des années 90, les cartes sont capables
de gérer un contenu tridimensionnel et sont principalement pour l’usage des jeux vidéo et
à l’infographie. Dans les années 2000, l’augmentation des performances des cartes grand
public rend ce matériel très compétitif en termes de capacité de calcul, relativement à leur
coût d’achat. Cela conduit à l’émergence du GPGPU, acronyme anglais signifiant calcul
générique sur processeur graphique.
Dans le cadre du rendu 3D, une carte graphique effectue un traitement en chaîne, représenté
en figure 4.4. Premièrement, le Vertex processor, calcule un ensemble de points
724.2. Calcul générique sur carte graphique
Script Python :
im p o r t parmepy a s pp
d e f s 0 ( r e s , x , y , z , t = 0. ):
r e s = . . .
r e t u r n r e s
d e f u0 ( r e s , x , y , z , t = 0. ):
r e s = . . .
r e t u r n r e s
# Domaine
O = pp . Box ( o r i g i n =[0 , 0 , 0 ] ,
l e n g t h =[1 , 1 , 1 ] )
T = pp . Simu ( t i n i t =0. , t e n d =1. ,
n b I t e r =10))
# V a r i a b l e s
u = pp . F i e l d ( domain=O,
v e c t o r=True ,
f o rm u l a=v _ i n i t )
s = pp . F i e l d ( domain=O,
v e c t o r=F a l s e ,
f o rm u l a=s _ i n i t )
# O p e r a t e u r s
a dvec = pp . A d v e c t i o n (
s , v e l o c i t y=u ,
r e s o l u t i o n =[128 , ] ∗ 3 )
# P r o b l ème
pb = pp . P roblem (
o p e r a t o r s =[ advec , ] ,
simu=T)
# I n i t i a l i s a t i o n
pb . s e t u p ( )
# Ré s o l u t i o n
pb . s o l v e ( )
Formalisme mathématique équivalent :
s0(x) = . . .
u0(x) = . . .
Ω = [0; 1]3
T = [0; 1]
u : Ω × T 7→ R
3
u(x, t = 0) = u0(x)
s : Ω × T 7→ R
s(x, t = 0) = s0(x)
∂s
∂t + (u · ∇)s = 0
Figure 4.3. – Exemple de script utilisateur
734. Développement d’un code multiarchitectures
à partir de la géométrie à afficher. Ensuite, les objets tridimensionnels sont projetés sur
un ensemble de pixels afin d’éliminer les parties cachées par la perspective. Les pixels sont
ensuite transformés par le Fragment processor, notamment par l’application de textures.
Enfin, les pixels sont assemblés dans la grille de pixels qui constituent l’image à afficher sur
l’écran. Aux débuts du calcul générique sur GPU, la programmation des cartes s’effectuait
en détournant cet enchaînement d’étapes par le développement de fonctions spécifiques
destinées à être exécutées par le Vertex processor et le Fragment processor.
Vertex
Processor Rasterizer
Fragment
Processor
Output
Assembler Écran
Données brutes
Objets
3D
Pixels
Pixels
Image calculés
Figure 4.4. – Transformations en chaîne pour le rendu graphique
Architecture des cartes graphiques
Ce matériel spécifique est composé de nombreux éléments dont l’architecture diffère des
processeurs classiques. Les composants principaux d’une carte graphique sont le processeur
graphique et la mémoire vidéo. Les processeurs graphiques se caractérisent par un très
grand nombre d’unités de calcul permettant de réaliser les opérations sur les sommets de
la géométrie ainsi que des transformations des pixels. Ces unités sont spécialisées dans le
traitement de données vectorielles jusqu’à quatre composantes (coordonnées spatiales ou
canaux de couleurs d’un pixel). D’autre part, les unités de calculs réalisent de manière
efficace des opérations simples sur ces données comme les additions, multiplications et
produits scalaires. La mémoire vidéo est généralement divisée en deux zones distinctes.
Une première partie permet des accès classiques en lecture et écriture et une seconde est
spécialisée en lecture ou en écriture pour le stockage de données de textures 2D ou 3D.
Comparativement à un processeur classique, un GPU permet un très haut débit de tâches
élémentaires et indépendantes effectuées en parallèle par les unités de calcul (UC dans la
figure 4.5). Ces dernières se partagent différents niveaux de cache. La figure 4.5 compare
les représentations d’un processeur multicœur, 4.5a et d’un GPU, 4.5b. Dans les deux cas,
seul le niveau de cache le plus haut est représenté. Alors que sur CPU, le nombre de cœurs
dépasse rarement la dizaine, il atteint plusieurs milliers sur un GPU. D’autre part, les CPU
peuvent accéder à la mémoire globale du système alors que la mémoire disponible sur un
GPU est généralement inférieure à 8 GByte.
744.2. Calcul générique sur carte graphique
Mémoire
Cache
Contrôleur
UC
UC
UC
UC
(a) CPU
Mémoire
UC
Contrôleur
Cache
(b) GPU
Figure 4.5. – Comparaison haut niveau de l’architecture d’un CPU et d’un GPU
L’intégration de la carte graphique au système principal se fait par une connexion à
la carte mère par PCI Express dont le débit varie de 1 à 16 GByte/s selon la version.
Cela constitue bien souvent un goulet d’étranglement pour les applications car le temps de
transfert des données est bien plus long que le temps de leur traitement sur la carte.
4.2.2. Différentes méthodes de programmation
Le calcul générique sur GPU a été grandement simplifié par les interfaces de programmations.
Elles permettent de s’affranchir de la chaîne de traitement graphique, représentée
en figure 4.4, au profit d’une exploitation directe des ressources des cartes. Le principe gé-
néral d’un calcul sur GPU est de traiter des données régulières (proches d’une image) dont
les algorithmes se décomposent selon un modèle hiérarchique en sous-blocs qui sont euxmêmes
constitués d’un ensemble de tâches élémentaires par unité de donnée. Il existe deux
grandes familles de modèles de programmation des GPU dont les principaux représentants
sont évoqués ci-après.
Programmation par directives
La programmation par directive sur GPU est très similaire à l’utilisation de l’interface
de programmation parallèle OpenMP pour les architectures à mémoire partagée. Les
standards de programmation les plus répandus sont HMPP, introduit par Dolbeau et al.
(2007), et OpenACC, qui est désormais inclus dans OpenMP depuis sa version 4.0 (2013).
Ils permettent d’exécuter des parties du code, le plus souvent des boucles, sur des accéléra-
754. Développement d’un code multiarchitectures
teurs par l’insertion de directives de compilation spécifiques. L’intérêt majeur de ce modèle
est de pouvoir utiliser ces accélérateurs sans avoir à réécrire le code concerné. Cependant
cela empêche une gestion fine de la transcription vers les instructions GPU, cette partie
du travail étant effectuée par le compilateur. Le support est généralement assuré par des
compilateurs commerciaux fournis notamment par CAPS Entreprise pour HMPP ou PGI
pour OpenACC. Toutefois, ce dernier est en cours l’intégration au compilateur libre GCC.
Programmation directe
À l’opposé de la famille précédente, se trouve la programmation utilisant un langage
spécifique. Il en existe plusieurs pour les GPU dont les plus utilisés sont CUDA (Nvidia,
2014) et OpenCL (Khronos, 2014). Le premier est développé par la société Nvidia pour
l’utilisation exclusive de ses cartes. Le second est un standard de programmation ouvert
permettant l’exploitation de processeurs multicœurs, que ce soit des processeurs traditionnels,
des cartes graphiques ou des coprocesseur. Les deux langages sont assez proches et se
basent sur un modèle de programmation qui reflète l’architecture du matériel. Cependant,
OpenCL bénéficie d’une portabilité bien plus grande car il permet d’exploiter non seulement
les cartes graphiques mais aussi les processeurs multicœurs. CUDA comme OpenCL
bénéficient d’interfaces performantes en Python (Klöckner et al., 2012).
4.2.3. Les modèles de programmation OpenCL
Le standard de programmation OpenCL permet de développer des modèles de parallé-
lisme par tâches et de données sur processeurs multicœurs. La librairie fournit une interface
de programmation de haut niveau permettant la gestion des calculs et des ressources ainsi
que le profilage des applications. Les calculs de bas niveau sont implémentés en un langage
basé sur le C99. Une application OpenCL se doit de définir les quatre modèles hiérarchiques
suivants. Les termes techniques sont systématiquement traduits dans cette partie
mais pourront être utilisés en anglais dans la suite.
Le modèle de plateforme
Du point de vue OpenCL, une plateforme est constituée d’un hôte (host) et de un ou
plusieurs appareils (devices). Ces derniers regroupent, de manière générique, bon nombre
de matériel multicœur comme les cartes graphiques mais aussi les processeurs classiques ou
les processeurs spécifiques. L’implémentation consiste en une partie de code exécutée par
la machine hôte (host) et capable d’envoyer et d’exécuter des noyaux de calcul (kernels)
aux appareils (devices). Le code des noyaux est compilé de manière spécifique aux appareils
sur lequel il sera exécuté. Les noyaux sont exécutés par les cœurs (processing elements) de
chaque unité de calcul (compute unit), ce qui reflète l’organisation matérielle des unités de
calculs d’un GPU, comme illustré par la figure 4.6.
764.2. Calcul générique sur carte graphique
Host
Device
Processing element
Compute unit
Figure 4.6. – Modèle de plateforme OpenCL
Le modèle d’exécution
On distingue deux catégories d’unités d’exécution : le programme exécuté par la machine
hôte et les noyaux. À chaque appareil (device) est associé une ou plusieurs files d’attente de
commandes dans lesquelles sont insérées les transferts de données et les appels aux noyaux.
Ces derniers sont définis par un état d’exécution (soumis, en attente, démarré, terminé,
. . .) dont les durées entre transitions sont mesurables par l’outil de profilage intégré. Des
dépendances entre les éléments peuvent être données explicitement, ce qui conduit à l’expression
d’un parallélisme par tâche à travers une exécution asynchrone. La caractéristique
principale est que chaque noyau est exécuté, par un cœur de calcul, comme une fonction
en un point d’un espace d’indice représenté sur la figure 4.7. Cet espace est décomposé en
un ensemble de groupes de travail (work-groups) contenant plusieurs éléments de travail
(work-items). À chaque élément de travail (work-item) est associé un cœur de calcul.
Espace global
Work-group
GX
GY
0 1 2 3· · ·
0 1 · · · NX
0
1
2
3
.
.
.
0
1
.
.
.
NY
· · ·
· · ·
· · ·
.
.
.
.
.
. .
.
.
0 1 2 · · ·
0
1
2
.
.
.
WX
WY
Figure 4.7. – Espace d’indices OpenCL. Espace 2D de taille GX ×GY impliquant NX ×NY
work-groups composés de WX × WY work-items, avec G• = N•W•
774. Développement d’un code multiarchitectures
L’espace d’indices est un espace cartésien mono-, bi- ou tridimensionnel. Chaque élément
de travail (work-item) est identifié de manière unique par ses coordonnées dans l’espace
global ou par le couple des coordonnées du groupe (work-group) et d’une coordonnée locale
au groupe (work-groups), comme illustré par la figure 4.7. Les tailles de l’espace global
et des groupes de travail sont données en paramètres à chaque exécution d’un noyau. Le
parallélisme de données est obtenu en reliant l’espace d’indices et l’indexation des données.
Différents niveaux de synchronisation sont possibles. L’exécution des éléments de travail
(work-items) est concurrente au sein d’un groupe (work-group). Il est possible de synchroniser
les éléments au sein d’un même groupe à l’aide de barrières. Par contre il est impossible
de synchroniser les groupes entre eux, de même qu’il n’est pas possible de spécifier l’ordre
dans lequel ils seront exécutes ni de savoir lesquels seront exécutés simultanément. Du côté
de l’hôte, la synchronisation globale se fait par l’intermédiaire de la file d’attente et de l’état
de chaque noyau de calcul.
Le modèle de mémoire
Dans ce modèle, la mémoire de l’hôte est dissociée de celle des appareils. Cette dernière
est décomposée en quatre région distinctes :
Globale : niveau le plus haut, il est partagé en lecture et écriture par tous les éléments
de travail de tous les groupes (∼ 1 GByte).
Constante : mémoire accessible en lecture seule par les éléments de travail au cours de
l’exécution. De taille assez faible, elle permet de stocker des constantes numériques
(∼ 10 kByte).
Locale : niveau intermédiaire partagé au sein d’un groupe de travail. Ce niveau peut être
utilisé explicitement comme un cache (∼ 10 kByte).
Privée : niveau le plus bas, il est dédié à un élément de travail et inaccessible aux autres
(< 1 kByte).
La mémoire globale ne peut contenir que des Buffers ou des Images. Les premiers sont
des zones mémoires contiguës destinées à un usage générique comme un tableau d’éléments.
Les seconds sont stockés dans la mémoire dédiée aux textures sous la forme d’une structure
de données complexe et dont les accès, en lecture seule ou écriture seule, sont gérés par des
fonctions OpenCL prédéfinies. Ce modèle hiérarchique est schématisé en figure 4.8. Comme
nous le verrons par la suite, une gestion précise des transferts de données entre ces différents
niveaux de mémoire est fondamentale pour l’amélioration les performances.
Le modèle de programmation
Afin d’exploiter tous les modèles définis précédemment, une application OpenCL se
décompose selon trois couches dont il est nécessaire de décrire tous les niveaux. Au niveau de
la plateforme, le programme hôte explore l’architecture disponible et un contexte OpenCL
doit être créé afin de lier le ou les appareils utilisés avec l’hôte et pour créer les files de tâches
associées à chaque appareil. Le compilateur OpenCL permet de compiler les sources des
noyaux de calcul spécifiquement pour un appareil ciblé. Au niveau des modèles de mémoire
et d’exécution, le programme est constitué de la gestion des files d’évènements ainsi que de
784.2. Calcul générique sur carte graphique
Mémoire globale du système
host
Mémoire globale Constante
device
work-group
Mémoire locale
P.
w.i.
P.
w.i.
P.
w.i.
P.
w.i.
Figure 4.8. – Modèle hiérarchique OpenCL pour la mémoire
transferts de données entre les mémoires de l’hôte et des appareils. Un schéma d’exécution
est représenté en figure 4.9. Dans l’idéal, la conception des algorithmes doit permettre une
gestion asynchrone des évènements afin de maximiser l’utilisation des composants. Cette
dernière est maximale lorsque des calculs sont effectués simultanément sur les appareils et
sur l’hôte ainsi que pendant des transferts de données.
. . .
Initialisation OpenCL
Compilation
Transferts
Exécution des kernels
Calculs
Host
Device
Création de la
file d’exécution
Figure 4.9. – Schéma d’exécution OpenCL
La figure 4.9 représente les durées d’exécution à titre d’illustration car les proportions
entre les différentes étapes ne reflètent pas nécessairement les temps observés dans une
application.
794. Développement d’un code multiarchitectures
4.2.4. Analyse de performances par le modèle roofline
En préambule à l’étude des performances de l’implémentation, il est nécessaire d’explorer
les performances atteignables par le matériel. Le code est développé et exploité sur
différents types de machines depuis un portable jusqu’à un serveur de calcul. Une partie des
caractéristiques techniques des cartes graphiques sur lesquelles le code a été exploité sont
présentées dans le tableau 4.1. Les deux premières cartes sont comparables et ont permis
essentiellement les développements du début de ce travail. La carte K20m est bien plus
récente que les deux autres et bénéficie de technologies bien plus avancées.
Carte AMD Radeon AMD Radeon Nvidia
HD 6770M HD 6900 Series K20m
Type de machine portable bureau serveur
Date de mise sur le marché 01/2011 12/2010 01/2013
Taille mémoire (GByte) 1 1 5
Bande passante max. (GByte/s) 57.6 160 208
Puissance (SP) (GFLOPS) 696 2 253 3 519
Puissance (DP) (GFLOPS) Non supporté 563 1 173
Tableau 4.1. – Comparaison de différentes cartes graphiques
Les études de performances des noyaux de calcul présentées dans la suite sont réalisées
à travers le modèle roofline introduit en section 1.2.2. Nous donnons ici le modèle pour
les cartes Radeon 6770M et K20m sur les figures 4.10 en utilisant les données théoriques
mais aussi des mesures de performances par des programmes de test. Les deux données
nécessaires à l’élaboration du roofline sont la bande passante maximale et la puissance de
calcul maximale. La première est obtenue à l’aide d’un kernel réalisant une copie d’un buffer
à un autre. La puissance maximale, quand à elle, est obtenue à partir d’un kernel ayant
une grande intensité opérationnelle. Le kernel que nous utilisons réalise 50 instructions
d’additions et multiplications sur 4 variables de type vecteur à 4 composantes en simple
ou en double précision, le tout dans une boucle de 20 itérations, soit 32 000 opérations par
work-item. Les performances mesurées sont résumées dans le tableau 4.2.
La capacité de certaines cartes graphiques à effectuer des calculs en double précision
est assez récente. La raison principale est que la précision numérique n’est pas une priorité
dans le cadre de l’affichage d’un contenu graphique. La principale contrainte est d’afficher
des images sur l’écran en un temps le plus court possible. Cela est poussé à l’extrême dans
certains modèles qui ne sont pas conformes à la norme IEEE 754 pour le calcul en virgule
flottante. Sur la majorité des cartes, des options de compilations spécifiques permettent
d’autoriser le compilateur à ne pas respecter cette norme. Toutefois, les cartes qui la supportent
possèdent généralement moins de cœurs capables de traiter la double précision que
de cœurs pour la simple précision ce qui conduit à des performances en double précision
bien inférieures à la simple précision.
Le mécanisme ECC, de l’anglais Error Correction Code, activé par défaut sur les cartes
Nvidia permet de vérifier et corriger, à l’exécution, les accès aux données en mémoire et ainsi
remédier à d’éventuelles erreurs dues à des facteurs extérieurs. Ce mécanisme consomme
804.2. Calcul générique sur carte graphique
Théorique
Mesuré
Mesuré (sans ECC)
Simple précision
Double précision 101
102
103
104
1 10 100
Puissance maximale (GFLOPS)
Intensité opérationnelle (FLOP/Byte)
(a) ATI Radeon 6770M
101
102
103
104
1 10 100
Puissance maximale (GFLOPS)
Intensité opérationnelle (FLOP/Byte)
(b) Nvidia K20m
Figure 4.10. – Modèle roofline
Bande passante (GByte/s) ATI Radeon 6770M Nvidia K20m
Théorique 57.6 208
Mesurée 36.9 (64%) 152 (73%)
ECC désactivé – 172 (83%)
Puissance, simple précision (GFLOPS)
Théorique 696 3 519
Mesurée 632 (91%) 3 350 (95%)
Puissance, double précision (GFLOPS)
Théorique – 1 173
Mesurée – 1 173 (100%)
Tableau 4.2. – Performances mesurées.
814. Développement d’un code multiarchitectures
12.5% de la mémoire de la carte et réduit d’environ 12% la bande passante, comme le montre
les résultats du tableau 4.2.
Dans cette dernière partie, nous détaillons la mise en pratique de l’utilisation des cartes
graphiques dans la librairie de calcul ainsi que la principale mesure de performances.
4.3. Utilisation de cartes graphiques dans la librairie
L’implémentation de ces modèles de programmation est réalisée à travers le module
Python PyOpenCL et s’insère dans le diagramme de classe présenté en figure 4.2, page 69.
La figure 4.11 donne les nouvelles classes ainsi que leurs relations avec le modèle existant. Le
modèle de mémoire est implémenté dans la classe GPUDVariable et encapsule un pointeur
vers un objet mémoire GPU ainsi qu’une interface pour les transferts de données avec
l’hôte. Le modèle de plateforme est intégré dans la classe outil ClEnvironment et permet
de créer et de gérer les objets du le contexte et de la file d’attente des appareils ainsi que la
compilation du code OpenCL. Enfin, le modèle d’exécution est décrit par les interactions
entre les GPUDOperators. Les évènements créés par les appels aux kernels sont associés aux
variables et permettent d’exprimer un parallélisme par tâches. L’intérêt majeur de séparer
l’implémentation GPU dans un module distinct est de pouvoir s’affranchir de cette partie
du code sur les machines dépourvues d’accélérateurs et d’implémentation OpenCL et ainsi,
garantir une portabilité suffisante à la librairie. D’autre part, grâce à cette séparation, un
module GPU basé sur le langage CUDA, par exemple, pourrait être intégré à la librairie
sans aucun impact sur le reste du code.
Nous démontrons ici la simplicité d’ajout de la prise en compte d’une nouvelle architecture
particulière à la librairie de calcul. En effet, seuls les éléments dépendants de cette
architecture sont à implémenter.
Conclusion
Dans ce chapitre nous avons obtenu une librairie de calcul présentant une grande souplesse
d’utilisation ainsi qu’une forte capacité d’adaptation à des architectures hétérogènes,
comme les GPU. L’obtention de ces caractéristiques est possible à travers l’utilisation d’un
paradigme de programmation orientée objet ainsi qu’une conception basée sur une stratégie
de découpage sémantique des concepts mathématiques exprimés à travers différents niveaux
d’abstraction. La librairie ainsi conçue permet une grande flexibilité pour le développement
grâce à un faible couplage des différentes parties et à une forte cohésion à travers les niveaux
d’abstraction. Le choix du langage de programmation a été fait en fonction des caractéristiques
de la librairie, qui s’expriment à travers la conception, et les objectifs d’utilisation
du code. Ainsi, le choix s’est porté sur le langage Python dont un des avantages est de
proposer de nombreux modules pour le calcul scientifique comme le module NumPy ainsi que
des interfaces vers des librairies externes comme les modules PyOpenCL pour OpenCL et
MPI4Py pour MPI
824.3. Utilisation de cartes graphiques dans la librairie
Operators Variables
Tools
<>
DOperator <>
NumMethod
DVariable
<>
GPUDOperator
opencl environment
GPUDVariable
gpu data
to host
to device
ClEnvironment
opencl platform
opencl device
opencl context
opencl queue
build sources
GPUKernel
sources
opencl program
compute
CL sources
n
1
n
build
GPU
Figure 4.11. – Diagramme de classe pour le module GPU
L’exploitation des cartes graphiques semble pertinent au regard des reports de puissance
de calcul développée dans la littérature que ce soit de manière théorique par le matériel
en lui-même ou à travers des applications concrètes. Comme nous le verrons dans le chapitre
5, la structure de donnée nécessaire à la mise en œuvre de la méthode particulaire
avec remaillage s’adapte bien à un traitement par cartes graphiques. D’autre part, les sché-
mas numériques associés à la méthode sont compacts et locaux du fait de l’utilisation du
splitting dimensionnel. Le traitement d’un point ne requiert seulement que quelques points
voisins dans une seule direction de l’espace. Enfin, la majeure partie des opérations du remaillage
consistent en des additions et multiplications en nombre réels qui sont effectuées
de manière très efficace par les cartes graphiques.
835. Mise en œuvre sur cartes
graphiques
La méthode numérique, exposée au chapitre 2, semble bien adaptée à l’utilisation de
cartes graphiques dont les principales caractéristiques ainsi que les techniques d’exploitation
ont été détaillés au cours du chapitre 4. L’objectif de ce chapitre est, dans un premier
temps, de présenter les différentes implémentations existantes de méthodes particulaires
avec remaillage sur cartes graphiques afin d’identifier leurs avantages et inconvénients. À
travers l’exploration des travaux existants, l’accent est mis sur les interpolations entre les
particules et le maillage. Une progression se dégage de l’évolution de l’exploitation des
matériels depuis 2008. En effet, les travaux les plus anciens se basent essentiellement sur
les primitives propres au traitement d’images à travers la chaîne de rendu graphique alors
que la tendance actuelle est plutôt à utiliser des structures de données génériques, moins
dépendantes du matériel.
Dans un second temps, nous détaillerons les choix effectués dans le cadre spécifique de la
méthode semi-Lagrangienne d’ordre élevé avec splitting dimensionnel. Ces différents choix
ne dépendent pas du matériel utilisé mais s’appliquent à n’importe quelle carte graphique.
Ainsi, nous conservons le caractère portable de notre code. Une grande partie de ce chapitre
est dédiée à l’étude des performances des principales fonctions des algorithmes issus de la
méthode et de l’impact des optimisations réalisées. Ces dernières sont présentées dans le
cadre concret de la carte graphique K20m mais, dans un souci de portabilité, elles ne sont
généralement appliquées que lors de l’exécution, pendant la phase d’initialisation. En effet,
nous exploitons un des aspects de la programmation sur GPU qui consiste à compiler le
code à l’exécution. Ainsi, le code est développé de manière générique puis, après une prise
de connaissance de la carte employée et de ses caractéristiques, certaines optimisations sont
activées pour la compilation. Sans implémenter une auto-optimisation du code, cette étape
nous permet d’adapter, entre autres, les tailles de l’espace d’indices OpenCL, la charge par
work-item ou encore le schéma d’accès aux données aux spécifications de la carte utilisée.
Enfin, nous illustrerons l’utilisation de la méthode de résolution sur quelques exemples
simples de transport de scalaire en 2D et 3D. Ces exemples permettent une validation de
la méthode de manière qualitative ainsi qu’une description de la répartition des temps de
calcul en vue d’éventuelles optimisations plus poussées.
855. Mise en œuvre sur cartes graphiques
5.1. Implémentations GPU de méthodes
semi-Lagrangiennes
5.1.1. Méthodes semi-Lagrangiennes
Une première implémentation sur GPU d’une méthode semi-Lagrangienne a été proposée
par Rossinelli et al. (2008) pour la simulation de fluides incompressibles en 2D. La diffusion
et l’équation de Poisson sont résolues par différences finies sur la grille et les particules
sont transportées de manière Lagrangienne puis remaillées à l’aide d’une formule du second
ordre M0
4
. Cette implémentation se base sur l’utilisation de la mémoire de textures. Cette
mémoire spécifique aux GPU permet un stockage de pixels de telle sorte que les données
voisines correspondent aux pixels voisins en 2D. Les particules sont représentées par des
pixels où les composantes RGB sont associées respectivement aux positions et la vorticité
des particules. Les auteurs montrent une performance globale de 10 itérations par seconde
pour un problème de taille 1 0242
en simple précision en utilisant une méthode de RungeKutta
du second ordre.
Plus récemment, Rossinelli et al. (2010) présentent des résultats pour des simulations
2D d’écoulements en présence d’obstacles solides. La méthode employée est similaire à celle
utilisée précédemment avec l’ajout de la prise en compte des obstacles par une méthode
de pénalisation. Là encore, le remaillage est effectué par la formule M0
4
en utilisant les
fonctions intrinsèques OpenGL pour le rendu graphique et des textures sont utilisées pour
le stockage des données. L’équation de Poisson est résolue par un solveur spectral utilisant
l’implémentation de la FFT fournie par Nvidia en CUDA dont la résolution occupe 96%
du temps de calcul total. Les simulations considérées pour ces études de performances
impliquent jusqu’à 2 0482 particules en simple précision.
L’inconvénient majeur de l’utilisation des textures est que les données sont arrangées
en tableaux de structures. Ce stockage n’est pas le plus approprié pour des opérations
n’impliquant pas toutes les composantes des éléments. D’autre part, les équivalents 3D de
cette mémoire sont uniquement proposés par les dernières générations de cartes graphiques.
Ainsi, le passage à une méthode de résolution de problèmes 3D nécessite une attention
particulière pour l’exploitation de structures de données essentiellement 2D.
5.1.2. Deux types d’interpolations
Les méthodes semi-Lagrangiennes utilisent deux algorithmes majeurs pour les interactions
entre les particules et le maillage basés sur des interpolations. Une interpolation
maillage-particule permet d’évaluer sur les particules une quantité connue sur le maillage et
inversement pour une interpolation particule-maillage. Le premier type d’interpolation est
utilisé lors de l’advection des particules pour connaître leur vitesse alors que le remaillage
exploite le second type. Stantchev et al. (2008) introduisent les stratégies particle-push
et particle-pull pour réaliser l’étape d’interpolation particule-maillage. Ces deux stratégies
diffèrent au niveau de l’organisation de la charge de travail. La première consiste en un traitement
centré sur les particules dont le principe est de les remailler sur les points de grille
de leur voisinage. Elle permet un calcul simple des points de grille contenus dans le support
865.1. Implémentations GPU de méthodes semi-Lagrangiennes
de la particule à partir de ses coordonnées et permet également, dans un cas tensoriel, une
réutilisation des poids de remaillage. Cependant, des accès conflictuels en mémoire peuvent
survenir lors du traitement en parallèle de plusieurs particules situées dans la même cellule.
La seconde est centrée sur le maillage de telle sorte qu’en chaque point de grille on agrège
les contributions des particules voisines. Le seul avantage de la seconde stratégie est de ne
pas conduire à des accès concurrents en mémoire. Dans cette stratégie, une recherche des
particules les plus proches est nécessaire.
Les méthodes de type particle-in-cell sont basées sur ces interpolations. Pour les interpolations
particule-maillage, la majeure partie des implémentations exploitent des stratégies
particle-pull et relaxent les éventuels problèmes d’accès concurrents par un regroupement
des particules voisines en blocs qui sont traités de manière séquentielle par un même processus.
Ainsi, un tri des particules à deux niveaux est nécessaire, d’abord par blocs puis au
sein d’un bloc. Différentes techniques sont employées comme par exemple le maintien d’une
structure de données triée (Rossi et al., 2012) ou un tri à chaque itération (Kong et al.,
2011). Quelque soit la méthode employée pour le tri, cela implique des réarrangements de
données au gré des déplacements des particules afin d’assurer un haut niveau de localité des
données. Les interpolations de type maillage-particule sont plus simples à mettre en œuvre
puisque l’interpolation se fait sur la grille dont la structure est régulière.
Pour ce qui est des méthodes particulaires avec remaillage, les premières implémentations
GPU exploitaient les primitives OpenGL du rendu graphique. En particulier, Rossinelli et
al. (2008) montrent que le remaillage des particules est bien plus efficace, avec une facteur
d’accélération de 1.5, lorsque qu’il est effectué par le moteur de rendu OpenGL plutôt que
par une implémentation CUDA. Cette implémentation se base sur des objets point-sprites
permettant la génération d’une texture contenant, après exécution du rendu en chaîne, les
sommes des contributions de l’ensemble des point-sprites. Ainsi, l’étape exécutée par le
fragment processor consiste à calculer les pixels de la texture par la formule de remaillage
en fonction de la distance aux point-sprites et de leur valeur. Les auteurs soulignent ici un
inconvénient de l’utilisation du langage CUDA qui est de ne pas permettre une exploitation
des fonctionnalités natives du matériel, en particulier les opérations du rendu graphique.
L’étape du vertex processeur permet, en amont du remaillage, de traiter les conditions aux
bords périodiques par une réplication des particules situées à proximité des bords ainsi que
d’écarter les particules transportant une quantité nulle ou inférieure à un certain seuil.
Cette approche est ensuite complétée (Rossinelli et al., 2010) pour le cas de domaines
ouverts. Les auteurs traitent les particules quittant le domaine local en les écartant au
moment de l’étape du vertex processor qui précède le remaillage. D’autre part, dans leur
implémentation, un remaillage systématique est effectué à chaque itération ce qui fait que
les particules sont toujours situées sur un point de grille au début de l’étape d’advection
et permet ainsi d’éviter une interpolation maillage-particule du champ de vitesse. Une
interpolation reste nécessaire pour la seconde étape du schéma d’intégration Runge-Kutta
du second ordre.
Une étude spécifique de l’interpolation maillage-particule est menée par Rossinelli et al.
(2011) sur des architectures multicœurs CPU et GPU. Comme précédemment, l’implémentation
GPU se base sur un stockage des particules en mémoire de textures. Les données
d’une même particule ne sont plus stockées dans un pixel mais par composantes dans plusieurs
textures. Chaque pixel contient les données de quatre points de grille dans la direction
875. Mise en œuvre sur cartes graphiques
des pixels. Dans leur étude, les auteurs utilisent la formule M0
4 pour une interpolation tensorielle
en 2D. Ainsi dans un traitement ligne par ligne, deux pixels consécutifs contiennent
nécessairement toute l’information pour traiter une particule. Parmi les 8 données lues,
seules 4 sont nécessaires, les auteurs utilisent des poids booléens afin de s’affranchir de
branchements conditionnels. L’inconvénient de cette approche est qu’il est nécessaire de
charger en mémoire 8 éléments (2 pixels) dans la direction des pixels pour n’utiliser que les
quatre éléments du support de la particule. Les auteurs atteignent 72% de la performance
maximale atteignable en simple précision et les performances chutent fortement en double
précision.
Plus récemment, Büyükkeçeci et al. (2012) réalisent une étude des deux types d’interpolations
maillage-particule et particule-maillage basées sur des stratégies respectivement
mesh-pull et particle-push ce qui conduit à des algorithmes centrés sur les particules dans
les deux cas. Les auteurs proposent une implémentation générique dans laquelle les particules
sont réarrangées dans une structure de donnée hiérarchique permettant un stockage
contigu des particules de la même région de l’espace. Cette structure se base sur un traitement
séquentiel des particules dans une même cellule en utilisant autant de copies du
domaine que du nombre maximal de particules par cellule. Cela conduit à n’avoir qu’une
seule particule par cellule et par copie ainsi que des cellules vides. Les cellules vides sont
peuplées de particules factices, écartées à la fin de l’interpolation, ce qui permet d’éviter des
branchements conditionnels. Des études systématiques de performances sont réalisées sur
plusieurs cartes graphiques pour chaque interpolation avec des formules linéaire ou M0
4
et
pour des problèmes 2D et 3D. Les auteurs soulignent que les meilleures performances sont
obtenues pour les cas 3D utilisant la formule M0
4
. Ils montrent des accélérations significatives
du temps de calcul entre leur implémentation GPU et une référence multicœur CPU.
Même si cette implémentation est efficace, les performances globales restent limitées par
l’intégration à la librairie PPM. En effet, l’utilisation de ce remaillage nécessite un transfert
des données en entrée ainsi que de retourner les résultats sur la mémoire de la machine hôte
avant de réaliser les autres parties de la résolution. Le facteur d’accélération obtenu est
généralement inférieur à 10, et même inférieur à 1 dans certains cas, en prenant en compte
ce temps de transfert.
À partir des différentes implémentations existantes de méthodes semi-Lagrangiennes et
en particulier des interpolations entre le maillage et les particules, nous proposons une implémentation
qui exploite les différents aspects inhérents à la méthode considérée. En effet,
l’utilisation d’un splitting dimensionnel est à l’origine de bon nombre de choix présentés
dans ce qui suit. Les données sont stockées dans des tableaux classiques, sans aucune utilisation
de structures de données spécifiques aux cartes graphiques comme les textures ou
les pixels. Après une description de ces choix, nous présentons les performances de chaque
fonction de la méthode pour la carte Nvidia K20m. La restriction à une seule carte permet
de simplifier la présentation des résultats et l’extension à d’autres cartes se fait par
adaptation des configurations aux caractéristiques techniques de ce nouveau matériel. Les
performances sont données dans les métriques adaptées à chaque cas.
885.2. Implémentation et performances
5.2. Implémentation et performances
5.2.1. Adéquation de la méthode au matériel
Les implémentations réalisées dans le cadre de ce travail sont basées, à l’instar de
Büyükkeçeci et al. (2012), sur des stratégies mesh-pull pour les interpolations de type
maillage-particule ainsi que particle-push pour le type particule-maillage. Toutefois, l’utilisation
d’un splitting dimensionnel nous permet d’envisager l’emploi de formules de remaillage
d’ordre élevé ayant un large support. Du point de vue de l’implémentation, cela conduit à un
algorithme avec une localité des données plus forte que dans le cadre de méthodes classiques.
En effet, le traitement d’une donnée (particule ou point de grille) ne nécessite que quelques
données voisines uniquement dans la direction courante. La méthode revient à la résolution
de nombreux sous-problèmes monodimensionnels ce qui pousse naturellement à l’emploi
d’une structure de donnée également 1D. Ainsi, nous utilisons des objets mémoire linéaires
comme les buffers qui correspondent à des tableaux classiques. Le découpage par splitting
dimensionnel permet également de considérer séparément les composantes des vecteurs, en
particulier de la vitesse, lors de l’étape d’advection. Nous employons donc une structure de
donnée en tableaux par composantes et non pas en tableau de structures. En pratique les
composantes d’un vecteur sont stockées sous la forme de plusieurs tableaux de scalaires.
Dans la suite de cette thèse, nous prenons comme convention, sans que cela n’implique
aucune restriction, que les données sont stockées dans un ordre en colonne, à l’instar
du langage Fortran. Le stockage monodimensionnel des données d’un tableau de taille
(NX, NY , NZ) dans un espace de taille NX × NY × NZ est illustré en figure 5.1.
. . .
. . . . . .
. . .
.
.
.
.
.
.
NX
NZ
NY
Tableau 3D : (NX, NY , NZ ) ←→ Tableau 1D : NX × NY × NZ
Figure 5.1. – Convention de stockage des données multidimensionnelles
Ainsi, lors des différentes étapes de splitting, le traitement de la première direction de
stockage des données conduit à des accès contigus en mémoire. Ce qui n’est plus le cas lors
du traitement des autres directions. Afin d’éviter une dégradation des performances due
à ces accès, nous mettons en place des transpositions des données pour le traitement des
différentes directions de l’espace. En effet, les performances des accès en mémoire globale
sont généralement plus faibles lors d’accès avec un saut, même constant, comme représenté
par les flèches vertes et bleues sur la figure 5.1. Ainsi, l’accès aux données est toujours
contigu en mémoire pour toutes les directions. Ce choix conduit à trois remarques à propos
de la mise en œuvre de ces transpositions. Premièrement, le champ de vitesse u n’est
895. Mise en œuvre sur cartes graphiques
utilisé que composantes par composantes dans les étapes de splitting. Lors de l’advection
dans la direction X, seule la composante uX est utilisée. Par conséquent, les composantes
des vecteurs, en particulier de la vitesse, sont toujours stockées de manière a avoir un
accès contigu dans la direction concernée. Deuxièmement, les positions des particules à
l’issue de l’étape d’advection ne changent que dans leur composante correspondant à la
direction courante, les autres composantes restent inchangées car le déplacement est 1D.
Cela nous permet de réduire le vecteur position des particules à un scalaire correspondant
à la composante de la direction courante et ainsi de réduire l’emprunte mémoire de la
méthode. Enfin, en dehors des transpositions, toutes les directions sont traitées de manière
identique. En pratique, le même code s’applique dans toutes les directions moyennant une
paramétrisation des dimensions des tableaux dans les cas de grilles non cubiques.
Comme nous l’avons détaillé au chapitre 2, les trois étapes de résolution consistent en
une initialisation en chaque point de grille, un déplacement puis un remaillage des particules.
Lors de l’étape d’initialisation, la position des particules est directement donnée par
la coordonnée du point de grille associé et la quantité transportée par la particule est simplement
une copie de la valeur au point de grille. Ainsi dans notre implémentation, cette
initialisation est remplacée par une transposition lorsque la direction courante change. En
effet, une simple copie suffit dans le cas contraire car les données sont déjà dans le bon
ordre de stockage.
Les algorithmes 1 à 4 détaillent les étapes d’une itération complète de la méthode. Les
données manipulées sont limitées aux composantes du champ de vitesse, aux valeurs sur la
grille des quantités transportées, à un scalaire pour la position des particules et aux valeurs
transportées par les particules. La figure 5.2 illustre l’algorithme 2 dans le cas d’un splitting
du second ordre en 2D et pour un domaine rectangulaire. Les données manipulées par les
opérations d’advection et de remaillage pour un sous-problème 1D sont représentées par
une bande rouge verticale dans les tableaux.
Algorithme 1 : 2D, splitting d’ordre 1
Direction X :
1. u˜ ← Copie (u)
2. x˜ ← Advection (dt, aX)
3. u ← Remaillage (x˜, u˜)
Direction Y :
4. u˜ ← TranspositionXY (u)
5. x˜ ← Advection (dt, aY )
6. u ← Remaillage (x˜, u˜)
Réarrangement des données :
7. u˜ ← TranspositionXY (u)
8. u ← Copie (u˜)
Algorithme 2 : 2D, splitting d’ordre 2
Direction X :
1. u˜ ← Copie (u)
2. x˜ ← Advection (dt/2, aX)
3. u ← Remaillage (x˜, u˜)
Direction Y :
4. u˜ ← TranspositionXY (u)
5. x˜ ← Advection (dt, aY )
6. u ← Remaillage (x˜, u˜)
Direction X :
7. u˜ ← TranspositionXY (u)
8. x˜ ← Advection (dt/2, aX)
9. u ← Remaillage (x˜, u˜)
Dans tous les algorithmes (1 à 4), les deux premières étapes de chaque direction sont
indépendantes. Ainsi, lors de l’exécution, un parallélisme par tâches pourra être exprimé
et conduira à une exécution simultanée des étapes d’advection et des étapes de copie et
de transposition. Une étape de réarrangement des données apparaît en fin d’algorithme
905.2. Implémentation et performances
Algorithme 3 : 3D, splitting d’ordre 1
Direction X :
1. u˜ ← Copie (u)
2. x˜ ← Advection (dt, aX)
3. u ← Remaillage (x˜, u˜)
Direction Y :
4. u˜ ← TranspositionXY (u)
5. x˜ ← Advection (dt, aY )
6. u ← Remaillage (x˜, u˜)
Direction Z :
7. u˜ ← TranspositionXZ (u)
8. x˜ ← Advection (dt, aZ)
9. u ← Remaillage (x˜, u˜)
Réarrangement des données :
10. u˜ ← TranspositionXZ (u)
11. u ← TranspositionXY (u˜)
Algorithme 4 : 3D, splitting d’ordre 2
Direction X :
1. u˜ ← Copie (u)
2. x˜ ← Advection (dt/2, aX)
3. u ← Remaillage (x˜, u˜)
Direction Y :
4. u˜ ← TranspositionXY (u)
5. x˜ ← Advection (dt/2, aY )
6. u ← Remaillage (x˜, u˜)
Direction Z :
7. u˜ ← TranspositionXZ (u)
8. x˜ ← Advection (dt, aZ)
9. u ← Remaillage (x˜, u˜)
Direction Y :
10. u˜ ← TranspositionXZ (u)
11. x˜ ← Advection (dt/2, aY )
12. u ← Remaillage (x˜, u˜)
Direction X :
13. u˜ ← TranspositionXY (u)
14. x˜ ← Advection (dt/2, aX)
15. u ← Remaillage (x˜, u˜)
dans les cas d’un splitting du premier ordre. Cette étape est nécessaire pour retrouver le
scalaire dans l’ordre de stockage initial de l’algorithme, afin de rendre ces transformations
transparentes. En effet, dans tous les cas, les données du scalaire sur la grille sont stockée
en fin d’algorithme dans le même ordre qu’au début.
Les kernels sont donc développés indépendemment de la direction de résolution. Nous
séparons les développements de kernels de l’étape d’initialisation de ceux du calcul. Les
premiers regroupent les opérations de copie et les transpositions qui ne nécessitent aucun
calcul. Leurs performances sont analysées en terme de bande passante. Les performances
des seconds sont données dans le modèle roofline.
5.2.2. Préambule à l’étude des performances
Sauf mention contraire, dans la suite de ce chapitre, nous présenterons des résultats en
double précision pour la carte Nvidia K20m.
En l’absence d’outils d’optimisation automatique, nous exploitons les caractéristiques du
matériel pour paramétrer les exécutions des kernels. En particulier, le lien entre la taille des
données et l’espace d’indice OpenCL ne suffit pas à déterminer complètement le nombre et
la taille des work-groups. Dans l’état actuel de la librairie, cette paramétrisation des noyaux
est réalisée de manière explicite pour les différents cas d’utilisation tels que le nombre de
dimensions du problème, la précision utilisée et le matériel employé. Les paramètres donnant
les meilleures performances ont été obtenus par petites variations autour de valeurs en
915. Mise en œuvre sur cartes graphiques
1. copie
2. advection
3. remaillage
4. Transposition XY
5. advection
6. remaillage
7. Transposition XY
8. advection
9. remaillage
Direction X, dt/2
Direction Y , dt
Direction X, dt/2
X
Y
Y
X
X
Y
Grille : Particules :
Vitesse
Scalaire Scalaire
Positions
Figure 5.2. – Algorithme pour une itération en 2D, splitting de Strang
925.2. Implémentation et performances
adéquation avec le matériel. Le tableau 5.1 rappelle et détaille les principales caractéristiques
pour la carte K20m. Le vocabulaire employé dans ce tableau est celui du langage CUDA pour
les cartes Nvidia. Pour les cartes ATI, l’architecture est similaire et les warps sont appelés
wavefronts. D’autre part les termes thread et thread block sont les équivalents CUDA de ce
que sont les work-items et work-groups pour OpenCL.
Puissance double (simple) précision 1 173 (3 519) GFLOPS
Cœurs double (simple) précision 832 (2496)
Bande passante 208 GByte/s
Multiprocesseurs (MP) 13
Cœurs double (simple) précision par MP 64 (192)
Mémoire partagée par MP 48 kByte
Registres 32-bit par MP 65536
Nb. Threads par warp 32
Nb. max. de warps par MP 64
Nb. max. de threads par MP 2048
Nb. max. de thread blocks par MP 16
Nb. max. de registres par thread 255
Nb. max. de threads par thread blocks 1024
Tableau 5.1. – Caractéristiques techniques de la carte Nvidia K20m (Nvidia, 2012b ;
Nvidia, 2012a)
De manière générale l’obtention de bonnes performances sur GPU se fait en considérant
finement les caractéristiques du matériel. Comme nous l’avons souligné précédemment, la
mesure des performances se fait par diverses métriques souvent complémentaires comme
la puissance de calcul ou la bande passante. L’occupation est une métrique spécifique aux
cartes graphiques qui permet de mesurer l’utilisation des multiprocesseurs. Lors de l’exécution
d’un kernel, les work-item sont associés aux cœurs physiques de la carte par groupes
constituant un warp. Les multiprocesseurs possèdent un planificateur permettant une exé-
cution simultanée de plusieurs warps. L’occupation est donc simplement le rapport entre le
nombre de warps exécutés simultanément par multiprocesseur et le nombre maximal supporté.
Ainsi, lors d’une exécution d’un kernel, la spécification de l’espace d’index ainsi que la
quantité de mémoire partagée et le nombre de registres utilisés peuvent limiter l’occupation.
Des outils de calcul d’occupation sont proposés à la fois par Nvidia 1
et AMD 2
. Le calcul de
l’occupation nécessite la connaissance du nombre de registres utilisés par work-item. Cette
information peut être obtenue par l’analyse des binaires produits par les compilateurs pour
une carte spécifique. L’option de compilation -cl-nv-verbose permet d’obtenir ce nombre
lors de la compilation avec OpenCL sur une carte Nvidia.
Toutefois, comme le montre Volkov (2010) sur des exemples simples, la maximisation de
l’occupation ne permet pas toujours de maximiser les performances. En effet, le temps que
les unités de calculs mettent à effectuer les opérations arithmétiques ou à réaliser un accès en
mémoire peut être exploité afin d’augmenter les performances. La latence arithmétique peut
1. http://developer.download.nvidia.com/compute/cuda/CUDA_Occupancy_calculator.xls
2. http://developer.amd.com/tools-and-sdks/archive/amd-app-profiler/user-guide/
app-profiler-kernel-occupancy/
935. Mise en œuvre sur cartes graphiques
être cachée en augmentant la charge de travail par work-item afin de bénéficier d’opérations
non interdépendantes pouvant être exécutées simultanément. De même, il est possible de
cacher la latence mémoire en utilisant d’avantage de registres et en réduisant le nombre
de work-item. Ces optimisations au niveau des instructions (Instruction Level Parallelism)
impliquent généralement une augmentation du nombre de registres et une diminution du
nombre de work-item ce qui peut conduire à une diminution de l’occupation. De manière
générale, il n’est pas possible de connaître a priori quelles optimisations sont préférables
entre les instructions et l’occupation. C’est pourquoi dans les résultats qui vont suivre,
les noyaux n’ont pas été optimisés systématiquement à différents niveaux. De plus, dans
un souci de portabilité et de non spécialisation à une carte en particulier, les optimisations
restent générales et basées uniquement sur les connaissances des caractéristiques techniques.
5.2.3. Initialisation des particules
Les étapes d’initialisation des particules se caractérisent par une absence totale de calculs.
Les opérations consistent uniquement en des transferts de données. Ainsi, les performances
sont mesurées en terme de bande passante.
Copie
Cette opération consiste en une simple copie des données entre deux zones mémoire. Une
fonction de copie directe est proposée par l’interface OpenCL. Dans cette comparaison, nous
utilisons la fonction clEnqueueCopyBuffer pour la copie d’un buffer complet vers un autre.
La figure 5.3 illustre le fonctionnement simple de ce kernel. La copie est réalisée directement
par blocs successifs, en pointillés sur la figure. Chaque bloc est traité par un work-group
dont les work-items, en pointillés, traitent un seul élément du tableau. La taille du workgroup
est fixée à 256 work-item ce qui permet d’atteindre une occupation maximale avec 8
warps par multiprocesseur.
Entrée Sortie
Figure 5.3. – Fonctionnement du kernel de copie
La figure 5.4 présente les performances atteintes par le kernel et la fonction OpenCL
pour différentes tailles de tableaux en 2D (5.4a) et 3D (5.4b). Les résultats obtenus sont
comparables et atteignent la bande passante maximale mesurée dès lors que la taille des
tableaux est suffisamment grande. En effet, l’exécution sur des données trop petites ne
permettent pas une occupation maximale de la carte et donc conduit à de mauvaises performances.
Ainsi, nous donnons les performances pour les petites tailles, inférieures à 10242
ou à 1283
, seulement à titre indicatif.
945.2. Implémentation et performances
OpenCL clEnqueueCopyBuffer kernel
0
10
20
30
40
50
60
70
80
322
1282
5122
20482
81922
Max.
0
20
40
60
80
100
120
140
160
10−2
10−1
1 101
102
103
% bande passante théorique
Bande passante (GByte/s)
Taille des tableaux
(MByte)
(a) 2D
0
10
20
30
40
50
60
70
80
323
643
1283
2563
5123
Max.
0
20
40
60
80
100
120
140
160
1 101
102
103
% bande passante théorique
Bande passante (GByte/s)
Taille des tableaux
(MByte)
(b) 3D
Figure 5.4. – Performances des copies
Transposition XY
Nous appelons transposition XY une transposition 2D dans le plan XY . Dans le cas de
données 2D, cela revient à une transposition classique. Cette opération est bien connue et
l’implémentation proposée ici se base sur l’exemple donné par Ruetsch et al. (2009) pour
la transposition d’une matrice de taille 2 0482
en simple précision. Les auteurs présentent
différentes optimisations permettant d’obtenir une bande passante pour la transposition
égale à 70% de celle obtenue pour une copie. Nous étendons cette approche à différentes
tailles de tableaux 2D et 3D en double précision. Pour les données 3D, une telle transposition
est effectuée pour chaque plan dans la direction Z.
La transposition optimale est schématisée en figure 5.5 et fait apparaître les trois niveaux
d’optimisation que nous détaillons ci-après. Les données représentées en rouge et en vert
sont traitées par les work-items d’un même work-group et une boucle permet de compléter
les sous-tableaux en pointillés.
Une transposition naïve, similaire au kernel de copie, réalisant une écriture directe dans
le tableau de sortie conduit à de très mauvaises performances. En effet, une telle implémentation
implique des accès en mémoire globale non contigus. Une solution consiste à utiliser
un tableau intermédiaire en mémoire partagée permettant de réaliser des accès contigus à
la fois en lecture et en écriture pour les tableaux en mémoire globale. Dans ce cas, l’écriture
des données en colonnes dans le tableau de sortie revient à lire des lignes en mémoire locale.
Cependant, cette approche provoque des conflits de banc lors de la lecture des données
en ligne dans la mémoire partagée. Ce phénomène vient du fait que la mémoire partagée
est organisée en différents bancs, dont le nombre est en général égal à 32. Ces bancs ne
permettent qu’un accès séquentiel aux données et on assiste à un conflit lorsque plusieurs
955. Mise en œuvre sur cartes graphiques
processus accèdent simultanément à des données situées dans le même banc, les accès sont
alors effectués de manière séquentielle. Du fait du choix de la taille de cette zone mémoire,
162 ou 322
, les données d’une même ligne sont situées dans le même banc. En suivant
l’exemple de Ruetsch et al. (2009), on alloue une zone de taille 17×16 ou 33×32 pour décaler
les données dans les bancs et ainsi avoir des accès sans conflits. Une autre approche consiste
à accéder aux données du tableau en mémoire partagée dans un système de coordonnées
diagonale (Baqais et al., 2013). Si x et y sont respectivement les indices de ligne et de colonne
du sous-tableau traité par un work-group, les données correspondantes sont stockées aux
indices x
0
et y
0 avec :
x
0 = (x + y)%T avec T la taille du sous-tableau,
y
0 = x.
Ainsi, les accès ne provoquent pas de conflits et la mémoire allouée est entièrement utilisée.
Cependant, cette approche n’a pas été envisagée pour l’instant car la version avec extension
du tableau conduit à des performances satisfaisantes. D’autre part, la réduction d’utilisation
de mémoire partagée n’est pas suffisamment importante pour influencer l’occupation de
manière significative.
Enfin, comme la mémoire partagée, la mémoire globale est organisée en partitions si
bien que le traitement simultanée d’une colonne de sous-tableaux conduit à la lecture de
données dans différentes partitions et à une écriture dans les même partitions. Une structuration
des sous-tableaux en coordonnées diagonales permet des accès non restreints à un
petit nombre de partitions (flèches pointillées sur la figure). Cependant, nos expérimentations
sur des cartes plus récentes que celles utilisées par Ruetsch et al. (2009) montrent
que ce réarrangement en diagonale ne conduit pas à une augmentation significative des
performances.
Mémoire
partagée
Entrée Sortie
Figure 5.5. – Fonctionnement du kernel de transposition XY
La figure 5.6 présente les performances obtenues pour les trois niveaux d’optimisation
de la transposition XY en 2D et 3D pour différentes tailles de tableaux ainsi qu’une implémentation
naïve. La mise en place de ces niveaux d’optimisation conduit à une bande
passante pour la transposition supérieure à 80% de la bande passante maximale mesurée
pour la copie.
965.2. Implémentation et performances
Naif
Mémoire partagée
Mémoire partagée élargie
Mémoire partagée élargie, coord. diagonales
0
10
20
30
40
50
60
70
80
322
1282
5122
20482
81922
Max.
0
20
40
60
80
100
120
140
160
10−2
10−1
1 101
102
103
% bande passante théorique
Bande passante (GBytes/s)
Taille des tableaux
(MByte)
(a) 2D
0
10
20
30
40
50
60
70
80
323
643
1283
2563
5123
Max.
0
20
40
60
80
100
120
140
160
1 101
102
103
% bande passante théorique
Bande passante (GBytes/s)
Taille des tableaux
(MByte)
(b) 3D
Figure 5.6. – Performances des transpositions XY
Lorsque la taille du sous-tableau alloué en mémoire partagée est fixé à 33 × 32, soit
8448Byte, et que les work-groups contiennent 512 work-items, 12 registres sont utilisés ce
qui conduit à une occupation maximale avec l’exécution simultanée de 4 work-groups par
multiprocesseurs.
Transposition XZ
Cette transposition est réalisée de manière similaire à la transposition XY comme illustré
en figure 5.7a. L’opération se réalise par le traitement de sous-tableaux 2D formés dans
les plans XZ successifs. Chacun de ces plans est traité séparément par plusieurs soustableaux
avec l’utilisation d’une mémoire partagée élargie et avec des coordonnées diagonales
pour les différents blocs. Cependant, bien que les accès soient contigus dans une même
colonne des sous-tableaux, le passage d’une colonne à une autre dans les tableaux 3D se fait
avec un saut bien plus important que pour la transposition XY . Ce phénomène pénalise
grandement les performances sur des cartes plus anciennes et une seconde transposition a
été implémentée par sous-tableau 3D, illustré par la figure 5.7b. Le principe reste le même
mais les données sont lues également dans la direction Y , avec un saut bien plus faible.
Comparativement à la version 2D, cela revient à réaliser les transpositions simultanées de
plusieurs plans XZ. Cependant, les dimensions de la zone en mémoire partagée imposent
une taille plus faible pour les work-groups.
Les performances de cette transposition sont représentées sur la figure 5.8. Il apparaît
clairement que l’utilisation d’une transposition par bloc 3D n’est pas optimale du fait d’une
trop faible occupation (16%) induite par une très grande taille de mémoire partagée par
975. Mise en œuvre sur cartes graphiques
Mémoire
partagée
Entrée Sortie
(a) Par tranches 2D
Mémoire
partagée
Entrée Sortie
(b) Par blocs 3D
Figure 5.7. – Fonctionnement du kernel de transposition XZ
work-groups, (163
éléments). La meilleure configuration pour cette transposition est obtenue
pour une occupation de 63%.
5.2.4. Advection et remaillage
Advection
Cette fonction permet de résoudre l’équation de mouvement des particules à partir du
champ de vitesse connu sur la grille. Les particules sont initialisées en chaque point de grille,
leur vitesse en ce point est donc directement lue sur la grille. Les schémas de Runge-Kutta
d’ordre deux et quatre, notés respectivement RK2 et RK4, nécessitent des évaluations du
champ de vitesse à plusieurs positions intermédiaires qui sont réalisées par des interpolations
linéaires de type maillage-particule. Une stratégie centrée sur les particules permet de
réaliser ces interpolations à la volée au cours de l’advection. Ainsi, une particule est traitée
en une seule fois mais nécessite plusieurs accès aux données du champ de vitesse. De plus
le schéma d’accès est inconnu car il dépend du champ de vitesse. Toutefois, du fait de la
condition de non croisement des particules, ces accès restent ordonnés de la même manière
que les particules.
La stratégie de distribution des calculs sur l’espace d’indices des GPU est choisie de
telle sorte qu’un sous-problème 1D est traité par les work-items d’un seul work-group.
Ces sous-problèmes étant indépendants, plusieurs pourront être traités simultanément en
985.2. Implémentation et performances
0
10
20
30
40
50
60
70
80
323
643
1283
2563
5123
Max.
0
20
40
60
80
100
120
140
160
10−2
10−1
1 101
102
103
% bande passante théorique
Bande passante (GBytes/s)
Taille des tableaux
(MByte)
2D Naïf
2D Mémoire partagée
2D Optimisé
3D Naïf
3D Optimisé
Figure 5.8. – Performances des transpositions XZ
fonction de l’occupation des multiprocesseurs de la carte. Les multiples accès aux données
du champ de vitesse peuvent être évités en utilisant une zone en mémoire partagée, comme
illustré sur la figure 5.9. Cela permet, après un remplissage par accès contigus en mémoire
globale, à des accès plus rapides et dont le schéma inconnu est moins pénalisant. Les workitems
réalisent, dans une premier temps, un chargement en mémoire partagée des données
du champ de vitesse nécessaires au traitement d’un problème 1D. Cette opération, qui
s’apparente à une mise en cache, est réalisée de manière collaborative par les work-items et
est nécessairement suivie d’une barrière de synchronisation des processus du work-group.
Dans un second temps, l’intégration du champ de vitesse est réalisée à l’aide d’interpolations.
Intégration
Interpolations
Vitesse
(grille)
Mémoire
partagée
Position
(particules)
Figure 5.9. – Algorithme pour le noyau d’advection
Dans le cas où la grille est identique pour le champ de vitesse et pour les particules, les 3
ou 7 accès aux données de vitesse respectivement pour les schémas RK2 et RK4 nécessaires
au calcul des positions des particules sont effectués en mémoire partagée et bénéficient ainsi
de son temps de latence plus faible. La quantité de données lues et écrites en mémoire
globale pour une étape d’advection est donc indépendante du schéma et est donnée par :
MA,s = 2N
uP, (5.1)
995. Mise en œuvre sur cartes graphiques
où Nu
est le nombre de points de grille du scalaire et P la taille d’un nombre en virgule
flottante (P = 8 en double précision).
On note Na le nombre de points de grille du champ de vitesse. Pour ce qui est du cas
multiéchelle, deux interpolations supplémentaires sont nécessaires. Le cache pour le champ
de vitesse, de Na
X éléments, est complété par une première interpolation linéaire tensorielle
des points de grille dans les directions Y et Z en la coordonnée du sous-problème 1D. Ainsi,
les données du champ de vitesse sont lues plusieurs fois, et conduisent à une quantité totale
exprimée par :
MA,m =
(
(2N
a + N
u
)P pour un problème 2D,
(4N
a + N
u
)P pour un problème 3D.
(5.2)
La seconde interpolation se fait dans la mémoire partagée pour l’évaluation de la vitesse
initiale des particules dont la position est un point de la grille fine.
Le calcul d’un problème 1D étant effectué par un work-group, plusieurs particules
peuvent être traitées par le même work-item. Ainsi les opérations effectuées en dehors de la
boucle interne sont mutualisées pour ces particules. On note nwi le nombre de work-item par
work-group. Les nombres d’opérations nécessaires à la réalisation d’une étape d’advection
simple échelle sont données par :
FA,s =
4N
u pour un schéma d’Euler
12N
u pour un schéma de Runge-Kutta d’ordre 2
32N
u pour un schéma de Runge-Kutta d’ordre 4
(5.3)
Pour les cas multiéchelle, le nombre d’opérations est :
FA,m = FA,s +
(
(4nwi + 3N
a
X)N
u
/Nu
X en 2D
(8nwi + 11N
a
X)N
u
/Nu
X en 3D
(5.4)
Le choix de l’espace d’index se fait en fixant le nombre de particules traitées par un workitem.
Les figures 5.10 représentent les performances pour 1, 2 ou 4 particules respectivement
notées v1, v2 et v4 dans la légende. Dans un souci de clarté, nous ne présentons pas ici
les autres choix qui ont été envisagés d’autant qu’ils ont conduit à des performances plus
faibles. L’augmentation de la complexité arithmétique due à l’augmentation de l’ordre des
schémas se traduit directement par une hausse de la puissance obtenue. Cela sera analysé
par la suite à l’aide du modèle roofline. Une différence structurelle entre les problèmes 2D
et 3D est que la résolution est constituée de sous-problèmes 1D bien plus petits en 3D.
Ainsi, l’usage de la mémoire partagée est plus faible en 3D qu’en 2D et implique donc une
plus grande occupation de la carte pour les grands problèmes. Un traitement de plusieurs
particules par work-item permet de diminuer la taille des work-groups ce qui, là encore
permet une augmentation de l’occupation. Cependant la limite des 1 024 work-items est
rapidement atteinte en 2D. Ce qui explique la chute de performances à partir de 1 0242
.
L’effet inverse se produit en 3D où trop peu de work-items sont assignés ce qui conduit à une
faible occupation en raison de la limite du nombre de work-group exécutables simultanément
par multiprocesseur.
Pour ce qui est de l’advection multiéchelle, nous donnons les performances atteintes pour
différentes tailles de problèmes sur les figures 5.11. Seules les performances de la version
1005.2. Implémentation et performances
Euler v4
Euler v2
Euler v1
RK2 v4
RK2 v2
RK2 v1
RK4 v4
RK4 v2
RK4 v1
0
50
100
150
200
250
300
322
1282
5122
20482
Puissance (GFLOPS)
Taille de problème
(a) 2D
0
50
100
150
200
250
300
323
643
1283
2563
5123
Puissance (GFLOPS)
Taille de problème
(b) 3D
Figure 5.10. – Performances des noyaux d’advection
1015. Mise en œuvre sur cartes graphiques
pour laquelle chaque work-item traite 4 particules sont présentées. Les rapports d’échelle
entre les grilles des particules et celle du champ de vitesse sont fixés à 2, 4 et 8 et conduisent
aux courbes dans l’ordre indiqué par les flèches. Ces résultats montrent que les performances
suivent l’évolution du rapport d’échelle, à taille de grille fine fixée. Cette évolution est, en
partie, due au fait que l’augmentation du rapport d’échelle implique une diminution à la
fois du nombre de données nécessaires pour le calcul, d’après l’équation (5.2), et du nombre
d’opérations arithmétique à réaliser, équation (5.4).
0
50
100
150
200
250
300
1282
5122
20482
Puissance (GFLOPS)
Taille de problème (grille fine)
RK2
RK4
Euler
(a) 2D
0
50
100
150
200
250
300
643
1283
2563
5123
Puissance (GFLOPS)
Taille de problème (grille fine)
RK2
RK4
Euler
(b) 3D
Figure 5.11. – Performances des noyaux d’advection multiéchelle
Le modèle roofline nous permet de réaliser une analyse de performances relativement à
la puissance maximale atteignable. Nous représentons sur les figures 5.12 les résultats pour
quelques tailles de problèmes. En simple échelle, l’intensité opérationnelle FA,s/MA,s est
constante lorsque la taille du problème change. Ces intensités sont représentées par un trait
vertical sur les figures 5.12. Dans le cas multiéchelle, les intensités ne sont plus constantes
et donc les points qui leur correspondent ne sont pas sur les segments verticaux. Afin de
remédier aux effets visuels des échelles logarithmiques du modèle roofline, nous représentons
également les niveaux 0,5 et 0,1 de la puissance maximale atteignable.
Remaillage
Cette étape permet de réaliser l’interpolation particule-maillage en employant une stratégie
centrée sur les particules. À partir de la coordonnée d’une particule, les points de la
grille sur lesquels se remaille la particule sont calculés en fonction de la largeur du support
de la formule utilisée. Les positions sont dépendantes du champ de vitesse donc le schéma
de remaillage en termes d’accès aux données de la grille ne peut pas être connu à priori.
1025.2. Implémentation et performances
Euler RK2 RK4
10
100
1000
0.1 1 10 100 Euler RK2 RK4
50%
10%
Puissance (GFLOPS)
Intensité opérationnelle (FLOP/Byte)
10242
20482
40962
(a) 2D
10
100
1000
0.1 1 10 100 Euler RK2 RK4
50%
10%
Puissance (GFLOPS)
Intensité opérationnelle (FLOP/Byte)
1283
2563
5123
(b) 3D
Figure 5.12. – Modèle roofline pour les noyaux d’advection
Par conséquent, deux particules consécutives peuvent avoir exactement les mêmes points de
remaillage. Cependant, du fait de la régularité des champs de vitesse traités, nous pouvons
poser l’hypothèse que le nombre maximal de particules par cellule reste petit. On supposera
que ce nombre ne dépasse pas deux.
La distribution de l’espace d’index est similaire à celle de l’advection et chaque sousproblème
1D est traité par un work-group. La charge par work-item est modifiée pour
remédier aux éventuels accès concurrents lorsque plusieurs particules sont situées dans la
même cellule. Ainsi, chaque work-item traite au moins deux particules consécutives. En
conservant les mêmes notations que dans le chapitre 2, le support des formules de remaillage
est de largeur 2S. Par conséquent, le remaillage d’une particule nécessite 2S accès en lecture
et autant en écriture pour les points de grille contenus dans son support. Ces nombreux
accès sont effectués dans un tableau temporaire correspondant au sous-problème 1D en
mémoire partagée, comme illustré sur la figure 5.13. Une fois toutes les particules traitées
et après une barrière de synchronisation, les données sont copiées en mémoire globale.
Scalaire
(particules)
Position
(particules)
Scalaire
(grille)
Mémoire
partagée
Λp,r
Figure 5.13. – Algorithme pour le noyau de remaillage
1035. Mise en œuvre sur cartes graphiques
Le nombre d’accès en mémoire globale est donné par l’expression suivante, en fonction
du nombre de composantes remaillées c :
MR = (2c + 1)N
uP. (5.5)
Pour ce qui est du nombre d’opérations en virgule flottante, il dépend de la largeur du
support 2S, de la formule de remaillage et du degré q des polynômes dont l’évaluation est
effectuée par la méthode de Horner en utilisant les opérations FMA de la carte.
FR = (2S(2c + 2q + 1) + 5) N
u
(5.6)
Nous donnons les performances des noyaux pour quelques formules de remaillage. Les
meilleurs résultats ont été obtenus lorsque chaque work-item traite exactement deux particules.
Une augmentation du nombre de particules par work-item implique une occupation
plus faible car la quantité de mémoire employée ne change pas et la taille des work-groups
diminue. Un nombre plus grand implique une utilisation d’un grand nombre de registres et
donc une diminution de l’occupation des multiprocesseurs. Comme pour les noyaux d’advection
on assiste à une chute des performances en 2D à partir d’une taille de 4 0962 à cause
d’une trop grande consommation de mémoire partagée.
0
50
100
150
200
250
300
350
322
1282
5122
20482
Puissance (GFLOPS)
Taille de problème
Λ2,1
Λ2,2
Λ4,2
Λ4,4
Λ6,4
Λ6,6
Λ8,4
(a) 2D
0
50
100
150
200
250
300
350
323
643
1283
2563
5123
Puissance (GFLOPS)
Taille de problème
Λ2,1
Λ2,2
Λ4,2
Λ4,4
Λ6,4
Λ6,6
Λ8,4
(b) 3D
Figure 5.14. – Performances des noyaux de remaillage
Les performances relatives à la puissance maximale atteignable sont représentées dans un
modèle roofline sur les figures 5.15. À l’instar de Büyükkeçeci et al. (2012), nous observons
de plus hautes performances en 3D qu’en 2D essentiellement à cause d’une utilisation du
tableau en mémoire partagée plus efficace du fait de la différence des tailles des sousproblèmes
1D.
1045.2. Implémentation et performances
Λ2,1
Λ2,2
Λ4,2
Λ4,4
Λ6,4
Λ6,6
Λ8,4
10
100
1000
0.1 1 10 100
50%
10%
Puissance (GFLOPS)
Intensité opérationnelle (FLOP/Byte)
10242
20482
40962
(a) 2D
10
100
1000
0.1 1 10 100
50%
10%
Puissance (GFLOPS)
Intensité opérationnelle (FLOP/Byte)
1283
2563
5123
(b) 3D
Figure 5.15. – Modèle roofline pour les noyaux de remaillage
Noyau complet
Une approche regroupant les opérations d’advection et de remaillage en un seul noyau
est également envisagée. Le principal intérêt est de supprimer le tableau en mémoire globale
pour la position des particules. En effet, cette variable intermédiaire est simplement locale
au processus. Cependant, cette approche nécessite deux tableaux temporaires en mémoire
partagée, comme illustré sur la figure 5.16. En pratique, cette implémentation n’est pas
Intégration
Interpolation
Vitesse
(grille)
Scalaire
(particules)
Scalaire
(grille)
Mémoire
partagée
Mémoire
partagée
Λp,r
Figure 5.16. – Algorithme pour le noyau d’advection et remaillage
pertinente pour les grandes tailles de problèmes 2D. Cependant, comme la mémoire partagée
n’est pas un facteur limitant en 3D, son utilisation semble intéressante. Dans ce noyau, nous
réutilisons les fonctions employées précédemment, ce qui conduit à une quantité d’accès
1055. Mise en œuvre sur cartes graphiques
mémoire en simple et multiéchelle :
MAR,s = MR,s = (1 + 2c)N
uP, (5.7)
MAR,m =
(
(2N
a + 2cNu
)P en 2D
(4N
a + 2cNu
)P en 3D.
(5.8)
Pour ce qui est du nombre d’opérations, il est simplement donné par la somme des opérations
des noyaux d’advection et de remaillage. Les performances obtenues sont représentées en
figures 5.17 et dans un modèle roofline en figures 5.18. Nous considérons le cas d’une advection
par un schéma Runge-Kutta d’ordre 2 ainsi que l’utilisation des formules de remaillage
Λ2,1, Λ4,2 et Λ8,4. L’évolution des performances selon la formule de remaillage utilisée est
identique à celle observée pour le noyau de remaillage seul. De même, les performances
pour une advection avec un schéma d’Euler et Runge-Kutta d’ordre 4 sont respectivement
inférieures et supérieures à celles représentées lorsque la formule de remaillage est fixée.
Les courbes notées MS dans la légende correspondent à une advection multiéchelle pour un
facteur d’échelle égal à 4. Comparativement au cas simple échelle, cela induit une petite
augmentation de performances ainsi qu’une augmentation de l’intensité opérationnelle du
noyau qui est renforcée par l’effet de la complexité de la formule de remaillage. Cependant,
une comparaison des performances relatives des modèles roofline avec les noyaux simples
montrent que cette approche n’apporte pas une meilleure efficacité. Toutefois, comme nous
le verrons par la suite, l’utilisation de ce noyau conduit à un temps de calcul légèrement
inférieur à la somme des deux noyaux simples ce qui permet de bénéficier de la réduction
de l’empreinte en mémoire globale.
0
50
100
150
200
250
300
350
322
1282
5122
20482
Puissance (GFLOPS)
Taille de problème
Λ2,1
Λ4,2
Λ8,4
MS Λ2,1
MS Λ4,2
MS Λ8,4
(a) 2D
0
50
100
150
200
250
300
350
323
643
1283
2563
5123
Puissance (GFLOPS)
Taille de problème
Λ2,1
Λ4,2
Λ8,4
MS Λ2,1
MS Λ4,2
MS Λ8,4
(b) 3D
Figure 5.17. – Performances des noyaux d’advection et remaillage pour un schéma RK2
1065.3. Application simple GPU
Λ2,1
Λ4,2
Λ8,4
MS Λ2,1
MS Λ4,2
MS Λ8,4
10
100
1000
0.1 1 10 100
50%
10%
Puissance (GFLOPS)
Intensité opérationnelle (FLOP/Byte)
10242
20482
40962
(a) 2D
10
100
1000
0.1 1 10 100
50%
10%
Puissance (GFLOPS)
Intensité opérationnelle (FLOP/Byte)
1283
2563
5123
(b) 3D
Figure 5.18. – Modèle roofline pour les noyaux d’advection et remaillage pour un schéma
RK2
Les performances individuelles des différents noyaux se retrouvent directement dans les
exécutions du code complet. Ainsi, nous exposons la validité de la méthode et de l’implé-
mentation à travers quelques exemples simples de transport de scalaire. Dans un premier
exemple, la vitesse est donnée par une fonction analytique dépendant de l’espace et du
temps alors qu’elle ne dépend pas du temps dans le second exemple. Le cas multiéchelle est
illustré sur l’exemple 3D. Les résultats des exemples sont analysés de manière qualitative
permettant une validation de la méthode. Les résultats en terme de temps de calcul sont
présentés et comparés entre les différentes fonctions. Dans tous les cas, la vitesse est donnée
en entrée sous la forme des valeurs aux points de grille, permettant ainsi de se placer dans
un cadre général indépendant de la manière dont est calculé le champ de vitesse.
5.3. Application simple GPU
5.3.1. Transport de scalaire 2D
Un premier exemple d’utilisation de la méthode compète sur GPU est réalisé pour le
transport d’une fonction levelset dans un champ de vitesse analytique 2D. Ce champ correspond
à un mouvement de rotation incompressible périodique en temps. Ainsi, la fonction
levelset est déformée au cours du temps puis retrouve sa valeur initiale après un nombre
entier de périodes. Le champ de vitesse est défini par l’expression suivante :
a(x, y, t) =
− sin2
(πx) sin(2πy)
sin(2πx) sin2
(πy)
cos
πt
12
(5.9)
1075. Mise en œuvre sur cartes graphiques
Le scalaire est initialisé par une fonction indicatrice d’un disque de rayon 0,15 centré au point
de coordonnée (0, 5; 0, 75). À chaque itération de la méthode, le champ de vitesse analytique
est évalué sur les points de grille puis la méthode décrite précédemment s’applique avec
une étape d’advection suivie d’un remaillage des particules. Le contour de niveau 0,5 de
la fonction transportée est représenté à différents instants sur la figure 5.19. À l’instant
t = 12, soit après une période, le contour a retrouvé sa forme initiale. La difficulté de
cet exemple réside en la représentation du contour à l’extrémité de la spirale. En effet,
selon la qualité de la méthode employée, la séparation du contour ainsi que l’apparition
d’éventuelles oscillations numériques ne permettent plus de retrouver la condition initiale.
Nous rappelons que le pas de temps est contraint par la condition de CFL Lagrangienne
suivante :
∆t 6
M
|∇a|∞
.
La simulation suivante a été réalisée en utilisant 1 0242 points de grille. La constante M
est prise égale à 0,35, ce qui pour cette résolution, conduit à une CFL équivalente de
|a|∞∆t/∆x = 57. Ainsi, une première validation de l’implémentation est effectuée car
à l’instant t = 12, on retrouve bien la condition initiale en utilisant de grands pas de
temps, comme le montre la figure 5.19. La simulation est réalisée en utilisant un schéma
d’intégration RK2 et une formule de remaillage Λ6,4.
Les temps de calcul par particule, hors initialisation et hors calcul du champ de vitesse,
sont donnés en figure 5.20 pour différentes formules de remaillage et schémas d’advection.
Comme prévu par les performances individuelles des noyaux, les petites résolutions
conduisent à des temps de calcul assez grands. Nous les considérons comme non signifi-
catives car elles ne sont jamais utilisées en pratique dans les applications. Un temps de
traitement compris entre 1,5 et 3 ns est obtenu pour un remaillage avec la formule Λ2,1
et augmente avec l’ordre et la complexité de la formule pour atteindre des valeurs entre 2
et 4 ns pour Λ8,4. Les autres formules conduisent à des temps intermédiaires. Cette figure
propose également une comparaison de la version à un seul noyau de calcul avec celle à
deux noyaux séparés. Cette dernière conduit à des temps de calculs plus élevés mais permet
de traiter des problèmes de plus grande taille. Cela est dû, à l’utilisation d’une plus grande
zone de mémoire partagée pour la version à un noyau. Enfin, la hausse des temps de calcul
lorsque les problèmes traités sont de taille supérieure à 2 0482
est conforme avec la chute
de puissance observée dans la section précédente. Là encore, l’utilisation de la mémoire
partagée est à l’origine de cette évolution notamment à travers une baisse de l’occupation
des multiprocesseurs dans les étapes de calcul.
La figure 5.21 donne la répartition du temps de calcul dans les différentes fonctions
présentées dans la section précédente. Les couleurs claires correspondent à l’étape de splitting
dans la direction X et occupent 2/3 du temps de calcul alors que les teintes foncées
représentent la direction Y et occupent le 1/3 restant. Ces simulations ont été réalisées avec
un splitting de Strang où deux étapes sont nécessaires dans la direction X. Les portions du
temps de calcul attribuées à l’hôte deviennent négligeables lorsque la taille dépasse 4 0962
.
Elles correspondent à des opérations réalisées par le CPU pour la gestion des étapes de
splitting et des lancements de kernels OpenCL. Les opérations d’initialisation à l’aide de
copies et de transpositions n’occupent que 10 à 20% du temps de calcul.
1085.3. Application simple GPU
t = 0
0 0.2 0.4 0.6 0.8 1
0
0.2
0.4
0.6
0.8
1
t = 3
0 0.2 0.4 0.6 0.8 1
0
0.2
0.4
0.6
0.8
1
t = 6
0 0.2 0.4 0.6 0.8 1
0
0.2
0.4
0.6
0.8
1
t = 12
0 0.2 0.4 0.6 0.8 1
0
0.2
0.4
0.6
0.8
1
Figure 5.19. – Exemple de transport de fonction levelset 2D
1095. Mise en œuvre sur cartes graphiques
2
4
8
1
10
1282
10242
20482
40962
61442
Temps de calcul par particule (ns)
Taille des tableaux
1k : RK2, Λ2,1
2k : RK2, Λ2,1
1k : RK4, Λ2,1
2k : RK4, Λ2,1
1k : RK2, Λ8,4
2k : RK2, Λ8,4
1k : RK4, Λ8,4
2k : RK4, Λ8,4
Figure 5.20. – Performances globales de la méthode pour un transport de scalaire 2D
Copie
Transposition XY
Hôte
Advection
Remaillage
Advection et remaillage
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
1024
2
2048
2
4096
2
6144
2
1024
2
2048
2
1024
2
2048
2
4096
2
6144
2
1024
2
2048
2
1024
2
2048
2
4096
2
6144
2
1024
2
2048
2
1024
2
2048
2
4096
2
6144
2
1024
2
2048
2
RK2, Λ2,1 RK4, Λ2,1 RK2, Λ8,4 RK4, Λ8,4
X
Y
% du temps de calcul
Taille des problèmes
Figure 5.21. – Répartition du temps de calcul des différentes fonctions pour un transport
de scalaire 2D
1105.3. Application simple GPU
5.3.2. Transport de scalaire 3D
Une application similaire est réalisée en 3D. Le scalaire est initialisé comme la fonction
caractéristique d’une sphère de centre (0, 35; 0, 35; 0, 35) et de rayon 0,15. Le champ de
vitesse, correspondant à une rotation incompressible, est défini par :
a(x, y, z, t) =
2 sin2
(πx) sin(2πy) sin(2πz)
− sin(2πx) sin2
(πy) sin(2πz)
− sin(2πx) sin(2πy) sin2
(πz)
(5.10)
Nous nous intéressons ici à l’évolution de la surface de niveau 0,5 au cours du temps qui
est soumise à une déformation de plus en plus forte. Nous comparons les effets des différentes
formules de remaillage à travers l’évolution du volume représenté par cette surface. La
figure 5.22 représente la surface de niveau 0,5 à l’instant t = 4, pour deux formules de
remaillage différentes. L’utilisation d’une formule d’ordre plus élevé, sur la figure 5.22b,
retarde l’apparition de « trous » ainsi que leur disparition comparativement à l’utilisation
de la formule Λ2,1, sur la figure 5.22a.
(a) Remaillage par Λ2,1 (b) Remaillage par Λ8,4
Figure 5.22. – Exemple de transport de fonction levelset en 3D
L’évolution du volume délimité par la surface de niveau 0,5 est donnée en fonction du
temps pour quelques noyaux de remaillage sur la figure 5.23. Ainsi, les formules d’ordre
élevé préservent mieux le volume ce qui est conforme à l’observation des figures 5.22. Ces
simulations ont été réalisées pour une constante LCFL égale à 0,35 et pour une résolution
de 3203
. Cela équivaut à une CFL de 17,8.
Les temps de calcul pour cette simulation sont donnés sur les figures 5.24 en fonction
de la taille du problème pour différentes formules de remaillage dans les cas simple échelle
et multiéchelle. Les temps de calculs sont indépendants de la taille du problème et sont de
l’ordre de 1 à 2 ns, excepté pour les petites tailles non significatives. Comme pour le cas 2D,
seules les formules de remaillage Λ2,1 et Λ8,4 sont représentées, les autres se répartissent
sur des temps de calculs intermédiaires. Là encore, la version avec un seul noyau de calcul
pour l’advection et le remaillage donne de meilleurs temps de calcul. Contrairement au
1115. Mise en œuvre sur cartes graphiques
0.0105
0.011
0.0115
0.012
0.0125
0.013
0.0135
0.014
0.0145
0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5 4
75
80
85
90
95
100
Volume
% du volume initial
Temps
Volume initial
Λ2,1
Λ4,2
Λ6,4
Λ8,4
Figure 5.23. – Évolution du volume défini par le niveau 0,5 d’une fonction levelset
cas 2D, cette version permet de traiter des résolutions plus grandes car l’empreinte en
mémoire globale est plus faible et la mémoire partagée n’est pas limitante. Ainsi la résolution
maximale en simple échelle est de 4483 mais il est possible de traiter une résolution de 5123
pour le scalaire lorsque la résolution de la vitesse est inférieure à 3843
.
Copie
Transposition XY
Transposition XZ
Hôte
Advection
Remaillage
Advection et remaillage
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
128
3
256
3
128
3
256
3
128
3
256
3
128
3
256
3
Λ2,1 Λ8,4
% du temps de calcul
Taille des problèmes
(a) Simple échelle
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
128
3
256
3
512
3
128
3
256
3
512
3
128
3
256
3
512
3
128
3
256
3
512
3
Λ2,1 Λ8,4
% du temps de calcul
Taille des problèmes
(b) Multiéchelle (Nu = 43Na)
Figure 5.25. – Temps de calcul des différentes fonctions pour un transport de scalaire 3D
1125.3. Application simple GPU
1k : RK2, Λ2,1
2k : RK2, Λ2,1
1k : RK4, Λ2,1
2k : RK4, Λ2,1
1k : RK2, Λ8,4
2k : RK2, Λ8,4
1k : RK4, Λ8,4
2k : RK4, Λ8,4
2
4
8
1
10
643
1283
2563
3843
5123
Temps de calcul par particule (ns)
Taille des tableaux
(a) Simple échelle
2
4
8
1
10
643
1283
2563
3843
5123
Temps de calcul par particule (ns)
Taille des tableaux
(b) Multiéchelle (Nu = 43Na)
Figure 5.24. – Performances globales de la méthode pour un transport de scalaire 3D
Comme pour le cas 2D, nous donnons, sur la figure 5.25, les répartitions du temps
de calcul à travers les différentes fonctions de la méthode. Les contributions issues des
différentes directions de splitting sont différenciées par les nuances de couleurs. Comme
pour le cas 2D, les directions X, Y et Z se partagent le temps de calcul total et en occupent
respectivement les 2/5, 2/5 et 1/5. Les deux premières sont traitées deux fois sur des demi
pas de temps. Les opérations d’initialisation occupent entre 15 et 30% du temps de calcul.
Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons présenté une implémentation spécifique aux architectures
multicœurs telle que les cartes graphiques de la méthode semi-Lagrangienne. La straté-
gie d’implémentation a été élaborée en se basant sur les études similaires existantes. Les
différentes fonctions de la méthode ont été étudiées à travers leurs performances respectivement
à des optimisations génériques basées sur les caractéristiques techniques des cartes
graphiques. Ces optimisation peuvent également conduire à de bonnes performances sur
d’autres cartes que celle présentée ici.
Les performances individuelles des noyaux d’initialisation, comme fonctions de manipulation
de données, atteignent jusqu’à 73% de la bande passante maximale pour la copie. Les
transpositions permettent d’obtenir une bande passante respectivement de 64%, 71% et 63%
pour la transposition XY en 2D et 3D et pour la transposition XZ. Ces performances sont
assez satisfaisantes en comparaison avec celles obtenues pour la copie. En effet, les bandes
passantes atteintes pour les transpositions sont supérieures à 86% de celle de la meilleure
1135. Mise en œuvre sur cartes graphiques
copie. Comme pour les noyaux d’initialisation, les performances des noyaux de calcul sont
fortement dépendantes des tailles de tableaux traitées. Pour les tailles les plus adaptées, les
puissances de calcul développées par les noyaux d’advection dans le modèle roofline sont
supérieures 50% de la puissance maximale atteignable et légèrement inférieures dans les cas
multiéchelle. L’augmentation de l’ordre des formules de remaillage implique une augmentation
de puissance de calcul des kernels de remaillage pour obtenir des performances proches
de 50% de la puissance maximale. Pour ce qui est des noyaux réalisant les opérations d’advection
et de remaillage en une seule passe, les performances se situent au voisinage de 20%
de la puissance maximale. Toutefois, ces noyaux montrent un temps de calcul global géné-
ralement meilleur que lorsque deux noyaux séparés sont employés. La quantité de mémoire
partagée requise par ce noyau interdit son usage pour les grandes tailles en 2D. Au contraire,
en 3D, ce noyau permet de traiter de plus grandes résolutions du fait de l’utilisation d’une
plus faible quantité de mémoire globale. Par conséquent, il est préférable d’utiliser la version
en deux noyaux pour les simulations 2D du fait de la limitation en mémoire partagée.
De même, le noyau complet est mieux adapté aux problèmes 3D car il permet de diminuer
l’empreinte en mémoire globale. Enfin, les deux exemples de transport de fonction levelset
proposent une validation qualitative de la méthode.
Bien que ces résultats soient obtenus sur une machine de calcul, des expériences conduisant
à l’obtention de performances similaires sont menées sur des machines de bureau ou
portables, montrant ainsi la portabilité de notre implémentation. Toutefois, nous ne présentons
pas ces résultats dans ce manuscrit par souci de simplification car ces machines sont
dotées de cartes d’anciennes générations n’offrant pas les même facilités de développement.
De plus les cartes sont utilisées par les systèmes d’exploitation pour l’affichage à l’écran.
Sur ces configurations, le calcul est en concurrence avec l’affichage pour l’utilisation des ressources,
ce qui donne lieu à des variations de performances non reproductibles et pouvant
être importantes.
1146. Implémentation sur
architectures hétérogènes
Nous avons vu dans le chapitre 5 que la méthode semi-Lagrangienne, telle que présentée
au chapitre 2 avec splitting dimensionnel et formules de remaillage d’ordre élevé, est
bien adaptée pour tirer profit de l’architecture des cartes graphiques. En effet, l’analyse
des performances dans un modèle roofline montre des puissances de calcul généralement
supérieures à 50% de la puissance maximale atteignable. Les temps de calculs ainsi obtenus
sont assez faibles et incitent à passer à l’échelle avec une exécution parallèle sur plusieurs
cartes graphiques.
L’objectif de ce chapitre est de réaliser des simulations de transport de scalaire passif
dans un écoulement turbulent tel que décrit dans le chapitre 1. La stratégie de résolution,
exposée dans le chapitre 3, vise à exploiter les différentes ressources des machines de calcul
hétérogène en réalisant le calcul du fluide sur des architectures multi-CPU et le transport
du scalaire sur plusieurs GPU. La conception de la librairie, détaillée au chapitre 4, facilite
l’intégration des méthodes de résolution des autres éléments des équations du problème
complet de transport de scalaire passif dans un écoulement turbulent tels que les termes de
d’étirement, de diffusion et l’équation de poisson.
Dans un premier temps, nous détaillerons l’architecture hétérogène considérée ainsi que
les différentes stratégies de parallélisme usuelles. Notre approche se base sur l’exploitation de
toutes les ressources de calcul disponibles en maximisant leur occupation. Cela se traduit par
l’emploi combiné de parallélismes à mémoire distribuée et partagée. Dans un second temps,
nous détaillerons l’adaptation de la méthode à la résolution d’un problème de transport de
scalaire sur une architecture multi-GPU. L’accent sera mis sur l’analyse des performances
des communications entre les cartes à travers l’illustration sur l’exemple de transport de
fonction levelset 3D du chapitre 5. Enfin, nous présenterons la méthode de résolution pour
l’application au transport turbulent de scalaire passif à travers un exemple d’application à
la simulation d’un jet plan turbulent.
1156. Implémentation sur architectures hétérogènes
6.1. Lien entre la méthode et l’architecture hybride
6.1.1. Description d’une machine hybride
Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre 1, les machines de calcul parallèles actuelles
sont caractérisées par des architectures hétérogènes regroupant de nombreux processeurs
multicœurs et accélérateurs. Généralement, elles présentent une organisation hiérarchique
de leurs composants. Une machine de calcul est constituée d’un ensemble de nœuds connectés
par un réseau local à très haut débit permettant des vitesses de transfert de plusieurs
dizaines de GByte/s. Un nœud de calcul possède les mêmes caractéristiques qu’un ordinateur
personnel utilisé comme serveur. Ainsi, il est constitué, au minimum, d’un processeur,
de mémoire vive et d’un espace disque. Ces ressources sont gérées par un système d’exploitation
qui lui est propre. Les composants présents sur un nœud varient d’une machine à
l’autre et éventuellement d’un type de nœud à l’autre sur une même machine. De manière
générale, ils contiennent plusieurs processeurs multicœurs et éventuellement des accélérateurs
tels que les cartes graphiques ou des coprocesseurs. Un exemple d’une telle architecture
est donnée en figure 6.1 où les nœuds sont connectés à travers le même réseau et certains
contiennent des accélérateurs.
Cœur CPU
CPU multicœur
Mémoire vive
Accélérateur
Réseau local Nœud
Figure 6.1. – Exemple d’architecture hybride
Dans la suite de ce chapitre, nous utilisons la machine de calcul Froggy du mésocentre
CIMENT 1 qui possède notamment sept nœuds contenant chacun deux processeurs octocœurs
Intel Sandy Bridge EP E5-2670 partageant 32 GByte de mémoire vive et deux
cartes graphiques Nvidia K20m.
1. http://ciment.ujf-grenoble.fr
1166.1. Lien entre la méthode et l’architecture hybride
6.1.2. Différents niveaux de parallélisme
Parmi les paradigmes de programmation parallèle usuels, le parallélisme de données et le
parallélisme par tâches se distinguent par l’organisation des calculs par rapport aux données
à traiter (Dongarra et al., 2003). Dans le premier, on réalise l’exécution simultanée de
tâches identiques sur des données différentes. En revanche, le second consiste en l’exécution
simultanée de tâches différentes sur des données identiques ou non. Ces deux approches sont
couramment employées pour l’exploitation de machines de calcul parallèles hétérogènes, à
travers l’utilisation des librairies telles que MPI et OpenMP. Différentes techniques sont
à considérer pour la mise en œuvre de ces paradigmes selon la nature de la mémoire,
partagée ou distribuée. La littérature étant abondante sur le sujet, dans cette section nous
ne donnerons que quelques éléments concernant l’implémentation de ces paradigmes.
Au sein d’un nœud, la mémoire est partagée par l’ensemble des cœurs des processeurs.
Dans ce contexte, les taches sont distribuées sur l’ensemble des cœurs physiques à l’aide
d’une librairie telle que OpenMP. Ce paradigme permet l’exploitation, au maximum, de
l’ensemble des cœurs CPU d’un seul nœud car les données manipulées doivent être référencées
dans le même espace d’adressage
En complément de cette stratégie se trouve le parallélisme par envoi de message tel que
proposé par le standard MPI. Il permet de réaliser des communications d’un processus à un
autre dans un contexte de mémoire distribuée. Dans le cas général, il n’est pas possible à
un processus de lire ou d’écrire dans une zone mémoire attribuée à un autre processus. Le
principe de ce paradigme est que les données à transmettre sont empaquetées dans un message
qui est envoyé au processus destinataire à travers le réseau de la machine. Une gestion
fine de l’envoi et de la réception de ces messages est nécessaire afin que les données soient
correctement traitées, éventuellement par l’utilisation de zones mémoires temporaires. Une
très grande précision des communications est possible à travers l’utilisation des nombreuses
variantes proposées par la librairie telles que, entre autres, les communications point à
point ou globales ainsi que leurs versions bloquantes ou non. Ce paradigme s’utilise dans un
environnement à mémoire distribuée mais fonctionne également avec une mémoire partagée.
Une implémentation hybride associe plusieurs stratégies de parallélisme pour exploiter
au mieux une architecture donnée. Ainsi, sans tenir compte des accélérateurs dans un
premier temps, les utilisations courantes suivent deux stratégies distinctes pour l’exploitation
de l’ensemble des cœurs CPU d’une machine. L’intégration d’une librairie d’envoi
de message permet une utilisation d’un ensemble de processeurs multicœurs de plusieurs
nœuds d’une machine. Ce fonctionnement se base sur fait que les librairies d’envoi de message,
comme MPI, sont utilisables dans un contexte mixte de mémoire partagée et distante.
Cependant, l’intégration d’un tel parallélisme implique généralement d’importants changements
dans le code. Une réécriture de certaines parties est nécessaire lorsque l’utilisation
de ce paradigme n’a pas été prévue à la conception. La seconde stratégie consiste combiner
des paradigmes spécifiques à un environnement à mémoire partagée et à mémoire distribuée.
Une approche basée sur les librairies MPI et OpenMP est couramment utilisée. Ces
deux stratégies que l’on notera respectivement MPI et MPI+OpenMP permettent d’utiliser
l’ensemble des cœurs CPU d’une machine de calcul. La principale différence est que la mé-
moire partagée par les processus d’un même nœud est gérée par un parallélisme spécifique
dans le cas MPI+OpenMP, ce qui permet une plus grande finesse d’optimisation et donc
1176. Implémentation sur architectures hétérogènes
potentiellement l’obtention de meilleures performances. En revanche, le développement et
le débogage sont généralement plus complexes.
L’ensemble des processus déployés sur les cœurs physiques des nœuds peuvent ne pas
réaliser des opérations similaires sur des données différentes. Un paradigme de parallélisme
par tâches permet d’affecter des ensembles de processus à différentes tâches. Dans ce cas,
au sein d’un même groupe, une tâche est traitée de manière collaborative. En revanche,
deux processus associés à deux tâches distinctes sont amenés à exécuter des instructions
totalement différentes. Toutefois, des communications sont généralement nécessaires pour
échanger des données entre les processus des différentes tâches lorsqu’elles ne sont pas
totalement indépendantes.
L’exploitation des cartes graphiques comme accélérateurs se réalise de manière identique
au cas d’une utilisation exclusive de l’accélérateur, comme présentée au chapitre 5. Un
processus peut exploiter un accélérateur à l’aide des différentes techniques telles que CUDA
ou OpenCL. Les cartes graphiques récentes sont capables de gérer l’exécution d’un ensemble
de tâches provenant de plusieurs processus. Par conséquent, tous les processus placés sur
un même nœud peuvent exploiter une même carte graphique. De même, dans le cas où
plusieurs cartes sont présentes, un même processus peut utiliser simultanément l’ensemble
des cartes graphiques.
Ainsi, les machines hybrides doivent être exploitées en utilisant à la fois un parallélisme
à mémoire distribuée, à mémoire partagée ainsi que des accélérateurs. On complète les
notations précédentes par MPI+OpenCL ou MPI+OpenMP+OpenCL si OpenCL est utilisé
sur les accélérateurs.
6.1.3. Stratégie d’utilisation
La stratégie que nous employons dans ce travail se limite à une exploitation des processeurs
multicœurs à l’aide du seul niveau de parallélisme par envoi de message. Cette
approche, complétée par l’utilisation de la librairie OpenCL, nous permet de traiter à la
fois les cas multi-GPU et hétérogènes. En effet, pour une exploitation de plusieurs cartes
graphiques, il est nécessaire de placer un processus par nœud pour exploiter l’ensemble des
cartes du nœud. Ces différents processus, se situent nécessairement dans un environnement
à mémoire distribuée, d’où le choix de l’utilisation de MPI pour la gestion du parallélisme
des processus hôtes.
En pratique, dans notre implémentation, chaque GPU n’est géré que par un et un
seul processus hôte. En effet, des études préliminaires ont montré une dégradation des
performances lorsque plusieurs processus exploitent la même carte graphique de manière
concurrente comparativement au cas où une carte est associée à un processus. Ce phénomène
est en partie dû au fait que notre implémentation est plus efficace pour traiter de grandes
tâches comparativement au traitement de plusieurs tâches plus petites. D’autre part, il nous
semble plus avantageux de ne pas exploiter plusieurs cartes à partir du même processus
hôte car le découpage des tâches est déjà réalisé au niveau des différents processus hôtes. Il
apparaît donc inutile d’ajouter un second niveau de découpage interne au processus. Ainsi,
l’exploitation de n cartes graphiques est obtenue par le placement de n processus MPI
répartis sur l’ensemble des nœuds contenant les cartes.
1186.2. Application multi-GPU
L’inconvénient majeur de cette stratégie est qu’un nœud de calcul dispose généralement
d’un plus grand nombre de cœurs CPU que de cartes graphiques. Dans l’exemple de la
machine Froggy, le rapport est de 8. Lors d’une utilisation multi-GPU, de nombreux cœurs
CPU sont inutilisés. L’approche que nous proposons dans la section 6.3 à travers la mise
en œuvre de la méthode hybride nous permettra d’explorer une solution à ce problème
d’occupation.
La suite de ce chapitre est consacrée à la mise en œuvre de cette stratégie dans un cadre
multi-GPU puis hybride multi-CPU et multi-GPU.
6.2. Application multi-GPU
6.2.1. Mécanisme de communication
La résolution de l’équation de transport sur plusieurs cartes graphiques nécessite des
communications entre ces GPU. À chaque carte est associée une partie du domaine de
calcul. Ainsi, le domaine de calcul est séparé le long de plans orthogonaux à une direction
de découpe. Nous appelons direction de découpe une direction dont le traitement nécessite
des communications. Le principal avantage de ce découpage est de conserver une méthode de
résolution identique au cas simple GPU lors du traitement des directions de l’espace autres
que celles de découpe. Dans ces dernières, les données correspondant aux sous-problèmes 1D
sont distribuées sur plusieurs cartes ce qui implique des communications entre ces cartes.
Nous distinguons alors les données locales calculées par une carte et les données non locales
qui sont calculées par une autre carte et qui doivent être transférées.
Deux communications sont nécessaires : une pour l’étape d’advection et l’autre pour
le remaillage. Pour l’advection, les interpolations du champ de vitesse nécessaires au calcul
des positions des particules sont faites sur des données non locales pour les particules
ayant quitté le domaine. Ces données devront être transférées au préalable depuis les cartes
voisines. La quantité de ces données dépend directement du champ de vitesse lui-même.
Toutefois, une majoration de leur taille est possible à partir du nombre CFL maximal. En
effet, ce dernier correspond au nombre maximal de cellules traversées par les particules en
une itération. Une particule au bord du domaine n’aura pas besoin de plus de données distantes
qu’elle ne peut traverser de cellules. Cet algorithme est schématisé sur la figure 6.2a.
De la même manière, lors du remaillage, la taille des zones de communications dépend du
nombre CFL maximal ainsi que de la largeur du support de la formule de remaillage employée.
Lors du calcul, le domaine local est bordé par des zones mémoire qui représentent les
points de grille voisins distants et récupèrent les contributions des particules sur ces points.
Ces derniers sont parfois appelés points fantômes ou ghosts. Les données de ces zones sont
ensuite envoyées aux processus voisins puis ajoutées aux données locales. L’adaptation de
cet algorithme est schématisé sur la figure 6.2b. Les communications se font exclusivement
avec les processus voisins dans la direction de calcul. Dans les deux algorithmes, une utilisation
de la mémoire partagée comme un cache similaire au cas simple GPU est employée
pour les données du champ de vitesse non local ainsi que pour les points de grille exté-
rieurs. Les échanges de données à l’issue du remaillage se caractérisent par un ajout des
1196. Implémentation sur architectures hétérogènes
valeurs distantes du scalaire aux valeurs locales, alors que pour le champ de vitesse, il s’agit
simplement d’une copie des données qui sont utilisées en lecture uniquement.
GPUn
GP Un−1
GPUn+1
Intégration
Interpolations
Vitesse
(grille)
Mémoire
partagée
Position
(particules)
Copies de données
Utilisation des données
Communication inter-GPU
Données non locales
(a) Advection
GPUn
GPUn−1
GPUn+1
Scalaire
(particules)
Position
(particules)
Scalaire
(grille)
Mémoire
partagée
+=
+=
+=
+=
Λp,r
Copies de données
Utilisation des données
Communication inter-GPU
Données non locales
(b) Remaillage
Figure 6.2. – Adaptation des algorithmes d’advection et remaillage au cas multi-GPU
Ces communications inter-GPU consistent en des échanges de données entre les mé-
moires globales des cartes graphiques. Généralement, les implémentations MPI ne sont pas
capables de lire et écrire des données directement dans la mémoire des cartes sans faire
intervenir l’hôte. Toutefois, certaines implémentations spécifiques telles que MPI-ACC (Aji
et al., 2012) ou MVAPICH (Wang et al., 2011) permettent de réaliser des envois de messages
directement de la mémoire d’une carte à l’autre. Dans cette dernière, les transferts utilisent
les technologies telles que proposées par les versions récentes de CUDA sur les cartes Nvidia
(GPUDirect). La librairie MVAPICH est disponible au téléchargement 2 mais ne permet
qu’une exploitation des seules cartes NVIDIA et, à notre connaissance, la librairie générique
MPI-ACC n’a pas été encore distribuée. Ces travaux font état de gains en termes de per-
2. http ://mvapich.cse.ohio-state.edu/downloads/
1206.2. Application multi-GPU
formances des communications pouvant atteindre 30% par rapport à des transferts naïfs.
En l’absence de telles librairies, la méthode naïve consiste en une succession de transferts
depuis la mémoire globale de la carte vers le CPU, entre les CPU hôtes et enfin du CPU
vers la mémoire de la carte de destination. Ce mécanisme est illustré sur la figure 6.3 par
l’enchaînement des flèches vertes et bleues.
Réseau local
host - device
MPI
GPU-aware MPI
Figure 6.3. – Schémas de communications inter-GPU
Les résultats de cette thèse sont obtenus à l’aide de transferts naïfs combinant explicitement
un usage des fonctions OpenCL pour les transferts entre les cartes et les CPU
hôtes ainsi que des envois de message MPI entre CPU. Nous précisons que l’utilisation
technologies spécifiques aux cartes Nvidia n’a pas encore été intégré au standard OpenCL.
De manière générale, ces transferts peuvent être optimisés par un découpage des données
en blocs dont les envois sont traités en chaîne (Aji et al., 2013), comme illustré par la fi-
gure 6.4. Ainsi, le message original est traité par un ensemble d’envois de plus petite taille
permettant un recouvrement des opérations. La taille des blocs est un des paramètres qui
doit être ajusté en fonction du matériel utilisé (PCIe et réseau).
Transfert manuel GPU vers CPU MPI CPU vers GPU
Transfert par blocs
en chaîne temps
Figure 6.4. – Optimisation des communications inter-GPU
6.2.2. Performances
Les performances de cette implémentation dans un contexte multi-GPU sont étudiées à
travers l’exemple de transport de fonction levelset 3D présenté en section 5.3.2.
Des études de scalabilité, dont le principe a été introduit en section 1.2.2, permettent
d’observer l’évolution du temps de calcul face à l’augmentation du volume total de communication
induite par l’augmentation du nombre de ressources utilisées. La scalabilité forte
d’un code démontre sa capacité à traiter un problème plus rapidement lorsque le nombre de
1216. Implémentation sur architectures hétérogènes
ressources augmente. Idéalement, on attend que le temps de calcul soit réduit d’un facteur
n lorsque les ressources sont augmentées d’un facteur n. Cette étude n’est pas adaptée à
notre implémentation multi-GPU car elle conduit à la résolution de problèmes de tailles
de plus en plus petite à mesure que le nombre de cartes utilisées augmente. Dans ce type
d’étude, la taille du problème total est fixée et doit pouvoir être traitée par un seul GPU.
De plus, comme nous avons vu dans le chapitre précédent, les meilleures performances sont
obtenues lorsque le problème traité sur un GPU est suffisamment grand.
Une étude de scalabilité faible est préférable dans ce contexte. Elle conduit à l’étude de
l’évolution du temps de calcul lorsque le nombre de ressources augmente en conservant une
charge de travail par GPU constante. Ainsi, en partant d’une taille de problème compatible
avec les caractéristiques d’une carte graphique, l’influence des communications est directement
mesurée. Les résultats de scalabilité, présentés sur la figure 6.5, sont obtenus en en
utilisant un schéma RK2 et une formule de remaillage Λ6,4 pour résoudre des problèmes de
taille (NX, NY , nNZ) où n est le nombre de GPU employés. Ainsi, chaque GPU est chargé
d’un problème de taille (NX, NY , NZ). Nous ne considérons ici qu’une seule direction de
découpe, dans la direction Z. La figure 6.5 représente l’évolution de la scalabilité en fonction
du nombre de cartes graphiques utilisées. Deux cas sont considérés : le premier est
une résolution identique de 2563 points de grille par GPU pour la vitesse et le scalaire. Le
second est un cas multiéchelle où la vitesse est connue sur une grille de taille 1283 alors que
le scalaire est résolu sur 5123 points.
Les oscillations qui apparaissent pour les cas à 2563 par GPU sont dues à la distance
variable entre deux cartes voisines. En effet, les communications au sein d’un même nœud
sont plus rapides que d’un nœud à l’autre. En pratique, lorsqu’un GPU est ajouté à un
nombre impair, on ajoute la seconde carte du dernier nœud à l’ensemble des cartes utilisées.
Dans ce cas, les communications supplémentaires sont réalisées entre les deux cartes du
même nœud, ce qui conduit à une amélioration de la scalabilité. La perte importante de
scalabilité entre 1 et 2 GPU provient de l’absence totale de communications dans le cas 1
GPU ainsi que du manque d’optimisation des cas multi-GPU. Comme nous l’avons évoqué
précédemment, leur taille dépend du nombre CFL de la simulation. Pour les cas Na =
Nu = 2563
, le nombre CFL maximal est égal à 8 et implique des communications de taille
8×2562
éléments par voisins pour le champ de vitesse et le scalaire. Dans le cas multiéchelle
Na = 1283
et Nu = 5123
, le pas de temps est identique et les tailles de communications par
voisins sont de 4 × 1283
et 15 × 5123
respectivement pour la vitesse et le scalaire. D’autre
part, dans l’état actuel du code, nous n’avons pas encore mis en place de stratégies de
recouvrement des communications par des calculs, ce qui implique que les temps de calculs
sont augmentés de la totalité des temps de communications. Ainsi la scalabilité du cas 2
GPU par rapport au cas 1 GPU est assez faible car elle revient à comparer les temps de
communications à un cas sans aucune communication. Toutefois, la scalabilité par rapport
au cas utilisant 2 GPU est satisfaisante car supérieure à 0.85 jusqu’à 12 GPU. La version
avec un seul kernel donne des résultats similaires à celle avec deux kernels séparés avec des
temps de calcul inférieurs de 3%. D’autre part, la chute de scalabilité entre 1 et 2 GPU
peut être atténuée en diminuant le volume de communications par une réduction du pas de
temps.
La répartition du temps de calcul pour quelques cas tirés de l’étude précédente est
représentée sur la figure 6.6. Elle donne la répartition du temps de calcul global d’une
1226.2. Application multi-GPU
0.4
0.5
0.6
0.7
0.8
0.9
1
2
2(N
a
, N
u
)
4
4(N
a
, N
u
)
6
6(N
a
, Nu
)
8
8(N
a
, N
u
)
10
10(N
a
, Nu
)
12
12(N
a
, Nu
)
Scalabilité : ˜S
=
T(1)
1 /Tn
Nombre de GPU / Taille du problème
2 kernels, N
a = N
u = 2563
2 kernels, N
a = 1283
, Nu = 5123
1 kernel, N
a = N
u = 2563
1 kernel, N
a = 1283
, Nu = 5123
Figure 6.5. – Performances du transport de scalaire 3D multi-GPU
itération entre les différentes directions. Comme annoncé précédemment, les temps de calcul
issus des communications dans la direction Z apparaissent comme ajoutés au temps de
calcul obtenu sans communications et sont inclus dans la partie associée à l’hôte pour cette
direction. Ainsi, seul le temps de communication varie avec le nombre de GPU et les temps
d’exécutions des kernels restent constants.
Nous détaillons sur la figure 6.7a les éléments constituant la direction Z en distinguant
les kernels OpenCL pour l’initialisation, les kernels d’advection et de remaillage ainsi que les
étapes de transferts de données. Les communications entre CPU sont notées MPI et celles
entre les cartes et les hôtes sont notées D→H ou H→D selon le sens de transfert. Enfin,
l’étape d’ajout des contributions provenant des processus voisins est notée += et est effectuée
par l’hôte de chaque carte. Les dépendances entre toutes ces étapes sont représentées
sur la figure 6.8.
Cette représentation de l’enchaînement des différentes étapes lors du traitement d’une
direction de découpe montre que certaines peuvent être réalisées simultanément. En effet,
l’initialisation des particules est indépendante du transfert des données du champ de vitesse.
De même, la copie des données du scalaire correspondant à une partie du domaine
local est indépendante des communications des contributions pour les domaines voisins.
Le parallélisme par tâches OpenCL permet de démarrer ces opérations sans en attendre la
complétion. Les détails du profilage des temps de calculs pour la figure 6.7a sont réalisés en
forçant une synchronisation explicite des tâches permettant leur comparaison.
Comme le montre la figure 6.7a, les étapes de calculs ne suffisent pas à couvrir les
communications. La figure 6.7b illustre cette remarque en reprenant la figure 6.7a avec un
code de couleur indiquant les étapes de calcul et celles de communication. Ces résultats
suggèrent la nécessité d’une réduction des temps de communications. Une optimisation
1236. Implémentation sur architectures hétérogènes
8
4
2
1
0 0.02 0.04 0.06 0.08 0.1 0.12
Nombre de GPU
Simple échelle : N
a = N
u = 2563
Initialisation X
Calcul X
Host X
Initialisation Y
Calcul Y
Host Y
Initialisation Z
Calcul Z
Host Z
8
4
2
1
0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7
Nombre de GPU
Temps de calcul par itération (s)
Multiéchelle : N
a = 1283
, Nu = 5123
Figure 6.6. – Temps de calcul par itération
envisageable consiste à améliorer les temps de transfert entre GPU en utilisant, par exemple,
un traitement par blocs en chaîne. Après cette première optimisation, une stratégie de
recouvrement des communications par les calculs pourra être envisagée. En particulier,
les étapes de calculs peuvent être séparées en deux parties à l’issue d’un redécoupage du
domaine local. Une première partie entièrement locale, ne nécessitant pas l’usage de données
distantes, peut s’exécuter pendant les communications. La seconde partie consiste à traiter
le reste du domaine à l’aide des données transférées. L’optimisation des communications
ainsi que leur recouvrement constituent une des perspectives immédiates de ce travail.
Les résultats présentés ici sont réalisés uniquement dans le cas d’une seule direction de
découpe, par plans XY . L’implémentation que nous proposons ne se restreint pas à cette approche
et permet notamment de considérer une découpe dans autre direction ainsi que dans
plusieurs directions. Cette dernière est utile essentiellement dans les cas où un grand nombre
de cartes graphiques est employé afin de réduire les disparités de nombre de points des domaines
locaux. Par exemple, pour la résolution d’un problème global de taille (NX, NY , NZ)
sur n cartes graphiques la résolution des domaines locaux est égale à (NX, NY , NZ/n) dans
le cas d’une découpe dans la direction Z. Elle passe à (NX, NY /n1, NZ/n2), avec n = n1n2
pour une découpe dans les directions Y et Z. L’avantage est de conduire à des résolutions
plus grandes dans les directions de découpes que dans le premier cas. En revanche un
plus grand nombre de communication est nécessaire. Les configurations considérées dans
ce manuscrit ne nécessitent pas l’utilisation d’un découpage dans plusieurs directions car le
nombre de cartes graphiques reste relativement faible.
Cette implémentation multi-GPU pour le transport de scalaire peut être employée en
parallèle d’une résolution CPU de l’écoulement pour la simulation du problème complet.
1246.2. Application multi-GPU
8
4
2
1
Nombre de GPU
N
a = 1283
, Nu = 5123
Transposition XZ (kernel)
Advection (kernel)
Remaillage (kernel)
Advec. et Remail. (kernel)
Advection D→H
Advection MPI
Advection H→D
Remaillage D→H
Remaillage D→H local
Remaillage MPI
Remaillage += (hôte)
Remaillage H→D local
8
4
2
1
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100
Nombre de GPU
Proportion de la direction Z (% du temps de calcul)
N
a = N
u = 2563
(a) Étapes de l’algorithme
8
4
2
1
Nombre de GPU
N
a = 1283
, Nu = 5123
Communications H↔D
Communications MPI
Calcul
8
4
2
1
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100
Nombre de GPU
Proportion de la direction Z (% du temps de calcul)
N
a = N
u = 2563
(b) Calculs et communications
Figure 6.7. – Profilage de la direction de découpe
1256. Implémentation sur architectures hétérogènes
Initialisation
Vitesse
D→H
Vitesse
MPI
Vitesse
H→D
Advection
Remaillage
Scalaire local
D→H
Scalaire
D→H
Scalaire
MPI
Scalaire
+=
Scalaire local
H→D
Figure 6.8. – Dépendances des étapes de communication multi-GPU
6.3. Transport turbulent d’un scalaire passif
6.3.1. Application hybride
Le problème que nous considérons dans cette partie est le transport de scalaire passif
dans un jet plan turbulent tridimensionnel, tel que présenté par Magni et al. (2012). Le
domaine de calcul est une boite unitaire périodique [0; 1]3
. Le problème est modélisé par
le couplage entre les équations de Navier-Stokes, en formulation vitesse vorticité, et d’une
équation de transport du scalaire θ, rappelé ci-après :
div u = 0, ω = rotu,
Dω
Dt
=
∂ω
∂t + (u · ∇) ω
= (ω · ∇)u + ν∆u,
Dθ
Dt
=
∂θ
∂t + (u · ∇)θ = κ∆θ.
(6.1)
L’écoulement est constitué d’un jet plan, modélisé par un champ de vitesse initialement
nul dans tout le domaine excepté dans une région d’épaisseur w le long d’un plan XZ.
Le champ de vitesse initial est perturbé par un champ aléatoire P de magnitude 0,05. Le
scalaire passif est initialisé de la même manière que le champ de vitesse. Les valeurs initiales
du champ de vitesse et du scalaire sont données par les expressions :
θ(x, y, z) = (1 + 0.3 sin(8πx))
1 + tanh
0.1 − 2|y − 0.5|
4w
/2 (6.2)
u
X(x, y, z) = θ(x, y, z)P
X,
u
Y
(x, y, z) = P
Y
u
Z
(x, y, z) = P
Z
(6.3)
La condition initiale du champ de vitesse est représentée en figure 6.9 pour la composante
u
X. L’écoulement se développe dans le plan du jet, dans la direction X. Les perturbations
provoquent l’établissement d’un régime turbulent qui se traduit par l’évolution tridimensionnelle
de l’écoulement. Le scalaire est ainsi transporté dans tout le domaine.
L’écoulement est caractérisé par la largeur du jet w = 0.1, ce qui donne un nombre de
Reynolds égal à 103 pour une viscosité ν = 10−4
. Différentes valeurs de nombre de Schmidt
1266.3. Transport turbulent d’un scalaire passif
Figure 6.9. – Champ de vitesse initial, composante u
X
1276. Implémentation sur architectures hétérogènes
seront considérées en fonction du rapport d’échelle entre les grilles de résolutions du fluide
et du scalaire. En effet, comme nous l’avons décrit au chapitre 1, le rapport des échelles de
dissipation d’énergie est lié au nombre de Schmidt : ηκ
√
Sc = ην, avec Sc = ν/κ où ν est
la viscosité du fluide et κ la diffusivité du scalaire. Ces différentes échelles sont prises en
compte par la résolution des discrétisations des variables. Le champ de vitesse est résolu
sur une grille plus grossière que celle du scalaire.
Nous rappelons que la méthode numérique hybride employée pour résoudre ces problèmes
consiste en l’utilisation d’une méthode semi-Lagrangienne pour le transport du
scalaire et de différences finies pour sa diffusion. L’écoulement est résolu en employant
une méthode semi-Lagrangienne pour le transport de vorticité, des différences finies pour
le terme d’étirement et une méthode spectrale pour la diffusion de vorticité. L’équation de
Poisson pour le calcul du champ de vitesse est également résolue par une méthode spectrale.
6.3.2. Exploitation d’une machine hétérogène
Comme nous l’avons évoqué précédemment, le transport du scalaire et le fluide sont
suffisamment indépendants pour être résolus simultanément sur différents matériels. En
effet, le couplage de ces sous-problèmes consiste simplement en une communication du
champ de vitesse en début d’itération de la partie fluide vers le transport. Pour l’exemple
de l’utilisation de la machine Froggy présentée en section 6.1, nous utilisons n GPU et les
n cœurs CPU hôtes associés pour résoudre le transport du scalaire ainsi que les 7n cœurs
CPU disponibles sur les nœuds pour calculer le champ de vitesse de l’écoulement. Cette
distribution des tâches est représentée sur la figure 6.10.
Réseau local
Transport
Navier-Stokes
Figure 6.10. – Distribution des tâches pour l’application hybride
En pratique, nous introduisons une notion de parallélisme par tâche. Les différents processus
MPI sont associés à une tâche à travers un découpage du communicateur global.
Une synchronisation globale est effectuée à l’occasion de la communication du champ de
vitesse. Dans cette exemple, deux tâches sont définies : une pour l’écoulement et l’autre
pour le transport. Pour simplifier la distribution des tâches sur l’ensemble des processus,
la résolution globale du scalaire doit être un multiple de n. De même, les résolutions de
la vitesse et de la vorticité doivent être égales et multiples du nombre de cœurs CPU associés
à leur calcul. D’autre part, les opérations de FFT du solveur spectral donnent de
meilleures performances pour des résolutions multiples d’une puissance de 2. Ainsi, sauf
1286.3. Transport turbulent d’un scalaire passif
mention contraire, la résolution du fluide sera égale à un multiple de 4n et seulement 4 des
7 cœurs seront utilisés.
6.3.3. Résultats et performances
L’évolution du jet est caractérisée par une phase de diffusion suivie d’une phase de création
d’enstrophie qui correspond à l’apparition d’instabilités tridimensionnelles s’accompagnant
de la production de petites échelles. L’enstrophie E décrit l’évolution des pertes
d’énergie cinétique de l’écoulement E par la relation :
dE
dt
= −νE, (6.4)
avec
E =
1
2
Z
Ω
||u||2
dx et E =
Z
Ω
||ω||2
dx
La figure 6.11a donne la variation de l’enstrophie de l’écoulement dont l’augmentation rapide,
vers t = 2, indique l’apparition du régime turbulent. Les effets de dissipation d’énergie
par diffusion deviennent ensuite prépondérants et se traduisent par une diminution de l’enstrophie
et des valeurs extrêmes du champ de vitesse.
Ces simulations sont réalisées en employant des formules de remaillage Λ6,4 et une intégration
en temps par un schéma Runge-Kutta d’ordre deux pour les transports de la
vorticité et du scalaire. Des schémas aux différences finies sont utilisés à l’ordre 4 pour le
terme d’étirement et au premier ordre pour la diffusion du scalaire. Enfin, le pas de temps
est calculé à chaque itération de manière à être maximal, tout en vérifiant la condition de
CFL Lagrangienne :
∆t 6
M
|∇u|∞
.
Le choix de la constante M < 1 est laissé à l’utilisateur. Pour de grandes valeurs il
peut conduire, selon les problèmes traités, à l’apparition d’instabilités numériques pouvant
perturber l’écoulement de manière non physique. En pratique, une calibration de cette
constante par rapport au problème et à ses conditions initiales est nécessaire. Dans cet
exemple, nous constatons expérimentalement que des valeurs M > 0.2 ne permettent plus
de capter la physique de l’écoulement surtout lorsque le régime turbulent est établi, pour
t > 3. D’autre part, la perturbation aléatoire appliquée à la condition initiale conduit à des
valeurs du gradient du champ de vitesse peu représentatives de l’écoulement, en début de
simulation, et entraîne l’utilisation de pas de temps trop grands. Dans ce cas, il est nécessaire
d’employer une stratégie de calcul différente en début de simulation. En particulier,
une technique simple consiste à fixer le pas de temps à une valeur arbitraire. Une autre
idée est d’ajouter une contrainte supplémentaire sous la forme d’une condition de CFL par
rapport au champ de vitesse.
L’évolution du pas de temps et du nombre CFL maximal de l’écoulement sont présentés
sur la figure 6.11b pour deux modifications du calcul du pas de temps. Lorsque l’écoulement
n’a pas encore atteint un régime turbulent, nous appliquons une condition de type CFL (cas
1) tel que : ∆t 6 1.5∆x
u/|u|∞ ou bien (cas 2) une restriction à un pas de temps inférieur à
0.011. Dans tous les cas, le pas de temps utilisé vérifie la condition de CFL Lagrangienne.
1296. Implémentation sur architectures hétérogènes
Cette dernière devient la contrainte la plus restrictive à partir de l’instant t = 1.5 et
conduit à une diminution du pas de temps. Enfin, il augmente à nouveau sur la fin de la
simulation, à mesure que l’énergie est dissipée par les petites échelles. Toutefois, les pas de
temps obtenus sont assez grands et le nombre CFL varie entre 2 et 13, par rapport à la
grille fine de résolution 1 0243
. L’avantage de l’approche couplant une condition de CFL
et la condition Lagrangienne est qu’elle permet de conserver l’intérêt d’un pas de temps
adaptatif en suivant la dynamique de l’écoulement.
20
40
60
80
100
120
140
0 1 2 3 4 5
Enstrophie : E
=
R ||ω||
2d
x
Temps
Cas 1 : M = 0.15, CF L 6 1.5
Cas 2 : M = 0.15, ∆t 6 0.011
(a) Enstrophie
0.002
0.004
0.006
0.008
0.01
0.012
∆t
0
2
4
6
8
10
12
14
0 1 2 3 4 5
0
0.2
0.4
0.6
0.8
1
1.2
1.4
1.6
Nombre CFL maximal
|u|∞
∆t/
∆
x
θ
|u|∞
∆t/
∆
x
u
Temps
(b) Pas de temps et CFL max.
Figure 6.11. – Configuration du jet turbulent
Le nombre CFL obtenu pour le transport du scalaire peut paraître relativement faible
pour une méthode particulaire. En effet, dans cet exemple, nous employons le même pas de
temps à la fois pour la résolution du fluide et celle du scalaire. Théoriquement, une condition
moins restrictive que celle employée ici pour le transport du scalaire est envisageable
et permettrait d’utiliser de plus grands pas de temps. Cela est illustré par les exemples
de transports de fonctions levelset donnés dans le chapitre 5 où le nombre CFL atteint
des valeurs de plusieurs dizaines. Une solution, exploitée notamment par Lagaert et al.
(2014), consiste à réaliser des sous-itérations pour la partie fluide. Elle permet d’ajuster les
contraintes sur le pas de temps indépendemment pour chaque sous-problème. En pratique,
une condition LCFL est imposée pour la résolution du transport du scalaire, avec M grand,
et un nombre de sous-itérations est calculé afin d’obtenir un pas de temps suffisamment petit
pour la résolution du fluide. Dans cet exemple, il serait envisageable d’employer des pas
de temps 6 fois plus grands pour le transport du scalaire, en prenant M = 0.9. Toutefois,
l’intérêt de cette approche est limité ici car une itération du transport du scalaire est, dans
la majorité des cas, totalement recouverte par le calcul de l’écoulement. Par conséquent,
relativement au temps total de simulation, des sous-itérations pour la partie fluide condui-
1306.3. Transport turbulent d’un scalaire passif
raient à un renforcement du déséquilibre de charge entre les CPU et les GPU, comme nous
le verrons plus loin.
Les figures 6.12 donnent les valeurs de la norme de la vorticité et du scalaire dans un
plan XZ au centre du jet à l’instant t = 4.5. L’écoulement est complètement turbulent et on
observe de nombreuses structures de tailles variables. Une comparaison de ces deux images
permet d’illustrer les différentes échelles qui caractérisent ce problème pour un nombre de
Schmidt élevé. En effet, les plus petites structures de la figure de gauche, correspondant au
fluide, sont bien plus grandes que celles de la figure de droite, pour le scalaire. Le rapport
entre les tailles des structures est égal à √
Sc et est égal à 8 dans cet exemple.
||ω||
0 40
(a) Norme de la vorticité
θ
0 1
(b) Scalaire
Figure 6.12. – Champs instantanés dans le plan XZ, au centre du jet, à t = 4.5. Nu =
1283, Nθ = 1 0243, Sc = 64
Cette simulation a été réalisée en employant 32 cœurs CPU pour la résolution de l’écoulement
et 8 GPU pour le transport du scalaire à raison de 1,4 secondes par itérations, soit
23 minutes de calcul pour atteindre t = 5. La répartition des temps de calcul pour les
différentes parties de la résolution sont présentées en figure 6.13 pour différentes résolutions
et configurations. Par notre stratégie de programmation hybride, les résolutions des deux
parties du problème sont exécutées simultanément sur différentes ressources. Ainsi, le temps
de calcul total est donné par la plus longue des parties. Les trois premières lignes de la figure
correspondent à une étude de scalabilité forte car les résolutions restent identiques. La troisième
ligne fait apparaître une large part de communication pour l’advection multi-GPU
dans la direction Z. Le temps de calcul associé à cette étape est encore augmenté lorsque
la résolution du scalaire passe à 1 0243 points.
La nécessité d’une optimisation des communications entre GPU telle que suggérée par
les résultats de la section 6.2 est ici moins prononcée. En effet, dans la plupart des confi-
gurations employées pour cette application, la résolution du fluide est la partie limitante
du temps de calcul global. Ainsi, les communications, même non optimisées, générées par
1316. Implémentation sur architectures hétérogènes
le transport multi-GPU sont recouvertes par les calculs de l’écoulement sur CPU. Comme
nous l’avons détaillé précedemment, notre implémentation se base sur une majoration de
la quantité de données à échanger pour les communications inter-GPU. Dans ces exemples,
cela conduit à un volume de communications par GPU pour les cas Nu = 1283
et Nu = 2563
respectivement de 2 × 1282
et 4 × 2562 points pour les données du champ de vitesse. Pour
le scalaire, le nombre de points est de 10 × 5122
et 17 × 1 0242 pour les cas Nθ = 5123
et
Nθ = 1 0243
.
Cette estimation des tailles de communications est réalisée à priori par l’utilisateur
à partir d’une majoration du pas de temps et du champ de vitesse. Une limite à cette
approche est que les données échangées ne sont pas toujours entièrement utilisées. En effet,
au gré de l’évolution du pas de temps, la taille des données nécessaires peut diminuer par
rapport à l’estimation. De même, le maximum de vitesse n’est pas nécessairement atteint
au voisinage des bords du domaine local. La mise en place d’un calcul de la taille des
données à échanger à chaque itération a été envisagé mais n’a pas été retenu. En effet,
la complexité algorithmique supplémentaire ne permet pas nécessairement de conduire à
une réduction des temps de calcul liés à la diminution du volume des communications. Le
code GPU que nous développons exploite des tableaux en mémoire partagée dans laquelle
l’allocation dynamique n’est pas possible. Par conséquent, un changement dans la taille de
ces tableaux nécessite une recompilation des noyaux OpenCL au cours de l’exécution. Cette
recompilation peut être réalisée seulement dans les cas où la taille des tableaux augmente.
Cependant, les communications et les transferts seraient effectués sur des données non
contiguës, ce qui nuit aux performances.
On notera que le temps de calcul associé aux communications induites par le découpage
par tâches de l’implémentation hybride sont assez faibles car elles ne concernent que
le champ de vitesse. Enfin, les temps de calculs pour l’advection de la vorticité sont assez
longs relativement à la résolution du champ de vitesse. Une des causes de ce comportement
est que l’implémentation multi-CPU développée par Lagaert et al. (2014) que nous
utilisons est plutôt destinée à traiter de larges résolutions sur un très grand nombre de
processeurs, jusqu’à 3 0643 points sur 2 048 cœurs. De plus, traiter un problème de taille
1283
sur 32 cœurs conduit à une charge par cœur de seulement 1282 × 4 points. Le volume
de communications généré dans la direction Z devient relativement important car toutes
les particules nécessitent un envoi, le support de la formule de remaillage étant plus large
que le domaine local. Le cas 4 est le seul où le calcul du transport du scalaire est plus long
que le calcul de l’écoulement sur CPU. Ce déséquilibre sera vraisemblablement atténué par
une optimisation des communications entre GPU.
Comme pour l’étude dans le cas multi-GPU, nous réalisons une étude de scalabilité
faible, sur la figure 6.14a, dont les temps de calculs sont donnés sur la figure 6.14b. Deux cas
d’occupation des nœuds sont considérés. Le premier consiste en la résolution d’un problème
de taille Nu = 1283
et Nθ = 5123 pour un ensemble de ressources composé de 4 cœurs
CPU pour la résolution du fluide et 1 GPU pour le transport du scalaire, ce qui correspond
à une occupation de 5/8 = 62, 5%. Le second cas nous permet d’atteindre une occupation
maximale en utilisant 7 cœurs. La taille du sous-problème de la partie fluide Nu = 1123 =
(7 × 16)3
est ajustée pour être multiple de 7. Comme prévu par les résultats précédents,
la résolution du fluide est effectuée en un temps plus long que le transport du scalaire.
Dans les deux cas, l’évolution du temps de calcul du solveur multi-GPU donne lieu à une
1326.3. Transport turbulent d’un scalaire passif
Cas 5 : N
u = 2563
-32CPU
N
θ = 1 0243
-8GPU
Cas 4 : N
u = 1283
-32CPU
N
θ = 1 0243
-8GPU
Cas 3 : N
u = 1283
-32CPU
N
θ = 5123
-8GPU
Cas 2 : N
u = 1283
-8CPU
N
θ = 5123
-1GPU
Cas 1 : N
u = 1283
-4CPU
N
θ = 5123
-1GPU
0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5
Temps de calcul par itération
Temps total
Calcul de ∆t
Advection ω
Étirement
Diffusion ω
Poisson
Advection θ (dir. X)
Advection θ (dir. Y)
Advection θ (dir. Z)
Advection θ (comm. dir. Z)
Diffusion θ
Comm. hybride
Figure 6.13. – Répartition du temps de calcul pour le cas hybride
scalabilité similaire à celle obtenue pour la figure 6.5. Les communications entre GPU sont
pénalisées par la présence des communications induites par la résolution de l’écoulement
sur CPU, en plus des raisons évoquées en section 6.2. En effet, toutes les communications
internœuds passent nécessairement par le même réseau et se partagent sa bande passante,
ce qui limite les performances en comparaison au cas où seuls les GPU sont utilisés. En
revanche, la scalabilité reste supérieure à 85 et 70% respectivement dans les deux cas sur
48 et 84 cœurs pour le calcul de l’écoulement.
Conclusion
Dans ce chapitre nous avons vu comment les mécanismes habituels utilisés pour l’exploitation
des CPU multicœurs des machines à mémoire distribuée s’étendent au cas des
accélérateurs. L’approche étudiée consiste à compléter le parallélisme classique pour la gestion
de la mémoire distribuée par un niveau de parallélisme spécifique à l’utilisation des
accélérateurs. Ainsi, notre implémentation est capable d’exploiter l’ensemble des ressources
d’une machine hétérogène, composée de CPU multicœurs et de cartes graphiques. Dans le
modèle de programmation OpenCL, les cartes graphiques sont associées à un processus hôte
sur le CPU. Dans le cas d’une utilisation seule des GPU, un grand nombre de cœurs sont
donc inutilisés. Nous avons exploré une solution à ce problème d’occupation à l’occasion
de l’exemple de transport de scalaire dans un écoulement turbulent. L’idée est de placer
des processus sur l’ensemble des cœurs des nœuds et de les associer à différentes tâches.
Un ensemble de processus est identifié comme hôtes des cartes graphiques permettent de
1336. Implémentation sur architectures hétérogènes
Cas 1 : 1283
|5123
Ressources unitaires : (4CPU + 1GPU)
Temps total
Fluide
Scalaire
Cas 2 : 1123
|5123
Ressources unitaires : (7CPU + 1GPU)
Temps total
Fluide
Scalaire
0
0.1
0.2
0.3
0.4
0.5
0.6
0.7
0.8
0.9
1
2 4 6 8 10 12
Scalabilité faible : ˜S
=
T(1)
1 /Tn
Quantité de ressources
(a) Scalabilité faible
0
0.5
1
1.5
2
2.5
3
2 4 6 8 10 12
Temps de calcul par itération (s)
Quantité de ressources
(b) Temps de calcul
Figure 6.14. – Scalabilité faible pour le cas hybride
calculer le transport du scalaire alors que les autres processus sont affectés à la résolution
de l’écoulement.
Ce chapitre nous a permis d’analyser les performances de la méthode dans un cadre
multi-GPU à travers une étude de scalabilité faible. Il apparaît dans les résultats que la
part de temps de calcul induite par les communications entre cartes graphiques nécessite des
optimisations. En effet, diverses stratégies ont été évoquées telles qu’un découpage en blocs
pour un traitement en chaîne ou encore un recouvrement par les calculs ne nécessitant pas
de communications. Toutefois, lors de la résolution hybride du problème complet, le temps
de calcul est généralement limité par la résolution du fluide sur les cœurs CPU.
Le problème de transport de scalaire passif par un jet plan turbulent a été réalisé sur
diverses configurations matérielles jusqu’à l’exploitation de 6 nœuds complets de la machine
Froggy, soit 96 cœurs CPU et 8 GPU et pour des résolution de 2563 points pour le fluide
et 1 0243 pour le scalaire. Une limitation de cette approche est que l’équilibrage de la
charge entre les CPU et les GPU n’est pas possible autrement que par une modification
des résolutions ou des paramètre des méthodes. Ainsi, le meilleur équilibrage de charge
est obtenu dans le cas 4 de la figure 6.13 et pourrait être amélioré par l’optimisation des
communications inter-GPU. Pour ce qui est du cas 5, correspondant aux résolutions les plus
importantes, une solution consisterait à employer des ressources CPU supplémentaires, des
nœuds sans GPU par exemple.
134Conclusion générale
L’objectif principal de cette thèse était d’explorer les possibilités d’une exploitation de
machines de calcul hétérogènes par une méthode hybride pour la résolution de problèmes
multiéchelles de transport de scalaire passif.
La méthode de résolution employée repose sur une méthode particulaire avec remaillage.
Elle s’identifie à une classe de méthodes semi-Lagrangiennes dans laquelle les particules
suivent les trajectoires de l’écoulement mais en traitant l’interpolation particule-grille de
manière explicite par remaillage. L’intérêt majeur est de combiner les avantages des mé-
thodes Lagrangiennes et Eulériennes. En effet, cette méthode permet l’utilisation de pas
de temps plus grands que ceux obtenus sous une contrainte de CFL classique pour les
méthodes de grille. De plus, elle est parfaitement adaptée à la résolution d’équations de
conservation et permet une montée en ordre des schémas numériques lorsque des formules
de remaillages conservant un grand nombre de moments et suffisamment régulières sont
utilisées. Nous avons exposé, dans le chapitre 2, une méthode de construction de telles
formules dont les caractéristiques influent directement sur l’ordre de la méthode. Dans ce
même chapitre, nous avons exploité l’analogie avec la méthode des différences finies pour
démontrer la consistance et la stabilité des schémas numériques ainsi obtenus.
Le principe d’une méthode hybride tel que rappelé dans le chapitre 3 est de coupler différentes
méthodes de résolution adaptées aux différents aspects physiques et numériques du
problème considéré. Dans cette thèse, nous avons repris l’idée d’un couplage de la méthode
semi-Lagrangienne avec des schémas aux différences finies et des méthodes spectrales pour
la résolution de problèmes de transport de scalaire passif dans un écoulement turbulent.
Cette approche consiste à combiner les trois niveaux d’hybridation : grilles de résolutions
différentes pour l’écoulement et le transport du scalaire, méthodes numériques de diverses
natures et calcul sur architectures hétérogènes. Le calcul hybride est un aspect émergent du
calcul à hautes performances et découle directement de la volonté de s’adapter aux architectures
des machines de calcul parallèles. Le constat de leur évolution rapide nous a poussé
à développer un code multiarchitecture dans lequel l’accent a été mis sur la portabilité et
la souplesse d’utilisation (chapitre 4). Ce code est ainsi capable de s’exécuter sur divers
types d’architectures (CPU multicœur et GPU) et de machines (d’un portable jusqu’à un
serveur de calcul parallèle). Le langage Python a été choisi pour sa portabilité, sa simplicité
d’interfaçage avec d’autres langages et ses performances. Il nous permet d’orchestrer les
simulations en utilisant, entre autres, les librairies MPI et OpenCL ainsi que des routines
en Fortran.
135Conclusion générale
L’utilisation de cartes graphiques est particulièrement bien adaptée à la méthode particulaire
avec remaillage d’ordre élevé. En effet, comme nous l’avons montré dans le chapitre 5,
la régularité des structures de données ainsi que l’intensité opérationnelle des schémas numé-
riques nous permettent d’obtenir des performances de calcul intéressantes. En particulier,
dans une analyse par le modèle roofline, elles atteignent des performances généralement
supérieures à 50% de la puissance de calcul maximale atteignable. Les faibles temps de
calculs ainsi obtenus incitent à traiter des résolutions importantes. Cependant, elles sont
rapidement limitées par les tailles des différents niveaux de mémoire des cartes graphiques.
C’est pourquoi, nous avons développé une version multi-GPU de la méthode dont les performances,
en termes de scalabilité, ont été analysées dans le chapitre 6. Les résultats ont
montré un fort potentiel de réduction du temps de calcul induit par les communications
entre GPU sous réserve de leur optimisation et de leur recouvrement par des calculs. Cette
implémentation multi-GPU nous permet d’atteindre l’objectif principal de réalisation de
simulations de transport d’un scalaire passif dans un écoulement turbulent en exploitant
une méthode hybride et une architecture hétérogène multi-CPU et multi-GPU. Nous avons
proposé une approche permettant d’augmenter l’occupation des nœuds de calcul basée sur
un parallélisme par tâches. Elle conduit à la résolution simultanée du transport du scalaire
sur plusieurs cartes graphiques et de l’écoulement sur les cœurs CPU disponibles. Malgré
des temps de communications entre GPU relativement importants, le calcul du transport
du scalaire reste généralement plus rapide que celui de l’écoulement. Une limite à cette
stratégie est que la résolution de deux sous-problèmes sur des architectures différentes peut
conduire à un déséquilibre de charge qu’il est possible d’ajuster par une modification des
paramètres des méthodes et des tailles de grilles.
De nombreuses perspectives se dégagent des aspects mathématiques, numériques et applicatifs
de ce travail. Au niveau de la méthode numérique, il serait intéressant d’étendre
l’étude de montée en ordre aux schémas d’intégration des trajectoires des particules et de
splitting dimensionnel. Pour les premiers, nous avons réalisé l’analyse de consistance pour
des schémas d’advection d’ordre 1 et 2 ainsi que l’analyse de stabilité au premier ordre. Une
poursuite de ces études pour le cas de schémas d’ordres plus élevés serait nécessaire afin
de s’assurer de la validité de l’utilisation de schémas de type Runge-Kutta d’ordre 4, par
exemple. En ce qui concerne le splitting, nous avons essentiellement employé un splitting
de Strang d’ordre 2. La mise en œuvre d’un splitting d’ordre 3 ou 4 serait intéressante du
point de vue numérique et algorithmique.
D’autre part, lors de l’étude de la construction de formules de remaillage d’ordre élevés
Λp,r, nous avons tenté, de produire des formules diffusives, sans obtenir de résultats
satisfaisants. En pratique de telles formules ont été obtenues seulement à partir des noyaux
Λ2,r. L’intérêt de ces formules serait de réaliser une diffusion de la quantité transportée
par les particules directement dans l’étape de remaillage et ainsi d’éviter un second calcul
dédié. En effet, le traitement de la diffusion du scalaire passif, par différences finies dans
nos simulations, nécessite un parcours de l’ensemble des données en lecture et écriture dont
la suppression conduirait à une diminution du temps de calcul. Cette amélioration serait
vraisemblablement significative sur GPU mais devrait également être sensible sur des architectures
CPU plus classiques. La méthode de construction des formules, développée dans le
chapitre 2, consiste à résoudre un système linéaire dont les inconnues sont les coefficients
polynômiaux. Ce système traduit l’expression des différentes contraintes parmi lesquelles la
conservation des p premiers moments. Une étude plus fine que la simple modification de la
136contrainte de conservation du moment d’ordre 2 serait nécessaire pour la prise en compte
de la diffusion.
Du point de vue numérique, une perspective se dégage directement de l’analyse des
performances de la résolution du transport de scalaire dans un cas multi-GPU. Comme
nous l’avons souligné dans le chapitre 6, les communications entre cartes graphiques font
état d’un temps de traitement assez long comparativement au temps de calcul total. Une
réduction de ce temps de traitement est envisageable en deux étapes. Dans une première
étape, il serait intéressant d’optimiser les transferts de données entre GPU en utilisant une
approche similaire à celle employée dans la librairie MPI-ACC (Aji et al., 2012). L’idée est de
traiter les messages en plusieurs envois successifs. Ce traitement par blocs en chaîne devrait
permettre un recouvrement des différentes étapes et ainsi accélérer la communication. En
effet, pendant l’envoi du message correspondant à un bloc, il est possible de réaliser la
copie depuis l’hôte vers la carte de destination du bloc précédent ainsi que celle du bloc
suivant depuis la carte vers l’hôte émetteur. Dans une seconde étape, un recouvrement de
ces transferts par des calculs est possible en réalisant, par exemple, le calcul en deux passes.
Les calculs locaux, indépendants des données distantes, peuvent être réalisés pendant leurs
transferts.
En ce qui concerne l’implémentation multi-GPU, l’occupation des ressources CPU est
un problème délicat pour lequel nous avons proposé une solution dans le chapitre 6. En
effet, les nœuds de calculs présentent généralement plus de cœurs CPU que de GPU et
comme notre implémentation se base sur l’exploitation d’une carte par un seul processus,
cela conduit à une inutilisation des cœurs restants. L’approche basée sur un parallélisme
par tâches consiste, dans notre application, à réaliser le calcul de l’écoulement sur ces cœurs
CPU disponibles. Sur l’exemple d’utilisation de la machine Froggy, le fluide est calculé sur
4 des 7 cœurs disponibles, soit une occupation de 5/8 = 62.5%. Une occupation maximale
a été obtenue artificiellement en distribuant cette tâche sur l’ensemble des 7 cœurs en
ajustant la taille de la grille de résolution. De même, une tentative de placement de 8
processus pour cette même tâche sur les 8 cœurs physiques sur lesquels est ajouté un 9e
processus pour le calcul du scalaire a conduit à des performances largement dégradées. Nous
atteignons ainsi les limites de notre parallélisme par tâche qui, par choix de simplification
des communications, se restreint à la possibilité d’une seule tâche par processus. Cependant,
une autre stratégie pour l’augmentation de l’occupation est envisageable. Dans le cas des
octocœurs utilisés, les meilleurs résultats ont été obtenus en employant 1 cœur CPU associé
à 1 GPU pour le calcul du scalaire et 4 cœurs CPU pour le calcul de l’écoulement. Les trois
cœurs restants peuvent être assignés à d’autres tâches que celles de calcul telles que des
opérations de post-traitement, de sorties sur fichiers ou encore pour la gestion de reprises
des calculs en cours de simulation.
D’autre part, l’implémentation que nous avons proposé est basée exclusivement sur un
parallélisme par envoi de messages pour les tâches n’utilisant pas de GPU. Une perspective
intéressante serait d’envisager l’ajout d’un paradigme à mémoire partagée pour l’exploitation
des cœurs CPU. Ainsi, les cœurs d’un même nœuds seraient utilisés à travers un
parallélisme spécifique tel que OpenMP, ou même OpenCL. Un parallélisme à trois niveaux
serait donc obtenu en combinant l’utilisation de MPI entre les nœuds, OpenMP (ou
OpenCL) pour les cœurs CPU d’un même nœud et OpenCL pour les GPU. La conception
a été réalisée dans le but d’obtenir un code robuste dans lequel ces modifications peuvent
137Conclusion générale
être apportées sans impacter l’ensemble de la librairie et de manière transparente pour
l’utilisateur.
Enfin, une perspective à ce travail, en termes d’application, serait de réaliser des simulations
de transport de scalaire actif ayant un effet sur l’écoulement. Par exemple, lorsque
le scalaire représente une densité dans un écoulement de fluide multiphasique. Ce problème
se modélise par une équation de transport de la densité dont la vitesse est donnée par les
équations de Navier-Stokes. Dans ces dernières un terme barotrope apparaît pour permettre
la prise en compte de la densité comme force extérieure au modèle. En pratique la résolution
du transport de la densité est toujours envisagée sur GPU et celle du terme barotrope sera
mise en œuvre soit directement sur GPU soit sur CPU, selon la nature de la méthode numérique
utilisée. Dans le premier cas, cela implique une modification du champ de vitesse
sur GPU et donc son transfert vers le CPU pour la résolution de l’écoulement. Dans le
second cas, un simple transfert de la densité vers le CPU est nécessaire. L’intérêt de cette
application serait de conserver le caractère multiéchelle du problème en utilisant des grilles
de résolutions différentes pour l’écoulement et la densité. Dans ce cas, il serait nécessaire de
filtrer la densité, après son transport, à l’échelle de l’écoulement. Ce filtre serait réalisé sur
les GPU afin de ne transférer vers les CPU qu’une densité filtrée, donc de taille réduite.
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de type Λp,r
Cette annexe décrit l’ensemble des formules de remaillage de type Λp,r construites par
la méthode décrite dans la section 2.2. Les caractéristiques des formules sont résumées dans
le tableau A.1. Les formules sont regroupées en fonction de la largeur de leur support et
pour chaque noyau, nous donnons leur expression. Les poids de remaillage sont également
donnés et exprimés en fonction de la distance y de la particule au point de grille le plus
proche à gauche.
A.1. Formules de type Λ2,r
y
w0 w1 w2 w3
Figure A.1. – Poids de remaillage pour les formules de type Λ2,r
Formule Λ2,1
Λ2,1(x) = M0
4
(x) =
1 −
5
2
|x|
2 +
3
2
|x|
3 0 6 |x| < 1
2 − 4|x| +
5
2
|x|
2 −
1
2
|x|
3 1 6 |x| < 2
0 2 6 |x|
(A.1)
w[0] = (y * (y * (-y + 2.) - 1.)) / 2.
w[1] = (y * y * (3. * y - 5.) + 2.) / 2.
w[2] = (y * (y * (-3. * y + 4.) + 1.)) / 2.
w[3] = (y * y * (y - 1.)) / 2.
145A. Formules de remaillage de type Λp,r
Nom Moment maximal conservé Régularité Support Degré
Λ2,1 2 C
1
[−2; 2] 3
Λ2,2 2 C
2
[−2; 2] 5
Λ2,3 2 C
3
[−2; 2] 7
Λ2,4 2 C
4
[−2; 2] 9
Λ4,2 4 C
2
[−3; 3] 5
Λ4,3 4 C
3
[−3; 3] 7
Λ4,4 4 C
4
[−3; 3] 9
Λ6,3 6 C
3
[−4; 4] 7
Λ6,4 6 C
4
[−4; 4] 9
Λ6,5 6 C
5
[−4; 4] 11
Λ6,6 6 C
6
[−4; 4] 13
Λ8,4 8 C
4
[−5; 5] 9
Tableau A.1. – Comparatif des formules de remaillage de type Λp,r.
Formule Λ2,2
Λ2,2(x) =
1 − |x|
2 −
9
2
|x|
3 +
15
2
|x|
4 − 3|x|
5 0 6 |x| < 1
−4 + 18|x| − 29|x|
2 +
43
2
|x|
3 −
15
2
|x|
4 + |x|
5 1 6 |x| < 2
0 2 6 |x|
(A.2)
w[0] = (y * (y * (y * (y * (2. * y - 5.) + 3.) + 1.) - 1.)) / 2.
w[1] = (y * y * (y * (y * (-6. * y + 15.) - 9.) - 2.) + 2.) / 2.
w[2] = (y * (y * (y * (y * (6. * y - 15.) + 9.) + 1.) + 1.)) / 2.
w[3] = (y * y * y * (y * (-2. * y + 5.) - 3.)) / 2.
146A.2. Formules de type
Λ
4,r
Formule Λ2,3
Λ2,3(x) =
1 − |x|2 − 15|x|4 + 752 |x|5 − 632 |x|6 + 9|x|7 0 6 |x| < 1 32 − 168|x| + 376|x|2 − 460|x|3 + 330|x|4 − 2772 |x|5 + 632 |x|6 − 3|x|7 1 6 |x| < 2 0 2 6 |x| (A.3)
w[0] = (y * (y * (y * y * (y * (y * (-6. * y + 21.) - 25.) + 10.) + 1.) - 1.)) / 2.
w[1] = (y * y * (y * y * (y * (y * (18. * y - 63.) + 75.) - 30.) - 2.) + 2.) / 2.
w[2] = (y * (y * (y * y * (y * (y * (-18. * y + 63.) - 75.) + 30.) + 1.) + 1.)) / 2.
w[3] = (y * y * y * y * (y * (y * (6. * y - 21.) + 25.) - 10.)) / 2.
Formule Λ2,4
Λ2,4(x) =
1 − |x|2 − 1052 |x|5 + 3572 |x|6 − 231|x|7 + 135|x|8 − 30|x|9 0 6 |x| < 1 −208 + 1432|x| − 4304|x|2 + 7420|x|3 − 8085|x|4 +11543 2 |x|5 − 5397 2 |x|6 + 797|x|7 − 135|x|8 + 10|x|9 1 6 |x| < 2 0 2 6 |x| (A.4)
w[0] = (y * (y * (y * y * y * (y * (y * (y * (20. * y - 90.) + 154.) - 119.) + 35.) + 1.) - 1.)) / 2.
w[1] = (y * y * (y * y * y * (y * (y * (y * (-60. * y + 270.) - 462.) + 357.) - 105.) - 2.) + 2.) / 2.
w[2] = (y * (y * (y * y * y * (y * (y * (y * (60. * y - 270.) + 462.) - 357.) + 105.) + 1.) + 1.)) / 2.
w[3] = (y * y * y * y * y * (y * (y * (y * (-20. * y + 90.) - 154.) + 119.) - 35.)) / 2.
147A. Formules de remaillage de type
Λp,r
y
w
0
w
1
w
2
w
3
w
4
w
5
Figure A.2. – Poids de remaillage pour les formules de type Λ4,r
A.2. Formules de type Λ4,r
Formule Λ4,2
Λ4,2(x) = M06(x) =
1 − 54 |x|2 − 3512 |x|3 + 214 |x|4 − 2512 |x|5 0 6 |x| < 1 −4 + 754 |x| − 2458 |x|2 + 545 24 |x|3 − 638 |x|4 + 2524 |x|5 1 6 |x| < 2 18 − 1534 |x| + 2558 |x|2 − 313 24 |x|3 + 218 |x|4 − 524 |x|5 2 6 |x| < 3 0 3 6 |x| (A.5)
w[0] = (y * (y * (y * (y * (-5. * y + 13.) - 9.) - 1.) + 2.)) / 24.
w[1] = (y * (y * (y * (y * (25. * y - 64.) + 39.) + 16.) - 16.)) / 24.
w[2] = (y * y * (y * (y * (-50. * y + 126.) - 70.) - 30.) + 24.) / 24.
w[3] = (y * (y * (y * (y * (50. * y - 124.) + 66.) + 16.) + 16.)) / 24.
w[4] = (y * (y * (y * (y * (-25. * y + 61.) - 33.) - 1.) - 2.)) / 24.
w[5] = (y * y * y * (y * (5. * y - 12.) + 7.)) / 24.
148A.2. Formules de type
Λ
4,r
Formule Λ4,3
Λ4,3(x) =
1 − 54 |x|2 − 283 |x|4 + 1456 |x|5 − 245 12 |x|6 + 356 |x|7 0 6 |x| < 1 31 − 1945 12 |x| + 2905 8 |x|2 − 5345 12 |x|3 + 1281 4 |x|4 − 1615 12 |x|5 + 2458 |x|6 − 3512 |x|7 1 6 |x| < 2 −297 + 3501 4 |x| − 8775 8 |x|2 + 3029 4 |x|3 − 3731 12 |x|4 + 911 12 |x|5 − 245 24 |x|6 + 712 |x|7 2 6 |x| < 3 0 3 6 |x| (A.6)
w[0] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (14. * y - 49.) + 58.) - 22.) - 2.) - 1.) + 2.)) / 24.
w[1] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-70. * y + 245.) - 290.) + 111.) + 4.) + 16.) - 16.)) / 24.
w[2] = (y * y * (y * y * (y * (y * (140. * y - 490.) + 580.) - 224.) - 30.) + 24.) / 24.
w[3] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-140. * y + 490.) - 580.) + 226.) - 4.) + 16.) + 16.)) / 24.
w[4] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (70. * y - 245.) + 290.) - 114.) + 2.) - 1.) - 2.)) / 24.
w[5] = (y * y * y * y * (y * (y * (-14. * y + 49.) - 58.) + 23.)) / 24.
Formule Λ4,4
Λ4,4(x) =
1 − 54 |x|2 + 14 |x|4 − 1003 |x|5 + 4554 |x|6 − 2952 |x|7 + 3454 |x|8 − 1156 |x|9 0 6 |x| < 1 −199 + 5485 4 |x| − 32975 8 |x|2 + 28425 4 |x|3 − 61953 8 |x|4 + 33175 6 |x|5 −20685 8 |x|6 + 3055 4 |x|7 − 1035 8 |x|8 + 115 12 |x|9 1 6 |x| < 2 5913 − 89235 4 |x| + 297585 8 |x|2 − 143895 4 |x|3 + 177871 8 |x|4 − 54641 6 |x|5 +19775 8 |x|6 − 1715 4 |x|7 + 3458 |x|8 − 2312 |x|9 2 6 |x| < 3 0 3 6 |x| (A.7)
w[0] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-46. * y + 207.) - 354.) + 273.) - 80.) + 1.) - 2.)
- 1.) + 2.)) / 24.
w[1] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (230. * y - 1035.) + 1770.) - 1365.) + 400.) - 4.) + 4.)
+ 16.) - 16.)) / 24.
w[2] = (y * y * (y * y * (y * (y * (y * (y * (-460. * y + 2070.) - 3540.) + 2730.) - 800.) + 6.) - 30.)
149A. Formules de remaillage de type
Λp,r
+ 24.) / 24.
w[3] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (460. * y - 2070.) + 3540.) - 2730.) + 800.) - 4.) - 4.)
+ 16.) + 16.)) / 24.
w[4] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-230. * y + 1035.) - 1770.) + 1365.) - 400.) + 1.) + 2.)
- 1.) - 2.)) / 24.
w[5] = (y * y * y * y * y * (y * (y * (y * (46. * y - 207.) + 354.) - 273.) + 80.)) / 24.
A.3. Formules de type Λ6,r
y
w
0
w
1
w
2
w
3
w
4
w
5
w
6
w
7
Figure A.3. – Poids de remaillage pour les formules de type Λ6,r
Formule Λ6,3
Λ6,3(x) =
1 − 4936 |x|2 − 959 144 |x|4 + 2569 144 |x|5 − 727 48 |x|6 + 623 144 |x|7 0 6 |x| < 1 1385 − 8617 60 |x| + 12873 40 |x|2 − 7912 |x|3 + 4557 16 |x|4 − 9583 80 |x|5 + 2181 80 |x|6 − 623 240 |x|7 1 6 |x| < 2 −440 + 25949 20 |x| − 117131 72 |x|2 + 2247 2 |x|3 − 66437 144 |x|4 + 81109 720 |x|5 − 727 48 |x|6 + 623 720 |x|7 2 6 |x| < 3 3632 5 − 7456 5 |x| + 58786 45 |x|2 − 633|x|3 + 26383 144 |x|4 − 22807 720 |x|5 + 727 240 |x|6 − 89 720 |x|7 3 6 |x| < 4 0 4 6 |x| (A.8)
w[0] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-89. * y + 312.) - 370.) + 140.) + 15.) + 4.) - 12.)) / 720.
w[1] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (623. * y - 2183.) + 2581.) - 955.) - 120.) - 54.) + 108.)) / 720.
w[2] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-1869. * y + 6546.) - 7722.) + 2850.) + 195.) + 540.) - 540.)) / 720.
w[3] = (y * y * (y * y * (y * (y * (3115. * y - 10905.) + 12845.) - 4795.) - 980.) + 720.) / 720.
150A.3. Formules de type Λ6,r
w[4] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-3115. * y + 10900.) - 12830.) + 4880.) - 195.) + 540.) + 540.)) / 720.
w[5] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (1869. * y - 6537.) + 7695.) - 2985.) + 120.) - 54.) - 108.)) / 720.
w[6] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-623. * y + 2178.) - 2566.) + 1010.) - 15.) + 4.) + 12.)) / 720.
w[7] = (y * y * y * y * (y * (y * (89. * y - 311.) + 367.) - 145.)) / 720.
Formule
Λ6,4
Λ6,4(x) =
1 − 4936
|x|
2 +
7
18
|x|
4 − 3521
144
|x|
5 + 12029 144
|x|
6 − 15617
144
|x|
7 + 1015 16
|x|
8 − 1015
72
|x|
9 0
6 |x| < 1
−877
5 + 72583 60
|x| − 145467 40
|x|
2 + 18809
3
|x|
3 − 54663
8
|x|
4 + 390327 80
|x|
5
−182549
80
|x|
6 + 161777 240
|x|
7 − 1827
16
|x|
8 + 203 24
|x|
9 1 6 |x| < 2
8695
− 656131
20
|x| + 3938809 72
|x|
2 − 158725
3
|x|
3 + 2354569 72
|x|
4 − 9644621
720
|x|
5
+523589 144
|x|
6 − 454097
720
|x|
7 + 1015 16
|x|
8 − 203
72
|x|
9 2 6 |x| <
3
−142528
5 + 375344
5
|x| − 3942344 45
|x|
2 + 178394
3
|x|
3 − 931315
36
|x|
4 + 5385983 720
|x|
5
−1035149
720
|x|
6 + 127511 720
|x|
7 − 203
16
|x|
8 + 2972
|x|
9 3
6 |x| <
4
0
4
6 |x|
(A.9)
w[0] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-1006. * y + 5533.) - 12285.) + 13785.) - 7829.)
+ 1803.) - 3.) - 5.) + 15.) + 4.) - 12.)) / 720.
w[1] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (7042. * y - 38731.) + 85995.) - 96495.) + 54803.)
- 12620.) + 12.) + 60.) - 120.) - 54.) + 108.)) / 720.
w[2] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-21126. * y + 116193.) - 257985.) + 289485.)
- 164409.) + 37857.) - 15.) - 195.) + 195.) + 540.) - 540.)) / 720.
w[3] = (y * y * (y * y * (y * y * (y * (y * (y * (y * (35210. * y - 193655.) + 429975.) - 482475.) + 274015.)
- 63090.) + 280.) - 980.) + 720.) / 720.
w[4] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-35210. * y + 193655.) - 429975.) + 482475.)
- 274015.) + 63085.) + 15.) - 195.) - 195.) + 540.) + 540.)) / 720.
w[5] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (21126. * y - 116193.) + 257985.) - 289485.)
+ 164409.) - 37848.) - 12.) + 60.) + 120.) - 54.) - 108.)) / 720.
w[6] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-7042. * y + 38731.) - 85995.) + 96495.) - 54803.)
151A. Formules de remaillage de type Λp,r
+ 12615.) + 3.) - 5.) - 15.) + 4.) + 12.)) / 720.
w[7] = (y * y * y * y * y * y * (y * (y * (y * (y * (1006. * y - 5533.) + 12285.) - 13785.) + 7829.)
- 1802.)) / 720.
Formule
Λ6,5
Λ6,5(x) =
1 − 4936
|x|
2 +
7
18
|x|
4 − 701
8
|x|
6 + 54803 144
|x|
7 − 32165
48
|x|
8 + 9555 16
|x|
9 − 38731
144
|x|10
+ 3521 72
|x|11
0
6 |x| < 1
1233
− 617533
60
|x| + 1544613 40
|x|
2 − 515179
6
|x|
3 + 502579
4
|x|
4 − 3809911
30
|x|
5
+3618099 40
|x|
6 − 10894163
240
|x|
7 + 251685 16
|x|
8 − 172123
48
|x|
9 + 38731 80
|x|10
− 3521
120
|x|11 1 6 |x| < 2
−181439
+ 16709441 20
|x| − 125352311 72
|x|
2 + 13002493
6
|x|
3 − 64445353
36
|x|
4 + 30912301 30
|x|
5
−3373567
8
|x|
6 + 88345523 720
|x|
7 − 1194095
48
|x|
8 + 160657 48
|x|
9 − 38731
144
|x|10
+ 3521 360
|x|11 2 6 |x| <
3
1188352
− 19108864
5
|x| + 250837216 45
|x|
2 − 14600752
3
|x|
3 + 25437902
9
|x|
4 − 17195278
15
|x|
5
+13253241 40
|x|
6 − 49136309
720
|x|
7 + 471205 48
|x|
8 − 45083
48
|x|
9 + 38731 720
|x|10
− 503
360
|x|11
3
6 |x| <
4
0
4
6 |x|
(A.10)
w[0] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-1006. * y + 5533.) - 12285.) + 13785.) - 7829.)
+ 1803.) - 3.) - 5.) + 15.) + 4.) - 12.)) / 720.
w[1] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (7042. * y - 38731.) + 85995.) - 96495.) + 54803.)
- 12620.) + 12.) + 60.) - 120.) - 54.) + 108.)) / 720.
w[2] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-21126. * y + 116193.) - 257985.) + 289485.)
- 164409.) + 37857.) - 15.) - 195.) + 195.) + 540.) - 540.)) / 720.
w[3] = (y * y * (y * y * (y * y * (y * (y * (y * (y * (35210. * y - 193655.) + 429975.) - 482475.) + 274015.)
- 63090.) + 280.) - 980.) + 720.) / 720.
w[4] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-35210. * y + 193655.) - 429975.) + 482475.)
- 274015.) + 63085.) + 15.) - 195.) - 195.) + 540.) + 540.)) / 720.
w[5] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (21126. * y - 116193.) + 257985.) - 289485.)
+ 164409.) - 37848.) - 12.) + 60.) + 120.) - 54.) - 108.)) / 720.
w[6] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-7042. * y + 38731.) - 85995.) + 96495.) - 54803.)
152A.3. Formules de type Λ6,r
+ 12615.) + 3.) - 5.) - 15.) + 4.) + 12.)) / 720.
w[7] = (y * y * y * y * y * y * (y * (y * (y * (y * (1006. * y - 5533.) + 12285.) - 13785.) + 7829.)
- 1802.)) / 720.
Formule
Λ6,6
Λ6,6(x) =
1 − 4936
|x|
2 +
7
18
|x|
4 −
1
36
|x|
6 − 46109
144
|x|
7 + 81361 48
|x|
8 − 544705
144
|x|
9 + 655039 144
|x|10
−223531
72
|x|11
+ 81991 72
|x|12
− 6307
36
|x|13
0
6 |x| < 1
−44291
5 + 1745121 20
|x| − 15711339 40
|x|
2 + 32087377 30
|x|
3 − 7860503
4
|x|
4 + 38576524 15
|x|
5
−24659323
10
|x|
6 + 84181657 48
|x|
7 − 74009313
80
|x|
8 + 17159513 48
|x|
9 − 7870247
80
|x|10
+438263 24
|x|11
− 81991
40
|x|12
+ 6307 60
|x|13 1 6 |x| < 2
3905497
− 424679647
20
|x| + 3822627865 72
|x|
2 − 2424839767
30
|x|
3 + 3009271097 36
|x|
4 − 930168127
15
|x|
5
+305535494
9
|x|
6 − 9998313437
720
|x|
7 + 203720335 48
|x|
8 − 137843153
144
|x|
9 + 22300663 144
|x|10
−6126883
360
|x|11
+ 81991 72
|x|12
− 6307
180
|x|13 2 6 |x| <
3
−255622144
5 + 971097344
5
|x| − 15295867328 45
|x|
2 + 5442932656 15
|x|
3 − 2372571796
9
|x|
4 + 2064517469 15
|x|
5
−9563054381
180
|x|
6 + 2210666335 144
|x|
7 − 796980541
240
|x|
8 + 76474979 144
|x|
9 − 43946287
720
|x|10
+343721 72
|x|11
− 81991
360
|x|12
+ 901 180
|x|13
3
6 |x| <
4
0
4
6 |x|
(A.11)
w[0] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (3604. * y - 23426.) + 63866.)
- 93577.) + 77815.) - 34869.) + 6587.) + 1.) - 3.) - 5.) + 15.) + 4.) - 12.)) / 720.
w[1] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-25228. * y + 163982.) - 447062.)
+ 655039.) - 544705.) + 244083.) - 46109.) - 6.) + 12.) + 60.) - 120.) - 54.) + 108.)) / 720.
w[2] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (75684. * y - 491946.) + 1341186.)
- 1965117.) + 1634115.) - 732249.) + 138327.) + 15.) - 15.) - 195.) + 195.) + 540.) - 540.)) / 720.
w[3] = (y * y * (y * y * (y * y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-126140. * y + 819910.) - 2235310.)
+ 3275195.) - 2723525.) + 1220415.) - 230545.) - 20.) + 280.) - 980.) + 720.) / 720.
153A. Formules de remaillage de type
Λp,r
w[4] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (126140. * y - 819910.) + 2235310.)
- 3275195.) + 2723525.) - 1220415.) + 230545.) + 15.) + 15.) - 195.) - 195.) + 540.) + 540.)) / 720.
w[5] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-75684. * y + 491946.) - 1341186.)
+ 1965117.) - 1634115.) + 732249.) - 138327.) - 6.) - 12.) + 60.) + 120.) - 54.) - 108.)) / 720.
w[6] = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (25228. * y - 163982.) + 447062.)
- 655039.) + 544705.) - 244083.) + 46109.) + 1.) + 3.) - 5.) - 15.) + 4.) + 12.)) / 720.
w[7] = (y * y * y * y * y * y * y * (y * (y * (y * (y * (y * (-3604. * y + 23426.) - 63866.) + 93577.)
- 77815.) + 34869.) - 6587.)) / 720.
A.4. Formules de type Λ8,r
y
w
0
w
1
w
2
w
3
w
4
w
5
w
6
w
7
w
8
w
9
Figure A.4. – Poids de remaillage pour les formules de type Λ8,r
154A.4. Formules de type Λ8,r
Formule
Λ8,4
Λ8,4(x) =
1 − 205 144
|x|
2 + 91 192
|x|
4 − 6181
320
|x|
5 + 6337 96
|x|
6 − 2745
32
|x|
7 + 28909 576
|x|
8 − 3569
320
|x|
9
0
6 |x| < 1
−154
+ 12757 12
|x| − 230123 72
|x|
2 + 264481 48
|x|
3 − 576499
96
|x|
4 + 686147 160
|x|
5
−96277
48
|x|
6 + 14221 24
|x|
7 − 28909
288
|x|
8 + 3569 480
|x|
9
1 6 |x| < 2
68776
7 − 1038011 28
|x| + 31157515 504
|x|
2 − 956669
16
|x|
3 + 3548009 96
|x|
4 − 2422263
160
|x|
5
+197255 48
|x|
6 − 19959
28
|x|
7 + 144545 2016
|x|
8 − 3569
1120
|x|
9
2 6 |x| <
3
−56375
+ 8314091 56
|x| − 49901303 288
|x|
2 + 3763529 32
|x|
3 − 19648027
384
|x|
4 + 9469163 640
|x|
5
−545977
192
|x|
6 + 156927 448
|x|
7 − 28909
1152
|x|
8 + 3569 4480
|x|
9
3
6 |x| <
4
439375
7 − 64188125 504
|x| + 231125375 2016
|x|
2 − 17306975
288
|x|
3 + 7761805 384
|x|
4 − 2895587
640
|x|
5
+129391 192
|x|
6 − 259715
4032
|x|
7 + 28909 8064
|x|
8 − 3569
40320
|x|
9
4
6 |x| < 5
0 5 6 |x|
(A.12)
w0 = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-3569. * y + 16061.) - 27454.) + 21126.) - 6125.)
+ 49.) - 196.) - 36.) + 144.)) / 40320.
w1 = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (32121. * y - 144548.) + 247074.) - 190092.)
+ 55125.) - 672.) + 2016.) + 512.) - 1536.)) / 40320.
w2 = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-128484. * y + 578188.) - 988256.) + 760312.)
- 221060.) + 4732.) - 9464.) - 4032.) + 8064.)) / 40320.
w3 = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (299796. * y - 1349096.) + 2305856.) - 1774136.)
+ 517580.) - 13664.) + 13664.) + 32256.) - 32256.)) / 40320.
w4 = (y * y * (y * y * (y * (y * (y * (y * (-449694. * y + 2023630.) - 3458700.) + 2661540.)
- 778806.) + 19110.) - 57400.) + 40320.) / 40320.
w5 = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (449694. * y - 2023616.) + 3458644.) - 2662016.)
+ 780430.) - 13664.) - 13664.) + 32256.) + 32256.)) / 40320.
w6 = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-299796. * y + 1349068.) - 2305744.) + 1775032.)
- 520660.) + 4732.) + 9464.) - 4032.) - 8064.)) / 40320.
w7 = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (128484. * y - 578168.) + 988176.) - 760872.)
+ 223020.) - 672.) - 2016.) + 512.) + 1536.)) / 40320.
155A. Formules de remaillage de type Λp,r w8 = (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (y * (-32121. * y + 144541.) - 247046.) + 190246.) - 55685.) + 49.) + 196.) - 36.) - 144.)) / 40320. w9 = (y * y * y * y * y * (y * (y * (y * (3569. * y - 16060.) + 27450.) - 21140.) + 6181.)) / 40320.
156B. Publications
157ESAIM: M2AN 48 (2014) 1029–1060 ESAIM: Mathematical Modelling and Numerical Analysis
DOI: 10.1051/m2an/2014009 www.esaim-m2an.org
HIGH ORDER SEMI-LAGRANGIAN PARTICLE METHODS
FOR TRANSPORT EQUATIONS:
NUMERICAL ANALYSIS AND IMPLEMENTATION ISSUES
G.-H. Cottet1, J.-M. Etancelin1, F. Perignon1 and C. Picard1
Abstract. This paper is devoted to the definition, analysis and implementation of semi-Lagrangian
methods as they result from particle methods combined with remeshing. We give a complete consistency
analysis of these methods, based on the regularity and momentum properties of the remeshing
kernels, and a stability analysis of a large class of second and fourth order methods. This analysis
is supplemented by numerical illustrations. We also describe a general approach to implement these
methods in the context of hybrid computing and investigate their performance on GPU processors as
a function of their order of accuracy.
Mathematics Subject Classification. 65M12, 65M75, 65Y05, 65Y20.
Received October 22, 2013. Revised January 28, 2014.
Published online June 30, 2014.
1. Introduction
Particle methods are Lagrangian methods that have been designed for advection dominated problems, with
applications mostly in plasma physics [10], incompressible flows [4,7,16], or gas dynamics [20]. Following [12, 13],
particle methods are often associated with remeshing, in order to maintain the regularity of the particle distribution
and, as a consequence, to control the accuracy of the method in presence of strong strain in the flow
carrying the particles. Remeshing removes the grid free nature of particle methods but maintains some of its
features like conservation, locality, and stability. It not only guarantees accuracy but also allows to combine in
a seamless fashion particle methods with grid-based techniques, like domain decomposition methods and fast
FFT-based Poisson solvers for field evaluations [5, 22], multi-resolution and adaptive mesh refinement [1, 2].
In practice particle remeshing occurs every few time steps. In that case, and as long as the remeshing frequency
does not increase when the discretization parameters tend to zero, Remeshed Particle Methods (RPM in the
sequel) can be viewed as conservative forward semi-lagrangian methods. Classical semi-lagrangian methods for
transport equations combine tracking of trajectories originating at grid points and interpolation from the grid.
Because they operate on local point values, semi-lagrangian methods in general do not conserve mass, unless
some specific treatment is done. By contrast, particle methods transport masses which makes them inherently
conservative.
Keywords and phrases. Advection equations, particle methods, semi-Lagrangian methods, GPU computing.
1 Universit´e Grenoble Alpes and CNRS, Laboratoire Jean Kuntzmann, BP 53 38041, Grenoble Cedex 9, France.
georges-henri.cottet@imag.fr
Article published by EDP Sciences c EDP Sciences, SMAI 2014
Proposition d’une architecture de surveillance ”active” `a
base d’agents intelligents pour l’aide `a la maintenance de
syst`emes mobiles - Application au domaine ferroviaire
Antoine Le Mortellec
To cite this version:
Antoine Le Mortellec. Proposition d’une architecture de surveillance ”active” `a base d’agents
intelligents pour l’aide `a la maintenance de syst`emes mobiles - Application au domaine ferroviaire.
Automatic Control Engineering. Universit´e de Valenciennes et du Hainaut-Cambresis,
2014. French. .
HAL Id: tel-00947981
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00947981v2
Submitted on 4 Apr 2014
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scientifiques de niveau recherche, publi´es ou non,
´emanant des ´etablissements d’enseignement et de
recherche fran¸cais ou ´etrangers, des laboratoires
publics ou priv´es.Thèse de doctorat
Pour obtenir le grade de Docteur de l’Université de
VALENCIENNES ET DU HAINAUT-CAMBRESIS
Spécialité Automatique et Génie Informatique
Présentée et soutenue par Antoine LE MORTELLEC
Le 30/01/2014 à Valenciennes
Ecole doctorale :
Sciences Pour l’Ingénieur (SPI)
Equipe de recherche, Laboratoire :
Laboratoire : Thermique Ecoulement Mécanique Matériaux Mise en Forme Production (TEMPO)
Equipe : Production, Services, Information (PSI)
Proposition d’une architecture de surveillance “active” à base d’agents
intelligents pour l’aide à la maintenance de systèmes mobiles
Application au domaine ferroviaire
JURY
Président du jury
Pierre Castagna. Professeur à l’Université de Nantes.
Rapporteurs
Zineb Simeu-Abazi. Maître de conférences HDR à l’Université Joseph Fourier de Grenoble.
Benoît Iung. Professeur à l’Université de Lorraine.
Samir Lamouri. Professeur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Arts et Métiers Paris Tech.
Examinateur
Audine Subias. Maître de conférences HDR à l’Université de Toulouse.
Directeur de thèse
Damien Trentesaux. Professeur à l’Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis.
Co-encadrants de thèse
Yves Sallez. Maître de conférences HDR à l’Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis.
Thierry Berger. Maître de conférences à l’Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis.
Membre invité
Frédéric Grzesiak. Directeur technique de la société PROSYST de Valenciennes.
N° Ordre : 14/06 Page 2
Page 3
Avant-propos
Cette thèse s’inscrit dans le cadre du projet SURFER (SURveillance active FERroviaire)
conduit par Bombardier-Transport, en collaboration avec la société PROSYST, le groupe
HIOLLE INDUSTRIES, l'Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis (UVHC) et
l'Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l'Aménagement et des
Réseaux (IFSTTAR). Elle a été financée dans le cadre d’un contrat de collaboration de
Recherche entre le laboratoire TEMPO EA4542 et la société PROSYST. Le temps de travail a
été partagé entre ces deux entités.
Le projet SURFER est supporté financièrement par le Fonds Unique Interministériel (FUI) et
la région Nord Pas-de-Calais, et sponsorisé par les Pôles de compétitivité i-Trans et
Advancity.
Les accords de consortium établis entre les différents partenaires du projet SURFER ont
restreint la divulgation de certains développements scientifiques et technologiques réalisés
pendant mes travaux de Recherche. Ces éléments ne sont donc pas publiés dans ce manuscrit. Page 4
Remerciements
Les travaux présentés dans ce manuscrit ont été réalisés au sein de l’équipe PSI du laboratoire
TEMPO de l’Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis en collaboration avec la
société PROSYST.
Je tiens à remercier en premier lieu le professeur Damien Trentesaux, responsable de l’équipe
PSI, qui a dirigé cette thèse pour la qualité de son encadrement, ses conseils pertinents et son
aide tout au long de ces trois années de doctorat. Je remercie mes co-encadrants de thèse,
M. Yves Sallez, Maître de Conférences HDR, et M. Thierry Berger, Maître de Conférences,
pour leur disponibilité, leurs critiques constructives et leurs encouragements, ainsi que pour le
temps qu’ils ont consacré à relire et à corriger ce manuscrit.
J’exprime toute ma gratitude à Mme Zineb Simeu-Abazi, Maître de Conférences HDR au
laboratoire G-SCOP de Grenoble, à M. Benoît Iung, professeur au CRAN de Nancy et à
M. Samir Lamouri, professeur à l’École Nationale Supérieure d’Arts et Métiers Paris Tech,
qui m’ont fait l’honneur de rapporter cette thèse. J’ai été particulièrement sensible à leur
lecture attentive de ce manuscrit, aux nombreuses discussions et perspectives scientifiques
qu’ils ont apportées à mes travaux. Je remercie vivement Mme Audine Subias, Maître de
Conférences HDR au LAAS de Toulouse pour avoir accepté d’examiner cette thèse et
M. Pierre Castagna, professeur à l’IRCCyN de Nantes, pour avoir accepté de présider ce jury.
Mes remerciements s’adressent également à l’ensemble du personnel de la société PROSYST
et à son dirigeant, M. Abdallah Asse, pour leur accueil et leur sympathie. Je remercie
chaleureusement M. Frédéric Grzesiak, directeur technique et M. Khaled El Sanwar,
ingénieur de Recherche et Développement, pour leur aide, la vision qu’ils m’ont transmise sur
les différents aspects du sujet de thèse et la confiance qu’ils m’ont accordée.
Je tiens à remercier M. Guillaume Branger, ingénieur de Recherche et Développement au sein
de Bombardier-Transport France et pilote du projet SURFER, pour son soutien, l’expérience
qu’il m’a apportée et l’intérêt qu’il a porté à l’égard de mes travaux.
Je remercie évidemment les membres de l’équipe TEMPO-PSI ainsi que tous les “surfeurs”
qui ont contribué à la concrétisation de cette thèse. Je pense en particulier à Joffrey Clarhaut,
Rebiha Bekrar, Jean Gandibleux, Quentin Coutadeur et Vivien Basselot.
Je remercie ma famille pour m’avoir soutenu pendant toutes ces années d’études. Merci à mes
sœurs, Cécile et Aurore, sans qui cette thèse n’existerait probablement pas.
Je n’oublie pas mes amis, notamment mes amis Rennais, qui m’ont toujours encouragé et
motivé pendant ces années passées dans le “ch’Nord”. Merci à vous. REMERCIEMENTS
Page 5
À ma maman..., Page 6
Table des matières
Introduction générale ............................................................................................................................................. 9
Ch. I Problématique de la surveillance pour l’aide à la maintenance ............................................................... 12
Introduction ...................................................................................................................................................... 12
1. Contexte général ........................................................................................................................................... 13
1.1 Approche systémique adoptée ................................................................................................................ 13
1.2 Propriétés des systèmes cibles considérés .............................................................................................. 14
1.3 Terminologie relative à la maintenance .................................................................................................. 16
1.4 Activités de la maintenance .................................................................................................................... 17
2. Fonctions d’un système de surveillance ....................................................................................................... 20
2.1 Détection ................................................................................................................................................ 22
2.2 Diagnostic ............................................................................................................................................... 22
2.3 Pronostic ................................................................................................................................................. 23
2.4 Elaboration de conseils ........................................................................................................................... 23
3. Modèle d’architecture de surveillance .......................................................................................................... 24
3.1 Standards d’architectures de surveillance ............................................................................................... 24
3.2 Problématiques de la surveillance des systèmes cibles considérés ......................................................... 30
4. Conclusion .................................................................................................................................................... 34
Ch. II Surveillance de systèmes mobiles : état de l’art et approches de surveillance active .............................. 35
Introduction ...................................................................................................................................................... 35
1. Etat de l’art des architectures de diagnostic .................................................................................................. 35
1.1 Diagnostic distant ................................................................................................................................... 36
1.2 Diagnostic embarqué .............................................................................................................................. 38
1.3 Typologie des architectures de diagnostic .............................................................................................. 43
2. Approches de surveillance active.................................................................................................................. 45
2.1 Concept de surveillance active ............................................................................................................... 46
2.2 Approche multi-agents ........................................................................................................................... 47
2.3 Approche holonique ............................................................................................................................... 49
2.4 Comparaison des approches ................................................................................................................... 52
3. Conclusion .................................................................................................................................................... 53
Ch. III Proposition d’une architecture holonique pour la surveillance active de systèmes cibles mobiles ...... 54
Introduction ...................................................................................................................................................... 54
1. Système de surveillance holonique ............................................................................................................... 54
1.1 Approche de modélisation du système cible à surveiller ........................................................................ 55
1.2 Spécification d’une architecture holonique de surveillance ................................................................... 58
1.3 Architecture de surveillance proposée .................................................................................................... 61
2. Structure interne d’un holon de surveillance ................................................................................................ 66
2.1 Données exploitées par la fonction de surveillance d’un holon ............................................................. 66
2.2 Hypothèses pour l’élaboration d’un diagnostic ...................................................................................... 67
2.3 Modules internes d’une fonction de surveillance ................................................................................... 67
2.4 Niveaux de diagnostic d’une fonction de surveillance ........................................................................... 69
3. Conclusion .................................................................................................................................................... 71
Ch. IV Mise en œuvre de l’architecture holonique de surveillance active ......................................................... 72
Introduction ...................................................................................................................................................... 72
1. Diagnostic PSC individuel non-contextualisé ............................................................................................... 73
1.1 Nature des systèmes diagnostiqués ......................................................................................................... 73
1.2 Méthode de diagnostic mise en œuvre ................................................................................................... 73
1.3 Limitations de la méthode de diagnostic mise en œuvre ........................................................................ 74
2. Contextualisation du diagnostic .................................................................................................................... 75
2.1 Contextualisation individuelle ................................................................................................................ 76
2.2 Contextualisation collective ................................................................................................................... 78
3. Description comportementale des holons de surveillance ............................................................................ 80
3.1 Comportements des holons élémentaires................................................................................................ 82TABLE DES MATIÈRES
Page 7
3.2 Comportements des holons composés .................................................................................................... 84
4. Mise en œuvre des holons de surveillance .................................................................................................... 87
4.1 Implémentation de la partie informationnelle d’un holon ...................................................................... 87
4.2 Implantation physique des holons de surveillance ................................................................................. 88
5. Conclusion .................................................................................................................................................... 89
Ch. V Application au domaine ferroviaire .......................................................................................................... 90
Introduction ...................................................................................................................................................... 90
1. Contexte industriel du projet SURFER ......................................................................................................... 90
1.1 Objectifs du projet SURFER .................................................................................................................. 90
1.2 Utilisateurs du système SURFER ........................................................................................................... 91
2. Application de notre proposition pour un système train ............................................................................... 92
2.1 Instanciation de l’architecture holonique de surveillance ....................................................................... 93
2.2 Algorithmes des holons de surveillance ................................................................................................. 95
2.3 Exemples de scénarios de diagnostic ...................................................................................................... 99
3. Plateforme expérimentale ........................................................................................................................... 102
3.1 Architecture de la plateforme PEMAS ................................................................................................. 103
3.2 Implémentation des agents dans Jade ................................................................................................... 105
4. Résultats obtenus ........................................................................................................................................ 108
4.1 Implémentation de la couche acquisition embarquée ........................................................................... 108
4.2 Mise en œuvre de la méthode de diagnostic à base de modèle ............................................................. 109
4.3 Contextualisation du diagnostic............................................................................................................ 110
5. Conclusion .................................................................................................................................................. 110
Références .......................................................................................................................................................... 117
Liste des figures .................................................................................................................................................. 129
Annexes .............................................................................................................................................................. 131
Annexe A : Complément sur l’approche systémique ...................................................................................... 132
Annexe B : Etude comparative des méthodes de diagnostic ........................................................................... 133
B.1 Méthodes à base de modèles (MBD) ................................................................................................... 134
B.2 Méthodes basées sur des données historiques...................................................................................... 139
B.3 Comparaison des méthodes de diagnostic ........................................................................................... 141
Annexe C : Méthode de diagnostic mise en œuvre ......................................................................................... 144
Annexe D : Prototype SURFER ..................................................................................................................... 146 TABLE DES MATIÈRES
Page 8 Page 9
Introduction générale
Pour se démarquer et rester compétitif, les industriels misent notamment sur le développement
et l’intégration rapide de nouvelles fonctionnalités offertes par les évolutions technologiques
de l’information et de la communication.
Ces deux dernières décennies, les systèmes embarqués ont été introduits dans de nombreux
domaines d’application (transport, industrie, habitat, médical...). Ces systèmes se sont vu
confier des tâches plus importantes pour délivrer de nouveaux services aux utilisateurs avec
des délais de mise sur le marché toujours plus courts et à moindre coût. Dans certains
domaines, ces systèmes ont également permis de répondre aux exigences accrues en matière
de sécurité et de fiabilité.
Paradoxalement, le développement de ces équipements embarqués a contribué à accroitre le
nombre de pannes des systèmes dans lesquels ils sont enfouis. Ces pannes, aux conséquences
généralement coûteuses, voir catastrophiques, sont devenues inacceptables pour les industriels
qui commercialisent ces produits ainsi que pour leurs clients. L’identification des causes de
certaines pannes représente actuellement un véritable challenge dans les activités de la
maintenance. Elles entrainent une indisponibilité excessive des équipements.
Dans le domaine des transports, ces constats ont conduit un acteur majeur de l’industrie
ferroviaire à améliorer la disponibilité de ses véhicules sur rail à travers une approche
innovante visant à optimiser la maintenance. Ainsi, le projet SURFER, qui est à l’origine des
travaux présentés dans ce manuscrit, a été proposé. Ce projet repose sur la conception et le
déploiement d’une architecture évoluée pour la surveillance de matériels roulants ferroviaires.
Cette thèse se situe à la rencontre de plusieurs communautés de Recherche, dans laquelle la
notion d’intelligence (ou activité) rattachée à un produit a pour objet l’évaluation et la gestion
de la santé des équipements. Elle regroupe notamment des concepts relatifs à la surveillance
dans un contexte de maintenance, au diagnostic et au développement de produits “actifs” tout
au long de son cycle de vie.
Notre contribution principale concerne la proposition d’une architecture générique de
surveillance “active” pour l’aide à la maintenance de systèmes mobiles, basée sur des entités
de surveillance “intelligentes”. Cette architecture a vocation à supporter des méthodologies de
diagnostic développées par différentes communautés de Recherche. L’élaboration d’une
nouvelle méthode de diagnostic n’est donc pas l’objet de notre proposition.
Le projet SURFER étant le cadre applicatif de nos travaux, le domaine des transports est une
référence pour illustrer notre approche, sans pour autant restreindre l’application de notre
contribution à ce domaine.
Nous avons choisi de structurer ce manuscrit en cinq chapitres, dont l’organisation est
illustrée par la figure 1. INTRODUCTION GÉNÉRALE
Page 10
Figure 1. Organisation des chapitres de ce manuscrit.
Le chapitre I introduit le contexte général de nos travaux en présentant tout d’abord les
caractéristiques des systèmes à maintenir. Ce chapitre positionne ensuite notre étude par
rapport à un modèle d’architecture de surveillance de la littérature. Les différents verrous liés
à la surveillance des systèmes considérés sont alors exposés et les exigences à satisfaire dans
le cadre de nos travaux sont définies.
Le chapitre II dresse un état de l’art des approches de la littérature pour la surveillance de
systèmes mobiles, en proposant une typologie des architectures de diagnostic. Une classe
d’architecture est retenue dans le contexte de notre étude. Suivant ce type d’architecture, ce
chapitre s’oriente par la suite vers une approche de surveillance “active” en adoptant une
approche de modélisation à base d’entités autonomes et communicantes.
Le chapitre III est consacré à notre proposition. Une architecture générique pour la
surveillance de systèmes mobiles est proposée. Cette architecture repose sur les choix réalisés
dans le précédent chapitre. Ce chapitre spécifie l’architecture proposée et détaille la structure
interne des entités de surveillance qui composent cette architecture de surveillance.
Le chapitre IV met en œuvre l’architecture de surveillance proposée. Dans ce chapitre, les
processus internes aux entités de surveillance et les comportements attendus de ces entités
sont définis. Par la suite, une approche est adoptée pour implémenter ces entités de
surveillance.
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Page 11
Le chapitre V applique les propositions des deux chapitres précédents au domaine ferroviaire
dans le cadre du projet SURFER. Dans un premier temps, ce chapitre instancie l’architecture
proposée pour la surveillance d’un train de passagers. Par la suite, la plateforme
expérimentale conçue pour implémenter cette architecture et valider notre approche est
détaillée. Enfin, les résultats obtenus dans ce cadre applicatif sont présentés.
Suite à ce dernier chapitre, la conclusion de nos travaux et les perspectives de Recherche
envisagées sont exposées. Page 12
Chapitre I
Problématique de la surveillance pour l’aide à la
maintenance
Introduction
Dans un contexte économique hautement concurrentiel, les fabricants et intégrateurs de
produits à haute valeur technologique sont contraints de concevoir des systèmes à des coûts
de plus en plus faibles sur l’ensemble des phases du cycle de vie. L’objectif étant de proposer
des produits compétitifs en terme de coûts d’acquisition, d’exploitation et de maintenance
(coût global de possession ou LCC : Life Cycle Cost). Par conséquent, limiter les coûts de
maintenance et d’exploitation tout en améliorant la disponibilité des systèmes est une
préoccupation majeure des industriels.
La maintenance est l’un des éléments clef dans la réduction de l’indisponibilité. Elle
représente également un point sensible, soumise notamment à des contraintes financières,
sécuritaires et énergétiques (Rabatel et al., 2009). Ainsi, la maintenance est un levier
stratégique de compétitivité et d’innovation pour les industriels (Muller et al., 2008). Elle
permet de préserver les caractéristiques fonctionnelles des systèmes et vise à améliorer leurs
disponibilités dans des conditions économiques acceptables.
L’optimisation de la maintenance se traduit par une réduction des temps d’immobilisation du
système maintenu et repose donc sur la pertinence des actions réalisées sur le système lors des
interventions de maintenance. Un système de maintenance efficace doit permettre d’orienter
au mieux le personnel de maintenance, en délivrant des informations directement exploitables
et précises sur les opérations de maintenance à réaliser.
Dans ce contexte, un système de surveillance observant en permanence un système à
maintenir lors de son fonctionnement et assurant la tâche de diagnostic de manière autonome
offre une aide précieuse aux services de maintenance (Jardine et al., 2006). Les informations
fournies par un tel système contribuent notamment à anticiper les pannes et à accélérer la
remise en service du système maintenu après l’occurrence de la défaillance. Ces informations
de surveillance peuvent apporter des précisions sur l’origine des dysfonctionnements observés
et sur les interventions de maintenance à réaliser.
Ce premier chapitre présente les systèmes à maintenir considérés dans nos travaux et introduit
les principales notions relatives à la surveillance dans un contexte de maintenance. Par la
suite, les différentes fonctions d’un système de surveillance seront présentées et les
problématiques inhérentes à la surveillance des systèmes étudiés seront exposées. CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 13
1. Contexte général
Les avancées technologiques de l’information et de la communication ont favorisé
l’intégration massive de fonctions automatisées au sein de produits industriels (BrahimDjelloul
et al., 2012 ; Kiencke et al., 2006). Ces fonctions permettent de délivrer de nouveaux
services aux utilisateurs et d’atteindre des objectifs de plus en plus élevés en termes de
sécurité et de fiabilité. Ainsi, de nombreuses fonctionnalités sont assurées par des systèmes
embarqués. Un système embarqué est un système complexe intégrant une partie logicielle et
une partie matérielle conçues conjointement pour fournir des fonctionnalités données (Simeu,
2005). Ces équipements embarqués peuvent réaliser des fonctions plus évoluées lorsqu’ils
interagissent entre eux au sein d’un système plus vaste (système de transport, bâtiment
industriel, systèmes de production, par exemple). Ces équipements interconnectés forment
alors un système réparti (Dievart et al., 2010).
La complexité croissante des systèmes dotés de ces équipements embarqués tend à rendre
leurs opérations de maintenance bien plus délicates. Par exemple, une intervention de
maintenance sur un tel système nécessite une connaissance approfondie du fonctionnement de
l’ensemble du système et des différents équipements embarqués qui le composent. Pour faire
face à cette complexité, des approches de maintenance dites “intelligentes” ont été rendues
possibles grâce aux évolutions de l’informatique, de l’électronique et des télécommunications
(Campos, 2009). Ces approches de maintenance innovantes visent à évaluer l’état d’un
système et à déterminer les interventions de maintenance nécessaires en fonction de cet état.
Les objectifs attendus de ces nouvelles approches de maintenance sont d’accroitre la durée de
fonctionnement des équipements, de réduire les coûts de maintenance, d’exploitation et de
possession, et d’améliorer la sécurité (Vachtsevanos et Lewis, 2006).
Cette partie positionne tout d’abord les systèmes considérés dans nos travaux en adoptant une
approche systémique. Par la suite, les propriétés des systèmes à maintenir considérés sont
définies et la terminologie adoptée dans nos travaux est présentée. Enfin, cette partie décrit les
différents types de maintenance et précise le rôle de la surveillance au sein d’un système de
maintenance.
1.1 Approche systémique adoptée
Ce mémoire se focalise sur l’aide à la maintenance de systèmes constitués d’équipements
embarqués répartis, désignés ci-après sous-systèmes, et organisés suivant une structure
hiérarchisée de contrôle. Par la suite, un système constitué de ces sous-systèmes sera nommé
système cible. Un système cible est supposé être maintenu par un système de maintenance.
Un système de maintenance regroupe différentes entités en charge de planifier et de réaliser
les interventions de maintenance (centre de maintenance, personnel de maintenance, par
exemple).
La figure 1.1 ci-dessous présente un exemple de système cible supposé être situé dans son
environnement. Ce système cible se compose de différents sous-systèmes organisés suivant
une structure hiérarchisée de contrôle : un sous-système commande un ou plusieurs soussystèmes
de niveau inférieur. De plus, les sous-systèmes interagissent entre eux dans le
domaine physique et dans le domaine informationnel. Les relations maître-esclave illustrées
dans cet exemple représentent les liens “logiques” de subordination entre sous-systèmes.
Les liens “physiques” entre ces sous-systèmes peuvent être réalisés par différentes
technologies (bus ou réseaux, par exemple). CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 14
Figure 1.1. Exemples de système cible et de système de maintenance considérés.
Le système de maintenance est supposé disposer d’un centre de maintenance, dont l’objectif
est de maintenir le système cible tout au long de son usage. Lorsqu’une approche de
maintenance doit être appliquée à un système cible, des exigences sont alors à allouer au
système de maintenance comme au système cible. La section suivante définit les propriétés
des systèmes cibles considérées dans nos travaux.
1.2 Propriétés des systèmes cibles considérés
Les systèmes cibles considérés dans nos travaux sont caractérisés par les propriétés suivantes :
· Décomposition : le système cible est supposé être décomposable en un ensemble fini
de sous-systèmes.
· Hétérogénéité technologique : chaque sous-système est supposé être constitué d’une
partie contrôle et d’une partie sous-contrôle. Ces sous-systèmes sont supposés
exploiter différentes technologies (électrique, électronique, mécanique, hydraulique ou
pneumatique, par exemple).
· Variabilité : un sous-système est supposé varier d’un même système cible à un autre
(évolution de la technologie, modification de composants, modernisation, par
exemple).
· Interactions : les sous-systèmes sont supposés interagir entre eux dans le domaine
physique (échanges de flux de matière ou d’énergie, par exemple) et/ou dans le
domaine informationnel (relations de type maître-esclave ou échanges d’informations,
par exemple).
· Environnement : le système cible est supposé être situé dans un environnement. Par
conséquent, le système cible comme chaque sous-système est supposé opérer dans un
contexte opérationnel spécifique. Ce contexte peut être de nature physique
(température, vibrations, par exemple) et/ou informationnelle (mode de
fonctionnement, état du système, par exemple).
· Maintenabilité : le système cible est supposé être réparable et être maintenu au sein du
système de maintenance par un centre de maintenance. CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 15
Le tableau 1.1 ci-après présente les domaines d’applications les plus représentatifs des
systèmes cibles considérés dans nos travaux. Les principales caractéristiques associées à ces
systèmes cibles sont également mentionnées.
Tableau 1.1. Exemples de systèmes cibles considérés, inspiré de (Simeu, 2005).
Application Mobilité Sévérité de
l'environnement
Intervention
immédiate
sur le système
Haut niveau
de fiabilité
Transport
Automobile P P - P
Ferroviaire P P - P
Aérien P P - P
Maritime P P - P
Aérospatial
Fusée navette P P - P
Satellites P P - P
Industrie
Systèmes de production - P P P
Centrales nucléaires - P P P
Habitat
Bâtiments (immotique) - - P -
Habitations (domotique) - - P -
- : caractéristique absente ou négligeable P : caractéristique présente
Dans certains domaines d’applications, la mobilité du système cible entraine des contraintes
spécifiques en termes de maintenabilité. En effet, lorsque le système cible est mobile, celui-ci
doit communiquer avec un centre de maintenance distant (Jianjun et al., 2007). Par exemple,
un système de transport (automobile, ferroviaire, aérien ou maritime) est un système cible
mobile évoluant dans un environnement changeant (climat, état de l’infrastructure, profil du
conducteur, par exemple). Les interventions de maintenance ne peuvent être exécutées
immédiatement sur ce système (système en service commercial et éloigné du centre de
maintenance, par exemple) (Umiliacchi et al., 2011). Aussi, un système de transport doit
répondre à des exigences strictes en matière de fiabilité.
La disponibilité d’un système cible repose sur les objectifs de fiabilité fixés lors de sa
conception et sur l’efficacité des interventions de maintenance réalisées au cours de sa phase
LégendeCHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 16
d’utilisation. Les sections suivantes présentent la terminologie et les principaux concepts
associés à la maintenance.
1.3 Terminologie relative à la maintenance
La maintenance est définie comme l’ensemble de toutes les actions techniques,
administratives et de management durant le cycle de vie d’un bien, destinées à le maintenir ou
à le rétablir dans un état dans lequel il peut accomplir la fonction requise (NF-EN-13306,
2010). Un bien désigne un élément, composant, mécanisme, sous-système, unité
fonctionnelle, équipement ou système qui peut être décrit et considéré individuellement.
Différents événements peuvent compromettre le fonctionnement désiré d’un bien ou la
mission pour laquelle un bien a été conçu. Les entraves au bon fonctionnement d’un bien sont
les fautes, les erreurs et les défaillances (Isermann et Ballé, 1997). Une faute est une
déviation non acceptable d’au moins une propriété caractéristique exprimée par le cahier des
charges ou d’un paramètre d’un bien. Une erreur représente un changement d’état d’un bien
pouvant entraîner une défaillance. Elle est produite par une ou plusieurs fautes et peut
engendrer de nouvelles erreurs. Une défaillance est la cessation de l'aptitude d'un bien à
accomplir une fonction requise et peut être causée par une ou plusieurs erreurs. Après la
défaillance, le bien est en état de panne, c’est-à-dire qu’il est inapte à accomplir une fonction
requise. Une panne peut être complète ou partielle et résulte toujours d’une défaillance.
Dans les travaux présentés dans cette thèse, le système cible considéré est supposé être affecté
par des fautes physiques (fautes matérielles) et informationnelles (fautes logicielles) survenant
dans les différentes phases de son cycle de vie (fautes de développement et fautes
opérationnelles, par exemple). Ces fautes induisent une ou plusieurs erreurs lorsqu’elles sont
actives (états non désirés du système). Dès lors que le service délivré aux utilisateurs est
impacté par ces erreurs et ne correspond plus au service attendu, une défaillance survient. La
figure 1.2 ci-dessous illustre la relation entre les concepts de faute, erreur et défaillance
survenant au sein d’un système cible. La présence d’une faute dans un sous-système du
système cible engendre une erreur interne lors de son activation, qui conduit à la défaillance
de ce sous-système. Cette défaillance peut constituer une faute pour un autre sous-système du
système cible en provoquant à son tour une erreur interne et une défaillance de ce soussystème.
Cette seconde défaillance entraine par la suite la défaillance du système cible en
impactant le service délivré aux utilisateurs.
Figure 1.2. Relation causale entre faute, erreur et défaillance.
Il est à noter que les fautes et les défaillances peuvent se manifester de manière progressive
dans le temps (phénomènes d’usures, par exemple), de manière soudaine (rupture d’une CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 17
liaison électrique, par exemple), ou présenter un caractère non permanent (défaillances
temporellement bornées ou furtives, par exemple). Une défaillance produit des effets
perceptibles par les utilisateurs du système et éventuellement décelables par un moyen de
détection. Le terme symptôme sera utilisé par la suite pour désigner les effets observables
d’une défaillance.
La tâche de diagnostic de défaillances consiste alors à analyser ces symptômes dans le but de
rechercher les éléments défectueux du système cible responsables de la défaillance (fautes).
Elle peut être réalisée par un opérateur de maintenance ou être exécutée par un système d’aide
à la maintenance. Les différentes activités de la maintenance sont exposées ci-après.
1.4 Activités de la maintenance
La définition de la maintenance évoquée précédemment englobe différentes activités mises en
œuvre tout au long du cycle de vie d’un produit. Ces activités concernent aussi bien des
aspects opérationnels de la maintenance (expertise métier, diagnostic de défaillances, par
exemple) que des aspects organisationnels (planification des interventions, approvisionnement
des pièces de rechanges, par exemple). Dans ce mémoire, les aspects opérationnels de la
maintenance seront principalement abordés. Cette section présente les différentes approches
de maintenance et précise le rôle de la surveillance au sein des activités de la maintenance.
1.4.1 Typologie de la maintenance
L’étude des différentes approches de maintenance repose sur trois concepts : l’événement
déclencheur d’une opération de maintenance, le type de maintenance correspondante et la
nature des opérations de maintenance réalisées sur le système (Ribot, 2009). Selon la norme
(NF-EN-13306, 2010), les approches de maintenance sont classées en deux catégories : la
maintenance préventive et la maintenance corrective. La première vise à initier des opérations
de maintenance sur un système avant que des défaillances ne se produisent, tandis que la
seconde consiste à intervenir sur un système en état de panne. La figure 1.3 ci-dessous résume
les principaux types de maintenance recensés dans la littérature selon ces deux catégories et
précise les événements déclencheurs des interventions de maintenance.
Figure 1.3. Différents types de maintenance, inspirée de (Alali Alhouaij, 2010). CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 18
La maintenance préventive est exécutée à intervalles prédéterminés ou selon des critères
prescrits. Elle est destinée à réduire l’occurrence de défaillances et à éviter les pannes lors de
la sollicitation du système. La maintenance préventive se décline en trois sous-types
normalisés, détaillés ci-après : la maintenance préventive à caractère systématique,
conditionnelle et prévisionnelle (NF-EN-13306, 2010).
· Systématique (Predetermined Maintenance) : maintenance préventive exécutée
conformément à un échéancier, établi à partir d’un nombre d’unités d’usage
(durée de fonctionnement, par exemple) ou suivant des données statistiques
(recommandations constructeurs, par exemple). Elle vise principalement à rajeunir
le matériel (remplacement périodique, par exemple) ou à limiter les dégradations
(tâches d’entretiens courants), quel que soit l’état réel du bien maintenu (Zille,
2009). Seule la périodicité des interventions peut être ajustée pour optimiser ce
type de maintenance.
· Conditionnelle (Condition Based Maintenance) : maintenance préventive
subordonnée à l’analyse de l’évolution surveillée de paramètres significatifs de la
dégradation ou de la baisse de performance d’un bien (Deloux, 2008). Les
paramètres significatifs de dégradations concernent par exemple des mesures de
caractéristiques physiques d’un système et précurseurs de pannes (bruit, vibration,
vitesse anormale, épaisseur trop faible d’un matériau, par exemple). Ce type de
maintenance nécessite d’établir des seuils à priori pour les différents paramètres
mesurés (seuils prédéterminés). Le dépassement d’un seuil indique alors la
nécessité d’une opération de maintenance (par exemple, le remplacement d’un
pneumatique est nécessaire lorsque son épaisseur atteint la limite fixée par son
témoin d’usure). Bien que la maintenance conditionnelle soit plus dynamique que
la maintenance systématique puisqu’elle considère l’état d’un bien, le temps
restant avant l’occurrence de la défaillance reste indéterminée avec ce type de
maintenance.
· Prévisionnelle (Predictive Maintenance) : maintenance conditionnelle effectuée
suivant les prévisions extrapolées de l’analyse et de l’évaluation de paramètres
significatifs de la dégradation d’un bien (El koujok, 2010). Ce type de
maintenance vise à prédire l’évolution de paramètres significatifs de dégradations
d’un bien dans le futur et à estimer le temps de fonctionnement restant avant la
défaillance (pronostic). Elle peut être qualifiée de maintenance prédictive,
reposant sur les évolutions de paramètres surveillés dans le futur, et de
maintenance proactive, qui consiste à déterminer les causes à l’origine des
dégradations et des défaillances (Deloux, 2008).
La maintenance corrective a pour objectif de remettre un bien en état de panne dans un état
fonctionnel. Elle peut prendre la forme d’une maintenance palliative ou curative (Ribot,
2009) :
· Palliative : maintenance corrective assurant une remise en état provisoire d’un
bien (dépannage temporaire d’un pneumatique, par exemple). Ce type de
maintenance consiste également à intervenir sur les effets néfastes d’une
défaillance. Une action de maintenance palliative doit être suivie
systématiquement d’une action de maintenance curative. CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 19
· Curative : maintenance corrective permettant une remise en état de manière
durable et définitive d’un bien. Contrairement à la maintenance palliative, la
maintenance curative a pour objectif de supprimer les causes des défaillances.
La maintenance préventive et la maintenance corrective sont complémentaires. En pratique,
une politique de maintenance combinant ces deux approches est généralement appliquée aux
systèmes. En effet, une maintenance préventive permet de diminuer la probabilité de
défaillances, mais une part de maintenance corrective incompressible subsiste (défaillances
imprévisibles). Ainsi, différentes politiques de maintenance mixte ont été définis (Ly et al.,
2013). L’élaboration d’une politique de maintenance repose notamment sur un équilibre
économique amenant à un meilleur compromis (coût et disponibilité, par exemple). La soussection
suivante positionne la surveillance suivant ces deux types de maintenance.
1.4.2 Rôle de la surveillance
Dans une approche de maintenance innovante, la surveillance occupe une place fondamentale
(Raccoceanu, 2006). La surveillance est considérée dans nos travaux comme un dispositif
passif, informationnel, qui n’influence pas le comportement du système cible sous
surveillance. Ainsi, un système de surveillance est non-intrusif vis-à-vis d’un système cible.
Ce dispositif délivre des informations pertinentes sur l’état d’un système cible pour
déclencher des interventions de maintenance (maintenance préventive conditionnelle) et
assister au mieux un opérateur de maintenance pour rétablir un système en panne
(maintenance corrective). Par exemple, une défaillance ayant conduit à une panne d’un
système cible peut être décryptée spontanément par un système de surveillance. Le système
de surveillance transmet ainsi des informations sur l’état de ce système au centre de
maintenance (figure 1.4). Ces informations concernent, par exemple, les éléments
potentiellement responsables de la panne ainsi que des actions de maintenance à réaliser sur le
système cible pour le rétablir dans un état fonctionnel. Le centre de maintenance génère alors
une demande d’intervention aux opérateurs de maintenance chargés d’intervenir sur le
système cible (tâche de maintenance corrective, par exemple). Les interventions de
maintenance corrective sont alors mieux préparées et les durées des réparations sont
maîtrisées.
Figure 1.4. Système de surveillance pour l’aide à la maintenance.CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
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Dans une approche de maintenance préventive conditionnelle (maintenance prédictive ou
CBM : Condition Based Maintenance), l’objectif d’un système de surveillance est d’émettre
des alertes avant la défaillance du système cible pour prévenir les pannes. Cette surveillance
prédictive (ou dynamique) se focalise ainsi sur les tendances de l’évolution de l’état du
système sous surveillance dans le temps. Les informations transmises aux personnels de
maintenance permettent alors de signaler des dégradations ou des baisses de performance des
éléments du système à un stade précoce de leur développement.
La nature des informations fournies par un système de surveillance dépend des profils des
utilisateurs finaux et diffère donc selon leur expertise (opérateurs de maintenance,
concepteurs du système, par exemple) (Alanen et al., 2006). Dans le cadre d’une surveillance
pour l’aide à la maintenance au sens intervention, un système de surveillance doit incriminer
des éléments à remplacer ou à réparer bien connus des opérateurs de maintenance. Par
exemple, certains systèmes cibles comportent des Unités Remplaçables en Ligne (URL ou
LRU : Line Replaceable Unit). Une URL peut être déposée et échangée rapidement pour
optimiser les interventions de maintenance et réduire ainsi les temps d’indisponibilité des
systèmes (Dievart et al., 2010). Par conséquent, une tâche de maintenance associée à une
URL constitue une information pertinente pour un opérateur de maintenance. Néanmoins,
suivant le niveau de complexité de la tâche de maintenance à réaliser, un opérateur de
maintenance peut être habilité ou non à intervenir sur le système cible. Les informations de
surveillance doivent donc être adaptées au niveau de qualification des utilisateurs du système
de surveillance.
La surveillance est généralement réalisée en-ligne, pendant le fonctionnement du système
cible sous surveillance, mais certaines fonctions de la surveillance peuvent être exécutées
hors-ligne. C’est le cas notamment du diagnostic, dont l’exécution a posteriori peut être
possible sur la base des symptômes détectés sur le système (Azarian et al., 2010). La partie
suivante décrit les principales fonctions d’un système de surveillance.
2. Fonctions d’un système de surveillance
Un système de surveillance regroupe deux composantes essentielles : “voir” et “comprendre”
(Basseville et Cordier, 1996). La première permet d’observer et de détecter des déviations du
comportement du système sous surveillance par rapport à un comportement de référence
(perception). La seconde détermine les composants potentiellement responsables des
phénomènes observés et recherche les causes (interprétation). Dans cette partie, les
principales fonctions d’un système de surveillance mises en œuvre pour des approches de
maintenance de type conditionnelle (maintenance prédictive ou CBM) et corrective sont
présentées.
Les fonctions assurées par un système de surveillance s’inscrivent dans différentes
communautés de Recherche, et sont notamment au centre des thématiques SHM (System
Health Management) et PHM (Pronostics and Health Management) (Medina-Oliva et al.,
2012 ; Reed et al., 2011). Dans ce cadre, un système de surveillance comprend généralement
l’acquisition de données, la détection d’anomalies de fonctionnement, le diagnostic, le
pronostic et l’élaboration de recommandations de maintenance (Guillén et al., 2013 ;
Vachtsevanos et Lewis, 2006). Ces différentes fonctions ont pour but de convertir un flux de
données brutes, difficilement exploitable pour un opérateur de maintenance, en informations
pertinentes, relatives à l’état de santé du système sous surveillance et aux opérations de
maintenance à réaliser selon cet état (Abichou, 2013). Ainsi, un système de surveillance CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
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permet de déterminer l’état d’un système (état normal ou anormal d’un système cible, par
exemple) et lorsque ce système présente des anomalies de fonctionnement, il exécute les
tâches de diagnostic et de pronostic. Selon les symptômes du système et les conclusions du
diagnostic et du pronostic, il prescrit des recommandations de maintenance ou suggère des
changements opérationnels afin que le système puisse accomplir sa mission.
La première tâche d’un système de surveillance consiste à recueillir des données brutes sur le
système sous surveillance. Cette fonction d’acquisition de données est généralement réalisée à
l’aide de méthodes dites non-destructives, n’altérant pas le fonctionnement du système sous
surveillance (IAEA, 2007). Suivant l’état de santé du système sous surveillance, différentes
fonctions sont par la suite sollicitées. L’activité d’un système de surveillance diffère selon la
présence ou non d’une défaillance au sein du système sous surveillance. La figure 1.5 cidessous
présente les principales fonctions d’un système de surveillance avant l’occurrence
d’une défaillance (surveillance dynamique) et après la défaillance du système sous
surveillance (surveillance classique).
Figure 1.5. Fonctions de surveillance dynamique et classique, adaptée de
(Raccoceanu, 2006).
Comme évoqué précédemment, la surveillance dynamique vise à éviter la défaillance du
système sous surveillance. Elle consiste alors à détecter et à diagnostiquer des dégradations ou
des baisses de performance du système sous surveillance (Bengtsson, 2003). Par la suite,
l’objectif est de pouvoir prédire (pronostiquer) des défaillances dans le futur, en projetant
l’état de santé actuel du système sous surveillance dans le temps (Tobon-Mejia et al., 2012).
La surveillance dynamique regroupe ainsi les fonctions de détection prédictive de
dégradations, de diagnostic prédictif et de pronostic. Notons que les résultats du diagnostic et
du pronostic doivent être délivrés dans un temps opportun aux personnels de maintenance afin
que des actions de maintenance puissent être exécutées sur le système avant la panne. De plus,
cette surveillance dynamique doit être suffisamment robuste pour ne pas délivrer des alertes
intempestives aux opérateurs de maintenance. CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 22
La surveillance classique intervient après l’occurrence d’une défaillance. Dans ce cas, cette
surveillance consiste à détecter les défaillances survenues dans le système sous surveillance et
à les diagnostiquer. Lorsque le système sous surveillance est en état de panne, le diagnostic
permet de rechercher les causes et de localiser les éléments défaillants du système. Cette tâche
peut s’avérer laborieuse pour un opérateur de maintenance, notamment lorsqu’il s’agit d’un
système cible constitué de multiples éléments (Azarian et al., 2010 ; Khol et Bauer, 2010). Un
diagnostic difficile peut conduire un opérateur de maintenance à déposer des éléments non
contributeurs de la panne ou à remplacer des éléments non défaillants, engendrant des coûts
excessifs de maintenance. Différentes approches ont ainsi été proposées pour automatiser
cette tâche devenant trop complexe pour un opérateur de maintenance (Feldman, 2010).
Enfin, un système de surveillance s’appuie sur les informations de diagnostic et de pronostic
pour élaborer des recommandations de maintenance et délivrer ces informations aux
personnels de maintenance. Les différentes fonctions de surveillance illustrées sur la figure
1.5 sont détaillées dans les sections suivantes.
2.1 Détection
La détection relève de la composante “voir” d’un système de surveillance. A partir de données
recueillies sur le système sous surveillance, la fonction détection permet de déceler la
présence de dégradations (surveillance dynamique) ou de défaillances (surveillance classique)
dans ce système, et donc de qualifier le comportement observé du système de normal ou
d’anormal. La fonction détection génère des signaux porteurs de symptômes à partir des
observations, également nommés résidus ou discordances par certaines communautés
(Cordier et al., 2000 ; Roth et al., 2011). Par exemple, une approche usuelle permettant de
générer des symptômes consiste à comparer certaines grandeurs observées à des seuils
caractérisant une situation anormale. Le franchissement d’un seuil indique une anomalie de
fonctionnement et provoque le déclenchement d’une alarme (Basseville et Cordier, 1996).
Les inconvénients de ces tests de dépassement de seuils résident dans la génération de fausses
alarmes (seuil trop faible) et dans la non-détection de certains symptômes (seuil trop élevé).
Certains équipements exécutent ce type de test pendant leur fonctionnement pour générer des
alarmes et fournir une aide aux opérateurs de maintenance lors de la phase de diagnostic
(Lefebvre, 2000). Cependant, les alarmes générées par ces tests intégrés (BIT : Built-In Test)
représentent essentiellement des symptômes sans informations relatives à leurs causes. Le
diagnostic établi par un opérateur de maintenance sur la base de ces événements est parfois
erroné (Pecht et al., 2001).
2.2 Diagnostic
Le diagnostic prend en charge l’interprétation des anomalies de fonctionnement du système
sous surveillance et constitue la composante “comprendre” d’un système de surveillance. La
fonction diagnostic doit permettre de lever l’ambiguïté sur le phénomène à l’origine d’une
dégradation ou d’une défaillance particulière à partir des symptômes délivrés par la fonction
détection. Pour ce faire, la fonction diagnostic fait appel à une connaissance du système sous
surveillance. Cette connaissance intègre, par exemple, une référence du fonctionnement
normal (comportement nominal) ou du fonctionnement anormal (comportement en présence
de défaillances) du système sous surveillance (Ribot, 2009). Les principales méthodes de
diagnostic développées par différentes communautés de Recherche sont présentées en
annexes de ce manuscrit.
La fonction diagnostic évalue l’état de santé actuel d’un système en recherchant les causes
(fautes) à l’origine d’une dégradation (diagnostic prédictif) ou d’une défaillance particulière CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
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(diagnostic de défaillances) et en localisant les éléments du système à remplacer ou à réparer.
Il s’agit d’une fonction commune à la maintenance prédictive et à la maintenance corrective
permettant d’incriminer des éléments défectueux et de déterminer les actions à entreprendre
(IAEA, 2007). Le diagnostic prédictif se focalise avant tout sur l’analyse de défaillances
progressives (dégradations) pour éviter la panne et planifier à l’avance les interventions de
maintenance (commande de pièces de rechanges et gestion du personnel de maintenance, par
exemple). Néanmoins, il existe toujours des défaillances soudaines (imprévisibles) ne pouvant
être anticipées et devant faire l’objet d’un diagnostic (Jardine et al., 2006).
Contrairement aux signaux émis par la fonction détection, la fonction diagnostic est en
mesure de fournir des informations de haut niveau à un opérateur de maintenance, en
précisant les causes probables des dysfonctionnements détectés (Basseville et Cordier, 1996).
Suivant les besoins des utilisateurs du système de surveillance, le résultat d’un diagnostic peut
permettre d’identifier par exemple un composant physique défectueux ou un mode de
défaillance (Mathur et al., 2001).
2.3 Pronostic
La fonction pronostic se concentre sur l’évolution des défaillances progressives et exploite
généralement l’état de santé actuel d’un système (résultats du diagnostic prédictif) pour
évaluer son état de santé futur. Bien qu’il n’existe aucune définition stabilisée et unanime du
concept de pronostic, différentes définitions convergent vers une fonction capable de
déterminer la durée de vie restante avant la défaillance d’un système, nommée RUL
(Remaining Useful Life), ou la probabilité d’un système à fonctionner pendant un certain
temps (El koujok, 2010). Le pronostic est spécifique à la maintenance prédictive et essentielle
dans une approche CBM (Alanen et al., 2006). Il permet d’anticiper au mieux les
interventions de maintenance suivant la prédiction de l'état futur d’un équipement (Gulledge
et al., 2010). Par nature, le pronostic vise à anticiper l’état d’un système dans le futur et amène
des incertitudes (Medina-Oliva et al., 2012). En effet, le pronostic de l’état futur d’un système
doit non seulement considérer l’état actuel du système, mais également des données relatives
à ce système dans le futur (prévisions d’utilisation du système, informations sur
l’environnement futur du système, futures opérations de maintenance exécutées sur le
système, par exemple), qui influent sur son état de dégradation. Ainsi, le pronostic doit
prévoir l’état futur d’un système et fournir une durée de vie résiduelle à partir d’une
connaissance à priori sur ce système (lois de dégradations, par exemple), d’une connaissance
d’informations passées (historique des modes de fonctionnement passés), présentes (état
courant) et futures (Cocheteux et al., 2007). Cette durée de vie résiduelle avant la défaillance
peut être exprimée, par exemple, en unités de temps (heures de fonctionnement), en distances
à parcourir (nombre de kilomètres) ou en nombre de sollicitations (nombre de cycles) (Ribot,
2009).
2.4 Elaboration de conseils
En fonction de l’état de santé actuel et de la prévision de l’état de santé du système, délivrés
respectivement par les fonctions de surveillance classique et dynamique, le système de
surveillance élabore des recommandations sur les opérations de maintenance à réaliser
(actions préventives et correctives), ou privilégie un mode de fonctionnement ou une
configuration à adopter pour que le système puisse achever sa mission en évitant la panne
(Bengtsson, 2003). L’état de santé d’un système est le support principal pour orienter les
services de maintenance sur les interventions à effectuer, et peut être défini par le diagnostic
et le pronostic du système (Dievart, 2010). La fonction d’élaboration de conseils assiste
principalement l’opérateur de maintenance dans le choix des actions de maintenance à CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
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entreprendre (remplacement d’un élément du système en priorité selon son état de santé ou
son RUL, par exemple). Par ailleurs, le bilan de santé dressé par cette fonction peut également
alerter les services de conception, pour améliorer la qualité du système, revoir sa conception,
ou impacter la conception et la fabrication d’une future génération de produits (Gulledge et
al., 2010 ; Vichare et al., 2007). Cette fonction d’aide à la maintenance s’inscrit également
dans les activités de gestion de la santé des équipements (Equipment Health Management)
dans le cycle de vie des produits.
3. Modèle d’architecture de surveillance
Après avoir décrit précédemment les principales fonctions d’un système de surveillance, cette
partie présente deux architectures considérées comme des références dans la littérature pour le
développement de systèmes de surveillance. Une architecture sera retenue en tant que modèle
dans nos travaux pour la surveillance des systèmes cibles considérés. Un modèle
d’architecture de surveillance doit être suffisamment générique pour supporter de nombreux
algorithmes de traitement et de diagnostic (Park et al., 2006). Parmi les architectures de
surveillance recensées dans la littérature s’insérant dans les thématiques SHM-PHM (System
Health Management - Pronostics and Health Management), une architecture apparaît comme
un standard de référence (Gucik-Derigny, 2011 ; Kunche et al., 2012 ; Sreenuch et al., 2013).
Il s’agit du standard OSA-CBM (Open System Architecture - Condition-Based Maintenance)
diffusé par le consensus MIMOSA (Machinery Information Management Open Systems
Alliance) (OSA-CBM, 2006).
Le standard OSA-CBM résulte initialement des travaux de Recherche de (Lebold et Thurston,
2001) et (Lebold et al., 2003), impliquant différents industriels et visant à définir un modèle
d’architecture de surveillance. Ces travaux ont permis d’établir un modèle d’architecture pour
le développement de systèmes de surveillance dans un cadre de maintenance CBM. Le
modèle d’architecture proposé repose sur différentes couches fonctionnelles implémentées
sous forme de modules. Ce modèle générique a donné lieu à une série de normes enregistrées
sous le numéro ISO 13374 et à une implémentation de référence nommée OSA-CBM.
Dans cette partie, ces deux standards complémentaires d’architectures seront dans un premier
temps présentés. Par la suite, les différentes problématiques liées à la surveillance des
systèmes cibles seront exposées. Enfin, les principales exigences attendues d’un système de
surveillance seront définies.
3.1 Standards d’architectures de surveillance
Les sous-sections suivantes précisent les différentes couches fonctionnelles définies par la
norme ISO 13374, ainsi que les interfaces spécifiées par le standard OSA-CBM. Certains
standards additionnels et spécifiques à la mise en œuvre d’un système de surveillance ne
seront pas abordés dans nos travaux (interfaces physiques, configurations, interopérabilité,
diffusion des informations, par exemple) (Sheppard et al., 2009).
3.1.1 Norme ISO 13374
Depuis 2003, la norme ISO 13374 établit les lignes directrices générales des spécifications
pour la surveillance et le diagnostic d’état des machines. Ces spécifications logicielles portent
sur le traitement, la communication et la présentation de données de surveillance
indépendamment de la technologie utilisée (ISO13374-1, 2003). La première partie de cette
norme (partie 1 : lignes directrices générales) définit un modèle d’architecture de surveillance CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 25
en six couches successives de traitement et deux couches d’interface transversales (figure
1.6). Les couches de traitement #1 à #3 sont liées à la technologie du système sous
surveillance et les couches #4 à #6, de plus haut niveau, assurent les tâches de diagnostic, de
pronostic et d’aide à la maintenance. Cette norme définit également deux couches d’interface
(#7 et #8) permettant de présenter des informations issues des différentes couches de
traitement aux utilisateurs, et d’assurer une liaison avec des systèmes externes (transmission
et stockage des données, paramétrage des différentes couches, par exemple).
Figure 1.6. Modèle d’architecture ISO 13374, adaptée de (ISO 13374-1, 2003).
Les couches fonctionnelles définies par cette norme sont détaillées ci-après. Les termes
associés aux différentes couches sont repris de la version originale de la norme.
· Data Acquisition (#1-DA) : cette couche d’acquisition de données permet de
convertir un signal délivré par un capteur ou un transducteur en un paramètre
numérique représentant une quantité physique, auquel est associé différentes
informations (datation, données de calibration, configuration du capteur utilisé, par
exemple).
· Data Manipulation (#2-DM) : cette couche de manipulation de données analyse des
signaux, effectue un calcul de descripteurs significatifs (caractéristiques), et réalise des
traitements et transformations de signaux à partir de mesures brutes.
· State Detection (#3-SD) : cette couche de détection d’état recherche des anomalies
sur les signaux traités et doit déterminer la zone d’anomalie correspondante (si elle
existe) sur laquelle se situe ces signaux, dans le but de générer des alertes ou des
alarmes.CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 26
· Health Assessment (#4-HA) : cette couche d’évaluation de la santé réalise le
diagnostic des fautes détectées et détermine l’état de santé courant de l’équipement ou
du processus, en considérant l’ensemble des informations d’états.
· Pronostic Assessment (#5-PA) : cette couche d’évaluation pronostic détermine les
états de santé et les modes de défaillances futurs à partir de l’évaluation de l’état de
santé courant et de la projection de l’utilisation de l’équipement ou du processus, et
détermine des prédictions de durées de vie résiduelle (Remaining Useful Life).
· Advisory Generation (#6-AG) : cette couche de génération de conseils fournit des
informations claires et concrètes sur des actions de maintenance nécessaires ou
concernant des modifications opérationnelles à apporter pour optimiser la durée de vie
du processus et/ou de l’équipement.
· Information Presentation (#7) : cette couche est une interface permettant de
présenter des données pertinentes issues des différentes couches à des personnels
qualifiés, telles que des courbes de tendances et des zones d’anomalies associées. Elle
doit fournir aux analystes les données nécessaires pour identifier, confirmer ou
comprendre un état anormal. Par ailleurs, cette couche assure une transformation de
données en une forme présentant clairement les informations nécessaires pour prendre
des décisions sur les actions de maintenance à réaliser.
· External Systems (#8) : cette couche permet une liaison rapide avec des systèmes
externes, et notamment avec un système de maintenance (accès à l’historique des
interventions de maintenance, transmission des recommandations de maintenance ou
de requêtes d’intervention de maintenance, par exemple), et avec un système de
contrôle d’exploitation (accès aux prévisions de l’utilisation de l’équipement,
transmission de requêtes de changements opérationnels ou de mise hors service de
l’équipement, par exemple).
Le concept d’état de santé mentionné dans la norme ISO 13374 (health state) n’est pas
clairement défini. L’état de santé d’un équipement repose généralement sur l’expertise métier
et dépend des traitements réalisés par les couches #4 à #6 du modèle. Néanmoins, la première
partie de cette norme évoque un indice de santé associé à un équipement (health index) allant
de 0 (défaillance complète de l’équipement) à 10 (équipement comme neuf).
La seconde partie de la norme ISO 13374 (partie 2 : traitement des données) caractérise les
différents modules associés aux couches successives de traitement présentées sur la figure 1.6
(ISO 13374-2, 2007). Un module peut implémenter des fonctionnalités relatives à une ou
plusieurs couches de traitement du modèle. De plus, cette norme suggère la manière dont ces
modules peuvent être agencés pour former une architecture opérationnelle de surveillance.
Ces modules peuvent notamment être répartis sur différents supports d’exécution
interconnectés entre eux. La figure 1.7 ci-dessous illustre un exemple d’architecture
opérationnelle, dans laquelle chaque module est supporté par un dispositif matériel et
implémente les fonctionnalités d’une couche du modèle. CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
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Figure 1.7. Exemple d’architecture opérationnelle, adaptée de (ISO 13374-2, 2007).
Le medium de communication situé au centre de la figure 1.7, représente le support des
différentes communications entre ces modules et peut être réalisé au travers de différentes
technologies. Ainsi, les modules de l’architecture ne résident pas nécessairement sur le même
support et peuvent être distants les uns des autres. Cette approche permet également d’intégrer
des modules développés par différents fournisseurs pour former un système de surveillance
modulaire. Des exemples d’échanges d’informations entre ces modules sont proposés dans la
troisième partie de la norme (partie 3 : échange), diffusée en 2012 (ISO 13374-3, 2012).
3.1.2 OSA-CBM
Le standard OSA-CBM implémente précisément les six couches de traitement définies par la
norme ISO 13374 (figure 1.5). Comme la norme ISO 13374, le standard OSA-CBM ne
spécifie pas les traitements et les algorithmes internes aux différents modules. En revanche, ce
standard définit les types et les structures de données à utiliser pour le traitement et la
communication des résultats, ainsi que la manière dont les informations doivent être
transférées entre les modules et les lieux de stockage (OSA-CBM, 2006). Il s’agit d’un
standard d’interface, imposant des interfaces entre les modules d’un système de surveillance
suivant une approche CBM, et favorisant l’interopérabilité entre ces modules. Ainsi,
différents fournisseurs peuvent proposer des algorithmes propriétaires sous forme de modules
au standard OSA-CBM. Ce standard permet de dissocier les algorithmes de traitements
encapsulés dans les modules (algorithmes propriétaires) des interfaces génériques des
modules (figure 1.8). CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
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Figure 1.8. Exemple de module OSA-CBM, adaptée de (OSA-CBM, 2006).
Les spécifications du standard OSA-CBM sont diffusées sous forme de diagrammes de
classes UML (Unified Modeling Language) et sont indépendantes de la technologie mise en
œuvre pour le développement des modules de traitement. Le concepteur du système de
surveillance doit alors sélectionner une technologie spécifique pour la mise en œuvre des
modules de traitement et définir les communications nécessaires entre ces modules. Le
standard OSA-CBM définit une typologie des échanges possibles entre modules sur la base
des recommandations de la norme ISO 13374 (partie 3 : communication). La figure 1.9 cidessous
illustre les différents types de communications définis par le standard OSA-CBM.
Figure 1.9. Interfaces entre modules, adaptée de (OSA-CBM, 2006). CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
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Un module OSA-CBM peut communiquer avec un ou plusieurs modules selon quatre types
d’interface :
· Synchrone (type 1) : ce mécanisme permet un échange direct entre un module
producteur d’informations (serveur) et un module consommateur (client). Un module
consommateur indique à un module producteur les informations qu’il souhaite
recevoir et attend que ces informations soient disponibles et transmises par le module
producteur avant de poursuivre ses traitements.
· Asynchrone (type 2) : ce mécanisme permet à deux modules d’entretenir et de
maintenir une communication bidirectionnelle. Dans ce mode, un module
consommateur souhaitant obtenir des données de la part d’un module producteur
n’attend pas que ces données soient disponibles avant de continuer ses traitements
(dialogue de type requêtes-réponses entre deux modules, par exemple). Par ailleurs, un
module producteur peut transmettre spontanément des informations à un ou plusieurs
modules consommateurs de manière périodique ou événementielle.
· Service (type 3) : ce mécanisme permet une communication unidirectionnelle entre un
ou plusieurs modules producteurs d’informations et un module consommateur. Cette
interface peut être mise en œuvre, par exemple, pour des besoins de stockage
d’informations (archivage des informations par un module consommateur), ou pour la
gestion des requêtes d’intervention de maintenance (transmission des ordres de
maintenance vers un système de maintenance consommateur).
· Souscription (type 4) : ce mécanisme permet à un module consommateur de souscrire
à des informations auprès d’un module producteur. Le module consommateur
souscripteur reçoit alors ces informations de manière asynchrone (régulièrement ou
sur alertes), dès que les informations élaborées par le module producteur sont
disponibles.
Les modules de traitement sont généralement successifs, afin de transformer des données
brutes collectées sur un système sous surveillance en informations pertinentes. Cependant, ces
liens logiques entre modules ne sont pas imposés par le standard OSA-CBM ou la norme ISO
1337. Ainsi, un module peut en principe accéder à n’importe quel autre module lorsque ces
modules partagent un même medium de communication. Le standard OSA-CBM a été
développé sur la base d’un autre standard MIMOSA, décrit selon un même système
d’information relationnel commun (CRIS) : le standard OSA-EAI (Open System Architecture
Enterprise Application Integration). Il s’agit d’un standard visant à faciliter l’échange
d’informations entre différentes applications métiers d’une entreprise, y compris des
informations relatives à la maintenance, au diagnostic et au pronostic (OSA-EAI, 2010).
La norme ISO 13374 étant moins restrictive sur la mise en œuvre des couches fonctionnelles
du modèle que le standard OSA-CBM, elle sera retenue dans la suite de nos travaux. La
section suivante soulève les différentes problématiques liées à la surveillance des systèmes
cibles suivant les spécifications de cette norme. CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 30
3.2 Problématiques de la surveillance des systèmes cibles considérés
La norme ISO 13374 a été initialement développée pour la surveillance de machines ou
d’équipements industriels isolés (machine tournante, processus d’usinage, par exemple). En
l’absence de standards dédiés à la surveillance des systèmes cibles considérés dans nos
travaux, ce modèle offre une décomposition fonctionnelle générique d’un système de
surveillance. De plus, cette norme constitue un modèle de référence pour la surveillance de
certains systèmes cibles, notamment dans les domaines des transports et de l’industrie
(Gorinevsky et al., 2010 ; Naedele et al., 2004).
Cependant, des difficultés se présentent lorsque ce modèle d’architecture doit être instancié
pour la surveillance d’un système cible. La figure 1.10 ci-dessous illustre les principales
difficultés à appréhender pour la surveillance d’un tel système suivant ce modèle
d’architecture. A partir des six couches fonctionnelles de ce modèle, plusieurs alternatives se
présentent aux concepteurs d’un système de surveillance. Ces couches fonctionnelles peuvent
être réparties selon deux axes :
· répartition “verticale” des couches (1) : les traitements associés aux couches
fonctionnelles ISO 13374 peuvent être réalisés au plus près du système cible
(traitements embarqués) ou être pris en charge par le centre de maintenance
(traitements distants).
· répartition “horizontale” des couches (2) : la surveillance d’un système cible passe
par la surveillance de ses sous-systèmes. Par conséquent, les traitements associés aux
couches fonctionnelles ISO 13374 doivent être déployés suivant les sous-systèmes du
système cible, dont la technologie diffère d’un sous-système à un autre.
Figure 1.10. Surveillance d’un système cible suivant les couches fonctionnelles
ISO 13374. CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 31
Les sous-sections suivantes précisent les principales contraintes à considérer pour la
surveillance de systèmes cibles. Notons que ces contraintes dépendent des domaines
d’applications des systèmes cibles introduits au début de ce chapitre. Dans ces travaux, le
domaine des transports ferroviaires a été retenu comme cadre applicatif. Par conséquent, la
suite de ce manuscrit se concentre sur la surveillance de systèmes cibles mobiles.
3.2.1 Contraintes liées à la mobilité du système cible
En considérant la répartition “verticale” des couches du modèle, une séparation des couches
doit être établie suivant les traitements à effectuer à bord du système cible et les traitements à
réaliser au centre de maintenance. La première couche du modèle (#1-Data Acquisition) doit
au minimum être implémentée à bord du système cible, pour permettre la collecte des données
et la transmission de ces données au centre de maintenance. Lorsque la quantité de données à
transmettre est importante, il est préférable d’inclure la couche #2 du modèle à bord (Alanen
et al., 2006). Ainsi, plus les couches du modèle résident à bord du système cible, plus les
traitements embarqués sont évolués et permettent de délivrer des informations pertinentes au
centre de maintenance. Cependant, il est nécessaire de tenir compte des performances requises
pour mettre en œuvre les traitements associés aux couches fonctionnelles du modèle
(puissance de calcul disponible à bord, capacités de stockage et de communication, par
exemple).
Dans le but d’optimiser les interventions de maintenance, les données relatives à la
géolocalisation du système cible peuvent également être transmises au centre de maintenance.
De ce fait, le système cible peut être acheminé vers l’atelier de maintenance le plus proche en
fonction de son état de santé (Umiliacchi et al., 2011). Aussi, certains traitements nécessitent
des données fournies par le centre de maintenance (historique des tâches de maintenance,
prévisions d’utilisation du système cible, par exemple). Lorsque ces traitements sont
embarqués, le centre de maintenance doit transmettre ces données au système cible. Une
communication bidirectionnelle entre le système cible mobile et le centre de maintenance est
alors nécessaire.
3.2.2 Contraintes liées aux sous-systèmes du système cible
Suivant les couches à implémenter à bord du système cible, la répartition “horizontale” des
couches concerne l’affectation des modules de traitement aux différents sous-systèmes.
Comme abordé précédemment, un module de traitement peut implémenter les fonctionnalités
de une ou de plusieurs couches du modèle ISO 13374. De ce fait, un module de traitement
peut être affecté à un sous-système, à un groupe de sous-systèmes, ou à l’ensemble des soussystèmes.
Les contraintes associées à la mise en œuvre de ces modules de traitement sont
précisées ci-après.
· Répartition spatiale des sous-systèmes : les sous-systèmes sont généralement
implantés dans différentes zones du système cible et peuvent interagir entre eux
(interactions physiques et/ou informationnelles). L’affectation des modules de
traitement aux sous-systèmes peut alors être orientée suivant l’implantation de ces
sous-systèmes. Aussi, les interactions entre les sous-systèmes sont à considérer lors de
la mise en œuvre des modules de traitements. Par exemple, une défaillance peut
engendrer des dysfonctionnements au niveau de plusieurs sous-systèmes d’un système
cible (Lefebvre et al., 2000). De multiples alarmes peuvent ainsi être générées CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 32
lorsqu’un module relatif à la couche détection du modèle ISO 13374 (#3-State
Detection) est affecté à chaque sous-système.
· Hétérogénéité technologique des sous-systèmes : les sous-systèmes reposent sur des
technologies différentes. Par conséquent, un sous-système basé sur une certaine
technologie doit être associé à un module de traitement compatible avec cette
technologie. De plus, le modèle ISO 13374 se concentre sur la surveillance de parties
physiques d’un équipement. Cependant, les sous-systèmes considérés sont constitués
de parties physiques et informationnelles. En effet, les défaillances logicielles non
abordées dans la norme ISO 13374 ont un impact direct sur la disponibilité du système
cible. Notons que la surveillance de parties logicielles peut être abordée de la même
manière que la surveillance de parties physiques (Pipatsrisawat et al., 2009).
Néanmoins, les défaillances logicielles se manifestent principalement de manière
soudaine et peuvent difficilement être anticipées.
· Variabilité des sous-systèmes : les sous-systèmes sont conçus par différents
fournisseurs et peuvent varier entre plusieurs systèmes cibles d’une même génération
(changement de fournisseur, obsolescence de composants, ajout de fonctionnalités, par
exemple) (Azarian et al., 2011). La répartition “horizontale” des couches du modèle
doit alors être adaptée aux évolutions des différents sous-systèmes du système cible.
Par exemple, un même sous-système peut présenter des caractéristiques différentes
entre deux systèmes cibles, ou ne pas être implanté sur un autre système cible. Dans ce
cas, une modification doit pouvoir être apportée aux modules de traitement sans
impliquer une refonte de l’architecture de surveillance. Aussi, certains modules de
traitement peuvent être réutilisés pour la surveillance de sous-systèmes ayant les
mêmes caractéristiques.
3.2.4 Contraintes liées à l’environnement du système cible
Lorsque le système cible est immergé dans un environnement, il est soumis à différents
contextes opérationnels (Monnin et al., 2011). L’environnement du système cible peut
potentiellement provoquer des défaillances lors de son fonctionnement. Ces défaillances sont
alors signalées au centre de maintenance par le système de surveillance associé au système
cible. La figure 1.11 ci-après illustre un exemple de système cible mobile situé dans son
environnement. Dans cet exemple, les couches #1 à #3 du modèle ISO 13374 sont
implémentées à bord du système cible et les couches #4 à #6 sont assurées par le centre de
maintenance (répartition “verticale” des couches). La défaillance du système cible est
supposée apparaitre sous l’effet de perturbations provenant de son environnement. Cette
défaillance déclenche alors des alarmes au niveau de la couche #3 du modèle. Ces alarmes
sont par la suite transmises au centre de maintenance et analysées par un opérateur de
maintenance ou traitées par les couches #4 à #6 du modèle lorsqu’elles sont implémentées au
sol. CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 33
Figure 1.11. Exemple de surveillance d’un système cible mobile dans son environnement.
L’analyse de ces alarmes au sol est délicate pour un opérateur de maintenance. Le contexte
opérationnel du système cible n’étant pas connu, l’opérateur n’est pas en mesure de
déterminer si ces alarmes sont liées à l’environnement du système cible ou si le système cible
nécessite réellement une intervention de maintenance. Ainsi, le diagnostic établi au sol par la
quatrième couche du modèle à partir de ces alarmes risque d’être erroné. En effet, les
informations de contextes non exploitées par la couche diagnostic (#4- Health Assesment)
sont essentielles pour interpréter les dysfonctionnements du système cible. De plus, lorsque le
système cible arrive au centre de maintenance, aucun dysfonctionnement ne peut être
constaté. Le système cible n’opérant plus dans le même contexte opérationnel, il est alors
difficile de reproduire les conditions d’exploitation ayant conduit à une anomalie de
fonctionnement. Ce phénomène nommé NFF (No Fault Found) favorise le remplacement à
tort d’éléments du système cible et engendre des coûts importants de maintenance (Lanigan et
al., 2011).
A titre d’exemple, il peut être judicieux d’associer à une défaillance la localisation précise du
système cible, qui peut être fournie aisément par un dispositif de géolocalisation (Bengston,
2003). Ceci permet d’écarter certaines défaillances liées à l’environnement du système cible.
3.2.5 Exigences d’un système de surveillance
Les principales exigences associées à un système de surveillance peuvent être établies à partir
du modèle d’architecture proposé par la norme ISO 13374. Une exigence fondamentale
concerne la surveillance d’un système cible lors de son fonctionnement (surveillance enligne).
Un système de surveillance ne doit pas altérer la performance du système cible sous
surveillance. Par conséquent, les moyens d’acquisition de données associés à la première
couche du modèle ISO 13374 doivent être non-intrusifs vis-à-vis du système cible sous
surveillance. Dans nos travaux, un système de surveillance doit également répondre aux
exigences suivantes :
· Précision : le système de surveillance doit identifier précisément des éléments
défectueux à remplacer ou à réparer du système cible parmi les différents soussystèmes
qui composent ce système cible. CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA SURVEILLANCE POUR L’AIDE À LA MAINTENANCE
Page 34
· Facilité d’explication : le système de surveillance doit faciliter la compréhension des
informations de surveillance fournies aux opérateurs de maintenance (présentation de
données brutes ayant conduit à un résultat de diagnostic, par exemple).
· Adaptabilité : le système de surveillance doit être suffisamment modulaire pour faire
face aux changements survenant dans le système cible (remplacement de soussystèmes,
ajout ou suppression de composants, par exemple).
· Réactivité : les informations de surveillance doivent être transmises dans un temps
opportun au centre de maintenance afin d’optimiser les interventions de maintenance
(planification d’une opération de maintenance suivant l’état de certains sous-systèmes
du système cible, par exemple).
· Confiance : le système de surveillance doit être suffisamment robuste pour ne pas
générer de fausses alarmes (diagnostic erroné transmis à un opérateur de maintenance,
par exemple).
4. Conclusion
Ce premier chapitre a permis d’introduire les propriétés des systèmes cibles considérés dans
nos travaux ainsi que les différentes notions relatives à la surveillance dans un contexte de
maintenance. Au sein d’un système de maintenance, la surveillance peut permettre
d’optimiser efficacement les interventions de maintenance préventive et corrective et accroître
ainsi la disponibilité d’un système cible. Un système de surveillance assure deux composantes
principales : percevoir les dysfonctionnements survenant dans un système sous surveillance et
interpréter ces dysfonctionnements. Le diagnostic prend en charge l’interprétation des
dysfonctionnements observés sur le système sous surveillance. Cette fonction essentielle doit
permettre de déterminer les éléments défectueux du système à remplacer ou à réparer qui
seront présentés aux opérateurs de maintenance.
Dans ce chapitre, deux standards complémentaires d’architectures de surveillance ont été
présentés : un modèle proposé par la norme ISO 13374 et une implémentation de référence de
ce modèle nommé OSA-CBM. Ces deux standards décomposent un système de surveillance
en six couches fonctionnelles successives. Le modèle prescrit par la norme ISO 13374 s’avère
plus générique que le standard OSA-CBM et a été retenu dans le cadre de nos travaux.
Cependant, la surveillance d’un système cible suivant ce modèle présente certaines difficultés
exposées à la fin de ce chapitre. En effet, un système cible est constitué de sous-systèmes
hétérogènes et soumis à différents contextes opérationnels. De plus, un système cible mobile
est rattaché à un centre de maintenance distant.
La problématique principale est de concevoir une architecture de surveillance reposant sur la
norme ISO 13374 et répondant aux exigences listées en 3.2.5. Cette architecture doit
permettre de surveiller un système cible mobile qui est lui-même composé de systèmes. Cette
problématique constitue le verrou scientifique auquel nos travaux s’adressent.
Le chapitre suivant se focalise sur la surveillance de systèmes cibles mobiles et recense les
différentes approches de la littérature pour établir le diagnostic d’un tel système suivant la
quatrième couche (Health Assesment) définie par la norme ISO 13374. Page 35
Chapitre II
Surveillance de systèmes mobiles : état de l’art et
approches de surveillance active
Introduction
Le précédent chapitre a mis en évidence un ensemble de problématiques et contraintes à
considérer pour concevoir une architecture de surveillance associée à un système cible. Ce
chapitre explore les différentes approches pour la surveillance de systèmes cibles mobiles
(système de transport aérien, maritime ou ferroviaire, par exemple). Comme évoqué dans le
précédent chapitre, ces systèmes cibles évoluent dans différents contextes opérationnels et
communiquent avec un centre de maintenance distant. La première partie de ce chapitre
présente un état de l’art des architectures de diagnostic et propose une typologie des
architectures pour diagnostiquer un système cible mobile. A partir des exigences d’un système
de surveillance établies dans le précédent chapitre, une architecture de diagnostic sera retenue
dans la suite de nos travaux. La seconde partie de ce chapitre s’appuie sur le concept de
surveillance active pour proposer des approches de modélisation de l’architecture de
diagnostic choisie. Une approche de modélisation sera adoptée et reprise dans le chapitre
suivant afin de proposer une architecture générique pour la surveillance de systèmes cibles
mobiles.
1. Etat de l’art des architectures de diagnostic
La norme ISO 13374 détaillée dans le précédent chapitre définit un modèle générique
d’architecture de surveillance en six couches fonctionnelles successives, dont la quatrième
couche (#4-Health Assesment) élabore le diagnostic à partir de données fournies par les
couches de niveaux inférieurs. Le diagnostic joue un rôle décisif dans la performance d’une
architecture de surveillance, et peut également impacter la sécurité du système cible
(Koutsoukos et al., 2010). En effet, le diagnostic incrimine des éléments potentiellement
responsables d’une défaillance ou d’une dégradation particulière et implique des actions de
maintenance bien précises. De notre point de vue, deux alternatives se dégagent pour réaliser
le diagnostic d’un système cible mobile rattaché à un centre de maintenance distant. La
première consiste à collecter des données brutes sur le système cible et à transférer ces
données vers un centre de maintenance, où le diagnostic est exécuté. Dans cette première
approche, le système cible peut être vu comme un dispositif d’acquisition de données,
générant un flux de données brutes envoyé vers le centre de maintenance. Dans la seconde
approche, le système cible est considéré comme un dispositif de calcul, capable de traiter et
d’interpréter ces données brutes. Le diagnostic réside alors à bord du système cible, et seules
des informations pertinentes de diagnostic sont délivrées au centre de maintenance (Alanen et
al., 2006 ; Bengtson, 2003). CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 36
Ces deux approches, nommées respectivement diagnostic distant et diagnostic embarqué sont
illustrées par la figure 2.1. Lorsque le diagnostic est distant (figure 2.1 a), les couches #1 à #3
du modèle ISO 13374 sont implémentées à bord du système cible, tandis que les couches #4 à
#6 sont prises en charge par le centre de maintenance. Dans une approche de diagnostic
embarqué (figure 2.1 b), les couches #1 à #4 du modèle sont implémentées à bord du système
cible et les couches #5 et #6 sont assurées par le centre de maintenance.
Figure 2.1. Partitionnement du diagnostic : diagnostic distant (a) et diagnostic
embarqué (b).
Suivant cette dichotomie, cette partie recense les principales architectures de diagnostic pour
la surveillance de systèmes cibles mobiles, en faisant abstraction des méthodes de diagnostic
mises en œuvre. Ainsi, une typologie des architectures de diagnostic sera établie
indépendamment des traitements internes réalisés par les couches du modèle ISO 13374.
1.1 Diagnostic distant
Cette approche consiste à réaliser le diagnostic à distance dans un centre de maintenance, à
partir de données collectées et prétraitées à bord du système cible par les couches #1 à #3 du
modèle. Les alarmes et autres signaux brutes du système cible sont alors transférés et analysés
au centre de maintenance. Le diagnostic distant est généralement réalisé de manière centralisé
et doit traiter une masse de données brutes pour rechercher les causes des symptômes détectés
à bord du système cible. Cette architecture, nommée Diagnostic Distant Centralisé (DDC),
permet d’exploiter pleinement les capacités de stockage et de traitement disponibles au centre
de maintenance. Cependant, le diagnostic peut difficilement être établi pendant le
fonctionnement du système cible en raison des contraintes de communication. En effet, des
volumes de données importants doivent être transférés du système cible mobile vers le centre
de maintenance, impliquant des délais de transmission et de traitement. Par conséquent, les
données nécessaires à l’élaboration d’un diagnostic sont généralement stockées à bord du
système cible et transmises de manière périodique ou événementielle au centre de
maintenance (Jianjun et al., 2007). Ces données sont alors enregistrées en-ligne pendant le CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 37
fonctionnement du système et le diagnostic est exécuté hors-ligne à posteriori (approche de
type “boîte noire”).
L’architecture DDC permet également d’assurer le diagnostic de plusieurs systèmes cibles
mobiles (flotte de trains ou de navires, par exemple) (Monnin et al., 2011). D’un point de vue
fiabilité, cette architecture présente un inconvénient majeur. Le diagnostic des différents
systèmes cibles repose sur un seul et unique centre de maintenance. L’occurrence d’une
défaillance en ce point sensible de l’architecture entraine une interruption du diagnostic pour
l’ensemble des systèmes cibles (Ferrari, 2009). Par ailleurs, en examinant les exigences d’un
système de surveillance établies dans le précédent chapitre, l’architecture DDC présente les
limitations suivantes :
· Précision : les données traitées au centre de maintenance représentent essentiellement
des symptômes émis sous forme d’alarmes. L’interprétation de ces événements par
une fonction de diagnostic au sol est parfois erronée (Azarian et al., 2011). Dans
certains domaines applicatifs des systèmes cibles, le diagnostic est couramment
achevé manuellement au sol par un expert à partir des alarmes générées à bord du
système cible (De Ambrosi et al., 2008).
· Réactivité : cette approche implique des quantités de données considérables à
transférer au centre de maintenance, par exemple, par le biais de liaisons sans fil
(technologies GPRS, GSMR ou Wifi) (Schwarzenbach et al., 2010). Ces transferts de
données introduisent des retards non négligeables dans l’élaboration d’un diagnostic,
et par conséquent, dans la planification des opérations de maintenance.
· Confiance : les symptômes détectés à bord du système cible ne sont pas contextualisés.
Ainsi, une alarme peut être déclenchée par l’environnement du système cible ou être
provoquée par des interférences entre certains sous-systèmes (défaillances fugitives,
par exemple). Notons également que certaines données peuvent être superflues
(alarmes redondantes, alarmes liées aux actions du conducteur ou émises lors des
interventions de maintenance, par exemple) (Sammouri et al., 2012). Ces données sont
néanmoins transmises et archivées au centre de maintenance, engendrant des coûts
injustifiés de transmission et de stockage. Ainsi, le contexte opérationnel du système
cible n’est pas considéré lors de l’élaboration d’un diagnostic sur la base de ces
alarmes.
Néanmoins, cette architecture est relativement simple à mettre en œuvre et permet à des
systèmes d’informations externes d’exploiter aisément les données collectées.
Plusieurs implémentations de l’architecture DDC ont été réalisées dans le domaine des
transports. Par exemple, la première génération de systèmes HUMS (Health and Usage
Monitoring System), apparue au début des années 90, était limitée à la collecte de données et à
la génération d’alarmes sur certains aéronefs (Wiig, 2006). Les principaux inconvénients de
ce système résident dans la génération de fausses alarmes et dans l’interprétation de ces
masses de données brutes au centre de maintenance. Dans le domaine ferroviaire, le projet
Européen TrainCom a contribué à standardiser les échanges de données entre un matériel
roulant ferroviaire et un centre de maintenance distant (Gatti, 2002). La communication entre
le véhicule ferroviaire et un centre de maintenance au sol (ROGS : Railway Open Ground
Station) est assurée par une interface de communication nommée ROGate (Railway Open
Gateway). Ces spécifications ont permis à différentes applications situées au centre de
maintenance de traiter les données collectées à bord des trains. Cette infrastructure de CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 38
communication a été expérimentée en Europe dans le cadre du projet EuRoMain (European
Railway Open Maintenance System) (Euromain, 2002). Le principal objectif de ce projet était
de définir un système d’aide à la maintenance de véhicules ferroviaires en réalisant le
diagnostic à distance des différents équipements embarqués.
Actuellement, les deux principaux constructeurs mondiaux de matériels ferroviaires ont
adopté une architecture DDC. Les systèmes Orbita (Orbita, 2006) et TrainTracer
(TrainTracer, 2006) développés respectivement par Bombardier-Transport et AlstomTransport
permettent de prélever des données en temps réel sur des véhicules ferroviaires et
de les transférer vers un système central (figure 2.2).
Figure 2.2. Architecture du système TrainTracer, adaptée de (Sammouri et al., 2012).
Les données relatives aux différents équipements implantés à bord des véhicules (accès
voyageurs, climatisations, tractions, par exemple) sont transmises et stockées
systématiquement sur un serveur de données (figure 2.2). Ces données brutes (états et alarmes
des différents équipements embarqués, par exemple) sont exploitées par le personnel de
maintenance ou traitées par différentes applications (extraction de données, analyse de
tendances, diagnostic, par exemple). Ces applications sont développées par les constructeurs
ou les exploitants de matériels ferroviaires.
1.2 Diagnostic embarqué
Lorsque la quatrième couche du modèle ISO 13374 (#4-Health Assesment) est intégrée au
sein du système cible, le diagnostic est embarqué. Cette approche vise à exécuter le diagnostic
pendant le fonctionnement du système cible et offre plus d’autonomie et de réactivité.
Contrairement à une architecture DDC, les données brutes sont converties en informations de CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 39
diagnostic à bord du système cible (figure 2.3). Les délais et coûts de transmission sont alors
réduits car seules des informations pertinentes émanent du système cible. De plus, le
diagnostic embarqué permet d’exploiter des informations contextuelles disponibles à bord du
système cible. Ces informations complémentaires contribuent largement à améliorer la
performance du diagnostic embarqué (Byington et al., 2003).
Figure 2.3. Exemple de diagnostic embarqué, adaptée de (Hunter et al., 2013).
Le diagnostic d’un système cible repose sur le diagnostic des différents sous-systèmes qui le
composent (Kurien et al., 2002). Une première approche permettant de réaliser le diagnostic à
bord d’un tel système consiste à déployer une couche de diagnostic sur l’ensemble des soussystèmes.
Ainsi, une entité centrale de diagnostic interprète les données relatives aux
différents sous-systèmes et délivre un diagnostic global du système cible. Une seconde
approche envisage de fractionner la couche de diagnostic en autant d’entités de diagnostic
qu’il existe de sous-systèmes. Dans cette approche, une entité de diagnostic est affectée à
chaque sous-système du système cible. Le diagnostic global du système cible est alors obtenu
à partir des résultats produits par les entités locales de diagnostic. Inspiré des approches de la
littérature pour diagnostiquer des systèmes répartis, nous proposons de distinguer trois classes
d’architectures pour réaliser le diagnostic embarqué de systèmes cibles (figure 2.4). Le
diagnostic peut être centralisé, décentralisé ou réparti (également nommé distribué :
distributed diagnosis) (Fabre, 2007 ; Ferrari, 2009 ; Roychoudhury et al., 2009 ;
Subias, 2006). Notons que le diagnostic décentralisé ou réparti est généralement associé à une
méthode de diagnostic particulière dans la littérature (Genc et Lafortune, 2003 ; Pencolé et
Cordier, 2005). CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 40
Figure 2.4. Diagnostic centralisé (a), décentralisé (b) et distribué (c), adaptée de
(Ferrari, 2009).
Dans la première classe d’architecture, nommée Diagnostic Embarqué Centralisé (DEC), une
seule entité de diagnostic est implémentée à bord du système cible et réalise le diagnostic des
différents sous-systèmes. Dans une architecture de Diagnostic Embarqué Décentralisé (DED),
une entité de diagnostic est implémentée pour chaque sous-système. Ces entités réalisent le
diagnostic de manière indépendante et ne peuvent communiquer entre elles. Lorsque le
diagnostic est distribué, chaque sous-système est également associé à une entité de diagnostic,
mais ces entités peuvent communiquer entre elles. Le terme distribué fait généralement
référence au medium de communication utilisé pour interconnecter ces entités de diagnostic.
Dans les travaux présentés dans ce manuscrit, cette troisième classe d’architecture est
nommée Diagnostic Embarqué Décentralisé et Coopératif (DEDC), afin de dissocier
l’organisation de ces entités de diagnostic des solutions technologiques utilisées pour mettre
en œuvre ce type d’architecture. Les sous-sections suivantes précisent ces trois catégories
d’architectures.
1.1.1 Diagnostic embarqué centralisé
Le diagnostic embarqué d’un système cible est généralement réalisé par une entité centrale de
diagnostic, en charge de traiter les données brutes des différents sous-systèmes (Dievart et al.,
2010). L’architecture DEC suppose qu’une seule entité de diagnostic puisse intégrer une
connaissance de l’ensemble des sous-systèmes et établir le diagnostic global du système cible
(Kurien et al., 2002). Aussi, cette entité doit être capable d’absorber et de traiter de grandes
quantités de données à bord du système cible. Cette architecture peut s’avérer irréaliste pour
un système cible constitué de multiples sous-systèmes. En effet, les données relatives aux
sous-systèmes doivent être centralisées en un même point à bord du système cible pour être
analysées. Le système cible doit alors disposer de ressources suffisantes pour supporter ces
flux de données et réaliser les traitements nécessaires (volume de données important à traiter
en un temps donné, par exemple). Par ailleurs, cette architecture présente des limitations en
termes de fiabilité et de modularité. Par exemple, l’ajout d’un sous-système entraine
systématiquement une modification des traitements réalisés par cette entité centrale de
diagnostic.
Un exemple d’implémentation d’une architecture DEC dans le domaine des transports aériens
est le système de maintenance centralisé (CMS : Central Maintenance System). Dans cette
architecture, une unité centrale effectue des traitements à partir de symptômes et autres
données brutes pour élaborer un diagnostic (Balin et Stankunas, 2013). Ce système permet
d’identifier les causes des anomalies de fonctionnement et élabore des recommandations pour CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 41
le personnel de bord. Les résultats du diagnostic sont archivés et peuvent également être
consultés par des techniciens de maintenance.
Néanmoins, ce système central doit être suffisamment performant (puissance de calcul et
taille mémoire notamment) pour fournir des informations dans des délais acceptables
(situation d’urgence, par exemple).
1.1.2 Diagnostic embarqué décentralisé
L’architecture DED favorise le traitement des données au plus près des sous-systèmes à
diagnostiquer. Dans cette architecture, chaque sous-système est diagnostiqué localement par
une entité de diagnostic. Les résultats des diagnostics délivrés par ces différentes entités sont
généralement transmis de manière disjointe au centre de maintenance. Le diagnostic global du
système cible peut être envisagé de plusieurs manières. Il peut être considéré, par exemple,
comme une juxtaposition des résultats des diagnostics locaux (Biteus, 2004). De ce fait, le
diagnostic global correspond aux diagnostics des différentes parties du système cible, ce qui
permet de présenter des informations plus compréhensibles aux opérateurs de maintenance.
Aussi, le diagnostic global peut résulter d’une fusion des résultats de diagnostic locaux. Dans
ce cas, une ou plusieurs entités supplémentaires sont chargées de collecter les résultats des
diagnostics locaux et de les fusionner. Cependant, les entités de diagnostic opèrent de manière
indépendante et exploitent uniquement les observations limitées de leurs sous-systèmes. En
d’autres termes, ces entités de diagnostic ne communiquent pas entre elles (Qiu et Kumar,
2004). Par conséquent, une entité de diagnostic n’est pas en mesure de considérer les
interactions entre les sous-systèmes lors de l’élaboration d’un diagnostic (Ferrari, 2009).
Ainsi, une entité peut émettre un diagnostic erroné lorsque le sous-système auquel elle est
associée est influencé par d’autres sous-systèmes.
Cette catégorie d’architecture a notamment été expérimentée pour réaliser le diagnostic à bord
de véhicules routiers. Par exemple, dans (Nasri et al., 2012) les auteurs proposent une
architecture DED limitée au diagnostic d’une fonction sécuritaire d’un véhicule. Cette
architecture met en œuvre différentes entités locales de diagnostic (diagnostiqueurs) qui
intègrent une méthode de diagnostic spécifique, et dont les résultats de diagnostic sont
communiqués à une entité supérieure nommée coordinateur. Ce coordinateur est implémenté
à bord du véhicule et délivre un diagnostic final en fusionnant les résultats des diagnostics
locaux à partir de règles. Les entités de diagnostic mises en œuvre sont intégrées aux
équipements embarqués existants faisant l’objet d’un diagnostic (unités de contrôle des soussystèmes
du véhicule). Les informations contextuelles relatives aux différents sous-systèmes
diagnostiqués ne sont pas considérées par ces entités de diagnostic. Les résultats évoqués par
les auteurs concernent l’influence des entités de diagnostic sur la fiabilité de l’architecture
global du système et ne précisent pas réellement la performance du diagnostic obtenu.
1.1.3 Diagnostic embarqué décentralisé et coopératif
Dans cette catégorie d’architecture, les entités de diagnostic sont agencées de la même
manière que dans une architecture DED, c’est-à-dire, une entité de diagnostic est affectée à
chaque sous-système du système cible. A la différence d’une architecture DED, ces entités
opèrent de manière proactive et peuvent dialoguer entre elles (Zhang et Zhang, 2013). Par
exemple, une entité de diagnostic peut coopérer avec d’autres entités. Elle obtient ainsi des
informations complémentaires pour enrichir ses observations locales et fournir un diagnostic
plus robuste. Ces informations concernent, par exemple, les états et contextes d’autres sous-CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 42
systèmes (symptômes ou modes de fonctionnement de sous-systèmes évoluant dans le même
environnement, par exemple). L’architecture DEDC permet d’établir un diagnostic global du
système cible suivant un schéma de communication défini entre les différentes entités de
diagnostic (Provan, 2002). Les échanges entre ces entités sont généralement calqués sur les
interactions existantes entre les différents sous-systèmes diagnostiqués (interactions physiques
et informationnelles, par exemple) (Fabre, 2007). Les communications entre entités limitent le
nombre de fausses alarmes transmises aux opérateurs de maintenance. Néanmoins, cette
architecture implique des flux d’informations supplémentaires à bord du système cible par
rapport aux architectures DEC et DED. Cette contrainte est compensée par un allégement des
capacités de calcul requises pour réaliser le diagnostic, et par une augmentation de la fiabilité
et de la modularité de l’architecture (Ferrari, 2009). Par ailleurs, cette approche est adaptée à
l’architecture des systèmes cibles, dans laquelle les sous-systèmes interagissent entre eux et
présentent un dispositif de calcul local (unité de contrôle disposant de processeurs et de
mémoires, par exemple) (Roychoudhury et al., 2009).
Les architectures DEDC développées pour la surveillance de systèmes mobiles sont
relativement peu nombreuses. Par exemple, une architecture de type DEDC est proposée dans
(Dievart et al., 2010) pour la surveillance d’un système de transport. Cette architecture est
basée sur des entités de diagnostic reliées à une base de données commune et pouvant
s’échanger des informations par le biais d’une mémoire partagée (tableau noir). Certaines
entités sont autorisées à communiquer directement entre elles. Cependant, une méthode de
diagnostic spécifique est exécutée par les différentes entités qui composent cette architecture.
Par ailleurs, les informations contextuelles des sous-systèmes surveillés ne sont pas
considérées pour améliorer la performance du diagnostic.
Plus récemment, certaines architectures DEDC ont été développées dans le cadre du
programme IVHM (Integrated Vehicle Health Management), introduit à l’origine dans les
secteurs aéronautique et spatial (Benedettini et al., 2009). Ce concept vise à accroitre la
sécurité et la fiabilité de certains systèmes de transports (avions de ligne, véhicules aériens,
par exemple) et à optimiser leurs coûts de maintenance, en implémentant à leur bord des
fonctions avancées de diagnostic et de pronostic (Ferreiro et al., 2012 ; Schoeller et al., 2007).
Avec la création d’un centre de Recherche en collaboration avec différents industriels
(IVHM-Center, 2008), la communauté IVHM contribue activement à l’élaboration de
nouveaux standards (SAE-HM1, 2013). Cette communauté s’appuie notamment sur la norme
ISO 13374 pour concevoir et mettre en œuvre des modules de surveillance embarqués. Par
exemple, le projet VIPR (Vehicle Integrated Prognostic Reasoner) a permis de définir un
modèle d’architecture pour la surveillance de véhicules aérospatiaux (Bharadwaj et al., 2013).
L’architecture VIPR combine différentes entités interagissant entre elles pour établir un
diagnostic global d’un véhicule. Ces entités nommées HM (Health Manager) adhérent à la
structure du véhicule à diagnostiquer et sont réparties suivant trois niveaux hiérarchiques
(niveau équipement, niveau régional et niveau véhicule) (figure 2.5). Au niveau hiérarchique
le plus bas, chaque entité élabore des informations locales de diagnostic et de pronostic (DP)
relatives à un équipement (LRU HM). Ces informations sont ensuite confiées aux entités de
niveau supérieur (Area HM), capables d’analyser ces résultats en considérant les différentes
régions du véhicule (implantation géographique des équipements, interdépendances entre
équipements, par exemple). Enfin, les conclusions établies par ces entités sont exploitées par
une entité située au niveau supérieur (Vehicle HM) chargée de délivrer un diagnostic final du
véhicule. CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 43
Figure 2.5. Architecture VIPR, adaptée de (Cornhill et al., 2013).
Cette architecture permet d’établir un diagnostic performant au niveau véhicule, dont le taux
de fausses alarmes est faible (Cornhill et al., 2013). Néanmoins, ces entités sont généralement
associées à des technologies spécifiques. De plus, le contexte opérationnel associé aux
équipements n’est pas exploité par les entités qui composent cette architecture (informations
relatives aux organes de contrôle des sous-systèmes, par exemple).
1.3 Typologie des architectures de diagnostic
A partir des architectures exposées précédemment, une typologie des architectures de
diagnostic peut être articulée autour de trois axes.
· Le premier axe concerne l’implantation du diagnostic vis-à-vis du système cible à
diagnostiquer. Par exemple, le diagnostic peut être exécuté à bord du système cible, à
proximité du système cible (outil de diagnostic portatif, par exemple), ou être réalisé à
distance dans un centre de maintenance (Alanen et al., 2006).
· Le deuxième axe précise la distribution de la couche diagnostic en fonction des
différents sous-systèmes à diagnostiquer. Ainsi, une entité de diagnostic peut être
affectée à l’ensemble des sous-systèmes (diagnostic centralisé), ou à chaque soussystème
du système cible (diagnostic décentralisé). Il est également possible d’affecter
plusieurs entités de diagnostic à un même sous-système. Certains auteurs mentionnent
alors une distribution spatiale ou sémantique du diagnostic (Fröhlich et al., 1999 ;
Roos et al., 2003). La distribution spatiale fait référence à une répartition
géographique des entités de diagnostic, où chaque entité est affectée à une certaine
partie du système cible et prend en charge le diagnostic de cette partie. Une partie peut
correspondre, par exemple, à un sous-système ou à un regroupement de plusieurs
sous-systèmes. Dans une distribution sémantique du diagnostic, des entités de
diagnostic hétérogènes sont affectées à une même partie du système cible et réalisent CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 44
conjointement le diagnostic de cette partie. Une entité de diagnostic peut être focalisée
sur certains aspects de cette partie ou être spécialisée dans la résolution de certains
types de problèmes (analyse de défaillances particulières, par exemple).
· Le troisième axe de cette typologie détermine l’organisation des entités de diagnostic
au niveau social. Suivant la structure organisationnelle des entités de diagnostic, une
entité peut être autorisée ou non à coopérer avec d’autres entités. Par exemple, une
entité peut interagir avec l’ensemble des entités ou avec un nombre restreint d’entités
(Atlas et al., 2001).
La figure 2.6 ci-dessous illustre la typologie proposée et positionne les différentes classes
d’architectures définies auparavant. Le deuxième et le troisième axe concernent uniquement
les architectures permettant de réaliser le diagnostic à bord de systèmes cibles. En effet, les
architectures implémentant le diagnostic à distance impliquent des délais significatifs dans
l’analyse des données et dans l’exécution des opérations de maintenance (temps de
transmission, de stockage et de traitement des données collectées). Par exemple, l’architecture
RCD souffre d’un manque de robustesse et de précision (taux de fausses alarmes important,
informations de diagnostic erronées, non pertinentes ou non contextualisées). Par conséquent,
les architectures pour lesquelles le diagnostic est exécuté à distance ne seront pas retenues
dans la suite de nos travaux.
Figure 2.6. Positionnement des architectures de diagnostic suivant la typologie proposée.
Parmi les architectures de diagnostic embarqué, l’architecture DEDC s’avère être une
approche pertinente pour élaborer le diagnostic de systèmes cibles mobiles. Cette architecture
permet d’établir un diagnostic global du système cible à partir des informations délivrées par
différentes entités de diagnostic implantées à bord du système cible et pouvant interagir entre CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 45
elles. En considérant les exigences d’un système de surveillance établies dans le précédent
chapitre, cette architecture présente les avantages suivants :
· Précision : les données brutes sont traitées au plus près des équipements surveillés, ce
qui permet de garantir la qualité des observations et par conséquent la précision du
diagnostic.
· Adaptabilité : les changements survenant dans un sous-système du système cible
(modification, ajout ou suppression de composants, par exemple) impactent
uniquement l’entité de diagnostic qui lui est associée.
· Réactivité : les délais d’interventions de maintenance sont réduits car le système cible
est capable de transmettre des informations de diagnostic directement exploitables par
les services de maintenance en ciblant des actions de maintenance précises.
· Confiance : les informations contextuelles disponibles à bord du système cible peuvent
être exploitées par les différentes entités de diagnostic. De plus, ces entités sont
capables de communiquer entre elles pour obtenir davantage d’informations sur leur
environnement et limiter ainsi le nombre de fausses alarmes.
Ces travaux se positionnent dans cette dernière catégorie d’architecture. Dans la suite de ce
manuscrit, une architecture de type DEDC est retenue pour la surveillance de systèmes cibles
mobiles. La partie suivante propose des approches permettant de modéliser les entités qui
composent cette architecture en s’appuyant sur le concept de surveillance active.
2. Approches de surveillance active
L’architecture DEDC retenue précédemment requiert la définition de différentes entités en
interaction dont l’objectif est de réaliser le diagnostic à bord d’un système cible. Ainsi, cette
approche implique une augmentation des capacités informationnelles, décisionnelles et
communicationnelles des sous-systèmes à diagnostiquer. Dans ce cadre, les travaux de
Recherche menés au sein de notre équipe sur le développement de produits “actifs” ont
permis de faire émerger la notion d’activité associée à un produit tout au long de son cycle de
vie (Sallez, 2012). Cette notion d’activité s’oppose au caractère passif d’un produit classique,
contraint de subir les interventions d’un système de soutien externe (système de distribution
ou de maintenance, par exemple) et n’ayant pas la capacité de prendre des initiatives vis-à-vis
de ce système. L’activité associée à un système cible (ou produit) est supportée par un
système d’augmentation. Ce dernier réalise un ensemble de fonctions d’augmentation au plus
près du système cible et lui confère, au minimum, la capacité de déclencher un événement.
Cette faculté permet au système cible devenu “actif” d’exprimer un besoin en émettant un
signal (demande d’une intervention ou d’un service particulier, par exemple). Bien entendu,
cette activité minimale peut être complétée par d’autres activités plus complexes
(mémorisation, apprentissage, coopération entre produits actifs, par exemple). Le concept
d’augmentation consiste à associer un système d’augmentation à un produit passif lui
permettant d’être “actif” pendant une ou plusieurs phases de son cycle de vie (phase de
fabrication, de distribution et d’usage, par exemple) (Sallez et al., 2010).
Cette partie décrit le concept de surveillance active reposant sur le concept d’augmentation et
suggère des approches permettant de modéliser l’activité associée à un système cible.CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 46
2.1 Concept de surveillance active
La surveillance active est une application du concept d’augmentation en phase d’usage qui
consiste à doter un système cible de capacités d’auto-surveillance (Sallez et al., 2011). Ce
concept implique une augmentation des sous-systèmes du système cible par des fonctions de
surveillance. Ces fonctions sont supportées par différents systèmes d’augmentations situés au
plus près des sous-systèmes surveillés. Le système cible constitué de sous-systèmes “actif” est
donc lui-même “actif”. Ce système cible “actif” peut alors délivrer des informations de
surveillance de manière spontanée pendant son exploitation (état de santé, résultats de
diagnostic, par exemple). Dans une perspective d’évolution du système cible (développement
de nouvelles fonctionnalités, par exemple), les fonctions de surveillance supportées par un
système d’augmentation pourront être prises en charge de façon native par le système cible.
Dans l’architecture DEDC retenue dans nos travaux, chaque sous-système réalise les couches
fonctionnelles #1 à #4 du modèle ISO 13374. Un système d’augmentation peut alors être
défini pour supporter les fonctionnalités associées à ces couches et élaborer le diagnostic d’un
sous-système (figure 2.7). Ce système d’augmentation présente des capacités décisionnelles et
interactionnelles lui permettant de dialoguer avec d’autres systèmes d’augmentation et de
transmettre des informations de diagnostic à un centre de maintenance.
Figure 2.7. Exemple de surveillance active basée sur le concept d’augmentation.
Le concept de surveillance active est particulièrement adapté pour aborder la surveillance
d’un système cible mobile suivant une architecture de type DEDC. En effet, chaque sous
système du système cible peut être associé à une entité de surveillance “active” autonome,
capable d’interagir avec d’autres entités. Inspiré des modèles d’architectures de systèmes de
pilotage manufacturiers (Trentesaux, 2009), les sections suivantes présentent les principales
approches permettant de modéliser ces entités de surveillance “actives” : l’approche multiagents
et l’approche holonique.CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 47
2.2 Approche multi-agents
L’intelligence artificielle distribuée (IAD), axe de l’intelligence artificielle (IA), s’intéresse
aux domaines pour lesquels une seule entité est inadaptée ou inefficace pour résoudre certains
types de problèmes. Cette communauté a introduit le concept de systèmes constitués d’entités
autonomes ayant la capacité d’agir sur leur environnement et de communiquer avec d’autres
entités pour atteindre un objectif donné. Un système constitué de ces entités ou agents est
nommé Système Multi-Agents (SMA).
2.2.1 Notion d’agent
De nombreuses définitions du terme agent sont apparues depuis l’émergence des systèmes
multi-agents. En effet, cette notion est utilisée dans de nombreux domaines (Tweedale et al.,
2007). Bien qu’aucune définition précise ne soit acceptée, nous pouvons citer les deux
définitions suivantes couramment rencontrées dans la littérature.
· Un agent est un système informatique, situé dans un environnement, et qui agit d'une
façon autonome et flexible pour atteindre les objectifs (buts) pour lesquels il a été conçu
(Wooldrige et Jennings, 1995).
· Un agent est une entité autonome, réelle ou abstraite, qui est capable d’agir sur ellemême
et sur son environnement, qui, dans un univers multi-agents, peut communiquer
avec d’autres agents, et dont le comportement est la conséquence de ses observations, de
ses connaissances et des interactions avec les autres agents (Ferber, 1995).
Les agents sont décrits dans un système et diffèrent donc d’un système à un autre. La plupart
des typologies d’agents établies dans la littérature sont axées sur le degré de raisonnement des
agents. Un agent peut être vu comme un processus permettant de lier ses perceptions à ses
actions. Une classification usuelle dissocie deux catégories d’agents définies ci-après : les
agents réactifs et les agents cognitifs (Demazeau et Briot, 2001).
· Agents réactifs : ces agents sont des entités très simples, n’ayant quasiment pas de
capacité de raisonnement et ne disposant pas de mémoire. Ils perçoivent leur
environnement mais n’ont pas la capacité de le représenter symboliquement. Leurs
capacités limitées répondent uniquement à des stimuli provenant de l’environnement.
Les actions d’un agent sont directement liées à ses perceptions par une fonction
reflexe (stimulation-exécution). Par conséquent, les agents réactifs adoptent des
mécanismes de communication restreints. L’interaction entre ces agents et
l’environnement fait émerger une organisation cohérente et intelligente au niveau d’un
système d’agents. Ces agents sont qualifiés d’intelligents au niveau d’un groupe
d’agents réactifs (Müller, 2000).
· Agents cognitifs : ces agents, au contraire, plus complexes, possèdent des capacités de
raisonnement individuelles et une base de connaissance. Ces agents ont la capacité de
percevoir et de constituer une représentation explicite de leur environnement (Ferber,
1995). Un agent cognitif peut être amené à raisonner suivant ses perceptions passées,
ses interactions avec d’autres agents, ses actions antérieurement initiées, pour planifier
au mieux ses actions futures. Ils ont potentiellement la capacité d’apprendre et de
reconnaître certaines situations. Un agent cognitif adopte un langage de CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 48
communication plus élaboré (mécanismes d’envois de messages et requêtes, par
exemple). Dans une organisation d’agents cognitifs, les agents accomplissent leur
propre but en cherchant à optimiser leur utilité au sein du collectif d’agents. Jusqu’à
présent, cette approche a donné lieu aux travaux les plus avancés.
Les agents réactifs et cognitifs sont généralement décrits comme deux entités antagonistes.
Cependant, certains agents hybrides peuvent posséder des propriétés réactives et cognitives. A
titre d’exemple, un agent hybride peut mener un raisonnement à l’aide de ses connaissances et
présenter certaines aptitudes à réagir aux évènements.
2.2.2 Architectures à base d’agents
Un agent a généralement pour vocation d’agir au sein d’une organisation d’agents. Un
système multi-agents (SMA) est un ensemble d’agents qui évoluent dans un même
environnement. Un SMA peut être constitué, par exemple, d’agents purement réactifs,
cognitifs ou hybrides. Dans une approche “voyelle” (Demazeau, 2001), on distingue quatre
dimensions permettant d’élaborer un système multi-agents : l’Agent, l’Environnement,
l’Interaction et l’Organisation (AEIO). L’organisation décrit les relations entre les agents du
système suivant un modèle organisationnel (modèles bio-inspirés, par exemple). Dans un
SMA, la communication est primordiale pour assurer les différentes interactions entre agents.
Elle peut être assimilée à une forme d’action locale, par exemple, d’un agent vers un autre
agent, ou d’un agent vers plusieurs agents (diffusion de messages au sein d’un groupe
d’agents, par exemple).
Figure 2.8. Exemple de SMA appliqué à la surveillance de systèmes, adaptée de
(Ferber, 1995).
CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 49
L’architecture interne d’un agent, c’est à dire, la décomposition modulaire utilisée pour relier
les perceptions d’un agent à ses actions permet également de différencier les systèmes multiagents.
Les types d’architectures les plus connues sont les architectures suivantes (Grondin,
2008) :
· l’architecture horizontale monocouche : l’agent est constitué d’un seul module ayant
accès à la perception et à l’action (figure 2.9a),
· l’architecture horizontale avec plusieurs couches : l’agent est constitué de plusieurs
modules où chaque module a accès simultanément à la perception et à l’action
(figure 2.9b),
· l’architecture verticale modulaire : l’agent est constitué de plusieurs modules, dont le
premier accède à la perception et le dernier module accède à l’action (figure 2.9c),
· l’architecture verticale en couches : l’agent est constitué de plusieurs modules dont
un seul module peut accéder à la perception et à l’action (figure 2.9d).
Figure 2.9. Exemples d’architectures internes d’un agent, adaptée de (Müller et al., 1995).
Les architectures horizontales sont majoritairement employées pour le développement
d’agents réactifs, comme l’architecture de subsumption (Brooks, 1986), tandis que des
architectures verticales sont plutôt associées à des agents cognitifs, telle que l’architecture
BDI (Belief Desire Intention) (Rao et Georgeff, 1995). Un agent hybride peut présenter une
architecture verticale ou horizontale. Par exemple, l’architecture InteRRaP est une
architecture verticale modulaire d’agents hybrides qui comporte plusieurs couches
fonctionnelles (Müller et al., 1995). L’approche multi-agents a notamment été exploitée pour
la surveillance de systèmes répartis dans (Albert et al., 2001 ; Mangina et al., 2001 ; Naedele
et al., 2004).
2.3 Approche holonique
Les systèmes holoniques ont été introduits par le philosophe hongrois Arthur Koestler
(Koestler, 1967). Ces systèmes sont basés sur le concept de “holon”, terme formé par le
préfixe grec Holos (le tout) et du suffixe on qui suggère une particule élémentaire ou partie
d’un tout. Une propriété importante de ces systèmes est la récursivité des entités mises en
œuvre nommées holons. L’approche holonique peut s’appliquer à de nombreux systèmes, qui
peuvent être naturels (systèmes biologiques) ou artificiels (systèmes conçus par l’homme). CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 50
2.3.1 Concept de holon
Un holon est décrit comme une entité autonome faisant partie d’un tout qui présente un
caractère individuel et coopératif pour atteindre un objectif donné (Koestler, 1967). Le
concept de holon repose sur la notion de récursivité (Suaréz et al., 2013). Un holon peut être
vu comme une partie constitutive d’un holon de niveau supérieur, et comme un tout, composé
lui-même de holons de niveaux inférieurs. Cette dualité associée au holon est appelée effet
Janus par Koestler, en référence au nom de la divinité romaine regardant dans deux directions
opposées. Ainsi, les deux principales propriétés d’un un holon sont l’autonomie et la
coopération. La première confère au holon une identité propre d’un ensemble autonome et
cohérent. La seconde représente l’aspect social d’un holon, contribuant partiellement au
fonctionnement global du système suivant des mécanismes de coopérations avec d’autres
holons.
2.3.2 Architectures holoniques
Un système de holons qui peuvent coopérer pour atteindre un but ou un objectif donné est
nommé holarchie. Comme l’illustre la figure 2.10, une holarchie est formée par des holons
récursifs organisés de manière hiérarchisée. Naturellement, un holon peut être composé
d’autres holons, être lui-même considéré comme une holarchie et également appartenir à une
holarchie plus vaste. Dans une holarchie, un holon peut interagir avec d’autres holons situés
au niveau inférieur ou supérieur (interactions “verticales”) et avec des holons situés au même
niveau que lui (interactions “horizontales” représentées sur la figure 2.10) dans un espace de
coopération.
Figure 2.10. Exemple de système de holons ou holarchie, adaptée de (Gaud, 2007).
L’holarchie définit les règles de base pour la coopération entre holons et de ce fait limite leur
autonomie (Tanaya et al., 1997). Les conflits résultants d’une coopération entre holons au sein
d’un même espace de coopération peuvent être résolus par un holon de niveau supérieur. Ce
holon émet alors une décision à partir des observations de ses holons subordonnés. CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 51
L’approche holonique a notamment été appliquée au pilotage de systèmes manufacturiers
dans le cadre du projet HMS (Holonic Manufacturing System) entrepris par la communauté
internationale IMS (Intelligent Manufacturing System) (IMS, 2013). Dans ce domaine,
l’approche holonique a permis de concevoir de nouveaux modèles d’architectures, reposant
sur une décentralisation des capacités de traitement et de décision à travers des entités
autonomes et communicantes (Blanc et al., 2008 ; Deen, 2003). Les travaux importants
proposés par cette communauté représentent une rupture avec les architectures centralisées de
pilotage de systèmes manufacturiers et se proposent de répondre aux nouveaux besoins et
contraintes des industriels (flexibilité, personnalisation de masse des produits, traçabilité des
produits, par exemple) (Pujo et al., 2009).
Un HMS est une holarchie dans laquelle les holons sont autonomes, coopératifs et
entretiennent des liens de subordinations avec des holons hiérarchiquement supérieurs
(commandes, instructions, par exemple). Suivant les modèles d’architectures holoniques
proposés (ou holarchies), différents types de holons ont été définis pour désigner des entités
d’un système manufacturier. Les architectures PROSA (Van Brussel et al., 1998) et
ADACOR (Leitão et Restivo, 2006) proposent par exemple d’associer des holons aux
machines de production (holon ressource, holon machine), aux produits manufacturés (holon
produit), aux opérations à effectuer (holon ordre, holon tâche), ou encore aux tâches de
supervision (holon staff, holon supervision). La figure 2.11 présente une architecture
générique de holon adoptée par cette communauté. Dans ce modèle, un holon comporte une
partie “traitement de l’information” et une partie “traitement physique” (optionnelle). La
partie “traitement de l’information” est subdivisée en trois modules : une interface de
communication nécessaire pour interagir avec les autres holons (interface inter-holons), une
intelligence décisionnelle pour élaborer un raisonnement interne et disposer d’une certaine
autonomie (centre de décision), et une interface pour interagir avec des opérateurs humains
(interface homme-holon).
Figure 2.11. Architecture interne d’un holon, adaptée de (Bussman, 1998).
La partie “traitement physique” se compose d’un module de commande (contrôle physique) et
d’un module opérant (traitement physique). Cette partie est décrite comme facultative, dans la
mesure où un holon peut être constitué uniquement d’une partie “traitement de l’information”.CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 52
2.4 Comparaison des approches
Les communautés holoniques et agents convergent vers des spécifications communes, car ces
deux approches reposent sur les mêmes principes fondamentaux d’autonomie et de
coopération en explorant la distribution et la décentralisation des entités et des fonctions
(Leitão, 2004). Un holon possède des propriétés similaires à celles d’un agent, mais se
distingue de par sa récursivité (Giret et Botti, 2004). En effet, dans la plupart des modèles
d’agents, un agent est considéré comme une entité atomique (Gaud, 2007). Néanmoins,
certaines approches considèrent que des agents peuvent se regrouper pour former un agent de
niveau supérieur. Suivant ce concept, un système multi-agents holonique (holomas) est un
SMA ayant une structure récursive. Les agents d’un certain niveau sont regroupés en
organisations qui sont considérées comme des entités individuelles à un niveau supérieur. La
communauté agent s’intéresse aux comportements des entités qui composent un SMA (agent
réactif ou cognitif, par exemple) et au comportement global émergent d’un SMA. Dans une
approche holonique, un holon est récursif et associé à une partie matérielle (tangible), qui
n’est pas abordée dans les modèles d’agents. L’approche holonique est donc complémentaire
à l’approche multi-agents. D’un point de vue conceptuel, le holon est un concept et l’agent est
à la fois un concept et une technologie associée. Un modèle à base d’agents est approprié pour
implémenter la modularité et la décentralisation des structures holoniques (Leitão, 2004 ;
Marík et al., 2002). Ainsi, la technologie agent peut fournir les outils nécessaires pour mettre
en œuvre les traitements informationnels associés aux holons tout comme les mécanismes
d’interactions entre ces entités.
Dans le cadre de nos travaux, une approche à base d’agents peut être exploitée pour modéliser
les entités de surveillance de l’architecture DEDC. Comme l’illustre l’exemple présenté sur la
figure 2.12, une entité de surveillance “active” peut être décrite par un agent. Sur ce même
exemple, en considérant une approche holonique, un holon permet de considérer à la fois la
partie physique surveillée d’un système cible et l’entité de surveillance “active” qui lui est
associée. Cette seconde approche permet également de décrire la récursivité du système cible.
Figure 2.12. Périmètres de modélisation considérés dans le cadre de notre étude.
Une approche holonique est retenue dans la suite de nos travaux pour modéliser les soussystèmes
surveillés d’un système cible mobile suivant une architecture DEDC. Cette approche
qui considère les aspects matériels et immatériels des systèmes a notamment été expérimentée
pour la surveillance de systèmes naturels (Louati et al., 2012 ; Unland, 2003) et artificiels
(Jarvis et Jarvis, 2003 ; McFarlane et al., 1995 ; Silva et al., 2012 ; Stecca et al., 2013). CHAPITRE II : SURVEILLANCE DE SYSTÈMES MOBILES : ÉTAT DE L’ART
ET APPROCHES DE SURVEILLANCE ACTIVE
Page 53
3. Conclusion
Ce chapitre a dressé tout d’abord un état de l’art des architectures de diagnostic pour la
surveillance de systèmes cibles mobiles. La surveillance d’un tel système nécessite une prise
en charge de fonctions de surveillance par le système cible mobile et par un centre de
maintenance distant. La première partie de ce chapitre a défini quatre classes d’architectures
de diagnostic et a proposé une typologie des architectures de diagnostic. Afin de répondre aux
exigences exprimées dans le précédent chapitre, une architecture de diagnostic dans laquelle
le diagnostic est embarqué et réalisé de manière décentralisée et coopérative a été retenue
pour la surveillance de systèmes cibles mobiles (architecture DEDC). Dans la littérature, les
applications relatives à ce type d’architecture sont généralement spécifiques à une méthode de
diagnostic et manquent de généricité. Par ailleurs, les informations contextuelles disponibles à
bord d’un système cible ne sont pas suffisamment valorisées et considérées pour améliorer la
performance du diagnostic embarqué. En s’appuyant sur le concept de surveillance active, la
seconde partie de ce chapitre a présenté deux approches pertinentes pour modéliser les entités
qui composent cette architecture : les systèmes multi-agents et les systèmes holoniques. Une
étude comparative de ces deux approches a favorisée l’adoption d’une approche holonique
pour la surveillance de système cibles mobiles.
Le chapitre suivant propose une architecture générique de surveillance “active” de type
DEDC reposant sur une approche holonique. Cette architecture représente la composante
surveillance d’un système de maintenance associé à un système cible. Page 54
Chapitre III
Proposition d’une architecture holonique pour la
surveillance active de systèmes cibles mobiles
Introduction
Dans le précédent chapitre, une étude comparative des architectures de diagnostic pour la
surveillance de systèmes cibles mobiles a été présentée. Cette analyse a permis de retenir une
catégorie d’architecture dans laquelle le diagnostic est implanté à bord du système cible et
élaboré de manière décentralisée et coopérative (architecture DEDC).
Ce chapitre est consacré à la proposition d’une architecture de type DEDC pour la
surveillance de systèmes cibles mobiles. L’approche proposée s’appuie sur le concept de
surveillance active décrit dans le précédent chapitre en adoptant une approche holonique.
Dans ce chapitre, une architecture de surveillance active basée sur des entités de surveillance
autonomes et coopératives est proposée. La première partie de ce chapitre présente tout
d’abord une approche de modélisation d’un système cible à surveiller. Ce modèle permettra
de caractériser les entités de surveillance qui lui sont associées et de proposer par la suite
notre architecture holonique de surveillance. La deuxième partie se concentre sur la structure
interne des entités qui composent cette architecture holonique de surveillance. Elle détaille
notamment les fonctionnalités supportées par ces entités.
1. Système de surveillance holonique
L’adoption d’une architecture de type DEDC pour la surveillance de systèmes cibles mobiles
nécessite une identification des sous-systèmes à surveiller qui composent un système cible.
Un partitionnement du système cible en sous-systèmes est alors nécessaire avant de définir les
entités de surveillance qui concourent à l’élaboration d’un diagnostic. Cette décomposition
peut être abordée par une approche analytique, qui consiste à décomposer un problème en
différents sous-problèmes indépendants. Cependant, cette approche connait certaines
limitations, notamment en raison du niveau de complexité croissant des systèmes actuels et à
la manière dont ces systèmes sont conçus (Fabre, 2007).
Une approche complémentaire, se focalisant non seulement sur une analyse séparée des soussystèmes
d’un système cible, mais considérant également un système cible dans son ensemble
s’avère nécessaire. L’approche systémique adoptée au début de ce manuscrit (cf. chapitre I,
section 1.1) peut ainsi remédier aux difficultés de compréhension d’un système cible. Elle
permet de conserver une vision globale d’un système cible, constitué de sous-systèmes en
interaction, eux-mêmes considérés comme des systèmes. CHAPITRE III : PROPOSITION D’UNE ARCHITECTURE HOLONIQUE POUR LA SURVEILLANCE ACTIVE
DE SYSTÈMES CIBLES MOBILES
Page 55
Dans cette partie, la décomposition d’un système cibles en sous-systèmes est abordée en
adoptant une approche systémique. Après un rappel des principaux concepts de la systémique,
la section 1.1 présente un modèle de système cible à surveiller basé sur cette approche. La
section 1.2 spécifie les entités de surveillance associées à ce modèle suivant une approche
holonique. La section 1.3 propose notre architecture holonique de surveillance basée sur ces
entités de surveillance.
1.1 Approche de modélisation du système cible à surveiller
La systémique a pour objet l’étude et la compréhension de systèmes dont l’analyse par une
approche analytique s’avère difficile ou impossible, et vise à établir une représentation du
système étudié par le biais de modèles qualitatifs (Donnadieu et al., 2003). Elle s’appuie
notamment sur les interactions entre les éléments constituant un système pour en comprendre
son comportement global. Ces liens portent aussi bien sur de simples relations de causes à
effets que sur des échanges d’informations, de flux de matière ou d’énergie. Ces interactions
s’opèrent à des niveaux hiérarchiques différents, formant plusieurs niveaux organisationnels
structurés de manière hiérarchisée. La systémique met en œuvre trois points de vue
nécessaires à l’analyse et à la représentation d’un système (c.f. annexe A). Cette triangulation
systémique regroupe les visions fonctionnelle, organique et historique du système étudié dans
le but d’approfondir sa compréhension (Le Moigne, 1994). Outre ces différents axes
d’analyse d’un système, la démarche systémique préconise une identification des soussystèmes
(sous-ensembles ou composants) d’un système, afin de mettre en évidence les
relations que ces entités entretiennent entre elles et leurs rôles au sein d’un système.
Contrairement à une approche analytique, ces entités ne coïncident pas nécessairement avec
des composants élémentaires d’un système tangible à analyser. Aussi, cette décomposition
soulève la question du partitionnement d’un système en sous-systèmes défini par le
modélisateur. Bien que subjectif, l’établissement de frontières (ou périmètres) des soussystèmes
peut être dicté par certains critères, notamment à partir des différents points de vue
d’un système abordés précédemment. La dimension fonctionnelle, s’intéressant aux fonctions
assurées par le système, et la dimension organique, basée sur la structure des éléments
constituant le système et leurs répétitivités, sont deux exemples de critères permettant de
décomposer un système cible.
La systémique proposant un cadre méthodologique d’analyse et de conception de systèmes
cibles, conformément à un fonctionnement désiré ou à une finalité du système, elle peut
également être exploitée pour comprendre les dysfonctionnements survenant dans de tels
systèmes (Belhadaoui, 2011). Cette section propose une modélisation d’un système cible
basée sur une approche systémique. Ce modèle de système cible à surveiller servira par la
suite de socle à l’élaboration d’une architecture de surveillance.
Le modèle proposé repose sur les hypothèses établies dans le premier chapitre et plus
précisément :
· décomposition : le système cible à surveiller est supposé être organisé suivant une
structure hiérarchisée de contrôle et décomposable structurellement en un ensemble
fini de sous-systèmes. Le partitionnement du système cible en sous-systèmes est
supposé être établi sans chevauchements entre les frontières des sous-systèmes.
Chaque sous-système est supposé être contrôlé par un système de niveau supérieur,
· hétérogénéité technologique : le système cible et ses sous-systèmes sont supposés être
conçus avec des technologies hétérogènes. Néanmoins, le système cible comme
chaque sous-système présente une structure interne identique. Il se compose d’une
partie contrôle (partie décisionnelle) et d’une partie sous-contrôle (partie opérante), CHAPITRE III : PROPOSITION D’UNE ARCHITECTURE HOLONIQUE POUR LA SURVEILLANCE ACTIVE
DE SYSTÈMES CIBLES MOBILES
Page 56
· environnement : les parties contrôle et sous-contrôle sont supposées interagir dans un
environnement spécifique. Un contexte opérationnel de nature physique (température,
champ électrique, par exemple) ou informationnelle (mode de fonctionnement,
identifiant de l’utilisateur du système, par exemple) est supposé être une propriété
intrinsèque du système cible comme de chaque sous-système constituant ce système.
La figure 3.1 présente un modèle organique du système cible considéré. Ce modèle est inspiré
de l’architecture de systèmes constitués d’une partie contrôle et d’une partie sous-contrôle
(Isermann, 2008). En accord avec nos hypothèses, ce modèle présente les propriétés
suivantes :
· une partie contrôle : entité de traitement de l’information et de commande, en charge
d’assurer un comportement cohérent de la partie sous-contrôle, conformément aux
spécifications fonctionnelles imposées par le concepteur,
· une partie sous-contrôle : ensemble d’éléments soumis aux commandes de la partie
contrôle, comprenant notamment des éléments matériels (capteurs, transducteurs, par
exemple) ou informationnels (estimateurs, observateurs logiciels, par exemple)
rendant compte de l’état de cette partie,
· des signaux de commandes (U) : ensemble d’ordres délivrés par la partie contrôle dans
le but de commander la partie sous-contrôle,
· des signaux de mesures (Y) : ensemble de signaux fournis par des dispositifs de la
partie sous-contrôle et exploités par la partie contrôle pour l’élaboration des signaux
de commandes,
· un contexte opérationnel (C) : ensemble d’informations relatif à l’environnement du
système et/ou au système lui-même caractérisant une situation de fonctionnement.
Figure 3.1. Modèle organique du système cible considéré.
Le système cible à surveiller, représenté suivant une vision systémique et noté Σ sur la figure
3.1, comporte deux parties en interaction opérant dans un contexte opérationnel. Ce modèle
organique correspond à une vue globale du système cible considéré, au plus haut niveau de sa
structure hiérarchique. De par ses propriétés récursives, ce système englobe un ensemble fini
de sous-systèmes de niveaux inférieurs ayant une structure interne identique. Les soussystèmes
sont organisés en niveaux et contrôlés par un système de niveau supérieur. Dans le
modèle proposé, chaque système est caractérisé par la position qu’il occupe dans la
composition d’un système plus vaste. Par la suite, le sous-système ݆ du système Σ
sera noté
ΣȀ, et le ݇
ème sous-système du sous-système ΣȀ sera noté ΣȀȀ. La figure 3.2 ci-dessous
propose un modèle organique arborescent du système cible représenté sur la figure 3.1.
Suivant ce modèle, le système global, noté Σ
sur la figure 3.2, est décomposé en une
succession de sous-systèmes situés à différents niveaux. Chaque sous-système est décomposé
en sous-systèmes de niveau inférieur, eux-mêmes décomposés en sous-systèmes. CHAPITRE III : PROPOSITION D’UNE ARCHITECTURE HOLONIQUE POUR LA SURVEILLANCE ACTIVE
DE SYSTÈMES CIBLES MOBILES
Page 57
Par exemple sur la figure 3.2, le système Σ
de niveau n est décomposé en trois sous-systèmes
(ΣȀ, ΣȀឬ et ΣȀ̶) de niveau n-1, et le sous-système ΣȀ est lui-même décomposé en deux
sous-systèmes de niveau n-2 (ΣȀȀ et ΣȀȀឬ). Le sous-système ΣȀȀឬ est décomposé de
nouveau en sous-systèmes élémentaires de niveau inférieur (ΣȀȀឬȀ et ΣȀȀឬȀឬ).
Figure 3.2. Modèle organique arborescent du système cible considéré.
Comme évoqué précédemment chaque système est immergé dans un contexte opérationnel.
Le contexte du système Σ
et de son sous-système ΣȀ seront par la suite notés
respectivement
et Ȁ . Une propriété importante de l’approche systémique proposée est
l’agrégation des informations de contexte entre les différents sous-systèmes constituant un
système cible. En effet, le contexte opérationnel d’un sous-système caractérise la situation de
fonctionnement de ce sous-système et également de ses sous-systèmes de niveaux inférieurs.
Par ailleurs, les sous-systèmes sont soumis à un même contexte relatif au niveau hiérarchique
le plus élevé. Par exemple, sur le modèle de la figure 3.2, les sous-systèmes ΣȀȀឬȀ et
ΣȀȀឬȀឬ opèrent tous deux dans le contexte ȀȀឬ , relatif au sous-système ΣȀȀឬ , et
également dans Ȁ , contexte commun aux sous-systèmes ΣȀȀ et ΣȀȀឬ . Les différents
sous-systèmes du système Σsont soumis au même contexte
.
La structure hiérarchisée de contrôle du système cible considéré implique nécessairement des
interactions “verticales” de nature informationnelle entre les différents niveaux de
décomposition du système cible (relations d’autorités entre un sous-système et son soussystème
de niveau inférieur, par exemple). De plus, des interactions “horizontales” de nature
informationnelle et physique sont envisageables au sein d’un même niveau (échanges
d’informations ou influences physiques entre sous-systèmes, par exemple).
Simulations num´eriques m´eso- et micro-´echelles des
circulations locales g´en´er´ees par des ˆıles tropicales : cas
de l’archipel de la Guadeloupe avec une application `a la
dispersion de polluants (WRF-LES-FLEXPART)
Rapha¨el C´ec´e
To cite this version:
Rapha¨el C´ec´e. Simulations num´eriques m´eso- et micro-´echelles des circulations locales g´en´er´ees
par des ˆıles tropicales : cas de l’archipel de la Guadeloupe avec une application `a la dispersion
de polluants (WRF-LES-FLEXPART). Meteorology. Universit´e des Antilles et de la Guyane,
2014. French.
HAL Id: tel-01074600
https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01074600
Submitted on 14 Oct 2014
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recherche fran¸cais ou ´etrangers, des laboratoires
publics ou priv´es.Universite des Antilles et de la Guyane ´
THESE `
En vue de l’obtention du grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITE DES ANTILLES ´
ET DE LA GUYANE
Ecole doctorale pluridisciplinaire ´
Sp´ecialit´e : Physique de l’atmosph`ere
Pr´esent´ee et soutenue par
Rapha¨el C´ec´e
le 10 juillet 2014
Simulations num´eriques m´eso- et
micro-´echelles des circulations locales
g´en´er´ees par des ˆıles tropicales : cas de
l’archipel de la Guadeloupe avec une
application `a la dispersion de polluants
(WRF-LES-FLEXPART)
Composition du jury :
Herv´e Delbarre (Pr, LPCA, Universit´e du Littoral) Pr´esident
Evelyne Richard (Directeur de recherche, LA, CNRS Toulouse) Rapporteur ´
Blaise Nsom (Pr, LBMS, Universit´e de Bretagne Occidentale) Rapporteur
Narcisse Zahibo (Pr, LaRGE, Universit´e des Antilles et de la Guyane) Directeur
Didier Bernard (MCF, LaRGE, Universit´e des Antilles et de la Guyane) Co-encadrant
Jean-Fran¸cois Dorville (Dr, Lecturer, Universit´e des West Indies, Jama¨ıque) Co-encadrant
Philippe Palany (Ing´enieur, Direction Interr´egionale de M´et´eo-France) Invit´e”Les philosophes n’ont fait qu’interpr´eter le monde de diff´erentes mani`eres, ce qui importe
c’est de le transformer.“
Karl Marx, Th`eses sur Feuerbach (1845)UNIVERSITE DES ANTILLES ET DE LA GUYANE ´
R´esum´e
Facult´e des Sciences Exactes et Naturelles
D´epartement de Physique
Docteur de l’Universit´e des Antilles et de la Guyane
Simulations num´eriques m´eso- et micro-´echelles des circulations locales
g´en´er´ees par des ˆıles tropicales : cas de l’archipel de la Guadeloupe avec une
application `a la dispersion de polluants (WRF-LES-FLEXPART)
par Rapha¨el C´ec´e
Ce travail est l’expression d’une volont´e de chercheurs, de la Cara¨ıbe d’am´eliorer les
connaissances scientifiques m´eso- et micro-m´et´eorologiques appliqu´ees aux milieux insulaires
sous influence des aliz´es et de d´evelopper la recherche dans ces domaines.
On sait que le ph´enom`ene m´et´eorologique le plus remarquable impactant les ˆıles de la
Cara¨ıbe reste le cyclone tropical. Mais d’autres ph´enom`enes, `a des ´echelles inf´erieures,
telles que les pluies intenses, les houles, la d´egradation de la qualit´e de l’air ont une importance
aig¨ue en termes de risques naturels ou de risques sur la sant´e. Ces exemples
attestent la n´ecessit´e d’utiliser des m´ethodes de descente d’´echelle pour exploiter l’information
m´et´eorologique et/ou climatique de grande ´echelle et d´eriver des sc´enarios locaux
et r´egionaux appliqu´es aux territoires insulaires. Ce d´efi est important car l’attente d’analyses
scientifiques pertinentes dans ces domaines est grande.
Les travaux pr´esent´es dans ce m´emoire ont pour principaux objectifs la simulation num´erique
puis l’analyse des m´ecanismes m´eso- et micro-´echelles qui induisent des circulations
locales diurnes et nocturnes sur l’archipel de la Guadeloupe `a l’aide de codes
num´eriques m´et´eorologiques ´eprouv´es car largement utilis´es en recherche et en pr´evision
op´erationnelle.
Ils constituent donc la premi`ere ´etude de mod´elisation num´erique `a haute r´esolution en
basse atmosph`ere, par descente d’´echelle dynamique, pour des intervalles d’espace compris
entre 1 km et 111 m sur cet archipel.
Le mod`ele atmosph´erique Weather Research and Forecasting ARW V3.4 (WRF ARW),
non-hydrostatique, a ´et´e utilis´e pour l’ensemble des simulations pour mod´eliser la troposph`ere
depuis l’´echelle globale `a l’´echelle de la turbulence.Trois situations m´et´eorologiques classiques r´eelles d’une dur´ee de 48 heures, correspondant
`a 80 % des situations m´et´eorologiques observ´ees dans la zone, aliz´es soutenus (AS), aliz´es
moyens (AM), aliz´es faibles (AF) ont ´et´e examin´ees. Ces situations sont caract´eris´ees par
les valeurs du nombre de Froude local suivantes : 0,82 (AS), 0,41 (AM) et 0,21 (AF). Six
domaines de mod´elisation ont ´et´e s´electionn´es pour effectuer les descentes d’´echelle dynamiques
: D01 (maille de 27 km), D02 (maille de 9 km), D03 (maille de 3 km), D04 (maille
de 1 km), D05 (maille de 333 m) et D06 (maille de 111 m) avec soixante-dix niveaux
verticaux. Les quatre premiers domaines (D01 `a D04) couvrent l’archipel de la Guadeloupe
et sont utilis´es en mode m´eso-´echelle `a l’aide d’un sch´ema d’ensemble de couche
limite plan´etaire YSU. Les domaines D05 (couvrant l’ˆıle de la Basse-Terre et le centre de
l’archipel) et D06 (couvrant la zone littorale et rurale du Petit Cul-de-Sac Marin et la
zone urbaine de l’agglom´eration pointoise) sont utilis´es en mode Large Eddy Simulation
avec une fermeture de la turbulence 1,5 TKE 3D. Le mod`ele WRF a ´et´e forc´e toutes
les six heures par l’assimilation des champs d’analyses globales du mod`ele NCEP FNL
(1➦ de r´esolution). Les simulations effectu´ees ont permis d’obtenir des champs de variables
m´et´eorologiques 10-minutes `a tr`es hautes r´esolutions spatiales.
Les r´esultats des simulations m´eso- et micro-´echelles ont ´et´e confront´es aux valeurs exp´erimentales
obtenues `a l’aide de capteurs plac´es sur des mˆats m´et´eorologiques (campagne
Atmo-Mangrov et r´eseau de mesure M´et´eo-France). Il s’agissait d’optimiser l’utilisation
des couplages de codes num´eriques tout en conservant la possibilit´e de les confronter aux
observations exp´erimentales.
Les r´esultats des simulations num´eriques micro-´echelles, des diff´erents cas (AS, AM, AF)
sont utilis´ees pour forcer (c’est-`a-dire d´efinir les conditions limites) un mod`ele lagrangien
de dispersion de particules : FLEXPART. Le syst`eme coupl´e FLEXPART-WRF a ´et´e employ´e
dans le domaine D06 pour ´etudier la dispersion du panache d’oxydes d’azote ´emis
par la principale usine de production d’´electricit´e de l’ˆıle.
La concordance entre les s´eries spatio-temporelles simulation/exp´erimental a ´et´e qualifi´ee `a
l’aide d’outils statistiques de comparaison (MAE, MBE, IOA). Ces estimateurs montrent
que pour les champs m´et´eorologiques classiques, il y a une bonne ad´equation entre les
mesures exp´erimentales et les simulations obtenues aux fines ´echelles. Les simulations
retrouvent le comportement du vent et les principales circulations observ´ees exp´erimentalement.
L’´etude des effets des conditions aux limites, particuli`erement le changement de
carte d’occupation des sols, am´eliore sensiblement les r´esultats.
En aliz´es faibles, les coupes verticales pointant l’´energie cin´etique turbulente, la temp´erature
virtuelle et la masse volumique t´emoignent de l’existence d’un ´ecoulement catabatique.
Il se caract´erise par un front bien d´efini amenant des vents maximums situ´es dansles premiers niveaux en arri`ere de la surface frontale et des tourbillons verticaux en aval de
l’´ecoulement. Cette circulation d’ouest prend naissance, en fin d’apr`es-midi, sur les reliefs
de la Soufri`ere, descend les pentes au vent de l’ˆıle de la Basse-Terre et passe sur la zone
littorale d’Arnouville 2 `a 3 h apr`es son initiation.
Pendant la nuit, ce front oscille horizontalement sur la surface maritime du Petit Cul-deSac
Marin en s’accroissant verticalement. En effet, le front s’´etant r´echauff´e en passant
au-dessus de la surface maritime, sa propagation est frein´ee sur l’ˆıle de la Grande-Terre,
au sol fortement refroidi par le rayonnement infra-rouge.
Les simulations micro-´echelles ont ´et´e utiles pour caract´eriser l’aptitude de cet ´ecoulement
catabatique nocturne `a se propager en aval, d’Arnouville vers la r´egion pointoise, et
pr´eciser sa capacit´e `a d´egrader la qualit´e de l’air dans la zone urbaine. Les pics de concentration
de NOx simul´ees surviennent aux mˆemes p´eriodes que les observations exp´erimentales
mais sont surestim´ees et d´ecal´es temporellement d’une heure.
Des surestimations des vitesses de vent ont ´et´e observ´ees en condition nocturne. Ces
impr´ecisions sont dues au manque de r´ealisme des conditions limites (occupation des sols,
topographie, temp´erature de surface de la mer) et pourront ˆetre am´elior´ees dans le futur.
Les estimateurs statistiques ont montr´e une bonne ad´equation entre les mesures exp´erimentales,
les comparaisons graphiques (en s´eries temporelles et profils de concentration)
ont quant `a elles permis de mieux caract´eriser la dynamique des concentrations de polluants
et leurs possibles interactions avec les circulations locales.
Ces r´esultats num´eriques laissent envisager de nombreuses applications dans les domaines
de la pr´evention de risques environnementaux, dans l’aide `a la caract´erisation des ressources
d’´energie renouvelables solaire, ´eolienne voire houlo-motrice. Ils peuvent ˆetre
ais´ement transposables aux autres ˆıles des petites Antilles.Abstract
Meso-scale and micro-scale numerical simulations of local circulations
induced by tropical islands : Case of the Guadeloupe archipelago with a
pollutant dispersion case (WRF-LES-FLEXPART)
by Rapha¨el C´ec´e
The present work expresses the will of Caribbean researchers to improve the meso- and
micro-meteorological scientific knowledge of the trade winds influenced island areas, and
to develop research in these domains.
It is well known that tropical hurricanes remain the most remarkable meteorological phenomena
that affect the Caribbean islands. But some other phenomena, of smaller scale,
such as intense rainfall events, swells, or air quality degradation, are of extreme importance
for natural or health hazards. These examples show the need to use downscaling
methods to exploit large scale meteorological or climatic information, and to obtain local
and regional scenarios for the island areas. This is an important challenge, as sound scientific
studies in these matters are eagerly expected. The aim of the research works exposed
in the present dissertation is numerical simulation and analysis of the meso- and microscale
mechanisms that induce diurnal and nocturnal local circulations in the Guadeloupe
archipelago, using numerical meteorological models that are widely used in research and
in operational forecasting.
These works represent the first high-resolution (1 km to 111 m) numerical study of the
lower atmosphere over the Guadeloupe archipelago.
The Weather Research and Forecasting ARW 3.4 (WRF-ARW) model is used to simulate
the troposphere from global scale to turbulence scale. Real cases of three typical weather
types (80% of cases during a year) are examined during 48 hours : strong trade winds
(STW), medium trade winds (MTW) and weak trade winds (WTW). These weather types
are characterized by values of the local Froude number : 0.82 (STW), 0.41 (MTW) and
0.21 (WTW). Six domains have been selected for the dynamical downscaling : D01 (grid
spacing of 27 km), D02 (grid spacing of 9 km), D03 (grid spacing of 3 km), D04 (grid spacing
of 1 km), D05 (grid spacing of 333 m) and D06 (grid spacing of 111 m), including 70
vertical levels. The first four domains (D01 to D04) cover the Guadeloupe archipelago and
are used in the meso-scale simulations with the planetary boundary layer scheme YSU
(ensemble mean). Domain D05 (covering the Basse-Terre island and the middle of the
archipelago) and domain D06 (covering the coastal and rural area of Le Petit Cul-de-Sac
Marin and the urban area of Pointe-`a-Pitre), are employed in the micro-scale simulation(LES) with the 3D TKE 1.5 order closure scheme. WRF has been 6 hourly reinitialized
with the NCEP FNL global analyses (resolution of 1➦). These simulations permitted to
obtain 10-minutes meteorological variable fields with a very high resolution (111 m).
Meso-scale and micro-scale model results have been evaluated with observational data
from meteorological stations (field campaign Atmo-Mangrov, French Met Office).
Once validated, the micro-scale model outputs have been used for the assimilation of the
lagrangian particle dispersion model : FLEXPART. The coupling FLEXPART-WRF has
been employed in domain D06, in order to analyze the dispersion of the nitrogen oxide
plume emitted by the main power plant of the archipelago.
Agreements between model/observations time series have been evaluated with error statistical
tools (MAE, MBE, IOA).
The error statistical tools show that simulated typical meteorological variables have a
good agreement with observational data. The model simulates well wind patterns and local
circulations observed at the stations. The use of accurate land cover data significantly
improves the results.
During the weak trade winds, vertical cross sections of the turbulent kinetic energy, virtual
temperature and density indicate the occurrence of a katabatic flow with a well defined
front. This westerly circulation starts at the end of the afternoon in the area of the volcano
of La Soufri`ere. The katabatic flow extends to the windward coast of the Basse-Terre
island and reaches the coastal area of Arnouville 2 to 3 hours after its onset time. During
the night, the katabatic front oscillates over the marine area of Le Petit Cul-de-Sac Marin.
Due to its warming over the marine area, the front cannot extend on the Grande-Terre
colder land surface.
The micro-scale simulations permitted to study the ability of this gravity flow to extend
to the urban area of Pointe-`a-Pitre, and its ability to induce pollution events in this area.
The simulated and the observed NOx concentration peaks occur nearly at the same time,
but the model overestimates them, with a one hour lag.
Overestimations of the wind speeds have been observed at nighttime. These inaccuracies
are linked with the lack of realism of the boundary conditions (land cover, topography,
sea surface temperature). These biases will be corrected in the future.
The error statistical tools showed a good agreement with observational data. The graphical
evaluations (time series, concentration vertical profiles) allowed a better understanding
of the pollution dispersions under local circulations.
These numerical results can be useful in many fields : to prevent environmental risks, to
help characterizing renewable energy sources such as solar, wind or wave energy. They
can be easily transferred to other islands of the Lesser Antilles.Remerciements
Je remercie le professeur Narcisse Zahibo, directeur du laboratoire LaRGE (Laboratoire
de Recherche en G´eosciences et Energies), mon directeur de th`ese, de m’avoir fait con- ´
fiance pour ce projet.
Je remercie chaleureusement Didier Bernard, maˆıtre de conf´erences `a l’Universit´e des
Antilles de la Guyane, mon encadrant, qui a suivi mon travail et qui m’a soutenu avec un
grand d´evouement et beaucoup d’efficacit´e, y compris lorsqu’il a dˆu traverser des moments
difficiles.
Je remercie particuli`erement Jean-Fran¸cois Dorville, lecturer `a l’Universit´e des West Indies,
qui m’a fait d´ecouvrir le monde de la recherche lorsque j’´etais en master, et qui
malgr´e l’´eloignement s’est toujours rendu disponible pour m’aider dans ces pr´esents travaux.
J’exprime mes remerciements `a Jacques Laminie, Rapha¨el Pasquier et Patrick Siarras,
du Centre Commun de Calcul Intensif (C3I) de l’Universit´e des Antilles et de la Guyane,
qui m’ont aid´e `a installer le mod`ele num´erique WRF sur les calculateurs Orca et Wahoo
de l’Universit´e.
De mˆeme, je remercie Richard Emilion, professeur `a l’Universit´e d’Orl´eans, qui m’a permis ´
d’avoir acc`es au calculateur Phoebus du Centre de Calcul Scientifique en r´egion Centre
(CCSC) de l’Universit´e d’Orl´eans, ainsi que Laurent Catherine qui m’a aid´e `a utiliser
efficacement ce calculateur.
Philippe Palany, de M´et´eo-France, m’a donn´e acc`es aux donn´ees m´et´eorologiques d’observation
qui m’ont permis d’´evaluer mes r´esultats. Qu’il en soit remerci´e.
Je tiens aussi `a remercier les jeunes chercheurs de mon laboratoire, Ma¨ına Andr´e, St´ephanie
Monjoly, Christophe D’Alexis, Vanessa Clotaire, Christelle Dixit, Fr´ed´eric Dondin, Sandrine
Samot et sp´ecialement Thomas Plocoste, grˆace `a qui j’ai b´en´efici´e d’une ambiance
de travail stimulante et sympathique.
Mes remerciements s’adressent aussi `a mes coll`egues de l’Universit´e - et particuli`erement
Andr´e Roussas - qui m’ont aid´e `a affronter des conditions de travail parfois difficiles, ainsiqu’`a Dani`ele Frison pour son aide `a la r´edaction en anglais.
Je dois finalement remercier de nombreuses personnes qui ont contribu´e, mˆeme directement,
`a ce travail.
Tout d’abord mes parents, Pierre-Robert et Marie-Claude C´ec´e, qui m’ont aid´e et encourag´e
`a poursuivre mes ´etudes universitaires jusqu’au doctorat, ainsi que ma soeur,
Mellissa C´ec´e qui m’a soutenu malgr´e la distance.
Ensuite mes camarades de Combat Ouvrier et du journal Rebelle ! avec lesquels je milite
pour construire un monde meilleur, et sp´ecialement Ren´e Cuillierier qui m’a transmis son
enthousiasme r´evolutionnaire.
Et enfin ma compagne, Delphine Prudhomme, pour son ind´efectible soutien et son importante
contribution `a ces travaux.Table des Mati`eres
Citation i
R´esum´e ii
Abstract v
Remerciements vii
Table des Mati`eres ix
Liste des Figures xiv
Liste des Tableaux xx
Liste des Abr´eviations xxi
Introduction 1
1 Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets :
´etude bibliographique 6
1.1 Echelles des circulations atmosph´eriques ´ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.2 M´eso-´echelle et micro-´echelle : circulations locales de couche limite atmosph´erique
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.2.1 Couche limite atmosph´erique (CLA) . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.2.1.1 D´efinition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.2.1.2 Structure de la CLA associ´ee au cycle diurne . . . . . . . 8
Couche de m´elange . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Couche r´esiduelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Couche limite stable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.2.1.3 Vent moyen, ondes et turbulence . . . . . . . . . . . . . . 10
1.2.2 Circulations locales g´en´er´ees par les conditions de terrain . . . . . . 11
1.2.2.1 R´egions cˆoti`eres : brises de mer–terre . . . . . . . . . . . . 11
Brises de mer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Brises de terre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
ixTable des Mati`eres x
1.2.2.2 R´egions orographiques : vents anabatiques–catabatiques . 12
Vents anabatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Vents catabatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.3 Simulations num´eriques de la descente dynamique de la m´eso-´echelle `a la
micro-´echelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.3.1 Descente d’´echelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.3.2 Spectre de la turbulence : ” terra incognita ” (Wyngaard, 2004) . . 13
1.3.3 M´eso-´echelle : principaux sch´emas de moyenne d’ensemble 1D (Shin
and Hong, 2011) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.3.3.1 Sch´ema YSU : fermeture au premier ordre avec un m´elange
non-local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.3.3.2 Sch´ema MYJ : fermeture TKE `a l’ordre 1,5 avec un m´elange
local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.3.4 Micro-´echelle : sch´emas Large Eddy Simulation (LES) 3D (Mirocha
et al., 2010) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.3.4.1 Fermeture SFS Smagorinsky . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
1.3.4.2 Fermeture SFS TKE d’ordre 1.5 . . . . . . . . . . . . . . . 17
1.3.5 Descente d’´echelle : couplage d’un sch´ema d’ensemble et d’un sch´ema
LES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
1.4 Simulation num´erique de la dispersion de polluants : applications du mod`ele
FLEXPART-WRF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
1.4.1 G´en´eralit´es sur les mod`eles lagrangiens de dispersion de particules
(Hegarty et al., 2013a,b) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
1.4.2 Quelques applications du mod`ele FLEXPART-WRF . . . . . . . . . 20
1.5 Etat de l’art sur les circulations locales g´en´er´ees par des ˆıles tropicales ´ . . . 21
1.5.1 Circulations g´en´er´ees par les ˆıles tropicales larges (Fr ≥ 1 et une
largeur > 50 km) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
1.5.2 Circulations g´en´er´ees par les ˆıles tropicales montagneuses (Fr < 1) . 22
1.5.3 Circulations g´en´er´ees par les petites ˆıles (Fr ≥ 1 et une largeur ≤
50 km) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
1.6 Etat de l’art sur l’archipel de la Guadeloupe ´ . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
1.6.1 Contexte m´et´eorologique synoptique . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
1.6.2 Contexte m´et´eorologique local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
1.6.2.1 Quelques aspects des vents locaux d’apr`es Br´evignon (2003) 25
1.6.2.2 Campagne exp´erimentale dans la zone cˆoti`ere d’Arnouville
(ARN, D’Alexis et al. (2011)) . . . . . . . . . . . . . . . . 26
1.6.2.3 Campagne exp´erimentale dans la zone urbaine de Pointe-
`a-Pitre (DCH, Plocoste (2013); Plocoste et al. (2014)) . . 27
1.6.2.4 Variabilit´e diurne et spatiale des champs de surface . . . . 28
1.6.3 Impacts des circulations locales nocturnes sur la dispersion de polluants
industriels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
1.6.3.1 Centrale EDF diesel Jarry nord . . . . . . . . . . . . . . . 29
1.6.3.2 Observations du panache de la centrale durant des retournements
nocturnes du vent . . . . . . . . . . . . . . . . . 30Table des Mati`eres xi
2 M´ethodologie et outils de simulation 32
2.1 M´ethodologie g´en´erale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
2.2 S´election des trois situations m´et´eorologiques ´etudi´ees . . . . . . . . . . . . 36
2.2.1 Classification des types de temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
2.2.2 Circulations synoptiques de basses couches pour les dates simul´ees . 37
2.3 Mod`ele num´erique m´eso-´echelle de pr´evision m´et´eorologique : WRF ARW
V3.4.1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
2.3.1 Description du mod`ele d’apr`es les ´etudes de Skamarock et al. (2008)
et Wang et al. (2010) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
2.3.1.1 Architecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
2.3.1.2 Principales ´equations r´esolues . . . . . . . . . . . . . . . . 42
Coordonn´ee verticale η et variables associ´ees . . . . . . . . . 42
Equations d’Euler incluant l’humidit´e ´ . . . . . . . . . . . . . 43
Maillage ARW d´ecal´e : Arakawa-C . . . . . . . . . . . . . . . 44
2.3.1.3 Sch´emas de param´etrisation physique . . . . . . . . . . . . 45
2.3.2 Configurations utilis´ees . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
2.3.2.1 Preprocessing WPS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Domaines de simulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Topographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
Occupation des sols . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Donn´ees m´et´eorologiques globales pour l’assimilation du mod`ele
WRF ARW . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
2.3.2.2 Param´etrisations WRF ARW . . . . . . . . . . . . . . . . 52
Caract´erisation des niveaux verticaux . . . . . . . . . . . . . 52
P´eriodes simul´ees et intervalles de temps des sorties mod`eles 53
Param´etrisations physiques m´eso- et micro-´echelles . . . . . . 54
Pas de temps de calcul . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Conditions initiales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Conditions aux limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
2.4 Mod`ele lagrangien de dispersion de particules : FLEXPART-WRF . . . . . 57
2.4.1 Description . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
2.4.1.1 Int´egration des donn´ees m´et´eorologiques WRF . . . . . . . 57
2.4.1.2 Param´etrisation de la couche limite atmosph´erique et de
la turbulence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
2.4.1.3 Calcul de la trajectoire des particules . . . . . . . . . . . . 59
2.4.2 Configurations de nos simulations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
2.4.2.1 P´eriodes de simulation et intervalles de temps des sorties
mod`eles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
2.4.2.2 Caract´erisation des niveaux verticaux . . . . . . . . . . . . 61
2.4.2.3 Param´etrisation du panache de NOx de la centrale EDF . 61
2.4.2.4 Param´etrisations physiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
2.5 Donn´ees m´et´eorologiques d’observation pour l’´evaluation du mod`ele WRF
ARW3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
2.5.1 Radiosondages journaliers (Universit´e du Wyoming) . . . . . . . . . 62Table des Mati`eres xii
2.5.2 Bou´ees m´et´eorologiques du National Data Buoy Center . . . . . . . 63
2.5.3 Stations m´et´eorologiques de l’archipel de la Guadeloupe (M´et´eo
France et LaRGE) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
2.6 Donn´ees d’observation de la qualit´e de l’air pour l’´evaluation du mod`ele
FLEXPART-WRF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
2.7 Estimateurs d’erreur utilis´es pour l’´evaluation statistique des simulations . 67
3 R´esultats des simulations et discussion 69
3.1 Simulations num´eriques m´eso-´echelles des circulations g´en´er´ees par l’archipel
de la Guadeloupe (WRF) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
3.1.1 Simulation M´eso-A : r´esum´e et article publi´e . . . . . . . . . . . . . 69
3.1.2 Simulation M´eso-A’ : effets du changement de carte d’occupation
des sols dans le domaine D04 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
3.1.2.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
3.1.2.2 Nouvelles cat´egories d’occupation des sols `a ARN, RZT,
DES, MOU et GBD . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
3.1.2.3 Evaluation statistique des variables de surface simul´ees : ´
comparaison M´eso-A et M´eso-A’ . . . . . . . . . . . . . . 90
3.1.2.4 Evaluation graphique des cycles diurnes dans les simula- ´
tions M´eso-A et Meso-A’ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Station d’Arnouville (ARN) : effets du biais spatial . . . . . 93
Station du Moule (MOU) : am´eliorations de la simulation
M´eso-A’ par rapport `a M´eso-A . . . . . . . . . . 94
3.1.2.5 Comparaison des cartes de circulations locales entre M´esoA’
et M´eso-A . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
3.1.2.6 Comparaison des cartes de flux de chaleur sensible HFX
et de temp´erature du sol Ts entre M´eso-A’ et M´eso-A . . . 97
3.1.2.7 Conclusion sur les effets de la carte CLC24 dans le domaine
D04 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
3.1.3 Conclusion sur les simulations num´eriques m´eso-´echelles des circulations
locales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
3.2 Simulations num´eriques micro-´echelles des circulations g´en´er´ees par l’archipel
de la Guadeloupe (WRF-LES) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
3.2.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
3.2.2 Evaluation du mod`ele ´ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
3.2.2.1 Evaluation statistique avec les observations 10 min du mˆat ´
instrument´e ARN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
3.2.2.2 Evaluation graphique avec les observations du mˆat instru- ´
ment´e ARN : cas des AF (Fr = 0, 21) . . . . . . . . . . . . 105
3.2.3 Ecoulement catabatique nocturne sur la cˆote au vent de la Basse- ´
Terre durant AF (Fr = 0, 21) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
3.2.3.1 Evolution temporelle des variables de surface `a VER, ARN, ´
EDF et PAP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
3.2.3.2 Structure horizontale du front de l’´ecoulement simul´e (domaine
D06) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111Table des Mati`eres xiii
3.2.3.3 Structure verticale du front de l’´ecoulement simul´e (domaine
D06) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
3.2.4 Conclusion sur les simulations num´eriques micro-´echelles des circulations
locales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
3.3 Application de la mod´elisation micro-´echelle WRF-LES `a la dispersion d’un
panache de polluants industriels : couplage WRF-LES-FLEXPART . . . . 116
3.3.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
3.3.2 Cas des aliz´es soutenus (AS, Fr = 0, 82) . . . . . . . . . . . . . . . . 117
3.3.3 Cas des aliz´es moyens (AM, Fr = 0, 41) . . . . . . . . . . . . . . . . 118
3.3.4 Cas des aliz´es faibles (AF, Fr = 0, 21) . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
3.3.4.1 Comparaisons des s´eries temporelles simul´ees et observ´ees
`a la station PAP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
3.3.4.2 Etude des coupes verticales de concentration simul´ee aux ´
points PAP et EDF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
Conclusion et perspectives 123
3.3.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
3.3.6 Perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
A Article publi´e 129
B Communications internationales 130
C Communication nationale 135
Bibliographie 137Liste des Figures
1.1 Classification des ph´enom`enes atmosph´eriques en fonction de leur ´echelle
spatio-temporelle (Orlanski, 1975; Stull, 1988). . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.2 Evolution temporelle de la structure verticale de la couche limite atmosph´erique ´
terrestre dans des r´egions anticycloniques (Stull, 1988). . . . . . . . . . . . 9
1.3 Sch´ema du spectre de l’´energie en fonction de la taille des structures turbulentes.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.4 Carte topographique GeBCO 08 (General Bathymetric Chart of the Oceans
IOC et al. (2003), 30 secondes d’arc de r´esolution) en m : (a) zone de la
Cara¨ıbe ; (b) l’Arc des Petites Antilles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
1.5 Carte topographique (IGN, 50 m de r´esolution), avec la zone la plus peupl´ee
de l’archipel (rectangle noir), la d´echarge DCH (carr´e marron), la centrale
EDF (croix rouge), le campus de Fouillole (carr´e jaune), le mˆat instrument´e
du laboratoire LaRGE (ARN, triangle vert) et les 4 stations M´et´eo-France,
Raizet (RZT, disque rouge), Moule (MOU, ´etoile magenta), D´esirade (DES,
carr´e bleu), Grand-Bourg de Marie-Galante (GBD, losange noir). . . . . . 25
1.6 Cartes de circulations cˆoti`eres autour de la Guadeloupe durant des vents
synoptiques d’est (d’apr`es Br´evignon (2003)). . . . . . . . . . . . . . . . . 26
1.7 Photo des chemin´ees de la centrale ´electrique EDF Jarry nord, [cr´edit
photo : R. C´ec´e 2014]. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
1.8 Photo satellite Google earth (8/04/2013) : localisation de la centrale EDF
et du campus UAG, les fl`eches rouges correspondant aux directions (a) et
(b) du panache durant une circulation nocturne d’ouest (Fig. 1.9). . . . . . 30
1.9 Photos du panache de la centrale EDF de Jarry (prise de vue depuis le
campus de Fouillole UAG, Fig. 1.8) : (a) direction du vent nord-ouest,
photo prise le 14/09/2010 `a 7 h 21 LT ; (b) direction du vent sud-ouest,
photo prise le 4/11/2009 `a 7 h 11 LT [cr´edits photos : D. Bernard 2009-2010]. 31
2.1 Sch´ema r´ecapitulatif de la m´ethodologie adopt´ee. . . . . . . . . . . . . . . 35
2.2 Donn´ees d’observation du radar de M´et´eo-France (250 m de r´esolution) `a
16 h LT : (a) le 15 d´ecembre 2007 (AS), (b) le 24 d´ecembre 2007 (AM) et
(c) le 3 d´ecembre 2007 (AF). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
2.3 Champs de surface FNL (NCEP (ment), 1➦ de r´esolution) durant AF le
3/12/2007 `a 12h UTC : (a) Pmer en hPa ; (b) vitesse UU du vent horizontal
`a 10 m en m.s-1
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
2.4 Champs de surface FNL (NCEP (ment), 1➦ de r´esolution) durant AS le
14/12/2007 `a 12h UTC : (a) Pmer en hPa ; (b) vitesse UU du vent horizontal
`a 10 m en m.s-1
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
xivListe des Figures xv
2.5 Champs de surface FNL (NCEP (ment), 1➦ de r´esolution) durant AM le
24/12/2007 `a 12h UTC : (a) Pmer en hPa ; (b) vitesse UU du vent horizontal
`a 10 m en m.s-1
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
2.6 Architecture du mod`ele WRF ARW (d’apr`es Wang et al. (2010)). . . . . . 42
2.7 Niveaux verticaux η dans WRF ARW avec pht et phs, respectivement, les
pressions hydrostatiques au sommet et `a la surface (d’apr`es Skamarock
et al. (2008)). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
2.8 Maille individuelle de la grille Arakawa-C avec les grandeurs vectorielles
(U, V , W, Ω et φ) et les scalaires (µ, θ, qv et ql) (Skamarock and Dudhia,
2014). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
2.9 Interactions entre les sch´emas de param´etrisation physique du mod`ele WRF
ARW (Dudhia, 2014). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
2.10 Cartes des domaines imbriqu´es : en blanc D01 (27 km de r´esolution), en
cyan D02 (9 km de r´esolution), en gris D03 (3 km de r´esolution), en jaune
D04 (1 km de r´esolution), en vert D05 (333 m de r´esolution) et en rouge
D06 (111 m de r´esolution). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
2.11 Cartes topographiques (m AMSL) interpol´ees `a partir des donn´ees IGN
(50 m de r´esolution) : (a) D04 (1 km de r´esolution), (b) D05 (333 m de
r´esolution), (c) D06 (111 m de r´esolution) ; avec la station num´erique VER
(triangle jaune), le mˆat instrument´e ARN (triangle vert) et la centrale
´electrique EDF (croix rouge). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
2.12 Carte d’occupation des sols de l’archipel de la Guadeloupe CLC24 (23 m
de r´esolution) : Corine Land Cover 2006 dont les 50 cat´egories ont ´et´e
converties en 24 cat´egories USGS, avec le rectangle noir repr´esentant l’agglom´eration
pointoise. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
2.13 Comparaison des cartes d’occupation des sols de l’archipel de la Guadeloupe
`a 1 km de r´esolution (D04) avec la ligne de cˆote World Vector Shoreline
(NOAA, 2014), (1) les zones urbaines, (2) les terres cultiv´ees non irrigu´ees,
(6) les m´elanges de terres cultiv´ees et de forˆets, (7) les pelouses, (8) les
arbustes, (9) les m´elanges d’arbustes et de pelouses, (10) les savanes, (11)
les forˆets de feuillus, (13) les forˆets denses, (14) les forˆets de conif`eres,
(15) les forˆets m´elang´ees mangroves incluses, (16) les surfaces d’eau, (17)
les v´eg´etations basses en zones inond´ees, (18) les surfaces bois´ees en zones
inond´ees, (21) la toundra bois´ee : (a) USGS ULC24 (M´eso-A), (b) Corine
CLC24 (M´eso-A’). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
2.14 Niveaux verticaux m´edians (WRF) pour les exp´eriences M´eso-A (croix
bleues) et M´eso-A’ (cercles rouges) : (a) profils lin´eaires en fonction du
niveau de pression (hPa) et (b) profils logarithmiques en fonction de l’altitude
(km). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
2.15 Profil vertical des 38 niveaux verticaux FLEXPART-WRF. . . . . . . . . . 61
2.16 G´eolocalisation des radiosondages (TRI, BAR, RZT, SXM, PTR, et SDM :
carr´es rouges), des bou´ees du r´eseau NDBC-NOAA (ATL, CAR, POR, et
BAH : cercles bleus) au sein des quatre premiers domaines (D01, D02,
D03, D04) employ´es dans les simulations WRF m´eso-´echelles, de r´esolutions
respectives de 27, 9, 3 et 1 km. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63Liste des Figures xvi
2.17 Carte topographique (IGN, 50 m de r´esolution), avec le mˆat instrument´e
du laboratoire LaRGE (ARN, triangle vert) et les 4 stations M´et´eo-France,
Raizet (RZT, disque rouge), Moule (MOU, ´etoile magenta), D´esirade (DES,
carr´e bleu), Grand-Bourg de Marie-Galante (GBD, losange noir). . . . . . 64
2.18 Description du mˆat instrument´e du laboratoire LaRGE `a ARN (sch´ema
extrait de D’Alexis (2011)), avec, (a) le capteur barom´etrique PTB101B,
(b) la centrale d’acquisition Campbell CR3000, (c) le capteur HR capacitif
(HMP45C) pour l’humidit´e et la temp´erature (2 m AGL), (d) l’an´emom`etre
`a coupelles (2 m AGL), (e) la girouette (2 m AGL), (f) l’an´emom`etre sonique
3D (CSAT3) pour le calcul des flux turbulents (5 m AGL) et (g)
l’an´emom`etre sonique 2D (WindSonic) pour le vent horizontal (10 m AGL). 66
2.19 Carte de localisation de la station Gwad’air PAP (losange violet) et de la
centrale ´electrique EDF (croix rouge) : (a) Topographie (en m AMSL) du
domaine D05 (maille de 333 m) avec l’agglom´eration pointoise (contour
violet), (b) image satellite Google earth de la zone d’´etude (4/8/2013). . . 67
3.1 Carte d’occupation des sols de l’archipel de la Guadeloupe utilis´ee dans la
simulation M´eso-A’, `a 1 km de r´esolution avec les 5 stations (ARN, RZT,
DES, MOU et GBD) : (1) zones urbaines, (2) terres cultiv´ees non irrigu´ees,
(6) terres cultiv´ees–forˆets, (9) arbustes–pelouses, (11) forˆets de feuillus, (15)
forˆets m´elang´ees mangroves incluses, (16) surfaces d’eau et (17) v´eg´etations
basses en zones inond´ees. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
3.2 Comparaison des s´eries temporelles (48 h) `a ARN, avec les observations
(triangles verts), M´eso-A (carr´es bleus)et M´eso-A’ (cercles rouges) : (a1)–
(a3) la temp´erature T2 (en ➦C), (b1)–(b3) la vitesse UU `a 10 m AGL (en
m.s-1), (c1)–(c3) la direction DD `a 10 m AGL (en ➦N) ; (a1)–(c1) pour AS,
(a2)–(c2) pour AM et (a3)–(c3) pour AF. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
3.3 Comparaison des s´eries temporelles (48 h) `a MOU, avec les observations
(triangles verts), M´eso-A (carr´es bleus) et M´eso-A’ (cercles rouges) : (a1)–
(a3) la temp´erature T2 (en ➦C), (b1)–(b3) la vitesse UU `a 10 m AGL (en
m.s-1), (c1)–(c3) la direction DD `a 10 m AGL (en ➦N) ; (a1)–(c1) pour AS,
(a2)–(c2) pour AM et (a3)–(c3) pour AF. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
3.4 Comparaison du vent `a 10 m AGL (M´eso-A’–M´eso-A), avec la direction
du vent pour M´eso-A’ (fl`eches rouges), la direction du vent pour M´esoA
(fl`eches noires), la diff´erence de vitesse du vent, UUA0 − UUA en m.s-1
(contours de couleur), la ligne de cˆote pour M´eso-A’ (ligne noire), la ligne
de cˆote pour M´eso-A (ligne magenta) : (a) le 14/12/2007 `a 14 h LT,(b) le
15/12/2007 `a 04 h LT. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
3.5 Comparaison du vent `a 10 m AGL (M´eso-A’–M´eso-A), avec la direction
du vent pour M´eso-A’ (fl`eches rouges), la direction du vent pour M´esoA
(fl`eches noires), la diff´erence de vitesse du vent, UUA0 − UUA en m.s-1
(contours de couleur), la ligne de cˆote pour M´eso-A’ (ligne noire), la ligne
de cˆote pour M´eso-A (ligne magenta) : (a) le 24/12/2007 `a 14 h LT, (b) le
25/12/2007 `a 04 h LT. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96Liste des Figures xvii
3.6 Comparaison du vent `a 10 m AGL (M´eso-A’–M´eso-A), avec la direction
du vent pour M´eso-A’ (fl`eches rouges), la direction du vent pour M´esoA
(fl`eches noires), la diff´erence de vitesse du vent, UUA0 − UUA en m.s-1
(contours de couleur), la ligne de cˆote pour M´eso-A’ (ligne noire), la ligne
de cˆote pour M´eso-A (ligne magenta) : (a) le 3/12/2007 `a 14 h LT, (b) le
4/12/2007 `a 04 h LT. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
3.7 Comparaison M´eso-A’–M´eso-A pour le cas des AS, le 14/12/2007 `a 14 h LT
(a) et le 15/12/2007 `a 04 h LT (b) : la diff´erence de flux de chaleur sensible
HF XA0 − HF XA en W.m-2 (a1, b1) et la diff´erence de temp´erature de
surface T sA0 − T sA en ➦C (a2, b2). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
3.8 Comparaison M´eso-A’–M´eso-A pour le cas des AF, le 24/12/2007 `a 14 h LT
(a) et le 25/12/2007 `a 04 h LT (b) : la diff´erence de flux de chaleur sensible
HF XA0 − HF XA en W.m-2 (a1, b1) et la diff´erence de temp´erature de
surface T sA0 − T sA en ➦C (a2, b2). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
3.9 Comparaison M´eso-A’–M´eso-A pour le cas des AF, le 3/12/2007 `a 14 h LT
(a) et le 4/12/2007 `a 04 h LT (b) : la diff´erence de flux de chaleur sensible
HF XA0 − HF XA en W.m-2 (a1, b1) et la diff´erence de temp´erature de
surface T sA0 − T sA en ➦C (a2, b2). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
3.10 S´eries temporelles 10 min `a ARN durant les 48 h de la simulation des AF
(3/12/2007–5/12/2007), avec les sorties du domaine D05 (333 m de r´esolution)
en bleu, les sorties du domaines D06 (111 m de r´esolution) en
rouge et les donn´ees observ´ees en noir ; (a), (b), (c), (d) et (e) repr´esentant
respectivement les variables, temp´erature de l’air `a 2 m AGL T2 (➦C),
vitesse du vent horizontal UU `a 10 m AGL (m.s-1), direction du vent DD `a
10 m AGL (➦N), flux de chaleur sensible HFX (W.m-2) et ´energie cin´etique
turbulente de surface TKE (en noir, l’´energie cin´etique turbulente totale
observ´ee, et
, en rouge et en bleu, l’´energie cin´etique turbulente sous-maille
simul´ee, es
, m2
.s-2). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
3.11 Cartes des champs de vent (10 m AGL) du domaine D05, durant la nuit
du 3 au 4 d´ecembre 2007 : (a) 19 h LT, (b) 22 h LT, (c) 04 h LT et (d)
09 h LT ; avec la vitesse du vent horizontal en m.s-1, VER (cercle magenta),
ARN (triangle vert), EDF (carr´e blanc) et PAP (losange violet). . . . . . . 108
3.12 S´eries temporelles WRF-LES (10 min) durant la p´eriode du 3/12/2007
12 h LT au 4/12/2007 12 h LT, avec VER (D05) en noir, ARN (D06) en vert,
EDF (D06) en rouge et PAP (D06) en bleu ; (a), (b), (c) et (d) repr´esentent
respectivement les variables, flux de chaleur sensible HFX (W.m-2), temp´erature
de l’air `a 2 m AGL T2 (➦C), vitesse du vent horizontal UU `a
10 m AGL (m.s-1) et direction du vent DD `a 10 m AGL (➦N). . . . . . . . 110
3.13 Cartes des variables de surface simul´ees le 3/12/2007 `a 22 h LT : (a) vitesse
du vent horizontal UU `a 60 m AGL (m.s-1), (b) vitesse du vent vertical
`a 60 m AGL (m.s-1), (c) ´energie cin´etique turbulente sous-maille es
`a 60 m AGL (m2
.s-2) et (d) flux de chaleur sensible HFX (W.m-2) ; avec
ARN, EDF et PAP, respectivement repr´esent´es par le triangle vert, le carr´e
blanc et le losange violet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111Liste des Figures xviii
3.14 Cartes des variables de surface simul´ees le 4/12/2007 `a 04 h LT : (a) vitesse
du vent horizontal UU `a 60 m AGL (m.s-1), (b) vitesse du vent vertical
`a 60 m AGL (m.s-1), (c) ´energie cin´etique turbulente sous-maille es
`a 60 m AGL (m2
.s-2) et (d) flux de chaleur sensible HFX (W.m-2) ; avec
ARN, EDF et PAP, respectivement repr´esent´es par le triangle vert, le carr´e
blanc et le losange violet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
3.15 Coupe verticale suivant la latitude de la station ARN (16.223➦N) le 3
d´ecembre 2007 `a 19 h LT : (a) la masse volumique ρ (kg.m-3), (b) la temp´erature
virtuelle Tv (K). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
3.16 Coupe verticale suivant la latitude de la station ARN (16.223➦N) le 3
d´ecembre 2007 `a 22 h LT : (a) la vitesse du vent suivant les composantes
x et z (m.s-1), (b) l’´energie cin´etique turbulente sous-maille es (m2
.s-2). . . 113
3.17 Coupe verticale suivant la latitude de la station ARN (16.223➦N) le 4
d´ecembre 2007 `a 04 h LT : (a) la vitesse du vent suivant les composantes
x et z (m.s-1), (b) l’´energie cin´etique turbulente sous-maille es (m2
.s-2). . . 114
3.18 Profil vertical spatio-temporel logarithmique de l’´energie cin´etique turbulente
sous-maille es (m2
.s-2) simul´ee `a ARN : la valeur des contours d’es est
limit´ee `a 0.2 m2
.s-2
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
3.19 Cartes du vent (m.s-1) et des concentrations de NOx (µg.m-3) simul´es `a
10 m AGL durant les AS le 14 d´ecembre `a 16 h LT (a1),(a2) et le 15
d´ecembre `a 07 h LT (b1),(b2) `a l’aide de FLEXPART ; les points ARN,
EDF et PAP sont respectivement repr´esent´es par un triangle blanc, un
carr´e blanc et un losange blanc. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
3.20 Comparaison du vent (m.s-1) et des concentrations de NOx (µg.m-3) observ´ees
et simul´ees sur le site de la station PAP durant les AS entre le 14
et le 15 d´ecembre 2007 : NO Obs. (ligne noire), NO2 Obs. (ligne bleue),
NO+NO2 Obs. (ligne verte) et NOx Flexpart `a 10 m AGL (ligne rouge). . 118
3.21 Cartes du vent (m.s-1) et des concentrations de NOx (µg.m-3) simul´es `a
10 m AGL durant les AM le 24 d´ecembre `a 16 h LT (a1),(a2) et le 25
d´ecembre `a 07 h LT (b1),(b2) `a l’aide de FLEXPART ; les points ARN,
EDF et PAP sont respectivement repr´esent´es par un triangle blanc, un
carr´e blanc et un losange blanc. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
3.22 Comparaison des concentrations de NOx (µg.m-3) observ´ees et simul´ees sur
le site de la station PAP durant les AM entre le 24 et le 25 d´ecembre 2007 :
NO Obs. (ligne noire), NO2 Obs. (ligne bleue), NO+NO2 Obs. (ligne verte)
et NOx Flexpart `a 10 m AGL (ligne rouge). . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
3.23 Cartes du vent (m.s-1) et des concentrations de NOx (µg.m-3) simul´es `a
10 m AGL durant les AF le 3 d´ecembre `a 16 h LT (a1),(a2) et le 4 d´ecembre
`a 07 h LT (b1),(b2) `a l’aide de FLEXPART ; les points ARN, EDF et PAP
sont respectivement repr´esent´es par un triangle blanc, un carr´e blanc et un
losange blanc. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
3.24 Comparaison des concentrations de NOx (µg.m-3) observ´ees et simul´ees sur
le site de la station PAP durant les AF entre le 3 et le 4 d´ecembre 2007 :
NO Obs. (ligne noire), NO2 Obs. (ligne bleue), NO+NO2 Obs. (ligne verte)
et NOx Flexpart `a 10 m AGL (ligne rouge). . . . . . . . . . . . . . . . . . 121Liste des Figures xix
3.25 Profils spatio-temporels logarithmiques de la concentration de NOx (µg.m-3)
simul´ee durant les AF entre le 3 et le 4 d´ecembre 2007 : (a) site de la centrale
EDF, (b) site de la station de la qualit´e de l’air PAP. . . . . . . . . . . . . 123Liste des Tableaux
2.1 Equivalences entre les 50 classes de la Corine Land Cover 2006 DOM et les ´
24 classes de l’USGS AVHRR 1992 (Pineda et al., 2004). . . . . . . . . . . 50
2.2 Configuration des six domaines de simulation. . . . . . . . . . . . . . . . . 52
2.3 Pas de temps de calcul pour les six domaines de simulation. . . . . . . . . 55
2.4 Conditions aux limites des simulations WRF pour les six domaines ´etudi´es. 56
2.5 Variables des sorties WRF requises et optionnelles pour le for¸cage du mod`ele
FLEXPART-WRF (Brioude et al., 2013). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
3.1 Comparaison des occupations des sols utilis´ees dans les simulations M´eso-A
et M´eso-A’ pour les 5 stations (1 km de r´esolution). . . . . . . . . . . . . . 90
3.2 Evaluation statistique des variables de surface simul´ees : comparaison M´eso- ´
A et M´eso-A’. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
3.3 Evaluation statistique des variables de surface simul´ees (10 min) par rap- ´
port aux observations ARN. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
xxListe des abr´eviations
Nombres sans dimension
Fr Nombre de Froude local, d´efini par U/Nhm, avec U la vitesse du vent [m.s-1], N la
flottabilit´e [s-2] et hm la hauteur de l’obstacle [m]
Pr Nombre de Prandtl, d´efini par µCp/λ, avec µ la viscosit´e dynamique [kg.m-1.s-1],
Cp la capacit´e thermique massique [J.kg-1.K-1] et λ la conductivit´e thermique
[W.m-1.K-1]
Re Nombre de Reynolds, d´efini par V L/ν, avec V la vitesse caract´eristique du fluide
[m.s-1], L la dimension caract´eristique [m] et ν la viscosit´e cin´ematique du fluide
[m2
.s-1]
Variables
DD Direction du vent horizontal [➦N]
er Energie cin´etique turbulente r´esolue [m ´ 2
.s-2]
es Energie cin´etique turbulente sous-maille [m ´ 2
.s-2]
et Energie cin´etique turbulente totale, e ´
t = er + es
[m2
.s-2]
GFX Flux de chaleur du sol, de l’anglais : Ground Heat Flux [W.m-2]
HCLA Hauteur de la couche limite atmosph´erique [m]
HFX Flux de chaleur sensible, de l’anglais : Heat Flux [W.m-2]
LH Flux de chaleur latente, de l’anglais : Latent Heat [W.m-2]
LW Rayonnement des ondes longues re¸cu au sol, de l’anglais : Long Wave [W.m-2]
PMER Pression au niveau de la mer [hPa]
QVAP Rapport de m´elange de vapeur d’eau [g.kg-1]
SW Rayonnement des ondes courtes re¸cu au sol, de l’anglais : Short Wave [W.m-2]
xxiListe des Abr´eviations xxii
T2 Temp´erature de l’air `a 2 m AGL [➦C]
TKE Energie cin´etique turbulente, de l’anglais : Turbulent Kinetic Energy [m ´ 2
.s-2]
Ts Temp´erature de la surface du sol ou de la mer [➦C]
UU Vitesse du vent horizontal [m.s-1]
Stations d’observation
ARN Mˆat m´et´eorologique LaRGE de la zone d’Arnouville, Petit-Bourg, Guadeloupe
ATL Bou´ee m´et´eorologique du National Data Buoy Center (ID 41040, 14,516➦N, 53,024➦W)
BAH Bou´ee m´et´eorologique du National Data Buoy Center (ID 41046, 23,838➦N, 68,333➦W)
BAR Station m´et´eorologique de la Barbade (ID 78954)
CAR Bou´ee m´et´eorologique du National Data Buoy Center (ID 42059, 14,058➦N, 67,528➦W)
DES Station m´et´eorologique M´et´eo France de la D´esirade, Guadeloupe
GBD Station m´et´eorologique M´et´eo France de Grand-Bourg, Marie-Galante, Guadeloupe
MOU Station m´et´eorologique M´et´eo France du Moule, Guadeloupe
PAP Station de qualit´e de l’air Gwad’air du centre-ville de Pointe-`a-Pitre, Guadeloupe
POR Bou´ee m´et´eorologique du National Data Buoy Center (ID 41043, 21,061➦N, 64,966➦W)
PTR Station m´et´eorologique de Porto Rico (ID 78526)
RZT Station m´et´eorologique M´et´eo France du Raizet, Guadeloupe (ID 78897)
SDM Station m´et´eorologique de la R´epublique Dominicaine (ID 78486)
SXM Station m´et´eorologique de Saint Martin (ID 78866)
TRI Station m´et´eorologique de Trinidad (ID 78970)
Stations num´eriques WRF
EDF Station num´erique WRF `a la position de la centrale ´electrique EDF de Jarry,
Guadeloupe
PCM Station num´erique WRF de la zone du Petit Cul-de-Sac Marin, Guadeloupe
VER Station num´erique WRF de la zone de Vernou, Petit-Bourg, Guadeloupe
Domaines de simulation
D01 Domaine 1 de la descente d’´echelle avec une r´esolution de 27 km (m´eso-´echelle)Liste des Abr´eviations xxiii
D02 Domaine 2 de la descente d’´echelle avec une r´esolution de 9 km (m´eso-´echelle)
D03 Domaine 3 de la descente d’´echelle avec une r´esolution de 3 km (m´eso-´echelle)
D04 Domaine 4 de la descente d’´echelle avec une r´esolution d’1 km (m´eso-´echelle)
D05 Domaine 5 de la descente d’´echelle avec une r´esolution de 333 m (micro-´echelle)
D06 Domaine 6 de la descente d’´echelle avec une r´esolution de 111 m (micro-´echelle)
Divers
2D Etude en deux dimensions ´
3D Etude en trois dimensions ´
AF Aliz´es Faibles (avec une vitesse de 3 m.s-1 et un nombre de Froude, Frm = 0, 21)
AGL Au-dessus du sol, de l’anglais : Above Ground Level
AM Aliz´es Moyens (avec une vitesse de 6 m.s-1 et un nombre de Froude, Frm = 0, 41)
AMSL Au-dessus du niveau moyen de la mer, de l’anglais : Above Mean Sea Level
ARW Coeur dynamique Advanced Research du mod`ele WRF
AS Aliz´es Soutenus (avec une vitesse de 12 m.s-1 et un nombre de Froude, Frm = 0, 82)
CLA Couche Limite Atmosph´erique compos´ee de la CLS et de la CLP (du bas vers le
haut)
CLC24 Carte d’occupation des sols Corine Land Cover (2006) convertie aux 24 cat´egories
d´efinies par l’USGS
CLP Couche Limite Plan´etaire, partie haute de la CLA (≈ entre le sommet de la CLS
et la HCLA)
CLS Couche Limite de Surface, partie basse de la CLA (≈ entre 0 et 150 m AGL)
e.g. Par exemple, du latin : exempli gratia
Eq. Equation ´
Fig. Figure
FNL Mod`ele d’analyse m´et´eorologique globale, NCEP FNL (Final) Operational Global
Analysis
GFS Global Forecast System, mod`ele de pr´evision num´erique du temps `a l’´echelle globale
GRIB GRIdded Binary, format binaire utilis´e pour le stockage des donn´ees m´et´eorologiques,
format d´efini par la World Meteorological OrganizationListe des Abr´eviations xxiv
i.e. C’est-`a-dire, du latin : id est
IGN Institut National de l’Information G´eographique et Foresti`ere
IOA Indice d’ad´equation du mod`ele qui varie avec l’erreur quadratique moyenne, de
l’anglais : Index Of Agreement
IOA2 Indice d’ad´equation du mod`ele qui varie avec l’erreur moyenne absolue, de l’anglais :
Index Of Agreement 2
LaRGE Laboratoire de Recherche en G´eosciences et Energies, Universit´e des Antilles et ´
de la Guyane
LES Simulation aux grandes ´echelles, de l’anglais : Large Eddy Simulation
LT Temps local, de l’anglais : Local Time ; en Guadeloupe l’heure LT correspond `a
l’heure UTC−4
MAE Erreur moyenne absolue, de l’anglais : Mean Absolute Error
MBE Erreur du biais moyen, de l’anglais : Mean Bias Error
MSL Mean Sea Level (niveau moyen de la mer)
MYJ Sch´ema de turbulence 1D Mellor-Yamada-Janji´c
M´eso-A Simulation m´eso-´echelle utilisant la carte d’occupation des sols ULC24 dans le
domaine D04
M´eso-A’ Simulation m´eso-´echelle utilisant la carte d’occupation des sols CLC24 dans le
domaine D04
NCAR National Center for Atmospheric Research (institut am´ericain de recherche sur
l’atmosph`ere)
Obs. Donn´ees observ´ees
RMSE Erreur quadratique moyenne, de l’anglais : Root-Mean-Square Error
Tab. Tableau
ULC24 Carte d’occupation des sols USGS global land cover avec 24 cat´egories (1992)
USGS Institut d’´etudes g´eologiques des Etats-Unis, de l’anglais : United States Geological ´
Survey
UTC Temps universel coordonn´e, de l’anglais : Universal Time Coordinated ; en Guadeloupe
l’heure UTC correspond `a l’heure LT+4Liste des Abr´eviations xxv
WRF Mod`ele m´et´eorologique Weather Research and Forecasting
YSU Sch´ema de turbulence 1D Yonsei University
ZCIT Zone de Convergence IntertropicaleA la r´evolution mondiale du prol´etariat `
xxviIntroduction
Motivations et objectifs de la th`ese
La litt´erature a montr´e qu’en fonction de leur taille et de leur relief, les ˆıles tropicales sont
capables de g´en´erer leurs propres circulations dans les basses couches atmosph´eriques
(Br´evignon, 2003; Carlis et al., 2010; C´ec´e et al., 2014; D’Alexis, 2011; D’Alexis et al.,
2011; Feng and Chen, 1998; Jury et al., 2009; Lef`evre et al., 2010; Lesou¨ef et al., 2011;
Mahrer and Pielke, 1976; Malkus, 1955; Matthews et al., 2007; Minder et al., 2013;
Nguyen et al., 2010; Oliphant et al., 2001; Plocoste, 2013; Plocoste et al., 2014; Reisner
and Smolarkiewicz, 1994; Savij¨arvi and Matthews, 2004; Smith et al., 1997; Smith
and Grubiac, 1993; Smith et al., 2012; Souza, 1972; Whitehall et al., 2013; Yang and
Chen, 2005). Le contexte tropical insulaire, avec une forte irradiation solaire et des ˆıles
montagneuses, est propice `a de nombreux ph´enom`enes m´et´eorologiques locaux tels que les
vents catabatiques–anabatiques en zone montagneuse, les brises de mer-terre sur la cˆote,
la convection thermique-orographique ´evoluant en orages, les effets du relief sur des vents
cycloniques...
Ces ph´enom`enes se produisent aux ´echelles sub-kilom´etriques, infra-journali`eres, voir infrahoraires.
Ils engendrent des changements brusques qui peuvent g´en´erer des rafales de vent
localis´ees, des pr´ecipitations extrˆemes, des ´episodes de pollution atmosph´erique dans les
basses couches, ou des perturbations de l’´etat de la mer.
Il est donc essentiel d’am´eliorer les connaissances `a ces ´echelles fines, pour r´eduire les
risques sur la sant´e, les biens et les personnes. L’application de la mod´elisation de l’atmosph`ere
`a la micro-´echelle (inf´erieure au km, infra-horaire) b´en´eficierait aussi `a la recherche
sur la pr´ediction des ´energies renouvelables fluctuantes, comme l’´eolien ou le
solaire.
La bibliographie traitant des circulations locales g´en´er´ees par l’archipel de la Guadeloupe
est tr`es peu document´ee. Br´evignon (2003) a d´ecrit une cartographie grossi`ere des
r´egimes de vents locaux. D’apr`es Br´evignon (2003), il n’y aurait pas de retournement du
1Introduction 2
vent jour–nuit mais une simple variation dans la direction du vent. Il a estim´e que les
brises thermiques seraient principalement observ´ees le long de la cˆote sous le vent de la
Basse-Terre.
Pourtant, durant des aliz´es faibles `a mod´er´es, ces retournements nocturnes du vent des
basses couches ont ´et´e observ´es : sur la cˆote au vent de la Grande-Terre (Br´evignon,
2003), sur la cˆote au vent de la Basse-Terre (D’Alexis, 2011; D’Alexis et al., 2011) et sur
la cˆote sous le vent de la Grande-Terre (Plocoste, 2013; Plocoste et al., 2014). Dans le
premier cas, il s’agirait d’une brise de terre (Br´evignon, 2003). L’environnement cˆotier
et orographique du deuxi`eme cas sugg´ererait un ´ecoulement catabatique et/ou une brise
de terre (D’Alexis, 2011; D’Alexis et al., 2011). Enfin Plocoste et al. (2014) ont d´efini
la circulation nocturne d’ouest comme une brise urbaine induite par un ˆılot de chaleur
urbain dans l’agglom´eration pointoise. D’apr`es nous, l’origine purement urbaine de cet
´ecoulement serait discutable. Les mesures exp´erimentales de D’Alexis et al. (2011) effectu´ees
dans les mˆemes conditions m´et´eorologiques sur la cˆote au vent de la Basse-Terre
( station ARN), sugg´ereraient que l’´ecoulement d’ouest observ´e dans les travaux de Plocoste
et al. (2014) soit g´en´er´e, en amont, sur la cˆote au vent de la Basse-Terre avec une
extension vers la Grande-Terre. Les observations du panache de la centrale EDF de Jarry
(Fig. 1.7, 1.8, 1.9) confirmeraient cette extension de l’´ecoulement vers la cˆote ouest de la
Grande-Terre.
Cet ´ecoulement local nocturne d’ouest, soufflant en direction de la partie la plus peupl´ee
de l’archipel en passant par la zone industrielle de Jarry (o`u l’on trouve de nombreuses
sources d’´emissions de polluants), n´ecessite une analyse 3D de sa structure et de ses
m´ecanismes de formation.
Quels sont les effets pr´edominants `a prendre en compte, selon les conditions m´et´eorologiques,
pour comprendre ce cycle particulier du vent ? Quels sont les ordres de grandeur
(extensions verticale et horizontale, direction et intensit´e) pour les variations observ´ees ?
Quelles sont les influences de l’occupation des sols et de la zone maritime ? Quel est le
rˆole du flux de chaleur sensible dans les cycles diurnes observ´es ?
Actuellement, le mod`ele num´erique de pr´evision du temps, employ´e par M´et´eo-France en
Guadeloupe et en Martinique, a une r´esolution limit´ee `a 8 km (mod`ele Aladin). Cette
´echelle ne correspond pas aux ph´enom`enes m´et´eorologiques locaux qui apparaissent sur
ces petites ˆıles de l’Arc antillais.
Depuis une d´ecennie, le d´eveloppement des moyens de calcul a permis la mise en place de
mod`eles num´eriques de pr´evision du temps `a l’´echelle r´egionale. D’autres mod`eles m´et´eorologiques,
comme le mod`ele Weather Research and Forecasting WRF (Skamarock et al.,
2008), ont montr´e leur efficacit´e `a pr´edire les conditions atmosph´eriques m´eso-´echelles `aIntroduction 3
partir des donn´ees synoptiques des mod`eles globaux (Carlis et al., 2010; C´ec´e et al., 2014;
Jury et al., 2009; Lef`evre et al., 2010; Nguyen et al., 2010; Seaman et al., 2012; Yang and
Chen, 2005). Ce mod`ele est capable d’effectuer la descente d’´echelle depuis la m´eso-´echelle
(sch´ema d’ensemble de couche limite plan´etaire 1D) vers la micro-´echelle (Large Eddy Simulation,
LES 3D). C’est un axe de recherche r´ecent qu’on se propose d’appliquer `a notre
sujet d’´etude. Cette ´etude viendra compl´eter les validations de ce type de couplage entre
ces deux sch´emas de mod´elisation de la turbulence.
Ce m´emoire de th`ese constitue donc la premi`ere ´etude de mod´elisation num´erique `a haute
r´esolution de l’atmosph`ere dans les petites ˆıles montagneuses de l’archipel de la Guadeloupe
(avec des mailles m´eso-´echelles de 3 km et 1 km et des mailles micro-´echelles de
333 m et 111 m). Le mod`ele m´et´eorologique WRF ARW V3.4.1 (Skamarock et al., 2008)
ainsi que son module WRF-LES (micro-´echelle) ont ´et´e utilis´es pour simuler trois situations
m´et´eorologiques r´eelles de 48 heures, associ´ees `a des aliz´es faibles (AF), des aliz´es
moyens (AM), et des aliz´es forts (AS). Ces situations correspondent respectivement aux
valeurs du nombre de Froude local ´egales `a 0,21, 0,41 et 0,82 (Fr est d´efini par U/Nhm
avec des vitesses de vent horizontal U = 3, 6, 12 m.s-1, une flottabilit´e N de 0,01 s-1 et la
hauteur de la Soufri`ere hm = 1460 m).
Les travaux pr´esent´es ont pour principal objectif la simulation num´erique et l’analyse des
m´ecanismes m´eso- et micro-´echelles qui induisent des circulations locales diurnes et nocturnes
sur les ˆıles de la Guadeloupe et plus principalement dans la zone la plus peupl´ee
de l’archipel (l’agglom´eration pointoise situ´ee au centre de l’archipel autour du Petit Culde-Sac
Marin). A l’heure actuelle, o`u la mod´elisation de la descente d’´echelle depuis les `
sch´emas de moyenne d’ensemble (m´eso-´echelle) vers les sch´emas LES (micro-´echelle) reste
peu document´ee, notre ´etude permettra d’am´eliorer les connaissances sur cette imbrication.
Les observations de circulations nocturnes, apparaissant dans l’agglom´eration pointoise
et la zone industrielle de l’archipel, peuvent g´en´erer des pics de pollution, li´es aux sources
industrielles comme la production d’´electricit´e. Pour tenter d’´evaluer et de pr´evenir les
risques de pollution associ´es au passage de cette circulation, une analyse plus fine en temps
et en espace, est n´ecessaire. Cette analyse a pu ˆetre r´ealis´ee grˆace au couplage du mod`ele
lagrangien de dispersion de particules FLEXPART(Brioude et al., 2013) avec les sorties
WRF-LES. Les simulations micro-´echelles de la dispersion d’un panache de NOx seront
analys´ees.
Le for¸cage du mod`ele FLEXPART avec des sorties micro-´echelles WRF-LES (avec des
r´esolutions spatiales de 333 m et 111 m) toutes les 10 minutes permettra d’´evaluer laIntroduction 4
capacit´e de ce dernier `a repr´esenter la dispersion de polluants dans des ´ecoulements turbulents.
Ces premiers r´esultats de dispersion du panache de polluants issus de la zone
industrielle de Jarry pourraient aider `a l’´elaboration de plans de pr´evention de la pollution
atmosph´erique. L’ensemble des champs simul´es WRF, WRF-LES et WRF-LESFLEXPART
contribueront aussi `a combler le manque de donn´ees d’observation et de
mod´elisation (mod`ele Aladin de M´et´eo-France avec une maille de 8 km) locales sur l’archipel
de la Guadeloupe dans le domaine de la m´et´eorologie et de la pollution. Cette
´etude pourra ˆetre g´en´eralis´ee et appliqu´ee `a des environnements proches car l’Arc des Petites
Antilles est compos´e d’un ensemble d’ˆıles dont les tailles, les reliefs et les situations
m´et´eorologiques synoptiques sont similaires `a ceux retrouv´es en Guadeloupe.
Organisation du rapport
Nous pr´esenterons dans le chapitre 1, une synth`ese bibliographique des connaissances dans
le domaine de la mod´elisation des circulations atmosph´eriques, ainsi que l’´etat de l’art sur
des ´etudes exp´erimentales traitant des circulations particuli`eres d´ej`a observ´ees sur l’archipel
de la Guadeloupe.
La section 2.1 est consacr´e `a la description de la m´ethodologie et des principaux outils
employ´es. Les configurations du mod`ele m´et´eorologique r´egional WRF ARW et du mod`ele
lagrangien de dispersion de particules FLEXPART-WRF sont pr´esent´ees respectivement
dans les sections 2.3 et 2.4. Nous d´ecrivons les donn´ees d’observation disponibles pour
l’´evaluation des champs m´et´eorologiques simul´es et des sorties de concentration de polluants
dans les sections respectives, 2.5 et 2.6. La section 2.7 pr´esente les formulations des
estimateurs d’erreur statistiques.
Les r´esultats des simulations num´eriques m´eso-´echelles WRF (avec 4 domaines de r´esolutions
respectives 27, 9, 3 et 1 km), micro-´echelles WRF-LES (avec 2 domaines de r´esolutions
respectives 333 et 111 m) et de la dispersion de polluants WRF-LES-FLEXPART
(mˆemes domaines que WRF-LES) sont d´ecrits et discut´es dans le chapitre 3. La publication
traitant des sorties num´eriques de l’exp´erience M´eso-A (avec la carte d’occupation
des sols de la Guadeloupe USGS AVHRR 1992), est incluse dans la section 3.1.1. La section
3.1.2 pr´esente les effets de la carte d’occupation des sols Corine Land Cover 2006 sur
les circulations locales g´en´er´ees par l’archipel (exp´erience M´eso-A’). Dans la section 3.2,
nous analysons les circulations micro-´echelles WRF-LES, simul´ees `a partir du for¸cage des
sorties M´eso-A’ (1 km de r´esolution). Les simulations micro-´echelles de la dispersion duIntroduction 5
panache de la centrale EDF de Jarry (WRF-LES-FLEXPART) sont examin´ees `a la section
3.3.
Enfin dans la partie Conclusion et perspectives, nous r´esumons les principaux r´esultats et
enseignements de ces travaux, et nous pr´esentons leurs perspectives futures.Chapitre 1
Circulations atmosph´eriques dans les
basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique
1.1 Echelles des circulations atmosph´eriques ´
Comme d´ecrit par Malardel (2009) dans son livre de r´ef´erence Fondamentaux de M´et´eorologie,
l’atmosph`ere subit plusieurs types d’excitations ext´erieures comme les variations
cycliques du rayonnement solaire durant l’ann´ee, ou des excitations plus irr´eguli`eres et
complexes comme les interactions avec la surface terrestre ou oc´eanique. Il en r´esulte une
forte variabilit´e spatio-temporelle de l’´etat du fluide atmosph´erique. Dans l’atmosph`ere
excit´ee, des circulations se mettent en place et permettent un retour `a l’´equilibre. Ces
circulations pr´esentent un large champ d’´echelles spatiales et temporelles : du millim`etre
`a la taille de la plan`ete, et de la seconde `a plusieurs ann´ees (Malardel, 2009). D’apr`es Stull
(2000), les ´echelles de temps de la plupart des ph´enom`enes sont approximativement proportionnelles
aux ´echelles horizontales avec un coefficient proche d’1 s.m-1. Par exemple,
dans la couche limite atmosph´erique, les vents thermiques d’1 km de diam`etre ont une
dur´ee de circulation de 15 min. Les cellules orageuses qui ont une taille de 10 km peuvent
durer une demi-journ´ee tandis que les perturbations cycloniques de l’ordre de 1000 km
ont des dur´ees de vie allant de quelques jours `a quelques semaines (Stull, 2000).
Stull (1988) a propos´e une classification des ph´enom`enes atmosph´eriques en fonction de
leur ´echelle spatio-temporelle (Fig. 1.1). Les ´echelles (larges) plan´etaires et synoptiques ne
sont pas d´ecrites dans ce sch´ema. L’´echelle plan´etaire est caract´eris´ee par une dimension
6Chapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 7
Figure 1.1: Classification des ph´enom`enes atmosph´eriques en fonction de leur ´echelle
spatio-temporelle (Orlanski, 1975; Stull, 1988).
spatiale de l’ordre de grandeur de 10.000 km (la circonf´erence de la Terre repr´esentant
4 fois cette valeur) et une dimension temporelle allant de plusieurs semaines `a plusieurs
ann´ees. Les ph´enom`enes d’´echelle plan´etaire sont associ´es aux climats et incluent les circulations
li´ees aux ondes de Rossby, `a l’ENSO (” El Ni˜no-Southern Oscillation ”), ou les
circulations d’Hadley.
L’´echelle synoptique a une dimension spatiale d’un millier de kilom`etres et une dimension
temporelle de plusieurs jours. Elle correspond aux circulations g´en´er´ees par l’intensit´e et
la position des centres anticycloniques et d´epressionnaires (comme les aliz´es).
La m´eso-´echelle s’´etend sur un espace horizontal allant de 200 km `a plusieurs centaines de
m`etres et un espace temporel allant de quelques jours `a la demi-heure (Fig. 1.1). Plusieurs
sous-´echelles sont d´efinies dans la m´eso-´echelle : la m´eso-α (les cyclones et les fronts), la
m´eso-γ (les jets de basses couches, les amas de nuages), la m´eso-δ (les orages, les effets
urbains) et la micro-α (les couches limites atmosph´eriques, les nuages cumuliformes).
Les ph´enom`enes comme la turbulence, avec des ´echelles spatiales inf´erieures `a 3 km et des
´echelles de temps inf´erieures `a l’heure, sont class´es dans la micro-´echelle. La m´eso-´echelle et
la micro-´echelle semblent confondues dans les sous-´echelles : m´eso-δ et micro-α (Fig. 1.1).
Cette zone d’imbrication inclut les ´ecoulements locaux de la couche limite atmosph´erique
(comme les brises de terre–mer et les ´ecoulements catabatiques–anabatiques). Les ´etudes
de pollution atmosph´erique comme la dispersion de panaches de polluants s’appliquent
aussi dans le domaine de la micro-´echelle.
L’ensemble des ph´enom`enes m´et´eorologiques sont bien class´es dans des ´echelles d’espace
et de temps, leur mod´elisation est donc simplifi´ee.Chapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 8
1.2 M´eso-´echelle et micro-´echelle : circulations locales
de couche limite atmosph´erique
Dans cette partie, la description des ph´enom`enes de couche limite atmosph´erique, se
produisant `a la m´eso- et `a la micro-´echelle, est bas´ee sur les d´efinitions de Stull (1988).
1.2.1 Couche limite atmosph´erique (CLA)
1.2.1.1 D´efinition
La troposph`ere est la r´egion dense et habitable de l’atmosph`ere (elle regroupe 80% de
sa masse totale). La troposph`ere s’´etend du sol jusqu’`a une altitude moyenne de 11 km,
cependant seuls les premiers kilom`etres sont en g´en´eral modifi´es par les ph´enom`enes se
produisant `a la surface de la Terre. Stull (1988) a d´efini la couche limite atmosph´erique
(CLA) comme la partie de la troposph`ere qui est directement influenc´ee par la pr´esence
de la surface de la Terre avec un temps de r´eponse inf´erieur ou ´egal `a l’heure. Les for¸cages
incluent la friction, l’´evapo-transpiration, le bilan radiatif, la topographie. La hauteur de
la CLA varie en fonction des variables spatio-temporelles, avec des valeurs comprises entre
quelques centaines de m`etres `a quelques kilom`etres. Les variations diurnes de la temp´erature
de la CLA sont dues aux processus de transports, induits par le r´echauffement et le
refroidissement du sol (rayonnement solaire). La turbulence est un processus de transport
majeur.
1.2.1.2 Structure de la CLA associ´ee au cycle diurne
Stull (1988) a ´etudi´e l’´evolution diurne de la structure de la CLA terrestre dans des r´egions
anticycloniques (Fig. 1.2). La CLA passe par trois ´etats principaux : la couche m´elang´ee,
la couche r´esiduelle et la couche limite stable. La couche m´elang´ee peut ˆetre divis´ee en
couche nuageuse et une couche sous-nuageuse. La partie basse de la CLA, la couche de
surface, est d´efinie comme une couche de flux 1
constants donc avec des flux turbulents
relativement uniformes sur l’axe vertical. Une zone d’entrainement fortement stable, de
turbulence intermittente, s´epare la couche m´elang´ee de l’atmosph`ere libre. Durant la nuit,
cette zone d’entrainement laisse place `a une couche d’inversion non turbulente (aussi
appel´ee “capping”, Fig. 1.2).
1. Transport de mati`ere ou d’´energie `a travers une surfaceChapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 9
Figure 1.2: Evolution temporelle de la structure verticale de la couche limite ´
atmosph´erique terrestre dans des r´egions anticycloniques (Stull, 1988).
Couche de m´elange
La couche de m´elange se d´eveloppe durant la journ´ee avec une hauteur maximale atteinte
avant midi (Fig. 1.2). Dans cette couche, la turbulence est g´en´eralement induite par la
convection. Les sources de convection sont : le transfert de chaleur provenant du sol irradi´e
par les rayons du soleil et le refroidissement radiatif (dans les fr´equences de l’infra-rouge)
au sommet des nuages.
Couche r´esiduelle
Environ une heure avant le coucher du soleil, en absence d’advection d’air froid, les thermiques
de la couche de m´elange ne se d´eveloppent plus. A cet instant, la couche de `
m´elange commence `a se d´ecomposer en une couche r´esiduelle et une couche dite nocturne
(Fig. 1.2). La couche r´esultante est appel´ee couche r´esiduelle parce que ses conditions
thermodynamiques initiales sont les mˆemes que celles de la couche de m´elange en train
de disparaˆıtre.Chapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 10
Couche limite stable
Au cours de la nuit, la partie basse de la couche r´esiduelle se transforme en une couche
limite stable (Fig. 1.2). Cette couche est caract´eris´ee par une turbulence quasi-nulle et
un vent calme au niveau du sol. En cons´equence, les polluants ´emis dans la couche limite
stable se dispersent peu sur l’axe vertical. Pour ces conditions de stabilit´e, des ´ecoulements
particuliers peuvent se produire comme des vents catabatiques dans des r´egions orographiques
ou des brises de terre dans des r´egions cˆoti`eres. Ces deux ´ecoulements particuliers
seront d´ecrits dans la sous-section 1.2.2.
1.2.1.3 Vent moyen, ondes et turbulence
Les ´ecoulements locaux (se produisant sur un site d´efini) peuvent ˆetre divis´es en trois
cat´egories : le vent moyen, les ondes et la turbulence. Chacune de ces cat´egories existe
dans la CLA, o`u le transport des quantit´es comme la vapeur d’eau (humidit´e), la chaleur,
les mouvements (tourbillons) et les polluants, est domin´e par le vent moyen sur l’axe horizontal
et par la turbulence sur l’axe vertical. Le vent moyen est responsable de l’advection
assurant le transport horizontal rapide. Les ordres de grandeur classiques de vitesse du
vent sont compris entre 2 et 10 m.s-1. La friction induite pr`es du sol, g´en`ere un profil de
vitesse particulier (r´eduction continue de la vitesse en se rapprochant du sol), et donc une
vitesse du vent moyen plus faible. Les vitesses verticales du vent moyen sont de l’ordre du
millim`etre au centim`etre par seconde.
Les ondes transportent principalement la quantit´e de mouvement et l’´energie. Ces ondes
peuvent ˆetre localement g´en´er´ees par le cisaillement du vent moyen et du vent orographique.
La CLA se distingue du reste de l’atmosph`ere par la forte fr´equence de la turbulence au
voisinage du sol. La turbulence modifie les conditions de la CLA en fonction des for¸cages
de surface. Elle est superpos´ee au vent moyen, et se manifeste par des mouvements tourbillonnaires
(dits “eddies“ en anglais) de diff´erente taille imbriqu´es les uns dans les autres.
Les tourbillons les plus grands ont une taille proche de la hauteur de la CLA et sont entretenus
directement par les transferts de chaleur g´en´er´es par le sol irradi´e (pour les vents
thermiques de la CLA), par la friction du sol ou par le franchissement d’obstacle (pour les
sillages turbulents). Ces grands tourbillons peuvent ˆetre observ´es avec les boucles form´ees
par un panache de fum´ee. Les plus petits tourbillons, de l’ordre du millim`etre, sont tr`es
faibles `a cause des effets dissipatifs de la viscosit´e (friction inter-mol´eculaire qui transforme
les mouvements en chaleur).Chapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 11
Dans la litt´erature, les ´etudes de la turbulence et des ondes de CLA s´eparent les variables
(comme la temp´erature ou le vent) en une composante moyenne et une composante de perturbation
en respectant les r`egles dites de Reynolds (Boussinesq, 1887; Reynolds, 1947).
La partie moyenne repr´esente les effets de la temp´erature moyenne ou du vent moyen,
tandis que la partie de perturbation repr´esente l’effet des ondes ou celui de la turbulence.
1.2.2 Circulations locales g´en´er´ees par les conditions de terrain
Stull (1988) a d´ecrit les circulations locales dans des conditions de vents faibles et calmes.
1.2.2.1 R´egions cˆoti`eres : brises de mer–terre
L’importante capacit´e calorifique des oc´eans inhibe les variations diurnes de la temp´erature
de surface de l’eau tandis que la surface de la terre, caract´eris´ee par une faible
capacit´e calorifique et une faible conductivit´e mol´eculaire, se r´echauffe et se refroidit
consid´erablement durant le cycle diurne. Donc, durant la journ´ee, la terre est plus chaude
que la mer et durant la nuit, la terre est plus froide.
Brises de mer
Pendant la matin´ee, apr`es la disparition de la couche limite stable, l’air commence `a
s’´elever au-dessus du sol chaud et l’air provenant de la mer, plus froid, commence `a le
remplacer. La brise de mer se met en place. L’extension de la brise de mer `a l’int´erieur
des terres est d´elimit´ee par un front. Ce front est marqu´e par une zone de convergence,
une chute de la temp´erature de quelques degr´es Celsius, une augmentation de l’humidit´e
et des mouvements ascendants de l’ordre de 0,5 `a 2,5 m.s-1. Un ´ecoulement de retour vers
la mer peut apparaˆıtre au-dessus pour fermer la circulation de brise de mer. En absence
de vent synoptique, le front de brise peut progresser `a l’int´erieur des terres (entre 20 km
et 50 km de distance `a la cˆote), avec une vitesse comprise entre 1 m.s-1 et 5 m.s-1
.
Brises de terre
La nuit, la surface de la terre se refroidissant plus rapidement que celle de l’eau de la mer,
le gradient horizontal de temp´erature est invers´e. Une brise de terre se met en place :
l’air froid terrestre souffle en direction de la mer plus chaude. Une circulation de retourChapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 12
peut apparaˆıtre au-dessus : l’air chaud marin s’´el`eve et souffle en direction de la terre. La
circulation de brise de terre est moins intense que celle de la brise de mer.
1.2.2.2 R´egions orographiques : vents anabatiques–catabatiques
Ces ´ecoulements orographiques sont associ´es `a une diff´erence de temp´erature horizontale
entre l’air `a la surface des pentes de la montagne et l’air environnant `a la mˆeme altitude.
Vents anabatiques
Pendant la journ´ee, la surface des pentes de la montagne chauff´ees par le rayonnement
solaire r´echauffe `a son tour l’air proche du sol, qui devient plus chaud que l’air environnant
pour une mˆeme altitude. La flottabilit´e positive induit qu’un ´ecoulement anabatique se
d´eveloppe : l’air chaud va longer les pentes jusqu’au sommet de la montagne. L’air chaud
peut ensuite s’´elever au-dessus de la crˆete de la montagne et former des cumulus dans
certaines conditions d’humidit´e.
Vents catabatiques
La nuit, le refroidissement radiatif des pentes de la montagne refroidit l’air proche de
la surface. Une masse d’air plus froide que l’air environnant s’accumule sur le relief. La
flottabilit´e n´egative g´en`ere un ´ecoulement de gravit´e descendant les pentes : le vent catabatique.
Cet ´ecoulement a, en g´en´eral, une faible ´epaisseur de quelques dizaines de m`etres
et des vitesses de l’ordre de 1 `a 5 m.s-1 (Simpson, 1999).
1.3 Simulations num´eriques de la descente dynamique
de la m´eso-´echelle `a la micro-´echelle
Dans la section 1.1, nous avons montr´e que l’ensemble des ph´enom`enes m´et´eorologiques
sont class´es dans des ´echelles d’espace et de temps. Par cons´equent, leur mod´elisation
num´erique est simplifi´ee : chaque ph´enom`ene est simul´e aux ´echelles d’espace et de temps
lui correspondant. Pour des raisons de coˆut des calculs num´eriques, il est plus simple de
simuler des ph´enom`enes de large ´echelle, car ils sont associ´es `a des espaces importants
qui peuvent ˆetre repr´esent´es par un nombre plus faible de grandes mailles. A ces grandes `Chapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 13
´echelles, les fluctuations sur les circulations sont tr`es faibles. Il en r´esulte des pas de temps
de calcul plus importants.
Les ph´enom`enes m´et´eorologiques associ´es `a des ´echelles spatio-temporelles diff´erentes,
interagissent entre eux (e.g. les circulations m´eso-´echelles dans un cyclone et les tourbillons
turbulents qui l’animent `a la micro-´echelle). Pour ´etudier ces interactions d’´echelles, il est
n´ecessaire d’effectuer une mod´elisation avec une imbrication d’´echelles. La notion de descente
d’´echelle est un terme g´en´erique pour d´efinir le passage d’une simulation `a l’´echelle
donn´ee `a une autre simulation `a l’´echelle plus fine (Fig. 2.10).
1.3.1 Descente d’´echelle
En simulation m´et´eorologique, il existe deux types de descentes d’´echelle dynamique entre
un domaine parent et son domaine imbriqu´e de r´esolution plus ´elev´ee. La descente d’´echelle
sans retour d’information du domaine imbriqu´e vers le domaine parent est appel´ee ” oneway
”. La descente d’´echelle avec un retour d’information du domaine imbriqu´e vers le
domaine parent est appel´ee ” two-way ”. Le transfert des conditions atmosph´eriques du
domaine imbriqu´e vers le domaine parent permettrait d’am´eliorer les simulations m´et´eorologiques.
Dans les mod`eles m´et´eorologiques m´eso-´echelles comme le Weather Research
and Forecasting WRF, le rapport de r´esolution entre le domaine imbriqu´e et le domaine
parent, est pr´econis´e `a [3 :1] (Skamarock et al., 2008).
1.3.2 Spectre de la turbulence : ” terra incognita ” (Wyngaard,
2004)
Dans la mod´elisation m´eso-´echelle, l’´echelle l de la turbulence contenant l’´energie et les
flux, est tr`es petite devant l’´echelle ∆ du filtre spatial de r´esolution des ´equations du
mouvement, donc la turbulence ne peut pas ˆetre r´esolue (Wyngaard, 2004). Dans ce
cas la turbulence est enti`erement mod´elis´ee par la fermeture des sch´emas de moyenne
d’ensemble. Dans la mod´elisation micro-´echelle Large Eddy Simulation (LES), c’est le cas
contraire, l est grand devant ∆, la turbulence de grande ´echelle est r´esolue et celle de petite
´echelle (dissipation) est mod´elis´ee. Les mod`eles de fermeture de la turbulence ne sont pas
con¸cus pour ˆetre utilis´es quand l et ∆ sont du mˆeme ordre de grandeur, Wyngaard (2004)
a appel´e cet intervalle num´erique : la ” terra incognita ”.Chapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 14
1.3.3 M´eso-´echelle : principaux sch´emas de moyenne d’ensemble
1D (Shin and Hong, 2011)
La couche limite atmosph´erique se compose de la couche limite de surface (CLS, comprise
entre 0 et 150 m AGL 2
) et de la couche limite plan´etaire (CLP, comprise entre le sommet
de la CLS et le sommet de la CLA). Dans les mod`eles m´et´eorologiques, les ph´enom`enes de
couche limite atmosph´erique sont param´etr´es par un sch´ema de couche limite de surface
et un sch´ema de couche limite plan´etaire. Comme d´ecrit par Shin and Hong (2011),
dans les sch´emas de couche limite plan´etaire, les flux turbulents sous-mailles sont calcul´es
en utilisant les variables moyennes pronostiqu´ees (comme la temp´erature, le rapport de
m´elange, les vitesses horizontales), suivant les ´equations de diffusion verticale du type :
∂C
∂t = −
∂
∂zw0c
0 =
∂
∂z
Kc
∂C
∂z (1.1)
o`u Kc est la diffusivit´e turbulente pour la variable moyenne C, t le temps, z la coordonn´ee
verticale, et w
0
la fluctuation de la vitesse verticale.
1.3.3.1 Sch´ema YSU : fermeture au premier ordre avec un m´elange non-local
Le sch´ema YSU (Hong et al., 2006) ne n´ecessite pas l’addition de nouvelles ´equations pronostiques
pour exprimer les effets de la turbulence sur les variables moyennes (Shin and
Hong, 2011). En couche limite convective, ce sch´ema est bas´e sur le profil K en d´eterminant
la diffusivit´e turbulente Kc (fonction du cisaillement du vent local et du nombre de Richardson
local dans l’atmosph`ere libre). En addition de la diffusion locale (Eq. 1.1), le
sch´ema YSU consid`ere le m´elange non-local par des grands tourbillons convectifs (Shin
and Hong, 2011). Pour exprimer ce m´elange non-local, un terme d’ajustement de gradient
non-local (γc) est ajout´e :
∂C
∂t =
∂
∂z
Kc
∂C
∂z − γc
− (w0c
0
)h
z
h
3
(1.2)
avec h la hauteur de la couche limite convective. Le sch´ema YSU traite explicitement
les processus d’entrainement au sommet de la couche limite plan´etaire. En couche limite
stable, la version du sch´ema YSU am´elior´ee par Hong (2010) est bas´ee sur le nombre de
Richardson global entre la couche de surface et le sommet de la couche limite (Shin and
Hong, 2011).
2. Au-dessus du sol, de l’anglais : Above Ground LevelChapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 15
1.3.3.2 Sch´ema MYJ : fermeture TKE `a l’ordre 1,5 avec un m´elange local
Le sch´ema MYJ (Janji´c, 1990) n´ecessite l’addition d’une ´equation pronostique de l’´energie
cin´etique turbulente, exprim´ee par l’accronyme anglais TKE (Turbulent Kinetic Energy) :
Kc = l
√
eSc (1.3)
avec e la TKE, l la longueur de m´elange (d´efinie par Prandtl comme la distance sur
laquelle une perturbation transporte des propri´et´es d’une parcelle d’air) et Sc le coefficient
de proportionnalit´e (Shin and Hong, 2011). Le sch´ema MYJ applique le m´elange local en
tenant compte de la diffusivit´e turbulente locale existant entre le plus bas et le plus haut
niveau vertical, en couche limite convective et stable. L’entrainement est param´etr´e par
le calcul de Kc pr`es du sommet de la couche limite plan´etaire.
1.3.4 Micro-´echelle : sch´emas Large Eddy Simulation (LES) 3D
(Mirocha et al., 2010)
Figure 1.3: Sch´ema du spectre de l’´energie en fonction de la taille des structures
turbulentes.
Les simulations aux grandes ´echelles (LES, de l’anglais : Large Eddy Simulation) ont pour
principe de calculer par r´esolution num´erique directe les structures turbulentes de grande
taille et de mod´eliser celles de petite taille (Fig. 1.3). Dans la CLA, les grands tourbillons
sont de l’ordre d’une centaine de m`etres, mais leur structure varie selon l’´ecoulement,Chapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 16
tandis que les petits tourbillons ont un caract`ere universel.
Les m´ethodes LES ont pour avantages : la simulation des ´ecoulements complexes de la
micro-´echelle et la r´eduction de la puissance de calcul requise par rapport `a la simulation
num´erique directe (DNS, de l’anglais : Direct Numerical Simulation).
La mod´elisation LES repose sur la r´esolution explicite en 3D des ´echelles de production
et de transport de l’´energie turbulente atmosph´erique, tandis que la partie petite ´echelle
du spectre de la turbulence, correspondant `a la dissipation de l’´energie turbulente, est
´elimin´ee par l’interm´ediaire d’un filtre spatial (Mirocha et al., 2010). Les effets du filtrage
des structures de ces ´echelles, sur le composant r´esolu de l’´ecoulement, sont mod´elis´es par
un mod`ele de fermeture dit ” sub-filter scale ” (SFS).
Mirocha et al. (2010) ont d´ecrit les ´equations LES de la mani`ere suivante, les variables
r´esolues des structures grandes ´echelles ´etant not´ees avec un tilde, nous avons :
∂u˜i
∂t +
∂(˜uiu˜j )
∂xj
= −
1
ρ˜
∂p˜
∂xi
−
∂τij
∂xj
, (1.4)
avec τij = (ugiuj ) − (˜uju˜i). (1.5)
u˜i,j sont les vitesses r´esolues (i, j = 1, 2, 3, correspondant aux 3 composantes de la vitesse,
respectivement, u, v et w) ; ˜p est la pression r´esolue ; ˜ρ est la densit´e r´esolue ; xi
, xj
font
r´ef´erence aux coordonn´ees spatiales avec i, j = 1, 2, 3 indiquant respectivement les composants,
x, y et z. τij d´efinit la contrainte de cisaillement `a la sous-´echelle du filtre (SFS)
induit par les petites structures (petits tourbillons). Cette force de surface est param´etr´ee
par un mod`ele de contrainte SFS.
Les deux mod`eles de contrainte SFS principalement utilis´es dans la bibliographie sont :
le mod`ele de Smagorinsky (Lilly, 1967; Smagorinsky, 1963) et le mod`ele bas´e sur la fermeture
SFS TKE d’ordre 1,5 (Lilly, 1967). Chacun de ces mod`eles est de la forme de
viscosit´e turbulente (les effets de la turbulence sont d´ecrits par une analogie avec la viscosit´e
mol´eculaire) :
τij = −2νT S˜
ij , (1.6)
avec νT le coefficient de viscosit´e turbulente et S˜
ij = 1/2[(∂u˜i/∂x˜j )+ (∂u˜j/∂x˜i)] le tenseur
de d´eformation des grandes structures (Mirocha et al., 2010).Chapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 17
1.3.4.1 Fermeture SFS Smagorinsky
Le coefficient de viscosit´e d’eddy de Smagorinsky est calcul´e d’apr`es la formule :
νT = (CSl)
2max[0,(S˜
ijS˜
ij − Pr−1N
2
)
1/2
]. (1.7)
CS est le coefficient de Smagorinsky. L’´echelle de longueur est donn´ee par l = (∆x∆y∆z)
1/3
.
Le nombre de Prandtl turbulent Pr est d´efini par µCp/λ, avec µ la viscosit´e dynamique
(kg.m-1.s-1), Cp la capacit´e thermique massique (J.kg-1.K-1) et λ la conductivit´e thermique
(W.m-1.K-1). Le nombre de Prandtl repr´esente le rapport entre la diffusivit´e de la quantit´e
de mouvement et la diffusivit´e thermique. N2
est la fr´equence de Brunt-V¨ais¨al¨a. Elle
repr´esente la stabilit´e de la couche d’air : si la parcelle d’air d´eplac´ee verticalement oscille
autour de sa position d’´equilible N2
est positive, dans le cas contraire N2
est inf´erieure ou
´egale `a 0. L’´equation 1.7 induit une r´eduction de la contrainte quand la stabilit´e augmente
jusqu’`a une limite de la disparition du m´elange, quand N2
est tr`es important par rapport
aux d´eformations. Ceci limiterait l’utilisation du mod`ele Smagorinsky dans des conditions
de forte stabilit´e (Mirocha and Kirkil, 2010).
1.3.4.2 Fermeture SFS TKE d’ordre 1.5
Dans ce mod`ele le coefficient de viscosit´e d’eddy est d´efini par :
νT = Cl√
es
, (1.8)
o`u es est l’´energie cin´etique turbulente sous-maille, et C = 0, 15. Quand cette fermeture
est s´electionn´ee, le mod`ele WRF int`egre l’´equation pronostique suivante, de la TKE du
SFS (Mirocha et al., 2010) :
∂t(µdes)+Transport = µd(Production cisaillement+Production thermique+Dissipation)
(1.9)
avec µd, la masse de la colonne d’air sec et le terme de dissipation mod´elis´e par l’expression
−Ce
3/2
s /l.Chapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 18
1.3.5 Descente d’´echelle : couplage d’un sch´ema d’ensemble et
d’un sch´ema LES
Les simulations num´eriques des circulations locales incluant une descente d’´echelle (” oneway
” et ” two-way ”) depuis les dimensions synoptiques jusqu’`a celles de la m´eso-echelle
sont largement r´epandues dans la litt´erature et ont montr´e leur efficacit´e (Carlis et al.,
2010; C´ec´e et al., 2014; Jury et al., 2009; Lef`evre et al., 2010; Nguyen et al., 2010; Seaman
et al., 2012; Yang and Chen, 2005). En revanche la descente d’´echelle (” one-way
” et ” two-way ”) depuis la m´eso-´echelle (sch´ema de moyenne d’ensemble 1D) vers la
micro-´echelle (Large Eddy Simulation 3D) est tr`es r´ecente et peu document´ee (Mirocha
and Kirkil, 2010). Cette imbrication d’´echelle n´ecessite d’importants moyens de calcul en
comparaison avec les simulations m´eso-´echelles. Ces besoins ´elev´es de calcul sont principalement
li´es au maillage. La r´esolution minimale requise en LES est de l’ordre de la
centaine de m`etres, alors que les sch´emas de moyenne d’ensemble sont limit´es `a la r´esolution
du kilom`etre. En g´en´eral, le rapport de r´esolution d’imbrication entre deux domaines
est de 3 :1. Dans le cas de l’imbrication m´eso-LES, il sera donc n´ecessaire d’utiliser des
domaines interm´ediaires situ´ees dans la ” terra incognita ” (Wyngaard, 2004) du spectre
de la turbulence. Enfin, la finesse du maillage LES induit des dur´ees de calcul plus longues,
associ´ees `a la diminution du pas de temps et `a l’augmentation de la fr´equence d’appel des
sch´emas de mod´elisation de la physique.
La plupart des ´etudes traitant le sujet ont ´et´e r´ealis´ees `a partir de l’utilisation du syst`eme
coupl´e WRF-LES.
Dans le cas d’imbrication id´ealis´ee (sans couplage avec la m´eso-´echelle) de deux domaines
LES en ” two-way ”, Moeng et al. (2007) ont montr´e un bon transfert des conditions
turbulentes du domaine imbriqu´e vers le domaine parent. Moeng et al. (2007) ont ´enonc´e
les probl`emes qui seraient rencontr´es dans le cas du transfert de ces conditions turbulentes
d’un domaine LES 3D vers un domaine de moyenne d’ensemble 1D m´eso-´echelle :
la diff´erence de pr´ediction du transport turbulent entre les deux domaines (induisant des
biais sur les champs de vent et de temp´erature) et le temps de latence aux conditions
limites (passage des mouvements turbulents LES dans les ´ecoulements laminaires m´eso-
´echelles).
Zhu (2008b) a analys´e un cas r´eel de transport turbulent dans l’ouragan Ivan. Il a utilis´e
simultan´ement 6 domaines avec une r´esolution horizontale comprise entre 8100 m et
100 m. Dans les 3 premiers domaines (m´eso-´echelle), les circulations de la couche limite
cyclonique ont ´et´e r´esolues par le sch´ema YSU. Dans les 3 autres domaines (micro-´echelle),
le mod`ele LES de Smagorinsky a ´et´e s´electionn´e pour r´esoudre les grands tourbillons deChapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 19
la turbulence. Les r´esultats WRF-LES du vent de surface (moyenn´e toutes les 10 min)
ont montr´e une bonne ad´equation avec les donn´ees d’observation. Par une ´etude similaire
WRF-LES, Zhu (2008a) a montr´e que les vents d´evastateurs de l’ouragan Katrina, lors de
son arriv´ee sur les cˆotes am´ericaines, avaient pour principale origine les grands tourbillons
de la turbulence.
L’´evaluation de la ressource ´eolienne, la pr´evision de la puissance ´electrique g´en´er´ee,
la conception d’une ferme ´eolienne, n´ecessitent l’analyse, en conditions m´et´eorologiques
r´eelles, des ´ecoulements moyens et turbulents. L’imbrication m´eso-´echelle – ´echelle large
eddy (” one-way ” et ” two-way ”) commence aussi `a ˆetre appliqu´ee dans le domaine
de l’´energie ´eolienne (Liu et al., 2010; Lundquist et al., 2010; Marjanovic et al., 2010).
Liu et al. (2010) ont montr´e la capacit´e du syst`eme WRF-LES, incluant l’assimilation
de donn´ees d’observation non-maill´ees, `a pr´edire les effets locaux du vent dans une ferme
´eolienne.
Talbot et al. (2012) ont men´e les travaux les plus r´ecents sur l’imbrication de domaines
LES (dont la plus haute r´esolution est de 50 m) dans les domaines WRF m´eso-´echelles. Ils
ont analys´e les performance du syst`eme WRF-LES pour des situations m´et´eorologiques
r´eelles. Talbot et al. (2012) ont r´ealis´e la descente d’´echelle en deux ´etapes, `a l’aide de trois
domaines m´eso-´echelles (de r´esolutions respectives, 12150 m, 4050 m et 1350 m) et de trois
domaines micro-´echelles (de r´esolutions respectives, 450 m, 150 m et 50 m). Le mod`ele
de moyenne d’ensemble YSU a ´et´e utilis´e pour la m´eso-´echelle. Les sorties du domaine
m´eso-´echelle de plus haute r´esolution (1350 m) ont ensuite ´et´e interpol´ees lin´eairement en
temps et en espace pour le for¸cage du domaine LES de plus faible r´esolution (450 m). Les
mod`eles sous-mailles TKE ordre 1,5 et Smagorinsky ont ´et´e test´es en LES. Dans le domaine
de plus haute r´esolution (50 m), Talbot et al. (2012) ont constat´e que les variations
de temp´erature ´etaient bien simul´ees contrairement `a celles de l’humidit´e sp´ecifique. Les
vitesses et les directions du vent simul´e pr´esentaient d’importantes erreurs particuli`erement
durant la nuit. Talbot et al. (2012) n’ont pas remarqu´e de diff´erences significatives
entre les simulations micro-´echelles Smagorinsky et TKE ordre 1,5.
1.4 Simulation num´erique de la dispersion de polluants
: applications du mod`ele FLEXPART-WRF
L’analyse du transport de polluants dans l’air est essentiel dans la pr´evention des risques
sur la sant´e, le suivi de la qualit´e de l’air (pic de pollution r´ecent `a Paris, poussi`eres
du Sahara dans l’arc des Petites Antilles), et la s´ecurit´e a´erienne (´eruptions en 2010 duChapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 20
volcan Eyjafj¨oll en Islande et du volcan de la Soufri`ere de Montserrat). La connaissance
des champs de vent aux diff´erentes ´echelles, macroscopiques et microscopiques, permet de
pr´edire les trajectoires des particules. Les deux m´ethodes principalement connues sont : la
m´ethode eul´erienne et la m´ethode lagrangienne. La m´ethode eul´erienne consiste `a suivre
l’ensemble des concentrations de particule en chaque point du domaine. Cette approche
est tr`es gourmande en m´emoire et en temps de calcul. La m´ethode lagrangienne consiste `a
suivre une particule ou un groupe de particule. Dans cette section, nous nous focaliserons
sur les m´ethodes lagrangiennes et leurs couplages avec le mod`ele m´et´eorologique m´eso-
´echelle WRF.
1.4.1 G´en´eralit´es sur les mod`eles lagrangiens de dispersion de
particules (Hegarty et al., 2013a,b)
Les mod`eles lagrangiens de dispersion de particules suivent un ensemble de particules en
sens direct (” forward ”) depuis une r´egion source et en sens indirect (” backward ”)
depuis un r´ecepteur (lieu de mesures) (Hegarty et al., 2013a). Le transport de chacune
des particules est bas´e sur les champs de vents moyens (provenant d’un mod`ele num´erique
de pr´evision m´et´eorologique) et la composante turbulente du vent obtenue par un mod`ele
sous-maille (Hegarty et al., 2013a). L’´evaluation des mod`eles lagrangiens les plus utilis´es,
HYSPLIT (Hybrid Single Particle Lagrangian Integrated Trajectory), STILT (Stochastic
Time-Inverted Lagrangian Transport) et FLEXPART (FLEXible PARTicle), a montr´e
que ces mod`eles ont les mˆemes performances et que la pr´ecision des simulations d´epend
principalement des donn´ees m´et´eorologiques utilis´ees comme condition initiale et limite
(Hegarty et al., 2013a,b).
1.4.2 Quelques applications du mod`ele FLEXPART-WRF
Le syst`eme FLEXPART-WRF (Brioude et al., 2013) repr´esente le mod`ele lagrangien de
dispersion de particules FLEXPART (Stohl et al., 2005) qui int`egre les champs m´et´eorologiques
m´eso-´echelles du mod`ele WRF (Skamarock et al., 2008) avec le pas de temps
souhait´e. Nous d´ecrirons le mod`ele FLEXPART-WRF dans la section 2.4 du rapport.
Landgren (2011) a utilis´e le mod`ele FLEXPART-WRF (incluant 3 domaines imbriqu´es
de r´esolutions respectives, 9, 3 et 1 km) pour examiner les ´emissions de gaz de trois
volcans : Popocat´epetl (Mexique), Tungurahua (Equateur) et Nyiragongo (R´epublique ´
d´emocratique du Congo). Landgren (2011) a constat´e que le mod`ele FLEXPART-WRFChapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 21
simulait bien les ´emissions de gaz volcaniques mˆeme pour des petites ´echelles (1 km).
Globalement, les mesures de concentration de SO2 ont montr´e une bonne performance du
mod`ele dans deux tiers des cas. Cependant les hauteurs et largeurs du panache ´etaient
biais´ees, le mod`ele pr´esentait une importante propagation du panache. D’apr`es Landgren
(2011), l’am´elioration des donn´ees m´et´eorologiques d’entr´ee pourrait r´eduire ces biais.
Dans une ´etude exp´erimentale et num´erique, de Foy et al. (2011) ont examin´e les panaches
de polluants affectant le bassin du centre-ville de Mexico. Les mesures lidar ont
´et´e compar´ees aux sorties mod`eles FLEXPART-WRF pour plusieurs groupes d’´emissions :
les ´emissions urbaines, les feux de forˆet et les poussi`eres soulev´ees par le vent. Le mod`ele
´etait suffisamment performant pour caract´eriser correctement les types d’a´erosols et leur
ˆage (de Foy et al., 2011).
A l’aide de FLEXPART-WRF, ` Angevine et al. (2013) ont aussi men´e une ´etude du transport
de polluants multi-sources. Ces travaux concernent plusieurs r´egions de la Californie
et deux types de traceurs : les ´emissions automobiles (CO) et l’´emission agricole d’ammoniac.
Sur plusieurs sites de comparaison, les sorties mod`eles ´etaient qualitativement
fid`eles aux observations.
Sandeepan et al. (2013) ont montr´e la capacit´e du mod`ele FLEXPART-WRF `a reproduire
l’effet de serpentement d’un panache bi-modal (p´eriodicit´e de 30 min) durant un
´ecoulement catabatique.
1.5 Etat de l’art sur les circulations locales g´en´er´ees ´
par des ˆıles tropicales
Les effets m´ecaniques des ˆıles sur le flux d’aliz´es continu sont caract´eris´es par un nombre
de Froude local Fr qui est d´efini par (U/Nhm), o`u U est la vitesse du vent, hm est la
hauteur de l’obstacle, et N est la fr´equence de flottabilit´e.
De mani`ere g´en´erale, la litt´erature et en particulier Beucher (2010) analyse les circulations
locales pour chacun des trois types d’ˆıles tropicales suivants : les ˆıles larges (avec Fr ≥ 1
et une largeur > 50 km), les ˆıles montagneuses (avec Fr < 1), ou les ˆıles petites (avec
Fr ≥ 1 et une largeur ≤ 50 km).Chapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 22
1.5.1 Circulations g´en´er´ees par les ˆıles tropicales larges (Fr ≥ 1
et une largeur > 50 km)
Les effets des ˆıles larges sur les vents synoptiques ont ´et´e examin´es pour les ˆıles Tiwi
(Oliphant et al., 2001) et Porto Rico (Jury et al., 2009; Malkus, 1955). Oliphant et al.
(2001) ont montr´e qu’avec une topographie plate de 8000 km2
, les ˆıles Tiwi g´en`erent leur
propre r´egime de circulations locales d’origine thermique, associ´e avec des brises de mer
le jour, et des brises de terre la nuit. Les simulations de la m´et´eorologie m´eso-´echelle
de Porto Rico, `a l’aide du mod`ele Weather Research and Forecast (WRF), ont indiqu´e
comment le r´echauffement diurne et l’orographie agissent sur la structure de la couche
limite convective et le flux d’aliz´es (Jury et al., 2009).
1.5.2 Circulations g´en´er´ees par les ˆıles tropicales montagneuses
(Fr < 1)
En g´en´eral, les ˆıles montagneuses comme l’archipel d’Hawaii (Carlis et al., 2010; Feng
and Chen, 1998; Nguyen et al., 2010; Reisner and Smolarkiewicz, 1994; Smith and Grubiac,
1993; Yang and Chen, 2005), la Nouvelle-Cal´edonie (Lef`evre et al., 2010), l’ˆıle de
la R´eunion (Lesou¨ef et al., 2011), ou les ˆıles des Petites Antilles comme Saint-Vincent
(Smith et al., 1997) et la Dominique (Minder et al., 2013; Smith et al., 2012) auraient
principalement des effets m´ecaniques sur le flux incident (blocage sur la cˆote au vent
et contournements, effets d’acc´el´eration de Venturi, panne de vent et tourbillons dans le
sillage) avec dans certains cas des circulations thermiques apparaissant sur leurs cˆotes
sous le vent.
Les r´esultats de l’´etude num´erique id´ealis´ee de Lesou¨ef et al. (2011) ont montr´e que le
r´egime des ´ecoulements locaux au-dessus de l’ˆıle de la R´eunion variait avec l’intensit´e des
aliz´es. Dans le cas de vitesse de vent synoptique nulle, des circulations thermiques sont
g´en´er´ees par les contrastes de temp´erature entre la terre et la mer, et entre l’air et les
pentes des montagnes. Pour une vitesse de vent synoptique de 5 m.s-1, le r´egime de vent
local est caract´eris´e par une convergence diurne et une divergence nocturne. Des brises
thermiques peuvent se produire sur la cˆote sous le vent. Pour une vitesse de vent synoptique
de 10 m.s-1, la convergence et la divergence de la circulation sont moins marqu´ees.
Les effets thermiques sont inhib´es par les forts aliz´es, cependant il y a des occurrences de
brises sur la cˆote sous le vent.
Durant la campagne de terrain Dominica Experiment (DOMEX), Minder et al. (2013);Chapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 23
Smith et al. (2012) ont observ´e que deux types de r´egimes de vent local apparaissaient
sur la cˆote sous le vent de l’ˆıle montagneuse de la Dominique en fonction de l’intensit´e
des aliz´es. Des vitesses de vent synoptique inf´erieures `a 5 m.s-1 ´etaient associ´ees `a des
´ecoulements anabatiques sur les pentes au vent et sous le vent tandis que celles sup´erieures
`a 8 m.s-1 ´etaient associ´ees `a des fort courants descendant les pentes sous le vent du relief.
1.5.3 Circulations g´en´er´ees par les petites ˆıles (Fr ≥ 1 et une
largeur ≤ 50 km)
Les impacts thermiques des petites ˆıles sur la couche limite atmosph´erique marine ont
´et´e analys´es par des observations et des simulations num´eriques au-dessus de l’ˆıle de la
Barbade, dont le diam`etre est de 40 km (Mahrer and Pielke, 1976; Souza, 1972; Whitehall
et al., 2013) et au-dessus de l’ˆıle de Nauru, dans le Pacifique, dont le diam`etre est de 5 km
(Matthews et al., 2007; Savij¨arvi and Matthews, 2004). Ces ´etudes ont montr´e qu’avec un
important r´echauffement de la surface du sol, les petites ˆıles tropicales peuvent g´en´erer
leurs propres circulations d’origine convective.
Whitehall et al. (2013) ont men´e des simulations WRF d’un ph´enom`ene d’inondations
extrˆemes sur l’ˆıle de la Barbade, durant les aliz´es faibles (vitesse de vent inf´erieure `a
5 m.s-1). Les r´esultats de la mod´elisation ont indiqu´e que le d´eveloppement de nuages
de convection profonde ´etait conditionn´e par deux m´ecanismes de circulation locale.
Premi`erement, un syst`eme de brise de mer induisait une convergence de l’humidit´e dans
les basses couches. Deuxi`emement, la topographie de l’ˆıle (sommet `a 366 m AMSL), entraˆınait
une ´el´evation m´ecanique de cette masse d’air humide.
1.6 Etat de l’art sur l’archipel de la Guadeloupe ´
1.6.1 Contexte m´et´eorologique synoptique
L’archipel de la Guadeloupe est un ensemble d’ˆıles localis´e `a 61,5➦W et 16,3➦N dans la
partie centrale de l’Arc des Petites Antilles (Fig. 1.4). Ces ˆıles travers´ees par les aliz´es ont
un climat tropical insulaire caract´eris´e par deux saisons pr´edominantes (Br´evignon, 2003).
La premi`ere est une saison relativement s`eche avec des pr´ecipitations tr`es peu intenses, appel´ee
le carˆeme. Elle s’´etend de mi-janvier `a mars. La seconde, appel´ee l’hivernage, s’´etend
de juillet `a novembre. Elle se caract´erise par des cumuls de pluie plus ´elev´es. L’intensit´e desChapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 24
Figure 1.4: Carte topographique GeBCO 08 (General Bathymetric Chart of the
Oceans IOC et al. (2003), 30 secondes d’arc de r´esolution) en m : (a) zone de la
Cara¨ıbe ; (b) l’Arc des Petites Antilles.
pr´ecipitations est le facteur marquant principalement la diff´erence entre ces deux saisons.
Les donn´ees d’observation de la station m´et´eorologique du Raizet (RZT, disque rouge,
Fig. 1.5), localis´ee en zone convective, indiquent qu’en f´evrier le cumul moyen mensuel est
de l’ordre de 60,6 mm tandis qu’en octobre il atteint 214,5 mm. Le cycle saisonnier est
une cons´equence de la variation annuelle de la latitude de la zone de convergence intertropicale
(ZCIT). Le cycle annuel des pr´ecipitations observ´ees `a la station m´et´eorologique
du Raizet indique que le carˆeme correspond `a la position la plus australe de la ZCIT,
soit 5➦S, et l’hivernage, `a la position la plus nord soit 10➦N. Br´evignon (2003) a d´ecrit
le r´egime des aliz´es arrivant sur l’Arc antillais. Les aliz´es sont g´en´er´es par l’anticyclone
des A¸cores dans l’Atlantique nord et soufflent vers les basses pressions ´equatoriales en
subissant une d´eviation vers la droite de leur mouvement, li´ee `a la force de Coriolis. La
direction et la force des aliz´es d´epend principalement de la position et de l’intensit´e des
centres anticycloniques et d´epressionnaires sur l’Atlantique. Durant l’ann´ee, les aliz´es sont
en g´en´eral mod´er´es (vitesse de l’ordre de 6 m.s-1). Le passage de perturbations tropicales,
subtropicales ou de fronts peut induire dans leur queue une panne d’aliz´es caract´eris´ee par
des vents tr`es faibles (vitesse inf´erieure `a 5 m.s-1). Le passage des cyclones tropicaux peut
g´en´erer de puissants vents tournants qui ont des vitesses comprises entre 20 et 70 m.s-1
.
1.6.2 Contexte m´et´eorologique local
L’archipel de la Guadeloupe comprend deux ˆıles principales (Fig. 1.5) : la Basse-Terre, une
ˆıle volcanique montagneuse avec une topographie complexe qui s’´el`eve jusqu’`a 1467 m (le
sommet du volcan de la Soufri`ere) et la Grande-Terre, un plateau calcaire avec une faibleChapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 25
topographie qui s’´el`eve jusqu’`a 135 m. Ces deux ˆıles sont s´epar´ees par un canal ´etroit,
la Rivi`ere sal´ee. Ce dernier est bord´e par deux zones d’eaux peu profondes : Le Petit
Cul-de-sac Marin au sud et le Grand Cul-de-sac Marin au nord. D´esirade, Marie-Galante
et Les Saintes sont des petites ˆıles de l’archipel. La particularit´e de la Guadeloupe est la
combinaison de deux types de topographie (Fig. 1.5) : l’ˆıle montagneuse de la Basse-Terre
(Fr < 1 et une largeur ≤ 50 km) et la petite ˆıle, relativement plate, de la Grande-Terre
(Fr > 1 et une largeur ≤ 50 km).
Il y a tr`es peu d’´etudes traitant des circulations locales au-dessus de la Guadeloupe. Dans
la bibliographie, les donn´ees m´et´eorologiques d’observation proviennent principalement
de quatre stations M´et´eo-France (Raizet, D´esirade, Moule, et Grand-Bourg) et d’une
station cˆoti`ere du Laboratoire de Recherche en G´eosciences et Energie (LaRGE), situ´ee `a ´
Arnouville. Ces stations sont respectivement nomm´ees RZT, DES, MOU, GBD, et ARN
(Fig. 1.5).
Figure 1.5: Carte topographique (IGN, 50 m de r´esolution), avec la zone la plus
peupl´ee de l’archipel (rectangle noir), la d´echarge DCH (carr´e marron), la centrale
EDF (croix rouge), le campus de Fouillole (carr´e jaune), le mˆat instrument´e du
laboratoire LaRGE (ARN, triangle vert) et les 4 stations M´et´eo-France, Raizet (RZT,
disque rouge), Moule (MOU, ´etoile magenta), D´esirade (DES, carr´e bleu),
Grand-Bourg de Marie-Galante (GBD, losange noir).
1.6.2.1 Quelques aspects des vents locaux d’apr`es Br´evignon (2003)
En se basant sur des observations en mer et des donn´ees de stations terrestres, Br´evignon
(2003) a pr´esent´e quelques aspects du vent sur l’archipel. Ils ont d´efini trois r´egimes de
circulation locale. Le r´egime au vent : les vents synoptiques continus soufflent sans panneChapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 26
de vent nocturne (cas de DES et MOU, Fig. 1.5). Le r´egime continental insulaire au milieu
de l’archipel, dans les zones terrestres autour du Grand Cul-de-Sac Marin et du Petit Culde-Sac
Marin (cas de ARN, RZT, GBD, Fig. 1.5), avec la nuit, le refroidissement radiatif
du sol qui induit une panne de vent dans les basses couches. Le r´egime sous le vent (incluant
le r´egime orographique), qui est gouvern´e par des effets thermiques et dynamiques
locaux. Le vent est en g´en´eral faible et perturb´e dans la zone sous le vent. Sous des vents
synoptiques faibles, la nuit, des apparitions de faibles brises de terre sur la cˆote au vent de
la Grande-Terre (MOU, Fig. 1.5) ont ´et´e observ´ees. Br´evignon (2003) a publi´e des cartes
de circulations cˆoti`eres (Fig. 1.6) en se basant sur les observations marines empiriques.
Pour un vent d’est, les circulations diurnes et les circulations nocturnes semblent similaires
(Fig. 1.6). On peut observer, de jour comme de nuit, des effets dynamiques de contourneFigure
1.6: Cartes de circulations cˆoti`eres autour de la Guadeloupe durant des vents
synoptiques d’est (d’apr`es Br´evignon (2003)).
ment et d’acc´el´eration du vent, ainsi que des retournements du vent qui apparaissent sur
la cˆote sous le vent de la Basse-Terre. D’apr`es Br´evignon (2003), le ph´enom`ene de brise
de mer–terre serait tr`es discret en Guadeloupe `a cause de la petitesse du territoire. Il a
indiqu´e qu’il n’y aurait pas de retournement du vent jour–nuit mais une simple variation
dans la direction du vent. Les brises thermiques seraient principalement observ´ees le long
de la cˆote sous le vent de la Basse-Terre (Br´evignon, 2003).
1.6.2.2 Campagne exp´erimentale dans la zone cˆoti`ere d’Arnouville (ARN,
D’Alexis et al. (2011))
D’Alexis (2011) a men´e une campagne exp´erimentale de terrain pour analyser les ph´enom`enes
de micro-´echelle dans la couche de surface de mangrove 3
. Entre avril 2007 et avril
3. Milieu naturel cˆotier avec une v´eg´etation semi-immerg´ee domin´ee par les pal´etuviers.Chapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 27
2008, la station m´et´eorologique du Laboratoire de Recherche en G´eosciences et Energie ´
(LaRGE) a enregistr´e des mesures `a 1 Hz et `a 20 Hz. Cette station ´etait localis´ee dans la
zone cˆoti`ere d’Arnouville sur la cˆote au vent de la Basse-Terre (ARN, Fig. 1.5). Les donn´ees
recueillies sur une ann´ee ont montr´e qu’en g´en´eral, sous des aliz´es faibles `a mod´er´es, il
y a des apparitions d’un renversement nocturne du vent dans les bas niveaux verticaux.
Cet ´ecoulement nocturne d’ouest est associ´e `a une chute soudaine de la temp´erature de
l’air `a 2 m AGL. La localisation (une zone cˆoti`ere en bas des pentes au vent de la chaˆıne
de montagnes), pourrait sugg´erer un vent catabatique et–ou une brise de terre. Durant
261 jours de mesure (entre avril 2007 et avril 2008), D’Alexis et al. (2011) ont observ´e
121 jours d’occurrence de cet ´ecoulement nocturne (i.e. une fr´equence d’apparition d’un
jour sur deux). Cette observation indiquerait que durant la campagne exp´erimentale, pr`es
de la moiti´e des nuits ont ´et´e marqu´ees par cet ´ecoulement. Sur l’ann´ee, d´ecembre est le
mois de fr´equence maximale du ph´enom`ene, alors que juin est celui de fr´equence minimale.
D’Alexis et al. (2011) ont constat´e que cet ´ecoulement inverse du vent pouvait s’´etablir
pendant toute la nuit, ou ˆetre intermittent avec le retour des ´ecoulements classiques des
aliz´es. Les circulations nocturnes particuli`eres observ´ees par Br´evignon (2003); D’Alexis
et al. (2011), ont une direction ouest, une vitesse de vent inf´erieure `a 2 m.s-1, et semblent
repousser au large les aliz´es des basses couches.
1.6.2.3 Campagne exp´erimentale dans la zone urbaine de Pointe-`a-Pitre (DCH,
Plocoste (2013); Plocoste et al. (2014))
Plocoste (2013) a men´e une campagne exp´erimentale sur la dispersion des compos´es organiques
volatils de la d´echarge de la Gabarre (DCH, Fig. 1.5) situ´ee dans l’agglom´eration
pointoise, sur la cˆote ouest de la Grande-Terre `a 7 km de ARN. Durant des aliz´es faibles,
Plocoste et al. (2014) ont observ´e la pr´esence d’un renversement nocturne du vent qui
adopte une direction ouest et une vitesse inf´erieure `a 2 m.s-1. Ce flux ´etait associ´e `a
une baisse locale de la temp´erature de l’air. Les mesures de la station RZT (entre 2000 et
2012) ont montr´e que ce ph´enom`ene ´etait plus fr´equent durant le mois de d´ecembre et bien
moins fr´equent au cours du mois de juin (Plocoste, 2013). Cette mˆeme variation annuelle
avait ´et´e constat´ee par D’Alexis et al. (2011) `a la station ARN. Plocoste et al. (2014)
ont attribu´e l’origine de cet ´ecoulement `a la pr´esence d’un ˆılot de chaleur urbain dans la
zone et l’ont d´efini comme une brise urbaine. D’apr`es nous, l’origine purement urbaine de
cet ´ecoulement serait discutable pour les raisons suivantes. Les mesures exp´erimentales de
D’Alexis et al. (2011) effectu´ees dans les mˆemes conditions m´et´eorologiques, sugg´ereraient
que l’´ecoulement d’ouest observ´e par Plocoste (2013) est g´en´er´e, en amont, sur la cˆoteChapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 28
au vent de la Basse-Terre avec une extension vers la Grande-Terre. Les observations du
panache de la centrale EDF de Jarry (Fig. 1.7, 1.8, 1.9) confirmeraient cette extension de
l’´ecoulement vers la cˆote ouest de la Grande-Terre (sous-section 1.6.3).
1.6.2.4 Variabilit´e diurne et spatiale des champs de surface
Au-dessus des ˆıles de l’archipel de la Guadeloupe, la temp´erature de l’air `a 2 m augmente
en g´en´eral de 5➦C entre 6 h et 10 h LT 4
et atteint sa valeur maximale `a 13 h LT (Br´evignon,
2003). Le refroidissement radiatif commence `a la fin de l’apr`es-midi (17 h LT) et la temp´erature
minimale est atteinte le lendemain matin `a 5 h LT.
Durant ses travaux de th`ese, D’Alexis (2011) a examin´e la relation entre le cycle diurne
(moyenn´e sur les six mois de la saison s`eche de l’ann´ee 2008) de la temp´erature de l’air
`a 2 m et celui de la vitesse du vent `a 10 m. La station m´et´eorologique de la D´esirade,
DES, est caract´eris´ee par des vents soutenus (7–8 m.s-1) avec une absence de variations
diurnes de la vitesse du vent `a 10 m. Les donn´ees de vent de cette station peuvent ˆetre
utilis´ees pour d´ecrire de mani`ere grossi`ere le vent synoptique incident. Pour les stations du
Raizet et d’Arnouville, respectivement, RZT et ARN, qui sont sous l’influence du r´egime
continental insulaire, les temp´eratures et les vitesses de vent semblent avoir une ´evolution
horaire quasiment synchronis´ee.
Les cycles diurnes de temp´erature et la moyenne annuelle de la temp´erature de l’air audessus
de la mer (27➦± 0,5➦C) indiquent que le contraste thermique le plus important entre
la terre et la mer apparaˆıt durant la nuit (le contraste mer–RZT atteint 4,7➦C `a 5 h LT). De
plus, les cycles diurnes de la vitesse du vent `a 10 m montrent que les diff´erences majeures
entre le vent synoptique (station DES) et le vent local (stations continentales insulaires)
se produisent `a partir de l’heure du d´ebut de refroidissement radiatif. Ceci peut sugg´erer
que durant la nuit, les circulations locales sont mieux marqu´ees que durant le jour. Dans
le cas de RZT, `a partir de minuit, le plus souvent, il y a une absence totale de vent. A`
cause du refroidissement nocturne, une couche froide de surface se d´eveloppe au-dessus de
la Grande-Terre, et les aliz´es plus chauds sont oblig´es de passer au-dessus de cette couche
(Br´evignon, 2003).
4. Temps local, de l’anglais : Local Time ; en Guadeloupe l’heure LT correspond `a l’heure UTC−4Chapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 29
1.6.3 Impacts des circulations locales nocturnes sur la dispersion
de polluants industriels
1.6.3.1 Centrale EDF diesel Jarry nord
Malgr´e le d´eveloppement des ´etudes sur la caract´erisation de ressources ´energ´etiques renouvelables
dans l’Arc des Petites Antilles (comme l’´energie marine, l’´eolien ou le solaire),
l’´electricit´e est presque exclusivement produite `a partir de sources fossiles. En Guadeloupe,
la principale usine de production d’´electricit´e est la centrale EDF diesel Jarry nord
(Fig. 1.7), situ´ee dans la zone industrielle de Jarry (Petit Cul-de-Sac Marin, Fig. 1.5 et
Fig. 1.8). Cette centrale constitue la premi`ere source industrielle d’´emissions de polluants.
Figure 1.7: Photo des chemin´ees de la centrale ´electrique EDF Jarry nord, [cr´edit
photo : R. C´ec´e 2014].
D’apr`es le Registre fran¸cais des Emissions polluantes ´ , la centrale EDF Jarry nord ´emet
en moyenne chaque ann´ee, 0,5 M´egatonnes de dioxyde de carbone (CO2), 10 kilotonnes
d’oxydes d’azote (NOx) et 3 kilotonnes d’oxydes de soufre (SOx). La dispersion de ces
rejets importants doit ˆetre examin´ee pour pr´evenir les risques sanitaires.Chapitre 1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 30
Figure 1.8: Photo satellite Google earth (8/04/2013) : localisation de la centrale
EDF et du campus UAG, les fl`eches rouges correspondant aux directions (a) et (b) du
panache durant une circulation nocturne d’ouest (Fig. 1.9).
1.6.3.2 Observations du panache de la centrale durant des retournements
nocturnes du vent
Des observations du panache de la centrale EDF Jarry nord nous ont permis de d´etecter, en
d´ebut de matin´ee, le renversement nocturne du vent dans la couche limite stable (Fig. 1.9).
Dans le cas du 14 septembre 2010 `a 7 h 21 LT, le vent dans les basses couches a
une direction nord-ouest, le panache se dirige vers le campus universitaire de Fouillole
(Fig. 1.9a, 1.8). Le radiosondage du jour (lanc´e `a 7 h LT depuis la station RZT) indique
une faible vitesse du vent dans les basse couches (< 0,5 m.s-1, `a 125 m AGL) et une
´epaisseur de la couche limite stable de 400 m.
Dans le cas du 4 novembre 2009 `a 7 h 11 LT, le vent de basses couches a une direction
sud-ouest, le panache se dirige vers le pont de la Gabarre (Pointe-`a-Pitre, Fig. 1.9b, 1.8).
Comme pour la pr´ec´edente situation, l’analyse du radiosondage correspondant montre de
faibles vitesses du vent dans les basses couches (≈ 3 m.s-1 `a 325 m AGL) et une couche
limite stable plus d´evelopp´ee (550 m).
Ces observations confirment la pr´esence d’une circulation d’ouest dans le Petit Cul-de-Sac
Marin, en amont de la zone urbaine de Pointe-`a-Pitre.
Cet ´ecoulement local nocturne d’ouest, soufflant en direction de la partie la plus peupl´ee
de l’archipel en passant par la zone industrielle de Jarry, dans laquelle plusieurs sources
d’´emissions de polluants sont pr´esentes, n´ecessite une analyse 3D de sa structure et des
m´ecanismes de sa formation dans les basses couches de l’atmosph`ere surplombant l’archipel.Chapitre
1. Circulations atmosph´eriques dans les basses couches et leurs effets : ´etude
bibliographique 31
Figure 1.9: Photos du panache de la centrale EDF de Jarry (prise de vue depuis le
campus de Fouillole UAG, Fig. 1.8) : (a) direction du vent nord-ouest, photo prise le
14/09/2010 `a 7 h 21 LT ; (b) direction du vent sud-ouest, photo prise le 4/11/2009 `a
7 h 11 LT [cr´edits photos : D. Bernard 2009-2010].Chapitre 2
M´ethodologie et outils de simulation
2.1 M´ethodologie g´en´erale
Les travaux de mod´elisations num´eriques pr´esent´es ont deux objectifs principaux. Premi`erement,
l’analyse des m´ecanismes m´eso- et micro-´echelles qui induisent des circulations
locales diurnes et nocturnes sur les ˆıles de la Guadeloupe. Deuxi`emement, l’´etude des
effets de ces circulations sur la dispersion du panache de la source industrielle la plus polluante
de l’archipel. Pour atteindre ces objectifs, la m´ethodologie suivante a ´et´e adopt´ee
(Fig. 2.1).
Nous avons choisi trois situations m´et´eorologiques r´eelles d´ependant de la vitesse du flux
incident des aliz´es et excluant les perturbations synoptiques pluvieuses : les aliz´es faibles
(AF), les aliz´es soutenus (AS), et les aliz´es moyens (AM), correspondant aux p´eriodes
respectives, 3/12/2007 6 h UTC–5/12/2007 6 h UTC 1
, 14/12/2007 6 h UTC–16/12/2007
6 h UTC, et 24/12/2007 6 h UTC–26/12/2007 6 h UTC.
Pour ces trois types de temps nous avons simul´e, `a l’aide du mod`ele WRF ARW V3.4.1,
une descente d’´echelle ” two-way ” jusqu’`a 1 km de r´esolution (m´eso-´echelle), avec l’assimilation
des donn´ees d’analyse mondiale FNL NCEP (NCEP (ment), 110 km de r´esolution)
aux conditions limites du domaine de plus basse r´esolution. Quatre domaines imbriqu´es,
D01, D02, D03 et D04 (de r´esolutions respectives 27, 9, 3 et 1 km) ont ´et´e employ´es, le domaine
D04 couvrant la totalit´e de l’archipel de la Guadeloupe (Fig. 2.10). L’intervalle de
temps des sorties mod`eles est horaire. La turbulence de la CLP est mod´elis´ee par le sch´ema
1. Temps universel coordonn´e, de l’anglais : Universal Time Coordinated ; en Guadeloupe l’heure UTC
correspond `a l’heure LT+4
32Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 33
d’ensemble 1D YSU (Hong et al., 2006). Les ´echanges sol–atmosph`ere gouvernent le bilan
´energ´etique de surface et sont succeptibles d’induire des circulations locales d’origine
thermique et dynamique. Afin d’obtenir des simulations pertinentes, il est n´ecessaire de
disposer de cartes d’occupation des sols r´ealistes, d´ecrivant avec pr´ecision les diff´erentes
cat´egories succeptibles d’exister dans le territoire `a ´etudier. Pour la descente d’´echelle
m´eso-´echelle, deux exp´eriences num´eriques ont ´et´e r´ealis´ees. La premi`ere, ” M´eso-A ”,
inclut dans le domaine D04 la carte d’occupation des sols USGS Advanced Very High
Resolution Radiometer (AVHRR) d’1 km de r´esolution qui r´esulte d’analyses d’images
satellites datant de 1992 (Anderson et al., 1976; Eidenshink and Faundeen, 1994). La
seconde, ” M´eso-A’ ”, inclut dans le domaine D04 la carte d’occupation des sols Coordination
of Information on the Environment (Corine Land Cover, CLC2006), de 23 m
de r´esolution qui a ´et´e produite `a partir d’images satellites plus r´ecentes, de 2006 (EEA,
2007). Les r´esultats de l’exp´erience M´eso-A ont ´et´e publi´es par C´ec´e et al. (2014). L’article
est pr´esent´e dans la section 3.1.1 du rapport. Les r´esultats de l’exp´erience M´eso-A’ nous
permettent d’´evaluer l’impact de la carte d’occupation des sols Corine 2006 sur les circulations
locales g´en´er´ees par la Guadeloupe. Les champs de surface simul´es dans le domaine
D04 sont ´evalu´es `a l’aide des donn´ees d’observation de 5 stations m´et´eorologiques.
Les simulations micro-´echelles WRF-LES sont r´ealis´ees `a l’aide de deux nouveaux domaines
(Fig. 2.10) : D05 (333 m de r´esolution) et D06 (111 m de r´esolution). Le domaine
D05 inclut l’ˆıle de la Basse-Terre et la cˆote ouest de la Grande-Terre. Le domaine D06
couvre la zone du Petit Cul-de-Sac Marin incluant la zone d’Arnouville (ARN), la zone
industrielle de Jarry et Pointe-`a-Pitre. Les domaines D05 et D06 ont une imbrication ”
one-way ”. Les conditions limites du domaine D05 sont d´efinies par les sorties horaires du
domaine m´eso-´echelle D04 via une fonction d’interpolation WRF ” NDOWN ” (avec une
m´ethode spline cubique). WRF-LES r´esoud explicitement en 3D les ´echelles de production
et de transport de l’´energie cin´etique turbulente tandis que sa dissipation est mod´elis´ee
par le mod`ele de fermeture TKE d’ordre 1,5. L’intervalle de temps des sorties WRF-LES
pour les deux domaines est de 10 minutes. Le choix de cet intervalle de temps repose sur
deux contraintes, le volume des donn´ees de sortie (150 Mo par sortie) et la possibilit´e de
comparer les donn´ees num´eriques avec des donn´ees d’observations de station. Ces champs
simul´es infra-horaires sont ´evalu´es `a l’aide des donn´ees d’observation du mˆat instrument´e
ARN (la direction DD et la vitesse UU du vent horizontal `a 10 m AGL, la temp´erature de
l’air `a 2 m AGL T2, le flux de chaleur sensible HFX, l’´energie cin´etique turbulente TKE,
etc.).
Enfin, nous avons utilis´e un couplage WRF-LES-FLEXPART pour ´etudier la pollution
de la centrale diesel EDF de Jarry. La dispersion du panache de NOx de la centrale estChapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 34
simul´ee pour des p´eriodes de 24 h pour chaque type de temps. Le mod`ele lagrangien
FLEXPART-WRF est forc´e toutes les 10 minutes avec les sorties WRF-LES. Les simulations
WRF-LES-FLEXPART sont r´ealis´ees dans le domaine LES D06. Les concentrations
de NOx simul´ees par le syst`eme WRF-LES-FLEXPART sont moyenn´ees et sauv´ees toutes
les 10 minutes. Ces sorties sont compar´ees, graphiquement, avec les donn´ees d’observation
de l’unique station de mesure de la qualit´e de l’air dans la zone (station de Pointe-`a-Pitre
de l’association agr´e´ee de surveillance de la qualit´e de l’air en Guadeloupe, Gwad’air).Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 35
Figure 2.1: Sch´ema r´ecapitulatif de la m´ethodologie adopt´ee.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 36
2.2 S´election des trois situations m´et´eorologiques ´etudi´ees
2.2.1 Classification des types de temps
Nous utiliserons la classification climatologique des types de temps dans les Petites Antilles
et la Guyane, d´ecrite dans le rapport de stage de K. Morvan (R´ealisation d’une
climatologie et dune classification en type de temps sur les Petites Antilles et la Guyane,
Universit´e des Antilles et de la Guyane, M´et´eo-France, 2011). Cette classification obtenue
par des k-moyennes est fond´ee sur 20 ans d’observations des stations m´et´eorologiques locales
et sur les champs de r´e-analyses Era-Interim du Centre europ´een pour les pr´evisions
m´et´eorologiques `a moyen terme (CEPMMT, en anglais : European Center for Medium
range Weather Forecasting, ECMWF). Elle utilise les variables r´e-analys´ees suivantes : la
vitesse du vent horizontal `a 850 hPa, la vitesse du vent vertical `a 600 hPa, la divergence
du vent horizontal `a 200 hPa, la pression au niveau de la mer (Pmer), la temp´erature de
l’air `a 2 m, la temp´erature de l’air `a 925 hPa et la temp´erature potentielle du thermom`etre
mouill´e `a 850 hPa.
Pour simuler et examiner les circulations du vent local g´en´er´ees par l’archipel de la Guadeloupe,
trois types de temps issus de cette classification ont ´et´e choisis. Le for¸cage principal
est la vitesse du flux incident des aliz´es, en conformit´e avec la m´ethode pr´esent´ee par Lesou¨ef
et al. (2011) et Smith et al. (2012).
Les aliz´es faibles (AF), les aliz´es moyens (AM), et les aliz´es soutenus (AS) sont associ´es
`a des vitesses de vent respectives de 3, 6, et 12 m.s-1. D’apr`es Br´evignon (2003) les AM
repr´esentent le type de temps le plus fr´equent durant l’ann´ee (60% des cas). Les AS et AF
constituent chacun 10% des cas durant l’ann´ee, les 20% des cas restants correspondent aux
fortes perturbations pluvieuses (les fronts d´epressionnaires, les ondes d’est, les cyclones,
etc.).
Dans le but d’´etudier les m´ecanismes qui induisent les retournements nocturnes du vent
des basses couches `a ARN, les jours simul´es ont ´et´e s´electionn´es durant la p´eriode de la
campagne exp´erimentale de D’Alexis (2011), soit d’avril 2007 `a juin 2008.
Le mois de d´ecembre a ´et´e choisi car ce mois, correspondant `a l’initiation de la saison
s`eche, inclut aussi bien l’apparition des trois types de temps (AS, AM et AF), l’absence
de fortes perturbations synoptiques que des fr´equences ´elev´ees des retournements nocturnes
du vent.
A partir de ces crit`eres, nous avons s´electionn´e trois p´eriodes de 48 heures, correspondant `Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 37
respectivement aux situations m´et´eorologiques, AF, AS, et AM : 3/12/2007 6 h UTC–
5/12/2007 6 h UTC, 14/12/2007 6 h UTC–16/12/2007 6 h UTC, et 24/12/2007 6 h UTC–
26/12/2007 6 h UTC (avec le temps UTC correspondant `a LT+4). Les observations effectu´ees
`a partir des images radar M´et´eo-France montrent une couverture nuageuse tr`es
faibles durant ces trois p´eriodes (Fig. 2.2). La couverture nuageuse pr´esente sur la chaˆıne
de montagne de la Basse-Terre, durant les AS (Fig. 2.2a) est caract´eristique d’un r´egime
orographique.
Figure 2.2: Donn´ees d’observation du radar de M´et´eo-France (250 m de r´esolution)
`a 16 h LT : (a) le 15 d´ecembre 2007 (AS), (b) le 24 d´ecembre 2007 (AM) et (c) le 3
d´ecembre 2007 (AF).
2.2.2 Circulations synoptiques de basses couches pour les dates
simul´ees
Pour d´ecrire les circulations synoptiques de basses couches correspondant `a chaque type
de temps (AF, AS, et AM), les champs de surface FNL (NCEP (ment), 1➦ de r´esolution)
sont examin´es dans la zone centrale de l’oc´ean Atlantique (latitudes comprises entre 5➦N
et 35➦N et longitudes comprises entre 70➦W et 10➦W). Le flux d’aliz´es arrivant sur les Antilles
est principalement conditionn´e par la position et la force des cellules anticycloniques
des A¸cores et des Bermudes.
Durant les AF, le 3 d´ecembre 2007 `a 12 h UTC, la faible cellule anticyclonique des Bermudes
est s´epar´ee de celle des A¸cores par un creux barom´etrique (avec une Pmer minimale
de 1005 hPa). Nous observons un front d´epressionnaire de 1012 hPa (22➦N, 54➦W,
Fig. 2.3a) qui induit, dans sa queue, une zone de vents faibles affectant la Martinique,
la Dominique et la Guadeloupe (Fig. 2.3b). Sur l’Arc des Petites Antilles, le gradient
de pression horizontale a une faible valeur de 0,2 hPa sur 100 km (Fig. 2.3a). Les aliz´es
arrivant sur la Guadeloupe ont une direction nord-est et une vitesse inf´erieure `a 5 m.s-1
(Fig. 2.3b).Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 38
Figure 2.3: Champs de surface FNL (NCEP (ment), 1➦ de r´esolution) durant AF le
3/12/2007 `a 12h UTC : (a) Pmer en hPa ; (b) vitesse UU du vent horizontal `a 10 m
en m.s-1
.
Durant les AS, le 14 d´ecembre 2007, le fort anticyclone des Bermudes est en position
basse, l’isobare 1024 hPa est positionn´ee `a 25➦N (Fig. 2.4a). Il y a un resserrement des
isobares, le gradient de pression horizontale atteint sur l’Arc des Petites Antilles, la valeur
de 0,6 hPa sur 100 km. Les aliz´es incidents ont des vitesses ´elev´ees de 12 m.s-1 et une
direction est-nord-est quasi-uniforme (Fig. 2.4b). La l´eg`ere d´ec´el´eration du vent autour
de la Martinique, de la Dominique et de la Guadeloupe pourrait sugg´erer un freinage du
flux par l’orographie de ces ˆıles montagneuses.
Durant les AM, le 24 d´ecembre 2007, les deux cellules anticycloniques sont en position
haute (Fig. 2.5a). Elles sont s´epar´ees par un faible creux barom´etrique (avec une Pmer
minimale de 1018 hPa). Les AM sont caract´eris´es par des vents d’est mod´er´es arrivant
sur les Petites Antilles (7 m.s-1, Fig. 2.5b). Sur l’Arc, le gradient de pression horizontale a
une valeur moyenne de 0,4 hPa sur 100 km. Au passage de l’Arc antillais, le flux d’aliz´es
subit une d´ec´el´eration de 2 m.s-1 (Fig. 2.5b).Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 39
Figure 2.4: Champs de surface FNL (NCEP (ment), 1➦ de r´esolution) durant AS le
14/12/2007 `a 12h UTC : (a) Pmer en hPa ; (b) vitesse UU du vent horizontal `a 10 m
en m.s-1
.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 40
Figure 2.5: Champs de surface FNL (NCEP (ment), 1➦ de r´esolution) durant AM le
24/12/2007 `a 12h UTC : (a) Pmer en hPa ; (b) vitesse UU du vent horizontal `a 10 m
en m.s-1
.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 41
2.3 Mod`ele num´erique m´eso-´echelle de pr´evision m´et´eorologique
: WRF ARW V3.4.1
2.3.1 Description du mod`ele d’apr`es les ´etudes de Skamarock
et al. (2008) et Wang et al. (2010)
Le mod`ele Weather Research and Forecasting ARW (WRF ARW, Skamarock et al. (2008))
est un mod`ele atmosph´erique non-hydrostatique et compressible con¸cu par le National
Center for Atmospheric Research (NCAR). WRF ARW est largement utilis´e en recherche
scientifique et en pr´evision op´erationnelle. C’est un code num´erique dit open-source (libre
de t´el´echargement, d’utilisation et de d´eveloppement). WRF est principalement support´e
et d´evelopp´e par la Mesoscale and Microscale Meteorology Division du NCAR. Ce mod`ele
m´et´eorologique permet une grande vari´et´e de mod´elisations de l’atmosph`ere : des applications
depuis l’´echelle globale jusqu’`a l’´echelle LES, des descentes d’´echelle dynamiques ”
one-way ” ou ” two-way ”, des simulations id´ealis´ees ou r´eelles incluant le for¸cage par des
champs de mod`eles globaux (type GFS, FNL, ou des r´e-analyses Era-Interim), des assimilations
de donn´ees d’observation en temps r´eel pour la pr´ediction... Il contient plusieurs
conditions de limites lat´erales avec un ensemble d’options de param´etrisation physique.
2.3.1.1 Architecture
Wang et al. (2010) ont d´ecrit l’architecture du mod`ele WRF (Fig. 2.6). Pour des simulations
de cas r´eels, le programme WRF Preprocessing System (WPS) est utilis´e. Ses
fonctions permettent : de d´efinir les domaines de simulation ; d’interpoler les donn´ees
terrestres statiques (comme la topographie et l’occupation des sols) sur les domaines de
simulation ; et d’interpoler les donn´ees m´et´eorologiques maill´ees d’un autre mod`ele (GFS,
FNL NCEP, Era-Interim, ...). Les donn´ees d’observation non maill´ees (stations m´et´eorologiques,
radar, ...) peuvent ˆetre ´egalement int´egr´ees, filtr´ees et valid´ees par le syst`eme
d’assimilation WRF-Var ou le syst`eme d’analyse OBSGRID. Le coeur dynamique ARW
utilise les sch´emas de second et troisi`eme ordre de Runge-Kutta pour g´en´erer les pr´evisions.
Les sorties WRF peuvent ˆetres lues et trait´ees par plusieurs outils de visualisation (VAPOR,
NCAR Command Language (NCL), ou RIP4). Le programme MET permet de les
formater pour leur assimilation dans WPS.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 42
Figure 2.6: Architecture du mod`ele WRF ARW (d’apr`es Wang et al. (2010)).
2.3.1.2 Principales ´equations r´esolues
Le coeur dynamique ARW r´esout les ´equations d’Euler non-hydrostatiques et compressibles
(Skamarock et al., 2008). Le mod`ele suit la philosophie de Ooyama (1990), ces
´equations sont exprim´ees sous forme de flux de variables conservatrices (i.e., la chaleur, la
quantit´e de mouvement, etc.). Les ´equations sont formul´ees en utilisant une coordonn´ee
verticale hydrostatique, η, qui d´epend des variations topographiques (Kasahara, 1974;
Laprise, 1992).
Coordonn´ee verticale η et variables associ´ees
La coordonn´ee verticale d´ependant de la pression hydrostatique (ph = ρgH) et donc de
la topographie, est appel´ee η et d´efinie par :
η = (ph − pht)/µd o`u µd = phs − pht. (2.1)
ph est la pression hydrostatique, pht et phs, repr´esentent respectivement, les pressions
hydrostatiques au sommet et `a la surface. Les valeurs de η sont normalis´ees et varient
entre 1 `a la surface et 0 au sommet du mod`ele (Fig. 2.7). Avec µd(x,y) repr´esentant laChapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 43
masse de la colonne d’air sec par unit´e de surface au point (x,y), les variables s’´ecrivent :
V = µdv = (U, V, W), Ω = µdη,˙ Θ = µdθ. (2.2)
v = (u, v, w) sont les vitesses covariantes en 3D (base vectorielle), ω = ˙η est la vitesse
verticale contravariante (vitesse associ´ee au changement de coordonn´ee verticale), θ est
la temp´erature potentielle. Dans les ´equations gouvernantes de ARW, les variables nonconserv´ees
suivantes apparaissent : le g´eopotentiel φ = gz (avec g l’acc´el´eration de la
pesanteur), la pression p, et le volume massique α = 1/ρ.
Figure 2.7: Niveaux verticaux η dans WRF ARW avec pht et phs, respectivement, les
pressions hydrostatiques au sommet et `a la surface (d’apr`es Skamarock et al. (2008)).
Equations d’Euler incluant l’humidit´e ´
En utilisant la coordonn´ee verticale adimensionnelle η et les variables associ´ees d´ecrites
ci-dessus, Skamarock et al. (2008) ont ´ecrit les ´equations d’un fluide parfait compressible,
le long de la colonne d’air (axe-η). Ces ´equations sont dites d’Euler et ont ´et´e pr´esent´eesChapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 44
par Laprise (1992), pour les avantages qu’elles offrent en simulation atmosph´erique nonhydrostatique
:
∂tU + (∇.Vu) + µdα∂xp + (α/αd)∂ηp∂xφ = FU (2.3)
∂tV + (∇.Vv) + µdα∂yp + (α/αd)∂ηp∂yφ = FV (2.4)
∂tW + (∇.Vw) − g[(α/αd)∂ηp − µd] = FW (2.5)
∂tΘ + (∇.Vθ) = FΘ (2.6)
∂tµd + (∇.V) = 0 (2.7)
∂tφ + µ
−1
d
[(V.∇φ) − gW] = 0 (2.8)
∂tQm + (∇.Vqm) = FQm (2.9)
en incluant la relation diagnostique pour le volume massique d’air sec,
∂ηφ = −αdµd, (2.10)
et l’´equation d’´etat des gaz atmosph´eriques
p = p0(Rdθm/p0αd)
γ
. (2.11)
γ = cp/cv = 1.4 est le rapport de capacit´e thermique pour l’air sec, Rd est la constante
des gaz parfaits pour l’air sec, et p0 est la pression de r´ef´erence (1000 hPa). Les termes
FU , FV , FW , FΘ et FQm repr´esentent les for¸cages provenant de la physique du mod`ele, du
m´elange turbulent, de la vapeur d’eau, des projections sph´eriques et de la rotation de la
Terre. Les ´equations 2.3 et 2.4 repr´esentent les ´equations de la quantit´e de mouvement
horizontale. Les ´equations 2.5, 2.6, 2.7, 2.8 et 2.9 d´ecrivent respectivement, la quantit´e de
mouvement verticale, l’´equation thermodynamique, l’´equation de continuit´e, l’´equation
de la hauteur du g´eopotentiel et l’´equation de l’humidit´e. Skamarock et al. (2008) ont
exprim´e ces ´equations eul´eriennes humides sous forme de perturbations par rapport `a un
´etat de r´ef´erence (avec les variables d´efinies suivant la d´ecomposition de Reynolds (1947)
p = ¯p(¯z)+p
0
, φ = φ¯(¯z)+φ
0
, α = ¯α(¯z)+α
0
, µd = ¯µd(x, y)+µ
0
d
) et en utilisant des facteurs
d’´echelle et des termes rotationnels.
Maillage ARW d´ecal´e : Arakawa-C
La r´esolution num´erique des ´equations d´efinies dans la section pr´ec´edente (Eq. 2.3-2.8) se
fait `a l’aide d’un maillage d´ecal´e. Les grandeurs vectorielles (U, V , W, Ω et φ) sontChapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 45
moyenn´ees sur les arˆetes de la maille et les grandeurs scalaires (µ, θ, qv et ql) sont
moyenn´ees au centre de la maille (Fig. 2.8). Ce sch´ema est d´enomm´e Arakawa de type C
du nom d’un de ses cr´eateurs (Arakawa and Lamb, 1977), il est particuli`erement utilis´e
dans les r´esolutions d’´ecoulements g´eophysiques (oc´ean et atmosph`ere).
Figure 2.8: Maille individuelle de la grille Arakawa-C avec les grandeurs vectorielles
(U, V , W, Ω et φ) et les scalaires (µ, θ, qv et ql) (Skamarock and Dudhia, 2014).
2.3.1.3 Sch´emas de param´etrisation physique
Les cat´egories de param´etrisation physique disponibles dans WRF sont : la microphysique,
la convection, la couche de surface, la surface du sol (canop´ee), le rayonnement
et la couche limite plan´etaire (CLP) (Skamarock et al., 2008). Les interactions entre les
sch´emas de param´etrisation ont ´et´e r´esum´ees par Dudhia (2014) dans la Fig. 2.9.
La microphysique r´esout explicitement 2
les processus suivants : les changements d’´etats
de la vapeur d’eau, la formation nuageuse et les pr´ecipitations.
Les sch´emas de convection sont responsables de la prise en compte des ph´enom`enes se
produisant `a l’´echelle de la sous-maille, provenant de nuages de convection profonde et
peu profonde : repr´esentation des flux verticaux associ´es aux mouvements ascendants et
descendants. Ces sch´emas sont importants car ils permettent de r´eduire le coˆut de calcul
qui serait n´ecessaire `a la r´esolution de ces ph´enom`enes avec un maillage plus fin.
2. L’´etat actuel est calcul´e uniquement `a l’aide des ´etats pr´ec´edents.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 46
Figure 2.9: Interactions entre les sch´emas de param´etrisation physique du mod`ele
WRF ARW (Dudhia, 2014).
Les sch´emas de couche de surface calculent les vitesses de friction et les coefficients
d’´echange. Ces variables permettent le calcul des flux de chaleur et d’humidit´e dans les
mod`eles de surface et le calcul du tenseur des contraintes de surface dans les sch´emas de
couche limite plan´etaire (CLP).
Les mod`eles de surface utilisent l’information atmosph´erique fournie par la couche de surface,
le rayonnement et la microphysique (pr´ecipitations) pour produire les flux de chaleur
et d’humidit´e associ´es aux variables d’´etat du sol et aux propri´et´es de surface (rugosit´e,
alb´edo, ...).
Les sch´emas de CLP d´eterminent les profils de flux dans la couche limite de m´elange et
la couche stable. Ces sch´emas fournissent des ´evolutions spatio-temporelles de la temp´erature,
de l’humidit´e et de la quantit´e de mouvement horizontal dans la colonne atmosph´erique.
Enfin, les sch´emas de rayonnement mod´elisent la divergence du flux radiatif (r´eflexion,
diffusion, effets des nuages) et les flux des grandes et courtes longueurs d’onde arrivant `a
la surface.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 47
2.3.2 Configurations utilis´ees
2.3.2.1 Preprocessing WPS
Domaines de simulation
Les simulations WRF incluent 6 domaines imbriqu´es dont les zones de couverture et
les r´esolutions ont ´et´e s´electionn´ees en fonction des objectifs de la mod´elisation et des
recommandations de Skamarock et al. (2008) (comme le rapport de r´esolution entre un
domaine parent et un domaine imbriqu´e de [3 :1]).
Dans le but de simuler les circulations locales m´eso-´echelles induites par les interactions
entre les vents synoptiques et des petites ˆıles comme la Guadeloupe, nous avons utilis´e
une descente d’´echelle ” two way ” avec quatre domaines (D01, D02, D03, D04, de r´esolutions
respectives en km : 27, 9, 3, 1)(Fig. 2.10). Le domaine de plus basse r´esolution,
D01, couvre une grille de 80 x 80 mailles [longitude x latitude] dans la zone centrale de
l’Atlantique (de l’Am´erique du Sud `a la R´epublique Dominicaine). Le domaine D02 couvre
une grille de 121 x 109 mailles dans l’Arc des Petites Antilles. Le domaine D03 couvre
une grille de 112 x 91 mailles dans la zone d´elimit´ee par la Dominique et les ˆıles de Saint
Kitts et N´evis. Le dernier domaine imbriqu´e, D04, couvre une grille de 130 x 112 mailles
sur l’archipel de la Guadeloupe.
Figure 2.10: Cartes des domaines imbriqu´es : en blanc D01 (27 km de r´esolution),
en cyan D02 (9 km de r´esolution), en gris D03 (3 km de r´esolution), en jaune D04
(1 km de r´esolution), en vert D05 (333 m de r´esolution) et en rouge D06 (111 m de
r´esolution).
Dans le but d’´etudier, `a la micro-´echelle, les circulations nocturnes particuli`eres observ´ees
`a ARN et leurs effets dans la zone la plus peupl´ee de l’archipel, deux autres domaines
ont ´et´e associ´es `a notre ´etude (Fig. 2.10) : le D05 et le D06 (de r´esolutions respectives,Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 48
333 m et 111 m). Le domaine D05 couvre une grille de 120 x 129 mailles sur l’ˆıle de la
Basse-Terre et la cˆote ouest de la Grande-Terre. Enfin le dernier domaine imbriqu´e D06
est compos´e de 165 x 69 mailles sur la zone du Petit Cul-de-Sac Marin, incluant la zone
d’Arnouville, la zone industrielle de Jarry et Pointe-`a-Pitre.
Topographie
La topographie des trois domaines de plus faibles r´esolutions (D01, D02 et D03) a ´et´e
interpol´ee `a partir des donn´ees fournies par l’US Geological Survey 3
(USGS, 30 secondes
d’arc de r´esolution). La topographie des trois autres domaines (D04, D05 et D06) a ´et´e
interpol´ee depuis la carte topographique de l’Institut G´eographique National 4
(IGN) dont
la r´esolution est de 50 m. L’impact de la r´esolution sur la repr´esentation du relief de la
Guadeloupe est illustr´e par la comparaison de la topographie des domaines D04, D05 et
D06 (Fig. 2.11).
Figure 2.11: Cartes topographiques (m AMSL) interpol´ees `a partir des donn´ees IGN
(50 m de r´esolution) : (a) D04 (1 km de r´esolution), (b) D05 (333 m de r´esolution),
(c) D06 (111 m de r´esolution) ; avec la station num´erique VER (triangle jaune), le
mˆat instrument´e ARN (triangle vert) et la centrale ´electrique EDF (croix rouge).
3. Institut d’´etudes g´eologiques des Etats-Unis, de l’anglais : United States Geological Survey ´
4. Institut National de l’Information G´eographique et Foresti`ereChapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 49
Occupation des sols
Les circulations locales sont g´en´eralement g´en´er´ees par des contrastes thermiques de surface.
Donc leur mod´elisation num´erique implique une bonne repr´esentation de la carte
d’occupation des sols. Pour notre application au cas de l’archipel de la Guadeloupe, nous
avons pr´ealablement utilis´e une carte d’occupation des sols tr`es bien r´ef´erenc´ee dans la
bibliographie : les donn´ees globales USGS 5
(ULC24) avec 1 km de r´esolution (Anderson
et al., 1976; Eidenshink and Faundeen, 1994). Cette carte d’occupation des sols, r´ealis´ee
`a partir des donn´ees satellites du Radiom`etre Avanc´e `a Tr`es Haute R´esolution AVHRR
(1992–1993, Eidenshink and Faundeen (1994)), a ´et´e employ´ee dans l’exp´erience M´eso-A.
Dans le cadre des simulations micro-´echelles, il ´etait pr´ef´erable de disposer de donn´ees
dont la r´esolution est sup´erieure ou ´egale `a la taille d’une maille du domaine D06 (111 m).
De plus, dans un souci de r´ealisme, la date de la carte d’occupation des sols devait correspondre
avec notre p´eriode de simulation (2007).
Les donn´ees de la carte d’occupation des sols Corine Land Cover 2006 (EEA, 2007) pour
les d´epartements d’outremer, bas´ee sur l’interpr´etation des images des satellites SPOT et
Landsat, ont ´et´e r´ecemment mises en ligne. Ces donn´ees, qui incluent une classification
en 50 classes d’occupation des sols, ont une r´esolution 1 : 100000 (un pixel de 23 m pour
la Guadeloupe).
Le sch´ema de canop´ee Noah-LSM (Chen and Dudhia, 2001), utilis´e dans la configuration
de nos simulations WRF, est param´etr´e `a partir des 24 cat´egories USGS d’occupation
du sol. Pour int´egrer la nouvelle carte d’occupation des sols, la conversion des 50 classes
Corine en 24 classes USGS est n´ecessaire. Pineda et al. (2004) ont propos´e un tableau
d’´equivalences entre les cat´egories Corine et les cat´egories USGS (Tab. 2.1).
En nous basant sur l’analyse de Pineda et al. (2004), nous avons donc converti les 50 classes
de la carte d’occupation des sols de la Guadeloupe Corine 2006 en 24 classes USGS pour
obtenir la carte CLC24 6
(Fig. 2.12). Cette repr´esentation de tr`es haute r´esolution est tr`es
r´ealiste (Fig. 2.12) : on y observe l’agglom´eration pointoise (au centre de l’archipel), la
domination des forˆets de feuillus sur l’ˆıle de la Basse-Terre et celle des terres cultiv´ees sur
la Grande-Terre. La pr´ecision de la carte nous permet aussi d’observer la zone aride du
crat`ere de la Soufri`ere (Fig. 2.12).
La comparaison, `a 1 km de r´esolution (domaine D04), des cartes USGS AVHRR (ULC24)
(Fig. 2.13a) et Corine CLC24 (Fig. 2.13b) montre d’importants biais dans l’occupation
des sols ULC24. Tout d’abord, contrairement `a la repr´esentation CLC24, la ligne de cˆote
ULC24 semble avoir un d´ecalage sud-est avec la ligne de cˆote World Vector Shoreline
5. Carte d’occupation des sols USGS global land cover avec 24 cat´egories (1992)
6. Carte d’occupation des sols Corine Land Cover (2006) convertie aux 24 cat´egories d´efinies par USGSChapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 50
Tableau 2.1: Equivalences entre les 50 classes de la Corine Land Cover 2006 DOM ´
et les 24 classes de l’USGS AVHRR 1992 (Pineda et al., 2004).
Corine Description Corine USGS Description USGS Albedo Rugosit´e
1–11 Zones urbaines, industrielles 1 Zones urbaines, industrielles 0,15 1,00
12 Terres cultiv´ees non irrigu´ees 2 Terres cultiv´ees non irrigu´ees 0,19 0,07
13-14 Terres irrigu´ees en permanence, 3 Terres cultiv´ees irrigu´ees 0,15 0,07
rizi`eres
15–21 Vignobles, vergers et petits fruits, 6 Terres cultiv´ees/forˆets 0,15 0,07
oliveraies, canne `a sucre,
bananeraies, palmeraies, caf´eiers
22 Prairies 2 Terres cultiv´ees non irrigu´ees 0,19 0,07
23–26 Cultures annuelles et permanentes, 6 Terres cultiv´ees/forˆets 0,15 0,07
syst`emes complexes de culture,
zones agricoles et espaces naturels,
territoires agro-forestiers
27 Forˆets de feuillus 11 Forˆets de feuillus 0,12 0,80
28 Forˆets de conif`eres 14 Forˆets de conif´eres 0,10 1,09
29–30 Forˆets m´elang´ees, mangroves 15 Forˆets m´elang´ees 0.12 0.80
31 Pelouses et pˆaturages naturels 7 Pelouses 0,19 0,08
32–34 Landes et broussailles, v´eg´etation 9 Arbustes et pelouses 0,23 0,05
V´eg´etation scl´erophylle,
forˆet et v´eg´etation arbustive
35–38 Plages, dunes et sable, roches nues 19 Zones arides et 0,12 0,01
V´eg´etation clairsem´ee, v´eg´etation clairsem´ee
zones incendi´ees
39 Glaciers et neiges ´eternelles 24 Neige et glacier 0,70 0,001
40–44 Marais int´erieurs, salines, tourbi`eres 17 v´eg´etation basse 0,12 0,04
Marais maritimes, marais salants, en zones innond´ees
zones intertidales
45–50 Eaux continentales, eaux maritimes 16 Surfaces d’eau 0,19 0,001
(NOAA, 2014). De plus, la domination de l’occupation des sols de l’archipel par les savanes
et les terres cultiv´ees non irrigu´ees semble irr´ealiste (Fig. 2.13a). Cette carte ne
montre pas les diff´erences entre la v´eg´etation de l’ˆıle plate de la Grande-Terre et celle du
relief de la Basse-Terre qui est soumis `a un r´egime pluvieux plus intense. Enfin les zones
urbaines de la carte ULC24 semblent tr`es mal repr´esent´ees.
Suite `a cette comparaison graphique, le choix a ´et´e fait d’effectuer de nouvelles simulations
m´eso-´echelles (M´eso-A’) en int´egrant l’occupation des sols CLC24 dans le domaine D04.
Les effets de la CLC24 sur les circulations locales de l’archipel (1 km de r´esolution) sont
examin´es `a la section 3.1.2. La CLC24 est aussi utilis´ee dans les domaines micro-´echelles :
D05 et D06.
La configuration des donn´ees g´eographiques pour les six domaines de simulation estChapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 51
Figure 2.12: Carte d’occupation des sols de l’archipel de la Guadeloupe CLC24 (23 m
de r´esolution) : Corine Land Cover 2006 dont les 50 cat´egories ont ´et´e converties en
24 cat´egories USGS, avec le rectangle noir repr´esentant l’agglom´eration pointoise.
Figure 2.13: Comparaison des cartes d’occupation des sols de l’archipel de la
Guadeloupe `a 1 km de r´esolution (D04) avec la ligne de cˆote World Vector Shoreline
(NOAA, 2014), (1) les zones urbaines, (2) les terres cultiv´ees non irrigu´ees, (6) les
m´elanges de terres cultiv´ees et de forˆets, (7) les pelouses, (8) les arbustes, (9) les
m´elanges d’arbustes et de pelouses, (10) les savanes, (11) les forˆets de feuillus, (13)
les forˆets denses, (14) les forˆets de conif`eres, (15) les forˆets m´elang´ees mangroves
incluses, (16) les surfaces d’eau, (17) les v´eg´etations basses en zones inond´ees, (18) les
surfaces bois´ees en zones inond´ees, (21) la toundra bois´ee : (a) USGS ULC24
(M´eso-A), (b) Corine CLC24 (M´eso-A’).
r´esum´ee dans le tableau 2.2.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 52
Tableau 2.2: Configuration des six domaines de simulation.
D01 D02 D03 D04 D05 D06
R´esolution [m] 27000 9000 3000 1000 333 111
Nombre de mailles [lon. x lat.] 80 x 80 121 x 109 112 x 91 130 x 112 120 x 129 165 x 69
Superficie [km2
] 4665600 1068309 91728 14560 1584 140
Topographie USGS 30 s IGN 50 m
Occupation des sols M´eso-A ULC24 30 s ULC24 30 s CLC24 23 m
Occupation des sols M´eso-A’ ULC24 30 s CLC24 23 m CLC24 23 m
Sch´ema de turbulence Sch´ema de moyenne d’ensemble 1D Sch´ema LES 3D
Donn´ees m´et´eorologiques globales pour l’assimilation du mod`ele WRF ARW
Les donn´ees globales du syst`eme NCEP FNL (Final) Operational Global Analysis (NCEP,
ment) ont ´et´e int´egr´ees toutes les 6 heures, dans le mod`ele WRF. Ces champs de donn´ees,
dont la maille est de 1➦(≈ 110 km) et le pas de temps de six heures, sont en t´el´echargement
libre. Les analyses NCEP FNL sont disponibles pour des dates post´erieures au 30/07/1999
18 h UTC. Les donn´ees proviennent du syst`eme d’assimilation de donn´ees mondiales
(GDAS), qui recueille, en continu, les donn´ees d’observation depuis le syst`eme de t´el´ecommunications
globales (GTS). Les sorties d’analyses FNL incluent des champs `a la
surface et sur 26 niveaux verticaux levels entre 1000 mb et 10 mb. Les param`etres disponibles
comprennent la pression de surface, la pression au niveau de la mer, la hauteur
du g´eopotentiel, la temp´erature, la temp´erature de surface du sol et de la mer, l’humidit´e
relative, les composantes horizontales du vent, les mouvements verticaux, la vorticit´e et
la teneur en ozone.
2.3.2.2 Param´etrisations WRF ARW
Caract´erisation des niveaux verticaux
Les exp´eriences M´eso-A et M´eso-A’ comportent respectivement 71 et 70 niveaux verticaux
m´edians (centres des mailles verticales) avec un premier niveau vertical `a une altitude de
13 m AGL (Fig. 2.14b). Le sommet du mod`ele est limit´e au niveau de pression 50 hPa dans
l’exp´erience M´eso-A et `a la tropopause 100 hPa dans l’exp´erience M´eso-A’ (Fig. 2.14a).
Le mod`ele fournit les variables de surface classiques avec la temp´erature `a 2 m AGL (T2)
qui est calcul´ee `a partir de la temp´erature du premier niveau vertical et de celle de la
surface du sol, tandis que pour le vent `a 10 m AGL, le calcul est bas´e sur la th´eorie des
similitudes de Monin-Obukhov.
Suivant les recommandations de Skamarock et al. (2008), la distance entre les niveauxChapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 53
Figure 2.14: Niveaux verticaux m´edians (WRF) pour les exp´eriences M´eso-A (croix
bleues) et M´eso-A’ (cercles rouges) : (a) profils lin´eaires en fonction du niveau de
pression (hPa) et (b) profils logarithmiques en fonction de l’altitude (km).
verticaux est inf´erieure `a 900 m (Fig. 2.14b). Dans le but d’´etudier les circulations locales
induites dans la CLA par l’orographie et les contrastes thermiques de surface, nous
avons d´efini dans les deux exp´eriences 43 niveaux verticaux dans les couches inf´erieures `a
3000 m AGL, en incluant 23 niveaux dans les 1000 premiers m`etres (Fig. 2.14b).
Les simulations WRF-LES micro-´echelles (D05 et D06) comportent les mˆemes niveaux
verticaux que ceux de l’exp´erience M´eso-A’.
P´eriodes simul´ees et intervalles de temps des sorties mod`eles
A m´eso- et micro-´echelle, la dur´ee des p´eriodes simul´ees est de 60 heures pour les trois `
cas, AF (du 2 d´ecembre 2007 18 h UTC au 5 d´ecembre 2007 6 h UTC), AS (du 13
d´ecembre 2007 18 h UTC au 16 d´ecembre 2007 6 h UTC) et AM (du 23 d´ecembre 2007
18 h UTC au 26 d´ecembre 2007 6 h UTC). Aussi bien en m´eso-´echelle qu’en micro-´echelle,
les r´esultats des 12 premi`eres heures ne sont pas pris en compte dans notre analyse, car
ils correspondent `a la p´eriode classique du temps de latence du mod`ele, appel´ee ” spin-up
” (Hu et al., 2010).
Les sorties mod`eles m´eso-´echelles (D01, D02, D03 et D04) sont sauvegard´ees toutes les
heures. Suivant la m´ethode de Talbot et al. (2012), les champs simul´es horaires du domaine
D04 sont utilis´es par la suite comme conditions limites du domaine LES D05 via une
fonction d’interpolation spline cubique, appel´ee ” NDOWN ”. Les sorties WRF-LES des
domaines D05 et D06 sont sauvegard´ees toutes les 10 minutes.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 54
Param´etrisations physiques m´eso- et micro-´echelles
Les sch´emas de physique utilis´es dans nos travaux `a la m´eso-´echelle et `a la micro-´echelle
correspondent aux param´etrisations les plus fr´equemment employ´ees dans les ´etudes num´eriques
utilisant le mod`ele WRF.
Dans les domaines m´eso-´echelles (D01, D02, D03 et D04), la couche limite plan´etaire
(CLP) est mod´elis´ee par le sch´ema de moyenne d’ensemble non-local-K YSU (Hong et al.,
2006) associ´e `a la diffusion horizontale Smagorinsky du premier ordre. Les ´etudes comparatives
des sch´emas de CLP du mod`ele WRF ont montr´e que le sch´ema YSU ´etait
le plus performant en couche limite convective (Hu et al., 2010; Shin and Hong, 2011).
Cependant, en condition de stabilit´e nocturne, le sch´ema YSU (versions WRF ant´erieures
`a la 3.4.1 utilis´ee ici) avait tendance `a inhiber le gradient de vent vertical, ceci ´etant en
parti dˆu `a un m´elange vertical excessif (Hu et al., 2013). La r´eduction du m´elange vertical
nocturne dans la version 3.4.1 du code WRF ARW a permis d’am´eliorer la pr´ediction des
vitesses du vent des basses couches durant la nuit (Hu et al., 2013). Le sch´ema YSU a
aussi montr´e de bonnes performances dans les ´etudes de couplage micro-´echelle WRF-LES
(Talbot et al., 2012; Zhu, 2008a,b).
Dans les domaines micro-´echelles (D05 et D06), la couche limite plan´etaire (CLP) est
r´esolue explicitement par le sch´ema LES 3D avec la fermeture 3D TKE d’ordre 1.5 (d´ecrit
`a la sous-section 1.3.4).
Dans les six domaines de simulation, la param´etrisation de la couche de surface est bas´ee
sur la th´eorie des similitudes de Monin-Obukhov.
La microphysique est mod´elis´ee par le sch´ema WRF Single-Moment 6-class WSM6 (Hong
and Lim, 2006) qui est pr´ef´erable pour les simulations de haute r´esolution au sch´ema
WRF Single-Moment 3-class WSM3 utilis´e par Lef`evre et al. (2010).
Pour la param´etrisation du rayonnement `a ondes longues et du rayonnement `a ondes
courtes, les sch´emas RRTM (Mlawer et al., 1997) et Dudhia (Dudhia, 1989) sont respectivement
s´electionn´es. Les ˆıles volcaniques des Petites Antilles, comme la Martinique, la
Dominique et la Guadeloupe ont une topographie complexe. Dans le but de mieux simuler
les for¸cages radiatifs, les effets de pente et d’ombre ont ´et´e ajout´es pour les domaines D03,
D04, D05 et D06.
Le mod`ele de surface Noah Land Surface Model (Chen and Dudhia, 2001) est s´electionn´e.
Il inclut le calcul de l’humidit´e et de la temp´erature dans quatre couches du sol.
Dans le domaine D01, le sch´ema Kain-Fritsch (Kain, 2004) est ajout´e pour mod´eliser
la convection. Dans les 5 autres domaines, le mod`ele r´esout explicitement la convection.
D’apr`es Skamarock et al. (2008), les sch´emas de convection doivent ˆetre appliqu´es sur des
mailles de taille sup´erieure `a 10 km.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 55
L’option de variation de la temp´erature de surface de la mer en fonction du rayonnement
est activ´ee. Cette option permet de simuler le cycle diurne de la temp´erature de surface
de la mer.
Pas de temps de calcul
Pour maximiser les pas de temps de calcul tout en maintenant le mod`ele num´eriquement
stable, nous avons utilis´e une m´ethode de pas de temps adaptatif bas´ee sur les conditions
de stabilit´e Courant-Friedrichs-Lewy (CFL). Trois param`etres doivent ˆetre pr´ealablement
d´efinis en fonction de la r´esolution du domaine (∆x, en km). Skamarock et al. (2008)
recommandent un pas de temps de d´epart de 6∆x, un pas de temps minimal de 4∆x et
un pas de temps maximal de 8∆x.
Le pas de temps adaptatif a ´et´e employ´e pour les simulations m´eso-´echelles (Tab. 2.3). Son
utilisation pour les simulations LES entraˆınait des erreurs et des interruptions de calcul.
Nous avons donc fix´e les pas de temps de calcul des domaines D05 et D06 (Tab. 2.3).
Tableau 2.3: Pas de temps de calcul pour les six domaines de simulation.
D01 D02 D03 D04 D05 D06
∆x = 27 km ∆x = 9 km ∆x = 3 km ∆x = 1 km ∆x = 0.3 km ∆x = 0.1 km
Pas de temps de d´epart (s) 162 54 18 6 ∅ ∅
∆t = 6∆x
Pas de temps minimal (s) 108 36 12 4 ∅ ∅
∆t = 4∆x
Pas de temps maximal (s) 216 72 24 8 ∅ ∅
∆t = 8∆x
Pas de temps constant (s) ∅ ∅ ∅ ∅ 1,2 0,4
∆t = 4∆x
Conditions initiales
Les conditions initiales incluent aussi bien les conditions au sol (topographie, occupation
des sols, ...) que les champs m´et´eorologiques interpol´es provenant des analyses globales
du mod`ele NCEP FNL (NCEP, ment), dont la maille est de 110 km. Ces champs maill´es
comportent des variables 2D au sol et des variables 3D qui seront interpol´ees sur les
niveaux verticaux de la simulation.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 56
Conditions aux limites
Les conditions aux limites lat´erales des six domaines de simulation sont configur´ees par une
zone de sp´ecification (zone entourant le domaine d’´epaisseur ´egale `a une maille) et par la
zone de relaxation (zone suivant entourant le domaine d’´epaisseur ´egale `a quatre mailles).
Les valeurs des conditions sont impos´ees dans la zone de sp´ecification, puis propag´ees
dans la zone de relaxation (Davies and Turner, 1977) permettant d’´eviter les instabilit´es
induits par d’´eventuels gradients ´elev´es.
Tableau 2.4: Conditions aux limites des simulations WRF pour les six domaines
´etudi´es.
D01 D02 D03 D04 D05 D06
Sommet Vitesse verticale w nulle
Surface Conditions du sol (topographie, rugosit´e, alb´edo, ...)
Bords lat´eraux NCEP-FNL Sorties D01 Sorties D02 Sorties D03 Sorties D04 Sorties D05
Intervalle de temps 6 h ∆tD01 ∆tD02 ∆tD03 1 h ∆tD05
Imbrication Two-way One-way
Dans le cas des simulations `a la m´eso-´echelle, les conditions aux limites lat´erales du premier
domaine (D01, 27 km de maille) proviennent des champs m´et´eorologiques NCEP-FNL
(NCEP, ment) interpol´es, 2D et 3D, toutes les six heures (Tab. 2.4). Pour les trois autres
domaines (D02, D03 et D04), les conditions aux limites sont ´etablies par imbrication :
c’est le domaine parent qui fixe les conditions lat´erales du domaine fils `a chaque pas de
temps.
Dans le cas des simulations `a la micro-´echelle, les conditions aux limites lat´erales du
premier domaine (D05, 333 m de maille) sont ´etablies par les sorties interpol´ees, 2D et
3D, du domaine D04 (1 km de r´esolution), toutes les heures. Les conditions limites du
domaine D06 sont d´efinies par les r´esultats du domaine D05.
Le sommet de l’atmosph`ere, d´efini respectivement dans les simulations M´eso-A et M´esoA’,
`a 50 hPa et 100 hpa, est param´etr´e par une condition de vitesse verticale nulle.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 57
2.4 Mod`ele lagrangien de dispersion de particules :
FLEXPART-WRF
2.4.1 Description
Le mod`ele lagrangien de dispersion de particules FLEXPART (Stohl et al., 2005) a ´et´e
con¸cu initialement pour simuler, aux larges et moyennes ´echelles, la dispersion de polluants
provenant de sources industrielles, tels les accidents au sein d’une centrale nucl´eaire,
les incendies de plateforme industrielle, etc. FLEXPART simule le transport, la diffusion,
les d´epˆots secs et humides, et la d´esint´egration radioactive des traceurs lib´er´es
depuis des sources (point, ligne, surface ou volume). La dynamique de ce code permet
des simulations directes (la dispersion des traceurs depuis leur source), ou indirectes
(d´etermination des sources potentielles pour des r´ecepteurs connus). Ce mod`ele utilise
les donn´ees m´et´eorologiques mondiales comme les pr´edictions du mod`ele Global Forecast
System (GFS, Han and Pan (2011); Yang et al. (2006)) fournies avec une r´esolution
sup´erieure ou ´egale `a 0,5➦. Dans le cas des moyennes et petites ´echelles, c’est le mod`ele
coupl´e FLEXPART-WRF qui a ´et´e d´evelopp´e pour mod´eliser la dispersion de particules
(Brioude et al., 2013). Tout comme FLEXPART, le code FLEXPART-WRF ´ecrit en Fortran
95 est en libre t´el´echargement sous la licence GNU General Public Licence (GPL).
2.4.1.1 Int´egration des donn´ees m´et´eorologiques WRF
Le transport des polluants dans le code num´erique FLEXPART-WRF est forc´e par des
champs de variables m´et´eorologiques WRF (Tab. 2.5).
Les sorties du mod`ele WRF sont maill´ees sur une grille Arakawa C-grid avec des niveaux
verticaux η suivant la topographie. Les composantes du vent horizontal et vertical sont
d´efinies sur grille d´ecal´ee. Dans le mod`ele FLEXPART-WRF, les vents sont interpol´es
sur le centre des mailles, de telle sorte que toutes les donn´ees m´et´eorologiques soient sur
la mˆeme grille. Les donn´ees WRF 3-D sont interpol´ees dans FLEXPART-WRF, sur des
niveaux cart´esiens suivant la topographie.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 58
Tableau 2.5: Variables des sorties WRF requises et optionnelles pour le for¸cage du
mod`ele FLEXPART-WRF (Brioude et al., 2013).
Variable WRF Dimension Description
ZNW 1D Valeur Eta des niveaux verticaux Eta
ZNU 1D Valeur Eta `a la moiti´e des niveaux verticaux
PB 3D Valeur de la pression `a l’´etat de r´ef´erence en Pa
P 3D Perturbation sur la pression en Pa
PHB 3D Valeur du g´eopotentiel `a l’´etat de r´ef´erence en m2
.s-2
PH 3D Perturbation sur le g´eopotentiel en m2
.s-2
T 3D Perturbation de temp´erature potentielle en K
QVAP 3D Rapport de m´elange de vapeur d’eau en kg.kg-1
TKE 3D Energie cin´etique turbulente en m ´ 2
.s-2 (optionnel)
XLAT 2D Latitude en degr´e nord
XLONG 2D Longitude en degr´e est
MAPPAC M 2D Facteur d’´echelle de la carte
PSFC 2D Pression `a la surface en Pa
U10 2D Vitesse du vent horizontal `a 10 m suivant l’axe x
V10 2D Vitesse du vent horizontal `a 10 m suivant l’axe y
T2 2D Temp´erature `a 2 m en K
Q2 2D Humidit´e sp´ecifique `a 2 m en kg.kg-1
SW 2D Rayonnement solaire incident en W.m-2 (optionnel)
RAINNC 2D Pr´ecipitation r´esolue explicitement en mm (optionnel)
RAINC 2D Pr´ecipitation convective en mm (optionnel)
HFX 2D Flux de chaleur sensible `a la surface en W.m-2 (optionnel)
UST 2D Vitesse de friction en m.s-1 (optionnel)
HCLA 2D Hauteur de la couche limite atmosph´erique en m (optionnel)
Type 1 des variables de vent int´egr´ees
U 3D Vitesse du vent horizontal suivant l’axe x en m.s-1
V 3D Vitesse du vent horizontal suivant l’axe y en m.s-1
W 3D Vitesse du vent suivant l’axe z en m.s-1
Type 2 des variables de vent int´egr´ees
AVGFLX RUM 3D Vitesse du vent horizontal suivant l’axe x, pond´er´ee sur la masse
et moyenn´ee sur l’intervalle de temps, en Pa.m.s-1
AVGFLX RVM 3D Vitesse du vent horizontal suivant l’axe y, pond´er´ee sur la masse
et moyenn´ee sur l’intervalle de temps, en Pa.m.s-1
AVGFLX WWM 3D Mouvement vertical, pond´er´e sur la masse
et moyenn´e sur l’intervalle de temps, en Pa.m.s-1
MU 2D Perturbation de la masse d’air dans la colonne en Pa
MUB 2D Masse d’air de r´ef´erence dans la colonne en Pa
Type 3 des variables de vent int´egr´ees
U 3D Vitesse du vent horizontal suivant l’axe x en m.s-1
V 3D Vitesse du vent horizontal suivant l’axe y en m.s-1
WW 3D Mouvement vertical de la masse d’air en Pa.s-1
2.4.1.2 Param´etrisation de la couche limite atmosph´erique et de la turbulence
Par d´efaut, deux param`etres de couche limite WRF sont utilis´es : la vitesse de friction et
le flux de chaleur sensible. Stohl et al. (2005) ont indiqu´e que ces param`etres peuvent ˆetre
calcul´es dans FLEXPART en appliquant la m´ethode du profil (Berkowicz and Prahm,
1982) au vent (10 m et second niveau vertical) et `a la temp´erature (2 m et second niveau
vertical). Une option (SFC OPTION) permet d’int´egrer la hauteur de la couche limite
simul´ee par WRF ou d’effectuer son calcul dans FLEXPART par la m´ethode de la valeur
critique du nombre de Richardson (Stohl et al., 2005; Vogelezang and Holtslag, 1996).
Dans ce cas, la HCLA est atteinte pour le premier niveau vertical pour lequel le nombre
de Richardson d´epasse la valeur critique de 0,25.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 59
Quatre options sont disponibles pour la param´etrisation du vent turbulent dans la couche
limite (Brioude et al., 2013) :
1. Le traitement de la turbulence est d´esactiv´e.
2. Le m´elange turbulent de la couche limite est trait´e par le sch´ema de turbulence
Hanna (Hanna, 1982). Ce sch´ema est bas´e sur les param`etres suivants : la hauteur
de couche limite (HCLA), la longueur de Monin-Obukhov, l’´echelle de la vitesse de
convection, la longueur de rugosit´e et la vitesse de friction. En fonction du r´egime
de la couche limite, instable, stable ou neutre, diff´erents profils turbulents sont
utilis´es. Le sch´ema de turbulence Hanna peut ˆetre associ´e `a une param´etrisation
de couche limite convective. Dans ce cas la turbulence gaussienne est remplac´ee
par la formulation de Luhar et al. (1996).
3. Les composantes du vent turbulent sont calcul´ees `a partir de l’´energie cin´etique
turbulente (TKE) fournie par WRF. La TKE est r´epartie entre les composantes horizontales
et verticales suivant la couche de surface et la stabilit´e locale param´etr´ee
par le sch´ema de turbulence Hanna.
4. La TKE des sorties WRF est utilis´ee. La TKE est r´epartie d’apr`es l’´equilibre entre
l’´energie turbulente de production et celle de dissipation.
Au-dessus de la CLP, la turbulence est bas´ee sur une diffusivit´e verticale constante de
0,1 m2
.s-1 dans la stratosph`ere et une diffusivit´e horizontale de 50 m2
.s-1 dans la troposph`ere
libre (Stohl et al., 2005). La stratosph`ere et la troposph`ere sont diff´erenci´ees par
une valeur seuil de 2 pvu (potential vorticity units).
2.4.1.3 Calcul de la trajectoire des particules
Comme d´ecrit par Stohl et al. (2005), FLEXPART utilise un sch´ema du type ” acc´el´eration
nulle ”. L’´equation de la trajectoire (Stohl et al., 1998) est une ´equation diff´erentielle du
premier ordre,
dX
dt = v[X(t)] (2.12)
qui est int´egr´ee `a l’aide d’un sch´ema d’int´egration num´erique du premier ordre de type
Euler :
X(t + ∆t) = X(t) + v(X, t)∆t, (2.13)
o`u t est le temps, ∆t l’incr´ement de temps, X le vecteur position et v = ¯v + vt + vm, le
vecteur du vent incluant le vent de la maille ¯v, les fluctuations du vent turbulent vt et les
fluctuations du vent `a la m´eso-´echelle vm.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 60
Le transport des particules est calcul´e `a partir des donn´ees m´et´eorologiques (principalement
les vents) interpol´ees `a la position de la particule (Stohl et al., 2005) tandis que la
dispersion turbulente est bas´ee sur la r´esolution des ´equations de Langevin.
2.4.2 Configurations de nos simulations
L’objectif principal des simulations WRF-LES-FLEXPART est d’analyser les effets des
circulations locales sur la dispersion d’un panache de polluants industriels dans la zone
la plus peupl´ee de l’archipel pour trois cas r´eels de situation m´et´eorologique (AS, AM et
AF).
Nous nous sommes int´eress´es `a la source industrielle la plus polluante de l’ˆıle : la centrale
diesel EDF de Jarry nord, situ´ee dans le Petit Cul-de-Sac Marin (Fig. 1.5, 1.7, 1.8, 1.9).
D’apr`es le Registre fran¸cais des Emissions polluantes ´ , la centrale EDF Jarry nord ´emet
chaque ann´ee, 10 kilotonnes d’oxydes d’azote en ´equivalent NO2 (NOx = NO + NO2).
Seules les ´emissions de NOx sont r´epertori´ees dans ce registre, le rapport du m´elange NO–
NO2 n’est pas disponible. Nous avons donc analys´e les concentrations d’oxyde d’azote
NOx produites par la combustion du diesel dans la centrale, durant les trois types de
temps (AS, AM et AF). La couleur brune, caract´eristique du NO2, nous permet d’´evaluer
visuellement la structure du panache depuis des photos d’observation (Fig. 1.7, 1.9).
Les simulations de la dispersion du NOx ´emis depuis les chemin´ees de la centrale sont
effectu´ees dans le domaine LES D06 (Fig. 2.10, 2.11) `a l’aide de FLEXPART.
2.4.2.1 P´eriodes de simulation et intervalles de temps des sorties mod`eles
Les dur´ees des p´eriodes simul´ees sont de 24 heures pour les trois cas : AF (du 3 d´ecembre
2007 16 h UTC au 4 d´ecembre 2007 16 h UTC), AS (du 14 d´ecembre 2007 16 h UTC au
15 d´ecembre 2007 16 h UTC) et AM (du 24 d´ecembre 2007 16 h UTC au 25 d´ecembre
2007 16 h UTC).
Les sorties WRF-LES du domaine D06 sont utilis´ees pour forcer toutes les 10 minutes
le mod`ele FLEXPART. Les sorties de concentration de NOx sont moyenn´ees sur 10 minutes
et sauvegard´ees toutes les 10 minutes. Nous avons choisi d’employer le mˆeme intervalle
de temps pour l’int´egration dans FLEXPART des sorties WRF-LES et pour les
sauvegardes des concentrations WRF-LES-FLEXPART, pour limiter toute mod´elisation
suppl´ementaire des champs m´et´eorologiques par FLEXPART et les ´eventuels biais associ´es.Chapitre
2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 61
2.4.2.2 Caract´erisation des niveaux verticaux
Pour simuler les effets des circulations locales sur la dispersion du panache de NOx, 38
niveaux verticaux, allant de 10 `a 3000 m AGL ont ´et´e employ´es (Fig. 2.15). Tout comme
dans le mod`ele WRF, les niveaux verticaux FLEXPART suivent les variations de la topographie.
Figure 2.15: Profil vertical des 38 niveaux verticaux FLEXPART-WRF.
2.4.2.3 Param´etrisation du panache de NOx de la centrale EDF
D’apr`es le site internet du Registre fran¸cais des Emissions polluantes ´ , la centrale EDF
Jarry nord a ´emis en 2007 9,790 kilotonnes d’oxydes d’azote en ´equivalent NO2. En partant
de ce chiffre, la masse totale de NOx ´emise par la centrale durant les simulations
de 24 heures est de 26,820 tonnes. Le nombre total de particules simul´ees durant les 24
heures, est ´etabli `a 100000 avec un taux d’´emission constant (toutes les 10 minutes).
Les dimensions de la colonne d’´ejection des particules, sont d´etermin´ees en fonction des
coordonn´ees g´eographiques des chemin´ees de la centrale, de leur hauteur et des observations
de l’extension verticale du panache en couche limite atmosph´erique neutre. La
distance entre les deux chemin´ees est inf´erieure `a la taille de la maille du domaine D06
(111 m). Nous consid´erons donc, une unique colonne d’´ejection pour les deux chemin´ees
sur la grille du domaine. La colonne d’´ejection s’´etend horizontalement sur un rectangle
d´elimit´e par le coin inf´erieur gauche (16.23518➦N, 61.5543➦W) et le coin sup´erieur droit
(16.23559➦N, 61.5537➦W). La colonne d’´ejection s’´etend verticalement depuis la hauteur
des chemin´ees (≈ 60 m AGL) jusqu’`a la hauteur du panache observ´ee en couche limite
neutre (≈ 600 m AGL).Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 62
2.4.2.4 Param´etrisations physiques
Brioude et al. (2012) ont montr´e que l’utilisation des champs de vitesse verticale instantan´ee
WRF, entrainait des biais dans les zones de topographie complexe. Pour pr´evenir
ces incertitudes, les simulations ont ´et´e effectu´ees en int´egrant les champs de vitesses
moyenn´ees WRF : les composantes horizontales et verticales de la vitesse sont pond´er´ees
sur la masse et moyenn´ees sur l’intervalle de temps. Dans notre cas, ces champs de vitesses
sont moyenn´ees sur 10 minutes. D’apr`es Brioude et al. (2013), les champs de vitesses
moyenn´ees WRF permettent de r´eduire les incertitudes sur la mod´elisation de la trajectoire
des particules dans FLEXPART.
Les sorties num´eriques WRF-LES n’incluent pas la hauteur de la couche limite atmosph´erique
(HCLA), FLEXPART d´etermine ce param`etre en se basant sur la valeur critique du
nombre de Richardson.
Nous avons utilis´e les deux param´etrisations de turbulence qui permettent l’int´egration
des champs de TKE produits par WRF-LES (description dans la partie 2.4.1.2). Durant
nos simulations, l’activation de la param´etrisation de la turbulence bas´ee sur l’´equilibre
entre la production et la dissipation de la TKE, a entrain´e des instabilit´es num´eriques
g´en´erant des valeurs invalides. Donc nous avons finalement opt´e pour l’utilisation d’une
seule param´etrisation : la r´epartition de la TKE WRF-LES suivant des coefficients de
stabilit´e du sch´ema Hanna (Hanna, 1982).
2.5 Donn´ees m´et´eorologiques d’observation pour l’´evaluation
du mod`ele WRF ARW3
2.5.1 Radiosondages journaliers (Universit´e du Wyoming)
Pour ´evaluer nos premi`eres simulations nous avons jug´e utile d’effectuer des comparaisons
des param`etres sur toute la troposph`ere `a l’aide des donn´ees fournies par les radiosondages.
Cependant un seul radiosondage est disponible une fois par jour pour la zone de la Guadeloupe
(station RZT de l’a´eroport du Raizet), soit pour les trois simulations de 48 heures,
seulement six profils observ´es. Pour avoir des points de comparaison suppl´ementaires,
d’autres stations de radiosondage (12 h UTC) ont ´et´e utilis´ees : BAR (ID 78954, Barbade)
et SXM (ID 78866, Saint-Martin) qui sont localis´ees dans le domaine D02, TRI
(ID 78970, Trinidad), PTR (ID 78526, Porto-Rico), et SDM (ID 78486, R´epublique Dominicaine)
qui sont localis´ees dans le domaine D01 (Fig. 2.16).Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 63
Il faut noter que les radiosondages ont approximativement la moiti´e du nombre des niveaux
verticaux simul´es par WRF. Pour calculer les estimateurs d’erreur pr´esent´es dans
la section 2.7, les radiosondages observ´es et les profils verticaux mod´elis´es sont interpol´es
(avec une m´ethode spline cubique) aux mˆemes niveaux de pression (1000, 950, 925, 900,
850, 800, 700, 650, 600, 500, 400, 300, 250, 200, 150, et 100 hPa).
Le mod`ele int`egre les profils d’observation via les analyses NCEP FNL `a 12 h UTC. Pour
estimer la capacit´e du mod`ele WRF `a pr´edire la stratification, les profils verticaux WRF
`a 11 h UTC sont ´evalu´es.
Les r´esultats des 35 comparaisons (TRI a un radiosondage manquant) `a chaque niveau,
entre les profils interpol´es observ´es et simul´es sont pr´esent´es dans la section 3.1.1 du
rapport.
Figure 2.16: G´eolocalisation des radiosondages (TRI, BAR, RZT, SXM, PTR, et
SDM : carr´es rouges), des bou´ees du r´eseau NDBC-NOAA (ATL, CAR, POR, et
BAH : cercles bleus) au sein des quatre premiers domaines (D01, D02, D03, D04)
employ´es dans les simulations WRF m´eso-´echelles, de r´esolutions respectives de 27, 9,
3 et 1 km.
2.5.2 Bou´ees m´et´eorologiques du National Data Buoy Center
Les donn´ees d’observation de la surface de la mer sont extraites de quatre bou´ees du
National Data Buoy Center (http://www.ndbc.noaa.gov/) : la bou´ee POR (ID 41043,
21,061➦N, 64,966➦W, au nord de Porto-Rico) localis´ee dans le domaine 2, la bou´ee BAH
(ID 41046, 23,838➦N, 68,333➦W, au large des Bahamas), la bou´ee CAR (ID 42059, 15,058➦N,
67,528➦W, en mer des Cara¨ıbes) et la bou´ee ATL (ID 41040, 14,516➦N, 53,024➦W, dansChapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 64
l’oc´ean Atlantique), qui sont localis´ees dans le domaine 1 (Fig. 2.16).
Les donn´ees d’observation horaires ´etudi´ees sont les moyennes 10 min des variables suivantes
: la temp´erature de la surface de la mer, la temp´erature de l’air `a 4 m au-dessus
du niveau de la mer (AMSL), la vitesse et la direction du vent `a 5 m AMSL. Les quatre
bou´ees ont une pr´ecision de 1➦C pour la temp´erature de surface de la mer, 1➦C pour la
temp´erature de l’air, 1 m.s-1 pour la vitesse du vent et 10➦ pour la direction du vent.
Les variables des sorties WRF sont extraites au point de maille le plus proche de chaque
bou´ee. Les observations, temp´erature de surface de la mer, temp´erature de l’air `a 4 m AMSL,
et vitesse et direction du vent `a 5 m AMSL, sont respectivement compar´ees avec les variables
WRF, ”skin temperature”, temp´erature de l’air `a 2 m AMSL et vitesse et direction
du vent `a 10 m AMSL.
L’´evaluation des champs de surface marins WRF est pr´esent´ee `a la section 3.1.1 du rapport.
2.5.3 Stations m´et´eorologiques de l’archipel de la Guadeloupe
(M´et´eo France et LaRGE)
Les donn´ees d’observation `a la surface terrestre sont extraites des cinq stations m´et´eorologiques
de l’archipel de la Guadeloupe (domaine 4), en fonctionnement durant la p´eriode
´etudi´ee (d´ecembre 2007). RZT, DES, MOU, et GBD sont des stations du r´eseau M´et´eoFigure
2.17: Carte topographique (IGN, 50 m de r´esolution), avec le mˆat
instrument´e du laboratoire LaRGE (ARN, triangle vert) et les 4 stations
M´et´eo-France, Raizet (RZT, disque rouge), Moule (MOU, ´etoile magenta), D´esirade
(DES, carr´e bleu), Grand-Bourg de Marie-Galante (GBD, losange noir).Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 65
France, localis´ees respectivement, au Raizet, `a la D´esirade, au Moule et `a Grand-Bourg
(Fig. 2.17). Les donn´ees horaires utilis´ees sont les moyennes 10 min des variables suivantes
: la temp´erature de l’air `a 2 m AGL, la vitesse et la direction du vent `a 10 m AGL.
Ces quatre stations M´et´eo-France ont une pr´ecision de 0,1➦C pour la temp´erature, 1 m.s-1
pour la vitesse du vent, et 10➦ pour la direction du vent.
D’Alexis (2011) a men´e une campagne exp´erimentale de terrain pour analyser les ph´enom`enes
de micro-´echelle dans la couche de surface de mangrove. Entre avril 2007 et juin
2008, la station m´et´eorologique du Laboratoire de Recherche en Energie et G´eosciences ´
(LaRGE) a enregistr´e des mesures `a 1 Hz et `a 20 Hz. Ce mˆat instrument´e ARN, localis´e
dans la zone cˆoti`ere d’Arnouville de Petit-Bourg (Fig. 2.17) est muni d’un capteur
barom´etrique PTB101B (Fig. 2.18a), d’une centrale d’acquisition Campbell CR3000
(Fig. 2.18b), d’un capteur HR capacitif (HMP45C) pour l’humidit´e et la temp´erature `a
2 m AGL (Fig. 2.18c), d’un an´emom`etre `a coupelles `a 2 m AGL (Fig. 2.18d), d’une girouette
`a 2 m AGL (Fig. 2.18e), d’un an´emom`etre sonique 3D (CSAT3) pour le calcul
des flux turbulents `a 5 m AGL (Fig. 2.18f) et d’un an´emom`etre sonique 2D (WindSonic)
pour le vent horizontal `a 10 m AGL (Fig. 2.18g). La station ARN a une pr´ecision de 0,2➦C
pour la temp´erature, 2% (avec une r´esolution de 0,01 m.s-1) pour la vitesse du vent, et
3➦ pour la direction du vent. En plus de ces variables classiques, la station ARN, avec
ses mesures `a 20 Hz nous permettra d’´evaluer les simulations de flux turbulents comme
le flux de chaleur sensible (HFX) et l’´energie cin´etique turbulente (TKE). Les champs de
surface WRF-LES (10 minutes) seront ´evalu´es avec les donn´ees mesur´ees par ARN.Chapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 66
Figure 2.18: Description du mˆat instrument´e du laboratoire LaRGE `a ARN (sch´ema
extrait de D’Alexis (2011)), avec, (a) le capteur barom´etrique PTB101B, (b) la
centrale d’acquisition Campbell CR3000, (c) le capteur HR capacitif (HMP45C) pour
l’humidit´e et la temp´erature (2 m AGL), (d) l’an´emom`etre `a coupelles (2 m AGL), (e)
la girouette (2 m AGL), (f ) l’an´emom`etre sonique 3D (CSAT3) pour le calcul des flux
turbulents (5 m AGL) et (g) l’an´emom`etre sonique 2D (WindSonic) pour le vent
horizontal (10 m AGL).
2.6 Donn´ees d’observation de la qualit´e de l’air pour
l’´evaluation du mod`ele FLEXPART-WRF
Nous avons utilis´e les donn´ees d’observation de concentration en NOx enregistr´ees par
la station du r´eseau Gwad’air (association agr´e´ee de surveillance de la qualit´e de l’air,
AASQA) situ´ee `a Pointe-`a-Pitre (PAP) donc dans l’agglom´eration pointoise (Fig. 2.19).
Cette agglom´eration compos´ee de quatre communes (Pointe-`a-Pitre, Baie-Mahault, Les
Abymes et Le Gosier) inclut la zone industrielle la plus importante de l’archipel (zone deChapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 67
Jarry, not´ee EDF sur la Fig. 2.19). L’agglom´eration pointoise est la zone la plus peupl´ee
de l’archipel : 133000 habitants pour une superficie de 175 km2
(Plocoste, 2013).
Figure 2.19: Carte de localisation de la station Gwad’air PAP (losange violet) et de
la centrale ´electrique EDF (croix rouge) : (a) Topographie (en m AMSL) du domaine
D05 (maille de 333 m) avec l’agglom´eration pointoise (contour violet), (b) image
satellite Google earth de la zone d’´etude (4/8/2013).
Plocoste (2013) a d´ecrit les ´equipements de mesure de cette station : un analyseur d’oxyde
d’azote NOX 2000 G, un analyseur de poussi`eres TEOM 1400A, un analyseur d’ozone OZ
2000 G et un calibrateur SONIMIX 3022-2000TM et un analyseur de dioxyde de soufre
SF 2000 G.
2.7 Estimateurs d’erreur utilis´es pour l’´evaluation statistique
des simulations
C´ec´e et al. (2014) ont d´ecrit les estimateurs d’erreur (MBE, RMSE, MAE, IOA and IOA2)
qui ont ´et´e employ´es pour l’´evaluation statistique des simulations.
Les outils d’´evaluation statistique les plus utilis´es dans les ´etudes de mod´elisation m´et´eorologiques,
ont ´et´e d´evelopp´es par Willmott (1981); Willmott and Matsuura (2005). Les
erreurs individuelles de pr´ediction du mod`ele sont d´efinies comme ei = Pi − Oi (i =
1, 2, ..., n), o`u Pi et Oi sont respectivement les pr´edictions mod`eles et les observations in
situ. L’erreur du biais moyen est d´efinie comme MBE = n
−1 Pn
i=1
ei = P¯ − O¯. L’erreur
moyenne absolue est d´efinie par MAE = n
−1 Pn
i=1
|ei
|. L’erreur quadratique moyenne est
bas´ee sur la somme du carr´e des erreurs : RMSE =
n
−1 Pn
i=1
|ei
|
2
1/2
. Willmott (1981) aChapitre 2. M´ethodologie et principaux outils de simulation 68
d´efini un indice de performance des mod`eles (IOA) comme
IOA = 1 −
Pn
i=1
|ei
|
2
Pn
i=1
[|Pi − O¯| + |Oi − O¯|]
2
(2.14)
avec une valeur comprise entre 0 et 1. Les valeurs sup´erieures `a 0,5 sont consid´er´ees comme
bonnes. Willmott et al. (2011) ont reformul´e un indice de performance dont la valeur suit
les variations de croissance ou d´ecroissance de la MAE. L’intervalle de valeur est [-1,1].
Ils ont exprim´e ce nouvel indice comme
IOA2 =
1 −
Pn
i=1
|ei|
2
Pn
i=1
|Oi−O¯|
, quand Pn
i=1
|ei
| ≤ 2
Pn
i=1
|Oi − O¯|
2
Pn
i=1
|Oi−O¯|
Pn
i=1
|ei|
− 1, quand Pn
i=1
|ei
| > 2
Pn
i=1
|Oi − O¯|
(2.15)
. D’apr`es l’´equation (2.15), une valeur de IOA2 ´egale `a 0,5 indique que la somme des erreurs
repr´esente la moiti´e de la somme des variations du mod`ele parfait plus celles ajout´ees
des observations. A l’oppos´e, une valeur de IOA2 ´egale `a -0,5 signifie que la somme des `
erreurs repr´esente le double de la somme des variations du mod`ele parfait plus celles des
observations. La RMSE et l’IOA sont les outils les plus utilis´es dans la lit´erature pour
exprimer les diff´erences entre les pr´evisions et les donn´ees observ´ees. Cependant, comme
´ecrit par Willmott and Matsuura (2005), du fait qu’ils sont caract´eris´es par la somme
du carr´e des erreurs, les erreurs importantes ont relativement plus d’influence sur l’erreur
totale, que les plus faibles (contrairement `a la MAE).
Nos simulations num´eriques de courte dur´ee, avec peu de points spatiaux de comparaison
(nombre faible de stations m´et´eorologiques dans la zone d’´etude) seraient d’autant plus
affect´ees par ce probl`eme. Pour le r´esoudre, suivant la recommandation de Willmott and
Matsuura (2005); Willmott et al. (2011), la MAE and l’IOA2 sont choisis `a la place de
la RMSE et du IOA. Les valeurs suivantes de IOA2 : n´egative, comprise entre 0 et 0,5,
et sup´erieure `a 0,5, sont respectivement consid´er´ees comme mauvaises, bonnes et tr`es
bonnes.Chapitre 3
R´esultats des simulations et
discussion
3.1 Simulations num´eriques m´eso-´echelles des circulations
g´en´er´ees par l’archipel de la Guadeloupe
(WRF)
Dans cette partie, nous pr´esentons les r´esultats des simulations num´eriques m´eso-´echelles
incluant les quatre domaines : D01, D02, D03 et D04 (Fig. 2.10).
Deux configurations du domaine D04 sont analys´ees : la configuration M´eso-A (carte
d’occupation des sols USGS 1992, ULC) et la configuration M´eso-A’ (carte d’occupation
des sols Corine 2006, CLC24).
3.1.1 Simulation M´eso-A : r´esum´e et article publi´e
Les r´esultats des simulations num´eriques m´eso-´echelles (M´eso-A) ont ´et´e publi´es dans la
revue scientifique ” Monthly Weather Review ”.
Le mod`ele Weather Research and Forecast (WRF) est utilis´e pour simuler une descente
d’´echelle dynamique `a l’aide des quatre domaines imbriqu´es (D01, D02, D03, D04), de
r´esolutions respectives : 27, 9, 3, 1 km.
Les trois situations m´et´eoroloqiques, correspondant aux aliz´es faibles, moyens et soutenus,
sont simul´ees : AF, AM et AS (respectivement li´es aux valeurs du nombre de Froude local
69Chapitre 3. R´esultats des simulations et discussion 70
de 0,21, 0,41 et 0,82).
Pour les trois types de temps, les variables m´et´eorologiques classiques pr´esentent une
bonne ad´equation avec les donn´ees d’observations, sur plusieurs sites. C’est aussi le cas
des champs simul´es `a 1 km sur l’archipel de la Guadeloupe, malgr´e l’utilisation dans le
mod`ele WRF de la carte d’occupation des sols ULC24 dont les biais ont ´et´e d´ecrits dans
le chapitre 2 du rapport.
Les r´esultats de la simulation M´eso-A ont permis de compl´eter la cartographie des r´egimes
m´et´eorologiques locaux observ´es par Br´evignon (2003). Ces descriptions peu pr´ecises n’incluaient
pas des donn´ees maill´ees de vent, de temp´erature de surface, de couverture nuageuse
et de flux de chaleur sensible sur l’ensemble de l’archipel.
Les r´egimes attendus du vent local (au vent, continental insulaire, sous le vent) et la
pr´edominance des effets thermiques et orographiques (respectivement au-dessus de la
Grande-Terre et de la Basse-Terre) sont retrouv´es dans les sorties simul´ees.
Dans le cas des AS, la convection est inhib´ee et les circulations locales sont g´en´er´ees par
l’orographie.
Durant les AM, dans les zones de faibles topographies, les circulations locales sont gouvern´es
par le contraste thermique de surface qui induit, durant la journ´ee, une convergence
des vents marins vers la terre et, durant la nuit, une divergence des vents de la terre vers
la mer.
Dans le cas des AF, le mod`ele simule correctement un vent catabatique nocturne induisant
un ´ecoulement d’ouest observ´e exp´erimentalement par D’Alexis (2011); D’Alexis
et al. (2011) sur la cˆote au vent de la Basse-Terre. Durant la nuit, cette circulation s’opposant
aux aliz´es semble s’´etendre en mer (dans le Petit Cul-de-Sac Marin), puis sur la
zone industrielle de Jarry et enfin sur la cˆote ouest de la Grande-Terre. Cet ´ecoulement a
une vitesse de vent maximale de 4.7 m s-1
.
Les r´esultats de l’exp´erience M´eso-A sugg`erent que cet ´ecoulement particulier, apparaissant
dans l’agglom´eration pointoise et la zone industrielle de Jarry, pourrait g´en´erer une
d´egradation de la qualit´e de l’air, li´ee aux sources industrielles de polluants (comme la
centrale diesel de production d’´electricit´e).Numerical Simulations of Island-Induced Circulations and Windward Katabatic Flow
over the Guadeloupe Archipelago
RAPHAE¨ L CE´ CE´ , DIDIER BERNARD, AND CHRISTOPHE D’ALEXIS
Department of Physics, University of the French West Indies and French Guiana, Pointe-a-Pitre, Guadeloupe
JEAN-FRANC¸ OIS DORVILLE
Department of Physics, University of West Indies, Kingston, Jamaica
(Manuscript received 8 April 2013, in final form 18 September 2013)
ABSTRACT
This article deals with the first high-resolution numerical modeling of the weather over the small and high
islands of the Guadeloupe archipelago. Its main goal is to analyze the mechanisms that drive local-scale
airflow circulations over this archipelago, using the 1-km Weather Research and Forecasting Model (WRF).
Three meteorological situations corresponding to weak trade winds (WTW), medium trade winds (MTW),
and strong trade winds (STW) have been selected and are linked with local Froude number values of 0.21,
0.41, and 0.82, respectively. For these three weather types, simulated typical meteorological variables present
a good agreement with observational data at several locations. The 48-h simulations allow the completion of
the previous coarse observational descriptions that did not include a map of the wind, skin temperature, cloud
cover, and sensible heat flux for the whole archipelago. The expected local wind regime areas (windward,
inland, and leeward) are retrieved in the model outputs, including the predominance of thermal and orographic
effects over Grande-Terre Island and Basse-Terre Island, respectively. Under STW, the convection is
inhibited and the local circulations are driven by the orography. In the case of WTW, the model simulates well
a katabatic wind, inducing cold nocturnal reversed flow on the windward coast of Basse-Terre. This circulation,
opposing the trade winds, extends to the sea and Grande-Terre Island. This flow has a maximum wind
speed of 4.7 m s21
. This particular flow occurring in the most densely populated area produces an important
nocturnal pollution period due to industrial sources (the diesel power plants of the archipelago).
1. Introduction
Many authors have shown that strong radiative and
high topography forcings may induce local circulations
over tropical islands. Mechanical effects of islands on
the steady trade winds is characterized by the local
Froude number Frm which is defined by (U/Nhm), where
U is the wind speed, hm is the height of the mountain,
and N is the buoyancy frequency. The literature dealing
with this subject is generally concerned with one of three
types of island: large (i.e., Frm $ 1, width .50 km), high
(i.e., Frm , 1), or small (i.e., Frm $ 1, width #50 km).
Effects of large islands on synoptic winds have been
examined for the Tiwi Islands (Oliphant et al. 2001) and
Puerto Rico (Malkus 1955; Jury et al. 2009). Oliphant
et al. (2001) showed that with a flat area of 8000 km2
, the
Tiwi Islands generate their own thermal airflow regime
associated with sea/land-breeze systems. The Weather
Research and Forecasting Model (WRF) simulation
over Puerto Rico (Jury et al. 2009), indicated how diurnal
heating and orography act on the convective
boundary layer structure and trade wind airstream. In
general, high islands like the Hawaiian Islands (Smith
and Grubiac 1993; Reisner and Smolarkiewicz 1994;
Feng and Chen 1998; Yang and Chen 2005; Carlis et al.
2010; Nguyen et al. 2010), New Caledonia (Lefevre et al.
2010), Reunion Island (Lesoue¨f et al. 2011), or Lesser
Antilles islands like St. Vincent (Smith et al. 1997) and
Dominica (Smith et al. 2012) would have mainly mechanical
effects on the impinging airflow with in some
cases thermal circulations occurring on the lee side.
During the Dominica Experiment field campaign
(DOMEX), Smith et al. (2012) observed that two types
Corresponding author address: Raphae¨l Cece, Faculty of Sciences,
Department of Physics, University of the French West Indies and
French Guiana, Fouillole campus, Pointe-a-Pitre 97110, Guadeloupe.
E-mail: raphael.cece@univ-ag.fr
850 MONTHLY WEATHER REVIEW VOLUME 142
DOI: 10.1175/MWR-D-13-00119.1
2014 American Meteorological Society
71
Influence du mapping sur la reconnaissance d’un
syst`eme de communication
Marion Bellard
To cite this version:
Marion Bellard. Influence du mapping sur la reconnaissance d’un syst`eme de communication.
Information Theory. Universit´e Pierre et Marie Curie, 2014. French. .
HAL Id: tel-00959782
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00959782v2
Submitted on 17 Mar 2014
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recherche fran¸cais ou ´etrangers, des laboratoires
publics ou priv´es.THÈSE DE DOCTORAT DE
l’UNIVERSITÉ PIERRE ET MARIE CURIE
Spécialité
Informatique
École doctorale Informatique, Télécommunications et Électronique (Paris)
Présentée par
Marion Bellard
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR de l’UNIVERSITÉ PIERRE ET MARIE CURIE
Sujet de la thèse :
Influence du mapping sur la reconnaissance d’un système de
communication
soutenue le 30 janvier 2014
devant le jury composé de :
Thierry Berger Université de Limoges Rapporteur
Pierre Loidreau DGA-MI Rapporteur
Gilles Burel Université de Bretagne Occidentale Examinateur
Jean-Pierre Tillich INRIA Paris-Rocquencourt Examinateur
Annick Valibouze Université Pierre et Marie Curie Examinateur
Nicolas Sendrier INRIA Paris-Rocquencourt Directeur de thèseMarion Bellard
Influence du mapping sur la reconnaissance d’un système de
communication
INRIA-équipe-projet SECRET
Domaine de Voluceau
78153 Le ChesnayRemerciements
Je tiens à remercier ici toutes les personnes qui m’ont permis d’effectuer cette thèse dans d’excellentes
conditions, aussi bien pour leurs qualités techniques que humaines.
Je tiens d’abord à remercier Nicolas Sendrier mon directeur de thèse pour ses conseils et ses idées
qui ont été précieuses et nécessaires au bon déroulement de ces trois années de thèse.
Je tiens également à remercier Jean-Pierre Tillich, avec qui j’ai eu la chance de travailler, pour son
exigence et sa patience.
Merci ensuite à mes deux rapporteurs Pierre Loidreau et Thierry Berger qui ont donné de leur
temps pour la relecture de ce manuscrit. Je devrais d’ailleurs remercier doublement Thierry Berger,
je lui dois en effet ma découverte des codes correcteurs au cours de mes deux années de Master. Merci
également à Gilles Burel et Annick Valibouze d’avoir accepté de faire partie de mon jury.
Je ne saurais remercier les gens qui m’ont aidée et soutenue durant cette thèse sans remercier
Audrey, avec qui j’ai partagé de multiples interrogations et rebondissements, pour sa disponibilité. Je
lui souhaite bonne chance pour la suite.
Mes pensées vont ensuite vers Maxime et Jérôme sans qui cette thèse n’aurait pas eu lieu et bien
sûr Florine, Denis, Marc, Pierre, Angélique et François pour leur accueil et leur sympathie. Je ne doute
pas que j’aurai le plaisir de les revoir.
Un grand merci à tous les membres et anciens du projet SECRET que j’ai eu l’occasion de côtoyer
Anne, Pascale, María, Christelle, André, Anthony, Ayoub, Baudoin, Céline, Christina, Denise, Gaë-
tan, Grégory, Joëlle, Mamdouh, Matthieu, Rafael, Stéphane, Valentin, Vincent, Virginie et Yann. Je
garderai d’excellents souvenirs des trois années que j’ai passées au projet.
Je dois une dédicace particulière à Christelle qui est d’un grand secours et qui nous aide toujours
avec le sourire, à Ayoub, Baudoin, Céline, Christina et Valentin avec qui j’ai partagé mes séances de
footing et à Christina de nouveau en tant que pâtissière en chef du projet et ancienne collègue de
bureau, merci à elle pour ses excellents gâteaux et sa bonne humeur. Merci également à tous ceux
avec qui j’ai appris l’art des mots croisés.
Mes prochains remerciements vont à mes collègues Grégory, Valentin et Virginie qui font du bureau
1 un endroit où il fait bon travailler. Mille mercis à Grégory pour tous ses conseils et son aide précieuse,
à Valentin pour sa disponibilité sans faille et à Virginie pour sa gentillesse et sa présence.
Merci ensuite à mes proches pour leur soutien et leur patience, mes amies Amanda et Adeline, ma
famille Fanny, Michael, Fredo, Ingrid, Christine, mes parents bien sûr et enfin Nicolas.iiNotations
Notations mathématiques
H⊤ la transposée de la matrice H
dH( . , . ) la distance de Hamming
de( . , . ) la distance euclidienne
WH( . ) le poids de Hamming
Fq le corps à q éléments, q puissance d’un
nombre premier
GL(a, F2) l’ensemble des matrices inversibles de
taille a × a à coefficients dans F2
pgcd le plus grand diviseur commun
ppcm le plus petit multiple commun
degg(x) le degré du polynôme g(x)
Notations relatives aux mappings
a le nombre de bits par symboles binaires de
la modulation
C une constellation
CL(f) la classe linéaire de f
CA(f) la classe affine de f
f un mapping
Gp la pénalité de Gray moyenne
Gpk la pénalité de Gray maximum
Notations relatives aux codes correcteurs
C un code
n la longueur du code
k la dimension du code
G une matrice génératrice
H une matrice duale
iiiChapitre 1
A0 l’amplitude de l’onde porteuse
A et B des alphabets de modulation
b(t) un bruit blanc gaussien
f0 la fréquence de l’onde porteuse
g(t) une impulsion élémentaire
M le nombre de points de la constellation
M − ASK,M − P SK, M − QAM une modulation à M points
p(t) une onde porteuse
r(t) le signal reçu
sI (t) la porteuse en phase
sQ(t) la porteuse en quadrature
s(t) le signal émis
ϕ0 la phase de l’onde porteuse
Chapitre 4
C\I code poinçonné aux positions indéxées par I
HI matrice duale restreinte aux positions indixées par I
p la probabilité d’erreur du canal binaire symétrique
PC la probabilité de collisions pour des données codées
Paléa la probabilité de collisions pour des données aléatoires
R = PC
Paléa
le rapport des probabilités de collisions
t la taille des blocs de lecture d’une séquence binaire
Xobs le nombre de collisions observées sur une séquence binaire
xobs la probabilité de collisions observée sur une séquence biniareRésumé
Ce document présente les travaux effectués durant ma thèse au sein de l’Equipe-projet SECRET
à INRIA Paris-Rocquencourt.
Nous nous intéressons à la reconstruction d’un système de communication dans un contexte non
coopératif. Nous cherchons d’une part à reconstruire l’association réalisée entre symboles binaires et
symboles physiques lors de la conversion de données binaires en un signal modulé (éventuellement
bruité). On appelle cette opération le mapping. Dans un canal hertzien, une modulation M-aire peut
transmettre M symboles distincts formant une constellation dans un espace euclidien multidimensionnel
(par exemple bidimensionnel, représentant la phase et l’amplitude des symboles transmis). Nous
regardons essentiellement les modulations de 4 à 256 − QAM (Quadrature Amplitude Modulation).
En l’absence de redondance il est impossible de décider quel mapping a été utilisé, aussi nous supposons
ici que les données binaires sont codées. Nous nous intéressons particulièrement aux mappings
respectant le critère de Gray (deux symboles de la constellation, voisins pour la distance euclidienne,
correspondront à des symboles binaires à distance de Hamming de 1). Ce type de mapping est en effet
couramment utilisé car il permet de limiter l’impact des erreurs d’interprétations lors de la démodulation.
La recherche exhaustive du mapping pour ce type de constellations devient impossible lorsque
le nombre de points de celles-ci augmente, alors que les grandes constellations possèdent l’avantage
d’augmenter les débits de transmission. Nous définissons alors deux types de classes d’équivalences de
mappings : linéaires et affines. Nous définissons de plus un test basé sur la reconnaissance de codes
convolutifs et le taux d’erreur du canal. Nous construisons un algorithme de reconstruction, en appliquant
ce test, de manière appropriée, à un ensemble de représentants des classes d’équivalences
définies. Nous verrons que le résultat d’un tel parcours n’est pas unique mais qu’il permet de réduire
significativement le nombre de mappings possibles tout en réduisant le coût de la recherche.
D’autre part nous définissons une méthode de détection des paramètres d’un code convolutif ainsi
qu’une méthode de reconstruction du dual d’un tel code. Nous regardons une séquence binaire codée
et bruitée par blocs de taille t. Deux blocs identiques définissent ce que l’on appelle une collision. La
cardinalité de l’ensemble des blocs observés pour des données codées est inférieure à celle observée
pour des données aléatoires. Donc la donnée de la probabilité de collisions pour différentes tailles de
blocs permet de distinguer des données codées de données aléatoires. Des blocs glissants sont utilisés
pour caractériser la présence d’un code convolutif. Cela permet d’obtenir la longueur, la dimension
du code et le degré maximum des polynômes générateurs du dual ainsi que la taille de chacune des
équations de parité. De plus en poinçonnant des bits dans chacun des blocs observés nous déduisons
de la probabilité de collisions des équations de parité du code et une matrice génératrice du dual. La
probabilité de collision est de plus invariante pour le changement de mapping lorsque la taille de bloc
est un multiple de la taille des symboles du mapping. Nous sommes alors en mesure de détecter la
longueur du code sans connaître le mapping qui a été utilisé lors de la modulation.
vTable des matières
Notations iii
Résumé v
Introduction 1
1 Introduction à la Transmission du signal Numérique 3
1.1 Modulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.1.1 Transmission du signal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.1.2 Constellations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.2 Mapping . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.3 Canal de transmission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.4 Démodulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
2 Mappings 13
2.1 Codages Gray réfléchis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
2.2 Codages Gray non réfléchis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
2.3 Codages Gray . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
2.4 Mappings Gray P SK . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
2.5 Mappings Gray QAM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
2.6 Mappings quasi-Gray . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
3 Codes Convolutifs et Codes de Reed-Solomon 23
3.1 Introduction aux codes correcteurs d’erreurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
3.2 Codes cycliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
3.3 Codes convolutifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
3.3.1 Représentation binaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
3.3.2 Équations de parité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
3.3.3 Représentation en série . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
3.3.4 Codeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
3.4 Reconstruction de codes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
3.4.1 Codes Convolutifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
3.4.2 Codes Reed-Solomon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
vii4 Signature de codes convolutifs et recherche du dual par tests statistiques 39
4.1 État de l’art . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
4.1.1 Test de profondeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
4.1.2 Test de Burrows-Wheeler et Runs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
4.2 Test de collisions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
4.3 Espérance du nombre de collisions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
4.3.1 Code de parité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
4.3.2 Équation de parité de poids u . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
4.4 Distingueur de code convolutif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
4.5 Détection des paramètres d’un code convolutif par un teststatistique . . . . . . . . . . 52
4.5.1 Détection de la longueur de code . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
4.5.2 Détection de la dimension de code . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
4.5.3 Détection de la longueur des équations de parité . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
4.5.4 Résultats de tests . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
4.6 Application à la reconstruction du dual . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
4.6.1 Reconstruction du dual d’une matrice binaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
4.6.2 Reconstruction du dual d’un code convolutif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
4.7 Signature de codes convolutifs à mapping inconnu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
5 Classes de Mappings 65
5.1 Relations d’équivalences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
5.2 Partitionnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
5.3 Représentants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
5.4 Classification des mappings Gray . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
5.4.1 Partitionnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
5.4.2 Représentants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
5.5 Classification des mappings quasi-Gray . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
6 Reconstruction de mappings en présence de données codées et bruitées 79
6.1 Classes d’équivalences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
6.1.1 Équivalence linéaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
6.1.2 Équivalence affine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
6.1.3 Nombre de solutions par classe affine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
6.1.4 Unicité de la classe affine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
6.2 Algorithme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
6.3 Applications aux mappings Gray . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
6.4 Résultats obtenus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
6.5 Application au cas des codes Reed-Solomon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
A Rapport de probabilités de collisions avec une équation de parité 93Introduction
La transmission d’une information numérique nécessite notamment un codage, à l’aide de codes
correcteurs d’erreurs, puis une adaptation au canal de transmission que l’on appelle modulation. La
modulation est composée de deux parties. La première appelée le mapping permet d’associer des symboles
binaires à des paramètres physiques comme une amplitude et une phase. La seconde partie de la
modulation permet elle d’utiliser ces valeurs pour modifier ponctuellement un signal porteur. Lors de
la réception d’un signal il faut effectuer les opérations inverses de celles appliquées en émission afin de
retrouver l’information émise. Un signal reçu doit donc avant toute chose être démodulé. On parle de
contexte non coopératif lorsqu’un observateur doit recouvrer la séquence binaire émise à partir du seul
signal transmis. Dans ce contexte il faut donc démoduler le signal observé pour associer aux symboles
physiques une information binaire et enfin reconstruire le codage canal utilisé. Nous nous intéressons
ici à ce problème de reconstruction d’un système de communication. Retrouver la modulation correspond
au problème de la démodulation aveugle pour lequel il existe de nombreux travaux académiques,
cependant cette démodulation n’inclut pas la reconstruction du mapping. Nous étudions alors le problème
de la reconstruction du mapping. Retrouver le codage utilisé correspond au problème de la
reconstruction de codes correcteurs d’erreurs pour lequel il existe également de nombreux travaux de
recherche. On pourra citer notammant le travail de A. Valembois sur la reconstruction du dual d’un
code correcteur d’erreur. Son algorithme se base sur la méthode de Canteaut-Chabaud de recherche de
mots de petits poids dans un code. Des travaux spécifiques sur la reconstruction des codes convolutifs
existent comme les thèses de E. Filiol, J. Barbier et M. Côte. Nous sommes intéressés à résoudre le
problème de la reconnaissance de mapping lorsque les données sont codées par un codeur convolutif et
nous utilisons le travail de M. Côte pour notre étude. Cela nous permet d’obtenir une matrice géné-
ratrice du code correcteur utilisé à partir d’une séquence codée bruitée. Cependant, si l’on ne connaît
pas l’association réalisée entre symboles binaires et symboles physiques, le mapping, on ne connaît pas
le comportement de l’algorithme de reconnaissance de code convolutif. Nous nous intéressons à ce problème
et étudions l’interaction entre la reconnaissance de codes convolutifs et la recherche de mapping.
Dès lors que la transmission d’un signal s’effectue grâce à un protocole de communication, la sé-
quence composée des mots de code transmis est encapsulée. De ce fait, il est possible de s’appuyer sur
des balises pour connaître la synchronisation des mots de codes, c’est-à-dire que l’on connait le début
des mots. Nous considérons alors dans ces travaux que la synchronisation est connue et qu’on n’avons
pas à la rechercher.
Nous avons abordé nos travaux selon deux axes. Le premier objectif est de décrire une méthode de
reconstruction du mapping à partir de données démodulées avec un mapping par défaut. Le second
axe consiste à obtenir des informations sur le code de manière invariante pour le mapping.
1Le second axe nous conduit à l’utilisation d’un test statistique basé sur le comptage de collisions
dans une séquence binaire observée par blocs. Ce test permet d’estimer le cardinal de l’ensemble observé
et donne une information à la fois quantitative et qualitative sur l’espace des blocs observés.
Nous définissons alors une méthode de détection de la longueur d’un code convolutif invariante pour
le changement de mapping. C’est-à-dire que nous sommes en mesure de dire si un code convolutif
à été utilisé pour coder les données observées et le cas écheant d’en donner la longueur et ce sans
connaître le mapping utilisé. Nous définissons de plus une méthode de détection des paramètres d’un
code convolutif et de reconstruction du dual connaissant le mapping. C’est l’objet du Chapitre 4. Ce
travail a été soumis à publication.
Le premier axe concerne la reconstruction du mapping lorsque les données observées sont codées.
Nous nous sommes principalement intéressés au cas des codes convolutifs. Lorsque l’on parcourt les
divers mappings possibles on peut observer une multitude de séquences codées correspondant à divers
codes correcteurs. Nous explicitons alors les liens qui relient les différents codes observés. Des classes
d’équivalences de mapping peuvent être définies. Elles seront présentées dans le Chapitre 5. Ceci
nous conduit à l’élaboration d’une méthode de reconstruction de mappings permettant de diminuer
le nombre de mappings à parcourir pour les petites tailles de constellations. Pour des constellations à
16 points et plus, nous considérons uniquement les mappings de type Gray et quasi-Gray. La méthode
s’étend naturellement à ces mappings. Celle-ci est applicable dans le cas où le signal transmis est
un signal bruité. Nous regardons également le comportement des codes de Reed-Solomon vis-à-vis
du changement de mapping. Ceci est vu au Chapitre 6. Cette partie du travail à fait l’objet d’une
publication à ISITA’2012 [7].
2Chapitre 1
Introduction à la Transmission du signal
Numérique
On peut représenter un système de communication (Figure 1.1) par la suite des traitements
appliqués aux données binaires, en émission et en réception, afin d’assurer leur transmission.
Codage source Codage canal Modulation
Décodage source Décodage Canal Démodulation
Canal de transmission
Bruit
Figure 1.1 – Synoptique d’une transmission numérique
Codage source : Le codage de source consiste à éliminer la redondance de manière à réduire la
quantité de données à transmettre.
Codage canal : Quel que soit le type de canal de transmission utilisé, le signal transmis est
soumis à des perturbations, que l’on appelle bruit, pouvant entraîner une altération des données. Afin
d’y remédier, il est d’usage d’ajouter de la redondance à l’information dans le but de détecter puis
corriger les erreurs de transmission. Nous utilisons pour cela des codes correcteurs d’erreurs.
Modulation : La modulation consiste à transformer un message en un signal adapté à la transmission
sur un support physique.
Une introduction aux codes correcteurs d’erreurs est donnée au Chapitre 3. Nous nous intéressons
à présent à différents types de modulations. Nous définissons ici ce qu’est une constellation et introduisons
la notion de mapping, avant d’aborder les modèles de canaux de transmission. Ce chapitre est
basé sur les ouvrages [19], [39] et [22].
3Chapitre 1. Introduction à la Transmission du signal Numérique
1.1 Modulation
Nous nous intéressons ici à la transmission de données numériques. L’information à véhiculer est
donc une séquence binaire, tandis qu’un support physique permet de transmettre une information
sous forme d’un signal continu. La modulation consiste alors à transformer l’information binaire en
un signal continu adapté au support de transmission.
Nous verrons qu’il existe deux possibilités pour transmettre un signal numérique : la transmission
en bande de base ou la modulation d’une onde porteuse. La transmission en bande de base consiste à
associer à la séquence binaire d’entrée un signal physique qui est transmis dans une plage de fréquence
contenant la fréquence nulle. Elle s’utilise dans le cas d’une transmission filaire. La modulation par
onde porteuse consiste à modifier un ou plusieurs paramètres d’une onde porteuse, en fonction du
symbole binaire à transmettre (un bloc de bits de longueur donnée), et à l’émettre dans une plage de
fréquence donnée qui peut être différente pour différents utilisateurs.
Une démarche commune aux deux méthodes de transmission est l’association d’une information
physique et d’un symbole binaire. C’est ce que nous appelons le mapping.
1.1.1 Transmission du signal
Transmission en bande de base
La notion de transmission en bande de base ne sera pas utile en tant que telle mais sera utile pour
la compréhension du mécanisme de modulation présenté dans le paragraphe suivant.
L’information à transmettre étant une séquence binaire, la première approche est d’associer au bit
0 un état significatif (par exemple une tension positive) et d’associer au bit 1 un autre état significatif
(par exemple une tension négative). On appelle cette opération le codage, même si ce terme peut
porter à confusion.
Un exemple de codage : le codage NRZ (No Return to Zero) Le codage NRZ associe au bit
0 une valeur α et associe au bit 1 la valeur −α. La transmission de la séquence 0110101 se traduira
alors par la transmission du signal suivant :
+α
−α
0
1 1 1 1
0 0
Figure 1.2 – Exemple de transmission suivant un codage NRZ
Cet exemple ne constitue pas une règle générale, le bit 0 pouvant être codé par une valeur α positive
ou négative et inversement pour le bit 1.
41.1 Modulation
On dit alors que l’ensemble A = {α, −α} est un alphabet pour le codage NRZ.
De manière générale, la suite de bits constituant le message est mise sous forme de symboles binaires,
en créant des paquets de a bits. Il existe donc 2a
symboles binaires distincts auquels sont
associés des valeurs αi appartenant à un alphabet A de cardinal 2a
. Le signal émis est de la forme
s(t) = P
j αjg(t − jT) où αj est la j
ème valeur à transmettre et appartient à l’alphabet A choisi et
g(t) est une impulsion élémentaire de durée T.
Dans l’exemple du codage NRZ, l’impulsion utilisée est telle que g(t) = (
1 si 0 ≤ t < T
0 sinon . On
détaille le calcul de s(t) pour la transmission de la séquence binaire 0110101 dans le tableau ci-dessous :
j bit à transmettre αj s(t)
0 0 −α −αg(t) = −α, ∀ 0 ≤ t < T
1 1 α αg(t − T) = α, ∀ T ≤ t < 2T
2 1 α αg(t − 2T) = α, ∀ 2T ≤ t < 3T
3 0 −α −αg(t − 3T) = −α, ∀ 3T ≤ t < 4T
4 1 α αg(t − 4T) = α, ∀ 4T ≤ t < 5T
5 0 −α −αg(t − 5T) = −α, ∀ 5T ≤ t < 6T
6 1 −α −αg(t − 6T) = −α, ∀ 6T ≤ t < 7T
Modulation par onde porteuse
On définit une onde porteuse par l’expression p(t) = A0cos(2πf0t + ϕ0) où A0 est l’amplitude du
signal, f0 sa fréquence et ϕ0 sa phase.
La modulation par onde porteuse consiste à transmettre de l’information en modifiant un ou
plusieurs paramètres de cette onde porteuse. Le signal en bande de base est alors transposé en fréquence
afin d’assurer la transmission dans une bande de fréquence adaptée. C’est-à-dire que le signal en bande
de base devient le signal modulant. De plus le signal est transmis à une fréquence donnée qui peut être
différente pour différents utilisateurs. Il existe différents types de modulation utilisant des paramètres
distincts de la porteuse comme :
– la modulation ASK (Amplitude Shift Keying), une modulation d’amplitude
– la modulation PSK (Phase Shift Keying), une modulation de phase
– la modulation FSK (Frequency Shift Keying), une modulation de fréquence
– la modulation QAM (Quadrature Amplitude Modulation), une modulation de phase et d’amplitude
Nous ne nous intéressons ici qu’aux modulations d’amplitude et/ou de phase. On note a le nombre
de bits par symbole binaire. On a donc M = 2a
symboles possibles. Nous supposons ici, pour simplifier
5Chapitre 1. Introduction à la Transmission du signal Numérique
l’écriture des signaux modulés, que l’amplitude A0 des porteuses est égale à 1.
Modulation ASK Le signal modulé s’écrit
s(t) = X
j
αjg(t − jT)cos(2πf0t)
En notant
sI (t) = X
j
αjg(t − jT)
on a
s(t) = cos(2πf0t)sI (t)
Le signal sI (t) modifie alors l’amplitude de la porteuse p(t) = cos(2πf0t).
On prendra a priori comme alphabet {±α, ±3α, . . . , ±(M − 1)α}.
Modulation PSK Le signal modulé s’écrit
s(t) = X
j
cos(2πf0t + αj )g(t − jT)
En notant
sI (t) = X
j
cos(αj )g(t − jT)
et
sQ(t) = X
j
sin(αj )g(t − jT)
on a
s(t) = cos(2πf0t)sI (t) − sin(2πf0t)sQ(t)
Le signal sI (t) modifie l’amplitude de la porteuse p(t) = cos(2πf0t) tandis que le signal sQ(t)
modifie l’amplitude de la porteuse sin(2πf0t) = cos(2πf0t +
π
2
). On appelle la première porteuse la
porteuse en phase, la seconde la porteuse en quadrature.
On pourra prendre, pour M = 4, l’un des deux alphabets suivants {
iπ
4
|i = 1, 3, 5, 7} ou {
iπ
2
|k =
0, 1, 2, 3}. On prendra pour M = 8 l’alphabet {
iπ
4
|i = 0, 1, 2, . . . , 7}.
Modulation QAM La modulation d’amplitude et de phase simultanée nécessite l’utilisation de
deux alphabets A et B de cardinal respectif 2b
et 2b
′
. À un symbole binaire de b + b
′ bits on associe
un couple (αi
, βi
′) ∈ A × B. Et le signal modulé s’écrit
s(t) = X
j
αjcos(2πf0t + βj )g(t − jT)
(αj , βj ) ∈ A × B étant la j
ème valeur à transmettre.
En écrivant
sI (t) = X
j
αjcos(βj )g(t − jT)
61.1 Modulation
sI (t)
sQ(t)
−(M − 1)α −3α −α α 3α (M − 1)α
b b b b b b
Figure 1.3 – Constellation d’une modulation M-ASK ayant pour alphabet {±α, ±3α, . . . , ±(M −1)α}
et
sQ(t) = X
j
αjsin(βj )g(t − jT)
on a
s(t) = cos(2πf0t)sI (t) − sin(2πf0t)sQ(t)
Comme pour la modulation de phase, sI (t) et sQ(t) modifient respectivement l’amplitude de la
porteuse en phase et de la porteuse en quadrature.
Les trois modulations présentées ici s’écrivent sous la forme s(t) = cos(2πf0t)sI (t)−sin(2πf0t)sQ(t)
avec des expressions différentes pour sI (t) et sQ(t) (avec sQ(t) = 0 pour une modulation ASK). À ce
titre on peut classer chacune de ces modulations comme des cas, particuliers ou non, de modulation
de type QAM.
Nous étudierons pour ces modulations les divers mappings possibles. Nous allons voir à présent la
notion de constellation et leur forme pour ces modulations.
On note M − ASK, M − P SK et M − QAM des modulations à M = 2a points, c’est-à-dire
admettant log2M bits par symbole binaire.
1.1.2 Constellations
Pour un temps tj fixé, il existe (αj , βj ) tel que :
(
sI (tj ) = αj
sQ(tj ) = 0 pour une modulation ASK
(
sI (tj ) = cos(αj )
sQ(tj ) = sin(αj )
pour une modulation PSK
(
sI (tj ) = αj cos(βj )
sQ(tj ) = αj sin(βj )
pour une modulation QAM
On représente alors l’ensemble des sI (tj ) et sQ(tj ) dans le plan, formant ainsi une constellation,
représentée par la Figure 1.3 dans le cas d’une modulation M-ASK.
Définition 1.1.1 (Constellation) Une constellation est la représentation des différents états de la
modulation
On peut faire de même pour les modulations de type PSK et QAM. On obtient pour une modulation
PSK un ensemble de points répartis sur un cercle. (Le rayon du cercle étant déterminé par l’amplitude
A0 de la porteuse, que nous avons supposé normalisée à 1 afin de simplifier l’écriture des signaux
modulés). Un exemple de constellation PSK pour un nombre de bits par symbole égal à 3 est donné
par la Figure 1.5.
7Chapitre 1. Introduction à la Transmission du signal Numérique
t t
t t
Figure 1.4 – Constellation d’une modulation 4-PSK
b
b
b
b
b
b
b
b
αk
sI (t)
sQ(t)
Figure 1.5 – Constellation 8-PSK
r r r r
r r r r
r r r r
r r r r
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r r r r r r r r r r r r r r r r
r r r r r r r r r r r r r r r r
r r r r r r r r r r r r r r r r
Figure 1.6 – Constellations correspondant à des modulations (de gauche à droite) : 16-QAM, 32-
QAM, 64-QAM, 128-QAM et 256-QAM
Le choix de l’alphabet (ou des alphabets) détermine la forme de la constellation. Les modulations
32 et 128−QAM sont d’ailleurs ici cruciformes contrairement aux modulations à 2a points avec a pair.
Nous étudions ici les mappings des constellations données par la Figure 1.6 pour les modulations
QAM de 16 à 256 points, par la Figure 1.5 pour une constellation à 8 points et enfin par la Figure 1.4
pour une constellation à 4 points, soit de 2 à 8 bits par symbole binaire. La représentation sous forme
de constellation sera à présent l’unique représentation pour une modulation donnée.
1.2 Mapping
La modulation est l’opération qui permet de convertir une séquence d’information binaire en un
signal adapté au support de transmission. Le nombre de bits que l’on souhaite transmettre à chaque
intervalle de temps détermine la taille de l’alphabet à utiliser et donc le nombre de points de la constellation
pour une modulation donnée.
81.3 Canal de transmission
Définition 1.2.1 (Mapping 1) On appelle mapping l’association réalisée entre un symbole binaire
et un élément de l’alphabet correspondant à la modulation choisie.
Un exemple de mapping
Prenons une modulation 2−ASK d’alphabet A = {−α, α}, on peut définir un mapping en associant
au bit 0 la valeur −α, et au bit 1 la valeur α. On peut représenter cette association directement sur
la constellation. Mais un second mapping est possible en faisant l’association inverse, c’est-à-dire en
associant au bit 0 la valeur α et au bit 1 la valeur −α.
On peut alors considérer l’opération de mapping comme l’association d’un point de la constellation
et d’un symbole binaire.
Définition 1.2.2 (Mapping 2) Soit C une constellation à M = 2a points. On appelle mapping toute
bijection, f, de C dans {0, 1}
a
, qui à un point P de C associe un symbole binaire de longueur a.
Naturellement d’après la définition 1.2.2, le nombre de mappings possible pour une constellation
donnée est de (2a
)!. Ce nombre est décrit pour différentes tailles de constellations par la Table 1.1.
Table 1.1 – Nombre de mappings pour a = 2, 3, 4
a Nombre de mappings
2 24
3 40 320
4 > 2 ∗ 1013
Nous utiliserons à présent cette définition du mapping. Notons qu’il existe cependant certains
mappings ayant des propriétés permettant de limiter les erreurs de transmission, comme les mappings
de type Gray [30] que nous utiliserons par la suite.
1.3 Canal de transmission
Lors de la transmission d’un signal, celui-ci est soumis à des atténuations et déformations propres
au canal (par exemple dû à la distance entre deux antennes pour une communication sans-fil). Il est
également soumis à des perturbations externes que l’on appelle couramment du bruit.
Différents supports de transmission permettent de véhiculer une information (câble électrique,
fibre optique, liaison sans-fil . . .). Chaque type de transmission possède un modèle de propagation qui
lui est propre. Une liaison sans-fil est en particulier sensible aux obstacles entraînant des réflexions,
diffractions du signal. À ce titre, ces liaisons sont les plus difficiles à modéliser et il existe différents
modèles de canaux de transmission.
Les deux modèles les plus couramment utilisés sont le canal à bruit blanc additif gaussien et
le canal binaire symétrique. Ils sont tous deux des canaux dits sans mémoire. Il existe cependant
d’autres modèles simulant notamment les canaux multi-trajets tels que les canaux de Rayleigh et de
Rice, utilisés pour modéliser les radiocommunications, auxquels nous ne nous intéressons pas ici.
Le canal à bruit blanc additif gaussien : le signal reçu r(t) s’écrit comme l’addition du signal
émis s(t) et du bruit blanc gaussien b(t). b(t) est modélisé, dans une bande de fréquence limitée, par
un processus aléatoire centré de moyenne nulle, de variance σ
2
, dont la densité de probabilité est :
9Chapitre 1. Introduction à la Transmission du signal Numérique
p(b) = 1
√
2πσ2
e
−b
2
2σ2
La qualité d’une transmission analogique se mesure à l’aide du rapport signal à bruit, noté SNR
(Signal to Noise Ratio) et exprimé généralement en décibels. Il mesure le rapport de puissance entre
le signal et le bruit. Plus le bruit est élevé plus le rapport signal à bruit diminue. La qualité d’une
transmission numérique se mesure quant à elle à l’aide de deux outils distincts qui sont le rapport
signal à bruit par bit, Eb/N0, et le Taux d’Erreur Binaire (TEB ou BER pour Bit Error Rate). Le
rapport signal à bruit par bit mesure le rapport entre l’énergie véhiculée par un bit, Eb, et la densité
spectrale de puissance du bruit, N0.
Le taux d’erreur binaire définit la probabilité pour un bit d’être faux :
BER =
nombre de bit f aux
nombre de bits transmis
Il est possible de calculer le taux d’erreur binaire en fonction du rapport signal à bruit par bit. Ce
calcul dépend fortement de la modulation choisie et du mapping utilisé. On trouve ce calcul dans la
littérature pour différents types de modulation ([22, 39, 40]).
Le canal binaire symétrique : les entrées et sorties du canal binaire symétrique sont des valeurs
binaires. Il est caractérisé par la probabilité d’erreur p qu’un bit (0 ou 1) soit modifié (en son opposé)
lors de la transmission. La probabilité qu’un bit ne soit pas modifié lors de la transmission est alors
1 − p. Il est représenté par la Figure 1.7.
0 0
1 1
p p
1 − p
1 − p
Figure 1.7 – Canal binaire symétrique de probabilité d’erreur p
On considère que le canal binaire symétrique regroupe alors la modulation, le canal et la démodulation
dans le schéma d’un système de communication.
Il est courant de considérer deux modèles de canaux de transmission :
– Un modèle dit interne AWGN (Additive White Gaussian Noise), pour lequel est calculé le taux
d’erreur binaire (en fonction de la modulation et du mapping).
– Un modèle dit externe BSC (Binary Symetric Channel) ayant pour probabilité d’erreur p la
probabilité définie par le BER du canal interne.
Ce qui rend transparent la modulation et la démodulation pour le codage canal.
1.4 Démodulation
On appelle démodulation l’extraction des paramètres αk et βk contenus dans les composantes sI (t)
et sQ(t) d’un signal émis s(t). Le signal reçu s
′
(t) correspond au signal s(t) transformé par le bruit du
101.4 Démodulation
canal de transmission. Les composantes s
′
I
(t) et s
′
Q(t) reçues correspondent alors à des modifications
des composantes sI (t) et sQ(t) et la donnée d’un couple (s
′
I
(t), s′
Q(t)) donnera lieu à interprétation,
dans le sens où l’on évaluera la distance entre le point de coordonnées (s
′
I
(t), s′
Q(t)) et les points de la
constellation.
En effet, l’objectif est de retourner les symboles les plus probablement émis. Un détecteur a maximum
de vraisemblance (ML pour Maximum Likelihood) fait l’hypothèse que les symboles émis sont
équiprobables. Il calcule alors la distance euclidienne entre les symboles reçus et les symboles possibles.
La décision se fait, pour un symbole reçu donné, en faveur du symbole de l’alphabet le plus proche au
sens de la distance euclidienne.
De cette manière une erreur de décision peut être commise si le point de coordonnées (s
′
I
(t), s′
Q(t))
est plus proche géométriquement d’un point de la constellation différent de celui correspondant au
signal émis à l’instant t. Lorsqu’une telle erreur se produit, le plus souvent, un point de la constellation
est interprété comme étant un de ses plus proches voisins.
11Chapitre 1. Introduction à la Transmission du signal Numérique
12Chapitre 2
Mappings
Le mapping est l’association réalisée entre les points d’une constellation et les différents symboles
binaires possibles pour une taille de constellation donnée. La taille d’une constellation en désigne
le nombre de points, elle détermine alors le débit de transmission. À une constellation de M = 2a
points, est associé un ensemble de 2a
symboles binaires de longueur a. Nous utilisons tout au long de
ce manuscrit la notation a pour désigner le nombre de bits par symbole binaire du mapping. Nous
rappelons la définition de mapping comme étant une bijection de la constellation C dans {0, 1}
a
.
Définition 2.0.1 (Mapping) Soit C une constellation à M = 2a points. On appelle mapping toute
bijection f, de C dans {0, 1}
a
, qui à un point P de C associe un symbole binaire de longueur a.
Nous rappelons que le nombre de mappings, pour une constellation donnée, est le nombre de
permutations de {0, 1}
a
, c’est-à-dire (2a
)!. Nous pouvons alors décrire l’ensemble des mappings en
décrivant l’ensemble de ces permutations, pour de petites tailles de constellations (ie a = 2 ou
a = 3).
Il existe cependant des mappings permettant de limiter le Taux d’Erreur Binaire (T EB ou BER
pour Bit Error Rate) en réception. Il définit le nombre d’erreurs de transmission ou d’écriture pour une
information numérique. Un taux d’erreur de 10−2
signifie qu’un bit sur 100 est erroné. Les mappings
Gray [30] permettent de limiter les erreurs de transmission et donc de diminuer le BER.
Définition 2.0.2 (Mapping Gray) Soit C une constellation à M = 2a points. Soit f un mapping
de C. On dit que f est un mapping Gray si pour tous points Pi
, Pj de C, voisins pour la distance
euclidienne, alors f(Pi) et f(Pj ) sont à distance de Hamming de 1.
Le terme mapping est essentiellement utilisé pour désigner l’association des symboles binaires et
des points d’une constellation en dimension 2. Il est alors courant d’utiliser le terme codage dans le
cas d’une constellation en dimension 1.
La décision réalisée lors de la démodulation consiste à associer le point reçu, à l’instant t, au
point de la constellation le plus proche, au sens de la distance euclidienne. Si le symbole binaire,
correspondant au point de la constellation le plus proche, est à distance de Hamming de 1, du symbole
binaire émis à l’instant t, alors un seul bit est erroné à cet instant.
F. Gray a introduit en 1953 ce type de codage. Il a pour but de limiter les erreurs de transmission.
Le code Gray impose des éléments successifs ayant un seul bit différent. Nous pouvons par exemple
coder les entiers de 0 à 7 en binaire naturel : 000, 001 , 010 , 011, 100, 101, 110, 111 ou selon le codage
13Chapitre 2. Mappings
Gray : 000, 001, 011, 010, 110, 111, 101, 100. Le codage Gray assure de plus un minimum d’opérations
lors du passage d’un élément au suivant. Ce codage, également appelé binaire réfléchi, est le codage
initialement introduit par F. Gray.
Il existe d’autres codages que nous pouvons qualifier de codage Gray puisqu’ils respectent la
distance de Hamming de 1 entre deux symbole successifs. Nous voyons en effet dans ce chapitre
différents types de codage Gray, réfléchis ou non réfléchis et de quelle façon les générer d’après les
travaux de E.N. Gilbert [29].
Ces codages sont utilisés pour construire des mappings Gray pour des constellations P SK, QAM
carrées. Les travaux de R.D. Wesel, X. Liu, J.M Cioffi et C. Komminakis [56] ont permis de décrire
la méthode de construction de mappings Gray à partir du produit direct de deux codages Gray. Ainsi
il nous est possible d’énumérer tous les mappings Gray. Ils ont également mis en avant l’impossibilité
de construire un mapping Gray pour une constellation en croix. Nous décrivons alors des méthodes
issues essentiellement de ces travaux [32, 56] d’une part et des travaux de J.G. Smith [45] d’autre
part, permettant de définir des mappings approchant le critère de Gray. Ils sont communément appelés
des mappings quasi-Gray. On pourra également citer les travaux de P.K. Vitthaladevuni, M.S.
Alouini et J.C. Kieffer [51, 52] dans ce domaine. Cependant il n’existe pas de définition formelle des
mappings quasi-Gray au sens où tous les mappings peuvent être considérés comme quasi-Gray avec
des caractéristiques se rapprochant plus ou moins du critère de Gray.
2.1 Codages Gray réfléchis
Nous définissons ici un codage Gray réfléchi et sa méthode de construction. Un tel codage est
construit comme suit : à l’étape 0 on choisit un symbole parmi les 2a possibles. Ce symbole sert
de labellisation pour le point le plus à gauche de la constellation. À l’étape i on choisit un bit à
complémenter (non utilisé pendant les étapes précédentes). À cette étape, 2i points sont déjà labellisés.
Nous labellisons alors les 2i
suivants par symétrie en complémentant le bit précédemment choisi.
L’exemple d’un codage Gray réfléchi pour une constellation unidimensionnelle à 8 points est donné
ci-dessous, il permet d’illustrer cette construction.
Le symbole d’origine est choisi :
b b b b b b b b
001
Le 3ème bit est complémenté pour obtenir le symbole suivant :
b b b b b b b b
001 000
Les deux symboles suivants sont obtenus par symétrie et en complémentant le 2ème bit de chaque
symbole.
b b b b b b b b
001 000 010 011
142.2 Codages Gray non réfléchis
Les derniers symboles s’obtiennent alors en complémentant le 1er bit de chaque symbole, en utilisant
également une symétrie :
b b b b b b b b
001 000 010 011 111 110 100 101
Cette construction permet de décrire 23
.3! codages Gray réfléchis différents : 23 pour le choix du
symbole d’origine et 3! pour le choix de l’ordre des bits à complémenter. Plus généralement, pour une
constellation à 2a points il existe 2a
.a! codages Gray réfléchis.
2.2 Codages Gray non réfléchis
F. Gray a introduit les codes Gray réfléchis. Il existe cependant des codages également appelés
codages Gray qui sont de type non réfléchis. Le codage donné ci-dessous en est un exemple. Nous
pouvons cependant remarquer que les symboles situés aux extrémités sont à distance de Hamming de
1. Nous appelons de tels codages des codages Gray cycliques. Les codages Gray réfléchis sont d’ailleurs
des codages cycliques.
b b b b b b b b
101 001 000 010 011 111 110 100
Il existe donc trois familles de codages Gray : les codages Gray réfléchis, les codages Gray cycliques
et enfin les codages qui ne sont ni réfléchis ni cycliques.
2.3 Codages Gray
E.N. Gilbert [29] a décrit en 1957 une méthode de génération de l’ensemble des codages Gray basée
sur la description de chemins dans un graphe. On définit Qa comme étant un graphe à 2a
sommets
où deux sommets sont reliés par une arête si leurs labels respectifs ne diffèrent que d’un bit. Une
représentation de ces graphes dans le cas a = 2, 3, 4 est donnée par la Figure 2.1, où chaque
sommet est labellisé par l’écriture binaire de son numéro.
0 1
2 3
0 1
2 3
4 5
6 7
Figure 2.1 – Représentation des graphes Qa, de gauche à droite a = 2, 3, 4
15Chapitre 2. Mappings
Les cubes ainsi construits permettent d’obtenir d’une part le nombre de codages Gray pour a ∈
J1, 4K, et d’autre part les codages Gray en eux-mêmes. En effet, la description d’un codage Gray est
équivalente à la description d’un chemin, de longueur 2a de Qa, ne parcourant qu’une seule fois chacun
des sommets.
Le chemin défini par les sommets 0, 1, 3, 2, dans Q2, permet d’obtenir, par le biais de ses labels, le
codage Gray suivant : 00, 01, 11, 10. Le chemin 0, 2, 3, 1 définit également un codage Gray. Il existe
deux chemins de longueur 4 parcourant chacun des sommets de Q2 et ayant pour origine le sommet
0, ainsi que pour chacune des origines possibles. Il y a donc 8 codages Gray à 2 bits. Nous pouvons
déterminer le nombre de codages Gray cycliques pour a ∈ J1, 4K en posant la contrainte suivante : les
chemins retenus sont ceux ayant pour extrémités des sommets voisins.
Le nombre de codage Gray obtenu par simulation est :
– pour a = 2 : 8 dont 8 cycliques
– pour a = 3 : 144 dont 96 cycliques
– pour a = 4 : 91392 dont 43008 cycliques
Les codages Gray réfléchis sont utilisés pour la construction de mappings quasi-Gray, à savoir
des mappings respectant “au maximum” le critère de Gray, dans le cas de constellation comme les
32 − QAM et 128 − QAM. Les codages Gray cycliques sont utilisés pour la construction de mappings
Gray valides pour les constellations P SK. L’ensemble des codages Gray est également utilisé dans le
cas des constellations QAM carrées ou rectangulaires.
2.4 Mappings Gray PSK
Une constellation P SK est un ensemble de points dans le plan répartis sur un cercle de rayon A
(l’amplitude du signal). Un codage Gray cyclique permet donc de définir un mapping Gray pour ce
type de constellation en “enroulant” ce code sur lui-même. Ainsi il existe 96 mappings Gray P SK,
dont 48 sont des mappings issus de codages Gray réfléchis.
Nous remarquons que la notion de points voisins dans une constellation diffère selon sa configuration.
Un point a uniquement deux voisins dans une constellation P SK tandis qu’il peut en avoir
jusqu’à quatre dans une constellation QAM.
2.5 Mappings Gray QAM
Nous décrivons ici la méthode de génération d’un mapping Gray, pour une constellation QAM
carrée ou rectangulaire, issue des travaux Wesel, Liu, Cioffi, Komminakis. Cette méthode utilise le
produit direct de deux codages Gray. Elle permet notamment la génération de l’ensemble des mappings
Gray. Soit une constellation QAM à 2a × 2
b points. Soient deux codages Gray à 2a
et 2b points
respectivement. L’un est utilisé verticalement, l’autre horizontalement. Nous pouvons alors labelliser
un point en adjoignant ses labels verticaux et horizontaux correspondants. En vue de générer l’ensemble
des mappings Gray possibles sans parcourir deux fois le même mapping, il faut fixer la contrainte de
ne pas inverser l’ordre des bits issus d’un même codage. Il y a alors
a+b
a
mappings possibles pour
deux codages horizontaux et verticaux fixés. Deux exemples de tels mappings sont donnés par la
Figure 2.2.
162.6 Mappings quasi-Gray
b
b
b
b
b
b
b
b 10
00 01 11
11
01
00
10
0000
0001
0010
0011
0100
0101
0110
0111
1000
1001
1010
1011
1100
1101
1110
1111
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b 10
00 01 11
11
01
00
10
0000
0001
0100
0101
0010
0011
0110
0111
1000
1001
1100
1101
1010
1011
1110
1111
b
b
b
b
b
b
b
b
Figure 2.2 – Deux mappings Gray construits par produit direct de codes Gray
On note nl (respectivement nc) le nombre de codages Gray lignes (respectivement colonnes). Le
nombre de mappings Gray pour une constellation QAM rectangulaire de taille 2a × 2
b
est de
nl
. nc .
a + b
a
!
Le nombre de mappings Gray pour les constellations 4 − P SK, 8 − P SK, 16 − QAM, 64 − QAM
et enfin 256 − QAM est donné par la Table 2.1.
Constellation Nombre de mappings Gray
4 − P SK 8
8 − P SK 96
16 − QAM 384
64 − QAM 414 720
256 − QAM 584 674 836 480
Table 2.1 – Nombre de mappings Gray
La génération de mappings Gray réfléchis pour les constellations QAM carrées ou rectangulaires
peut se faire par une méthode similaire à celle définie pour les codages Gray. Elle peut également se
faire par produit direct de deux codages Gray réfléchis. Les mappings Gray minimisent les erreurs de
réception. Ils sont potentiellement très utilisés et sont à ce titre des cibles privilégiées pour la suite de
notre travail. Il est impossible d’utiliser des mappings Gray pour les constellations en croix, 32−QAM
et 128 − QAM, nous nous intéressons donc aux mappings dits quasi-Gray.
2.6 Mappings quasi-Gray
Wesel & al. ont démontré qu’il n’est pas possible de construire de mappings Gray pour les constellations
en croix, notamment 32−QAM et 128−QAM. Il est cependant possible d’utiliser des mappings
dits quasi-Gray respectant autant que possible le critère de Gray. Il existe dans la littérature différents
17Chapitre 2. Mappings
mappings quasi-Gray. Le but de cette section est d’en présenter quelques uns. La qualité d’un mapping
quasi-Gray peut être jugée grâce aux deux critères suivants : la pénalité de Gray moyenne, la pénalité
de Gray maximum. Comme il n’existe pas de définition formelle des mappings quasi-Gray, en pratique,
on recherche des mappings qui minimisent les pénalités de Gray moyenne et maximum.
Définition 2.6.1 (Pénalité de Gray moyenne) On définit la pénalité de Gray moyenne, notée Gp,
comme le nombre moyen de bits différents entre deux symboles binaires voisins.
Définition 2.6.2 (Pénalité de Gray maximum) On définit la pénalité de Gray maximum, notée
Gp
k , comme le nombre maximum de bits différents entre deux symboles binaires voisins.
Mappings 32 − QAM
Méthode par déplacement de labels
La première approche se base sur la définition de mappings quasi-Gray à partir de mappings
rectangles. Deux méthodes sont schématisées ici, la première issue de [56] est vue dans la Figure 2.3,
la seconde issue de [45] est vue dans la Figure 2.4.
b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b
(2)
(4)
(1)
(3)
b b b b b b b b
b b b b b b b b
b b b b b b b b
b b b b b b b b
(2)
(4)
(1)
(3)
Figure 2.3 – Construction d’un mapping 32 − QAM par la méthode de Wesel & al.
b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b
(2)
(4)
(1)
(3)
b b b b b b b b
b b b b b b b b
b b b b b b b b
b b b b b b b b
(2)
(4)
(1)
(3)
Figure 2.4 – Construction d’un mapping 32 − QAM par la méthode de J.G. Smith
Méthode par définition de transitions
La seconde approche se base sur la notion de transition. On appelle transition entre deux symboles
binaires s1 et s2, un vecteur v, de taille a tel que s2 = s1 + v. Les transitions pour les constellations
32 − QAM sont des vecteurs de taille 5. Wesel & al. ont étudié ces transitions pour en déterminer
le nombre nécessaire à l’obtention d’un mapping 32 − QAM, ainsi que les agencements décrivant
des mappings quasi-Gray raisonnables. Il en résulte qu’il est possible de labelliser entièrement une
182.6 Mappings quasi-Gray
constellation, pour a impair, avec a + 1 transitions : les transitions unitaires (de poids de Hamming
1) et une transition combinaison linéaire des précédentes.
Pour les mappings 32 − QAM, ils proposent ainsi six schémas (Figure 2.5). La construction d’un
mapping avec cette méthode consiste à choisir le symbole binaire correspondant à l’un des points de la
constellation et à appliquer les transitions successivement afin d’obtenir la labellisation de l’ensemble
de la constellation.
Nous avons matérialisé les transitions non unitaires en les soulignant de gris dans ces schémas de
construction. Cela permet de remarquer les positions où les contraintes de Gray ne sont pas respectées.
Le nombre de ces positions détermine en partie la qualité du mapping quasi-Gray ainsi défini. Le
nombre de mappings quasi-Gray obtenus grâce à l’un des six schémas correspond à 5!.32 ( 5! pour le
choix des transitions e1 à e5, e6 étant fixe, 32 pour le choix du symbole d’origine).
Correspondance des méthodes
Le premier schéma de la Figure 2.5 (en haut à gauche) correspond à un mapping Gray réfléchi
pour lequel les points situés aux extrémités droite et gauche ont été déplacés. Ce schéma correspond
à la construction de la Figure 2.3. On peut également représenter la construction de la Figure 2.4
sous forme de schéma de transition ( Figure 2.6) à partir du schéma de transition d’un mappings
rectangulaire réfléchi (Figure 2.7).
b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b
e4 e2 e2
e6 e7 e7 e6
e5 e5 e1 e1
e2
e1 e1
e3
e1 e1
e2
e1 e1
e6 e7 e7 e6
e2 e2
e6 = e1 ⊕ e5, e7 = e2 ⊕ e5
Figure 2.6 – Schéma de transition des mappings quasi-Gray de J.G. Smith
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
b
e1 e5 e4 e1
e3
e2
e1 e1 e5
e2
Figure 2.7 – Schéma de transition d’un mappings Gray réfléchi rectangulaire 32 − QAM
19Chapitre 2. Mappings
b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b
e4 e2 e2
e6 e5 e5 e6
e5 e5 e1 e1
e2
e1 e1
e3
e1 e1
e2
e1 e1
e6 e5 e5 e6
e2 e2
e6 = e1 ⊕ e2 ⊕ e5
(a) Construction 1
b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b
e1 e3 e3
e4
e5 e3 e3 e5
e4 e6 e5 e5 e6 e4
e3 e4 e4 e3
e2
e3 e4 e4 e3
e4 e6 e5 e5 e6 e4
e5 e3 e3 e5
e4
e3 e3
e6 = e3 ⊕ e4 ⊕ e5
(b) Construction 2
b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b
e1
e4 e4
e2
e5 e4 e4 e5
e4 e6 e3 e3 e6 e4
e3 e5 e5 e3
e2
e3 e5 e5 e3
e4
e3 e5 e5 e3
e2
e5 e5
e6 = e3 ⊕ e4 ⊕ e5
(c) Construction 3
b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b
e1
e6 e6
e2
e3 e6 e6 e3
e4 e4 e3 e3 e4 e4
e3 e5 e5 e3
e2
e3 e5 e5 e3
e4 e6 e4 e4 e6 e4
e5 e3 e3 e5
e2
e3 e3
e6 = e3 ⊕ e4 ⊕ e5
(d) Construction 4
b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b
e5 e1 e5
e2
e4 e4
e5 e3 e3 e3 e3 e5
e6 e6
e2
e6 e6
e5 e4 e4 e4 e4 e5
e3 e3
e2
e6 = e3 ⊕ e4 ⊕ e5
(e) Construction 5
b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b b b
b b b b
e1 e6 e6
e2
e4 e6 e6 e4
e3 e5 e4 e4 e5 e3
e6 e3 e3 e6
e2
e6 e3 e3 e6
e3 e4 e5 e5 e4 e3
e5 e6 e6 e5
e2
e6 e6
e6 = e3 ⊕ e4 ⊕ e5
(f) Construction 6
Figure 2.5 – Six schémas de transitions pour générer des 32-QAM quasi-Gray. Les traits en pointillés
signifient que toute la ligne, ou toute la colonne, est construite avec la même transition
202.6 Mappings quasi-Gray
Pénalité de Gray
Nous pouvons calculer pour chacun des schémas présentés ici la pénalité de Gray moyenne. Ainsi
pour la méthode de la Figure 2.4 la pénalité moyenne est de 7
6
:
A B D′ C
′
E I M Q U Y
F J N R V Z
G K O S W A′
H L P T X B′
D C E′ F
′
A E I M Q U Y C
′
B F J N R V Z D′
C G K O S W A′ E′
D H L P T X B′ F
′
Avec les notations précédentes, les points J, N, R, V , K, O, S, W puis E, F, G, H, Y , Z, A′
,
B′ ont une pénalité moyenne de 1. En effet, ils respectent le critère de Gray. Les points A, C
′
, D et
F
′ont une pénalité de 3
2
, les points B, D′
, C, E′ ont une pénalité de 4
3
et enfin les points restants ont
une pénalité de 5
4
. La pénalité moyenne est donc de 7
6
.
De la même manière, il est possible de calculer les pénalités de Gray pour les autres méthodes de
construction, elles sont données par la Table 2.2
Figure 2.5a 2.5b 2.5c 2.5d 2.5e 2.5f 2.4
Gp
19
16
9
8
17
16
118
96
110
96
71
48
7
6
Gk
p
3 3 3 3 3 3 2
Table 2.2 – Pénalité de Gray de mappings 32 − QAM
Mappings 128 − QAM
Nous présentons ici deux types de mappings quasi-Gray pour les constellations 128 − QAM cruciformes.
Ces deux méthodes se basent sur la modification de mappings Gray rectangulaires. La seconde
méthode est issue des travaux de P.K. Vitthaladevuni, M.S. Alouini et J.C. Kieffer [52]. Elles sont
données par la Figure 2.8 et la Figure 2.9.
21Chapitre 2. Mappings
b
b b b b b b b b b b b b b b b b
b b b b b b b b b b b b b b b
b b b b b b b b b b b b b b b b
b b b b b b b b b b b b b b b b
b b b b b b b b b b b b b b b b
b b b b b b b b b b b b b b b b
b b b b b b b b b b b b b b b b
b b b b b b b b b b b b b b b b
b
bb
b b b b b b b b b b b b
b
b
b b b b b b b b b b b b
b
b
b
b
b b b b b b b b b b b b
b
b b
b
b b b b b b b b b b b b
b
b
bbb b
bbbb
b b b b b b b b b b b b
b
b
b b b b b b b b b b b b
b
b
b b b b b b b b b b b b
b
b
b b b b b b b b b b b b
b
b
b
(1) (2)
(3) (4)
b b b b b b b b b b b b b b b
(3) (4)
(1) (2)
Figure 2.8 – Construction d’un mapping 128 − QAM par la méthode de Wesel & al.
b
b b b b b b b b b b b b b b b b
b b b b b b b b b b b b b b b
b b b b b b b b b b b b b b b b
b b b b b b b b b b b b b b b b
b b b b b b b b b b b b b b b b
b b b b b b b b b b b b b b b b
b b b b b b b b b b b b b b b b
b b b b b b b b b b b b b b b b
b
bb
b b b b b b b b b b b b
b
b
b b b b b b b b b b b b
b
b
b
b
b b b b b b b b b b b b
b
b b
b
b b b b b b b b b b b b
b
b
bbb b
bbbb
b b b b b b b b b b b b
b
b
b b b b b b b b b b b b
b
b
b b b b b b b b b b b b
b
b
b b b b b b b b b b b b
b
b
b
(1)
(2)
(3)
(4)
b b b b b b b b b b b b b b b
(1) (2) (3) (4)
(5)
(6)
(7)
(8)
(5) (6) (7) (8)
Figure 2.9 – Construction d’un mapping 128 − QAM par la méthode de Vitthaladevuni & al.
La pénalité de Gray du mapping présenté Figure 2.9 est donnée dans [52] est vaut
1 +
1
√
2 ∗ 128
+
1
3 ∗ 128
≃ 1.0651
Ces méthodes s’étendent au cas des constellations 512 − QAM. Dans la suite de ce travail nous
utilisons les mappings quasi-Gray définis à partir de mappings Gray rectangles. Elles sont efficaces
dans le sens où elles nécessitent peu de transformations alors que nous sommes déjà en mesure de
générer les mappings Gray rectangulaires.
22Chapitre 3
Codes Convolutifs et Codes de Reed-Solomon
Ce chapitre introductif a pour objectif de donner des notions de théorie des codes. Notamment
nous présentons ce que sont les codes convolutifs et les codes de Reed-Solomon. Ces deux types de
codes sont ceux utilisés dans le Chapitre 6 pour la reconnaissance du mapping bien que nous nous
soyons essentiellement concentrés sur le cas des codes convolutifs. Nous présentons en effet de plus
une méthode de détection des codes convolutifs dans le Chapitre 4.
3.1 Introduction aux codes correcteurs d’erreurs
Les codes correcteurs d’erreurs sont des systèmes visant à réduire les erreurs de transmission.
Le codage de l’information binaire à transmettre, par ce type de systèmes, permet d’ajouter de la
redondance ; c’est-à-dire que l’on transmet plus de données que la quantité d’informations initiale.
La redondance introduite est utilisée lors de la réception des données afin de détecter et corriger les
erreurs de transmission.
Il existe deux grandes familles de codes : les codes en blocs et les codes convolutifs. Pour chacune de
ces deux familles, l’information est séparée en blocs de taille constante k appelés mots d’information.
Les blocs obtenus par codage de ces mots d’informations sont appelés des mots de code.
On note u = (u1, . . . , uk), ui ∈ Fq, un mot d’information et y = (y1, . . . , yn), yi ∈ Fq, le mot de
code associé où n > k. On appelle n la longueur du code.
Codes en blocs Nous allons à présent voir des exemples de codes en blocs et les premières définitions
de codes, notamment de codes dits linéaires.
Un exemple de code : le code à répétition
Le principe du code à répétition est simplement de répéter un certain nombre de fois n chacun
des bits du message à transmettre. Pour n = 3 le message 0110 devient 000111111000. Si une erreur
se produit lors de la transmission alors on retrouvera le message initial par vote majoritaire. Cette
méthode permet de corriger toutes les erreurs de poids 1 (un seul bit sur les trois répétés est faux).
Ce code a l’avantage de pouvoir corriger autant d’erreurs que l’on souhaite en augmentant le
nombre de répétition, mais le nombre de bits à transmettre est alors trop important. Pour n = 3 si le
message à transmettre est de longueur m alors le message codé sera de longueur 3m.
23Chapitre 3. Codes Convolutifs et Codes de Reed-Solomon
On définit le rendement d’un code par le ratio k/n où k est la longueur des mots d’informations
et n celle des mots de code. Dans l’exemple du code à répétition k = 1 et n = 3.
On définit la distance minimale d’un code, noté d, comme la plus petite distance séparant deux
mots de code (pour la distance de Hamming). Le code à répétition a pour distance minimale d = n.
La question du décodage est liée à la notion de capacité de correction, c’est-à-dire pour un code
donné, combien d’erreurs est-on en mesure de corriger. Soit C un code de longueur n, dont la longueur
des mots d’informations est k et de distance minimale d. Soit y = (y1, . . . , yn), yi ∈ Fq un mot de
code. Lors de la transmission du signal, ce mot de code peut être modifié. Le mot reçu s’écrit alors
y
′ = y + e où e correspond à l’erreur ajoutée.
On appelle décodage par maximum de vraisemblance le décodage qui consiste à associer à y
′
le
mot de code y le plus proche (au sens de la distance de Hamming). Alors on peut décoder de manière
unique tous mots reçus ayant au plus t = ⌊
d−1
2
⌋ erreurs. t est appelé la capacité de correction.
L’objectif de la théorie des codes est de définir des codes assurant à la fois de bon taux de transmission
et de bonnes capacités de correction.
Un exemple de code : le code de Hamming
Soit G =
1 0 0 0 0 1 1
0 1 0 0 1 0 1
0 0 1 0 1 1 0
0 0 0 1 1 1 1
. Le code défini par l’ensemble des y = uG, avec u = (u1, u2, u3, u4),
ui ∈ F2, a pour longueur 7, des mots d’informations de longueur 4 et une distance minimale de 3.
Il a donc pour capacité de correction t = 1, pour un rendement de 4
7
. Il est ainsi un code de même
distance minimale que le code à répétition mais a un meilleur rendement.
Le code de Hamming présenté ici est défini par une matrice G de taille k × n, à coefficients dans
F2, que l’on appelle une matrice génératrice. Il peut également être défini par une matrice dite de
parité, notée H, de taille (n − k) × n, à coefficients dans F2, telle que GH⊤ = 0k×(n−k)
. Alors, pour
tout mot de code y de C on a yH⊤ = 0. On peut ainsi déterminer l’appartenance d’un mot à un code
en connaissant une matrice de parité.
Nous nous attachons maintenant à définir les notions de code, matrice génératrice et matrice de
parité pour les codes dit linéaires.
Définition 3.1.1 (Code) Un code C sur Fq de longueur n est un sous-ensemble de F
n
q
Définition 3.1.2 (Code linéaire) Un code linéaire C sur Fq de longueur n et de dimension k est
un sous-espace vectoriel de F
n
q de dimension k.
On écrit [n, k, d]q les paramètres d’un code linéaire C de longueur n, dimension k, et distance
minimale d défini sur Fq et [n, k, d] lorsque qu’il n’y a pas d’ambiguïté sur le corps de base.
Définition 3.1.3 (Matrice génératrice) Une matrice génératrice d’un code linéaire C est une matrice
dont les vecteurs lignes forment une base de C .
243.2 Codes cycliques
Une matrice génératrice n’est donc pas unique et un code possède autant de matrices génératrices
que de bases.
Définition 3.1.4 (Code dual) Soit C une code linéaire de longueur n et dimension k. On note C
⊥
le code dual de C tel que C
⊥ = {y ∈ F
n
q
| uy = 0, ∀u ∈ C } où uy =
Pn
i=1 uiyi
, ui
, yi ∈ Fq
Lors de l’utilisation d’un code en bloc, chaque mot d’information est codé indépendamment des
autres. Le mot de code y dépend uniquement du mot d’information u. On définit la fonction de codage
pour les codes en blocs comme l’application linéaire injective φ : F
k
q → F
n
q qui à un mot d’information
u associe un mot de code y = φ(u). On peut d’ailleurs définir un code en bloc comme l’ensemble des
mots de code y = uG où G est une matrice de l’application φ dans une base donnée. D’autre part,
lorsque l’on dispose d’une séquence binaire à coder, cette dernière est décomposée en blocs de taille k
qui seront codés pour former des blocs de taille n, constituant ainsi la séquence codée. On note alors
respectivement uj et yj les mots d’informations et de codes obtenus au temps j. On obtient donc la
relation suivante : yj = ujG. Lorsque les séquences d’informations et les séquences codées sont vues
comme des séquences infinies, on écrit U(D) = P
j≥0 ujDj où D est une variable indéterminée et
uj = (u0, . . . , uk)j = (u0,j , . . . , uk,j ). On a alors Y (D) = U(D)G avec Y (D) = P
j≥0
yjDj
.
3.2 Codes cycliques
Soient c = (c0, c1, . . . , cn−1) appartenant à F
n
q
et c
′ = (cn−1, c0, . . . , cn−2) le décalé de c. Un
code de longueur n est dit cyclique si pour tout mot de code c = (c0, c1, . . . , cn−1) son décalé
c
′ = (cn−1, c0, . . . , cn−2) est aussi un mot de code. Ce qui implique que (cn−2, cn−1, c0, . . . , cn−3),
(cn−3, cn−2, cn−1, . . . , cn−4) et ainsi de suite sont aussi des mots de code.
Pour les mots de codes d’un code cyclique on adopte usuellement l’écriture suivante
c(x) = c0 + c1x + · · · + cn−1x
n−1
D’où
c
′
(x) = cn−1 + c0x + · · · + cn−2x
n−1
D’autre part
xc(x) = c0x + c1x
2 + · · · + cn−1x
n
= cn−1(x
n − 1) + (c0x + c1x
2 + · · · + cn−2x
n−1 + cn−1)
et
xc(x) mod (x
n − 1) = cn−1 + c0x + · · · + cn−2x
n−1
donc
c
′
(x) = xc(x) mod (x
n − 1)
De même, si c est décalé de deux rangs vers la droite, on obtient (cn−2, cn−1, c0, . . . , cn−3), ce qui
correspond à x
2
c(x) mod (x
n − 1). C’est également vrai pour les décalés suivants.
25Chapitre 3. Codes Convolutifs et Codes de Reed-Solomon
L’ensemble des opérations sur c(x) se fait alors dans l’anneau quotient Fq[x]/(x
n−1) et on identifie
F
n
q
à Fq[x]/(x
n − 1).
En montrant que C est un idéal de cet anneau, on obtient alors l’existence d’un unique polynôme
unitaire g(x) de degré minimal et tel que g(x) est un générateur de C . De plus g(x) divise x
n −1 dans
Fq[x].
Notons r le degré de g(x) = g0 + g1x + · · · + grx
r
. Ce polynôme g(x) est un générateur du code
alors tout mot de code c(x) est un multiple de g(x), c’est-à-dire c(x) = m(x)g(x) avec m(x) =
m0 +m1x+· · · +mk−1x
k−1
. Le code est de dimension k et {g(x), xg(x), x2
g(x), . . . , xk−1
g(x)} est une
base de C . Le polynôme c(x) = m(x)g(x) de degré inférieur ou égal à n − 1 s’écrit :
c(x) = m0g(x) + m1xg(x) + · · · + mk−1x
k−1
g(x)
ce qui se représente sous la forme matricielle suivante :
m0 m1 . . . mk−1
g(x)
xg(x)
.
.
.
x
k−1
g(x)
ou encore
m0 m1 . . . mk−1
g0 g1 . . . gr
g0 g1 . . . gr
.
.
.
.
.
.
.
.
.
g0 g1 . . . gr
Cette matrice de taille k × n est une matrice génératrice de C . D’autre part soit h(x) tel que
g(x)h(x) = x
n − 1 alors
H(n−k)×n =
hk hk−1 . . . h0
hk kk−1 . . . g0
.
.
.
.
.
.
.
.
.
hk hk−1 . . . h0
est une matrice génératrice du dual où h(x) = h0 + h1x + · · · + hk−1x
k−1
Codes cycliques raccourcis Soit C
′
le sous-ensemble de C composé de l’ensemble des mots de
code c
′
(x) tels que c
′
(x) = m(x)g(x) avec
m(x) = m0 + m1x + · · · + mk−i−1x
k−i−1
et i un entier positif. C’est-à-dire
m =
m0 m1 . . . mk−i−1 0 . . . 0
.
Alors C
′
est un code de dimension k − i et de longueur n − i. Un tel code est dit raccourci.
263.2 Codes cycliques
Codes Reed-Solomon Les codes Reed-Solomon font partie des codes cycliques les plus utilisés, ils
permettent de corriger les erreurs se produisant par paquets. Il ont été inventés en 1960 par Reed et
Solomon.
Nous supposons à présent que n est premier avec q. Il existe deux façons de décrire un code
de Reed-Solomon. La première que nous donnons est la première définie historiquement et permet de
donner des résultats théoriques, la seconde est cependant utilisée pour décrire des codeurs et décodeurs
de ces codes.
Définition 3.2.1 Soient α un élément primitif de Fqm, n = q
m − 1 et m(x) = m0 + m1x + · · · +
mk−1x
k−1 ∈ Fqm[x] un mot d’information sous forme polynomiale.
Soit φ : m(x) → c tel que
c = (c0, c1, . . . , cn−1) =
m(1), m(α), m(α
2
), . . . , m(α
n−1
)
Le code de Reed-Solomon de longueur n = q
m −1 et de dimension k sur Fqm est l’ensemble des images,
par φ, des polynômes de degré inférieur ou égal à k − 1 à coefficients dans Fqm.
La seconde construction se rapproche de celle des codes BCH (ils doivent leur nom à Bose, Chaudury
et Hocquenghem) que nous allons évoquer à présent.
Rappelons que le polynôme minimal d’un élément de Fqm est le polynôme (non nul) de plus faible
degré dont il est racine. De plus les éléments admettant le même polynôme minimal sont dits conjugués.
Un polynôme primitif est un polynôme minimal dont au moins une racine est un élément primitif
de Fqm.
Un code BCH de longueur n capable de corriger au moins t erreurs se construit selon la procédure
suivante : Prendre m le plus petit entier tel que Fqm a une racine n-ième primitive α. Choisir un entier
b positif (souvent b = 1). Déterminer ensuite les polynômes minimaux de α
b
, αb+1, . . . , αb+2t−1 à
coefficients dans Fq. Le polynôme générateur g(x) du code est le plus petit multiple commun de ces
polynômes minimaux.
Ainsi, les coefficients de g(x) sont dans Fq ainsi que les mots du code tandis que les racines de g(x)
sont elles dans Fqm. De plus, certains des α
i
sont potentiellement conjugués donc g(x) est de degré au
plus 2t.
Le code ainsi construit est un code de longueur n, de dimension n − deg g(x) et de distance minimale
supérieure ou égale à δ = 2t + 1.
Les α
b
, αb+1, . . . , αb+2t−1
sont par définition racines de leur polynômes minimaux respectifs et
sont alors racines de g(x) sur Fqm. Donc pour tout α
i
, (i = b, b + 1, . . . , b + 2t − 1 ), g(α
i
) = 0 et par
conséquent c(α
i
) = m(α
i
)g(α
i
) = 0. Ceci se traduit par
c0 + c1α
i + c2(α
i
)
2 + · · · + cn−1(α
i
)
n−1 = 0, ∀i = b, b + 1, . . . , b + 2t − 1
27Chapitre 3. Codes Convolutifs et Codes de Reed-Solomon
Donc
c0 c1 . . . cn−1
1
α
i
(α
i
)
2
.
.
.
(α
i
)
n−1
= 0
et
H =
1 α
b
(α
b
)
2
. . . (α
b
)
n−1
1 α
b+1 (α
b+1)
2
. . . (α
b+1)
n−1
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
1 α
b+2t−1
(α
b+2t−1
)
2
. . . (α
b+2t−1
)
n−1
est également une matrice génératrice du dual.
Passons à présent aux codes de Reed-Solomon. Dans Fqm le polynôme minimal d’un élément α est
égal à (x − α). Un tel code prend comme polynôme générateur
g(x) = (x − α
b
)(x − α
b+1)· · ·(x − α
b+2t−1
).
g(x) est alors de degré exactement 2t. Donc n − k = 2t. Et le code est en mesure de corriger t erreurs.
Un exemple de code Reed-Solomon : Nous décrivons ici un code de longueur 15 et de dimension
9 sur F2
4 . Ce code est en mesure de corriger 3 erreurs. De plus F2
4 est identifié à F2[x]/(x
4+x+1).
Soit α dans F2
4 une racine de x
4 + x+ 1. Nous avons α
15 = 1. On peut d’autre part décrire l’ensemble
des puissances successives de α. En effet α
4 = α + 1 puisque α est racine de x
4 + x + 1. Ensuite
α
5 = α
2 + α. Les puissances suivantes se calculent de la même manière et dépendent uniquement de
1, α, α
2
et α
3
. On peut donc en donner une représentation vectorielle dans cette base. Les 7 premières
puissances sont données dans le tableau ci-dessous :
Puissance de α Représentation dans la base Représentation vectorielle
1 1 (1, 0, 0, 0)
α α (0, 1, 0, 0)
α
2 α
2
(0, 0, 1, 0)
α
3 α
3
(0, 0, 0, 1)
α
4 α + 1 (1, 1, 0, 0)
α
5 α
2 + α (0, 1, 1, 0)
α
6 α
3 + α
2
(0, 0, 1, 1)
et α est bien un élément primitif de F2
4. Prenons b = 1, on a n = 15 et k = 9 donc 2t = 6 et
g(x) = (x − α)(x − α
2
)(x − α
3
)(x − α
4
)(x − α
5
)(x − α
6
).
L’avantage de tels codes est que l’on maîtrise très bien la capacité de correction. De plus, les codes
définis sur F2
8 sont souvent utilisés du fait de leur praticité. En effet, chaque élément de F2
8 se repré-
sente dans la base {1, α, . . . α7} sur un octet.
Par ailleurs, il est possible de donner des matrices systématiques pour les matrices génératrices
de C ainsi que pour C
⊥. En effet, la division euclidienne de x
n−k+i par g(x) pour i = 0, 1, . . . , k − 1
283.3 Codes convolutifs
donne
x
n−k+i = qi(x)g(x) + ri(x)
avec ri(x) = ri,0 + ri,1x + · · · + ri,n−k−1x
n−k−1
. C’est-à-dire
x
n−k+i − ri(x) = qi(x)g(x)
donc x
n−k+i − ri(x) est un multiple de g(x) et est aussi un mot de code. Le polynôme ri(x) s’écrit
sous forme matricielle
ri,0 ri,1 . . . ri,n−k−1 0 . . . 0
donc x
n−k − r0(x) correspond à
−r0,0 −r0,1 . . . −r0,n−k−1 1 0 . . . 0
et on obtient la matrice génératrice suivante :
G =
−r0,0 −r0,1 . . . −r0,n−k−1 1 0 0 . . . 0
−r1,0 −r1,1 . . . −r1,n−k−1 0 1 0 . . . 0
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
−rk−1,0 −rk−1,1 . . . −rk−1,n−k−1 0 0 0 . . . 1
et
H =
1 0 0 . . . 0 r0,0 r1,0 . . . rk−1,0
0 1 0 . . . 0 r0,1 r1,1 . . . rk−1,1
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
0 0 0 . . . 1 r0,n−k−1 r1,n−k−1 . . . rk−1,n−k−1
Les codes en blocs ont l’avantage d’être largement étudiés et permettent à ce titre des constructions
variées. En revanche la complexité de codage et décodage peut varier selon le type de code. Les codes
convolutifs sont eux implémentés sous forme de registres à décalage et présentent ainsi l’avantage
d’offrir un codage simple et un décodage rapide au fur et à mesure de la réception de l’information.
Cependant, ils fournissent généralement de plus faibles capacités de correction.
On définit pour les codes convolutifs linéaires la notion de matrice génératrice de manière similaire
à la notion de matrice génératrice pour les codes en blocs. Les définitions présentées dans le paragraphe
suivant sont essentiellement issues de [38]. Nous parlerons ici uniquement de codes convolutifs linéaires,
nous utiliserons donc le terme code convolutif pour signifier code convolutif linéaire.
3.3 Codes convolutifs
Lors de l’utilisation d’un code convolutif, le mot de code yj dépend du mot d’information uj mais
également des mots d’informations reçus aux instants précédents. yj dépend donc de uj , uj−1, . . . , uj−M
où M correspond à la mémoire du codeur. On définit donc la fonction de codage d’un code convolutif
comme l’application linéaire injective φ : F
k
2 → F
n
2
telle que yj = φ(uj , uj−1, . . . , uj−M). Ainsi,
29Chapitre 3. Codes Convolutifs et Codes de Reed-Solomon
k
n
G0 G1 G2
. . .
G0 G1 G2
. . .
G0 G1
.
.
.
GM
GM
. . . GM
.
.
.
0k×n
0k×n
0k×n
0k×n
G2
Figure 3.1 – Matrice génératrice binaire d’un code convolutif
la matrice G de cette application dans une base donnée prendra la forme d’une matrice shiftée infi-
nie comme définie par la Figure 3.1 , où chacune des matrices Gi est une matrice binaire de taille k×n.
On pourra également décrire la matrice G comme une matrice à coefficients dans F2(D). On note
G(D) = G0 +G1D +G2D2 +. . . GM DM, G(D) est alors une matrice de taille k ×n à coefficients dans
F2(D).
On peut d’ailleurs voir les codes en blocs comme des codes convolutifs de mémoire nulle.
On distinguera ici la notion de code et de codeur. Le code est l’ensemble des mots de code tandis
que le codeur (ou encodeur) est la réalisation physique de la fonction de codage. D’autre part, la réalisation
physique d’une fonction de codage correspond à l’implémentation de registres à décalage. Mais
au même titre qu’un code dispose de plusieurs matrices génératrices, il existe différentes réalisations
pour un même code généré. Les registres nécessitant le moins de mémoire sont à priori les plus utilisés
et donc les plus intéressants du point de vue de la reconnaissance. Nous verrons alors que l’algorithme
de reconnaissance de codes convolutifs que nous utilisons dans la suite se propose de retourner une des
matrices génératrices correspondant à ces registres. On note alors (n, k) les paramètres d’un codeur
convolutif ayant k entrées et n sorties.
Nous ne décrirons pas précisément le fonctionnement de cet algorithme mais en donnerons les
principales composantes. Cet algorithme sera ensuite pour nous un moyen de discriminer les mappings
lors de la reconnaissance de mapping en présence de données codées par un codeur convolutif.
Définition 3.3.1 (Code convolutif) Un (n, k) code convolutif C est un sous-espace vectoriel de
dimension k de F2(D)
n
.
Définition 3.3.2 (Matrice génératrice) Une matrice génératrice G(D) du code C de paramètres
(n, k) est une matrice de taille k × n dont les lignes forment une base de C .
Une matrice génératrice d’un code convolutif est donc une matrice à coefficients dans F2(D). On
parle de matrice génératrice polynomiale lorsque les coefficients de G(D) appartiennent à F2[D].
On peut écrire U(D) = P
j≥0 ujDj avec uj = (u0, . . . , uk)j = (u0,j , . . . , uk,j ) et Y (D) =
P
j≥0
yjDj
. On a alors Y (D) = U(D)G(D).
303.3 Codes convolutifs
(u0, u1, . . . , uM, uM+1, . . .) ×
G0 G1 . . . GM 0 . . .
G0 G1 . . . GM 0 . . .
.
.
.
G0 G1 . . . GM 0
G0 G1 . . . GM
.
.
.
.
.
.
.
.
.
|{z} |{z} |{z} |{z}
. . .
y0 y1 yM yM+1
Figure 3.2 – Codage d’une séquence par un code convolutif
3.3.1 Représentation binaire
Rappelons que du point de vue binaire la séquence codée (composée des mots de code concaténés),
notée y0y1 . . . yM . . . est telle que :
y0 = u0G0
y1 = u0G1 + u1G0
. . .
yM = u0GM + u1GM−1 + · · · + uM G0
yM+1 = u1GM + u2GM−1 + · · · + uM+1G0
où uj est le mot d’information à l’instant j et les Gi
les blocs de la matrice génératrice binaire
infinie de C présentée précédemment.
Remarquons que dès lors que j ≥ M + 1, yj ne dépend plus de u0. En effet la mémoire du codeur
est de M et yj = φ(uj , uj−1, . . . , uj−M).
Lorsque j = 0, . . . , M − 1 , yj ne dépend pas de tous les Gi (i = 0, . . . , M). Cela constitue une
phase d’initialisation.
Dès lors que j ≥ M, yj dépend de tous les Gi et la sortie yj est obtenue en effectuant le produit
de la séquence d’entrée par la matrice binaire infinie. Nous avons alors :
yj =
X
M
i=0
uj−iGi
.
Ce produit est représenté par la Figure 3.2
31Chapitre 3. Codes Convolutifs et Codes de Reed-Solomon
3.3.2 Équations de parité
Soit H =
H0 H1 . . . HM 0 . . .
H0 H1 . . . HM 0 . . .
.
.
.
.
.
.
H0 H1 . . . HM 0
H0 H1 . . . HM 0
.
.
.
.
.
.
une matrice duale de C . On a
y0 y1 . . . yM
H0 . . . HM
⊤
= 01×(n−k)
.
On dit que
y0 y1 . . . yM
vérifie n−k équations de parité. Il en est de même pour
y1 y2 . . . yM+1
,
y2 y3 . . . yM+2
et ainsi de suite. Les équations de parité s’appliquent à toutes les sous-séquences
de longueur n(M + 1) par blocs glissants (avec un décalage de n).
3.3.3 Représentation en série
La séquence d’information s’écrit comme étant la série
U(D) = X
j≥0
ujDj
.
Notons
Y (D) = X
j≥0
yjD
j
.
Nous avons alors la relation Y (D) = U(D)G(D) avec G(D) = G0 + G1D + · · · + GMDM. En effet
G(D) = G0 + G1D + · · · + GMDM donc
X
j≥0
ujD
j
G(D) = X
j≥0
ujG0D
j +
X
j≥0
ujG1D
j+1 + · · · +
X
j≥0
ujGM D
j+M
=
X
j≥0
ujG0D
j +
X
j≥1
uj−1G1D
j + · · · +
X
j≥M
uj−MGM D
j
= u0G0 + (u0G1 + u1G0)D + . . .
+ (u0GM + u1GM−1 + · · · + uMG0)D
M +
X
j>M
X
M
i=0
uj−iGi
D
j
=
X
j≥0
yjD
j = Y (D)
323.3 Codes convolutifs
u1,t
u2,t
s1,t
s2,t
s3,t
y1,t
y3,t
y2,t
Figure 3.3 – Codeur de rendement 2/3
3.3.4 Codeurs
Les sorties d’un codeur convolutif dépendent des entrées à différents instants. En termes d’implé-
mentation, il faut donc stocker différents états de l’entrée dans des registres. Notons m ce nombre de
registres. Les m registres représentent alors l’état interne du codeur, noté sj (sj est un vecteur binaire
de taille m). Notons que dans le cas particulier où k = 1 alors m = M. L’entier m est également
appelé la longueur de contrainte du codeur.
Il est possible de déterminer une matrice génératrice du code C en fonction du vecteur d’entrée
uj , du vecteur d’état sj et du vecteur de sortie yj pour un codeur donné. Le vecteur d’état sj dépend
de l’état sj−1 à l’instant précédent et de l’entrée uj à l’instant j. La sortie yj dépend de l’entrée uj à
l’instant j et de l’état interne sj . L’opération de codage se décrit alors comme suit :
sj+1 = sjAm×m + ujBk×m
yj = ujUk×n + sjVm×n
avec Am×m, Bk×m, Uk×n, Vm×n des matrices binaires et s0 = 01×m. En posant
E(D) = B.
D
−1
Idm − A
−1
nous obtenons
Y (D) = U(D) [U + E(D)V ]
d’où
G(D) = U + E(D)V.
33Chapitre 3. Codes Convolutifs et Codes de Reed-Solomon
Nous proposons à présent un exemple de codeur convolutif de rendement 2/3 donné par la Figure
3.3. Notons
uj = (u1, u2)j = (u1,j , u2,j )
yj = (y1, y2, y3)j = (y1,j , y2,j , y3,j )
sj = (s1, s2, s3)j = (s1,j , s2,j , s3,j ).
Le codage est décrit comme suit :
y1,j = u1,j + s3,j
y2,j = s1,j + s2,j
y3,j = u2,j + s2,j
Nous obtenons alors
Uk×n =
1 0 0
0 0 1 !
Vm×n =
0 1 0
0 1 1
1 0 0
Am×m =
0 0 1
0 0 0
0 0 0
Bk×m =
1 0 0
0 1 0 !
Et finalement
E(D) =
D 0 D2
0 D O !
d’où
G(D) =
1 + D2 D O
0 D 1 + D
!
Nous utilisons également dans ce manuscrit une notation décimale pour représenter les polynômes
générateurs dont la représentation en base 2 donne les coefficients des polynômes dans l’ordre décroissant.
Dans le cas de l’exemple nous obtenons
5 2 0
0 2 3!
.
3.4 Reconstruction de codes
La méthode décrite par A. Valembois dans [47] et [48] est actuellement utilisée pour la reconstruction
de codes en blocs et de codes convolutifs. Cette méthode permet la reconstruction d’une matrice
343.4 Reconstruction de codes
génératrice du dual. Elle s’appuie sur la méthode de Canteaut-Chabaud pour trouver des mots candidats
du dual et décide selon un test statistique de leur appartenance au dual.
Il existe de plus des méthodes spécifiques au type de codes recherchés. En effet, connaître une
matrice binaire du dual n’est pas suffisant pour le décodage. Il faut d’une part retrouver une matrice
génératrice du code puis en extraire la structure algébrique.
B. Rice a initié des travaux sur la reconnaissance des codes convolutifs (n, 1) dans le cas non bruité
dans [41]. E. Filiol a ensuite proposé une méthode de reconstruction des codes convolutifs lorsque
les données observées sont bruitées dans [28] et [27]. Puis une méthode algébrique a été donnée par
J. Barbier, G. Sicot et S. Houcke dans [5], elle est ensuite détaillée dans la thèse de J. Barbier [3].
De nombreuses autres études ont depuis été menées sur la reconstruction des codes convolutifs dont
[14, 21, 24, 33, 35–37, 53, 59–61]
3.4.1 Codes Convolutifs
Soit C un code tel que les polynômes générateurs soient premiers entre eux et de longueur de
contrainte m. Le codeur utilisé nécessite m bits pour remplir ses registres. Une séquence d’information
de taille ks + m s’envoie sur une séquence codée de taille ns. Soit Cs cette restriction :
Cs : F
ks+m
2 → F
ns
2
Le théorème suivant, issue de [14], donne le rang de l’application Cs en fonction de s et montre
qu’à partir de s > km
n−k
toutes les séquences de taille ns ne correspondent pas à une séquence codée.
Le critère du rang est à la base de la plupart des résultats sur la reconnaissance de codes convolutifs.
Théorème 3.4.1 Soit s ∈ N
∗
. Soit Cs : F
ks+m
2 → F
ns
2
l’application linéaire obtenue par restriction.
Si tous les polynômes générateurs sont premiers entre eux alors
rang(Cs) = (
ns si s ≤
km
n−k
k(s + m) si s ≥
km
n−k
Il en découle que la matrice dont les lignes sont des séquences codées de taille ns n’est pas de rang
plein lorsque s > km
n−k
. Ce défaut de rang peut alors s’identifier par un pivot de Gauss. Malgré tout,
lorsque la séquence observée est bruitée, cette méthode n’est plus envisageable.
Les alternatives sont alors de chercher des plages non bruitées, d’utiliser une méthode appelée
Gauss randomisé issue des travaux de G. Sicot et S. Houcke [42, 43] qui est applicable pour de faibles
taux d’erreur ou encore d’utiliser la méthode introduite par A. Valembois [47, 48]. M. Cluzeau dans
[15] a également repris et fait évoluer l’approche proposée par A. Valembois
L’algorithme de reconnaissance de codes convolutifs linéaires dont nous disposons (issu de [20, 21])
utilise la méthode de A. Valembois et se propose alors de retourner une matrice génératrice correspondant
à un codeur minimisant le nombre de registres nécessaires à l’implémentation, lorsque la séquence
binaire observée est une séquence codée et bruitée. Cet algorithme retourne alors une matrice génératrice
parmi les matrices génératrices polynomiales (à coefficients F2[D]) appelée une matrice canonique
35Chapitre 3. Codes Convolutifs et Codes de Reed-Solomon
(voir [20, 38]). Nous allons à présent décrire dans les grandes lignes le fonctionnement de cet algorithme.
A partir d’une séquence, codée et bruitée, tronquée, nous cherchons à retrouver une matrice gé-
nératrice du code utilisé ainsi que le taux d’erreur associé. Nous ne connaissons ni n (la longueur du
code) ni k (la dimension du code), et effectuons alors cette recherche également.
Nous avons vu précédemment que pour un mot observé, nous disposons d’un critère d’appartenance
au code C utilisé ; à savoir y ∈ C si et seulement si yH⊤ = 01×(n−k) avec H une matrice génératrice
du dual de C et si et seulement si pour tout h ∈ C
⊥ on a yh = 0
Cet algorithme procède en 3 étapes principales. Le premier objectif est de trouver une matrice gé-
nératrice du dual de C , noté H, autrement appelée matrice de parité. Il utilise pour cela l’algorithme
de A. Valembois et la méthode de Canteaut-Chabaud. Cette recherche s’effectue à partir d’une matrice
formée de mots issus de la séquence observée.
La séquence observée étant bruitée, cette première étape permet de sélectionner des mots du dual
non bruités. La seconde étape utilise alors ces mots du dual non bruités pour reconstruire le dual du
dual, à savoir une matrice génératrice du code lui-même.
La dernière étape a pour but d’extraire une matrice canonique de la matrice reconstruite à l’étape 2.
A ces étapes se rajoutent (entre la première et la deuxième étape) une étape de recherche de la
longueur n du code et en fin d’algorithme une étape de recherche du taux d’erreur. La recherche
du taux d’erreur consiste à décoder la séquence observée par l’algorithme de Viterbi avec la matrice
génératrice retournée par l’algorithme de reconnaissance de codes.
Première étape : Reconstruction d’une matrice H du dual de C
Nous disposons d’une séquence observée S à partir de laquelle nous formons une matrice R˜ de la
manière suivante : la séquence est découpée en blocs de taille n(m + 1) (quitte à itérer sur la taille des
blocs lorsque ces paramètres sont inconnus), chacun de ces blocs constitue une ligne de R˜.
Si R˜ n’est pas une matrice bruitée : pour h ∈ C
⊥, alors Rh˜ ⊤ vaut 0. C’est-à-dire h appartient au
noyau de R˜. Si R˜ est bruitée : pour h ∈ C
⊥, alors Rh˜ ⊤ est de poids faible.
L’algorithme de recherche de mots de poids faibles de Canteaut-Chabaud permet alors de retrouver
des h candidats et l’algorithme de A. Valembois permet de décider s’ils appartiennent ou non à C
⊥
selon le poids de Hamming de Rh˜ ⊤ et de h.
En sortie de cette première étape, nous disposons alors de mots du dual. Le produit d’une ligne
de R˜ par h détermine une équation de parité.
M. Côte et N. Sendrier [20] utilisent alors ces mots du dual h pour former une seconde matrice, que
l’on notera R et reconstituer une matrice génératrice du dual. Cette reconstruction se base sur une
élimination de Gauss. En effet, une application de l’élimination de Gauss sur la matrice R la transforme
en une matrice de forme particulière dans laquelle il est possible d’identifier un bloc minimal :
363.4 Reconstruction de codes
c’est-à-dire un ensemble de lignes et de colonnes adjacentes engendrant le sous-espace vectoriel décrit
par R. Ce bloc, noté H, engendre C
⊥.
Deuxième étape : Reconstruction d’une matrice génératrice de C à partir du dual
Cette étape consiste à retrouver le dual du dual de C, c’est-à-dire à retrouver le code lui-même. La
matrice H précédemment reconstituée est utilisée pour former une nouvelle matrice H′
sur laquelle
est pratiquée également une élimination de Gauss afin de trouver le bloc minimal, noté G, engendrant
le sous-espace vectoriel décrit par H′
.
Troisième étape : Reconstruction d’une matrice génératrice polynomiale canonique de C
Après utilisation d’algorithmes de basicité et réduction [20] sur la matrice G reconstruite à l’étape
2, une matrice G(D) polynomiale canonique de C est fournie.
Les étapes présentées ici reposent sur le fait que la longueur n soit connue. N. Sendrier propose
d’appliquer la méthode de Canteaut-Chabaud et l’algorithme de A. Valembois à une matrice R˜ pour
quelques longueurs de blocs bien choisies de telle sorte que cette longueur puisse être un multiple de
la longueur n du code. D’autre part, le calcul de wH(Rh˜ ⊤) fournit une indication sur le taux d’erreur
potentiel du canal. Il est alors possible de distinguer la plus petite longueur de code fournissant pour
l’ensemble des mots du dual un faible taux d’erreur. Cette longueur est la longueur n du code C .
Cet algorithme de reconnaissance de codes convolutifs permet d’effectuer une reconnaissance de
codes lorsque la séquence observée est bruitée. Des tests de résistance au bruit ont été effectués
dans [20]. Il permet de plus d’effectuer cette recherche à paramètres inconnus. Cette méthode fournit
également le taux d’erreur du canal en appliquant un décodage de la séquence observée.
3.4.2 Codes Reed-Solomon
La difficulté de la reconstruction des codes de Reed-Solomon réside dans la recherche de la structure
algébrique. En effet il existe des méthodes de reconstruction de codes en blocs permettant de
reconstruire une base du code dual et ainsi de reconstruire une base du code. Il est possible notamment
d’effectuer un pivot de Gauss sur une matrice contenant les données observées, de faire appel à
le méthode de Gauss randomisé ou enfin d’utiliser la méthode A. Valembois ou de M. Cluzeau.
Cependant ce n’est pas suffisant pour caractériser un code de Reed-Solomon. Les méthodes énoncées
plus haut offrent la possibilité de reconstruire une base du code vu sous forme binaire mais ne
permettent pas de donner la structure algébrique du code. Pour cela il existe des techniques spécifiques
au type de code utilisé.
L’algorithme de V.M. Sidelnikov et S.O. Shestakov [44] répond à ce problème pour les codes de
Reed-Solomon. Il prend en entrée une matrice de taille génératrice k × n, contenant des éléments de
Fq, mise sous forme systématique. Nous avons vu que la matrice systématique d’un tel code dispose
d’une forme particulière, ceci permet d’écrire un ensemble d’équations qui après résolution fournissent
les paramètres du code. Cet algorithme fonctionne de plus lorsque les coordonnées du code ont été permutées.
Nous verrons que dans notre cas ce point fort sera à notre désavantage. Aussi nous utiliserons
finalement un algorithme moins performant qui sera évoqué ultérieurement.
37Chapitre 3. Codes Convolutifs et Codes de Reed-Solomon
38Chapitre 4
Signature de codes convolutifs et recherche du
dual par tests statistiques
Lors de l’étude d’un système de communication et de la partie codage canal qui le compose, nous
souhaitons avant toute chose identifier la famille de codes utilisée, voire les paramètres du code. En
effet, ces informations permettent respectivement d’utiliser un algorithme de reconnaissance de code
approprié et d’accélérer la recherche. Nous nous intéressons alors dans ce chapitre à une méthode permettant
de distinguer si une séquence observée est aléatoire ou codée par un codeur convolutif. Cette
technique possède notamment l’avantage de fonctionner lorsque le mapping utilisé est inconnu. Elle
permet alors de distinguer la longueur d’un code convolutif sans connaissance du mapping. De plus
nous étendons cette méthode à une méthode de reconstruction du dual d’un code convolutif lorsque
le mapping est connu.
Nous appelons signature un biais observé via un test statistique, appliqué à une séquence codée
et bruitée, permettant d’identifier l’utilisation d’un code correcteur d’erreurs. Nous supposons dans la
suite que nous disposons d’une séquence codée éventuellement bruitée. Christophe Chabot [14] s’est
intéressé à divers tests statistiques, dédiés aux générateurs pseudo-aléatoires, comme la série de test
du NIST (National Institute of Standards and Technology) [1] . Ces tests ont été expérimentés dans le
cadre de l’identification de séquences codées et bruitées par des codes en blocs, des codes convolutifs
et des turbo-codes. Le résultat de ces tests a montré que les codes en blocs ne sont en général pas
identifiables de cette façon sauf pour de petites longueurs et dimensions non réalistes. Cependant, le
test de compression de Lempel-Ziv (méthode de compression par dictionnaire) s’est révélé adapté pour
l’identification de codes convolutifs et turbo-codes et ce dans un contexte bruité également. Nous nous
intéressons cependant dans la suite de ce chapitre aux codes convolutifs uniquement.
Christophe Chabot s’est alors intéressé à d’autres méthodes de compression comme la compression
utilisée dans bzip2, faisant appel à la transformée de Burrows-Wheeler [11]. Les meilleurs taux
de compression étant obtenus avec bzip2, il a défini un test statistique basé sur le calcul du nombre
de runs (séquences maximales de bits identiques) dans une séquence codée après application de la
transformée de Burrows-Wheeler. Ce test permet l’identification des paramètres d’un code convolutif.
Il existe également un test dit de profondeur permettant d’obtenir la longueur de contrainte d’un
code convolutif de longueur 2.
39Chapitre 4. Signature de codes convolutifs et recherche du dual par tests statistiques
Il est clair que les codes convolutifs offrent l’avantage d’être de petites longueurs n et dimensions
k (pour que le décodage en treillis soit possible), et de degré d compris typiquement entre 2 et 10. Les
objets que nous manipulons sont donc de tailles bien inférieures à celles nécessaires pour des codes en
blocs. La méthode de détection que nous définissons dans ce chapitre s’applique en théorie pour des
codes en blocs mais elle n’est cependant applicable en pratique que pour de petits codes et est donc
particulièrement adaptée pour la détection des codes convolutifs. C’est pourquoi nous nous intéressons
à ce type de code dans ce chapitre.
Dès lors que nous observons une équation de parité sur une séquence, l’espace ambiant n’atteint
pas l’ensemble de toutes les séquences possibles. Pour un code de longueur n et de degré maximum
d, les séquences de taille t = n(d + 1) sont au nombre de 2t−1 au plus contre 2t pour une séquence
aléatoire. En effet il existe au moins un bit de redondance donc au moins un bit est entièrement déterminé
par les autres. Les tests qui sont décrits dans ce chapitre utilise ce phénomène. Nous l’utilisons
également en définissant un test basé sur le comptage de blocs de taille t dans une séquence codée et
bruitée. En itérant sur la taille des blocs, nous pouvons observer une diminution du nombre de blocs
possibles sur certaines longueurs. Nous effectuons de plus cette mesure par comptage de collisions.
Nous observons alors une probabilité de collisions différente pour des données codées et des données
aléatoires. L’utilisation de blocs glissants permet de plus de caractériser la présence d’un code de type
convolutif. Cette méthode autorise également la reconnaissance des paramètres du code utilisé dans un
contexte bruité. Nous savons par ailleurs grâce au paradoxe des anniversaires que seulement 2t/2 blocs
environ sont nécessaires à l’observation de collisions. Nous définissons ensuite une méthode de reconstruction
du dual par comptage de collisions en poinçonnant la séquence observée de manière adéquate.
Nous verrons enfin que la signature d’un code convolutif peut se détecter sans connaissance a
priori du mapping utilisé. Ce qui offre un avantage considérable pour la reconnaissance de système de
communication. En effet nous sommes en mesure grâce à ce test de déterminer la longueur du code
convolutif utilisé sans avoir reconnu le mapping utilisé. Ceci permettra alors d’effectuer la recherche
du mapping avec une information non négligeable sur le code à rechercher. La reconnaissance du
mapping est l’objet du Chapitre 6. Cependant ce travail sur la détection de codes convolutifs a été
effectué ultérieurement au travail sur la reconnaissance du mapping et n’a donc pas pu être utilisé alors.
L’estimation du cardinal d’un observable, tout en minimisant la quantité de mémoire utilisée, est
un défi primordial pour l’analyse de trafic internet par exemple. Marianne Durand s’intéresse dans sa
thèse [26] à divers algorithmes d’estimation de cardinal. Nous n’avons pas exploré ces possibilités pour
estimer la cardinalité d’une séquence codée vue par blocs mais il serait intéressant d’étudier l’efficacité
de ces algorithmes dans le contexte de la reconstruction de codes.
404.1 État de l’art
4.1 État de l’art
4.1.1 Test de profondeur
Le test de profondeur décrit dans [31] s’applique au cas d’un code convolutif de longueur 2 et donc
de dimension 1. Dans ce cas la longueur de contrainte du code coïncide avec d + 1 où d est le degré
maximum du code.
Soit C tel que P1 et P2 soient des polynômes générateurs. Le codeur utilisé nécessite M bits pour
remplir ses registres. Une séquence d’information de taille s + m s’envoie sur une séquence codée de
taille 2s. Soit Cs cette restriction :
Cs : F
s+m
2 → F
2s
2
Le théorème suivant est à la base de la plupart des résultats sur la reconnaissance de codes convolutifs.
Il donne en effet le rang de l’application Cs en fonction de s et montre qu’à partir de s > m
toutes les séquences de taille 2s ne correspondent pas à une séquence codée.
Théorème 4.1.1 ?? Soit s ∈ N
∗
. Soit Cs : F
s+m
2 → F
2s
2
l’application linéaire obtenue par restriction.
Si pgcd(P1,P2)=1 alors
Cs est surjective ⇔ s ≤ m
Cs est injective ⇔ s ≥ m
et
rang(Cs) = (
2s si s ≤ m
s + m si s ≥ m
Dès lors que s > m, Cs est injective et non surjective, on cherche donc le plus petit s tel que Cs+1
n’est pas surjective. Il existe des séquences de longueur 2s qui ne sont pas des séquences codées dans
ce cas. La distribution de ces séquences n’est pas uniforme lorsque s > m
Le test de profondeur consiste alors à choisir un nombre significatif de séquences de longueur 2s
(s peut être initialisé à 2). Pour chaque bloc de taille 2, on regarde la probabilité d’apparition des 2
bits suivants. Si la répartition est uniforme, on incrémente s de 1 sinon s correspond à la longueur
de contrainte du code. Ce test est applicable pour un canal binaire symétrique de probabilité d’erreur
allant jusqu’à 0,05.
4.1.2 Test de Burrows-Wheeler et Runs
La transformée de Burrows-Wheeler effectue un arrangement sur les données tel que les motifs
récurrents d’une séquence observée entraînent des suites de bits identiques en sortie de la transformée.
Cette modification de la séquence facilite ensuite la compression par dictionnaire. Elle est ainsi
utilisée dans bzip2. Les compressions obtenues en appliquant la transformée de Burrows-Wheeler à
une séquence codée indiquent que le taux d’erreur et les paramètres de longueur de contrainte sont
identifiables. Christophe Chabot a donc élaboré un test basé sur la transformée de Burrows-Wheeler
et une Pvalue mesurant la variation entre le nombre de runs observés et le nombre de runs théoriques
pour une séquence aléatoire.
41Chapitre 4. Signature de codes convolutifs et recherche du dual par tests statistiques
Il a de plus remarqué que pour des séquences de longueur donnée, générées par des codes de
paramètres n, k et m, les Pvalue observées sont identiques quel que soit le code de même paramètres
utilisé (codes non dégénérés) et sont fonction du taux d’erreur du canal. Il obtient ainsi des courbes
types pour différents paramètres. Ces courbes sont de plus toutes distinctes. Lorsque que la Pvalue
observée correspond à plusieurs courbes, on peut augmenter artificiellement le bruit jusqu’à identifier
une seule courbe. Ceci donne alors n, k et m ainsi que le taux d’erreur initial.
Nous pouvons également tester le calcul de l’entropie sur une séquence codée lue par blocs de taille
t. Lorsque t atteint la longueur nécessaire pour disposer d’une équation de parité, l’entropie calculée
vaut bien t − 1.
Les tests que l’on vient de voir se basent sur le fait que le cardinal des motifs observés lorsque
l’on regarde une séquence codée lue par blocs de taille t ne vaut pas 2t
lorsque l’on dépasse une
certaine taille de blocs. Donc, pour mesurer cette diminution du nombre de motifs possibles, à partir
d’un certain rang, il faut effectuer un comptage sur ces motifs. Mais l’inconvénient est la taille des
données nécessaires pour obtenir ce résultat. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés ensuite à
élaborer une mesure de ce cardinal par comptage de collisions. Ce test repose alors sur le paradoxe
des anniversaires.
4.2 Test de collisions
L’objectif de ce chapitre est de décrire dans un premier temps une méthode de reconnaissance
des paramètres d’un code convolutif. Elle s’appuie sur le comptage du nombre de collisions dans une
séquence binaire lue par bloc. La probabilité de collisions entre deux symboles binaires de taille t,
pour des données aléatoires, est de 1
2
t
. Dès lors que les données sont codées, la probabilité de collisions
augmente. Le comptage des collisions permet donc de distinguer des données aléatoires de données
codées lorsque t est suffisamment grand pour correspondre à la taille d’une équation de parité.
Nous pouvons lire la séquence par blocs disjoints ou par blocs glissants. Mais les équations de parité
d’un code convolutif étant valides par blocs glissants (avec un décalage correspondant à la longueur
du code) nous tirons parti de ce phénomène en effectuant le comptage par blocs glissants.
Les paramètres du code sont alors identifiés en itérant sur la taille des blocs de lecture. Ce procédé
a l’avantage d’avoir un faible coût et d’être résistant au bruit.
Le test que nous effectuons repose sur le paradoxe des anniversaires. Nous observons une séquence
binaire par blocs de taille t. Lorsqu’un symbole, de taille t, apparaît i fois dans la séquence on dit qu’il
y a
i.(i−1)
2
collisions. Nous comptons alors le nombre total de collisions que nous notons XN pour une
séquence composée de N blocs. Dans un contexte non bruité cela correspond à
XN =
X
N
i=1
X
j>i
x(si
, sj )
où
x(si
, sj ) = (
1 si si = sj
0 sinon.
424.2 Test de collisions
Nous pouvons alors comparer la probabilité de collisions observée et l’espérance de ce nombre pour
des données aléatoires ou codées. En effet pour des données aléatoires, vues par bloc de taille t on a
P(s = s
′
) = 1
2
t
et par linéarité de l’espérance on a :
E [XN ] = X
N
i=1
X
j>i
E[x(si
, sj )]
=
1
2
t
|{i, j ∈ J1, NK, j > i}|
=
N.(N − 1)
2
t+1
Le test statistique se déroule alors comme suit : Soit une séquence binaire observée, composée de
N blocs de taille t. Nous comptons le nombre, noté Xobs, de collisions observées sur cette séquence.
Après normalisation, la probabilité empirique, xobs, de collision, vaut
xobs =
2.Xobs
N.(N − 1)
Pour observer de manière sûre une collision, pour des données aléatoires, il faut disposer d’au moins
2
t + 1 symboles soit t.(2t + 1) bits. Mais d’après le paradoxe des anniversaires on a une collision avec
une probabilité supérieure ou égale à α pour cαt
√
2
t bits où cα =
p
−2 ln(1 − α). Lorsque nous avons
i équations de parité, il faut disposer de cαt
√
2
t−i bits pour obtenir au moins une collision avec une
probabilité supérieure ou égale à α. Le tableau suivant donne alors les quantités de données nécessaires
pour différentes valeurs de α lorsque il existe une équation de parité avec t = 20.
α Nombre de bits nécessaires
1/2 17 051
2/3 21 467
3/4 24 114
Nous nous plaçons dans le cas du canal binaire symétrique de probabilité d’erreur p et nous
calculons dans la suite de ce chapitre la probabilité de collisions pour le code de parité ainsi que
lorsque les données sont codées par un codeur convolutif et possèdent une équation de parité. Le
cas du code de parité n’est pas utile en soit puisque nous nous intéressons uniquement aux codes
convolutifs mais il facilite la compréhension de la probabilité de collisions en présence d’une équation
de parité.
Dans le cas non bruité, le modèle de probabilité de collisions s’étend lorsqu’il y a plusieurs équations
de parité. Il est en revanche plus difficile d’établir des formules génériques pour les probabilités de
collisions lorsqu’il existe plusieurs équations de parité. Nous verrons alors expérimentalement pour le
canal binaire symétrique que la distinction entre des données codées possédant plusieurs équations de
parité et des données aléatoires est claire.
De plus, nous utilisons comme mesure le rapport entre la probabilité de collisions pour des données
aléatoires et la probabilité de collisions empirique.
43Chapitre 4. Signature de codes convolutifs et recherche du dual par tests statistiques
4.3 Espérance du nombre de collisions
Dans un contexte non bruité, deux symboles reçus sont égaux si et seulement si les symboles émis
sont égaux. Cependant, dans un canal bruité, on peut obtenir une collision entre deux symboles reçus
pour des symboles émis différents et inversement, deux symboles émis égaux peuvent correspondre à
des symboles reçus différents.
Nous pouvons donc observer des collisions sur la séquence reçue là où il n’y en avait pas sur la
séquence non bruitée et inversement. Nous calculons alors la probabilité de collisions entre deux mots
de code bruités pour le code de parité de longueur t. Ensuite, nous calculons cette même probabilité
de collisions entre deux symboles ayant la taille d’une équation de parité.
4.3.1 Code de parité
Nous supposons ici que la séquence émise est constituée de mots de code du code de parité de
longueur t. Nous notons s et s
′ deux mots de code du code de parité choisis uniformément dans
l’ensemble des mots de code. Ils sont émis dans un canal binaire symétrique de probabilités d’erreur
p, et r et r
′
sont les symboles reçus correspondants. Nous calculons alors la probabilité que r soit égal
à r
′
.
Proposition 4.3.1 Soient r et r
′ deux mots de code du code de parité, de taille t, reçus après transmission
à travers un canal binaire symétrique de probabilité d’erreur p alors
P
r = r
′
=
1
2
t−1
X
t
i=0
i pair
p
2 + (1 − p)
2
t−i
(2p(1 − p))i
t
i
!
Démonstration : Tout d’abord dans un bloc de taille t, le dernier bit dépend des t − 1 précédents
par définition du code de parité. Donc il existe seulement 2t−1 blocs distincts.
Lorsque le canal n’est pas bruité, c’est à dire p = 0, P(r = r
′
) = P(s = s
′
) = 1
2
t−1 .
Notons
s = s0s1 . . . st−i−1st−i
. . . st−1
et
s
′ = s
′
0
s
′
1
. . . s′
t−i−1
s
′
t−i
. . . s′
t−1
Sans perdre de généralité on peut supposer que s et s
′
sont différents sur les i dernières positions et
identiques sur les t−i premières. Appelons r et r
′
les versions bruitées de s et s
′
respectivement. Alors
P(r = r
′
) = P(r0 = r
′
0
, . . . , rt−i−1 = r
′
t−i−1
, rt−i = r
′
t−i
, . . . , rt−1 = r
′
t−1
)
Ces évènements sont indépendants dans un canal binaire symétrique donc
P(r = r
′
) =
t
Y−1
i=0
P(ri = r
′
i
)
444.3 Espérance du nombre de collisions
Alors
P(r0 = r
′
0
) = P(r0 = s0, r′
0 = s
′
0
) + P(r0 = s0, r′
0 = s0
′
)
= (1 − p)
2 + p
2
et
P(rt−1 = r
′
t−1
) = P(rt−1 = st−1, r′
t−1 = st−1
′
) + P(rt−1 = st−1, r′
t−1 = s
′
t−1
)
= 2p(1 − p)
De plus
P(r0 = r
′
0
) = . . . = P(rt−i−1 = r
′
t−i−1
)
et
P(rt−i = r
′
t−i
) = . . . = P(rt−1 = r
′
t−1
).
D’où pour s et s
′ fixé
P(r = r
′
) =
(1 − p)
2 + p
2
t−i
(2p(1 − p))i
.
Or la différence de s et s
′
est de poids pair puisque la somme de deux mots de code est un mot de
code. Donc il y a Pt
i=0
i pair
t
i
possibilités de positionner cette différence. D’où
P(r = r
′
) = 1
2
t−1
X
t
i=0
i pair
(1 − p)
2 + p
2
t−i
(2p(1 − p))i
t
i
!
Remarque 4.3.2 Remarquons que lorsque p = 0
X
t
i=0
i pair
(1 − p)
2 + p
2
t−i
(2p(1 − p))i
t
i
!
= 1
donc on a bien P(r = r
′
) = 1
2
t−1 dans ce cas. Ce qui correspond bien à l’intuition que l’on a.
Donc, lorsque p = 0, la probabilité de collision est deux fois plus élevée pour le code de parité que
pour des données aléatoires. Nous pouvons alors distinguer aisément des données codées par le code
de parité, de données aléatoires, sur des blocs de taille t, quitte à itérer sur t. Dans ce cas, les blocs
sont lus de manière disjointe naturellement.
Notons PC la probabilité de collision pour le code de parité et Paléa la probabilité de collision, pour
des données aléatoires. Le rapport PC
Paléa
est représenté dans la Figure 4.1 pour différents niveaux de
bruit. Nous remarquons que lorsque le canal est bruité jusqu’à p = 10−3
, nous distinguons clairement
la présence d’un code car le rapport des probabilités de collisions est proche de 2. Cependant, lorsque
le bruit augmente, nous voyons qu’il sera toujours aisé de distinguer de très petits codes tandis que
pour les codes de plus grandes longueurs (au delà de n = 10), cette distinction risque d’être moins
claire voire impossible.
Nous nous intéressons dans la suite de ce chapitre à la reconnaissance des paramètres d’un code
convolutif. Soit C un code convolutif possédant une équation de parité de taille t, nous montrons à
présent qu’il est possible de distinguer la présence d’une telle équation en observant la probabilité de
collision sur des blocs de taille t. Nous établissons pour cela la probabilité de collisions attendue.
45
Caractérisation et d´etection de malware Android basées
sur les flux d’information
Radoniaina Andriatsimandefitra
To cite this version:
Radoniaina Andriatsimandefitra. Caract´erisation et d´etection de malware Android bas´ees sur
les flux d’information. Cryptography and Security. Sup´elec, 2014. French.
HAL Id: tel-01095994
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Submitted on 16 Dec 2014
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scientifiques de niveau recherche, publi´es ou non,
´emanant des ´etablissements d’enseignement et de
recherche fran¸cais ou ´etrangers, des laboratoires
publics ou priv´es.2014
THÈSE DE DOCTORAT
DOMAINE : STIC
Spécialité : Informatique
Ecole doctorale MATISSE
présentée par
Radoniaina Andriatsimandefitra
Ratsisahanana
préparée à l’unité de recherche CIDRE
Confidentialité, Intégrité, Disponibilité, Répartition
Supélec/INRIA
Caractérisation et
détection de malware
Android basées sur les
flux d’information
Thèse soutenue à Supélec
le (date)
devant le jury composé de :
Pascal Caron
Maître de Conférence à l’université de Rouen / examinateur
Anthony Desnos
Ingénieur chez Google / examinateur invité
Jean-Yves Marion
Professeur à l’université de Lorraine / rapporteur
Ludovic Mé
Professeur à Supélec / directeur de thèse
David Pichardie
Professeur à l’ENS Rennes / examinateur
Radu State
Chercheur à l’université du Luxembourg/rapporteur
Valérie Viet Triem Tong
Professeur associé à Supélec / encadrant de thèseiiTable des mati`eres
Table des figures vii
Liste des tableaux xi
1 Introduction 1
2 Etat de l’art 5 ´
2.1 Syst`eme Android . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
2.1.1 Architecture du syst`eme Android . . . . . . . . . . . . . . 6
2.1.2 Applications Android . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.2 S´ecurit´e du syst`eme Android . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
2.2.1 M´ecanismes issus de Linux . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
2.2.2 M´ecanismes propres `a Android . . . . . . . . . . . . . . . 17
2.3 Limites des m´ecanismes de s´ecurit´e Android . . . . . . . . . . . . 21
2.3.1 Abus de permission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
2.3.2 Permissions : attaques par d´el´egation et attaques par collusion
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
2.3.3 Communication entre composants via les intents . . . . 21
2.3.4 Failles logicielles : ´el´evation de privil`ege . . . . . . . . . . 23
2.4 Malware Android . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
2.4.1 D´efinitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
2.4.2 Malwares Android : 2010 `a 2011 [113] . . . . . . . . . . . 25
2.4.3 Malwares Android en 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
2.5 Renforcement de la s´ecurit´e sous Android . . . . . . . . . . . . . 30
2.5.1 Protection des ressources sensibles . . . . . . . . . . . . . 30
2.5.2 Communication entre processus et entre composants . . . 35
2.5.3 Abus des permissions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
2.6 Suivi de flux d’information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
2.6.1 Suivi de flux au sein d’une application . . . . . . . . . . . 42
2.6.2 Suivi de flux au niveau syst`eme . . . . . . . . . . . . . . . 43
2.6.3 Suivi de flux au niveau hardware . . . . . . . . . . . . . . 44
2.7 Classification et d´etection de malware . . . . . . . . . . . . . . . 46
2.8 Analyse d’applications Android . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
2.8.1 D´esassembleur, d´ecompilateur . . . . . . . . . . . . . . . . 48
iiiiv TABLE DES MATIERES `
2.8.2 Comparaison d’applications . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
3 Blare : un moniteur de flux d’information 55
3.1 Mod`ele th´eorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
3.1.1 Conteneurs d’information . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
3.1.2 Information et contenu courant d’un objet : itag . . . . . 56
3.1.3 Politique de flux d’information : pxqptag . . . . . . . . . . 57
3.1.4 Suivi et contrˆole de flux d’information . . . . . . . . . . . 59
3.2 D´efinition d’une politique de flux d’information . . . . . . . . . . 62
3.3 KBlare : suivi et contrˆole de flux via LSM . . . . . . . . . . . . . 65
3.4 AndroBlare : Blare sous Android . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
3.4.1 Communication entre processus : Binder . . . . . . . . . . 69
3.4.2 Suivi de flux d’information dans le Binder . . . . . . . . . 72
3.4.3 Ex´ecution des applications Android . . . . . . . . . . . . 74
3.4.4 Description des flux observ´es . . . . . . . . . . . . . . . . 84
3.4.5 Outils en espace utilisateur . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
3.5 AndroBlare : analyse d’applications Android . . . . . . . . . . . 85
4 Graphes de flux syst`eme 89
4.1 Graphe de flux syst`eme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
4.2 Quelques op´erations utiles sur les SFG . . . . . . . . . . . . . . . 92
4.2.1 Intersection de deux SFG : g1 [ g2 . . . . . . . . . . . . . 92
4.2.2 Inclusion d’un SFG dans un autre : g1 Ď g2 . . . . . . . . 93
4.2.3 Nœuds et arcs d’un SFG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
4.3 Construction d’un graphe de flux syst`eme . . . . . . . . . . . . . 93
4.4 SFG : profil comportemental d’une application . . . . . . . . . . 95
4.4.1 Analyse de DroidKungFu1 avec AndroBlare . . . . . . . . 95
4.4.2 Analyse du SFG de DroidKungFu1 . . . . . . . . . . . . . 96
4.5 Politique de flux d’information `a partir d’un SFG . . . . . . . . . 100
5 Caract´erisation et d´etection de malware 107
5.1 Caract´erisation de malware Android . . . . . . . . . . . . . . . . 108
5.2 Evaluation de la m´ethode de classification . . . . . . . . . . . . . ´ 111
5.2.1 Jeu de donn´ee . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
5.2.2 Exp´erimentation et r´esultat . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
5.3 De la n´ecessit´e du filtrage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
5.4 D´etection d’ex´ecution de malware Android . . . . . . . . . . . . . 121
5.5 Evaluation de la capacit´e de d´etection . . . . . . . . . . . . . . . ´ 122
6 Conclusion 129
A Ev`enements d´eclencheurs de code malveillant 133 ´
A.1 Outils . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
A.2 BadNews . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
A.3 DroidKungFu1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
A.4 DroidKungFu2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144TABLE DES MATIERES ` v
A.5 jSMSHider . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
Publications 147
Bibliographie 149vi TABLE DES MATIERES `Table des figures
2.1 Architecture de la plateforme Android . . . . . . . . . . . . . . . 8
2.2 Fichier MANIFEST.MF de l’application HelloActivity . . . . . . . . 18
2.3 Fichier .SF de l’application HelloActivity . . . . . . . . . . . . . 19
3.1 Extrait de la sortie de la commande ps sous Android 4.4 . . . . . 58
3.2 Exemple de contrˆole de flux d’information effectu´e par Blare . . 61
3.3 Design de Linux Security Module . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
3.4 Appel d’une m´ethode distante grˆace au Binder . . . . . . . . . . 70
3.5 S´equence de d´emarrage d’Android . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
3.6 M´ecanisme de notification de l’ex´ecution d’une application Android 77
3.7 Exemple de message lev´e par Blare sous Linux . . . . . . . . . . 84
3.8 Format des flux observ´es par Blare sous Android . . . . . . . . . 85
3.9 AndroBlare : environnement d’analyse d’application Android . . 87
4.1 Exemple de flux d’information causant l’apparition d’arcs parall`eles
dans les SFG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
4.2 Exemple de SFG avec des arcs parall`eles . . . . . . . . . . . . . . 90
4.3 Graphe de d´ependance et SFG repr´esentant les flux d’information
ayant pr´ec´ed´e la corruption d’un fichier f ilex . . . . . . . . . . . 92
4.4 Permissions demand´ees par un ´echantillons de DroidKungFu . . . 96
4.5 Liste des applications dans le menu du t´el´ephone apr`es l’installation
d’une nouvelle application par un ´echantillon de DroidKungFu 97
4.6 Extrait du SFG d’un ´echantillon de DroidKungFu . . . . . . . . 98
4.7 Extrait des alertes lev´ees par l’´echantillon de DroidKungFu1 lors
de l’´evaluation de la politique de Finger Scaner . . . . . . . . . . 104
5.1 S0 : sous-graphe en commun des ´echantillons de BadNews . . . . 115
5.2 S1 : sous-graphe en commun des ´echantillons de DroidKungFu 1 116
5.3 S2 : sous-graphe en commun des ´echantillons de DroidKungFu 2 117
5.4 S3 : Sous-graphe en commun des ´echantillons de jSMSHider . . . 117
5.5 Profil calcul´e lorsqu’aucun filtrage n’est r´ealis´e . . . . . . . . . . 119
5.6 Premier profil calcul´e en utilisant aucune liste blanche . . . . . . 120
5.7 Second profil calcul´e en utilisant aucune liste blanche . . . . . . . 120
5.8 Troisi`eme profil calcul´e en utilisant aucune liste blanche . . . . . 120
viiviii TABLE DES FIGURES
5.9 Quatri`eme profil calcul´e en utilisant aucune liste blanche . . . . . 120
A.1 Extrait du graphe d’appel de fonction d’un ´echantillon de BadNews137
A.2 Extrait du graphe d’appel de fonction d’un ´echantillon de DroidKungFu
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141Liste des listings
2.1 Partage d’une page web grˆace `a un intent implicite. Extrait du
code du navigateur par d´efaut d’Android . . . . . . . . . . . . . 11
2.2 Fichier AndroidManifest.xml d’Angry Birds Space . . . . . . . 15
2.3 Exempe de code Java avec et sans r´eflexion . . . . . . . . . . . . 29
2.4 Extrait du code de l’application JetBoy fourni avec le SDK Android 49
2.5 Extrait du code smali de l’application JetBoy . . . . . . . . . . . 52
2.6 Extrait du code r´esultant de la d´ecompilation de l’application
JetBoy avec le d´ecompilateur par d´efaut d’Androguard . . . . . . 53
3.1 Exemple de politique App Armor . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
3.2 Liste des op´erations sur les fichiers support´ees par Binder . . . . 71
3.3 Signature de la fonction binder ioctl . . . . . . . . . . . . . . . 71
3.4 Fonction de chargement en m´emoire du code d’une application . 78
3.5 D´eclaration d’une famille Generic Netlink dans le noyau pour le
m´ecanisme de coop´eration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
3.6 D´efinition d’une commande Generic Netlink pour notifier l’ex´ecution
d’une application . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
3.7 Enregistrement de la famille servant `a la notification d’ex´ecution
des applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
3.8 Notification de l’ex´ecution d’une application par la machine virtuelle
Dalvik . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
4.1 Entr´ee dans le fichier packages.xml ajout´ee suite `a l’installation
d’une nouvelle application par un ´echantillon de DroidKungFu . 99
4.2 Extrait de la politique BSPL de l’application Finger Scanner . . 105
5.1 Contenu du fichier sstimestamp.xml d’un ´echantillon de DroidKungFu1
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
A.1 Fichier AndroidManifest.xml d’un ´echantillon de BadNews . . . 135
A.2 Code appel´e `a la r´eception d’un Intent par les composants de
type Receiver d’un ´echantillon de BadNews . . . . . . . . . . . . 136
A.3 Extrait du code de la m´ethode sendRequest d’un ´echantillon de
BadNews . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
A.4 Code appel´e `a l’ex´ecution du composant AdvService d’un ´echantillon
de BadNews . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
A.5 Extrait du contenu du fichier AndroidManifest.xml d’un ´echantillon
de DroidKungFu1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
ixx LISTE DES LISTINGS
A.6 M´ethode onCreate du composant SearchService d’un ´echantillon
de DroidKungFu1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
A.7 Contenu du fichier sstimestamp.xml d’un ´echantillon de DroidKungFu1
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
A.8 M´ethode onCreate d’un composant service d’un ´echantillon de
DroidKungFu2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144Liste des tableaux
2.1 Types de permission Android . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
2.2 Exploits root connus et leur usage par les malware Android de
2010 `a 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
3.1 Intervalle de valeur du type int selon sa taille en bits . . . . . . 56
3.2 Blare : m´ethode de suivi de flux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
3.3 Un extrait de la politique de flux d’information . . . . . . . . . . 64
3.4 Liste des hooks LSM utilis´es par KBlare pouvant engendrer un
flux d’information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4.1 Nombre d’alertes lev´ees par Blare lors de l’ex´ecution des versions
originales et infect´ees de trois applications en appliquant une politique
BSPL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
5.1 Classification des 19 ´echantillons de malware. . . . . . . . . . . . 114
5.2 Nombre de profils obtenus en variant le filtrage . . . . . . . . . . 118
5.3 R´esultat de d´etection sur les applications b´enignes provenant de
Google Play. Taux de faux positif : 0% . . . . . . . . . . . . . . . 124
5.4 R´esultats de la d´etection sur 39 ´echantillons de malware. Taux
de Vrai Positif : 100% . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
xixii LISTE DES TABLEAUXListe des algorithmes
1 Construction d’un SFG `a partir des entr´ees d’un journal de Blare 94
2 Calcul d’une politique de flux d’information Blare `a partir d’un SFG101
3 Calcul des parties communes de SFG d’application caract´erisant
son comportement malveillant et regroupement de ces SFG . . . . 109
4 One-step-classification function . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
5 D´etection de l’ex´ecution de malware Android bas´e sur les flux d’information
caus´e dans le syst`eme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
xiiixiv LISTE DES ALGORITHMESRemerciements
Avant d’aborder le pourquoi de ce document, je tenais avant tout `a remercier
les membres du jury d’avoir accept´e d’´evaluer mon travail : David Pichardie
pour avoir accept´e de pr´esider le jury de ma th`ese, Radu State et Jean-Yves
Marion pour avoir accept´e d’ˆetre les rapporteurs de ce m´emoire, Pascal Caron et
Anthony Desnos pour avoir accept´e d’examiner mon travail. Je tiens ´egalement `a
remercier Ludovic M´e et Val´erie Viet Triem Tong pour leur encadrement et leur
implication dans la r´ealisation de ma th`ese, ainsi que le reste de l’´equipe pour
ces trois ann´ees pass´ees ensemble. Finalement, un grand merci aux membres de
ma famille et aux amis qui m’ont soutenu tout au long de la th`ese. Kudos au
Langomatic (organisateurs, participants et staff du O’Connell’s) pour toutes ces
soir´ees du lundi riches en rencontres et en diversit´es culturelles.
xvxvi LISTE DES ALGORITHMESChapitre 1
Introduction
Lanc´e officiellement en 2008, Android est devenu en quelques ann´ees le
syst`eme d’exploitation le plus r´epandu sur les plateformes mobiles de type
smartphone et tablette [72, 107, 71]. Au del`a de sa large adoption par le grand
public, il a ´egalement suscit´e l’int´erˆet des d´eveloppeurs d’applications malveillantes
qui voient dans le syst`eme Android, une cible potentielle d’attaque au
mˆeme niveau que les ordinateurs de bureau `a cause de la diversit´e des donn´ees et
services qu’ils proposent. Les appareils tournant sous Android offrent diff´erentes
fonctionnalit´es allant du simple t´el´ephone `a celles des ordinateurs de bureau
et assistants num´eriques personnels (pockets PC ou PDA). La combinaisons
de toutes ces fonctionnalit´es font de ces appareils un point de concentration
de divers donn´ees et services sensibles (liste de contact, messages, donn´ees de
g´eolocalisation, etc.) et en cons´equence une cible de valeur pour les d´eveloppeurs
de malware. Ces derni`eres ann´ees, nous avons ainsi vu l’apparition d’un nombre
toujours grandissant d’applications malveillantes qui cherchent `a voler les donn´ees
du t´el´ephone, les corrompre, espionner l’utilisateur, abuser des services offerts
par le t´el´ephone, etc. A la vue du nombre grandissant des malware Android, il `
devient n´ecessaire de d´evelopper des outils d’analyse de malware afin de comprendre
leur fonctionnement et plus tard les d´etecter.
L’une des raisons de la prolif´eration de ces malware est l’insuffisance des
m´ecanismes de s´ecurit´e Android `a d´etecter et bloquer de telles attaques et la
facilit´e d’acc`es `a une partie des ressources sensibles du t´el´ephone. Android propose
un ensemble de m´ethodes pour acc´eder ces ressources et ces acc`es n´ecessite
une autorisation de la part de l’utilisateur au moment de l’installation. L’application
est install´ee uniquement si l’utilisateur valide toutes les autorisations
demand´ees par l’application. Toute application install´ee sur le t´el´ephone a ainsi
acc`es aux ressources dont elle a demand´e l’acc`es sans que le syst`eme ne contrˆole
l’usage qui est fait des ressources. Les premiers travaux li´es `a la s´ecurit´e d’Android
sont donc focalis´es sur l’analyse des limites de la s´ecurit´e sous Android
et sur une mani`ere de les combler. Enck et al. proposent par exemple dans [47]
une v´erification des permissions demand´ees par les applications afin de s’assurer
qu’elles ne soient trop dangereuses. Ce type d’approche a cependant une prin-
12 CHAPITRE 1. INTRODUCTION
cipale limitation qui est de ne d´etecter que ce que nous savons ˆetre dangereux.
Il ne permet donc pas de d´etecter et d’apprendre de nouvelles attaques.
Dans ce th`ese nous adoptons une approche diff´erente qui est bas´ee sur les
flux d’information. Un flux d’information d´ecrit un transfert d’information entre
deux objets. Au niveau du syst`eme d’exploitation, il d´ecrit par exemple des communications
entre deux applications ou des acc`es `a un fichier. Au lieu de nous
focaliser sur les limitations du syst`eme Android pour identifier les sc´enarios
d’attaque et les d´etecter par la suite, nous proposons d’apprendre comment
les attaques ont lieu en analysant directement les malware et utiliser la base
de connaissance acquise durant l’apprentissage pour d´etecter les malware. Selon
les travaux de Zhou et al. la m´ethode d’infection principale utilis´ee par les
d´eveloppeurs de malware est d’ajouter leur code malicieux `a des applications
existantes et proposer les versions infect´ees de ces applications en t´el´echargement
sur les plateformes de t´el´echargement tels que Google Play. En supposant qu’un
malware soit distribu´e sous la forme de diff´erentes applications, nous pouvons
supposer que les applications infect´ees par le mˆeme code malveillant ont partiellement
un comportement similaire. En analysant les ´echantillons des malware et
en isolant ces comportements similaires, nous pouvons ainsi `a la fois apprendre
le comportement malveillant d’un malware et calculer un profil pour ce malware
afin de le d´etecter. Le reste de ce document est divis´e comme suit.
Le chapitre 2 pr´esente le contexte de ce travail et est divis´e en deux parties.
La premi`ere partie concerne le syst`eme Android : l’architecture du syst`eme, ses
points communs et diff´erences avec les syst`emes Linux, la notion d’applications
Android, l’analyse des limites du mod`ele de s´ecurit´e d’Android, les menaces que
repr´esentent les malware Android et les travaux essayant de combler ces limites.
La deuxi`eme partie du chapitre introduit les bases n´ecessaires `a l’accomplissement
de notre objectif. Nous y pr´esentons dans un premier temps la notion
de suivi de flux d’information et les diff´erents niveaux existant pour observer
les flux d’information. Par la suite nous pr´esentons comment les m´ethodes d’apprentissage
peuvent ˆetre utilis´ees afin de classifier et d´etecter des malware. Nous
pr´esentons pour cela quelques travaux connus exploitant les traces d’ex´ecution
des malware pour les classifier.
Le chapitre 3 pr´esente Blare le moniteur de flux d’information et son portage
pour le syst`eme Android. Blare est un outil de d´etection d’intrusion param´etr´e
par une politique de flux d’information afin de d´etecter les intrusions dans un
syst`eme. Ayant ´et´e d´evelopp´e pour les syst`emes Linux, il ne prenait ainsi pas
en compte une partie des flux existant sous Android. Ces flux sont li´es `a des
m´ecanismes propres `a Android qui n’existent pas sous Linux. Dans un premier
temps, nous pr´esentons donc ces m´ecanismes et les flux d’information qu’ils
causent qui ´etaient invisibles `a Blare. Ensuite, nous pr´esentons comment nous
avons pris en compte ces m´ecanismes et am´elior´e ainsi l’observation des flux
d’information sous Android. Le r´esultat de ces am´eliorations, AndroBlare, est
ce qui nous sert d’environnement d’analyse durant cette th`ese.
Le chapitre 4 introduit une structure de donn´ee appel´ee graphe de flux
syst`eme ou System Flow Graph. Cette structure d´ecrit de mani`ere compacte et
plus compr´ehensible les flux d’information que Blare observe dans les syst`emes.3
Un des objectifs de cette th`ese est de comprendre le fonctionnement d’un malware
en l’analysant dans notre environnement d’analyse AndroBlare. Apr`es
avoir pr´esent´e la structure, nous montrons dans ce chapitre, `a travers l’analyse
d’un ´echantillon de malware, l’utilit´e de la structure pour repr´esenter le
comportement d’un malware et comprendre son comportement. Cette structure
repr´esentant le comportement d’une application, nous montrons ´egalement
qu’elle peut assister un d´eveloppeur dans la cr´eation d’une politique de flux
d’information pour son application.
Enfin, le chapitre 5 pr´esente notre approche afin de classifier et d´etecter les
malware Android. La classification consiste `a regrouper les ´echantillons d’un
malware avec un comportement similaire et extaire un profil caract´erisant les
´echantillons d’un mˆeme groupe. Cette classification s’apparente `a un apprentissage
non supervis´e et nous pr´esentons dans ce chapitre comment nous le r´ealisons
puis l’´evaluons avec un ensemble d’´echantillons de malware. La d´etection consiste
`a utiliser les profils calcul´es durant la classification pour d´etecter d’autres ´echantillons
de malware. Nous pr´esentons ainsi en deuxi`eme partie de ce chapitre
comment nous utilisons AndroBlare et les profils calcul´es pour d´etecter
l’ex´ecution de malware et ´evaluons l’approche avec d’autres ´echantillons.4 CHAPITRE 1. INTRODUCTIONChapitre 2
Etat de l’art
´
L’objectif de cette th`ese est de d´evelopper une m´ethode afin de caract´eriser
et d´etecter les malwares Android. La r´ealisation de cet objectif s’est faite en
plusieurs ´etapes : le portage du moniteur de flux d’information Blare pour le
syst`eme Android, la proposition d’une structure de donn´ee pour repr´esenter
les profils d’une application et une m´ethode de calcul de profil des malwares
Android ainsi que de leur d´etection. Dans ce premier chapitre, nous introduisons
dans un premier temps le syst`eme Android : son architecture, la notion
d’application Android et le mod`ele de s´ecurit´e d’Android. Ensuite, nous montrons
en section 2.3 et 2.4 les limites du m´ecanisme de s´ecurit´e Android ainsi
qu’un aper¸cu des menaces que repr´esentent les malware Android. La section 2.5
pr´esente ensuite les diff´erents travaux visant `a combler les limites du m´ecanisme
de s´ecurit´e d’Android ainsi qu’`a d´etecter les attaques visant le syst`eme. L’approche
pour laquelle nous avons opt´ee est bas´ee sur les flux d’information au
niveau du syst`eme. La section 2.6 pr´esente ainsi diff´erents travaux li´es au suivi
de flux d’information et une discussion sur les apports et limitations de ces
approches. Une partie des exp´erimentations que nous menons dans cette th`ese
consiste `a ex´ecuter des ´echantillons de malware Android et plus pr´ecis´ement leur
code malveillant. Comme ´evoqu´e dans les travaux de Zhou et al. dans [113], certains
malware v´erifient un nombre de conditions avant d’ex´ecuter leur code malveillant.
Afin d’identifier ces conditions, il est n´ecessaire d’analyser statiquement
les ´echantillons des malware concern´es. Nous pr´esentons ainsi en section 2.8 un
ensemble d’outils d’analyse statique des applications Android.
2.1 Syst`eme Android
Android partage une base commune aux syst`emes Linux qui est le noyau et
un ensemble de commandes et utilitaires n´ecessaires. Dans cette section, nous
pr´esentons dans un premier temps l’architecture du syst`eme Android, celle de
ses applications et les m´ecanismes de s´ecurit´e fournis avec le syst`eme.
56 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
2.1.1 Architecture du syst`eme Android
Le syst`eme Android est divis´e en plusieurs couches comme illustr´e sur la
figure 2.1. La partie la plus basse repr´esente le cœur du syst`eme, c’est-`a-dire le
noyau, et le reste l’espace utilisateur.
2.1.1.1 Noyau Android
Le noyau Android est une version modifi´ee du noyau Linux 1
et repr´esente
le cœur du syst`eme. Le noyau est le programme servant d’interface entre les
diff´erents composants du syst`eme (p´eriph´eriques, processus, fichiers etc). Parmi
les modifications notables apport´ees dans le noyau Android, nous pouvons citer
les m´ecanismes binder, ashmem, wakelock, low memory killer, logger,
RAM console et Paranoid Networking.
Binder est un m´ecanisme de communication entre processus et d’appel de
m´ethodes distantes. L’appel de m´ethodes distantes, appel´e Remote Procedure
Call en anglais, consiste `a faire ex´ecuter une m´ethode par une entit´e distante.
Il est inspir´e du projet OpenBinder [81]. Comme nous le verrons par la suite, il
est un ´el´ement essentiel du fonctionnement du syst`eme Android.
Ashmem pour Anonymous Shared Memory est un m´ecanisme de partage de
m´emoire similaire `a celui du noyau Linux shm. Il est utilis´e pour partager
les donn´ees entre applications Android. Parmi les ”nouveaut´es” apport´ees par
ashmem il y a par exemple l’usage de compteur pour connaˆıtre le nombre de
processus faisant r´ef´erence `a une zone de m´emoire partag´ee et ´eviter les fuites
de m´emoire.
Wakelock est un m´ecanisme servant `a notifier le noyau de ne pas se mettre en
veille. Contrairement aux syst`emes Linux, le syst`eme Android essaie par d´efaut
de se mettre en veille ´etant donn´e qu’il est destin´e `a tourner sur des appareils
`a ressources limit´ees. Lors d’ex´ecution de code ne devant ˆetre interrompu, le
wakelock est ainsi utilis´e pour dire au syst`eme de rester ´eveill´e.
Low memory killer est un m´ecanisme utilis´e par le noyau pour lib´erer de
la m´emoire lorsqu’il ne reste plus assez de m´emoire.
Logger est un m´ecanisme de journalisation qui ´ecrit les ´ev`enements du
syst`eme uniquement dans des zones allou´ees en m´emoire. Contrairement aux
syst`emes Linux traditionnels, les ´ev`enements ´ecrits dans le journal du syst`eme
ne sont ainsi jamais ´ecrits dans un fichier.
RAM Console est un m´ecanisme qui pr´eserve en m´emoire le contenu des
´ev`enements syst`emes ajout´es par du code noyau (via la fonction printk) lors
de la pr´ec´edente ex´ecution du syst`eme. Son contenu est accessible via le fichier
/proc/last kmsg. Sous Linux, le contenu du journal des ´ev`enements syst`emes
sont stock´es de mani`ere persistante dans les fichiers sous le r´epertoire /var/log/.
Ce n’est pas le cas sous Android et en cas de crash du syst`eme par exemple,
il devient impossible de r´ecup´erer les ´ev`enements qui ont amen´e au crash. RAM
Console est ainsi ´et´e cr´e´e pour r´esoudre cette limitation du syst`eme de journalisation
sous Android.
1. Noyau utilis´e par les distributions de type Linux telles que Debian et Ubuntu2.1. SYSTEME ANDROID ` 7
Paranoid Network est un m´ecanisme contrˆolant l’acc`es des applications au
r´eseau. Sous Linux, toute application a le droit d’utiliser les sockets et acc´eder
au r´eseau. La socket est la structure de base li´ee aux op´erations r´eseaux sous
Linux. Sous Android, l’inverse est la r`egle car seule les applications avec une
autorisation explicite sont autoris´ees `a cr´eer des sockets et communiquer sur le
r´eseau.
2.1.1.2 Espace utilisateur
L’espace utilisateur sous Android peut ˆetre divis´e en plusieurs parties comme
illustr´e sur la figure 2.1.
La couche Applications renferme les applications fournies par d´efaut sur le
t´el´ephone ainsi que celles qui seront install´ees plus tard par l’utilisateur. Il s’agit
des applications avec lesquelles l’utilisateur pourra interagir en g´en´eral (ex :
application de messagerie et gestion des contacts). Les applications Android sont
principalement ´ecrites en Java. Android donne cependant la possibilit´e d’´ecrire
du code natif et de l’appeler au sein de l’application grˆace `a une interface appel´ee
Java Native Interface dont le rˆole est d’interfacer du code Java avec du code
natif ´ecrit en C.
Android framework est l’ensemble des services et ressources fournies par le
syst`eme Android. Il s’agit principalement de services tournant dans quelques
processus cl´es du syst`eme Android tels que system server et mediaserver. La
commande service list retourne sous Android la liste des services pr´esents
dans le syst`eme. Sous Android 2.3, la commande retourne une liste de 50 services
et sous Android 4.2 68 services. Parmi ces services nous pouvons citer ServiceManager,
LocationManager. ServiceManager recense tous les autres services
tournant sur le t´el´ephone et joue un rˆole d’annuaire pour les applications souhaitant
acc´eder `a un service en particulier sur le t´el´ephone. Lorsqu’une application
de navigation souhaite par exemple connaˆıtre la localisation de l’utilisateur,
elle va dans un premier temps demander au Service-Manager la r´ef´erence de
Location Service. Une fois cette r´ef´erence r´ecup´er´ee, elle pourra demander `a
Location Service les donn´ees de g´eolocalisation. Surfaceflinger est un autre
service avec un rˆole crucial sous Android. C’est lui qui est charg´e de composer
et dessiner ce que les diff´erentes applications souhaitent afficher `a l’´ecran de
l’appareil.
Android runtime est l’environnement d’ex´ecution des applications Android.
Il contient la biblioth`eque Java utilisable par les applications ainsi qu’une machine
virtuelle appel´ee Dalvik. La biblioth`eque reprend une partie de la biblioth`eque
Java standard plus quelques biblioth`eques suppl´ementaires propres
`a Android. La machine virtuelle Dalvik elle interpr`ete le bytecode dans lequel
les applications Android ont ´et´e compil´ees. Le bytecode dalvik est diff´erent du
bytecode Java d’o`u l’usage de Dalvik `a la place des machines virtuelles Java
standard. Depuis Android 4.4, une deuxi`eme machine virtuelle, ART [85, 99],
qui est livr´ee sous forme exp´erimentale avec la plateforme.
Libraries renferme les biblioth`eques natives du syst`eme. Elles sont g´en´eralement
utilis´ees par les applications natives du syst`eme. Parmi les biblioth`eques nous8 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
Kernel
Libraries HAL
Android framework Android runtime
Applications
Binder Audio
driver
ext4
Power
management
Ashmem
Dalvik VM
Bionic OpenGL
Webkit SSL
Camera HAL
Audio HAL
... ...
Surface
Flinger
Camera
Service
Package
Manager
Native tools
and
daemons
Wakelock
...
Core libraries
Location
Service
...
Clock Contacts Launcher Email ...
Display driver LSM Bluetooth
driver
SMS
SQLite
Service
Manager Figure 2.1 – Architecture de la plateforme Android
pouvons par exemple citer bionic qui renferme entre autres une biblioth`eque C
et une biblioth`eque pour le support du C++. Selon la page Wikip´edia sur
bionic [3], il s’agit d’une version modifi´ee de la biblioth`eque standard C de
BSD et est propre `a Android.
Si les applications utilisateurs sont des applications ´ecrites en Java, il existe
tout de mˆeme quelques applications natives dans le syst`eme. Il s’agit de services
propres au syst`eme et de quelques outils en ligne de commande qui peuvent
s’av´erer utiles pour un d´eveloppeur. Ces applications n’ont pas pour but d’ˆetre
utilis´ees par l’utilisateur lambda.
HAL ou Hardware Abstraction Layer sert d’interface standard entre le syst`eme
et les pilotes des p´eriph´eriques pr´esents sur l’appareil (ex : cam´era, capteur etc).
Les constructeurs ´ecrivent ainsi les pilotes `a leur guise mais doivent fournir les
m´ethodes correspondant aux interfaces HAL pour que le syst`eme puisse utiliser
les p´eriph´eriques.2.1. SYSTEME ANDROID ` 9
2.1.1.3 Communications entre processus
Android est un environnement d’ex´ecution o`u les applications sont pouss´ees
`a collaborer pour fonctionner. Le but de cette collaboration est de limiter la duplication
de code dans les applications et de proposer un ensemble assez grand
de fonctionnalit´es aux diff´erentes applications du syst`eme. Un exemple illustrant
cette collaboration est l’application cam´era. Pour utiliser la cam´era d’un
appareil, une application doit connaˆıtre son mode de fonctionnement exact sachant
qu’une cam´era peut ˆetre diff´erente d’un mod`ele de t´el´ephone `a un autre.
Pour faciliter la tˆache au d´eveloppeur de l’application, l’application cam´era du
t´el´ephone propose une interface permettant aux autres applications de prendre
des photos ou enregistrer des vid´eos `a leur place puis leur transmettre le r´esultat.
Ce syst`eme de collaboration repose plusieurs fonctionnalit´es du syst`eme. Du
point de vue des d´eveloppeurs d’application, la collaboration repose sur l’usage
des intents et des composants Content Provider pour ´echanger des messages
et partager du contenu. Nous donnons plus de d´etail sur ces m´ecanismes dans
la section 2.1.2.1. A un niveau plus bas, la collaboration repose sur deux fonc- `
tionnalit´es d’Android que sont Binder et Ashmem. Comme nous l’avons ´ecrit en
section 2.1.1, ces deux m´ecanismes servent `a effectuer des appels distants de
proc´edure et partager des zones de m´emoire entre processus.
2.1.2 Applications Android
2.1.2.1 Architecture d’une application : les diff´erents composants
Une application Android est ´ecrite en Java. Contrairement aux applications
Java standard, une application Android peut poss´eder plusieurs points
d’entr´ee. Plus pr´ecis´ement, une application Android peut avoir plusieurs composants
et chacun d’eux peut-ˆetre un point d’entr´ee dans le programme. Il
existe quatre types de composants : Activity, ContentProvider, Service et
BroadcastReceiver.
Activity Un composant Activity est une interface utilisateur. Une application
de messagerie ´electronique peut par exemple avoir trois composants
Activity : un pour naviguer entre les r´epertoires de la messagerie, le deuxi`eme
pour l’affiche d’un message et le dernier pour l’´edition et l’envoi.
ContentProvider Un ContentProvider est un composant servant au partage
de donn´ees d’une application. Son rˆole est de servir d’interface entre l’application
souhaitant acc´eder aux donn´ees et les donn´ees. Ces donn´ees sont
g´en´eralement stock´ees dans une base de donn´ees locale SQLite mais aucune
restriction n’est impos´ee sur la mani`ere de stocker les donn´ees. La liste des
contacts est par exemple stock´ee dans une base de donn´ees locales dont l’acc`es
se fait `a travers un composant de type ContentProvider.10 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
Service Un service est un composant effectuant des tˆaches en arri`ere plan. Il
est utilis´e pour effectuer de longue tˆaches internes `a l’application ou `a ex´ecuter
une tˆache `a la demande d’une application. Dans un client File Transfer Protocol,
un service est utilis´e pour envoyer les donn´ees sur le r´eseau `a les recevoir. Cela
´evite de bloquer l’application jusqu’`a la fin de l’envoi.
BroadcastReceiver Un BroadcastReceiver est un composant utilis´e pour
´ecouter les messages en large diffusion sur le syst`eme. Un exemple de ce type de
message est la r´eception d’un nouveau SMS. Lorsqu’un nouveau SMS est re¸cu
par le t´el´ephone, le syst`eme envoie un message en broadcast pour notifier les
diff´erentes applications d’envoi et r´eception de SMS. Ce composant ne poss`ede
aucune interface graphique et n’est pas cens´e ex´ecuter de longues tˆaches.
2.1.2.2 Intents : communication entre composants
Un intent est un message utilis´e par les composants des applications pour
communiquer entre eux. Plus pr´ecis´ement, il est utilis´e pour ex´ecuter que le
destinataire ex´ecute une requˆete `a la demande de l’´emetteur. Le composant
´emettant l’intent et celui la recevant ne font pas forc´ement partie de la mˆeme
application. Un intent a deux usages principaux : lancer un composant Activity
ou Service et diffuser un message dans le syst`eme aux composants BroadcastReceiver.
Nous parlerons alors dans ce cas de broadcast intent. Il existe
diff´erentes m´ethodes fournies par l’API Android lancer un composant Activity
ou Service et diffuser un intent dans le syst`eme. Ces m´ethodes peuvent ˆetre
class´ees selon le type de composant cibl´e. Les m´ethodes utilis´ees pour envoyer
un intent `a un composant de type Activity et Service sont les m´ethodes
dont le nom commencent respectivement par startActivity et startService.
Quant aux m´ethodes utilis´ees pour diffuser un intent `a des composants BroadcastReceiver,
leur noms sont pr´efix´es par sendBroadcast.
Un intent peut avoir plusieurs attributs dont quatre principaux : component
name, action, data et category. Ces attributs servent `a d´efinir le(s) destinataire(s)
de l’intent et les donn´ees `a transmettre. Component name d´esigne le
nom du composant destin´e `a recevoir le message. Si une valeur est associ´ee `a cet
attribut, l’intent est dit explicite. Dans le cas contraire, il est dit implicite et il
appartient au syst`eme de d´efinir le destinataire du message. S’il existe plusieurs
destinataires possibles, le syst`eme demandera `a l’utilisateur de choisir le destinataire
`a qui le message sera envoy´e. Ce m´ecanisme est appliqu´e uniquement
lorsque les destinataires possibles sont de type Activity. S’il s’agit de Service,
le syst`eme fera lui-mˆeme le choix. Dans le code du listing 2.1 par exemple, la
fonction sharePage ´emet un intent afin de partager une URL sans d´efinir le
composant destinataire. A son ´emission, le syst`eme d´eterminera donc une liste `
de destinataires pouvant recevoir l’intent et proposera `a l’utilisateur de choisir
parmi les ´el´ements de cette liste. Pour ce type d’action, Android proposera
au moins dans la liste l’application de messagerie ´electronique, le presse papiers
et le bluetooth. Pour les messages de type broadcast intent, le syst`eme
enverra `a tous les composants Broadcast Receiver ´eligibles. Action est une2.1. SYSTEME ANDROID ` 11
chaˆıne de caract`ere et d´esigne l’action demand´ee par l’application. Data est
une adresse pointant vers la donn´ee `a traiter ou le type de donn´ees `a traiter.
Category d´esigne une ou plusieurs cat´egories de composants cens´es recevoir le
message. Les cat´egories n’ont aucun lien avec les quatre types de composant
d’une application Android. A partir de ces attributs, le syst`eme d´efinit le ou les `
destinataires de l’intent.
Deux autres attributs peuvent s’ajouter aux quatre pr´ec´edents : les flags
et les extras. Le syst`eme ne les utilise pas pour d´efinir le ou les destinaire(s) de
l’intent. Les flags sont des attributs destin´es plus au syst`eme qu’au destinataire
du message. Une analyse rapide de la liste des flags fournis par Android
montre qu’ils ont un usage assez vari´e. Ils servent par exemple `a d´el´eguer une permission
d’acc`es en lecture ou ´ecriture aux donn´ees associ´ees `a l’intent ou `a choisir
des groupes d’applications pouvant recevoir le message. Nous ne donnerons
pas plus de d´etail sur cet attribut dans cette th`ese mais la liste des flags fournis
par Android sont disponibles dans la documentation de la m´ethode setFlags
de la classe Intent [84]. Les extras permettent de transmettre des informations
additionnelles au destinataire du message. Il s’agit d’une liste de couple cl´e valeur.
Dans le code du listing 2.1, l’intent ´emis par la fonction contient quatre
attributs de type extras. Ces attributs servent dans cet exemple `a transmettre
des donn´ees li´ees `a l’URL de la page `a partager : le titre de la page, une icˆone
et une capture d’´ecran.
1 static final void sharePage(Context c, String title, String url,
2 Bitmap favicon, Bitmap screenshot) {
3 Intent send = new Intent(Intent.ACTION_SEND);
4 send.setType("text/plain");
5 send.putExtra(Intent.EXTRA_TEXT, url);
6 send.putExtra(Intent.EXTRA_SUBJECT, title);
7 send.putExtra(Browser.EXTRA_SHARE_FAVICON, favicon);
8 send.putExtra(Browser.EXTRA_SHARE_SCREENSHOT, screenshot);
9 try {
10 c.startActivity(Intent.createChooser(send, c.getString(
11 R.string.choosertitle_sharevia)));
12 } catch(android.content.ActivityNotFoundException ex) {
13 // if no app handles it, do nothing
14 }
15 }
Listing 2.1 – Partage d’une page web grˆace `a un intent implicite. Extrait du
code du navigateur par d´efaut d’Android
Remarque : Afin qu’un composant A puisse recevoir un intent d’un composant
appartenant `a une application autre que la sienne, il faut que ce composant
A soit d´eclar´e avec l’attribut exported dans le fichier AndroidManifest.xml de12 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
son application (section 2.1.2.4). Cet attribut est cependant implicite lorsqu’un
intent filter est d´eclar´e pour ce composant.
2.1.2.3 Intent-filter
Dans la section pr´ec´edente, nous avons pr´esent´e les intents, un type de
message utilis´e par les composants d’une application pour communiquer avec
d’autres composants. Lors de l’´emission de l’intent, le syst`eme calcule `a partir
des attributs associ´es `a l’intent le(s) destinataire(s) du message. Deux
cas peuvent se pr´esenter. Dans le premier cas, l’´emetteur a d´efini explicitement
le destinataire (explicit intent). Le message est donc transmis directement
au destinataire choisi par l’´emetteur. Dans le second cas, l’´emetteur n’a pas
d´efini de destinataire et il appartient au syst`eme de le d´efinir (implicit intent).
Lorsque ce cas se pr´esente, le syst`eme d´efinit la liste des destinataires possibles
grˆace `a un filtre d´eclar´e par chaque application appel´ee intent filter.
Ce dernier d´efinit pour chaque composant quels sont les intents que le composant
souhaite recevoir et est d´eclar´e dans le fichier AndroidManifest.xml
qui accompagne chaque application Android. Nous donnons plus de d´etail sur
le contenu de ce fichier dans la section 2.1.2.4 et nous nous contentons ici
d’expliquer la partie sur les intent filters. Chaque composant d’une application
est d´eclar´ee dans ce fichier et chaque d´eclaration est accompagn´ee
de diverses informations telles que l’intent filter. L’intent filter d´eclare
au syst`eme les intents que chaque composant peut traiter. Ce filtrage est
d´ecrit par une liste d’attributs d’intents que les intents transmis aux composants
doivent avoir. Dans le listing 2.2 par exemple, l’application filtre les
intents que deux de ses composants peuvent recevoir. Le premier composant,
App, ne peut recevoir que les intents dont les attributs action et category
ont respectivement comme valeur associ´ee android.intent.action.MAIN et
android.intent.category.LAUNCHER. Quant au deuxi`eme composant, BillingReceiver,
il ne peut recevoir que des intents auquel l’attribut action est
associ´e `a la valeur com.android.vending.billing.RESPONSE CODE.
2.1.2.4 Android Package
Android Package est la forme sous laquelle une application est propos´ee `a
l’utilisateur. Il s’agit d’une archive, commun´ement appel´ee apk, contenant le
code de l’application et les ressources qu’elle utilise. Nous pr´esentons dans ce
qui suit le contenu principal d’un apk.
AndroidManifest.xml
AndroidManifest.xml est un fichier xml contenant les informations li´ees `a
l’application qui sont n´ecessaires au syst`eme. Il est cr´e´e par le d´eveloppeur de
l’application. Parmi les informations qu’il contient, nous pouvons citer :
— le nom du package de l’application
— le composant Activity `a lancer au lancement de l’application2.1. SYSTEME ANDROID ` 13
— la liste des composants de l’application et les informations qui sont li´es
aux composants (ex : permission pour acc´eder `a un composant Service
sensible, les Intents attendus par les composants de l’application etc)
— les permissions demand´ees par l’application (ex : read sms pour lire les
SMS)
— les permissions d´eclar´ees par l’application
— les biblioth`eques utilis´ees par l’application
— le niveau minimal du SDK Android pour que l’application puisse fonctionner
Le listing 2.2 pr´esente le fichier AndroidManifest.xml d’une version d’Angry
Birds Space. A la deuxi`eme ligne, sont d´efinis l’endroit o`u l’application sera `
install´ee (ici laiss´e au choix du syst`eme) et le nom du package de l’application.
De la ligne 4 `a la ligne 11 sont ensuite list´ees les permissions demand´ees par
l’application. Ici l’application demande par exemple acc`es `a la m´emoire externe,
au r´eseau, aux informations li´ees au t´el´ephone, aux donn´ees de g´eolocalisation
et au syst`eme de payement propos´e par Google.
La ligne 13 d´ecrit comment l’application sera pr´esent´ee dans le menu des
applications une fois install´ee : l’icˆone `a utiliser et le nom `a afficher. Le reste du
fichier liste les composants de l’application et les informations qui y sont li´ees.
L’application a ainsi quatre composants dont deux de type Activity, un de type
Service et un de type BroadcastReceiver. Comme expliqu´e pr´ec´edemment,
filtrer les messages Intent `a destination des composants de l’application est possible.
Dans AndroidManifest.xml, cela se fait via les entr´ees intent-filter.
Ainsi le premier Activity ne recevra que les intents dont l’attribut action a la
valeur android.intent.action.MAIN et la cat´egorie est android.intent.category.LAUNCHER.
Cela signifie que c’est ce composant qui sera lanc´e lorsque
l’utilisateur cliquera sur l’icˆone de l’application dans le menu de son t´el´ephone.
Quant au Broadcast Receiver, il ne r´eagira qu’aux intents dont l’attribut
action vaut com.android.vending.billing.RESPONSE CODE
Classes.dex
Le code de chaque classe d’une application Java standard est stock´e dans des
fichiers .class diff´erents. Sous Android, ce n’est pas le cas. Tout est stock´e dans
un seul et unique fichier qui est classes.dex. De plus, si le code des applications
Java est lui compil´e en bytecode Java, celui des applications Android est lui
compil´e dans un autre format qui est le bytecode dalvik. C’est le contenu de ce
fichier, ou plus pr´ecis´ement une version optimis´ee de celui-ci, qui sera interpr´et´e
par la machine virtuelle Dalvik pour ex´ecuter l’application.
Autres
Un apk contient d’autres entr´ees telles que les r´epertoires META-INF, res,
jni et lib. Le r´epertoire META-INF contient ainsi des fichiers li´es au contrˆole
d’int´egrit´e de l’application et `a l’identification de son d´eveloppeur. Le r´epertoire res
contient les ressources utilis´ees par l’application telles que des images, sons, etc.14 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
Les r´epertoires jni et lib contiennent les biblioth`eques utilis´ees par l’application.
Nous avons pr´esent´e dans cette section le syst`eme Android : le noyau, l’espace
utilisateur en insistant sur les applications et la mani`ere dont ils coop`erent.
Dans la section qui suit, nous pr´esentons les diff´erents m´ecanismes de s´ecurit´e
prot´egeant ce syst`eme.2.1. SYSTEME ANDROID ` 15
1
5
9
21
22
27
32
33
36
37
40
42
43
44
Listing 2.2 – Fichier AndroidManifest.xml d’Angry Birds Space16 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
2.2 S´ecurit´e du syst`eme Android
Nous avons ´ecrit dans la section pr´ec´edente que le noyau d’Android ´etait
un noyau Linux avec un ensemble de modifications et d’ajouts. Une partie des
m´ecanismes de s´ecurit´e offerts par Android proviennent ainsi du syst`eme Linux
auxquels s’ajoutent des m´ecanismes propres `a Android. Ces m´ecanismes ont
pour but de prot´eger les applications les unes des autres, les communications
entre applications et les ressources sensibles disponibles dans le syst`eme.
2.2.1 M´ecanismes issus de Linux
Le noyau d’Android est une version modifi´ee du noyau Linux. Il b´en´eficie
ainsi des m´ecanismes offerts par les noyaux et syst`emes Linux : syst`eme multiutilisateur,
contrˆole d’acc`es (lecture, ´ecriture et ex´ecution) bas´e sur les utilisateurs
et isolation par processus.
2.2.1.1 Syst`eme multi-utilisateur et contrˆole d’acc`es
Android supporte l’existence de plusieurs utilisateurs dans le syst`eme et
utilise le m´ecanisme de contrˆole d’acc`es fourni par Linux. L’acc`es aux diff´erentes
ressources dans le syst`eme est ainsi d´efini par des droits d’acc`es en lecture,
´ecriture et ex´ecution. Ces acc`es sont d´efinis pour trois entit´es : le propri´etaire,
le groupe propri´etaire et les autres.
Il existe un ensemble pr´ed´efini d’utilisateurs par d´efaut sur les syst`emes Android
dont une partie est associ´ee au fonctionnement interne du syst`eme. Parmi
ces utilisateurs nous pouvons citer root qui est l’utilisateur avec les droits les
plus ´elev´es dans les syst`emes de type Linux et Android et l’utilisateur system qui
est associ´e aux diff´erentes ressources n´ecessaires au fonctionnement du syst`eme
tels que les biblioth`eques natives partag´ees. Tout au long de l’ex´ecution du
syst`eme, la liste des utilisateurs peut ensuite ´evoluer. En effet, d’autres utilisateurs
sont cr´e´es `a chaque fois qu’une application est install´ee sur le syst`eme 2
.
Ces utilisateurs ont g´en´eralement des droits restreints `a savoir qu’ils ont uniquement
acc`es aux ressources appartenant `a l’application `a laquelle ils sont
associ´es. Cette restriction ´evite ainsi que les donn´ees de fichier appartenant `a
une application ne soit lues ou modifi´ees par une autre application.
2.2.1.2 Isolation des applications
En plus d’associer des utilisateurs diff´erents `a chaque application, Android
les cloisonne ´egalement en les ex´ecutant dans des processus diff´erents et en leur
attribuant des r´epertoires diff´erents dans lesquels les applications stockent les
donn´ees qu’il manipulent. Les processus associ´es `a chaque application s’ex´ecutent
avec les droits de l’utilisateur associ´e `a l’application et les r´epertoires appartiennent
´egalement `a l’utilisateur auquel l’application est associ´ee. Ce cloison-
2. Il existe une exception `a cette r`egle o`u une application peut demander `a partager le
mˆeme identifiant d’utilisateur que d’autres applications. Voir la section 2.1.2.4.2.2. SECURIT ´ E DU SYST ´ EME ANDROID ` 17
Type Description
normal Valeur par d´efaut des permissions. Elle est automatiquement
accord´ee a toute application la demandant.
dangerous N´ecessite une validation de la part de l’utilisateur
afin d’accorder la permission. Exemple : read sms
pour l’acc`es aux SMS.
signature Permission accord´ee uniquement si l’application
la demandant est sign´ee avec le certificat du
d´eveloppeur ayant d´eclar´ee la permission.
signatureOrSystem Permission accord´ee uniquement aux applications
system, plus pr´ecis´ement celles dans la partition
system, ou `a celles ayant ´et´e sign´ees avec le mˆeme
certificat que l’application ayant d´eclar´ee la permission.
Table 2.1 – Types de permission Android
nement ´evite ainsi qu’une application interf`ere avec l’ex´ecution d’une autre application
ou qu’elle modifie les donn´ees d’une autre application.
2.2.1.3 Chiffrement de la partition de donn´ees
Depuis la version 3.0 d’Android, le syst`eme offre la possibilit´e de chiffrer la
partition data. Cette partition contient l’ensemble des applications du t´el´ephone,
`a l’exception des applications fournies par d´efaut que l’utilisateur ne peut d´esinstaller,
ainsi que les donn´ees qu’elles manipulent. Le chiffrement est r´ealis´e grˆace
au module dm-crypt [15] fourni par le noyau.
2.2.2 M´ecanismes propres `a Android
2.2.2.1 Permissions
Android propose un ensemble de ressources sensibles aux applications install´ees
sur le t´el´ephone (r´eseau, cam´era, syst`eme de g´eolocalisation, bluetooth,
etc.). Pour les utiliser, une application devra d´eclarer les permissions correspondantes.
Une application souhaitant lire les sms devra par exemple avoir la
permission read sms. A l’installation, l’utilisateur valide les permissions de- `
mand´ees par l’application. Pour que l’installation se fasse, il doit toutes les accepter.
Une fois l’application install´ee, plus aucune validation n’est n´ecessaire de
la part de l’utilisateur. La seule exception est l’envoi de messages `a des num´eros
surtax´es o`u l’utilisateur doit valider 3
chaque envoi. Il existe quatre types de
permission que nous r´esumons dans le tableau 2.1.
3. fonctionnalit´e disponible depuis Android 4.218 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
Name: AndroidManifest.xml
SHA1-Digest: 9FiHXTmeVecbFb3enszaSlXIZp0=
Name: res/layout/hello_activity.xml
SHA1-Digest: BJz/aHbKT/Or0LwKJZ/jxN+WzmE=
Name: resources.arsc
SHA1-Digest: khWw+6lJ8dfajIaKkvbCuQ7YYzI=
Name: classes.dex
SHA1-Digest: +aR5lPSRcAvOrX+OhsxELXB1qGg=
Figure 2.2 – Fichier MANIFEST.MF de l’application HelloActivity
2.2.2.2 Signature des applications
Android requiert que chaque application soit sign´ee afin d’ˆetre install´ee sur
le t´el´ephone. Les d´eveloppeurs signent ainsi leur application avec un certificat
dont la cl´e priv´ee leur est propre.
Les applications Android sont sign´ees avec l’outil jarsigner. Il prend en
entr´ee une archive jar ou zip et un certificat. Il donne en sortie l’archive `a
laquelle ont ´et´e ajout´es deux fichiers : un fichier avec l’extension .sf et un autre
fichier avec l’extension .rsa ou .dsa selon les cl´es utilis´ees. L’entˆete du premier
fichier correspond au hash du fichier MANIFEST.MF. Le reste de son contenu
est similaire au fichier meta-inf/manifest.mf qui est pr´esent dans chaque
archive jar. MANIFEST.MF recense pour chaque fichier pr´esent dans l’archive
son nom, son hash et l’algorithme de hachage utilis´e. La figure 2.2 est le fichier
manifest.mf de l’application HelloActivity fourni en exemple avec le kit de
d´eveloppement Android. Pour chaque fichier pr´esent dans l’archive nous avons
son nom, un algorithme de hachage et le hash du fichier. Le fichier .SF contient
les mˆemes types d’information que MANIFEST.MF. Pour chaque fichier pr´esent
dans l’archive nous avons une entr´ee constitu´ee du nom du fichier, un algorithme
de hachage et un hash. Contrairement `a un hash dans MANIFEST.MF, il s’agit
cette fois-ci du hash de l’entr´ee correspondant au fichier dans MANIFEST.MF.
La figure 2.3 liste le contenu du fichier cert.sf de l’application HelloActivity.
Le fichier .rsa lui contient la signature du fichier .sf ainsi que la cl´e publique
correspondant `a la cl´e priv´ee utilis´ee pour la signature.
La signature des applications Android a plusieurs objectifs. Elle sert `a filtrer
les applications qui peuvent ˆetre install´es sur le t´el´ephone. Par d´efaut, seules les
applications provenant de Google Play peuvent ˆetre install´ees sur le t´el´ephone.
Il s’agit plus pr´ecis´ement des applications dont le d´eveloppeur a un certificat
reconnu sur Google Play. Toute application avec une signature inconnue sera
bloqu´ee `a l’installation `a moins que l’utilisateur n’autorise explicitement l’installation
d’applications provenant d’autres plateformes.
La signature identifie ´egalement toutes les applications d’un mˆeme d´eveloppeur.
Si celui-ci est malveillant, il est ainsi possible d’enlever ses applications de Google2.2. SECURIT ´ E DU SYST ´ EME ANDROID ` 19
Signature-Version: 1.0
Created-By: 1.0 (Android SignApk)
SHA1-Digest-Manifest: Qenbz+ZjLsHBpHWbAHMYhLpfies=
Name: AndroidManifest.xml
SHA1-Digest: uziqi6KmjjgyRnooQ7j5ZHIKVTw=
Name: res/layout/hello_activity.xml
SHA1-Digest: who+PyjjYjRHN6maNog494Cr+CE=
Name: resources.arsc
SHA1-Digest: WlDZ0LWZ+zrAmxUTKZuz99hUoZo=
Name: classes.dex
SHA1-Digest: QjwcQAkf4iVckku4qf7kiLRSndo=
Figure 2.3 – Fichier .SF de l’application HelloActivity
Play et des t´el´ephones des utilisateurs.
La signature assure ´egalement que l’application n’a pas ´et´e modifi´ee par
une tierce personne avant d’ˆetre publi´ee. La v´erification se fait `a l’installation
de l’application. Le syst`eme v´erifie que le fichier .SF a bien ´et´e g´en´er´e par le
d´eveloppeur. Il v´erifie ensuite que le fichier MANIFEST.MF n’a pas ´et´e modifi´e
en comparant son empreinte avec celui list´e dans le fichier .SF. Il v´erifie enfin
l’int´egrit´e des fichiers dans l’archive en comparant leur empreite avec les valeurs
list´ees dans le fichier MANIFEST.MF. L’installation est arrˆet´ee si une incoh´erence
est d´etect´ee.
Par d´efaut, les applications Android tournent avec des UIDs diff´erents dans
des processus distincts. Un d´eveloppeur peut cependant vouloir faire tourner
ses applications avec le mˆeme UID ou dans un seul processus. Il suffit pour
cela qu’il le d´eclare dans le fichier AndroidManifest.xml de son application.
Plus pr´ecis´ement, le d´eveloppeur d´eclare un alias d’UID qui sera partag´e s’il
souhaite utiliser le mˆeme UID pour plusieurs de ses applications. S’il souhaite
faire tourner ses applications au sein d’un mˆeme processus, il d´eclare un alias
de nom de processus.
Pour ´eviter que des d´eveloppeurs ne s’attribuent ´egalement le mˆeme UID ou
ne s’attache au processus faisant tourner les applications d’un autre d´eveloppeur,
le syst`eme v´erifie que l’application demandant `a partager le mˆeme UID ou `a
ˆetre ex´ecut´e dans le processus qu’une autre application soit sign´ee par le mˆeme
d´eveloppeur.
2.2.2.3 Analyse des applications
Google analyse r´eguli`erement les applications propos´ees en t´el´echargement
sur Google Play ainsi que celles en instance d’ˆetre install´ees sur les t´el´ephones des
utilisateurs. Si aucune information sur la nature exacte des analyses n’est fournie20 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
par Google, nous savons qu’une analyse statique et dynamique des applications
sont faites pour d´etecter des motifs synonymes de menace dans l’application ou
des comportements malveillants. J. Oberheide et C. Miller ont montr´e dans [78]
que les applications soumises sur Google Play sont ex´ecut´ees dans une machive
virtuelle et qu’il ´etait possible de construire un profil de cette machine.
2.2.2.4 Protection de l’appareil et de ses donn´ees
Android poss`ede un ensemble d’outils destin´es aux d´eveloppeurs du syst`eme.
Parmi ces outils nous pouvons citer adb et fastboot. La commande adb permet
de communiquer avec un ´emulateur Android ou un t´el´ephone. Parmi les
fonctions propos´ees, il y a l’ouverture d’un shell distant sur le t´el´ephone, l’installation
ou la suppression d’application et le transfert de fichier. Pour prot´eger
le t´el´ephone de tout usage malveillant de ces outils, la communication est possible
uniquement si le mode debug est activ´e. Une authentification par cl´e de
l’ordinateur aupr`es du t´el´ephone s’ajoute ´egalement `a cela depuis la version 4.2
d’Android afin de filtrer les machines pouvant communiquer avec le t´el´ephone via
adb. La commande fastboot sert `a effacer/remplacer le contenu des diff´erentes
partitions sur le t´el´ephone. Afin de l’utiliser, l’utilisateur doit dans un premier
temps d´ebloquer cette fonctionnalit´e au d´emarrage et ce processus de d´eblocage
implique la suppression du contenu de la partition data du t´el´ephone. Cette
partition contient les donn´ees de l’utilisateur ainsi que des diff´erentes applications.
L’action de remplacer le contenu d’une partition est souvent d´esigner par
l’expression flasher une image, l’image ´etant le nouveau contenu de la partition.
Un attaquant d´esirant ainsi remplacer une partie des composants logiciels du
syst`eme via fastboot ne pourra ainsi acc´eder aux donn´ees de l’utilisateur.
2.2.2.5 Administration de l’appareil
Android propose depuis sa version 2.2 une API permettant de d´evelopper des
applications afin d’administrer les t´el´ephones [83]. L’API permet de renforcer la
politique sur les mots de passe (ex : taille, expiration et nombre de tentatives),
imposer le chiffrement des partitions, activer / d´esactiver la cam´era (fonctionnalit´e
disponible depuis Android 4.0), demander la cr´eation d’un nouveau mot de
passe, verrouiller le t´el´ephone et remettre le t´el´ephone `a la configuration d’usine.
Nous avons pr´esent´e dans cette section les m´ecanismes de s´ecurit´e d’Android.
Ces m´ecanismes ont pour but de prot´eger les applications, les ressources qu’elles
utilisent et les communications entre ces processus. Ces m´ecanismes ne sont
cependant pas parfaits et nous montrons dans la section qui suit leur limites
ainsi qu’un aper¸cu des menaces que repr´esentent les malware Android.2.3. LIMITES DES MECANISMES DE S ´ ECURIT ´ E ANDROID ´ 21
2.3 Limites des m´ecanismes de s´ecurit´e Android
2.3.1 Abus de permission
Les permissions donnent acc`es aux ressources sensibles du t´el´ephone aux
applications. Si l’utilisateur souhaite installer une application, il doit lui accorder
toutes les permissions qu’elle a demand´ees. Si les permissions filtrent l’acc`es
aux ressources sensibles, il n’existe cependant aucune v´erification au niveau de
l’usage de ces ressources. Seule la confiance aux d´eveloppeurs de l’application
permet de s’assurer qu’il n’y aura aucun abus. Les attaques les plus simples
utilisent ainsi les permissions de mani`ere abusive et c’est le cas de la plupart
des malware ayant pour but de faire fuir des donn´ees sensibles du t´el´ephone. Un
exemple r´ecent est une application ayant ´et´e d´etect´ee comme un logiciel espion 4
qui cible des manifestants `a Hong Kong [26]. L’application demande un ensemble
assez large de permissions pour espionner les utilisateurs des t´el´ephones sur
lesquels l’application est install´ee. Les permissions demand´ees donnent acc`es
aux SMS, aux appels, `a la localisation de l’utilisateur, au micro pour enregistrer
l’utilisateur, etc.
Une application avec trop de permissions peut paraˆıtre suspecte aux yeux
des utilisateurs avertis. Afin de ne pas ´eveiller la suspicion des utilisateurs, une
solution pour les d´eveloppeurs de malware consiste `a utiliser d’autres applications
pr´esentes sur le syst`eme pour mener l’attaque ou `a diviser l’attaque entre
plusieurs applications qui collaboreront pour ex´ecuter l’attaque.
2.3.2 Permissions : attaques par d´el´egation et attaques
par collusion
Une attaque par d´el´egation [49] consiste `a d´el´eguer l’ex´ecution de la tˆache
n´ecessitant une permission que l’application malveillante ne poss`ede pas `a une
autre application qui elle la poss`ede. Par exemple, une application n’ayant pas
la permission de communiquer sur le r´eseau pourrait se servir du navigateur
pour poster des informations ou t´el´echarger des fichiers. Les ´echantillons de
BadNews [91] font par exemple appel au navigateur du t´el´ephone afin de lancer
le t´el´echargement d’applications sur le t´el´ephone. Une attaque par collusion
consiste en une coop´eration entre plusieurs applications pour mener une attaque.
Il n’existe aucun malware utilisant ce type d’attaque `a notre connaissance. Cependant,
J. Boutet et T. Leclerc ont montr´e la faisabilit´e d’une telle attaque
dans [28].
2.3.3 Communication entre composants via les intents
Les intents sont des messages ´echang´es entre les composants des applications
pour transmettre des requˆetes. La possibilit´e d’envoyer des intents
entre deux deux composants de deux applications diff´erentes apporte une surface
d’attaque suppl´ementaire. Dans [34], Chin et al. d´ecrivent en se basant sur
4. Empreinte MD5 :15e5143e1c843b4836d7b6d5424fb4a522 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
leur analyse du fonctionnement des ^ıntents des sc´enarios d’attaques qui pourraient
exploiter cette surface d’attaque afin d’espionner les ´echanges de message
entre application, les bloquer, les modifier, ´elever ses privil`eges et influencer sur
le comportement d’une application.
Interception des messages diffus´es dans le syst`eme
Les broadcast intents sont des messages diffus´es dans tout le syst`eme.
Ils peuvent ainsi avoir un ou plusieurs destinataires. L’une des vuln´erabilit´es
qu’introduit ce type de communication est la possibilit´e d’observer les informations
diffus´ees dans le syst`eme et ´eventuellement les intercepter, bloquer
ou modifier. Lorsqu’une application diffuse un broadcast intent, elle d´efinit
un ensemble d’attributs qui permettent au syst`eme d’identifier les composants
BroadcastReceiver pr´esents dans le syst`eme qui attendent ce type de message.
Pour observer les messages attendus par le composant BroadcastReceiver
d’une application, il suffit ainsi `a une application malveillante de d´eclarer un
composant du mˆeme type avec le mˆeme intent-filter. Pour observer les
messages re¸cus par le composant BillingReceiver d´eclar´e dans le listing 2.2,
une application malveillante n’a qu’`a d´eclarer un composant du mˆeme type en
pr´ecisant que ce composant n’accepte que les intents avec un attribut action
dont la valeur associ´ee est com.android.vending.billing.RESPONSE CODE.
Un broadcast intent peut ˆetre transmis de mani`ere simultan´e `a tous les
destinataires ou en suivant un ordre. Dans le cas de ce dernier, l’intent est
transmis d’un composant `a l’autre dans un ordre d´efini par le syst`eme. Chaque
composant BroadcastReceiver peut ainsi modifier ou bloquer les informations
transmises avant que le message ne soit transmis au prochain destinataire. Si une
application malveillante se trouve au milieu de la chaˆıne de transmission, elle
peut donc modifier le contenu de l’intent ´emis et envoyer de fausses donn´ees
aux composants en attente du message. Elle peut ´egalement d´ecider de ne pas
faire suivre le message et empˆecher les autres composants de le recevoir.
D´etournement des intents `a destination des composants Activity et
Service
Lorsqu’une application ´emet un intent, il peut soit d´efinir explicitement le
destinataire soit laisser le syst`eme le d´efinir `a sa place. Dans le deuxi`eme cas,
l’´emetteur n’a aucune garantie sur l’identit´e du destinataire ce qui donne ainsi
la possibilit´e de d´etourner les messages du destinataire l´egitime. Une application
malveillante souhaitant intercepter un implicit intent n’a donc qu’`a d´eclarer
un composant ayant un intent filter correspondant `a l’intent qu’il souhaite
d´etourner. Par exemple, une application malveillante souhaitant d´etourner le
partage de page effectu´ee dans le listing 2.1 n’a qu’`a d´eclarer un composant
Activity avec un intent filter correspondant aux attributs de l’intent `a
intercepter : un attribut action et un attribut data auxquels sont associ´es
respectivement les valeurs ACTION SEND et text/plain.2.3. LIMITES DES MECANISMES DE S ´ ECURIT ´ E ANDROID ´ 23
Si le d´etournement est th´eoriquement possible, il n’a en r´ealit´e qu’une probabilit´e
de succ`es. Lorsqu’il existe plusieurs destinataires possibles de l’intent, un
choix qui est ind´ependant de l’application malveillante est effectu´e. Si l’intent
a ´et´e ´emis pour un composant de type Activity, le syst`eme demande `a l’utilisateur
de choisir le destinataire parmi la liste des applications pouvant recevoir
l’intent. Si l’intent a ´et´e ´emis pour un composant de type Service, le syst`eme
effectuera lui-mˆeme le choix et ce choix est effectu´e de mani`ere al´eatoire.
Vol/abus des permissions
Nous avons ´ecrit en section 2.1.2.2 que les intents pouvaient ´egalement servir
`a transmettre des permissions pour acc´eder `a des donn´ees au destinataire du
message. Positionner le flasg FLAG GRANT WRITE URI PERMISSION donne par
exemple l’acc`es en lecture aux donn´ees li´ees `a l’intent au destinataire du message.
Une application malveillante interceptant des intents transmettant des
permissions peut ainsi abuser de ces permissions et voler ou modifier les donn´ees
auxquelles les permissions donnent acc`es.
Intents malveillants
Le but de cette attaque est d’envoyer des requˆetes malveillantes `a traiter par
un composant cible. Un composant qui peut recevoir des intents d’autres applications
n’est pas seulement expos´e aux applications que son d´eveloppeur pensait
servir mais `a toutes applications sur le syst`eme. Cette exposition `a toutes les
applications du syst`eme offre ainsi une surface d’attaque aux applications malveillantes
qui elles aussi peut demander au composant de traiter une requˆete,
mˆeme si cette requˆete est malicieuse. Les navigateurs web sous Android ont par
exemple un composant Activity qui ouvre les URL `a la demande d’autres applications.
Cette fonctionnalit´e peut ainsi ˆetre d´etourn´ee par une application qui
n’a pas acc`es au r´eseau afin de faire fuir des donn´ees ou t´el´echarger des fichiers.
Pour cela l’application malveillante ´emettra un intent `a destination du navigateur
afin que ce dernier ouvre une adresse web. Les ´echantillons de BadNews [91]
utilisent par exemple cette approche afin de t´el´echarger des applications sur le
t´el´ephone.
2.3.4 Failles logicielles : ´el´evation de privil`ege
Comme tout programme, le syst`eme Android a ´egalement des failles logicielles.
Exploiter certaines d’entre elles permet d’´elever les privil`eges d’une application
et ainsi ex´ecuter des op´erations sensibles que nous ne pouvions faire.
Obtenir les droits root permet par exemple de modifier le contenu de la partition
system sous Android pour installer des applications syst`eme ou les remplacer.
Le noyau Android ´etant bas´e sur un noyau Linux, il h´erite ainsi de ses
vuln´erabilit´es. Certaines d’entre elles [5, 4] ont par exemple ´et´e exploit´ees obtenir
des acc`es root sur les t´el´ephones.24 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
Des failles permettant d’´elever les privil`eges des applications existent ´egalement
dans l’espace utilisateur. D’apr`es les travaux de Y. Zhou et X. Jiang [113], six
vuln´erabilit´es permettant d’´elever les privil`eges des applications existaient au
moment de leur analyse (voir tableau 2.2) et quatre d’entre elles ´etaient effectivement
utilis´ees par les malware pour ´elever leurs privil`eges : Asroot [1],
exploid [31], RATC / Zimperlich [93] et GingerBreak [32]. Plus r´ecemment,
J. Forristal a pr´esent´e `a la Black Hat 2013 une vuln´erabilit´e [51] concernant la
v´erification des signatures des applications Android `a l’installation. La vuln´erabilit´e
permet d’installer une version modifi´ee d’une application dont la signature reste
celle de la version originale. Si la vuln´erabilit´e ne permet pas d’obtenir les droits
root (aucune application ne tourne avec l’UID root), elle rend cependant caduque
les protections offertes par la signature en section 2.2.2. Un d´eveloppeur
malveillant peut faire ex´ecuter son code avec les mˆemes droits que l’application
originale qu’il a modifi´ee. Il peut ´egalement faire tourner son code dans le
mˆeme processus ou avec le mˆeme UID qu’une autre application. S’il n’est pas
possible d’obtenir les droits root, il est cependant possible d’obtenir les droits
des applications system. Ces applications ont acc`es `a plus de permissions que
les applications tierces et de plus sont persistantes sur le syst`eme. Un utilisateur
ne peut les enlever sans avoir un acc`es root sur son t´el´ephone.
Bien que Google mette `a jour r´eguli`erement le code d’Android, les constructeurs
eux mettent plus de temps `a proposer des mises `a jour pour leur t´el´ephone.
La fenˆetre d’exploitation des vuln´erabilit´es est ainsi bien plus large que sur les
ordinateurs.
Nous avons pr´esent´e dans cette section, les limitations des m´ecanismes de
s´ecurit´e sous Android. Ces limitations peuvent ˆetre class´ees en trois groupes. Le
premier groupe concerne les limites de la s´ecurit´e offerte par les permissions. Le
second concerne les risques introduits par les communications entre composants
via les intents. Le troisi`eme groupe concerne les failles logicielles dans le code
d’Android qui permettent d’´elever les privil`eges des applications dans le syst`eme.
Dans la section suivante, nous pr´esentons les malware Android et les menaces
qu’ils repr´esentent.
2.4 Malware Android
2.4.1 D´efinitions
Nous appelons malware un programme ou un code dont le but est de nuire
`a un syst`eme donn´e. Dans le reste du document nous ferons souvent usage des
termes ´echantillon de malware et famille de malware. Un ´echantillon d’un malware
est une application, comprendre ici application Android correspondant `a
un fichier apk, qui contient ce malware. Quant `a une famille de malware, il s’agit
de l’ensemble des ´echantillons d’un malware. Analyser un malware revient ainsi2.4. MALWARE ANDROID 25
`a analyser un ou plusieurs de ses ´echantillons afin d’extraire des informations
li´ees au malware et d´etecter un malware revient `a d´ecider si une application
donn´ee est un ´echantillon d’un malware.
Les premiers travaux qui ont consist´e `a dresser un bilan des menaces que
repr´esentent les malwares Android sont les travaux de Y. Zhou et X. Jiang
dans [113]. Leurs travaux sont bas´es sur l’analyse de plus de 1200 ´echantillons
de malware qu’ils ont collect´e de 2010 `a 2011. Dans ce qui suit, nous pr´esentons
les r´esultats de cette analyse et l’enrichissons avec une analyse plus r´ecente bas´ee
sur les menaces que repr´esentent les malware Android en 2013.
2.4.2 Malwares Android : 2010 `a 2011 [113]
M´ethode d’infection
Pour infecter les t´el´ephones des utilisateurs, les d´eveloppeurs de malware
ajoutent leur code malveillant `a des applications existantes et proposent leur
version modifi´ee sur des plateformes de t´el´echargement : Google Play ou toute
autre plateforme alternative. Les applications infect´ees sont pr´esent´ees comme
une version gratuite d’une application payante ou des versions avec plus de fonctionnalit´es.
86% des ´echantillons r´ecolt´es sont ainsi des applications originales
auxquelles un code malveillant a ´et´e ajout´e. Le type d’application infect´ee est
vari´e : application payante, jeux populaires, outils tels que des mises `a jour de
s´ecurit´e ainsi que des applications pour adultes. Un des ´echantillons de DroidKungFu2
est par exemple une version modifi´ee d’une application simulant un
scanner d’empreinte pour d´everrouiller le t´el´ephone. En arri`ere plan, le code
malveillant exploite une vuln´erabilit´e [92, 93] pour ´elever ses privil`eges et installer
des binaires sur le t´el´ephone `a l’insu de l’utilisateur.
Tout le code malveillant ne se trouve pas forc´ement ajout´e `a l’application
originale. Certains ´echantillons ne contiennent ainsi qu’une partie du code malveillant
dont le reste sera r´ecup´er´e `a l’ex´ecution. Ce dernier peut ˆetre stock´e
en tant que ressource de l’application ou sur un serveur distant que l’application
infect´ee devra t´el´echarger. L’avantage ´etant que le code malveillant ne
pourra ˆetre d´etect´e lors de la soumission de l’application sur les plateformes de
t´el´echargement. Les ´echantillons d’AnserverBot [112] ont ainsi une charge cach´ee
en tant qu’image dans les ressources des applications et r´ecup`erent ´egalement
une autre application malveillante sur un serveur distant.
D´eclenchement du code malveillant
Le d´eclenchement du code malveillant ne se fait pas forc´ement d`es le lancement
de l’application. Le code malveillant peut attendre des ´ev`enements
sp´ecifiques tels que l’arriv´ee d’un sms ou l’´ecoulement d’un certain laps de temps
avant de s’ex´ecuter. Parmi les ´ev`enements les plus utilis´es pour d´eclencher le
code malveillant, nous pouvons citer la fin d’initialisation au d´emarrage du26 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
Programme
vuln´erable
Exploit Date Malware les
utilisant
Noyau Asroot 2009/08/16 Asroot
init (ď 2.2) Exploid 2010/07/15 DroidDream,
zHash, DroidKungFu*
adbd (ď 2.2.1)
zygote
(ď 2.2.1)
RATC / Zimperlich 2010/08/21
2011/02/24
DroidDream,
BaseBridge,
DroidKungFu,
DroidDeluxe,
DroidCoupon
ashmem
(ď 2.2.1)
KillingInTheNameOf 2011/01/06 Aucun
vold (ď 2.3.3) GingerBreak 2011/04/21 GingerMaster
libsysutils
(ď 2.3.6)
zergRush 2011/10/10 Aucun
Table 2.2 – Exploits root connus et leur usage par les malware Android de
2010 `a 2011
syst`eme. Quand le syst`eme est prˆet `a ex´ecuter des applications Android, il
le signale en envoyant un intent avec le message boot completed `a tous
les composants BroadcastReceiver `a l’´ecoute cet ´ev`enement. Les autres messages
´ev`enements servant de d´eclencheur sont la r´eception de message, les appels,
les ´ev`enements li´es aux applications (ex : ajout, suppression, mise `a jour
et red´emarrage), l’´etat de la batterie, l’´etat de la connectivit´e r´eseau, et des
´ev`enements syst`emes (ex : carte sim remplie, changement de clavier). Le d´eveloppeur
du code malveillant ajoute un composant de type BroadcastReceiver pour intercepter
l’un de ces ´ev`enements et ex´ecuter par la suite le code malveillant.
Actions effectu´ees
Les actions effectu´ees par les codes malveillants peuvent ˆetre r´eparties dans
quatre groupes : ´el´evation de privil`ege, contrˆole `a distance, charge financi`ere et
vol de donn´ees.
Comme ´evoqu´e en section 2.2.2, Android poss`ede des vuln´erabilit´es qui sont
exploit´ees par les d´eveloppeurs malveillants pour effectuer des op´erations sensibles.
Le tableau 2.2 montre d’ailleurs une tendance `a utiliser les exploits
exploid [31], RageAgainstTheCage [92] et Zimperlich [93] afin ´elever les privil`eges
des applications malveillantes durant l’attaque. Le but de cette ´el´evation
de privil`eges est d’effectuer des op´erations sensibles telles que monter la partition
system avec l’option d’´ecriture pour y installer de nouvelles applications.
1172 ´echantillons soit 93% des ´echantillons analys´es sont contrˆolables `a distances.
Plus pr´ecis´ement, 1171 ´echantillons utilisent le protocole HTTP pour recevoir
des commandes des serveurs de commande et contrˆole C&C. Les adresses2.4. MALWARE ANDROID 27
des serveurs sont stock´ees en clair ou chiffr´ees dans le code.
En dehors des ´el´evations de privil`eges et communication avec des serveurs
de C&C, les ´echantillons analys´es peuvent imputer des charges financi`eres `a
l’utilisateur. Android tournant principalement sur les smartphones, les applications
ont ainsi acc`es aux fonctions d’appels et de sms. 4.4% des ´echantillons
´etudi´es envoient ainsi des messages `a des num´eros surtax´es. Les num´eros sont
soit stock´es en dur dans le code de l’application soit r´ecup´er´es `a partir des
serveurs de C&C.
En plus des actions pr´ec´edentes, les malware r´ecup`erent ´egalement les donn´ees
sensibles sur le t´el´ephone. Les donn´ees cibl´ees sont principalement les sms, la
liste de contact, et les informations sur le compte de l’utilisateur. SndApps [62]
collecte par exemple les adresses courriel de l’utilisateur et les envoie vers un
serveur distant.
Evolution des malware ´
Si les premiers malware Android sont simples, l’analyse effectu´ee dans [113]
montre que les techniques utilis´ees tendent `a se complexifier : charge utile, techniques
contre l’analyse d’application, serveurs C&C.
Tout le code malveillant est int´egr´e dans une mˆeme application dans les
premiers malware. L’analyse des ´echantillons r´ecolt´es montre une tendance `a le
diviser, mettre une partie dans l’application servant `a l’infection et le reste des
morceaux dans une ou plusieurs charges utiles. Ces charges sont int´egr´ees directement
dans l’application ayant servi `a infecter le t´el´ephone ou t´el´echarger et
apr`es l’installation de l’application. Les ´echantillons de DroidKungFu ont ainsi
deux charges utiles cach´ees en tant que ressources des applications infect´ees qui
seront install´ees dans la partition system une fois l’´echantillon lanc´e. L’installation
de ces charges sur le t´el´ephone offre une pr´esence constante sur le t´el´ephone
mˆeme si la premi`ere application est enlev´ee du t´el´ephone. De plus, si les applications
sont install´ees sur la partition syst`eme, il n’existe aucun moyen pour
l’utilisateur de les enlever sans avoir les droits root sur le t´el´ephone.
Afin d’´eviter toute d´etection, les d´eveloppeurs de malware utilisent diverses
techniques telles que le chiffrement des charges utiles, le chiffrement de certaines
valeurs utilis´ees par le malware, l’usage de techniques d’obfuscation de
code et l’usage de code natif. Le chiffrement permet de cacher la nature exacte
des donn´ees manipul´ees (ex : adresses des serveur de C&C) par l’application
et r´eduit ainsi la possibilit´e de d´etection. Les d´eveloppeurs de DroidKungFu1
chiffrent ainsi les charges utiles de leur malware afin que leur malware ne soit
d´etect´e facilement. Si une cl´e de chiffrement diff´erente est utilis´ee par chaque
´echantillon, l’analyse sera encore plus compliqu´ee. Certains d´eveloppeurs de
malware obfusquent ´egalement leur code afin de complexifier son analyse [39].
Ils modifient par exemple le nom des m´ethodes et des classes Java de l’application.
Il est cependant `a noter que le kit de d´eveloppement Android (Android
SDK) contient un outil fournissant le mˆeme type de service [87]. L’usage de code
natif complexifie ´egalement l’analyse des applications. En effet, la plupart des
outils d’analyse d’application Android se concentrent uniquement sur le code28 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
´ecrit en Java car c’est le langage principal pour d´evelopper une application Android.
En utilisant du code natif, les d´eveloppeurs de malware se donnent ainsi
la possibilit´e de cacher une partie du code malveillant durant l’analyse.
Certains malware int`egrent ´egalement des modules cens´es pr´evenir toute
d´etection. Les ´echantillons d’AnserveBot analysent ainsi son environnement
d’ex´ecution `a la recherche d’antivirus pour Android. De plus, ces ´echantillons
tirent ´egalement profit du chargement dynamique de code [36]. Le code des
applications Android se trouve dans le fichier classes.dex de leur apk. Ce
m´ecanisme permet de charger du code en dehors de ce fichier et ce de mani`ere
dynamique rendant l’analyse de l’application plus difficile. D’autres malwares
v´erifient ´egalement que le code n’a pas ´et´e modifi´e pour d´etecter toute tentative
d’analyse du code. AnserveBot v´erifie par exemple l’int´egrit´e de son code avant
de lancer le code malveillant.
Enfin, l’analyse montre ´egalement l’usage des serveurs de C&C afin de contrˆoler
le comportement des ´echantillons de malware. Le comportement exact des
premiers malware sont dict´es `a l’avance par leur d´eveloppeur. Durant leur analyse,
Y Zhou et X Jiang ont cependant constat´e que dans le cas de certains
malware, leur comportement ´etait plutˆot dict´e par un serveur distant. Le malware
se connectait ainsi p´eriodiquement au serveur qui lui envoyait par la suite
l’action qu’il devait ex´ecuter. Sur les 49 malwares ´etudi´es, 27 utilisent ainsi un
serveur de C&C pour recevoir les commandes `a ex´ecuter sur le t´el´ephone infect´e.
L’usage de telles approches permet aux d´eveloppeurs de garder une flexibilit´e
sur les diff´erentes actions `a ex´ecuter et les faire ´evoluer en cas de besoin.
2.4.3 Malwares Android en 2013
Si les travaux de [113] pr´esent´es pr´ec´edemment concernent uniquement les
malwares de 2010 `a 2011, la r´ecente analye de V. Chebyshev et R. Unuchek
dans [33] montre une continuit´e dans les types d’action men´ee par les malware.
La distribution des malwares se fait toujours via les plateformes de t´el´echargement
ou les serveurs de C&C. A cela s’ajoute, l’usage des techniques telles `
que le drive-by download qui consiste `a faire t´el´echarger automatiquement puis
installer une application au t´el´ephone lorsque l’utilisateur visite une page web.
L’usage de techniques contre les protections anti-malware s’intensifie ´egalement.
L’´etude montre ainsi que les d´eveloppeurs de malware continuent leur
investissement dans les diverses techniques d’obfuscation de code. Un outil commercial
d’obfuscation de code aurait ´et´e par exemple utilis´e sur Opfak.bo et
Obad.a [98]. Obad.a est consid´er´e comme le malware Android le plus complexe
`a ce jour. Parmi les caract´eristiques de ce malware, nous pouvons citer l’introspection,
le chiffrement de chaine des chaines de caract`eres, l’exploitation de
vuln´erabilit´es qui affectent le syst`eme Android et dex2jar qui est un outil utilis´e
pour analyser les applications Android. Plus pr´ecis´ement, cet outil transforme
le bytecode dalvik en bytecode Java permettant par la suite d’obtenir un code
Java “´equivalent“. Selon wikibooks [12], “la r´eflexion permet l’introspection des
classes, c’est-`a-dire de charger une classe, d’en cr´eer une instance et d’acc´eder
aux membres statiques ou non (appel de m´ethodes, lire et ´ecrire les attributs)2.4. MALWARE ANDROID 29
sans connaˆıtre la classe par avance“. Le listing 2.3 pr´esente un bout code en
Java utilisant la r´eflexion et son ´equivalent sans r´eflexion. . La deuxi`eme ligne
initialise la variable foo en une instance de la classe Foo et est ´equivalente `a
la septi`eme ligne. La troisi`eme et la quatri`eme lignes initialisent r´ecup`erent la
m´ethode hello de foo et l’invoque. Elles correspondent `a la huiti`eme ligne.
1 // Avec reflexion
2 Object foo = Class.forName("complete.classpath.and.Foo").
3 newInstance();
4 Method m = foo.getClass().getDeclaredMethod("hello",
5 new Class>[0]);
6 m.invoke(foo);
7
8 // Sans reflexion
9 Foo foo = new Foo();
10 foo.hello();
Listing 2.3 – Exempe de code Java avec et sans r´eflexion
L’usage des vuln´erabilit´es reste toujours d’actualit´e au niveau des malware.
Les raisons principales de cet usage est la n´ecessit´e d’effectuer des actions
sensibles sans validation de l’utilisateur (ex : installation d’application sur le
t´el´ephone) ou le maintien d’une pr´esence pertinente du malware sur l’appareil
(ex : installation d’une application dans la partition system afin d’empˆecher
sa d´esinstallation 5
). Parmi les vuln´erabilit´es ´emun´er´es par les auteurs, il y a
la vuln´erabilit´e Master Key [51] et celle li´ee aux applications avec les droits
d’administration sur le t´el´ephone.
La vuln´erabilit´e Master Key permet de modifier une application existante
sans que la modification ne soit d´etect´ee lors de la v´erification de la signature de
l’application (section 2.2.2.2). Pour exploiter cette vuln´erabilit´e, le d´eveloppeur
malveillant ajoute de nouveaux fichiers `a l’apk tel que chaque nouveau fichier
ait le mˆeme nom qu’un fichier existant dans l’apk d’origine. Il peut par exemple
ajouter un autre fichier nomm´e classes.dex. Une fois les nouveaux fichiers
ajout´es, il publie l’apk modifi´e tout en gardant la signature de l’apk d’origine.
A cause de la vuln´erabilit´e, le syst`eme ne remarque pas l’existence des doublons `
dans l’apk et v´erifie uniquement l’int´egrit´e des fichiers qui ´etaient pr´esents dans
l’apk d’origine tandis qu’`a l’installation il installera les fichiers ajout´es par le
d´eveloppeur malveillant. Cette vuln´erabilit´e a deux cons´equences directes. La
premi`ere est le vol de l’identit´e des d´eveloppeurs dont l’application a ´et´e modifi´ee.
En gardant la signature de l’application originale, le d´eveloppeur malveillant
se cache derri`ere l’identit´e des d´eveloppeurs des applications modifi´ees.
Le risque pour ces derniers est d’ˆetre accus´e `a tord comme ´etant malveillant et
voir toutes leurs applications supprim´ees des plateformes de t´el´echargement tels
5. Un utilisateur ne peut d´esinstaller les applications dans la partition system car cette
partition est mont´ee en lecture seule30 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
que Google Play. La deuxi`eme cons´equence de cette vuln´erabilit´e est la possibilit´e
de contourner toutes les m´ecanismes de s´ecurit´e bas´ees sur les signatures
de applications. En plus de servir `a la v´erification de l’int´egrit´e des applications
`a leur installation, les signatures servent ´egalement `a appliquer des contraintes
sur certaines demandes des applications. Ils peuvent par exemple servir `a restreindre
les applications `a qui une permission peut ˆetre accord´ee (tableau 2.1)
ou les applications qui ont le droit de partager le mˆeme utilisateur. En gardant
la signature de l’application qu’il a modifi´ee, le d´eveloppeur malveillant s’assure
ainsi que sa version modifi´ee de l’application ait les mˆemes privil`eges que
l’application d’origine.
La deuxi`eme vuln´erabilit´e permet de garder une pr´esence persistante sur le
t´el´ephone grˆace aux droits d’administration. Lorsqu’une application obtient les
droits d’administration sur le t´el´ephone, il devient impossible pour l’utilisateur
de lui r´evoquer ces droits ou le d´esinstaller. Si jamais l’utilisateur tentait de
r´evoquer les droits d’administration, le syst`eme se contentait de masquer le fait
que l’application poss`ede ces droits mais ne les r´evoquait pas. L’application
reste ainsi install´ee sur le t´el´ephone avec les droits d’administration sans que
l’utilisateur ne soit au courant.
Si les diff´erents types d’attaque pr´esent´es dans [113] restent toujours d’actutait´e,
l’analyse montre cependant une tendance pour les attaques ayant un
impact financier sur l’utilisateur. Aux applications abusant des services de SMS
en envoyant des messages `a des num´eros surtax´es s’ajoutent ainsi les applications
se faisant passer pour des applications bancaires afin de voler les donn´ees
bancaires des utilisateurs telles que leur num´ero de compte.
2.5 Renforcement de la s´ecurit´e sous Android
2.5.1 Protection des ressources sensibles
2.5.1.1 TaintDroid
Dans [46], Enck et al. pr´esentent TaintDroid une version modifi´ee d’Android
capable de suivre les flux d’information dans le syst`eme. Le but de leur travail
est d’´etudier si les applications Android font fuir des donn´ees sensibles vers des
entit´es distantes. Pour cela, ils s´electionnent un ensemble d’informations qu’ils
jugent sensibles telles que la liste de contact et les donn´ees de g´eolocalisation
et observent comment elles se propagent dans le syst`eme. Ils ont analys´e 30 des
applications les plus populaires de Google Play et ont montr´e que 2{3 d’entre
elles faisaient fuir des informations sensibles vers des serveurs distants.
Pour suivre les flux d’information dans le syst`eme, ils utilisent une m´ethode
dite de tainting qui consiste `a marquer les informations sensibles afin d’en suivre
la propagation. Chaque fois qu’une information sensible se propage, le conteneur
destination re¸coit la marque de l’information sensible pour caract´eriser son nouveau
contenu. Dans TaintDroid, le suivi de flux d’information se fait `a diff´erents
niveaux : `a l’int´erieur de l’application, entre les applications et entre applications
et fichiers du syst`eme. Pour suivre les flux `a l’int´erieur des applications, Enck et2.5. RENFORCEMENT DE LA SECURIT ´ E SOUS ANDROID ´ 31
al. ont modifi´e la machine virtuelle Dalvik. Lorsqu’une application Android est
ex´ecut´ee, son code est interpr´et´e par la machine virtuelle Dalvik. TaintDroid suit
ainsi les flux d’information entre les conteneurs d’information que la machine
Dalvik utilisent. Ces conteneurs sont les variables locales d’une m´ethode, ses
param`etres, les champs statiques d’une classe, les champs des instances d’une
classe et les tableaux. A chaque fois qu’une instruction d´ecrivant un flux d’in- `
formation explicite entre deux ou plusieurs conteneurs est interpr´et´ee par la
machine virtuelle Dalvik, TaintDroid consid`ere que le conteneur destination du
flux contient le m´elange des informations provenant des conteneurs source. Par
exemple, l’affectation `a la variable vs de la valeur de la variable vd une mise `a
jour de la marque associ´ee vs. Lorsque cette affectation est interpr´et´ee par la
machine virtuelle Dalvik, TaintDroid consid`ere que vs les informations contenues
dans vs ont ´et´e remplac´ees par celles dans vd et TaintDroid affecte ainsi la
marque associ´ee `a vd `a vs.
Le suivi de flux d’information entre les applications et entre une application
et un fichier est plus simple. Le suivi de flux d’information entre les applications
est assez trivial. Comme il existe un ensemble de classes et de m´ethodes
Java fourni par Android pour impl´ementer les m´ecanismes de communication,
TaintDroid se contente de marquer les objets avec un contenu sensible quand ils
sortent d’une application et `a marquer le destinataire d’une information provenant
d’une application externe `a l’application. Les marques de chaque conteneur
sont stock´es dans une m´emoire adjacente au conteneur et propag´ees `a chaque
fois que ces conteneurs sont envoy´ees vers d’autres application. Quant aux flux
d’information entre une application et un fichier, TaintDroid utilise les attributs
´etendus. Les attributs ´etendus sont des fonctionnalit´es offertes par les syst`emes
de fichier tels que ext2/ext3/ext4 (syst`eme de fichier utilis´e principalement sur
Android) permettant de stocker des m´eta-donn´ees li´ees aux fichiers. TaintDroid
stocke ainsi dans les attributs ´etendus d’un fichier les marques des informations
sensibles qu’il contient. Lorsqu’une application acc`ede `a un fichier, TaintDroid
met `a jour la marque associ´ee au fichier (´ecriture) ou `a la variable recevant le
contenu du fichier (lecture).
Si TaintDroid est capable de suivre les flux d’information dans une application,
entre les applications Android et entre une application et un fichier,
sa port´ee est cependant limit´ee aux applications ´ecrites en Java. En effet, le
m´ecanisme de suivi de flux dans TaintDroid repose principalement sur la machine
virtuelle Dalvik. Or, il est possible d’utiliser du code natif sous Android.
Cela se fait, soit en utilisant le m´ecanisme de JNI [86] soit en ex´ecutant une
application compil´ee en code natif. Lorsque ces cas se pr´esentent, TaintDroid
devient ainsi incapable de suivre les flux d’information caus´es par le code natif
car il n’est pas interpr´et´e par la machine virtuelle Dalvik.
2.5.1.2 Contrˆole d’acc`es aux ressources sensibles `a l’ex´ecution : MockDroid
et AppFence
Sous Android, l’utilisateur valide les permissions `a l’installation des applications.
A l’ex´ecution, il n’a plus aucun contrˆole sur les acc`es et ne peut que faire `32 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
confiance aux applications pour ne pas utiliser de mani`ere malintentionn´ee les
ressources et donn´ees auxquelles elles ont acc`es. Afin de palier cette limite d’Android,
MockDroid [24] et AppFence [59] proposent `a l’utilisateur de contrˆoler
l’acc`es effectu´e par les applications durant leur ex´ecution. Lorsqu’une application
souhaite acc´eder `a une donn´ee ou ressource sensible, le syst`eme demande
une validation de la part de l’utilisateur. L’acc`es aux informations et ressources
sensibles se font via des fonctions de l’API Android. Les auteurs de MockDroid
et d’AppFence ont ainsi modifi´e Android afin d’intercepter les appels `a ces fonctions
et introduire le m´ecanisme de validation lors de leur appel. Selon l’information
ou la ressource demand´ee par l’application, si l’utilisateur lui en refuse
l’acc`es, le syst`eme soit lui notifiera son indisponibilit´e ou son inexistence, soit
lui renverra une donn´ee factice. Les informations et ressources sensibles dont
l’acc`es est renforc´e sont les donn´ees de g´eolocalisation, la liste de contact, les
informations li´ees `a l’identit´e du t´el´ephone, les SMS, l’envoi de message de type
broadcast intent (MockDroid), les journaux d’´ev`enement (AppFence) et les
donn´ees de navigation internet (AppFence).
En cas de refus d’un acc`es `a une information sensible, MockDroid et AppFence
renvoient une donn´ee vide `a l’application. L’exception est l’acc`es aux
donn´ees identifiant l’appareil. En cas de refus, le syst`eme renverra une donn´ee
factice `a l’application. Dans AppFence l’exception s’´etend aux donn´ees de g´eolocalisation
o`u le syst`eme enverra les mˆemes coordonn´ees factices `a chaque fois.
En cas de refus d’un acc`es r´eseau, le syst`eme simule l’indisponibilit´e du r´eseau.
AppFence fait par exemple croire `a l’application que le t´el´ephone est en mode
avion.
Si AppFence et MockDroid ont les mˆemes objectifs et approches, la diff´erence
entre les deux r´eside dans le fait qu’AppFence propose ´egalement un meilleur
m´ecanisme pour prot´eger les fuites de donn´ees vers des serveurs distant. Pour
empˆecher toute fuite de donn´ee, MockDroid simulera l’indisponibilit´e du r´eseau
`a toute tentative de connexion. AppFence propose une approche plus fine en
demandant uniquement une validation quand une donn´ee sensible est susceptible
de quitter le syst`eme. Pour ce faire, AppFence int`egre le m´ecanisme de suivi de
flux d’information impl´ement´e dans TaintDroid [46]. TaintDroid est capable de
suivre les flux d’information au sein d’une application, entre les applications et
entre les applications et les fichiers. Ainsi AppFence ne demande la validation
de l’utilisateur uniquement quand les flux observ´es au sein d’une application
indiquent une fuite d’information vers l’ext´erieur. Si c’est le cas et en cas de
refus de l’utilisateur, AppFence bloquera l’envoi en simulant l’indisponibilit´e du
r´eseau ou omettra l’envoi des donn´ees sensibles tout en faisant croire le contraire
`a l’application.
2.5.1.3 Protection de contenu : Porscha
Dans [79], Ongtang et al. proposent un m´ecanisme de protection de contenu
pour Android du nom de Porscha. Porscha permet de lier des donn´ees sensibles
`a un appareil et un ensemble d´efini d’applications. A l’´emission d’un contenu `
sensible, sa source lui associe une politique de s´ecurit´e qui d´efinit les destina-2.5. RENFORCEMENT DE LA SECURIT ´ E SOUS ANDROID ´ 33
taires du contenu et les conditions sous lesquelles le contenu peut ˆetre acc´ed´e.
Une politique peut par exemple ˆetre une liste d’empreinte MD5 des applications
autoris´ees `a acc´eder au contenu prot´eg´e ainsi que des coordonn´ees GPS
auxquelles le t´el´ephone doit se trouver au moment de l’acc`es au contenu. Le
contrˆole d’acc`es aux donn´ees sensibles se fait `a diff´erents niveaux : `a la transmission
des donn´ees vers le t´el´ephone et la transmission des donn´ees aux applications
sur le t´el´ephone. Pour prot´eger le contenu lors de sa transmission vers
un t´el´ephone, Ongtang et al. proposent de chiffrer le message en utilisant un
syst`eme de chiffrement bas´e sur l’identit´e du destinataire [27]. Dans leur travail,
l’identit´e est soit le num´ero du t´el´ephone soit une adresse mail. Les messages
contenant un contenu prot´eg´e sont ainsi chiffr´es et ne peuvent ˆetre lus que par
leurs destinataires.
Sur le t´el´ephone, Porscha v´erifie l’acc`es aux donn´ees sensibles en ajoutant
des points de contrˆole dans les m´ecanismes de communication Android : `a la
transmission des donn´ees sensibles aux applications de messagerie et lors des
communications entre applications. A la r´eception des MMS et des courriels, `
Porscha v´erifie si une politique de s´ecurit´e est associ´ee au contenu du message.
Si c’est le cas, il transmet uniquement le contenu du message aux applications
autoris´ees `a le recevoir. Dans le cas des MMS, les applications non autoris´ees
ne recevront pas le message. Dans le cas des courriels, le message est transmis `a
toutes les applications courriels mais celles qui ne sont pas autoris´ees `a acc´eder
aux donn´ees sensibles ne recevront que le message vid´e de son contenu. Une fois
les donn´ees sensibles stock´ees sur le t´el´ephone, une application peut souhaiter
partager les donn´ees sensibles `a d’autres applications de confiance sur le syst`eme.
Afin de contrˆoler ce partage, Porscha contrˆole les communications et partages
de donn´ees utilisant les intents, les composants de type ContentProvider et
les appels de m´ethodes distantes. Pour prot´eger les donn´ees transmises via ces
m´ecanismes, une application attache la politique de s´ecurit´e des donn´ees au
message servant `a transmettre les donn´ees. Lors de la transmission du message,
Porscha v´erifie la pr´esence d’une politique de s´ecurit´e dans le message et si c’est
le cas limite la transmission aux destinataires autoris´es par la politique.
Pour r´esumer, le syst`eme de protection de contenu offert par Porscha permet
de d´efinir de mani`ere plus fine `a qui des donn´ees sensibles peuvent ˆetre
transmises et sous quelles conditions. Cependant, contrairement `a AppFence ou
TaintDroid qui suivent la propagation des informations dans tout le syst`eme
(applications ´ecrites en Java et fichiers), Porscha ne r´esout pas le probl`eme de
l’usage de l’information. En effet, Porscha ne prot`ege les donn´ees que lorsqu’elles
partent de leur application source (application partageant les donn´ees en leur
associant une politique de s´ecurit´e). Une fois que les donn´ees sont transmises
`a d’autres applications, il n’y a plus de contrˆole sur l’usage qui est en est fait.
Le destinataire peut ainsi faire fuir les donn´ees sans que le syst`eme ne soit au
courant.34 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
2.5.1.4 AppIntent
Une fuite d’information ne signifie pas forc´ement qu’une attaque ait eu lieu.
Selon les cas, la fuite peut ˆetre intentionnelle (ex : partage de coordonn´ees
g´eographiques par messagerie), c’est-`a-dire faite par l’utilisateur mˆeme, ou ex´ecut´ee
par l’application sans r´eelle intervention de l’utilisateur. Dans le cas d’une
fuite intentionnelle, le risque d’une attaque est moindre. Dans le second cas,
fuite des donn´ees sans que l’utilisateur n’ait initi´e l’action, la probabilit´e qu’une
attaque ait lieu est ´elev´ee car l’utilisateur n’a pas conscience de la fuite.
Dans [106], Yang et al. pr´esentent AppIntent, un outil qui analyse les applications
Android afin de d´eterminer les ´ev`enements et entr´ees attendus par
une application et entraˆınant une fuite d’information. Le but d’AppIntent est
de fournir `a un analyste les ´ev`enements et entr´ees attendus par une application
menant `a la fuite d’une information afin que l’analyste puisse statuer de la
nature de la fuite : intentionnelle ou non (risque d’une attaque).
Pour calculer les ´ev`enements et entr´ees entraˆınant une fuite, l’outil analyse
statiquement le code de l’application. Dans un premier temps, il construit son
graphe de flux de contrˆole puis d´etermine `a partir de ce graphe les chemins
d’ex´ecution contenant une fuite d’information. Une fuite d’information est un
ensemble d’instruction qui r´ecup`erent une donn´ee sensible puis la fait fuir. Une
fois ces chemins calcul´es, AppIntent calcule la suite d’´ev`enements ainsi que
les entr´ees attendues qui m`enent `a l’ex´ecution de la fuite d’information. Les
´ev`enements sont les cr´eations et ex´ecutions des composants d’une application
(ex : cr´eation et ex´ecution d’un composant Activity ou la reprise d’ex´ecution du
composant) ainsi que les interactions avec l’interface utilisateur (ex : validation
d’un formulaire) et les entr´ees sont les donn´ees li´ees `a ces ´ev`enements tels que
les attributs d’un intent utilis´e pour lancer l’ex´ecution d’un composant ou les
valeurs des champs d’un formulaire.
A partir des ´ev`enements et entr´ees calcul´es, AppIntent cr´ee ensuite des tests `
unitaires qui correspondent qui ex´ecutent ces suites d’´ev`enement et donnent `a
l’application les entr´ees menant `a la fuite d’une information. Pour d´eterminer
de la nature des fuites d’information, l’analyste n’a ainsi qu’`a ex´ecuter ces tests
unitaires et statuer si lors de l’observation d’une fuite, les actions men´ees `a cette
fuite sont intentionnelles ou non.
Pour ´evaluer leur outil, Yang et al. ont analys´e 750 ´echantillons de malware
et 1000 applications parmi les plus populaires dans la section des applications
gratuites sur Google Play. Sur les 750 ´echantillons malware, AppIntent a d´etect´e
219 fuite de donn´ees non intentionnelles et 17 fuites intentionnelles (faites par
l’utilisateur). Quant aux applications de GooglePlay, AppIntent a d´etect´e 26 cas
de fuites de donn´ees non intentionnelles et 29 cas de fuites intentionnelles. En
comparaison, TaintDroid a d´etect´e moins de fuites de donn´ees : 125 dans le cas
des ´echantillons de malware et 40 pour les applications de Google Play.2.5. RENFORCEMENT DE LA SECURIT ´ E SOUS ANDROID ´ 35
2.5.2 Communication entre processus et entre composants
La d´el´egation d’une partie de l’attaque `a d’autres applications pr´esentes
sur le syst`eme et la collaboration entre applications permettent aux applications
malveillantes de cacher leur v´eritable nature aux yeux des utilisateurs.
Par exemple, une application demandant acc`es aux photos, aux donn´ees de
g´eolocalisation, `a la liste de contacts et `a internet paraˆıt suspecte car elle poss`ede
assez de permission pour faire fuir les donn´ees li´ees `a l’utilisateur. Par contre, la
mˆeme application avait l’acc`es internet en moins paraˆıt moins suspecte car rien
n’indique qu’elle pourrait communiquer avec une entit´e distante. Or comme nous
l’avons expliqu´e dans la section ??, les applications peuvent utiliser d’autres
applications ou collaborer avec d’autres applications pour mener une action
qu’elles ne pouvaient faire toutes seules. Dans ce qui suit, nous pr´esentons ainsi
les travaux visant `a bloquer ce type d’attaque sur Android en contrˆolant les
communications entre applications.
2.5.2.1 ComDroid
Nous avons pr´esent´e en section 2.3.3 le r´esultat d’une analyse sur les vuln´erabilit´es
introduites par les communications bas´ees sur les intents. Pour d´etecter
ces vuln´erabilit´es, Chin et al. ont ainsi pr´esent´e dans [34] un outil d’analyse d’application
du nom de ComDroid. ComDroid effectue deux types d’analyse sur le
code des applications et leur fichier AndroidManifest.xml.
La premi`ere analyse consiste `a analyser le code des applications. Durant cette
analyse, ComDroid ´etudie comment les intents sont cr´e´es puis ´emis par une application.
ComDroid ´emet une alerte `a chaque fois qu’il d´etecte qu’un implicit
intent est ´emis avec une restriction trop faible sur les destinataires. Une restriction
est faible si aucun filtrage bas´e sur les permissions du destinataire n’est
impos´e ou si les permissions impos´ees sont de type normal (voir tableau 2.1).
Une permission de type normal est une permission automatiquement accord´ee
`a toute application la demandant.
La deuxi`eme analyse consiste `a analyser les composants des applications afin
de d´eterminer s’il y a un risque que les composants re¸coivent des requˆetes malveillantes
via les intents. ComDroid consid`ere qu’il y a une possibilit´e pour
qu’un composant soit vuln´erable si ce dernier peut recevoir des intents provenant
d’autres applications 6
telles qu’il n’y ait aucune restriction bas´ee sur les
permissions ou une restriction trop faible sur les ´emetteurs de l’^ıntent. Tout
comme dans la premi`ere analyse, une restriction trop faible bas´ee sur les permissions
est une restriction bas´ee uniquement sur les permissions de type normal.
Si l’analyse des communications via les intents montre les risques que
ces communications introduisent, il n’existe cependant pas de m´ethode pour
d´eterminer si ce qui a ´et´e d´etect´e comme un risque de s´ecurit´e est une vuln´erabilit´e
de l’application ou une fonctionnalit´e impl´ement´ee par le d´eveloppeur. En effet,
le fait qu’un implicit intent soit utilis´e ou qu’un composant soit expos´e
au reste du syst`eme peut traduire une volont´e de s’adapter aux applications
6. Un attribut exported ou un intent filter est d´efini pour le composant36 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
pr´esentes dans le syst`eme. L’exemple typique est l’ouverture d’une page web `a
partir d’une application autre que le navigateur.
Du cˆot´e du d´eveloppeur de l’application demandant l’ouverture de la page
web, le choix d’envoyer un implicit intent au lieur de d´efinir explicitement le
navigateur permet de s’assurer que le lien soit ouvert qu’importe le navigateur
sur le syst`eme. Il existe plusieurs navigateurs web sur Android (ex : Google
Chrome et Firefox) et l’utilisateur a la possibilit´e de choisir quel navigateur
installer et utiliser sur le t´el´ephone. D´efinir explicitement le destinataire de la
requˆete pour ouvrir le lien revient ainsi `a courir le risque que le lien ne soit pas
ouvert car le navigateur cibl´e n’est pas pr´esent sur le t´el´ephone. Au contraire,
en envoyant un implicit intent que tous les navigateurs peuvent recevoir,
le d´eveloppeur s’assure que le lien sera ouvert s’il existe un navigateur sur le
t´el´ephone.
Le mˆeme choix se pr´esente ´egalement aux d´eveloppeurs de navigateurs web.
En exposant leur navigateur `a toute application pr´esente dans le syst`eme, les
d´eveloppeurs s’assurent que leur application soit compatible avec toute application
souhaitant ouvrir une page web.
2.5.2.2 Saint
Les permissions sont les bases du filtrage des communications entre applications
Android pour prot´eger l’acc`es `a des ressources sensibles. Le contrˆole de
leur attribution et de leur usage est cependant assez faible sur Android. En
effet, une application ne peut restreindre l’attribution d’une permission qu’elle
a d´eclar´ee `a l’installation d’une nouvelle application qu’en d´eclarant la permission
comme ´etant signature. Dans ce cas, la permission n’est accord´ee que si
l’application la demandant a ´et´e sign´ee par le mˆeme d´eveloppeur que celui de
l’application l’ayant d´eclar´ee. Une fois l’application demandant la permission
install´ee sur le t´el´ephone, il n’existe ´egalement aucune restriction sur son usage.
Le d´eveloppeur d’une application pourrait par exemple souhaiter que les applications
communiquant avec la sienne ne puisse le faire que dans des contextes
pr´ecis tels qu’une plage d’horaire.
Partant de ce constat, Ongtang et al. proposent dans [80] une extension de
s´ecurit´e `a Android du nom de Saint dont le but est de donner plus de contrˆole
sur l’attribution des permissions et leur usage. L’apport de Saint consiste en un
module permettant des restrictions suppl´ementaires en plus des permissions `a
l’installation des applications et `a leur ex´ecution, ou plus pr´ecis´ement lors des
communications entre processus.
Saint permet aux applications de d´efinir une politique de s´ecurit´e qui contrˆole
l’attribution des permissions prot´egeant leurs interfaces `a l’installation. Par
d´efaut, la seule mani`ere de limiter l’´eligibilit´e d’une application pour l’obtention
d’une permission est de d´eclarer cette derni`ere comme ´etant de type signature
7
. Ce type de permission n’est accord´ee qu’aux applications sign´ees avec
la mˆeme cl´e que l’application ayant d´eclar´e la permission. Grˆace `a Saint, les
7. Voir le tableau 2.1 pour la liste des types de permission2.5. RENFORCEMENT DE LA SECURIT ´ E SOUS ANDROID ´ 37
applications peuvent d´eclarer des restrictions plus fine sur l’attribution des permissions
`a l’installation. Elles peuvent ainsi imposer une restriction sur une
liste d´eveloppeurs au lieu d’un seul qui est le d´eveloppeur de l’application ayant
d´eclar´ee la permission, les autres permissions demand´ees par l’application, son
num´ero de version, etc. La politique d’attribution d´efinit un comportement par
d´efaut (attribuer ou refuser) et les crit`eres qui y font exception. Une application
peut ainsi d´eclarer qu’une permission n’est accord´ee `a une autre application que
si elle satisfait un ensemble de conditions ou `a l’inverse d´eclarer que la permission
est accord´ee `a toute application sauf celles qui satisfont cet ensemble de
conditions.
A l’ex´ecution, Saint permet aussi de contrˆoler les communications entre `
applications en d´efinissant grˆace aux mˆemes types de politique de s´ecurit´e.
L’´emetteur et le destinataire peuvent tout deux d´efinir cette politique. Comme
`a l’installation, l’application d´efinit un comportement par d´efaut (autoriser ou
bloquer) et les conditions qui y font exception. La diff´erence par rapport `a
l’installation est que l’application peut d´efinir des contextes d’ex´ecution comme
condition dans la politique. Ces contextes peuvent par exemple ˆetre des plages
horaires, l’´etat de connexion au r´eseau ; la localisation du t´el´ephone, etc.
Saint offre aux applications un contrˆole plus fin sur l’attribution et l’usage des
permissions qu’ils d´eclarent pour prot´eger leurs composants. A l’ex´ecution, Saint `
souffre cependant des mˆemes limitations que Porscha [79]. En effet, la protection
offerte par Saint se limite `a l’acc`es direct au composant de l’application prot´eg´ee
par la politique de s´ecurit´e. Si une application autoris´ee par la politique de
s´ecurit´e est par exemple utilis´ee lors d’une attaque par d´el´egation pour acc´eder
au composant prot´eg´e, Saint ne verrait pas que l’acc`es est en fait r´ealis´e par
une autre application qui elle n’est peut-ˆetre pas autoris´ee par la politique de
s´ecurit´e.
2.5.2.3 Quire
Pour prot´eger les acc`es `a des composants sensibles, les travaux pr´ec´edents
se contentent de contrˆoler l’acc`es direct au composant. Ces solutions sont ainsi
inefficaces pour lutter contre les attaques par d´el´egation. Dans [42], Dietz et
al. proposent Quire une extension de s´ecurit´e `a Android dont le but est de
d´etecter et bloquer les attaques par d´el´egation. Quire modifie les m´ecanismes
de communication entre applications afin qu’`a chaque requˆete ´emise, l’´emetteur
puisse joindre la chaine d’appel ayant men´e `a l’´emission de cette requˆete et
que le destinataire de la requˆete puisse v´erifier que tous les ´el´ements de la
chaine d’appel ont les permissions n´ecessaires pour demander le traitement de la
requˆete. Par exemple, si une application A envoie une requˆete `a une application
B qui `a la suite de la r´eception de la requˆete envoie une requˆete `a l’application C
alors la chaine d’appel une fois arriv´ee `a C est A Ñ B. Si C `a la r´eception de la
requˆete effectue une op´eration sensible, elle peut v´erifier si les applications dans
la chaine d’appel ayant men´e `a l’ex´ecution cette op´eration ont les permissions
n´ecessaires. Aini, en supposant que B ait la permission n´ecessaire pour envoyer
la requˆete et que A ne l’ait pas, C peut d´ecider en connaissance de cause si oui ou38 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
non elle ex´ecute l’op´eration demand´ee. Si l’op´eration sensible ex´ecut´ee par C est
par exemple l’´edition de la liste de contact, alors C v´erifiera que les applications
A et B poss`edent la permission pour ´editer les contacts (WRITE CONTACTS).
2.5.2.4 IPC Inspection
Porter et al. ont adopt´e une approche similaire `a Quire pour bloquer les
attaques par d´el´egation. Dans [49], ils pr´esentent IPC Inspection un m´ecanisme
qui contrˆole les communications entre applications sous Android. Quand une
application re¸coit un message, le syst`eme consid`ere que ses permissions sont
r´eduites `a l’intersection de l’ensemble de ses permissions avant la r´eception du
message et l’ensemble des permissions de l’´emetteur. En agissant ainsi, le destinataire
ne peut plus effectuer d’action sensible `a la demande de l’´emetteur si ce
dernier n’a pas la permission n´ecessaire pour effectuer l’action. Le destinataire
des messages voit ainsi ses permissions `a l’ex´ecution se r´eduire au fur et `a mesure
qu’elle re¸coit des messages de diff´erente applications avec des permissions
diff´erentes.
Quelques r`egles existent afin d’´eviter que les applications destinataires des
messages ne perdent leur permission d´efinitivement et deviennent inutilisables.
Les applications syst`emes font partie de la base de confiance. Tout message provenant
de ces applications n’entraˆınent donc aucune r´eduction des permissions.
Un intent peut servir `a demander d’ex´ecuter une action particuli`ere et `a ˆetre
notifi´e `a la fin d’ex´ecution de cette tˆache. La notification se fait par l’envoi d’un
intent `a l’´emetteur du pr´ec´edent message. Lors de la r´eception de la notification,
le syst`eme consid`ere qu’il n’y a pas risque d’attaque et n’effectue aucune
r´eduction de permission. Enfin, IPC Inspection force l’usage de multiples instances
d’une mˆeme application pour traiter les messages qui lui sont adress´es.
Le destinataire d’un message a ainsi une instance avec ses permissions d’origine
et d’autres instances qui traiteront chacun des messages et dont les permissions
seront r´eduites.
2.5.2.5 Pr´evention des attaques par d´el´egation et par collusion
Quire [42] et IPC Inspection [49] ne ciblent que les attaques par d´el´egation.
De plus, le seul m´ecanisme de communication pris en compte est celui bas´e sur
binder en utilisant les intents. Dans [30], Bugiel et al. pr´esentent une nouvelle
extension de s´ecurit´e `a Android qui est param´etr´ee par une politique de s´ecurit´e
et dont le but est de bloquer les attaques par d´el´egation ainsi que les attaques
par collusion. Contrairement aux travaux pr´ec´edents, ils prennent en compte
la possibilit´e que la communication entre les applications se fasse ´egalement
`a travers les m´ecanismes standard de communication sous Linux (fichiers et
sockets). Ils ´etendent un framework de s´ecurit´e pour Android d´evelopp´e dans
un travail ant´erieur [29] afin d’observer les interactions entre les applications,
composants du syst`eme (ContentProvider et services), fichiers et sockets. A`
chaque fois qu’une interaction est observ´ee, ils v´erifient qu’il n’y a pas un risque
d’attaque. La d´etection des attaques utilisent une repr´esentation sous forme2.5. RENFORCEMENT DE LA SECURIT ´ E SOUS ANDROID ´ 39
de graphe des interactions entre les applications, les fichiers, les sockets et des
composants du syst`eme (ContentProvider et services). La politique de s´ecurit´e
d´ecrit des propri´et´es sur ce graphe qui permettent de statuer si une interaction
correspond `a une attaque ou non. Par exemple, une attaque par d´el´egation est
d´ecrite par le fait qu’il existe un chemin `a partir du nœud repr´esentant une
application A vers le nœud repr´esentant une application B tel que B poss`ede
des permissions critiques que A ne poss`ede pas. Une attaque par collusion est
d´ecrite par le fait qu’il existe une chemin entre les nœuds de deux applications
A et B tel que l’union des permissions de A et B soit critique. Les auteurs ne
d´efinissent pas ce qu’est un ensemble critique de permissions et laisse plutˆot le
soin de le d´efinir `a l’utilisateur qui d´efinit la politique de s´ecurit´e.
Contrairement `a Quire, Bugiel et al. laissent le choix `a l’utilisateur de d´efinir
ce qu’est une attaque via la politique de s´ecurit´e, ce qui apporte `a la fois
un avantage et un inconv´enient `a l’approche. La possibilit´e de d´efinir avec
pr´ecision les sc´enarios d’attaque a l’avantage de limiter les faux positifs lors
de l’ex´ecution du syst`eme, c’est-`a-dire des communications jug´ees comme dangereuses
alors qu’elles ne le sont pas. Un des cas souvent ignor´e dans les travaux
pr´ec´edents est qu’une application puisse intentionnellement fournir un service `a
une autre application. L’inconv´enient dans cette approche est que l’utilisateur
n’a pas forc´ement les comp´etences n´ecessaires pour d´efinir une bonne politique
de s´ecurit´e ce qui pourrait ˆetre exploiter par une application malveillante afin
d’´echapper `a la d´etection.
2.5.3 Abus des permissions
2.5.3.1 Kirin
L’approche basique utilis´ee par les applications malveillantes sous Android
est de demander toutes les permissions qui leur sont n´ecessaires pour effectuer
leur tˆache malveillante. Par exemple, les applications espions dont le but est de
tracer l’utilisateur du t´el´ephone demande l’acc`es aux donn´ees de g´eolocalisation
et l’acc`es `a internet.
Afin de bloquer ce type d’attaque, Enck et al. proposent un syst`eme nomm´e
Kirin dans [47]. Le but de Kirin est de v´erifier qu’une application n’a pas un
ensemble de permissions jug´e dangereux. Par exemple, l’acc`es aux donn´ees de
g´eolocalisation et `a internet permet de faire fuir les d´eplacements de l’utilisateur
de t´el´ephone. Ainsi, Kirin v´erifie `a l’installation les permissions demand´ees
par une application. Si elle contient un ensemble dangereux, l’installation est
bloqu´ee. Il appartient `a l’utilisateur ou `a l’administrateur de l’appareil de d´efinir
les ensembles de permission dangereux.
2.5.3.2 Woodpecker
Les permissions filtrent l’acc`es aux ressources sensibles sous Android. Une
application sans la permission READ SMS ne peut par exemple lire la base de
donn´ees des SMS. Dans [54], Grace et al. ont analys´e les applications livr´ees avec40 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
8 t´el´ephones Android et montr´e que certaines exposaient sans aucune restriction
les ressources sensibles. Les auteurs ont identifi´e deux m´ethodes.
La premi`ere m´ethode, qu’ils disent explicite, consiste `a exposer les m´ethodes
pour acc´eder aux ressources sensibles via des interfaces publiques dont l’acc`es
est plus laxiste que celui de la m´ethode prot´eg´ee. Ils consid`erent comment interface
les composants expos´es publiquement `a d’autres applications. La deuxi`eme
m´ethode, cette fois-ci implicite, consiste `a partager le mˆeme identifiant d’utilisateur
entre deux applications. Cela est possible en associant la mˆeme valeur
`a l’attribut sharedUserId dans le fichier AndroidManifest.xml des deux applications.
Les deux applications tournant avec le mˆeme identifiant utilisateur,
elles se retrouvent ainsi `a l’ex´ecution avec l’union des permissions que les deux
applications poss`edent.
Grace et al. ont ainsi d´evelopp´e Woodpecker un outil pour analyser les applications
et trouver d’´eventuelles expositions de ressources sensibles. Woodpecker
d´efinit les points d’entr´ee de l’application `a partir de son fichier AndroidManifest.xml,
construit son graphe de flux de contrˆole (Control Flow Graph en
anglais) et `a partir du CFG calcule tous les chemins d’ex´ecution possibles. L’outil
consid`ere qu’une ressource sensible est expos´ee explicitement si un chemin
d’ex´ecution partant d’une interface non prot´eg´ee contient un appel `a une fonction
sensible et qu’aucun contrˆole n’est fait avant l’appel. Pour le deuxi`eme cas,
une alerte est lev´ee si une application indique partager son identifiant utilisateur
et s’il existe un appel `a une fonction sensible dans le code de l’application telle
que la partie contenant cette fonction puisse ˆetre atteinte.
2.5.3.3 Aurasium
La plupart des approches visant `a contrˆoler le comportement des applications
se font en modifiant le syst`eme. Dans [105], Xu et al. proposent cette fois-ci
de laisser le syst`eme intact et d’ajouter le code n´ecessaire au contrˆole dans l’application.
Ils ont ainsi d´evelopp´e un service appel´e Aurasium 8 qui prend en
entr´ee une application et retourne sa version renforc´ee. Cette version renforc´ee
int`egre du code interceptant les appels aux fonctions sensibles sous Android
afin de renforcer une politique de s´ecurit´e. Les fonctions concern´ees servent `a
acc´eder `a des ressources sensibles sur le t´el´ephone et internet, et `a ex´ecuter
des op´erations potentiellement dangereuses telles que le chargement d’une biblioth`eque
ou l’ex´ecution d’un binaire.
Bien que ce genre de fonctions soient d´efinies au sein de l’API Java d’Android,
Aurasium intercepte leur appel `a un niveau plus bas, plus pr´ecis´ement au
niveau des fonctions de la biblioth`eque C du syst`eme et de la machine virtuelle
dalvik. Il existe par exemple diff´erentes fonctions dans l’API pour communiquer
sur le r´eseau. Cependant, au niveau syst`eme tout cela se traduit par un
ensemble restreint d’appels syst`eme tels que connect et sendmsg. Il en est de
mˆeme pour les IPCs bas´es sur le binder qui se font via l’appel syst`eme ioctl
/dev/binder/. Lorsque l’appel `a une fonction sensible est d´etect´ee, l’application
8. http://aurasium.com2.6. SUIVI DE FLUX D’INFORMATION 41
en informe l’utilisateur et demande `a l’utilisateur de valider l’appel s’il souhaite
qu’il se poursuive.
Pour ´evaluer la capacit´e de leur service `a instrumenter les applications et `a
fournir une version toujours fonctionnelle, ils ont soumis un ensemble de 3491
applications de Google Play et 1260 ´echantillons de malware `a leur service. Nous
entendons par version fonctionnelle, une application qui se lance sans erreur
au d´emarrage et qui `a l’ex´ecution montre bien des interceptions `a des appels
de fonction sensible. Leur ´evaluation a montr´e qu’Aurasium ´etait capable de
fournir une version fonctionnelle des applications dans plus de 99% des cas.
Aucune ´evaluation ne permet cependant d’appr´ecier la capacit´e d’Aurasium `a
intercepter les appels de fonction correspondant aux attaques sur un syst`eme.
Nous avons pr´esent´e dans cette section diff´erents travaux inh´erents `a la
s´ecurit´e d’Android. Partant du constat des limites des m´ecanismes de s´ecurit´e
Android, principalement celles li´ees `a l’acc`es aux ressources sensibles et aux
communications entre applications, les auteurs de ces travaux ont propos´e des
extensions de s´ecurit´e `a Android et des outils d’analyse d’application. Ces extensions
et outils ont pour but de d´etecter les tentatives exploitant les limites
du m´ecanisme de s´ecurit´e du syst`eme ainsi que les risques de s´ecurit´e introduit
par les m´ecanismes de communication Android. Parmi les attaques cibl´ees,
ils ciblent principalement le vol de donn´ees sensibles, l’usage malveillant des
permissions accord´ees aux applications, les attaques par d´el´egation et les attaques
par collusion. Ces travaux concernent ainsi des classes d’attaque connue
et essayent de les d´etecter ou les pr´evenir.
Dans cette th`ese, nous avons une approche diff´erente. Au lieu de d´etecter
les malware en nous basant sur les limites connues du m´ecanisme de s´ecurit´e
d’Android, nous souhaitons dans un premier temps caract´eriser les malware
(comment leur attaque fonctionne) et nous baser sur ce que nous aurons appris
pour les d´etecter. Notre approche est bas´ee sur les flux d’information que causent
les malware dans le syst`eme. Dans la section qui suit, nous introduisons ainsi la
notion de flux d’information et pr´esentons quelques travaux utilisant le suivi de
flux d’information pour d´etecter des attaques.
2.6 Suivi de flux d’information
Suivre les flux d’information consiste `a observer comment les informations
se propagent dans un environnement donn´e. En s´ecurit´e, le suivi de flux d’information
est utilis´e pour d´etecter des attaques visant soit la confidentialit´e soit
l’int´egrit´e de donn´ees dans un environnement donn´e. En plus de d´etecter des
attaques, il peut ´egalement servir `a les bloquer. Il s’agit dans ce cas de contrˆole
de flux d’information.42 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
2.6.1 Suivi de flux au sein d’une application
Suivre les flux d’information au sein d’une application permet d’avoir une
vue fine de la mani`ere dont les informations sensibles sont trait´ees par un
programme. A l’exception du langage Perl, les langages de programmation `
n’int`egrent cependant pas de m´ecanisme de suivi ou de contrˆole de flux d’information.
Divers travaux se sont ainsi concentr´es sur le suivi et le contrˆole de flux
dans les applications soit en proposant une extension au langage de programmation
utilis´e soit en instrumentant l’environnement dans lequel l’application
tourne.
Les applications Android sont principalement ´ecrites en Java. Dans [74, 73],
Myers et Liskov pr´esentent un mod`ele de suivi de flux d’information qu’ils
impl´ementent dans Jif [75], une extension du langage Java capable de contrˆoler
les flux d’information `a l’int´erieur d’une application. Techniquement, Jif est un
pr´eprocesseur effectuant une analyse statique du code source pour contrˆoler la
conformit´e des flux d’information dans un programme par rapport `a une politique
de flux. La politique est repr´esent´ee par des labels qui sont associ´es aux
variables et fonctions dans le code. A chaque objet est assign´e un label o`u sont `
d´eclar´es l’ensemble des propri´etaires de l’information et les entit´es que chaque
propri´etaire autorise `a acc´eder `a l’information. Etant donn´e que chaque pro- ´
pri´etaire d´eclare une liste de lecteurs autoris´es, la liste des lecteurs effectifs est
ensuite calcul´ee en faisant l’intersection de la liste que chaque propri´etaire a
d´eclar´ee. Le label L “ to1 : r1, r2; o2 : r2, r3u signifie par exemple que l’objet
auquel il est attach´e contient des informations dont o1 et o2 sont propri´etaires.
o1 et o2 n’autorisent respectivement que r1 ou r2 et r2 ou r3 `a acc´eder `a l’information.
Le lecteur effectif est donc ici r2. Lors pr´etraitement du code, Jif,
qui est un pr´eprocesseur Java, calcul les flux d’information dans le programme
et v´erifie que les politiques de s´ecurit´e associ´ees aux variables sont v´erifi´ees.
L’approche propos´ee par Myers et Liskov est une approche statique qui
consiste `a annoter le code source des applications puis `a l’analyser pour contrˆoler
les flux d’information dans l’application. Un des avantages de l’analyse statique
par rapport `a l’analyse dynamique est qu’il couvre tous les chemins d’ex´ecution
possibles et permet en une seule analyse d’identifier toutes les violations `a une
politique de flux d’information. Une limite `a cette approche est cependant la
n´ecessit´e d’avoir acc`es au code source de l’application pour l’analyser, ce qui est
rarement le cas pour les applications Android et limite l’usage de cette approche.
Le code des applications Android est livr´e sous la forme de dalvik bytecode
et il est parfois obfusqu´e afin d’empˆecher des entit´es tierces de retrouver le code
original `a partir duquel le dalvik bytecode a ´et´e g´en´er´e. Ce bytecode est obtenu
en compilant dans un premier temps le code source de l’application en
bytecode Java puis en compilant ce dernier en bytecode compr´ehensible par
la machine virtuelle Dalvik.
Si les travaux pr´ec´edents s’attachent `a ajouter une extension de contrˆole
de flux d’information dans le langage de programmation et contrˆoler les flux
d’information de mani`ere statique, d’autres se sont pench´es sur une modification
de l’environnement d’ex´ecution pour suivre et contrˆoler les flux d’information `a2.6. SUIVI DE FLUX D’INFORMATION 43
l’ex´ecution des applications. Dans [46], Enck et al. proposent TaintDroid, une
version modifi´ee d’Android avec un m´ecanisme de suivi de flux d’information `a
l’ex´ecution des applications. Leur but ´etait d’´etudier si les applications Android
font fuir des donn´ees sensibles du t´el´ephone via le r´eseau ou par SMS. Ils ont
d´efini dans leur outil un ensemble d’information `a surveiller (ex : identifiants
de l’appareil et donn´ees de g´eolocalisation) et s´electionn´e les 30 applications
Android les plus populaires pour les analyser. Ils ont montr´e que plus de 2{3
d’entre elles faisaient fuir des donn´ees sensibles, principalement les identifiants
du t´el´ephone. Pour suivre les flux d’information, Enck et al. ont modifi´e la
machine virtuelle Dalvik. Ils ont impl´ement´e une m´ethode dite de tainting qui
consiste `a marquer les objets selon la nature de leur contenu. Dans la machine
virtuelle Dalvik, les objets pouvant contenir des informations sont les variables
d’une m´ethode, ses param`etres et les champs d’une classe ainsi que des ses
instances. Lorsqu’un flux est obser´e, les marques associ´ees aux objets dont le
contenu a ´et´e modifi´e est mis `a jour pour prendre en compte la nature de leur
nouveau contenu.
Contrairement `a Myers et Liskov, Enck et al. ont opt´e pour une approche dynamique
pour suivre les flux d’information au sein d’une application durant son
ex´ecution. A cause de la nature de l’analyse (dynamique), une des principales `
limitations de TaintDroid est l’impossibilit´e d’observer tous les flux d’information
possibles en une seule analyse. Seuls les flux d’information explicites qui
ont lieu durant l’ex´ecution de l’application sont d´etect´es. Si TaintDroid a une
vue plus limit´ee des flux d’information dans une application, il poss`ede cependant
un avantage non n´egligeable par rapport aux approches statiques qui est
qu’il ne n´ecessite pas l’acc`es au code source des applications analys´ees. Il est
donc plus adapt´e pour analyser les applications destin´ees `a tourn´ees dans un
environnement tels qu’Android.
2.6.2 Suivi de flux au niveau syst`eme
Un autre niveau d’observation des flux d’information est le syst`eme d’exploitation
o`u les objets du syst`eme tels que les processus et les fichiers sont
vus comme des conteneurs d’information et les interactions entre eux des flux
d’information. Dans [109, 110], Zeldovich et al. proposent HiStar, un syst`eme
d’exploitation qui int`egre un m´ecanisme de contrˆole de flux d’information au
niveau syst`eme. Le but de HiStar est de fournir un syst`eme capable de bloquer
les attaques visant `a voler ou corrompre les donn´ees sur le syst`eme. Pour suivre
et contrˆoler les flux d’information, HiStar utilise les labels Asbetos [45]. Un label
´etablit une correspondance entre une cat´egorie d’information et un niveau
marquage. Par exemple, le label L “ tw3, c2, 1u signifie que le niveau associ´e
aux cat´egories w et c sont respectivement 3 et 2. Le niveau par d´efaut est 1. Un
label est associ´e `a chaque objet du syst`eme pouvant contenir de l’information.
Le label repr´esente pour chaque objet son niveau d’acc`es pour les diff´erentes
cat´egories d’information. Lorsqu’un flux d’information d’un objet A vers un
objet B a lieu, HiStar v´erifie que le niveau d’acc`es de B pour les cat´egories
d’information d´efinies dans le label de A est sup´erieur ou ´egal au niveau d’acc`es44 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
de A pour ces mˆemes cat´egories. Si c’est le cas, le flux est autoris´e. Dans le cas
contraire, il est bloqu´e. Par exemple, si le label de A vaut tw3, c2, 1u et que celui
de B vaut tw2, c3, h2, 1u alors B ne peut acc´eder au contenu de A car le niveau
d’acc`es de B aux `a la cat´egorie d’information w, ici 2, est inf´erieur au niveau
d’acc`es de A, ici 3, `a la mˆeme cat´egorie.
Pour contrˆoler les flux d’information dans le syst`eme, HiStar associe des
niveaux d’acc`es aux diff´erents objets du syst`eme. Contrairement `a TaintDroid
ou AppFence, il se contente d’´etablir des niveaux d’acc`es aux informations mais
ne suit pas leur propagation dans le syst`eme. Cela limite son utilit´e pour analyser
comment les donn´ees d’une application se propagent dans le syst`eme, ce qui est
l’un des nos objectifs.
Dans cette th`ese, nous utilisons un moniteur de flux d’information au niveau
du syst`eme pour observer les flux d’information. Ce moniteur est la version
Android d’un moniteur de flux d’information pour Linux, Blare [37], dont la
version actuelle a ´et´e d´evelopp´ee par Christophe Hauser. Plus pr´ecis´ement, Blare
est un outil de d´etection d’intrusion pour les syst`emes Linux param´etr´e par
une politique de flux d’information. La politique d´efinit les flux autoris´es dans
le syst`eme et toute violation de cette politique constitue une intrusion. Pour
suivre et contrˆoler les flux d’information, Blare utilise deux labels, itag et ptag,
qui sont attach´es aux objets du syst`eme. L’itag repr´esente la contamination
courante d’un objet et le ptag repr´esente sa contamination maximale autoris´ee.
L’itag d’un objet est ainsi mis `a jour `a chaque fois qu’un flux d’information
modifiant le contenu de l’objet a lieu tandis que le ptag est d´efini lors de la
cr´eation de la politique de flux. Lorsqu’un flux d’information d’un objet A vers
un objet B a lieu, Blare consid`ere que les informations de A vont dans B et v´erifie
si l’itag de A est autoris´e par le ptag de B. Si c’est le cas, il met `a jour l’itag
de B pour prendre en compte son nouveau contenu. Sinon il l`eve une alerte.
Blare ne pr´evient pas les intrusions mais les d´etecte. Il ne bloque pas le flux en
cas de violation d’une politique mais se contente de lever une alerte. Comme
HisTar, le niveau d’observation de Blare se limite au niveau syst`eme. Il voit les
objets du syst`eme comme des boˆıtes noires et effectue une surapproximation
des flux observ´es. Quand un flux d’un objet A vers un objet B est observ´e par
Blare, il consid`ere que toutes les informations dans A se propagent dans B.
Cette vision est moins fine que ce que proposerait un suivi de flux au niveau
des applications. Cependant il a l’avantage de ne pas d´ependre d’un langage
en particulier tel que le Java et ne se limite pas aux instances d’une machine
virtuelle. Il a ainsi une vue compl`ete des flux d’information directs entre les
objets du syst`eme par rapport `a TaintDroid qui est limit´e aux flux impliquant
uniquement les applications ´ecrites en Java.
2.6.3 Suivi de flux au niveau hardware
Dans [108], Yin et al. proposent un environnement virtuel bas´e sur Quemu
d’analyse dynamique d’application Windows appel´e Panorama. Panorama suit
les flux d’information au niveau machine tout en ayant connaissance des informations
li´ees aux objets du syst`eme tels que les processus et les fichiers. Le but du2.6. SUIVI DE FLUX D’INFORMATION 45
travail r´ealis´e est de d´eterminer si une application acc`ede `a une donn´ee sensible
du syst`eme et si c’est le cas comment elle l’utilise. Les donn´ees sensibles peuvent
ˆetre des donn´ees frapp´ees au clavier, des donn´ees du disque ou le contenu de paquets
r´eseaux. Dans le cadre de l’analyse, ces donn´ees sont suppos´ees ne pas ˆetre
acc´ed´ees par l’application analys´ee. Pour analyser une application, ils installent
ainsi l’application dans l’environnement d’analyse, introduisent des donn´ees sensibles
dans le syst`eme, et suivent comment ces donn´ees se propagent. A partir `
des flux observ´es, ils construisent un graphe de flux d’information repr´esentant
comment les donn´ees sensibles se sont propag´ees dans le syst`eme. Les nœuds
et les arcs du graphe repr´esentent respectivement les objets du syst`eme et les
flux d’information entre eux. L’application analys´ee est consid´er´ee comme malveillante
si un nœud la repr´esentant est pr´esent dans le graphe. Cela signifie qu’`a
un moment donn´e, l’application a acc´ed´ee aux donn´ees sensibles. Si c’est le cas,
ils analysent ensuite o`u les donn´ees se propagent `a partir du nœud repr´esentant
l’application analys´ee.
Dans des travaux plus r´ecents, Yin et al. ont propos´e DroidScope [106] qui
est un environnement d’analyse d’application Android qui est l’´equivalent de
Panorama pour Android. DroidScope suit ´egalement les flux d’information au
niveau hardware mais contrairement `a Panorama, il n’a pas seulement acc`es aux
informations li´ees aux objets du syst`eme mais ´egalement `a des donn´ees li´ees `a
l’ex´ecution des applications dans la machine virtuelle Dalvik. Il a ainsi une vue
plus fine de ce qui se passe dans une application telle que les m´ethodes qui sont
utilis´ees pour acc´eder `a une information.
Suivre les flux d’information au niveau hardware permet d’avoir une vue fine
des flux d’information s’op´erant sur un syst`eme. Le niveau de granularit´e pour le
stockage et l’acc`es `a une information peut-ˆetre r´eduit `a un octet ou un bit, ce qui
est l’unit´e de stockage des donn´ees. Avoir une telle granularit´e a cependant un
coˆut ´elev´e en terme de temps d’ex´ecution qui limite cette approche aux environnements
virtuels d’analyse d’application. Les auteurs de Panorama ont mesur´e
un temps d’ex´ecution des applications de 30 `a 40 fois plus lents que leur temps
d’ex´ecution normal. Notre but est de capturer le comportement malveillant des
malware Android et de les d´etecter. Sachant que certains malware essayent de
d´etecter la pr´esence d’environnement virtuels pour ´echapper `a toute d´etection,
ce niveau d’observation ne nous paraˆıt donc pas comme un choix viable.
Il existe diff´erents niveaux d’observation pour suivre les flux d’information
sur un syst`eme : application, syst`eme d’exploitation et hardware. Dans ce th`ese,
nous optons pour un suivi de flux au niveau du syst`eme d’exploitation afin
d’avoir une vue compl`ete des flux d’information entre les diff´erents composants
du syst`eme. Suivre les flux d’information `a l’int´erieur des applications a une
meilleure granularit´e mais suppose que nous ayons, soit acc`es au code source de
toutes les applications `a analyser, soit que toutes les applications soient ´ecrites
en Java et interpr´et´ees par la machine virtuelle Dalvik. Aucune de ces suppositions
ne s’av`ere ˆetre vraie dans la r´ealit´e. Suivre les flux d’information au niveau46 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
du hardware apporte ´egalement une vue plus fine et contrairement au niveau
application ne n´ecessite pas d’acc`es au code source ou l’usage d’un seul langage
pour ´ecrire toutes les applications. Cependant, comme nous l’avons ´ecrit
pr´ec´edemment, il n’est adapt´e qu’aux environnements virtuels, ce qui pose le
probl`eme de la d´etection de l’environnement d’analyse [68]. Dans cette th`ese,
nous avons ainsi fait le choix de suivre les flux d’information au niveau syst`eme
afin d’ˆetre ind´ependant de la disponibilit´e du code source des applications et du
langage utilis´e pour les d´evelopper tout en ayant une vue compl`ete des flux d’information
entre les objets du syst`eme. A partir des flux d’information observ´es `
dans le syst`eme, nous proposons de calculer le profil d’un malware et apprendre
son comportement. L’approche est similaire `a de l’apprentissage. Dans la section
qui suit, nous pr´esentons donc comment des m´ethodes d’apprentissage ont ´et´e
appliqu´es pour classifier et d´etecter des malware.
2.7 Classification et d´etection de malware
La d´etection de malware se fait g´en´eralement en utilisant des signatures ou
des profils comportementaux. La signature d’un malware est un ensemble de
propri´et´es communes aux fichiers des ´echantillons du malware. Dans le cas des
applications Android, ces fichiers sont les apk. Le profil comportemental d’un
malware est un ensemble de propri´et´es communes `a l’ex´ecution des ´echantillons
du malware. Ces signatures et profils sont construits `a partir des informations
obtenues en analysant, statiquement ou dynamiquement, les ´echantillons de malware.
La tendance actuelle consiste `a utiliser des m´ethodes d’apprentissage afin
de classifier et d´etecter des malwares. Dans notre cas, nous souhaitons extraire
le profil d’un malware et son comportement `a partir des flux d’information
qu’ils causent dans le syst`eme. Dans ce qui suit, nous pr´esentons ainsi quelques
travaux ayant adopt´e cette approche. L’apprentissage consiste `a apprendre des
propri´et´es li´ees `a un jeu de donn´ees.
Il existe diff´erents travaux sur l’analyse statique d’application afin de d´etecter
des instances de malware (ex : [35] et [58]). Les signatures sont des propri´et´es
li´ees au malware telles que des chaines de caract`eres, des ressources dans l’application,
des appels `a des fonctions sp´ecifiques, ou simplement l’empreinte d’un
fichier. Sous Android, Arp et al. ont propos´e DREBIN [22] pour d´etecter les
´echantillons de malware Android sur les t´el´ephones. Les propri´et´es prises en
compte lors de l’analyse d’une application sont les permissions demand´ees, les
composants mat´eriels requis, ses composants, les filtres d’intent pour activer
les composants, les appels aux fonctions sensibles, les permissions utilis´ees, les
appels de fonction suspects et les adresses de serveur pr´esents dans le code de
l’application. Pour classifier les applications, ils utilisent une machine `a vecteurs
de support [41, 48] qui est une m´ethode d’apprentissage supervis´ee. Un apprentissage
supervis´e consiste `a calculer `a partir d’ensembles distincts un mod`ele
permettant de d´efinir l’appartenance d’un ´el´ement `a un de ces ensembles. A`
partir de deux ensembles distincts d’applications, l’une contenant des applications
malveillantes et l’autre contenant des applications b´enignes, ils calculent2.7. CLASSIFICATION ET DETECTION DE MALWARE ´ 47
ainsi un mod`ele de d´etection qui diff´erencie les applications malveillantes des
applications b´enignes. Ce mod`ele est ensuite utilis´e sur le t´el´ephone afin de
d´etecter les applications malveillantes. L’´evaluation effectu´ee par les auteurs de
DREBIN sur la capacit´e de d´etection montre que leur outil atteint un taux
de d´etection de 93.90% sur un ensemble de 1834 ´echantillons de malware. Le
taux de d´etection d´efinir pourcentage d’´echantillons d´etect´es sur tout le jeu de
donn´ees. Le r´esultat est proche des meilleurs r´esultats obtenus par les produits
anti-virus qu’ils ont test´e sur le mˆeme jeu de donn´ees. Les meilleurs taux de
d´etection sont de 96.41% et de 93.71% tandis que le pire est de 3.99%.
La d´etection par analyse statique montre cependant ses limites lorsque les
d´eveloppeurs de malware utilisent des techniques d’obfuscation [21, 23, 70] afin
de cacher la v´eritable nature de leurs application ou des techniques de polymorphisme
et de m´etamorphisme [50] afin de changer l’aspect du code des diff´erentes
instances d’un malware. Les d´eveloppeurs du malware Obad.a [98] utilisent par
exemple des chaines al´eatoires pour les noms de variables, m´ethode et classes. Ils
utilisent ´egalement des fonctions de chiffrement afin de masquer les chaines de
caract`eres utilis´ees dans le malware et ces fonctions changent d’un ´echantillon
`a l’autre.
Contrairement `a l’approche statique, l’approche dynamique repose uniquement
sur l’ex´ecution des applications pour d´etecter les ´echantillons de malware
et n’est pas ainsi affect´ee par ces m´ethodes d’´evasion. Dans [67], Bayer et al.
appliquent une m´ethode d’apprentissage non supervis´ee afin de classifier les
applications et d´etecter les ´echantillons de malware. L’apprentissage non supervis´ee
consid`ere qu’il n’y a pas de groupement pr´ed´efinis des ´el´ements dans le jeu
de donn´ees et calcule lui-mˆeme les regroupements possibles de ces ´el´ements.
Les applications `a classifier sont analys´ees dans Anubis [69] afin d’en extraire
un profil. Le profil est constitu´e des diverses interactions avec le syst`eme tels
que les acc`es aux fichiers et registres ainsi que les communications r´eseaux.
Ils appliquent ´egalement une m´ethode de tainting afin d’observer comment les
informations issues du syst`eme sont utilis´ees dans les prochains appels syst`eme.
Cela s’av`ere utile pour filtrer les informations `a extraire. Par exemple, si le
programme utilise la date du syst`eme pour g´en´erer le nom d’un nouveau fichier,
il ne sert `a rien de stocker le nom car il sera diff´erent `a chaque ex´ecution.
Dans [90], Rieck et al. proposent d’utiliser les interactions entre les applications
analys´ees et le reste du syst`eme afin de les classifier et de se servir du
mod`ele obtenu lors de l’apprentissage pour d´etecter d’autres ´echantillons de
malware. Pour obtenir les interactions des applications avec le reste du syst`eme,
ils ex´ecutent les applications dans CWSandbox [101], un environnement d’analyse
dynamique d’application. Ils construisent ensuite un vecteur repr´esentant
le comportement de l’applications analys´ee `a partir des interactions observ´ees
o`u chaque dimension repr´esente une suite d’interaction et utilisent ces vecteurs
afin de classifier de mani`ere non supervis´ee les applications analys´ees. Les classes
obtenues `a la suite de cette ´etape servent ensuite de mod`ele afin de d´etecter de
nouvelles instances de malware.
Rieck et al. ont compar´e la qualit´e des classes cr´ees durant l’apprentissage
rapport `a celle de Bayer et al. et ont montr´e que leur approche obtient un48 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
meilleur score, 0.950, par rapport `a celle de Bayer et al., 0.881. Le score calcul´e,
appel´e F-Score [8], combine `a la fois la qualit´e de la pr´ecision ainsi que
du rappel des classes calcul´ees durant l’apprentissage. La pr´ecision mesure la
correspondance entre les classes calcul´ees et les familles de malware tandis que
le rappel mesure l’´eparpillement des ´echantillons d’un malware dans plusieurs
classes. Une pr´ecision ´elev´ee signifie que chaque classe correspond `a une famille
de malware. Un rappel ´elev´e signifie que chaque famille de malware correspond
`a une classe. La valeur maximale du F-score est de 1 tandis que la pire est de
0. Plus le score est ´elev´e, plus la qualit´e de l’apprentissage est meilleure.
Les travaux pr´esent´es ont mont´e que l’apprentissage pouvait servir `a calculer
des mod`eles afin de classifier et d´etecter des malware. Cet apprentissage
est effectu´e `a partir des propri´et´es li´ees aux fichiers contenant les applications
`a analyser ou de leurs traces d’ex´ecution. Dans notre cas, l’apprentissage est
effectu´e sur les flux engendr´es par les ´echantillons de malware dans le syst`eme.
Nous ex´ecutons ainsi chaque ´echantillon de malware pour capturer ces flux d’information.
Un des buts de notre approche est d’identifier le comportement malveillant
des malware. Pour cela, il faut capturer ce comportement durant l’analyser.
Pour nous en assurer, nous avons analys´e statiquement les ´echantillons de
certains malware pour identifier les ´ev`enements d´eclenchant l’ex´ecution du code
malveillant. Dans la section qui suit, nous pr´esentons donc un ensemble d’outils
li´es `a l’analyse d’applications Android.
2.8 Analyse d’applications Android
Analyser une application a pour but d’extraire des informations li´ees `a
l’application telles que son comportement, les ressources qu’elle utilise et les
´ev`enements attendus pour ex´ecuter une partie de son code.
2.8.1 D´esassembleur, d´ecompilateur
Afin de comprendre le fonctionnement d’une applications sans avoir `a l’ex´ecuter,
un analyste a souvent recours `a un d´esassembleur ou un d´ecompilateur.
D´esassembler le code d’une application consiste `a le retranscrire dans un langage
bas niveau dont les instructions et celles de l’architecture cens´ee interpr´et´ee le
code `a d´esassembler ont une forte correspondance. L’architecture interpr´etant le
code d’une application Android est la machine virtuelle Dalvik. Parmi les outils
pour d´esassembler les applications Android, nous pouvons citer dedexer [6],
apktool, qui utilise smali [13], Androguard [97] et IDA Pro [9]. Le listing 2.4 est
un extrait du code de l’application JetBoy disponible dans le SDK Android. Le
listing 2.5 est la partie correspondante, ´ecrite en smali, apr`es avoir d´esassembl´e
l’application avec apktool. La syntaxe des langages utilis´es par ces outils est
assez explicite pour comprendre ce que fait l’application et avoir une id´ee de
l’aspect du code Java d’origine. Nous remarquons par exemple que l’instruction
`a la ligne 4 dans le listing 2.4 correspond aux instructions de la ligne 24 `a 28 du
listing 2.5.2.8. ANALYSE D’APPLICATIONS ANDROID 49
1 public void onClick(View v) {
2 // this is the first screen
3 if (mJetBoyThread.getGameState() == JetBoyThread.STATE_START) {
4 mButton.setText("PLAY!");
5 mTextView.setVisibility(View.VISIBLE);
6
7 mTextView.setText(R.string.helpText);
8 mJetBoyThread.setGameState(JetBoyThread.STATE_PLAY);
9 }
10 ...
11 }
Listing 2.4 – Extrait du code de l’application JetBoy fourni avec le SDK Android
D´ecompiler une application revient `a le retranscrire dans un langage haut niveau
(ex : Java et C). Les applications Android ´etant ´ecrites en Java, le but de la
d´ecompilation sera ici d’obtenir un code Java `a partir du dalvik bytecode. Parmi
les outils notables nous pouvons citer Androguard et la combinaison dex2jar [43]
et JD-Gui [10]. Androguard int`egre un d´ecompilateur natif, dad, mais il peut
´egalement faire appel `a d’autres d´ecompilateurs. dex2jar est un outil qui transforme
le dalvik bytecode en java bytecode et JD-Gui est un outil graphique de
d´ecompilation de java bytecode. D´ecompiler une application Android en optant
pour la combinaison de ces outils revient ainsi `a extraire le fichier classes.dex
de l’apk, cr´eer avec dex2jar un fichier jar (Java Archive) et `a d´ecompiler ce
dernier avec JD-Gui. Un avantage que JD-Gui a sur Androguard est la possibilit´e
d’exporter le r´esultat de la d´ecompilation dans les fichiers .class. Le
listing 2.6 liste le code produit par la d´ecompilation de l’application JetBoy avec
Androguard. Une diff´erence notable avec le code orignal est l’usage des valeurs
`a la place des variables constantes pr´esentes dans le code original.
Si le r´esultat de la d´ecompilation a le m´erite d’ˆetre dans un langage haut
niveau, cette op´eration int`egre cependant le risque d’une erreur de transcription.
Lors de la d´ecompilation de certaines applications, nous avons ainsi d´etecter des
erreurs dans le r´esultat de la d´ecompilation pour les deux outils.
2.8.2 Comparaison d’applications
Une autre fonctionnalit´e int´eressante d’Androguard est sa capacit´e `a ´evaluer
la similarit´e entre deux applications. Androguard compare le code des deux
applications et calcule quelles sont les m´ethodes qui sont identiques, similaires et
celles qui sont pr´esentes dans l’une mais pas dans l’autre. L’un des cas d’usage de
cette fonctionnalit´e est par exemple de trouver le code rajout´e `a une application
entre deux versions. Elle peut ´egalement servir `a identifier les applications vol´ees
`a leur auteur original.50 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
2.8.2.1 Extraction de m´etadonn´ees
L’analyse peut ´egalement avoir pour but d’extraire des m´etadonn´ees li´ees `a
l’application. Dans le cas de applications Android, ces donn´ees sont g´en´eralement
le contenu du fichier AndroidManifest.xml. Ce fichier contient diff´erentes informations
: permissions utilis´ees par l’application, son num´ero de version, la
liste de ses composants, etc. L’acc`es `a son contenu ne n´ecessite pas forc´ement un
outil particulier car il s’agit d’un fichier XML. Androguard ou les outils d’analyse
dynamique d’application tels que Andrubis propose cependant d’extraire
automatiquement ces donn´es.
2.8.2.2 Scanner de virus
Il existe plusieurs scanners de virus sous Android dont certains sont disponibles
directement sur Google Play. Il existe cependant pour les analystes
des services permettant d’analyser les applications Android pour d´etecter les
´echantillons de malware sans avoir `a les analyser avec une application dans un
t´el´ephone. VirusTotal [14] est un exemple de ce type d’outil en ligne. Pour effectuer
une analyse, les utilisateurs soumettent le fichier `a analyser via une page
de soumission. Chaque fichier soumis est ensuite analys´e par diff´erents produits
anti-virus afin de d´etecter si oui ou non il est malveillant. VirusTotal utilise
`a ce jour 49 produits anti-virus. Le r´esultat des analyses de chaque anti-virus
est ensuite retourn´ee `a l’utilisateur. AndroTotal [2] est un autre outil similaire
`a VirusTotal. Comme son nom l’indique, AndroTotal est uniquement d´edi´e `a
l’analyse d’application Android alors que VirusTotal n’impose aucune restriction
sur le type de fichier `a analyser. Ce type d’outil peut s’av´erer utile pour
identifier rapidement des ´echantillons de malware. Zhou et al. ont par exemple
utilis´e VirusTotal afin de classifier les ´echantillons de malware qu’ils ont analys´e
dans [113].
2.8.2.3 Analyse dynamique d’application
Analyser dynamiquement une application consiste `a l’ex´ecuter pour observer
son comportement. L’ex´ecution se fait g´en´eralement `a l’int´erieur d’un environnement
virtuel simulant un environnement d’ex´ecution tel qu’un syst`eme
d’exploitation ou une machine. Ils existent plusieurs environnements d’analyse
d’application Android. Certains d’entre eux sont disponibles via leur code source
(ex : DroidBox) ou en tant que service en ligne (ex : Andrubis). Ils ont souvent
une base commune d’informations surveill´ees : permissions utilis´ees, appels de
fonction sensible de l’API Android, composants de l’application qui ont ´et´e
ex´ecut´ees, acc`es aux syst`emes de fichier, communications r´eseaux, et ´emissions
d’appel et SMS.
Pour observer toutes ces informations, les auteurs de ces outils ont recours
`a diff´erentes techniques : r´e´ecriture de code, suivi de flux d’information, observation
des appels syst`eme, introspection de l’environnement virtuel d’ex´ecution
et stimulation d’entr´ee.2.8. ANALYSE D’APPLICATIONS ANDROID 51
La r´e´ecriture de code consiste `a injecter le code n´ecessaire `a l’analyse dans
l’application avant de l’ex´ecuter. Durant l’ex´ecution, le code inject´e renseignera
sur les comportements d’int´erˆet. Les auteurs de DroidBox ont par exemple opt´e
pour cette m´ethode afin d’observer les appels aux diff´erentes fonctions sensibles
de l’API Android.
Le suivi de flux d’information permet d’observer comment une information
se propage dans un environnement donn´e. Un appareil Android contient un certain
nombre d’informations sensibles (ex : liste de contact) dont l’usage par une
application aurait une certaine utilit´e pour un analyste. Andrubis, AppsPlayground
et DroidBox int`egrent ainsi TaintDroid afin de suivre les flux d’information
dans les applications Android pour d´etecter toute fuite d’information.
DroidScope a son propre moniteur de flux d’information
Ces environnements d’analyse dynamique d’application peuvent ˆetre fournis
sous deux formes. Soit leurs auteurs fournissent un acc`es en tant que service,
l’analyse est effectu´ee en soumettant l’application `a analyser et l’utilisateur
r´ecup`ere le r´esultat de l’analyse sous forme de page web ou de fichiers XML ou
JSON, soit ils fournissent l’environnement en t´el´echargement afin que l’utilisateur
l’ex´ecute sur sa proche machine.
DroidBox [7] est un environnement d’analyse dynamique d’application Android
`a t´el´echarger et ex´ecuter sur sa propre machine. Durant l’ex´ecution de
l’application, l’outil enregistre les communications r´eseaux effectu´ees par l’application,
les acc`es aux fichiers, les services lanc´es, les composants Broadcast Receiver,
les classes charg´ees, les op´erations cryptographiques via l’API Android,
les messages et les appels ´emis. Afin de suivre le rythme d’´evolution d’Android,
DroidBox instrumente le code des applications pour intercepter l’appel des fonctions
d’int´erˆet. DroidBox int`egre ´egalement une version de TaintDroid afin de
d´etecter les ´eventuelles fuites d’information sensible. Son rapport int`egre ainsi
les fuites d’information via le r´eseau et par SMS que l’application aurait pu faire.
Le lancement de l’application est automatique mais il appartient `a l’utilisateur
d’interagir avec l’application.
Andrubis [100], version Android d’Anubis, est un service d’analyse d’application
en ligne. Il fournit les mˆemes types d’information que DroidBox. Si
DroidBox se limite aux fonctions de l’API Android, Andrubis lui consid`ere le
fait que les applications puissent ´egalement utiliser du code natif. Ils enregistrent
ainsi dans leur rapport l’usage des appels syst`eme utilis´es par l’application. Une
autre diff´erence par rapport `a DroidBox est la g´en´eration d’´ev`enements afin de
couvrir tout le code. DroidBox se contente de lancer l’application en ex´ecutant
son Activity principal. Andrubis prend en compte le fait que chaque composant
d’une application est un point d’entr´ee du programme et essaie de tous les
lancer.
D’apr`es l’´etude effectu´ee par Neuner et al. dans [77], DroidBox aurait ´et´e utilis´e
comme base pour d’autres environnements d’analyse tels qu’ANANAS [44]
et Mobile Sandbox [94]. Il existe ´egalement d’autres environnements ind´ependants
de DroidBox tels que SmartDroid [111], CopperDroid [88], DroidScope [106]
AASandbox [25] etc.52 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
1 .method public onClick(Landroid/view/View;)V .locals 5
2 .parameter "v"
3 .prologue const v4, 0x7f050004
4 const/4 v3, 0x4
5 const/4 v2, 0x0
6 .line 92 iget-object v0, p0,
7 Lcom/example/android/jetboy/JetBoy;->mJetBoyThread:
8 Lcom/example/android/jetboy/JetBoyView$JetBoyThread;
9 invoke-virtual {v0},
10 Lcom/example/android/jetboy/JetBoyView$JetBoyThread;
11 ->getGameState()I
12 move-result v0
13 const/4 v1, -0x1
14 if-ne v0, v1, :cond_0
15 .line 93 iget-object v0, p0,
16 Lcom/example/android/jetboy/JetBoy;->
17 mButton:Landroid/widget/Button;
18 const-string v1, "PLAY!"
19 invoke-virtual {v0, v1},
20 Landroid/widget/Button;->setText(Ljava/lang/CharSequence;)V
21 .line 94 iget-object v0, p0,
22 Lcom/example/android/jetboy/JetBoy;->mTextView:
23 Landroid/widget/TextView;
24 invoke-virtual {v0, v2},
25 Landroid/widget/TextView;->setVisibility(I)V
26 .line 96 iget-object v0, p0,
27 Lcom/example/android/jetboy/JetBoy;->mTextView:
28 Landroid/widget/TextView;
29 invoke-virtual {v0, v4},
30 Landroid/widget/TextView;->setText(I)V
31 .line 97 iget-object v0, p0,
32 Lcom/example/android/jetboy/JetBoy;->mJetBoyThread:
33 Lcom/example/android/jetboy/JetBoyView$JetBoyThread;
34 invoke-virtual {v0, v2},
35 Lcom/example/android/jetboy/JetBoyView$JetBoyThread;->
36 setGameState(I)V
Listing 2.5 – Extrait du code smali de l’application JetBoy2.8. ANALYSE D’APPLICATIONS ANDROID 53
1 public void onClick(android.view.View p6)
2 {
3 if(this.mJetBoyThread.getGameState() != 15) {
4 ...
5 } else {
6 this.mButton.setText("PLAY!");
7 this.mTextView.setVisibility(0);
8 this.mTextView.setText(1.76787404569e+38);
9 this.mJetBoyThread.setGameState(0);
10 }
11 return;
12 }
Listing 2.6 – Extrait du code r´esultant de la d´ecompilation de l’application
JetBoy avec le d´ecompilateur par d´efaut d’Androguard54 CHAPITRE 2. ETAT DE L’ART ´
Nous avons pr´esent´e dans ce chapitre le syst`eme Android et introduit la base
de connaissance n´ecessaire pour comprendre notre approche. Au lieu de d´etecter
des sc´enarios d’attaque pr´ed´efinis, nous souhaitons en d´ecouvrir de nouvelles et
les d´etecter. La premi`ere ´etape `a l’atteinte de cet objectif est d’analyser les flux
d’information caus´es par les ´echantillons de malware Android. Pour observer
ces flux, nous utilisons un moniteur de flux d’information Blare que nous avons
port´e sous Android. Dans le chapitre suivant, nous pr´esentons ce moniteur et
expliquons les ajouts effectu´es `a Blare lors du portage sous Android.Chapitre 3
Blare : un moniteur de flux
d’information pour Linux et
Android
Pour suivre les flux d’information, nous utilisons Blare [37], un syst`eme de
d´etection d’intrusion param`etr´e par une politique de flux d’information. La politique
de flux d’information d´ecrit les flux autoris´es dans le syst`eme et l`eve une
larte `a chaque violation de la politique. Blare est bas´e sur un mod`ele d´ecrit en
section 3.1 et est impl´ement´e pour les syst`emes de type Linux comme d´ecrit
en section 3.3. Android int´egrant des fonctionnalit´es qui lui sont propres, le
premier apport de la th`ese a donc consist´e `a modifier Blare pour prendre en
compte certaines fonctionnalit´es d’Android. La prise en compte de ces fonctionnalit´es
donne une vue plus compl`ete des flux d’information sous Android. La
section 3.4 d´ecrit les modifications apport´ees `a Blare. Le r´esultat de ce portage,
AndroBlare, nous sert d’environnement d’analyse dynamique d’application afin
d’apprendre le comportement des applications `a partir des flux d’information
qu’elles causent dans le syst`eme. Dans la section 3.5, nous expliquons ainsi comment
nous analysons les applications dans cet environnement.
3.1 Mod`ele th´eorique
Le mod`ele th´eorique de Blare [55, 56] d´ecrit comment suivre et contrˆoler
les flux d’information au niveau du syst`eme. Pour suivre les flux d’information,
il utilise une m´ethode de marquage qui consiste `a marquer les objets selon
la nature de leur contenu. Il existe ainsi une distinction importante entre les
conteneurs d’information et leur contenu.
5556 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
Taille 8 16 32 64
Intervalle r´2
7
, 2
7 ´ 1s r´2
15
, 2
15 ´ 1s r´2
31
, 2
31 ´ 1s r´2
63
, 2
63 ´ 1s
Table 3.1 – Intervalle de valeur du type int selon sa taille en bits
3.1.1 Conteneurs d’information
Blare suit les flux d’information au niveau du syst`eme d’exploitation. Il a
ainsi une vue des flux entre les objets du syst`eme. Le mod`ele de Blare d´efinit trois
types de conteneur d’information : les conteneurs persistants, les conteneurs volatiles
et les utilisateurs. Un conteneur persistant est un conteneur qui peut exister
sur plusieurs cycles d’ex´ecution du syst`eme. Un fichier est l’exemple typique
d’un conteneur persistant. Un conteneur volatile est conteneur qui n’existe que
le temps d’un cycle d’ex´ecution du syst`eme. Il n’est cr´e´e qu’apr`es le d´emarrage
du syst`eme et est d´etruit `a l’arrˆet. Les sockets sont des exemples de conteneurs
volatiles. Les utilisateurs sont les utilisateurs du syst`eme. A chacun de `
ces conteneurs sera associ´e un ensemble de marques ou tags qui permettent de
suivre et contrˆoler les flux d’information. Nous noterons par la suite C l’ensemble
des conteneurs d’information, PC l’ensemble des conteneurs persistants,
VC l’ensemble des conteneurs volatiles et U l’ensemble des utilisateurs.
3.1.2 Information et contenu courant d’un objet : itag
Il existe deux types d’information dans le mod`ele de Blare. Le premier
est l’information morte qui correspond `a toute donn´ee non ex´ecut´ee sur le
syst`eme. Le contenu d’un fichier est l’exemple typique d’une information morte.
Le deuxi`eme est l’information ex´ecut´ee qui correspond `a toute donn´ee ex´ecut´ee.
Nous ne la retrouvons que dans les processus car seuls les processus peuvent
ex´ecuter des donn´ees. A chaque donn´ee dont nous souhaitons contrˆoler la pro- `
pagation est associ´ee un entier unique l’identifiant. L’ensemble des identifiants
d’information morte est not´ee I “ t1, 2, . . .u et correspond l’ensemble des entiers
strictement positifs. L’ensemble des identifiants d’information ex´ecut´ee est not´ee
X “ t´1, ´2...u et correspond `a l’ensemble des entier strictement n´egatifs. En
th´eorie, il est possible de suivre autant d’information que souhait´e mais dans la
pratique l’impl´ementation imposera toujours une valeur maximale et minimale
des identifiants. Les identifiants sont repr´esent´es par des entiers sign´es de type
int dans la version actuelle de Blare. La taille des types varie selon l’architecture
du syst`eme (chapitre 11 de Linux Device Drivers [40]), ce qui rend impossible
de d´efinir une intervalle de valeur fixe pour les identifiants. Le tableau 3.1 liste
les intervalles de valeur pour un int selon le nombre de bits utilis´es pour le
stocker. Il est `a noter que le type int d´esigne un entier sign´e et le dernier bit
de sa repr´esentation en m´emoire est ainsi utilis´e pour coder son signe.
Si I et X sont deux ensembles distincts, il existe cependant une relation entre
leurs ´el´ements. Pour chaque ´el´ement n de I, ´n identifie la donn´e identifi´ee par
n lorsqu’elle est ex´ecut´ee dans un processus. Par exemple, si nous supposons que3.1. MODELE TH ` EORIQUE ´ 57
le contenu du fichier /system/bin/cat 1
est identifi´e par 1 alors le processus qui
ex´ecutera cat contiendra l’information identifi´ee par ´1.
Itag Le mod`ele de Blare marque chaque conteneur d’information par tag appel´e
itag pour caract´eriser son contenu. Sa valeur est un sous ensemble de I YX
et pour tout conteneur c, itagpcq “ ti1, . . . inu signigie que le contenu de c
contient les informations initialement identifi´ees par i1, . . . in.
@c P C, itagpcq P PpI Y Xq
3.1.3 Politique de flux d’information : pxqptag
Blare est param´etr´e par une politique de flux d’information. Cette politique
d´efinit les flux autoris´es entre les conteneurs d’information et est repr´esent´ee
par l’ensemble des ptags dans le syst`eme. A chaque conteneur d’information `
est ainsi associ´e un deuxi`eme tag : ptag. Le ptag d´efinit les diff´erents contenus
maximaux autoris´es pour le conteneur. Sa valeur est une collection de sousensemble
de I Y X et chacun de ses ´el´ements repr´esente un contenu maximal
l´egal pour le conteneur.
@c P C, ptagpcq P PpPpI Y Xqq
Le contenu courant d’un conteneur c est l´egal si itagpcq est inclus dans au
moins un des ´el´ements de ptagpcq. Le ptag d’un conteneur est nul par d´efaut. Le
conteneur n’a donc pas le droit d’acc´eder `a une donn´ee `a laquelle un identifiant
a ´et´e associ´e. Toute information n’ayant aucun identifiant associ´e est consid´er´e
comme non sensible et a le droit de se propager dans n’importe quel conteneur.
Le contenu de c est l´egal si De P ptagpcq tel que itagpcq Ď e
Par exemple, si le ptag d’un conteneur vaut tt1, 2u, t2, 3uu cela signifie que
l’ensemble des contenus l´egaux possibles pour ce conteneur sont H, t1u, t2u,
t3u, t1, 2u et t2, 3u.
Politique d’un programme, politique d’un processus : xptag
Une distinction importante est faite entre programme et processus. Toute
donn´ee pouvant ˆetre ex´ecut´ee dans le syst`eme est un programme tandis qu’un
processus est une instance d’un programme ou plus pr´ecis´ement une entit´e
ex´ecutant un programme. Le contenu d’un fichier com.android.browser.dex
est un exemple de programme Android et le processus com.android.browser
est une instance de ce programme.
1. cat est une application en ligne de commande qui concat`ene et affiche le contenu de
fichiers58 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
USER PID PPID NAME
root 1 0 /init
drm 179 1 /system/bin/drmserver
media 180 1 /system/bin/mediaserver
install 181 1 /system/bin/installd
keystore 183 1 /system/bin/keystore
radio 186 1 /system/bin/netmgrd
nobody 187 1 /system/bin/sensors.qcom
root 190 1 /system/bin/thermal-engine-hh
root 1678 1 /system/xbin/su
Figure 3.1 – Extrait de la sortie de la commande ps sous Android 4.4
xptag La politique d’un programme est exprim´ee par un troisi`eme tag appel´e
xptag qui est attach´e au conteneur stockant le programme. Tout comme le ptag,
le xptag est ´egalement une collection de sous-ensemble de I Y X. Il n’est pas
utilis´e pour v´erifier la l´egalit´e d’un contenu mais plutˆot `a calculer la valeur du
ptag des processus.
@c P C, xptagpcq P PpPpI Y Xqq
Un processus est une instance d’un programme `a l’ex´ecution. Dans les syst`emes
Unix/Linux, les processus peuvent ˆetre list´es avec la commande ps. La figure 3.1
pr´esente un extrait de la sortie de la commande ps sous Android. Les informations
d’int´erˆet sont celles de la premi`ere, la deuxi`eme et la derni`ere colonnes.
Chaque ligne liste des informations sur un processus. La premi`ere colonne identi-
fie l’utilisateur ex´ecutant le processus. La deuxi`eme colonne liste les identifiants
des processus. Enfin la derni`ere colonne liste les programmes ex´ecut´es par les
processus. Ainsi, le programme /init est ex´ecut´ee par l’utilisateur root dans
le processus identifi´e par 1.
Un processus ´etant le r´esultat de l’ex´ecution d’un programme par un utilisateur,
sa politique est calcul´ee `a partir de celle de l’utilisateur et celle du
programme qu’il ex´ecute. Nous noterons execpc, uq le processus r´esultant de
l’ex´ecution du programme c par l’utilisateur u par la suite. Plus pr´ecis´ement, la
politique d’un processus r´esulte de l’intersection de la politique de l’utilisateur
et de celle du programme qu’il souhaite ex´ecuter. Soient un programme c et un
utilisateur u. La politique associ´ee au processus execpc, uq est l’intersection des
´el´ements de la politique de c avec ceux de la politique de u.
@p P P rog et @u P U, ptagpexecpc, uqq “ tec X euu, ec P ptagpcq et eu P ptagpuqu
Parmi les processus list´es par la commande ps dans la figure 3.1 se trouve un
processus ex´ecut´e par l’utilisateur media et ex´ecutant le programme dans le fi-3.1. MODELE TH ` EORIQUE ´ 59
chier /system/bin/mediaserver. En supposant que la politique associ´ee respectivement
au programme et `a l’utilisateur soit tt1, 2, 3u, t3, 4uu et tt2, 3, 5u, t5, 12uu,
alors la politique associ´ee au processus serait tt2, 3uu. Cet unique ´el´ement de
la politique r´esulte de l’intersection du premier ´el´ement de la politique du programme
avec celui de l’utilisateur. Les autres intersections sont toutes vides.
Cela signifie que le processus peut contenir tout au plus les informations identifi´ees
par 2 et 3.
3.1.4 Suivi et contrˆole de flux d’information
Le contenu courant d’un objet et sa politique de flux sont repr´esent´es respectivement
par l’itag et le ptag attach´es `a l’objet. L’itag caract´erisant le contenu
courant d’un objet, sa valeur ´evoluera en fonction de l’´evolution du contenu de
l’objet auquel il est attach´e. Le ptag par contre lui n’´evoluera que si la politique
de flux d’information n’´evolue. Le suivi et le contrˆole de flux d’information se
fait en deux ´etapes. La premi`ere ´etape consiste `a la mise `a jour de l’itag de
l’objet dont le contenu a ´et´e modifi´e suite au flux observ´e. La deuxi`eme ´etape
consiste `a v´erifier la l´egalit´e du flux observ´e. Un flux est l´egal si le contenu
des objets modifi´es par le flux est l´egal. La v´erification de la l´egalit´e se fait en
comparant la nouvelle valeur de l’itag de l’objet modifi´e suite au flux avec la
politique associ´ee `a l’objet, `a savoir son ptag.
3.1.4.1 Suivi de flux d’information
Blare observe les ´ev`enements du syst`eme provoquant des flux d’information
et `a chaque flux observ´e, il met `a jour l’itag des objets dont le contenu a ´et´e
modifi´e par le flux. Ces flux peuvent ˆetre class´es dans diff´erents groupes comme
list´e dans le tableau 3.2. Chaque ligne d´ecrit l’interaction entre deux objets du
syst`eme causant un flux d’information et la mani`ere dont les tags sont mis `a
jours quand Blare observe le flux. Non seulement l’itag de l’objet modifi´e est
mis `a jour mais aussi son xptag, sauf dans le cas de l’ex´ecution d’un programme.
Le xptag repr´esente la politique d’un programme. Or un programme est une
donn´ee stock´ee dans un conteneur. Un programme peut ainsi ˆetre propag´e dans
le syst`eme lors des flux d’information. Afin de s’assurer que la politique d’un
programme reste associ´ee `a ce programme malgr´e le fait qu’il puisse ˆetre copi´e
dans d’autres conteneurs, Blare propage le xptag des fichiers en mˆeme temps
que l’itag du fichier.
A chaque fois Blare observe un flux d’information, il effectue une suraproxi- `
mation du flux observ´e. Il consid`ere le pire des cas qui est que le contenu entier
de la source du flux d’information s’est propag´e vers le conteneur destination.
Nous expliquons ci-dessous ces mises `a jour effectu´ees par Blare list´ees dans le
tableau 3.2.
Lorsqu’un processus p lit le contenu d’un conteneur f, Readpp, fq, Blare
consid`ere que le contenu de f s’est propag´e dans p. Le contenu du processus
est modifi´e par le flux et son itag change de valeur. Le pire des cas ´etant que
tout contenu de f se soit propag´e dans p, Blare consid`ere alors que le nouveau60 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
Type d’´ev`enement Description Mise `a jour des tags
Readpp, fq Lecture de f par p itagppq Ð itagppq Y itagpfq
xptagppq Ð xptagpfq X xptagppq
W ritepp, fq Ecriture de ´ f par p itagpfq Ð itagppqzX
xptagpfq Ð xptagppq
W riteapppp, fq Ecriture de ´ f par p itagpfq Ð pitagppqzXq Y itagpfq
xptagpfq Ð xptagpfq X xptagppq
Execpp, fq Ex´ecution du
contenu de f par p
itagppq Ð t´nu, n P itagpfq
ptagppq Ð xptagpfq
Table 3.2 – Blare : m´ethode de suivi de flux
contenu de p est un m´elange de son ancien contenu et du contenu de f. La
nouvelle valeur de l’itag de p est donc l’union de son ancien itag avec celui
de f. L’exemple typique de ce type de flux est la lecture d’un fichier par un
processus. Les fichiers ne sont cependant pas les seuls conteneurs d’information
du syst`eme `a partir duquel un processus peut lire des donn´ees. Un processus
peut ´egalement lire des donn´ees `a partir d’un socket ou d’un message via les files
de message [65]. Le conteneur f ne repr´esente donc pas uniquement un fichier
mais tout autre conteneur `a partir duquel un processus peut lire des donn´ees.
Lorsqu’un processus p ´ecrit dans un conteneur f, W ritepp, fq, Blare consid`ere
que les informations dans p se propagent vers le conteneur f. Le contenu de f
change et Blare met `a jour son itag. Le pire des cas ´etant que tout le contenu
de p se propage dans f, le nouveau contenu de f est en cons´equent un m´elange
de son ancien contenu avec le contenu de p `a l’exception des donn´ees ex´ecut´ees.
Blare consid`ere qu’un processus ne propage pas le code qu’il ex´ecute. Les identi-
fiants n´egatifs ne sont donc pas propag´es dans l’itag du destinataire. La nouvelle
valeur de l’itag de f est ainsi l’union de son ancienne valeur avec l’ensemble des
identifiants positifs dans l’itag de p.
Comme expliqu´e en section 3.1.2, les donn´ees sensibles ex´ecut´ees dans un
processus sont identifi´ees par un entier strictement n´egatif. Lorsqu’un processus
ex´ecute un programme, Blare consid`ere que son contenu courant est remplac´e
par le code provenant du fichier contenant le programme. Son itag devient ainsi
l’ensemble des valeurs n´egatives des identifiants pr´esents dans l’itag du fichier.
Les interactions entre les objets d’un syst`eme ne se limite `a la lecture, ´ecriture
et l’ex´ecution. D’autres ´ev`enements tels que la cr´eation de conteneur ou l’envoi
de signaux existent ´egalement. Ces ´ev`enements n’engendrent pas de flux
d’information explicites entre les objets et sont ignor´es par Blare. Il est cependant
techniquement possible de se servir de ces ´ev`enements pour faire fuir des
informations et ainsi ´echapper au contrˆole effectu´e par Blare.
3.1.4.2 Contrˆole de flux d’information
Un flux d’information est l´egal si le contenu de l’objet qui a ´et´e modifi´e par
le flux est l´egal. Le contrˆole d’un flux d’information se fait en deux ´etapes.3.1. MODELE TH ` EORIQUE ´ 61
c1 c2 ptag = {{1, 2, 3}} ptag = {{1,2}, {2,3}}
itag = {3} itag = {1}
c1 c2 ptag = {{1,2}, {2,3}}
itag = {3} itag = {1,3}
c1 c2 ptag = {{1,2}, {2,3}}
itag = {3} itag = {1,3}
(a)
(b)
(c)
ptag = {{1, 2, 3}}
ptag = {{1, 2, 3}}
Figure 3.2 – Exemple de contrˆole de flux d’information effectu´e par Blare
1. Mise `a jour de l’itag de l’objet dont le contenu a ´et´e chang´e.
2. Contrˆole de la l´egalit´e du nouveau contenu de l’objet modifi´e par le flux.
Si le contenu est ill´egal alors, Blare consid`ere que le flux observ´e est ill´egal
et l`eve une alerte.
La figure 3.2 illustre un exemple de contrˆole de flux lorsque Blare observe la
lecture d’un fichier c1 par un processus c2. (a) Les deux conteneurs sont marqu´es
pr´ealablement avant la lecture. (b) Lors de la lecture du fichier, Blare consid`ere
que le contenu de c1 se propage vers c2. Il met ainsi `a jour la valeur de itagpc2q
comme d´ecrit dans le tableau 3.2 pour la lecture de fichier. La valeur de itagpc2q
devient t2, 3u. (c) Apr`es la mise `a jour de l’itag, Blare contrˆole la l´egalit´e du
nouveau contenu afin de d´eterminer si le flux observ´e est l´egal ou non. Il n’existe
pas d’´el´ement de ptagpc2q qui inclut itagpc2q. Le nouveau contenu est ill´egal, ce
qui signifie que le flux observ´e est ill´egal. Une alerte est donc lev´ee.
Blare est outil de d´etection d’intrusion param´etr´e par une politique de flux
d’information. Pour d´etecter une intrusion, il faut ainsi dans un premier temps
d´efinir une politique de s´ecurit´e qui identifie les informations `a prot´eger et o`u
ces informations ont le droit de se propager. Dans la section suivante, nous
pr´esentons une mani`ere de d´efinir cette politique de flux sous Android.62 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
3.2 D´efinition d’une politique de flux d’information
Prot´eger un syst`eme avec un outil tel que Blare signifie qu’il faut dans un
premier temps d´efinir une politique de s´ecurit´e. Dans le cas de Blare, cette
politique est une politique de flux d’information. Elle identifie les informations
`a prot´eger et comment les prot´eger, c’est-`a-dire la liste des conteneurs o`u elles
ont le droit de se propager. D´efinir une politique de flux d’information pour
Blare se r´esume en quatre ´etapes.
1. Identifier les informations sensibles `a prot´eger.
2. Associer `a chacune de ces informations un identifiant unique.
3. Identifier les conteneurs l´egaux pour ces informations.
4. D´efinir la valeur des ptags `a associer `a ces conteneurs.
Il existe deux approches pour d´efinir la politique de s´ecurit´e. La premi`ere
consiste `a la calculer `a partir d’une autre politique existante telle qu’une politique
de contrˆole d’acc`es. Dans [56], Geller et al. ont propos´e un algorithme
qui transforme une politique de contrˆole d’acc`es mandataire App Armor en une
politique de flux d’information Blare. Les politiques App Armor d´efinissent des
profils de programme limitant leur acc`es aux autres objets du syst`eme tels que
les fichiers. L’algorithme propos´e prend en entr´ee un ensemble de profils App
Armor et donne en sortie leur ´equivalent en terme de politique Blare. Cette
approche a le m´erite d’ˆetre automatique et rapide mais elle ne permet pas d’exploiter
toute l’expressivit´e d’une politique Blare. Un exemple de ce manque
d’expressivit´e est la restriction sur les m´elanges d’information. Un conteneur a
le droit d’acc´eder aux informations i et j mais n’a pas le droit de les m´elanger,
c’est-`a-dire que le conteneur contient soit i soit j mais pas les deux en mˆeme
temps. Le listing 3.1 pr´esente une politique App Armor pour le programme
apache. Cette politique autorise le programme `a lire le contenu des fichiers
apache2.conf et index.php. La politique de flux qui peut ˆetre d´eduite de cette
politique est que les donn´ees dans les deux fichiers ont tout deux le droit de se
propager vers le programme apache. Cependant, le propri´etaire du contenu de
ces deux fichiers peut souhaiter que le contenu de ces fichiers ne se m´elangent
pas. Cette contrainte ne peut-ˆetre exprim´ee avec une politique App Armor et
une politique de flux exprimant une telle restriction ne peut donc ˆetre calcul´ee
`a partir d’une politique App Armor.
{/usr/bin/apache,
{(/etc/apache2.conf, w),
(/etc/apache2.conf, r),
(/www/index.php,r), (/usr/bin/ftpd, px)}
}
Listing 3.1 – Exemple de politique App Armor3.2. DEFINITION D’UNE POLITIQUE DE FLUX D’INFORMATION ´ 63
La deuxi`eme approche consiste `a d´efinir manuellement la politique de flux
d’information. Cette approche est plus longue car elle implique une analyse
compl`ete du syst`eme mais permet d’exploiter toute l’expressivit´e d’une politique
Blare.
Construction manuelle d’une politique pour Android
Dans [16], nous avons propos´e une politique de flux d’information pour le
syst`eme Android. La politique a ´et´e construite `a la main en se basant sur une
analyse manuelle du syst`eme. Le but ´etait de fournir une politique `a taille r´eelle
pour un syst`eme entier. Comme ´ecrit pr´ec´edemment, la d´efinition d’une politique
de flux se fait en quatre ´etapes.
La premi`ere ´etape est l’identification des informations sensibles `a surveiller.
Nous avons construit la liste des informations sensibles `a partir des donn´ees que
nous avons jug´ees sensibles sur le syst`eme Android. Ces informations incluent les
donn´ees li´ees `a l’utilisateur (ex : liste de contact et donn´ees de g´eolocalisation)
mais aussi celles li´ees aux applications (ex : code et param`etres de configuration).
Les donn´ees sensibles ont ´et´e identifi´ees en analysant manuellement le contenu
des fichiers sur le syst`eme et en prenant en compte celles qui sont prot´eg´ees par
le m´ecanisme de permission. Notre politique recense 150 informations sensibles
m´elangeant donn´ees non ex´ecut´ees et code ex´ecut´e `a l’int´erieur des processus. Il
existe encore plus d’information sur un syst`eme Android 2 mais nous avons jug´e
cette quantit´e d’information `a surveiller suffisante pour construire une politique
de flux d’information pour tout un syst`eme.
La deuxi`eme ´etape consiste `a identifier les conteneurs d’information. La liste
des fichiers et programmes install´ees sur un syst`eme Android est assez simple `a
construire. Grˆace `a la commande find, nous pouvons lister tous les fichiers du
syst`eme. Quant aux applications, les applications livr´ees sous forme d’apk sont
connues grˆace `a la commande pm et les applications natives sont stock´ees dans
/system/bin et /system/xbin. La liste des utilisateurs est elle par contre moins
´evidente `a construire car contrairement `a un syst`eme Linux standard, il n’existe
pas de fichier /etc/passwd ni de fichier /etc/shadow. Android d´efinit en dur
un ensemble restreint d’utilisateur n´ecessaire au fonctionnement de base du
syst`eme tels que root, radio et system. Puis pour chaque application non native
install´ee sur le syst`eme, il associe un utilisateur unique. Pour ´etablir la liste des
utilisateurs associ´es aux applications, nous nous sommes bas´es sur le contenu
des fichiers /data/system/packages.list ou /data/system/packages.xml.
Ils recensent les informations li´ees aux applications install´ees sur le t´el´ephone
dont l’utilisateur qui leur associ´e.
Une fois les donn´ees sensibles et conteneur identifi´es, nous avons ensuite
construit la politique de flux. La politique de chaque programme a ´et´e construite
en analysant ses sources pour comprendre `a quelles informations il acc`ede. La
politique de chaque utilisateur a ´et´e obtenue en faisant l’union des politiques
des programmes qu’il peut ex´ecuter. Dans la plupart des cas, il n’y aura qu’un
2. Il existe plus des milliers de fichiers r´eguliers lors de l’ex´ecution du syst`eme.64 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
Identifiant des informations
11 -44 10 6 -55 -39 3 9 37 -37
Fichiers
calendar.db ˆ
contacts2.db ˆ ˆ
mms.db ˆ
telephony.db ˆ
TelephonyProvider.apk ˆ
Programmes
com.android.calendar ˆ ˆ
com.android.providers.contact
ˆ ˆ ˆ
com.android.providers.telephony
ˆ ˆ ˆ
Utilisateurs
10024 ˆ ˆ
10004 ˆ ˆ ˆ ˆ
1001 ˆ ˆ ˆ
Table 3.3 – Un extrait de la politique de flux d’information
seul programme car en dehors des utilisateurs syst`eme les autres utilisateurs
n’ex´ecuteront que l’application `a laquelle ils ont ´et´e associ´es. La politique des
fichiers a ´et´e construite `a partir des donn´ees qu’elles contiennent lors de l’analyse
et de la politique des programmes qui y acc`edent. Si une donn´ee sensible a ´et´e
trouv´ee dans un fichier, nous avons suppos´e que ce fichier avait le droit de
contenir la donn´ee. A ces donn´ees s’ajoutent celles auxquelles les applications `
qui ont le droit d’´ecriture au fichier peuvent acc´eder. Nous avons suppos´e que
toute application avait le droit de stocker les donn´ees contenues dans les fichiers
auxquels l’application a un acc`es l´egal. G´en´eralement, il s’agit des fichiers dans
le r´epertoire local de l’application. Pour les 150 informations identifi´ees lors de
la premi`ere ´etape, nous avons identifi´e 186 conteneurs d’information pouvant
acc´eder `a ces informations o`u les stocker. La politique contient donc 186 ptags.
La politique finale a ´et´e repr´esent´ee sous la forme d’une matrice dont un
extrait est pr´esent´ee dans le tableau 3.3. Le chemin complet des fichiers a ´et´e
omis pour une meilleure lisibilit´e. Une croix `a l’intersection d’une ligne et d’une
colonne signifie que le conteneur correspondant `a la ligne a le droit de stocker
l’information correspondant `a la ligne. L’ensemble des croix sur une ligne l
d´etermine ainsi le contenu maximal autoris´e pour le conteneur correspondant `a
l. L’utilisateur 10004 (avant derni`ere ligne) a par exemple le droit d’acc´eder aux
informations identifi´ees par 6, 10, ´39 et ´55. Autrement dit, son ptag vaut
tt´55, ´39, 6, 10uu.
Si la pertinence de la politique n’a pas ´et´e ´evalu´ee dans ce travail, le travail
effectu´e a cependant permis de mettre en ´evidence deux points. Le premier est3.3. KBLARE : SUIVI ET CONTROLE DE FLUX VIA LSM ˆ 65
la difficult´e de la cr´eation de la politique `a la main car elle a n´ecessite une
analyse compl`ete du syst`eme pour identifier les informations sensibles et leurs
conteneurs l´egaux. Le deuxi`eme point est le nombre d’information sensible sur
le syst`eme. Contrairement `a ce que les permissions Android pourraient laisser
croire, il peut y avoir un nombre assez cons´equent d’information sensible sur le
syst`eme. La politique que nous avons construite recense 150 informations mais
il y a encore plus d’information que cela dans un syst`eme.
3.3 KBlare : suivi et contrˆole de flux via LSM
Le cœur de Blare a ´et´e d´evelopp´ee en tant que module de s´ecurit´e Linux.
Il r´eside dans le noyau et est appel´e KBlare. Dans le reste du document, nous
d´esignons par KBlare l’impl´ementation de Blare dans le noyau et Blare tout
l’environnement d’ex´ecution Blare (KBlare plus les outils en espace utilisateur
li´e `a Blare). Les flux d’information au niveau du syst`eme se font via les interactions
entre les objets du syst`eme et plus pr´ecis´ement via les appels syst`eme
effectu´es par les processus. Pour contrˆoler les flux d’information, KBlare intercepte
ainsi les appels syst`eme en utilisant les hooks LSM [103, 102]. LSM est
un framework de s´ecurit´e dans le noyau utilis´e pour impl´ementer les modules
de s´ecurit´e Linux. Les hooks sont des appels aux modules de s´ecurit´e du noyau.
Ils sont plac´es dans le flux d’ex´ecution des appels syst`eme afin que les modules
de s´ecurit´e puisse intercepter et contrˆoler ces appels. Pour intercepter un appel
syst`eme, un module de s´ecurit´e enregistre une fonction `a associer au hook correspondant
`a l’appel syst`eme. A chaque fois que ce ` hook est atteint, le noyau
appelle la fonction enregistr´ee afin que le module de s´ecurit´e effectue le contrˆole
souhait´e.
La figure 3.3 illustre le fonctionnement g´en´eral de LSM. Lors d’un appel
syst`eme, le noyau v´erifie si l’acc`es demand´e est autoris´e pour le processus effectuant
l’appel. Il commence par v´erifier la conformit´e avec la politique DAC
du syst`eme. Ensuite, il donne la main `a LSM qui lui demande au module de
s´ecurit´e actif 3
s’il autorise ou non l’acc`es demand´e. Cette ´etape correspond au
moment o`u un hook est atteint dans le flux de traitement de l’appel syst`eme.
La fonction enregistr´ee au hook est ainsi appel´ee et statue si l’acc`es est autoris´e.
Lorsqu’un processus fait un appel syst`eme, KBlare intercepte l’appel, calcule le
flux correspondant, met `a jour les tags des objets modifi´es et contrˆole la l´egalit´e
du flux observ´e. KBlare se contente cependant de d´etecter les intrusions mais ne
les pr´evient pas. Mˆeme en cas de violation de la politique de flux d’information,
il autorise le noyau `a continuer le traitement de l’appel syst`eme.
Le tableau 3.4 liste les hooks utilis´es par KBlare dont l’op´eration correspondante
peut engendrer des flux d’information. La premi`ere colonne liste les
hooks, le deuxi`eme les op´erations intercept´ees via le hook et la derni`ere colonne
les types de flux que KBlare peut observer. D’autres hooks sont utilis´es pour
le fonctionnement interne de KBlare mais les op´erations correspondantes n’induisent
aucun flux d’information.
3. En g´en´eral un seul module LSM est actif66 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
process
Syscall #n
Security
module
DAC
LSM
User space
Kernel space
exec syscall
authorize?
Figure 3.3 – Design de Linux Security Module3.3. KBLARE : SUIVI ET CONTROLE DE FLUX VIA LSM ˆ 67
Hook Op´eration Flux possible observ´e
file permission Lecture/´ecriture `a un fi-
chier ouvert
Entre le processus et le
fichier acc´ed´e
file mmap Chargement en m´emoire
du contenu d’un fichier
Du fichier vers le processus
inode permission Acc`es `a un i-node Entre un pipe et un processus
bprm set creds Ex´ecution d’une application
native
Du fichier contenant
l’application vers le
processus
socket sock rcv skb R´eception d’un paquet
r´eseau
De paquet re¸cu vers le
processus
socket sendmsg Envoi d’un message
dans un socket r´eseau
Du processus vers le socket
et le paquet
socket recvmsg R´eception d’un message
via un socket
Du socket vers le processus
unix may send Envoi d’un message via
un socket UNIX
Du processus vers le socket
UNIX
msg queue msgrcv R´eception d’un message
via une file de message
Du processus vers le
message envoy´e
msg queue msgsnd Envoi d’un message
dans une file de message
Du message re¸cu vers
le processus destinataire
du message
Table 3.4 – Liste des hooks LSM utilis´es par KBlare pouvant engendrer un flux
d’information
Stockage des tags
KBlare repr´esente les tags des objets du syst`eme avec des structures contenant
l’itag, le ptag et le xptag associ´es aux objets. En dehors des hooks, LSM a
´egalement modifi´e les structures repr´esentant les objets du syst`eme pour ajouter
un champ appel´e security. Ce champ est un pointeur g´en´erique destin´e `a
ˆetre utilis´e par les modules de s´ecurit´e. KBlare utilise ce champ pour stocker le
pointeur vers la structure repr´esentant les tags.
Les structures repr´esentant l’ensemble des tags existent uniquement en m´emoire
et n’existent donc que le temps d’un cycle d’ex´ecution du syst`eme. Afin
de stocker de mani`ere persistante les tags associ´es aux fichiers, KBlare stocke
´egalement leurs tags dans les attributs ´etendus des fichiers. Les attributs ´etendus
sont des zone de m´emoire sur le disque qui sont utilis´ees par les syst`emes de
fichier pour stocker des m´eta-donn´ees li´ees aux fichiers.68 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
KBlare contrˆole les flux d’information en interceptant les appels syst`eme
et pour intercepter les appels syst`eme il utilise les hooks LSM. Ces appels permettent
les interactions entre les objets du syst`eme : acc`es aux fichiers, ex´ecution
de code natif et communication entre processus. Le noyau d’Android est bas´e
sur celui de Linux mais contient des fonctionnalit´es en plus. Dans la section
suivante, nous pr´esentons comment nous avons modifi´e KBlare afin de prendre
en compte les fonctionnalit´es sp´ecifiques `a Android.
3.4 AndroBlare : Blare sous Android
Le premier apport de cette th`ese est le portage de Blare sous Android. Nous
avons montr´e pr´ec´edemment que Blare contrˆolait les flux d’information traduisant
les acc`es aux fichiers, les ex´ecution de code et les communications entre
processus. Ces contrˆoles sont bas´es uniquement sur les interactions possibles
entre les objets du syst`eme sous Linux. Or, Android int`egre des fonctionnalit´es
qui lui sont propres pouvant engendrer des flux d’information. Ces fonctionnalit´es
sont l’ex´ecution des applications par les machines virtuelles Dalvik et les
communications via le Binder.
Le Binder est un m´ecanisme de communication impl´ement´e principalement
dans le noyau Android. Il est la base des communications entre processus propos´es
par le framework Android tels que les intents. Android n’utilise pas
les m´ecanismes de communication offerts par Linux. Les communications entre
applications ´etaient donc invisibles `a KBlare.
Les applications que nous avons d´esign´ees par la couche Applications sur
la figure 2.1 sont livr´ees sous la forme de dalvik bytecode et interpr´et´ees par la
machine virtuelle Dalvik. Elles ne sont donc pas ex´ecut´ees de mani`ere native.
A leur ` ex´ecution, le processus contenant la machine virtuelle qui va interpr´eter
le code n’effectue pas d’appel syst`eme execve mais se contente de lire puis
charger le code de l’application en m´emoire. Aucun appel syst`eme traduisant
l’ex´ecution d’une application n’ayant lieu, KBlare ne voyait donc pas l’ex´ecution
des applications. En cons´equent, aucune politique ne pouvait ˆetre appliqu´ee aux
applications Android et aucun processus n’´etait marqu´e comme ex´ecutant une
application lorsque le code de cette application ´etait associ´ee `a un identifiant.
Limitations de Blare
(1) Il n’y avait aucune visibilit´e sur les communications entre
applications Android.
(2) KBlare ne d´etectait pas l’ex´ecution des applications Android.
Les tags des processus n’indiquaient jamais l’ex´ecution
d’une application dont le code est sensible et aucune politique
ne pouvait ˆetre appliqu´ee aux applications.
Dans ce qui suit, nous pr´esentons comment nous avons modifi´e Blare pour
combler ce manque de visibilit´e au niveau des flux d’information sous An-3.4. ANDROBLARE : BLARE SOUS ANDROID 69
droid. Nous pr´esentons le fonctionnement du Binder puis comment nous avons
impl´ement´e le suivi des flux d’information via ce m´ecanisme. Ensuite, nous expliquons
comment les applications Android sont ex´ecut´ees et comment nous
avons ajout´e a prise en compte de leur ex´ecution dans Blare.
3.4.1 Communication entre processus : Binder
3.4.1.1 Fonctionnement
Les applications Android tournent dans des processus distincts mais communiquent
souvent entre elles grˆace `a divers m´ecanismes IPC tels que les intents
et les Content Providers. Ces m´ecanismes sont fournis par le framework Java
Android mais se basent tous `a un niveau plus bas sur le Binder. Le Binder est un
m´ecanisme IPC qui permet `a une application d’appeler une m´ethode distante,
c’est-`a-dire impl´ement´ee au sein d’une autre application tournant dans un autre
processus. Le cœur de ce m´ecanisme est impl´ement´e dans le noyau sous forme
de driver 4 dans le noyau. Par la suite nous adopterons les termes suivants. Le
Binder fait r´ef´erence au code du Binder dans le noyau. Un service est une application
dont les m´ethodes peuvent ˆetre appel´ees par d’autres applications. Un
client est une application qui appelle une m´ethode d’un service.
La figure 3.4 illustre le fonctionnement du binder lors de l’appel d’une
m´ethode distante. Tout client doit avoir une r´ef´erence du service impl´ementant
la m´ethode qu’il souhaite invoquer. Le client commence ainsi par demander la
r´ef´erence du service cibl´e `a un autre service appel´e Context. Context, impl´ement´e
sous Android par le Service Manager, est un service d’annuaire qui fait correspondre
`a chaque nom de service une r´ef´erence unique. Chaque service doit
s’enregistrer aupr`es du Service Manager afin que ses m´ethodes puissent ˆetre invoqu´ees
par d’autres applications. Lorsqu’un client souhaite obtenir la r´ef´erence
d’un service, il appelle ainsi la m´ethode getService du Service Manager en lui
donnant en argument le nom du service. Une fois la r´ef´erence du service obtenu,
le client appelle la m´ethode. L’invocation de la m´ethode n’est pas directe. Le
client ne communique pas directement avec le serveur mais transmet l’appel au
binder qui lui le transmet au serveur. Une fois l’appel re¸cu puis ex´ecut´e par le
serveur, ce dernier renvoie le r´esultat au binder qui lui le transmet au client.
3.4.1.2 Impl´ementation du Binder dans le noyau
Techniquement parlant, le Binder est impl´ement´e sous forme de driver dans
le noyau. Cela signifie qu’il est pr´esent´e dans l’espace utilisateur en tant que
fichier, /dev/binder, et que les seules interactions possibles sont des appels
syst`eme sur ce fichier. Le listing 3.2 liste les op´erations sur les fichiers, voir le
chapitre 3 de [40], support´es par Binder. Elles sont list´es dans une structure
appel´ee file operations qui associe `a chaque op´eration support´ee la fonction
correspondante. Par exemple, la valeur du champ open correspond `a la fonc-
4. /drivers/staging/android/binder.c70 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
Client App Context Binder Driver Service App
get service
service ref
call func(param)
relay call func(param)
call return
relay call return
Figure 3.4 – Appel d’une m´ethode distante grˆace au Binder
tion, ici binder open, qui sera appel´ee `a chaque fois qu’un processus ouvre
/dev/binder.
Celle qui a int´erˆet pour nous est la fonction binder ioctl (listing 3.3). Elle
est appel´ee quand un processus effectue un appel syst`eme ioctl et prend les
arguments de l’appel syst`eme. Le deuxi`eme argument de la fonction, cmd, correspond
`a la commande `a ex´ecuter par le Binder. Binder reconnaˆıt 5 commandes.
— BINDER WRITE READ est la commande la plus importante. Elle sert `a l’envoi
et r´eception de donn´ees.
— BINDER SET MAX THREADS d´efinit le nombre maximal de threads par processus
pour traiter les messages re¸cus via le Binder.
— BINDER SET CONTEXT MGR d´efinit le Context Manager. Une fois d´efini, il
ne peut ˆetre modifi´e.
— BINDER THREAD EXIT notifie l’arrˆet d’un thread utilis´e pour le traitement
des messages re¸cus via le Binder.
— BINDER VERSION retourne le num´ero de version du Binder.
Lorsqu’un processus envoie la commande BINDER WRITE READ dans le but
d’envoyer des donn´ees, il d´efinit une deuxi`eme commande pr´ecisant le type
d’envoi. Il existe 14 commandes 5
li´ees `a l’envoi de donn´ees mais seules deux
d’entre elles correspondent `a l’envoi des transactions : BINDER TRANSACTION
et BINDER REPLY. BINDER TRANSACTION correspond `a l’´emission d’une transaction
d’un processus client appelant une m´ethode distante. BINDER REPLY correspond
`a l’envoi du r´esultat de l’appel par le processus ayant ex´ecut´e la fonction.
L’envoi d’un message ayant un de ces deux types initie l’appel `a la fonction
binder transaction qui impl´emente la troisi`eme et la cinqui`eme ´etapes de l’appel
d’une m´ethode distante comme d´ecrit sur la figure 3.4 : call func(param)
et call return. Toute action ex´ecut´ee par le noyau se fait dans le contexte
5. Voir la fonction binder thread write3.4. ANDROBLARE : BLARE SOUS ANDROID 71
d’un processus `a l’exception des interruptions 6
. Dans le cas des appels syst`eme,
le contexte d’ex´ecution est celui du processus ayant fait l’appel ce qui signifie
que l’envoi des transactions se fait dans le contexte de l’´emetteur.
Lorsque le Binder transmet une transaction `a un processus, il l’ajoute `a une
liste de tˆache `a traiter par ce processus. Les processus en attente de transaction
consultent ainsi cette liste de tˆache pour traiter les transactions qui lui ont
´et´e transmises grˆace `a la commande BINDER WRITE READ. Chacune des tˆaches a
un type d´efini. Il existe 6 types de tˆache en tout dont BINDER WORK TRANSACTION
qui correspond au traitement d’une transaction en attente. A la r´eception `
d’une tˆache de ce type, les informations li´ees `a la transaction sont envoy´ees au
processus en espace utilisateur afin qu’il puisse ex´ecuter l’appel.
Le Binder est le cœur des IPC sous Android mais son usage n’´etait pas
contrˆol´e par KBlare. Il y a deux raisons `a cela. La premi`ere est que son usage
se fait via l’appel syst`eme ioctl or KBlare n’utilise pas le hook permettant
d’intercepter cet appel. La deuxi`eme raison est que Binder est un m´ecanisme
propre `a Android. Aucun travail ne s’est donc int´eress´e `a ´etendre LSM afin de
pouvoir contrˆoler l’usage du Binder au moment o`u nous nous sommes int´eress´es
au Binder durant la th`ese. A cause de ces raisons, KBlare ignorait les flux `
d’information via le Binder et ne pouvait observer les communications entre
applications Android. Nous pr´esentons dans la section qui suit comment KBlare
a ´et´e ´etendu pour suivre les flux d’information caus´es par son usage.
1 static const struct file_operations binder_fops =
2 {
3 .owner = THIS_MODULE,
4 .poll = binder_poll,
5 .unlocked_ioctl = binder_ioctl,
6 .mmap = binder_mmap,
7 .open = binder_open,
8 .flush = binder_flush,
9 .release = binder_release,
10 };
Listing 3.2 – Liste des op´erations sur les fichiers support´ees par Binder
1 static long binder_ioctl(struct file *filp, unsigned int cmd, unsigned long arg);
Listing 3.3 – Signature de la fonction binder ioctl
6. Ce n’est jamais notre cas dans le Binder72 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
3.4.2 Suivi de flux d’information dans le Binder
Pour suivre les flux d’information li´ees aux transactions via le Binder, deux
solutions ont ´et´e envisag´ees. La premi`ere solution est d’intercepter l’appel syst`eme
ioctl grˆace au hook file ioctl. Cette solution est limit´ee car elle ne
permettrait de voir que l’interaction entre les processus et /dev/binder. Or nous
avons expliqu´e que le v´eritable flux s’op´erait entre processus et non entre un
processus et /dev/binder. Cette limitation pourrait cependant ˆetre contourn´e
en impl´ementant tout le m´ecanisme de traitement des commandes envoy´ees via
ioctl au Binder mais cette approche est assez lourde.
La deuxi`eme solution, celle que nous avons retenu, consiste `a ´etendre LSM
afin de permettre aux modules de s´ecurit´e de contrˆoler l’envoi et la r´eception des
transactions via le Binder. L’extension de LSM que nous avons apport´e consiste
`a rajouter un champ security `a la structure repr´esentant les transactions et
deux nouveaux hooks pour intercepter l’envoi et la r´eception de transaction.
Tout comme les messages envoy´es dans les files de message, nous consid´erons que
les transactions sont des conteneurs volatiles. Nous avons ainsi ajout´e un champ
g´en´erique security `a la structure les repr´esentant. KBlare utilisera ensuite ce
champ pour r´ef´erencer les tags associ´es `a la transaction. Les deux nouveaux
hooks ont ´et´e rajout´es dans le code de Binder 7
. Quant aux hooks, nous les avons
ajout´e dans le corps du Binder pour intercepter les ´echanges de transaction.
Plus pr´ecis´ement, nous avons ajout´e un hook pour intercepter l’envoi d’une
transaction et une autre pour la r´eception. Sous Android, KBlare utilise ces
hooks pour suivre et contrˆoler les flux d’information 8 via le Binder.
Interception de l’envoi d’une transaction binder transaction write
Nous avons ins´er´e ce hook dans le corps de la fonction binder transaction.
Cette fonction est utilis´ee par Binder pour transmettre les transactions ´emises
par les processus. C’est dans cette fonction que la nouvelle tˆache correspondant
`a la transaction est ajout´ee `a la liste de tˆache en attente du destinataire. Le
hook est ins´er´e avant l’ajout de la nouvelle tˆache.
Dans KBlare, nous avons d´eclar´e une fonction correspondant `a ce hook qui
propage les tags du processus vers la transaction. La fonction cr´ee une instance
de la structure contenant le tag des conteneurs d’information, l’associe `a la transaction
et copie les tags du processus (itag et xptag) vers la structure contenant
les tags de la transaction. Nous consid´erons que les transactions ont le droit de
contenir n’importe quelle information. Aucun contrˆole n’est ainsi effectu´e.
Interception de la r´eception d’une transaction binder thread read
Le deuxi`eme hook est ins´er´e dans le corps de la fonction binder thread
read. Cette fonction est utilis´ee pour r´ecup´erer et transmettre au processus
destinataire en espace utilisateur les tˆaches dans la liste d’attente. La fonction
7. drivers/staging/android/binder
8. Fonctions correspondantes impl´ement´ees dans security/blare/binder ops.c3.4. ANDROBLARE : BLARE SOUS ANDROID 73
associ´ee `a ce hook propage les tags (itag et xptag) associ´es `a la transaction vers
le processus destinataire. Un contrˆole de la l´egalit´e du flux est effectu´ee. Si le flux
est ill´egal alors une alerte est lev´ee. Afin que l’alerte soit plus compr´ehensible,
le flux correspondant `a l’alerte est d´ecrite comme un flux de processus ayant
´emis la transaction vers le processus destinataire. De plus, une transaction est un
conteneur volatile impl´ement´e sous la forme d’une structure uniquement connue
du noyau. Sa description dans une alerte n’apportera ainsi aucune information
utile `a un analyste. Selon les transactions, les informations li´ees `a l’´emetteur ne
sont pas ajout´ees dans la transaction. C’est le cas, par exemple des r´eponses
retourn´ees par un appel distant. Nous avons modifi´e le Binder afin que cette
information soit toujours comprise dans la transaction.
Remarque sur le suivi de flux d’information dans le Binder
Une autre mani`ere de propager les tags entre les processus aurait ´et´e de
le faire directement `a l’envoi de la transaction par le processus ´emetteur. Cependant,
nous avons opt´e pour un suivi de flux en deux temps. Les tags sont
propag´es du processus ´emetteur vers la transaction puis de la transaction vers
le processus destinataire. Chaque action effectu´ee par le noyau se fait toujours
dans le contexte d’un processus. Pour les appels syst`eme, il s’agit du processus
ayant effectu´e l’appel syst`eme. Lors de l’envoi de la transaction, le Binder
s’ex´ecute ainsi dans le contexte du processus ´emetteur. Propager directement
les tags `a l’envoi signifie modifier la structure associ´ee au processus destinataire
tout en ´etant dans le contexte de l’´emetteur. Cette pratique n’est cependant
pas conseill´ee dans la programmation noyau. Nous aurions ´egalement pu faire
la propagation lors du traitement des tˆaches de la liste d’attente. Cela se fait
dans le contexte du processus destinataire mais le risque est la possibilit´e de
changement du contenu du processus ´emetteur entre l’envoi et la r´eception de la
transaction. Cela pourrait par exemple permettre d’´echanger des donn´ees tout
en faisant croire `a KBlare qu’aucune d’entre elles n’est sensible.
En optant pour la propagation en deux temps des tags, nous ne modifions
pas la structure d’un processus autre que celui qui sert de contexte d’ex´ecution
et nous maintenons une coh´erence entre les identifiants des informations partant
du processus ´emetteur et ceux des informations r´ecup´er´ees par le destinataire.
Afin de prendre en compte les flux d’information s’op´erant via le Binder,
nous avons ´etendu le framework LSM. Nous avons ajout´e deux nouveaux hooks
permettant d’intercepter l’envoi et la transmission des transactions. Dans le
code du Binder, les transactions repr´esentent les appels de m´ethodes distantes
ainsi que le retour de ces appels. Nous avons ensuite ajout´e deux fonctions
suppl´ementaires `a KBlare qui correspondent `a ces nouveaux hooks et effectuent
la propagation des tags entre les applications qui communiquent via le Binder.74 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
3.4.3 Ex´ecution des applications Android
3.4.3.1 Interpr´etation de code vs ex´ecution
Dans Blare, la prise en compte de l’ex´ecution d’un code se fait en interceptant
les appels syst`eme execve et mmap quand la page est marqu´ee comme
´etant ex´ecutable. Sous Android, `a l’exception des applications n´ecessaires au
fonctionnement syst`eme, les applications tournent au sein d’instance de la machine
virtuelle dalvik. Pour comprendre comment ces instances sont cr´e´ees, il
est n´ecessaire de comprendre la s´equence de d´emarrage d’Android. La figure 3.5
illustre cette s´equence.
Comme pour les syst`emes de type Linux, le premier processus lanc´e est
init qui est en charge d’initialiser l’environnement Android. Les initialisations
qu’il effectue sont d´efinies dans les fichiers init.*rc `a la racine du syst`eme
de fichier. Il d´efinit par exemple les variables d’environnement et monte les
partitions. Il lance ´egalement les diff´erents processus d´emons du syst`eme tels
que servicemanager, surfaceflinger et Zygote. A son lancement, ce dernier `
lance une instance de la machine virtuelle dalvik, cr´ee un socket serveur, charge
un ensemble de ressources et classes Java, se duplique pour cr´eer le processus
system server et attend les connexions sur le socket cr´e´e. System server est le
processus qui ex´ecute les diff´erents services du syst`eme (ex : Activity Manager).
A sa cr´eation, il les lance donc et les enregistre aupr`es de ` servicemanager afin
qu’ils puissent ˆetre appel´es par les diff´erentes applications du syst`eme.
Zygote est un processus cl´e pour l’ex´ecution des diff´erentes applications Android
car c’est `a partir de ce processus que les autres applications sont lanc´ees.
Par exemple, lorsque l’utilisateur lance une nouvelle application via le menu
principal du t´el´ephone, l’application Lancher appelle la fonction startActivity
d´efinie dans Activity Manager. A l’ex´ecution de la m´ethode, ce dernier envoie `
une requˆete `a Zygote pour lancer l’application. A la r´eception de la requˆete, ce `
dernier se duplique 9
et lance dans le processus fils la nouvelle application.
Au l’ex´ecution d’une nouvelle application, le processus l’ex´ecutant charge le
code de l’application en m´emoire. Ce code est sous format dalvik et n’est pas
ex´ecut´e, comprendre via l’appel syst`eme execve ou mmap et marqu´e ex´ecutable,
mais charg´e comme une simple donn´ee en m´emoire. L’ex´ecution des applications
se traduit par la lecture de leur code en m´emoire et son interpr´etation par la
machine virtuelle dalvik. Comme aucun appel syst`eme synonyme d’ex´ecution
de code pour Blare n’est effectu´e alors Blare, dans sa version avant nos modi-
fications, ne d´etectait jamais l’ex´ecution des applications Android. Cela avait
deux cons´equences directes. Premi`erement, l’ex´ecution des applications Android
dont le code est marqu´e comme sensible ne causait pas le marquage des processus
comme ex´ecutant du code sensible. L’itag des processus ex´ecutant les
applications Android ne contenait jamais d’identifiant n´egatif. Ensuite, il ´etait
impossible d’appliquer une politique par application car du point de vue de
Blare ils ex´ecutent tous le mˆeme programme (app process).
9. appel syst`eme fork3.4. ANDROBLARE : BLARE SOUS ANDROID 75
Native daemons
- servicemanager
-netd
-vold
-mediaserver
- app_process -X
Init
- Set up env
variables
- mount partitions
-
Zygote
- etc
start native
daemons
- etc
Zygote
- Start a dalvik virtual machine
- Execute main function of zygote
- Create a server socket
- Preload resources and classes
- Start system_server
- Wait for application launch request
system_server
- Launch services
(Activity Manager,
Clipboard etc)
- Register services
App App
App
startActivity
fork
fork
Figure 3.5 – S´equence de d´emarrage d’Android76 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
3.4.3.2 Prise en compte de l’ex´ecution des applications Android
Pour d´etecter l’ex´ecution des applications, nous avons introduit un syst`eme
de coop´eration entre la machine virtuelle Dalvik et KBlare. Il permet `a la machine
virtuelle de notifier KBlare quand elle va interpr´eter du code et donc
permettre `a KBlare de voir quand une application est ex´ecut´ee. A la r´eception `
de la notification, KBlare met ainsi `a jour les tags convenablement et applique
la politique de flux associ´ee `a l’application.
L’ex´ecution d’une application se traduit par le chargement des ressources de
l’application en m´emoire ainsi que de son code. Lorsqu’une application Android
est install´ee, le syst`eme extrait `a partir de son apk une version optimis´ee du code.
C’est cette version optimis´ee qui est charg´ee en m´emoire et interpr´et´ee par la
machine virtuelle. Un bon point d’insertion pour la notification semble ainsi
ˆetre le chargement de cette version optimis´ee. Aucune documentation technique
n’existe sur le fonctionnement de Dalvik mais en analysant son code source, nous
trouvons que le chargement est effectu´e par la fonction dvmDexFileOpenFromFd
(listing 3.4). Cette fonction charge en m´emoire le code optimis´e d’une application
et analyse syntaxiquement son contenu. Elle est appel´ee par deux autre
fonctions 10 qui ouvrent un fichier jar ou dex, cr´ee la version optimis´ee du code
`a partir du contenu du fichier ouvert et le charge en m´emoire. Cela correspond
bien `a l’ex´ecution d’une application. Nous avons ainsi ajout´e la notification,
fonction odex is mapped, au corps de la fonction dvmDexFileOpenFromFd.
La figure 3.6 illustre les diff´erentes ´etapes de la prise en compte de l’ex´ecution
de l’application. Les tags vert et bleu correspondent respectivement au contenu
du fichier .dex et `a ce mˆeme contenu lorsqu’il est ex´ecut´e par un processus. Le
tag marron correspond `a la politique de s´ecurit´e de l’application. Le syst`eme
de notification est similaire `a une architecture client/serveur. Au d´emarrage du
syst`eme, KBlare se met en ´ecoute des notifications provenant des machines virtuelles
Dalvik. (a) Lorsqu’un processus initie l’ex´ecution d’une application (chargement
du fichier .dex en m´emoire), elle charge le contenu du fichier .dex en
m´emoire. KBlare voit ce chargement et marque le processus qui va ex´ecuter l’application
comme contenant le contenu du fichier .dex. (b) La machine virtuelle
notifie ensuite KBlare qu’elle va interpr´eter le contenu du fichier .dex, c’est-
`a-dire l’ex´ecuter. (c) et (d) A la r´eception de la notification, KBlare consid`ere `
que le processus contenant la machine virtuelle ayant envoy´ee la notification va
ex´ecuter l’application dont le code est stock´e dans le fichier .dex. KBlare met
donc `a jour les tags du processus. Il indique que le processus contient la version
ex´ecut´ee du contenu du fichier .dex et applique `a ce processus la politique de
flux associ´ee au code que la machine virtuelle va interpr´eter.
Impl´ementation de la notification de l’ex´ecution d’une application
La notification est envoy´ee grˆace `a un canal de communication entre la machine
virtuelle Dalvik et KBlare. Ce canal est impl´ement´e avec Generic Net-
10. dvmJarFileOpen et dvmRawDexFileOpen respectivement d´efinies dans
dalvik/vm/JarFile.cpp et dalvik/vm/RawDexFile.cpp3.4. ANDROBLARE : BLARE SOUS ANDROID 77
VM init :
- Load
ressources
- Load optimzed
dex
- Notify KBlare
- ...
KBlare :
- Listen to notification
- Upon notification:
* Get tags associated to
the odex file
* Update tags associated
to the process
odex file (a)
(b)
(c)
(d)
Figure 3.6 – M´ecanisme de notification de l’ex´ecution d’une application Android
link [52] qui lui utilise les sockets Netlink [63]. Netlink est un m´ecanisme de
communication qui permet de faire communiquer entre eux des morceaux de
code qui sont dans le noyau ou en espace utilisateur. La communication entre
ces diff´erentes entit´es se font dans des bus Netlink, appel´es ´egalement protocoles.
Il existe un nombre d´efini de bus dans les syst`emes Linux et leur nombre
maximum est limit´e `a 32. Certains d’entre eux sont par exemple utilis´es par
des outils de gestion du trafic r´eseau tels que iproute2 [53]. Generic Netlink
est un m´ecanisme de communication bas´e sur Netlink et plus pr´ecis´ement un
multiplexeur construit au dessus d’un bus Netlink [76]. Les canaux de communication
sont appel´es familles et il est possible d’en d´efinir jusqu’`a 65520 pour
un seul et mˆeme bus Netlink. Nous pr´esentons dans ce qui suit le syst`eme de
coop´eration permettant de faire communiquer les machines virtuelles Dalvik
et KBlare. Plus pr´ecis´ement, nous pr´esentons la d´eclaration de la famille servant
de canal de communication, le comportement associ´e `a la r´eception d’une
notification et la mise en attente.
Comme ´ecrit pr´ec´edemment, le syst`eme de notification est une architecture
client/serveur. KBlare est le serveur qui se met en attente des notifications
d’ex´ecution d’application et les machines virtuelles Dalvik sont les clientes qui
envoient les notifications au serveur. La cr´eation d’un serveur d’´ecoute avec
Generic Netlink se fait en trois ´etapes : cr´eation d’une famille, d´efinition des
commandes reconnues par le serveur et enregistrement de la famille.
Afin que KBlare puisse recevoir les notifications, nous d´efinissons dans son
code une famille servant de canal de communication. Le listing 3.5 montre la
d´eclaration de la famille. Nous d´eclarons en premier les attributs possibles d’un
message. Nous en d´eclarons deux : DOC EXMPL A MSG et DOC EXMPL A INT. Ensuite,
nous d´efinissons le type associ´e aux attributs. Le premier attribut est une78 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
1 int dvmDexFileOpenFromFd(int fd, DvmDex** ppDvmDex)
2 {
3 DvmDex* pDvmDex;
4 DexFile* pDexFile;
5 MemMapping memMap;
6 int parseFlags = kDexParseDefault;
7 int result = -1;
8
9 if (gDvm.verifyDexChecksum)
10 parseFlags |= kDexParseVerifyChecksum;
11
12 if (lseek(fd, 0, SEEK_SET) < 0) {
13 ALOGE("lseek rewind failed");
14 goto bail;
15 }
16
17 if (sysMapFileInShmemWritableReadOnly(fd, &memMap) != 0) {
18 ALOGE("Unable to map file");
19 goto bail;
20 }
21
22 // Nofify KBlare
23 odex_is_mapped(fd);
24 ...
25 }
Listing 3.4 – Fonction de chargement en m´emoire du code d’une application
chaˆıne de caract`ere et le second un entier non sign´e sur 32 bits. Enfin, nous
d´eclarons la famille : variable doc exmpl gnl family. Chaque famille doit avoir
un identifiant unique 11. Le champ id contient l’identifiant num´erique de la famille.
En lui associant la valeur GENL ID GENERATE, nous laissons au syst`eme le
choix de l’identifiant. Le champ hdrsize d´efinit la taille de l’en-tˆete des messages
transitant par cette famille. Nous n’avons besoin d’aucune en-tˆete sp´ecifique.
Nous le mettons ainsi `a 0. Le champ name d´efinit le nom de la famille. Chaque
nom doit ˆetre unique et elle permet aux clients de r´ecup´erer l’identifiant de la
chaine. Les champs restant d´efinissent le num´ero de version de la famille et le
nombre d’attributs.
Une fois la famille d´efinie, il faut ensuite d´eclarer les commandes qu’elle supporte
ainsi que les fonctions qui leur sont associ´ees. Les commandes d´efinissent
les op´erations support´ees par le serveur. Nous en d´efinissons un, DOC EXMPL EXEC
DEX, dans le listing 3.6 qui correspond `a la notification de l’ex´ecution d’une
application. A cette commande, nous associons la fonction ` doc exmpl exec dex.
11. champ id3.4. ANDROBLARE : BLARE SOUS ANDROID 79
1 // USE GENERIC NETLINK
2 /* Family declaration */
3 /* attributes */
4 enum {
5 DOC_EXMPL_A_UNSPEC,
6 DOC_EXMPL_A_MSG,
7 DOC_EXMPL_A_INT,
8 __DOC_EXMPL_A_MAX,
9 };
10 #define DOC_EXMPL_A_MAX (__DOC_EXMPL_A_MAX - 1)
11
12 /* attribute policy */
13 static struct nla_policy doc_exmpl_genl_policy[DOC_EXMPL_A_MAX + 1] = {
14 [DOC_EXMPL_A_MSG] = { .type = NLA_NUL_STRING },
15 [DOC_EXMPL_A_INT] = { .type = NLA_U32 },
16 };
17
18 #define VERSION_NR 1
19 static struct genl_family doc_exmpl_gnl_family = {
20 .id = GENL_ID_GENERATE,
21 .hdrsize = 0,
22 .name = "BLARE_COOP", // family name
23 .version = VERSION_NR, //version number
24 .maxattr = DOC_EXMPL_A_MAX,
25 };
26 /* End of family declaration */
Listing 3.5 – D´eclaration d’une famille Generic Netlink dans le noyau pour le
m´ecanisme de coop´eration
Cette fonction r´ecup`ere `a partir de la charge utile du message re¸cu par le serveur
un entier repr´esentant le descripteur du fichier charg´e par la machine virtuelle
(ligne 24 `a 26). A partir de ce descripteur, il r´ecup`ere la structure correspondant `
au fichier puis met `a jour les tags associ´es au processus (ligne 36 `a 38).
Enfin, nous enregistrons la famille et les op´erations qu’elle supporte (listing
3.7). Ces enregistrements sont effectu´es dans la fonction netlink init qui
est appel´ee pendant l’initialisation des modules de noyau (ligne 22).
Du cˆot´e client, la communication avec KBlare est plus simple. Elle se traduit
par l’envoi d’un message avec la commande DOC EXMPL EXEC DEX et le descripteur
de fichier correspondant au code charg´e en m´emoire. La biblioth`eque
libnl [11] offre une API les sockets Netlink et Generic Netlink. Cependant,
dans la version actuelle du code, nous avons utilis´e les fonctions d´efinies dans
l’exemple du client fourni par A. Keller dans [64]. Le listing 3.8 pr´esente une
version ´epur´ee 12 du code servant `a la notification de l’ex´ecution des applications
Android. La variable req est le message Netlink `a envoyer dans le noyau.
12. sans v´erification des codes d’erreur80 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
Il contient l’en-tˆete du message Netlink, celui de Generic Netlink et la charge
utile du message. Rappelons que Generic Netlink n’est qu’un multiplexeur au
dessus d’un bus Netlink. L’envoi d’une notification se fait en plusieurs ´etapes.
1. R´ecup´erer l’identifiant du canal de communication (lignes 13, 14). Il est
n´ecessaire afin d’envoyer le message dans le bon canal de communication.
2. Initialiser les en-tˆetes Netlink et Generic Netlink. Dans le cas de Generic
Netlink, il s’agit de d´efinir la commande `a envoyer, DOC EXMPL EXEC DEX.
3. Composer le message. Cela consiste `a d´efinir les attributs `a passer dans
le message ainsi que la valeur qui leur est associ´ee. Nous d´efinissons ainsi
comme attribut un entier et le descripteur du fichier dex comme valeur
associ´ee (ligne 23 `a 28).
4. Envoyer le message. Generic Netlink est un multiplexeur au dessus d’un
bus Netlink. Nous d´eclarons ainsi un socket Netlink et envoyons le message
avec ce socket.
Lorsqu’une machine virtuelle va interpr´eter le contenu d’un fichier .dex, il
appelle la fonction odex is mapped (listing 3.4) en lui donnant en param`etre le
descripteur du fichier .dex. Cette fonction envoie un message, via une famille
de communication Generic Netlink, au noyau et plus pr´ecis´ement `a KBlare. Le
message contient deux informations. La premi`ere est une commande qui permet
au destinataire de choisir le traitement `a effectuer `a la r´eception du message. La
deuxi`eme information est le descripteur du fichier .dex. Il permettra `a KBlare
d’identifier le fichier dont le contenu va ˆetre interpr´et´e par la machine virtuelle et
propager les tags de ce fichier vers le processus contenant la machine virtuelle.
A la r´eception du message dans le noyau, ce dernier extrait du message la `
commande que le message contient. KBlare ayant associ´ee `a la commande, la
fonction doc exmpl dex (listing 3.6), le noyau transfert le traitement du message
`a cette fonction. La fonction r´ecup`ere `a partir du message le descripteur de fichier
et `a partir de ce descripteur, il r´ecup`ere la structure repr´esentant le fichier
contenant le code qui va ˆetre interpr´et´e. A partir de cette structure, KBlare `
r´ecup`ere les tags associ´es aux fichiers et les propage comme dans le cas d’une
ex´ecution au processus ayant envoy´e la notification. A la r´eception du message, `
KBlare tourne dans le contexte du processus ayant envoy´e la notification. Ce
sont donc les tags de ce processus qui sont mis `a jour.3.4. ANDROBLARE : BLARE SOUS ANDROID 81
1 /* commands: enumeration of all commands (functions),
2 * used by userspace application to identify command to be executed
3 */
4 enum {
5 DOC_EXMPL_C_UNSPEC,
6 DOC_EXMPL_C_EXEC_DEX,
7 __DOC_EXMPL_C_MAX,
8 };
9
10 #define DOC_EXMPL_C_MAX (__DOC_EXMPL_C_MAX - 1)
11
12 static int doc_exmpl_exec_dex(struct sk_buff *skb_2, struct genl_info *info) {
13 struct nlattr *na;
14 struct sk_buff *skb;
15 int rc;
16 void *msg_head;
17 int * mydata;
18 struct file * dexfile;
19 struct blare_file_struct *fstruct;
20
21 if (info == NULL)
22 goto out;
23
24 na = info->attrs[DOC_EXMPL_A_INT];
25 if (na) {
26 mydata = (int *) nla_data(na);
27 if (!mydata)
28 printk(KERN_INFO "[BLARE_NETLINK] error while"
29 "receiving data\n");
30 } else {
31 printk(KERN_INFO "[BLARE_NETLINK] no fd from userspace");
32 goto out;
33 }
34
35 rcu_read_lock();
36 dexfile = fcheck(*mydata);
37 if (dexfile) {
38 interp_exec(dexfile);
39 } else {
40 printk(KERN_INFO "[BLARE_NETLINK] could not find"
41 "struct file of %d\n", *mydata);
42 }
43 rcu_read_unlock();
44 out:
45 return 0;
46 }
47
48 /* Map command and function */
49 struct genl_ops doc_exmpl_gnl_ops_exec_dex = {
50 .cmd = DOC_EXMPL_C_EXEC_DEX,
51 .flags = 0,
52 .policy = doc_exmpl_genl_policy,
53 .doit = doc_exmpl_exec_dex,
54 .dumpit = NULL,
55 };
Listing 3.6 – D´efinition d’une commande Generic Netlink pour notifier
l’ex´ecution d’une application82 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
1 static int __init netlink_init() {
2 int rc;
3 printk(KERN_INFO "Blare init generic netlink");
4
5 /* register new family */
6 rc = genl_register_family(&doc_exmpl_gnl_family);
7 if (rc != 0)
8 goto failure;
9
10 /* register operations */
11 genl_register_ops(&doc_exmpl_gnl_family,
12 &doc_exmpl_gnl_ops_exec_dex);
13
14 return 0;
15
16 failure:
17 printk(KERN_INFO "[BLARE_NETLINK] an error occured while"
18 "inserting the generic netlink example module\n");
19 return -1;
20 }
21
22 __initcall(netlink_init);
Listing 3.7 – Enregistrement de la famille servant `a la notification d’ex´ecution
des applications3.4. ANDROBLARE : BLARE SOUS ANDROID 83
1 int odex_is_mapped(int fd) {
2 int nl_sd; // Netlink socket
3 int id;
4 int r;
5 struct {
6 struct nlmsghdr n;
7 struct genlmsghdr g;
8 char buf[256];
9 } req;
10 struct nlattr *na;
11
12 /* Get the identifier of the family */
13 nl_sd = create_nl_socket(NETLINK_GENERIC,0);
14 id = get_family_id(nl_sd);
15
16 /* Init netlink header */
17 ...
18
19 /* Init generic netlink header */
20 req.g.cmd = DOC_EXMPL_EXEC_DEX;
21
22 /* Compose message */
23 na = (struct nlattr *) GENLMSG_DATA(&req);
24 na->nla_type = DOC_EXMPL_A_INT;
25 int mlength = sizeof(int);
26 na->nla_len = mlength + NLA_HDRLEN;
27 memcpy(NLA_DATA(na), &fd, mlength);
28 req.n.nlmsg_len += NLMSG_ALIGN(na->nla_len);
29
30 /* Send message */
31 struct sockaddr_nl nladdr;
32 memset(&nladdr, 0, sizeof(nladdr));
33 nladdr.nl_family = AF_NETLINK;
34 r = sendto(nl_sd, (char *)&req, req.n.nlmsg_len, 0,
35 (struct sockaddr *) &nladdr, sizeof(nladdr));
36 close(nl_sd);
37 return 0;
38 }
Listing 3.8 – Notification de l’ex´ecution d’une application par la machine virtuelle
Dalvik84 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
3.4.4 Description des flux observ´es
KBlare d´ecrit les flux impliquant des donn´ees sensibles dans un format assez
verbeux et sans fournir assez d’information parfois. La figure 3.7 est un
exemple de description de flux ´emis par KBlare lorsqu’il d´etecte un flux d’un
fichier vers un processus. Parmi les informations que nous aurions aim´e avoir
´etaient le chemin complet du fichier, son identifiant et les informations li´ees au
processus. Avoir le chemin complet du fichier permet `a un analyste d’identifier
avec pr´ecision le fichier impliqu´e dans le flux. L’identifiant du fichier, son inode,
peut ´egalement s’av´erer utile si le nom du fichier est amen´e `a changer au cours
de l’ex´ecution du syst`eme.
Sous Android, nous avons ainsi mis les alertes sous la forme d´ecrite en fi-
gure 3.8. Un message est d´ecoup´e en trois parties s´epar´ees par le caract`ere ’>’.
Les deux premi`eres parties d´ecrivent le conteneur source et destination du flux.
C TYPE repr´esente le type du conteneur (fichier, socket et processus). C NAME est
le nom du conteneur. Dans le cas des sockets, il s’agit de l’adresse IP associ´ee `a la
socket. Dans le cas des processus, nous donnons `a la fois le nom du thread courant
et du processus. Les deux noms peuvent diff´erer. Par exemple, les services
dans system server tournent dans des threads avec des noms diff´erents. Avoir
le nom des deux peut ainsi aider `a comprendre quelle partie de l’application est
`a l’origine du flux.
3.4.5 Outils en espace utilisateur
Il existe sous Linux des outils en ligne de commande pour manipuler les tags
Blare associ´es aux fichiers. Leur code est disponible dans la branche master
du d´epˆot kblare-tools [38]. Ces outils ont ´et´e port´es sous Android, branche
android version du mˆeme d´epˆot, et une version sous forme d’extension d’un
navigateur de fichier Android a ´egalement ´et´e d´evelopp´ee lors d’un stage de 2
mois par Q. Dion. L’extension permet de manipuler via l’interface tactile d’un
appareil Android les tags associ´es aux fichiers et ´evite ainsi d’avoir `a ouvrir
une interface en ligne de commande. Dans le cadre d’un autre stage, T. Saliou
a d´evelopp´e Blare Policy Manager (BPM). BPM impl´emente les fonctions de
composition et de v´erification des politiques ´ecrites en BSPL et applique la
politique r´esultant de la composition sur le syst`eme. Nous avons utilis´e BPM
dans [20] pour composer et appliquer les politiques d’application tierce sur un
t´el´ephone avec l’environnement AndroBlare.
Process with pid 98 running cat made an illegal READ access to
file toto.txt
Figure 3.7 – Exemple de message lev´e par Blare sous Linux3.5. ANDROBLARE : ANALYSE D’APPLICATIONS ANDROID 85
C TYPE C NAME C ID > C TYPE C NAME C ID > ITAG
Figure 3.8 – Format des flux observ´es par Blare sous Android
3.5 AndroBlare : environnement d’analyse d’applications
Android
Dans cette th`ese, nous avons utilis´e AndroBlare en tant que environnement
d’analyse d’application Android. La figure 3.9 illustre l’environnement ainsi que
l’usage que nous en aurons dans les chapitres suivants. Pour analyser les applications,
nous utilisons un t´el´ephone Nexus S faisant tourner la version AOSP
d’Android Ice Cream Sandwich. Nous avons ajout´e au t´el´ephone tout l’environnement
AndroBlare : le module de s´ecurit´e dans le noyau, le syst`eme de notification
d’ex´ecution d’application Android et les outils utilisateurs pour manipuler
les tags. Nous avons ´egalement rajout´e les application Super User afin de recevoir
une notification visuelle `a chaque fois qu’une application demande les acc`es
root ainsi que busybox, un ´equivalent plus complet de toolbox.
Dans cet environnement, nous ex´ecutons toute application dont nous souhaitons
analyser le comportement. Ce comportement est la propagation des donn´ees
de l’application dans le syst`eme et est obtenu grˆace au suivi de flux d’information
effectu´e par AndroBlare. Pour chaque application `a analyser, nous r´ep´etons le
processus suivant. Nous installons l’application sur le t´el´ephone puis marquons
son fichier apk avec un identifiant unique. Nous consid´erons que le fichier apk
est la source des donn´ees appartenant `a l’application car il contient `a la fois son
code et les ressources qu’elle utilise telles que les images. Nous ex´ecutons ensuite
l’application et observons avec AndroBlare comment les donn´ees de l’application
se propagent dans le syst`eme. A partir des flux observ´es, nous pouvons effectuer `
deux types d’action : construire une repr´esentation compacte et humainement
compr´ehensible des flux observ´es (chapitre 4) ou d´etecter l’ex´ecution d’instance
de malware (chapitre 5).
Nous laissons les tags des autres conteneurs d’information `a leur valeur par
d´efaut, ensemble vide, sauf pour les fichiers servicemanager et surfaceflinger
dans /system/bin. A l’exception de ces deux fichiers, les autre conteneurs ne `
contiennent donc aucune information sensible du point de vue d’AndroBlare
et n’ont aucune politique de flux d’information. Quant aux deux fichiers, nous
leur assignons l’itag t0u pour signifier que les processus les ex´ecutant sont `a
ignorer pendant le suivi de flux d’information. L’identifiant 0 n’est pas utilit´e
dans le mod`ele de Blare pour identifier une information `a surveiller. Dans
l’impl´ementation, nous nous servons de cette valeur pour indiquer `a Blare quand
ignorer des flux d’information. Le but est d’´eviter une trop grande surapproximation
des flux observ´es par AndroBlare. Les applications servicemanager et surfaceflinger
sont deux processus cl´es du syst`eme Android. Le premier est un
service d’annuaire r´epertoriant tous les autres services du syst`eme. Les applications
souhaitant utiliser ces services doivent demander au servicemanager leur
r´ef´erence avant de pouvoir les utiliser. Le second est en charge de dessiner sur86 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
l’´ecran toute interface graphique. Les applications sont uniquement conscients
de ce qu’ils veulent afficher `a l’´ecran. Elles le transmettent `a surfaceflinger
qui lui composera les affichages des diff´erentes applications et affichera le rendu
final sur l’´ecran de l’appareil.3.5. ANDROBLARE : ANALYSE D’APPLICATIONS ANDROID 87
Android Kernel
User space
BLARE
Analyzed
application
Information
container 1 ... Information
container n
Analysed
application apk file
Blare log
Parser
Malware
detection
Trusted containers
surfaceflinger servicemanager
Figure 3.9 – AndroBlare : environnement d’analyse d’application Android88 CHAPITRE 3. BLARE : UN MONITEUR DE FLUX D’INFORMATION
R´esum´e
Dans ce chapitre, nous avons pr´esent´e Blare un syst`eme de d´etection d’intrusion
param´etr´e par une politique de flux d’information, le mod`ele sur lequel
il est bas´e et le processus de portage de Blare sous Android (AndroBlare). AndroBlare
utilise le mˆeme mod`ele th´eorique que Blare mais diff`ere de ce dernier
au niveau de l’impl´ementation. Lors du portage de Blare sous Android, nous
avons ajout´e la prise en compte de deux types de flux d’information : flux d’information
via le Binder et l’interpr´etation du code des applications Android
par la machine virtuelle Dalvik. Les applications Android n’utilisent pas les
m´ecanismes de communication fournis par le noyau Linux pour communiquer
entre elles. A la place, elles utilisent diff´erents m´ecanismes fournis par le frame- `
work Java qui reposent tous sur le Binder. Afin de suivre les flux d’information
entre les applications, nous avons pris en compte ce m´ecanisme de communication
dans AndroBlare. Sa prise en compte a consist´e `a ajouter deux nouveaux
hooks `a LSM et `a d´efinir dans le code de KBlare les fonctions correspondant `a
ces hooks. Le deuxi`eme type de flux d’information pris en compte dans AndroBlare
concerne l’ex´ecution des applications et plus pr´ecis´ement l’interpr´etation
de leur code par la machine virtuelle Dalvik. Les applications Android ne sont
pas des applications natives et leur ex´ecution ´etait donc invisible `a Blare. Lorsqu’une
application est ex´ecut´ee, son code est en r´ealit´e interpr´et´ee par la machine
virtuelle Dalvik. Le probl`eme pos´e par cette interpr´etation du code est
que l’ex´ecution ´etait invisible et donc KBlare ne pouvait mettre `a jour correctement
les tags des processus ex´ecutant du code sensible. Aucun processus n’´etait
marqu´e comme ex´ecutant du code et aucune politique ne pouvait ˆetre appliqu´ee
par application. Afin de permette `a KBlare d’observer l’ex´ecution d’une application
Android, nous avons ainsi ajout´e un m´ecanisme de coop´eration entre la
machine virtuelle Dalvik et KBlare. Cette coop´eration consiste `a notifier KBlare
via les sockets Netlink de l’ex´ecution d’une application par la machine virtuelle.
Lors de la pr´esentation du mod`ele de Blare, nous avons ´egalement expliqu´e
comment nous avons d´efini manuellement une politique de flux d’information
pour le syst`eme Android. La politique identifie 150 informations `a prot´eger et
186 conteneurs d’information pouvant acc´eder `a ces informations ou les stocker.
Cette politique a fait l’objet d’une publication `a ICC 2012 [16].Chapitre 4
Graphes de flux syst`eme
Pour chaque flux d’information observ´e qui implique une donn´ee sensible,
Blare ajoute une entr´ee d´ecrivant le flux dans un journal. Au fur et `a mesure
que le syst`eme s’ex´ecute, le taille du journal augmente et peut devenir rapidement
difficile `a analyser pour un ˆetre humain. Quelques minutes d’ex´ecution
du syst`eme peut suffire pour avoir des milliers d’entr´ees dans le journal de
Blare. Nous proposons donc dans ce chapitre une structure appel´ee System
Flow Graph pour repr´esenter les flux observ´es de mani`ere plus compacte et plus
compr´ehensible.
4.1 Graphe de flux syst`eme
Un graphe de flux syst`eme, que nous abr´egeons SFG (System Flow Graph)
dans le reste du document, est un multigraphe orient´e G “ pV, Eq o`u les nœuds
repr´esentent des conteneurs d’information et les arcs des flux d’information entre
les conteneurs.
Un nœud v P V a trois attributs v.type, v.name et v.id qui repr´esentent
respectivement le type du conteneur (fichier, processus et socket) correspondant
au nœud, son nom et son identifiant du conteneur dans le syst`eme. Selon le
type du conteneur, le nom du nœud est soit le chemin complet du fichier, le
nom du processus concat´en´e `a celui du thread ou l’adresse IP associ´ee `a la
socket. L’identifiant est le num´ero d’i-node pour les fichiers et le PID pour les
processus.
Un arc e P E a deux attributs e.timestamp et e.flow qui correspondent
respectivement `a la liste des moments auxquels le flux a ´et´e observ´e et les
identifiants des informations impliqu´ees dans le flux. Un arc repr´esente un flux
d’information unique du conteneur repr´esent´e par sa source vers le conteneur
repr´esent´e par sa destination. Le flux peut ˆetre observ´e plusieurs fois et inclut
`a chaque observation les mˆemes informations sensibles, i.e les identifiants des
informations qui se propagent sont les mˆemes `a chaque observation.
Un SFG est un multigraphe car il peut contenir des arcs parall`eles. Des arcs
8990 CHAPITRE 4. GRAPHES DE FLUX SYSTEME `
[1] file blob 18 > process cat 19 > {1, 2}
[2] process woman 20 > file blob 18 {3}
[3] process woman 20 > file blob 18 {3}
[4] file blob 18 > process cat 19 > {1, 2, 3}
Figure 4.1 – Exemple de flux d’information causant l’apparition d’arcs parall`eles
dans les SFG
�������� ������ �����������
�������������
�������� �����������
Figure 4.2 – Exemple de SFG avec des arcs parall`eles
parall`eles sont des arcs reliant les mˆeme nœuds. Un SFG a deux arcs parall`eles
lorsque Blare a observ´e deux flux d’information ayant la mˆeme source et la
mˆeme destination mais n’impliquant pas les mˆemes informations sensibles. La
figure 4.1 d´ecrit des flux d’information causant la cr´eation d’arcs parall`eles dans
les SFG. La premi`ere et derni`ere entr´ees d´ecrivent des flux ayant la mˆeme source
et la mˆeme destination : de blob `a cat. Cependant, le contenu de blob a ´et´e
modifi´e par le deuxi`eme et troisi`eme flux observ´es par Blare et ainsi le dernier
flux implique une information en plus par rapport `a la premi`ere. Ces deux flux
ne peuvent donc ˆetre consid´er´es comme un flux unique et sont repr´esent´es avec
deux arcs. Le deuxi`eme et le troisi`eme flux impliquent les mˆemes informations
sensibles et repr´esentent donc un flux d’information unique. Ils sont repr´esent´es
par un unique arc.
Graphe de flux syst`eme vs. graphe de d´ependance
Dans [66], Samuel T. King et Peter M. Chen utilisent un graphe de d´ependance
pour analyser les intrusions dans un syst`eme. Un graphe de d´ependance d´ecrit
sous la forme d’un graphe les flux d’information entre les objets du syst`eme. Les
nœuds sont les objets du syst`eme et un arc entre deux nœuds signifie qu’il y a eu
un flux d’information entre les objets repr´esent´es par les nœuds source et destination
de l’arc. Lorsqu’une intrusion a ´et´e d´etect´ee sur un objet du syst`eme,
ils construisent le graphe de d´ependance et l’analysent afin d’avoir un d´ebut
de diagnostic de l’intrusion. Le graphe de d´ependance est construit `a partir
des flux d’information qui ont eu lieu jusqu’`a la d´etection de l’intrusion et sa
construction est similaire `a celle d’un SFG.
Si un SFG et un graphe de d´ependance d´ecrivent tous les deux des flux4.1. GRAPHE DE FLUX SYSTEME ` 91
d’information entre les objets du syst`eme, le SFG apporte cependant plus de
pr´ecision car il est plus centr´e sur les informations que ne l’est un graphe de
d´ependance. Un graphe de d´ependance prend en compte tout flux d’information
s’op´erant dans le syst`eme et ne fait aucune distinction entre les informations qui
se propagent. Par contre, un SFG lui ne prendra en compte que les flux d’information
impliquant les donn´ees `a surveiller dans le syst`eme ce qui permet
de mieux filtrer les flux d’information `a analyser lors d’une intrusion et raccourcir
la dur´ee de l’analyse. Nous d´emontrons ce gain en repr´esentant la suite
d’´ev`enement suivante avec un SFG et un graphe de d´ependance pour analyser
une intrusion.
Soient un processus server ex´ecutant une application traitant des donn´ees
`a la demande d’applications clientes et f ilex un fichier dont l’acc`es est limit´e `a
server et dont l’int´egrit´e doit ˆetre pr´eserv´ee. Sur le mˆeme syst`eme tournent n
processus b´enins ex´ecutant diff´erents clients de server. A chaque requˆete cliente `
que server re¸coit, server se duplique et attribue le traitement de la requˆete au
processus fils r´esultant de la duplication. Un autre processus attacker ex´ecute
´egalement une application cliente de server sur le syst`eme mais contrairement
aux autres clients, il s’agit d’un processus malveillant dont le but de corrompre
le contenu de f ilex. Pour corrompre le contenu de f ilex, il envoie une requˆete
malicieuse `a server qui lors de son traitement va forcer le processus fils de server
`a corrompre f ilex. Nous supposons que la d´etection ait lieu au moment de la
corruption et que l’attaque soit men´ee seulement apr`es que les n processus aient
chacun envoy´e au moins une requˆete au serveur. Cette derni`ere supposition
permet d’avoir le pire des cas dans lors de l’analyse car tous les clients sont
d’´eventuels suspects.
En supposant que ces ´ev`enements se soient pass´es dans l’environnement
d’analyse utilis´ee dans [66], nous construisons le graphe de d´ependance illustr´e
dans la figure 4.3.a. En analysant ce graphe, le seul diagnostic que nous d´eduisons
est que l’un des processus clients a pu influencer le serveur `a modifier le contenu
de f ilex. Tous les processus clients sont de potentiels suspects car ils ont tous
envoy´es des donn´ees au serveur avant que l’attaque ne soit d´etect´ee.
Si nous supposons cette fois que les mˆeme ´ev`enements se soient produits
dans un environnement (Andro)Blare et que pour chaque client un identifiant
unique est associ´e aux donn´ees qu’il envoie alors nous aurions un SFG illustr´e
dans la figure 4.3.b. Nous supposons que l’identifiant x est associ´e aux donn´ees
provenant de l’application malveillante. En analysant le SFG, nous d´eduisons
que f ilex a ´et´e contamin´e avec des donn´ees identifi´ees par x. En filtrant le
SFG pour ne garder que les arcs impliquant les donn´ees identifi´ees par x, nous
obtenons la partie en gras du SFG qui indique clairement que le processus
attacker est `a l’origine de l’attaque.92 CHAPITRE 4. GRAPHES DE FLUX SYSTEME `
proc 1
server
... proc n attacker
child 1 ... child n child
filex
proc 1
server
{1}
... proc n
{n}
attacker
{x}
child 1
{1}
... child n
{n}
child
{x}
filex
{x}
(a) (b)
Figure 4.3 – Graphe de d´ependance et SFG repr´esentant les flux d’information
ayant pr´ec´ed´e la corruption d’un fichier f ilex
4.2 Quelques op´erations utiles sur les SFG
Dans les chapitres suivants, nous effectuerons certaines op´erations sur les
SFG. Nous pr´esentons dans cette section ces op´erations qui nous serviront par
la suite.
4.2.1 Intersection de deux SFG : g1 [ g2
L’intersection de deux SFG est le SFG dont les arcs sont l’ensemble des arcs
en commun aux deux SFG. La notion d’arcs en commun de deux SFG d´esigne
le fait qu’une partie des arcs des deux SFG sont les mˆemes. Nous consid´erons
qu’un arc e1 P g1 est le mˆeme qu’un arc e2 P g2 si :
— les deux arcs impliquent les mˆeme informations dans le flux d´ecrit par
chacun des arcs ;
— leurs nœuds de d´epart respectifs repr´esentent le mˆeme conteneur d’information
;
— leurs nœuds d’arriv´ee respectifs repr´esentent le mˆeme conteneur d’information.
Deux nœuds repr´esentant le mˆeme conteneur d’information doivent avoir le
mˆeme type et le mˆeme nom. Nous ne prenons pas en compte l’identifiant syst`eme
des conteneurs d’information car ils sont sp´ecifiques `a chaque syst`eme ou `a
une ex´ecution. Un processus n’existe tout au plus que le temps d’ex´ecution du
syst`eme. Son identifiant est donc li´e `a cette ex´ecution. L’identifiant d’un fichier
est li´e au syst`eme o`u il se trouve. Il est g´en´er´e automatiquement `a la cr´eation du
fichier. Un mˆeme fichier sur deux syst`emes diff´erents a donc deux identifiants
diff´erents.4.3. CONSTRUCTION D’UN GRAPHE DE FLUX SYSTEME ` 93
4.2.2 Inclusion d’un SFG dans un autre : g1 Ď g2
Soient deux SFG g1 et g2. Nous consid´erons que g1 est inclus dans g2 si tous
les arcs de g1 sont des arcs en commun avec g2.
4.2.3 Nœuds et arcs d’un SFG
Nous d´efinissions ´egalement les fonctions node et edges comme ´etant les
fonctions retournant respectivement l’ensemble des nœuds et des arcs d’un SFG.
4.3 Construction d’un graphe de flux syst`eme
Pour obtenir la repr´esentation compacte du journal de Blare, nous avons
d´evelopp´e un outil qui prend en entr´ee un journal de Blare et donne en sortie la
repr´esentation sous forme de SFG. L’algorithme 1 d´ecrit la transformation du
journal en SFG. Nous d´efinissons la fonction to edge comme ´etant une fonction
qui calcule l’arc correspondant `a une entr´ee d’un journal de Blare et utilisons
l’op´eration pour exprimer le fait que deux arcs repr´esentent le mˆeme flux
d’information unique. Deux arcs repr´esentent le mˆeme flux d’information unique
si leurs nœuds sources repr´esentent le mˆeme conteneur d’information ainsi que
leurs nœud de destination. Durant la construction d’un SFG, nous consid´erons
que deux nœuds v1 et v2 repr´esentent le mˆeme conteneur d’information si l’un
des cas suivants est vrai :
— v1 et v2 sont des fichiers, v1.id est ´egal `a v2.id et les fichiers correspondant
sont sur la mˆeme partition ;
— v1 et v2 sont des processus et v1.id est ´egal `a v2.id ;
— v1 et v2 sont des sockets qui sont li´ees `a la mˆeme adresse IP.
Nous utilisons l’identifiant au lieu des noms dans le cas des processus et
des fichiers car les noms peuvent changer durant l’ex´ecution du syst`eme. Les
identifiants identifient de mani`ere unique chaque objet et ne changent pas durant
l’ex´ecution du syst`eme. Utiliser le nom aurait ainsi cr´e´e une confusion pour
l’analyste car il ne pourrait plus retracer correctement la propagation des flux
dans le syst`eme. Par exemple, durant l’installation d’une application, un fichier
avec un nom al´eatoire est cr´e´e dans /data/dalvik-cache. Ce fichier contient
la version optimis´ee du code de l’application `a installer et est renomm´e en se
basant sur le nom de l’application `a la fin de l’installation. Si le conteneur est
impliqu´e dans un flux d’information avant et apr`es son renommage, nous aurions
un seul et mˆeme nœud pour le repr´esenter avec les identifiants alors que nous
aurions deux nœuds diff´erents en utilisant les noms.
Pour chaque entr´ee du journal de Blare, nous v´erifions si il existe un arc e1
correspondant au flux d´ecrit par l’entr´ee. Si c’est le cas, alors nous ajoutons le
timestamp de l’entr´ee courante `a la liste des timestamps de e1. Si ce n’est pas
le cas, nous ajoutons l’arc correspondant `a l’entr´ee courante au SFG. L’ajout
d’un nouvel arc implique ´egalement l’ajout de ses nœuds s’ils n’existaient pas
dans le SFG ; c’est-`a-dire qu’aucun des nœuds du SFG n’´etait ´egal aux nœuds94 CHAPITRE 4. GRAPHES DE FLUX SYSTEME `
source et destination du nouvel arc. La construction s’arrˆete quand il n’y a plus
d’entr´ee `a traiter et l’algorithme retourne le SFG.
Algorithme 1 : Construction d’un SFG `a partir des entr´ees d’un journal
de Blare
Input : Journal de Blare
Output : SFG correspondant aux flux d´ecrits dans le journal donn´e en
entr´ee
begin
g Ð empty SFG;
forall the entry ent in Blare log do
e0 Ð to edgepentq;
found Ð F alse;
forall the e1 P g do
if e0 e1 then
e1.timestamp Ð e1.timestamp Y e0.timestamp;
found Ð T rue;
break;
if found then
Add e0 to g;
return g;
Compacit´e du SFG
Nous avons avanc´e au d´ebut de ce chapitre que le premier atout du SFG
´etait de repr´esenter de mani`ere plus compacte les flux d’information observ´es par
Blare. Cette compacit´e a pour cons´equence de faciliter l’analyse des flux observ´es
afin de comprendre ce qui se passe dans le syst`eme. Durant la th`ese nous avons
analys´e plus d’une centaine d’application dont certaines ´etaient malicieuses et
d’autres non. L’analyse de chacune d’entre elles a dur´e entre 2 `a 5 minutes selon
les applications et le journal de Blare obtenu `a la fin de l’analyse contenait
quelques milliers d’entr´ee, c’est-`a-dire que Blare a observ´e des milliers de flux
d’information et chacun des flux observ´es par une entr´ee dans le journal. A titre `
d’exemple, l’analyse de 65 applications provenant de Google Play a produit en
moyenne plus de 130000 entr´ees dans le journal de Blare alors que les SFG
produits `a partir de chaque journal ont en moyenne une centaine d’arcs. La
raison de ce gain en compacit´e est que certains flux sont observ´es plusieurs fois
durant l’ex´ecution du syst`eme. Les ´echanges entre une application et le processus
system server sont par exemple r´ep´et´es plusieurs fois car ce processus h´eberge
les applications services du syst`eme fournies aux autres applications. Un autre
exemple de ces flux r´ep´et´es est la lecture ou l’´ecriture de donn´ees volumineuses
dans un fichier.4.4. SFG : PROFIL COMPORTEMENTAL D’UNE APPLICATION 95
4.4 Graphe de flux syst`eme : profil comportemental
d’une application
Un SFG repr´esente de mani`ere compacte les flux d’information observ´es par
(Andro)Blare. Dans cette th`ese, nous proposons d’utiliser le SFG en tant que
profil d’une application. Plus pr´ecis´ement, nous proposons d’utiliser le SFG pour
d´ecrire comment une information provenant d’une application se propage dans
le syst`eme entier. Afin de construire le SFG, nous analysons avec AndroBlare
comment l’information provenant d’une application sous surveillance se propage
dans le syst`eme. Nous installons l’application, assignons un nouvel identifiant
i `a ses donn´ees, marquons son apk avec un itag ´egal `a tiu, l’ex´ecutons et analysons
avec Blare comment ses donn´ees se propagent dans le syst`eme. Nous
assignons un nouvel identifiant aux donn´ees de l’application afin d’identifier les
flux d’information impliquant les donn´ees de l’application. L’apk contient toutes
les ressources d’une application. Nous le consid´erons donc comme l’origine des
donn´ees d’une application et le marquons avec l’itag tiu. A chaque fois que `
Blare observe un flux d’information impliquant une donn´ee identifi´ee par i il
rajoute une entr´ee d´ecrivant le flux observ´e. En utilisant l’algorithme 1, nous
construisons ensuite le SFG correspondant aux flux observ´es. Le SFG r´esultant
peut ensuite ˆetre analys´e afin de comprendre les actions d’une application. Dans
ce qui suit, nous proposons d’analyser un ´echantillon d’un malware Android.
4.4.1 Analyse de DroidKungFu1 avec AndroBlare
DroidKungFu1 [61] est un malware Android d´ecouvert en 2011 sur les plateformes
de t´el´echargement alternatives `a Google Play. Il m`ene deux types d’attaque
: le vol des donn´ees li´ees au t´el´ephone (IMEI, num´ero du t´el´ephone et
version du syst`eme d’exploitation) et l’ajout d’application sur le t´el´ephone. Le
vol des donn´ees est une attaque basique car l’application demande `a l’installation
les permissions requises pour acc´eder aux donn´ees et communiquer sur
le r´eseau. Une fois install´ee, l’application collecte les donn´ees sensibles et les
envoie dans une requˆete HTTP vers un serveur distant. En revanche, l’ajout
d’application est plus complexe et les permissions demand´ees ne laissent en
rien pr´esager l’installation d’une nouvelle application. Pour installer d’autres
applications, le malware ´el`eve ses privil`eges en exploitant une vuln´erabilit´e du
syst`eme Android [31] ou en utilisant le binaire su 1
.
L’´echantillon que nous utilisons 2 provient de la collection Contagio [82] et
a ´et´e propos´e comme un client VoIP sur des plateformes alternatives `a Google
Play. La figure 4.4 est une capture d’´ecran des permissions demand´ees `a l’utilisateur
par l’´echantillon. Parmi les acc`es demand´es, nous remarquons l’acc`es `a
l’identit´e du t´el´ephone (ex : IMEI et num´ero de t´el´ephone) et l’acc`es au r´eseau.
Nous analysons l’´echantillon avec AndroBlare comme d´ecrit en section 3.5. Nous
l’installons sur un t´el´ephone, marquons son apk, l’ex´ecutons et analysons avec
1. switch user
2. Empreinte MD5 : 39d140511c18ebf7384a36113d48463d96 CHAPITRE 4. GRAPHES DE FLUX SYSTEME `
Figure 4.4 – Permissions demand´ees par un ´echantillons de DroidKungFu
AndroBlare comment ses informations se propagent dans le syst`eme.
Le code malveillant dans l’application est automatiquement ex´ecut´e d`es que
nous lan¸cons l’application. Super User notifie que l’application a obtenu les
droits root et au bout de quelques secondes, nous remarquons une nouvelle
application, Google SSearch, dans le menu principal du t´el´ephone (figure 4.5).
Nous arrˆetons l’analyse et cr´eons `a partir du journal de Blare le SFG de l’application.
Le nombre d’entr´ees cr´e´ees dans le journal est de 3563 et `a partir de ces
entr´ees nous construisons le SFG que nous analysons dans la section suivante.
4.4.2 Analyse du SFG de DroidKungFu1
La figure 4.6 illustre un extrait du SFG de l’´echantillon 39d140511c18ebf7384a36113d48463d.
Le SFG entier est plus grand (106 arcs et 76 nœuds)
mais la figure montre la partie la plus importante du point de vue de l’attaque
(partie en gras). Le SFG a deux types de nœuds. Les ellipses repr´esentent des
processus tandis que les boˆıtes repr´esentent des fichiers. Les arcs repr´esentent
toujours des labels mais pour des raisons esth´etiques, nous nous sommes limit´es
`a afficher le nombre de fois que les flux correspondants aux arcs ont ´et´e observ´es4.4. SFG : PROFIL COMPORTEMENTAL D’UNE APPLICATION 97
Figure 4.5 – Liste des applications dans le menu du t´el´ephone apr`es l’installation
d’une nouvelle application par un ´echantillon de DroidKungFu98 CHAPITRE 4. GRAPHES DE FLUX SYSTEME `
/data/app/com.aijiaoyou.android.sipphone-1.apk
system_server
1 - 98081668
ndroid.sipphone
82 - 98349271
11 - 98341815
/data/system/packages.xml
1 - 313591933
.google.ssearch
7 - 319549869
82 - 98347483
/data/data/com.aijiaoyou.android.sipphone/gjsvro
2 - 100112038
/data/data/com.aijiaoyou.android.sipphone/legacy
1 - 312461265 1 - 100158896
gjsvro
3 - 121963546
/proc/sys/kernel/hotplug
1 - 121959054
/system/bin/gjsvr
2 - 121963729
/system/app/com.google.ssearch.apk
11 - 312503997
2 - 312993777
dexopt
1 - 313427486
2 - 319553901
cat
11 - 312938978
/data/dalvik-cache/system@app@com.google.ssearch.apk@classes.dex
2 - 313429554 1 - 313573503
1 - 319567573
7 - 319548445
12 - 312503806 12 - 312938674
Figure 4.6 – Extrait du SFG d’un ´echantillon de DroidKungFu4.4. SFG : PROFIL COMPORTEMENTAL D’UNE APPLICATION 99
ainsi que le timestamp de la premi`ere observation. L’application que nous avons
analys´e est le processus ndroid.sipphone. En analysant le SFG, nous pouvons
d´eduire que deux applications ont ´et´e install´ees sur le t´el´ephone.
Lorsque l’´echantillon s’ex´ecute, il cr´ee deux fichiers /data/data/com.aijaoyou.sipphone/gjsvro
et /data/data/com.aijaoyou.sipphone/legacy. A par- `
tir du contenu de ces fichiers, deux processus, gjsvro et cat, cr´eent deux
nouveaux fichiers dans la partition system : /system/bin/gjsvro et /system/app/com.google.search.apk.
Cela indique l’installation d’une application
native, gjsvro, et d’une application Android, com.google.search.apk.
Ces deux fichiers n’existent pas par d´efaut sous Android, ce qui laisse supposer
qu’ils ont ´et´e cr´e´es par l’´echatillon du malware que nous analysons. Les flux qui
suivent renforcent cette hypoth`ese car le contenu du fichier apk se propage vers
le processus system server qui lui le propage dans le fichier packages.xml.
Le processus system server ex´ecute divers services du syst`eme dont celui en
charge de l’installation des nouvelles applications, Package Manager. Package
Manager observe la cr´eation de nouveaux fichiers dans le r´epertoire /system/app
qui stocke les applications syst`eme. Si un fichier est cr´e´e dans ce r´epertoire, il
lance l’installation du fichier. Le fichier packages.xml contient la liste des applications
install´ees sur le t´el´ephone. De plus, le contenu du fichier apk est
´egalement lu par le processus dexopt qui est en charge d’extraire la version
optimis´ee du code d’une application `a partir de son apk. Un nouveau processus,
google.search acc`ede ensuite `a cette version optimis´ee ainsi qu’`a l’apk cr´e´e
par le malware ce qui indique l’ex´ecution d’une nouvelle application.
Pour confirmer l’installation, nous analysons le fichier packages.xml. En calculant
la diff´erence de son contenu avant et apr`es l’analyse de l’´echantillon, nous
remarquons une entr´ee d´ecrivant une nouvelle application com.google.ssearch
(listing 4.1). L’entr´ee indique que le code de l’application correspond au fichier
com.google.ssearch.apk dans la partition system. Elle indique aussi l’UID
associ´e `a l’application : 10059. A l’installation d’une application, le syst`eme lui `
associe un nouvel UID dont la valeur est le dernier UID associ´e `a une application
incr´ement´e de 1. L’UID associ´e `a l’´echantillon que nous avons analys´e est
10058. Cela signifie donc que l’application com.google.ssearch a ´et´e install´ee
apr`es l’´echantillon que nous avons analys´e.
481
484
485
486
487
488
Listing 4.1 – Entr´ee dans le fichier packages.xml ajout´ee suite `a l’installation
d’une nouvelle application par un ´echantillon de DroidKungFu100 CHAPITRE 4. GRAPHES DE FLUX SYSTEME `
Avant de cr´eer les fichiers dans la partition system, le processus gjsvro
´ecrit dans un fichier hotplug. Ce fichier est une entr´ee du procfs, un syst`eme
de fichier servant d’interface pour acc´eder `a des informations sur les processus
et d’autres ´el´ements du syst`eme tels que le noyau. Si l’´ecriture de donn´ee dans
le fichier hotplug ne signifie pas forc´ement une attaque, elle est cependant
inhabituelle et correspond `a l’exploitation de la vuln´erabilit´e pour obtenir les
droits root sur le syst`eme [31].
Un SFG est un multigraphe orient´e qui repr´esente de mani`ere compacte les
flux d’information observ´es par AndroBlare. Comme nous l’avons montr´e `a la
fin de la section 4.3, une centaine de milliers d’entr´ee dans le journal d’AndroBlare
se r´eduit en un graphe avec un moyenne une centaine d’arcs. Grˆace `a
sa compacit´e, cette structure facilite l’analyse des flux observ´es dans le syst`eme
afin de comprendre le comportement d’une application. Dans le cas d’analyse de
malware, cette fonctionnalit´e s’av`ere int´eressant pour ´etablir un d´ebut de diagnostic
d’une attaque. Pour illustrer cela, nous avons analys´e avec AndroBlare
un ´echantillon du malware DroidKungFu1 et construit le SFG correspondant
aux flux observ´es durant l’analyse. Nous avons d´eduit `a partir du SFG que
l’´echantillon analys´e installait deux applications dans le syst`eme : une native
et une sous forme d’apk. Ces deux applications sont install´ees dans la partition
system, ce qui rend leur pr´esence persistante sur le t´el´ephone. Un utilisateur
normal ne peut d´esinstaller une application dans la partition system sans les
droits root or ils ne sont pas disponibles par d´efaut sur les t´el´ephones. Le SFG a
´egalement mis en ´evidence l’exploitation de la vuln´erabilit´e pour avoir les droits
root (´ecriture de donn´ees sensibles dans le fichier hotplug).
Revenons sur le travail effectu´e dans [16] et pr´esent´e en section 3.2. Le but
de ce travail ´etait de d´efinir manuellement une politique de flux d’information
pour le syst`eme Android. Sa r´ealisation a cependant mis en ´evidence la difficult´e
d’une telle approche. L’un des pr´e-requis `a cette d´emarche est une connaissance
approfondie du syst`eme. Or ce n’est pas souvent le cas pour les d´eveloppeurs
d’application et d´efinir une politique de flux pour des applications cens´ees tourner
dans un environnement AndroBlare pourrait s’av`erer difficile. Avec T. Saliou,
nous avons ainsi propos´e dans [20] une approche semi-automatique pour
assister un d´eveloppeur dans la cr´eation de la politique d’une application.
4.5 Cr´eation d’une politique de flux d’information
`a partir d’un System Flow Graph
La difficult´e dans la d´efinition d’une politique est de connaˆıtre tous les conteneurs
l´egaux des informations `a surveiller. Lors de la d´efinition de la politique
d’une application, il s’agit donc d’identifier tous les conteneurs pouvant acc´eder
ou stocker les donn´ees de cette application. Pour les identifier, nous proposons4.5. POLITIQUE DE FLUX D’INFORMATION A PARTIR D’UN SFG ` 101
d’analyser les applications pour construire leur profil sous forme de SFG. A par- `
tir du SFG, nous d´eduisons ensuite les conteneurs l´egaux des donn´ees surveill´ees
car le SFG d´ecrit o`u les informations surveill´ees se propagent dans le syst`eme.
La construction de la politique se fait en deux ´etapes. Dans un premier
temps, le d´eveloppeur analyse son application dans un environnement AndroBlare
et construit le profil de son application comme d´ecrit en section 4.4. Le
but de cette ´etape est d’obtenir dans le SFG tous les flux d’information possibles
que l’application peut causer. Le d´eveloppeur ´etant celui qui connaˆıt le mieux
son application, il est le mieux plac´e pour stimuler son application et couvrir
ainsi toutes les fonctionnalit´es offertes par l’application.
Une fois le SFG obtenu, nous calculons la politique de flux de l’application.
L’algorithme 2 d´ecrit le processus de calcul. Les fonctions cont, ptag, xptag,
inedges et bin retournent respectivement le conteneur d’information associ´e `a
un nœud, le ptag d’un conteneur, son xptag, les arcs entrants d’un nœud et
le fichier contenant l’application ex´ecut´ee par un processus. Pour chaque nœud
du SFG, nous consid´erons que le conteneur d’information qu’il repr´esente est
un conteneur l´egal de toutes les information sensibles impliqu´ees dans les arcs
entrants du nœud. Nous consid´erons que toutes ces informations peuvent se
m´elanger dans le conteneur. Par exemple, si deux arcs e0 et e1 sont les arcs
entrants d’un nœud n alors nous consid´erons que le conteneur repr´esent´e par n
est un conteneur l´egal des informations impliqu´ees dans les flux d´ecrits par les
deux arcs.
Algorithme 2 : Calcul d’une politique de flux d’information Blare `a partir
d’un SFG
Input : Un SFG G
Output : Une politique de flux d’information
begin
ptag (socket) Ð H;
foreach n P nodes (G) do
ids Ð H ;
foreach e P inedges (n) do
ids Ð ids Y e.flow ;
switch type (n) do
case file
ptag (cont (n)) Ð tidsu;
break;
case process
xptag (bin (cont (n))) Ð tidsu;
break;
case socket
ptag (socket) Ð ptag (socket) Y tidsu;
break;102 CHAPITRE 4. GRAPHES DE FLUX SYSTEME `
En utilisant cette approche, nous avons construit la politique de trois applications
issues de Google Play : Angry Birds, Finger Scanner et Knife Game.
La politique produite est ´ecrite en BSPL [57] et le listing 4.2 est un extrait de
l’une des politiques BSPL produites. Ecrire la politique en BSPL permet de ´
la composer avec d’autres politiques, notamment celle du syst`eme sur lequel
l’application est install´ee. La politique liste les conteneurs d’information pris en
compte par la politique, les donn´ees sensibles `a surveiller et pour chaque donn´ee
sensible la liste des conteneurs l´egaux ainsi que les informations avec lesquelles
elles peuvent se m´elanger dans le conteneur.
Evaluation des politiques produites ´
Nous avons men´e deux types d’exp´erience afin d’´evaluer les politiques de flux
produites `a partir de notre approche. La premi`ere exp´erience consiste `a valider
la prise en compte des flux que l’application engendre durant son ex´ecution
par sa politique de flux. Nous nous assurons qu’aucune alerte n’est lev´ee par
AndroBlare lorsque nous ex´ecutons l’application et appliquons sa politique. La
deuxi`eme exp´erience consiste `a valider la capacit´e de d´etection de la politique
en cas d’intrusion dans le syst`eme. Plus pr´ecis´ement, nous v´erifions que la politique
de s´ecurit´e permet la d´etection des d´eviations par rapport au comportement
d’origine de l’application. Nous consid´erons ici le cas des applications
malveillantes qui sont `a l’origine des applications b´enignes mais auxquelles du
code malveillant a ´et´e rajout´e. Ce mode d’infection est le plus utilis´ee par les
auteurs de malware selon l’analyse dans [113].
Dans les deux types d’exp´eriences, nous appliquons la proc´edure suivante.
Nous installons l’application, appliquons sa politique et l’utilisons comme un
utilisateur normal l’utiliserait. En parall`ele, nous v´erifions avec AndroBlare si
les flux caus´es par l’application violent la politique de flux du mise en œuvre.
Lors de la premi`ere exp´erience, nous utilisons la version de l’application ayant
servi lors de la cr´eation de la politique et v´erifions qu’aucune alerte n’est lev´ee
lors de l’utilisation de l’application. Si aucune alerte n’est lev´ee, cela signifie que
la politique couvre tous les flux que l’application cause durant son ex´ecution.
Lors de la deuxi`eme exp´erience nous utilisons des versions infect´ees des applications
utilis´ees dans l’exp´erience pr´ec´edente. Ces versions infect´ees sont des r´eels
´echantillons de malware provenant de la collection Contagio [82]. Les versions
infect´ees d’Andry Birds, Finger Scanner et Knife Game sont respectivement des
´echantillons d’une variante de LeNa [104], DroidKungFu1 [61] et Bad News [91].
Chacun de ces malwares essaient d’installer des applications sur le t´el´ephone
soit en usant des privil`eges demand´ees `a l’installation soit en exploitant des
vuln´erabilit´es dans le syst`eme. Le but de la deuxi`eme exp´erience est donc de
d´etecter ces comportements.
Le tableau 4.1 liste le nombre d’alertes lev´ees lors de l’´evaluation des politiques
des trois applications. Lors de la premi`ere exp´erience, AndroBlare n’a
l´ev´e aucune alerte pour les 3 applications. Les politiques respectives des trois applications
couvrent donc tous les flux qu’elles engendrent durant son ex´ecution.
Lors de la deuxi`eme exp´erience, AndroBlare a lev´e des alertes pour chacune4.5. POLITIQUE DE FLUX D’INFORMATION A PARTIR D’UN SFG ` 103
des versions infect´ees des applications utilis´ees durant la premi`ere exp´erience.
Les alertes lev´ees ´etant nombreuses, nous ne les mettrons pas dans le pr´esent
document mais la figure 4.7 est un extrait de ces alertes. Elle liste les alertes
lev´ees par AndroBlare lors de l’analyse de la version infect´ee de Finger Scanner.
La version infect´ee d’Angry Birds est un ´echantillon de LeNa. Les analyses
sur LeNa indiquent que le malware exploitent une vuln´erabilit´e du syst`eme
afin d’obtenir les privil`eges root puis installer une nouvelle application. Lors
de l’analyse de l’´echantillon, AndroBlare a lev´e des alertes indiquant l’acc`es en
lecture et ´ecriture `a des fichiers dans le r´epertoire de l’application par d’autres
applications : logo et logcat. Logo est une application binaire incluse par l’auteur
du malware dans l’application. Logcat est une application qui permet de
lire le contenu du journal du syst`eme. Ces deux applications lisent et ´ecrivent
dans les fichiers logo, crashlog, flag, exec et .e1240987052d situ´es dans
le r´epertoire de l’application analys´ee. Si ces acc`es n’indiquent pas forc´ement une
intrusion dans le syst`eme, elles correspondent cependant `a la premi`ere ´etape de
l’attaque men´ee par le malware, l’exploitation de la vuln´erabilit´e sur le syst`eme.
L’analyse effectu´ee dans [95] indique que l’application installe ou remplace les
binaires situ´ees dans /system/bin. AndroBlare n’a lev´e aucune alerte indiquant
de tels comportements. Pour s’assurer qu’il ne s’agit pas de faux n´egatif, nous
avons list´e le contenu du r´epertoire et v´erifi´e si de nouveaux binaires ont ´et´e
cr´e´es ou si le contenu des fichiers pr´esents ont ´et´e chang´e pendant l’analyse de
l’application. Notre analyse a montr´e qu’aucun fichier n’a ´et´e cr´e´e ni modifi´e.
La version infect´ee de Finger Scanner est un ´echantillon de DroidKungFu 1.
Tout comme LeNa, DroidKungFu1 exploite une vuln´erabilit´e dans le syst`eme
Android afin d’´elever ses privil`eges et installer deux applications sur le t´el´ephone :
une native et une application Android. Lors de l’analyse de l’´echantillon de
DroidKungFu 1, AndroBlare a lev´e des alertes indiquant l’´ecriture de donn´ees
sensibles dans une entr´ee de procfs 3
, deux fichiers dans la partition system et
la propagation des donn´ees sensibles vers le fichier contenant la liste des applications
du t´el´ephone, l’application en charge d’une partie de l’installation des
nouvelles applications sur le t´el´ephone et un nouveau processus dont le nom est
une partie du nom d’un des nouveaux fichiers cr´e´es dans la partition system.
Ces alertes sont list´ees dans la figure 4.7. Ces alertes correspondent `a l’exploitation
de la vuln´erabilit´e par DroidKungFu 1 ainsi que l’ajoute de nouvelles
applications dans le syst`eme. La premi`ere alerte correspond `a l’exploitation de
la vuln´erabilit´e par le malware. Les alertes qui restent d´ecrivent l’ajout des
deux nouvelles applications system ainsi que l’ex´ecution de l’une d’entre elles
(com.google.ssearch.apk).
La version infect´ee de Savage Knife Game est un ´echantillon de BadNews.
BadNews est un malware dont le comportement est dict´e par un serveur de
commande. En analysant le code de l’´echantillon avec Androguard [97], nous
avons d´ecouvert que le malware peut recevoir X types de commande : installer
une application, afficher une notification `a l’utilisateur, changer l’adresse
des serveurs de commande, t´el´echarger des fichiers et ajouter des raccourcis
3. Syst`eme de fichier servant d’interface `a des donn´ees du syst`eme, y compris le noyau104 CHAPITRE 4. GRAPHES DE FLUX SYSTEME `
[POLICY_VIOLATION] process gjsvro:gjsvro 984 > file /proc/sys/kernel/
hotplug 4827 > itag[-3]
[POLICY_VIOLATION] process gjsvro:gjsvro 984 > file /system/bin/gjsvr
16738 > itag[-3 3]
[POLICY_VIOLATION] process gjsvro:gjsvro 984 > file /system/app/
com.google.ssearch.apk 8330 > itag[-3 3]
[POLICY_VIOLATION] process cat:cat 990 > file /system/app/com.google.
ssearch.apk 8330 > itag[3]
[POLICY_VIOLATION] process gjsvro:gjsvro 984 > socket (127.0.0.1) 0 > itag[-3 3]
[POLICY_VIOLATION] file /system/app/com.google.ssearch.apk 8330 > process
dexopt:dexopt 991 > itag[3]
[POLICY_VIOLATION] process dexopt:dexopt 991 > file /data/dalvik-cache/
system@app@com.google.ssearch.apk@classes.dex 24632 > itag[3]
[POLICY_VIOLATION] file /data/dalvik-cache/system@app@com.google.ssearch.apk
@classes.dex 24632 > process dexopt:dexopt 991 > itag[3]
[POLICY_VIOLATION] process droid.gallery3d:droid.gallery3d 995 > file /data/data/
com.android.gallery3d/shared\_prefs/com.android .gallery3d\_preferences.xml
57603 > itag[3]
[POLICY_VIOLATION] file /system/app/com.google.ssearch.apk 8330 > process
.google.ssearch:.google.ssearch 1059 > itag[3]
[POLICY_VIOLATION] file /data/dalvik-cache/system@app@com.google.ssearch.apk
@classes.dex 24632 > process .google.ssearch:.google.ssearch 1059 > itag[3]
Figure 4.7 – Extrait des alertes lev´ees par l’´echantillon de DroidKungFu1 lors
de l’´evaluation de la politique de Finger Scaner
Version originale Version infect´ee
Angry Birds 0 15
Finger scanner 0 11
Knife game 0 209
Table 4.1 – Nombre d’alertes lev´ees par Blare lors de l’ex´ecution des versions
originales et infect´ees de trois applications en appliquant une politique BSPL
soit vers des pages web soit vers des fichiers sur le t´el´ephone. Lors de l’analyse
de l’´echantillon, AndroBlare a lev´e 209 alertes. Une partie d’entre elles
correspondent au t´el´echargement de deux applications, leur installation et leur
ex´ecution sur le t´el´ephone. L’une des applications est pr´esent´ee comme ´etant
Adobe Flash mais est en r´ealit´e un jeu et l’autre application est une version
infect´ee du jeu Doodle Jump. L’autre partie des alertes d´ecrivent l’´echange de
donn´ees sensibles du navigateur avec d’autres objets du syst`eme. Ces alertes
sont dues au fait que l’´echantillon analys´e utilise le navigateur pour initier le
t´el´echargement des applications. Pour cela, il ´emet un intent pour ouvrir les
adresses web pointant vers les applications `a t´el´echarger. A partir ce moment, le `
navigateur se trouve ainsi marqu´e comme contenant une donn´ee sensible et tout
´echange qu’il aura avec les autres ´el´ements du syst`eme est vu par AndroBlare
comme impliquant une donn´ee sensible.4.5. POLITIQUE DE FLUX D’INFORMATION A PARTIR D’UN SFG ` 105
1
2
3
4
5
12
13
16
19
22
25
26 ...
27 ...
28
29
30
31
32
40
41
43
44 ...
45 ...
46
47
48
49
Listing 4.2 – Extrait de la politique BSPL de l’application Finger Scanner106 CHAPITRE 4. GRAPHES DE FLUX SYSTEME `
R´esum´e
Nous avons pr´esent´e dans ce chapitre une structure de donn´ees, SFG, repr´esentant
sous la forme de multigraphe orient´e les flux d’information qu’AndroBlare
d´etecte durant l’ex´ecution du syst`eme. Cette structure est le deuxi`eme
apport de la th`ese et la deuxi`eme ´etape vers l’accomplissement de notre objectif
principal qui est de classifier et d´etecter les malware Android. Dans l’exemple
propos´e en section 4.4, nous avons obtenu un SFG contenant moins de 100 arcs
`a partir de plus de 3000 flux observ´es. Grˆace `a sa compacit´e, le SFG permet de
comprendre rapidement les ´ev`enements qui se passent dans le syst`eme. L’analyse
du graphe obtenu `a partir des flux engendr´es par un ´echantillon de DroidKungFu
1 nous a ainsi permis d’identifier l’installation de deux applications
par le malware. En plus d’utiliser cette structure comme profil d’une application,
nous avons ´egalement montr´e qu’il ´etait possible de s’en servir pour cr´eer
la politique Blare d’une application. Nous avons test´e cette approche sur trois
applications populaires de Google Play et montr´e que les politiques produites
capturaient bien les flux caus´ees par les applications durant leur ex´ecution et
permettaient de d´etecter les d´eviations de comportement dues `a tout code malveillant
introduit dans les applications.
Le contenu de ce chapitre a fait l’objet de deux publications. La premi`ere
a ´et´e publi´ee `a WISG13 [18] et pr´esente la structure SFG ainsi que la mani`ere
dont elle peut ˆetre utilis´ee pour comprendre le comportement d’une application.
La deuxi`eme publication a ´et´e publi´ee `a IAS13 [20] et ´etendue dans un article
du journal [19]. Elle pr´esente la m´ethode de cr´eation de politique BSPL `a partir
d’un SFG ainsi que son ´evaluation.Chapitre 5
Caract´erisation et d´etection
de malware Android
Nous avons pr´esent´e dans le chapitre pr´ec´edent une structure de donn´ee qui
d´ecrit de mani`ere compacte comment les informations surveill´ees par AndroBlare
se propagent dans le syst`eme et propos´e d’utiliser cette structure pour
d´ecrire comment une application propage ses donn´ees dans le syst`eme. En analysant
le graphe d’un ´echantillon de DroidKungFu 1, nous avons montr´e qu’une
partie du graphe correspondait `a l’attaque effectu´ee par le malware. Selon l’analyse
effectu´ee dans [113], plus de 86% des ´echantillons de malware Android sont
des applications existantes auxquelles du code malveillant a ´et´e ajout´e. Cela
signifie donc que les ´echantillons d’un mˆeme malware ont un comportement partiellement
commun dˆu au code malveillant qui leur a ´et´e inject´e. Un ´echantillon
d’un malware est une application consid´er´ee comme ´etant une ´echantillon de
ce malware. Une partie des flux qu’ils causent devraient ainsi ˆetre les mˆemes.
En supposant que l’attaque observ´ee dans le graphe de l’´echantillon de DroidKungFu
1 soit dˆu `a un code qui a ´et´e inject´e dans l’application d’origine et
d’autres applications, peut-on ainsi retrouver ce sous-graphe dans le graphe des
autres ´echantillons ? Nous avons g´en´eralis´e ce probl`eme et r´epondons dans ce
chapitre aux deux questions suivantes.
1. Existe-t-il des sous-graphes communs aux SFG des applications malveillantes
telles que cette partie commune corresponde au comportement
introduit par le code malveillant dans ces applications ?
2. Si un tel sous graphe existe, permet-il de d´etecter d’autres ´echantillons
du malware ?
Afin de r´epondre `a ces questions, nous pr´esentons et ´evaluons dans ce chapitre
une m´ethode pour calculer ce sous-graphe en commun et une m´ethode de
d´etection utilisant les flux d’information et les sous-graphes en commun pour
d´etecter l’ex´ecution d’´echantillon de malware.
107108 CHAPITRE 5. CARACTERISATION ET D ´ ETECTION DE MALWARE ´
5.1 Caract´erisation de malware Android : classi-
fication d’applications malveillantes Android
Nous proposons de caract´eriser un malware avec le(s) sous-graphe(s) en
commun aux SFG de ses ´echantillons qui d´ecrit son comportement malveillant.
Afin d’extraire cette partie commune, nous calculons les arcs en commun aux
SFG des ´echantillons de malware comme d´ecrit par l’algorithme 3. Le calcul effectu´e
peut ˆetre vu comme un processus de classification non supervis´ee o`u nous
cherchons `a regrouper les SFG, implicitement les applications correspondantes,
ayant des parties communes et parall`element `a calculer un profil pour chaque
classe qui caract´erise ses ´el´ements. Id´ealement, les ´echantillons d’un mˆeme malware
seraient regroup´ees au sein d’une mˆeme classe et donc caract´eris´es par
un seul profil. Contrairement aux autres approches effectuant des classifications
non supervis´ees sur les ´echantillons de malware ou des applications en
g´en´eral [67, 89, 90, 22], nous n’utilisons aucune notion de distance entre chaque
´el´ement pour d´eterminer s’ils devraient faire partie d’une mˆeme classe. A la `
place, nous consid´erons que deux ´el´ements, ici des SFG, font partie d’une mˆeme
classe s’ils ont une partie commune non nulle.
Une classification consiste `a apprendre `a partir d’un jeu de donn´ees un
mod`ele d´efinissant comment ces donn´ees sont ou peuvent ˆetre regroup´ees. Ici
nous souhaitons calculer des classes de SFG et les profils caract´erisants les
´el´ements de chaque classe. Ce jeu de donn´ees est repr´esent´e par la premi`ere
liste donn´ee en param`etre de l’algorithme 3. Une deuxi`eme liste est donn´ee en
param`etre mais elle sert uniquement `a filtrer les arcs qui pourraient faire partie
des profils que nous calculons. Ce filtrage est effectu´e par la fonction clean au
d´ebut de la classification. Nous donnerons plus de d´etail sur cet aspect plus
tard.
Initialement, la classification associe une classe diff´erente `a chacun des SFG
des applications. Le r´esultat renvoy´e par l’algorithme, c’est-`a-dire la classifi-
cation finale, est obtenue en calculant un point fixe sur l’´evolution de cette
classification. Le calcul du point fixe est repr´esent´e par la boucle while tandis
que la mise `a jour de la classification est op´er´ee par la fonction one-step-classification
(algorithme 4). Cette fonction prend en entr´ee une liste de classe
en param`etre et fusionne les paires de classes dont les profils ont une partie
commune. En supposant ainsi qu’il y ait n classes dans la classification donn´ee
en param`etre, elle v´erifie pour toute combinaison de deux classes si leurs profils
respectifs ont une partie commune non nulle. Cela se traduit par C
2
n
calculs d’intersection
de deux SFG. Si c’est le cas, elle fusionne les deux classes et associe
comme profil `a la classe r´esultante cette partie commune non nulle. Aux ´el´ements
des deux classes ayant ´et´e fusionn´ees s’ajoutent les ´el´ements des autres classes
dont le profil contient l’intersection des profils des deux classes fusionn´ees. Si
une classe n’a ´et´e fusionn´ee avec aucune autre classe, elle est ajout´ee telle quelle
dans la nouvelle classification.5.1. CARACTERISATION DE MALWARE ANDROID ´ 109
Algorithme 3 : Calcul des parties communes de SFG d’application caract´erisant
son comportement malveillant et regroupement de ces SFG
Input :
[g0,. . . ,gn] une liste de SFG
white une liste blanche de SFG
Output : [(s0,[g01
,. . . ,g0i
]),. . . ,(sm,[gm1
,. . . ,gmk
])] une liste de couple
associant les sous-graphes communs aux graphes les contenant
begin
assoc Ð H;
new assoc Ð [(clean (g0, white),[g0]),. . . ,(clean (gn, white),[gn])];
while passoc ‰ new assocq do
assoc Ð new assoc;
new assoc Ð one-step-classificationpassocq;
return assoc;
Algorithme 4 : One-step-classification function
Input :
assoc une liste de SFG
Output : une liste d’association de SFG
begin
new assoc Ð rs ;
tmp Ð H;
forall the g1 P keyspassocq do
forall the g2 P keyspassocqztg1u do
if pg1, g2q P tmp or pg2, g1q P tmp then
continue;
tmp Ð tmp Ytpg1, g2qu;
s Ð g1 [ g2 ;
if s “ H then
v Ð valuepassoc, g1q ` valuepassoc, g2q ;
forall the g P keyspassocqztg1, g2u do
if s Ď g then
v Ð v + value (assoc, g)
new assoc Ð addpnew assoc,ps, vqq;
return new assoc;110 CHAPITRE 5. CARACTERISATION ET D ´ ETECTION DE MALWARE ´
Pr´e-traitement des ´el´ements `a classifier : filtrage des arcs
des SFG
Nous avons mentionn´e pr´ec´edemment que la deuxi`eme liste donn´ee en entr´ee
de l’algorithme 3 ´etait utilis´ee par la fonction clean pour filtrer les arcs pouvant
faire partie des profils que nous calculons. Filtrer les arcs pouvant faire partie
des profils est une n´ecessit´e car une partie des SFG des applications Android
est la mˆeme que ces applications soient b´enignes ou non. Nous filtrons ainsi
les arcs `a prendre en compte dans les profils afin de ne pas calculer des profils
g´en´eriques d´ecrivant toute application Android au lieu de profils de malwrare
d´ecrivant leur comportement malveillant.
Cette partie commune entre les SFG des applications Android est due `a
la mani`ere dont les applications sont ´ecrites et `a la mani`ere dont l’environnement
Android fonctionne. En effet, les composants des applications Android
sont des composants qui ´etendent des classes pr´ed´efinies dans Android, `a savoir
Activity, BroadcastReceiver, Service et ContentProvider. Les composants
h´eritent ainsi des fonctionnalit´es de ces classes. Ainsi, ils ont tous par exemple
la mˆeme r´ef´erence au ContextManager, classe servant `a demander les r´ef´erences
des diff´erents services du syst`eme. Cette classe effectue la requˆete au processus
servicemanager par d´efaut. De plus, l’interaction avec le reste du syst`eme se
fait souvent avec des fonctions fournies par l’API Android ce qui peut causer des
flux similaires aux applications. Pour cr´eer ou acc´eder aux pr´ef´erences de l’application,
les applications utilisent souvent la fonction getSharedPreferences
par exemple. L’usage des pr´ef´erences est conseill´e dans divers cas tels que la sauvegarde
des donn´ees lorsqu’une applications est mise en pause par le syst`eme.
Le fichier stockant les pr´ef´erences est localis´e dans le r´epertoire local de l’application
par d´efaut et son acc`es via l’API d’Android est ainsi le mˆeme pour toutes
les applications.
A cause de ce caract`ere commun, des comportements communs sont par- `
tag´es entre les applications qu’elles soient b´enignes ou non. Ce qui implique
qu’une partie des flux d’information qu’elles causent sont les mˆemes. En calculant
simplement le sous-graphe commun aux graphes des ´echantillons de malware
sans effectuer de filtrage, nous risquerions d’obtenir un graphe en commun
caract´erisant n’importe quelle application Android et tout comportement malveillant
sera ainsi absent de ce graphe. Pour palier `a ce probl`eme, il est ainsi
n´ecessaire de filtrer les ´el´ements `a prendre en compte dans les sous-graphes en
commun que nous calculons. Dans les exp´eriences men´ees en section 5.2, nous
filtrons les arcs `a prendre en compte dans les profils de malware. Nous ignorons
les arcs qui d´ecrivent un flux impliquant les processus system server, celui
ex´ecutant l’application de galerie d’images et les fichiers dans /acct/uid 1
. A`
ces flux s’ajoutent ceux d´ecrits par les ´el´ements de la deuxi`eme liste donn´ee
en entr´ee de l’algorithme 3. Les ´el´ements de cette liste sont des SFG d’applications
b´enignes que nous consid´erons comme repr´esentant les comportements
communs que nous ne souhaitons pas ˆetre pris en compte durant le calcul des
1. Voir les pages manuel de acct sous Linux5.2. EVALUATION DE LA M ´ ETHODE DE CLASSIFICATION ´ 111
profils. Nous calculons dans la section 5.3 le r´esultat obtenu quand aucun filtrage
n’est appliqu´e et montrons que les classes produites ainsi que les profils calcul´es
sont trop g´en´eriques pour refl´eter un quelconque malware. Dans la section 5.3,
nous montrons l’utilit´e de ce filtrage en r´ep´etant la classification effectu´ee en
section 5.2.
5.2 Evaluation de la m´ethode de classification ´
5.2.1 Jeu de donn´ee
Afin d’´evaluer notre algorithme de calcul de sous-graphe, nous proposons
de l’appliquer sur 19 ´echantillons de malware : 5 ´echantillons de BadNews [91],
7 de DroidKungFu1 [61], 3 de DroidKungFu2 [60] et 5 de jSMSHider [96]. En
plus de ces 19 ´echantillons, nous utilisons ´egalement 7 applications provenant
de Google Play dont les SFG constitueront la liste blanche. Ces applications
sont compos´es de quatre jeux (Angry birds, Little Dentist, Finger Scanner et
Crazy Jump), un navigateur web (Firefox), deux utilitaires (Android Term et
Busybox Free) et une application de fond d’´ecran (Ironman 3 live).
BadNews est un malware qui infecte les syst`emes Android sous la forme
d’applications l´egitimes. En analysant manuellement les 5 ´echantillons avec Androguard,
nous avons d´etermin´e que BadNews est un malware dont le comportement
est dict´e par un serveur de commande et contrˆole (C&C). A l’ex´ecution `
du code malveillant, il contacte le serveur afin d’obtenir la prochaine commande
`a ex´ecuter. D’apr`es l’analyse effectu´ee, il comprend plusieurs commandes : t´el´echarger
et installer une application, afficher des informations sous forme de
notification (page web `a visiter, mise `a jour d’une application etc), installer
de nouveaux icˆones qui m`enent vers une page web ou une application Android
qui aurait ´et´e pr´ealablement t´el´echarg´ee et changer l’adresse du serveur C&C.
Durant les p´eriodes d’exp´erimentation que nous avons men´ees, le serveur ´etait
toujours actif et envoyait les mˆemes commandes `a chaque fois : t´el´echarger deux
applications et afficher des notifications de mises `a jour `a l’utilisateur qui une
fois cliqu´ees causent l’installation des applications. Les deux applications sont
une version infect´ee de Doodle Jump et un jeu en Russe qui est pr´esent´e comme
´etant une version d’Adobe Flash pour Android.
DroidKungFu1 est un malware d´ecouvert en 2011 qui installe furtivement
des applications sur le t´el´ephone en exploitant des vuln´erabilit´es du syst`eme ou
grˆace `a la commande su. Les applications sont install´ees sur la partition system
afin de rendre permanente leur pr´esence sur le t´el´ephone. Cette partition est par
d´efaut mont´ee en lecture seule et par d´efaut un utilisateur ne peut en changer
le contenu. Un acc`es root est n´ecessaire pour cela.
DroidKungFu2 a un comportement similaire `a DroidKungFu1. Il exploite
´egalement une vuln´erabilit´e du syst`eme pour ´elever ses privil`eges et installer
des applications sur le t´el´ephone.
jSMSHider est un malware qui installe ´egalement d’autres applications sur
le t´el´ephone de mani`ere furtive. Contrairement aux deux malwares pr´ec´edents,112 CHAPITRE 5. CARACTERISATION ET D ´ ETECTION DE MALWARE ´
il n’exploite aucune vuln´erabilit´e dans le syst`eme pour installer les applications.
A la place, son d´eveloppeur a sign´e les ´echantillons du malware avec la cl´e ayant `
servie `a signer les applications syst`eme dans les images non officielles d’Android.
Ces images sont cr´e´ees par des d´eveloppeurs de la communaut´e Android qui
d´eveloppent des versions personnalis´ees du syst`eme. L’un des plus connus est
Cyanogen Mod. Cette cl´e est celle qui est pr´esente dans les d´epˆots du code source
d’Android et est ainsi accessible `a tous. Elle n’est cependant utilis´ee pour signer
les applications dans les ROM officielles. En signant les ´echantillons avec cette
cl´e, les ´echantillons obtiennent ainsi des droits r´eserv´es aux applications syst`eme
telles que l’installation d’une application sur le t´el´ephone.
5.2.2 Exp´erimentation et r´esultat
Analyse des applications
Afin d’obtenir les SFG des ´echantillons, il faut dans un premier temps les
analyser pour observer comment leurs donn´ees se propagent dans le syst`eme.
Nous avons utilis´e l’environnement d’analyse d´ecrit en section 3.5 : un t´el´ephone
Android faisant tourner la version 4.0 d’Android Ice Cream Sandwich auquel a
´et´e ajout´e l’environnement AndroBlare, c’est-`a-dire le noyau modifi´e ainsi que
les applications en espace utilisateur.
Pour chaque application, nous r´ep´etons le processus suivant. Nous l’installons
sur le t´el´ephone, associons un identifiant unique `a ses donn´ees en marquant
son apk avec cet identifiant et l’ex´ecutons. Nous utilisons chaque application
comme un utilisateur lambda le ferait selon les fonctionnalit´es propos´ees par
l’application.
En addition `a cela, nous introduisons des ´ev`enements dans le syst`eme qui
sont les ´el´ements d´eclencheurs des codes malveillants pr´esents dans les ´echantillons
´etudi´es. Ces ´ev`enements ont ´et´e d´ecouverts en analysant le code de quelques
´echantillons de ces malwares. Nous pr´esentons dans ce qui suit ces ´ev`enements
d´eclencheurs mais invitons le lecteur `a lire l’annexe A pour l’analyse d´etaill´ee
ayant men´e `a leur d´ecouverte.
Afin d’´eviter ou de retarder toute d´etection, les d´eveloppeurs de malware
ajoutent parfois des conditions `a l’ex´ecution de leur code. Le code malveillant
dans BadNews ne s’ex´ecute par exemple que lorsque le composant MainService
ne re¸coit un intent lui signifiant de s’ex´ecuter. Pour ´eviter que le composant ne
soit lanc´e `a la r´eception de n’importe quel intent, le d´eveloppeur de BadNews
ajoute une v´erification suppl´ementaire lors de la r´eception du message. Il v´erifie
que l’intent re¸cu contienne un param`etre update et que la valeur associ´ee `a
ce param`etre vaut true. Nous envoyons ainsi manuellement un intent avec un
param`etre update dont la valeur associ´ee vaut true `a ce composant afin que le
code malveillant s’ex´ecute et que nous puissions observer les flux d’information
qu’il cause. Nous effectuons l’envoi grˆa ce `a la commande am, accessible `a partir
du shell d’Android comme le montre la commande ci-dessous.
$ am startservice APP_NAME/PACKAGE_NAME.AdvService \
--ez update 15.2. EVALUATION DE LA M ´ ETHODE DE CLASSIFICATION ´ 113
Dans le cas de DroidKungFu1 et DroidKungFu2, certains ´echantillons ont
une dur´ee minimale d’attente avant d’ex´ecuter le code malveillant. Cette dur´ee
est obtenue en soustrayant l’heure du syst`eme avec une date stock´ee dans un
fichier sstimestamp.xml dans le r´epertoire local de l’application. Le listing 5.1
est le contenu du fichier avant toute modification pour un des ´echantillons de
DroidKungFu1. En rempla¸cant la valeur stock´ee dans ce fichier par une valeur
assez petite, par exemple 1, nous for¸cons l’ex´ecution du code malveillant.
Nous changeons ici le contenu du fichier sstimestamp.xml lors de l’analyse des
´echantillons de DroidKungFu1 et DroidKungFu2 afin de s’assurer que le code
malveillant soit ex´ecut´e.
1
2
Listing 5.1 – Contenu du fichier sstimestamp.xml d’un ´echantillon de DroidKungFu1
Quant aux ´echantillons de jSMSHider, il n’est pas n´ecessaire d’introduire
un quelconque ´ev`enement car le code malveillant est ex´ecut´e d`es le lancement
de l’application. Une fois les applications analys´ees, nous construisons les SFG
correspondants et calculons les parties qui leur sont communes avec un outil
impl´ementant l’algorithme 3. Nous pr´esentons dans ce qui suit les r´esultats
obtenus.
R´esultats
A partir des SFG obtenus, nous avons calcul´e 4 profils, c’est-`a-dire 4 SFG. `
A chacun d’entre eux est associ´e un sous-ensemble des SFG donn´es en entr´ee. `
Le tableau 5.1 pr´esente les r´esultats du calcul. La premi`ere colonne liste les
´echantillons utilis´es. La deuxi`eme colonne indique la famille `a laquelle l’´echantillon
appartient selon la classification effectu´ee par les auteurs de la collection d’o`u il
provient. La troisi`eme colonne indique la collection d’o`u provient l’´echantillon.
Les colonnes restantes repr´esentent chacune un profil qui a ´et´e calcul´e `a partir
des SFG des ´echantillons. Pour chaque ´echantillon, une case non vide dans
l’une de ces colonnes signifie que le SFG de l’´echantillon contient le SFG correspondant
au profil. Par cons´equent, le profil caract´erise le comportement de
l’´echantillon. Les profils calcul´es sont illustr´es par les figures 5.1, 5.2, 5.3 et 5.4.
Le SFG de l’´echantillon live.photo.savanna.apk contient par exemple S0, le
SFG illustr´e par la figure 5.1. Sur les 19 ´echantillons utilis´es, 17 d’entre eux sont
regroup´es exactement selon leur classification dans leur base d’origine.
Le profil S0, figure 5.1, caract´erise les ´echantillons de BadNews. Il d´ecrit l’envoi
des donn´ees de l’application vers un deux serveurs distant, le t´el´echargement
de deux applications et une partie de leur installation ainsi que de leur ex´ecution.
L’envoi des donn´ees correspond aux flux partant du navigateur, android.brow-114 CHAPITRE 5. CARACTERISATION ET D ´ ETECTION DE MALWARE ´
Empreinte MD5 des ´echantillons Famille: Origine§ S0 S1 S2 S3
98cfa989d78eb85b86c497ae5ce8ca19 BN C
‘
e70964e51210f8201d0da3e55da78ca4 BN I
‘
4ecf985980bcc9b238af1fdadd31de48 BN I
‘
ccab22538dd030a52d43209e25c1f07b BN I
‘
3a648e6b7b3c5282da76590124a2add4 BN I
‘
994af7172471a2170867b9aa711efb0d DKF1 G
‘
39d140511c18ebf7384a36113d48463d DKF1 G
‘
7f5fd7b139e23bed1de5e134dda3b1ca DKF1 A
‘
107af5cf71f1a0e817e36b8deb683ac2 DKF1 A
‘
6625f4a711e5afaee5f349c40ad1c4ab DKF1 G
‘
6b7c313e93e3d136611656b8a978f90d DKF1 A
‘
4f6be2d099b215e318181e1d56675d2c DKF2 G
‘
72dc94b908b0c6b7e3cb293d9240393c DKF2 G
‘
f438ed38b59f772e03eb2cab97fc7685 DKF2 G
‘
ac2a5a483036eab1b363a7f3c2933b51 DKF1 A
‘
0417b7a90bb5144ed0067e38f7a30ae0 JSH G
‘
a3c0aacb35c86b4468e85bfb9e226955 JSH G
‘
d25008db2e77aae53aa13d82b20d0b6a JSH A
‘
24663299e69db8bfce2094c15dfd2325 JSH A
‘
: BN : BadNews, DKF1 : DroidKungFu1, DKF2 : DroidKunFu2, JSH : jSMSHider
§ C : Contagio, G : Genome Project, A : Androguard, I : Internet
Table 5.1 – Classification des 19 ´echantillons de malware.5.2. EVALUATION DE LA M ´ ETHODE DE CLASSIFICATION ´ 115
57664 - files/player
24642 - /data/dalvik-cache/data@app@com.realarcade.DOJ-1.apk@classes.dex
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*
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*
*
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*
*
*
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*
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*
* *
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*
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*
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*
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*
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*
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*
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*
* *
*
8237 - /data/drm/fwdlock/kek.dat
*
* *
0 - (213.x.x.x)
* *
* *
*
*
Figure 5.1 – S0 : sous-graphe en commun des ´echantillons de BadNews116 CHAPITRE 5. CARACTERISATION ET D ´ ETECTION DE MALWARE ´
ser, vers deux sockets r´eseaux. Sur la figure, nous avons intentionnellement
masqu´e une partie des adresses IP. Apr`es v´erification, l’une des adresses, 213.
x.x.x, est celle du serveur `a partir duquel les applications sont t´el´echarg´ees.
Le t´el´echargement est d´ecrit par l’´ecriture de donn´ees sensibles dans deux fi-
chiers apk par le processus iders.downloads. Ce dernier ex´ecute l’application
par d´efaut en charge des t´el´echargements de fichier. L’acc`es `a ces deux fichiers
par les processus id.defcontainer et packageinstaller indique leur installation
et la premi`ere composante connexe du SFG en partant du haut d´ecrit
l’ex´ecution d’une nouvelle application, une de celles qui ont ´et´e t´el´echarg´ees par
le malware. Ici, il s’agit de la version infect´ee de Doodle Jump. L’ex´ecution de
l’autre application n’est pas pr´esente dans le profil car il est install´e dans un
r´epertoire chiffr´e qui ne supporte pas les attributs ´etendus. Il est ainsi impossible
pour AndroBlare de suivre les flux d’information impliquant les fichiers dans ce
type de r´epertoire.
Le profil S1, figure 5.2, caract´erise les ´echantillons de DroidKungFu1 `a l’exception
de deux d’entre elles que nous expliquerons dans le paragraphe suivant.
S1 d´ecrit la copie de deux fichiers dans la partition system et l’ex´ecution de l’une
d’entre elles par la suite. Leur destination indique qu’il s’agit d’une application
native et d’une application Android.
8330 - /system/app/com.google.ssearch.apk
338 - ndroid.launcher
*
1106 - dexopt
*
57656 - /data/data/blare-anonym/gjsvro
1056 - gjsvro
*
*
0 - (127.0.0.1)
*
16735 - /system/bin/gjsvr
*
24640 - /data/dalvik-cache/system@app@com.google.ssearch.apk@classes.dex
*
1105 - cat
*
*
57660 - /data/data/blare-anonym/legacy
* *
Figure 5.2 – S1 : sous-graphe en commun des ´echantillons de DroidKungFu 1
Le profil S2, figure 5.3, caract´erise les ´echantillons de DroidKunFu2 ainsi
que deux ´echantillons de DroidKungFu1 qui ne sont pas caract´eris´es par S1. S2
indique l’acc`es du contenu de deux fichiers au contenu teint´es par les processus
secbino et cat. Si ces flux n’indiquent rien de malveillant en soi, elles correspondent
cependant au d´ebut de l’attaque effectu´ee par le malware. Ces processus
servent en effet `a la copie d’applications malveillantes dans le syst`eme. Comme5.2. EVALUATION DE LA M ´ ETHODE DE CLASSIFICATION ´ 117
mentionn´e pr´ec´edemment, deux ´echantillons de DroidKungFu1 sont ´egalement
caract´eris´es par S2. La raison est que ces ´echantillons partagent uniquement des
comportements en commun avec les ´echantillons de DroidKunFu2 en terme de
flux. Ainsi aucune fichier gjsvro ou com.google.search.apk, ni les processus
correspondants n’ont ´et´e cr´e´es durant leur analyse.
1111 - cat
57651 - /data/data/blare-anonym/mycfg.ini
1113 - cat
*
1073 - secbino
*
971 - secbino
57656 - /data/data/blare-anonym/WebView.db
* *
57652 - /data/data/blare-anonym/secbino
*
Figure 5.3 – S2 : sous-graphe en commun des ´echantillons de DroidKungFu 2
Le profil S3, figure 5.4, caract´erise les ´echantillons de jSMSHider et d´ecrit
l’installation ainsi que le d´ebut de l’ex´ecution d’une nouvelle application. L’acc`es
au fichier testnew.apk par le processus id.defcontainer indique l’installation
d’une nouvelle application. La lecture du fichier jSMSHider.apk par le processus
dexopt puis la cr´eation d’un fichier .dex par ce dernier indique l’ex´ecution d’une
nouvelle application. En effet, le processus dexopt est celui en charge d’extraire
le code des applications `a partir de l’apk et de cr´eer sa version optimis´ee.
A partir des SFG d’´echantillons de 4 familles de malware, nous avons extrait `
4 profils comportementaux sous la forme de SFG. Chacun de ces profils correspond
`a une famille de malware et d´ecrit une partie des comportements connus
de ces malwares. Le calcul de ces profils est rendu possible grˆace aux SFG de
7 applications b´enignes qui nous servent `a filtrer les ´el´ements faisant partie de
ces profils. La liste d’application est compos´ee de 5 jeux (Angry Birds, Crazy
Jump, Fingerprint scanner et Dentist), d’un navigateur internet (Firefox) et de
deux utilitaires (un terminal et la boˆıte `a outil busybox).
883 - dexopt
24640 - /data/dalvik-cache/data@app@j.SMSHider-1.apk@classes.dex
* *
32788 - /data/app/j.SMSHider-1.apk
*
748 - id.defcontainer
57659 - /data/data/blare-anonym/files/testnew.apk
*
Figure 5.4 – S3 : Sous-graphe en commun des ´echantillons de jSMSHider118 CHAPITRE 5. CARACTERISATION ET D ´ ETECTION DE MALWARE ´
Filtrage Nombre de groupe cr´e´es
Aucun filtrage 1
Sans la liste blanche 4
Filtre de base plus 7 SFG 4
20 applications de Google Play 4
Table 5.2 – Nombre de profils obtenus en variant le filtrage
5.3 De la n´ecessit´e du filtrage
Nous appliquons un processus de filtrage dans l’´evaluation effectu´ee en section
5.2.2. Ce filtre est compos´e des arcs d´ecrivant des flux avec les processus
system server et mediaserver ainsi que ceux des SFG de 7 applications. La
raison de ce filtrage est d’´eviter de calculer des classes et profils trop g´en´eriques
qui ne refl`etent aucun malware. Afin de montrer la n´ecessit´e de ce filtrage,
nous r´ep´etons l’exp´erience mais en faisant varier le filtrage. Nous avons r´ealis´e
l’exp´erience sans utiliser aucun filtre, c’est-`a-dire sans liste blanche ni les flux impliquant
les conteneurs cit´es en section 5.1, sans la liste blanche puis en utilisant
le filtrage de la section pr´ec´edente mais en ajoutant des SFG suppl´ementaires
`a la liste blanche. Le tableau 5.2 pr´esente les r´esultats obtenus. Chaque ligne
pr´esente le r´esultat obtenu selon le filtrage appliqu´e. La premi`ere colonne liste
les diff´erents filtrages et la seconde le nombre de profils/groupes cr´e´e. Nous
discutons dans ce qui suit de la pertinence des groupes cr´e´es.
En utilisant aucun filtrage, l’algorithme extrait un seul sous-graphe qui est
une partie commune aux SFG des 19 ´echantillons de malware utilis´es. La fi-
gure 5.5 illustre ce sous-graphe. Les flux d´ecrits par le sous-graphe indique
uniquement des ´echanges d’information entrele processus system server et
diff´erents processus. Le profil calcul´e est trop g´en´erique et ne d´ecrit aucun comportement
malveillant connu des malwares utilis´es.
En filtrant sans la liste blanche, nous obtenons 4 profils associ´es `a 4 groupes
diff´erents. Si le nombre de profils correspond au nombre de malwares utilis´es,
ils ne d´ecrivent cependant aucune action malveillante et les ´echantillons dans
chaque groupe sont des ´echantillons de malware diff´erent dont le comportement
en terme de flux d’information ne devrait pas ˆetre le mˆeme. Les figures 5.6,
5.7, 5.8 et 5.9 illustrent les profils calcul´es et d´ecrivent des flux tout `a fait
normaux dans le syst`eme. La premi`ere figure d´ecrit par exemple un simple
´echange d’information entre les applications syst`eme com.android.phone et
com.android.systemui.
En ´etendant la liste blanche utilis´ee en section 5.2.2 de 20 SFG suppl´ementaires,
nous obtenons les mˆemes profils et les mˆemes groupes que ceux calcul´es dans
la section 5.2.2. Augmenter le nombre d’´el´ements dans cette liste est inutile
et les SFG des applications qui la composent repr´esentent de mani`ere satisfaisante
les comportements g´en´eriques que nous souhaitions ignorer durant notre
classification.5.3. DE LA NECESSIT ´ E DU FILTRAGE ´ 119
326 - ndroid.launcher
135 - system_server *
82 - mediaserver
*
292 - m.android.phone
*
903 - app_process *
*
*
*
206 - ndroid.systemui
*
673 - ufou.android.su
*
310 - com.android.nfc
*
*
32783 - /data/app/blare-anonym-1.apk *
Figure 5.5 – Profil calcul´e lorsqu’aucun filtrage n’est r´ealis´e120 CHAPITRE 5. CARACTERISATION ET D ´ ETECTION DE MALWARE ´
308 - m.android.phone
221 - ndroid.systemui
Figure 5.6 – Premier profil calcul´e en utilisant aucune liste blanche
202 - ndroid.systemui
32781 - /data/app/blare-anonym-1.apk
Figure 5.7 – Second profil calcul´e en utilisant aucune liste blanche
276 - d.process.media
57526 - /data/data/com.android.providers.media/databases/external.db 57524 - /data/data/com.android.providers.media/databases/external.db-wal
Figure 5.8 – Troisi`eme profil calcul´e en utilisant aucune liste blanche
1400 - m.android.email
1416 - ndroid.exchange
57472 - /data/data/com.android.email/databases/EmailProvider.db 57473 - /data/data/com.android.email/databases/EmailProvider.db-journal
Figure 5.9 – Quatri`eme profil calcul´e en utilisant aucune liste blanche5.4. DETECTION D’EX ´ ECUTION DE MALWARE ANDROID ´ 121
L’algorithme 3 que nous avons propos´e dans cette section est algorithme de
classification qui regroupe les SFG des applications ayant des parties communes
non nulles et calcule `a la fois le profil correspondant `a chaque classe. Nous avons
´evalu´e cet algorithme avec un jeu de donn´ees de 19 ´echantillons provenant de 4
familles de malware diff´erentes. En appliquant l’algorithme sur les SFG des 19
´echantillons, nous avons calcul´e 4 profils tels que chaque profil corresponde `a une
famille de malware diff´erent et d´ecrit le comportement malveillant du malware
auquel il correspond. Dans la section qui suit, nous proposons une m´ethode
de d´etection d’´echantillon de malware en utilisant les profils calcul´es par notre
algorithme.
5.4 D´etection d’ex´ecution de malware Android
Les r´esultats pr´ec´edents, tableau 5.1, montrent que les ´echantillons de malware
peuvent ˆetre caract´eris´es par un SFG qui d´ecrit une partie de comportement
malveillant qu’ils ont. Dans cette section, nous proposons cette fois d’utiliser
ces profils SFG pour d´etecter l’ex´ecution d’autres ´echantillons de malware.
Plus pr´ecis´ement, nous proposons d’utiliser ces profils SFG en tant que profil
de r´ef´erence afin de d´etecter si les donn´ees d’une application sous surveillance
se propagent de la mˆeme mani`ere que celle d´ecrite par l’un des SFG.
L’algorithme 5 d´ecrit le processus de d´etection pour une application/information
donn´ee. Il prend en entr´ee les flux observ´es par AndroBlare ainsi qu’une
liste de profil SFG avec lesquels il compare les flux observ´es pour d´etecter
l’ex´ecution de malware. A l’initialisation du processus de d´etection, nous com- `
men¸cons par construire une liste d’association dans laquelle nous associons
chaque arc des profils donn´es en entr´ee avec la liste des profils SFG(s) o`u il
est pr´esent. Cette ´etape facilite la recherche d’une correspondance entre les flux
observ´es et les arcs des profils SFG. Lors de la phase de d´etection, nous comparons
ensuite chaque flux observ´e avec les arcs des diff´erents profils SFG afin de
trouver une similarit´e entre eux. Si une similarit´e est trouv´ee, nous levons une
alerte. Nous consid´erons qu’il y a une similarit´e entre un flux d’information et
un arc si les conteneurs d’information de d´epart et d’arriv´ee du flux observ´e sont
respectivement les mˆeme que ceux d´ecrits par les nœuds de d´epart et d’arriv´ee
de l’arc et que les informations qui se propagent dans le flux observ´e et celui du
flux d´ecrit par l’arc sont les mˆemes. Le conteneur d’information dans une entr´ee
de Blare est le mˆeme que celui repr´esent´e par un nœud d’un SFG lorsqu’ils ont
le mˆeme type et le mˆeme nom. Apr`es avoir lev´e l’alerte, nous enlevons l’arc de
la liste d’association afin de ne pas lever la mˆeme alerte plusieurs fois.122 CHAPITRE 5. CARACTERISATION ET D ´ ETECTION DE MALWARE ´
Algorithme 5 : D´etection de l’ex´ecution de malware Android bas´e sur les
flux d’information caus´e dans le syst`eme
Input : L journal de Blare, sig l liste de profils SFG
begin
notseen Ð empty association list;
forall the g P sig l do
forall the e P edgespgq do
if e R keyspnotseenq then
Add pe, tguq to notseen;
else
old Ð valuepe, notseenq;
Remove pe, oldq from notseen;
Add the association pe, old Y tguq to notseen;
forall the entry e P L do
if to edgepeq Plight keyspnotseenq then
l Ð valuepto edgepeq, notseenq;
forall the g P l do
Alert that a similarity with namepgq has been found;
Remove pto edgepeq, lq from notseen;
5.5 Evaluation de la capacit´e de d´etection ´
Afin d’´evaluer la capacit´e de d´etection de l’approche pr´esent´ee pr´ec´edemment,
nous proposons deux types d’exp´erience. Le premier consiste `a ´evaluer le taux
de faux positif, c’est-`a-dire calculer le taux de fausses alertes lev´ees lorsque des
applications b´enignes sont analys´ees. Le deuxi`eme consiste `a ´evaluer le taux de
vrai positif, c’est-`a-dire calculer le taux d’alertes lev´ees lorsque des applications
malicieuses sont ex´ecut´ees. Pour mener ces exp´eriences, nous proposons d’analyser
des applications, b´enignes et malicieuses, dans l’environnement d’analyse
pr´esent´e en section 3.5 et `a partir des flux observ´es d´etecter les ex´ecutions de
malware.
Jeu de donn´ees
Nous utilisons 70 des applications les plus populaires 2 dans Google Play pour
la premi`ere exp´erience et 39 ´echantillons de malware provenant des 4 familles de
malware utilis´ees dans la section 5.2.2. Nous supposons que les 70 applications
sont b´enignes car elles n’ont lev´e aucune alerte lorsque nous les avons soumises
`a la plateforme d’analyse de VirusTotal [14].
2. au mois de Juin 20135.5. EVALUATION DE LA CAPACIT ´ E DE D ´ ETECTION ´ 123
Analyse des applications et d´etection de l’ex´ecution de malware
Le processus d’analyse de chaque applications est le mˆeme qu’en section 5.2.2.
Il se traduit par son installation dans un environnement AndroBlare, le marquage
de son apk et son ex´ecution. Nous utilisons chaque application comme
un utilisateur normal le ferait et en parall`ele, nous introduisons les ´ev`enements
d´eclenchant le code malveillant dans les ´echantillons de malware. Introduire ces
´ev`enements nous assure que le code malveillant se d´eclenche durant l’analyse
afin de d´eterminer si oui ou non notre approche permet de d´etecter l’ex´ecution
du code malveillant.
Une fois les applications analys´ees, nous analysons les flux observ´es par
AndroBlare pour d´etecter l’ex´ecution de malware. La d´etection est r´ealis´ee
ult´erieurement `a l’analyse car nous souhaitions collecter les flux et ˆetre capables
de les r´eutiliser plus tard. L’outil utilis´e est cependant capable de faire
la d´etection en temps r´eel.
R´esultat de la d´etection
Lors de l’analyse des flux engendr´es par les diff´erentes applications, notre
outil a lev´e des alertes pour chacun des ´echantillons de malware et aucune
pour les applications b´enignes. Les tableaux 5.3 et 5.4 r´esument le r´esultat des
exp´eriences men´ees respectivement sur les applications b´enignes provenant de
Google Play et les ´echantillons de malware.
Le premier tableau pr´esente les r´esultats avec les applications b´enignes provenant
de Google Play. La premi`ere colonne liste les diff´erentes cat´egories d’application
utilis´ee durant l’exp´erience. La deuxi`eme indique le nombre d’´echantillons
utilis´es pour chaque cat´egorie. La troisi`eme indique les correspondances entre
les flux observ´es et l’une des profils utilis´es. La derni`ere indique le total des flux
observ´es lors de l’analyse des applications de chaque cat´egorie.
Le deuxi`eme tableau pr´esente les r´esultats obtenus avec les ´echantillons de
malware. La premi`ere colonne liste les ´echantillons. La deuxi`eme indique comment
l’´echantillon a ´et´e cat´egoris´e dans sa collection d’origine. La troisi`eme
indique la collection d’origine de l’´echantillon. La quatri`eme indique le nombre
de flux observ´es par AndroBlare durant l’analyse. Les colonnes restantes indiquent
le nombre de correspondance entre le profil SFG et les flux observ´es.
Plus pr´ecis´ement, les valeurs dans ces colonnes indiquent le nombre d’arc du
profil SFG qui correspondent `a au moins un des flux observ´es durant l’analyse
de l’´echantillon.
L’analyse des flux caus´es par les applications b´enignes montre que notre outil
n’a d´etect´e aucun flux qui correspond `a l’un des arcs des profils utilis´es. Sur les
70 applications b´enignes analys´ees, aucune n’a ´et´e d´etect´ee comme ex´ecutant
du code malveillant, ce qui nous donne un taux de faux positif nul.
Chaque ´echantillon de malware a caus´e la lev´ee d’alerte par notre outil de
d´etection. Plus pr´ecis´ement, chaque ´echantillon a ´et´e d´etect´e avec le profil SFG
correspondant `a la famille d’origine `a laquelle il est suppos´e appartenir. Ainsi,124 CHAPITRE 5. CARACTERISATION ET D ´ ETECTION DE MALWARE ´
Cat´egorie Echantillons ´ Signature Journal
match entries
Jeux 48 0 7386736
Utilitaires 8 0 403427
R´eseaux sociaux 5 0 567605
Photo / Vid´eo 5 0 579883
Magazine 3 0 169622
Table 5.3 – R´esultat de d´etection sur les applications b´enignes provenant de
Google Play. Taux de faux positif : 0%
les ´echantillons de BadNews, DroidKungFu1, DroidKungFu2 et jSMSHider ont
´et´e d´etect´es respectivement grˆace au profil S0, S1, S2 et S3. La majorit´e des
´echantillons a caus´e autant d’alerte que de nombre d’arc que le profil pour lequel
une correspondance a ´et´e trouv´e. L’´echantillon live.photo.drop.apk a
par exemple caus´e 36 flux diff´erents qui correspondent aux 36 arcs du pro-
fil SFG de BadNews. Cependant, quelques ´echantillons n’ont caus´e la lev´ee
d’alerte que pour une partie des arcs du profil SFG de la famille de malware
`a laquelle ils sont associ´es. Cela est dˆu au fait que durant leur analyse,
une partie du comportement attendu ne s’est pas ex´ecut´e. L’´echantillon
41f7b03a94d38bc9b61f8397af95a204 n’a par exemple caus´e que 4 correspondances
sur 11 entre les flux qu’il a engendr´es et les arcs de S1. Le profil S1
d´ecrit l’installation de deux applications, une native et une apk dans la partition
system du t´el´ephone. L’´echantillon n’a cependant install´e que l’application
native durant notre analyse car l’apk cens´e ˆetre install´e est un fichier vide et la
proc´edure d’installation est ainsi avort´ee par le syst`eme.5.5. EVALUATION DE LA CAPACIT ´ E DE D ´ ETECTION ´ 125
Empreinte MD5 des ´echantillons Label: Origin§ Log size S0; S1; S2; S3;
d25008db2e77aae53aa13d82b20d0b6a JSH A 79598 4{4
24663299e69db8bfce2094c15dfd2325 JSH A 179608 4{4
39d140511c18ebf7384a36113d48463d DKF1 A / G 3565 11{11
7f5fd7b139e23bed1de5e134dda3b1ca DKF1 A 5772 11{11
a81dc5210b3444b8e6f002605a97292d DKF1 A 3233 3{11
107af5cf71f1a0e817e36b8deb683ac2 DKF1 A 7257 11{11
ac2a5a483036eab1b363a7f3c2933b51 DKF1 A 3596 5{5
e741a9bc460793b9afdadc963d6e8c1d DKF1 A 3230 3{11
6b7c313e93e3d136611656b8a978f90d DKF1 A 7740 5{5
389b416fb0f505d661716b8da02f92a2 JSH G 179702 4{4
a3c0aacb35c86b4468e85bfb9e226955 JSH G 7527 4{4
0417b7a90bb5144ed0067e38f7a30ae0 JSH G 32145 4{4
d25008db2e77aae53aa13d82b20d0b6a JSH G 122951 4{4
f0fcef1c52631ae36f489351b1ba0238 JSH G 211823 4{4
06dea6a4b6f77167eaf7a42cb9861bbe DKF1 G 72706 6{11
994af7172471a2170867b9aa711efb0d DKF1 G 13959 11{11
107af5cf71f1a0e817e36b8deb683ac2 DKF1 G 187221 11{11
71fe80d5bf6d08890de3c76a3292fc09 DKF1 G 15709 11{11
ecc4aad77ab042a4fa1693fc77afb8ac DKF1 G 107910 11{11
b763bc07f641bb915a4e745f1deff315 DKF1 G 180984 8{11
6625f4a711e5afaee5f349c40ad1c4ab DKF1 G 4982 11{11
5c593a7ab5e61f76d2e0e61c870da986 DKF1 G 99363 11{11
41f7b03a94d38bc9b61f8397af95a204 DKF1 G 13474 4{11
f438ed38b59f772e03eb2cab97fc7685 DKF2 G 34906 5{5
4f6be2d099b215e318181e1d56675d2c DKF2 G 283990 5{5
805bbc6ff9ef376c4b5f2c1b1c1006d2 DKF2 G 49404 5{5
13a491126dd11f1ef51a4b067f10f368 DKF2 G 278425 5{5
72dc94b908b0c6b7e3cb293d9240393c DKF2 G 294163 5{5
e4d348e97db481507a0cea64232c8065 DKF2 G 64616 5{5
47ffc035dd1288bad27b3681535e68c8 BN I 298819 36{36
d8943ed5be382c22c9a206af0815ff0a BN I 363578 36{36
ccab22538dd030a52d43209e25c1f07b BN I 167837 36{36
3a648e6b7b3c5282da76590124a2add4 BN I 332519 36{36
4ecf985980bcc9b238af1fdadd31de48 BN I 125167 36{36
5b08c96794ad5f95f9b42989f5e767b5 BN C 132846 36{36
422d1290422ebfbf48ec34f0990fba21 BN I 634202 35{36
98cfa989d78eb85b86c497ae5ce8ca19 BN C 568920 36{36
e70964e51210f8201d0da3e55da78ca4 BN I 253320 36{36
8b9e8a2e93c3f3c18b8f5820f21e2458 BN I 149248 36{36
: BN : BadNews, DKF1 : DroidKungFu1, DKF2 : DroidKunFu2, JSH : jSMSHider
§ C : Contagio, G : Genome Project, A : Androguard, I : Internet
Table 5.4 – R´esultats de la d´etection sur 39 ´echantillons de malware. Taux de
Vrai Positif : 100%126 CHAPITRE 5. CARACTERISATION ET D ´ ETECTION DE MALWARE ´
Bilan et discussion
Nous avons pr´esent´e et ´evalu´e dans ce chapitre une nouvelle m´ethode de
classification et de d´etection des ´echantillons de malware bas´ee sur les flux d’information
qu’ils causent dans le syst`eme d´ecrits par leur SFG. La m´ethode de
classification propos´ee peut-ˆetre vue comme un apprentissage non supervis´e o`u
nous cherchons `a construire des classes d’´echantillons de malware o`u les SFG des
´el´ements d’une mˆeme classe partagent tous une partie commune. Cette partie
commune est cens´ee d´ecrire l’attaque men´ee par le(s) malware(s) et caract´eriser
les ´echantillons de la classe qu’elle repr´esente en tant que profil comportemental.
Nous avons ´evalu´e la m´ethode propos´ee en classifiant 19 ´echantillons de 4 malwares
diff´erents. La classification de ces ´echantillons a donn´e en sortie 4 classes
distinctes qui repr´esentent chacun un des 4 malwares et la partie commune des
SFG des ´el´ements de chaque classe d´ecrit une partie de l’attaque men´ee par les
mawares.
A partir des profils caract´erisant chaque classe, nous avons propos´e de d´etecter `
des ´echantillons des 4 malawres utilis´es durant la classification. La m´ethode
de d´etection consiste `a comparer les flux observ´es caus´es par les ´echantillons
analys´es avec les arcs des profils comportementaux calcul´es. A chaque fois `
qu’une correspondance est trouv´ee, une alerte est lev´ee. Nous avons ´evalu´e cette
m´ethode avec 36 ´echantillons de malware ainsi que 70 applications b´enignes provenant
de Google Play et avons obtenu un taux de vrai positif de 100% ainsi
qu’un taux de faux positif de 0%. Les ´echantillons de malware ont bien ´et´e
d´etect´e et aucune alerte n’a ´et´e lev´ee dans le cas des applications b´enignes. De
plus, chaque ´echantillon de malware a ´et´e d´etect´e grˆace au profil caract´erisant
la classe associ´ee au malware obtenue durant la classification.
La raison de la qualit´e des r´esultats obtenus aussi bien pour la classification
que pour la d´etection est que le profil calcul´e ne se limite pas aux processus
ex´ecutant les ´echantillons de malware. Il inclut ´egalement tout ´el´ement du
syst`eme ayant acc`es aux informations provenant des ´echantillons de malware.
Mˆeme si un malware change son aspect, le profil calcul´e ne sera que tr`es peu
impact´e car le malware n’a pas de contrˆole ou alors tr`es peu sur tous les autres
´el´ements du syst`eme ayant acc`es `a ses informations au d´ebut de l’attaque. Si le
cas contraire s’av´erait ˆetre vrai, c’est-`a-dire que le malware a un contrˆole total
sur tous les autres ´el´ements du syst`eme, alors il pourrait propager ses informations
de mani`ere diff´erente `a chaque ex´ecution et empˆecher notre algorithme de
calculer un profil ou de d´etecter l’ex´ecution de l’un de ses ´echantillons.
L’approche propos´ee se base sur une analyse dynamique des applications
afin d’observer les flux d’information qu’elles causent dans le syst`eme. Comme
toute approche dynamique, elle souffre ainsi de la mˆeme limitation qui est la
couverture de code durant l’analyse et qui, pour le moment, limite la possibilit´e
d’automatiser enti`erement tout le processus d’analyse et de classification des applications.
En effet, durant l’analyse nous stimulons les applications en interagissant
avec elles via leur interface graphique et introduisons des ´ev`enements dans
le syst`eme afin de d´eclencher le code malveillant dans les ´echantillons de malware.
Cette stimulation est r´ealis´ee manuellement. De plus, il nous a n´ecessit´e5.5. EVALUATION DE LA CAPACIT ´ E DE D ´ ETECTION ´ 127
d’analyser quelques ´echantillons de malware afin de d´eterminer les ´ev`enements
d´eclenchant le code malicieux pr´esents dans leur code. Il serait ainsi int´eressant
pour stimuler les applications et couvrir le maximum de code `a l’ex´ecution.
La m´ethode de caract´erisation de malware Android propos´ee dans ce chapitre
a fait l’objet d’une publication `a la conf´erence NSS 14 [17].128 CHAPITRE 5. CARACTERISATION ET D ´ ETECTION DE MALWARE ´Chapitre 6
Conclusion
Dans cette th`ese nous avons propos´e et ´evalu´e une nouvelle m´ethode afin de
caract´eriser / classifier et d´etecter les malwares Android. Afin d’y arriver, nous
sommes pass´es par plusieurs ´etapes qui ont consist´e `a porter un moniteur de flux
d’information sur Android, proposer une structure compacte et humainement
compr´ehensible des flux d’information que le moniteur observe qui puisse aider
un analyste `a comprendre le comportement d’une application et classifier ainsi
que d´etecter les ´echantillons de malware `a partir de cette structure.
La premi`ere ´etape de la th`ese a consist´e `a cr´eer AndroBlare, une version
Android de Blare. Blare a ´et´e initialement d´evelopp´e pour les syst`emes Linux,
et plus pr´ecis´ement pour les noyaux Linux. Si le syst`eme Android est proche
des syst`emes Linux, le noyau Android ´etant bas´e sur le noyau Linux et suit la
mˆeme num´erotation, il poss`ede cependant quelques fonctionnalit´es qui lui sont
propres et qu’il a fallu prendre en compte lors du portage de Blare vers Android.
Ces fonctionnalit´es sont l’ex´ecution des applications Android et le m´ecanisme de
communication entre processus via le Binder. Nous avons ainsi introduit deux
extensions dans AndroBlare pour prendre en compte ces deux fonctionnalit´es
d’Android. Ces extensions ajoutent la prise en compte des flux d’information
s’op´erant via le Binder et un m´ecanisme de coop´eration entre les instances de la
machine virtuelle Dalvik et KBlare. Ces deux extensions sont importantes car
elles permettent d’observer les flux d’information entre les applications Android
ainsi que l’ex´ecution des applications. Diff´erents m´ecanismes sont utilis´es par
les applications pour communiquer avec le reste des applications sur le syst`eme
et tous ces m´ecanismes reposent sur le Binder. Ces communications n’´etaient
cependant pas visibles avec la version Linux de Blare car Binder est sp´ecifique
`a Android et n’est donc pas pris en compte. La premi`ere extension comble donc
cette limitation de Blare en interceptant les ´emissions et r´eception de transaction
et en effectuant les op´erations de propagation et de contrˆole des flux d’information
correspondantes. Quant aux applications Android, leur ex´ecution est
´egalement invisible avec la version Linux de Blare. Le code de ces applications
´etant livr´e sous forme de dalvik bytecode, elles ne sont pas ex´ecut´ees directement
mais interpr´et´ees par la machine virtuelle Dalvik. La deuxi`eme extension permet
129130 CHAPITRE 6. CONCLUSION
donc, grˆace au m´ecanisme de coop´eration, de combler cette autre limitation de
la version Linux de Blare. Grˆace `a ce m´ecanisme de coop´eration, les instances
de la machine virtuelle Dalvik notifient KBlare dans le noyau `a chaque fois que
le code d’une application est sur le point d’ˆetre interpr´et´e. A la r´eception d’une `
notification, KBlare met `a jour le label du processus ex´ecutant la machine virtuelle
ayant ´emis la notification pour signifier le code qu’il ex´ecute et appliquer
la politique de flux d’information de l’application au processus.
La deuxi`eme ´etape a consist´e `a proposer une structure repr´esentant de
mani`ere plus compacte et plus compr´ehensible les flux d’information observ´es
par Blare que nous avons appell´e graphe de flux syst`eme ou SFG. Pour une information
donn´ee, le SFG d´ecrit comment elle est propag´ee dans tout le syst`eme.
Comme nous l’avons montr´e dans le chapitre 4, cette structure s’av`ere utile
sur trois aspects. Premi`erement, sa repr´esentation est plus compacte et facilite
l’analyse des flux d’information observ´es dans le syst`eme. A chaque fois qu’un `
flux d’information impliquant une donn´ee sensible, comprendre une donn´ee `a laquelle
un identifiant a ´et´e associ´e, est observ´e, Blare ajoute une entr´ee d´ecrivant
ce flux dans un journal. Or comme nous l’avons montr´e dans le chapitre 4, certains
de ces flux sont r´ep´et´es plusieurs fois durant l’analyse de l’application ce
qui au bout de quelques entraˆıne la cr´eation de milliers d’entr´ees dans le journal
de Blare alors qu’en r´ealit´e seule une centaine de flux d’information uniques
ont ´et´e observ´es. Ensuite, le SFG aide `a comprendre le comportement d’une
application. Dans notre cas, nous nous sommes int´eress´es aux applications malveillantes.
L’analyse d’un ´echantillon de DroidKungFu1 a montr´e qu’une partie
de son SFG d´ecrivait l’attaque men´ee par le malware, `a savoir tentative
d’´el´evation de privil`ege et installation de deux applications dans le syst`eme.
La troisi`eme et derni`ere ´etape a consist´e consiste en la classfication et d´etection
de malware. Dans cette ´etape, nous avons propos´e d’utiliser le profil sous
forme de SFG des applications afin d’extraire le profil d’un malware. Dans
l’´etape pr´ec´edente, nous avons montr´e que une partie du SFG de l’´echantillon de
DroidKungFu1 correspondait au comportement malveillant du malware. D’apr`es
les travaux de Zhou et al. dans [113], les d´eveloppeurs de malware ajoutent souvent
leur code malveillant dans plusieurs applications existantes pour infecter les
utilisateurs. Cela signifie donc que le mˆeme code malveillant peut ˆetre retrouv´e
dans les ´echantillons d’un mˆeme malware ou qu’une similarit´e en mati`ere de
comportement peut ˆetre retrouv´e dans le code malveillant de ces ´echantillons.
Partant de ce constat, nous avons ´emis l’hypoth`ese que si une partie du SFG
d’une application malveillante correspond au comportement malveillant et que
si la m´ethode d’infection principale des d´eveloppeurs de malware ´etait d’injecter
leur code malveillant dans des applications existantes alors une partie des SFG
des ´echantillons d’un mˆeme malware devrait ˆetre le mˆeme.
Direction pour des travaux futurs
Le premier apport de la th`ese est AndroBlare, le r´esultat du portage de
Blare sous Android. AndroBlare suit les flux d’information en consid´erant les131
objets du syst`eme comme des boˆıtes noires. Comme nous l’avons ´evoqu´e en
section 2.6, une observation au niveau syst`eme offre une vue compl`ete des flux
entre les diff´erents objets du syst`eme mais a une granularit´e moins fine qu’une
observation au niveau applicatif. Par exemple, dans le cas d’AndroBlare, un
flux d’un objet A vers un objet B signifie que toutes les informations dans A
se propagent vers B (pire des cas). Cela n’est pas forc´ement le cas et il se peut
qu’aucune information sensible ne se soit propag´ee. La granularit´e d’observation
n’est donc pas assez fine. Un axe `a explorer serait ainsi de combiner les niveaux
d’observation syst`eme et applicatif sous Android afin d’affiner la granularit´e des
flux observ´es. L’apport d’une telle est non n´egligeable dans le cas de certains
processus tels que system server car ce processus ex´ecute plusieurs services
avec qui les applications interagissent tous, ce qui est une source de l’explosion
des marques dans la version actuelle d’AndroBlare.
Un autre apport de la th`ese, qui est le principal, est l’usage des SFG en
tant que profil des malware. Pour calculer ce profil, nous calculons les intersections
des SFG des ´echantillons de malware. Cette intersection n’autorise aucune
d´eviation, mˆeme moindre, dans les flux observ´es. Par exemple, les flux
d´ecrivant un processus P1 communiquant avec un processus P2 via un fichier
et les flux d´ecrivant les mˆemes processus P1 et P2 communiquant cette fois
de mani`ere directe sont consid´er´es comme des flux diff´erents. Cependant, dans
la r´ealit´e, ils d´ecrivent la mˆeme action qui est la communication entre deux
processus. Nous parlons dans ce cas de flux similaire. Il serait ainsi int´eressant
d’explorer l’usage de la similarit´e `a la place d’une correspondance stricte entre
les flux d’information observ´es. L’usage de la similarit´e pourrait par exemple
r´ev´eler la ressemblance entre deux ou plusieurs malware. Il pourrait ´egalement
am´eliorer la r´esistance de l’approche face `a des d´eviations de comportement
dans les ´echantillons des malware.
L’approche que nous proposons pour classifier et d´etecter les malware est
une approche dynamique. Nous analysons dans un environnement AndroBlare
les applications afin de capturer les flux d’information qu’ils causent dans le
syst`eme. L’une des limites de cette approche est la couverture de code. Nous
couvrons durant l’ex´ecution qu’une partie de tout le code de l’application que
nous analysons. Dans le cas de l’analyse des ´echantillons de malware, nous avons
par exemple du analys´e statiquement leur code afin de trouver les ´ev`enements
d´eclenchant le code malveillant. Ces ´ev`enements ont ensuite ´et´e introduits durant
l’analyse des ´echantillons avec AndroBlare afin de s’assurer que leur comportement
malveillant soit captur´e. Quant aux applications b´enignes, nous les
avons utilis´e comme un utilisateur normal pendant cinq minutes mais cela ne
garantie pas une couverture optimale du code. Un axe `a explorer serait ainsi
une m´ethode pour couvrir tout le code des applications durant leur analyse
avec AndroBlare afin que tout leur comportement soit captur´e et d’automatiser
tout le processus d’analyse des applications. Cela ouvrirait ´egalement la voie `a
une exp´erimentation `a plus grande ´echelle des m´ethodes de classification et de
d´etection que nous avons propos´e dans cette th`ese.
Il est souvent plus difficile de finir que de commencer.132 CHAPITRE 6. CONCLUSIONAnnexe A
Analyse d’´echantillons de
malware : recherche des
´ev`enements d´eclenchant
leur code malveillant
Lors de la validation exp´erimentale des approches pour la caract´erisation et
la d´etection de malware Android, nous avons utilis´e des ´echantillons de 4 malwares
diff´erents : DroidKungFu1, DroidKungFu2, jSMSHider et BadNews. Le
but des exp´eriences men´ees ´etait de montrer qu’il ´etait possible de caract´eriser
sous forme de SFG le comportement malveillant des malware et d’utiliser ces
SFG pour d´etecter l’ex´ecution d’autres instances des malware que nous supposions
non-connues. Pour capturer et d´etecter ce comportement malveillant, ils
nous a fallu introduire des ´ev`enements dans le syst`eme afin de d´eclencher le code
malveillant. Nous pr´esentons dans ce qui suit l’analyse de quelques ´echantillons
de malware afin de d´eterminer ces ´ev`enements.
A.1 Outils
Pour analyser les ´echantillons de malware, nous utilisons principalement les
outils Androguard et apktool. Nous nous servons principalement d’Androguard
afin de d´ecompiler `a la vol´ee le code des applications Android et d’apktool
pour extraire le contenu des fichiers apk, d´ecoder en clair le contenu des fi-
chiers AndroidManifest.xml ainsi que pour d´esassembler en smali le code des
applications.
133134ANNEXE A. EV´ ENEMENTS D ` ECLENCHEURS DE CODE MALVEILLANT ´
A.2 BadNews
BadNews est un malware Android d´ecouvert en 2013 qui se r´epandait sousforme
d’applications existantes infect´ees par un code malveillant. Le rapport
d’analyse effectu´e dans [91] indique que le comportement de BadNews est dict´e
par un serveur C&C. Lorsqu’un client se connecte, le serveur lui envoie une
commande `a ex´ecuter et attend sa prochaine connexion pour lui indiquer la
prochaine action `a effectuer. Trouver l’´ev`enement d´eclencheur du comportement
malveillant des ´echantillons de BadNews revient ainsi `a trouver l’´ev`enement qui
d´eclenche le connexion vers le serveur puis le traitement de la commande `a
ex´ecuter.
Pour identifier les ´ev`enements d´eclencheurs du code malveillants de BadNews,
nous avons analys´e l’un de ses ´echantillons 1 provenant de la collection
Contagio. L’approche que nous avons adopt´e est de partir des diff´erents points
d’entr´ee de l’application afin d’identifier le code impl´ementant le comportement
de BadNews, puis d´eterminer l’´ev`enement attendu par l’application pour
d´eclencher l’ex´ecution du code. Les composants sont les points d’entr´ee d’une
application Android. A quelques exceptions pr`es, ils doivent tous ˆetre list´es dans `
le fichier AndroidManifest.xml. Le listing A.1 pr´esente le contenu de ce fichier
pour l’´echantillon analys´e. Il indique que l’application poss`ede cinq composants :
deux de type Activity, un Service et deux de type Receiver.
L’analyse du code des deux composants Receiver indique qu’ils ex´ecutent
tous deux la mˆeme action `a la r´eception d’un intent, listing A.2, `a savoir le lancement
du composant AdvService. L’analyse du code de AdvService s’av`ere
fructueuse car parmi les m´ethodes de ce composant se trouve une m´ethode
sendRequest, listing A.3, qui impl´emente le comportement attendu de BadNews
: envoi d’une requˆete vers un serveur distant et ex´ecution de diff´erentes
actions selon la r´eponse re¸cue : installation d’application, ajout de raccourci sur
le t´el´ephone, affichage de notification etc.
Le code ayant ´et´e identifi´e, il reste `a d´eterminer comment il est appel´e et sous
quelles conditions. L’une des fonctionnalit´es d’Androguard est de construire le
graphe d’appel des fonctions d’une application et de l’exporter sous un format de
graphe reconnu par des outils de visualisation et manipulation de graphe tels que
Gephi. Grˆace `a la commande androgexf dans Androguard, nous cr´eons ainsi un
graphe sous le format gexf d´ecrivant les appels de fonction dans l’´echantillon
analys´e et que nous pouvons ouvrir avec Gephi. La figure A.1 est un extrait
du graphe d’appel produit quand nous le visualisons sous Gephi. Chaque nœud
repr´esente une m´ethode dont le label comporte le nom de la classe o`u la m´ethode
est d´eclar´ee, son nom et sa signature. Quant aux arcs, ils repr´esentent les appels
de fonction entre les m´ethodes. Un arc de A vers B signifie que la m´ethode A appelle
la m´ethode B. Ainsi la m´ethode sendRequest est directement appel´ee par
getUpdate. En analysant la premi`ere composante connexe du graphe `a partir du
bas de la figure, nous remarquons que sendRequest est uniquement appel´e durant
l’ex´ecution d’un Thread impl´ement´e par la classe AdvService$1 2
. La com-
1. SHA sum : f1b351d1280422c5d1e3d2b1b04cb96a5d195f62
2. m´ethode runA.2. BADNEWS 135
19
21
26
27
28
29
30
31
34
36
38
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42
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45
46
47
48
49
51
Listing A.1 – Fichier AndroidManifest.xml d’un ´echantillon de BadNews
posante connexe en haut de la figure nous r´ev`ele ´egalement que le thread n’est
instanci´e que lors de l’ex´ecution de la m´ethode onStartCommand de AdvService,
c’est-`a-dire lorsqu’AdvService re¸coit un intent lui demandant de s’ex´ecuter.
L’analyse du code de onStartCommand, listing A.4 nous le confirme et nous
indique mˆeme la condition pour que le thread soit lanc´e. En effet pour qu’il
soit ex´ecut´e, il faut que l’intent re¸cu par AdvService contienne un param`etre
update dont la valeur doit ˆetre diff´erente de 0 3
.
Ainsi pour lancer l’ex´ecution du code malveillant de BadNews, il faut envoyer
un intent avec un param`etre update dont la valeur est `a true au composant
AdvService. Dans le cas de certains ´echantillons, le composant AdvService est
nomm´e diff´eremment. Il suffit dans ce cas d’envoyer l’intent `a ce composant.
La commande am permet l’envoi de l’intent `a partir de la ligne de commande
sous Android comme illustr´e ci-dessous. Il est n´ecessaire de pr´eciser `a la fois le
3. Les bool´eens sont consid´er´es comme des entiers sous Dalvik136ANNEXE A. EV´ ENEMENTS D ` ECLENCHEURS DE CODE MALVEILLANT ´
nom complet de l’application ainsi que celui du composant afin que le syst`eme
puisse d´eterminer le destinataire exact du message.
$ am startservice APP_NAME/PACKAGE_NAME.AdvService \
--ez update 1
1 public void onReceive(android.content.Context p4, android.content.Intent p5) {
2 v0 = new android.content.Intent();
3 v0.setAction("com.mobidisplay.advertsv1.AdvService");
4 v0.putExtra("update", 1);
5 p4.startService(v0);
6 return;
7 }
Listing A.2 – Code appel´e `a la r´eception d’un Intent par les composants de
type Receiver d’un ´echantillon de BadNewsA.2. BADNEWS 137
Figure A.1 – Extrait du graphe d’appel de fonction d’un ´echantillon de BadNews138ANNEXE A. EV´ ENEMENTS D ` ECLENCHEURS DE CODE MALVEILLANT ´
1 private void sendRequest(String p24) {
2 v12 = android.net.Proxy.getDefaultHost();
3 v13 = android.net.Proxy.getDefaultPort();
4 v4 = new java.net.URL(p24);
5 if(v13 <= 0) {
6 v5 = v4.openConnection();
7 } else {
8 v5 = v4.openConnection(new java.net.Proxy(java.net.Proxy$Type.HTTP,
9 new java.net.InetSocketAddress(v12, v13)));
10 }
11 v5.setDoInput(1);
12 v5.setDoOutput(1);
13 v5.setRequestMethod("POST");
14 v5.setConnectTimeout(10000);
15 this.tmett = (System.currentTimeMillis() / 1000.0);
16 v18 = new java.io.DataOutputStream(v5.getOutputStream());
17 v18.writeBytes(new StringBuilder("kurok=").append(this.ii)
18 .append("&taket=").append(this.pacNme).append("&phone=")
19 .append(this.phoNum).append("&vesn=").append(this.vesn)
20 .append("&sysname=").append(this.syNm).append("&operator=")
21 .append(this.opNm).append("&sdk=")
22 .append(android.os.Build$VERSION.SDK).append("&tmett=")
23 .append(this.tmett, 1000.0).append("&model=").append(this.phMl)
24 .append("&lg=").append(this.lg).append("&io=").append(this.io)
25 .append("&qyNm=").append(this.qyNm).append("&devicesid=")
26 .append(android.provider.Settings$Secure.getString(this
27 .getBaseContext().getContentResolver(), "android_id"))
28 .toString());
29 v18.flush(); v18.close(); v5.connect();
30 v6 = v5.getInputStream();
31 if(v6 != 0) {
32 this.increaseQueryNum();
33 v19 = new java.io.InputStreamReader;
34 v19(v6, "UTF-8");
35 v14 = new java.io.BufferedReader(v19);
36 v3 = new StringBuilder();
37 while(true) {
38 v8 = v14.readLine();
39 if(v8 == 0) break;
40 v3.append(v8).append("\x0a");
41 }
42 v16 = new org.json.JSONTokener;
43 v16(v3.toString());
44 v7 = new org.json.JSONObject(v16);
45 v15 = v7.getString("status");
46 if(v15.equalsIgnoreCase("news") != 0) {
47 this.parseNews(v7);
48 }
49 if(v15.equalsIgnoreCase("install") != 0) {
50 this.parseInstall(v7);
51 }
52 ...
Listing A.3 – Extrait du code de la m´ethode sendRequest d’un ´echantillon de
BadNewsA.2. BADNEWS 139
1 public int onStartCommand(android.content.Intent p3, int p4, int p5) {
2 this.log("AdvService Started");
3 if(p3 == 0) {
4 this.startUpdater();
5 } else {
6 if(p3.getExtras() == 0) {
7 this.startUpdater();
8 } else {
9 if(p3.getExtras().getBoolean("update") != 0) {
10 this.startUpdateThread();
11 }
12 }
13 }
14 return 1;
15 }
16
17 private void startUpdateThread() {
18 new Thread(new com.mobidisplay.advertsv1.AdvService$1(this)).start();
19 return;
20 }
Listing A.4 – Code appel´e `a l’ex´ecution du composant AdvService d’un
´echantillon de BadNews140ANNEXE A. EV´ ENEMENTS D ` ECLENCHEURS DE CODE MALVEILLANT ´
A.3 DroidKungFu1
DroidKungFu1 [61] est un malware d´ecouvert en 2011. Certains de ses ´echantillons
n’ex´ecutent pas automatiquement le code malveillant d`es le lancement
de l’application dans laquelle ils se trouvent. Nous avons ainsi analys´e l’un des
´echantillons de ce malware 4 afin de trouver l’´ev`enement d´eclenchant le code
malveillant.
Selon l’analyse qui en a ´et´e r´ealis´ee par X. Jiang dans [61], le code malveillant
du malware est stock´e dans un service qui est ajout´e `a des applications
existantes pour infecter les utilisateurs. Les captures effectu´ees dans le rapport
montrent que le service en question s’appellerait com.google.searchservice
et que l’envoi de donn´ees sensibles vers l’ext´erieur et l’installation de nouvelles
applications se font respectivement grˆace aux fonctions doSearchReport et
cpLegacyRes. L’analyse du fichier AndroidManifest.xml, listing A.5, confirme
qu’un tel service existe dans l’application et une analyse rapide du code de ce
composant indique la pr´esence de ces deux m´ethodes. Il reste ainsi `a d´eterminer
comment ces m´ethodes sont appel´ees.
Comme dans le cas de BadNews, nous construisons le graphe d’appel de
fonction de l’application pour identifier comment ces m´ethodes sont appel´ees.
La figure A.2 est un extrait du graphe d’appel et indique que les deux m´ethodes
sont appel´ees durant la cr´eation du composant SearchService, plus pr´ecis´ement
par la m´ethode onCreate de ce composant. L’analyse du code de cette m´ethode,
listing A.6, indique que l’ex´ecution de l’attaque ne se fait qu’apr`es un laps
de temps. A la cr´eation du composant, l’application r´ecup`ere la valeur du pa- `
ram`etre start dans ses pr´ef´erences et la compare avec le temps du syst`eme. Si
la diff´erence est inf´erieure `a 14400000.0ms alors l’attaque n’est pas lanc´ee et la
valeur de start est initialis´ee au temps du syst`eme. Dans le cas contraire, l’attaque
est lanc´ee. La condition pour que l’attaque soit ex´ecut´ee est ainsi qu’au
moins 14400000.0ms se soit ´ecoul´e depuis le changement de la valeur du param`etre
start. Ce param`etre est stock´e dans le fichier sstimestamp.xml, voir
listing A.7, situ´e dans un sous-r´epertoire du r´epertoire local de l’application. En
modifiant sa valeur, nous pouvons ainsi faire croire `a l’application que plus de
14400000.0ms s’est ´ecoul´e et forcer l’ex´ecution du code malveillant.
4. MD5 : 7f5fd7b139e23bed1de5e134dda3b1caA.3. DROIDKUNGFU1 141
Figure A.2 – Extrait du graphe d’appel de fonction d’un ´echantillon de DroidKungFu142ANNEXE
A. EV´ ENEMENTS D ` ECLENCHEURS DE CODE MALVEILLANT ´
1
2
4
5
6
7
8
9
10
13
14
15
16
17
18
19
20
21
Listing A.5 – Extrait du contenu du fichier AndroidManifest.xml d’un
´echantillon de DroidKungFu1
1 public void onCreate() {
2 super.onCreate();
3 v5 = this.getSharedPreferences("sstimestamp", 0);
4 v3 = v5.getLong("start", 0.0, v8);
5 v0 = System.currentTimeMillis();
6 if(v3 != 0.0) {
7 if((v0 - v3) >= 14400000.0) {
8 this.mPreferences = this.getSharedPreferences("permission", 0);
9 if(com.google.ssearch.Utils.isConnected(this) != 0) {
10 this.doSearchReport();
11 }
12 this.getPermission();
13 this.provideService();
14 } else {
15 this.stopSelf();
16 }
17 } else {
18 v2 = v5.edit();
19 v2.putLong("start", v0, v1);
20 v2.commit();
21 this.stopSelf();
22 }
23 return;
24 }
Listing A.6 – M´ethode onCreate du composant SearchService d’un ´echantillon
de DroidKungFu1A.3. DROIDKUNGFU1 143
1
2
Listing A.7 – Contenu du fichier sstimestamp.xml d’un ´echantillon de DroidKungFu1144ANNEXE
A. EV´ ENEMENTS D ` ECLENCHEURS DE CODE MALVEILLANT ´
A.4 DroidKungFu2
DroidKungFu2 [60] est un malware d´ecouvert en 2011 et consid´er´e comme
ayant ´et´e ´ecrit par le mˆeme groupe de d´eveloppeurs que DroidKungFu1. Le
rapport sur son analyse indique qu’ils ont d’ailleurs un comportement similaire
car ils exploitent tous deux des vuln´erabilit´es dans le syst`eme pour ´elever leur
privil`eges et installer de nouvelles applciations sur le t´el´ephone. La diff´erence
entre les attaques sont les applications qu’ils installent sur le t´el´ephone. En
analysant un des ´echantillons de DroidKungFu2 5
, nous remarquons rapidement
que leur mode d’ex´ecution est le mˆeme. Voir listing A.8. Dans DroidKungFu2, le
code malveillant est ´ex´ecut´e lors de la cr´eation d’un service et sous la condition
qu’un certain temps se soit ´ecoul´e. Nous pouvons aussi d’ailleurs remarquer
que le nom de certaines m´ethodes appel´ees sont exactement les mˆemes (ex :
getPermission).
Il suffit de modifier la valeur du param`etre start dans sstimestamp.xml
pour faire ainsi croire `a l’application que plus de 1800000.0ms se sont ´ecoul´ees
et forcer l’ex´ecution du code malveillant.
1 public void onCreate() {
2 super.onCreate();
3 v5 = this.getSharedPreferences("sstimestamp", 0);
4 v3 = v5.getLong("start", 0.0, v8);
5 v0 = System.currentTimeMillis();
6 if(v3 != 0.0) {
7 if((v0 - v3) >= 1800000.0) {
8 this.mPreferences = this.getSharedPreferences("permission", 0);
9 this.updateInfo();
10 this.getPermission();
11 this.provideService();
12 } else {
13 this.stopSelf();
14 }
15 } else {
16 v2 = v5.edit();
17 v2.putLong("start", v0, v1);
18 v2.commit();
19 this.stopSelf();
20 }
21 return;
22 }
Listing A.8 – M´ethode onCreate d’un composant service d’un ´echantillon de
DroidKungFu2
5. MD5 : f438ed38b59f772e03eb2cab97fc7685A.5. JSMSHIDER 145
A.5 jSMSHider
Les ´echantillons de jSMSHider ex´ecutent tous leur code malveillant d`es le
lancement de l’application. Il n’y a ainsi nul besoin d’introduire manuellement
des ´ev`enements dans le syst`eme.146ANNEXE A. EV´ ENEMENTS D ` ECLENCHEURS DE CODE MALVEILLANT ´Publications
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COMMUNICATION
THÈSE
pour l’obtention du grade de
Docteur en Sciences
de l’Université de Nice - Sophia Antipolis
Mention : Informatique
Présentée et soutenue par
Guillaume CANO
Interaction entre algèbre linéaire
et analyse en formalisation des
mathématiques
Thèse dirigée par Yves BERTOT
soutenue le 4 avril 2014
Jury :
Micaela MAYERO - Maître de conférence, LIPN (Rapporteur)
Julio RUBIO - Professeur, Université de la Rioja (Rapporteur)
Yves BERTOT - Directeur de recherche, INRIA (Directeur)
Stephen Watt - Professeur, Université Ontario Ouest (Examinateur)
Christine PAULIN-MOHRING - Professeur, Université Paris Sud (Examinateur)
Douglas HOWE - Professeur, Université Carlton (Examinateur)Abstract
In this thesis we present the formalization of three principal results
that are the Jordan normal form of a matrices, the Bolzano-Weierstraß
theorem, and the Perron-Frobenius theorem.
To formalize the Jordan normal form, we introduce many concepts
of linear algebra like block diagonal matrices, companion matrices,
invariant factors, ...
The formalization of Bolzano-Weierstraß theorem needs to develop
some theory about topological space and metric space.
The Perron-Frobenius theorem is not completly formalized. The proof
of this theorem uses both algebraic and topological results. We will
show how we reuse the previous results.
Résumé
Dans cette thèse nous présentons la formalisation de trois résultats
principaux que sont la forme normale de Jordan d’une matrice, le
théorème de Bolzano-Weierstraß et le théorème de Perron-Frobenius.
Pour la formalisation de la forme normale de Jordan nous introduisons
différents concepts d’algèbre linéaire tel que les matrices diagonales
par blocs, les matrices compagnes, les facteurs invariants, ...
Ensuite nous définissons et développons une théorie sur les espaces topologiques
et métriques pour la formalisation du théorème de BolzanoWeierstraß.
La formalisation du théorème de Perron-Frobenius n’est pas terminé.
La preuve de ce théorème utilise des résultat d’algèbre linéaire, mais
aussi de topologie. Nous montrerons comment les précédents résultats
seront réutilisés.Remerciements
Je voudrais dans un premier temps remercier Micaela Mayero et Julio
Rubio pour avoir acceptés d’endurer l’épreuve d’être les rapporteurs
de cette thèse.
Je remercie mon directeur de thèse Yves Bertot pour m’avoir permis
de faire cette thèse, mais aussi pour les moments patisserie.
Je tiens à remercier aussi toute l’équipe Marelle pour son soutient.
Je remercie Nathalie Bellesso qui est une secrétaire merveilleuse, qui
m’a aidée dans mes tâches administratives et qui en plus écrit de bons
livres. Je remercie José Grimm pour ces conseils TEXniques, Laurent
Théry pour son soutient, ses conseils et ses casse-têtes. Et surtout
un grand merci à Laurence Rideau qui a passé beaucoup de temps à
m’apprendre SSReflect, à relire mes écrits, à corriger mes fautes
réccurentes, qui a aussi eu la patience de me supporter, et aussi qui
m’a encouragé, grondé et motivé tout au long de ma thèse. Je remercie
également ceux qui ont passés du temps à la relecture de ma thèse, et
que j’ai déjà cités.
Merci également à Ioana Paşca qi m’a beaucoup appris, en particulier
une chose absolument fondamentale : le chocolat, au bureau, c’est
important ! Merci à Tom Hutchinson dont j’ai apprécié la compagnie
et les conversations. Merci aussi à Cyril Cohen, Maxime Dénès, Érik
Martin-Dorel, Anders Mörtberg. Merci à ceux que j’ai oubliés.
Je remercie aussi ma famille pour son soutient à toute épreuve.
Et je voudrais rendre hommage à Pierre Damphousse, sans qui je
n’aurais jamais fait cette thèse.Table des matières
Introduction 1
1 Preuve formelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
2 Assistants de preuve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
3 Brève présentation de Coq . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
3.1 Les Types . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
4 Motivations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
4.1 Motivations générales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
4.2 Motivations de la thèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
5 Contributions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1 Contexte 9
1.1 Les types de base . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.1.1 Le type produit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.1.2 Les types propositionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.1.3 Le type booléen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.1.4 Les entiers naturels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1.1.5 Les séquences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1.2 La bibliothèque SSReflect . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.2.1 La réflexion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.2.2 Le système de vue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.2.3 Les types avec une égalité décidable . . . . . . . . . . . . . 15
1.2.4 Les types finis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
1.2.5 Les opérateurs de familles . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
1.2.6 Les structures algébriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
1.2.7 Les polynômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
1.2.8 Les matrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
1.2.9 Matrices et polynômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
1.2.10 Les structures ordonnées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
1.2.11 Les nombres complexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
1.3 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
2 Forme de Jordan d’une matrice 25
2.1 Matrices diagonales par blocs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
2.1.1 Définition idéale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26vi Table des matières
2.1.2 Problèmes en dimension nulle . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.1.3 Définition finale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.2 Matrices semblables et équivalentes . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
2.2.1 Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
2.2.2 Théorème fondamental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
2.3 Forme normale de Smith . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2.3.1 Spécification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
2.3.2 Unicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
2.3.3 Facteurs invariants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
2.4 Forme normale de Frobenius . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
2.4.1 Matrices compagnes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
2.4.2 De Smith à Frobenius . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
2.5 Forme normale de Jordan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
2.5.1 Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
2.5.2 De Frobenius à Jordan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
2.5.3 Diagonalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
2.6 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
2.7 Travaux reliés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
3 Topologie 51
3.1 Théorie des ensembles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
3.1.1 Réécriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
3.1.2 Les familles d’ensembles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
3.2 Structures Topologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
3.2.1 Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
3.2.2 Approche naïve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
3.2.3 Approche SSReflect . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
3.3 Bolzano-Weierstraß . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
3.3.1 Topologie générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
3.3.2 Les suites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
3.3.3 Le théorème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
3.4 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
3.5 Travaux reliés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4 Perron-Frobenius 69
4.1 Rappels et définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
4.1.1 Minimum et maximum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
4.1.2 Éléments d’algèbre linéaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
4.2 Matrices strictement positives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
4.2.1 Preuve du théorème principal . . . . . . . . . . . . . . . . 73
4.2.2 Instance des structures topologiques . . . . . . . . . . . . . 75
4.2.3 Preuve de l’axiome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
4.3 Matrices à coefficients positifs ou nuls . . . . . . . . . . . . . . . . 80
4.3.1 La preuve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81Table des matières vii
4.3.2 Convergence des rayons spectraux . . . . . . . . . . . . . . 81
4.3.3 Compacité de la boule unité . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
4.4 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
4.5 Travaux reliés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
Conclusion 85
Bibliographie 87Introduction
1 Preuve formelle
Formaliser un théorème, c’est difficile à définir formellement. Dans le mot “formelle”
on a le mot “forme”. Une preuve formelle, serait donc une preuve qui
manipule seulement des formes, des symboles, en faisant abstraction du sens que
peuvent avoir ces symboles.
Le mieux serait d’essayer de comprendre sur un exemple. Essayons de formaliser
le résultat suivant : “Si nous avons un ensemble, avec une loi associative
sur cet ensemble qui possède un élément neutre, et si un élément de l’ensemble
possède un inverse à droite et un inverse à gauche, alors l’inverse à droite et
l’inverse à gauche sont égaux”.
Nous commencons d’abord par mettre en forme l’énoncé, c’est-à-dire l’exprimer
à l’aide de symboles. Nous pouvons utiliser la lettre “E” pour désigner
l’ensemble, le symbole “∗” pour la loi, et “e” pour son élément neutre. Nous pouvons
formaliser le fait que la loi est associative et que e et un élément neutre par
les hypothèses suivantes :
hA : ∀xyz ∈ E,(x ∗ y) ∗ z = x ∗ (y ∗ z).
n1 : ∀x ∈ E, x ∗ e = x.
n2 : ∀x ∈ E, e ∗ x = x.
Ensuite nous pouvons utiliser par exemple la lettre “a” pour désigner un élé-
ment de E qui a un inverse à gauche et à droite que nous appellerons a1 et a2.
Formellement, nous avons les deux hypothèses suivantes :
ha1 : a ∗ a1 = e
ha2 : a2 ∗ a = e
et donc nous voulons prouver que a1 = a2.
Nous avons pour l’instant décrit formellement les hypothèses de l’énoncé, ainsi
que le but que nous voulons prouver. Nous pouvons maintenant prouver formellement
que a1 = a2 en utilisant uniquement les hypothèses que nous avons
formalisées.2 Introduction
Nous avons donc a1 = e ∗ a1 = (a2 ∗ a) ∗ a1 = a2 ∗ (a ∗ a1) = a2 ∗ e = a2, en
utilisant respectivement les hypothèses n2, ha2, hA, ha1, n1. Pour vérifier cette
preuve, nous n’avons pas besoin de connaitre le sens des symboles. La première
hypothèse utilisée est l’hypothèse n2. Si on regarde cette hypothèse, on s’aperçoit
qu’il y a un signe “=” qui indique que la forme qu’il y a d’un coté de ce signe est
équivalente à la forme qu’il y a de l’autre coté du signe, ainsi dans une expression
nous pouvons remplacer l’une par l’autre. Donc l’hypothèse n2 dit que le dessin
“a1” a la même forme que le dessin “e ∗ a1”. On n’a pas besoin de savoir à quoi
correspond ∗ ou e, on a seulement besoin de savoir que l’on peut remplacer une
expression par une autre, et donc on peut vérifier la preuve juste en comparant
des dessins1
. C’est ce qu’on appelle une preuve formelle.
Cette abstraction du sens des symboles que l’on manipule fait qu’une preuve
formelle est généralement plus longue et détaillée qu’une preuve normale. En
effet, dans une preuve mathématique, certaines choses sont considérées comme
évidentes. Mais si l’on exprime ces choses à l’aide de symboles, et que l’on oublie
le sens de ces symboles, alors en gros la seule trivialité qui reste est x = x.
D’un autre côté, le fait de pouvoir faire des preuves en manipulant des symboles
sans se préoccuper du sens fait que certaines choses peuvent se faire de
manière automatique, et donc être faites par une machine.
2 Assistants de preuve
Un assistant de preuve est un logiciel permettant de faire des preuves formelles.
Il en existe de deux sortes :
• Les assistants de preuve automatiques : ce sont des logiciels qui prouvent
automatiquement les théorèmes. L’exemple utilisé ci-dessus serait très rapidement
prouvé par un prouveur automatique. Pour prouver les théorèmes,
le logiciel regarde parmi la liste des théorèmes qu’il a à sa disposition, lesquels
il peut appliquer. Il essaye ensuite les lemmes qu’il peut appliquer.
Pour chaque théorème appliqué, les conditions du théorème deviennent de
nouveaux buts à prouver, il génère ainsi une sorte d’arbre de preuve. Si une
branche de cet arbre termine, alors il annonce que le théorème est valide,
sinon nous n’avons aucune information sur la validité du résultat que nous
voulions prouver. Si l’on donne un théorème à un prouveur automatique,
il répondra soit “c’est vrai” soit “je ne sais pas”, mais il n’indiquera pas
comment il a prouvé le théorème. On peut cependant demander une trace
de ce qu’il a fait, mais c’est rarement exploitable, on se sert géneralement
de la trace pour voir quels théorèmes intermédiaires manquent à l’assistant
de preuve pour valider la preuve.
1Enfin pas tout à fait. Dans cet exemple, il faut au moins connaître les symboles ∀, ∈, et
=. Pour avoir une preuve formelle complète, il aurait fallu donner aussi les règles d’utilisation
de ces symboles.3 Brève présentation de Coq 3
Ceci est une présentation assez grossière des assistants de preuve automatiques,
on pourra trouver dans [6] ou dans [24] plus de détails sur les mécanismes
utilisés. Les principaux prouveurs automatiques1
sont ACL2 [28, 29],
Alt-Ergo [5], E-prover [44], Gappa [31], Z3 [11], ...
• Les assistants de preuve semi-automatiques : contrairement aux assistants
de preuve automatiques, les preuves sont faites par un utilisateur humain.
L’utilisateur dit quel théorème il veut utiliser, et la machine indique si oui ou
non le théorème peut être appliqué ou pas. Donc ici l’humain fait la preuve,
et la machine la vérifie. Parmi les principaux assistants de preuve semiautomatique,
on trouve HOL [35], HOL-Light [25], Isabelle [50], Coq [13],
Mizar [33], Matita [1], PVS [45], Nuprl [10] ...
Dans cette thèse nous utiliserons l’assistant de preuve Coq.
3 Brève présentation de Coq
Le logiciel Coq est un assistant de preuve semi-automatique qui permet de faire
des preuves, mais aussi des programmes (et des preuves sur ces programmes !). La
construction de preuves se fait à l’aide d’un langage de tactiques. Une tactique
c’est ce qui permet de dire au système quel règle logique utiliser pour construire
les preuves.
La formalisation des théorèmes en Coq se fait de manière interactive avec
la machine. En général nous avons un environnement de preuve qui se présente
comme suit :
H
===================
B
où H est la partie où sont nos hypothèses, et B est la partie où il y a le(s)
but(s) que nous voulons prouver. Supposons par exemple que nous ayons l’environnement
de preuve suivant :
...
Hn0 : n = 0
H : m = n -> P
===================
P
Nous pouvons écrire dans le script de preuve que l’on veut appliquer l’hypothèse
H en écrivant :
apply: H.
Nous pouvons ensuite exécuter la commande que l’on vient d’écrire pour voir
comment notre environnement de preuve évolue. Ici il y a deux possibilités, soit
1On peut trouver une liste plus complète dans http://why3.lri.fr/.4 Introduction
le système Coq ne peut pas appliquer l’hypothèse et dans ce cas il renvoie un
message d’erreur, soit comme c’est le cas ici, le système Coq peut appliquer
l’hypothèse et dans ce cas il va alors demander de prouver les conditions de
l’hypothèse. Nous aurons donc le nouvel environnement de preuve suivant :
...
Hn0 : n = 0
===================
m = n
Là, nous savons que n = 0, nous pouvons donc remplacer n par 0 dans notre
but. Pour cela, nous pouvons écrire dans le script de preuve la ligne suivante :
rewrite Hn0.
Après l’exécution de cette ligne, nous aurons l’environnement de preuve suivant
:
...
Hn0 : n = 0
===================
m = 0
Dans cet exemple, apply et rewrite sont ce qu’on appelle des tactiques. Au
départ nous voulions prouver la proposition P, et en utilisant les deux tactiques cidessus,
nous nous somme ramenés à prouver m = 0. C’est en utilisant les tactiques
et nos hypothèses que nous allons construire progressivement la preuve formelle.
Le langage que nous utiliserons pour la formalisation des théorèmes s’appelle
SSReflect [20]. C’est une extension de Coq créée par Georges Gonthier pour
prouver le théorème des quatre couleurs [18]. Le langage de tactique est défini différemment
mais le noyau qui vérifie les preuves reste le même. Cette bibliothèque
possède déjà les outils de base pour faire de l’algèbre linéaire.
3.1 Les Types
Coq est un langage fortement typé. Un type définit un ensemble d’objets de
même nature. Par exemple dans Coq tous les entiers naturels sont de type nat,
on écrit :
3 : nat
et ça se lit “trois est de type nat”.
Le type Prop est le type des propositions, par exemple :
(forall n : nat, n + 0 = n) : Prop
Maintenant dire que le type de H est la proposition forall n : nat, n + 0 = n,
c’est dire que H est une preuve de cette proposition. Si on reprend l’exemple
ci-dessus, on a dans nos hypothèses la ligne suivante :
Hn0 : n = 04 Motivations 5
Cela signifie que parmi nos hypothèses on a une preuve (ici appelé Hn0) que n = 0.
Toutes les preuves d’une proposition ont le même type.
Le type d’une fonction est indiqué par une flèche. Le type nat -> nat, par
exemple, est le type d’une fonction qui prend en argument un entier et qui retourne
comme résultat un entier. On utilise la même flèche pour l’implication. En
effet, si P et Q sont des propositions, P -> Q est le type d’une fonction qui prend
en argument une preuve de P et qui retourne comme résultat une preuve de Q,
c’est bien une preuve de P implique Q.
Cette correspondance entre les types et les preuves s’appelle la correspondance
de Curry-Howard. Elle fait le lien entre une preuve d’une proposition P, et le type
d’un terme de λ-calcul. Donc vérifier une preuve revient à vérifier le type d’un
λ-terme. Et la vérification de type est quelque chose qui peut se faire de manière
automatique par un ordinateur. Coq est un assistant de preuve qui utilise cette
correspondance.
Coq permet également de travailler avec des types dépendants. Un type dé-
pendant est un type qui dépend de un ou plusieurs paramètres. Par exemple, le
type d’une matrice est un type qui dépend du nombre de lignes et de colonnes de
la matrice.
4 Motivations
4.1 Motivations générales
Il y a deux principales raisons pour lesquelles on voudrait faire des preuves
formelles. La première est pour vérifier des programmes. Par exemple, les programmes
utilisés dans les métros automatiques qui n’ont pas de conducteur, ou
les programmes utilisés dans des avions, etc. C’est le genre de programmes dont
on voudrait être sûr qu’ils ne feront pas d’erreurs.
La seconde, est que certaines preuves mathématiques nécessitent de longs
calculs par ordinateur. C’est le cas par exemple du théorème des quatre couleurs
ou dernièrement de la conjecture de Kepler qui est en train d’être formalisée
avec l’assistant de preuve HOL Light [21, 22]. Donc prouver formellement que les
calculs faits par l’ordinateur sont corrects permet d’avoir une meilleure certitude
sur ces preuves.
Il y a aussi le fait que les preuves mathématiques deviennent plus difficiles. Il
existe des théorèmes dont la preuve n’est compréhensible que seulement par une
poignée de mathématiciens. Ce sont des théorème difficiles à vérifier et prouver
formellement ces théorèmes permettrait de pouvoir vérifier ces preuves de manières
automatiques. C’est le cas par exemple du théorème de Feit-Thompson [19]
dont la preuve fait plusieurs centaines de pages et qui a été formalisé avec l’assistant
de preuve Coq.6 Introduction
4.2 Motivations de la thèse
Les démonstrations de certains théorèmes mathématiques parfois font intervenir
des résultats de différentes branches des mathématiques. C’est le cas par exemple
du théorème de Perron-Frobenius qui parle des propriétés du rayon spectral des
matrices à coefficients positifs.
La preuve de ce théorème utilise des résultats d’algèbre linéaire, comme la
réduction de Jordan d’une matrice, mais aussi des résultats d’analyse comme
le théorème de Bolzano-Weierstraß en topologie générale, ou des résultats de
convergence sur les matrices.
Le but de cette thèse a été d’essayer de fournir des outils d’algèbre linéaire et
d’analyse assez généraux pour qu’ils puissent être réutilisés.
Nous présenterons dans cette thèse d’abord les travaux sur la forme normale de
Jordan, ensuite ceux sur la topologie générale. Ces deux parties ont été formalisées
indépendamment l’une de l’autre. Nous verrons une réutilisation de ces résultats
dans le dernier chapitre avec le théorème de Perron-Frobenius.
Ce qui a amené en premier lieu à s’intéresser au théorème de Perron-Frobenius
est un problème de robotique qui a demandé à étudier des matrices dont les
coefficients sont des intervalles [32]. Le fait que l’on ait besoin du théorème de
Perron-Frobenius a été mis en évidence par Ioana Paşca en étudiant la régularité
de ces matrices [42].
5 Contributions
La preuve du théorème de Perron-Frobenius qui a été formalisée en partie dans
cette thèse utilise deux résultats fondamentaux en mathématiques qui sont le
théorème de Bolzano-Weierstraß en topologie générale et la forme normale de
Jordan d’une matrice en algèbre linéaire.
Jusqu’à présent les notions de topologie telles que la continuité de fonction,
ou la convergence de suite, par exemple, sont formalisées dans un cadre restreint,
c’est-à-dire la plupart du temps celui des nombres réels. Pour la formalisation du
théorème de Perron-Frobenius, nous avons besoin d’utiliser des propriétés de topologie
sur des matrices. C’est pourquoi cette thèse propose une formalisation de
résultats de topologie générale qui pourront être utilisés pour n’importe quel type,
du moment que l’on aura instancié une topologie sur ce type. Un des résultats
important de cette formalisation est le théorème de Bolzano-Weierstraß.
La formalisation de la forme normale de Jordan a, entre autre, apporté une
formalisation des matrices diagonales par blocs, d’une théorie sur les matrice
semblables et équivalentes, de la théorie des facteurs invariants, des matrices
compagnes, en formalisant au passage la forme normale de Frobenius. En collaboration
avec Maxime Dénès, nous avons pu, en utilisant les outils fournis par les
bibliothèques CoqEAL1
et SSReflect, faire une formalisation complète (sans
1http://www.maximedenes.fr/content/coqeal-coq-effective-algebra-library5 Contributions 7
axiomes) de ces résultats.
Pour la preuve du théorème de Perron-Frobenius, nous avons formalisé des
théorèmes généraux sur la convergence des suites sur des structures ordonnées
et archimédiennes, mais aussi sur la convergence des suites de matrices. En particulier
nous établissons formellement quelles sont les conditions nécessaires et
suffisantes pour que la suite des puissances d’une matrice converge vers zéro.
Nous donnons également une définition formelle du rayon spectral d’une matrice.
Pour résumer, les contributions originales de cette thèse sont :
• Une théorie générale sur la topologie.
– dont le théorème de Bolzano-Weierstraß.
• Les matrices diagonales par blocs.
• Une théorie des facteurs invariants.
• Les matrices compagnes.
• Les formes normales de Frobenius et de Jordan d’une matrice.
• Des théorèmes généraux sur la convergence des suites
– sur les structures ordonnées.
– sur les structures archimédiennes.
– sur les matrices.
• Une définition du rayon spectral d’une matrice.
• Une preuve partielle du théorème de Perron-Frobenius.Chapitre 1
Contexte
L’outil utilisé pour la formalisation de tous les résultats présentés dans cette
thèse est l’assistant de preuve Coq avec la bibliothèque SSReflect. La bibliothèque
SSReflect contient déjà des théories assez développées sur les principaux
concepts que nous utiliserons tels que les polynômes ou les matrices par
exemple. Nous présenterons donc ici comment les principaux outils que nous utiliserons
par la suite sont formalisés dans la bibliothèque SSReflect, afin de
familiariser le lecteur avec les notations et les énoncés formels qu’il rencontrera.
1.1 Les types de base
Les notions abordées dans cette section sont expliquées plus en détail dans [3].
La plupart des types en Coq sont des types inductifs. Les types inductifs sont
en général définis comme suit :
Inductive TI := C1 : e1 | C2 : e2 | ... | Ck : ek.
Ici les ei sont des expressions dans lesquelles le type TI peut apparaître. Les Ci
sont les constructeurs du type TI. C’est ce qui permet de construire des éléments
de type TI. Tous les éléments de type TI sont forcément construits à partir des
constructeurs.
Nous pouvons définir des fonctions du type inductif TI vers un type T en
faisant un traitement par cas sur toutes les formes possibles de l’élément de type
TI passé en argument de la fonction :
Definition f (x : TI) : T :=
match x with
|C1 ... => E1
|C2 ... => E2
...
|Ck ... => Ek
end.10 Contexte
où les points de suspensions horizontaux sont de possibles arguments des constructeurs
du type TI. L’expression f (Ci ...) est convertible avec l’expression Ei,
c’est-à-dire que l’expression f (Ci ...) se réduit en Ei par des règles de calculs.
On peut considérer deux expressions convertibles comme étant identiques.
Nous allons voir dans la suite les types inductifs de base dans Coq.
1.1.1 Le type produit
Le type produit de deux types A et B est défini comme suit :
Inductive prod (A B : Type) :=
pair : A -> B -> prod A B.
Ce type correspond au produit cartésien de A et de B. La notation définie dans la
bibliothèque standard de Coq pour prod A B est A * B, et celle pour pair x y
est (x,y). Donc si nous avons x : A et y : B alors nous avons (x,y) : A * B.
Si nous avons un élément p : A * B alors on peut définir les projections qui
permettent de récupérer le premier et le second élément de la paire p :
Definition fst (A B : Type) (p : A * B) :=
match p with
(x,y) => x
end.
La fonction snd qui renvoie le second élément de p est définie de la même manière.
Dans la bibliothèque SSReflect, la notation p.1 désigne fst p et p.2 désigne
snd p. Donc (x,y).1 = x et (x,y).2 = y.
1.1.2 Les types propositionnels
Soit A et B deux propositions, alors les propositions « A et B » et « A ou B »
sont exprimées formellement à l’aide de types inductifs. Elles sont notées respectivement
A /\ B et A \/ B.
Pour la conjonction de plusieurs propositions par exemple, on peut rencontrer
dans la bibliothèque SSReflect, la notation suivante :
[/\ A , B & C]
Pour la disjonction le /\ est remplacé par \/ et le & par |. On peut utiliser
cette notation jusqu’à cinq propositions pour la conjonction, et quatre pour la
disjonction.
1.1.3 Le type booléen
Les booléens sont définis simplement dans Coq de la manière suivante :
Inductive bool := true : bool | false : bool.
Les opérateurs booléens « et » et « ou » sont notés respectivement a && b et
a || b pour deux booléens a et b quelconques.1.1 Les types de base 11
1.1.4 Les entiers naturels
Les entiers naturels sont définis selon la construction de Peano :
Inductive nat :=
O : nat
| S : nat -> nat.
Le constructeur S correspond à la fonction successeur. Dans la bibliothèque
SSReflect, S n est noté n.+1, n.+2 est une notation pour S n.+1, cela va jusqu’à
n.+4.
La fonction prédécesseur d’un entier est définie dans la bibliohèque standard
de Coq :
Definition pred n := match n with 0 => 0 | S n’ => n’ end.
La bibliothèque SSReflect fourni pour pred n une notation similaire à la pré-
cedente qui est n.-1, de même nous avons aussi la notation n.-2.
1.1.5 Les séquences
Une séquence permet d’énumérer un nombre fini d’éléments de même type. On
utilise plus couramment le mot « liste », d’ailleurs dans la bibliothèque standard
de Coq ce type s’appelle list. Pour certaines raisons historiques dans la
bibliothèque SSReflect on utilise la notation seq pour list, donc bien que la
définition des séquences soit définie dans la bibliothèque standard de Coq, je vais
la présenter ici avec la notation SSReflect car c’est celle que nous utiliserons
par la suite :
Inductive seq (T : Type) :=
nil : seq T
| cons : T -> seq T -> seq T.
Les notations et les quelques définitions que nous allons voir maintenant sont
celles de la bibliothèque SSReflect.
Le constructeur nil, noté [::], correspond à la séquence vide. Le constructeur
cons permet d’ajouter un élément en tête d’une séquence. Par exemple si s est la
séquence qui contient (dans cet ordre) les éléments 2 et 3 alors cons 1 s est la
séquence qui contient (dans cet ordre) les éléments 1, 2 et 3. On note cons a s
par a :: s, par exemple la séquence ci-dessus est notée 1 :: (2 :: (3 :: nil)).
Une autre façon de noter cette séquence est la suivante [:: 1 ; 2 ; 3 ].
Voici plusieurs fonctions élémentaires sur les séquences :
• La fonction size retourne le nombre d’éléments d’une séquence.
• La fonction nth permet de retourner le n-ième élément d’une séquence.
Cette fonction prend un élément par défaut comme argument. Par exemple
nth x0 s i retourne x0 si la séquence s est vide ou si l’entier i est plus
grand que size s et retourne le i-ème élément de la séquence sinon. Si le12 Contexte
type des éléments d’une séquence s a une structure de groupe additif avec
comme élément neutre 0, alors la notation s‘_i désigne nth 0 s i.
• la fonction last retourne le dernier élément d’une séquence. Par exemple,
last x0 s retourne le dernier élément de la séquence s et x0 si la séquence
s est vide.
• La fonction cat permet de concaténer deux séquences. cat s1 s2 se note
s1 ++ s2.
• La fonction map permet à partir d’une séquence s et d’une fonction f d’obtenir
une nouvelle séquence en appliquant f à chaque élément de s. Par
exemple map f [:: 1 ; 2 ; 3] est la séquence [:: f 1 ; f 2 ; f 3]. La
notation [seq f x | x <- s] est une notation dite par compréhension pour
map f s. On peut lire cette notation comme « La séquence des f x tels que
x appartient à s »(le signe <- symbolise ∈).
• La fonction filter permet à partir d’un prédicat booléen P et d’une sé-
quence s d’obtenir une séquence qui ne contient que les éléments de la
séquence s qui vérifient le prédicat P. La notation par compréhension de
filter P s est [seq x <- s | P x].
1.2 La bibliothèque SSReflect
Dans cette section, nous allons expliquer dans un premier temps quelques mécanismes
utilisés dans la bibliothèque SSReflect. Nous présenterons ensuite les
principaux outils de SSReflect utilisés pour la formalisation.
1.2.1 La réflexion
La réflexion est une manière d’utiliser le calcul pour prouver un résultat. Imaginez
un miroir. D’un côté du miroir il y a le monde des propositions, et de l’autre
côté il y a le monde des booléens. Si certaines propositions (pas toutes) se regardent
dans le miroir, elle pourront voir une expression booléenne qui reflète
leur comportement. C’est-à-dire que l’expression booléenne aura la valeur true
si la proposition est vraie et la valeur false sinon. Prouver une proposition P
par réflexion, c’est passer de l’autre côté du miroir, pour calculer la valeur de
l’expression booléenne et ainsi en déduire la valeur de vérité de la proposition.
Dans la bibliothèque SSReflect, les lemmes qui permettent de passer d’un
côté ou de l’autre du miroir sont appelés des lemmes de réflexion. Ces lemmes
s’expriment à l’aide du type inductif suivant :
Inductive reflect (P : Prop) : bool -> Set :=
ReflectT (_ : P) : reflect P true
| ReflectF (_ : ~P) : reflect P false.1.2 La bibliothèque SSReflect 13
Le type reflect a deux constructeurs de type légèrement différent. Le premier
constructeur prend une preuve de la proposition P en argument (cette preuve
n’étant pas utilisée dans le type du constructeur, il est inutile de lui donner un
nom, d’où le _:), et son type est reflect P true. Alors que le deuxième constructeur
prend en argument une preuve de ~P et a comme type reflect P false. Nous
avons donc une correspondance entre une preuve de P avec la valeur true, et une
preuve de ~P avec la valeur false.
Si H est de type reflect P b alors nous avons deux cas. Soit H = ReflectT H’,
et dans ce cas nous avons d’une part b = true (car le type de ReflectT H’ est
reflect P true), et d’autre part la proposition P est vraie (car H’ est une preuve
de P). Soit H = ReflectF H’ et alors dans ce cas b = false et H’ est une preuve
de ~P. Ainsi H : reflect P b exprime bien le fait qu’il y a une réflexion entre la
valeur de b et la proposition P.
Un lemme de réflexion sur la proposition P permet de faire un raisonnement
classique sur cette proposition. Si nous avons l’environnement de preuve suivant :
...
H : reflect P b.
==========================
G(b)
alors nous pouvons faire un traitement par cas sur l’hypothèse H :
case: H.
Cette tactique va essayer de déstructurer l’hypothèse H. Comme le type de H
est inductif et possède deux constructeurs, cela va générer deux sous-buts (un
pour chaque constructeur). Chacun des constructeurs ayant besoin d’un argument,
chaque sous-but va être quantifié sur ces arguments ; dans le premier cas
l’argument est une preuve de P, et dans le deuxième cas c’est une preuve de ~P.
Nous allons donc avoir les deux sous-buts suivants :
subgoal 1 :
...
==============================
P -> G(true)
subgoal 2 is :
~P -> G(false)
Mis à part le remplacement du booléen b par sa valeur dans chacun des cas,
nous obtenons le même résultat que si l’on avait utilisé la tactique case: HP, où
HP est une hypothèse de type P \/ ~P.
Avec des lemmes de réflexion il est possible de passer facilement du monde
des propositions au monde booléen (et vice versa) grâce au mécanisme de « vue »
que nous allons présenter dans la section suivante.14 Contexte
1.2.2 Le système de vue
Dans la bibliothèque SSReflect, il existe un mécanisme de « vue ». Il est nommé
ainsi car il permet de faire, dans un certain sens, des changements de point de
vue.
Pour utiliser le système de vue on utilise la syntaxe suivante :
tactic/H.
où tactic peut être une tactique quelconque1
, et H une hypothèse ayant une des
trois formes suivantes :
1. P -> Q
2. P <-> Q
3. reflect P b
où P, Q sont des propositions et b un booléen.
Dans chaque cas, il y a deux exemples d’utilisation des vues. Regardons
d’abord les cas 1) et 2) :
• Le premier exemple d’utilisation est quand le but que l’on veut prouver est
Q. Alors dans ce cas là la tactique apply/H transforme le but en P.
• Le deuxième exemple d’utilisation est quand le but que l’on veut prouver
est de la forme P -> G alors la tactique move/H transforme le but en Q -> G.
La différence entre le cas 1) et le cas 2) est que dans le cas 2) les rôles des
propositions P et Q peuvent être inversés.
Nous allons expliquer maintenant le cas 3). Dans la bibliothèque SSReflect,
il y a une coercition du type des booléens vers le type des propositions :
Coercion is_true (b : bool) := b = true.
Cette coercition permet d’utiliser les booléens comme des propositions. Donc dans
le cas où H est de la forme reflect P b, le système de vues se comporte comme
si l’on avait H : P <-> b (i.e P <-> b = true).
Expliquons le principe sur un exemple. Imaginons que l’on veuille prouver
qu’un booléen b soit égal à true, et que l’on ait une hypothèse H : reflect P b.
Nous avons donc l’environnement de preuve suivant :
...
H : reflect P b
=======================
b
Si l’on exécute la tactique apply/H nous obtiendrons :
1Enfin presque, disons plutôt à quelque exceptions près. Par exemple on ne peut pas utiliser
de vue avec la tactique rewrite.1.2 La bibliothèque SSReflect 15
...
H : reflect P b
=======================
P
Pour voir ce qui s’est passé, nous pouvons exécuter la commande Show Proof, le
système affichera un terme de preuve dans lequel on verra apparaître :
. . . [eta introTF H] . . .
Donc lorsque nous avons voulu appliquer une vue avec l’hypothèse H, le système
a fait appel à un lemme appelé introTF. Le lemme introTF est défini dans
la bibliothèque SSReflect comme suit :
Lemma introTF (P : Prop) (b c : bool) : reflect P b ->
(if c then P else ~P) -> b = c.
Le but que l’on veut démontrer est b = true, donc si nous appliquons le lemme
introTF il va être instancié avec c = true, et le système va nous demander de
prouver if true then P else ~P ( c’est-à-dire P) et reflect P b, mais cette dernière
hypothèse est donnée par H. Donc finalement le nouveau but sera transformé
en P.
Le théorème introTF a été ajouté dans une base de données, que nous appelerons
la base des lemmes de vues, à l’aide de la commande Hint View. Donc lorsque
nous avons exécuté la tactique apply/H, le système a cherché s’il y a un lemme
dans la base des lemmes de vues qui pourrait être utilisé avec l’hypothèse H. Dans
notre cas il a trouvé le lemme introTF, s’il n’avait pas trouvé de lemme qu’il
aurait pu utiliser, il aurait essayé d’appliquer directement l’hypothèse H (c’est ce
qu’il fait dans le cas où H : P -> Q par exemple).
1.2.3 Les types avec une égalité décidable
L’égalité utilisée dans le système Coq est l’égalité de Leibniz. Prouver l’égalité
entre deux éléments n’est pas toujours décidable. La théorie développée dans la
bibliothèque SSReflect distingue le cadre où l’on peut décider de l’égalité.
La structure d’égalité décidable est l’une des premières structures de base
définies dans la bibliothèque SSReflect. On peut décider de l’égalité de deux
éléments de type T si on a un algorithme qui prend en argument ces deux éléments
et qui retourne le booléen true si ces éléments sont égaux, et le booléen false
sinon. La structure est donc définie ainsi1
:
Structure eqType := EqMixin {
sort : Type ;
eq_op : sort -> sort -> bool ;
_ : forall x y, reflect (x = y) (eq_op x y)
}
1Enfin presque, pour des raisons de clarté j’ai donné une définition plus simple.16 Contexte
La notation utilisée pour eq_op x y est (x == y). L’expression (x == y) repré-
sente donc une égalité booléenne. Bien sûr, l’algorithme caché derrière la notation
== dépend du type de x et de y, s’ils sont de type nat, alors le == représente l’algorithme
qui teste l’égalité de deux éléments de type nat, mais s’ils sont de type
bool, alors le == représente le test d’égalité de deux booléens. Le sytème Coq
retrouve les bonnes instances de la notation grâce à un système de structures canoniques.
Cependant dans certains cas on peut demander au système de choisir
une interprétation particulière du signe == avec la notation (x == y :> T), ici on
demande au système de voir les éléments x et y comme des éléments de type T
1
,
et donc l’algorithme de comparaison utilisé sera celui instancié sur le type T.
1.2.4 Les types finis
Les types finis sont définis dans la bibliothèque SSReflect comme les types dont
tous les éléments peuvent être énumérés dans une séquence. Ils sont définis dans
une structure appelée finType. Ici nous allons présenter dans un premier temps
le type fini appelé ordinal, car nous l’utiliserons couramment dans la suite. Nous
verrons ensuite quelques notations à propos des fonctions sur un type fini.
Les ordinaux
Si n est un entier, alors le type ordinal n contient tous les entiers strictement
plus petit que n. Il est défini dans la bibliothèque SSReflect comme suit :
Inductive ordinal (n : nat) := Ordinal m (_ : m < n).
Le type ordinal n est noté ’I_n. Ainsi, un élément x de type ’I_n est un
entier muni d’une preuve qu’il est plus petit que n. Il y a donc une coercition
naturelle du type ’I_n dans le type nat, cette coercition s’appelle nat_of_ord.
Les fonctions sur les types finis
Si nous avons une fonction f de type aT -> rT avec aT : finType et rT un type
quelconque, alors cette fonction a un nombre fini d’images, donc l’image de f peut
être représentée par une séquence. La théorie de ces fonctions est développée dans
le fichier finfun.v de la bibliothèque SSReflect. Le type de ces fonctions est
noté {ffun aT -> rT}. Pour définir une fonction qui a ce type, on peut utiliser la
notation [ffun x => expr] où expr est le corps de la fonction.
1.2.5 Les opérateurs de familles
Les opérateurs de familles sont les opérateurs que l’on utilise dans des expressions
comme :
1
Il faut donc soit que le type de x et de y soit convertible au type T, soit qu’il existe une
coercition du type de x et de y vers le type T.1.2 La bibliothèque SSReflect 17
X
p
i=n
xi
Y
i∈S
ai
[
i∈S
Ai
Le fichier bigop.v de la bibliothèque SSReflect contient des définitions et
des lemmes qui permettent d’exprimer formellement, et de manipuler ce genre
d’expression. C’est ce que nous allons présenter brièvement ici.
Supposons que nous avons un opérateur op avec la notation suivante :
Variables (T : Type) (op : T -> T -> T).
Notation "x * y" := (op x y).
Les opérateurs de familles sont un moyen d’exprimer de manière concise une
expression comme :
x1 * x2 * ... * xk
Autrement dit, on s’en sert pour appliquer, dans un certain sens, un opérateur
à une famille d’éléments en itérant plusieurs fois l’opération. Il existe une fonction
foldr définie dans la bibliothèque SSReflect, qui permet de faire cela sur les
éléments d’une séquence.
La fonction foldr est définie comme suit :
Fixpoint foldr f x0 s := if s is x :: s’ then f x (foldr s’ f) else x0.
Donc dans notre exemple, nous aurons :
• foldr op x0 [::] = x0
• foldr op x0 [:: x1] = x1 * x0
Et de manière plus générale :
• foldr op x0 [:: x1, x2, ..., xk] = x1 * (x2 * . . . * xk * x0)
L’argument x0 de la fonction foldr est l’élément par défaut retourné quand la
fonction est appelé sur la séquence vide. C’est pour cela que ci-dessus l’argument
x0 apparaît à la fin de chaque expression. Donc pour que la fonction foldr ait
le comportement attendu, il suffit que x0 soit un élément neutre à droite pour
l’opérateur op.
Dans ce qui est fait dans le fichier bigop.v, la fonction foldr n’est pas utilisée
directement sur la séquence [:: x1, ..., xk] mais sur la séquence des indices (i.e
la séquence [:: 1, 2, ... k] ; et donc au lieu d’utiliser directement la fonction op
comme premier argument, on applique d’abord la fonction fun (i : nat) => xi
avant de faire appel à l’opérateur op.
Tout ce mécanisme est caché principalement derrière la notation suivante :
\big[op/id]_(i <- s) F i
où op est l’opérateur qui est itéré, id est (en général) l’élément neutre pour
l’opérateur op, s la séquence des indices, et F i l’expression des termes auquels
on applique l’opérateur op.
Par exemple, si addn est l’addition sur les entiers, et U_ est une fonction sur
les entiers alors :18 Contexte
\big[addn/0]_(i <- [:: 2 ; 5 ; 7]) U_ i = U_ 2 + U_ 5 + U_ 7.
Il existe plusieurs variantes de cette notation qui sont présentées dans le tableau
suivant :
Contexte Notation générale
Exemple avec
l’opérateur
somme
i) \big[op/id]_(m <= i < n) F i
nX−1
i=m
Fi
ii) \big[op/id]_(i < n) F i
X
i seq R;
_ : last 1 polyseq != 0}.
Le symbole :> permet de déclarer polyseq comme une coercition du type des
polynômes vers le type des séquences. La séquence vide représentant le polynôme
nul doit vérifier la définition ci-dessus. Or lorsque la fonction last est appliquée
à la séquence vide, elle retourne un élément par défaut. Cet élément par défaut
doit être différent de 0, et le seul autre élément de l’anneau R dont on connait
l’existence est 1. Donc pour que cette définition de polynôme soit valide, il faut
que 1 != 0. C’est principalement pour cette raison que l’axiome 1 != 0 a été
rajouté comme axiome dans la structure ringType.
Nous allons voir d’abord quelques généralités sur les polynômes, ensuite nous
parlerons de la divisibilité sur les polynômes.
Généralité
Le type des polynômes est noté {poly R}, ainsi si p : {poly R} alors p est un
polynôme à coefficients dans l’anneau R.
Voici un tableau qui résume les principales notations sur les polynômes :
Notation SSReflect Description
c%:P Le polynôme constant c (avec c : R)
’X Le polynôme X (où X est l’indéterminée)
lead_coef p Le coefficient dominant du polynôme p
p \is monic Le polynôme p est unitaire
p.[a] La valeur du polynôme p évalué en a (i.e p(a))
Il n’y a pas vraiment de définition pour le degré d’un polynôme. On parle
plutôt de la taille de la séquence des coefficients. Comme il existe une coercition
des polynômes vers les séquences, on peut directement écrire size p. Donc pour
un polynôme p non nul, (size p).-1 est égal au degré de p.1.2 La bibliothèque SSReflect 21
Divisibilité et racines
Les notations liés à la divisibilité et aux racines d’un polynôme sont présentées
dans le tableau suivant :
Notation SSReflect Description
p %/ q p divisé par q
p %% q p modulo q
p %| q p divise q
p %= q p %| q et q %| p
gcdp p q pgcd(p, q)
root p x x est une racine de p
\mu_x p multiplicité de x dans p
La relation %= est une relation d’équivalence. Si p %= q alors cela veut dire
que l’on peut passer de l’un à l’autre en multipliant par un scalaire inversible. En
mode mathématique, nous noterons cette relation p ∼ q.
1.2.8 Les matrices
Dans la bibliothèque SSReflect, les matrices sont définies comme suit :
Inductive matrix := Matrix (_ : {ffun ’I_m * ’I_n -> R}).
Ce type inductif a un constructeur Matrix qui prend en argument une fonction
dont toutes les valeurs correspondent aux coefficients de la matrice. Cette fonction
peut être récupérée par la fonction mx_val définie comme suit :
Definition mx_val m n (A : matrix m n) :=
match A with Matrix g => g end.
On peut ainsi définir la coercition suivante :
Definition fun_of_matrix m n A (i : ’I_m) (j : ’I_n) := mx_val A (i,j).
Coercion fun_of_matrix : matrix -> Funclass.
Cette coercition permet de voir les matrices comme des fonctions. Ainsi, si
nous avons une matrice A, alors on peut écrire A i j le coefficient de la ligne i et de
la colonne j de A. Le type des matrices est noté de manière générale ’M[R]_(m,n)
où R est le type des coefficients de la matrice et m et n ses dimensions. Si il n’y a
pas d’ambiguïté sur le type des coefficients, alors on peut écrire ’M_(m,n). Dans
le cas des matrices carrées on notera ’M[R]_n ou ’M_n.
Si l’on connait l’expression générale des coefficients d’une matrice, alors on
peut la définir avec la notation suivante :
\matrix_(i < m , j < n) E i j22 Contexte
où E est l’expression générale des coefficients. Le type de la matrice ainsi définie
est ’M_(m,n). Dans le cas des matrices carrées, pour la taille de la matrice, on
peut juste préciser (i, j < n) ; et si il n’y a pas d’ambiguïté sur la taille de la
matrice alors on précisera simplement (i,j).
Par exemple la matrice définie comme suit :
\matrix_(i, j < 3) 2 *+ (i == j) + (i.+1 == j)
correspond à la matrice :
2 1 0
0 2 1
0 0 2
Comme il y a une coercition du type bool vers le type nat, l’expression
(i == j) sera interprétée comme 0 ou 1, et elle ne vaudra 1 que dans le cas
où i et j sont égaux ; c’est la raison pour laquelle les 2 apparaissent sur la diagonale.
En fait (i == j) est une façon d’écrire δij , le symbole de Kronecker, et
a *+ (i == j) est une façon d’écrire a.δij .
Ici nous avons montré l’exemple d’une matrice carrée où i et j ont le même
type. Mais dans le cas d’une matrice rectangulaire, i et j ont des types différents,
et donc l’expression (i == j) est mal typée. Par exemple, si nous avions écrit :
\matrix_(i < 2, j < 3) 2 *+ (i == j) + (i.+1 == j)
Nous aurions i : ’I_2 et j : ’I_3. Pour que la définition soit correcte il faut
préciser au système Coq que l’on veut que la comparaison entre i et j se fasse
sur les entiers. La définition correcte est donc :
\matrix_(i < 2, j < 3) 2 *+ (i == j :> nat) + (i.+1 == j)
Pour finir voici les notations usuelles sur les matrices :
Notation SSReflect Description
A i j Le coefficient Aij de la matrice A
a%:M La matrice qui ne contient que des a sur la diagonale
(par exemple 1%:M est la matrice identité)
A *m B A ∗ B
\det A Le déterminant de A
A \in unitmx A est inversible
1.2.9 Matrices et polynômes
Dans cette thèse nous serons amenés à évoquer les notions de polynôme caractéristique
d’une matrice et de polynôme minimal. Ces notions sont formalisées
dans la bibliothèque SSReflect dans le fichier mxpoly.v.
Soit A un anneau, p ∈ A[X] et A ∈ Mn(A). Alors p(A) est la matrice qui
correspond à l’évaluation du polynôme p en la matrice A. Par exemple, si nous1.2 La bibliothèque SSReflect 23
avons p = 2X2 − 3X + 4 alors p(A) = 2A2 − 3A + 4I. Si p est tel que p(A) = 0
alors on dit que p est un polynôme annulateur de la matrice A.
La matrice XI − A est la matrice caractéristique de A. Le déterminant de
cette matrice est un polynôme appelé polynôme caractéristique de la matrice A.
Ce polynôme est un polynôme annulateur de la matrice.
Le polynôme unitaire et annulateur de la matrice A de plus petit degré est
appelé polynôme minimal de la matrice A. Une propriété caractéristique du polynôme
minimal est que c’est un polynôme annulateur qui divise tout les autres
polynômes annulateurs de la matrice.
Le tableau ci-dessous donne le nom des fonctions définies dans la bibliothèque
SSReflect qui correspondent à ce que l’on a décrit ci-dessus :
Notation SSReflect Description
horner_mx A p p(A)
char_poly_mx A XI − A
char_poly A polynôme caractéristique de A
mxminpoly A polynôme minimal de A
1.2.10 Les structures ordonnées
Les structures telles que les corps réels clos, ou les corps archimédiens sont dé-
finis dans le fichier ssrnum.v de la bibliothèque SSReflect. La structure ordonnée
la plus générale est basée sur la structure d’anneau commutatif intègre
(idomainType), et contient en plus une comparaison booléenne large notée <=,
une comparaison booléenne stricte notée <, et une fonction valeur absolue ou module
notée ‘|.|. Cette structure est appelée numDomainType. Sur cette structure,
les fonctions maxr et minr désignent respectivement les fonctions maximum et
minimum.
Voici les structures qui sont implémentées dans le fichier ssrnum.v :
Nom de la structure Description
numDomainType c’est la structure décrite plus haut
numFieldType numDomainType, mais basé sur un corps
numClosedFieldType numDomainType basé sur un corps algébriquement clos
realDomainType numDomainType avec un ordre total
realFieldType Corps réel
archiFieldType Corps archimédien
rcfType Corps réel clos
Ces structures (ainsi que la construction de nombres complexes ci-dessous)
sont expliquées plus en détails dans la thèse de Cyril Cohen [8].24 Contexte
1.2.11 Les nombres complexes
Les nombres complexes sont définis comme étant une paire de nombres :
Inductive complex (R : Type) : Type := Complex {Re : R; Im : R}.
On utilisera en général la notation suivante :
Local Notation C := (complex R).
La notation x%:C représente un réel plongé dans les complexes, c’est une notation
pour Complex x 0.
On peut munir le type complex R des structures ordonnées numDomainType et
numFieldType si R est de type rcfType (i.e. c’est un corps réel clos). En effet,
pour définir le module d’un nombre complexe, il faut définir la fonction « racine
carrée ». Or la racine carrée d’un nombre a est définie comme une racine du
polynôme X2 − a, donc pour que cette fonction soit bien définie, il faut1 que R
soit un corps réel clos.
L’ordre partiel défini sur les complexes est le suivant :
Definition lec x y := (Im x == Im y) && (Re x <= Re y).
Definition ltc x y := (Im x == Im y) && (Re x < Re y).
La structure de numDomainType est instanciée sur le type complex avec les
deux définitions ci-dessus pour l’ordre large et l’ordre strict, et avec la fonction
“module” suivante :
Definition normc x := (Num.sqrt ((Re x)^+2 + (Im x)^+2))%:C.
Pour pouvoir déclarer les nombres complexes comme étant une instance de la
structure numDomainType, on doit plonger le module d’un nombre complexe dans
C. Car si T est le type principal sur lequel est défini la structure numDomainType,
alors le type de la fonction ‘|.| est T -> T. Or, dans notre cas, T est instancié
par C, donc la fonction module doit être de type C -> C. Ceci a pour inconvénient
que le module d’un nombre complexe est un nombre complexe.
1.3 Conclusion
Ce chapitre explique les principaux outils utilisés dans le travail de formalisation.
Il présente aussi les notations usuelles qui seront utilisées dans la suite de cette
thèse.
1Enfin pas tout à fait. Disons que la structure rcfType est la plus petite structure implé-
mentée dans la bibliothèque SSReflect telle que la fonction « racine carrée »soit bien définie.Chapitre 2
Forme de Jordan d’une matrice
Un résultat important en algèbre linéaire est le fait qu’une matrice soit semblable
à sa forme normale de Jordan. La formalisation de ce résultat passe d’abord par
la formalisation de nombreux concepts comme les matrices diagonales par blocs,
les matrices compagnes, les facteurs invariants, et les matrices semblables ou
équivalentes. Ce résultat utilise également d’autres formes normales de matrices
comme la forme normale de Smith et la forme normale de Frobenius d’une matrice.
Les travaux présentés dans ce chapitre ont été menés en commun avec Maxime
Dénès (voir [7]), et ont été inspirés de la thèse de Patrick Ozello [37] et de celle
de Isabelle Gil [16].
Nous verrons dans une première section comment les matrices diagonales par
blocs ont été formalisées. Dans la section suivante, nous parlerons de la similitude
et de l’équivalence entre deux matrices. Ensuite nous discuterons sur la forme normale
de Smith, sur ses propriétés, et montrerons quelques lemmes importants qui
seront utiles par la suite. Dans une quatrième section, nous donnerons les définitions
formelles de matrices compagnes et des facteurs invariants ; nous pourrons
ainsi définir la forme normale de Frobenius d’une matrice. Enfin nous montrerons
comment nous obtenons la forme normale de Jordan d’une matrice.
2.1 Matrices diagonales par blocs
Une matrice diagonale par blocs est une matrice de la forme :
A1 0 . . . 0
0 A2
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
. 0
0 . . . 0 Ak
où les Ai sont des matrices carrées quelconques.
Ces matrices seront utilisées pour exprimer les formes normales de Frobenius
et de Jordan d’une matrice.26 Forme de Jordan d’une matrice
Ce qui est intéressant dans les matrices diagonales par blocs est qu’en général
si l’on veut faire des opérations (ou montrer des propriétés), on peut se ramener
à les faire (ou les montrer) sur chaque bloc ; ce qui permet dans certains cas de
se ramener à un problème plus simple.
Certains choix de formalisation dans la bibliothèque SSReflect font que la
définition formelle de matrice diagonale par blocs n’est pas aussi simple qu’on
le voudrait. Nous expliquerons donc dans un premier temps quelle définition de
matrice diagonale par blocs nous voudrions avoir, et ensuite nous verrons quels
problèmes nous avons rencontrés avec cette définition, et comment ils ont été
résolus.
2.1.1 Définition idéale
Dans la bibliothèque SSReflect, il existe une fonction qui s’appelle block_mx.
Cette fonction permet de construire une matrice à partir de blocs matriciels. Par
exemple, si A, B, C et D sont des matrices (avec des dimensions adéquates) alors
block_mx A B C D est la matrice
A B
C D!
Si B et C sont des matrices nulles, et si A et D sont des matrices carrées, alors
block_mx A 0 0 D est une matrice diagonale par blocs avec comme blocs diagonaux
les matrices A et D. L’idée de base pour construire les matrices diagonales
par blocs est d’appeler récursivement la fonction block_mx.
À chaque appel de la fonction block_mx, il faudra lui donner en arguments
successivement les blocs diagonaux de la matrice que l’on veut construire. Ces
blocs peuvent être de tailles différentes, et donc de types différents. Une première
difficulté va être d’exprimer l’ensemble de ces blocs diagonaux.
Une solution pourrait être d’utiliser le type des paires dépendantes de Coq.
Dans la bibiliothèque standard de Coq, il y a un type sigT défini comme suit :
Inductive sigT (A : Type) (P : A -> Type) : Type :=
existT : forall x : A, P x -> sigT P.
Notation "{ x : A & P }" := (sigT (fun x : A => P))
Dans notre cas, si A est le type nat et P est la fonction fun n => ’M_n, alors
{n : nat & ’M_n} est le type des paires composées d’un entier et d’une matrice.
Ces paires sont dépendantes dans le sens où le type de la matrice dépend de
l’entier. De plus, pour tout k : nat et pour toute matrice M : ’M_k l’expression
existT k M est de type {n : nat & ’M_n}. Ainsi une sequence s dont le
type est seq {n : nat & ’M_n} peut contenir des matrices de types différents
(comme deuxième élément d’une paire), nous pouvons donc nous en servir pour
parler des blocs diagonaux. Ce qui nous donnerait comme première définition :2.1 Matrices diagonales par blocs 27
Fixpoint diag_block_mx (s : seq {n : nat & ’M[R]_n}) :=
match s return ’M[R]_(size_sum s) with
| [::]=> 0
| (existT k A) :: s’=> block_mx A 0 0 (diag_block_mx s’)
end.
où size_sum s est la fonction qui donne la taille de la matrice diagonale par blocs,
elle consiste simplement à faire la somme des tailles de chaque bloc.
Cette définition est suffisante pour prouver qu’une matrice est semblable à sa
forme de Jordan, car la seule chose que l’on fait avec les matrices diagonales par
blocs est de prouver leur similitude ou leur équivalence avec d’autres matrices.
Par contre, il est difficile de définir les opérateurs usuels sur ces matrices.
Nous allons rencontrer un premier problème lorsque nous voudrons exprimer
la somme de deux matrices diagonales par blocs. La matrice diag_block_mx s1 et
la matrice diag_block_mx s2, pour des séquences s1 et s2 différentes, ont respectivement
comme taille size_sum s1 et size_sum s2 ; autrement dit elles ont des
types différents (même si l’on peut prouver que size_sum s1 = size_sum s2). En
particulier on ne pourra même pas écrire l’expression suivante :
diag_block_mx s1 + diag_block_mx s2.
Il est possible de contourner ce problème en utilisant la fonction castmx de la
bibliothèque SSReflect. Si nous avons deux matrices A et B, respectivement
de type ’M_(m1,n1) et ’M_(m2,n2), et deux preuves d’égalités eqm : m1 = m2
et eqn : n1 = n2 alors la matrice cast_mx (eqm,eqn) B a le même type que
la matrice A (i.e ’M_(m1,n1)). Donc si eq_size est une preuve d’égalité entre
size_sum s1 et size_sum s2 alors nous pouvons écrire l’addition de deux matrices
diagonales par bloc comme suit :
diag_block_mx s1 + castmx (eq_size,eq_size) diag_block_mx s2
Malgré l’utilisation de la fonction castmx, nous nous heurterons à un deuxième
problème pour exprimer qu’additionner deux matrices diagonales par blocs revient
à les additionner bloc à bloc. Pour cela, il faudrait montrer que chacun des
blocs des séquences s1 et s2 sont deux à deux de la même taille, et à partir de
cette preuve obtenir les preuves d’égalité qui permetteront à l’aide de la fonction
castmx d’écrire les sommes des blocs deux à deux. Cette définition de matrice
diagonale par blocs n’est donc pas adaptée pour exprimer ce genre de propriété.
Si nous voulons additionner deux matrices diagonales par blocs, c’est qu’elles
ont, en général, le même découpage en blocs, car cela permet de faire l’addition
bloc à bloc. Si elles n’ont pas le même découpage en blocs, alors l’information que
les matrices sont diagonales par blocs n’apporte rien, et l’on doit faire l’addition
comme sur deux matrices quelconques. Il est donc intéressant que deux matrices
diagonales par blocs, ayant le même découpage en blocs, aient le même type.
Dans la description précédente, nous avons vu que la dimension d’une matrice
diagonale par blocs est donné par la fonction size_sum. Cette fonction prend en
argument une liste de paires dépendantes tailles/matrices, en extrait les dimen-28 Forme de Jordan d’une matrice
sions des matrices et en fait la somme. Dans la nouvelle définition de matrice
diagonale par blocs, nous allons plutôt donner comme premier argument directement
une séquence d’entiers qui correspondra à la séquence des tailles des blocs ;
autrement dit cette séquence donnera le découpage en blocs de la matrice.
Maintenant, pour exprimer les blocs de la matrice, nous ne pouvons plus
utiliser une séquence de paires dépendantes. Car sinon il faudrait s’assurer que
les tailles données comme premier élément de chaque paire soient les mêmes que
ceux de la séquence de découpage des blocs, ce que l’on veut éviter. Pour exprimer
les blocs, nous allons donc utiliser une fonction. Cette fonction doit retourner
comme valeur des matrices de différentes tailles, et donc de types différents. C’est
pourquoi le premier argument de la fonction sera la taille de la matrice qu’elle
va retourner ; pour le deuxième argument nous prendrons simplement le numéro
du bloc dans la matrice diagonale par blocs. Le type de cette fonction est donc
forall n : nat, nat -> ’M_n.
Notre nouvelle définition de matrices diagonales par blocs se présente donc
ainsi :
Fixpoint diag_block_mx s (F : forall n : nat, nat -> ’M_n) :=
match s return ’M_(sumn s) with
| [::] => 0
| n :: s’ => block_mx (F n 0) 0 0
(diag_block_mx s’ (fun n i => F n i.+1))
end.
où sumn prend en argument une séquence d’entiers et retourne la somme de ces
entiers. Voyons comment cela fonctionne sur un exemple :
1 1 0 0 0 0
2 4 0 0 0 0
0 0 4 0 0 0
0 0 0 4 5 1
0 0 0 9 6 6
0 0 0 0 4 2
Le découpage en blocs de la matrice ci-dessus correspond à la séquence de
découpage [:: 2 ; 1 ; 3]1
. Le bloc numéro 0 est de taille 2, il correspond donc
au bloc F 2 0 où F est la fonction qui retourne les blocs diagonaux de la matrice
ci-dessus, c’est-à-dire n’importe quelle fonction qui vérifie les trois conditions
suivantes :
F 2 0 =
1 1
2 4!
; F 1 1 =
4
; F 3 2 =
4 5 1
9 6 6
0 4 2
1
Il y a quatre façon de découper cette matrice en blocs qui correspondent aux séquences
suivantes : [:: 6], [:: 2 ; 4], [:: 3 ; 3], [:: 2 ; 1 ; 3].2.1 Matrices diagonales par blocs 29
Comme les autres valeurs de la fonction F ne sont pas appelées par la fonction
diag_block_mx, elles n’ont pas d’importance.
Avec cette définition nous pouvons exprimer facilement que la somme de deux
matrices diagonales par blocs est la matrice diagonale par blocs où chaque bloc
est la somme des blocs des deux premières matrices :
Lemma add_diag_block s F1 F2 :
diag_block_mx s F1 + diag_block_mx s F2 =
diag_block_mx s (fun n i => F1 n i + F2 n i).
Cette deuxième définition est assez proche de la définition idéale que l’on
voudrait pour les matrices diagonales par blocs, car elle est proche de l’intuition
que l’on s’en fait (appel récursif de la fonction block_mx), et permet de manipuler
les matrices diagonales par blocs assez simplement. Cependant, à cause de certains
choix de formalisation dans la bibliothèque SSReflect, nous allons rencontrer
d’autres problèmes qui font que nous allons devoir modifier cette définition. C’est
ce que nous allons voir dans la sous-section suivante.
2.1.2 Problèmes en dimension nulle
La définition de structure d’anneaux dans la bibliothèque SSReflect demande
une preuve que 1 (l’élément neutre de la loi multiplicative) soit différent de 0
(l’élément neutre de la loi additive). Ceci a pour conséquence que l’ensemble des
matrices carrées d’une taille fixée forme un anneau (dans le sens de SSReflect)
seulement si ces matrices sont non vides, c’est-à-dire de taille non nulle (car toutes
les matrices vides sont égales). Autrement dit, l’instance canonique de la structure
d’anneau sur les matrices est implémentée seulement sur celles ayant un type de
la forme ’M_n.+1. Ainsi, sur les matrices n’ayant pas un type de cette forme, on ne
peut pas utiliser les fonctions définies à partir des opérations génériques d’anneaux
(par exempe les fonctions qui calculent la puissance, le polynôme minimal où la
valeur d’un polynôme en une matrice).
Or le type des matrices diagonales par blocs définies plus haut est de la forme
’M_(sumn s). Nous ne pourrons donc pas utiliser sur ces matrices certaines des
fonctions citées ci-dessus. En effet, si l’on essayait d’appliquer une de ces fonctions,
le système Coq attendrait comme argument une structure d’anneau sur les
matrices, comme cette structure est déclarée pour les matrices dont le type est
de la forme ’M_n.+1, le système va essayer de résoudre le problème d’unification
?n.+1 = sumn s et il va échouer. Nous allons donc voir ici comment la définition
de matrice diagonale par blocs a été modifiée pour que le type de ces matrices
soit de la bonne forme.
2.1.3 Définition finale
Une propriété intéressante des matrices diagonales par blocs est que faire certaines
opérations sur une matrice diagonale par blocs revient à faire ces opérations
sur chaque bloc. Si ces opérations utilisent des opérations génériques d’anneaux,30 Forme de Jordan d’une matrice
il faut alors que chacun des blocs ait un type de la forme ’M_n.+1. Le type
de la fonction F de la définition de matrice diagonale par blocs devient donc
forall n, nat -> ’M_n.+1.
Maintenant nous voulons trouver une fonction, appelons-la size_sum, telle
que le type d’une matrice diagonale par blocs soit ’M_(size_sum s).+1. Nous
remarquons d’abord que si la séquence donnée en premier argument de la fonction
diag_block_mx est vide, alors la matrice diagonale par blocs retournée est vide,
et donc sa taille ne peut pas être de la forme n.+1. Il va donc falloir modifier la
définition de diag_block_mx pour qu’elle ne renvoie jamais une matrice vide. Pour
cela nous allons définir une première fonction pour laquelle nous allons séparer
la séquence de découpage des blocs en deux ; c’est-à-dire qu’elle va prendre en
argument un entier qui va représenter la taille du premier bloc, et une séquence
qui contiendra la taille des autres blocs (à un près à cause du décalage dû au
n.+1) :
Fixpoint diag_block_mx_rec k s (F : forall n, nat -> ’M_n.+1) :=
match s return ’M_((size_sum_rec k s).+1) with
| [::] => F k 0
| n :: s’ => block_mx (F k 0) 0 0
(diag_block_mx_rec n s’ (fun n i => F n i.+1))
end.
où size_sum_rec est défini de telle façon que le type de diag_block_mx_rec ait la
bonne forme :
Fixpoint size_sum_rec k s :=
match s with
| [::] => k
| n :: s’ => k + (size_sum_rec n s’).+1
end.
donc si s est vide alors (size_sum_rec k s).+1 = k.+1 ce qui est bien le type de
F k 0, et si s = n :: s’ alors :
(size_sum_rec k s).+1 = (k + (size_sum_rec n s’).+1).+1
et la dimension de la matrice dans la deuxième branche de la définition de
diag_block_mx_rec est k.+1 + (size_sum_rec n s’).+1, et comme l’addition est
définie récursivement par rapport à la première variable, les deux expressions sont
convertibles.
Mais pour utiliser cette définition, il faut donner en argument un entier et une
séquence d’entiers, ce qui peut souvent amener à “couper” en deux une séquence
pour donner les deux arguments. Pour éviter cela nous définissons la fonction
diag_block_mx de façon à ce qu’elle prenne en argument seulement une séquence :
Definition size_sum s :=
match s with
| [::] => 0
| n :: s’ => size_sum_rec n s’
end.2.2 Matrices semblables et équivalentes 31
Definition diag_block_mx s (F : forall n, nat -> ’M_n.+1) :=
match s return ’M_((size_sum s).+1) with
| [::] => 0 (* de type ’M_1 *)
| n :: s’ => diag_block_mx_rec n s’ F
end.
Cette définition retourne une matrice de taille un si la séquence donnée en
argument est vide. Dans la pratique cela ne devrait pas trop poser de problèmes
car lorsque l’on parle d’une matrice diagonale par blocs, c’est rarement à propos
d’une matrice vide. Ceci a pour conséquences que dans les énoncés des théorèmes,
il faut dans certains cas rajouter l’hypothèse que la séquence des tailles des blocs
soit non vide ; et dans les preuves, il faut en général faire un traitement par cas
sur cette séquence pour éliminer le cas où elle est vide. Dans le cas où la séquence
n’est pas vide, la fonction diag_block_mx a le comportement attendu.
Pour conclure cette section, cette dernière définition de matrice diagonale par
blocs a l’inconvénient mineur de ne pas avoir le bon comportement dans le cas où
la séquence des tailles des blocs est vide. Mais maintenant le type d’une matrice
retournée par la fonction diag_block_mx est de la bonne forme pour que l’on
puisse utiliser les opérations génériques d’anneaux dessus, ainsi que sur chacun
des blocs de la matrice.
2.2 Matrices semblables et équivalentes
Rappelons que nous voulons montrer que la forme normale de Jordan d’une matrice
est semblable à celle-ci. Pour cela nous utiliserons en plus de la notion de
matrices semblables, celle de matrices équivalentes. Nous présenterons donc, dans
cette section, la formalisation de ces deux notions, et nous verrons comment elles
sont liées.
2.2.1 Définitions
Deux matrices A et B sont équivalentes s’il existe deux matrices inversibles M et
N telles que MAN = B, et elles sont semblables s’il existe une matrice inversible
P telle que P AP −1 = B. Pour la définition de matrices semblables, nous préfèrerons
la version avec P A = BP, car dans la bibiliothèque SSReflect, la notation
x^-1 est définie sur la structure appelée unitRingType1
, or cette structure est audessus
de la structure d’anneaux de SSReflect, et donc comme nous l’avons vu
dans la section précédente, nous pourrons utiliser cette notation uniquement sur
les matrices dont le type est de la forme ’M_n.+1.
Une première définition formelle que l’on pourrait donner pour la similitude
est la suivante2
:
1voir section 1.2.6
2voir 1.2.8 pour les notations.32 Forme de Jordan d’une matrice
Definition similar n (A B : ’M[R]_n) :=
(exists P : ’M_m , P \in unitmx /\ P *m A = B *m P).
Mais cette définition n’est pas assez souple pour être utilisée facilement. En effet,
pour pouvoir écrire l’expression similar A B, il faut absolument que les matrices
A et B aient le même type. Or nous avons signalé plus haut que la forme normale de
Jordan sera exprimée comme une matrice diagonale par blocs. Donc si A : ’M_n
alors sa forme normale de Jordan sera de type ’M_(size_sum s).+1 pour une
certaine séquence s. En particulier, nous ne pouvons pas écrire l’énoncé qui nous
intéresse, à savoir qu’une matrice est semblable à sa forme normale de Jordan ;
sauf si nous décidons d’utiliser la fonction castmx, mais cela alourdirait les énoncés
et compliquerait les preuves.
Pour éviter ces problèmes, nous définissons le prédicat similar pour deux
matrices quelconques (pas forcément de même type). Cela implique que le prédicat
doit vérifier l’égalité des tailles des matrices :
Definition similar m n (A : ’M[R]_m) (B : ’M[R]_n) := m = n /\
(exists P : ’M_m , P \in unitmx /\ P *m A = (conform_mx P B) *m P).
Nous voyons aussi apparaître dans la définition la fonction conform_mx. Cette
apparition est due au fait que, comme les matrices P et B n’ont pas le même type,
l’expression B *m P est mal typée.
La fonction conform_mx est définie dans la bibliothèque SSReflect. Si M
et N sont deux matrices alors conform_mx M N a le même type que la matrice
M. Si l’on peut prouver que les matrices M et N ont des tailles différentes, alors
conform_mx M N = M. Si les matrices M et N ont le même type alors nous avons
conform_mx M N = N.
Nous avons donc utilisé cette fonction pour remplacer l’expression B *m P,
qui est mal typée, par l’expression (conform_mx P B) *m P qui elle est bien typée.
Ainsi si les matrices A et B ont la même dimension alors (conform_mx P B)
représentera la matrice que l’on attend, sinon les matrices A et B n’ont aucune
chance d’être semblables, et donc la matrice retournée par (conform_mx P B) importe
peu, puisque l’égalité des tailles est vérifiée par ailleurs.
Pour les mêmes raisons, nous définissons de manière analogue l’équivalence
entre deux matrices :
Variables m1 n1 m2 n2 : nat.
Definition equivalent (A : ’M[R]_(m1,n1)) (B : ’M[R]_(m2,n2)) :=
[/\ m1 = m2, n1 = n2 & exists M, exists N,
[/\ M \in unitmx , N \in unitmx & M *m A *m N = conform_mx A B]].
2.2.2 Théorème fondamental
Le lien entre ces deux notions d’équivalence et de similitude est donné par le
théorème fondamental de similitude sur un corps :2.3 Forme normale de Smith 33
Théorème. Soit K un corps, soit A et B deux matrices de Mn(K) alors :
A et B sont semblables ⇔ (XI − A) et (XI − B) sont équivalentes
Les matrices (XI − A) et (XI − B) sont les matrices caractéristiques de
A et de B. Ce sont des matrices à coefficients dans l’anneau principal K[X].
Or sur les anneaux principaux, chaque matrice a une forme normale équivalente
appelée forme normale de Smith. Le théorème fondamental permet de donner une
procédure simple pour tester si deux matrices sont semblables. Il suffit de prendre
les matrices caractéristiques de ces matrices, de calculer leur forme normale de
Smith, et de comparer les résultats.
A =⇒ (XI − A) =⇒
B =⇒ (XI − B) =⇒
Mn(K) Mn(K[X])
Smith
−→ SA =
−→ SB =
Forme normale de
Smith de (XI − A)
Forme normale de
Smith de (XI − B)
A semblable à B ⇔ SA = SB
Ce théorème sera souvent utilisé dans la suite de cette formalisation, il permet
de montrer que deux matrices sont semblables sans avoir à donner la matrice de
passage entre ces deux matrices.
L’algorithme qui donne la forme normale de Smith d’une matrice et le théorème
fondamental ont été respectivement implémenté et prouvé formellement par
Maxime Dénès [12, 9]. Ce travail sur la forme normale de Smith a permis d’avoir
une formalisation complète (sans axiomes) des formes normales de Frobenius et
de Jordan d’une matrice.
Dans les sections suivantes nous allons d’abord présenter ce qu’est la forme
normale de Smith d’une matrice et ensuite nous verrons le cheminement pour
passer de la forme normale de Smith à celle de Jordan.
2.3 Forme normale de Smith
Nous expliquons dans cette section ce qu’est la forme normale de Smith d’une matrice.
Nous voyons ensuite comment l’algorithme qui donne cette forme normale
est spécifié formellement, et montrons quelques propriétés importantes.34 Forme de Jordan d’une matrice
2.3.1 Spécification
La forme normale de Smith d’une matrice A est une matrice équivalente à A qui
se présente de la manière suivante :
d1 0 . . . . . . . . . 0
0 d2
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
0 . . . 0 dk 0 . . . 0
avec la particularité que ∀i, 1 ≤ i < k, di
| di+1. Avoir un pgcd est suffisant
pour que la forme normale de Smith existe. Ce qui est le cas pour les polynômes
à coefficients dans un corps, qui est le contexte dans lequel nous utiliserons la
forme normale de Smith.
Pour exprimer cette matrice, nous définissons la fonction diag_mx_seq qui
prend en argument une séquence et qui retourne une matrice diagonale dont les
éléments diagonaux sont les éléments de la séquence1
:
Variable R : ringType.
Definition diag_mx_seq m n (s : seq R) : ’M[R]_(m,n) :=
\matrix_(i < m, j < n) s’_i *+ (i == j :> nat).
Les dimensions de la matrice retournée par la fonction diag_mx_seq sont ses
deux premiers arguments. Ceci permet une utilisation très souple de cette fonction.
En effet, si nous avons besoin dans une expression que la matrice retournée
par diag_mx_seq soit d’un type particulier, il suffit de donner les premiers
arguments adéquats. Mais cette souplesse implique qu’il faut ajouter certaines
contraintes dans les énoncés des propriétés de la fonction diag_mx_seq, pour établir
un lien entre les dimensions de la matrice retournée par la fonction et la
séquence donnée en argument.
Par exemple, pour la sequence s = [:: 1 ; 2 ; 3] nous avons :
diag_mx_seq 4 2 s = diag_mx_seq 5 4 s = diag_mx_seq 3 3 s =
1 0
0 2
0 0
0 0
;
1 0 0 0
0 2 0 0
0 0 3 0
0 0 0 0
0 0 0 0
;
1 0 0
0 2 0
0 0 3
Nous voyons ici que selon les valeurs de m et de n la matrice diag_mx_seq m n s
n’est pas toujours la matrice à laquelle on pense. En fait, pour que la matrice
diag_mx_seq m n s soit une matrice telle que sur sa diagonale on puisse lire toute
la séquence s, et seulement la séquence s, il faut que la taille de la séquence soit
égale au minimum de m et de n.
1voir 1.2.8 pour les notations.2.3 Forme normale de Smith 35
Une fonction Smith nous est fournie par [9] pour calculer la forme normale de
Smith d’une matrice A : ’M_(m,n). Cette fonction retourne un triplet (M,d,N),
où M et N sont des matrices et d une séquence qui vérifient les trois spécifications
suivantes :
• M *m A *m N = diag_mx_seq m n d
• sorted %| d (La séquence d est triée pour la relation de division sur l’anneau
R)
• M \in unitmx & N \in unitmx (Les matrices M et N sont inversible)
Nous pouvons fusionner le premier et le dernier point pour avoir les deux
spécifications suivantes :
• equivalent A (diag_mx_seq m n d)
• sorted %| d
Nous allons montrer dans la section suivante qu’une séquence vérifiant les
spécifications ci-dessus est unique modulo une relation que nous définirons.
2.3.2 Unicité
Le calcul de la forme normale de Smith utilise des calculs de pgcd sur les coef-
ficients de la matrice. Le pgcd de deux éléments est unique modulo la relation
d’équivalence ∼ définie de la manière suivante :
a ∼ b ⇔ a|b et b|a
La forme normale de Smith est donc unique modulo cette relation d’équivalence
sur les coefficients.
Nous allons montrer ici un résultat important sur la forme normale de Smith
d’une matrice qui permet d’en déduire l’unicité, mais qui sera aussi très utile dans
la suite de la formalisation.
Théorème 1. Soit A une matrice à coefficients dans un anneau principal. Soit
d une séquence vérifiant les spécifications suivantes :
– La séquence d est triée pour la relation de division.
– La matrice diagonale dont les éléments diagonaux sont les éléments de d est
équivalente à la matrice A.
Si l’on note ∧ le pgcd, si di désigne le ième élément de la séquence d et si
|A|
k
désigne l’ensemble des mineurs d’ordre k de la matrice A, alors nous avons
l’identité suivante :
Y
k
i=1
di ∼
^
x∈|A|k
x36 Forme de Jordan d’une matrice
Un mineur d’une matrice A est le déterminant d’une sous-matrice de A.
Avant de montrer ce résultat, nous allons voir sur un exemple comment on
utilise ce théorème pour déterminer de façon “unique” la forme normale de Smith
d’une matrice.
Exemple 1. Prenons la matrice dans M3(Z[X]) suivante :
M =
5 2X X + 3
−X + 6 X + 1 4
X + 9 4X 3X + 5
Le théorème pour k = 1 dit que d1 est égal au pgcd de tous les mineurs d’ordre
1 de la matrice M. Les mineurs d’ordre 1 de la matrice M sont les déterminants
des sous-matrices de tailles 1 de M, i.e ce sont les coefficients de la matrice M.
Ici on voit que les polynômes M11 et M23 sont premiers entre eux, donc le pgcd
des coefficients de la matrice est est 1. Nous avons donc d1 = 1.
Remarque 1. En fait nous avons plus exactement d1 ∼ 1, donc d1 peut être -1 ou
1. Si les coefficients de la matrice M avaient été dans Q[X] au lieu de Z[X] alors
d1 aurait pu être n’importe quel rationnel non nul. Quelque soit le choix de d1, la
matrice diagonale obtenue à la fin respecte les spécifications de l’algorithme de la
forme normale de Smith. Cette remarque est valable pour tous les di.
Pour k = 2, nous avons d1 ∗d2 qui est égal au pgcd de tous les mineurs d’ordre
2 de la matrice M. Dans la suite nous noterons |M|IJ le déterminant de la sous
matrice de M définie par les lignes qui sont dans I et par les colonnes qui sont
dans J. Par exemple nous avons :
|M|{1,2}{1,2} =
5 2X
−X + 6 X + 1
= 2X
2 − 7X + 5 = (X − 1)(2X − 5)
De même on a :
|M|{1,3}{1,3} =
5 3 + X
X + 9 3X + 5
= −X
2 + 3X − 2 = (X − 1)(−X + 2)
|M|{1,2}{2,3} =
2X 3 + X
X + 1 4
= −X
2 + 4X − 3 = (X − 1)(−X + 3)
.
.
.
Si on continue, on s’aperçoit que (X − 1) est le seul facteur commun à tous
les mineurs d’ordre 2 de M, donc d1 ∗ d2 = d2 = (X − 1).
Enfin pour k = 3, nous avons d1 ∗ d2 ∗ d3 qui est égal au pgcd des mineurs
d’ordre 3 de la matrice M. Or la seule sous-matrice de M d’ordre 3 est la matrice2.3 Forme normale de Smith 37
M elle même. Donc d1 ∗ d2 ∗ d3 = det M ce qui donne après calcul (X − 1) ∗ d3 =
(X − 1)2
(X − 2) soit d3 = (X − 1)(X − 2). Ainsi la forme normale de Smith de
M est la matrice :
1 0 0
0 (X − 1) 0
0 0 (X − 1)(X − 2)
Nous avons vu comment utiliser le théorème précédent pour déterminer de
manière unique (modulo la relation ∼) la forme normale de Smtih d’une matrice.
Maintenant nous allons voir comment il a été formalisé.
Le théorème peut s’exprimer formellement ainsi1
:
Lemma Smith_gcdr_spec m n (A : ’M_(m,n)) (d : seq R) k :
\prod_(i < k) d‘_i %= \big[gcdr/0]_f \big[gcdr/0]_g minor k f g A .
où le premier argument de la fonction minor est l’ordre du mineur. Les fonctions
f et g jouent le rôle des ensembles d’indices I et J dans la notation |A|IJ , plus
précisément I correspond à l’image de f et J à l’image de g.
Soit donc R un anneau principal, une matrice A : ’M[R]_(m,n), et une sé-
quence d telle que d soit triée par la relation de division et que la matrice
diag_mxseq m n d soit équivalente à A.
Le résultat se montre en deux étapes. Dans une première étape nous prouvons
le théorème pour la matrice diag_mx_seq m n d (au lieu de A). Comme c’est une
matrice diagonale, les seuls mineurs d’ordre k non nuls sont les mineurs principaux,
c’est à dire les déterminants de sous-matrices dont la diagonale principale
coïncide avec la diagonale de la matrice. Dans notre cas particulier, les mineurs
principaux sont égaux au produit de k éléments de la séquence d. Comme chaque
élément de la séquence divise le suivant, le pgcd des mineurs d’ordre k est donc
le produit des k premiers éléments de la séquence.
Nous pouvons ensuite remplacer dans l’énoncé du théorème le membre de
gauche \prod_(i < k) d‘_i par l’expression suivante :
\big[gcdr/0]_f \big[gcdr/0]_g minor k f g (diag_mx_seq m n d)
Dans la seconde étape, il nous reste donc à prouver ceci :
\big[gcdr/0]_f \big[gcdr/0]_g minor k f g (diag_mx_seq m n d)
%= \big[gcdr/0]_f \big[gcdr/0]_g minor k f g A
Cela se prouve par double divisibilité, comme les deux preuves se font de la
même manière, nous montrons ici seulement le résultat suivant :
\big[gcdr/0]_f \big[gcdr/0]_g minor k f g A
%| \big[gcdr/0]_f \big[gcdr/0]_g minor k f g (diag_mx_seq m n d)
D’après les propriétés du pgcd, il suffit de montrer que pour tout f’ et g’ nous
avons :
1voir 1.2.5, et 1.2.7 pour les notations.38 Forme de Jordan d’une matrice
\big[gcdr/0]_f \big[gcdr/0]_g minor k f g A
%| minor k f’ g’ (diag_mx_seq m n d)
Or nous savons que les matrices A et diag_mx_seq m n d sont équivalentes, il
existe donc deux matrices M et N telles que M *m A *m N = diag_mx_seq m n d.
En réécrivant cette égalité, il nous reste à prouver :
\big[gcdr/0]_f \big[gcdr/0]_g minor k f g A
%| minor k f’ g’ (M *m A *m N)
Nous avons fait apparaître ici le mineur d’un produit de matrices, nous allons
le transformer en une somme de produits de mineurs en utilisant la formule de
Binet-Cauchy. Cette formule s’énonce comme suit :
det(AB) = X
I∈P({1,...,l})
#|I|=k
det(AI ) det(BI )
où A est une matrice de taille k × l et B une matrice de taille l × k. Ici det AI =
|A|{1,...,k}I et det BI = |B|I{1,...,k}. Ce résultat a été prouvé formellement par
Vincent Siles [46]. On peut facilement ramener la formule de Binet-Cauchy à
la formule suivante :
|AB|IJ =
X
K
|A|IK|B|KJ
La formule ci-dessus s’écrirait formellement :
minor k f g (A *m B) = \sum_h (minor k f h A) * (minor k h g B)
Grâce à ce lemme nous pouvons remplacer minor k f’ g’ (M *m A *m N) par
\sum_h \sum_j (minor k f’ h M) * (minor k h j A) * (minor k j g’ N)
Or d’après les propriétés du pgcd, pour tout h et j nous avons :
\big[gcdr/0]_f \big[gcdr/0]_g minor k f g A %| minor k h j A
Donc le pgcd des mineurs d’ordre k de la matrice A divise tous les termes de
la somme ci-dessus, ce que nous voulions démontrer.
Nous avons vu que les coefficients de la forme normale de Smith peuvent être
choisis modulo la relation d’équivalence ∼. Cela implique en particulier, que, pour
les matrices carrées, nous pouvons choisir un représentant de la forme normale
de Smith d’une matrice A qui a le même déterminant. En effet, soit D la forme
normale de Smith d’une matrice A. Nous savons que D est équivalent à la matrice
A, il existe donc des matrices L et R inversibles telles que D = LAR. Le fait que
L et R soient inversibles signifie que leur déterminant est également inversible.
Donc si nous appelons D′
la matrice D dans laquelle nous avons multiplié la
première ligne par (detL ∗ det R)
−1 alors :
• Les éléments diagonaux de D′
sont triés pour la relation de division (car multiplier
certains éléments par un inversible ne change pas les classes d’équivalences).2.3
Forme normale de Smith 39
• La matrice D′
est équivalente à la matrice A (car multiplier une ligne par
un élément inversible est une opération réversible et donc conserve l’équivalence).
Formellement nous avons :
Definition Smith_seq m n (M : ’M[E]_(m,n)) :=
let: (L,d,R) := (Smith _ M) in
if d is a :: d’ then (\det L)^-1 * (\det R)^-1 * a :: d’ else nil.
Definition Smith_form m n (A : ’M[R]_(m,n)) :=
diag_mx_seq m n (Smith_seq A).
Lemma det_Smith n (A : ’M[R]_n) : \det (Smith_form A) = \det A.
Le théorème d’unicité de la forme normale de Smith d’une matrice s’énonce
formellement comme suit :
Lemma Smith_unicity m n (A : ’M[R]_(m,n)) (s : seq R) :
sorted %| s -> equivalent A (diag_mx_seq m n s) ->
forall i, i < minn m n -> s‘_i %= (Smith_seq A)‘_i.
2.3.3 Facteurs invariants
Dans la section 2.2.2, nous avons vu que nous pouvons déterminer si deux matrices
carrées A et B à coefficients dans un corps sont semblables en comparant les
formes normales de Smith de leur matrice caractéristique. Ensuite nous avons
montré dans la section précédente un théorème qui permet de montrer l’unicité
de la forme normale de Smith, mais dont nous nous servirons plus tard pour
déterminer les éléments diagonaux de la forme normale de Smith d’une matrice
par des calculs de pgcd. Nous allons présenter maintenant les facteurs invariants.
La forme normale de Smith de la matrice XI − A est une matrice diagonale
à coefficients polynômiaux. Les polynômes non-constants qui apparaissent sur la
diagonale sont les facteurs invariants de la matrice A. Le théorème fondamental
et le résultat d’unicité nous disent que les facteurs invariants sont des invariants
de similitude, c’est-à-dire que deux matrices sont semblables si et seulement si
elles ont les mêmes facteurs invariants.
Nous allons voir ici comment les facteurs invariants d’une matrice ont été
définis formellement.
Rappelons que la forme normale de Smith d’une matrice à coefficients dans
un anneau principal est unique modulo la relation d’équivalence ∼. Or dans notre
contexte, l’anneau principal sur lequel nous travaillons est l’anneau des polynômes
à coefficients dans un corps. Dans ce cas-ci, si p est un polynôme non nul alors
il existe un unique représentant unitaire de la classe d’équivalence de p qui est p
divisé par son coefficient dominant.40 Forme de Jordan d’une matrice
Nous pouvons donc définir une nouvelle séquence qui vérifie les mêmes spé-
cifications que la séquence Smith_seq mais qui ne contient que des polynômes
unitaires1
:
Definition Frobenius_seq n (A : ’M_n) :=
[seq (lead_coef p)^-1 *: p | p <- (Smith_seq (char_poly_mx A))].
Les facteurs invariants sont les polynômes non constants de cette séquence :
Definition invariant_factors n (A : ’M_n) :=
[seq p : {poly R} <- (Frobenius_seq A) | 1 < size p].
2.4 Forme normale de Frobenius
La forme normale de Frobenius d’une matrice M est la matrice diagonale par blocs
dont les blocs diagonaux sont les matrices compagnes des facteurs invariants de
M.
Nous avons déjà vu comment sont définies formellement les matrices diagonales
par blocs. Nous avons vu ensuite ce qu’était la forme normale de Smith, ce
qui nous a permis de définir les facteurs invariants d’une matrice. Il nous reste
donc à donner une définition formelle des matrices compagnes pour pouvoir dé-
finir la forme normale de Frobenius. Nous prouverons ensuite que toute matrice
carrée à coefficients dans un corps est semblable à sa forme normale de Frobenius.
2.4.1 Matrices compagnes
La matrice compagne d’un polynôme unitaire p = Xn+an−1Xn−1+. . .+a1X +a0
est la matrice suivante :
Cp =
0 . . . . . . 0 −a0
1
.
.
.
.
.
. −a1
0
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
. 0
.
.
.
0 . . . 0 1 −an−1
Cette matrice est intéressante car p est à la fois son polynôme caractéristique et
son polynôme minimal.
Formellement, si p est un polynôme, la taille de la matrice compagne de p est
(size p).-1. Mais ici encore, si nous voulons utiliser des opérations génériques
d’anneaux sur des matrices compagnes, il faut que leur taille soit de la forme
n.+1. Pour cela nous définissons les matrices compagnes de sorte que leur type
soit (size p).-2.+1 :
1voir 1.1.5, 1.2.6 et 1.2.9 pour les notations.2.4 Forme normale de Frobenius 41
Definition companion_mx (p : {poly R}) :=
\matrix_(i,j < (size p).-2.+1)
((i == j.+1 :> nat)%:R + p‘_i *+ ((size p).-2 == j)).
Nous avons (size p).-2.+1 = (size p).-1 si et seulement si 1 < (size p),
c’est-à-dire si p est un polynôme non constant. La définition de matrice compagne
n’est donc valide que pour les polynômes non constants. En pratique ceci
ne devrait pas être trop contraignant car les matrices compagnes de polynômes
constants sont des matrices vides et sont donc inintéressantes dans un certain
sens.
Malheureusement, avec cette définition de matrices compagnes, nous ne pouvons
pas définir de matrice diagonale par blocs dont les blocs sont des matrices
compagnes. En effet, le type de la fonction qui retourne les blocs diagonaux de
la matrice est forall n, nat -> ’M_n.+1 ; c’est donc une fonction qui prend un
entier n, un entier et qui retourne une matrice de type ’M_n.+1, mais si la matrice
retournée est une matrice compagne d’un polynôme p, alors son type sera
’M_(size p).-2.+1 et non ’M_n.+1.
Pour résoudre ce problème, nous définissons les matrices compagnes en deux
étapes. Nous définissons d’abord une fonction companion_mxn qui prend en argument
un entier n et un polynôme p, et qui retourne une matrice de type ’M_n
telle que si n = (size p).-2.+1 alors la matrice retournée correspond à la matrice
compagne du polynôme p. Nous pouvons donc ensuite définir la matrice
compagne d’un polynôme p comme étant la matrice retournée par la fonction
companion_mxn appliquée aux arguments (size p).-2.+1 et p :
Definition companion_mxn n (p : {poly R}) :=
\matrix_(i,j < n) ((i == j.+1 :>nat)%:R + p‘_i *+ ((size p).-2 == j)).
Definition companion_mx (p : {poly R}) :=
companion_mxn (size p).-2.+1 p.
Ainsi pour faire une matrice diagonale par blocs, nous pouvons utiliser la
fonction companion_mxn, car companion_mxn n.+1 a le type ’M_n.+1 qui est bien
de la bonne forme. Les lemmes sur les matrices compagnes seront exprimés, eux,
sur companion_mx.
Nous pouvons maintenant donner une définition formelle de la forme normale
de Frobenius d’une matrice. Elle se présente de la manière suivante :
Cp1
Cp2
0
0
.
.
.
Cpk
où les polynômes pi sont les facteurs invariants de la matrice. Formellement, nous
la définissons comme suit :42 Forme de Jordan d’une matrice
Definition Frobenius_form n (A : ’M_n) :=
let sizes := [seq (size p).-2 | p <- (invariant_factors A)] in
let blocks n i := companion_mxn n.+1 (invariant_factors A)‘_i in
diag_block_mx sizes blocks.
2.4.2 De Smith à Frobenius
Maintenant que nous avons défini la forme normale de Frobenius d’une matrice,
nous allons montrer ici que toute matrice sur un corps F est semblable à sa forme
normale de Frobenius :
Lemma Frobenius n (A : ’M[F]_n.+1) : similar A (Frobenius_form A).
Comme nous l’avons annoncé, pour prouver ce résultat nous utilisons le théorème
fondamental. Il nous faut donc montrer que pour toute matrice A, les matrices
caractéristiques de A et Frobenius_form A sont équivalentes.
Soit une matrice A, nous allons partir de la matrice XI − A et arriver à la
matrice caractéristique de Frobenius_form A par transitivité de l’équivalence.
Nous avons vu que la séquence Frobenius_seq A respecte les spécifications
de l’algorithme de Smith. Donc la matrice XI − A est équivalente à la matrice
diag_mx_seq n.+1 n.+1 (Frobenius_seq A), qui se présente de la façon suivante :
1
.
.
. 0
1
p1
0
.
.
.
pn
où les pi sont les facteurs invariants de la matrice A.
Ici nous allons utiliser le résultat suivant pour justifier le fait que nous pouvons
permuter les éléments diagonaux :
Lemma similar_diag_mx_seq m n s1 s2 :
m = n -> size s1 = m -> perm_eq s1 s2 ->
similar (diag_mx_seq m m s1) (diag_mx_seq n n s2).
où perm_eq s1 s2 exprime le fait que les séquence s1 et s2 ont les mêmes éléments
mais permutés.
En effet, si deux matrices diagonales ont leurs éléments diagonaux permutés,
alors la matrice de passage de l’une à l’autre est une matrice de permutation
qui est inversible ; donc les deux matrices sont semblables, et donc à fortiori
équivalentes. Nous pouvons ainsi permuter les éléments diagonaux de la matrice2.4 Forme normale de Frobenius 43
précédente :
1
.
.
.
1
p1
0
.
.
.
0
1
.
.
.
1
pn
Si pi représente le polynôme pi
, alors (size pi).-2 représente le nombre de 1
avant chaque pi
. Cette matrice peut être vue comme la matrice diagonale par
blocs suivante :
1
.
.
.
1
p1
0
0
.
.
.
1
.
.
.
1
pn
Nous voulons maintenant montrer que cette matrice est équivalente à la
matrice caractéristique de la forme normale de Frobenius de A. Nous utilisons
d’abord le fait que la matrice caractéristique d’une matrice diagonale par blocs
est la matrice diagonale par blocs des blocs caractéristiques :
Lemma char_diag_block_mx s (F : forall n, nat -> ’M[R]_n.+1) :
s != [::] ->
char_poly_mx (diag_block_mx s F) =
diag_block_mx s (fun n i => char_poly_mx (F n i)).
Il ne nous reste donc plus qu’à montrer que la matrice précédente est équivalente
à :
XI − Cp1
.
.
.
0
0
.
.
.
XI − Cpn
Nous voulons donc montrer que deux matrices diagonales par blocs sont équivalentes.
Pour cela, il nous suffit de prouver que les matrices sont équivalentes bloc44 Forme de Jordan d’une matrice
à bloc. C’est-à-dire que pour chaque indice i, la matrice XI − Cpi
est équivalente
à :
1
.
.
.
1
pi
Pour montrer ce dernier résultat, nous utilisons le lemme Smith_gcdr_spec
vu plus haut. En effet, pour tout k tel que k < (size pi).-2, on peut trouver
une sous-matrice de la matrice XI − Cpi
ci-dessous n’ayant que des −1 sur la
diagonale :
XI − Cpi =
X . . . 0 0 a0
−1
.
.
.
.
.
.
.
.
. a1
0
.
.
. X
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
. −1 X
.
.
.
0 . . . 0 −1 X + an−1
Donc si nous calculons la forme normale de Smith de la matrice ci-dessus
comme nous l’avons fait dans l’exemple 1, nous remarquons que pour tout k
strictement plus petit que (size pi).-2, il existe un mineur d’ordre k associé
à 1 (car (−1)k ∼ 1), et donc le pgcd de ces mineurs est lui-même associé à 1.
Ainsi tous les éléments diagonaux de la forme normale de Smith de la matrice
XI − Cpi
sont égaux à 1, sauf le dernier qui lui est égal au déterminant de la
matrice XI − Cpi
, c’est-à-dire à pi
. Le fait qu’une matrice est équivalente à sa
forme normale de Smith termine la démonstration.
2.5 Forme normale de Jordan
La forme normale de Jordan d’une matrice A est une matrice triangulaire supé-
rieure dont les éléments diagonaux sont les racines du polynôme caractéristique de
la matrice A (c’est-à-dire les valeurs propres de A). Pour que cette forme existe, il
suffit que le polynôme caractéristique soit scindé à racines simples. Afin d’assurer
cette condition, nous choisissons de travailler sur un corps algébriquement clos F.
Nous avons montré dans la section précédente qu’une matrice était semblable
à sa forme normale de Frobenius. Nous allons ici dans un premier temps donner
une définition formelle de la forme normale de Jordan. Nous montrerons ensuite
que la forme normale de Frobenius d’une matrice est semblable à la forme normale
de Jordan de celle-ci. Par transitivité de la similitude nous aurons donc qu’une
matrice est semblable à sa forme normale de Jordan.2.5 Forme normale de Jordan 45
2.5.1 Définitions
On appelle bloc de Jordan la matrice de dimension n suivante :
J(λ, n) =
λ 1 0 . . . 0
0
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
. 0
.
.
.
.
.
.
.
.
. 1
0 . . . . . . 0 λ
Formellement, cela se définit simplement de la manière suivante :
Definition Jordan_block lam n : ’M[F]_n :=
\matrix_(i,j) (lam *+ (i == j) + (i.+1 == j)%:R).
La forme normale de Jordan est une matrice diagonale par blocs composée de
blocs de Jordan1
:
Definition Jordan_form n (A : ’M[R]_n.+1) :=
let sp := root_seq_poly (invariant_factors A) in
let sizes := [seq x.1 | x <- sp] in
let blocks n i := Jordan_block (nth (0,0) sp i).2 n.+1 in
diag_block_mx sizes blocks.
où la fonction root_seq_poly prend en argument une séquence de polynômes et
retourne la concaténation des séquences des paires multiplicité/racine de chaque
polynôme de la séquence. Par exemple si on a la séquence de polynômes suivante :
[:: (’X - (sqrt 2))^+ 4, (’X - (sqrt 2))^+ 4, (’X - 1)^+3 *(’X - 2)]
alors la séquence retournée par root_seq_poly sera :
[:: (4,(sqrt 2))] ++ [:: (4,(sqrt 2))] ++ [:: (3,1), (1,2)] =
[:: (4,sqrt2), (4,sqrt2), (3,1), (1,2)]
Dans la suite nous expliquons le passage de la forme normale de Frobenius
à celle de Jordan. Cela permettra de mieux comprendre la définition donnée cidessus.
2.5.2 De Frobenius à Jordan
Soit A une matrice à coefficients dans un corps clos F. Nous avons déjà prouvé
que la matrice A est semblable à sa forme normale de Frobenius. Nous allons
maintenant montrer que la forme normale de Frobenius de A est semblable à sa
forme normale de Jordan. Ce qui nous permettra de montrer le lemme suivant :
Lemma Jordan n (A : ’M[F]_n.+1) : similar A (Jordan_form A).
La preuve de ce lemme utilise deux résultats intermédiaires. Le premier résultat
intermédiaire est le lemme suivant :
1voir 1.1.1 et 1.1.5 pour les notations.46 Forme de Jordan d’une matrice
Lemme 2. Soit q un polynôme, soit (qi)1≤i≤m une famille de polynômes unitaires
premiers entre eux deux à deux telle que q = q1 . . . qm, alors la matrice Cq est
semblable à la matrice :
Cq1
.
.
.
0
0
.
.
.
Cqm
Montrons d’abord ce lemme pour m = 2. Soit donc deux polynômes unitaires
q1 et q2 premiers entre eux, et soit q = q1q2. Nous voulons montrer que la matrice
Cq est semblable à la matrice :
Cq1 0
0 Cq2
!
Là encore nous utilisons le théorème fondamental, pour se ramener à montrer
l’équivalence entre XI − Cq et la matrice :
XI − Cq1 0
0 XI − Cq2
!
D’après ce que nous avons déjà vu cela revient à montrer que la matrice
1
.
.
.
1
q
est équivalente à la matrice
1
.
.
.
1
q1
0
0
1
.
.
.
1
q2
Autrement dit, il faut montrer que le seul facteur invariant de la matrice cidessus
est le polynôme q. Pour cela nous allons utiliser une fois de plus le lemme
Smith_gcdr_spec. En effet, pour tous les ordres k strictement plus petit que la
taille de la matrice ci-dessus, on peut trouver un mineur principal égal à q1, et un
autre égal à q2, et comme q1 et q2 sont premiers entre eux, le pgcd des mineurs
d’ordre k est égal à 1. Donc les éléments diagonaux de la forme normale de Smith2.5 Forme normale de Jordan 47
de la matrice ci-dessus sont donc tous égaux à 1, sauf le dernier qui correspond
au déterminant de la matrice ci-dessus qui est q1q2 = q. Le lemme général en
découle directement par récurrence.
Le deuxième résultat intermédiaire est celui-ci :
Lemme 3. Soit K un corps. Soit λ ∈ K et n ∈ N. alors la matrice C(X−λ)n est
semblable à la matrice J(λ, n).
Ici nous pouvons directement donner la matrice de passage P définie comme
suit :
Pij =
j − 1
n − i
!
λ
(i+j)−(n+1)
Mais la vérification formelle est assez longue. Sinon nous pouvons utiliser une
nouvelle fois le théorème fondamental, et montrer que XI−C(X−λ)n est équivalente
à la matrice XI − J(λ, n). D’après ce que nous savons déjà sur les matrices
compagnes, nous voulons montrer que la matrice :
1
.
.
.
1
(X − λ)
n
est équivalente à la matrice :
X − λ −1 0 . . . 0
0
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
. 0
.
.
.
.
.
.
.
.
. −1
0 . . . . . . 0 X − λ
Ici encore, nous allons utiliser le lemme Smith_gcdr_spec. En effet, pour tout
k < n, nous pouvons trouver dans la matrice ci-dessus un mineur d’ordre k égal à
(−1)k
, et donc associé à 1. Donc par les mêmes raisonnement que précédemment,
le seul facteur invariant de la matrice ci-dessus est (X − λ)
n
.
Maintenant nous pouvons passer à la preuve de la similitude entre les formes
normales de Frobenius et de Jordan d’une matrice.
Comme nous sommes sur un corps clos, alors chaque facteur invariant pi de
la matrice A peut se décomposer comme suit :
pi =
Ymi
j=1
(X − λij )
µij
où les λij sont les racines de pi et les µij leur multiplicité.48 Forme de Jordan d’une matrice
Donc d’après le lemme 2 montré ci-dessus, chaque bloc Cpi de la forme normale
de Frobenius est semblable à la matrice :
C(X−λi1)
µi1
.
.
.
0
0
.
.
.
C(X−λimi
)
µimi
et d’après le lemme 3, chacun des blocs C(X−λij )
µij de la matrice ci-dessus est
semblable au bloc de Jordan J(λij , µij ).
Les paires (λij , µij ) sont les paires qui se trouvent dans la séquence retournée
par la fonction root_seq_poly appliquée à la séquence des facteurs invariants.
Cela explique la définition de la forme normale de Jordan donnée plus haut, et
démontre aussi que la forme normale de Frobenius de A est semblable à la forme
normale de Jordan de A.
2.5.3 Diagonalisation
En plus de la forme normale de Jordan, la théorie des facteurs invariants permet de
donner également un théorème de diagonalisation. Une matrice est diagonalisable,
c’est-à-dire semblable à une matrice diagonale, si son polynôme minimal est scindé
et à racines simples. Nous allons voir ici comment nous prouvons ce résultat.
Commençons par montrer le théorème suivant :
Théorème 4. Soit A une matrice à coefficients dans un corps. Si les polynômes
p1 . . . pk sont les facteurs invariants de la matrice A tels que p1 | p2 | . . . | pk,
alors le polynôme pk est le polynôme minimal de la matrice A.
Soit donc A une matrice à coefficients dans un corps. Comme la matrice A
et la forme normale de Frobenius de A sont semblables, ces deux matrices ont
le même polynôme minimal. Donc montrer que pk est le polynôme minimal de
A revient à montrer que pk est le polynôme minimal de la forme normale de
Frobenius de A.
Pour cela, nous allons montrer d’une part que pk est un polynôme annulateur
de la forme normale de Frobenius de A, et d’autre part que pk divise n’importe
quel polynôme annulateur de la forme normale de Frobenius de A.
Un polynôme p est annulateur de la matrice A si p(A) = 0. Cela peut s’exprimer
formellement grâce à la fonction horner_mx de la bibliothèque SSReflect
comme suit :
horner_mx A p = 0
Dans cette preuve, nous utiliserons le fait qu’appliquer un polynôme à une matrice
diagonale par blocs revient à appliquer le polynôme à chacun des blocs. Ce qui
s’exprime formellement de la façon suivante.2.6 Conclusion 49
Lemma horner_mx_diag_block (p : {poly R}) s F :
s != [::] ->
horner_mx (diag_block_mx s F) p =
diag_block_mx s (fun n i => horner_mx (F n i) p).
Donc pour montrer que le polynôme pk annule la forme normale de Frobenius
de A, il faut et il suffit que pk annule chaque matrice compagne des facteurs
invariants.
Soit donc pi un facteur invarant de la matrice A. D’après les propriétés des
matrices compagnes, nous savons que pi est le polynôme minimal de la matrice
Cpi
. De plus comme les facteurs invariants se divisent successivement, nous savons
également que pi
| pk. Donc pk est un polynôme annulateur de Cpi
.
Maintenant il reste à montrer que pk divise tous les polynômes annulateurs
de la forme normale de Frobenius de A.
Soit donc Q un polynôme annulateur de la forme normale de Frobenius de A.
Alors nous savons que Q est un polynôme annulateur de chacun des blocs de la
forme normale de Frobenius de A. En particulier Q annule Cpk
, or nous savons
également que pk est le polynôme minimal de la matrice Cpk
. Donc pk | Q.
Le polynôme pk étant un polynôme annulateur de la forme normale de Frobenius
de A qui divise tous les autres polynômes annulateurs est donc le polynôme
minimal de la forme de Frobenius de A et donc de A.
Ainsi nous avons d’une part que le polynôme pk est le polynôme minimal de la
matrice A, et d’autre part que tous les facteurs invariants divisent pk. Autrement
dit tous les facteurs invariants de la matrice A divisent son polynôme minimal.
Donc si le polynôme minimal de A est scindé à racines simples, alors c’est aussi le
cas des facteurs invariants. Or la taille des blocs de la forme normale de Jordan
de A sont les multiplicités des racines des facteurs invariants. Donc dans le cas
où le polynôme minimal de A est scindé à racines simples, tous les blocs de la
forme normale de Jordan de la matrice A sont de taille 1, c’est donc une matrice
diagonale. Ce qui nous donne le théorème suivant :
Lemma ex_diagonalization n (A : ’M[R]_n.+1) :
uniq (root_seq (mxminpoly A)) ->
{s | similar A (diag_mx_seq n.+1 n.+1 s)}.
où root_seq est la fonction qui retourne la séquence des racines d’un polynôme
et uniq est un prédicat booléen qui prend la valeur true si la séquence passée en
argument n’a pas de doublons.
2.6 Conclusion
Nous avons utilisé ici les matrices de la bibliothèque SSReflect. Le type de ces
matrices dépend de leurs dimensions, et cela a posé quelques problèmes. Cependant
nous avons vu qu’il y avait des outils (comme conform_mx) qui ont permis
de résoudre certains de ces problèmes.50 Forme de Jordan d’une matrice
Au départ, pour prouver certains lemmes de similitude, nous donnions directement
les matrices de passages, et nous avions de longues preuves faites de
traitements par cas exhaustifs. L’idée d’utiliser de manière assez systématique le
théorème fondamental et le lemme Smith_gcdr_spec à grandement simplifié les
preuves.
Ce travail, en plus de la formalisation de la forme normale de Jordan d’une
matrice, a apporté une bibliothèque sur les matrices diagonales par blocs, sur les
matrices compagnes, et sur les propriétés de similitude et d’équivalence de matrices.
Ce sont des concepts importants de l’algèbre linéaire utilisés dans d’autres
contextes mathématiques que celui de ce chapitre.
Nous avons aussi montré la formalisation de la forme normale de Frobenius
d’une matrice. L’avantage de cette forme normale est que ses coefficients sont
dans le même corps que les coefficients de la matrice de départ. Contrairement à
la forme de Jordan, où l’on peut avoir des coefficients dans la clôture algébrique.
2.7 Travaux reliés
Le développement de la forme normale de Smith que nous avons utilisé dans
ce chapitre fait parti d’un projet qui s’appelle CoqEAL(Coq Efficient Algebra
Library)1
. Le but de ce projet est de faire des algorithmes effectifs d’algèbre
linéaire en utilisant l’extension SSReflect de Coq.
Dans les autres assistants de preuve, il existe d’autres travaux qui ont été
faits sur les matrices. En HOL, les matrices sont vues comme des vecteurs de
vecteurs [23]. En ACL2 elles sont représentées soit par des listes de vecteurs de
même dimensions [49] soit par des tableaux [17]. En Isabelle, ce sont des fonctions
telles que l’ensemble des images non nulles de ces fonctions soit fini [36].
À ma connaissance, seul l’assistant de preuve Mizar possède des travaux sur
les matrices diagonales par blocs et sur la forme de Jordan d’une matrice [41].
Mizar est un assistant de preuve basé sur la théorie des ensembles contrairement
à Coq qui est basé sur la théorie des types.
En Mizar, une séquence finie est une fonction dont le domaine de définition
est l’ensemble des entiers de 1 à n pour un certain n ∈ N. Une matrice M à m
lignes et n colonnes est une séquence finie de séquences finies de longueur m tel
que toute séquence finie de l’image de M soit de longueur n [27].
Une matrice diagonale par blocs est construite à partir d’une séquence finie
de matrices carrées. Elle est définie comme étant la matrice dont l’élément (i, j)
est 02
si l’on se trouve en dehors des blocs et l’éléments f(i), g(j) d’une matrice
de la séquence sinon (pour certaines fonctions f et g) [39].
1http://www.maximedenes.fr/content/coqeal-coq-effective-algebra-library
2En fait, la définition de Mizar de matrice diagonale par block permet de remplir la matrice
hors des blocs diagonaux par un élément d que l’on peut passer en paramètre.Chapitre 3
Topologie
Dans ce chapitre, nous allons présenter un résultat important de topologie géné-
rale qui est le théorème de Bolzano-Weierstraß. Ce théorème porte sur les valeurs
d’adhérence des suites dont les valeurs sont dans un ensemble compact.
Tous le travail sur la topologie et sur la théorie des ensembles est formalisé
dans un cadre fortement classique, c’est-à-dire avec l’axiome du tiers exclu et
l’axiome du choix. Nous avons besoin de ces axiomes pour prouver le théorème
de Bolzano-Weierstraß.
Il existe dans la bibliothèque standard de Coq un fichier Rtopology.v1 qui
contient déjà certaines notions que nous allons présenter dans ce chapitre. Mais
ces notions ne sont définies que pour les réels de Coq. Nous présentons ici un
travail plus général.
Nous commencerons par voir quelques points de la théorie des ensembles dont
nous aurons besoin pour la formalisation de la topologie générale. Nous verrons
ensuite comment sont définies les structures d’espaces métriques et topologiques,
et nous terminerons par une présentation du théorème.
3.1 Théorie des ensembles
Pour parler d’ensembles ouverts, fermés ou compacts, il faut d’abord définir ce
qu’est un ensemble. La notion d’ensemble utilisée dans cette formalisation est
celle que l’on peut trouver dans la bibliothèque Sets de la bibliothèque standard
de Coq2
, à savoir qu’un ensemble d’éléments de type T est identifié à un prédicat
de type T -> Prop. Cependant nous n’utiliserons pas la théorie des ensembles
ainsi développée dans Coq, car par exemple les définitions d’union, d’intersection,
ou de complémentaire sur les ensembles sont intoduites explicitement à
l’aide de types inductifs, alors que ces notions peuvent être définies comme une
réinterprétation des opérateurs ”et”, ”ou”, ”non” de la logique propositionnelle.
L’égalité utilisée entre les ensembles est l’égalité par inclusion mutuelle, mais
1http://coq.inria.fr/distrib/current/stdlib/Coq.Reals.Rtopology.html
2http://coq.inria.fr/distrib/current/stdlib/52 Topologie
nous avons tout de même besoin de la propriété d’extensionnalité. Plutôt que
d’ajouter cette propriété comme axiome, nous allons voir comment faire en sorte
d’utiliser l’égalité ensembliste comme l’égalité de Leibniz. Nous nous attarderons
ensuite sur la définition de famille d’ensembles car nous en aurons besoin pour
définir ce qu’est un ensemble compact.
3.1.1 Réécriture
La tactique rewrite en Coq permet à partir d’une hypothèse de type x = y
(où = représente l’égalité de Leibniz) de changer des occurences de x par des
occurences de y et vice versa.
Si on remplace l’égalité de Leibniz par une relation d’équivalence, on peut
aussi utiliser la tactique rewrite si x et y apparaissent dans une fonction dont
on a montré qu’elle était compatible avec la relation d’équivalence, c’est-à-dire
que sa valeur ne dépend pas du représentant choisi dans la classe d’équivalence.
C’est ce que nous allons voir ici avec comme relation d’équivalence l’égalité entre
ensembles.
L’égalité entre ensembles est définie comme suit :
Variable T : Type.
Definition eqset (A B : T -> Prop) :=
forall x, x ’in A <-> x ’in B.
Notation "A =s B" := (eqset A B).
où x ’in A est une notation pour A x.
C’est une relation d’équivalence. Pour que le système Coq puisse la reconnaître
comme telle, il faut la déclarer de la manière suivante :
Add Relation _ eqset
reflexivity proved by eqset_refl
symmetry proved by eqset_sym
transitivity proved by eqset_trans
as eqset_rel.
où eqset_refl,eqset_sym, et eqset_trans sont respectivement les lemmes de re-
flexivité, symétrie et de transitivité de la relation eqset.
Puis il faut indiquer à Coq quelles sont les fonctions sous lesquelles on peut
réécrire avec la relation eqset, c’est-à-dire les fonctions qui sont compatibles avec
la relation eqset. Pour cela on utilise les mots clefs Add Morphism. Prenons comme
exemple l’inclusion. L’inclusion est définie comme suit :
Definition include (A B : T -> Prop) :=
forall x, x ’in A -> x ’in B.
Notation "A eqset ==> iff
as include_mor.
Proof.
...
Qed.
Une manière de lire la signature est que si deux ensembles vérifient la relation
eqset, et que deux autres ensembles vérifient également la relation eqset, alors
nous avons deux propositions d’inclusions qui vérifient la relation iff, autrement
dit qui sont équivalentes. Le système nous demande donc de prouver l’énoncé
suivant :
forall x y : T -> Prop,
x =s y -> forall x0 y0 : T -> Prop, x0 =s y0 -> (x y Prop;
F :> Ti -> T -> Prop
}.
Dans cette définition, il n’y a pas de dépendance entre la fonction F et l’ensemble
d’indices ind. Donc dans certaines définitions et certains lemmes, il faudra
préciser que l’on ne s’intéresse qu’aux indices appartenant à l’ensemble d’indices54 Topologie
de la famille. En effet, si nous avons un indice i : Ti qui n’appartient pas à l’ensemble
ind, alors F i est un ensemble qui n’appartient pas à la famille, et donc
on ne voudrait pas que cet ensemble soit pris en compte dans certaines preuves
ou définitions.
Les autres définitions dont nous aurons besoin pour la définition d’ensemble
compact sont celles de sous-famille, de famille finie et de recouvrement d’un ensemble
par une famille.
Une sous-famille est définie comme un prédicat qui prend deux familles, et qui
vérifie que l’ensemble d’indices de l’une est bien un sous-ensemble de l’ensemble
d’indices de l’autre, et que sur ce sous-ensemble d’indices commun, les ensembles
des deux familles sont les mêmes :
Definition sub_family f g :=
ind g f i =s g i.
Pour les familles finies, nous avons le choix entre définir un prédicat comme
pour les sous-familles, ou définir un type “famille finie”. Dans le premier cas, à
chaque usage d’une définition sur les familles finies, nous devrons fournir une
preuve que la famille passée en argument est finie. Alors que dans le second cas,
l’information qu’une famille est finie est donnée par le typage. Cette dernière
option permet d’avoir des définitions qui ne dépendent pas d’un terme de preuve.
Une famille est finie si son ensemble d’indices est un ensemble fini :
Definition finite_set (T1 : eqType) (A : T1 -> Prop) :=
exists s : seq T1, A =s (fun x => x \in s).
Structure finite_family := Ff {
fam :> family;
_ : finite_set (ind fam)
}.
Une fois que nous avons défini les familles, nous pouvons appliquer des opé-
rations dessus, comme l’union ou l’intersection des éléments d’une famille. Nous
donnons ici uniquement l’opération qui nous intéresse pour la définition de recouvrement
:
Definition union_fam (f : family) (x : T) :=
exists i, i ’in (ind f) /\ x ’in (f i).
Definition cover (A : T -> Prop) (f : family) := A Prop) -> Prop. L’union de tous les ensembles d’un
ensemble d’ensembles est définie comme suit :
Definition union_s (E : (T -> Prop) -> Prop)
(f : (T-> Prop) -> (T -> Prop)) (x : T) :=
exists A, A ’in E /\ x ’in (f A).
Par exemple, si E est un ensemble d’ensembles et f une fonction sur les
ensembles, alors union_s E f représente l’ensemble suivant :
[
A∈E
f(A)
Donc pour faire l’union des ensembles de E nous utiliserons la fonction identité
pour f.
On peut maintenant définir la structure d’espace topologique simplement
comme suit :56 Topologie
Structure Topologicalspace : Type := mkTS {
T_Space : Type;
open : (T_Space -> Prop) -> Prop;
_ : open {ø : T_Space};
_ : open {full : T_Space};
_ : forall (E : (T_Space -> Prop) -> Prop), E
open (union_s E id);
_ : forall A B, open A -> open B -> open (inter A B);
_ : forall A B, A =s B -> (open A <-> open B)
}.
Le dernier champ de la structure est la propriété d’extensionnalité pour les
ouverts. Les ouverts étant définis axiomatiquement, cette propriété utile ne peut
être démontrée, et a donc dû être ajoutée à la définition d’espace topologique.
Espace Métrique
Un espace métrique est un ensemble de points muni d’une distance. Il existe
déjà une définition de cette structure dans le fichier Rlimit.v de la bibliothèque
standard de Coq1
. Dans cette définition le type de retour de la fonction distance
est le type des réels de Coq. Ici on s’autorise à ce que ce soit une structure
ordonnée plus générale :
Structure Metricspace (Rn : numDomainType) := mkMS {
T_metric : Type.
dist : T_metric -> T_metric -> Rn;
_ : forall x y, 0 <= dist x y ;
_ : forall x y, dist x y = dist y x;
_ : forall x y, reflect (x = y) (dist x y == 0);
_ : forall x y z, dist x y <= dist x z + dist z y
}.
L’espace métrique prend en paramètre le type de retour de la distance dist.
Ce type de retour doit être une structure ordonnée. Au début ce paramètre n’existait
pas. Le type de retour de la fonction distance était directement le type des
réels de Coq. Le problème était que l’on ne pouvait pas déclarer la structure
numDomainType par exemple comme une instance de la structure d’espace mé-
trique. Car la fontion de distance que l’on définit pour cela utilise la fonction ‘|.|
dont le type de retour est une instance abstraite de la structure numDomainType
et non le type concret des réels de Coq. Mettre le type de retour de la fonction
distance en paramètre de la structure d’espace métrique permet d’implémenter la
structure d’espace métrique sur des types plus abstraits comme le type des corps
réels clos, des corps archimédiens, ou des complexes.
Pour un ensemble E de type Metricspace, on utilisera la notation suivante :
Notation d := (dist E).
1http://coq.inria.fr/distrib/current/stdlib/Coq.Reals.Rlimit.html3.2 Structures Topologiques 57
La principale notion utilisée pour étudier les propriétés métriques et topologiques
d’un espace métrique est la notion de boule. Une boule est un ensemble
défini à partir d’un élément de l’espace métrique qui sera appelé centre, et d’un
rayon représenté par un nombre strictement positif. Pour éviter d’avoir dans la
définition de boule une preuve que le rayon est strictement positif, on peut définir
un type des nombres strictement positifs comme suit :
Structure posDomain (T: numDomainType) :=
PosD { sort :> T ; _ : 0 < sort }.
Notation "{ ’posD’ T }" := (posDomain T).
Ceci permet de définir les boules comme suit :
Variable Rn : numDomainType.
Variable E : (MetricSpace Rn).
Definition open_ball (x: E) (r : {posD Rn}) (y : E) := d x y < r.
Notation "’’B’ ( x , r )" := (open_ball x r).
Nous allons voir maintenant comment inférer les instances de structures canoniques
avec les définitions ci-dessus. Les structures que nous définirons ensuite
contiendrons les mêmes axiomes. Ce qui changera sera seulement la façon d’implémenter
les structures.
3.2.2 Approche naïve
Pour déclarer dans le système Coq qu’un espace métrique possède canoniquement
une structure d’espace topologique il faut d’abord définir ce qu’est un ensemble
ouvert dans un espace métrique :
Variable Rn : numDomainType.
Variable E : (Metricspace Rn).
Definition open_met (A : E -> Prop) :=
forall x, x ’in A -> exists r, ’B(x,r) Prop) -> Prop;
_ : open . . .
_ : . . .
...
}.
Cette structure ne suffit pas, car comme le type de base n’est plus un champ
de la structure, lors de la déclaration de structure canonique, la projection vers
le type de base n’existera pas. Les projections enregistrées correspondent seulement
aux champs de la structure qui sont nommés. Nous allons donc définir une
deuxième structure qui va correspondre à notre type final d’espace topologique
(ou métrique) :
Notation class_of := mixin_of
Structure type := Pack {sort : Type; _ : class_of sort}.
Coercion sort : type >-> Sortclass.
La structure class_of est habituellement utilisée pour assurer l’héridité dans
les structures héréditaires. Comme ici nous n’avons pas d’hérédité, class_of est
seulement une notation utilisée pour des raisons d’uniformité des définitions.
Ces structures sont définies dans un module, par exemple ici dans le module
Topology. Ce qui fait qu’en dehors du module les noms des structures seront de
la forme Topology.type ce qui permet d’avoir des noms uniformes. Chacune de
ces nouvelles définitions sera utilisée avec les notations suivantes :
Notation topologyType := type.
Notation TopologyMixin := Mixin.
Notation TopologyType T m := (@Pack T m).
Nous avons donc séparé le type de base et les axiomes de la structure que nous
avons mis dans une boîte que nous avons appelée mixin_of. Cette boîte a été mise
dans une deuxième structure appelée type qui contient comme premier champ le
type sur lequel nous voulons déclarer l’instance, et comme deuxième champ la
boîte qui contient toutes les propriétés que doit vérifier le type en question.
Pour revenir au problème qui nous intéresse, avec ces nouvelles structures nous
allons déclarer l’instance canonique d’espace topologique à partir d’un espace
métrique :3.3 Bolzano-Weierstraß 61
Variable Rn : numDomainType.
Variable E : (espMetType Rn).
Definition EspMet_TopMixin := Eval hnf in
TopologyMixin empty_in_open_met full_in_open_met . . .
Definition EspMet_TopType := Eval hnf in
TopologyType E EspMet_TopMixin.
Canonical EspMet_TopMixin.
Canonical EspMet_TopType.
Nous déclarons ensuite de la même manière que l’ensemble des nombres réels de
Coq (représenté par R) a une structure d’espace métrique :
Definition EspMet_RMixin := EspMetMixin R_dist_pos . . .
Definition EspMet_R :=
Eval hnf in EspMetType R R EspMet_RMixin.
...
Et maintenant pour dire que le type R des réels de Coq a une structure d’espace
topologique, nous allons utiliser la fonction TopologyType. Comme nous voulons
que la projection se fasse directement sur R, nous allons donner comme premier
argument R. Le deuxième argument doit être la structure mixin_of, la notation
EspMet_TopMixin permet justement de construire cette structure. Nous pouvons
donc déclarer la structure d’espace topologique sur R directement comme ceci :
Definition EspTop_R := TopologyType R (EspMet_TopMixin EspMet_R).
Canonical EspTop_R.
Bien que dans cette sous-section nous mentionnons les espaces normés et euclidiens
(avec un produit scalaire), seules les structures d’espaces métriques et topologiques
sont implémentées. La formalisation des espaces normés et euclidiens
pourra faire l’objet de travaux futurs. Nous allons maintenant nous intéresser à la
formalisation de certains concepts de topologie générale qui ont permis d’énoncer
et de prouver formellement le théorème de Bolzano-Weierstraß.
3.3 Bolzano-Weierstraß
Le théorème de Bolzano-Weierstraß est un résultat de topologie générale dont la
forme la plus utilisée est la suivante :
Bolzano-Weierstraß (dans un espace métrique). Toute suite à valeurs dans un
compact admet une sous-suite convergente.
La version du théorème formalisée est sa forme plus générale qui est vraie
pour un espace topologique quelconque :
Bolzano-Weierstraß (dans un espace topologique). Toute suite à valeurs dans
un compact admet une valeur d’adhérence.62 Topologie
En effet, dans un espace métrique les valeurs d’adhérence sont les limites de
sous-suites.
Nous donnons dans un premier temps quelques définitions de topologie gé-
nérale, principalement celles dont nous aurons besoin (comme la compacité par
exemple). Nous verrons ensuite quelques notions sur les suites, et enfin nous parlerons
de la formalisation du théorème.
3.3.1 Topologie générale
Nous faisons ici quelques rappels des notions utilisées par la suite.
Une première notion que nous utiliserons est celle de voisinage. Soit x un point
d’un espace topologique T , alors un ensemble V est un voisinage du point x si
V contient un ouvert qui contient x, autrement dit s’il existe un ensemble ouvert
qui contient x et qui est inclus dans V :
Definition neighbourhood (V : T -> Prop) (x : T) :=
exists A, [/\ x ’in A, open A & A y -> exists V1, exists V2,
[/\ neighbourhood V1 x, neighbourhood V2 y & (inter V1 V2) Prop) :=
forall Ti (f : family T Ti),
open_family f -> cover K f ->
exists g : finite_family T Ti, sub_family f g /\ cover K g.
Definition compact (K : T -> Prop) := separated /\ quasi_compact K.
Nous allons maintenant définir les suites.
3.3.2 Les suites
Nous parlerons ici de sous-suites et nous rappellerons en donnant les définitions
formelles ce qu’est une valeur d’adhérence et la convergence d’une suite.
Une suite d’éléments de type T est représentée par un élément dont le type est
nat -> T. Soit u = (un)n∈N une suite, alors toutes les sous-suites de u peuvent3.3 Bolzano-Weierstraß 63
s’exprimer sous la forme (uϕ(n))n∈N où ϕ est une fonction strictement croissante
de N → N. Donc une sous-suite est principalement la donnée d’une fonction ϕ
qui vérifie les bonnes propriétés :
Structure sub_seq : Type := mkss
{
phi :> nat -> nat;
grow : forall m n, (m < n)%N -> (phi m < phi n)%N
}.
Formellement, étant donné g : sub_seq et une suite Un : nat -> T, alors Un \o g
(où \o est la composition) désigne une sous-suite de Un.
La formalisation des définitions de convergence et de valeur d’adhérence est
une retranscription directe des définitions mathématiques. Une suite (un)n∈N
converge vers une limite l si pour tout voisinage V de l on peut trouver un
rang à partir duquel tous les éléments de la suite sont dans V . Et l est une valeur
d’adhérence si pour tout voisinage V de l, pour chaque rang N on peut trouver
un élément de la suite dans V au-delà du rang N :
Definition Un_cvg (Un : nat -> T) (l : T) :=
forall V, neighbourhood V l ->
exists N : nat, forall n, N <= n -> (Un n) ’in V.
Notation "Un >->> l" := (Un_cvg Un l).
Definition cluster_point (Un : nat -> T) (l : T) :=
forall V, neighbourhood V l ->
forall N : nat, exists n, N <= n /\ (Un n) ’in V.
À ce point, nous avons toutes les définitions utiles à l’énoncé et à la preuve
du théorème de Bolzano-Weierstraß, dont nous décrivons la formalisation dans la
section suivante.
3.3.3 Le théorème
Le théorème de Bolzano-Weierstraß s’énonce formellement sur un espace topologique
quelconque de la manière suivante :
Lemma Bolzano_Weierstrass : forall (Un : nat -> T) K, compact K ->
(forall n, (Un n) ’in K) -> exists l, l ’in (cluster_point Un).
Nous allons dans un premier temps voir les grandes lignes de la preuve de ce
théorème.
Pour utiliser le théorème sous sa forme plus usuelle dans un espace métrique,
nous montrerons ensuite que dans un espace métrique, les valeurs d’adhérence
d’une suite sont des limites de ses sous-suites.
Preuve dans un espace topologique
La preuve formelle du théorème suit les mêmes étapes que la démonstration
mathématique, et sa formalisation n’a pas posé de problème majeur. Les grands64 Topologie
points de la démonstration du théorème sont les suivants :
Soit K un ensemble compact et u = (un)n∈N une suite dont tous les termes
sont dans l’ensemble K. Supposons par l’absurde que la suite u n’ait aucune valeur
d’adhérence. Cela signifie que pour n’importe quel point x ∈ K on peut trouver
un voisinage (ouvert) Vx de x qui à partir d’un certain rang nx ne contient aucun
élément de la suite. La famille (Vx)x∈K recouvre l’ensemble K, comme K est
compact, alors on peut extraire une sous-famille finie (Wi)i∈{0...k} avec Wi = Vxi
qui recouvre K. Pour chaque Wi on a un rang nxi
au-delà duquel la suite u n’a
aucun terme qui appartient à l’ensemble Wi
. Donc si l’on note N le maximum
de tous les nxi
, uN n’appartient à aucun ensemble de la famille W. Ce qui est
absurde car uN est dans l’ensemble K et que la famille W forme un recouvrement
de K.
Preuve dans un espace métrique
Pour montrer la version métrique du théorème de Bolzano-Weierstraß, nous montrons
que dans les epaces métriques, les valeurs d’adhérence d’une suite sont les
limites de ses sous-suites.
Dans un espace métrique, nous avons une distance, et cela nous permet de
définir pour un point x et un réel positif r donnés, la boule de centre x et de
rayon r, notée généralement B(x, r), dont nous rappelons la définition formelle :
Definition open_ball (x : E) (r : {posD Rn}) (y : E) := d x y < r.
Notation "’’B’ ( x , r )" := (open_ball x r).
où d est la distance de l’espace métrique.
Ainsi, pour la plupart des définitions comme la convergence ou les valeurs
d’adhérence d’une suite, on peut remplacer de manière équivalente les voisinages
par des boules.
Comme nous l’avons vu précédemment, les définitions formelles sont principalement
de simples retranscriptions des définitions mathématiques. Donc dans
la suite, nous utiliserons pour plus de lisibilité les notations mathématiques.
Soit donc u = (un)n∈N une suite, et l une valeur d’adhérence de u. Le fait
d’enlever le premier terme d’une suite ne change pas les valeurs d’adhérence,
donc l est aussi une valeur d’adhérence de la suite (un+1)n∈N, autrement dit :
∀V ∈ Vois(l), ∀N, ∃n, N ≤ n et un+1 ∈ V
où Vois(l) désigne l’ensemble des voisinages de l. Comme nous l’avons dit plus
haut, ceci est équivalent à :
∀k ∈ N
∗
, ∀N, ∃n, N ≤ n et un+1 ∈ B(l, 1
k
) (1)
Nous voulons maintenant montrer que la suite u a une sous-suite qui converge
vers l, autrement dit nous voulons trouver une fonction ϕ : N → N strictement
croissante telle que la suite (uϕ(n))n∈N converge vers l. Nous allons donc dans un
premier temps “construire” la fonction ϕ.3.3 Bolzano-Weierstraß 65
Pour construire la fonction, nous allons utiliser le lemme functional_choice
que l’on trouve dans la bibliothèque standard de Coq1
. Ce lemme s’énonce ainsi :
(∀x ∈ A, ∃y ∈ B, P(x, y)) ⇔ (∃f : A → B, ∀x ∈ A, P(x, f(x)))
Si nous appliquons ce lemme une première fois dans l’expression (1) nous
obtenons :
∀k ∈ N
∗
, ∃f, ∀N, N ≤ f(N) et uf(N)+1 ∈ B(l, 1
k
)
Nous pouvons utiliser le lemme functional_choice une seconde fois pour obtenir :
∃G, ∀k ∈ N
∗
, ∀N ∈ N, N ≤ Gk(N) et uGk(N)+1 ∈ B(l, 1
k
)
où Gk(N) est une notation pour (G(k))(N).
Nous avons donc une fonction G du type nat->nat->nat qui vérifie :
∀k ∈ N
∗
, ∀N ∈ N, N ≤ Gk(N) et uGk(N)+1 ∈ B(l, 1
k
)
ou de manière équivalente :
∀k ∈ N
∗
, ∀N ∈ N, N < Gk(N) + 1 et uGk(N)+1 ∈ B(l, 1
k
) (2)
Ici nous avons fait apparaître deux choses. La première est l’inégalité N <
Gk(N) + 1 et la deuxième est uGk(N)+1 qui est un bon candidat pour définir une
sous-suite. Le problème c’est que l’expression Gk(N) + 1 dépend de deux entiers
k et N. Mais l’expression (2) est vraie quelque soit N, donc en particulier elle
est vraie pour tous les N de la forme ϕ(k) pour une certaine fonction ϕ. Ainsi en
remplaçant dans l’inégalité les occurences de N par ϕ(k), où ϕ est une fonction
que l’on cherche à définir, nous obtenons d’une part :
∀k, ϕ(k) < Gk(ϕ(k)) + 1
Donc en définissant récursivement la fonction ϕ de manière à ce que ϕ(k + 1) =
Gk(ϕ(k)) + 1, nous avons ∀k, ϕ(k) < ϕ(k + 1) et donc ϕ est une fonction strictement
croissante. Et d’autre part, d’après (2) la fonction ϕ vérifie :
∀k ∈ N
∗
, uϕ(k+1) ∈ B(l, 1
k
) (3)
On peut définir la fonction ϕ formellement comme suit :
Fixpoint phi (m : nat) : nat :=
match m with
| 0 => G 0 0
| m’.+1 => (G m’ (phi m’)).+1
end.
1http://coq.inria.fr/distrib/current/stdlib/Coq.Logic.IndefiniteDescription.html66 Topologie
Nous avons donc construit une fonction ϕ strictement croissante. Maintenant,
il ne nous reste plus qu’à prouver que la suite uϕ(n) converge vers l, ainsi nous
aurons montré que l est une limite d’une sous-suite de u.
Comme nous l’avons déjà dit précédemment, on peut remplacer les voisinages
par des boules de manière équivalente dans la définition de convergence dans un
espace métrique. Nous voulons donc montrer que :
∀t ∈ N
∗
, ∃N ∈ N, ∀n, N ≤ n ⇒ uϕ(n) ∈ B(l, 1
t
)
Soit t ∈ N
∗
, alors montrons que N = t + 1 convient. Soit n ∈ N tel que
t + 1 ≤ n, il nous reste à montrer que uϕ(n) ∈ B(l, 1
t
).
Comme t+1 ≤ n et que t ∈ N
∗ alors n−1 ∈ N
∗
, donc d’après (3) nous avons :
uϕ(n) ∈ B(l, 1
n−1
)
Comme t + 1 ≤ n alors t ≤ n − 1, ce qui implique que 1
n−1 ≤
1
t
, et donc
B(l, 1
n−1
) ⊂ B(l, 1
t
), autrement dit :
uϕ(n) ∈ B(l, 1
t
)
Nous avons donc montré que dans un espace métrique, les valeurs d’adhérences
d’une suite sont les limites de ses sous-suites. La preuve du résultat précédent
permet d’utiliser la version de Bolzano-Weierstraß dans un espace métrique.
En fait, dans un cadre plus général, pour montrer ce résultat il suffit d’avoir
pour chaque point l de l’espace topologique une base dénombrable de voisinages
(dans les espaces métriques ce sont les boules de centre l et de rayon 1
k
).
3.4 Conclusion
La topologie générale se formalise plutôt bien. Comme nous l’avons vu, la plupart
des définitions sont naïves, et les preuves suivent le même schéma que les
preuves mathématiques. La logique utilisée est la logique classique. D’une part
cela permet d’avoir une théorie des ensembles avec les bonnes propriétés (comme
le fait qu’un ensemble soit égal au complémentaire de son complémentaire par
exemple), d’autre part le théorème de Bolzano-Weierstraß est un résultat de logique
classique.
La formalisation de la topologie a permis de prouver le théorème de BolzanoWeierstraß,
mais aussi de munir les structures ordonnées de la bibliothèque SSReflect
d’une topologie, et de montrer des résultats dessus dont nous aurons
également besoin par la suite.
Il existe déjà un théorème de Bolzano-Weierstraß dans la bibliothèque standard
de Coq, mais prouvé uniquement sur les nombres réels. Puisque nous l’avons
prouvé dans un cadre plus général, cela fait que l’on pourra l’utiliser sur n’importe
quel type que l’on aura muni d’une topologie. En particulier, par la suite,
nous aurons besoins de l’utiliser sur l’espace des matrices.3.5 Travaux reliés 67
Cependant, pour utiliser ce théorème il faut d’abord montrer qu’un certain
ensemble est compact. L’argument souvent utilisé pour prouver la compacité d’un
ensemble est de montrer qu’il est fermé et borné. Mais pour prouver ce résultat
il faut être dans un espace vectoriel normé de dimension finie ou dans un espace
euclidien. Comme nous l’avons vu, pour l’instant seules les structures d’espaces
métriques et topologiques sont implémentées, il serait donc intéressant par la
suite d’implémenter également les structures d’espaces normés et euclidiens.
3.5 Travaux reliés
Les travaux de formalisation de topologie générale sont nombreux et ont été faits
dans de nombreux assistants de preuve comme Mizar [38], Isabelle [26], PVS [30],
etc. Plus particulièrmeent dans l’assistant de preuve HOL Light on trouve une
preuve du théorème de Bolzano-Weierstraß dans le cas particulier des espaces
métriques [23].
Il existe également un début de formalisation de topologie générale en Coq,
dans un projet qui s’appelle Coqtail1
.
Il existe aussi des travaux de formalisation qui ont une approche constructive
de la topologie. Cela la s’appelle la topologie formelle, ou la topologie sans points.
On pourra par exemple cité les travaux de Giovanni Sambin [43] dont une partie
des travaux a été formalisée avec l’assistant de preuve Matita [2].
1http://coqtail.sourceforge.netChapitre 4
Perron-Frobenius
Le théorème de Perron-Frobenius est un théorème d’algèbre linéaire à propos du
rayon spectral d’une matrice réelle dont les coefficients sont positifs. Les principales
applications de ce théorème sont en théorie des graphes, ou en probabilité
avec les chaînes de Markov. Le théorème est utilisé sur les matrices d’adjacence
d’un graphe ou sur des matrices stochastiques, ce sont des matrices à coefficients
positifs [48]. On utilise également le théorème de Perron-Frobenius dans l’étude
des matrices dont les coefficients sont des intervalles [32, 42].
La partie du théorème de Perron-Frobenius à laquelle on s’intéresse est celle
qui dit que le rayon spectral d’une matrice à coefficients positifs est une valeur
propre de la matrice, et que cette valeur propre a un vecteur propre associé dont
les coefficients sont positifs.
Cette preuve se fait en deux étapes. Dans une première étape on démontre le
théorème pour les matrices à coefficients strictement positifs. Dans une deuxième
étape on utilise un argument de densité pour prouver le résultat sur les matrices
à coefficients positifs ou nuls. Pour prouver ce théorème nous devrons utiliser les
notions de topologie, et la forme normale de Jordan d’une matrice vues dans les
deux chapitres précédents.
Dans un premier temps, nous allons voir dans ce chapitre la formalisation
de la première étape de la preuve. Nous verrons d’abord les définitions de base
dont nous aurons besoin par la suite. Ensuite nous présenterons une preuve du
théorème pour le cas des matrices strictements positives pour mettre en évidence
les résultats intermédiaires dont nous aurons besoin et dont nous montrerons la
formalisation ensuite.
Dans un second temps, nous expliquerons le chemin qu’il reste à faire pour la
formalisation de la deuxième partie de la preuve.70 Perron-Frobenius
4.1 Rappels et définitions
4.1.1 Minimum et maximum
Nous aurons besoin de définir le maximum d’une famille d’éléments pour la définition
du rayon spectral d’une matrice et du minimum pour la preuve du théorème.
C’est pourquoi nous commençons par définir ces deux notions dans cette section.
Minimum
Pour exprimer le minimum d’une famille d’éléments, on pourrait essayer d’utiliser
les opérateurs de familles de la façon suivante1
:
\big[minr/id]_(i <- s) F i
Le problème avec cette façon de faire c’est que id doit être un élément neutre
pour le minimum. En effet, nous avons vu que, par exemple, pour une séquence
[:: a, b, c] l’expression ci-dessus est équivalente à :
minr a (minr b (minr c id))
et donc si a, b et c sont tous plus grand que l’élément id alors la valeur retournée
sera id et non le plus petit des trois éléments a, b et c. C’est la raison pour
laquelle id doit être un élément neutre, or dans notre cas la fonction minimum
n’a pas d’élément neutre.
Pour les besoins de la preuve, nous avons seulement besoin d’une fonction
qui retourne un élément de la famille qui soit plus petit que tous les autres. Le
minimum est donc simplement défini comme suit :
Fixpoint min_seq s :=
match s with
| [::] => 0
| [:: x] => x
| x :: s’ => minr x (min_seq s’)
end.
On traite à part le cas où la séquence ne contient qu’un seul élément pour que
l’appel récursif de la fonction ne se fasse jamais sur une séquence vide. À partir
de cette définition, nous pouvons définir une fonction minimum plus proche de
ce qui est fait dans la bibliothèque SSReflect sur les opérateurs de familles :
Definition min_fT (I : finType) (F : I -> R) :=
min_seq [seq F i | i <- index_enum I].
Cette définition respecte les deux propriétés dont nous avons besoin, à savoir :
Lemma min_fT_le (I : finType) F (i : I) : min_fT F <= F i.
Lemma ex_min_fT (I : finType) F (_ : I) : {k | min_fT F = F k}.
1voir 1.2.5 et 1.2.10 pour les notations.4.1 Rappels et définitions 71
Maximum
Pour définir le maximum d’une famille d’éléments, nous pouvons contourner le
problème de l’élément neutre du fait que dans notre contexte, nous prenons toujours
le maximum d’une famille d’éléments positifs. Nous pouvons donc choisir
zéro comme élément neutre et utiliser les opérateurs de familles :
\big[(@maxr R)/0%R]_i F i
L’expression ci-dessus sera cachée derrière la notation :
\maxr_i F i
4.1.2 Éléments d’algèbre linéaire
Soit A une matrice carrée de dimension n à coefficients dans un corps. Le noyau de
la matrice A, noté ker A, est l’ensemble des vecteurs tels que Ax = 0 c’est-à-dire :
x ∈ ker A ⇔ Ax = 0
Le noyau d’une matrice est fourni par une fonction de la bibliothèque SSReflect,
noté kermx A.
Si x est un vecteur non nul qui appartient au noyau de la matrice A, alors A
n’est pas inversible. En effet, si A était inversible nous aurions :
x = I ∗ x = (A
−1
∗ A)x = A
−1
(Ax) = A
−1
∗ 0 = 0
ce qui contredit le fait que x soit non nul. La matrice A n’étant pas inversible,
comme nous sommes sur des matrices à coefficients dans un corps, nous avons
det A = 0.
Soit maintenant x et λ respectivement un vecteur colonne non nul et un
scalaire tels que l’on ait la relation :
Ax = λx
Alors on dit que λ est une valeur propre de la matrice A et que x est un vecteur
propre associé à la valeur propre λ.
La relation ci-dessus peut être réécrite comme suit :
(A − λI)x = 0 (1)
Donc si λ est une valeur propre de la matrice A alors x est un vecteur non nul
appartenant au noyau de la matrice (A−λI). C’est ainsi qu’est définie le prédicat
booléen qui caractérise les valeurs propres dans la biblothèque SSReflect :
Variables (T : fieldType) (n : nat) (A : ’M[T]_n).
Definition eigenvalue lam := kermx (A - lam%:M) != 0.72 Perron-Frobenius
Remarque 2. Le prédicat eigenvalue ne représente que l’ensemble des valeurs
propres qui sont de type T. Donc par exemple si T est le corps des réels, alors
les seules valeurs qui vérifieront le prédicat seront les valeurs propres réelles de
la matrice A, et si lam est une valeur propre complexe de la matrice A alors
eigenvalue A lam sera mal typé.
L’égalité (1) indique également que si λ est une valeur propre de la matrice
A alors det(A − λI) = 0 d’après ce que l’on a vu juste avant. C’est-à-dire que λ
est une racine du polynôme caractéristique de la matrice A. Nous pouvons donc,
dans un corps algébriquement clos, définir la séquence des valeurs propres d’une
matrice :
Variable F : closedFieldType.
Definition eigen_seq n (A : ’M[F]_n) := root_seq (char_poly A).
où la fonction root_seq retourne la séquence des racines d’un polynôme. Par
exemple, si p est le polynôme (’X-1)^+2 * (’X-2) alors root_seq p sera la sé-
quence [:: 1, 1, 2] (ou une de ses permutations).
Le lemme suivant montre que, sur un corps algébriquement clos, les deux
définitions ci-dessus expriment bien la même chose :
Lemma eigenE n (A : ’M[F]_n) lam :
(lam \in (eigenvalue A)) = (lam \in (eigen_seq A)).
Le rayon spectral d’une matrice est le plus grand des modules des valeurs
propres d’une matrice. Donc pour définir le rayon spectral, il faut une fonction
module. Comme la séquence des valeurs propres est définie pour les matrices à
coefficients dans un corps clos, alors le rayon spectral est défini pour les matrices
à coefficients complexes1
:
Variable R : rcfType.
Notation C := (complex R).
Definition spectral_radius n (A : ’M[C]_n) :=
\maxr_(lam <- eigen_seq A) Re ‘|lam|.
Notation "\rho A" := (spectral_radius A).
où Re désigne la fonction partie réelle, car bien que le module d’un nombre complexe
ait une partie imaginaire nulle, son type est le type des nombres complexes,
donc la fonction partie réelle est utilisée ici pour que le résultat obtenu soit réel.
Donc pour parler du rayon spectral d’une matrice à coefficients réels, il faudra
d’abord plonger la matrice dans l’espace des matrices à coefficients complexes.
Dans la suite, nous parlerons également de comparaison entre matrices. Si A et
B sont deux matrices de même dimensions, alors on dira que A ≤ B (resp. A < B)
si tous les coefficients de B sont supérieurs ou égaux (resp. strictement supérieurs)
aux coefficients de A. Dans le code formel, nous utiliserons les définitions et les
notations suivantes :
1voir 1.2.10 et 1.2.11 pour les notations.4.2 Matrices strictement positives 73
Definition Mle A B := forall i j, A i j <= B i j.
Definition Mlt A B := forall i j, A i j < B i j.
Notation "A <=m: B" := (Mle A B).
Notation "A
exists x, 0 <=m: x /\ A *m x = (\rho A^%:C) *: x.
La notation A^%:C signifie que chaque coefficient réel de la matrice A est plongé
dans le corps des nombres complexes
4.2 Matrices strictement positives
Nous allons voir maintenant dans une première partie la formalisation de la preuve
du théorème de Perron-Frobenius pour les matrices strictement positives. Dans
une seconde partie, nous verrons la formalisation d’un résultat important dont
nous aurons besoin pour la première partie.
4.2.1 Preuve du théorème principal
Le théorème que nous allons montrer ici est le suivant :
Perron-Frobenius[cas strictement positif] Soit A ∈ Mn(R) telle que 0 < A,
alors ρ(A) est une valeur propre de la matrice A et possède un vecteur propre
associé dont tous les coefficients sont strictement positifs.
La preuve du théorème repose sur l’axiome suivant :
Axiome. Soit A ∈ Mn(R). La suite définit par (Ak
)k∈N converge vers 0 si et
seulement si ρ(A) < 1.
Nous utiliserons également dans la preuve le résultat suivant :
Resultat 1. Soit A ∈ Mn(R) telle que 0 < A, soit x un vecteur non nul tel que
0 ≤ x, alors 0 < Ax.74 Perron-Frobenius
En effet, le i-ème coefficient du vecteur Ax est P
k aikxi et comme x est nonnul
alors il existe un terme de la somme qui est non-nul, donc tous les coefficients
du vecteur Ax sont strictement positifs.
Pour la preuve du théorème de Perron-Frobeniuspour les matrices strictement
positives nous avons besoins du lemme suivant :
Lemme 5. Soit A ∈ Mn(R) telle que 0 < A. Soit λ une valeur propre de A telle
que |λ| = ρ(A), et soit x un vecteur non nul tel que Ax = λx. Alors nous avons
A|x| = ρ(A)|x|, 0 < ρ(A) et 0 < |x|.
Pour montrer ce lemme, on fait un traitement par cas sur l’égalité A|x| =
ρ(A)|x| :
Posons z = A|x|, alors d’après le résultat 1 nous avons 0 < z.
• Supposons que A|x| = ρ(A)|x|, dans ce cas il ne reste plus qu’à montrer
que 0 < ρ(A) et 0 < |x|. On sait que 0 ≤ ρ(A), si ρ(A) = 0 alors on aurait
A|x| = 0 ∗ |x| = 0, autrement dit on aurait z = 0 ce qui contredit le fait
que 0 < z, donc 0 < ρ(A). De plus, comme 0 < z et que z = ρ(A)|x|, on a
0 < ρ(A)|x| et donc 0 < |x|.
• Maintenant supposons que A|x| 6= ρ(A)|x|. Nous allons montrer que cette
hypothèse est absurde. Posons y = A|x| − ρ(A)|x|, alors d’après l’inégalité
précédente nous avons y 6= 0, de plus 0 ≤ y en effet, nous avons :
ρ(A)|x| = |λ||x| = |λx| = |Ax| ≤ |A||x| = A|x|
et donc
ρ(A)|x| ≤ A|x| ⇔ 0 ≤ A|x| − ρ(A)|x| = y
Donc d’après le résultat 1 nous avons 0 < Ay = Az − ρ(A)z.
Comme 0 < z et 0 < Az − ρ(A)z alors il existe un ε > 0 tel que l’on ait
Az − ρ(A)z > εz. Autrement dit, nous avons :
Az > (ρ(A) + ε)z ⇔
A
ρ(A) + ε
z > z
Donc en posant B = A/(ρ(A) + ε) nous avons Bz > z, et par récurrence
nous obtenons que ∀k, Bk
z > z. De plus ρ(B) = ρ(A)/(ρ(A) + ε) < 1 donc
d’après l’axiome, la suite des Bk
converge vers 0 ce qui donne que 0 ≥ z > 0
ce qui est absurde.
Le théorème découle directement du lemme 5 et des deux lemmes ci-dessous :
Lemma ex_eigen_rho n (A : ’M[C]_n.+1) :
{lam | eigenvalue A lam & ‘|lam| = \rho(A)%:C}.
Lemma eigenvalueP a :
reflect (exists2 v : ’rV_n, v *m g = a *: v & v != 0) (eigenvalue a).4.2 Matrices strictement positives 75
Le premier est une conséquence du fait que le maximum d’un nombre fini de
valeurs est atteint et le deuxième est un résultat donné par la bibliothèque SSReflect.
Dans la preuve du lemme 5, nous avons utilisé quatre résultats qui ne sont
pas seulement des manipulations algébriques :
• Le premier dit que si u et v sont des vecteurs strictement positifs, alors il
existe ε > 0 tel que εv < u. Pour montrer ce résultat, on peut prendre
ε = min
i
ui
2vi
. L’énoncé prouvé formellement est celui-ci :
Lemma Mle_eps m (u v : ’cV[R]_m.+1) :
let F i := ((u i 0) / 2%:R)/ (v i 0) in
let eps := min_fT F in
0 0 eps *: v B, et si la suite des Ak
converge vers C alors on a C ≥ B. Son énoncé formel est le suivant :
Lemma ltmx_cvg_lemx m n (A B :’M[R]_(m,n)) (U : nat -> ’M_(m,n)) :
(forall k, A (U >->> B) -> A <=m: B.
Nous remarquons que certaines propriétés utilisent la notion de convergence
d’une suite de matrices. Donc pour pouvoir les exprimer, il faut d’abord munir
le type des matrices d’une topologie. Nous allons donc voir maintenant comment
est implémentée la structure d’espace topologique sur les matrices, mais aussi sur
les structures ordonnées car nous en aurons besoin par la suite.
4.2.2 Instance des structures topologiques
Nous avons déjà vu au chapitre 3 comment sont implémentées les structures
d’espace métrique et topologique. Nous avons aussi vu sur l’exemple des réels de
Coq comment instancier ces structures. Aussi nous indiquerons ici seulement la
métrique qui sera utilisée pour ces instanciations.76 Perron-Frobenius
Les structures ordonnées
Toutes la hiérarchie des structures ordonnées est basée sur la structure appelée
numDomainType. Nous avons vu que cette structure possède une fonction valeur
absolue, ou module notée ‘|.|. La métrique utilisée sur les structures ordonnées
est donc la suivante :
Definition dist_real x y := ‘|x - y|.
Les nombres complexes
Nous avons vu aussi que dans la définition d’espace métrique le type de retour
de la fonction distance était en paramètre. Ainsi si nous avons E : metricType R
alors plus R sera “haut” dans la hiérarchie des structures ordonnées, plus nous
pourrons démontrer de propriétés sur les espaces métriques. Les nombres complexes
sont une instance de la structure numFieldType. Or nous aurons besoin
dans le développement formel que le type de retour de la fonction distance sur les
nombres complexes soit au moins de type realDomainType. C’est pourquoi nous
utilisons la fontion partie réelle dans la définition de la distance sur les nombres
complexes :
Definition dist_C x y := Re ‘|x - y|.
Les matrices
Avant de définir une distance sur les matrices, nous définissons d’abord un type
pour les normes de matrices :
Section normDef.
Variable R : numDomainType.
Structure can_norm : Type := MNorm {
anorm : forall p q, ’M[R]_(p,q) -> R;
pos_norm : forall p q (A : ’M_(p, q)), 0 <= anorm A;
hom_pos_norm : forall p q (A : ’M_(p, q)) (r : R),
anorm (r *: A) = ‘|r| * anorm A;
trin_ineq_norm : forall p q (A B : ’M_(p, q)),
anorm (A + B) <= anorm A + anorm B;
prod_ineq_norm : forall p q r (A : ’M_(p, q)) (B : matrix _ q r),
anorm (A *m B) <= anorm A * anorm B;
canonical_norm : forall p q (A : ’M_(p, q) ) i j,
‘|A i j| <= anorm A;
canonical_norm2 : forall p q (A B: ’M_(p, q)),
(forall i j, ‘|A i j| <= ‘|B i j|) -> anorm A <= anorm B
}.
End normDef.4.2 Matrices strictement positives 77
Notation "|| A : N |" := (anorm N A).
Ici nous avons simplement repris la définition de norme formalisée par Ioana
Paşca dans [42]. La définition a été actualisée avec les nouvelles définitions et
notations de SSReflect.
La norme que nous utiliserons par la suite est la norme infini définie commme
suit1
:
Definition norm8 (m n : nat) (A : ’M[R]_(m,n)) :=
\maxr_i \sum_j ‘|A i j|.
Cette norme vérifie tous les axiomes de la structure can_norm définie ci-dessus.
Donc après avoir démontré ces propriétés, nous pouvons déclarer la norme infini
comme une instance de la structure :
Canonical Structure can_norm8 := MNorm norm8_pos norm8_hom ...
La distance sur les matrices est définie à partir de cette norme :
Variable R : numDomainType.
Let N8 := can_norm8 R.
Definition dist_mat m n (A B : ’M[R]_(m,n)) :=
||(A - B) : N8 |.
4.2.3 Preuve de l’axiome
Nous allons montrer ici le théorème que nous avons posé en axiome dans la
première partie de la preuve du théorème de Perron-Frobenius :
Théorème 6. Soit A ∈ Mn(K) (K étant R ou C). La suite définit par (Ak
)k∈N
converge vers 0 si et seulement si ρ(A) < 1.
Nous verrons également quelques points de la formalisation de cette preuve.
La Preuve
Commençons d’abord par montrer le sens facile : Si la suite (Ak
)k∈N converge vers
0 alors ρ(A) < 1. Soit λ une valeur propre de la matrice A et x un vecteur propre
associé à λ. Comme Ax = λx alors Akx = λ
kx. Supposons que (Ak
)k∈N converge
vers 0, alors la suite (λ
kx)k∈N = (Akx)k∈N converge vers 0 et comme x est non nul
cela signifie que la suite (λ
k
)k∈N converge vers 0 et donc que |λ| < 1. Nous avons
donc montré que pour toute valeur propre λ de la matrice A nous avons |λ| < 1
et donc en particulier nous avons ρ(A) < 1.
Maintenant supposons que ρ(A) < 1 et montrons que la suite (Ak
)k∈N converge
vers 0. Notons J (A) la forme normale de Jordan de la matrice A. D’après ce que
1Le “8” représente un infini debout.78 Perron-Frobenius
nous avons vu dans le chapitre 2, la matrice A est semblable à J (A). C’est-à-dire
qu’il existe une matrice inversible P telle que A = P
−1J (A)P, autrement dit
telle que Ak = P
−1J (A)
kP. Donc prouver que la suite (Ak
)k∈N converge vers 0
revient à prouver que la suite (J (A)
k
)k∈N converge vers 0.
Nous savons que la forme normale de Jordan de A est une matrice diagonale
par blocs dont chaque bloc est un bloc de Jordan J(λ, n) où λ est une valeur
propre de A. Donc la matrice J (A)
k
est une matrice diagonale par blocs dont
chaque bloc est de la forme J(λ, n)
k
.
Ainsi pour montrer que la suite (J (A)
k
)k∈N converge vers 0, il suffit de montrer
que pour chaque bloc la suite des (J(λ, n)
k
)k∈N converge vers 0.
Voyons donc quelle est la forme générale de la matrice J(λ, n)
k
. Sur la figure
ci-dessous on peut voir ce qui se passe sur un exemple pour les quatre premières
puissances avec n = 4 :
J(λ, 4) =
λ 1 0 0
0 λ 1 0
0 0 λ 1
0 0 0 λ
J(λ, 4)2 =
λ
2 2λ 1 0
0 λ
2 2λ 1
0 0 λ
2 2λ
0 0 0 λ
2
J(λ, 4)3 =
λ
3 3λ
2 3λ 1
0 λ
3 3λ
2 3λ
0 0 λ
3 3λ
2
0 0 0 λ
3
J(λ, 4)4 =
λ
4 4λ
3 6λ
2 4λ
0 λ
4 4λ
3 6λ
2
0 0 λ
4 4λ
3
0 0 0 λ
4
On remarque que sur chaque ligne les puissances de λ décroissent et que des
coefficients binomiaux apparaissent. De manière générale nous avons :
(J(λ, n)
k
)ij =
k
j − i
!
λ
k−(j−i)
avec la convention que
k
j−i
= 0 si j − i > k ou si i > j.
Rappelons que nous avons ρ(A) < 1 et donc pour toute valeur propre λ de A
nous avons |λ| < 1. Nous allons montrer que si |λ| < 1 alors la suite (J(λ, n)
k
)k∈N
converge vers 0, pour cela nous allons montrer que les coefficients de la matrice
J(λ, n)
k
convergent vers 0 quand k tend vers l’infini.
Nous avons pour tout l :
k
l
!
=
k!
(k − l)! l!
=
(k − (l − 1)) ∗ · · · ∗ k
l!
≤
k ∗ · · · ∗ k
l!
=
k
l
l!
avec comme convention que a − b = 0 si a < b.
Cela signifie que pour un l fixé,
k
l
est borné par le polynôme k
l/l! et donc
dans l’expression suivante :
k
j − i
!
λ
k−(j−i)4.2 Matrices strictement positives 79
comme |λ| < 1 nous avons le terme λ
k−(j−i) qui converge vers 0 de façon exponentielle
alors que le terme
k
j−i
croit vers l’infini de façon polynômiale. Donc
finalement chaque coefficient du bloc J(λ, n)
k
converge vers 0. Ceci fini de montrer
le théorème.
Quelques points de formalisation
Matrice et convergence Nous allons d’abord parler de lemmes généraux sur la
convergence des suites de matrices. Un premier lemme important que nous avons
utilisé est celui qui fait le lien entre la convergence des matrices et la convergence
coefficient par coefficient. Ce lemme s’énonce formellement ainsi :
Variable R : numFieldType.
Lemma mx_cvgP m n (U : nat -> ’M_(m,n)) (A :’M[R]_(m,n)) :
U >->> A <-> (forall i j, (fun n => (U n) i j) >->> (A i j)).
Nous nous en sommes servi pour montrer que la suite des puissances des blocs
de Jordan convergeait vers 0.
Le second résultat sur la convergence des matrices que nous allons voir est
celui qui fait le lien entre la convergence des matrices diagonales par blocs et
la convergence bloc à bloc. Rappelons qu’une matrice diagonale par blocs est
définie formellement à l’aide d’une fonction F : forall n, nat -> ’M_n.+1 qui
donne les blocs diagonaux (voir 2.1), et d’une séquence qui correspond à peu de
choses près à la taille des blocs. Une suite U1, U2, . . . de matrices diagonales par
blocs correspondra formellement à une suite :
diag_block_mx s (UF 1), diag_block_mx s (UF 2), ...
où UF est la suite des fonctions qui donnent les blocs diagonaux. Nous avons donc
UF qui est de type nat -> forall n, nat -> ’M_n.+1. Le lemme s’énonce ainsi :
Lemma diag_block_mx_cvg s (UF : nat -> forall n, nat -> ’M[R]_n.+1)
(F : forall n, nat -> ’M[R]_n.+1) :
(forall i, (i < size s)%N ->
(fun k => UF k (nth 0%N s i) i) >->> (F (nth 0%N s i) i)) ->
(fun k => diag_block_mx s (UF k)) >->> (diag_block_mx s F).
Nous l’utilisons pour montrer que la forme normale de Jordan de la matrice A
converge vers 0.
Convergence sur les nombres réels ou complexes Nous avons également
utilisé le fait qu’il y a équivalence entre |λ| < 1 et la convergence de la suite
(λ
k
)k∈N vers zéro. La preuve de ce résultat utilise la propriété archimédienne
des nombres réels. Or dans notre cas nous utilisons ces lemmes sur les nombres
complexes qui n’est pas archimédien.
La structure archifieldType de la bibliothèque SSReflect est une structure
realFieldType qui vérifie l’axiome suivant :80 Perron-Frobenius
Definition archimedean_axiom (R : numDomainType) :=
forall (x : R), exists ub : nat, ‘|x| < ub%:R.
La preuve de ce résultat n’utilise pas le fait que la structure de base est de
type realFieldType, mais seulement le fait que l’axiome ci-dessus est vérifié. Or il
se trouve que l’ensemble des nombres complexes vérifie cet axiome (car le module
d’un nombre complexe est réel).
Pour éviter d’avoir à dupliquer les lemmes sur les nombres réels et sur les
nombres complexes, nous allons définir une nouvelle structure plus faible que la
structure archiFieldType dont le type de base sera la structure numFieldType :
Structure class_of (R : Type) := Class
{ base : NumField.class_of R;
_ : archimedean_axiom (@NumDomain.Pack R base) }.
Coercion base : class_of >-> NumField.class_of.
Structure type := Pack {sort; _ : class_of sort}.
Coercion sort : type >-> Sortclass.
Notation archiDomainType := type.
Nous avons déjà rencontré ce genre de définition dans le chapitre 3 sur la
présentation des structures topologiques. La structure class_of est la structure
d’hérédité. Elle contient un champ base qui correspond à la structure d’hérédité
du type de base, et un preuve que ce type de base vérifie les propriétés supplé-
mentaires qui se trouve dans la structure mixin_of qui ici est seulement réduite
à l’axiome archimedean_axiom. Ce genre de structure est expliquée plus en détail
dans [15, 14].
Cette structure étant basée sur la structure numFieldType hérite des propriétés
de cette dernière, et aussi de la topologie (et de la métrique) que nous avons
instanciée pour la structure numDomainType.
L’ensemble des nombres réels et l’ensemble des nombres complexes étant tous
les deux des instances de la structure ci-dessus, nous pouvons utiliser dans les
deux cas les deux lemmes suivants qui nous intéressent :
Variable R : archiDomainType.
Lemma cvg_lt1 (x : R) :
reflect ((fun k => x ^+ k) >->> 0) (‘|x| < 1).
Lemma polyM_exp_cvg0 i (a : R) :
‘|a| < 1 -> (fun k => k%:R ^+ i * a ^+ k) >->> 0.
4.3 Matrices à coefficients positifs ou nuls
Nous avons montré que pour toute matrice A ∈ Mn(R) telle que 0 < A, il existe
un vecteur propre x de A tel que 0 < x et que Ax = ρ(A)x. Nous allons voir4.3 Matrices à coefficients positifs ou nuls 81
maintenant comment l’on généralise ce résultat pour le cas où 0 ≤ A. Ce que
nous allons voir dans cette section n’est pas formalisé. Nous discuterons ici du
travail qu’il reste à faire.
4.3.1 La preuve
Le théorème que nous allons étudier maintenant est donc le suivant :
Perron-Frobenius Soit A ∈ Mn(R) telle que 0 ≤ A, alors ρ(A) est une valeur
propre de la matrice A et possède un vecteur propre associé dont tous les
coefficients sont positifs.
Prenons donc une matrice A telle que 0 ≤ A. Posons Ak = (aij +
1
k
)1≤i,j≤n.
Les matrices Ak sont des matrices strictement positives. Donc d’après le théorème
que nous venons de montrer dans la section 4.2.1, nous avons ρ(Ak) qui est une
valeur propre de Ak et qui possède un vecteur propre associé xk strictement positif.
Quitte à normaliser, nous pouvons choisir le vecteur xk de norme 1. Comme la
suite des matrices Ak converge vers A, alors la suite des ρ(Ak) converge vers ρ(A).
De plus, comme les vecteurs de la suite xk sont dans un ensemble compact, alors
d’après le théorème de Bolzano-Weierstraß (chapitre 3) il existe une sous-suite
xϕ(k) qui converge vers un vecteur x positif. Pour tout entier k nous avons donc
Aϕ(k)xϕ(k) = ρ(Aϕ(k))xϕ(k)
, donc d’après ce qui précède, en passant à la limite
nous obtenons Ax = ρ(A)x. Ainsi ρ(A) est une valeur propre de A et possède un
vecteur propre associé à coefficients positifs ou nuls.
Les deux principaux résultats de cette preuve qui demanderont le plus de
travail de formalisation sont :
• Si (An)n∈N est une suite de matrice qui converge vers A alors la suite des
ρ(An) converge vers ρ(A).
• L’ensemble des vecteurs de norme 1 est un ensemble compact.
4.3.2 Convergence des rayons spectraux
Nous avons deux façons de montrer que la suite (ρ(Ak))k∈N∗ décrite plus haut
converge vers ρ(A). La première utilise un argument de convergence des suites
réelles décroissantes et minorées, et la deuxième utilise un argument de continuité.
Argument de convergence
Pour montrer que la suite des rayons spectraux est décroissante, nous utilisons le
lemme suivant :
Lemme 7. Si A, B ∈ Mn(K) (avec K = R ou C) sont des matrices telles que
|A| ≤ B alors ρ(A) ≤ ρ(B).82 Perron-Frobenius
Démonstration. Soit ε > 0. Définissons les matrices suivantes :
Aε =
A
ρ(B) + ε
et Bε =
B
ρ(B) + ε
Comme |A| ≤ B, nous avons |Aε| ≤ Bε et donc |Aε|
k ≤ Bk
ε
.
D’une part ρ(Bε) = ρ(B)/(ρ(B) + ε) < 1. D’après ce que nous avons vu dans
la section 4.2.3, cela signifie que la suite (Bk
ε
)k∈N converge vers 0.
D’autre part pour tout entier k nous avons |Ak
ε
| ≤ |Aε|
k ≤ Bk
ε
. D’après ce
qui précède, cela signifie que la suite (Ak
ε
)k∈N converge aussi vers 0, et donc cela
implique que ρ(Aε) < 1.
Donc finalement :
ρ(Aε) = ρ(A)
ρ(B) + ε
< 1 ⇔ ρ(A) < ρ(B) + ε
et ce pour tout ε > 0 donc ρ(A) ≤ ρ(B).
Grâce à ce lemme nous pouvons montrer que la suite (ρ(Ak))k∈N∗ est une suite
décroissante et minorée par ρ(A) donc cette suite converge vers un réel ρ tel que
ρ ≥ ρ(A).
De plus nous avons vu que en passant à la limite, nous avons l’égalité Ax = ρx.
Cela nous donne que ρ ≤ ρ(A) et donc par double inégalité ρ = ρ(A).
Le développement sur la topologie est assez développé pour faire ce genre de
preuve.
Argument de continuité
Une autre façon de faire est de montrer que la fonction A → ρ(A) est continue.
Ainsi comme la suite (Ak)k∈N converge vers A alors la suite (ρ(Ak))k∈N∗ converge
vers ρ(A).
L’argument le plus souvent utilisé pour montrer la continuité du rayon spectral
est le suivant :
• Les coefficients du polynôme caractéristique d’une matrice varient continuement
en fonction des coefficients de la matrice.
• Les racines d’un polynôme varient continuement en fonction des coefficients
du polynôme.
• Le rayon spectral est continu en tant que composée d’applications continues.
Le polynôme caractéristique d’une matrice est le déterminant de sa matrice
caractéristique. Donc une manière de prouver le premier point est d’instancier
une métrique sur l’ensemble des polynômes et de prouver que l’application déterminant
est continue.4.4 Conclusion 83
On peut trouver une preuve du second point dans [34]. C’est une preuve qui
demanderait encore du travail de formalisation, mais qui je pense reste abordable
avec les outils que nous avons déjà formalisés.
Le troisème point est un résultat général sur la continuité qui est déjà formalisé
dans le développement sur la topologie.
4.3.3 Compacité de la boule unité
Pour pouvoir utiliser le théorème de Bolzano-Weierstraß que nous avons vu au
chapitre 3, il nous faut montrer que l’ensemble des vecteurs de norme 1 est un
ensemble compact. Pour montrer ce résultat, on montre d’abord que les intervalles
fermés sur R sont compacts.
Ensuite on montre que la boule unité est incluse dans un pavé qui est le
produit cartésien d’intervalles de R. Comme le produit cartésien fini d’ensembles
compacts est compact, nous avons la boule unité qui est un ensemble fermé inclus
dans un compact et est donc compact.
Une première étape serait de définir le produit cartésien de deux ensembles.
Nous avons vu qu’il existe déjà dans Coq un type produit pour le produit carté-
sien de deux types (voir 1.1.1). Nous pourrions réutiliser ce produit cartésien sur
les types pour avoir une définition du produit cartésien sur les ensembles :
Variables (T1 T2 : Type).
Definition cartesian_product (A : T1 -> Prop) (B : T2 -> Prop) :=
fun x : (T1 * T2) => (x.1 ’in A) /\ (x.2 ’in B).
Mais je n’ai aucune idée si cette définition est praticable.
Un second problème va apparaître lorsque nous voudrons utiliser ce résultat
sur l’ensemble des nombres complexes. Ici l’argument est que l’on peut voir l’ensemble
C comme le produit cartésien R × R. Il faudrait alors expliquer que la
topologie obtenue à partir de la topologie produit sur R × R est équivalente à la
topologie que nous avons instanciée sur l’ensemble des nombres complexes. Pour
l’instant, telle qu’est définie la structure d’espace topologique, c’est quelque chose
de difficile à exprimer.
Le fait qu’un ensemble fermé inclus dans un compact est compact est déjà
formalisé dans le développement sur la topologie générale.
4.4 Conclusion
Le théorème de Perron-Frobenius est un exemple de théorème d’algèbre linéaire
qui fait intervenir des arguments d’analyse et de topologie. Bien que la formalisation
de ce théorème ait motivé la formalisation de la forme normale de Jordan et
des espaces topologiques et métriques, ces développements ont été fait de manière
indépendantes.
La premère partie du théorème a permis de montrer que ces développements
étaient réutilisables. Nous avons pu ainsi avoir une formalisation complète du84 Perron-Frobenius
théorème de Perron-Frobeniuspour les matrices strictements positives.
Toutefois pour montrer le théorème dans le cas générale, il reste encore à
prouver des résultats comme la continuité du rayon spectrale ou la compacité de
l’ensemble des vecteurs de norme 1.
4.5 Travaux reliés
A ma connaissance, il n’existe pas de travaux de formalisation à propos du théorème
du théorème de Perron-Frobenius. Un des rares papiers que j’ai trouvé sur
la formalisation de sujet semblable est celui de Karol Pąk où le concept de valeur
propre est formalisé en Mizar [40].Conclusion
La formalisation du théorème de Perron-Frobenius a permis de formaliser des
résultats plus généraux d’algèbre linéaire, mais aussi de topologie générale. C’est
ce théorème qui a principalement motivé cette thèse.
La bibliothèque SSReflect contient déjà une formalisation assez avancée
sur les matrices, les polynômes et les propriétés algébriques. Ceci nous a fourni
une bonne base pour développer les travaux de cette thèse.
La formalisation des formes normales de Frobenius et de Jordan vue au chapitre
2, outre le fait d’avoir une preuve formelle de ces résultats, a occasionné
le développement de théories sur les matrices diagonales par blocs, et sur les
matrices semblales ou équivalentes. Ce sont des théories qui sont utilisées dans
d’autres contextes mathématiques et donc nous espérons que ces outils pourront
être réutilisés pour la formalisation d’autres résultats mathématiques.
Dans le chapitre 3 nous avons formalisé les structures d’espace métrique et topologique.
Il existe déjà une topologie dans la bibliothèque standard de Coq sur
les nombre réels. Ici nous avons défini une structure générale de topologie pour
avoir des résultats qui puissent être utilisés aussi bien sur des réels que sur des matrices
ou sur des nombres complexes. Le résultat important de ce développement
sur la topologie est le théorème de Bolzano-Weierstraß. Pour l’utilisation de ce
théorème, il serait intéressant par la suite d’implémenter les structures d’espace
normé et euclidien, ainsi que les propriétés de compacité des produits cartésiens
d’ensembles. Cela permettrait d’avoir des théorèmes généraux supplémentaires
pour montrer la compacité d’un ensemble.
Les développements sur les formes normales de matrices et sur la topologie ont
été formalisés de manière indépendante et dans le but de pouvoir être réutilisés.
Le théorème de Perron-Frobenius est une première application de l’utilisation de
ces développements formels. En effet, nous avons réussi à instancier une métrique
et une topologie sur les matrices et les nombres réels ou complexes. Ensuite nous
avons pu prouver des résultats sur la convergence de certaines suites. Et la forme
normale de Jordan a permis de montrer un résultat important sur la convergence
des suites des puissances de matrices.
Cependant la partie du théorème de Perron-Frobenius utilisant le théorème
de Bolzano-Weierstraß n’a pu être encore formalisée. Pour finir cette partie de
la preuve, il reste à montrer quelques résultats comme la continuité du rayon
spectral, et d’autres résultats de topologie pour pouvoir montrer la compacité
d’un ensemble, et utiliser Bolzano-Weierstraß.Bibliographie
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M´ethodes num´eriques pour la spatialisation sonore, de
la simulation `a la synth`ese binaurale
Matthieu Aussal
To cite this version:
Matthieu Aussal. M´ethodes num´eriques pour la spatialisation sonore, de la simulation `a la
synth`ese binaurale. Mathematics. Ecole Polytechnique X, 2014. French.
HAL Id: tel-01095801
https://pastel.archives-ouvertes.fr/tel-01095801
Submitted on 16 Dec 2014
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scientifiques de niveau recherche, publi´es ou non,
´emanant des ´etablissements d’enseignement et de
recherche fran¸cais ou ´etrangers, des laboratoires
publics ou priv´es.Thèse pour l’obtention du titre de
Docteur de l’École Polytechnique
Spécialité : Mathématiques appliquées
par Matthieu Aussal
Méthodes numériques pour
la spatialisation sonore,
de la simulation à la
synthèse binaurale.
Soutenue le 02 octobre 2014
Rapporteurs et membres du jury
Directeur de thèse : François Alouges (École Polytechnique)
Rapporteurs : Leslie Greengard (New York University)
Jean-Marc Jot (DTS inc.)
Séraphin Mefire (Université de Lorraine)
Examinateurs : Toufic Abboud (École Polytechnique)
Joël Bensoam (IRCAM)
Marc Bonnet (ENSTA)
Directeurs Industriels : Vincent Mouret (Digital Media Solutions)
Hervé Roux (Digital Media Solutions)Remerciements
Mes premiers remerciements vont tout naturellement à Hervé Roux, initiateur
de ces recherches à travers la société Digital Media Solutions et
Vincent Mouret, qui a repris le flambeau avec la même ferveur. Merci de
m’avoir fait confiance, et ce dès le début, en me laissant toute la liberté
d’agir sans autre contrainte que celle d’imaginer l’avenir. En m’impliquant
doucement mais sûrement dans les rouages de la société, vous m’avez transmis
le goût de l’entrepreneuriat.
Je remercie mes rapporteurs, MM. Leslie Greengard, Jean-Marc Jot et
Séraphin Mefire d’avoir accepté de consacrer une partie de leurs vacances
à relire mon manuscrit. J’ai été très honoré qu’ils acceptent cette charge et
particulièrement touché par les compliments de leurs rapports respectifs.
Je tiens aussi à remercier MM. Toufic Abboud, Joël Bensoam et Marc
Bonnet d’avoir accepté de faire partie de mon jury. Merci à Toufic de nous
avoir proposé son aide lorsque nous en avions besoin. Merci à Joël de m’avoir
donné le goût des équations intégrales pour l’acoustique. Merci à Marc pour
les nombreux échanges passés et à venir.
Par ailleurs, je remercie les doctorants et personnels du Centre de Mathématiques
Appliquées de l’École Polytechnique qui se sont prêtés de nombreuses
fois à des expériences sonores diverses et variées, et toujours avec le
sourire. Un grand merci aussi à l’École Polytechnique, et plus spécifiquement
au CMAP et Antonin Chambolle, pour m’avoir accueilli pendant ce doctorat,
et pour m’accueillir encore pendant quelques temps.
Une pensée toute particulière accompagne l’équipe Audio 3D de DMS,
qui a réussie à supporter mon encadrement sans (trop) broncher ! ;-) Encore
Bravo à Mathieu Coïc pour la quantité/qualité colossale de travail abattu et
merci pour cette ambiance si chaleureuse. Merci à Alexandre Dazzoni pour ses
conseils et sa grande disponibilité. Je souhaiterais aussi féliciter et remercier
les nombreux stagiaires que j’ai eu le plaisir d’encadrer : Ivan Alouges, Louis
Anglionin, Martin Averseng, Pierre Bézard, Timothée Chevalier, Marie-Julie
Dhaou, Louis Faucon (et merci à l’ADO !), Valentin Labourette, Hanna Ma-tahri, Lasse Munk, François Salmon, Adel Chelghoum et Augustin Deprez.
J’en profite pour remercier tout le personel de DMS et tout particulièrement
Nathalie, Alix, Mika, Walid, Ludo, Pascal C., Eric, Matthieu D., PatrickGilles,
Guillaume E., Lucas et Alberto.
En vrac, encore merci à Sylvie Tonda-Goldstein pour son aide précieuse
en démêlage de sac de nœuds, à Hervé Le Meur pour ses nombreux coups
de pouce, à Timothée Chevalier pour ses maillages de tête à trous, à Sylvain
Faure et Pascal Frey pour leurs maillages de tête sans trou, à Jean-Christophe
Messonnier pour les nombreuses conversations, à Hervé Déjardin pour ses
riches conseils, aux membres du consortium BiLi, à Sophie-Anaïs pour son
expertise, à Isabelle et Jean pour la transmission de savoirs, à Manou et
So pour leurs coups de main, à Grany, à The Mathworks d’avoir inventé
Matlab, au bâtiment 334, aux d’Yvette d’en face pour leurs superbes voix et
à Vincent, l’ami éternel.
Enfin, il faudrait bien plus qu’un merci à ma famille, ma belle-famille et
mes amis pour leur soutien sans faille.
Et puisqu’il est coutume de garder le meilleur pour la fin, je tiens à
adresser mes plus sincères et chaleureux remerciements à François Alouges.
Au-delà d’un encadrement scientifique d’une rare qualité, tu as été d’une
extrême bienveillance pendant ces trois années qui, grâce à toi, furent d’une
richesse inouïe. Je te dois cette thèse, alors vraiment, merci.à Caroline
et à nos enfants
Crédits : Bob de Groot et Turk, Léonard est un génie, ed. Le Lombard, 1977.Résumé
Les recherches effectuées lors de ce doctorat ont été initiées par un besoin
industriel identifié par la société Digital Media Solutions, à savoir la
réalisation d’un outil de spatialisation sonore au casque destiné aux nonvoyants.
Malgré les nombreux dispositifs déjà existants, les techniques de
synthèse binaurale butent, depuis leur apparition, sur un obstacle majeur,
qui empêche la réalisation de produits de haute qualité. En effet, pour rendre
l’illusion d’un espace sonore perceptible, les déformations temporelles et spectrales
issues de la propagation d’une onde sonore jusqu’aux tympans doivent
être restituées le plus fidèlement possible. En plus des difficultés classiques
rencontrées en traitement du signal audio, ceci entraîne, de facto, la nécessité
d’individualiser les fonctions de transfert HRTF, traduisant pour chacun
l’empreinte spatiale d’une source sonore. Pour réaliser cette personnalisation,
une première approche consiste à mesurer en laboratoire les HRTF de
chaque individu. Bien qu’offrant des résultats convaincants, cette technique
n’est pas encore applicable au grand public, car le processus est long, pé-
nible et relativement coûteux. C’est pourquoi la modélisation mathématique
a été envisagée. Sous réserve d’un maillage représentatif de la morphologie
de l’auditeur, la résolution numérique des équations de propagation des
ondes pourrait avantageusement remplacer la mesure. Aujourd’hui, des outils
grand public (e.g. Kinect de Microsoft) permettent la réalisation de maillages
satisfaisants, qui peuvent être perfectionnés, voire couplés, à des formes élé-
mentaires analytiques (Sphères, Ellipses, Cônes, etc.). La thèse se concentre
alors sur deux axes principaux et complémentaires.
D’une part, nous avons développé (conjointement avec F. Alouges) un
nouveau moteur de calcul intégral par éléments finis de frontières (MyBEM),
réalisé sous Matlab. Ce dernier est appliqué à la résolution des équations de
l’acoustique. Pour pouvoir calculer les fonctions de transfert HRTF sur l’ensemble
des fréquences audibles, une nouvelle méthode rapide de convolution a
été conçue, implémentée, puis validée analytiquement. À partir d’une quadrature
monodimensionnelle performante d’un noyau de Green quelconque (Laplace,
Helmholtz, Stokes, Maxwell, etc), une séparation des variables permet
1le calcul rapide d’un produit de convolution dans l’espace. Dénommée "Dé-
composition Creuse en Sinus Cardinal" (SCSD), cette méthode est confrontée
à la "Méthode Multipolaire Rapide" (FMM), référence reconnue en la matière.
D’autre part, une fois les HRTF mesurées ou calculées sur une grille sphé-
rique discrète, une résolution de quelques degrés angulaires est indispensable
pour pouvoir effectuer un rendu spatial de grande qualité. Il faut donc procéder
à des interpolations de filtres, qui nuisent à la qualité du rendu audio
et à l’impression d’externalisation. Cependant, une nouvelle compréhension
des HRTF initiée avant la thèse a permis un sous-échantillonnage spatial des
bases de données, sans produire d’artefacts audibles, mais aussi une personnalisation
par filtrage inverse. Mise en œuvre au sein d’un moteur de rendu
audio spatialisé sous Matlab (PifPaf3D), cette technique appelée "Décomposition
par Modèle Morphologique" a montré des qualités reconnues par validations
subjectives. Par ailleurs, de nombreux outils connexes ont été intégrés
à ce moteur, pour améliorer encore le rendu spatial, comme des acoustiques
de salles ou la compensation du casque audio.
Ces deux étapes, abouties et maîtrisées, doivent désormais être couplées
en vue de réaliser une chaîne complète de synthèse binaurale numérique.
2Abstract
Research conducted during this PhD were initiated by an industrial need
identified by Digital Media Solutions, namely the creation of a tool for spatial
sound rendering through headphones for blind people. Despite the many existing
devices, techniques for binaural synthesis face, since their appearance,
a major obstacle that prevents to realize high quality products. Indeed, to
make the illusion of a perceptible sound space, temporal and spectral distortions
resulting from the propagation of a sound wave to the ears must be
reproduced as accurately as possible. In addition to traditional difficulties in
audio signal processing, this enlightens the need to individualize the Head
Related Transfer Functions (HRTF), that encode the spatial impression of a
sound source. To achieve this individualization, a first approach consists in
measuring in the laboratory the HRTF of each individual. Although offering
convincing results, this technique is not yet applicable to the general public,
because the process is long, painful, and relatively expensive. This is why
mathematical modeling has been considered. Subject to a mesh representing
the morphology of the listener, the numerical solution of the wave propagation
equations could advantageously replace the measure. Today, large public
tools (e.g. Microsoft Kinect) allow the construction of satisfactory meshes,
which can be refined, when coupled with analytical basic shapes (spheres, Ellipse,
cones, etc..). The thesis then focuses on two main and complementary
axes.
On the one hand, we have developed (jointly with F. Alouges) a new
boundary element method software (MyBEM). Realized in Matlab, we apply
it to solve the equations of acoustics. For the calculation of the HRTF across
all audible frequencies, a new fast convolution method has been designed,
implemented and validated analytically. From the efficient one dimensional
quadrature of any Green kernel (Laplace, Helmholtz, Stokes, Maxwell, etc.), a
separation of variables allows a fast convolution in space calculation. Called
"Sparse Cardinal Sine Decomposition" (SCSD), this method is confronted
with the Fast Multipole Method (FMM) renowned as the state-of-the-art in
the domain.
3Moreover, once the HRTF are measured or calculated on a discrete spherical
grid, a resolution of a few angular degrees is essential to perform a high
quality spatial rendering. It is therefore necessary to interpolate the filters,
and that affects the quality of the audio rendering. However, a new understanding
initiated before the PhD allows an undersampling of the databases,
without producing audible artifacts, and providing with a possibility of individualization
by inverse filtering. Implemented in a spatial audio rendering
engine (PifPaf3D), this technique called "Morphological Model Decomposition"
has been validated by subjective tests. Moreover, many related tools
have been integrated into the engine, to further improve the spatial rendering,
such as acoustic rooms or headphones compensation.
These two stages, accomplished and mastered must now be coupled in
order to achieve a complete chain of digital binaural synthesis.
4Table des matières
Résumé/Abstract 1
1 Synthèse binaurale et HRTF 7
1.1 Introduction à l’écoute spatialisée . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.1.1 Espace sonore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.1.2 Théorie du Duplex . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.1.3 Head-Related Transfer Function . . . . . . . . . . . . . 11
1.2 Exemples de systèmes de spatialisation sonore . . . . . . . . . 14
1.2.1 Panning d’Amplitude, de la stéréo au VBAP . . . . . . 14
1.2.2 High Order Ambisonics, captation et restitution . . . . 17
1.2.3 Technologies binaurales, enregistrement et synthèse . . 21
1.3 Head-Related Transfer Function, what else ? . . . . . . . . . . 24
1.3.1 Modèle de HRTF, la sphère rigide . . . . . . . . . . . . 25
1.3.2 Mesures de HRTF, Acoustics Research Institute . . . . 31
1.3.3 Interpolation linéaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
1.3.4 Interpolation par harmoniques sphériques . . . . . . . . 43
1.4 Décomposition par Modèle Morphologique . . . . . . . . . . . 48
1.4.1 Principe et résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
1.4.2 Interpolation optimisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
1.4.3 Variations de position . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
1.4.4 Déraffinement spatial d’une base de données . . . . . . 59
1.4.5 Vers une méthode d’individualisation . . . . . . . . . . 62
2 Moteur binaural PifPaf3D 67
2.1 Introduction et configuration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
2.2 Transport et contrôle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
2.3 Traitement Binaural . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
2.4 Acoustique de salle et Ambisonics . . . . . . . . . . . . . . . . 77
2.5 Compensation du casque et égalisation . . . . . . . . . . . . . 81
2.6 SpherAudio Headphones . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
53 Formulations intégrales rapides pour l’acoustique 89
3.1 Représentation et équations intégrales . . . . . . . . . . . . . . 91
3.1.1 Diffraction dans l’espace libre . . . . . . . . . . . . . . 91
3.1.2 Diffraction en présence d’un obstacle . . . . . . . . . . 93
3.1.3 Équations intégrales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
3.1.4 Formulations discrètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
3.2 Introduction aux méthodes multipolaires rapides . . . . . . . . 101
3.3 Nouvelle méthode rapide - SCSD . . . . . . . . . . . . . . . . 104
3.3.1 Vers un problème mono-dimensionnel . . . . . . . . . . 105
3.3.2 Résolution du problème . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
3.3.3 Formalisme final pour l’équation de Helmholtz . . . . . 116
3.3.4 Extension vers Laplace (et plus si affinités...) . . . . . . 120
3.4 Comparaisons et performances . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
3.4.1 Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
3.4.2 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
4 Moteur intégral MyBEM 131
4.1 Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
4.2 Validations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
4.3 Applications au calcul de HRTF . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
Conclusion 153
Bibliographie 155
Articles 163
6Chapitre 1
Synthèse binaurale et HRTF
Ce premier chapitre a pour but de poser le cadre théorique des recherches
en spatialisation sonore effectuées avant, puis pendant la thèse, notamment
en synthèse binaurale. En effet, il est important de préciser que les travaux
de recherche exposés ici s’inscrivent dans la continuité de travaux effectués
au préalable et par le même auteur au sein de la société Digital Media Solutions.
Ces travaux ont donné naissance à un spatialisateur innovant, appelé
PifPaf3D, écrit exclusivement en langage Matlab, dont le développement s’est
poursuivi au cours de ces trois années de thèse. Aussi, certains aspects pré-
sentés dans ce chapitre sortent du sujet de thèse initial, mais ont néanmoins
motivé des axes de développement non négligeables.
1.1 Introduction à l’écoute spatialisée
De par sa grande complexité et ses multiples domaines d’étude (physiologie,
neurologie, psycho-acoustique, physique ondulatoire, etc.), seuls les
principes généraux de la perception spatiale liée au système auditif humain
sont présentés ici, en guise d’introduction ou de rappel. Le lecteur curieux
est invité à se documenter sur les ouvrages de références [10], [15] et [68], ou
encore les manuscrits de thèse [20] et [70]. Pour une courte introduction, [14]
et [17] présentent un excellent résumé, avec une bibliographie détaillée.
1.1.1 Espace sonore
La perception sonore de l’espace, bien que souvent négligée au profit
de la perception visuelle, n’en est pas moins fondamentale puisqu’elle est
l’unique indicateur environnemental qui ne souffre d’aucune restriction spatiale.
À titre comparatif, le système visuel (vision fovéale + périphérique)
7Figure 1.1 – Vue subjective du célèbre jeu de tir à la première personne
Counter Strike.
ne délivre d’informations que sur une faible portion de l’espace, alors que
le système auditif est effectif pour toutes les directions, avec une précision
angulaire (Just Noticeable Difference) de l’ordre de quelques degrés. De plus,
le système auditif effectue une analyse permanente et souvent inconsciente de
l’environnement, tandis que le système visuel est de plus en plus requis pour
effectuer des tâches quotidiennes, nécessitant une attention particulière.
La capture d’écran présentée en figure 1.1 est un exemple issu du monde
des jeux vidéos. Cette vision subjective du célèbre jeu de tir à la première
personne (FPS) Counter Strike présente un certain nombre d’objets, comme
les mains du joueur, des caisses, une terrasse, des murs, etc. Bref, aucun
danger n’est visuellement apparent. Si le joueur ne dispose pas d’un système
de rendu sonore, il n’aura aucune information relative à son environnement
autre que celles fournies par la vision, ce qui est restrictif. Si, au contraire, le
joueur dispose d’un rendu stéréo classique, il aura accès à d’autres données
non visibles. Cependant, privé d’une perception sonore en rendu spatialisé, le
joueur devra balayer visuellement l’ensemble de la scène à la moindre alerte
auditive, pour identifier la position de la source sonore (tirs, bruits de pas,
explosion, etc.). Ce temps perdu peut lui être dommageable. Aussi, pour
que le joueur puisse pleinement et rapidement appréhender tout danger non
visible à l’écran, un rendu spatial de la scène sonore serait souhaitable. Les
mêmes principes s’appliquent au quotidien, à savoir que le système auditif
fournit l’ensemble des informations nécessaires à une perception spatiale de
l’environnent, dynamique et analytique.
La spatialisation sonore est une branche de l’Acoustique dont on peut défi-
8Figure 1.2 – Système auditif humain. (source www.alynsimardaudio.com)
nir l’objectif général comme étant "la (re)création d’un espace sonore subjectif
au niveau de l’auditeur" [20]. D’un point de vue physiologique, l’étude de la
spatialisation sonore part d’une hypothèse fondatrice, à savoir que l’oreille
interne et l’oreille moyenne n’interviennent pas dans la création des indices
de localisation tridimensionnels. La figure 1.2 fournit un embryon d’explication
par une représentation en coupe du système auditif humain. Lorsqu’une
onde sonore (une variation de pression dans l’air) atteint le tympan, celle-ci
est ensuite transmise mécaniquement par les osselets vers la cochlée. Cette
dernière encode alors le signal sonore en impulsions électriques, acheminées
au cerveau par le nerf auditif. Dans ce schéma simpliste, une fois que l’onde
sonore a fait vibrer le tympan, ce dernier transmet un signal qui se propage de
l’oreille moyenne jusqu’au cerveau, sans aucun ajout possible d’informations
spatiales. Aussi, la compression des informations de localisation encodées
dans ce signal ne peut être faite qu’avant.
1.1.2 Théorie du Duplex
Des indices dits de localisation sont inhérents à l’analyse discriminatoire
de l’espace sonore, effectuée par notre système cognitif. Dans ce sens, deux
contributions principales ont été mises en évidence par Lord Rayleigh en 1907,
formant ainsi la théorie du Duplex [74]. Cette dernière fut ainsi nommée car
elle met en lumière l’analyse des indices acoustiques interauraux, c’est-à-dire
issus des signaux perçus conjointement par les deux oreilles. Sur le schéma
9Figure 1.3 – Représentation graphique de l’ITD et de l’ILD. (source
www.kfs.oeaw.ac.at)
de la figure 1.3, l’onde sonore incidente est supposée provenir de l’infini.
De ce fait, les isovaleurs de pression acoustique sont orthogonales au sens
de propagation. Ainsi, de par l’orientation de l’onde dans le plan horizontal,
l’oreille gauche percevra l’information plus tôt et plus fort que l’oreille droite.
Ces écarts de temps et d’intensité sont caractérisés respectivement par l’ITD
et l’ILD :
– Interaural Time Difference, ITD : La différence interaurale de temps
est la différence de temps d’arrivée d’une onde sonore entre les deux
oreilles. Cet indice de localisation joue un rôle fondamental pour la
localisation dans le plan horizontal, notamment en basse fréquence ;
– Interaural Level/Intensity Difference, ILD ou IID : La différence interaurale
de niveau est la différence d’intensité de l’onde sonore entre
les deux oreilles. Cet indice de localisation joue de même un rôle fondamental
pour la localisation azimutale, notamment en moyenne et haute
fréquence.
En revanche, cette théorie est incomplète pour les sources sonores qui seraient,
par exemple, dans le plan médian. En effet, l’ITD et l’ILD sont grossièrement
identiques pour une source sonore devant, dessus ou encore derrière
un auditeur. Pourtant, l’être humain est capable de discriminer ces directions,
avec une précision exemplaire. Le fait est que la théorie du Duplex ne tient
pas compte des dissymétries de la tête et du pavillon.
10Figure 1.4 – Cônes de confusion, représentant les isovaleurs de l’ITD et
de l’ILD pour une approximation de tête sphérique sans pavillon. (source
www.humansystems.arc.nasa.gov)
1.1.3 Head-Related Transfer Function
Avec l’approximation de tête sphérique [85], l’ILD et l’ITD de la théorie
du Duplex n’apportent pas d’informations discriminatoires dans le plan median,
ni dans des cônes communément appelés "cônes de confusion" (fig. 1.4).
Il manque donc un indice de localisation pour compléter cette théorie. Ce dernier
indice est principalement lié à la morphologie de l’auditeur, notamment
la géométrie du pavillon et du conduit auditif de l’oreille externe (fig. 1.2)
qui modifient singulièrement l’onde sonore incidente. En effet, des ondes ré-
fléchies peuvent être engendrées selon l’incidence, ainsi que des déformations
spectrales liées à des modes de résonance (fig. 1.5). Le timbre du signal émis
par la source sonore est alors modifié et ce, en fonction de sa position dans
l’espace. Il en résulte des filtres spatio-fréquentiels relativement complexes,
encore appelés Direction-Dependent Filters (fig. 1.6).
Ces trois indices (ITD, ILD et DDF) sont inclus dans un modèle plus
général de filtres fréquentiels communément appelés Head-Related Transfert
Functions (HRTF). Par Transformée de Fourier, ces filtres s’expriment aussi
bien en domaine fréquentiel qu’en domaine temporel, sous forme de HeadRelated
Impulse Responses (HRIR), et peuvent être définis comme suit :
HRTF : R
3 × R
+ → C
(r, θ, φ) × f → HRT F
HRIR : R
3 × R
+ → R
(r, θ, φ) × t → HRIR
11Figure 1.5 – Modes de résonance de l’oreille externe. (source
www.dtmblabber.blogspot.fr, d’après [78])
Figure 1.6 – Représentation directionelle des Directions Depending Filters
de l’oreille gauche du sujet 003 de la base CIPIC. Visualisation de l’amplitude
spectrale (dB) pour des sources sonores situées sur la sphère unité (croix
noire), à fréquence fixe, dans le repère de la figure 1.4. De gauche à droite,
la fréquence vaut respectivement 2 kHz, 8 kHz et 15 kHz.
12Figure 1.7 – Amplitude spectrale (dB) des HRTF de l’oreille gauche du
sujet 003 de la base CIPIC, dans le plan médian.
L’amplitude spectrale (dB) pour quelques positions de ces filtres est représentée
sur la figure 1.7. L’azimut est fixé à 0˚, pour une élévation croissante de 0˚
à 80˚ (plan median). Comme le montre cette figure, il existe une forte variabilité
entre chacun de ces filtres, induisant une grande complexité dans leur
étude. Ces fonctions de transfert HRTF établissent donc une cartographie
spatiale minutieuse du système auditif humain et sont, de par leur nature
même, propres à chaque individu. Enfin, il est intéressant de souligner que
ces filtres peuvent être :
– Mesurés par réponse impulsionnelle sous forme de HRIR (e.g. [3], [62],
[6]) ;
– Modélisés de manière analytique (e.g. [85], [57], [25]) ou par simulation
numérique (e.g. [50], [51], [39]) ;
– Échangés sous forme de bases de données (e.g. [65], [9]) ;
– Individualisés, par divers et nommbreux procédés.
La compréhension et l’exploitation de ces HRTF représente un enjeu majeur
pour la recherche en spatialisation sonore, mais aussi pour les industriels
soucieux d’innovations technologiques. En effet, la perception d’un espace sonore
réaliste devient possible dès lors que les trois indices formant les HRTF
sont correctement restitués, ou dans une moindre mesure au moins l’un des
trois. Aussi, tout système de restitution sonore en exploite certaines proprié-
tés, directement sur casque audio ou indirectement sur enceintes.
13Figure 1.8 – Principe de la stéréophonie et notion de "Sweet Spot".
1.2 Exemples de systèmes de spatialisation
sonore
Il existe de nombreux systèmes de spatialisation sonore, chacun exploitant
de savants mélanges au sein des dimensions perceptives et physiques.
Dans cette section, trois de ces techniques sont détaillées, à savoir le panning
d’amplitude et sa généralisation au Vector Base Amplitude Panning (VBAP),
l’approche Ambisonics et son extension en High Order Ambisonics et pour
terminer la synthèse binaurale. Ce choix est principalement motivé par le fait
qu’elles ont toutes trois été intégrées dans le spatialisateur PifPaf3D, moteur
de rendu audio 3D Matlab détaillé dans le chapitre suivant.
1.2.1 Panning d’Amplitude, de la stéréo au VBAP
Le panning d’amplitude est apparu avec les premiers supports utilisant
plus d’un canal de diffusion et fait partie des plus anciennes techniques de
spatialisation sonore [83]. Le principe théorique est relativement simple, à
savoir la création d’une image sonore virtuelle dite "Fantôme", en jouant
sur la différence d’intensité de sources sonores réelles ( haut-parleurs). Tout
l’art de l’ingénieur du son consiste en l’obtention d’une image sonore robuste
et réaliste, répartissant judicieusement l’ensemble des objets virtuels
sur des segments reliant les sources réelles. La restitution stéréophonique,
encore très largement dominante aujourd’hui, est fondée sur ce principe. En
disposant l’auditeur et deux haut-parleurs (gauche et droit) sur les sommets
d’un triangle équilatéral, ce système permet une restitution spatialisée sur
une dimension d’espace. Il est important de noter qu’une contrainte forte af-
14Figure 1.9 – Disposition fixée de haut-parleurs en 5.1 (en traits pleins), 9.1
(en tirets) et 22.2 (en pointillés). (source Wikipedia)
fecte l’ensemble des systèmes de spatialisation sonore sur enceintes, à savoir
le positionnement des sources sonores par rapport à l’auditeur (notion de
Sweet Spot). Celle-ci est déjà présente sur un système à deux canaux, tel que
le montre la figure 1.8.
Dans la lignée de la stéréophonie, plusieurs systèmes de restitution en
audio spatialisé sont progressivement apparus, comme la quadriphonie, le
5.1, le 7.1, le 9.1, ou plus récemment le 22.2 de la NHK (fig. 1.9, [42]).
Tous utilisent des maillages de haut-parleurs répartis sur des positions préalablement
fixées dans l’espace autour de l’auditeur. Ces systèmes permettent
d’étendre les principes fondateurs de la stéréophonie sur des maillages plus
denses de haut-parleurs, sur un cercle entourant l’auditeur (1D), voire sur
une sphère (2D). En appliquant des lois de panning prédéfinies, des sources
sonores fantômes peuvent ainsi être créées. Il est intéressant de remarquer
qu’aucun de ces systèmes n’est réellement 3D en terme de répartition de
haut-parleurs. Ceci est notamment lié à la faible précision de la localisation
en distance, qui est préférentiellement rendue dans sa dimension perceptive
plutôt que physique [48].
Enfin, de récents travaux ont donné naissance aux techniques de Vector
15Figure 1.10 – Principe du Vector Base Amplitude Panning : la source virtuelle,
symbolisée par sa pression acoustique p, est générée par panning d’intensité
de coefficients Ij appliqués aux trois sources sonores adjacentes j.
(source www.ausim3d.com/products/Vectsonic)
Base Amplitude Panning (VBAP), autorisant une répartition quelconque des
haut-parleurs sur une sphère entourant l’auditeur [73]. Cette approche est une
extension de la stéréo vers un système à multiples sources sonores réelles,
ce qui permet de définir un support quelconque pour les sources fantômes
(triangle, quadrangle, etc.). Une loi d’interpolation est alors appliquée aux
canaux pour déterminer leurs gains, en utilisant notamment les cordonnées
barycentriques de la source virtuelle dans la base formée par les sources réelles
(fig. 1.10). Un maillage quelconque de haut-parleurs peut être envisagé, ce
qui permet de s’affranchir des contraintes liées aux systèmes fixes précédents.
Cette méthode a été implémentée dans le spatialisateur PifPaf3D, en marge
des travaux de thèse, et testée sur un maillage de 16 haut-parleurs répartis
dans une pièce de type bureau. Le script réalisé permet notamment de générer
le maillage triangulaire selon la position absolue des haut-parleurs, et de
naviguer en temps réel dans ses éléments pour créer les sources fantômes.
Les résultats de cette étude feront éventuellement l’objet d’une publication
ultérieure.
Face au développement de ces nouveaux systèmes de restitution, toujours
plus complexes et précis, la notion d’objet sonore ponctuel devient dès
lors incontournable pour que les techniques de spatialisation soient humaine-
16Figure 1.11 – (Gauche) Schéma du microphone Soundfield tel que breveté
[19]. Quatre capsules cardioïdes sont placées sur les faces d’un tétraèdre
régulier, dont les signaux (RF,LF,RB,LB) constituent le A-Format, ou format
ambisonique brut. (Droite) Les composantes directionnelles du B-Format
(W,X,Y,Z) ou format encodé. (source [20]).
ment réalisables. En effet, le mixage stéréo ne nécessite qu’un potentiomètre
pour répartir l’intensité sonore de la source virtuelle entre les deux canaux
de diffusion. Dans le cas d’un maillage triangulaire dense, il est nécessaire
de manipuler des objets sur des surfaces, ce qui complique singulièrement
l’interface homme-machine. C’est pourquoi l’ensemble de la chaîne de traitement
audio, de la captation à la restitution en passant par le mixage, subit
aujourd’hui de grands bouleversements.
1.2.2 High Order Ambisonics, captation et restitution
Parmi les nombreuses techniques émergentes de spatialisation sonore,
l’approche Ambisonics et son extension High Order Ambisonics (HOA) fournissent
une gamme d’outils complète sur l’ensemble de la chaîne de production
(e.g. [19], [20], [21], [33]). Originellement, elles sont issues des techniques
de prise de son par couple MS. Le principe général est de capter simultanément
et ponctuellement un champ sonore à l’aide d’un micro bidirectif
et d’un micro omnidirectionnel. Des informations directionnelles de la scène
sonore sont alors nativement incluses dans les signaux de sortie des microphones,
qui peuvent-être stockés ou échangés comme tels. Pour que l’image
sonore soit directement rendue, dans une dimension d’espace, il suffit ensuite
de restituer ce champ sur un système stéréophonique, par une sommation
17des signaux sur un haut-parleur et une opposition de phase sur l’autre. Cette
technique de prise de son fut généralisée aux trois dimensions d’espace par
Gerzon et donna naissance au fameux encodage B-Format du microphone
Soundfield (fig. 1.11). À la restitution, le B- Format est décodé pour s’adapter
au système de haut-parleurs, par exemple disposés sur les sommets d’un
cube. Ce processus d’encodage-décodage d’une scène sonore spatialisée est
une caractéristique propre des méthodes Ambisonics.
Cependant, cette approche souffre d’une faible précision spatiale de par la
nature même de la captation, à savoir cardioïde. Aussi, de nombreux travaux,
notamment ceux de J. Daniel [20], ont permis de créer un cadre robuste
pour étendre Ambisonics vers une précision supérieure, appelée High order
Ambisonics (HOA). Cette extension peut s’introduire de façon théorique en
considérant le problème de propagation des ondes dans un espace Ω homogène
et isotrope, dénué de sources, en régime harmonique. Sous ces hypothèses,
l’équation de Helmholtz formalise mathématiquement ce type de problème
et s’écrit comme suit :
−(∆ + k
2
)u = 0 avec u ∈ Ω. (1.1)
Cette équation peut être résolue en introduisant les harmoniques sphériques
(Y
m
l
), qui sont des fonctions propres de l’opérateur Laplace Beltrami sur la
sphère S
2
, associées aux valeurs propres l(l + 1) (e.g. [69], [82] et fig. 1.12).
Elles forment une base orthonormée pour le produit scalaire L
2
(S
2
) et sont
définies comme la trace sur la sphère unité S
2 des polynômes homogènes
harmoniques de degré l (i.e. à Laplacien nul sur R
3
). Cette base orthonormée
(Y
m
l
) peut être considérée comme un équivalent pour la sphère dans R
3 de
la base (e
inθ) pour le cercle dans le plan R
2
. D’un point de vue plus formel,
les fonctions de Legendre :
P
m
l
(x) = (−1)m(1 − x
2
)
m/2
d
m
dxm
Pl(x) avec m ≥ 0,
définies pour tout l dans N, −l ≤ m ≤ l et −1 < x < 1, construisent la
famille (Y
m
l
), définie par :
Y
m
l
(θ, φ) =
vuut
2l + 1
4π
(l − m)!
(l + m)!P
m
l
(cos(φ))e
imθ
. (1.2)
En fixant Ω comme l’intérieur ou l’extérieur de la sphère unité S
2
, toute
fonction u solution de l’équation de Helmholtz (1.1) peut se décomposer en
harmoniques sphériques comme suit :
u(k, r, θ, φ) = X
l,m
α
m
l
(k)Ul(kr)Y
m
l
(θ, φ). (1.3)
18Figure 1.12 – Représentation spatiale des cinq premières harmoniques sphé-
rique Y
m
l
, telles que r = |Y
m
l
(θ, φ)|.
En pratique, selon les conditions aux limites du problème considéré (Dirichlet,
Neumann, Fourier, etc.), la fonction radiale Ul(kr) est construite par
des combinaisons linéaires dans C de fonctions de Bessel sphériques, Hankel
sphériques et de leurs dérivées.
D’un point de vue strictement mathématique, le formalisme HOA est
pleinement contenu dans l’équation (1.3) et la propriété d’orthonormalité des
harmoniques sphériques pour le produit L
2
(S
2
) [20]. En effet, la captation
puis l’encodage HOA consiste en la création des signaux de projection α
m
l
sur
les harmoniques sphériques. Ces signaux peuvent être stockés, échangés et
utilisés en l’état pour effectuer des opérations simples, comme des zooms ou
des rotations spatiales. Par exemple, le B-Format est l’équivalent du signal
α
m
l pour l ≤ 1. Enfin, s’ensuit l’étape de décodage pour la restitution sur un
système de haut-parleurs en calculant cette fois les canaux u correspondants
aux signaux α
m
l
. Le protocole suivant, non exhaustif, résume les grandes
étapes d’un encodage-décodage HOA dans le cas d’une captation-restitution
d’une scène sonore spatialisée.
Encodage :
1. Suite à la captation d’une scène sonore par une sphère de microphones,
le problème aux limites correspondant est formalisé en domaine de Fou-
19rier pour expliciter les fonctions Ul(kr) sous forme de filtres fréquentiels
;
2. En considérant les valeurs du champ u aux positions des microphones
par rapport au centre de la sphère, la série en (1.3) peut alors être
tronquée ;
3. En projetant la série (1.3) tronquée sur la base orthonormée des harmoniques
sphériques par intégration sur S
2
, un système linéaire est
formé ;
4. Puis, ce système est résolu, fréquence par fréquence, pour déterminer
les coefficients α
m
l
(k) de la décomposition.
Cette étape d’encodage HOA permet de créer les signaux fréquentiels α
m
l
(k),
ou encore temporels α
m
l
(t) par transformée de Fourier inverse. Ces derniers
définissent un format d’échange évolutif et modulable (rotation, zoom, etc.),
indépendant de la sphère de microphones utilisée pour la captation. Le BFormat
Ambisonics est la version à l’ordre l = 1 du format HOA et le couple
MS en est la version d’ordre l = 1 avec m = 0 uniquement.
Décodage :
1. Un nouveau problème aux limites est formalisé pour la diffusion en
champ libre par une sphère de haut-parleurs, explicitant notamment
un nouveau filtre fréquentiel et une nouvelle matrice de décodage liés
aux positions des haut-parleurs dans l’espace centré sur l’auditeur ;
2. Par intégration sur S
2
, un nouveau système linéaire est formé ayant
pour inconnues les signaux ui discrets ;
3. Ce système est cette fois inversé, délivrant ainsi le signal à diffuser par
les haut-parleurs pour recréer un champ sonore identique à la captation.
Une version améliorée de ce protocole a été implémentée durant la thèse dans
le moteur PifPaf3D, notamment pour effectuer un rendu binaural d’une captation
par microphone Soundfield en A-Format (fig. 1.11). De nombreux dé-
tails soulèvent de grandes difficultés, non présentées dans ce manuscrit, mais
bien connues de l’homme de l’art. Peuvent être citées en exemple la troncature
de la série harmonique dans l’équation (1.3), les phénomènes d’aliasing
fréquentiel liés aux diverses discrétisations, la pseudo inversion de la matrice
rectangulaire des harmoniques sphériques, ou encore la régularisation
des filtres fréquentiels faisant appels aux fonctions de Bessel et Hankel sphé-
riques. Néanmoins, le module Matlab d’encodage-décodage HOA a donné
des résultats encourageants pour des captations par microphone Soundfield.
Il fera sans doute l’objet de recherches ultérieures, par exemple sur le rendu
20de microphones d’ordres plus élevés, ou non sphériques, ou encore pour de la
localisation spatiale de sources sonores.
Pour conclure, comme toute technique audio, HOA présente des avantages
et des inconvénients, à la fois sur les plans perceptif, physique et technique.
Ce manuscrit n’ayant pas pour vocation d’en faire une étude détaillée, mais
plutôt d’en expliciter les grandes lignes pour comprendre et exploiter l’outil,
le lecteur curieux pourra se documenter sur une littérature abondante
(e.g. [11], [20], [21], [59], [71]).
1.2.3 Technologies binaurales, enregistrement et synthèse
Binaural, binaurale, binauraux (adj. du latin bini/paire et auris/oreille)
se dit des perceptions auditives engendrées par une stimulation simultanée
des deux oreilles. (Larousse 2013 )
Cette définition introductive a pour but de fixer le vocabulaire employé
dans ce manuscrit. En effet, le terme binaural tend à se démocratiser ces
dernières années, en devenant un nom commun synonyme d’une écoute spatialisée
sur casque audio. En accord avec la définition précédente, il doit en
réalité être employé comme adjectif caractérisant une stimulation simultanée
des deux oreilles, ce qui induit une certaine prudence d’utilisation 1
... Ceci
étant, les technologies binaurales peuvent être introduites en distinguant
deux grandes techniques, ayant comme point commun leur mode de restitution
essentiellement sur casque audio, voire sur haut-parleur par Cross-Talk
Cancellation.
Tout d’abord, l’enregistrement binaural (fig. 1.13) consiste à effectuer une
prise de son par l’intermédiaire de deux microphones placés au niveau des
tympans d’un être humain, ou d’un objet reprenant tout ou partie des caractéristiques
de l’oreille externe (mannequin Gras Kemar, tête artificielle Neumann
KU100, oreilles Otokinoko, sphère The Audio BS3D, etc.). Cette technique
contient nativement des informations perceptives relatives à la scène
sonore originale, ce qui lui confère (en général) un rendu plutôt réaliste, à
la fois en direction et en distance. Cependant, elle souffre des contraintes
suivantes, liées à la "compression" des informations spatiales dans un signal
stéréo :
1. En effet, la quasi-totalité du monde de l’audio est basé sur une stimulation simultanée
des deux oreilles... Au même titre, les HRTF sont bien souvent associées au "binaural",
alors que tout système de restitution audio exploite de manière directe ou indirecte tout
ou partie des informations de localisation contenues dans ces filtres.
21Figure 1.13 – (Gauche) Enregistrement binaural par microphones DPA,
situés à l’embouchure du conduit auditif d’un joueur de violoncelle. (Droite)
Tête artificielle Neumann KU100, avec microphones intégrés au creux de
chaque "oreille". (source www.neumann.com)
1. Les divers objets de la scène sonore forment un tout difficilement dissociable
;
2. Il est difficile de construire manuellement une scène sonore ;
3. Les retouches par égaliseurs, compresseurs, limiteurs, réverbérateurs et
autres effets risquent d’altérer fortement la spatialisation, native à la
captation ;
4. A posteriori, les filtres HRTF liés à la prise de son ne peuvent pas être
individualisés à la morphologie de l’auditeur.
Aussi, même si cette approche est connue depuis la fin des années 60, ces
difficultés ont sans doute fait obstacle à sa popularisation, à la fois chez les
professionnels et les particuliers.
La seconde technique, appelée synthèse binaurale (fig. 1.14), réside en
l’application d’algorithmes de traitement du signal audio pour recréer artifi-
ciellement la perception spatialisée d’une scène sonore. Le principe de base
consiste à mesurer par réponse impulsionnelle les filtres HRIR gauches et
droits d’un auditeur, pour une position donnée dans l’espace. Puis, après
convolution d’une source audio mono par ces deux filtres, le fichier stéréo
issu de cette manipulation peut être écouté sur n’importe quel casque audio
(de facture honorable !). Dès lors, la source mono sera perçue dans la
direction de la position mesurée. En pratique, les HRIR sont mesurées en
plusieurs positions de l’espace et une interpolation spatiale de ces filtres est
effectuée pour convoluer n’importe quelle source audio dans n’importe quelle
22Figure 1.14 – (Gauche) Principe de base de la synthèse binaurale : x˜(t) correspond
au signal mono xA(t), perçu à la position (r, θ, φ) et délivré par les signaux
binauraux xL(t) et xR(t). Pour ce faire, xA(t) est convolué par les filtres
HRIR gauches h˜
L(t) et droit h˜
R(t) de la position (r, θ, φ), généralement obtenus
par interpolation sur une base de données de HRIR. (source Wikipedia)
(Droite) Système de mesure de HRTF de l’ARI. (source www.kfs.oeaw.ac.at)
23direction. Sous réserve d’un workflow draconien, la synthèse binaurale peut
s’affranchir des contraintes précédentes liées à l’enregistrement binaural, à
savoir :
1. Les sources sonores peuvent être des objets dissociés, issus de prises de
son séparées ou non ;
2. Une scène sonore se construit manuellement, par positionnement des
sources dans l’espace ;
3. Toutes les retouches nécessaires peuvent être faites avant le rendu par
synthèse binaurale, préférentiellement effectué en dernier dans la chaîne
de production sonore ;
4. Les bases de données HRIR utilisées pour les convolutions peuvent être
différentes selon l’utilisateur, voire même individualisées.
Ce sont toutes ces possibilités offertes par la synthèse binaurale qui ont motivé
l’ensemble de ce travail de recherche appliquée, en particulier le dernier point
sur l’individualisation des filtres HRIR/HRTF par des méthodes numériques
non intrusives. Aussi, même si cette technique est beaucoup plus difficile à
mettre en œuvre, les progrès matériels et logiciels de ces dix dernières années
appliqués au traitement du signal offrent aujourd’hui de nouvelles perspectives.
Le contexte CIFRE de cette thèse n’est d’ailleurs pas sans rappeler
que de nombreux industriels suivent de très (très) près les récentes avancées
faites en synthèse binaurale, toujours plus prometteuses.
1.3 Head-Related Transfer Function, what else ?
Pour mieux saisir les difficultés liées à l’utilisation des filtres HRTF en
synthèse binaurale, une analyse systémique de ces filtres est présentée dans
cette section. Cette analyse est effectuée dans la dimension physique des fonctions
de transfert, sans se soucier des questions perceptives. La méthodologie
est discutable au regard de la psycho-acoustique, mais facilite l’appréhension
des résultats de mesures, ainsi que leur couplage avec des résultats issus de
modélisations analytiques ou de simulations numériques. Par ailleurs, cette
approche rigoureuse a donné naissance à une décomposition fonctionnelle
des HRTF en éléments modélisables et résiduels, détaillée dans la section
suivante. Aussi, dans toute la suite, les HRTF seront avant tout considérées
comme des solutions de radiation sphérique d’un problème de diffraction des
ondes sonores par un objet essentiellement rigide, à savoir l’être humain.
24Figure 1.15 – Repère en coordonnées sphériques, convention en rayonlongitude-latitude
correspondant respectivement à la distance (ρ), l’azimut
(θ) et l’élévation (φ). (source Wikipedia)
1.3.1 Modèle de HRTF, la sphère rigide
Avant de s’intéresser aux HRTF réelles issues de mesures en laboratoire,
certaines bases méritent d’être posées en étudiant un modèle simplifié, comme
les HRTF d’une sphère rigide sans pavillon. Ceci permet notamment d’introduire
différents modes de représentations, ainsi que des résultats utiles pour
la suite. Pour ce faire, il existe deux principaux modèles associés au problème
de diffraction d’une onde sonore par un objet sphérique.
Le premier modèle fournit une solution dans le domaine temporel, à savoir
une évaluation analytique du retard interaural (ITD) pour une sphère rigide
(e.g. [57], [85]). Ce retard correspond à la différence de temps de propagation
d’une onde sonore à l’infini entre deux points diamétralement opposés sur
la sphère. En considérant que la direction d’une source sonore à l’infini est
caractérisée par un angle d’azimut θ et d’élévation φ dans un repère sphérique
(fig. 1.15), le retard interaural τ s’exprime par :
τ =
a
c
× (arcsin(cos φ sin θ) + cos φ sin θ), (1.4)
avec a le rayon de la tête sphérique considérée et c la célérité des ondes sonores
dans l’air. La figure (fig. 1.16) donne une représentation du retard τ calculé
par le modèle d’ITD (1.4), en fonction de l’azimut θ, pour trois élévations φ
significatives. Le rayon de tête choisi pour les calculs correspond au rayon de
tête sphérique moyen (a = 8.74 cm [58]) et la vitesse du son dans l’air est
25Figure 1.16 – Représentation de l’ITD τ calculé par le modèle de Larcher
(1.4), en fonction de l’azimut θ, pour trois élévations φ significatives.
prise à 15˚C (c = 340 m/s). En pratique, ce modèle peut simplement être mis
en œuvre en approchant les HRTF comme une combinaison de déformations
spectrales en amplitude et d’un retard pur :
HRT F(θ, φ) = |HRT F(θ, φ)|e
iτ(θ,φ)
.
Cette décomposition est surtout valable en basse fréquence, lorsque l’approximation
de tête sphérique est légitime. Cette technique a été implémentée dès
la toute première version du logiciel PifPaf3D, notamment pour faciliter les
interpolations de filtres et autoriser une personnalisation de la synthèse binaurale
au diamètre de la tête de l’auditeur. Cependant, malgré des résultats
perceptifs encourageants, cette approche est trop grossière en haute fréquence
pour être raisonnablement suffisante.
Le second modèle sphérique a été introduit par Duda [25] et exploite les
solutions analytiques du problème de diffraction d’onde par une sphère rigide
de rayon a, en régime harmonique de nombre d’onde k. La source sonore est
cette fois ponctuelle et localisée dans l’espace. Comme ce problème possède
une symétrie de révolution, la position de cette source sera entièrement dé-
terminée par sa distance r et son angle d’incidence θ. La fonction de transfert
HS issue de cette modélisation est analytique et donnée par :
HS(k, a, r, θ) = −
r
ka2
e
−ikr X∞
m=0
(2m + 1)Pm(cos θ)
hm(kr)
h
0
m(ka)
, r > a, (1.5)
où Pm est le polynôme de Legendre de degré m et hm la fonction de Hankel
sphérique de degré m. De plus, Duda propose un algorithme récursif
pour évaluer les fonctions de Hankel et leurs dérivées, ce qui permet un calcul
rapide et facilite l’étude. Les deux premières représentations graphiques
26Figure 1.17 – Représentations des HRTF du modèle sphérique de Duda,
dans le plan azimutal. (Haut) Amplitude spectrale. (Milieu) Portrait de
phase. (Bas) Amplitude signal HRIR.
27de la figure 1.17 montrent l’amplitude spectrale et le portrait de phase des
HRTF sphériques de Duda, évalués à partir de l’équation (1.5). Dans le repère
sphérique de la figure 1.15, ces deux grandeurs sont données pour "l’oreille
gauche", située en (0, a, 0). La discrétisation angulaire du plan d’incidence
(azimutal) est de l’ordre du degré et la discrétisation fréquentielle compte 129
échantillons répartis régulièrement entre 0 et 24 kHz. Les valeurs d’amplitude
spectrale sont données en dB sur un intervalle audible fixe ([−60, 0] dB) et
la phase est exprimée en radian ([−π, π] rad). Sur la figure 1.17, les amplitudes
spectrales des sources ipsilatérales sont relativement monotones,
alors qu’apparaissent des interférences constructives et destructives pour les
sources contralatérales. De plus, pour les sources diamétralement opposées
au point de mesure sur la sphère (θ = 270˚), les interférences constructives
amènent un gain jusque 20 dB supérieur aux sources juxtaposées. Enfin, le
portrait de phase est relativement uniforme, avec des isovaleurs caractéristiques
d’un problème à géométrie sphérique, excepté pour ces mêmes sources
diamétralement opposées, qui présentent un saut de phase. La dernière repré-
sentation graphique de la figure 1.17 montre la transformée de Fourier inverse
des HRTF sphériques, soit les HRIR du modèle sphérique de Duda dans le
plan d’incidence. La discrétisation temporelle compte 256 échantillons sur
un intervalle de l’ordre de quelques millisecondes. Les valeurs d’amplitude
du signal sont données en dB sur un intervalle audible fixe ([−60, 0] dB). Le
modèle d’ITD de Larcher (1.4) en élévation nulle (fig. 1.16) est clairement
visible sur la représentation temporelle des HRIR sphériques. Il est néanmoins
intéressant de noter un lissage pour l’azimut θ = 90˚, correspondant
à une source ipsilatérale. Ceci peut s’expliquer par l’approximation d’onde
incidente à l’infini dans le modèle de Larcher, qui diffère de l’approximation
en sources ponctuelles dans le modèle de Duda. Par ailleurs, un second front
d’ondes d’amplitude non négligeable apparaît pour les sources contralaté-
rales, retardé par rapport au front d’onde caractérisant l’ITD. Ce résidu est
généré par les ondes contournant la sphère par le chemin diamétralement
opposé au plus court trajet, dans le plan d’incidence.
La figure 1.17 donne une première forme de représentation graphique des
HRTF sphériques, à la fois en fréquence, en temps et en espace. Cependant,
autant où les représentations strictement azimutales s’avèrent consistantes
pour les HRTF sphériques, autant où elles sont incomplètes pour les HRTF
réelles. En effet, ces dernières sont des données directionnelles n’ayant a priori
pas de symétries particulières. Or, l’ajout d’une dimension pour l’élévation
complique grandement l’analyse, qui nécessite des supports clairs et intuitifs
pour être rigoureuse et efficace. Aussi, en fixant la fréquence, une représentation
aplatie en azimut θ et élévation φ de l’amplitude spectrale (fig. 1.18) et
du portrait de phase (fig. 1.19), est un bon complément des représentations
28Figure 1.18 – Amplitude spectrale (dB) des HRTF gauches du modèle
sphérique de Duda (eq. 1.5). Représentation en azimut θ et élévation φ, à
fréquence fixe f.
29Figure 1.19 – Portrait de phase (radian) des HRTF gauches du modèle
sphérique de Duda (eq. 1.5). Représentation en azimut θ et élévation φ, à
fréquence fixe f.
30Figure 1.20 – Répartition spatiale des positions de mesures pour la base de
données ARI. (source [6])
exclusivement fréquence-azimut précédentes. Sur ces figures, les discrétisations
en azimut θ et élévation φ pour le modèle analytique de Duda sont
de l’ordre du degré dans chaque dimension. Cette nouvelle représentation
offre l’avantage d’afficher toutes les données spatiales sans idées reçues et de
mesurer pleinement la nature ondulatoire des HRTF. En effet, l’amplitude
spectrale et la phase des HRTF sphériques de Duda (fig. 1.18 et 1.19) ne
sont pas sans rappeler les figures d’interférences classiques des problèmes de
diffraction d’onde. Enfin, la symétrie axiale d’axe de rotation interaural Oy
est parfaitement visible.
Tous les outils de représentation graphique étant désormais établis avec
un modèle analytique, le problème réel des HRTF mesurées peut maintenant
être abordé.
1.3.2 Mesures de HRTF, Acoustics Research Institute
La base de données récemment mesurée à l’Acoustics Research Institute
de l’Austrian Academy of Science a été utilisée dans cette section à des fins
de recherche, sous licence Creative Commons (cc). Ces mesures présentent
l’avantage de compter 1550 positions, quasi-uniformément espacées sur plus
d’une demi-sphère (fig. 1.20), avec un écart angulaire de 2.5˚ frontalement
et de 5˚ sinon. Au vu des schémas de diffraction précédents pour le modèle
sphérique analytique (fig. 1.18 et 1.19), ce faible écart angulaire semble
31indispensable pour représenter le plus fidèlement possible les variations en
hautes fréquences. Pour réaliser ces mesures, le dispositif expérimental mis
en place consiste en une batterie de haut-parleurs disposés en arc de cercle
autour d’une chaise rotative où s’assoit le sujet, dans une chambre semianechoïque
(fig. 1.14). Les HRIR sont mesurées par sweep multiples [64] de
50 Hz à 20 kHz, puis post-traitées par filtrage inverse en minimum de phase
de l’amplitude spectrale de la Common Transfer Function (CTF), afin de
compenser l’impact de l’équipement sur la mesure. Pour finir, elles ont été
filtrées par coupe-haut à 18 kHz (ce qui rend les données non valables au-delà
de cette limite), puis fenêtrées en temps sur 256 échantillons (Tukey asymé-
trique). Pour plus d’informations sur le protocole expérimental, un extrait
est disponible sur le site de l’ARI [6]. Enfin, il n’est pas inutile de préciser
que cette base de données est disponible au format Matlab, ce qui en facilite
grandement l’usage.
La figure 1.21 donne les représentations de l’amplitude spectrale, de la
phase et de l’amplitude signal des HRTF du sujet NH5 de la base ARI, en
azimut-fréquence. La discrétisation azimutale θ est semi-régulière, avec un
pas de 2.5˚ autour de θ = 0˚ et un pas de 5˚ sinon. Les valeurs d’amplitude
spectrale ont été normalisées et sont données en dB sur l’intervalle audible
fixe [−60, 0] dB, pour faciliter les comparaisons avec le modèle sphérique
de Duda (fig. 1.17). La discrétisation fréquentielle compte 129 échantillons
répartis régulièrement entre 0 et 24 kHz et l’équivalent temporel présente
256 échantillons sur un intervalle de l’ordre de quelques millisecondes. D’une
part, sur la représentation temporelle, le modèle d’ITD de Larcher (fig. 1.16)
est parfaitement visible, avec le même décrochement à θ = 90˚ que pour la
modélisation analytique de Duda (fig. 1.17). De plus, un certain nombre de
réflexions supplémentaires, engendrées par le pavillon de l’oreille, mais aussi
les épaules et le torse, se dessinent en suivant les mêmes courbes d’ITD.
Ces réflexions sont à l’origine des importantes déformations spectrales en
amplitude et en phase, caractéristiques des HRTF. D’autre part, certaines
remarques peuvent se dégager de l’analyse comparative des représentations
fréquentielles des HRTF modélisées (fig. 1.17) et mesurées (fig. 1.21) :
– Les HRTF des sources contralatérales (θ proche de 270˚) sont beaucoup
plus complexes que celles ipsilatérales (θ proche de 90˚) ;
– L’amplitude spectrale des HRTF mesurées est relativement lisse, dans
le sens où ses variations présentent peu de sauts critiques, excepté en
faible amplitude ;
– Le portrait de phase présente quant à lui de fortes variations et de
nombreux sauts ;
– Le modèle de Duda est visible sur l’amplitude spectrale, notamment
en basse fréquence pour l’oreille contralatérale et se retrouve aussi sur
32Figure 1.21 – Représentations des HRTF du sujet NH5 de la base de données
ARI, dans le plan azimutal. (Haut) Amplitude spectrale, avec filtrage coupehaut
d’origine. (Milieu) Portrait de phase. (Bas) Amplitude signal HRIR.
33toute la bande fréquentielle du portrait de phase.
Ce dernier point, parfaitement empirique, est fondamental puisqu’il a donné
naissance au principe de Décomposition par Modèle Morphologique des HRTF,
présenté dans la suite de ce manuscrit.
En complément des représentations azimutales précédentes, les figures 1.22
et 1.23 donnent les représentations en azimut-élévation à fréquence fixe des
HRTF mesurées du sujet NH5 de la base ARI. La discrétisation spatiale de
cette base oscillant entre 2.5˚ et 5˚, ces figures présentent une discrétisation
tous les degrés d’espace en considérant la valeur du plus proche voisin mesuré,
ce qui correspond aux diagrammes de Voronoï. Ceci permet d’afficher
les résultats de mesures bruts, sans interpolations graphiques éventuellement
préjudiciables à l’analyse des données. Les positions spatiales des données mesurées
sont représentées par des points noirs. Les propriétés précédemment
observées se retrouvent dans la représentation spatiale des HRTF. En effet,
l’amplitude spectrale (fig. 1.22) est relativement lisse, y compris en haute
fréquence. Certains décrochements sont néanmoins visibles pour les sources
contralatérales (en bleu foncé). Mais ces valeurs sont relativisées par leur
faible amplitude en échelle logarithmique. Cette représentation laisse penser
que la discrétisation spatiale de la base ARI semble surdéterminée, au regard
des faibles variations entre chaque point de mesure. Une interpolation,
linéaire ou d’ordre supérieur, pourrait donc être envisagée. En revanche, le
portrait de phase est quant à lui bien plus oscillant (fig. 1.23). La discrétisation
spatiale est suffisante pour une représentation à 0.5 kHz, mais commence
à pêcher pour les sources contralatérales à 8 kHz et devient manifestement
insuffisante pour ces mêmes positions à 16 kHz. Une interpolation de ces
données en l’état est donc relativement difficile à haute fréquence, mais reste
envisageable (cf. section suivante). Il est néanmoins intéressant de remarquer
une certaine symétrie axiale par rotation autour de l’axe interaural, qui
n’est pas sans rappeler le portrait de phase sphérique du modèle de Duda
(fig. 1.19).
Toutes les représentations brutes des HRTF et des HRIR équivalentes
étant établies, celles-ci vont désormais servir de référence dans toute la suite
de ce chapitre.
1.3.3 Interpolation linéaire
Les représentations précédentes des diagrammes de Voronoï en azimut-
élévation (fig. 1.22 et 1.23) amènent naturellement la question de l’interpolation
spatiale des filtres HRTF, à savoir :
Comment construire des données pertinentes entre les positions
discrètes des mesures ?
34Figure 1.22 – Amplitude spectrale (dB) des HRTF gauches du sujet NH5
de la base de données ARI. Représentation en azimut θ et élévation φ, à
fréquence fixe. Les positions des mesures sont données par les points noirs.
35Figure 1.23 – Portrait de phase (radian) des HRTF gauches du sujet NH5
de la base de données ARI. Représentation en azimut θ et élévation φ, à
fréquence fixe. Les positions des mesures sont données par les points noirs.
36Cette question est fondamentale pour la compréhension de ces fonctions de
transfert, ainsi que pour leur exploitation industrielle (e.g. [17], [45], [57]).
Par exemple, une interpolation spatiale de haute qualité permet notamment :
– Un rendu dynamique de la spatialisation sonore en minimisant les artefacts
audibles ;
– L’ajout d’un head-tracking transparent ;
– Une minimisation de la densité spatiale des mesures, ce qui diminue
leur durée, simplifie les appareillages nécessaires et décroit la taille des
bases de données de façon quadratique.
Pour ce faire, une interpolation linéaire par triangularisation sphérique de la
sphère de mesures a été préférentiellement choisie. Tant que la discrétisation
des fonctions à interpoler est suffisante pour appliquer une hypothèse de
linéarité locale, ce type d’interpolation est un bon compromis entre précision
et coûts de calcul. L’algorithme exploité pour produire les représentations
ci-après peut se résumer comme suit :
1. Considérer le nuage de points de mesures en coordonnées sphériques ;
2. Subdiviser la surface sphérique en triangles plans, ayant pour sommets
les points des mesures ;
3. Construire une grille régulière plus fine, par exemple, tous les degrés
en azimut θ et élévation φ ;
4. Interpoler linéairement triangle par triangle les données aux nœuds sur
cette nouvelle grille.
Au vu des variations des HRTF brutes (fig. 1.22 et 1.23), le module et
la phase des HRTF ont été traités séparément. Les figures (fig. 1.24 et 1.25)
représentent respectivement en azimut-élévation les interpolations linéaires
de l’amplitude spectrale et de la phase des HRTF mesurées du sujet NH5
de la base ARI. L’interpolation linéaire de l’amplitude spectrale (fig. 1.24)
donne d’excellents résultats puisque, comparativement aux mesures originales
(fig. 1.22), les variations semblent entièrement décrites avec la discrétisation
spatiale de la base ARI et ce, quelle que soit la fréquence. Autour de l’oreille
contralatérale, seuls quelques "trous" de faible amplitude mériteraient une
étude plus approfondie, mais leur importance est moindre au regard de la
faible amplitude de la zone avoisinante. D’autre part, à 8 kHz, des stries
horizontales apparaissent pour l’oreille ipsilatérale et semblent fonctions de
l’élévation. Selon le protocole expérimental, à savoir une rangée de hautparleurs
distincts en élévation, il est possible que l’égalisation du dispositif
impacte la mesure. Cette problématique limite les mesures d’erreurs possibles
et peut justifier qu’une interprétation purement graphique des résultats soit
suffisante en première approche. En revanche, l’interpolation linéaire de la
37Figure 1.24 – Interpolation linéaire de l’amplitude spectrale (dB) des HRTF
gauches du sujet NH5 de la base de données ARI. Représentation en azimut
θ et élévation φ, à fréquence f fixe. Les positions des mesures sont données
par les points noirs. 38Figure 1.25 – Interpolation linéaire du portrait de phase (radian) des HRTF
gauches du sujet NH5 de la base de données ARI. Représentation en azimut
θ et élévation φ, à fréquence f fixe. Les positions des mesures sont données
par les points noirs. 39phase (fig. 1.25), peut quant à elle être considérée comme un échec. En effet,
même si le portrait de phase original (fig. 1.25) est relativement consistant
pour les fréquences 1 kHz, voire 8 kHz, la discrétisation spatiale de la base
ARI est clairement insuffisante pour ce type d’interpolation à 15 kHz. En
effet, étant donné que les données spatiales brutes présentent de nombreux
sauts de π vers −π, une interpolation linéaire entre ces sauts génère des artefacts
visibles et audibles. À titre comparatif, le portrait de phase théorique
des HRTF sphériques de Duda (fig. 1.19) peut être mis en regard du portrait
de phase interpolé (fig. 1.25).
Comme les oscillations observées résultent en grande partie de la repré-
sentation modulo 2π, une approche classique consiste à "dérouler" la phase
pour retirer les sauts de π vers −π, obtenant ainsi une phase continue sur un
intervalle élargi [10]. Mais, comme le montrent les mesures brutes (fig. 1.23),
la question de la direction du déroulement est loin d’être triviale. En effet,
celui-ci doit respecter la causalité, qui est difficile à évaluer directement pour
des fonctions de transfert définies sur deux dimensions d’espace (azimut et
élévation). Des travaux de recherches ont précédemment été entrepris pour
tenter de résoudre cette problématique, donnant lieu à des méthodes comme :
– Soustraire la portion de phase linéaire liée au retard de propagation ;
– Soustraire la portion de phase minimale déduite du spectre d’amplitude
et représenter l’excès de phase déroulé ("unwrapped").
La seconde approche est considérée notamment dans la thèse de Véronique
Larcher et propose de mesurer le retard de propagation par une approximation
linéaire de l’excès de phase (e.g. [57]).
Une autre méthode, utilisée ici, consiste à interpoler directement les HRTF
dans le domaine complexe, en séparant la partie imaginaire et la partie réelle.
Étant donné que la transformée de Fourier et la méthode d’interpolation sont
toutes deux linéaires, cela revient à effectuer une interpolation linéaire en domaine
temporel, soit directement sur les HRIR [45]. L’amplitude spectrale
(dB) et la phase (rad) peuvent alors être extraites du résultat et représentées
en azimut-élévation à fréquence fixe. Suivant cette technique, le portrait de
phase (fig. 1.27) semble cette fois plus cohérent que précédemment (fig. 1.25),
notamment à 1 kHz, voire 8 kHz. Cependant, les variations à 16 kHz étant
toujours trop fortes pour être interpolées correctement, de nouveaux artefacts
apparaissent, comme des phases spatialement constantes (visibles aussi
à 8 kHz pour les sources contralatérales). D’autre part, l’amplitude spectrale
de cette méthode (fig. 1.27) est quant à elle plutôt médiocre à 8 kHz et
16 kHz, car un aliasing spectral perturbe la reconstruction. Même si la répartition
générale est respectée (fig. 1.22), ces oscillations locales de l’amplitude
spectrale sont du domaine de l’audible. Ceci modifie de manière conséquente
le timbre de la source sonore restituée et peut affecter la localisation spa-
40Figure 1.26 – Amplitude spectrale (dB) de l’interpolation linéaire complexe
des HRTF gauches du sujet NH5 de la base de données ARI (équivalent
de l’interpolation des HRIR). Représentation en azimut θ et élévation φ, à
fréquence fixe. 41Figure 1.27 – Phase (radian) de l’interpolation linéaire complexe des HRTF
gauches du sujet NH5 de la base de données ARI (équivalent de l’interpolation
des HRIR). Représentation en azimut θ et élévation φ, à fréquence fixe.
42tiale. Cet aliasing est majoritairement dû à la sous-discrétisation spatiale de
la phase, qui vient perturber l’interpolation linéaire en domaine temporel.
En effet, l’interpolation linéaire des HRTF fait appel à des combinaisons de
filtres, qui peuvent générer des erreurs lorsque les interpolants présentent une
trop grande variabilité, ou un mauvais alignement temporel.
À partir de ces résultats, une première intuition pour interpoler les HRTF
serait de combiner une interpolation linéaire de l’amplitude spectrale (fig. 1.24)
avec la phase d’une interpolation temporelle (fig. 1.27). Mais cette phase
étant reliée à une amplitude spectrale avec fort aliasing (fig. 1.26), rien ne
garantit la validité du résultat. Une nouvelle méthode, dite de "Décomposition
par Modèle Morphologique", a été mise au point pour répondre à cette
problématique.
1.3.4 Interpolation par harmoniques sphériques
En complément de l’interpolation linéaire précédente, un autre type d’interpolation
a été étudié, issu des travaux de R. Duraiswami et N. Gumerov
(e.g. [27], [28], [53]). Le principe général de la méthode consiste à projeter
sur les harmoniques sphériques Y
m
l
(eq. 1.2, fig. 1.12) des fonctions u défi-
nies sur la sphère S
2
, afin de les interpoler en n’importe quel point. Comme
les harmoniques sphériques forment une base orthonormée de L
2
(S
2
), toute
fonction u ∈ L
2
(S
2
) peut se décomposer selon la série (1.3), indépendamment
de r :
u(θ, φ) = X∞
l=0
X
+l
m=−l
α
m
l Y
m
l
(θ, φ), (1.6)
avec α
m
l
les coefficients de cette décomposition. Cette écriture autorise la
formation de systèmes matriciels, qui peuvent être résolus ou inversés selon
le changement de base souhaité. Pour ce faire, la série précédente doit être
tronquée à une valeur fixe l ≤ L, ce qui donne (L + 1)2
termes. Puis, en
considérant N données discrètes ui évaluées aux points (θi
, φi) sur la sphère
S
2
, la série (1.6) peut être réécrite sous la forme matricielle :
U = Aα, (1.7)
avec A une matrice rectangulaire formée par les harmoniques sphériques tronquées,
évaluées aux points de mesures (θi
, φi). Cette matrice peut être mal
conditionnée, notamment par une répartition parfois incomplète des N mesures
sur la sphère. Aussi, lorsque les coefficients α
m
l
sont obtenus par inversion
du système linéaire (1.7), une régularisation de type Tikhonov peut-être
mise en place [27] :
A
TU = (A
TA + D)α. (1.8)
43Dans l’équation (1.8), D = diag(1 + l(l + 1)) est une matrice diagonale
favorisant les harmoniques sphériques d’ordre peu élevé, pour minimiser les
perturbations générées par des "trous" spatiaux présents dans les données
originales. D’autre part, est introduit comme constante de pondération
de cette régularisation. Après de nombreux essais, un algorithme empirique,
relativement simpliste, a été conçu pour calculer automatiquement . En
effet, les grandes valeurs de favorisent le lissage, dont l’excès engendre une
perte de précision importante dans les informations spatiales. Par ailleurs, les
petites valeurs de peuvent rendre la régularisation parfaitement inopérante.
Par conséquent, ce paramètre doit être judicieusement choisi pour obtenir de
bons résultats, notamment selon le conditionnement du système à résoudre
(M = ATA + D). Pour cela, un estimateur normalisé du conditionnement
est calculé par le produit ||M||2 × ||M−1
||2, avec une donnée initiale 0 fixée
à 10−6
. Tant que la valeur de l’estimateur est plus grande que 104
, ce qui
correspond traditionnellement à un système mal conditionné, est multiplié
par 10 et l’estimateur est recalculé. Cette régularisation semble relativement
efficace pour pallier les nombreuses erreurs numériques engendrées par les
troncatures, ou les répartitions de données incomplètes. Pour résumer, une
interpolation par harmoniques sphériques d’une fonction u ∈ L
2
(S
2
) peut
être effectuée par l’algorithme suivant :
1. Considérer N valeurs connues de la fonction u sur la sphère, pour former
le vecteur second membre U de l’équation régularisée (1.8) ;
2. Tronquer la série (1.6) à un ordre L en fonction de la précision de
l’interpolation voulue, pour construire la matrice A aux N positions
connues de la fonction u ;
3. Appliquer la régularisation de Tikhonov, ce qui permet a priori de
prendre L relativement quelconque ;
4. Résoudre l’équation (1.8) par inversion matricielle pour calculer le vecteur
α des coefficients de décomposition α
m
l
;
5. Construire une nouvelle matrice B d’harmoniques sphériques, évaluées
aux M positions (θ, φ) à interpoler ;
6. Calculer le produit matrice-vecteur Bα pour obtenir le vecteur des
valeurs de la fonction u aux positions interpolées.
Cet algorithme, parfaitement générique, peut être appliqué à toute fonction
u ∈ L
2
(S
2
), à valeurs dans R ou C.
Or, en décomposant les HRTF fréquence par fréquence, les données ré-
sultantes sont typiquement des fonctions de L
2
(S
2
) à valeurs dans C. Par
ailleurs, leurs module, phase et transformée de Fourier (HRIR) sont aussi des
44fonctions de L
2
(S
2
), à valeurs dans R. L’interpolation par harmoniques sphé-
riques peut donc être appliquée à tous ces objets, pour estimer des données
spatiales non mesurées. Ce type d’interpolation présente l’avantage d’être
global, contrairement à l’interpolation linéaire qui est un algorithme local.
De plus, la régularisation de Tikhonov induit un certain lissage, qui peut
avantageusement compenser les erreurs ponctuelles inhérentes aux mesures.
Enfin, les coefficients α
m
l ne sont rien d’autres que les signaux utilisés par
les technologies HOA présentées dans la section précédente. Aussi, cet algorithme
peut-être utilisé pour assurer la conversion des mesures discrètes
aux signaux ambisonics. Néanmoins, la répartition non uniforme des données
issues de systèmes de mesures mécaniques peut générer des erreurs difficilement
maîtrisables, notamment à haute fréquence pour des bases de HRTF
non suffisamment denses.
Pour limiter le nombre de figures, cet algorithme a uniquement été appliqué
à l’amplitude spectrale des HRTF du sujet NH5 de la base ARI (fig. 1.28
et 1.29). Ces données sont donc à valeurs dans R, avec N = 1550 mesures
sur une calotte sphérique d’élévation comprise entre −30˚< φ < 80˚ (points
noirs). Dans un premier temps, la troncature a été arbitrairement fixée à
L = b
√
Nc = 39 (fig. 1.28) et la constante de régularisation calculée vaut
= 1, significative d’un système assez mal conditionné. Au vu des données
manquantes pour compléter la sphère, cette valeur n’est pas vraiment surprenante.
La comparaison de ces résultats aux mesures brutes (fig. 1.22), ainsi
qu’à l’interpolation linéaire (fig. 1.24), semble montrer que ce type d’algorithme
est bien adapté à l’interpolation de ces HRTF, et ce, quelque soit la
fréquence. Ceci est principalement dû à la grande densité spatiale des mesures
originales, autorisant un ordre élevé d’harmoniques sphériques. Cette
approche avec L grand conduit à une interpolation fidèle des données, qui
ressemble finalement beaucoup à une interpolation linéaire (fig. 1.24). En
effet, un des intérêts de cet algorithme réside dans sa considération globale
de l’information spatiale, ce qui est assez peu visible sur la figure (fig. 1.28)
tant l’ordre de troncature est élevé. Aussi, un ordre de troncature arbitraire
a été fixé à L = 15, tout en conservant les autres paramètres à l’identique.
Le coefficient calculé vaut cette fois 0.1, la matrice étant mieux conditionnée.
Un système extrêmement surdéterminé est donc résolu, engendrant un
moyennage spatial de l’ensemble des données disponibles. Les résultats de
cette approximation sont représentés sur la figure 1.29. Quelle que soit la
fréquence, un lissage est clairement visible, tout en conservant les principales
variations des HRTF originales (fig. 1.22). Ceci a pour conséquence d’égaliser
sphériquement les mesures entre elles, pour en dégager l’essentiel. En faisant
l’hypothèse (raisonnable) que le système auditif est limité en précision, donc
en ordre de troncature d’harmoniques sphériques, cette méthode permet de
45Figure 1.28 – Interpolation par harmoniques sphériques (L = 39) de l’Amplitude
spectrale (dB) des HRTF gauches du sujet NH5 de la base de données
ARI. Représentation en azimut θ et élévation φ, à fréquence fixe.
46Figure 1.29 – Interpolation par harmoniques sphériques (L = 15) de l’Amplitude
spectrale (dB) des HRTF gauches du sujet NH5 de la base de donnée
ARI. Représentation en azimut θ et élévation φ, à fréquence fixe.
47générer des bases de données HRTF particulièrement adaptées à la synthèse
binaurale. Il reste néanmoins à trouver par des tests subjectifs l’ordre de
troncature optimal minimisant les erreurs de localisation.
Que ce soit pour la conversion des HRTF en format HOA, pour l’égalisation
sphérique de l’information, ou encore pour l’interpolation globale
et automatique des mesures, une attention particulière a été portée à cette
méthode durant cette recherche doctorale. Ces études ont conduit à la publication
de deux articles de conférence [8] et [9]. Le premier de ces articles
concerne l’interpolation harmonique de l’ITD, qui est une fonction de L
2
(S
2
)
dans R. Le second propose une analyse approfondie de la précision de cet
algorithme, en mesurant l’erreur d’une interpolation des HRTF sur une grille
de mesure dense déraffinée.
1.4 Décomposition par Modèle Morphologique
La Décomposition par Modèle Morphologique est issue du constat classique
que les modèles sphériques de Larcher [57] et Duda [25] (fig. 1.16 et
1.17) se retrouvent nettement dans les représentations temporelles des HRIR
mesurées (fig. 1.21). Aussi, de nombreuses recherches ont été faites et sont
actuellement en cours, pour affiner ces modélisations en construisant analytiquement
et/ou numériquement des HRTF s’approchant de mesures réelles,
en phase comme en amplitude spectrale (e.g. [4], [26], [37], [52], [72], [81]).
Toutes ces méthodes ont comme point commun de s’inscrire dans une logique
de "construction" de modèles de HRTF, se voulant de plus en plus
proches de mesures expérimentales. La simulation numérique par Boundary
Element Method accélérés en Fast Multipole sur des maillages de tête individuels
haute-résolution en est un aboutissement des plus complexes (e.g. [30],
[39], [56]). La Décomposition par Modèle Morphologique suit une démarche
inverse, qui consiste cette fois à "retirer" des mesures originales les solutions
exactes ou approchées issues de modélisations élémentaires. Les HRTF
deviennent dès lors le résultat d’un couplage astucieux entre modèle(s) et
mesures, ayant vocation à exploiter les avantages de chacun. Cette distinction
de cheminement est le point fondamental de cette nouvelle approche,
dont le formalisme, ainsi que trois applications, sont détaillés dans la suite
de ce chapitre.
1.4.1 Principe et résultats
La Décomposition par Modèle Morphologique s’effectue en trois étapes,
dans un contexte de traitement du signal en régime harmonique. Tout d’abord,
48des fonctions de transfert HRTF originales H(Xi), mesurées en N points de
l’espace Xi = (ri
, θi
, φi), sont décomposées en une série de filtres élémentaires
paramétriques Hm(p
m, Xi). Ces filtres sont des solutions analytiques ou numériques
de modèle m, paramétrées par un jeu de données p
m en lien avec la
morphologie. La fonction de transfert résiduelle issue de cette décomposition
sera notée Hr
(Xi) et est, a priori, parfaitement inconnue. La Décomposition
par Modèle Morphologique s’écrit alors :
H(Xi) = H
r
(Xi) ·
Y
m
H
m(p
m, Xi), ∀i ∈ [1, N]. (1.9)
Cette décomposition est équivalente a une décomposition additive de l’amplitude
en dB et de la phase en radians. La seconde étape consiste en la
réécriture de cette décomposition (1.9) par filtrage inverse, afin d’en expliciter
le résidu :
H
r
(Xi) = H(Xi)
Q
m Hm(pm, Xi)
, ∀i ∈ [1, N]. (1.10)
Ce filtre résiduel Hr
(Xi) peut alors être étudié pour valider, invalider, ou
affiner la décomposition. En effet, le résidu est directement équivalent a des
erreurs de modélisation, calculées par soustraction. Par exemple, dans le cas
idéal où le modèle coïnciderait exactement avec les données mesurées, le
résidu serait uniformément nul pour l’amplitude spectrale et la phase, et égal
en temps à une impulsion de Dirac. En pratique, si le module ou la phase du
résidu présente une plus grande régularité (des variations plus petites) que la
fonction de transfert originale H(Xi), alors la décomposition peut être jugée
satisfaisante. Dans le cas contraire, il faudra retravailler la modélisation d’un
ou plusieurs éléments, séparément ou non. Enfin, la dernière étape réside en
la recomposition des HRTF, en exploitant notamment les solutions issues des
modèles et connues en tous points de l’espace. Des propriétés propres aux
modèles, ainsi que les paramètres p
m peuvent aussi être exploités pendant
cette étape, en fonction du but recherché.
À titre d’exemple d’utilisation de cette méthode, trois applications sont
détaillées dans la suite de cette section, à savoir l’interpolation optimisée
des HRTF, la sous-discrétisation spatiale et l’individualisation. Pour ce faire,
la Décomposition par Modèle Morphologique (1.9) a été appliquée au modèle
sphérique de Duda [25], dont la fonction de transfert (1.5) sera notée
Hsp(a, Xi). Ce choix est guidé par un confort d’utilisation, puisque ce modèle
est un modèle analytique abouti, aisément calculable. Les solutions sont
donc connues en tous points de l’espace, avec en outre un rayon de tête
paramétrique a. Cette décomposition s’écrit alors :
H(Xi) = H
r
(Xi) · H
sp(a, Xi). (1.11)
49Figure 1.30 – Représentations fréquentielles et temporelle dans le plan azimutal
du résidu Hr de la décomposition sphérique des HRTF gauches du
sujet NH5 de la base ARI. (Haut) Amplitude spectrale. (Milieu) Portrait de
phase. (Bas) Amplitude signal HRIR.50La figure 1.30 donne les représentations azimut-fréquence de l’amplitude
spectrale et de la phase du résidu Hr
(Xi), aux points de mesures Xi
. Ces
valeurs sont calculées par filtrage inverse de Hsp(a, Xi) (eq. 1.10), avec un
rayon de tête sphérique a = 8.74 cm, correspondant au rayon de tête moyen
[58]. Il en ressort de prime abord que le portrait de phase de ce résidu est
beaucoup plus droit que celui des HRTF originales (fig. 1.21) et présente,
dans l’ensemble, moins de variations, en fréquence comme en azimut. Cependant,
les sources contralatérales ont toujours des irrégularités locales assez
fortes. Une des conséquences de ce résultat réside dans l’alignement temporel
des HRIR résiduelles, clairement visible sur la représentation en temps
azimut-fréquence du résidu (fig. 1.30). Par ailleurs, en comparaison avec
les HRTF originales (fig. 1.21), l’amplitude spectrale du résidu semble avoir
été globalement égalisée, notamment certains creux en amplitude de l’oreille
contralatérale. En revanche, des stries apparaissent, similaires au portrait
d’amplitude des HRTF sphériques (fig. 1.17). Ces stries sont la conséquence
d’une modélisation trop grossière, ou mal adaptée, qui vient surcompenser
les HRTF originales. Ceci montre les limitations d’un modèle de HRTF sphé-
rique, notamment pour l’oreille contralatérale. Il faudrait donc l’affiner, en
conservant certaines propriétés visiblement bénéfiques pour la phase.
Les figures 1.31 et 1.32 viennent compléter les représentations azimutales
précédentes, en donnant l’amplitude spectrale (dB) et le portrait de phase
(radian) en azimut-élévation du résidu Hr de la décomposition sphérique de
rayon a = 8.74 cm, pour les HRTF gauches du sujet NH5 (base ARI). Au
même titre que pour les représentations azimut-fréquence (fig. 1.30), l’amplitude
spectrale et la phase sont globalement lissées et ce, quelle que soit la
fréquence. D’une part, le portrait de phase présente particulièrement peu de
variations, comparé à l’original avant décomposition (fig. 1.23), d’autre part
l’amplitude spectrale semble avoir été partiellement "rebouchée", notamment
dans la zone contralatérale. Cependant, cette même zone présente encore des
irrégularités importantes, en amplitude et en phase. De plus, des sauts de
phase verticaux sont à noter en haute fréquence, caractérisés par des stries
horizontales à 8 et 16 kHz (fig. 1.32). Celles-ci peuvent être causées par le
dispositif expérimental, qui compte un haut-parleur différent par élévation et
dont les variations résiduelles sont faibles au regard de la fréquence élevée.
Pour conclure, il semblerait que la décomposition de HRTF par un modèle
sphérique de Duda soit plutôt pertinente, surtout pour la phase. L’analyse
du résidu Hr montre une bonne concordance du modèle, surtout en basse
fréquence. De plus, même si par construction Hr n’a pas de sens physique
véritable, les résultats de la décomposition précédente donnent l’impression
que ce résidu pourrait caractériser des HRTF "privées" d’une tête sphérique.
Mais cette hypothèse reste encore à démontrer... En revanche, cette modé-
51Figure 1.31 – Amplitude spectrale (dB) du résidu Hr de la décomposition
sphérique des HRTF gauches du sujet NH5 de la base ARI. Représentation
en azimut θ et élévation φ, à fréquence fixe. Les positions des mesures sont
données par les points noirs. 52Figure 1.32 – Portrait de phase (rad) du résidu Hr de la décomposition
sphérique des HRTF gauches du sujet NH5 de la base ARI. Représentation
en azimut θ et élévation φ, à fréquence fixe. Les positions des mesures sont
données par les points noirs. 53lisation montre des limites importantes pour les sources contralatérales qui
semblent assez mal prises en compte, surtout en haute fréquence. Ceci peut
s’expliquer par la sphéricité du modèle qui tend à exagérer la reconstruction
des ondes contralatérales par des oreilles diamétralement opposées, induisant
une mise en phase contraire à la réalité. Une première amélioration de cette
décomposition consisterait par exemple en une modélisation ovoïdale de la
tête, avec des oreilles non diamétralement opposées [26]. Mais il n’existe pas
de solutions analytiques simples à ce problème, qui nécessite dès lors des outils
de simulation numérique. Aussi, malgré ce défaut, trois applications de
la décomposition sphérique sont présentées.
1.4.2 Interpolation optimisée
Comme expliqué précedemment, la question de l’interpolation des HRTF
n’est pas triviale de par la grande variabilité de ces filtres, en temps comme
en espace [45]. Une première application de la Décomposition par Modèle
Morphologique consiste à optimiser l’interpolation spatiale en tenant compte
de solutions modélisées, connues en tous points de l’espace.
Plus exactement, les figures 1.31 et 1.32 montrent que le résidu Hr
(Xi),
issu du filtrage inverse d’une HRTF mesurée H(Xi) par sa décomposition
sphérique Hsp(a, Xi), est plus régulier que la fonction de transfert originale
(fig. 1.22 et 1.23), notamment en phase. En complément, la représentation
temporelle de ce résidu (fig. 1.30) montre un alignement azimutal des filtres.
Fort de ces deux constats, une idée naturelle consiste à interpoler linéairement
en espace le résidu Hr
(Xi) sous sa forme temporelle, ce qui revient par
transformée de Fourier à une interpolation du résidu sous sa forme complexe.
Ceci fait, des HRTF peuvent être recomposées, calculées avec les valeurs des
HRTF sphériques de Duda aux points interpolés. Une grille quelconque peut
alors être générée, en tout point de l’espace. Par ailleurs, si les modèles de
décomposition et de recomposition sont identiques et que l’interpolation n’est
pas régularisante, alors les HRTF aux points de mesure originaux reste inchangées
par cette opération. Les figures 1.33 et 1.34 représentent respectivement
l’amplitude spectrale et le portrait de phase des HRTF gauches du
sujet NH5 de la base ARI, après interpolation optimisée par décomposition
morphologique. La nouvelle grille possède un pas constant de 1˚ en azimut
et élévation, au même titre que les représentations précédentes (fig. 1.22 à
1.27). La symétrie sphérique du portrait de phase semble cette fois plutôt bien
reconstituée, y compris à 16 kHz. Le résultat est lisse sans aberrations flagrantes,
avec une causalité respectée, même pour les sources contralatérales.
En revanche, même si l’interpolation de l’amplitude spectrale semble réussie
à 1 et 8 kHz, un aliasing spectral est toujours visible à 16 kHz (fig. 1.33).
54Figure 1.33 – Amplitude spectrale (dB) de l’interpolation linéaire par dé-
composition sphérique, des HRTF gauches du sujet NH5 de la base ARI.
Représentation en azimut θ et élévation φ, à fréquence fixe.
55Figure 1.34 – Portrait de phase (radian) de l’interpolation linéaire après
décomposition par modèle sphérique, HRTF gauches du sujet NH5 de la
base ARI. Représentation en azimut θ et élévation φ, à fréquence fixe.
56Bien que plus faible qu’en interpolation linéaire directe (fig. 1.26), cette erreur
montre néanmoins les limites du modèle, qui mériterait donc d’être affiné.
Pour conclure, cette interpolation par décomposition morphologique est
suffisamment robuste pour être mise en pratique et les résultats de test
d’écoute à la volée sont plutôt satisfaisants. Il reste cependant des artefacts
d’interpolation audibles pour les sources situées proches de l’axe interaural,
dues aux erreurs visibles dans les représentations du résidu Hr
(Xi) (fig. 1.31
et 1.32). Enfin, d’autres méthodes d’interpolation (quadratiques, cubiques,
harmoniques sphériques, etc.) peuvent être appliquées sur le résidu Hr
(Xi)
et ce, indépendamment de la décomposition morphologique choisie.
1.4.3 Variations de position
Une des principales applications de l’interpolation optimisée des HRTF
concerne le Head-Tracking, qui consiste à corriger en temps réel la direction
spatiale (θ, φ) des sources sonores, en fonction des rotations de la tête. L’utilisation
d’un tel dispositif augmente singulièrement la qualité d’expérience
binaurale, grâce à un rendu dynamique de l’espace, contrôlé consciemment
(ou inconsciemment) par l’utilisateur (e.g. [10], [12]). Par exemple, l’image
sonore est plus stable, la localisation des directions spatiales des sources sonores
est facilitée et l’externalisation est, elle aussi, bien meilleure. Pour ce
faire, l’ensemble des directions de l’espace doit être synthétisable par rendu
binaural, ce qui implique une définition continue des HRTF. Comme les mesures
sont discrètes par nature, il est nécessaire de recourir à des algorithmes
d’interpolations à la fois rapides et transparents.
Cependant, l’accès à un Head-Tracker n’était pas possible lors de la réalisation
du spatialisateur PifPaf3D, c’est pourquoi une méthode de rendu dynamique
sans Head-Tracking a été imaginée. La démarche consiste à rendre
mobiles les sources sonores pour profiter d’indices de localisation dynamiques
(e.g. [47], [84]), sans pour autant détériorer le rendu binaural par un détimbrage
permanent. Des trajectoires spatiales autour des positions fixes ont
donc été mises en place, d’amplitude angulaire de l’ordre de la Just Noticeable
Difference (1˚ à 4˚ selon l’azimut θ), afin de s’adresser à la partie
inconsciente de la localisation spatiale.
Une trajectoire de micro-variations est représentée par des ronds noirs
sur la figure 1.35, en azimut-élévation. Elle est tout d’abord superposée aux
HRTF brutes du sujet NH5 de la base ARI, à 16 kHz, autour de la position
θ = 180˚ et φ = 0˚ (en haut). Comme la JND est de l’ordre du degré, l’amplitude
maximale du mouvement doit être du même ordre, arbitrairement
fixé à 2˚. Il apparaît clairement que sans interpolation spatiale des HRTF,
les micro-variations sont proprement inutiles, puisque le même filtre HRTF
57Figure 1.35 – Représentation en azimut θ et élévation φ à 16 kHz des HRTF
gauches du sujet NH5 de la base ARI, centrées sur la position θ = 180˚ et
φ = 0˚. Les positions successives des micros-variations sont représentées par
les ronds noirs. (Haut) Amplitude spectrale (dB) des mesures brutes. (Milieu)
Amplitude spectrale (dB) après interpolation optimisée par décomposition
sphérique. (Bas) Phase (rad) après interpolation optimisée par décomposition
sphérique.
58est toujours utilisé, quelle que soit la position de la source sonore dans l’espace.
Les deux représentations suivantes montrent en revanche l’intérêt d’une
interpolation optimisée des HRTF, ici par décomposition sphérique. Sur la
trajectoire du milieu, des variations en amplitude spectrale sont cette fois
bien présentes, principalement en élévation (entre −12 et −2 dB). Sur la
trajectoire du bas, les isovaleurs de phase (agissant notamment sur l’ITD)
sont plutôt verticales, ce qui conduit à des variations principalement azimutales.
Ces deux constats peuvent s’expliquer par la géométrie de la tête et
du pavillon. En effet, il est coutumier de dire que les variations d’ITD sont
principalement azimutales, car reliées à la forme plutôt sphérique de la tête.
D’autre part, les fortes variations spectrales sont surtout causées par la géométrie
du pavillon, qui génère de plus grandes variations dans les HRTF en
élévation qu’en azimut (e.g. [15], [12]). Fort de ces deux remarques, la trajectoire
des micro-variations représentée sur la figure 1.35 a donc été choisie
de manière à exciter à la fois la phase et l’amplitude spectrale, sans a priori.
Par ailleurs, ces résultats se retrouvent bien entendu pour des fréquences plus
basses que 16 kHz, mais avec des variations moins intenses.
Un stage a été encadré durant cette thèse pour évaluer subjectivement
l’impact des micro-variations, mais ces travaux n’ont pas abouti à une conclusion
probante. De plus, de nouvelles recherches pourraient être menées sur
ce thème, notamment pour générer des trajectoires optimales, trouver des
amplitudes et des périodes d’oscillations adaptées, ou encore comparer des
trajectoires continues contre des apparitions stochastiques localisées. Enfin,
le traitement du signal audio se faisant par blocs de données, la question du
nombre de blocs nécessaires pour construire proprement une trajectoire est
encore à déterminer.
1.4.4 Déraffinement spatial d’une base de données
Les résultats de l’interpolation par décomposition morphologique ouvrent
une perspective intéressante sur la discrétisation spatiale des HRTF. En effet,
une interpolation de haute fidélité permet notamment de réduire le nombre
d’interpolants nécessaires à la reconstruction spatiale des données. Or, la
représentation en azimut-élévation à fréquence fixe de l’amplitude spectrale
de la HRTF brute du sujet NH5 de la base ARI (fig. 1.22) laisse supposer une
sur-discrétisation du problème. En effet, moyennant une égalisation visible
des haut-parleurs entre eux (stries horizontales), les variations en module
semblent plutôt faibles au regard de l’échantillonnage spatial des mesures,
compris entre 2.5˚et 5˚en azimut et élévation.
Aussi, un déraffinement arbitraire a été envisagé, de l’ordre de 15˚ en
moyenne en azimut et élévation. De plus, une grille uniforme est préférentiel-
59Figure 1.36 – Représentation en azimut θ et élévation φ à 8 kHz de l’amplitude
spectrale (dB) des HRTF gauches du sujet NH5 de la base ARI. Les positions
des mesures sont données par les points noirs. (Haut) Mesures brutes
uniformément déraffinées tous les 15˚. (Milieu) Interpolation par décomposition
sphérique sur la grille déraffinée. (Bas) Mesures brutes originales.
60Figure 1.37 – Représentation en azimut θ et élévation φ à 8 kHz du portrait
de phase (rad) des HRTF gauches du sujet NH5 de la base ARI. Les positions
des mesures sont données par les points noirs. (Haut) Mesures brutes uniformément
déraffinées tous les 15˚. (Milieu) Interpolation par décomposition
sphérique sur la grille déraffinée. (Bas) Mesures brutes originales.
61lement extraite de la grille originale, notamment pour limiter les redondances
locales. Ce faisant, le nombre de mesures utiles passe de 1550 positions à environ
220, puisque diviser par 3 le nombre de mesures sur chaque dimension
revient à diviser par 8 le nombre de mesures total sur la sphère. Cette division
est résolument excessive, l’idée étant simplement de montrer une application
de la Décomposition par Modèle Morphologique, qui mériterait d’être approfondie
par la recherche de grilles optimales en fonction du modèle choisi.
La figure 1.36 (haut) donne une représentation en azimut-élévation de l’amplitude
spectrale brute de la HRTF du sujet NH5 de la base ARI, sur la
grille déraffinée. La fréquence a été fixée à 8 kHz, puisqu’un aliasing spectral
apparaissait déjà à 16 kHz, lorsque l’ensemble des mesures était pris en
compte (fig. 1.33). Après interpolation par décomposition sphérique (fig. 1.36,
milieu), l’amplitude spectrale résultante semble consistante avec l’originale
(fig. 1.36, bas), excepté pour l’oreille contralatérale. Apparaît dans cette zone
la diffraction de la sphère par surcompensation, ce qui démontre que le modèle
n’est pas suffisamment fin pour être directement exploité. En revanche, le
portrait de phase semble plutôt convaincant, comme le montre la figure 1.37,
et ce, malgré le peu de mesures originales exploitées. En effet, il n’y a pas
d’artefacts visibles, la causalité est respectée et la phase semble se dérouler
correctement.
Au vu de ces représentations, la Décomposition par Modèle Morphologique
semble une technique tout à fait prometteuse pour le déraffinement
spatial des HRTF. Malgré la simplicité apparente du modèle utilisé, les ré-
sultats pour la phase sont plutôt bons et ceux pour l’amplitude spectrale ne
sont pas dénués d’intérêt. Par ailleurs, il n’est pas inutile de rappeler que la
fréquence choisie est assez élevée et le déraffinement plutôt fort. Aussi, comme
spécifié plus haut, une piste pour améliorer cet algorithme sans changer de
modèle serait de chercher une répartition optimale des données sur la sphère,
minimisant les erreurs d’interpolation spectrale sur l’amplitude. Enfin, pour
définitivement valider cette approche, des tests subjectifs complémentaires
sont encore à réaliser.
1.4.5 Vers une méthode d’individualisation
Selon l’équation (1.9), la Décomposition par Modèle Morphologique fait
intervenir des paramètres propres aux modèles, notés p
m. Ces paramètres
peuvent être purement abstraits, ou en lien avec des éléments de la morphologie
individuelle, à l’origine des HRTF. Auquel cas, les deux applications
précédentes pourraient voir leurs performances améliorées, en individualisant
les étapes de décompositions et recompositions par un modèle correctement
ajusté aux HRTF considérées. En outre, les étapes de décomposition et de
62recomposition étant indépendantes, il serait même envisageable de décomposer
des HRTF par un modèle adapté, puis de les recomposer en utilisant
cette fois une nouvelle paramétrisation dudit modèle, propre à l’auditeur.
Sous réserve que le résidu obtenu par décomposition soit bien indépendant
des paramètres utilisés, cette approche autoriserait une réelle individualisation
des fonctions de transfert HRTF. Par exemple, des mesures de haute
qualité, dont les paramètres morphologiques seraient connus, pourraient être
couplées à des modèles analytiques ou numériques en vue d’une individualisation
sur un ou plusieurs critères morphologiques. Afin d’estimer la faisabilité
d’une telle approche, une paramétrisation individualisée a été appliquée à
une décomposition par modèle sphérique de Duda (eq. 1.11, [25]). Comme
la représentation temporelle du résidu (fig. 1.30) issue de cette décomposition
laisse penser que les HRTF décomposées par une sphère ne possède plus
d’ITD, ce dernier a préférentiellement été choisi pour valider le concept. De
plus, le rayon de la sphère peut être choisi en lien avec le périmètre crânien
de l’auditeur, ce qui offre un premier pas vers l’individualisation des HRTF.
Pour ce faire, la première étape consiste à mesurer sur le plan azimutal
l’ITD de HRIR originales, ici celles du sujet NH5 de la base ARI (fig. 1.38,
haut). Cet ITD a été mesuré en recherchant pour chaque azimut les premiers
échantillons temporels où le niveau de l’amplitude signal franchit un certain
seuil. Aussi, pour compenser la perte de niveau en distance imputable au
décentrage de l’oreille, les HRIR ont préalablement été multipliées par un
facteur (t × c)
2
, où t correspond au temps de propagation (en seconde) et c
correspond à la célérité des ondes dans l’air à 15˚ (soit 340 m/s). Enfin, afin
de limiter les erreurs dues aux imperfections de mesures, chaque échantillon
temporel compensé en niveau a été moyenné par un fenêtrage de Hann sur
ses plus proches voisins. Le résultat de ces deux traitements, après normalisation,
est représenté sur la figure (fig. 1.38, milieu). En accord avec cette
représentation, le seuil de recherche a été fixé à −15 dB. L’ITD ainsi mesuré
est représenté par un liserai marron sur les HRIR originales (fig. 1.38, haut)
et semble suffisamment satisfaisant pour continuer.
La seconde étape consiste en l’ajustement du rayon a d’un modèle de tête
sphérique, pour coller par essai-erreur un ITD sphérique analytique sur l’ITD
mesuré précedemment. Cet ITD sphérique est calculé pour chaque azimut en
considérant le maximum des HRIR sphériques analytiques. Ces deux ITD
sont représentés en bleu sur la figure (fig. 1.39). Les deux courbes coïncident
plutôt bien pour les azimuts situés à l’arrière, voire sur les côtés, mais plus
difficilement sur le plan frontal. Ce résultat est probablement causé par la
géométrie de la tête, qui tend vers une sphère à l’arrière, mais qui s’en éloigne
assez fortement vers l’avant. C’est la raison pour laquelle le "zéro" de l’ITD
a été placé à θ = 180˚, sans tenir compte de θ = 0˚. Le rayon de la sphère
63Figure 1.38 – (Haut) Représentation temporelle dans le plan azimutal des
HRIR du sujet NH5 de la base de données ARI, amplitude signal avant
décomposition sphérique (ITD en marron). (Milieu) Représentation temporelle
de ces mêmes HRIR compensées en distance et lissées par fenêtrage
afin de mesurer l’ITD par seuil de l’amplitude signal, fixé à −15 dB. (Bas)
Représentation temporelle de ces mêmes HRIR après individualisation par
décomposition sphérique de rayon inférieur (ITD en marron).
64Figure 1.39 – Représentation de l’ITD (ms) en fonction de l’azimut θ (˚),
pour les HRTF originales, sphériques et individualisées avec Décomposition
par Modèle Morphologique.
des HRTF azimutales du sujet NH5 a ainsi été estimé à a = 9.7 cm.
Une fois ce paramètre de la décomposition sphérique établi, l’étape suivante
consiste à établir un nouveau jeu de paramètres pour le modèle considéré.
Dans cette étude, un rayon b = 8.0 cm a été choisi arbitrairement, afin
de générer une tête sphérique de circonférence inférieure à celle du sujet NH5.
Dès lors, les HRTF originales peuvent être décomposées par le modèle sphé-
rique de paramètre correspondant a, avant d’être recomposées par le même
modèle reparamétré par b. Si l’hypothèse d’indépendance est bien vérifiée,
les HRTF ainsi générées deviennent individualisées.
La dernière étape permettant de valider le concept consiste alors à mesurer
l’ITD des HRTF recomposées par le même protocole de mesures que
pour les HRTF originales. Le résultat ainsi obtenu est représenté par un liseré
marron et superposé aux HRIR individualisées (fig. 1.38, bas). Une bonne
coïncidence entre l’ITD mesuré et le front d’onde est de nouveau obtenu
par cette méthode. De plus, la HRIR individualisée ne semble pas présenter
d’aberration flagrante faisant suite au traitement subi, ce qui donne du cré-
dit au résultat obtenu pour l’ITD. Aussi, ce dernier a été tracé en rouge sur
la figure 1.39, au même titre que la mesure de l’ITD du modèle sphérique
équivalent. Comme le montrent ces deux dernières courbes, l’ITD individualisé
semble coller à son modèle et ce dernier est bien représentatif d’une tête
65sphérique singulièrement plus petite que l’originale (en bleu). Donc, mises à
part les aberrations frontales déjà présentes pour le modèle sphérique original,
il semble bien que l’ITD soit indépendant du résidu de la décomposition
sphérique, ce qui en autorise la personnalisation.
Pour poursuivre cette étude, il faudrait désormais valider l’individualisation
de la phase et de l’amplitude spectrale. Cette étape, bien plus complexe,
n’a pas été abordée durant cette thèse et fera très probablement l’objet de
recherches ultérieures. Par ailleurs, des modèles numériques peuvent désormais
être utilisés pour affiner l’individualisation, comme des têtes ellipsoïdes,
des "snowman model", ou encore des maillages de têtes.
66Chapitre 2
Moteur binaural PifPaf3D
Une grande partie des travaux de thèse a porté sur la conception et la
réalisation d’un moteur de synthèse binaurale innovant, nommé PifPaf3D
(fig. 2.1). Ce moteur intègre de nombreuses fonctionnalités pour chaque étape
de la chaîne de production sonore, de la captation à la restitution. Il a été entièrement
programmé et optimisé en langage Matlab, bénéficiant ainsi d’une
grande souplesse de programmation pour en faire un outil de prototypage
efficace (≈ 2000 lignes de code). De plus, aucune librairie externe n’a été
utilisée, ceci afin d’assurer un contrôle total sur l’ensemble des traitements
effectués. Aussi, l’essentiel des recherches effectuées en spatialisation sonore,
présentées ou non dans ce manuscrit, ont été implémentées dans ce moteur,
testées et validées de manière analytique et/ou subjective. Par ailleurs, ce
spatialisateur ayant été développé dans le contexte industriel de la thèse
CIFRE, pour des raisons évidentes de protection de la propriété industrielle,
seule une revue générale des différents modules est présentée dans ce chapitre.
Les détails de conception et de programmation de ce moteur ne seront
donc pas explicités.
2.1 Introduction et configuration
Le spatialisateur PifPaf3D est un logiciel exclusivement écrit en langage
Matlab, interfacé avec une interface graphique (GUI) faisant appel aux différentes
parties de la librairie, selon le traitement audio souhaité (fig. 2.1).
Il se décompose en différents modules, indépendants et autonomes, ce qui
permet de réaliser n’importe quel traitement audio dans un ordre déterminé
par l’utilisateur. Les passerelles pour assurer la communication entre chaque
module ont été implémentées sous forme de pipe-line et tous les traitements
ont été programmés sous forme de fonctions callback. Cette logique de pro-
67Figure 2.1 – PifPaf3D, prototype Matlab pour la spatialisation sonore en temps réel.
68Figure 2.2 – PifPaf3D - Module de Configuration.
grammation rend ce code suffisamment flexible pour s’adapter au traitement
audio temps réel. À titre informatif, sur un ordinateur portable standard dont
le processeur est cadencé à 1.6Ghz, il est possible de spatialiser et contrôler
en temps réel au moins seize sources sonores dynamiques simultanément. En
mode offline, un nombre illimité de sources peut être joué puisque le temps
de calcul est simplement proportionnel au nombre de canaux traités.
Au démarrage de PifPaf3D, la première étape consiste à configurer le
moteur avec l’interface graphique (fig. 2.2), qui permet d’accéder aux principaux
paramètres. Tout d’abord, l’utilisateur fait le choix dans une liste de
fichiers audio multicanaux, présents dans un dossier ’wav/input/’ à la racine
du script de lancement du logiciel. Ces fichiers doivent être au format .wav,
préférentiellement échantillonnés à 44.1 kHz et de nombre de canaux fixe
(mono, stéréo, 5.1, 7.1, n.m, etc.). Ensuite, l’utilisateur peut choisir son routing
dans une batterie de fichiers .txt, disponibles par défaut dans un dossier
’data/speakers’. Ces fichiers contiennent à la fois des positions statiques de
sources audio et des trajectoires pré-établies en fonction du temps et de l’espace.
L’utilisateur peut ainsi utiliser les routing présents, ou créer son propre
fichier. Voici, par exemple, un script pour effectuer une trajectoire dynamique
sur deux canaux. Ici, le premier canal se déplace pendant 30 secondes derrière
l’auditeur, tandis que le second passe au-dessus sur la même durée :
% Source 1
sources.azimuth{1} = [90,270]; % Azimut (deg)
sources.elevation{1} = [0,0]; % Elevation (deg)
sources.range{1} = [2,2]; % Distance à l’auditeur (m)
sources.time{1} = [0,30]; % Durée entre les 2 positions (s)
% Source 2
sources.azimuth{2} = [270,270];
sources.elevation{2} = [0,180];
69sources.range{2} = [2,2];
sources.time{2} = [0,30];
Cette étape effectuée, l’intervalle de lecture du fichier audio est défini, avec
pour unité la seconde. Enfin, la latence du rendu temps réel peut être modi-
fiée, ainsi que la taille des blocs de traitement du signal. Ces deux paramètres
agissent essentiellement sur la fluidité de la lecture en rendu temps réel, qui
est fonction de la puissance de calcul disponible sur la machine. Une fois tous
ces choix établis, le spatialisateur peut être lancé en cliquant sur le bouton
"GO !", ce qui affichera l’interface complète (fig. 2.1) et bloquera définitivement
le module de configuration (fig. 2.2). PifPaf3D devra donc être relancé
pour tout changement ultérieur dans ces données.
Pour les utilisateurs plus avancés, il est possible de choisir d’autres paramètres
directement dans le code source. À titre d’exemple, peuvent être
cités la forme des fenêtres de traitement audio (Hann, Porte, Sine, Linear,
etc.), le répertoire de sortie des fichiers audio après traitement (par défaut
’wav/output/’) ou la taille des filtres utilisés.
2.2 Transport et contrôle
Le module de transport (fig. 2.3) se décompose en deux parties. La première
partie (onglet "Play") propose les principales fonctionnalités de lecture
et de navigation dans un fichier audio, à savoir un curseur de lecture, un curseur
de volume pour le monitoring, un bouton play/pause, ainsi qu’un bouton
de répétition. Par ailleurs, il est possible de désactiver la lecture temps réel
pour traiter des fichiers audio plus rapidement en mode offline. Tous les algorithmes
de traitement du signal sont routés sur ce module, qui réalise une
transformée de Fourier en overlap-add [7] sur des blocs fenêtrés, typiquement
par des fenêtres de Hann. Ce fenêtrage est nécessaire pour limiter l’impact
d’éventuels changements brutaux dans des fonctions de transfert utilisées
lors d’un filtrage, qui peuvent introduire des claquements audibles perturbant
l’écoute. Par exemple, des sauts de filtres interviennent en continu lors
du traitement binaural de sources en mouvement. Aussi, cette combinaison
entre overlap-add et fenêtrage a été optimisée pour le cas particulier du filtrage
binaural, dont les fonctions de transfert HRTF ont des caractéristiques
propres. Cette optimisation a conduit au développement d’un algorithme
type overlap performant, qui fera l’objet d’une publication ultérieure.
La seconde partie de ce module (onglet "Sources", fig. 2.3) permet de visualiser
séparément des informations relatives aux canaux audio, préalablement
définis dans le routing, dans un esprit de mixage objet. C’est pourquoi
70Figure 2.3 – PifPaf3D - Module de transport.
chaque tranche donne la couleur et les coordonnées sphériques de la source
associée, représentée dans le module de contrôle détaillé ci-après (fig. 2.4).
De plus, il est possible d’activer ou de désactiver une source sonore par des
boutons "Mute/Solo" interconnectés, ainsi que de modifier le gain d’entrée de
chaque tranche de +/- 3 dB.
Au même titre que le module de transport, le module de contrôle (fig. 2.4)
se décompose en deux parties. La première partie (fig. 2.4, gauche) donne
une représentation de l’espace péri-personnel, avec un auditeur représenté
en trois dimensions entouré de sources sonores ponctuelles. Pour faciliter la
visualisation, les axes cartésiens ont été rajoutés, ainsi que trois cercles de
positionnement inclus dans une sphère de rayon unité, le tout complété par
un plan sur lequel repose l’auditeur. De plus, des rotations de la camera et
de l’éclairage sont autorisées, notamment pour lever d’éventuelles indéterminations
de positionnement en naviguant au sein de la scène sonore. Enfin,
un onglet situé en haut à gauche de l’interface graphique permet de choisir
le mode de déplacement des sources sonores pour les contrôler en temps
réel. Les sources à mouvoir sont sélectionnées dans le module de transport
(fig. 2.3) par un clic sur le bouton donnant les coordonnées sphériques de
leur position, puis déplacées par le pavé numérique du clavier, la souris, ou
encore une manette de type Microsoft XBox 360. Le clavier et la manette
71Figure 2.4 – PifPaf3D - Module de contrôle.
font bouger les sources relativement à leurs positions respectives, tandis que
la souris fixe une position absolue. Dans ce dernier cas, la position de la croix
rouge sur la grille du module de contrôle (fig. 2.4, droite) détermine les coordonnées
azimutales des sources sonores sélectionnées, tandis qu’un curseur
sur le côté permet d’en modifier l’élévation. Toutes ces fonctionnalités faisant
appel à un rafraîchissement graphique récurent (plutôt gourmand en CPU),
le ratio entre la charge de calcul disponible et le coût de la mise à jour est
vérifié en permanence, notamment pour que ces dernières ne soient pas faites
au détriment des traitements audio.
Il est important de souligner que ces outils ont avant tout été conçus pour
naviguer et contrôler des sources sonores en temps réel sous Matlab, afin de
tester et valider les différents traitements audio. Ils n’ont donc pas vocation
à former une véritable plate-forme de mixage professionnel.
2.3 Traitement Binaural
Le module de traitement binaural (fig. 2.5) s’appuie essentiellement sur les
recherches présentées dans le premier chapitre de ce manuscrit. Tout d’abord,
les bases de données de fonctions HRTF utilisées pour le filtrage (onglet
"HRIR" de la figure 2.5) sont issues des bases publiques suivantes :
– CIPIC, Université de Californie [3] ;
– ARI, Institut de Recherche en Acoustique de l’Académie des sciences
d’Autriche [6] ;
– LISTEN, Institut de Recherche et Coordination en Acoustique et
Musique [62].
72Figure 2.5 – PifPaf3D - Module de traitement binaural.
Ces bases ont comme points communs d’être disponibles au format Matlab
et d’être livrées avec des filtres sous forme HRIR, des coordonnées des points
de mesures, ainsi que des données morphologiques associées à chaque sujet.
Ces trois informations sont nécessaires et suffisantes pour le bon fonctionnement
du filtrage binaural dispensé par PifPaf3D. En effet, la convolution
en domaine de Fourier entre un signal monophonique et les filtres gauches
et droits d’une HRTF à une position donnée est réalisée par interpolation
linéaire locale quadrangle sur des grilles régularisées de filtres. Pour ce type
de support, la recherche des filtres voisins à la position souhaitée est instantanée
: les parties entières de l’azimut et de l’élévation donnent directement
les indices des filtres à interpoler, tandis que les parties décimales fournissent
les coefficients de pondération de la sommation. Il n’y a donc pas de parcours
d’arbre, ce qui diminue d’autant les charges de calcul pour chaque position
à évaluer. Aussi, une attention particulière a été portée sur l’interpolation
globale des HRTF brutes, notamment pour minimiser les erreurs générées au
cours de la formation des grilles régulières, à l’origine d’artefacts audibles.
Les recherches sur cette problématique ont conduit à la Décomposition par
Modèle Morphologique (1.9), présentée dans le chapitre précédent. Ainsi,
dans un premier temps, des bases de données fidèles aux mesures brutes ont
été créées en vue de pratiquer une interpolation locale inaudible (fig. 1.33
et 1.34). Le modèle sphérique de Duda [25] a été utilisé et paramétré par le
rayon de la tête dont sont issues les HRTF mesurées. Lorsque celui-ci n’est
pas disponible, le rayon de tête moyen (8.74 cm) sert de référence [58]. Pour
effectuer des comparaisons subjectives, trois raffinements sont prévus dans
l’onglet "Database" de la figure 2.5, à savoir "Low", "Medium" et "High density",
correspondant respectivement à 15, 10 et 5 degrés de discrétisation en
azimut et élévation. D’autre part, il est important de souligner que les bases
de données [3], [6] et [62] ne sont pas les seules exploitables par PifPaf3D,
puisque l’algorithme d’interpolation globale est applicable dès lors que les
73filtres et les positions des mesures sont fournis.
Par la suite, il est apparu après quelques optimisations que la Décomposition
par Modèle Morphologique était peu coûteuse en calcul, ce qui rendait
le processus adapté pour du traitement en temps réel. Aussi fut-elle inté-
grée directement dans PifPaf3D pour pratiquer les interpolations locales sur
des grilles de filtres régulières et déraffinées (exemple fig. 1.36 et 1.37), plus
rapides d’accès puisque plus légères en mémoire. De plus, le peu d’espace
nécessaire au stockage de ces données favorise le traitement embarqué sur
processeurs dédiés de type DSP, qui disposent de plus de ressources de calcul
que de mémoire vive. En pratique, PifPaf3D exploite désormais les grilles
échantillonnées tous les 15 degrés par défaut, sans artefact d’interpolation
audible. Le choix de la densité des grilles est toujours proposé à titre comparatif,
mais inusité en pratique. Enfin, l’espace mémoire requis pour de telles
grilles est d’environ 2 Mo, ce qui constitue un format d’échange exploitable.
Par ailleurs, un bouton "on/off " est disponible sur l’interface graphique
(fig. 2.5) pour comparer en temps réel l’activation du binaural contre un
downmix stéréo du contenu multicanal original. Afin d’estimer le gain à fournir
aux canaux gauches et droits, le downmix utilise la norme Root Mean
Square (moyenne quadratique) normalisée des filtres HRTF aux positions
des sources sonores. Ainsi, le downmix est bien rendu en stéréophonie, il
tient compte de la position des sources sonores et conserve la norme RMS du
signal "downmixé" constante par rapport au traitement binaural. Ce faisant,
les écoutes comparées permettent d’apprécier à sa juste valeur la spatialisation,
sans autres biais que le Loudness.
Pour les utilisateurs avertis, PifPaf3D propose quatre paramètres avancés
disponibles dans l’onglet "Advanced" de la figure 2.5 :
1. Le premier de ces paramètres ("D") offre une première étape d’individualisation.
Le principe est fondé sur la Décomposition par Modèle
Morphologique pour l’individualisation, telle que présentée dans le chapitre
précédent. L’utilisateur rentre le diamètre de sa tête en cm, qui
sera utilisé pendant l’étape de recomposition par modèle sphérique.
Les réponses fréquentielles présentes dans les HRTF finales se trouve
dès lors plus proches de celles de l’utilisateur que de celles des HRTF
originales, notamment pour l’ITD (fig. 1.39).
2. Les deux paramètres suivants ("A","T") règlent respectivement l’amplitude
(degré) et la période (seconde) des oscillations des micro-variations
de sources, détaillées dans le chapitre précédent (fig. 1.35). Par défaut,
ces paramètres sont fixés en deçà du seuil de perception. Des recherches
par tests perceptifs ont été effectuées par un stagiaire pour analyser
l’impact de ces paramètres sur la localisation. Ces travaux n’ayant pas
74Figure 2.6 – Schématisation des premières réflexions intervenant lors
de la propagation d’une onde sonore dans un espace clos. (source
www.audacity.sourceforge.net)
donné de résultats significatifs, des études restent encore à mener pour
évaluer les micro-variations et trouver des paramètres rigoureux.
3. La dernière option permet d’activer ou de désactiver un modèle dynamique
de premières réflexions (early reflexions, fig 2.6), fruit d’une
discussion avec J.-C. Messonnier du Conservatoire National Supérieur
de Musique et de Danse de Paris [66]. Ce modèle est fondé sur une
méthode source-image temps réel [2], indépendante pour chaque source
sonore, ayant vocation à simuler la présence de panneaux réflecteurs
autour de la source pour favoriser la création d’énergie précoce [63].
Pour ce faire, deux HRTF sont superposées à l’originale, choisies symétriquement
de part et d’autre et de la source. Chacune est retardée
manuellement, relativement à la distance entre l’auditeur et la source
fantôme ainsi créée. Cet outil offre des perspectives intéressantes, en
rajoutant des indices de localisation pour lever l’indétermination de positionnement
des sources sonores. Une analyse plus approfondie, ainsi
qu’une validation subjective fera l’objet de travaux ultérieurs.
Pour terminer, plusieurs effets de distance ont été rajoutés, afin d’imiter
artificiellement l’éloignement entre la source sonore et l’auditeur (fig. 2.5). Le
premier effet, simple et efficace, consiste à jouer sur le volume de la source
sonore en fonction de son éloignement. Une loi en 1
rα a été employée, avec α
contrôlé par l’utilisateur pour adapter le gain en fonction du contenu audio.
75Figure 2.7 – Cross-ear selection pour la correction des HRTF gauches et
droites, en champ proche [75]. Sur ce schéma, la sphère verte représente une
tête, le maillage quadrangle appartient à la sphère de mesure des HRTF, la
flèche bleu indique l’avant (axe Ox), la flèche verte indique la gauche (axe Oy)
et la flèche rouge le dessus (axe Oz). Pour une source proche de l’auditeur
(trait plein noir), le filtre HRTF sans traitement spécifique est celui donné
par la direction en pointillés, invariant selon la distance. Après cross-ear
selection, les filtres gauches et droits sont donnés par les directions en tirets.
Le deuxième effet intervient lors de la Décomposition par Modèle Morphologique,
en recomposant le résidu sphérique par les HRTF sphériques évaluées
cette fois à la distance souhaitée. Le troisième effet consiste à filtrer
le signal d’entrée par un coupe-haut modélisant l’absorption de l’air selon
la distance parcourue par l’onde sonore. Cet effet intervient principalement
pour les sources en champ lointain. Pour le champ proche, un quatrième et
dernier effet nommé cross-ear selection vient compléter cette panoplie [53]
[75]. Les HRTF utilisées pour le traitement binaural sont sélectionnées sur
la sphère de mesure originale, en calculant géométriquement les coordonnées
des HRTF réellement mises en jeu lorsqu’une source se rapproche de l’auditeur
(fig. 2.7). Mathématiquement, cela revient à résoudre une équation du
second degré pour chaque oreille, puisque la position cherchée est solution de
l’intersection entre une droite et une sphère. Pour l’ensemble de ces effets, il
est important de préciser que, faute de base de données de HRTF en distance
aisément disponible, aucun procédé n’a été validé analytiquement. Seule une
évaluation perceptive a été pratiquée, donnant des résultats encourageants.
Une analyse approfondie de ces effets doit désormais être faite pour s’assurer
que les HRTF ainsi modifiées respectent bien la physique du problème.
76Figure 2.8 – Microphone Soundfield SPS200 et enceinte KH pour la mesure
impulsionelle en B-Format du studio de répétition de l’École Polytechnique.
(Atelier des Ondes, www.atelierdesondes.net)
2.4 Acoustique de salle et Ambisonics
Comme les HRTF sont classiquement mesurées en chambre anéchoïque, le
traitement binaural issu de la convolution avec de tels filtres souffre bien souvent
d’un manque d’espace, minimisant la sensation d’externalisation. C’est
pourquoi, un module d’acoustique de salle vient avantageusement compléter
le module binaural précédent, en apportant l’illusion de la diffusion au sein
d’une pièce. Le principe consiste en l’ajout d’une réverbération directionnelle
pour chaque source sonore, captée en trois dimensions en High Order
Ambisonics (HOA) et restituée en binaural par un système de haut-parleurs
virtuels fixes. La thèse de J. Daniel [20] en explicite toute la théorie, qui ne
sera donc pas reprise ici, mais survolée d’un point de vue pratique en accord
avec la courte introduction du premier chapitre.
La première étape pour réaliser ce traitement consiste à construire une
base de données de réponse impulsionnelle d’une salle (Room Impulse Responses)
en format HOA. Pour ce faire, il existe principalement deux mé-
thodes :
– Virtuellement en simulant numériquement la mesure avec des logiciels
adaptés, tels que Catt-Acoustique 1
. Cette approche permet d’obtenir
un ordre HOA flexible, de considérer n’importe quelle pièce et de disposer
les points de mesures à n’importe quelle position de l’espace. En
1. Un résultat de simulation numérique d’un studio de type LEDE, effectuée au
LIMSI/CNRS, a été utilisé dans cette étude.
77Figure 2.9 – Projection sur les harmoniques sphériques de la norme RMS
des quatre signaux du B-Format, représentation spatiale d’une mesure par
microphone SoundField.
revanche, certaines simulations peuvent générer des artefacts audibles,
notamment en haute fréquence, qui nuisent au rendu.
– Réellement en mesurant des réponses impulsionnelles avec une sphère
de microphones. Cette technique demande à la fois du matériel de haute
qualité (microphones HOA, carte son, haut-parleurs, salle mesurable,
etc.), ainsi que des logiciels de traitement du type encodeur/décodeur
HOA. Cette technique est plus difficile à mettre en œuvre, mais offre
souvent des résultats plus convaincants à l’écoute.
Ces deux approches ont été testées durant la thèse et les résultats intégrés
dans PifPaf3D. Ainsi, un outil Matlab a été spécifiquement programmé pour
réaliser des mesures de réponses impulsionnelles par microphone HOA. Cependant,
comme le seul microphone 3D à disposition pendant la thèse était
un Soundfield SPS200 (à gauche sur la figure 2.8), toutes les prises de son
ont été faites à l’ordre 1 (équivalent du B-Format). Ce logiciel doit donc encore
être éprouvé pour les ordres supérieurs. Cela étant, trois pièces ont été
mesurées, à savoir la salle à manger de la société Digital Media Solutions, le
bureau de l’équipe Audio 3D de DMS et le studio de répétition des étudiants
de l’École Polytechnique (fig. 2.8). Dans le cas du studio, un haut-parleur a
été placé tous les 30 degrés en azimut, à élévation nulle, pour générer une
base de données sur douze positions. Le signal de mesure utilisé est une
combinaison entre codes de Golay [32], bruit blanc et sweep-sine fréquentiel
[80]. À titre d’exemple issu d’une de ces mesures, la projection sur les har-
78Figure 2.10 – Méthode des haut-parleurs virtuels pour le rendu ambisonique
en binaural. (source [20])
moniques sphériques de la norme RMS des quatre signaux du B-Format est
représentée dans l’espace sur la figure 2.9. Cette enveloppe prend la forme
d’un champignon, dont le maximum est symbolisé par l’étoile noire, tandis
que le cercle noir donne la position théorique du haut- parleur comme réfé-
rence. La mesure est validée dès lors que ces deux objets sont suffisamment
proches, preuve que l’onde directe est captée à la bonne incidence. Avec ce
type de représentation, cet outil peut aussi servir à la localisation de sources
sonores. En complément de ces données, les RIR effectuées par A. Farina en
B-format dans une salle de classe, une bibliothèque et une salle de concert
(www.isophonics.net, [29]) ont aussi été intégrées dans PifPaf3D.
La deuxième étape consiste à filtrer les sources sonores ponctuelles par les
fonctions de transfert tridimensionnelles de la pièce, obtenues pendant l’étape
précédente. Tout d’abord, chaque position est associée à la plus proche RIR
mesurée et le contenu audio de la source est filtré en domaine ambisonique
pour obtenir la projection du signal original sur les harmoniques sphériques.
Suivant cette étape d’encodage, un filtrage supplémentaire peut éventuellement
être ajouté pour corriger la proximité des haut-parleurs, ou encore la
sphéricité du microphone dans le cas d’une mesure réelle. Une fois toutes
les sources audio traitées par leurs réponses respectives, celles-ci sont sommées,
toujours en domaine ambisonique. Un décodage associe alors le signal
à diffuser sur chaque haut-parleur virtuel, qui sont in fine rendus par filtrage
binaural comme résumé figure 2.10.
En pratique, le module d’acoustique de salle de PifPaf3D (gauche, fig. 2.11)
est capable de traiter jusqu’à huit sources sonores en temps réel avec un dé-
codage HOA d’ordre 3, diffusé sur un système à vingt canaux disposés aux
79Figure 2.11 – PifPaf3D - (Gauche) Module de traitement acoustique de
salle. (Droite) Module de traitement High Order Ambisonics.
sommets d’un dodécaèdre. Pour ce faire, l’algorithme d’overlap-add optimisé
pour le traitement binaural a été adapté à l’ajout d’acoustique de salle par
convolution, ce qui diminue considérablement les coûts de calculs effectués
par Matlab. De plus, l’interface graphique offre la possibilité de comparer
l’ajout d’acoustique de salle au signal original par un bouton "on/off ", qui
active/désactive l’effet en temps réel. Pour respecter les niveaux lors d’écoutes
comparées, un contrôle des gains à la volée a été ajouté pour que la norme
RMS du signal de sortie soit proche de celle du signal d’entrée. Cette option
est disponible par simple clic sur le bouton "Volume" de l’interface. Par
ailleurs, comme expliqué précédemment, plusieurs salles sont présentes par
défaut, comme le studio de l’école Polytechnique, et l’utilisateur averti peut
aisément rentrer ses propres mesures dans le code source. Un ordre ambisonique
variable est proposé, entre 0 (réverbération classique) et 3 (réverbération
directionelle), scalable au besoin selon la théorie HOA. Un curseur
permet en outre de jouer sur le rapport "Dry-Wet", couramment utilisé par
les ingénieurs du son utilisant ce type d’effet. Pour finir, un filtre additionnel
permet de compenser la proximité des haut-parleurs (bouton "Near LS") et
l’utilisateur peut activer une interpolation linéaire des RIR, à la place d’une
recherche de la RIR la plus proche (bouton "Interp").
Suite aux développements effectués pour les mesures réelles de réponses
impulsionelles de salle en High Order Ambisonics, un module autonome de
traitement HOA a été ajouté à PifPaf3D (droite, fig. 2.11). Ce dernier pratique
un encodage/décodage des signaux bruts issus de microphones sphé-
riques, couplé à des filtres correctifs. En pratique, seul le Soundfield SPS200
a été éprouvé, faute de microphones d’ordre plus élevé disponibles. Les signaux
de sortie sont donc directement projetés sur les harmoniques sphé-
riques, relativement aux positions des capsules, avant d’être filtrés en domaine
ambisonique pour compenser notamment la répartition sphérique et
la directivité des capsules. Enfin, le décodage HOA est effectué sur le sys-
80Figure 2.12 – Représentation fréquentielle du module des filtres associés au
casque Sennheiser HD25.
tème de haut-parleurs choisi lors de la première étape de configuration de
PifPaf3D. Comme le montre l’interface graphique, un choix de microphones
est néanmoins possible et les filtres spatiaux associés sont activables (bouton
"Spatial filter"). De plus, il est possible de visualiser en trois dimensions le
microphone utilisé en cliquant sur le bouton "Visu Mic", notamment pour
s’assurer du routing entre les canaux de sortie du microphone et les entrées
fixées dans ce module. Enfin, le contenu encodé en HOA peut être sauvé pour
une éventuelle utilisation extérieure des signaux bruts encodés en domaine
ambisonique (bouton "Save Content").
2.5 Compensation du casque et égalisation
Le dernier module présenté dans ce chapitre concerne la compensation
du casque et l’égalisation tri-bande du signal de sortie. La compensation
du casque consiste en la suppression de la fonction de transfert issue à la
fois des transducteurs utilisés, de la forme et des matériaux de la structure
du casque, ainsi que de la cavité formée par le système {Oreille Externe ;
Casque} dans le cas d’une écoute fermée. Pour ce faire, plusieurs séries de
mesures ont été pratiquées en plaçant différents casques sur la tête artifi-
cielle Neumann KU100, isolée phoniquement par des panneaux absorbants.
Le signal utilisé pour l’obtention des fonctions de transfert est une combinaison
entre code de Golay, bruit blanc et sweep-sine, au même titre que
pour les mesures de réponses impulsionnelles de salle. Entre chaque excitation,
le casque est retiré puis remis, ceci afin de moyenner intrinsèquement
les différents positionnements possibles sur les oreilles. Un code Matlab a été
81Figure 2.13 – PifPaf3D - Module de compensation de casque et d’égalisation
tri-bandes.
spécifiquement développé pour traiter les données ainsi obtenues et livrer un
filtre brut utilisable par PifPaf3D. Un exemple de module fréquentiel d’une
fonction de transfert mesurée avec un casque type Sennheiser HD25 est représenté
en bleu sur la figure 2.12. Sur cette même figure, apparaissent les
différents étapes de traitement avec, en premier lieu, le filtre brut tronqué
(en rouge) par un gabarit (en noir), dont la bande fréquentielle est définie par
l’utilisateur. Étant donné que la mesure par tête artificielle nécessite l’utilisation
d’un filtre coupe-bas pour limiter le bruit, la valeur minimale du gabarit
a été fixée à 400 Hz. La valeur maximale est déterminée par une estimation
empirique de la zone de linéarité des transducteurs au delà de laquelle les
mesures ne sont plus considérées comme tangibles (ici 4000 Hz). Le module
de la fonction de transfert ainsi obtenue est alors inversé pour servir de réfé-
rence à la création d’un filtre à minimum de phase par modélisation du type
Yulewalk (en vert sur la figure 2.12). Ce filtre compensatoire est alors utilisé
par convolution en domaine de Fourier sur les signaux gauches et droits.
L’interface graphique associée au module de compensation du casque
(fig. 2.13) propose ainsi un ensemble de corrections de casques, mesurés au
sein de la société DMS et obtenu d’après le protocole précédent. Le module
du filtre fréquentiel associé est affiché en noir sur cette figure et le résultat du
filtrage des canaux gauche et droit est donné en temps réel par les courbes
bleu (canal gauche) et rouge (canal droit). Un bouton "on/off " permet d’activer
ou désactiver le traitement en temps réel, notamment pour les écoutes
comparées. Par ailleurs, en utilisant cette fonctionnalité, un bruit blanc a été
compensé par PifPaf3D pour chaque casque mesuré. Le fichier audio obtenu
a été diffusé et enregistré sur le même dispositif que celui utilisé pour les mesures,
à savoir le casque positionné sur la tête artificielle Neumann KU100.
Ce résultat a été comparé en domaine fréquentiel à la diffusion du bruit blanc
de référence, où la fonction de transfert est non compensée. Ainsi, pour la
82plupart des casques, le module fréquentiel obtenu après compensation est
bien plus aplati, ce qui valide expérimentalement le procédé et les résultats.
Enfin, en complément de cet outil, un égaliseur tri-bande du second ordre
est proposé, notamment pour compenser d’éventuelles détériorations fréquentielles
du signal original traité par les différents modules composant PifPaf3D.
Ce dernier est accessible en temps réel par trois curseurs modifiant les gains
par bande de fréquence ("Low", "Medium" et "High", fig. 2.12). Un bouton
"Reset" a été ajouté pour remettre rapidement l’ensemble de ces gains à leur
valeur par défaut.
2.6 SpherAudio Headphones
Dès ses premières versions, PifPaf3D a démontré des performances étonnantes
d’un point de vue qualitatif, validées par de nombreux ingénieurs du
son, ainsi que d’importants industriels du monde de l’audio. La société DMS
a donc rapidement monté une équipe de développement pour créer une librairie
C/C++ industrialisable, dont l’équivalence au code Matlab est certifiée
par une batterie de tests de non régression. Afin d’assurer une retranscription
inaudible sur l’ensemble des traitements effectués, ces tests adoptent tous une
précision relative fixée à 10−6
sur les signaux de sortie. PifPaf3D reste donc
l’unique référence, limitant les conflits éventuels entre les différents codes.
Par ailleurs, la librairie C/C+ a été popularisée sous la marque SpherAudio
Headphones (fig. 2.14 et 2.15), et interfacée avec :
– un plug’in VST sous Reaper (SpherAudioVST) ;
– un processeur dédié (BP84 ) ;
– une tablette Samsung Galaxy Tab (SpherAudioDroid) ;
– une web audio API en HTML5 (SpherAudioAPI) ;
– un serveur audio (SpherAudio@Home).
Mis à part le BP84, tous ces développements ont été réalisés par M. Mathieu
Coïc, que j’ai eu le plaisir d’encadrer en parallèle des travaux de recherche
doctorale présentés dans ce manuscrit. Par ailleurs, de nombreux stagiaires
ont contribué à la réalisation de ces outils. Dès lors, il est agréable de préciser
que le plug’in VST et le processeur dédié ont été utilisés par de nombreux
organismes, publics ou privés (CNSMDP, Radio France, France Télévision,
INA, Technicolor, etc.). De plus, Radio France a mis en ligne un site internet
pour diffuser des contenus spatialisés, utilisant la gamme SpherAudio
pour l’encodage binaural (fig. 2.16). Je profites donc de ce court aparté pour
renouveler à tous et à toutes mes sincères félicitations et remerciements.
83Figure 2.14 – Outils et logiciels dérivés de PifPaf3D, développés en parallèle de la thèse par la société Digital
Media Solutions. (Haut, gauche) Spatialisateur SpherAudioAPI pour les plate-formes web compatibles HTML5,
comme Google Chrome. (Haut, droite) Spatialisateur SpherAudioDroid pour les tablettes Androïd du type Samsung
Galaxy et les terminaux mobiles compatibles. (Bas, gauche) Plug’in VST SpherAudioVST pour le logiciel de Musique
Assisté par Ordinateur Reaper. (Bas, droite) Processeur Binaural BP84 pour le traitement professionnel sur système
embarqué, proposant huit entrées mono et quatre sorties binaurales.
84Figure 2.15 – Outils et logiciels dérivés de PifPaf3D, développés en parallèle
de la thèse par les ingénieurs de la société Digital Media Solutions. (Gauche)
Interface "télécommande" pour serveur d’Audio spatialisé sous tablette Androïd.
(Droite) Interface "télécommande" pour serveur d’Audio-description
spatialisée sous tablette Androïd, en vue d’améliorer l’accessibilité au cinéma
des personnes non-voyantes.
85Figure 2.16 – Visuels extraits de nouvoson.radiofrance.fr, plate-forme de
contenus multicanaux mis en ligne par Radio France, utilisant les outils dé-
rivés de PifPaf3D pour l’encodage binaural (BP84 et SpherAudioVST).
868788Chapitre 3
Formulations intégrales rapides
pour l’acoustique
Une fois que le spatialisateur PifPaf3D eut atteint un stade de développement
suffisant pour être exploité dans la suite des recherches, la seconde
partie de la thèse porta sur la génération numérique des fonctions de transfert
HRTF, notamment pour leurs individualisations. En effet, comme expliqué
dans les chapitres précédents, une des difficultés majeures que rencontrent
aujourd’hui les technologies binaurales concerne la personnalisation de ces
filtres, propres à chacun. De nombreuses études ont démontré qu’un filtrage
générique est insuffisant pour un rendu de l’espace réellement convaincant
(e.g. [12], [67], [86]). C’est pourquoi le but original de l’ensemble du projet
de thèse consiste en l’obtention et l’exploitation de HRTF individualisées
pour le grand public, obtenues par une reproduction numérique des mesures
physiques (e.g. [39], [49], [50], [51], [52]). Le protocole alors envisagé (fig. 3.1)
est découpé en trois grandes étapes :
1. Création et adaptation de maillages de tête/corps individuels, obtenus
par traitement d’images et fusionnés ou non avec des maillages paramétriques
de formes élémentaires (sphères, ovoïdes, cônes, etc.). Cette
étape, détaillée dans le chapitre suivant, a notamment été réalisée en
Matlab à partir de données issues d’une Kinect Microsoft.
2. Réalisation d’un moteur de calcul intégral pour résoudre rapidement les
équations de propagation des ondes sur lesdits maillages. Cette étape
a donné naissance à la librairie MyBEM, entièrement programmée en
Matlab et optimisée par vectorisation. De plus, une nouvelle méthode
rapide intitulée "Décomposition Creuse en Sinus Cardinal" ("Sparse
Cardinal Sine Decomposition") a été implémentée en lieu et place des
classiques méthodes multipolaires FMM (e.g. [31], [34], [35], [38], [82]).
89Figure 3.1 – Résumé de la méthodologie envisagée pour la création de HRTF
numériques individualisées. Diagramme issu du projet de thèse initial, entre
mathématiques appliquées et acoustique.
903. Validation par tests perceptifs des HRTF issues des simulations numériques
sur les maillages individuels, en utilisant le moteur binaural
PifPaf3D pour le rendu audio. Cette étape n’a pas été réalisée pendant
la thèse et fera l’objet de recherches ultérieures. 1
Une revue théorique des équations intégrales fait donc l’objet de la première
partie de ce chapitre, adjointe à l’introduction de la méthode multipolaire rapide
(Fast Multipole Method). Dans une seconde partie, la nouvelle méthode
rapide SCSD est présentée, non pas de façon théorique, mais en suivant les
différentes étapes du raisonnement qui ont menées vers le formalisme final.
Une présentation moins empirique, établie en parallèle de la rédaction de
ce manuscrit, est disponible dans l’article [5] joint en annexe. La réalisation
pratique au sein de la librairie MyBEM, développée conjointement avec
F. Alouges, est quant à elle présentée dans le chapitre suivant.
3.1 Représentation et équations intégrales
Il existe différentes méthodes pour la modélisation numérique des phé-
nomènes de propagation d’ondes, classés parmi les problèmes hyperboliques
linéaires. En effet, la linéarité permet un traitement de la variable temps par
transformée de Fourier, ce qui autorise une formulation en temps comme en
fréquence. Dans le cas de l’acoustique fréquentielle, le problème de diffraction
résultant peut être écrit sous une forme intégrale, puis discrétisé par éléments
finis de frontière. Cette section introduit donc quelques rappels classiques des
équations intégrales sous forme variationnelle. Pour plus de précisions, le lecteur
curieux peut se documenter sur les ouvrages suivants : [13], [16], [55],
[69] et [82].
3.1.1 Diffraction dans l’espace libre
Les équations de l’acoustique s’obtiennent par linéarisation des équations
d’Euler, caractérisant les fluides :
– Conservation de la masse ;
– Conservation de la quantité de mouvement ;
– Conservation de l’entropie pour les fluides parfaits.
1. En complément, des itérations sur l’ensemble de ce processus sont envisagées pour
obtenir une personnalisation optimale. En effet, il doit être possible d’exploiter les données
issues des tests perceptifs pour guider la création des maillages de calcul, ainsi que pour
définir les conditions aux limites du problème à résoudre. Cette piste fera très probablement
l’objet de travaux futurs.
91En fixant c la vitesse du son dans un fluide au repos, la pression acoustique
p vérifie l’équation des ondes scalaire :
1
c
2
∂
2
t
p − ∆p = 0. (3.1)
Pour que ce modèle conduise à un problème bien posé, il est nécessaire d’ajouter
des conditions initiales à t = 0.
Par ailleurs, comme l’équation des ondes scalaire (3.1) est linéaire, la
transformée de Fourier en convention temporelle e
iωt conduit à l’équation de
Helmholtz scalaire :
−∆u −
ω
2
c
2
u = −∆u − k
2u = 0, (3.2)
où k représente le nombre d’onde (rad.m−1
) et u(ω) = p(ω), ω étant la
pulsation (rad.s−1
). Il existe certaines solutions non triviales à cette équation,
mentionnées à toutes fins utiles :
– Les ondes planes, dont le vecteur d’onde k, de module k, fixe la direction
de propagation :
u(x) = u0e
−ik·x ∀x ∈ Ω, (3.3)
– Les ondes sphériques :
u(x) = u0
e
±ik|x|
|x|
∀x ∈ Ω
∗
. (3.4)
Enfin, pour que le problème fréquentiel (3.2) équivalent à la formulation
temporelle (3.1) soit bien posé, il faut rajouter des conditions aux limites
pour fixer le sens du temps et fermer le système. La condition de radiation
de Sommerfeld (3.5), introduite à partir de considérations énergétiques, joue
ce rôle en assurant l’unicité d’une solution :
r (∂ru + iku) → 0 quand r = |x| → +∞. (3.5)
Il est d’ores et déjà possible de constater que certaines solutions de l’équation
de Helmholtz (3.2) ne respectent pas cette condition, à l’instar des ondes
planes (3.3), dites non causales (ou non physiques). Pour résumer, un problème
bien posé de diffraction dans l’espace libre s’écrit dans le cas général :
−∆u − k
2u = f,
r (∂ru + iku) → 0 quand r → +∞.
92Figure 3.2 – Notations associées à la modélisation des phénomènes de propagation
d’ondes. (source [82])
Pour f ≡ δy, ce système possède une solution élémentaire E ∈ D0
(R
3
),
au sens des distributions. Dans le cas tridimensionnel, le noyau (ou fonction)
de Green G(x, y) est introduit à partir de E :
G(x, y) = E(x − y) = e
−ik|x−y|
4π|x − y|
∀(x, y) ∈ R
3
, (3.6)
et permet d’établir l’expression de la solution générale u du problème, issue
du produit de convolution ? suivant :
u(x) = (E ? f)(x) = Z
R3
G(x, y)f(y)dy =
Z
R3
e
−ik|x−y|
4π|x − y|
f(y)dy. (3.7)
Pour que cette expression ait un sens, des restrictions sur f doivent être
imposées avec, par exemple, f ∈ L
2
(R
3
).
3.1.2 Diffraction en présence d’un obstacle
Une surface fermée régulière et orientable Γ découpe désormais l’espace Ω
en un ouvert borné Ω
i
et un ouvert non borné Ω
e
(fig. 3.2). La présence d’une
telle frontière permet de définir deux distributions surfaciques, utilisées pour
établir les résultats fondamentaux de ce chapitre :
– Pour toute fonction λ régulière définie sur une surface Γ, la distribution
de simple couche de densité λ sur Γ correspond à la mesure de Radon
s(λ) = λ(x)dΓx telle que :
hs(λ), φi =
Z
Γ
λ(x)φ(x)dΓx ∀φ ∈ D(R
3
). (3.8)
93– La distribution de double couche de densité µ, notée d(µ), est quant à
elle définie par :
hd(µ), φi =
Z
Γ
µ(x)∂nφ(x)dΓx ∀φ ∈ D(R
3
). (3.9)
Ainsi, dans le cas particulier du rayonnement de sources réparties sur la
surface Γ, le potentiel de simple couche Sλ peut être établi comme la solution
u du problème de diffraction dans l’espace libre pour une distribution de
simple couche s(λ) (3.8) :
−∆u − k
2u = s(λ),
r (∂ru + iku) → 0 quand r → +∞.
D’après la formulation générale des solutions de ce problème (3.7), Sλ s’écrit
donc comme le produit de convolution :
Sλ(x) = (E ? s(λ))(x) = Z
Γ
G(x, y)λ(y)dΓy ∀x ∈ R
3
, (3.10)
et possède les propriétés suivantes :
– Continuité dans R
3
;
– C
∞ en dehors de Γ ;
– Solution de l’équation de Helmholtz homogène (3.2) en dehors de Γ ;
– Vérifie la condition de radiation à l’infini de Sommerfeld.
L’opérateur S associé est appelé "opérateur de simple couche" et sa restriction
à la frontière Γ sera notée S. Au même titre, un opérateur dit de "double
couche" D peut être appliqué à toute fonction régulière µ, définie sur Γ, pour
former le potentiel de double couche suivant :
Dµ(x) = (E ? d(µ))(x) = Z
Γ
∂nyG(x, y)µ(y)dΓy ∀x ∈ R
3
, (3.11)
où d(µ) est la distribution de double couche (3.9). Le potentiel de double
couche Dµ possède les mêmes propriétés que celui de simple couche Sλ, mais
présente une discontinuité sur R
3 par un saut de −µ à la traversée de Γ. La
restriction de l’opérateur double couche D à la frontière Γ sera notée D.
Les solutions u
tot du problème de diffraction en présence d’un obstacle
peuvent désormais être explicitées à partir de ces potentiels de rayonnement.
En posant le champ diffracté u = u
tot − u
in comme la différence entre le
champ total u
tot et le champ incident u
in
, u est solution de l’équation de
Helmholtz homogène (3.2), pour laquelle le théorème de représentation inté-
grale s’applique.
94Théorème 1 (de représentation intégrale) Soit u une fonction régulière dé-
finie de part et d’autre d’une frontière Γ régulière orientée. La restriction de
u à Ω
i
est notée u
i
et la restriction à Ω
e
est notée u
e
. Les sauts de u et de
sa dérivée normale ∂nu sont notés µ et λ :
µ = [u] = u
i − u
e
et λ = [∂nu] = ∂nu
i − ∂nu
e
sur Γ.
D’après la formule des sauts appliquée à la distribution {u}, définie par u en
dehors de Γ :
∆{u} = {∆u} − s([∂nu]) + d([u]),
si les hypothèses suivantes sont satisfaites :
−(∆u
i + k
2u
i
) = 0 dans D0
(Ωi
),
−(∆u
e + k
2u
e
) = 0 dans D0
(Ωe
),
r (∂ru
e + ikue
) → 0 quand r → +∞,
alors la fonction u vérifie :
−(∆ + k
2
)u = s(λ) − d(µ) dans D
0
(R
3
),
ainsi que la condition de radiation à l’infini. u est donc la somme d’un potentiel
de simple couche et d’un potentiel de double couche :
u = E ? s(λ) − E ? d(µ),
u = Sλ − Dµ dans D
0
(R
3
).
Plus précisément, les formulations de représentation intégrale suivantes peuvent
être explicitées :
u(x) = Sλ(x) − Dµ(x) ∀x ∈ Ω
i ∪ Ω
e
,
1
2
(u
i
(x) + u
e
(x)) = Sλ(x) − Dµ(x) ∀x ∈ Γ,
1
2
(∂nu
i
(x) + ∂nu
e
(x)) = D
∗λ(x) − Hµ(x) ∀x ∈ Γ,
où les opérateurs S, D, S et D sont tels qu’introduits dans (3.10) et (3.11).
Les opérateurs D∗
et H (hypersingulier), sont respectivement obtenus par
dérivation normale des opérateurs de simple et double couches S et D. Par
ailleurs, dans le cas de singularités géométriques présentes sur une surface Γ
lipschitzienne, les facteurs 1
2
doivent être remplacés par les rapports à 4π des
limites des angles solides intérieurs et extérieurs.
953.1.3 Équations intégrales
Le théorème de représentation intégrale 1 est la pierre angulaire des mé-
thodes intégrales. Il peut élégamment s’écrire sous la forme d’opérateurs matriciels,
appelés projecteurs de Calderón intérieur Ci et extérieur Ce.
Théorème 2 (Projecteurs de Calderón) Soient λ et µ deux fonctions régulières
quelconques définies sur Γ, alors la fonction u définie par u = Sλ−Dµ
dans D0
(R
3
) est solution de l’équation de Helmholtz dans Ω
i ∪ Ω
e
et vérifie la
condition de radiation à l’infini. De plus, les traces intérieures et extérieures
de u et de sa dérivée normale sur Γ sont données par :
u
i
∂nu
i
= (Id
2
+ C)
µ
λ
= Ci
µ
λ
,
u
e
∂nu
e
= (−
Id
2
+ C)
µ
λ
= Ce
µ
λ
,
où C est l’opérateur
−D S
−H D∗
.
De plus, les projecteurs Ce et Ci satisfont les relations suivantes :
C
2
i = Ci
, C2
e = Ce, Ci − Ce = Id,
qui peuvent se réécrire à partir des opérateurs surfaciques usuels :
DS = SD∗
, HD = D
∗H, D2 − SH = D
∗2 − HS =
Id
4
. (3.12)
Ces projecteurs confirment que les potentiels de simple et double couches
sont définis partout et vérifient l’équation de Helmholtz en dehors de Γ, ainsi
que la condition de radiation de Sommerfeld à l’infini.
Cependant, afin de calculer explicitement la solution du problème de diffraction
en présence d’un obstacle, il reste encore à déterminer les sauts µ
et λ. Pour cela, des prolongements sur les traces intérieures et extérieures
de u permettent d’établir des équations intégrales, définies sur la frontière Γ.
Pour former un système bien posé, ces équations sont alors couplées à des
conditions de bord, fixées par la modélisation physique de la structure diffractante.
Trois types de condition de bord sont utilisés en pratique :
96– La condition de Dirichlet, pour les obstacles dits mous (ou soft) :
u = uD régulière sur Γ; (3.13)
– La condition de Neumann, pour les obstacles dits rigides (ou hard) :
∂nu = grad(u) · n = uN régulière sur Γ; (3.14)
– La condition de Robin (ou Fourier), pour les obstacles d’impédance β :
∂nu − ikβu = uR régulière sur Γ. (3.15)
Selon la modélisation physique souhaitée, il existe de nombreuses équations
intégrales liées aux conditions de bord et au choix du prolongement des traces
intérieures ou extérieures. Aussi, pour ne pas surcharger le manuscrit par de
nombreuses formules, seuls les problèmes extérieurs de Dirichlet et Neumann
sont détaillés.
Dans le cas d’un problème de Dirichlet extérieur (3.13), la formulation
bien posée est la suivante :
−(∆u
e + k
2u
e
) = 0 dans Ω
e
,
u
e = uD régulière sur Γ,
r (∂ru
e + ikue
) → 0 quand r → +∞,
et selon le prolongement choisi pour la trace intérieure, cinq équations inté-
grales peuvent être formulées en saut :
Prolongement µ λ
Dirichlet 0 Sλ = uD
Neumann −(0.5Id + D)µ = uD 0
Zéro −uD Sλ = (0.5Id − D)uD
Zéro (∂n) −uD (0.5Id + D∗
)λ = −HuD
Robin, β ∈ C (ikβS − (0.5Id + D))µ = uD ikβµ
Pour les quatre premières équations, le prolongement n’est pas unique si k
2
est une valeur propre du problème de Dirichlet intérieur relatif à l’opérateur
−∆. L’opérateur associé à l’équation intégrale ne sera donc pas inversible
pour ces fréquences propres.
97Dans le cas d’un problème de Neumann extérieur (3.14), la formulation
bien posée s’écrit cette fois :
−(∆u
e + k
2u
e
) = 0 dans Ω
e
,
∂nu
e = uN régulière sur Γ,
r (∂ru
e + ikue
) → 0 quand r → +∞,
avec les équations intégrales associées :
Prolongement µ λ
Dirichlet 0 (−0.5Id + D∗
)λ = uN
Neumann −Hµ = uN 0
Zéro −Hµ = (0.5Id + D∗
)uN −uN
Zéro (trace) (0.5Id − D)µ = SuN −uN
Robin, β ∈ C −(H + ikβ(0.5Id − D∗
))µ = uN ikβµ
Au même titre que pour le problème de Dirichlet, seule la dernière équation
assure l’existence et l’unicité d’une solution pour toutes les fréquences.
Une fois ces équations établies, il ne reste plus qu’à les résoudre numé-
riquement pour obtenir les sauts µ et λ. En accord avec le théorème de
représentation intégrale, la solution générale u pourra dès lors être calculée
en tous points de l’espace, par rayonnement des potentiels de simple et
double couches Sλ et Dµ. Pour mémoire, les opérateurs intégraux mis en jeu
s’écrivent dans l’espace tridimensionnel :
Sλ(x) = Z
Γ
G(x, y)λ(y)dΓy pour x ∈ R
3
\ Γ, (3.16)
Dµ(x) = Z
Γ
∂nyG(x, y)µ(y)dΓy pour x ∈ R
3
\ Γ, (3.17)
Sλ(x) = Z
Γ
G(x, y)λ(y)dΓy pour x ∈ Γ, (3.18)
Dµ(x) = Z
Γ
∂nyG(x, y)µ(y)dΓy pour x ∈ Γ, (3.19)
D
∗λ(x) = Z
Γ
∂nxG(x, y)λ(y)dΓy pour x ∈ Γ, (3.20)
Hµ(x) = Z
Γ
∂
2
nxyG(x, y)µ(y)dΓy pour x ∈ Γ, (3.21)
où G(x, y) est le noyau de Green introduit en (3.6). De plus, en posant
x = |x|ν = rν dans R
3
, à ces relations s’ajoutent les potentiels de champ
98lointain, obtenus par développement limité du noyau de Green pour |x| |y| :
Sλ(x) = e
−ikr
4πr
S
∞λ(ν) + O(
1
r
2
)
avec S
∞λ(ν) = Z
Γ
e
ikν·yλ(y)dΓy, (3.22)
et Dµ(x) = e
−ikr
4πr
D
∞µ(ν) + O(
1
r
2
)
avec D
∞µ(ν) = ik Z
Γ
(ny · ν)e
ikν·yµ(y)dΓy. (3.23)
Les opérateurs S
∞ et D∞ sont appelés "opérateurs de rayonnement à l’infini"
et sont couramment utilisés pour représenter la radiation en champ lointain,
sans tenir compte de la décroissance 1
r
.
3.1.4 Formulations discrètes
Le problème de Dirichlet extérieur prolongé par un problème de Dirichlet
intérieur a été choisi pour établir une formulation discrète des équations inté-
grales. À partir de cet exemple, la méthodologie peut aisément être reproduite
pour obtenir les formulations d’autres problèmes. Aussi, pour toute fonction
régulière f, l’équation intégrale à résoudre s’écrit :
Sλ = f,
Sλ(x) = Z
Γ
G(x, y)λ(y)dΓy = f(x) pour x ∈ Γ.
Ce problème peut alors être formulé sous la forme variationnelle :
trouver λ ∈ V = H− 1
2 (Γ) tel que
hSλ, λt
i = hf, λt
i ∀λ
t ∈ V.
Les méthodes par éléments finis de frontière consistent, en premier lieu,
à approcher la surface Γ par un maillage élémentaire Th de taille h, composé
par exemples de triangles Ti
formant une discrétisation Γh de Γ. Ce maillage
doit vérifier les propriétés classiques sur l’intersection de deux éléments, la
qualité des éléments, etc. Dès lors, l’espace variationnel V peut être approché
par un espace :
Vh = {λh = λi sur le triangle Ti
, Ti ∈ Th},
et la formulation variationnelle devient :
trouver λh ∈ Vh tel que
hSλh, λt
h
i = hf, λt
h
i ∀λ
t
h ∈ Vh.
99Cette approximation, dite P
0
, est conforme et permet d’approcher λ par λh,
constante par morceau. De plus, Vh est de dimension N égale au nombre de
triangles de Th et sa base {φi
, i = 1, · · · , N} s’exprime relativement simplement
par :
φi(x) =
1 sur le triangle Ti
,
0 ailleurs.
Une fois ce cadre formel établi, en posant Λ
h
les coordonnées de λh ∈ Vh
dans la base {φi
, i = 1, .., N} telles que :
λh(x) = X
N
i=1
Λ
h
i φi(x),
le problème discret équivalent à la formulation variationnelle approchée consiste
en la résolution du système linéaire S
hΛ
h = F
h
. Chaque coefficient de la matrice
S
h
est défini par :
S
h
i,j =
Z
Ti
Z
Tj
G(x, y)dTj (y)dTi(x) pour (i, j) ∈ {1, · · · , N}
2
,
et le vecteur F
h a pour coordonnées :
F
h
i =
Z
Ti
f(x)dTi(x).
En supposant, d’une part, que k
2 n’est pas une valeur propre du problème de
Dirichlet intérieur pour −∆, d’autre part, que le maillage est suffisamment
fin pour que la base choisie puisse représenter correctement le problème, le
système linéaire ainsi formé admet une unique solution Λ
h
.
Dès lors, le champ approché uh de la solution du problème de diffraction
u peut être calculé dans tout l’espace, par représentation intégrale des
potentiels de simple et double couches approchés S
hλh et Dhµh. Dans le cas
d’un problème de Dirichlet extérieur prolongé par Dirichlet intérieur, µ = 0
et la représentation discrète s’écrit :
uh(x) = Z
Γh
G(x, y)λh(y)dΓh(y)
=
X
N
j=1
Λ
h
j
Z
Tj
G(x, y)dTj (y).
Heuristiquement, pour obtenir des résultats raisonnables en approximation
P
0
, il faut que la taille h des éléments soit au minimum inférieure au
dixième de la longueur d’onde (donnée empirique). Un espace variationnel
100discret P
1 permet d’estimer λh par des fonctions de bases plus précises, linéaires
par morceaux (fonctions chapeaux). Auquel cas, au prix d’une inté-
gration locale plus fine, la taille h des éléments peut être seulement inférieure
au sixième, voire au quart de la longueur d’onde. In fine, quelle que soit la dimension
de l’espace d’approximation variationnelle, l’assemblage du système
linéaire à résoudre est principalement fonction des interactions élémentaires
dans Th, estimées numériquement par intégration de Gauss. En omettant les
problèmes liés aux singularités des intégrales, ceci revient donc à calculer
l’ensemble des interactions au sein d’un nuage de points, évaluées avec une
complexité quadratique. C’est pourquoi le calcul rapide de ces interactions
est un enjeu majeur pour la compétitivité des méthodes intégrales.
3.2 Introduction aux méthodes multipolaires
rapides
La méthode des multipoles rapides (Fast Multipole Method) a été introduite
par L. Greengard et V. Rokhlin à la fin du XXe
siècle [34], pour ramener
la complexité des méthodes intégrales de quadratique (N2
) à quasi-linéaire
(N log N). Cet algorithme a littéralement bousculé les ordres de grandeurs
des problèmes jusqu’alors résolus, et, pour cela, a été classé parmi les dix
algorithmes majeurs du siècle dernier (source Wikipedia). Pour réaliser cette
compression, le principe de base consiste à calculer des produits matricesvecteurs
de manière économique, à la fois en mémoire vive et en charge de
calcul. Seule une brève introduction est présentée dans ce manuscrit, essentiellement
pour illustrer les concepts principaux mis en jeu. Pour de plus
amples détails, de nombreux ouvrages de référence expliquent les fondements
théoriques et pratiques de cette méthode (e.g. [35], [38], [82]).
En méthodes intégrales, quelle que soit la formulation variationnelle et
l’équation intégrale considérée, le produit matrice vecteur calculé dans la
résolution d’un problème de diffraction se ramène toujours à la forme :
Z
Γh
Z
Γh
G(x, y)f(x)g(y)dΓh(x)dΓh(y),
avec f et g des fonctions scalaires. Hors singularités, les quadratures utilisées
pour l’évaluation numérique des intégrales font généralement appel à des
points de Gauss xg et yg, répartis sur la surface Γh. La formulation précédente
peut donc être approchée par la discrétisation :
X
xg∈Γh
X
yg∈Γh
G(xg, yg)f(xg)g(yg), (3.24)
101Figure 3.3 – Configuration type d’une répartition spatiale pour l’application
du théorème d’addition de Gegenbauer. (source [82])
où les fonctions f et g incluent aussi les poids d’intégration des quadratures.
L’idée générale de la FMM consiste à séparer les variables spatiales xg et
yg, pour calculer indépendamment, donc rapidement, les deux sommes de la
formulation (3.24) :
X
xg∈Γh
X
yg∈Γh
G(xg, yg)g(yg)
f(xg). (3.25)
Pour cela, le noyau de Green est décomposé à l’aide du théorème suivant :
Théorème 3 (d’addition de Gegenbauer) Soient x, y, M1 et M2 quatre
points de l’espace, avec x "proche" de M1 et y "proche" de M2 (fig. 3.3). s
est un point de la sphère unité S
2 dans R
3
, Pl
le polynôme de Legendre de
rang l et hl
la fonction de Hankel sphérique du premier type de rang l. En
posant le vecteur xy = xM1 + M1M2 + M2y, le noyau de Green G(x, y)
peut se décomposer en :
G(x, y) = ik
16π
2
lim
L→+∞
Z
s∈S2
e
iks·xM1T
L
M1M2
(s)e
iks·M2y
ds, (3.26)
avec
T
L
M1M2
(s) = X
L
l=0
(2l + 1)i
lhl(k|M1M2|)Pl(cos(s,M1M2)).
Dans (3.26), les variables x et y sont bien séparées et les trois termes de
l’intégrale sphérique peuvent s’interpréter comme suit :
– e
iks·xM1 transporte l’information du point source x au centre M1 ;
– T
L
M1M2
(s) transfère l’information du centre M1 au centre M2 ;
– e
iks·M2y
envoie l’information du centre M2 au point de destination y.
102Figure 3.4 – (Gauche) Traitement des interactions sans regroupement multipolaire.
(Droite) Traitement des interactions en FMM. (source [82])
Ainsi, de par la centralisation des informations sur M1 et M2 due au théorème
d’addition de Gegenbauer (3.26), le nombre d’interactions à calculer
entre le nuage de points en x et celui en y diminue grandement entre la
méthode classique et la méthode multipolaire (fig. 3.4). Il reste néanmoins
à choisir une valeur de troncature pour L, ainsi qu’une quadrature sur la
sphère unité S
2
, en fonction de la précision souhaitée pour l’évaluation des
interactions ponctuelles entre les deux groupes de points. Cette étape, particulièrement
délicate, est grandement liée à la "proximité" des objets mis en
jeu dans la configuration type (fig. 3.3). Le domaine de calcul original Ω doit
donc être découpé en sous-domaines, où la séparation des variables est valable
lorsque les deux sous-domaines en interaction ne sont pas voisins. Si tel
est le cas, le calcul de la double somme (3.24) sera traité classiquement, sans
regroupement multipolaire. Dans l’exemple de gauche de la figure 3.5, les interactions
entre C et C
0 peuvent être calculées par séparation des variables,
centrées respectivement sur M et M0
. Ce découpage conduit à la formulation
FMM mono-niveau du produit matrice-vecteur discret (3.24), entre C et C
0
:
ik
16π
2
X
xg∈C0
Z
s∈S2
X
yg∈C
e
iks·ygMf(yg)
T
L
MM0(s)e
iks·M0xgds
g(xg).
En considérant l’ensemble des interactions entre chaque sous-domaines,
la complexité finale de l’algorithme mono-niveau est de l’ordre de N3/2
. Pour
atteindre la limite N log N, les interactions multipolaires doivent être effectuées
suivant un algorithme du type Divide and Conquer. Pour ce faire, des
sous-domaines hiérarchiques sont construits à l’aide d’un octree (fig. 3.5 à
droite), en vue de former par bloc le produit matrice vecteur associé au problème.
Les interactions très lointaines seront, dès lors, traitées différemment
des interactions lointaines, banlieues, proches, etc. Cette méthode, bien que
robuste et bien maîtrisée, est relativement complexe, notamment dans sa
programmation, et de nombreux détails soulèvent toujours de grandes diffi-
cultés. Par ailleurs, bien que la complexité théorique de l’algorithme FMM
103Figure 3.5 – (Gauche) Découpage mono-niveau du domaine original Ω et de
la frontière Γ en sous-domaines de calcul. (Droite) Découpage multi-niveaux.
(source [82])
multi-niveaux ait pour limite N log N, la constante de cette complexité peut
être assez lourde si l’algorithme n’est pas correctement réglé pour le problème
à résoudre. Ces deux raisons ont poussé les recherches effectuées lors
de cette thèse vers une solution alternative, la Décomposition Creuse en Sinus
Cardinal (SCSD).
3.3 Nouvelle méthode rapide - SCSD
La séparation des variables d’espace (3.25) conduit au calcul rapide des
produits matrices-vecteurs (3.24), issus des équations intégrales. Dans le cas
de l’acoustique tridimensionnelle, cet assemblage se résume à évaluer le produit
de convolution (Gf )(xp), défini pour toute fonction régulière f par :
(Gf )(xp) = X
Ny
q=1
G(xp, yq)f(yq) = X
Ny
q=1
e
−ik|xp−yq|
4π|xp − yq|
f(yq). (3.27)
Ce résultat n’est pas sans rappeler la forme des solutions générales d’un
problème de diffraction (3.7), construites par le produit de convolution ?.
1043.3.1 Vers un problème mono-dimensionnel
Le fondement de la Décomposition Creuse en Sinus Cardinal (SCSD)
réside dans la représentation intégrale de la fonction sinus cardinal [69] et
[82]. Pour tout z dans R
3
:
sin(k|z|)
|z|
=
k
4π
Z
S2
e
iks·z
ds, (3.28)
avec S
2
est la sphère unité de R
3
et k le nombre d’onde (positif). En posant
|z| = |x − y|, la partie imaginaire du noyau de Green (3.6) peut s’écrire en
variables séparées :
sin(k|x − y|)
4π|x − y|
=
k
(4π)
2
Z
S2
e
iks·(x−y)
ds (3.29)
=
k
(4π)
2
Z
S2
e
iks·x
e
−iks·y
ds.
Sous réserve d’une quadrature efficace pour la sphère unité S
2
, cette séparation
des variables peut se substituer au théorème d’addition de Gegenbauer
(3.26), dont dérivent la FMM. Par ailleurs, une intégration sur S
2
apparaît aussi dans (3.26), mais le couplage avec les fonctions de transfert
T
L
M1M2
(s) complexifie grandement la tâche. Dans (3.29), ces fonctions de
transfert ont disparu.
Une transformée de Fourier en espace F[.] est appliquée sur l’équation
élémentaire de Helmholtz, pour obtenir une représentation intégrale de la
partie réelle du noyau de Green (3.6) :
F
h
(−∆ − k
2
)G(x, y)
i
= F[δy].
En posant y = 0 dans l’égalité précédente, celle-ci devient :
(|ξ|
2 − k
2
) F[G(x, 0)] = 1,
ce qui permet d’écrire la transformée de Fourier du cosinus cardinal :
F
"
cos(k|x|)
|x|
#
=
4π
|ξ|
2 − k
2
.
Une représentation intégrale de la partie réelle du noyau de Green est alors
obtenue par transformée de Fourier inverse sur l’équation précédente :
cos(k|x − y|)
4π|x − y|
=
1
(2π)
3
Z
R3
1
|ξ|
2 − k
2
e
iξ·(x−y)
dξ,
105amenant de nouveau la séparation des variables d’espace :
cos(k|x − y|)
4π|x − y|
=
1
(2π)
3
Z
R3
1
|ξ|
2 − k
2
e
iξ·x
e
−iξ·y
dξ. (3.30)
La singularité du cosinus cardinal présente en 0 lui confère une forte irré-
gularité. Celle-ci est traduite en domaine de Fourier par une représentation
intégrale sur tout l’espace R
3
, alors que la partie sinus s’intègre sur uniquement
sur S
2
(eq. 3.29). À cela s’ajoute une singularité en |ξ| = k, ce qui peut
sembler rédhibitoire.
Néanmoins, après réécriture de l’équation (3.30) en coordonnées sphé-
riques, la représentation intégrale du sinus cardinal (3.28) permet d’établir
l’égalité suivante :
cos(k|x − y|)
4π|x − y|
=
1
(2π)
3
Z +∞
ρ=0
ρ
2
ρ
2 − k
2
Z
S2
e
iρs·(x−y)
ds
dρ,
=
2
π
Z +∞
ρ=0
ρ
ρ
2 − k
2
sin(ρ|x − y|)
4π|x − y|
dρ. (3.31)
Si l’intégrale sur ρ converge bien dans (3.31), alors une séparation des variables
de la partie réelle pourrait découler de celle obtenue pour la partie
imaginaire (3.29). De plus, pour éviter de retomber sur les difficultés de
programmation de la FMM, il est nécessaire qu’une même quadrature, la
plus précise possible, puisse être utilisée pour R dans un grand intervalle
[Rmin, Rmax]. Pour étudier ce problème, l’intégrale (3.31) est réécrite sous la
forme :
cos(R) = 2
π
Z +∞
ρ=0
ρ
ρ
2 − 1
sin(ρR)dρ, (3.32)
avec R = k|x − y|.
3.3.2 Résolution du problème
Le problème d’intégration mono-dimensionnel à résoudre est le suivant :
Existe-il une quadrature vérifiant l’égalité (3.32) pour tout R dans
un intervalle [Rmin, Rmax] le plus grand possible, avec peu de points
d’intégration ρ dans un intervalle [0, A] petit ?
En première approche, des méthodes classiques de quadrature du type
Trapèze, Simpson, ou encore Fourier ont été appliquées sur une formulation
106Figure 3.6 – Calcul du cosinus par intégration de Simpson, pour R dans
[0, 15]. 71 points d’intégrations en ρ, espacés régulièrement sur [0, 7], ont été
utilisés pour approcher l’intégrale (3.33). L’erreur relative est inférieure au
seuil de 5% pour R > 3.
tronquée en A et régularisée avec une solution analytique :
cos(R) ≈
2
π
Z A
ρ=0
ρ
ρ
2 − 1
(sin(ρR) − sin(R))dρ!
+
2 sin(R)
π
Z A
ρ=0
ρ
ρ
2 − 1
dρ. (3.33)
Dans cette approximation, le membre de gauche est bien régulier pour ρ autour
de 1 et le membre de droite s’intègre exactement au sens des valeurs
principales. Les résultats présentés sur la figure 3.6 sont peu satisfaisants et
dépendent beaucoup de l’intervalle dans lequel évolue R. Pour R petit, A est
grand avec des points d’intégration relativement espacés, tandis que pour R
grand, A est petit mais il faut de nombreuses valeurs pour discrétiser l’intervalle
[0, A]. Ces résultats sont, bien entendu, liés à la singularité du cosinus,
quand R tend vers 0. Une quadrature classique pour l’évaluation de cos(R)
sur un intervalle [Rmin, Rmax] grand n’est donc pas raisonnable.
Une quadrature entièrement numérique pour la résolution de ce problème
a donc été envisagée. Pour ce faire, l’équation (3.32) est réécrite sous la
formulation discrète suivante, tronquée en N ∈ N :
cos(R) ≈
X
N
n=0
αn sin(ρnR). (3.34)
Le problème d’intégration approchée à résoudre devient :
107Figure 3.7 – Calcul du cosinus par quadrature numérique issue d’une minimisation
sous contrainte (3.35), pour R dans [0, 15]. 5 points d’intégrations
en ρ, espacés régulièrement sur [0, 1.2], ont été trouvés pour évaluer l’approximation
(3.34). L’erreur relative est inférieure au seuil de 5% pour R > 3.
Pour N le plus petit possible, existe-il un vecteur (ρn)n∈[0,N] de petites
valeurs, associées à un vecteur (αn)n∈[0,N], tels que la relation
(3.34) soit vérifiée pour tout R dans un intervalle [Rmin, Rmax] le plus
grand possible ?
Comme il n’est pas évident de résoudre analytiquement cette question, une
minimisation sous contrainte a d’abord été programmée pour tenter d’obtenir
des éléments de réponses. Une discrétisation (Ri)i∈[0,M] de R dans
[Rmin, Rmax] est utilisée pour former un système matriciel, dont chaque ligne
i est définie par :
(cos(Ri))i∈[0,M] =
X
N
n=0
αn sin(ρnRi)
!
i∈[0,M]
. (3.35)
Dans ce système linéaire, (αn)n∈[0,N] est le vecteur inconnu, recherché au sens
des moindres carrés. Les contraintes sont fixées sur le calcul de (ρn)n∈[0,N]
,
discrétisé par pas régulier sur [0, A], avec A exigé le plus petit possible. De
plus, à chaque itération de la minimisation, le rang du système linéaire est
estimé avec une précision donnée. Si ce rang n’est pas plein, l’ordre de
troncature N est diminué pour assurer un nombre de termes minimal dans la
quadrature. Ce procédé permet de tenir compte du défaut de rang constaté
dans les opérateurs intégraux issus du noyau de Green (3.6) et exploité dans
d’autres méthodes de compression comme H-matrix [43], GGQ [18], Skeletonization,
ACA, etc. Cet algorithme a été développé en langage Matlab
108et la structure "optimset" a été utilisée pour établir la minimisation sous
contraintes du système matriciel. La figure 3.7 donne un résultat issu de
cette approche empirique, avec une configuration identique à l’intégration
de Simpson précédente (fig. 3.6). Après convergence, 5 points en ρ ont été
trouvés, compris entre 0 et 1.2. Ces valeurs apportent cette fois une solution
tangible au problème mono- dimensionnel et le calcul d’un produit matricevecteur
rapide peut être envisagé, pour toutes les interactions entre x et y
telles que Rmin < k|x − y| < Rmax.
Cependant, malgré une certaine robustesse éprouvée à l’usage, l’algorithme
de minimisation sous contrainte ne permet pas de comprendre les
mécanismes mis en jeu, ce qui a poussé les recherches vers une quadrature
analytique. Celle-ci peut être introduite à partir de la quadrature de l’unité
suivante :
1 ≈
X
N
n=0
βn sin(ρnR). (3.36)
En effet, il existe une formule exacte similaire à l’approximation (3.36), définie
pour tout t dans (0, π) :
X∞
n=0
4
π(2n + 1) sin((2n + 1)t) = 1.
Cette série, couramment utilisée en traitement du signal pour définir la fonction
créneau, est issue de la décomposition en série de Fourier de la fonction
2π-périodique égale à −1 sur (−π, 0) et 1 sur (0, π). En posant le changement
de variable t =
R
b
π pour tout R dans (0, b), l’égalité précédente devient :
X∞
n=0
4
π(2n + 1) sin
π
b
(2n + 1)R
= 1.
La convergence de cette série est assez lente et dépend fortement des valeurs
de R. Aussi, une troncature avec N petit conduit à de fortes oscillations aux
extrémités de l’intervalle de R, dues à la discontinuité en zéro de la fonction
créneau (phénomène de Gibbs). Cet artefact est classiquement lissé par l’introduction
d’un facteur correctif de Lanczos, encore appelé σ-approximation
(e.g. [1], [44]), qui consiste à pondérer la série précédente par une puissance
de sinus cardinal :
N
X−1
n=0
4
π(2n + 1)
sinc
2n + 1
2N
π
q
sin
π
b
(2n + 1)R
≈ 1,
avec q entier (typiquement q = 1 ou 2). En fixant dans (3.36) :
βn =
4
π(2n + 1)
sinc
2n + 1
2N
π
q
et ρn =
π
b
(2n + 1), (3.37)
109Figure 3.8 – Calcul du cosinus par quadrature analytique issue des coeffi-
cients exacts (3.37) de la quadrature de l’unité (3.36), avec q = 1 pour R
dans [0, 15]. 6 points d’intégration en ρ, espacés régulièrement sur [0, 1.4],
sont nécessaires pour une erreur relative inférieure à 5%.
une quadrature analytique de l’unité avec une bonne convergence est ainsi
établie.
Une quadrature analytique du cosinus (3.34) peut être déduite en multipliant
(3.36) par cos(R), puis en appliquant la formule trigonométrique
sin(A) cos(B) = 0.5(sin(A + B) + sin(A − B)) :
cos(R) ≈
X
N
n=0
0.5βn (sin((1 + ρn)R) − sin((1 − ρn)R)), (3.38)
où les ρn sont donnés par (3.37). Enfin, lorsque b = 2πL avec L ∈ N
∗
, la
variante (3.38) se décompose sous la forme :
cos(R) ≈
X
N
n=0
0.5βn (sin((1 + ρn)R))
−
L
X−1
n=0
0.5βn (sin((1 − ρn)R))
+
X
N
n=L−1
0.5βn (sin((ρn − 1)R)),
où tous les facteurs devant R appartiennent à la même discrétisation de
ρ dans l’intervalle [ρ0; 1 + ρN ]. Ainsi, après réagencement et unification des
termes de cette nouvelle série, la quadrature analytique du cosinus (3.34) peut
être obtenue à partir de celle de l’unité (3.36). En pratique, pour tout R dans
[Rmin, Rmax] ⊂ [Rmin, b], il suffit de rechercher N tel que l’erreur relative
de cette quadrature soit inférieure à une précision fixée. Par ailleurs, pour
110limiter l’impact du phénomène de Gibbs et minimiser N, il est avantageux
de symétriser l’erreur commise en posant b ≥ (Rmax+Rmin), multiple de 2π.
La figure 3.8 offre une comparaison de la quadrature analytique avec les deux
quadratures précédentes (fig. 3.6 et 3.7). Même si ce résultat est du même
ordre de grandeur que celui de la figure 3.7, les valeurs de ρn et N sont
légèrement supérieures à celles obtenues par l’algorithme de minimisation
sous contraintes. Cette remarque est d’autant plus vraie pour b plus grand,
non représenté ici.
Aussi, une quadrature hybride a été développée à partir des deux quadratures
précédentes. Comme les valeurs analytiques de ρn sont connues pour
tout n ≤ N (eq. 3.37), celles-ci peuvent directement être utilisées dans la
quadrature du cosinus (3.34) pour former le système matriciel (3.35), utilisé
par l’algorithme de minimisation sous contrainte. Après résolution, les valeurs
calculées de αn lissent au sens des moindres carrés l’erreur relative , pour
tout R sur l’intervalle de quadrature [Rmin, Rmax]. En itérant ce processus sur
N pour atteindre une précision donnée, cette approche permet d’estimer αn
pour que l’erreur commise soit plus uniforme. Par ailleurs, suivant le même
principe, il est possible d’estimer βn par une quadrature hybride de l’unité
et d’obtenir une nouvelle quadrature du cosinus en utilisant la formule de
passage (3.38). Trois méthodes peuvent donc être confrontées (fig. 3.9) :
1. Quadrature analytique du cosinus, d’après une quadrature analytique
de l’unité lissée par σ-approximation avec q = 2 ("Analytique", courbe
bleue) ;
2. Quadrature analytique du cosinus, d’après une quadrature hybride de
l’unité lissée au sens des moindres carrés ("Hybride Un", ronds verts) ;
3. Quadrature numérique du cosinus lissée au sens des moindres carrés.
("Hybride Cos", croix rouges).
cos(R) Rmin Rmax N ρN erreur L
2
erreur L
∞
1. Analytique 3 15 14 4.5 2.26e
−4 7.83e
−4
2. Hybride Un 3 15 14 4.5 1.83e
−6 5.27e
−6
3. Hybride Cos 3 15 14 4.5 7.91e
−8 1.91e
−7
Pour R dans [Rmin, Rmax] et ρ dans [ρ0, ρN ] avec N fixé, il apparaît très nettement
sur ces valeurs numériques et sur la figure 3.9 que l’évaluation de αn par
ces trois méthodes fournit des erreurs relatives et uniformes singulièrement
différentes. En effet, plus d’un facteur 1000 sépare la quadrature analytique
de la quadrature hybride en cosinus. Aussi, en fixant un seuil d’erreur relative
∞ à 10−3
(norme L
∞) pour R ∈ [Rmin, Rmax], puis en minimisant le
111Figure 3.9 – Quadratures de l’unité et du cosinus pour R dans [3, 15], avec
respectivement 11 et 14 points d’intégrations fixés, inclus dans [0, 3.5] et
[0, 4.5]. L’erreur relative (∞ en norme L
∞) en fonction de R est donnée en
échelle logarithmique pour une meilleure lisibilité.
112Figure 3.10 – Quadratures de l’unité et du cosinus pour R dans [3, 15], avec
un seuil d’erreur relative ∞ fixée à 1e−3. Le nombre de points d’intégration
N varie en fonction de la quadrature.
113nombre N de points d’intégrations nécessaires pour atteindre cette précision,
les résultats suivants sont obtenus (fig. 3.10) :
cos(R) Rmin Rmax N ρN erreur L
2
erreur L
∞
1. Analytique 3 15 14 4.5 2.26e
−4 7.83e
−4
2. Hybride Un 3 15 10 3.17 1.95e
−4 5.62e
−4
3. Hybride Cos 3 15 8 2.5 1.40e
−4 3.47e
−4
Pour une précision fixée, les valeurs de N et ρN sont fortement liées à la quadrature
considérée, ce qui est particulièrement intéressant dans le contexte
de cette étude. Par exemple, la quadrature hybride en cosinus semble tout à
fait adaptée pour répondre au problème mono-dimensionnel posé dans cette
section.
Au vu de ces résultats, l’intervalle [Rmin, Rmax] et la précision relative en
norme L
∞ ont donc été modifiés, pour éprouver la robustesse des quadratures
(fig. 3.11) :
Cosinus Rmin Rmax N ρN erreur L
2
erreur L
∞
1. Analytique 3 150 115 4.58 7.05e
−5 9.65e
−4
2. Hybride Un 3 150 80 3.18 1.11e
−4 9.41e
−4
3. Hybride Cos 3 150 61 2.42 1.13e
−4 9.98e
−4
1. Analytique 3 1000 734 4.58 2.81e
−5 9.97e
−4
2. Hybride Un 3 1000 510 3.18 4.68e
−5 9.97e
−4
3. Hybride Cos 3 1000 392 2.45 5.02e
−5 9.95e
−4
1. Analytique 0.5 150 436 4.58 5.92e
−5 8.85e
−4
2. Hybride Un 0.5 150 281 3.18 6.06e
−5 6.89e
−4
3. Hybride Cos 0.5 150 259 2.45 9.09e
−5 9.93e
−4
1. Analytique 3 150 - - - -
2. Hybride Un 3 150 213 8.5 1.16e
−13 7.96e
−13
3. Hybride Cos 3 150 189 4.4 1.62e
−13 9.21e
−13
Pour les quadratures hybrides de l’unité et du cosinus, la linéarité apparente
114Figure 3.11 – Représentation du nombre N de termes nécessaires à chaque
quadrature. (Haut) Rmin dans [1, 3] et Rmax = 150, pour une précision relative
fixée à 10−3
. (Milieu) Rmin = 3 et Rmax dans [10, 1000], pour une
précision relative fixée à 10−3
. (Bas) [Rmin, Rmax] = [3, 150], pour une précision
relative dans [10−13
, 10−2
].
115de l’ensemble des courbes de la figure 3.11 permet de conjecturer la relation :
N ∝
Rmax + Rmin
Rmin
| log()|. (3.39)
Une dépendance logarithmique en erreur relative est donc empiriquement
établie, ainsi qu’une dépendance linéaire pour l’intervalle de R. Ce résultat
est fondamental pour les applications visées. Il ne reste plus qu’à savoir si
la linéarité de la conjecture (3.39) sur N va permettre d’atteindre une complexité
finale raisonnable pour le calcul rapide du noyau de Green.
Pour terminer, non seulement il apparaît que l’efficacité d’une quadrature
ne dépende que de αn, mais aussi N diminue lorsque le rapport entre l’erreur
L
2
et l’erreur L
∞ tend vers 1. Les trois méthodes proposées ne seraient donc
peut-être pas les seules et de nouveaux algorithmes pourraient être recherchés
en vue de diminuer N, ce qui aurait un impact très fort sur l’efficacité globale
de la méthode SCSD.
3.3.3 Formalisme final pour l’équation de Helmholtz
Pour une précision donnée, la section précédente a mis numériquement
en lumière qu’il existe deux suites (αn)n∈[0,N] et (ρn)n∈[0,N] telles que, pour
tout R dans [Rmin, Rmax] :
cos(R) ≈
X
N
n=0
αnsin(ρnR) avec N ∝
Rmax + Rmin
Rmin
| log()|.
Le retour vers le problème tri-dimensionnel original s’effectue simplement à
travers la définition de R, à savoir R = k|x − y| pour tous points x et y de
l’espace R
3
. En divisant la relation précédente par 4π|x − y|, la partie réelle
du noyau de Green (3.6) peut être approchée par la quadrature suivante :
cos(k|x − y|)
4π|x − y|
≈
X
N
n=0
αn
sin(ρnk|x − y|)
4π|x − y|
,
équivalent discret de (3.31). En ajoutant à cette relation la partie imaginaire
du noyau de Green, la quadrature complète du noyau peut être établie, sous
la forme d’une somme pondérée de sinus cardinaux :
G(x, y) ≈
N
X
+1
n=0
αn
sin(ρnk|x − y|)
4π|x − y|
,
où αN+1 = −i et ρN+1 = 1. En appliquant la représentation intégrale du
sinus cardinal (3.28) sur ce résultat fondamental, la séparation des variables
116de la SCSD peut être formulée comme une somme pondérée d’intégrales
surfaciques sur N + 2 sphères unités :
G(x, y) ≈
k
(4π)
2
N
X
+1
n=0
αnρn
Z
S2
e
ikρns·x
e
−ikρns·y
ds, (3.40)
ou encore sur des sphères emboîtées de rayon kρn :
G(x, y) ≈
1
(4π)
2
N
X
+1
n=0
αn
Z
kρnS2
e
is·x
e
−is·y
ds.
Pour obtenir une version totalement discrète de la séparation des variables
du noyau de Green (3.40), il reste à choisir une dernière quadrature pour
l’intégration sphérique. De nombreux travaux traitent de ce sujet récurrent
et certaines solutions sont couramment utilisées dans divers domaines des
mathématiques appliquées [46]. Pour la SCSD, les quadratures de GaussLegendre
ont été préférées aux grilles de Fibonacci [41], ou encore aux sphères
de Lebedev [60].
Quadrature de Gauss-Legendre sur la sphère unité S
2
:
Pour un entier Na donné, les angles azimutaux (θi)i∈[1,2Na] sont choisis dans
{0,
π
Na
, ..., 2π −
π
Na
}, tandis que les angles d’élévations (φj )j∈[1,Na] sont tels
que cos(φj ) appartient aux zéros du Nième
a polynôme de Legendre PNa
. Une
grille sphérique (si,j )i×j∈[1,Ns] de dimension Ns = 2N2
a peut alors être générée
en (θ, φ), associée aux poids d’intégrations ωs.
Cette quadrature intègre exactement toutes les harmoniques sphériques Y
m
l
(1.2) de degré inférieur ou égal à 2Na − 1, mais discrétise la sphère par pas
régulier en azimut, ce qui créé une concentration de points élevée aux pôles.
En pratique, la quadrature de Gauss-Legendre dans l’approximation (3.40)
est telle que Na doit être au moins proportionnel à la plus grande distance
évaluée sous l’intégrale, c’est-à-dire :
Na ∝ kρn max(|x − y|) ⇒ Ns ∝ (ρnRmax)
2
. (3.41)
L’approximation (3.40) conduit alors à :
G(x, y) ≈
k
(4π)
2
N
X
+1
n=0
αnρn
X
Ns
s
ωse
ikρns·x
e
−ikρns·y
.
Puis, pour tout l dans [1, Nξ] tel que Nξ =
PN+1
n=0 Ns, en posant :
ξl = kρns dans R
3
et ωl =
kαnρnωs
(4π)
2
dans R, (3.42)
117Figure 3.12 – Représentation du nombre total de points Nξ d’une quadrature
SCSD, pour le noyau de Helmholtz (3.43). (Haut) Rmin dans [2, 3] et
Rmax = 150, pour une précision relative fixée à 10−3
. (Milieu) Rmin = 3
et Rmax dans [10, 250], pour une précision relative fixée à 10−3
. (Bas)
[Rmin, Rmax] = [3, 50] pour une précision relative dans [10−12
, 10−2
].
118la version discrète de la séparation des variables SCSD peut être établie :
G(x, y) ≈
X
Nξ
l=1
ωle
iξl
·x
e
−iξl
·y
. (3.43)
De plus, d’après les relations (3.37) et (3.41) :
Ns ∝
Rmax
Rmin + Rmax
(2n + 1)2
.
Dès lors, à partir de la conjecture (3.39) sur N, Nξ peut être estimé par une
majoration de la somme des carrés impairs pour Rmax Rmin :
Nξ =
N
X
+1
n=0
Ns ∝
Rmax
Rmin
| log()|
3
. (3.44)
La figure 3.12 vient confirmer ce résultat, par l’apparente linéarité des fonctions
représentées. La séparation des variables de la SCSD est donc logarithmique
en erreur et le nombre de points total est simplement fonction du
rapport des extremums Rmax sur Rmin, élevé au cube.
Pour terminer, la quadrature en ξ (3.43) est directement injectée dans le
produit de convolution initial (3.27) :
Gf (xp) ≈
X
Ny
q=1
f(yq)
X
Nξ
l=1
ωle
iξl
·xp e
−iξl
·yq
,
pour aboutir au calcul rapide par SCSD :
Gf (xp) ≈
X
Nξ
l=1
e
iξl
·xp
X
Ny
q=1
e
−iξl
·yq f(yq)
ωl
. (3.45)
Ce résultat, fondateur de la méthode de Décomposition Creuse en Sinus Cardinal,
est le pendant discret du théorème d’addition de Gegenbauer (3.26),
qui conduit à la séparation des variables en FMM. En comparaison, cette
formulation est bien moins complexe et le calcul des sommes du type :
Xn
q=0
e
±iap·bq h(bq) avec (ap, bq) ∈ R
3
,
peut être réalisé par transformée de Fourier 3D rapide, non uniforme en espace/fréquence.
Cet algorithme, plus connu sous le nom de Type-III Non
Uniform Fast Fourier Transform (NUFFT), est notamment utilisé en traitement
d’image et propose une complexité quasi-linéaire N log N (e.g. [24],
[36], [61]). Un calcul de produit matrice-vecteur en SCSD (3.45) se résume
donc à :
1191. Passer du domaine spatial (en y) vers le domaine de Fourier (en ξ), par
NUFFT directe de type-III ;
2. Multiplier le résultat obtenu par les poids ωl
, liés aux quadratures de
la SCSD ;
3. Retourner dans l’espace (en x) par NUFFT inverse de type-III.
In fine, comme le produit matrice-vecteur (3.27) est issu d’une convolution
spatiale entre le noyau de Green G(x, y) et la fonction régulière f(y) (eq. 3.7),
la SCSD reflète simplement l’idée qu’une telle convolution se traduit en
domaine de Fourier par un produit. Toute l’originalité de la méthode ré-
side finalement dans l’efficacité et la robustesse de la quadrature monodimensionnelle
(3.34).
3.3.4 Extension vers Laplace (et plus si affinités...)
Avant de poursuivre vers des résultats applicatifs, une légère digression
mérite d’être faite pour les problèmes de Laplace, qui interviennent dans
de nombreux domaines de la physique (Électrostatique, Magnétostatique,
Gravitation, etc.). Introduite par l’équation :
−∆u = f, avec f régulière sur R
3
,
la solution générale d’un problème de Laplace est formée par interactions
Coulombiennes :
u(x) = ELap ? f(x) = Z
R3
f(y)
4π|x − y|
dy,
dont la version discrète s’écrit :
u(xp) = X
Ny
q=1
1
4π|xp − yq|
f(yq). (3.46)
Sensiblement proche des interactions helmholtziennes (3.27), seules les oscillations
liées à l’exponentielle complexe n’apparaissent plus dans ce nouveau
noyau de Green.
Or, le problème mono-dimensionnel a été résolu à la fois pour la quadrature
du cosinus (3.34) et pour celle de l’unité (3.36). En effet, les résultats
précédents montrent bien que l’unité peut être approchée comme une somme
pondérée de sinus, pour une précision donnée sur un intervalle [Rmin, Rmax].
Par conséquent, suivant le même raisonnement, les grandes étapes de la Dé-
composition Creuse en Sinus Cardinal du noyau de Laplace sont données
120Figure 3.13 – Représentation du nombre total de points N0
ξ d’une quadrature
CSD, pour le noyau de Laplace (3.48). (Haut) Rmin dans [2, 3] et
Rmax = 150, pour une précision relative fixée à 10−3
. (Milieu) Rmin = 3
et Rmax dans [10, 250], pour une précision relative fixée à 10−3
. (Bas)
[Rmin, Rmax] = [3, 50] pour une précision relative dans [10−12
, 10−2
].
121par :
1
4π|xp − yq|
≈
X
N
n=0
βn
sin(ρn|xp − yq|)
4π|xp − yq|
,
≈
1
(4π)
2
X
N
n=0
βnρn
Z
S2
e
iρns·xp e
−iρns·yq ds,
≈
1
(4π)
2
Nξ
X0
l=1
ω
0
l
e
iξ0
l
·xp e
−iξ0
l
·yq
,
avec ξ
0
l
et ω
0
l
similaires à ξl et ωl dans (3.42) :
ξ
0
l = ρns dans R
3
et ω
0
l =
βnρnωs
(4π)
2
dans R. (3.47)
Ce résultat offre donc une séparation des variables identique à l’équation
(3.45) :
u(xp) ≈
N0 X
ξ
l=1
e
iξ0
l
·xp
X
Ny
q=1
e
−iξ0
l
·yq f(yq)
ω
0
l
, (3.48)
où chaque somme peut être calculée rapidement par NUFFT de type III.
L’étude détaillée des quadratures du noyau de Laplace n’est pas présentée
ici, mais la figure 3.13 montre bien que la loi sur Nξ, établie pour Helmholtz
(eq. 3.44), semble toujours vérifiée pour Laplace. De plus, l’article [5] disponible
en annexe propose une revue théorique de la SCSD pour Laplace,
étendue ensuite sur Helmholtz. Cet article fait donc office de référence en la
matière et n’est donc pas repris dans ce manuscrit.
Il est donc fondamental de remarquer qu’une même méthode générique
peut-être appliquée à deux noyaux distincts, en vue de calculer rapidement
des interactions ponctuelles, oscillantes ou non. Cette constatation s’étend
aux noyaux de Stokes ou Maxwell, respectivement dérivés des noyaux de Laplace
et d’Helmholtz, ou plus largement encore à tous noyaux de Green exprimés
en domaine de Fourier. Par conséquent, la SCSD est intrinsèquement
multi-physique, contrairement à la FMM, qui nécessite des développements
propres à chaque noyau. À elle seule, cette remarque peut justifier l’intérêt
des recherches effectuées sur cette nouvelle méthode.
1223.4 Comparaisons et performances
Comme les produits de convolution par les noyaux de Green pour Helmholtz
(3.27) et Laplace (3.46) sont tous deux définis par :
Gp =
X
N
q=1
G(xp, xq)fq ∀p ∈ [1, N], (3.49)
un nuage de N points x est défini dans R
3
, associé à un vecteur (fq)q∈[1,N]
de valeurs aléatoires complexes. Une routine Matlab a été programmée pour
comparer l’évaluation du produit Gp (3.49) par différentes méthodes, dont
la SCSD. Ce code n’est pas un solveur d’équations intégrales, mais un outil
de validation analytique. La machine utilisée pour l’ensemble des tests de
cette section est un PC portable disposant de 8 GO de mémoire vive et d’un
processeur à 8 cœurs cadencés à 1.6 GHz.
3.4.1 Méthodologie
En premier lieu, le nuage de N points x dans R
3
est créé suivant trois
répartitions :
– Aléatoire dans une boule ;
– Aléatoire dans un cube ;
– Uniforme sur une sphère.
Chacune de ces répartitions est centrée en zéro, de sorte à maximiser par
symétrie l’efficacité de la méthode SCSD. Pour assurer un régime fréquentiel
adapté aux méthodes approchées, une normalisation sur la position des points
x est effectuée : la plus grande distance au sein du nuage est imposée telle
que Rmax =
√3 N et le nombre d’onde k, intervenant dans le noyau de Green
de Helmholtz (3.6), est fixé à 1.
Une fois le domaine de calcul établi, la SCSD a été programmée en neuf
grandes étapes, tirées des formulations du produit de convolution (3.49) pour
Helmholtz (3.45) et Laplace (3.48) :
1. Quadrature hybride de l’unité ou du cosinus pour les interactions lointaines
dans [Rmin, Rmax] ;
2. Quadrature des sphères d’intégrations et construction du domaine de
Fourier en (ξl)l∈[1,Nξ] associé aux poids (ωl)l∈[1,Nξ]
;
3. NUFFT type-III directe de l’espace (xq)q∈[1,N] vers les fréquences (ξl)l∈[1,Nξ]
,
appliquée sur (fq)q∈[1,N]
;
4. Pondération du résultat précédent par les poids de quadrature (ωl)l∈[1,Nξ]
;
1235. NUFFT type-III inverse des fréquences (ξl)l∈[1,Nξ] vers l’espace (xp)p∈[1,N]
,
appliquée sur le résultat pondéré ;
6. Recherche des interactions proches, définies par |xp − xq| ≤ Rmin ;
7. Calcul du noyau de Green pour les interactions proches ;
8. Calcul de la partie réelle de la quadrature SCSD pour les interactions
proches, inexacte, mais régulière sur [0, Rmin] ;
9. Addition des résultats issus des interactions proches et lointaines, puis
soustraction des évaluations inexactes SCSD.
Cet algorithme permet une implémentation vectorielle relativement simple.
Aussi, toutes les routines ont été écrites nativement en Matlab, à l’exception
de la NUFFT qui dispose de nombreuses versions .mex en accès libre sur
internet (e.g. [93], [94], [95], [96], etc.). Après quelques tests comparatifs, celle
proposée par L. Greengard [95] a été choisie, notamment pour sa rapidité, sa
précision et sa simplicité d’utilisation.
Pour valider les résultats issus de la SCSD, deux autres méthodes ont
servi de référence au calcul du produit de convolution (3.49) :
– La méthode directe, notée DM (exacte, complexité quadratique) ;
– La méthode multipolaire rapide FMM (approchée, complexité quasilinéaire).
Les deux routines utilisées sont issues d’une autre librairie Fortran écrite par
L. Greengard, toujours interfacée Matlab, mais dédiée cette fois au calcul
intégral [88]. Étant donné que L. Greengard est un pionnier de la FMM, les
comparaisons avec cette librairie ont semblé toutes naturelles. Pour s’assurer
du bon réglage de ces outils, la précision machine a été vérifiée sur des petits
cas (N < 10000), en comparant les méthodes directe et rapide proposées par
L. Greengard, avec un produit de convolution écrit nativement en Matlab.
Afin d’être le plus objectif possible, le multi-threading a été désactivé pour
les exécutions Matlab (options ’-singleCompThread’ au démarrage) et pour
les bibliothèques externes (re-compilées sans OpenMP). Seul le parallélisme
du calcul direct de la méthode exacte en Fortran a été conservé, afin de
minimiser l’impact de la complexité quadratique sur les temps de calcul.
3.4.2 Résultats
La figure 3.14 compare les temps de calcul de la convolution avec le noyau
de Laplace, en fonction du nombre N de points dans l’espace. La précision
des méthodes relatives est fixée à 10−3
et Rmin est fixé à 1. Tout d’abord, il
apparaît que la méthode directe présente bien des temps de calcul supérieurs,
ce qui est attendu. Ensuite, les temps d’assemblage FMM et SCSD sont
124Figure 3.14 – Temps totaux comparatifs pour la convolution (3.49) du noyau
de Laplace, en fonction du nombre N de points x en interactions dans R
3
.
La précision relative des méthodes approchées est fixée à 10−3
et Rmin = 1
pour la SCSD. 125comparables sur une boule, alors que la FMM est légèrement plus rapide
pour le cube et bien plus rapide pour la sphère. Ceci peut s’expliquer par les
fondements même de chaque méthode :
– La SCSD est optimale pour les répartitions volumiques dans une boule.
En effet, sa complexité est fonction de la quadrature en domaine de
Fourier, dont le nombre de points Nξ est, dans ce cas, très proche de N
(eq. 3.44 avec Rmin = 1 et Rmax =
√3 N) ;
– La FMM est plus adaptée aux répartitions volumiques dans un cube,
de par le découpage de l’espace en octree. De plus, quelle que soit la
répartition spatiale, sa complexité reste N log N. C’est pourquoi le cas
sphérique n’est pas plus difficile en FMM.
Par ailleurs, toutes les erreurs relatives finales obtenues entre méthode directe,
FMM et SCSD sont de l’ordre de grandeur de la précision souhaitée
(dans ce cas ≈ 10−3
). Enfin, autant la pente de la méthode directe montre
bien une complexité plus grande que les méthodes approchées, autant la
SCSD et la FMM présentent la même linéarité, malgré quelques accrocs numériques
inexpliqués. Ceci laisse penser que la complexité empirique de la
SCSD pourrait être du même ordre que celle de la FMM, de mille à un million
de points en interactions (soit mille milliards d’interactions calculées).
De plus, en pré-calculant les interactions proches lors de calculs itératifs, le
produit matrice-vecteur résultant (SCSD - MV, fig. 3.14) est quant à lui tout
à fait compétitif avec la FMM.
La figure 3.15 présente les mêmes courbes que la figure 3.14, mais pour une
convolution avec le noyau oscillant de Helmholtz. La précision des méthodes
relatives est toujours fixée à 10−3
, et Rmin à 1. Quelle que soit la répartition
spatiale de x dans R
3
, il apparaît cette fois que la méthode SCSD est la plus
rapide. De plus, les pentes des courbes des méthodes approchées montrent
toujours une complexité empirique équivalente. Enfin, le pré-calcul des parties
proches lors de résolutions itératives offre un produit matrice-vecteur
particulièrement rapide.
Pour terminer, la figure 3.16 donne les temps de calculs pour les convolutions
de Laplace et Helmholtz sur une sphère, avec une précision fixée à 10−6
.
Pour réaliser des calculs SCSD en accord avec la loi (3.44), Rmin a été augmenté
et fixé arbitrairement à 3. Il apparaît de nouveau une grande similitude
pour les divers temps de résolution, malgré une précision relative mille fois
supérieure. Par conséquent, la SCSD montre en outre une certaine robustesse
à la précision, comparable à celle de la FMM.
En conclusion, la SCSD semble tout à fait comparable à la FMM, tant en
terme de complexité que de précision. La plupart des résultats présentés a
d’ailleurs été démontrée dans un article rédigé en parallèle de ce manuscrit,
ce qui a permis de valider et maîtriser pleinement cette approche [5]. De plus,
126Figure 3.15 – Temps totaux comparatifs pour la convolution (3.49) du noyau
de Helmholtz, en fonction du nombre N de points x en interactions dans R
3
.
La précision relative des méthodes approchées est fixée à 10−3
et Rmin = 1
pour la SCSD.
127Figure 3.16 – Temps totaux comparatifs pour la convolution (3.49) des
noyaux de Laplace (Haut) et Helmholtz (Bas), en fonction du nombre N de
points x en interactions dans R
3
. La précision relative des méthodes approchées
est fixée à 10−6
et Rmin = 3 pour la SCSD.
128de nombreuses optimisations mathématiques et algorithmiques sont encore
envisageables (et envisagées) pour chacune des étapes de cette méthode (pré-
calculs, parallélismes, amélioration des quadratures, etc.), ouvrant un large
pan de recherche pour de futurs travaux. Par ailleurs, comme le même code
Matlab a été utilisé pour calculer les produits de convolution (3.49) pour Laplace
(3.48) et Helmholtz (3.45), ces optimisations impacteront directement
toutes les physiques compatibles (gravitation, acoustique, électromagnétisme,
mécanique des fluides, etc). C’est pourquoi cette méthode a d’ores et déjà
été implémentée avec succès dans un moteur de calcul d’équations intégrales
pour l’acoustique, présenté dans le dernier chapitre de ce manuscrit.
129130Chapitre 4
Moteur intégral MyBEM
Une fois la SCSD validée pour le calcul des interactions au sein d’un nuage
de points, elle fut aussitôt implémentée dans une nouvelle routine Matlab, qui
assemble par collocation les opérateurs sphériques de simple couche (3.18) et
de double couche (3.19). En estimant les interactions lointaines par le produit
matrice-vecteur (3.45), des solutions tirées d’une résolution itérative sont obtenues,
pour des problèmes de diffraction de 1 000 à 50 000 inconnues. Ces
résultats furent alors confrontés aux solutions analytiques du rayonnement
sphérique, avec succès. Ce principe montra de bonnes performances, mais il
n’était pas possible d’aller plus loin sans une approximation de Galerkin bien
établie. Il fut donc décidé d’implémenter la SCSD dans un vrai moteur de
calcul intégral en éléments finis P
1
(MyBEM), dont le prototype est présenté
dans ce dernier chapitre. Ce moteur a été développé en collaboration avec
François Alouges à partir d’une librairie Matlab dont il est l’auteur, initialement
conçue pour l’enseignement des éléments finis 2D. Ce co-développement
a permis d’en étendre rapidement et très significativement la portée.
4.1 Présentation
MyBEM est une librairie de calcul intégral par éléments finis de frontières,
appliquée à l’acoustique tri-dimensionnelle et nativement écrite en
langage Matlab. De nombreux services connexes y ont été associés, comme
la gestion de maillage, le pré/post-traitement de données et la visualisation
de résultats. De prime abord, le choix d’une implémentation Matlab peut
surprendre au regard des performances exigibles en calcul numérique, mais
cette plateforme fut initialement adoptée pour assurer un prototypage rapide
et efficace. Au final, il aura fallu moins d’une année pour aboutir à la version
présentée dans ce manuscrit. Par ailleurs, une vectorisation drastique de
131Figure 4.1 – MyUI, interface graphique de MyBEM, prototype Matlab pour le calcul intégral en acoustique tridimensionelle.
132l’ensemble des opérations a été effectuée, ceci afin d’assurer des performances
comparables à celles obtenues par des langages de plus bas niveau. Enfin, la
Parallel Computing Toolbox proposée par Mathwork a définitivement scellé
ce choix, puisque les calculs les plus gourmands ont pu bénéficier d’un multithreading
efficace, au prix d’un effort de développement réellement modique
(remplacer les boucles "for" par "parfor"). En pratique, les temps de calcul
sont en moyenne divisés par cinq sur une machine comptant huit cœurs.
MyBEM est programmé dans une logique objet et les fonctions membres
comme les attributs sont accessibles par appels directs, ou par interface graphique
dédiée à l’utilisateur (MyUI, fig. 4.1). L’ensemble des données et des
traitements est inclu dans six objets distincts, relatifs aux différentes étapes
intervenant dans la résolution d’une formulation intégrale :
1. Mesh : Contient l’ensemble des données sur maillages, ainsi que les
routines de lecture de fichiers .vtk, .ply, .mat, .mesh, etc. Toutes les
données utiles (arêtes, normales, tangentes, surfaces, etc.) sont calculées
par MyBEM, à partir des nœuds et des éléments.
2. Mef : Contient l’ensemble des données relatives à l’espace d’éléments
finis des méthodes de Galerkin (degrés de liberté, fonctions de bases,
formules d’intégrations, matrices d’intégrations de Gauss, etc.). Ces
données sont automatiquement générées à partir des maillages et ne
nécessitent, a priori, aucune intervention de la part de l’utilisateur.
Dans sa version actuelle, MyBEM se limite aux formulations P
1
, avec
les inconnues aux nœuds de mailles triangulaires. Des travaux sont en
cours pour ajouter d’autres éléments finis.
3. Opr : Contient l’ensemble des données relatives aux opérateurs inté-
graux usuels (eq. 3.16 à 3.23), ainsi que les différentes méthodes pour les
assembler. En effet, MyBEM propose non seulement une construction
matricielle classique par évaluation exacte des noyaux de Green, mais
aussi des assemblages FMM et SCSD de produits matrices-vecteurs approchés
(3.27). Dans tous les cas, les opérateurs sont construits à partir
des interactions entre les points de Gauss des éléments finis, puis intégrés
pour former le système final aux degrés de liberté. Par ailleurs,
pour limiter les erreurs dues aux singularités, les intégrations proches
sont régularisées analytiquement [77].
4. Sol : Contient l’ensemble des données relatives à la modélisation mathé-
matique du problème de diffraction, ainsi qu’à sa résolution. Les fonctions
membres permettent à l’utilisateur de définir les sources [ondes
planes (3.3) ou ondes sphériques (3.4)], les conditions de bord [Dirichlet
(3.13) ou Neumann (3.14)] et le prolongement de la trace. Le
système linéaire correspondant est ensuite établi, puis résolu de ma-
133nière directe ou itérative selon la méthode d’assemblage choisie pour
former les opérateurs. De plus, pour accélérer les résolutions itératives,
des préconditionneurs issus des identités de Calderón (3.12) sont couplés
à la décomposition LU des interactions proches (e.g. [54], [79]). Les
solutions alors obtenues sont rendues en saut, pour conserver le cadre
généraliste des formulations indirectes.
5. Rad : Contient l’ensemble des services de post-traitement des résultats,
notamment de rayonnement dans l’espace. Par exemple, des solutions
peuvent être calculées sur le maillage surfacique initial, mais aussi sur
un maillage volumique quelconque fourni par l’utilisateur, ainsi que
dans toutes les directions d’un rayonnement infinitésimal.
6. Draw : Contient l’ensemble des outils de visualisation graphique, en
domaine fréquentiel et temporel.
Parmi l’ensemble des traitements proposés par MyBEM, trois librairies externes
interfacées avec Matlab ont été utilisées :
– FMM : Librairie Fortran de L. Greengard [88], pour le calcul de produits
matrices-vecteurs approchés. La routine d’interaction ponctuelle
hfmm3dpart de L. Greengard est couplée aux matrices d’intégrations de
Galerkin calculées par MyBEM pour obtenir une formulation éléments
finis P
1
. Cette librairie est utilisable pour les maillages conséquents,
lorsque l’assemblage matriciel des opérateurs n’est plus envisageable.
Elle est nativement parallèle.
– NUFFT : Librairie Fortran de L. Greengard [95], pour le calcul de
transformées de Fourier non uniformes, de une à trois dimensions. La
routine nufft3d3 intervient dans la SCSD. Bien que déjà très performante,
elle est néanmoins non parallèle, ce qui impacte les temps
de calcul lors des résolutions itératives. De plus, de nombreux pré-
calculs pourrait être réalisés, toujours en vue de minimiser les temps
de chaque itération. C’est pourquoi le développement d’une nouvelle
librairie NUFFT est actuellement envisagé.
– OpenTSTOOL : Librairie C++ de C. Merkwirth [98], pour le calcul
rapide de distances au sein d’un nuage de points. La routine range_
search est utilisée par la SCSD pour rechercher et calculer les interactions
ponctuelles dont la distance est inférieure au rayon Rmin. Cette
librairie n’est pas parallèle, mais son usage est très localisé donc peu
impactant. Par ailleurs, la fonction rangeSearch est aussi proposée par
MathWorks dans la Statistics Toolbox, mais celle-ci n’était pas à disposition
lors de la création de MyBEM.
134Avant de clore cette brève présentation, il n’est pas inutile de préciser que
l’interface graphique MyUI (fig. 4.1) interagit par callback avec chacune de
ces structures. C’est pourquoi, les différentes étapes de résolution liées à ces
objets ont été identifiées par couleurs : en bleu la gestion de maillage, en
jaune la création des opérateurs, en rouge la résolution du problème et en
vert le post-traitement. Seuls les éléments finis ne sont pas visibles, puisque
leur paramétrisation n’est pas nécessaire et requiert une certaine expertise.
4.2 Validations
Un protocole de validation analytique de la librairie MyBEM a été mis
en place dès l’obtention des premiers résultats numériques. Celui-ci permet
d’assurer le bien-fondé des solutions obtenues, ainsi qu’une assurance de nonrégression
lors des fréquentes mises à jour. Lors de ces tests, les divers temps
de calcul sont aussi comparés, ce qui permet l’élaboration d’algorithmes toujours
plus rapides, avec une précision maîtrisée. Par ailleurs, des résultats
similaires sont discutés dans [22] et peuvent être confrontés à ceux présentés
ici. Enfin, tous les résultats de cette section ont été calculés sur une machine
disposant de 8 cœurs cadencés à 3.3 Ghz, de 128 Go de mémoire vive et de
la version R2013a de Matlab.
Lorsqu’une onde plane (3.3) est diffractée par une sphère, des solutions
explicites peuvent être calculées analytiquement à l’aide d’une décomposition
en harmoniques sphériques [23]. En effet, pour des conditions de Dirichlet au
bord de la sphère (3.13), le système :
−(∆u + k
2u) = 0 dans Ω
e
,
u = uD = −e
−ik·x
sur S
2
,
r (∂ru + iku) → 0 quand r → +∞,
possède des solutions analytiques, données en coordonnées sphériques par :
uref (r, θ, φ) = X∞
n=0
i
n
(2n + 1)κnh
(2)
n
(kr)Pn(cos(γ)). (4.1)
γ représente l’angle d’incidence avec la direction k de l’onde plane et la
constante κn est définie par :
κn = −
jn(k)
h
(2)
n (k)
, (4.2)
135Figure 4.2 – Champ total issu de la diffraction d’une onde plane par
une sphère unité, à la fréquence f = 300 Hz. Représentation en décibel
(20 log |u|). (Haut) Solutions analytiques. (Bas) Solutions numériques calculées
par MyBEM, pour une sphère à 1000 inconnues. (Gauche) Problème de
Dirichlet. (Droite) Problème de Neumann.
136avec jn la fonction de Bessel sphérique et h
(2)
n
la fonction de Hankel sphérique
de seconde espèce. Cette solution décrit exactement l’évolution du champ
diffracté pour tout r ≥ 1 et la série converge suffisamment rapidement pour
être estimée avec une bonne précision. Par ailleurs, pour un problème de
Neumann, le système :
−(∆u + k
2u) = 0 dans Ω
e
,
∂nu = uN = −∂ne
−ik·x
sur S
2
,
r (∂ru + iku) → 0 quand r → +∞,
a pour solution (4.1), avec une nouvelle constante κn :
κn = −
j
0
n
(k)
h
(2)0
n (k)
. (4.3)
À titre d’exemple, des solutions analytiques de problèmes de diffraction sphé-
riques de Dirichlet et Neumann ont été représentées en haut de la figure 4.2
(respectivement à gauche et à droite). Des solutions numériques issues de
MyBEM, sur un maillage de sphère à 1000 inconnues, sont quant à elles visibles
en bas de cette même figure. Toutes ces représentations sont données
en décibel (20 log |u|).
Même si les résultats concordent à première vue, la décroissance du rayonnement
en 1
r
complique l’utilisation d’une mesure objective de l’erreur commise
dans l’espace. C’est pourquoi la solution en champ lointain, indépendante
de la distance r, a été préférentiellement choisie :
u
∞
ref (θ, φ) = i
k
X∞
n=0
(−1)n
(2n + 1)κnPn(cos(γ)). (4.4)
Comme cette solution est symétrique par rapport à l’incidence k, l’évaluation
pour γ dans [0, 2π] est suffisante, voire préférable pour la lisibilité des résultats.
Par ailleurs, l’équivalent numérique de (4.4), noté u
∞, est donné par
le rayonnement des potentiels de champ lointain (3.22) et (3.23). Ce rayonnement
a donc été ajouté dans les fonctionnalités proposées par MyBEM,
avec une évaluation rapide par NUFFT type-III. L’analyse des résultats est
réalisée à la fois par superposition graphique des deux solutions et par l’intermédiaire
des normes quadratiques et infinies du rapport signal sur bruit
137(Signal/ Noise Ratio), définies par :
SNR2 =
vuuut
1
Nγ
X
γi∈[1,Nγ]
20 log 10
u∞(γi)
u∞
ref (γi)
!2
, (4.5)
SNR∞ = max
γi∈[1,Nγ]
20 log 10
u
∞(γi)
u∞
ref (γi)
!
. (4.6)
Les résultats de validation présentés dans les différents tableaux de la
figure 4.3 ont été obtenus en utilisant les formulations Brackage-Warner des
problèmes de Dirichlet et Neumann préconditionnés. Ce choix découle essentiellement
de la forme bien posée issue du prolongement de Robin, qui
assure l’existence et l’unicité de la solution quelque soit la fréquence. Les
différentes méthodes d’assemblage proposées dans MyBEM sont comparées
(BEM, FMM et SCSD), en précision (SNR2 et SNR∞), mais aussi en
temps d’assemblage des parties proches (tpsP ) et temps de résolution (tpsR).
Le nombre d’itérations des résolutions approchées est précisé (Niter), ce qui
donne une estimation du temps passé dans un produit matrice-vecteur. Pour
tous les problèmes étudiés, les sphères unités sont maillées à l’aide de grilles
uniformes de Fibonacci, de 103 à 106 points. Étant donné que MyBEM est
programmé en formulation variationnelle approchée par éléments finis de
frontière P
1
, les N inconnues correspondent exactement aux sommets du
maillage. Par ailleurs, comme 3 points de Gauss ont été utilisés par élé-
ments, le calcul des interactions ponctuelles pour l’assemblage des différents
opérateurs a donc lieu entre les 6N points de gauss. De plus, pour qu’une
longueur d’onde soit représentée au minimum par 6 inconnues, la fréquence
f a été ajustée pour chaque grille, en fonction de la taille de la plus grande
arête amax (kamax ≈ 1). Enfin, la précision des méthodes approchées a été
fixée à 10−3
, au même titre que celle du solveur GMRES [76] utilisé pour
les résolutions itératives de la FMM et de la SCSD. En complément de ces
données, les figure 4.4 et 4.5 offrent une représentation graphique des rayonnements
analytiques u
∞
ref , superposés aux solutions numériques u
∞ obtenues
par SCSD.
Il apparaît d’une part que les rapports signal sur bruit (SNR) sont
stables, et montrent une grande précision pour tous les résultats. En effet,
l’écart entre les solutions numériques et analytiques sont de l’ordre de
10−2 dB en norme quadratique et 10−1 dB en norme infinie. Ces performances
se retrouvent dans les représentations graphiques des figures 4.4 et
4.5, puisque les solutions numériques et analytiques sont trait sur trait, en
échelle logarithmique (dB). Les temps de calcul totaux, somme des temps
d’assemblage des parties proches tpsP et des temps de résolution tpsR, sont
138DIRICHLET BEM FMM SCSD
N f (Hz) krmax SNR2 SNR∞ SNR2 SNR∞ SNR2 SNR∞
103 300 5 0.017 0.032 0.033 0.067 0.016 0.032
104 1000 19 0.002 0.008 0.017 0.060 0.009 0.024
105 3200 118 - - 0.011 0.039 0.019 0.073
106 10000 368 - - 0.021 0.120 0.014 0.090
NEUMANN BEM FMM SCSD
N f (Hz) krmax SNR2 SNR∞ SNR2 SNR∞ SNR2 SNR∞
103 300 5 0.050 0.161 0.052 0.159 0.047 0.158
104 1000 19 0.021 0.134 0.026 0.201 0.019 0.179
105 3200 118 - - 0.015 0.093 0.017 0.110
106 10000 368 - - 0.025 0.214 0.013 0.061
DIRICHLET BEM FMM SCSD
N f (Hz) krmax tpsP tpsR tpsP tpsR Niter tpsP tpsR Niter
103 300 5 1.78 0.13 0.74 1.02 5 0.96 0.71 5
104 1000 19 140 22.4 3.21 12.5 7 4.49 3.58 7
105 3200 118 - - 23.4 174 9 56.7 39.1 9
106 10000 368 - - 235 2460 12 782 618 12
NEUMANN BEM FMM SCSD
N f (Hz) krmax tpsP tpsR tpsP tpsR Niter tpsP tpsR Niter
103 300 5 1.78 0.13 0.74 2.83 5 0.96 0.84 5
104 1000 19 140 24.2 3.21 34.8 6 4.49 4.59 6
105 3200 118 - - 23.4 479 7 56.7 47.0 7
106 10000 368 - - 235 6324 9 782 740 9
Figure 4.3 – Tableaux comparatifs de la précision et des temps de calculs de
MyBEM pour un problème de diffraction sphérique de 103 à 106
inconnues.
Tous les temps sont donnés en secondes et les SNR sont données en décibel
(20 log |u|).
139Figure 4.4 – Représentations en décibel des diagrammes de rayonnement
en champs lointains des solutions analytiques (u
∞
ref ) et numériques, obtenues
par MyBEM en SCSD (u
∞
SCSD). (Gauche) Problèmes de Dirichlet. (Droite)
Problèmes de Neumann.
140Figure 4.5 – Représentations en décibel des diagrammes de rayonnement en
champs lointains des solutions analytiques (u
∞
ref ) et numériques, obtenues par
MyBEM en SCSD (u
∞
SCSD). (Haut) Problèmes de Dirichlet. (Bas) Problèmes
de Neumann.
141favorables à la méthode SCSD. En effet, bien qu’assez performante dans
son assemblage, la BEM ne peut pas résoudre des problèmes d’une taille
supérieure à 25 000 inconnues, puisque le stockage mémoire des opérateurs
explose de façon quadratique. D’autre part, la FMM est globalement moins
rapide que la SCSD, à précision équivalente. Néanmoins, ces résultats sont
à nuancer par les nombreuses différences intrinsèques aux deux algorithmes
(niveau de langage, parallélisme de la FMM mais pas des NUFFT, accessibilité
aux différentes étapes de construction, etc.), qui rendent hasardeuse
toute conclusion objective. De nouvelles études sont donc à prévoir, ainsi que
divers benchmark, mais il apparaît déjà que MyBEM, l’interface FMM de L.
Greengard et la nouvelle méthode rapide SCSD semblent prometteurs pour
réaliser du calcul intégral haute performance sous Matlab.
4.3 Applications au calcul de HRTF
La validité des calculs de la librairie intégrale MyBEM étant désormais
établie, des exemples d’applications plus concrètes sont présentés dans cette
dernière section. Pour ne pas s’écarter du but initial, des simulations sur des
maillages de têtes et d’oreilles ont été effectués. Néanmoins, par manque de
temps, la construction d’une HRTF complète n’a pas encore été réalisée et
fera l’objet de travaux futurs, en vue d’une confrontation finale aux mesures
réelles.
Dans un premier temps, des maillages de calcul ont été générés en trois
étapes (fig. 4.6). Tout d’abord, un maillage initial d’une tête artificielle Neumann
KU100 [91] a été réalisé par balayage optique, à l’aide de la Kinect [90]
et du kit de développement Microsoft. Ce maillage n’étant pas utilisable en
l’état (trous, intersections d’éléments, abérations géométriques, etc.), l’oreille
gauche en a été extraite. Ensuite, un maillage paramétrique de "tête" a été
créé sous Matlab, à partir d’une grille sphérique de Fibonacci, déformée en
ovoïde. Pour finir, les deux maillages ont été fusionnés sous Matlab, puis corrigés
et rééchantillonnés à l’aide d’outils comme MeshLab [92], Remesh [97],
VTK [99], etc. Trois maillages de tête ont ainsi été générés, comptant respectivement
4 000, 15 000 et 50 000 sommets, pour des fréquences optimales
de 5 000, 10 000 et 20 000 Hz. En complément, l’oreille tirée du maillage
initial a été fermée par un demi-ovoïde, pour disposer d’un maillage d’étude
de petite taille, fonctionnel sur toute la bande de fréquence audible. Ce dernier
maillage ne comte que 6 000 sommets, ce qui autorise l’assemblage BEM
exact avec résolution directe.
À partir de ces maillages, une première application de MyBEM a consisté
à calculer des modes de résonance du pavillon auditif, notamment pour tes-
142Figure 4.6 – Balayage de la tête artificielle Neumann KU100 par mesures
optiques Kinect, et création de maillages de calcul. (Haut) Système de mesure
de la tête Neumann et tête de Timothée. (Bas, gauche) Maillage obtenu avec
le kit de développement Microsoft. (Bas, droite) Maillage final par fusion de
l’oreille gauche sur un ovoïde.
143Figure 4.7 – (Gauche) Excitation par onde plane de l’oreille fermée.
(Droite) Modes de résonances du pavillon obtenus par BEM. (Haut) 5 000
Hz. (Milieu) 10 000 Hz. (Bas) 20 000 Hz.
144Figure 4.8 – (Gauche) Modes de résonances du pavillon obtenus par FMM.
(Droite) Modes obtenus par SCSD. (Haut) 5 000 Hz. (Milieu) 10 000 Hz.
(Bas) 20 000 Hz.
145Figure 4.9 – Modes de résonance du pavillon avec diffraction par une tête
ovoïdale. (Gauche) Assemblage BEM et FMM en bas. (Droite) Assemblage
SCSD uniquement. (Haut) 5 000 Hz. (Milieu) 10 000 Hz. (Bas) 20 000 Hz.
146ter les trois méthodes d’assemblage (BEM, FMM et SCSD) sur un cas
concret difficile. Pour chaque fréquence (5 000, 10 000 et 20 000 Hz), le problème
de Neumann homogène a été résolu, modélisant mathématiquement la
rigidité de la peau [50]. Les formulations en Brackage-Werner ont été choisies
pour assurer l’existence et l’unicité de la solution, préconditionnées par
identités de Calderón et décomposition LU, et toutes les précisions ont été
fixée à 10−3
. Les solutions sont représentées sur les figures 4.7, 4.8 et 4.9, en
décibel (20 log |u|), avec les temps suivants :
OREILLE BEM FMM SCSD
f (Hz) tpsP tpsR tpsP tpsR Niter tpsP tpsR Niter
5 000 58.0 7.10 2.34 41.6 14 5.75 5.80 14
10 000 56.5 7.26 2.42 44.7 15 5.95 5.55 15
20 000 57.2 7.07 2.36 52.4 17 5.73 6.17 17
TÊTE BEM FMM SCSD
f (Hz) tpsP tpsR tpsP tpsR Niter tpsP tpsR Niter
5 000 19.6 2.45 1.84 17.5 8 5.00 2.49 8
10 000 454 77.8 5.28 101 12 15.4 10.9 12
20 000 - - 14.8 434 18 46.8 50.2 18
D’une part, pour un cas non trivial (résonances dans plusieurs cavités de
tailles diverses), la concordance entre toutes ces figures montre bien que l’ensemble
des méthodes d’assemblage implémentées dans MyBEM donnent des
résultats tout à fait comparables. En considérant la BEM comme la référence
(assemblage et résolution exacte), les méthodes approchées semblent donc relativement
robustes. D’autre part, la SCSD montre des temps totaux plus
rapides que les deux autres méthodes, pour un nombre d’itérations identique
aux FMM.
Pour terminer, un embryon de calcul HRTF a été pratiqué sur un maillage
de tête réelle (fig. 4.10). Fourni par P. Frey [89], ce maillage présente 15 000
sommets et autorise les calculs jusqu’à 5 000 Hz. La méthode consiste à placer
une source ponctuelle au creux du pavillon auditif (étoile cyan, fig. 4.10),
puis résoudre le problème de Neumann homogène associé avant de faire rayonner
les solutions obtenues sur la sphère unité (e.g. [49], [50], [39]). D’après
le principe de réciprocité, les déformations spectrales causées par la morphologie
sont alors bien prises en compte [87]. Pour valider la démarche, ce
147Figure 4.10 – Maillage de tête à 15 000 sommets, réalisé par P. Frey.
(Gauche) Vue de face. (Droite) Vue de profil, avec une étoile bleue au creux de
l’oreille droite, correspondant à la source ponctuelle pour le calcul de HRTF
par réciprocité.
problème a aussi été résolu sur un maillage sphérique de rayon a = 8.74
cm [58], avec une source ponctuelle placée à la surface en lieu et place de
l’oreille droite. Comme il existe une solution analytique (eq. 1.5, [25]), les
résultats numériques peuvent s’y référer. Pour ces derniers calculs, la formulation
Brackage-Werner préconditionnée a de nouveau été utilisée et la
précision fixée à 10−3
. Les figures 4.11 et 4.12 représentent en décibel les solutions
obtenues par BEM, FMM et SCSD, à 1 mètre de distance et 5 000 Hz.
Les temps de calcul sont résumés dans le tableau suivant :
SPHÈRE TÊTE
Méthode tpsP tpsR Niter tpsP tpsR Niter
BEM 29.9 4.38 - 805 70.1 -
FMM 1.28 18.4 6 8.24 85.6 11
SCSD 2.18 2.52 6 22.1 9.85 11
Tout d’abord, il apparaît que les rayonnements de la méthode exacte et
des méthodes approchées sont bien concordants dans le cas sphérique, et ces
résultats semblent coïncider avec le modèle de Duda (fig. 1.18). Néanmoins,
il existe quelques écarts entre les méthodes approchées et la méthode exacte,
visibles sur la tête réelle pour les gains relativement faibles (variations des
échelles de couleurs). Ceci peut s’expliquer par la finesse de ce problème, à
148Figure 4.11 – HRTF sphérique du modèle de Duda de rayon 8.74 cm, calculée
par MyBEM à 5 000 Hz, représentation en décibel sur la sphère unité.
(Haut) Assemblage BEM. (Bas, gauche) Assemblage FMM. (Bas, droite)
Assemblage SCSD.
149Figure 4.12 – HRTF du maillage de P. Frey calculée par MyBEM à 5 000 Hz,
représentation en décibel sur la sphère unité. (Haut) Assemblage BEM. (Bas,
gauche) Assemblage FMM. (Bas, droite) Assemblage SCSD.
150savoir le rayonnement en champ proche d’une source ponctuelle dans une
cavité, où des différences minimes peuvent générer des perturbations consé-
quentes. Mais vu l’ordre de grandeur relatif de ces écarts, il est possible qu’ils
soient inaudibles.
Aussi, ces calculs montrent que MyBEM est prêt pour la génération numérique
de HRTF par méthodes intégrales, que ce soit en BEM, FMM ou
SCSD. Pour générer une HRTF complète, il ne reste désormais plus qu’à
boucler sur les fréquences, en raffinant éventuellement le maillage de calcul.
151DÉFI IDIOT MAIS RÉUSSI : " Salut tout le monde ! Je suis désormais
en pleine phase de rédaction du manuscrit de thèse, c’est donc le moment de
m’envoyer votre liste de mots à caser (en français). Le principe de ce jeu est
le suivant, pour chaque mot soumis présent dans le manuscrit final, vous me
payez une bière de votre choix. Si le mot est jugé de façon impartiale mal
adapté au contexte, c’est moi qui régale... A vos plumes !"
– ADRIEN : platokaolinophile.
– ALAIN : zygomatique, xérodermie et yttrialite.
– ANTOINE : lama.
– BENJAMIN : courgette, pornographique.
– CAROLINE A. : érythème, eczéma, petit-jama, cromalin.
– CAROLINE F. : Tchoupi.
– CLAIRE A. : coelioscopie.
– CLAIRE Ette : formication et kyphonisme
– EMILIE : on ne vit pas dans le monde de oui-oui ! !
– FRANCOIS : procrastination, turlututu, François Fromont.
– FREDERIQUE : prurit.
– GUILLAUME : canal de Nidus, rage quit, GG.
– JULIE : priapisme.
– SOPHIE : ratatouille, sapristouille.
– STEPHANE : phugoïde.
– STEVEN : swag, "c’est aussi rébarbatif que de placer une béchamel
dans un micro-ondes soviétique pour la rendre déliquescente".
– THIBAULT : 1=0 ;
– TIMOTHÉE : censuré.
– VICTOR : immixtion, cristallisation, Canaan, prophète, Hypokhâgne,
Zoé, Django Reinhart, pronosthud.
– VINCENT : soviétique, rébarbatif, déliquescent, micro-ondes, béchamel.
– XAVIER : pachydermique.
ATTENTION : L’auteur de ce manuscrit n’est en rien responsable du
contenu de cette page et décline toute responsabilité quand au vocabulaire
employé ici.
152Conclusion
Pour conclure, l’ensemble des travaux présenté dans ce manuscrit offre des
perspectives réellement prometteuses. D’une part, la Décomposition par Modèle
Morphologique propose une nouvelle voie pour étudier les HRTF. Au lieu
de construire des filtres basés sur des considérations arbitraires, des mesures
réelles sont déconvoluées par des fonctions de transferts issues de modèles
morphologiques paramétriques, obtenus analytiquement ou par simulation.
Le résidu de cette décomposition peut alors être analysé, pour valider la
bonne correspondance au modèle considéré. Cette démarche a prouvé son
efficacité et de nombreuses applications industrielles en ont découlé (interpolation
haute qualité, micro-variations de sources, déraffinement spatial de
bases de données, individualisation des HRTF, etc.). D’autre part, la Décomposition
Creuse en Sinus Cardinal permet la convolution rapide par un noyau
de Green. Initiée par une démarche essentiellement expérimentale, une nouvelle
théorie a vu le jour et les premiers tests de performances ont démontré
l’efficacité de cette approche.
Des développements logiciels ont toujours accompagné les problèmes rencontrés,
pour mieux cerner les idées visibles, comme les subtilités cachées.
Cette méthode de travail a engendré la création de prototypes innovants et
fonctionnels, directement exploitables par le milieu industriel. Deux librairies
indépendantes regroupent l’essentiel de ces codes. D’une part, PifPaf3D
propose de nombreuses technologies pour la spatialisation sonore en temps
réel, comme la synthèse binaurale, la captation-restitution en High Order
Ambisonics, ou encore la réverbération de salles en trois dimensions. De multiples
logiciels créés par la société Digital Media Solutions, à l’initiative de
cette thèse CIFRE, en sont issus. D’autre part, MyBEM résout les équations
intégrales de l’acoustique par éléments finis de frontières, incluant diverses
méthodes d’assemblage et de résolution (BEM, FMM et SCSD). Ce code est
aujourd’hui capable de traiter des problèmes de l’ordre du million d’inconnues
relativement rapidement, avec une très bonne précision.
Ainsi, tous les outils dédiés à l’individualisation numérique de la spatialisation
sonore sont réalisés et fonctionnels. Il ne reste désormais plus qu’à
153générer des HRTF par équations intégrales pour "écouter" des mathématiques
appliquées par synthèse binaurale. En effet, le formalisme de la Décomposition
par Modèle Morphologique est particulièrement adapté au couplage
entre les mesures réelles et les résultats de simulation numérique.
Par ailleurs, d’autres applications, qui dépassent largement le cadre de
cette thèse, sont aussi envisageables pour l’acoustique, comme la simulation
numérique architecturale ou la détection sonar. Enfin, d’un point de vue mathématique,
nous sommes persuadés que la SCSD a un potentiel qu’il faudra
exploiter dans les années à venir. Par exemple, il est fortement envisagé de
l’utiliser pour résoudre des problèmes de très grandes tailles par équations
intégrales, dans des domaines aussi variés que l’acoustique, la gravitation,
l’élasticité linéaire, l’électromagnétisme, la mécanique des fluides, etc.
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nufft–nfft–usfft
[94] Voir http ://web.eecs.umich.edu/ fessler/code/index.html
[95] Voir http ://www.cims.nyu.edu/cmcl/nufft/nufft.html
[96] Voir http ://www-user.tu-chemnitz.de/ potts/nfft
[97] Voir http ://remesh.sourceforge.net
[98] Voir http ://www.physik3.gwdg.de/tstool
[99] Voir http ://www.vtk.org
162Noname manuscript No.
(will be inserted by the editor)
The Sparse Cardinal Sine Decomposition and its
application for fast numerical convolution
Fran¸cois Alouges · Matthieu Aussal
Received: date / Accepted: date
Abstract Fast convolution algorithms on unstructured grids have become a
well established subject. Algorithms such as Fast Miltipole Method (FMM),
adaptive cross approximation (ACA) or H-matrices for instance are, by now,
classical and reduce the complexity of the matrix-vector product from O(N2
)
to O(N log N) with a broad range of applications in e.g. electrostatics, magnetostatics,
acoustics or electromagnetics. In this paper we describe a new
algorithm of which we would like to explore the potential. Based on the Non
Uniform FFT algorithm, it is at the same time simple, efficient and versatile.
Keywords Quadrature · Non Uniform FFT · Fast convolution · Fast
Multipole Method
Mathematics Subject Classification (2000) 65T50 · 65Z05
1 Introduction
In many areas of computational physics appears the problem of solving a
PDE via the convolution of a distribution with an explicit Green kernel. This
is for instance the case in electrostatics, magnetostatics or gravitation where
a Coulombian interaction is used. In order to fix the ideas we set the problem
as computing for N given punctual masses (fk){1≤k≤N} located at the points
F. Alouges
CMAP - Ecole Polytechnique, Route de Saclay, 91128, Palaiseau Cedex, France.
Tel.: +33-1-69334631
Fax: +33-1-69334646
E-mail: francois.alouges@polytechnique.edu
M. Aussal
CMAP - Ecole Polytechnique, Route de Saclay, 91128, Palaiseau Cedex, France and Digital
Media Solutions, 45 Grande All´ee du 12 F´evrier 1934, 77186 Noisiel, France.
E-mail: matthieu.aussal@gmail.com2 Fran¸cois Alouges, Matthieu Aussal
(xk){1≤k≤N} in ❘3
, the Coulombian potential at the same points defined by
∀k ∈ {1, · · · , N}, gk =
X
N
l=1
fl
4π|xk − xl
|
. (1)
The previous problem is easily solved with the O(N2
) algorithm by computing
straightforwardly the potential generated by each source at each target. However
for big values of N (e.g. a million or a billion), the above formula is too
slow to be used. Techniques already exist to speed up this computation, the
most famous of which being certainly the FMM (for Fast Multipole Method)
developed by Greengard and coauthors (see the seminal book [9] for instance).
We hereafter would like to present a different method that is based on a sparse
Fourier representation.
2 Principle of the method
Introducing the N × N matrix A whose entries are Akl =
1
4π|xk−xl|
, we recast
the problem as storing A and computing the matrix-vector product G = AF
, where G = (g1, · · · , gN )
t and F = (f1, · · · , fN )
t
. A fast algorithm is at hand
if we are able to write A as a sum of a small number of rank one matrices1
A =
X
n
CnRn ,
where Cn and Rn are respectively column and row vectors of size N. Indeed,
the matrix vector product is computed in this case as
AF =
X
n
CnRnF =
X
n
Cn(R
t
n
· F), (2)
and each term in the sum is computed in O(N) operations.
Notice that such a decomposition is formally given by writing the Fourier
transform of the kernel 1
4π|x|
in ❘3
F
1
4π|x|
=
1
|ξ|
2
.
Indeed, this enables us to write
1
4π|x − y|
=
1
(2π)
3
Z
❘3
e
i(x−y)·ξ
|ξ|
2
dξ ,
1 This is by the way the basis of the principle of H−matrices, see [11].Title Suppressed Due to Excessive Length 3
while coming back to the problem (1), we deduce
X
N
l=1
1
4π|xk − xl
|
fl =
1
(2π)
3
X
N
l=1
Z
❘3
e
i(xk−xl)·ξ
|ξ|
2
dξ
fl
=
1
(2π)
3
Z
❘3
e
ixk·ξ
X
N
j=1
e
−ixl·ξ
|ξ|
2
fl
dξ. (3)
This latter formula is exactly under the desired form (2) with
Cξ =
1
(2π)
3
(e
ix1·ξ
, · · · , eixN ·ξ
)
t
and Rξ =
(e
−ix1·ξ
, · · · , e−ixN ·ξ
)
t
|ξ|
2
,
except that the finite sum indexed by n is now replaced by an integral over
ξ ∈ ❘3
. We can thus produce a formula of the desired form if we can derive a
quadrature formula that approximates the integral. For efficiency reasons, it is
also desirable to have the smallest possible number of terms in this quadrature
formula2
. In order to proceed, we pass in spherical coordinates, and further
transform (3) into
gk =
X
N
l=1
1
4π|xk − xl
|
fl
=
1
(2π)
3
Z +∞
0
Z
❙2
e
iλxk·ξ
X
N
l=1
e
−iλxl·ξ
λ2
fl
!
λ
2
dξ!
dλ
=
1
(2π)
3
Z +∞
0
Z
❙2
e
iλxk·ξ
X
N
l=1
e
−iλxl·ξ
fl
!
dξ!
dλ. (4)
The basis of our method thus consists in finding numerical quadratures for
the integrals in λ and ξ. This would eventually permit us to approximate the
above formula by
X
N
l=1
1
4π|xk − xl
|
fl ∼
X
S
s=1
ωse
iλsxk·ξs
X
N
l=1
e
−iλsxl·ξs fl
!
=
X
S
s=1
ωse
ixk·ζs
X
N
l=1
e
−ixl·ζs fl
!
,
having set ζs = λsξs ∈ λs❙
2
. Afterwards, the convolution can be done in two
passes :
• Compute ηs =
PN
l=1 e
−ixl·ζs fl from the (fl)1≤l≤N for all 1 ≤ s ≤ S ;
• Compute gk =
PS
s=1 e
ixk·ζs (ωsηs) knowing the previously computed (ηs)1≤s≤S
.
2 Notice that similar ideas are already used in [2] and [8], though in a different context.4 Fran¸cois Alouges, Matthieu Aussal
Both steps can be realized using a (direct and inverse) type-3 Non Uniform
FFT (NUFFT) algorithm [4, 15, 16]. We will be more explicit on this point
later.
Afterall, the method is not surprising and simply relies on the fact that a
convolution is a product in Fourier space. The difficulty however stands in the
fact that one needs, to make the method of practical use, a good quadrature
which is both precise and efficient (i.e. that possesses a small number of points).
It turns out that this is feasible to a very reasonable cost, and at the end
gives a quite powerful numerical method that we have called Sparse Cardinal
Sine Decomposition (SCSD). Maybe the originality of the present approach lies
in the fact that, having written the integral in spherical coordinates permits
us furthermore to decouple the approximation problem (in λ and ξ), and treat
them separately. The aim of the paper is to give such a method and estimate
its complexity through the following Proposition.
Proposition 1 Assume that the original points are uniformly distributed in a
ball then the SCSD algorithm has a global complexity which scales as O(N log N).
If instead, the points are spread uniformly on a regular surface in ❘3
, then the
complexity is O(N6/5
log N).
The paper is divided as follows. Section 3 addresses the problem of finding
a good quadrature in λ, by introducing a so-called sparse cardinal sine decomposition.
Section 4 explain the spherical quadrature. Actually, a classical
Gauss-Legendre quadrature is used whose parameters are thoroughly studied
(see [10] for instance). Eventually Section 5 explains how to take into
account the close interactions, while Section 6 details how to choose the parameters
of the method. Other kernels are treated in Section 7 and numerical
results are provided the last Section. In particular, we compare the timings
obtained to compute the convolution using either a FMM routine provided by
Leslie Greengard on CMCL website [18] or the abovementionned quadrature
and NUFFT approach where the (type-3) NUFFT routine is also taken from
the same website [17]. (Another implementation, which in particular uses the
FFTW package, is also available in the NFFT project of D. Potts [19] but the
type 3 NFFT does not yet have a Matlab interface.).
3 The Sparse Cardinal Sine Decomposition
In order to decouple the problem in spherical coordinates we notice that the
formula (4) can be rewritten under the form
X
N
l=1
1
4π|xk − xl
|
fl =
1
(2π)
3
Z +∞
0
X
N
l=1
Z
❙2
e
iλxk·ξ
(e
−iλxl·ξ
fl)dξ
dλ
=
1
2π
2
Z +∞
0
X
N
l=1
sinc(λ|xk − xl
|)fl
!
dλ ,Title Suppressed Due to Excessive Length 5
using R
❙2 e
ix·ξdξ = 4π sinc(|x|),for all x ∈ ❘3
. Here, sinc stands for the cardinal
sine function
sinc(r) = sin(r)
r
.
This simply reflects that
∀r ∈ ❘,
1
4πr
=
1
2π
2
Z +∞
0
sinc(λr)dλ. (5)
As we have pointed out in the preceding section, the first step of the method
consists in finding a discrete quadrature rule
1
4πr
∼
X
p
αp sinc(λpr). (6)
This is a decomposition of the Green kernel into a series of dilated sinc functions.
Notice that in the case of the Laplace kernel, this decomposition is
equivalently rewritten, setting βp =
4παp
λp
, as
1 ∼
X
p
βp sin(λpr),
and we seek for a formula that should be valid as uniformly as possible in r
and as sparse as possible in p. An exact formula exists, though containing an
infinite number of terms, since for all r ∈ (0, π), one has
X
p≥0
4
π(2p + 1) sin
(2p + 1)r
= 1. (7)
Indeed, the preceding formula comes from the decomposition in Fourier series
of the 2π-periodic square function defined on (−π, π) by
h(r) =
1 if r ∈ (0, π),
−1 if r ∈ (−π, 0).
Unfortunately, due to the discontinuity of the square function at 0, the
convergence of the series (7) is slow and highly depends on the value of r.
Indeed, the series only converges because of the oscillatory behavior of the sine,
which occurs later if r is small. It is also very well known that, truncating3
the series (7) leads to a Gibbs phenomenon. Very high oscillations occur near
0 and π while in the center of the interval, the approximation is much better.
Truncating the series does not lead to a good approximation, and it is
well known [1, 12, 20] that much better results can be obtained by using the
so-called σ−approximation. It consists in replacing the truncated series
1 ∼
P
X−1
p=0
4
π(2p + 1) sin
(2p + 1)r
3 Alternative strategies, e.g. using Pad´e (see after) approximations lead to very good
approximations of the square function (see [21]). They are however difficult to use in our
context and unfortunately seem useless.6 Fran¸cois Alouges, Matthieu Aussal
Fig. 1 The Gibbs phenomenon obtained with the convergence of the Fourier series of the
square function on [0, π]. We give the approximations obtained by truncating the series after
its 5th term and regularizing it by a σ−factor for k = 0 (dashed), k = 1 (plain) and k = 2
(dotted). The reference square is indicated as a horizontal line. The Gibbs phenomenon is
clearly visible and is very much reduced as k increases.
by
1 ∼
P
X−1
p=0
4
π(2p + 1)
sinc
2p + 1
2P
π
k
sin((2p + 1)r)
where the term sinc
2p+1
2P
π
is the Lanczos’ σ−factor. A power k = 1 is usually
used but the σ factor can also be squared or cubed (k = 2 or 3) in the most
extreme cases. As a sake of illustration, we show in Fig. 1 the graphs obtained
with P = 5 terms in the sum and k = 0, 1, 2. It is clear that the approximation
is much better and the Gibbs phenomenon is significantly reduced. However,
as one can see, the approximation can be very good in the center of the interval
and quite bad at the extremities.
In order to avoid the problems at the extremities, we consider the following
approximation problem:
For a given ρ ∈
0,
π
2
, and P, find weights (βp){0≤p≤P −1} such that the
accuracy
ε = sup
r∈[ρ,π−ρ]
P
X−1
p=0
βp sin((2p + 1)r) − 1
Title Suppressed Due to Excessive Length 7
is as small as possible.
The treatment of small values for r is postponed to Section 5. It is expected
that in order to maintain a given precision, P must be increased as ρ gets
smaller. We propose to solve this problem via a least square approximation.
This leads to the following natural algorithm
Algorithm 1 (least square approximation)
1. Given ρ, and P.
2. Compute A = (Alp)1≤l,p≤P −1 and b = (bl)1≤l≤P −1 defined by
Alp =
R π−ρ
ρ
sin((2l + 1)r) sin
(2p + 1)r
dr, and
bl =
R π−ρ
ρ
sin((2l + 1)r)dr.
3. Solve
Aβ = b where β = (β0, · · · , βP −1)
t
.
Of course, both the matrix and the right-hand side can be computed analytically.
We have shown in Fig. 2 the approximation error on the interval [ρ, π − ρ]
obtained by the preceding algorithm compared to the ones obtained with the
truncated Fourier series smoothed by the Lanczos σ−factor. It is noticeable
that the approximation is better with our algorithm especially for small (or
high) values of r, namely close to ρ or π − ρ . Moreover, the error is more
uniformly distributed.
Eventually, one can translate the preceding formula to get an approximation
for all R ∈ [Rmin, Rmax] by choosing ρ = δRmin, with δ =
π
Rmin+Rmax
(notice that then π − ρ = δRmax). Setting r = δR in the preceding formula we
obtain
ε = sup
R∈[Rmin,Rmax]
P
X−1
p=0
βp sin((2p + 1)δR) − 1
,
and
1
4πR
∼
P
X−1
p=0
(2p + 1)δβp
4π
sinc((2p + 1)δR), (8)
which is exactly under the form (6) with λp = (2p + 1)δ, and αp =
λpβp
4π
.
Remark that the accuracy ε of the method only relies on the parameters ρ
and P, or conversely, for a given accuracy ε and ρ, one can find the smallest
value for P.
Lemma 1 Let ρ ∈ (0, π/2). Construct for all P ∈ ◆ the least square approximation
hP of h with the help of the Algorithm 2. Then, there exists P0 ∈ ◆
such that for all P > P0, one has the estimation
kh − hP kL2([ρ,π−ρ]) ≤
1 − sin(ρ)
p
sin(ρ)P
1 − sin(ρ)
1 + sin(ρ)
P +1
.8 Fran¸cois Alouges, Matthieu Aussal
Fig. 2 Comparison of the errors for the approximation of the square function with Lanczos
σ−approximation with k = 2 (plain), k = 3 (dashed) and the SCSD (dotted) all with 5
coefficients. In the SCSD, the error is more equilibrated on the whole interval and drops
down quicker.
Proof The proof is a quite direct consequence of the approximation of the sign
function by polynomials. Indeed, let h˜ be the sign function defined on [−1, 1]
by
h˜(r) =
1 if r ∈ (0, 1),
−1 if r ∈ (−1, 0).
We have obviously h(r) = h˜(sin(r)), ∀r ∈ ❘. We remark that the sought
approximation PP −1
p=0 βp sin((2p + 1)r) can be rewritten as PP (sin(r)) where
PP is a polynomial function of degree at most 2P − 1. Therefore, by a simple
change of variable, approximating h with a truncated Fourier series amounts
to approximate h˜ by a polynomial. It turns out that this problem has been
widely studied in the literature, and even dates back to the 19th century [21]
where the optimal approximation of h˜ with a Pad´e approximant is obtained.
Quite strangely, the case of polynomial approximation has been treated much
later in [5] (see also the references therein). In particular, it is shown that
the best polynomial approximation ◗P of degree 2P − 1 of h˜ in L∞ norm on
[−1, −a] ∪ [a, 1] satisfies
kh˜ − ◗P kL∞([−1,−a]∪[a,1]) ∼
1 − a
√
πaP
1 − a
1 + a
P +1
as P → +∞.Title Suppressed Due to Excessive Length 9
We therefore deduce, setting a = sin(ρ) that
kh(r) − PP (sin(r))kL2([ρ,π−ρ]) ≤ kh(r) − ◗P (sin(r))kL2([ρ,π−ρ])
≤
p
(π − 2ρ)kh(r) − ◗P (sin(r))kL∞([ρ,π−ρ])
≤
p
(π − 2ρ)kh˜(r) − ◗P kL∞([sin(ρ),1])
∼
r
1 −
2ρ
π
1 − sin(ρ)
p
sin(ρ)P
1 − sin(ρ)
1 + sin(ρ)
P +1
as P → ∞. The result follows.
The preceding result is used in order to fix the degree P of the approximation,
depending on the requested precision ε (in L
2 norm) and the lower
bound ρ down to which the approximation is sought. We find that
P ∼ −
log(ε)
2 sin(ρ)
, (9)
or in the limit Rmin Rmax ,
P ∼ −
log(ε)
2π
Rmax
Rmin
. (10)
We present in Table 1 and Table 2, a comparison of the least square approximation
and the truncated Fourier series with the Lanczos’ σ−factor with
a power k ranging from 0 to 3. Different values have been chosen for ρ, and we
indicate the smallest number of terms (i.e. the value of P) to reach a precision
ε = 10−3 and ε = 10−6
respectively, for the four methods.
ρ k = 0 k = 1 k=2 k=3 SCSD Predicted P
0.5 656 25 11 9 7 7
0.1 >1000 121 54 44 37 34
0.01 >1000 >1000 539 432 362 345
Table 1 Number of terms needed to reach an accuracy ε = 10−3 on [ρ, π − ρ] for the truncated
Fourier series with σ-factor to the power k and the least square approximation (SCSD).
The last column gives the prediction of the number of terms for the sparse approximation
SCSD using the formula (9).
It is seen that the least square approximation outperforms the Lanczos’
σ-approximation to any order. Moreover, the prediction (9) for the number of
terms to keep for a given accuracy is very effective.
4 Spherical quadratures
Once the preceding radial quadrature is known, that is to say we have a discrete
approximation
1 ∼
P
X−1
p=0
βp sin(λpR)10 Fran¸cois Alouges, Matthieu Aussal
ρ k = 0 k = 1 k=2 k=3 SCSD Predicted P
0.5 >1000 >1000 106 44 14 14
0.1 >1000 >1000 >1000 188 71 69
0.01 >1000 >1000 >1000 >1000 708 690
Table 2 Number of terms needed to reach an accuracy ε = 10−6 on [ρ, π − ρ] for the truncated
Fourier series with σ-factor to the power k and the least square approximation (SCSD).
The last column gives the prediction of the number of terms for the sparse approximation
SCSD using the formula (9).
valid for R ∈ [Rmin, Rmax] at a precision ε, we proceed to the second step,
namely the spherical quadrature. Let x ∈ ❘3
such that R = |x| ∈ [Rmin, Rmax],
we already know that
sin(λp|x|)
λp|x|
=
1
4π
Z
❙2
exp(iλpx · ξ)dξ. (11)
We again need a spherical quadrature to produce a discrete version of the
above integral.
Spherical quadrature is a long standing subject, and several have been
studied in the literature. We refer the reader to the review article [10] for a
comprehensive explanation of the state of the art concerning this question.
In what follows, we have chosen to use the Gauss-Legendre quadrature which
consists in composing unidimensional quadratures (in the vertical axis z and
the polar horizontal angle θ on the sphere ❙
2
). Positive weights are assured
but there is a clear drawback that the underlying set of points is much denser
near the poles than near the equator. Other techniques have therefore been
proposed like the Lebedev grids [14], or other cubature rules [7]. Although
very tempting because they need a fewer number of quadrature points, both
techniques are limited in the degree of precision and much less adaptive than
the Gauss-legendre quadrature.
The Gauss-Legendre quadrature is simple. Given a number N, it consists
in discretizing the set of azimuthal angles with 2N angles
θk = k
π
N
, k = 0, · · · , 2N − 1,
while the elevation angles (ψl)0≤l≤N−1 are such that cos(ψl) is a zero of the Nth
Legendre polynomial LN . The complete set of points used in the quadrature
is thus
ξkl = (cos(θk) sin(ψl),sin(θk) sin(ψl), cos(ψl)) with LN (cos(ψl)) = 0.
for all values 0 ≤ k ≤ 2N − 1 and 0 ≤ l ≤ N − 1. The corresponding weights
(ωkl)0≤k≤2N−1,0≤l≤N−1 do not depend on k (i.e. ωkl = ωl), and are such that
the one dimensional quadrature formula
Z 1
−1
f(x)dx ∼
N
X−1
l=0
ωl
2π
f(cos(ψl))Title Suppressed Due to Excessive Length 11
is actually the classical one dimensional Gauss-Legendre quadrature which is
exact for all f polynomial of degree less than or equal to 2N −1. In particular
they are all positive. Similarly, Gauss-Legendre quadratures on the sphere are
known to integrate exactly all the spherical harmonics Ylm of degree l ≤ 2N−1,
or equivalently the restriction on the sphere of any function g ∈ P2N−1 , where
we have denoted by PJ the set of polynomial in ξ = (ξ1, ξ2, ξ3) ∈ ❙
2 of degree
less than or equal to J.
Classical theorems (see e.g. [10]) usually express the precision of the quadrature
formula in terms of the Sobolev or H¨older regularity of fX. they are therefore
useless in our context, since the function on which we need an estimation
is known and analytic on the sphere. Instead of this, we are more interested in
the smallest value that one should choose for N in the quadrature to obtain a
required precision in the formula uniformly in X.
Lemma 2 Let X ∈ ❘3
, and f the function
fX : ❙
2 → ❈
ξ 7→ exp(iX · ξ).
Then, we have, using the Gauss-Legendre quadrature, and provided |X| < 2N+
1,
Z
❙2
fX(ξ)dξ −
N
X−1
l=0
2
X
N−1
k=0
ωlfX(ξkl)
≤ 8π
|X|
2N
(2N)!
2N + 1
2N + 1 − |X|
.
Proof For any function g, we set I(g) = R
❙2 g(ξ)dξ , the exact integral and
Q(g) = PN−1
l=0
P2N−1
k=0 ωlg(ξkl) its approximation. We remark first that since
for any g ∈ P2N−1 , I(g) = Q(g), we get the estimate
|I(fX) − Q(fX)| ≤ |I(fX − g) − Q(fX − g)|
≤
4π +
N
X−1
l=0
2N|ωl
|
!
kfX − gk∞
≤ 8πkfX − gk∞, ∀g ∈ P2N−1,
since the weights are all positive and the constant function 1 ∈ P2N−1 leads
to Q(1) = 4π.
Now, expanding fX in Taylor series, we have
fX(ξ) = X∞
m=0
(iX · ξ)
m
m!
,
while taking g(ξ) = P2N−1
m=0
(iX·ξ)m
m!
, in the preceding estimate, we obtain
|I(fX) − Q(fX)| ≤ 8πkfX − gk∞
≤ 8π sup
ξ∈❙2
X∞
m=2N
(iX · ξ)
m
m!
≤ 8π
|X|
2N
(2N)!
2N + 1
2N + 1 − |X|12 Fran¸cois Alouges, Matthieu Aussal
if 2N + 1 > |X|.
However a much better estimate can be obtained if X is vertical, that is
to say X = (0, 0, |X|)
t
. Indeed, one has the following lemma.
Lemma 3 Let λ > 0 and with the preceding notation fλe3
: ξ → exp(iλξ3).
Then one has
|I(fλe3
) − Q(fλe3
)| ≤ 2 · (2λ)
2N (N!)4
(2N + 1)[(2N)!]3
.
Proof First, we remark that the set of Gauss-Legendre quadrature points being
symmetric with respect to the origin on the sphere, one can replace fλe3 with
its even part, namely gλe3
: ξ → cos(λξ3). Then, we notice that fλe3
is also
constant on the sphere along the horizontal circles. The integration along those
circles is therefore exact and one thus deduces
|I(fλe3
) − Q(fλe3
)| = |I(gλe3
) − Q(gλe3
)|
=
Z 1
−1
gλe3
(z)dz −
N
X−1
l=0
ωlgλe3
(cos(ψl))
which is nothing but the error of the 1D Gauss-Legendre quadrature of gλe3
(z).
Noticing that gλe3
is an analytic function in a neighborhood of the segment
[−1, 1] in ❈, a classical result of [13] applies which gives
|I(fλe3
) − Q(fλe3
)| ≤ 2
(2N+1)(N!)4
(2N + 1)[(2N)!]3
kg
(2N)
λe3
k∞
which gives the result.
It is not difficult to see that Lemma 3 gives a much better estimation than
Lemma 2. However, this estimation only holds for vertical X. Nevertheless,
we have observed that such vectors provide the worst possible error for the
Gaussian quadrature among vectors of the same magnitude. As a matter of
fact, we report in Fig. 3 the quantity |I(fX)−Q(fX)| for vectors X of the same
magnitude and different azimuthal angles. It is clearly seen that the maximum
error is obtained for azimuthal angles ±π/2 i.e. vertical vectors X. We express
this result as the following conjecture.
Conjecture 1 We have
∀λ > 0 , max
X∈λS
2
|I(fX) − Q(fX)| = |I(fλe3
) − Q(fλe3
)|
Although we have not yet been able to prove this result, we use the result
obtained in Lemma 3 in the sequel for the construction of the whole sparse
grid.
As before, we use Lemma 3. in order to compute the minimal value for N
needed to achieve a desired accuracy ε
0
. Since, in view of (11), the maximumTitle Suppressed Due to Excessive Length 13
Fig. 3 A typical graph of the error |I(fX) − Q(fX)| for vectors X of different azimuthal
angles and magnitude 10. We have chosen a number of quadrature points of the GaussLegendre
quadrature 2N × N with N = 12.
value for |X| depends on p and is equal to λpRmax ≤ (2p + 1)π, the corresponding
degree Np to which the quadrature should be exact can be estimated
in order to satisfy
2((4p + 2)π)
2N (N!)4
(2N + 1)[(2N)!]3
≤ ε
0
p
, (12)
which, using Stirling formula leads to
Np ∼
(2p + 1)πe
4
−
1
2
log
2ε
0
p √
π
. (13)
We further rescale the quadrature points by setting ζ
p
kl = (2p + 1)δξkl
and call the corresponding weights ω
p
l
. Notice that we have emphasized the
dependence in p, and that the points ζ
p
kl now discretize the sphere λp❙
p
. We
thus obtain a quadrature formula as
sin(λp|x|)
λp|x|
∼
1
4π
N
Xp−1
l=0
2N
Xp−1
k=0
ω
p
l
exp(ix · ζ
p
kl) (14)
which, if Np satisfies (13), is accurate to within an error ε
0
p uniformly for all
x ∈ [Rmin, Rmax].
5 Close interactions
The formula (8) is only valid for |x| ∈ [Rmin, Rmax]. Therefore, interactions
between neighboring points (pairs of points xk and xl such that |xk−xl
| ≤ Rmin14 Fran¸cois Alouges, Matthieu Aussal
or equivalently such that δ|xk − xl
| ≤ ρ) are wrongly computed, and need
a fix. We thus correct the preceding computation with the (sparse) matrix
multiplication
∀k ∈ {1, · · · , N} , g˜k =
X
N
l=1
Bklfl
where
Bkl =
1
4π|xk − xl
|
−
P
X−1
p=0
αp
N
Xp−1
m=0
2N
Xp−1
n=0
ω
p
l
exp(i(xk − xl) · ζ
p
mn).
Fortunately, those interaction are only local and can be computed with a sparse
matrix multiplication.
We remark that the methodology presented here is very close to an Ewald
summation method. Named after Paul Ewald [6], this method indeed splits the
interactions into two parts, one which is local in space (the close interactions
in our case) and the long range interactions which are treated in Fourier space.
However, this method is usually only used for periodic problems. Our approach
insted generalizes it to the free space.
6 Summary of the method. Fixing the parameters
We summarize the method in the following algorithms. Algorithm 3 below
explains the initialization step which merely consists in finding the global
quadrature formula for a given precision and parameters Rmin and Rmax. The
Algorithm 4 given after provides the matrix vector product, using the preceding
quadrature formula.Title Suppressed Due to Excessive Length 15
Algorithm 3 (Precomputation)
1. Given (xk)1≤k≤N , compute Rmax and choose Rmin.
Prescribe an accuracy ε, and set δ =
π
Rmin+Rmax
.
2. Compute the Sparse Cardinal Sine Decomposition (Algorithm 2),
using ρ = δRmin, and P = −
log(ε)Rmin
2Rmax
.
3. For all p ∈ {0, · · · , P − 1}, compute the Gauss-Legendre
quadrature (ω
p
l
, ζp
kl).
4. Compute the sparse matrix Bkl to handle local interactions.
Algorithm 4 (Matrix vector product)
1. Given a set of values (fj )1≤j≤N , associated to the (xj )1≤j≤N .
2. Compute η
p
kl =
X
N
j=1
exp(−ixj · ζ
p
kl)fj .
3. Compute g
1
j =
X
p,l,k
exp(ixj · ζ
p
kl)αpω
p
l
η
p
kl .
4. Compute g
2
j =
X
N
k=1
Bjkfk .
5. Compute gj = g
1
j + g
2
j
.
In order to evaluate the complexity of the method, we remark that steps 2.
and 3. of Algorithm 4 can be realized using a Type 3 NUFFT. The complexity
of the NUFFT is known to be O(M log M), where M = max(N, Nζ ), where Nζ
is the number of quadrature points in the Fourier quadrature. The remaining
of this Section thus consists in estimating Nζ in terms of N and showing
Proposition 1. Before proceeding, we estimate the error that one can make
in the spherical quadratures which, when used in conjunction with the SCSD
quadrature formula (8), will give a relative error of the order of ε, at least for
all R ∈ [Rmin, Rmax]. In that aim, we use the following Lemma.
Lemma 4 Assume ε
0
p
in (12) is chosen as ε
0
p =
ε
4πRmaxP |αp|
, where P is the
number of terms of the Sparse Cardinal Sine Decomposition and the conjecture
1 is true, then the global quadrature ensures
sup
|X|∈[Rmin,Rmax]
4π|X|
1
4π|X|
−
X
p,k,l
αpω
p
l
exp(iX · ζ
p
kl)
≤ 2ε.16 Fran¸cois Alouges, Matthieu Aussal
Proof In view of the preceding Lemmas, we have
1 − 4π|X|
X
p,k,l
αpω
p
l
exp(iX · ζ
p
kl)
≤
1 −
X
p
βp sin(λp|X|)
+ 4π|X|
X
p
|αp|
sinc(λp|X|) −
X
kl
ω
p
l
exp(iX · ζ
p
kl)
≤ ε +
P
X−1
p=0
4πRmax|αp|ε
0
p
≤ 2ε
if ε
0
p =
ε
4πRmaxP|αp|
. Notice that βp ∼
1
2p+1 so that αp =
λpβp
4π ∼
δ
4π
and we
deduce
ε
0
p ∼
ε
P π
= −
2ε
log(ε)
Rmin
Rmax
.
Eventually, we may furthermore estimate the total number of points Nζ of
this quadrature by
Nζ =
P
X−1
p=0
2N
2
p
=
P
X−1
p=0
2
(2p + 1)πe
4
−
1
2
log
2ε
0
p √
π
2
∼ π
2
e
2 P
3
6
∼
e
2
48π
− log(ε)
Rmax
Rmin 3
(15)
using (10).
We are now in a position to prove Proposition 1. Notice that the preceding
error estimate relies on conjecture 1 but the number of points chosen in
the method does not (only the precision does). Therefore the proposition follows
from counting the number of short and long range interactions with the
preceding methods.
Proof (of Proposition 1) Call Rmax the diameter of the ball in which the points
(xl)1≤l≤N are uniformly distributed. Their density is thus given by
ρ =
6
π
N
R3
max
.
The number of points contained in a ball of radius Rmin is thus of the order of
4
3
πR3
minρ = 8N
Rmin
Rmax 3
,Title Suppressed Due to Excessive Length 17
which gives the number of close interactions and correspondingly the number
of terms in the correction matrix B as 8N2
Rmin
Rmax 3
.
The complexity of the method is thus governed by the number of points in
the ζ mesh in the Fourier variable, given by formula (15), and the number of
close interactions. Setting
Rmin = Rmax
e
2
48π
(− log(ε))3
8N2
1/6
,
we get a total number of close interactions equal to the number of points Nζ
in the ζ grid
8N
2
Rmin
Rmax 3
=
e
2
48π
− log(ε)
Rmax
Rmin 3
=
e
2
6π
1/2
(− log(ε))3/2N .
This clearly indicates that, in that case the complexity of the whole algorithm
is O(N log N), the logarithmic term being due to the NUFFT.
When the points are uniformly distributed on a surface in 3D, the number
of close interactions becomes 4N2
Rmin
Rmax 2
, and choosing now
Rmin = Rmax
e
2
48π
(− log(ε))3
4N2
1/5
,
we obtain
4N
2
Rmin
Rmax 2
=
e
2
48π
− log(ε)
Rmax
Rmin 3
=
e
2
6π
2/5
(− log(ε))6/5N
6/5
,
which now becomes only very slightly super-linear in N, giving an overall
complexity O(N6/5
log(N)).
7 Generalization to other kernels
The preceding strategy can be of applied to other kernel than the Laplace one.
Indeed, we see here that most – if not all – of the classically used kernels can
be handled by using the formula given above. We split the following discussion
into two parts: the non-oscillatory and the oscillatory Green kernels.
7.1 Non-oscillatory Green kernels
We put in this class kernels that are coming from equations as various as the
equation of magnetostatics, those for linear elasticity and Stokes equations.
Those equations are currently used with a very wide range of applications in
particular in solid and fluid mechanics.18 Fran¸cois Alouges, Matthieu Aussal
Les us start with the Stokes problem, which models a fluid flow at low
Reynolds number
−µ∆u + ∇p = f in ❘3
,
div u = 0 in ❘3
.
Here, f is the force density and (u, p) are respectively the fluid velocity and
pressure. The parameter µ stands for the viscosity of the fluid. In the free
space, this system can be solved by using Fourier variables. Indeed, one has
uˆ(ξ) = Sˆ(ξ)
ˆf(ξ) where
Sˆ(ξ) = 1
µ|ξ|
2
Id −
ξ ⊗ ξ
|ξ|
2
,
which going back to real space leads to the following formula for the so-called
Stokeslet S
S(x) = 1
8πµ|x|
Id +x ⊗ x
|x|
2
.
As for the magnetostatic case, solving Stokes equations in the free space,
namely computing for a given force distribution (fj )1≤j≤N at the points (xj )1≤j≤N
the velocities
∀i ∈ {1, · · · , N} , ui =
X
N
j=1
S(xi − xj )fj
can be done by the following procedure
Algorithm 5
1. Compute ˆf(ζs) using the NUFFT.
2. Compute 1
8πµ
Id −
ζs⊗ζs
|ζs|
2
ˆf(ζs) for all s.
3. Multiply by the SCSD weights computed from the Laplace formula.
4. Go back to real space by the (inverse) NUFFT.
Eventually, the case of linear elasticity follows the same procedure. Namely,
the equation becomes now
−µ∆u − (µ + λ)∇ div(u) = f in ❘3
,
where µ and λ are the Lam´e coefficients of a material, u is its deformation,
and f the applied force density. As before, taking the Fourier transform of this
equation leads to ˆu(ζ) = Eˆ(ζ)
ˆf(ζ) where
Eˆ(ζ) = 1
µ|ζ|
2
Id −
µ + λ
2µ + λ
ζ ⊗ ζ
|ζ|
2
,
and the modification that one needs to bring to Algorithm 3 is straightforward.Title Suppressed Due to Excessive Length 19
7.2 Oscillatory Green kernels
The classical oscillatory Green kernel that people use in practice quite often
is
G(x) = exp(ik|x|)
4π|x|
.
It is well-known that G is the fundamental solution to the Helmholtz equation
together with Sommerfeld radiation condition at ∞
∆G + k
2G = δ0 in ❘3
,
∂G
∂R − ikG = O
1
R2
as R = |x| → ∞,
where δ0 stands for the Dirac mass centered at 0. The function G plays a
prominent role in acoustics and electromagnetics when solving the 3D diffraction
problem of an object in the free space. In order to use the method detailed
in this paper, we need to obtain a sinc decomposition of the radial function
g(R) = exp(ikR)
4πR , or equivalently to write
exp(ikR) ∼
X
p
γp sin(λpR)
for weights (γp)0≤p≤P −1 and scaling factors (λp)0≤p≤P −1 to be determined.
Again, we expect the preceding formula to be valid as uniformly as possible
as R ranges between Rmin and Rmax (values R ≤ Rmin correspond to local
interactions and are handled as for Coulombian interactions by considering a
sparse matrix).
Obviously, the imaginary part of the kernel is already a sine, and we therefore
need only to concentrate on the real part, namely the cosine function.
Notice that if the (λp)0≤p≤P −1 were known, we could compute the weights by
the same least-square procedure that we explained before.
Strangely, a formula can be obtained from the preceding one. Indeed, let’s
consider the preceding decomposition in Fourier series of the square function
1 ∼
P
X−1
p=0
βp sin
(2p + 1)δR
.
valid for R ∈ [Rmin, Rmax], with δ =
π
Rmin+Rmax
. We multiply both sides by
cos(kR) to obtain
cos(kR) ∼
P
X−1
p=0
βp sin
(2p + 1)δR
cos(kR),
while using sin
(2p + 1)δR
cos(kR) = 1
2
sin
(k + (2p + 1)δ)R
−
1
2
sin
(k −
(2p + 1)δ)R
, gives
cos(kR) ∼
P
X−1
p=0
βp
2
(sin
(k + (2p + 1)δ)R
− sin
(k − (2p + 1)δ)R
,20 Fran¸cois Alouges, Matthieu Aussal
which is under the desired form, and provides us with the right values for the
sequence (λp)p. We thus obtain this striking result that any sinc decomposition
of the square function (that correspond to Laplace equation) gives instantaneously
a suitable approximation for the Helmholtz kernel and consequently
a fast method. It is needless to say that this is not the case for the FMM for
instance where having written a FMM approximation for the Laplace equation
does not give any hint about the writing of a similar method for the Helmholtz
equation. To finish, notice that we just obtain twice as many values as before,
clustered around the frequency k of the problem.
8 Numerical results
A Matlab implementation has been developed and compared to the direct
call to the FMM Laplace and Helmholtz routines provided on the NYU site.
Our method, instead, relies on the NUFFT routine also available on the same
website and the sinc decompostition that we have exposed. Besides the NUFFT
kernel routine, everything else is written in Matlab. We give in Table 3 (for
the Laplace kernel) and Table 4 (for the Helmholtz kernel) the performances in
terms of accuracy and CPU-time obtained by both methods on a set of points
ranging from N = 103
to N = 106
. In both cases, the first column gives the
preprocessing time (for computing the integration points and weights), and
the second row gives the time for a matix-vector product (mainly the time
spent in the NUFFT). Third column gives the total time that needs to be
compared to the time of the FMM routine (fourth column).
N Rmin/Rmax TP (s) TMV SCSD (s) TMV FMM (s)
103 1/10 0.23 0.060 0.026
104 1/22 0.27 0.27 0.31
105 1/47 2.0 4.4 7.8
106 1/100 37 28 75
Table 3 CPU-time comparison between the SCSD and the FMM for the Laplace operator.
The first column reports the time for the precomputation. The time for a matrix-vector
product with the SCSD is given in the second column and the time for the FMM in the last
one. For both methods an error ε = 10−3
is chosen.
It is noteworthy to say that although the total time of the SCSD algorithm
(TP + TMV ) is very comparable to the FMM and scale identically. We also
present in Fig. 4 curves that show the scalings of the CPU-time for the three
methods (O(N2
) Direct product, FMM, SCSD) in terms of the number of
points, for Laplace and Helmholtz kernels.
The computer used for this test is a laptop cadenced to 1.6 GHz and
possessing 8 GB of memory. For a more fair comparison, both the FMM and
the NUFFT routines have been recompiled to run on a single thread and
Matlab is also run on a single thread. Parallelization strategies of the method
will be considered elsewhere.Title Suppressed Due to Excessive Length 21
N Rmin/Rmax TP (s) TMV SCSD (s) TMV FMM (s)
103 1/10 0.22 0.060 0.093
104 1/22 0.29 0.36 1.5
105 1/47 2.3 2.9 38
106 1/100 39 36 475
Table 4 CPU-time comparison between the SCSD and the FMM for the Helmholtz operator.
The first column reports the time for the precomputation. The time for a matrix-vector
product with the SCSD is given in the second column and the time for the FMM in the last
one. For both methods an error ε = 10−3
is chosen. A wavenumber k = 1 has been chosen
here.
Fig. 4 Total time for a convolution with Laplace (top row) and Helmholtz (bottom row)
kernels in 3D using the Direct Method (blue), the FMM (red) and the SCSD (green). Also
reported is the time for the SCSD without the time for the precomputations (purple). The
same error ε = 10−3
is used for the FMM and the SCSD and a number of points between
103 and 106
is used uniformly distributed in a ball (left) and on a sphere (right). Timings
for the FMM and the SCSD are very similar.22 Fran¸cois Alouges, Matthieu Aussal
9 Conclusion
We have presented an original alternative to the FMM for the computation
of the coulombian interaction between punctual masses. Although the method
is much simpler than the FMM, it turns out to be comparably fast, and only
needs a simple NUFFT routine to apply. The heart of the method consists in
using a spherical Gaussian quadrature in the Fourier space which is developed
in two steps: first a sparse radial quadrature is computed to high accuracy and
then spherical quadrature are obtained with simple Gauss-Legendre meshes.
The analysis of the complexity of the method shows a very good behavior,
comparable to the complexity of the FMM and extensions to classical kernels,
in particular oscillatory ones, are given.
Acknowledgments
Both the FMM and the NUFFT codes have been taken on the CMCL website
[3, 17, 18]. We gratefully thank Leslie Greengard for having provided the
community with such tools.
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[17] See http://www.cims.nyu.edu/cmcl/nufft/nufft.html .
[18] See http://www.cims.nyu.edu/cmcl/fmm3dlib/fmm3dlib.html .
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and most deviation from zero. Bull. de l’Acad´emie de Sciences de St.-Petersbourg, 24(3)
(1878)Using a binaural spatialization tool in current
sound post-production and broadcast
workflow
Pierre Bézard1
, Matthieu Aussal2,3
, Matthieu Parmentier4
1Louis Lumière School for Cinema, 20 rue Ampère, 93213 La Plaine Saint-Denis CEDEX, France
2Centre de Mathématiques Appliquées de l’École Polytechnique, Route de Saclay, 91128 Palaiseau, CEDEX France (UMR7641)
3Digital Media Solutions, 45 Grande Allée du 12 février 1934, 77186 Noisiel, France
4France Télévisions, Innovations et Développement, 23 rue Leblanc, 75015 Paris, France
Correspondence should be addressed to Pierre Bézard (❜❡③❛r❞♣❅❢r❡❡✳❢r)
❆❇❙❚❘❆❈❚
❚❤✐s ♣❛♣❡r ❞❡s❝r✐❜❡s ❛♥ ❡①♣❡r✐♠❡♥t ❞❡s✐❣♥❡❞ t♦ st✉❞② t❤❡ ❞✐✛❡r❡♥❝❡s ❜❡t✇❡❡♥ ✺✳✶ ❛✉❞✐♦ ♣❧❛②❡❞ t❤r♦✉❣❤
❧♦✉❞s♣❡❛❦❡rs ❛♥❞ ❤❡❛❞♣❤♦♥❡s ✐♥ ❜✐♥❛✉r❛❧✱ ❛♥❞ ❜❡t✇❡❡♥ ❝♦♠♣r❡ss❡❞✱ ❛♥❞ ✉♥❝♦♠♣r❡ss❡❞ ❛✉❞✐♦ ✜❧❡s✳ ❉✐❢✲
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INTRODUCTION
Binaural technologies are based on the fact that we localise
sounds thanks to our audio filters called HRTFs
(Head-Related Transfer Functions, [1], [2]), which characterise
the way sound is modified by the morphology of
the head and the outer ear, depending on the sound source
position. This implies that HRTFs are different for each
one of us. The basic principle of a binaural synthesis is
to convolve a sound by the pair of HRTFs corresponding
to any desired position (see Begault [3], pp. 95-100
and Nicol [4], pp. 119-125). When the resulting stereophonic
signal is listened to with headphones, the sound
should be perceived at this position. As this is only a
perceptual effect involving virtual sound sources, there
are some limitations, e.g. non-individualization of the
HRTFs (see [4], pp. 132-139), spatial interpolation of
the HRTFs where no data is available (see [5] and [6]),
Fig. 1: The workflow used by Radio France for NouvOson.
and inability to move the head relative to the sound. Indeed,
head movements allow us to determine the position
of a sound more precisely by ensuring a dynamic combination
of filters (see Begault [3], pp. 39-40). For example,
Wightman and Kistler have studied the resolution of
front-back ambiguity with head movements [7].
AES 57TH INTERNATIONAL CONFERENCE, Hollywood, CA, USA, 2015 March 6–8
1Bézard et al. Evaluation of binaural spatialization in broadcast workflow
These limitations did not prevent binaural tools from being
created and used as part of the BiLi project [8]. One
of the concrete applications resulting from this consortium
is NouvOson, on Radio France website, which consists
in mixing audio content (music, radio dramas, documentaries...)
in ITU 5.1 with loudspeakers, encoding
in binaural with fixed HRTFs, converting to AAC 192
kbps, and uploading both the 5.1 and the binaural version
(fig. 1). This workflow leads to some questions, as
to the effects of the binauralisation before and after AAC
conversion (see also [9] about binaural and bitrate reduction).
Therefore, the goal of the experiment described in
this paper is to evaluate the appreciation of the result by
the listeners, as compared to the original 5.1 file.
1. DESCRIPTION OF THE EXPERIMENT
1.1. Software used
The whole experiment was conducted using the software
SpherAudio. This software computes binaural processing
in the frequency domain to spatialise sounds in the
3D space for headphones, at any distance, azimuth and
elevation. SpherAudio offers the use of ten different
HRTFs that were selected from measurements on real
people as part of the Listen project [10]. In this experimental
protocol, the HRTF used was "Best matching 2",
and a "room" setting was enabled at "order 3" with a 50%
level.
1.2. Experimental protocol
The experiment took place in a room of 7.40 m by 5.20 m
and 2.30 m high. Curtains and blankets had been added
so as to obtain a reverberation time inferior to 0.3 s, and
to attenuate the influence of proper modes. Under normal
conditions the level of background noise was approximately
of 34 dBspl. The room had been arranged
so that darkness prevented the subjects from seeing the
loudspeakers or any other elements in the room. 23 subjects
participated in the experiment, one at a time. They
were seated behind a small desk, on a chair set at the
"sweet spot" of the listening system.
The experiment was divided into three parts: one using
loudspeakers, one using headphones, plus a visual test
for calibration:
• The workflow used for NouvOson involves ITU
5.1, however the experiment on loudspeakers used
ITU 5.0: indeed, low frequenties could compromise
the accuracy of the localisation (see
[11]). Moreover, very low frequencies are diffi-
cult to play on headphones. Loudspeakers were
DMS SR250 loudspeakers (http://www.dms- cinema.com/fr/products/),
which frequency response
had been compensated in the experimental room, by
an equalization using a cinema processor.
• For the experiment using headphones, Sennheiser
HD650 headphones were used.
• During the visual test, an operator with a laser
pointer successively lit five marks in the darkness.
The subjects had to indicate the positions of the
light. The goal was to have an idea of the ability
of the subject to visually transfer on paper his visual
and aural perception of his environment, thus allowing
an evaluation of the bias caused by this way of
answering.
In order to give the same explanations to every subject,
a recorded explanation guided them through the whole
experiment. During the audio parts, the subjects heard
different stimuli containing multiple sounds ("sources"),
and were asked to localise precise sources for each stimulus.
They wrote on an answer sheet the positions of
those sources (fig. 6). They had to draw the zones where
they heard the sound, using a pencil, without any other
constraint. On the paper was an image of their head as
seen from the top of the room, and circles around it to
help them evaluate the distance (this answer sheet was
drawn after Zacharov [12]). Moreover, they had to globally
evaluate the stimulus that they had heard, in terms
of:
• Feeling of precision ("sentiment de précision"),
as evaluated between "badly-defined feeling" and
"well-defined feeling";
• Legibility ("lisibilité"), as evaluated between "confused"
and "distinct";
• Immersion ("sentiment d’immersion"), as evaluated
between "bad" and "excellent";
• Sound colouring ("timbre/coloration"), between
"dark" and "brilliant";
• Appreciation ("appréciation globale"), between
"bad" and "excellent".
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Page 2 of 10Bézard et al. Evaluation of binaural spatialization in broadcast workflow
They evaluated these criteria on a scale of 0 to 7. The
critera were chosen after the work of Zacharov [12], Berg
and Rumsey [13] [14] [15] [16] and Rumsey [17] in order
to be easily understood by the subjects, and to evaluate
aspects of the sound which could have been impacted by
the binauralisation process, or through the bitrate reduction
process, thus reducing the listening pleasure of the
auditors.
For each subject, the two auditive parts of the experiment
were separated by a minimum of 10 hours, in order to
enable some rest and limit the effect of memories of the
previous part of the experiment (what may be called a
"learning effect").
1.3. Listening test
The experiment with loudspeakers consisted of three versions
of the same stimuli used for the experiment with
headphones: version 1 was the reference, version 2 and 3
were "delusion" versions, which were different from version
1 only by the position of the sounds. This aimed at
confusing the memory of the subjects, and avoid a "learning
effect".
For the experiment with headphones, version 1 of the 5.0
mix was binauralized, and a few treatments added. We
then obtained four binaural versions:
• Binaural reference: the 5.0 stimuli had simply
been binauralised using SpherAudio Headphones
the same way as NouvOson,
• Binaural hidden reference: a copy of the reference,
that was played later on during the experiment,
• Binaural AAC 192 kbps: the reference had been
compressed into AAC using the same parameters as
used for NouvOson,
• binaural MP3 192 kbps: the reference had been
compressed into MP3 using the software Audacity
(and Lame Encoder), in order to offer a comparison
using a widespread codec.
Each version was set pseudo-randomly using a Latin
square design: thus we obtained different series, each
corresponding to a particular order of the sounds. The
subjects undertook the experiment with one series with
headphones and another one with loudspeakers.
The subjects could play the sounds over and over as
many times as they wanted, using a computer keyboard.
They were also able to change the listening level, but
they had no visual clue as to the actual level they were
listening at. This was to ensure that they chose a listening
level with their own ears, that made them feel comfortable.
Moreover, to make sure that the subjects understood
which sounds they were expected to localise,
the sounds that could be ambiguous were played solo,
in the center, before the corresponding stimuli (e.g. the
bassoon, the lead guitar, the creaking branch...).
1.4. Stimuli
The experiment was made using five stimuli, four of
which attempted to represent contents that could be
found on NouvOson: a voice, a forest environment, a
rock music, a classical music, and a pink noise. As all
the detailed work may be found in the original master
thesis of the main author (see [18]), this paper will focus
especially on the voice stimulus, which proved to be the
most representative as to the results:
Voice stimulus This stimulus consisted in four voices
recorded without any environment sound: a young male
voice, an elderly male voice, a young female voice, an elderly
female voice. The four voices recited a children’s
poem ("Le hareng saur", by Charles Cros [19]), one after
the other, with transitions occurring in the middle of
a sentence so that the subject could not anticipate these
transitions. The subject had to localise the four voices.
The poem was in French, which was a language spoken
and understood by all the subjects.
2. RESULTS
2.1. Representing the results
To represent the results of the experiment, we had to determine
distances and angles of the areas drawn by the
subjects on their answer sheets (fig.2). Almost all the
subjects had represented the areas where they localised
the sounds by drawing ellipses, or circles (particular case
of ellipses), or points (zero-radius ellipses). We therefore
modeled ellipses to represent the subjects’ answers.
To make the results clearer, only the centers of gravity of
the areas measured for every subjects are represented, for
a given stimulus and for a given listening system (fig.3).
These centers of gravity are represented on the same diagram
as the one used for the answer sheets, except that
this diagram is completed with the position of the loudspeakers.
In addition to the centers of gravity, the mean
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Page 3 of 10Bézard et al. Evaluation of binaural spatialization in broadcast workflow
Fig. 2: A typical answer sheet: distances and angles were
measured for each area drawn by the subjects. G represents
the center of gravity of the area.
center of gravity is represented for each sound; it symbolises
the mean position where the sound (raven, guitar...)
was localised by the subjects. On the same diagram,
the variance ellipse is also represented: its halfradius
Ra is proportional to the distance variance for all
the centers of gravity, and its half-radius Rb is proportional
to the azimuth variance for all the centers of gravity
(see fig.3).
2.2. Results for the visual test
Fig.4 shows the results for the visual test. This diagram
leads to some observations: first of all, the accuracy of
the representation of visual marks on a paper is not constant.
It depends on the expected azimuth: the average
error is more important for light 1 (-15 degrees of expected
azimuth) or light 4 (155 degrees) than for light 2
or 3 (30 and 55), while the stimulus remained the same.
The average error lies between 2 (for light 5) and 15 degrees
(for light 1). We assume here that the results observed
on one side of the subject can be transposed on
the other side by symmetry.
The authors are not yet able to fully explain the reasons
of these errors, however, these results introduce what will
be called a "drawing error" that shall be taken into account
for the analysis of the results for the sound stimuli.
2.3. Diagrams for the voice
The five diagrams for the voice stimulus are shown on
fig.5. The first image on this figure illustrates the results
for the stimulus heard using loudspeakers. Localization
seems good, as the average azimuth error remains quite
small (between 5 and 15 degrees for sources in front, on
the LCR). It seems greater for stimuli located at the back
Fig. 3: The representation of the results.
Fig. 4: Results for the visual test.
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Fig. 5: (5 diagrams above) Results for the visual test and
for the entire test with the voice.
of the subject (up to 42 degrees of error), but the "drawing
error" that was revealed by the visual test has to be
kept in mind (which would give 15 degrees of average
error). The sounds are heard at the average distance of
the loudspeakers.
The second diagram and the next one allow a comparison
between 5.0 over loudspeakers and binaural. Binauralisation
causes a phenomenon of what may be called
"crushing": the stereo image is larger in binaural than
with loudspeakers, in front and in the back. We shall
be cautious around this observation, as a similar "crushing
effect" could already be observed in the visual test.
Along with this, comes the impression that the sounds
appear nearer in binaural than with loudspeakers. The
results for the hidden reference show that the accuracy
of the results for the binaural sounds is approximately 10
degrees. The measured distances, however, show variations
that do not seem to follow any logic. It seems
that distances were overall perceived with more coherence
and regularity on loudspeaers than in binaural.
The results for the binaural in AAC and in MP3 show
differences from the reference, but these differences are
between the results for the reference and for the hidden
reference. Furthermore, the "drawing error" and the fact
Fig. 6: Answer sheet used by the auditors to indicate
where they located the sounds. They also had to evaluate
the stimulus with the scales, and they could write
comments.
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Page 6 of 10Bézard et al. Evaluation of binaural spatialization in broadcast workflow
Fig. 7: An illustration of the results with loudspeakers.
Notice the accuracy of localization for sources at the center
(voice).
that the answer sheet itself bears few benchmarks, do not
allow a very precise analysis of the results. Therefore,
differences between the results in AAC 192kbps, in MP3
192kbps, and for the reference, do not seem significant.
2.4. Results for the other stimuli
The analysis of the results for other stimuli provides
more information. When using loudspeakers, when a
sound can be expected to be located by the subjects between
two loudspeakers, it seems instead to be located
near, or at the position of, the nearest loudspeaker (see
the flute and the bassoon in fig.7). Figure 7 also shows
the great accuracy of localization for the sounds that are
located precisely at the center. We also notice a few cases
of "inside-the-head" localisation (IHL), which seem to
occur only for sounds at the center (fig.8, for the voice).
We can also notice that the results seem to depend on the
considered stimulus: on fig.8, the flute and the bassoon
were expected more or less at the same angle in relation
to the center. Yet the bassoon is located much more to
the side than the flute, and the variance ellipse is much
bigger for the bassoon.
Fig. 8: An illustration of the IHL for sources at the center
(voice), and of the dependence on the type of stimulus
(flute and bassoon).
AES 57TH INTERNATIONAL CONFERENCE, Hollywood, CA, USA, 2015 March 6–8
Page 7 of 10Bézard et al. Evaluation of binaural spatialization in broadcast workflow
2.5. Results for the scales
We will show here the box plot that was obtained for the
voice stimulus. These results are representative of what
was observed for all scales. It can be noticed that the
results are not always the same for the reference and the
hidden reference. The difference may reach 0.5 point,
e.g. for the accuracy or immersion criteria. Differences
inferior to 0.5 point therefore could hardly be considered
significant for our analysis.
Overall the accuracy is considered a little better when using
loudspeakers (1 to 1.5 point when compared to any
binaural version). Immersion is considered globally as
satisfying in binaural as it is with loudspeakers, if not
more so (for some stimuli, such as classical music). Legibility
tends to be considered a bit less satisfying in binaural
than with loudspeakers, but the difference seems
hardly significant. Sound coloring seems different in binaural
and with loudpseakers: sounds seem to carry more
low-frequencies in binaural encoded with SpherAudio.
However, this criterium depends on the frequency response
of the headphones that were used, compared to
the one of the loudspeakers. Differences between the reference
and the other binaural versions do not exceed 0.5
point. Finally, appreciation seems to be as good in binaural
as it is using loudspeakers. There seems to be no
significant differences between the binaural versions.
3. CONCLUSION
This experiment showed significant differences in the
feelings of the auditors, between a 5.0 mix and its binaural
version by SpherAudio, when used with the same
workflow as for NouvOson. Some artifacts were noticed
in binaural:
• An overestimation of the azimuth of the sources
("crushing"), with cases of front-back confusions,
• In-head localisation for sounds located in the median
plane,
• An influence of the considered azimuth,
• An influence of the nature of the stimulus.
The binaural version of the 5.0 mix also seems to show
a low-frequency enhancement sensation when compared
to a listening through loudspeakers. However, the listening
seems as pleasant for the listeners in binaural as it is
using loudspeakers (especially in terms of immersion).
When compared to the differences between the binaural
reference and the hidden reference, differences between
binaural in WAV, in AAC 192 kbps and MP3 192 kbps
do not appear to be significant.
The origin of the differences between native 5.0 and binaural
is not easy to determine. They can be due to the
experimental protocol (such as the choice of the loudspeakers
and of the headphones, as well as the type of
answer sheet provided), but they may also be due to the
limitations linked with the mechanism of auditory perception.
Due to the uncertainty of the binaural rendering
of a 5.0 sound, the sound engineer and his subjective
hearing have a role to play in the binauralisation process
of a 5.0 mix.
Moreover, the limits of binaural technologies are being
pushed back by current progress in research (e.g. head
tracking systems: see Perdersen and Jorgensen [20]), and
they may not prevent binaural from becoming an effi-
cient way to create full 3D sound experiences reproduced
through a simple headset.
4. ACKNOWLEDGMENTS
This research was made as part of a thesis made at Louis
Lumière school for cinema. It was supported by Digital
Media Solutions. The authors wish to thank Hervé
Roux, CEO of Digital Media Solutions, The Digital Media
Solutions Audio 3D team, Edwige Roncière, Hervé
Déjardin and Frédéric Changenet from Radio France,
Matthieu Parmentier from the BiLi project, Jean Rouchouse
from Louis Lumière school for cinema, Brian Katz
from the LIMSI-CNRS, and Louise Molière for her help
in writing this article.
5. REFERENCES
[1] J. Blauert. Spatial Hearing (revised edition). The
MIT Press, 1997.
[2] C. I. Cheng and G. H. Wakefield. Introduction to
Head-Related Transfer Functions (HRTFs):
Representations of HRTFs in Time, Frequency,
and Space. In Audio Engineering Society
Convention 107, Audio Engineering Society, 1999.
[3] D. R. Begault. 3-D Sound for Virtual Reality and
Multimedia. NASA, Ames Research Center,
Moffett Field, California, 2000.
AES 57TH INTERNATIONAL CONFERENCE, Hollywood, CA, USA, 2015 March 6–8
Page 8 of 10Bézard et al. Evaluation of binaural spatialization in broadcast workflow
Fig. 9: Results for the scales, voice stimulus.
[4] R. Nicol. Représentation et perception des espaces
auditifs virtuels, Mémoire d’Habilitation à Diriger
des Recherches. Master’s thesis, 2010.
[5] M. Aussal, F. Alouges, and B. F. G. Katz. HRTF
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synthesis using spherical harmonics. In 25th AES
UK Conference: Spatial Audio in Today’s 3D
World, York, 2012.
[6] M. Aussal, F. Alouges, and B. F. G. Katz. A study
of spherical harmonics interpolation for HRTF
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[7] F. L. Wightman and D. J. Kistler. Resolution of
front-back ambiguity in spatial hearing by listener
and source movement. The Journal of the
Acoustical Society of America, 1999 May. vol.
105, no 5, p. 2841-2853.
[8] BILI project official site. www.bili-project.org/.
[9] B. F. G. Katz and F. Prezat. The Effect of Audio
Compression Techniques on Binaural Audio
Rendering. In Audio Engineering Society
Convention 120, Audio Engineering Society, 2006.
[10] Listen project website, Ircam.
http://recherche.ircam.fr/equipes/salles/listen/,
consulté en avril 2013.
[11] B. Lagnel. Prise de son multicanale et binaurale.
In Meeting of the AES France, Conference at
Radio France, Paris, Audio Engineering Society,
2013.
[12] N. Zacharov and K. Koivuniemi. Unravelling the
perception of spatial sound reproduction:
Techniques and experimental design. In Audio
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[13] J. Berg and F. Rumsey. Identification of perceived
spatial attributes of recordings by repertory grid
technique and other methods. In Audio
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Engineering Society Convention 106, Audio
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[14] J. Berg and F. Rumsey. Spatial attribute
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[15] J. Berg and F. Rumsey. In search of the spatial
dimensions of reproduced sound: Verbal protocol
analysis and cluster analysis of scaled verbal
descriptors. In Audio Engineering Society
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[16] J. Berg and F. Rumsey. Correlation between
emotive, descriptive and naturalness attributes in
subjective data relating to spatial sound
reproduction. In Audio Engineering Society
Convention 109, Audio Engineering Society, 2000.
[17] F. Rumsey. Subjective assessment of the spatial
attributes of reproduced sound. In Audio
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International Conference: Audio, Acoustics and
Small Spaces, Audio Engineering Society, 1998.
[18] P. Bézard. L’insertion d’un outil de spatialisation
binaurale dans le flux de post-production et de
diffusion sonore. PhD thesis, École Nationale
Supérieure Louis Lumière (section Son), June
2013.
[19] Poèmes à dire, choisis par Daniel Gélin. Seghers
editions, 2003.
[20] J. A. Pedersen and T. Jorgensen. Localization
Performance of Real and Virtual Sound Sources.
In AM3D A/S AALBORG (DENMARK), 2005.
AES 57TH INTERNATIONAL CONFERENCE, Hollywood, CA, USA, 2015 March 6–8
Page 10 of 10Proceedings of Meetings on Acoustics
Volume 19, 2013 http://acousticalsociety.org/
ICA 2013 Montreal
Montreal, Canada
2 - 7 June 2013
Psychological and Physiological Acoustics
Session 1pPPa: Binaural Hearing and Binaural Techniques I
1pPPa2. A study of spherical harmonics interpolation for HRTF exchange
Matthieu Aussal*, François Alouges and Brian Katz
*Corresponding author's address: Digital Media Solutions, 45 grande allée du 12 février 1934, Noisiel, 77186, Seine et marne,
France, matthieu.aussal@dms-cinema.com
Today, there exists a growing number of publicly available HRTF datasets, with each set often proposing a unique variation on the spatial
discretization measurement grid. These various grids, typically determined by the mechanical system employed, result in datasets which are not
directly comparable or exploitable. To alleviate the limitation of incompatible grids and assist in the adaptation of measurements performed on
one grid to another, facilitating the inter-exchange of HRTF sets, a fixed radius HRTF interpolation method is proposed. The approach is based
on a decomposition of the sound field using spherical harmonics, allowing for a global spatial recomposition. A high spatial density HRTF was
used as a test case for evaluating the interpolation method, and a series of measures are employed to quantitatively compare the quality of the
interpolation as theoretical laws.
Published by the Acoustical Society of America through the American Institute of Physics
Aussal et al.
© 2013 Acoustical Society of America [DOI: 10.1121/1.4800216]
Received 23 Jan 2013; published 2 Jun 2013
Proceedings of Meetings on Acoustics, Vol. 19, 050010 (2013) Page 1
Redistribution subject to ASA license or copyright; see http://acousticalsociety.org/content/terms. Download to IP: 129.104.4.248 On: Thu, 03 Jul 2014 17:18:58INTRODUCTION
Head-Related Transfers Functions (HRTF) are the main acoustical signature of spatial hearing,
characterizing firstly interaural information as Interaural Time Difference (ITD) and Interaural
Level Difference (ILD), and secondly spectral deformation undergone by a sound wave as it
impinges on the listener. In theory, knowledge of those functions offers the ability to synthesize
a natural listening experience over headphones, typically called binaural synthesis. In practice,
HRTFs are mainly measured in laboratory conditions and each system often has is own unique
set-up. Therefore, to allow definition of a universal exchange format, there is a need for automatic
spatial interpolation of those functions.
In this study, interpolation algorithms based on spherical harmonic decomposition are the
focus. Well known theoretical principles are first introduced before proposing a method for interpolation
validation. Finally, theoretical laws are discussed, in agreement with numerical computation,
to predict a domain of effectiveness of this type of interpolation.
MATHEMATICAL REMINDERS
As the theoretical background for spherical
harmonic interpolation is well introduced
in many previous studies, we provide here only
several simple mathematical reminders. The
curious reader may refer to reference articles
as [1, 2, 3, 4, 5].
Theoretical construction of
spherical harmonics basis
Spherical harmonics Y m
l can be introduced
as the the trace on the unit sphere S2 of harmonic
homogeneous polynomials of degree l
[6]. So let ∀l ∈ N, −l ≤ m ≤ l, and −1 < x < 1,
Pm
l the Legendre function associated to Legendre
polynomials Pl, defined by:
Pm
l (x) = (−1)m(1− x2)
m/2 dm
dxm Pl(x). (1)
In spherical coordinates (r,θ,φ) with colatitude
convention, the family (Y m
l ) defined by:
Y m
l (θ,φ) =
2l +1
4π
(l − m)!
(l + m)!
Pm
l (cos(φ))eimθ (2)
form an orthonormal basis of L2(S2), which diagonalizes
the Laplace Beltrami operator Δ on
the sphere S2:
ΔY m
l + l(l +1)Y m
l = 0. (3)
Thus, any function u ∈ L2(S2) can be written
as:
u(θ,φ) =
l,m
αm
l Y m
l (θ,φ) (4)
where αm
l are the expansion coefficients.
Theoretical problem resolution
In numerical practice [2], summation is
truncated at a fixed value L called the truncation
number, in such a way that αm
l = 0 ∀l > L.
After that, there is a total of M = (L+1)2 terms
in spherical decomposition Eq. (4). Then, for
a discrete set of measurements u(θ,φ) known
at N spatial position {u1,...,uN } on the sphere
S2, the M unknowns αm
l are fitted by writing
a linear system of equations:
(ui)i∈[1,N] = (u(θi,φi))i =
(
L
l,m
αm
l Y m
l (θi,φi)
i
Yα = U (5)
where Y is the N × M left hand side, α the unknowns
vector, and U the right hand side.
To smooth solutions and avoid numerical
instabilities, a Tikhonov regularization is employed
as in [2, 4], carefully chosen for the
given problem. In general, this regularization
is performed by a minimization of the norm of
the standard data or their variations. In our
particular case, as α is the weighting vector of
spherical harmonics, “low” spatial frequencies
have to be emphasize to avoid abrupt variations.
The linear system of Eq. (5) then becomes:
(YTY +D)α = YTU (6)
with Di j = (1 + l(l + 1))δi j, l the degree of
the corresponding spherical harmonic Y m
l , and
∈ [0,1].
Aussal et al.
Proceedings of Meetings on Acoustics, Vol. 19, 050010 (2013) Page 2
Redistribution subject to ASA license or copyright; see http://acousticalsociety.org/content/terms. Download to IP: 129.104.4.248 On: Thu, 03 Jul 2014 17:18:58
Contrˆole de la puissance pour les r´eseaux sans fil
Dat-Duong PHAN
To cite this version:
Dat-Duong PHAN. Contrˆole de la puissance pour les r´eseaux sans fil. Automatic. Universit´e
de Poitiers, 2014. French.
HAL Id: tel-01095640
https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01095640
Submitted on 15 Dec 2014
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L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est
destin´ee au d´epˆot et `a la diffusion de documents
scientifiques de niveau recherche, publi´es ou non,
´emanant des ´etablissements d’enseignement et de
recherche fran¸cais ou ´etrangers, des laboratoires
publics ou priv´es.Université de Poitiers
Travaux Scientifiques
présentés à
l’Université de Poitiers en vue de l’obtention du
Diplôme de Doctorat
par
Dat Duong Phan
Contrôle de la puissance pour les réseaux sans fil
Soutenue publiquement le vendredi 5 décembre 2014
Jury
Rapporteurs : Jean-Pierre Barbot Professeur à l’ENSEA
Christophe Prieur DR CNRS au GIPSA-lab
Examinateurs : Jean-Pierre Richard Professeur à l’École Centrale de Lille
Rodolphe Vauzelle Professeur à l’Université de Poitiers
Patrick Coirault Directeur de thèse
Professeur à l’Université de Poitiers
Emmanuel Moulay Co-encadrant de thèse
CR CNRS XLIM-SICRemerciements
Dans un premier temps, je tiens à remercier Monsieur Patrick COIRAULT- mon directeur de
thèse et Monsieur Emmanuel MOULAY- mon Co-encadrant, qui m’ont encadré tout au long
de mes travaux de recherche. Merci pour le temps qu’ils m’ont consacré et pour leur soutien
constant. Qu’ils trouvent ici l’expression de ma profonde reconnaissance, pour leurs remarques
et conseils scientifiques, leur aide, et leur patiente face aux difficultés que j’ai rencontré pendant
mon travail de thèse.
Je voudrais remercier Monsieur Rodolphe VAUZELLE, Monsieur Pierre COMBEAU, Monsieur
Frédéric LAUNAY et Madame Anne-Marie POUSSARD pour leurs conseils. Les discussions
scientifiques avec eux m’ont été très utiles pour mes recherches.
Je remercie également Monsieur Christian CHATELLIER, Monsieur Patrick PAILLER et Monsieur
Yoann HILAIRET de la société Wytek, pour avoir, non seulement mis à ma disposition
leur matériel pour les besoins pratiques de mes travaux, mais aussi pour les explications et les
conseils qu’ils m’ont prodigués.
Je tiens à remercier également Monsieur Jean-Pierre RICHARD et Monsieur Rodolphe VAUZELLE
pour l’intérêt qu’ils ont porté à mes travaux de recherche en acceptant de participer à
mon jury. Je remercie profondément Monsieur Jean-Pierre BARBOT et Monsieur Christophe
PRIEUR, d’avoir accepté d’être rapporteurs de mes travaux. Merci pour leur lecture et leurs
remarques qu’ils ont porté à mon mémoire.
Ces quelques lignes sont dédiées à ma famille. J’adresse un grand merci à mes parents et à ma
sœur qui m’ont encouragé et soutenu dans les moments difficiles. Enfin, je ne remercierai jamais
assez ma femme pour m’avoir accompagné, aidé et soutenu tout au long du difficile parcours de
la thèse, ainsi que mon fils qui illumine désormais nos vies.Table des matières
Introduction générale 1
Abréviation 3
1 Problématiques des réseaux cellulaires sans fil 7
1.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.2 Les réseaux sans fil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.2.1 Définition des réseaux sans fils . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.2.2 Le réseau de téléphonie mobile et la norme LTE . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.2.2.1 Le réseau de téléphonie mobile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.2.2.2 La norme LTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.2.3 Le WLAN et la norme WiFi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1.2.3.1 Le WLAN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1.2.3.2 La norme WiFi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.2.4 Le WSN et la norme ZigBee . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.2.4.1 Le WSN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.2.4.2 La norme ZigBee . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.2.5 L’architecture du modèle OSI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
1.3 Chaîne de transmission numérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
1.3.1 Codage de source . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
1.3.2 Codage de canal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
1.3.3 Modulation et démodulation numérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
1.3.4 Canal de transmission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
1.3.4.1 Canal de propagation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
1.3.4.2 Modèles de canal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
1.3.4.3 Temps de cohérence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
1.4 Les Indicateurs de QoS au niveau de la couche physique . . . . . . . . . . . . . . 24
1.4.1 Le SINR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
1.4.2 Le BER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
1.4.3 Le RSSI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
1.5 Problématiques autour des réseaux sans fil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
1.5.1 Efficacité énergétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
1.5.2 Amélioration de la QoS par le contrôle de la puissance . . . . . . . . . . . 26
1.6 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27vi TABLE DES MATIÈRES
2 Contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires sans fil : approches algorithmiques,
modélisation dynamique 29
2.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.2 Algorithme TPC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
2.2.1 Algorithme 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
2.2.2 Algorithme 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
2.2.3 Algorithme 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2.3 Modèle dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
2.3.1 Équation de l’évolution du SINR en LTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
2.3.2 Équation du SNR pour les WLANs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
2.3.3 Équation du RSSI pour les WSNs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
2.4 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
3 Contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires sans fil : synthèse d’une
loi de commande 43
3.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
3.2 La stabilité d’un système discret . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
3.2.1 Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
3.2.2 La stabilité d’un système linéaire discret . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
3.2.3 Stabilité au sens de Lyapunov . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
3.3 Contrôle anti-windup . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
3.3.1 Position du problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
3.3.2 Recherche d’un correcteur Kc stabilisant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
3.3.3 Prise en compte de l’anti-windup . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
3.3.4 Résultats de simulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
3.4 La MPC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
3.4.1 Commande prédictive sans contraintes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
3.4.2 Commande prédictive sous contraintes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
3.5 Construction de la PFC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
3.5.1 Système nominal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
3.5.2 Système perturbé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
3.5.2.1 Système perturbé avec k1 = −
1
2
. . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
3.5.2.2 Système perturbé avec −1
2 < k1 < 0 . . . . . . . . . . . . . . . . 62
3.5.3 Systèmes avec entrée retardée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
3.5.3.1 Transformation d’Arstein . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
3.5.3.2 PFC avec entrée retardée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
3.6 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
4 Essais numériques et expérimentaux 71
4.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
4.2 Résultats de simulation en LTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
4.3 Résultats de simulation pour les WLAN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
4.4 Résultats expérimentaux pour le WSN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
4.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
Conclusion générale et perspectives 85Table des figures
1.1 (a) Réseau cellulaire avec une antenne omnidirectionnelle ; (b) Réseau cellulaire
avec une antenne directionnelle ; (c) Réutilisation des fréquences dans le réseau
cellulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.2 Structure d’une trame en LTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.3 Ressource . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.4 Les topologies du réseau WiFi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.5 (a) Trame de demande ; (b) trame de rapport pour le contrôle de puissance . . . 14
1.6 Architecture d’un WSN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.7 La topologie du réseau ZigBee . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
1.8 Architecture du modèle OSI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
1.9 Principe d’une chaîne de transmission numérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
1.10 Phénomènes de propagation de l’onde radio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
1.11 Evanouissement du signal reçu dans un canal radio mobile . . . . . . . . . . . . . 21
1.12 BER vs SNR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
2.1 Prise en compte du retard de propagation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
2.2 L’algorithme TPC pour les WLAN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2.3 La communication de la liaison montant en LTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
2.4 Schéma bloc du système de contrôle de la puissance en LTE . . . . . . . . . . . . 38
3.1 Illustration géométrique de la fonction de Lyapunov . . . . . . . . . . . . . . . . 46
3.2 Système en boucle fermée avec anti-windup sur la sortie . . . . . . . . . . . . . . 48
3.3 La perturbation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
3.4 Le correcteur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
3.5 La sortie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
3.6 L’entrée et la sortie du système double intégrateur. . . . . . . . . . . . . . . . . . 54viii TABLE DES FIGURES
3.7 L’entrée et la sortie du double intégrateur avec une contrainte sur la commande. . 55
3.8 L’entrée et la sortie du double intégrateur sous contraintes sur la commande et
l’état. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
3.9 (a) : u(n) en fonction de x(n); (b) : x(n + 1) en fonction de x(n) . . . . . . . . . 59
4.1 Le BLER vs SINR (dB) pour différents types de modulation [72] . . . . . . . . . 72
4.2 Le SINR d’UE avec une vitesse de déplacement de 5km.h
−1
. . . . . . . . . . . . 73
4.3 Le SINR d’UE avec une vitesse de déplacement de 260km.h
−1
. . . . . . . . . . . 73
4.4 Le SINR d’UE avec une vitesse de déplacement de 260km.h
−1
, sans prendre en
compte les retards . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
4.5 Temps d’exécution pour une période de temps simulé de 10s . . . . . . . . . . . . 74
4.6 Le BER vs SNR pour différents types de modulation . . . . . . . . . . . . . . . . 75
4.7 Evolution de SINR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
4.8 SINR avec la commande PFC, k1 = −0.05 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
4.9 Temps d’exécution pour une période de 1000s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
4.10 Le WSN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
4.11 Site de l’expérimentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
4.12 RSSI vs puissance de transmission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
4.15 Evolution de la puissance émise et du RSSI pour le capteur WS3 avec la condition
initiale de 8dBm . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
4.13 Evolution de la puissance émise et du RSSI pour le capteur WS1 avec la condition
initiale de 8dBm . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
4.16 Evolution de la puissance émise et du RSSI pour le capteur WS4 avec la condition
initiale de 8dBm . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
4.14 Evolution de la puissance émise et du RSSI pour le capteur WS2 avec la condition
initiale de 8dBm . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
4.17 Temps d’exécution des contrôleurs sur une période de temps d’une journée . . . . 82
4.18 Evolution de la puissance d’émission et du RSSI pour le capteur WS4 avec obstacle 83
4.19 Comsomation énergétique d’un capteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84Liste des tableaux
1.1 Les types de modulation utilisés en LTE, WiFi, et ZigBee . . . . . . . . . . . . . 20
2.1 Tableau ATPC au nœud numéro 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
4.1 Les paramètres de simulation en LTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
4.2 Valeurs des paramètres bi pour le WSi
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
4.3 Puissance de transmission pour chaque capteur WSi
. . . . . . . . . . . . . . . . 83
4.4 Economie d’énergie avec la commande PFC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84x LISTE DES TABLEAUXINTRODUCTION GÉNÉRALE
Motivation des travaux
Aujourd’hui, la communauté scientifique s’intéresse de plus en plus à l’utilisation de méthodes
avancées de l’automatique, que ce soit en identification ou en commande, pour répondre à des
problèmes liés aux télécommunications. Il apparaît en effet que les réseaux de communication
constituent un domaine dans lequel l’automatique peut apporter une contribution significative
[10, 70, 65]. Par exemple, le problème de la sécurité des réseaux communication a été abordé par
une approche automaticienne dans [95]. Dans [73, 32, 41] les auteurs ont développé une stratégie
de contrôle pour les systèmes distants à travers le réseau internet.
Parmi les problèmes posés, le contrôle de la puissance dans les réseaux sans fil peut être traité par
des approches issues de l’automatique. Le contrôle de la puissance doit satisfaire trois objectifs
principaux :
– assurer une bonne Qualité de Service QoS (Quality of Service) entre l’émetteur et le récepteur,
– réduire la consommation énergétique des nœuds de communication,
– réduire la pollution électromagnétique pour répondre aux contraintes environnementales. En
effet, l’impact d’un champ électromagnétique sur la santé humaine est un domaine de recherche
actif [1, 2].
C’est ce problème qui a motivé ce travail. L’objectif est de concevoir une nouvelle commande
permettant d’une part d’améliorer la QoS, et d’autre part de réduire la puissance de transmission
des nœuds. L’amélioration de la QoS est une question cruciale en télécommunication. Il
s’agit de garantir la continuité du lien radio entre l’émetteur et le récepteur et de respecter un
débit minimum dépendant de l’application. La réduction de la puissance de transmission diminue
globalement les interférences des autres appareils. Elle permet également de diminuer la
consommation énergétique des nœuds et donc d’augmenter leur autonomie.
Ce dernier point est d’autant plus crucial que le volume des données échangées est important. En
effet, dans un réseau sans fil, l’impact d’une réduction de puissance de transmission d’un nœud
se fait essentiellement sentir durant la phase de transmission des données.
Un autre point important pour un système embarqué porte sur la simplicité de la stratégie de
contrôle. Une commande simple aura un temps d’exécution réduit, ce qui peut être un facteur
important pour certaines applications. Notons par exemple le cas du LTE (Long Term Evolution)
où la commande est rafraîchie toutes les millisecondes et où le nombre de nœuds est important.
La simplicité de la commande est un des critères que nous retiendrons pour le contrôle de la
puissance.2 Introduction générale
Positionnement des travaux
Depuis plusieurs années, le développement croissant des réseaux sans fil et le problème de l’autonomie
énergétique des nœuds communicants a encouragé la communauté scientifique à développer
plusieurs stratégies de contrôle de la puissance de transmission pour la liaison montante
[22, 28, 42, 76, 82, 83, 88, 93]. On peut citer entre autres la stratégie TPC qui est basée sur
une approche algorithmique. Elle a été développée pour la nouvelle norme LTE [53, 55, 79, 2].
D’autres algorithmes optimisés pour les normes WiFi et ZigBee ont été respectivement proposés
dans [75, 38, 51] et [14, 45, 5]. Certains de ces algorithmes seront détaillés dans le chapitre 2.
Notre travail se situe dans le cas particulier des réseaux cellulaires, pour lequel les nœuds ne
communiquent qu’avec un nœud central, appelé coordinateur dans le cas des réseaux de capteurs,
ou station de base pour les réseaux de téléphonie. Nous montrerons que dans ce cadre, le contrôle
de la puissance pour la liaison montante peut être modélisé comme un problème de stabilisation
d’un système SISO linéaire discret avec une contrainte sur l’état et un retard sur la commande,
et soumis à une perturbation bornée.
Nous présenterons différentes techniques de commande existantes susceptibles de résoudre ce
problème de stabilisation. Nous montrerons qu’aucune ne satisfait pleinement à l’ensemble des
critères définis précédemment. C’est pourquoi nous proposerons une nouvelle approche basée
sur une commande par potentiel dénommée PFC (Potential Feedback Control). À l’origine, le
PFC a été développée pour des applications liées à la robotique pour éviter les collisions avec
des obstacles [66, 56, 44]. L’idée était de mettre en place un potentiel virtuel répulsif autour des
obstacles. Nous avons repris cette idée et nous l’avons adaptée à notre problème. Nous montrerons
que le PFC, qui est une commande non linéaire, assure que pour un système SISO discret la
sortie du système reste toujours supérieure à une limite inférieure. La principale difficulté de
cette stratégie est due à la non linéarité introduite par la commande. La preuve de stabilité sera
obtenue en utilisant la théorie de Lyapunov.
Présentation du mémoire
Ce mémoire s’articule autour de quatre chapitres :
Chapitre 1
Le premier chapitre introduit les notions de base utiles pour la compréhension des réseaux sans
fil. Nous présenterons les différents types de réseaux sans fils, tels que le réseau de téléphonie
cellulaire, le réseau local WLAN, le réseau de capteurs WSN et nous donnerons un bref aperçu
des normes de communication associées telles que le LTE, le WiFi et le ZigBee. Nous décrirons
ensuite le modèle OSI qui est commun à tous ces réseaux. Nous détaillerons par la suite la chaîne
de communication classique, en insistant particulièrement sur la couche physique et le canal de
transmission. Nous nous intéresserons également aux indicateurs de QoS au niveau de la couche
physique. Enfin, nous présenterons les problématiques propres aux réseaux sans fil telles que
l’efficacité énergétique et l’amélioration de la QoS par le contrôle de la puissance.Introduction générale 3
Chapitre 2
Le deuxième chapitre propose une étude bibliographique sur les algorithmes de contrôle de la
puissance actuellement utilisés en télécommunication. Ces algorithmes sont basés sur des indicateurs
de QoS et une valeur de QoS minimale en-dessous de laquelle le lien radio est coupé. Nous
proposerons ensuite une modélisation des réseaux cellulaires pour le contrôle de la puissance. Le
modèle dynamique obtenu est linéaire et discret, SISO, et présente dans le cas général un retard
sur la commande. Sa sortie est perturbée par un bruit borné.
Chapitre 3
Le troisième chapitre débute par un bref rappel de la stabilité au sens de Lyapunov pour un système
discret. Nous présenterons ensuite deux techniques de commande applicables à un système
linéaire discret avec contrainte sur l’état. La première méthode envisagée est une commande avec
un mécanisme d’anti-windup sur l’état. Cette technique est couramment utilisée lorsque la commande
du système est saturée. Nous en proposons une adaptation dans le cas d’une contrainte
sur l’état. La deuxième approche envisagée est une technique MPC, bien adaptée aux problèmes
présentant des contraintes sur l’état et la commande. Nous montrerons cependant que ces deux
techniques ne sont pas forcément bien adaptées à notre problème. Nous proposerons en dernière
partie une approche originale basée sur une commande par potentiel (PFC) qui répond à la fois
aux critères de simplicité de mise en œuvre et de contrainte.
Chapitre 4
Le quatrième chapitre est dédié aux résultats numériques et expérimentaux de contrôle de puissance.
Une comparaison des trois commandes développées précédemment, à savoir la TPC, la
MPC et le PFC, permet d’évaluer leurs performances respectives en termes de temps d’exécution
et de respect de la contrainte. Les résultats de simulation pour les normes LTE et WiFi sont
exposés tandis qu’un résultat expérimental est donné pour la norme ZigBee.
Une conclusion et quelques perspectives seront données à la fin de ce manuscrit.4 Introduction généraleABRÉVIATION
AP Access Point
ASK Amplitude-shift keying
ATPC Adaptive Transmission Power Control
BER Bit Error Rate
BLER Block Error Rate
BPSK Binary Phase Shift Keying
BSS Basic Service Set
CCK Complementary Code Keying
CQI Channel Quality Indicator
CSMA-CA Carrier Sense Multiple Access with Collision Avoidance
CDMA Code Division Multiple Access
FDMA Frequency Division Multiple Access
FFD Full Function Device
GSM Global System for Mobile communications
IBSS Independent Basic Service Set
LLC Logical Link Control
LQG Linear Quadratic Gaussian
MAC Media Access Control
MCS Modulation and Coding Scheme
MPC Model Predictive Control
NLOS Non Line Of Sight
OFDM Orthogonal Frequency Division Multiplexing
OFDMA Orthogonal Frequency-Division Multiple Access
OSI Open Systems Interconnection
PAPR Peak-to-Average Power Ratio
PFC Potential Feedback Control
PID Proportional Integral Derivative
PUSCH Physical Uplink Shared Channel
PUSCH The Physical Uplink Shared Channel
QAM Quadrature Amplitude Modulation
QoS Quality of Service
QPSK Quadrature Phase-Shift Keying
RFD Reduced Function Device6 Abréviation
RSSI Received Signal Strength Indication
SC-FDMA Single Carrier-Frequency Division Multiple Access
SINR Signal to Interference plus Noise Ratio
SNR Signal to Noise Ratio
SRS Sounding Reference Signal
STA Station
TDMA Time Division Multiple Access
TPC Transmit Power Control
UE User Equipment
UMTS Universal Mobile Telecommunications System
WLAN Wireless Local Area Network
WSN Wireless Sensor NetworkChapitre 1
Problématiques des réseaux cellulaires sans fil
1.1 Introduction
Le déploiement des réseaux sans fil est en pleine expansion depuis quelques années. Ces réseaux
sont constitués de nœuds distribués géographiquement. Chaque nœud est autonome et dispose
de propriétés de mesure de son environnement et de communication radio. Les applications
de ces réseaux sont multiples : téléphonie, médicales, véhicules communicants, surveillance de
l’environnement, ...
On peut distinguer deux classes de réseaux, suivant que les nœuds communiquent directement
avec un nœud central (topologie en étoile) ou transmettent l’information de proche en proche (ré-
seaux routés). Pour les deux classes, les nœuds sont alimentés par des batteries et disposent d’une
autonomie énergétique limitée. La principale cause de dépense énergétique est la communication
radio. Il est donc crucial de limiter la puissance de transmission sur chaque nœud. Néanmoins, si
la puissance de transmission est trop faible, la communication sera mauvaise avec un taux d’erreur
binaire (BER) élevé. Elle nécessitera des retransmissions, ce qui n’est pas efficace en terme
d’économie d’énergie. D’un autre côté, transmettre avec une puissance élevée assure une bonne
communication mais est également énergivore. Il faut donc contrôler la puissance d’émission de
chaque nœud pour se placer à un minimum de puissance tout en conservant une bonne liaison
radio.
L’objectif de ce chapitre est d’introduire les notions de base en télécommunication afin de faciliter
la compréhension de ce document et de présenter la problématique du contrôle de la puissance
pour les réseaux sans fil. Ce chapitre est donc organisé de la façon suivante : dans la section
1.2 sont décrits les réseaux sans fil, en particulier les réseaux cellulaires de téléphonie et les
réseaux de capteurs WLAN et WSN. Dans la section 1.3 nous présentons le principe d’une
chaîne de transmission numérique en insistant sur les descriptions de la couche physique et du
canal de transmission. La notion de qualité de service QoS au niveau de la couche physique sera
introduite dans la section 1.4. Enfin, la problématique du contrôle de la puissance est présentée
dans la section 1.5.8 Problématiques des réseaux cellulaires sans fil
1.2 Les réseaux sans fil
1.2.1 Définition des réseaux sans fils
Les réseaux sans fil sont des réseaux informatiques ou numériques dont les nœuds sont connectés
par radio. L’information véhiculée entre l’émetteur et le récepteur n’utilise pas de canal guidé.
Les réseaux sans fil présentent une infrastructure légère qui limite l’installation d’un câblage dans
les locaux. Les autres avantages d’un réseau sans fil sont la mobilité et la flexibilité. Un utilisateur
peut se connecter à un réseau existant et se déplacer librement tant qu’il reste sous la couverture
radio du réseau. La flexibilité des réseaux sans fil se traduit par la rapidité de déploiement. Il
existe différents types de réseaux sans fil, tels que les réseaux de téléphonie mobile, les réseaux
ad’hoc et les réseaux de capteurs.
1.2.2 Le réseau de téléphonie mobile et la norme LTE
1.2.2.1 Le réseau de téléphonie mobile
Un réseau de téléphonie mobile est un réseau sans fil distribué dans des zones terrestres appelées
cellules. Chacune est desservie par au moins une station de base, qui connecte les appareils
mobiles au réseau. L’assemblage de ces cellules fournit une couverture radio sur une large zone
géographique. Cela permet à un grand nombre d’appareils portables de communiquer les uns
avec les autres partout dans la zone de couverture en passant par les stations de base, même si
certains des mobiles se déplacent d’une cellule à l’autre. Les opérateurs de télécommunication
ont déployé des réseaux de téléphonie mobile sur la plupart des surfaces habitables de la planète.
Cela permet aux utilisateurs de téléphones mobiles et d’appareils informatiques de se connecter
au réseau téléphonique et à internet.
Les stations de base peuvent être équipées d’antennes omnidirectionnelles ou d’antennes directionnelles.
Une station de base équipée d’antennes omnidirectionnelles est placée au centre d’une
cellule. Elle transmet un même signal pour tous les mobiles. Une station de base équipée d’antennes
directionnelles est placée aux coins de l’hexagone où trois cellules convergent. Chaque
station de base comporte trois ensembles d’antennes directionnelles qui visent trois directions
différentes avec 120 degrés pour chaque cellule (totalisant 360 degrés) et la réception/transmission
dans trois cellules différentes à des fréquences différentes. Ceci permet d’obtenir un minimum
de trois canaux, et trois stations de base pour chaque cellule, ce qui augmente la probabilité de
recevoir un signal utilisable à partir d’au moins une direction. Les figures 1.1 (a) et (b) illustrent
la différence entre une cellule avec une antenne omnidirectionnelle et celle avec une antenne
directionnelle.1.2 Les réseaux sans fil 9
Figure 1.1 – (a) Réseau cellulaire avec une antenne omnidirectionnelle ; (b) Réseau cellulaire
avec une antenne directionnelle ; (c) Réutilisation des fréquences dans le réseau cellulaire
La principale caractéristique d’un réseau de téléphonie mobile est sa capacité à réutiliser des
fréquences pour augmenter sa couverture et sa capacité. Chaque cellule utilise une bande de
fréquences différentes de celles des cellules voisines afin d’éviter toute interférence. Cette bande de
fréquence peut cependant être utilisée par une cellule non adjacente. La figure 1.1 (c) représente
un exemple de réutilisation des fréquences. Nous constatons que la bande de fréquence F1 est
utilisée dans deux cellules séparées par les cellules utilisant la bande de fréquence F2, F4. La
réutilisation de fréquences est également appelée la réutilisation de canaux.
1.2.2.2 La norme LTE
Les premiers systèmes de communication mobile ont été commercialisés dans les années 1980
et sont connus sous la dénomination de systèmes de première génération (1G). La 1G utilisait
la technologie analogique et différentes solutions technologiques ont été développées indépendamment
dans le monde entier en l’absence d’espace normatif. Le premier réseau de téléphonie
mobile commun au monde entier a été normalisé grâce à la coopération entre les communautés
de télécommunication. C’est le système dit de deuxième génération (2G) plus connu sous le nom
de GSM (Global System for Mobile communications). Contrairement à la 1G, la 2G utilise la
technologie de communication numérique. Avec les progrès de la technologie des téléphones mobiles
qui a conduit à la miniaturisation des terminaux et à une augmentation de leur autonomie,
la norme GSM a connu un succès qui a dépassé les attentes initiales et qui a contribué à créer un
nouveau marché. Le GSM a permis d’avoir une communication téléphonique simple et fiable, ce
qui n’était pas possible auparavant. À ses débuts, la 2G ne fournissait que des communications
vocales et SMS. Dans ses versions ultérieures, de nouvelles capacités ont été introduites pour
supporter la transmission de données. L’union internationale des télécommunications a ouvert
la voie de l’évolution vers la 3G, l’UMTS (Universal Mobile Telecommunications System). Bien
que la technologie 3G a augmenté de manière significative les débits, la pléthore d’applications
et de services mobiles nécessite le déploiement d’un nouveau système : le LTE. La norme LTE10 Problématiques des réseaux cellulaires sans fil
supporte une bande passante flexible entre 1.4 MHz et 20 MHz et fournit un débit théorique
jusqu’à 300 Mbps pour le lien descendant et 50 Mbps pour le lien montant [72]. De plus, le LTE
améliore le temps de latence (le temps nécessaire pour faire un aller-retour entre émetteur et
récepteur) proche de 10 ms (contre 70 ms à 200 ms en UMTS). La norme LTE utilise le procédé
de codage OFDM (Orthogonal Frequency-Division Multiplexing), qui est connu par sa capacité à
lutter contre les canaux sélectifs en fréquence en permettant une égalisation de faible complexité.
De plus, l’utilisation de l’OFDM pour les liaisons montante et descendante permet d’éviter les
interférences entre les mobiles qui se trouvent dans la même cellule, dénommée l’interférence
intra-cellulaire [72]. Notons que la 2G et la 3G utilisent respectivement le procédé de codage
TDMA/FDMA (Time Division Multiple Access/Frequency-Division Multiple Access) et CDMA
(Code Division Multiple Access). Enfin, la norme LTE possède la capacité de permettre à un
plus grand nombre d’utilisateurs d’accéder au réseau sans fil à grand débit sans compromettre
les performances. La norme LTE peut prendre en charge plus de 200 terminaux actifs simultané-
ment dans chaque cellule tandis que le nombre de terminaux actifs, pour la norme 3G, est limité
à 60.
Certaines notions telles que le procédé de codage SC-FDMA (Single Carrier-Frequency Division
Multiple Access), la structure de trame, les ressources de la couche physique sont brièvement
décrites dans les sections suivantes afin de mieux comprendre le problème de contrôle de la
puissance en LTE.
Couche physique en LTE
Le multiplexage L’OFDMA et le SC-FDMA sont respectivement deux modèles qui gèrent
l’accès multi-utilisateurs à une ressource partagée pour les liaisons descendante et montante.
Le SC-FDMA est une forme modifiée de l’OFDMA (Orthogonal Frequency-Division Multiple
Access). Comme la consommation électrique est un facteur clé pour les terminaux mobiles, la
réduction du PAPR (Peak-to-Average Power Ratio) et la perte de l’efficacité de l’OFDM sont
des préoccupations majeures. Le SC-FDMA est donc modifié à partir de l’OFDMA afin d’obtenir
un PAPR inférieur à celui de OFDMA. De plus, le SC-FDMA permet d’éviter d’interférences
intra-cellule [72, 37, 79].
Structure de trame Les transmissions en LTE sont segmentées en trames. Une trame de 10
ms est composée de 10 sous-trames de 1 ms dont chacune est divisée en deux slots de 0.5 ms.
Chaque slot se compose de sept symboles OFDM. La figure 1.2 représente la structure d’une
trame en LTE.
Bloc de ressource physique Dans la norme LTE, la ressource élémentaire est le plus petit
élément de l’allocation des ressources attribuée par l’ordonnanceur de la station de base. Un bloc
de ressource physique est défini comme une ressource de 180 kHz dans le domaine fréquentiel et
de 0.5 ms (un slot) dans le domaine temporel. Étant donné que l’espace entre les sous-porteuses
est de 15 kHz, chaque bloc de ressource physique est composé de 12 sous-porteuses dans le
domaine fréquentiel. La figure 1.3 illustre les ressources en LTE.1.2 Les réseaux sans fil 11
Figure 1.2 – Structure d’une trame en LTE
Figure 1.3 – Ressource
Contrôle de la puissance PP USCH Le contrôle de la puissance de la liaison montante en
LTE est assuré par un algorithme alimenté par un ensemble de paramètres transmis dans les
différents canaux physiques de la liaison montante. L’algorithme assure une puissance suffisante
à la station de base permettant la démodulation correcte des informations. Il existe plusieurs
types de canaux physiques de liaison montante tels que :
- Le PUCCH (Physical Uplink Control Channel) qui est utilisé pour supporter la transmission
des ACK (Acknowledgement), de l’ordonnancement, de l’indicateur de la qualité de canal CQI
(Channel Quality Indicator ) et du SRS (Sounding Reference Signal) qui est utilisé à la station
de base pour l’estimation du canal ;
- Le PUSCH (Physical Uplink Shared Channel) qui est le canal physique principal utilisé pour
la transmission des données ;
Nous nous intéressons au contrôle de la puissance du canal PUSCH qui est le canal principal de
la couche physique.
La puissance de transmission depuis un équipement utilisateur UE pour le canal PUSCH est
définie comme ci-dessous [2]
PP USCH,c(j) = min(PCMAX,c, 10 log10MP USCH,c(j) + PO,P USCH,c(β)
+αc(β) · P Lc(j) + ΘT F,c(j) + Fc(j)) (1.1)12 Problématiques des réseaux cellulaires sans fil
où j est le numéro de la sous-trame, β = 0, 1, 2 un paramètre spécifique au LTE, PCMAX,c la
puissance maximale dans la cellule c, MP USCH(j) le nombre de blocs de ressource pour la soustrame
j et la cellule c, PO,P USCH,c(β) un paramètre signalé par la couche haute qui représente la
puissance d’un bloc de ressource, αc(β) ∈ [0, 1] un paramètre spécifique de la cellule permettant
de compenser partiellement le path-loss et est fourni par la couche haute, P Lc l’estimation
de path-loss de la liaison descendante calculée au niveau UE, ΘT F,c est un paramètre de l’UE
dépendant du type de modulation et du codage MCS, Fc(j) l’ajustement de la puissance de
P USCH défini par
Fc(j) = Fc(j − 1) + ∆P USCH(j − KP USCH(j)) (1.2)
où ∆P USCH(j − KP USCH(j)) est une valeur de correction qui est donnée dans la sous-trame
(j − KP USCH(j)), KP USCH(j) ∈ {4, · · · , 7} le retard en liaison descendante correspondant au
temps de propagation et au temps de calcul du processeur. Le contrôle de la puissance de PUSCH
est basé sur la valeur du SINR mesurée à la station de base.
La technique classique utilisée en télécommunication est l’algorithme TPC (Transmit Power
Control) qui sera présenté dans le chapitre 2.
1.2.3 Le WLAN et la norme WiFi
Les réseaux locaux sans fils WLAN existent depuis des décennies. La norme 802.11 a été ratifiée
en 1997, mais les WLAN ne se sont démocratisés que depuis quelques années avec l’augmentation
de la bande passante et la diminution des coûts. Les premiers WLAN, comme Aloha, ARDIS,
et Ricochet, offraient un débit de données de seulement 1 Mbps. La norme 802.11 propose un
débit de 2 Mbps. La ratification de la norme 802.11b en 1999 a permis d’atteindre un débit de
11 Mbps, en comparaison avec un débit de 10 Mbps pour le réseau filaire Ethernet. Les normes
802.11a et 802.11g offrent des débits de données jusqu’à 54 Mbps [68]. Le WLAN est devenu un
réseau très utilisé car il est très facile à implémenter et à utiliser. Dans cette section, nous allons
présenter les WLAN, puis la norme WiFi.
1.2.3.1 Le WLAN
Un réseau local sans fil est un système de transmission de données conçu pour fournir un accès
réseau indépendant de l’emplacement entre les dispositifs informatiques en utilisant des ondes
radio plutôt qu’une infrastructure câblée [1]. Un WLAN peut couvrir l’équivalent d’un réseau
local d’entreprise, soit une portée d’environ une centaine de mètres. Un système WLAN peut
être déployé en tant que réseau autonome ou en parallèle à un réseau câblé. Par rapport à un
réseau câblé, un WLAN offre plusieurs avantages ainsi que quelques inconvénients.
Pour le côté positif, un WLAN permet la mobilité et la flexibilité. Pour les infrastructures existantes,
en particulier celles ayant une densité élevée d’utilisateurs (les chambres d’hôtel, les
résidences universitaires), il offre un coût plus bas et une méthode plus souple de connectivité.
Pour l’aspect négatif, un système WLAN n’est généralement pas aussi sûr qu’une connexion
filaire. Le fait que le milieu soit partagé par de nombreux utilisateurs et qu’aucune connexion
physique ne soit nécessaire pour attaquer le réseau rend le WLAN plus sensible aux piratages.1.2 Les réseaux sans fil 13
Les réseaux sans fil ont de nombreuses applications dans le monde réel. Ils sont fréquemment
utilisés pour étendre un réseau filaire, mais ne le remplace pas complètement. Nous pouvons
décrire quelques applications des WLAN :
– la santé : les médecins et infirmiers équipés d’ordinateurs portables peuvent consulter rapidement
les états de santé des patients. En outre, dans une situation d’urgence, ils peuvent
communiquer avec d’autres départements au sein de l’hôpital en utilisant le WLAN afin de
fournir un diagnostic rapide. C’est un domaine où le WLAN est déjà beaucoup utilisé. Comme
dans la plupart des cas, le WLAN est utilisé pour améliorer un réseau filaire déjà existant.
– en entreprise : les échanges d’informations sont aisés et rapides, voir presque immédiats. Lors
d’une réunion avec un client, le directeur d’une entreprise peut lui transmettre les données
relatives à sa présentation directement sur son ordinateur portable (au lieu d’utiliser un support
papier qui peut être plus limité dans sa capacité à véhiculer certaines informations). Dans le
même temps, le PDG reste accessible au reste de ses employés qui peuvent le contacter par
e-mails afin qu’il puisse prendre des décisions rapides et suivre en temps réel d’autres activités
de l’entreprise.
1.2.3.2 La norme WiFi
La norme WiFi est utilisée pour désigner un produit ou une service qui utilise la technologie
802.11. Le réseaux WiFi fonctionne dans les bandes de fréquence sans licence de 2.4 GHz et de
5 GHz. Le débit de données de ce réseau peut atteindre jusqu’à 54 Mbps. Dans cette section,
nous allons présenter brièvement la topologie de la norme WiFi et le problème du contrôle de la
puissance.
Les topologies du réseau WiFi La topologie de base du réseau se compose de deux ou
plusieurs nœuds ou stations STA à l’interface sans fil. Chacune reconnaît l’autre et établit des
communications. Les STA sont des équipements informatiques à interfaces sans fil. Typiquement,
les STA sont des téléphones portables, ordinateurs portables ou ordinateurs de bureau. Dans la
configuration la plus simple, les STA communiquent directement entre eux en mode pair à pair.
Ce type de réseau est appelé un réseau ad hoc ou IBSS (Independent Basic Service Set). Dans la
plupart des cas, l’ensemble des services de base BSS (Basic Service Set) contient un point d’accès
AP (Access Point). La fonction principale d’un AP est de former un pont entre le réseau sans
fil et le réseau filaire. Le point d’accès est analogue à la station de base utilisée dans les réseaux
de téléphonie. Quand un AP est présent, les stations ne communiquent pas en mode pair à pair.
Toutes les communications entre stations ou entre une station et un réseau filaire passent par
l’AP. Les AP ne sont pas mobiles et font partie de l’infrastructure du réseau câblé. La figure 1.4
illustre deux type de topologies du réseau WiFi. Dans le cas de notre travail, nous considérons
seulement la topologie BSS.
Contrôle de puissance pour la norme WiFi Un STA associe et communique uniquement
avec l’AP le plus proche en réduisant au minimum la puissance d’émission de l’AP et de ses
STA à un niveau qui assure une bonne QoS. De plus, l’interférence avec d’autres transmissions
dans le voisinage peut être minimisée en profitant de l’atténuation de la puissance du signal
émis avec la distance. Donc, les autres AP et les STA associés, à une certaine distance, peuvent14 Problématiques des réseaux cellulaires sans fil
Figure 1.4 – Les topologies du réseau WiFi
réutiliser le même canal sans interférence. Ce principe permet à de nombreuses paires AP-STA
de communiquer en même temps dans une zone donnée tout en utilisant seulement un nombre
limité de canaux sans fil.
Si la puissance d’émission est faible, l’intervalle spatial nécessaire pour réutiliser le même canal
sans interférence sera réduit. Ceci assure une augmentation de la capacité globale du réseau
dans une zone de déploiement dense. Par exemple, dans les réseaux cellulaires, les tailles de
cellules plus petites avec une puissance d’émission plus faible conduit à l’augmentation de la
capacité globale du réseau. L’objectif du contrôle de la puissance d’une STA est d’utiliser la
puissance d’émission minimale tout en répondant aux exigences en matière de débit et de BER.
Le contrôle de puissance permet de réduire les interférences avec d’autres appareils, d’améliorer
la réutilisation des canaux, et éventuellement d’augmenter la capacité globale des réseaux sans
fil. Bien sûr, le contrôle de puissance contribue également à économiser l’énergie et à améliorer
la vie de la batterie des appareils mobiles.
Un émetteur peut utiliser une faible puissance pour transmettre des données lorsque le récepteur
est près de lui et si les conditions du canal sont bonnes. Cependant, lorsque la distance entre
l’émetteur et le récepteur est relativement importante et que le canal est dégradé, l’émetteur a
besoin d’utiliser une puissance plus élevée pour transmettre ses données afin d’assurer que les
données soient reçues correctement par le récepteur. Le défi est de savoir comment un émetteur
détermine et adapte (si la condition de canal change) sa puissance d’émission pour transmettre
ses données à un récepteur.
Pour la norme WiFi 802.11h, les AP et STA sont capables d’ajuster leur puissance de transmission.
Pour régler sa puissance d’émission, le STA envoie une trame de demande à l’AP pour
connaître l’état du canal. Après avoir reçu la trame de demande, l’AP mesure la puissance reçue
et envoie une trame de rapport au STA. La trame de rapport contient l’information sur la puissance
d’émission et la marge de ligne. La puissance d’émission est la puissance nécessaire pour
envoyer la trame de rapport, en dBm. La marge de ligne est la marge de sécurité demandée par
le STA. Par exemple, si la puissance minimale acceptable est de -70 dBm, et la puissance reçue
mesurée par l’AP est de -60 dBm, la marge de sécurité est donc 10 dBm [24]. Selon l’information
de la trame de rapport, le STA ajuste sa puissance d’émission. Si la marge de sécurité est
élevée, le STA peut diminuer sa puissance. La figure 1.5 illustre les trames de demande et de
rapport pour la norme WiFi. De plus, l’AP fournit également la puissance maximale que le STA1.2 Les réseaux sans fil 15
ne peut pas dépasser [24]. Pour réaliser le contrôle de la puissance en liaison montante pour la
norme WiFi, on utilise le SINR comme l’indicateur de QoS. Comme pour la norme ZigBee, la
norme WiFi utilise le protocole d’accès multiple CSMA-CA (Carrier Sense Multiple Access with
Collision Avoidance) pour éviter les interférences.
Figure 1.5 – (a) Trame de demande ; (b) trame de rapport pour le contrôle de puissance
1.2.4 Le WSN et la norme ZigBee
Le développement des réseaux de capteurs sans fil WSN (Wireless Sensor Networks) a beaucoup
intéressé les chercheurs ainsi que les industriels du fait de ses nombreuses applications. On peut
citer par exemple le domaine de la sécurité publique, le monde médical, etc. De plus, le WSN est
un réseau de faible coût et de faible puissance. Un WSN se compose de capteurs de petite taille,
dont chacun est capable de mesurer des grandeurs physiques et de communiquer avec tout ou
une partie des autres capteurs via une communication sans fil.
Dans cette section, nous proposons une présentation générale des réseaux de capteurs sans fils,
utilisant le ZigBee, en expliquant leur principe de fonctionnement et les applications.
1.2.4.1 Le WSN
Un réseau de capteur est une infrastructure ayant pour objectifs de capter (détecter), calculer
et communiquer des éléments, permettant à un administrateur d’observer, d’estimer et de réagir
face à des événements ou des phénomènes dans un environnement spécifique. L’administrateur
peut être une entité civile, gouvernementale, commerciale ou industrielle. L’environnement peut
être le monde physique, un système biologique ou dans un cadre de technologie de l’information
[78]. Un WSN est un réseau de capteurs dans lequel tous les dispositifs communiquent via les
ondes radio.
L’objectif d’un WSN est de surveiller les conditions physiques ou environnementales telles que la
température, le son, la pression, etc. En effet, les capteurs mesurent les conditions physiques ou
environnementales, puis transfèrent leurs données à une station de base (coordinateur). Celle-ci
est connectée en général à une infrastructure réseau lui permettant un accès plus vaste. Les
données collectées sont enfin reçues par une application afin de subir le traitement approprié. La16 Problématiques des réseaux cellulaires sans fil
figure 1.6 illustre l’acheminement des données à partir de capteurs jusqu’au centre de gestion des
données.
Figure 1.6 – Architecture d’un WSN
Un WSN se compose de coordinateur et de capteurs dont le nombre peut atteindre jusqu’à plusieurs
milliers. Chaque capteur peut se connecter à un ou plusieurs autres capteurs. Un capteur
est capable d’exercer au moins une des fonctions suivantes : détection, relais ou échange de données
avec les réseaux externes. Un capteur de mesure qui peut seulement envoyer des données
est appelé “capteur de détection”, celui pour relayer des données “routeur”, et celui pour échanger
des données avec les autres réseaux “coordinateur”.
Un WSN a un large domaine d’application. Initialement utilisé dans le cadre d’applications haut
de gamme telles que les systèmes de détection de danger dans les centrales nucléaires, ces réseaux
se sont démocratisés à mesure que leur coût a diminué. Actuellement, les WSN sont utilisés pour
la surveillance de l’environnement, dans les bâtiments intelligents, en robotique, etc. Les applications
des WSN peuvent être classées en deux catégories : la télésurveillance et le suivi des objets
mobiles. Contrairement aux applications de suivi des objets mobiles, qui demande des mises à
jour en temps réel des résultats, les applications de télésurveillance mesurent périodiquement les
conditions d’environnement et peuvent envoyer leurs données selon trois modes :
– périodique à un interval de temps prédéfini ;
– à la suite d’un événement spécifique : cela se produit souvent lorsque la valeur d’une mesure
spécifique atteint un seuil prédéfini ;
– en réponse à une interrogation d’un utilisateur.
1.2.4.2 La norme ZigBee
Le ZigBee est une norme qui définit un ensemble de protocoles de communication pour un débit
de données faible à courte portée [19]. Les capteurs fonctionnent dans les bandes de fréquence
de 868 MHz, 915 MHz, et 2.4 GHz. Le débit de données maximum est de 250 kbps. Le ZigBee
est destiné principalement aux applications dont les capteurs sont alimentés par batterie. La
longévité de vie de la batterie est donc l’exigence principale. Dans cette section, nous allons
présenter brièvement la topologie du ZigBee et le problème du contrôle de la puissance.1.2 Les réseaux sans fil 17
La topologie de la norme ZigBee La norme ZigBee distingue les dispositifs selon leur complexité
matérielle et leur capacité. Par conséquent, la norme définit deux catégories de dispositifs
physiques : un dispositif toutes fonctions (FFD) et un dispositif à fonction réduite (RFD). Un
FFD est doté de ressources adéquates, de la capacité de mémoire pour gérer toutes les fonctionnalités
et les caractéristiques spécifiées par la norme. Il peut donc assumer de nombreuses
responsabilités au sein du réseau. Il peut également communiquer avec tout autre appareil du
réseau. Un RFD est un dispositif simple qui couvre un ensemble réduit de fonctions, pour un
moindre coût et une complexité réduite. En outre, il ne peut s’associer et communiquer qu’avec
un FFD [92].
En tant que WSN, le ZigBee a également 3 types de composants : le coordinateur, le routeur, et
le dispositif d’extrémité (le capteur de détection).
– Le coordinateur : c’est un dispositif FFD responsable de la mise en place et du contrôle
du réseau. Le coordinateur est chargé de choisir les paramètres essentiels de la configuration
et du démarrage du réseau. Il stocke également des informations concernant le réseau et agit
en tant que référentiel pour les clés de sécurité. Tout réseau ZigBee doit avoir un et un seul
coordinateur ZigBee.
– Le routeur : c’est un dispositif FFD en charge du routage de données, notamment en agissant
comme un dispositif intermédiaire pour lier les différents composants du réseau et du transfert
des messages entre les périphériques distants à travers des chemins multi-sauts.
– Dispositifs d’extrémité : c’est un dispositif RFD qui contient juste assez de fonctionnalités
pour communiquer avec son nœud parent ; le coordinateur du réseau ou un routeur. Un dispositif
d’extrémité ne possède pas la capacité de relayer des messages de données à d’autres
dispositifs d’extrémité [92].
Un réseau ZigBee peut être organisé selon une des trois topologies suivantes : en étoile, en arbre,
ou en maille. La figure 1.7 illustre ces trois topologies.
Figure 1.7 – La topologie du réseau ZigBee
– Topologie en étoile : tous les routeurs et dispositifs d’extrémité ne se connectent qu’au coordinateur.
Cette topologie est adaptée pour les transmissions RF en dynamique où la latence
n’est pas acceptée. Par contre, elle n’ est pas adaptée pour les applications à grande échelle
à cause de la faible portée de ZigBee (entre 10 et 100 m) [43]. Le défaut principal de cette18 Problématiques des réseaux cellulaires sans fil
topologie est que l’échec du coordinateur aura une incidence sur l’ensemble du réseau.
– Topologie en arbre : un dispositif d’extrémité se joint à l’arbre par l’intermédiaire d’un
routeur, et ce dernier se joint à l’arbre par l’intermédiaire d’un autre dispositif routeur (le
coordinateur ZigBee peut être utilisé aussi en tant que routeur). L’avantage de cette topologie
est qu’elle est applicable pour les applications de grande échelle. L’inconvénient est qu’il n’y a
aucun itinéraire alternatif disponible si l’un des liens sur la route échoue.
– Topologie en maille : Tous les routeurs sont autorisés à communiquer les uns avec les autres
sans avoir besoin de passer par le premier parent commun. L’algorithme de routage est donc
capable de prendre un autre itinéraire parmi les options disponibles lorsque certaines routes
échouent. L’inconvénient de cette topologie est la complexité de mise en œuvre du routage.
Problème de contrôle de la puissance Un réseau ZigBee est composé de capteurs fonctionnant
avec des batteries de faible puissance et il n’est généralement pas possible de remplacer
ou de recharger les batteries en raison du nombre de nœuds déployés ou de conditions d’accès
difficiles. L’autonomie de la batterie est donc un problème critique pour prolonger la durée de
vie du réseau. Afin de réduire la consommation d’énergie, l’idée est de concevoir un contrôle de
puissance pour chaque nœud. Cependant, une transmission de puissance faible peut entraîner
des erreurs dans des paquets transmis qui nécessitent alors une retransmission. Ceci augmente
la consommation d’énergie. D’autre part, une transmission de puissance élevée permet d’obtenir
une bonne transmission des données, mais consomme de l’énergie. Donc, un bon contrôle de la
puissance conduit à un compromis entre la consommation d’énergie et un faible BER.
Dans ce travail, nous nous concentrons sur le contrôle de la puissance de la liaison montante
pour la norme ZigBee. De plus, nous supposons que le WSN a une topologie en étoile avec
un coordinateur et plusieurs capteurs de mesure. Nous ne considérons pas le routage entre les
capteurs. Avec la topologie de réseau en étoile, le serveur central et tous les capteurs sont fixes.
En général, le concepteur du réseau règle la puissance d’émission de chaque capteur à la puissance
maximale. Le fait que la transmission de puissance soit toujours à la puissance maximale pour une
liaison entre le coordinateur et les capteurs nous motive à développer un contrôleur permettant
de réduire la puissance d’émission en gardant la QoS entre chaque lien. Pour réaliser le contrôle
de la puissance de la liaison montante dans les réseaux de capteurs, on utilise l’indicateur de la
qualité de transmission RSSI.
Dans un réseau ZigBee, les capteurs vérifient si le canal est libre avant d’envoyer des données
en utilisant le protocole CSMA-CA pour éviter les interférences. Malgré ce mécanisme de protection,
il existe toujours des interférences provoquées par d’autres systèmes sans fil opérant sur
une bande de fréquence similaire et coexistant dans le même voisinage. Cet effet peut réduire
considérablement les performances des réseaux de capteurs.
Dans les réseaux de communication y compris le LTE, WLAN et WSN, il est nécessaire de
mettre en place une interface d’accès au réseau commune afin de gérer l’interopérabilité entre les
UE des différents constructeurs. Une structure commune de l’architecture d’un réseau, appelé le
modèle OSI (Open Systems Interconnection), a été construit par l’organisme ISO ( International
Organization for Standardization). La description de l’architecture du modèle OSI est l’objectif
de la section suivante.1.2 Les réseaux sans fil 19
1.2.5 L’architecture du modèle OSI
Le modèle OSI est un modèle conceptuel qui caractérise et normalise les fonctions internes d’un
système de communication. C’est un modèle commun à tous les réseaux. Le modèle OSI contient
sept couches dont chacune fournit des services spécifiques et communique avec la couche suivante
[89]. L’architecture du modèle OSI est présentée par la figure 1.8. La couche application fournit
différents services aux applications. L’information de la source est d’abord traitée dans cette
couche avant d’être envoyée au destinataire via les autres couches. La couche présentation sert
à traduire l’information envoyée par la couche application en un langage commun au réseau. La
couche session crée, gère et met fin aux connexions entre les applications, c’est-à-dire entre la
source et la destination. La couche transport sert à vérifier la fiabilité de la connexion et à assurer
un transfert de données complet. La couche réseau assure le routage des paquets et régule les
transmissions de données. La couche liaison de données assure une liaison fiable entre émetteur
et récepteur à travers un lien direct par la détection et la correction des erreurs qui peuvent se
produire dans la couche physique. La couche liaison de données est divisée en deux sous-couches :
MAC (Media Access Control) et LLC (Logical Link Control). La sous-couche MAC sert à accéder
et à communiquer avec la couche physique. La sous-couche LLC contrôle la synchronisation de
trame, le contrôle de flux et de vérification d’erreur. Enfin, c’est au niveau de la couche physique
que les bits sont convertis en signaux électriques avant d’être transmis au canal radio. En général,
chacune des couches communique uniquement avec ses voisines sauf les mécanismes, dits crosslayer
transparentes, permettant aux couches non voisines d’échanger l’information [36]. Dans le
cadre de cette thèse, nous nous intéressons seulement au canal de transmission et à la couche
physique car le contrôle de la puissance est réalisé au niveau de cette couche. Le réglage de la
puissance d’émission dépend en particulier de la qualité du canal de transmission que nous allons
présenter. Ces éléments sont des blocs élémentaires d’une chaîne de communication numérique
présentée dans la section suivante.20 Problématiques des réseaux cellulaires sans fil
Couche application
Interface vers les services
réseaux
Couche présentation
Mise en forme des données
Couche session
Gestion de connexion
Couche transport
Vérification des données
Couche réseau
Routage des données
Couche liaison de données
LLC & MAC
Couche physique
Codage de canal & modulation
Message
Paquet
Trame
Bit
Figure 1.8 – Architecture du modèle OSI
1.3 Chaîne de transmission numérique
Le schéma de principe d’une chaîne de transmission numérique est représenté sur la figure 1.9.
Elle se compose de plusieurs blocs tels que le codage de source, le codage de canal, la modulation
numérique au niveau de l’émetteur, la démodulation, le décodage canal, le décodage de source au
niveau du récepteur, et le canal de transmission [74, 34]. Les blocs du codage/décodage de source
se situent au niveau de la couche application, tandis que les blocs du codage/décodage de canal et
de la modulation/démodulation se positionnent au niveau de la couche physique. L’information
de la source est traitée séparément par chacun de ces blocs avant d’être reconstituée une fois
arrivée à destination. Nous rappelons qu’une communication directe entre la couche application
et la couche physique peut être réalisée par l’approche cross-layer. Nous allons décrire brièvement
ces éléments en partant de la source vers la destination.1.3 Chaîne de transmission numérique 21
Figure 1.9 – Principe d’une chaîne de transmission numérique
1.3.1 Codage de source
L’objectif du codage de source est de représenter le signal d’information sous forme binaire
afin qu’il puisse être transmis par un système de communication numérique [61]. Une autre
propriété de ce codage est de représenter l’information par le moins de bits possible. Cela permet
d’améliorer le débit utile de la transmission défini comme le nombre d’éléments binaires transmis
par unité de temps. La qualité du codage de source est jugée par le taux de compression qui est
le rapport entre la taille de l’information avant et après l’opération.
1.3.2 Codage de canal
Le codage de canal permet de protéger l’information venant du codeur de source vis à vis des
bruits du canal de transmission. Le codage de canal est une fonction spécifique de la transmission
numérique qui consiste à insérer des éléments binaires redondants dans le message d’une façon
contrôlée [15]. A la réception, la redondance est utilisée par le décodeur de canal pour détecter
et corriger les erreurs de transmission sous certaines conditions. La qualité d’un codeur de canal
est jugée par son gain de codage par rapport à un système sans codage de canal.
1.3.3 Modulation et démodulation numérique
La modulation et son opération inverse, la démodulation, sont des étapes importantes de la couche
physique du modèle OSI. La modulation consiste à transformer un signal issu d’une source en un
signal adapté au canal de transmission. La modulation peut être réalisée en codant l’information
à transmettre dans l’amplitude, la phase, la fréquence d’un signal de haute fréquence, la porteuse.
Il existe plusieurs type de modulation numérique. Chaque type de modulation propose un débit
de transmission adapté au canal. Si les conditions de transmission s’améliorent, un autre type de
modulation est choisit de façon à offrir un plus haut débit. Pour chaque type de modulation, un
symbole contient un nombre fixe de bit d’information. Plus ce nombre de bit dans un symbole
est important et plus le débit de transmission est élevé. Par exemple, la modulation 64QAM (64
Quadrature Amplitude Modulation) avec un symbole de 6 bits admet un débit plus élevé que la
16QAM qui ne possède que 4 bits par symbole. Le tableau 1.1 représente les différents types de
modulations utilisées en LTE, WiFi et ZigBee [72, 26, 19]. Dans le cadre de notre travail, nous
nous placerons par la suite dans un cas de modulation fixe.22 Problématiques des réseaux cellulaires sans fil
Norme Modulation
LTE QPSK, 16QAM, 64QAM
WiFi QPSK, BPSK, 16QAM, 64QAM, CCK, OFDM
ZigBee QPSK, BPSK, ASK
Table 1.1 – Les types de modulation utilisés en LTE, WiFi, et ZigBee
1.3.4 Canal de transmission
Le canal de transmission est le lien physique permettant de transmettre l’information entre
un émetteur et un récepteur. Il peut être un câble physique ou l’espace libre. La principale
différence entre un système de communication sans fil et un système filaire est le canal. Un
câble a des caractéristiques fixes, tandis que le canal radio change avec le temps étant donné
que le milieu entre l’émetteur et le récepteur change. Dans le cas de la communication sans fil,
le canal est sensible au bruit produit par les interférences des autres communications radio, aux
obstacles et à la distance entre l’émetteur et le récepteur. De plus, le canal est non stationnaire,
et d’autant plus si les différents nœuds de communication sont en mouvement. Nous allons
présenter les phénomènes physiques qui caractérisent la variation d’un canal sans fil et les modèles
correspondants.
1.3.4.1 Canal de propagation
Dans un système de communication mobile, l’atténuation de la puissance d’un signal reçu dépend
du gain de canal qui varie dans l’espace et dans le temps. Le gain d’un canal radio mobile est
défini par l’équation (1.3)
g =
pr
pt
= gg · gm · gp (1.3)
où pr, pt sont les puissances reçues et transmises, gg, gm, gp des termes modélisant l’effet de
l’atténuation à grande échelle, à moyenne échelle, et à petite échelle. L’atténuation à grande
échelle correspond à l’atténuation due à la distance qui évolue proportionnellement à l’inverse du
carré de la distance en espace libre entre émetteur-récepteur. De plus, la puissance du signal reçu
varie également en fonction de l’environnement où se situe l’émetteur et le récepteur. Les obstacles
entre émetteur et récepteur entraînent une variation lente du signal reçu. Cette variation lente
est dite atténuation à moyenne échelle. Enfin, la puissance reçue fluctue sous l’effet des trajets
multiples. La figure 1.10 illustre les trois phénomènes de propagation multi-trajet dans le cas du
lien descendant (de la station de base vers le mobile) dans un environment urbain.1.3 Chaîne de transmission numérique 23
Récepteur
Emetteur
A
B
C
D
A : diffraction
B : trajet direct
C : dispersion
D : réflexion
Figure 1.10 – Phénomènes de propagation de l’onde radio
Un signal transmis à travers un canal sans fil est affecté par les différents phénomènes tels que la
réflexion, la diffraction et la dispersion. Ces effets de propagation conduisent à des fluctuations
du signal reçu. La réflexion se produit lorsque l’onde radio se propage et rencontre une surface
de grande dimension par rapport à la longueur d’onde du signal (les toits de maison, la surface
de la Terre, ...). La diffraction se produit lorsqu’un obstacle conséquent obstrue le trajet radio
entre l’émetteur et le récepteur, ce qui provoque des ondes secondaires derrière l’obstacle qui
se propagent vers le récepteur. Les obstacles peuvent être un immeuble vitré, des angles de
maçonnerie, des structures routières, .... La dispersion se produit lorsque l’onde radio rencontre
des petits objets dont la surface est irrégulière, ce qui provoque des réflexions dans toutes les
directions. Dans un environnement dense, le trajet direct entre un émetteur et un récepteur est
peu fréquent . Le signal reçu est donc la combinaison de différents signaux ayant suivi des trajets
différents. L’effet des trajets multiples implique une variation rapide du signal. Cette variation
est dite atténuation à petite échelle. La figure 1.11 illustre l’évanouissement de la puissance du
signal reçu à grande échelle, moyenne échelle, et petite échelle.24 Problématiques des réseaux cellulaires sans fil
Distance (échelle logarithmique)
Evanouissement du signal (dB)
évanouissements à grande échelle
évanouissements à moyenne échelle
évanouissements à petite échelle
Figure 1.11 – Evanouissement du signal reçu dans un canal radio mobile
Dans la pratique, un canal sans fil peut présenter un ou plusieurs comportements d’évanouissement
en fonction de l’environnement où l’onde radio se propage.
1.3.4.2 Modèles de canal
Les différents modèles ont été établis afin de prédire le comportement du canal de transmission.
En général, ces modèles sont identifiés suivant le type de variation qu’ils modélisent. Dans cette
section, nous allons aborder les modèles de canal les plus courants.
Modèle en espace libre Le modèle en espace libre est utilisé afin de prédire la puissance
reçue lorsque l’émetteur et le récepteur sont en visibilité directe. Comme la plupart des modèles
de propagation à grande échelle, ce modèle prédit que la puissance reçue est inversement proportionnelle
au carré de la distance entre l’émetteur et récepteur. La puissance reçue est donnée
par l’équation de Friis
pr = pt
· gt
· gr ·
λ
4πd2
(1.4)
où pr et pt représentent respectivement les puissances reçue et transmise en Watt, gr et gt sont les
gains de l’antenne de transmission et de réception, d la distance entre l’émetteur et le récepteur
en mètre et λ la longueur d’onde en mètre [62]. La longueur d’onde est définie par l’équation
λ =
c
fc
(1.5)
où c est la vitesse de la lumière et fc la fréquence de la porteuse fixée pour la norme de transmission.
D’après l’équation (1.4), la puissance reçue s’atténue avec un facteur en d
2
. Cela implique
que la pente d’atténuation de la puissance reçue est de -20 dB/décade.
Le modèle en espace libre est aussi représenté par les pertes de trajet (path-loss) qui représentent
l’atténuation du signal en valeur positive. C’est la différence (en dB) entre la puissance transmise1.3 Chaîne de transmission numérique 25
et la puissance reçue. Elle peut être prise en compte dans le gain de l’antenne. L’expression du
path-loss dans l’espace libre est donnée par l’équation suivante
P L(dB) = 10 log pt
pr
= −10 log
gt
· gr · λ
2
(4π)
2d
2
. (1.6)
Supposons que les gains d’antenne sont pris unitaires, l’équation (1.6) devient
P L(dB) = 10 log pt
pr
= 10 log
(4π)
2d
2
λ2
. (1.7)
Ce modèle est valable pour le champ lointain pour lequel l’angle entre l’émetteur et le récepteur
est indépendant de la distance, c’est à dire pour une distance entre émetteur et récepteur
suffisamment grande.
Modèle à exposant Le modèle à exposant est un autre modèle qui modélise l’atténuation
à grande échelle du canal de transmission. Ce modèle est une extension du modèle en espace
libre car il peut prendre en compte la nature de l’environnement de propagation. Le path-loss du
modèle à exposant est donné par l’expression suivante
P L(dB) = P L(d0) + 10β log
d
d0
(1.8)
où P L(d0) est le path-loss de modèle en espace libre pour une distance de référence d0 généralement
fixée à 1 mètre [62]. D’après l’équation (1.8), la pente d’atténuation de P L est de 10β
dB/dec. La valeur de β dépend de l’environnement de propagation. Par exemple, dans l’espace
libre β prend la valeur 2 tandis que dans un environnement urbain, β varie dans l’intervalle
[1.447; 6] selon la densité de l’environnement [62].
Modèle log-normale Shadowing Le modèle log-normale Shadowing modélise l’atténuation à
moyenne échelle du canal. La plupart des études empiriques montrent que la variation à moyenne
échelle évolue suivant la distribution log-normale à cause de l’effet de shadowing (ombrage) [71].
Le path-loss du modèle à exposant est donné par l’équation suivante
P L(dB) = P L(d0) + 10β log
d
d0
+ Xσ (1.9)
où Xσ est une variable gaussienne de valeur moyenne nulle et de variance σ. Les terme P L(d0)
et 10β log
d
d0
sont identiques à ceux du modèle à exposant (1.8). La valeur de la variance σ
doit être déterminée empiriquement en fonction de l’environnement. En général, elle varie dans
l’intervalle [3; 13] [48].
Modèle de Rayleigh Le modèle de Rayleigh permet de modéliser les variations rapides du canal
radio mobile dues à l’effet multi-trajet. Ce modèle est utilisé dans le cas d’une communication
sans trajet prédominant NLOS (Non Line Of Sight). En effet, dans un environnement riche en
multi-trajet, la réponse impulsionnelle du signal reçu Y est la somme vectorielle des amplitudes
des signaux impulsionnels |yi
| associées à une phase φi pour chacun des trajets. Les amplitudes26 Problématiques des réseaux cellulaires sans fil
des signaux |yi
| sont du même ordre de grandeur et les phases φi sont uniformément distribuées
entre −π et π. Nous pouvons donc considérer |yi
| et φi comme deux variables aléatoires gaussiennes
indépendantes. En appliquant le théorème central limite, la densité de probabilité de la
somme des yi est aussi gaussienne. L’amplitude Z du signal reçu Y est définie par la densité de
probabilité de Rayleigh
PZ(z) = z
σ
2
exp
−
z
2
2σ
2
; z ≥ 0 (1.10)
avec σ
2
la puissance moyenne du signal reçu [62].
Modèle de Rice Le modèle de Rice est aussi utilisé pour modéliser la variation à petite échelle
comme le modèle de Rayleigh. Par contre, le modèle de Rice est appliqué pour un environnement
de propagation où l’émetteur et le récepteur possèdent un trajet prédominant LOS (Line Of
Sight). Il existe donc un signal dominant à la reception. Le modèle de Rice suit la densité de
probabilité de Rice donnée par
PZ(z) = z
σ
2
exp
−
z
2 + A2
2σ
2
I0
Az
σ
2
; z ≥ 0, A ≥ 0 (1.11)
où A est l’amplitude du signal dominant et I0(.) est une fonction de Bessel modifiée de première
espèce d’ordre 0 [62]. Le facteur de Rice est défini par KR =
A2
2σ2 . Nous remarquons que si KR = 0
nous retrouvons le modèle de Rayleigh.
1.3.4.3 Temps de cohérence
Le temps de cohérence est le temps durant lequel le canal de transmission est quasi invariant. Ce
paramètre dépend de la vitesse de déplacement de l’UE (User Equipment) et des obstacles sur le
trajet entre l’émetteur et le récepteur. Le temps de cohérence dans un environnement intérieur
est donné par
Tc ≈
1
2fD
(1.12)
où fD =
2fcv
c
est l’écart Doppler maximale avec fc la fréquence de la porteuse, v la vitesse de
déplacement de l’UE et des obstacles et c la vitesse de la lumière dans le vide [77]. Dans un
environnement extérieur, le temps de cohérence est donné par
Tc =
s
9
16πf 2
D
=
0.423
fD
(1.13)
avec fD =
v
λ
[62]. Comme le canal est quasiment invariant pendant un intervalle de temps Tc, le
contrôle de la puissance doit être rafraîchit à une période d’échantillonnage Te telle que Te ≤ Tc.
1.4 Les Indicateurs de QoS au niveau de la couche physique
La qualité de service QoS caractérise la performance globale d’un réseau. Elle peut être calculée
ou mesurée à différents niveaux. Pour mesurer quantitativement la qualité du service, plusieurs1.4 Les Indicateurs de QoS au niveau de la couche physique 27
aspects sont considérés comme les taux d’erreur binaire (BER), la bande passante, le débit, le
délai de transmission, la fiabilité, etc. Dans le cadre du contrôle de la puissance dans les réseaux
cellulaires, nous nous intéressons aux indicateurs de QoS au niveau de la couche physique tels
que le BER, le rapport signal sur interférence plus bruit (SINR) et l’indication de grandeur de
la puissance reçue (RSSI).
1.4.1 Le SINR
Le SINR est couramment utilisé en téléphonie mobile comme un moyen pour mesurer la qualité
de transmission. Le SINR pour un lien montant du mobile i à la station de base k est donné par
xik(n) = X
gik(n) · pik(n)
j6=i
gjk(n) · pjk(n) + σ
2
ik(n)
(1.14)
où gjk, pjk sont respectivement les gains du canal, les puissances d’émission du lien montant
entre les mobiles j et la station de base k, la somme X
j6=i
gjk(n) · pjk(n) représente l’interférence
sur le canal et σ
2
est le bruit thermique. Notons que le gain du canal est décrit dans la section
1.3.4.1.
Le SINR est une quantité utilisée afin de donner la valeur théorique maximale de capacité du
canal, en bits par seconde, dans les systèmes de communication sans fil. Cette valeur indique le
débit maximal que le canal peut supporter pour une communication fiable. La capacité du canal
entre le mobile i et la station de base k est donnée par la formule de Shannon
Csh = WB log2
(1 + xik) (1.15)
où WB est la bande passante. La capacité du canal dépend de deux paramètres WB et xik. Nous
constatons dans l’équation (1.15) que l’augmentation de ces deux paramètres entraîne l’amélioration
de la capacité du canal. La bande passante est limitée selon la norme de communication,
tandis que nous pouvons contrôler la valeur de SINR via un contrôle de la puissance d’émission,
ce qui est l’objectif du manuscrit.
Nous remarquons que le SINR devient le rapport signal sur bruit (SNR) dans le cas d’absence
d’interférence dans le canal de transmission.
1.4.2 Le BER
Le BER est une mesure de la performance de la transmission. C’est le rapport entre le nombre de
bits erronés et le nombre total de bits transmis pendant un intervalle de temps étudié. Si le BER
dépasse un seuil critique BERmax désigné pour une application, la réception est dégradée. Le BER
s’exprime en puissance négative. Par exemple, 10−4
signifie que l’on a une erreur binaire pour
dix mille bits transmis. Par conséquent, plus la valeur du BER est petite, plus la transmission
est bonne. Le BER peut être affecté par le bruit du canal de transmission, les interférences, le
phénomène de multi-trajet, le masquage, la mobilité. Le BER peut être amélioré en choisissant
un type de modulation plus robuste. L’équation de BER est donnée par
BER =
1
2
erfc r
Eb
N0
!
(1.16)28 Problématiques des réseaux cellulaires sans fil
0 2 4 6 8 10 12 10−5
10−4
10−3
10−2
10−1
SNR (dB)
BER
BPSK
Figure 1.12 – BER vs SNR
où Eb, N0, erfc(.) sont respectivement la densité spectrale de l’énergie par bit, le bruit et la
fonction erreur complémentaire [20]. Le terme Eb
N0
est le SNR normalisé. Il existe donc une relation
entre le BER et le SNR. La figure 1.12 illustre la courbe de BER en fonction de SNR d’un canal
à bruit blanc gaussien additif avec une modulation BPSK.
1.4.3 Le RSSI
Le RSSI est la densité du signal reçu dans un environnement sans fil. C’est une indication du
niveau de puissance reçue par l’antenne. La valeur du RSSI est généralement représentée comme
une valeur négative en dBm. Par conséquent, plus la valeur du RSSI est proche de zéro, plus la
communication est bonne. La variation du RSSI dépend aussi de l’environnement. L’expression
du RSSI liée à l’atténuation s’écrit
RSSI[dBm] = 10 log pt
prf
(1.17)
où pt
, pr sont respectivement la puissance émise et la puissance de référence en Watt [29].
Le RSSI est une mesure instantanée, souvent utilisée dans les réseaux de capteurs sans fil (WSN)
dont les nœuds ne possèdent que des processeurs simples. Le RSSI ne permet pas d’estimer le
SINR comme dans un réseau de téléphonie mobile. Le RSSI est aussi un indicateur pour de
nombreuses applications telles que la localisation du nœud, le routage.
1.5 Problématiques autour des réseaux sans fil
Deux problèmes majeurs en télécommunication sans fil sont l’efficacité énergétique et l’amélioration
de la QoS. En effet, les appareils sans fil ont une utilité maximale s’ils peuvent être utilisés
“n’importe où et n’importe quand”. Cependant, une des plus grandes limitations de cet objectif
est la capacité finie de la batterie. Comme les batteries fournissent une puissance limitée, la gestion
de l’énergie est un des problèmes les plus difficiles dans la communication sans fil. D’autre1.5 Problématiques autour des réseaux sans fil 29
part, l’amélioration de la QoS en terme de fiabilité de connexion est également importante car
elle permet au réseau de fonctionner correctement malgré les perturbations extérieures tel que
l’interférence, le bruit, etc. Dans cette section, nous allons présenter ces deux problèmes cruciaux
et les solutions envisageables.
1.5.1 Efficacité énergétique
Une bonne compréhension des sources de consommation énergétique dans les réseaux est indispensable
pour développer une méthode qui optimise cette consommation. L’origine de la consommation
énergétique dans les réseaux sans fil peut être classée en deux types : la communication
et le traitement [35]. La consommation énergétique pour la communication concerne l’utilisation
de l’émetteur, du récepteur, et des nœuds intermédiaires. L’émetteur est utilisé pour l’envoi du
contrôle, des paquets de données. Le récepteur est utilisé pour recevoir des paquets de données
et effectuer le contrôle. Un terminal mobile typique peut exister sous trois modes : transmettre,
recevoir et se mettre en veille. La puissance maximale consommée est maximale dans le mode
d’émission, et minimale en veille. La consommation énergétique pour le traitement concerne
les aspects de traitement de protocole. Par exemple, les techniques de compression de données
peuvent entraîner une augmentation de la consommation d’énergie due à l’augmentation des
calculs. Afin d’optimiser la consommation énergétique, plusieurs stratégies sont développées [35].
Nous pouvons les classer en deux catégories : l’optimisation au niveau matériel et l’optimisation
au niveau logiciel.
L’optimisation au niveau matériel consiste à prolonger la durée de vie du terminal mobile qui
est souvent alimenté par une batterie par le choix du matériel ou de la technologie. En effet, si
un terminal mobile contient des composants électroniques qui consomment moins d’énergie, il
sera meilleur en efficacité énergétique. De plus, les nouvelles technologies permettent également
d’améliorer l’efficacité énergétique, par exemple en utilisant des antennes directives. Nous savons
que l’antenne omnidirectionnelle a un angle de couverture de 360 degrés et n’a pas besoin de
pointer/viser le récepteur afin de communiquer. De cette façon, une quantité importante d’énergie
est gaspillée car la puissance est diffusée dans toutes les directions [80]. Il peut donc être
avantageux d’utiliser des antennes directionnelles qui visent une zone précise. Les antennes directionnelles
permettent d’améliorer le SINR et de réduire l’interférence et l’effet de multi-trajet
car il n’y a quasiment plus de retard en réception. Une autre solution est d’utiliser des batteries
solaires pour les terminaux mobiles ou les capteurs, ce qui mènera à la quasi suppression des
limites de la batterie, problème considéré comme crucial pour ces réseaux.
L’optimisation au niveau logiciel consiste en un ensemble de techniques et d’algorithmes permettant
de réduire la consommation énergétique aussi bien sur la station de base que sur le terminal
mobile. Il existe de nombreux d’algorithmes d’optimisation pour chaque couche du modèle OSI
[35]. Nous avons vu qu’au niveau de la couche physique en LTE, la technique de codage basée
sur l’OFDM permettait d’éviter l’interférence entre les terminaux mobiles dans une cellule. Ceci
implique la réduction de la puissance de transmission du signal. Au niveau de la sous-couche
MAC de la norme 802.11, le type d’accès multiple est le CSMA-CA et il permet également d’éviter
les interférences. De plus, la norme 802.11 recommande une technique pour la conservation
d’énergie pour la sous-couche MAC [35]. Des techniques qui maximisent l’efficacité énergétique
au niveau de la sous-couche LLC et optimisent le routage au niveau de la couche réseau sont
également proposées dans [35]. Enfin, une autre solution est de mettre en place un contrôle de30 Problématiques des réseaux cellulaires sans fil
la puissance qui minimise la puissance de transmission des terminaux mobiles.
1.5.2 Amélioration de la QoS par le contrôle de la puissance
L’amélioration de la QoS est un problème majeur en télécommunication. Comme le problème
de l’efficacité énergétique, des solutions au niveau matériels ou logiciels sont développées pour
atteindre cet objectif. La plupart des solutions proposées ont pour but d’éviter ou de réduire les
interférences, ce qui permet d’améliorer la QoS du système. Dans le cadre de cette thèse, nous
proposons une approche au niveau logiciel, basée sur le contrôle de la puissance. Le contrôle de la
puissance permet d’améliorer la QoS pour le système de communication sans fil. Concrètement,
d’une part, il consiste à mettre en place un contrôleur de puissance sur les terminaux mobiles pour
maintenir le SINR ou le RSSI au dessus d’une limite. En dessous de cette limite la communication
est interrompue. D’autre part, il consiste à réduire au minimum l’ensemble de la puissance
transmise dans une cellule pour minimiser les interférences entre les utilisateurs du système et
de maximiser la durée de vie de la batterie du terminal mobile/capteur.
Il existe plusieurs stratégies de contrôle de la puissance pour les réseaux sans fil. La stratégie la
plus utilisée en télécommunication est l’algorithme TPC. Son principe est basé sur l’intensité du
signal reçu par rapport au signal désiré. Une étude plus précise de cette stratégie sera détaillée
dans le chapitre 2.
L’objectif principal du contrôle de la puissance est d’assurer dans la mesure du possible le maintien
du lien radio entre l’émetteur et le récepteur tout en maintenant une puissance d’émission
minimale. Du point de vue du système dynamique, cela se traduit par une contrainte sur l’état.
Les stratégies existantes en automatique comme la commande prédictive et l’anti-windup seront
également étudiées dans le chapitre 2. Enfin, notre stratégie PFC (Potential Feedback Control)
qui transforme le problème de contrainte sur l’état en un problème de commande non linéaire
sur un système non contraint sera présenté dans le chapitre 3.
1.6 Conclusion
Dans ce chapitre nous avons vu les notions de base en télécommunication. Ces notions nous permettent
de mieux comprendre les phénomènes physiques en télécommunication afin d’aborder le
contrôle de la puissance. Dans le cadre de ce travail, nous supposons des réseaux en topologie
étoile. De plus, le fait d’utiliser un code orthogonal OFDM en LTE et un protocole multi-accès
CSMA-CA en WiFi et ZigBee implique l’absence d’interférence entre les terminaux d’une même
cellule. Cependant, il existe toujours des interférences dues aux réseaux voisins qui utilisent la
même bande de fréquence.
Nous avons également abordé les problèmes de l’efficacité énergétique et de l’amélioration de la
QoS. Une stratégie au niveau logiciel permettant d’aborder l’ensemble de ces problèmes va être
proposée. Par la suite, nous allons étudier précisément les différences stratégies de contrôle de la
puissance, puis les comparer.Chapitre 2
Contrôle de la puissance dans les réseaux
cellulaires sans fil : approches algorithmiques,
modélisation dynamique
2.1 Introduction
Le contrôle de la puissance pour les réseaux sans fil a été largement étudié au cours des dernières
années. Nous pouvons citer ici un nombre d’étude sur le contrôle de la puissance pour le réseau
cellulaire. Dans [91], les auteurs ont développé un algorithme qui est basé sur le concept de la
microéconomie et la théorie des jeux. Dans [21, 94], les auteurs ont proposé des stratégies du
contrôle de la puissance, nommés Foschini-Mijanic algorithme, dédié au système CDMA en supposant
avoir une connaissance parfaite du niveau de puissance des interférences. Ces stratégies ne
sont plus adaptées pour la norme LTE qui utilise OFDM afin d’éviter l’inter-celle interférences.
En outre, le contrôle de la puissance en LTE est basé sur une stratégie discrète tandis que la
stratégie Foschini-Mijanic est en continue.
L’objectif de ce chapitre est de présenter les différents algorithmes du contrôle de la puissance,
dits TPC, utilisés actuellement dans les réseaux sans fil comme le LTE, WLAN, et WSN. L’objectif
principal de la méthode TPC est d’assurer dans la mesure du possible le maintien du lien
radio entre l’émetteur et le récepteur tout en maintenant une puissance d’émission minimum
[75, 45]. Le fait d’ajuster la puissance de transmission en fonction de l’état du canal au cours du
temps permet de réduire la consommation énergétique des appareils mobiles, donc d’améliorer
la durée de vie de la batterie. C’est la différence majeure par rapport à ce qui était d’usage antérieurement
et qui consistait à fixer la puissance de transmission à sa valeur maximale [30, 25].
A noter que le contrôle de puissance par la méthode TPC prend tout son sens dans le cas où le
canal varie, et donc essentiellement pour les applications de réseaux mobiles.
Du point de vue du système dynamique, le problème de contrôle de la puissance pour les réseaux
sans fil peut être résolu par une approche automaticienne. En effet, l’objectif du contrôle de puissance
peut être interprété comme un problème de synthèse d’un correcteur avec une contrainte
sur l’état. Les approches issues de l’automatique nécessitent un modèle dynamique du système.
Cette modélisation, obtenue à partir de considérations physiques sur la façon dont un nœud32
Contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires sans fil : approches algorithmiques,
modélisation dynamique
communique dans le réseau, fait l’objet de la deuxième partie de ce chapitre.
Le chapitre 2 est structuré de la façon suivante : dans la section 2.2 sont décrits les différents
algorithmes de TPC utilisés en télécommunication. Dans la section 2.3, nous établissons des
modèles dynamiques à partir des équations spécifiques des réseaux sans fil. Cette modélisation
permettra de traiter le problème de contrôle de la puissance par des approches d’automatique
qui seront développées dans le chapitre 3.
2.2 Algorithme TPC
L’approche la plus commune pour ajuster la puissance de transmission dans les réseaux sans
fil, qu’ils soient cellulaires ou non, est algorithmique. Plusieurs algorithmes ont été développés
pour s’adapter au type de réseau et à la norme de transmission, cependant leur principe est
toujours basé sur l’intensité du signal reçu par rapport au signal désiré. L’avantage de cette
approche réside dans sa simplicité de conception et d’implémentation. Elle ne nécessite pas de
modèle mathématique du système pour ajuster la puissance de transmission au contraire des
approches systèmes en automatique qui s’appuient sur un modèle dynamique. Cette approche
algorithmique connue sous le nom générique de TPC (Transmit Power Control) reste néanmoins
incontournable dans les réseaux sans fil. C’est pourquoi nous allons présenter les trois principaux
algorithmes actuellement utilisés.
2.2.1 Algorithme 1
Cet algorithme est plus particulièrement utilisé dans la norme LTE. Le contrôle de la puissance
par une méthode TPC en LTE se base sur un certain nombre de paramètres spécifiques à cette
norme (cf chapitre 1). La correction de puissance est déterminée par la station de base puis
envoyée à l’appareil mobile qui augmente ou diminue sa puissance de transmission [2, 55]. La
station de base calcule la correction de la puissance de la manière suivante : elle compare le
SINR reçu avec un SINRmin désiré puis décide de la valeur de correction qui peut prendre une
des quatre valeurs
−1, 0, 1, 3
dB [2]. Soit err(n) = SINR(n) − SINRmin et ∆(n) la
valeur de correction de puissance. Si err(n) ≥ 2 alors ∆(n) = −1, si 1 ≤ err(n) < 2 alors
∆(n) = 0, si 0 ≤ err(n) < 1 alors ∆(n) = 1, et si err(n) < 0 alors ∆(n) = 3. L’algorithme
s’écrit :2.2 Algorithme TPC 33
if err(n) ≥ 2 then
∆(n) = −1 ;
else
if 1 ≤ err(n) < 2 then
∆(n) = 0 ;
else
if 0 ≤ err(n) < 1 then
∆(n) = 1 ;
else
if err(n) < 0 then
∆(n) = 3 ;
else
end
end
end
end
Cet algorithme développé dans [55] ne prend pas en compte le retard dû au temps de propagation
des ondes radio ni au temps de calcul du processeur. Cependant, dans [53, 79], les auteurs
ont proposé un algorithme afin de résoudre le problème de retard dans la commande. Comme le
temps de propagation d’un aller-retour, y compris le temps de calcul du processeur, est constant
et vaut M = 10ms [16, 52], la station de base doit prendre en compte les mises à jour de la
puissance aux instants précédents.
Illustrons ce principe sur un exemple simple, où un UE doit ajuster sa puissance d’émission
par une commande de +1dB délivrée par la station de base à l’instant t = 0ms. L’UE reçoit
l’information et ajuste sa puissance d’émission à l’instant t = 5ms correspondant au temps de
propagation du lien descendant. Entre 0 et 5ms, si la station de base continue à demander à
l’UE d’augmenter sa puissance sans tenir compte des ordres précédents, l’UE va augmenter sa
puissance de +5dB au lieu de +1dB. Afin d’éviter ce problème, la somme des incréments de la
puissance aux instants précédents est calculée et réinjectée dans l’algorithme TPC pour générer
correctement la nouvelle commande. La figure 2.1 illustre cet algorithme.34
Contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires sans fil : approches algorithmiques,
modélisation dynamique
Figure 2.1 – Prise en compte du retard de propagation
Cet algorithme possède une étape de plus par rapport au premier. Il prend en compte le retard
sur les incréments de puissance aux instants précédents. L’algorithme fonctionne de la manière
suivante. Premièrement, il compare le SINR reçu et le SINRmin afin de pré-déterminer l’incrément
de puissance ∆(n). Cette étape est identique à celle du premier algorithme. Dans un deuxième
temps, il compare la valeur de l’incrément pré-déterminé avec la somme des incréments aux instants
précédents PKP USCH
i=1 ∆(n − i) afin de décider de la valeur finale ∆(n) à envoyer à l’UE. Si
∆(n) >
PKP USCH
i=1 ∆(n − i) alors ∆(n) = ∆(n), si ∆(n) = PKP USCH
i=1 ∆(n − i) alors ∆(n) = 0, si
∆(n) <
PKP USCH
i=1 ∆(n − i) alors ∆(n) = −1.
L’algorithme s’écrit maintenant2.2 Algorithme TPC 35
Algorithm 1 Algorithme TPC prenant en compte le retard de propagation
if err(n) ≥ 2 then
∆(n) = −1 ;
else
if 1 ≤ err(n) < 2 then
∆(n) = 0 ;
else
if 0 ≤ err(n) < 1 then
∆(n) = 1 ;
else
if err(n) < 0 then
∆(n) = 3 ;
else
end
end
end
end
if ∆(n) >
PKP USCH
i=1 ∆(n − i) then
∆(n) = ∆(n);
else
if ∆(n) =
PKP USCH
i=1 ∆(n − i) then
∆(n) = 0 ;
else
if ∆(n) <
PKP USCH
i=1 ∆(n − i) then
∆(n) = −1 ;
else
end
end
end
Ces approches seront comparées aux approches automaticiennes dans le chapitre 4.
2.2.2 Algorithme 2
La conception des systèmes de communication mobile pose un grand nombre de défis techniques.
On peut citer par exemple les téléphones mobiles qui, contrairement aux ordinateurs, ont souvent
des ressources limitées en termes de mémoire, de processeur et d’autonomie énergétique. Afin de
prolonger l’autonomie, il est proposé dans [75] un algorithme de contrôle de la puissance pour
les WLAN. Cet algorithme permet de réduire la puissance de transmission tout en assurant une
bonne réception des données.
Cet algorithme est basé sur la connaissance de l’atténuation du canal qui peut être représentée
par la différence entre la puissance émise Ptx et la puissance reçue Prx :
P athLoss = Ptx − Prx. (2.1)36
Contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires sans fil : approches algorithmiques,
modélisation dynamique
Dans cette expression, PathLoss représente l’ensemble des pertes dans le canal de transmission
telles que les atténuations de grande, moyenne, et petite échelle.
Cet algorithme est également basé sur une puissance de seuil Pthresh, fixée par le constructeur, endessous
de laquelle la réception des données n’est plus assurée. En effet, une puissance inférieure
à Pthresh implique une petite valeur de SNR et une augmentation de taux d’erreur binaire BER,
ce qui entraîne une retransmission des données. En tenant compte de l’atténuation du canal, la
puissance transmise optimale est calculée par
PT xOpt = P athLoss + Pthresh. (2.2)
Le principle du contrôle de la puissance entre l’émetteur STA et le récepteur AP est illustré dans
la figure 2.2. La procédure du contrôle de la puissance de STA se compose de 4 étapes comme
indiqué ci-dessous :
1. La STA envoie des données telle que par exemple la puissance transmise à l’AP.
2. En utilisant la puissance émise de STA et sa puissance reçue, l’AP calcule le PathLoss,
QoS, et enfin la puissance PT xOpt à l’aide de l’équation (2.1) et (2.2).
3. L’AP envoie l’information de la puissance de transmission optimale PT xOpt à la STA.
4. La STA met à jour sa puissance de transmission.
Figure 2.2 – L’algorithme TPC pour les WLAN
L’AP recalcule PT xOpt dans le cas où il y a un changement significatif de la QoS correspondant
à une modification du PathLoss. Comme le montre la relation (2.2), un changement du PathLoss
entraîne le changement de la valeur de PT xOpt. L’AP recalcule alors PT xOpt avant de l’envoyer
de nouveau à l’émetteur.
Cet algorithme sera également comparé avec des approches issues de l’automatique au chapitre
4.2.2 Algorithme TPC 37
2.2.3 Algorithme 3
Le troisième algorithme, dit ATPC (Adaptive Transmission Power Control), a été proposé dans
[45] pour un WSN dont chacun des nœuds peut envoyer et recevoir des données. Dans l’algorithme
ATPC, chaque nœud construit un modèle pour chacun de ses voisins, en décrivant la relation
entre la puissance de transmission et la qualité de la liaison RSSI. À partir de ce modèle, un
algorithme de contrôle de la puissance maintient le RSSI au-dessus d’un seuil. Le fait d’ajuster la
puissance de transmission en fonction de la qualité de la liaison entre l’émetteur et le récepteur
permet d’améliorer l’efficacité énergétique en comparaison avec le cas où la puissance est toujours
fixée à sa valeur maximale. C’est le cas des WSN, où la puissance de transmission est souvent
réglée à la puissance maximale pour assurer une bonne transmission des données [30, 25], mais
cette situation implique une forte consommation d’énergie, souvent inutile.
Dans l’algorithme ATPC, une table de voisinage est maintenue sur chaque nœud et une boucle
de retour pour le contrôle de la puissance est mise en place entre une paire de nœuds. Le table
de voisinage contient les puissances de transmission que le nœud utilise pour envoyer ses données
aux nœuds voisins. Les puissances de transmission sont définies comme la puissance minimale
nécessaire à une bonne liaison entre une paire de nœuds. Cette table contient également des modèles
linéaires qui sont déterminés par une campagne de mesure. Les auteurs de [45] ont montré
expérimentalement que la corrélation entre la puissance de transmission et le RSSI est généralement
monotone et continue : le RSSI augmente linéairement lorsque la puissance de transmission
augmente. Un modèle linéaire est utilisé pour décrire la relation entre les puissances de transmission
et la qualité de la liaison RSSI. L’identification des paramètres du modèle au cours du
temps permet de déterminer la puissance de transmission.
Le tableau 2.1 représente la situation où le nœud numéro 1 se connecte aux nœuds 2, 3, et 4.
Numéro de nœud Puissance Modèle
2 12 0.5TP+23
3 27 0.8TP+49
4 6 0.4TP+32
Table 2.1 – Tableau ATPC au nœud numéro 1
La formulation du modèle mathématique est établie de la manière suivante. Ce modèle utilise
un vecteur T P qui contient les L différents niveaux de puissance de transmission et une matrice
de RSSI notée R :
T P = {tp1, tp2, ..., tpL}
R = {R1, R2, ..., Rl}
T (2.3)
où Ri est un vecteur de RSSI pour le voisin i. Il y a autant de vecteur Ri que de nœuds voisins.
La composition de Ri est définie par
Ri =
r
1
i
, r2
i
, ..., rL
i
(2.4)
où r
j
i
est le RSSI mesuré correspondant à la puissance de transmission tpj . L’équation algébrique
linéaire du modèle qui caractérise la relation entre la puissance de transmission et le RSSI d’une38
Contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires sans fil : approches algorithmiques,
modélisation dynamique
paire de nœuds s’écrit
ri(tpj ) = aitpj + bi (2.5)
où ai
, bi sont deux paramètres du modèle. À partir des mesures, les paramètres ai
, bi sont
identifiés par une méthode des moindres carrées en minimisant S
2
.
X
ri(tpj ) − r
j
i
)
2
= S
2
. (2.6)
Les paramètres ai et bi peuvent être obtenus par l’équation (2.7)
ai
bi
=
1
L
PL
j=1(tpj )
2 −
PL
j=1 tpj
2
"PL
j=1 r
j
i
PL
j=1(tpj )
2 −
PL
j=1 tpj
PL
j=1 tpjr
j
i
L
PL
j=1 tpjr
j
i −
PL
j=1 tpj
PL
j=1 r
j
i
#
. (2.7)
En utilisant ai
, bi
, et le RSSImin déterminé expérimentalement qui assure une bonne liaison entre
une paire de nœuds donnée, on en déduit la puissance de transmission désirée
tpj =
RSSImin − bi
ai
. (2.8)
Dans l’algorithme ATPC, l’équation (2.8) utilise les valeurs initiales de ai
, bi
. Une mise à jour
permanente de ces paramètres est nécessaire, en particulier lorsque l’environnement change. La
mise à jour de ces valeurs se fait à l’aide des dernières valeurs de la puissance de transmission tpj
et du RSSI mesurés r
j
i
. Cependant, il a été constaté que ai reste quasiment constant pendant trois
jours d’expérimentation alors que la valeur de bi change significativement au cours du temps. La
mise à jour du seul paramètre bi(n) suffit. bi(n) est calculé à partir des dernières valeurs de la
puissance de transmission et du RSSI comme ci-dessous
bi(n) =
PKm
n=1 [RSSImin − ri(n − 1)]
Km
(2.9)
où ri(n − 1) est la valeur de RSSI à l’instant (n − 1) et Km est le nombre de mesures. La
détermination de bi(n) permet de calculer la puissance de transmission d’après l’équation (2.7).
Une comparaison de cet algorithme ATPC avec les approches issues de l’automatique sera également
présentée dans le chapitre 4.
2.3 Modèle dynamique
Le problème du contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires sans fil peut également être vu
comme un problème de commande. Dans ce cas, une étape préalable consiste à trouver un modèle
dynamique du système [83, 82, 81]. Dans [83], les auteurs ont d’abord modélisé l’évolution du
SINR par une équation de récurrence, puis proposé une commande afin de réguler le SINR d’un
réseau cellulaire utilisant le CDMA. Une autre modélisation prenant en compte la congestion
dans le réseau a été développée dans [82, 81]. Le contrôle de la puissance était assuré par une
commande linéaire quadratique gaussienne (LQG).
Dans cette section, nous allons établir les équations des systèmes dynamiques pour les normes
LTE, WIFI et Zigbee.2.3 Modèle dynamique 39
2.3.1 Équation de l’évolution du SINR en LTE
En LTE, le contrôle de la puissance du lien montant est calculé au niveau de la station de base,
puis cette dernière indique à l’UE d’augmenter ou de diminuer sa puissance. Par conséquent,
chaque station de base gère la puissance de transmission de l’ensemble des UE qui se trouvent
dans sa cellule. Une station de base ne gère pas la puissance de transmission des UE des cellules
voisines car elle ne connaît pas les gains des canaux des UE de ses voisines. Cependant, elle
peut mesurer l’ensemble des perturbations venant des cellules voisines, que l’on appelle l’interfé-
rence inter-cellules. De plus, dû au fait que les UE utilisent des codes orthogonaux pour les liens
montant et descendant, l’interférence intra-cellule est négligeable. Par conséquent, nous avons
un système dynamique de type SISO correspondant à un processus de contrôle de la puissance
entre la station de base et l’UE contrôlée par cette station. Les données en LTE sont regroupées
dans des trames et des sous trames qui sont envoyées toutes les 1ms. Il s’agit donc d’un système
à temps discret. Le modèle dynamique recherché est donc SISO et discret. La figure 2.3 illustre
la communication de la liaison montante d’un UE et l’interférence venant des cellules voisines.
Figure 2.3 – La communication de la liaison montant en LTE
Le SINR est couramment utilisé en téléphonie mobile comme mesure de la qualité de transmission.
Le SINR pour un lien montant du mobile i à la station de base k dans le domaine linéaire
est donné par l’équation (1.14) que nous rappelons ci-dessous.
xik(n) = X
gik(n) · pik(n)
j6=i
gjk(n) · pjk(n) + σ
2
ik(n)
.
Le terme X
j6=i
gjk(n)·pjk(n) de l’équation (1.14) correspond à l’interférence inter-cellule car l’utilisation
de l’OFDM en LTE permet d’éviter l’interférence intra-cellule [72, 37, 79]. Par conséquent,
après la synchronisation de fréquence, seules les interférences inter-cellules affectent le SINR. Nous40
Contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires sans fil : approches algorithmiques,
modélisation dynamique
pouvons donc réécrire l’équation (1.14) du SINR dans le domaine linéaire comme ci-dessous
xik(n) = gik(n) · pik(n)
iik(n) + σ
2
ik(n)
(2.10)
où
iik(n) = X
j6=i
gjk(n) · pjk(n)
est l’interférence inter-cellule.
Dans le domaine linéaire, le pathloss pl et le terme iot sont définis par
plik(n) = 1
gik(n)
iotik(n) = iik(n)+σ
2
ik(n)
σ
2
ik(n)
Nous pouvons réécrire l’équation (2.10) comme ci-dessous
xik(n) = pik(n)
plik(n) · σ
2
ik(n) · iotik(n)
. (2.11)
Soit Xik(n) le SINR dans le domaine logarithmique défini par
Xik(n) = 10 log10 xik(n). (2.12)
À partir des équations (2.11) et (2.12) nous obtenons l’équation du SINR dans le domaine
logarithmique
Xik(n) = Pik(n) − P Lik(n) − Σ
2
ik(n) − IoTik(n) (2.13)
Pik(n), P Lik(n), Σ
2
ik(n), IoTik(n) sont les paramètres dans le domaine logarithmique de pik(n),
plik(n), σ
2
ik(n), et iotik(n). Dans le domaine linéaire, l’interférence iik et le bruit thermique σ
2
ik
sont mesurés par la station de base [40]. Nous avons donc les termes Σ
2
ik(n) et IoTik(n). La
puissance Pik est connue à la station de base et le terme P Lik est estimé par le SRS. Nous
obtenons donc le SINR Xik à la station de base en utilisant l’équation (2.13).
La puissance Pik(n) correspond à la puissance PP USCH de l’équation (1.1). Dans cette section,
nous allons remplacer le numéro de sous trame j de l’équation (1.1) par une variable de temps
n car les trames et les sous-trames sont envoyées successivement dans le temps. Pour simplifier
l’écriture, les indices c, P USCH, T F de l’équation (1.1) et les indices i, k de l’équation (2.13)
seront omis. Nous replaçons également le terme ∆P USCH par U. Par conséquent, l’équation (1.2)
devient
F(n) = F(n − 1) + U(n − K). (2.14)
Nous utilisons la transformation en z pour l’équation (2.14) et nous obtenons
F(z) = z
−K
1 − z−1
U(z). (2.15)
Notons que le paramètre K ne varie pas en fonction du temps, mais il prend une valeur entière
connue dans l’intervalle {4, · · · , 7}.2.3 Modèle dynamique 41
Par la suite, et dans un souci de clarté, le terme de saturation PCMAX donné par l’équation (1.1)
sera omis mais il sera pris en compte dans la simulation du chapitre 4. À partir de l’équation
(1.1), nous avons
P(z) = W1(z) + F(z) = W1(z) + z
−K
1 − z−1
U(z) (2.16)
où
W1(z) = 10 log10M(z) + P0(z) + α(j) · P L(z) + Θ(z).
Comme le retard total M, qui est la somme du retard de la liaison descendant et de la liaison
montante, peut être considéré constant (voir [16, 52]), le retard en liaison montante est donc égal
à M − K avec K ∈ {4, · · · , 7}. En ajoutant le retard de propagation à l’équation (2.13) nous
avons
X(z) = (W2(z) + P(z))z
−(M−K)
(2.17)
où
W2(z) = −P L(z) − Σ
2
(z) − IoT(z).
Nous remplaçons l’équation (2.16) dans l’équation (2.17) et nous obtenons
X(z) = z
−M
1 − z−1
U(z) + (W1(z) + W2(z))z
−(M−K)
. (2.18)
En multipliant les deux côtés de l’équation (2.18) par (1 − z
−1
), nous avons
(1 − z
−1
)X(z) = z
−MU(z) + (W1(z) + W2(z))(1 − z
−1
)z
−(M−K)
.
En utilisant la transformation inverse en z, nous obtenons un système scalaire discret comme
ci-dessous
X(n) = X(n − 1) + U(n − M) + H(n − 1) (2.19)
avec l’entrée connue
H(n − 1) = W2(n − (M − K)) − W2(n − (M − K) − 1)
+ W1(n − (M − K)) − W1(n − (M − K) − 1)
et un retard constant M − 1 en la commande. Il faut noter que les valeurs de K ∈ {4, · · · , 7}
sont connues.
En LTE, le temps de propagation d’un aller-retour, y compris le temps de calcul du processeur,
peut être considérée comme constant avec M = 10ms [16, 52]. Soit Hˆ (n) l’estimation de l’entrée
exogène telle que
H(n) − Hˆ (n)
< ǫ. Nous allons réécrire (2.19) comme ci-dessous
X(n) = X(n − 1) + µ(n − M) − Hˆ (n − 1) + H(n − 1)
où
µ(n − M) = U(n − M) + Hˆ (n − 1)
est une nouvelle commande. Cela implique que
X(n) = X(n − 1) + µ(n − M) + D(n − 1) (2.20)42
Contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires sans fil : approches algorithmiques,
modélisation dynamique
où
D(n − 1) = H(n − 1) − Hˆ (n − 1) (2.21)
est la perturbation du système dynamique (2.20).
La figure 2.4 illustre le scénario du contrôle de la puissance en LTE. Le récepteur est la station
de base servant à calculer la puissance de transmission de l’émetteur. L’émetteur est l’UE qui
règle sa puissance de transmission en fonction de l’information venant de la station de base.
Figure 2.4 – Schéma bloc du système de contrôle de la puissance en LTE
L’objectif du contrôle de la puissance en LTE est de garantir que le SINR reste strictement
supérieur au SINRmin. Du point de vue de la commande, il s’agit d’un problème de stabilisation
d’un système SISO discret avec un retard sur la commande et une contrainte sur l’état.
2.3.2 Équation du SNR pour les WLANs
Dans les WLAN, chaque STA envoie ses données à l’AP à son tour en utilisant le protocole
CSMA-CA pour éviter les collisions avec ses voisines [24]. Là encore, le contrôle de la puissance
pour un WLAN peut être formulé comme un problème de stabilisation d’un système SISO discret
avec une contrainte sur l’état. De plus, comme l’interférence peut être négligée dans la topologie
BSS, la qualité de transmission est basée sur la grandeur de SNR [62]. Le SNR de la liaison
montante entre la STA i et l’AP k dans le domaine linéaire est déduit à partir de l’équation de
SINR 1.14, nous avons
xik(n) = gik(n) · pik(n)
σ
2
ik(n)
. (2.22)
D’après l’équation (2.22), nous remarquons que le SINR xik(n) est proportionnel à la puissance
d’émission pik(n). Cependant, un niveau de puissance d’émission élevé peut être la source de l’interférence
des réseaux voisins qui utilisent la même bande de fréquence. Ce type de perturbation
n’est pas désirable en WLAN. De plus, un niveau de puissance trop élevé n’est pas nécessaire2.3 Modèle dynamique 43
lorsque le canal de transmission est de bonne qualité. Cela implique un gaspillage énergétique et
une diminution de la durée de vie de la batterie. L’objectif du contrôle de la puissance est donc
de maintenir le SNR en-dessus de SNRmin avec un niveau de puissance le plus bas possible.
Le gain de canal gik(n) de l’équation (2.22) s’écrit
gik(n) = 1
plik(n)
(2.23)
où pl est le pathloss dans le domaine linéaire. Nous déduisons l’équation du SNR dans le domaine
logarithmique comme ci-dessous
Xik(n) = Pik(n) − P Lik(n) − Σ
2
ik(n) (2.24)
où Pik et P Lik sont respectivement la puissance de transmission de la STA i et le pathloss de
la STA i à l’AP k, Σ
2
ik est le bruit blanc gaussien à l’antenne de l’AP k. Le P Lik(n) peut être
déterminé en choisissant le modèle log-normale Shadowing de l’équation (1.9). Dans la suite, et
pour des raisons de simplicité, nous allons omettre les indices i et k dans les équations. L’équation
(2.22) devient
X(n) = P(n) − P L(n) − Σ
2
(n). (2.25)
Dans un WLAN, chaque STA ajuste sa puissance de transmission selon les informations provenant
de l’AP [38]. Nous avons l’équation dynamique classique pour la puissance de transmission
comme ci-dessous
P(n + 1) = P(n) + U(n) (2.26)
où U(n) est l’incrément ou le décrément de puissance. C’est également la commande de notre
système dynamique. De la même manière, nous supposons que
P L(n + 1) = P L(n) + ∆P L(n)
Σ
2
(n + 1) = Σ2
(n) + ∆Σ2
(n)
(2.27)
À partir des équations (2.25), (2.26) et (2.27), nous avons
X(n + 1) = P(n + 1) − P L(n + 1) − Σ
2
(n + 1)
= P(n) + U(n) − P L(n) − ∆P L(n) − Σ
2
(n) − ∆Σ2
(n)
Nous déduisons que
X(n + 1) = X(n) + U(n) − ∆P L(n) − ∆Σ2
(n) (2.28)
où encore
X(n + 1) = X(n) + U(n) + D(n) (2.29)
avec
D(n) = −∆P L(n) − ∆Σ2
(n)
la variation du canal et du bruit. La quantité D(n) est bornée par ǫ. La borne ǫ dépend de
l’environnement et du temps d’échantillonnage du système dynamique (2.29) et peut être ajustée
à partir des mesures.
En résumé, nous obtenons un système dynamique SISO discret avec une perturbation bornée et
une contrainte sur l’état.44
Contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires sans fil : approches algorithmiques,
modélisation dynamique
2.3.3 Équation du RSSI pour les WSNs
Le contrôle de la puissance d’un WSN est basé sur l’indicateur RSSI qui est une mesure instantanée
car les nœuds ne possèdent que des processeurs simples qui ne permettent pas d’estimer le
SINR comme dans un réseau de téléphonie mobile ou un WLAN. Dans cette sous section, nous
allons déterminer une équation de récurrence pour le RSSI à partir de la relation linéaire entre la
puissance de transmission et le RSSI. Pour tenir compte des erreurs de modélisation du modèle
linéaire, nous ajoutons un bruit. Nous avons donc une relation entre le RSSI et la puissance de
transmission comme ci-dessous
X(n) = aP(n) + b(n) + N(n) (2.30)
où X est le RSSI, P la puissance de transmission, n le temps de transmission, a, b les paramètres
du modèle mathématique. La constante a dépend du choix de l’équipement et de la norme de
télécommunication, et est indépendante de l’environnement. Le paramètre b dépend de la position
du capteur par rapport au coordinateur auquel il se connecte. Un changement de l’environnement
où se situe le capteur et le coordinateur entraîne un changement de la valeur de b.
Pour un WSN, le fait que les capteurs communiquent alternativement avec le coordinateur implique
un système SISO. De plus, les capteurs sont configurés pour envoyer leurs données périodiquement
selon l’application. Dans l’exemple que nous présenterons au chapitre 4, les capteurs
envoient leurs données au coordinateur toutes les cinq secondes. Pour les WSN, chaque capteur
peut ajuster sa puissance de transmission en fonction de l’information donnée par le coordinateur.
L’équation dynamique de la puissance de transmission est définie par
P(n + 1) = P(n) + ∆P(n) (2.31)
où ∆P(n) est l’incrément de puissance. Nous supposons aussi que
N(n + 1) = N(n) + ∆N(n)
b(n + 1) = b(n) + ∆b(n)
(2.32)
À partir de l’équation (2.30), (2.31) et (2.32), nous avons l’expression du RSSI à l’instant n + 1
X(n + 1) = aP(n + 1) + b(n + 1) + N(n + 1)
= P(n) + u(n) + b(n) + ∆b(n) + N(n) + ∆N(n)
Nous déduisons
X(n + 1) = X(n) + a∆P(n) + ∆N(n) + ∆b(n).
Nous négligeons ∆b(n) car le WSN est en environnement stationnaire, ce qui implique
X(n + 1) = X(n) + U(n) + D(n) (2.33)
où
U(n) = a∆P(n)
D(n) = ∆N(n)
sont la commande et la perturbation du système dynamique (2.33). Nous supposons que D(n)
est bornée par une valeur ǫ. Cette borne ǫ dépend de l’environnement dans lequel se trouve les
équipements.2.4 Conclusion 45
En résumé, nous avons un système dynamique SISO discret avec une perturbation bornée et
une contrainte sur l’état. Différentes commandes seront proposées et mises en œuvre dans les
chapitres qui suivent.
2.4 Conclusion
Nous avons vu les différents algorithmes TPC qui sont actuellement utilisés pour le contrôle
de la puissance dans les réseaux sans fil. Ces algorithmes sont implémentés dans les nœuds du
réseau afin de réduire la consommation énergétique et d’augmenter la durée de vie moyenne de la
batterie. Ces approches algorithmiques n’utilisent pas de modèles dynamiques du système mais
ne sont pas optimales et ne garantissent pas que l’état ne passe pas en dessous de sa contrainte, ce
qui implique une coupure de la liaison. L’écriture d’un modèle dynamique traduisant l’évolution
du SINR (ou du RSSI) en fonction de la puissance d’émission va permettre d’aborder ce problème
comme un problème de stabilisation d’un système SISO discret perturbé avec retard sur l’entrée
et contrainte sur l’état. C’est l’objet du prochain chapitre, où nous développerons plusieurs
commandes à même de stabiliser ce système.46
Contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires sans fil : approches algorithmiques,
modélisation dynamiqueChapitre 3
Contrôle de la puissance dans les réseaux
cellulaires sans fil : synthèse d’une loi de
commande
3.1 Introduction
Dans le chapitre 2, nous avons étudié les approches courantes en télécommunications utilisées
pour le contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires. Nous allons étudier dans ce chapitre
des approches basées sur un correcteur pour résoudre le problème de contrôle de la puissance.
Nous présenterons tout d’abord des approches classiques aptes à résoudre un problème de contrôle
avec contrainte sur l’état telles que l’anti-windup et la commande prédictive MPC (Model Predictive
Control). Nous proposerons ensuite une nouvelle stratégie, que nous nommerons par la
suite commande par potentiel ou PFC (Potential Feedback Control) [59, 60]. Cette commande a
été développée pour un système SISO comme une solution alternative à la MPC et à la TPC.
Il s’agit d’une approche dans laquelle le problème de stabilisation d’un système SISO linéaire
avec une contrainte sur l’état est transformé en un problème de stabilisation d’un système non
linéaire en boucle fermée mais sans contrainte. À l’origine, les commandes par potentiel ont été
développées pour la robotique afin d’éviter les collisions avec des obstacles [66, 56, 44]. L’idée
était de générer un potentiel répulsif autour de l’obstacle. À notre connaissance, c’est la première
fois qu’une commande par potentiel est utilisée pour un système à temps discret. Le terme
“potentiel” désigne un potentiel de Coulomb qui va constituer une barrière infranchissable. En
télécommunications, cette barrière est une valeur du SINR en dessous de laquelle la communication
est interrompue. La commande par potentiel, qui est une commande non linéaire, assure
que la sortie du système soit toujours supérieure à une limite inférieure. L’application de cette
approche pour les réseaux cellulaires conduit à l’ajustement de deux paramètres pour chaque UE.
La principale difficulté de cette stratégie est due à la non linéarité introduite par la commande.
La preuve de stabilité est obtenue en utilisant une fonction de Lyapunov. À partir d’une certaine
mobilité, il faut tenir compte de la variation du canal entre deux échantillons de commande. Cela
se traduit pas l’ajout d’un retard sur l’entrée correspondant au temps de propagation et à la latence
du matériel. Nous utilisons donc la transformation d’Artstein pour les systèmes discrets
afin de résoudre ce problème [6, 31].
Le chapitre 3 est organisé de la façon suivante : dans la section 3.2 sont décrites les notions de48 Contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires sans fil : synthèse d’une loi de commande
base de la stabilité pour un système discret, en particulier la stabilité au sens de Lyapunov. Le
contrôle anti-windup et la commande prédictive sont présentés dans les sections 3.3 et 3.4. Dans
la section 3.5, nous proposons la synthèse d’une loi de commande potentielle pour le système
nominal, pour le système perturbé et pour le système perturbé avec retard sur l’entrée.
3.2 La stabilité d’un système discret
La notion de stabilité est très importante pour l’analyse d’un système dynamique. Dans cette
section, nous allons présenter les définitions de base de la stabilité d’un système dynamique
discret qui sont données dans [7].
3.2.1 Définitions
Nous rappelons ci-dessous quelques notions mathématiques.
Définition 1. Une fonction γ : R≥0 → R≥0 est une K-fonction si elle est continue, strictement
croissante et si γ(0) = 0. Elle est une K∞-fonction si elle est une K-fonction et si γ(s) → ∞
lorsque s → ∞.
Nous abordons maintenant les définitions de stabilité d’un système autonome.
Soit la représentation d’état d’un système discret
x(n + 1) = f(x(n)), n ∈ N (3.1)
où f : R
p → R
p
est une fonction continue. Supposons que x¯ est un point d’équilibre du système
(3.1). Il est donc solution de l’équation suivante
x¯ = f(¯x).
L’objectif est de caractériser et d’étudier la stabilité de x¯. Par convention, nous considérons
que le point d’équilibre est l’origine, c’est-à-dire x¯ = 0. Cette convention est possible, sans
perte de généralité, parce que tous les points d’équilibre peuvent être ramenés à l’origine par
un changement de variables. Supposons que x¯ 6= 0 et considérons un changement de variable
y = x − x¯, nous avons que
y(n + 1) = x(n + 1) − x¯
= f(x(n)) − x¯
= f(y(n) + ¯x) − x¯
= g(y(n)),
où g(0) = 0. Avec la nouvelle variable, le système a le point d’équilibre à l’origine. Par conséquent,
sans perte de généralité, nous pouvons toujours assumer que f(0) = 0 et étudier la stabilité à
l’origine x¯ = 0.
Définition 2. Le point d’équilibre x = 0 du système (3.1) est stable si pour tout ǫ > 0 donné, il
existe δ(ǫ) > 0 tel que si |x(0)| < δ, alors |x(n)| < ǫ pour tout n ∈ N.3.2 La stabilité d’un système discret 49
Définition 3. Le point d’équilibre x = 0 du système (3.1) est asymptotiquement stable s’il est
stable et si δ peut être choisi de manière que |x(0)| < δ implique |x(n)| → 0 lorsque n → ∞.
À partir des définitions précédentes, on définit en général la stabilité pour un point d’équilibre
et non pas pour le système. Cela implique que la stabilité est une notion locale. L’interprétation
des définitions 2 et 3 est que le système est (asymptotiquement) stable si les trajectoires restent
proches lorsque la condition initiale est légèrement changée.
3.2.2 La stabilité d’un système linéaire discret
Soit un système linéaire
x(n + 1) = Ax(n), x(0) = x0 (3.2)
Le système (3.2) admet la solution
x(n) = A
nx(0). (3.3)
S’il est possible de diagonaliser A, alors la solution est une combinaison des termes λ
n
i
, où λi
(i = 1, 2, ..., m) sont les valeurs propres de A. Dans le cas général, lorsque A ne peut pas être
diagonalisée, la solution est une combinaison linéaire des termes pi(n)λ
n
i
, où pi(n) sont des
polynômes en n. Pour obtenir la stabilité asymptotique, toutes les solutions doivent tendre vers
zéro quand n tend vers l’infini, ce qui implique que toutes les valeurs propres de A sont telles
que
|λi
| < 1 i = 1, 2, ...m (3.4)
ce qui est formulé par le théorème ci-dessous [7] :
Théorème 1. Le système linéaire invariant discret (3.2) est asymptotiquement stable si et seulement
si toutes les valeurs propres de A sont strictement comprises dans le disque unité.
3.2.3 Stabilité au sens de Lyapunov
Dans les paragraphes précédents, nous avons vu les notions de base de la stabilité pour un système
linéaire invariant discret. Nous allons maintenant introduire la stabilité au sens de Lyapunov qui
est un outil pratique pour déterminer la stabilité des systèmes dynamiques. À l’origine, Lyapunov
a développé cette théorie pour les équations différentielles [46], puis elle a ensuite été étendue aux
relations de récurrence. L’idée principale est d’introduire une fonction énergétique généralisée,
appelée fonction de Lyapunov, qui est nulle au point d’équilibre et positive partout ailleurs.
Le point d’équilibre sera asymptotiquement stable si la fonction de Lyapunov est strictement
décroissante tout au long des trajectoires du système. Dans cette section, nous rappelons la
théorie de Lyapunov pour un système discret [7].
La première étape consiste à trouver une fonction de Lyapunov, qui est définie comme ci-dessous
[7] :
Définition 4. V : R
p → R≥0 est une fonction de Lyapunov pour le système
x(n + 1) = f(x(n)) (3.5)
où f : R
p → R
p
est une fonction continue telle que f(0) = 0 si50 Contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires sans fil : synthèse d’une loi de commande
1. V est continue et V (0) = 0.
2. V est définie positive ; i.e. V (x) > 0 sauf V (0) = 0.
3. ∆V (x) = V (f(x)) − V (x) est définie négative ; i.e. ∆V (x 6= 0) < 0 sauf ∆V (0) = 0.
Une illustration géométrique simple de la définition précédente est donnée sur la figure 3.1. Les
courbes de niveau d’une fonction définie positive V : R
2 → R≥0 sont des courbes fermées au
voisinage de l’origine. La troisième condition implique que la dynamique du système est telle
que la solution se déplace toujours vers les courbes de niveau de valeur plus petite. Toutes les
courbes de niveau encerclent l’origine et ne se croisent pas.
Figure 3.1 – Illustration géométrique de la fonction de Lyapunov
Cette interprétation géométrique montre que l’existence d’une fonction de Lyapunov assure la
stabilité asymptotique du système dynamique. Le théorème ci-dessous est un énoncé précis de
ce fait [7] :
Théorème 2. L’origine du système (3.5) est asymptotiquement stable s’il existe une fonction
de Lyapunov pour le système (3.5). De plus, si
0 < ϕ(|x|) < V (x) (3.6)
où ϕ(.) est une K∞-fonction alors l’origine est globalement asymptotiquement stable.
La difficulté principale de l’utilisation de la théorie de Lyapunov est de trouver une fonction de
Lyapunov qui convient pour le système. C’est en général un problème difficile.
Un système dynamique est souvent perturbé par des entrées exogènes. Dans [33], les auteurs ont
développé la notion de stabilité dans un intervalle pour un système discret avec une perturbation
bornée. Pour mieux comprendre ces travaux, nous allons commencer par introduire la notion de
stabilité sur un intervalle puis donner l’énoncé du théorème.3.2 La stabilité d’un système discret 51
Considérons le système perturbé suivant
x(n + 1) = f(x(n), d(n)), n ∈ N (3.7)
où x(.) ∈ R
p
, la perturbation d(.) ∈ Ω avec Ω ∈ R
m et la fonction f : R
p × Ω → R
p
est continue.
Supposons que l’ensemble Ω soit compact. Soit MΩ l’ensemble de toutes les fonctions de N vers
Ω. Soit x(., ξ, d) la solution de (3.7) pour l’état initial x(0) = ξ et la perturbation d ∈ MΩ. Soit
un sous ensemble A fermé non vide de R
p
. Cet ensemble est dit invariant si, pour chaque ξ ∈ A,
x(n, ξ, d) ∈ A pour tout n ≥ 0. Nous noterons
|ξ|A = d(ξ, A) = inf
η∈A
|ξ − η| , (3.8)
où |.| représente la norme euclidienne.
Nous introduisons maintenant la notion de stabilité du système (3.7).
Définition 5. Soit un ensemble fermé invariant A du système (3.7). Le système (3.7) est globalement
asymptotiquement stable par rapport à A si les deux propriétés suivantes sont vérifiées :
1. Stabilité : pour tout ǫ > 0, il existe une K-fonction δ(.) telle que si |ξ|A ≤ δ(ǫ) , alors
|x(n, ξ, d)|A ≤ ǫ pour tout n ∈ N et d ∈ MΩ.
2. Attraction : pour tout r > 0 et ǫ > 0, il existe T ∈ N tel que, si |ξ|A ≤ r, alors |x(n, ξ, d)|A ≤
ǫ pour tout n ≥ T et d ∈ MΩ.
La définition d’une fonction de Lyapunov pour le système (3.7) par rapport à l’ensemble A est
donnée dans [33] de la façon suivante :
Définition 6. Soit un ensemble fermé invariant A du système (3.7). Une fonction continue
V : N × R
p → R≥0 est une fonction de Lyapunov pour le système (3.7) par rapport à l’ensemble
A si
1. il existe deux K∞-fonctions α1 et α2 telles que pour tout ξ ∈ R
p
et tout n ∈ N
α1(|ξ|A) ≤ V (n, ξ) ≤ α1(|ξ|A). (3.9)
2. il existe une fonction continue, définie positive α3 telle que pour tout ξ ∈ R
p
et tout n ∈ N
V (n + 1, f(ξ, µ)) − V (n, ξ) ≤ −α3(|ξ|A). (3.10)
Le résultat principal de [33] est le théorème ci-dessous :
Théorème 3. Le système (3.7) est globalement asymptotiquement stable par rapport à A si et
seulement si il admet une fonction de Lyapunov par rapport à A.
La démonstration de ce théorème et le détail des résultats sont donnés dans [33].52 Contrôle de la puissance dans les réseaux cellulaires sans fil : synthèse d’une loi de commande
3.3 Contrôle anti-windup
Les techniques d’anti-windup ont initialement été développées pour les systèmes présentant des
saturations sur la commande. Lorsque la commande sature, le système se retrouve en boucle
ouverte et n’est plus commandable, ce qui peut conduire à une instabilité. Le contrôle anti-windup
est une stratégie originale qui peut résoudre ce problème. On peut citer entre autres le correcteur
proportionnel intégral dérivé (PID) sous contrainte. Sans le compensateur anti-windup, en cas
de saturation le PID ne reçoit pas la sortie correspondant à la commande fournie par lui-même à
l’instant précédent et l’action intégrale diverge. Dans le meilleur des cas, cette divergence entraîne
un long régime transitoire et des dépassements importants. Cet effet est appelé windup. Pour
résoudre ce problème, un compensateur anti-windup recalcule la commande si cette dernière est
en saturation [27, 39]. Il existe dans la littérature un nombre très important d’études sur l’antiwindup
qui prennent en compte la contrainte sur la commande pour les systèmes continus et
discrets [87, 39, 54, 84, 86, 85]. L’utilisation de l’anti-windup pour des contraintes sur l’état est
beaucoup plus restreinte et a été très peu étudiée. À notre connaissance, il existe seulement une
référence sur ce sujet [57] qui utilise le schéma conventionnel de l’anti-windup dans le cas d’un
système continu. Une autre tentative qui utilise l’anti-windup pour des contraintes sur l’état a
été proposée dans [67], mais cette approche relève davantage de la MPC. Dans cette section,
nous allons présenter une commande par anti-windup pour résoudre un problème de contrainte
sur l’état dans le cas d’un système discret.
3.3.1 Position du problème
Soit un système linéaire discret de représentation d’état
x(n + 1) = Ax(n) + Bu(n)
y(n) = Cx(n)
(3.11)
où A ∈ R
p×p
, B ∈ R
p×m, C ∈ R
q×p
, x(n) ∈ R
p
, y(n) ∈ R
q
, u(n) ∈ R
m, et n ∈ N sont respectivement
la matrice d’état, la matrice de commande, le vecteur d’état, la sortie, la commande et
l’indice de temps. Nous cherchons un correcteur dynamique qui est représenté par
xc(n + 1) = Acxc(n) + Bc (y(n) − yref (n)) + Λ1ξ(n)
u(n) = Ccxc(n) + Dc (y(n) − yref (n)) + Λ2ξ(n)
(3.12)
où Ac ∈ R
pc×pc est la matrice d’état, Bc ∈ R
pc×q
est la matrice de commande, Cc ∈ R
m×pc est
la matrice d’observation, Dc ∈ R
m×q
est la matrice d’action directe, xc(n) ∈ R
pc est le vecteur
d’état, u(n) ∈ R
m est la sortie du correcteur, yref est le consigne, et Λ1, Λ2 sont le compensateur
anti-windup. Le compensateur anti-windup est actif si la sortie du système (3.11) est en-dessous
d’une valeur minimale ymin. Nous avons donc
ξ(n) =
0 si y(n) ≥ ymin
y(n) − ymin si y(n) < ymin
(3.13)
Le schéma du système en boucle fermée avec l’anti-windup sur la sortie est représenté sur la
figure suivante3.3 Contrôle anti-windup 53
Figure 3.2 – Système en boucle fermée avec anti-windup sur la sortie
En boucle fermée, le système s’écrit
x(n + 1) = (A + BDcC) x(n) + BCcxc(n) − BDcyref (n) + BΛ2ξ(n)
xc(n + 1) = BcCx(n) + Acxc(n) − Bcyref (n) + Λ1ξ(n)
(3.14)
Notre objectif de commande est de trouver un correcteur Kc =
Dc Cc
Bc Ac
et un gain d’antiwindup
Λ =
Λ1 0
Λ2 0
qui stabilisent le système en boucle fermée.
3.3.2 Recherche d’un correcteur Kc stabilisant
Le système en boucle fermée avec ξ(n) = 0 s’écrit
ζ(n + 1) =
A¯ + BK¯
cC¯
ζ(n) − Γ¯yref (3.15)
avec ζ(n)
T =
x(n) xc(n)
T
et
A¯ =
A 0
0 0
B¯ =
B 0
0 I
C¯ =
C 0
0 I
Γ =¯
BDc
Bc
.
Nous considérons le changement de variable
ζb(n) = ζ(n) − ¯ζ (3.16)
où ¯ζ = −
I −
A¯ + BK¯
cC¯
−1
Γ¯yref est le point d’équilibre de (3.15). Nous avons
ζb(n + 1) =
A¯ + BK¯
cC¯
ζb(n). (3.17)
Soit V (n) = ζ
T
b
(n)P ζb(n) une fonction candidate de Lyappunov avec P = P
T > 0. Le système
(3.17) sera stable si et seulement si V (n + 1) − V (n) < 0, soit en posant Abf = A¯ + BK¯
cC¯
A
T
bfP Abf − P < 0
Approche algorithmique pour l’am´elioration des
performances du syst`eme de d´etection d’intrusions
PIGA
Pierre Clairet
To cite this version:
Pierre Clairet. Approche algorithmique pour l’am´elioration des performances du syst`eme
de d´etection d’intrusions PIGA. Other. Universit´e d’Orl´eans, 2014. French. .
HAL Id: tel-01080541
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Submitted on 5 Nov 2014
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recherche fran¸cais ou ´etrangers, des laboratoires
publics ou priv´es.UNIVERSITÉ
D’ORLÉANS
ÉCOLE DOCTORALE MATHEMATIQUES, INFORMATIQUE,
PHYSIQUE THEORIQUE et INGENIERIE DES SYSTEMES
LABORATOIRE D’INFORMATIQUE FONDAMENTALE D’ORLEANS
THÈSE présentée par :
Pierre CLAIRET
soutenue le : 24 juin 2014
pour obtenir le grade de : Docteur de l’université d’Orléans
Discipline/ Spécialité : INFORMATIQUE
Approche algorithmique pour l’amélioration des
performances du système de détection d’intrusions PIGA
THÈSE dirigée par :
Pascal BERTHOMÉ Professeur, INSA Centre Val de Loire
RAPPORTEURS :
Dominique BARTH Professeur, Université de Versailles
Christophe ROSENBERGER Professeur, ENSICAEN
JURY :
Dominique BARTH Professeur des Universités, Université Versailles
Saint Quentin
Pascal BERTHOMÉ Professeur des Universités, INSA CVL
Jérémy BRIFFAUT Maître de conférences, INSA CVL
Fabien DE MONTGOLFIER Maître de conférences, Université Paris 7
Sébastien LIMET Professeur des Universités, Université d’Orléans
Christophe ROSENBERGER Professeur des Universités, ENSICAENREMERCIEMENTS
Remerciements
Je remercie Dominique Barth et Christophe Rosenberger d’avoir accepté d’être
mes rapporteurs et ainsi d’évaluer mes travaux de thèse.
Je remercie Jérémy Briffaut, Fabien De Montgolfier et Sébastien Limet d’avoir
accepté de faire partie de mon jury de soutenance.
Je tiens également à remercier mon directeur de thèse, Pascal Berthomé, pour
son soutien durant ces quatre années de thèse, mais aussi le Laboratoire d’Informatique
Fondamentale d’Orléans, notamment l’équipe Sécurité et Distribution des
Systèmes, ainsi que l’INSA Centre Val de Loire pour son accueil.
Je remercie Christian Toinard et ma compagne Aurélie Leday pour avoir pris le
temps de relire ce manuscrit.
Merci à Jérémy pour la documentation très fournie de PIGA.
Merci à Damien Gros, Maxime Fonda et Jonathan Rouzaud-Cornabas pour l’ambiance
dans le bureau des doctorants pendant ma première année de thèse.
Merci à Damien, Maxime, Thibault, Aurélie, André, Christel, Adam, Céline,
Momo, Aurélien, Guillaume, Perrine ainsi que la Brasserie BOS pour toutes les
soirées et vacances qui ont animé mes quatre années de thèse.
Merci ma famille, à Aurélie et à mon chat de m’avoir soutenu tout au long de
ma thèse.
iREMERCIEMENTS
iiTable des matières
Introduction 1
I État de l’art 3
1 PIGA 5
1.1 Fonctionnement général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1.1.1 PIGA, un système de détection d’intrusions . . . . . . . . . . 5
1.1.2 Propriété de sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.1.3 Base de comportements malicieux . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.1.4 Utilisation d’un système de contrôle mandataire . . . . . . . . 9
1.1.5 Génération de signatures et détection des comportements illicites 10
1.2 Graphe d’interactions et graphes dérivés . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1.2.1 Graphe d’interactions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1.2.2 Graphes dérivés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.3 Mécanisme de génération de signatures . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.3.1 Signatures pour PIGA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.3.2 Cas particulier : la propriété de confidentialité . . . . . . . . . 16
1.3.3 Autres propriétés de sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
1.4 Mécanisme de détection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
1.4.1 Fonctionnement général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
1.4.2 Monitoring et progression des signatures . . . . . . . . . . . . 22
1.5 Application . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
1.5.1 Honeypot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
1.5.2 Défi sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
1.5.3 Adaptation de PIGA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
1.6 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
1.6.1 Efficacité de PIGA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
1.6.2 Problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
2 Décomposition modulaire 33
2.1 Fondements théoriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2.1.1 Partition et graphe quotient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
2.1.2 Famille partitive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
2.1.3 Permutations factorisantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
2.2 Module d’un graphe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
iiiTABLE DES MATIÈRES
2.2.1 Définition d’un module . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
2.2.2 Arbre de décomposition modulaire . . . . . . . . . . . . . . . 37
2.2.3 Graphe quotient modulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
2.2.4 Types de modules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
2.3 Algorithme de décomposition modulaire . . . . . . . . . . . . . . . . 40
2.3.1 Calcul d’une permutation factorisante d’un graphe non-orienté 41
2.3.2 Calcul d’une permutation factorisante d’un graphe orienté . . 43
2.3.3 Calcul de l’arbre de décomposition à partir d’une permutation
factorisante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
2.4 Applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
2.4.1 Applications sur la théorie des graphes . . . . . . . . . . . . . 45
2.4.2 Applications sur des problèmes pratiques . . . . . . . . . . . . 46
2.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
II Application de la décomposition modulaire à PIGAIDS
49
3 Modification du système de génération de signatures 51
3.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
3.2 Application de la décomposition modulaire . . . . . . . . . . . . . . . 52
3.2.1 Utilisation de la décomposition modulaire non-orientée . . . . 52
3.2.2 Principe général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
3.2.3 Extraction d’une paire source/destination . . . . . . . . . . . 55
3.2.4 Applications des algorithmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
3.2.5 Gestion des boucles sur module . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
3.2.6 Compression théorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
3.2.7 Équivalence des systèmes de génération . . . . . . . . . . . . . 65
3.3 Expérimentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
3.3.1 Processus d’expérimentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
3.3.2 Expérimentation sur un graphe exemple . . . . . . . . . . . . 66
3.3.3 Expérimentation sur des graphes réels . . . . . . . . . . . . . 67
3.4 Simplification par inclusion de signatures . . . . . . . . . . . . . . . . 71
3.5 Limites d’utilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
3.5.1 Application de la décomposition modulaire . . . . . . . . . . . 73
3.5.2 Suppression par inclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
3.6 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
4 Modification du système de détection 75
4.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
4.2 Nouveaux cas engendrés par les méthodes de compression . . . . . . . 76
4.2.1 Analyse des nouveaux cas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
4.2.2 Gestion théorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
4.3 Mise en œuvre algorithmique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
4.3.1 Algorithmes de détection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
4.3.2 Analyse de complexité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
4.3.3 Équivalence des systèmes de détection . . . . . . . . . . . . . 86
ivTABLE DES MATIÈRES
4.4 Expérimentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
4.4.1 Création d’un générateur de trace semi-aléatoire . . . . . . . . 87
4.4.2 Expérimentations sur un graphe d’interactions réel . . . . . . 87
4.5 Gestion de modules consécutifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
4.5.1 Analyse des nouveaux cas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
4.5.2 Gestion théorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
4.6 Gestion des exceptions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
4.7 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Conclusion 101
Perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
Améliorations de l’intégration à PIGA . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
Améliorations algorithmiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Bibliographie 105
vTABLE DES MATIÈRES
viTable des figures
1.1 Fonctionnement de la génération de la base de comportements malicieux
de PIGA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.2 Fonctionnement de la génération de signatures . . . . . . . . . . . . . 11
1.3 Le graphe d’interactions généré à partir de la table 1.1 . . . . . . . . 12
1.4 Le graphe de flux associé au graphe d’interactions de la figure 1.3 . . 14
1.5 Le graphe de transition associé au graphe d’interactions de la figure 1.3 15
2.1 Graphe G et le graphe quotient GP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
2.2 Famille partitive F et son arbre d’inclusion des éléments forts . . . . 36
2.3 Un graphe avec les modules forts et son arbre de décomposition modulaire
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
2.4 Le graphe quotient modulaire du graphe de la figure 2.3 et le graphe
induit de chacun de ses modules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
2.5 Graphe induit d’un module série, son arbre de décomposition modulaire
et le graphe quotient associé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
2.6 Graphe induit d’un module parallèle, son arbre de décomposition modulaire
et le graphe quotient associé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
2.7 Graphe induit d’un module premier, son arbre de décomposition modulaire
et le graphe quotient associé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
2.8 Graphe induit d’un module ordre, son arbre de décomposition modulaire
et son graphe quotient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
2.9 Applications de l’algorithme sur le graphe de la figure 2.3 . . . . . . . 42
3.1 Graphe quotient d’interaction obtenu par application de la décomposition
modulaire non-orientée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
3.2 Graphe quotient de flux obtenu par application de la décomposition
modulaire orientée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
3.3 Le graphe de flux symétrisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
3.4 L’arbre de décomposition modulaire généré à partir du graphe symétrisé 54
3.5 Graphe quotient d’interactions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
3.6 Graphe quotient de flux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
3.7 Ajout des marqueurs au graphe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
3.8 Graphe exemple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
3.9 Extraction des sommets 2 et 8 en utilisant l’algorithme 4 . . . . . . . 61
3.10 Extraction des sommets 2 et 8 en utilisant l’algorithme 5 . . . . . . . 62
3.11 Fonctionnement de la génération de signatures utilisant la décomposition
modulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
viiTABLE DES FIGURES
3.12 Décomposition du module premier du graphe de flux . . . . . . . . . 68
3.13 Distribution cumulative des signatures en fonction de leur longueur . 70
3.14 Distribution cumulative des signatures en fonction de leur longueur . 72
3.15 Distribution cumulative des signatures en fonction de leur longueur . 73
viiiListe des tableaux
1.1 Exemple simplifié d’ensemble de vecteurs d’interactions . . . . . . . . 12
1.2 Exemple de table de changement d’états . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.3 Table de changement d’états de flux avec un mapping de 35 . . . . . 13
1.4 Table de changement d’états de flux avec un mapping de 42 . . . . . 13
1.5 Table de changement d’états de flux utilisée pour générer le graphe
représenté par la figure 1.4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.6 Table de correspondance des transferts d’informations et des interactions
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
1.7 Construction des signatures à partir des séquences de transitions . . . 19
1.8 Table de correspondance des signatures simples . . . . . . . . . . . . 23
1.9 Table de correspondance des signatures composées . . . . . . . . . . . 26
3.1 Taux de compression pour le graphe exemple (figure 3.8a) . . . . . . 67
3.2 Paires source/destination analysées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
3.3 Taux de compression pour le graphe de flux . . . . . . . . . . . . . . 69
3.4 Résultat du calcul de signatures avec un mapping de 35 . . . . . . . . 69
3.5 Composition des niveaux de l’arbre de décomposition modulaire du
graphe de processus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
3.6 Comparaison du nombre de signatures et de la taille de la base suivant
les combinaisons de méthode utilisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
ixLISTE DES TABLEAUX
xListe des Algorithmes
1 Création du graphe d’interactions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
2 Algorithme de détection des signatures simples . . . . . . . . . . . . . 24
3 Génération du graphe quotient orienté . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
4 Extraction des sommets par modification du graphe . . . . . . . . . . 56
5 Extraction d’un sommet par modification de l’arbre de décomposition
modulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
6 Fonction faisant avancer une signature : Avancer(ALERTES, S, I) . 82
7 Algorithme de détection des signatures pouvant contenir des modules
non-consécutifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
8 Algorithme de détection des signatures gérant les boucles sur module 84
xiLISTE DES ALGORITHMES
xiiIntroduction
Du début de la démocratisation d’Internet à aujourd’hui, de Datacrime à l’affaire
Snowden, la sécurité des systèmes informatiques a toujours été un sujet d’actualité.
De nos jours, avec l’utilisation massive d’Internet et des périphériques de stockage
externes, les affaires de piratages ou d’attaques informatiques se multiplient. Elles
touchent les entreprises avec des attaques par déni de service (DOS et DDOS) ou
des vols de données. Par exemple, Sony Online Entertainment en 2011 ou Orange en
2014 ont été victimes de vols de données, tandis que le site WikiLeaks a été victime
d’une attaque de déni de service en 2012.
Mais les attaques informatiques sont maintenant utilisées par les états contre
d’autres états. Une des premières attaques contre un état eut lieu en 2007 contre
l’Estonie. Elle rendit notamment indisponibles les sites gouvernementaux et les sites
des banques. Plus récemment, le virus Stuxnet aurait eu pour objectif de mettre
une centrale nucléaire iranienne hors service. Que ce soit contre une entreprise ou
contre un état, les conséquences économiques des cyberattaques peuvent être très
importantes.
Ces cyberattaques profitent souvent de vulnérabilités des logiciels présents sur les
systèmes informatiques. Or, les systèmes d’exploitation et leurs applications sont de
plus en plus complexes. Cette augmentation de complexité a pour effet de multiplier
les moyens de s’introduire dans le système. Ainsi, les comportements intrusifs sont
nombreux et peuvent être très différents. Les systèmes de détection d’intrusions ont
pour objectif de détecter toute tentative d’intrusion sur un système d’exploitation.
Parmi ces systèmes de détection d’intrusions, PIGA a la particularité de générer une
signature pour chaque comportement intrusif possible sur un système d’exploitation.
Une fois ces signatures générées, il est possible de détecter les tentatives d’intrusion.
Cependant, l’augmentation du nombre de comportements intrusifs possibles conduit
à générer une base de signatures de plus en plus volumineuse. Celle-ci devant être
stockée en mémoire lors de la détection, les performances du système d’exploitation,
sur lequel PIGA est utilisé, s’en trouvent amoindries.
L’objectif de cette thèse est de réduire la quantité de mémoire utilisée par PIGA
pour la détection d’intrusion. Nous avons réduit ce problème, à une diminution du
volume de la base de signatures, son stockage étant la principale source d’utilisation
de la mémoire. Pour cela, nous proposons deux méthodes. La première réduit les
graphes à partir desquels les signatures sont générées. La seconde réduit directement
la base de signatures en supprimant des signatures inutiles suivant le contexte.
1INTRODUCTION
Ce manuscrit est composé de deux parties regroupant quatre chapitres. La première
partie décrit le fonctionnement des deux outils avec lesquels nous avons travaillé.
La seconde partie présente les deux grandes étapes de notre contribution.
Le premier chapitre décrit le fonctionnement de PIGA. Il présente, notamment,
les mécanismes de génération de signatures et de détection. Nous y définissons également
la problématique principale de cette thèse : la réduction de la base de signatures.
Enfin, nous proposons deux solutions différentes à ce problème.
Le deuxième chapitre présente la décomposition modulaire. Cette décomposition
est un outil de la théorie des graphes pouvant être utilisé pour réduire un graphe
en minimisant les pertes d’informations. Ce chapitre présente, en particulier, les
différentes structures liées à la décomposition modulaire, ainsi que le fonctionnement
des algorithmes l’appliquant. Nous montrons également l’intérêt de cet outil pour
notre problématique.
Le troisième chapitre détaille la première partie de notre contribution : la modifi-
cation du système de génération de signatures. Nous y présentons nos deux méthodes
pour réduire le nombre de signatures : une application de la décomposition modulaire
et la suppression par inclusion. Nous montrons que le nouveau système décrit
les mêmes comportements, sans perte ou ajout d’informations, dans le cas de système
dit « propre ». Dans les autres cas, les comportements ajoutés ne sont pas
signifiants pour le système et permettent ainsi d’avoir une bonne réduction de la
taille de la base. Ensuite, nous détaillons plusieurs expérimentations afin d’évaluer
ces méthodes. Enfin, nous montrons les limites d’utilisation de ces méthodes.
Le dernier chapitre décrit la deuxième partie de notre contribution : la modifi-
cation du système de détection. Nous y détaillons les nouveaux cas engendrés par
la nouvelle forme des signatures, ainsi qu’un algorithme de détection permettant de
gérer ces cas. Puis, nous évaluons les performances, en termes de temps d’exécution
et de consommation mémoire, de notre nouveau système de détection.
Nous présentons ensuite une conclusion dans laquelle nous proposons différentes
perspectives à notre travail.
2Première partie
État de l’art
3Chapitre 1
PIGA
1.1 Fonctionnement général
Dans cette section, nous verrons tout d’abord comment PIGA se place par rapport
aux autres systèmes de détection d’intrusions. Nous présenterons les types de
systèmes de détection d’intrusions, les principales méthodes de détection et les critères
d’évaluation de l’efficacité de la détection. Nous reviendrons sur certaines notions
de sécurité telles que les propriétés de sécurité ou les bases de comportements.
Enfin, nous expliquerons le principe de fonctionnement général de PIGA.
1.1.1 PIGA, un système de détection d’intrusions
PIGA (Policy Interaction Graph Analysis) est un système de détection d’intrusions
(IDS) qui a été développé par l’équipe Sécurité et Distribution des Systèmes du
Laboratoire d’Informatique Fondamentale d’Orléans, en particulier durant la thèse
de J. Briffaut.
Les types de systèmes de détection d’intrusions
Le but d’un système de détection d’intrusions est de détecter tout comportement
intrusif effectué par un utilisateur ou un service, sur le système surveillé. Un système
de détection d’intrusions fonctionne par analyse de données, les données dépendant
du type du système de détection d’intrusions. Il existe deux types d’IDS : les systèmes
de détection d’intrusions réseau (Network IDS ou NIDS) et les systèmes de détection
d’intrusions système (Host IDS ou HIDS).
Les HIDS, tels que Samhain [WPRW05] ou OSSEC [Cid04], analysent les données
fournies par le système. Ces données peuvent être, par exemple, des séquences
d’appels système ou des logs, du système d’exploitation ou d’un service en particulier.
PIGA est un système de détection d’intrusions système.
Les NIDS, tels que Snort [Roe99] ou Bro [Pax99], analysent les paquets transitant
sur le réseau. Un des avantages des NIDS est qu’il est possible de protéger plusieurs
systèmes appartenant au même réseau avec un seul HIDS.
51.1. FONCTIONNEMENT GÉNÉRAL
Les méthodes de détection
Il existe deux principales méthodes de détection : la détection par comportement
et la détection par signature.
Le principe de la détection par comportement est de détecter toute utilisation
anormale d’un service ou d’une application [Co80, Den87]. Pour cela, il est d’abord
nécessaire de définir le comportement normal des services et des applications pré-
sents sur le système. Cela passe par une phase d’apprentissage durant laquelle les
services et applications sont utilisés normalement. Cette méthode de détection permet
théoriquement de détecter toutes les attaques, qu’elles soient connues ou non.
Cependant, elle est très dépendante de la qualité et de l’exhaustivité de la phase
d’apprentissage. L’IDS McPAD [PAF+09] utilise ce type de méthode de détection.
Le but de la détection par signature est de détecter les attaques connues [HLR92].
Pour cela, cette méthode utilise une base de signatures d’attaques. La base permet
alors de détecter toutes les attaques dont elle possède la signature. Cependant, cette
méthode ne permet de détecter les attaques inconnues et demande une mise à jour
fréquente de la base de signature. L’IDS ASAX [HLCMM92] utilise ce type de mé-
thode.
PIGA utilise la détection paramétrée par une politique. Cette méthode se rapproche
de la détection par comportement car elle va détecter les attaques grâce à
leur comportement. Cependant, elle ne nécessite pas d’apprentissage. En effet, un
comportement est considéré comme une attaque s’il viole la politique. La principale
difficulté dans l’utilisation de cette méthode est la définition de la politique qui
demande une grande connaissance du système sur lequel l’IDS est installé. L’IDS
décrit dans [KR02] utilise cette méthode.
Critères d’efficacité
L’efficacité d’un système de détection d’intrusions peut être évalué grâce à deux
indicateurs : le taux de faux-positifs et le taux de faux-négatifs. Un faux-positif
correspond à une alerte levée alors qu’il n’y a pas eu d’intrusion, c’est-à-dire une
fausse alerte. Un faux-négatif correspond à l’absence d’alerte levée alors qu’il y a
eu une intrusion, c’est-à-dire une intrusion non détectée. Pour ces deux indicateurs,
plus le taux est bas, plus le système de détection d’intrusions est efficace.
1.1.2 Propriété de sécurité
Nous considérons un système d’informations comme un automate à états finis.
Afin de pouvoir détecter une intrusion, il est nécessaire de pouvoir reconnaître les
comportements intrusifs. Un comportement est considéré comme intrusif s’il ne respecte
pas les conditions établies dans la politique du système de détection d’intrusions.
Ces conditions sont appelées propriétés de sécurité. Les propriétés de sécurité
permettent de définir, de manière concrète, la frontière entre les états sûrs d’un système
et les états non-sûrs. Elles sont généralement définies par l’administrateur et
constituent la politique de sécurité du système. L’intégrité, la confidentialité et la
61.1. FONCTIONNEMENT GÉNÉRAL
disponibilité sont les propriétés de sécurité les plus communes [Dep85].
Dans cette section, nous utiliserons les termes généraux information, entité et
ressource. De façon générale, une information peut notamment correspondre à une
donnée ou au contenu d’un fichier. Une entité peut, par exemple, faire référence à un
utilisateur ou un processus et une ressource, à un service, un fichier ou un composant
matériel.
Confidentialité
La confidentialité est la garantie qu’une entité ne peut pas accéder à une information
sans en avoir l’autorisation. La propriété de confidentialité peut être définie
comme suit :
Définition 1 (Confidentialité [Off91, Dep85, Bis03])
Soit I de l’information et soit X un ensemble d’entités non autorisées à accéder à I.
La propriété de confidentialité de X envers I est respectée si aucun membre de X ne
peut obtenir l’information I de manière entière ou partielle.
La propriété de confidentialité doit empêcher les entités non autorisées à accéder
à l’information confidentielle, tout en permettant aux entités autorisées d’y accéder.
On dit qu’une information est confidentielle pour une entité, si celle-ci ne peut pas
y accéder.
Intégrité
L’intégrité d’une information est la garantie que celle-ci ne peut pas être modifiée
ou détruite, volontairement ou non, par une entité non autorisée. L’intégrité
d’une ressource désigne le fait que celle-ci « fonctionne » correctement. La propriété
d’intégrité peut être définie comme suit :
Définition 2 (Intégrité [Off91, Dep85, Bis03])
Soit X un ensemble d’entités et soit I de l’information ou une ressource. Alors la
propriété d’intégrité de X envers I est respectée si aucun membre de X ne peut
modifier I.
La propriété d’intégrité permet d’empêcher toute modification d’une information
ou d’une ressource par une entité non autorisée.
Disponibilité
La disponibilité est la garantie qu’un ensemble d’entités peut utiliser une information
ou une ressource. La propriété de disponibilité peut être définie comme
suit :
Définition 3 (Disponibilité [Off91, Dep85, Bis03])
Soit X un ensemble d’entités et soit I une ressource. Alors la propriété de disponibilité
de X envers I est respectée si tous les membres de X ont accès à I.
71.1. FONCTIONNEMENT GÉNÉRAL
Séparation des privilèges
Il existe également un ensemble de propriétés correspondant à des cas particuliers.
Cet ensemble correspond aux propriétés d’abus de privilèges. Parmi celles-ci, nous
trouvons la séparation des privilèges. La séparation des privilèges d’une entité sur
un objet empêche l’entité d’exécuter l’objet si elle l’a modifié précédemment. La
propriété de séparation des privilèges peut être définie comme suit :
Définition 4 (Séparation des privilèges)
Soit X un ensemble d’entités et soit O un objet exécutable. Alors la propriété de
séparation des privilèges de X envers O est respectée si aucun membre de X ne peut
exécuter O après l’avoir modifié.
Support des propriétés de PIGA
PIGA est capable de supporter les propriétés précédentes, plus d’autres proprié-
tés telles que :
– La propriété d’absence de changement de contexte.
– La propriété d’exécutables de confiance.
– La propriété de respect des règles de contrôle d’accès.
Cependant, le principe de PIGA réside dans son extensibilité puisqu’il peut facilement
supporter de nouvelles propriétés exprimables au moyen du langage PIGASPL.
1.1.3 Base de comportements malicieux
Afin d’identifier les comportements allant à l’encontre des propriétés de sécurité,
il est nécessaire d’avoir un moyen de les représenter. L’objet représentant l’ensemble
des comportements malicieux est la base de tous les comportements malicieux possibles.
Définition 5 (Base de comportements malicieux)
Une base de comportements malicieux est un objet qui identifie l’ensemble des comportements
illicites pour un système et une politique de sécurité donnés. Une base
de comportements malicieux peut être vue comme une boîte noire qui, pour un comportement
donné, indique si le comportement est licite ou non.
La liste exhaustive de tous les comportements violant la politique de sécurité sur
un système est l’exemple le plus simple de base de comportements malicieux. Le
système de signatures de PIGA, générées à partir de plusieurs graphes représentant
le système ainsi que d’une politique de sécurité, est également un exemple de base
de comportements malicieux.
Cette base énumère exhaustivement toutes les activités système qui sont autorisées
par la politique MAC et qui violent les propriétés définissant la politique PIGA.
L’énumération est possible lorsque l’analyseur PIGA prend, en entrée, une politique
MAC restreignant les états possibles du système. Sur cet ensemble restreint d’états,
l’analyseur PIGA cherche les activités qui correspondent à la violation d’une propriété.
81.1. FONCTIONNEMENT GÉNÉRAL
Figure 1.1 – Fonctionnement de la génération de la base de comportements malicieux
de PIGA
Définition 6 (Équivalence des bases de comportements malicieux)
Deux bases de comportements malicieux sont équivalentes si, pour un même comportement
donné, celui-ci est soit illicite pour les deux bases, soit licite.
1.1.4 Utilisation d’un système de contrôle mandataire
PIGA fonctionne comme une surcouche d’un système de contrôle d’accès mandataire
(MAC). Un système de contrôle d’accès mandataire permet de définir une
politique de d’accès qui ne peut pas être modifiée par les utilisateurs. Les droits
définis par la politique sur un objet ne peuvent pas être modifiés par un utilisateur,
même si celui-ci est propriétaire de cet objet. Ce système s’oppose au système
de contrôle d’accès discrétionnaire (DAC), dans lequel chaque utilisateur définit les
droits d’accès des objets qu’il possède. Une politique de système de contrôle d’accès
mandataire définit les actions autorisées. Ainsi, tout ce qui n’est pas dans la
politique est considéré comme interdit. L’avantage de PIGA est de permettre de
discriminer plus précisément, pour l’ensemble des états autorisés par un système
MAC, les comportements licites et ceux illicites. Durant sa thèse [Bri07], J. Briffaut
a implémenté PIGA sur deux systèmes de contrôle d’accès mandataire : SELinux et
GRSECURITY [AEKBT+05, BBLT06, BBC+06b, BBC+06a].
PIGA utilise la politique du système de contrôle d’accès mandataire pour ré-
cupérer l’ensemble des actions autorisées par le système. Ces actions sont appelées
interactions et sont définies grâce à trois éléments : scsrc le contexte de sécurité
source, sccible le contexte de sécurité cible et eo l’opération élémentaire.
Un contexte de sécurité est une étiquette regroupant des objets du système. Un
contexte peut regrouper un ou plusieurs objets du système mais un objet n’appartient
qu’à un seul contexte. Il existe deux ensembles disjoints de contexte de sécurité :
les contextes sujets et les contextes objets. L’ensemble des contextes sujets représente
les contextes pouvant effectuer des opérations élémentaires. Les contextes ne pou-
91.1. FONCTIONNEMENT GÉNÉRAL
vant pas effectuer d’opération élémentaire appartiennent à l’ensemble des contextes
objets. Une opération élémentaire peut être soit un appel système, soit une opération
spécifique au système de contrôle mandataire. Elle peut être seule (e.g., {write})
ou être associée à une classe (e.g., {file:write}). Cet exemple signifie que l’autorisation
d’écriture ne s’applique qu’aux fichiers.
Ainsi, on peut lire une interaction it = (scsrc, sccible, eo) de cette manière : un
objet du contexte scsrc est autorisé à effectuer l’opération élémentaire eo sur un objet
appartenant au contexte sccible. Par exemple, l’interaction it = (admin_d, shadow_t,
write) signifie que les éléments du contexte admin_t ont l’autorisation d’écriture
sur les éléments du contexte shadow_t. Les administrateurs peuvent donc modifier
le fichier shadow.
À partir des interactions récupérées de la politique du système de contrôle d’accès
mandataire, il est possible de générer des vecteurs d’interactions. Un vecteur d’interactions
contient toutes les opérations élémentaires autorisées pour un contexte
source et un contexte cible donnés.
Le vecteur d’interactions iv du contexte sci sur scj contient toutes les opérations
élémentaires autorisées de sci sur scj
. Ces opérations sont représentées par
un ensemble EOS tel que, si eo ∈ EOS, alors l’interaction it = (sci
, scj
, eo) est
autorisée par la politique du système MAC. Ce vecteur d’interactions est noté
iv = (sci
, scj
, EOS).
1.1.5 Génération de signatures et détection des comportements
illicites
Grâce aux vecteurs d’interactions, PIGA génère un graphe nommé graphe d’interactions
qui représente l’ensemble des interactions autorisées. Il est ensuite possible
de dériver de ce graphe d’autres graphes, tels que le graphe de flux d’informations
ou le graphe de transition. Nous détaillons ces différents graphes ainsi que leur gé-
nération dans la section 1.2.
À partir des différents graphes, PIGA génère les signatures correspondant à l’ensemble
des comportements permettant de violer les propriétés de sécurité décrites
dans sa politique. Suivant le type des propriétés de sécurité, les graphes utilisés
dans la génération des signatures correspondantes sont différents. Le mécanisme de
génération de signatures de PIGA est détaillé dans la section 1.3
La base de signatures obtenue permet à PIGA de détecter les comportements
violant une ou plusieurs propriétés. Le mécanisme de détection de PIGA est détaillé
dans la section 1.4
La génération des graphes et le calcul des signatures sont effectués une seule fois
en mode hors-ligne avant que le système ne soit utilisé. Le système de détection est
en ligne. Durant son utilisation, la base de signatures est chargée en mémoire afin
de détecter, en direct, les comportements violant la politique de sécurité.
La figure 1.2 schématise la génération de signatures liées aux propriétés de confi-
dentialité.
101.2. GRAPHE D’INTERACTIONS ET GRAPHES DÉRIVÉS
Figure 1.2 – Fonctionnement de la génération de signatures
1.2 Graphe d’interactions et graphes dérivés
1.2.1 Graphe d’interactions
PIGA modélise l’ensemble des autorisations, définies par la politique du système
de contrôle d’accès mandataire, sous forme d’un graphe nommé graphe d’interactions.
Ce graphe orienté est construit à partir de l’ensemble des vecteurs d’interactions
issus de la politique du système MAC. On peut donc définir le graphe
d’interactions G = (V, A), tel que :
– V représente l’ensemble des contextes de sécurité impliqués dans une autorisation,
et
– A l’ensemble des autorisations entre ces contextes.
De plus, chaque arc de ce graphe est étiqueté. L’étiquette de l’arc entre le contexte
de sécurité sc1 et le contexte de sécurité sc2 représente l’ensemble des opérations
élémentaires de sc1 sur sc2 autorisées par la politique MAC du système.
user_u:user_r:xserver_t
system_u:object_r:mtrr_device_t
file { write read };
L’exemple ci-dessus représente les opérations élémentaires possibles du contexte
user_u:user_r:xserver_t sur system_u:object_r:mtrr_device_t. C’est-à-dire
que n’importe quel élément, ayant user_u:user_r:xserver_t comme contexte de
sécurité, peut effectuer des opérations de type lecture ou écriture sur les fichiers du
contexte system_u:object_r:mtrr_device_t. SELinux fournit un grand nombre
d’opérations pouvant être autorisées entre différents contextes. La figure 1.3 présente
un graphe d’interactions généré à partir de la table 1.1 présentant un ensemble simplifié
de vecteurs d’interactions. Ce graphe représente les différents mécanismes de
connexion ainsi que les moyens d’accès possibles pour les utilisateurs aux commandes
Linux (contexte bin).
L’algorithme 1 est utilisé pour construire le graphe d’interactions à partir des
vecteurs d’interactions produits par la politique du système de contrôle d’accès mandataire.
111.2. GRAPHE D’INTERACTIONS ET GRAPHES DÉRIVÉS
iv1 ( passwd_d,shadow_t,{read} )
iv2 ( passwd_d,login_d,{transition,signal} )
iv3 ( passwd_d,ssh_d,{transition,signal} )
iv4 ( login_d,admin_d,{transition,write} )
iv5 ( login_d,user_d,{transition,write} )
iv6 ( ssh_d,admin_d,{transition,write} )
iv7 ( ssh_d,user_d,{transition,write} )
iv8 ( user_d,admin_d,{transition,write} )
iv9 ( admin_d,bin_t,{read,write,execute} )
iv10 ( user_d,bin_t,{read,execute} )
Table 1.1 – Exemple simplifié d’ensemble de vecteurs d’interactions
Figure 1.3 – Le graphe d’interactions généré à partir de la table 1.1
1.2.2 Graphes dérivés
Table de changement d’état
À partir du graphe d’interactions, nous pouvons générer d’autres graphes utilisés
pour la génération de signatures. Ces nouveaux graphes sont obtenus en filtrant le
graphe d’interactions sur l’étiquetage. Ces opérations de filtrage peuvent avoir des
conséquences différentes sur les arcs : un arc peut être supprimé du graphe si son
étiquette, une fois filtrée, est vide ; un arc peut aussi changer d’orientation. Le filtrage
est effectué à partir de tables de changement d’état qui diffèrent suivant le graphe
que l’on veut obtenir. Ces tables de changement d’états associent à une opération
Algorithme 1 Création du graphe d’interactions
Entrée: IV S, l’ensemble des vecteur d’interactions de la politique MAC
Sortie: Le graphe d’interactions G = (V, A)
pour tout vecteur d’interactions iv = (scsrc, sccible, EOS) ∈ IV S faire
V ← V ∪ {scsrc} ∪ {sccible}
e ← (scsrc, sccible)
A ← A ∪ {e}
ajoutEtiquette(e,EOS)
retourner G = (V, A)
121.2. GRAPHE D’INTERACTIONS ET GRAPHES DÉRIVÉS
eo1
eo2
eo3
eo4
Table 1.2 – Exemple de table de changement d’états
blk_file : read
chr_file : read
dir:read
fifo_file:read
file:read
lnk_file:read
blk_file:write
chr_file:write
dir:write
fifo_file:write
file:write
lnk_file:write
Table 1.3 – Table de changement d’états de flux avec un mapping de 35
élémentaire un sens d’arc. Si une opération n’apparaît pas dans la table, alors aucun
arc ne la représentera.
Par exemple, on considère un ensemble de 5 opérations élémentaires {eo1, ..., eo5},
et un graphe d’interactions donné. Pour générer un graphe dérivé à partir de la
table 1.2 et d’un graphe d’interactions, il faut ajouter un arc sc1 → sc2 au graphe
dérivé pour chaque arc sc1
eo1 −→ sc2 ou sc1
eo2 −→ sc2 du graphe d’interactions. Les arcs
sc1
eo5 −→ sc2 n’entraînent pas l’ajout d’arc sur le graphe dérivé, car l’opération eo5
n’est pas présente dans la table.
La table de changement d’états est déterminée en fonction d’un fichier de mapping
ainsi que du niveau de sécurité souhaité. Le fichier de mapping associe, à chaque
interaction, un type (w, r, b ou n) ainsi qu’un niveau de criticité. Plus ce niveau est
élevé, plus l’interaction est critique. Le fichier de mapping est tiré de l’outil d’analyse
de politique SELinux apol appartenant à la suite d’outils SETools. Ce fichier a été
modifié par J. Briffaut afin de l’adapter à PIGA. La table 1.3 (resp. 1.4) montre la
table de changement d’états correspondant à un niveau de sécurité de 35 (resp. 42).
dir:read
file:read
dir:write
file:write
Table 1.4 – Table de changement d’états de flux avec un mapping de 42
131.2. GRAPHE D’INTERACTIONS ET GRAPHES DÉRIVÉS
Graphe de flux
Dans le cas de la propriété de confidentialité, la génération de signatures utilise
le graphe de flux FG = (V, A) où V est l’ensemble des contextes de sécurité et A
représente tous les transferts d’informations possibles entre deux contextes de sécurité.
Le graphe de flux est généré à partir du graphe d’interactions, en supprimant
les étiquettes n’impliquant pas de transfert d’informations. Les arcs restants repré-
sentent des interactions de type read ou write. Si une interaction de type write
existe de sc1 sur sc2, alors il y a un transfert d’informations de sc1 vers sc2 et un
arc de sc1 vers sc2 apparaîtra sur le graphe de flux. Si une interaction de type read
existe de sc1 sur sc2, alors il y a un transfert d’informations de sc2 vers sc1 et un arc
de sc2 vers sc1 apparaîtra sur le graphe de flux. La figure 1.4 représente le graphe
de flux généré à partir du graphe d’interactions de la figure 1.3 et de la table de
changement d’états de flux 1.5. Lors des expérimentations sur les systèmes réels,
nous avons utilisé les tables 1.3 et 1.4.
Figure 1.4 – Le graphe de flux associé au graphe d’interactions de la figure 1.3
read
write
signal
transition
Table 1.5 – Table de changement d’états de flux utilisée pour générer le graphe
représenté par la figure 1.4
Graphe de transition
Le graphe de transition permet de représenter les transitions de contextes autorisées.
Il est composé uniquement des contextes sujets du graphe d’interactions
car une transition ne peut se faire qu’entre deux contextes sujets. De plus, ses arcs
sont différents de ceux du graphe d’interactions. Pour chaque vecteur d’interactions
iv = (scsrc, sccible, EOS), le graphe de transition possède un arc a = (scsrc, scdest)
étiqueté par les opérations élémentaires de type transition. La table de changement
d’état de transition indique donc si une opération élémentaire est de type transition.
Si tel est le cas, l’opération élémentaire est associée à . La figure 1.5 représente le
graphe de transition correspondant au graphe d’interactions de la figure 1.3.
141.3. MÉCANISME DE GÉNÉRATION DE SIGNATURES
Figure 1.5 – Le graphe de transition associé au graphe d’interactions de la figure 1.3
1.3 Mécanisme de génération de signatures
1.3.1 Signatures pour PIGA
En utilisant les différents graphes qui ont été définis dans la section précédente,
l’évolution réelle du système peut être vue comme la construction dynamique d’un
graphe représentant les interactions déjà effectuées sur le système. Des informations
temporelles peuvent y être ajoutées. Naturellement, ce graphe est un graphe partiel
du graphe d’interactions défini par la politique MAC. Chaque opération élémentaire
que l’on peut effectuer sur un système d’exploitation (commande système) génère
des opérations système de plus ou moins bas niveau qui passeront par le filtre la
politique MAC.
À l’aide de la modélisation avec le graphe de flux, il est facile de suivre comment
une information transite dans le système et, en particulier, si elle atteint une zone
interdite si on considère une propriété de confidentialité.
PIGA utilise, ainsi, des signatures afin d’identifier les comportements malicieux.
Une signature est un objet permettant de représenter un ou plusieurs comportements
allant à l’encontre d’une propriété de sécurité. Ainsi, une signature est associée à
une propriété de sécurité, tandis qu’une propriété de sécurité engendre plusieurs
signatures. Une signature est composée d’une suite d’actions ordonnée formant un
comportement malicieux. Une signature représente un ensemble d’interactions ordonné.
Théorème 1
La base de signatures de PIGA est équivalente à la liste exhaustive des comportements
autorisés par le système MAC et violant les propriétés de sécurité de la politique
PIGA.
Ce théorème a été prouvé par J. Briffaut dans sa thèse [Bri07].
Les signatures sont calculées à partir des différents graphes générés par PIGA.
Suivant les propriétés de sécurité, les graphes utilisés sont différents. Les signatures
sont calculées pour chaque propriété de la politique de sécurité et forment ainsi la
base de signatures.
Afin de décrire la forme des comportements, nous utiliserons les notations suivantes
:
151.3. MÉCANISME DE GÉNÉRATION DE SIGNATURES
– sc1
eo −→ sc2 : une interaction du contexte sc1 sur le contexte sc2 effectuant
l’opération élémentaire eo.
– sc1 ⇒ sc2 : une séquence d’interactions quelconque du contexte sc1 vers le
contexte sc2
– sc1
trans
−−−→ sc2 : une transition du contexte sc1 vers le contexte sc2
– sc1 ⇒trans sc2 : une séquence de transitions du contexte sc1 vers le contexte
sc2
– sc1 > sc2 : un transfert d’informations de sc1 vers sc2
– sc1 ≫ sc2 : un flux d’informations (une suite de transferts causalement dépendants)
de sc1 vers sc2
De plus, certains types de signatures complexes sont composés de plusieurs comportements
illicites ordonnés dans le temps. Pour les représenter, nous utiliserons la
composition (◦). Ainsi sc3
eo2 −−→ sc4 ◦sc1
eo1 −−→ sc2 signifie que la signature est composée
de l’interaction sc1
eo1 −−→ sc2 suivie de l’interaction sc3
eo2 −−→ sc4.
1.3.2 Cas particulier : la propriété de confidentialité
Durant cette thèse, nous nous sommes concentrés sur la confidentialité. Les expérimentations
de [BRCTZ09] montrent que cette propriété génère le plus grand
nombre de signatures. Dans les expérimentations du chapitre 3, nous verrons qu’une
seule propriété de confidentialité peut engendrer plus de 85000 signatures.
La propriété de confidentialité d’un contexte sc1 pour un contexte sc2 est violée
par un comportement entraînant soit un transfert d’informations direct, soit un flux
d’informations de sc1 vers sc2. Une signature associée à une propriété de confidentialité
peut donc avoir deux formes :
– sc1 > sc2 correspond un transfert d’informations de sc1 vers sc2
– sc1 ≫ sc2 correspond un flux d’informations de sc1 vers sc2
Une signature est donc une séquence représentant une succession de transferts
d’informations possibles. Pour deux contextes de sécurité sc1 et sc2, sign(sc1, sc2)
représente l’ensemble des signatures entre sc1 et sc2. sign(sc1, sc2) peut être calculé
comme l’ensemble des chemins simples entre sc1 et sc2 sur le graphe de flux. Cette
propriété a été prouvée dans la thèse de J.Briffaut [Bri07].
sign(sc1, sc2) = I
chemins simples entre sc1
et sc2 dans le graphe de flux J
(1.1)
Par exemple, pour un système correspondant à la figure 1.3, l’administrateur
souhaite s’assurer que tous les fichiers appartenant au contexte de sécurité shadow_t
ne soient pas accessibles aux utilisateurs (appartenant au contexte user_d). En
considérant le graphe de flux de la figure 1.4, il est possible que de l’information
aille de shadow_t à user_d en seulement 3 étapes sans violer la politique SELinux.
L’analyse du graphe de flux révèle 4 chemins simples violant cette propriété de
sécurité :
– shadow_t → passwd_d → ssh_d → user_d
– shadow_t → passwd_d → login_d → user_d
161.3. MÉCANISME DE GÉNÉRATION DE SIGNATURES
– shadow_t → passwd_d → ssh_d → admin_d → bin_t → user_d
– shadow_t → passwd_d → login_d → admin_d → bin_t → user_d
Tous les comportements ci-dessus sont de la forme shadow_t ≫ user_d et se
décomposent en plusieurs transferts d’informations. Les comportements correspondants
sont donc :
– shadow_t > passwd_d > ssh_d > user_d
– shadow_t > passwd_d > login_d > user_d
– shadow_t > passwd_d > ssh_d > admin_d > bin_t > user_d
– shadow_t > passwd_d > login_d > admin_d > bin_t > user_d
Une fois les chemins obtenus, il est nécessaire, pour chacun d’eux, de connaître
les interactions qui engendrent les transferts d’informations qui les composent. Pour
cela, on utilise la table de changement d’état de flux, utilisée précédemment, pour
générer le graphe de flux.
Ici, nous considérerons la table 1.5. Un transfert d’informations sc1 > sc2 peut
donc correspondre aux interaction sc1
write
−−−→ sc2, sc1
trans
−−−→ sc2 ou sc2
read
−−→ sc1.
La table 1.6 associe les transferts d’informations présents dans les comportements
ci-dessus avec les interactions les engendrant.
shadow_t > passwd_d passwd_d read
−−→ shadow_t
passwd_d > ssh_d passwd_d trans
−−−→ ssh_d
passwd_d > login_d passwd_d trans
−−−→ login_d
ssh_d > admin_d ssh_d write
−−−→ admin_d, ssh_d trans
−−−→ admin_d
login_d > admin_d login_d write
−−−→ admin_d, login_d trans
−−−→ admin_d
admin_d > bin_t admin_d write
−−−→ bin_t
ssh_d > user_d ssh_d write
−−−→ user_d, ssh_d trans
−−−→ user_d
login_d > user_d login_d write
−−−→ user_d, login_d trans
−−−→ user_d
bin_t > user_d user_d read
−−→ bin_t
Table 1.6 – Table de correspondance des transferts d’informations et des interactions
Les signatures obtenues peuvent être générées en format XML afin d’être lisibles.
Voici la signature XML correspondant au comportement :
shadow_t > passwd_d > ssh_d > admin_d > bin_t > user_d.
La signature XML possède un nom et se compose de plusieurs lignes. Le nom
correspond au type de signature et à son numéro. Ici, la signature est la troisième de
type flux d’informations (i.e., associée à une propriété de confidentialité), son nom
est donc inf$3. Ensuite, chaque ligne est composée de plusieurs éléments :
171.3. MÉCANISME DE GÉNÉRATION DE SIGNATURES
– cpt : le numéro du vecteur d’interactions dans la signature ;
– scsource : le contexte de sécurité source du vecteur d’interactions ;
– sctarget : le contexte de sécurité cible du vecteur d’interactions ;
– IV : les opérations élémentaires du vecteur d’interactions.
1.3.3 Autres propriétés de sécurité
Intégrité des objets
La propriété d’intégrité des objets d’un contexte sc1 envers un contexte sc2 peut
être violée de deux façons, soit par une écriture directe de sc1 sur sc2, soit par flux
partant de sc1 et se terminant sur sc2. Par exemple, un accès à un contexte s’effectue
grâce à une séquence de transitions. Ainsi, le contexte sc1 a accès au contexte sci
s’il existe une séquence de transitions de sc1 à sci
. On obtient au moins deux formes
possibles pour les signatures associées à une propriété d’intégrité des objets de sc1
envers sc2 :
– sc1
write
−−−→ sc2 correspond à l’écriture directe de sc1 sur sc2 ;
– sc1 ⇒trans sci
write
−−−→ sc2 correspond à l’accès de sc1 à sci puis à l’écriture directe
de sci sur sc2.
Ainsi, le calcul des signatures pour la propriété d’intégrité des objets nécessite le
graphe d’interactions et le graphe de transition. Les signatures de la forme sc1
write
−−−→
sc2 sont générées uniquement à partir du graphe d’interactions. Pour obtenir ces
signatures, il suffit, pour chaque couple (sc1,sc2), d’analyser l’arc de sc1 vers sc2 puis
de récupérer toutes les opérations élémentaires de cet arc impliquant une écriture.
Ainsi, toutes ces signatures en format XML sont de la forme :
Les signatures de la forme sc1 ⇒trans sci
write
−−−→ sc2 sont générées à partir du
graphe de transition, pour la partie sc1 ⇒trans sci et à partir du graphe d’interactions,
pour la partie sci
write
−−−→ sc2. La construction se fait donc en deux étapes.
Premièrement, le graphe d’interactions est utilisé afin d’obtenir une liste de tous
les voisins du contexte cible sc2 qui peuvent le modifier. Pour cela, pour chaque
voisins scv de sc2, on ajoute ce voisin à la liste si une des opérations élémentaires
étiquetant l’arc (scv,sc2) implique une écriture.
Deuxièmement, le graphe de transition est utilisé pour obtenir toutes les sé-
quences de transitions allant du contexte sc1 aux contextes de la liste générée précé-
demment. Ces séquences de transitions sont des chemins dans le graphe de transition.
À partir de ces séquences de transitions, les signatures sont construites en ajoutant,
à la fin de chacune de ces séquences, l’interaction de type écriture du dernier
contexte de cette séquence sur le contexte destination. Ainsi, pour chaque contexte
intermédiaire sci
, on obtiendra autant de signatures qu’il existe de séquences de
transitions entre sc1 et sci
. La table 1.7 montre la construction des signatures à
partir des séquences de transitions.
181.3. MÉCANISME DE GÉNÉRATION DE SIGNATURES
Séquences de transitions Interaction de type écriture Signatures obtenues
sc1 ⇒trans1 sci sc1 ⇒trans1 sci
write
−−−→ sc2
sc1 ⇒trans2 sci sci
write
−−−→ sc2 sc1 ⇒trans2 sci
write
−−−→ sc2
sc1 ⇒trans3 sci sc1 ⇒trans3 sci
write
−−−→ sc2
Table 1.7 – Construction des signatures à partir des séquences de transitions
Les signatures de la forme sc1 ⇒trans sci
write
−−−→ sc2 en format XML seront de la
forme :
...
Séparation des privilèges
La propriété de séparation des privilèges d’un contexte sc1 envers un contexte
sc2 est violée par deux comportements ordonnés dans le temps. Dans un premier
temps, une modification du contexte sc2 par le contexte sc1 que ce soit directement
ou par accès à un contexte intermédiaire sci
. Dans un second temps, une exécution
du contexte sc2 par le contexte sc1 que ce soit directement ou par accès à un contexte
intermédiaire scj
. On obtient notamment quatre formes possibles pour les signatures
associées à une propriété de séparation des privilèges de sc1 envers sc2. Ces formes
sont des compositions de la modification du contexte sc2 par sc1 et de son exécution :
– sc1
execute
−−−−→ sc2 ◦ sc1
write
−−−→ sc2
– sc1
execute
−−−−→ sc2 ◦ sc1 ⇒trans sci
write
−−−→ sc2
– sc1 ⇒trans scj
execute
−−−−→ sc2 ◦ sc1
write
−−−→ sc2
– sc1 ⇒trans scj
execute
−−−−→ sc2 ◦ sc1 ⇒trans sci
write
−−−→ sc2
Le calcul des signatures pour les propriétés de séparation des privilèges nécessite
donc les graphes de transition et d’interactions. De la même manière que pour
les propriétés d’intégrité des objets, les exécutions directes (sc1
execute
−−−−→ sc2) et les
écritures directes (sc1
write
−−−→ sc2) utilisent uniquement le graphe d’interactions.
Les exécutions et écritures par accès à un contexte intermédiaire (sc1 ⇒trans
scj
execute
−−−−→ sc2 et sc1 ⇒trans sci
write
−−−→ sc2 ) utilisent le graphe de transition pour la
partie sc1 ⇒trans scj et le graphe d’interactions pour les parties sc1
execute
−−−−→ sc2 et
sc1
write
−−−→ sc2.
Les deux composantes des signatures associées à une propriété de séparation des
privilèges peuvent donc être composées d’une à deux parties suivant que l’écriture et
l’exécution s’effectuent de manière directe ou par accès à un contexte intermédiaire.
191.3. MÉCANISME DE GÉNÉRATION DE SIGNATURES
La composante liée à la modification du contexte cible se construit de la même
manière que les signatures associées à une propriété d’intégrité des objets. Cette
composante a également la même forme que les signatures correspondant à une
propriété d’intégrité des objets :
– Si la composante est de la forme sc1
write
−−−→ sc2, elle sera, sous format XML, de
la forme :
– Si la composante est de la forme sc1 ⇒trans sci
write
−−−→ sc2, elle sera, sous format
XML, de la forme :
...
La composante liée à l’exécution du contexte cible se construit de manière similaire
à la composante précédente. En effet, si la composante est de la forme
sc1
execute
−−−−→ sc2, elle est générée à partir du graphe d’interactions. Pour obtenir ces
composantes, il suffit, pour chaque couple (sc1, sc2), d’analyser l’arc de sc1 vers sc2
et de ne conserver que ceux impliquant une exécution. Ces composantes sont sous
la forme suivante en format XML :
Si la composante est de la forme sc1 ⇒trans sci
execute
−−−−→ sc2 , elle est générée à
partir du graphe de transition pour la partie sc1 ⇒trans sci et à partir du graphe
d’interactions pour la partie sci
execute
−−−−→ sc2. La construction se fait donc en deux
étapes de la même manière que la composante liée à la modification. Ces composantes
sont donc sous la forme suivante, en format XML :
...
Ainsi, pour chaque propriété de séparation des privilèges, on obtient un ensemble
de signatures pour chacune des deux composantes de la propriété.
201.4. MÉCANISME DE DÉTECTION
1.4 Mécanisme de détection
1.4.1 Fonctionnement général
Afin de détecter la complétion des signatures, le mécanisme de détection utilise
des traces d’interactions. Ces traces sont générées à partir de l’audit du noyau.
Chaque fois qu’une interaction (un appel système) est réalisée au niveau du noyau,
SELinux génère une trace contenant plusieurs informations et notamment :
– la description de l’interaction, c’est-à-dire le contexte source et destination
ainsi que l’opération élémentaire effectuée ;
– la date à laquelle l’interaction a été effectuée.
Le but du mécanisme de détection est de lancer des alertes chaque fois qu’une
signature est reconnue, c’est-à-dire lorsque toutes les interactions qui la composent
ont été effectuées dans l’ordre défini dans la signature. Pour chaque signature, on
définit une interaction pendante qui correspond à la prochaine interaction qui fera
progresser la signature. Dès que l’interaction pendante est effectuée, l’interaction
suivante devient l’interaction pendante, la signature progresse. Lorsque la dernière
interaction d’une signature est effectuée alors que celle-ci est pendante, une alerte
est levée. En effet, aucune alerte n’est levée dans le cas où la dernière interaction
d’une signature est effectué alors qu’elle n’est pas pendante, car cela signifie que
toutes les interactions précédentes n’ont pas été effectuées ou qu’elles n’ont pas été
effectuées dans l’ordre défini par la signature.
Le mécanisme de détection de PIGA peut être utilisé dans deux modes différents.
Le premier mode est le live qui permet de détecter en direct si une propriété de sé-
curité est violée par un utilisateur. Si PIGA est configuré en tant qu’IDS, une alerte
sera alors levée. Si PIGA est configuré en tant qu’IPS, l’action violant la propriété
sera bloquée. Le second est le rejeu des traces. Ces traces représentent généralement
la suite d’actions effectuées lors d’une session d’un utilisateur. Durant cette thèse,
nous avons utilisé uniquement le mode rejeu de trace pour tester les performances du
nouveau système de détection. Cela permet, en particulier, de comparer l’efficacité
de deux systèmes sur exactement les mêmes actions.
Voici les principaux éléments composant une ligne d’un fichier de trace :
(1) Mar 25 14:58:15
(2) read
(3) pid=2323 ppid=2322
(4) dpid=2442 dppid=2434
(5) scontext=passwd_d
(6) tcontext=shadow_t
(7) tclass=file
Les 7 éléments correspondent à :
– (1) La date et l’heure à laquelle l’interaction a été effectuée.
– (2) L’opération élémentaire effectuée lors de l’interaction.
– (3) Le numéro du processus (PID) ainsi que celui du processus parent (PPID)
auquel appartient le contexte source.
211.4. MÉCANISME DE DÉTECTION
– (4) Le numéro du processus (PID) ainsi que celui du processus parent (PPID)
auquel appartient le contexte destination.
– (5) Le contexte source de l’interaction.
– (6) Le contexte cible de l’interaction.
– (7) La classe de l’opération élémentaire effectuée lors de l’interaction.
Ainsi, cette ligne de trace correspond à l’interaction passwd_d file:read
−−−−−→ shadow_t
effectuée le 25 mars à 14h58 et 15 secondes par le processus no 2323 qui a pour
processus parent le processus no 2322.
1.4.2 Monitoring et progression des signatures
Avant de pouvoir analyser les traces afin de faire progresser les signatures, PIGA
crée une table de correspondance associant, à chaque couple source/cible possible, les
signatures comportant une interaction associée à ce couple. Le processus de détection
est différent suivant que les signatures sont simples ou sont composées. Les signatures
liées à une propriété de confidentialité ou d’intégrité sont simples, tandis que celles
liées à une propriété de séparation des privilèges sont composées.
Dans cette section, nous illustrons, au travers d’explications simples, les méthodes
générales décrites dans la thèse de J. Briffaut [Bri07].
Cas des signatures simples
Tout au long de cette section, nous utilisons les signatures, ainsi que la trace
suivante pour illustrer le fonctionnement du mécanisme de détection pour les signatures
simples. Afin de simplifier la lecture de la trace, nous gardons uniquement
l’opération élémentaire, ainsi que les contextes source et destination.
Signatures :
Trace :
1: Jan 13 10:12:06 read scontext=passwd_d tcontext=shadow_t
2: Jan 13 10:12:52 read scontext=user_d tcontext=bin_t
3: Jan 13 10:13:03 signal scontext=passwd_d tcontext=ssh_d
4: Jan 13 10:13:10 transition scontext=passwd_d tcontext=ssh_d
5: Jan 13 10:13:21 transition scontext=passwd_d tcontext=login_d
221.4. MÉCANISME DE DÉTECTION
(passwd_d, shadow_t) inf$1,inf$2
(passwd_d, ssh_d) inf$1
(ssh_d, user_d) inf$1
(passwd_d, login_d) inf$2
(login_d, admin_d) inf$2
(admin_d, bin_t) inf$2
(user_d, bin_t) inf$2
Table 1.8 – Table de correspondance des signatures simples
6: Jan 13 10:13:28 read scontext=ssh_d tcontext=user_d
7: Jan 13 10:13:40 write scontext=ssh_d tcontext=admin_d
8: Jan 13 10:14:00 read scontext=ssh_d tcontext=user_d
À partir des signatures ci-dessus, on obtient la table de correspondance 1.8.
Avant de débuter l’analyse des traces, la première interaction de chaque signature
simple est définie comme pendante. Les signatures sont dans l’état suivant (les
interactions encadrées sont pendantes) :
shadow_t → passwd_d → ssh_d → user_d
shadow_t → passwd_d → login_d → admin_d → bin_t → user_d
Pour chaque ligne de trace, on récupère la paire de contextes source/destination
impliqués. On utilise la table de correspondance pour obtenir les signatures qui
contiennent une interaction impliquant cette paire. Ensuite, pour chaque signature
retenue, on vérifie si l’opération élémentaire de la ligne de trace en cours correspond
à une des opérations possibles de l’interaction contenue dans la signature. S’il n’y a
pas correspondance, la signature ne progresse pas. Sinon, si l’interaction pendante
n’est pas la dernière de la signature, celle-ci progresse. Dans le cas contraire, une
alerte est levée et l’interaction pendante le reste. L’alerte contient le numéro de la
signature complétée, la signature dans son intégralité, l’interaction ayant complété
la signature, ainsi que la date et l’heure où celle-ci a été effectuée.
Pour notre exemple, la première ligne correspond à une interaction du contexte
passwd_d sur le contexte shadow_t. D’après la table de correspondance 1.8, les
signatures inf$1 et inf$2 comportent une interaction impliquant cette paire de
contextes. Cette interaction est pendante sur ces signatures et possède l’opération
read dans les opérations élémentaires possibles. Les deux signatures progressent, l’interaction
passwd_d → ssh_d devient l’interaction pendante pour inf$1 et passwd_d
→ login_d devient l’interaction pendante pour inf$2.
La deuxième ligne correspond à une interaction de user_d sur bin_t. Seule la
signature inf$2 comporte cette interaction mais celle-ci n’est pas pendante sur le
signature. Cette dernière ne progresse donc pas.
La troisième ligne correspond à une interaction de passwd_d sur ssh_d. Seule la
signature inf$1 comporte cette interaction et celle-ci pendante. Cependant, elle ne
possède pas l’opération signal comme opération élémentaire possible. La signature
ne progresse donc pas.
231.4. MÉCANISME DE DÉTECTION
La quatrième ligne fait progresser la signature inf$1. À la fin de l’analyse de
cette ligne, les signatures sont dans l’état suivant :
shadow_t → passwd_d → ssh_d → user_d
shadow_t → passwd_d → login_d → admin_d → bin_t → user_d
La cinquième ligne fait progresser la signature inf$2. La sixième ligne devrait
faire progresser la signature inf$1. Cependant, l’interaction pendante de cette signature
est la dernière interaction. Une alerte est donc levée et l’interaction reste
pendante :
13 Mar 10:13:28 shadow_t-->passwd_d-->ssh_d-->user_d ssh_d->user_d:write;
La septième ligne fait progresser la signature inf$2. La huitième lève une seconde
alerte pour la signature inf$1 :
13 Mar 10:14:00 shadow_t-->passwd_d-->ssh_d-->user_d ssh_d->user_d:write;
À la fin de la lecture de la trace, les signatures sont dans l’état suivant :
shadow_t → passwd_d → ssh_d → user_d
shadow_t → passwd_d → login_d → admin_d → bin_t → user_d
L’algorithme 2 correspond au mécanisme de détection des signatures simples. Il
prend en paramètres une trace, c’est-à-dire un ensemble ordonné d’interactions, et
une base de signatures. La sortie de cet algorithme est l’ensemble des alertes levées
par la complétion de signatures lors de l’analyse de la trace. On considère que I ∈ S
est vrai si l’interaction I est une étape de la signature S. La fonction Pendante(S)
renvoie l’interaction pendante de la signature S. La fonction Suivant(S) renvoie
l’interaction suivant l’interaction pendante de S. Enfin, la fonction Alerte(S, I) crée
une alerte de complétion de la signature S par l’interaction I.
Algorithme 2 Algorithme de détection des signatures simples
Entrée: BASE un ensemble de signatures,
TRACE un ensemble ordonné d’interactions
Sortie: ALERTES l’ensemble des alertes levées par la complétion des signatures
1: ALERTES ← ∅
2: pour tout interaction I(x → y) ∈ TRACE faire
3: pour tout signature S ∈ BASE telle que I ∈ S faire
4: si Pendante(S) = I alors
5: si Suivant(S) = ∅ alors
6: ALERTES ← ALERTES ∪ Alerte(S, I)
7: sinon
8: Pendante(S) ← Suivant(S)
Cet algorithme parcourt toutes les signatures pour chaque ligne de la trace. Puis,
à chaque étape, une signature peut soit avancer soit ne rien faire. L’action d’avancer
une signature s’effectue en temps constant. La complexité en temps de l’algorithme 2
241.4. MÉCANISME DE DÉTECTION
est donc en O(s.t) où s représente le nombre de signatures de la base et t le nombre
de lignes de la trace.
Lors de son déroulement, cet algorithme conserve uniquement en mémoire toutes
les signatures ainsi que leur avancement. L’avancement de chaque signature prenant
une place fixe en mémoire, la complexité en espace est donc en O(S) où S représente
la base de signatures.
Cas des signatures composées
Dans cette section, nous traiterons deux propriétés (p et q) de séparation des
privilèges de la forme C
p
2 ◦ C
p
1
et C
q
2 ◦ C
q
1 où C
p
1
(resp. C
q
1
) correspond à la composante
de modification de la propriété p (resp. q) et C
p
2
(resp. C
q
2
) correspond à la
composante d’exécution de la propriété p (resp. q).
Avant de débuter l’analyse des traces, la première interaction de chaque composante
de chaque propriété est définie comme active et les composantes initiales
de chaque propriété sont définies comme complétables. Dans le cas de la séparation
des privilèges, il s’agit des composantes de modification (C1) du contexte cible. La
progression de ces composantes s’effectue de la même manière que celle des signatures
simples. Quand une des composante est complétée, si elle est complétable, les
autres composantes complétables appartenant à la même propriété sont désactivées
et les composantes suivantes sont définies comme complétables. Sinon la composante
complétée reste dans le même état. Pour la séparation des privilège, une fois une
composante de modification (C1) complétée, les composantes d’exécution (C2) de
la même propriété sont activées. Lorsqu’une des composantes finales est complétée
alors qu’elle est complétable, une alerte est levée et toutes les composantes appartenant
à la même propriété restent dans l’état courant.
Pour illustrer le mécanisme de détection des signatures composées, nous utiliserons
les propriétés de séparation des privilèges de ssh_d envers bin_t et de user_d
envers bin_t. Voici leur composition :
Composantes de modification de bin_t par ssh_d (C
p
1
) :
– ssh_d trans
−−−→ admin_d write
−−−→ bin_t (1)
– ssh_d trans
−−−→ user_d trans
−−−→ admin_d write
−−−→ bin_t (2)
Composantes d’exécution de bin_t par ssh_d (C
p
2
) :
– ssh_d trans
−−−→ admin_d execute
−−−−→ bin_t (3)
– ssh_d trans
−−−→ user_d execute
−−−−→ bin_t (4)
– ssh_d trans
−−−→ user_d trans
−−−→ admin_d execute
−−−−→ bin_t (5)
Composante de modification de bin_t par user_d (C
q
1
) :
– user_d trans
−−−→ admin_d write
−−−→ bin_t (6)
Composantes d’exécution de bin_t par user_d (C
q
2
) :
– user_d execute
−−−−→ bin_t (7)
251.4. MÉCANISME DE DÉTECTION
(ssh_d, user_d) 2,4,5
(ssh_d, admin_d) 1,3
(admin_d, bin_t) 1,2,3,5,6,8
(user_d, admin_d) 2,5,6,8
(user_d, bin_t) 4,7
Table 1.9 – Table de correspondance des signatures composées
– user_d trans
−−−→ admin_d execute
−−−−→ bin_t (8)
Dans le cas de signatures composées, la table de correspondance associe les paires
source/cible aux composantes les utilisant. La table 1.9 représente la table de correspondance
générée à partir des composantes précédentes.
Durant cette exemple nous analyserons la trace suivante :
1: Jan 13 10:12:06 transition scontext=ssh_d tcontext=user_d
2: Jan 13 10:12:52 transition scontext=ssh_d tcontext=admin_d
3: Jan 13 10:13:03 write scontext=admin_d tcontext=bin_t
4: Jan 13 10:13:10 transition scontext=user_d tcontext=admin_d
5: Jan 13 10:13:21 execution scontext=user_d tcontext=bin_t
6: Jan 13 10:13:28 write scontext=admin_d tcontext=bin_t
Avant d’analyser la trace, la première interaction de chaque composante est activée
et les composantes 1, 2 et 6 sont définies comme complétables.
ssh_d trans
−−−→ admin_d write
−−−→ bin_t (1)
ssh_d trans
−−−→ user_d trans
−−−→ admin_d write
−−−→ bin_t (2)
ssh_d trans
−−−→ admin_d execute
−−−−→ bin_t (3)
ssh_d trans
−−−→ user_d execute
−−−−→ bin_t (4)
ssh_d trans
−−−→ user_d trans
−−−→ admin_d execute
−−−−→ bin_t (5)
user_d trans
−−−→ admin_d write
−−−→ bin_t (6)
user_d execute
−−−−→ bin_t (7)
user_d trans
−−−→ admin_d execute
−−−−→ bin_t (8)
Après analyse de la ligne 3, la composante 1 est complétée. Les autres composantes
complétables de la propriété de séparation de privilèges de ssh_d envers
bin_t, c’est-à-dire la composante 2, sont désactivés. De plus, ces composantes suivantes,
c’est-à-dire les composantes 3, 4 et 5, sont définies comme complétables.
ssh_d trans
−−−→ admin_d write
−−−→ bin_t (1)
ssh_d trans
−−−→ user_d trans
−−−→ admin_d write
−−−→ bin_t (2)
ssh_d trans
−−−→ admin_d execute
−−−−→ bin_t (3)
ssh_d trans
−−−→ user_d execute
−−−−→ bin_t (4)
261.5. APPLICATION
ssh_d trans
−−−→ user_d trans
−−−→ admin_d execute
−−−−→ bin_t (5)
user_d trans
−−−→ admin_d write
−−−→ bin_t (6)
user_d execute
−−−−→ bin_t (7)
user_d trans
−−−→ admin_d execute
−−−−→ bin_t (8)
Après analyse de la ligne 5, la composante 5 est complétée. Celle-ci faisant partie
des composantes finales, une alerte est levée pour la propriété correspondante et
toutes les composantes complétables de cette propriété restent dans l’état précédant
l’analyse de cette ligne. La composante complétée est en attente d’une autre complé-
tion de la signature. La composante 8 n’est pas complétée car elle n’est pas définie
comme complétable.
ssh_d trans
−−−→ admin_d write
−−−→ bin_t (1)
ssh_d trans
−−−→ user_d trans
−−−→ admin_d write
−−−→ bin_t (2)
ssh_d trans
−−−→ admin_d execute
−−−−→ bin_t (3)
ssh_d trans
−−−→ user_d execute
−−−−→ bin_t (4)
ssh_d trans
−−−→ user_d trans
−−−→ admin_d execute
−−−−→ bin_t (5)
user_d trans
−−−→ admin_d write
−−−→ bin_t (6)
user_d execute
−−−−→ bin_t (7)
user_d trans
−−−→ admin_d execute
−−−−→ bin_t (8)
À la fin de l’analyse de la trace, la composante 6 est complétée. Les composantes
7 et 8 sont donc définies comme complétables.
1.5 Application
Afin de tester les performances de PIGA en conditions réelles, l’équipe SDS a
mis en place un pot de miel sur lequel PIGA IDS a été installé. De plus, le LIFO a
participé au défi sécurité Sec&Si organisé par l’ANR. Le but du défi était de proposer
un système d’exploitation sécurisé basé sur Linux.
Enfin, PIGA a été adapté afin de l’utiliser pour sécuriser d’autres systèmes que
Linux, notamment Windows et des architectures en nuage.
1.5.1 Honeypot
Durant deux ans, PIGA a été utilisé sur un pot de miel à haute interaction afin
d’en tester l’efficacité [BRCTZ09]. Un pot de miel est un système rendu volontairement
accessible et vulnérable aux attaques. Il peut être notamment utilisé pour
obtenir des données sur les attaques mises en place par les potentiels attaquants.
Le pot de miel était composé d’une passerelle, d’un serveur et d’un poste de
travail. Plus de 1 300 000 signatures ont été calculées à partir de la politique de
271.5. APPLICATION
sécurité mise en place.
En deux ans, le pot de miel a subi plus de deux millions d’attaques mais n’a
jamais été corrompu.
1.5.2 Défi sécurité
De 2008 à 2010, le LIFO a participé, avec deux autres équipes, au défi Sec&Si
organisé par l’ANR [BPT+11]. Le but de ce défi était de déployer un système d’exploitation
sécurisé basé sur Linux. Ce système d’exploitation devait comporter un
navigateur web, un lecteur de pdf, un lecteur de mails ainsi qu’une suite bureautique.
De plus, il devait permettre d’accéder de manière sécurisée à différents services tels
que le paiement en ligne, la télédéclaration d’impôts ou les services banquiers en
ligne.
Le défi se décomposait en trois phases identiques successives, chacune composée
de deux étapes. La première étape était la conception, le développement ainsi que
l’amélioration du système d’exploitation. La seconde était la phase d’attaque, chaque
équipe tentant de trouver des vulnérabilités dans le système d’exploitation des autres
équipes.
Chaque équipe était évaluée en fonction du nombre de vulnérabilités de leur
système d’exploitation et de la gravité des attaques réussies (attaque théoriques
ou réelles). Le nombre de vulnérabilité que chaque équipe trouvait sur les autres
systèmes était également pris en compte. L’équipe du LIFO a remporté le défi en
proposant PIGA-OS et a remporté les trois phases du défi.
1.5.3 Adaptation de PIGA
PIGA a été initialement développé pour Linux. Plusieurs projets sont en cours
afin d’adapter PIGA à d’autres systèmes.
PIGA-Windows
En partenariat avec le CEA-DAM, PIGA-Windows offre un système MAC pour
Windows similaire à SELinux et qui permet d’utiliser PIGA sur Windows 7 [BGBT12].
PIGA-Windows possède ainsi deux niveaux de contrôle d’accès mandataire. Le premier
est un driver noyau inspiré par le système MAC SELinux gérant les propriétés
de sécurité simples. Le second est un processus, nommé PIGA-Monitor, utilisant le
driver noyau et gérant les propriétés de sécurité définissant la politique de PIGA.
PIGA-Cloud
En partenariat avec Alcatel-Lucent, le projet Seed4C 1 vise à mettre en place un
moyen de sécuriser les infrastructures en nuage [ABB+12]. PIGA-Cloud est composé
de trois mécanismes de protection : le contrôle du système d’exploitation, le contrôle
des machines virtuelles et le contrôle de la machine virtuelle Java (JVM). Chaque
1. Seed4C est un projet européen impliquant de nombreux partenaires : http://www.
celticplus-seed4c.org/
281.6. CONCLUSION
machine virtuelle possède une instance de SELinux en plus de celle du système
d’exploitation. Un système MAC développé pour la JVM, SEJava, offre également
une protection similaire à SELinux et empêche de profiter des vulnérabilités de
la JVM. PIGA-Shared offre des propriétés de PIGA pour ces différents types de
systèmes MAC.
1.6 Conclusion
Les applications autour du pot de miel et du défi sécurité ont permis de montrer
que PIGA est une solution viable pour une utilisation réelle. De plus, les travaux
récents sur le Cloud et Java montrent l’extensibilité de l’approche.
1.6.1 Efficacité de PIGA
La première place de PIGA au défi sécurité est liée à la facilité d’expression
des propriétés et à l’énumération complète de vulnérabilités, qui permet de bloquer
des comportements complexes impliquant, notamment, des transitions ou des flux
d’informations indirects.
Toutefois, cette exhaustivité est théorique. En effet, si les différents graphes représentant
le système sont trop grands, il est possible que les ressources du système
les calculant soient insuffisantes. Les signatures sont alors limitées en taille afin de
permettre aux calculs de s’effectuer. Cette limitation n’a cependant qu’un impact
léger sur la sécurité du système car, plus une signature est grande, plus l’attaque
qu’elle représente est complexe et difficile à mettre en place. Les signatures non gé-
nérées représentent donc les comportements illicites les plus difficiles à réaliser. De
plus, la génération de signatures s’effectuant hors-ligne, elle peut être externalisée,
afin d’effectuer les calculs de signatures sur un système possédant plus de ressources.
L’exhaustivité de PIGA conduit à devoir gérer une base de signatures très volumineuse.
La taille de cette base est directement liée à la taille du système et de
la politique MAC. En effet, plus la politique MAC contient de règles et plus les
contextes représentant le système sont nombreux, plus les signatures seront nombreuses
et de taille importante. Or, celles-ci doivent être chargées en mémoire lors
de la détection. La taille de la base de signatures peut donc nuire aux performances
des systèmes protégés par PIGA.
L’approche PIGA a deux avantages. Premièrement, des nouveaux types de propriétés
peuvent facilement être ajoutés à la politique à condition que ceux-ci soient
modélisables à partir des différents graphes. Deuxièmement, la forme des signatures
permet au mécanisme de détection d’indiquer rapidement si une action est autorisée
ou non. Cependant, si ce temps de réponse est faible, celui-ci augmente avec le
nombre et la taille des signatures.
L’une des difficultés majeures de l’utilisation de PIGA est sa mise en place. En
effet, son installation est assez intrusive pour le système. Il est notamment nécessaire
de patcher le noyau de Linux afin d’avoir accès aux appels système et de pouvoir
les bloquer. De plus, la définition de la politique de sécurité demande une bonne
connaissance des contextes de sécurité et de ce qu’ils représentent. En effet, une
291.6. CONCLUSION
propriété de sécurité trop générale engendrerait le blocage de comportement nonmalicieux.
1.6.2 Problématique
Définition du problème
Tout au long de l’utilisation d’un système d’exploitation, le nombre d’applications
installées sur ce système augmente de manière naturelle. Ces applications ne peuvent
pas s’intégrer à un ou plusieurs contextes existants. Par conséquent, l’installation de
nouvelles applications implique la création de nouveaux contextes, ainsi que l’ajout
ne nouvelles propriétés de sécurité à la politique. Le but de cette étude est d’améliorer
l’extensibilité de PIGA et ainsi, permettre un meilleur passage à l’échelle. En effet,
un des problèmes impliqués par l’ajout d’applications est l’augmentation du nombre
de signatures générées par PIGA, ainsi que l’augmentation de leur taille.
Durant cette thèse, nous nous intéressons donc au problème de la taille de la
base de signatures. Cette base peut atteindre plusieurs centaines de Mo, notamment
si le système à sécuriser possède une interface graphique. En effet, la présence d’une
telle interface augmente de manière importante le nombre de contextes de sécurité
et donc la taille du graphe d’interactions. Les signatures étant des chemins dans
les différents graphes dérivés du graphe d’interactions, leur nombre peut augmenter
considérablement.
Afin de gagner l’espace mémoire, on peut soit envisager une compression classique
de la base de signatures initiale par de algorithmes de compression de données, soit
utiliser des méthodes de factorisation. Dans les deux cas, le mécanisme de détection
doit conserver sa capacité à gérer l’avancement des signatures et à lever des alertes
quand c’est nécessaire. Dans le cadre d’une compression classique, il est possible de
décompresser uniquement les signatures qui sont "actives" et d’utiliser la méthode
initiale de détection déjà intégrée à PIGA. Le problème d’une telle approche est que,
au cours du temps, toutes les signatures seront activées et devront être intégrées dans
la partie détection. Cette approche ne tient donc pas sur l’échelle du temps. Dans le
cas d’une factorisation des signatures, le mécanisme de détection doit être repensé
pour prendre en compte les modifications induites par cette factorisation. Ces modi-
fications peuvent notamment concerner la forme des signatures. L’approche utilisée
dans cette thèse est de rechercher les signatures ayant des similarités et les factoriser
dans un nombre réduit de signatures.
Nous avons alors considéré deux types d’approches travaillant sur des structures
de données différentes. Premièrement, nous pouvons travailler sur le graphe d’interactions.
En effet, dans la mesure où les signatures sont des chemins dans des graphes
dérivés de celui-ci, si nous réduisons la taille de ce graphe, alors nous diminuerons le
nombre de signatures générées. Deuxièmement, nous pouvons travailler directement
sur la base de signatures. Dans ce cas, nous nous posons deux questions :
– Est-il possible de changer la structure de la base de manière à en diminuer la
taille ?
– Est-il possible de supprimer des éléments de la base ?
301.6. CONCLUSION
Quel que soit le type d’approche, le traitement de notre problème s’effectue sous
plusieurs contraintes.
Tout d’abord, il est nécessaire que la base de signatures générée par notre solution
soit équivalente à la base originale. Cela ce traduit par deux contraintes.
Premièrement, tout comportement représenté par une signature dans la base de
signatures original doit être également représenté dans la base générée par notre
solution. Deuxièmement, il ne doit pas exister de comportement représenté dans la
base générée par notre solution qui ne soit pas représenté dans la base originale.
De plus, il est nécessaire de conserver la génération à partir d’un graphe repré-
sentant le système, afin de respecter le fonctionnement de PIGA.
Le calcul de signatures s’effectuant hors-ligne, le temps pris par celui-ci n’est pas
réellement restrictif.
Nous nous sommes ici intéressés aux signatures générées par les propriétés de
confidentialité, car ce sont les propriétés générant le plus de signatures. De plus, ces
signatures sont simples à calculer, car elles sont uniquement composées d’un chemin
dans le graphe de flux.
Approches
Durant cette thèse, nous avons étudié deux approches différentes.
La première approche apporte une modification des graphes utilisés lors de la
génération de signatures. Dans le cas des propriétés de confidentialité, les graphes
impliqués sont les graphes d’interactions et de flux. Afin de réduire la taille de ces
graphes, nous regroupons les sommets ayant le même comportement sous forme d’un
méta-sommet (ou module). On considère que deux sommets ont le même comportement
s’ils possèdent le même voisinage. Dans un graphe orienté, deux sommets
ont le même comportement s’ils ont les mêmes successeurs et les mêmes prédécesseurs.
Ainsi, sur le graphe de flux de la figure 1.4, les sommets login_d et ssh_d
ont le même comportement. En effet, ils ont tous les deux passwd_d comme pré-
décesseur et, admin_d et user_d comme successeurs. Nous pouvons donc regrouper
ces sommets dans un seul méta-sommet. Dans la section 1.3, nous avons calculé
quatre signatures de shadow_t vers user_d, après regroupement des deux sommets,
on obtient deux signatures :
– shadow_t > passwd_d > méta-sommet > user_d
– shadow_t > passwd_d > méta-sommet > admin_d > bin_t > user_d
Cette approche consiste à travailler sur le graphe, il est donc difficile de savoir si le
temps de calcul de la base de signature va être augmenté ou diminué. En effet, il est
nécessaire de calculer le nouveau graphe ce qui implique une augmentation du temps
nécessaire. Cependant, le graphe obtenu étant plus petit, la recherche de signature
peut être plus rapide.
La seconde approche cherche à supprimer les signatures qui ne sont pas complé-
tables à cause de la présence d’autres signatures dans la base. Durant notre étude,
nous nous intéressons aux signatures représentant un comportement incluant un
autre comportement interdit. Par exemple, considérons les comportements suivants
comme interdits :
311.6. CONCLUSION
– ssh_d > admin_d > bin_t
– shadow_t > passwd_d > ssh_d > admin_d > bin_t > user_d
La deuxième signature n’est pas complétable car il inclut la première qui est interdite.
Nous pouvons donc supprimer la deuxième signature. Cette approche consiste à
travailler directement sur la base de signatures, après que le calcul des signatures
soit effectué. Le temps total nécessaire pour obtenir la base réduite est donc plus
long que le temps du calcul de la base originale.
Il est intéressant de constater que ces deux approches sont combinables. Cependant,
nous verrons dans la section 3.5 que chacune de ces approches possède des
limites d’utilisation.
32Chapitre 2
Décomposition modulaire
Au chapitre précédent, nous avons vu l’intérêt de grouper les sommets (i.e. les
contextes de sécurité) ayant globalement le même comportement vis-à-vis du reste
du système. Dans ce chapitre, nous présenterons l’outil théorique qui permet d’effectuer
cette opération sur des graphes quelconques : la décomposition modulaire.
Ce chapitre se base sur les travaux de C. Paul [Pau06, HP10], F. De Montgol-
fier [dM03, MdM05] et M. Rao [Rao06].
Dans la section 2.1, nous verrons les fondements théoriques de cette décomposition.
Puis, dans la section 2.2, nous présenterons la notion de module d’un graphe,
ainsi que les structures qu’il est possible de générer à partir de cette notion. Ensuite,
dans la section 2.3, nous étudierons les algorithmes de décomposition modulaire
pour les graphes orientés et non-orientés ainsi que leur complexité. Enfin, nous verrons,
dans la section 2.4, quelques applications de la décomposition modulaire à des
problèmes de la théorie des graphes ainsi qu’à des problèmes pratiques.
2.1 Fondements théoriques
Pour ce chapitre, nous supposons que le lecteur est familier avec les notions
principales de la théorie des graphes. On pourra se référer aux ouvrages de ré-
férence [Ber85, BM08, Epp99]. Pour plus de clarté, nous utiliserons les notations
suivantes. Pour tout graphe G = (V, E) :
– AG(n) représente l’ensemble des sommets adjacents au sommet n dans le
graphe G ;
– AG(n) représente l’ensemble des sommets de G qui n’appartiennent pas à
AG(n);
– G représente le graphe complémentaire de G ;
– GN représente le sous-graphe de G induit par N ⊆ V , c’est-à-dire
GN = (N, E ∩ N × N);
– on notera xy une arête de G si G est non-orienté ;
– on notera (x, y) un arc de G si G est orienté.
332.1. FONDEMENTS THÉORIQUES
2.1.1 Partition et graphe quotient
On rappelle qu’une partition P = {P1, ..., Pk} d’un ensemble S est un sousensemble
de l’ensemble des parties de S, P(S), tel que :
– ∀i Pi ⊂ S
– ∀i Pi Ó= ∅
– ∀i, j Pi ∩ Pj = ∅ pour i Ó= j
–
tk
i=1 Pi = S
À partir d’une partition P de l’ensemble des sommets d’un graphe G, on peut
générer un graphe GP nommé graphe quotient de G suivant P.
Définition 7 (Graphe quotient)
Soit G = (V, E) un graphe et P une partition de V . Le graphe quotient GP est
défini comme suit :
– P est l’ensemble des sommets ;
– EP est l’ensemble des arêtes tel que :
XY ∈ EP si X ∈ P, Y ∈ P et ∃ x ∈ X, y ∈ Y | xy ∈ E
Figure 2.1 – Graphe G et le graphe quotient GP
La figure 2.1 représente le graphe G sur lequel est visible la partition P =
{{1, 5}{2, 4, 9}{3, 6}{7, 8}}. Tous les sommets d’une même couleur appartiennent
au même élément de la partition. Cette figure montre également le graphe quotient
GP. On peut voir que l’élément {2, 4, 9} est adjacent à l’élément {7, 8} car 7 ∈ AG(9).
Le passage au graphe quotient fait perdre deux types d’informations :
– il est difficile de savoir les interactions réelles entre deux éléments de la partition.
Par exemple, pour {2, 4, 9} adjacent {7, 8}, on peut avoir au maximum
6 arêtes sur le graphe d’origine, et au minimum une seule arête.
– toutes les arêtes à l’intérieur de chaque élément de la partition sont, de fait,
ignorées.
Comme nous le verrons plus loin, la décomposition modulaire permet de résoudre
le premier problème et de diminuer les pertes d’informations sur le second. En effet,
le principe de cette décomposition étant de grouper les sommets ayant le même
comportement vis-à-vis du reste du graphe, si deux éléments de la partition sont
adjacents sur le graphe quotient, alors tous les sommets du premier élément sont
adjacents à ceux du deuxième et inversement. De plus, chaque sous-ensemble est repartitionné
de manière récursive. Suivant le type des éléments de chaque partition, il
342.1. FONDEMENTS THÉORIQUES
est possible de connaître les arêtes entre deux éléments d’une même partition. Dans
le cas de graphe non-orienté, seul un type ne le permet pas.
L’ensemble des partitions et sous-partitions décrivent une famille partitive.
2.1.2 Famille partitive
Afin de définir ce qu’est une famille partitive, nous utilisons les notions de différence
symétrique, ainsi que de chevauchement de deux ensembles. La différence
symétrique de deux ensembles A et B est notée A∆B = (A ∪ B) \ (A ∩ B). Deux
ensembles A et B se chevauchent si A ∩ B Ó= ∅, A \ B Ó= ∅ et B \ A Ó= ∅. Nous
utilisons la relation A ⊥ B pour signifier que A et B se chevauchent.
Définition 8 (Famille partitive)
Soit F ⊆ 2
S une famille de parties de S. F est partitive si :
1. S ∈ F, ∅ ∈ F/ et pour tout x ∈ S, {x} ∈ F
2. Pour toute paire de parties A, B ∈ F telles que A ⊥ B :
(a) A ∩ B ∈ F ;
(b) A ∪ B ∈ F ;
(c) A \ B ∈ F et B \ A ∈ F ;
(d) A∆B ∈ F ;
Définition 9 (Partie forte)
Une partie P ∈ F est dite forte si elle ne chevauche aucune autre partie de F.
L’ensemble des éléments forts de F est noté FS.
Ainsi, pour deux éléments A et B ∈ FS, on a soit A ⊂ B, soit B ⊂ A, soit A
et B disjoints. Les ensembles S et {x}, pour tout x ∈ S, sont des éléments forts
triviaux. Nous pouvons donc organiser FS en un arbre TF dont les sommets sont
les éléments de FS. TF est l’arbre d’inclusion des parties fortes de F. Cet arbre est
nommé arbre partitif.
Il est possible d’étiqueter les sommets internes de l’arbre partitif. Ces sommets
peuvent être soit complets, soit premiers.
Définition 10 (Sommet complet [CHM81])
Soit N un sommet à k fils de l’arbre partitif TF . Ses fils sont F
N
1
, ..., F N
k
. Le sommet
N est complet si, pour tout I ⊂ {1, ..., k} non vide, on a :
Û
i∈I
F
N
i ∈ F
La figure 2.2 représente la famille partitive F = {{1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9}, {1, 2, 3, 4},
{7, 8, 9}, {7, 8}, {7, 9}, {8, 9}, {1}, {2}, {3}, {4}, {5}, {6}, {7}, {8}, {9}}. Les ensembles
dessinés en rouge représentent les éléments de F qui ne sont pas forts.
Les fils d’un sommet de l’arbre d’inclusion n’étant pas ordonnés, on peut dessiner
cet arbre de différentes manières, tout en conservant la même hiérarchie. L’ordre dans
lequel apparaissent les feuilles, c’est-à-dire les éléments de l’ensemble initial, est une
permutation factorisante. Pour une même famille partitive, il existe donc plusieurs
permutations factorisantes.
352.2. MODULE D’UN GRAPHE
Figure 2.2 – Famille partitive F et son arbre d’inclusion des éléments forts
2.1.3 Permutations factorisantes
Définition 11 (Permutation)
Une permutation σ d’un ensemble S est un ordre total sur S.
L’ordre des éléments de S = {1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9} donné par l’arbre de la fi-
gure 2.2 est (2, 1, 4, 3, 5, 6, 9, 8, 7). Cet ordre est une permutation de S.
Définition 12 (Facteur)
Soient S, un ensemble σ une permutation de S. L’ensemble F est un facteur de σ
si F ⊂ S et tous les éléments de F sont consécutifs dans σ.
Par exemple, les sous-ensembles de S, {3, 4, 5} et {5, 6, 7}, sont des facteurs de la
permutation (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9). On peut noter que les sommets internes premiers
et complets de l’arbre de la figure 2.2 sont des facteurs la permutation donnée par
l’ordre des feuilles. Ces facteurs sont {1, 2, 3, 4} et {7, 8, 9}.
Définition 13 (Permutation factorisante [Cap96])
Soit FS l’ensemble des éléments forts de la famille partitive F. Une permutation σ
est une factorisante pour F, si pour tout ensemble P ∈ FS, P est un facteur de
σ.
Ainsi, pour l’ensemble S et les facteurs {1, 2, 3, 4} et {7, 8, 9}, les permutations
(2, 1, 4, 3, 5, 6, 9, 8, 7), (1, 2, 4, 3, 6, 5, 7, 9, 8) et (4, 3, 2, 1, 5, 6, 7, 8, 9) sont factorisantes.
En effet, dans chacune de ces permutations, les éléments 1, 2, 3 et 4 sont consécutifs,
de même pour les éléments 7, 8 et 9.
Dans la suite de chapitre, on appellera permutation factorisante du graphe G =
(V, E), une permutation factorisante de V pour la famille des modules de G.
2.2 Module d’un graphe
L’idée du module d’un graphe est de regrouper les sommets qui ont un comportement
identique vis-à-vis du reste du graphe, sous forme d’un méta-sommet.
L’utilisation de modules permet de diminuer la taille du graphe en limitant les
pertes d’informations.
Dans cette section, nous verrons la définition d’un module d’un graphe. Puis nous
présenterons l’arbre de décomposition modulaire qui ordonne les modules forts d’un
362.2. MODULE D’UN GRAPHE
graphe. Ensuite, nous définirons le graphe quotient modulaire à partir de l’arbre
de décomposition modulaire. Enfin, nous étudierons les différents types de modules
d’un graphe orienté et non-orienté.
2.2.1 Définition d’un module
Pour définir la notion de module, nous pouvons utiliser la notion d’uniformité
pour un graphe non-orienté. On dit qu’un ensemble de sommets S est uniforme par
rapport à un sommet x, si x est voisin de tous les sommets de S ou qu’il est voisin
d’aucun sommet de S.
Définition 14 (Uniformité)
Soient M un ensemble de sommets d’un graphe G = (V, E) et x un sommet de
V \ M. M est uniforme par rapport à x si, pour tout y ∈ M, xy ∈ E ou xy /∈ E.
Si on reprend l’idée du module d’un graphe, un module M est donc un sousensemble
de V uniforme par rapport à tout sommet x ∈ V \ M.
Définition 15 (Module)
Soit G = (V, E) un graphe non-orienté. Un module M de G est un sous-ensemble
de V tel que :
∀x ∈ V \ M
I
M ⊆ AG(x) ou
M ⊆ AG(x)
2.2.2 Arbre de décomposition modulaire
Lemme 1 ([CHM81]) La famille M des modules d’un graphe est une famille partitive.
Les ensembles V et {x}, pour x ∈ V , sont des modules triviaux du graphe
G = (V, E). Un module M est fort si c’est un élément fort de la famille des modules
M. Ainsi, un module de M est fort s’il ne chevauche aucun autre module de M.
L’ensemble des modules forts MS peut donc être organisé sous forme d’un arbre
TM. La racine est le module V et les feuilles sont des modules de la forme {x},
où x ∈ V . Cet arbre est nommé arbre de décomposition modulaire. L’arbre de
décomposition modulaire de G est noté MTG. Cet arbre représente l’ordre d’inclusion
des modules forts de G.
Définition 16 (Module maximal)
Un module M ∈ M du graphe G = (V, E) est maximal si M ⊂ V et il n’existe pas
de module non-trivial M′ ∈ M, tel que M′ ⊂ V et M ⊂ M′
.
L’ensemble des modules forts maximaux M est une partition de V . Cet ensemble
est composé par les sommets de profondeur 1 de l’arbre de décomposition modulaire
MTG. La figure 2.3 représente un graphe sur lequel apparaissent les modules forts.
Cette figure comporte également l’arbre de décomposition modulaire sur lequel la
partition modulaire maximale est mise en évidence.
Définition 17 (Partition modulaire maximale)
Soit un graphe G = (V, E), la partition modulaire maximale MG du graphe G
est l’unique partition de V composée des modules forts maximaux de G.
372.2. MODULE D’UN GRAPHE
Figure 2.3 – Un graphe avec les modules forts et son arbre de décomposition
modulaire
2.2.3 Graphe quotient modulaire
À partir de la partition modulaire maximale de G, il est possible de générer
le graphe quotient modulaire de G, noté QuotG, en regroupant les sommets d’un
même module maximal sous un seul méta-sommet. Ce méta-sommet est le sommet
représentatif du module sur le graphe quotient. L’opération consistant à regrouper
un module sous son sommet représentatif s’appelle la contraction. L’opération inverse
est la substitution d’un sommet représentatif par le graphe induit du module qu’il
représente.
Définition 18 (Graphe quotient modulaire)
Soient un graphe G = (V, E) et MG sa partition modulaire maximale, le graphe
quotient GMG
est le graphe quotient modulaire de G noté QuotG.
Figure 2.4 – Le graphe quotient modulaire du graphe de la figure 2.3 et le graphe
induit de chacun de ses modules
L’utilisation de la décomposition modulaire permet de diminuer la perte d’informations
lors du passage au graphe quotient. En effet, la définition même d’un
module fait que si deux modules M1 et M2 sont adjacents sur le graphe quotient
modulaire, alors, pour tout x ∈ M1 et y ∈ M2, on a y ∈ AG(x) et x ∈ AG(y). Ainsi,
seules les arêtes présentes entre deux éléments d’un même module sont inconnues.
Il est donc nécessaire de conserver les graphes induits de chacun des modules forts
maximaux afin de ne pas perdre d’informations. La figure 2.4 présente le graphe
quotient du graphe de la figure 2.3 ainsi que les graphes induits de chacun de ses
modules forts maximaux.
382.2. MODULE D’UN GRAPHE
2.2.4 Types de modules
Il est possible de ne pas avoir à disposer du graphe induit de chaque module,
pour pouvoir reconstituer le graphe d’origine à partir du graphe quotient. Pour cela,
nous avons besoin d’informations supplémentaires sur ce module. Cette information
est le type du module, celui-ci correspondant à certaines propriétés que le graphe,
induit par ce module, possède.
Module d’un graphe non-orienté
Un module M du graphe non-orienté G peut être de différents types, suivant la
forme du graphe quotient du graphe induit GM. Si ce graphe est une clique, alors
M est série. Si c’est un stable, alors M est parallèle, sinon M est premier.
Définition 19 (Module série)
Soit M un module de G, M est un module série si QuotGM est une clique.
Figure 2.5 – Graphe induit d’un module série, son arbre de décomposition modulaire
et le graphe quotient associé
La figure 2.5 présente le graphe induit d’un module série composé de 4 sommets.
Son graphe quotient modulaire est bien une clique.
Définition 20 (Module parallèle)
Soit M un module de G, M est un module parallèle si QuotGM est un stable.
Figure 2.6 – Graphe induit d’un module parallèle, son arbre de décomposition
modulaire et le graphe quotient associé
La figure 2.6 présente le graphe induit d’un module parallèle composé de 5 sommets.
Son graphe quotient modulaire est bien un stable.
Définition 21 (Module premier)
Soit M un module de G, M est un module premier si M n’est ni série ni parallèle.
La figure 2.7 présente le graphe induit d’un module premier composé de 5 sommets.
Son graphe quotient modulaire n’est ni une clique ni un stable.
392.3. ALGORITHME DE DÉCOMPOSITION MODULAIRE
Figure 2.7 – Graphe induit d’un module premier, son arbre de décomposition
modulaire et le graphe quotient associé
Module d’un graphe orienté
Les modules de type série et parallèle sont également définis pour les graphes
orientés. Le type ordre est défini uniquement pour les graphes orientés. Un module
de type ordre ou linéaire est un module dont le graphe quotient est un ordre total.
Définition 22 (Module ordre)
Soit M un module de G, M est un module ordre si QuotGM représente un ordre
total.
Figure 2.8 – Graphe induit d’un module ordre, son arbre de décomposition modulaire
et son graphe quotient
La figure 2.8 représente le graphe induit d’un module de type ordre composé de
4 sommets. Son graphe quotient modulaire représente bien un ordre total.
Il est alors nécessaire de redéfinir le type premier. Un module est premier s’il
n’est d’aucun autre type.
Grâce à ces étiquettes sur les modules, il est désormais nécessaire de stocker
uniquement les graphes quotients du graphe induit de chaque module premier et
l’arbre de décomposition modulaire dans le cas de graphes non-orientés. Pour les
graphes orientés, il est également nécessaire de stocker, pour chaque module de type
ordre, l’ordre des sommets de son graphe quotient.
2.3 Algorithme de décomposition modulaire
L’objectif de l’algorithme de décomposition modulaire est de calculer l’arbre de
décomposition modulaire du graphe en entrée. Il se déroule en deux étapes. Tout
d’abord, il calcule une permutation factorisante du graphe. Puis, à partir cette permutation
factorisante, il calcule l’arbre de décomposition modulaire. La différence
402.3. ALGORITHME DE DÉCOMPOSITION MODULAIRE
entre les décompositions modulaires orientée et non-orientée se fait sur le calcul de
la permutation factorisante.
Le calcul de la permutation factorisante s’effectue en O(n + m), que le graphe
soit orienté ou non. Le calcul de l’arbre de décomposition modulaire, à partir d’une
permutation factorisante, s’effectue également en O(n + m). L’algorithme de dé-
composition modulaire d’un graphe s’effectue donc en O(n + m), à la fois pour les
graphes orientés et non-orientés.
Cette section décrit le fonctionnement des algorithmes de décomposition modulaire
orientée et non-orientée. Il n’est pas nécessaire de la lire pour comprendre la
suite du manuscrit.
2.3.1 Calcul d’une permutation factorisante d’un graphe nonorienté
En 1999, M. Habib, C. Paul et L. Viennot [HPV99] décrivent un algorithme calculant
une permutation factorisante d’un graphe non-orienté. Cet algorithme utilise
les partitions ordonnées, qu’il affine afin d’obtenir la permutation factorisante. Pour
affiner une partition ordonnée, on utilise deux règles : la règle du centre et la règle
du pivot.
Partition ordonnée
Une partition ordonnée de l’ensemble de sommets V est un ordre partiel, où les
parties sont nommées classes. Ces classes sont des sous-ensembles de V numérotés.
Ainsi, deux sommets appartenant à deux classes différentes sont ordonnés suivant
leur numéro de classe.
Soit une partition ordonnée O = C1 ⊕ C2 ⊕ ... ⊕ Ck, Ci ⊕ Cj signifie que la classe
Cj est consécutive à la classe Ci
.
Une partition ordonnée O = C1 ⊕ ... ⊕ Ck de V est factorisante pour G = (V, E)
si, pour tout Ci
, il existe une permutation Pi
, telle que (P1, P2, ..., Pk) est une permutation
factorisante de G.
Règle du centre
L’algorithme commence en appliquant la règle du centre sur un sommet choisi.
Ce sommet est appelé centre.
Lemme 2 ([HPV99])
Étant donné c un sommet de G, la partition ordonnée AG(c) ⊕ {c} ⊕ AG(c) est
factorisante pour G.
Règle du pivot
La partition ordonnée initiale est donc AG(c) ⊕ {c} ⊕ AG(c), où c est le centre.
Ensuite, l’affinage va se faire en utilisant la règle du pivot. La relation Ci ≺O Cj
signifie que la classe Ci précède la classe Cj dans la partition ordonnée O.
412.3. ALGORITHME DE DÉCOMPOSITION MODULAIRE
Lemme 3 ([HPV99])
Soit une partition ordonnée O = C1 ⊕ ... ⊕ Ck de centre c, et soit p ∈ Ci un sommet
tel que la classe Cj avec i Ó= j et Cj ⊥ AG(p). Si O est factorisant alors :
– si Ci ≺O {c} ≺O Cj ou si Cj ≺O {c} ≺O Ci, alors la partition où Cj est
remplacée par (AG(p) ∩ Cj ) ⊕ (AG(p) ∩ Cj ) est factorisante ;
– sinon, la partition où Cj est remplacée par (AG(p) ∩ Cj ) ⊕ (AG(p) ∩ Cj ) est
factorisante.
À partir du lemme 3, on affine la partition ordonnée en conservant le fait qu’elle
soit factorisante. Pour cela, on choisit un pivot p, puis on coupe en deux toutes les
classes qui chevauchent le voisinage de p, exceptée la classe de p. On effectue cette
opération jusqu’à obtenir un point fixe quel que soit le pivot choisi. Ensuite, on
applique de nouveau l’algorithme au graphe induit de chaque classe contenant plus
d’un sommet.
Exemple d’utilisation de l’algorithme
Figure 2.9 – Applications de l’algorithme sur le graphe de la figure 2.3
La figure 2.9 montre l’application de l’algorithme calculant une permutation
factorisante.
a). Tout d’abord, on applique la règle du centre avec le sommet 8. Ce centre est
représenté en orange sur la figure. Ensuite, on applique la règle du pivot sur
422.3. ALGORITHME DE DÉCOMPOSITION MODULAIRE
les sommets 3, 6 et 1. Ces pivots sont représentés en bleu sur la figure. Dans
chaque cas, une seule classe est coupée en deux. Pour chaque classe C coupée
en deux par le pivot p, la classe (AG(p) ∩ C) est représentée en rouge sur la
figure et la classe (AG(p) ∩ C) en vert.
b). Le premier pivot choisi est le sommet 3 de la classe Cp. La classe C =
{6, 7, 9, 10, 11} chevauche le voisinage du sommet 3. Les sommets 6 et 7 sont
voisins de 3, tandis que les sommets sont 9, 10 et 11 ne le sont pas. Nous
sommes dans le cas Cp ≺O {8} ≺O C. Donc la classe C est remplacée par
{9, 10, 11} ⊕ {6, 7}.
c). Ensuite, on applique la règle du pivot sur le sommet 6, la seule classe coupée
en deux est la classe C = {1, 2, 3, 4, 5}. Parmi ces sommets, seul 1 n’est pas
voisin de 6. Ici, on est dans le cas C ≺O {8} ≺O Cp. La classe C est donc
remplacée par {1} ⊕ {2, 3, 4, 5}.
d). Enfin, on applique la règle du pivot sur le sommet 1. Seule la classe C =
{2, 3, 4, 5} est coupée en deux. Parmi ces sommets, les voisins de 1 sont 2, 3
et 4. Ici, on est dans le cas Cp ≺O C ≺O {8}. La classe C est donc remplacée
par {2, 3, 4} ⊕ {5}.
e). Après cette application de la règle du pivot, on arrive à un point fixe. On
applique donc l’algorithme aux classes contenant plus d’un sommet, c’est-à-
dire les classes {2, 3, 4}, {9, 10, 11} et {6, 7}.
Une fois que toutes les classes de la partition ordonnée contiennent un seul sommet,
l’algorithme se termine. On obtient alors la permutation factorisante de l’ensemble
des sommets du graphe suivante : (1,2,3,4,5,8,11,10,9,6,7)
Cet algorithme s’effectue en O(m log n). Pour atteindre une complexité linéaire
en O(n + m), M. Habib, F. de Montgolfier et C. Paul [HdMP04] améliore cet algorithme
en utilisant les permutations ordonnées de chaînes et une nouvelle règle
d’affinage.
2.3.2 Calcul d’une permutation factorisante d’un graphe orienté
Dans le cas des graphes orientés, nous décrirons ici les grandes lignes de l’algorithme
sans entrer dans les détails. Il consiste à calculer les arbres de décomposition
modulaire de deux graphes non-orientés calculés à partir du graphe d’origine. Ensuite,
il utilise les propriétés d’intersections sur les familles partitives pour trouver
la permutation factorisante.
Intersection de familles partitives
Soient deux familles partitives F1 et F2 sur le même ensemble S. L’intersection
F de F1 et F2 est la famille des parties de S appartenant à la fois à F1 et F2. Elle
est notée F = F1 ∩ F2.
Lemme 4 ([dM03])
L’intersection de deux familles partitives est une famille partitive.
432.3. ALGORITHME DE DÉCOMPOSITION MODULAIRE
À partir de cela, il est défini l’opération ∧ sur les arbres partitifs. Soient deux
familles partitives F1 et F2 sur le même ensemble S et leurs arbres partitifs respectifs
TF1
et TF2
. TF1 ∧ TF2
est l’arbre partitif de la famille partitive F1 ∩ F2.
Fonctionnement de l’algorithme
L’algorithme de R. McConnell et F. de Montgolfier [MdM05], permettant de calculer
une permutation factorisante de l’ensemble des sommets d’un graphe orienté,
se déroule en trois étapes principales.
Tout d’abord, l’algorithme calcule l’arbre de décomposition modulaire de deux
graphes non-orientés Gs et Gd dérivés du graphe orienté G = (V, E) en entrée :
– Gs = (V, Es) tel que xy ∈ Es ssi (x, y) ∈ E ∨ (y, x) ∈ E ;
– Gd = (V, Ed) tel que xy ∈ Ed ssi (x, y) ∈ E ∧ (y, x) ∈ E.
Les arbres de décomposition modulaire obtenus sont MTGs
et MTGd
.
Ensuite, il calcule l’arbre TH = MTGs ∧ MTGd
. Les sommets de l’arbre TH sont
alors des modules de Gs et de Gd.
Enfin, il ordonne les fils des sommets complets de l’arbre TH, suivant les proprié-
tés de leur graphe induit dans G. On obtient ainsi une permutation factorisante de
l’ensemble des sommets de G.
2.3.3 Calcul de l’arbre de décomposition à partir d’une permutation
factorisante
L’algorithme de C. Capelle, M. Habib et F. de Montgolfier [CHdM02], permettant
de calculer l’arbre de décomposition modulaire à partir d’une permutation factorisante,
s’effectue en O(n + m), dans le cas de graphes orientés et non-orientés.
Cet algorithme se base sur les notions de séparateurs et de fractures. Un sommet
x est un séparateur de S ⊂ V pour le graphe G = (V, E), si x /∈ S et si S n’est pas
une module de GS∪{x}.
À partir de cette notion de séparateur, on peut définir la fracture d’une paire
de sommets consécutifs dans la permutation factorisante. La fracture d’une paire
est le plus petit facteur de la permutation contenant cette paire, ainsi que tous les
séparateurs de celle-ci. Cette fracture peut être coupée en deux : la fracture gauche
et la fracture droite.
En parenthésant la permutation factorisante avec les fractures gauche et droite
de chaque paire possible, on obtient une permutation factorisante parenthésée.
À partir de cette permutation, on obtient un arbre des fractures qui est une approximation
de l’arbre de décomposition modulaire. Il suffit de quelques manipulations
complémentaires de l’arbre des fractures, pour obtenir l’arbre de décomposition
modulaire.
442.4. APPLICATIONS
2.4 Applications
2.4.1 Applications sur la théorie des graphes
La plupart des applications de la décomposition modulaire sur d’autres problèmes
de la théorie des graphes induisent une réduction du problème aux graphes premiers.
En effet, dans beaucoup de problèmes, la résolution est simple dans le cas de stable
ou de clique. Or, les graphes quotients des modules parallèles (resp. séries) sont des
stables (resp. cliques). Dans le cas de graphe non-orientés, les seuls modules restants
sont les modules premiers dont les graphes quotients sont premiers.
Dans cette section, nous ne verrons que deux exemples. Dans sa thèse, M. Rao
propose un état de l’art des applications de la décomposition modulaire sur des
problèmes de la théorie des graphes [Rao06].
Ensemble stable pondéré
Le problème d’ensemble stable pondéré consiste, pour un graphe G = (V, E) et
une fonction de pondération w : V → N, à définir un stable S ⊆ V de G tel que
le poids de S :
q
v∈S w(v) soit maximum. On note αw(G) le poids maximum d’un
ensemble stable de G.
À partir de l’arbre de décomposition modulaire, on réduit le problème d’ensemble
stable pondéré d’un graphe non-orienté à celui d’ensemble stable pondéré de graphes
premiers.
Le principe de la réduction vient du fait que, dans le cas d’un stable ou d’une
clique, calculer l’ensemble stable pondéré de poids maximum est trivial. Dans le
cas d’un stable, le poids maximum d’un ensemble stable est la somme des poids
des sommets du graphe. Dans le cas d’une clique, le poids maximum d’un ensemble
stable est le poids maximum d’un sommet. Il est possible d’étendre cela aux modules
de type parallèle et série [MR84].
En effet, le graphe quotient d’un module parallèle est un stable. Ainsi, le poids
maximum d’un ensemble stable d’un module parallèle est la somme des poids des
sommets du graphe quotient de ce module. Le graphe quotient d’un module série
est une clique. Ainsi, le poids maximum d’un ensemble stable d’un module parallèle
est le poids maximum d’un sommet du graphe quotient de ce module. Dans les deux
cas, si un sommet du graphe quotient est le sommet représentatif d’un module, alors
son poids est celui de l’ensemble stable pondéré de poids maximum du graphe induit
du module qu’il représente.
En appliquant ce principe récursivement sur l’arbre de décomposition modulaire,
seul le cas des modules premiers est non-trivial. Ainsi, si on sait résoudre le problème
d’ensemble stable pondéré sur les graphes premiers, on peut le résoudre sur n’importe
quel graphe non-orienté.
Coloration
La coloration d’un graphe consiste à colorier chacun des sommets du graphe
d’une couleur de sorte que deux sommets adjacents soient d’une couleur différente.
452.4. APPLICATIONS
Soit un graphe G = (V, E), une coloration de G est une partition P de V telle que
toutes les parties de P sont des ensembles stables de G. Le nombre chromatique
χ(G) d’un graphe correspond au nombre minimum de parties d’une coloration de G,
c’est-à-dire le nombre minimum de couleurs nécessaires à sa coloration. Une coloration
minimum de G est donc une coloration avec un nombre minimum de couleurs.
À partir de l’arbre de décomposition modulaire, on réduit le problème de coloration
d’un graphe non-orienté à celui de coloration de graphes premiers.
De nouveau, le principe de la réduction vient du fait que, dans le cas d’un stable
ou d’une clique, calculer la coloration minimum est trivial. Dans le cas d’un stable,
tous les sommets sont de la même couleur. Dans le cas d’une clique, chaque sommet
a une couleur différente de tous les autres. Il faut donc autant de couleurs qu’il y a de
sommets. Il est possible d’étendre cela aux modules de type parallèle et série [MR84].
En effet, le graphe quotient d’un module parallèle étant un stable, le nombre
chromatique d’un module parallèle est le nombre chromatique maximum de ses fils
dans l’arbre de décomposition modulaire. Le graphe quotient d’un module série étant
une clique, le nombre chromatique d’un module série est la somme des nombres
chromatiques de ses fils dans l’arbre de décomposition modulaire.
On peut appliquer ce principe récursivement sur l’arbre de décomposition modulaire.
Seul le cas des modules premier est non-trivial. Donc, si on sait calculer le
nombre chromatique d’un graphe premier, alors on peut le calculer pour n’importe
quel graphe non-orienté.
2.4.2 Applications sur des problèmes pratiques
Dessin de graphes
Un des problèmes de la représentation graphique des graphes est d’obtenir un
résultat lisible qui respecte certaines règles "esthétiques". Trouver une représentation
lisible est particulièrement difficile si le graphe possède beaucoup de sommets et que
sa densité est importante.
C. Papadopoulos et C. Voglis [PV05] utilisent la décomposition modulaire afin
de résoudre ce problème sur les graphes non-orientés. Pour cela, on applique un
algorithme de placement des sommets dépendant du type du module auquel ils
appartiennent. Si un module est de type parallèle, alors ses fils sont dessinés sous
forme d’une grille. Si un module est de type série, alors ils sont dessinés sous forme
d’un cercle. Si un module est de type premier, alors ses fils sont dessinés suivant
l’approche d’intégration des forces. Les arêtes ont un pouvoir attractif sur leurs
extrémités, tandis que les sommets ont un pouvoir répulsif entre eux. Grâce à une
limite de déplacement des sommets qui décroit à chaque itération, on atteint un
point fixe.
Si un des fils est un module, alors le graphe induit de ce module est dessiné à son
emplacement. Ainsi, on applique cette méthode à tous les modules en commençant
par ceux de hauteur la plus élevée jusqu’à la racine de l’arbre de décomposition
modulaire.
462.5. CONCLUSION
Réseaux d’interactions protéine-protéine
En biochimie, une interaction protéine-protéine est une interaction physique entre
deux protéines. Un complexe protéique est un ensemble de protéines liées par des
interactions physiques. Un réseau d’interactions protéine-protéine est un graphe,
tel que les sommets sont les protéines et qu’il existe une arête entre deux protéines,
s’il existe un complexe protéique auquel ces protéines appartiennent. Ainsi,
les complexes protéiques apparaissent comme des cliques, dans le réseau d’interactions
protéine-protéine.
J. Gagneur, R. Krause, T. Bouwmeester et G.Casari [GKBC04] utilisent la dé-
composition modulaire sur ces réseaux afin de trouver les complexes les plus grands
possibles. Ce problème consiste à trouver les cliques maximales sur le réseau d’interactions
protéine-protéine. Pour cela, on parcourt l’arbre de décomposition modulaire
du réseau. L’ensemble des cliques maximales d’un module série est l’ensemble des
combinaisons constituées d’une clique maximale de chacun de ses fils dans l’arbre.
Quant à l’ensemble des cliques maximales d’un module parallèle, il est l’union des
cliques maximales de ses fils.
De plus, la décomposition modulaire offre une représentation compréhensible
des règles logiques de coopération des protéines. Des protéines ou des modules fils
d’un module parallèle dans l’arbre ne peuvent interagir mais peuvent effectuer des
fonctions biologiques proches. Un module série représente, quant à lui, des protéines
ou des modules qui fonctionnent ensemble.
2.5 Conclusion
La décomposition modulaire est un outil de la théorie des graphes pour lequel on
trouve peu d’applications sur des problèmes pratiques dans la littérature. Pourtant
la décomposition modulaire offre de nombreux avantages. Tout d’abord, son exécution
s’effectue en temps linéaire. De plus, son application permet, dans certains cas,
de réduire un problème sur les graphes non-orientés aux graphes premiers.
Dans cette thèse, nous présentons une application de la décomposition modulaire
à la sécurité système. Plus précisément, nous utilisons la décomposition modulaire
sur les graphes utilisés par PIGA. Cela permet de réduire la taille les différents
graphes utilisés par PIGA. Les signatures étant des chemins dans les différents
graphes utilisés par PIGA, la structure des modules fait que les signatures géné-
rées à partir d’un graphe quotient compressent de manière efficace les signatures
originales, en limitant la sur-approximation.
Dans la partie suivante, nous présenterons la manière dont nous avons intégré
la décomposition modulaire au mécanisme de génération de signatures de PIGA.
Puis, nous monterons les modifications apportées au mécanisme de détection, afin
de gérer la nouvelle forme des signatures. Les limites d’utilisation de la décomposition
modulaire sur PIGA seront également présentées.
472.5. CONCLUSION
48Deuxième partie
Application de la décomposition
modulaire à PIGA-IDS
49Chapitre 3
Modification du système de
génération de signatures
3.1 Introduction
Le calcul de signatures actuel rencontre deux principaux problèmes. Le premier
problème concerne le nombre important de signatures qui sont générées, lorsque la
politique MAC est de grande taille, et que la politique PIGA contient un grand
nombre de propriétés. C’est notamment le cas lorsque celles-ci traitent des flux indirects,
car ces flux peuvent correspondre à beaucoup de chemins dans les graphes
associés. Lorsque la détection est activée, les performances du système sont diminuées.
Le second problème est que, suivant les caractéristiques de la machine qui
calcule les signatures, celles-ci seront plus ou moins limitées en longueur. Ainsi, les
comportements malicieux composés de nombreuses interactions ne seront pas repré-
sentés dans la base de signatures. Ils ne pourront donc pas être détectés.
Durant cette thèse, nous nous sommes concentrés sur le premier problème. Cependant,
une des méthodes développées permet également d’augmenter la longueur
maximum des signatures générées. Dans ce chapitre, nous présenterons, dans la section
3.2, la première des deux méthodes développées afin de réduire le nombre de signatures
générées. Cette méthode est une application de la décomposition modulaire.
Nous verrons le principe général de la méthode, puis deux algorithmes permettant
l’utilisation de la décomposition modulaire pour la génération de signatures, ainsi
que leurs preuves. Enfin, nous verrons la gestion d’un cas particulier : les boucles
sur les modules.
Dans la section 3.3, nous décrirons les expérimentations mises en place pour
évaluer les performances de l’application de la décomposition modulaire. Nous l’étudierons
d’abord sur un graphe exemple, puis sur des graphes réels de PIGA.
Dans la section 3.4, nous décrirons la seconde méthode développée : le suppression
par inclusion. Nous présenterons d’abord le principe de cette méthode, puis nous
évaluerons son efficacité.
Enfin, dans la section 3.5, nous conclurons ce chapitre par une discussion sur les
limites des méthodes développées.
Les résultats de cette section sont partiellement présentés dans [BBC12].
513.2. APPLICATION DE LA DÉCOMPOSITION MODULAIRE
3.2 Application de la décomposition modulaire
Dans cette partie, nous généralisons l’approche intuitive présentée dans la section
1.6 où la notion de module apparaît naturellement.
3.2.1 Utilisation de la décomposition modulaire non-orientée
Nous avons vu dans la section 1.2, que les graphes utilisés par PIGA pour le calcul
des signatures à partir de propriétés de confidentialité sont des graphes orientés.
Néanmoins, nous utilisons la décomposition modulaire non-orientée sur ces graphes
pour réduire le nombre de signatures et cela pour plusieurs raisons.
Premièrement, les graphes d’interactions et de flux sont tous deux utilisés pour
générer les signatures. Or, s’ils possèdent les mêmes sommets, des arcs peuvent être
différents. L’application de la décomposition modulaire orientée pourrait générer
deux décompositions différentes. Les graphes quotients obtenus seraient donc diffé-
rents ce qui rendrait la génération de signatures difficile. Deuxièmement, étant donné
qu’un module orienté reste un module après la transformation des arcs en arêtes, la
taille des modules orientés est inférieure ou égale à celle des modules non-orientés.
Or, des modules de taille plus grande permettent une meilleure compression. Enfin,
nous pouvons ré-orienter le graphe quotient. Ceci peut entraîner la génération de
signatures incorrectes mais permet une plus grande compression. Malgré tout, les
signatures surnuméraires ne sont pas gênantes, dans le contexte qui nous concerne,
car elles ne peuvent pas être générées lors de la détection. En effet, tous les arcs
produits par la ré-orientation représentent des actions non permises par le système
MAC sur lequel se base PIGA. Les graphes ainsi obtenus reflètent une surestimation
des attaques.
Afin de mesurer les différences entre le graphe quotient obtenu par notre mé-
thode et celui obtenu par application de la décomposition modulaire orienté, nous
définissons la notion d’arc propre.
Définition 23 (Arc propre)
Soit G = (V, A) un graphe orienté et Q = (M, A′
) un graphe quotient de G. Un arc
(m1, m2) ∈ A′
est propre ssi
∀x ∈ m1, y ∈ m2,(x, y) ∈ A
À partir de cette définition, on définit également la notion de graphe propre et
de signature propre.
Définition 24 (Graphe propre)
Un graphe quotient est propre ssi tous ses arcs sont propres.
Définition 25 (Signature propre)
Une signature est propre ssi elle contient uniquement des arcs propres.
Sur les figures 3.1 et 3.2, on peut voir qu’en appliquant la décomposition modulaire
orientée sur le graphe d’interactions de la figure 1.3 et sur le graphe de flux de la
figure 1.4, nous obtenons deux graphes quotients n’ayant pas la même structure. En
effet, sur le graphe quotient d’interactions, un module regroupe admin_t et user_d,
or ce module n’est pas présent sur le graphe quotient de flux.
523.2. APPLICATION DE LA DÉCOMPOSITION MODULAIRE
Figure 3.1 – Graphe quotient d’interaction obtenu par application de la décomposition
modulaire non-orientée
Figure 3.2 – Graphe quotient de flux obtenu par application de la décomposition
modulaire orientée
3.2.2 Principe général
Dans cette section, nous présentons la méthodologie utilisée pour générer les
signatures compressées. Chaque étape du processus sera accompagnée d’un paragraphe
illustrant la méthode sur un exemple. Afin de générer des signatures compressées,
il faut obtenir les graphes quotients orientés des graphes d’interactions et
de flux. L’entrée de notre algorithme est le graphe de flux Gf = (V, Af) et le graphe
d’interactions Gi = (V, Ai).
Pour pouvoir utiliser la décomposition modulaire, nous considérons le graphe
non-orienté Gf′ = (V, Ef) obtenu en symétrisant Gf. Ce graphe est appelé graphe
de flux symétrisé. Ensuite, nous calculons la décomposition modulaire sur Gf′ pour
obtenir l’arbre de décomposition modulaire MTGf′. À partir de cet arbre, nous obtenons
P la partition modulaire maximal de Gf′
. Enfin nous calculons, grâce à la
partition, GiP, le graphe quotient d’interaction, et GfP, le graphe quotient de flux,
à partir desquels nous calculons les signatures.
Figure 3.3 – Le graphe de flux symétrisé
Pour illustrer le processus, nous allons utiliser le graphe d’interactions simplifié
présenté dans la section 1.2 sur la figure 1.3, ainsi que le graphe de flux dérivé de
celui-ci (figure 1.4). En symétrisant ce graphe de flux, nous obtenons le graphe de
la figure 3.3.
Une fois le graphe symétrisé Gf′ = (V, Ef) obtenu, nous pouvons lui appliquer
la décomposition modulaire non-orientée afin de récupérer l’arbre de décomposition
modulaire MTGf′, puis la partition P.
533.2. APPLICATION DE LA DÉCOMPOSITION MODULAIRE
Figure 3.4 – L’arbre de décomposition modulaire généré à partir du graphe symé-
trisé
L’arbre de décomposition modulaire obtenu à partir du graphe 3.3 est représenté
par la figure 3.4. La partition P obtenue est donc : P = {{passwd_d}, {shadow_t},
{ssh_d, login_d}, {admin_d, user_d}, {bin_t}}.
A partir de cette partition, nous générons les graphes quotients orientés GiP et
GfP. Pour cela, nous utilisons l’algorithme 3 qui prend en entrée le graphe d’origine
(de flux ou d’interactions) et la partition P.
Algorithme 3 Génération du graphe quotient orienté
Entrée: G = (V, A) le graphe d’origine et P une partition de V
Sortie: G′ = (P, A′
) le graphe quotient orienté GP
A′ ← ∅
pour tout arc (x, y) ∈ A faire
Soit S1 ∈ P tel que x ∈ S1
Soit S2 ∈ P tel que y ∈ S2
si S1 Ó= S2 alors
si (S1, S2) ∈/ A′ alors
A′ ← A′ ∪ {(S1, S2)}
label(S1,S2) ← label(x,y)
sinon
label(S1,S2) ← label(S1,S2) ∪ label(x,y)
L’algorithme 3 fonctionne de la manière suivante pour générer les graphes quotients.
Tout d’abord, l’ensemble des sommets du graphe quotient correspond à la
partition passée en paramètre. Ensuite, pour chaque arc (x, y) du graphe d’origine,
nous créons un arc entre l’ensemble de P contenant x et celui contenant y, si ceux-ci
sont différents et s’il n’existe pas déjà d’arc entre ces deux ensembles. Pour le graphe
d’interactions, il faut également gérer les labels présents sur les arcs. Pour cela, lors
de la création de l’arc entre le module contenant x et celui contenant y, nous conservons
le label de l’arc (x, y) du graphe d’interactions d’origine. Si un arc existe déjà,
nous ajoutons le label de (x, y) si celui-ci n’est pas déjà présent.
En appliquant cet algorithme avec le graphe d’interactions Gi de la figure 1.3
et le graphe de flux Gf de la figure 1.4, nous obtenons les graphes quotients GiP
(figure 3.5) et GfP (figure 3.6). La partition P étant de cardinalité 5, les graphes
quotients générés ont 5 sommets. Il y a deux différences entre les deux graphes quotients.
Premièrement, l’arc (passwd_d,shadow_t) du graphe quotient d’interactions
543.2. APPLICATION DE LA DÉCOMPOSITION MODULAIRE
est inversé sur le graphe quotient de flux. Ceci s’explique par le fait que cet arc correspond
à une lecture. Le flux d’informations part donc de shadow_t vers passwd_d.
Deuxièmement, l’arc (Series,bin_t) du graphe quotient d’interactions devient un
arc à double sens sur le graphe quotient de flux. L’arc correspondant à une lecture,
une écriture ou une exécution, il peut y avoir transfert d’informations dans les deux
sens. En effet, le flux d’informations part de Series vers bin_t dans le cas d’une
écriture. Dans le cas d’une exécution ou d’une lecture, le flux d’informations part de
bin_t vers Series.
Figure 3.5 – Graphe quotient d’interactions
Figure 3.6 – Graphe quotient de flux
3.2.3 Extraction d’une paire source/destination
Dans la section 1.3, nous avons vu que les signatures sont calculées comme l’ensemble
des chemins entre une source et une destination. En utilisant la décomposition
modulaire, nous calculons les signatures sur le graphe quotient. Or, la source et la
destination peuvent être contenues dans un module. Pour éviter cela, les extrémités
des chemins doivent donc être considérées comme des singletons de la partition utilisée
pour générer le graphe quotient. Cela se traduit par le fait que les extrémités
doivent être des fils directs de la racine sur l’arbre de décomposition modulaire.
Pour cela, nous pourrions supprimer le module entier, et considérer tous les
sommets qu’il contient comme des fils directs de la racine. Cependant, nous voulons
conserver un maximum de modules afin que la réduction du graphe reste la meilleure
possible. Dans ce but, nous proposons deux algorithmes permettant de conserver un
maximum de modules non-triviaux. Le premier permet d’obtenir des modules de
plus grande taille, mais ne peut pas être utilisé sur tous les graphes. Le second
possède une meilleure complexité en temps que le premier, et peut être utilisé sur
n’importe quel graphe. Cependant les modules obtenus peuvent être de plus petite
taille. Lors des expérimentations présentées dans la section 3.3, nous avons utilisé le
second algorithme.
Extraction des sommets par modification du graphe
L’algorithme 4 modifie le graphe afin que les sommets à « extraire » de l’arbre
de décomposition modulaire ne puissent pas appartenir à un module non-trivial,
tandis que l’algorithme 5 modifie directement l’arbre de décomposition modulaire
en extrayant les sommets des modules auxquels ils appartiennent.
L’algorithme 4 gère le problème de manière globale en recalculant entièrement
une décomposition modulaire sur le graphe modifié suivant. Nous ajoutons deux
553.2. APPLICATION DE LA DÉCOMPOSITION MODULAIRE
sommets au graphe (marqueur1 et marqueur2), puis nous ajoutons un arc reliant
marqueur1 au premier sommet à extraire, un second arc reliant marqueur2 au
second sommet à extraire et un troisième arc reliant marqueur1 à marqueur2 (fi-
gure. 3.7). Pour pouvoir utiliser cet algorithme, nous devons être sûrs que les marqueurs
ne seront pas dans un module. Le troisième arc ajouté permet de réduire à
deux, le nombre de cas où les marqueurs appartiennent à un module. Le premier
cas apparaît lorsque un des sommets à extraire est uniquement voisin avec le second
sommet à extraire sur le graphe d’origine. Dans ce cas, le premier sommet formera
un module avec le marqueur lié au second. Le second apparaît lorsque le graphe n’est
pas connexe, les marqueurs apparaissent alors dans un module parallèle comprenant
toute la composante connexe.
Algorithme 4 Extraction des sommets par modification du graphe
Entrée: G = (V, E) un graphe non orienté, n et m deux sommets de G
Sortie: T
′ Un arbre de décomposition de G tel que n et m sont des module triviaux
sous la racine
1: Soit G′ = (V
′
, A′
) tel que
2: V
′ ← V ∪ {marqueur1, marqueur2}
3: E
′ ← E ∪ {(marqueur1, n),(marqueur2, m),(marqueur1, marqueur2)}
4: T
′ ← DecompositionModulaire(G′
)
5: SupprimerT′(marqueur1, marqueur2)
Figure 3.7 – Ajout des marqueurs au graphe
La proposition 1 montre le cadre de l’utilisation de cet algorithme et, le théorème
3, sa complexité. Le théorème 2 prouve l’efficacité de l’algorithme.
Proposition 1 Soit G = (V, E) un graphe connexe et, n et m deux sommets de G
tels que n (resp. m) a au moins un voisin différent de m (resp. n). À la fin de l’étape
4 de l’algorithme 3 l’arbre T
′
est tel que :
1. marqueur1 et marqueur2 sont des modules triviaux situés sous la racine ;
2. n et m sont des modules triviaux situés sous la racine ;
3. tous les modules non triviaux définis dans T
′
sont des modules de G.
Preuve : Cette preuve se décompose en plusieurs parties correspondant aux diffé-
rents points de la proposition.
563.2. APPLICATION DE LA DÉCOMPOSITION MODULAIRE
1. Supposons que marqueur1 et marqueur2 appartiennent à un module non trivial.
Deux cas peuvent alors se produire :
– Si marqueur1 appartient à un module M :
– Soit marqueur2 appartient à M, alors n et m appartiennent également à
M, car marqueur1 et marqueur2 n’ont pas le même comportement vis
à vis de n et de m. Tous les sommets appartenant à M ont le même
comportement vis-à-vis du reste du graphe. Or, comme marqueur1 et
marqueur2 n’ont pas de voisin autre qu’eux-mêmes, n ou m, alors le
voisinage de M est vide. Le graphe a donc au moins deux composantes
connexes : M et le reste du graphe. Ceci est impossible car le graphe est
connexe.
– Soit marqueur2 n’appartient pas à M, alors tous les sommets appartenant
à M sont voisins de marqueur2. Ainsi, seuls marqueur1 et m peuvent
appartenir à M. Comme M est un module non trivial, il possède au moins
deux sommets. Donc m appartient à M. Par conséquent, marqueur1 et
m ont le même comportement vis-à-vis du reste du graphe, donc ils ont
uniquement n et marqueur2 comme voisins. Ceci est impossible car m
possède au moins un voisin différent de n.
– Le même raisonnement peut s’appliquer à marqueur2. Dans ce cas, on considère
m au lieu de n.
2. Supposons que les sommets n et m appartiennent à un module non trivial.
On considère ici le cas de n, celui de m est symétrique.
Soit n appartient à un module M. Comme marqueur1 ne peut pas appartenir
à M et que n est voisin de marqueur1, tous les sommets de M sont voisins de
marqueur1. Seuls n et marqueur2 sont voisins de marqueur1. Or, marqueur2
n’appartient pas à un module non trivial, donc il ne peut pas appartenir à M.
Comme un module non trivial possède au moins deux sommets, M ne peut
pas être un module non trivial.
3. Montrons maintenant que les modules définis par T
′
sont des modules du
graphe initial G. Un sous-ensemble M de V est module de G si :
∀x ∈ V \ M
I
∀y ∈ M,(x, y) ∈ E ou
∀y ∈ M,(x, y) Ó∈ E
Soit M′ un module non trivial de G′
– Par définition M′
est un sous-ensemble de V
′
et nous avons prouvé que
marqueur1 et marqueur2 n’appartiennent pas à M′
car il est non trivial.
V
′
étant égal à V ∪ {marqueur1, marqueur2}, M′
est un sous-ensemble de
V .
– Par définition :
∀x ∈ V
′
\ M′
I
∀y ∈ M′
,(x, y) ∈ E
′ ou
∀y ∈ M′
,(x, y) Ó∈ E
′
or V est un sous-ensemble de V
′ donc :
∀x ∈ V \ M′
I
∀y ∈ M′
,(x, y) ∈ E
′ ou
∀y ∈ M′
,(x, y) Ó∈ E
′
573.2. APPLICATION DE LA DÉCOMPOSITION MODULAIRE
or E
′ = E ∪ {(marqueur1, n),(marqueur2, m),(marqueur1, marqueur2)},
et marqueur1 et marqueur2 n’appartiennent ni à V ni à M′ donc :
∀x ∈ V \ M′
, ∀y ∈ M′
,(x, y) ∈ E
′ ⇒ (x, y) ∈ E
∀x ∈ V \ M′
, ∀y ∈ M′
,(x, y) Ó∈ E
′ ⇒ (x, y) Ó∈ E
donc :
∀x ∈ V \ M′
I
∀y ∈ M′
,(x, y) ∈ E ou
∀y ∈ M′
,(x, y) Ó∈ E
M′
est un module de G. Donc tous les modules non triviaux définis dans T
′
sont des modules de G
Conséquence 1 Les deux sommets marqués sont directement rattachés à la racine
de l’arbre de décomposition. L’étape 5 ne modifie pas la structure globale de T
′
; elle
élimine simplement deux feuilles sous la racine.
Théorème 2 Soit G = (V, E) un graphe connexe et, n et m deux sommets de G
tels que n (resp. m) a au moins un voisin différent de m (resp. n).
L’algorithme 4 retourne T
′ un arbre de décomposition de G dans lequel :
1. n et m sont des modules triviaux situés sous la racine ;
2. tous les modules définis dans T
′
sont des modules de G.
Preuve : Le théorème 2 est une conséquence directe de la proposition 1.
Pour analyser la complexité en temps de cet algorithme, nous utiliserons les
notations suivantes :
– n représente le nombre de sommets du graphe G.
– m représente le nombre d’arêtes du graphe G.
L’ajout de deux sommets et de trois arêtes au graphe G s’effectue en temps
constant. Dans la section 2.3, nous avons vu que l’algorithme de décomposition modulaire
non-orienté s’effectue en O(n+m). La complexité en temps de cet algorithme
est donc en O(n + m).
Théorème 3 L’algorithme 4 se termine en O(n + m)
Extraction d’un sommet par modification de l’arbre de décomposition
modulaire
L’algorithme 4 recalcule une décomposition modulaire à partir du graphe initial.
Il possède quelques restrictions qui ne sont pas contraignantes dans les cas concrets.
Dans l’algorithme 5, nous cherchons une solution qui mette à profit l’arbre de dé-
composition modulaire déjà obtenu. Il peut être qualifié d’algorithme local.
Afin d’éviter la gestion de cas particuliers, nous avons utilisé l’algorithme 5 pour
extraire les extrémités d’une signature de l’arbre de décomposition modulaire. Cet
583.2. APPLICATION DE LA DÉCOMPOSITION MODULAIRE
Algorithme 5 Extraction d’un sommet par modification de l’arbre de décomposition
modulaire
Entrée: n le sommet à extraire, T = (V, A) l’arbre de décomposition modulaire
Sortie: T
′ = (V
′
, A′
) l’arbre avec le sommet extrait
1: V
′ ← V
2: A′ ← A
3: pour tout m ∈ cheminT (n) faire
4: A′ ← A′ \ {(ParentT (m), m)}
5: si m Ó= RacineT′ et m Ó= n et nombreFilsT (m) <= 2 ou m est Premier
alors
6: pour tout o ∈ enfantsT (m) faire
7: A′ ← A′ \ {(m, o)}
8: A′ ← A′ ∪ {(RacineT′, o)}
9: V
′ ← V
′ \ {m}
10: sinon
11: A′ ← A′ ∪ {(RacineT′, m)}
algorithme extrait un seul sommet. Afin d’extraire les deux extrémités, il faut donc
l’utiliser deux fois consécutivement . Il fonctionne de la manière suivante. Tout
d’abord, nous récupérons le chemin entre la racine de l’arbre et le sommet à extraire,
tous les sommets intermédiaires sont des modules. L’algorithme parcourt
alors ce chemin en partant de la racine et, pour chaque module, il supprime l’arête
reliant le module courant à son parent, puis, suivant les caractéristiques du module,
celui-ci sera supprimé ou uniquement modifié. Si le module possède exactement deux
fils ou s’il est premier, alors le module est supprimé et on ajoute des arêtes entre la
racine et tous ses fils. Sinon, on ajoute une arête entre la racine et le module.
Théorème 4 Soit G = (V, E) un graphe connexe.
L’algorithme 5 retourne T
′ un arbre de décomposition de G tel que :
1. n est un module trivial situé sous la racine ;
2. tous les modules définis dans T
′
sont des modules de G.
Preuve :
1. L’étape 11 de l’algorithme relie directement le sommet à extraire à la racine.
Donc n est un module trivial situé sous la racine.
2. Un module dans T
′
est obtenu à partir des modules de T. Soit M′ un module
non trivial dans T
′
, il est défini à partir du module M de T, soit comme une
copie de M, soit comme un sous-ensemble de M
– Supposons que M n’est pas sur le chemin entre la racine et n dans T. Le
module n’est pas modifié par l’algorithme. M′
est donc un module de G
– Supposons que M est sur le chemin entre la racine et n dans T.
– M′ ne peut pas être premier car l’algorithme éclate tous les modules premiers.
– Si M′
est un module non premier, alors M est un module dans T, donc :
593.2. APPLICATION DE LA DÉCOMPOSITION MODULAIRE
∀x ∈ V \ M
I
∀y ∈ M,(x, y) ∈ E ou
∀y ∈ M,(x, y) Ó∈ E
Or M′
est un sous-ensemble de M, donc :
∀x ∈ V \ M
I
∀y ∈ M′
,(x, y) ∈ E ou
∀y ∈ M′
,(x, y) Ó∈ E
– Si M′
est un parallèle, alors M est un parallèle, donc : ∀x ∈ M, ∀y ∈
M,(x, y) Ó∈ E
Par conséquent :
∀x ∈ V \ M′
I
∀y ∈ M′
,(x, y) ∈ E ou
∀y ∈ M′
,(x, y) Ó∈ E
M′
est donc un module de G.
– Si M′
est un série, alors M est un série, donc : ∀x ∈ M, ∀y ∈ M,(x, y) ∈
E
Par conséquent :
∀x ∈ V \ M′
I
∀y ∈ M′
,(x, y) ∈ E ou
∀y ∈ M′
,(x, y) Ó∈ E
M′
est donc un module de G.
Pour analyser la complexité en temps de cet algorithme, nous utiliserons les
notations suivantes :
– n représente le nombre de sommets du graphe G.
– m représente le nombre d’arêtes du graphe G.
Cet algorithme parcourt le chemin entre la racine de l’arbre et le sommet à extraire.
Pour chacun des sommets de ce chemin, il parcourt l’ensemble de ses enfants.
Dans le pire des cas, chaque sommet de l’arbre est parcouru deux fois. Le nombre
de sommets de l’arbre est au maximum 2n − 1 car il possède n feuilles et tous
les sommets intérieurs sont de degré minimum 2. La complexité en temps de cette
algorithme est donc, au pire des cas, en O(n).
Théorème 5 L’algorithme 5 termine en O(n).
3.2.4 Applications des algorithmes
Pour illustrer les deux méthodes, nous les appliquons au graphe de la figure 3.8a.
Ce graphe non-orienté contient 11 sommets et 29 arêtes. Son arbre de décomposition
modulaire est représenté par la figure 3.8b. À partir de cet arbre, nous générons le
graphe quotient (figure 3.8c) qui contient les sommets du premier niveau de l’arbre.
Sur ce graphe, il est impossible de calculer les chemins entre les sommets 2 et 8.
En appliquant l’algorithme 4 à ce graphe afin de faire apparaître les sommets
2 et 8 sur le graphe quotient, nous obtenons le graphe modifié représenté par la
603.2. APPLICATION DE LA DÉCOMPOSITION MODULAIRE
(a) Graphe initial (b) Arbre de décomposition
(c) Graphe quotient
Figure 3.8 – Graphe exemple
(a) Graphe avec les marqueurs (b) Arbre de décomposition modulaire associé
(c) Graphe quotient associé
Figure 3.9 – Extraction des sommets 2 et 8 en utilisant l’algorithme 4
figure 3.9a. Par application de la décomposition modulaire, nous obtenons l’arbre
de la figure 3.9b, puis le graphe quotient de la figure 3.9c.
En appliquant l’algorithme 5 successivement aux sommets 2 et 8, nous calculons
l’arbre de la figure 3.10a et en déduisons le graphe quotient de la figure 3.10b. Pour
cet exemple, on peut voir que l’application de l’un ou l’autre des algorithmes donne le
même résultat. Cependant, on peut avoir des résultats différents. Cela est mis en évidence
lors de l’étude du graphe de processus de la section 3.3. En effet, en calculant
l’arbre de composition de ce graphe avec les contextes system_u:system_r:sshd_t
et user_u:user_r:user_t extraits, on obtient deux arbres différents suivant l’algorithme
utilisé. Nous présenterons les différences dans la section 3.3.
La figure 3.11 schématise le génération de signatures utilisant la décomposition
modulaire.
613.2. APPLICATION DE LA DÉCOMPOSITION MODULAIRE
(a) Arbre de décomposition modulaire modifié
(b) Graphe quotient associé
Figure 3.10 – Extraction des sommets 2 et 8 en utilisant l’algorithme 5
Figure 3.11 – Fonctionnement de la génération de signatures utilisant la décomposition
modulaire
3.2.5 Gestion des boucles sur module
Dans la section 1.3, nous avons vu que le mécanisme original de génération de
signatures n’autorise pas les boucles. Avec l’utilisation de la décomposition modulaire
se pose la question de l’autorisation des boucles sur modules. En effet, sur cet
exemple, on peut voir qu’une signature originale sans boucle peut se traduire par
une signature modulaire avec une boucle.
1 → 2 → 6 → 3 → 5
1 → Série A → Parallèle B → Série A → 5
Nous ne pouvons pas autoriser les boucles sur module sans restriction, car cela
engendrerait un nombre infini de signatures. Nous avons donc envisagé deux solutions.
Le première consiste à ne pas autoriser les boucles et à gérer les cas comme
celui de l’exemple lors de la détection. La deuxième solution est d’autoriser k passages
par un module de taille k. Au-delà de k passages, on est obligé de passer deux
623.2. APPLICATION DE LA DÉCOMPOSITION MODULAIRE
fois par le même sommet ce qui correspond à une signature avec boucle dans le
système original.
Cette deuxième méthode nécessite une gestion fine et complexe lors de la dé-
tection, car il faut se souvenir des différents éléments déjà visités, et enlève un peu
d’intérêt à la compression. Elle ne sera évaluée que par rapport au taux de compression.
3.2.6 Compression théorique
Dans cette section, nous évaluons le gain théorique de notre approche. Dans un
premier temps, nous donnons le principe général du calcul dans le cas d’une signature
sig avec un seul module M.
s ⇒ a → M → b ⇒ d
Une signature compressée propre sig, contenant un seul module M, représente
toutes les signatures non compressées qui sont construites de la manière suivante :
s ⇒ a → x ⇒ y → b ⇒ d
tel que :
– x, y ∈ M ;
– s ⇒ a est un chemin simple reliant s à a ne traversant pas M ;
– b ⇒ d est un chemin simple reliant b à d ne traversant pas M ;
– x ⇒ y est un chemin simple reliant x à y dans G potentiellement de longueur
nulle. Par ailleurs, le chemin x ⇒ y n’intersecte pas les chemins s ⇒ a et b ⇒ d.
Étant donnée une signature compressée sig, la seule partie variable est donc la
partie "interne" au module. Une signature modulaire représente autant de signatures
non-modulaires qu’il existe de chemins simples entre deux éléments du module
n’intersectant pas le reste de la signature.
D’un point de vue pratique, ceci est difficile à mettre en œuvre. Nous listons, pour
la suite, les cas où une borne inférieure peut être obtenue en appliquant le principe
précédent, mais en contraignant les chemins entre deux sommets d’un module à
rester dans le module. Nous appelons pur un module dont tous les fils dans l’arbre
sont des feuilles.
Lemme 5 Une signature compressée propre s contenant un module M de taille k
représente au moins f(k) signatures non modulaires, telle que f(k) est la somme
des deux quantités décrites ci-dessous :
– k, la taille du module ;
– le nombre de chemins entre deux éléments distincts appartenant à M, en ne
considérant que les chemin à l’intérieur du module M.
Preuve : Soit s une signature compressée contenant un module, c’est-à-dire, s =
c1, ..., ci
, M, ci+1, ...cl
, où M est un module de G tel que M = {c
′
1
, ...c′
k}. Tous les
contextes ci et c
′
i
sont distincts, sinon il y aurait une boucle dans la signature. À
633.2. APPLICATION DE LA DÉCOMPOSITION MODULAIRE
partir de cette signature, nous pouvons dériver des signatures du graphe original de
deux manières. Premièrement, nous pouvons remplacer M par un des éléments qui
le compose. Les signatures ainsi générées sont de la même longueur que s. Deuxiè-
mement, nous pouvons remplacer M par tout chemin simple entre deux éléments
distincts de M. Les signatures générées de cette manière sont plus longues que s.
Conséquence 2 Une signature propre s contenant un module parallèle pur M de
taille k représente au moins k signatures sur le graphe original.
Conséquence 3 Une signature propre s contenant un module série pur M de taille
k représente au moins N signatures sur le graphe original.
N =
k
Ø−1
i=0
Ù
i
j=0
(k − j)
Preuve : Dans ce cas les, sommets appartenant à M forment une clique. Ainsi, le
nombre de chemins simples entre deux éléments de M est d’au moins le nombre de
chemins à l’intérieur de la clique, chemins de longueur 0 inclus. Définir un chemin
simple de longueur i consiste à choisir le premier élément parmi k, puis le deuxième
parmi (k − 1) et ainsi de suite. Donc le nombre de chemins simples de longueur i
est ri
j=0(k−j). En additionnant tous ces termes, nous obtenons le résultat voulu.
Nous nous sommes penchés sur le cas où la signature ne contient qu’un seul
module. Dans le cas où il y a plusieurs modules dans la signature, le calcul général
devient plus complexe. En effet, si on reprend la logique précédente, on obtient pour
une signature contenant n modules :
sig = s ⇒ i → M1 → j1 ⇒ k1 . . . jn−1 ⇒ kn−1 → Mn → l ⇒ d
Les signatures non-modulaires représentées par sig sont de la forme :
s ⇒ i → x1 ⇒ y1 → j1 ⇒ k1 . . . jn−1 ⇒ kn−1 → xn ⇒ yn → l ⇒ d
telles que :
– ∀i ∈ [1, n] : xi
, yi ∈ Mi
;
– s ⇒ i est un chemin simple reliant s à i ne traversant aucun module ;
– l ⇒ d est un chemin simple reliant l à d ne traversant aucun module ;
– ji ⇒ ki est un chemin simple reliant ji à ki ne traversant aucun module ;
– xi ⇒ yi est un chemin simple reliant xi à yi dans G potentiellement de longueur
nulle. Par ailleurs, le chemin xi ⇒ yi n’intersecte pas les chemins s ⇒ i
et l ⇒ d ni aucun jj ⇒ kj et aucun autre xj ⇒ yj
.
En utilisant le lemme 5, une première borne inférieure, dans le cas où il existe plusieurs
modules dans une signature, consiste à faire le produit des bornes inférieures
de chaque module.
Les compressions théoriques calculées dans cette section ne sont que des bornes
inférieures. Les calculs effectués ne tiennent pas compte de la possibilité d’effectuer
des boucles sur un module, car le nombre exact de chemins entre deux sommets d’un
module n’est pas calculable sans connaître exactement le graphe. Les gains réels ont
donc une forte probabilité d’être supérieurs aux gains théoriques.
643.2. APPLICATION DE LA DÉCOMPOSITION MODULAIRE
3.2.7 Équivalence des systèmes de génération
Dans cette section, nous montrons que, pour une politique de sécurité donnée,
les deux systèmes de génération de signatures produisent des bases représentant les
mêmes comportements.
Définition 26 (Équivalence des système de génération de signatures)
Deux systèmes de génération de signatures sont équivalents si, pour une même entrée,
les bases qu’elles génèrent sont équivalentes.
Théorème 6 Le système de génération de signatures de PIGA est équivalent à celui
utilisant la décomposition modulaire.
Preuve : On note BP la base de PIGA et BM la base générée en utilisant la décomposition
modulaire. Cette preuve se décompose en deux parties :
1. Une signature présente dans BP est représentée dans BM :
Soit S = s, x1, ..., xn, d une signature de BP de source s et de destination d.
S est chemin dans le graphe de flux du système G. On définit p(S) comme
la projection de chaque sommet xi ∈ S sur le module maximal Mi auquel il
appartient dans MTG(s, d).
– Soit ∀i, Mi = {xi} alors la signature n’est pas compressée. Elle apparaît telle
quelle dans QuotG. Donc S ∈ BM.
– Soit ∀i Ó= j, Mi Ó= Mj alors la signature est compressée mais ne comporte
pas de boucle sur module. Donc p(S) ∈ BM
– Soit ∃i Ó= j,tel que Mi = Mj alors p(S) = s, ..., Mi
, ..., Mi
, ..., d. On peut
alors supprimer la partie du chemin entre les deux occurrences de Mi
. Ce
processus peut être itéré jusqu’à ce que tous les modules soient différents.
La signature ainsi obtenue appartient à BM car le chemin correspondant ne
contient pas de boucle.
2. Une signature non présente dans BP n’est pas représentée dans BM :
Soit S une signature de BM. On définit p
−1
(S) = {S
′ ∈ G tel que S = p(S
′
)}.
Supposons qu’il existe une signature S /∈ BP représentée par la signature
S
′ ∈ BM. Alors S ∈ p
−1
(S
′
) et S /∈ BP . S est donc un chemin dans le graphe
G. Or BP et BM ont les mêmes couples source/destination donc S ∈ BP .
On peut faire plusieurs remarques à partir de cette preuve. Dans le cas d’un
graphe quotient non propre, la base de signature modulaire peut représenter des
comportements n’étant pas représentés dans la base de PIGA. Cependant, ces comportements
seront bloqués par le système MAC et n’apparaîtront pas dans les traces
analysées par PIGA. Il est également possible qu’un comportement soit représenté
par plusieurs signatures modulaires, notamment si des boucles sur module se chevauchent.
653.3. EXPÉRIMENTATION
3.3 Expérimentation
Les expérimentations ont été réalisées en Java, en utilisant le code original de
PIGA. Les nouvelles classes développées lors de cette thèse utilisent la librairie Jung 1
pour visualiser les graphes ainsi que le programme appliquant la décomposition
modulaire développé en C par Fabien De Mongolfier 2
. Ce programme a été adapté
au format des graphes utilisés par PIGA.
3.3.1 Processus d’expérimentation
Afin de tester l’efficacité de notre méthode de compression de signatures, nous calculons,
pour différents graphes, les signatures pour plusieurs couples source/destination.
Comme évaluation de l’efficacité de la méthode, nous utilisons deux mesures :
– Compression globale :
ρs = 1 −
nombre de signatures compressées
nombre de signatures non-compressées
ρs indique le pourcentage de compression des signatures. Ainsi, si on obtient
ρ = 95%, cela signifie que l’on a obtenu 20 fois moins de signatures compressées
que de signatures non-compressées.
– Compression mémoire :
ρm = 1 −
taille de la base compressé
taille de la base non-compressé
ρm indique le pourcentage de compression de la base de signatures.
3.3.2 Expérimentation sur un graphe exemple
Tout d’abord, nous avons testé notre méthode sur le graphe de la figure 3.8a. Ce
graphe, tiré de [HP10], n’a aucune application en sécurité mais contient des modules
séries et parallèles. De plus, l’arbre de décomposition modulaire possède plusieurs
niveaux. Ce graphe est composé de 11 sommets et 29 arêtes. Dans ce cas, nous
travaillons sur le graphe non-orienté, ce qui revient à considérer le graphe orienté
symétrique correspondant. Pour évaluer l’efficacité de notre méthode, nous calculons
le nombre de signatures générées avec et sans application de la décomposition modulaire
pour chaque paire source/destination possible. Le taux de compression est
calculé deux fois pour chaque paire, une fois sans boucle autorisée sur les modules et
une fois avec. Pour les deux méthodes, le taux de compression obtenu est important
et montre que la décomposition modulaire a un impact important, même avec des
modules de petite taille.
Les résultats sont présentés dans la table 3.1. Dans le cas des signatures compressées
sans boucle, nous calculons 1436 signatures contre 103411 avec le mécanisme
d’origine, ce qui correspond une compression globale de 98,6%. C’est-à-dire qu’une
1. La librairie Jung est accessible sur http://jung.sourceforge.net/
2. Le programme de décomposition modulaire de F. De Montgolfier est disponible sur : http:
//www.liafa.jussieu.fr/~fm/algos/index.html
663.3. EXPÉRIMENTATION
Nb sig ρs Min ρs Max ρs
Non-compressées 103411 – – –
Compressées sans boucles 1436 98.6% 91.3% 99.9%
Compressées avec des boucles sur les modules 5780 94.4% 81.7% 99.7%
Table 3.1 – Taux de compression pour le graphe exemple (figure 3.8a)
signature modulaire sans boucle compresse en moyenne 72 signatures classiques.
Les paires source/destination obtenant la moins bonne compression sont les paires
2/6, 2/7, 3/6 et 3/7. La compression obtenue est de 91,3% et le graphe quotient,
sur lequel les signatures ont été calculées, est composé de 8 sommets et 36 arêtes.
Les paires source/destination obtenant la meilleure compression sont les paires 1/8
et 1/9. La compression obtenue est de 99,9% et le graphe quotient, sur lequel les
signatures ont été calculées, est composé de 6 sommets et 14 arcs.
Dans le cas des signatures compressées avec boucle, nous calculons 5780 signatures,
ce qui correspond une compression globale de 94,4%. C’est-à-dire qu’une signature
modulaire avec boucle compresse en moyenne 18 signatures classiques. Les
paires source/destination obtenant la moins bonne compression sont les paires 2/10,
2/11, 3/10 et 3/11. La compression obtenue est de 81,7% et le graphe quotient, sur
lequel les signatures ont été calculées, est composé de 9 sommets et 34 arcs. La paire
source/destination obtenant la meilleure compression est la paire 1/5. La compression
obtenue est de 99,7% et le graphe quotient, sur lequel les signatures ont été
calculées, est composé de 5 sommets et 10 arcs.
Sur ces expérimentations, on peut voir que la compression sans boucle produit
environ quatre fois moins de signatures que la compression avec boucle.
3.3.3 Expérimentation sur des graphes réels
L’expérimentation sur le graphe exemple a montré qu’il est possible d’obtenir une
bonne compression des chemins en utilisant la décomposition modulaire. Cependant,
cette méthode est très dépendante de la forme du graphe. Cette section présente les
résultats obtenus en utilisant la décomposition modulaire sur des graphes utilisés
par PIGA. Premièrement, nous nous intéressons aux graphes de flux utilisés pour
la génération des signatures liées aux propriétés de confidentialité. En second, nous
appliquons notre méthode sur un graphe de processus afin de tester les possibilités
d’implémentation de notre méthode à d’autres propriétés.
Graphes de flux
Afin d’évaluer l’efficacité de notre méthode sur un cas réel, nous l’appliquons sur
un graphe de flux existant. Ce graphe, composé de 411 sommets et 438 arcs, repré-
sente les flux d’informations possibles sur une passerelle sous Gentoo utilisée lors
d’un test de performance de PIGA-IDS sur un pot de miel [BRCTZ09]. L’objectif de
ce pot de miel est de comprendre le comportement des utilisateurs considérés comme
attaquants. L’arbre de décomposition obtenu possède une structure particulière : il
est de hauteur 3 et tous ses modules, sauf un, sont des parallèles. De plus, sa racine
673.3. EXPÉRIMENTATION
est un parallèle contenant un module premier et 297 sommets. La figure 3.12 repré-
sente le sous-arbre du module premier, le sommet rose représente ce module et les
sommets verts sont des modules parallèles. Ces modules parallèles peuvent refléter
une logique sémantique. Par exemple, un parallèle contient system_u:object_r:
shadow_t, user_u:object_r:shadow_t et root:object_r:shadow_t. Dans ce cas,
la logique sémantique vient du fait que ces contextes représentent tous le fichier
/etc/shadow. Le graphe de flux a été généré avec un mapping de 42 et nous avons
utilisé l’algorithme 5 pour extraire les extrémités de l’arbre, car le graphe n’est pas
connexe.
Nous calculons le nombre de signatures générées pour les 6 paires source/destination
présentes dans la table 3.2. Le graphe quotient obtenu le plus grand possède 346 sommets
et 198 arcs. La première paire (p1) représente tous les moyens de changement
de mot de passe de l’utilisateur, tandis que la paire p4 représente toutes les tentatives
de l’utilisateur pour obtenir de l’information contenue dans le fichier shadow.
Le contexte user_u:user_r:user_t est utilisé pour toutes les paires et seuls quatre
contextes différents sont utilisés comme source ou destination. Parmi ces contextes,
seul system_u:object_r:shadow_t appartient à un module. Ainsi, pour les paires
p2, p3, p5 et p6, nous utilisons le graphe quotient non modifié pour calculer les
signatures. Pour les deux paires restantes, le graphe quotient utilisé est composé de
27 sommets et 91 arêtes. On peut noter que le graphe quotient n’est pas propre, la
ré-orientation du graphe quotient génère 10 arcs supplémentaires.
Figure 3.12 – Décomposition du module premier du graphe de flux
La table 3.3 présente le nombre de signatures non-compressées et compressées
pour chaque paire ainsi que le taux de compression associé. Cette table indique
que le nombre de signatures modulaires est de 6870 contre 152513 signatures non
modulaires, soit un taux de compression globale de 95,5%. Une signature modulaire
683.3. EXPÉRIMENTATION
p1: user_u:user_r:user_t --> system_u:object_r:shadow_t
p2: user_u:user_r:user_t --> system_u:object_r:etc_t
p3: user_u:user_r:user_t --> user_u:object_r:user_tmp_t
p4: system_u:object_r:shadow_t --> user_u:user_r:user_t
p5: system_u:object_r:etc_t --> user_u:user_r:user_t
p6: user_u:object_r:user_tmp_t --> user_u:user_r:user_t
Table 3.2 – Paires source/destination analysées
p1 p2 p3 p4 p5 p6 Total
Non-compressées 1 2 14006 85510 42756 10238 152513
Compressées 1 2 477 4026 2014 350 6870
ρs 0% 0% 96.6% 95.3% 95.3% 96.6% 95.5%
Table 3.3 – Taux de compression pour le graphe de flux
compresse donc, en moyenne, 22 signatures non-modulaires. Cette expérimentation
montre, par ailleurs, qu’une signature modulaire compresse entre 2 et 717 signatures
non-modulaires et comporte entre 1 et 3 modules. Certaines signatures, de longueur
4 et ne contenant qu’un seul module, peuvent compresser plusieurs centaines de
signatures non-modulaires.
La figure 3.13 montre le nombre cumulé de signatures calculées en fonction de
leur longueur. Durant cette expérimentation, toutes les signatures sont calculées, que
ce soit avec ou sans utilisation de la décomposition modulaire. Sur cette figure, on
peut voir que les deux courbes ont le même comportement et que la longueur maximum
des signatures est de 15 avec compression et de 17 sans compression. Certaines
signatures non-modulaires plus longues sont donc compressées par des signatures
modulaires de longueur inférieure.
Nous avons étudié un autre graphe, mais un mapping de 42 rend ce graphe
quasi-identique au graphe utilisé précédemment. On obtient alors le même nombre
de signatures pour le graphe quotient. Nous avons donc descendu le mapping à
35 et calculé les signatures non-compressées et compressées allant de system_u:
object_r:etc_t vers user_u:user_r:user_t. La table 3.4 représente les caracté-
ristiques des graphes ainsi que le nombre de signatures non-compressées et compressées.
Nous avons limité la longueur (k) à 6 pour les signatures non-compressées et à
8 pour les signatures compressées, car la machine de calcul ne dispose pas d’assez de
mémoire pour aller au-delà. Il est difficile de donner un taux de compression pour
cette expérience car l’ensemble des signatures n’a pas été généré.
Sommets Arêtes Sign. non-compressées Sign. compressées
k=6 k=6 k=8
Graphe 1 411 729 50060 16694 376681
Graphe 2 428 732 44435 12862 261181
Table 3.4 – Résultat du calcul de signatures avec un mapping de 35
693.3. EXPÉRIMENTATION
0
20000
40000
60000
80000
100000
120000
140000
160000
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18
0
1000
2000
3000
4000
5000
6000
7000
Nombre de signatures non-modulaires
Nombre de signatures modulaires
Longueur des signatures
Non-Modulaires
Modulaires
Figure 3.13 – Distribution cumulative des signatures en fonction de leur longueur
Graphe de processus
À la section 1.2, nous avons vu que le graphe d’interactions peut être dérivé en
différents graphes. Le graphe de processus est obtenu en ne gardant que les arêtes
étiquetées par une opération élémentaire de classe process. Le graphe de processus,
que nous étudions ici, est composé 381 sommets et 21074 arêtes soit une densité
de 15%. L’application de la décomposition modulaire génère un arbre possédant
un module série comme racine. La table 3.5 montre que l’arbre de décomposition
modulaire obtenu est plus profond et plus complexe que celui du graphe de flux. Au
niveau 1, les feuilles sont des contextes de la forme *:sysadm_r:sysadm_t qui sont
en rapport avec l’administrateur du système. Dans la mesure où celui-ci a tous les
droits, ces contextes sont connectés à tous les autres. Le graphe quotient est très
simple : il correspond à un graphe complet à 5 sommets. On peut noter que le module
premier du niveau 4 contient 108 des 112 sommets du niveau 5. Pour la plupart des
modules, les contextes qu’ils contiennent ont des similitudes. Par exemple, tous les
contextes d’iptable appartiennent au même module. Il en va de même pour les
contextes de mozilla, de ssh, de gcc_config, etc.
Nous avons calculé le nombre des signatures entre system_u:system_r:sshd_t
et user_u:user_r:user_t sur le graphe de processus en utilisant la décomposition
modulaire. Ce calcul vise à définir tous les moyens de connexion à un utilisateur via
ssh. Lors de cette expérimentation, nous avons extrait les sommets des extrémités en
utilisant les deux algorithmes de la section 3.2. Les arbres de décomposition obtenus
sont différents, donc les graphes quotients le sont également. Le graphe quotient
généré suite à l’extraction par marquage de sommets comporte 53 modules séries,
13 modules parallèles et 46 contextes soient 112 sommets et 902 arêtes dont 89 ne
sont pas propres. Le graphe quotient généré par modification de l’arbre est composé
703.4. SIMPLIFICATION PAR INCLUSION DE SIGNATURES
Série Parallèle Premier Feuilles
Racine 1 0 0 0
Niveau 1 0 1 0 4
Niveau 2 1 0 0 1
Niveau 3 0 1 0 17
Niveau 4 1 0 1 3
Niveau 5 51 12 0 49
Niveau 6 8 0 0 270
Niveau 7 0 0 0 37
Table 3.5 – Composition des niveaux de l’arbre de décomposition modulaire du
graphe de processus
de 52 modules séries, 13 modules parallèles et 50 contextes soient 115 sommets et
1515 arcs dont 92 ne sont pas propres.
Sur le graphe d’origine, il n’était pas possible de calculer toutes les signatures de
longueur 4 à cause d’un manque de mémoire. Ceci est une conséquence directe de
la recherche de chemin dans les modules séries. En effet, elle génère de nombreuses
signatures différentes. Sur le graphe quotient, il n’est pas possible de calculer toutes
les signatures de longueur 5. En limitant la longueur à 4, nous obtenons 3546 signatures.
Afin de pouvoir donner un taux de compression, nous restreignons le calcul aux
signatures de longueur 3. Nous obtenons ainsi 190 signatures modulaires contre 1571
signatures non-modulaires. Ceci correspond à un taux de compression de ρs = 87.9%.
Le module premier du niveau 4 étant dans un module parallèle, les sommets
qui le composent ne sont pas reliés au reste du graphe. Les signatures entre deux
contextes appartenant à ce module premier ne peuvent donc pas passer par des
contextes qui n’y appartiennent pas. Les contextes system_u:system_r:sshd_t et
user_u:user_r:user_t appartenant au module premier, nous avons recalculé les
signatures en prenant uniquement le sous-graphe quotient contenu dans le module
premier. Dans ce cas, le graphe initial est composé de 350 sommets et 5930 arcs
contre 108 sommets et 506 arcs pour le graphe quotient. Nous avons ainsi pu monter
jusqu’à 10 de longueur pour les signatures modulaires et 4 de longueur pour les
signatures non-modulaires. Si l’on se limite à 4 de longueur, on obtient seulement
96 signatures modulaires contre 12130 non-modulaires soit un ratio de 99%.
3.4 Simplification par inclusion de signatures
Dans ce qui précède, nous avons considéré les signatures pour chaque paire
source/destination. Cependant, dans les cas réels, les propriétés de confidentialité
mettent en jeu plusieurs paires de contextes potentiellement sensibles. Nous montrons
comment prendre en compte cette spécificité dans cette section.
Afin de réduire le nombre de signatures générées par PIGA, nous avons utilisé
une seconde méthode : la suppression par inclusion. Si une signature est incluse
dans une autre, la première sera complétée avant la seconde. Or, lorsque PIGA est
en mode IPS, la dernière interaction permettant la complétion d’une signature est
713.4. SIMPLIFICATION PAR INCLUSION DE SIGNATURES
Sans suppression par inclusion Avec suppression par inclusion
Sign. ρs Taille ρm Sign. ρs Taille ρm
Sans DM 152513 - 89,5Mo - 30107 80,3% 24.2Mo 73%
Avec DM 6870 95,5% 3,4Mo 96,2% 2016 98,7% 1,3Mo 98,6%
Table 3.6 – Comparaison du nombre de signatures et de la taille de la base suivant
les combinaisons de méthode utilisés
bloquée. Ainsi, la seconde signature ne pourra jamais être complétée car l’interaction
finissant la première sera toujours bloquée. Le principe de cette méthode est donc
de supprimer une signature s’il existe une autre signature qui est incluse dans la
première. Cette méthode est utilisable avec ou sans la décomposition modulaire.
Nous avons appliqué cette méthode lors de la génération de signatures du graphe de
flux du pot de miel. La table 3.6 représente le nombre de signatures générées, le taux
de compression ρs, la taille de la base de signatures générée et ρm. Ces résultats sont
donnés pour chaque combinaison de méthodes possible : avec ou sans décomposition
modulaire (DM) et avec ou sans suppression par inclusion.
On peut observer que l’application de la suppression par inclusion seule divise
le nombre de signatures générées par 5 et la taille la base par un peu moins de 4.
L’utilisation de cette méthode, en plus de la décomposition modulaire, permet de
diviser par plus de 3 le nombre de signatures et par plus de 2 la taille de la base
comparée à l’utilisation seule de la décomposition modulaire. Cette expérimentation
montre que la suppression par inclusion réduit de manière importante le nombre de
signatures générées, ainsi que la taille de la base.
0
20000
40000
60000
80000
100000
120000
140000
160000
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18
0
5000
10000
15000
20000
25000
30000
35000
Nombre de signatures non-modulaires
Nombre de signatures non-modulaires avec inclusion
Longueur des signatures
Non-Modulaires
Non-modulaires avec suppr. par inclusion
Figure 3.14 – Distribution cumulative des signatures en fonction de leur longueur
La figure 3.14 montre le nombre cumulé de signatures non-modulaires avec et
723.5. LIMITES D’UTILISATION
sans suppression par inclusion en fonction de leur longueur. On peut noter que les
deux courbes ont un comportement très proche jusqu’à 10 de longueur. En effet, à
partir de ce palier, on peut voir que le nombre de signatures non-modulaires avec
suppression par inclusion n’augmente quasiment plus. À partir de la longueur 13,
toutes les signatures ont été calculées.
0
1000
2000
3000
4000
5000
6000
7000
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18
0
500
1000
1500
2000
2500
Nombre de signatures modulaires
Nombre de signatures modulaires avec inclusion
Longueur des signatures
Modulaires
Modulaires avec suppr. par inclusion
Figure 3.15 – Distribution cumulative des signatures en fonction de leur longueur
La figure 3.15 représente le nombre cumulé de signatures modulaires avec et
sans suppression par inclusion en fonction de leur longueur. On peut noter que les
deux courbes ont un comportement très proche. La principale différence est que
l’augmentation des signatures modulaires avec suppression par inclusion diminue à
partir de la longueur 10 contre 13 pour les signatures modulaires simples. En effet,
à partir de ce palier, on peut voir que le nombre de signatures non-modulaires avec
suppression par inclusion n’augmente quasiment plus. A partir de la longueur 13,
toutes les signatures ont été calculées.
3.5 Limites d’utilisation
3.5.1 Application de la décomposition modulaire
L’application de la décomposition modulaire a pour effet de créer des boîtes
noires dans les signatures. En effet, une fois une signature détectée, il est impossible
de savoir, sans utiliser beaucoup de mémoire, comment les modules de cette signature
ont été traversés. La gestion des boucles sur modules s’effectuant lors de la détection,
le flux d’informations peut passer par de nombreux contextes entre le moment où il
rentre dans un module et celui où il en sort. Ainsi, l’écriture de fichiers de log précis,
733.6. CONCLUSION
décrivant les différentes étapes de l’attaque qui a été détectée, est impossible si la
décomposition modulaire a été appliquée pour générer les signatures.
3.5.2 Suppression par inclusion
La suppression de signatures par inclusion ne peut être utilisée que lorsque PIGA
est en mode protection. En effet, en mode détection, les interactions terminant une
signature n’étant pas bloquée, il est possible qu’une signature en incluant une seconde
soit complétée.
3.6 Conclusion
Les expérimentations effectuées nous montrent que les taux de compression obtenus
grâce aux méthodes développées sont bons, que ce soit pour le nombre de
signatures ou pour la taille de la base. Pour 6 propriétés de confidentialité générant
une base de 90Mo contenant plus de 150000 signatures sur le système original, on
obtient, en combinant les deux méthodes, une base de 1,3Mo contenant un peu plus
de 2000 signatures. De plus, l’application de la décomposition modulaire permet
d’obtenir des signatures plus longues, soit par le calcul de chemins plus longs dans
le graphe, soit en étant représentées par des signatures modulaires. L’expérience sur
le graphe de processus montre que l’application de décomposition modulaire peut
s’appliquer à d’autres propriétés qu’à la confidentialité.
Pour chaque propriété de confidentialité, le calcul de l’arbre de décomposition
modulaire augmente le temps nécessaire au calcul des signatures. Cependant, lorsque
toutes les signatures sont calculées en utilisant le système original, le temps de calcul
est plus court en appliquant la décomposition modulaire car le graphe utilisé est plus
petit.
Il faut maintenant adapter le mécanisme de détection aux signatures modulaires
afin d’évaluer les performances en terme de temps ainsi que la quantité de mémoire
nécessaire à la gestion des modules lors de la détection. La forme de l’arbre de
décomposition, composé de nombreux modules de petite taille, semble positive du
point de vue de la mémoire nécessaire, comparée à des modules de grande tailles
mais moins nombreux.
74Chapitre 4
Modification du système de
détection
4.1 Introduction
Le système de détection actuel est fait pour fonctionner avec des signatures nonmodulaires.
Il peut donc être utilisé pour la base de signatures générée en appliquant
uniquement la suppression par inclusion. En effet, cette base est un sous-ensemble
cohérent de la base originale. Les signatures y appartenant possèdent donc la même
forme que celles de la base originale et sont donc utilisables avec le système de
détection actuel. Cependant, les signatures générées par application de la décomposition
modulaire ne sont pas utilisables avec ce mécanisme de détection car elles
possèdent des informations qui peuvent être traitées à un autre niveau : le module.
Nous devons donc modifier celui-ci, afin qu’il puisse traiter les signatures résultant
de l’application de la décomposition modulaire.
Dans la section 4.2, nous présenterons les nouveaux cas engendrés par l’utilisation
de la décomposition modulaire qu’il faudra traiter lors de la détection. Ces cas sont
dus à la présence d’un ou plusieurs modules dans une signature et au fait que ces
modules soient consécutifs ou non.
Dans la section 4.3, nous décrirons les algorithmes de détection développés afin
de gérer ces nouveaux cas. Nous analyserons leur complexité en temps et en espace.
Enfin, nous définirons la notion d’équivalence entre deux systèmes de détection, puis
nous prouverons que les algorithmes de détection développés sont équivalents à celui
du système original. Cette équivalence s’entend en termes de détections de violations
de propriétés de sécurité.
Dans la section 4.4, nous décrirons les expérimentations mises en place afin d’évaluer
les performances en termes de temps d’exécution et de consommation de mé-
moire du nouvel algorithme de détection en fonction de la base de signatures choisie.
Nous vérifierons également, sur un cas pratique, l’équivalence du nouveau système
de détection avec celui d’origine.
Enfin, dans la section 4.6, nous conclurons ce chapitre par une discussion autour
de la manière de gérer les exceptions dans le nouveau système de détection.
754.2. NOUVEAUX CAS ENGENDRÉS PAR LES MÉTHODES DE
COMPRESSION
4.2 Nouveaux cas engendrés par les méthodes de
compression
Les nouveaux cas engendrés par la compression des signatures sont uniquement
liés à la décomposition modulaire. En effet, la suppression par inclusion élimine des
signatures mais n’en modifie pas la forme. Son utilisation seule ne nécessite donc
pas d’adaptation du mécanisme de détection. Le nouveau mécanisme doit pouvoir
gérer les signatures modulaires. Dans cette section, nous verrons comment gérer les
signatures contenant un module, en détaillant les différents cas induits par la pré-
sence de ce module. Nous verrons également que le traitement d’un module s’adapte
à la gestion de plusieurs modules non-consécutifs.
La gestion des signatures possédant des modules consécutifs sera présentée dans
la section 4.5. Elle n’est pas implémentée dans notre algorithme de détection. En
effet, elle nécessite une analyse fine de tous les cas possibles, leur nombre augmentant
avec le nombre de modules présents consécutivement. De plus, elle n’est pas
nécessaire. En effet, en « cassant » certains modules d’une signature possédant des
modules consécutifs, on obtient une signature sans module consécutif, qui peut donc
être traitée par notre algorithme.
Le but de l’analyse présentée dans cette section, est de définir le moyen d’être
sûr que lorsqu’un comportement malicieux est détecté, la signature levant l’alerte
correspond bien à ce comportement.
4.2.1 Analyse des nouveaux cas
Dans cette section, nous traitons une propriété de confidentialité du contexte d
envers de le contexte s, c’est-à-dire qu’il ne doit pas y avoir de flux d’informations
de s vers d.
Pour les différents cas présentés ici, nous analyserons la signature suivante, correspondant
à la propriété traitée :
S1 = s → 1 → Module M → d
M = {x, y, z}
Nous souhaitons déterminer les scénarios qui mèneront à la levée d’une alerte par
cette signature et ceux qui le font pas. Dans ce dernier cas, si le flux d’informations
présenté viole la propriété de confidentialité, nous identifions la signature détectant
la violation.
Gestion d’un module
La traversée d’un module présent dans une signature, sans prendre en compte
les boucles, est le cas le plus simple. Afin de vérifier si une trace complète une
signature, il faut s’assurer que le flux d’informations va bien du sommet source au
sommet destination.
Nous concentrons l’étude pour les flux qui traversent le module avec une ou
deux interactions possibles avant et après le module. En effet, les autres cas géné-
raux (signatures longues) peuvent être décomposés en utilisant une des situations
suivantes.
764.2. NOUVEAUX CAS ENGENDRÉS PAR LES MÉTHODES DE
COMPRESSION
Voici une liste des cas qu’il faut traiter pour la signature ci-dessus. Pour chaque
cas, nous étudierons le flux d’informations d’une trace.
1. Le cas classique :
Trace 1
s → 1
1 → x
x → d
Sur cette trace, on entre dans le module M par le sommet x, puis on sort par
le même sommet. Le flux d’informations va bien du sommet s au sommet d et
correspond à la signature. La propriété est violée et la signature S1 doit être
complétée.
Trace 2
s → 1
1 → x
y → d
Pour cette trace, on entre dans le module M par le sommet x mais on sort
par le sommet y. Le flux d’informations ne passe donc pas du sommet s au
sommet d. Ceci représente le seul cas de levée de fausse alerte. La propriété
n’est pas violée, la signature S1 ne doit pas être complétée.
2. Le cas du backtrack :
Trace 3
s → 1
1 → x
1 → z
z → d
Sur cette trace, on entre dans le module M par x, puis par z et on sort par le
sommet z. Ainsi, le flux d’informations va bien du sommet s vers le sommet
d en passant par le sommet z, et correspond à la signature. La propriété est
violée et la signature S1 doit être complétée.
Gestion des boucles sur module
Dans la section 3.2, nous avons vu que, lors de la génération, nous n’autorisons
pas les boucles sur les modules. Cependant, il est possible de passer plusieurs fois par
un module, en passant par des sommets différents à chaque passage. Nous devons
donc gérer les boucles sur module durant la détection.
774.2. NOUVEAUX CAS ENGENDRÉS PAR LES MÉTHODES DE
COMPRESSION
1. Le cas classique :
Trace
s → 1
1 → x
x → a
a → y
y → d
Le tableau ci-dessus présente une trace appliquée à la signature utilisée pour
le cas précédent. Ici, on sort du module par un sommet différent de celui par
lequel on est entré. Cependant, l’information a circulé du sommet d’entrée x
au sommet de sortie y via le sommet a.
s → 1 → x → a → y → d
s → 1 → Module M → a → Module M → d
Si l’on remplace les sommets x et z par le module M dans la trace, on peut
voir que la trace boucle sur le module. En supprimant la boucle de la trace,
on obtient la signature voulue. Le flux d’informations va bien du sommet s au
sommet d en respectant la signature. La propriété est violée et la signature S1
doit être complétée.
2. Le cas du cycle :
Pour étudier le cas du cycle, nous considérons la signature, correspondant
également à la propriété traitée, suivante :
S2 = s → 1 → Module M → 2 → 3 → d
M = {x, y, z}
Trace
s → 1
1 → x
x → 3
3 → y
y → 2
2 → 3
3 → d
Ici, on effectue une boucle sur le module en passant par le sommet 3. Ce sommet
apparaît déjà dans la signature. Voici le flux d’informations correspondant à
la trace :
s → 1 → x → 3 → z → 2 → 3 → d
Le flux d’informations va du sommet s au sommet d. La propriété est donc
violée. Si on analyse ce flux, on se rend compte qu’il comporte un cycle sur le
784.2. NOUVEAUX CAS ENGENDRÉS PAR LES MÉTHODES DE
COMPRESSION
sommet 3. Le système de génération de signature original ne peut pas générer
cette signature. Si l’on supprime ce cycle, la signature non-modulaire obtenue
est la suivante :
S3 = s → 1 → x → 3 → d
La signature modulaire correspondante est donc :
S
′
3 = s → 1 → Module M → 3 → d
Le flux d’informations va bien du sommet s au sommet d mais ne correspond
pas à la signature S2. La propriété est violée. Cependant, la signature S2 ne doit
pas être complétée. La détection de ce comportement malicieux est dévolue à
la signature modulaire S
′
3
.
4.2.2 Gestion théorique
Pour illustrer les premiers cas de la gestion théoriques, nous considérons la signature
S1 définie dans la section précédente.
Gestion d’un module
1. Le cas classique :
Grâce aux exemples de trace de la section précédente, on peut voir qu’il est
nécessaire de mémoriser le sommet d’entrée d’un module, afin de s’assurer que
le flux d’informations traverse le module.
Trace 1 Sommet d’entrée Atteint par le flux
1 s → 1 – s, 1
2 1 → x x s, 1, x
3 x → d – s, 1, x, d
Pour la trace 1, le flux atteint le sommet d car lors de l’interaction x → d, le
sommet x est le sommet d’entrée du module M.
Trace 2 Sommet d’entrée Atteint par le flux
1 s → 1 – s, 1
2 1 → x x s, 1, x
3 y → d x s, 1, x
Pour la trace 2, le flux n’atteint pas le sommet d car lors de l’interaction y → d,
le sommet y n’est pas le sommet d’entrée du module M.
2. Le cas du backtrack :
Pour gérer le cas du backtrack, il est nécessaire de mémoriser le sommet précé-
dant le module, nommé prédécesseur, afin de traiter les interactions qui entrent
de nouveau dans celui-ci par un autre sommet.
794.2. NOUVEAUX CAS ENGENDRÉS PAR LES MÉTHODES DE
COMPRESSION
Trace 3 Prédécesseur Sommet d’entrée Atteint par le flux
1 s → 1 – – s, 1
2 1 → x 1 x s, 1, x
3 1 → z 1 x, z s, 1, x, z
4 z → d – – s, 1, x, z, d
Pour cette trace, le sommet 1 est mémorisé comme prédécesseur de module et
le sommet x et z sont tous les deux mémorisés comme sommet d’entrée. Ainsi
le flux d’informations peut sortir du module par un de ces sommets.
Du point de vue de l’implémentation, il est donc nécessaire de mémoriser les
sommets par lesquels on entre dans un module mais également le sommet précédant
le module. Une fois que le flux d’informations a atteint le sommet suivant le module,
les informations mémorisées ne sont plus nécessaires. Elles peuvent donc être
supprimées de la mémoire.
Gestion des boucles sur module
1. Le cas classique :
Afin de gérer les boucles sur modules, il faut être capable de déterminer, dans
le module, les sommets atteints par le flux d’informations à partir de l’entrée.
Pour cela, nous utilisons un système de contamination. Lors de la traversée
d’un module, un sommet peut être contaminé de deux façons. Premièrement,
si le flux induit d’une interaction a pour source le sommet précédant le module,
et, pour destination, un sommet y appartenant, alors le sommet destination
est contaminé. Deuxièmement, si le flux induit d’une interaction a pour source
un sommet déjà contaminé, alors le sommet destination est contaminé. Il n’est
cependant pas possible de contaminer un sommet présent dans la signature.
Enfin, si le flux induit d’une interaction a pour source, un sommet contaminé
appartenant au module, et, pour destination, le sommet suivant le module,
alors on sort du module et on supprime de la mémoire la liste des sommets
contaminés.
Trace Prédécesseur Sommets contaminés
1 s → 1 – –
2 1 → x 1 x
3 1 → y 1 x, y
4 z → b 1 x, y
5 x → a 1 x, y, a
6 a → d 1 x, y, a
7 a → z 1 x, y, a, z
8 z → d – –
La table ci-dessus présente l’évolution de la contamination sur le module M,
pour une trace sur la signature présentée lors de la section précédente. On
peut voir que le sommet x (resp. y) est contaminé lorsque l’on entre dans le
module lors de l’interaction 2 (resp. 3). La quatrième interaction ne contamine
pas b car z n’est pas contaminé, tandis que la cinquième contamine a à partir
804.2. NOUVEAUX CAS ENGENDRÉS PAR LES MÉTHODES DE
COMPRESSION
de x qui est déjà contaminé. L’interaction 6 complète un flux d’informations
de s vers d. Cependant, cette interaction ne finit pas la signature S1, car, si a
est contaminé, il n’appartient pas au module. Une autre signature lèvera une
alerte pour cette violation. De plus, cette interaction ne contamine pas 3, car
il apparaît dans la signature. Lors de la septième interaction, a contamine z.
Enfin, la dernière interaction sort du module et complète la signature, car z
est contaminé et appartient à M.
2. Le cas du cycle :
Pour gérer le cas du cycle, il suffit, avant de contaminer un sommet, de vérifier
qu’il n’apparaît pas dans la signature. La signature étudiée est la suivante :
S2 = s → 1 → Module M → 2 → 3 → d
M = {x, y, z}
Trace Prédécesseur Sommets contaminés
1 s → 1 – –
2 1 → x 1 x
3 x → 3 1 x
4 3 → z 1 x
5 z → 2 1 x
6 2 → 3 1 x
7 3 → d 1 x
Le sommet x est contaminé lors de l’entrée dans le module par le sommet
1. La troisième interaction ne contamine pas 3, car il apparaît dans la signature.
La quatrième interaction ne contamine pas z, car 3 n’est pas contaminé.
Les interactions restantes ne font pas progresser la signature car z n’est pas
contaminé.
La gestion des boucles sur un module implique une augmentation de la mémoire
nécessaire pour le système de détection, car celui-ci doit stocker les informations de
contamination. Cependant, la mémoire utilisée est récupérée directement après être
sortie du module. De plus, plus le nombre et la longueur des boucles possibles sur
un module sont grands, plus la compression obtenue par la présence de ce module
est importante.
Gestion des modules non-consécutifs
Les mécanismes de gestion des différents cas présentés précédemment peuvent
être utilisés pour gérer la présence de modules non-consécutifs. En effet, il existe
au moins un contexte simple après chaque module. La traversée d’un module est
ainsi validée lorsque ce contexte simple est atteint. Chaque module est donc géré
indépendamment des autres.
814.3. MISE EN ŒUVRE ALGORITHMIQUE
4.3 Mise en œuvre algorithmique
Dans cette section, nous étudierons les algorithmes de détection pour des signatures
possédant un ou plusieurs modules non-consécutifs. Les boucles sur module
ne sont gérées que par le second algorithme. La gestion des modules consécutifs
n’est pas traitée et n’a pas été implémenté durant cette thèse. En effet, dans les
cas concrets, elle ne s’avère pas nécessaire. Nous établirons ensuite la complexité
en espace de ces algorithmes, ainsi que celle de l’algorithme de détection original.
Enfin, nous prouverons l’équivalence, sous certaines conditions, des algorithmes de
détection.
4.3.1 Algorithmes de détection
Pour rappel, la fonction Pendante(S) pointe vers l’interaction pendante de la
signature S. La fonction Suivant(S) renvoie l’interaction suivant l’interaction pendante
de S. La fonction SourcePendante(S) (resp. DestPendante(S)) renvoie la
source (resp. la destination) de l’interaction pendante de S. Enfin, la fonction Alerte(S, I)
crée une alerte de complétion de la signature S par l’interaction I.
L’algorithme 6 définit la fonction Avancer(ALERTES, S, I), prenant en paramètres
un ensemble d’alertes, une signature ainsi qu’une interaction. Cette fonction
gère l’avancement ainsi que la complétion des signatures. En effet, celle-ci remplace
l’interaction pendante par celle qui la suit dans la signature et lève une alerte si
cette signature est complétée. Lorsque qu’une signature est complétée, la dernière
interaction de celle-ci reste pendante. Cette signature est en attente d’une nouvelle
complétion.
Algorithme 6 Fonction faisant avancer une signature : Avancer(ALERTES, S, I)
Entrée: ALERTES un ensemble d’alertes levées, S une signature, I une interaction
Sortie: ALERTES et S
1: si Suivant(S) = ∅ alors
2: ALERTES ← ALERTES ∪ Alerte(S, I)
3: sinon
4: Pendante(S) ← Suivant(S)
L’algorithme 7 implémente la procédure de gestion d’un module décrite dans la
section précédente. Comme le système de détection original, il prend en paramètres
une trace, c’est-à-dire un ensemble ordonné d’interactions, et une base de signatures.
La sortie de cet algorithme est également l’ensemble des alertes levées par la complé-
tion de signatures lors de l’analyse de la trace. La fonction Prédécesseur(S) pointe
vers le contexte précédant le module actif de S. La fonction Entrée(S) pointe vers
l’ensemble des contextes par lesquels on est entré dans le module actif de S. Enfin,
rappelons qu’on considère que I ∈ S, si l’interaction I est une étape de la signature S.
L’algorithme 7 permet de gérer le cas classique de traversée d’un seul module,
ainsi que le cas du backtrack. Il va lire chaque interaction de la trace dans l’ordre,
824.3. MISE EN ŒUVRE ALGORITHMIQUE
et, pour chaque signature incluant cette interaction, tester plusieurs situations. Tout
d’abord, on récupère Src, la source de l’interaction pendante de S, et Dest, sa destination
(ligne 4). Si l’interaction en cours est l’interaction pendante de la signature,
alors celle-ci progresse (lignes 5 et 6). Sinon, si x fait partie des sommets par lesquels
on est entré dans le module actif, que x appartient à la source de l’interaction
pendante, et que y en est la destination, alors on sort du module et on supprime de
la mémoire les informations qui ont permis de la traverser (lignes 7 à 10). Sinon, si
y appartient à la destination de l’interaction pendante, on teste si x en est la source
(lignes 11 et 12). Si tel est le cas, on entre dans le module : le prédécesseur est défini
à x et y est ajouté à la liste des sommets d’entrée (lignes 13 à 15). Sinon, si x est le
prédécesseur du module en cours et si y appartient à celui-ci, alors on est entré une
nouvelle fois dans le module. Le sommet y est donc ajouté à la liste des sommets
d’entrée (lignes 16 et 17).
Algorithme 7 Algorithme de détection des signatures pouvant contenir des modules
non-consécutifs
Entrée: BASE un ensemble de signatures,
TRACE un ensemble ordonné d’interactions
Sortie: ALERTES l’ensemble des alertes levées par la complétion des signatures
1: ALERTES ← ∅
2: pour tout interaction I(x → y) ∈ TRACE faire
3: pour tout signature S ∈ BASE telle que I
′ ∈ S faire
4: Src ← SourcePendante(S), Dest ← DestPendante(S)
5: si Pendante(S) = I alors
6: Avancer(ALERTES, S, I)
7: sinon si x ∈ Entrée(S) et x ∈ Src et y = Dest alors
8: Avancer(ALERTES, S, I)
9: Prédécesseur(S) ← ∅
10: Entrée(S) ← ∅
11: sinon si y ∈ Dest alors
12: si x = Src alors
13: Avancer(ALERTES, S, I)
14: Prédécesseur(S) ← x
15: Entrée(S) ← {y}
16: sinon si Prédécesseur(S) = x et y ∈ Src alors
17: Entrée(S) ← Entrée(S) ∪ {y}
L’algorithme 8 implémente la procédure de gestion des boucles sur module dé-
crite dans la section précédente. Comme le système de détection original, il prend
en paramètres une trace et une base de signatures, et a pour sortie l’ensemble des
alertes levées par la complétion de signatures lors de l’analyse de la trace. La fonction
Contaminé(S) pointe vers l’ensemble des contextes contaminés lors de l’exploration
du module actif de S.
L’algorithme 8 permet de gérer les boucles sur module ainsi que le cas du cycle.
834.3. MISE EN ŒUVRE ALGORITHMIQUE
Comme pour l’algorithme 7, il va lire chaque interaction de la trace dans l’ordre
et tester plusieurs situations pour chaque signature. La seule évolution vient de
la gestion des sommets contaminés (sommets d’entrée dans l’algorithme 7). Ici, un
sommet devient contaminé quand on entre à nouveau dans le module, mais également
lorsque la source de l’interaction en cours d’analyse est déjà contaminée (lignes 15
et 16).
Algorithme 8 Algorithme de détection des signatures gérant les boucles sur module
Entrée: BASE un ensemble de signatures,
TRACE un ensemble ordonné d’interaction
Sortie: ALERTES l’ensemble des alertes levées par la complétion des signatures
1: ALERTES ← ∅
2: pour tout interaction I(x → y) ∈ TRACE faire
3: pour tout signature S ∈ BASE telle que I
′ ∈ S ou x ∈ Contaminé(S) faire
4: Src ← SourcePendante(S), Dest ← DestPendante(S)
5: si Pendante(S) = I alors
6: Avancer(ALERTES, S, I)
7: sinon si x ∈ Contaminé(S) et x ∈ Src et y = Dest alors
8: Avancer(ALERTES, S, I)
9: Prédécesseur(S) ← ∅
10: Contaminé(S) ← ∅
11: sinon si y Ó= Dest et x = Src et y ∈ Dest alors
12: Avancer(ALERTES, S, I)
13: Prédécesseur(S) ← x
14: Contaminé(S) ← {y}
15: si x ∈ Contaminé(S) ou (Prédécesseur(S) = x et y ∈ Src) alors
16: Contaminé(S) ← Contaminé(S) ∪ {y}
4.3.2 Analyse de complexité
Dans cette section, nous procéderons au calcul de complexité en temps et en
espace, dans le pire des cas, pour l’algorithme de détection original (algorithme 2),
celui gérant la présence de modules non-consécutifs (algorithme 7), et l’algorithme
gérant les boucles sur module (algorithme 8). Pour cette analyse, nous utiliserons
les notations suivantes :
– t représente la taille de la trace, c’est-à-dire le nombre de lignes qu’elle comporte
;
– s représente le nombre de signatures que la base comporte ;
– n représente le nombre de sommets dans le graphe d’interactions utilisé lors
de la génération de la base de signatures.
– S représente la base de signatures.
Pour le calcul des complexités en espace, on considère que la trace est un flux
et qu’il n’y a qu’une ligne à la fois en mémoire. Les alertes sont également un flux,
elles ne sont pas conservées en mémoire. De plus, la fonction Avancer, décrite dans
l’algorithme 6, s’effectue en temps constant.
844.3. MISE EN ŒUVRE ALGORITHMIQUE
Algorithme de détection original
Dans la section 1.4, nous avons vu que la complexité en temps de l’algorithme 2
est en O(s.t) et que la complexité en espace est en O(S).
Algorithme de détection gérant les modules non-consécutifs
L’algorithme de détection gérant les modules non-consécutifs (algorithme 7) parcourt
toutes les signatures, pour chaque ligne de la trace. Puis, à chaque étape, pour
chacune des signatures, on peut soit faire avancer la signature, soit ne rien faire. Si,
lors de l’avancée, on entre dans un module, il faut ajouter le contexte par lequel on
entre dans le module à la liste d’entrée. Cet ajout se fait en temps constant. Si on
sort du module, il faut vérifier que le contexte de sortie appartient bien à la liste
d’entrée. Cette vérification est faite en temps constant. La complexité en temps de
l’algorithme 7 est donc en O(s.t).
Lors de son déroulement, cet algorithme conserve en mémoire toutes les signatures,
leur avancement ainsi qu’une liste d’entrée pour les signatures étant entrées
dans un module. L’avancement de chaque signature prend une place fixe en mémoire.
Au pire des cas, la liste d’entrée d’une signature peut contenir tous les sommets exceptés
les sommets source et destination de la signature. De plus, il est nécessaire
de stocker l’arbre de décomposition modulaire de taille 2n − 1, au pire des cas. La
complexité en espace de cet algorithme est donc, au pire des cas, S + s.n + 2n − 1,
soit une complexité en O(S + s.n).
Algorithme de détection gérant les boucles sur module
L’algorithme de détection gérant les modules non-consécutifs (algorithme 8) parcourt
toutes les signatures, pour chaque ligne de la trace. Puis, à chaque étape, pour
chacune des signatures, on peut soit faire avancer la signature, soit contaminer un
contexte, soit ne rien faire. Si, lors de l’avancée, on entre dans un module, il faut
ajouter le contexte par lequel on entre dans le module à la liste de contamination.
Cet ajout se fait en temps constant. Si on sort du module, il faut vérifier que le
contexte de sortie est contaminé. Cette vérification est faite en temps constant. La
contamination est un ajout à la liste de contamination. Elle s’effectue donc en temps
constant. La complexité en temps de l’algorithme 8 est donc en O(s.t).
Lors de son déroulement, cet algorithme conserve en mémoire toutes les signatures,
leur avancement ainsi qu’une liste de contamination pour les signatures étant
entrées dans un module. L’avancement de chaque signature prenant une place fixe
en mémoire. Au pire des cas, la liste de contamination d’une signature peut contenir
tous les sommets exceptés les sommets source et destination de la signature. De plus,
il est nécessaire de stocker l’arbre de décomposition modulaire de taille 2n − 1, au
pire des cas. La complexité en espace de cet algorithme est donc, au pire des cas,
S + s.n + 2n − 1, soit une complexité en O(S + s.n).
Lemme 6
Les algorithmes 7 et 8 ont une complexité en temps en O(s.t) et une complexité en
espace en O(S + s.n).
854.3. MISE EN ŒUVRE ALGORITHMIQUE
Les nouveaux algorithmes sont de même complexité en temps que l’algorithme
original. Cependant, une base de signatures générée en utilisant la décomposition
modulaire possède moins de signatures que la base équivalente générée par le système
original. Les nouveaux algorithmes devraient donc avoir, pour une même trace et des
bases de signatures équivalentes, un temps d’exécution inférieur à celui d’origine.
Complexité Algo. original Algo. 7 Algo. 8
En temps O(s.t) O(s.t) O(s.t)
En espace O(S) O(S + s.n) O(S + s.n)
Les nouveaux algorithmes consomment, en théorie une quantité de mémoire supérieure
de s.n par rapport à celle consommée par l’algorithme original. Cependant,
une base de signatures générée en utilisant la décomposition modulaire est moins
volumineuse que la base équivalente générée par le système original. De plus, toutes
les signatures ne sont pas obligatoirement modulaires. Il est donc très probable que,
dans la pratique, les nouveaux algorithmes consomment moins de mémoire que l’algorithme
d’origine, pour une même trace et des bases de signatures équivalentes.
4.3.3 Équivalence des systèmes de détection
Dans cette section, nous montrons que les deux systèmes de détection ont la
même puissance de détection. Cette validation suppose que les deux bases sont complètes
c’est-à-dire qu’elles contiennent exhaustivement toutes signatures possibles.
Définition 27 (Équivalence des systèmes de détection)
On dit que deux systèmes de détection sont équivalents, pour des bases de comportements
équivalentes, si, pour toute trace, toute levée d’alertes dans un des systèmes
induit au moins une levée d’alerte dans l’autre système au même instant.
Théorème 7 Le système de détection de PIGA est équivalent à celui défini par
l’algorithme 8 dans le cas où aucune signature de la base modulaire ne comporte
plusieurs modules consécutifs.
Preuve : Cette preuve se décompose en deux parties :
1. Un comportement détecté par le système de détection de PIGA est détecté par
celui défini par l’algorithme 8 :
Soit S une signature détectée par PIGA et S
′ = p(S) (p(S) est défini section
3.2.7). Pour S = s, x1, ..., xn, d nous avons donc S
′ = s, M1, ..., Mn, d où
Mi est le module auquel appartient xi
.
– Soit ∀i, Mi = {xi} alors la signature n’est pas compressée. Elle est alors
gérée par l’algorithme 8 de la même manière que par PIGA. Elle est donc
détectée.
– Soit ∀i Ó= j, Mi Ó= Mj alors la signature est compressée mais ne comporte
pas de boucle sur module. La traversée des modules est alors gérée par la
sauvegarde du sommet d’entrée.
– Soit ∃i Ó= j,tel que Mi = Mj alors la signature comporte au moins une
boucle sur module. Les boucles sur module sont alors gérées par le système
de contamination.
864.4. EXPÉRIMENTATION
2. Un comportement détecté par le système de détection défini par l’algorithme 8
est détecté par celui de PIGA :
Par construction, chaque détection de l’algorithme 8 correspond à une signature.
Il est possible pour chaque détection de retrouver la signature détectée
par PIGA correspondante. Des exemples sont présentés dans la section 4.2.
La base de signature de PIGA regroupe tous les comportements malicieux autorisés
par le système MAC et son système de détection détecte toutes les signatures
de cette base. Ainsi, PIGA détecte tous les comportements malicieux autorisés par
le système MAC. Notre système de détection étant équivalent à celui de PIGA, il
détecte, également, tous les comportements malicieux autorisés par le système MAC.
4.4 Expérimentation
Les expérimentations présentées dans cette section ont été réalisées en Java, en
utilisant le code original de PIGA, ainsi que de nouvelles classes développées lors
cette thèse. Toutes les expérimentations ont été effectuées en mode rejeu de trace
et les mesures de temps d’exécution et de consommation mémoire ont été faites
directement sur la JVM.
4.4.1 Création d’un générateur de trace semi-aléatoire
Afin de tester l’efficacité du nouveau système de détection, nous avons développé
un générateur de trace semi-aléatoire. Ce générateur prend, en entrée, un graphe
d’interactions ainsi qu’une table de mapping. Il renvoie un fichier de traces d’un
nombre fixé de lignes, chacune représentant une interaction possible dans le système
et autorisée par le mapping donné.
Le générateur possède une liste de sommets activés. Au début, seul le sommet
system_u:system_r:initrc_t est activé. À chaque étape de la génération, on choisit,
aléatoirement, une arête du graphe représentant au moins une interaction autorisée
par le mapping, et dont la source appartient à la liste des sommets activés.
Ensuite, on sélectionne, aléatoirement, une interaction autorisée par le mapping
parmi celles de l’arête choisie. Enfin, on ajoute le sommet destination de l’arête à
la liste des sommets activés. On recommence ce processus jusqu’à avoir atteint le
nombre de lignes souhaité.
4.4.2 Expérimentations sur un graphe d’interactions réel
Le nouveau système de détection implémente l’algorithme 8. Les modules consé-
cutifs ne sont donc pas gérés. Néanmoins, les bases de signatures, que nous avons gé-
nérées lors des expérimentations sur le nouveau système de génération de signatures
(section 3.3), ne comportent pas de signatures avec plusieurs modules consécutifs.
Afin d’économiser de la mémoire, seul l’arbre de décomposition modulaire initial
est utilisé lors de la détection. Ainsi, une des extrémités peut appartenir à un module
874.4. EXPÉRIMENTATION
qui apparaît dans la signature. Pour gérer cela, lors de la traversée d’un module, on
limite la contamination aux contextes qui ne sont pas présents dans la signature.
Cette expérimentation a plusieurs objectifs. Premièrement, nous voulons vérifier
l’équivalence du nouveau système de détection avec le système original. Deuxièmement,
nous souhaitons mesurer le temps nécessaire à l’analyse d’une trace, afin de
s’assurer que le nouveau système de détection ne peut pas ralentir le système sur
lequel PIGA est installé. Finalement, nous voulons comparer la consommation de
mémoire du nouveau système avec celle du système orignal. Ce dernier point est
important car il correspond à l’objectif de cette thèse.
Afin d’évaluer les performances du nouveau système de détection, nous l’exécutons
sur plusieurs traces. Les trois mesures utilisées sont : le temps nécessaire pour
analyser la trace, le nombre de comportements détectés et la mémoire maximale
utilisée par le système de détection. Les traces sont créées grâce à notre générateur
et font 100000 lignes.
Les simulations ont été effectués pour quatre bases de signatures :
1. La base générée par le système original ;
2. La base générée par application de la décomposition modulaire ;
3. La base générée par application de la suppression par inclusion ;
4. La base générée par application de la décomposition modulaire et de la suppression
par inclusion.
Pour les bases 1 et 3, le système de détection original a été utilisé, tandis que, pour les
bases 2 et 4, nous avons utilisé le système de détection implémentant l’algorithme 8.
Évaluation d’équivalence
Derrière la contrainte de l’équivalence des bases de signatures s’inscrit le souhait
que l’IDS implémentant la décomposition modulaire détecte les mêmes attaques
que le système original, sans lever de fausse alerte. Cependant, l’équivalence des
bases de signatures n’est pas suffisant. Il est également nécessaire que les systèmes
de détection soient équivalents. Dans la section précédente, nous avons prouvé que
le système implémentant l’algorithme 8 est théoriquement équivalent au système
de détection original. Cette expérimentation a pour but de vérifier cette équivalence
dans la pratique. Pour cela, nous calculons le nombre d’alertes levées pour une même
trace, pour chaque base de signature.
Le tableau ci-dessous représente le nombre d’alertes levées pendant l’analyse deux
traces différentes de 100000 lignes sur les quatre bases de signatures.
Nombre de Alertes levées
signatures Trace 1 Trace 2
Système original 152513 786 820
Avec DM 6870 441 458
Avec suppr. par inc. 30107 405 413
Avec DM et suppr. par inc. 2016 335 329
884.4. EXPÉRIMENTATION
On peut noter que le nombre d’alertes levées est fortement diminué par la réduction
de la base de signatures. Ceci semble prouver que nous n’avons pas d’équivalence
des systèmes de détection. Cependant, on peut facilement expliquer ces différences
d’alertes levées.
Pour le système utilisant la décomposition modulaire, la diminution du nombre
d’alertes s’explique par le fait que plusieurs signatures de la base originale peuvent
être représentées par une seule signature modulaire. Ainsi, si plusieurs de ces signatures
sont complétées par la même interaction, autant d’alertes seront levées par le
système de détection original, tandis qu’une seule sera levée par le système utilisant
la décomposition modulaire.
Par exemple, nous prenons les deux signatures de la base originale, sur le point
d’être complétées, suivantes :
shadow_t → passwd_d → login_d → admin_d → bin_t → user_d
shadow_t → passwd_d → ssh_d → admin_d → bin_t → user_d
Ces signatures sont représentées par la signature modulaire suivante :
shadow_t → passwd_d → module → admin_d → bin_t → user_d
Ici, dans la cas du système original, si l’interaction bin_t → user_d est effectuée,
les deux signatures de la base originale sont complétées. Deux alertes sont alors
levées. Dans le cas du système utilisant la décomposition modulaire, la signature est
complétée, mais une seule alerte est levée. Il est donc possible d’avoir moins d’alertes
levées sans avoir moins de comportements malicieux détectés.
Pour le système utilisant la suppression par inclusion, la diminution du nombre
d’alertes levées s’explique par le fait que nous utilisons PIGA en mode IDS. Les
interactions complétant une signature ne sont donc pas bloquées. Ainsi, il est possible
qu’une signature soit complétée, et donc lève une alerte, alors qu’elle en inclut une
autre. L’alerte ne sera pas levée par le système utilisant la suppression par inclusion
car la signature complétée n’apparaît pas dans la base.
Par exemple, nous prenons les deux signatures de la base originale suivantes :
shadow_t → passwd_d → ssh_d → admin_d → bin_t
shadow_t → passwd_d → ssh_d → admin_d → bin_t → user_d
La première signature étant incluse dans la seconde, la base de signature générée
en utilisant la suppression par inclusion ne contient que la première :
shadow_t → passwd_d → ssh_d → admin_d → bin_t
Ici, dans la cas du système original, si l’interaction bin_t → user_d est effectuée,
la deuxième signature de la base originale est complétée. Une alerte est alors levée.
Dans le cas du système utilisant la suppression, aucune signature n’est complétée. Il
est donc possible d’avoir moins d’alertes levées. Cependant, les comportements non
détectés ne peuvent pas être effectués si PIGA est en mode IPS.
Afin d’évaluer l’équivalence des systèmes de détection, il ne faut donc pas comparer
le nombre d’alertes levées mais les comportements détectés.
Le tableau ci-dessous représente les différences de comportements détectés entre
894.4. EXPÉRIMENTATION
chaque nouvelle base et la base originale. Pour chaque trace et chaque nouvelle
base, il indique le nombre de comportements non-détectés par la nouvelle base mais
détectés par la base originale (non-détectés) et le nombre de comportements détectés,
en plus, par la nouvelle base mais non-détectés par la base originale (sur-détectés).
Différences avec le système original
Trace 1 Trace 2
Nondétectés
Surdétectés
Nondétectés
Surdétectés
Avec DM 0 0 0 0
Avec suppr. par inc. 381 0 407 0
Avec DM 206 0 250 0
et suppr. par inc.
Tout d’abord, nous observons que, pour les deux traces et quel que soit le système
de détection utilisé, aucune alerte « sur-détectés » n’est levée. Les comportements
acceptés par le système original sont donc acceptés par les nouveaux systèmes.
De plus, le système utilisant uniquement la décomposition modulaire ne lève aucune
alerte « non-détectés ». Tous les comportements détectés par le système original
sont donc détectés par le système utilisant la décomposition modulaire.
Pour les systèmes de détection appliquant la suppression par inclusion, on observe
qu’un grand nombre d’alertes « non-détectés » sont levées. Ceci semble prouver
que nous n’avons pas équivalence des systèmes de détection. Cependant, toutes les
alertes « non-détectés » obtenues incluent une signature détectée précédemment par
le système original, ainsi que ceux utilisant la suppression par inclusion. Ces « nondétectés
» apparaissent donc uniquement car PIGA est utilisé en mode IDS.
Cette expérimentation permet de vérifier, dans un cas pratique, que les systèmes
de détection utilisant la décomposition modulaire ou la suppression par inclusion
sont équivalents au système original. Pour le système utilisant uniquement la dé-
composition modulaire, cette équivalence est vraie quel que soit le mode dans lequel
PIGA est utilisé. Quant aux systèmes utilisant la suppression par inclusion, l’équivalence
n’est valable que si PIGA est utilisé en mode IPS.
Évaluation du temps d’exécution
Le temps mis par PIGA pour analyser une ligne de trace est un paramètre très
important dans l’évaluation de son efficacité et surtout de sa viabilité. En effet, il est
inconcevable que PIGA mette un temps trop important à vérifier qu’une opération
ne complète pas une signature. Cette vérification étant effectuée à chaque appel
système, un temps de réponse trop élevé engendrerait une chute importante des
performances globales observées par un utilisateur. Le but cette thèse est de diminuer
la taille de la base de signature, afin d’éviter des ralentissements du système dus à la
mémoire utilisée. Il serait donc problématique que la compression opérée implique
une augmentation du temps de réponse de PIGA et donc des ralentissements.
904.4. EXPÉRIMENTATION
Le tableau ci-dessous représente le temps nécessaire pour analyser deux traces
différentes de 100000 lignes, ainsi que le gain par rapport au système original. L’analyse
a été lancée cinq fois pour chaque base et chaque trace. Les temps inscrits dans
le tableau sont une moyenne des cinq temps obtenus.
Nombre de Trace 1 Trace 2
signatures Temps
(en s) Gain Temps
(en s) Gain
1 Système original 152513 46,422 - 40,557 -
2 Avec DM 6870 17,476 62,4% 13,487 66,7%
3 Avec suppr. par inc. 30107 12,427 73,2% 9,449 76,7%
4
Avec DM 2016 11,125 76% 8,976 77,9% et suppr. par inc.
La première chose que l’on peut noter est que, quelle que soit la méthode de
réduction de la base de signatures utilisée, le temps d’exécution est inférieur à celui
utilisant la base originale. Ceci peut facilement s’expliquer par le fait que la complexité
en temps des algorithmes de détection dépend principalement du nombre de
signatures. En effet, la plus grande des bases de signatures réduites possède 30000
signatures contre 150000 pour la base originale. Pour la base la plus petite, correspondant
à un taux compression à 98,6%, le temps nécessaire à l’analyse d’une trace
est réduit de 76% pour la trace 1 et de 78% pour la trace 2.
Cependant, les temps des bases 2 et 3 montrent que le temps d’exécution ne
dépend pas que du nombre de signatures. La base 2 possède environ quatre fois
moins de signatures que la base 3, mais elle prend environ 50% de temps en plus à
analyser. Ceci montre que le traitement de la traversée des modules implique une
augmentation du temps d’exécution. On peut expliquer cette augmentation par le
fait que, dans le cas de la base 2, on traite non seulement les signatures possédant
l’interaction en cours d’analyse, mais également les signatures ayant un module en
cours de contamination.
Cette expérimentation montre aussi que la réduction de la base de signature
réduit significativement le temps d’exécution du système de détection. De plus, on
note que la gestion des modules implique une augmentation de ce temps. Cependant,
cette augmentation n’est pas suffisamment importante pour contrebalancer la diminution
due à la taille de la base. Ainsi, l’application de la décomposition modulaire
et de la suppression par inclusion permet, en plus de réduire la taille de la base de
signatures, de diminuer le temps d’analyse d’une trace. Enfin, on note que les gains
ne varient pas significativement en fonction de la trace analysée.
Évaluation de la consommation de mémoire
La mémoire utilisée, lorsque le système de détection est actif, est un des problèmes
majeurs de PIGA. En effet, afin que l’utilisation de PIGA soit viable, il est nécessaire
qu’il ne consomme pas une trop grande quantité de la mémoire du système qu’il
doit sécuriser. Une trop grande consommation de mémoire aurait pour incidence
une diminution des performances du système sécurisé. Le but de cette thèse est de
diminuer la taille de la mémoire utilisée par PIGA lors de la détection. Nous avons
914.4. EXPÉRIMENTATION
vu, dans la section 3.4, que la taille de la base de signatures, est largement réduite
par l’utilisation de la décomposition modulaire ou de la suppression par inclusion.
Cette expérimentation a pour but de vérifier que la mémoire nécessaire au traitement
de ces nouvelles bases, et notamment des modules, ne contrebalance pas le gain sur
la taille de la base.
Les données, stockées en mémoire lors de la détection, peuvent être séparées en
deux parties. Premièrement, il existe une partie fixe qui ne dépend pas des signatures
ni de leur nombre. Cette partie contient notamment le graphe d’interactions
et, dans le cas de l’utilisation de la décomposition modulaire, l’arbre de décomposition
modulaire. Ainsi, la partie fixe du système original est la même que celle du
système utilisant uniquement la simplification par inclusion. Deuxièmement, il existe
une partie variable qui est constituée principalement des signatures ainsi que de la
table associant à chaque interaction les signatures l’impliquant. Nous pouvons faire
deux remarques sur ces parties. Premièrement, la partie fixe est plus volumineuse
si on utilise la décomposition modulaire. Ceci est dû au fait qu’il est nécessaire de
stocker l’arbre de décomposition modulaire. Deuxièmement, la partie variable est
très dépendante des signatures. Elle est donc proportionnelle à la taille de la base
de signatures.
Le tableau ci-dessous représente la quantité de mémoire utilisée pour analyser
deux traces différentes de 100000 lignes, ainsi que le gain par rapport au système
original. L’analyse a été lancée cinq fois pour chaque base et chaque trace. Les
quantités de mémoire inscrites dans le tableau sont une moyenne des cinq quantités
obtenues.
Taille de Trace 1 Trace 2
la base (en
Mo)
Mémoire
(en Mo) Gain Mémoire
(en Mo) Gain
1 Système original 89,5 564,1 - 544,52 -
2 Avec DM 3,4 340,1 39,7% 311,58 42,8%
3 Avec suppr. par inc. 24,2 238,4 57,7% 242 55,6%
4
Avec DM 1,3 186,2 67% 164,66 69.8% et suppr. par inc.
Les résultats obtenus sur la consommation de mémoire sont équivalents à ceux
sur le temps d’exécution. La quantité mémoire utilisée est inférieure à celle utilisée
par le système original, quelles que soient les méthodes utilisées pour réduire la base
de signatures. De plus, l’utilisation de la suppression par inclusion seule permet un
meilleur gain que l’utilisation de la décomposition modulaire seule.
On peut également noter que la trace analysée a un impact plus important sur
les systèmes utilisant la décomposition modulaire. En effet, pour le système 1 (resp.
3), la différence de mémoire utilisée entre les deux traces est de 3,5% (resp. 1,5%).
Tandis, que pour le système 2 (resp. 4), la différence est de 8,4% (resp. 11,6%). Ceci
peut s’expliquer par le fait que, lors des processus de contamination, le nombre de
sommets à mémoriser peut différer suivant la trace analysée.
Cette expérimentation montre que, quelle que soit la méthode de réduction de la
base de signatures utilisée, la consommation de mémoire du système de détection est
significativement réduite. On note également que l’utilisation de la décomposition
924.5. GESTION DE MODULES CONSÉCUTIFS
modulaire, pour réduire la base, induit une augmentation de la mémoire nécessaire
au système de détection à cause de la gestion des modules. Cependant, cette augmentation
n’est suffisamment importante pour contrebalancer la diminution due à
la taille de la base. Enfin, nous avons pu observer que la trace analysée peut avoir
un impact sur la mémoire consommée par les systèmes de détection utilisant la
décomposition modulaire.
4.5 Gestion de modules consécutifs
Dans la section 4.2, nous n’avons pas analysé les cas induits par la présence de
modules consécutifs dans une signature, car leur traitement n’est pas nécessaire.
En effet, il possible de « casser » certains modules afin que ce type de signatures
ne contiennent plus de modules consécutifs. Ces signatures seront donc traitées par
l’algorithme 8 présenté dans la section 4.3.
Cette méthode a l’inconvénient d’augmenter le nombre de signatures générées
et, ainsi, de réduire la compression de la base des signatures. Cette section pré-
sente une analyse préliminaire de quelques cas induits par la présence de modules
consécutifs. Nous ne nous intéressons ici aux signatures contenant uniquement deux
modules consécutifs. De nouveaux cas apparaissent avec l’augmentation du nombre
de modules présents consécutivement.
4.5.1 Analyse des nouveaux cas
La présence de plusieurs modules de manière de consécutive dans une signature
est le cas le plus complexe à gérer. La principale difficulté vient du fait que les
modules soient directement les uns à la suite des autres. En effet, la présence de
plusieurs modules séparés par un ou plusieurs contextes simples se gère de la même
manière que la présence d’un module seul. Il faut uniquement répéter le processus
pour chaque module. Voici une liste des cas qu’il faut traiter pour la signature cidessous.
Cette liste est non-exhaustive. Il existe d’autres cas où un comportement
est détecté par une signature, alors qu’il correspond à une autre signature.
S3 = s → 1 → Module M1 → Module M2 → d
M1 = {x, y, z}, M2 = {u, v, w}
1. Le cas de la traversée des deux modules sans boucle :
s → 1
1 → x
x → v
v → d
Pour cette trace, on sort de chaque module directement après y être entré et
par le même sommet. Le flux d’informations va bien du sommet s au sommet
d en respectant la signature. La signature doit être complétée.
934.5. GESTION DE MODULES CONSÉCUTIFS
2. Le cas des boucles :
s → 1
1 → x
x → a
a → y
y → u
u → b
b → v
v → d
Pour cette trace, on effectue une boucle sur chaque module avant d’en sortir.
Le flux d’informations va bien du sommet s au sommet d, en respectant la
signature. La signature doit être complétée.
3. Le cas du backtrack :
s → 1
1 → x
x → u
1 → z
z → v
v → d
Pour cette trace, on traverse le module M1 par le sommet x et on entre dans
M2 par le sommet u. Ensuite, on traverse de nouveau M1 par le sommet z, puis
on traverse M2 par le sommet v. Le flux d’informations va bien du sommet s
au sommet d en respectant la signature. La signature doit être complétée.
4. Le cas de contournement :
s → 1
1 → x
x → u
1 → v
v → d
Sur cette trace, on entre dans le module M1 par le sommet x et on entre dans
M2 par le sommet u. Puis, on entre une nouvelle fois dans le module M2 mais
sans être passé par le module M1. Le flux d’informations va bien du sommet s
au sommet d mais ne correspond pas à la signature. La signature ne doit pas
être complétée. C’est le rôle de la signature s → 1 → M2 → d.
944.5. GESTION DE MODULES CONSÉCUTIFS
5. Le cas du pont :
s → 1
1 → z
z → w
1 → x
x → a
a → v
v → d
Sur cette trace, on entre dans le module M1 par le sommet z et on entre dans
M2 par le sommet w. Ensuite, contrairement au cas du contournement, on
passe bien par le module M1, puis par le module M2. Cependant, entre les deux
modules, on passe par le sommet a. Le flux d’informations va bien du sommet
s au sommet d mais ne correspond pas à la signature. La signature ne doit pas
être complétée. C’est le rôle de la signature s → 1 → M1 → a → M2 → d.
4.5.2 Gestion théorique
1. Le cas classique :
Ce cas se gère de la même manière que le cas classique avec un seul module.
On peut supprimer de la mémoire, le sommet d’entrée d’un module lorsque
l’on entre dans le suivant.
Trace Entrée M1 Entrée M2
1 s → 1 – –
2 1 → x x –
3 x → v – v
4 v → d – –
2. Le cas des boucles :
Ce cas se gère de la même manière que les boucles sur un seul module, par
contamination. Cependant, lorsque que l’on entre dans un module qui n’est
pas le premier de la signature, il faut mémoriser tous les sommets du module
précédent comme prédécesseurs.
Trace Prédécesseurs Sommets contaminés
1 s → 1 – –
2 1 → x 1 x
3 x → a 1 x, a
4 a → y 1 x, a, y
5 y → u x, y, z u
6 u → b x, y, z u, b
7 b → v x, y, z u, b, v
8 v → d – –
954.5. GESTION DE MODULES CONSÉCUTIFS
3. Le cas du backtrack :
Afin de gérer les backtracks, il est possible d’utiliser le système de contamination,
mais en conservant en mémoire les sommets contaminés des modules
précédents. Ainsi, les modules consécutifs sont considérés comme un seul métamodule
qui s’agrandit au fur et à mesure qu’on avance dans la signature. Le
méta-module s’agrandit lorsque qu’une interaction fait passer le flux d’informations
du dernier module du méta-module au module suivant. Le méta-module
devient alors l’union de lui-même et du module nouvellement atteint par le
flux d’informations.
Trace Prédécesseur Sommets contaminés Méta-module
1 s → 1 – – –
2 1 → x 1 x M1
3 x → u 1 x, u M1 ∪ M2
4 1 → z 1 x, u, z M1 ∪ M2
5 z → v 1 x, u, z, v M1 ∪ M2
6 v → d – – –
4. Le cas du contournement :
Lors d’un backtrack sur des modules consécutifs, le système de gestion des
backtracks autorise un contournement des modules traversés. Dans l’exemple
de la section précédente, le module M2 a été atteint. Il est donc inclus dans
le méta-module. Or, lorsqu’un sommet est dans le méta-module, il peut être
contaminé par le sommet précédant les modules (ici le sommet 1). Pour éviter
que les contournements ne soient considérés comme des complétions de
signature, il faut vérifier que, pour chaque transfert dont la source est le pré-
décesseur, la destination appartienne au premier des modules consécutifs.
Trace Prédécesseur Sommets contaminés 1
er module Méta-module
1 s → 1 – – – –
2 1 → x 1 x M1 M1
3 x → u 1 x, u M1 M1 ∪ M2
4 1 → v 1 x, u M1 M1 ∪ M2
5 v → d – – – –
5. Le cas du pont :
Le problème du pont vient du fait que tous les modules ayant été atteints par
le flux sont considérés comme un seul méta-module. Or, suite à un backtrack, il
devient possible de passer d’un module à l’autre via un sommet intermédiaire,
ce qui ne correspond pas à la signature. Il est donc nécessaire de s’assurer qu’on
peut entrer dans un module, qui n’est pas le premier des modules consécutifs,
uniquement par un sommet du module précédent. Ainsi, un sommet appartenant
à un module ne peut être contaminé que par un sommet qui est dans la
liste de sommets contaminés de son module, ou par un sommet contaminé du
module précédent.
964.6. GESTION DES EXCEPTIONS
Trace Prédécesseur Contaminés M1 Contaminés M2 Méta-module
1 s → 1 – – – –
2 1 → z 1 z – M1
3 z → w 1 z w M1 ∪ M2
4 1 → x 1 z, x w M1 ∪ M2
5 x → a 1 z, x, a w M1 ∪ M2
6 a → v 1 z, x, a w M1 ∪ M2
7 v → d 1 z, x, a w M1 ∪ M2
Lors de la détection, la gestion de deux modules consécutifs demande des ressources
mémoire supplémentaires pour stocker toutes les informations de contamination.
Contrairement à la gestion d’un seul module, ces informations peuvent rester
longtemps en mémoire et, ainsi, diminuer les performances du système. Cet effet s’accentue
si le nombre de modules consécutifs est important. Une analyse plus poussée
est donc nécessaire afin de vérifier que le gain en compression, dû à la présence de
modules consécutifs, n’est pas contre-balancé par cette consommation mémoire.
Les problèmes engendrés par la présence de modules consécutifs correspondent
au fait qu’une signature détecte une violation de propriété censée être détectée par
une autre signature. La seule conséquence à cela est la levée de multiples alertes
pour une même attaque détectée. Nous ne sommes donc pas dans le cas d’une attaque
non-détectée ou d’une fausse alerte. Leur non-traitement engendrerait donc
une absence de correspondance entre le comportement détecté et la signature levant
l’alerte. Cependant, l’équivalence en terme de détections de violations de propriétés
de sécurité serait conservée.
Néanmoins, le traitement des modules consécutifs est nécessaire si l’on souhaite
mettre en place une gestion fine des exceptions.
4.6 Gestion des exceptions
Le système de détection original de PIGA permet de définir des exceptions.
Ces comportements correspondent à une violation de propriété de sécurité, mais les
alertes les concernant sont ignorées lors de la détection. De plus, si PIGA est en mode
IPS et, si toutes les alertes levées par une interaction concernent des exceptions, alors
l’interaction n’est pas bloquée.
Actuellement, les exceptions sont définies dans un fichier chargé par le système de
détection. Le comportement est donc représenté dans la base de signatures. Dans le
système original, une signature correspond à un seul comportement. Il est donc facile
de définir une exception. En effet, il suffit de spécifier l’identifiant de la signature
correspondant au comportement et, si une alerte concernant cette signature doit être
levée, elle n’est pas prise en compte.
L’utilisation de la décomposition modulaire ou de la suppression par inclusion
implique différents problèmes liés à la gestion des exceptions.
974.6. GESTION DES EXCEPTIONS
Décomposition modulaire
Lors de la génération de la base signatures, l’utilisation de la décomposition modulaire
permet de compresser plusieurs signatures du système original en une signature
modulaire. Ainsi, une signature modulaire ne représente plus un comportement
mais plusieurs. Si un comportement est représenté par une signature modulaire, il
n’est donc plus possible de définir une exception concernant uniquement celui-ci :
soit l’exception s’applique à tous les comportements représentés par la signature
modulaire, soit aucun comportement n’est considéré comme une exception.
De plus, il est possible qu’un même comportement soit représenté par deux signatures
différentes. Par exemple, il est possible, en utilisant le principe des boucles
sur module que deux signatures incluant les deux même modules représentent le
même comportement. Soit deux modules :
M1 = {x, y, z}, M2 = {u, v, w}
Dans le comportement suivant, on remplace les contextes par le module auquel
ils appartiennent :
1 → x → 2 → u → 3 → y → 4 → v → 5
Le comportement modulaire obtenu possède alors deux contextes qui apparaissent
deux fois. Il faut supprimer les cycles afin d’obtenir la signature représentant
ce comportement :
1 → M1 → 2 → M2 → 3 → M1 → 4 → M2 → 5
Il y a deux moyens de supprimer les cycles :
– Soit on supprime le cycle sur M1 :
1 → M1 → 2 → M2 → 3 → M1 → 4 → M2 → 5
1 → M1 → 4 → M2 → 5
– Soit on supprime le cycle sur M2 :
1 → M1 → 2 → M2 → 3 → M1 → 4 → M2 → 5
1 → M1 → 2 → M2 → 5
Il y a donc deux signatures qui représentent le comportement :
1 → M1 → 4 → M2 → 5
1 → M1 → 2 → M2 → 5
Si l’on souhaite ajouter une exception pour un comportement représenté par
plusieurs signatures modulaires, il faut ajouter une exception pour chacune des signatures
le représentant. Il faut donc tout d’abord, obtenir l’ensemble des signatures
représentant le comportement à ajouter aux exceptions.
Ce problème apparaît avec la gestion des boucles sur module. Cependant, il
devient plus important si l’on ajoute la gestion des modules consécutifs. En effet,
dans la gestion de ces modules, la plupart des difficultés viennent du fait qu’une
signatures détecte un comportement qu’elle ne représente pas. Il est donc nécessaire
de traiter tous les cas problématiques induits par la présence de modules consécutifs,
avant de pouvoir ajouter la gestion des exceptions.
984.7. CONCLUSION
Suppression par inclusion
La méthode de suppression par inclusion consiste à supprimer de la base les
signatures qui incluent une autre signature de cette base. Cette méthode n’est utilisable
que si PIGA est utilisé en mode IPS, car, dans ce cas, si une interaction
complète la signature incluse, cette interaction est bloquée. Les signatures incluant
la signature complétée ne peuvent donc jamais être complétées.
Si l’on définit une signature comme étant une exception, la dernière interaction
de cette signature n’est plus bloquée par le système de détection. Ainsi, les signatures
incluant cette signature peuvent être complétées. Cependant, les exceptions étant
définies après la génération de la base de signatures, celles-ci ne sont pas présentes
dans la base. Les comportements qu’elles représentent ne peuvent donc pas être
détectés, et ainsi permettre des violations de la politique de sécurité.
Afin d’éviter ce problème, il est nécessaire de définir les exceptions lors de la gé-
nération de la base de signatures. Les signatures ainsi définies comme des exceptions
sont alors supprimées de la base avant l’application de la suppression par inclusion.
4.7 Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons tout d’abord étudié la manière d’utiliser les signatures
générées par application de la décomposition modulaire. La possibilité d’effectuer
des boucles sur module demande une gestion plus fine et plus gourmande en
mémoire de la progression de chaque signature, lors de la détection.
À partir de cette étude, nous avons mis au point un algorithme de détection permettant
de gérer la présence de modules non-consécutifs et des boucles sur module.
La complexité en temps de cet algorithme est en O(s.t) où s représente le nombre
de signatures et t le nombre de lignes de la trace analysée. Sa complexité en espace
est en O(S.n) où S représente la base de signatures et n le nombre de sommets du
graphe d’interactions utilisé pour la génération de la base.
Nous avons ensuite prouvé l’équivalence de notre nouveau système de détection
avec le système de détection orignal de PIGA. Cette équivalence signifie que
tout comportement détecté par PIGA sera détecté par notre système de détection
et inversement. Pour les bases de signatures utilisant la suppression par inclusion,
l’équivalence avec le système original est valable uniquement dans le cas où PIGA
est utilisé en mode IPS.
Les expérimentations effectuées montrent que l’application de la décomposition
modulaire et de la suppression par inclusion permet de réduire, à la fois le temps et la
mémoire nécessaires à la détection. La réduction de mémoire utilisée est inférieure à
la compression obtenue sur la base de signature. Cependant, elle reste suffisante pour
confirmer l’intérêt de l’utilisation de la décomposition modulaire et de la suppression
par inclusion, lors de la génération de la base de signature.
Ces expérimentations ont également permis de vérifier l’équivalence entre le nouveau
système de détection et le système original.
Enfin nous avons présenté deux améliorations possibles de notre système. Tout
994.7. CONCLUSION
d’abord, la mise en place du traitement des modules consécutifs permettrait, théoriquement,
d’améliorer la compression de la base de signature. Pour cela, il est
nécessaire d’étoffer l’analyse présentée dans ce chapitre.
Une seconde amélioration consiste à intégrer la gestion des exceptions. Chacune
des méthodes de compression utilisée induit des problèmes pour gérer des exceptions
précises.
L’application de la décomposition modulaire rend difficile la possibilité d’isoler
un comportement précis, si celui-ci est représenté par une ou plusieurs signatures
modulaires. Il devient donc complexe d’ajouter des exceptions.
Lors de l’utilisation de l’application de suppression par inclusion, l’ajout d’exceptions
peut conduire à rendre non détectables, car étant considérés comme irréalisables,
des comportements violant la politique de sécurité.
100Conclusion
Durant cette thèse, nous nous sommes attachés à réduire la mémoire utilisée par
PIGA, lorsque son système de détection est activé. La principale source d’utilisation
de la mémoire est le stockage de la base de comportements violant la politique
de sécurité définie pour PIGA. Ces comportements malicieux sont représentés par
une base de signatures, chaque signature correspondant à un comportement. Les
signatures étant générées à partir d’un graphe, nous avons cherché des méthodes de
réduction de la base sur deux axes : réduire directement la base de signatures et
réduire le graphe utilisé pour la génération de signatures.
Le premier chapitre a exposé le fonctionnement général de PIGA et s’est attardé
sur les systèmes de génération de signatures et de détection.
Tout d’abord, nous avons présenté des notions classiques de sécurité, telles que
les systèmes de prévention et détection d’intrusions, ainsi que les grandes familles de
propriétés de sécurité. Puis, nous avons expliqué la manière dont PIGA utilise le système
de contrôle d’accès mandataire, sur lequel il se greffe, afin de générer un graphe
d’interactions représentant les actions autorisées sur le système d’exploitation.
Nous avons alors détaillé comment PIGA utilise ce graphe pour générer les signatures,
afin de créer une base de comportements violant les propriétés de sécurité
décrites dans la politique. Pour cela, nous avons vu que PIGA génère différents
graphes à partir du graphe d’interactions suivant le type des propriétés. Ensuite,
nous avons décrit le système de détection de PIGA. Ce système fait progresser les
signatures à mesure que des actions sont effectuées sur le système. Quand une signature
est complétée, PIGA, suivant son mode de fonctionnement, bloque la dernière
action ou lève une alerte.
Enfin, nous avons défini la problématique de cette thèse : réduire la taille de la
base de signatures. Pour cela, nous proposons deux approches. La première consiste
à travailler directement sur les signatures en supprimant celles qui ne peuvent pas
être complétées. La seconde consiste à réduire la taille du graphe d’interaction afin
de diminuer le nombre et la taille des signatures. Pour cela, nous regroupons les
sommets du graphe qui partagent le même comportement. L’outil de la théorie des
graphes effectuant cette action se nomme la décomposition modulaire.
Dans le deuxième chapitre, nous avons expliqué le fonctionnement de la décomposition
modulaire. Nous avons tout d’abord rappelé les fondements théoriques de
cet outil. Notamment, trois objets de la théorie des ensembles : les partitions, les
familles partitives et les permutations factorisantes.
À partir de cela, nous avons défini les notions de modules d’un graphe, d’arbre de
101CONCLUSION
décomposition modulaire et de graphe quotient modulaire. L’intérêt de ce graphe est
qu’il permet de diminuer la taille de notre graphe en limitant la perte d’information.
Puis, nous avons vu les différents types de modules ainsi que les propriétés qui
leurs sont associées. Nous avons ensuite analysé les algorithmes de décomposition
modulaire orienté et non-orienté, ainsi que leur complexité en temps.
Enfin, nous avons présenté quelques applications de la décomposition modulaire.
Nous avons pu noter que l’on trouve de nombreuses applications sur des problèmes
de la théorie des graphes, tels que les ensembles stables ou la coloration. Cependant,
les applications sur des problèmes pratiques, telles que le dessin de graphe ou les
réseaux d’interactions protéine-protéine, sont plus rares.
Le chapitre 3 présente la première partie de notre contribution. Nous avons appliqué
deux méthodes de réduction de la base de signatures : l’application de la
décomposition modulaire sur le graphe d’interactions et la suppression par inclusion.
Pour tester l’efficacité de nos méthodes, nous nous sommes concentrés sur les
propriétés de confidentialité. Celles-ci génèrent le plus de signatures.
Tout d’abord, nous avons établi les deux problèmes principaux de l’application
de la décomposition modulaire. Le premier problème est que les différents graphes
utilisés par PIGA ne donnent pas la même décomposition orientée. La génération
des signatures utilisant plusieurs graphes par propriété, la décomposition modulaire
orientée ne peut pas être utilisée. Pour résoudre ce problème, nous avons utilisé la
décomposition modulaire non-orientée. Le second problème est que les extrémités
des signatures n’apparaissent pas obligatoirement sur le graphe quotient modulaire.
Nous avons donc présenté deux algorithmes permettant d’extraire des sommets de
leur module, tout en gardant un graphe quotient aussi compact que possible.
Ensuite, nous avons évalué l’efficacité de l’application de la décomposition modulaire
sur la génération de signatures. Tout d’abord, nous avons calculé la compression
théorique de la présence d’un module dans une signature, c’est-à-dire le nombre de
signatures représentées par une signature modulaire. Puis, nous avons présenté plusieurs
expérimentations. Pour la première, sur un graphe jouet, nous avons obtenu
une compression moyenne de plus de 98% pour toutes les paires source/destination
possibles. Pour la deuxième, nous avons travaillé sur un graphe de flux réel tiré d’un
pot de miel utilisant PIGA. Nous avons obtenu une compression moyenne de plus
de 95% pour six paires source/destination. Enfin, la troisième expérimentation a été
effectuée sur un graphe de processus pour une seule paire. En limitant la longueur
des signatures à 4, nous avons obtenu un taux de compression de 99%.
Puis, nous avons évalué les performances de la suppression par inclusion. Le
principe de cette méthode est de supprimer de la base toutes les signatures qui
incluent une autre signature de la base. En effet, si le comportement représenté
par cette dernière est bloqué, alors toutes les signatures qui l’incluent ne peuvent
être complétées. Nous avons appliqué cette méthode seule et avec la décomposition
modulaire sur le graphe de flux. Dans le premier cas, nous avons obtenu un taux de
compression de 80%. Dans le second cas, le taux de compression obtenu est de plus
de 98%.
Enfin, nous avons discuté des limites d’utilisation de ces méthodes. L’application
de la décomposition modulaire ne permet pas d’avoir une analyse précise des com-
102CONCLUSION
portements violant la politique de sécurité. En effet, chaque module se comporte
comme une boîte noire. La mémorisation du chemin qui le traverse nécessite une
quantité de mémoire conséquente. Le suppression par inclusion se base sur le fait
que la dernière interaction d’une signature est bloquée. Elle ne peut donc être utilisée
que si PIGA est en mode IPS. Dans le cas contraire, les signatures supprimées
peuvent être complétées sans que le système ne les détecte.
Ce chapitre a mis en évidence que les méthodes proposées permettent de compresser,
de manière efficace, une base de signatures. Le taux de compression est très
dépendant de la forme du graphe. Cependant, les modules obtenus possèdent une
cohérence sémantique. On peut donc supposer que les graphes utilisés par PIGA se
prêtent bien à l’application de la décomposition modulaire. Il nous a ensuite fallu
adapter le système de détection à la forme des nouvelles signatures.
Le quatrième chapitre présente la deuxième partie de notre contribution : l’adaptation
du système de détection de PIGA aux signatures modulaires. Les expérimentations,
décrites dans ce chapitre, ont pour but de confirmer l’efficacité de nos mé-
thodes de compression. En effet, le but initial de cette étude n’était pas de réduire
le nombre de signatures, mais de réduire la mémoire nécessaire à PIGA lors de la
détection. Il nous fallait obtenir un temps de réponse à chaque trace au plus égal à
celui de l’ancien système.
Tout d’abord, nous avons présenté une liste des nouveaux cas engendrés par la
présence de modules dans les signatures. Nous avons analysé en détail les problèmes
induits par la présence d’un module ou de plusieurs modules non-consécutifs. Pour
chacune des cas, nous avons présenté les problèmes qui pouvaient apparaître, puis
nous avons proposé une solution pour les gérer.
Ensuite, nous avons décrit deux algorithmes de détection des signatures. Le premier
permet de gérer certains des cas engendrés par la présence d’un module isolé,
tandis que le deuxième permet de gérer tous les cas. Nous n’avons pas présenté
d’algorithme gérant les modules consécutifs, car notre liste de cas les concernant
n’était pas exhaustive. De plus, nous n’avons généré aucune signature possédant des
modules consécutifs. Pour chacun de ces algorithmes, nous avons analysé leurs complexités
en temps et en espace. Les deux nouveaux algorithmes ont une complexité
en temps identique à l’algorithme original, c’est-à-dire en O(s.t). Leur complexité
en espace est en O(S + s.n), tandis que l’algorithme orignal exécute en O(S). Nous
avons ensuite prouvé l’équivalence des systèmes de détection.
Afin de vérifier les performances du deuxième algorithme, nous avons mesuré ses
performances grâce à des traces générées semi-aléatoirement. Les critères étaient : le
nombre d’alertes levées, le temps d’exécution et la mémoire consommée. Nous avons
comparé quatre bases de signatures différentes : la base originale, la base appliquant
la décomposition modulaire, la base appliquant la suppression par inclusion et la
base appliquant les deux méthodes. Tout d’abord, quelle que soit la base utilisée,
les mêmes alertes ont été levées au même moment. Pour le temps d’exécution, nous
avons noté une diminution de celui-ci. Cette diminution est plus forte si on utilise la
suppression par inclusion. Les mêmes remarques ont été faites concernant la mémoire
utilisée. Notre algorithme est donc plus efficace en temps et en mémoire consommée,
tout en gardant la même efficacité en terme de détection de comportements
103PERSPECTIVES
malicieux.
Nous avons ensuite présenté une analyse préliminaire des cas problématiques
induits par la présence de modules consécutifs dans une signature. Le traitement
de ce type de signatures, s’il n’est pas nécessaire, peut, théoriquement, permettre
d’augmenter la compression.
Enfin, nous avons soulevé un problème lié à l’utilisation de la décomposition modulaire
et de la suppression par inclusion. En effet, la gestion d’exception devient
plus complexe si l’on utilise l’une ou l’autre de ces méthodes. Pour la première mé-
thode, il devient difficile d’isoler un comportement d’une signature modulaire. Pour
la seconde, si une signature incluse dans une autre est une exception, alors il ne faut
pas supprimer cette dernière.
L’étude effectuée durant cette thèse a obtenu de bons résultats. Sur le graphe
flux et pour six paires source/destination, le fichier contenant la base de signatures a
diminué de 98,6% en utilisant les deux méthodes de réduction. Lors de la détection,
nous avons noté une diminution moyenne de plus 75% du temps d’exécution et une
diminution moyenne de plus de 68% de la mémoire consommée. De plus, l’utilisation
de ces méthodes ne diminue pas l’efficacité de PIGA en terme de détection de comportements
malicieux. Enfin, notre système est encore améliorable tant d’un point
de vue algorithmique que d’un point de vue de l’intégration à PIGA.
Perspectives
Suite à cette étude, des perspectives s’ouvrent sur trois axes : l’amélioration
de l’intégration des méthodes de réduction à PIGA, l’amélioration des algorithmes
utilisés et l’application de nos méthodes à d’autres problèmes.
Améliorations de l’intégration à PIGA
Actuellement, nos méthodes ne sont appliquées qu’aux propriétés de confidentialité
avec quelques limitations.
La première amélioration possible est d’appliquer nos méthodes de réduction aux
autres propriétés de sécurité utilisées par PIGA. Les deux méthodes peuvent être
appliquées de manière simple aux autres propriétés générant des signatures simples.
Cependant, pour les propriétés générant des signatures composées, l’utilisation de
nos méthodes est plus compliquée. En effet, la suppression par inclusion ne peut être
utilisée que sur la dernière partie des signatures composées.
La seconde amélioration consiste à intégrer la gestion des exceptions. L’ajout
d’exceptions se fait actuellement en spécifiant à PIGA l’identifiant des signatures représentant
les comportements à ignorer. Ce système a la particularité de permettre
l’ajout d’exceptions a posteriori de la génération de signatures. Avec l’utilisation
de la décomposition modulaire, une signature peut représenter plusieurs comportements.
L’éclatement d’un ou plusieurs modules, afin d’isoler un comportement
précis, demande de recalculer une partie de la base ce qui est assez contraignant.
Une solution pourrait être d’ajouter une base de signatures représentant l’ensemble
des comportements à ignorer. Les deux bases progresseraient alors en parallèle.
104PERSPECTIVES
Améliorations algorithmiques
Les systèmes de génération de signatures et de détection développés lors de cette
thèse fonctionnent de manière efficace avec les données testées. Cependant, des optimisations
ainsi qu’un élargissement du spectre des données traitables sont possibles.
Actuellement, notre système de génération de signatures n’utilise qu’une partie
de l’arbre de décomposition modulaire. En effet, seul le premier niveau de cet arbre
est utilisé pour générer le graphe quotient. Lors de l’analyse de l’algorithme de
décomposition modulaire non-orienté, nous avons observé qu’à la fin de la première
itération de l’algorithme calculant la permutation, on obtient une décomposition
modulaire où le sommet choisi comme centre est isolé. En choisissant ce centre
comme une des extrémités des signatures, puis en faisant une seconde itération sur
le module contenant l’autre extrémité en prenant celle-ci pour centre, on obtient
alors une décomposition modulaire avec les deux extrémités isolées. En utilisant
cette méthode, il n’est plus nécessaire de calculer une première fois la décomposition
modulaire, puis de modifier l’arbre pour en extraire les extrémités.
Pour le moment, le système de détection ne gère pas la présence de modules consé-
cutifs dans une signature. Nous avons proposé des moyens de modifier ce type de
signatures afin de ne plus avoir de modules consécutifs. Cependant, afin de conserver
une compression optimale, il nous faut conserver ces signatures. Une amélioration de
notre système serait de modifier l’algorithme de détection afin qu’il gère la présence
de modules consécutifs. Cette modification nécessiterait un approfondissement de
l’étude des cas problématiques induits par ce type de signature, présentée dans cette
thèse.
Applications
Notre problématique initiale était de diminuer la mémoire nécessaire lorsque le
système de détection de PIGA est actif. Rapidement, nous avons réduit ce problème
à une diminution de la taille de la base de signatures générées par PIGA. Or, une
signature est soit un chemin dans un graphe, soit une composition de plusieurs
chemins. Les solutions proposées dans cette thèse sont donc des moyens de réduire
le nombre de chemins entre deux sommets d’un graphe. Notre méthode d’application
de la décomposition modulaire peut être appliquée à différents problèmes nécessitant
une compression des chemins sur un graphe. Dans le cas d’un graphe orienté, une
implémentation de l’algorithme de décomposition modulaire orienté est nécessaire.
105PERSPECTIVES
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109Pierre CLAIRET
Approche algorithmique pour l’amélioration des performances du
système de détection d’intrusions PIGA
PIGA est un outil permettant de détecter les comportements malicieux par analyse de trace système.
Pour cela, il utilise des signatures représentant les comportements violant une ou plusieurs propriétés
de sécurité définies dans la politique. Les signatures sont générées à partir de graphes modélisant les
opérations entre les différentes entités du système et sont stockées en mémoire pendant la détection
d’intrusion. Cette base de signatures peut atteindre une taille de plusieurs Mo et ainsi réduire les
performances du système lorsque la détection d’intrusion est active. Durant cette thèse, nous avons
mis en place plusieurs méthodes pour réduire la mémoire nécessaire pour stocker les signatures, tout
en préservant leur qualité.
La première méthode présentée est basée sur la décomposition modulaire des graphes. Nous avons
utilisé cet outil de la théorie des graphes pour réduire la taille du graphe et, ainsi, diminuer le nombre
de signatures, ainsi que leur longueur. Appliquée à des propriétés de confidentialité sur un système
servant de passerelle, cette méthode divise par 20 le nombre de signatures générées.
La seconde méthode réduit directement la base de signatures en supprimant des signatures inutiles
lorsque PIGA est en mode IPS. Appliquée sur les mêmes propriétés, cette méthode divise par 5 le
nombre de signatures générées. En utilisant les deux méthodes, on divise le nombre de signatures par
plus de 50.
Ensuite, nous avons adapté le mécanisme de détection afin d’utiliser les nouvelles signatures géné-
rées. Les expérimentations que nous avons effectuées montrent que notre système est équivalent à
l’ancien système. De plus, nous avons réduit le temps de réponse de PIGA.
Mots clés : détection d’intrusions, décomposition modulaire, compression, signatures, sécurité système
Algorithmic approach for perfomance improvement of the
intrusion detection system PIGA
PIGA is a tool for detecting malicious behaviour by analysing system activity. This tool uses signatures
representing illegal behaviours that violate security properties defined in the policy. The signatures
are generated from graphs modelling the operation between different system entities and stored in
the memory during the intrusion detection. The signature base can take up several MB (Megabytes).
This will reduce system performance when the intrusion detection is running. During this thesis, we
set up two methods to reduce the memory used to store the signatures while also preserving their
quality.
The first method is based on the modular decomposition of graphs. We used this notion of graph
theory to reduce the size of the graph and lower the number and length of signatures. Applied to
confidentiality properties on a gateway system, this method divides by 20 the number of generated
signature.
The second method reduces directly the signature base by deleting useless signatures when PIGA is
used as an IPS. Applied to the same properties, this method divides by 5 the number of generated
signatures. Using both methods together, the number of signatures is divided by more than 50.
Next, we adapted the detection mechanism to use the new generated signatures. The experiments
show that the new mechanism detects the same illegal behaviours detected by the previous one.
Furthermore, we reduced the response time of PIGA.
Keywords : intrusion detection, modular decomposition, compression, signatures, system security
Laboratoire d’Informatique Fondamentale
d’Orléans Bâtiment IIIA Rue Léonard de Vinci
B.P. 6759 F-45067 ORLEANS Cedex 2
Contribution `a l’´etude des retours haptiques pour
am´eliorer l’exp´erience audiovisuelle
Fabien Danieau
To cite this version:
Fabien Danieau. Contribution `a l’´etude des retours haptiques pour am´eliorer l’exp´erience audiovisuelle.
Human-Computer Interaction. Universit´e Rennes 1, 2014. French.
HAL Id: tel-00951094
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00951094
Submitted on 24 Feb 2014
HAL is a multi-disciplinary open access
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abroad, or from public or private research centers.
L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est
destin´ee au d´epˆot et `a la diffusion de documents
scientifiques de niveau recherche, publi´es ou non,
´emanant des ´etablissements d’enseignement et de
recherche fran¸cais ou ´etrangers, des laboratoires
publics ou priv´es.ANNEE 2014 ´
THESE / UNIVERSIT ` E DE RENNES 1 ´
sous le sceau de l’Universite Europ ´ eenne de Bretagne ´
pour le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITE DE RENNES 1 ´
Mention : Informatique
Ecole doctorale Matisse ´
present ´ ee par ´
Fabien DANIEAU
prepar ´ ee au centre Inria Rennes - Bretagne Atlantique ´
et a Technicolor R&I `
Contribution to the
Study of Haptic
Feedback for Improving
the AudioVisual
Experience
These soutenue ` a Rennes `
le 13 Fevrier 2014 ´
devant le jury compose de : ´
Pr. Sriram SUBRAMANIAN
Professeur a l’Universit ` e de Bristol / ´ President ´
Pr. Gery C ´ ASIEZ
Professeur a l’Universit ` e de Lille 1 ´ / Rapporteur
Pr. Abdulmotaleb EL SADDIK
Professeur a l’Universit ` e d’Ottawa ´ / Rapporteur
Pr. Alain BERTHOZ
Professeur au College de France ` / Examinateur
Dr. Anatole LECUYER ´
Directeur de Recherches chez Inria / Directeur de these `
Dr. Marc CHRISTIE
Maˆıtre de Conferences ´ a l’Universit ` e de Rennes 1 ´ /
Examinateur
Dr. Philippe GUILLOTEL
Chercheur Senior a Technicolor ` / Examinateur
Dr. Julien FLEUREAU
Chercheur Senior a Technicolor ` / ExaminateurA Fanny `Remerciements
Tout d’abord je voudrais remercier Anatole L´ecuyer et Philippe Guillotel qui ont initi´e
ce projet de th`ese et qui m’ont encadr´e pendant ces trois ans. J’ai pris beaucoup de
plaisir `a travailler avec vous et j’ai ´enorm´ement appris `a vos cˆot´es. Comme vous me
l’aviez dit au d´ebut, ces trois ans sont pass´es tr`es vite. Ce fut une exp´erience inoubliable,
j’en garderai un excellent souvenir.
Je remercie vivement Julien Fleureau, Nicolas Mollet et Marc Christie qui ont aussi
activement encadr´e cette th`ese. Vos conseils et vos encouragements durant ces trois
ann´ees ont ´et´e pr´ecieux et ont concr`etement permis l’aboutissement de ce travail.
Je voudrais ´egalement remercier les membres du jury qui ont accept´e du juger mon
travail et mon manuscrit. Je remercie ainsi Pr. G´ery Casiez et Pr. Abdulmotaleb
El Saddik d’avoir accept´e d’ˆetre rapporteurs de mon manuscrit, et Pr. Alain Berthoz et
Pr. Sriram Subramaniam d’avoir accept´e d’ˆetre examinateurs. Merci ´egalement pour
vos commentaires pertinents sur mon travail et pour vos conseils.
Merci `a toute l’´equipe Hybrid du centre Inria/IRISA et `a tous les membres des
anciennes ´equipes VR4I et Bunraku. Merci de m’avoir accueilli, nous avons pass´e
de super moments ensemble, aussi bien au laboratoire qu’en soir´ee. Merci `a Orianne
Siret, Emmanuel Badier, Steve Tonneau, Ferran Argelaguet Sanz, Julian Joseph, Florian
Nouviale, Jonathan Perrinet, Loiez Glondu, Gabriel Cirio, Thomas Lopez, K´evin
Jordao, Jonathan Mercier-Ganady, Hui-Yin Wu, Teofilo Dutra, Carl-Johan Jorgensen,
Rozen Bouville-Berthelot, J´erˆome Ardouin, Huyen Nguyen, Anne-H´el`ene Olivier et
Julien Bruneau. Un merci particulier `a mes deux coll`egues de bureau Anthony Talvas
et Merwan Achibet. Merci `a Nathalie Denis pour sa gentillesse et son aide.
Merci `a toute l’´equipe de Technicolor R&I. J’y ai ´egalement re¸cu un accueil chaleureux
et pass´e de tr`es bons moments. L`a encore il y a beaucoup de personnes `a remercier
et je ne pourrai pas ˆetre exhaustif. Merci en particulier `a Mehmet T¨urkan, Martin Alain,
Ronan Boitard, Matis Hudon et Mika¨el Le Pendu pour tout ce que l’on a partag´e ensemble.
Merci `a l’´equipe exploratoire et aussi `a l’´equipe HMIUB qui m’a adopt´e sur la fin
de ma th`ese, et o`u je suis heureux de rester pour continuer mes recherches. Je voudrais
´egalement remercier les stagiaires qui ont travaill´e avec moi sur ce projet de th`ese et
qui m’ont grandement aid´e. Merci `a Audrey Cabec, J´er´emie Bernon et In`es Rouxel.
12 Remerciements
J’aimerais remercier l’´equipe Flowers du centre Inria Bordeaux o`u j’ai fait mon
stage de fin d’´etudes d’ing´enieur. C’est l`a que j’ai d´ecouvert et fais mes premiers pas en
recherche. Merci `a Pierre-Yves Oudeyer et Pierre Rouanet de m’avoir accueilli, form´e
et pouss´e `a continuer. Un grand merci `a Pierre et Matthieu Lapeyre d’avoir fait mille
kilom`etres pour venir me voir.
Merci `a tous mes amis que j’ai connus et laiss´es `a Bordeaux. Vous me manquez
beaucoup et c’est toujours un plaisir de venir vous voir. Votre soutien et vos encouragements
m’ont ´enorm´ement aid´e. Merci `a Fran¸cois Tessier, Marion Gimenez, Patrick
Dos-Santos, Regis Cobrun et Fran¸cois B´egou.
Merci `a mes nouveaux amis bretons, de souche ou de cœur. C’est avec joie que
je reste en Bretagne avec vous o`u je suis sˆur que nous continuerons `a passer de bons
moments. Merci `a Fabien Racap´e, Darya Khaustova, Anna Mateus, Simon Malinowski,
Marco Bellaviqua et Youssef Alj.
Je voudrais terminer en remerciant ma famille pour leur soutien depuis le d´ebut de
mes ´etudes, mes parents Gilles et Sylvie, ma sœur Aur´elie et ma grand-m`ere Monique.
Enfin, merci `a ma Fanny qui me soutient quotidiennement et grˆace `a qui j’en suis l`a
aujourd’hui.Contents
Remerciements 1
1 Introduction 11
1.1 Adding haptic feedback to audiovisual content:
challenges and workflow . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.2 Thesis objectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.2.1 New haptic device dedicated to video viewing settings . . . . . . 13
1.2.2 New haptic rendering algorithm for haptic-audiovisual scenarios 14
1.2.3 New authoring tool for creating of haptic effects . . . . . . . . . 14
1.2.4 New haptic effects for enriching the haptic-audiovisual experience 14
1.3 Approach and contributions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.3.1 Part I - Rendering haptic effects: novel device and algorithms for
rendering haptic effects in video viewing settings . . . . . . . . . 15
1.3.2 Part II - Producing haptic effects: tools and techniques for creating
haptic-audiovisual content . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
2 Related work on haptic-audiovisuals 19
2.1 Production of haptic effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
2.1.1 Haptic effects for audiovisual content . . . . . . . . . . . . . . . . 20
2.1.2 Capturing haptic effects from the real world . . . . . . . . . . . . 21
2.1.3 Automatic extraction of haptic effects from audiovisual content . 22
2.1.3.1 Generation from visual content . . . . . . . . . . . . . . 22
2.1.3.2 Generation from audio content . . . . . . . . . . . . . . 24
2.1.3.3 Generation from metadata . . . . . . . . . . . . . . . . 24
2.1.4 Graphical creation tools for synthesizing haptic effects . . . . . . 25
2.1.4.1 Device-oriented effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
2.1.4.2 User-oriented effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
2.2 Distribution of haptic effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.2.1 Data formats for haptic effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.2.1.1 XML-based . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.2.1.2 VRML-based . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
2.2.2 HAV containers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
2.3 Rendering of haptic effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
56 Contents
2.3.1 Wearable devices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2.3.2 Handheld devices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
2.3.3 Desktop devices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
2.3.4 Haptic seats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
2.4 Quality of experience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
2.4.1 Subjective measures: questionnaires . . . . . . . . . . . . . . . . 40
2.4.2 Objective measures: physiological data . . . . . . . . . . . . . . . 40
2.5 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
2.6 Chapter conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
I Rendering Haptic Effects: Novel Device and Algorithms for Rendering
Haptic Effects in Video Viewing Settings 45
3 HapSeat: simulating motion sensation with multiple force-feedback
devices embedded in a seat 47
3.1 Related work on motion simulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
3.1.1 Human motion perception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
3.1.2 Motion simulators . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
3.2 HapSeat: a novel approach for simulating 6DoF motion . . . . . . . . . 49
3.3 Proof-of-concept . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
3.3.1 Prototype of the HapSeat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
3.3.2 Motion data . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
3.3.3 Models for motion simulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
3.3.3.1 Physical model . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
3.3.3.2 Geometrical model . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
3.3.3.3 Output of the models . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
3.3.4 Haptic Rendering . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
3.4 User study . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
3.4.1 Sequences: haptic-audiovisual contents . . . . . . . . . . . . . . . 56
3.4.2 Variables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
3.4.3 Measurement of QoE: questionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . 57
3.4.4 Results . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
3.4.5 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
3.5 Chapter conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
4 Haptic rendering for HAV based on a washout filter 65
4.1 Washout filter for haptic rendering . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
4.2 Proof-of-concept . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4.2.1 Haptic effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4.2.2 Haptic device: the HapSeat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4.2.3 Control model . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4.2.4 Washout filter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
4.2.4.1 User’s body model . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68Contents 7
4.2.4.2 Perceptive optimizer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
4.2.4.3 Workspace optimizer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
4.2.5 Haptic rendering . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
4.2.6 Implementation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
4.2.6.1 Perception thresholds . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
4.2.6.2 Performance evaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
4.3 User study . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
4.3.1 Experimental conditions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
4.3.2 Procedure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
4.3.3 Results . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
4.4 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
4.5 Application to a full video sequence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
4.6 Chapter conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
II Producing Haptic Effects: Tools and Techniques for Creating
Haptic-Audiovisual Content 83
5 H-Studio: an authoring tool for adding haptic and motion effects to
audiovisual content 85
5.1 The authoring tool: H-Studio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
5.1.1 Manual motion effect edition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
5.1.1.1 Waypoint edition using a force-feedback device . . . . . 87
5.1.1.2 Trajectory recording from a force-feedback device . . . 87
5.1.2 Automatic creation of motion effect . . . . . . . . . . . . . . . . 88
5.1.2.1 Capture device . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
5.1.2.2 Processing of the captured motion signals . . . . . . . . 89
5.1.3 Preview of motion effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
5.2 User study . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
5.2.1 Capturing test sequences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
5.2.2 Variables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
5.2.3 Measures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
5.2.4 Results . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
5.2.5 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
5.3 Chapter conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
6 Toward haptic cinematography: enhancing movie experience with
haptic effects based on cinematographic camera motions 99
6.1 Haptic cinematography . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
6.1.1 Taxonomy of haptic effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
6.1.2 Camera effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
6.1.3 Haptic effects based on camera effects . . . . . . . . . . . . . . . 102
6.2 Proof-of-concept . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
6.2.1 Audiovisual content . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1038 Contents
6.2.2 Haptic device: the HapSeat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
6.2.3 Cinematic model . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
6.2.4 Semantic model . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
6.2.5 Haptic rendering . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
6.3 User study . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
6.3.1 Experimental plan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
6.3.2 Procedure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
6.3.3 Results . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
6.4 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
6.5 Chapter conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
7 Conclusion 115
A Haptic Effects Used in Chapter 4 (Washout Filter) 121
B Output of Cinematic and Semantic models 125
C Video Sequences Illustrating the Camera Effects 133
D R´esum´e Long en Fran¸cais 135
D.1 Partie I - Rendu d’effets haptiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
D.1.1 HapSeat: simulation de sensations de mouvement avec plusieurs
appareils `a retour de force int´egr´es dans un si`ege . . . . . . . . . 137
D.1.1.1 HapSeat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
D.1.1.2 Impl´ementation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
D.1.1.3 Evaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
D.1.2 Rendu haptique pour des contenus haptique-audiovisuels bas´e sur
un filtre perceptif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
D.1.2.1 Concept . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
D.1.2.2 Impl´ementation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
D.1.2.3 Evaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
D.2 Partie II - Production d’effets haptiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
D.2.1 H-Studio: un outil d’´edition pour ajouter des effets haptiques et
de mouvement `a un contenu audiovisuel . . . . . . . . . . . . . . 141
D.2.1.1 H-Studio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
D.2.1.2 Evaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
D.2.2 Cin´ematographie Haptique: am´eliorer l’exp´erience audiovisuelle
avec des effets haptiques bas´es sur des mouvements de cam´era . 142
D.2.2.1 Concept . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
D.2.2.2 Impl´ementation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
D.2.2.3 Evaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
D.3 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
Author’s publications 146Contents
9
Bibliography 156
List of Figures 157
List of Tables 15910 ContentsChapter 1
Introduction
The sense of touch (haptics) in interactive systems has been particularly studied and
appears to be a key factor in user immersion [Rei04]. Many haptic interfaces that
enable the physical interaction with virtual or remote objects have been developed and
evaluated in the past decades [BS02, HACH+04]. They were first used in virtual reality
or teleoperation systems. Nowadays haptic technologies are used in various applications
in medical, robotics and artistic settings.
In contrast, the use of haptics in a multimedia context, in which haptic feedback
is combined with one or more media such as audio, video and text, seems surprisingly
underexploited. Yet, in 1962, Heilig introduced the Sensorama, a system where one
could watch a 3D movie, sense vibrations, feel the wind and smell odors [Hei62]. Although
the potential industrial impact of haptics for audiovisual entertainment seems
to be important, research and technology remains essentially focused on improving image
and sound. Only a few systems, known as “4D cinemas”, currently exploit this
technology. However, the number of articles reporting the potential of haptic feedback
for multimedia is increasing. O’Modhrain et al. have demonstrated that the benefits
of haptic feedback observed in virtual reality, video games or telepresence are applicable
to multimedia applications [OO03]. Haptic feedback increases user’s feeling of
presence, of realism and user’s engagement in the application. Haptic feedback may
also open new ways to experience audiovisual content. The relation between users
and audiovisual content is no longer limited to a passive experience but could enable
physical involvement in a more immersive experience [MTB06]. More than physical
sensations associated to audiovisual content, the user could expect to receive a complementary
piece of information or to intensify an emotion through haptic interaction.
The combination of haptics and audiovisual content becomes the complete medium of
haptic-audiovisual (HAV [EOEC11]) content. Worthy of study, HAV is thus becoming
a new scientific field with its own specific requirements and challenges.
The young field of study of HAV introduces new scientific issues. How can haptics
be employed efficiently in conjunction with image and sound, and how can haptic
feedback be created for this purpose? What kind of device is suitable for rendering
haptic feedback in a viewing scenario (cinema or user living space, potentially shared)?
1112 Introduction
Moreover, to what extent can haptics influence the video viewing experience? and how
can the resulting quality of experience be evaluated? These issues are organized and
studied in this manuscript.
1.1 Adding haptic feedback to audiovisual content:
challenges and workflow
The issues of adding haptic effects to audiovisual content can be organized within
a workflow illustrated in Figure 1.1. Inspired from the typical workflow for videostreaming
[WHZ+01], it comprises three stages: production, distribution and rendering.
We use the term “haptic effect” to designate the use of a haptic feedback in audiovisual
content, a generalization of the term employed in the specific context of video viewing
[OO03, YAMS06, CES09].
Audiovisual
media
Haptic
effects
Capturing
Synthesizing
Automatic
extraction Network
Screen &
Speakers
Haptic
devices
Audiovisual
renderer
Haptic
renderer
Automatic
extraction
E
N
C
O
D
E
R
E
N
C
O
D
E
R
D
E
C
O
D
E
R
D
E
C
O
D
E
R
Figure 1.1: Workflow for adding haptic effects to audiovisual content. In this thesis, we
consider haptic effects as a component of a multimedia content. Effects are typically:
(i) produced, (ii) distributed and (iii) rendered in the user living space in parallel to
the audiovisual content.
The first stage in the workflow deals with the production of the content, i.e.
how haptic effects can be created or generated in synchronization with the audiovisual
content. Three techniques emerge from the literature: the capture and processing of
data acquired from sensors, automatic extraction from a component of the audiovisual
content (image, audio or annotations) and manual authoring of haptic effects.
The second stage in the workflow deals with the distribution of haptic effects.
Current technologies allow mass distribution of media over networks, so there is a
strong requirement for haptic effects also to be distributable in this way. This raises
questions on formalizing haptic effects. The synchronized transmission of haptic effects
over networks is termed haptic broadcasting [CHK+09].
Finally, in the third stage, an encoded haptic effect is rendered on a specific
haptic device and experienced by the user, while the audiovisual content is displayed
on a screen and played on speakers. Haptic effects are converted into commands for
the haptic device by the dedicated haptic renderer.Thesis objectives 13
A last main aspect, complementary to the workflow, is the evaluation of the user
experience which cuts across production, distribution and rendering. The quality of
experience (QoE) has several definitions [Jai04, Kil08] but can be defined in our context
as the measure of the user’ subjective experience with an audiovisual content. Most
interest to date has focused on the technical aspects of the three stages of the workflow,
but there is also a clear necessity to measure the quality of haptic-enhanced audiovisual
experiences.
1.2 Thesis objectives
The work presented in this manuscript belongs to the recent field of study of hapticaudiovisuals
(HAV). Numerous improvements of the three stages of the workflow (production,
distribution and rendering of haptic effects) are required in order to make
HAV a mature technology. At the time of starting this thesis, the aspect of formalization
and transmission of haptic effects were partly studied and on the way to be
standardized by the MPEG1 group. This stage will not be considered in this work.
This thesis focuses therefore on the two stages of production and rendering of haptic
effects. Four points will be addressed in particular (see Figure 1.2): (1) designing a
new device dedicated to audiovisual viewing, (2) improving the haptic rendering for
haptic-audiovisual scenarios, (3) simplifying the creation of haptic effects thanks to a
new authoring tool, and (4) enriching the taxonomy of haptic effects with dedicated
cinematographic effects. These four objectives are detailed in the following sections.
Audiovisual
media
Haptic
effects
Capturing
Synthesizing
Automatic
extraction Network
Screen &
Speakers
Haptic
devices
Audiovisual
renderer
Haptic
renderer
Automatic
extraction
E
N
C
O
D
E
R
D
E
C
O
D
E
R
Figure 1.2: Overview of the four objectives and main contributions of the thesis.
1.2.1 New haptic device dedicated to video viewing settings
Numerous haptic interfaces have been designed for virtual reality, teleoperation or
gaming purposes [BS02, HACH+04], but few exist to enhance a video viewing session.
1
ISO/IEC Moving Picture Experts Group14 Introduction
Moving seats, designed for amusement parks or “4D cinemas”, provide strong effects
of motions, vibrations or water sprays. But these cumbersome devices are not really
adapted to traditional movie theaters or a user’s living space. More popular devices are
those embedding vibrating motors, such as gamepads or mobile phones. But the range
of sensations they provide is quite limited. Therefore a real need for devices providing
a wide range of sensations while remaining simple, comfortable, robust and adapted for
a classical video viewing experience appears.
1.2.2 New haptic rendering algorithm for haptic-audiovisual scenarios
In typical haptic rendering algorithms, the haptic feedback is computed from the interaction
between the user and the simulation [SCB04]. When the user touches a virtual
object, the reaction force is computed and rendered on the haptic device. The haptic
rendering is performed continuously during the simulation. In a context of hapticaudiovisual
applications, haptic effects may have been designed by content creators to
be triggered at specific moments in the audiovisual content (synchronized to sounds
effects, movement of a character, explosions, etc.) [WRTH13, Kim13]. Such effects
are designed independently from a specific device (and its constraints) and may occur
in a noncontinuous way. Classical haptic rendering algorithms are not suitable in this
context. New algorithms need to be developed to handle the transitions between effects
and to adapt the haptic feedback to the workspace of the device.
1.2.3 New authoring tool for creating of haptic effects
The creation of haptic effects is often a manual process achieved by providers of hardware
for “4D cinemas” [DBO, MED]. Effects are added on top of existing audiovisual
content. These effects are not designed by the creators of audiovisual content and thus
not fully integrated as part of the media. But the authoring of haptic effects is a complex
task and few editors exist. For example, creating a 6DoF2
effect of motion requires
the edition of multiple parameters (usually three translational accelerations and three
angular speeds). Therefore user-friendly tools are needed to design and add haptic effects
to videos, similar to those used by movie-markers to design sound or visual effects
during the (post-)production of audiovisual content.
1.2.4 New haptic effects for enriching the haptic-audiovisual experience
In virtual reality or teleoperation applications, haptic feedback allows the users to touch
what they see. The first approaches combining haptics and audiovisual follow this principle
(although there is no actual interaction with a video) [OO04, LLC+05, GMS06].
But an audiovisual content may represent more than physical events. Emotion or information
can also be conveyed (with romantic movies or documentaries for instance).
Then the traditional use of haptic feedback would be quite limiting while haptics has
2Degrees of FreedomApproach and contributions 15
the potential to convey more than physical sensations [MTB06]. New ways of combining
haptics and audiovisual have to be studied in order to enrich the taxonomy of
haptic effects.
1.3 Approach and contributions
This manuscript describes the work we carried out in order to address the four objectives:
designing a new device dedicated to video viewing settings, improving the
haptic rendering for haptic-audiovisual scenarios, simplifying the creation of haptic effects
thanks to a new authoring tool, and enriching the taxonomy of haptic effects with
dedicated cinematographic effects.
We first present in Chapter 2 the related work on haptic-audiovisuals. The
key challenges of the field are detailed, and previous works for producing, distributing
and rendering haptic effects are reviewed. Then the current techniques and metrics to
evaluate the user haptic-audiovisual experience are described.
The following chapters are dedicated to the scientific contributions we proposed.
They are gathered in two parts: Part I describes contributions related to the rendering
of haptic effects and Part II details contributions related to the production of
haptic effects. We have used a user-centered approach and we have designed metrics
to measure the quality of experience. Our contributions were systematically evaluated
in this thesis.
1.3.1 Part I - Rendering haptic effects: novel device and algorithms
for rendering haptic effects in video viewing settings
The rendering of haptic effects is a key challenge to enhance the video viewing experience.
In this last stage of the HAV workflow, haptic effects are delivered to the end-user
while the audiovisual content is displayed. The haptic feedback provided depends thus
on the capabilities of the haptic device used. As explained in Section 1.2.1, there is a
lack of devices rendering rich haptic feedback in consumer environment.
In Chapter 3 we propose a novel device to render haptic effects in a video
viewing scenario. More particularly we focus on the rendering of the sensation of
motion. Motion simulators moving the whole user’s body are quite expensive and cumbersome
for a classical video viewing experience. Hence we introduce a new device, the
HapSeat, in which the sensation of motion is provided by the stimulation of three points
of the user’s body (head and hands). A proof-of-concept has been designed and uses
three low-cost force-feedback devices. Two control models have been implemented. A
user study has been conducted to evaluate the relevance of this concept and the impact
of the different models on the quality of experience.
Haptic effects can be created independently of a haptic device and may occur in a
noncontinuous way during the display of the audiovisual content. The haptic rendering
needs to adapt the haptic effects to the workspace of the device used, and has to handle16 Introduction
the transitions between effects. Classical haptic rendering algorithms are not suitable
in this context.
In Chapter 4 we propose a new haptic rendering algorithm for hapticaudiovisuals.
We introduce the use of washout filters for force-feedback devices. The
principle of a washout filter is to move a device toward the center of the workspace
under the user’s perception threshold. This technique is well-known for the control
of traditional motion simulators. As the whole user’s body is moving, the perception
threshold is determined by the capabilities of the human vestibular system. This approach
is however not applicable for the force-feedback devices, including the HapSeat,
which stimulates the human kinesthetic system. We thus propose to rely on a biomechanical
model to compute the user’s perception thresholds. Based on this technique,
we optimize the haptic rendering, allowing the generation of multiple effects of motion.
A user study was also conducted to quantify the benefits of this washout filter on the
quality of experience. Evaluations were performed in order to characterize the user’s
perception of this washout filter, and a study on an actual haptic-audiovisual movie
was conducted to generalize these results.
1.3.2 Part II - Producing haptic effects: tools and techniques for
creating haptic-audiovisual content
The second part of the manuscript is focused on the production of haptic effects. Our
approach is to consider haptics as a new medium, equivalent to image and sound. Therefore
we propose several techniques to design and associate haptic effects to audiovisual
content.
In Chapter 5 we present new methods for editing haptic and motion effects.
The design of motion effects is particularly challenging due to the 6DoF which
all have to be set at a time. Thus we propose three different methods: two manuals
methods using a force-feedback device as input and one automatic method to capture
motion effects during the recording of a video sequence. These methods were implemented
in a new authoring tool: the H-Studio. Besides we introduce a new feature to
preview motion effects thanks to a force-feedback device. This way the haptic designer
can preview the amplitude of the effects, the dynamic of the sequence and the synchronization
of the effects with the video. Eventually a user study has been conducted to
evaluate the preview of the captured motion effects.
Few haptic-audiovisual systems have been described in the literature, but it appears
that haptic effects are mainly used to make the audience feels physical events happening
in a video. This approach is similar to the use of haptic feedback in virtual reality
applications. However we believe that haptics could be combined to other aspects of
an audiovisual content in a same way that sound in movies can be related to physical
events (sound effects) or to the ambiance (music).
In line with this observation, we introduce in Chapter 6 the concept of Haptic
Cinematography which presents haptics as a new dimension in the creation space
for filmmakers and we propose a taxonomy of haptic effects. We detail in particularApproach and contributions 17
new haptic effects coupled with classical cinematographic camera motions to enhance
video viewing experience. More precisely we propose two models to render haptic effects
based on camera motions. The first model makes the audience feel the motion of
the camera and the second provides haptic metaphors related to the semantics of the
camera effect. A user study has been conducted to evaluate the impact of these haptic
effects on the quality of experience.
Finally Chapter 7 provides conclusions and perspectives of the work presented
in this manuscript.18 IntroductionChapter 2
Related work on
haptic-audiovisuals
Contents
2.1 Production of haptic effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
2.1.1 Haptic effects for audiovisual content . . . . . . . . . . . . . . 20
2.1.2 Capturing haptic effects from the real world . . . . . . . . . . 21
2.1.3 Automatic extraction of haptic effects from audiovisual content 22
2.1.4 Graphical creation tools for synthesizing haptic effects . . . . 25
2.2 Distribution of haptic effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.2.1 Data formats for haptic effects . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.2.2 HAV containers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
2.3 Rendering of haptic effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2.3.1 Wearable devices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2.3.2 Handheld devices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
2.3.3 Desktop devices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
2.3.4 Haptic seats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
2.4 Quality of experience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
2.4.1 Subjective measures: questionnaires . . . . . . . . . . . . . . 40
2.4.2 Objective measures: physiological data . . . . . . . . . . . . . 40
2.5 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
2.6 Chapter conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
Haptic technology has been widely employed in applications ranging from teleoperation
and medical simulation to art and design, including entertainment, flight
simulation, and virtual reality. Today there is a growing interest among researchers
in integrating haptic feedback into audiovisual systems. A new medium emerges from
this effort: haptic-audiovisual (HAV) content.
1920 Chapter 2
The aim of this chapter is to survey the results obtained in this young field of
research and identify its key challenges. We build on the workflow for adding haptic
effects to visual audiovisual content to detail contributions related to its three main
stages (see Figure 2.1). Firstly, haptic effects are produced thanks to dedicated tools
and techniques, reviewed in Section 2.1. Secondly, haptic effects are formalized and
combined to audiovisual contents in order to be distributed to end-users, potentially
through streaming platforms. Various models and formalizations for the distribution
are presented in Section 2.2. Thirdly, haptic effects are rendered by dedicated haptic
interfaces. Section 2.3 offers an overview of the wide range of published renderers
classified by the type of device (wearable, handheld, desktop or seat). We finally
discuss techniques for evaluating the quality of experience (QoE) with such systems in
Section 2.4. We conclude by discussing the developing prospects in the field.
Audiovisual
media
Haptic
effects
Capturing
Synthesizing
Automatic
extraction Network
Screen &
Speakers
Haptic
devices
Audiovisual
renderer
Haptic
renderer
Automatic
extraction
E
N
C
O
D
E
R
E
N
C
O
D
E
R
D
E
C
O
D
E
R
D
E
C
O
D
E
R
Figure 2.1: HAV workflow for adding haptic effects to audiovisual content.
2.1 Production of haptic effects
Production is the task of creating haptic effects in order to enhance audiovisual content.
Three methods to create them have been reported in the literature: (i) capturing haptic
effects from the real world using physical sensors, (ii) generating haptic effects by an
automated analysis of audio and/or visual contents, and (iii) manually synthesizing
haptic effects from scratch or by editing effects obtained with the previous methods.
Haptic effects will be classified according to their perceptual characteristics (tactile,
kinesthetic, and proprioception).
2.1.1 Haptic effects for audiovisual content
The MPEG-V format is a promising standard allowing to describe sensory effects for
multimedia content (see Section 2.2.1.1) [MPE11]. A classification of sensory effects
such as taste, smell and haptic is proposed. Haptic effects reported were temperature,
wind, whole body vibration, water sprayer, passive kinesthetic motion and force (the
user simply holds a force-feedback device), active kinesthetic (the user can explore
actively the content thanks to a force-feedback device), tactile and rigid body motionProduction of haptic effects 21
(the whole body of the user is moved as in motion simulators). In the standard the
effects are defined in an abstract way to capture the haptic designer’s intention. The
description is supposed to be device independent but some effects are directly linked
to a specific device (water sprayer or tactile for instance).
In contrast, the classification we propose is based on haptic perceptual capabilities.
Haptic feedback is often separated into two categories: tactile and kinesthetic feedback.
There are three types of tactile stimuli: perception of vibration, of pressure [Shi93]
and of temperature [JB02]. Two types of kinesthetic stimuli may be defined [Jon00]:
perception of movement and limb position, and the perception of forces. Finally, haptic
perception may result from the motion of the user’s own body [Ber00]. Both the
vestibular system and proprioception contribute to the perception.
We then propose a table summarizing haptic effects in HAV systems in which each
category is mapped to contributions from the literature (see Table 2.1). The reader may
also refer to the guidelines for the design of vibrotactile effects [vE02] or haptic feedback
in multimodal environments [HS04]. These individual effects can be combined to create
more complex effects. For example, the haptic effect associated with an explosion might
be defined with a combination of temperature and vibration.
Haptic effects are mostly used to represent physical events which occur in the scene
(see references in Table 2.1). The user perceives stimuli which are directly related to the
audiovisual content (e.g. bumps when driving off-road), augmenting the physical event
and the sense of “being physically present”. However other aspects of an audiovisual
content, such as ambiance, can be enhanced as well [KCRO10]. The role of haptic
effects in audiovisual content is analogous to that of audio in movies: audio is used for
increasing the realism (sound effects) and to create ambiance (music). In movies, a clear
separation is drawn between diegetic sounds (a sound for which the source belongs to
the diegesis, the recounted story) and non-diegetic sounds (a sound for which the source
is neither visible nor implied in the action, typically such as a narrator’s comment or
mood music). Non-diegetic haptic effects have similar potential. Non-visual content
could be augmented by providing additional information that is perceived by the user.
The use of haptic effects to enhance ambiance or emotion is not straightforward.
The haptic effect designer may explore results from research on affective haptics: recent
works attempt to communicate affect with haptic feedback [SM07] or trigger users’
emotions with the help of haptic patterns [TNP+09, LCB+09].
2.1.2 Capturing haptic effects from the real world
One approach for creating haptic effects is to capture haptic data related to an object
or actor in a scene. The capture is performed by a “haptic camera” which is a physical
sensor extracting haptic properties from the real world [Mac96]. Piezo-electric sensors
can be used to capture forces [OO03] or vibrations but, most of the time, accelerometers
are used to record accelerations and deduce forces applied to the targeted object. Brady
et al. equipped a radio-controlled car to capture accelerations on X, Y and Z axes
[BMO+02]. These recorded data were then directly transmitted and rendered to the
user’s control device. Recorded accelerations on X and Y axes control an embedded22 Chapter 2
Haptic Perception Haptic Effect Reference
Tactile
Temperature [Dio97, PWN+]
Vibration [LLC+05, uR08, LCB+09, WRTH12,
RAC10, KCRO10, PWN+]
Pressure [SKI05, PWN+, HTIS10, AMS11]
Kinesthetic Movement [GMS06, KPK+11]
Force [OO04, YAMS06, CES09, KPK+11]
Proprioception Body Motion [DBO, CJ4]
Table 2.1: List of potential haptic effects for audiovisual content. Individual effects can
be combined to create complex effects.
2DoF force-feedback device and acceleration on the Z-axis drives a vibration device. In
a less direct way, Kuchenbecker et al. recorded haptic events in a database to enable
replay later [KFN05]. The authors recorded accelerations resulting from the impact of
a stylus on different materials (wood, foam). These accelerations were transduced into
forces and replayed by a force-feedback device when the user touched virtual materials.
A second approach consists of capturing haptic effects related to a whole scene.
Depth (or 2.5D) cameras have been used to build touchable images [CES09, RS11]. A
more precise result could be obtained with 3D trackers [MKT+05] but these devices
are more expensive and the analysis of the scene would take longer (see Figure 2.2).
The problem of capturing haptic effects remains strongly constrained by the available
hardware. In contrast to video and sound recording, only a limited number of devices
exist, mainly accelerometers and 3D cameras with considerable variations in precision
and cost.
2.1.3 Automatic extraction of haptic effects from audiovisual content
Haptic effects can also be created automatically by extraction. The key idea is to
generate haptic effects which are consistent with media content in order to highlight
specific aspects. For example a scene showing an explosion could be enhanced by haptic
feedback such as vibrations and heat. Video and sound analysis might be used to detect
explosions and then automatically add haptic effects.
Automatic extraction can occur in the production stage or in the rendering stage.
In the production stage, haptic effects are automatically generated and can be modified
by the creator. In the rendering stage, haptic effects are automatically generated on
the client side.
2.1.3.1 Generation from visual content
A classical way to extract content from an audiovisual media consists in using video
analysis techniques. Typical algorithms rely on feature detectors to extract points of
interest inside an image to build derived information (e.g. object identification) [TM07].
There are significant variations in the features they offer such as robustness to lightProduction of haptic effects 23
Figure 2.2: Capture of visual and haptic cues [MKT+05]. 360➦ images (a), shape
and size (b), information about material and texture (c), and data from the haptic
manipulation (d) are captured.
variations or motion, and computational cost. Some specific algorithms are dedicated to
the detection of specific features such as faces [ZCPR03] or motion [HTWM04]. Detecting
events is also possible. Video abstraction [TV07] and video data mining [ZWE+05]
have both been used for event detection but are restricted to specific subjects such as
sports, where the potential range of events is limited. Once a targeted event is detected
in the audiovisual content, a haptic effect could be generated. For instance, R´ehman
et al. have shown how to automatically extract events from a soccer game video and to
display them with a vibrotactile device [uR08]. Five vibration patterns were designed
to represent the position of the ball on the field, to the team leading the game or to the
goals. However the main focus was on how to render the effects rather than the video
analysis. Rasool and Sourin have described several techniques to extract haptic properties
from images [RS11]: haptic geometry from stereoscopic images, haptic textures
based on shading information or image segmentation into haptic regions with constant
physical properties. Kim et al. have relied on a saliency map to drive a vibrotactile
array [KLC12]. A saliency map spatiotemporally abstracts perceptual importance in24 Chapter 2
a visual scene. They have computed a map for each frame of a video and they have
mapped the result to the vibrotactile array. Then vibrations are related to the most
important elements of the video.
The difficulty of direct extraction of haptic information from video was pointed out
by Mc Daniel et al. [MKT+05]. To simplify the problem, the authors built a database
which maps visual information (a picture of an object) to haptic information (the 3D
shape of the object). The database is used to generate appropriate haptic feedback for
each object identified from visual information.
Even if computer vision provides a broad range of tools, most techniques to analyze
and generate haptic feedback have not been yet explored in detail. The robustness and
adaptability of the detection algorithms remain typical issues in the field [TM07].
2.1.3.2 Generation from audio content
Haptic effects can also be created from the audio content within audiovisual media.
The main approach is to transduce an audible signal into a signal suitable for vibration
motors. Chang and O’Sullivan used a band-pass filter to isolate frequencies compatible
with a targeted vibration motor and then amplify and render the output signal on
this device [CO05]. This system was developed for mobile phones which then vibrate
according to ringtones. The “Integrator” development platform from Immersion is a
similar commercially available system [IMM]. The “Reverb” module allows the automatical
addition of haptic effects to any application using the output audio stream.
The approach selected by Nanayakkara et al. is even more direct and does not require
any processing of the audio stream [NTWO09]. The authors developed a chair for deaf
people which renders music and vibration. The sound is played by speakers attached
to the seat, which are specially designed to propagate vibrations to the surface they
are attached to.
Most research follows this straightforward technique of the transduction of audio
into vibrations. An alternative is to render specific parts of the audio signal. Chi et al.
have developed an algorithm that detects pre-learned target sounds (gun effects) into a
video game [CCO+08]. Once an effect is detected, a vibration pattern is render on the
player’s device. Lee at al. have developed a model which extracts perceptual variables of
the audio signal, roughness and loudness, and converts them into a vibrotactile signal
[LC13]. The model is able to detect specific sound effects such as explosions or the
noise of a motor engine. The approach could be extended by attempting to represent
the information conveyed by the audio stream. Audio analysis techniques to extract
specific features would then be useful. For example the system described by Zhang and
Kuo permits the identification of music, speech and environmental sound in an audio
signal [ZK01].
2.1.3.3 Generation from metadata
Metadata can contain information about movements or physical properties of objects
within the media. Yamaguchi et al. extracted data from a Flash [FLA] animation toProduction of haptic effects 25
compute force feedback as the user explores the content [YAMS06]. Since this format
allows access to the geometry and position of elements within a 2D animation, it is
possible to compute a force-feedback related to one of the objects in the scene. The
authors defined a virtual mass for the targeted object and then computed a forcefeedback
relative to the acceleration and mass of this object. This technique can be
applied to computer animations where a 3D model of the scene is available. But the
system remains specific to animations and is not suitable for standard video. However
some data formats allow for the description of audiovisual content. The MPEG-7
standard focuses on the description of multimedia content and can contain a description
of movement within a scene [CSP02], opening many possibilities for the generation of
haptic effects.
2.1.4 Graphical creation tools for synthesizing haptic effects
Although haptic effects can be created automatically, the need to create them before
their integration with audiovisual content remains. Original effects may need to be
edited. Neither of these functions can be automated.
Two main categories of graphical creation tools have been designed. The first allows
users to specify the behavior of one or several actuators. In this case the designer has
to use the same device as the end-user. In the second category the designer edits haptic
cues that the user will perceive without referring to specific hardware. Various data
formats and graphical tools are summarized in Table 2.2.
2.1.4.1 Device-oriented effects
The behavior of an actuator is typically controlled by specifying a curve representing
the amplitude of the stimulation (vibration or the force in time). The Hapticons editor
[EM03] was created to edit trajectory patterns called “haptic icons” on a 1DoF force
feedback device (see Figure 2.3). Similar systems have been developed for 3DoF devices
[GMS06, CSKR07]. In the same way, vibration patterns may be edited. This kind of
tool is already used in the industry. The aforementioned Integrator [IMM] development
platform provides a curve editor for designing vibrotactile patterns for various devices
(mobile phones, gamepads, etc.).
Quite different graphical interfaces are used to edit the behavior of an array of
motors. The user must specify the behavior of each motor in time. Representative
examples have been developed by Rahman et al. [RAC10] and Kim et al. [KCRO10]
(see Figure 2.4).
2.1.4.2 User-oriented effects
The second type of graphical tool focuses on describing what the user should feel instead
of defining how actuators should behave. This implies that the haptic rendering is
handled by dedicated software.
Ryu et al. have created the posVib Editor to edit vibrotactile patterns [RC08]. The
intensity of the vibration felt by the user is represented by a curve.26 Chapter 2
Figure 2.3: Device-oriented graphical authoring tools - Hapticons Editor [EM03].
Figure 2.4: Device-oriented graphical authoring tools - Tactile array editor [KCRO10]).
Three editors, based on the MPEG-V format, have been developed to create and
tune sensory effects all along a movie: Rose Studio [CLY11], SEVino [WRTH12] and
SMURF [Kim13]. One or several effects can be added on a timeline which determines
when they start and when they finish (see Figure 2.5). The haptic effects supported by
these editors are vibrations, temperature, wind and water-spray.
A different approach consists in describing material properties of objects within a
scene. It implicitly determines what users feel when they touch objects. This type of
tool resembles a 3D editor in which the author directly visualizes the 3D object beingProduction of haptic effects 27
manipulated, but haptic (friction, stiffness) rather than visual properties are edited.
We refer the readers to the presentation of the K-Haptic Modeler [SLK+07] as well as
the HAMLAT tool [EAAE08] which is a graphical editor for HAML (see Section 2.2.1.1
and Figure 2.6).
Figure 2.5: User-oriented graphical authoring tools - SEVino [WRTH12]. Haptic effects
can be defined and synchronized to a video.
Figure 2.6: User-oriented graphical authoring tools - HAMLAT [EAAE08]. Haptic
properties can be set for a virtual object.28 Chapter 2
Type of
Effect
Format Data Content GUI Container Ref.
Useroriented
MPEG-V
(XML)
Description and organization
of sensory effects
in a multimedia content
Yes (Rose
Studio,
SEVino,
SMURF)
MPEG-2
TS
[CLY11,
WRTH12,
YCLL10,
Kim13]
MPEG-7
(XML)
Description of a 3D
scene, haptic device and
haptic rendering
Yes (HAMLAT)
n/a [EfEOS06,
EAAE08]
XML Haptic properties of a 3D
scene: friction, stiffness,
etc. of objects
Yes
(K-Haptic
Modeler)
n/a [SLK+07]
Vibration patterns Yes (PosVib
Editor)
n/a [RC08]
VRML Description of 3D objects
and associated haptic
rendering methods
No n/a [SW08]
MPEG-4
BIFS (VRML)
Information about
depth, stiffness, friction
of a scene
No MPEG-4 [CES09]
Deviceoriented
n/a Trajectory patterns Yes (Hapticon
Editor)
n/a [EM03]
XML Description of haptic device
properties and description
of how they are
activated
Yes (TouchCon)
n/a [KSH09]
Vibration patterns of a
tactile array
Yes n/a [RAC10]
MPEG-4
BIFS (VRML)
Vibration patterns of a
tactile array
Yes MPEG-4 [KCRO10,
KPK+11]
Table 2.2: Overview of existing formats to edit and store haptic effects. Two types
of haptic effect can be described: effects focused on what the user will perceive (useroriented),
and effects focused on how the actuators will behave (device-oriented). Most
of the time a graphical user interface is designed to easily edit data. Some formats are
to be embedded with a container enabling both audiovisual and haptic contents to be
distributed via streaming platforms.Distribution of haptic effects 29
2.2 Distribution of haptic effects
The second stage consists in formalizing haptic effects into data to be synchronized,
stored and transmitted with the audiovisual media. Even though the range and nature
of haptic effects is not yet well defined, there have been several attempts at providing
formalizations. These formats are summarized in Table 2.2 which displays, when
available, the associated authoring tools (see Section 2.1.4), and solutions to transmit
haptic effects over the network (see Container column of Table 2.2).
2.2.1 Data formats for haptic effects
Though there are several contributions which use dedicated formats to encode haptic
feedback for audiovisual content, most approaches rely on generic formats. We consider
two ways to formalize haptic effects: “device-oriented” that defines the actuators’ precise
behavior, and “user-oriented” that describes effects from the user’s point of view.
The formats presented in this section are however suitable for both usages. Choosing
between them only influences the way in which the rendering stage has to be handled:
device-oriented data are used to control haptic devices directly, but user-oriented data
must be interpreted. Since there is no obvious way to classify the encoding of haptic
effects, we will use a per-format classification. We will detail contributions based on
XML, a versatile description language, and VRML, a language dedicated to descriptions
of 3D worlds. These formats are summarized in Table 2.2.
The issue of formalizing haptic effects has been solved by companies such as D-Box
[DBO] or Immersion [IMM] who have developed commercial solutions for rendering
haptic effects along with audiovisual content. D-Box has created a proprietary language
to add haptic effects to a movie, called D-Box Motion Code➋. However, details of these
formats are not currently available and the effects cannot be edited by the end-user.
2.2.1.1 XML-based
The first method of formalizing haptic feedback relies on XML language. The Haptic
Application Meta-Language (HAML [EfEOS06]) is a generic format for describing haptic
feedback which contains information about the haptic device, haptic rendering and
visual rendering (see Listing 2.1). The purpose of this format is to be able to use any
haptic interface with any virtual world, the system adapting the haptic feedback to the
capabilities of the haptic interface used. This language is dedicated to virtual reality
applications but it could be used to describe scenes in audiovisual content: objects
and their location, geometry, haptic properties (stiffness, damping, friction), etc. This
format respects the MPEG-7 standard which yields standardized tools to structure and
organize descriptions of multimedia content [CSP02].
1
. . . 2
3
430 Chapter 2
Mesh 5
Cube 6
. . . 7
8
0 .8 S t i f f n e s s> 9
0 .9 10
0 .5 S F ri c ti o n> 11
0 .3 DF ri c ti o n> 12
T a c t i l e> 13
14
15
16
Listing 2.1: Example of an xml-based file (HAML [EOEC11]). Here, the haptic
properties (stiffness, friction and damping) of a 3D cube are defined.
Closely related to video viewing, the MPEG-V format also relies on XML [MPE11].
This language is designed to add sensory effects to any multimedia content: movies,
video games, web content, etc. Users can create groups of effects and synchronize them
with other media (see Section 2.1.1 for the list of effects). For each effect the designer
can specify at least its intensity and duration. However devices and techniques to
render effects are not specified. If converting an intensity into vibrations is simple, the
rendering of a forward movement over 2 meters with an acceleration of 30cm.s−2
is
less straightforward (see Listing 2.2). At the time of writing this thesis, this format is
close to being standardized by the MPEG working group. First implementations may
be found in the literature [Yoo13, WRTH13].
1
3
s e d l : E f f e c t> 4
5
s e d l : G r oupO fE f fec t s> 8
s e d l :SEM> 9
Listing 2.2: Example of an xml-based file (MPEG-V [MPE11]). Here a “Move
Toward” effect is defined followed by a group of effects combining “Wind” effect
and a “Vibration” effect.
In an approach dedicated to instant messaging applications, Kim et al. [KSH09]
developed an XML-based format to exchange haptic feedback called “TouchCons”.
This allows users to send haptic messages such as vibration patterns or thermal effects.
Two main files are used in this system. First, the Library XML describes a list of haptic
messages and how they should be rendered (device used, intensity, duration). Second,
the Device XML describes the available devices and associated capabilities. To send aDistribution of haptic effects 31
message, the user chooses one from the Library XML file. When he receives a message,
it is rendered according to the capabilities of the devices listed in the user’s Device
XML file. This framework could be used, instead of TouchCons, to describe haptic
effects and then to send them to the end-user. The effects would be then rendered
according to the user’s devices configuration.
Finally XML representation can be used to determine the behavior of actuators
directly. For example, Rahman et al. [RAC10] described vibration patterns of a vibrotactile
array: the vibration intensity of each motor is specified in an XML file. This
approach is simple but the effects described can be rendered only by a specific device.
2.2.1.2 VRML-based
A third method used to describe haptic content uses VRML/X3D. This language serves
to represent 3D worlds and contains information needed by visual rendering systems.
Sourin and Wei [SW08] proposed an extension of this language by adding haptic rendering
techniques. One purpose of this language is to transmit virtual objects and their
associated haptic rendering algorithms over the internet. In a similar way to HAML,
this solution allows an audiovisual scene and the associated rendering techniques to be
described.
The two techniques presented hereafter are based on the MPEG-4 BIFS format, also
known as MPEG-4 Part 11[ISO05]. BIFS, which stands for Binary Format for Scenes,
is a scene description protocol based on VRML. Cha et al. extended this format to
add haptic properties to a video [CES09]. The authors built a “touchable” movie, i.e.
a movie in which spectators can feel the depth of the images using a force-feedback
device. For each frame of the video the authors associated texture properties (stiffness,
static friction and dynamic friction; see Listing 2.3).
Shape{ 1
appe a r ance Appearance { 2
t e x t u r e ImageTexture { 3
u r l ” c ol o r im a g e . jp g ” 4
} 5
h a p ti c S u r f a c e H a p ti cT e x t u r e S u r f a c e { 6
s t i f f n e s s R a n g e 0. 1 10 7
s t a t i c F r i c t i o n R a n g e 0. 2 0. 9 8
dynamicF ric tionRan ge 0. 3 0. 9 9
maxHeight 1. 0 10
h a p ti cT e x t u r e ImageTexture{ 11
u r l ” h a p ti c im a g e . jp g ” 12
} 13
} 14
} 15
geometry Depth { 16
f o c al L e n g t h 6. 9 8 3 17
pixelWid th 0. 0 0 1 2 3 18
n e a rPl a c e 10 19
f a rPl a n e 200 2032 Chapter 2
t e x t u r e ImageTexture { 21
u r l ” dep th image . png” 22
} 23
} 24
} 25
Listing 2.3: A VRML-based file (Extended MPEG-4 BIFS [CES09]). This file
describes haptic properties of a visual scene (color image.jpg). The depth map and
associated friction are specified.
The modified BIFS format can also be used to store vibrotactile patterns used to
drive an array of vibration motors. Kim et al.’s encoded a pattern in a grey-scale image
where each pixel represents an actuator and the intensity of the pixel corresponds
to actuator activation intensity: from black (0) for idle to white (255) for maximal
vibration [KCRO10]. In a similar way, vibrotactile patterns can be associated with
video frames (see Listing 2.3: instead of “haptic image.jpg” a “tactile pattern.jpg”
would be associated with the visual scene). Thus the MPEG-4 BIFS format extended
by Cha et al. can both describe a 3D scene and/or contain data to drive vibrotactile
arrays. These two possibilities have been implemented by Kim et al. for adding haptic
textures effects or vibration effects to educational videos [KPK+11].
2.2.2 HAV containers
A container is a meta-file format that can hold several files in a single file or stream
which makes distribution easier. In the HAV context, a container regroups haptic, visual
and audio content. This stage is depicted in Figure 2.1. All components are compressed
and synchronized into a single container for network transmission [WHZ+01].
These containers are mainly used in multimedia applications to store both audio and
visual content into a single file which is then transmitted, downloaded or streamed.
Several containers embedding audio and video exist (ogv, avi, mp4, etc.), but those
combining haptic content are less common. A simple solution would consist of directly
embedding the file containing the haptic data into a container that allows the
attachment, such as the mkv container. O’Modhrain and Oakley used the Flash standard
to distribute videos enhanced with haptic effects [OO04]. They integrated haptic
feedback in their home-made animation and the media was played by a web browser
embedding the Immersion Web plug-in. This alternative is suitable for distribution
purposes, although limited to the rendering capability of the plug-in and to a specific
type of audiovisual content (animation).
To take advantage of streaming platforms, one solution is to develop formats for
haptic effects compatible with video containers that permit playback as they are downloaded.
Some formats were designed to support this streaming feature (see Section 2.2.1).
Modified MPEG-4 BIFS [CES09] can be embedded into a classical MPEG-4 container.
In a similar way MPEG-V is compatible with the MPEG-2 TS container [Yoo13]. Actually
any MPEG-based format is compatible with any MPEG-based container. Moreover
MPEG-V provides a binary representation of the sensory effects to enable a fast andRendering of haptic effects 33
efficient transmission. This streaming challenge has been identified as haptic broadcasting
by Cha et al. [CHK+09]. This is a specific challenge different from the classical
transmission of data for teleoperation [HS06]. The purpose is not to control a device
remotely but to send multimedia containing audio, video and haptic content. The two
formats presented are at an early stage of development but demonstrate the possibility
of haptic broadcasting.
2.3 Rendering of haptic effects
Once the haptic content has been transmitted to the end-user, the haptic device needs
to decode and render the content to provide the appropriate effect (in the same way
that video is displayed on the screen or audio is rendered on the speakers). Here we
review a list of haptic interfaces proposed for “enhanced” video viewing.
We classified these devices into four categories: wearable devices, handheld devices,
desktop devices and haptic seats. The results are presented in Table 2.3.
2.3.1 Wearable devices
Wearable devices are designed to be worn by as the user experiences audiovisual content.
Typically they are composed of several vibrotactile actuators embedded into clothes,
as detailed in Rahman et al. [RAC10] (see Figure 2.7a). This topic has been intensively
studied for virtual reality purposes [LYNH06] and many devices have been designed.
(a) vibrotactile jacket and armband [RAC10] (b) vibrotactile gloves [KCRO10]
Figure 2.7: Wearable haptic devices.
In the HAV context, exploring the idea of enhancing live sports experience, Lee et al.
proposed a device with vibrotactile sensations through an assembly of 7x10 vibrotactors
attached to the user’s forearm [LLC+05]. This prototype was used to render movements
of the ball on the field during a soccer game. The tactile array was mapped to the field
and vibrations were triggered at ball locations. According to the authors this device
allows the user to better understand ambiguous game situations.34 Chapter 2
Kim et al. designed a tactile glove for immersive multimedia [KCRO10, KPK+11]. It
contains 20 tactile actuators per glove (4 per finger). The gloves are wireless-controlled
and produce vibrotactile patterns as the user watches a movie (see Figure 2.7b). These
patterns were first created, then synchronized with the video.
A vibrotactile belt has been designed by Ooshima et al. to provide a feeling of
being slashed [OHA+08]. They have used small speakers to generate vibrations that
propagate inside the user’s abdomen.
A tactile jacket has also been developed by Lemmens et al. [LCB+09]. They explored
the influence of tactile devices on spectators’ emotional responses, and designed a tactile
jacket with 16 segments of 4 vibration motors covering the torso and the arms. Motors
are activated following patterns related to specific emotions. For example, the feeling
of love is enhanced by activating motors overlying the abdomen in a circular manner.
Palan et al. [PWN+] presented a vest with embedded vibration motors, solenoids
and Peltier elements. The vest was designed to display three haptic effects as realistically
as possible: gunshots, slashing and blood flow, with the motivation of improving
video games experience. Similarly, a commercially available jacket manufactured by
TNGames produces effects such as explosions, gunshots or accelerations using 8 air
cells [TNG].
While the embedded devices do not yield a significant change in weight or wearability
of clothes, being composed of simple vibrotactile actuators, the range of possible
haptic effects is rather limited.
2.3.2 Handheld devices
Users can experience haptic feedback through portable devices held in the hand. Vibrotactile
technology appears well-suited for portable devices. For years, the gaming
industry has used vibrating joypads to enhance immersion in video games. Mobile devices
(phones and tablets) are now equipped with vibration motors which may be used
to enhance multimedia contents [IMM]. Using this technology, R´ehman et al. relied
on a mobile phone equipped with a vibration motor to display haptic cues related to
a soccer game [uR08]. Vibrotactile capabilities of tablets can be extended by a tactile
surface, allowing then to touch images [GALSC12, KIP13]. Such systems are not used
in a HAV context though. Alexander et al. developed a prototype of a mobile TV providing
tactile feedback using ultrasound [AMS11]. The device is a screen with a 10x10
array of ultrasonic transmitters set on the reverse side. The user holds the device to
observe the audiovisual content and experiences haptic feedback through the fingers
(see Figure 2.8).
The remote control developed by O’Modhrain and Oakley is a different sort of
handheld device that provides force-feedback [OO04]. A gaming joystick was rehoused
in a device resembling a remote control (see Figure 2.9). Similarly Yamaguchi et al.
used a computer mouse with a 2DoF force-feedback joystick [YAMS06].
As with clothes-based devices, handheld devices cannot embed heavy actuators and
so only a restricted range of haptic effects can be rendered. However, the use of a
common device in the user living space (remote control, mobile phone) seems well onRendering of haptic effects 35
the way to popular acceptance.
Figure 2.8: Handhled haptic device. A mobile haptic TV embedding an array of
ultrasonic transmitters delivering tactile cues on user’s fingers [AMS11].
Figure 2.9: Handhled haptic device. A remote control including a 2DoF force-feedback
joystick [OO04].
2.3.3 Desktop devices
In virtual reality settings, force-feedback devices are mainly used to interact with virtual
objects. The user can feel and often modify the displayed content. With video36 Chapter 2
viewing the user cannot modify the content. The user receives haptic cues, sometimes
while actively exploring the content, but the audiovisual content does not change. For
example in the solution devised by Gaw et al. [GMS06], the user holds a force-feedback
device and is guided along a prerecorded path while viewing a movie. The same technique
was used by Kim et al. to enhance educational videos with a Phantom device
[KPK+11, PHA].
These devices have also been adapted to the task of “touching” images in a video
[CES09] (see Figure 2.10). In this study the user could actively explore the video
content and received haptic feedback through a Novint Falcon device [NOV].
Figure 2.10: Desktop haptic device. User touching a video thanks to a force-feedback
device [CES09].
Other desktop devices have been designed to convey haptic feedback to the user
without direct contact. An example is a fan which generates air streams, simulating
the haptic effect of wind. Associated with a thermal device, a fan may be used to create
temperature variations [Dio97]. Fans providing wind effects are commercially available.
The Philips amBX system generates not only wind effects but also lighting effects and
enables keyboard vibration [AMB]. This kind of device is simple to use, which results
in more ecological interaction. Waltl et al. have relied on this device to enhance the
multimedia experience [WRTH13].
Contact with virtual objects is possible without directly handling a device. Hoshi
et al. [HTIS10] used ultrasound to exert pressure remotely on a user’s skin. Their
prototype was composed of an array of 324 airborne ultrasound transducers, able to
exert a force of 16 mN at a 20 mm focal point diameter over a 180×180 mm surface.
This invisible surface is created at 200 mm above the device. Combined with a 3D
display system, the author succeeded in creating touchable floating images. A similar
system has been developed by Sodhi et al. [SPGI13], based on the projection of air
vortexes (see Figure 2.11). This technique allows a larger workspace than the previous
device. Tactile feedback can be provided with a 75 degrees field of view, and within an
8.5 cm resolution at 1 meter.Rendering of haptic effects 37
Figure 2.11: Desktop haptic device. The AIREAL, a contact free tactile interface
[SPGI13].
2.3.4 Haptic seats
Our fourth device category is the haptic seat. The user sits on a modified chair and
passively senses haptic effects.
Vibrotactile actuators have once again been used in a number of ways. The tactile
blanket [DWAD10], a variant for the theme Lemmens’ Jacket [LCB+09], is equipped
with 176 actuators and displays vibration patterns designed to enhance the user’s emotion.
More recently Israr and Poupyrev embedded an array of 12 vibrotactile actuators
in the back of a chair, with an original controller [IP11]. The user experienced the
tactile illusion of a continuous stimulus though the actuators were at discrete locations
(see Figure 2.12).
Figure 2.12: Haptic seat. Seat embedding an array of vibrotactile actuators [IP11].
Several commercial products in this category are already available. One example is
the “couch shaker” from The Guitammer Company [BUT]. This device uses actuators38 Chapter 2
to shake the couch or sofa, operating like a subwoofer which propagates low-frequency
vibrations to the couch instead of playing sounds. Some seating devices attempt to
provide more complex effects such as motion. Typically such seats are fixed on actuators
or motion platforms. For example, the D-Box seat features 3DoF: pitch, roll and heave
[DBO] (see Figure 2.13).
Haptic seats are commonly encountered in theme parks or amusement arcades where
they are typically used as motion simulators. Some of them even embed several devices
to provide a wide range of effects (water spray, air blast, leg ticklers, etc. See the
CJ 4DXPlex company [CJ4]). These devices are not, however, adapted to the end-user
living space and their cost is prohibitive for the mass market. In contrast, the D-Box
seat is a consumer product designed for living room use though it remains expensive.
Devices based on vibrotactile arrays are also available but the range of tactile effects
which can be rendered is quite limited.
Figure 2.13: Haptic seat. The D-Box seat [DBO].
2.4 Quality of experience
Haptic effects aim at enhancing the audiovisual experience. This means that the quality
of experience (QoE) of a video viewing session with haptic feedback would be higher
than when haptic feedback is not present. But how should this hypothesis be assessed?
Jain discusses the necessity of capturing the QoE for system evaluation [Jai04]. He
underlines the difficulty of identifying and measuring the factors that characterize this
metric due to its subjective nature.
Nevertheless Hamam et al. [HESG08] have proposed an initial model for the evaluation
of QoE in multimedia haptics which identifies four factors: rendering quality, and
the user-centered measures of physiology, psychology and perception. The rendering
quality is dependent on the quality of the visual, audio and haptic feedback. Perception
measures describe the way the user perceives the system depending on the user’s expe-Quality of experience 39
Type of
interface
Device Actuator Haptic Effect Ref.
Wearable
Vibrotactile
armband
7x10 vibration motors Vibrations (related to
position of a ball during
a soccer game)
[LLC+05]
Vibrotactile
glove
20 vibration motors (4
per finger)
Vibrations [KCRO10]
Vibrotactile
armband or
jacket
Array of vibration motors
(variable size)
Vibrations [RAC10]
Vibrotactile
jacket
16x4 vibration motors Vibrations (related to
user’s emotions)
[LCB+09]
Vibrotactile
vest
Vibration motors +
solenoids + peltier
elements
Pressure (gunshot), temperature
(blood flow),
vibrations (slashing)
[PWN+]
Vibrotactile
vest
8 air cells Vibrations and pressure
(gunshots, acceleration,
explosion)
[TNG]
Handheld
Mobile phone Vibration motor Vibrations (related to
status of soccer game)
[uR08]
Mobile phone Vibration motor Vibrations [IMM]
Remote control 2DOF joystick Force [OO04]
Computer
mouse
2DOF joystick Force [YAMS06]
Portable TV 10x10 array of ultrasound
transducers
Pressure [AMS11]
Desktop
Force-feedback
device
3DOF motorized arm Movement [GMS06]
Phantom 6DOF motorized arm Movement [KPK+11]
Novint Falcon 3DOF motorized arm Force (texture of an image)
[CES09]
n/a Array of 324 ultrasound
transducers
Pressure [HTIS10]
n/a Air vertexes projector Pressure [SPGI13]
Philips AmBX Vibration motor + 2
fans (+ 2 LED spotlights)
Vibration (+ wind &
light)
[WRTH13]
Haptic Seat
Vibrotactile
blanket
176 vibration motors Vibrations (related to
user’s emotions)
[DWAD10]
Vibrotactile
chair
3x4 vibration motors Vibrations [IP11]
Couch Vibration motor Vibrations (of the whole
seat)
[BUT]
Moving chair 4 compressors under
chair legs
3DOF body motion
(pitch, roll, heave)
[DBO]
Table 2.3: Overview of existing haptic devices used for enhancing audiovisual content.40 Chapter 2
rience, fatigue and other factors which may alter the user’s perception. Physiological
measures identify how the system modifies the user’s biological state, and psychological
measures highlight changes in mental state. The authors detail an exhaustive list
of parameters related to each factor (e.g. respiration rate, body temperature or blood
pressure for physiological measures). While this provides a taxonomy of the different
factors influencing the quality of experience, techniques to evaluate them were not
presented.
In this section we detail classical techniques to measure the QoE of HAV systems.
The typical approach found in the literature is a subjective measure based on questionnaires.
Other approaches capture biosignals which provide an objective measurement
of the user’s physiological state from which emotional state is inferred.
2.4.1 Subjective measures: questionnaires
Most contributions in HAV rely on simple questionnaires to evaluate the impact of
haptic feedback on the quality of experience. Participants are usually asked to respond
to questions on a Likert-scale. For example, Kim et al. [KCRO10] studied the benefits
of vibrotactile feedback for enhancing movies by using four general questions (Is this
more interesting than movies? Is the tactile content easy to understand? Is the tactile
content related to the scene? and Does the tactile content support immersion?). Ur
Rh´eman et al. covered the same aspects using a more detailed questionnaire [uR08].
A more elaborate approach characterizes the quality of experience using multiple
factors. Hamam et al. [HGE10] evaluated the five factors (extracted from their model
described above) of realism, usefulness, intuitivism, fatigue and QoE.
Waltl et al. have evaluated the QoE by presenting a video two times to participants,
first without sensory effects and then the video augmented with sensory effects.
Participants were asked to quantify on a Likert-scale the enhancement brought by the
effects [WT10].
The variation of approaches highlights the need for a standardized questionnaire to
better evaluate and compare different systems. Identifying the factors to be measured is
not an easy task, but several have already been evaluated in a systematic way: comfort,
interest, acceptance and satisfaction. They can serve as a basis on which to build a
subjective measure of the QoE.
2.4.2 Objective measures: physiological data
Another approach to the evaluation of the quality of experience consists of measuring
changes in the user’s physiological state. The QoE cannot be directly determined from
this measure, but it can be used to infer the user’s emotional state, which contributes to
the QoE. To the best of our knowledge, no work has been done using these techniques in
the context of HAV systems. Nonetheless, inspiring results can be found in the context
of virtual reality applications and video viewing.
In the context of virtual reality, Meehan et al. gathered heart rate, skin conductance
and skin temperature data from subjects in a stressful virtual environment [MIWB02].Discussion 41
These measures helped to determine the user’s feeling of “presence” and were compared
to subjective users’ self-reports (see [SVKV01] for a survey on “presence”). These authors
suggest that heart rate has the strongest correlation with a sensation of presence.
Skin conductance correlated less strongly and skin temperature not at all. Haptic
feedback significantly improved presence.
Mandryk et al. observed biosignals in video game players to determine their user
experience [MIC06]. Skin conductance, heart rate, facial muscle activity and respiration
rate were captured. The authors concluded that, for most participants, playing
against a friend is more enjoyable than playing against the computer. The physiological
measures were significantly consistent with the self-reported measures.
In a video viewing context, Fleureau et al. studied the potential of physiological
signals for detecting emotional events [FGHT12]. Participants simply watched several
videos while their heart rate, skin conductance and facial muscle activity were recorded.
A detector based on machine learning techniques was designed. Given the user’s biosignals,
the system was robustly able to determine whether users were experiencing an
emotional event and if this event was positive or negative.
The physiological chosen signals in these studies were mostly similar: heart rate,
galvanic skin response, and facial muscle activity. All yielded significant results despite
the various settings of virtual reality, video games and video viewing. The implications
for the evaluation of HAV experiences are clear. Furthermore, closed-loop systems, in
which physiological signals are used to control the nature and intensity of haptic events
offer interesting possibilities for adapting the haptic effects to the individual user.
2.5 Discussion
We have presented an overview of how haptic effects can enhance audiovisual content.
Studies relevant to each stage of haptic production, distribution and rendering have
been presented. Some of these studies present solutions that address all stages and
may be seen as implementations of the generic workflow displayed in Figure 2.1. These
general approaches are summarized in Table 2.4.
While the existing solutions clearly demonstrate how haptic effects can be used with
audiovisual content using tactile or kinesthetic feedback, the studies reported do not
explore combinations of effects (e.g. kinesthetic and tactile). This is mostly because the
devices studied have generally had only one type of actuator. As a consequence, the
range of effects that can be generated is narrow and the conjunction of effects is rarely
explored, despite the significant potential benefits. Furthermore, there appears to be
a gap between the use of portable haptic interfaces (wearable or handheld), conveying
weak effects, and complex devices (motion simulators) which are not adapted to the
user living space. There is thus a clear opportunity to design new haptic devices
dedicated to audiovisual enhancement. This implies in turn a better understanding
of the requirements for HAV systems, which seem to differ significantly from those in
virtual reality systems.
Further research on user perception should be conducted to determine relevant42 Chapter 2
haptic stimuli for effective audiovisual entertainment. The link between haptic stimuli
and user experience is not thus far well established. Haptic effects are mainly used
in a similar way to the use of haptic feedback in virtual reality: to immerse the user
physically in the audiovisual scene. The use of haptic effects to enhance non-diegetic
aspects of a video such as the ambiance or emotions has been little studied. This
appears as a key challenge and opportunity in this nascent field.
The distribution stage also requires research effort. Each solution currently uses a
different technique to formalize haptic effects in the absence of a common definition
for haptic effects. Only half of the studies have proposed methods for the transmission
of the media to a remote display device. But several techniques allowing haptic
broadcasting are emerging. Multimedia containers embedding audiovisual and haptic
effects are currently being developed and standardized (MPEG-V, MPEG-4 BIFS). The
MPEG-V format is a promising standard for distribution currently under development
by the MPEG group. The draft standard presents a list of haptic effects along with an
XML-based method to describe them. This format is also designed to be compatible
with streaming technologies. However the new standard will have to follow the evolution
of this emerging field of study. New haptic effects and devices will almost certainly
be developed.
In most solutions haptic effects are synthesized: authors manually create and synchronize
haptic effects to the audiovisual content. Each solution currently offers a
different technique for editing haptic effects, though general editing tools may arrive
with the advent of new standards. The automatic extraction of haptic cues from visual
content has also been reported. Such cues are currently limited to specific audiovisual
content: soccer games following pre-defined rules, and animations where the position
and geometry of objects is already known. The automatic extraction of haptic effects
for any audiovisual content remains a complex task, and more work will be necessary to
adapt current algorithms to this new purpose. Extraction can be facilitated by metadata
that describe the content of the media, but extracting haptic effects from videos
is a new challenge for which new specific techniques will have to be designed.
One final aspect to be discussed in this review is the quantification of the benefits
lent to audiovisual content by haptic effects. Some of the studies presented here have
conducted user evaluations, mostly based on questionnaires. Most show that haptic
effects enhance the user experience but the various studies are heterogeneous and hardly
comparable. There is pressing need for shared validated tools to evaluate this quality
of experience.
2.6 Chapter conclusion
In this chapter we have surveyed the possibilities provided by haptic feedback for enhancing
audiovisual content. Several trends can be identified within this emerging field.
The studies presented have been organized within a workflow and the key challenges
that pertain to this new way of experiencing videos identified.
The first stage of the workflow, related to production of haptic effects, is the iden-Chapter conclusion 43
Audiovisual Content Haptic Effect Production Distribution Rendering Ref.
Category Details
Sport
Soccer game
(3D simulation)
Vibrations (ball position)
[Automatic extraction] The system
traces the ball during soccer
game
n/a Vibrotactile array embedded
into an arm band
[LLC+05]
Soccer game
(simulation)
Vibrations (ball position,
goals, team
leading)
[Automatic extraction] Video
analysis of events (not implemented,
events are received
from the simulation)
n/a Mobile phone equipped with
vibration motor
[uR08]
Animation
Animation
(home-made
with Flash)
Force (related to an
object of the animation)
[Automatic creation] Forcefeedback
is computed from the
position and geometry of the
object
Flash Mouse with a joystick
(2DOF force feedback)
[YAMS06]
Cartoon
(home-made
with Flash)
Force (related to onscreen
character)
[Synthesis] Force-feedback is de-
fined during edition of the cartoon
Flash Remote control with a joystick
(2DOF force feedback)
[OO04]
Cartoon /
Movie
Movement (user’s
hand is guided)
[Capturing] Trajectories
recorded from force feedback
device
n/a Force-feedback device [GMS06]
Movie
Movie Force (user touches
the image)
[Synthesis / Capturing] Material
properties for each frame
(depth, stiffness, etc.) stored
into MPEG-4 BIFS
MPEG-4 Novint Falcon (3 DOF forcefeedback)
[CES09]
Movie (from
Youtube)
Vibrations [Synthesis] Vibration patterns
stored into XML file
XML file on a
web server
Vibrotactile array embedded
into arm band or jacket
[RAC10]
Movie Vibrations [Synthesis] Vibration patterns
stored into MPEG-4 BIFS
MPEG-4 Vibrotactile array embedded
into gloves
[KCRO10]
Movie Vibrations and wind [Synthesis] Sensory effects
stored into MPEG-V file
MPEG-2 TS Philips amBX system [WRTH12]
Educational
video
Vibrations or force
(user touches the image)
[Synthesis] Haptic effects (vibrations
or haptic properties)
stored into MPEG-4 BIFS
MPEG-4 Vibrotactile gloves or Phantom
device (6DOF forcefeedback)
[KPK+11]
Table 2.4: Summary of existing schemes for adding haptic effects to audiovisual content. Each system offers a solution for
synchronizing and rendering haptic feedback within an audiovisual content. Some schemes also specify ways to distribute the
media over the network.44 Chapter 2
tification and generation of haptic effects which must be delivered to the user during
the display of the media. We detailed different formats to store and synchronize haptic
effects to audiovisual media, from VRML-based representations to standardized XML
formats. The key issue is the creation of haptic feedback. While a number of authoring
tools are available, these effects may also be captured from physical sensors or generated
from another part of the media (video, audio or metadata).
Once the media has been enriched with haptic effects, it must be sent to the user.
Media streaming platforms to distant users is now a common method of distribution.
This second stage is dependent on the way haptic data are stored. Though these issues
are largely solved for audiovisual media, there are few standards for media with haptic
effects. However some pioneering contributions have demonstrated the feasibility of
this approach.
In the last stage the user perceives the media through a haptic device. These haptic
interfaces are generally designed and dedicated to the purpose of displaying haptic
cues during video viewing. They may be portable (wearable or handheld devices) or
grounded (desktop devices or haptic seats).
Each stage impacts the user experience. The evaluation of the quality of experience
is then a key challenge of the field, but few methods exist. The subjective experience
may be evaluated though questionnaires and more objective measures can be collected
from physiological data.
The results of our survey suggest that research effort is needed in the design of data
formats and technology for distributing HAV content. Promising solutions are currently
under development. The development of haptic media creation tools is also necessary.
This may lead to a new type of professional activity in the cinema industry. Just as 3D
movies now need “stereographers”, so will new HAV content require “haptographers”.
Haptic devices adapted to video viewing settings are also needed to render this new
content. Moreover the development of tools to evaluate the quality of experience and
the acceptance of such systems is mandatory. Tackling the challenges of this young
but promising field of study will yield new tools and methods for adding haptic content
to multimedia, leading to a more compelling user experience in combination with
audiovisual content.Part I
Rendering Haptic Effects: Novel
Device and Algorithms for
Rendering Haptic Effects in
Video Viewing Settings
45Chapter 3
HapSeat: simulating motion
sensation with multiple
force-feedback devices embedded
in a seat
Contents
3.1 Related work on motion simulation . . . . . . . . . . . . . . 48
3.1.1 Human motion perception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
3.1.2 Motion simulators . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
3.2 HapSeat: a novel approach for simulating 6DoF motion . . 49
3.3 Proof-of-concept . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
3.3.1 Prototype of the HapSeat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
3.3.2 Motion data . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
3.3.3 Models for motion simulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
3.3.4 Haptic Rendering . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
3.4 User study . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
3.4.1 Sequences: haptic-audiovisual contents . . . . . . . . . . . . . 56
3.4.2 Variables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
3.4.3 Measurement of QoE: questionnaire . . . . . . . . . . . . . . 57
3.4.4 Results . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
3.4.5 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
3.5 Chapter conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
Motion simulation is usually provided by a motion platform [LD03]. Typically the
user’s whole body is moved to generate various sensations such as accelerating, falling
or passing over bumps. While these devices generate a realistic sensation of motion
with 6 degrees of freedom (DoF), they are not designed for domestic settings and they
4748 Chapter 3
are too expensive for the mass consumer market. Immersive experiences with motion
effects are thus currently limited to amusement parks or “4D Cinemas”.
In this chapter we introduce the HapSeat, a novel approach for producing motion
sensations in a consumer settings using multiple force-feedback devices embedded in a
seat. We first review the literature on human motion perception and motion simulators
in section 3.1. Then the HapSeat is introduced in section 3.2. Three low-cost actuators
which simulate 6DoF effects of motion are used, the motion effect is generated by
adjuncts to the structure of the chair rather than moving the whole chair. The proofof-concept
is detailed in section 3.3. A prototype has been designed and constructed,
which uses actuators held by an armchair-shaped structure. Two models to control
the device have been implemented: a Physical Model which computes forces supposed
to be felt during a movement, and a Geometrical Model which modifies the structure
to match the position and posture that characterize a movement. A user study was
conducted to assess this approach and to evaluate the quality of the user experience.
Protocol and results are presented in section 3.4. Finally a conclusion is provided in
section 3.5.
3.1 Related work on motion simulation
3.1.1 Human motion perception
The perception of motion is a complex sensation resulting from the integration of multiple
perceptive inputs from different systems: visual, auditory, vestibular and kinesthetic
[Ber00, HJZ+02]. The visual system contributes to this perception by providing
an estimation of distances between the body and landmarks. A displacement of the
body will modify these distances and add the perception of self-motion. Moving visual
cues can often trigger a sensation of self-motion even though the viewer is stationary
[RSP]. This illusion is called vection. The auditory system may also contribute to this
perception by locating the body relative to “acoustic” landmarks [VLVK05].
The main contributor to the perception of motion is the vestibular system. Located
in the inner ear, this organ is composed of three orthogonally-oriented semi-circular
canals and two otolith organs. The canals allow rotational movements to be detected
while otolith organs contribute to the perception of linear accelerations.
Additionally, it is interesting to note that haptic cues provided by the kinesthetic
system also influence the sensation of motion. The kinesthetic system provides information
about limb positions. When an elevator goes up, one feels the motion thanks
to the proprioceptive receptors in joints and muscles of the legs. The tactile sense also
provides information about motion: internal receptors detect movements of visceral organs
and act as accelerometers. These visceral graviceptors are especially to be found
in the region of the kidney. Similarly the somatosensory system indicates the direction
of gravity through pressure patterns all over and inside the body [TBN+04].HapSeat: a novel approach for simulating 6DoF motion 49
3.1.2 Motion simulators
Motion simulators are well-known devices designed to make the user feel motion. They
are intensively used in driving or flight simulators for training purposes. Most are based
on a Stewart’s platform [Das00], a 6DoF platform driven by 6 hydraulic cylinders. A
motion simulator is basically a seat attached to this kind of platform. While the user
navigates the virtual environment, the seat moves to generate a sensation of motion.
These systems are often used in virtual reality rooms or 4D cinemas but few are designed
for the mass market.
To the best of our knowledge, the D-Box company is one of the few actors in this
market, having developed an armchair placed on four actuators that is suitable for an
end-user’s living-rooms [DBO]. This seat generates 3DoF motion effects (pitch, roll and
heave) for movie viewing and consumer applications. Despite this attempt to succeed
in the consumer environment, this chair remains expensive and limited to 3DoF motion
effects.
The sensation of motion can also be induced in a less invasive way by force-feedback
devices that simulate the kinesthetic system. Ouarti et al. applied a force to users’
hands as they watched an optic flow stimulus [OLB09]. The system was expected to
generate an illusion of motion with force-feedback: when the interface pulled the user’s
hand, the user experienced a sensation of forward motion. Similarly, L´ecuyer et al.
have showed that a torque feedback applied on a user’s hand contribute to the feeling
of self-motion [LVJ+04].
The use of haptic illusions to enhance the audiovisual experience has also been
explored by Israr and Poupyrev, who designed a chair with several vibration devices
embedded in the back [IP11]. Actuators in the chair were activated in such a way
that the user felt a continuous stimulus. Though no effect of motion was claimed in
this study, Riecke et al. have showed that vibrotactile feedback may generate a vection
effect by improving the realism of the simulation [RSPCB05].
To sum up, there remains an important gap between haptic devices which do not,
or only partially simulate, a sensation of motion, and complex simulators which are ef-
ficient in conveying motion but remain expensive and not well adapted to the consumer
environment. We propose the HapSeat as a solution to fill this gap.
3.2 HapSeat: a novel approach for simulating 6DoF motion
We propose to enhance the experience of passive navigation in virtual or cinematic
content using 6DoF motion effects generated by multiple force-feedback devices. Instead
of moving the whole user’s body as on motion platforms, only some parts of the
body are stimulated. As described in section 3.1.1, the perception of motion results
from the stimulation of various parts of the body (vestibular system, visceral organs,
kinesthetic system). Our approach is built on the hypothesis that local haptic cues
suffice to trigger a sensation of self-motion.50 Chapter 3
Using only one or two 3DoF force-feedback devices is not sufficient to invoke a 6DoF
sensation of motion (translations and rotations). Up to 5DoF can be provided with two
devices [STMA10]. Extending the approach to three 3DoF devices in order to apply
three force-feedback stimulus to the user’s body offers the possibility of simulating a
global 6DoF effect of motion. A plane looping sensation could be simulated by pulling
the head backward and lifting both arms simultaneously, while a car braking could be
simulated by pushing both the head and hands forward. This concept can be extended
by stimulating other regions of the body, using 5×3DoF devices for instance.
3.3 Proof-of-concept
The prototype developed as a proof of concept relies on three actuators. Two stimulate
the user’s hands, while a third stimulates the head. As the vestibular system is located
in the head, stimulating this part of the body should heighten the illusion of simulated
motion.
SIMULATION WORKFLOW DEVICES
Y X
Z
GLA
GRA
GH
G
Video
Motion
Data Model Haptic
Rendering
a(t),w(t) G’A FA
HapSeat
Figure 3.1: Simulating 6DoF motion with 3×3DoF force-feedback devices. While the
three local devices are moving, the user is expected to feel a sensation of motion in
relation to the visual content.
Figure 3.1 shows a schematic representation of the concept and offers an introduction
to our notation. The motion description associated with a simulation is transmitted
to a model at each instant t which computes the ideal position G′
A
for each local actuator
A. This position is then rendered by the haptic rendering algorithm as a force
FA. Each step of this workflow is detailed in this section.
3.3.1 Prototype of the HapSeat
An aluminum structure was designed to allow the positioning of the three actuators
around an ordinary chair. The user passively rests his or her head and hands on each
of the 3DoF actuators while watching a projection on a screen positioned in front of
the chair (see figure 3.2). The head actuator is equipped with a block of foam for the
user’s comfort.
At rest (no rendered motion), the three actuators H, LA and RA maintain the
head, right arm and left arm of the user at the central positions GH, GLA and GRAProof-of-concept 51
Aluminum
Structure
Moving
Headrest
Moving
Armrest
Seat
Figure 3.2: Prototype of the HapSeat. Left: seat structure with 3 force-feedback
devices. Right: the system in use.
respectively. When the simulation starts, each actuator generates 3DoF forces on its
respective body part within the limits of the cubic workspaces in Figure 3.1.
Our current prototype uses three Novint Falcons actuators [NOV]. These devices
are robust, relatively cheap and the forces generated are appropriate for safe movement
of the user’s head and hands.
3.3.2 Motion data
We focus on the case of a first person point-of-view simulation, whose intention is
to mimic for the user the sensation of motion that the principal actor would have
felt at the time of the shooting. The audiovisual content is augmented with extra
data describing the motion in terms of the linear acceleration a(t) and the angular
velocity w(t). Let us define FN as the navigation frame of the actor and FB the
frame associated with his body, centered on a point C (his chest for instance). The
actor’s motion is modeled as a rigid body motion described by two quantities a(t) =
[a(C ∈ FB|FN )]FB = {ax(t), ay(t), az(t)}
t
(the gravity being removed [Sab06]) and
w(t) = [wFB/FN
(t)]FB = {wx(t), wy(t), wz(t)}
t
(where the [x]F notation designates the
vector x expressed in the frame F).
This kind of content can be easily produced by a video camera equipped with an52 Chapter 3
inertial measurement unit. The capture device was attached to an actor’s torso to
record both his movement and a video of his field of view (we describe such a system
in Chapter 5). Therefore a(t) and w(t) describe the motion of the actor.
3.3.3 Models for motion simulation
Each actuator (H, LA, RA) moves to create the feeling of 6DoF global motion modeled
by the quantities a(t) and w(t) as if the motion of the main actor was mapped onto
them. Two models to control the device were devised. The first model is based on a
Physical Model. The related acceleration applied to some parts of the body of the actor
(here the head, left hand and right hand) are derived from the parameters of the global
motion, a(t) and w(t) and then reproduced on the user by the corresponding actuators.
The second model, referred to as Geometrical Model, aims at reproducing the position
and attitude of the main actor on the basis of a more metaphorical paradigm.
3.3.3.1 Physical model
In this model the accelerations felt by the main actor at his head, PH, and at his left
and right shoulders, PLS and PRS, are computed through a rigid body approach, where
the motions of the hands are considered equivalent to the movements of the shoulders.
Knowing a(t) and w(t) at the origin of his body frame FB, the accelerations of a new
point P of the rigid body may be computed by the following mechanical relation (time
derivation of the kinematic torsor):
[a(P ∈ FB|FN )]FB = a(t) + dw
dt ∧
−−→GP + w ∧ (w ∧
−−→GP) (3.1)
The new position G′
A
for an actuator A is formulated in terms of displacement from
its initial and central position GA by:
−−−−→
GAG
′
A =
sx 0 0
0 sy 0
0 0 sz
(a(t) + dw
dt (t) ∧
−−→GPA + w(t) ∧ (w(t) ∧
−−→GPA)) (3.2)
where G′
A
is the new application point at time t, and sx, sy, sz are scaling factors
which map the actual motions of the three actuators in their workspaces. Those scaling
factors are computed so as to use the workspace of the actuator in an optimal way. This
involves compromises between the use of the largest possible space, so as to have a larger
amplitude in the final rendering, while avoiding any saturation. These scaling factors
are computed is a preprocessing step that consists of finding the maximal amplitude of
the acceleration rendered by the actuator.
In this context the new application points G′
H, G′
LA and G′
RA are computed from
the initial points GH, GLA and GRA, and sx = sy = sz.Proof-of-concept 53
3.3.3.2 Geometrical model
This second model aims to make the chair reproduce the position and posture of the
moving actor during the simulation. Two kinds of motion will be rendered: linear
accelerations and orientation changes. The linear acceleration rendering is simply performed
by a simultaneous translation of each of the different local actuators along the
3D vector given by a(t). The scene pose changes rendering is trickier. It makes the
assumption that the rotation speed of the current scene, modeled by w(t), may be rendered
by rotating the position of the three actuators around the center modeled by a
point G located near the user’s sternum (see Figure 3.1) and with a 3D angle modeled
by w. Then the faster the object is turning, the bigger the angle of rotation. Moreover,
if the rotation stops (i.e. w(t) = 0), the actuators are at rest.
The new position G′
A
of the actuator A for a rotation around G can be expressed:
−−−→
GG′
A = (Rx(wx(t))Ry(wy(t))Rz(wz(t)))−−−→ GGA (3.3)
i.e.:
−−−−→
GAG
′
A =
−−−→
GG′
A −
−−−→ GGA (3.4a)
= (Rx(wx(t))Ry(wy(t))Rz(wz(t))) − I3)
−−−→ GGA (3.4b)
where Rx, Ry and Rz are the 3D rotation matrices around their respective X, Y
and Z axes and I3 is the identity matrix in dimension 3.
A complete 6DoF motion is a combination of linear accelerations and rotations. A
function f is proposed to model the incorporation of both these types of information
in our system. The proposed system has intentionally decoupled the linear motions
from the rotational ones. This assumption is somewhat unrealistic from a mechanical
point of view, but nevertheless makes sense in the context of passive navigation. If the
motion to be rendered is a pure translation or a pure rotation, this decoupling is not
a restriction. The difficulty arises when the motion to be rendered is a combination
of translation and rotation. We make the assumption that a user would unconsciously
expect to feel the dominant motion in the scene more strongly.
Then, if G′
A
represents the new position of the actuator A at time t and GA its initial
position, we have:
−−−−→
GAG
′
A = f(
sx 0 0
0 sy 0
0 0 sz
a(t),(Rx(mxwx(t))Ry(mywy(t))Rz(mzwz(t)) − I3)
−−−→ GGA)
(3.5)
with
f(B, C) = kB~ kB + kC~ kC
kB~ k + kC~ k
(3.6)54 Chapter 3
From this equation, the new application points G′
H, G′
LA and G′
RA are computed
from the initial points GH, GLA and GRA.
In addition, sx, sy, sz on one hand and mx, my, mz on the other hand represent
different scaling factors to map the actual motion represented by the couple (a(t), w(t))
in the workspace of the different actuators. As previously described, those scaling
factors are computed so as to use the workspace of each actuator in an optimal way.
More precisely, computing the scaling factors mx, my and mz is performed during a
preprocessing step that consists in finding the maximal amplitude f with respects to
the values of a(t) and w(t) over the whole time interval. An exhaustive numerical
analysis is thus performed to find the joint optimal discretized values mx, my and mz.
Several solutions may be admissible in the parametric space and the one that offers the
best isotropic behavior is selected.
3.3.3.3 Output of the models
A comparison of the outputs of the models is described in this section to highlight their
main differences. The outputs of simple translations and then rotations are combined
together.
A linear forward acceleration on the Z axis can be described by a(t) = {ax(t) =
0, ay(t) = 0, az(t) = t}
t and w(t) = {wx(t) = 0, wy(t) = 0, wz(t) = 0}
t
. Such a
movement is rendered in the same way by both models:
−−−−→
GAG
′
A = f(
sx 0 0
0 sy 0
0 0 sz
a(t)) (3.7)
All actuators are moving simultaneously along the Z-axis as if the user is being
pushed forward. The same behavior is observed for the other translations on Y and X
axes. In these cases, the user is pushed upward or pulled toward the left side.
Secondly self-rotations are tested. For instance a left rotation around the Y-axis
can be described by a(t) = {ax(t) = 0, ay(t) = 0, az(t) = 0}
t and w(t) = {wx(t) =
0, wy(t) = t
2
2
, wz(t) = 0}
t
(the angular acceleration w
′
(t) is linear). In this case (see
Figure 3.3), the outputs of the models are different. With the Physical Model the user’s
hands are moving along the X-axis toward the center while the head is not moving.
With the Geometrical Model, the right hand is going forward (Z-axis) and the left hand
is going backward (Z-axis) while the head slightly moves to the right side (X-axis).
The same behavior is observed for rotations on other axes: the Physical Model renders
self-rotation by an attraction of each part of the body toward the center G and the
Geometrical Model renders them with desynchronized movements.
A 6DoF movement that combines translations and rotations is thus managed differently
by each model depending on the amount of rotations.Proof-of-concept 55
-0.05
-0.04
-0.03
-0.02
-0.01
0
0.01
0.02
0.03
0.04
0.05
0 3 6 9 12
Position (m)
Physical Model
Left Hand
-0.05
-0.04
-0.03
-0.02
-0.01
0
0.01
0.02
0.03
0.04
0.05
0 3 6 9 12
Position (m)
Geometrical Model
Left Hand
-0.05
-0.04
-0.03
-0.02
-0.01
0
0.01
0.02
0.03
0.04
0.05
0 3 6 9 12
Position (m)
Right Hand
-0.05
-0.04
-0.03
-0.02
-0.01
0
0.01
0.02
0.03
0.04
0.05
0 3 6 9 12
Position (m)
Right Hand
-0.05
-0.04
-0.03
-0.02
-0.01
0
0.01
0.02
0.03
0.04
0.05
0 3 6 9 12
Position (m)
Time (s)
Head
X Y Z
-0.05
-0.04
-0.03
-0.02
-0.01
0
0.01
0.02
0.03
0.04
0.05
0 3 6 9 12
Positiopn (m)
Time(s)
Head
X Y Z
Figure 3.3: Output of the models. (Physical on the left, Geometrical on the right) for
a left rotation around Y-axis of 15 seconds. The position in meters is plotted for each
actuator LA, RA and H, and for each axis.
3.3.4 Haptic Rendering
Whatever the model selected to control the chair, for each instant t of the simulation,
each actuator A (namely H, LA and RA) has to be in its targeted position G′
A
(namely
G′
H, G′
LA and G′
RA).
Most force-feedback devices (such as Novint Falcons) are impedance haptic devices,
and the position of the actuator is thus not directly controllable. Indeed this kind of
device is designed to sense the current position of the actuator and to provide a reaction
force to the user. A classical spring-damper model may be used to control these devices
in pseudo-position. The force FA applied to an actuator A is computed by:
FA = k(G
′
A − PA) − dVA (3.8)56 Chapter 3
where G′
A
is the targeted position, PA the current position of the actuator, VA its
velocity, k the spring constant and d the damping constant.
The models and the rendering algorithm were integrated to a home-made multimedia
player that allowed the haptic rendering on three force-feedback devices to be
synchronized with the audiovisual playback. The haptic loop runs at 1KHz and the
value of the force FA is updated at each instant t. The control software is written in
C++ and runs on an ordinary personal computer.
3.4 User study
A user study was conducted to evaluate the quality of the simulated motion and to
quantify its impact on the user’s perceived quality of experience (QoE).
Seventeen participants took part in the study, aged from 21 to 54 (¯x=36.11 σx=11.11).
Five were female, two participants were left-handed and one already used a forcefeedback
device. The pilot study was presented as a single experiment lasting 20 to
30 minutes. Each participant was first introduced to the Novint Falcon and given a
demonstration of its force capabilities. This step aimed to reduce the “surprise effect”
for novice users. Participants were asked to passively experience each stimulus (see
Figure 3.4 and Section 3.4.1) and then answer a questionnaire (see Section 3.4.3).
Figure 3.4: The user, comfortably installed on our device, is experiencing passive navigation
enhanced by a haptic effect of motion.
3.4.1 Sequences: haptic-audiovisual contents
Two driving sequences were created to test our device, and evaluate the sensation of
motion and quality of experience. We generated two 1-minute videos and the associated
descriptions of the global motion in terms of a(t) and w(t). Our first sequence was a
video of a real car driving session (see Figure 3.5a). Data was first captured using a
front passenger equipped with a camera and an inertial measurement unit that sampled
data at 30Hz (see Chapter 5 for more details on the capture setup).User study 57
The second sequence was a video of a virtual car racing video game (see Figure
3.5b). The main camera of the 3D simulation was placed inside the car in order
to have a passenger point of view of the race. The visual output of the simulation was
recorded while the accelerations and turn-rates of the car were extracted at 50Hz from
the physics engine.
(a) Real video sequence of a car driving. (b) Virtual car race.
Figure 3.5: Haptic-Audiovisual contents.
3.4.2 Variables
To evaluate the quality of the simulated motion (and of the models) and the impact
of this haptic feedback on the QoE, we defined four types of haptic feedback to be
rendered with each sequence. Physical Feedback, computed from the physical model;
Geometrical Feedback derived from the geometrical model; No Haptic Feedback
in which only the audiovisual content was displayed, serving as a control to show how
the other conditions impact on the QoE; and lastly Random Haptic feedback was
provided. This random feedback was derived from low-pass filtered white noise (cutoff
frequency Fc = 0.5Hz) played throughout the video. The amplitude of the signal was
limited to the capabilities of the actuators. This last feedback was not synchronized
with the video and was used to evaluate the effect of providing a continued haptic
feedback.
All height conditions (two videos sequences × four types of haptic feedback) were
presented in random order to the participants. They were not aware of the different
types of haptic feedback.
3.4.3 Measurement of QoE: questionnaire
A questionnaire was designed to evaluate the QoE of passive navigation enriched with
haptic feedback. QoE relates to the subjective user experience with a service or an
application [Jai04, Kil08]. In our context this may be specified as the measure of the
user’s subjective experience with haptic-audiovisual content. In order to evaluate this
experience, we built the questionnaire around the Usability [TA08] and the Presence
[WS98] concepts.58 Chapter 3
Usability is defined by the norm ISO 9241-11 and aims at measuring how easy a
system is to use. Three factors composed this concept: Efficiency, Effectiveness and
Satisfaction. This latter measures how well the user enjoyed the system. “Effectiveness”
means how well a user can perform a task while “Efficiency” indicates how much efforts
are required. These two factors were not totally suitable for our system in the sense
that it was not designed to perform a task. We preferred to use the term of Comfort to
measure how well was the system to provide feedback. Satisfaction was however fully
relevant in our situation.
Presence aims at measuring how much the user feels being physically situated in a
virtual environment. Witmer and Singer [WS98] have identified four factors to determine
the presence: Control, Sensory, Realism and Distraction. “Control” determines
how much the user can control and modify objects within the virtual environment.
“Sensory” characterizes how each sensory modality is solicited during the interaction.
“Realism” describes how much the environment is realistic and consistent with user’s
representation of the real world. “Distraction” identifies how much the user is disturbed
by the apparatus used to create the virtual world. From this definition we focused on
two factors: Realism and Sensory. As the user is passive with our system, Control
factor was not relevant here. The Distraction factor was not directly used but included
in the Comfort factor described previously.
The questionnaire was thus based on the four factors we wanted to evaluate: Realism,
Comfort, Sensory and Satisfaction. Each factor was evaluated by questions rated
on a 5-point scale. A mean was calculated for each factor. The sum of the scores gave
a global QoE score. Table 3.1 presents the questions used to evaluate the QoE.
Factor Question
Realism
How much did this experience seem consistent
with your real-world experiences?
How strong was your feeling of self-motion?
Sensory
How much did the haptic feedback contribute to
the immersion?
Were the haptic and visual feedback synchronized
together?
Comfort Was the system comfortable?
How distracting was the control mechanism?
Satisfaction How much did you enjoy using the system?
Table 3.1: QoE Questionnaire. Each question is rated on a 5-point scale from 1 (Not
at all) to 5 (Totally)
3.4.4 Results
Two hypotheses are tested: the HapSeat enhances the quality of experience, and it
does generate a sensation of motion. Shapiro-Wilk and Bartlett tests were performed
on our data and the normality and homoscedasticity for most distributions could notUser study 59
be assumed. Hence non-parametric tests were used to analyze the results presented in
this section.
As described above, a score for the four factors, Realism, Sensory, Comfort and
Satisfaction were obtained using a questionnaire (see Figure 3.6 and Table 3.2). First,
the main result confirms our first hypothesis. Our device significantly enhances the
quality of experience (Friedman Anova: p = 8.44e
−08 < 0.05). The Wilcoxon test with
the Holm-Bonferroni correction has been used for the post-hoc analysis (see Table 3.3).
With the haptic feedback computed from the Physical or Geometrical model, the QoE
is significantly higher than without haptic feedback (p < 0.05). However the QoE of
the Geometrical Model is not significantly different from the QoE of the Physical Model
(QoEG = 15 ≈ QoEP = 14.20, p = 0.5575 > 0.05). Second, it seems that haptic
feedback consistent with the video is necessary to improve the QoE: user scores for
random feedback are not statistically different to the no feedback condition (QoEN =
8.36 ≈ QoER = 9.45, p = 0.4816 > 0.05).
This tendency is observable for three factors. Presenting users with haptic feedback
computed from our models resulted in significant increase in their reporting of Realism
(Friedman Anova, p = 3.80e
−08 < 0.05), Sensory (Friedman Anova, p = 7.02e
−08 <
0.05) and Satisfaction (Friedman Anova, p = 3.86e
−07 < 0.05) scores. However Comfort
remained similar for all conditions: the Friedman Anova is significant, p = 1.27e
−03 <
0.05, but Wilcoxon tests cannot confirm this hypothesis, p > 0.05 (see Table 3.3).
Finally no significant differences are found for the QoE of each model between the
two sequences Real Car and Virtual Car (Wilcoxon test, pGeo = 0.3933 and pP hy =
0.4173 > 0.05).
None Random Physical Geometrical
0
4
8
12
16
Quality of Experience
Satisfaction Comfort Sensory Realism
Score
Figure 3.6: Quality of experience. The haptic feedback provided by the Physical and
Geometrical models significantly improves the QoE.
In order to evaluate the second hypothesis, which is that the HapSeat generates60 Chapter 3
Factor
Model
QoE Realism Sensory Comfort Satisfaction
None 8.3578 1.2353 1.1618 3.6961 2.2647 x¯
2.0741 0.3477 0.4325 0.8853 1.1608 σx
Random 9.4479 2.4688 2.0625 2.3854 2.5313 x¯
2.9550 0.9481 0.8190 1.0187 1.1324 σx
Physical 14.1961 3.6471 3.6176 3.4020 3.5294 x¯
2.5521 0.7451 0.7609 0.5790 0.8564 σx
Geo. 15 3.9167 3.8333 3.3166 3.9333 x¯
1.7904 0.5401 0.6099 0.5300 0.5936 σx
F. Anova
35.7534 37.3958 36.1324 15.7554 32.6279 χ
2
3 3 3 3 3 df
8.44e
−8
3.80e
−8
7.02e
−8
1.27e
−3
3.86e
−7
p
*** *** *** * *** sig.
Table 3.2: Means (¯x) and Standard deviations (σx) for each model with respects to
each factor. A Friedman Anova (χ
2
, df, p.value) has been performed on each factor.
QoE Geometrical None Physical
None 1.5e
−05
- -
Physical 0.5575 6.5e
−05
-
Random 6.9e
−05 0.4816 0.005
Realism Geometrical None Physical
None 5.3e
−06
- -
Physical 0.4336 4.1e
−06
-
Random 0.0005 0.0004 0.0028
Sensory Geometrical None Physical
None 5.5e
−06
- -
Physical 0.5169 5.2e
−06
-
Random 4.6e
−05 0.0004 0.0002
Comfort Geometrical None Physical
None 0.1575 - -
Physical 0.4927 0.1664 -
Random 0.0161 0.0064 0.0107
Satisfaction Geometrical None Physical
None 0.002 - -
Physical 0.4992 0.0095 -
Random 0.0037 0.4992 0.0273
Table 3.3: Pairwise comparison of each model for each factor using Wilcoxon test with
Holm-Bonferroni correction.
a sensation of motion, the answers to the two questions of the Realism factor were
analyzed (see Figure 3.7, Q1 on top and Q2 on bottom and Table 3.4). The results
from Q1 suggest that the simulated motion was perceived as realistic (Friedman Anova
p = 3.60e
−05 < 0.05). A Wilcoxon test with the Holm-Bonferroni correction was also
performed on our data (see Table 3.5). Again, no statistical difference between the
Physical and Geometrical models is observed (Q1P = 3.6 ≈ Q1G = 3.8, p = 0.6356 >
0.05) but they are significantly different from the Random and None conditions (p <
0.05). The results from Q2 follow the same pattern. Both models provided a strong
sensation of motion, significantly higher than Random and None conditions (Friedman
Anova p < 0.05, Wilcoxon tests p < 0.05).User study 61
None Random Physical Geometrical
1
2
3
4
5
Realism Factor
How much did this experience seem consistent with your real-world experiences?
How strong was your feeling of self-motion?
Score
Figure 3.7: Realism factor details. Users found the simulation realistic and experienced
a strong sensation of self-motion.
Question
Model
Q1 Q2
None 1.2647 1.2059 x¯
0.5338 0.3976 σx
Random 2.1563 2.7813 x¯
0.9259 1.0483 σx
Physical 3.5588 3.7353 x¯
0.7045 0.8860 σx
Geometrical 3.8 4.0333 x¯
0.5606 0.6935 σx
F. Anova
20.4615 12.86 χ
2
2 2 df
3.60−05 1.61e
−03 p
*** * sig.
Table 3.4: Means (¯x) and Standard deviations (σx) for each model with respects to Q1
and Q2. A Friedman Anova (χ
2
, df, p.value) has been performed on each question.
Q1 Geometrical None Physical Q2 Geometrical None Physical
None 4.5e
−06
- - None 3.5e
−06
- -
Physical 0.6356 3.9e
−06
- Physical 0.3743 3.5e
−06
-
Random 0.0002 0.0030 0.0005 Random 0.0045 0.0001 0.0238
Table 3.5: Pairwise comparison of each model for both question using Wilcoxon tests
with the Holm-Bonferroni correction.62 Chapter 3
3.4.5 Discussion
Our results suggest that the HapSeat does enhance the user experience during passive
navigation simulation. Both rendering models significantly increased the QoE compared
to the Random and None feedback conditions. Our results also suggest that the
synchronization of the haptic effect with the visual content is important.
In this study, no statistical differences are found between the Physical and Geometrical
models. This is probably due to the nature of the simulation (car driving) which
does not fully exploit the 6DoF. Only translation (car acceleration) and rotation (turns)
were included in the two sequences tested. More complex content, such as spaceship
flight or a rollercoaster ride, might produce results that highlight differences between
the models. In addition, the parameters of the models could be tuned to increase
their differences. Each one is composed of several factors which impact the use of the
workspace. The Physical Model could also be improved by modeling the segments and
joints of the user’s skeleton instead of treating the user as a single rigid body.
We observed that the simulated motion was not perceived in the same way by all
participants. Some of them found that the haptic feedback computed from our models
was reversed. For instance, they expected to be pushed backward instead of being
pulled forward when the car (real or virtual) was moving straight forward. However
this observation was not consistent among all users. Some participants expected to feel
the reaction force instead of the acceleration only during turns, but found the feedback
acceptable for linear translations, i.e. when the car was going straight forward. Though
some participants seem to prefer a reversed force feedback in specific cases, this does
not mean that the output of the models should necessarily be reversed. One might
posit two user profiles “direct” and “reversed” to address this, it can certainly be said
that the design of the associated haptic feedback is not straightforward. The perception
of motion simulated by force-feedback devices requires further evaluation. Studies are
also needed to understand the influence of a haptic stimulus on the perception of a
visual stimulus.
Our device was reported as comfortable and user friendly. The perception of comfort
was similar with and without haptic feedback, suggesting that no extra discomfort is
introduced by the system. Nevertheless comfort could be improved, especially for the
headrest. Some participants reported that the haptic feedback for the real car sequence
contained too much vibration. This may be explained by the greater sensitivity of
proximal joints to movement than distal joints [Jon00]. Similar displacements are
perceived more strongly on the head than on the hands. If this vibration that contribute
to realism when perceived by the user’s hand, might be too intense for the head. So
far the haptic rendering for all actuators is the same. But dedicated algorithms could
be implemented for each device. As a minimum, a low-pass filter could be applied on
the output of the actuator H to reduce vibration. Attenuation coefficients can also be
added and adjusted depending on the preference of the end-user.Chapter conclusion 63
3.5 Chapter conclusion
In this chapter, we have introduced the HapSeat, a novel approach to the simulation of
6DoF effect of motion. Instead of moving the whole user’s body as it is traditionally
done with motion platforms, we stimulate only parts of the body. Our hypothesis was
that, coupled with a visual stimulus, these local stimulations could trigger a sensation
of motion and thus improve the quality of experience.
We used three force-feedback devices to stimulate the user’s hands and head when
seated. A proof-of-concept prototype has been built, which rely on these three devices
to simulate two moving armrests and a moving headrest. Two models were implemented
to generate the effects of motion. The Physical model computes the forces supposed to
be felt during a movement. The Geometrical model modifies the structure of the chair
to match the position that characterizes the movement.
A user study has been conducted to validate our concept. A methodology and
metrics have been designed for this purpose. Results of the study show that the two
control models succeed at enhancing the quality of experience during passive navigation.
Several factors have been identified to measure the quality of experience (Realism,
Comfort, Sensory, Satisfaction), and a dedicated questionnaire was designed. Furthermore
participants reported having experienced a realistic sensation of self-motion. Thus
it seems that our approach yields a new way to simulate a sensation of motion in a
consumer environment and allows the creation of more immersive applications.64 Chapter 3Chapter 4
Haptic rendering for HAV based
on a washout filter
Contents
4.1 Washout filter for haptic rendering . . . . . . . . . . . . . . . 66
4.2 Proof-of-concept . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4.2.1 Haptic effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4.2.2 Haptic device: the HapSeat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4.2.3 Control model . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4.2.4 Washout filter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
4.2.5 Haptic rendering . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
4.2.6 Implementation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
4.3 User study . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
4.3.1 Experimental conditions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
4.3.2 Procedure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
4.3.3 Results . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
4.4 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
4.5 Application to a full video sequence . . . . . . . . . . . . . . 79
4.6 Chapter conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
In the context of haptic-audiovisuals (HAV), recent works have proposed graphical
authoring tools to create and synchronize haptic feedback to audiovisual content
[WRTH13, Kim13]. These new tools allow to easily design haptic effects without knowledge
on the control of haptic devices. But they also bring new challenges for the
rendering of haptic effects.
Haptic effects are designed independently from a specific device and its workspace.
The haptic rendering algorithm has then to adapt the effects to the constraints of
the device. Besides multiples haptic effects may have been created. The transitions
between these effects must also be handled by the haptic rendering.
6566 Chapter 4
In this chapter we propose to improve the haptic rendering of HAV with a washout
filter based on the human kinesthetic perception. A body model and an inverse kinematics
algorithm are used to determine the user’s kinesthetic thresholds. The concept
of our washout filter is introduced in section 4.1. The implementation is detailed in
section 4.2, followed by the user study in section 4.3. Results are discussed in section
4.4 and the application of a full video sequence is presented in section 4.5. Finally
conclusions are provided in section 4.6.
4.1 Washout filter for haptic rendering
Washout Filter
Haptic
Effects
Control
Model
Perceptive
Optimizer
Workspace
Optimizer
Haptic
Rendering
Haptic
Device
P Pp
Pw
FA
PA
E
Figure 4.1: Washout filter for haptic rendering. Haptic effects E are converted into
positions P for the actuator by a control model. The perceptive optimizer removes
undesirable effects by limiting the movement of the actuator (Pp), and the workspace
optimizer ensures that the limits of the workspace are respected (Pw). The force FA is
then rendered by the device depending on its current position PA.
Content creators can easily add trajectories or motion effects to audiovisual content
thanks to authoring tools [WRTH13, Kim13]. For example, three separate forward
movements may be defined (see Figure 4.2). Then a control model adapts the effects
to the capabilities of the actuator and three forward movements are rendered (see
Chapter 3 for an example of a control model). But, at the end of an effect, the actuator
suddenly goes back to the central position, inducing a “counter-effect” which should
not be perceived by the user.
This problem has been solved for motion platforms where a washout filter is in
charge of tacking back the device to a neutral position without making the user aware
of this process. The platform is moved under the perceptual threshold of the vestibular
system which is responsible for the sensation of motion (around 0.1m.s−2
[HJZ+02]).
However these algorithms are not suitable for force-feedback devices which do not
stimulate the vestibular system, but the kinesthetic system (perception of the force
and movements).
To tackle this issue, we propose a new workflow for the haptic rendering of HAV,
based on a washout filter (see Figure 4.1). This washout filter reduces these countereffects
while preserving the actual effects. Two steps compose the washout filter. First,
the perceptive optimizer relies on kinesthetic perceptual thresholds to make the countereffects
imperceptible. Then the workspace optimizer ensures that the maximum space
of the workspace is exploited and that its limits are respected. Figure 4.2 shows the
results of the washout filter on the three effects of our example.Proof-of-concept 67
max workspace
Perceptive
Optimizer
Workspace
Optimizer
Control
Model
Effect
Counter-effect
min workspace
Figure 4.2: Schematic example of the use of our washout filter. Three effects have
been designed. Between the effects, the actuator suddenly goes back to the central
position (counter-effects). The washout filter removes these counter-effects (Perceptive
Optimizer) and optimizes the use of the workspace (Workspace Optimizer).
4.2 Proof-of-concept
Our proof-of-concept is designed with the HapSeat, a force-feedback based motion simulator
(see Chapter 3). The haptic effects are first formalized in this section, followed by
a description of the device and the associated control model. Then the implementation
of the washout filter is described and its performances are evaluated.
4.2.1 Haptic effects
Haptic effects were designed with an editor allowing to synchronize them with a video
(see Chapter 5). A haptic effect Ei of a global set of N haptic effects E = {Ei}1≤i≤N
starts at an instant Ti of the video, has a duration of Di
, and is described by Mi
, a
force (Cartesian coordinates xc, yc, zc) and a torque (three Euler angles φc, θc, ψc) at an
instant t ∈ [Ti
, Ti + Di
]:
Mi(t) = [x
i
c
(t), yi
c
(t), zi
c
(t), φi
c
(t), θi
c
(t), ψi
c
(t)] (4.1)
4.2.2 Haptic device: the HapSeat
The HapSeat simulates motion sensations in consumer settings using local force-feedback
devices (see Chapter 3). In the remainder of this paper the following notation is used.
The actuators near to the head, left hand and right hand are labelled H, LA, and RA.
Their central positions in their workspaces are named respectively GH, GLA and GRA,
G being the center of the space. The workspace of one actuator is defined by W (in
our case the dimension of W is 10×10×10cm).
4.2.3 Control model
For a given haptic effect Ei
, the control model for one local actuator A is formulated
in terms of displacement from its initial and central position GA to the new position68 Chapter 4
G′
A
, ∀t ∈ [Ti
, Ti + Di
]:
−−−−→
GAG
′
A(t) = f(T~(t), R~ (t)) (4.2)
where
f(T~(t), R~ (t)) = kT~(t)kT~(t) + kR~ (t)kR~ (t)
kT~(t)k + kR~ (t)k
(4.3)
and
T~(t) =
sx 0 0
0 sy 0
0 0 sz
x
i
c
(t)
y
i
c
(t)
z
i
c
(t)
(4.4)
R~ (t) = (Rx(mxφ
i
c
(t))Ry(myθ
i
c
(t))Rz(mzψ
i
c
(t)) − I3)
−−−→ GGA) (4.5)
The function f is the combination of two vectors T~ and R~ which respectively uses
the positions and rotations described by the trajectory Mi
. The scaling factors sx, sy,
sz, mx, my, mz map the motion effect to the workspace of the actuator. Rx, Ry and
Rz are the 3D rotation matrices around their respective X, Y and Z axes and I3 is the
identity matrix in dimension 3.
From this equation, the new application points G′
H, G′
LA and G′
RA are computed
from the initial points GH, GLA and GRA. The scaling factors are computed to use the
workspace of each actuator in an optimal way, i.e. avoiding any saturation while using
the largest space available. The computation of those scaling factors is performed by
a preprocessing step consisting in finding the maximal amplitude of the displacement
rendered by the three different actuators (H, LA, and RA).
Eventually the position P computed by the control model for one actuator A can
be defined as:
P(t) = (−−−−→
GAG′
A
(t), ∀t ∈ [Ti
, Ti + Di
]
0, ∀t ∈]Ti + Di
, Ti+1[
(4.6)
Between haptic effects (∀t ∈]Ti+Di
, Ti+1[), the actuator goes to the central position,
which may induce counter-effects. Hence we propose the following washout filter to
remove them.
4.2.4 Washout filter
4.2.4.1 User’s body model
The kinesthetic perception is complex and includes several factors. According to Jones
[Jon00], the kinesthetic perception is related to the angular speed of the joints of the
moving limb. The faster the movement is, the lower the detection threshold is. Besides
the joints do not have the same sensibility: proximal joints are more sensitive thanProof-of-concept 69
distal ones. Muscles play also a role in the detection threshold which decreases with
the contraction of the muscles.
Our approach consisted in designing a user’s body model to compute the kinesthetic
perception. In this model we assume that the user is relaxed when watching a video,
then the user’s perceptual thresholds are determined by angular speeds associated to
each joint. The arms are considered as two segments (arm and forearm) and two
joints (elbow and shoulder). The head and neck are composed by one segment and one
joint respectively. The size of segments and the angle limits of joints are defined by
anatomical data [SSS+10] and listed in Table 4.1. Constraints for the shoulders are not
necessary because the movements imposed by the actuators are too small.
Limb Size (cm)
Neck and Head 16.8
Forearm 36.2
Arm 34.9
Positions x,y,z (cm)
Left Shoulder (30,30,0)
Right Shoulder (-30,30,0)
Base Neck (0,30,0)
Left Actuator (GLA) (30, -10, 40)
Right Actuator (GRA) (-30, -10, 40)
Head Actuator (GHA) (0, 46.8, 0)
Constraints Angle (deg.)
Elbow 0 to 140
Head (pitch) -65 to 40
Head (yaw) -50 to 50
Head (roll) -35 to 35
Table 4.1: Biomechanical constraints and parameters used in our model.
4.2.4.2 Perceptive optimizer
The perceptive optimizer consists in moving the actuator toward its central position
in a way that this movement is not perceived by the user. Hence the actuator speed
needs to stay under the user’s perceptual threshold.
Determining the angular speed of joints is a well known problem in computer animation.
Given the skeleton of an arm composed by segments and joints and the given
target position of the hand, multiple combination of angular speeds are possible. This
kind of problem is solved by inverse kinematics algorithms. We use here the “cyclic
coordinate descent” (CCD) algorithm which is effective for simple configurations with
small amplitude of movements [Wel93]. The CCD is an iterative method which minimizes
the distance between the end effector (in our case the hand or head) and the
target position (the actuator) by modifying the angle of each joint. Starting from the70 Chapter 4
joint closest to the end effector the algorithm iterates through the kinematic chain to
the farthest.
The new position of the actuator computed by the perceptive optimizer can be
defined as:
Pp(t) = (
Pp(Ti) + P(t), ∀t ∈ [Ti
, Ti + Di
]
Pp(t − ∆t) + v∆t, ∀t ∈]Ti + Di
, Ti+1[
(4.7)
with ∆t the sampling time (typically 20ms) and
v = arg min
0≤K(v,t)
(kP(t − dt) + v∆tk) and Pp(0) = 0 (4.8)
and the function K defined in Figure 4.3
Inverse
Kinematics X K(v ,t)=min(Δθ
˙
th
)
Δθ
˙
th=θ
˙
th−∣θ∣
˙
θ
˙
th
∣θ∣
˙
Perceptual
Thresholds
limb speeds
amplitudes -
+
K(v ,t): v
Body model
at time t
Figure 4.3: Function K determining the speeds of the actuator. The angular speeds
of the joints are computed from the current speed v of the actuator. The speeds
constrained by the perceptual thresholds are then calculated.
Pp can also be written:
Pp(t) = [P
1
p
(t), P2
p
(t), P3
p
(t)]T
(4.9)
where P
1
p
, P2
p
, P3
p are the positions of Pp for the axes X, Y and Z respectively.
4.2.4.3 Workspace optimizer
The previous step does not guarantee that the positions computed respect the limits
of the workspace (see Figure 4.2). The workspace optimizer makes sure that these
positions are compatible with the workspace of the actuator. An offset is performed to
use the maximum space, and if necessary, the amplitude of the haptic effects is reduced.
The new position computed by the workspace optimizer can be formalized as:
Pw(t) =
Pp(t) if ∀t, Pp(t) ∈ W
Pp(t) − Op
s
∗
else
(4.10)
with
s
∗ = min(s|∀t,
Pp(t) − Op
s
∈ W) (4.11)Proof-of-concept 71
where s ≥ 1 and
Op = [O
1
p
, O2
p
, O3
p
]
T
(4.12)
where
O
i
p =
max
t
(P
i
p
(t)) − min
t
(P
i
p
(t))
2
1≤i≤3
(4.13)
4.2.5 Haptic rendering
The washout filter provides, at each instant t, the target position Pw for each actuator
A. Most force-feedback devices (such as the Novint Falcons) are impedance haptic
devices, and the position of the actuator is thus not directly controllable. Indeed this
kind of device is designed to sense the current position of the actuator and to provide
a force feedback to the user. The actual haptic rendering is performed thanks to a
spring-damper model. The force F~A applied to an actuator A is computed by:
F~A = k(P~w − P~A) − dV~A (4.14)
where P~w is the targeted position, P~A the current position of the actuator, V~A its
velocity, k the spring constant and d the damping constant.
4.2.6 Implementation
4.2.6.1 Perception thresholds
The perception thresholds are key values in our system because they determine how
much the counter-effects are reduced. These effects must be imperceptible. We de-
fined thresholds by referring to the results described by Jones [Jon00]. The perceptual
threshold for the elbow is around 1 deg.s−1
(angular speed of the joint). Proximal joints
are known to be more sensitive than distal joints, thus we could set the thresholds for
the shoulder and the neck to 0.5 deg.s−1
.
Three profiles of perception thresholds have been designed (see Table 4.2). First
one, entitled T1, is based on Jones’ results. Such angular speeds are small, and to
respect these constraints the actuators have to move very slowly. The positions Pp
computed might probably not fit the workspace (see Figure 4.2). The scaling factor s
∗
applied by the workspace optimizer might strongly reduce the actual effects. Thus we
also propose less restrictive constraints to preserve the amplitude of the effects with
the profiles T2 and T3. Besides in a context of HAV, the user’s attention is split
between haptic and audiovisual feedback. Movements of an actuator might thus be
not perceived with higher thresholds. Hence thresholds for T2 are higher than for T1,
and those for T3 are higher than for T2. They were set empirically. As the output of
the washout is non linear, determining such thresholds is not trivial. With T2 and T3
the counter-effects may be perceptible, but the scaling factor applied by the workspace
optimizer will be lower than with the profile T1.72 Chapter 4
T1 Threshold (deg.s−1
)
Neck 0.5
Shoulder 0.5
Elbow 1
T2 Threshold (deg.s−1
)
Neck 1.5
Shoulder 1.5
Elbow 2.5
T3 Threshold (deg.s−1
)
Neck 3
Shoulder 3
Elbow 4
Table 4.2: Three profiles determining the user’s perceptual threshold.
4.2.6.2 Performance evaluation
A first set of tests was conducted to assess the properties of our washout filter for each
of the three profiles.
We have first measured the time required for each profile to move an actuator from
the edge of its workspace to the central position. The distance from the border to the
center for the Novint Falcon is 5 cm. As expected, the lowest the perceptual threshold,
the longest the time required to reach the central position: 1.8 secs for T3, 4.7 secs for
T2 and more than 10 secs for T1 (see Figure 4.4).
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
0
0,01
0,02
0,03
0,04
0,05
T1 T2 T3
time (s)
distance (m)
Figure 4.4: Time required for each profile, T1, T2 and T3, to move the actuator from
the edge of its workspace to the central position.
Second, we have evaluated the impact of each profile on the amplitude of the filtered
effects. We have created several 15-second sequences with two to seven successive effects
(as described in Section 4.2.1). The effects are identical which is the most critical
situation for the haptic rendering: the actuator has to go several times in the same
direction. Examples are available in Appendix A with sequences composed by three,User study 73
four and five effects (Figures A.1, A.2 and A.3 respectively). The more effects there
are, the less time available there is for the perceptive optimizer, and the stronger the
scaling s
∗ applied by the workspace optimizer (see Equation 4.11). Figure 4.5 depicts
this scaling factor. We observed that with the profile T1, starting from two consecutive
effects, the amplitude of the effects is decreased. As expected, the profile T2 less
impacts the amplitude and the profile T3 even less. But when considering seven effects
in a sequence the amplitude is reduced by at least 30% for each profile.
2 3 4 5 6 7
0
0,2
0,4
0,6
0,8
1
T1 T2 T3
Number of effects
Scaling factor (1/s*)
Figure 4.5: Scaling factor applied by the workspace optimizer. The more effects there
are in a sequence, the more down-scaled they are.
To conclude on this section, we observe that the profile T1 removes the countereffects,
but it has a cost on the amplitude of the actual effects. By increasing the
perceptual thresholds, with the profiles T2 and T3, amplitudes are more preserved but
the counter-effects would become perceptible.
4.3 User study
A user study was conducted to evaluate the relevance of this new haptic rendering
for HAV. Our hypothesis is that the quality of haptic-audiovisual experience is better
when counter-effects are not perceived (i.e. in presence of our washout filter). We also
wanted to explore the influence of the thresholds on the quality of experience (QoE).
We therefore tested the three profiles (T1, T2 and T3) and analyzed the perception of
the QoE by users.
Twenty participants took part in this experiment, aged from 23 to 52 (¯x=39.7
σx=9.21). Five were female and three left-handed. None of them was an expert user
of force-feedback devices or motion platforms.
4.3.1 Experimental conditions
To evaluate the impact of our washout filter on the haptic-audiovisual experience, we
used four types of haptic feedback: T1, T2 and T3 respectively computed using the
T1, T2 and T3 profiles. The fourth haptic feedback, T0, bypasses the washout filter.74 Chapter 4
Traveling right (2 secs) No effect (x secs) No effect (x secs)
Video (15 secs)
Traveling right (2 secs)
Figure 4.6: Structure of the 15-second video sequences used in the user study. A video
is composed by a succession of two sequences: a two-second traveling following a green
character, and an x-second still shot of a man.
The haptic rendering is directly computed from the positions P given by the control
model. This feedback serves as a control condition to determine how the washout filter
and the profiles modify the quality of experience.
These four haptic feedbacks were compared against each others for three video
sequences of 15 seconds, named S1, S2 and S3. They were designed according to the
structure depicted in Figure 4.6: combinations of sequences of a traveling shots of a
walking character (2 secs) and a still shot of a man (x secs). S1 is composed by a
succession of three sequences (x=3 secs), S2 of four sequences (x=1.74 secs) and S3 of
five sequences (x=1 sec). A haptic effect was associated to each traveling (movement
toward the right). Then these three sequences exploit the different outputs observed
in section 4.2.6.2 (see Figures A.1, A.2 and A.3). Then 4×3 haptic-audiovisual
contents had to be experienced by each participant.
4.3.2 Procedure
The experiment lasted around 20 minutes for each participant, comfortably installed
on the HapSeat. The study was divided in three steps corresponding to the three
sequences S1, S2 and S3. The steps were performed in a random order. For each, the
participant had the possibility to experience the video and the four haptic feedbacks.
They were asked to try each haptic-audiovisual content, as many times as needed, and
to order the different haptic rendering from 1 (the best) to 4. Then they went to step
2 and 3 to experience the two others video sequences and associated haptic feedbacks.
Finally an informal interview was conducted to collect more information about the
user’s experience.
4.3.3 Results
The normality of the distributions cannot be assumed according to the Shapiro-Wilk
test. Hence results were analyzed using non-parametric tests: Friedman Anova and
Wilcoxon test with Holm-Bonferroni correction.
The main result of our study is that the three haptic feedbacks provided by the
washout filter are preferred to the classical haptic feedback (see Figure 4.7, F. Anova:
p < 0.05). The three profiles are not statistically different (Wilcoxon test: p > 0.05).User study 75
The analysis of the ranking for each video sequence provides the same results: the
washout filter clearly improves the user’s experience, and there is still no difference
between the profiles. A deeper analysis of the participants’ ranking is then necessary.
S1 S2 S3 All
0
1
2
3
4
T0 T1 T2 T3
Rank
Figure 4.7: Rankings for all sequences. Conditions with a washout filter are preferred
to the control condition (T0).
Sequence
Profile
All S1 S2 S3
T0 3.9 3.95 3.85 3.9 x¯
0.48 0.22 0.67 0.44 σx
T1 1.98 2.3 1.65 2 x¯
0.83 0.86 0.67 0.86 σx
T2 1.87 1.7 2 1.9 x¯
0.85 0.80 0.92 0.85 σx
T3 2.25 2.05 2.5 2.2 x¯
0.84 0.83 0.76 0.89 σx
F. Anova
80.2471 30.5294 26.8588 26.6471 χ
2
3 3 3 3 df
2.2e
−16 1.068e
−6
6.303e
−6
6.981e
−6
p
*** *** *** *** sig.
Table 4.3: Means (¯x) and Standard deviations (σx) for each profile with respects to each
sequence. A Friedman Anova (χ
2
, df, p.value) has been performed on each sequence.
The informal interviews at the end of the experiment led to interesting observations.
We roughly identified three groups of participants. Some of them preferred a
perfect match between the haptic feedback and the video, when counter-effects were
imperceptible. Some preferred more dynamic effects and were more tolerant regarding
the perception of counter-effects. So they could better understand when an effect starts
and stops. Finally some participants did not have any preference between the three
profiles, the results were acceptable in any case. We performed then a hierarchical76 Chapter 4
All T3 T2 T0 S1 T3 T2 T0
T2 0.071 - - T2 0.18 - -
T0 2.0e
−16 2.0e
−16
- T0 1.1e
−06 9.0e
−07
-
T1 0.144 0.568 2.0e
−16 T1 0.57 0.12 4.0e
−06
S2 T3 T2 T0 S3 T3 T2 T0
T2 0.278 - - T2 0.74 - -
T0 1.0e
−05 2.6e
−05
- T0 4.3e
−06 3.2e
−06
-
T1 0.023 0.265 7.8e
−06 T1 0.74 0.74 7.3e
−06
Table 4.4: Pairwise comparison of each sequence for each profile using Wilcoxon test
with Holm-Bonferroni correction.
cluster analysis of the participants’ ranking to determine if these three groups could be
found [JMF99]. The distance between each participant was computed by an Euclidean
distance on the whole set of rankings, and Ward’s method was used for the clustering
(clusters are computed in a way that their variance is minimal). Results are displayed
on a dendrogram where three groups may be identified (cut at height = 8, Figure 4.8).
3
2
19
5
14
4
6
11
15
8
9
13
18
7
1
10
16
12
17
20
0 2 4 6 8 10
Participant's id
Height
Group 1 Group 2 Group 3
Figure 4.8: Dendrogram of the cluster analysis. Three groups of 6 or 7 participants
emerge.
Our observations are confirmed by the analysis of the results of each group. The
average ranking for Group 1, from the most preferred to the less, is: T1, T2, T3 and
T0 (Figure 4.9). The four conditions are statistically different (F. Anova: p < 0.05,
Wilcoxon p < 0.05). Group 3 has preferred the T2 profile (Wilcoxon test: p < 0.05),
while T1 and T3 are not statistically different. Finally Group 2 reproduces the generalDiscussion 77
results. The three profiles performed better than the T0 but they are not statistically
different. Ranking for each sequence was also analyzed but they follow the patterns
observed for each group.
Group 1 Group 2 Group 3
0
1
2
3
4
T0 T1 T2 T3
Rank
Figure 4.9: Ranking of the groups for all sequences. Group 1 prefers the profile T1
while Group 3 prefers T2. The three profiles are not statistically different for Group 2.
Sequence
Profile
Group 1 Group 2 Group 3
T0 3.86 3.94 3.90 x¯
0.67 0.24 0.44 σx
T1 1.29 2.11 2.57 x¯
0.44 0.76 0.68 σx
T2 2.10 2.33 1.24 x¯
0.81 0.77 0.54 σx
T3 2.76 1.61 2.29 x¯
0.44 0.92 0.72 σx
F. Anova
44.71 33 45.57 χ
2
3 3 3 df
1.1e
−09 3.2e
−07 7.0e
−10 p
*** *** *** sig.
Table 4.5: Means (¯x) and Standard deviations (σx) for each profile with respects to each
sequence. A Friedman Anova (χ
2
, df, p.value) has been performed on each sequence.
4.4 Discussion
Taken together, our results suggest that the use of a washout filter improves the user’s
quality of experience. Counter-effects are removed, or at least reduced, which seems to
make the haptic-audiovisual content more enjoyable. Nevertheless it appears that the
tuning of the washout filter for maximizing the quality of experience depends on the
user.78 Chapter 4
Group 1 T3 T2 T0
T2 0.0026 - -
T0 2.0e
−07 5.9e
−07
-
T1 2.0e
−07 0.0015 7.7e
−08
Group 2 T3 T2 T0
T2 0.051 - -
T0 3.1e
−07 4.9e
−07
-
T1 0.105 0.266 8.9e
−07
Group 2 T3 T2 T0
T2 4.7e
−05
- -
T0 1.3e
−07 1.0e
−08
-
T1 0.23 3.2e
−06 4.6e
−07
Table 4.6: Pairwise comparison of each sequence for each profile using Wilcoxon test
with Holm-Bonferroni correction.
All participants reported that one of the haptic feedback provided continuous movement
(i.e. actuators were not moving between the effects which corresponds to the pro-
file T1). This means that the counter-effects were actually not perceived. This feedback
was the favorite for participants of Group 1 for which the higher the perceptual threshold
used, the worst the ranking of the haptic feedback. The precise synchronization
of the haptic feedback with the video seems to be a key component in the quality of
experience for certain users.
On the contrary some participants have found the profile T1 less comfortable than
the others. When the effect stopped, these users felt “being frozen” in a position
different from the initial position, where all actuators are at rest. This perception
may come from the muscles which do not support the same tension that in the initial
position. Our model approximates the kinesthetic perception by the speed of joints and
does not include the muscular perception. Then if the speed of the actuator is limited
in a way to be not perceived, the off-center position is felt. This may explain why the
profile T1 was not systematically preferred.
In line with this observation, participants of the Group 3 have classified the profile
T2 as the best. They reported that they perceived counter-effects but it was not
disturbing due to their weak intensity compared to the actual effects. The rendering
was also more comfortable than with the profile T1. With the profile T3, the intensities
of the counter-effects were too strong to be ignored and induced effects not coherent
with the video.
From this experiment it appears that some users focus on the synchronization of
the effects while others are more sensitive to the comfort of the position. But in both
cases, counter-effects should be imperceptible. Not necessary from a kinesthetic pointof-view,
but rather from a cognitive point-of-view. During a video viewing session, the
user’s attention is divided between visual, auditive and haptic stimuli. Haptic effects
could be not perceived while above the perceptual thresholds. Hence, in addition to
the user’s sensibility, the perceptual thresholds for tuning a washout filter might be
adjusted depending on the audiovisual context.Application to a full video sequence 79
4.5 Application to a full video sequence
To complete this study we have tested the scalability of our approach in the context
of a haptic movie. The new haptic rendering was applied on a movie enhanced with
haptic effects. The movie used was “Sintel1” (see Figure 4.10), which total duration is
around ten minutes. The haptic content was edited by a VFX artist thanks to a home
made editor (see Chapter 5). Top part of Figure 4.11 shows an extract of the positions
computed by the control model during a period of two minutes. Four counter-effects
are present in this extract (represented by the grey rectangles).
Figure 4.10: Screenshots of Sintel. Extract of the movie, from 4:44 to 7:02. Credit:
Blender Fundation
The effects processed by our washout filter, with the T1 profile, are displayed on the
bottom of Figure 4.11. The offset and scaling performed by the workspace optimizer
are clearly visible. As expected the amplitude of the effects are reduced compared to
the original content. The modification resulting from the perceptive optimizer is visible
on the last effect, where the duration between two effects is the longest (420 to 425
seconds).
We informally asked to 11 volunteers to experience the two-minute extract of this
haptic-movie. One time without washout filter, and another time with the washout
and profile T1 (presented in a random order). They were asked to select their favorite
sequence and to justify their choice. All of them reported that the haptic feedback is
smoother with the washout filter, and this was appreciated. Almost two-thirds of the
participants have clearly preferred the sequence with the washout filter enabled (7/11).
The others found the amplitude of the haptic effects too small with the washout and
preferred the other sequence. These first results follow those observed in the user study.
The washout filter enables a smoother haptic rendering. A majority of users are focused
on the synchronization of the haptic effects to the audiovisual content and prefer the
use of a washout, whereas some others are more in demand for strong effects. But
interestingly enough, this application proves that our haptic rendering works with real
sequences.
1Credit: Blender Fundation. http://www.sintel.org80 Chapter 4
300 320 340 360 380 400 420
-0,05
-0,04
-0,03
-0,02
-0,01
0
0,01
0,02
0,03
0,04
0,05
without washout filter X Y Z
Time (s)
Position (m)
300 320 340 360 380 400 420
-0,05
-0,04
-0,03
-0,02
-0,01
0
0,01
0,02
0,03
0,04
0,05
with washout filter X Y Z
Time (s)
Position (m)
Figure 4.11: Extract of the haptic effects for the full video. Haptic effects without the
washout filter are displayed on top, with the washout filter and the profile T1 on the
bottom.Chapter conclusion 81
4.6 Chapter conclusion
In this chapter, we have presented a new haptic rendering algorithm for force-feedback
device in a HAV context. It relies on a washout filter based on the kinesthetic perception.
A user’s body model is used to compute the angular speed of the joints of the
moving limbs. These speeds are compared to perceptual thresholds to determine if the
movement of the force-feedback device is felt. This movement can be then adjusted
in order to make undesirable effects imperceptible. Moreover, three profiles with different
perceptual thresholds have been designed to explore different implementation of
rendering.
The results from a user study showed that the washout filter globally improves the
QoE during video viewing. Besides, the results provided interesting insights regarding
the tuning of such a washout filter. Parameters should be adjusted depending on the
user’s kinesthetic sensibility and perception of the audiovisual content. The haptic
rendering was also applied to a full video sequence, showing the scalability of our
approach.82 Chapter 4Part II
Producing Haptic Effects: Tools
and Techniques for Creating
Haptic-Audiovisual Content
83Chapter 5
H-Studio: an authoring tool for
adding haptic and motion effects
to audiovisual content
Contents
5.1 The authoring tool: H-Studio . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
5.1.1 Manual motion effect edition . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
5.1.2 Automatic creation of motion effect . . . . . . . . . . . . . . 88
5.1.3 Preview of motion effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
5.2 User study . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
5.2.1 Capturing test sequences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
5.2.2 Variables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
5.2.3 Measures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
5.2.4 Results . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
5.2.5 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
5.3 Chapter conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
Despite the increasing interest for haptic effects in the context of audiovisual content,
one main problem remains: how to design and when to insert haptic or motion
effects in a given movie timeline so that the final effect may be relevant for the user? The
selection of effects is strongly linked to the content (explosions, fast motions, camera
effects) and some of them may be automatically proposed and placed on the timeline
on the basis of the audiovisual content analysis. But the creative part of the author
should provide a better final result, with optimal choice and placement of effects. It
seems therefore necessary to provide content creators with authoring tools, easy-to-use
and similar to their usual editing tools. But few editors already exists and they do not
allow to intuitively edit 6DoF effects of motion.
This chapter describes such a tool and introduces a novel user interface dedicated
to the creation of haptic and motion effects: the H-Studio. The authoring tool and
8586 Chapter 5
its new features are detailed in section 5.1. In this work we focus on the creation
of complex motion effects by proposing three editing methods. Two methods take
advantage of a force-feedback device to enable the intuitive creation of motion effects.
The third allows the import of real-world data. Such data are provided by a novel
capture device we have designed, combining an inertial measurement unit and a video
camera. Moreover, the authoring tool features the preview of motion effects rendered
on a force-feedback device. A user study has been conducted to evaluate the quality
of motion effect captured by our device, and more generally, the impact of the haptic
feedback on the user’s quality of experience. Protocol and results are presented in
section 5.2. Finally conclusion is provided in section 5.3.
5.1 The authoring tool: H-Studio
We propose a new authoring tool to easily edit and preview haptic and motion effects.
The interface of the editor, inspired from traditional video editing software, is composed
of three main parts: a preview of the video, a timeline for the synchronization of effects
and a menu with the parameters of the current effect (see Figure 5.2). So far, two
types of effects are supported: vibration and motion. Two tracks are displayed above
the timeline, each one is dedicated to one type of effect. The editor could easily be
extended by the addition of more tracks associated to new haptic effects.
To create an effect, the user determines when it starts and stops on a track, then
defines waypoints. A parameter menu allows to finely tune each waypoint and data
are interpolated between them (linear interpolation). An effect can also be saved in a
library in order to be reused.
Parameters for vibration effects are quite simple to edit: amplitude and frequency.
The vibration is a sinusoidal signal created from these two parameters. The editor also
proposes to automatically create vibrations from the audio track of the video content.
The audio signal is directly used to represent the vibration effect. A filter is applied to
adapt the signal to the capabilities of the vibrating device. This is a classical technique
already used in the literature.
Motion effects are however less trivial to edit due to the 6DoF which all have to
be set at a time: three linear accelerations (ax, ay, az) and three rotational speeds
(wx, wy, wz) [SACH10]. A motion effect can be formalized as:
Mt = [ax, ay, az, wx, wy, wz]
t
(5.1)
We focus here on the edition of motion effects. We propose two methods relying on
a force-feedback device to intuitively design motion effects (see Figure 5.1). Moreover,
we also propose a new capture device to create a video augmented with motion effects.
Captured data can directly be imported in the editor. Finally, whatever the method
used, the motion effect can be previewed on the force-feedback device. The content
creator can thus directly feel the synchronization and dynamics of the motion effects,
without using a cumbersome motion platform.The authoring tool: H-Studio 87
Capture device:
video and motion recording
H-Studio:
processing and authoring
Force-feedback device:
authoring and preview
Figure 5.1: Overview of the H-Studio. Video and motion effects can be imported from
our capture device, or manually edited thanks to a force-feedback device. This device
can also be used to preview motion effects.
5.1.1 Manual motion effect edition
As it is not a simple task for the user to imagine a movement in 6DoF, we propose two
methods to manually edit motion effects, taking advantage of a force-feedback device.
5.1.1.1 Waypoint edition using a force-feedback device
This first method enables a force-feedback device to edit motion parameters for each
waypoint (see Figure 5.2). A waypoint is set at an instant t when the creator clicks on
the timeline. An effect of motion Mt
is associated to this waypoint. By manipulating
the force-feedback device, the creator can directly set a direction vector and an orientation,
which represent the acceleration (ax, ay, az) and rotational speed (wx, wy, wz) for
the instant t. For example, if the creator moves the actuator forward, the motion effect
is set as a forward acceleration. The bigger the amplitude of the creator’s movement
is, the bigger the amplitude of the motion effect is.
In our implementation we rely on a Novint Falcon, a low-cost 3DoF force-feedback
device [NOV]. Only the direction or the orientation can be edited at a time. This
approach should easily be extended to a 6DoF device.
5.1.1.2 Trajectory recording from a force-feedback device
Creating a complex effect might be tedious with the previous technique as motion
parameters must be edited for each waypoint. The second proposed method is to
record a trajectory thanks to the force-feedback device without using waypoints. The
creator directly moves the device while the video is playing for a duration previously
defined. The drawn trajectory represents the motion effect M. This solution is more
intuitive although the synchronization with the video could be less easy.
When the user starts the recording, the positions of the actuator are sampled at
30Hz and stored in a simple “csv” file. A timestamp is associated to each sample. Here
again we rely on a Novint Falcon which allows to record 3DoF motion effects. But this
technique is easily extendable to a 6DoF force-feedback device.88 Chapter 5
A/V Content
Track
Parameters of
Motion Effect
Timeline
Figure 5.2: Screenshot of H-Studio. A motion effect is being edited: direction (represented
by an arrow) and orientation (represented by a car) are defined at an instant t.
5.1.2 Automatic creation of motion effect
The previous method allows to create complex trajectories, but designing a highly
realistic motion effect as it would be felt in the real world is not straightforward. Then
we have developed a new capture device to record motion effects during the shooting
of the video.
5.1.2.1 Capture device
The capture device is a combined system making use of an inertial measurement unit
(IMU) and of a high definition camera dedicated to sportive activities. A complete integrated
prototype combining the IMU, its battery and the camera has been developed.
As the system is designed to be fixed on an actor (first-person point of view recording),
it is robust enough to resist to different conditions of recording (see Figure 5.3b).
The IMU we chose is the Ultimate IMU board which combines an ADXL345 ac-The authoring tool: H-Studio 89
celerometer, an ITG-3200 gyroscope and a HMC-5843 electronic compass (see Figure
5.3a). The first component records the 3-axis accelerations of the board ar, the
second one quantifies the rotational speed of the board around its 3 axes, wr, and the
last component allows a geocentric orientation by giving an estimation of the local magnetic
field, cr. An additional micro-SD memory card may be embedded on the board
and allows the recording of the three raw signals. A dedicated middleware has been
developed and uploaded onto the Ultimate IMU to set the recording process of ar, wr
and cr to 30Hz. A timestamp is associated to each sample. A filtering is necessary to
reduce the noise of the original signal. For practical reasons, the filtering is actually
performed on the IMU. More precisely, the three sensors data were natively sampled
at 200Hz but due to limitations with the writing speed on the embedded micro-SD,
samples were averaged and down-sampled at 30Hz. This averaging step results in a
low-pass filtering of the raw signal.
Complementary, a Camsports HDS-720p was selected to record the scene corresponding
to the current point of view of the actor (see Figure 5.3a). The camera is a
HD bullet camera. It uses a 120 degrees wide-angled lens and integrates a built-in 4GB
memory chipset. The spatial resolution of this device is 1280×720p at a frequency of
30fps. It is water-proof and is able to handle harsh environments. It finally integrates
a mono-channel microphone.
(a) Prototype composed by (A) a Camsports
HDS-720p and (B) an Ultimate IMU board.
(b) The prototype is fixed on an actor’s chest
and records motion on three axes.
Figure 5.3: Overview of the device capturing both video and motion.
5.1.2.2 Processing of the captured motion signals
Both the video and the motion effect captured by the device can be imported into the
H-Studio. To synchronize the IMU and the camera, which do not offer possibilities of
external synchronization, a mechanical trick is used (very similar to the audiovisual
synchronization techniques traditionally used in movie making). Before each record,
three little pats are given on the prototype which cause a fast and big peak in both90 Chapter 5
the acceleration signals of the IMU and the audio stream of the camera. Basic signal
processing techniques are then used to make those peaks match in both signals
(variance-based threshold).
The signal recorded by the IMU has to be processed in order to be rendered on a
haptic device. The main processing to apply is linked to the gravitational component g
included in the raw acceleration ar. This latter is quite important regarding the other
external sources of acceleration and can mask some useful information needed to render
a motion feeling. The board orientation is estimated using the approach described
by Sabatini [Sab06]. This latter especially combines the use of a quaternion-based
representation of the board attitude and a dedicated extended Kalman filter to estimate
the board orientation by merging the information coming from the three sensors
(gyroscope, accelerometer and magnetometer). This operation allows to estimate the
direction of the gravity (vertical) ng[k] in the accelerometer frame (frame A) at each
time sample k. The raw acceleration vector ar is therefore updated by removing the
quantity, kgkng[k], from each sample ar[k].
The new acceleration vector a[k] = {ax[k], ay[k], az[k]}
t may be formalized, at each
time sample k, by:
a[k] = ar[k] − kgkng[k] (5.2)
In our context the captured motion effect is thus defined by:
Mt = [ax, ay, az, wrx, wry, wrz]
t
(5.3)
Extra operations may be performed for enhancing the signal for a better rendering
for the end-user. They may be simple operations to remove artifacts or artificial modulation
(reduction or amplification) of some parts of interest in the Mt
to underline
specific haptic events.
5.1.3 Preview of motion effects
Once edited, the creator may want to preview the motion effect. However, end-devices
(such as motion platforms) are not always available or would not be convenient for a
quick preview. In line with the approach proposed by Ouarti et al. [OLB09], we propose
to use a force-feedback device to preview these effects. Figure 5.4 shows the setup used
to render the motion effects.
An open-loop rendering system was introduced to display motion effect Mt
. Our
implementation relies on the Novint Falcon which proposes 3DoF force-feedback rendering.
Only the acceleration composing the motion effect Mt was rendered as a force
vector F, defined as F[k] = {Fx[k], Fy[k], Fz[k]}
t
.
To be rendered on the haptic device, an axis permutation of the signal M has to
be performed to align the axes of the accelerometer (frame A) with the axis of the
device (frame D). The associated permutation matrix is termed P
A
D . Besides a scaling
of the data is necessary to adapt the amplitude of the signal M to the workspace ofUser study 91
the device. The force rendered by the haptic device may be finally formalized by:
F =
sx 0 0
0 sy 0
0 0 sz
P
A
D (M) (5.4)
In our context, the matrix simply switches the axes Y and Z of A in D. A complementary
step reverses the Z-axis as the force-feedback device is placed in front of the
user and it is supposed to pull the user’s hand when the recorded acceleration is positive
on the z-axis. The scaling factors sx, sy and sz for each axis are assumed to be constant
(independent of the time sample) and empirically set according to experimental
feedback.
During the haptic rendering, the force F is computed for each sample M and oversampled
(piecewise constant interpolation) to meet the requirements of the 1kHz haptic
rendering loop frequency.
5.2 User study
The user study is focused on the evaluation of captured motion effects when previewed
on a force-feedback device. We wanted to evaluate the realism of the motion effects
captured by our device which is a key factor in the design of such effect. Also we
evaluated the preview of such effects on one force-feedback device. More generally, we
wanted to study the impact of the haptic feedback on the user’s quality of experience
(QoE [Jai04, Kil08]). In our context, the QoE may be defined as the measure of
the user’ subjective experience with haptic-audiovisual content. The realism is then
a component of this QoE. Our hypothesis is that the haptic feedback improves this
experience, even with a limited setup.
15 participants have taken part to the experiment. They were aged from 21 to
59 (¯x=27.8 σx=9.7), nine were Male, one participant was left-handed, eight never
used a force-feedback device. The whole experiment lasted from 30 to 40 minutes.
Each participant was first introduced to the Novint Falcon and given a demonstration
of its force capabilities. This step aimed to reduce the “surprise effect” for novice
users. Participants were asked to passively experience each stimulus (see Figure 5.4
and Section 5.2.1) and then answer a questionnaire (see Section 5.2.3). A post-test
questionnaire with open questions was also submitted in order to collect more details
about the users’ feelings.
5.2.1 Capturing test sequences
Our motion capture prototype was used to create several samples of audiovisual content
enriched with motion effects. We identified four scenarios to represent different kinds
of motion feelings (Figure 5.5). The prototype was placed on an actor’s chest and we
obtained the following contents:92 Chapter 5
Figure 5.4: A participant experiences one of the video sequence enriched with motion
effects.
1. Bike. The objective of this scenario is to capture low-amplitude movements. The
actor is performing outdoor cycling and a succession of vertical movements with
small amplitude is captured. (duration 61s).
2. Horse. In this case the actor is riding a galloping horse and feels recurrent
top-down movements. High-amplitude vertical movements are captured. (duration
60s).
3. Car turning. In this scenario, the actor is inside a car engaged in a roundabout.
The centrifugal force makes him feel pushed on a side. The captured motion is
felt as strong and long. (duration 45s).
4. Car Braking. This last scenario aims to capture a strong punctual movement.
The actor is in a car strongly braking and feels a strong force pushing him forward
during few seconds. (duration 75s).
(a) Outdoor cycling (b) Horse riding (c) Car turning (d) Car braking
Figure 5.5: Tests Scenarios.User study 93
5.2.2 Variables
In order to evaluate the user’s QoE for each sequence we defined three types of haptic
feedback to be rendered with the video:
1. Realistic Feedback. The captured haptic feedback, consistent with the sequences.
2. No Feedback. Only the audiovisual content is displayed. The goal of this
condition is to measure the QoE of a classical audiovisual content. This will be
used as a reference to evaluate the interest of a haptic feedback for a video.
3. Random Feedback. A random haptic feedback made of a low-pass filtered white
noise (cutoff frequency Fc = 0.5Hz) with the same length and amplitude than
the consistent haptic feedback. This feedback is not consistent with the video
and will be used to evaluate the interest of providing a realistic haptic feedback.
Combining the whole set of possibilities, 12 conditions (4 videos sequences × 3
types of haptic feedback) are obtained and were tested in each experiment in order
to evaluate the QoE, our independent variable. These conditions were presented in a
random order to the participants.
5.2.3 Measures
A questionnaire was designed to evaluate the QoE of a video enriched with haptic
feedback. It was built around the Presence [WS98] and Usability [TA08] concepts
(similarly to the questionnaire used in Chapter 3).
Presence aims at measuring how much the user feels being physically situated in a
virtual environment. Witmer and Singer [WS98] identified four factors to determine the
presence: Control, Sensory, Realism and Distraction. “Control” determines how much
the user can control and modify objects within the virtual environment. “Sensory”
characterizes how each sensory modality is solicited during the interaction. “Realism”
describes how much the environment is realistic and consistent with user’s representation
of the real world. “Distraction” identifies how much the user is disturbed by the
apparatus used to create the virtual world. From this definition we focused on two factors:
Realism and Sensory. As the user is passive with our system, Control factor was
not relevant here. Moreover we did not measure Distraction in our QoE questionnaire,
but this aspect was interesting and was evaluated in the post-test questionnaire.
Usability is defined by the norm ISO 9241-11 and aims at measuring how easy a
system is to use. Three factors composed this concept: Efficiency, Effectiveness and
Satisfaction. This latter measures how well the user enjoyed the system. “Effectiveness”
means how well a user can perform a task while “Efficiency” indicates how much efforts
are required. These two factors were not totally suitable for our system in the sense
that it was not designed to perform a task. We preferred to use the term of Comfort to
measure how well was the system to provide feedback. Satisfaction was however fully
relevant in our situation.94 Chapter 5
Hence, the QoE of our system was evaluated by four items : Realism, Sensory, Comfort
and Satisfaction (see Table 5.1). We defined only one question by item supposed
to be rated on a five-point Likert-scale. The QoE is computed by the sum of these four
items. This way the QoE questionnaire is easy to fill in and can be submitted for each
condition.
Factor Question
Realism How much did your experiences in the virtual
environment seem consistent with your realworld
experiences?
Sensory How much did the haptic feedback improve the
interaction?
Comfort Was the system comfortable?
Satisfaction Was the system pleasant to use?
Table 5.1: QoE Questionnaire. Each question is rated on a 5-point Likert-scale from 1
(Not at all) to 5 (Totally).
5.2.4 Results
The collected data were four notes (associated to Realism, Sensory, Comfort and Satisfaction;
from 1 to 5) for each condition per participant. The sum of these notes gives
the score for the QoE per conditions per participant. The normality of the distributions
was tested with the Shapiro-Wilk test and was rejected most of the time. Hence nonparametric
tests were used to analyze the results presented in this section (Friedman
Anova and Wilcoxon test with Holm-Bonferroni correction).
We first looked at the result for all the video sequences combined (see Table 5.2).
QoERealistic (¯x = 15.3, σx = 2.6) has the highest score, followed by QoERandom (¯x =
10.2, σx = 1.6) and QoEN o (¯x = 7.5, σx = 2.1). This result, depicted on Figure 5.6,
is significant according to the Friedman Anova (p < 0.05). We have also observed that
the QoE for each individual sequence follows the same pattern (Figure 5.7).
Figure 5.6 shows the mean score for each item of the QoE, for the three feedback
conditions. The more realistic the feedback, the higher the Realism, Sensory and Satisfaction
scores (see Table 5.2). These results are also significant according to Friedman
Anova and Wilcoxon tests (see Table 5.3). However Comfort appears to be relatively
stable all along the experiment (¯xN one = 2.9, ¯xRandom = 3.2, ¯xRealistic = 3.6). According
to Wilcoxon test they are indeed statistically equivalent.
Finally we observed that the QoERealistic remains the same for those who never
used a Novint Falcon (¯x = 15.5 σx = 2.9) and for those who did (¯x = 15.25 σx = 2.5).
The expertise of the participant do not affect the result significantly (Wilcoxon test,
p = 0.77).User study 95
No Feedback Random Feedback Realistic Feedback
0
4
8
12
16
20
QoE for all sequences - Details
Realism Sensory Comfort Satisfaction
Score
Figure 5.6: QoE of each haptic feedback and details of the components. The Comfort
component of the QoE remains the same whatever the feedback perceived. However
the three others increase with no feedback, random feedback and realistic feedback
respectively.
Factor
Model
QoE Realism Sensory Comfort Satisfaction
None 7.4833 1.3333 1.1167 2.9167 2.1167 x¯
1.5597 0.5147 0.2476 1.0965 0.9252 σx
Random 10.2333 1.9167 2.4 3.1500 2.7667 x¯
2.1391 0.5147 0.4706 0.8854 0.8987 σx
Real 15.3667 3.8167 3.9167 3.5500 4.0833 x¯
2.6184 0.7819 0.8746 0.8194 0.7599 σx
F. Anova
24.7119 24.0339 26.678 8.7917 23.0526 χ
2
2 2 2 2 2 df
4.30e
−6
6.04e
−6
1.61e
−6
0.0123 9.867e
−6
p
*** *** *** * *** sig.
Table 5.2: Means (¯x) and Standard deviations (σx) for each model with respects to
each factor. A Friedman Anova (χ
2
, df, p.value) has been performed on each factor.
5.2.5 Discussion
The main result of this study is that the motion effect captured by our device is perceived
as realistic and such effect improves the QoE. Moreover the expertise of participants
with a force-feedback device does not affect the QoE. This observation let us
think that our main result is not due to a “surprise effect” and that the setup is suitable
for nonexpert users.
This study has also brought interesting results regarding the design of motion effects96 Chapter 5
Bike Car Turning Car Braking Horse
0
4
8
12
16
20
QoE per sequence
No Feedback Random Feedback Realistic Feedback
Score
Figure 5.7: QoE of each sequence and haptic feedback. For each sequences, participants
found that a realistic haptic feedback improves the experience. Interestingly a random
feedback was more appreciated that no feedback.
QoE No Random
Random 0.0016 -
Real 1.2e
−5
0.0002
Realism No Random
Random 0.004 -
Real 1.2e
−5
2.9e
−5
Sensory No Random
Random 7.3e
−6
-
Real 5.0e
−6
0.0001
Comfort No Random
Random 0.48 -
Real 0.12 0.48
Satisfaction No Random
Random 0.06 -
Real 0.0002 0.002
Table 5.3: Pairwise comparison of each model for each factor using Wilcoxon test with
Holm-Bonferroni correction.
for video viewing context. QoE increases with haptic feedback and more particularly
with haptic feedback consistent with audiovisual content. However the low score obtained
by sequences without haptic feedback (No Feedback condition) can be in part
due to our experimental protocol. Whatever the condition, participants were asked to
hold the force-feedback device in their dominant hand. Thus they might have been
frustrated by the absence of feedback. Obviously if there is a haptic device, people are
expecting haptic feedback.
We have also observed that haptic feedback may change user’s perception of the
audiovisual content, especially if the meaning of the video is ambiguous. For instance
one cannot see a bike in the bike sequence although a head of a horse is visible in the
horse sequence as well as a part of a car in the two car sequences. During the experiment
a participant thought that the bike sequence represented a buggy riding video because
he felt that the haptic feedback (Realistic Feedback condition) was closed to his ownChapter conclusion 97
buggy driving experience. Thus it appears that users build a mental representation of
the multimedia content consistent with their own experience, and it is interesting to
see how haptic feedback can influence this representation when audiovisual content is
ambiguous.
Another interesting behavior was observed while participant experienced video enriched
with random feedback. Most of them tried to find a meaning for this haptic
feedback, from their own personal experience. This observation may explain higher
QoE for random feedback than for no feedback. The phenomenon was particularly
highlighted in the Car Turning and Car Braking conditions. Several participants supposed
that the haptic feedback was mapped to the gear shift of the car. This can also
explain why QoE for Random Feedback in these two conditions is better than in Bike
and Horse conditions.
Finally participants reported in the post-test questionnaire to feel comfortable all
along the experiment although the position of the arm and the hand-grip were reported
as quite uncomfortable. This setup is obviously not suitable for watching a two-hour
movie but is suitable in a previewing context.
This first user study yielded interesting results for designing motion effects. Therefore,
research efforts are necessary to determine when the user perceives a haptic feedback
as consistent or not with an audiovisual content. This will help to finely design
effects necessary to trigger an immersion feeling. The evaluation of the two other editing
methods is also necessary. A usability study should be conducted to evaluate the
strengths and weaknesses of each method.
5.3 Chapter conclusion
This chapter introduces the H-Studio, a new authoring tool to create haptic and motion
effects for audiovisual content. Three methods are proposed for the edition of motion
effects. The first method enables the manual edition of motion parameters (acceleration
and rotation speed) thanks to a force-feedback device. The second method allows to
directly draw a trajectory using this device. The trajectory represents the motion effect.
The third method consists in the import of real motion captures. Such captures can be
performed by a new device we proposed, allowing to record both audiovisual content
and motion effects. The authored effects may be easily previewed, which enables an
iterative design process. Our playback system relies on a force-feedback device to make
the user feel the motion effects while watching the video.
Finally we have conducted a user study and presented a questionnaire to evaluate
users’ quality of experience when previewing captured effects. Results show that the
user experience increases with a realistic haptic feedback. Besides they bring useful
insights for designing motion effects.
This new tool could simplify the creation of haptic-audiovisual content. This brings
a new way to experience multimedia content and can enhance many viewing contexts
such as movies, extreme sports videos or video games.98 Chapter 5Chapter 6
Toward haptic cinematography:
enhancing movie experience with
haptic effects based on
cinematographic camera motions
Contents
6.1 Haptic cinematography . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
6.1.1 Taxonomy of haptic effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
6.1.2 Camera effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
6.1.3 Haptic effects based on camera effects . . . . . . . . . . . . . 102
6.2 Proof-of-concept . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
6.2.1 Audiovisual content . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
6.2.2 Haptic device: the HapSeat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
6.2.3 Cinematic model . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
6.2.4 Semantic model . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
6.2.5 Haptic rendering . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
6.3 User study . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
6.3.1 Experimental plan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
6.3.2 Procedure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
6.3.3 Results . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
6.4 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
6.5 Chapter conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Today, haptic-audiovisual (HAV) where users see, hear and physically feel the content,
is mostly experienced in “4D cinemas” or amusement parks. But new devices are
developed to bring this technology to consumers. A typical example is the seat developed
by the D-Box company. With the provision of new haptic devices, appears the
99100 Chapter 6
necessity to create new HAV contents, and to design new modalities for the creation of
haptic effects. Haptic effects often represent physical events occurring in an audiovisual
scene. However many other aspects could be enhanced.
In this chapter, we propose to consider haptics as a new component of the filmmaker’s
toolkit. We dubbed this approach Haptic Cinematography. A taxonomy of
haptic effects that classifies potential haptic effects for audiovisual content and the
context in which they may be used is first presented in section 6.1. Among the possible
effects, the coupling of haptic effects with cinematographic camera motions has not
been addressed. Hence we introduce a new type of haptic effect related to camera motions
(referred as camera effects) that are used by movie makers to convey meaning or
to create emotion. We propose two models to render camera effects on haptic devices.
The first model is designed to make the viewer feel the movement of the camera, the
second provides a haptic metaphor related to the semantics of the camera effect. The
proof-of-concept is described in section 6.2, followed by the user study in section 6.3.
Discussion and conclusions are provided in sections 6.4 and 6.5.
6.1 Haptic cinematography
Cinematography encapsulates both the art of making movies and the associated techniques
(camera work, staging, lighting, sound, montage, etc.) [TB09]. In order to
improve users’ experience, many others effects have been added: special visual effects,
spatialized sound, 3D technology, etc and we believe that haptics should also be included
in the filmmaker’s toolkit.
We introduce the concept of Haptic Cinematography which represents the techniques
to create haptic effects in order to produce a HAV content and organize effects in a
taxonomy (see Figure 6.1).
6.1.1 Taxonomy of haptic effects
A parallel can be drawn between the role of haptic effects and the one of audio in
movies: audio is used for increasing the realism (sound effects) but also to create
ambiance (music). These two categories of audio content are known as diegetic sounds,
a sound for which the source belongs to the diegesis (the recounted story), and nondiegetic
sounds, a sound for which the source is neither visible nor implied in the action,
typically such as a narrator’s comment or mood music [TB09]. In a similar way, haptic
effects can be classified into diegetic and non-diegetic effects.
Diegetic haptic effects can enhance physical events happening (and usually visible)
in the audiovisual content in a similar way to how haptic effects are used in virtual
reality applications. Two subcategories may be identified: local or global. Local effects
are associated to one object in the scene: e.g. force-feedback [OO03] or vibrations
[KCRO10] related to events occuring with an onscreen character or vibrations representing
the position of the ball in the soccer game [uR08]. Global effects refer to effects
related to the environment. This could be vibrations associated to an earthquake in aHaptic cinematography 101
Haptic
Effects
Diegetic
Global Environment
Local
Object
Actor
First-person POV
NonDiegetic
Camera
Focal
Length
Zoom
Vertigo
Physical
Movement
Panning
Tilting
Crane
Shot
Traveling
Arcing
Editing
Cut
Fade
Dissolve
Pacing
Wipe
Sound
Music
Effects
Voiceover
Context
Ambiance
Emotion
Figure 6.1: Taxonomy of haptic effects for audiovisual content. Items in boxes are
categories and those linked with dash lines are examples.
movie or a system allowing users to touch the objects within the scene (see Cha et al.’s
touchable TV [CES09]).
Non-diegetic effects refer to elements not attached to the fictional world depicted
by the story. Davenport et al.’s have proposed a model of the shot which includes
non-diegetic elements [DSP91]. From this model, we identified four categories of nondiegetic
haptic effects. The first category of effects is related to non-diegetic sounds
(i.e. music, voice-over, etc.). Here haptic effects would highlight particular sound effects
or music [LC13]. In a second category, haptic effects underline the context, i.e. the
ambiance or emotion (Lemmens et al.’s jacket [LCB+09]). More generally the design
of such effects would take advantage of research results in affective haptics to convey
emotion through haptic feedback [TNP+09]. A third category contains effects related to102 Chapter 6
the camera parameters, focal length and physical movement, which are used by movie
makers to achieve visual effects. Editing techniques could be used in a similar way.
The editing process is another tool employed by movie makers to convey emotion or
meaning [TB09]. For example the “pacing”, the rhythm due to the succession of shots,
may create tension. A haptic effect could follow this rhythm to increase the tension.
To the best of our knowledge, no work relied on the camera or editing to create
haptic effects. Similar techniques may exist in the field of virtual reality where the
user can manipulate the camera. But our proposal fundamentally targets a different
context: the association of haptics to cinematographic elements. There is no interaction
and the aim is more to increase the cinematic experience than only moving the
user’s point of view. These cinematographic techniques are intensively used to convey
meaning or emotion. Our hypothesis is that haptic feedback may underline these effects
and therefore improve the quality of the video viewing experience. To illustrate this
approach we focus on enhancing camera effects with haptic effects.
6.1.2 Camera effects
A camera effect consists in modifying the camera parameters such as the position of
the camera or the focal length to obtain a specific visual effect [TB09]. If there is no
strict rule, camera effects are generally associated to a specific purpose. For example,
the “Vertigo” effect, also known as “Dolly Zoom”, has been democratized by Alfred
Hitchcock in his Vertigo movie released in 1958. This effect is a combination of a zoomout
and a forward movement of the camera. The result is that the environment around
the framed object is being distorted, which induces a sensation of vertigo.
We identified seven main representative camera effects from the cinematography
literature [Mas98, TB09]: three movements (Crane Shot, Arcing and Traveling), two
rotations (Dutch Angle and Tilting), one modification of the field of view (Zoom) and
Vertigo. Table 6.1 describes how they are created and the purpose for which they are
commonly employed.
6.1.3 Haptic effects based on camera effects
We designed haptic effects to underline the visual effects achieved by the camera motions:
the vertigo sensation of the Vertigo effect, the feeling of instability triggered by
a Dutch Angle or the movement of the camera during a Traveling.
We proposed two different models to render haptic effects based on camera effects.
The first one aims at making the user feel the movement of the camera (a zoom is
considered as a forward movement). This model is called Cinematic Model. We assume
that information about the position, pose and field of view of the camera is available and
can be used to drive a haptic device. The second model renders a haptic effect which
is related to the purpose of the cinematographic effect (see Table 6.2). We dubbed
this model Semantic Model. In this case the effect is manually authored and would be
designed as a metaphor for the cinematographic effect.Proof-of-concept 103
Camera Effect Description Purpose Camera
Parameter
Crane Shot Vertical movement such
as a lift-off
Feeling of omniscience
over the characters
yc, φc
Dutch Angle Tilting to a side Underline physiological
uneasiness or tension
ψc
Arcing Circle movement
around the framed
object
Increase the importance
of the scene
xc, zc, θc
Traveling Lateral movement Follow an object or actor
xc
Tilting Rotation in a vertical
plane from a fixed position
End with low angle:
feeling of inferiority regarding
the framed object
φc
Zoom-in Modification of the focal
length
Attract attention toward
an object
γc
Vertigo Zoom-out while the
camera moves forward
Sensation of vertigo or
strangeness
zc, γc
Table 6.1: Cinematographic camera effects. They are typical movements along one
or more degrees of freedom and/or a modification of the focal length and they are
usually associated to a specific meaning [Mas98, TB09]. The last column indicates
which parameters of Equation 6.1 are modified in order to generate the effect.
Both models convert the camera effect into a haptic feedback. Then their implementation
depends on the targeted haptic device. But the concept is applicable to any
type of haptic device: force-feedback devices, tactile devices or even motion platforms.
6.2 Proof-of-concept
To evaluate the relevance of our approach, we have created seven video sequences illustrating
the camera effects listed in Table 6.1. Then our two models were implemented
and designed to render effects on the HapSeat, a novel haptic device which simulates
sense of motion (see Chapter 3).
6.2.1 Audiovisual content
As already mentioned in the related work section, there are several ways to generate a
video augmented with motion data: camera properties may be captured during production,
they may be extracted from metadata in the AV content or they may be computed
from image processing algorithms [Tho06].
Here a 3D engine has been used to generate video sequences illustrating the seven104 Chapter 6
camera effects. We used a classical camera model to represent the position of the
camera in space (Cartesian coordinates xc, yc, zc), its orientation (three Euler angles
φc, θc, ψc) and the value of its field of view, γc, for each instant t [CON08]:
C
t = [xc, yc, zc, φc, θc, ψc, γc]
t
(6.1)
The 3D scene shows two characters animated with an idle behavior in a building
(see Figure 6.2). The scene is voluntarily neutral to highlight the camera effect and
to avoid potential distracting elements. The cinematographic effects were produced by
modifying the camera parameters. For example a Traveling is a modification of the xc
parameter or a Tilting is a change of the φc parameter (see Table 6.1). The duration of
a sequence was seven seconds: the camera stayed still for the first second, then camera
parameters were modified in a way to produce a continuous effect during five seconds
and finally it stayed still again for one second (hence reproducing the classical usage of
cinematographic camera motions in movies). The screenshots of the created sequences
are available in appendix C.
Figure 6.2: Screenshots of the Crane Shot sequence. The viewpoint displayed at the
beginning of the sequence is modified by the movement of the camera (from left to right
pictures).
6.2.2 Haptic device: the HapSeat
Haptic effects were rendered on the HapSeat (see Chapter 3). In the remainder of this
chapter the following notation is used. The actuators near the head, left hand and
right hand are labeled H, LA, and RA. Their central positions in their workspaces are
named respectively GH, GLA and GRA, G being the center of the space. The size of
the workspace of one actuator is 10×10×10 cm.
6.2.3 Cinematic model
The purpose of this model is to mimic the movement of the camera for which all
parameters are available. It is an extension of the Geometrical model described in
Chapter 3. The command law to control one local actuator A is formulated in terms
of displacement from its initial and central position GA to the new position G′
A
:
−−−−→
GAG
′
A = f(T , ~ R, ~ F~ ) (6.2)Proof-of-concept 105
where
f(T , ~ R, ~ F~ ) = kT~kT~ + kR~ kR~ + kF~ kF~
kT~k + kR~ k + kF~ k
(6.3)
and
T~ =
kx 0 0
0 ky 0
0 0 kz
xc
yc
zc
(6.4)
R~ = (Rx(mxφc(t))Ry(myθc(t))Rz(mzψc(t)) − I3)
−−−→ GGA) (6.5)
F~ =
0 0 0
0 0 0
0 0 sz
0
0
γc
(6.6)
The function f is the combination of three vectors T~, R~ and F~ which respectively
uses the positions, pose and focal length parameters of the camera model (Equation 6.1).
kx, ky, kz, mx, my, mz, sz are some scaling factors to map the motion of the camera
in the workspace of the actuator. Rx, Ry and Rz are the 3D rotation matrices around
their respective X, Y and Z axes and I3 is the identity matrix of R3
.
From this equation, the new application points G′
H, G′
LA and G′
RA are computed
from the initial points GH, GLA and GRA. The scaling factors are computed to use the
workspace of each actuator in an optimal way, by finding a compromise to avoid any
saturation while using the largest space available. The computation of those scaling
factors is performed by a preprocessing step consisting in finding the maximal amplitude
of displacement rendered by the three different actuators.
The output of this model is specific in the case of the Vertigo effect. The effect
is composed by a combination of a forward movement (input of Equation 6.4) plus a
zoom-out (which is considered as a backward movement by Equation 6.6). Thus the
model produces no movement for this effect. For the other cases the user will follow
the movement of the camera described in Table 6.1: for the Zoom-in, the user feels a
forward movement (see Figure 6.3); for the Dutch Angle, the user feels a rotation (left
actuator goes down while the right one goes up); for the Traveling, the user feels a
lateral movement; etc. The output for all the sequences is provided in appendix B.
6.2.4 Semantic model
The second model aims at evoking the purpose of the camera effect. For example, the
Dutch Angle is often used to show that something strange is happening (Table 6.1).
The associated haptic effect should therefore highlight this sensation of strangeness.106 Chapter 6
Camera Effect Metaphor Description Implementation
Crane Shot Flying away User feels several
up and down movements
as a bird
taking off.
Actuators are going
up then down
with an increasing
intensity.
Dutch Angle Instability User sways from left
to right, as on a boat.
Left actuator
goes up while the
right one goes
down and vice
versa.
Arcing Intensification User’s hands are getting
closer in a movement
to represent a
concentration.
All actuators are
moving towards
the center G.
Traveling Crab walk Hands movement
mimic a crab walk
following the camera
movement.
Right actuator
move toward
the right. Then
it slightly goes
back to its initial
position while
the left actuator
move toward the
right. And so on.
Tilting Inferiority User’s hands and
head go down to
make the user feel
smaller than the
framed object.
All actuators go
down.
Zoom-in Walk forward User’s hands movement
mimic a forward
walk.
Similar to crab
walk except that
the actuators
move forward.
Vertigo Vertigo User’s hands move
away from each other
as if the environment
is being extended.
All actuators
are moving away
from the center
G.
Table 6.2: Semantic model. Description of haptic metaphors for camera effects.
Different types of movements were designed to explore the potential of haptic feedback
for camera effects. The haptic effects have been designed with a home-made editor
allowing us to determine the position G′
A
of each actuator in time (the H-Studio, see
Chapter 5). The metaphors were rendered as linear movements for the Arcing, Tilting
and Vertigo while more dynamic patterns were used for the other sequences. MoreoverProof-of-concept 107
with the individual motions of each actuator, we created more complex sensations than
the Cinematic model.
Figure 6.3 shows the difference between the two models for the Zoom-in sequence.
Table 6.2 describes these haptic effects dedicated to the HapSeat and what the user is
supposed to feel. The implementation of each metaphor is provided in appendix B.
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Cinematic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Semantic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
Figure 6.3: Output of the models for the Zoom-in sequence (position of each actuator).
With the Cinematic model (left), the user feels a global forward movement. With the
Semantic model (right), a walk forward is simulated. Movements of the left and right
actuators are desynchronized.
6.2.5 Haptic rendering
The models provide, for each instant t of the simulation, the target position G′
A
(namely
G′
H, G′
LA and G′
RA) for each actuator A (namely H, LA and RA).
Most force-feedback devices (such as the Novint Falcons) are impedance haptic
devices, and the position of the actuator is thus not directly controllable. Indeed this
kind of device is designed to sense the current position of the actuator and to provide a
force feedback to the user. A spring-damper model is thus used to control these devices
in pseudo-position. The force F~A applied to an actuator A is computed by:108 Chapter 6
F~A = k(G~′
A − P~A) − dV~A (6.7)
where G~′
A
is the targeted position, P~A the current position of the actuator, V~A its
velocity, k the spring constant and d the damping constant.
A haptic-audiovisual player has been developed to play back both video sequences
synchronized with haptic feedback. The haptic loop runs at 1KHz and the value of the
force F~A is updated at each instant t.
6.3 User study
A user study was conducted to evaluate the influence of our haptic effects on the
quality of experience (QoE [Jai04, Kil08]), i.e. the subjective user’s experience with
haptic-audiovisual content. Our hypothesis is that a movie enhanced with our haptic
effects provides a better user experience than with a regular movie.
Thirty-eight participants took part in this experiment, aged from 14 to 53 (¯x=36.39
σx=10.47). Nine were female, 3 left-handed and 9 already used a Novint Falcon. None
of them was an expert user of force-feedback devices or motion platforms.
6.3.1 Experimental plan
To evaluate the impact of our models on the QoE, we used four types of haptic feedback.
1. Cinematic Feedback: haptic feedback computed using the Cinematic model
2. Semantic Feedback: haptic feedback computed using the Semantic model.
3. No Haptic Feedback: only the video was displayed, the actuators remained in
the center of their workspace.
4. Random Feedback: haptic feedback computed from a low-pass filtered white
noise (cutoff frequency Fc = 0.5Hz).
The No Haptic Feedback corresponds to a regular movie viewing session and serves
as a control condition to show how the others feedback modify the QoE. The Random
Feedback, not synchronized with the video, is used to evaluate the influence of a
synchronous feedback on the QoE.
To compare the models we selected a pairwise comparison method: for each video
sequence, every feedback was compared against all the others. This led to 6 couples
of haptic feedback per sequence (except for the Vertigo where the Cinematic feedback
is equal to the No Haptic Feedback. There were 3 couples in this case). For our 7
sequences, we obtained a total of 6 × 6 + 3 = 39 couples (conditions). In order to avoid
effect order, the inverse of each couple had also to be tested. Therefore each participant
tried 78 conditions.User study 109
6.3.2 Procedure
The duration of the study was about 30 minutes, the participant was comfortably
installed on the HapSeat (see Figure 6.4). The experiment included a training phase
in which the participant experienced the seven videos associated to one of the four
haptic feedback (randomly chosen). Then the 78 conditions were presented in a random
order. Participants were allowed to take a break at any time. For a condition, the
participant experienced one video plus an associated haptic effect, then the same video
plus a different haptic effect. The requested task was to select the favorite sequence
by pressing a button. The next condition was then automatically started. Finally
a post-test questionnaire was submitted to collect more information about the user’s
experience.
Figure 6.4: Experimental Setup, front view (left) and back view (right). The participant
experiences haptic effects while watching a video.
The video sequences were made short, seven seconds, to prevent the experiment
from being too long and too tiring for the participants. A pilot study was conducted to
make sure that the duration of each video sequence was enough to complete the task.
6.3.3 Results
A point was given to a model each time it was chosen by a participant (scores were
normalized from 0 to 1 the maximum score). The scores are displayed in Figures 6.5
and 6.6. Scores are denoted by S
Y
X with X for the model and Y for the sequence. The
normality of the distributions cannot be assumed according to the Shapiro-Wilk test.
Hence non-parametric tests were used to analyze these results: Friedman Anova and
Wilcoxon test with Holm-Bonferroni correction (see tables 6.3 and 6.4).110 Chapter 6
The main result is that the haptic feedback computed from the Cinematic model
improves the QoE (Friedman Anova: p < 0.05). The score for this model is significantly
higher than the score for the None condition (S
All
C = 0.78 > SAll
N = 0.5, Wilcoxon:
p < 0.05). The score for the Random condition is significantly lower than the others
(Wilcoxon: p < 0.05) which would mean that a haptic feedback not consistent with the
video sequence decreases the QoE. Interestingly the haptic feedback provided by the
Semantic model is not significantly different from the None condition (S
All
S = 0.51 ≈
S
All
N = 0.5, Wilcoxon: p > 0.05). But this a priori equality requires a deeper analysis.
0
0,2
0,4
0,6
0,8
1
QoE for all sequences
Cinematic Random None Semantic
Score
Figure 6.5: Average results for all sequences. The Cinematic model improves the
quality of experience compared to the None condition.
Sequence
Model
Arcing Crane
Shot
Dutch
Angle
Tilting Traveling Vertigo Zoom All
Cinematic 0.82 0.93 0.88 0.75 0.89 n/a 0.84 0.78 x¯
0.17 0.11 0.14 0.20 0.12 n/a 0.20 0.24 σx
Semantic 0.65 0.34 0.36 0.73 0.43 0.58 0.46 0.51 x¯
0.18 0.13 0.15 0.23 0.19 0.11 0.21 0.22 σx
Random 0.14 0.13 0.15 0.12 0.13 0.07 0.09 0.12 x¯
0.23 0.21 0.20 0.15 0.16 0.14 0.14 0.18 σx
None 0.40 0.61 0.61 0.40 0.56 0.36 0.61 0.50 x¯
0.19 0.21 0.24 0.20 0.20 0.13 0.25 0.23 σx
F. Anova
73.9407 83.6925 78.1257 76.0279 84.0592 57.3099 74.2951 446.7869 χ
2
3 3 3 3 3 2 3 3 df
6.11e−16 2.2e−16 2.2e−16 2.2e−16 2.2e−16 3.59e−13 5.13e−16 2.2e−16 p
*** *** *** *** *** *** *** *** sig.
Table 6.3: Means (¯x) and Standard deviations (σx) of the score in percent, for each
model with respects to each sequence. A Friedman Anova (χ
2
, df, p.value) has been
performed on each sequence.Discussion 111
The scores for each model and for each sequence are depicted in Figure 6.6. The
tendency observed previously is still valid: the score for Cinematic model is higher
than None which is higher than Random. Except for the Vertigo sequence where the
Cinematic model is not applicable in the sense that it provides the same feedback
as the None condition. Scores for the Semantic and None conditions are different
though. Haptic feedback from the Semantic model provides a higher QoE for the
Vertigo, Arcing and Tilting sequences (Wilcoxon: p < 0.05). For the Tilting sequence,
it is not significantly different from the Cinematic condition (S
T i
S = 0.73 ≈ S
T i
C = 0.75,
Wilcoxon: p > 0.05). Otherwise the score is lower than the None conditions for the
other sequences (Wilcoxon: p < 0.05).
Arcing Cinematic None Random Crane S. Cinematic None Random
None 1.4e
−10
- - None 1.4e
−09
- -
Random 3.6e
−11 1.1e
−05
- Random 2.2e
−12 6.5e
−08
-
Semantic 0.00011 1.1e
−06 1.5e
−09 Semantic 1.2e
−13 3.5e
−07 2.4e
−07
Dutch A. Cinematic None Random Tilting Cinematic None Random
None 2.2e
−06
- - None 1.0e
−08
- -
Random 6.7e
−12 6.3e
−08
- Random 1.3e
−11 1.0e
−06
-
Semantic 2.4e
−12 1.8e
−05 1.8e
−05 Semantic 0.83 1.0e
−06 1.6e
−11
Traveling Cinematic None Random Vertigo None Random
None 7.6e
−10
- - Random 2.4e
−09
-
Random 5.1e
−13 4.6e
−09
- Semantic 1.2e
−09 8.3e
−13
Semantic 2.7e
−11 0.0012 1.9e
−08
Zoom Cinematic None Random All Cinematic None Random
None 9.2e
−06
- - None < 2e
−16
- -
Random 1.3e
−13 9.4e
−11
- Random < 2e
−16 < 2e
−16
-
Semantic 1.0e
−09 0.0044 2.8e
−10 Semantic < 2e
−16 0.61 < 2e
−16
Table 6.4: Pairwise comparison of each model for each sequence using Wilcoxon test
with Holm-Bonferroni correction.
6.4 Discussion
Our results suggest that haptic feedback related to camera effects improves the quality
of video viewing experience. Besides, the haptic feedback has to be well-designed
otherwise the QoE is decreased such as with the Random feedback. Haptic effects
directly related to the camera movements (i.e. computed from Cinematic model) seem
relevant for all sequences while a metaphoric approach manually created with strong
hypothesis (i.e. Semantic model) is successful for particular cases.
In this study the Semantic model was preferred to the None condition for three
sequences out of seven. The metaphors for these sequences (Arcing, Tilting and Vertigo)
were rendered as linear movements while the others were non linear. As the movements
of the camera were also linear, we think that the dynamic between the visual stimulus
and the haptic feedback is important for users. A huge difference would lead to a feeling
of desynchronization. This point may be confirmed by the results of our previous studies
(see Chapters 3 and 5): the Random feedback was preferred to the None feedback with112 Chapter 6
Crane Shot Dutch Angle Traveling Zoom Vertigo Arcing Tilting
0
0,2
0,4
0,6
0,8
1
QoE per sequence
Cinematic Semantic Random None
Score
Figure 6.6: Detailed results for all sequences. Score for Semantic model is higher than
the score for None for Vertigo, Arcing and Tilting sequences. Score for the Cinematic
model is always the highest.
first-person point-of-view video sequences of dynamic events (horse ride, bike ride, car
drive). In this case, this feedback was not perceived as totally incoherent.
We have also observed that the direction of the movement of the actuators seems
to less impact the QoE. For the Tilting sequence the output of the Cinematic model is
a backward rotation while the output of the Semantic model is a downward movement
of all actuators. Directions are different but both were equally appreciated.
Interestingly the metaphors are recognized by several participants. They reported
in the post-test questionnaire something similar to a “foot walk” or a “crab walk” for
the Zoom-In and Traveling sequences. Some of them even recognized the “flying away”
metaphor for the Crane Shot sequence. This would mean that the semantics associated
to these effects is understood. However they reported that these haptic effects are not
easy to interpret because of the lack of context. According to them, this would work
for first-person point-of-view videos or video games where the audience can assume
being the main character. Moreover cinematographic effects like the Dutch Angle are
designed to be uncomfortable for the user, so the related haptic metaphors are not
inclined to be chosen over a None feedback.
From these observations we would say that (1) the visual feedback determines the
context (dominance of visual over haptic modality). Then (2) the haptic feedback may
be perceived as coherent if its dynamic is similar to the visual motion, but (3) it seems
unnecessary to follow the same direction. Hence haptic effects should start and stopChapter conclusion 113
with the visual stimulus (synchronization) and respect its dynamic (coherence). Deeper
investigations are required to determine precise thresholds of the haptic perception in
multimedia context, but these results represent a first step in the provision of guidelines
for haptic designers.
6.5 Chapter conclusion
In this chapter we exploited the potential of haptics which we considered as a new
medium, equivalent to image and sound. We introduced the notion of Haptic Cinematography
and we proposed a taxonomy of haptic effects for audiovisual content.
More precisely a new kind of haptic effects based on cinematographic camera motions
was detailed. These cinematographic techniques are extensively used by movie makers
to create emotion or ambiance. We believe that haptic feedback can underline these
techniques and enhance the video viewing experience.
We proposed two models to render such haptic effects: the Cinematic model where
parameters of the camera are directly used to make users feel the movement of the
camera, and the Semantic model based on metaphors reproducing the meaning usually
conveyed by the motion of the camera. These two models were implemented on the
HapSeat.
A user study was conducted to evaluate the relevance of this approach. Results
showed that the haptic feedback computed with our models improves the quality of
experience while a random haptic feedback decreases it. More precisely the Cinematic
model is well adapted to all sequences while the Semantic model seems effective for
specific conditions. In addition, effects should be designed according to the dynamic
of the camera movement but the direction of the haptic and camera motions may be
different.114 Chapter 6Chapter 7
Conclusion
In this Ph.D. manuscript we studied the potential of haptic feedback for enhancing the
audiovisual experience. The main goal was to improve the video viewing experience
by the stimulation of the haptic modality. We followed two research axes corresponding
to two fundamental challenges in the recent field of haptic-audiovisuals (HAV).
The first axis (Part I) focused on the rendering of haptic effects in video viewing
settings. The two objectives of this axis were to propose a new haptic device
dedicated to video viewing scenarios, and to adapt haptic rendering algorithms to the
haptic-audiovisual experience. The second axis (Part II) focused on the production of
haptic-audiovisual content. Two objectives were also defined: developing new tools
and techniques to enable the creation of haptic effects, and exploring combinations of
haptic feedback and audiovisual content in order to propose new haptic effects.
We first studied and presented the state-of-the-art in the field of HAV (Chapter
2). The three main challenges of HAV, namely production, distribution and rendering
of haptic effects were covered. Existing works related to each challenge were
detailed. Besides, techniques and metrics to evaluate the haptic-audiovisual experience
were presented. From this review we identified few devices providing a wide range of
sensations and suitable for video viewing settings. Research opportunities on the design
of haptic effects, as well as on the development of new authoring tools, also appeared.
In the first part of this manuscript we have studied the rendering of haptic effects in
video viewing context. We have designed a new device suitable for consumer settings
and have developed a new haptic rendering algorithm for haptic-audiovisual content.
To provide haptic feedback in video viewing scenarios, we proposed the HapSeat,
a new device to render 6DoF sensation of motion thanks to three local forcefeedback
devices (Chapter 3). These actuators, embedded in an armchair structure,
apply forces on the user’s head and hands mimicking mobile headrest and armrests. We
designed two control models to explore different ways to generate sensations of motion
with this setup. The Physical model provides the local forces supposed to be felt
during a movement, and the Geometrical model reproduces the position and attitude
115116 Conclusion
characterizing a movement. A user study showed that the HapSeat and both control
models succeed in increasing the user’s experience in passive navigation scenarios as
well as providing a realistic sensation of motion.
Then we focused on the haptic rendering for haptic-audiovisual content
(Chapter 4). Haptic effects may be designed independently from a specific haptic device,
and can happen in a noncontinuous way. To handle the rendering of such effects,
we introduce the use of a new washout filter for force-feedback devices. We relied
on a user’s body model to compute kinesthetic perception thresholds. This allows to
enhance the haptic rendering and to adapt the haptic feedback to the workspace of the
device. A user study was conducted to identify the key parameters in the design of a
washout filter. Three profiles were designed, and it appeared that the washout filter
should be adjusted depending on the user’s preference regarding the synchronization
of the effects with the video or their amplitude. The results were generalized by an
experiment on an actual short film enhanced with haptic effects.
In the second part of the manuscript we have proposed new tools and techniques
to create haptic-audiovisual content. We proposed a new authoring tool offering novel
creative perspectives to content creators and we introduced the Haptic Cinematography
which consider haptics as a medium equivalent to image and sound.
We first introduced the H-Studio, a novel authoring tool which enables the
creation of haptic-audiovisual content (Chapter 5). The tool allows the design
of motion effects and their synchronization with a video. Three editing methods were
proposed. Two methods take advantage of a force-feedback device to manually edit
motion effects: either by setting a direction and an orientation at specific instant of
the video or by directly drawing a trajectory. The third method consists in capturing
a video and the motion effects. For this purpose we developed a new input device
combining a video camera and an inertial measurement unit. Finally, this authoring
tool can render motion effects on a force-feedback device, enabling the preview of the
effects. A user study showed that the captured motion effects are perceived as realistic
and enhance the quality of the audiovisual experience.
Then we explored the potential of haptic feedback for audiovisuals through
the Haptic Cinematography (Chapter 6). We first proposed a taxonomy of haptic
effects, and we focused on the coupling of haptic feedback with cinematographic camera
motions. We introduced two models to generate such effects. The Cinematic models
make the user follow the movements of the camera, and the Semantic model provides
haptic metaphors for the camera effects. Results from the user study showed that the
direct mapping of the movement of the camera on a haptic device improves the user’s
experience. Haptic metaphors are also successfully conveyed but need to respect the
dynamic of the visual scene to be perceived as coherent.Conclusion 117
Future Work
The work presented in this manuscript leaves some questions unanswered, which could
be addressed in short-term future work. We present future research possibilities according
to our four objectives presented in the introduction of this manuscript.
New haptic device dedicated to video viewing settings
❼ Prototype. The prototype of the HapSeat stimulates the user’s head and hands.
It would be interesting to add more points of stimulation in order to increase
the user’s immersion. The stimulation of the feet or the legs could significantly
improve the setup. In the current configuration the user’s feet touch the ground
which may be contradictory with a motion effect. Also, a lack of feedback could
be felt between the force-feedback devices, reducing the sensation of a global effect
of motion. Small actuators could fill the gap between these devices, making the
haptic feedback more united. The addition of vibrating motors, in the back for
instance, would also be an interesting enhancement of the setup. The HapSeat
could be combined with the seat designed by Israr et al. for instance [IP11].
❼ Control Models. The models provide the same haptic feedback for the head
and the hands (in terms of amplitude). Results from the user studies pointed out
that the rendering applied to the head has to be managed differently than for the
hands. The movement of the actuator does not need to be large to be perceived.
Moreover vibrations applied to the head decrease the comfort of the setup. Such
effects are really immersive but have to be limited to the hands. The Physical
model could also be improved by relying on a human body model instead of a
rigid body model. The forces computed would thus be more realistic.
❼ Evaluation. Further evaluations could be conducted to finely characterize the
simulation of motion with the HapSeat. Simulation providing 6DoF motion effects
should be used to explore the full potential of the setup. Besides a comparison to
a classical motion simulator could be useful. Even if the HapSeat is not designed
to provide a strong sensation of motion, it would be interesting to identify to
what extent it could replace a motion platform.
New haptic rendering algorithm for haptic-audiovisual scenarios
❼ Optimization of the washout filter. Three profiles have been defined to tune
the washout filter. One focuses on the synchronization between the effects and the
video while the others try to preserve the amplitude of the effects. The washout
filter may be improved in order to limit the trade-off between synchronization and
amplitude. The global scaling performed by the algorithm could be replaced by
a more local and dynamic scaling. Besides user studies are required to evaluate
how users perceive the difference between amplitudes of movements. It may not
be necessary to keep the exact amplitude of the effects.118 Conclusion
❼ Cognitive washout. Further studies are required to understand the integration
of haptic-audiovisual stimuli by the user. While watching a video the user’s
attention might be focused on the screen, and therefore the kinesthetic perception
may be less sensitive. Hence the washout filter could be performed at a cognitive
level rather than a pure haptic level.
New authoring tool for creating of haptic effects
❼ Usability studies. Three methods for designing motion effects were proposed:
two methods relying on a force-feedback device to manually edit effects and one
method based on the import of motion effects from a capture device. Only this
last method was evaluated. A user study of the two others methods would also
be necessary to identify the usage for which one would be better than another.
Besides user studies should be conducted with VFX artists who may be the future
users of such a tool.
❼ Automatic Extraction. The automatic extraction of haptic effects has been
quickly addressed with the generation of vibration effects from the audio track of
the video. This feature could be adapted to the generation of motion effects from
the visual content [Tho06] or metadata (the MPEG-7 format includes information
about the camera [CSP02]). Such a feature could help the content creator to
quickly prototype a motion effect which could then be adjusted.
New haptic effects for enriching the haptic-audiovisual experience
❼ Exploring the taxonomy of haptic effects. The coupling of haptic feedback
and cinematographic camera effects was studied in details. But others effects
were proposed in the taxonomy (related to the montage, the music, etc.). Deeper
investigations could then be conducted to evaluate those effects.
❼ Combination of diegetic and non-diegetic effects. The studies in this
manuscript focused on the use of diegetic or non-diegetic effects. A combination
of these two types, as it is already done for the sound in movie, could be
worthy of study. But further investigations are required to understand how such
effects can be combined and what would be the impact on the user’s experience.
Long-Term Perspectives
In addition to the short-term future work mentioned above, this Ph.D. thesis also paves
the way for new research directions and long-term views. Some of these aspects are
described below.
Production of haptic effects
The authoring tool presented in this manuscript focuses on the edition of vibration
and motion effects. But the range of haptic sensation is much more wider, and manyConclusion 119
others effects may be included in such a haptic editor (pressure, temperature, etc.).
However the ideal editor cannot be a simple extension of the current approaches where
each haptic effect is represented by a track ([WRTH13, Kim13] and the H-Studio). The
edition of complex haptic sensation would be complex. Future research could focus on
the design of rich haptic sensations, potentially located on multiple part of the user’s
body.
In line with the edition of numerous haptic sensations, new capture devices may be
designed to record haptic effects during the shooting of the audiovisual content. For
example, data related to the temperature or the wind direction in the scene could be
recorded. Actors could also be equipped with pressure sensors. Data would then be
used to recreate the ambiance during video viewing and to increase the immersion of
the audience. With haptics considered as an actual medium, shooting a movie would
mean capturing images, sound and also haptic information.
More generally the edition of haptic effects should be integrated in the process of
movie making. From the shooting to the post-production. This could lead to the new
professional activity of “haptographers” which may be seen as an equivalent of the
existing “stereographers” specialized in 3D for movies. To reach this goal, research
on HAV should be conducted in parallel to research in cinematography. Nevertheless,
HAV is not limited to the video viewing context. Many other entertainment applications
could benefits from the contributions in this field of study. Obviously video games could
directly use the results but this may open new perspectives for education, tele-learning,
tele-contact, medical simulation, etc. [EOEC11].
Distribution of haptic effects
The issue of distributing haptic effects was not addressed in this manuscript. At the
time of starting this Ph.D. thesis, the MPEG group was formalizing the MPEG-V,
a standard defining sensorial effects (haptic but also visual and olfactory effects) for
audiovisual content. Such a standard is necessary to democratize and distribute videos
enhanced with haptic effects. Results from the new field of study of HAV will probably
highlight the limits of this young standard and also contribute to its evolution. For
example the concept of haptic metaphors presented in Chapter 6 is hardly compatible
with this format. Yet it would be interesting to describe such high-level effects.
The main challenge in the formalizing of haptic effects is to describe haptic sensations
independently from any device, while providing enough information to enable
this sensation to be generated by a mechanical device. Research has to be conducted to
map haptic sensations to haptic stimuli. For example Obrist et al. have linked tactile
experiences to vibrotactile stiumulii [OSS13]. Such results could be useful to improve
the MPEG-V or to design other standards.
Rendering of haptic effects
Research perspectives in the rendering of haptic effects can be seen from hardware and
software point-of-views. Today haptic hardware provides only one type of sensation120 Conclusion
(force, vibration, pressure, etc.), localized on a specific part of the body (usually the
hand). Yet a haptic experience is a full-body experience resulting from multiple sensations
at a time. The potential of the sense of touch is thus not fully exploited. Research
on the haptic perception is required as well as research in mechanical engineering to
enable the development of new devices.
On the software side, haptic rendering algorithms should handle the variety of haptic
devices. The work presented in this manuscript focused on one type of video viewing
context, where the user is comfortably seated (home cinema or movie theater). But
movies are now consumed on TV, computers, tablets or even mobile phones. The video
is already adapted to the screen resolution to optimize the user experience [CLM08].
In a same way, haptic rendering could adapt the generation of haptic effects according
to the devices available. A motion effect will be then rendered differently if the video
is watched in a 4D theater equipped with motion platforms, at home on a HapSeat or
on a mobile phone embedding a vibration motor.
Evaluation of the quality of experience
In this manuscript, the quality of experience was systematically evaluated for every
contribution proposed. It appeared however that the QoE with haptic-audiovisuals is
difficult to characterize and there is a lack in the literature on this new topic. The
QoE is mostly evaluated through questionnaires which are relevant for collecting the
subjective user’s experience. The capture of physiological data could be an interesting
technique to collect a more objective measure.
In a first approach to evaluate the QoE, we identified several components of the QoE
(Realism, Sensory, Comfort and Satisfaction). User studies are needed to evaluate these
factors. The next step would be to build a model of the haptic-audiovisual experience.
Such an approach is proposed by Hamam et al. through a taxonomy of items composing
the QoE with haptic applications [HESG08]. Furthers studies are required to validate
these factors and to determine how much each of them contribute to the QoE.
Such a model should not be limited to the simple addition of haptics to audiovisuals
though. Research is currently conducted on the evaluation of the quality of the video
viewing experience augmented with other cues such as 3D [HTBLC11] or sensorial effects
[WT10]. Eventually the model of the QoE should include all these effects. But
there is still a lot to do in each field of study to understand how each individual cue impacts
the QoE. Therefore merging of all the effects in order to design a complete model
of the quality of the video viewing experience will probably bring new and interesting
challenges.
A lot of work remains to be done in order to make HAV a mature technology.
Nevertheless the recent research results and technology developments assess the growing
interest in this new field of study. There is no doubt that haptics has the potential to
enhance the audiovisual experience and will be used to create more and more immersive
applications. We hope that the work presented in this manuscript is a first step along
this ambitious path.Appendix A
Haptic Effects Used in Chapter 4
(Washout Filter)
121122 Haptic Effects Used in the User Study of the Washout Filter
0 2 4 6 8 10 12 14
-0,05
-0,04
-0,03
-0,02
-0,01
0
0,01
0,02
0,03
0,04
0,05
T0 T1
Time (s)
Position (m)
0 2 4 6 8 10 12 14
-0,05
-0,04
-0,03
-0,02
-0,01
0
0,01
0,02
0,03
0,04
0,05
T2 T3
Time (s)
Position (m)
Figure A.1: Haptic effects for the sequence S1. The curves show the positions of an
actuator according to the profile selected (T0, T1, T2 or T3). Three effects have been
designed here.Haptic Effects Used in the User Study of the Washout Filter 123
0 2 4 6 8 10 12 14
-0,05
-0,04
-0,03
-0,02
-0,01
0
0,01
0,02
0,03
0,04
0,05
T0 T1
Time (s)
Position (m)
0 2 4 6 8 10 12 14
-0,05
-0,04
-0,03
-0,02
-0,01
0
0,01
0,02
0,03
0,04
0,05
T2 T3
Time (s)
Position (m)
Figure A.2: Haptic effects for the sequence S2. The curves show the positions of an
actuator according to the profile selected (T0, T1, T2 or T3). Four effects have been
designed.124 Haptic Effects Used in the User Study of the Washout Filter
0 2 4 6 8 10 12 14
-0,05
-0,04
-0,03
-0,02
-0,01
0
0,01
0,02
0,03
0,04
0,05
T0 T1
Time (s)
Position (m)
0 2 4 6 8 10 12 14
-0,05
-0,04
-0,03
-0,02
-0,01
0
0,01
0,02
0,03
0,04
0,05
T2 T3
Time (s)
Position (m)
Figure A.3: Haptic effects for the sequence S3. The curves show the positions of an
actuator according to the profile selected (T0, T1, T2 or T3). Five effects have been
designed.Appendix B
Output of Cinematic and
Semantic models
Output of the two models for each sequence (Cinematic on the left, Semantic on the
right). The position in meters is plotted for each actuator LA, RA and H, and for each
axis.
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Cinematic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Semantic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
Figure B.1: Arcing
125126 Output of the Cinematic and Semantic models
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Cinematic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Semantic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
1 41 81 121 161 201
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
Figure B.2: Crane ShotOutput of the Cinematic and Semantic models 127
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Cinematic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Semantic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
1 41 81 121 161 201
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
1 41 81 121 161 201
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
Figure B.3: Dutch Angle128 Output of the Cinematic and Semantic models
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Cinematic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Semantic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
1 41 81 121 161 201
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
1 41 81 121 161 201
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
Figure B.4: TiltingOutput of the Cinematic and Semantic models 129
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (mm)
time (s)
Cinematic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Semantic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (mm)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (mm)
time (s)
X Y Z
Head (H)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
Figure B.5: Traveling130 Output of the Cinematic and Semantic models
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Cinematic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Semantic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
1 41 81 121 161 201
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
1 41 81 121 161 201
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
Figure B.6: VertigoOutput of the Cinematic and Semantic models 131
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Cinematic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Semantic Model
Left Hand (LA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
Right Hand (RA)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
-0.05
-0.03
-0.01
0.01
0.03
0.05
0 1.32 2.64 3.96 5.28 6.6
Position (m)
time (s)
X Y Z
Head (H)
Figure B.7: Zoom132 Output of the Cinematic and Semantic modelsAppendix C
Video Sequences Illustrating the
Camera Effects
Figure C.1: Screenshots of the Crane Shot sequence.
Figure C.2: Screenshots of the Arcing sequence.
Figure C.3: Screenshots of the Dutch Angle sequence.
133134 Video Sequences Illustrating the Camera Effects
Figure C.4: Screenshots of the Tilting sequence.
Figure C.5: Screenshots of the Traveling sequence.
Figure C.6: Screenshots of the Vertigo sequence.
Figure C.7: Screenshots of the Zoom sequence.Appendix D
R´esum´e Long en Fran¸cais
L’importance du sens du toucher (sens haptique) a ´et´e particuli`erement ´etudi´e et apparait
ˆetre un facteur cl´e pour l’immersion de l’utilisateur dans les syst`emes interactifs.
De nombreuses interfaces haptiques permettant l’interaction physique avec des objets
distants ou virtuels ont ´et´e d´evelopp´ees et ´etudi´ees. De nos jours les technologies haptiques
sont utilis´ees dans de nombreuses applications m´edicales, robotiques ou encore
artistiques.
Les interfaces haptiques sont au contraire peu employ´ees dans les applications multim´edia.
Pourtant, en 1962 Heilig a introduit le Sensorama, un syst`eme o`u l’on pouvait
voir un film en 3D, ressentir des vibrations, du vent et sentir des odeurs [Hei62]. Malgr´e
un fort potentiel pour l’industrie cin´ematographique, la recherche et les d´eveloppements
technologiques pour l’audiovisuel se sont focalis´es sur l’am´elioration de l’image et du
son. Peu de syst`emes, tel les “cin´emas 4D”, exploitent actuellement les technologies
haptiques. Cependant le nombre d’articles mettant en avant le potentiel de ces
technologies pour le multim´edia est en constante augmentation. O’Modhrain et al.
ont d´emontr´e que les b´en´efices observ´es des interfaces haptiques dans les syst`emes de
r´ealit´e virtuelle, de t´el´eop´eration ou dans les jeux vid´eo sont transf´erables aux applications
multim´edia [OO03]. Les retours haptiques peuvent am´eliorer les sensations de
r´ealisme, d’immersion, et l’engagement de l’utilisateur dans le contenu [MTB06]. Ils
peuvent ´egalement repr´esenter plus que des ´ev`enements physiques et pourraient transmettre
de l’information ou susciter de l’´emotion. Ainsi, la combinaison de retours haptiques
et de contenus audiovisuels tend vers un nouveau medium, l’haptique-audiovisuel
(HAV [EOEC11]), avec ses d´efis scientifiques qui lui sont propres.
Ce jeune champ d’´etude introduit de nouvelles questions. Comment un retour haptique
peut-il ˆetre combin´e efficacement avec des images et du son, et comment ces retours
peuvent-ils ˆetre con¸cus? Quel type d’appareil est adapt´e pour le rendu de retours
haptiques dans un contexte cin´ematographique (cin´ema ou domicile de l’utilisateur, potentiellement
partag´e)? De plus, dans quelle mesure les interfaces haptiques peuventelles
influencer l’exp´erience audiovisuelle, et comment la qualit´e de cette exp´erience
peut-elle ˆetre ´evalu´ee?
135136 R´esum´e Long en Fran¸cais
Combiner des retours haptiques et des contenus audiovisuels: d´efis et
contexte
Les grands d´efis pour combiner des retours haptiques et des contenus audiovisuels
peuvent ˆetre organis´es en un processus de trois ´etapes: production, distribution et
rendu d’effets haptiques (voir Figure D.1). Le terme “effet haptique” est employ´e pour
d´esigner l’utilisation de retours haptiques avec un contenu audiovisuel [OO03, YAMS06,
CES09].
Audiovisual
media
Haptic
effects
Capturing
Synthesizing
Automatic
extraction Network
Screen &
Speakers
Haptic
devices
Audiovisual
renderer
Haptic
renderer
Automatic
extraction
E
N
C
O
D
E
R
E
N
C
O
D
E
R
D
E
C
O
D
E
R
D
E
C
O
D
E
R
Figure D.1: Processus pour combiner des effets haptiques `a des contenus audiovisuels.
Les effets sont produits, distribu´es et rendus en parall`ele au contenu audiovisuel.
La premi`ere ´etape consiste `a produire le contenu, c’est `a dire `a cr´eer ou g´en´erer des
effets haptiques synchronis´es avec le contenu audiovisuel. Trois techniques sont d´ecrites
dans la litt´erature: la capture et le traitement de donn´ees acquises par des senseurs,
l’extraction automatique depuis une composante du contenu audiovisuel (image, son
ou annotations), et l’´edition manuelle.
La deuxi`eme ´etape est la distribution des effets haptiques. Les technologies actuelles
permettent la distribution de masse par les r´eseaux. Les retours haptiques se doivent
d’ˆetre compatibles avec ces technologies, ce qui soul`eve la question de la formalisation
des effets haptiques.
Enfin la troisi`eme ´etape r´eside dans le rendu des retours haptiques. Un appareil
sp´ecifique doit ˆetre utilis´e pour que l’utilisateur ressente les effets. Des algorithmes
de rendu haptiques sont ´egalement employ´es pour convertir les effets haptiques en
commandes pour ces appareils.
Un dernier aspect `a consid´erer, compl´ementaire au processus et transverse `a ses
trois ´etapes, est l’´evaluation de la qualit´e de l’exp´erience de l’utilisateur (QoE). Cette
QoE peut avoir plusieurs d´efinitions [Jai04, Kil08], mais dans notre contexte est d´ecrite
comme l’exp´erience subjective de l’utilisateur avec un contenu audiovisuel.
Objectifs et approche
Ce manuscrit est divis´e en deux parties, chacune correspondant `a un axe de recherche.
La premi`ere se focalise sur le rendu des effets haptiques et la seconde sur leur production.Partie I - Rendu d’effets haptiques 137
Dans le premier axe nous nous focalisons sur le rendu d’effets haptiques dans un
contexte cin´ematographique. Peu d’appareils existent pour g´en´erer des effets haptiques
lors du visionnage d’une vid´eo, et ils sont soit encombrants et chers (simulateurs de
mouvement) ou soit limitants par leur panel d’effets r´eduit (tablettes ou manettes
avec vibreur). Ainsi le premier objectif de cet axe est de proposer un nouvel appareil
haptique d´edi´e `a un usage cin´ematographique et g´en´erant des effets haptiques immersifs.
L’utilisation d’interfaces haptiques dans un contexte audiovisuel entraine aussi de
nouveaux probl`emes au niveau des algorithmes de rendu. Les effets haptiques peuvent
ˆetre cr´e´es ind´ependamment des interfaces et doivent donc ˆetre adapt´es aux contraintes
de l’appareil utilis´e par ces algorithmes. Le deuxi`eme objectif de cet axe est alors de
proposer un nouvel algorithme de rendu haptique prenant en compte ce probl`eme.
Dans le deuxi`eme axe de recherche nous nous int´eressons `a la production d’effets
haptiques. Jusqu’`a lors, ceux-ci sont souvent con¸cu par les constructeurs d’appareils
pour “cin´emas 4D”. Ils ne sont pas r´ealis´es durant la cr´eation des contenus audiovisuels
et ne sont donc pas vraiment une composante `a part enti`ere de ces m´edia. Cependant
peu d’outils permettent la cr´eation de tels contenus. Le premier objectif de cet axe est
de proposer un nouvel outil de cr´eation de contenus haptique-audiovisuels.
Il apparait ´egalement que les effets haptiques sont souvent utilis´es pour repr´esenter
des ´ev`enements physiques (explosions, acc´el´erations, etc.). Pourtant les retours haptiques
pourraient transmettre de l’information ou susciter des ´emotions. Le deuxi`eme
objectif de cet axe est d’explorer les combinaisons haptiques-audiovisuelles et de proposer
de nouveaux effets haptiques.
Nos contributions sont d´etaill´ees par la suite, suivant les deux axes de recherche
mentionn´es pr´ec´edemment. Nous avons suivi une approche centr´ee utilisateur tout
au long de ces travaux, et nous avons con¸cu des m´etriques pour ´evaluer la qualit´e de
l’exp´erience. Nos contributions ont ´et´e syst´ematiquement ´evalu´ees dans cette th`ese.
D.1 Partie I - Rendu d’effets haptiques: nouvel appareil
et algorithmes pour rendre des effets haptiques dans
un contexte de cin´ema
Dans cette premi`ere partie de la th`ese nous nous focalisons sur le rendu d’effets haptiques.
Nous proposons premi`erement un nouvel appareil, le HapSeat, puis deuxi`emement
un nouvel algorithme de rendu.
D.1.1 HapSeat: simulation de sensations de mouvement avec plusieurs
appareils `a retour de force int´egr´es dans un si`ege
Les simulateurs de mouvement sont traditionnellement bas´es sur des plateformes de
Stewart [Das00]: une plateforme mobile grˆace `a six cylindres hydrauliques. Typiquement
le corps entier de l’utilisateur est mis en mouvement pour simuler des sensations138 R´esum´e Long en Fran¸cais
comme des acc´el´erations, des chutes ou des bosses. Ces appareils ne sont pas con¸cus
pour un usage domestique et sont assez chers pour le march´e de masse. Ainsi les
exp´eriences immersives avec des effets de mouvement sont encore limit´ees aux parcs
d’attractions ou aux “cin´emas 4D”.
D.1.1.1 HapSeat
Nous proposons un nouvel appareil pour enrichir l’exp´erience audiovisuelle avec des
effets de mouvement `a 6 degr´es de libert´e (DDL). Au lieu de bouger tout le corps
de l’utilisateur comme cela est fait traditionnellement avec les simulateurs de mouvements,
seulement trois parties du corps de l’utilisateur sont stimul´ees: les mains et
la tˆete. La perception du mouvement r´esulte de la stimulation de plusieurs parties du
corps (syst`eme vestibulaire, organes visc´eraux et syst`eme kinesth´esique [Ber00]). Notre
hypoth`ese est que les stimulations haptiques locales suffisent `a g´en´erer des sensations
de mouvement.
D.1.1.2 Impl´ementation
Pour illustrer notre concept nous avons d´evelopp´e un prototype utilisant trois bras `a
retour de force (Novint Falcons [NOV]). Ces appareils sont int´egr´es dans une structure
en aluminium en forme de si`ege (voir Figure D.2).
Aluminum
Structure
Moving
Headrest
Moving
Armrest
Seat
Figure D.2: Prototype du HapSeat. Gauche: structure du si`ege int´egrant 3 bras `a
retour de force. Droite: syst`eme en utilisation.
Nous avons ´egalement d´evelopp´e deux mod`eles de contrˆole pour le HapSeat. Le
premier mod`ele, dit mod`ele Physique, a pour but de faire ressentir `a l’utilisateur les
forces subies lors d’un mouvement. Par exemple, si une trajectoire dans un rond point
est simul´ee, l’utilisateur ressentira l’effet de la force centrifuge. Les bras `a retour de force
iront vers la droite, comme ´etant repouss´es par le rond point. Le deuxi`eme mod`ele, ditPartie I - Rendu d’effets haptiques 139
mod`ele G´eom´etrique, reproduit la position qu’aurait l’utilisateur lors d’un mouvement.
Pour reprendre l’exemple du rond point, l’utilisateur aura l’impression de tourner vers
la gauche. Le bras `a retour de force `a gauche ira vers l’arri`ere tandis que celui `a droite
ira vers l’avant.
D.1.1.3 Evaluation
Afin d’´evaluer le mouvement simul´e par le HapSeat et son influence sur la qualit´e de
l’exp´erience audiovisuelle, nous avons conduit une ´etude utilisateur. 17 participants
ont pris part `a cette ´etude. Ils devaient regarder deux vid´eos montrant un trajet en
voiture du point du vue du passager. Pour chacune des vid´eos, 4 types de retour
haptique ´etaient propos´es: un retour calcul´e par le mod`ele Physique, un par le mod`ele
G´eom´etrique, un retour al´eatoire (les bras haptiques bougeaient sans ˆetre synchronis´es
au contenu audiovisuel), et un retour nul (les bras haptiques ne bougeaient pas). La
qualit´e de l’exp´erience ´etait ´evalu´ee par un questionnaire.
L’´etude a montr´e que le retour haptique produit par le HapSeat am´eliore la qualit´e
de l’exp´erience. L’utilisateur pr´ef`ere une s´equence audiovisuelle avec un retour haptique
plutˆot qu’une s´equence classique. Aussi la synchronisation des retours haptiques avec
l’audiovisuel est n´ecessaire (un retour haptique al´eatoire n’am´eliore pas l’exp´erience
utilisateur). Aucune diff´erence significative n’a ´et´e montr´ee entre les mod`eles. Ils
contribuent ´egalement `a l’am´elioration de l’exp´erience audiovisuelle.
D.1.2 Rendu haptique pour des contenus haptique-audiovisuels bas´e
sur un filtre perceptif
Grˆace aux outils d’´editions [WRTH13, Kim13], les effets haptiques peuvent ˆetre cr´e´es
ind´ependamment des interfaces haptiques. Par exemple des effets de mouvement comme
des trajectoires ou des acc´el´erations peuvent ˆetre d´efinis. Les algorithmes de rendu
haptique doivent donc adapter ces effets `a l’interface haptique utilis´ee. Les limites de
l’espace de travail de l’interface doivent ˆetre respect´ees et les transitions entre les effets
doivent ˆetre g´er´ees.
D.1.2.1 Concept
Nous proposons un nouvel algorithme de rendu haptique pour des contenus haptiqueaudiovisuels.
Cet algorithme repose sur l’utilisation d’un filtre perceptif1
. Ces filtres
sont utilis´es dans le contrˆole des simulateurs de mouvements pour ramener l’appareil
vers le centre de son espace de travail, sans que l’utilisateur s’en aper¸coive. L’utilisation
de l’espace de travail est ainsi optimis´ee pour que l’appareil puisse g´en´erer des effets
successifs. Pour ˆetre imperceptible, ce mouvement de “remise `a z´ero” se fait donc sous
le seuil de perception de l’utilisateur (d´efini par le syst`eme vestibulaire).
Dans le contexte de l’utilisation d’un bras `a retour de force, le syst`eme vestibulaire
n’est pas sollicit´e. Le filtre perceptif doit respecter les seuils de perception du syst`eme
1Aussi appel´e Washout Filter en anglais140 R´esum´e Long en Fran¸cais
kinesth´esique (perception des mouvements des membres et des forces) pour rendre des
effets haptiques imperceptibles.
D.1.2.2 Impl´ementation
Notre algorithme a ´et´e impl´ement´e pour le HapSeat. Un mod`ele du corps de l’utilisateur
a ´et´e d´evelopp´e pour calculer les vitesses angulaires auxquelles sont soumises ses articulations.
Ces vitesses correspondent aux seuils de perception indiquant si un mouvement
est per¸cu ou non.
Trois profils de seuils de perception ont ´et´e d´efinis pour exploiter diff´erentes caract´eristiques
de notre algorithme. Le premier profil se base sur des valeurs psychophysiques
d´eterminant les vitesses angulaires minimales pour ressentir un mouvements
[Jon00]. Ces seuils sont bas (0.5 `a 1deg.s−1
) ce qui a pour cons´equence de r´eduire
l’amplitude des effets haptiques dans notre algorithme. Pour limiter ce probl`eme deux
autres profils utilisant des seuils un peu plus ´elev´es ont ´et´e d´efinis.
D.1.2.3 Evaluation
Ce nouvel algorithme de rendu haptique a ´et´e ´evalu´e par une ´etude utilisateur comptant
20 participants. Sept s´equences vid´eo associ´ees `a des effets haptiques de mouvement
ont ´et´e pr´esent´ees aux participants. Quatre rendus haptique ´etaient propos´es: trois
rendus avec un filtre perceptif (associ´es aux trois profils), et un rendu haptique sans
filtre perceptif (condition de contrˆole).
Nous avons observ´e que les participants pr´ef`erent les s´equences avec le filtre perceptif.
Plusieurs cat´egories de participant se d´egagent de cette ´etude. Certains sont sensibles
`a la synchronisation des effets haptiques au contenu audiovisuel alors que d’autres
recherchent une certaine dynamique dans les effets. Ces r´esultats sont int´eressants pour
la conception d’effets haptiques.
Enfin notre concept a ´et´e g´en´eralis´e `a une s´equence de dix minutes. Des effets
haptiques ont ´et´e ´edit´es sur le court m´etrage Sintel2
. Puis une ´evaluation informelle
a ´et´e conduite pour comparer le rendu des effets avec et sans filtre perceptif. L’´etude
montre que notre concept est applicable `a une “vraie” s´equence haptique-audiovisuelle,
et que l’algorithme de rendu am´eliore l’exp´erience utilisateur.
D.2 Partie II - Production d’effets haptiques: outils et
techniques pour cr´eer des contenus haptique-audiovisuels
Dans cette deuxi`eme partie nous nous focalisons sur la production d’effets haptiques.
Plus pr´ecis´ement nous proposons un nouvel outil d’´edition, le H-Studio, et nous explorons
le potentiel des retours haptiques pour cr´eer de nouveaux effets.
2Cr´edit: Blender FundationPartie II - Production d’effets haptiques 141
D.2.1 H-Studio: un outil d’´edition pour ajouter des effets haptiques
et de mouvement `a un contenu audiovisuel
De plus en plus de travaux proposent des syst`emes de rendu haptique-audiovisuels.
Mais les contenus pour ces nouvelles technologies sont encore difficiles `a produire. Peu
d’´editeurs existent pour faciliter cette tˆache.
D.2.1.1 H-Studio
Nous proposons un nouvel outil d’´edition pour cr´eer des effets haptiques et pour les
synchroniser avec un contenu audiovisuel (voir Figure D.3). Nous nous int´eressons plus
particuli`erement `a la cr´eation d’effets de mouvement.
L’innovation de cet outil repose dans la combinaison d’une interface d’´edition graphique
avec un bras `a retour de force. De cette fa¸con l’utilisateur peut, d’une part,
cr´eer facilement un effet de mouvement en manipulant l’appareil, et d’autre part, “previsualiser”
cet effet via cet appareil. Ainsi il peut cr´eer un effet de mouvement et avoir
un aper¸cu du rendu haptique sans pour autant avoir `a le tester sur le dispositif final,
potentiellement inaccessible (salle de cin´ema 4D par exemple).
Par ailleurs nous avons d´evelopp´e un outil de capture d’effets de mouvement, combinant
une cam´era et une centrale inertielle (acc´el´erom`etre, gyroscope et magn´etom`etre).
Un contenu audiovisuel et les informations de mouvement peuvent ˆetre ainsi facilement
captur´es, puis import´es dans le H-Studio. De cette fa¸con un effet de mouvement r´ealiste
peut ˆetre facilement con¸cu.
A/V Content
Track
Parameters of
Motion Effect
Timeline
Figure D.3: Le H-Studio. Gauche - Capture d’´ecran de l’´editeur. Droite - Un utilisateur
pr´e-visualisant un effet de mouvement.
D.2.1.2 Evaluation
Nous avons ´evalu´e le rendu des effets de mouvement captur´es sur un bras `a retour de
force. 15 participants ont pris part `a l’exp´erience. Il leur a ´et´e demand´e de regarder 4
s´equences vid´eo. Les s´equences ´etaient jou´ees 3 fois, chacune avec un retour haptique
diff´erent: un retour g´en´er´e d’apr`es les effets de mouvement captur´es, un retour al´eatoire142 R´esum´e Long en Fran¸cais
et un retour nul. Les participants devaient ´evaluer les s´equences haptique-audiovisuelles
via un questionnaire.
Nous avons observ´e que les effets de mouvement captur´es am´eliorent la qualit´e de
l’exp´erience audiovisuelle (par rapport `a une s´equence sans effet ou avec des effets
al´eatoires). Par ailleurs l’utilisation d’un bras haptique suffit `a donner une impression
de mouvement et `a enrichir le contenu vid´eo.
D.2.2 Cin´ematographie Haptique: am´eliorer l’exp´erience audiovisuelle
avec des effets haptiques bas´es sur des mouvements de cam´era
Dans cette derni`ere partie de th`ese nous nous sommes pench´es sur l’´etude de nouveaux
effets haptiques pour enrichir l’exp´erience audiovisuelle. En effet, les retours haptiques
sont principalement utilis´es pour souligner des ´ev`enements physiques (type explosions,
coups de feu, etc.) alors qu’ils ont le potentiel pour transmettre de l’information ou de
l’´emotion.
D.2.2.1 Concept
Nous proposons le concept de Cin´ematographie Haptique o`u les retours haptiques sont
consid´er´es comme un nouveau moyen d’expression pour les cr´eateurs de contenus. Dans
ce contexte nous introduisons une taxonomie d’effets haptiques.
Nous ´etudions plus pr´ecis´ement un type d’effet: les effets haptiques li´es aux mouvements
de cam´era. Les mouvements de cam´era (“Dutch Angle”, “Vertigo”, etc.) sont
souvent utilis´es par les r´ealisateurs de film pour transmettre une ´emotion ou une intention
particuli`ere. Notre hypoth`ese est qu’un effet haptique peut ˆetre utilis´e pour
intensifier ces mouvements de cam´era.
D.2.2.2 Impl´ementation
Nous avons impl´ement´e ce concept sur le HapSeat. Deux mod`eles ont ´et´e d´evelopp´es
pour g´en´erer des effets haptiques d’apr`es des mouvements de cam´era typiques. Le premier
mod`ele, dit mod`ele Cin´ematique, transpose directement les mouvements de cam´era
en retour haptique. L’utilisateur `a l’impression de suivre la cam´era. Le deuxi`eme
mod`ele, dit mod`ele S´emantique, g´en`ere un effet haptique qui se veut ˆetre une m´etaphore
du mouvement de cam´era. Le retour haptique a plus pour but de souligner l’intention
du r´ealisateur (un “Dutch Angle” est utilis´e pour montrer une situation instable, un
“Vertigo” pour donner une sensation de vertige, etc.).
D.2.2.3 Evaluation
Notre approche a ´et´e ´evalu´ee lors d’une ´etude utilisateur avec 38 participants. Ces
derniers devaient observer plusieurs s´equences vid´eo illustrant les mouvements de cam´era.
Pour chaque s´equence, 4 retours haptiques ´etaient test´es: un g´en´er´e d’apr`es le mod`ele
Cin´ematique, un d’apr`es le mod`ele S´emantique, un al´eatoire et un nul.Conclusion 143
Nous avons observ´e que ces nouveaux effets haptiques am´eliorent l’exp´erience audiovisuelle.
Le mod`ele Cin´ematique semble convenir dans tous les cas de figure, et les
m´etaphores du mod`ele S´emantique sont appr´eci´ees dans certaines conditions. La dynamique
du retour haptique doit ˆetre similaire `a celle de la vid´eo pour ne pas g´en´erer
un sentiment d’incoh´erence chez l’utilisateur.
D.3 Conclusion
Dans ce manuscrit de th`ese nous avons ´etudi´e le potentiel des retours haptiques pour
am´eliorer l’exp´erience audiovisuelle. Nous avons suivi deux axes de recherche. Le premier
axe correspond au rendu d’effets haptiques pour des contenus audiovisuels. Le
deuxi`eme axe correspond `a la production de contenus haptique-audiovisuels. La th`ese
est d´ecoup´ee en deux parties suivant ces deux axes.
Plus pr´ecis´ement, dans la premi`ere partie nous avons propos´e un nouvel appareil
pour g´en´erer des sensations de mouvement lors du visionnage d’une s´equence vid´eo.
Trois bras `a retour de force sont utilis´es pour stimuler les bras et la tˆete de l’utilisateur.
Une ´etude utilisateur a montr´e que ce dispositif enrichit l’exp´erience audiovisuelle et
g´en`ere une sensation de mouvement r´ealiste. Dans un deuxi`eme temps nous nous
sommes pench´es sur les algorithmes de rendu haptiques. Ceux-ci ne sont pas adapt´es `a
une utilisation dans un contexte audiovisuel o`u les effets haptiques peuvent ˆetre con¸cus
ind´ependamment de l’appareil utilis´e. Nous avons donc propos´e un nouvel algorithme
de rendu int´egrant un filtre perceptif. Une nouvelle ´etude utilisateur a ´et´e conduite et
valide notre approche.
La deuxi`eme partie de la th`ese s’est focalis´ee sur la production d’effets haptiques.
Un nouvel outil d’´edition a ´et´e d´evelopp´e, facilitant la cr´eation d’effets de mouvement.
Cet outil couple un appareil `a retour de force, un appareil de capture d’effets, et une
interface graphique. Ainsi il est possible de cr´eer facilement des effets de mouvement
et de les ”pr´e-visualiser”. Une ´etude utilisateur a montr´e l’int´erˆet d’un tel syst`eme.
Enfin nous avons explor´e les combinaisons haptique-audiovisuelles dans le but de proposer
de nouveaux effets haptiques. Plus particuli`erement nous avons propos´e des effets
haptiques bas´es sur des effets de mouvement de cam´era. Une ´etude utilisateur a aussi
montr´e la pertinence de notre concept.
Des travaux de recherche sont encore n´ecessaires pour faire en sorte que l’haptiqueaudiovisuel
devienne une technologie mature. Mais les r´ecentes contributions scientifiques
et les d´eveloppements technologiques montrent l’int´erˆet grandissant envers ce
jeune champ d’´etude. Il ne fait aucun doute que les technologies haptiques ont un
fort potentiel pour enrichir l’exp´erience audiovisuelle, et qu’elles seront de plus en
plus utilis´ees pour cr´eer des applications immersives. Nous esp´erons que les travaux
pr´esent´es dans ce manuscrit contribueront `a leur d´eveloppement.144 R´esum´e Long en Fran¸caisAuthor’s publications
Articles
Journal papers
J1. F. Danieau, A. L´ecuyer, P. Guillotel, J. Fleureau, N. Mollet and M. Christie.
“Enhancing audiovisual experience with haptic feedback: a survey on HAV”.
IEEE Transactions on Haptics, vol. 6, no. 2, pp. 193–205, 2013.
J2. F. Danieau, A. L´ecuyer, P. Guillotel, J. Fleureau, N. Mollet and M. Christie.
“Toward Haptic Cinematography: Enhancing Movie Experience with Haptic Effects
based on Cinematographic Camera Motions”, ACM Multimedia, In Press.
Conference papers
C1. F. Danieau, J. Fleureau, A. Cabec, P. Kerbiriou, P. Guillotel, N. Mollet, M.
Christie and A. L´ecuyer. “A Framework for Enhancing Video Viewing Experience
with Haptic Effects of Motion”. IEEE Haptics Symposium, pp. 541–546, 2012.
C2. F. Danieau, J. Fleureau, P. Guillotel, N. Mollet, M. Christie and A. L´ecuyer.
“HapSeat: Producing Motion Sensation with Multiple Force-feedback Devices
Embedded in a Seat”. ACM VRST, pp. 69–76, 2012.
Demonstrations
D1. F. Danieau, J. Bernon, J. Fleureau, P. Guillotel, N. Mollet, M. Christie and A.
L´ecuyer. “H-Studio: An Authoring Tool for Adding Haptic and Motion Effects
to Audiovisual Content”. ACM UIST, pp. 83–84, 2013.
D2. F. Danieau, J. Fleureau, P. Guillotel, N. Mollet, M. Christie and A. L´ecuyer.
“HapSeat: a novel approach to simulate motion in audiovisual experiences”. ACM
SIGGRAPH Emerging Technologies, 2013.
D2. F. Danieau, J. Fleureau, P. Guillotel, N. Mollet, M. Christie and A. L´ecuyer.
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1.1 Workflow for adding haptic effects to audiovisual content . . . . . . . . 12
1.2 Thesis Objectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
2.1 HAV workflow for adding haptic effects to audiovisual content . . . . . . 20
2.2 Capture of haptic data . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
2.3 Device-oriented graphical authoring tool 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
2.4 Device-oriented graphical authoring tool 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
2.5 User-oriented graphical authoring tool 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
2.6 User-oriented graphical authoring tool 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
2.7 Wearable haptic devices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2.8 Handhled haptic device 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
2.9 Handhled haptic device 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
2.10 Desktop haptic device 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
2.11 Desktop haptic device 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
2.12 Haptic seat 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
2.13 Haptic seat 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
3.1 Simulating 6DoF motion with 3×3DoF force-feedback devices . . . . . . 50
3.2 Prototype of the HapSeat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
3.3 Output of the models . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
3.4 User study . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
3.5 Haptic-audiovisual contents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
3.6 Quality of experience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
3.7 Realism factor details . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
4.1 Washout filter for haptic rendering . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
4.2 Schematic example of our washout filter . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4.3 Function K determining the speeds of the actuator . . . . . . . . . . . . 70
4.4 Performance - Time . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
4.5 Performance - Amplitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
4.6 Structure of the 15-second video sequences . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
4.7 Ranking for all sequences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
4.8 Dendrogram of the cluster analysis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
4.9 Ranking of the groups for all sequences . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
157158 List of Figures
4.10 Screenshots of Sintel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
4.11 Extract of the haptic effects for the full video . . . . . . . . . . . . . . . 80
5.1 Overview of the H-Studio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
5.2 Screenshot of H-Studio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
5.3 Overview of the device capturing both video and motion . . . . . . . . . 89
5.4 User study . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
5.5 Tests Scenarios . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
5.6 QoE of each haptic feedback and details of the components . . . . . . . 95
5.7 QoE of each sequence and haptic feedback . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
6.1 Taxonomy of haptic effects for audiovisual content . . . . . . . . . . . . 101
6.2 Screenshots of the Crane Shot sequence . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
6.3 Output of the models for the Zoom-in sequence . . . . . . . . . . . . . . 107
6.4 Experimental Setup . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
6.5 Average results for all sequences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
6.6 Detailed results for all sequences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
A.1 Haptic effects for the sequence S1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
A.2 Haptic effects for the sequence S2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
A.3 Haptic effects for the sequence S3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
B.1 Arcing . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
B.2 Crane Shot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
B.3 Dutch Angle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
B.4 Tilting . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
B.5 Traveling . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
B.6 Vertigo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
B.7 Zoom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
C.1 Screenshots of the Crane Shot sequence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
C.2 Screenshots of the Arcing sequence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
C.3 Screenshots of the Dutch Angle sequence. . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
C.4 Screenshots of the Tilting sequence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
C.5 Screenshots of the Traveling sequence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
C.6 Screenshots of the Vertigo sequence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
C.7 Screenshots of the Zoom sequence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
D.1 Processus pour combiner des effets haptiques `a des contenus audiovisuels 136
D.2 Prototype du HapSeat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
D.3 Le H-Studio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141List of Tables
2.1 List of potential haptic effects for audiovisual content . . . . . . . . . . 22
2.2 Overview of existing formats to edit and store haptic effects . . . . . . . 28
2.3 Overview of existing haptic devices used for enhancing audiovisual content 39
2.4 Summary of existing schemes for adding haptic effects to audiovisual
content . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
3.1 QoE Questionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
3.2 Results of the user study . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
3.3 Pairwise Wilcoxon tests . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
3.4 Results for questions Q1 and Q2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
3.5 Wilcoxon tests for Q1 and Q2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
4.1 Biomechanical constraints and parameters . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
4.2 Perceptual Thresholds . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
4.3 Detailed results . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
4.4 Pairwise Wilcoxon tests . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
4.5 Detailed results . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
4.6 Pairwise Wilcoxon tests . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
5.1 QoE Questionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
5.2 Detailed results . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
5.3 Pairwise Wilcoxon tests . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
6.1 Cinematographic camera effects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
6.2 Semantic model . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
6.3 Detailed Results . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
6.4 Pairwise Wilcoxon tests . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
159R´esum´e
Les technologies haptiques, stimulant le sens du toucher, sont utilis´ees depuis des ann´ees
dans des applications de r´ealit´e virtuelle et de t´el´eop´eration pour accroˆıtre l’immersion
de l’utilisateur. Elles sont en revanche tr`es peu employ´ees dans les syst`emes audiovisuels
comme les cin´emas. L’objectif de cette th`ese est d’exploiter le potentiel des retours
haptiques pour les contenus audiovisuels.
Dans la premi`ere partie de la th`ese, nous nous int´eressons au rendu d’effets haptiques
lors du visionnage d’une vid´eo. Nous pr´esentons tout d’abord un appareil g´en´erant des
sensations de mouvements `a 6 degr´es de libert´e. Au lieu de mettre tout le corps de
l’utilisateur en mouvement, comme cela est fait avec les simulateurs de mouvements
traditionnels, seulement la tˆete et les mains sont stimul´ees. Ce dispositif permet ainsi
d’enrichir l’exp´erience audiovisuelle. Nous nous int´eressons ensuite aux algorithmes
de rendu d’effets haptiques dans un contexte audiovisuel. La combinaison de retours
haptiques et de s´equences vid´eo am`ene de nouveaux probl`emes lors du rendu haptique.
Nous proposons un nouvel algorithme adapt´e `a ce contexte.
Dans la seconde partie de la th`ese, nous nous concentrons sur la production d’effets
haptiques. Premi`erement nous pr´esentons un nouvel outil d’´edition graphique. Celui-ci
propose trois m´ethodes d’interaction pour cr´eer des effets de mouvement et pour les
synchroniser avec une vid´eo. De plus, cet outil permet de ressentir les effets cr´e´es.
Ensuite nous nous penchons sur les combinaisons haptiques et audiovisuelles. Dans
une nouvelle approche nomm´ee Cin´ematographie Haptique, nous explorons le potentiel
des effets haptiques pour cr´eer de nouveaux effets d´edi´es aux r´ealisateurs de films.
Abstract
Haptic technology, stimulating the sense of touch, is used for years in virtual reality and
teleoperation applications for enhancing the user immersion. Yet it is still underused
in audiovisual systems such as movie theaters. The objective of this thesis is thus to
exploit the potential of haptics for audiovisual content.
In the first part of this Ph.D. thesis, we address the haptic rendering in video
viewing context. We first present a new device providing 6 degrees of freedom motion
effects. Instead of moving the whole user’s body, as it is traditionally done with motion
platform, only the head and hands are stimulated. This device allows thus to enrich the
audiovisual experience. Then we focus on the haptic rendering of haptic-audiovisuals.
The combination of haptic effects and video sequences yields new challenges for the
haptic rendering. We introduce a new haptic rendering algorithm to tackle these issues.
The second part of this Ph.D. is dedicated to the production of haptic effects. We
first present of novel authoring tool. Three editing methods are proposed to create
motion effects and to synchronize them to a video. Besides, the tool allows to preview
motion effects thanks to a force-feedback device. Then we study combinations of haptic
feedback and audiovisual content. In a new approach, the Haptic Cinematography, we
explore the potential of haptic effects to create new effects dedicated to movie makers.
Périodes d’int´egrales rationnelles : algorithmes et
applications
Pierre Lairez
To cite this version:
Pierre Lairez. P´eriodes d’int´egrales rationnelles : algorithmes et applications. Symbolic Computation.
Ecole polytechnique, 2014. French. ´
HAL Id: tel-01089130
https://pastel.archives-ouvertes.fr/tel-01089130
Submitted on 1 Dec 2014
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publics ou priv´es.
Distributed under a Creative Commons Attribution - ShareAlike 4.0 International LicensePIERRE LAIREZ
PÉRIODES D’INTÉGRALES RATIONNELLES
ALGORITHMES ET APPLICATIONS
thèse de doctorat
mathématiques
Thèse dirigée par Alin Bostan et Bruno Salvy, soutenue à
l’École polytechnique le 12 novembre 2014 pour obtenir le grade de
docteur en mathématiques devant le jury composé de :
Frits Beukers examinateur, université d’Utrecht
Mireille Bousquet-Mélou présidente du jury, CNRS, université de Bordeaux
Alin Bostan directeur, Inria Saclay
Gilles Christol invité, institut de mathématiques de Jussieu
Lucia Di Vizio examinatrice, CNRS, univ. de Versailles-St
-Quentin
André Galligo rapporteur, université de Nice
Mohab Safey El Din rapporteur, université Pierre et Marie Curie
Bruno Salvy directeur, Inria Rhône-Alpes, ENS Lyon
après lecture des rapports d’André Galligo, Mohab Safey El Din et :
Michael Singer rapporteur, université de Caroline du NordPériodes d’intégrales rationnelles
Algorithmes et applications
par Pierre Lairez
cba
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partage dans les mêmes conditions, version 3.0, France dont une copie est disponible à
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par tous moyens et sous tous formats, d’adapter, transformer et créer à partir de ce matériel,
dans la mesure où l’acceptant respecte les droits moraux de l’auteur, réfère au matériel
original et à son auteur, et distribue ce matériel et les travaux dérivés sous les termes de
cette même license.
Composé par LuaTEX en Linux Libertine et Brandon Text.
Version finale, revue et corrigée le 1er décembre 2014
La dernière version de ce document est disponible sur : http ://pierre.lairez.fr/these.pdf" xydxdy
x
2y
2 + t(1 − xy)
2
(1 + x)
2
(1 + y)
2
période d’intégrale rationnelle
∑2n
k=0
(−1)
k
(
2n
k
)3
somme binomiale
t(27t + 1)y
′′ +
(54t + 1)y
′ + 6y = 0
équation différentielle
∑2n
k=0
(−1)
k
(
2n
k
)3
= (−1)
n
(3n)!
n!
3
preuve d’identité (application)
Équations de Picard-Fuchs
I Bornes & complexité
II Algorithme efficace
Formules intégrales
III Sommes binomialesRésumé
Une période d’intégrale rationnelle est le résultat de l’intégration, par rapport à une
ou plusieurs variables, d’une fraction rationnelle le long d’un chemin fermé. Quand
la période considérée dépend d’un paramètre, elle est solution d’une équation
différentielle linéaire particulière, appelée équation de Picard-Fuchs. Ces équations
et leur calcul effectif ont un rôle important en calcul formel mais aussi en géométrie
algébrique (elles renferment des invariants géométriques), en combinatoire (de
nombreuses séries génératrices sont des périodes) ou en physique théorique. Cette
thèse propose et étudie des algorithmes pour les calculer.
Le premier chapitre démontre des bornes sur la taille des équations de Picard-Fuchs
et sur la complexité de leur calcul. Certains algorithmes calculant ces équations
produisent en même temps des certificats, souvent immenses, qui permettent
de vérifier après coup la validité de l’équation. Les bornes obtenues éclairent la
nature calculatoire des équations de Picard-Fuchs et montrent en particulier que
les certificats ne sont pas des sous-produits nécessaires. La démonstration repose
sur l’étude du cas générique et sur la réduction de l’ordre du pôle par la méthode
de Griffiths-Dwork.
Le deuxième chapitre propose un algorithme pour calculer les équations de PicardFuchs,
visant l’efficacité pratique plutôt que la maitrise de la complexité. Il permet le
calcul de nombreuses intégrales jusque-là non résolues. Il repose sur une méthode
de réduction de l’ordre du pôle étendant celle de Griffiths-Dwork et adaptée aux
cas singuliers.
Le troisième chapitre établit précisément une correspondance entre les périodes
d’intégrales rationnelles et les séries génératrices des sommes binomiales, un certain
type de sommes discrètes. Combiné avec le calcul des équations de Picard-Fuchs,
cela donne une algorithmique souple et efficace pour le calcul des sommes binomiales
et la preuve automatique d’identités.
Mots clefs. — Calcul formel, intégration, sommation, période, intégrale rationnelle,
création télescopique, équation de Picard-Fuchs, somme binomiale, diagonale,
méthode de Griffiths-Dwork, algorithme, complexité.
5Remerciements
Je veux remercier en premier lieu mes directeurs de thèse Alin Bostan et Bruno Salvy.
Ils m’ont proposé des pistes de recherche fructueuses, m’ont formé au calcul formel
et ont toujours pris soin de m’intégrer à la communauté scientifique, toujours
avec patience et bienveillance. J’ai beaucoup apprécié qu’ils aient été autant des
interlocuteurs que des directeurs.
Je suis très reconnaissant à Mohab Safey El Din, Michael Singer et André Galligo
pour avoir rapporté ma thèse avec le plus grand sérieux et à Lucia Di Vizio, Mireille
Bousquet-Mélou, Frits Beukers et Gilles Christol pour avoir accepté d’être juré. Tous
me font un grand honneur en s’intéressant à mon travail et je ne suis pas peu fier
de réunir un tel jury, qui montre, s’il en était besoin, que le calcul formel rapproche
des mathématiques variées, comme la géométrie algébrique, la combinatoire ou
l’arithmétique.
Gilles Christol a beaucoup influencé cette thèse, par ses propres travaux et par
les nombreuses discussions que nous avons eues. Les algorithmes d’intégrations
présentés ici lui doivent beaucoup. Je lui exprime toute ma gratitude. Pour s’être
intéressé à mon travail et aider à sa diffusion, je remercie vivement Jean-Marie
Maillard, Jacques-Arthur Weil, Éric Delaygue, Tanguy Rivoal, Julien Roques, Tristan
Vaccon, Xavier Caruso, Guillaume Rond, Tom Coates, Gert Almkvist et Duco
van Straten.
L’équipe Specfun et le laboratoire commun MSR-Inria m’ont offert des conditions
de travail remarquables : liberté, environnement stimulant et insouciance matérielle.
Je ne peux qu’espérer retrouver un jour de telles conditions! Que soient remerciés
pour cela Frédéric Chyzak, Assia Mahboubi, Philippe Dumas, Enrico Tassi, Cyril
Cohen, Louis Dumont, Thomas Sibut-Pinote, Jean-Jacques Lévy, Damien Doligez,
Pierre-Louis Xech, Tomer Libal, Laurent Massoulié, Martine Thirion, Virginie
Collette et Hélène Bessin-Rousseau.
Enfin, un thésard épanoui est un thésard qui s’amuse bien, qui mange bien et qui
boit bien, le tout en bonne compagnie. En la matière, j’ai toujours pu compter sur
mes parents, mes sœurs, mes beaux-frères, mes oncles, mes tantes, mes cousins et
cousines, et aussi sur Rémy V., Pauline C.-B., Benoit R., Anne-Sophie C., Rémi C.,
Marion B., Adrien D., Robin S., David R., Samuel B., Marie P., Anne-Camille P.,
Guillaume St., Étienne R., Rodrigo de R., Adrien M., Henri G., Guillaume Sc., Florian
C., Matthieu S., Aurel P., et bien sûr Cécile L, dont la présence a été précieuse.
7TABLE DES MAT IÈRES
INTRODUCT ION 11
1 Périodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
2 Considérations analytiques et historiques . . . . . . . . . . . . . 18
3 Contributions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
4 Travaux précédents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
I BORNES & COMPLEX ITÉ 29
1 Isomorphisme exponentiel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
2 Méthode de Griffiths-Dwork . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
3 Calcul des équations de Picard-Fuchs . . . . . . . . . . . . . . . 57
4 Analyse des algorithmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
I I ALGOR ITHME EFF ICACE 73
1 Réductions d’ordre supérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
2 Mise en œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
3 Calcul de 210 périodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
I I I SOMMES B INOM IALES 99
1 Séries de Laurent multivariées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
2 Sommes binomiales comme résidus . . . . . . . . . . . . . . . . 111
3 Sommes binomiales et diagonales . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
4 Réduction géométrique des résidus . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
5 Applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
PERSPECT IVES 139
B IBL IOGRAPH IE 143
9INTRODUCT ION
L
e calcul formel est le domaine des mathématiques et de l’informatique qui
s’intéresse aux algorithmes opérant sur des objets de nature mathématique
par le biais de représentations finies et exactes. Par exemple, un nombre entier
est représenté de manière finie et exacte par la suite des chiffres de son écriture
en base 2. Étant données les représentations de deux nombres entiers, le calcul
formel se pose par exemple la question de calculer la représentation du produit de
ces deux nombres entiers. En calcul formel, on s’attache à donner des algorithmes
avec la démonstration qu’ils terminent en temps fini et la démonstration que le
résultat est bien la représentation d’un objet mathématique défini préalablement. Et
autant que possible, on essaie d’estimer le nombre total d’opérations élémentaires
effectuées par les algorithmes qu’on décrit. Cela permet d’avoir une idée a priori du
temps d’exécution d’un algorithme, de comparer l’efficacité théorique de différents
algorithmes ou encore d’éclairer la nature même du problème.
Certains objets mathématiques peuvent être représentés de manière évidente :
les entiers sont représentés en base 2, ou les rationnels par un numérateur et un
dénominateur. Certains admettent des conventions de représentations plus subtiles.
Par exemple, un polynôme de degré d peut être représenté de manière évidente par
la liste de ses d+1 coefficients mais aussi par ses évaluations en d+1 points distincts.
On demande alors un algorithme pour passer d’une convention de représentation
à une autre, et une preuve que l’entrée et la sortie de l’algorithme représentent
toujours le même objet.
Souvent, un objet peut admettre différentes représentations au sein d’une même
convention de représentation, comme 22/7 qui est représenté aussi bien par «22»
et «7» que par «44» et «14». Autre exemple, un peu plus compliqué, les expressions
«Pn
k=0
n
k
» et «2
n» représentent la même suite indicée par l’entier n. On
demande alors un algorithme, appelé test d’égalité, qui étant données deux repré-
sentations répond si oui ou non elles représentent le même objet. Avoir un test
d’égalité, c’est pouvoir démontrer des identités, des théorèmes de la forme A = B.
Le lien entre l’objet et la représentation peut être affaibli. Par exemple le nombre
réel √
2 est souvent représenté par le polynôme x
2−2 dont √
2 est l’une des racines.
11Mais alors √
2 et −
√
2 ont la même représentation. La représentation n’est donc
pas exacte au sens stricte, sauf à redéfinir l’objet qu’elle représente, mais elle suffit
tout de même pour répondre de manière exacte à certaines questions. Par exemple,
il suffit de savoir que r
2 = 2 pour montrer que (1 +r)
3
égale 7 + 5r, ce qui implique
aussi bien l’égalité de (1 +
√
2)
3
et 7 + 5
√
2 que celle de (1 −
√
2)
3
et 7 − 5
√
2.
Quand il s’agit de manipuler des fonctions, de R dans R disons, il n’y a pas de
représentation naturelle. Tout d’abord, choisir une convention de représentation
c’est renoncer à toutes les fonctions qui ne sont pas représentables au sein de cette
convention, et elles sont toujours nombreuses. Ensuite, l’expressivité — c’est-à-dire
la capacité à pouvoir représenter telle ou telle fonction — est encore plus limitée par
un compromis nécessaire avec l’effectivité — c’est-à-dire l’existence d’algorithmes
réalisant les opérations souhaitées, le test d’égalité en particulier. Par exemple, les
fonctions polynomiales à coefficients rationnels sont représentables par la liste de
leurs coefficients. C’est très effectif mais peu expressif. À l’opposé, les fonctions
définies de manière univoque par une formule de la théorie des ensembles sont
représentables par ladite formule. C’est très expressif mais l’égalité est indécidable,
il n’existe pas d’algorithme réalisant le test d’égalité. Ce dernier exemple est certes
extrême mais l’indécidabilité peut arriver très rapidement dans des situations plus
naturelle : prenons les fonctions, comme x 7→ sin(|x | − sin2
x), que l’on peut écrire
avec les opérations +, −, × et la composition en partant des fonctions «constante 1»,
identité, valeur absolue et sinus. L’expressivité parait mesurée, et pourtant l’égalité
est indécidable. 1
Cette thèse s’intéresse à des fonctions représentées par un certain type d’inté-
grales, simples ou multiples, à paramètre de fractions rationnelles, les périodes. Par
exemple «R ∞
−∞
dx
x
2+t+1
» représente la fonction t 7→ π √
1+t
; on donnera beaucoup
d’autres exemples montrant l’expressivité de ces fonctions au fil du texte. Par
certains aspects, cette représentation est très manipulable : on peut réaliser une
intégration par parties ou un changement de variables, on peut dériver sous le
signe ∫ , etc. Par d’autres aspects, elle est très déficiente, à commencer par le test
d’égalité, qui est difficile. C’est pourquoi il est important de pouvoir passer à une
autre convention de représentation, assez classique, au sein de laquelle une fonction
est représentée par une équation différentielle linéaire à coefficients polynomiaux
dont elle est solution, et par les conditions initiales correspondantes. Par exemple,
la fonction t 7→ 1 √
1+t
est représentée par l’équation (2t + 2)y
0 = −y et la condition
initiale y(0) = 1. Cette représentation est bonne à tout : test d’égalité, évaluation
numérique, développement asymptotique, calcul des singularités et des exposants
1. Théorème de Richardson-Matiyasevich, voir Matiyasevich, Hilbert’s tenth problem.
121 Périodes
aux singularités, etc. Souvent, la représentation intégrale est affaiblie, au sens où
les bornes d’intégration ne sont pas précisées : on donne simplement «H
dx
x
2+t+1
»,
par exemple, où le signe H
signifie que le domaine d’intégration est inconnu mais
vérifie tout de même certaines propriétés. Du coup, la représentation par équations
différentielles sera affaiblie aussi : les conditions initiales seront inconnues.
Ce changement de représentation s’applique, par exemple, à la preuve de certaines
identités : on représente des suites numériques par des expressions explicites,
comme «3
n», «Pn
k=0
(−1)
k
2n
k
3
» ou encore «Pn
i,j=0
i+j
j
2
4n−2i−2j
2n−2i
», et à partir
de cette représentation, on cherche à démontrer que deux suites sont égales. Pour
résoudre ce problème, on passera par les représentations par intégrales puis par
équations différentielles.
1 Périodes
§1. — Il s’agit dans cette thèse d’intégrales multiples de fractions rationnelles prises
sur un domaine particulier, donnant ce qu’on appelle des périodes. Ce qui différencie
une période d’une intégrale quelconque, c’est son domaine d’intégration, qui doit
être sans bord et ne pas rencontrer les pôles de l’intégrande. Soit R(x1,. . . ,xn ) une
fraction rationnelle à coefficients complexes. Par exemple, si l’intégrande R n’a pas
de pôle réel et décroit suffisamment vite à l’infini, l’intégrale
Z ∞
−∞
· · · Z ∞
−∞
R(x1,. . . ,xn )dx1 · · · dxn,
est une période de l’intégrale R
R(x1`n )dx1`n.
2 Un autre type courant de domaine
d’intégration est un cycle dans C
n
. À une seule variable, les périodes sont les
intégrales de chemin bien connues, prises le long d’une boucle — voir §8 pour les
définitions en dimensions supérieures.
Les périodes dépendant d’un paramètre fournissent des fonctions particuliè-
rement intéressantes qui sont les objets centraux de cette thèse. Les intégrales
simples donnent des fonctions algébriques du paramètre, à l’image de
π
√
t
=
Z ∞
−∞
dx
x
2 + t
, pour t > 0.
Quand on considère des intégrales multiples, on peut obtenir des fonctions transcendantes,
comme par exemple
2. x1`n est un raccourci pour x1, . . . , xn et dx1`n pour dx1 · · · dxn
§1 13Introduction
π
2
M(1,t)
=
Z ∞
−∞
Z ∞
−∞
dxdy
x
2 + (1 + y
2
)(1 + ty
2
)
, pour t > 0,
où M(a,b) désigne la moyenne arithmético-géométrique de a et b.
3 Un théorème
important affirme que toutes les périodes d’intégrales rationnelles dépendant d’un
paramètre satisfont à des équations différentielles linéaires, appelées équations de
Picard-Fuchs.
4 Par exemple, la fonction t 7→ 1/M(1,t) est solution de l’équation
différentielle
(t
3 − t)y
00 + (3t
2 − 1)y
0 + ty = 0 y(1) = 1, y
0
(1) = −
1
2
et cette équation différentielle définit entièrement la fonction. Les deux premiers
chapitres sont consacrés à l’étude d’algorithmes calculant de telles équations de
Picard-Fuchs, pour les périodes d’intégrales rationnelles.
Voici quelques problèmes où le calcul des périodes des intégrales rationnelles
joue un rôle essentiel.
§2 SOMMES BINOMIALES. — Considérons l’identité de Dixon :
X2n
k=0
(−1)
k
2n
k
! 3
= (−1)
n
(3n)!
n!
3
,
et prouvons-la. Notons un le membre de gauche de l’équation. Grâce aux méthodes
exposées au chapitre III on peut calculer une représentation intégrale de la série
génératrice :
F(t)
déf
=
X∞
n=0
unt
n =
1
(2iπ)
2
"
γ
xydxdy
x
2y
2 + t(1 − xy)(1 + x)
2
(1 + y)
2
,
pour un certain cycle γ. On peut alors calculer une équation différentielle
(27t
2 + t)F
00 + (54t + t)F
0 + 6F = 0
F(0) = 1, F
0
(0) = −6
dont F(t) est l’unique solution. Il est immédiat de transformer cette équation
différentielle en une relation de récurrence sur la suite (un ) :
3(3n + 1)(3n + 2)un + (n + 1)
2
un+1 = 0
u0 = 1,
qui prouve l’identité de Dixon. Bien sûr, on peut donner de nombreuses preuves
3. C’est la limite commune des suites adjacentes (un ) et (vn ) définies par u0 = a, v0 = b et les
relations de récurrence un+1 =
un+vn
2
et vn+1 =
√
unvn .
4. Il est difficile de trouver le premier énoncé de ce résultat. Voir la section 2 pour quelques références.
14 §21 Périodes
de l’identité de Dixon, mais celle-ci présente l’avantage d’être entièrement automatique
et représente environ une seconde de temps de calcul.
On peut systématiser le calcul d’une représentation intégrale d’une somme
binomiale donnée, voir le chapitre III. En associant ce calcul à celui des équations
de Picard-Fuchs, on obtient ainsi des moyens algorithmiques pour calculer avec
les sommes binomiales : test d’égalité, calcul d’une récurrence, asymptotique,
évaluation rapide, etc.
§3 MARCHE ALÉATOIRE SUR UN RÉSEAU. — Dans un champ plus combinatoire,
considérons un réseau cubique à faces centrées. C’est le sous-ensemble
de l’espace R3
formé des points de coordonnées entières (p,q,r) tels que p + q + r
soit pair. Un point placé en (p,q,r) est un plus proche voisin des douze points de
coordonnées (p±1,q±1,r), (p±1,q,r ±1) et (p,q±1,r ±1), et seulement de ceux-ci.
Considérons une marche aléatoire sur ce réseau : c’est une suite aléatoire (pn )n>0 de
points du réseau telle que p0 est l’origine et telle que pn+1 est un plus proche voisin
de pn. On suppose que la marche est uniformément distribuée et sans mémoire
(c’est-à-dire que chaque saut est uniformément distribué parmi les plus proches
voisins et indépendant des sauts précédents). Quelle est la probabilité, notée R, que
la marche repasse par l’origine ? 5
Considérons le polynôme de Laurent P suivant, formé de douze monômes :
P(x,y,z) =
1
12
(F(x,y) + F(y,z) + F(z,x)) , avec F(u,v) = uv +
v
u
+
u
v
+
1
uv
.
Après un saut, la probabilité que la marche se trouve au point de coordonnées (p,q,r)
est exactement 1/12 si (p,q,r) est l’un des voisins de l’origine, et zéro sinon. En particulier,
cette probabilité égale le coefficient du monôme x
py
q
z
r dans le polynôme P.
Après n sauts, la probabilité que la marche se trouve au point de coordonnées (p,q,r)
vaut exactement le coefficient du monôme x
py
q
z
r dans le polynôme P
n
. Ainsi,
la probabilité que la marche soit à l’origine après n sauts est égale au coefficient
constant dans P
n
. Notons cette probabilité pn et notons A(t) la série génératrice
A(t)
déf
=
X
n>0
pnt
n
.
Un calcul de probabilité classique montre que
R = 1 −
1
P
n>0 pn
= 1 −
1
A(1)
.
5. Pour plus de détails sur ces questions, voir par exemple Guttmann, « Lattice Green’s functions
in all dimensions », et Koutschan, « Lattice Green functions of the higher-dimensional face-centered
cubic lattices ».
§3 15Introduction
Pour calculer R il suffit donc de calculer la fonction A(t). Un calcul de résidus lui
aussi classique montre que
A(t) =
1
(2iπ)
3
$
γ
1
1 − tP(x,y,z)
dxdydz
xyz
,
pour un certain cycle γ, ce qui nous ramène à la classe de périodes d’intégrales
rationnelles. On calcule alors l’équation différentielle vérifiée par A :
2t
2
(t − 1)(t + 3)
2
y
000 + 3t(t + 3)(5t
2 + 5t − 6)y
00
+ (24t
3 + 72t
2 + 18t − 18)y
0 + 6t(t + 2)y = 0.
Cette équation 6 permet le calcul numérique de R à grande précision :
R ≈ 0,256318236504648771095030180634 ± 10−30
.
La formule intégrale pour A permettrait aussi son calcul numérique, mais beaucoup
plus lentement.
§4 PREUVE D’IRRATIONALITÉ. — Apéry 7
a montré l’irrationalité de ζ(3), défini
comme la somme totale de la série P
n>1 n
−3
. Il définit pour cela deux suites (an )
et (bn ), respectivement entière et presque entière, telles que le quotient bn/an tende
vers ζ(3). Beukers 8
a donné une interprétation en termes de périodes. Il remarque
que la série génératrice A(t) =
P
n>0 ant
n
est une période d’intégrale rationnelle :
A(t) =
I
dxdydz
1 − (1 − xy)z − txyz(1 − x)(1 − y)(1 − z)
.
Il calcule l’équation de Picard-Fuchs de A(t), disons L(A) = 0, et montre que
L(B(t) − A(t)ζ(3)) = 6,
où B(t) =
P
n>0 bnt
n
. On voit ainsi un lien entre une période et l’approximation
de ζ(3) par des rationnels. Ici, le calcul de l’équation L est une étape essentielle.
Cet exemple est loin d’être isolé :
Many, if not almost all proofs of irrationality and transcendence results use
periods and their associated differential equations in one form or another. 9
§5 DIAGONALES DE FRACTIONS RATIONNELLES. — La diagonale d’une
série formelle multivariée f est la série univariée de ses coefficients diagonaux. Par
6. Et aussi le fait que y(t) est l’unique solution série telle que y(0) = 1, car le polynôme indiciel à
l’origine est t
3
.
7. Apéry, « Irrationalité de ζ(2) et ζ(3) » ; Poorten, « A proof that Euler missed… ».
8. Beukers, « Irrationality of π
2
, periods of an elliptic curve and Γ1 (5) » ; Beukers et Peters, « A
family of K3 surfaces and ζ(3) ».
9. Kontsevich et Zagier, « Periods ».
16 §51 Périodes
exemple, si f égale P
i,j,k>0 aijkx
iy
j
z
k
, alors la diagonale de f est la série P
i>0 ai i it
i
.
Les diagonales sont très utiles en combinatoire, lors de la manipulation de séries
génératrices. Sous des apparences rustres, les diagonales ont une théorie très riche.
On notera en particulier les théorèmes de Furstenberg 10 sur les diagonales de
fractions rationnelles, c’est-à-dire que la série dont on prend la diagonale est le
développement en série entière d’une fraction rationnelle. Le premier affirme que
toute série algébrique est la diagonale d’une fraction rationnelle ; et le second que
sur un corps fini, toutes les diagonales de fractions rationnelles sont algébriques. 11
Typiquement, une diagonale de fraction rationnelle ne sera pas algébrique, mais
d’après le second théorème, toute ses réductions modulo un premier le seront.
D’une certaine manière, la prise de diagonale est une façon purement formelle
de réaliser une intégration. Tout au moins, si f (x1`n ) est une fraction rationnelle,
alors la diagonale de f est une période de l’intégrale suivante, dépendant de t :
Z
f
t
x2 · · · xn
,x2,. . . ,xn
!
dx2 · · · dxn .
Le calcul des périodes d’intégrales rationnelles permet donc le calcul des diagonales
de fractions rationnelles.
Le chapitre III établit une équivalence entre certaines sommes combinatoires,
comme celle présentée au §2, et les diagonales de fractions rationnelles. Cette
équivalence permet d’appliquer le calcul des périodes à ces sommes combinatoires.
§6 SYMÉTRIE MIROIR. — Issue des recherches en physique, la symétrie miroir
relie entre elles certaines variétés algébriques. 12 Entre autres relations surprenantes,
il est possible de calculer les invariants de Gromov-Witten sur une variété X à partir
d’une équation de Picard-Fuchs associée à sa variété miroir X
0
. La possibilité d’un
tel calcul a surpris la communauté scientifique et a motivé le calcul de nombreuses
périodes. Cette méthode est un des ingrédients du projet Fano Search 13 visant à la
classification des variétés de Fano de dimension 4. L’algorithme décrit au chapitre II
m’a permis de calculer des périodes venant de ces horizons — voir la section 3 du
chapitre II.
§7 THÉORÈME DE KATZ. — À l’intérêt calculatoire des périodes répond la richesse
de la théorie. Un exemple frappant est le théorème de Katz sur la conjecture
de Grothendieck. Soit L un opérateur différentiel en t et ∂t à coefficients dans Z,
d’ordre n. Si pour tout premier p, sauf peut-être un nombre fini, l’opérateur L réduit
10. Furstenberg, « Algebraic functions over finite fields ».
11. Voir les énoncés précis au chapitre III, §15
12. Cox et S. Katz, Mirror symmetry and algebraic geometry.
13. Coates, Corti, Galkin, Golyshev et Kasprzyk, Mirror symmetry and Fano manifolds.
§7 17Introduction
modulo p admet n solutions algébriques linéairement indépendantes, alors la conjecture
de Grothendieck prédit que L admet n solutions algébriques linéairement
indépendantes. Cette conjecture générale reste ouverte mais Katz 14 a démontré
l’implication dans le cas où L est une équation de Picard-Fuchs.
2 Considérations analytiques et historiques
§8. — Définissons plus précisément ce qu’est une période d’intégrale rationnelle.
Soit R(x1`n ) une fraction rationnelle à coefficients complexes. Soit γ un sousensemble
de C égal à l’image d’une application différentiable φ de [0,1]n dans C
n
.
Supposons que R soit continue sur γ, on définit alors l’intégrale de R sur γ par
Z
γ
R(x1`n )dx1`n
déf
=
Z
[0,1]n
R(φ(t1`n )) jac φ(t1`n )dt1`n,
où jac φ(t1`n ) est le déterminant de la matrice jacobienne formée des dérivées
partielles ∂φj
(t1`n )/∂ti
. Remarquablement, on peut déformer le chemin d’intégration
γ, tant que son bord reste fixe et que R reste continue sur γ, sans changer la
valeur de l’intégrale. D’abord découvertes et étudiées pour des fonctions univariées,
ces intégrales ont transformé les mathématiques :
C’est à Cauchy que revient la gloire d’avoir fondé la théorie des intégrales
prises entre des limites imaginaires ; cette théorie a pour ainsi dire doublé la
puissance de l’analyse mathématique et a été le point de départ de tous les
travaux qui ont suivi, dans tous les pays où on cultive les sciences exactes. 15
Parmi les intégrales de chemin, on trouve une classe tout à fait particulière : les
périodes. Ce sont les intégrales pour lesquelles γ n’a pas de bord. C’est le cas, par
exemple, quand γ est le tore paramétré par
φ : (t1,. . . ,tn ) ∈ [0,1]n → (e
2iπt1
,. . . ,e
2iπtn
) ∈ C
n
.
On distingue ces intégrales sur un chemin sans bord, encore appelé cycle, par la
notation H
γ
R(x1`n )dx1`n. L’intégration sur un cycle γ possède de nombreuses
propriétés de nature algébrique qui font le lien entre analyse et géométrie. La
première est l’annulation des périodes des dérivées de fractions rationnelles :
si C1,. . . ,Cn sont des fractions rationnelles continues sur le cycle γ, alors
I
γ
Xn
i=1
∂Ci
∂xi
dx1`n = 0.
14. N. M. Katz, « Algebraic solutions of differential equations ».
15. Poincaré, « Sur les résidus des intégrales doubles ».
18 §82 Considérations analytiques et historiques
La seconde est l’annulation des périodes prises sur un bord. Soit η une sous-variété
réelle à bord η de C
n de dimension n + 1 sur laquelle R est continue. Notons ∂η
son bord. 16 On a alors
I
∂η
R(x1`n )dx1`n = 0.
L’isomorphisme de Rham, qui met ces deux relations en miroir, est l’une des pierres
angulaires de ce lien entre analyse et géométrie.
§9 ISOMORPHISME DE RHAM. — Fixons un polynôme f en les variables x1`n
et considérons l’anneau Af des fractions de la forme a/f
q
, avec a polynomial et q
entier. Il est important de fixer le lieu des pôles autorisés et ne pas le faire est source
de grandes difficultés. Les faits suivants montrent les liens étroits entre intégrales
et topologie :
1. Il existe des cycles γ1,. . . ,γm tels que toute forme linéaire λ sur Af qui
s’annule sur les dérivées partielles d’éléments de Af est du type
λ : R ∈ Af
7→
Xm
j=1
uj
I
γj
R(x1`n )dx1`n
pour certains nombres complexes u1`m.
2. Une fraction rationnelle a/f est de la forme
a
f
=
Xn
i=1
∂
∂xi
ci
f
s
,
où les ci sont des polynômes et s un entier, si et seulement si H
γ
a/f dx est
nul pour tout cycle γ sur lequel f ne s’annule pas.
3. Il existe des fractions S1,. . . ,Sm ∈ Af en nombre fini telles que tout élément
de Af se réécrive comme combinaison linéaire des Sj et de dérivées partielles
d’éléments de Af
.
4. Si on choisit les γj et les Si en nombres minimaux, alors la matrice
*
,
I
γj
Sidx1`n
+
-16i,j6m
est carrée et inversible.
L’histoire de ces résultats est faite de méandres. Outre le cas des courbes, les
premiers énoncés en petites dimensions ont été donnés par Picard. 17 Dans un
16. Si η est l’image de la boule unité fermée de Rn+1 par une immersion, alors ∂η est l’image de la
sphère unité par cette même immersion.
17. Picard et Simart, Théorie des fonctions algébriques de deux variables indépendantes.
§9 19Introduction
cadre analytique, avec des fonctions infiniment différentiables, la dualité entre
cycles et intégrales est due à Rham. 18 Il faut l’isomorphisme de Grothendieck 19
pour retrouver ces résultats avec des fractions rationnelles. Ainsi, les périodes
des intégrales rationnelles relient par une dualité un objet topologique, les cycles
modulo les bords, avec un objet algébrique, les fractions rationnelles modulo les
dérivées.
Au vu du troisième point, les questions suivantes sont naturelles. Étant donnée
une fraction a/f
q
, comment décider s’il existe des fractions C1`n dans Af
, telles
que a/f
q
égale Pn
i=1
∂Ci /∂xi ? Étant donné un polynôme f , comment calculer une
base du quotient Af /
Pn
i=1
∂iAf ? Je donne au chapitre II des réponses pratiques à
ces questions.
§10 ÉQUATIONS DE PICARD-FUCHS. — On peut faire dépendre une période
d’un paramètre. Soit Rt
(x1`n ) une fraction rationnelle en les variables xi et un
paramètre t et soit γt un cycle dépendant continument de t, quand t parcourt un
certain ouvert de C, disons U. Si Rt est continu sur γt
, alors on peut définir la
fonction
F : t ∈ U 7→
I
γt
Rt
(x1`n )dx1`n ∈ C,
qui est une fonction analytique. Le troisième énoncé du paragraphe précédent garde
son sens et reste vrai sur n’importe quel corps de caractéristique nulle, et en particulier
sur C(t). En conséquence, la famille des dérivées ∂
kRt /∂t
k
est linéairement liée
modulo les dérivées. C’est-à-dire qu’il existe des fractions rationnelles Ci
(t,x1`n )
et ak (t) telles que
§10.1 Xr
k=0
ak (t)
∂
kRt
∂t
k
=
Xn
i=1
∂Ci
∂xi
.
Et si on intègre cette égalité le long de γ, on obtient
Xr
k=0
ak (t)F
(k)
(t) = 0.
La fonction F est solution d’une équation différentielle linéaire à coefficients polynomiaux,
l’équation différentielle de Picard-Fuchs.
Pour illustrer, considérons une ellipse de grand rayon unitaire et d’excentricité t.
Son périmètre est donné par
18. Rham, « Sur l’analysis situs des variétés à n dimensions » ; Griffiths et Harris, Principles of
algebraic geometry, p. 43.
19. Grothendieck, « On the de Rham cohomology of algebraic varieties ».
20 §102 Considérations analytiques et historiques
E(t) = 2
Z 1
−1
r
1 − t
2x
2
1 − x
2
dx.
Même si cette fonction n’en a pas les apparences, c’est une période d’intégrale
rationnelle. En effet 20
E(t) =
1
2iπ
I
γt
dxdy
1 −
1−t
2x
2
(1−x
2
)y
2
,
pour un certain cycle γt
. Euler 21 a montré que E(t) est solution de l’équation
différentielle linéaire
(t − t
3
)y
00 + (1 − t
2
)y
0 + ty = 0,
révélant ainsi l’une des premières équations de Picard-Fuchs. Comme l’a montré
finalement Liouville, 22 la fonction E(t) n’est pas algébrique, c’est pourquoi l’étude
de cette fonction fut longtemps délicate. L’équation d’Euler lève la plupart des
difficultés : elle décrit la fonction entièrement et on peut en extraire des développements
en série, des comportements asymptotiques, des identités, etc. Si on admet
la représentation de E(t) sous forme d’intégrale double, il suffit d’observer que
§10.2
(t − t
3
)∂
2
t + (1 − t
2
)∂t + t
·
*
.
,
1
1 −
1−t
2x
2
(1−x
2
)y
2
+
/
-
=
∂
∂x
t
1+x−x
2−x
3
y
2
3−2x−y
2+x
2
2−3t
2+y
2
(1−y
2−x
2
(t
2−y
2
)) 2
!
+
∂
∂y
2t
1−t
2
x
1+x
3
y
3
(1−y
2−x
2
(t
2−y
2
)) 2
!
,
où ∂t est l’opérateur de dérivation ∂/∂t, pour démontrer l’équation différentielle
d’Euler. Les fractions sous les signes ∂/∂y et ∂/∂x sont appelées certificats car
leur existence certifie que l’opérateur en t et ∂t annule la fonction E(t). Cette
thèse étudie des algorithmes pour trouver ce genre d’identité et ainsi calculer des
équations différentielles associées à certaines fonctions.
§11 ÉTYMOLOGIE. — Les périodes d’intégrales rationnelles sont appelées ainsi
car ce sont les périodes de certaines fonctions. Considérons une intégrale de la
forme
F(u) =
Z u
0
dz
p
P(z)
20. Un peu d’analyse complexe pour transformer l’intégrale sur [−1, 1] en une intégrale sur un cycle,
et un peu de calcul des résidus pour exprimer la racine carrée comme une intégrale rationnelle.
21. Euler, « Specimen de constructione aequationum differentialium sine indeterminatarum separatione
» ; Houzel, La géométrie algébrique.
22. Liouville, « Mémoire sur les transcendantes elliptiques de première et de seconde espèce, considérées
comme fonctions de leur module ».
§11 21Introduction
où P(z) est un polynôme à racines simples, avec P(0) , 0, et u un nombre complexe.
C’est une fonction holomorphe au voisinage de 0, et on peut l’inverser à l’origine,
c’est-à-dire qu’il existe une fonction Gdéfinie sur un voisinage de 0 telle que G(F(u))
égale u, pour u autour de 0.
Supposons qu’on puisse prolonger la fonction réciproque G en une fonction
holomorphe sur le plan complexe. L’égalité
G*
,
Z u
0
dz
p
P(z)
+
-
= u
est alors valable pour tout u dans C, quel que soit le chemin d’intégration entre 0
et u, par prolongement analytique. En particulier, pour u proche de zéro, on peut
considérer un chemin qui partant de 0 parcourt d’abord une boucle γ et ensuite va
vers u en ligne droite. On obtient alors
G*
,
I
γ
dz
p
P(z)
+ F(u)
+
-
= u.
Autrement dit, la fonction G est périodique de période H
γ
dz p
P(z)
, et ce pour tout
cycle γ.
Dans le cas où P(z) est 1−z
2
, la fonction F est l’arcsinus et la fonction G est donc
le sinus. Les périodes de l’intégrale H
dz √
1−z
2
sont toutes des multiples entiers de la
période fondamentale obtenue sur un cycle lemniscate 23 qu’on peut déformer 24
en collant au segment [−1,1] pour obtenir la période bien connue du sinus :
2
Z 1
−1
dz
√
1 − z
2
= 2π.
On notera qu’un cycle qui ferait un seul tour autour de 1 n’est pas admissible : la
fonction √
1 − z
2 ayant plusieurs déterminations, il faut que les points de départ
et d’arrivée du cycle soient sur la même branche.
§12 INTÉGRALES ALGÉBRIQUES. — L’exemple précédent part d’une intégrale
de fonction algébrique alors que nous nous sommes restreints aux intégrales
rationnelles. En réalité ce n’est pas une restriction. Soity(z) une fonction algébrique,
c’est-à-dire qu’il existe un polynôme non nul Q(z,w) tel que Q(z,y(z)) est nul. Un
calcul des résidus montre que
23. • •
−1 1
24. • •
22 §123 Contributions
y(z) =
1
2iπ
I
γt
w∂w Q(z,w)
Q(z,w)
dw,
pour un cycle γt choisi de telle sorte qu’il entoure la racine y(z) de Q(z,w) et seulement
celle-ci. Ainsi, pour traiter l’exemple précédent, on prend Q égal à P(z)w
2 − 1
et on obtient
I
dz
p
P(z)
=
1
iπ
I
P(z)w
2
P(z)w2 − 1
dwdz.
Et bien sûr, on peut faire dépendre y de plusieurs variables. Ainsi une intégrale
algébrique par rapport à n variables est toujours égale à une intégrale rationnelle
par rapport à n + 1 variables.
3 Contributions
La recherche en calcul formel a déjà donné plusieurs algorithmes pouvant calculer
les intégrales multiples (voir ci-après). Cette thèse ajoute à ce patrimoine
mathématique trois nouveautés, correspondant aux trois chapitres. Les deux premiers
traitent du problème de la résolution de l’équation §10.1 : étant donnée une
fraction rationnelle R de Q(t,x1`n ), trouver des polynômes ak (t) tels qu’il existe
des fractions rationnelles Ci telles que
Xr
k=0
ak (t)
∂
kR
∂t
k
=
Xn
i=1
∂Ci
∂xi
.
Du point de vue du calcul formel, résoudre ce problème c’est calculer une intégrale.
On dit que l’opérateur Pr
k=0
ak (t)
∂
k
∂t
k annule les périodes de l’intégrale R
R(dx1`n ).
On distingue bien l’opérateur 25, qu’on cherche à calculer, des Ci
, qu’on appelle
certificats car ils permettent de vérifier après coup la validité de l’opérateur. Seul
l’opérateur nous intéresse.
§13 BORNES ET COMPLEXITÉ. — Quel que soit l’algorithme utilisé, l’intégration
des fractions rationnelles, et à plus forte raison celle des fonctions plus générales,
est une opération plutôt couteuse en temps, même sur des exemples de taille
raisonnable. C’est pourquoi il est utile d’évaluer la taille des objets intervenant
dans les calculs, et notamment la taille de l’opérateur recherché. Si on calcule
quelque chose de gros, il est normal d’attendre, mais si on calcule quelque chose de
petit, il est bon de savoir où passe le temps. Cela peut permettre de concevoir de
meilleurs algorithmes, ou de montrer qu’on ne peut pas en concevoir de meilleur.
25. Souvent appelé télescopeur, en calcul formel.
§13 23Introduction
Avec Alin Bostan et Bruno Salvy 26 nous avons étudié la complexité de l’inté-
gration des fractions rationnelles. Soit a/f une fraction rationnelle en t et les x1`n.
Soit N le degré en les x1`n de f et dt
le degré en t de a et de f . Pour simplifier, on
suppose que le degré de a en les x1`n est au plus N − n − 1. Alors il existe un opé-
rateur d’ordre au plus N
n qui annule les périodes de R
R. De plus, la borne N
n
est
essentiellement optimale, même si sur des exemples particuliers, l’ordre de l’opérateur
peut être bien moindre. Nous donnons un algorithme qui calcule cet opérateur
en OH(N
8n
e
5ndt
) opérations dans le corps Q, où OH(A) signifie O(A logk A) pour un
certain k. Enfin, nous avons montré que le certificat peut être de taille comparable
à N
n
2
. En particulier l’opérateur peut être calculé sans son certificat. Pour donner
un point de comparaison, le nombre de monômes dans f
n
(en représentation dense)
est compris entre n(N+1)
ndt et nen
(N+1)
ndt
. La complexité totale de l’algorithme
est donc polynomiale en ce nombre.
Ces résultats reposent sur l’étude du cas générique, auquel on se ramène par
une méthode de déformation, et sur la méthode de Griffiths-Dwork. 27 L’idée
de la déformation a déjà été utilisée par Christol 28 dans un contexte similaire.
L’hypothèse de généricité s’exprime comme la régularité de l’hypersurface définie
par f sur le corps Q(t). Ceci peut surprendre car nous sommes habitués, dans
l’école de la création télescopique, à des algorithmes d’intégration qui ignorent
la nature géométrique du problème, en partie cachée par leur grande généralité.
C’est en partie paradoxal car les problèmes d’intégration ont eu un rôle important
dans les fondements de la géométrie algébrique moderne. 29 À l’inverse, l’étude du
cas rationnel rend de nouveau particulièrement apparente la nature géométrique.
Notre apport a été d’approfondir d’un point de vue algorithmique les méthodes
issues de la géométrie algébrique, et notamment les recherches sur la cohomologie
de Rham.
§14 ALGORITHME EFFICACE. — Si la complexité de l’algorithme par déformation
est maitrisée, il n’en est pas moins très lent en pratique dans les cas singuliers.
Or toutes les intégrales rationnelles qu’on rencontre sont singulières. Je me suis
donc intéressé au traitement du cas singulier en tant que tel, sans passer par une
déformation générique. Le résultat est un algorithme dont on ne sait évaluer la
complexité mais dont les performances en pratique sont plutôt satisfaisantes. Son
26. Bostan, Lairez et Salvy, « Creative telescoping for rational functions using the Griffiths–Dwork
method ».
27. Dwork, « On the zeta function of a hypersurface », §3, « On the zeta function of a hypersurface :
II », §8 ; Griffiths, « On the periods of certain rational integrals ».
28. Christol, « Diagonales de fractions rationnelles et équations de Picard-Fuchs ».
29. Houzel, La géométrie algébrique.
24 §143 Contributions
implémentation est élémentaire puisqu’elle n’utilise que des bases de Gröbner commutatives
et de l’algèbre linéaire. La mise en œuvre de cet algorithme m’a permis
de calculer de nombreuses intégrales qui étaient jusque-là inaccessibles. 30 Ici aussi
l’apport de la géométrie algébrique a été important : la preuve de la terminaison
de l’algorithme repose sur des théorèmes de Dimca. 31
§15 SOMMES BINOMIALES MULTIPLES. — Enfin, nous avons cherché, avec
Alin Bostan et Bruno Salvy, 32 à appliquer à des questions de sommation discrète
les résultats pratiques et théoriques obtenus sur les intégrales rationnelles. Nous
définissons précisément une classe de suites, les sommes binomiales, close pour de
nombreuses opérations (somme, produit, sommation indéfinie, etc) et contenant
les coefficients binomiaux. On y trouve toutes les sommes binomiales, y compris
les sommes multiples, au sens usuel du terme, comme
Xn
k=0
n
k
! n + k
k
! X
k
j=0
k
j
! 3
et Xn
i=0
Xn
j=0
i + j
j
! 2
4n − 2i − 2j
2n − 2i
!
.
Nous obtenons deux résultats. Dans les deux cas, le principe est d’éviter la
représentation des sommes binomiales par des systèmes d’équations récurrentes
pour lui préférer la représentation des séries génératrices des sommes binomiales
par des périodes d’intégrales rationnelles. L’idée n’est pas neuve, elle a notamment
été exploitée en profondeur par Egorychev 33 mais elle a été ici systématisée et
automatisée.
Le premier résultat montre que les sommes binomiales sont les coefficients des
diagonales de fractions rationnelles. S’il y a une part d’arbitraire dans la définition
des sommes binomiales, ce théorème montre une caractérisation intrinsèque.
L’existence d’un tel résultat est soupçonnée depuis longtemps mais c’est, à ma
connaissance, le premier énoncé précis d’une équivalence. 34
Le second résultat est un algorithme pour décider de l’égalité dans la classe des
sommes binomiales. On peut donc prouver de manière entièrement automatique,
et relativement rapide, des identités comme
Xn
r=0
Xn
s=0
(−1)
n+r+s
n
r
! n
s
! n + r
r
! n + s
s
! 2n − r − s
n
!
=
Xn
k=0
n
k
! 4
.
30. Lairez, Computing periods of rational integrals.
31. Dimca, « On the de Rham cohomology of a hypersurface complement », « On the Milnor fibrations
of weighted homogeneous polynomials ».
32. Travail encore inédit.
33. Egorychev, Integral representation and the computation of combinatorial sums.
34. Un résultat analogue mais de nature assez différente apparait dans la prépublication récente de
Garrabrant et Pak, « Counting with irrational tiles ».
§15 25Introduction
De nombreux outils existent déjà pour démontrer ce genre de somme, et même
des sommes bien plus générales que les sommes binomiales, mais une intervention
humaine est souvent nécessaire pour conclure les preuves. Ce que nous apportons
est un test d’égalité automatique de bout en bout sur la classe précisément délimitée
des sommes binomiales. Grâce à mon algorithme efficace pour l’intégration des
fractions rationnelles et à une procédure, appelée réduction géométrique, qui permet
de simplifier grandement les représentations intégrales, l’implémentation du test
d’égalité sur les sommes binomiales est assez compétitive en pratique.
4 Travaux précédents
§16. — Le calcul des périodes d’intégrales rationnelles et des sommes binomiales a
déjà été développé dans de nombreuses directions, et en particulier dans le cadre
de la création télescopique dont la portée est bien plus grande que les fractions
rationnelles et les sommes binomiales. On pourra consulter à ce sujet les revues de
Koutschan 35 et Chyzak. 36 Concernant les algorithmes qui traitent en particulier
l’intégration multiple des fractions rationnelles, trois familles ont particulièrement
été développées. Voici une petite sélection des algorithmes existants.
§17 FASENMAYER, VERBAETEN. — La première est issue des travaux de Fasenmayer
37 et de Verbaeten. 38 Les algorithmes par Wilf et Zeilberger 39 et Apagodu
et Zeilberger 40 s’appliquent aux fonctions hyperexponentielles, ce qui inclut les
fractions rationnelles. Le principe est de transformer l’équation §10.1 en un système
linéaire sur Q(t) en bornant a priori la taille d’une certaine solution. La méthode
est intéressante précisément pour ces bornes a priori. Malheureusement, le système
linéaire à résoudre est bien souvent énorme et la méthode ne peut éviter le calcul
du certificat, ce qui limite intrinsèquement son efficacité. L’argument de Lipshitz 41
pour montrer l’existence de certaines équations différentielles appartient aussi à
cette catégorie.
35. Koutschan, « Creative telescoping for holonomic functions ».
36. Chyzak, The ABC of Creative Telescoping : Algorithms, Bounds, Complexity.
37. Fasenmyer, « Some generalized hypergeometric polynomials ».
38. Verbaeten, « The automatic construction of pure recurrence relations ».
39. Wilf et Zeilberger, « An algorithmic proof theory for hypergeometric (ordinary and “q”) multisum/integral
identities ».
40. Apagodu et Zeilberger, « Multi-variable Zeilberger and Almkvist-Zeilberger algorithms and the
sharpening of Wilf- Zeilberger theory ».
41. Lipshitz, « The diagonal of a D-finite power series is D-finite ».
26 §184 Travaux précédents
§18 ZEILBERGER. — «L’algorithme rapide» de Zeilberger 42 a aussi eu une descendance
fournie. Le point commun de ces méthodes est de réduire la résolution
de l’équation §10.1 au calcul des solutions rationnelles d’un système d’équations
différentielles ordinaires linéaires. Picard a en fait utilisé cette méthode bien avant
pour calculer des intégrales doubles de fractions rationnelles. 43 Les algorithmes
de Chyzak 44 et Koutschan 45 sont de cette famille et s’appliquent à des fonctions
définies par un idéal D-fini d’une algèbre de Ore. Les fractions rationnelles et les
produits de coefficients binomiaux sont des cas très particuliers. L’utilisation de la
résolution en fractions rationnelles et des bases de Gröbner non commutatives rend
l’analyse de la complexité difficile. Des implémentations solides sont disponibles
en Maple (Mgfun) et Mathematica (HolonomicFunctions).
§19 TAKAYAMA. — Une dernière famille, développée notamment par Takayama, 46
mais aussi Galligo, 47 s’appuie sur la théorie des D-modules et a donné de nombreux
algorithmes. On notera notamment l’algorithme d’Oaku et Takayama 48
pour le calcul de la cohomologie de Rham — et en particulier le calcul du quotient
Af /
P
i ∂iAf — et les algorithmes de Oaku 49 pour calculer des intégrales de
fonctions holonomes sur des domaines semi-algébriques. Des implémentations
sont disponibles en Risa/Asir.
§20 AUTRES TRAVAUX. — Le cas des intégrales simples de fractions rationnelles
a été étudié d’un point de vue algorithmique par Bostan, Chen, Chyzak et Li 50 et
le cas des intégrales doubles par Chen, Kauers et Singer. 51 Notons aussi l’étude de
Picard 52 dont on peut extraire beaucoup d’idées algorithmiques.
La méthode de Griffiths-Dwork a déjà été utilisée à de nombreuses reprises,
par exemple pour le comptage de points, 53 ou l’étude des applications miroir. 54
42. Zeilberger, « The method of creative telescoping ».
43. Picard, « Sur les intégrales doubles de fonctions rationnelles dont tous les résidus sont nuls ».
44. Chyzak, « An extension of Zeilberger’s fast algorithm to general holonomic functions ».
45. Koutschan, « A fast approach to creative telescoping ».
46. Takayama, « An algorithm of constructing the integral of a module — an infinite dimensional
analog of Gröbner basis ».
47. Galligo, « Some algorithmic questions on ideals of differential operators ».
48. Oaku et Takayama, « An algorithm for de Rham cohomology groups of the complement of an
affine variety via D-module computation ».
49. Oaku, « Algorithms for integrals of holonomic functions over domains defined by polynomial
inequalities ».
50. Bostan, Chen, Chyzak et Li, « Complexity of creative telescoping for bivariate rational functions ».
51. Chen, Kauers et Singer, « Telescopers for Rational and Algebraic Functions via Residues ».
52. Picard et Simart, Théorie des fonctions algébriques de deux variables indépendantes.
53. Abbott, Kedlaya et Roe, « Bounding Picard numbers of surfaces using p-adic cohomology » ;
Gerkmann, « Relative rigid cohomology and deformation of hypersurfaces ».
54. Morrison, « Picard-Fuchs equations and mirror maps for hypersurfaces ».
§20 27Introduction
Indépendamment, Christol 55 utilise une construction similaire pour étudier les
diagonales de fractions rationnelles.
§21 SOMMES BINOMIALES. — Les algorithmes et les méthodes pour la sommation
discrète sont également nombreux, à commencer par ceux exposés par
Petkovšek, Wilf et Zeilberger. 56 Citons aussi, pour les sommes multiples, les algorithmes
de création télescopique de Wegschaider 57 et encore une fois ceux de
Chyzak 58 et Koutschan 59 qui traitent dans un même cadre sommation discrète
et intégration. Le point de vue des représentations intégrales, très différent, a été
beaucoup étudié par Egorychev. 60
55. Christol, « Diagonales de fractions rationnelles et equations différentielles ».
56. Petkovšek, Wilf et Zeilberger, A = B.
57. Wegschaider, « Computer generated proofs of binomial multi-sum identities ».
58. Chyzak, « An extension of Zeilberger’s fast algorithm to general holonomic functions ».
59. Koutschan, « A fast approach to creative telescoping ».
60. Egorychev, Integral representation and the computation of combinatorial sums.
28 §21I BORNES & COMPLEX ITÉ
§1 PRÉSENTATION DU PROBLÈME. — La question de calculer les périodes
des intégrales rationnelles se ramène, pour une part importante, à la question de
décider si une fraction rationnelle R(x1`n ) peut s’écrire ou non sous la forme
§1.1 R =
Xn
i=1
∂Ci
∂xi
,
pour certaines fractions Ci sans autre pôle que ceux de R — voir §8, introduction.
Concernant les périodes paramétrées, la question se posera en ces termes :
étant donnée une fraction rationnelle Rt en les variables x1`n et t, trouver des
polynômes a0 (t),. . . ,ar
(t) tels que
§1.2 Xr
j=0
aj
(t)
∂
jRt
∂t
j
=
Xn
i=1
∂Ci
∂xi
,
pour certaines fractions Ci sans autre pôle que ceux de Rt
. On dit alors que l’opérateur
P
j aj ∂
j
t
annule les périodes de l’intégrale R
R, ou H
R en bref. Si cet opérateur
est celui d’ordre minimal, alors c’est l’équation de Picard-Fuchs de H
R. Les Ci sont
appelés certificats car ils permettent après coup de vérifier que l’opérateur annule
bien les périodes de R
R : il suffit de vérifier l’égalité §1.2 entre deux fractions
rationnelles. Dans ce chapitre, je m’attache à donner des bornes sur la complexité
du calcul des aj
(t) et sur leur degré.
Dans cette formulation algébrique, l’opération analytique d’intégration n’apparait
plus, et le corps de base importe peu. Soit K un corps de caractéristique nulle.
Parfois on le supposera muni d’une dérivation δ, on pourra alors penser que K
est le corps à un paramètre Q(t) muni de la dérivation usuelle ∂t
. La dérivation δ
s’étend à K(x1`n ) en posant δ(xi
) = 0. La question est alors : étant donnée une
fraction rationnelle R en les variables x1`n à coefficients dans K, trouver a0,. . . ,ar
dans K tels que
§1.3 Xr
j=0
ajδ
j
(R) =
Xn
i=1
∂Ci
∂xi
,
29I Bornes & Complexité
pour certaines fractions Ci sans autre pôle que ceux de R. On dit alors que l’opérateur
P
j ajδ
j
annule les périodes de l’intégrale R
R, ou H
R en bref.
§2 RÉSULTAT PRINCIPAL. — Avec Alin Bostan et Bruno Salvy, 1 nous avons
obtenu un résultat de complexité concernant l’intégration multiple des fractions
rationnelles. La démonstration de ce résultat est l’objet de ce chapitre.
§2.1 Théorème (Bostan, Lairez, Salvy, 2013). — Soit R = a/f une fraction en les
variables t et x1,. . . ,xn, à coefficients dans Q. Soit N le maximum de degx
f et
de degx
a + n + 1 et soit dt
le maximum de degt
f et degt
a. Les périodes de l’inté-
grale R
R sont annulées par un opérateur d’ordre au plusN
n
et de degré au plusN
3n
e
ndt
.
Cet opérateur peut être calculé avec OH(N
8n
e
5ndt
) opérations dans Q.
La notation OH(A) signifie O(A logk A) pour un certain k. Les bornes sont uniformes
en tous les paramètres, elles restent donc valables pour des valeurs particulières
de n ou de N. L’outil principal de ce théorème est la méthode de GriffithsDwork
qui effectue la réduction des périodes sous une certaine hypothèse de
régularité. On se ramène au cas régulier par déformation.
Ce théorème étend en partie ce qui était connu pour les intégrales simples. 2 Des
algorithmes traitant d’une manière ou d’une autre les intégrales multiples, 3
c’est
le premier dont on puisse prouver que la complexité est polynomiale en N
n
et non
en N
n
2
. Si ce résultat n’est pas évident c’est parce que le certificat est en général de
taille bien plus importante que l’opérateur L.
En effet, écrivons L comme Pr
k=0
ak (t)∂
k
t
, où r est l’ordre de L. Par définition,
il existe des polynômes b1`n tels que
§2.2 L(R) =
Xn
i=1
∂
∂xi
bi
f
s
.
Le membre de gauche de l’équation §2.2 est une fraction de la forme b/f
r+1
et si on
suppose que f ne renferme aucun carré alors l’exposant r + 1 est minimal. On peut
écrire b comme (−f
0
)
ra + f c pour un certain polynôme c, où f
0 désigne ∂t f . Il est
facile de voir que génériquement le nombre de monômes dans b est au moins égal
1. Bostan, Lairez et Salvy, « Creative telescoping for rational functions using the Griffiths–Dwork
method ».
2. Bostan, Chen, Chyzak et Li, « Complexity of creative telescoping for bivariate rational functions ».
3. Apagodu et Zeilberger, « Multi-variable Zeilberger and Almkvist-Zeilberger algorithms and the
sharpening of Wilf- Zeilberger theory » ; Chyzak, « An extension of Zeilberger’s fast algorithm to
general holonomic functions » ; Koutschan, « A fast approach to creative telescoping » ; Lipshitz, « The
diagonal of a D-finite power series is D-finite » ; Takayama, « An algorithm of constructing the integral
of a module — an infinite dimensional analog of Gröbner basis » ; Zeilberger, « A holonomic systems
approach to special functions identities ».
30 §2au nombre de monômes dans (−f
0
)
r
. Toujours génériquement, le polynôme f
0
est de degré N et donc (−f
0
)
r de degré Nr et renferme donc typiquement
Nr+n
n
monômes, ce qui est plus grand que
Nr
n
+ 1
n
. On va voir que génériquement
l’ordre de L est à peu près N
n
, de sorte que le polynôme b contient au moins N
n
2
monômes, génériquement et dès que N > n.
Parallèlement, le membre de droite de l’équation §2.2 ne contient que n dérivations,
le nombre de monômes qu’on trouvera au numérateur est donc du même
ordre que le nombre des monômes que renferment les bi
. Au final on obtient que
le certificat est de taille comparable à N
n
2
, génériquement.
Dans le domaine de la création télescopique on a observé depuis longtemps
que le certificat est en général bien plus gros que l’opérateur calculé. Je crois
que l’argument ci-dessus est le premier argument quantitatif en ce sens. Ainsi,
tout algorithme qui calcule des certificats sous cette forme voit son efficacité
intrinsèquement limitée. Naturellement la question suivante est de savoir si on
peut calculer l’opérateur sans le certificat. Là aussi la question était ouverte pour
les intégrales multiples et le théorème §2.1 donne une réponse positive.
Notons toutefois que cet argument ne s’applique pas aux algorithmes de type
Chyzak 4
: ils traitent l’intégration multiple en réalisant des intégrations simples
en cascade, chaque étape construit des certificats mais les certificats finaux ne sont
pas nécessairement calculés. L’argument ci-dessus ne dit rien sur la taille de ces
certificats intermédiaires.
§3 INTÉGRALES SIMPLES. — Le cas des intégrales simples, c’est-à-dire par
rapport à une seule variable, est résolu élégamment par la méthode d’Hermite.
Le procédé élémentaire d’intégration des fractions rationnelles F1 (x )
F(x )
peut être
présenté sous une forme telle, que la résolution de l’équation F(x) = 0 ne
soit plus nécessaire pour le calcul de la partie algébrique de l’intégrale, mais
seulement pour en obtenir la partie transcendante. 5
Posons donc n = 1. Soit a/f
q une fraction rationnelle de K(x), avec a et f des
polynômes et q un entier. Supposons de plus que f ne contient pas de facteur
carré. Les polynômes a et f ne sont pas nécessairement premiers entre eux et toute
4. Chyzak, « An extension of Zeilberger’s fast algorithm to general holonomic functions » ; Koutschan,
« A fast approach to creative telescoping ».
5. Hermite, « Sur l’intégration des fractions rationnelles ».
§3 31I Bornes & Complexité
fraction se met sous cette forme. En considérant les racines de f dans une clôture
algébrique de K, la décomposition en éléments simples de a/f
q
s’écrit
a
f
q
=
X
f (α)=0
rα
x − α
| {z }
pôles simples
+
X
q
k=2
X
f (α)=0
sα,k
(x − α)
k
| {z }
pôles multiples
+
X
k>0
ukx
k
| {z }
partie entière
,
où les rα, sα,k et uk sont des nombres complexes. Il apparait que la partie entière et
les pôles multiples sont des dérivées :
a
f
q
=
X
f (α)=0
rα
x − α
+
∂
∂x
*
.
,
X
q
k=2
X
f (α)=0
1
1 − k
sα,k
(x − α)
k−1
+
X
k>0
uk
k + 1
x
k+1+
/
-
.
Ainsi, seuls les pôles simples contribuent aux périodes de a/f
q
. Définissons
"
a
f
q
#
déf
=
X
f (α)=0
rα
x − α
,
la forme réduite de a/f
q
. Elle est symétrique en les racines de f , donc elle est à
coefficients dans K. La fraction a/f
q ne diffère de sa forme réduite que par la
dérivée d’une fraction rationnelle. Analytiquement, pour tout cycle γ ne passant
pas par une racine de f
I
γ
a
f
q
dx =
I
γ
"
a
f
q
#
dx.
Réciproquement, on se convainc que si deux fractions ont les mêmes périodes,
alors elles ont la même forme réduite.
La méthode de réduction d’Hermite permet de calculer [a/f
q
] sans calculer les
racines de f . Quand q est 1, la forme réduite de a/f est simplement r/f où a =
u f + r est la division euclidienne de a par f . Pour q > 1, le principe est d’écrire a
comme u f +v f
0
, pour certains polynômes u et v et de constater que
§3.1
a
f
q
=
u +
1
q−1
v
0
f
q−1
−
∂
∂x
1
q − 1
v
f
q−1
!
.
Ainsi
"
a
f
q
#
=
u +
1
q−1
v
0
f
q−1
,
ce qui donne une procédure pour calculer [a/f
q
] par récurrence sur l’ordre du
pôle. Cette formule peut être interprétée comme l’intégration par parties de a/f
q
,
avec un choix judicieux des parties.
La réduction d’Hermite résout le problème de décider si une fraction rationnelle
32 §3est une dérivée d’une autre fraction, et elle peut aussi être utilisée pour calculer un
opérateur annulant les périodes d’une intégrale paramétrée R
a/f
q
.
6 Soit δ une
dérivation sur K. On pose alors R0 = [a/f
q
] et Rk+1 = [δ(Rk )], de sorte que Rk est
congru à δ
k
(a/f
q
) modulo les dérivées. Les Rk sont tous de la forme b/f , avec b
un polynôme en x de degré au plus deg f −1 ; par conséquent, ils sont linéairement
dépendants. On calcule alors une telle équation de liaison
Xr
j=0
ajRj = 0,
à coefficients dans K, et l’opérateur P
j ajδ
j
annule les périodes de R
a/f
q
.
§4 INTÉGRALES MULTIPLES. — À plusieurs variables, il n’existe pas de dé-
composition en éléments simples. Qu’à cela ne tienne, le principe de la réduction
d’Hermite reste valable. Et si a se décompose en u f +
Pn
i=1
vi ∂i f , alors
a
f
q
=
u +
1
q−1
P
i ∂ivi
f
q−1
−
Xn
i=1
1
q − 1
∂
∂xi
vi
f
q−1
,
formule analogue à l’équation §3.1. On est alors tenté de définir
"
a
f
q
#
=
u +
1
q−1
P
i ∂ivi
f
q−1
.
Si on peut obtenir quelques succès avec cette définition, elle reste très insatisfaisante.
Premièrement, on ne dispose pas de la division euclidienne, ainsi on ne peut pas
réduire le degré du numérateur quand q = 1. Deuxièmement, et c’est plus grave,
on ne peut pas en général décomposer a comme u f +
Pn
i=1
vi ∂i f . Le fait qu’il
existe pour tout a une telle réduction est équivalent à une propriété de nature
géométrique sur le lieu des points de Kn où s’annule f : la régularité.
Le premier point appelle à considérer des polynômes homogènes : si a et f sont
homogènes, et si a égale u f +
Pn
i=1
vi ∂i f , on peut toujours supposer que les vi
sont homogènes de degré deg a − deg f + 1, ce qui permet de contrôler les degrés
tout au long de la réduction. Le second point est une difficulté plus profonde.
§5 HOMOGÉNÉISATION. — Soit S une fraction homogène en les variables x0`n
telle que S|x0=1 égale R. Une fraction homogène est le quotient de deux polynômes
homogènes. On suppose de plus que S est de degré −n − 1, c’est-à-dire que la diffé-
rence des degrés du numérateur et du dénominateur égale −n − 1. Ces hypothèses
6. Bostan, Chen, Chyzak et Li, « Complexity of creative telescoping for bivariate rational functions ».
§5 33I Bornes & Complexité
(homogénéité et degré −n − 1) sont équivalentes au fait que S vérifie la relation
d’Euler
−(n + 1)S =
Xn
i=0
xi ∂iS.
Dans ces conditions, si S est de la forme Pn
i=0
∂iCi
, pour certaines fractions rationnelles
Ci sans autre pôle que ceux de S, alors R est de la forme Pn
i=1
∂iC
0
i
, pour
certaines fractions rationnelles C
0
i
sans autre pôle que ceux de R. Si de plus x0
divise le dénominateur de S, alors il y a équivalence. Ce sera prouvé au §10. Ceci
justifie de ne s’intéresser qu’au cas homogène : le cas affine s’y ramène. Le degré
−n − 1 est choisi pour que Sdx0 · · · dxn soit homogène de degré nul, et qu’ainsi
l’intégrale R
Sdx0 · · · dxn soit invariante par la dilatation des variables (x0,. . . ,xn )
changeant en (λx0,. . . ,λxn ).
§6 MÉTHODE DE GRIFFITHS-DWORK. — On note A l’anneau K[x0,. . . ,xn]
et Af
l’anneau A[1/f ]. Soit N le degré de f . À l’instar de la réduction d’Hermite, on
cherche à définir une application de réduction [ ] transformant un élément de Af
en un autre avec un pôle d’ordre inférieur.
Soit a/f
q une fraction homogène de degré −n − 1, c’est-à-dire que a est un
polynôme de degré qN − n − 1. On décompose a comme r +
Pn
i=0
vi ∂i f , où r est
choisi minimal pour un certain ordre monomial fixé. Comme a et les ∂i f sont des
polynômes homogènes, on peut toujours choisir r homogène de degré qN − n − 1
et chaque vi homogène de degré (q − 1)N − n. En particulier, si q = 1 alors les vi
sont nuls.
On pose alors, par récurrence sur l’ordre du pôle q
"
a
f
q
#
déf
=
r
f
q
+
"
1
q − 1
Pn
i=0
∂ivi
f
q−1
#
.
Si q vaut 1, le second terme est nul. À la différence de la réduction d’Hermite,
l’ordre du pôle n’est pas toujours réductible, ainsi la partie en r/f
q
est nécessaire.
On pourrait décomposer a en r +u f +
Pn
i=0
vi ∂i f , mais ce serait redondant car Nf
égale P
i xi ∂i f , par homogénéité.
Sous une hypothèse de régularité, Griffiths a montré que la réduction [a/f
q
] est
nulle si et seulement si a/f
q
est une somme de dérivées, c’est-à-dire un élément
de P
i ∂iAf
. On obtient donc un parfait analogue de la réduction d’Hermite, à la
fois dans les méthodes et dans les propriétés.
Il y a une ambiguïté dans la définition de la réduction de Griffiths-Dwork, puisqu’aucune
contrainte n’est imposée sur les vi
. On pourrait en fixer une mais en
fait [a/f
q
] ne dépend que de l’ordre monomial par rapport auquel on minimise r.
34 §6Ce point est toutefois important puisqu’il est à la base du nouvel algorithme de
réduction présenté au chapitre II.
§7 THÉORÈMES DE GRIFFITHS. — La démonstration du théorème §2.1 repose
sur deux théorèmes de Griffiths. 7 Soit f ∈ K[x0`n] un polynôme homogène. Le
premier décrit l’ordre des pôles dans les certificats :
§7.1 Théorème (Griffiths). — Si V(f ) est régulier dans P
n
, alors pour toute fraction
rationnelle a/f
q
, homogène de degré −n − 1, s’il existe des polynômes b0`n et un
entier s tels que a/f
q =
P
i ∂i
(bi /f
s
) alors il existe des polynômes b
0
0`n
tels que
a/f
q =
P
i ∂i
(b
0
i
/f
q−1
).
Ce théorème est en soi une solution au problème de décision : si a/f
q
est
homogène de degré −n − 1, alors on peut supposer que les b
0
i
/f
q−1
, s’ils existent,
sont homogènes de degré −n, et donc que les bi sont des polynômes homogènes
de degré (q − 1) deg f − n. Ainsi, le problème de décider si a/f
q
est une somme de
dérivées se ramène à la résolution d’un système d’équations linéaires.
Le second décrit jusqu’où peut être poussée la réduction de l’ordre du pôle :
§7.2 Théorème (Griffiths). — Si V(f ) est régulier dans P
n
, alors pour toute fraction
rationnelle a/f
q
, il existe une autre fraction a
0
/f
n
, homogène de degré −n − 1, des
polynômes b0`n et un entier s tels que
a/f
q = a
0
/f
n +
Xn
i=0
∂i
(bi /f
s
).
Nous verrons que ces deux théorèmes permettent de décrire précisément la
réduction de Griffiths-Dwork, sous l’hypothèse de régularité : pour toute fraction
a/f
q homogène de degré −n − 1, la réduction [a/f
q
] est nulle si et seulement
si a/f
q
est une somme de dérivées ; de plus, l’ordre du pôle de [a/f
q
] est au plus n.
§8 CAS SINGULIERS. — L’hypothèse de régularité dans les théorèmes de Griffiths
est très contraignante en pratique : je n’ai jamais croisé une intégrale digne d’intérêt
qui s’y conforme. C’est au premier abord surprenant car tout exemple générique
— c’est-à-dire pris au hasard dans l’ensemble des polynômes homogènes d’un degré
fixé — est régulier. Le cas usuel correspond plus au cas général qu’au cas générique.
La propriété de généricité de l’hypothèse de régularité implique néanmoins qu’on
peut toujours s’y ramener par une déformation convenable.
7. Griffiths, « On the periods of certain rational integrals », §4.
§8 35I Bornes & Complexité
On procède comme suit. Étant donnée a/f une fraction homogène à intégrer,
ne vérifiant pas l’hypothèse de régularité, on change f en fλ :
fλ
déf
= f + λ
Xn
i=0
x
deg f
i
,
où λ est une nouvelle variable libre. Sur le corps K(λ), ce nouveau fλ satisfait
toujours l’hypothèse de régularité. On peut ainsi lui appliquer la méthode de
Griffiths-Dwork et ensuite spécialiser λ en 0. Ainsi, toutes les bornes obtenues par
la méthode de Griffiths-Dwork dans le cas générique se transfèrent au cas général
par cette méthode de déformation.
§9 ISOMORPHISME EXPONENTIEL. — Pour mettre en œuvre la réduction de
Griffiths, il est pratique de représenter une fraction a/f
q par le polynôme aT
q
,
où T est une nouvelle variable. Si on fait des sommes, on se retrouve alors avec des
polynômes en T. Et on peut prendre en compte les éventuelles simplifications du
type f a/f
q+1 = a/f
q
en travaillant modulo la relation f T = 1. Puisqu’on travaille
avec des fractions homogènes de degré fixé, la variable T n’est pas nécessaire :
si a/f
q
est une fraction homogène de degré −n − 1, alors a est un polynôme
homogène de degré qN − n − 1, on peut donc retrouver q à partir du degré de a. La
fraction ∂i
(b/f
q
) valant ∂ib/f
q − qb∂i f /f
q+1
, pour b/f
q une fraction homogène
de degré −n, est représentée par le polynôme ∂ib − qb∂i f .
L’isomorphisme exponentiel affirme que dans cette représentation, il n’est pas
besoin de prendre en compte les simplifications par f puisque ces simplifications
peuvent s’exprimer comme des congruences modulo les dérivées. En renormalisant
les composantes homogènes, on obtient l’énoncé suivant : une fraction a/f
q
homogène de degré −n −1 est de la forme P
i ∂i
(bi /f
s
) pour certains polynômes bi
si et seulement si a est de la forme P
i
(∂ib
0
i − b
0
i
∂i f ) pour certains polynômes b
0
i
.
Le qualificatif exponentiel vient du fait que
X
i
(∂ib
0
i − b
0
i
∂i f )e
−f =
X
i
∂i
(b
0
i
e
−f
).
Autrement dit a/f
q
est de la forme P
i ∂i
(bi /f
s
) si et seulement si ae−f
est de la
forme P
i ∂i
(b
0
i
e
−f
). Ces quelques préliminaires algébriques et d’autres points qui
s’y rapportent sont l’objet de la section 1.
36 §101 Isomorphisme exponentiel
1 Isomorphisme exponentiel
§10 HOMOGÉNÉISATION. — Cette section met en place une reformulation, en
deux étapes, du problème du calcul des périodes. La première étape est l’homogénéisation.
Il y a une petite subtilité à propos du degré d’homogénéisation qui
apparait dans la preuve du lemme suivant.
§10.1 Lemme. — Soit R une fraction rationnelle en les variables x1`n, écrite sous la
forme b/д
q
. Soit S l’homogénéisation de R en degré −n − 1 :
S
déf
= x
−n−1
0 R(x1/x0,. . . ,xn/x0).
Écrivons S comme a/f
q
, avec a et f des polynômes homogènes tels que f|x0=1 égale д.
Si S s’écrit comme une somme Pn
i=0
∂i
(ci /f
s
), pour certains polynômes ci
, alors R
s’écrit comme Pn
i=1
∂i
(c
0
i
/д
s
0
), pour d’autres polynômes c
0
i
.
De plus, si x0 divise f , alors la réciproque est vraie.
Notons qu’on peut toujours supposer que x0 divise f , quitte à remplacer a/f
q
par x
q
0
a/(x0 f )
q
.
Démonstration. Supposons que S s’écrive comme une somme Pn
i=0
∂i
(ci /f
s
). En
évaluant x0 à 1, l’équation devient
R =
Xn
i=1
∂i
(ci
(1,x1`n )/f
s
) + (∂0 (c0/f
s
))
|x0=1
.
Le dernier terme semble poser problème. Cependant, comme S est homogène de
degré −n − 1, on peut supposer que les ci /f
s
sont homogènes de degré −n. En
particulier, la relation d’Euler implique
−nc0/f
s =
Xn
i=0
xi ∂i
(c0/f
s
) = x0∂0 (c0/f
s
) +
Xn
i=1
(∂i
(xic0/f
s
) − c0/f
s
) .
Ce qui donne finalement
R =
Xn
i=1
∂i
(ci
(1,x1`n )/д
s − xic0 (1,x1`n )/д
s
).
Réciproquement, supposons que x0 divise f . Si R =
Pn
i=1
∂i
(ci /д
s
), alors, par
homogénéisation
S =
Xn
i=1
∂i
(x
−n
0
ci
(
x1
x0
,. . . ,
xn
x0
)/f
s
).
§10 37I Bornes & Complexité
Les dénominateurs des fractions sous les signes ∂i peuvent renfermer un facteur x0 ;
mais si f s’écrit x0h, avec h un polynonôme, on peut faire disparaitre ce facteur
dans la puissance de f en écrivant 1
x0
comme h
f
, ce que l’on voulait.
§11 FORMULATION EXPONENTIELLE. — L’objet de la suite de cette section est
la mise en place de quelques définitions importantes et la preuve de l’isomorphisme
exponentiel. C’est un isomorphisme entre deux cohomologies dont l’énoncé précis et
la démonstration sont donnés au §14. On peut en donner la formulation élémentaire
suivante. Soit a/f
q une fraction rationnelle homogène de degré −n − 1 en les
variables x0`n. Sont équivalents :
– il existe des fractions rationnelles b0`n/f
s
telles que
§11.1 a/f
q =
Xn
i=0
∂i
(bi /f
s
);
– il existe des polynômes ˜b0`n de degré au plus (s deg f − n − 1) tels que, dans
l’anneau des séries formelles en les variables x0`n,
§11.2 ae−f =
Xn
i=0
∂i
(
˜bie
−f
);
– il existe des polynômes ˜b0`n de degré au plus (s deg f − n − 1) tels que
§11.3 a =
Xn
i=0
∂i
˜bi − ˜bi ∂i f
.
La nature même du problème à résoudre n’est pas modifiée par cette équivalence et
il serait sans doute possible de s’en passer ; cependant l’algèbre parait simplifiée et
l’implémentation des algorithmes est plus directe. En effet, la relation de simplification
f a/f
q+1 = a/f
q
implique qu’une fraction avec un pôle d’ordre apparent q + 1
peut être égale à une fraction avec un pôle d’ordre q sans être nulle, alors que
par ailleurs, un polynôme homogène de degré donné ne peut pas être égal à un
polynôme homogène de degré moindre sans être nul. En pratique, travailler avec la
troisième égalité plutôt que la première permet de remplacer des égalités modulo f
par des égalités strictes. Notons que la deuxième et la troisième assertion sont des
reformulations directes l’une de l’autre.
Les notations suivantes sont utilisées dans toute la suite : K est un corps de
caractéristique nulle et A est l’anneau de polynômes K[x0`n], où n est un entier
strictement positif ; la lettre f désigne un élément homogène de A et N son
degré ; l’idéal jacobien de f , noté Jf
, est l’idéal de A engendré par les dérivées
38 §11
Dynamique des graphes de terrain : analyse en temps
intrins`eque
Alice Albano
To cite this version:
Alice Albano. Dynamique des graphes de terrain : analyse en temps intrins`eque. Neural and
Evolutionary Computing. Universit´e Pierre et Marie Curie - Paris VI, 2014. French. .
HAL Id: tel-01088142
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01088142
Submitted on 27 Nov 2014
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destin´ee au d´epˆot et `a la diffusion de documents
scientifiques de niveau recherche, publi´es ou non,
´emanant des ´etablissements d’enseignement et de
recherche fran¸cais ou ´etrangers, des laboratoires
publics ou priv´es.THÈSE
dirigée par Bénédicte Le Grand et Jean-Loup Guillaume
présentée pour obtenir le grade de
DOCTEUR EN SCIENCES
DE L’UNIVERSITÉ PIERRE ET MARIE CURIE
spécialité Informatique
Dynamiqe des graphes de terrain :
analyse en temps intrinsèqe
Alice Albano
soutenue publiquement le 10 octobre 2014 devant le jury composé de
Rapporteurs : Florence Sèdes Professeur, Université de Toulouse
Éric Gaussier Professeur, Université Grenoble I
Examinateurs : Martine Collard Professeur, Université des Antilles et de la Guyane
Anthony Perez Maître de Conférences, Université d’Orléans
Marcelo Dias De Amorim Directeur de Recherche, Université Paris 6
Directeurs : Bénédicte Le Grand Professeur, Université Paris I
Jean-Loup Guillaume Professeur, Université de La Rochelle
Laboratoire d’Informatique de Paris 6 École doctorale EDITERemerciements
Tout d’abord, je souhaite remercier Bénédicte et Jean-Loup pour ces trois
années de thèse passées en leur compagnie. Je n’ai pas été une thésarde modèle, et
sans vous, j’aurais sans doute arrêté en cours de route. Merci bien sûr pour votre
encadrement, vos idées, votre façon de travailler et de me faire conance. Un grand
merci également pour tous les bons moments passés ensemble, les pouet canards,
les journées couture, les lancers de peluche, et autres. J’espère bien que la n de
ma thèse ne marquera pas la n de tout ça !
Je remercie Florence Sèdes et Éric Gaussier qui ont accepté d’être les rapporteurs
de mon travail, ainsi que Martine Collard, Anthony Perez et Marcelo Dias de
Amorim qui ont bien voulu faire partie de mon jury.
Merci à mes tous mes collègues du LIP6 avec qui j’ai travaillé pendant ces trois
années. En particulier, merci à Max pour ta bonne humeur et tes théories pour
le moins étranges. Merci à Daniel, Lionel et Serguey pour toutes les discussions
en salle de pause. Thomas, je n’ai pas pu te croiser très longtemps au laboratoire,
mais j’ai beaucoup apprécié ta compagnie. Un grand merci à Véronique aussi,
qui gère de façon magistrale tout l’aspect administratif, aussi complexe soit-il.
Merci également à tous mes collègues du CRI pour leur accueil chaleureux quand
Bénédicte a rejoint leur laboratoire.
Je souhaite également remercier les membres du conseil de l’EDITE, auquel
j’ai participé pendant deux ans. Cette expérience a été très instructive pour moi.
En particulier, merci à Marilyn Galopin pour sa gentillesse à mon égard.
Un grand merci à mes cobureaux pendant ces trois ans, qui ont réussi avec
plus ou moins de succès à me supporter au quotidien, et qui m’ont beaucoup aidé
pendant ma thèse. Sébastien, notre partage de bureau était bien sympathique et
je regrette qu’il se soit terminé prématurément. Mais il a été suivi du partage de
notre directrice de thèse, ce qui m’a bien consolé. Damien, merci pour le petit koala
mignon qui s’est accroché à mon écran pour surveiller la rédaction de ma thèse.
Je voudrais remercier Raphaël qui a été un collègue formidable, mais également
un ami. Nous avons partagé longuement nos hésitations et notre cynisme sur nos
carrières, et ça m’a beaucoup aidé. Je te souhaite bonne chance pour la suite !
Noé, je suis très contente d’avoir pu te croiser au labo pendant ma dernière
année de thèse. Merci beaucoup pour toutes les pauses jeu, qui ont rendu mes
journées de travail clairement plus agréables. Merci pour ton soutien en toutes
circonstances, et pour ton sens de la contradiction sur lequel on peut toujours
compter. Je proposerais bien de te remercier avec des cookies, mais je doute que tu
puisses tous les manger !4
Merci beaucoup à Julien et Cécile, vous avez toujours été adorables avec moi.
Les week-end passés avec vous ont été très agréables.
J’adresse un grand merci à Mel pour sa compagnie pendant mes années de
thèse. On a passé des très bons moments ensemble, et j’espère que nous pourrons
en passer d’autres.
Je souhaite bien sûr remercier mes parents et mon frère pour leur soutien
inconditionnel.
Enn, Vico, tu partages ma vie, merci pour tout ton soutien et ton amour.Table des matières
Remerciements 3
1 Introduction 11
1.1 Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1.2 Contributions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.3 Plan du mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
2 État de l’art et approche proposée 15
2.1 Formalisation d’un graphe dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . 16
2.2 État de l’art sur l’étude des graphes dynamiques . . . . . . . . . . 18
2.2.1 Agrégation sur des fenêtres et suivi de propriétés statiques 18
2.2.2 Modèles aléatoires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
2.2.3 Propriétés dynamiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
2.3 Notre approche : échelle de temps intrinsèque . . . . . . . . . . . 27
2.3.1 Dénition du temps intrinsèque . . . . . . . . . . . . . . . 28
2.3.2 Travaux existants sur la notion de temps intrinsèque . . . 30
2.4 Jeux de données utilisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
2.4.1 Graphes synthétiques Barabási-Albert (BA) . . . . . . . . . 31
2.4.2 Réseau Github . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
2.4.3 Jeu de données Webuence . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
2.4.4 Jeu de données Infectious SocioPatterns . . . . . . . . . . 35
2.4.5 Jeu de données Infocom 2006 . . . . . . . . . . . . . . . . 37
2.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
3 Diusion et temps intrinsèque 39
3.1 Diusion : dénition, modèles et état de l’art . . . . . . . . . . . . 39
3.1.1 Dénition d’une diusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
3.1.2 Modèles de diusion classiques . . . . . . . . . . . . . . . 41
3.1.3 Travaux existants sur la diusion . . . . . . . . . . . . . . 43
3.1.4 Notre approche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
3.2 Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
3.2.1 Modèle de diusion utilisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
3.2.2 Analyse de la diusion en temps intrinsèque . . . . . . . . 51
3.2.3 Exemple sur des graphes synthétiques Barabási-Albert . . 51Table des matières 7
3.3 Résultats expérimentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
3.3.1 Résultats sur le réseau Github . . . . . . . . . . . . . . . . 53
3.3.2 Résultats sur le réseau de blogs (Webuence) . . . . . . . . 56
3.3.3 Résultats sur le réseau de contacts Infectious SocioPatterns :
impact de la dénition du temps intrinsèque . . . . . . . . 58
3.4 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
4 Application du temps intrinsèque aux communautés dynamiques 63
4.1 Détection de communautés : dénitions . . . . . . . . . . . . . . . 64
4.1.1 Communautés de nœuds sur un graphe statique . . . . . . 64
4.1.2 Communautés de nœuds sur un graphe dynamique . . . . 65
4.2 Travaux existants sur la détection de communautés dynamiques . 66
4.2.1 Algorithmes statiques sur instantanés de graphes dynamiques 66
4.2.2 Algorithmes directs de détection de communautés dynamiques
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4.2.3 Algorithmes de détection de communautés en mode ux . 68
4.2.4 Détection de communautés stables au cours du temps . . . 69
4.2.5 Notre approche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
4.3 Temps intrinsèque et communautés stables . . . . . . . . . . . . . 72
4.3.1 Communautés stables calculées et analysées en temps extrinsèque
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
4.3.2 Communautés stables calculées et analysées en temps intrinsèque
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
4.3.3 Comparaison des notions de temps . . . . . . . . . . . . . 76
4.4 Visualisation et interprétation des communautés . . . . . . . . . . 81
4.4.1 Premier exemple d’interprétation . . . . . . . . . . . . . . 82
4.4.2 Second exemple d’interprétation . . . . . . . . . . . . . . . 83
4.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
5 Conclusions et perspectives 87
Annexes 93
A Diusion de chiers dans un réseau pair-à-pair 93
A.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
A.2 Jeu de données et diusion observée . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
A.2.1 Données utilisées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
A.2.2 Graphe d’intérêt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
A.2.3 Diusion observée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
A.3 Modélisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
A.3.1 Premier modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
A.3.2 Deuxième modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
A.3.3 Interprétation du nouveau modèle . . . . . . . . . . . . . . 988 Table des matières
A.4 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
B Étude d’un réseau dynamique de l’activité cérébrale 101
B.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
B.2 Description du jeu de données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
B.3 Détection de communautés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
B.3.1 Communautés stables au cours du temps . . . . . . . . . . 103
B.3.2 Cœurs de communautés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
B.4 Perspective : modularité et poids négatifs . . . . . . . . . . . . . . 105
Bibliographie 107Table des gures
2.1 Exemple de graphe dynamique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
2.2 Agrégation d’un graphe dynamique sur une fenêtre de temps. . . 18
2.3 Notions de fenêtres successives et glissantes. . . . . . . . . . . . . 19
2.4 Inuence de la taille de la fenêtre de temps sur le degré moyen et
le coecient de clustering . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
2.5 Nombre de nœuds observés en fonction du temps et en fonction
du nombre de liens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
2.6 Conversion du temps extrinsèque en temps intrinsèque (déni en
modications de liens). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
2.7 Conversion du temps extrinsèque en temps intrinsèque (déni en
modication de nœuds). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.8 Nombre de nœuds et liens dans Github, et évolution du degré maximal 33
2.9 Nombre de nœuds dans le réseau de blogs . . . . . . . . . . . . . . 35
2.10 Nombre de nœuds et liens dans le réseau Infectious SocioPatterns 36
2.11 Nombre de liens dans le réseau Infocom 2006 . . . . . . . . . . . . 38
3.1 Exemple de diusion sur graphe statique . . . . . . . . . . . . . . 40
3.2 Exemple de diusion sur graphe dynamique . . . . . . . . . . . . 40
3.3 Modèles de diusion SI, SIS et SIR . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
3.4 Diusion d’un modèle SI sur un graphe Barabási-Albert . . . . . . 50
3.5 Diusion en temps extrinsèque, extrinsèque converti en intrinsèque
et intrinsèque sur un graphe Barabási-Albert . . . . . . . . . . . . 52
3.6 Diusion en temps extrinsèque, extrinsèque converti en intrinsèque
et intrinsèque sur le graphe Github . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
3.7 Diusion en temps extrinsèque, extrinsèque converti en intrinsèque
et intrinsèque sur le graphe des blogs . . . . . . . . . . . . . . . . 57
3.8 Diusion en temps extrinsèque, extrinsèque converti en intrinsèque
et intrinsèque sur le graphe Infectious SocioPatterns . . . . . . . . 59
4.1 Exemple de communautés de nœuds sur un graphe statique . . . . 64
4.2 Suivi de communautés dynamiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
4.3 Exemple d’arbres produits par l’algorithme de classication hiérarchique
du temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
4.4 Communautés extrinsèques stables au cours du temps . . . . . . . 74
4.5 Structure hiérarchique pour des fenêtres de temps extrinsèque . . 7510 Table des gures
4.6 Communautés intrinsèques stables au cours du temps . . . . . . . 76
4.7 Temps intrinsèque en fonction du temps extrinsèque et communautés
stables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
4.8 Diérents cas de gure pour l’analyse des communautés stables
en temps intrinsèque et extrinsèque . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
4.9 Structure hiérarchique pour les fenêtres extrinsèques 2 et 7 . . . . 80
4.10 Graphe (fenêtre 2) agrégé sur fenêtre extrinsèque, et sur fenêtres
intrinsèques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
4.11 Graphe (fenêtre 7) agrégé sur fenêtre extrinsèque, et sur fenêtres
intrinsèques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
A.1 Construction du graphe d’intérêt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
A.2 Diusion observée sur deux jeux de données pair-à-pair . . . . . . 95
A.3 Deux simulations de diusion et comparaison de la diusion observée 97
A.4 Variation du paramètre de contagion . . . . . . . . . . . . . . . . 99
B.1 Distribution cumulée de la moyenne des poids des liens. . . . . . . 102
B.2 Évolution minimale et maximale de la variance . . . . . . . . . . . 103
B.3 Arbre des fenêtres de temps. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
B.4 Taille des cœurs en fonction du seuil . . . . . . . . . . . . . . . . . 104Chapitre 1
Introduction
Sommaire
1.1 Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1.2 Contributions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.3 Plan du mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.1 Contexte
Nous sommes entourés par une multitude de réseaux d’interactions, issus de
contextes très diérents : réseau social, réseau d’interactions entre neurones, réseau
de transport, réseau de contacts, réseau de cellules, réseau de téléphonie, etc. Ces
réseaux d’interactions peuvent être modélisés par des graphes. Un réseau social,
comme Twitter ou Facebook, peut ainsi être vu comme un graphe dans lequel les
nœuds sont les utilisateurs, et les liens représentent les relations d’amitiés entre ces
utilisateurs. Ces graphes modélisant des interactions du monde réel sont appelés
graphes de terrain (ou complex networks en anglais).
Malgré ces origines variées, les graphes de terrain possèdent des caractéristiques
communes. Notamment, ils ont une distribution de degrés hétérogène,
c’est-à-dire que quelques nœuds sont très connectés, et la plupart des nœuds le
sont très peu. D’autre part, le diamètre de ces réseaux, c’est-à-dire la distance entre
les nœuds les plus éloignés, est en général assez petite. C’est ce qu’on appelle le
phénomène de "petit monde".
Il a aussi été montré que les graphes de terrains possèdent une structure en
communautés, c’est-à-dire en groupes de nœuds très liés entre eux, et peu liés
avec les autres. L’identication des communautés permet de mieux comprendre la
structure du graphe étudié, quel que soit son domaine. Elle permet par exemple de
déterminer de manière automatique les groupes dans un réseau social : personnes
travaillant au même endroit, promotion de classe, etc.
Un autre phénomène que l’on étudie sur les graphes dans de nombreux contextes
est la diusion. La propagation d’une maladie en est un exemple : une personne12 Chapitre 1. Introduction
atteinte d’un virus risque de contaminer les gens qu’elle côtoie. Ceux-ci peuvent
alors contaminer à leur tour certaines de leurs relations, etc. Le virus se propage
ainsi au sein de la population, en suivant les interactions entre les individus. L’étude
de la diusion des maladies fait partie du domaine de l’épidémiologie, mais une
diusion peut se produire dans d’autres contextes : diusion d’information sur un
réseau social ou un réseau de téléphonie, diusion de chier sur un réseau pair-à-
pair, diusion de monnaie dans une population, diusion d’un virus informatique,
etc.
Les questions de recherche présentées ci-dessus ont été beaucoup étudiées
avec des graphes statiques. Cependant, les systèmes considérés sont en constante
évolution, ce qui a donc naturellement donné lieu à l’utilisation de graphes dynamiques
où les nœuds et les liens peuvent apparaître et disparaître au cours du
temps. Par exemple, un graphe modélisant un réseau social en ligne comme Facebook
est clairement dynamique : les relations entre les personnes sont en évolution
permanente. Lorsqu’une personne s’inscrit, on observe un nouveau nœud dans
le graphe. Quand elle ajoute ou enlève des contacts avec d’autres personnes, de
nouveaux liens sont créés ou supprimés. L’étude des graphes dynamiques est un
domaine de recherche assez récent, qui a émergé depuis une quinzaine d’années et
le fait d’observer un graphe qui évolue au cours du temps soulève de nombreuses
questions complexes : les mesures classiques sur les graphes statiques, comme la
distance, le degré, le diamètre, la centralité ou les chemins ne peuvent pas être
toujours être généralisées dans le cas des graphes dynamiques. Il faut dénir de
nouvelles métriques caractérisant la dynamique.
Les premières études sur les graphes de terrain dynamiques ont cherché à se
ramener à des graphes statiques, an de pouvoir réutiliser les connaissances
existantes. Pour cela, on peut soit considérer un graphe dynamique comme une
succession de graphes statiques, soit agréger toutes les informations d’un graphe
dynamique en un unique graphe statique : ce seul graphe contient alors tous les
nœuds et connexions qui ont existé au cours du temps dans le graphe dynamique.
Cependant, essayer de ramener un phénomène en constante évolution à quelque
chose d’immobile engendre nécessairement une perte d’information : même si l’on
connaît toutes les connexions qui ont existé au cours du temps dans un graphe,
on perd l’ordre dans lequel ces connexions se sont produites. Pour cette raison,
les travaux plus récents sur les graphes dynamiques se focalisent sur l’étude de
propriétés dynamiques et ne cherchent plus à se ramener à un graphe statique.
1.2 Contributions
Dans ce contexte, la façon d’étudier un phénomène dynamique dépend d’un
paramètre important, mais souvent peu étudié : l’échelle de temps selon laquelle
on observe ce phénomène. Selon l’échelle choisie, la dynamique du graphe peut1.3. Plan du mémoire 13
varier de manière très importante. Par exemple, sur un réseau social (au sein d’une
zone géographique donnée), l’activité nocturne est en général plus limitée. Si l’on
observe le graphe toutes les heures, cette baisse d’activité pourra clairement être
constatée (en mesurant le nombre de nouveaux liens par heure au cours du temps
par exemple). Cependant, si l’on observe le graphe toutes les 24 heures, la baisse
d’activité chaque nuit ne pourra pas être détectée par la simple observation du
nombre de nouveaux liens par jour. Le choix de l’échelle de temps est donc très
important pour l’étude d’un graphe ou d’un processus dynamique.
Dans cette thèse, nous proposons d’étudier des graphes et des processus dynamiques
en utilisant une échelle de temps adaptée à leur dynamique. An que
celle-ci soit pertinente quelle que soit la dynamique du phénomène étudié, il faut
qu’elle dépende directement du graphe, et pas d’une unité absolue comme la seconde
ou la journée. Nous considérons ici une notion de temps relatif, que nous
appelons le temps intrinsèque, par opposition au temps "classique", que nous
appelons temps extrinsèque.
Nous proposons de dénir l’unité de temps intrinsèque par l’occurrence d’une
modication sur le graphe. Un tel événement peut se dénir de manière variée,
comme l’apparition ou la disparition d’un lien par exemple. Dans ce cas, chaque
variation de lien dans le graphe dynamique correspond à un pas de temps intrinsèque,
quel que soit le temps écoulé en secondes depuis l’événement précédent.
Il s’agit donc d’une mesure naturellement liée au graphe. Le fait de considé-
rer un graphe selon cette échelle de temps intrinsèque change complètement les
observations que l’on peut faire. En eet, dans un graphe avec une dynamique
importante, le temps ne s’écoule plus de manière linéaire, mais suit les événements
du graphe. Ainsi, de nombreuses variations de liens sur quelques secondes
correspondent à un grand nombre d’unités de temps intrinsèque.
La contribution majeure de cette thèse est de proposer et d’évaluer une
méthodologie reposant sur la notion de temps intrinsèque pour l’étude
des phénomènes de diusion et du calcul de communautés dans des graphes
dynamiques. L’approche proposée dans cette thèse consiste à considérer le graphe
à une échelle de temps qui reète la dynamique de celui-ci, en la dénissant directement
par rapport au graphe observé.
1.3 Plan du mémoire
Ce mémoire est organisé en trois parties :
– État de l’art et dénition du temps intrinsèque : Dans le chapitre 2,
nous présentons un état de l’art sur l’étude de la dynamique des graphes,
puis nous dénissons la notion de temps intrinsèque sur un graphe évoluant
au cours du temps. Nous présentons également les jeux de données que nous
avons utilisés dans nos travaux.14 Chapitre 1. Introduction
– Diusion sur des graphes dynamiques en temps intrinsèque : nous
étudions dans le chapitre 3 des phénomènes de diusion selon une échelle
de temps intrinsèque, et nous comparons les résultats obtenus avec une
échelle de temps extrinsèque. Ceci nous permet à la fois de montrer l’intérêt
de l’échelle de temps intrinsèque pour mieux comprendre un phénomène
de diusion et la dynamique d’un graphe, et de mettre en évidence le fait
qu’un même phénomène observé à deux échelles de temps diérentes puisse
présenter un comportement très diérent. Nous avons appliqué cette mé-
thodologie à trois jeux de données réels issus de contextes variés. Ces trois
jeux de données possédant une dynamique variée, nous avons pu montrer
l’intérêt de l’échelle intrinsèque dans trois contextes diérents, ce qui montre
le caractère générique de cette méthodologie. De plus, ces diérences nous
permettent d’évaluer la pertinence de notre dénition du temps intrinsèque
au regard de la dynamique du graphe. Ces travaux ont été publiés dans
[Albano, 2011], [Albano et al., 2012], [Albano et al., 2013] et [Albano et al.,
2014a].
– Communautés stables au cours du temps : nous analysons dans le chapitre
4 la pertinence de l’utilisation du temps intrinsèque pour la détection de
communautés dynamiques. Pour cela, nous utilisons un algorithme connu,
que nous appliquons aux échelles de temps intrinsèque et extrinsèque. La
comparaison des communautés obtenues selon les deux échelles de temps
nous montre qu’une échelle de temps intrinsèque permet la détection de
communautés beaucoup plus signicatives et détaillées que l’échelle de
temps extrinsèque. De plus, l’utilisation de l’échelle de temps intrinsèque
ne nécessite aucun paramétrage de l’algorithme pour fournir des résultats
pertinents, contrairement à l’utilisation de l’échelle de temps extrinsèque.
Ces travaux ont été publiés dans [Albano et al., 2014b].
Enn, après une conclusion sur nos travaux et les pistes de recherches qu’ils
ouvrent, nous présentons en annexe nos recherches sur un cas particulier de
diusion observée dans un réseau pair-à-pair dynamique, ainsi que sur l’étude de
la dynamique et la structure en communautés d’un réseau représentant l’activité
cérébrale.Chapitre 2
État de l’art et approche proposée
Sommaire
2.1 Formalisation d’un graphe dynamique . . . . . . . . . . . . . 16
2.2 État de l’art sur l’étude des graphes dynamiques . . . . . . . . 18
2.2.1 Agrégation sur des fenêtres et suivi de propriétés statiques
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
2.2.2 Modèles aléatoires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
2.2.3 Propriétés dynamiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
2.3 Notre approche : échelle de temps intrinsèque . . . . . . . . . 27
2.3.1 Dénition du temps intrinsèque . . . . . . . . . . . . 28
2.3.2 Travaux existants sur la notion de temps intrinsèque 30
2.4 Jeux de données utilisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
2.4.1 Graphes synthétiques Barabási-Albert (BA) . . . . . . 31
2.4.2 Réseau Github . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
2.4.3 Jeu de données Webuence . . . . . . . . . . . . . . . 34
2.4.4 Jeu de données Infectious SocioPatterns . . . . . . . 35
2.4.5 Jeu de données Infocom 2006 . . . . . . . . . . . . . . 37
2.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
L
es graphes de terrains dynamiques sont issus de contextes très variés. Par
exemple, les réseaux de contacts physiques consistent à représenter l’interaction
de personnes : deux personnes assez proches en termes de distance possèdent
un lien entre elles. Les réseaux de communication sont également des graphes de
terrain dynamiques : qui téléphone ou écrit à qui ? Ces réseaux sont également
très présents en biologie : réseaux d’interactions de neurones, réseaux de cellules,
réseaux d’animaux, etc. Les travaux de [Holme and Saramäki, 2012] recensent des
types très variés de réseaux dynamiques. Selon le phénomène que l’on observe,
la dynamique du graphe peut varier de manière signicative. Dans certains cas,
tous les nœuds restent présents tout le temps, et seuls les liens varient au cours du
temps. C’est le cas par exemple d’un réseau de neurones. Dans d’autres cas, les
nœuds varient également, ce qui rend la dynamique plus complexe, comme dans
les réseaux de contacts physiques.16 Chapitre 2. État de l’art et approche proposée
La gure 2.1 montre un exemple de graphe dynamique. À t = 1s, nous observons
un graphe avec 6 nœuds et 6 liens. À t = 2s, aucun changement ne se produit
dans le graphe. À t = 3s, un lien se crée entre deux nœuds, on obtient donc un
graphe à 6 nœuds et 7 liens. À t = 4s, un nœud et un lien se créent, et un autre
lien disparaît. On a donc au nal 7 nœuds et 7 liens. À t = 5s, un lien disparaît et
un autre apparaît.
Figure 2.1 – Exemple de graphe dynamique.
Nous voyons sur cet exemple que la dynamique peut être très variable. En eet,
à certains moments, seuls les liens varient, et à d’autres, nœuds et liens changent
en même temps. Nous pouvons également observer qu’à certains moments, seules
des créations ou disparitions de nœuds et de liens se produisent, alors qu’à d’autres
moments, les deux phénomènes se déroulent en même temps.
2.1 Formalisation d’un graphe dynamique
Dans les travaux existants sur le domaine, les graphes dynamiques sont désignés
par diérents noms : temporal networks, evolving graphs, time-varying graphs, timestamped
graphs, dynamic graphs, link streams. Tous ces noms désignent le même
type d’objets. Deux principales familles de formalisations de graphes dynamiques
peuvent être trouvées dans la littérature.
Nous présentons ici une notation pour chacune de ces familles, mais de légères
variantes peuvent exister pour chaque cas. Ces variantes sont des modications
mineures et ne modient pas l’intérêt et les inconvénients de la notation. Une
façon de représenter un graphe dynamique consiste à le formaliser sous forme
de ots de liens (link streams) [Kempe et al., 2000] : à chaque lien, on associe son
temps d’apparition, et éventuellement sa durée si l’information est disponible. On
obtient donc une suite de quadruplets au format suivant : (u, v, t, δt), où u et v
sont des nœuds, t est le début de l’interaction entre u et v, et δt est la durée de
l’interaction. On retrouve quelquefois la notation (u, v, te, tf ), avec te le temps de
début du lien, et tf le temps de n du lien. Si l’information de durée du lien n’existe
pas, on utilise des triplets (u, v, t) pour formaliser le graphe. Par exemple, si on
considère un graphe d’envoi de mails, la seule information temporelle disponible a
priori est celle de l’instant d’envoi des mails. Si l’on a besoin d’avoir une durée sur
les liens, on peut éventuellement calculer articiellement une durée de vie des liens,
UNIVERSITE MOHAMMED V-AGDAL
FACULTE DES SCIENCES
Rabat
Faculté des Sciences, 4 Avenue Ibn Battouta B.P. 1014 RP, Rabat – Maroc
Tel +212 (0) 37 77 18 34/35/38, Fax : +212 (0) 37 77 42 61, http://www.fsr.ac.ma
N° d’ordre : 2725
THÈSE DE DOCTORAT
Présentée par
Omar El KADMIRI
Spécialité : Électronique Et Traitement Des Images
Titre
CONTRIBUTION A LA STEREOVISION OMNIDIRECTIONNELLE ET
AU TRAITEMENT DES IMAGES CATADIOPTRIQUES :
APPLICATION AUX SYSTEMES AUTONOMES
Soutenue le 8 Septembre 2014 devant le jury composé de :
Présidente :
Mme. Rajaa CHERKAOUI EL MOURSLI PES Faculté des Sciences de Rabat,
Maroc
Examinateurs :
Mr. Lhoussaine MASMOUDI PES Faculté des Sciences de Rabat, Maroc
Mr. Noureddine ZAHID PES Faculté des Sciences de Rabat, Maroc
Mr. Fatah JARACHI PES Ecole Mohammadia d'ingénieurs, Maroc
Mr. Javier González Jiménez PES Universidad de Málaga, EspagneA mon père;
A ma mère;
A ma femme Kaoutar ;
A ma sœur Nadia;
A mon frère Zakaria;
A mon frère Samir;
Ali EL KADMIRI & Fatima SERROUKHi
Remerciements
Les travaux de recherche de cette thèse ont été réalisés dans le Laboratoire
d’Electronique et de Traitement du Signal/Géomatique, sous la direction de Mr
Lhoussaine MASMOUDI.
Sans doute la section la plus juteuse d’une thèse de Doctorat, est celle des
remerciements. Dans un futur lointain, ce mémoire sera feuilleté par quelqu’un,
dans une bibliothèque ou par curiosité, probablement son contenu pourra être
expiré, mais la passion qui a réuni tant d’humains à accomplir ce travail ne le sera
jamais.
Tout d’abord je tiens à remercier Pr. Lhoussaine MASMOUDI, mon directeur de
thèse, qui m'a fait découvrir la vision par ordinateur, depuis mon projet de fin
d’études du cycle licence, et m'a initié à l'art de l'écriture d'articles. Sans son
soutien, à la fois scientifique, moral et matériel, ce travail n'aurait pas été possible.
Je suis très reconnaissant à Madame Rajaa CHERKAOUI EL MOURSLI qui a
accepté de présider le jury.
Je remercie le Professeur Noureddine ZAHID d’avoir accepté de rapporter ma
thèse, d’autant que les délais étaient très courts, et d’avoir assisté à ma soutenance
de thèse autant que membre du jury.
Je tiens à remercier Pr. Fatah JARACHI, de l’Ecole Mohammadia d'Ingénieurs,
autant que rapporteur, ainsi que membre du jury.
Mes remerciements vont également vers Mr. Javier González Jiménez qui s’est
déplacé d’Espagne pour assister à la soutenance autant que rapporteur et membre
du jury.
Je remercie chaleureusement tous les membres du Laboratoire LETS/Geomat,
spécialement mon frère Zakaria EL KADMIRI doctorant dans la même structure
de recherche pour son soutien. Je ne peux oublier les jeunes membres de l’équipe
"LETS juniors", Saleh EL JOUMANI, Salah MOUGHYT, Said OUKACHA, et
Zakaria EL JOUAHARI, qui ont partagé avec moi la passion de l’électronique et
de la robotique.Abstract
Computer vision and digital image processing are two disciplines aiming to endow
computers with a sense of perception and image analysis, similar to that of
humans. Artificial visual perception can be greatly enhanced when a large field of
view is available.
This thesis deals with the use of omnidirectional cameras as a mean of expanding
the field of view of computer vision systems. The visual perception of depth (3D)
by means of omnistereo configurations, and special processing algorithms adapted
to catadioptric images, are the main subjects studied in this thesis.
Firstly a survey on 3D omnidirectional vision systems is conducted. It highlights
the main approaches for obtaining depth information, and provides valuable
indications for the choice of the configuration according to the application
requirements. Then the design of an omnistereo sensor is addressed, we present a
new configuration of the proposed sensor formed by a unique catadioptric camera,
dedicated to robotic applications. An experimental investigation of depth
estimation accuracy was conducted to validate the new configuration.
Digital images acquired by catadioptric cameras present various special
geometrical proprieties, such as non-uniform resolution and severe radial
distortions. The application of conventional algorithms to process such images is
limited in terms of performance. For that, new algorithms adapted to the spherical
geometry of catadioptric images have been developed.
Gathered omnidirectional computer vision techniques were finally used in two real
applications. The first concerns the integration of catadioptric cameras to a mobile
robot. The second focuses on the design of a solar tracker, based on a catadioptric
camera.
The results confirm that the adoption of such sensors for autonomous systems offer
more performance and flexibility in regards to conventional sensors.
Keywords: omnidirectional stereo vision, catadioptric camera, image processing,
autonomous systems. Résumé
La vision par ordinateur est une discipline qui vise doter les ordinateurs d’un sens
de perception et d’analyse d'image semblable à celui de l’homme. La perception
visuelle artificielle peut être grandement améliorée quand un grand champ de
vision est disponible.
Cette thèse traite de l'utilisation des caméras omnidirectionnelles comme un
moyen d'élargir le champ de vision des systèmes de vision artificielle. La perception
visuelle de la profondeur (3D) par le biais de configurations omnistéréo, et les
algorithmes de traitement adaptés aux images catadioptriques, sont les principaux
sujets étudiés.
Tout d'abord une étude des systèmes de vision omnidirectionnelle 3D est menée.
Elle met en évidence les principales approches pour obtenir l’information sur la
profondeur et fournit des indications précieuses sur le choix de la configuration en
fonction des besoins de l'application. Ensuite, la conception d'un capteur
omnistéréo est adressée ; nous présentons une nouvelle configuration du capteur
proposé basé une caméra catadioptrique unique, et dédié à la robotique mobile.
Des expérimentations sur la précision d’estimation de la profondeur ont été menées
pour valider la nouvelle configuration.
Les images catadioptriques présentent diverses propriétés géométriques
particulières, telles que la résolution non-uniforme et de fortes distorsions radiales.
L’application des algorithmes de traitement classiques à ce type d’images se trouve
limité en termes de performances. Dans ce sens, de nouveaux algorithmes adaptés
à la géométrie sphérique de ces images ont été développés.
Les techniques de vision omnidirectionnelle artificielle recueillies ont été
finalement exploitées dans deux applications réelles. La première concerne
l’intégration des caméras catadioptriques à un robot mobile. La seconde porte sur
la conception d’un suiveur solaire, à base d’une caméra catadioptrique.
Les résultats obtenus confirment que l’adoption de tels capteurs pour les systèmes
autonomes offre plus de performances et de flexibilité en regards aux capteurs
classiques.
Mots-clefs : stéréovision omnidirectionnelle, caméra catadioptrique, traitement
d’images, systèmes autonomesvi
Table des matières
Remerciements ....................................................................................i
Abstract............................................................................................... ii
Résumé...............................................................................................iii
1. Introduction, contexte et problématique................................1
1.1 Introduction générale .................................................................................. 1
1.1.1 La vision à large champ dans la nature ............................................... 1
1.1.2 Les capteurs de vision omnidirectionnelle ........................................... 4
1.1.2.1 Les lentilles spéciales ..................................................................... 5
1.1.2.2 Les systèmes d’acquisition d’images multiples.............................. 6
1.1.2.3 Les systèmes catadioptriques......................................................... 7
1.2 Contexte de la thèse..................................................................................... 9
1.3 Problématique .............................................................................................. 9
1.4 Contributions et organisation du mémoire............................................... 11
2. Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels...............13
2.1 Introduction................................................................................................ 13
2.2 Les systèmes d’acquisition 3D actifs ......................................................... 13
2.2.1 La télémétrie........................................................................................ 14
2.2.1.1 La télémétrie par mesure du temps de vol .................................. 14
2.2.1.2 La télémétrie par mesure du déphasage...................................... 18
2.2.1.3 La télémétrie par mesure de la fréquence ................................... 18
2.2.2 La triangulation active........................................................................ 19
2.2.3 Notes sur des systèmes d’acquisition actifs........................................ 23
2.3 Les systèmes d’acquisition 3D passifs....................................................... 26
2.3.1 Les techniques shape-from-X .............................................................. 26
2.3.2 Contribution à la stéréovision omnidirectionnelle............................. 34
2.3.2.1 Choix du miroir ............................................................................. 40
2.3.2.2 Choix de la configuration.............................................................. 46
2.3.2.3 Notes sur la stéréovision omnidirectionnelle............................... 53
2.4 Conception d’un système de stéréovision omnidirectionnel..................... 54
2.4.1 Architecture matérielle du capteur proposé....................................... 55
2.4.2 Étalonnage du capteur ........................................................................ 56vii
2.4.3 Estimation de la profondeur par triangulation passive..................... 57
2.4.4 Résultats expérimentaux .................................................................... 59
2.4.5 Discussion et synthèse ........................................................................ 62
2.5 Conclusion .................................................................................................. 62
3. Contribution au traitement des images
omnidirectionnelles.........................................................................65
3.1 Introduction................................................................................................ 65
3.2 Application des traitements classiques aux images omnidirectionnelles 66
3.3 Déballage des images omnidirectionnelles ............................................... 67
3.4 Adaptation des traitements....................................................................... 71
3.4.1 Un modèle de projection unifié ........................................................... 73
3.4.2 La projection stéréographique ............................................................ 74
3.4.3 Les opérateurs classiques de détection des contours ......................... 75
3.4.3.1 Détecteurs de contours du premier ordre .................................... 76
3.4.3.2 Détecteurs de contours du second ordre ...................................... 78
3.4.4 Détecteur de contours dédié aux images omnidirectionnelles........... 79
3.4.4.1 Modèle sphérique de charges électriques virtuelles.................... 79
3.4.4.2 Algorithme de détection des contours dans les images sphériques
82
3.4.4.3 La méthode d’évaluation de Fram & Deutsch ............................. 84
3.4.4.4 Résultats expérimentaux.............................................................. 85
3.4.5 Adaptation du détecteur de points d’intérêt de Harris...................... 90
3.4.5.1 La détection des points d’intérêt.................................................. 90
3.4.5.2 Les détecteurs de coins basés modèle .......................................... 91
3.4.5.3 Les détecteurs de coins basés sur la géométrie ........................... 91
3.4.5.4 Le détecteur de coins de Harris.................................................... 92
3.4.5.5 Détecteur de coins dédié aux images omnidirectionnelles.......... 93
3.4.5.6 Résultats illustratifs et comparaisons ......................................... 96
3.5 Conclusion ................................................................................................ 103
4. La vision omnidirectionnelle pour les systèmes autonomes
106
4.1 Introduction.............................................................................................. 106
4.2 Conception et réalisation d’un robot mobile ........................................... 107
4.2.1 L’électronique .................................................................................... 109viii
4.2.2 La mécanique..................................................................................... 113
4.2.3 Application : suivi d’une cible en mouvement.................................. 116
4.3 Conception et réalisation d’un suiveur solaire ....................................... 121
4.3.1 Le suiveur solaire omnidirectionnel : concept et contrôle ............... 125
4.3.2 Validation expérimentale.................................................................. 128
4.3.3 Discussion des résultats.................................................................... 130
4.4 Conclusion ................................................................................................ 132
Conclusions .....................................................................................134
Références .......................................................................................135ix
Table des figures
Figure 1.1 : Champ de vision d’une mouche. ........................................................... 2
Figure 1.2 : Les yeux du Gigantocypris d'ostracodes............................................... 3
Figure 1.3 : (a) ViewPlus ASTRO Sensor (b) L’araignée sautante. (c) Le Scallop. 3
Figure 1.4 : (a) Champ de vision directionnel (b) Champ de vision panoramique (c)
champ de vision omnidirectionnel............................................................................ 5
Figure 1.5 : (a) Lentille fisheye Samyang 8mm F3.5 (b) Une image obtenue avec
une lentille fisheye. (c) Spherecam........................................................................... 6
Figure 1.6 (a) Système de vision panoramique par mosaïquage. (b) Système de
vision omnidirectionnel à multi-caméras. (c) système de vision panoramique à
quatre caméras.......................................................................................................... 7
Figure 1.7 : (a) Le siège de Syracuse et les miroirs d'Archimède. (b) L’autoportrait
en miroir sphérique (1935). ...................................................................................... 8
Figure 1.8 : Formation d’une image catadioptrique par projection orthographique.
................................................................................................................................. 10
Figure 2.1 : (a) Le robot Segway RMP. (b) Configuration du système laser-camera
omnidirectionnelle................................................................................................... 16
Figure 2.2 (a) Robot mobile dédié à la cartographie. (b) Exemple d’une scène. (c) La
carte générée représentant l’espace libre............................................................... 17
Figure 2.3 : (a) Une voiture de la flotte Google Street View équipée d’un système
de camera R5. (b) système de camera R5. (c) système de camera R7................... 17
Figure 2.4 : Représentation de la triangulation active par émission d’un faisceau
laser. ........................................................................................................................ 19
Figure 2.5 : triangulation active par émission d’un plan laser. ............................ 20
Figure 2.6 : Acquisition 3D active par émission d’un motif de segments laser.... 20
Figure 2.7 : (a) Le dispositif d’acquisition 3D KINECT (b) Motif de lumière
structurée projeté par KINECT.............................................................................. 21
Figure 2.8 : (a) Photographie du capteur de vision omnidirectionnelle. (b)
Configuration du capteur de vision omnidirectionnelle. ....................................... 21
Figure 2.9 : Système d’acquisition 3D omnidirectionnel actif............................... 22
Figure 2.10 : (a) Illustration d’un système de télémétrie omnidirectionnel. (b)
Triangulation active................................................................................................ 23
Figure 2.11 : Illusion d’optique due au manque d’information sur la profondeur.
................................................................................................................................. 23
Figure 2.12 : (a) Système de balayage à miroir pour télémètre laser. (b) RIEGL VQ-
450 scanner laser à large champ de vision. ........................................................... 25
Figure 2.13 : Modèle de lentille mince. .................................................................. 28
Figure 2.14 : Reconstruction de la forme à partir de la texture. (a) Image réelle :
tissu à texture anisotrope non stationnaire (b) Diagramme à aiguille des Texels
détectés (c) La profondeur de la surface illustrée en niveaux de gris (d) Maillage de
la surface vue de profil............................................................................................ 29
Figure 2.15 : Exemple de reconstruction à partir d’une image avec des ombres
noires. ...................................................................................................................... 31x
Figure 2.16 : Reconstruction 3D d’une boule (ping-pong) par technique shape-fromshading.
................................................................................................................... 32
Figure 2.17 : Principe de la stéréovision. ............................................................... 32
Figure 2.18 : La géométrie épipolaire. (a) : Une scène observée sous différents
points de vue, la géométrie épipolaire doit décrire la relation entre les deux images
résultantes. (b) Schématisation de la géométrie épipolaire. ................................. 33
Figure 2.19 : le système de stéréovision omnidirectionnelle SPHEREO.............. 35
Figure 2.20 : Système de vidéosurveillance à base de capteurs omnidirectionnels.
(a) capteur catadioptrique utilisé. (b) Principe de la stéréovision omnidirectionnelle
N-Oculaire. (c) Aperçu du système......................................................................... 36
Figure 2.21 : Les différentes configurations d’un system omnistéréo monté sur un
véhicule.................................................................................................................... 37
Figure 2.22 : (a) Capteur d'image stéréo omnidirectionnel. (b) Système de
projection 3D immersive CYLINDRA. .................................................................. 37
Figure 2.23 : Carte de profondeur panoramique générée à partir d'images stéréo.
................................................................................................................................. 38
Figure 2.24 : Miroirs convexes pour caméras catadioptriques. (a) Miroir conique (b)
Miroir sphérique (c) Miroir hyperbolique (d) Miroir parabolique......................... 39
Figure 2.25 : Géométrie de formation de l’image acquise par caméra catadioptrique
à miroir conique. ..................................................................................................... 40
Figure 2.26 : Géométrie de formation de l’image acquise par caméra catadioptrique
à miroir sphérique................................................................................................... 41
Figure 2.27 : Système catadioptrique avec miroir sphérique à double lobe. (a)
Configuration du système. (b) Exemple d’image. .................................................. 42
Figure 2.28 : Géométrie de formation de l’image acquise par caméra catadioptrique
à miroir hyperbolique.............................................................................................. 43
Figure 2.29 : système stéréo omnidirectionnel à miroirs hyperboliques. (a)
configuration du système. (b) exemple d’image. .................................................... 44
Figure 2.30: Géométrie de formation de l’image acquise par caméra catadioptrique
à miroir parabolique................................................................................................ 45
Figure 2.31 : Configuration omnistéréo horizontale.............................................. 46
Figure 2.32 : (a) Triangulation omnistéréo horizontale. (b) Les lignes épipolaires.
................................................................................................................................. 47
Figure 2.33 : système de vision omnistéréo binoculaire-H.................................... 48
Figure 2.34 : système omnistéréo pour véhicule intelligent. (a) système hybride. (b)
système catadioptrique. .......................................................................................... 49
Figure 2.35 : Configuration omnistéréo binoculaire verticale............................... 49
Figure 2.36 : La géométrie épipolaire d’un système omnistéréo binoculaire-V. (a)
Les lignes épipolaires de l’image catadioptrique. (b) les lignes épipolaires de l’image
panoramique............................................................................................................ 50
Figure 2.37 : (a) Triangulation et calcul de la profondeur (b) Système omnistéréo
binoculaire-V à deux cameras catadioptriques...................................................... 51
Figure 2.38: DaX, le robot mobile Scitos G5. ......................................................... 51xi
Figure 2.39 : Système omnistéréo à caméra unique et deux miroirs hyperboliques.
(a) Apparence du système de vison. (b) Une image acquise avec ce système. (c)
Triangulation. ......................................................................................................... 52
Figure 2.40 : Système omnistéréo à caméra unique et multiple miroirs
(sphériques). ............................................................................................................ 53
Figure 2.41 : (a) Architecture du capteur catadioptrique proposé. (b) Configuration
du système omnistéréo............................................................................................ 55
Figure 2.42 : Illustration du processus d’ajustement du capteur catadioptrique. (a)
Capteur non ajusté. (b) Capteur ajusté.................................................................. 56
Figure 2.43 : Triangulation dans le cas du système omnistéréo proposé. ............ 57
Figure 2.44 : Procédure d’estimation de la profondeur. ........................................ 59
Figure 2.45 : Une paire d’images omnistéréo. (a) Image acquise à position haute.
(b) Image acquise à position basse. ........................................................................ 60
Figure 2.46 : Courbe de variation de l’erreur, D=2.18........................................... 60
Figure 2.47 : Courbe de variation de l’erreur, D=3.18........................................... 61
Figure 2.48 : Courbe de variation de l’erreur, D=4.18........................................... 61
Figure 3.1 : Déballage d’une image catadioptrique (a) image catadioptrique. (b)
l’image panoramique correspondante. ................................................................... 67
Figure 3.2 : Principe du déballage des images omnidirectionnelles. .................... 68
Figure 3.3: changement du repère de l'image catadioptrique............................... 69
Figure 3.4: Image panoramique non interpolée..................................................... 70
Figure 3.5: (a) Image omnidirectionnelle utilisée dans l'expérimentation du
déballage. (b) Image panoramique correspondante, résolution : 122 X 749, α=1,
β=0.5 ........................................................................................................................ 71
Figure 3.6 : Problème du voisinage pixellique. (a) Voisinage pixellique incorrecte
dans le cas d’un filtre planaire. (b) Voisinage correcte dans le cas d’un filtre
sphérique. ................................................................................................................ 72
Figure 3.7 : Projection d’un point 3D par le modèle unifié.................................... 73
Figure 3.8 : La projection stéréographique. ........................................................... 74
Figure 3.9 : Modèles de contours. (a) Marche d’escalier. (b) Rampe. (c) Toit. (d)
Ligne. ....................................................................................................................... 75
Figure 3.10 : Distribution sphérique de charges électrostatiques. ....................... 80
Figure 3.11 : (a) Image catadioptrique. (b) Image mappée sur la sphère. (c) L’image
panoramique correspondante. ................................................................................ 82
Figure 3.12 : Algorithme de détection de contours dans l’image sphérique. ........ 83
Figure 3.13 : (a) L’image synthétique générée pour l’évaluation quantitative de la
détection de contours, avec un contour verticale à 0° et un contour diagonale à 60°.
(b) La région de contour considérée........................................................................ 84
Figure 3.14 : (a) Valeurs de 𝑃1 avec bruit gaussien de variance croissante (contour
vertical, un saut de 50 niveaux de gris). (b) Valeurs de 𝑃2. .................................. 85
Figure 3.15 : (a) Valeurs de 𝑃1 avec bruit gaussien de variance croissante (contour
vertical, un saut de 100 niveaux de gris). (b) Valeurs de 𝑃2. ................................ 86
Figure 3.16 : (a) Valeurs de 𝑃1 avec bruit gaussien de variance croissante (contour
diagonal, un saut de 150 niveaux de gris). (b) Valeurs de 𝑃2................................ 86xii
Figure 3.17 : (a) Valeurs de 𝑃1 avec bruit gaussien de variance croissante (contour
diagonal, un saut de 50 niveaux de gris). (b) Valeurs de 𝑃2.................................. 86
Figure 3.18 : (a) Valeurs de 𝑃1 avec bruit gaussien de variance croissante (contour
diagonal, un saut de 100 niveaux de gris). (b) Valeurs de 𝑃2................................ 87
Figure 3.19 : (a) Valeurs de 𝑃1 avec bruit gaussien de variance croissante (contour
vertical, un saut de 150 niveaux de gris). (b) Valeurs de 𝑃2. ................................ 87
Figure 3.20 : Image réelle utilisée pour l’évaluation de la détection de contours. 88
Figure 3.21 : Image réelle filtrée avec l’opérateur de Sobel. ................................. 88
Figure 3.22 : Image réelle filtrée avec l’opérateur de Prewitt............................... 89
Figure 3.23 : Image réelle filtrée avec l’opérateur PMCEV. ................................. 89
Figure 3.24 : Image réelle filtrée avec l’opérateur SMCEV. ................................. 89
Figure 3.25 : Exemple d’extraction des points d’intérêt. (a) Image catadioptrique
acquise avec un miroir parabolique. (b) Image panoramique correspondante. (c)
Extraction de points d’intérêt................................................................................. 90
Figure 3.26 : Algorithme de détection de coins dans l’image sphérique............... 94
Figure 3.27: L'algorithme proposé de détection des coins. .................................... 95
Figure 3.28 : (a) La première image synthétique utilisée pour l’évaluation de la
détection des coins. (b) La seconde image synthétique ........................................ 96
Figure 3.29 : Résultat de détection de coins dans la première image synthétique.
(a) L’algorithme proposé. (b) Harris standard. ...................................................... 97
Figure 3.30 : Résultat de détection de coins dans la seconde image synthétique
originale. (a) L’algorithme proposé. (b) Harris standard. ..................................... 98
Figure 3.31 : Résultat de détection de coins dans la seconde image synthétique
bruitée. (a) L’algorithme proposé. (b) Harris standard. ........................................ 99
Figure 3.32 : Résultat de détection de coins dans la seconde image synthétique
floue. (a) L’algorithme proposé. (b) Harris standard. .......................................... 100
Figure 3.33 : Résultats d’évaluation de la localisation des coins détectés. (a)
L’approche proposée. (b) Harris standard............................................................ 101
Figure 3.34 : Résultats de détection de coins sur une image réelle en utilisant
l’algorithme proposé.............................................................................................. 102
Figure 3.35 : Résultats de détection de coins sur une image réelle en utilisant
l’algorithme standard de Harris........................................................................... 103
Figure 4.1 : Le robot ESCALADE360 v1.0........................................................... 107
Figure 4.2 : Différentes configurations pour les robots à chenilles..................... 108
Figure 4.3 : ESCALADE360 v2.0 ......................................................................... 108
Figure 4.4 : ESCALADE360 v3.0 ......................................................................... 109
Figure 4.5 : (a) Capteur de vision omnistéréo à baseline variable. (b) Capteur
omnistéréo à baseline fixe..................................................................................... 110
Figure 4.6 : Capteur de vision omnidirectionnelle monoculaire. ........................ 111
Figure 4.7 : Unité de traitement du robot ESCALADE360................................. 112
Figure 4.8 : Circuit de commande du robot ESCALADE360. ............................. 112
Figure 4.9 : Système de contrôle du robot ESCALADE360................................. 113
Figure 4.10 : Moteur électrique DC 12 V. ............................................................ 114
Figure 4.11 : Les moteurs primaires du robot. .................................................... 114
Figure 4.12 : Mécanisme des flippers du robot ESCALADE360......................... 115xiii
Figure 4.13 : Les quatre positions principales des flippers. (a) Quatre points de
contact, 𝛼 ∈ 0°, 180°. (b) contact allongé, 𝛼 = 180°. (c) Contact condensé 𝛼 = 0°. (d)
Contact réduit. 𝛼 = 180°, 360°............................................................................... 115
Figure 4.14 : Les dimensions du robot ESCALADE360...................................... 116
Figure 4.15 : La cible suivie. (a) Image catadioptrique HSV à faible éclairage. (b)
Image catadioptrique HSV à fort éclairage.......................................................... 118
Figure 4.16 : Détection et orientation du robot vers la cible suivie. ................... 120
Figure 4.17 : Expérience de suivi autonome d’une cible en mouvement ............ 121
Figure 4.18 : Photo-capteur à balance de luminosité .......................................... 123
Figure 4.19 : Carte de la trajectoire solaire de Rabat (Maroc)............................ 124
Figure 4.20 : Illustration de la localisation du soleil avec une caméra
catadioptrique. ...................................................................................................... 124
Figure 4.21 : Suiveur solaire Helianthus360....................................................... 125
Figure 4.22 : L'architecture du suiveur solaire proposé...................................... 126
Figure 4.23 : Unité de contrôle du suiveur solaire Helianthus360..................... 126
Figure 4.24 (a) Image omnidirectionnelle échantillon d'un ciel partiel. (b) L'image
omnidirectionnelle après seuillage. (c) Schématisation de la procédure de suivi du
soleil....................................................................................................................... 127
Figure 4.25 : Les mesures de puissance du 17 Juillet 2013. ............................... 129
Figure 4.26 : Les mesures de puissance du 20 Septembre 2013. ........................ 129
Figure 4.27 : (a) Première expérience 17 Juillet 2013. L’ensoleillement total
journalier: 25.7 𝑀𝐽𝑚2 (b) Deuxième expérience 20 septembre 2013.
L’ensoleillement total journalier: 21 𝑀𝐽𝑚2. ......................................................... 130
Figure 4.28 : Robot mobile équipé d’un suiveur solaire....................................... 132xiv
Liste des tableaux
Tableau 2-1 : Les techniques passives d’acquisition 3D........................................ 26
Tableau 2-2 : Tableau récapitulatif des miroirs principaux.................................. 46
Tableau 2-3 : Tableau récapitulatif des principales configurations omnistéréo. . 54
Tableau 2-4 : Variation de l’erreur sur la profondeur en fonction de h pour D=2.18m
................................................................................................................................. 60
Tableau 2-5 : Variation de l’erreur sur la profondeur en fonction de h pour D=3.18m
................................................................................................................................. 61
Tableau 2-6 : Variation de l’erreur sur la profondeur en fonction de h pour D=4.18m
................................................................................................................................. 61
Tableau 3-1 : Caractéristiques de la plateforme d’expérimentation..................... 70
Tableau 3-2 : Temps d’exécution de l’algorithme du déballage............................. 70
Tableau 3-3 : Taux d’évaluation de la première image synthétique..................... 98
Tableau 3-4 : Taux d’évaluation de la seconde image synthétique....................... 98
Tableau 3-5 : Taux d’évaluation de la seconde image synthétique (bruit gaussien)
................................................................................................................................. 99
Tableau 3-6 : Taux d’évaluation de la seconde image synthétique (floue). ........ 100
Tableau 3-7 : Evaluation de la localisation des coins détectés par mesure de la
distance euclidienne.............................................................................................. 101
Tableau 4-1 : Variation de l’erreur en fonction de D, h=0.425m........................ 1211 Introduction, contexte et problématique
1. Introduction, contexte et problématique
1.1 Introduction générale
Le traitement d'images et la vision artificielle sont des disciplines relativement
récentes (~années 60) et qui ont connu une évolution rapide. Elles sont en plein
développement et donnent naissance chaque année à une profusion de progrès
académiques, technologiques, et industriels. L'engouement pour ces disciplines
s'explique par l’émergence permanente d'applications et d'enjeux industriels dans
des domaines assez variés. Aujourd'hui, grâce aux technologies toujours en
engouement, les images ont envahi notre quotidien, que ce soit dans le
divertissement (Photos numériques, jeux vidéo...) ou dans un cadre plus utilitaire.
Citons à titre d’exemple l'utilisation croissante de la vision dans des domaines
variés tels que la médecine (IRM), la vidéosurveillance (sécurité, analyse
routière...), la robotique, la défense (missiles, détection, véhicules autonomes...),
l'astronomie, etc…
Par traitement d'images, on désigne l'ensemble des opérations sur les images
numériques, qui transforment une image en une autre image, ou en une autre
primitive formelle. Tant qu'à la vision par ordinateur, concerne la compréhension
d'une scène ou d'un phénomène à partir des informations contenues dans l’image.
Liant implicitement la perception, le comportement et le contrôle. Les domaines
liés à ces deux disciplines vont du traitement du signal à l'intelligence artificielle,
on ne saurait donc prétendre à l'exhaustivité, mais on s’intéresse plutôt à
l'exploration d'un certain nombre de techniques importantes et actuelles.
Tout naturellement, l'idée d'augmenter le champ de vision s'est donc imposée avec
comme espoir d'obtenir une vision omnidirectionnelle, c'est-à-dire un champ de
vision à 360°, vue que certains types d'applications, la robotique comme exemple,
exige un champ de vision plus large que celui des caméras standards.
Pour étendre le champ de vision, l’homme s’est inspiré du système de vision
animale. En effet, dans leur milieu naturel, la connaissance de l’environnement est
indispensable à la survie des espèces, afin de détecter efficacement le mouvement
ou de repérer les prédateurs. La géométrie oculaire s’est adaptée à l’animal
considéré et à son environnement.
1.1.1 La vision à large champ dans la nature
La vision est certainement la plus importante de nos cinq sens, C'est un processus
complexe qui nécessite la collaboration de nombreux composants de l'œil humain
et du cerveau. Un composant essentiel du système de vision, soit humain, animal
ou synthétique, est le capteur de vision qui collecte les données de l'environnement.
À cause de nos capteurs, les yeux, la vision humaine a un champ de vision (FOV)
très limité par rapport à d'autres systèmes visuels trouvés dans la nature. La
puissance de calcul massif offert par le cortex cérébral humain permet de réaliser
de façon régulière des tâches de navigation et de reconnaissance, malgré le manque2 Introduction, contexte et problématique
d'informations visuelles. Au cours de leur vie, d'autres animaux ont aussi besoin
de trouver leur chemin dans des environnements imprévisibles, de reconnaître la
nourriture ou d’éviter les prédateurs, entre autres tâches vitales. Néanmoins, le
cerveau des insectes, par exemple, dispose de 105 à 106 de neurones par rapport à
1011 que compte un cerveau humain, donc ils disposent de beaucoup moins de
puissance de traitement [1] . Il est plausible que la mémoire et la capacité de calcul
d'un tel petit cerveau sont inférieures à ceux fournies par les puissants ordinateurs
de nos jours. Cependant, les humains ne sont pas encore capables de construire
des systèmes de vision similaires. Par conséquent, il est logique de penser que les
performances de ces systèmes volants parfaits sont améliorées par le
développement particulier de leurs yeux.
La majorité des arthropodes bénéficient d'un large champ de vision donné par leurs
yeux composés 1(figure 1.1). Un œil composé est un organe visuel qui comprend
jusqu’à 30 000 ommatidies qui sont de minuscules capteurs qui distinguent entre
la luminosité et l'obscurité, et parfois peuvent détecter la couleur. L'image perçue
par l'arthropode est une combinaison d'entrées à partir de nombreuses
ommatidies, qui sont orientées vers un point dans des directions légèrement
différentes afin de couvrir un large champ de vision. Contrairement à d'autres
types de yeux, il n'y a pas de lentille ou de rétine centrale, ce qui entraine une
faible résolution d'image ; cependant, il peut détecter un mouvement rapide et,
dans certains cas, la polarisation de la lumière.
Les yeux des crustacés sont constitués de combinaisons de miroirs et de surfaces
de réfraction qui concentrent la lumière à différents points sur la rétine. Le
Gigantocypris d'ostracodes 2(figure 1.2) est un crustacé avec de grands yeux
réfléchissants, ayant une structure similaire à l'optique utilisée pour télescopes.
1 Source de l’image de fond : [140]
2 Source de figure : [142]
Figure 1.1 : Champ de vision d’une
mouche.3 Introduction, contexte et problématique
Ses yeux sont adaptés à des conditions de lumière très faible trouvés dans les
profondeurs des océans, grâce aux miroirs paraboliques qui les composent.
La conception de nouveaux capteurs de vision a été amplement inspirée par la
nature. Un système de stéréovision omnidirectionnelle comme la caméra
panoptique [2] ViewPlus ASTRO Sensor 3(figure 1.3.a), nous fera certainement
penser aux yeux de l’araignée sautante 4(Figure 1.3.b) ou le Scallop 5(Figure 1.3.c),
deux espèces avec un système de vision constitué de multiple paire d’yeux, chacune
étant orientée vers une direction.
3 Source de figure : [143]
4 Source de figure : [144]
5 Source de figure : [145]
Figure 1.2 : Les yeux du
Gigantocypris d'ostracodes
Figure 1.3 : (a) ViewPlus ASTRO Sensor (b) L’araignée sautante. (c) Le
Scallop.4 Introduction, contexte et problématique
1.1.2 Les capteurs de vision omnidirectionnelle
La 6Figure 1.4 représente un classement des capteurs de vision selon le champ de
vision qu’ils couvrent. Une caméra directionnelle a un champ de vision qui couvre
moins d’un hémisphère. Elles sont aussi connues sous le nom de caméras standards
car elles sont les plus couramment utilisées. Nous appelons capteur
omnidirectionnel ou caméra omnidirectionnelle un capteur de vision qui a un
champ de vision quasi sphérique atteignant 360 degrés en azimut. Les capteurs
panoramiques ont aussi un champ de vision azimutale de 360° mais ne couvrent
pas toute la sphère.
6 Source de la photo : [146]
(a)
(b)5 Introduction, contexte et problématique
La classification courante des capteurs omnidirectionnels existants est souvent
liée aux technologies utilisées pour leur fabrication. Ainsi, pour améliorer le champ
de vision de caméras conventionnelles, les chercheurs ont utilisé :
Les lentilles spéciales.
Plusieurs systèmes d'acquisition d'images au moyen de rotation des caméras
ou en utilisant des structures de plusieurs caméras avec des champs de vue
complémentaires.
Les systèmes catadioptriques qui sont des combinaisons de caméras et de
miroirs.
Si la scène est observée à partir d'un point dans l'espace le capteur possède un
centre unique de projection soit (Single View Point, SVP).
1.1.2.1 Les lentilles spéciales
Parmi les moyens d'élargissement du champ de vision d’une caméra, la possibilité
d’utiliser un ensemble complexe de plusieurs lentilles. Il s’agit de systèmes
dioptriques. L’utilisation de ces optiques génère de fortes distorsions radiales au
niveau de l’image acquise.
Un objectif hypergone ou lentille fisheye 7(figure 1.5.a) est un objectif spécial à
lentille très convexe avec une focale très courte qui donne un champ de vision
hémisphérique 8(figure 1.5.b). En dépit des inconvénients mentionnés ci-dessus, le
grand champ de vision offert par l’objectif fish-eye fait de ce type d'éléments
dioptriques un choix attrayant pour plusieurs chercheurs. En 1993, Basu et al. [3]
ont publié une étude fournissant deux solutions mathématiques pour compenser
la distorsion fish-eye. La transformation fish-eye est définie comme étant une
fonction de mappage à résolution variable qui génère une image à haute résolution
dans la zone centrale et diminue de façon non linéaire la résolution vers la
7 Sources des figures : [147]
8 Source de figure : [148]
(c)
Figure 1.4 : (a) Champ de vision directionnel (b) Champ de vision panoramique
(c) champ de vision omnidirectionnel6 Introduction, contexte et problématique
périphérie. Ils ont également souligné que la résolution variable des images peut
être transformée en une fonction utile, car elle réduit la quantité d'informations à
traiter et maintient au même temps un grand champ de vision.
En 1992 Dan Slater [4], a conçu un système de vision appelé Spherecam avec deux
objectifs fish-eye montés dos-à-dos, offrant un champ de vision complétement
omnidirectionnel avec la possibilité de prise de vue instantanée 9(Figure 1.5.c).
Compte tenu des principaux points évoqués ci-dessus, nous voyons que les caméras
à lentilles fish-eye peuvent fournir des images appropriées pour un certain nombre
d'applications. Cependant leur champ de vision reste assez limité pour d’autres.
1.1.2.2 Les systèmes d’acquisition d’images multiples
Des vues panoramiques en haute résolution peuvent être obtenues en utilisant une
mosaïque formée par plusieurs images fournies par une caméra rotative. Par
exemple, Dans [5] on propose une méthode pour générer des images panoramiques
par mosaïquage d’une multitude d’images perspectives, acquises par une caméra
rotative 10(figure 1.6.a). Deux images panoramiques prises peuvent servir comme
une paire stéréo panoramique. Le système décrit génère une image panoramique
stéréo à l'aide de projections circulaires des images ou vidéos prises par une seule
caméra. Une image omnidirectionnelle complète est obtenue en rassemblant les
images acquises au moyen d'une procédure couteuse en termes de temps de
traitement, ce qui limite la convenance de telles méthodes dans des applications
en temps réel.
Les yeux composés des insectes ont été une source d'inspiration pour un nouveau
type de systèmes omnidirectionnels. En 2000, Fermuller et al. [6] ont développé un
système de vision omnidirectionnelle à partir de plusieurs caméras orientées vers
des directions différentes 11(figure 1.6.b).
9 Source de figure : [149]
10 Source de figure : [5]
11 Source de figure : [6]
Figure 1.5 : (a) Lentille fisheye Samyang 8mm F3.5 (b) Une image obtenue avec une
lentille fisheye. (c) Spherecam7 Introduction, contexte et problématique
Un champ de vue omnidirectionnel complet n'est pas toujours nécessaire. Des
applications telles que la vidéo-conférence n’ont besoin que d'un angle vertical de
vue limité. Patil et Al., ont présenté dans [7] un système de vision à haute
résolution pour la détection et le suivi des personnes, qui se compose d'un système
à multi-caméras omnidirectionnelles destinées à être utilisées dans des
environnements de réunion. Ce système 12(figure 1.6.c) appelé CAMEO est conçu
pour surveiller les activités des gens dans les réunions de sorte qu'il peut générer
un résumé sémantiquement indexé de ce qui s'est passé lors de la réunion. Ce genre
d'arrangement n’offre pas un champ de vision quasi omnidirectionnel, mais permet
de réduire le nombre de caméras et, par conséquent, les coûts de fabrication. Les
capteurs de vision avec des champs de vue complémentaires ont surmonté
quelques problèmes de caméras mobiles, mais le capteur devient plus difficile à
calibrer car il implique plusieurs caméras, ainsi que les cartes d'acquisition
d'images correspondantes.
En résumé, l'avantage d'utiliser des caméras rotatives ou des configurations de
plusieurs caméras couvrant la scène offre une très bonne qualité d'image en haute
résolution. Cependant, cette fonction très utile est entachée par un ensemble
d'inconvénients. Dans le cas d’une caméra rotative, la partie de la scène derrière
le plan d'image est toujours cachée, donc ce type d'appareils ne peut pas être utilisé
dans des applications en temps réel. La vue omnidirectionnelle obtenue à partir de
plusieurs images partielles est difficile à exploiter, coûteuse et peut contenir des
discontinuités.
1.1.2.3 Les systèmes catadioptriques
Une autre façon d'obtenir des images omnidirectionnelles est en pointant une
caméra vers un miroir spécialement conçu. La combinaison de miroirs
(catoptriques) et les lentilles (dioptriques) est connu comme catadioptriques. Dans
l'histoire de la Grèce antique les propriétés des miroirs courbés de focalisation de
12 Source de figure : [7]
Figure 1.6 (a) Système de vision panoramique par mosaïquage. (b) Système de
vision omnidirectionnel à multi-caméras. (c) système de vision panoramique à
quatre caméras.8 Introduction, contexte et problématique
la lumière ont été exploitées pour brûler les navires ennemis 13(figure 1.7.a) [8].
Les catadioptriques ont également été utilisées au XVIIème siècle par Isaac Newton
qui a développé un télescope réflecteur (réflecteur newtonien) qui utilise des
miroirs au lieu des lentilles pour corriger l'aberration chromatique (Halo).
Observant la scène environnante au moyen de surfaces réfléchissantes n'est pas
une idée nouvelle et un exemple classique, est le dessin de l'artiste graphique
néerlandais Escher (1898 - 1972), illustré à la 14figure 1.7.b. Cependant, ce qui a
réellement déclenché la recherche sur les systèmes catadioptriques était
l'utilisation de caméras modernes qui ont fourni une image de bonne qualité de la
scène réfléchie.
Une utilisation précoce des catadioptriques pour une application réelle a été
proposée par Rees en 1970 [9]. Il a inventé une caméra panoramique de télévision
basée sur un miroir de forme hyperbolique convexe. Vingt ans plus tard, les
chercheurs concentrent à nouveau leur attention sur les possibilités offertes par
les systèmes catadioptriques, principalement dans le domaine de la robotique. En
1990, l'équipe japonaise de Mitsubishi Electric Corporation dirigée par Y. Yagi [10]
a étudié les scènes panoramiques générées en utilisant un capteur à base de miroir
conique. Le capteur, appelé COPIS, a été utilisé pour générer la carte de
l'environnement à l'intérieur d'une scène à l’aide d’un robot mobile.
À partir des années quatre-vingt-dix, l'attention accordée à la vision
omnidirectionnelle et sa base de connaissances n’a cessé de croître comme le
nombre de chercheurs impliqués dans l'étude de caméras omnidirectionnelles a
augmenté. De nouveaux modèles mathématiques pour projection catadioptrique
ont été établis, par conséquent, de meilleurs capteurs catadioptriques performants
13 Source de figure : [150]
14 Source de figure : [162]
Figure 1.7 : (a) Le siège de Syracuse et les miroirs
d'Archimède. (b) L’autoportrait en miroir
sphérique (1935).
(a) (b)9 Introduction, contexte et problématique
sont apparus. En résumé, le grand intérêt suscité par les catadioptriques est due
à leurs propres avantages par rapport à d'autres systèmes omnidirectionnels.
Parmi ces avantages : la prise de vue omnidirectionnelle instantanée, une bonne
résolution, et en particulier le prix et la compacité. Pour une discussion détaillée
sur la théorie et la pratique de réalisation des catadioptriques, le lecteur est
renvoyé au chapitre 2 de cette thèse.
1.2 Contexte de la thèse
Les travaux de recherche de cette thèse ont commencés et ont été réalisés
principalement dans le Laboratoire d’Electronique et de Traitement du
Signal/Géomatique, connu à l’époque sous le nom "LETS" avant sa fusion avec le
Laboratoire de Géomatique. Il fait partie des structures de recherche affiliées à la
Faculté des Sciences de Rabat, Université Mohamed V-Agdal. Les axes de
recherche du laboratoire couvrent des domaines tels que la vision par ordinateur,
le traitement du signal notamment de l’image, la télédétection et la géomatique.
Avec des applications en robotique, environnement, agriculture et les domaines de
l'imagerie médicale.
Dans le contexte des travaux menés dans le domaine de la vision artificielle et du
traitement des images numériques, le large champ de vision offert par les caméras
omnidirectionnelles est apparu comme une solution possible aux problèmes
spécifiques introduits par l'utilisation de caméras traditionnelles. De plus, l'utilité
de ces techniques et le défi de leur application aux systèmes autonomes nous ont
motivés pour lancer une recherche dans le domaine des capteurs de vision
catadioptriques. La première étape était une phase de recherche d’un an en 2011
où les principes fondamentaux de la vision omnidirectionnelle ont été étudiés. Les
algorithmes et techniques de base ainsi élaborés nous ont permis d’étendre l’étude
vers une application dans le domaine de la robotique. Et aussi dans le domaine de
l’énergie photovoltaïque en collaboration avec le Laboratoire d’Energie Solaire et
Environnement représenté par le Professeur Mohammed Najib BARGACH.
1.3 Problématique
L'utilisation des systèmes autonomes est une option attrayante dans les situations
où l'intervention humaine est trop coûteuse, dangereuse, ou tout simplement dans
le cas où la tâche peut être bien gérée par une machine que par un humain. Les
systèmes autonomes doivent interagir avec l'environnement en utilisant une
combinaison de capteurs embarqués, et éventuellement traiter les données
obtenues et de les transformer en informations utiles pour la prise de décision ou
pour l'interprétation humaine. Par conséquent, il est essentiel de fournir à ces
systèmes un modèle de la scène réelle ou la possibilité de construire un tel modèle
de façon autonome. La construction des systèmes de vision artificielle non intrusive
de l'environnement, ainsi que le développement des algorithmes de traitement de
l’information visuelle avaient motivé notre recherche.10 Introduction, contexte et problématique
Toutefois, les capteurs catadioptriques de vision omnidirectionnelle présentent
deux inconvénients majeurs par rapport aux caméras perspectives, qui sont la
résolution non uniforme, ainsi que de fortes distorsions radiales introduites dans
les images omnidirectionnelles. Ces lacunes affectent l’applicabilité des outils
classiques de traitement à ce type d’images. Il convient aussi de préciser que la
géométrie de formation des images catadioptriques est totalement différente de
celle des images perspectives. Par conséquent, la redéfinition des outils
mathématiques de modélisation, calibrage, stéréovision est fermement nécessaire
dans ce cas.
La résolution non uniforme et les distorsions sont dues à la forme du miroir utilisé.
La figure 1.8 illustre comment deux surfaces égales seront projetées
orthographiquement sur le plan image selon deux résolutions différentes en
fonction de leurs positions sur le quadrique de révolution utilisé.
Un autre problème qui surgit lors du traitement des images catadioptriques par
des outils classiques conçus pour les images perspectives, est celui du voisinage
pixellique. Ce problème est bien décrit dans la section 13.4.
Compte tenu de la nature spéciale des images omnidirectionnelles, ainsi que de
leurs systèmes d’acquisition, nous nous sommes intéressés au développement
d’outils techniques et théoriques permettant l’exploitation efficace des systèmes de
stéréovision omnidirectionnelle, comme premier axe de recherche. Le deuxième
axe a concerné l’adaptation des algorithmes et des outils classiques de traitement
Figure 1.8 : Formation d’une
image catadioptrique par
projection orthographique.11 Introduction, contexte et problématique
aux images omnidirectionnelles afin d’en tirer profit tout en respectant leurs
propriétés géométriques.
1.4 Contributions et organisation du mémoire
Ce document est constitué de quatre chapitres relatant les principaux travaux
effectués dans le domaine de la vision omnidirectionnelle :
– Le premier chapitre présente un aperçu général de la vision
omnidirectionnelle. Plusieurs qualités importantes des capteurs de vision à
large champ de vue sont discutées, et un classement général est introduit
avec des exemples des capteurs omnidirectionnels les plus courants.
– Le chapitre 2, dans lequel les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
sont classés selon la technologie appliquée dans leur fabrication et leurs
propriétés optiques. Le chapitre commence par une présentation des
systèmes d’acquisition 3D actifs. Ensuite, le chapitre présente une étude sur
les systèmes d’acquisition 3D passifs, notamment les systèmes de
stéréovision omnidirectionnelle catadioptriques, qui sont comparés en
termes de configuration, résolution, isotropie et leur capacité à fournir des
mesures 3D. La géométrie épipolaire pour les systèmes catadioptriques est
également présentée ici. Nous présentons par la suite une solution
matérielle qui consiste en un capteur omnidirectionnel stéréo (omnistéréo)
à caméra unique. Son architecture, étalonnage, formules de triangulation,
ainsi que les résultats d’estimation de la profondeur obtenus sont également
décrits.
– Dans le troisième chapitre nous présentons les différentes approches
adoptées dans le traitement des images omnidirectionnelles. Un premier
algorithme permettant le déballage de ces images est proposé. Par la suite,
le modèle de projection unifié, et la projection stéréographiques sont
introduits. Ces deux outils ont été utilisés pour développer deux algorithmes
d’extractions de primitives, adaptés à la géométrie de formation des images
sphériques. Il s’agit d’un opérateur de détection de contours, basé sur un
modèle sphérique de charges électriques virtuelles. Ainsi qu’une adaptation
de l’algorithme de détection des coins de Harris aux images catadioptriques.
– Dans le chapitre 4 nous proposons l’utilisation des systèmes de vision
omnidirectionnels pour améliorer les procédures de détection et de suivi des
cibles mobiles. Nous présentons d’abord un robot mobile, doté d’un système
de vision artificielle omnidirectionnelle, capable de détecter et de suivre une
cible en mouvement de façon autonome. Ensuite nous présentons un suiveur
solaire équipé d’une caméra catadioptrique. Lequel est un dispositif qui
permet l’orientation optimale de panneaux photovoltaïques, dans le but
d’augmenter leur rendement énergétique.
– Finalement la conclusion générale reprend les points essentiels soulevés. 13 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
2. Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
2.1 Introduction
La vision est un mode de perception privilégiée du point de vue biologique. Elle est
une pierre angulaire des systèmes de perception artificielle. Le développement de
la technologie des caméras a été primordial dans l’évolution de la vision par
ordinateur. La haute fréquence d’acquisition, la miniaturisation, et la haute
résolution sont autant des atouts qui ont facilité l’intégration de ces capteurs dans
plusieurs domaines notamment en robotique. Les caméras sont de plus en plus
performantes en termes de qualité, précision et variété des informations acquises.
Ainsi elles ont permis aux machines d’avoir la capacité de restituer une image
sensorielle de l’environnement proche de celle perçue par l’être humain.
Le progrès technologique qu’a connu le domaine d’industrie des caméras a permis
de pallier de nombreux défauts, tels que la sensibilité aux conditions d’éclairage ou
le flux volumineux des données à traiter. En revanche, l’inconvénient majeur de
tels capteurs se situe d’abord au niveau de leur champ de vision restreint. Les
cameras directionnelles ont un champ de vision qui couvre moins d’un hémisphère,
elles sont les plus couramment utilisées et commercialisées, c’est pour cette raison
que le terme cameras standards est fréquemment utilisé pour les désigner. Pour
augmenter le champ de vision de ces caméras, plusieurs solutions ont été proposées
dans la littérature, telles que les objectifs spéciaux à distance focale très courte, les
systèmes rotatifs associés à une caméra. Il s’agit des techniques de vision
omnidirectionnelle. Généralement une caméra possédant un champ de vision de
360° est dite panoramique. Le terme omnidirectionnelle est réservé aux cameras
dont le champ de vision dépasse l’hémisphère.
La robotique mobile est l’un des domaines qui exploite très avantageusement la
vision omnidirectionnelle. Un grand nombre de travaux traitent de son utilisation
dans ce cadre, soit pour la navigation [11], la localisation ou le SLAM
(Simultaneous Localization and Mapping), qui a pour but la localisation et la
cartographie de l'environnement en temps réel [12].
Une grande part des robots opèrent dans un contexte de scène bidimensionnelle
(2D). Néanmoins dans certains types d’application, il est nécessaire au robot de
percevoir la scène environnante en relief (3D). Ce besoin a donnée naissance à de
nombreuses études et théories.
2.2 Les systèmes d’acquisition 3D actifs
Les systèmes d’acquisition 3D actifs acquièrent l’information tridimensionnelle sur
un objet ou une scène par émission-réception d’un rayonnement. Différents types
d’ondes sont utilisées : Ultrasons, Lumière, Rayons X. La profondeur de l’objet peut
être mesurée de deux façons : par télémétrie ou par triangulation active.14 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
2.2.1 La télémétrie
Les télémètres sont des appareils permettant de mesurer une distance en
exploitant la rétrodiffusion d’une onde par la cible visée. Les télémètres fournissent
généralement la profondeur d’un unique point dans la direction de l’onde émise.
Pour scanner une scène entière il est nécessaire d’utiliser un système de balayage
par mécanisme rotatif ou à système de miroirs rotatifs.
2.2.1.1 La télémétrie par mesure du temps de vol
Cette technique est basée sur l’émission d’un signal impulsionnel, la mesure du
temps de parcours de l’impulsion entre l’émission et la réception permet
l’estimation de la distance entre le télémètre et la cible : Une partie de l’onde émise
est rétrodiffusée dans une direction approximativement quasi-parallèle à l’onde
incidente. La vitesse de propagation de l’onde 𝜐 étant connue, si 𝜏 est la durée
d’aller-retour de l’impulsion, la distance 𝐷 à mesurer est donnée par la relation
suivante: 𝐷 =
1
2
𝜐𝜏.
Les télémètres à ultrasons se basent sur la mesure du temps de vol de l’onde
ultrasonore acoustique pour estimer la distance. Ils sont simple électroniquement
grâce à la faible vitesse de propagation des ondes sonores en comparaison avec
celle de la lumière, et par conséquent ils sont moins chères. Toutefois ce type de
télémètres offrent une résolution azimutal très faible d’environ 30°, d’une protée
réduite, sont sensibles à la température, à la pression et également aux
interférences.
Ce même principe est utilisé par les radars à impulsions « radio detection and
ranging », qui opèrent dans une plage de fréquences électromagnétiques variant
de la bande HF (3-30 MHz) jusqu’à la bande W (75–110 GHz) [13]. Les lidars
« light detection and ranging » sont aussi des appareils qui utilisent le principe de
mesure du temps de vol pour mesurer la distance. A la différence des radars, les
lidars opèrent dans le domaine du visible, l’ultraviolet (UV), ou l’infrarouge (IR),
mais la technologie la plus répandue utilisée par les lidars est basé sur l’émission
d’un faisceau laser à impulsion.
Les télémètres laser (laser rangefinders) sont largement utilisés dans un vaste
éventail de domaines liés à la vision par ordinateur, tels que la modélisation 3D
d’objet, ou la reconnaissance d’objet en 3D. Cette technologie constitue le noyau de
nombreux systèmes d’acquisition 3D notamment dans le cas de la vision à large
champ.
De nombreux concepts combinant la télémétrie laser et la vision
omnidirectionnelle ont été proposés récemment dans la littérature. Dans [14] les
auteurs proposent deux méthodes de suivi et de poursuite de personne en utilisant
une caméra omnidirectionnelle et un télémètre laser, embarqués sur un robot
mobile. Un tel système fournit des capacités importantes d'interaction humainrobot
et d'assistance de l'homme dans différents milieux. C'est pourquoi le suivi
avec robots mobiles a constitué un domaine de recherche actif avec le succès de 15 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
nombreux systèmes développés, comme pour le guidage dans un musée [15],
l'assistance dans un hôpital [16], ou le suivi de piétons [17]. L’utilisation d’une
caméra omnidirectionnelle avec un champ de vision de 360° apporte plus de
fiabilité au suivi des personnes mobiles, vu que l’occlusion dans ce cas est quasiimprobable.
La première méthode présentée dans ce travail a été basée sur le suivi
visuel. L’approche proposée utilise la compensation par ego-mouvement après
transformation des images omnidirectionnelles en images perspectives, et la
différence frame par frame pour détecter le mouvement. Un filtre à particules est
ensuite utilisé pour suivre le mouvement et un algorithme EM (Expectation–
Maximization) pour trouver le centre de gravité de l’objet suivi. La télémétrie laser
a été utilisée comme outil secondaire pour l’estimation de la profondeur. Cette
méthode est valable pour les faibles vitesses et dans le cas d’un environnement
contrôlé. Sa performance se dégrade quand les conditions deviennent plus
complexe. Tandis que la deuxième méthode combine la télémétrie laser comme
outil principal et la vision omnidirectionnelle pour effectuer le suivi d’une personne
dans un environnement dynamique non contrôlé tel que le cas d’une scène en plein
air. Cette approche se sert du télémètre laser pour extraire la position 3D relative
des silhouettes qui pouvaient désigner une personne et exploite ces mesures avec
un filtre probabiliste d’association des données (PDAF). Ce système d’acquisition
3D hybride qui a été embarqué sur le robot Segway RMP 15(figure 2.1.a), est
configuré comme l’illustre la figure 2.1.b de telle façon à ce que chaque point de
l’espace environnant soit repérable par sa profondeur 𝑑 est son orientation 𝛽
acquises par le télémètre laser. Ainsi que par ses coordonnées sphériques (𝜃,𝜙)
par rapport au repère miroir de la camera catadioptrique. Considérant Ƭ
𝐴
la
transformation correspondante au repère robot, et 𝐴Ƭ
𝐿
𝐴Ƭ
𝐶
sont respectivement les
transformations correspondantes au télémètre laser et à la caméra. Les mesures 𝑑
et 𝛽 correspondent à un point 3D dont les coordonnées homogènes sont données
par :
𝑃 = Ƭ
𝐴
𝐴Ƭ
𝐿 (
𝑑𝑐𝑜𝑠𝛽
𝑑𝑠𝑖𝑛𝛽
0
1
) 2.1
Ce même point est repéré par la camera par les coordonnées suivantes :
𝑃
𝐶 =
(
𝑥
𝐶
𝑦
𝐶
𝑧
𝐶
1 )
=(𝐴Ƭ
𝐶 −1
)( Ƭ
𝐴 −1
)𝑃 2.2
Les coordonnées (𝑢, 𝑣) du point 𝑃 sur le plan image sont données par :
(
𝑢
𝑣
) = (
𝑥𝑐 + 𝑟𝑐𝑜𝑠𝜃
𝑦𝑐 + 𝑟𝑠𝑖𝑛𝜃), 𝑟 = 𝑓(√𝑡𝑎𝑛2𝜙 + 1 − 𝑡𝑎𝑛𝜙), 𝜃 = 𝑎𝑡𝑎𝑛2( 𝑥
𝐶
, 𝑦
𝐶
),𝜙 =
𝑡𝑎𝑛2( 𝑧
𝐶
, √ 𝑥
𝐶 2 + 𝑦
𝐶 2) 2.3
15 Source de figure : [14]16 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
𝑓 est la distance focale de la projection combinée, 𝑥𝑐 et 𝑦𝑐 sont les coordonnées du
centre de l’image catadioptriques.
La cartographie est l’une des applications qui profite du large champ de vision
offert par les cameras omnidirectionnelle, qui permettent d’économiser
considérablement le temps d’acquisition. Dans [18] un système de cartographie 3D
basé sur le couplage vision omnidirectionnelle et la télémétrie laser a été proposé.
Ce système est constitué d’un capteur de vision omnidirectionnelle stéréo et d’un
télémètre laser, le tout embarqué sur un robot mobile (figure 2.2.a). D’après les
auteurs, un système d’acquisition omnidirectionnelle stéréo ne peut pas à lui seul
garantir une fiabilité satisfaisante. D’où le besoin de lui adjoindre la télémétrie
active par laser, ce qui permet de générer des cartes 3D avec plus de précision
(figure 2.2.c). Puisque les deux capteurs peuvent détecter différentes parties d'un
objet, les cartes de grille probabilistes sont d'abord générées distinctement par
intégration temporelle des données provenant de chaque capteur. Les deux cartes
qui en résultent sont ensuite intégrées en utilisant une règle d'intégration logique.
Une méthode d'estimation ego-mouvement est également décrite, qui est
nécessaire à l'intégration des données acquises par les capteurs à différentes
positions.
Figure 2.1 : (a) Le robot Segway RMP. (b) Configuration du système lasercamera
omnidirectionnelle.
(a)
(b)17 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
Google Street View [19] est l’une des applications qui symbolise le triomphe des
systèmes d’acquisition 3D actifs. Ce service lancé en 2007 dans le but d’être intégré
dans Google Maps et Google Earth permet de naviguer virtuellement dans les rues
de différentes villes à travers le monde. Les images sont enregistrées par une flotte
de véhicules 16(figure 2.3.a) équipées de systèmes de vision artificielle, qui
parcourent les différents emplacements à cartographier.
Google a utilisé plusieurs générations de caméras pour capter les images Street
View. La plupart des images récentes ont été acquises par le système de caméra de
cinquième génération développé par Google, connu sous le nom R5 17(Figure 2.3.b).
Le système R5 se compose d’une rosette de huit caméras, chacune a une résolution
16 Source de figure : [151]
17 Source de figure : [152]
Figure 2.2 (a) Robot mobile dédié à la cartographie. (b) Exemple d’une scène. (c) La
carte générée représentant l’espace libre.
(b)
(c)
(a)
Figure 2.3 : (a) Une voiture de la flotte Google Street View équipée d’un système de
camera R5. (b) système de camera R5. (c) système de camera R7.
(a)
(b)
(c)18 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
de 5 millions de pixels, et d'un objectif fish-eye orienté verticalement vers le haut
(figure 2.3.b). Le successeur de la R5, connu sous le nom R7 18(figure 2.3.c), se
compose d'une rosette de 15 appareils du même type que la R5 et est destiné à
capturer des images à haute résolution avec un champ de vision plus large que la
R5. Les systèmes d’acquisition des véhicules récents de Google sont aussi équipés
de télémètres laser qui mesurent avec précision la profondeur d’une fenêtre
verticale de points sur les deux côtés et à l’avant du véhicule. Les systèmes anciens
se basaient sur le calcul du flux optique entre les images successives pour extraire
l’information tridimensionnelle.
La caméra à temps de vol (caméra TOF) est une solution matérielle plus simple,
compacte et plus accessible au grand publique. Il s’agit d’un système de caméra qui
résout la distance entre la caméra et la scène pour chaque point de l’image. Le
télémètre incorporé est de type LIDAR à balayage. Avec une portée maximale
d’environ 60m et une résolution en distance d’environ 1cm, ces caméras ont
émergées à partir de 2000 et ont été utilisées dans diverses applications civiles
telles que : l’aide à la conduite, Les interfaces homme-machine, les jeux vidéo, et
la robotique.
2.2.1.2 La télémétrie par mesure du déphasage
La technique de télémétrie par décalage de phase se base sur l’émission d’un
faisceau d’onde, généralement de type laser, modulé en amplitude par un signal
sinusoïdal ou carré de fréquence constante 𝑓𝑚. Le déphasage ∆𝜑 entre l’onde
rétrodiffusée par l’objet et l’onde émise permet d’estimer la distance séparant la
source de la surface de réflexion. Le décalage de phase est donné par la relation
[20] suivante :
∆𝜑 = 4𝜋 𝑓𝑚
𝐷
𝑣
𝑚𝑜𝑑(2𝜋) 2.4
2.2.1.3 La télémétrie par mesure de la fréquence
Une autre méthode d’estimation de la distance par mesure de la fréquence, repose
sur la modulation en amplitude de l’onde émise par un signal lui-même modulé en
fréquence. La distance est mesurée par la valeur d’une fréquence de battement
issue du décalage entre l’onde émise et l’onde rétrodiffusé. La relation [21] reliant
la distance et la fréquence intermédiaire du signal s’écrit sous la forme :
𝐷 =
𝑣𝑇𝑓𝑖
4∆𝐹
2.5
𝑇 étant la période du signal de modulation 𝑓𝑖
: la fréquence intermédiaire ou la
fréquence de battement, et ∆𝐹 est l’excursion en fréquence du signal de modulation.
18 Source de figure : [19]19 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
2.2.2 La triangulation active
La télémétrie par triangulation active est une technique qui se base également sur
l’émission de la lumière structuré pour sonder la profondeur d’un objet ou d’une
scène. A la différence des autres techniques de télémétrie active, cette approche se
sert de la camera pour intercepter la lumière rétrodiffusée. La lumière structurée
dans sa forme la plus simple est un rayon qui se manifeste par un point de
surbrillance sur l’objet visé. La direction du rayon étant connu, et la camera étant
calibrée, la profondeur peut alors être déterminée par une simple triangulation
(figure 2.4).
Généralement, pour effectuer l’acquisition tridimensionnelle d’un objet ou d’une
scène, le balayage se fait par projection d’un plan de lumière structurée
(figure 2.5) au lieu d’un faisceau ce qui permet d’accélérer le processus
d’acquisition. Dans ce cas un segment de surbrillance est intercepté par la camera,
ce segment appartient à un plan de projection d’équation connue. La profondeur
des pixels associés à des directions dans l’espace 3D est estimée par triangulation.
Pour approcher l’acquisition 3D en temps réel, il est nécessaire de s'émanciper des
systèmes à balayage. L’une des alternatives est la projection d’un motif
bidirectionnel au lieu d’un faisceau ou d’un plan de lumière structurée. Ce
motif peut être sous la forme d’une grille de segments, ou une matrice de points.
Dans ce cas, l’estimation de la profondeur se fait par l’étude des déformations du
motif projeté (figure 2.6).
Figure 2.4 : Représentation de la triangulation active par émission d’un
faisceau laser.20 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
Un exemple d’application de cette technique dans le domaine commercial, est le
fameux contrôleur de jeu KINECTTM 19(figure 2.7.a) lancé par Microsoft en
novembre 2010. Ce dispositif a connu un grand succès, et il a été utilisé dans une
multitude d’applications, de la robotique à la réalité augmenté. KINECT [22]
interprète les scènes en 3D en projetant en permanence un motif de points
19 Source de figure : [153]
Figure 2.5 : triangulation active par émission
d’un plan laser.
Figure 2.6 : Acquisition 3D active par
émission d’un motif de segments laser.21 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
infrarouge 20(figure 2.7.b). L’étude de déformation de ce dernier permet d’extraire
l’information sur la profondeur même en conditions de faible éclairage.
En vision à large champ, la triangulation active n’est pas privilégiée. Car concevoir
un procédé qui permet la projection omnidirectionnelle d’un motif de lumière
structurée est une tache assez complexe, le calibrer en est une autre.
Quelques travaux de recherche ont abordé ce thème, dans [23] les auteurs
proposent un dispositif omnidirectionnel de reconstruction 3D. Ce capteur
21(figure 2.8.a) est constitué de deux cameras CCD standards monochromatiques,
ainsi qu’un projecteur de lumière structurée infrarouge. L’architecture mécanique
qui a été adoptée pour étendre le champ de vision de ces capteurs, repose sur
l’utilisation de deux axes de rotation ; un horizontal et l’autre vertical. Cette
configuration (figure 2.8.b) permet de couvrir une sphère d’observation. Tant qu’à
la reconstruction tridimensionnelle, elle a été basée sur un algorithme
d’appariement (mise en correspondance), lié discrètement au principe de
l’acquisition multi spectral des capteurs CCD utilisés. Les informations
géométriques de la scène, sont extraites à partir des primitives contenues dans les
images des deux canaux infrarouges, et non pas par étude de la déformation du
motif projeté. Les primitives utilisées sont les indices pixels des points lasers
projetés. L’inconvénient majeur d’un tel concept provient du temps d’acquisition
qui est assez long.
20 Source de figure : [154]
21 Source de figure : [23]
Figure 2.7 : (a) Le dispositif d’acquisition 3D KINECT (b) Motif de lumière structurée
projeté par KINECT.
(a) (b)
Figure 2.8 : (a) Photographie du capteur de vision omnidirectionnelle. (b)
Configuration du capteur de vision omnidirectionnelle.
(a) (b)22 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
D’autres solutions alternatives ont été présentées dans la littérature, telle que celle
proposée dans [24]. Il s’agit d’un concept qui consiste à coupler une caméra
catadioptrique est un projecteur de lumière structurée omnidirectionnel. Ce
projecteur est disposé coaxialement sous la camera catadioptrique, le faisceau
laser émis est diffusé par un miroir conique, ce qui permet de couvrir un large
champ de projection. Cette configuration est bien illustrée sur la 22figure 2.9.
La troisième dimension de la scène est perçue par le croisement des rayons
lumineux émis par le laser avec ceux observés par la caméra, en d'autres termes,
par exécution d'une triangulation. Les points du motif projeté par le laser sont
réfléchis par le miroir conique et deviennent des tâches de lumière sur la scène. Le
miroir parabolique reflète la scène entière vers la camera. Tous les points éclairés
par le laser peuvent être identifiés. Enfin avec une modélisation exacte des deux
composantes principales de ce dispositif, une estimation précise de la profondeur
peut être réalisée. Une formulation mathématique pour la calibration de ce
système d’acquisition a été proposée par les mêmes auteurs dans [25].
Les auteurs de [26] présentent un concept similaire 23(figure 2.10.a), sauf qu’ils
suggèrent l’utilisation d’un système de projection laser à quatre sources pour éviter
l’utilisation d’un second miroir convexe. La camera catadioptrique utilisée
incorpore un miroir parabolique qui exige l’association d’une lentille télécentrique.
Le système d’imagerie résultant est alors orthographique, ce qui facilite le calcul
de la profondeur par triangulation comme illustré sur la figure 2.10.b.
22 Source de figure : [24]
23 Source de figure : [26]
Figure 2.9 : Système d’acquisition 3D
omnidirectionnel actif.23 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
2.2.3 Notes sur des systèmes d’acquisition actifs
L’acquisition par une caméra qu’elle soit à large
champ de vue ou directionnelle, est
fondamentalement une projection d’une scène
3D sur un plan 2D. Cela implique implicitement
un écrasement de l’information sur la
profondeur de la scène 24(figure 2.11).
L’approche active propose de restituer cette
information en la réinjectant lors du processus
d’acquisition. Cette opération se fait par
émission-réception d’une onde radiofréquence,
lumineuse ou ultrasonore. Dans le cas de la
télémétrie un dispositif à part est chargé de
sonder la profondeur, tandis qu’avec la
triangulation active, la camera est utilisée pour faire l’acquisition de la scène y
compris l’onde lumineuse projetée.
Il est manifeste qu’un système d’acquisition actif n’est pas le meilleur choix lorsque
la discrétion est requise par l’application visée. L’émission d’un signal quel qu’il
soit peut s’avérer nuisible dans certaines situations.
Les techniques de télémétrie active se différencient essentiellement par leur
portée, leur précision ainsi que leur sensibilité au bruit. Les télémètres à ultrasons
sont relativement simples d’utilisation, peu couteux. L’utilisation de la télémétrie
à ultrasons est réservée généralement aux espaces clos, vides ou comme simple
technique de détection d’obstacle, vu que la précision des mesures peut être
24 Source de figure : [155]
Figure 2.11 : Illusion d’optique
due au manque d’information sur
la profondeur.
Figure 2.10 : (a) Illustration d’un système de télémétrie omnidirectionnel. (b)
Triangulation active.
(a)
(b)24 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
perturbée par des interférences dus aux surfaces irrégulières des objets sondés
[27], par le vent, les changements de températures, ou par la présence d’objets qui
absorbent les ondes acoustiques.
Les radars et lidars à temps de vol ont une précision irréprochable sur les longues
portées, mais ils sont moins adaptés aux applications opérant sur des portées plus
courtes, puisque les longueurs d’onde utilisées ne le permettent pas. Les télémètres
à décalage de phase sont généralement plus rapides est plus précis que ceux à
temps de vol mais leur portée est réduite. Pour assurer une bonne acquisition le
télémètre et le sujet à sonder doivent être stables, puisque chaque point de la scène
est échantillonné à un instant différent, les vibrations à faible amplitude peuvent
induire des distorsions dans les données collectées. Quelques solutions ont été
proposées dans la littérature pour compenser les distorsions induites [28].
Les télémètres sont des dispositifs qui numérisent la scène environnante point par
point, et se caractérisent par leur résolution, quantifiée en nombre de points
numérisés par unité de surface, ainsi que par leur vitesse de balayage, mesurée en
nombre de points par unité de temps. Plus la résolution est grande moins l’est la
vitesse d’acquisition. Comme dans le cas des caméras, un compromis doit alors être
fait entre les deux.
La triangulation active est une alternative qui permet de palier aux contraintes de
la résolution limitée des techniques de télémétrie. Grâce à l’intégration de la
camera comme capteur passif, cette technologie permet d’acquérir des quantités
d’informations considérables de façon instantanée et avec moins de sensibilité aux
variations d’éclairage.
La majorité des systèmes d’acquisition 3D actifs se partage une incommodité
majeure, qui est la résolution azimutale restreinte. En vision directionnelle, cela
ne représente pas un vrai handicap, mais en vision omnidirectionnelle, le champ
de vue est précieux. Une multitude de solutions avaient été proposées dans la
littérature et en industrie pour remédier à ce problème. Les Lidars à titre
d’exemple utilisent des systèmes de balayage à miroirs rotatifs ; le rayon laser émis
par la source est redirigé par des miroirs dans le but d’effectuer un balayage
bidimensionnel de la scène. Un seul miroir à deux degrés de liberté est utilisé dans
le cas des lidars à faible vitesse de balayage, alors que deux miroirs sont
nécessaires lorsque la rapidité est envisagée. La façon la plus courante pour
mouvoir les miroirs est l'utilisation d'un galvanomètre résonant ou d’un
servomoteur (figure 2.12.a).25 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
Le progrès technologique qu’a connu le domaine de l’électronique a permis de
concevoir des systèmes de balayage avec des champs de vision quasiomnidirectionnels,
et des vitesses de balayage assez importantes, des modèles
commerciaux tels que le RIEGL VQ-450 25(figure 2.12.b) ou le HDS7000 ont atteint
une vitesse d’un million de points échantillonnés par seconde, avec un champ de
vision de 360°x320° dans le cas du HDS7000 [29]. Cependant ces systèmes
d’acquisition à balayage requièrent des post-traitements assez lourds sur le flux
volumineux des données générées, le HDS7000 comme exemple nécessite 13
secondes pour effectuer la numérisation de la scène environnante à faible
résolution, et 6:44 min à haute résolution. On peut en déduire que de tels
dispositifs ne sont pas compatibles avec des applications temps réel.
Ces mêmes contraintes sont rencontrées avec les systèmes à triangulation active ;
le champ de vision des caméras peut être étendu aisément par les techniques de la
vision omnidirectionnelle, mais celui des projecteurs de lumière structuré demeure
moins extensible. Les systèmes à balayage ont une vitesse d’acquisition assez
réduite pour qu’ils soient adoptés par les applications qui nécessitent des
traitements en temps réel. L’évaluation des performances temporelles du
prototype proposé dans [23] et illustré dans la figure 14, indique que l’acquisition
d’une image panoramique monochromatique dure environ trois minutes, celle
d’une image panoramique multi spectrale prend 12 minutes, alors que l’acquisition
d’une scène entière peut durer plus qu’une heure. Vu toutes ces contraintes,
l’acquisition 3D omnidirectionnelle par des capteurs passifs peut être considérée
comme une alternative rivale à l’approche active, en fournissant une quantité
d’informations appréciables de façon quasi instantanée.
25 Source de figure : [161]
Figure 2.12 : (a) Système de balayage à miroir pour télémètre laser. (b) RIEGL VQ-450
scanner laser à large champ de vision.
(a)
(b)26 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
2.3 Les systèmes d’acquisition 3D passifs
2.3.1 Les techniques shape-from-X
Les systèmes d’acquisition tridimensionnelle passifs sont fondamentalement des
systèmes de vision artificielle qui permettent une perception en relief de la scène
sans émission d’onde. Ils utilisent des caméras à base de capteurs CCD ou CMOS
pour resituer l’information 3D à partir des images acquises.
La vision 3D passive est l’une des disciplines les plus vieilles de la vision par
ordinateur, une multitude de techniques connues sous le nom shape-from-X ont été
développées afin d’inférer les formes des objets à partir des images. Selon le
nombre d'images d'entrée, nous pouvons classer ces techniques en deux catégories :
les méthodes basées sur deux ou plusieurs images et les méthodes basées sur une
seule image. Dans le premier cas, les deux ou plusieurs images d'entrée peuvent
être prises soit par multiples caméras fixes situées à différents angles de vue, ou
par une seule caméra avec des objets en mouvement dans les scènes. Nous
appelons les indices de profondeur utilisés par la première catégorie les indices de
profondeur multioculaires. La deuxième catégorie d'indices de profondeur basés
sur une seule image fixe, sont des indices de profondeur monoculaires. Le
tableau 2-1 résume les techniques majeures d’acquisition 3D passives.
Tableau 2-1 : Les techniques passives d’acquisition 3D.
Catégorie Technique
d’acquisition 3D
Principe
Binoculaire ou
Multioculaire
Shape-from-motion Flux optique,
factorisation, filtre de
Kalman.
Shape-fromfocus/defocus
Un ensemble d'images à
différents niveaux de
mise au point et de
l'estimation de la netteté,
Décomposition locale de
l’image en utilisant la
base des polynômes
d'Hermite, filtrage
inverse, Transformée en
S.
Shape-from-silhouette Modèle de maillage voxel
déformable.
Shape-from-stereo Corrélation, Mise en
correspondance,
Triangulation.
Monoculaire Shape-from-texture Texture frontale.
Shape-from-Scattering Modèle de diffusion de la
lumière.
Shape-from-shading Minimisation d’énergie.27 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
La technique shape-from-motion [30] désigne le processus d'estimation des
structures tridimensionnelles à partir des séquences d'images à deux dimensions
qui peuvent être couplés avec des signaux de mouvement locaux. Les humains
perçoivent beaucoup d'informations sur la structure en trois dimensions de leur
environnement en se déplaçant à travers elle. Lorsque l'observateur se déplace
dans un milieu statique, l'information est obtenue à partir d'images captées au fil
du temps. En biologie, cette habilité est connue sous le nom Structure from motion
(SfM). Les algorithmes SfM sont susceptibles de fournir des estimations robustes
de mouvement et de la forme, lorsqu’ils sont étendus aux cameras
omnidirectionnelles, grâce à leur large champ de vision. Christopher Geyer et
Kostas Daniilidis ont publié en 2001 un algorithme [31] de type structure-frommotion
à partir de mise en correspondance des points dans les images acquises par
les caméras catadioptriques non calibrées avec des miroirs paraboliques. Les
auteurs supposent que trois paramètres intrinsèques sont à déterminer : la
distance focale combinée du système catadioptrique miroir-lentille, et l'intersection
de l'axe optique avec l'image. Une nouvelle représentation des images de points et
de lignes dans les images catadioptriques a été introduite sous le nom de l'espace
du cercle. Cet espace comprend des cercles virtuels, chacun d’entre eux est l'image
de la conique absolue. La contrainte épipolaire a été formulée dans l’espace du
cercle, et une matrice catadioptrique fondamentale de taille 4x4 avait été établit.
Les auteurs ont démontré que l'image de la conique absolue appartient au noyau
de cette matrice. Cela permet la reconstruction euclidienne à partir de deux prises
de vues avec des paramètres constants, et de trois prises de vue avec des
paramètres variables. Dans les deux cas, il y a toujours une prise de vue de moins,
que celles nécessaires avec les caméras perspectives.
Des chercheurs de l’université Carnegie Mellon ont présenté dans [32] une
extension de deux algorithmes SfM aux cameras catadioptriques non centrales. Le
premier algorithme est un procédé de traitement par lots qui détermine la forme
et estime le mouvement en exploitant toutes les observations de l’image
simultanément. Généralement les algorithmes SfM se déroulent en deux étapes :
l’extraction des attributs tels que les points d’intérêt, et leur suivi à travers les
séquences d’images. Dans ce cas l’algorithme Lucas-Kanade [33] qui est une
méthode itérative à résolution sous-pixellique a été adopté. Les caractéristiques
résultantes sont ensuite utilisées pour estimer le mouvement de la caméra et les
coordonnées tridimensionnelles des points suivis. La méthode LevenbergMarquard
utilisée permet de minimiser l'erreur entre les positions des points
suivis et ceux prédits. La deuxième méthode présentée dans ce travail utilise un
filtre de Kalman étendu pour estimer la forme, le mouvement et leurs covariances.
Cette méthode présente l’avantage de pouvoir traiter chaque image dès qu’elle est
disponible, et n’exige pas que toutes les images soient disponibles a priori. Ce qui
la rend plus adaptée pour une utilisation sur des séquences d’images infinies
(temps réel). Les deux méthodes proposées ont été testées sur des plateformes
robotiques et ont prouvées leurs performances.28 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
Les méthodes shape-from-focus/defocus génèrent une carte de profondeur à
partir du degré de flou présent dans les images. Dans un système à lentille mince,
les objets qui sont mis au point sont clairement représentés tandis que les objets à
d'autres distances sont flous. La figure 2.13 [34] illustre un modèle de lentille
mince d'un réel point objet hors mise au point et sa projection sur le plan de l'image.
Cette projection correspondante est une tâche de flou circulaire avec une
luminosité constante, centrée autour de 𝑃′′ avec un flou de rayon 𝜎. Le flou est
causée par la convolution de l'image idéale projetée par la fonction d’étalement
ponctuel de la caméra (point spread function, PSF) 𝑔 (𝑥, 𝑦, 𝜎(𝑥, 𝑦)), où (𝑥, 𝑦) sont les
coordonnées du point image à 𝑃′′. On admet généralement que 𝜎(𝑥, 𝑦) = 𝜎, ou 𝜎 est
une constante pour une fenêtre donnée dans le but de simplifier ce modèle. Une
fonction gaussienne est utilisée pour simuler la fonction PSF :
𝑔𝜎
(𝑥, 𝑦) =
1
𝜋𝜎²
𝑒
−
𝑥
2+𝑦²
𝜎² 2.6
Afin d'estimer la profondeur 𝑢, nous avons besoin des deux équations suivantes ;
L'équation fondamentale des lentilles minces qui décrit la relation entre 𝑢, 𝑣 et
𝑓 comme suit :
1
𝑢
+
1
𝑣
=
1
𝑓
2.7
Pentland dans [35] a déduit une relation entre la distance 𝑢 (figure 2.13) et le floue
σ dans l'équation suivante :
Figure 2.13 : Modèle de lentille mince.29 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
𝑢 = {
𝑓𝑠
𝑠−𝑓−𝑘𝑓𝜎
𝑖𝑓 𝑢 > 𝑣
𝑓𝑠
𝑠−𝑓+𝑘𝑓𝜎
𝑖𝑓 𝑢 < 𝑣
2.8
Où 𝑢 est la profondeur, 𝑣 est la distance entre la lentille et la position de la mise
au point parfaite, 𝑠 est la distance entre la lentille et le plan d'image, 𝑓 est la
distance focale de la lentille, et k est une constante déterminée par le système de
lentilles. Lorsque les paramètres de la caméra sont obtenus après calibration, la
profondeur 𝑢 peut être calculée à partir de l'équation (2.8) une fois que le
paramètre de flou σ est connu.
La silhouette d'un objet dans une image correspond au contour séparant l'objet de
l'arrière-plan. Les méthodes Shape-from-silhouette nécessitent de multiples
prises de vue de la scène par des caméras à différentes position. Un tel processus
peut générer un modèle complet en 3D des objets de la scène. Shape-fromsilhouette
nécessite un étalonnage précis de la camera. Pour chaque image acquise,
la silhouette des objets cible est segmentée en utilisant la soustraction du fond. Les
silhouettes sont ensuite extraites à partir des images binaires, et sont de retour
projetés sur un espace 3D commun avec des centres de projection correspondant à
l'emplacement de la caméra. Un volume de forme conique résulte de la projection
inverse de chaque silhouette. L'intersection de tous les cônes formant l'enveloppe
visuelle de l'objet 3D cible, qui est souvent traité par représentation en voxel.
Les textures à motif offrent une bonne empreinte 3D grâce à deux éléments
essentiels : la distorsion des Texels individuels et le taux de variation de distorsion
dans la région de texture. Ce dernier est également connu comme gradient de
texture. La reconstruction de la forme 26(figure 2.14) exploite les distorsions telles
que la distorsion perspective, qui fait apparaitre les Texels distants de la caméra
plus petits, et la distorsion de raccourcissement, qui rend les Texels qui ne sont
pas parallèles au plan de l'image plus courts.
En général, le résultat des algorithmes shape-from-texture (SfT) est une carte de
densité des normales à la surface, ce qui permet de récupérer la forme 3D sous
l'hypothèse d’une surface de texture lisse. En règle générale, la forme d'une surface
26 Source de figure: [156]
Figure 2.14 : Reconstruction de la forme à partir de la texture. (a) Image réelle : tissu à
texture anisotrope non stationnaire (b) Diagramme à aiguille des Texels détectés (c) La
profondeur de la surface illustrée en niveaux de gris (d) Maillage de la surface vue de
profil.
(a) (b) (c) (d)30 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
en un point quelconque est complètement spécifiable par l'orientation et la
courbure de la surface. Puisque l’estimation de la courbure s'avère être compliquée,
les algorithmes shape-from-texture se concentrent sur la détermination des
orientations de la surface texturée en termes des normales à la surface. Il est à
noter que beaucoup d'images réelles contiennent des régions de texture différentes
ou des zones texturées entourées d’autres zones non texturées. Ces différentes
régions texturées doivent être segmentées avant que la plupart des algorithmes
shape-from-texture ne peuvent être appliqués. La figure 2.14 représente un
processus typique de reconstruction d’une forme texturée. Cette classe de
méthodes, qui nécessitent la segmentation des textures, est liée à l'approche basée
sur les caractéristiques. Au cours des dernières années, il y a eu une évolution vers
des méthodes shape-from-texture qui utilisent l'information spectrale et évite la
détection a priori des caractéristiques. Ces méthodes comparent la représentation
spectrale des correctifs de l'image fenêtrée pour récupérer l’orientation. Les
représentations spectrales couramment utilisées sont la transformée de Fourier,
la décomposition en ondelettes et la transformée de Gabor.
La propagation de la lumière à travers l'atmosphère est affectée en termes de
direction et d’intensité à cause de la diffusion du rayonnement par les petites
particules de l'atmosphère. Cela conduit à un phénomène appelé la diffusion
atmosphérique (atmosphere scattering), ce qui provoque divers effets visuels :
des objets lointains apparaissent moins nets et plus bleutés que les objets proches,
un faisceau de lumière d’une source intense est diffusé dans un environnement
brumeux. Bien que la diffusion atmosphérique est l’un des sujets classiques de la
physique, en psychologie elle est souvent considérée comme l'un des principaux
indices de perception de la profondeur par le système visuel humain, peu de
travaux dans le domaine de la vision par ordinateur ont pu établir un lien direct
entre la diffusion atmosphérique et l’information sur la profondeur. Cozman et
Krotkov [36] ont été les premiers à présenter une analyse de cette liaison en 1997.
Leurs travaux se basaient sur le modèle de diffusion physique de Lord Rayleigh
datant de 1871. L’algorithme est adapté pour estimer la profondeur des images
extérieures contenant une partie du ciel. Après simplification du modèle physique
complexe, la relation suivante est tirée entre la luminance d'une image et la
distance entre l'objet et l'observateur :
𝐶̌ = 𝐶0𝑒
−𝛽𝑧 + 𝑆(1 − 𝑒
𝛽𝑧) 2.9
Où 𝐶̌ est l’intensité mesurée d’un objet, alors que 𝐶0 est l’intensité du même objet
mais en absence de diffusion. 𝛽 est le coefficient d’extinction, 𝑧 est la profondeur de
l’objet, et 𝑆 est l’intensité du ciel. L'équation (2.9) comprend deux parties associées
par addition. La première partie décrit le fait que l’intensité lumineuse est
atténuée quand un faisceau lumineux est projeté sur un objet à travers un milieu
diffusant. La deuxième partie reflète le phénomène inverse: un gain réel en
intensité résulte de la diffusion. Dans la majorité des cas 𝛽 et 𝐶0 ne sont inconnus,
alors que 𝑆 peut être mesurée à partir de toutes les images qui contiennent une
région du ciel. Pour les scènes d'intérieur, l'estimation de S implique la génération 31 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
artérielle de la vapeur d’eau, une tâche qui ne peut pas être automatisée. C'est
l'une des limites de cet algorithme. Les résultats de l'algorithme sont des rapports
de profondeur entre les différents objets de la scène, à partir desquels une carte de
profondeur peut être générée.
La technique shape-from-shading (SFS) introduite par Horn [37] dans les
années 70, permet elle aussi d’estimer la forme tridimensionnelle d’un objet
uniforme, sous éclairage contrôlé, par l’étude des variations graduelles de son
ombre à partir d’une seule image 27(figure 2.15).
Les approches Shape-from-focus/defocus, shape-from-texture, shape-fromsilhouette
et shape-from-scattering sont peu envisageables dans le cas des
systèmes de vision à large champ, vu les contraintes que présente leur
implémentation, et les caractéristiques spéciales de ces systèmes de vision telles
que les distorsions. Tandis que la technique shape-from-shading s’avère être
utile en endoscopie ; une méthode d'exploration et d'imagerie médicale qui permet
de visualiser l’intérieur des cavités du corps humain inaccessibles à l’œil. Un
endoscope comporte généralement un objectif de distance focale courte à large
champ de vue (~140°). Le problème majeur rencontré lors de l’extension des
techniques shape-from-shading à ce genre de capteur est les distorsions radiales
fortes qu’incorporent les images acquises. Deux approches sont alors
envisageables : la première consiste à corriger les distorsions comme une étape
préliminaire au traitement, la deuxième repose sur l’intégration du modèle des
distorsions dans les équations de reconstruction 3D, ce qui permet d’éviter
l’implication d’une étape d’interpolation et par conséquent de préserver les
informations de l’image d’origine. Mais un second problème est souvent rencontré
lors du traitement des images à large champ de vue ; la résolution de l’image n’est
pas uniforme, plus on s’éloigne du centre de l’image, plus la résolution décroit. La
compensation de cette déperdition de résolution doit être prise en considération
lors de l’élaboration du modèle de reconstruction. La 28figure 2.16 illustre un
exemple de reconstruction d’une boule de calibration acquise par un endoscope à
source d’éclairage intégrée.
27 Source de figure: [157]
28 Source de figure: [158]
Figure 2.15 : Exemple de reconstruction à partir
d’une image avec des ombres noires.32 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
Avec deux images de la même scène prises à deux positions légèrement distantes,
la disparité binoculaire peut être utilisée pour récupérer la profondeur d'un objet.
Dans la nature, c'est le principal mécanisme de la perception de la profondeur. En
vision par ordinateur cette technique est connu sous le nom shape-from-stereo ou
stéréovision. Initialement un ensemble de points mis en correspondance dans la
paire d’images doit être désigné. Ensuite, l’information sur la profondeur peut être
récupérée par triangulation (figure 2.17) avec un bon degré de précision, si les
paramètres intrinsèques de la camera sont bien déterminés.
Si on considère 𝑃𝑔 et 𝑃𝑑 comme les projections du point 𝑃𝑒
de l’espace 3D sur les
deux plans des images droite et gauche, et on se basant sur la relation entre les
deux triangles semblables (𝑃𝑒
,𝑂𝑑,𝑂𝑔) et (𝑃𝑒
, 𝑃𝑑, 𝑃) l’expression de la profondeur Z
est donnée par :
𝑍 = 𝑓
𝐵
𝑑
2.10
(a) (b)
Figure 2.16 : Reconstruction 3D d’une boule (ping-pong)
par technique shape-from-shading.
Figure 2.17 : Principe de la stéréovision.33 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
Où la disparité 𝑑 qui mesure la différence de position pixellique entre les deux
points 𝑃𝑔 et 𝑃𝑑, est définie par : 𝑑 = 𝑥𝑔 − 𝑥𝑑.
L'aspect le plus fastidieux des algorithmes d'estimation de la profondeur basés sur
la disparité binoculaire est le problème de mise en correspondance stéréoscopique,
l'un des domaines de recherche les plus actifs de la vision par ordinateur. Étant
donné un point image sur l'image de gauche, comment peut-on trouver le point
image correspondant dans l'image droite ? En raison des ambiguïtés inhérentes
des paires d'images stéréoscopiques, telles que l'occlusion, le problème générale de
mise en correspondance stéréo est difficile à résoudre. Plusieurs contraintes ont
été introduites pour simplifier la résolution de ce problème. La géométrie
épipolaire et l'étalonnage de la camera sont les deux contraintes les plus
fréquemment utilisées, avec lesquelles, les paires d'images stéréoscopiques
peuvent être rectifiées.
La géométrie épipolaire [38] [39] est utilisée en stéréoscopie afin de contraindre
l’espace de recherche des points homologues (figure 2.18), qui sont les projections
d’un même point 𝑃 de l’espace 3D sur les différentes images. Le plan épipolaire est
défini par le point 𝑃 observé et les deux centres de projection 𝑂𝑑 et 𝑂𝑔.
Dans le cas des caméras directionnelles, les images sont d’abord rectifiées pour
éliminer toute distorsion optique, ainsi une droite de l’espace est projetée en une
droite dans l’image acquise. La recherche du correspondant d’un point de l’image
de droite s’effectue donc le long d’une droite, dite épipolaire, dans l’image de
gauche. Ces droites se croisent en un point, appelé épipole, qui est l’image du centre
de projection.
L’étalonnage de la camera consiste à estimer les paramètres du modèle de la
camera à partir d’observations ce qui revient à établir la relation entre les
(a)
(b)
Figure 2.18 : La géométrie épipolaire. (a) : Une scène observée sous différents points de
vue, la géométrie épipolaire doit décrire la relation entre les deux images résultantes. (b)
Schématisation de la géométrie épipolaire.34 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
coordonnées spatiales d'un point de l'espace et le point associé dans l'image acquise
par la caméra.
Une autre hypothèse largement utilisée, est la contrainte photométrique, qui
stipule que les intensités des pixels correspondants sont semblables les unes aux
autres. La contrainte de l’ordre précise que l'ordre des points dans la paire d'images
stéréoscopiques est généralement le même. La contrainte d'unicité affirme que
chaque point ne peut avoir qu’un unique correspondant, Tant qu’à la contrainte de
lissage aussi connu comme la contrainte de continuité, dit que la disparité change
progressivement presque partout. Certaines de ces contraintes sont difficiles à
implémenter, comme la géométrie épipolaire par exemple, tandis que d'autres
telles que les contraintes de lissage sont moins complexes. Scharstein et Szeliski
[40] ont étudié la performance d'environ 40 algorithmes de mise en correspondance
fonctionnant sur une paire d'images rectifiées. Certains de ces algorithmes
imposent diverses séries de contraintes.
Les algorithmes actuels de mise en correspondance stéréo sont basés sur la
corrélation des fenêtres locales, par appariement d’un ensemble de
caractéristiques de l’image telles que les points d’intérêt, ou par optimisation
globale. Lors de la comparaison de corrélation entre les fenêtres des deux images,
l'élément correspondant est donné par la fenêtre lorsque la corrélation est
maximale. Une mesure de similarité traditionnelle est la somme des différences
au carré (SSD). Les algorithmes locaux génèrent une carte de disparité, tant dit
que les méthodes basées sur les caractéristiques sont conceptuellement similaires
à celles à base de corrélation, mais à leur différence, la recherche de
correspondance se fait par ensemble de caractéristiques. La mesure de similarité
dans ce cas doit être adaptée au type des caractéristiques utilisées. De nos jours
les méthodes d'optimisation globale sont plus populaires en raison de leur bonne
performance. Ils font usage explicite des contraintes de lissage et essaient de
trouver une affectation de disparité qui minimise une fonction globale d'énergie.
L'énergie globale est généralement une combinaison du calcul de la similarité et le
terme de continuité, où celui-ci mesure habituellement les différences entre les
disparités des pixels voisins. C'est l'étape de minimisation de la différence utilisée
dans ces algorithmes qui les différencie les uns des autres.
2.3.2 Contribution à la stéréovision omnidirectionnelle
La stéréovision omnidirectionnelle consiste à utiliser au moins deux capteurs à
large champ de vision pour acquérir l’image de l’environnement en relief. Parmi
les systèmes de vision omnidirectionnelle, les capteurs catadioptriques, qui
présentent des spécificités particulièrement intéressantes pour la reconstruction
3D et la navigation. Grâce à leur champ de vue omnidirectionnel la fiabilité du
suivi des objets ou des points d'intérêts le long d’une séquence d'images est assurée,
un privilège qui ne peut être garanti dans le cas d’une caméra classique avec un
champ de vision restreint.35 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
Les premiers travaux dans ce domaine ont été initiés par Shree K. Nayar en 1989.
Dans son article [41] Sphereo: Determining Depth using Two Specular Spheres and
a Single Camera, Nayar avait présenté un système de vision omnidirectionnelle
catadioptrique, constitué de deux miroirs sphériques ainsi qu’une caméra
directionnel fixe. Ce système permet l’estimation de la profondeur à partir de
chaque paire de points correspondants par triangulation (figure 2.19). L'utilisation
d'une seule caméra fixe permet d’éviter les complexités indésirables qui
caractérisent la procédure d'étalonnage stéréo. La plage de mesure du système est
considérablement améliorée par l'utilisation des miroirs sphériques et n'est pas
limitée par le champ de vision de la caméra.
Depuis, la stéréovision omnidirectionnelle s’est vite répandue comme un axe de
recherche en vision artificielle, riche et prometteur. Beaucoup de chercheurs ont
trouvé de l’intérêt à l’exploiter dans diverses applications.
En vidéosurveillance, le cout, la complexité et la fiabilité sont trois critères à
considérer lors de la conception d’un système. L’utilisation des capteurs
omnidirectionnels permet à la fois de réduire le coût, vu qu’un seul capteur peut
couvrir un large champ de vision qui nécessite normalement l’utilisation de
plusieurs cameras classiques, et permet aussi de simplifier la complexité en évitant
l’utilisation de dispositifs secondaires tels que les systèmes de motorisation des
caméras. Dans [42] un système de vidéosurveillance N-Oculaire stéréo a été
proposé. Le système est constitué d’un réseau de capteurs de vision
omnidirectionnelle (Figure 2.20.a). L’une de ses fonctionnalités est le suivi en
temps réel des personnes mobiles (figure 2.20.c). La segmentation des cibles
dynamiques se fait par extraction du fond. La configuration N-Oculaire permet de
Figure 2.19 : le système de stéréovision omnidirectionnelle
SPHEREO.36 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
déterminer la position de la cible tout en minimisant l’erreur d’observation ;
L'emplacement de la cible est mesuré par triangulation à partir des angles
d'azimut qui sont détectés par chaque paire combinatoire possible des capteurs de
vision arbitraires (figure 2.20.b). L’algorithme élimine par la suite toutes les
positions calculées, où la cible n’est pas visible par au moins trois capteurs.
Les systèmes omnistéréo se sont avérés utiles dans des applications d’aide à la
conduite, et de la sécurité routière. Dans [43] un système d’assistance du
conducteur basé sur la vision artificielle a été présenté. Il est constitué de deux
cameras omnidirectionnelles catadioptriques montées sur un véhicule. Plusieurs
configurations (figure 2.21) sont proposées pour la détection efficace des véhicules
et des piétons. Dans ce travail une carte dense de profondeur utilisée généralement
pour la détection d’obstacles est générée par mesure de corrélation, après
rectification des images acquises. L’algorithme passe par cinq étapes principales,
d’abord les images acquises sont rectifiées pour éliminer les distorsions, cette
opération n’est possible que lorsque les caméras sont déjà calibrées. Ensuite une
étape de prétraitement est exécutée où un filtre passe-bande est appliqué sur les
images rectifiées par convolution avec un filtre laplacien de gaussienne. La mise
en correspondance des pixels de l’image se fait par comparaison des fenêtres
rectangulaires de chaque paire d’image stéréo, en utilisant la somme des
différences absolues (SAD) comme mesure de corrélation. Chaque minimum des
valeurs SAD correspond à un pic de corrélation. Le décalage spatial entre chaque
paire de pixels mis en correspondance est connu entant que la disparité de ce pixel.
La quatrième étape consiste à générer une carte de disparité par attribution de
valeurs proportionnelles à chaque écart pixellique. Finalement les erreurs dues
aux fausses mises en correspondance et les discontinuités de profondeur sont
éliminées.
(a)
Capteur
1
Capteur
2
Capteur
3
Cibles
(b)
(c)
Figure 2.20 : Système de vidéosurveillance à base de capteurs omnidirectionnels. (a)
capteur catadioptrique utilisé. (b) Principe de la stéréovision omnidirectionnelle NOculaire.
(c) Aperçu du système.37 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
La réalité virtuelle qui est une simulation informatique interactive, immersive, et
sensorielle d'environnements réels ou imaginaires, est l’un des domaines où les
capteurs de vision omnistéréo ont été utilisés. Un système d’acquisition 3D
omnidirectionnelle a été publié dans [44], Le capteur d’acquisition est constitué de
deux miroirs pyramidaux hexagonaux et douze caméras CCD (figure 2.22.a).
L’approche présentée est basée sur l’acquisition des scènes dynamiques à l’aide ce
capteur en temps réel. Un environnement mixte est créé à partir d’un modèle 3D
Figure 2.22 : (a) Capteur d'image stéréo
omnidirectionnel. (b) Système de projection 3D
immersive CYLINDRA.
(a) (b)
Figure 2.21 : Les différentes configurations d’un system
omnistéréo monté sur un véhicule.38 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
cylindrique contenant les textures de la scène réelle, et d’un modèle virtuel qui
comprend des images de synthèses ou des graphiques. Le modèle 3-D cylindrique
est généré à partir des images panoramiques stéréo.
La profondeur d'une scène réelle existante est le principal facteur qui peut
représenter correctement la relation entre la profondeur des objets virtuels et les
objets réels. L’estimation de la profondeur se fait dans ce cas par mise en
correspondance des images panoramiques stéréo. Cependant, il y a une forte
possibilité de fausses correspondances causées par les bruits lors de l'exercice de
l’appariement sur l'ensemble des images stéréo. Afin de réduire les
correspondances incorrectes, la solution proposée consiste à effectuer la mise en
correspondance des contours des objets et non pas l’ensemble des pixels de l’image,
par la suite, les données intermédiaires sont estimées par interpolation linéaire.
L’algorithme détecte d’abord les contours par application du filtre de Sobel sur
l’image du haut et celle du bas. La correspondance stéréo est effectuée par mesure
de la similarité corrélation croisée normalisée, avec une fenêtre de 9x9 pixels. Les
bruits et les valeurs manquantes sont ensuite éliminés par application d’un filtre
médian de 5x3. Le résultat est une carte de profondeur (figure 2.23) dans lequel
des valeurs de profondeur sont codés en intensité ; un pixel brillant est plus proche
et un pixel sombre est plus loin. Un pixel noir est un pixel dont la profondeur n'a
pas pu être calculée à partir d'images stéréo. L’environnement mixte 3D généré est
exposé à l’aide d’un système de projection immersive composé de six projecteurs
RGB.
La stéréovision omnidirectionnelle a été largement utilisée en robotique à diverses
fins, telles que la détection d’obstacles [45], la cartographie [46], la localisation [47],
et la navigation [48]. Les capteurs omnidirectionnels catadioptriques sont les
capteurs à large champ de vision les plus utilisés en robotique. Rappelons que les
systèmes omnidirectionnels catadioptriques procèdent de la combinaison des
miroirs convexes et des caméras. L’alignement de l’axe optique de la caméra et
l’axe de révolution du miroir permet de concevoir un système d’acquisition avec un
champ de vision de 360°. Cette approche conserve les propriétés d’acquisition en
temps-réel et permet d’obtenir des images de bonne résolution. Néanmoins une
Image haute
Image basse
Carte de profondeur
Figure 2.23 : Carte de profondeur panoramique générée à partir d'images stéréo.39 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
adaptation des algorithmes des traitements classiques au modèle de projection
non-linéaire et à la résolution non-uniforme des images catadioptriques est
nécessaire. Notre étude sera focalisée par la suite sur ce type de capteur.
Les systèmes catadioptriques peuvent être classifiés en deux catégories : centraux
et non centraux [49]. Un capteur est dit central, si le miroir convexe utilisé satisfait
la contrainte du point de vue unique, sinon il est considéré non central.
La contrainte du point de vue unique SVP (Single View Point) est définie comme
suit : à chaque point de l’image catadioptrique, est associée une seule et unique
direction projective de l’espace. Les systèmes satisfaisants cette contrainte
présentent certains avantages par rapport aux autres, parmi ces avantages : la
possibilité d’éliminer les distorsions lors de la transformation de l’image
omnidirectionnelle en image panoramique (déballage), ainsi que la simplicité
relative à la modélisation et du calibrage de ce genre de cameras. Baker et Nayar
[50] ont démontré qu’en se basant sur le modèle sténopé de la camera, seuls les
quadriques de révolution de type ellipsoïdes, paraboloïdes, hyperboloïdes et
planaires, satisfasses la contrainte SVP.
Chaque forme des miroirs convexes (figure 2.24) ; conique, sphérique,
hyperbolique, ou parabolique, présente des spécificités propres, des avantages et
des inconvénients concernant la satisfaction du point de vue unique, l’importance
des aberrations, et la complexité de réalisation (cout). La conception d’un système
stéréo débute d’abord par le choix du miroir de révolution et ensuite la
configuration du système. Dans la partie qui suit nous allons décrire les différents
miroirs existants ainsi que les diverses configurations possibles.
Figure 2.24 : Miroirs convexes pour caméras catadioptriques. (a) Miroir conique (b)
Miroir sphérique (c) Miroir hyperbolique (d) Miroir parabolique.
(a) (b) (c) (d)40 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
2.3.2.1 Choix du miroir
Selon Baker et Nayar. [51], les miroirs coniques ont un point de vue unique au
sommet du cône. Cela signifie que dans le but d'accomplir la contrainte SVP, le
sténopé de la caméra doit être placé à l'extrémité du cône. Dans les cas particuliers
où un modèle de scène 3D est disponible, l'image panoramique peut être mise en
correspondance avec le modèle pour obtenir un environnement virtuel en 3D. Des
chercheurs de l'Université de l'Alberta [52] ont utilisé une méthode similaire pour
l'inspection de canalisation à l'aide d'une caméra catadioptrique avec un miroir
conique. L'image omnidirectionnelle fournie par la caméra catadioptrique est
mappée sur une surface 3D définie par un modèle précédemment disponible de la
surface réelle ou sur une surface développable complexe formée par des blocs de
construction de base. Même si le miroir conique a été traditionnellement mis au
rebut de l'ensemble des miroirs qui sont conformes à la contrainte SVP, placer les
configurations de miroirs coniques dans la catégorie des capteurs catadioptriques
non-SVP est devenu contestable. En 2001, Lin et Bajcsy [53] ont montré que le
miroir conique peut être utilisé dans un capteur catadioptrique SVP si le modèle
de la caméra n'est pas le sténopé, mais un étendu qui prend en compte des
phénomènes optiques plus complexes. Lin et Bajcsy [54] ont décrit un capteur
omnidirectionnel qui fournit des informations de profondeur à l'aide de deux
caméras, un diviseur de faisceaux et un miroir conique, pour des applications en
robotique. Un capteur similaire a été proposé par Spacek [55] qui a utilisé une
Figure 2.25 : Géométrie de formation de
l’image acquise par caméra catadioptrique à
miroir conique.41 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
configuration stéréo omnidirectionnelle intégrée avec deux miroirs coniques
coaxiaux.
Attributs :
La fabrication des miroirs coniques est relativement facile, comme ils sont
peu couteux.
La courbure nulle de ce type de miroir, annule l’effet fish-eye qui se
manifeste par un grossissement des objets auprès du centre.
La direction de la normale de réflexion est constante, ce qui simplifie
l’association du miroir conique à d’autres quadriques de révolution [56].
Incommodités :
L’astigmatisme est important.
Les cameras catadioptriques à miroir conique ne sont pas centrales.
Les miroirs sphériques respectent la contrainte SVP seulement dans le cas où
une caméra de modèle sténopé est placée au centre de la sphère. La camera dans
ce cas n’acquerra que sa propre image. Donc, ce genre de miroirs n’est pas utile
pour les systèmes qui exigent le respect de la contrainte du point de vue unique.
Néanmoins, parfois, les miroirs de forme sphérique représentent un choix
attrayant, en raison de leurs caractéristiques telles que le faible coût de
fabrication, les caractéristiques spécifiques de la densité de résolution de l'image
qui est en fonction de l'angle d’élévation, ainsi que leurs tailles.
Figure 2.26 : Géométrie de formation de l’image
acquise par caméra catadioptrique à miroir
sphérique.42 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
En 1996 Southwell et al., [57] ont utilisé un capteur catadioptrique non central
muni d'un miroir sphérique à double lobe pour obtenir deux images séparées, ce
qui permet une perception 3D omnidirectionnelle. Plus tard, Fiala et Basu [58] ont
utilisé un capteur similaire à obtenir une vue panoramique stéréo dans laquelle
les lignes horizontales et verticales ont été détectées à l'aide de la transformé de
Hough panoramique, une extension de la transformée de Hough adaptée aux
images catadioptriques. La profondeur est récupérée en faisant correspondre les
lignes imagées par les deux miroirs sphériques à travers la symétrie radiale. Ils
ont utilisé le miroir sphérique à deux lobes, indiqué sur la figure 2.27.
Attributs :
La distinction de la sphère réside dans sa symétrie par rapport à son centre,
ce qui facilite l’étalonnage matériel du système catadioptrique.
Les miroirs sphériques sont faciles à manufacturer.
Ils présentent un faible astigmatisme notamment au centre, mais il est plus
important sur la périphérie.
La distance focale nécessaire pour faire converger les rayons est
relativement faible.
Incommodités :
Les cameras catadioptriques à miroir sphérique ne sont pas centrales.
Les distorsions sont fortes sur la périphérie de l’image catadioptrique.
Dans le cas des miroirs hyperboliques, la contrainte de SVP est satisfaite
lorsque le sténopé et le point de vue du miroir sont placés sur l’un des deux foyers
de l'hyperboloïde. En pratique, la réalisation d’une telle configuration est une tâche
alambiquée. Ollis [59] avait simulé diverses configurations en utilisant deux
miroirs hyperboliques avec une ou deux caméras. Les mesures de profondeur ont
Figure 2.27 : Système catadioptrique avec miroir sphérique à double lobe. (a)
Configuration du système. (b) Exemple d’image.
(a) (b)43 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
été obtenues par triangulation. Le problème de correspondance a été résolu par
utilisation d’une fenêtre de correspondance entre les deux images stéréoscopiques,
au moyen d'un algorithme de corrélation qui tient en compte de la courbure des
miroirs. En 2001, une équipe de l'Université d'Osaka a publié les résultats obtenus
avec un système stéréo omnidirectionnel à deux miroirs hyperboliques (figure 2.29)
pouvant opérer en temps réel, et de ses applications à la détection d'obstacles et au
suivi, pour un robot mobile.
Attributs :
A centre de projection unique.
L’astigmatisme dépend de la courbure du miroir.
Incommodités :
Le procédé de fabrication des miroirs hyperboliques est difficile.
Pratiquement la contrainte du point de vue unique est difficile à satisfaire.
Figure 2.28 : Géométrie de formation de l’image acquise
par caméra catadioptrique à miroir hyperbolique.44 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
Une parabole est l'ensemble de tous les points dans le plan situés à égale distance
de la directrice 𝐿, et du foyer 𝐹. Le paramètre est la distance entre la directrice et
le foyer, donnée par 𝑓 = 2𝑎, où 𝑎 est la distance du sommet à la directrice ou le
foyer. La surface de révolution obtenue par rotation d'une parabole autour de son
axe de symétrie est appelé un paraboloïde. Toutefois, les miroirs avec cette surface
sont communément appelés miroirs paraboliques. La forme parabolique est une
solution de la contrainte SVP dans le cas particulier d’une projection
orthographique. Le miroir parabolique fonctionne de la même manière que
l'antenne parabolique : les rayons entrants passent par le point focal et sont
réfléchis parallèlement à l'axe de rotation de la parabole. Par conséquent, un
miroir parabolique doit être utilisé en conjonction avec une caméra
orthographique. Une caméra en perspective peut également être utilisée si elle est
placée très loin du miroir de sorte que les rayons réfléchis peuvent être estimés
comme parallèle. De toute évidence, cette solution fournira une faible résolution,
inacceptable, et n'a aucune valeur pratique. Gluckman et Nayar [60] ont développé
un capteur panoramique de vision stéréo, avec deux miroirs paraboliques alignés
sur l’axe vertical avec leurs caméras correspondantes. L'ensemble du système a été
étalonné au moyen d'un procédé itératif, l’estimation de la profondeur a été basée
sur la géométrie épipolaire. En 2000, Strum [61] a mis en place une méthode de
reconstruction 3D à partir d'une seule image panoramique acquise avec un capteur
omnidirectionnel à miroir parabolique. Le procédé obtient en entrée un ensemble
de contraintes sur du structure 3D, fourni par l'utilisateur. Ces contraintes font
référence à la coplanarité, parallélisme et la perpendicularité des objets dans
l'image. L'auteur a décrit un procédé d'étalonnage simple en ajustant un cercle à
la frontière de l'image de scène réfléchie par le miroir. L'algorithme de
Figure 2.29 : système stéréo omnidirectionnel à miroirs hyperboliques. (a)
configuration du système. (b) exemple d’image.
(a)
(b)45 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
reconstruction utilise la propriété SVP de cette configuration catadioptrique qui
permet la reprojection inverse des points d'image 2D.
Attributs :
La projection orthographique est réalisable par utilisation d’une lentille
télécentrique, qui permet de sélectionner les rayons parallèles à l’axe
optique de caméra.
La contrainte SVP est satisfaite.
Le choix de la distance lentille miroir est flexible.
Incommodités :
La taille de la lentille télécentrique est considérable.
Le prix de la lentille télécentrique est considérable.
Le tableau 2-2 résume les propriétés des différents miroirs de révolution utilisés
pour concevoir une caméra catadioptrique. Néanmoins pour concevoir un système
omnistéréo un second choix doit être fait, celui de la configuration stéréo. Une
multitude de dispositions sont possibles parmi elles, la configuration horizontale,
verticale, N-Oculaire, et la configuration dynamique. Elles diffèrent
principalement par la géométrie selon laquelle les capteurs omnidirectionnels sont
Figure 2.30: Géométrie de formation de l’image
acquise par caméra catadioptrique à miroir
parabolique.46 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
disposés. Chaque configuration a ses propres caractéristiques concernant le champ
de vue, les occlusions, la géométrie épipolaire, et la précision sur l’estimation de la
profondeur.
Tableau 2-2 : Tableau récapitulatif des miroirs principaux.
Forme du
miroir
Equation de la
surface
Champ de
vue
(vertical)
SVP Lentille
Conique 𝑥
2 + 𝑦
2 = 𝑧
2
(tan 𝛼) [-45 45] Non Normale
Sphérique 𝑥
2 + 𝑦
2 + 𝑧
2 = 𝑟
2
[-90 10] Non Normale
Hyperbolique (𝑧+
𝑑
2
)
2
𝑎2 −
𝑥
2
𝑏2 +
𝑦
2
𝑏2 = 1
𝑎 =
√𝑑
2 + 4𝑝
2 − 2𝑝
2
𝑏
= √𝑝(√𝑑
2 + 4𝑝
2 − 2𝑝)
[-90 45] Oui Normale
Parabolique √𝑥
2 + 𝑦
2 + 𝑧
2 = 𝑧 + 2𝑝 [-90 45] Oui Télécentrique
2.3.2.2 Choix de la configuration
Une image omnidirectionnelle à 360° degrés, peut être considérée comme une
projection cylindrique à partir d'un seul point de vue où la projection dans la
direction verticale est perspective [62]. La projection (𝜃, 𝑧) d’un point 3D,
𝑃(𝑋, 𝑌, 𝑍) dans une telle image peut être représentée par :
(𝜃, 𝑧) = (𝑡𝑎𝑛−1
(
𝑌
𝑋
) , 𝐹
𝑍
𝐷
) 2.11
Figure 2.31 : Configuration omnistéréo horizontale.47 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
Où 0 ≤ 𝜃 < 360° est la direction des rayons dans le champ de vision horizontal,
𝐷 = √𝑋2 + 𝑌2 est la distance perpendiculaire entre le point P est l’axe vertical OZ
du cylindre tout en passant par le point focal. 𝐹 est la distance focale du cylindre
virtuel de la camera omnidirectionnelle (figure 2.31).
La configuration omnistéréo binoculaire-H [63] [64] [65] [66] est réalisable en
alignant deux cameras omnidirectionnelles horizontalement, compte tenu des
points correspondants de la paire stéréo, (𝜃1, 𝑧1
) et (𝜃2, 𝑧2
) d'un point 𝑃 du repère
3D, la profondeur de ce point par rapport à la première camera, peut être calculée
par triangulation (Figure 2.31).
𝐷 = 𝐵
𝑠𝑖𝑛𝜃2
𝑠𝑖𝑛𝜃2−𝑠𝑖𝑛𝜃1
= 𝐵
𝑠𝑖𝑛𝜃2
𝑠𝑖𝑛𝜃 2.12
𝜃 = 𝜃2 − 𝜃1 est la disparité horizontale, et également l'angle de vergence entre les
deux rayons incidents. À la différente de la configuration stéréo perspective
(planaire), cette équation de triangulation est invalide dans les cas singuliers où le
point est aligné avec la ligne de base, lorsque 𝜃 = 0° ou 𝜃 = 180° (Figure 2.32.b).
Généralement l’erreur sur le calcul de la profondeur est généralement estimée par :
𝜕𝐷 =
𝐷√𝐷2−𝐵2𝑠𝑖𝑛2𝜃2
𝐵𝑠𝑖𝑛𝜃2
𝜕𝜃 2.13
Dans le cas où 𝐷 ≫ 𝐵 l’équation peut être simplifiée sous la forme :
𝜕𝐷 =
𝐷
2
𝐵𝑠𝑖𝑛𝜃2
𝜕𝜃 2.14
Où 𝜕𝜃 est l’erreur sur l’estimation de la disparité.
La précision sur la profondeur de l’omnistéréo binoculaire-H est anisotropique.
Pour une ligne de base (Baseline) et une distance donnée, la meilleure estimation
de la distance est obtenue lorsque l'angle de vergence entre les deux rayons
incidents est au maximum ; 𝜃2 = 90° ou 𝜃2 = 270°. Cette précision est
proportionnelle au carré de la profondeur, et inversement proportionnelle à la
longueur de la ligne de base. L’erreur est maximale (infinie) dans les cas de
Figure 2.32 : (a) Triangulation omnistéréo horizontale. (b) Les lignes épipolaires.48 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
singularité (𝜃 = 0° ou 𝜃 = 180°), il est toutefois possible de calculer la profondeur
dans ces deux cas autrement [67] [68]:
𝐷 = 𝐵
𝑧2
𝑧2−𝑧1
= 𝐵
𝑧2
𝑧
2.15
Cette équation est valable que dans le cas 𝜃 = 0° (figure 2.32.a), où 𝑧 est la
disparité verticale.
Dans ce sens, théoriquement, ce système ne présente que deux points aveugles.
Cependant, en pratique, les deux caméras occluent l'une l'autre dans la direction
de la ligne de base, de sorte qu'aucune information n’est disponible dans les régions
d'occlusion mutuelles. Un autre inconvénient de l’omnistéréo binoculaire-H est sa
géométrie épipolaire. Etant donné un point (𝜃2, 𝑧2
) dans la deuxième image son
point correspondant (𝜃1, 𝑧1
) dans la première image se situe sur une courbe
sinusoïdale (figure 2.32.b):
𝑧1 =
𝑠𝑖𝑛𝜃1
𝑠𝑖𝑛𝜃2
𝑧2 2.16
Cette équation n’est valable que lorsque 𝑠𝑖𝑛𝜃2 ≠ 0, Dans les cas de singularité, les
lignes épipolaires sont le long de 𝑧.
En littérature, cette configuration n’est pas privilégiée vu les inconvénients qu’elle
présente. Dans [69] on propose un système de stéréovision omnidirectionnelle,
composé de deux cameras catadioptriques alignées horizontalement (figure 2.33).
Ce support d’acquisition avait été utilisé pour implémenter des algorithmes de
cartographie, de localisation simultanées (SLAM) et SfM (structure from motion),
basés sur l’extraction des primitives de type contours, qui sont suivi par la suite en
utilisant l’algorithme Lucas-Kanade. Le système est destiné pour des applications
en robotique mobile.
Un système similaire est présenté dans [70], mais destiné à des applications dans
le domaine des véhicules autonomes, et les systèmes d'assistance au conducteur.
Les auteurs proposent deux solutions pour améliorer la perception de
l’environnement, la première consiste en système qui regroupe une caméra
Figure 2.33 : système de vision
omnistéréo binoculaire-H49 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
catadioptrique avec une caméra perspective (figure 2.34.a). La deuxième solution,
est un système omnistéréo composé de deux cameras catadioptriques à miroirs
hyperboliques, installées sur chaque côté du toit du véhicule (figure 2.34.b).
L’omnistéréo dynamique est un cas spécial des systèmes omnistéréo à disposition
horizontale. Dans ce cas la longueur de la ligne de base séparant les capteurs, n’est
pas une constante, mais une variable qui change en fonction du mouvement relatif
à ces capteurs. Cette technique est exploitée principalement en robotique [71].
Figure 2.35 : Configuration omnistéréo binoculaire
verticale.
Figure 2.34 : système omnistéréo pour véhicule intelligent. (a) système
hybride. (b) système catadioptrique.
(a) (b)50 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
Certains des inconvénients de l’omnistéréo binoculaire-H peuvent être surmontés
en adoptant une configuration verticale [72] [73] [74] (figure 2.35), cela permet
à la fois de simplifier la géométrie épipolaire et résout le problème de l’occlusion
mutuelle.
L’équation de profondeur d’un système omnistéréo binoculaire-V est similaire à
celle d’un système traditionnel à deux cameras perspectives :
𝐷 = 𝐹
𝐵
𝑧2−𝑧1
= 𝐹
𝐵
𝑧
2.17
𝐵 est la longueur de la ligne de base (Baseline), et 𝑧 est la disparité verticale.
Les lignes épipolaires dans ce cas sont radiales dans l’image catadioptrique, et
simplement verticales dans l’image panoramique (figure 2.36). La configuration
omnistéréo binoculaire-V est la plus privilégiée, et a été adoptée dans beaucoup de
travaux de recherche. En 1998, Gluckman, Nayar et Thoresz [75] ont publié la
conception d'un capteur stéréo panoramique compact (figure 2.37), capable de
produire des cartes de profondeur panoramique en temps réel. Le système est
composé de deux caméras omnidirectionnelles, coaxiales, alignées verticalement.
Chaque caméra omnidirectionnelle est constituée d'une caméra classique,
d'optique télécentrique, et d’un miroir parabolique. La profondeur est calculable
par triangulation (figure 2.37) une fois le système calibré, et s’exprime sous la
forme :
𝑑 =
𝑐𝑜𝑠(𝛽)
𝑠𝑖𝑛(𝛼−𝛽)
𝑏 2.18
Ce concept reste l’un des plus aboutis de la stéréovision omnidirectionnelle, et avait
été réutilisé pour un large éventail d’applications.
Figure 2.36 : La géométrie épipolaire d’un système omnistéréo
binoculaire-V. (a) Les lignes épipolaires de l’image catadioptrique. (b)
les lignes épipolaires de l’image panoramique.
(a) (b)51 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
Un système similaire [76] avait été utilisé pour une application en robotique
mobile, constitué de deux miroirs coniques coaxiaux, ce système omnistéréo permet
au robot (figure 2.38) de se situer par rapport à son environnement, et de se guider
en n’exploitant que les informations visuelles acquises par le capteur.
Figure 2.38: DaX, le
robot mobile Scitos
G5.
Figure 2.37 : (a) Triangulation et calcul de la profondeur (b)
Système omnistéréo binoculaire-V à deux cameras catadioptriques.
(a) (b)52 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
Un cas particulier de cette configuration omnistéréo verticale, sont des systèmes
qui n’utilisent qu’une seule camera, combinée avec deux miroirs ou un seul miroir
à double lobe, ou un seul miroir avec des dispositifs optiques spéciaux. Ces
systèmes ne peuvent pas être classés en tant que monoculaires, même s’ils
n’impliquent qu’une seule camera, car ils acquièrent l’image de la scène à partir de
points de vues espacement distincts. L’un des avantages qu’ils présentent, c’est
qu’ils permettent de contourner l’étalonnage d’un système à deux cameras
catadioptriques, qui est souvent une tâche compliquée.
En 2006 Liancheng Su et al., [77] ont étudié un système omnistéréo, de la
calibration, à l’extraction de l’information 3D. Le système dédié à la détection
d’obstacles se compose d’une unique camera orientée vers deux miroirs
hyperboliques disposés verticalement (figure 2.39.a). Un trou dans le miroir du bas
permet d’imager celui au-dessus ; ainsi chaque image acquise, contient deux
images catadioptriques concentriques, représentants la réflexion de la scène par
chacun des miroirs (figure 2.39.b).
Le système est conçu d’une façon que les deux foyers des miroirs coïncident avec le
centre de la camera perspective. La triangulation dans ce cas (figure 2.39.c) est
similaire à celle d’un système omnistéréo binoculaire-V, dans les deux cas un seul
plan image est considéré.
Une autre configuration alternative n’impliquant qu’une seule camera, consiste à
utiliser un miroir à double lobe. Un miroir à double lobe est une paire coaxiale de
miroir, les centres de ces deux miroirs sont colinéaires avec l'axe de la caméra, et
ont un profil radialement symétrique autour de cet axe (figure 2.27). Ce principe a
été développé dans [78] [79] [80] [81].
D'après Sooyeong Yi et al. [82], il est possible de remplacer le miroir à double lobe
par un simple miroir de révolution associé à une lentille concave, pour aboutir à
un système omnidirectionnel stéréoscopique. La profondeur est calculable
conformément aux lois optiques de réflexion et réfraction.
Figure 2.39 : Système omnistéréo à caméra unique et deux miroirs hyperboliques. (a)
Apparence du système de vison. (b) Une image acquise avec ce système. (c) Triangulation.
(a) (b) (c)53 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
Naturellement, la précision de la profondeur des systèmes omnistéréo binoculaires
peut être améliorée par l'utilisation de plus de deux caméras omnidirectionnelles.
Ceci est le cas général d'omnistéréo à multiple points de vue [83] [84] [85], ou
simplement l’omnistéréo N-Oculaire (figure 2.20.c). Les systèmes à camera
unique et à multiples points de vues, sont une classe particulière de cette catégorie
[86] [87] [88]. Généralement cette dernière configuration est réalisable en pointant
une caméra perspective ou orthographique, vers un groupement de miroirs
réfléchissants 29(figure 2.40).
2.3.2.3 Notes sur la stéréovision omnidirectionnelle
La stéréovision est l’une des techniques les plus courantes pour obtenir
l’information 3D sur la scène. Les systèmes omnistéréo peuvent être arrangés selon
différentes configurations. Dans le cas où les deux caméras sont alignées
horizontalement, quelques problèmes sont rencontrés: Le premier, est que les
lignes épipolaires sont courbées sinusoïdalement, ce qui mènera à l'augmentation
du coût de calcul, le deuxième inconvénient est celui de l’occlusion mutuelle.
L’angle de vergence n’est pas uniforme, et en plus, l’orientation des repères images
et caméras influe significativement sur la géométrie épipolaire. Dans le cas de
l’omnistéréo dynamique, l’erreur sur l’estimation de la longueur de la ligne de base
s’ajoute aux incertitudes d’estimation de la profondeur, ce qui influe négativement
sur les résultats.
29 Source de figure : [86]
Figure 2.40 : Système omnistéréo à
caméra unique et multiple miroirs
(sphériques).54 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
L’omnistéréo N-oculaire apporte de la précision, mais la géométrie épipolaire, les
occlusions, et la complexité des calculs, sont les mêmes rencontrés dans le cas de
l’omnistéréo horizontale.
La configuration verticale échappe aux carences révélées précédemment ; les lignes
épipolaires sont simplement verticales, et l’occlusion n’affecte pas l’image de la
scène environnante.
L’utilisation d’une caméra unique présente plusieurs avantages par rapport à
l’utilisation de plusieurs caméras. Puisque la réponse spectrale, le gain et l’offset
sont identiques pour les deux images stéréoscopiques. En outre, un seul ensemble
de paramètres d'étalonnage interne est à déterminer. Sans doute le plus important
avantage, est que l’utilisation d’une seule caméra simplifie l'acquisition de
données, et aucun matériel ou logiciel n’est nécessaire pour la synchronisation
d’acquisition. Les systèmes omnistéréo avec miroir à double lobe, peuvent produire
des vues panoramiques de la scène en une seule image. Cet arrangement est
compacte et assure l’alignement des deux images, mais puisque les deux miroirs
sont tellement rapprochés, la ligne de base devient assez restreinte, ce qui limite
la disparité. Dans ce cas de figure la résolution de l’image interne est assez faible,
et dans certains cas, elle est inexploitable pratiquement. Le tableau 2-3 en dessous
synthétise la comparaison entre les différentes configurations omnistéréo.
Tableau 2-3 : Tableau récapitulatif des principales configurations omnistéréo.
Configuration
omnistéréo
Occlusion
mutuelle
Erreur sur
la
profondeur
Géométrie
épipolaire
Ligne
de base
Points
de vue
Binoculaire-H Oui ∝ 𝐷
2
sinusoïdal fixe 2
Dynamique Probable ∝ 𝐷
1.5
sinusoïdal variable ≥ 2
Binoculaire-V Non ∝ 𝐷
2 verticale fixe 2
N-oculaire Oui ∝ 𝐷
2
sinusoïdal fixe N
2.4 Conception d’un système de stéréovision
omnidirectionnel
Cette section décrit la conception et l’étude expérimentale d’un nouveau système
de vision omnistéréo à camera unique, conçu et réalisé au sein du Laboratoire
d’Électronique et de Traitement de Signal/Géomatique. Vu que ce travail de
recherche vise l’intégration de la vision omnidirectionnelle à des applications en
robotique, il était nécessaire de développer un système de vision artificielle capable
de fournir suffisamment d’informations à une machine pour qu’elle puisse
interagir efficacement avec son environnement. L’étude menée, présentée dans la
section précédente, et les conclusions mentionnées, nous ont convaincu d’opter
pour une solution matérielle qui consiste en un système de vision catadioptrique à
disposition verticale [89]. Le capteur catadioptrique est constitué d’une caméra
perspective orientée vers un miroir sphérique. Le système est conçu
mécaniquement de façon que le capteur soit mobile sur l’axe vertical. Ce qui permet 55 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
de pouvoir l’utiliser comme une simple camera omnidirectionnelle, ou comme un
système de stéréovision omnidirectionnelle. Dans la section qui suit nous allons
détailler l’architecture matérielle du capteur proposé, sa configuration, et aussi les
résultats d’estimation de la profondeur obtenus.
2.4.1 Architecture matérielle du capteur proposé
Le capteur catadioptrique est composé d’une caméra CCD à haute résolution
30(Logitech C310), d’interface USB 2.0, avec une fréquence d’acquisition de 30 fps,
et une résolution de 1280 x 720 pixels. La caméra est orientée vers un miroir
sphérique d’un rayon de 60mm, avec un champ de vision de 360° horizontal et 200°
vertical. Pour faciliter l’étalonnage du système, chacune des composantes du
capteur catadioptrique détient deux degrés de liberté sur le plan horizontal, et un
degré de liberté sur l’axe verticale. Cette architecture est illustrée sur la
figure 2.41.a :
Pour créer de la disparité spatiale lors de l’acquisition, nous avons muni le capteur
catadioptrique d’un système de motorisation à vérin mécanique, lui permettant de
mouvoir sur l’axe vertical (figure 2.41.b). Ainsi l’acquisition des images peut se
30 Lien : [159]
Figure 2.41 : (a) Architecture du capteur catadioptrique proposé. (b)
Configuration du système omnistéréo.
(a)
(b)56 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
faire à partir de positions distantes. Cette configuration est équivalente à un
système omnistéréo binoculaire-V à Baseline variable.
2.4.2 Étalonnage du capteur
Pour pouvoir utiliser une caméra catadioptrique convenablement, quelques
contraintes géométriques concernant sa configuration, doivent être satisfaites.
Dans le cas d’un capteur catadioptrique à miroir sphérique ; une forme
géométrique qui se distingue des autres quadriques par sa symétrie centrale, le
réglage du système se réalise essentiellement par alignement de l’axe optique de
la caméra avec le centre du miroir sphérique. Ce processus est à la fois mécanique
et algorithmique. Nous avons développé une interface logicielle qui permet de
faciliter cette tâche, en délimitant la projection théorique idéale du miroir sur
l’image catadioptrique. Nous agissons ensuite mécaniquement sur l’agencement de
la caméra et du miroir, jusqu’à ce que la projection réelle du miroir coïncide avec
sa position optimale, ce processus est illustré sur la figure 2.42. Nous ajustant la
distance focale de la camera par la suite, pour avoir une netteté maximale de
l'image. Cette procédure n’est faite qu’une seule fois, puisque la configuration du
système demeure intacte mécaniquement.
L’étalonnage du système est basé sur le modèle de réflexion [90] [91]; un modèle
qui décrit la formation de l'image en se basant sur les lois de réflexion de la lumière,
sur la surface d'un miroir et suppose que le miroir est parfaitement spéculaire ;
c’est-à-dire que l'angle d'incidence est égal à l'angle de réflexion. Par conséquent,
pour un point 3D donné dans l'espace, il est possible de trouver son correspondant
correct par réflexion sur le miroir et figurant sur l’image catadioptrique. La
projection du point miroir sur le plan image de la caméra est alors directe [92].
Notons qu’en utilisant cette méthode, la propriété du point de vue unique, dans le
cas des caméras centrales, devient une conséquence et non pas une contrainte, ce
qui signifie que le modèle peut être appliqué à tout type de miroir, peu importe s’il
possède un point de vue unique ou pas.
Figure 2.42 : Illustration du processus d’ajustement du capteur catadioptrique. (a)
Capteur non ajusté. (b) Capteur ajusté
(a) (b)57 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
2.4.3 Estimation de la profondeur par triangulation passive
La triangulation passive est une technique qui permet de déterminer la profondeur
d’un point de l’espace 3D, à partir des coordonnées des pixels qui lui correspondent
dans les deux images stéréoscopiques. Dans sa forme la plus simple, on associe un
point 3D à deux uniques pixels appariés, chacun est situé sur une image de la paire
des images stéréo.
Dans le cas du système omnistéréo proposé l’acquisition de la scène se fait à partir
de deux points de vue espacés verticalement. On note que la longueur de la ligne
de base est ajustable, et que les deux images étant acquises avec le même capteur,
sont superposables.
Considérant un point 𝑃𝑤 de l’espace, avec 𝑃1 et 𝑃2 ses deux points correspondants
sur le plan image. La profondeur D est la distance qui sépare 𝑃𝑤 de l’axe optique Δ
du système omnistéréo. La figure 2.43 représente le schéma de la triangulation
permettant de calculer cette profondeur.
φ1 et φ2 désignent successivement les demi-angles formés par les rayons incidents,
à position basse et à position haute, et par ceux réfléchis. 𝐻1 et 𝐻2 sont les distances
entre les deux points de réflexion 𝑃′1 et 𝑃′2 et leurs projection sur le plan horizontal
passant par le point 𝑃𝑤. Par inspection de la configuration géométrique ainsi
obtenue nous pouvons poser les équations suivantes :
Figure 2.43 : Triangulation dans le cas du système omnistéréo proposé.58 Les systèmes d’acquisition 3D omnidirectionnels
𝑡𝑎𝑛(2𝜑1) =
𝐷1
𝐻1
et 𝑡𝑎𝑛(2𝜑2) =
𝐷2
𝐻2
2.19
R étant le rayon du miroir sphérique nous avons :
𝐷𝑖 = 𝐷 − 𝑅𝑠𝑖𝑛(𝜑𝑖), i=1, 2. 2.20
Et :
𝐻2 = 𝐻1 + ℎ − 𝜆 2.21
Avec λ définit comme par :
𝜆 = 𝑅(𝑐𝑜𝑠(𝜑2 ) − 𝑐𝑜𝑠(𝜑1)) 2.22
ℎ est la longueur de la ligne de base, qui représente le pas du mouvement du
capteur le long de l’axe vertical. En exploitant les équations 1 et 2 nous
obtenons l’équation suivante :
𝑡𝑎𝑛( 2𝜑2) =
(𝐷 − 𝑅𝑠𝑖𝑛(𝜑2))
(𝐷−𝑅𝑠𝑖𝑛(𝜑1
))
𝑡𝑎𝑛(2 𝜑1)
+ ℎ − 𝜆
⁄ 2.23
À partir de laquelle nous déduisons l’expression de la profondeur :
𝐷 = 𝜀 +
(ℎ−𝜆)×𝑡𝑎𝑛( 2𝜑1)×𝑡𝑎𝑛(2𝜑2)
𝑡𝑎𝑛(2𝜑1)−𝑡𝑎𝑛(2 𝜑2)
2.24
Avec ε définit comme suit :
𝜀 =
𝑅(𝑡𝑎𝑛(2𝜑2) 𝑠𝑖𝑛(𝜑1
)−𝑡𝑎𝑛(2𝜑1)𝑠𝑖𝑛(𝜑2))
𝑡𝑎𝑛(2𝜑2)−𝑡𝑎𝑛(2 𝜑1)
2.25
Il s’avère que la profondeur est une fonction du rayon du miroir, qui est une constante, de
la disparité, et de la longueur de la ligne de base ℎ. Dans le but d’évaluer la précision du
système, nous proposons d’étudier l’expression de l’erreur sur l’estimation de la
profondeur ; considérons les deux points 𝑃1 et 𝑃2 du plan image est leurs angles
correspondants φ1 et φ2 reliés au point 𝑃𝑤 de l’espace 3D :
Puisque λ << h et ε <<
ℎ×tan 2φ1×tan 2φ2
tan(2φ1)−tan(2 φ2)
L’expression de la profondeur peut être simplifiée sous la forme :
D ≈
ℎ×𝑡𝑎𝑛 2𝜑1×𝑡𝑎𝑛 2𝜑2
𝑡𝑎𝑛(2𝜑1
)−𝑡𝑎𝑛(2 𝜑2)
= −
ℎ 𝑠𝑖𝑛(2𝜑1
) 𝑠𝑖𝑛(2𝜑2
)
𝑠𝑖𝑛(𝜑)
2.26
φ = 2φ1 − 2φ2 étant la disparité verticale, l’erreur sur la disparité s’exprime comme
suit :
𝛿𝐷
𝛿𝜑 =
𝐷
ℎ 𝑠𝑖𝑛(2𝜑1
) 𝑠𝑖𝑛(2𝜑2
)
√𝐷² − (ℎ 𝑠𝑖𝑛(2𝜑1
) 𝑠𝑖𝑛(2𝜑2
))
2 2.27
Etant donné que h<.
HAL Id: tel-01067185
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Submitted on 23 Sep 2014
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publics ou priv´es.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de
l’habitat ancien dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
UNIVERSITÉ PARIS-EST
Thèse de doctorat d’Université Paris-Est
Champ disciplinaire :
Architecture
Présentée par
Chayphet SAYARATH
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao
Persistance des pratiques et permanence des formes
La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la recomposition de la
ville d’aujourd’hui
Jury
Thèse dirigée par
Pierre CLEMENT, Professeur honoraire, ENSA – Paris Belleville
Nathalie LANCRET, Directrice de l’UMR AUSSER, directrice de recherche, CNRS, HDR
Soutenue le 28 Mai 2014
Charles GOLDBLUM, Professeur émérite, Université de Paris 8, HDR
Christine HAWIXBROCK, chercheure, permanente scientifique à l’EFEO-Vientiane
Vatthana PHOLSENA, chercheure CNRS, enseignante à l’Université de Singapour
Rapporteurs :
Manuelle FRANCK, professeur des Universités, INALCO, HDR
Hugues TERTRAIS, professeur des Universités, Paris I Panthéon-Sorbonne, HDRDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de
l’habitat ancien dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao
Persistance des pratiques et permanence des formes
La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la recomposition de la
ville d’aujourd’huiDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de
l’habitat ancien dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
Remerciement s
Mes remerciements s’adressent à mon directeur et à ma directrice de thèse, Pierre Clément
et Nathalie Lancret. Il y a plus de dix ans lorsque j’ai commencé à travailler au Laos, dans le cadre
de la coopération entre l’Institut laotien de Recherche en Urbanisme et l’Ipraus qu’il dirigeait,
Pierre Clément m’a suggéré et vivement recommandé d’entreprendre une thèse, formalisant et
structurant les recherches menées. Recommandation fort utile et nécessaire aujourd’hui pour
l’exercice de notre profession d’architecte et aussi pour la recherche sur les villes laotiennes qui
reste bien lacunaire et inédite : leur forme spatiale, leur histoire, leur place culturelle, politique et
économique dans la nouvelle configuration régionale.
Ils s’adressent à Charles Goldblum et à Christian Taillard qui m’ont encouragée et donné de
précieux conseils et dont la rigueur du regard scientifique m’a averti de bien des égarements.
Ils s’adressent à mes compatriotes laotiens, autorités, partenaires et confrères, responsables
des affaires urbaines. Soucieux et préoccupés par le manque de connaissances sur les villes
laotiennes, ils manifestent leurs intérêts et œuvrent aussi pour que la recherche urbaine puisse se
constituer au Laos. Les informations de terrain qu’ils ont pu me partager, m’ont encouragée à
poursuivre mes recherches malgré les difficultés. Que Kéophilavanh Aphaylath, Viengkéo
Souksavatdy, Bounleuam Sissoulat, et tous ceux que je n’ai pu citer, soient ici remerciés.
Je remercie les honorables membres du jury qui ont bien voulu consacrer leur temps à la
soutenance de ma thèse, la critiquer, mais aussi la valider. Je remercie aussi l’équipe de
l’administration de l’Ipraus en particulier Christine Belmonte qui m’a aidée dans mes démarches
administratives depuis de longue date.
J’espère, par ce travail et celui à venir, que ma modeste contribution à la recherche sur
l’architecture, les villes laotiennes et la région de l’Asie du Sud-Est continentale, a l’honneur de
s’inscrire dans le prolongement des connaissances initiées et constituées par ceux qui m’ont guidée
et formée, et par ceux dont les travaux ont nourri ma réflexion.
Enfin, je remercie mes amis, ma famille et infiniment mon fils, pour avoir été patients et
indulgents à mon égard pour le temps et l’éloignement que j’ai dû prendre pour me consacrer à cette
thèse.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de
l’habitat ancien dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
Avant propos
Il est difficile pour celui ou celle qui agit et qui prend part aux actions, de prendre en même temps
de la distance, d'observer, d'analyser et de produire une connaissance qui servira peut-être aux
autres.
Lorsqu'on considère le métier d'architecte comme un engagement, et les actions des architectes
comme des partis pris, quoi qu'il en soit, nos décisions et nos actions –que ce soit dans le fait de
bâtir ou dans le fait de donner un avis, marquent aux yeux des autres notre prise de position. Celleci
se veut la plus claire possible, mais qui n'est pas sans équivoque, en particulier lorsque nous
sommes dans un contexte culturel bien particulier. Ce fut mon cas lorsque je suis amenée à
travailler au Laos, mon premier terrain.
Prendre position et agir, n'est-il pas déjà contradictoire à l'observation et à la recherche ? La
recherche, comme production de la connaissance, ne devient-elle pas, en ce cas pour l'architecte qui
entreprend de la faire, le reflet de ses propres actions narcissiques ou critiques ? De ce point de vue,
il ne serait pas recommandé aux architectes de faire de la recherche sous peine d'être mauvais
chercheur, ou au contraire, mauvais architecte parce que autocritique et indécis.
Mais, il est des lieux et des contextes où les conditions de base pour agir en tant qu'architecte sont à
constituer et formuler. Dans la rupture ou dans la continuité, pour exister et donner un sens à ses
actions, l'architecte a besoin de comprendre et de connaître l'espace et les hommes dans et pour
lesquels il intervient. Le Laos, le lieu de mes racines, pour lequel je fais des efforts et des sacrifices
pour aller à sa rencontre, m'est apparu comme un lieu plein de données et de matières, qui prête aux
actions les plus audacieuses... Mais avant cela, il a fallu tout décoder.
La recherche, répond à ce besoin de décoder et de comprendre, probablement pour mieux agir,
lorsque l'action ne suffit plus à s'auto-justifier. C'est probablement en cela que sert la recherche pour
un architecte.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de
l’habitat ancien dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
Sommaire
Remerciements
Avant propos
Sommaire
Introduction Page 1
1e
PARTIE. La mutation des centres historiques et des établissements anciens :
décomposition, recomposition, recyclage ? Etapes et processus. Page 29
Chapitre I. Le rôle de la réforme de 1986 dans la mutation spatiale. Rappel du context. Page 32
Chapitre II. Les occupations anciennes et les centres historiques d’aujourd’hui.
Altération et recyclage. Page 77
Chapitre III. La constitution et la recomposition de la ville et du territoire
d’aujourd’hui. Page 100
Conclusion. Page 166
2e PARTIE. La permanence et l’adaptabilité des fondations lao dans la durée.
Approches théoriques. Page 171
Chapitre I. Les éléments historiques et mythiques de formation
et de structuration de l’espace lao tai. Page 173
Chapitre II. La réception de modèles spatiaux et leur acculturation. . Page 219
Chapitre III. Les dispositifs et le destin des villes et des territoires.
Approche globale et état des lieux. Page 388
Conclusion. Page 408
3e PARTIE. 1975-1995 : La période de transition, racine de la fragilisation du rôle
spatial des centres historiques et des établissements anciens. Vue retrospective. Page 416
Chapitre I. Temps Un : les enjeux spatiaux et humains, un défi pour le nouveau régime. Page 416
Chapitre II. Temps Deux : les perspectives et la représentation d’un monde nouveau. Page 440
Chapitre III. Temps Trois : les bilans et leurs implications, la nécessité
de la réforme de 1986. Page 462
Conclusion. Page 199
Conclusion. Page 493
Annexe
1. Bibliographie. Page 503
2. Enquêtes de terrains et sources orales. Page 517
3. Adoption des termes et des noms propres. Page 518
4. Lexique des termes vernaculaires. Page 519
5. Acronymes et sigles. Page 522
6. Liste des illustrations. Page 524
7. Eléments chronologiques de l’histoire politique du Laos Page 526
8. Données ethnographiques du Laos Page 534
9. Evolution administrative et politique, programme de coopération international
de la RDPL Page 535
10. Table des matières. Page 540
Résumé, abstract. Page 546Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 1 -
Questionnement
Si les villes, l’habitat ancien et les territoires laotiens ont connu des évolutions depuis leur
fondation, les facteurs de permanence et d’adaptabilité spatiales leur ont permis de conserver leurs
principes fondateurs et leurs identités, notamment lorsqu’il s’agit de centres historiques. Mis à
l’épreuve par la dynamique des réseaux de villes et de territoires, les facteurs de permanence et
d’adaptabilité qui avaient permis aux villes et aux territoires – y compris ceux qui sont en marge de
ce réseau– d’“ absorber ” jusque dans les années 1970 les changements les plus radicaux sans que
leur structure spatiale et sociale ne connaissent de profondes ruptures, ne sont plus aujourd’hui en
mesure d’assumer ce rôle. Cela oblige alors une recomposition de l’espace et des villes. La
nécessité de redéfinition spatiale des fondations et des habitats anciens se serait imposée aux villes
pour s’adapter à un cadre urbain et territorial nouveau, notamment par des recompositions et des
recyclages (habilitation ou mise en valeur patrimoniale), par un changement d’échelle (du villageville
à la ville-territoire). Nos questionnements sont portés par trois idées principales issues des
observations et des analyses faites sur l’évolution actuelle de certaines villes et établissements
laotiens.
La première idée porte sur le constat d’une rupture spatiale profonde dans les habitats
anciens, intervenue particulièrement dans les dernières décennies, ce qui entraine une
nécessité de recomposition spatiale pour les villes et les territoires.
Depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000, les villes du pays connaissent un
développement accéléré, entraîné par les effets de la dynamique économique et politique de la
région de l’Asie du Sud-est continentale. Les villes laotiennes et leur territoire participent de plus en
plus à ce réseau régional. Tout en étant en position périphérique, certaines villes laotiennes
connaissent une mutation spatiale et des bouleversements, liés notamment à la diversification de
leurs acteurs. Dans nombre de cas, cette évolution compromet en premier lieu le devenir des centres
historiques ainsi que la qualité de l’espace urbain, de même que sa cohésion sociale et économique.
Tout en mettant à jour des traces matérielles et immatérielles du passé, tels les vestiges
archéologiques, les pratiques et les fonctions spatiales anciennes (maintenues vivantes et ancrées
dans les pratiques habitantes), en tant qu’éléments révélateurs et d’identification des centres
historiques, le développement des villes suscite aussi l’altération, voire, la destruction des traces du
passé. Nous assistons alors à un mouvement de recomposition de l’espace, traduisant de nouvelles
définitions et de nouvelles fonctions spatiales. Les rôles, les fonctions et la place des centres
historiques sont redéfinis par de nouveaux enjeux politiques, culturels et socio-économiques, par les
nouveaux acteurs qui se déploient, plus nombreux et plus diversifiés. Associées aux nouvelles
stratégies urbaines, aux pratiques habitantes (les parcours, les choix résidentiels et commerciaux, les
INTRODUCTION
08 FallDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 2 -
pratiques sociales et religieuses, les mouvements d’implantation et de migration) et à la question de
la centralité (centre / péricentre / périurbain / polycentre), des menaces pèsent sur la qualité urbaine
des centres historiques et sur leur rôle de matrice structurante et identitaire.
La deuxième idée concerne le constat d’une évolution endogène, jusqu’à ces dernières
décennies, des centres anciens comme révélateur d’une permanence spatiale.
Durant de longues périodes, du moins jusqu’aux années 1980, l’évolution des villes, qu’elle
soit endogène ou exogène, ne semblait pas remettre en cause ni leurs principes fondateurs, ni les
pratiques habitantes. L’espace des villes, y compris les plus isolées, évoluait tout en conservant son
mode fonctionnel et sa structure symbolique, que ce soit à l’échelle des centres historiques ou de
simples unités d’habitat. L’acte de fondation historique et symbolique des villes et les principes
d’organisation spatiale qui lui étaient associés, ainsi que les pratiques habitantes, semblaient
constituer même l’un des éléments de permanence, l’un des fondements de l’identité des villes. Ils
constituaient une base structurante qui déterminait l’évolution de l’espace et permettait de
conjuguer permanence et adaptabilité. En s’adaptant aux évolutions, tout en imposant aux acteurs
des modes d’organisation, les principes fondateurs ainsi que les pratiques spatiales assuraient aux
villes et aux territoires une mutation endogène dans le temps long, malgré les ruptures intervenues –
d’ordre événementiel, conjoncturel ou historique– facteur de transformation, de déstructuration,
voire de destruction. Cette idée conduit en fait à interroger les bases historiques et l’univers des
pratiques des espaces étudiés.
La troisième idée est la notion de “ ville absente ” comme fait spatial transitoire, entre période
de permanence et période de rupture.
La fragilisation des centres historiques et l’altération des pratiques spatiales trouveraient
essentiellement leurs causes dans le redéploiement (définition, changement, réutilisation) des
fonctions symboliques et idéologiques de l’espace dans les années 1975 et 1980, lequel jouerait un
rôle important dans la recomposition spatiale. Les notions de centre historique et d’habitat ancien et
le mode d’habiter la ville ont été altérés corollairement à l’altération de la notion même de ville. La
ville, son espace, ses composants sociaux, économiques, politiques et symboliques, en tant que
matrice structurante et identitaire, ont été reniés durant cette période. Négligeant les centres
historiques et leurs principes fondateurs, leurs valeurs pédagogiques et leur vécu spatial, les
pouvoirs publics et les habitants occupaient respectivement l’espace selon une projection
idéologique pour les uns et suivant une pratique d’occupation sans acte d’appropriation pour les
autres.
Entre la période où les villes évoluaient selon leurs matrices de fondation et les moments où
elles s’engagent dans de profondes recompositions, caractérisant la période actuelle, les années
1980 et le début des années 1990 semblent constituer une période transitoire illustrée par la notion
de “ ville absente ” et par le phénomène de “ squattérisation publique ”. A partir des années 1995 et
2000, les centres historiques se réorganisent peu à peu parallèlement à l’apparition de nouveaux
quartiers, aboutissant à une recomposition spatiale difficile à maîtriser, d’où la difficulté à identifier
les limites des centres historiques et à délimiter le territoire urbain lui-même.
Ces idées suscitent trois questions majeures :
1- Si, depuis les années 1990 et 2000, la ville se redéploie et se recompose, nécessitant de nouvelles
définitions et délimitations de l’espace urbain qui remettent en question la place qu’occupaient les
centres historiques et les habitats anciens, c’est que cette capacité d’adaptation s’est altérée. Les
questions de la recomposition et des limites de la ville, aujourd’hui, sont d’autant plus appropriées
qu’elles sont posées à l’heure où les espaces vierges et inexplorés n’existent plus en tant que tel,
mais sont approchés en tant qu’espaces et territoires à recycler (dans le sens du détournement et du
changement de fonctions et d’usage des espaces existants). Les transformations actuelles (depuis
quatre décennies) résulteraient moins des logiques internes relatives à l’habitat lao, que de
l’interactivité avec l’extérieur : les réseaux et la mise en relation des territoires.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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2- Si les villes et les territoires laotiens ont pendant une longue période –jusqu’aux années 1970 et
malgré la période coloniale qui constituait un tournant spatial important– connu une évolution
endogène et une “ idiosyncrasie ” spatiale, c’est qu’il aurait existé dans leurs principes fondateurs et
dans leur mode d’usage des éléments leur permettant de conjuguer des facteurs de permanence et
d’adaptabilité qui leur auraient été propres.
3- La période comprise entre les années 1970 et 1990 aurait introduit une rupture, laquelle
correspond au moment où les centres historiques marquent encore la ville de leur présence et le
moment où ils perdent leur rôle structurant et productif de l’espace urbain. Dans quelle mesure, la
période de transition des années 1975-1990 expliquerait-elle le processus d’altération des principes
fondateurs des villes qui ont perdu aujourd’hui leur rôle et leur fonction, leur force et leur capacité
de renouvellement et de production de l’espace urbain.
Hypothèses de réflexion
Notre réflexion s’appuie sur trois hypothèses.
La première hypothèse conçoit que l’altération des centres anciens à partir des années 1990,
est renforcée par l’interactivité entre le local et le global, entre le réseau et le territoire, entre les
pratiques habitantes et la planification, entre les disparités économiques et la dislocation territoriale.
Cette interactivité produit des effets fédérateurs d’intégration spatiale ou au contraire des effets de
résistance. La première hypothèse correspond à une nouvelle période de conception (perception) et
de production des villes, commencée à partir de la fin des années 1990. Les villes connaissent une
nouvelle phase de développement ; elles se redéploient et se recomposent dans un contexte
d’interactions fortes entre le local et le global. En résultent des effets d’intégration et de résistance
des villes qui modifient la structure et les pratiques de leurs espaces. Les disparités économiques
provoquent, dans les recompositions spatiales, la mise en marge des territoires, et ceci met en cause
les principes d’intégration, lesquels sont pourtant le leitmotiv des projets d’encadrements
territoriaux. Les centres historiques et les habitats anciens n’assument plus la fonction de matrice
structurante et identitaire. Ils deviennent des espaces dévitalisés et parfois abandonnés ou, dans
certains cas, des espaces “ recyclés ” et “ patrimonialisés ”, refondés sur de nouvelles bases. Après
la négation un peu brutale de la ville durant les années 1975, la ville a été prise en compte en tant
qu’entité spatiale, historique et politique par les acteurs et les décideurs urbains et territoriaux dans
les années qui ont suivi l’accélération de l’ouverture du Laos après 1986. Malgré le passage de la
négation à la “ reconnaissance ” de la ville –fait émanant des stratégies urbaine et territoriale de
l’autorité publique et mises à profit par les pratiques habitantes, il ne s’est pourtant pas constitué un
savoir sur la ville, son histoire, sa production territoriale de la part de ses acteurs et des décideurs.
Ce savoir, qui aurait pu soutenir la continuité spatiale et empêcher sa rupture, a été absent du
processus de développement : production urbaine et fabrications architecturales. La ville semble
être reconnue et considérée seulement comme entité politique et administrative. C’est visible dans
la stratégie urbaine des décideurs et des acteurs spatiaux, de privilégier plutôt une réflexion sur les
limites du périmètre urbain, sa gestion et son identité administrative, sans intégrer sa dimension
d’espace hérité et de centralité. Seules certaines perceptions de la ville et certaines pratiques
habitantes ont permis l’existence des espaces hérités, notamment par la place accordée à l’espace
vécu, aux notions de “ localité ” et de “ centralité ”, voire, en les réinterprétant.
La seconde hypothèse considère que les facteurs de permanence et d’adaptabilité des
centres historiques et des habitats anciens qui ont été altérés (fait soulevé dans la première
hypothèse) sont porteurs d’une évolution endogène. L’hypothèse que les villes et les territoires
laotiens auraient développé une évolution endogène et “ idiosyncratique ” sur une longue période
suppose l’existence de facteurs de permanence et d’adaptabilité spatiale liés à la matrice
structurante et identitaire des villes laotiennes, à l’œuvre dans leur évolution. Cette deuxième
hypothèse nous conduit à analyser les principes fondateurs de ces centres historiques et de ces
habitats anciens, leurs références, leurs évolutions.
La troisième hypothèse porte sur la rupture et le déracinement des centres anciens. Ce fait Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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trouve son origine dans la période de transition des années 1975 à 1980. A la différence de
l’évolution endogène propre aux périodes antérieures à 1975, nous faisons l’hypothèse d’une
rupture dans la capacité d’adaptation et d’un “ décrochage ” par rapport aux principes fondateurs de
la ville historique, lors de la période de transition des années 1975 et des années 1980. En
considérant les deux périodes –de continuité et de rupture– nous examinons le processus
d’altération des capacités d’adaptation des centres anciens. Nous étudions, tant les forces internes
qui entrent en jeu dans les transformations que le poids des interventions externes provoquant la
rupture.
Le terrain étudié et la terminologie
L’étude historique –l’objet principal de la deuxième partie de notre recherche– et l’étude
monographique de plusieurs villes, demandent un investissement long qui n’a pas été possible dans
le cadre de cette thèse. Aussi avons-nous opté pour une approche transversale, c’est-à-dire que les
villes sont appréhendées de manière thématique. Cependant, lorsque certaines problématiques sont
apparues pertinentes pour mieux comprendre leur organisation, leur trame et leur évolution, nous les
avons approfondies, comme par exemple concernant les questions de modèles symboliques et de
maillages du territoire. Un certain nombre de villes ont connu au départ des contextes culturels
semblables avant de suivre des trajectoires différentes de développement urbain. C’est le cas des
villes laotiennes qui ont connu une période d’expansion au cours des années 1960 puis une “
période de négation urbaine ” entre les années 1975 et les années 1980. Les villes du Nord et du
Nord-Est de la Thaïlande ont suivi une trajectoire différente, profitant d’abord des retombées
économiques de la guerre froide, éprouvées ensuite par la crise du pétrole et l’exode rural, puis
renouant avec une période de prospérité et de boum touristique interrompue par des crises
économiques. Les trajectoires urbaines des villes de cette région qui ont connu des périodes
contrastées (précoloniale, coloniale, de la guerre froide et enfin d’effacement partiel des idéologies)
pourraient faire l’objet d’une recherche spécifique, ce qui n’est pas le propos de notre étude qui est
plus axée sur le rôle des espaces hérités dans la fabrication de la ville d’aujourd’hui. Un choix
pertinent des villes à prendre comme cas d’étude, selon les thèmes traités, s’est imposé ainsi à notre
travail de terrain.
Ces trajectoires urbaines s’inscrivent aujourd’hui dans un contexte régional nouveau :
l’édification d’un ensemble régional plurinational1 intégré par les flux économiques régionaux qui
organisent le processus de régionalisation de la mondialisation.2 Cette dynamique régionale est
activement appuyée par la construction de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN),
de la Région Grand Mékong (RGM)3 et de la Commission du Mékong ou Mékong River
Commission (MRC).4 Avec la construction de ces ensembles régionaux et la volonté des Etats de
1 Nous préférons au terme transnational le terme plurinational pour signifier le rassemblement, hétérogène et
cacophonique, à l’œuvre, de plusieurs nations. 2 Théories des mondialistes et ceux des Alter mondialistes et aussi les travaux de Christian Taillard portant sur la
régionalisation de la mondialisation. In : l’Espace Géographique. 3 Great Mékong Sub-Region (GMS), pour la conception anglo-saxonne. 4 L’ASEAN, née le 8 Août 1967 lors de la déclaration de Bangkok, regroupe cinq membres –Thaïlande, Malaisie,
Singapour, Indonésie et Philippines– sous l’impulsion de Association of Southeast Asia (ASA), son ancêtre, fondée en
1961 par trois pays : Thaïlande, Philippines et Malaisie. L’organisation avait pour objectif de « promouvoir la stabilité et
la paix dans la région, la croissance, le développement et la coopération dans les domaines économique, social, culturel,
scientifique et administratif ». Conscients que leurs pays respectifs et la région pouvaient être entraînés dans la guerre
froide, les fondateurs –Thanat Khoman (Thaïlande), Adam Malik (Indonésie), Narciso R. Ramos (Philippines), Tun Abdul
Razak (Malaisie), S. Rajatnam (Singapour)– ont souhaité « lutter contre la subversion du communisme par le
développement économique et l’amélioration sociale des populations, ensuite éviter que la région soit utilisée comme
terrain de combat idéologique pendant la guerre froide, situation causée par l’extension éventuelle de la guerre du
Vietnam ». Quant à la RGM, créée par la Banque Asiatique de Développement (BAD) lors de la conférence de Manille en
1992, elle a pour objectif de « promouvoir le sens de la solidarité et de la communauté entre les pays du Mékong, à
travers la coopération et l’harmonisation des échanges économiques entre les pays ». Ses activités privilégient la
reconstruction des infrastructures de communication, financièrement soutenues par la BAD. Quant à la Commission du
Mékong (MRC), créée en 1958 avec le soutien de l’ONU sous le nom de « Comité du Mékong » regroupant des pays
riverains du cours inférieur du grand fleuve : Laos, Thaïlande, Cambodge et Sud-Vietnam, elle avait œuvré également
pour la coopération entre les pays du Mékong. Mise en œuvre en pleine période de guerre froide, le Comité du Mékong Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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constituer un ensemble régional harmonieux, ces nations tentent aujourd’hui de dépasser les
difficultés de leur propre construction nationale. Or les disparités socio-économiques et culturelles
existantes, l’histoire respective de ces pays et les tensions anciennes et nouvelles posent la question
de l’identité culturelle, territoriale et politique de certains d’entre eux. Elles demeurent un facteur
important de l’organisation territoriale, alors que celle-ci est souvent confondue avec l’identité
nationale et politique, qui est potentiellement sources de conflits.5 Du fait que les revendications
d’identité politique est liée à une identité localisée dans un territoire donné, il est important de
prendre en compte la dimension politico culturelle territorialisée : ses particularités, ses critères de
délimitation et les conditions de son évolution et de son intégration dans l’ensemble régional en
cours de constitution. Notre travail ne portant pas sur la question d’identité politique, nous
l’abordons dans le sens où la question est corollaire à des pratiques culturelles qui génèrent des
pratiques spatiales qui peuvent à leur tour induire certaines formes culturelles et sociales.
Le territoire politique laotien est défini par l’État-nation que constitue la République
Démocratique Populaire Lao (RDPL). Son territoire culturel –dans le sens du mode d’identification,
d’usage et de modélisation de l’espace urbain et des représentations partagées par ses acteurs– peut
déborder ses frontières nationales. Les espaces des deux Etats qui ont partagé une culture spatiale
commune jusqu’au milieu du XXe siècle, mais qui se sont développés dans des contextes
d’idéologie et de gouvernance distincts, évoluent de manière différente. Leurs politiques et leurs
projets de développement urbains et territoriaux ne peuvent que différencier les trajectoires de leurs
villes respectives. En revanche, lorsque les initiatives des acteurs privés ainsi que les pratiques des
habitants occupent une place plus importante dans la fabrication et le développement des villes –
dans la mesure où le développement urbain est peu réglementé– les écarts entre les deux ensembles
apparaissent moins importants, du fait des références culturelles communes. En fait, les écarts
renvoient au phénomène de clivage des modèles de références des deux pays : entre un modèle
politique économique différencié et un modèle culturel apparenté. C’est dans ce contexte particulier
que se situe l’analyse spatiale développée dans le cadre de notre recherche. Elle tente de
comprendre la place et le rôle de la fondation des villes et des habitats anciens, ainsi que la pratique
spatiale, dans la constitution et la recomposition du territoire d’aujourd’hui.
Sans ignorer pour autant ses composantes politiques et économiques, la prise en compte de la
dimension culturelle et identitaire du territoire lao nous a permis de définir l’aire géographique de
notre recherche de la manière suivante :
- Dans le territoire national laotien contemporain, nous avons retenu d’abord les villes du Nord les
plus importantes (Luang Prabang, Xieng Khouang, Muang Sing et Xieng Saèn) pour leurs données
historiques et leur mode d’organisation spatiale. Car ces villes, plus ou moins importantes,
aujourd’hui, possèdent leur histoire respective, les distinguant des unes aux autres. C’étaient parfois
des implantations qui possédaient leur propre histoire de fondation. Nous analyserons ensuite
Vientiane et certains villages et villes qui lui sont historiquement satellites caractérisés par leur
continuité historique. Nous nous intéresserons enfin à d’autres villes capitales provinciales de la
vallée du Mékong –Savannakhet, Thakkek, Paksé– pour comprendre leurs processus de
avait de grands handicaps. Actuellement ses principaux composants idéologiques ont évolué et la Birmanie est associée.
Cf., les travaux du groupe NORAO (Nouvelles Organisations Régionales en Asie Orientale, éditions scientifiques) : Sous
la direction de Christian Taillard, Intégrations régionales en Asie orientale, éd. Les Indes savantes, 2004 ; P. Pelletier,
Identités territoriales en Asie orientale, éd. Les Indes Savantes, 2004. 5 Les conflits entre Thaïs et Khmers sur le temple de Phrea Vihear, cf. http//fr.global voicesonline.org/2011/02/11/56577,
consulté à 12H12 le 24/06/2011 ; http//voi.org/06fev2011/religion/hinduism. Preahviheartemple andhinducivilization.html
; http//www.temples-angkor. fr/preahvihear.html) ; conflits lao-thaïe à Leuey et Sayaboury il y a une vingtaine d’années.
Les conflits ont provoqué plusieurs incidents frontaliers, dont une entre 1987 et 1988 causant plus d’un millier de morts
des deux côtés. Cf. ethnolyceum.wordpress.com/2009/12/31/Thaïlande-4000Hmong expulsés vers le Laos/les
efflorescences ; www.icrainternational.org/ actualités /714.) ; conflit à propos d’un film thaï retraçant la vie d’un
personnage –fictif ou réel– a blessé le sentiment national des Lao du Laos et de certains Lao du Nord-est de la Thaïlande,
au risque de déstabiliser les relations diplomatiques et politiques entre les deux pays (Cf. les débats sur la production du
long métrage Thao Souranaly produit par Pisan Akharaséni ; « The truth about Laos and Thailand, Laos and Thailand :
the conflict » : http:www.youtube, 22 novembre 2007.)
Fig. 1-a. Carte
du Laos avec la
localisation des
principales villes
du Vietnam et de
la Thailande.
Fig. 1-b. Carte
de la région de
l’ancien
Souvannaphoum,
au début du 2e
millénaireDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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développement depuis la période coloniale. Car ce sont effectivement des villes construites dans le
processus colonial. D’autres villes de l’intérieur du Laos seront parfois évoquées pour illustrer
certaines hypothèses de recherche.
- Dans les territoires de la rive droite du Mékong qui faisaient partie du Lane Xang historique –entre
le XIVe et la fin du XVIIIe siècle– ou qui lui étaient liés, nous nous intéressons aux villes du Nordest
de la Thaïlande, telles que Nakhon Phranom, Nakhon Rajasima (Khorat),6 Loeuy et Nan pour
leurs trajectoires historiques et la place qu’elles auraient occupé dans les empreintes culturelles.
- Dans le territoire du royaume du Lan Na qui a partagé avec le royaume du Lane Xang des
caractéristiques culturelles communes aux moments de leur fondation et à plusieurs périodes de
leurs histoires, nous évoquerons les villes de Chiangmai, Chiangrai et Chiang Saèn. L’objectif est
de saisir la différenciation des formes d’organisation de certaines villes ayant appartenu aux
systèmes politiques tai.
7
L’étude de chacune des villes n’est pas monographique mais transversale selon l’axe
thématique dont nous avons évoqué brièvement, dans différents points ci-dessous, la pertinence à
l’égard de la question de forme d’organisation spatiale. Par exemple, pour Oudon Thani, nous nous
sommes intéressés à la période de son extension durant la période de la guerre froide et après,
durant les années 1980, parce que cette période est liée indirectement à la situation du Laos. Pour
Oubon Rajathani, ce qui a retenu notre attention, c’est l’histoire de sa fondation en tant que centre
du pouvoir du Nord-est de la Thaïlande au XIXe siècle, lequel aurait donné naissance aux autres
villes Issanes. A ce titre (intérêts différenciés et informations variables), les sites n’ont pas fait
l’objet des mêmes travaux de terrain. Dans certains cas où ils ont été visités rapidement ou évoqués
à travers un corpus informatif déjà existant, les informations recueillies sont globales ; dans d’autres
cas, leurs analyses ont été plus approfondies.
Le choix de la notion de territoire culturel pour élaborer notre réflexion est significatif, car il
nous permet de ne pas entrer dans les débats existant qui opposent trois idées : celle d’abord de la
« perte du Laos Occidental en faveur de la Thaïlande » entretenue dans l’historiographie laotienne.8
Elle est d’ailleurs contestée, et c’est un second débat, depuis le début du XXe siècle par les
nationalistes thaïs qui affirment que « c’est le Siam qui a perdu le Laos Oriental en faveur de la
France, événement sans lequel le Laos n’existerait pas aujourd’hui ».
9 Enfin venant contrebalancer
les deux précédents, un troisième débat porte sur l’existence même d’une grande unité politique
lao à l’initiative du Lane Xang. Celle-ci aurait été particulièrement significative à deux moments :
6 Nakhone Rajasima semble avoir été intégré dans le Lane Xang de manière périodique. Les caractères ethnolinguistiques
et culturels de ses populations sont fortement proches des Lao du Lane Xang. 7 Tambaya ; Condominas ; P. et S. Clément ; Ch. Taillard, Habitations et habitat d’Asie du Sud-Est continentale :
pratiques et représentations de l’espace, laboratoire Asie du Sud-est et monde austronésien, Equipe Asie du Sud-est
continentale, édité par J. Matras-Guin, Christian Taillard, L’harmattan, 1992, pp 305-342. 8 Il n’y a pas d’ouvrage nationaliste proprement dit, née de l’auto exaltation et du sentiment de fierté nationale. Le
sentiment nationaliste lao semble être un “ état d’esprit, un attitude ” né non pas d’une idéologie mais d’un traumatisme
historique collectif, lié à l’événement du roi Anouvong et de la chute de Vientiane, transmis de génération en génération.
La période coloniale semble en plus stigmatiser le complexe du colonisé. Tout laotien est capable de tenir un discours anti
colonial et anti pan-thaï, mais aucun de ces discours n’est idéologique, ils se nourrissent du vécu des générations passées.
Sur la question du territoire nord-est thaïlandais, les travaux nationalistes n’existent pas en tant que tels. Mais retenons
quelques noms dont le langage et la méthode sont en dehors de l’orthodoxie scientifique. Ceci qualifie d’emblée la plupart
des travaux d’historiens laotiens. A commencer par S. Viravong, S. Phothisane, P. Douangsisavath. Le cas de A. Padijon,
auteur de Chronologie de l’histoire du peuple Lao 3000 av. J-C. > 2000 après J-C, (300 p, France, 2001, édité par
l’auteur) sans bibliographie, est particulier. Ce dernier est un inconnu et bien que son nom soit romanisé, il est probable
que ce soit un laotien utilisant un nom d’emprunt.
9 Deux ouvrages en Thaï : Vichithavong Na Pomphet, membre de l’académie royale, La guerre de réclamation
territoriale. L’armée thaïe dans le conflit avec l’Indochine française, 1940-1941, éd. Sèngdao, Bkk, 2009 ; Soumet
Southiranonh (dir.), Le nationalisme dans les manuels scolaires. Les préjugés et les mépris à l’encontre des pays voisins
transmis dans les manuels scolaires, éd. Silapavathanatham, Bkk, 2009. Le premier ouvrage représente le point de vue
officiel et nationaliste de l’élite intellectuelle thaïe vis-à-vis du Laos et vue à travers les exploits militaires lors des conflits
avec l’Indochine. Le deuxième ouvrage est une critique de ce nationalisme, inculqué à plusieurs générations à travers le
système éducatif, entrainant le mépris généralisé des Thaïs vis-à-vis des autres nations voisines : Birmanie, Laos,
Cambodge et MalaisieDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’abord au moment de l’émergence d’un puissant sentiment identitaire lao constitué autour de la
« guerre de libération » avortée du roi Anouvong de Vientiane en 1827-1828, ensuite, à l’époque
coloniale lorsque les autorités françaises ont fait appel au sentiment national laotien pour contrer
l’occupation siamoise et japonaise au cours des années 1940-1941.10 Ces débats entre
“ nationalistes ” lao et thaïs, d’une part, et historiens de formation occidentale, d’autre part,
interrogent la question de l’identité politique des territoires. Mais le débat semble dépassé dans la
mesure où l’identité politique des territoires du Laos, du Nord et du Nord-est de la Thaïlande est
relativement plus instable que l’identité culturelle et ethnolinguistique des populations qui y
habitent. Tout au long de l’histoire, les muang structurant ces territoires sont alternativement et
politiquement dominés par les deux principaux centres de pouvoir tai : Ayuthya (pour les Siamois)
et Vientiane-Luang Prabang (pour les Lao), sans compter les incursions périodiques de la Birmanie,
du Daï-Viet et de la Chine, avant que ce schéma ancien ne soit rompu par le système colonial
occidental.
Bien que l’objectif de notre recherche ne soit pas de répondre aux questions des identités
politiques, celles-ci jalonnent de manière sous-jacente notre réflexion sur la fondation des centres
historiques et des habitats anciens, leurs modèles spatiaux et leurs acteurs. Elles interrogent le choix
des limites de notre investigation et nécessitent une explication préalable. Sans prendre part à ces
trois débats, nous pouvons noter qu’ils peuvent être réconciliables dans la mesure où les territoires
étudiés sont liés à la mobilité des hommes qui véhiculent des pratiques culturelles et spatiales,
marquant de leurs empreintes l’organisation sociale et les systèmes de représentation. Ils ont
constitué des éléments d’identification dans l’espace et le temps à différentes échelles, et ont
participé à la construction des organisations territoriales urbaines contemporaines que nous
étudions, quelles que soient l’identité et l’appropriation politique revendiquées ou attribuées
aujourd’hui.
Une difficulté de cette approche porte sur la définition des termes utilisés pour désigner les
lieux qui font l’objet de notre recherche. Ces définitions renvoient à des échelles de temps et
d’espace comme à des aires géographiques et culturelles différentes pour chacun des sites analysés.
Nous ne nous situons pas dans une approche chronologique qui identifierait la production des
strates spatiales successives ni dans une perspective hiérarchique qui distinguerait les monuments,
les habitats villageois et les constructions urbaines de taille plus ou moins importante. Nous prenons
le parti de faire émerger des types et des processus qui ont suscité la production des structures et des
formes spatiales étudiées, quelle que soit leur appartenance à des aires culturelles ou géographiques
et les périodes de ces productions. Quel que soit le moment de la production des structures et des
formes spatiales étudiées, avant ou dès le XIVe siècle. Ceci, en ce qui concerne les monuments ou
10 Sur le nationalisme lao lié à la politique coloniale, plusieurs historiens donnent leurs points de vue en ce sens.
Chansamone Voravong (ancien Lao Issara, assistant du Prince Phetsarath lorsque celui-ci s’était réfugié en Thaïlande)
nous apprend qu’il a été témoin du soutien des Français pour officialiser le mouvement Lao-Issara. En 1940-1941 la
France sous Vichy connaît un affaiblissement en Indochine. Les hostilités entre Thaïs et Français, qui s’intensifient sur le
sol laotien à partir de la déclaration de guerre de la Thaïlande contre l’Indochine le 7 janvier 1941, ne prend fin que lors
du traité de Tokyo le 9 mai 1941, où la France a cédé Champassak et Sayaboury y compris quelques îles du Mékong au
Siam. Ce dernier est soutenu par le Japon qui occupe une position forte dans le Pacifique et en Indochine. Profitant de
cette faiblesse, le Siam, qui revendique d’autres territoires lao et khmers placés sous le protectorat français qu’il n’a pu
récupérer lors du traité de Tokyo, incite les Lao et les Khmers à se soulever contre “ l’occupant occidental ” par des
slogans et des propagandes nationalistes, en incluant les Khmer et Lao dans “ l’unité pan-thaï ”. Le brassage idéologique
siamois est momentanément coupé de la réalité historique précoloniale où, aux yeux des deux peuples concernés, le Siam
occupait lui-même avant l’arrivée des Français un rôle d’occupant. La France, en position de faiblesse à cause de la
montée du nazisme en Europe et dans le Pacifique –avec les Japonais– qui n’a pas beaucoup de choix d’action et craignant
de perdre le Laos oriental face aux revendications siamoises, réplique alors avec la même stratégie en soutenant le
sentiment national lao et le mouvement qui l’incarne, le Lao-Issara et aide à la création de son journal Lao Gnaï, contreattaquant
les propagandes siamoises. Cf. pp 164-165, exemplaire de Lao Gnaï, in: Creating Laos. The Making of a Lao
Space between Indochina and Siam, 1860-1945, Soren Ivarson, NIAS Press, 2008. Cf. Grant Evans, Histoire résumé du
Laos, éd. Silkworm Books, BKK, 2006 (version Lao). Cependant, de l’intérieur de la société lao et contrairement à toute
allégation qui place le Lao-Issara comme une pure création française, le sentiment national existait préalablement et
rassemblait un groupe d’élites locales autour du Prince Phetsarat. Il est vrai, le groupe hostile à l’autorité coloniale et
prônant l’indépendance sera formalisé pour devenir le mouvement Lao Issara (Lao libre) au moment des hostilités francosiamoises.Dispositifs
spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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les sites importants (les monuments That Phranom ou That Luang), les centres historiques (le
quartier des cinq pagodes de Vientiane ou du mont Phu Si à Luang Prabang), les sites
archéologiques (le site de Muang Tonh Pheung), les quartiers (les quartiers d’artisans de Nong
Chanh et de Nam Passak à Vientiane), les villages (ban Phaylom et ban Lingsan dans la plaine de
Vientiane) et les villes (Muang Khoun, Nakhon Rajasima, Vientiane, Luang Prabang, etc.) Quel que
soit leur degré d’ancienneté, nous les désignons dans notre recherche, de façon générique, par les
expressions “ occupation ancienne ”, “ habitat ancien ”. Les termes “ centre ancien ” et “ centre
historique ”, souvent utilisés, désignent plutôt les sites existant dans une aire urbaine ou une aire
dotée d’une certaine centralité. Cette terminologie est issue d’une approche comparative des sites
appartenant à une même aire urbaine ou géographique, qui distingue les sites anciens ayant eu un
rôle central à un moment donné de l’histoire et les sites qui se sont développés, simultanément ou
postérieurement, mais qui n’ont pas occupé une position centrale dans cette aire. Ainsi, le quartier
des cinq pagodes au centre de Vientiane est qualifié d’ancien et central par rapport au quartier de
Dong Palane de création très récente.
Quant au terme “ fondation ”, il recouvre pour nous aussi bien l’acte rituel que l’acte matériel
d’édification. Autrement dit, il prend en compte aussi bien les composantes physiques et
morphologiques que les éléments immatériels tels que les modèles symboliques, les représentations
et les pratiques spatiales, qui constituent l’armature invisible de ces habitats. La fondation renvoie,
d’une part, aux actes d’édification dans leur matérialité qui sont datés, et, d’autre part, aux rituels et
aux pratiques symboliques inscrits dans les croyances et les pratiques religieuses très anciennes,
animistes comme bouddhiques. Nous illustrons notre propos par l’étude de quelques lieux et villes
présentant et formulant les pratiques de fondation.
Méthodologies
Particularités du contexte des travaux de terrain
Lorsqu’elles ne sont pas commanditées ou approuvées par l’autorité locale, les enquêtes de
terrain au Laos sont officiellement interdites. En l’occurrence, les sujets délicats peuvent faire
l’objet de rejet non seulement par l’autorité locale, mais aussi par la population ; par exemple, les
questions relatives aux processus d’acquisition et de baux fonciers par les entreprises étrangères
nouvellement installées au Laos, ou alors la question concernant le statut de certains logements
confisqués qui ont été réattribués.
Certaines informations recueillies sont issues d’interviews et de discussions effectuées
depuis les années 1994,11 avant-même que soit entreprise la réalisation de la présente thèse. En ce
qui concerne certains témoignages, notamment les questions relatives à la vie quotidienne et aux
travaux collectifs durant les premières années du régime ou encore les questions relatives aux
conditions de vie des anciens pensionnaires des camps de rééducation, cela ne semble pas poser de
problèmes en termes d’actualisation des données. En revanche, d’autres données ont nécessité
vérification et réactualisation. Certaines enquêtes ont parfois été reçues avec peu d’enthousiasme
par les personnes interrogées et d’autres doivent être interprétées avec précaution. Le
fonctionnement de l’administration laotienne étant très hiérarchique et le système d’archivage des
organismes publics étant quasiment absent, la recherche de la documentation rencontre souvent des
difficultés. Par contre, les interviews des trois ou quatre dernières années portant sur l’organisation
administrative et la mise en place des municipalités ont été plus aisément conduites auprès des
agents du gouvernement.
Sources historiques : corpus et critiques
11 Au moment où j’ai commencé à rassembler les données pour mon mémoire de TPFE présenté en 1997.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 9 -
Les annales anciennes qui constituent les sources de référence relatives à l’histoire de la
fondation des habitats anciens sont de seconde main et font intervenir plusieurs auteurs. Elles ont
été analysées, annotées et réinterprétées par des historiens et des anthropologues de générations
différentes et dont les points de vue sont divergents. L’historiographie lao présente par ailleurs une
grande disparité selon les périodes.
Période contemporaine depuis les années 1970
L’histoire contemporaine du Laos ne fait pas l’objet de controverses particulières. Ceci du
fait d’une carence de spécialistes de l’histoire contemporaine du Laos et aussi du fait de la
permanence d’une conception officielle de l’histoire qui ne permet pas de réels débats dans le pays.
L’historiographie de cette période présente encore beaucoup de non-dits et de tabous ; elle reste à
écrire. Aussi, notre approche prenant en compte l’histoire des sociétés et de leurs empreintes
spatiales reste exploratoire et semée d’embûches. Elle combine faits et témoignages, d’acteurs ou de
témoins, ainsi que de « notre propre vécu », notamment pour la période du changement de régime
en 1975, de la ruralisation de la ville, de l’émigration de 15 à 20 % de la population vers l’étranger,
de la mobilité interne de la population vers les provinces ou depuis les provinces. Ces données ont
été croisées avec les documents officiels du gouvernement laotien ou produits par des pays
étrangers et des organismes internationaux (ONG, Amnesty International, les Nations Unies - le
Haut Commissariat pour les réfugiés, etc.)
Revenons brièvement sur ce que j’appelle “ notre propre vécu ”. En 1975, âgée de six ans,
j’ai été témoin du changement de régime, sans en comprendre le sens. J’ai assisté notamment à
l’arrestation de parents proches et de mon père envoyé en camp de rééducation pour huit ans. Restée
presque deux ans avec ma famille sous le nouveau régime, j’ai vécu l’embrigadement à l’école
(notamment les activités culturelles, le jardinage et l’élevage pour l’autosuffisance), vu les adultes –
et notamment ma mère mobilisée pour les réunions politiques, les travaux collectifs obligatoires de
curetage des canaux à Vientiane, acheter au marché noir certains produits comme de l’essence et de
la viande, et vendre –toujours au marché noir– des bijoux, des vêtements, des draps pour survivre.
J’ai ensuite vécu avec ma famille la traversée périlleuse du Mékong en pirogue, les patrouilles des
gardes frontières qui tiraient sur ceux qui tentaient de traverser le fleuve, et l’arrivée dans le camp
de réfugiés en Thaïlande où je suis restée plus d’une année. De retour au Laos dans le cadre de
missions de coopération et de recherche à partir de la fin de l’année 1998, mes rencontres avec les
personnes qui ont vécu dans les anciennes zones libérées12 m’ont permis de connaître la vie dans
“ l’autre territoire ” qui était “ parallèle ” à celui de la société lao de Vientiane durant la guerre
froide. Mes séjours quasi-permanents au Laos m’ont permis d’acquérir une perception de l’intérieur
différente de celle que j’imaginais depuis l’extérieur durant les années 1980 et 1990. Consciente que
je n’échapperais pas aux critiques relatives à ma situation de “ spectateur engagé ” (pour reprendre
les propos de Raymond Aron) ou de vision “ partiale et biaisée ”, c’est avec précaution alors que
j’utilise ces données, en prenant soin de les recouper, quand c’est possible, avec des publications
portant sur le sujet.13
Les rapports d’Amnesty International et du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR)
citent des chiffres et des noms de manière non exhaustive. Les associations qui venaient en aide aux
réfugiés, quant à elles, recueillaient des témoignages, mais ne situaient pas ces données dans leur
contexte. Quant à la recherche historique contemporaine, elle est lacunaire à bien des égards. Les
travaux de Grant Evans et de Stuart-Fox, les plus à jour pour les sources se rapportant au sujet,
restent encore partiels. Ceux de Jean Deuve pour la période post-coloniale se rangent dans la lignée
12 Les zones libérées de Luang Namtha ont été constituées suite à la défaite de l’armée royale. Ce qui a permis le 23 juin
1962 la formation du gouvernement de coalition tripartite.
13 Souvannavong, La jeune captive du Pathet-Lao ; Sivilay M., La route Numéro 9 ; Bouphanouvong N., Sixteen Years in
the Land of Death. Revolution and Reeducation in Laos ; Sicard D et M-N., Au nom de Marx et de bouddha. Cf.
Bibliographie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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des ouvrages de sciences politiques.14 Les deux ouvrages de témoignage du Prince Mangkhra
Souvannaphouma15 proposent des éléments de réflexion historique et politique. Les historiens lao
accrédités par le pouvoir ne traitent pas vraiment cette période. Lorsqu’ils l’abordent indirectement,
leurs propos manquent d’objectivité du fait de leur position d’acteurs, engagés dans la politique
gouvernementale, et de données fondées que les interdits politiques empêchaient de rassembler.
C’est sans doute une des raisons qui expliquent qu’il y a peu de travaux détaillés sur cette période. Il
est moins compromettant pour les historiens nationaux de travailler sur la période siamoise et
française que de travailler sur les années 1970 et 1980.
Le Laos compte peu d’historiens contemporains d’origine lao ; on note cependant Mayoury
et Pheuiphanh Ngaosyvathana, et Souneth Phothisane.16 Aussi, les travaux de Grant Evans, de
Stuart Fox et de Soren Ivarson17 constituent-ils des références incontournables du fait de la diversité
de leurs sources. Parmi les écrits produits par la diaspora, non dépourvus d’intérêt, on trouve des
textes “ partisans ” ou “ engagés ”, et aussi des ouvrages bien documentés, tels que ceux de C.
Norinh18 et l’ouvrage collectif de S. Phinith, P-N Souk-Aloun et V. Thongchanh.19
En dehors des travaux historiques, il faut mentionner les recherches fondamentales sur
l’espace cultuel et ethnographique menées par les anthropologues comme Archaimbault et
Condominas. Quant aux études plus récentes, bien que leurs approches soient fragmentaires, leurs
champs de recherches fournissent cependant des données qui peuvent palier les pages manquantes
de l’histoire contemporaine de ce pays. Citons les travaux de A. Doré, de C. Charon-Baix20 en
sociologie portant notamment sur les Lao depuis le camp de réfugiés jusqu’à leur arrivée en France,
de D. Bertrand et de V. Thongchanh en ethnopsychologie,
21 de O. Evrard qui analyse finement le
rapport entre le sol et l’inter ethnicité.22
Enfin, un grand intérêt doit être porté aux travaux de recherche présentant une certaine
particularité par rapport aux travaux d’histoire ou par rapport aux travaux en ethnologie et en
sociologie déjà mentionnés. Par leur affiliation au CNRS ou aux autres structures de recherche, le
caractère actif de leurs analyses des faits souvent en cours de constitution (traitant de processus en
train de se dérouler) inscrit l’ensemble de leurs travaux en cours dans une sorte d’observatoire. Une
analyse distanciée de ces données, menée a posteriori, apporterait un complément de
compréhension à l’histoire contemporaine. Il y a les travaux de V. Pholsena sur l’identité politique
et culturelle, ceux de Christian Taillard sur l’analyse territoriale inter-régionale, ceux de K.
Voraphet sur l’aspect économique, puis ceux des chercheurs de l’IRD qui sont plus axés sur les
problématiques de développement
Enfin, notre travail est particulièrement attentif aux travaux des architectes urbanistes,
professionnels indépendants et chercheurs. Les plus significatifs sont ceux des chercheurs de
14 Grant Evans ; Stuart-Fox ; Jean Deuve, Le Royaume du Laos, EFEO, 1984 et Guérilla au Laos, L’Harmattan, 1997. Cf.,
la bibliographie. 15 Souvannaphouma M., L’agonie du Laos ; Laos. Autopsie d’une monarchie assassinée. Cf., la bibliographie. L’Agonie
du Laos est un témoignage de la période qui s’étend de la guerre froide à la fin du régime monarchique. L’Autopsie d’une
monarchie assassinée porte un regard rétrospectif sur la période d’avant 1975 et témoigne de la recomposition de la vie
sociale et politique des Laotiens de la diaspora, tout en portant un regard critique tant sur son organisation sociale que sur
la politique du gouvernement de la RDPL.
16 Mayoury et Pheuiphanh Ngaosyvathana, Souneth Phothisane, cf., la bibliographie. 17 Les sources des trois chercheurs anglo-saxons combinent les enquêtes conduites tant à l’intérieur du pays qu’auprès de
la diaspora lao qui ne partage généralement pas la vision officielle de l’histoire contemporaine. Cf. la bibliographie. 18 Chou Norinh cf., la Bibliographie. 19 Savang Phinith, Phou Ngeun Souk-Aloun et Vanida Thongchanh, Histoire du pays lao. De la préhistoire à la
république, L’Harmattan, coll., Recherches Asiatiques, Paris, 2001. 20 Amphay Doré, Catherine Charon-Baix. Cf., la bibliographie. 21 Didier Bertrand et Vanida Thongchanh, cf., la bibliographie. 22 Olivier Evrard, Chroniques des cendres. Anthropologie des sociétés khmu et dynamiques interethniques du Nord-Laos,
éd. IRD, coll. A travers champs, Paris 2006.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’Ipraus, auxquels la présente recherche se rattache.23 Ceux-ci traitent de l’anthropologie de l’habitat
lao, de l’organisation et du devenir spatial, architectural et urbain de la région, en rapport avec le
mode de gestion et de gouvernance en cours, mais aussi en rapport avec la vision patrimoniale.
Nous nous appuyons sur les travaux d’ethno-architecture entrepris par Sophie et Pierre Clément au
début des années 1970 sur l’architecture vernaculaire qui fonde une connaissance de base de
l’anthropologie de l’espace lao. Nous nous référons également aux recherches de C. Goldblum sur
les villes du Sud-Est asiatiques et, plus récemment, sur les études menées au Laos sur le
développement et la gouvernance urbaine, en liaison avec les travaux de B. Sisoulath sur le
développement urbain des vingt dernières années.24
Période ancienne
Ne situant pas notre travail dans le champ de l’histoire, j’utilise les sources pour recueillir
des informations et non pas en vérifier la crédibilité historique, ou en discuter les interprétations qui
nécessiteraient un important travail en dehors de notre champ de compétences. Toutefois, il est
nécessaire de pouvoir identifier celles qui manquent de sources et de références. Ainsi nous avons
dû, lorsqu’il est nécessaire, proposer une interprétation différente à partir des sources que les
historiens ont traitées.
Pour les sources anciennes, ont été consultées pour notre recherche historique, les travaux et
ouvrages des auteurs que nous citons dans les notes au fur à mesure et dans la bibliographie. Ceci,
parce que nous ne pouvons pas consulter directement les documents anciens d’origine, sauf un
manuscrit qui date de 1927, intitulé Annales du Laos, Luang Prabang, Vientiane, Traninh et
Bassac.
25 Néanmoins, apportons ici quelques indications sur ces écrits sur lesquels les historiens
fondent leurs travaux. Il s’agit du Nithan Khun Bourom, du Phongsāvadān Lao, du Thao Hung
Thao Tch’ueng, du Kotmai bouran lao, du Tamnan Oulangkhrathat, des Chroniques du Lan Na et
du Nord-ouest du Laos (Singhanavathi, Jinakalamalini et Chronique de Souvannakhomkham), des
Chroniques de Vientiane et des Chroniques Muang Phouan. Nous citerons également certaines
inscriptions lao et siamoises qui sont les plus utilisées en historiographie. Pour cela nous sommes
principalement redevables aux travaux de G. Coedès et de L. Finot, dont certains sont revisités par
M. Lorrillard. Nous avons pris également connaissance d’autres travaux critiques des sources
effectués par les chercheurs de l’EFEO, anciens et récents.
1. Nithan Khun Bourom, annales historiques, écrites sur feuille de latanier en lao ancien,
utilisant l’écriture Tham. D’après le texte de présentation du Phongsavadan lao de Sila Viravong, il
y aurait cinq livres qui correspondent à cinq versions du Nithan Khun Bourom, lesquels ont
constitué la base pour la rédaction de son Histoire du Laos depuis les origines jusqu’à 1946.
- La première version du Khun Bourom serait une œuvre collégiale rédigée par Phra Maha Thep
Luang et les hauts dignitaires de Luang Prabang vers 1503-1504. C’est la version la plus utilisée par
les auteurs. Elle commence avec l’histoire des Lao depuis leur “ origine mythique des courges ” et
s’arrête à l’époque historique de Vixun dont le début de règne date de 1500. Cette version semble
originale, car elle évoque l’origine “ préhistorique ” des Lao Tai à travers le mythe des courges.
L’ethnie lao serait sortie des courges percées avec un fer brûlé, précédée par les aînés qu’étaient les
aborigènes à la peau sombre parce qu’ils seraient les premiers sortis des trous carbonisés.
23 Vattana Pholséna, Christian Taillard, les chercheurs de l’IRU et de l’Ipraus, cf. la bibliographie. 24 Bounleuam Sisoulat, 2010 Vientiane, Stratégie de développement urbain : processus et acteurs de l’urbanisation dans
la capitale de la RDPL, thèse de l’université Paris X-nanterre. Cf. Bibliographie. 25 Annales du Laos, Luang Prabang, Vientiane, Traninh et Bassac, publié la 22e année de règne de Sa Majesté Sisavang
Vong, roi de Luang Prabang, 1927. Les auteurs et l’éditeur ne sont pas mentionnés. Le manuscrit est en Lao datant
d’avant la réforme grammaticale des années 1930, il est sans doute basé sur deux annales anciennes : le Nithan Khun
Bourom et le Phongsāvadān Lao.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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- La deuxième, écrite à Vientiane, reprend l’essentiel de la première version, mais elle s’arrête au
règne de Saèn Soulinh et date de ce règne, l’année 1567. S. Viravong suggère que Phra Arya
Vangso en soit l’auteur.
- La troisième reprend les deux précédentes et date de 1627 sous le règne de Nôkéo kumman. Le
nom de l’auteur ne serait pas mentionné.
- La quatrième, reprise des précédentes versions, aurait été écrite sous le règne de Say Ông Hué vers
1705-1708. Le nom de l’auteur ne serait pas non plus mentionné.
- La cinquième aurait été écrite sous le règne de Manthathourath vers 1856 par un certain
Houaphanh Muang Boun. D’après S. Viravong, cette version comporterait une annexe donnant une
chronologie résumée des règnes des rois du Laos depuis la fin du règne de Suryavongsa jusqu’à
l’année 1847.
Dans son ensemble, le Nithan Khun Bourom rapporte l’histoire du peuple tai lao, mais aussi
ses origines légendaires et mythiques. Il a été étudié et annoté par ceux qui ont étudié l’histoire des
origines des Lao et du Laos. Parmi les anciens, il y a les annotations de F. Garnier, de A. Pavie, de
E. Aymonier, de L. Finot, de G. Coédès, de C. Archaimbault, de L. Pontalis, de T. Hoshino, de S.
Viravong, de K. Vongkotrattana, et enfin de O. Phomvongsa26. Le compte-rendu de P-B Lafont en
1963 de l’ouvrage : Laos, Its People, Its Society, Its Culture, de Frank M. Le Bar et A. Suddard27
participe à cette critique, et apporte en plus des critiques aux travaux d’interprétations de ces
sources par les chercheurs anglo-saxons. Plus récemment M. Lorrillard, en effectuant une analyse
de l’historiographie lao dans l’article « quelques données relatives à l’historiographie lao »,
28 a
apporté une critique sur cette source ainsi que sur le Phongsavadan lao. Les historiens considèrent
le Nithan Khun Bourom comme une source historique unique qu’ils exploitent toutefois avec
précaution, parce que pour eux le ton et la méthode de son écriture se rapprocheraient de l’écriture
des légendes.
2. Thao Hung Thao Tch’ueng a principalement été annoté par Sila Viravong, repris et
enrichi par D. Boungnavong, O. Khaminsou, S. Vilaysack, dans une réédition récente publiée en
deux volumes.
29 Les travaux de Sila Viravong ont également été repris et traduits par Chamberlain
lors d’un colloque en 1979.30 Notons que si les auteurs lao s’y réfèrent comme à un ouvrage
historique, le texte du Thao Hung Thao Tch’ueng n’est pas considéré comme une source historique
véritable par les auteurs occidentaux. Il est surtout étudié comme l’une des plus grandes œuvres
littéraires de langue tai, qui aurait été composée entre le XIIIe et le XVIe siècle. D’après le texte de
présentation de la nouvelle édition, une autre source originaire du Lan Na, le Cāmadevīvamsa, dont
le drame principal est quasi identique, pourrait être rapprochée de cette œuvre épique. Elle a été en
partie étudiée par Jean Ripaud dans Les gestes de Pragna Xu’en.
26 Cf. Garnier F., Voyage d’exploration en Indo-Chine, effectué pendant les années 1866-67-68 ; Pavie A., Annales du Lan
Xang (1898), Etudes diverses, t. I. Recherches sur la littérature du Cambodge, du Laos et du Siam ; Aymonier E., La
société du Laos siamois au XIXe siècle ; Finot L., « Annales du Lanxang : origines légendaires - Fondation du Royaume
de Lanxang Hom Khao » ; Coédès G., « Document sur l’histoire politique et religieuse du Laos occidental » ;
Archaimbault Ch., « La naissance du monde selon les traditions lao. Le mythe de Khun Bulom », in : La naissance du
monde ; « Annales de l’ancien Royaume de S’ieng Khwang » ; Lefevre-Pontalis P., Voyage dans le Haut Laos et sur les
frontières de Chine et de Birmanie ; Hoshino T., Pour une histoire médiévale du moyen Mékong ; S. Viravong,
xts;aflkf]k; c8j[6]kog(u’ 1946 ou Histoire du Laos, de la période ancienne jusqu’à 1946, éd. Bibliothèque Nationale,
Vientiane 2001. C’est l’édition la plus récente de l’historien. Il y a trois autres éditions : 1-celle de 1957-1958 intitulée
Phongsavadan lao, rq’lk;tfko]k;, utilisée comme manuel scolaire, 2-celle de 1973 toujours intitulée Phongsavadan lao,
rq’lk;tfko]k;, 3-celle de 1997 intitulé Histoire du Laos ; Vongkotrattana K., Phongsadavan sat lao, Vientiane ;
Phomvongsa O., Khouam Penh ma kong lao 27 Dans le BEFEO, année 1963, vol 51, N°1, P. 208-215. Lafont P-B. a effectué un compte rendu critique de l’ouvrage de
Frank M. Le Bar et Adrienne Suddard (editors) et alia. Laos, Its People, Its Society, Its Culture, cf. Bibliographie. 28 Lorrillard M., « Quelques données relatives à l’historiographie lao », BEFEO, Année 86 (1999), p 219-232. 29 S. Viravong, Thao Hung Thao Tch’ueng. Volume 1, publié en 2000, volume 2 en 2003, dans le cadre des études de la
Bibliothèque Nationale et du Comité de Recherche en Littérature de l’Université Nationale du Laos. 30 James R. Chamberlain, « A Lao epic poem: Thao Hung or Cheuang », cf. bibliographieDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 13 -
3. Kotmai bouran lao, le droit coutumier lao [dqfs,kp[6Iko]k;]. C’est un ensemble
d’ouvrage juridique composé de traités, de codes et de décrets royaux totalisant huit livres
(Khamphi, 7eru) de 1500 pages :
- Le livre I, Khamphi Moulatantaï [7eru ,6o]t8aow8], traitant des enquêtes et des instructions
juridiques.
- Le livre II, Khamphi Soysaykham [7eru lvHplkp7e] traitant des règles et des bases juridiques
comportant 227 articles ;
- Le livre III, Khamphi Dhammasat Luang [7eru rtma,,tlkfs];’]. Ce livre constitue le fondement
principal du droit coutumier. Il renferme des codes généraux avec 431 articles et est divisé en cinq
chapitres correspondant aux cinq préceptes bouddhiques desquels il s’est inspiré. Le premier
chapitre régit la protection des personnes, le deuxième la protection des biens et du commerce, le
troisième, la famille, les relations conjugales et les mœurs, le quatrième, les conflits, le cinquième
les délits liés aux drogues et à l’alcool ;
- Le livre IV, Khamphi Souvannamoukha [7eru l5;aoot,5d0k], traite du code civil avec des cas de
jurisprudence ;
- Le livre V, Khamphi Rajasat [7eruiklkf], traite des droits et obligations des monarques vis-à-vis
des sujets et de l’État ;
- Le livre VI, Khamphi Phosarat et Sangha Hapakhon [7eru 3rlkikfla’skxtdvo] ;
- Le livre VII, Khamphi Anachark et Thammachark du Thammasat [7eru vkok9adma,,t9ad csj’
ma,,tlkf], est composé de huit chapitres. Le nom du huitième livre n’a pas été mentionné par
Samlith Bouasisavath l’auteur des annotations de l’ensemble du manuscrit qui a effectué récemment
une translittération et publication en lao moderne. Il a sans doute été rassemblé au livre VI par
l’auteur.
Cet ancien manuscrit peut être exploité suivant les thèmes traités, notamment les parties qui
traitent du droit du sol figurant dans le livre VI. Nous utilisons uniquement les annotations issues
des travaux de Samlith Bouasisavath,
31 car nous ne trouvons pas d’autres sources aussi complètes.
Dans « La propriété foncière selon les traditions coutumières au Laos » Georges Condominas,
Inpèng Suryadhaï et Christian Taillard32 ont basé leurs travaux sur les anciens codes de Vientiane
annotés par Phouvong Phimmasone.33 Concernant les codes de Vientiane, un manuscrit juridique
ancien, nous pensons qu’il s’agissait d’un des livrets appartenant au Phra Dhammasat Luang, et ce
livret serait probablement des cas de jurisprudence et non pas des codes généraux. D’après Samlith
Bouasisavath, le droit coutumier a été écrit en Lao ancien et aurait été daté du XVIe
-XVIIe siècle,
rédigé en partie sous le règne de Souryavongsa. Le droit coutumier semble régir entièrement la
société lao ancienne et certains codes constituent une grande partie du fond juridique d’aujourd’hui.
Bien que les annotations de Samlith Bouasisavath nous livrent d’importantes informations sur les
sociétés lao anciennes, il est regrettable que les historiens et juristes contemporains ne se penchent
pas de manière plus complète sur cet ensemble de textes.
4. Tamnan Oulangkhrathat [8eoko v5]a’0tmkf], ouvrage complexe qui relate uniquement les
événements se rapportant aux histoires religieuses. Ce sont souvent des histoires fabuleuses qui
réduisent considérablement la crédibilité des textes aux regards des historiens. Il semble appartenir
à une tradition sudiste : il ne concerne pratiquement que les événements ayant lieu dans le Sud du
pays et contient peu de chose sur le Nord (au-delà de Vientiane). Il renferme des informations sur
31 Samlith Bouasisavath, Kotmai bouram lao, cf. Bibliographie. 32 Condominas G., Suryadhaï I., Taillard Ch., « La propriété foncière selon les traditions coutumières au Laos », cf.
Bibliographie.
33 Phouvong Phimmasone a annoté un certain nombre d’écrits lao anciens, qui ont fait l’objet de contribution aux
ouvrages collectifs. Notamment la littérature bouddhique lao, le Tipitaka, les traités de grammaire, de l’astrologie, de
métrique, de politique, etc. in : Présence du Bouddhisme, cf. Bibliographie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 14 -
les événements et les constructions religieuses telles que la construction des that dans la région de
Nakhon Phranom, ainsi que des renseignements sur les sites religieux de Vientiane. Il n’existe pas à
notre connaissance de version complète d’annotations en lao et en thaï modernes. Celles qui font
l’objet de publication dans les deux langues ne concernent que certains chapitres. Il y aurait par
ailleurs d’autres annotations manuscrites en lao, mais non publiées. Pour notre part, nous avons pu
avoir entre les mains deux publications en Thaï utilisant le Tamnan Oulangkrathat. L’une est
intitulée Oulangkranithane et l’autre Histoire résumée de that Phranom.34 En lao, nous avons pu
avoir trois publications, dont deux courtes publications fragmentées du ministère des Cultes :
Histoire des stupa et des vat les plus importants et celle de Phra krou Gnot Kéo Phonnesamek en
partie annotée par Chanh Inthouphilath ; Chao Raja Khrou Luang Gnot Kéo Phonnesamek annotée
par Phra Thep Rattanamoly ; la troisième publication, plus élaborée, a été éditée lors des crémations
de Phra Louk Kéo Khoun Manivong.35 Du fait que le Tamnan Oulangkhrathat n’est pas un texte
traitant de l’histoire proprement dite et du fait que nous ne travaillons pas directement sur leur
critique, nous prenons le parti de ne pas rechercher d’autres annotations que ces cinq publications
existantes.
5. Singhanavati, Jinakālamālini, Camadevivamsa, Chronique de Souvannakhamkham,
sources spécifiques du Lan Na et du Nord-ouest du Laos, au même titre que Nithan Khun Bourom
pour le Lane Xang, ont été largement utilisées par les historiens travaillant sur les origines
historiques du Lan Na et sur la période antérieure. Plusieurs études leur ont été consacrées, de
manière complète ou évoquée à travers des études thématiques.36 Elles seront reprises en partie et
référencées par les recherches plus récentes, notamment celles de A. Doré, de H. Rattanavong et de
M. Lorrillard.37
6. Chroniques de Vientiane et Chroniques de Muang Phouan, Pheun Vieng et Pheun Muang
Phouan, [rNo;P’ rNog,Nv’r;o]. Ces textes sont des témoignages historiques de grande importance
pour l’historiographie lao de la fin du XVIIIe à la fin du XIXe siècle. Ce sont des chroniques que les
historiens n’ont sans doute pas complètement exploitées. Elles donnent des informations liées
majoritairement aux événements relatifs au règne de Chao Anu, à la chute de Vientiane et de Muang
Phouan et aux déplacements des populations, qui ont inspiré plusieurs études thaïes38. Nous
consultons leurs annotations en version lao effectuées par le Comité de Recherche en Littérature de
l’Université Nationale.39
34 Kéo Outhoummala, Oulangkhra nithan ; Phra Thep Rattanamoly, Histoire résumée de that Phranom, cf. Bibliographie. 35 Chanh Inthouphilath - Ministère des Cultes, Histoire des stupa et des vat les plus importants et celle de Phra krou Gnot
Kéo Phonnesamek ; Phra Thep Rattanamoly - Ministère des cultes, Chao Raja khrou Luang Gnot Kéo Phonnesamek ;
Nithan Oulangkhrathat. Cf. Bibliographie. 36 La mission Pavie a effectué une traduction de Nang Kiam Maha Tévi (Camadevivamsa) dans les Etudes diverses. Les
mémoires de Lefèvre-Pontalis, L’invasion thaïe en Indochine, se basent également sur les chroniques locales. Dans
Documents sur l’histoire politique et religieuse du Laos Occidental, Coedès a traduit et analysé deux chroniques : la
Camadevivamsa et le Jinakalamalini. Ripaud et Hoshino ont repris certains passages et ont réalisé des interprétations sur
d’autres thématiques. Cf. Jean Ripaud, Les gestes de Phaya X’uen ; Tatsuo Hoshino, Pour une histoire médiévale du
moyen Mékong. Op, cit. 37 « Jalons pour une histoire du Lan Na avant le XIIIe siècle : une approche ethno-historique », in, Péninsule, A. Doré a
analysé plusieurs sources du Lan Na : Chronique de Souvannakhomkham, Chronique de Souvanna Khamdaeng,
Chronique de Sinhanati (Singhanavati), Chronique du Maha Thera Fa Bot, Chronique de Lamphun, Chronique de
Chiangmai, Chronique de Kengtung, la Camavedivamsa et la Jinakalamalini. H. Rattanavong a revisité la Chronique de
Souvannakhomkham en effectuant une reconnaissance de Souvannakhomkham à Muang Tonh Pheung. Cf.
Souvannakhomkham bourannasathan hèng sat. Quant à M. Lorrillard, son travail étant appuyé avant tout sur les sources épigraphiques : chroniques, annales, inscriptions et témoignages archéologiques, il a revu un nombre important de
chroniques du Nord et les a surtout confrontées du point de vue des écritures et sous l’angle de la philologie. In :
« Souvannakhomkham ou Chiang Saen rive gauche ? » ; « Ecritures et histoire : le cas du Laos », cf. Bibiographie. 38 Thavath Pounothork, Pheun Vieng : études historiques et culturelles Issane, Bangkok, Université Thammasat, 1983 (en
thaï) ; Bang-On Piyaphanh, Histoire des populations lao dans les colonies intérieures au début de l’époque
Rattanakosinh, thèse de doctorat de lettres, département de l’histoire de l’Asie du Sud-est, Université Silapakorne, 1986
(en Thaï).
39 Pheun Vieng de l’époque de Chao Anu, Comité de Recherche : langue et littérature lao, Département des Lettres de
l’UNL, éd. Hongphim Suksa, Vientiane, 2004 ; Pavatsat Muang Phouan, K. Vongkhottratana, 1952 ; Khab Muang
Phouan, Comité de Recherche : langue et littérature lao, Département des Lettres de l’UNL, Vientiane, 2001.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 15 -
Les différentes sources anciennes ont contribué à l’élaboration de certaines de nos
hypothèses, du moins elles ont participé à la pertinence de l’élaboration de certains de nos
questionnements qui tentent de trouver des éléments de réponse dans les travaux de terrain. Par
exemple en confrontant certaines données du Nithan Khun Bourom et du Thao Hung Thao
Tch’ueng cela a permis d’élaborer des hypothèses sur la personnalité de Thao Hung, notamment de
l’historiser et de le mettre en parallèle avec l’origine de certains muang. Les travaux de terrain
(interview) ont permis de suggérer que le terme Mèng qui désigne Thao Tch’ueng (le personnage
central du Thao Hung Thao Tch’ueng) ne se réfère pas forcément aux Môns et aux Khmers, mais
éventuellement aux Tai, c’est-à-dire aux Tai mèng (Tai muang, qui veut dire, ceux qui détenaient
les muang.)
Présentation et lecture
Nous avons constitué une annexe afin d’apporter des informations supplémentaires et de
faciliter la lecture de l’ensemble de notre recherche.
L’annexe 1 contient la bibliographie, les références et les sources. Concernant les références
historiques, mes recherches s’appuient sur les travaux des chercheurs contemporains qui avaient pu
accéder aux manuscrits historiques anciens. Du moins, si les documents qu’ils consultaient n’étaient
pas des originaux, ils ont été recopiés par des scribes et traduits. Pour ma part, les ouvrages
originaux anciens rédigés tant en langues étrangères (en Chinois et en Vietnamien) qu’en Tham lao
n’ont pas été consultés, pour des problèmes de langue et d’accessibilité. Par contre, j’ai pu consulter
les extraits des ouvrages en Lao ancien, en Lao moderne et en Thaï. Etant des anciennes
publications leur consultation complète est aujourd’hui parfois difficile, voire inaccessible, certaines
d’entre elles –auxquelles les auteurs faisaient référence, ont été perdues.
Concernant les auteurs qui ont eu accès aux manuscrits originaux et aux inscriptions, ce
sont d’abord les auteurs lao qui ont édité des ouvrages en langue lao. Il y a notamment Sila
Viravong, Tiao Khamman Vongkotrattana, Oukham Phomvongsa ; ensuite, ce sont les auteurs
étrangers (laophone ou non) qui n’ont pas édité des ouvrages en Lao mais en langues étrangères. Il
y a notamment Francis Garnier, Auguste Pavie, Etienne Aymonier, Louis Finot, George Coedès,
Charles Archaimbault, Tatsuo Hoshino, Lefèvre Pontalis, et le plus récent, Michel Lorrillard. Ces
auteurs ont généralement recours aux traducteurs locaux. Etant donné l’anonymat des traducteurs
des anciennes traductions dont nous ne connaissons pas les compétences pour certains textes, nous
nous réservons le droit de suggérer quelques critiques, si pour certaines réflexions les auteurs
peuvent se contredire suite aux traductions. Par ailleurs, il est à signaler que les mêmes sources
manuscrites peuvent posséder plusieurs versions. Les contradictions ou les erratas éventuels
peuvent exister dans différentes versions dues à ceux qui étaient en charge de recopier les
manuscrits. Ces derniers ont parfois modifié le contenu des manuscrits, ce qui peut brouiller les
données et les interprétations ultérieures des historiens. Il faut noter que les auteurs français
consultent davantage les inscriptions et procèdent à leur traduction en français, après les avoir fait
traduire en lao, notamment en ce qui concerne Auguste Pavie, Louis Finot et M. Lorrillard. Ce qui
n’est pas le cas des auteurs Lao. Ces derniers donnent plus la priorité aux manuscrits.
Les références bibliographiques sont organisées en trois groupes. Le premier concerne les
études des manuscrits anciens tels que le Nithan Khun Bourom, ainsi que diverses inscriptions, des
ouvrages translitérés, traduits ou annotés à partir des anciens manuscrits originaux. Le deuxième ce
sont des ouvrages portant sur le Laos et les pays d’Asie et la région du Mékong (Thaïlande,
Vietnam, Cambodge, Birmanie, Chine), le troisième, des ouvrages généraux. Toutes les références
sont classées par nom d’auteur, pour les références d’auteurs anonymes, elles sont classées par leur
titre.
L’annexe 2 comporte des enquêtes de terrain de trois types. Les enquêtes de terrain sans
interview ni questionnaires consistent à mener un travail d’observation sur un lieu donné afin de
réaliser un relevé ou afin d’évaluer par exemple la fréquentation d’un lieu. Les recueils oraux basés
sur des interviews à partir des sujets lancés au départ d’une discussion et enfin les enquêtes basées Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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sur des questionnaires. Pour la citation des références, lorsque nous avons l’autorisation des
personnes interviewées, leur nom figure dans la liste, dans le cas contraire, seul le sujet d’interview
sera indiqué, et seront mentionnés soit le statut social, le métier et les occupations, soit une simple
mention montrant le lien de pertinence entre le sujet et la personne interrogée.
L’annexe 3 comporte l’adoption de certains mots et des noms propres, et le lexique des
termes vernaculaires. Compte tenu de leur vulgarisation dans deux territoires de langues communes
ou proches, mais dont la prononciation, l’écriture et le sens diffèrent, il est nécessaire d’adopter une
écriture pour les termes vernaculaires utilisés dans cette recherche afin d’éviter les contresens. Pour
les termes ne trouvant pas de correspondance appropriée en français, nous les gardons en lao dans le
texte. En ce cas, ils sont traduits dans le lexique qui fait l’objet de l’annexe 4. Pour les termes
d’origine pali et sanskrite, se déclinant différemment en Thaïlande et au Laos, nous adoptons le plus
souvent l’étymologie pali à cause de la dominance de cette langue dans le lao contemporain. Par
exemple nous adoptons plutôt Dhamma (Pl) que Dharma (Sk) et utilisons principalement le Lexique
étymologique Lao pali-sanskrit de Bounthanh Sinavong.40
L’annexe 5 comporte les acronymes et les sigles qui sont uniquement en français et en
anglais, ou phonétiquement en lao. L’annexe 6 comporte la liste des illustrations : tables et
organigrammes (Tab.), photographies, photographies aériennes, plans, cartes et autres documents
graphiques (Fig.) Les illustrations sont classées par ordre numérique, placées en fin de chaque
partie.
L’annexe 7 est une chronologie de l’histoire politique du Laos avec des dates repères de
l’Asie du Sud-Est. Elle commence au moment de la scission du Lane Xang en 1707 et se termine en
2008, le moment où nous arrêtons d’effectuer nos travaux de terrain. Nous pensons que les
événements autour de 1707 ont joué un rôle important dans l’aire géographique que nous étudions
et ont eu des conséquences sur la configuration de l’espace contemporain.41
L’annexe 8 comporte des données ethnographiques du Laos, l’annexe 9, l’évolution
administrative et politique ainsi que les programmes de la coopération internationale de la RDPL et
enfin, l’annexe 10, la table des matières détaillée permettant un meilleur repérage du contenu du
texte.
Articulation des thèmes et concepts mobilisés dans le contexte particulier du Laos
Rappelons que nous faisons trois hypothèses principales. Premièrement, les recompositions
contemporaines des villes, leurs dynamiques d’intégration ou de résistance, ont été influencées par
l’effet négatif de l’altération des fonctions spatiales et symboliques. Deuxièmement, l’altération des
potentialités de permanence et d’adaptabilité des éléments fondateurs ainsi que celle des fonctions
spatiales et symboliques des villes a ses racines plongées dans les années 1975-1980. Celles-ci
constituent alors une période charnière. Troisièmement, les bases fondatrices des habitats anciens
étaient porteuses des facteurs de permanence et d’adaptabilité spatiale qui permettaient un
développement endogène et une idiosyncrasie spatiale des villes avant 1975.
Ces trois hypothèses mettent en évidence le mécanisme de la transition entre deux périodes :
période de permanence où les trames historiques héritées de la fondation étaient intrinsèques au
processus de constitution et d’évolution des villes, et période de rupture où celles-ci ont été
fragilisées et altérées telles que nous les connaissons aujourd’hui. Comment s’est opéré ce moment
de transition ; comment cette transition a-t-elle mis à l’épreuve les facteurs de permanence et
d’adaptabilité que possédaient encore indéniablement jusqu’au début des années 1970 les habitats
40 Bounthan Sinavong, Lexique étymologique lao pali-sanskrit, éd. SADDA, 2007. 41 Les chronologies proposées dans : le Phongsavadan lao de Sila Viravong ; l’Histoire des peuples lao de Sithoui
Souvannasi ; Le Lane Xang avant la colonisation française de Thongsavat Phraseuth ; Historical dictionary of Laos de
Martin Stuart-Fox. En ce qui concerne la vérification des dates d’événements des dix dernières années, Vientiane maï et
Le Rénovateur ont été utiles.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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anciens au Laos ? Par quel processus ont-ils été fragilisés ? Telles sont les questions auxquelles
nous tenterons de répondre.
Le concept de fondation des villes que nous utilisons se rapproche des travaux d’analyse des
villes européennes de Pierre Lavedan. L’historien de la ville distingue d’un côté « les villes
artificielles, créées en un jour par la volonté d’un homme » ou ville planifiée et, de l’autre, « les
villes spontanées, nées du hasard et qui grandissent peu à peu ».
42 Pour notre approche des habitats
lao, nous combinerons ces deux catégories. Car ces deux catégories entrent en jeu dans la
constitution et dans le développement des villes laotiennes, et ne peuvent pas être dissociées comme
deux processus indépendants. Dans les deux cas, ce sont les pratiques de l’espace qui sont les
facteurs dominants, qui encadrent leur devenir et qui les font, ou non, perdurer.
Il faut aussi expliquer la particularité du concept de ville planifiée dans le contexte des
habitats lao anciens. En Europe, les “villes planifiées” sont concrètement représentées par des plans
(documents graphiques, maquettes.) et inscrites dans des politiques, accompagnant la grande
époque des théories de l’architecture et de la ville, remontant à l’Antiquité mais développées surtout
à la Renaissance.43 A contrario, pour les rares villes laotiennes anciennes, aucun plan témoignant
d’une planification ni aucun texte théorique n’a été retrouvé. La forme actuelle de la ville lü de
Muang Sing, par exemple, suggère pourtant qu’une logique de planification a présidé à son
édification, comme en témoignent la morphologie et l’organisation de la ville elle-même avec son
enceinte en terre, ses trames quadrillées, ses îlots et ses parcelles bien délimités mais pas
entièrement occupées. Cependant, notre enquête sur place porte à croire que le plan de Muang Sing
n’aurait pas été « dessiné » comme on l’aurait volontiers pensé. Nous n’avons trouvé aucun plan sur
place, alors que les Siamois auraient retrouvé un plan ancien à la fin du XIXe siècle, et celui-ci leur
aurait servi pour dresser le plan de 1889-1890. Dans d’autres cas, alors que la planification paraît
physiquement absente et que la ville semble se développer de manière spontanée, les données
historiques suggèrent au contraire qu’il y avait eu une intention de planification du pouvoir royal,
mais celle-ci fut dépourvue de représentation graphique. A Vientiane par exemple, il a été
implicitement indiqué que « des populations ont été installées et des constructions ont été
commanditées »
44 au moment où Sethathirat édifia la capitale. Dans les deux cas de figure,
l’absence de plan conduit à penser que si ces villes ne possédaient pas de représentation et de plans,
elles furent probablement le fruit d’un travail de planification. C’est ce que nous essayons de
comprendre. Il convient alors de définir ce que pouvait couvrir un travail de planification à l’époque
de l’édification de Vientiane. Il fallait entendre par « planification », une succession de projets à
bâtir et des ensembles de populations à installer, sur un espace donné ou décrivant un espace, selon
les règles de l’art et selon les bonnes augures (croyances) et conduites par une ou des idées
communes émanant de la volonté du souverain et des grands du royaume.
Pour saisir le processus de constitution des habitats lao anciens, nous développons une
approche autre que celle conçue par la culture urbaine européenne qui, comme nous l’avons
souligné, a développé depuis l’Antiquité un savoir relatif à la représentation de la ville, sa
conceptualisation et sa théorisation. Ce savoir est devenu un outil de connaissance et un instrument
de planification dans le sens où « la ville rentre dans le champ d’un savoir plus fractionné, celui des
techniques et des professions ».
45 En l’absence d’un tel savoir dans la culture laotienne, nous nous
sommes orientés vers l’histoire en conduisant une lecture analytique de l’organisation politique et
de la structure symbolique des espaces. Nous nous sommes intéressés aux rites et rituels de
fondation et aux pratiques de l’espace qui ont laissé des empreintes dans la pratique habitante.
Les périodes de permanence et de rupture sont abordées ici en terme spatial et non temporel.
Si le temps intervient dans la mesure où les caractéristiques spatiales se sont constituées dans la
durée, ce sont les caractéristiques spatiales qui constituent notre objet de recherche. La “ période de
42 Pierre Lavedan, Histoire de l’urbanisme, Antiquité, Moyen Age, publié en 1926, H. Laurens. 43 Théorie de l’architecture de la Renaissance à nos jours, éd. Taschen, Italie. 44 Phongsavadan Lao. Op, cit. 45 Marcel Roncayolo, Lecture de la ville, éd. Parenthèses, Marseille 2002.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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permanence ” valorise les éléments de fondation et les trames historiques urbaines, lesquels
fonctionnant comme modèle, sont des éléments structurants de son édification et de son avenir,
notamment lorsque la ville les intègre dans sa dynamique de renouvellement. Les héritages des
fondations anciennes marquent de manière durable la construction spatiale. A contrario, nous
parlons de “ période de rupture ” lorsque l’espace de la ville et du territoire n’intègre plus les
centres anciens comme élément porteur du renouvellement.
Les facteurs d’évolution, de permanence et d’adaptabilité sont multiples ; leur importance
varie selon la méthode d’analyse utilisée. Les facteurs d’évolution des villes peuvent être
notamment démographiques, économiques ou historiques. Les facteurs de permanence et
d’adaptabilité des centres anciens sont régénérés, même au-delà des ruptures, lorsque interviennent
des dynamiques de renouvellement urbain. Notamment la réappropriation spatiale par des pratiques
habitantes est une des dynamiques urbaines. La réappropriation spatiale montre la capacité de
renouvellement et d’adaptabilité des centres anciens aux nouvelles pratiques spatiales. Et lorsque les
projets de renouvellement sont réalisés dans la rupture et qu’il n’y a plus de phénomènes
d’appropriation dans la pratique spatiale, on est dans une situation de décalage et de rupture avec les
éléments fondateurs, la dynamique du renouvellement spatial est alors tarie.
Ces notions de rupture et de permanence spatiale sont repérables à plusieurs moments de
l’histoire urbaine tant dans les pays européens (notamment au temps de la révolution industrielle et
des transports, au temps de la reconstruction) que dans les pays en développement. Dans ces
derniers, c’est notamment au cours des trois dernières décennies – des années 1970 au début des
années 1990 – que la plupart des villes du Sud-Est asiatique ont connu une période de croissance
importante et se sont développées selon une logique à plus grande échelle. Ces villes ont alors
dominé les campagnes tout en maintenant, à l’intérieur même des aires urbaines, les structures
héritées des quartiers et villages, exacerbées par la différenciation sociale et les disparités
économiques. A Bangkok par exemple, les villages et quartiers anciens, dépassés et “ rejetés ” par
l’extraterritorialité des réseaux et des grands complexes bâtis (centres commerciaux, malls,
condominiums.) se sont décomposés pour se reformer ailleurs, constituant les kampung et les
nouveaux villages ; et souvent dans des quartiers insalubres ils ont formé des slums qui ont perduré
et finirent par caractériser un type d’habitat urbain à part entière, comme dans de nombreuses villes
asiatiques.
Organisation de la recherche
La recherche est articulée en trois parties. La première donne un aperçu sur la recomposition
de l’espace contemporain tout en analysant la place qu’occupent les centres urbains anciens. La
deuxième analyse la fondation des habitats lao anciens et les domaines qui participent à leur
compréhension. La troisième tente de comprendre rétrospectivement la période de transition des
années 1975-1990 qui a été porteuse de rupture.
La première partie
A partir des années 1990, les villes entrent dans une phase de changement radical à laquelle
est consacrée la première partie de la recherche. Les liens avec les principes ayant présidé à leur
fondation se fragilisent, certains sont même rompus : les structures du bâti et les trames urbaines
historiques, les références spatiales et symboliques, révélées au cours de l’histoire des villes et au
cours de leur évolution, commencent à s’estomper. Si les travaux de reconfiguration de la voirie de
Vientiane entre le milieu des années 1990 et le début des années 2000 ont mis au jour de nombreux
vestiges archéologiques de la ville ancienne, si le récent inventaire du patrimoine architectural et
l’étude typologique du bâti46 a permis de mieux comprendre l’évolution des trames urbaines, de sa
46 Les études typologiques et d’inventaire architectural ont été principalement réalisés à Luang Prabang dans le cadre du
classement de Luang Prabang au patrimoine mondial de l’Unesco vers 1994, et à Vientiane, lors de la mise en place de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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composition tissulaire et architecturale, ils n’ont cependant pas permis leur protection et leur
intégration dans la dynamique de développement urbain d’aujourd’hui. Aussitôt apparus et aussitôt
disparus, les vestiges découverts laissent à peine le temps d’entreprendre des fouilles rapides,
d’esquisser une compréhension succincte de la structure historique de la ville. Les éléments bâtis,
mais aussi l’usage des espaces naturels anciens (défini comme une écologie urbaine) considérés
comme mémoires spatiales des villes et de ses pratiques sont démolis chaque jour. La
compréhension de la structure historique et humaine de la ville, de son composant écologique,
aurait pu devenir un élément décisif dans le devenir de la ville en rétablissant un rapport de
complémentarité entre la ville et ses racines historiques. A contrario, nous observons un phénomène
de rupture forte avec ses principes fondateurs et avec ses modèles d’évolution accompagnés des
potentialités qui leur sont liées. Aussi assistons-nous à un véritable mouvement de déstructuration et
recomposition de l’espace urbain, de ses fonctions et de ses acteurs.
Vingt années après la période de guerre froide, période durant laquelle certaines villes et
certains territoires de la région du Mékong ont connu des retombées économiques de la guerre tout
en connaissant une stagnation du développement urbain, et vingt années après la crise pétrolière
mondiale de la fin des années 1970, le Laos s’est engagé dans une politique d’ouverture après une
décennie de « dictature populaire et de collectivisme ». Les villes, progressivement, se remettent en
réseau à l’échelle nationale comme régionale. Même en position périphérique, situation de la
majorité des villes laotiennes, nombre d’entre elles connaissent une mutation majeure de leur
organisation spatiale qui compromet le rôle structurant des centres historiques et des habitats
anciens et de leurs pratiques. Cette mutation remet en question la cohérence et la qualité des tissus
urbains, des tissus sociaux et de leurs territoires, souvent plus vulnérables lorsque ces derniers
étaient auparavant mis à l’écart de l’urbanisation.
Le développement actuel met en présence deux faits contradictoires : d’un côté, le
développement, qui induit les démolitions, enlève aux centres anciens leur rôle de structuration
interne du tissu urbain, leur espace social et culturel, au nom de la nécessité d’un renouvellement,
souvent justifié par le désir de modernité, de fonctionnalité et surtout par l’intérêt pour le foncier.
De l’autre, le développement met au jour, suite aux démolitions, des traces matérielles et
immatérielles du passé, révélatrices d’usages de l’espace, de fonctions, de modes d’organisation
sociale, partie prenante indéniablement de l’identité structurante de ces villes.
Pour faire face aux nouvelles dynamiques spatiales qui s’imposent aujourd’hui – d’un côté,
l’intégration régionale et la mise en réseau des métropoles, de l’autre la révélation de structures
internes récemment mises au jour – l’organisation spatiale des villes est appelée non plus seulement
à évoluer mais à se métamorphoser en absence de modèle. Les villes, leurs territoires et leurs
sociétés sont en recomposition, et leur devenir traduit l’ambiguïté des politiques de développement.
D’un côté, s’affirme une volonté de donner la priorité à un développement conçu de manière
irréconciliable avec la conservation des héritages du passé, considérés comme un frein, et de l’autre
le désir d’en conserver les traces. Ces volontés contradictoires sont visibles à travers les décisions
prises pour mettre en place certains projets urbains qui mettent en péril les héritages du passé. Elles
sont aussi exprimées par la mise en place de nombreux dispositifs, tels les décrets, les institutions
affairant et les projets se voulant exemplaires relatifs à la conservation du patrimoine.
Ces contradictions traduisent sans doute, dans la politique de développement de l’État laotien,
une timide tentative d’établir un équilibre, entre « conservations des héritage du passé » et
« modernisation, fonctionnalisation », choix de développement très souvent conçus de manière
irréconciliable avec la conservation des héritages du passé. Cette tentative d’équilibre aurait pu être
une dynamique nouvelle pour la politique de la ville et du territoire ; mais elle manque de
l’Atelier du Patrimoine, projet de coopération entre l’ancien Institut des Recherches Urbaines (IRU) et l’Institut Parisien
de Recherche : Architecture, Urbanistique, Société (IPRAUS) 1999-2004.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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volontarisme pour être porteuse d’un véritable recadrage. Elle n’a pas pu apporter un regard critique
sur la qualité de l’aménagement du territoire conduit par les pays de la région, ce qui jette un doute
sur leur devenir immédiat et ultérieur. Aujourd’hui, les projets d’aménagement du territoire et les
projets de ville, quel que soit le jugement qualitatif et esthétique que nous pouvons porter,
fournissent les premiers éléments d’un constat, les premiers indices sur le rôle et les fonctions des
centres et des habitats anciens qui demeurent plus que jamais fragilisés.
Depuis la fin des années 1990 et 2000, la ville se déploie, repoussant toujours plus loin ses
limites. La première partie de cette recherche tente de comprendre les processus : le rôle des centres
anciens dans les recompositions spatiales contemporaines, les ruptures par rapport aux principes
fondateurs et l’altération de leurs éléments structurants. Notre objectif est de saisir la place
qu’occupe l’espace ancien (fondateur de la ville) dans la ville d’aujourd’hui, aux regards des
nouveaux modes de la production et de la gestion urbaine, des politiques d’aménagement du
territoire conduites par les pouvoirs publics. Ceci, avec ou sans l’aide des acteurs privés ou des
investisseurs étrangers, avec ou sans la mise en réseau des villes à l’échelle régionale.
Nous abordons dans cette première partie le devenir contemporain des villes du Laos, le
rôle de leurs centres anciens, les nouveaux enjeux spatiaux dans le devenir des sociétés. C’est pour
éclaircir ces questions que nous étudions la pratique habitante parallèlement à la planification
urbaine. A plus grande échelle nous proposons d’étudier les interactions et leurs résultantes entre le
local et le global, entre le réseau et le territoire, entre la disparité de croissance économique des
territoires et leur dislocation, entre effets fédérateurs et effets de résistance. Il s’agit de comprendre
l’effet de l’intégration régionale sur l’équilibre des écosystèmes urbains des villes, que cet équilibre
soit hérité du passé ou nouvellement produit.
Deuxième partie
Pendant de longues périodes et jusqu’à une époque récente, c’est-à-dire depuis la fondation
historique du Lane Xang vers le milieu du XIVe siècle jusqu’aux années 1970, les habitats et les
territoires anciens ont connu des évolutions lentes et constantes malgré des évènements historiques
forts ayant rythmé la région (guerre avec le Daï Viet, occupation birmane, occupations et guerres
siamoises, constructions coloniales, etc.). Ces aires culturelles lao, identifiées autour de la
composante ethnolinguistique des populations tai, situées entre la partie occidentale du plateau de
Khorat et la chaine annamitique, entre Chiangmai et Dien Bien Phu, entre Jinghong (Xieng Hung)
au nord et Strung Treng au sud, ont été repérées dès le début du second millénaire. Elles se sont
différenciées du point de vue politique vers le XIIIe
-XIVe siècle autour d’importants centres de
peuplement au Sipsong Phanh Na, au Lan Na et au Lane Xang. Le Sipsong Phanh Na et le Lan Na,
fondés bien avant l’unification du Lane Xang, se sont ensuite, au XIVe et XVIIe siècles,
culturellement rapprochés du Lane Xang, partageant avec lui nombre de traits culturels et
politiques. Nous entendons ici par aire culturelle, un ou des territoires partageant des traits de
culture commune. Ce concept, défini par la sociologie des années 1960 et 1970, est fondé sur le
principe de relativité culturelle, « moins axée sur l’universel que centrée sur le singulier, tantôt
assimilée à la totalité sociale, tantôt associée à une communauté nationale ou à une collectivité
régionale, la culture a été soumise […] à des descriptions ethnologiques ». De même, l’espace que
nous abordons est soumis à des « descriptions ethnologiques ».
47
La composition de cette aire culturelle lao peut être étudiée à partir de thèmes qui ne
touchent pas directement la question spatiale et territoriale. Citons sans exhaustivité quelques
travaux significatifs. En ethnomusicologie par exemple, on note les travaux de C. Charon-Baix bien
qu’ils n’aient pas délimité de manière précise l’aire de diffusion du Lam lao (chant incantatoire) et
47 Dictionnaire de la pensée sociologique, culture et civilisation, sous la direction de Massimo Borlandi, Raymond
Boudon, Mohamed Cherkaoui, Bernard Valade, éd. Puf, Paris 2005.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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les pratiques du Molam-Mokhrèn (incantateur et souffleur de l’orgue à bouche) qui recouvre tout de
même un vaste ensemble allant de la vallée Moyenne et du Haut Mékong, au Nord et au Nord-est de
la Thaïlande.48 Les travaux en sciences politiques, notamment ceux de Daralat Méthanikanonh,49
quant à eux, définissent cette aire culturelle à partir des mouvements socio-politiques en pays Issan
les rapprochant du mouvement politique au Laos, en réaction vis-à-vis du pouvoir de Bangkok
durant la première moitié du XXe siècle.
Florissants et ouverts ou retranchés et sans dynamique selon les périodes, certaines villes et
territoires laotiens conservent aujourd’hui la trace matérielle et immatérielle de leurs structures
anciennes. Giovanoni et Lavedan parleraient en Europe de la persistance structurelle et tissulaire.50
Certaines autres villes et autres territoires laotiens, au contraire, connaissent des dynamiques de
changement pouvant conduire à des ruptures fortes. En effet, trois processus de développement de
ville d’aujourd’hui nous intéressent. Mais notons que les différents processus que nous allons citer
sont souvent à l’œuvre dans un même lieu, c’est alors leur tendance globale que nous abordons. La
première concerne des territoires qui tendent à acquérir une certaine dynamique notamment du point
de vue économique, démographique et de production urbaine. Ces territoires sont en voie
d’intégration à l’échelle régionale plus rapide que les autres, en suivant ou non le processus
d’harmonisation économique transnationale. La deuxième concerne des territoires en marge, des
villes mortes, tels, les sites archéologiques ou les villes qui se développent avec difficulté. La
troisième concerne les villes qui se cristallisent dans une vision patrimoniale. Elles connaissent un
processus de recyclage,51 engendré par le développement de la fonction touristique
monofonctionnelle.
Les dynamiques de rupture intervenant dans l’évolution de ces villes ont provoqué une
déstructuration des espaces urbains, voire leur destruction, différenciant fortement leurs destins.
Mais malgré tout et jusqu’au début des années 1990, ces villes laotiennes ont conservé leurs
identités fondées sur les principes de leur fondation. Les facteurs d’évolution, qu’ils soient
endogènes ou exogènes, n’ont pas causé de grands bouleversements ni entravé la matrice qui les a
fondées, même si la période 1975-1990 a altéré la dynamique urbaine par le ralentissement des
constructions et par un changement de fonction de certains espaces urbains. Les villes, possédant les
caractéristiques les plus anciennes, ont continué à évoluer en préservant les bases de leur fondation
ancienne (centres historiques ou simples occupations anciennes, trames urbaines, structures
géographiques et paysagères, espaces anthropiques) et leurs pratiques et représentations (rituels,
croyances et symboles liés à l’espace).
Les pratiques habitantes et la culture liée à la pratique de l’espace (les rituels et les types
d’occupations spatiales qui leur sont liés) ont créé une sorte de symbiose entre le mode
d’organisation sociale et la structure de l’espace habité elle-même (tissu urbain, espace bâti). Ce fait
peut être constaté aussi bien dans les sites monumentaux que dans les lieux de la quotidienneté. Les
conceptions et les pratiques de l’espace liées aux principes fondateurs et structurants ont donné aux
formes urbaines des villes et des territoires une propension à se transformer selon certaines
48 Catherine Charon-Baix. Cf. Bibliographie. Molam, s,]e (Mo : guérisseur ; lam : chant) guérisseur par le chant.
Mokhrèn (Khrèn : orgue à bouche) souffleur d’orgue à bouche, ou guérisseur par le khrèn. 49 Dalalat Methanikhanonh, La politique des deux berges du Mékong, cf. Bibliographie. 50 Lavedan conçoit qu’il existe « la loi de la permanence du plan (dans la forme et dans l’évolution urbaine) », in.
Histoire de l’urbanisme, Paris 1926. Fortement influencé par Lavedan, Giovannoni prône l’idée que « […] Dans les villes
anciennes, la loi de la persistance du plan se voit en effet très fréquemment, si non toujours confirmé. […] Ce fait […]
nous permet de nous faire une idée du type des parties de la ville pour lesquelles l’histoire demeure une réalité urbaine.
[…] », in. L’urbanisme face aux villes anciennes, éd. du Seuil, 1998. 51 Le recyclage urbain est ici emprunté au concept tiré de l’écologie des systèmes urbains. Le territoire étant totalement
intégré dans un système spatial (que ce territoire soit occupé ou vide, bâti ou non) attribué de fonctions, pour préserver
l’écosystème et protéger les “ territoires intégrés et pourvus de fonctions ”, qu’ils soient en état de nature ou pas, tous
territoires intégrés s’ils doivent acquérir de nouveaux statuts et fonctions passeront nécessairement par un recyclage. Le
recyclage permet de renouveler les fonctions dans le contexte de mutations urbaines en cours de réalisation. La protection
et la restauration du patrimoine peut en ce sens faire partie du recyclage spatial.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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modalités. Cette transformation et cette mutation, combinant persistance spatiale et adaptabilité
spatiale, sont de type endogène assurant aux villes et territoires un certain équilibre dans un temps
long.
La deuxième partie de cette thèse est fondée sur l’hypothèse d’une évolution endogène et
idiosyncratique des villes et des territoires laotiens dans le temps, combinant capacité de
permanence et potentiel d’adaptabilité spatiale. Elle s’attachera à analyser les caractéristiques
principales (persistance et adaptabilité spatiale) qui font l’équilibre des implantations laotiennes,
que l’on peut retrouver dans leur rapport à l’environnement et à l’eau, leur mode d’inscription dans
un site, leur ressort symbolique et leurs valeurs esthétiques. Seront étudiées les différentes
empreintes (traces) matérielles et immatérielles, tels les rites religieux, les fonctions spatiales, les
pratiques sociales et politiques, les pratiques culturelles. Ainsi, l’analyse des modes de gestion du
foncier, des actes et des rituels de fondation permettra de caractériser les dimensions historiques et
théoriques du modèle fondateur et des évolutions des habitats lao anciens.
Troisième partie
La fragilisation des centres anciens n’est pas due uniquement au développement accéléré, ni
seulement aux interactions avec les métropoles par la mise en réseau régional, ils traduisent aussi
des évolutions endogènes des sociétés locales.
Dès les années 1975-1980, le redéploiement politique en même temps que le redéploiement
des fonctions idéologiques de l’espace et les tentatives de création de villes nouvelles ont joué un
rôle majeur dans la reconsidération des habitats anciens. Pourtant, ce fut une période dépourvue de
développement urbain important, contrairement aux villes thaïlandaises de la rive occidentale du
Mékong. Durant cette période, même si les vestiges historiques n’ont pas été menacés dans leur
matérialité, le concept de centres anciens –voire le concept de la ville elle-même– a perdu sa
pertinence. Non seulement l’identité historique des villes elle-même a été méconnue, mais la ville
en tant qu’entité a aussi été ignorée, voire reniée, leur rôle de matrice structurante et identitaire
oublié. Sans centre historique ni référence à des principes fondateurs, les acteurs – collectifs et
individuels – ont occupé l’espace en se référant à un projet idéologique éloigné des expériences
acquises et du vécu social et esthétique liés aux espaces portés par l’histoire des centres historiques.
La période entre 1975 et 1990 correspond à une transition entre la période où les villes
évoluent en s’appuyant sur leurs matrices de fondation et celle où elles connaissent de profondes
recompositions. Ce temps de transition est analysé rétrospectivement dans la troisième partie de la
recherche. Ces quinze années sont celles de la “ société nouvelle sans la ville ”, “ la ville
décomposée ”, “ la ville absente ”. Cette situation est notamment marquée par la ruralisation de la
ville et de ses habitants. Cela aboutit à partir des années 2000 à des recompositions non maîtrisées
du fait du redéploiement de la fonction idéologique de l’espace. Les centres historiques et les
habitats anciens sont recomposés, sous l’effet des bouleversements fonciers et de l’éclatement des
structures spatiales. On assiste en effet à l’émergence de nouvelles politiques urbaines et foncières,
de nouvelles pratiques résidentielles, commerciales, sociales et religieuses. Cela induit aujourd’hui
de nouveaux et nombreux questionnements sur la transformation de la ville. La centralité urbaine
(centre, péricentre, périurbanisation), les flux migratoires, les investissements étrangers, le rapport à
l’environnement, par exemple, sont les champs d’application de ces questionnements. Nous
décelons une fragilité accentuée des occupations anciennes, une plus grande difficulté à soulever la
question de protection des centres historiques, ainsi qu’une difficulté à redéfinir l’identité spatiale et
sociale de la ville, vue de l’angle d’un développement urbain harmonieux et durable.
Cette troisième partie tente d’analyser de manière rétrospective les années 1970 et 1980,
comme période porteuse d’éléments d’altération non seulement des espaces anciens, mais aussi du
concept même de ville qui se répercute sur la gestion et la production de l’espace d’aujourd’hui,
dont nous venons de soulever les difficultés.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le plan de la recherche qui ne suit pas un ordre chronologique mais qui place la période
intermédiaire de transition en troisième partie, correspond à un raisonnement non linéaire. Nous
considérons la première partie qui analyse l’espace contemporain et qui met en évidence des faits
entrant en collision ou étant en décalage par rapport à la connaissance spatiale exposée dans la
seconde partie de la recherche. Les fondements spatiaux, les modes d’usage et de production, la
pérennité et le renouvellement des savoirs et des pratiques inscrits dans l’espace et dans les usages
hérités – qui persistent encore de manière fragile et fragmentée dans les espaces et les habitats
anciens, semblent aujourd’hui se désolidariser de la réalité. Pour cela, nous interrogeons l’espace
hérité en question, en nous plongeant dans l’histoire comme une introduction à la connaissance de
l’espace et à la culture spatiale lao et ses fondements, sans laquelle la lecture de l’espace urbain et
culturel de la période actuelle menée dans la première partie de notre recherche ne peut être
pertinente. En interrogeant les facteurs extérieurs intervenus avec le déploiement spatial et
économique dû à la régionalisation, les éléments de réponses ne peuvent justifier le décalage
constaté entre les leçons du passé et la réalité spatiale d’aujourd’hui. Ce constat conduit à
rechercher en-deçà des facteurs extérieurs. Un regard introspectif porté sur la culture spatiale locale
et une critique rétrospective des bouleversements politiques et socioéconomiques internes ont
permis de déceler les éléments porteurs de rupture avec les données du passé. Ceci est exprimé dans
la troisième partie de la recherche. L’organisation de la recherche poursuit ainsi ce raisonnement et
cette argumentation. Elle n’est pas linéaire ni chronologique.
Entrées thématiques privilégiées pour l’étude des trois périodes distinctes
Les éléments relatifs à l‘évolution de la ville, son histoire, ses cultures et ses modèles, sont
empruntés à plusieurs champs de recherche. Nous indiquons ici les thèmes qui explicitent le fait que
cette recherche peut être abordée de manière thématique.
Analyse morphologique et typologique
L’approche typologique adaptée aux villes laotiennes s’appuie sur les travaux d’analyse
morphologique. Celle-ci a été développée au croisement de plusieurs disciplines. Explorée par
Camillo Sitte vers la fin du XIXe siècle, l’étude typologique et morphologique s’est développée
ensuite avec Lavedan et Giovannoni dans les 1930 et 1940. Nous empruntons surtout leurs théories
sur la persistance du plan structurel et tissulaire pour reconstituer notre compréhension des formes
des établissements anciens dont l’histoire et les traces formelles archéologiques font défaut. A partir
des années 1960 (avec les géographes de l’école allemande et anglaise) la géographie –composition
du site et répartition des hommes– a participé à l’analyse morphologique et à la description des
formes de villes que nous étudions. Les noms d’architectes, d’historiens et d’historiens de
l’architecture comme Huet, Bergeron, Pinon, Benevolo, Giedion, et Choay apparaissent majeurs. Ils
ont surtout développé la corrélation forte, existant entre bâti et parcellaire, entre sol et architecture.
Leurs travaux composent notre référence lorsque nous analysons et évaluons l’importance de la
culture des sols et de la politique de gestion foncière dans la restructuration du bâti et dans la
transition urbaine et économique. Enfin, les analyses typologiques ont surtout été le fait des
architectes et des urbanistes comme notamment Benevolo, Muratori et Aymonino, J. Castex, J. Ch.
Depaule et Ph. Panerai et aussi, J. Bastié, et G. Chabot.52
Notre travail d’analyse des villes s’est beaucoup appuyé sur ces travaux théoriques et
méthodologiques. Cependant, étant donné que ces travaux ont été davantage développés pour des
villes européennes denses et constituées, les méthodologies montrent leurs limites pour les villes
sud-est asiatiques dont la morphologie et les modes de composition et de développement sont
différents. Nous avons dû également nous référer à l’analyse de la pratique habitante vernaculaire, à
l’analyse des symboles –que ce soit à partir de l’anthropologie sociale ou de l’histoire des religions–
52 Benevolo, Histoire de la ville. Cf. bibliographie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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et aux approches des géographes pour comprendre le rapport de l’habitat et de ses pratiques par
rapport au territoire et aux données géographiques. Certaines formes urbaines peuvent renvoyer à
des systèmes de valeurs qui échappent aux paramètres habituels de l’analyse morphologique. Nous
avons pris ainsi connaissance des études orientalistes, des travaux d’anthropologie et des savoirs
vernaculaires des ethnosciences. Par exemple, pour la lecture du plan en damier d’une ville
ancienne –Muang Sing, fait inhabituel et exceptionnel au Laos dont l’ensemble morphologique est
presque totalement organique, nous nous remettons à la pensée indienne et tantriste, et également
aux analyses des villes chinoises.53
Ainsi, pour approfondir nos analyses et adapter les outils à nos lieux d’étude, nous avons dû
élaborer notre propre méthodologie. Les études typologiques et morphologiques ont dû être
reformulées autrement, voire, réinventées. Les vocabulaires et les composants architecturaux, les
gabarits et les matériaux, la hiérarchisation des fonctions et des espaces, le sens et le symbolisme
des formes et des lieux, leur considération et leur représentation, qui sont propres aux espaces que
nous étudions, nous obligent à déterminer et à élaborer de nouvelles typologies des formes
architecturales, paysagères et urbaines.54 Notamment en architecture : dans une spécificité d’usage
et de production de l’habitat, dans une particularité du symbolique de l’espace habité, de nouvelles
typologies ont dû être définies, par exemple lorsque nous dénommons la maison lao pagnuk pour
désigner un type d’habitation dérivée de la maison lao ancienne. Ou, en ce qui concerne les
typologies des implantations urbaines, la spécificité morphologique et politique des établissements
lao nous oblige à formuler des définitions de la ville ou de l’établissement lao à partir des
définitions historiques vernaculaires du muang (système de gouvernance), du xieng (ville, cité), du
ban (village) et du khoum (quartier).
La persistance du plan
Evoquée par Giovanoni et théorisée par Lavedan, « la persistance du plan » et des tissus est
issue de la réflexion portée aux villes anciennes qui conçoit que « l’histoire demeure une réalité
urbaine » pour l’une ou les parties de la ville. Giovannoni compare les édifices et les espaces
urbains des quartiers anciens aux arbres d’un bois : « Qu’ils (les arbres) meurent de vieillesse ou
sous les coups de la hache, les nouvelles pousses naîtront des mêmes souches, selon la même
configuration que leurs ancêtres. Il en va de même des maisons : on les rénove, on les transforme,
on les reconstruit, mais leur disposition s’écarte rarement du plan urbain primitif, dont la trame se
maintient au cours des développements successifs et nous révèle son style originel, qu’il soit né
spontanément ou suivant un plan délibéré ». Dans notre travail, la “ persistance du plan ” a été
utilisée pour analyser la permanence des bases anciennes des villes lao en particulier celle des
armatures anciennes qui ont accompagné l’organisation symbolique des villes. Nous pouvons
également renvoyer aux travaux entrepris par les historiens tels que Roncayolo et Lepetit,
notamment.
Le Monumental générateur
Notre approche de la production des monuments religieux (tels les stupas) comme bâtis
générateurs d’unités urbaines durables (villages, petites villes, unités de peuplement) et de domaines
(terres, exploitations, personnes corvéables) provient d’une interprétation que l’on pourrait faire à
partir des inscriptions affectées à certains monuments. Ces inscriptions semblent suggérer qu’il
pouvait avoir un processus de constitution des corps de métier lors de la construction des
53 Clément P., en collaboration avec Péchenart E., Clément-Charpentier S., Les capitales chinoises. Leur nodèle et leur
site, Département d’Architecture comparée - IFA – SRA, 1983, cf. Bibliographie. 54 Dans le cadre des travaux d’inventaire de l’Atelier du Patrimoine entre 1999 et 2004, j’avais formulé de nouvelles
typologies ainsi qu’une méthodologie adaptée au contexte, notamment en effectuant une conception architeturale à
l’envers : décomposer les composants architecturaux afin d’identifier et classer leur forme, leur processus de formation,
leur évolution. Cf. Les rapports de présentation, les fiches d’inventaire, les analyses de l’architecture, du paysage et des
tissus urbains de Vientiane ; Chayphet Sayarath, Vientiane portrait d’une ville en mutation, cf. Bibliographie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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monuments, et un processus de circulation et d’échanges de savoir-faire entre les différents
monuments commandités par le pouvoir souverain. Des unités urbaines et villageoises auraient
également été issues de la production de ces monuments générateurs. Tel est notre hypothèse en
étant redevables aux travaux épigraphiques de M. Lorrillard sur le monument du That Luang.55
L’analyse du vocabulaire architectural des monuments relevant de notre formation d’architecte nous
amène aussi à formuler l’hypothèse de l’existence des ordres architecturaux véhiculés pour la
construction des stupas dans une région imprégnée par le bouddhisme du petit véhicule. Comme
pour la construction des cathédrales en Europe, l’existence des vocabulaires architecturaux des
stupas, communs à toute l’Asie du Sud-Est continentale bouddhiste, aurait donné lieu à la
circulation et à la transmission des savoir-faire techniques, des connaissances et des références à des
canons esthétiques formalisant des ordres architecturaux communs.
La ruralisation de la ville, le collectivisme de la production
Pour analyser l’évolution et le développement des villes du Laos contemporain, la recherche
a aussi pris en compte l’analyse marxiste-léniniste de l’histoire sociale et économique, prégnante
dans le discours politique, et des nouvelles théories de la gouvernance politique, c’est-à-dire du
fonctionnement des systèmes de pouvoir.
La politique urbaine et le fonctionnement du système de pouvoir
Les décisions prises aujourd’hui dans les questions de la politique urbaine expriment une
contradiction entre la stratégie urbaine menée par les instances politiques décisionnelles fondée sur
des prérogatives d’intérêts dits nationaux, plus ou moins variables, et les programmes de
développement et de gestion urbaine menés par les instances techniques (responsable des
opérations) suivant une planification donnée. Ces contradictions renvoient souvent au système de
pouvoir qui distingue le pouvoir central et le pouvoir local. Deux sources historiques semblent
aujourd’hui expliquer l’ambiguïté du partage de ces compétences. D’un côté, le passé colonial de
l’administration française semble jouer encore un rôle significatif dans la manière très nette et
bipolaire des compétences, entre le pouvoir local (le pouvoir décentralisé) et le pouvoir central (le
pouvoir concentré), sans qu’il y ait une passation graduelle des responsabilités, du central au local.
Et de l’autre au contraire, le droit coutumier montre que le passage entre les deux pouvoirs était
graduel. Le pouvoir local exprimait les intérêts locaux, lesquels rencontrent aux échelles supérieures
les prérogatives et les intérêts nationaux, de telles sortes que ces intérêts, locaux et nationaux, se
retrouvaient graduellement réalisés de manière commune et harmonieuse. La distinction entre
pouvoir local et pouvoir central qui semble caractériser l’administration laotienne aujourd’hui
semble reprendre davantage le modèle de l’organisation de l’administration française que celui du
système traditionnel. L’administration coutumière prône plutôt une hiérarchisation de l’échelle du
pouvoir, du bas vers le haut et du haut vers le bas, tout en privilégiant une structure locale forte (au
sens de la base sociale forte), caractérisant la forme même de la société nationale.
L’équilibre spatial produit de relations entre homme/ culture/ nature
Les utopistes d’avant-garde, notamment Ebennazir Howard, ont développé le concept des
cités-jardins, où les villes ont intégré la nature comme garant d’une qualité de vie. Analogiquement
la loi coutumière et les traditions vernaculaires, fondées sur la culture du végétal et sur le rythme
des saisons, ont ouvert des pistes de lecture de l’équilibre spatial que l’homme a su créer entre lui et
la nature. Ces références conduisent à mobiliser aussi la pensée postmoderne de l’écologie urbaine
d’aujourd’hui comme un élément nouveau, mais qui apparaît cependant endogène à la culture locale
existant et caractérisant les habitats lao.
55 Michel Lorrillard, « Les inscriptions du That Luang de Vientiane : données nouvelles sur l’histoire d’un stupa lao »,
BEFEO, 2003-2004. 90-01.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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L’idée de villes et d’occupations anciennes ayant perdu leur fonction, leur capacité de
renouvellement, en d’autre terme leur continuité
S’il y a une particularité des villes lao par rapport aux processus généraux d’évolution des
villes, elle tient au fait qu’elles n’ont pas connu une période d’industrialisation comme la majorité
des villes. La théorie de ville industrielle et bourgeoise –selon la conception marxiste– qu’il a fallu
“ rendre au peuple ” n’a pas de pertinence au Laos, autant la ruralisation de ses villes, en particulier
celle de la capitale, était tout à fait hétérotopique. Car c’est en Europe que l’utopie des cités-jardins
et des cités ouvrières avait un sens. Et c’est à Cuba que la ceinture verte, afin d’instaurer la ville
productive et rurale contre la ville bourgeoise oisive et capitaliste, avait une raison historique
d’exister.
L’idée du recyclage spatial
L’idée de recyclage spatial peut se présenter sous deux phénomènes. Le premier concerne le
territoire patrimonialisé et le second, la fin des territoires à explorer.
De certains points de vue, les villes laotiennes témoignent aujourd’hui d’un double
processus. D’abord, on constate que la cristallisation patrimoniale de Luang Prabang induit une
muséification de la partie la plus centrale de la ville. S’en suit la relégation en périphérie ou à
l’extérieur, des habitants du centre et l’afflux des touristes et des activités de services pour les
accueillir. Ensuite, dans le cas contraire, les centres anciens sont souvent considérés comme
obsolètes du point de vue des infrastructures : réseaux viaires et assainissement périmés. Ils ne sont
plus conçus comme des espaces structurants et deviennent des handicaps pour la modernisation de
la ville. En ce cas, le choix du développement urbain sacrifie souvent le centre ancien et son cadre
paysager et patrimonial : démolition des bâtiments anciens, changements de gabarit et d’échelle des
constructions et des quartiers en montant en hauteur et en démembrant ou remembrant les parcelles,
en minéralisant les espaces naturels, établissant alors de nouveaux rapports à l’environnement et
aux paysages urbains. Ces deux types d’interventions, communs à d’autres pays, représentent le
recyclage spatial intérieur. Ils sont tous deux bien connus au Laos et remettent en cause plus
fortement qu’ailleurs, le rôle, voire l’existence, des centres anciens.
La fin des territoires à explorer, induisant comme second phénomène le recyclage spatial,
peut être illustrée par quelques faits révélateurs. Le territoire laotien doit être considéré comme
entièrement occupé et exploré, dans le sens où chaque territoire a fait l’objet d’attribution de
fonction. Même lorsque ces territoires sont inhabités et inexploités, ils font quand même partie
intégrante du territoire, politiquement et humainement constitué et approprié. Lorsque les territoires
urbains ou ruraux s’étendent et entament les parties “ vides ”, ils ne font qu’être affectés par des
fonctions nouvelles. Ainsi lorsque la ville entame par son développement les étendues de rizières et
de forêts qui gravitent autour, elle recycle en fait ces milieux ruraux en réserves urbaines. De même
lorsque les territoires ruraux reculent et “ défrichent ” la forêt, ils ne font que transformer les
espaces déjà connus comme lieu d’approvisionnement. En ce sens les espaces à explorer n’existent
plus en tant que tels, toute transformation en milieu constitué est un recyclage, quel que soit le degré
d’occupation et de transformation humaine préexistant de ce milieu.
Villes successives et ville rompue
La ville rompue serait caractérisée par l’absence de la reconnaissance d’identités locales
spatialisées à l’échelle de quartier, l’absence de prise en compte des aménagements hérités
marqueurs de l’histoire urbaine, soulignant la continuité comme la rupture. La standardisation des
réseaux viaires, en particulier dans les villes secondaires, qui produit le processus d’étalement
urbain efface peu à peu l’identification du local. Au contraire, la prise en compte des composants
hérités serait le propre des villes successives. Elle permet de préserver une différenciation entre
quartiers anciens et quartiers nouveaux.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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La réinvention de la ville
La réinvention de la ville serait portée par l’apport de nouvelles fonctions spatiales et des
nouveaux cadres administratifs. A Vientiane, il y a un débat sur l’organisation administrative et la
gestion urbaine entre une municipalité en projet et l’existence des quatre districts, produits
historiques du processus de reproduction urbaine et d’une ancienne échelle de l’administration
territoriale, le muang. Aujourd’hui, cet échelon est remis en question pour la modernisation de la
gouvernance urbaine, ne trouvant plus sa place entre le pouvoir local du ban et le pouvoir
déconcentré de la préfecture qui est en passe de devenir peut-être un pouvoir décentralisé espéré
dans la forme de la municipalité.
La persistance des pratiques spatiales des habitants
Cette notion s’est appuyée sur les travaux en anthropologie de l’espace et sur la pensée
symbolique, notamment les travaux de Mircea Eliade sur le symbolisme du Centre. Nous
empruntons cette vision symbolique pour explorer le fait que la pratique cultuelle du Centre qui est
liée à la consécration d’une fondation et d’un établissement perdure dans l’espace et dans la
pratique habitante, même si la forme peut parfois évoluer. Ceci permet d’imaginer ce qui peut rester
des formes spatiales selon la capacité des pratiques habitantes à décrire des espaces.
La rivalité entre deux processus urbains en cours : sinisation et viêtnamisation
L’idée de dualité sino-vietnamienne au sein de la politique laotienne est utilisée ici, non pas
en tant qu’outil d’analyse de la géopolitique, mais dans l’optique d’en comprendre le processus
spatial. Des faits historiques sont inévitables à comparer avec la politique coloniale, entreprise pour
la « colonisation annamite du Laos » et également avec l’intégration régionale mise à l’œuvre au
travers de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) et de la Région du Grand
Mékong (RGM). Si les processus ne sont pas les mêmes, dans les deux cas, les faits ne semblent ni
nouveaux ni inédits.
La particularité de la ville nouvelle au Laos
Evoquons à titre illustratif la généralité avant d’aborder le contexte particulier de ville
nouvelle laotienne. Rappelons que historiquement la conception de ville nouvelle en Europe est
dérivée de deux types de concept. Le premier est né de la pensée utopiste de la fin du XIXe siècle, et
le second plus récent de la société de consommation et de la période post moderne. Au Laos, la
catégorie de villes nouvelles que le gouvernement voulait créer dans les années 1980 appartient au
courant de la pensée utopiste. Mais elle est issue d’une utopie politique et non pas de l’utopie
spatiale et sociale avant-gardiste. L’une des principales caractéristiques de ces villes nouvelles est la
volonté du pouvoir politique laotien d’affirmer le « brassage culturel et ethnique du peuple
laotien ». Cette utopie produit un déracinement de l’histoire et de la culture urbaine, les villes
nouvelles étant considérées comme dépourvues de racines sociales et d’histoire. Si du point de vue
politique cette conception semble entrer en osmose avec l’idéologie mise en place dans les
premières années du régime, dans la réalité, elle apparaît totalement infondée. Et paradoxalement,
aucune mention formelle et conceptuelle de l’espace n’est faite de ces villes nouvelles, qui sont de
fait la reconstruction des villes après leur destruction par la guerre, sur le même site ou sur un
nouveau site, comme Muang Xai, Phonsavan ou Saravane. Elles traduisent bien les conceptions
idéologiques dépourvues de concept spatial et de connaissances historiques et des réalités urbaines
du pouvoir laotien.
Lorsque la population considère un aménagement comme villes nouvelles, elle désigne en
réalité l’aménagement des nouveaux quartiers. La référence idéologique renvoie aux besoins bien
réels de produire de l’espace supplémentaire pour la ville, bien que ces nouveaux quartiers ne
s’articulent que difficilement avec l’existant. Il n’y a pas ou plus de reproductions de la ville
proprement dite, car les nouveaux quartiers n’ont ni centre ni identité. C’est souvent dans un second
temps, après les cinq premières années ou beaucoup plus qu’apparaissent les lieux dotés de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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centralités, à travers les pratiques de l’espace autour d’un monastère ou d’un marché. Les marchés,
situés souvent au bord d’axes structurants, semblent être le seul lien qui relie ces nouveaux quartiers
à la ville. C’est le cas des nouveaux quartiers de la banlieue de Vientiane (zones Nong Teng et
Thongpong) et sur les routes périphériques (Ban Nong Bouathong, Nong Ping, sur la grande route
entre Nong Bunk et Dong Dok.)
L’idée d’une nouvelle capitale a effleuré à plusieurs reprises les responsables politiques,
mais n’a pas pu prendre forme. Il y a eu le projet de ville nouvelle à Viengkham, à une cinquantaine
de kilomètres de Vientiane, mais il a finalement accueilli seulement le complexe administratif du
chef-lieu de la province. Il était également question de construire une capitale administrative à
Thang-Ngone (à 25 km au bord de la Nam Ngum au nord de Vientiane) qui serait la ville jumelle de
la capitale. Mais à l’heure actuelle, les équipements lourds sont programmés ailleurs, plutôt à l’est
le long de la route de Paksane. Le rêve des autorités laotiennes s’est révélé irréalisable, à la
différence du pouvoir birman qui a réalisé sa nouvelle capitale. Même si sur le plan politique, ils
relèvent d’un même mode de pensée, la différence provenant du rapport très contrasté du pouvoir
politique, ces projets de capitale nouvelle ont peu de points communs avec leurs homologues de
Cambera pour l’Australie, ou de Berlin pour l’Allemagne unifiée.
Le patrimoine comme instrument ou comme objet autonome
La conception du patrimoine et les champs de connaissances qui en sont issus sont redevables à
la période après la Révolution française. Il s’agissait à la fois des travaux scientifiques et de la
manipulation idéologique. Scientifique, parce qu’il fallait connaître, identifier, classifier, inventorier
le patrimoine national face aux dégâts matériels de la Révolution. En cela, en tant que discipline et
structures précurseurs méthodologiques et en tant qu’idéologie, les Inventaires des Monuments
Historiques en France constituent un savoir de référence qui seront « exportés » dans le monde,
aussi bien occidental qu’asiatique.
Le patrimoine comme objet instrumental traduit un ethnocentrisme culturel bien plus mobilisé en
Asie, dans les pays qui ont connu la colonisation, qu’en Europe. Le patrimoine est alors une arme
des peuples colonisés contre la conception qui se veut « civilisatrice » de la colonisation, d’où leur
argumentation : « je possède déjà ma civilisation, mon histoire, ma religion, attestée et matérialisée
par la richesse de mon patrimoine… La mission civilisatrice pour justifier la colonisation cache en
réalité la domination et le contrôle des richesses et des territoires colonisés ».56 La culture et le
patrimoine sont pour le colonisé une arme pour attaquer à la racine l’idéologie coloniale.
Cependant, ce nouveau champ disciplinaire mobilisant l’archéologie et l’anthropologie est né en
Europe, a été peu développé chez ceux qui le revendiquent aujourd’hui dans le contexte de la
décolonisation. D’où ce paradoxe, lié à la transmission du patrimoine d’être traité le plus souvent
comme un objet autonome et non comme instrument idéologique anticolonial. Non totalement
dénuée d’arrière-pensée idéologique, l’autonomie du patrimoine comme objet à étudier, se retrouve
dans la conception lao où ce dualisme existe, et souvent, le patrimoine instrumental tend à
monopoliser les actions de la politique patrimoniale laotienne.
56 Phrase qui revient comme un leit motiv des nationalistes des pays colonisés. Son objectif est d’attaquer le concept
“civilisateur” de la colonisation.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Première Partie
La mutation des centres historiques et des établissements
anciens. Décomposition, recomposition, recyclage
Etapes et processus
A partir des années 1995 et plus intensément après l’année 2000 les territoires des villes
dans leur ensemble entament une période de mutation avec des nouvelles données spatiales éclatées,
sans modèle, ni référence. Les villes semblent dès lors s’engager dans un processus de
recomposition spatiale difficile à maîtriser, dépassant tant les compétences des institutions
responsables que les questions posées jusqu’alors dans le cadre de la politique de la ville. Les
centres qu’ils soient anciens ou non sont difficiles à identifier. Les territoires urbains sont sans cesse
à redélimiter et à redéfinir.
Cela suscite des questions. Effectivement si depuis 1995 et 2000 la ville se déploie et se
recompose, recherchant une limite et une définition plus appropriée –et sans doute nouvelle–
remettant en question les facteurs de permanence et d’adaptabilité spatiaux que possédaient les
centres historiques et les occupations anciennes, n’assistons-nous pas au phénomène d’altération
spatiale, fonctionnelle et symbolique de ces centres, voire, de la ville elle-même ? L’altération de
ces centres aurait-elle un rapport avec la recomposition des limites ou avec la redéfinition de la ville
elle-même ? Et ceci, conjugué au fait que les espaces vierges et inexplorés ne sont plus approchés
en tant que tel, mais en tant qu’espace et territoires à recycler, dont la dynamique serait née de
l’interactivité avec l’extérieur à travers le système de réseau et de territoire ?
Il apparaît aujourd’hui que la visibilité des territoires se pose surtout en termes d’aires
spatiales, et non plus seulement en termes de limites, fondées sur les facteurs économiques et
urbains avec un pôle plus ou moins important dans chaque aire. Cette visibilité devient plus
marquante alors que la question de limites devient plus floue. En d’autre terme, c’est à travers le
système de pôles et de réseaux que les territoires d’aujourd’hui existent ou du moins sont
appréhendés, quelle que soit la nature de ces pôles : dominant, émergeant, déclinant ou
marginalisant. Bien que les facteurs culturels d’une aire héritée de l’histoire et survivant de leurs
propres évolutions ne soient pas inexistants, en combinant avec les facteurs politiques et
économiques complexes et globalisants d’aujourd’hui, la mutation spatiale d’une aire s’opère selon
la force des pôles dominants ou des réseaux de fonctions économiques sous leurs différents
processus, et aboutissant à des formes variées. Cette mutation résume, comme nous allons le voir, le
passage de la ville traditionnelle à la ville moderne à l’oeuvre : c’est-à-dire, du passage des limites
aux réseaux, aux aires et aux pôles d’attraction. Il est alors essentiel de comprendre comment ces
pôles se manifestent-ils, sous quelles formes agissent-ils sur les centres ou sur les implantations
anciennes.
Avec le déploiement des aires urbaines régionales, les centres et les implantations anciennes
du territoire de l’ancien Laos connaissent des destins parfois très divergents. En comparaison aux
autres villes et territoires de la région, certaines d’entre elles vont rester des villes traditionnelles,
d’autres des villes en marge, et d’autres encore des territoires émergents en passe de rejoindre les Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 30 -
réseaux des métropoles de l’Asie du Sud-est continentale. Les unes en se soustrayant et les autres en
s’accrochant aux réseaux de développement ou aux aires urbaines fédératrices. Dès lors, il est à
constater que dans la manière de s’intégrer ou non dans un réseau, la manière d’émerger, ou au
contraire, de s’exclure et de se marginaliser, les questions d’internationalisation des fonctionnalités,
des échelles et des modèles spatiaux se posent alors à toutes les villes. Bien que ces
questionnements, proprement contemporains, se posent aussi ailleurs qu’au Laos, le cas laotien est
révélateur d’une histoire urbaine singulière.
L’évolution du territoire lao a connu des formes particulières par rapport aux autres
territoires de la région qui se sont développés à travers les réseaux de métropoles ou d’aires
urbanisées. Beaucoup de villes industrialisées et urbanisées en Occident et en Asie même ont connu
un processus de développement semblable, dont la description peut être schématisée par des étapes
successives. D’abord, les villes étaient marquées par le rapport dichotomique entre le rural et
l’urbain. Puis elles étaient passées sous l’emprise de l’hégémonie urbaine, réduisant les identités
locales des territoires au profit d’une seule identité dominante, celle de l’urbain, et entrainant à cette
occasion la disparition du rapport dichotomique urbain/rural de départ pour passer à l’étape suivante
de la domination complète de l’urbain. L’opposition ou la dichotomie entre le rural et l’urbain peut
être considérée ici comme “ l’étape Un ” de l’évolution du territoire urbain, l’hégémonie urbaine
comme “ l’étape Deux ”, et la domination urbaine comme “ l’étape Trois ”. Ou bien alors, ce
rapport dichotomique peut évoluer autrement : du rapport dichotomique l’urbain et le rural peuvent
ainsi devenir complémentaires.57
Différente du schéma simplifié que nous venons d’esquisser, la constitution du territoire au
Laos est peu marquée par ces formes d’évolution qui sont quasi communes à la grande majorité des
grands territoires urbains existant dans le monde. Effectivement, alors que l’idée de la dichotomie
urbain/rural développée par Karl Marx et d’autres penseurs marxisants,58 ainsi que l’idée de la
domination urbaine développée par Fernand Braudel59 furent un passage difficile pendant un temps
pour la culture spatiale européenne héritée du XIXe siècle industriel, ainsi que de celle des grands
territoires urbains en Asie du Sud-est et du Sud-est continental (faits encore d’actualité), la
complémentarité –et non le continuum– entre la ville et la campagne devient une expression spatiale
inédite des territoires laotiens. Dans le sens où ceux-ci n’ont connu ni le phénomène dichotomique,
ni l’hégémonie et ni la domination urbaine. Les territoires laotiens passent en fait à “ l’étape
Quatre ” sans jamais avoir connu “ l’étape Un ”, “ l’étape Deux ” et “ l’étape Trois ”. Ceci, malgré
le fait que l’intégration de certains d’entre eux dans l’hégémonie des aires urbaines et économiques
de la région de l’Asie du Sud-est soit à l’œuvre. La forme d’évolution spatiale à l’œuvre au Laos
semble ainsi constituer une spécificité. Ceci, parce qu’elle est différente de l’idée du
“ continuum ” entre monde urbain et monde rural qui caractérise beaucoup de villes européennes,
analysée par Henri Lefebvre dans les années 1960.60 D’après lui, celle-ci donne la perception d’une
57 La complémentarité entre l’urbain et le rural peut être ici considérée comme “ l’étape Quatre ”. La complémentarité
entre la cité et la campagne n’est pas propre au territoire post moderne : chez les Antiques (les Grecs) il n’y a pas de
dichotomie, les deux lieux sont perçus comme complémentaires. Cf, Platon, La République. 58 Marx considère que la dichotomie urbain/rural est corollaire à l’opposition de classes. Elle trouve une explication dans
son analyse de la ville en rapport avec le capital. La ville industrielle est le produit de la bourgeoisie et du capital. Il est le
lieu de pathologie sociale, engendrée par le rapport de production du système capitaliste, induisant la naissance de la
classe prolétarienne. Bien que cette classe soit un groupe historique nouvel elle n’en est pas moins l’avatar de la classe
paysanne venue de la campagne pour nourrir la ville et enrichir la capitale par sa force de travail, en s’aliénant. L’espace
de l’urbain et de la campagne ne peut être alors que dichotomique. In., L’idéologie allemande, cf. Bibliographie. 59 La domination urbaine selon Braudel se traduit non seulement du point de vue politique, administratif et juridique
(concentration des décisions et des services) mais surtout par une surconsommation financière et économique, une
exploitation démographique des campagnes. « Avant tout une ville, c’est une domination. Et ce qui compte pour la définir,
pour la jauger, c’est sa capacité de commandement, l’espace où elle exerce ». In. L’identité de la France. Espace et
Histoire. Cf, Bibliographie. 60 Comme la complémentarité urbain-rural, le continuum peut être aussi considéré ici comme “ l’étape Quatre ”. En
d’autre terme, ce sont deux étapes qui peuvent être contemporaines, voire, partager le même territoire, même si le
continuum et la complémentarité ne produisent pas le même rapport à l’espace. Pour Henri Lefebvre la mutation
historique de la société ne peut aller que vers la société urbaine généralisée ; la ville s’impose comme “ objet à penser ”, il
défend “ le droit de penser la ville ” comme “ le droit à vivre la ville ”. In. Le Droit à la ville. Cf. Bibliographie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 31 -
urbanisation et d’une modernisation générale et complète de la société, touchant à la fois monde
urbain et monde rural que connaissent habituellement les villes européennes et certaines grandes
villes asiatiques ; alors que la forme d’évolution spatiale au Laos, qui illustre la complémentarité
entre ville et campagne, semble faire plutôt transparaître une autre réalité où le “ continuum ” entre
l’urbain et le rural –s’il existe ou s’il peut être ainsi défini– est à aborder en terme d’écosystème
spatial.
Si nous pouvons parler de modèle de forme spatiale, le modèle lao marqué par “ l’étape
Quatre ”, à défaut de continuer à structurer l’espace dans le contexte moderne d’aujourd’hui en tant
que modèle, en devient un élément de résistance. La complémentarité ville-campagne prise comme
un ensemble d’écosystèmes spatial constituerait aujourd’hui à la fois l’outil de développement de la
ville durable et l’outil de son analyse. C’est un révélateur qui interroge l’avenir des villes et de leurs
empreintes écologiques, et qui pose aussi diverses conditions pour un maintien cohérent de la
société humaine de demain. Et c’est précisément dans le champ de cette résistance que s’est souvent
révélée la place des établissements anciens.
Pour comprendre comment un modèle de forme spatiale peut-il demeurer un élément
structurant ou comment peut-il devenir un élément de résistance, avant de disparaître, au cours des
transformations récentes de la ville, nous cherchons à examiner l’évolution et la mutation de la ville
et les facteurs qui y ont contribué. Nous analysons comment les phénomènes d’émergence et de
recomposition, de recyclage et de disparition des établissements et des espaces anciens ainsi que
leur composants majeurs –qui sont les espaces naturels et le milieu rural– constituent-ils l’un des
résultants des résistances spatiales ? Comment la recomposition de l’espace d’aujourd’hui est-elle
formulée et maîtrisée ?
Dans le premier chapitre, il s’agit de comprendre le contexte et les conditions dans lesquels
les changements spatiaux ont pu s’opérer. Il faut rappeler que c’est avec la réforme économique de
1986 –induisant diverses retombées d’ordre politique, économique et institutionnel– que les formes
et les espaces urbains ont pu connaître une importante transformation.
Nous abordons, dans le second chapitre, l’évolution et la mutation à l’œuvre de la ville ellemême
et les facteurs qui y ont contribué. Nous examinons en fait la question d’émergence, de
constitution et de recomposition de la ville et du territoire, faits qui se produisent souvent par
recyclage ou altération pure et simple des lieux et des fonctions des établissements et des espaces
existants, et très peu par leur requalification durable. Ce qui constitue l’une des formes de résistance
de certains espaces avant leur disparition.
Enfin, nous décrivons et analysons dans le troisième chapitre comment la constitution et la
recomposition de l’espace à l’œuvre, aujourd’hui, sont-elles formulées et maîtrisées, en particulier
eu égard à la question des centres et des établissements anciens ? Autrement dit, quelle intégration,
quel sens donne-t-on à la ville aujourd’hui ?Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 32 -
CHAPITRE I.
Le rôle de la réforme de 1986 dans la mutation spatiale
Rappel du contexte
La bifurcation idéologique de la RDP Lao, corollaire à la chute des régimes du bloc
socialiste d’Europe, s’est concrétisée par la réforme entamée lors du IVe Congrès du Parti Populaire
Révolutionnaire Lao (PPRL). Le rôle de la réforme économique mise en place en 1986 et ses
retombées ont permis l’ouverture d’une ère spatiale nouvelle. La réforme a joué un rôle majeur
dans l’accélération de la mutation de l’espace, après près de vingt années d’inertie, entre la prise de
pouvoir par le PPRL en 1975 et le moment où la réforme commençait à porter ses fruits à partir du
milieu des années 1990. Les changements ont été bien visibles sur le plan économique, alors que sur
le plan politique le système demeure caractérisé par un conservatisme, avec un relâchement de
contrôle mesuré dans certains domaines, et au contraire, un contrôle encore sévère dans d’autres.
Malgré cela, c’est grâce aux retombées de cette réforme qu’un grand changement a pu s’opérer dans
son ensemble.
Nous allons privilégier deux domaines d’observation –qui vont faire l’objet de ce chapitre–
pour comprendre les retombées et le rôle majeur de la réforme dans la mutation spatiale. D’abord, il
s’agit d’examiner les points les plus significatifs de la réforme, comme les enjeux politiques et
économiques, porteurs des changements. Il s’agit de voir ensuite ce que les points les plus
significatifs de la réforme ont révélé dans le contexte spatial existant et ce qu’ils ont induit comme
nouvelles formes ou dispositifs spatiaux, notamment à travers le phénomène de marginalisation et
d’émergence des territoires.
I. I. La réforme, un enjeu majeur pour le régime
L’un des composants des enjeux politiques et économiques, ici, a été le choix de la réforme
portée par le gouvernement de la RDP Lao, ce facteur dominant ayant présidé à l’évolution spatiale.
Le grand chapitre de la réforme économique interne qu’il faut retenir comme majeur dans la
mutation spatiale, c’est la régulation foncière. Mais les retombées n’étaient pas seulement dues aux
ressorts de la réforme économique interne du pays, mais aussi aux contextes économiques locaux et
régionaux.
Les points les plus caractéristiques de la réforme ont été le passage de la production
collectiviste – installée peu après, la prise de pouvoir par le PPRL en 1975 (Cf. 3e partie.) – à la
production privée, et de l’étatisation foncière à la reconnaissance de la propriété privée. Donc sur le
plan interne, le grand pas en avant de la politique de l’État laotien a été d’avoir rendu la terre à la
population et d’avoir reconnu la propriété privée et sa jouissance, d’une part, et d’autre part
d’accorder à la population la liberté de tenir commerce. Sur le plan externe, le grand mérite a été
d’avoir entrouvert le pays au marché extérieur : permettre officiellement l’importation de produits
ainsi que les opérations bancaires et monétaires, autoriser certaines activités commerciales jusque-là
interdites, accorder plus de libertés aux sociétés mixtes, etc. Un autre mérite, contraint par
l’effondrement du bloc socialiste, a été d’avoir tisser de nouveaux liens avec l’Occident et les
organisations internationales, ce qui a permis l’émanation des aides internationales. Ainsi, le grand
enjeu politique a été “ d’aller jusqu’au bout d’une logique ” : commencer à faire du Laos un Etat de
droit, notamment en effaçant peu à peu au pays l’image d’un Etat de fait et de dictature
prolétarienne au regard de la communauté internationale. Dans cette logique, après la promulgation
de la Constitution en 1991, s’en est suivie progressivement la rédaction de lois et décrets. Les
différents dispositifs pris par l’État laotien devaient créer les conditions permettant l’ouverture du Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 33 -
pays. Ainsi, le Laos a pu s’introduire peu à peu dans la dynamique politique et économique locale et
régionale et bénéficier peu à peu des retombées de cette ouverture.
I. I. a. Les retombées de la réforme liées à la dynamique économique locale et
régionale
Les retombées de la réforme et de la dynamique économique régionale ont commencé à être
visibles vers 1994. Bien que dans le contexte interne cette visibilité s’apparentait à un rattrapage des
retards et des carences éprouvées durant les années de collectivisme, la réforme interne conjuguée
avec le dynamisme régional a déclenché un véritable changement à l’intérieur du pays. Cette
période de rattrapage a duré plus d’une décennie avant que les carences et les retards dans certains
secteurs et domaines ne soient comblés. Nous dressons ici, de manière non-exhaustive, les
principales retombées de l’ouverture avant 1994, exprimées dans la colonne centrale. Les retombées
étaient possibles grâces à deux effets conjoints : 1-la réforme (exposés dans la colonne de gauche),
2-les dynamiques régionales (exposées dans la colonne de droite.)
La Réforme : points, secteurs
et domaines, du début des
années 1980 au début de 1990
Les retombées de la Réforme interne et
de la dynamique régionale
Les points explicitant
la dynamique régionale
- 1979 : Constat des difficultés
économiques et reconnaissance des
problèmes liés au système. Le parti
admet la nécessité de réajustement et
de l’ouverture du régime.
- Plan de 3 ans, 6 points de réforme (1)
- Les mouvements de fuite de la
population, commencés dès 1975,
s’accentuent entre 1977 et 1979, en
particulier en ce qui concerne les ruraux.
- L’importation active par le marché
noir des produits de consommation,
très, contredit l’idée d’autosuffisance,
pointant l’absurdité de la
collectivisation du secteur agricole.
- Intensification des aides
internationales aux réfugiés en
Thaïlande.
-2e Réforme agraire en 1979-1980 (2) - De nouveau, les Laotiens commencent à
pouvoir cultiver individuellement leur
terre, la production collective est peu à peu
abandonnée.
- La population continue à fuir en masse au
courant des années 1980-1981.
- Intensification des relations entre le
Laos, le Cambodge et le Viêtnam
- Rupture idéologique avec la Chine,
considérée comme traître par rapport à
la révolution marxiste-léniniste.
- Autorisation du secteur privé et
suppression du système de distribution
par l’État (3).
- Les projets d’aide et de coopération
internationale deviennent plus nombreux.
- Les petits commerces se montent
localement ; meilleure circulation interne
des produits de consommation.
- Les organisations internationales
venant en aide aux camps de réfugiés,
s’intéressent de plus près au Laos.
-1e Plan quinquennal (1981-1985). On
peut citer les 10 points les plus
importants. (4)
- La fuite de la population vers la
Thaïlande se ralentit, après avoir été
intense en 1980-81.
- La présence des organisations
internationales, ONU, OMS, BAD,
implique l’assistance au Laos : Japon,
Suède, Pays-Bas, Australie.
- Autorisation de la circulation des
biens, des hommes ainsi que des
échanges (5)
- Les produits thaïs, déjà très présents dans
le pays, malgré le conflit et l’embargo,
s’imposent de plus en plus.
-1984 : Conflit thaï-lao à Ban Hom
Kao (province de Sayabouri).
- Vers 1983, à l’approche de la grande
réforme de 1986, premières purges des
membres dissidents du gouvernement.
- Les cadres formés en Occident sont
nommés aux postes de responsabilités (6)
- Les jeunes cadres nommés envoient leurs
enfants à l‘étranger, aidés par leur famille de
réfugiés installés en Occident.
- Amélioration des ressources humaines dans
l’administration publique.
- 3e réforme agraire vers 1985 (7) - La fuite des paysans vers l’étranger
s’arrête presque totalement : la RDPL
effectue le 1e recensement de la population.
- Initiative individuelle plus grande dans
l’exploitation agricole.
- 1985, début de la perestroïka en
URSS et en l’Europe de l’Est.
- Dès 1985, la surveillance des cultes
bouddhiques est relâchée
- Retour des rites religieux jusque-là interdits
- L’organisation religieuse devient plus autonome,
mais doit être en conformité avec
l’UBL et la directive de l’État et du parti.
- Reconnaissance complète de la
propriété privée.
- Les Laotiens sont redevenus propriétaires
de leurs biens fonciers.
- 2e Plan quinquennal, 1986-1990. - Les efforts pour réaliser les 10 principaux
points annoncés.
- Les aides internationales affluent
dans le pays.
- Adoption de la Nouvelle Mécanique
Économique.
- Les familles et clans politiques entrent
dans le monde des affaires avec l’étranger.
- Autorisation plus importante à la libre
entreprise.
- Intégration du Laos dans l’économie
régionale.
-1988 : Mise en place du droit des - Installation des entreprises de fonds Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 34 -
contrats, des successions, de la création
d’entreprise, des taxes.
- Ouverture du marché laotien aux
investisseurs étrangers.
- Loi sur les investissements étrangers.
d’investissement étrangers ; la présence des
étrangers occidentaux devient plus visible.
- On évoque le manque d’indépendance du
Laos vis-à-vis du Viêtnam.
- La diaspora commence à revenir au pays
en nombre limité.
- 1988, le Viêtnam annonce le retrait
de ses troupes de la RDPL.
- Opération d’assainissement du
système monétaire.
-1988 : fin du conflit de Ban Hom Kao,
avec la Thaïlande. (8)
- Détente cordiale entre la Thaïlande et la
RDPL.
- Échanges économiques et diplomatiques
fructueux entre la Thaïlande et la RDPL.
-1e visite de la Princesse Sirindhorn
de Thaïlande ; visite du ministre thaï
des Affaires étrangères au Laos.
Visite du Président de la RDPL en
Thaïlande.
- Des investisseurs thaïs s’installent
au Laos.
-1991 : 1e Constitution de la RDPL.
- Annonce du plan de privatisation de
certaines entreprises d’État. (9)
- La revitalisation des centres urbains
devient visible.
- Les données statistiques sont
fournies par les organismes
internationaux à partir de 1991.
-L’Assemblée populaire devient, en
1991, l’Assemblée nationale. La RDPL
réalise sa 1e élection des représentants
de l’Assemblée en 1992
- Mise en place de la loi sur les réformes
économiques
- 1992 : reprise des relations
diplomatiques entre les États-Unis et
la RDPL.
- La BAD crée la Région du Grand
Mékong (RGM ou GMS.)
- Mouvement de contestation des
étudiants laotiens de l’Europe de l’Est
contre le gouvernement de la RDPL. Ils
demandent des aides à la diaspora
laotienne et l’asile politique en
Occident.
- Le libéralisme et la démocratie touchent
les étudiants laotiens des pays de l’Est et
l’intelligentsia à l’intérieur du pays. Début
des mouvements de contestation interne :
- Emprisonnement des dissidents favorables
à la démocratie.
-Beaucoup d’étudiants laotiens contestataires
en Europe de l’Est ne retournent plus au pays
- La perestroïka triomphe en Europe.
La chute du mur de Berlin.
- Vers 1992 : 1er appel discret du
gouvernement de la RDPL à la diaspora,
brève tentative de lui rendre les biens
fonciers qui lui ont été confisqués. (10)
- De nombreux Laotiens de la diaspora
retournent au Laos pour de courtes visites.
(1). Lors du VIIe Congrès du CCP, quelques points ont été retenus comme les problèmes qui entravent la marche vers le
socialisme. En 1979, le 7e congrès avait effectué une mini réforme, 7 ans ans avant la grande réforme.
Parmi les directives du parti, il y a le plan de trois ans (1978-1980) avec six principaux points : 1- restructurer le domaine
et le système de production de base. 2- favoriser le secteur commercial intérieur et la circulation des produits. 3-
développer les secteurs éducatif, culturel, santé, information. 4- améliorer l’économie en liaison avec le système de
production et de gestion socialiste. 5- en liaison avec les points précédents, améliorer le niveau de vie de la population tout
en développant les travaux collectifs et la propriété collective. 6 - effectuer des recherches afin d’identifier les ressources
du pays. Préparer le plan quinquennal 1981-1986.
(2) En ce qui concerne le domaine agraire, signalons que la première réforme fut réalisée en 1978 lors des plans de trois
ans, avec le programme de coopérative agricole. Notons que le collectivisme de production, notamment l’élevage à
l’échelle familiale, a déjà été mis en place dès 1976 : chaque foyer était obligé de déclarer ce qu’il possédait comme
animaux d’élevage, leur consommation privée était soumise à l’autorisation du comité populaire du village.61
(3) Cf., la résolution N°7. Tickets de rationnement et bons d’achat des magasins d’État commencèrent à être supprimés.
(4) Référence aux 10 points du plan quinquennal.62
(5) Il s’agit, par exemple, de la suppression des documents de laissez-passer affectés aux laotiens pour leur circulation
dans le pays. Le laissez-passer avait été instauré dès 1976, il était obligatoire dès le déplacement d’un district à un autre.
(6) Suite à une « ouverture interne » et à la petite réforme du début des années 1980, où quelques membres du
gouvernement ont été arrêtés pour corruption et trafic d’influence, des postes ministériels ont été attribués aux jeunes
cadres non-révolutionnaires et formés en Occident, notamment en France. Cf., l’annexe : Liste de la libération des postes
et du pouvoir administratif du début des années 1980. Cette liste n’est pas exhaustive, mais donne un aperçu de
l’amélioration éventuelle que le gouvernement a pu réaliser par la suite avec l’attribution de ces postes. Parmi les
personnes occupant ces nouveaux postes, rares étaient celles qui étaient issues du parti.
(7) La 1e réforme (agraire et foncière) étant celle effectuée dans les deux premières années du régime. Celle-ci a connu un
échec. La 2e consiste principalement à rendre des terres aux paysans. La 3e marque l’arrêt complet du collectivisme rural.
(8) Avant la normalisation, les conflits frontaliers avaient repris en novembre 1987. En janvier 1988, les deux pays
s’accordent pour régler les problèmes de frontière. Mais le processus va durer plus de 20 ans.
(9) Les militaires n’avaient plus le monopole, en dehors de quelques activités lourdes, notamment l’exploitation des mines
et du bois, avec deux grandes sociétés militaires, DAFI et BPKP.
(10) Ce dispositif a dû être remis en question l’année suivante.
61 Cf. Page d’histoire de la lutte héroïque du peuple lao, Comité de propagande et de formation politique du CCP,
Imprimerie de la RDPL, 46 pp., Vientiane, 1980.
62 Ibid.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 35 -
I. I. b. Le rôle de la régulation foncière dans la mutation et la structuration spatiale
Situé au cœur des préoccupations de la société laotienne, les réformes, qui touchaient et
libéraient la question foncière des contraintes politiques, permettaient d’assouplir les rapports très
tendus que le pouvoir avait entretenu avec la population depuis 1975. Bien que quelques actions
eussent déjà été entamées en ce sens dès 1979-1980, la réforme de 1986 a donné un élan plus grand
à la régulation foncière.
La reconnaissance du droit privé des terres a induit la nécessité de régulariser le foncier, lui
donnant la possibilité de transaction, et donc de se doter de valeur et de permettre à l’État d’entamer
un mécanisme de perception des fonds. La libération foncière a apporté par la même occasion une
restructuration du bâti et de l’espace urbain et territorial.
Nous allons voir dans la 2e partie de notre recherche que la question de la terre et du droit de
la propriété privée était dans les traditions anciennes un symbole de liberté et d’autonomie pour les
Lao, symbole qui perdure de nos jours. Nous évoquons ci-dessous les quelques principes concernant
les types parcellaires et leur pratique traditionnelle, ainsi que leur implication sur le domaine bâti,
afin d’identifier quels changements ont eu lieu dans le foncier entre la pratique traditionnelle et
aujourd’hui, après la libération foncière.
Mis à part la complexité des acteurs et le développement de la nouvelle programmation (cf.
2e partie) qui ont toujours pris part aux enjeux spatiaux, nous tentons de comprendre à travers la
gestion des sols –permise par la reconnaissance du droit privé dans le cadre de la Réforme–
comment la régulation foncière et la structuration du bâti qui en sont issues ont-elles achevé un
ancien cycle de transformation pour en entamer un nouveau, orientant vers une certaine modernité ?
L’espace traditionnel a peu à peu fait place à l’avatar de la ville moderne, plus qu’à la modernité
elle-même, ceci, parce que la ville a gardé encore quelques persistances de traces structurelles et
tissulaires, aussi bien du point de vue social que spatial, en particulier du côté des pratiques
habitantes.
Mais rappelons d’abord brièvement, en remontant jusqu’à la période coloniale, ce qui peut
caractériser l’ancien cycle concernant le domaine foncier. L’élaboration du cadastre en tant
qu’instrument de gestion foncière et base du développement des tissus urbains était née –rappelonsle–
avec l’administration coloniale qui dressa en 1912 le premier plan cadastral de Vientiane.
63 Par
la suite, deux autres cadastres ont été réalisés, vers 1960 et vers 2000. Ces dates ne sont pas
fortuites : la période autour de 1912 correspondait à la première décennie de l’établissement de
l’administration coloniale64 ; les années 1960 ont été la première décennie de l’indépendance du
pays ; et enfin à partir des années 2000, après la crise asiatique de 1997 et près de quinze ans après
la réforme, on assiste à une reprise économique qui favorise fortement l’émergence de la
spéculation foncière, entraînant un développement urbain intense et généralisé. Un système de
contrôle du sol plus adéquat devenait alors une nécessité pour accompagner l’ouverture du pays à
l’économie de marché : doter le territoire d’un plan cadastral pour prendre en compte le
bouleversement du patrimoine foncier, lié au rétablissement de la propriété privée et à l’émergence
du droit de cession, voire, de la spéculation foncière. Il s’agit dans cette réforme foncière de
réveiller les pratiques anciennes qui ont été étouffées pendant près d’une vingtaine d’années durant
lesquelles le foncier était sous contrôle de l’État et la spéculation seulement officieusement
pratiquée. Le cadastre devait de plus dégager des revenus non négligeables pour le ministère des
Finances, même si le mécanisme administratif de perception des taxes était et reste difficile à mettre
en place et à faire fonctionner, malgré les aides internationales massives à la bonne gouvernance
63 Il semble qu’un autre plan cadastre de Vientiane a été élaboré avant celui de 1912, mais il n’était sans doute pas abouti.
Le plan qui a été utilisé pour le prélèvement des taxes et des impôts a été celui achevé en 1912. L’administration coloniale
a réalisé durant la même période le cadastre d’un certain nombre de villes, notamment celui de Luang Prabang. 64 La Résidence Supérieure a été installée à Vientiane en 1900, des services administratifs seront peu à peu constitués.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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dans ce secteur. Ces trois périodes décennales (les années 1912, 1960, 2000) réparties sur un siècle
correspondaient à des moments de transformations profondes de la ville et de l’économie,
accompagnant les bouleversements spatiaux, sociaux et culturels.
La compréhension de la structuration du bâti peut se faire au travers de l’étude du
parcellaire à partir des trois cadastres (1912, 1964 et 2002), croisée avec l’étude des typologies
d’architecture, des tissus urbains, et avec les conceptions traditionnelles du droit foncier. Elle
permet de voir comment le bâti et le tissu urbain se sont-ils constitués et comment la transformation
de ceux-ci s’est-elle opérée à travers le parcellaire. Ce faisant, l’étude a surtout éclairé le
bouleversement profond de l’habitat lao et de la ville traditionnelle, de révéler comment la
“communauté de villages” qui composait les villes laotiennes (et l’usage de l’espace qui en
découlait), leur pratique et leur culture, et qui constituait la base de leur conception, cohabite-t-elle
encore aujourd’hui avec la gestion contemporaine du foncier qui devient un acquis quasiment
incontestable. En introduisant le cadastre, l’administration coloniale montrait clairement que
l’approche du tissu urbain par les trames viaires, à l’échelle de l’îlot et ensuite à l’échelle
parcellaire, permettait une nette distinction entre la structure coloniale et la structure locale existante
sur laquelle l’administration coloniale superposait son plan. Ainsi, l’intervention à la taille de la
parcelle avait des implications sur l’identification de l’îlot, du quartier et de la ville toute entière.
I. I. b. 1. Un rappel historique : types parcellaires, constitution et transformation du bâti et
du tissu urbain
Des types parcellaires
Nous avons vu que c’est avec l’administration coloniale que le parcellaire, en tant qu’unité
de propriété administrable, prenait forme. Quatre catégories de parcelles font écho à des formes
bâties, contribuant à définir une rue, un quartier, parfois même une ville.
Les parcelles agricoles
Il existait trois principaux types de parcelles agricoles dans le milieu urbain, en particulier pour les
villes de plaine comme Vientiane, Savannakhet ou Thakhek. Les parcelles occupées par des rizières
étaient généralement vastes et en zone basse. Elles enveloppaient la ville, ou parfois formaient des
poches enclavées à l’intérieur du périmètre urbain, constituant ainsi une sorte de friches rurales.
Dans le cas de Vientiane, la ville enfermait à plusieurs endroits des rizières immergées, à l’intérieur
même du petit rempart. Leur disparition date d’à peine dix ans. À Luang Prabang, aujourd’hui la
petite péninsule ne possède plus de rizières, mais plutôt des mares. Et dès que nous sortons de la
pointe de la péninsule, nous en trouvons tout de suite quelques-unes. Juste avant la transformation
récente des rizières urbaines, les activités agricoles étaient souvent déjà abandonnées, elles étaient
alors dans une situation intermédiaire : les sols devenaient déjà potentiellement constructibles. De
manière générale, qu’elles forment des poches à l’intérieur ou des étendues autour des villes, elles
tendent à disparaître au profit d’un étalement urbain. À Vientiane, les parcelles agricoles en bordure
du Mékong et dans l’île Done Chanh avaient une forme habituellement allongée, en lanières. L’une
des extrémités était en contact direct avec le fleuve afin de satisfaire les activités maraîchères, et
l’autre, plus exondée, réservée pour l’aménagement des vergers et parfois pour l’implantation des
habitations. Les parcelles agricoles qui longeaient le canal extérieur –voie historiquement navigable
et jumelée à l’ancien rempart extérieur de la ville– avaient une forme plus irrégulière, au gré des
opportunités offertes par les affaissements de l’ancien rempart, mettant en relation le canal et les
terrains adjacents de l’intérieur.
Les parcelles bâties
En ce qui concerne les parcelles bâties, trois grands types ont été repérés : les grandes parcelles et
les parcelles moyennes de formes variées et les parcelles étroites et profondes. Les grandes parcelles
contiennent des équipements publics ou des espaces communautaires tels les monastères. Elles ont
souvent été formées à partir des remembrements de petites parcelles dont la délimitation était
Fig. 2. Planche
montrant les
principaux types
de parcellesDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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imprécise au moment de l’installation de l’administration coloniale. Certaines d’entre elles ont été
constituées sur des occupations anciennes qu’étaient les vastes parcelles d’anciens monastères ou
d’anciennes résidences de nobles, voire des palais princiers, tombés en déshérence après la mise à
sac de la ville en 1828. Ces parcelles constituent aujourd’hui des éléments de repérage et
d’identification des quartiers. Aussi reconnaît-on que les équipements tels que l’ambassade de
France, l’hôpital Mahosot, le Marché du matin, les ministères de l’Intérieur, de l’Artisanat et de
l’Industrie, le Vat That Foun, etc., qui jalonnent la route de Nong Bone depuis la berge remontant
vers That Luang, ont été construits sur des anciens monastères qui longeaient le parcours conduisant
vers le site le plus sacré de la ville. Ces vastes parcelles offrent à la cité de grands espaces verts,
grâce au faible taux d’emprise au sol du bâti qui dépasse rarement 50% de la surface.
Les parcelles moyennes sont sans doute les plus stables puisqu’elles persistent dans les
quartiers les plus ruraux de la petite enceinte de la ville, dont l’identité est la mieux préservée,
moins touchée par des démembrements ou des remembrements. Ce sont des parcelles qui sont
profondément marquées par le mode d’habitat plus que par la trace des éléments construits euxmêmes.
Dans ce type de parcelle, nous y trouvons le plus souvent des bâtisses isolées : des maisons
lao, des maisons lao pagnuk [gInvo]k;xtp5d] et des villas construites ultérieurement. Le taux
d’emprise au sol est relativement faible, entre 45% et 55%, laissant souvent le bâti entouré de
jardins plus ou moins vastes. Cependant, récemment le taux d’emprise au sol de ces parcelles
augmente sans cesse. Une forte densification à l’intérieur des parcelles tend, de fait, à réduire la
superficie des espaces verts, sans qu’il y ait véritablement un resserrement urbain organisé.
Si les deux types de parcelles précédemment évoquées sont antérieurs à l’installation de
l’administration coloniale dans leur forme et dans leurs limites réinvesties, les parcelles étroites et
profondes qui apparaissaient au début du XXe siècle sont purement de fabrication coloniale. Elles
sont directement issues des besoins de la ville coloniale aussi bien dans leur forme que dans leur
usage et leur fonction. Ces parcelles perpendiculaires à la rue sont occupées par une construction
qui associe l’habitation aux activités commerciales. Ce sont des compartiments étroits avec des
murs de refend mitoyens. Ce type de bâti dénotait un mode de vie nouveau, inconnu jusqu’alors
dans les villes lao. Leur fonction prédominante étant le commerce, les occupants vivaient à l’étage
et dans la partie de l’arrière-cour se tenait un petit bâtiment de service attenant. Le taux d’emprise
au sol était fort élevé, de 85% à 95%, ne ménageant quasiment pas d’espace vert. Les
compartiments créaient des fronts de rue continus et apportaient un changement radical au tissu
urbain. Ils introduisaient un nouveau mode de vie et d’habitation, bouleversaient le rapport spatial et
culturel entre l’habitat et la ville. Plus tard, les compartiments des années 1960 et 1970 seront plus
hauts, à R+2, voire à R+3 avec parfois une cour formant une sorte de puits de lumière entre la partie
commerciale et la partie de service située en arrière, remplaçant la cour des compartiments
coloniaux. Aujourd’hui, les nouveaux compartiments occupent la quasi-totalité des parcelles. La
petite cour pavée de la période coloniale ou le puits de lumière des années 1960 disparaissent
complètement : on cherche d’abord à gagner et à rentabiliser l’espace sur un minimum de surface.
La transformation et la restructuration des parcelles ou la nouvelle parcellisation elle-même
ont une influence indéniable sur le système de la voirie. Rappelons que les voies de circulation dans
l’espace lao ancien sont physiquement peu formalisées. Si la délimitation est parfois visible,
matérialisée par des clôtures et des palissades, c’est seulement pour empêcher les bêtes de s’attaquer
aux cultures potagères, et non pas pour empêcher les hommes de circuler, n’ayant pas pour but le
cloisonnement entre propriétés.65 En ville autrefois, il y avait effectivement parfois des palanques,
des haies, des palissades en bois ou en bambou tressé entre les jardins des habitations et les voies
publiques principales. Pour les voies secondaires et les passages en cœur d’îlot, il était aisé de
65 Dans le Rajasat, un article (de jurisprudence) évoque des litiges entre le propriétaire d’un terrain et le propriétaire d’une
bête de somme. Il est stipulé que si une bête s’échappe et s’attaque à la culture d’un autre tiers, il y a préjudice. Et son
maître doit payer une somme pour réparer le préjudice.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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passer d’un jardin à l’autre : une sorte de consensus et de servitude communautaire était
naturellement établie. Lorsque l’administration française a procédé à l’établissement du cadastre,
une hiérarchisation des voies a alors été établie. Ainsi, la nouvelle délimitation des parcelles
imposait-elle de véritables servitudes et donnait naissance à des voies publiques. Les passages
informels et consensuels anciens qui desservaient les parcelles privées et qui reliaient les parcelles
intérieures entre elles s’étaient alors transformés en servitude avant de devenir des voies publiques à
part entière avec un statut foncier précis, même si des voies n’y ont pas été aménagées sur le coup.
Le processus de transformation, étude des cas
Les études des cas actuelles permettent de comprendre le processus de transformation des
parcelles et leurs résultants : comment ont-elles évolué et comment ont-elles participé à la
structuration du tissu urbain ? Les changements ou les bouleversements survenus aux parcellaires
sont liés aux démembrements, aux remembrements, à la création et à la restructuration des voies, à
certaines défaillances des règles d’urbanisme et au changement de fonction du bâti.
Pour les démembrements, il y a trois cas de figure. Lorsqu’il s’agit d’un démembrement
classique, une parcelle est scindée en plusieurs sans se soucier si toutes les parcelles étaient, ou pas,
accolées à la voie publique.66 Dans le cas où certaines étaient enclavées, des petits passages étaient
créés pour permettre l’accès à l’intérieur des îlots. Prenons par exemple le cas du quartier Anou à
Vientiane. Construites dans les années 1920, les rues sont en damier et coupées à angle droit, il y a
ainsi un certain nombre de passages créés postérieurement à la suite des démembrements des
parcelles. Dans un exemple plus récent, un bout de parcelle en bordure de la voie peut être scindé et
cédé, comme c’est le cas à Dong Palane. Nous voyons alors apparaître des constructions de type
compartiment haut de plusieurs étages, mais sans la profondeur habituelle des compartiments, un
immeuble de 5 mètres sur 5 mètres. Dans le même dessein, nous observons une ou plusieurs
échoppes se construire sur front de rue rejetant la plus grande partie de la parcelle et son jardin en
arrière, coupés de la rue. Même si les échoppes ne sont pas cédées au départ, elles sont souvent
louées et plus tard peuvent être cédées ou transmises en héritage. Un autre cas de figure est le
partage en plusieurs propriétés d’une rangée de compartiments existants : un propriétaire qui
possède une rangée de plusieurs compartiments décide d’en vendre quelques-uns ; ou alors l’État67
qui en est le propriétaire et qui les avait alloués (souvent à titre gracieux) aux agents de l’État, il y a
quelques années, finit par les céder définitivement à la demande des occupants, à titre gracieux ou
en contre partie d’une somme symbolique, car souvent le prix de cession ne correspond pas à la
réalité du marché.68 Dans les deux cas de figure, s’il y a des opportunités financières, les nouveaux
acquéreurs finissent par détruire les anciens compartiments pour en construire de nouveau. À Ban
Mixay, sur le front de rue du quai Fa-Ngum, les rangées de compartiments qui avaient été
“ départagées ” et données aux fonctionnaires commencent à prendre des allures différentes les uns
par rapport aux autres dans les aménagements de leur façade, sans que la notion de copropriété ne
soit prise en compte. Dans le pire des cas –ce qui arrive généralement–, les anciens compartiments
disparaissent pour faire place aux nouveaux qui recherchent davantage à gagner en surface, comme
nous l’avons remarqué précédemment.
Si les démembrements transforment par petites touches, le tissu urbain, les remembrements
entraînent des bouleversements plus importants encore. Souvent, ils visent la constitution d’un parc
foncier pour construire des bâtiments, des complexes de grande ampleur. Le Lao Plaza Hotel fait
partie de ces opérations de remembrement, grands complexes qui génèrent des changements
66 Ceci, avant la dernière immatriculation foncière. Car une parcelle ne peut être démembrée en cession et immatriculée si
elle n’a pas de voie d’accès. 67 Ici, l’État n’est pas lui-même promoteur. Ses biens ont été obtenus au moment où il a étatisé les biens fonciers des
personnes qui ont quitté le pays entre 1975 et 1982.
68 Les allocations par l’attribution de logement aux foyers les plus démunis ou demandeurs (majoritairement agents de
l’État) correspondent à l’aide de l’État, récompensant le bas salaire et les années de services rendus.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’échelle et de gabarit des bâtiments ainsi que l’ambiance et les perspectives des rues. Souvent, ces
complexes entraînent et initient d’autres constructions de même ampleur, changeant l’échelle des
quartiers.
Les nouvelles constructions et la structuration des infrastructures viaires mettent en relief
deux cas de figure significatifs : le nouveau tracé et l’élargissement des voiries. Dans les années
1920, la préemption des sols pour des servitudes a permis de tracer l’emprise du boulevard Khun
Bourom à Vientiane. La tranche du boulevard Khun Bourom qui longe le Vat Inpeng, ampute une
partie du terrain du vat pour le rejeter de l’autre côté. Une fois le boulevard créé, une bande de
servitudes est restée disponible de l’autre côté de la voie, ce qui permet à l’administration de vendre
cette partie. Les terrains riverains autrefois accolés au rempart du vat se retrouvent alors coupés du
vat par la voie nouvellement tracée, ceci, bien qu’un passage leur ait été octroyé. Ainsi, est-il
fréquent de voir que derrière des compartiments ou des immeubles en centre-ville, se cachent des
vieilles maisons avec jardin, des parcelles datant de la période avant la restructuration des voies
publiques. Le deuxième cas de figure concerne l’élargissement actuel des voies qui réduit la taille
des parcelles riveraines. Dans certains cas, leur emprise en bordure de la voie devient plus
importante que leur profondeur, cela entraîne bien souvent la construction de compartiments ou
immeubles larges mais très peu profonds. Les compartiments sur la rue de l’Hôpital 103 et ceux sur
la rue de l’ASEAN (route T2) sont très représentatifs de ces caractéristiques.
Enfin, il y a deux processus très marginaux qui méritent quelques intérêts. L’un concerne le
changement de fonction de l’habitat lao, l’autre concerne la mise en évidence de la défaillance des
règlements d’urbanisme. Dans le premier cas de figure : lorsqu’une maison lao en bois sur pilotis se
retrouve accolée à la rue suite aux conséquences de l’élargissement de la voie, privée de sa hauteur
d’origine sous pilotis suite aux conséquences des remblais (afin de rattraper le niveau de la rue qui
est plus haut que le sol des maisons riveraines), elle a bien du mal à fonctionner et est difficilement
vivable. Alors, quand elle n’est pas détruite par son propriétaire, elle peut faire l’objet de
transformation en devenant une échoppe : l’intérieur de l’échoppe garde quelques traces d’une belle
maison lao en bois, tandis que son extérieur peut être qualifié de baraquement de fortune. Dans le
deuxième cas de figure, lorsque deux séries de compartiments ont été construites côte à côte, par
deux opérations différentes et appartenant à deux propriétaires différents, si ces compartiments
respectent à peu près les alignements, ils ne possèdent pas de règles de mitoyenneté bien précises.
L’un et l’autre vont laisser par exemple 70 centimètres de terrain libre à l’extrémité des
compartiments. Des clôtures sont parfois construites. Dans le petit passage qui lie Vat Haï Sok à la
rue Hèng Boun, un compartiment de 1,40 mètre de large a été construit dans l’espace interstitiel
entre deux compartiments. Bien que ces deux cas restent marginaux, il n’est pas improbable qu’ils
deviennent un jour une pratique courante, vu le nombre des maisons lao se trouvant dans la situation
décrite, ou, vues les séries de compartiments qui se retrouvent avec des espaces interstitiels non
réglementés. Du moins, les règles concernant la mitoyenneté ont été définies bien postérieurement
par le POS, en 2000. 69
I. I. b. 2. La pratique habitante traditionnelle et contemporaine de l’espace, quelle incidence
sur le parcellaire ?
L’évolution des parcelles et les pratiques qui leur sont liées sont corollaires au
développement urbain et exercent une influence sur le renouvellement du tissu. Mais dans cette
évolution irréversible qui obéit à la logique et au principe général du développement urbain, il
existe des résistances d’ordre culturel et psychologique qui échappent aux paramètres et aux formes
modernes de gestion et d’aménagement. Ces résistances apportent un éclairage sur les usages
69 Le POS révisé en 2000 permet de construire les compartiments jusqu’à la limite de la parcelle, imposant ainsi la
mitoyenneté. Mais cette règle n’a pas toujours été respectée. En l’occurence, des ouvertures sur les murs de refend
continuent à être des litiges de voisinage et de principe de raccordement de la mitoyenneté.
Fig. 3. Types de
Transformation
du parcellaire et
du bâtiDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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anciens et la pratique spatiale traditionnelle, qui demeurent encore courants par certains aspects, une
survivance que l’aménagement moderne de la ville tend à ignorer.
La morphologie, l’emplacement des parcelles et leur aspect symbolique
Aujourd’hui la morphologie des parcelles continue à avoir de l’importance dans
l’acquisition d’un terrain à bâtir, du moins pour les Lao de souche.70 Certains vont jusqu’à
abandonner l’idée et d’acquisition, si le terrain ne présente pas des caractéristiques conformes aux
règles édictées par des croyances ancestrales. Ainsi, y a-t-il des formes proscrites, telles les formes
triangulaires. D’une manière ou d’une autre, la partie accolée à la voie, c’est-à-dire la façade du
terrain, doit être plus étroite que la partie arrière. Le terrain doit ressembler à une poche, une jarre
bombée en arrière, de sorte que ce qui rentre puisse demeurer. Il s’agit, bien entendu, de la chance,
la prospérité, le bon esprit du foyer qui assurera le bonheur et la richesse à ses occupants. Par
ailleurs, la disposition et l’emplacement des parcelles par rapport à la voie sont aussi des critères
importants. Un Lao de souche, s’il a le choix, ne va a priori jamais choisir d’habiter dans un terrain
se trouvant dans l’axe d’une voie. Il croit qu’une telle position réceptionnera toutes les mauvaises
influences y compris les mauvais esprits. Le mode d’habiter, de fonctionner et de positionner des
choses, la cohabitation dans l’espace entre les esprits et l’homme est le fruit d’une culture, certes,
mais il n’en est pas moins lié à l’état psychologique chez les Lao : un test a été réalisé sur ce sujet
moins aux faits des croyances et des coutumes. Il est étonnant de voir que la majorité des personnes
interrogées a choisi le terrain qui n’est pas dans l’axe.
Les parcelles et le fleuve
A l’échelle urbaine, le Mékong était un élément fédérateur. Il orientait l’axe de
développement de la ville, fédérait et accompagnait un ensemble d’équipements religieux et assurait
l’ouverture de la ville, à une époque où la voie de circulation était la plus aisée par le fleuve. À
l’échelle du parcellaire, la présence du fleuve était encore plus vitale. L’une des caractéristiques des
villages riverains du Mékong était que les parcelles puissent avoir un accès facile au fleuve, même
celles qui n’étaient pas directement sur berge. Du fait que les parcelles des habitations n’avaient pas
toutes des clôtures, par les petits chemins de passage, on pouvait ainsi d’un jardin à l’autre accéder
au bourrelet de la berge, là où étaient aménagés les potagers, là où les habitants allaient chercher
l’eau et se baigner ou prendre leur pirogue. Lorsque les parcelles ont été identifiées comme telle et
inscrites au cadastre, les clôtures71 apparaissaient et fermaient bien souvent les anciens passages,
remplacés par de vraies voies de dessertes perpendiculaires au fleuve. Aujourd’hui, ces voies ne
semblent plus entretenir les liens entre les habitations et le fleuve. Ce sont des voies de dessertes
aux habitations. Les liens avec le fleuve sont alors taris. Dans certains cas, la pression de ceux qui
pouvaient accéder autrefois au Mékong est assez forte pour que des petits passages informels se
recréent de nouveau. Nous comprenons alors que l’accès au fleuve n’est pas uniquement une
question fonctionnelle. Il répond à d’autres besoins, et les arguments sont nombreux mais souvent
très abstraits : il faut « sentir » la présence du fleuve pour s’orienter et se situer, et il faut surtout
aménager des passages pour les bons esprits, sinon, nous risquons d’attirer leur colère.
Les propriétés privées, les compartiments et les rues
70 Nous entendons “ Lao de souche ”, ceux qui observent le bouddhisme théravada comme religion parallèlement aux
cultes des phi ou de l’esprit des ancêtres. Dans beaucoup de cas, ce caractère se retrouve aussi chez les Laotiens qui ne
sont pas forcément des Lao-Tai (Lao loum). En ce cas, leurs croyances peuvent être influencées par les autres cultures
asiatiques, notamment le Feng Shui, dont certains principes et règles peuvent être confondus à leurs cultes animistes. 71 Les quartiers de berge dans la partie décentrée à Ban Khounta-tha et à Ban Oumong. Le document cadastral définitif
commence à être délivré à partir de 2004. Auparavant, il y avait des registres de l’ancien régime certifiés par le chef du
village et des témoins composés par les voisins. Ces derniers peuvent attester que tels et tels terrains appartiennent bien à
telle ou telle personne, que celle-ci a reçu en héritage des parents ou des grands-parents, etc. Et si les témoins sont aussi
jeunes que le propriétaire du terrain, ils peuvent toujours dire que leurs parents et arrière-grands-parents leur ont ainsi
raconté qu’ils sont voisins depuis des générations. Ces témoignages ne sont pas anodins, ils ont quasiment une valeur
juridique, puisque pour établir le dernier cadastre et immatriculer les titres de propriété, l’État s’est appuyé en partie sur
ces anciens documents et les ont fait confirmer par ces témoignages
Fig. 4. Des
parcelles
appropriées et
non appropriéesDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Aujourd’hui, on peut observer le fait que le statut d’espace public de la rue est parfois
remis en question par certaines pratiques des riverains, en particulier de ceux qui habitent dans les
compartiments commerciaux. Ils ont tendance à considérer que les places de stationnement et le
trottoir se trouvant adjacents à leur boutique leur appartiennent, du moins, ils réagissent en ce sens.
Ainsi, dans certaines rues du centre de Vientiane où le sigle “ interdit de stationner ” ou “ sortie
marchandises ” n’est pas affiché, lorsqu’un automobiliste tente de stationner le propriétaire d’une
boutique sort aussitôt de son magasin et demande à l’automobiliste de partir, car il interdit
quiconque de stationner devant son magasin. Lorsqu’on lui demande à qui appartiennent le trottoir
et la chaussée adjacente qui ne sont pas interdits de stationner, il répond que le trottoir et la chaussée
en question, appartiennent au domaine public. Il reconnaît donc que l’emplacement relève bien de
l’autorité publique, cependant la vue de son magasin lui appartient, et donc, personne ne peut
obstruer la vue de sa boutique. L’argument, peu juridique, n’apparait pas tout à fait absurde.
L’aliénation de la propriété privée
Les cas de litiges concernant le foncier sont nombreux, absurdes et rarement résolus.
Prenons par exemple le cas d’aliénation de la propriété privée. La mise en œuvre de l’aménagement
de Nong Douang, à Vientiane, illustre un certain nombre de ces litiges. Avant la construction au
début des années 2000 d’un grand réseau d’infrastructures viaires (la route T2 entre autres) la
traversant et la coupant en deux, Nong Douang était une vaste mare entourée de zones humides et
marécageuses ayant une grande capacité d’autoépuration. Mais le plan cadastre des années 1960
ainsi que les titres de propriété ont montré que cette zone était un ensemble de rizières, et il y avait
effectivement deux mares, pas aussi vastes qu’elles ne l’étaient dans les années 1980-1990. La
minéralisation de l’ensemble de la ville dans les années 1960 et 1970 avait réduit la qualité et la
capacité d’absorption de l’eau de ruissellement de la ville. Celle-ci se déversait donc naturellement
dans la zone de rizières et marécageuse de Nong Douang. En une vingtaine d’années, la mare s’était
donc étendue et les propriétés avaient été immergées, aliénées de manière naturelle, devenant ainsi
l’une des plus belles zones humides de la ville jusqu’à la fin des années 1990. En cultivant les
plantes aquatiques ou en faisant de la pêche, les propriétaires pouvaient toujours dire que tel ou tel
endroit leur appartenait, mais il n’y avait aucune précision, ni les moyens physiques de vérifier les
faits. Cette zone devenait de fait une propriété publique (du moins communautaire) ou tout le
monde pouvait venir pêcher et ramasser les plantes aquatiques. Pendant des années, tant que la zone
n’avait pas pris de valeur foncière, personne ne s’en souciait. À qui pouvait-on réclamer « une
rizière inondée par le ciel », disaient les propriétaires.
Lorsque la route T2 a été tracée vers la fin des années 1990, et des remblais déversés le
long de la voie, des bâtiments se sont construits, réduisant considérablement la surface de la zone
humide. Les propriétaires qui possédaient des terrains bordant la mare de part et d’autre ont vu leur
prix grimper. Puisque les terrains le long des deux côtés de la T2 ont été remblayés et vendus à des
prix alléchants,72 ils ont estimé être en droit de remblayer à leur tour les zones restant qui bordaient
la mare. Or, il était théoriquement interdit de remblayer les parties restant de Nong Douang,
instaurées alors comme « zone humide protégée ». A partir de là, commençait le litige : d’un côté,
les autorités permettaient le remblai et la vente des terres le long de la T2, et de l’autre, les autres
abords étaient interdits de tout remblai. Devant l’administration, les propriétaires ont essayé de faire
valoir leurs anciens titres fonciers avec photographies aériennes à l’appui, montrant qu’il y avait des
rizières avec deux mares de taille modeste. Ce fut efforts inutiles : beaucoup de documents produits
par l’administration de l’Ancien Régime ont été détruits, ou n’ont pas été reconnus. Vouloir faire
reconnaître un document de l’Ancien Régime, et par-dessus tout, faire reconnaître qu’avant la
constitution naturelle de la mare, il y avait des rizières parcellisées, cela dépassait l’entendement de
72 Des terrains dans les zones humides qui, autrefois, n’avaient pas de grande valeur foncière et les terrains qui sont au
bord de la route T2 coûtaient en 2007 entre 120 et 250 USD le M2.
Fig. 5. Zone
humide de
Nong DouangDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’administration.
Nous pouvons dire que les trois cadastres qui ont été élaborés ont donné lieu à une
restructuration de la ville et du domaine bâti, ils permettent de comprendre leur évolution. À chaque
cadastre correspond une période de développement, voire, une période de renouvellement urbain. À
travers la question de la pratique du sol, nous constatons que la gestion et le développement
moderne de l’urbain, rencontre des résistances. Ces résistances se sont manifestées dans certaines
pratiques de l’espace et dans certains modes d’habiter, qui perdurent en parallèle aux systèmes
urbains plus rationnels établis depuis le début du XXe siècle. Les croyances liées à l’utilisation des
terres ancrées dans la culture locale exercent une influence sur les pratiques spatiales et constituent
une véritable archéologie des usages de l’espace que l’examen des parcelles, ici, a permis en partie
de révéler.
I. II. La marginalisation et l’émergence des territoires d’aujourd’hui
Après avoir examiné la réforme comme étant l’enjeu politique et économique du régime,
avec deux points majeurs : les différentes retombées (politiques, économiques et structurelles) et la
régulation foncière, il s’agit d’aborder dans ce paragraphe sur le plan spatial ce que les points les
plus significatifs de la réforme ont révélé dans le contexte spatial existant et ce qu’ils ont induit
comme nouvelles formes ou statuts spatiaux, autrement dit, voir ce qui a accompagné la réforme du
point de vue spatial. Deux principaux phénomènes opposés caractérisent le rapport territorial :
l’aspect marginal et l’aspect émergent.
Dans l’évolution générale des villes et dans leur mutation, nous pouvons voir à travers
plusieurs situations et contextes qu’il y a une mise en évidence de phénomènes à la fois de
marginalisation et d’émergence des territoires à l’œuvre, ou des caractères marginaux et émergents
aboutis. C’est à la fois sous l’influence des facteurs historiques et territoriaux, politiques et
économiques que certaines villes ou certains établissements se marginalisent ou au contraire
émergent. Nous tentons de voir quels sont les territoires émergents et quels sont ceux qui sont
marginalisés.
Pour comprendre ces deux phénomènes ou ces deux caractères, nous procédons à l’étude de
cas au Laos sur l’ensemble du pays. Nous abordons en premier lieu les pôles de développement à
l’échelle locale et régionale. Nous analysons en second lieu la création des nouvelles zones
régionales d’échanges économiques ou la renaissance des réseaux historiquement anciens. En
troisième lieu, nous nous intéressons particulièrement à l’organisation des territoires de concession
ou de bail en cours de réalisation. Enfin, nous mettons en relief des cas historiques qui montrent que
la marginalisation des territoires peut être due aussi aux facteurs endogènes. C’est-à-dire qu’il y a
des territoires qui peuvent se marginaliser non pas à cause des facteurs externes, mais à cause de
leurs propres facteurs internes. Ce sont par exemple des territoires historiquement déjà mis à l’écart
des aires de développement territorial habituel. Il s’agit par exemple des villes de l’ancienne zone
libérée contrôlée par les forces révolutionnaires avant 1975 et de la zone spéciale instituée en 1994
ou encore du cas de Muang Tonh Pheung qui appartenait au Triangle d’or, une ancienne zone de
trafics. À travers ces trois cas marginaux, nous verrons qu’il y a déjà une divergence dans leur
potentialité à s’inscrire et à s’intégrer ou non dans le réseau de développement régional.
La question de marginalisation ou d’émergence des territoires se pose ici en termes
d’intégration, et donc en termes d’existence. C’est donc à travers cette existence un peu
conditionnelle, entre “ émergent ” et “ marginalisant ”, que nous interrogeons les conditions de
l’intégration régionale : une intégration régionale pour quelle intégration locale et nationale ?
Autrement dit comment l’échelle régionale agit-elle sur l’échelle locale ?
I. II. a. Les pôles d’attraction pour le développementDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 43 -
Dans le développement des territoires, quels que soient leur forme et leur type, le constat du
caractère ou du phénomène de marginalisation et d’émergence ne peut se faire sans se référer aux
pôles de développement qui fonctionnent comme des points d’attraction autour desquels tournent ou
ne tournent pas les établissements. Essayons d’abord de comprendre de quoi sont composés ces
pôles de développement, qu’ils soient locaux ou régionaux. Nous aurons pu étudier les typologies
des pôles, mais cela n’a pas directement d’implications sur les établissements et centres anciens.
C’est plutôt en terme d’échelle entre le local et le régional que les pôles ont des implications
sensibles sur l’espace des établissements anciens qui nous intéressent. Les types de pôles ont leur
importance dans le sens où certains peuvent exercer, du point de vue programmatique, une forte
pression sur les centres anciens, notamment les pôles touristiques, les pôles industriels, ou de
manière plus générale, les pôles à forte croissance économique. Pour cette dernière question, nous
l’aborderons à travers autre problématique, traitant du « processus de constitution et de
recomposition du patrimoine » et « du regain des centres historiques ».
Rappelons que les pôles d’attraction du développement ne peuvent être définis par des
limites territoriales précises. Ils sont plutôt déterminés soit par des espaces qui rayonnent soit par
des espaces en tête de réseaux fédérateurs. Les territoires concernés dans notre recherche ne
possèdent pas directement de pôles ou de réseaux internationaux, de par leur situation “ enclavée ”
au cœur de la péninsule Indochinoise, de terre intérieure sans accès à la mer. Mais leur existence,
dans une logique interne, locale et historique, est une réalité qui les structure et qui les fait participer
à une logique territoriale régionale importante, que ce soit en tant que pôles eux-mêmes ou en tant
que territoires satellites.
I. II. a. 1. Les pôles et les réseaux locaux : infrastructure, déplacement et nouvelles
constructions des équipements
Évoquons brièvement ici que les villes laotiennes d’avant 1975 ont connu des partitions
territoriales suivant la pression et la logique des partitions politiques de la Guerre froide. Les pôles,
à ce moment-là, étaient calés sur ce schéma de partition et demeuraient pendant quelques années
des pôles artificiels. Pour ainsi dire, il existait donc deux grands pôles idéologiques qui tendaient à
séparer le Laos en deux parties : est et ouest, même si ce schéma n’était pas tout à fait exact dans la
mesure où les premières zones contrôlées par le Néo Lao Hak Sat (NLHS), qui étaient Phongsaly et
Houaphanh, n’étaient pas situées uniquement dans l’Est du pays, mais surtout dans le Nord, et que
certaines parties du Sud étaient également ses acquisitions stratégiques. Nous devons alors notre
partition Est-Ouest à l’axe fort que constituait la piste Ho Chi Minh traçant une ligne Nord-Sud de
démarcation le long de la frontière Est du Laos. L’axe du Mékong qui lui était parallèle était dans sa
majorité le réseau qui structurait les zones d’influence du gouvernement de Vientiane et logeait
donc la majorité des pôles de développement. Ceci, même si le NLHS tentait de faire dans les
années 1960 et 1970 de la zone libérée de véritables pôles de développement, avec la création de sa
capitale à Viengxay. La piste Ho Chi Minh aidant, les pôles de la zone libérée étaient
idéologiquement, symboliquement et stratégiquement forts durant la période de la guerre du
Viêtnam. Mais malgré cela, tous points de vue confondus, ces pôles n’équivalaient jamais ceux de
la vallée du Mékong. Après la révolution, les pôles idéologiques dans l’ancienne zone libérée ne
devenaient pas davantage des grandes villes. Au contraire, les villes de l’ancien gouvernement de
Vientiane continuaient à être des pôles d’attraction du point de vue politique, économique, urbain,
culturel et démographique, réduisant ainsi l’importance des zones révolutionnaires.
Nous allons voir un peu plus en détail dans la troisième partie de notre recherche ce qui
avait été nécessaire pour la mise en œuvre de la consolidation du nouveau pouvoir à partir de la
seconde moitié des années 1970, afin de rééquilibrer et réorganiser l’ensemble du territoire :
comprendre et orienter justement la structure, les pôles ou les têtes de réseaux locaux. Ici, notons
quelques initiatives que le régime a menées dans les années 1990 pour corriger le déséquilibre qui
faisait apparaître l’affaiblissement du rôle de la zone libérée et, au contraire, le regain de la zone de
l’Ancien Régime qui persistait même après la révolution, car ce déséquilibre allait à l’encontre des
Fig. 6. Carte de
l’avancement
de « la zone
libérée ».Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 44 -
objectifs du PPRL. Ceux-ci essayaient de consolider les villes de l’ancienne zone libérée, de leur
donner une importance historique et idéologique à l’échelle nationale, d’y maintenir sa population,
voire, de la repeupler. Mais ces villes ne devenaient que des lieux de mémoires idéologiques qui ne
participaient que très peu aux dynamiques générales du développement.73 Au contraire, tout
penchait en faveur des anciennes zones du gouvernement de Vientiane qui étaient et demeurent des
lieux importants, des villes plus urbanisées et les plus peuplées, des zones les plus développées,
attirant toujours davantage les populations de la zone libérée. Leur rôle de pôle demeurait
incontestablement le même depuis l’Ancien Régime, échappant à toute logique idéologique.
Dans la seconde moitié des années 1980, la politique territoriale a préconisé la
hiérarchisation des territoires ; non seulement pour rechercher une structure administrative et un
système de gouvernance local plus efficace, ou pour mettre en évidence les priorités, mais aussi
pour rechercher de nouveaux pôles et de nouveaux équilibres qui restaient jusque-là toujours
difficiles à trouver. Plus tard, les réalités politiques, économiques et spatiales, associées à la
pression extérieure, ont poussé les autorités à rechercher encore plus le renforcement de l’idée de
capitales provinciales et de chefs-lieux de district, l’idée de polarités plus dynamiques et plus
génératrices. Peu à peu, les problématiques de classification des villes et de leur priorité faisaient
leur chemin. Les villes secondaires et ensuite les villes moyennes ont été officiellement établies
dans les années 1990, non seulement en tant qu’outil administratif, mais surtout en tant que
démarche de développement territorial donnant des bases et des unités concrètes aux programmes
de développement, et permettant la mise en place des projets opérationnels sectoriels les plus
urgents (notamment les secteurs de base : communication, santé, éducation, etc.). Derrière la mise
en évidence de ces problématiques de classification des priorités à des fins utiles pour le
développement, il y avait également la volonté de faire émerger les divers potentiels qui auraient
permis la constitution des pôles de développement nouveaux plus que des pôles administratifs euxmêmes.
La volonté du gouvernement était effectivement de créer aussi des pôles administratifs et de
contrôle, surtout des pôles capables de générer le développement du territoire localement ou du
moins capables de maintenir le territoire dans une cohésion territoriale administrée. Tels étaient
aussi les critères des bailleurs de fonds internationaux lorsqu’ils commençaient à soutenir la mise en
place de “ l’État de droit ” au Laos (à partir 1991), puis lorsqu’ils commençaient à financer le
programme d’assistance à la gouvernance, corollairement au programme de développement du
pays. Concrètement, cela se matérialisait par l’amélioration des organes administratifs et de la
structure de la gouvernance, au niveau central et au niveau déconcentré, et aussi par la création de
nouveaux programmes d’équipements publics et d’installation de certains services publics sectoriels
dans les provinces. Nous allons voir de plus près ces dernières mesures et tenter de comprendre
comment ont-elles été efficaces dans leur manière d’initier l’émergence des pôles de développement
locaux, ou au contraire, comment dans certains cas ont-elles été inutiles, voire, gaspillées.
La création de nouveaux programmes d’équipements publics concernait essentiellement les
programmes d’amélioration des infrastructures viaires qui étaient prioritaires dès l’investiture du
nouveau régime, mais qui n’avaient pas pu atteindre les objectifs escomptés avant la réforme et
avant l’assistance internationale massive à partir des années 1990, ceci afin de relier les villes entre
elles, de favoriser l’accès aux services divers pour les populations vivant dans les zones les plus
reculées. Ensuite, la création de Plans Urbains [za’g,nv’]
74 faisait également partie de ce programme
73 A Muang Viengxay, les grottes habitées par les chefs révolutionnaires sont préservées aujourd’hui comme patrimoine
historique du pays.
74 A ne pas confondre avec le Plan Local d’Urbanisme (PLU) français, car les critères et les méthodologies manquent pour
pouvoir en faire le rapprochement. En Lao il est simplement désigné [za’rafstok8q;g,nv’]“ plan de développement de la
ville”.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 45 -
d’équipement. Pour le peu qu’il s’agissait, les programmes contenaient des facteurs de
changement importants.
L’amélioration des réseaux d’infrastructures (vers la fin des années 1990)
Cette amélioration des infrastructures permettait une plus grande possibilité de mise en
réseau des villes, petites villes, voire villages, entre eux et par rapport aux villes plus importantes.
Par contre, les réfections et les nouvelles constructions des réseaux viaires qui desservaient
relativement bien les villes, soulevaient des problèmes d’un autre ordre qui touchaient l’intégrité
des structures anciennes des occupations. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces questions dans
un autre paragraphe de notre recherche.
Le déplacement des marchés vers l’extérieur des villes (commencé vers la fin des années 1990).
Le déplacement des marchés qui a été entrepris de manière systématique dans les villes
secondaires et moyennes a provoqué la dévitalisation des centres anciens et affaiblit le commerce de
proximité ainsi que les ambiances et la vitalité existant des centres, même si cela a donné une
meilleure visibilité et attractivité aux pôles, ceci concernant surtout les districts rattachés aux chefslieux
de province. La population dans les villages extérieurs ou reculés y a accès alors plus
facilement pour se procurer des produits dont ils ont besoin via la gare routière, elle aussi, déplacée
en périphérie et se trouvant en général pas loin du nouveau marché. Il en est de même pour le centre
administratif des provinces, également déplacé en périphérie, et devenu un point d’accès visible et
facile pour les villages se trouvant loin des chefs-lieux. Le déplacement des équipements en
périphérie a renforcé ainsi l’image des pôles locaux, par contre il a complètement changé le rapport
existant entre les villages et le statut du cœur des villes. En fait, il a soulevé une question importante
pour les habitants du centre des chefs-lieux de province. Le fait que le centre et le cœur des villes,
ou simplement le périmètre intérieur de celles-ci, ne possèdent plus les biens et les services ainsi
que les équipements de proximité –situation qu’ils concevaient habituellement comme l’un des
composants d’une certaine centralité physique et d’une certaine citadinité–, a eu pour conséquence
que les quartiers anciens des villes ont perdu, d’une certaine manière, leur statut de centre.
La création des universités dans les provinces à partir des années 2000
C’est également l’un des programmes les plus visibles pour donner aux provinces la vision de pôles
importants et attrayants, ce qui n’a pas été le cas pour les programmes hospitaliers. L’attractivité des
hôpitaux a été et reste la qualité des soins médicaux et les conditions d’hygiène. Ces deux éléments
semblent inégaux entre les provinces et la capitale. Dans la capitale, la qualité médicale et
d’hygiène des soins reste dominante et non concurrençable par les hôpitaux provinciaux. Par contre,
les programmes universitaires sont plus homogènes. Il y a peu de différences par exemple entre
l’université du grand pôle (Vientiane) et celle des provinces. Seuls les contextes de vie estudiantine
dans la capitale, avec les loisirs, les biens et les services, les activités nocturnes plus actives,
changent la donne par rapport aux provinces.
La question du statut des villes
Le statut de “ villes secondaires ” a été préconisé et créé directement à travers le programme
de financement de la BAD. Quatre villes ont été et sont toujours concernées : Luang Prabang,
Thakhek, Savannakhet et Paksé. Au moment de l’installation de leur statut, le standard des villes
secondaires a été défini selon les réalités démographiques et économiques préexistantes. En fait, le
statut de capitale provinciale a été ici repris comme critère. Cependant, les autres capitales
provinciales qui n’ont pas rempli les critères démographiques, économiques et de pôle préexistant
n’ont pas été prises en compte et n’ont pas été inscrites sur la liste, telle que la ville de Viengxay qui
a été pourtant la capitale de la zone libérée. Donc, aucune ville issue de données idéologiques n’a
intégré cette liste de villes secondaires. Le décret N40/FAMC, du 4 avril 1995, qui a donné un cadre
à la création du Vientiane Urban Development and Management Committee (VUDMC) –concernant
les 100 villages de Vientiane–, et de la structure du Urban Development and Management
Fig. 7. Les
quatre villes
secondairesDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Committee for secondary town (UDMCs) –concernant les quatre villes secondaires–, a déterminé en
même temps la création du statut de ces quatre villes. Il a été confirmé par l’administration
laotienne à travers la création du Comité responsable du Projet de Développement Urbain des Villes
Secondaires, décret N0802/ MCTPC en date du 27 mars 1997. Puis le statut des villes moyennes a
été préconisé afin de constituer un moyen institutionnel, financier et technique de développement et
de gestion des villes d’importance moindre que les capitales provinciales que nous venons de citer.
Ces deux statuts ont fait l’objet de programmes d’aménagement prioritaire utilisant les
fonds des prêts de la BAD, mais également les autres fonds d’aides internationales, des Nations
Unies entre autres. Pour rentrer dans ces programmes de financement, les conditions ont été fixées
par les bailleurs de fonds. Les villes devaient posséder des critères répondant aux conditions fixées,
notamment un certain nombre d’habitants, un taux d’équipement, tels les équipements hospitaliers
de base, les places disponibles en écoles primaires et secondaires, etc. Afin de répondre aux critères
imposés et rentrer dans le programme de bénéficiaires des fonds, les données et les statistiques des
villes ont parfois été artificiellement constituées, et donc faussées. Associé à ce fait, au début de la
création des villes secondaires et moyennes, au courant des années 1990, les données ont à peine
commencé à être collectées. Par conséquence, les données constituées par les institutions nationales
étaient difficilement vérifiables. Ainsi, les réponses aux besoins les plus urgents et pour les villes les
plus critiques ont souvent été biaisées et mal ciblées, expliquant en partie l’inutilité et
l’inadéquation de certaines mesures et de certains projets mis en œuvre, impliquant la difficulté
pour certains pôles d’émerger réellement, ou de poursuivre la planification prévue. À Sayaboury, à
Luang Namtha, à Phongsaly (Muang Say, Botèn, Muang Sing), il n’est pas inutile de noter que les
villes n’ont pas suivi un développement selon les planifications prévues. À Muang Sing par
exemple, la construction de la grande route pénétrante n’a pas été d’une grande utilité et aurait pu
être différée. Elle a été inutile par rapport au besoin de la ville qui s’est développée lentement. De
même, beaucoup d’efforts ont été mis sur le chef-lieu de Phongsaly (construction d’équipements, de
routes, etc.), espérant qu’elle devienne la capitale de la province, l’une des plus enclavées du Laos.
Mais maintenant, il est question de la déplacer à Boun Neua et d’y construire un aéroport, alors que
l’on n’a pas encore fini de réaliser les différentes planifications prévues. À Botèn, le plan de
développement prévu a complètement été oublié par le projet de Botèn golden city, dont nous allons
évoquer le problème dans le prochain paragraphe (1e partie. I.II.c.)
Aujourd’hui, la mise en réseau de certaines données dans le Système d’Information
Géographique n’est qu’à son balbutiement.75 Un plan stratégique 2010-2020 concernant la
technique de recherche de données du Département de la Statistique, au niveau pays, province,
district et village, accompagné d’un projet de loi, a été planifié à partir de 2009. Il devrait améliorer
progressivement la statistique du pays et constituer un outil pour le développement, en particulier
dans le secteur urbain.
I. II. a. 2. Les pôles et les réseaux régionaux : une place régionale, question de monopole et de
concurrence
Évoquer les pôles régionaux et la place des villes laotiennes dans ces pôles, c’est évoquer
une problématique inhérente à la place et au rôle du Laos dans la région. Nous pouvons d’emblée
dire qu’aucune ville laotienne n’est à la tête de réseaux et de pôles, tout au plus, constater que ces
plus grandes villes sont en phase de s’intégrer dans les réseaux régionaux à travers des mesures
politiques et des stratégies d’échanges et de coopérations économiques et culturelles.
Avoir une place régionale
75 En 2009 on se penche sur la nécessité d’un système de statistique plus juste et plus fiable. Un débat sur la question a été
organisé afin d’améliorer le système. « Les demandes de statistiques nationales fiables […] elles émanaient des pays de la
région et du monde […]. L’amélioration et le développement des systèmes statistiques font partie des priorités du
gouvernement, pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement […]. ». In : « Débat sur les statistiques »,
Le Rénovateur, 21 septembre 2009.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Vientiane, par son statut de capitale de l’un des pays membres de l’ASEAN et de l’un des
pays de la Région du Grand Mékong (GSM), est de ce fait incontournable. C’est l’un des pôles que
les pays de la région ne peuvent négliger, au moins du point de vue politique. Par ailleurs, le pays
est le plus continental et le plus central. La tenue de rencontres internationales (notamment Sommet
des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’ASEAN en 2004, Sommet de la
Francophonie en 2007, etc.) et l’organisation des 25e Jeux de l’Asie du Sud-Est (en 2009)
démontrent la volonté politique de placer la capitale laotienne au rang des autres capitales
régionales.
Luang Prabang, l’ancienne ville royale, et aujourd’hui ville culturelle, fait partie du réseau
des sites du Patrimoine mondial, devenant ainsi l’une des escales touristiques et culturelles76 parmi
Hanoi, Siem Reap, Chiang Mai et Pagan, que certaines soient ou non classées par l’Unesco.77 Nous
verrons un peu plus loin les implications de ces pôles patrimoniaux, lorsque nous évoquerons “ le
regain des centres historiques ” (1e Partie. III. II). Ici, signalons seulement que ce type de pôle
renferme l’une des caractéristiques émergentes, mais ne recouvre pas pleinement ce qui caractérise
les pôles d’attractions économiques ayant des implications fédératrices sur les villes et petites villes
de la région.
La question de monopole et de concurrence
La question de pôles régionaux fait apparaître un autre fait spécifique aux villes du Laos.
Bien qu’il ne soit pas nouveau, ce fait met l’accent sur le phénomène de concurrence et de
monopole entre les villes, mettant à mal le concept idéaliste de réseaux fédérateurs d’intégrations. Il
s’agit notamment du rapport entre les villes laotiennes et les villes thaïes proches des limites
frontalières. Cette problématique est illustrée par le déséquilibre entre les villes appartenant
respectivement à deux communautés nationales différentes, mais ayant respectivement chacune des
rayonnements d’influence, qui se rapprochent, qui se touchent ou qui se chevauchent. Ce fait n’a
pas été assez pris en compte dans la politique d’intégration régionale. Or, il constitue un élément qui
peut freiner la réalisation de cette intégration. La question d’intégration est effectivement contrariée
par un grand déséquilibre lorsque deux villes de deux pays se côtoient. Prenons comme cas de
figure les villes d’Udon Thani et de Vientiane, de Mukdahane et de Savannakhet, de Nakhone
Phanom et Thakhek, Chiang Saen et Tonh Pheung. L’intégration pose la question du comment les
villes laotiennes raisonnées en tant que pôles peuvent-elles exister faces aux villes thaïes. Pourtant
historiquement ces villes étaient la plupart du temps des villes jumelles ou alors constituaient
autrefois un même pôle identitaire.
Le déséquilibre est d’abord exprimé dans le champ économique, dans le secteur des biens et
des services, des biens de consommation et dans les activités culturelles. À l’exception de Vientiane
qui jouit de son statut de capitale, elle domine et éclipse Udon Thani pour sa vie culturelle et
politique –son rayonnement international, pour la masse budgétaire qu’elle gère, ainsi que pour
l’immensité des territoires qui lui sont dépendants. Cependant, en ce qui concerne les biens de
consommation et des services, il est à constater qu’Udon Thani dont la vie culturelle et citadine est
incomparable à Vientiane est pourtant un pôle qui attire des consommateurs laotiens
quotidiennement. Les retombées économiques issues de ces consommations directes sont loin d’être
négligées et négligeables par les offres thaïlandaises. Nous ne parlons pas ici de l’importation des
produits de Thaïlande, qui est un autre sujet, mais nous parlons des passages quotidiens des
76 De simple lieu d’escale, Luang Prabang est devenu en deux-trois ans une destination touristique prisée de la région.
Avec la crise économique au courant de l’année 2008-2009, nous constatons une baisse significative du nombre des
touristes : les commerçants et artisans se plaignent de la baisse de leur chiffre d’affaire. La création de la biennale de la
photographie en 2008 à Luang Prabang fait partie du programme de mise en valeur de l’image de la capitale culturelle et
artistique.
77 Pagan n’est pas classé au patrimoine mondial, mais son statut et ses biens culturels et archéologiques dépassent par bien
des aspects ceux qui sont classés. Sa capacité d’attirer les touristes est importante malgré l’appel international pour
boycotter le régime de la junte militaire.
Fig. 8. Quelques
images des villes
frontalièresDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Laotiens de la province de Vientiane vers Udon Thani pour accéder aux diverses consommations
directes. Udon Thani est devenue quasiment une zone de distribution et de services annexes de
Vientiane : les supermarchés, les hôpitaux, les importations de produits spécifiques pour les
commandes privées passent principalement aussi par cette ville. Il y a une heure de trajet en voiture
entre les deux villes par le pont de l’Amitié.
Cette forme de consommation met en évidence d’un côté un phénomène comportemental et
de l’autre un “ vice ” économique très significatif. Elle semble exprimer une certaine liberté
récompensant les deux décennies de restriction par le système collectif qu’avait connu la RDP Lao.
Elle est aussi liée à l’émergence d’une nouvelle classe sociale qui, non seulement, possède
maintenant un pouvoir d’achat plus grand, mais recherche aussi de nouvelles formes de
consommation que les offres de Vientiane ne peuvent pour le moment satisfaire. Le commerce et
les taxes de consommation de Vientiane sont ainsi “ usurpés ” librement et légalement par le
marché d’Udon Thani.78 Vientiane perd ainsi une grande partie de ses revenus potentiels.
Depuis 2006, et plus intensément depuis 2009, les investissements locaux et étrangers
deviennent plus importants dans les grandes villes laotiennes et en particulier à Vientiane. Ils
permettent d’agrandir le marché, d’augmenter les offres qui deviennent plus nombreuses, plus
diversifiées et de meilleure qualité. Ce sont des signes prometteurs. Malgré cela, il faut constater
dans leur ensemble que les villes laotiennes ne réussissent pas pour le moment à garder les
consommateurs sur leur territoire.
Le monopole du marché thaïlandais et le phénomène comportemental des consommateurs
laotiens ne sont pas choses sans antécédent et ne sont pas liés uniquement aux effets marketing et
aux aspects alléchants des produits qu’offre le marché thaïlandais. Ils résultent en fait d’un choix de
système politique et économique historique récent que les deux pays ont traversé chacun de leur
côté. La Thaïlande est un pays de consommation et d’économie libre, d’un capitalisme outrancier
dont le système n’a jamais été remis en question ou interrompu par d’autre système depuis la fin de
la Seconde Guerre mondiale, malgré l’intervention des différentes périodes de crises politiques
internes. Et, depuis la fin des années 1960 et le début des années 1970, la peur du “ péril rouge ” a
poussé le gouvernement thaï à intégrer autrement la zone du pays Issan dans la communauté
nationale, en particulier du point de vue économique. Autrefois exploité mais mis à l’écart des
retombées positives de la croissance,79 le pays Issan a bénéficié petit à petit des mêmes droits que
les autres régions de la Thaïlande, ce qui explique une amélioration du niveau de vie de sa
population et l’installation des investisseurs, non seulement locaux mais aussi étrangers. Les
grandes entreprises étrangères et internationales ouvraient leurs usines ou fabriques succursales
dans les grandes villes d’Issan, favorisées par des facilités administratives et la circulation des
capitaux et des investissements, par une main d’œuvre bon marché, nombreuse et active, etc. Ainsi
les villes comme Ubon Rajathani, Udon Thani et Nakhone Phanom connaissaient-elles un
développement croissant, alors que le Laos traversait une période difficile où les activités
économiques étaient contrôlées, planifiées, la production collectivisée et étatisée.
En seconde étape lorsque le Laos commençait à s’ouvrir à l’économie de marché, il
devenait forcement un marché à conquérir. Non seulement en terme d’échange import-export
78 En Thaïlande la détaxe de 7%, est seulement appliquée dans les aéroports internationaux. Les produits importés au Laos
transitant par le pont de l’Amitié ne peuvent être détaxés.
79 Jusqu’à la fin des années 1960, la Thaïlande exploitait le pays Issan mais ne le développait que superficiellement. Le
niveau de vie de la population était resté bas, ses forêts dévastées par les entreprises de Bangkok et ses sols appauvris. Sa
main d’œuvre, bon marché, constituait la quasi-totalité des besoins de la capitale. Dans les années 1930, les députés
d’Issan soulignaient le délaissement de leurs provinces : « En général, mes collègues d’autres provinces ne connaissent
pas Changvat Leuy. Parce que cette province est située dans la montagne, infestée de paludisme […] dangereuse et
difficile d’accès. C’est la Sibérie du Siam. Les fonctionnaires étrangers qui sont envoyés là-bas pensent qu’ils ont été
exilés. C’est aussi pour cette raison que Leuy n’a pas été développé. Privé de lumière, personne ne connait vraiment
l’intérieur de cette région. La population ne connaît pas de médecin […] Le seul qui existe la province n’ausculte que
pour les fonctionnaires du chef-lieu de la province […] », discours d’un député de Leuy. In. La politique des deux rives
du Mékong. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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(surtout import) entre les deux pays, mais surtout en terme de marché direct de par la proximité
physique des territoires, des similitudes culturelles des populations. Il est donc clair pour les
gouvernements thaïs qui se succèdent que l’extension des villes thaïlandaises et de leurs activités,
en devenant des pôles de consommation importants, n’a pas seulement pour objectif de fédérer les
autres petites villes thaïlandaises, mais, également et surtout, de devenir des pôles pour les villes
laotiennes qui se trouvent de l’autre côté de la frontière. Cette démarche ne rencontre apparemment
pas de grandes résistances. La croissance des villes laotiennes est lente même après la réforme de
1986. Il fallait pour le Laos rattraper vingt années de retard dans son engagement dans le marché
libre et dans la réforme administrative générale, et il fallait qu’il consente à lâcher prise sur le
contrôle de certains secteurs d’activités économiques : de les léguer aux secteurs privés et de
susciter des investissements privés plus importants. Chose qui n’a pas été faite dans les premières
années de l’ouverture et qui a été mise en œuvre par la suite de manière timide dans un nombre
important de secteurs.
Mise à part le cas de Vientiane dont nous venons d’évoquer la spécificité, les autres villes
de province qui sont confrontées aux mêmes problèmes semblent devoir surmonter plus d’obstacles
pour exister.
Vientiane, par rapport à Udon Thani
Par rapport à Udon Thani, Vientiane a donc un défi de taille du point de vue des offres du
marché de consommation des biens et des services. Cependant, la croissance actuelle de la ville est
plus que jamais prometteuse. La venue en force des produits de Chine, du Viêtnam, de Taïwan et de
Hongkong, ainsi que celle des investisseurs dans le secteur des services (restauration, grands
magasins de distribution, produits industriels et produits semi-industriels, etc.) commencent
seulement depuis le milieu des années 2000 à rencontrer des succès auprès des consommateurs
locaux. Mais cela a des revers sur le plan économique : certaines catégories de produits importés
mettent à mal la production et la distribution des produits locaux. Les produits laotiens, bien que
certains soient de meilleure de qualité –notamment les tissus en soie et en coton – restent chers par
leur coût de production. Quoi qu’il en soit, en ce domaine, Vientiane devrait dans peu de temps
concurrencer Udon Thani, voire la dépasser.
Du point de vue culturel Vientiane produit déjà l’effet inverse : la population de la rive droite du
Mékong est de plus en plus nombreuse chaque jour à visiter la capitale laotienne. Ces visites sont
plus touristiques que consommatrices, la découverte de produits artisanaux de grande qualité (le
tissage en particulier), la vision de la vie citadine et sociale, celle de certains sites religieux, vivants
au quotidien, fait petit à petit leur chemin dans les mentalités des visiteurs thaïs. Associé à la
mémoire de ce que nous savons de la vieille capitale en tant que pôle historique qui était aussi celui
de la plupart des populations d’Issan, Vientiane retrouve déjà avec aisance sa notoriété. Pour
beaucoup des habitants de la région d’Issan, Vientiane n’est plus un mythe inaccessible de leurs
grands-parents, mais un lieu qu’ils peuvent visiter en une journée et à moindre coût, etc.
Savannakhet et Mukdahane
Nous ne pouvons évoquer le cas de Savannakhet et Mukdahane comme nous évoquons le
cas de Vientiane. Savannakhet est une capitale provinciale importante, elle est la seule province à
posséder un revenu autonome, dans le sens où elle reçoit très peu de rétributions du gouvernement
central.80 Cependant, si nous examinons son rapport avec Mukdahane avec les mêmes critères que
ceux utilisés pour examiner le rapport entre Vientiane et Udon Thani, nous pouvons voir que le
même phénomène peut être observé : l’ouverture du deuxième pont de l’Amitié en 2007,81 entre
80 Réf. La Statistique nationale. 81 Le pont, inauguré le 20 décembre 2006, est mis en service en 2007. La BAD finance l’ensemble de l’étude, le
gouvernement, l’étude de l’ouvrage lui-même, et la banque japonaise JBIC accorde des prêts pour sa construction : 70
millions de dollars, coûts partagés entre le Laos et la Thaïlande. In. Le Rénovateur, 20 novembre 2007.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 50 -
Mukdahane et Savannakhet, facilite les aller-venues des Laotiens vers les centres d’achat et
supermarchés thaïs, et aussi vers le site de pèlerinage de That Phanom. Savannakhet dépend donc
incontestablement de Mukdahane de ce point de vue, ce lien est renforcé par l’attachement
historique des habitants de la rive gauche à la rive droite où il y a le That Phanom, un monument
hautement sacré que les rois lao avaient autrefois le devoir d’entretenir au même titre que le That
Luang de Vientiane ou le That Inheng de Savannakhet. Et ce, au moins depuis le XVIe siècle et
jusqu’au début du XXe siècle.
Nakhone Phanom et Thakhek
En ce qui concerne Nakhone Phanom et Thakhek, la situation est proche du cas précédent.
En 2008, la construction d’un troisième pont de l’Amitié a débuté afin de pouvoir relier Thakhek et
Nakhone Phanom et ouvrir ainsi une autre partie du Corridor économique. Du côté laotien, la ville
de Savannakhet est bien plus importante que Thakhek, et le développement semble beaucoup plus
dynamique. Cependant, du côté thaïlandais Nakhone Phanom semble plus dynamique que
Mukdahane. La présence du grand that dans la ville renforce sa notoriété non seulement par rapport
aux petites villes thaïes mais également par rapport aux villes laotiennes de la rive gauche du
Mékong : les Laotiens y viennent faire un pèlerinage annuel en passant par le pont SavannakhetMukdahane,
ils remontent ensuite vers That Phanom à 45 minutes de voiture. Et lorsque la
construction du pont Thakhek-Nakhon Phanom sera achevée, les Laotiens pourront passer
directement à Nakhon Phranom sans descendre à Savannakhet.
Si le projet de Zone économique Savan-Seno (SaSEZ), en cours de construction dans le
périmètre proche de la ville ancienne, s’achève avec succès comme le programme sa planification,
Savannakhet pourrait inverser la situation : la ville attirera davantage les habitants des autres petites
villes thaïes de la région d’Issan et aussi des villes vietnamiennes. D’après les objectifs fixés par les
investisseurs et les responsables de la gestion de la zone économique, la population des deux
régions voisines, thaïe et vietnamienne, est effectivement des consommatrices cibles.82
Chiang Saen et Muang Tonh Pheung
Depuis toujours la ville de Houayxay, la capitale de la province la plus occidentale du Laos
occupe une place particulière, par la situation historique du Haut-Mékong proprement dite et par la
place qu’occupait la ville de Houayxay elle-même durant la période de la Guerre froide. Et, nous
verrons dans le prochain chapitre en quoi cette petite région est-elle particulière, voire marginale.
Nous nous sommes intéressés seulement ici au rapport entre les deux villes. Comme dans toute
situation de ville laotienne au bord du Mékong, une importante ville thaïe s’implante aussitôt en
face. Chiang Kong (ville du Mékong), ville historique, est pendant longtemps jumelle de la ville de
Houayxay et partage avec elle une longue histoire. Aujourd’hui, c’est entre les deux que la frontière
internationale est implantée permettant aux touristes étrangers de passer de la Thaïlande au Laos et
vice-versa. Houayxay est une sorte de porte fluviale touristique à l’ouest de Luang Prabang.
La marginalité de cette région explique en partie le fait qu’il n’y a pas eu de grands
déséquilibres entre les deux villes même durant la période d’une grande inertie du Laos dans les
années 1975 et les années 1980. Mais le déséquilibre qui nous semble plus flagrant concerne Chiang
Saen rive droite et Muang Tonh Pheung (l’ancienne Xiang Saen, rive gauche) dans le territoire du
Triangle d’or qui se trouve à 40 minutes de route en amont de Houayxay. À l’heure où cette petite
région devient le Quadrilatère d’or incluant le partenariat du Yunnan chinois visant un
développement économique sur le long terme, Muang Tonh Pheung reste un village sans
infrastructure significative avec son site archéologique mal entretenu. Tandis qu’à Chiang Saen
(rive droite) nous trouvons une petite ville équipée, avec un patrimoine bien entretenu et un musée
archéologique fort intéressant. La zone du Triangle d’or se trouve à cinq kilomètres en amont de
82 Interviews réalisées au bureau SEZA en 2009, auprès d’un responsable d’une entreprise thaïe qui investit dans la SaZez.
Fig. 9. Les
Corridors
Economiques.
Anciens et
nouveaux.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 51 -
Chiang Saen et légèrement en amont de Tonh Pheung par le fleuve. Là encore, le côté thaï du
Triangle est fortement développé du point de vue touristique (complexes hôteliers, commerces, etc.)
contrairement au côté laotien. Le grand casino qui a été construit au niveau de Ban Mom en amont
de Tonh Pheung, et qui devrait ouvrir ses portes sous peu83 est un projet “ ovni ” où aucune
structure et infrastructure ne l’accompagne pour l’accueil des touristes et du développement futur
(constat de 2008).
Idéalement, nous verrons que le Corridor économique devrait, selon ses défenseurs, être
l’alternative par rapport aux phénomènes de déséquilibre entre les villes que nous évoquons. Le
Corridor économique serait donc un élément d’équilibre, un instrument de développement qui
donnerait aux territoires laotiens leur vraie place de plaque tournante que l’histoire a plus ou moins
configuré, mais que le contexte politico-économique des périodes postérieures a rendu impossible.
Cependant, si de ce point de vue, nous pouvons déceler quelques “ indices de succès ” dans le
Corridor économique, le projet du Quadrilatère d’or qui remplace le Triangle d’or semble encore
obscur.
I. II. b. Les implications spatiales dans les zones d’échanges et dans les Corridors
Economiques
Les corridors et les zones d’échange économique sont l’une des résultantes de la création de
la Région du Grand Mékong (GMS, Great Mékong Subregion.) Cet organisme, qui est à la fois un
outil et un programme de développement et d’échange économique, politique et diplomatique,
définit surtout un territoire incluant la Thaïlande, la Birmanie, le Laos, la province chinoise du
Yunnan, puis le Vietnam et le Cambodge qui s’y sont ajoutés. Mais rappelons que cette aire
géographique fait aussi partie de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE)84 et est
aussi historiquement issue du Comité du Mékong.85 Le GMS donne à voir et rappelle une certaine
configuration de la tradition des échanges régionaux qui remontent à l’histoire lointaine et proche,
par exemple pour l’histoire proche, il s’agit de l’idée du désenclavement du Laos durant la période
coloniale, que ce soit dans le Bas ou dans le Haut Mékong ou dans sa transversalité.86 Le
programme concret du GMS a été initié par la BAD en 1992 lors de la Conférence de Manille. Il a
pour objectif principal l’intégration économique des pays membres riverains. L’un des objectifs
pour le Laos, au sein du GMS, serait la possibilité d’avoir l’accès à des ports et aux marchés
extérieurs.
Pour réaliser le programme du GMS à différentes phases, la BAD estime un budget
nécessaire de 40 milliards de dollars sur 25 ans. Ce chiffre comprend les investissements publics et
privés, orientés essentiellement vers les secteurs de l’énergie, des télécommunications, des
transports et des infrastructures. Pour ce faire, la BAD serait le principal partenaire financier, en
particulier pour les pays à revenus faibles tels que le Laos et le Cambodge. Ce réseau serait à terme
le grand support pour tous les échanges et les activités économiques du GMS, tous secteurs
confondus.
83 En février 2008, lors de notre visite, le casino n’était pas encore ouvert. 84 Ne faisant pas partie de l’ANASE, la Chine intègre l’APT (ASEAN+3) créé à l’initiative de Singapour en 1995 lors de
la première réunion de l’ASEM. APT met en partenariat les pays membres de l’ASEAN, la Chine, le Japon et la Corée du
Sud.
85 Op, cit. note 4. 86 Le désenclavement du Laos dans les programmes du GMS n’est pas une idée nouvelle. L’histoire donne déjà la
perception d’un réseau d’échange très ancien, sous une autre forme : 1- Le désenclavement du Laos figurait déjà dans le
programme de développement du territoire colonial français comme une nécessité (réf. Rapports techniques des agents
coloniaux). 2- L’âge du commerce maritime (XVIe siècle) fait transparaître des scénarios suggérant une possibilité pour le
Laos d’être présent sur le marché côtier par ses produits. 3- Le scénario d’un Daï-Viet qui cherchait à s’avancer vers le
cœur de la péninsule, afin d’avoir un rôle à jouer dans le centre du Moyen Mékong, dont le Laos était la plaque tournante,
s’est avéré réaliste dans l’histoire actuelle du pays.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 52 -
L’une des premières conventions mise en avant est l’accord pour le trafic transfrontalier
Cross-Border Transport Agreement (CBTA), s’appliquant aux pays du GMS. L’accord vise surtout à
faciliter le transfert de marchandises et de favoriser la mobilité des personnes d’un pays vers un
autre. Par exemple, pouvoir réduire les deux postes de contrôle à la frontière entre deux pays pour
qu’il n’y ait qu’un seul poste commun ; supprimer le contrôle des marchandises qui transitent vers
le troisième, le quatrième ou le cinquième pays ; établir le droit de libre circulation et d’opérations
commerciales et financières des ressortissants d’un pays dans un autre. Ceci vise à moyen terme à
réduire les coûts administratifs et le temps de stockage des marchandises, à favoriser le commerce
et les investissements transfrontaliers, à augmenter le nombre des touristes locaux et internationaux
et à mieux les répartir.
Le programme GMS permet déjà la mise en place de quelques projets qui sont en cours de
réalisation. Il met en perspective des centaines de projets économiques et de développement qui
sont inscrits dans son cadre, et tracent plusieurs routes, zones et corridors d’échange. Certains de
ces projets et zones acquièrent un aspect plus ou moins utopiste, freiné par des réalités
diplomatiques et des disparités politiques et économiques propres à chaque pays. Cependant
beaucoup de programmes et de projets en cours de réalisation apportent et apporteront de grands
changements du point de vue spatial et préfigurent de nouvelles aires urbanisées à caractères
industriels et commerciaux.
Par sa situation géographique, mais aussi historique, le Laos est appelé à jouer un rôle et
une fonction de communication et d’interconnexion régionale. Il suffit aujourd’hui de constater que
son territoire est “ ouvert ” aux grands projets d’infrastructure en cours de construction : routes et
corridors, réseaux ferroviaires, productions d’énergie hydraulique, exploitations minières, etc. Cette
fonction devient un lourd défi pour le Laos du XXIe siècle. Cela nécessite des nomenclatures
dirigeantes et techniciennes averties et avisées, capables d’avoir des visions à long terme, capables
de dialoguer, de maîtriser et de mettre à profit la gestion des projets pour le développement du pays,
de mesurer leur impact sur la qualité de vie et de l’environnement qui constituent la richesse du
pays, connu et reconnu par l’extérieur. À ces nécessités, le Laos a du retard à rattraper, s’y ajoute
ensuite un manque de ressources humaines et intellectuelles qui auraient pu lui apporter des
réflexions sur les modèles économiques et les modèles de développement à déployer pour le pays.
Nous étudions deux exemples de zones et programmes qui jouent un rôle important dans le
bouleversement spatial des aires et des territoires existants et historiquement déjà occupés, et
possédant antérieurement des schémas et des fonctions spatiales propres : le Corridor économique
Est-Ouest (CEEO ou EWEC) et le Quadrilatère d’or du Haut-Mékong. Bien que nous ne puissions
pas encore apporter une évaluation sur les répercussions de la mise en place de ces réseaux sur
l’espace et les populations existantes –ce qui n’est pas l’objectif direct de notre recherche, et parce
que les projets préliminaires ne sont pas achevés ou qu’ils ne sont pas encore commencés, et dont
certains ne sont pas à ce jour, inscrits– nous pouvons cependant porter notre attention sur la
question de l’harmonisation entre les échelles locales et régionales du point de vue spatial et humain
induit par une nouvelle organisation spatiale qui serait issue de cette nouvelle intégration régionale.
I. II. b. 1. Les implications spatiales du Corridor Économique Est-Ouest, CEEO
Le Corridor économique Est-Ouest est un projet d’échange économique qui se base d’abord
sur la mise en liaison du territoire Est-Ouest de l’Asie du Sud-Est continentale au niveau de la
région du Moyen-Mékong, dont le Laos et la région de l’ancien Laos Occidental en sont le centre.
Ceci, par la réhabilitation des réseaux d’infrastructures anciennes et par la construction de
nouvelles, afin d’améliorer les échanges existants et d’en établir de nouveaux, basés sur des cadres
et des rapports nouveaux et autrement plus favorables. Le Corridor est long de 1500 kilomètres. Il
relie Danang (Viêtnam) à Mawlamyine (Myanmar) en traversant les postes frontières DanesavanhLaobao
(entre le Laos et le Viêtnam), Savannakhet-Mukdahane (entre le Laos et la Thaïlande), Mae
Sot-Myawaddy (entre la Thaïlande et le Myanmar) et en passant par les villes vietnamiennes
Danang-Thua Thien Huê-Quang Tri, la ville laotienne Savannakhet, les villes thaïes Mukdahane-Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Kalasin-Khonkhaèn-Phitsanulok-Sukhothai-Tak-Maesot et les villes birmanes Mawlamyine -
Myawaddy.
Remarquons que dans la partie laotienne il y a une seule ville importante traversée par le
Corridor. Ceci met en évidence deux choses : d’abord, la densité du territoire des pays voisins et au
contraire, l’aspect parsemé du territoire laotien en termes d’unité urbaine ; ensuite, la difficulté en
termes de stratégie de développement du territoire pour le Laos à pouvoir bénéficier de ce Corridor.
Le Laos risque effectivement de devenir simplement un couloir de passage qui ne bénéficierait que
très superficiellement des intérêts issus du Corridor, si la stratégie politique et économique du
gouvernement lao n’est pas à la hauteur du contexte.
La ligne Phitsanulok-Khonkhaèn sépare le Corridor en deux sections : section orientale et
section occidentale.87 Chaque pays devrait donc a priori procéder à la réhabilitation et à la
construction des infrastructures internes pour rejoindre les points de connexion du réseau. Mais les
contextes politiques et surtout les dispositifs économiques de chaque pays ne connaissent pas le
même degré de disponibilité, et cela explique la disparité opérationnelle du Corridor en question.
Par exemple, si la Thaïlande possède un fonds d’investissement public plus conséquent pour
construire ses infrastructures, le Laos ne peut en faire autant. Il faudrait dans ce cas qu’il compte sur
les fonds de la BAD et les grands investisseurs privés internationaux.
Les gouvernements dans le cadre de l’accord CBTA procèdent aux premiers essais
d’application dans les trois postes frontaliers : Danesavanh-Laobao, Savannakhet-Mukdahane et
Maesot-Myawaddy. À Danesavanh-Laobao, le premier essai a été réalisé en 2005 avec une
satisfaction particulière concernant la formation en commun des agents des frontières et concernant
les échanges d’informations et la coopération d’ordre administratif.88
Sur le tronçon laotien, le Corridor économique Est-Ouest a mis en place l’échelon de l’un
des premiers ensembles de projets de développement, sans doute parmi les centaines qui devraient
suivre dans tout le Corridor. Il s’agit du programme « Zone économique Savan-Seno »
89 (SaSEZ).
Pour le tronçon laotien, l’EWEC est pratiquement mis en œuvre à travers la réfection de la route n°9
et l’achèvement en 2007 de la construction du deuxième pont international traversant le Mékong
entre Savannakhet et Mukdahane. La construction du troisième pont entre Thakhek et Nakhone
Phanom a commencé et est achevée en 2011. Ce pont fait également partie du Corridor qui devrait
permettre aux villes laotiennes de s’intégrer et de profiter davantage de ce réseau.
Les objectifs du gouvernement lao
Selon le gouvernement lao le projet de la Zone économique Savan-Seno (SaSEZ) est l’une
des interfaces du plan national de développement économique et social qui a pour objectif, à
l’horizon 2012-2020, l’éradication complète de la pauvreté et sortir le Laos de la liste des pays les
moins avancés (PMA).90 Pour atteindre cet objectif, le gouvernement se fixe un taux de croissance
87 La ligne de partage n’est pas une simple question de longueur de parcours, elle correspond aussi à une bifurcation
possible du Corridor vers Bangkok, son port et le golfe du Siam. Notre interview avec un responsable thaï de la SEZA
confirme l’intérêt thaïlandais, et donc l’intention qui l’accompagne, de faire “ bifurquer ” la partie ouest du Corridor vers
le golfe du Siam et non vers la mer Andaman passant par Mawlamyine, la ville birmane. Cette idée serait justifiée par les
Thaïlandais sur le fait que les infrastructures birmanes mettraient beaucoup plus de temps à être construites et mises aux
normes internationales exigées par la BAD. Le parcours par Mawlamyine serait également trop long par rapport au port de
Bangkok. Quels que soient les justificatifs, ces faits pourraient un jour devenir une source de conflits d’intérêt entre la
Birmanie et la Thaïlande. Ils confirment surtout la position historique de la Thaïlande dans cette région qui persiste dans la
configuration de ce Corridor moderne, l’un des enjeux pour l’avenir économique et politique régional. 88 « Pour que le transfert des marchandises et le transport transfrontalier de la sous-région soit plus rapide et plus facile
qu’avant », in. Journal Lao Phathana, article en lao, du 17 mars 2008. 89 Le sigle SENO, “ Sud-Est/Nord-Ouest ”, est hérité de l’administration militaire française. Il désigne des coordonnées
stratégiques au croisement entre deux routes coloniales Sud-Est et Nord-Ouest. Ce point est situé à une trentaine de
kilomètres environ du vieux Savannakhet. Il devient depuis le nom du district et sera prochainement une zone de
développement importante en marge de la ville ancienne. 90 Le Laos est classé au 135e rang mondial des pays les moins avancés (PMA) dans le rapport de 2004 du PNUD sur le
développement humain. 31% de la population vivent en de-ça du seuil de pauvreté.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 54 -
économique à 7% par an. Ses priorités sont également de favoriser les investissements dans le
secteur privé et le secteur public, dans le domaine des infrastructures et le domaine des services
publics, d’inciter la production et la capacité locale à répondre aux “ plans d’affaires ” divers qui
seraient proposés par les investisseurs. La SaSEZ qui fait partie du programme « Corridor
économique Est-Ouest » (EWEC ou CEEO) devrait donc aménager théoriquement des opportunités
nouvelles non seulement pour les grands investisseurs mais aussi pour les investisseurs privés de
petite taille. Et l’EWEC qui est une composante même du programme de développement de la GMS
devrait être un instrument de la circulation transversale entre pays pour les capitaux, les biens et les
services, mais aussi celle des compétences.
Le projet SaSEZ, une grande joint-venture internationale
Une autorité de gestion de la zone SaSEZ a été mise en place, appelé SEZA (Spetial
Economic Zone Autority). Cette Autorité pour la gestion de la Zone spéciale économique est
directement rattachée au bureau du Premier Ministre de la RDP Lao et possède son siège à
Savannakhet même. Par bien des aspects, cette structure préfigure déjà une administration quasiautonome
par rapport aux autorités administratives provinciales. Elle semble être une administration
centrale déconcentrée.
70% des investissements sont étrangers et 30% est la part des investissements du
gouvernement lao. Cette part est l’ensemble des terrains (capitalisés) que le gouvernement met à
disposition du projet. Il y a globalement trois échelles de partenariat : l’échelle 1 concerne les gros
investisseurs qui investissent dans toutes les infrastructures préparant l’accueil des industries.
L’échelle 2 concerne les investisseurs clients, plus petits, qui viennent installer leurs fabriques,
ateliers, centres d’achat, etc. L’échelle 3 concerne les usagers et les consommateurs surtout dans la
zone A, de la ville nouvelle. Bien que l’État laotien possède 30% des investissements sous forme
foncière, au terme de 50 ans l’ensemble des projets lui sera rétrocédé de droit. Telles sont les
clauses du contrat.
Le programme SaSEZ contient cinq zones couvrant environ 954 hectares. La zone A est
consacrée aux services et aux logements de grand standing, et couvre 305 hectares. La zone B est
destinée à la logistique et couvre 20 hectares. La zone C qui couvre 211 hectares est attribuée à
l’implantation des industries. La réalisation des infrastructures dans cette zone pour pouvoir
accueillir les industries internationales devrait s’achever dans deux ans. La zone D qui devrait être
une zone résidentielle et de relogement de la population couvre 118 hectares. Enfin la zone B1 qui
couvre 300 hectares est une zone de développement potentiel que la SEZA pourrait développer
éventuellement.
À titre d’exemple apportons quelques précisions à la zone C qui est un centre industriel, de
commerces et de services situé au kilomètre 10 du district Kayson Phomvihane. C’est un projet
d’investissement mixte évalué à 14 millions de dollars. 70% des parts d’investissement sont privés
et d’origine malaise.91 L’État lao, à travers l’Autorité administrative SEZA, détient 30% des parts
sous forme de biens fonciers (les 211 hectares de terrain). Les investissements en question sont
orientés vers la construction des infrastructures, telles que les routes, les réseaux d’eaux et
d’électricité, les télécommunications, les transports, le traitement des eaux usées et des déchets.
Ceci pourrait constituer des supports préparant l’installation des projets tels que les usines légères
destinées à l’exportation, les centres de distribution des biens et des services. La zone d’industrie
légère absorbera selon les investisseurs pas moins de 30 000 emplois.
La mise en place institutionnelle du programme SaSEZ
91 La société malaise Pacifica Streams development a signé un accord avec le bureau de gestion de la SEZA le 24 février
2008 qui fait suite à l’accord de principe signé le 18 mai 2007.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Pour confirmer davantage ses objectifs, le gouvernement a institutionnalisé le programme
SaSEZ dès 2002, à travers le décret N°02/PM en date du 21 juillet 2002, portant la légalité du
programme. Plus tard, ce décret se voit complété par le décret N°148/PM en date du 29 septembre
2003 et le décret N°177/PM en date du 13 novembre 2003, portant la réglementation administrative
et les politiques de sensibilisation de la SaSEZ.
L’agrément officiel pour les investissements du site A, signé le 13 juin 2007, a été accordé à
un investisseur privé thaïlandais. L’agrément pour l’étude et le développement d’un parc
commercial et industriel signé le 24 février 2008 a été accordé à une compagnie malaysienne.
Nominativement, les investisseurs qui sont déjà sur le site et qui ont obtenu l’approbation
d’investissements du gouvernement lao sont : Savan City Compagny Ltd, (en 2008) pour le site A ;
Hua Jin International Ltd (en 2007), Logitem Lao GLKP Co., Ltd (en 2007), Double A Inter
Transportation Co., Ltd (en 2007), Recycle Tired Group (en 2008), Nanon Logistic Laos Co., Ltd
(en 2008) pour le site B ; DKLS Properties Development Co., Ltd (en 2008), Lao Tin Smeltin Co.,
Ltd (en 2008), OM (Laos) Co., Ltd (en 2008), Savan Pacifica Development Co.,Ltd (en 2008),
Mékong Argo Industry Limited (en 2008) pour le site C. Selon ses responsables d’autres compagnies
ne vont pas tarder à se joindre au programme.92
Le planning de la SEZA
D’après l’un des responsables de la SEZA, au début de l’année 2009, les activités et les
réalisations en cours sont surtout consacrées, pour le site A et D, aux collectes des données, aux
travaux de libération du site A et au relogement de la population déplacée du site D, ceci devrait
sous peu être achevé à 90%. L’installation des bureaux de gestion devrait être achevée à 100%, et
l’électrification du site D est en cours. Pour le site B, il s’agit de déloger et de reloger aussitôt la
population déplacée et d’achever le terrassement de la route. Pour le site C, il faut reloger quelques
familles, installer le bureau de l’administration, mais le dégagement du site n’est qu’à 10% de son
achèvement. L’électrification est achevée sur 500 mètres, le terrassement de la chaussée d’une route
d’accès a commencé en janvier 2009 et dans cinq ans les réseaux entiers de route doivent être
complètement construits. Le bureau SEZA commence également à construire 30 maisons pour
reloger la population déplacée, sur 200 au total à réaliser.
En ce qui concerne les usagers (pour les résidences, les loisirs etc., aménagés dans la zone
A) et les petits investisseurs (qui occuperont les ateliers et les boutiques dans la zone d’industries
légères) ainsi que les grands investisseurs (qui mettront leurs capitaux dans la construction des
infrastructures et des réseaux) nous pouvons nous poser la question : qui viendrait investir dans la
zone SaSEZ ? Le bureau de la promotion de la SEZA estime que cette zone attirera les Vietnamiens
et la population de la région d’Issan en tant qu’usagers majoritaires. Et il espère attirer les
investisseurs de Taïwan et de Chine qui exportent vers l’Europe et les États-Unis, profitant du faible
coût fiscal et de la main d’œuvre, de l’électricité, de l’eau et du foncier. Et ils profiteraient
également du fait que le Laos possède toujours le GNP (General Nation Preference, droits et
différents avantages pour ses exportations dans les 42 pays) et le NPR (Nation Preference
Restriction, pour exporter aux Etats-Unis). L’exportation profiterait pleinement des facilités offertes
par le Corridor, soit vers l’Est (Danang, Mer de Chine) soit vers l’Ouest (Mawlamyine, Mer
d’Andaman).93
I. II. b. 2. Les implications spatiales du Quadrilatère d’or dans le haut Mékong
92 Cependant, selon notre interview auprès de la SEZA et selon les observations faites sur le site en février 2009,
l’enthousiasme n’est pas débordant. La crise monétaire mondiale qui touche les grandes entreprises semble retarder les
engagements en question et instaure une mauvaise ambiance chez les investisseurs. Nous avons également pu interviewer
une petite société locale sous-traitante pour une grande société en charge du terrassement dans le site C. Cette dernière nous confie la difficulté qu’elle éprouve à être payée pour les travaux effectués. 93 « Savan-Seno deviendra le nouveau facteur de développement de la zone économique de l’Asean vers le marché
mondial », in. Lao Phathana, journal du 27 février 2008.
Fig. 10.
Master
plan SaSezDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le Quadrilatère est une histoire ancienne. Il évoque le Triangle d’or historique qui
impliquait traditionnellement le Laos, le Myanmar et la Thaïlande. Ce trigone était célèbre pour son
réseau de trafics de drogue, pour les guérillas “ des causes perdues ” où étaient impliqués les Shan,
les Karen et les Lü, pour l’intérêt et la curiosité que suscitaient autant les seigneurs de guerre que les
ethnies qui se soumettaient difficilement aux autorités lao, thaïes et birmanes. C’est une région
dominée par des sous-groupes tai : principalement, les Lü, les Gnouan et les Shan. Du point de vue
culturel et historique, la région était partagée entre le Lan Na, le Lan Xang, le Sip Song Phan Na et
l’État Shan, avec la Chine toujours omniprésente.
D’un lieu de “ non-droit ” ou “ de tous les droits ”, le Triangle d’or doit théoriquement
aujourd’hui se reconvertir après un démantèlement officiel du réseau de productions de drogue et la
soumission des seigneurs de guerre94 vers la fin des années 1990. Cette région doit changer
radicalement de fonction. Dans tous les cas, elle devient maintenant accessible aux touristes, une
zone d’échange de « marchandises légales ». Sa reconversion en cours est renforcée avec la forte
présence de la Chine qui aménage trois voies d’accès depuis ses frontières : la plus importante étant
la route n°3 dont la construction a été achevée vers 2007. Elle vient du sud de la Chine passant par
la ville chinoise de Mohan, par la ville laotienne de Botèn et par Luang Namtha avant d’arriver à
Houayxay puis remontant vers Tonh Pheung - Ban Mom, face au Triangle d’or. La route de Muang
Sing provenant d’une autre partie du sud de la Chine, passant par Xieng Kok, et depuis Xieng Kok
le fleuve la conduit vers le Triangle d’or à trois heures de speed-boat. Une route fluviale est
également possible : des bateaux touristiques (ferries de petite taille) venant du sud de la Chine
s’arrêtent souvent à Xieng Kok, une partie étranglée du fleuve, avant de continuer leur route vers le
Triangle d’or, où du côté laotien, un casino flambant neuf les accueille, et du côté thaï des
complexes d’hôtellerie. La suite de la route peut se faire vers Chiang Saen et Chiang Rai ou en
descendant un peu plus encore vers Chiang Kong avant de reprendre la route jusqu’à Bangkok.
Si nous pouvons imaginer que les produits venant de Chine empruntent ces routes comme
des chemins de transit, du point de vue touristique, les routes semblent mener les voyageurs vers le
Triangle d’or comme une destination. Aujourd’hui, bien que cette zone reste une affaire entre quatre
pays, le nombre important de touristes et la vivacité des commerces (grâce surtout aux activités du
côté thaï) semblent promettre un bel essor pour les prochaines années. A priori, l’idée du
Quadrilatère d’or, mettant en partenariat les quatre pays, pourrait être effectivement un outil de
développement. Mais dans la pratique, de nombreux problèmes subsistent. Nous tenterons de
comprendre les freins et les contraintes dans le chapitre suivant traitant de la question
« d’intégration nationale et régionale », ici, détaillons seulement les trois principaux accès évoqués.
1- Route Mohan-Botèn/ Luang Namtha-Houayxay/Tonh Pheung-Ban Mom
Sur ce parcours, la frontière internationale ne débouche pas directement sur le Triangle d’or même,
mais plus en aval entre Chiang Kong et Houayxay, à une quarantaine de kilomètres en aval de Ban
Mom. Les habitants et les autorités de Muang Tonh Pheung souhaitent par ailleurs que la frontière
internationale puisse s’ouvrir entre Chiang Saen et Tonh Pheung, qui est aujourd’hui seulement
ouverte pour les frontaliers et les nationaux Lao et Thaïs. Les autres nationalités doivent traverser la
frontière au niveau de Houayxay-Chiang Khong pour pouvoir passer en Thaïlande ou venir au Laos.
2- La route de Muang Sing. Ce parcours passe par plusieurs petites agglomérations anciennes où les
traces historiques existent peu. L’état délabré de la route actuelle et les conditions de voyage entre
Muang Sing et Xieng Kok nous font constater qu’elle ne peut être un réseau régional. Ce parcours
94 Khun Sa était le dernier et le plus célèbre seigneur de guerre de cette région. Sous ses bannières, la drogue finançait la
guérilla d’un État Tai Shan rêvé. Mais il semble que les forces armées de cette guérilla servaient surtout à construire et à
protéger le réseau de production de drogue et que le projet politique d’un État Shan autonome n’avait pas vraiment été
bien structuré. Du moins pour ce que nous savons des informations provenant du milieu intellectuel Shan qui défendait
l’existence d’un éventuel État Shan. Ce milieu vivait à Bangkok et non dans la jungle et n’avait pas vraiment d’étroites
connexions avec Khun Sa. Cf. Discussion avec Robert Ajoux, à Bangkok, en 1996.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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n’est pas privilégié par rapport à la première route Luang Namtha-Houayxay. Et c’est à l’Ouest de
cette route qu’existent de très nombreuses minorités ethniques vivant dans une enclave, une partie
du Haut-Mékong coincée entre la Chine et la Birmanie. Apparemment de Xieng Kok, nous pouvons
traverser le Mékong et pénétrer dans le Nord de la Birmanie. Mais cette route birmane semble très
ancienne, fréquentée à l’époque où il existait encore le Royaume de Xieng Kheng, à cheval entre les
deux pays. Mais aujourd’hui, elle est peu empruntée.
3- La troisième route, fluviale, qui vient de Chine et dont la ville la plus proche (avec Muang La) est
Jinghong,95 fait escale à Xieng Kok, rejoignant ainsi la deuxième route avant de redescendre le
fleuve en direction du Triangle d’or.
Les trois parcours mettent en évidence des situations assez contradictoires. D’une part, la
région du Haut-Mékong semble être une vraie passoire par le fait que trois parcours, au moins,
venant de pays étrangers la traversent. Et d’autre part, nous pouvons remarquer une certaine
désarticulation territoriale car les trois passages qui viennent de Chine à différents points ne
débouchent pas sur le même lieu de convergence des quatre pays, c’est-à-dire au niveau de Muang
Tonh Pheung (Laos), Chiang Saen (Thaïlande) et Tha Khilek (Myanmar). Le fait que la frontière
internationale se trouve non pas sur la zone de l’ancien Triangle d’or mais entre Houayxay et
Chiang Khong exclue clairement la rive birmane du Quadrilatère. Pour être dans la logique énoncée
il fallait que la frontière internationale soit à Tonh Pheung-Chiang Saèn (et non pas à Houayxay)96 ;
par ailleurs, il fallait que Muang Tong Pheung puisse bénéficier d’un véritable plan et programme
de développement avec une vision d’intégration régionale plus claire ; et il fallait que la route n°3
qui se poursuit vers Tonh Pheung soit capable de recevoir un trafic plus dense (qu’elle soit, par
exemple, entièrement goudronnée). À ce jour, les quarante kilomètres qu’elle parcourt pour arriver
à Tonh Pheung sont encore difficiles et ne sont que partiellement goudronnés.
Comme nous l’avons fait remarquer dans le chapitre précédent sur la question de
« déséquilibre entre les villes frontalières de deux communautés nationales différentes », la rive
droite thaïe est largement plus développée, avec des infrastructures et des services de base équipés
(complexes hôteliers, commerces, routes, etc.), un développement urbain plus important, et un
patrimoine archéologique entretenu (musée archéologique à Chiang Saen). A contrario, la rive
laotienne, Muang Tonh Pheung (qui est l’ancien Xieng Saen, rive gauche) sur le territoire du
Quadrilatère d’or, à 40 minutes de route en amont de Houayxay, reste à l’heure actuelle un village
sans infrastructure. Son site archéologique est mal entretenu et peu protégé, son intégration dans le
Quadrilatère reste bancale, bien que le tronçon laotien occupe à l’évidence une position centrale.
Qu’il soit réalisable ou non, il n’y a pas de programme clair comme c’est le cas pour la zone
économique SaSEZ munie de son autorité administrative. Le grand casino qui a été construit au
niveau de Ban Mom en amont de Tonh Pheung, avec des investissements étrangers privés, qui
devrait accueillir les touristes est un projet “ ovni ”, du fait qu’il ne fait partie aucun plan de
développement, et donc ne possédant aucune structure et infrastructure d’accueil touristique, semble
être plus une opération financière extraterritoriale qu’un projet de développement et d’intégration
régionale.
I. II. b. 3. Les implications spatiales de l’axe du Mékong
En suivant l’axe du Mékong au-delà de Xieng Kok, le fleuve remonte en bief vers le NordEst
puis bifurque vers le Nord-Ouest. Nous rencontrons la première plus grande ville chinoise,
Jinghong. Ce tronçon du fleuve traverse l’ancien Royaume de Xieng Khèng. Cet axe fluvial semble
être un grand axe transversal historique : le trafic se faisait plus d’une rive à l’autre. Les cartes
95 Jinghong en chinois ou Xieng Hung en lü. La ville est autrefois la capitale d’un royaume Tai Lu. Aujourd’hui c’est une
ville-district, chef-lieu de la préfecture autonome dai du Xishuangbanna. 96 D’après le chef du district (rencontré en 2008) l’autorité locale aimerait que la frontière internationale soit déplacée à
Muang Tonh Pheung, dans la zone du Triangle d’or. La question a été plusieurs fois soulevée au sein de l’administration
provinciale, mais la position de la ville de Houayxay monopolise déjà cette fonction administrative.
Fig. 11. La
région du
Haut Mékong
et son réseau.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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dressées par P-B Lafont97 montrent de nombreux établissements de part et d’autre des deux rives.
La carte des pistes, des rivières et des montagnes, superposée sur la carte de localisation des
établissements, met en relief un territoire bien occupé, couvrant le Haut-Mékong comme une toile
d’araignée. Cependant, ces plans semblent appartenir à un temps révolu. La descente du Mékong à
ce niveau n’est pas aujourd’hui perturbée par les établissements en bordure du fleuve qui auraient
pu nous inciter à nous y arrêter : ces derniers ne constituent plus des arrêts, comme cela aurait pu
l’être par le passé, car ce sont aujourd’hui des petits villages insignifiants, quasi-imperceptibles
depuis les rives, jusqu’à ce que nous arrivions au Triangle d’or.
98 Après Tonh Pheung-Houayxay, le
fleuve décroche vers l’Est et pénètre à l’intérieur du Laos, Pak Ou-Luang Prabang, avant de
redescendre vers Paklay-Sanakham pour ensuite refaire encore une autre bifurcation vers l’Est pour
rejoindre Vientiane, Paksan-Pak Kading, et descendre franchement vers le Sud, où de nombreux
obstacles empêchent que le fleuve devienne “ l’autoroute fluviale ” permettant une “ pénétration
vers la Chine ” comme les autorités coloniales l’avaient tant souhaité. Du point de vue fluidité,
chaque jour un bateau de transport touristique vient de Chine, de Xieng Hung. Il s’arrête parfois à
Xieng Kok mais il est surtout à destination du Triangle d’or et de Chiang Khong, car c’est par ce
parcours qu’un nombre important de touristes chinois (des touristes riches et de la classe moyenne)
arrivent au Quadrilatère d’or et pénètrent ensuite en Thaïlande.
Nous pouvons donc dire que l’axe du Mékong dans sa totalité ne fonctionne pas comme un
axe vertical de pénétration sud-nord et nord-sud, comme l’avait un temps pensé et souhaité la
politique coloniale. Il est effectivement une voie fluviale de pénétration du Haut Laos et du Nord de
la Thaïlande, par la Chine, mais seulement jusqu’au Quadrilatère d’or et jusqu’à Houayxay-Chiang
Khong. En-deça, il devient un parcours intérieur dont le sens est transversal, d’une rive à l’autre. À
l’inverse donc de la stratégie coloniale, c’est la Chine, aujourd’hui, qui pénètre dans l’ancien
territoire Indochinois. Effectivement, il y a une volonté des Chinois de faire poursuivre le parcours
touristique spécifiquement par bateaux, depuis la Chine jusqu’à Luang Prabang :
99 entre Xieng
Hung et Luang Prabang, le Mékong est franchissable, même si à certains endroits, il devient plus
étroit, plus étranglé et parfois difficile à la saison sèche : les rochers apparaissent et les tourbillons
deviennent plus violents. L’arrivée éventuelle de ces bateaux touristiques inquiète les autorités de la
maison du patrimoine. Car le flux touristique chinois suivi par la construction éventuelle des
équipements pour les réceptionner menacerait la minuscule Péninsule.100
I. II. c. Les enjeux spatiaux dans les territoires de concession
Ce qui peut être inscrit comme territoire de concession, ce sont des territoires d’exploitation
minière et des territoires qui font l’objet de baux de longue durée. Deux cas d’étude nous ont
interpelés et nous ont permis de comprendre comment un territoire peut-il aujourd’hui devenir
marginal ou au contraire entrer en phase d’émergence : les sites de concession de Botén et
d’exploitation minière de Sépone.
I. II. c. 1. Les enjeux spatiaux dans la zone de concession de Botén
97 Pierre-Bernard Lafont, Le royaume de Jyn Khen, Chronique d’un royaume tay Loe2 du haut Mékong (XVe
-XXe siècles),
Ed. L’Harmattan, Paris 1998.
98 Pour observer cet axe nous avons effectué la descente du fleuve seulement entre Xieng Kok et Tonh Pheung. 99 En 2006, nous avons pu visiter un tour-opérator d’origine du Yunnan installé à Luang Prabang. On pouvait voir exposer
sur les murs du show-room les cartes touristiques du Sud de la Chine et les informations les concernant ainsi que les
informations sur Luang Prabang, tout écrit en mandarin.
100 Selon l’interview de l’un des anciens experts qui a travaillé à la Maison du Patrimoine et qui vit toujours à Luang
Prabang. En juillet 2009, nous avons l’occasion de réinterroger le bureau fluvial de Luang Prabang, celui-ci nous confirme
qu’il n’y a pas de bateaux chinois qui débarquent directement à Luang Prabang. Les touristes chinois ou autres qui
viennent du Triangle d’or ou de Chine seraient obligés de changer de bateau à Pak Beng pour pouvoir arriver jusqu’à
Luang Prabang. Par contre, il serait tout à fait possible un jour prochain que les bateaux chinois arrivent directement à
Luang Prabang si des tour-opérators organisent spécifiquement ce parcours.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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La zone de concession de Botén s’implante dans une zone proche de la frontière chinoise.
La ville chinoise de Mohan est située à 2 kilomètres. Regroupant les petites plaines rizicoles
enclavées entre collines et forêts claires, la zone appartenait ou du moins était cultivée par les
villageois de trois villages anciens. Botén, l’un des trois, est le plus important. Il est fondé depuis
près de 247 ans101 par Phraya Khun Muang [rtpk05og,nv’] un seigneur lü qui venait du
Xishuangbanna accompagné d’une trentaine de familles. Le vieux village, situé à un kilomètre de la
zone aménagée et appelée Golden Boten City, est habité par environ 200 familles Tai Lü. Et
l’emprise actuelle de la Golden Boten City était des rizières immergées appartenant au domaine du
vieux village. En raison de l’ampleur et de l’ambition de la concession qui doit s’étendre sur
l’ensemble de la zone, la concession obtient de l’autorité provinciale 1640 hectares de terrain. Le
territoire du village Botén fait alors partie du périmètre d’extension immédiate de la concession.
Les caractéristiques de la Golden Boten City
D’après les villageois, la concession s’implante dans les rizières du vieux village. Et non
pas dans “ une zone non occupée et en friche ” (sic)102 comme l’auraient déclaré les autorités locales
auprès du gouvernement central. Le site est à cheval sur une Route nationale en direction de la
frontière chinoise, Mohan se trouvant à 2 kilomètres plus loin. La plus grande partie du site occupe
le côté ouest de la route. D’après les villageois, la durée de la concession serait de 30 ans, selon les
informations qui leur ont été données au départ. Mais elle serait en réalité de 90 ans. « Pour les
Chinois, c’est un achat définitif. Nous souhaitons que les autorités nous donnent des explications
claires, qu’elles nous disent la vérité », nous confient les villageois. Le fait que ces derniers
évoquent avec insistance les termes “ concession de 30 ans ” et “ achat définitif” tout en les
distinguant, nous montre d’un côté leur espoir de retrouver trente ans après leur terre, et de l’autre,
leur angoisse de perdre à jamais leur terre ancestrale.
La partie construite actuelle de la concession, qui est l’une des parties de Golden Boten City
I (il y a aussi Golden Boten City II), est composée de cinq zones : la zone du grand casino-hôtel, la
zone d’habitation commerciale (celle-ci est formée de compartiments peu profonds mais intercalés
de maisons chinoises à cour), les immeubles de logement de plusieurs étages, les terrains viabilisés
en cours de construction, les grands magasins et stocks, où chacun peut occuper un îlot entier.
Les accès et le fonctionnement de Golden Botén City
Le site est accessible de deux manières : par l’entrée principale et par l’entrée « chinoise ».
Lorsque l’on vient de la frontière chinoise et lorsque l’on veut passer par l’entrée principale, on doit
passer par le point de contrôle de police laotienne des frontières, avec les papiers en règle. Quant à
l’entrée chinoise, elle est spécifiquement aménagée depuis la frontière. Elle permet un accès direct
sur le site contournant le poste de contrôle de la police laotienne. Cela veut dire que le bureau de
l’immigration laotien ne peut pas contrôler cette entrée et donc ne peut connaître le nombre des
entrées d’immigrés qui empruntent cet accès pour pénétrer dans le sol de la RDPL et aller ainsi dans
les autres villes sans être contrôlés, à moins de l’être plus tard au niveau des postes de contrôle sur
les routes, de manière aléatoire.
Le mode d’occupation
Dans Golden Botén City, les entreprises chinoises construisent les compartiments
combinant habitation et commerce et font appel aux commerçants chinois majoritairement d’origine
du Yunnan pour venir s’y installer. Les baux sont annuels et coûteraient environ 25 000 bath
l’année. Pour les mall, la location coûterait plus chère, ainsi que les habitations à cour. Les
101 Enquête menée à Botén en 2008. 102 D’après les villageois, ces propos auraient été tenus par un administrateur de la province.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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immeubles d’appartements sont davantage réservés pour le personnel du casino et de l’hôtel qui
négocie un prix de loyer en rapport avec leur emploi.
La Golden Botén city ne possède pas vraiment de centre : seule la rue qui longe la façade du
grand hôtel-casino semble faire office de centre et la rue qui lui est perpendiculaire semble vouloir
en constituer l’annexe. Le bâtiment du casino est adossé au flanc d’une colline. La vue est donc
orientée vers une aire dégagée, mais un peu plus loin cette aire est fermée par la forêt et des
collines. Dans l’ensemble, la façade du casino n’a pas d’ouverture panoramique sur le paysage. Le
Feng Shui (Ngo Hèng pour les Lao) concernant l’espace de jeux et de commerce dicte sans doute
cette disposition : une vue ouverte serait mauvaise pour la fluctuation de l’argent du casino. Tout
comme l’orientation du casino de Danesavanh,103 au lieu de profiter d’une vue panoramique sur le
lac de la Nam Ngum, le casino lui tourne le dos pour faire face à une vue fermée. Dans ce cas, les
points cardinaux semblent peu importants.
Les habitants et les fréquentations
Les habitants sont uniquement chinois. Il y a quelques Laotiens parmi le personnel du
casino, croupiers et femmes de ménage. Les clients sont majoritairement chinois, les Thaïs et Lao
ne sont pas très nombreux. Les clients thaïs passent par Chiang Kong et empruntent la route n°3
pour remonter vers le site. Les clients laotiens, au nombre très limité, viennent généralement de
Vientiane. Ici, on ne parle que chinois, apparemment cantonais et quelques langues du Yunnan.
Seul le directeur de l’hôtel parle un peu l’anglais. Les panneaux, les devantures et autres
signalisations sont en Chinois, les plaques d’immatriculation également, enfin lorsque les voitures
sont immatriculées : souvent elles ne le sont pas. Parfois on remarque des caractères en Lü en bas
du Chinois sur les plaques. Dans ce cas, ce sont des voitures immatriculées dans le Yunnan, utilisant
le lü comme deuxième langue.
Le contrôle de l’immigration et la sécurité
La police ou l’unité de surveillance de la cité est uniquement chinoise. Les autorités
laotiennes et la police n’interviennent pas dans les affaires qui auraient eu lieu sur le site. Il n’y a
pas de contrôle de l’immigration, les dispositifs administratifs généraux appliqués aux villages
laotiens ne sont pas appliqués ici. Les affaires criminelles qui se produisent dans la cité sont
directement traitées et réglées par la police chinoise sans que les autorités laotiennes interviennent.
C’est un monde complètement clos à la loi laotienne et à la société locale, une enclave à l’intérieur
du sol de la RPD Lao. Par exemple, lorsque parfois il y a des règlements de comptes entre joueurs
ou entre trafiquants, les affaires se règlent à la va-vite souvent sans l’intervention de la justice. Ce
côté “ sans foi, ni loi ” est clairement souligné par les villageois de Botén interviewés. Ils expriment
clairement leur crainte mélangée de dégoût par rapport à la cité où ils hésitent à venir.104
La vie sociale et les activités
Les familles chinoises ouvrent des petits commerces de toutes sortes. Mis à part les adultes
actifs, nous remarquons des enfants en bas âge et les grands-parents toujours en âge de travailler
(entre 50 et 60 ans), cependant nous n’avons pas noté la présence d’école. Les célibataires semblent
occuper les commerces de vêtements (souvent, des imitations de grandes marques), gestionnaires de
guest-house et de restaurants, etc. Ils occupent le plus souvent des habitations à cour, où il y a
plusieurs chambres utilisant la cour comme espace commun : étendre le linge, se garer, faire la
103 Le casino de Danesavanh, qui donne sur le lac Nam Ngum, est construit dans la zone de réserve naturelle de la
montagne Phu Khao Khouay, près de Ban Kheun, province de Vientiane. 104 « Quand ils se tuent entre eux, sans doute à cause des jeux, ils enterrent les morts comme ça, comme des chiens sans
cérémonie religieuse, ils nous font peur ces gens-là. D’ailleurs les jeunes (Lao) qui travaillent au casino, parfois quittent
leur emploi sans prendre leur salaire, tellement ils ont peur de travailler là-bas. On ne sait jamais : parfois les perdants
pensent que les croupiers sont de mèches avec les gagnants, alors ils peuvent être butés comme ça dans leur chambre ! ».
Propos recueillis dans un village tai lu, Botén en 2008.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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cuisine, ou même faire salon. Nous ne remarquons pas non plus d’espace religieux dans la cité,
seulement des petites maisons des ancêtres, posées à même le sol. Nous remarquons la présence de
réseaux de trafiquants et de joueurs, sans doute les patrons des différentes affaires et boutiques
ouvertes dans la cité, et aussi de « la pègre qui vient s’y planquer », comme le soulignent les
villageois. À part le casino, il y a toutes sortes de commerces :
105 magasins de vêtements, salons de
coiffure, salons de jeux, restaurants, hôtels, marchands de meubles, mini-mart, négociants importexport,
grossistes, etc. Nous remarquons également des hangars de stockage et un nombre important
de camions de transport. Les produits sont incontestablement en transit dans la cité avant d’être
écoulés vers les autres villes du Laos et probablement aussi vers les villes thaïes. Nous retrouvons
ces mêmes produits dans les supermarchés chinois de Vientiane, par exemple. C’est également un
lieu de transit des personnes : les Chinois passent en fait par la cité avant de continuer leur route
vers les autres villes du pays, accompagnant le parcours des produits à écouler.
Le vieux village de Botén et les conditions de la concession
Du fait que le vieux village fait partie des 1640 hectares de la concession, un ordre officiel a
été donné à la population d’évacuer le lieu en février 2008. Les conditions du déplacement étaient :
- Pour cette concession et selon le contrat, les entreprises chinoises paient à la province 100 000 000
kips par hectare, mais la population n’a été indemnisée que de 50 000 000 kips par hectare.106
- Le nouveau site d’accueil du village de Botén déplacé se trouve à 6 kilomètres du vieux village
actuel que les Chinois ont en partie déjà débroussaillé.107
- Le site d’accueil est un terrain vide, avec une topographie irrégulière, sans infrastructure de base
comme l’eau potable, l’électricité, école et monastère ; le réseau électrique passant uniquement sur
la grande route.
- Le site d’accueil n’a pas de domaine forestier, ni de domaine agricole. Si les villageois le veulent,
il faut qu’ils achètent eux-mêmes les terrains, sachant que les terres plates entre les collines pour
aménager de nouvelles rizières immergées sont rares. Celles qui existent sont déjà occupées soit par
d’autres villages existant soit déjà exploitées en rizière. Cela signifie que chaque famille aura
seulement un terrain à bâtir et n’aura pas de terre pour aménager des rizières, des vergers et des
jardins potagers autour de leur habitation.
- Les terrains à bâtir sont parcellisés. Au début il était question de parcelle de 20x20 m pour chaque
maison, aujourd’hui elle est réduite à 13x17 m. Après négociation, la taille de la parcelle est
apparemment passée à 14x19 m.
Depuis que l’ordonnance sur le déplacement du village a été décrétée, les villageois n’ont
plus le droit de cultiver leurs rizières, ni couper le bois de la forêt au pied du village, restant de la
première étape de la concession. Ils ne cultivent donc plus de riz depuis deux saisons ni de potager,
n’ayant plus le droit d’utiliser le sol sur lequel ils vivent depuis près de trois siècles. Depuis deux
ans, la population a dû donc en partie acheter du riz, les réserves des greniers des saisons passées
étant épuisées, conséquence de la réduction des zones de rizières et à l’interdiction d’y cultiver dans
les terres jouxtant et entourant le village. En février 2008, un groupe de villageois se fait séquestrer
quelques heures suite aux conflits avec les gardiens de la concession : en coupant quelques troncs
d’arbre de la forêt communale pour réparer le samosone [lt3,lvo], sorte de maison communale du
village, ils ont été arrêtés pour violation de propriété de la concession.
105 Le service de call girls, officiellement prohibé au Laos, destiné au grand hôtel et aux guest-houses est courant, puisque
sur toutes les tables de chevet des chambres, il y a des documents plastifiés indiquant en chinois les numéros de téléphone
avec photos de jeunes femmes, hôtesses et accompagnatrices. 106 Environ 11 000 USD l’hectare. Mais la population aurait été indemnisée à environ 5 500 USD l’hectare. 107 Les deux autres villages ont déjà été déplacés au bord de la route. Nous n’avons donc pas pu avoir des informations in
situ sur les deux autres anciens villages.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Mis à part le problème des terres, il y a d’autres aspects qui expliquent la mauvaise
perception de la cité chinoise par les villageois. D’abord, la main d’œuvre locale n’a pas été
engagée pour la construction du complexe du casino et de la cité. Apparemment, aucun programme
de formation préalable n’a été organisé. Le personnel laotien de l’hôtel et du casino a été licencié en
grand nombre pour incompétence et remplacé par du personnel chinois. Ceux qui ont pu rester, se
voient réduire leur salaire. L’insécurité du milieu du jeu et la menace des joueurs, souvent « des
mafieux venant de Chine » (d’après les villageois), fait régner la peur dans le milieu des travailleurs
laotiens. Avec les règlements de comptes dans le milieu chinois, les croupiers laotiens quittent
parfois en cachette le site sans réclamer leur salaire. Par ailleurs, les villageois n’ont pas le droit de
venir vendre leurs produits (fruits et légumes) dans cette zone. Au début, les produits de
consommation du casino et du complexe venaient directement de Chine, puis peu à peu, les
habitants chinois de la cité ont commencé à les cultiver eux-mêmes. Il y a donc très peu d’échanges
entre les habitants de la cité et les villageois.
Au-delà des conflits, “ le drame ”
Habituellement la parcelle de l’habitation lü, comme ceux des autres Lao, est assez vaste, en
particulier en ce qui concerne les habitations se trouvant dans les villages ruraux. La maison lü,
proprement dite, est également assez grande, moins découpée par les espaces extérieurs, tels les Sya
et les San (terrasse couverte et découverte) que des maisons lao tai de la basse plaine. Dans la
maison lü, toute la famille habite ensemble : les filles mariées continuent à vivre avec leur mari un
certain temps dans la maison familiale. La parcelle d’habitation possède de nombreux espaces
utilitaires, tels un jardin où l’on plante des légumes et des herbes aromatiques quotidiennement
utilisées, un espace réservé pour l’élevage (vaches, cochons, oies, canards, poulets, etc.), un puits,
parfois un bassin d’eau pour les plantes aquatiques et les poissons, et enfin un espace de travail
(réserve de bois de construction, machines agricoles, etc.). L’habitation rurale lü (cas de Botén)
occupe donc une parcelle beaucoup plus grande que celle se trouvant dans la cité. La parcelle
citadine (au sein des remparts d’après le cas de Muang Sing) est un peu plus réduite. Elle mesure 25
x 25 m (625m2
). Or les parcelles redonnées à chaque maison dans le nouveau site, sont de 13 x 17m
ou 14 x 19m, ce qui correspond dans les deux cas à la parcellisation de compartiment, une typologie
méconnue traditionnellement dans le mode de vie lü. Ils estiment donc que les parcelles données
dans le nouveau site d’accueil sont trop étroites et trop petites. Leurs uniques activités de
subsistance à Botén étant l’agriculture (le riz en saison des pluies et le jardin en saison sèche),
l’élevage et l’exploitation de la mine de sel, le fait de se retrouver –à l’issue du projet de
concession– avec un terrain d’habitation réduit et privé de terrain agricole (et de mine de sel)
représente pour les Lü un drame. Pour eux, le site n’est pas propice pour implanter le nouveau
village : trop proche –avec pentes abruptes– du bord de la grande route de passage, avec risque
d’éboulement de terrain et de coulées de boue en saison des pluies.
Malgré ces mauvaises conditions, les villageois se résignent à évacuer le village vers marsavril
2008. Le 15 février de la même année ils ont dû procéder au déplacement de l’esprit du village
par un rituel (gnaï phi ban. pkhpzu[kho). À cause du déplacement, les villageois n’ont ni le temps, ni
les moyens d’entretenir leur monastère : les moines ont déjà abandonné le monastère. Certains
d’entre eux rentrent chez eux, d’autres retournent à Muang Sing. À notre passage le monastère était
déjà abandonné. La construction d’une nouvelle pagode dans le nouveau site pose aussi problème :
il va falloir de nouveau le construire avec leur propre moyen, n’ayant pas ces moyens, cela va
prendre du temps : « notre village sans pagode à quoi va-t-il ressembler ». Le mode de contribution
communautaire traditionnel ne pourra pas être appliqué ici : les villageois n’ont plus de surplus pour
des œuvres communautaires, n’ayant plus de rizières et devant acheter le riz pour vivre. La Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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réception de la zone de concession de Botén par les villageois se fait donc avec amertume. Ils se
sentent “ abandonnés ” par le parti-Etat.
108
I. II. c. 2. Les enjeux spatiaux dans les sites miniers
Lan Xang Mineral ou la mine de Sépone est située dans la province de Savannakhet, dans le
district de Vilaboury. Deux villages sont directement concernés par la concession : Ban Phu Kham
et Ban Boun. Le camp de la compagnie a été construit en rassemblant plus ou moins les deux
villages. L’ensemble forme ainsi Muang Vilaboury, ce qui explique toute la difficulté de la gestion
du site et de son rapport avec le district de Vilaboury. Celui-ci est par ailleurs devenu peu à peu une
ville grâce à la création du camp de la mine. Les agents de la compagnie minière, majoritairement
anglophones et australiens l’appellent Vilaboury Town, alors que son nom d’origine est Bounkham.
Si l’ensemble du site semble fédéré par un lieu commun qu’est la ville nouvellement installée, les
trois ensembles spatiaux et sociaux –qui sont la ville, le camp formé par deux villages, et les
implantations disparates constituées par les migrants – sont en réalité assez désarticulés entre eux.
Le camp n’a pas été réfléchi et construit pour une intégration urbaine présente et future. Selon une
autre logique, les migrants s’installent progressivement dans les environs, attirés par les emplois de
la mine. Les populations qui sont ethniquement distinctes tendent à vivre séparément et à créer des
espaces désarticulés. D’une manière générale, même si nous ne citons que les villages les plus
proches du camp, les mines attirent en réalité une migration de tout le pays. Les personnes viennent
de loin pour espérer un travail lorsqu’elles ont certaines qualifications. Par contre, il y a aussi de
nombreux petits groupes de minorités ethniques qui vivent dans les environs proches et lointains,
eux aussi essaient de vivre de certaines retombées des mines.
Contrairement à Lan Xang Mineral, le camp de la compagnie Phu Bia Mining est construit
de manière distincte des deux villages existants qui sont dans le périmètre limitrophe du site. Le
choix de cette distinction est probablement lié aux mauvaises expériences de Lan Xang Mineral, qui
a créé son camp dans la ville de Vilaboury même. À Phu Bia, il y a donc trois unités séparées : les
deux villages et le camp de la mine. La migration attirée par la mine est majoritairement d’origine
Hmong, car le site est situé dans l’ancienne zone spéciale de Xaysomboun. Dans l’immédiat, la
volonté de la compagnie est d’isoler le camp minier du reste de la population des villages voisins
afin de faciliter la gestion du site par la compagnie. La compagnie se débarrasse ainsi des
responsabilités concernant les migrants qui se massent de manière anarchique en dehors de son
camp. Mais à terme, une question d’intégration et de durabilité doit se poser aux gestionnaires du
site d’une manière ou d’une autre –et elle se pose déjà, du moins elle doit les mettre dans un certain
embarras. Lorsque les problèmes sociaux de l’extérieur du camp mais liés aux activités de la mine
deviendront visibles, lorsque le provisoire du campement aurait duré trop longtemps, cela obligera à
réfléchir sur le statut d’un véritable établissement, d’une organisation sociale et politique durable.
La manière de gérer le site pose dans tous les cas un certain nombre de questions aux autorités
locales et gouvernementales qui doivent rechercher une perspective pour ce type de site, dès à
présent et dans un avenir proche.
108 « Exploités et trompés par les Chinois avec la complicité des autorités locales qui, non seulement, n’ont pas su
défendre les intérêts du peuple, en plus de cela, elles participent à réduire la population du village dans la pauvreté et le
dénuement sur le long terme. Nous avons été trahis par nos compatriotes, ils laissent ces gens nous dépouiller des biens
de nos ancêtres à nos dépens et sans scrupule. » Ils ont mentionné à tord ou à raison à plusieurs reprises durant notre
interview l’autorité du district et de la province qu’ils ont désigné comme responsables de leur malheur.
L’antenne villageoise du Front pour d’Édification nationale –auprès de qui nous avons reccueilli les informations– a déjà
adressé trois requêtes au gouvernement central via le chef du district et le gouverneur de la province, mais d’après lui ces
requêtes sont restées lettre morte. Lorsque nous avons visité le village, le Comité du Front pour l’Édification nationale
nous a fait part de son intention d’apporter en main propre les requêtes et protestations au gouvernement central en passant
par le siège du Front d’Édification nationale à Vientiane et par le bureau des requêtes de l’Assemblée nationale, comme
dernier espoir pour se faire entendre.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 64 -
I. II. d. Une intégration régionale pour quelle intégration nationale et locale ?
La marginalisation ou, au contraire, l’émergence des territoires soulèvent en fait la question
d’intégration locale et nationale pour une intégration régionale encore incertaine. Cela met en
évidence la capacité ou l’incapacité des établissements et des politiques territoriales à s’intégrer
dans les nouveaux enjeux du développement à travers la mise en place des pôles d’attraction
économique, des corridors économiques et des territoires de concession censés favoriser le
développement économique mais aussi social. Leur mise en place est devenue le principal élément
révélateur à l’égard de la question de souveraineté politique et territoriale et à l’égard de la
problématique d’échelle, d’intégration ou de disparité sociale et territoriale des territoires concernés
dont nous tentons ici de comprendre le principe.
I. II. d. 1. La question de souveraineté
La question de souveraineté politique et administrative des territoires est clairement remise
en question par la construction des projets : que ce soit des projets de renforcement des pôles, des
projets de corridors et de zones économiques ou des projets de concessions précédemment évoqués.
Les programmes et les projets de ce type ne constituent pas en soit une menace pour la souveraineté
politique des territoires, mais les cas que nous venons d’expliciter mettent clairement en porte-à-
faux la souveraineté politique de l’État lao, car en examinant les projets, après qu’ils soient mis en
service, le gouvernement laotien constate que dans la zone de concession de Botén les autorités
laotiennes ne peuvent intervenir et l’immigration chinoise est incontrôlable. L’insécurité civile, la
criminalité qui ne cesse d’inquiéter la population locale peut se propager dans les localités
limitrophes. De fait, ce territoire semble complètement autonome dans le sens où, tout en étant sur
le territoire national, il est hors du contrôle des autorités laotiennes. C’est un lieu marginalisé, un
territoire non intégré dans la logique nationale tant du point de vue humain et social, que politique
et économique.
Le cas de Botén explicite une dislocation certaine du territoire et des frontières et aussi une
défaillance de l’appareil administratif déconcentré de la province. Il met en évidence également l’un
des aspects de la régionalisation. D’un côté, la province de Luang Nam Tha serait plus proche et
plus attirée par la “ richesse ” de la province du Yunnan, ses productions et ses investisseurs, et de
l’autre, les capitaux chinois trouvent moins de contraintes et plus de facilités à investir dans le Nord
du Laos que dans les provinces intérieures de la Chine elle-même. Cette forme d’intégration
régionale localisée dans le cas du Nord-Laos serait-elle un processus consensuel, même s’il entraîne
une forme de désintégration territoriale. Ce serait, alors, le prix à payer pour une intégration
régionale à plus grande échelle. S’agit-il d’un cas particulier où des vices de forme et de
dysfonctionnement peuvent exister, induits par une certaine incompétence de l’autorité
administrative et politique dans sa manière de se rendre souveraine, de gérer ses territoires et
gouverner ses citoyens ?
Pour répondre à cette question, il faut probablement examiner plusieurs projets à la fois et la
réponse se trouverait sans doute un peu dans toutes les interrogations posées. En tout cas le
gouvernement central est interpelé par les questions de souveraineté soulevées par les projets. Le
projet de Botén a été discuté dans le haut appareil décisionnel. Mais nous n’avons pas pu avoir
d’informations sur les conclusions de cette consultation. Nous pensons que la décision officielle, qui
oblige les gouverneurs de province à transférer au gouvernement central toutes décisions concernant
les projets d’investissements étrangers dont les capitaux sont égaux et/ou supérieurs à un million de
dollars, serait issue de cette consultation. Mais il semble que cette décision ne règle pas vraiment le
problème, car il suffisait de sectionner les capitaux en petites parts et en petits projets, de telles
sortes qu’ils soient toujours inférieurs à un million de dollars pour que les contrats puissent être Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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décidés au niveau provincial et donc librement traités.109 Jusqu’à ce jour, aucune autorité
administrative provinciale au Laos ne possède les compétences et les capacités techniques pour
valider et évaluer un projet ou un programme de développement, encore moins à procéder aux
études d’impact, du moins à réaliser un cahier des charges préliminaire déléguant aux organismes
compétents l’évaluation ou l’étude des projets en question.
I. II. d. 2. La question d’échelle : liaison ou conflit d’échelle entre le local et le régional
La question d’échelle entre le local et le régional est ici au cœur du problème de
développement dans la mesure où les États espèrent que le réseau régional devienne un instrument
de développement à grande échelle. Là encore nous constatons à travers les cas observés qu’entre la
théorie et la pratique il y a de grands écarts. Dans la pratique, il n’y a pas de problème de principe ni
d’idéologie, mais le problème se situe dans le manque de réflexion d’ordre méthodologique qui
aurait permis de passer du local au régional ou à l’international sans endommager ou sacrifier le
local. Pourtant, les solutions ou du moins, les compromis entre les deux échelles doivent exister,
mais nécessitent une volonté et une fermeté dans la mise en œuvre des projets, fine et réaliste, tous
champs de connaissance confondus.
En attendant, les populations concernées sont plus confrontées qu’intégrées dans cette
forme de régionalisation et d’internationalisation. Dans certains cas, elle constitue même une
menace pour leur existence. Les populations les plus fragiles sont issues des sociétés rurales et
souvent des minorités ethniques, dont la cohésion sociale est profondément liée à la structure
agraire et à la forme d’exploitation de la forêt ou des friches forestières. La déstructuration de leur
rapport aux sols et à la forêt bouleverserait profondément leur structure sociale et économique. À
cette question, le cas des populations de Botén dépossédées de leurs terres ne semble pas le plus
dramatique, car il y aurait pire dans d’autres sites. Les Lü sont des Tai vivant de la culture de rizière
immergée et pratiquant secondairement l’essart (haï)110 pour cultiver d’autres plantes que le riz. Ce
groupe possède traditionnellement une culture urbaine, ou du moins, une culture du muang. Ils
savent domestiquer et s’approprier des éléments extérieurs de leurs milieux assez aisément. Ils
s’adaptent, comme tous les Tai, plus rapidement que les autres groupes ethniques du Laos à des
contextes de changement les plus difficiles. Les “ affaires de Boten ” ne démontreraient pas le
contraire, mais nous pouvons constater que leur capacité d’adaptation rencontre ici des limites,
parce qu’il s’agit des questions de terres –des questions auxquelles la structure sociale tai est
profondément attachée. Rappelons, par exemple, qu’une des raisons qui ont fait fuir plus de 15% de
la population du pays était bien la réforme agraire et foncière mise en place par le nouveau régime
en 1976.
Les travaux d’anthropologie d’Olivier Évrard111 ont démontré les cas d’extrême fragilité des
Khmu menacés dans la déstructuration de leur système agraire, en partie par la politique de
réduction de la culture sur brûlis et de la déforestation, mise en œuvre par le gouvernement. Le
parallélisme rapide entre les deux communautés a pour objectif de montrer que le rapport à la terre
de ces communautés est fort profond, et même si le degré de déstructuration n’est pas le même, les
sociétés peuvent être menacées au même titre. La seule différence, c’est que les Khmu ou autres
groupes proches peuvent diminuer en nombre ou connaître une mobilité plus grande sur le court et
le long terme. Ils peuvent quitter leur village pour venir en ville dans l’état d’errance et d’extrême
dénuement. On peut les voir parfois en ville faisant la mendicité, ou dans les chantiers de
109 En 2009, les petits projets de concession de plantation (d’hévéas notamment) qui n’atteignent pas le million de dollars
continuent à être traités ainsi dans les provinces nord du Laos sans qu’ils soient soumis au gouvernement central. 110 Type de terre et type de technique agricole en terre exondée et dans la forêt claire. La pratique du haï chez les Lao
n’est pas tout à fait la culture sur brûlis pratiquée par les Hmong par exemple. Le haï des Lao n’est pas loin du village, il
se situe en fait entre les rizières et la forêt, il n’est pas itinérant mais fixe. Le haï est surtout pratiqué en saison de repos par
rapport aux travaux de rizière.
111 Olivier Évrard, Chroniques des cendres, Éd. IRD, Coll. À travers Champs, Paris 2006.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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construction demandant du travail. Alors que les Tai Lü de Botén ne courent pas les mêmes risques.
N’ayant plus de terre à cultiver, ni même de parcelles pour habiter (pour les hommes, les esprits du
village, les esprits de la maison), les réserves ayant été épuisées et devant acheter du riz, les Lü de
Botén s’appauvrissent rapidement, situation qui entre en contradiction avec la politique de sécurité
alimentaire, parmi les priorités de l’État. Dans ce cas, deux scénarios seraient possibles pour les Lü.
Pour le scénario 1 : les conflits entre les communautés autour du territoire de concession et les gens
de la concession risquent de s’aggraver au fur et à mesure que la pauvreté s’installe dans les
villages. Ce sont des conflits dont nous prévoyons difficilement les issues. Pour le scénario 2 : les
Lü risquent d’abandonner les zones rétribuées par la concession pour rejoindre les capitales
provinciales limitrophes, telles que Luang Namtha et Muang Sing, ou encore il n’est pas improbable
qu’ils puissent rejoindre les autres villes lü en Birmanie ou en Chine, avec lesquelles ils évoquaient
souvent leur attachement par le fait qu’ils ont encore des liens familiaux.
Si l’un des deux scénarios peut s’avérer possible sur le long terme, il semble clair que la
répartition ancienne des populations tai lü dans le Nord-Laos, qui fondait l’identité culturelle et
l’équilibre de cette région du pays, serait bouleversée. Dans ce contexte, la sinisation millénaire
démontre encore sa réalité : le territoire du Xishuangbanna déjà complètement sinisé, mais qui
assumait de fait une fonction d’espace tampon de démarcation culturelle entre un espace tai
préservé et un espace multiethnique sinisé, n’assumerait plus son rôle.
I. II. d. 3. L’intégration ou la disparité régionale : déplacement de la population et projet
social
Si la question d’intégration, ou au contraire de disparité, n’est pas idéologique mais plutôt
méthodologique, il est primordial de comprendre à travers quel champ d’intervention ces processus
ont-ils été suscités, s’agissant des interventions publiques ou privées.
Les questions concernant le déplacement de la population et le projet social
Le déplacement de la population hors d’un site qui fait l’objet de développement, quelle que
soit la nature des projets, suscite déjà à première vue des questions de méthode. À l’heure actuelle et
dans le principe général du développement, qu’il soit labellisé “ durable ” ou pas, nous pouvons
nous poser la question s’il est nécessaire de déplacer la population du territoire qui fait l’objet de
développement. Ici, l’action semble déjà contrarier l’idée. Pourquoi cette population ne ferait-elle
pas, elle-même, partie de l’objet de développement ? Le relogement comme le propose l’Autorité de
la zone économique spéciale (SEZA. Special Economic Zone Authority) pour la population déplacée,
semble être une bonne compensation, mais apporte un changement dans le cadre de vie de la
population. Des projets de telle ampleur, nécessitant de grands territoires, doivent susciter
indirectement l’idée de projet de société. Mais la création d’emplois, accompagnée de l’apparition
de nouvelles formes d’emplois, induit plutôt de nouveaux modes de vie, de nouvelles formes de
société. Il s’agit souvent de reconvertir les ruraux aux emplois d’ouvrier dans les chantiers de
construction, dans les usines et les fabriques, etc. Cela résume-t-il le projet de société dont nous
parlons ?
Les territoires annexés ou proches des zones de concession sont, de fait, dépendants des
retombées des activités de ces zones, en particulier avec la création d’emplois lors de la
construction des projets. Seul Botén fait exception puisque les villageois nous expliquent que la
main d’œuvre villageoise n’a pas été engagée pour la construction du complexe. Et parmi les
croupiers du casino et le personnel de service du grand hôtel, il n’y a que quelques jeunes du village
et ceux qui viennent des autres provinces. Dans la zone économique spéciale Savanh-SENO, nous
pouvons espérer la création d’emplois, du moins leur maintien une fois les chantiers achevés, tels
les emplois de services que la zone va générer. En ce qui concerne les zones et villages touchés par
la construction des barrages hydroélectriques (à court et à moyen terme) et par la zone de
concession des mines (à long terme), après l’achèvement des travaux et des exploitations, il y aurait
a priori moins d’emplois, ou alors dans certains cas, il n’y en aurait plus du tout. Comment vont se
développer les zones et les villages en question, autour de quoi ces unités peuvent-elles exister ? À Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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ces questions, quelques rares organisations non-gouvernementales travaillent sur “ l’après-projet ”.
Les sociétés d’exploitations minières elles-mêmes montent quelques projets dans le secteur du
développement rural afin de réduire certains impacts. Évoquons encore comme exemple les deux
projets miniers : Lan Xang Mineral et Phu Bia Mining. Comment ont-ils répondu aux questions qui
s’avèrent être déjà des problèmes d’actualité ?
Dans le cadre des projets miniers : Lan Xang Mineral et Phu Bia Mining112
À Sépone, les mesures de contrôle de l’immigration dans la zone de concession ont pour
objectif d’éviter que les quartiers ou villages se construisent anarchiquement dans les alentours, au
quel cas la compagnie sera tenue responsable. Les migrants (internes) qui espèrent trouver du travail
en s’installant provisoirement finissent par ouvrir de petits commerces. Leur nombre devient
croissant et les gestionnaires de la compagnie de la mine ne peuvent pas les contrôler ni les gérer.
Les mesures mises en place par la compagnie consistent pour les demandeurs d’emploi à prouver
qu’ils vivaient auparavant dans les villages alentours. Ceux qui ne peuvent pas l’attester ne peuvent
espérer une embauche. Et lorsqu’ils décident de s’installer malgré tout dans les alentours, la
compagnie se dit qu’elle n’est pas responsable de ces personnes, au cas où il y aurait des problèmes.
Cette mesure paraît peu efficace puisque le nombre des migrants a quand même doublé. Par ailleurs,
le nombre des fonctionnaires qui viennent travailler à Vilaboury a également doublé entre l’avant et
l’après installation de la mine, parce que les besoins de l’administration de la ville de Vilaboury
semblent augmenter proportionnellement au nombre des habitants.
La désarticulation spatiale et sociale est explicite entre autres dans les conflits entre
l’administration de la mine (à majorité australienne) et l’autorité locale du district concernant
l’utilisation des fonds financiers que la mine octroie chaque année pour être affectés aux travaux de
développement rural, à la construction des infrastructures et des équipements, destinés aux
populations touchées directement par l’exploitation de la mine, tels notamment les villageois
déplacés. Or l’administration locale semble raisonner, dans ce cas précis, en termes de
développement global d’une région. Les autorités souhaitent en fait consolider les villages des
alentours dans l’idée de ville nouvelle que le contexte de l’exploitation de la mine aurait favorisée.
Et les fonds doivent être affectés à l’ensemble des besoins du district. Elles ne raisonnent pas en
termes de petites zones localisées, avec des responsabilités limitées au rayon d’impact direct des
activités de la mine ou aux populations touchées par la mine, comme le souhaite la compagnie
minière. Il paraît clair que raisonner de manière limitée et focalisée seulement aux éléments touchés
par la mine, c’est différer un certain nombre de problèmes aux responsabilités du pouvoir local. Du
point de vue administratif et en terme de développement, il est difficilement approprié de raisonner
ainsi dans la mesure où le camp minier fait partie du district de Vilaboury. Ce constat a sans doute
apporté quelques enseignements à Phu Bia Mining qui décide de construire son camp distinctement
des villages existants. Ensuite, mise à part la main d’œuvre demandée et gérée directement par les
compagnies minières, la migration, qui n’est pas administrée par leur administration, mais attirée
par l’emploi de la mine, doit se constituer à part. Parmi ce groupement, le camp fait donc monde à
part et rien ne relie les différents groupes.
Les deux contextes (projets de développement des Zones économiques, et projets
d’exploitations minières) se différencient fondamentalement par le fait que l’un inscrit le projet de
ville et d’activités humaines dans son contenu comme objet, alors que l’autre n’inscrit pas la
dimension humaine et ni le cadre de vie dans sa programmation, parce que c’est une exploitation de
ressources naturelles qui se veut être hors de la portée directe des sites habités. Ce justificatif est à
toute évidence obsolète : les projets d’exploitations minières et d’énergie hydroélectrique ont des
112 Certaines données ont été recueillies lors des interviews de Julien Rossard, agronome ayant travaillé au sein de Phu
Bia Mining entre 2007 et 2009.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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impacts plus grands et plus durables sur l’environnement et le cadre de vie humain par rapport aux
autres projets.
Les mines d’or et les barrages actuellement en plein essor déplacent et drainent autant de
monde durant leur mise en œuvre, période qui peut s’étendre sur plusieurs années. Et durant ces
années le mode d’habitat reste sous forme de campement aussi bien pour les personnels expatriés et
ouvriers que pour les habitants des nouveaux villages qui se forment dans les alentours. Il est
flagrant de constater que l’aménagement de ces zones d’habitation n’a jamais fait l’objet de
réflexion en terme spatial en cohérence avec les unités sociales en constitution et en évolution, audelà
de la conception du camp provisoire. Vu le nombre des individus et la variété des unités
sociales et ethniques installées sur les sites, ainsi que les relations sociales qui devraient se tisser
entre ces communautés, l’aménagement de tels territoires ne devrait-il pas dépasser le cadre du
campement et ne devrait-il pas être vu comme de véritables établissements, de véritables villes, et
donc de véritables projets de société ? Or cela n’a pas été ainsi conçu. Même si elle est
probablement en train de devenir une nouvelle ville, Vilaboury town n’est pas issue de la volonté de
la société minière, mais de celle des autorités laotiennes. La compagnie minière est même hostile à
l’idée que le district veuille utiliser les fonds de compensation, ou les fonds de développement que
la société a obligation de mettre à leur disposition, pour consolider la ville de Vilaboury.
Les observations de la vie quotidienne dans l’un des campements en rapport avec les
villages ou lieux-dits dans les alentours des mines d’or mettent en évidence le fait que l’absence de
cohésion entre les groupes vivant autour d’un objet commun et l’absence de vision prospective
d’éventuelles unités urbaines ou villageoises entrainent une altération sociale et psychologique chez
certaines populations présentes dans le site.113 La ségrégation administrative est normalisée : le
personnel européen vit dans un complexe et le personnel local vit dans un autre séparément, les
villageois et les minorités ethniques encore dans un autre cadre. Les gens continuent à affluer pour y
trouver du travail. Ils viennent parfois avec leur famille, beaucoup viennent seuls, même si les
sociétés minières mènent une politique de contrôle de l’immigration de manière sévère.
L’agrandissement en nombre des communautés autour du site d’exploitation se fait sans unité et
sans centralité et donc sans cohérence. Le besoin traditionnel de s’organiser chez les Lao, dès que
quelques familles ou quelques individus se regroupent en nombre important, s’est exprimé à travers
la nécessité de former un village, une unité sociale cohérente permettant à chacun de se repérer, et
ce besoin est d’autant nécessaire dans un nouveau cadre physique. Bien que dans la majorité des cas
il y a souvent une mise en cohésion facile entre les groupes, dans le cadre des campements autour
des mines, les origines des individus sont trop disparates pour permettre cette cohésion.
Sans prétendre donner une solution à ce problème (ce qui n’est pas l’objet de notre étude),
nous voulons démontrer que la cohésion entre les unités est importante et qu’elle est à rechercher
dès lors qu’il y a groupement ou rassemblement des populations sur le long terme. Il aurait fallu
sans doute dans ce cadre apporter une réflexion plus technique et plus méthodologique
d’aménageur, afin que toutes les données soient prises en compte, notamment les données
psychologiques, sociales, culturelles et spatiales. C’est-à-dire poser la question de l’aménagement
des camps en termes de fondation d’unité urbaine ou villageoise (selon la taille) avec ses
équipements de base, des lieux qui créent des possibilités de rencontre et d’échange, qui proposent
en terme d’aménagement des possibilités de loisirs communautaires, etc. Nous ne tentons pas ici de
rapprocher cette réflexion de celles des cités ouvrières en Europe du XIXe siècle qui ont clairement
procédé à la mise en place des projets de société, liés au monde de la production et liés à toute une
logique culturelle de la grande période d’industrialisation. Dans les cas que nous évoquons, il s’agit
des sociétés rurales parfois des micro-sociétés, ethniquement isolées. Ces dernières se retrouvent
113 Au cours d’un entretien, il nous a été rapporté six cas de suicide chez les jeunes dans l’année. Ce qui est
proportionnellement important par rapport au nombre des populations vivant dans et autour du site (nous n’avons pas pu
avoir des chiffres.)Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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très vite désœuvrées et sans repère dans le nouveau cadre de travail et de vie, en particulier les
minorités ethniques, plus vulnérables que les populations tai qui s’adaptent plus vite aux nouveaux
contextes et aux nouveaux cadres de vie. Pour illustrer notre propos, nous pouvons remarquer par
exemple que parmi les minorités concernées par l’exploitation des mines, beaucoup de familles de
Phu Tai “ se débrouillent bien ”,
114 certaines se sont même enrichies en faisant du commerce ; alors
que les autres minorités “ se débrouillent moins bien ”,
115 chôment ou vendent simplement leur
force de travail pour des taches pénibles.
Les questions économiques et de développement régional, vues à petite échelle : l’individu
“ L’emploi ” est quasiment un nouveau vocabulaire pour les populations rurales vivant dans
les lieux reculés des provinces du Laos. Ces emplois, ce sont des nouvelles formes de travail et ce
sont surtout des revenus concrets et réguliers. La perception et la réception de cette situation n’est
pas aussi simple que chez ceux qui recherchent un emploi ou qui vivent proches des agglomérations
qui leur donnent de l’emploi. Ce constat est lié à plusieurs questions : y a-t-il une amélioration de la
qualité de vie avec les emplois et les nouvelles formes de travail ou le nouveau mode de vie qui se
mettent en place ? Y a-t-il une possibilité d’auto-création d’emplois si les nouvelles formes de
travail ne conviennent pas à certaines populations. En d’autres termes, la population qui vivait de la
richesse des terres et de la forêt dans les alentours ont-ils la possibilité de continuer d’y vivre, d’y
exploiter leur terre ? L’une des conditions préalables pour répondre à cette question serait d’abord la
possession de la terre, un acquis qui doit être préservé. Autrement dit, leur terre ne doit pas être
totalement englobée dans la zone économique ou dans les territoires de concession. Dans le cas
contraire, un rapport contractuel entre les communautés locales et les exploitants ne doit-il pas être
réalisé avec équité ? Cette précaution concernant les terres existe-t-elle ? Nous ne pouvons fournir
des réponses adéquates à ces questions importantes et complexes. Mais nous pouvons constater que
sous le terme magique de “ compensation ” se cachent des réponses équitables, mais aussi des
pièges. À travers les études détaillées de cas des territoires de concessions, des réseaux et des
corridors économiques, quelques éléments de réponse pourraient être dégagés.
Dans les faits, à la question de l’intégration et du développement équitable, l’autorité
administrative SEZA préfère définir ses projets par les termes Business friendly environment pour la
promotion de ses projets. Bien que nous ne puissions pas les évaluer de manière très objective,
quelques questions semblent clairement mettre en évidence les conditions d’équitabilité du
programme affecté. En premier lieu, il s’agit de la question de relogement des villageois qui font
l’objet de déplacement, car c’est l’une des questions se situant au cœur de plusieurs projets en cours
de réalisation sur l’ensemble du Laos, non seulement dans le cadre des corridors économiques, mais
également dans divers programmes de développement urbain.116 Ces programmes mettent souvent
en évidence les mauvaises conditions de relogement, l’altération des conditions de vie et des
relations sociales de la population déplacée dans les nouveaux sites.117 Cela devient un sujet à
caution renvoyant des différents programmes une image positive ou négative.
114 Les Phu Tai sont des sous-groupes des Tai. Leur lieu de peuplement est majoritairement à Savannakhet. 115 D’après les observations de l’un des responsables (Julien Rossar) du développement rural affecté au projet de Lan
Xang Mineral. Vientiane 2009. 116 Nous pouvons entre autres évoquer à juste titre le programme d’évacuation de Nong Chanh à Vientiane qui n’a pas été
“ équitable ”, car ce déplacement n’a pas répondu à l’argument de la création d’un parc public comme l’avait promis les
autorités. C’est en fait un projet de revalorisation foncière. La construction d’un hôtel de luxe et d’équipements de loisir
non publics explicite l’objectif réel du programme. 117 Même s’il n’y a pas de rapport d’évaluation de ces programmes, nous avons pu interviewer un ancien responsable de
l’un de ces programmes : « si c’était à refaire, je ne le referais pas. Je conseillerai les autorités à revoir les programmes
de déplacement de population. Le problème ce n’est pas tant les compensations. Le problème est ailleurs ».
Effectivement, c’était difficile pour la population de replanter ses racines dans un lieu qu’elle ne connaît pas, loin de la
ville ou du milieu où elle était habituée, pour des raisons diverses, notamment l’emploi. En ville, il y a par exemple des
emplois journaliers, la proximité avec le lieu de travail, les commerces de proximité et de quartiers, etc. Ces avantages
sont beaucoup plus faciles à trouver en ville qu’à l’extérieur. Par ailleurs, un haut responsable religieux de la Préfecture de
Vientiane évoque l’absence du sacré qui est vital pour lui et doit accompagner toute fondation d’habitat de la société
humaine, sans ce cadre il y aurait une altération de la vie communautaire. Il signifie ici l’absence de l’acte de fondation Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le cas de Boten en est un. Nous avons vu que la population a été dépossédée de ses terres.
D’après la proposition de compensation de la société chinoise et des autorités provinciales, les
villageois doivent quitter leur ancien village, vieux de trois siècles, pour se retrouver à quelques
kilomètres plus loin de part et d’autre d’une route reliant Luang Namtha et Mohan, dans un site
qu’ils trouvaient inadéquat pour y vivre selon les règles et le choix des esprits du ban. Ils doivent
quitter un lieu où ils possédaient des terres communales (prés, vergers, forêts) et des rizières
individuelles existantes autour du village depuis des générations. Ils ont dû quitter cela pour se
retrouver dans des parcelles étroites, sans jardin potager, sans rizière, sans terres et forêts
communales,118 comme nous l’avons déjà souligné dans le paragraphe précédent (I.II.c.1).
À ce propos, le programme de la Zone économique Savanh-SENO (SaSEZ) se veut être
exemplaire. Le bureau SEZA fait associer la Société Savan City et un organisme d’État –le service
du cadastre de la province– pour former une commission ad hoc afin de procéder à l’évaluation de
la superficie des sites concernés ainsi que leur valeur foncière, ceci en donnant un prix à des
propriétés existantes sur les sites qui devraient être libérés pour accueillir les projets de
constructions. La commission fait donc appliquer les critères d’évaluation de l’État pour évaluer la
valeur foncière de la Zone A (site de départ) et de la zone D (site d’arrivée). La parcelle d’habitation
du site d’arrivée est fixée à 20 x 40 m, ce qui est a priori une superficie idéale pour une habitation
Lao, car elle représente la moitié d’un haï [wI]. Un haï est une mesure traditionnelle qui représente
environ 1 600 m2
. Le site concerné par le déplacement de la population représente une surface de
305 hectares. Désigné de site de départ, situé au bord du Mékong à côté du pont SavannakhetMukdahane
et à côté du casino Savan Vegas, seront construits ici les projets phares de la SaSEZ,
une sorte de ville nouvelle. Le site de relogement avec une surface de 118 hectares est prévu un peu
plus loin par rapport au vieux Savannakhet.
En regardant le programme et en détaillant certains points, le principe de déplacement et de
relogement de la population semble ici intéressant à travers deux remarques : d’abord, la zone de
départ manque d’infrastructures de base et les habitations sont dispersées, parsemées et pauvres. Si
l’autorité provinciale est conduite à développer et construire des infrastructures pour la population
riveraine de cette zone sans le programme SaSEZ, cela lui demanderait beaucoup de fonds dont elle
ne dispose pas. Munie d’infrastructures de base, la proposition de relogement sur le nouveau site
(que nous appelons pour simplifier, site d’arrivée) semble alors plus avantageuse que le site de
départ. Cependant ceci reste à voir, si au départ les familles déplacées possédaient ou pas des
terres agricoles (potagers, vergers, rizières, bouts de forêt ?) qui auraient été expropriées pour la
réalisation de la SaSEZ –chose que l’administration ne dit pas. Si tel est le cas, la compensation
serait insuffisante : sans sol cultivable, la nouvelle vie sur le nouveau site risquerait de connaître un
problème de taille. Sachant que les familles déplacées sont majoritairement rurales, le rapport
qu’elles entretiennent avec la terre est le même que celui des villageois de Botén. Le remplacement
des travaux de la terre par des emplois ouvriers proposés dans la SaSEZ n’est pas en soit une
mauvaise chose, au contraire cela crée des revenus pour les familles, mais sans transition cela
déformerait totalement le mode de vie et réduirait la qualité de vie de cette population. En
l’occurrence, nous remarquons également que l’échéance pour le déplacement de la population est
souvent trop tôt par rapport au retard de l’aménagement des sites d’arrivée. Dans la SaSEZ, ce
déplacement devait être effectué dès les mois de mars et d’avril 2009. Or nous constatons sur place
qui induit préalablement des études sur les orientations, la nature des sols, la présence de l’eau, les esprits protecteurs des
lieux, etc. Si ces cadres ne sont pas requis, ce ne serait alors “ pas bien ” de déplacer la population dans ce lieu. 118 « De quoi allons-nous vivre sans nos rizières et nos forêts ?», disent les membres de la communauté des sages du
village que nous avons rencontré. Effectivement, dans la cité lü (selon le modèle de Muang Sing) la taille d’une parcelle
d’habitation a été traditionnellement définie. Elle mesure 25x25m. Dans cette parcelle modèle, nous pouvons énumérer un
potager aromatique, un grenier à riz, un petit atelier où sont stockés les outils agricoles (cet atelier est parfois aménagé
sous les pilotis des greniers à riz). Nous y trouvons très souvent un petit plan d’eau pour plantes aquatiques, pour l’élevage
de poissons et de canards. Il est alors inimaginable pour les Tai Lü d’aménager un lieu de vie dans une parcelle qui est
plus « destinée à construire trois compartiments chinois. Les esprits de la maison et du ban y voit-là la fin de la
prospérité ».Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 71 -
en février de la même année, que le site D n’est toujours pas prêt pour accueillir la population
déplacée.
Quelle vision et quelle conception culturelle du nouveau territoire, comme interface spatiale
entre le local et le régional
Bien qu’il y ait un point qui semble pencher vers les avantages du projet de “ ville
nouvelle ” dans la zone A, du fait qu’il n’y aurait pas a priori d'éléments historiques dans cette zone
qui poseraient la question de la préservation patrimoniale (d’après le responsable de la SEZA),
cependant la conception de cette ville nouvelle par rapport aux problématiques environnementales
et paysagères semble poser quelques questions embarrassantes. La création d’un très grand plan
d’eau en détournant une partie du cours du Mékong, la construction des immeubles tours, etc.,
offrent une image très futuriste, sans doute un peu à l’image du Corridor économique qui pose
idéalement l’échelon d’un développement et d’une mise en réseau régional du futur. Mais cette
image et ce concept ne semblent pas s’intégrer dans la réalité culturelle, économique et
environnementale locale. Ainsi, une étude d’intégration et d’impact nécessite d’être approfondie
pour des projets de telle ampleur afin d’atteindre pleinement les ambitions d’exemplarité dont se
veulent être les projets au sein du Corridor économique.
Quel type de liaison et d’intégration entre les outils, les plans de planification territoriale et la
stratégie, mis en place par l’État
En examinant le plan d’aménagement de la SaSEZ, nous pouvons nous poser la question :
comment l’aménagement de ce territoire est-il élaboré, géré et mis en cohérence par rapport au plan
urbain et au schéma directeur élaborés par l’Autorité administrative pour le développement urbain
(UDAA) de Savannakhet ou par d’autres administrations techniques nationales telle que l’Institut
des recherches urbaines (IRU) ? Les responsables de SEZA ignorent le Plan urbain (ou Schéma
directeur) de la ville de Savannakhet et ne l’avaient donc pas pris en compte dans la réalisation de
leur Master plan : « Nous ne savons pas s’il y a intégration ou cohésion, puisque nous ne possédons
pas ce plan ». Autrement dit, le Master plan n’a pas été réalisé dans la continuité ou en liaison avec
le plan des villes secondaires établi par l’IRU et mis en application par l’UDAA. Dans la mesure où
le Plan urbain de chaque ville secondaire avait pour objectif de guider le développement en cours et
futur,119 quelles que soient l’échelle et l’échéance de la réalisation de ce plan, nous pouvons craindre
que son omission n’altère dès le départ le principe d’intégration. D’abord cela interroge du point de
vue administratif et politique (comme nous allons le voir) les compétences réelles des individus et
des organes responsables. Il remet en question ensuite la mise en application et le respect des
décisions et des décrets administratifs. Puis, il met en évidence la superposition et les prérogatives
des décisions centrales sur les décisions locales, ou au contraire, la liberté et l’autonomie du pouvoir
local dans la prise de décisions sur les projets de développement et d’investissement dans leur
territoire, indépendamment de l’aval des décisions centrales.
De ce point de vue, le cas de Botén présente toutes les ambigüités possibles. L’ambigüité
réside dans le fait que le gouvernement a promulgué un décret spécifique pour donner un cadre
institutionnel justifiant le projet de Botèn (n°162/PM en date du 8 octobre 2002). D’après ce décret,
le pouvoir local de la province de Luang Namtha a été désigné pour mettre en place cette zone
commerciale frontalière. Ses missions sont énumérées en neuf points dont trois importants : 1-
organiser et construire la zone commerciale frontalière de Botén, 2- créer le comité de gestion de
cette zone, et le point 3- il donne des directives au Comité de gestion pour approuver les patentes
119 Le rôle et les compétences institutionnelles des Plans urbains des villes secondaires et de l’Autorité administrative pour
le développement urbain (UDAA) sont clairement inscrits dans le décret n°209/ ministre MCTPC en date du 05/02/1996,
portant « le Rôle et les Compétences des Plans urbains » ; dans le décret n°09/PM, en date du 01/02/1991, portant « la
Gestion et l’aménagement des villes et des espaces publics en RDP Lao » ; dans le décret n°177/PM, en date du
22/12/1997, portant l’« Organisation de l’Autorité administrative pour le Développement urbain (UDAA) » ; dans le
« Droit de l’Urbanisme » n°03/99/ AN et date du 03/04/1999.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 72 -
d’investissement. C’est donc lui qui approuve les différents projets d’investissement dans la zone ;
ce qui signifie négociation directe avec les investisseurs. Le décret met l’accent sur le fait que c’est
le Comité de gestion avec l’assistance institutionnelle de l’autorité provinciale qui doit construire et
gérer la zone commerciale. Mais la réalité en est autrement : le site a été donné en bloc en
concession à un groupe d’investisseurs chinois. Le monopole et l’exclusivité du groupe
d’investisseurs gérant l’ensemble du site et des projets sont des réalités qui soulignent le manque de
pertinence des projets, la faiblesse de la maîtrise des modèles et des outils économiques par la haute
autorité politique locale et centrale. Soulignons aussi qu’aucune analyse et étude d’impact n’a été
réalisée à cette fin.
Cette situation met le gouvernement central devant le fait accompli d’un pouvoir local
incompétent en action. Nous sommes pourtant en pleine période de recentralisation administrative
qui ne devrait pas permettre aux autorités locales de décider de tels projets. Le plan d’aménagement
de Botén déjà élaboré par l’IRU est complètement inconnu des investisseurs concessionnaires
chinois, et surtout, l’autorité provinciale de Luang Namtha ne se pressait pas pour leur faire
entendre et respecter les cahiers des charges qu’elle devrait mettre en place, définies par le décret
n°162/PM. Le projet de constructions du complexe Golden Botén City, achevé dans sa première
phase vers 2006, ne fait partie d’aucun plan de planification. C’est le fruit d’un accord entre
l’autorité locale de la province et une grande société de capitaux du Yunnan. Les mauvaises
conditions de l’expropriation des terres à Botén vont à l’encontre de l’une des priorités de l’État
dans sa politique d’éradication de la pauvreté où il est clairement déclaré que : « La pauvreté doit
être réduite de moitié en 2015. La priorité est donnée au secteur rural, qui est au cœur de tous les
efforts pour réduire la pauvreté, avec un accent particulier pour obtenir de manière permanente la
sécurité alimentaire ».
120
À l’égard de la politique énoncée, le projet de Botén ne peut que heurter les intérêts du
peuple et interpeller l’autorité gouvernementale. Nous avons vu que le projet pose aussi la question
de souveraineté de la frontière, embarrassant l’État quant à la méthode de gestion employée pour
contrôler l’immigration chinoise.
Quelle administration pour les zones de concession et quelle intégration dans la structure
administrative locale et nationale ?
La SEZA est une structure administrative autonome par rapport à l’administration locale.
Elle administre un territoire à part et est attachée directement au cabinet du Premier Ministre de la
RDP Lao. Elle n’a pas d’obligation officielle de rendre des comptes au gouverneur de la province
de Savannakhet. Sous le label “ projet national ” qu’elle gère, SEZA possède une prérogative dans
ses actions. Cette prérogative est elle-même placée sous l’enseigne du Corridor économique dans
lequel le Laos occupe une position centrale et à l’égard duquel la décision politique du Laos est
primordiale. Bien que dans la pratique, il est tout à fait impensable de créer un territoire dans un
autre territoire institutionnellement existant, sans une mise en liaison avec le local de manière
étroite, mais nous constatons que dans le projet SaSEZ, il ne semble avoir ni ambigüité, ni conflit
d’intérêts et ni conflit institutionnel entre les décisions centrales et les responsabilités locales du
gouverneur de province, car les prérogatives gouvernementales sont prioritaires et s’imposent dans
tous les territoires du pays. Ceci est clairement inscrit dans le statut et les compétences
administratives et politiques du gouvernement de la RDP Lao et préalablement signalé dans
l’organigramme de SEZA.
120 NGPES : National Growth and Poverty Eradication Strategy. La stratégie nationale pour la croissance et l’éradication
de la pauvreté a défini quatre secteurs principaux : agriculture, éducation, santé, transport, et 47 districts sont affectés par
des programmes de développements spécifiques. In : « Rapport, Projet de Document cadre de partenariat avec la RDP
Lao ».Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Dans le cas contraire, le projet de Boten est le résultat des problèmes de dysfonctionnement
institutionnel important. L’organisation administrative et de gestion de la cité de Boten est
autonome. Le contrat qui met les intérêts de la population et du pays en porte-à-faux a été contracté
entre la société concessionnaire et le gouverneur de la province. C’est un projet d’ordre national qui
relève de la responsabilité d’une autorité locale incompétente, mais recevant malgré tout l’aval du
gouvernement central pour sa construction et sa réalisation. Or, on le voit bien, les problèmes qui
sont issus de cette décision ont des portées dépassant la responsabilité du gouverneur et interpelle
après coup l’État et l’administration centrale ; tels, les problèmes liés aux déplacements de la
population et à l’expropriation, le manque d’intégrité de la frontière nationale que provoque un tel
projet une fois réalisé.
Cet exemple montre un des faits majeurs liés à la question de centralisation et de
décentralisation du pouvoir déconcentré. D’abord, il y a une grande liberté accordée aux
gouverneurs ou à l’administration provinciale dans la prise de décision qui dépasse leurs cadres de
compétences à la fois institutionnelles et techniques ; ensuite, le passage de l’échelle régionale, qui
passe par de nombreux projets frontaliers, à l’échelle locale est difficilement maîtrisable et reste un
problème non seulement politique et administratif, comme le cas que nous venons de voir à Botén,
mais surtout un problème méthodologique. Le cas de Botén aurait dû inciter le gouvernement à
fixer de manière plus explicite la limite des compétences des gouverneurs de province en matière de
contrats et de coopération avec les pays étrangers. Par exemple, tous projets de concession dont
l’enjeu financier est égal ou supérieur à un million de dollars doivent être transférés au
gouvernement central, c’est-à-dire vers le cabinet du Premier Ministre pour décision. Bien que cette
décision exprime la volonté et l’inquiétude réelle du gouvernement, elle est tout à fait inefficace.
Les projets de concession des terres pour le long terme destiné à l’exploitation de l’hévéa,
“ fractionnés ” en petites unités de contrats différents, montrent de manière très simple le
détournement de la règle. D’autant plus que la population locale est directement concernée, à
l’origine les terres étant souvent déjà exploitées par elle. Et lorsque ses exploitations traditionnelles
ont été transformées, de gré ou de force, pour la monoculture, dans la majorité des cas la population
s’appauvrit parce qu’elle n’est plus propriétaire et parce que sa capacité d’autosuffisance s’est
considérablement réduite.
I. II. e. Les enjeux spatiaux pour le cas des territoires historiquement en marge
Le gouvernement de la RDP Lao a hérité de l’histoire contemporaine des territoires
marginaux qu’il a fallu s’approprier, intégrer et /ou donner un nouveau statut, malgré son refus de
l’histoire et malgré ses efforts pour faire sa propre histoire. Ces territoires marginaux ont un rôle
important à jouer dans la reconstitution spatiale du nouveau pouvoir laotien. Ils mettent en évidence
la confrontation idéologique du pouvoir actuel face à son propre passé, au passé de l’ennemi vaincu
et aussi face à ses propres actions pour construire l’avenir. Nous proposons d’évoquer rapidement
trois cas, trois territoires qui nous semblent explicites : les anciennes zones libérées, la zone spéciale
Saysomboun, Muang Tonh Pheung.
I. II. e. 1. Les implications historiques des anciennes zones libérées : Sam Neua et Xieng
Khouang
La question des zones libérées dans la partition territoriale étant évoquée de manière plus
détaillée dans la seconde partie de la recherche, nous soulignons ici le fait que certains territoires
qui fonctionnent aujourd’hui comme une enclave et qui ont du mal à se développer
économiquement et démographiquement est un fait ancien. Il est profondément lié aux contextes
géographiques historiquement intégrés comme faits objectifs de l’organisation et l’usage de
l’espace. De même, la disparité territoriale provoquée par les idéologies et la guerre a été intégrée
aussi comme un fait intrinsèque. La confrontation de ces territoires à la nécessité d’intégration
régionale actuelle met en évidence une certaine marginalité des territoires, malgré les efforts de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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déblocage que le gouvernement a tenté de réaliser. Rappelons les trois points importants qui ont été
les faits historiques anciens :
1- L’éloignement ou l’enclave territoriale de Sam Neua et de Xiang Khuang par rapport aux autres
territoires du pays, en particulier par rapport aux villes du Mékong, sont des héritages historiques
qu’il aurait fallu probablement corriger ou ajuster au moment où Setthathirat avait réalisé la
restructuration territoriale au XVIe siècle (ce fait sera développé dans la deuxième partie de notre
recherche). Mais on peut penser que ces deux hautes régions n’avaient pas bénéficié de l’ajustement
et de la restructuration spatiale et politique en question.
121
2- Ces deux régions, situées loin du pouvoir central, sont plus proches géographiquement du
Vietnam que de leur centre politique. Ce fait a été démontré à maintes reprises dans l’histoire du
pays. Elles ont connu des annexions répétitives par le Daï Viet et des tributs ont également été
versés à ce dernier. À plusieurs reprises le pouvoir central (période de Luang Prabang et période de
Vientiane) avait tenté de mettre fin à ces annexions. En particulier pour Xieng Khouang où la
double vassalité était devenue quasiment une coutume locale.
3- La schématisation de la partition du territoire dans les années 1960, due aux idéologies, à la
guerre et au schéma politico-militaire avait accentué et marqué les deux zones par des éléments de
marginalisation plus forts. Ceux-ci ont du mal aujourd’hui à être dépassé et à évoluer autrement.
I. II. e. 2. Les implications historiques de la zone spéciale Xaysomboun
La Zone spéciale, Khét Phiset, de Xaysomboun aurait été le dernier bastion des forces antigouvernementales
« à la solde de l’impérialisme local et américain » (sic), le fief des
narcotrafiquants. Le lieu a été désigné comme “ l’habitacle ” des ennemis du régime. Que cet
ennemi a été réel ou fictif, la zone justifiait, jusqu’à récemment, le déploiement en permanence du
contrôle de l’armée. Pour le gouvernement l’instabilité du régime (révoltes éventuelles de la
population, guérillas) aurait été provoquée ici-même, avec le soutien des opposants de l’extérieur.
« C’est un peu une maladie qui ronge le pays de l’intérieur » (sic). Cauchemar, paranoïa, maladie
imaginaire ou réalité (?), en tout cas, jusqu’au milieu des années 2000, d’après les versions
officielles, la zone était restée incontrôlée et certains groupes d’habitants d’origine hmong qui
vivaient de manière parsemée sur ce territoire auraient pour mission de déstabiliser le pouvoir en
place. On les désignait curieusement par le terme chao f’a. La zone spéciale instituée en 1994 était
devenue de fait une zone interdite, accessible par autorisation spéciale.122
Marquée et marginalisée par la réalité de la Guerre froide où effectivement la zone était le
dernier bastion anticommuniste du général Vang Pao, elle a dû être marginalisée aussi par sa
spécificité d’être une vaste enclave difficile d’accès, d’avoir un vide démographique et d’être
désertée par les Lao Tai, avec une occupation mono-ethnique constituée de Hmongs. Pourtant,
l’histoire longue et récente semble démontrer que c’est sa spécificité géographique qui aurait été le
facteur dominant responsable de son caractère marginal. Sa position d’ancien bastion
anticommuniste qu’elle avait tenu, n’occupait en réalité qu’un laps de temps, devenait l’essentiel
des arguments pour le gouvernement de la RDP Lao. Elle justifiait le besoin d’installer une force
121 Néanmoins, ces régions du pays n’avaient pas été négligées par Setthathirat au XVIe siècle : on retrouve dans l’histoire
des grandes familles de Sam Neua, que la nomination des gouverneurs et leur affectation à Sam Neua, émanant du mandat
de Setthathirat aurait bien été réalisée, symbolisée par une lettre royale sur feuille de latanier, accompagnée d’un sabre et
d’une coupe laquée (Kan Nam Kiang). La lettre aurait indiqué les titres et les grades du nommé. Devenant seigneur local,
il aurait le droit de transmettre ses titres à ses héritiers mâles. En ce sens, il y aurait naissance d’une véritable aristocratie
provinciale, dont l’origine serait plus administrative et militaire que princière : il n’y avait pas de titre de prince de Sam
Neua, alors qu’à Xieng Khouang les gouvernants sont des princes locaux, dont la famille aurait été aussi ancienne que
celle des princes de Luang Prabang. Les Sô Phabmixay auraient été nommés et installés à Sam Neua durant le règne de
Sethathirat. Exerçant un pouvoir local, cette famille aurait été reconnue comme telle par l’institution monarchique jusqu’à
1975. Cf. Discussion avec l’un des membres de la famille Sô Phabmixay, Vientiane 2002. 122 Pourtant, en 2004, un groupe de photographes-reporters français avait pénétré dans la zone. Des images d’hommes et
d’enfants malades, dans un état de dénuement, sont exposées au monde. D’après les reporters, ces derniers sollicitent les
aides extérieures afin de les sortir de l’isolement, voire, de l’encerclement dont ils auraient été victimes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 75 -
armée pour réprimer et maintenir l’ordre et la sécurité dans la zone, puisque tout le territoire du
pays, quel qu’il soit, doit être maîtrisé et contrôlé. L’existence d’une poche enclavée et incontrôlée
pouvait discréditer la légitimité du régime et aussi sa sécurité. À travers son statut de Zone spéciale,
le gouvernement met en place plusieurs dispositifs afin de la “ pacifier ”, au niveau politique et
administratif, au niveau des plans de développement et de gestion, voire, de sa juridiction. Mais la
mise en application des projets de développement reste de purs vœux. Par son insécurité, le grand
objectif se résume dans l’amélioration des infrastructures routières afin de créer des passages et des
accès à la zone, l’intégrant dans le réseau national. La zone est restée, pendant longtemps, enclavée
et fortement militarisée. Son statut de Zone spéciale ne sera supprimé que dans la première moitié
des années 2000. Il a duré plus de 10 ans. Entre une volonté d’affirmer aux yeux de la population
que le danger et l’ennemi guettent (et c’est pourquoi l’armée doit veiller) et la volonté de montrer au
monde extérieur que le régime maîtrise la situation et dirige le pays dans la paix, la création de la
zone spéciale était un paradoxe, le nom porté l’est également : Khet Saysomboun signifie “ zone de
la victoire définitive et complète ”.
I. II. e. 3. Les implications historiques de Muang Tonh Pheung longtemps marginalisé
par son intégration dans le réseau de trafics du triangle d’or
Le Triangle d’or est un territoire bien connu dans les années 1960-1970, voire après, pour
avoir été une zone militarisée et liée au narcotrafic de l’Ancien Régime. Étant interdépendant de
manière tripartite (Thaïlande, Birmanie et Laos) comme son nom l’indique, le Triangle d’or était et
reste toujours un lieu d’échange fructueux entre les trois pays, c’était aussi une vraie “ passoire”
pour toutes sortes de produits illégaux. Devenant aujourd’hui “ Quatre ” avec l’intégration de la
province du Yunnan, les échanges doivent faire une place officielle à la Chine du Sud : de fait, et de
manière officieuse, les Chinois ont déjà un pouvoir important et ancien dans cette partie de la
région. La nouvelle étape de partenariat à quatre, intégré dans le programme GMS, doit jeter de
nouvelles bases à la coopération et aux échanges commerciaux légaux. Mais le passé de narcotrafic
des années 1960 (opium, héroïne) et des années 1980-2000 (amphétamine, métamphétamine) a
marqué le territoire. Aujourd’hui, cette zone qui porte toujours les traces de ses activités passées, a
du mal à effectuer une reconversion. Certains investisseurs, et pour certains types d’investissement,
hésitent à s’y installer, en particulier dans la partie laotienne et birmane. Seul le côté thaïlandais
semble actif, attirant un nombre significatif d’investisseurs du secteur touristique. Le côté laotien
semble vouloir donner de l’importance aux établissements consacrés aux jeux. La loi laotienne
n’interdit pas les casinos contrairement à la loi thaïlandaise qui les prohibe, ainsi les Lao prennent le
relais pour installer un complexe de casino sur leur territoire, espérant récupérer les joueurs thaïs et
chinois. Même avec les jeux, considérés comme “ maux asiatiques ”, le quadrilatère économique est
désormais sensé démarginaliser le Triangle d’or. Le défi est lancé, quel type d’avenir les quatre
pays veulent-ils construire ?
Pour répondre à cette question, un observatoire socioculturel et économique pourrait y être
installé. À ce jour, sans une enquête approfondie, les observateurs de passage peuvent déjà observer
que le passé des années 1960 pèse sur l’actualité et l’avenir de ce territoire : le côté illégal de la
circulation des produits et des hommes, ainsi que la difficulté d’instaurer des règles et des lois
semblent persister.
Conclusion
Alors que les pays du bloc socialiste dans le monde s’écroulèrent, les pays du bloc
communiste asiatique “ se serraient les coudes ” dans la marche vers la réforme. Le Laos avec
le chitanakhane mai suivait le modèle vietnamien. Dans tous les domaines, politique,
économique et social, la réforme a été un apport pour le pays, un pas en avant pour la région.
Elle a surtout été un élément de sauvetage du régime mis en place depuis 1975. En préconisant
un relâchement mesuré et contrôlé dans la politique intérieure, le PPRL a su préserver le pays
de l’éclatement, comme cela a eu lieu dans l’Europe de l’Est.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Après avoir détaillé les enjeux politiques et économiques de la réforme qui avait des
implications majeures dans la transformation spatiale, nous avons abordé dans le chapitre I la
transformation de l’espace à l’échelle du territoire. La transformation de l’espace territorial étudié a
été observée sur deux plans majeurs liés à deux grands domaines de la réforme :
1. Sur le plan politique de la scène régionale et internationale, le pays et le régime se sont
ouverts peu à peu à l’extérieur. Le Laos reprenait progressivement sa place au sein de la
communauté des nations, tant asiatiques que dans un cadre plus large. Les liens diplomatiques,
politiques et commerciaux se sont remis en place avec les traités de coopération et les aides
internationales. Les conflits (avec la Thaïlande) se sont aussi apaisés. Les bénéfices de cette
ouverture n’étaient pas dûs uniquement à la réforme structurelle et économique du pays, mais aussi
conjointement aux retombées économiques locales et régionales, voire, à la politique internationale.
L’amélioration de la situation du Laos –tous points de vue confondus– qui a accompagné son
ouverture a été aidée par les dispositions de la politique régionale des pays pour retisser des liens
sur de nouvelles bases.
2. Sur le plan spatial lié principalement à la politique intérieure, c’est la régulation foncière
préconisée par le régime qui a été cruciale. La régulation foncière, commencée avec la réforme
entre 1986 et 1988, a permis une reprise des pratiques foncières anciennes (dont nous avons rappelé
longuement les caractéristiques) sans lesquelles le développement urbain n’aurait pu être possible et
sans lesquelles les transformations des formes et des tissus urbains n’auraient pu avoir lieu une
décennie plus tard. La régulation foncière laotienne a révélé, au-delà du cas de notre recherche, le
rôle profond et intrinsèque qu’ont exercé la composition et la pratique foncière sur la forme et sur
les tissus urbains. Le cas laotien a de facto révélé que le changement des pratiques foncières (mise
en arrêt et contrôle ou, au contraire, mise en fonction et libération), induit par un régime foncier
sévèrement imposé, a exercé son impact sur la restructuration de l’ensemble de l’espace et sur son
devenir à l’œuvre aujourd’hui.
Liée aux dispositifs politiques et spatiaux, nous avons mis ensuite en évidence que la
transformation de l’espace à l’œuvre est caractérisée par plusieurs processus de mise en marge et
d’émergence des territoires. Ces processus observés de manière privilégiée à travers l’analyse des
pôles d’attraction économique, des zones d’échanges, des territoires de concessions, des questions
de l’intégration régionale et des espaces marqués par les données historiques ont caractérisé une des
formes de transformation des territoires en cours.
Une fois observée, la transformation spatiale à l’échelle du territoire dans le chapitre I, nous
développons dans le chapitre II qui va suivre, les différentes transformations de l’espace à l’échelle
des villes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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CHAPITRE II
L’émergence des occupations anciennes et des centres historiques,
entre altération et recyclage
La transformation spatiale à l’échelle des villes –c’est-à-dire sa recomposition, passe aussi
par l’émergence des occupations anciennes et des centres historiques eux-mêmes. Cette émergence
spatiale met en perspective à la fois un phénomène de recyclage et un phénomène d’altération des
espaces anciens ou de leurs données. Nous proposons d’appréhender le phénomène de recyclage et
d’altération des espaces à travers le domaine patrimonial et à travers les espaces religieux, parce que
ces deux types d’espaces sont historiquement liés aux centres anciens des établissements et
recouvrent souvent pour la pratique habitante la notion de centralité. Dans de nombreux cas, le
domaine patrimonial est physiquement situé dans les centres anciens, il en constitue même leurs
contenus. Si le domaine patrimonial peut composer aussi physiquement les centres anciens, pour
comprendre ces centres, nous proposons d’examiner rétrospectivement le processus de constitution
et de composition de ce patrimoine : comment il est conçu, comment en est-on conscient et
comment au cours de l’histoire le patrimoine a-t-il été traité ? Autant de questions qui permettraient
d’identifier le patrimoine au cœur de la ville. Quant aux espaces religieux, ils organisent
durablement les centres ou quartiers anciens, ils constituent l’une de leurs persistances spatiales. Et
lorsque les centres et les villes eux-mêmes sont altérés, ils peuvent continuer à en constituer une
forme de centralité. Nous pouvons illustrer cette forme de centralité à travers la présence et la
densité des monastères dans l’espace urbain, à travers le phénomène de convergence sociale des
espaces religieux et à travers le fait que les monastères peuvent d’un certain point de vue constituer
un modèle d’architecture, du moins une inspiration pour la production spatiale de la ville, ses
équipements publics.
II. I. Le processus de constitution et de composition du patrimoine
L’énumération du composant patrimonial est ici la partie émergente d’un domaine
complexe, ambigu et difficile à cerner. Il faudrait probablement emprunter une grille de lecture
anthropologique plus approfondie pour traiter de manière plus complète et avec exhaustivité ce que
peuvent couvrir réellement le sens et la notion du patrimoine dans le cas laotien.
La société lao conserve encore une part importante de ses traditions. Même si elle est
actuellement en mutation, c’est une société où il est encore à constater combien il est difficile de
distancer le sujet de l’objet de connaissance. Effectivement, sujet et objet sont plutôt associés dans
une sorte d’interdépendance qui fait de l’objet patrimonial un domaine vivant, mais peu autonome
par rapport au sujet. Dans cette société traditionnelle, cela est caractérisé par le fait que ce qui a été
légué par le passé, devrait se prolonger vivant dans le présent à travers le savoir et le savoir-faire.
Le processus de transmission lui-même serait alors le processus par lequel le patrimoine se
construit. Ce qui veut dire dans cette logique que nous devrions aussi être dans une logique de
transmission des savoirs si nous entrons dans la logique de production des biens patrimoniaux. A
contrario, dans la réalité née des confrontations avec les contextes des périodes historiques, la
transmission des savoirs a tendance à se fragiliser, voire à connaître des ruptures et donc cela veut
dire que la production des biens patrimoniaux peut aussi se retrouver réduite. Ce fait est
profondément lié aux aléas et aux contextes socioculturels et politiques, dans le sens où le politique Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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donne souvent une directive au mode culturel et social. Le processus de la transmission des savoirs
et la production des espaces patrimoniaux, ou des espaces porteurs, sont donc liés tant à la stabilité
qu’à l’instabilité sociopolitique, à leur continuité comme à leur rupture. Comme nous allons le voir,
l’histoire récente du Laos (développée dans la troisième partie de la recherche) nous donne des
indices d’une société qui connaît en profondeur une certaine rupture de transmission des savoirs,
induisant la réduction de la capacité de produire des espaces porteurs.
Prenant en compte l’interdépendance entre sujet et objet patrimonial, prenant en compte la
spécificité de la conception lao du patrimoine qui tend à refuser l’autonomie de l’objet patrimonial
par rapport au sujet, et conscient de l’immatérialité du patrimoine (dont nous allons évoquer les
points les plus importants), nous allons tenter d'établir une approche du patrimoine matériel et bâti,
en tant qu’objet autonome, en nous appuyant sur des points de vues, des situations, des pratiques et
des résultants matériels concrets et ponctuels mais qui jalonnent de manière plus ou moins claire les
périodes repérables de l’histoire du pays.
Au Laos, l’essentiel de la composition patrimoniale ou le premier de ses composants qui a
été le plus évident et le plus visible, ou du moins, le plus considéré, est le patrimoine culturel. Ce
patrimoine est avant tout, pour les Lao, « tout ce qui concerne les coutumes et les traditions,
transmises par les ancêtres », tels les croyances et les rituels religieux et païens, les fêtes et les
cérémonies. Viennent ensuite le patrimoine musical et littéraire, les textes anciens sur feuilles de
latanier et les inscriptions (ces derniers sont souvent considérés comme sacrés), puis enfin le
patrimoine artistique, tels l'architecture et les arts en général. Apportons quelques précisions sur
deux domaines particuliers que sont les coutumes et les traditions, la littérature et le fonds musical.
Les coutumes et les traditions
À travers la manière de les réceptionner, de les préserver, de les vivre et de les transmettre,
les coutumes et les traditions montrent non seulement qu’ils appartiennent au champ patrimonial,
mais aussi qu’ils sont placés au cœur de la question patrimoniale. Ils offrent un cadrage clair de ce
qu’est le fondement patrimonial. Celui-ci est avant tout conçu comme immatériel. Alors que le
patrimoine matériel, comme définition secondaire, offre une pratique éloignée de ce fondement et
de cette conception première : la réception, la préservation (appropriation et usage), la transmission
et la production (connaissance et savoir-faire) du patrimoine n’ont pas toujours été effectuées
comme telles mais différemment de ce qui se pratique aujourd’hui. De là, on peut en déduire que le
fondement originel du patrimoine est avant tout immatériel.
La particularité du patrimoine littéraire et musical
La liaison entre la littérature et le fonds musical est profonde dans la culture lao ancienne, et
cette liaison reste valable aujourd’hui. Alors que la culture musicale moderne du pays voisin
(Thaïlande) se démarque de la littérature avec l’influence de la musique et des rythmes occidentaux,
la littérature et les mots restent indissociables pour le Laos et constituent le fonds de sa culture
musicale. La culture lao est essentiellement orale, même lorsqu’une littérature est écrite, elle se fait
vite approprier, transformée et diffusée par l’oralité. Prenons le cas des textes sacrés bouddhiques.
À leur réception, ils n’auraient pas connu de tels succès et n’auraient circulé que dans un cercle
fermé s’ils ne relevaient que des moines lettrés. L’oralité était un terrain de prédilection pour leur
diffusion et pour leurs formes de transmission. La diffusion par l’oralité se réalisait grâce au lien
profond entre la musique et les mots. La particularité de ce phénomène est moins la musicalité de la
langue lao, mais plus le fait que l’oralité de la langue lao elle-même constitue les fonds musicaux.
Elle se décline en types de chants variés, qui peuvent s’adapter à chaque type de littérature. Ces
chants correspondent aux chants régionaux, mais aussi aux différentes formes de chants,
indépendamment des traditions régionales : les lé, les lam, les khap, les seung, etc. L’oralité
musicale s’est appropriée de manière telle de la littérature qu’il peut arriver, par exemple, que le
simple illettré ne sache pas que le Pravet est basé sur des textes du Chataka de l’époque du
Mahabarata, alors qu’il connaît tous les épisodes de ce grand Chataka. Il est aussi courant que les
analphabètes et illettrés –le cas de beaucoup de molam (maître de chants)– puissent maîtriser une Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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littérature complexe. Un grand molam peut, par exemple, devenir une source orale inestimable pour
l’étude des différents épisodes de l’épopée Sinxay, une œuvre du XVIe siècle aux verbes complexes.
II. I. a. Les différentes notions du patrimoine
La notion du patrimoine en tant qu’immatérialité et matérialité d’un savoir, transmis ou à
transmettre, est complexe et multiple. Elle est corollaire à la culture et au temps des peuples, à leur
auto-représentation et à leur auto-considération, à leur identification. La vision du patrimoine
laotien peut se présenter sous différents angles. Pour saisir la question patrimoniale, cinq questions
nous semblent importantes à développer : comment la notion de patrimoine est-elle liée à la pratique
de l’espace sacré ; comment la notion de matérialité et d’immatérialité du patrimoine est-elle traitée
par l’idée de conservation ; comment le patrimoine est-il transmis ; comment la valeur marchande et
la valeur symbolique du patrimoine sont-elles matérialisées ; et comment la notion de patrimoine
effective se situe-t-elle entre les mythes et les théories ?
II. I. a. 1. La pratique de l’espace sacré et la notion du patrimoine
D’une manière générale, la conception du patrimoine est liée à l’espace sacré. Le
patrimoine bâti ainsi que sa pratique sont profondément conditionnés par la pratique sociale des
espaces cultuels et de l’habitat. Qu'il s’agisse d’un espace religieux proprement dit, d’un espace
marquant la fondation de la ville ou d’un espace sacré dans les habitations, les espaces possèdent
leur logique de fabrication et leur force symbolique qui vont conditionner le caractère sacré de leur
fonctionnement et de leur existence. Des règles strictes dictent leur implantation, leur construction
et leur fonction. Pour la fondation de “ l'âme de la ville de Vientiane ”
123 à Simuang, par exemple,
lorsque les chroniques racontent qu’une femme enceinte et un jeune bonze furent sacrifiés pour
devenir l’esprit du Lak muang en se jetant dans la fosse,124 cela n’a-t-il pas pour objectif la
sacralisation d’un lieu, le rendant exceptionnel. De même pour l'édification d’une pagode, la
première règle n’est-elle pas de consulter l’astrologie leunk-gnam [gs]udpk,]
125 afin de trouver le
jour faste. Une fois le jour faste choisi, une cérémonie religieuse et un rituel ne doivent-ils pas
accompagner les premières briques, les premiers poteaux posés. On doit bien respecter le choix de
l’implantation et de l’orientation du sim (sanctuaire central) face au soleil levant ; bien disposer
l'enclos du vat de telle sorte que celui-ci ne soit pas situé sur un terrain plus bas que les parcelles des
habitations laïques. Ensuite, il faut veiller à ce que les autres bâtiments du vat soient respectivement
construits à leurs emplacements respectifs, selon les “ règles et l’art de bâtir ” des monastères. Par
ailleurs, au fur et à mesure de l’acculturation du bouddhisme dans la culture locale, les monastères
lao finissent par se constituer une programmation bien spécifique, suivant le fait que chaque région,
à l’égard de sa propre pratique et tradition religieuse, possède son propre programme. Même en ce
qui concerne l’espace laïc, le sacré n’y est pas absent. La construction de la maison obéit à des
règles strictes : l'emplacement du sân et du sya [-koF g-aP], l’orientation des pignons, la disposition
des portes, l’emplacement de l’autel du bouddha, la position du dormeur, etc., tous ces éléments
touchent le domaine sacré de la maison ou renvoient à des règles de fonctionnement liées au sacré,
qu’il s’agit de respecter pour le bonheur des habitants et pour le repos des esprits du foyer.126
Quant à la question de l’usage et de la fonction des espaces, nous constatons d’abord que
l’espace religieux relève d’un certain nombre d’interdits, nécessitant pour les usagers et les riverains
l’adoption des règles comportementales, tels, l’utilisation des objets, le touché, le regard et les
123 Selon les chroniques de la fondation de Simuang. Entretien avec les moines de Vat Simuang, Vientiane, 2000. 124 Les Notes de voyage de Henri Mouhot sur le Siam rapporte une légende semblable sur la fondation des portes des
villes siamoises. « Le roi désigne au hasard, un passant » pour être sacrifié, afin d'incarner l'âme protectrice de la ville. 125 Le “moment propice ” –traduction approximative– se calcule dans le calendrier lao ancien, spécifique pour la
construction des pagodes. La même consultation cérémoniale se fait pour la construction des maisons. 126 L'habitation lao de la plaine de Vientiane et de Luang Prabang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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paroles en ces lieux.127 Ensuite, il y a l’usage des espaces communautaires qui se trouvent dans
l’enceinte même du monastère. Celui-ci semble être le plus important des espaces communautaires
dans la société lao, construit et entretenu par elle. Il anime la vie politique et culturelle de la société
villageoise et citadine. Il devient le lieu de festivités, d’événements et de rassemblements. Les
réunions de villages en plein centre ville aujourd’hui continuent à se tenir dans les sala des vat.
L’usage de l’espace du monastère est en ce cas moins strict, puisque l’autorité du village peut fixer
des règles après concertations avec les habitants, selon les disponibilités et à condition que cela ne
soit pas en contradiction avec les règles monastiques.
Enfin, il y a la fonction des espaces habités. Cette question a été clairement analysée par
Sophie et Pierre Clément dans L’habitation lao dans la plaine de Vientiane et de Luang Prabang.
128
Nous pouvons retenir quelques traits importants tels que la position du dormeur et du mort dans la
maison, l’emplacement des escaliers et leur fonction sociale, la disposition des chambres à coucher
et leur fonctionnement, etc. Ces traits montrent notamment qu’il y a une hiérarchisation sociale et
des interdits imposés aux occupants et marqués dans l’espace construit. Par exemple, les religieux et
les esprits sacrés ne peuvent pas monter dans la maison s’il faut passer sous les pilotis pour
emprunter l’escalier d’accès. C’est pourquoi les escaliers des maisons lao doivent toujours être en
appentis, ou du moins indépendant et attenant à la maison.129
Nous pouvons dire que le monde sacré s’est emparé de tous les espaces possibles : les
règles, les obligations, les interdits inscrits dans l’espace trouvent en quelques sortes des justificatifs
dans le domaine sacré. Une analyse a posteriori montre également que les règles et les interdits
renvoient par ailleurs à des expériences empiriques des espaces. Les règles de fabrication et de
fonctionnement de l’habitat, par exemple, renvoient souvent aux règles et aux comportements
sociaux, à l’hygiène et à l’environnement. Le non-respect des ces règles provoquerait déséquilibre,
relâchement de liens sociaux et altération des liens avec les esprits. Prenons comme exemple le
fonctionnement de la maison : pourquoi la cuisine, littéralement “ maison où on cuisine ” [gInvo7q;],
qui se construit comme attenante à la maison principale dans un autre corps bâti avec sa propre
toiture et posée sur une sorte de terrasse commune, doit-elle être construite ainsi ? Ce dispositif
semble lié à la question d’hygiène et de sécurité par rapport à la fumée, au feu et aux odeurs, etc. Un
autre exemple nous interpelle du point de vue comportemental : pourquoi il est interdit au gendre
d’une famille de dépasser la limite de la cabine de couchage [souam, l;h,] de sa femme ? Ces
interdits renvoient bien entendu à toute éventualité d’inceste, car le beau-frère devient socialement
le frère.130
Les traits que nous venons d'évoquer explicitent le fait que le mode d’usage et la pratique
sociale de l’espace constituent par eux-mêmes une culture spatiale et induisent donc une certaine
forme d’espace. C’est un patrimoine immatériel dont l’existence est liée à un patrimoine matériel
bâti. L'intégrité de l’usage de ces espaces devient un domaine patrimonial et exige une grande
maîtrise comportementale et une pratique aiguisée des usages sociaux, un art de vivre
particulièrement difficile pour des personnes non averties. On apprend à un enfant dès son jeune âge
à savoir faire la différence entre un lieu sacré et un lieu non sacré, à avoir en conséquence des
comportements appropriés. Cela signifie que, si la mutation spatiale issue du développement urbain
127 Pour les femmes ou les enfants de sexe féminin, il est interdit de toucher les objets sacrés, notamment les effigies du
Bouddha, les robes monastiques portées par les moines, les bols à aumône et autres objets sacralisés. Il est également
interdit aux femmes de fixer un moine dans les yeux, d'entrer dans certains lieux du monastère, notamment dans les
chambres du kouti [d5f8y]. Pour les religieux eux-mêmes et pour tous laïcs, il est interdit de fouler le sol où ont été enterrés
les objets sacrés, de rentrer chaussés et chapeautés dans les édifices construits dans l'enclos du monastère. Enfin, il est
interdit de porter des armes, réclamer son dû, blesser en acte et en parole autrui.
128 L’habitation lao dans la plaine de Vientiane et de Luang Prabang, Pierre et Sophie Clément, op, cit. 129 Les maisons lü du Nord rassemblent l’escalier d’accès sous la même toiture que l’ensemble de la maison. Cependant, il
est aménagé de telles sortes que les moines ne passent pas sous les pilotis mais sous les pans de toiture qui “ tombent ” en
escalier dans le prolongement de la grande toiture.
130 Dans des cas exceptionnels si la fille mariée venait à mourir la tradition accepte que les parents marient le beau-fils à
une autre de leur fille si les deux parties en sont d’accord.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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et économique s’opère sans harmonisation avec la mutation sociale à l’œuvre et donc aussi avec la
mutation comportementale, il y aurait une sorte de rupture et de déséquilibre entre le mode d’usage
et le mode de fonctionnement par rapport à l’appropriation des espaces en cours de mutation.
II. I. a. 2. La matérialité du patrimoine, question de conservation, de l'ancien et du neuf
La première matérialité du patrimoine s'exprime avant tout à travers les objets sacrés et les
édifices religieux. Au Laos, ils sont les premiers à constituer le patrimoine matériel. Ceci est sans
doute lié au fait que les édifices religieux ainsi que les objets cultuels sont les seuls objets qui ont
survécu au temps et qui peuvent être représentatifs de l’histoire périodisée. La deuxième matérialité
du patrimoine, c’est le savoir-faire technique et la valeur artistique et esthétique des objets et des
édifices. Cette deuxième matérialité est reconnue tardivement en tant que telle. La reconnaissance
de la première matérialité est probablement liée à la prise de conscience de l’histoire dans l’enjeu
politique et idéologique ; la reconnaissance de la seconde matérialité est sans doute liée à
l’autonomisation de la valeur des objets patrimoniaux.
Contrairement à sa matérialité, l'immatérialité du patrimoine fait transparaître le fait que
nous pouvons reproduire les objets en utilisant le savoir-faire ou donner un sens à un objet en le
rendant sacré en l’affectant à un culte. Et puisque les objets sont reproductibles et peuvent prendre
le sens que l’on donne, ils n'ont donc pas d'existence et d'identité propre au-delà de leur fonction.
Leur existence en tant qu'objet et en tant qu'identité propre se serait réduite. Ils n'ont d'existence que
lorsqu’ils sont en cours d’usage ou lorsqu’ils représentent ou symbolisent quelque chose. En ce
sens, le patrimoine peut être aussi physiquement un objet neuf et pas forcément un objet ancien. En
ce cas, la question de sa conservation et de son intégrité n'a pas particulièrement de sens en tant
qu’objet. Ici, c'est donc le contenu de l’objet, en tant que signifié qui importe et qui est perpétué
dans la conception du patrimoine. Aujourd’hui, cette notion d’immatérialité constitue
essentiellement un obstacle à la conservation du patrimoine, au moment même où la notion de
conservation ne peut exister que si le patrimoine est entièrement devenu un objet autonome.
II. I. a. 3. La notion de pérennité et de transmission du patrimoine
La notion de pérennité et d'intégrité de l'objet d'origine en tant que contenant, est une notion
récente et moderne au Laos. La notion lao du patrimoine, évoquée ci-dessus, considère que l'essence
du patrimoine est avant tout immatérielle. Seuls, la démarche de fabrication et le savoir-faire
seraient nécessaires pour la pérennité du patrimoine. Parce que l'objet est soumis à “ l'injure du
temps ”, rien ne lui résiste, “ seule l'immatérialité des choses échappe aux méfaits du temps ”. À la
place de la transmission et de la pérennité du patrimoine, en tant qu'objet, nous parlons plutôt de la
transmission et de la pérennité du savoir et de la connaissance, permettant sa reproductivité ;
transmission opérée entre père et fils ou de maître à élève. De même, dans cette logique, on ne
transmettrait pas une maison à ses enfants, mais on leur transmettrait la manière de la construire et
de l’habiter. On leur transmet en fait l’âme du foyer, le rituel pour garder chez soi l’esprit
protecteur, le phi heuan [zugInvo]. Dans cette démarche, la pérennité du “ contenu ” dans la
transmission du savoir n'a de sens et ne peut s’opérer, que si la qualité du nouveau “ contenant ”, la
manière de le construire et de le reproduire en soit également pérenne. Si ce n'est pas le cas, nous
assisterions à la création d'un nouvel objet indépendant qui n’est pas issu de la transmission des
savoirs. Dans ce cas, nous sommes alors dans une situation de rupture : il n’y a pas de transmission.
La conservation du patrimoine au Laos correspond précisément à ce cas de figure. Autrement dit, la
disparition du patrimoine relève plus du manque de transmission de la connaissance et du savoir que
de la disparition des objets patrimoniaux. Pour comprendre notre propos, il faut rechercher dans
l’approche utilisée pour expliquer à la communauté religieuse qu’elle a perdu aujourd’hui son
savoir et son art de bâtir ; qu’elle ne possède plus de connaissance pour reproduire les stucs, percer
le secret du langage architectural et de la proportion architectonique des sanctuaires. C’est cette
méconnaissances qui détruit vraiment le patrimoine religieux et moins les intempéries et la
destruction proprement dite des édifices. Pour illustrer encore notre propos, il suffit de regarder les Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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monastères nouvellement construits où aucun art de bâtir n’est respecté. Les composants et le
langage architecturaux étant incomplets, les symboliques spatiales se retrouvent altérées.
II. I. a. 4. La valeur symbolique, la valeur marchande
A priori, le patrimoine tel qu’il a été évoqué précédemment ne peut avoir une valeur
marchande. La valeur marchande du patrimoine est née en Occident corollairement à la naissance
du goût pour les Antiquités qui découle, lui, en partie de la mise en valeur de l'histoire. La valeur
marchande du patrimoine est donc indissociable de la mise en valeur de la discipline de l'histoire.
Ensuite, elle sera soutenue par des jugements de valeur ; des valeurs choisies de manière
dépendante des périodes historiques. Ainsi, il existerait une période historique plus riche qu’une
autre, etc. Une ambigüité et un certain paradoxe de situation se sont alors installés dans les
mentalités concernant la conception du patrimoine. L’amour des antiquités entraîne la volonté de
protéger le patrimoine en tant qu’objet et contenant patrimonial autonome. Mais l’amour des
antiquités fige aussi ses fonctions immatérielles. Il vide son sens symbolique. Du patrimoine vivant
relevant des sens et des symboles, nous passons alors au patrimoine mort chargé de valeur
autonome, mais marchande.
II. I. a. 5. Le patrimoine, entre mythe et théorie
La notion du secret était un des composants de la conception du patrimoine laotien, en
particulier à travers les croyances populaires. Il s'agit du patrimoine caché, invisible et inaccessible.
C’est là que réside aussi sa valeur. Un lien semble relier cette idée du patrimoine caché et invisible à
deux faits importants : aux faits historiques et aux mythes populaires.
Concernant les faits historiques, nous pouvons constater que les trésors religieux de grandes
valeurs ont souvent été cachés, du moins, ce sont ceux qu’on a tentés de cacher. C’était a priori le
roi lui-même qui ordonnait aux responsables de tel ou tel monastère d’effectuer les tâches, afin de
soustraire les trésors à la convoitise des ennemis qui auraient la volonté de les tenir en leur
possession, chaque fois qu’ils prenaient d’assaut un muang. Ainsi aujourd’hui, on conçoit que les
plus grandes caches que le Laos aurait connues auraient été réalisées sous le règne du roi
Anouvong. Une campagne spécifique, sous le prétexte d’une tournée religieuse pour restaurer les
lieux et les monuments, aurait été effectuée par ce roi. Lors de ces tournées, Anouvong aurait
surtout demandé au clergé et aux chao muang d’être disposés à cacher, au moment venu, ce qui leur
semblait être les trésors du pays. Et le moment venu aurait été la guerre de libération qu’il préparait
contre le Siam. Bien qu’aucune preuve écrite n’ait été retrouvée portant sur la question, les
nombreuses découvertes de “ caches ” qui seraient datées de la fin du XVIIIe et du début du XIXe
siècle tendent aujourd’hui à pencher en faveur de cette allégation. Chaque “ cache ” aurait contenu
des objets et des bouddhas de grande valeur et en nombre important : notamment celle de la grotte
de Mahasay, et la plus récente, celle de Vat That Khao. À l’heure où la statue de Chao Anouvong
est érigée dans le nouveau parc derrière le Hô Kham à Vientiane, les habitants de la ville pensent
que, en suivant le parcours de ses périples religieux indiqués dans les annales locales, on pourrait
espérer mettre au jour d’autres trésors du même type.
Du point de vue des mythes et des croyances populaires, la conception patrimoniale nous
fait rentrer dans un autre univers, dans la conception de la cité elle-même. Il s’agit des mythes et de
la conception des “ cités invisibles ”, [muang lap-lé g,nv’]a[c]]. Dans cette croyance, il y a l’idée
qu’un patrimoine caché est, de fait, protégé. Muang lap-lé désigne la cité invisible, vivante et
radieuse, « seuls les gens bons et honnêtes observant le dharma pouvaient la percevoir. Et lorsque
les gens y pénètrent, rien, a priori, ne distingue cette cité des autres. Il ne faut alors rien désirer,
rien prendre, rien emporter, rien ramener vers l'extérieur, si non, ils perdent leur chemin de
retour.» L'idée de la cité invisible n'existe pas uniquement qu’au Laos. Il semble que ce mythe
existe un peu partout dans le monde, en Afrique et dans de nombreux pays en Asie. En seconde
lecture, il s'agirait pour cette croyance populaire, à la fois d’un mythe et d’une théorie. Du point de
vue mythique, l’idée de la cité invisible, confondue aux préceptes religieux, aurait symbolisé
l'origine et la finalité des cités. C’est en quelque sorte un concept idéaliste de la société, une valeur Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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civilisatrice et morale, une finalité que la cité doit atteindre. Celle-ci doit être « sans cupidité, n'y
vivraient que des individus bons observant le dharma ». C’est finalement une sorte de paradis
terrestre, “ d’ici et maintenant ”. Ce n’est pas le “ paradis perdu ” de la conception du monde judéochrétien
de l’Ancien Testament. Ce mythe a donc une connotation religieuse liée au pancasila
bouddhique.131
Du point de vue théorique, les éléments décrivants muang lap lé portent à penser qu’il s’agit
d’une théorie politique récente qui aurait traduit l'instinct de préservation des peuples vis-à-vis de
l'invasion étrangère, notamment la colonisation. L’annexion et la colonisation symbolisent avant
tout, pour les peuples qui ont été colonisés, la recherche de richesses, la domination et l’exploitation
des peuples par les nations dominatrices occidentales, et ensuite, la propagation de leurs valeurs
culturelles qui se veulent civilisatrices. Parallèlement, étant donner que la notion de patrimoine et de
richesse des biens des peuples symbolise leur souveraineté et leur liberté, l’idée de rendre ce
patrimoine invisible et inaccessible symbolisé par la cité invisible aurait signifié en fait la volonté
de se soustraire à la domination étrangère. La cité invisible aurait donc été le symbole de la liberté
dégagée de toutes compromissions et emprises extérieures.
II. I. b. La prise de conscience et la conception du patrimoine
La prise de conscience et la conception du patrimoine ne peuvent être considérées comme
telle qu’à partir du moment où le patrimoine est conçu comme objet autonome, comme nous l’avons
déjà souligné. Ce sont deux faits qui sont liés au contexte de la colonisation. La prise de conscience
et la conception du patrimoine donnent les mêmes faits, mais sont suscitées par deux causes
différentes. La prise de conscience du patrimoine pour les Lao, est suscitée par la pensée anticoloniale
dans le contexte de constitution d’une nouvelle identité politique, alors que la conception
du patrimoine n’est pas soumise directement aux idéologies politiques, elle est suscitée ni
directement par les revendications politiques locales, ni par les intérêts particuliers de la politique
coloniale : son intérêt est plus autonome.
II. I. b. 1. Prendre conscience autrement du patrimoine
La prise de conscience du patrimoine chez les Lao remonte au réveil nationaliste durant la
période coloniale et de la décolonisation. La conception occidentale du patrimoine comme objet
autonome, ayant une valeur pour et par lui-même, prend pleinement son sens au cours de cette
période. Elle s’est peu à peu étendue dans la culture des élites locales, aristocratiques et lettrées, ou
issues de la fonction publique coloniale. Pour le reste de la population, le patrimoine correspondait
toujours à des éléments éternels, vénérés, composés de légendes et d’histoires fabuleuses auxquelles
elle s’identifie.
Les élites locales formées dans les monastères, mais aussi dans les écoles françaises
apprenaient à visualiser et à formuler autrement, à l’aide de concepts occidentaux, leur identité
culturelle en des termes nouveaux. Ainsi, certaines d’entre elles redécouvraient des racines –leur
être culturel et historique. Elles formaient, dans les années 1930, le premier noyau de personnes
s’intéressant à la culture et au patrimoine de leur pays. En appréciant la valeur du patrimoine, en
tant qu’objet autonome, elles s’y étaient progressivement identifiées et en avaient fait un outil de
patriotisme, les sentiments d’exaltation de la patrie animaient leurs actions. Cela a abouti, à la fin de
la Deuxième Guerre mondiale, à la formation de Lao Issara, mouvement “ nationaliste ” pour
l’indépendance, dont les membres ont été très proches de l’administration française, puisque
131 Pancasila (Sk), panca (cinq), sila (pierre) : borne des cinq préceptes bouddhiques. Ici, la cité idéale serait liée à la
conception des sages lao du XVIe et XVIIe siècle. Ces derniers nous auraient livré leur conception de la cité en la
transposant dans le regard de Syaosavat, héro du roman philosophe éponyme, qui a défini les dix qualités des muang. (Cf.
paragraphes traitant de la littérature géographique et de la définition du muang, du vieng et du xieng.)Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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beaucoup en étaient issus.132 Après l’indépendance, le mouvement Lao Issara a fondé l’association
Chanthaboury qui siégeait à Vat Chan,133 dont l’objectif était de préserver le savoir-faire ancien, de
raviver l’art et la tradition artistique. Ainsi trouve-t-on dans cette association des maîtres artisans et
artistes, une variété de professions allant du simple tisserand à l’érudit en littérature en passant par
le charpentier et le sculpteur. Ces derniers ont participé à la première restauration des édifices
patrimoniaux à Vientiane.134
II. I. b. 2. La conception du patrimoine
La conception du patrimoine, comme objet autonome, a été élaborée au début du XXe siècle
dans le contexte colonial, lorsque l’administration française a commencé à inventorier et restaurer
quelques monuments de la ville de Vientiane.135 Notre étude se focalise sur Vientiane, car c’est dans
cette ville principalement qu’est né le début de la conception du patrimoine. L’administration
coloniale n’a effectué des restaurations quasiment que dans cette ville, les autres centres urbains de
province ont suscité peu d’intérêt pour elle, sauf Luang Prabang où l’institution royale apportait
déjà des attentions au patrimoine de la ville. Les études et les travaux de restauration relatifs au That
Luang ou ceux portant sur Ho Phra Kéo ont témoigné de l’autonomie de l’objet patrimonial. Les
travaux de Parmentier ont constitué les bases de connaissance les plus solides pour l’époque,136 bien
que Louis Delaporte ait élaboré bien avant les premières esquisses et relevés.137 Les archives du
Gouverneur Général d’Indochine montrent les premières listes d’inventaire des bâtiments anciens
de Vientiane, même si peu d’édifices ont fait à l’époque l’objet de restauration. Elles mettent surtout
en relief les débats entre les conservateurs, partisans des restaurations et les autres –ingénieurs et
administrateurs, plus soucieux de combler le manque de main d’oeuvre, de construire des routes et
de raser certaines ruines et bâtiments anciens afin de bâtir pour les besoins des équipements
administratifs. Ainsi, Vat Kang et Vat Gnot Kéo n’existent plus aujourd’hui alors qu’ils ont été
mentionnés à cette époque, et le rempart intérieur a été remplacé par les boulevards Khounbourom
et Khouvieng.
Tout en mettant en avant la valeur patrimoniale et artistique des ouvrages qu’il fallait
préserver à travers leur restauration, l’administration a surtout privilégié les édifices à fonction
stratégique ou politique. En effet, restaurer quelques monuments chers aux Lao pouvait leur
redonner une confiance et une certaine dignité afin qu’ils reviennent de nouveau en masse vivre
dans une ville, longtemps quittée et abandonnée après sa destruction. Sans population et sans main
d’œuvre, il était difficile de développer un centre urbain digne qui venait d’être créé. Même si des
132 Interrogé, un ancien Lao Issara explique que le mouvement avait une pensée politique assez claire : nationaliste,
anticoloniale, libérale et royaliste, mais absolument pas communiste. Il préexistait depuis les années 1930. Lors de la
reddition, les armes de reddition japonais devaient être remises au pays occupé. Or, les autorités françaises ne représentant
pas le peuple Lao à leur yeux, les Japonais refusaient de leur remettre les armes. Ayant repéré en la personne du vice-roi
Phetsarath, le leader du groupe, l’autorité française « conseilla » ce dernier de formaliser le Lao Issara. Mais une fois les
armes remises à Phetsarath, celui-ci «s’engagea dans la résistance» avec ses hommes, souvent issus de la fonction
publique coloniale (traducteurs, instituteurs, employés administratifs) et déclara l’indépendance du Laos et Vientiane
comme capitale du pays. (Réf. Entretien avec deux anciens membres de Lao Issara : Thongsing S. Phabmixay ;
Chansamone Voravong). Ainsi, le légendaire Lao Issara, en tant que parti politique, ne serait qu’un organisme de
circonstance. Avec du recul, Lao Issara apparaît comme un courant de pensée, un nouveau souffle littéraire et culturel,
constitué par les élites nées durant la colonisation. C’est sans doute le seul mouvement du XXe siècle qui exerce une
influence profonde sur la culture, “ le milieu nationaliste ” et intellectuel lao contemporain. 133 Le bâtiment qui avait abrité “l’école des artisans” a été détruit en 2004 par le vénérable de Vat Chan, bien qu’il
figurait, sur la liste des inventaires proposée par l’Atelier du Patrimoine, parmi les bâtiments remarquables à protéger. 134 Le prince Souvanna Phouma, ingénieur TP, a suivi la reconstruction de Vat Ho Phra Kéo. Les travaux furent achevés
en 1942. Pour l’un des piliers du sanctuaire, a été réutilisé les mortiers et les enduits à l’ancienne (probablement le Pathaï
Khouay –le mortier de banane.) 135 CAOM, cote D2, Monographie de Vientiane 1896, document adressé au Commandant supérieur du Haut-Laos à Luang
Prabang, par P. Morin, le 21 octobre 1896. Dans ce rapport, l’auteur a présenté quelques remarques sur les ruines de
Vientiane qui font apparaître les monuments les plus importants de la ville.
136 Cf. L’Art du Laos, Henri Parmentier, édition révisée par Madeleine Giteau, publication de l’EFEO, Paris, 1988. 137 Album pittoresque, réalisé par Louis Delaporte, annexé à Atlas du voyage d’exploration en Indochine, 1866, 1867,
1868. Commission française présidée par le capitaine la frégate Doudart de Lagrée et publiée sous l’ordre du ministère de
la Marine, sous la direction du lieutenant de vaisseau Francis Garnier, édition Hachette, Paris 1873.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 85 -
milliers de familles revinrent effectivement sur le sol de leurs ancêtres,138 échappant aux autorités
siamoises qui les empêchaient par des moyens divers de gagner la rive gauche du Mékong,139 leur
nombre restait insuffisant. Malgré cela, dès 1910, l’administration française avait imaginé un musée
des antiquités lao à Vientiane.140
La matérialité du patrimoine, en tant qu’objet de connaissance créé et transmis, témoignage
du passé, périssable et vulnérable qu’il faut étudier, protéger, conserver, entretenir dans sa
matérialité contre les intempéries, le temps et la destruction, n’était pas reconnue alors comme telle.
Encore aujourd’hui cette matérialité n’est pas encore tout à fait comprise par la majorité de la
population.
Le patrimoine à sa source
Il semble clair que l’administration française avait perçu l’importance des monuments dans
la vie des Lao, porteurs d’identité et de fierté retrouvées, au point de les pousser à quitter à tout prix
le Siam où ils avaient été déportés et retenus depuis trois générations.141 Remontant dans le temps,
ce fil conducteur aide à comprendre la perception actuelle du patrimoine laotien en mettant en
évidence le lien entre la conception laotienne du patrimoine aujourd’hui et un concept plus ancien
qui en constituerait les racines.
Dans la culture lao, un ouvrage d’art – qui fait partie de ce que l’on appelle aujourd’hui
patrimoine – que ce soit un objet ou un élément bâti, n’est pas conçu comme un objet autonome. Il
représente et symbolise, il garantit et rend souverain le pouvoir de celui qui le possède. Les objets
patrimoniaux composent l’un des principes fondamentaux qui construisent et renforcent la
légitimité et la souveraineté d’un pouvoir. Dans le roman philosophique, Nithanh Syaossavat,
142 le
héros a clairement identifié les dix principes. Il s’agit de Khreuane Muang désignant les trois
joyaux (Bouddha, Dharma et Sangha), Ming Muang (les esprits protecteurs, tels que les Dhevata),
Khèn Muang (les médiums, les conseillers et les sages), Tchay Muang (l’épouse du monarque),
Khenne Muang (le monarque), Ta Muang (les quatre portes et la sécurité), Hou Muang (la vigilance
et les moyens de communication), Fa Muang (la force armée), Khoune Muang (la richesse et les
ressources naturelles du territoire) et enfin, Khrouane Muang qui désigne les trésors, le patrimoine
et les biens de grande valeur transmis. Les arts, la littérature, les objets et les édifices vénérés en
font sans doute partie.143 Ce terme signifie textuellement “ âme du pays ”. Le patrimoine fait donc
partie des dix préceptes vitaux d’un pouvoir ou d’un État. Sans eux, les pouvoirs seraient fragilisés
et voués à l’échec.
Trois anecdotes sont à évoquer à titre d’exemple. Lorsque le Siam domina le Lan Xang,
partitionné en trois royaumes, on comprend mieux pourquoi il commença par emporter à Thonburi
138 Les rapports montrent que le retour a été insuffisant, d’où la nécessité de faire venir de la main d’œuvre du Vietnam.
In : Essai de colonisation annamite au Laos, 1903, Mission Le Hoan, CAOM, GGI, Mo 430. 139 Un accord a été conclu entre l’autorité française et l’autorité siamoise pour que les Lao qui le désirent puissent revenir
au pays. Ne pouvant pas officiellement empêcher leur retour, l’autorité siamoise cherchait par des moyens détournés à les
retenir au Siam. Dans les archives du GGI, on retrouve de nombreux dossiers exposant des cas de procès de droit commun
que les Thaïs intentaient aux Lao du Siam, tel que vols de buffles, dettes non remboursées, etc. On trouve aussi des
plaintes de Lao qui veulent revenir au pays. In : « Rapatriement des Lao à Vientiane », F146 25 332 ; « Contestation
habitants rive droite et rive gauche » 1898, F130 20 841 ; « Retour de 2000 Lao à Vientiane » F742 20 903 ; « Plainte des
Lao pour rentrer au Laos », E147 21 822. CAOM, fonds GGI. 140 Création du musée des Antiquités, CAOM, fonds GGI, cote R61.20217. Il semblerait que le musée se trouvait dans le
cloître du Vat Sisaket.
141 Les Lao du Siam qui revinrent à Vientiane au début du XXe siècle sont de la deuxième et troisième génération, puisque
les grands-parents avaient été déportés vers 1828 et 1829. 142 Les historiens pensent que Syaossavat, roman philosophique anonyme, fut composé au XVIIe siècle sous le règne de
Souryavongsa. On peut retrouver les illustrations de ce roman sur les fresques en céramique des murs de la chapelle rouge
(Ho Taï) du Vat Xieng Thong à Luang Prabang. Cf., aussi Hounphanh Rattanavong, in : Séna Mark Khika, ministère de la
Culture et de l’Information, Institut de Recherche sur la Culture Lao, Vientiane, 1999. 143 Khreuane Muang Xg7njvog,nv’? ່ ; Ming Muang X,yj’g,nv’? ; Khèn Muang Xcdog,nv’? ; Tchay Muang X.9g,nv’? ; Khenne Muang
Xcdjog,nv’? ; Ta Muang X8kg,nv’? ; Hou Muang Xs6g,nv’? ; Fa Muang X/kg,nv’? ; Khoun Muang X76og,nv’? ; Khouane Muang
X0;aog,nv’?. In : Nithanh Syaossavat.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 86 -
les objets de la collection royale tels que les livres (littéraires et sacrés) et les bouddhas (Phra Kéo,
Phra Souk, Phra Say, Phra Seum).144 Le roi de Vientiane et ses sujets furent dépossédés des “ âmes
du pays”, et donc de leur force et de leur dignité. De même, au début du XXe siècle, lorsque
l’administration française demande à Sri Savang Vong145 le “ prêt ” de quelques objets de la
collection royale pour une exposition à Paris,146 le roi se serait senti tellement coupable de l’avoir
accordé que le soir en allant prier et faire des offrandes, il demanda aux esprits protecteurs du
royaume de faire en sorte que ces objets ne puissent jamais quitter le sol laotien. La collection
royale transportée par La Grandière vers Vientiane était composée d’objets précieux, entre autres
des bouddhas en or. À l’approche de Pak Laï, la canonnière sombra dans le Mékong et les trésors
furent engloutis dans l’épave au fond du fleuve.147 Par ailleurs, en 2005, dans une grotte nichée audessus
d’une rivière, ont été découvertes plus de 250 statues de Bouddha, en bois, en bronze, en
argent et en or.148 Leur style et leur facture artistique montrent que les auteurs sont des artisans de la
Cour, il pourrait s’agir d’une collection royale datée entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Un prince de
haut rang ou un important vénérable l’aurait cachée pour la soustraire aux ennemis.
Les anecdotes montrent combien la possession d’objets patrimoniaux était importante. Lors
des guerres et des sièges d’une ville, il était habituel que le roi ordonne aux responsables de cacher
les trésors, pour éviter que les ennemis en prennent possession afin de légitimer leur pouvoir. Cette
capacité de légitimation des objets d’art, n’a-t-elle pas été utilisée, dans un tout autre contexte, par
le général Tchiang Kaï-Chek qui a emporté avec lui une grande partie des collections impériales
quand il quitta la Chine pour gagner Taïwan.149
La conception actuelle du patrimoine et son identification.
De l’objet dépendant à l’objet autonome, aujourd’hui la conception du patrimoine au Laos
n’a pas changé fondamentalement, mais s’est enrichie et élargie. L’importance de la possession
d’ouvrages patrimoniaux est une pratique ancestrale qui perdure, comme garants du pouvoir et
protecteurs de la société humaine. Elle se trouve enrichie par la conception occidentale qui
considère le patrimoine comme un objet autonome – témoignage de la connaissance et du savoirfaire,
et également élargie par l’évolution du domaine patrimonial lui-même. Le patrimoine ne se
limite ni aux objets faits de matériaux précieux, ni aux objets mystérieux ou symboliques, ni aux
ouvrages d’art et aux créations artistiques, ni aux édifices et sites de grande qualité. Les critères
d’identification du patrimoine contemporain se sont largement diversifiés. En adhérant en 1987 à la
Convention de l’Unesco sur le Patrimoine mondial, le Laos adhère aussi à ses principes généraux.
Le patrimoine mondial standardise, en quelque sorte, ce qui constitue aujourd’hui le patrimoine de
l’humanité. Ainsi, toute l’unité urbaine de Luang Prabang et l’ensemble du site archéologique de
Champassak ont été classés et le site de la Plaine des Jarres à Xieng Khuang a été proposé au
144 Le bouddha de Jade (appelé émeraude par les Thaïs, les Lao et les Khmers) séjournait alors à Chiangmai lorsque
Sethathirat, roi du Lan Na entre 1547 et 1560, succédant à son grand père, ramena la statue avec lui jusqu’à Luang
Prabang, puis à Vientiane lorsqu’il y transféra sa capitale. Les statuettes Phra Souk, Phra Say, Phra Seum qui datent du
règne de Sethathirat seront emmenées au Siam vers 1779 en même temps que le Bouddha de jade, ainsi qu’une multitude
d’objets de valeur, suite à la prise de Vientiane par le général Kasat Suk qui deviendra par la suite Rama Ier. 145 Souverain du royaume de Luang Prabang entre 1905 et 1946, historiquement Sri Savang Vong n’a jamais été roi du
Laos avant 1946 : Boun Oun de Champassak, descendant direct de Souryavongsa, n’a renoncé à son droit dynastique
qu’en 1946. Son statut institutionnel a été défini dans le modus vivendi, annexe de la convention franco-laotienne. 146 Un spécialiste du musée du Louvre aurait été mandaté pour choisir les objets dans la collection royale. In : « Des
documents secrets britanniques déclassifiés, révélation sur les trésors engloutis du Laos », Martin Bailey, Le journal des
arts, n°12, mars 1995 ; Rapport de présentation de projet de l’association CERENA par Michel Guillaume, « La
Grandière, canonnière du Mékong ». 147 La canonnière a sombré le 15 juillet 1910. La liste des objets “ prêtés ” par le roi n’a été retrouvée, ni dans les archives
françaises, ni dans les archives royales lao. Ibid. 148 Dans la province de Khammouane, à une douzaine de kilomètres de Thakhek. Cf. Rapport interne du Département des
Musées et de l’Archéologie, ministère de la Culture et de l’Information.
149 Résonnance intérieure, dialogue sur l’expérience artistique et sur l’expérience spirituelle en Chine et en Occident,
Philippe Sers et Yolaine Escande, Ed. Klincksieck, Paris 2003.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 87 -
classement.150
Le développement urbain des villes du Laos, en particulier celui de Vientiane, révèle le
désir du nouveau et du “ moderne ”. Cependant, l’absence de l’expérience de la ville et de sa portée
pédagogique, le manque de qualité esthétique et spatiale des réalisations, sont corollaires à la perte
d’identité et portent un coup fatal au patrimoine : bâtiments, sites et ambiances urbaines de qualité.
Pour une ville dont la plupart des constructions sont récentes et où les vestiges historiques sont peu
nombreux et fragiles, les édifices modestes et les sites qui donnent cohérence et harmonie à la ville
deviennent le domaine patrimonial par excellence, portant témoignage de tout ce qui a trait à la
qualité, à l’identité et à la valeur pédagogique, ils relèvent dès lors du domaine patrimonial qu’il
convient non seulement de préserver, de protéger, mais également de développer. Dans cette
perspective, le patrimoine de Vientiane a été identifié et les critères de définition ont été élargis et
réadaptés in situ, compte tenu de plusieurs faits évidents. D’abord le patrimoine laotien est
matériellement peu monumental et peu durable (dans le sens où il y a peu de grands sites utilisant
des matériaux durables.) Ensuite, la ville ne renaît qu’au début du xxe siècle, après avoir sombré
pendant trois quarts de siècle suite aux incendies de 1828 – 1829. Et enfin, le patrimoine n’est pas
seulement historique et symbolique, il peut avoir une valeur intrinsèque et autonome par rapport aux
sens qu’il recouvre. Le processus de développement urbain actuel entre en contradiction avec le
caractère modeste et fragile du patrimoine laotien, et risque donc de le faire disparaître. Au Laos
aujourd’hui, on peut dire que le patrimoine devient un objet autonome que l’on peut saisir à travers
des critères concrets, étudier, analyser et théoriser pour en entreprendre l’inventaire, la protection et
la restauration, à l’aide de la typologie et de la classification. Les inventaires antérieurs à 1975
réalisés sous l’impulsion de l’académie Chanthaboury et du ministère des Cultes listent surtout des
édifices religieux, des monuments, des objets de valeur et de culte, mais pas d’édifices civils, ni de
sites paysagers. En fait, ces inventaires ne contenaient que des éléments historiques et symboliques,
issus de la culture lao considérée comme dominante. Les inventaires réalisés en 1994 par le
Département des Musées et de l’Archéologie ont élargi la liste à l’habitat civil, maisons lao sur
pilotis et édifices coloniaux. Les inventaires réalisés en 2002 par l’Atelier du patrimoine élargissent
et diversifient davantage encore les contenus méthodologiques et patrimoniaux.151
II. I. c. Le discours du patrimoine, entre instrumentalisation et valeur autonome
La considération du patrimoine au Laos aujourd’hui est située entre deux écoles de pensée :
entre son instrumentalisation pure et simple et son appréciation en tant que valeur autonome. Le
discours sur le patrimoine peut être classé dans le processus de mise en valeur de la culture de la
nation, et plus spécifiquement pour le régime actuel dont le discours sur le patrimoine a son appui
idéologique sur la culture de masse inscrite dès le début de l’instauration de la RDP Lao. Avant de
rentrer dans les détails de ce discours, mentionnons d’abord qu’il est particulier par son ambiguïté.
D’un côté, il y a l’empreinte de la culture communiste marxiste de la garde révolutionnaire qui
prône la culture de masse, et de l’autre, il y a un mélange entre la culture nationaliste du peuple et la
culture des élites actuelles qui se sont beaucoup référencées au mouvement Lao Issara.
II. I. c. 1. Le discours du patrimoine dans la culture révolutionnaire.
La pensée révolutionnaire tenait beaucoup aux discours patrimoniaux pour se faire
comprendre par la population et justifier les actions du régime consacrées à la culture, que l’on peut
150 Le Comité du Patrimoine mondial de l’Unesco a inscrit sur la liste du Patrimoine mondial le site de Luang Prabang en
décembre 1995 et le site de Vat Phu en décembre 2001. En 2008 le classement de la Plaine des Jarres est toujours à
l’étude.
151 En tant que responsable de cet Atelier, dont la mission était de former le personnel à la méthodologie d’inventaire et de
classification, et de soumettre des listes d’inventaires ainsi que le périmètre de protection, j’ai dû établir une méthodologie
spécifique et formuler des typologies plus appropriées aux formes des espaces locaux. Cf. Les documents de l’Atelier du
Patrimoine, et cf. aussi Vientiane, portrait d’une ville en mutation. Chayphet Sayarath. Op, cit.
Tab. 1. Listes
des inventairesDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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appeler communément “ manipulation idéologique ”. Cependant, ces discours donnent à voir des
ambiguïtés et des contradictions. L’idéologie marxiste-léniniste, avec laquelle le PPRL tente de
tenir et construire le pays, entre souvent en contradiction avec le fonds culturel local. Le discours
est donc sans cesse en porte-à-faux entre la volonté d’imposer une idéologie progressiste et
hétérotopique que personne ne comprend, et un désir réel pour que les idées nouvelles soient
assimilées par la population et pour qu’elles puissent apporter un changement fixé dans les objectifs
de la révolution.
Pour le nouveau régime, l’idée de patrimoine telle qu’elle a été conçue avant la révolution
est un fait des sakdina. Le patrimoine lui-même est le produit des sakdina thongthin (impérialisme
local), mais aussi d’une société coutumière et arriérée. Pour le PPRL, le patrimoine – s’il doit
exister – ne peut être issu que de la “ vertu de la lutte (des classes) ” (moune seua to sou) transmise
par les dirigeants révolutionnaires depuis le début du XXe siècle. C’est fort de cette fougue et de
cette lutte que la jeune génération doit s’imprégner pour s’affranchir du monde coutumier et
construire un monde progressiste, débarrassé des lourdeurs historiques du passé. En réalité,
personne ne semble comprendre ce discours, à part les purs idéologues eux-mêmes, et encore ces
derniers sont rares.
Dans les premières années, si le patrimoine ne peut exister en tant que tel dans la pensée
révolutionnaire, la culture en rapport avec le patrimoine, elle, existe. Et en se plaçant dans le champ
de la culture, le patrimoine a pu se définir un rôle dans le nouveau régime. Très rapidement, la
confrontation avec la réalité culturelle et avec une population “ récalcitrante ”, avec ses cultes
religieux, ses habitudes, ses coutumes oblige le régime à réviser la forme mais aussi le fond de son
discours patrimonial et culturel. Cette révision correspond à la période de la Nouvelle Pensée. Mais
c’est en 1993 qu’elle est plus affirmative à travers le discours de Khamtaï Siphanhdone, Premier
Ministre et président du comité central du PPRL, lors du congrès national portant sur la réforme du
domaine de l’information et de la culture. L’idée du patrimoine se retrouve réajustée dans la
nouvelle politique culturelle de l’État. Celle-ci prône « son harmonisation avec le temps et le
progrès », affirme la nécessité de « protéger, transmettre, développer le patrimoine et le beau
caractère de la culture nationale […] ». Ou encore de « protéger, construire et développer le
patrimoine national, tout en empêchant les mauvaises influences extérieures […] ». Ces actions
doivent se faire à la fois « en harmonie avec le plan préconisé par le parti, et avec l’ouverture et les
échanges avec les autres pays, tout en sachant distinguer les choses subversives […] ».
152
II. I. c. 2. L’instrumentalisation du patrimoine
À l’heure où il y a une volonté de se fondre dans la continuité de l’histoire, notamment la
préparation des 450 ans de la fondation de la capitale, l’idée de patrimoine devient importante pour
l’État lao. Les discours politiques donnent donc le ton aux discours patrimoniaux. L’architecture fait
partie du support des discours. Les vocabulaires architecturaux sont censés exprimer aujourd’hui les
options officielles portant sur l’architecture, et de manière générale, sur la culture.
L’architecture officielle des bâtiments publics
Les discours donnent d’abord une vision claire de ce que le pouvoir conçoit comme
architecture officielle à travers de nombreux bâtiments publics nouvellement construits ou en cours
de construction. Nous consacrons une partie de notre réflexion à ce sujet (dans « la question
architecturale »), évoquons ici que l’essentiel du vocabulaire utilisé dans l’architecture publique est
emprunté à l’architecture lao. Il s’agit des composants architecturaux de la couverture des
bâtiments : la forme en pente douce et retroussée des pans de toiture, le traitement ouvragé des
152 Recueil des Résolutions du Parti portant sur la politique culturelle, édition du Département de diffusion, des
bibliothèques et des enseignes de publicité, ministère de l’Information et de la Culture, Vientiane 1996.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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pignons et des rives. Cet ensemble coiffe le corps quelconque de la plupart des bâtiments publics.
L’architecture publique telle que nous l’évoquons exprime ainsi le premier discours spatial officiel.
L’architecture domestique, du village au micro ville
Aujourd’hui, il est ainsi tout à fait entendu que le pouvoir aurait aimé créer un “ quartier
lao ” dans le centre de la ville de Vientiane et dans les quartiers limitrophes du That Luang. Ces
quartiers dits “ lao ” ne seraient composés que d’édifices en bois sur pilotis : « on veut voir une ville
lao lorsqu’on entre dans le quartier central ou historique. Il faut que l’on sache qu’on est, là, en
présence de la ville lao, avec ses constructions et ses maisons en bois sur pilotis » (sic). La vision
des maisons lao en bois sur pilotis construites un peu partout, remplaçant celles qui ne le seraient
pas, semblerait ici suffire, aux yeux du pouvoir, pour définir ce qu’est la ville lao. Cette vision
simple et réductrice, méconnaissant totalement la matérialité et l’immatérialité des espaces
successifs hérités, représente ainsi la compréhension générale du modèle des villes lao par la
population. Elle représente également la vision d’un certain nombre de responsables techniques et
administratifs du territoire et de la ville, se conformant à l’idéologie politique du moment. Cette
vision “ reconstituante ” à travers l’architecture domestique, ne prenant pas en compte les réalités de
l’histoire, du temps et de l’espace que la cité a pu traverser et sédimenter, exprime ici le deuxième
discours spatial et la méconnaissance même de l’histoire urbaine liée au pouvoir.
La reconstitution du patrimoine disparu
Un autre exemple illustre le troisième discours officiel, c’est l’idée de reconstituer un
patrimoine disparu : tels, le rempart et les piliers de fondation de la ville. Une construction qui se
veut être un petit musée de site a ainsi été érigée couvrant un tronçon du rempart extérieur de
Vientiane au niveau de Ban Nong Haï. Un projet de reconstruction du rempart dans la partie sud de
la ville est fortement sollicité. Un des responsables du département de l’Information et de la Culture
de la Préfecture de Vientiane évoque dès l’année 2002 cette reconstitution avec spectacle son et
lumière montrant les heures fastes de la construction de la ville. Si cette sollicitation n’a pu être
satisfaite par manque de moyens adéquats, la reconstitution de ces moments fastes, par des scènes
qui se veulent fidèles et évocatrices de la construction historique de la ville, était prévue pour la
cérémonie d’ouverture de la 25e édition des SEA Games en novembre 2009, et pour les 450 ans de
la fondation de la capitale, en novembre 2010. En ce qui concerne les piliers de fondation, la
construction d’un édifice a été réalisée à l’endroit où a été mis au jour un ensemble de bornes et de
stèles (à côté de Vat Simuang). D’après le maître de l’ouvrage (Département des Musées et de
l’Archéologie, ministère de l’Information et de la Culture), cet édifice est censé marquer le lieu du
lak muang (pilier fondateur) de la ville.
Reprenons ces trois discours et émettons quelques remarques. D’abord à propos de la
reconstitution du patrimoine bâti, les vieilles maisons lao en bois et les bâtisses coloniales, sont
quotidiennement démolies et sont maintenant en nombre très limitées. La question de leur
protection n’a pas été intégrée dans le processus de développement urbain, bien que certaines
d’entre elles aient déjà été proposées à l’inscription.153 En d’autres termes, d’un côté, les institutions
étatiques n’arrivent pas à mettre en application les quelques directives de l’État concernant la
question de la protection du patrimoine existant, et de l’autre, au contraire, elles ont tendance à
rechercher dans les constructions nouvelles la réplique et le mimétisme de ce qui n’existe plus,
voire, de ce qui n’existe pas, tout en affichant ce fait comme une forme de conservation ; d’où la
propension à laisser démolir les édifices patrimoniaux les plus significatifs. On considère ainsi, que
reconstruire un édifice à l’identique, en totalité ou partiellement, c’est le restaurer. Au final et dans
les faits, la reconstitution artificielle des édifices démolis constitue un décor urbain plaqué dans un
153 Dans les règlementations et les prescriptions du Plan de Protection du Patrimoine, effectuées par l’Atelier du
patrimoine.
Fig. 12.
Monument
consacrant le
pilier de
Simuang,
comme
fondation de la
ville de VientianeDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 90 -
tissu hétéroclite en cours de décomposition. En s’appuyant sur ces discours officiels et en
considérant la réalité à travers la question de reconstitution cela nous oblige à réfléchir : comment
serait composé aujourd’hui un quartier urbain ou une ville dite “ lao ”, si celle-ci existait toujours,
ou dans quelle condition celle-ci peut-elle exister ? Nous cherchons à identifier l’identité des
espaces lao à travers quelques formes urbaines et quelques modes d’habitat et de fonctionnements
spatiaux (comme nous allons le faire tout au long de la deuxième partie de notre recherche). Il s’agit
de comprendre ce qui fait l’équilibre entre les éléments bâtis et les ambiances urbaines, l’harmonie
entre le paysage urbain et la pratique culturelle des lieux, de comprendre ce qui fait la particularité
de l’écologie urbaine, de la gestion des sols, etc. Tout cela formerait l’identité des ambiances et des
paysages urbains qui se construisent au fil du temps, accumulant les souches de sédiments spatiaux.
La ville lao, en fait, c’est simplement la ville, avec son histoire spécifique. Si les tissus et les
ambiances urbaines et paysagères, si la manière de pratiquer les lieux – avec ses particularités – sont
des éléments qui forment l’espace lao et son identification, leur reconstitution artificielle – une fois
disparus – serait un leurre et ferait preuve d’une méconnaissance totale de la réalité de l’espace et
du temps. De même pour l’architecture officielle qui se veut inspirée du vocabulaire de
l’architecture lao, ce n’est rien de moins qu’un emprunt, un mimétisme de sa représentation. C’est
une architecture mixte et composite qui imite une image et une forme sans entrer dans le fondement
de l’équilibre et de l’harmonie spatiale et architectonique de cette architecture.
En fin de compte, du point de vue de la recherche de logique d’idée, en cherchant à rétablir
un contact avec un “ passé glorieux ” à travers la reconstitution du patrimoine, voire celle de son
avatar, et non pas à travers sa conservation, le discours officiel dialogue avec lui-même et répond à
sa propre idéologie. Sensé susciter les émotions et symboliser les partis pris idéologiques du
pouvoir dans sa réconciliation avec l’histoire à travers un patrimoine et une identité “ ressuscitée ”,
en reconstituant et en inventant même le patrimoine, le troisième discours du pouvoir est un
paradoxe. Il construit des espaces dépourvus de sens et coupés de la réalité du temps, satisfaisant
seulement les discours autovalorisés, dans une phase de mutation importante de la société laotienne
à la recherche d’identité et de modèle. La reconstitution du patrimoine réalisée, ne répondant pas à
la volonté de se réconcilier avec l’histoire pour mieux se relier à l’avenir, se place ainsi dans sa
fonction instrumentale la plus éclatante. L’instrumentalisation du patrimoine prend ici tout son sens.
II. I. c. 3. La valeur autonome du patrimoine
Contrairement aux objectifs de l’instrumentalisation, l’espace habité et l’architecture lao
ancienne sont complexes et fragiles – qu’ils soient considérés ou non comme patrimoniaux. Ils ne
peuvent être représentés par une image pittoresque ou résumés en quelques vocabulaires
architecturaux. La connaissance des composants spatiaux et architecturaux, culturels et
fonctionnels, la prise de conscience des sensibilités et des sens qui les ont produites, la
compréhension de la complexité des champs d’intervention pour comprendre et préserver
l’équilibre, pour développer l’espace des villes lao, nous paraissent cruciales et doivent être prises
en compte dans les démarches qui considèrent le patrimoine dans sa valeur autonome, dépourvue de
manipulation. Dans le cas où il y a prise en compte de tout cela, que ce soit de manière entière ou
partielle, nous entrons dans un autre processus de pensée. Le patrimoine acquiert dès lors une
autonomie et n’est plus complètement assujetti comme instrument et support idéologique. La
distanciation entre le sujet et l’objet serait alors établie : le patrimoine devient un objet indépendant.
Il n’est ni la représentation, ni le reflet du sujet qui voit dans l’univers du patrimoine l’incarnation
matérielle de sa propre existence autovalorisée. L’autonomie des biens patrimoniaux, au contraire,
met à nu le savoir et la valeur civilisatrice de ceux qui l’ont produit. Le patrimoine devient un objet
à étudier, un témoignage. Il peut être représentatif d’un savoir et savoir-faire technique et artistique
digne d’être protégé, conservé et prolongé. Il devient un objet de connaissance, un objet
pédagogique. Les champs de connaissance disciplinaires et les actions apparaissent dès lors : les
analyses typologiques, la classification, les inventaires, mais aussi la spéculation économique, etc.
L’exemple de Luang PrabangDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le cas de Luang Pabang illustre la coexistence difficile entre instrumentalisation et valeur
autonome du patrimoine. Lorsque la ville a été classée au patrimoine mondial, il a été établi que sa
valeur patrimoniale était digne d’être protégée au rang du Patrimoine de l’humanité. Ce qui signifie
que la connaissance de ce patrimoine en tant qu’objet a été constituée, passant par son analyse, ses
inventaires, son classement, sa mise en valeur, etc. De ce point de vue, le patrimoine est clairement
dissocié des manipulations idéologiques auxquelles il pouvait être soumis. La ville, son paysage, ses
édifices patrimoniaux les plus remarquables font l’objet de restauration, soumettant les acteurs
privés et publics aux contraintes techniques, fonctionnelles et économiques, mais aussi
idéologiques. Ainsi, l’autonomie du patrimoine échappe à la pensée instrumentale qui ne peut le
saisir, ni l’utiliser. Au contraire, les biens patrimoniaux acquièrent leur propre définition et évoluent
dans leurs propres champs, bien entendu non dépourvus d’autres perversités qui n’ont pas de
rapport direct avec le fait de l’instrumentaliser. Le patrimoine de Luang Prabang parle par et pour
lui-même. Si idéologiquement il peut évoquer par sa nature une période historique qui occupe une
position mineure dans l’idéologie officielle, il ne saurait être au service d’aucune idéologie politique
; à part celle de l’Unesco, dont les règles ont été acceptées comme “ universelles ” et auxquelles le
Laos a adhéré. Le patrimoine de Luang Prabang semble donc échapper à l’emprise du pouvoir ; la
valeur qu’il représente et qu’il véhicule a peu de points communs avec celle que le pouvoir défend
et ne peut donc être réutilisée par celui-ci. D’où une appropriation assez difficile par les acteurs
publics de cette politique de conservation qui semble venir de l’extérieur et née davantage d’un
consensus politique du gouvernement qui désire montrer au monde l’ouverture et la reconversion du
pays aux valeurs universelles partagées par tant de nations, plus que d’une adhésion volontariste.
II. I. d. Nécessité de développement et nécessité de mémoire, un dialogue de sourds
Les contraintes imposées par les conditions de la protection patrimoniale (locale, nationale
ou universelle) passant par les classements, et à termes, par les réglementations et les prescriptions
créent souvent des ambigüités dans les actions à mener et génèrent des conflits multilatéraux ;
d’abord entre les acteurs publics eux-mêmes et ensuite entre les acteurs publics et privés. Les
ambiguïtés dans les actions à mener semblent issues du manque de volontarisme de la politique
patrimoniale, de l’incohérence entre les discours politiques et leur application. L’ambiguïté semble
également venir de la méconnaissance du patrimoine et de son contenu, et de l’incompréhension du
fondement de la protection du patrimoine et de ce qu’elle implique.
Les conflits entre les acteurs publics s’expriment surtout dans les champs d’application, par
le fait que les priorités de chacun n’ont pu être conciliées. Trois principaux domaines d’intervention
spatiale – développement urbain, développement territorial et préservation du patrimoine –
s’interposent et entrent en contradiction. Comme si l’un devant apporter des améliorations à
l’espace socio-économique et à l’espace tout court, et l’autre devant figer l’espace dans un
passéisme improductif et inutile. L’idée de la préservation du patrimoine considérée comme frein au
développement bat son plein au Laos et pose problème, alors que partout ailleurs cette dualité est
devenue un discours passéiste. Revaloriser, le patrimoine participe au développement en mobilisant
les filières (métiers et emplois) patrimoniales et touristiques. À court et à long terme, le patrimoine
recadre l’espace et le territoire dans ses actions écologiques : le cycle de vie du territoire de l’urbain
semble en quelques sortes faire son tour par un recyclage spatial avec la protection du patrimoine et
ses implications. Effectivement, le patrimoine conservé et restauré retrouvant une fonction et une
utilité nouvelle est équivalent aux processus de recyclage, pouvant donner aux démarches de
développement une économie spatiale et territoriale, si les démarches de développement en question
l’incluent dans ses composantes. Mais cette écologie n’est pas bien comprise au Laos par les
décideurs et les acteurs. Les concepts de développement et ceux de la mémoire restent alors à ce
jour contradictoires et difficilement réconciliables.
La ville de Luang Prabang fait l’objet de débats entre ces deux approches. La première
affirme que le patrimoine gèle le territoire, obligeant les acteurs publics en charge du Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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développement urbain à considérer deux options : intervenir dans le territoire constitué de manière
uniquement fonctionnelle – une idée qui rentre en collision avec la conservation et l’existence
même de Luang Prabang –, ou explorer l’extérieur du territoire constitué pour permettre son
extension. La deuxième idée affirme que le patrimoine est le témoignage de la mémoire et de la
connaissance, nécessaire pour une société équilibrée.
Ce débat cache en fait une autre question : celle de l’identité spatiale de la ville de Luang
Prabang. Si l’aménagement de cette ville, que ce soit dans les démarches de développement urbain
ou dans les démarches de préservation du patrimoine, avait intégré l’analyse spatiale de la cité dans
ses démarches et s’était fondé sur sa connaissance profonde, il aurait été évident de constater que
Luang Prabang était une ville aboutie aussi bien en terme de densité qu’en terme de modélisation.
Quel type d’interventions, quel développement peut-on lui apporter, si l’on conçoit qu’elle ne peut
se figer dans sa suffisance spatiale et dans son modèle d’espace abouti ? Comme beaucoup de villes
qui doivent se développer, elle est appelée malgré elle à accueillir plus de monde et plus de
fonctions nouvelles. C’est sans doute de cette question qu’émane l’étude du schéma de cohérence
territoriale (SCOT).154 Mais apparemment ce schéma n’est pas une réponse satisfaisante à toutes les
questions posées. Le Luang Prabang péninsulaire continue à être densifié par ses activités, son
occupation spatiale et démographique : son équilibre en tant qu’espace abouti se fragilise alors.
Le site archéologique de Vat Phu quant à lui illustre le débat qui oppose l’idée que le
patrimoine bloque le développement à l’idée que la méconnaissance de l’histoire implique des
maladresses sur la mise en œuvre de l’avenir. Face à cela une devise laotienne résume la nécessité
d’avancer et de penser autrement l’avenir et le développement : bung na, hai bung lang, “ pour aller
de l’avant il faut regarder en arrière. ”
II. II. Le monastère dans la centralité urbaine et sociale et en tant que
modèle d’architecture
Dans la deuxième période du régime, l’organisation bouddhique devient un véritable
partenaire du PPRL, parce qu’elle peut aussi servir la diffusion de sa politique. L’Union Bouddhiste
Lao (UBL) qui dirige et gère la religion nationale devient l’une des quatre directions au sein de
l’Union du Front Lao pour l’Édification Nationale (FLEN) qui est une composante du parti. Du fait
qu’elle soit intégrée dans l’organe politique, l’UBL est un organisme administratif particulier et
parallèle qui possède un pouvoir et une influence considérable, bien au-delà de ce qu’on pouvait
imaginer dans un système communiste. Peu à peu le Sangha – organe principal de UBL – retrouve
l’importance qu’il avait avant 1975, si ce n’est davantage. À la place du pouvoir monarchique
constitutionnel traditionnel, qui le soutenait autrefois, il gagne aujourd’hui auprès des personnalités
influentes du régime une faveur considérable.
En 1991, au même titre que les autres confessions autorisées au Laos, le bouddhisme à
travers le Sangha et l’UBL possède un statut défini dans les articles 9 et 30 de la constitution de la
RDP Lao, : « l’État respecte et protège les activités légales des pratiquants de la religion
bouddhique et des autres religions ; il mobilise et encourage les bonzes ainsi que les clergés des
autres religions à participer aux activités servant les intérêts de la patrie et du peuple. Est interdit
tout acte de nature à diviser les religions et à diviser le peuple. »
En 1992, ont été adoptés à travers un texte les différents points et décisions portant sur « les
problèmes relatifs à la religion » par le Comité central du parti. Ce texte est suivi par un décret du
Premier Ministre, n°92/PM du 5 juillet 2002, définissant « la gestion, la protection et la régulation
des activités religieuses en RDPL. »
154 L’étude du schéma de cohérence territoriale a été mise en œuvre par l’agence d’urbanisme du Chinonais (ADUC) en
2005, avec le financement de l’AFD.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Fig. 13. Les
monastères à
Luang Prabang
Les circulaires d’application et de recommandation (n°207/FLEN du 30 juillet 2002 et
n°001/FLEN du 24 mars 2004) du FLEN ont ensuite été mises en application afin d’aider tous les
échelons administratifs de l’État, au niveau central et local, à faire appliquer les deux décrets du
Premier Ministre. En 2003, un projet de sensibilisation a également été mis en place pour
accompagner la mise en application de ces décrets.
Les textes de législation : décrets, recommandations, projets, etc., réglementent toutes les
religions autorisées en RDPL en les mettant au même niveau d’importance devant la loi, ignorant
volontairement l’histoire particulière du bouddhisme laotien. Cependant, dans la réalité, il est
incontestable de voir que la religion bouddhique est majoritaire et historiquement liée au pouvoir
ancien. Et le nouveau pouvoir actuel a très bien pris conscience de ce fait. Il lui a donné une place
grandissante dans sa centralité idéologique ; car cette religion est capable de placer le régime
politique actuel dans la continuité de l’histoire : comme autrefois, la “ complicité ” entre le pouvoir
et le Sangha se reproduit alors et chacun semble y trouver sa place.
Mise à part cette forme de consensus qui donne à l’espace religieux et au pouvoir religieux
leur place et leur pérennité dans la société, sur quoi repose réellement, aujourd’hui comme autrefois,
la centralité des espaces monastiques dans la vie sociale et dans la ville ? La densité de la présence
physique des monastères dans l’espace urbain, leur aptitude à produire la convergence sociale, la
référence architecturale qu’ils fondent, font-elles partie des critères de cette centralité. Ce sont-là
des questions auxquelles nous essayons d’apporter des éclaircissements.
II. II. a. La présence des monastères dans l’espace urbain
La centralité des espaces religieux dans l’organisation urbaine est d’abord spatiale, sa
fonction de centralité est incontestable. Les espaces religieux sont confirmés dans l’espace urbain
par leur position centrale et par leur nombre, par leur fréquentation et leur capacité d’accueil, par
leur emprise foncière et par la présence de la végétation dans leur enceinte. Ces spécificités
présentent des variantes selon les caractéristiques des villes. Par la densité déjà ancienne de son
espace, Luang Prabang, par exemple, reste une exception par rapport à d’autres villes, plus vastes et
moins denses qui seraient plus similaires à Vientiane. Le cas de Muang Sing est encore une autre
exception, plus proche de Vientiane que de Luang Prabang dans son manque de densité. Ainsi,
Luang Prabang est unique pour le nombre des monastères construits, celui-ci est limité et
réglementé : un xieng (ville) doit posséder un seul monastère qui en porte son nom, alors
qu’ailleurs, un village, et surtout le plus central, peut posséder plusieurs pagodes. En cela, Luang
Prabang bat tout le record de densité
Le quartier des cinq pagodes de Vientiane montre bien la centralité urbaine des espaces
religieux. L’exemple est également remarquable pour Luang Prabang où la petite péninsule
renferme de très nombreux monastères. Si aujourd’hui le nombre des monastères dans les plus
grandes villes ou dans les villes les plus anciennes s’est considérablement réduit par rapport à leur
nombre historique, il reste malgré tout important. Gerrit Van Wuystoff faisait remarquer dans ses
notes « qu’il y a un temple pour dix maisons ».155 Bien que cette remarque ait pu être exagérée,
nous retenons que ce programme de construction, et leur densité, étaient historiquement un
marqueur de l’espace de la cité. Cette remarque ne peut être appliquée à l’ensemble de la ville, seule
est concernée la partie la plus centrale où le nombre des monastères est important. Cependant, ce
type de programme et sa densité peuvent constituer l’un des critères de la centralité urbaine et de la
définition de l’urbanité elle-même. Les critères de densité, et donc de centralité, peuvent également
être expliqués par le fait que les monastères les plus citadins possédaient d’autres fonctions que
cultuelle. Par exemple, une des raisons qui peuvent expliquer l’existence des cinq pagodes dans un
155 Gerrit Van Wuystoff : Le Journal de Voyage de Gerrit Van Wuystoff et de ses assistants au Laos, 1641-1642,
traduction de Jean-Claude Lejosne, CDIL (Metz), 1993, 234 p.
Fig. 14. Les
monastères
à VientianeDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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périmètre restreint à Vientiane, c’est leur fonction : Vat Ongteu abrite l’université bouddhique, Vat
Chan est le temple d’ordination des officiels, pouvant gêner les rites quotidiens des paroissiens de
par ces fonctions. On peut alors imaginer que les rites quotidiens se faisaient plus aisément dans
d’autres monastères, d’où l’importance de leur nombre et de leurs fonctions imparties.
II. II. a. 1. Le processus de cloisonnement des espaces religieux, fait isolé ou signe de
changement
Alors que les monastères sont plus que jamais socialement présents dans la société laotienne
et spatialement fréquentés tant dans le milieu rural que dans le centre des villes, les nouvelles
réhabilitations tendent pourtant à les enfermer dans un espace de plus en plus clos : construction de
clôtures et de portes d’accès plus hautes et plus monumentales. La hiérarchisation des portes
d’accès qui faisait partie de ses règles de construction tend à disparaître. Aujourd’hui, on fait aucune
différence entre la porte nord et la porte sud, entre celle de l’Est et celle de l’Ouest. Les monastères
n’assument plus complètement leur rôle de modèle spatial et de conservatoire des savoirs. Nous
remarquons à travers les nouvelles constructions que les programmes des équipements monastiques
ont été fragmentés et certains d’entre eux supprimés. Ceci entraîne la disparition de certaines
fonctions, des codes et des canons esthétiques de l’architecture, de la technique de mise en œuvre et
de l’usage de certains matériaux dans la construction.
II. II. a. 2. L’exemple de Ban Na Kheuane, une nouvelle forme de centralité possible
Après la construction et la mise en fonction du barrage de Nam Ngum, vers la fin des
années 1960, une grande zone naturelle et de nombreux villages ont été inondés, leurs habitants ont
été déplacés et relogés. Ce projet de barrage ayant un enjeu politique fort durant la période de la
Guerre froide devenait l’un des projets qui déstabilisait la vie politique de Vientiane.156 Lorsque le
barrage est mis en service, la population fut déplacée en catastrophe, les coupes de bois et les
inventaires de la biodiversité ne purent être réalisés. L’ensemble du périmètre fut inondé, devenant
le plus grand lac artificiel du Laos, de nombreuses espèces – animales et végétales – furent
sacrifiées.
Le paysage exceptionnel du lac naissant est formé de centaines d’îles verdoyantes flottant
sur une eau bleu-turquoise et bleu-gris noyant les bois précieux qui seront naturellement préservés
et étuvés, laissant voir leurs troncs et leurs cimes noires sans feuille. Pendant une dizaine d’années,
il était infréquentable : les experts diagnostiquèrent un dégagement trop fort d’émanations
organiques d’origine végétale et animale. Durant cette période, les poissons n’étaient, a priori, pas
consommables. Les villages aux caractères provisoires, inachevés et sans identité, se sont petit à
petit formés au bord du lac, avec quelques rares habitations dans les îles, dont deux camps de
redressement, construits dès l’année 1975, destinés à “ punir ” la petite délinquance et à rééduquer
la jeunesse de l’Ancien Régime jugée trop dépravée pour la nouvelle société.
Le village le plus intéressant est Ban Na Kheuane qui s’installe à proximité du barrage. Les
habitations sont construites sur une bande de terres étroites qui formait l’unique route d’accès, sur le
flanc d’une petite montagne et longeant le lac sur environ 500 mètres. Côté route où sont orientées
les façades, les constructions s’accrochent directement sur la route à même le sol, tandis que leurs
arrières sont surmontés par des pilotis qui s’ancrent sur le talus abrupt de la berge. Le bois utilisé
pour leur construction provient de la forêt des alentours. Les parois seront souvent en bambou
tressé, parfois en matériaux de récupération. La tôle ondulée et la paille couvriront les toitures.
156 D’un côté le Pathet Lao, qui constituait l’opposition communiste et qui menait une politique propagandiste, entreprît
une lutte pour déstabiliser le gouvernement royal et désinformer la population pour que celle-ci s’oppose à la construction
du barrage ; ceci, en soulevant les dangers réels et virtuels qui menaçaient sa vie future si le barrage venait à fonctionner.
De l’autre, dans une ambiance de corruption et de lutte d’influences, certains fonctionnaires du gouvernement de
Vientiane se disputaient le partage financier qui proviendrait de l’exploitation du bois de l’immense zone couvrant plus de
1000 km2Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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La périlleuse exploitation subaquatique du bois sera pratiquée plus tardivement lorsque la
population aura bien maîtrisé le lac et son territoire, dans le courant des années 1980 et 1990. Pas à
pas, le petit village abrite un modeste port et un petit chantier naval. On y construit des bateaux en
acier et en bois, des maisons radeaux heuane nam ou heuane phè. Si les constructions qui
s’accrochent à la route abritent déjà trois générations qui ont su s’attacher au site, les bateaux
servent aujourd’hui clairement les activités touristiques. Mis à part les grands bateaux en acier qui
abritent aujourd’hui les restaurants, les autres bateaux, entièrement en bois ou en bois et acier, sont
habitables avec un confort rudimentaire mais suffisant pour loger une famille de quatre à six
personnes.157
En ce qui concerne les maisons-radeaux, il n’en existe plus beaucoup aujourd’hui. Celles
qui sont ancrées au port sont intéressantes et ont en général une double fonction : habitation et
commerce. Elles approvisionnent et dépannent en essence et en batterie (vente de batteries neuves et
rechargement de batteries) les bateaux et pirogues du lac. Elles vendent aussi des boissons et des
cigarettes. Elles servent surtout de “ salon ” pour les habitants et pêcheurs des îles qui viennent
s’approvisionner, donner et prendre des nouvelles des uns des autres.158
De ce village partent et arrivent des bateaux pour des promenades d’une journée, puis ceux
qui transportent des rotins, des bambous et du bois, mais aussi des poissons et les pêcheurs. Les
habitants qui vivaient dans les villages, noyés lors de la mise en service du barrage, viennent s’y
installer pour pêcher, vendre du poisson ou couper le bois immergé. Bien qu’il y ait un laisser-aller
au niveau de l’hygiène, le site fait vivre ses habitants et porte leur espoir d’une vie meilleure.
Malgré son air “ au milieu de nulle part ” et grâce à ses habitants, Ban Na Kheuane devient attractif
et humain, un lieu de sortie de fin de semaine pour les habitants de Vientiane.
Pourtant le site a un aspect un peu provisoire, vétuste et inachevé, conséquence de l’absence
d’unité sociale et de centralité qu’aurait constitué la présence d’une pagode, ajoutés à cet aspect, le
manque de gestion et de service, de salubrité et d’aménagement, puis le manque de projet et
d’organisation sociale qui existe dans tous les villages classiques de la plaine de la Nam Ngum.
Force est de constater que Ban Na Kheuane est le produit d’un déracinement. Ceci contraste si
fortement avec la qualité paysagère et climatique du site qui s’apprêterait sans difficulté et avec peu
de moyens à devenir un beau village balnéaire et de pêcheurs. Ce site offre en effet l’un des plus
beaux paysages du Laos. Avec le temps, un nouvel ensemble de biodiversité s’est reconstitué : les
oiseaux chasseurs, les plantes aquatiques et la qualité de l’eau –prolifiques pour la pisciculture.
Cependant, la beauté et la qualité du milieu n’ont pas suffi à la prise de conscience d’un territoire
paysager et environnemental exceptionnel. Le site n’a pas été identifié pour sa véritable valeur, ni
par l’Ancien Régime, ni par le nouveau.
D’une modeste station de pêche et de petits chantiers navals sous l’Ancien Régime à
l’exploitation des bois subaquatiques et à l’expérimentation de la pisciculture dans les années 1980
157 La cuisine est aménagée sur le pont du bateau à ciel ouvert ou dans la “ salle des machines ”. La cabine de pilotage et
d’habitation est située en arrière car la partie centrale, qui est la plus grande, abrite les voyageurs ou bien sert pour les
marchandises transportées. Dans la petite cabine, on dort sur des matelas de coton ou de kapok ou sur le plancher tapissé
de nattes. Au grand désespoir pour l’hygiène et l’environnement, les toilettes sont installées sur l’arrière du bateau en
porte-à-faux et les eaux grises sont jetées directement dans le lac. La couverture est en tôle plate supportée par une
charpente et des planches en bois légèrement courbées. On trouve rarement des couvertures en paille et en bambou tressé.
Les bateaux anciens dont les toitures en osier sont enduites de résine d’arbre, ont disparu depuis bien longtemps. De
manière systématique, la forme des bateaux est allongée, effilée et celle de la coque reste traditionnelle, utilisant le
principe des trois planches des pirogues. Leur taille est variable, entre quinze à trente mètres de long, et pouvant atteindre
4 mètres de largeur.
158 Le nombre des occupants dépasse rarement six personnes. Il ne s’agit pas d’habitation principale mais de boutique –
habitable, où seulement le jeune couple passe les nuits en se relayant avec les parents. N’étant pas destinée à la navigation,
toute au plus au déplacement d’un bout à l’autre du petit port, la maison-radeau est une plate-forme carrée, organisée en
quatre unités fonctionnelles : dormir, accueillir, travailler, servir. La communication entre ces espaces est fluide et
complètement ouverte sur l’extérieur. L’accès à la maison-radeau se fait par une passerelle flottante flanquée sur son côté
qui sert également de point d’appontage aux pirogues faisant la liaison entre les îles. L’ensemble est supporté par des
flotteurs en tube métallique. La production est totalement locale et auto-construite qui coûte environ 1500 dollars.
Fig. 15. Ban
Naheuane en
2006.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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et 1990, puis à la tentation d’activités touristiques actuelles, le site risque aujourd’hui de disparaître
dans sa configuration actuelle. En effet, un projet de complexe touristique avec hôtels, villas de luxe
et casino propose de déloger tous les habitants et la destruction du village, et par conséquent des
maisons lacustres. À la grande surprise, même s’ils ne peuvent pas s’opposer au projet, les habitants
expriment leur mécontentement. Au-delà du choix et de l’intérêt individuel, on remarque
manifestement un sentiment communautaire d’attachement des habitants au site, ceci, semble-t-il,
expliquerait l’existence d’un nouveau type d’enracinement bien différent du schéma classique de la
cohésion sociale et de la centralité constituées et consolidées autour de l’espace religieux du
monastère, comme dans un schéma prototype des villages laotiens. Cet enracinement se serait alors
fondé sur un espace, un lieu que les habitants se seraient appropriés parce qu’ils ont participé à la
fois comme acteurs et spectateurs au cours de sa constitution et de son évolution. Ils auraient été
témoins du mode de vie qui s’était instauré autour du lac, des contraintes et des facilités qu’il avait
engendrées.
II. II. b. La convergence et la centralité sociale
La centralité spatiale entraîne ensuite une centralité sociale. La construction d’un monastère
met en perspective non seulement l’appropriation d’un lieu, mais aussi la volonté de cohésion
sociale. Nous pouvons comprendre ce fait en observant ce qui se passe dans les nouveaux quartiers
qui se constituent autour de Vientiane, avec ou sans planification officielle. L’exemple de Ban
Nong Tèng nous donne quelques aperçus. Vers la fin des années 1990, les habitants qui ont été
déplacés du quartier Nong Chanh, ajoutés à ceux qui viennent d’autres quartiers insalubres et ceux
qui décident de venir vivre dans leurs anciennes rizières ou leurs anciens jardins, forment les
nouveaux habitants de Ban Nong Tèng d’aujourd’hui. Dans les premières années, le village
ressemblait à un campement provisoire, bien que les maisons se construisaient petit à petit. Les
relations sociales entre les gens venant de différents lieux semblaient fragiles, se référant sur rien.
Les souches anciennes que l’on appelle konh peuil thann y manquaient alors pour faire le lien entre
les nouveaux arrivés, et le lieu faisait défaut pour la construction de l’espace. C’est un quartier
dortoir et pauvre où les habitants doutaient de la pérennité de leur installation. Lorsque l’on
évoquait le village avec les habitants, ils avaient tendance à dire que : « il y a trop de vols dans le
village, il n’y a pas de travail, les jeunes n’ont rien à faire. Nous sommes obligés de venir chercher
du travail en ville, mais il n’y a pas beaucoup de bus qui desservent la zone… ». Un membre du
clergé a fait remarquer à juste titre lors d’un colloque en 2002159 qu’il faut faire attention lorsque
l’on déplace la population d’un lieu vers un autre, ou vers un nouvel établissement « dépourvu
d’âme », car chaque lieu doit avoir un esprit pour être habitable. Le bien-être de l’homme et de sa
société en dépend, précisait-il. Sa remarque faisait allusion à la nouvelle implantation de Ban Nong
Tèng, où il avait vu chez les habitants une certaine détresse, dans un lieu qu’il qualifiait “ sans
âme ”.
Peu après, l’installation du marché sur la grande route à l’extérieur du village, les habitants
se plaignaient toujours, mais beaucoup moins, car ils pouvaient venir vendre des produits, en
acheter, ou y chercher du travail. Mais c’est avec la construction d’une pagode cinq années plus tard
que le village commence vraiment à “ se vivre ” et à avoir une certaine identité. Une des raisons
visibles était que la population commençait à se connaître en faisant des démarches et des réunions
pour préparer la construction et l’installation de la pagode : mobilisant contributions, dons et bonnes
volontés organisant des boun auprès des autres villages pour collecter des fonds. Cette démarche
dure plusieurs années, car la pagode ne peut être construite en une seule fois. Et c’est précisément
durant cette période où l’on construit petit à petit selon les fonds disponibles que les habitants se
159 Colloque : « Vientiane, patrimoine et développement », organisé par l’Atelier du Patrimoine - IRU au MCTPC en
2002. Le vénérable était l’un des quatorze bonzes invités au colloque. Il représentait le responsable de l’UBL de la
préfecture de Vientiane.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Fig. 16. Le
Bureau du
Premier
Ministre.
sociabilisent et consolident des liens. Ils se créent en quelque sorte des racines : le premier boun
organisé pour ramasser des fonds, puis le deuxième, la pose des baï sema (stèle délimitant un
sanctuaire) et des premiers poteaux, la construction du premier kuti pour les moines, etc.
II. II. c. Du modèle d’architecture au pastiche architectural
L’influence de l’architecture religieuse sur les édifices domestiques et sur les équipements
publics est grandissante. C’est la forme des pignons, de la toiture à double pente tombante et
couvrante, parfois superposée, qui est la plus reprise par les édifices publics, puis les décors
architecturaux des monastères et leurs dorures. Quant aux monuments, en particulier les monuments
commémoratifs, on retrouve de manière redondante le langage architectural et architectonique des
stupas. L’influence de cette architecture est de l’ordre de l’image et de la représentation.
L’architecture publique ancienne de la capitale ayant disparu (celle qui aurait incarné avec élégance
et harmonie les symboles et la représentation du pouvoir, celle qui aurait constitué les résidences
princières, les palais et les chapelles royales) seule l’architecture religieuse subsiste. Sachant que la
nature du pouvoir politique par le passé a été liée au pouvoir religieux, l’architecture religieuse
serait alors le rapprochement probablement de l’architecture publique du passé. Elle aurait donc été
en conséquence la seule référence en tant que représentation et savoir. Cependant, l’architecture
religieuse et son vocabulaire utilisé dans les équipements publics contemporains perdent tout leur
sens, car constitués et produits dans une composition architecturale servant des fonctions
différenciées, dans une société et dans un contexte social et économique différent. En empruntant à
l’architecture religieuse, son langage, les équipements publics actuels sont vides de sens. Aux
questions : “ quelle architecture pour les équipements de l’État ? Quelle architecture pour l’État ? ”
que le pouvoir public se pose, la réponse semble avoir été toute donnée à travers la construction du
palais du gouvernement ou le siège du gouverneur de la Préfecture de Vientiane, où un mimétisme
du vocabulaire architectural monastique est flagrant, combiné avec l’avatar de l’architecture grécoromaine.
Pour certains équipements publics, tels que les monuments aux morts, le sens est préservé,
bien que celui-ci ait pu être remis en doute dans certains détails. Prenons le cas du parc
commémoratif Virasonh au Kilomètre 18. Progressivement 20 000 petits stupas devraient être
construits dans le parc. On peut se poser la question, pourquoi les monuments n’avaient-ils pas une
autre forme. En adoptant les stupas, le pouvoir semble faire le choix délibéré du bouddhisme
comme alternative, auquel tous les révolutionnaires, morts pour la patrie, auraient adhéré. Pourtant
la constitution de la RDPL (de 1991) n’affirme pas l’exclusivité de cette religion et mentionne que
« l’État respecte et protège les activités légales des pratiquants de la religion bouddhique et des
autres religions […] » (art. 9). Les années de transition n’ont pas apporté de nouveautés de ce point
de vue. Plus qu’un compromis, le cas du cimetière Virason montre que le parti-État laotien prescrit
le bouddhisme comme une dévotion collective, sans prendre en compte la diversité des croyances
des minorités ethniques. Le monument du Patouxay (l’arc de triomphe, à l’origine nommé
Anousavary) est plus dégagé de l’idéologie bouddhiste par rapport aux édicules du cimetière
Virason : les décors architecturaux que nous retrouvons habituellement dans les monastères sont ici
représentés, mais ils sont nourris davantage de mythologies.
II. II. c. 1. Qu’en est-il du modèle d’architecture et de transmission des savoirs de l’espace
religieux ?
L’influence de l’architecture religieuse sur la production architecturale contemporaine que
nous venons d’évoquer acquière une forme particulière. C’est un mimétisme, un pastiche de
plusieurs composants formels qui dérivent de cette architecture, sans en être sa reproduction. Bien
que la raison pût être liée aux choix idéologiques, elle pouvait surtout être liée à la somme des rejets
esthétiques et culturels jugés comme appartenant à une classe sociale dirigeante du passé, et donc, à Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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la perte de transmission de son appréciation esthétique et culturelle. Induisant ainsi la somme de la
méconnaissance, la perte du savoir et du savoir-faire pour l’approcher et la produire.
En dehors de la production de l’habitation, si on est en mesure de concevoir que l’art et
l’architecture relevaient autrefois de l’éclectisme de l’élite, tant aristocratique qu’ecclésiastique et
intellectuelle, on pouvait alors penser que l’affaiblissement de la capacité de ces derniers à agir en
ce domaine peut aussi réduire, voire, entrainer la perte de la culture esthétique, de la connaissance et
du savoir-faire.
Effectivement, la discontinuité du pouvoir dominant au Laos était historiquement répétitive.
Ce fait a pu entraîner l’affaiblissement de l’élite qui perd son rôle directif, sa capacité économique
de commanditer, son pouvoir de commander et d’exiger de la qualité, sa disponibilité et son savoir à
guider et instruire les commandes et les arts, etc. Plus accentuée encore, la disparition de l’élite par
le changement de modèle, de schéma et de valeur sociale et politique du pays, peut induire une
nouvelle élite avec une capacité altérée par rapport à son rôle d’origine et historique. Durant la
colonisation et surtout après la décolonisation, le Laos ne cesse de tenter de produire une élite
capable de mener le pays. Mais cette élite nouvelle, non sans qualité, avait des compétences
fragmentées : des ingénieurs illettrés, des politiques ignorant l’histoire, des enseignants ne
pratiquant pas la recherche, des dirigeants traditionnels que sont les rois et les princes pouvaient
aussi connaître le déracinement. N’étant plus capables de mener les hommes, les dirigeants
politiques et spirituels auraient connu une transition sociale, leur appréciation esthétique aurait
connu une altération en même temps que l’altération de la connaissance et du savoir-faire. De ce
fait, cela entraînerait alors l’altération des ouvrages architecturaux des monastères, l’altération de
l’éclectisme et du canon de l’architecture religieuse et donc de la qualité architecturale de ce
programme.
L’étude typologique et analytique de la pensée de l’architecture religieuse, ainsi que sa
fabrication n’a pas été effectuée de manière distanciée. Phetsarat et les lettrés des années 1930-1940
avaient tenté de corriger ce que nous venons de constater : connaître et transmettre les savoirs et les
savoir-faire de ce qui reste, à travers les actions de l’association Chanthaboury qu’ils avaient fondé.
Mais la tâche était ardue, des ruptures étaient nombreuses et irréversibles, malgré la connaissance et
le savoir-faire que l’association avait pu rassembler et transmettre, notamment à l’école des BeauxArts.
Ce savoir n’a pas été largement répandu dans le milieu des arts appliqués et des professions du
bâtiment des générations qui ont suivi, et ce, jusqu’à aujourd’hui.
II. II. c. 2. La place des monastères : de la centralité cultuelle et culturelle à la centralité du
discours
Alors que l’architecture des monastères est mimée dans la construction des équipements
publics et des monuments, sans la connaissance et le savoir-faire nécessaires et vide de sens, le
monastère perdure malgré tout dans sa capacité à rassembler. Le prestige et l’excellence ont quitté
le domaine de la centralité spatiale pour être relégués dans un domaine social plus chargé. La
répartition fonctionnelle accrue des espaces urbains, induite par les nouveaux plans urbains et leur
mise en œuvre, place l’institution monastique parmi les autres équipements. Les liens autrefois plus
institutionnalisés entre la communauté laïque et l’ordre monastique avec un devoir spirituel fort,
sont devenus plus individualisés. Le contact entre l’individu et le religieux est, aujourd’hui, plus
direct et plus libre. Le phénomène de réciprocité d’influence entre les deux parties est alors flagrant.
L’emprise matérielle, et dans l’autre sens, l’emprise spirituelle est devenue plus importante. Un
individu peut exercer un pouvoir sur le monastère par les dons prodigués. À l’inverse, un religieux
(grand vénérable du vat) peut aussi avoir une emprise très grande sur l’individu par son discours, sa
capacité à le contrôler psychologiquement, le rendant dépendant de lui. C’est souvent ce rapport qui
construit la respectabilité et l’idolâtrie d’un religieux. La recrudescence de la liberté des cultes rend
visible le vide spirituel que la population a pu éprouver durant les années autoritaires du régime. La
centralité cultuelle et culturelle, le rôle de l’espace, des arts et des connaissances des monastères
d’autrefois sont aujourd’hui remplacés par la centralité du discours, glanant la psychologie de la Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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société en quête de consolation et de foi. On dit par exemple que le moine de telle ou telle pagode
est fort (sous-entendant qu’il parle bien, voire, qu’il possède des pouvoirs quasi-surnaturels) et c’est
pour cette raison qu’il draine tant de monde et de soutien dans sa paroisse. De ce fait, la centralité
des monastères est liée aux prestiges et à l’excellence des religieux. Elle n’est donc plus
géographique ou spatiale : on peut aller à la recherche de monastères très loin de la ville. C’est
probablement ainsi aussi que des immenses pagodes se construisent en dehors de la ville, dans la
montagne et dans des sites reculés, avec des moines prestigieux et une “ clientèle ” également
prestigieuse. On ne s’étonnera pas lorsqu’on visite le nouveau monastère de Ban Na Hinh à Phu
Khao Khouay et des parrainages qui s’y bousculent. Ce prestige traverse les frontières (des cars
entiers de Thaïlandais viennent pour effectuer des fêtes religieuses et des dons) et décomplexifie les
préjugés politiques : les plus récalcitrants opposants du régime, qui vivent à l’étranger, viennent
faire des dons et des retraites dans ces monastères.
Conclusion
Les centres anciens ou historiques –qu’ils soient “vraiment anciens” ou simplement ayant
des composants antérieurs aux composants spatiaux en cours de formation, qu’ils occupent
physiquement ou socialement, une position centrale–, sont des lieux de sédimentation. Le processus
de formation et de transformation de ces sédimentations peut être confondu à la formation des
principaux composants spatiaux de la ville, de l’urbain et du cœur de la ville elle-même ainsi qu’à
leur sédimentation, tant sociale que spatiale. La sédimentation étant un phénomène d’enregistrement
et de mémoire, la société et les hommes qui s’y réfèrent, la considèrent comme la sédimentation de
leur propre mémoire et la bâtissent comme le symbole de leur passé et de leur avenir –leur identité :
c’est la construction du patrimoine et c’est son sens véritable.
En examinant ce que représente le patrimoine pour les Laotiens, les différentes notions
(pratique, matérialité, valeur et symbole, mythe et théorie, etc.), le cheminement de la prise de
conscience et le discours du patrimoine, on constate qu’il y a une interactivité et une dualité
importante entre la nécessité de mémoire et la nécessité de développement –fait, non isolé de
l’histoire particulière autour de la question identitaire et politique du pays. Cette dualité se traduit
par un dialogue et un choix difficile de la gouvernance dans la mise en œuvre de sa politique de
préservation et dans sa stratégie de développement : les “éléments de sédimentation” basculent entre
altération et recyclage. Dans ces deux cas, cela met en évidence le manque de volontarisme et de
modèle de développement de la gouvernance devant l’enjeu spatial, socioculturel et économique en
cours.
Corollairement à la question de centre, les monastères se révèlent comme une centralité
persistante dans les villes laotiennes. Ayant une centralité urbaine et sociale forte dans la majorité
des cas, les monastères émergent aussi comme un modèle d’architecture pris dans son vocabulaire
architectural fragmenté et décomposé. Ceci préfigure-t-il une centralité altérée ou une nouvelle
forme de centralité ? Pour tenter d’y répondre, nous avons pris en exemple un cas de figure. Il
illustre le fait que des nouvelles centralités ou d’autres formes de centralité réapparaissent dans les
villes laotiennes, autour de la question des activités et de l’appropriation des lieux : centre
commercial, lieux de loisirs, appropriation particulière du lieu, etc. La question de centralité
particulière des villes laotiennes qui tourne souvent autour de l’espace religieux quitte probablement
désormais le champ religieux pour rejoindre peu à peu la centralité urbaine plus générale.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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CHAPITRE III
La constitution et la recomposition de la ville et du territoire
Après la réforme de 1986, les retombées économiques et spatiales sont considérables. Elles
constituent les enjeux dans la crédibilité politique de l’ouverture du pays vis-à-vis de l’international,
mais aussi vis-à-vis de la recomposition spatiale et sociopolitique interne. Autrement dit, son
émergence sur la scène internationale lui impose peu à peu une reconstitution et une recomposition
de son territoire interne.
La recomposition urbaine et territoriale d’aujourd’hui est lisible à travers plusieurs faits et
domaines : spatiaux, symboliques, économiques, politiques. Nous exposons dans ce chapitre les
différents points qui ont mis en évidence la recomposition spatiale.
D’abord, nous exposons le processus du retour des symboles qui exprime la volonté du
régime d’inscrire les changements dans la logique de la réforme, en même temps que sa
légitimation dans la continuité historique du pays. La volonté de continuité historique, qu’elle soit
ou pas effective, entraîne un regain des espaces représentatifs – qui constituent une part de l’histoire
sociale et spatiale – que sont les centres historiques des villes.
Nous aborderons également la question de la production architecturale et urbaine qui
explicite la vision politique, spatiale et économique de la société laotienne et de ses gouvernants.
Nous examinons ensuite le rôle de la population dans la recomposition spatiale. Comment
construit-elle ses approches vis-à-vis de la question des espaces habités dans la ville et son centre
recomposé. À cette question s’y ajoute le phénomène du foncier, qui apparaît dès lors que la
question d’appropriation et de choix résidentiel se pose. Cette appropriation et ce choix résidentiel
mettent alors en perspective un autre phénomène spatial qui montre d’une part la saturation des
centres et d’autre part, la classification qualitative et d’intérêt du choix résidentiel, de travail et de
fréquentation. Il s’agit de la constitution des espaces urbains dans les quartiers autour des centres
villes (péricentre), en périphérie des villes (péri-urbain) et éparpillés dans ou autour des villes
(polycentre).
Nous tentons de comprendre comment ces recompositions ont été contrôlées par le pouvoir
politique. Quels outils de développement, de gestion et de maîtrise spatiale la gouvernance urbaine
et territoriale a-t-elle mobilisé ? Enfin, nous tentons de repérer les acteurs sociaux et économiques
directs, autrement dit, le rôle composite des investissements, de la migration et de la citoyenneté
dans la recomposition de la ville et du territoire.
III. I. Le retour des symboles à partir de l’année 2000
La concomitance entre modèle politique et modèle spatial, qui faisait la cohérence du
pouvoir et de l’espace ancien, s’est résolument désintégrée aujourd’hui. Les idéologies politiques
actuelles se retrouvent sans modèle spatial. Cela est lié à l’expérience antérieure dans les années
1975 et 1980 du nouveau régime. Celui-ci a tenté de spatialiser son idéologie parallèlement à la
recherche de ses symboles. Mais cela a été un échec. La tentative de créer son propre espace s’est
soldée par des mimétismes formels et des emprunts linguistiques qui ne peuvent incarner avec Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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satisfaction l’identité du nouveau pouvoir. Nous allons voir en détail ce fait dans la troisième partie
de notre recherche.
Pourtant, il était clair pour le nouveau régime que la construction de l’espace en cohésion
avec l’idéologie du pouvoir mis en place est un moyen de consolidation du système politique qu’il
ne fallait pas rater. Force est de constater que la victoire politique du nouveau régime ne pouvait
être légitime, avant que ne soit acquis le renversement de l’ancien. La victoire n’était pas
accompagnée par une adhésion volontariste de la population, mais par un dictat autoritaire, ceci, au
regard de l’inscription du nouveau régime dans l’histoire nationale. Après avoir effectué des
compromis avec certaines réalités du pays (relâchement des cultes religieux, abandon du
collectivisme, instauration de la liberté de mobilité interne pour la population, accorder la librecirculation
interne des biens et des échanges, reconnaître le droit de propriété, etc.) qui s’exprimait
par la réforme, le Chitanakane mai, le gouvernement révise peu à peu ses idéologies. Sans en
changer le fond, le PPRL met en place un programme de réconciliation avec les symboles du passé
qu’il combattait au départ. À partir des années 2000, la réalisation de ce programme va se traduire
de manière visible dans l’espace urbain.
Deux points essentiels ont qualifié le retour des symboles anciens. Il s’agit d’abord de la
réalisation des grands projets qui marquent le retour du prince ou de son avatar. Il s’agit ensuite de
la ramification spatiale aux valeurs identitaires et de rassemblement qui suscite en même temps une
valeur citadine.
III. I. a. Le désir de légitimation du régime : le retour du Prince ou de son avatar
III. I. a. 1. Les symboles pour réaffirmer la légitimité
Avec l’édification du buste de Kaysone Phomvihan dans tous les districts du Laos, dans la
première moitié des années 1990, le culte de la personnalité est l’étape préliminaire de la
construction identitaire et symbolique du régime dans l’histoire nationale et dans l’espace. La
spatialisation idéologique en question s’impose à la mémoire du peuple sans avoir acquis la
légitimité historique et identitaire nécessaire : la preuve en est que l’installation du buste n’a pas été
accueillie avec grand enthousiasme, c’était même avec une discrète indifférence. L’opinion
officielle dialogue ainsi seule avec elle-même. A partir de l’année 2000 l’utilisation des symboles
ou les actions entreprises pour se rapprocher de l’histoire, se fondre en elle, acceptées comme elle
dans la continuité nationale, se clarifient davantage dans la politique du régime.
Vers 2005, c’est la statue du roi F’a-Ngoum qui est créée et installée dans le jardin de
l’entrée nord de la ville. Cette fois-ci, la statue fait de l’effet sur la foule. Peu importe les traits
physionomiques de la statue, peu importe l’intention politique du pouvoir, ce qui semble important,
c’est ce que cette statue représente. La mise en œuvre de ce symbole historique fort, qu’est la statue
du fondateur du Lan Xang, a été mûrement réfléchie par le pouvoir. Elle réchauffe le cœur du
peuple avide de retrouver le sentiment de fierté nationale, au sortir d’une période difficile, où le
pays est qualifié d’un des plus pauvres du monde, sollicitant les aides internationales. L’image de
F’a-Ngoum parle au peuple. Pour lui, elle raconte son histoire parmi les plus brillantes des nations.
Elle explique aussi au peuple que le régime, qui a plus que cautionné l’installation de la statue, est
réconcilié avec son histoire et s’inscrit dans la continuité de l’histoire.
En 2010, c’est un autre roi qui sera mis sur un piédestal, avec la construction du Parc
Anouvong et l’érection de son immense statue. Le pouvoir entame un autre dialogue avec le peuple,
celui du nationalisme, corrigeant le fait qu’il n’avait pas pu le faire en usant l’idéologie marxisteléniniste.
Le langage nationaliste et les combats engagés par le passé durant les trente années de
lutte révolutionnaire n’avaient pas pu exprimer le sentiment national aussi fort et n’avaient pas su
susciter les passions individuelles, malgré les efforts déployés. Ainsi pour susciter les passions, il
fallait aller chercher la figure de ce roi martyr. Si ces rois ont été érigés ainsi, c’est parce que leurs
images ultérieures réinterprétées peuvent incarner l’esprit révolutionnaire, tel que le pouvoir le Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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conçoit. Mais personne ne semble oublier qu’il y a là un paradoxe : d’abord ces rois appartiennent à
l’histoire mais aussi au système sakdina, et pour exister aujourd’hui sur la place publique, ils
doivent être dépouillés de leur appartenance sociale et arrachés à leur temps historique. Ensuite tout
en appartenant à l’histoire, ils sont légitimés par leur appartenance sociale avant même d’exister
dans l’histoire événementielle. Ils existent ainsi par eux-mêmes. C’est probablement cela au fond
qui fait que leur image dépasse la manipulation idéologique du moment et participent à la
construction de l’espace public de la cité avec aisance. Pour l’heure, si la continuité des dirigeants
actuels avec les anciens monarques du Lan Xang est possible, la construction de ces symboles est
pourtant réalisable, ceci, parce qu’il y a un compromis du temps, celui d’une époque et d’un peuple
avide de symboles et de sens.
III. I. a. 2. L’aristocratisation de la classe dirigeante
À ces initiatives, ni la religion, ni le protocole ancien n’ont été mis de côté. Il y a un retour
fort des rites religieux dans les cérémonies offielles de l’État, et les apparitions publiques des
personnalités de l’État se sont aristocratisées. Les dirigeants révolutionnaires participent désormais
officiellement aux cérémonies religieuses lors de la fête du That Luang. À n’importe quelle
inauguration où la fête religieuse est de rigueur, on montre maintenant à la télévision les hauts
dirigeants en position de prière devant les moines bouddhistes avec des objets rituels et des atours
adéquats : tenues et écharpes en blanc lors de l’inauguration du chantier de Lak muang et lors de la
quête des bonzes pour la fête du That Luang. Par bien des aspects, les gestes, les postures, le
langage, tenus par les hauts membres du pouvoir, se rapprochent des gestes aristocratiques usités
par les hauts dignitaires de l’Ancien Régime. Ce fait contraste encore beaucoup avec les réunions
politiques au siège du PPRL et à l’Assemblée nationale, où les uniformes et les étiquettes de la
hiérarchie du parti sont encore de rigueur.
Il est probablement trop tôt pour saisir la transformation sociale et politique en cours. On
peut seulement se poser la question d’un phénomène de “ dédoublement de la personnalité sociale ”
chez les dirigeants politiques qui se prennent au jeu avec l’intégration des rois dans les valeurs
révolutionnaires ; ou, s’il y a une vraie transition sociale par l’embourgeoisement et
l’aristocratisation de la classe dirigeante qui emprunte à l’aristocratie ses gestes, son vocabulaire et
sa manière d’apparaître en public.
III. I. a. 3. L’effet du prince ou de son avatar dans la réalisation des projets
Il apparaît inapproprié d’évoquer “ l’effet du prince ” lorsqu’aucun organisme ni aucun
projet mécénat –privé ou étatique– n’a vu le jour. Il n’est pas apparu au Laos aujourd’hui de
groupement d’élites soutenant les arts et la création. Le pays n’a connu ni la tradition de mécénat
d’État à la française, ni la tradition de mécénat privé à l’américaine. La tradition locale du “ bon
goût du prince ” a depuis longtemps disparu avec la disparition du Laos ancien, bien avant la
colonisation française.
Avant de pouvoir qualifier ou pas “ d’effet du prince “ les projets publics, réalisés ces
dernières années, définissons brièvement ce qui peut se rapprocher de “ l’œuvre du prince ” dans la
perception historique laotienne de la production architecturale et urbaine.
Comme nous l’avons noté dans un autre paragraphe, le plus marquant projet du prince était
l’ensemble monumental du That Luang et le dernier projet était le Vat Sisaket. Dans le premier
projet “ l’effet du prince ” est incarné par le lien du that avec le courant de production artistique de
son temps et avec la région entière où un échange incontestable avait dû avoir lieu entre les
pouvoirs. Il est incarné aussi par son caractère incontournable, la nécessité de son existence : on ne
peut imaginer ce site proéminent dans l’ancien parc royal avec une autre construction que ce grand
that. La construction du monument rassemblait les efforts du peuple, ses aspirations dans la longue
durée. Elle rappelle la générosité du prince et sa foi : l’homme aspirait atteindre l’état supérieur et
extérieur, le nirvana.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Il est de même pour le projet de construction du Vat Sisaket du roi de Vientiane. Fondu
dans le contexte et la nécessité de son temps, le projet semble avoir été construit dans l’esprit de
sacrifice et de modestie, de liberté et de sincérité. Vers 1815, le pays était pauvre tiraillé par un Daï
Viet agressif et un Siam dominateur auxquels le royaume de Vientiane de Chao Anouvong devait
payer lourdement des tributs.160 Sous le Padésaraj du Siam, toute construction au Laos devait avoir
l’aval du suzerain de Bangkok, y compris les projets royaux. On peut imaginer alors que la
construction du Vat Sisaket a dû être réalisée dans des conditions politiques et économiques
difficiles.
Répondant à ces aspirations les œuvres construites en portent les marques et touchent ceux
qui avaient fait des dons et participé à leur construction. Les conditions et la nécessité, que nous
venons d’évoquer, contribuent-elles à « la beauté inoubliable des ouvrages » ? En tout cas, “ l’effet
du prince ” n’est pas seulement visible dans la composition de l’esthétique des édifices. Au-delà de
la description architecturale, formelle et esthétique de l’art et de l’architecture patronnée par
l’aristocratie, la beauté semble ici demeurer attachée à l’impalpable condition et nécessité de leur
construction.
Les grands projets d’aujourd’hui marquent indéniablement “ effet du prince ”, dans leur
grandiosité. Cependant, les impalpables nécessités manquaient pour en faire des projets chargés de
sens et de symboles. La surcharge d’images, de langages, des espaces inutiles, n’allant pas à
l’essentiel, condamne ces projets à rester dans la mégalomanie. Ils ne peuvent traverser le temps
qu’ils sont censés servir et représenter. Comme le prince, les commanditaires des grands projets
possèdent le pouvoir politique et économique de commanditer, mais à la différence du prince, ils ne
possèdent pas l’essentiel : la capacité de les rendre nécessaires et incontournables, inoubliables. On
se souviendra encore dans des centaines d’années à venir de l’architecture monumentale du XVIe
siècle incarnée par le That Luang. On se souviendra de l’architecture religieuse du XIXe siècle à
travers Vat Sisaket et son constructeur. Mais qui se souviendra des “ œuvres ” du début du XXIe
siècle, du palais du gouverneur de Vientiane ou du complexe des bureaux du Premier Ministre
construit en 2009, pourtant grandioses, coûtant cher à l’État ? Il n’y a donc pas le retour du prince,
mais seulement la naissance de son avatar.
III. I. b. La ramification spatiale aux valeurs de rassemblement et aux valeurs
citadines et identitaires
Mise à part l’édification des statues d’anciens monarques, leurs illustres noms ainsi que les
événements historiques majeurs sont associés aux lieux et aux équipements publics : l’hôpital
Setthathirat, les 450 ans de la fondation de Vientiane donnant le nom à la nouvelle route qui relie la
N13 Nord et la route de berge de Dong Phosi et au nouveau marché qui longe le boulevard Khun
Bourom. En ce qui concerne l’événementiel, il y a eu les 25e SEA-Games en 2009 et en 2010 de la
grande fête inaugurant les 450 ans de la fondation de la capitale. Mise à part le désir de modernité et
de son intégration dans l’ASEAN, ces événements ont pour but de susciter le rassemblement de la
population autour d’une valeur nationale et de montrer au monde que le peuple laotien est uni
autour de son Parti-État qui possède des valeurs nationales légitimées, et ces valeurs de
rassemblement sont là pour consolider le peuple au parti-État de façon durable. C’est surtout en
s’appropriant des espaces publics et des lieux sensibles et symboliques que la valeur de
rassemblement prend toute son ampleur. De fait, les places publiques, les lieux sensibles et
symboliques ainsi que les événements, non seulement rassemblent, mais suscitent aussi une certaine
160 Les princes de Luang Prabang gardaient rancœur contre Vientiane pour les affronts commis quelques années
auparavant par le père de Anouvong ; affronts que celui-ci tentait de réparer en leur envoyant des bannakhanes (Acte
accompagné d’objets symboliques qu’un potentat envoie à un autre potentat, soit en signe d’allégeance, soit en signe
d’amitié. Pratique ancienne effectuée par les pouvoirs des royaumes tai.) Les princes de Champassak ne cherchaient qu’à
détrôner son fils qu’il avait placé à la tête de Champassak au prix de lourds tributs militaires payés aux Siamois durant les
guerres birmano-thaïes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 104 -
Fig. 17.
L’espace public
de That Luang
valeur citadine qui apporte un changement significatif aux paysages urbains et aux rapports entre
l’habitant et sa ville. Une certaine identité locale émerge.
III. I. b. 1. L’appropriation des espaces sensibles et des espaces symboliques
L’appropriation des espaces sensibles par des projets publics atteint directement le
quotidien des habitants, leur pratique et leur vision des lieux, leur projection et leur mémoire
individuelle et collective. Le pouvoir entame un double dialogue : d’un côté, il y a le dialogue entre
le pouvoir et le peuple, et de l’autre, entre l’habitant et le gouvernant gestionnaire de la ville. Le
premier dialogue agit sur l’univers politique et idéologique recadrant la mémoire et orientant la
manière de penser du peuple dans l’axe voulu par le pouvoir. Le deuxième est une intervention dans
l’univers du quotidien, répondant réellement aux besoins de l’habitant : lieux de consommation, de
loisirs, d’agrément, de représentation, etc. Et seuls les lieux les plus sensibles et symboliques
peuvent vraiment se prêter à ce double dialogue. À ce fait seule la capitale est concernée, parce
qu’elle est le centre du pouvoir et détient le monopole des actions de l’État. Il convient d’identifier
quels sont les espaces sensibles dont les contenus symboliques et spatiaux sont emparés par le
pouvoir public actuel.161 Les espaces sensibles existent dans leur immatérialité et dans leur
matérialité. L’immatérialité des espaces sensibles est liée à l’imaginaire historique et à la mémoire
des lieux et des habitants, elle constitue l’univers des pratiques spatiales citadines et forge l’identité
locale. En général, l’urbanisme moderne néglige de les interroger, parce qu’il ne possède pas de
paramètres d’analyse et de compréhension de ce champ, parce qu’insaisissable de l’extérieur.
L’univers local est formé de récits, d’anecdotes, de mythes et de légendes, mais aussi de vécus, tout
ceci coïncide parfois avec ce qui peut être confirmé par les annales historiques. Quant à la
matérialité des espaces sensibles, leur valeur est à la fois intrinsèque et construite. Ce sont des
espaces qui portent en eux la puissance symbolique de la mémoire et la qualité esthétique et
environnementale, les liens sociaux et parfois la fonction économique.
La puissance symbolique des espaces sensibles
Le site du That Luang et la berge du Mékong
Vientiane possède deux espaces symboliques : le That Luang et son esplanade, la berge du
Mékong et Don Chan. Le site du grand that a traversé les siècles et a été investi par un pouvoir en
quête de légitimation et d’intégration dans l’histoire nationale, alors que la berge et l’île en tant
qu’espace naturel et de paysages maraîchers, l’un des plus beaux de la vallée du Mékong, aux
potentiels symboliques forts, subissent un sort moins heureux. Un complexe d’hôtellerie et un grand
projet d’aménagement et de consolidation de la berge, accompagnés de la construction d’un parc
public urbain dédié à Chao Anouvong, défigurent et bouleversent déjà ce lieu.
Le paysage fluvial mouvant, qui guidait les premiers moments de la fondation de la ville et
qui accompagnait les trames urbaines ultérieures, disparaît avec la fin des activités maraîchères en
milieu urbain pour faire place aux nouveaux enjeux. Les intérêts politiques et économiques se sont
emparés du rapprochement opéré entre la ville et le fleuve. Le pouvoir est hanté par deux options :
consolider la berge, créer une avancée dans le Mékong et accentuer la figure de Vientiane comme
avant-poste face à la Thaïlande. La première option est un argument d’ordre historique : Vientiane
aurait déjà perdu sa rive droite aux Siamois, il ne faudrait pas perdre davantage la rive gauche par
les affaissements des berges. La seconde restitue et affirme le rôle de Vientiane dans sa fonction de
capitale face aux grandes villes thaïes au poids économique important que sont Udone Thani et
Khonkaèn. Les arguments sont pertinents et justifient les prérogatives des projets, même lorsque
ceux-ci entrent en contradiction avec le schéma directeur et les règlements d’urbanisme. Dans le
161 Cf., « Les espaces sensibles et les lieux patrimoniaux du développement urbain », Chayphet Sayarath, pp 441-451, in :
Vientiane, architecture d’une capitale. Traces, formes, structures, projets, sous la direction de Sophie ClémentCharpentier,
Pierre Clément, Charles Goldblum, Bouleuam Sissoulat, Christian Taillard, Ed. Recherches/Ipraus, Paris,
2010.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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domaine économique, le prix du foncier du front de berge a augmenté très rapidement et cela tend à
tirer le front de berge vers les activités uniques de services, de consommation et de commerce, ce
qui réduira dans l’avenir sa fonction de résidence.
Le jardin de Houa Muang
Le pouvoir a récupéré l’entrée de ville où il y avait seulement la tête d’éléphant tricéphale,
figure des armoiries du roi Fa-Ngoum qui était devenu le symbole de la monarchie lao et le drapeau
national de l’Ancien Régime. Il était déjà aberrant que ce monument ait pu traverser les années
1975 sans être détruit. En érigeant la statue de Fa-Ngoum, le pouvoir actuel se relie à un passé
glorieux et lointain. Par la même occasion, l’Ancien Régime et la monarchie de la période récente
ont complètement été occultés du lieu, la tête d’éléphant tricéphale gardée devant la statue de FaNgoum
nouvellement érigée symbolise le Lan Xang lointain et ne renvoie aucunement à l’Ancien
Régime. Le pouvoir met ainsi un mot sur un symbole qui était resté jusque-là ambigu, du fait qu’il
n’avait pas été détruit en 1975.
L’axe urbain Lan Xang et Patouxay.
La grande avenue Lan Xang a été structurée dans les années 1960. Bordée d’équipements
de grande envergure, elle symbolise la nouvelle figure d’un jeune État indépendant qui croyait au
progrès et au développement du pays. Le monument Anousavary a été construit également dans le
cadre de cette structuration. L’ensemble monumental n’a pas changé de fonction avec l’arrivée du
nouveau régime. Tout en demeurant le lieu de représentation du pouvoir, le nouveau régime a
cependant changé le contenu symbolique du monument. Dédié aux patriotes morts pour la patrie, le
nouveau pouvoir préfère en faire le symbole de la victoire. Ainsi, Anousavary, “ monument de
commémoration ”, devient-il Patouxay, “ porte de la victoire ” et représente ainsi la victoire du
PPRL sur l’Ancien Régime.
Le lieu de l’indifférence
Le Jardin Sri Savang Vong installé dans la pointe de jonction entre la rue Samsentaï et la
rue Setthathirat a été construit dans les années 1970. La grande statue de Savang Vong n’avait pas
été délogée de sa place. Le lieu a été préservé et embelli vers 1995 comme n’importe quel autre
jardin public. Bien entretenu, il est pourtant traité avec indifférence et quasiment considéré comme
annexe du Vat Simuang qui lui est adjacent. On remarque souvent des bougies, des cierges et des
fleurs déposés au pied de la statue, et au Nouvel An des habitants viennent l’asperger comme ils
arrosent les statuettes du Bouddha. Commémoration discrète des nostalgiques ou sacralisation
coutumière ? Difficile à dire. En tout cas, les Laotiens ont l’habitude de vénérer les morts surtout les
personnalités importantes – un roi, un prince, un grand moine. Ces morts peuvent devenir des
esprits sacrés, et donc vénérés.
La qualité esthétique et environnementale des espaces sensibles
La qualité esthétique et environnementale peut se retrouver dans différents éléments bâtis
du tissu urbain et de ses lieux : leurs compositions, leurs formes, etc. À l’échelle du bâti, les
bâtiments qui présentent des typologies d’architecture intéressantes et qui apportent de la qualité au
tissu urbain sont des espaces sensibles. La dynamique des parcours urbains née de la dualité
idéologique, symbolique et spatiale entre la trame ancienne (Berge-route Nong Bone-esplanade de
That Luang) et la trame moderne (esplanade de That Luang-Patouxay-avenue Lan Xang-Ho Kham),
la composition des quartiers de berge qui donne de la dimension fluviale à la ville avec le rythme
des crues et des décrues composent aussi l’espace sensible. La mixité fonctionnelle du bâti, la
modestie de leur échelle et de leur gabarit, la mixité et la proximité entre végétal et minéral, forment
un tissu et un paysage urbain exceptionnel. L’ambiance urbaine suscitée par les activités et le mode
de vie, par la pratique habitante inscrite dans le territoire, par le visuel, l’olfactif et l’auditif, celle
qui réveille les émotions et les sens, sensible et fragile, ne peut être construite et reproduite,
échappant aux outils urbanistiques. La couverture végétale dans les lieux publics, privés ou
Fig. 18. Le
fardin de Houa
Muang
Fig. 19.
Avenue
Lane Xang- Patouxay.
Fig. 20.
Jardin Sri
Savang Vong
à Simuang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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communautaires, les bois, les rizières, les grandes zones humides qui rafraîchissent l’air de la ville
et qui empêchent souvent les inondations, etc., ce sont autant d’éléments sensibles de la ville. De
même, les sous-sols de Vientiane – qui regorgent de vestiges archéologiques –, renferment son
passé.
Les fonctions économique et sociale des espaces sensibles
Les éléments que nous venons d’évoquer possèdent aussi des fonctions économiques et
sociales dans le sens où ils contribuent à l’organisation et au fonctionnement de la ville. Les canaux
sont habituellement utilisés comme rivière par la population. Dans Nam Passak, autrefois, on s’y
baignait et on y pêchait. Aujourd’hui, cette utilisation est menaçante pour la santé.
Les zones humides, tout en fonctionnant comme des bassins de rétention d’eau fournissent à
la population un lieu de vie : elle y récolte des plantes aquatiques, y pêche des poissons et des
grenouilles, même si aujourd’hui les eaux usées de la ville s’y déversent. Mais avant l’agression de
ces zones par une urbanisation sauvage et incontrôlée, les zones humides avaient leur capacité
d’auto-épuration. Les mares de That Luang et de Nong Douang étaient de beaux exemples du genre.
La ville qui s’étend, réduit les territoires ruraux et agricoles qui l’entourent. La zone
maraîchère de Done Chan qui fournissait de bons revenus pour ses exploitants et ses habitants n’est
plus qu’un souvenir. Chaque habitant de l’île gagnait en moyenne 280 USD par an, le quart retirait
entre 440 USD et 760 USD des ventes des produits,162 sachant que les activités maraîchères
n’étaient pas leurs seules activités. Le revenu moyen de 280 USD n’est donc pas négligeable
comparé au revenu moyen par habitant qui était, en 2003, évalué en moyenne à 320 USD. L’île
Done Xiengsou en amont du centre-ville qui reste le dernier bastion de l’activité maraîchère n’est
plus dans une situation sûre. Contrairement à Done Chan qui avait une liaison aisée avec la berge,
l’isolement de Done Xiengsou par rapport à la berge la protège pour le moment de l’engouement
foncier, car il faut s’y rendre en pirogue même à la saison sèche. Mais l’île est déjà visée par les
grands groupes d’investisseurs étrangers qui approchent l’autorité de la ville de Vientiane pour
d’éventuelles concessions de toute l’île. C’est probablement une question de temps et de moyens
proposés pour que l’île soit cédée en concession.
Du point de vue social, les espaces sensibles, dans leur variabilité, participent au maintien et
à la préservation de certaines valeurs, au travers des pratiques sociales attachées aux lieux. Il y a des
liens entre les communautés qui font des activités de pêche ou qui cultivent sur la berge et ceux qui
en consomment les produits. Les jardins des monastères étant à fréquentation publique, sont aussi
des terrains de jeux pour les enfants. Les activités religieuses quotidiennes et le bon entretien des
monastères reflètent l’harmonie entre le village et son monastère, la solidarité des villageois entre
eux.
Enfin, parmi les espaces sensibles, les marchés de proximité doivent être mentionnés. Ils
traduisent bien les habitudes de vie des habitants, leurs pratiques spatiales, leur santé économique,
leur culture alimentaire. Ils participent à la différentiation des quartiers et leur donnent une identité.
La question de pérennité des espaces sensibles dans la démarche de leur appropriation.
Le processus de développement, qui s’approprie ces espaces, conditionne la pérennité, la
survie et le devenir des espaces sensibles de trois façons majeures : les implications des projets
urbains et architecturaux, la démarche patrimoniale, la pertinence dans le choix du développement
en général. Sachant que le développement urbain se résume dans les premiers temps (à partir de
1995) à la construction et à la réfection des infrastructures routières, réseaux de drainage,
consolidation des berges, équipements et complexes, les projets ne sont pas précédés préalablement
162 Enquêtes réalisées dans le cadre des travaux de terrain de l’Atelier du Patrimoine en 2003. In : « Rapport d’étude de
l’Atelier du Patrimoine » ; in : Vientiane, portrait d’une ville en mutation, Chayphet Sayarath, Col. Les Cahiers de
l’Ipraus, Éditions Recherches, 2005.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’études et d’analyses de site, du point de vue social, paysager, esthétique et environnemental,
analyses qui auraient permis de prendre en considération les impératifs locaux. Les projets urbains
sont souvent des projets parachutes indépendant de l’environnement. Cela modifie de manière
irréversible les ambiances urbaines les plus qualifiantes.
L’extension et l’étalement urbain menacent les zones sensibles, que ce soit par le
développement progressif des habitations privées ou par la construction des équipements de grande
envergure. L’exemple de la construction du centre Lao ITEC, par exemple, agresse la mare de That
Luang et fédère d’autres projets du même type. La densification de la ville afin d’économiser les
coûts des infrastructures et des équipements est nécessaire. Elle doit se faire par resserrement du
bâti, par l’amélioration de la gestion parcellaire, le contrôle des permis de construire, une
réutilisation optimale des terres en friche ou en déshérence et des bâtiments vétustes. Malgré ce
constat fait dans les études urbaines (schémas directeurs, POS), les dispositifs n’ont pas pu être mis
en œuvre pour contrôler et accompagner efficacement le développement de la ville. On construit
parfois dans une parcelle déjà densément bâtie. On construit de nouveaux bâtiments remplaçant
d’anciens démolis, tout en surchargeant l’emprise au sol des surfaces bâties. Les surfaces plantées
diminuent alors considérablement.
La fragmentation et la répartition fonctionnelle par zonage proposées dans les plans urbains
sont à l’œuvre dans la plupart des villes laotiennes. Fonctionnel et rationnel équivalent à la
modernité, on cherche donc à séparer les fonctions : déplacer les épuipements et les administrations
à l’extérieur de la ville, fermer les marchés de proximité, etc. On ouvre des supérettes pour
distribuer les produits importés, contre quoi les produits locaux – notamment les produits
maraîchers de Done Chan – ont disparu du quai F’a-Ngoum.
La minéralisation complète des canaux et la négation de leur usage comme rivière
entraînent leur dégradation environnementale. Leur monofonctionnalité en tant que canaux
n’exploite pas pleinement leur capacité et ne s’adapte pas à leur usage par certaines populations qui
vont encore y pêcher. On voit que le mauvais usage des ressources peut être une menace pour la
santé de la population.
Dans leur ensemble, l’appropriation des espaces sensibles par les projets de développement
urbain et économique n’a pas été faite dans un esprit d’intégration pour le maintien de la qualité de
l’espace de la ville, pour la conservation d’une meilleure cohésion sociale, pour assurer une
amélioration économique à l’échelle de l’habitant et des foyers locaux. Il semble que les autorités
publiques n’ont pas su relier les intérêts locaux aux processus d’internationalisation et de
macrosystème à l’œuvre.
III. I. b. 2. Le nouveau lak muang de Samneua et les that de Oudomxay et de Luang Namtha,
une identité retrouvée
À partir des années 1995, des projets de réalisation de plans de ville ont commencé à être
mis en œuvre dans tout le Laos. À terme, les plans de développement urbain163 des petites villes et
des villes moyennes doivent être réalisés. La capitale et les villes secondaires sont soumises à des
programmes spécifiques et prioritaires. Les villes petites et moyennes ne possédaient pas
jusqu’alors de plan détaillé, ni de programme de développement. Lorsque certaines d’entre elles
étaient munies des plans en question, elles avaient fait l’objet de restructuration importante en
particulier avec le programme d’équipements publics : construction de nouvelles routes de liaison et
163 L’Institut des Transports et des Travaux Publics (depuis 2008), anciennement Institut de Recherche en Urbanisme
(entre 1999 et 2007) et Institut des Études Techniques et Urbaines (entre 1987 et 1999) est chargé de réaliser des relevés et
des plans de développement urbain. Actuellement les plans des petites villes ne sont pas prioritaires mais restent des
objectifs futurs, sauf lorsqu’il y a une demande du pouvoir local. En ce cas, celui-ci doit émettre sa demande au
gouvernement central qui confiera la charge à l’Institut tout en lui attribuant un budget spécifique. Pour certaines villes
moyennes, les études et les réalisations de travaux sont en partie achevées, pour d’autres elles sont en cours. Pour les villes
secondaires, les études sont achevées et certains volets du programme des travaux le sont également.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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réfection de celles qui existaient, construction des bureaux administratifs des provinces et des
districts, marchés, écoles, dispensaires ou hôpitaux. Mais la majorité des plans urbains obéissaient à
une forte répartition fonctionnelle par zonage et à un souci exagéré de “ fonctionnalité ”, isolant la
plupart des projets de toute réalité et surtout de leur ancrage historique. Effectivement, aucune étude
historique ou relevée analytique de l’existant, aucun sondage de terrain n’ont été réalisés. Les plans
étaient dans la plupart des cas d’une rigidité exemplaire, mais étaient petit à petit mis en application,
d’abord avec la réfection ou la construction des routes, ensuite avec la construction des
équipements, et plus tard avec la mise en application très théorique des règles d’urbanisme. Cela a
déstructuré inévitablement les centres qui sont dans la majorité des cas de petites structures. À partir
de la fin des années 1990, des cas de villes restructurées, sur la base des plans urbains en question,
peuvent déjà être observés. Nous constatons que les marchés qui étaient à l’origine le lieu de
fréquentation et de vie des villes et des petits centres de province disparaissent de leur lieu habituel.
Les marchés qui se tenaient dans le périmètre de la ville, si ce n’est en son centre, se retrouvent
désormais à l’extérieur. Il est de même pour les gares routières et les bureaux de l’administration
locale. Les villes s’étalent, s’égrainent partout là où il y a des possibilités, permis par les nouvelles
routes et les nouveaux équipements décentrés. Si la “ délocalisation ” des équipements (les plus
imposants en terme d’emprise) est justifiée pour certaines villes (notamment pour les plus grandes
où un aménagement et une restructuration raisonnée en terme spatial est nécessaire) elle ne l’est pas
pour les autres villes plus petites. En se restructurant selon le plan standardisé, issu du programme
et de la stratégie du pouvoir central, les petites villes, dans leur ensemble, se retrouvent sans noyau
et sans vie, sans point fort autour duquel elles vivent, où avec l’image de laquelle elles sont
représentées et rendues visibles et compréhensibles depuis l’extérieur.
Bien qu’il n’y ait pas eu d’études officielles d’évaluation et de suivi après réalisation des
projets,164 le constat des centres dévitalisés par le décentrage des équipements a été reconnu de
manière globale par les planificateurs. Cela peut être traduit, du point de vue politique, au niveau
local et central, par la tendance générale à rechercher un certain équilibre. Un “ reste historique ”,
dont l’existence a d’abord été ignorée, a donc été recherché. On cherche en fait à mettre en valeur
ou à reconstruire un monument qui serait représentatif de la ville et de son histoire. Mais l’essentiel
a souvent été oublié : “ ce reste historique ” n’est pas un lieu précis, mais un ensemble de lieux, un
maillage d’espaces, une mémoire diffuse individuelle et collective, ancrée dans les structures
anciennes et dans les pratiques de certains espaces qui n’ont pas été comprises et qui ont tendance à
être détruites trop vite au départ, ceci, parce qu’elles semblent gêner la fonctionnalité de la ville.
Que ce soit un acte conscient ou un acte inconscient, aussi pour redonner vie et sens à ces villes
nouvellement “ restructurées ” ou “ déstructurées ”, opportunément les vestiges de monuments
anciens qui ont été négligés deviennent-ils intéressants après coup. Dans la majorité des cas, ce sont
de vieux that dont l’emprise occupe une situation privilégiée. Ces monuments, dont il ne reste
souvent que des débris, seraient alors bien en vue sur une colline, une fois mis en valeur. Des
actions en faveur de leur réhabilitation, voire, de leur reconstitution et parfois de leur reconstruction
(de toutes pièces) sont alors mises en œuvre afin de donner une certaine image et une histoire à la
ville. Ainsi, dans les deux villes, les that reconstruits étaient à l’origine sur l’emprise des that
d’époque ancienne, vraisemblablement du XVIe siècle. À Oudomxay, nous pouvons admirer un
grand stupa dès l’atterrissage, car il est sur une colline près de l’aéroport. De même pour Luang
Namtha, il est situé sur la colline visible depuis la gare routière.
Cependant, leur intégration dans la ville qui serait induite par une certaine pratique spatiale
des habitants, dans ce nouveau contexte urbain, est encore à rechercher et à redécouvrir. À l’heure
actuelle, nous ne savons pas s’il s’agit d’une pratique spatiale et religieuse retrouvée ou réinventée,
164 D’après les agents de l’Institut des Travaux Publics et des Transports qui ont réalisé la majorité des plans de
développement urbain des villes de province, des missions d’évaluation et de suivi n’ont jamais été réalisées. Et pourtant
la question a été soulevée à plusieurs reprises.
Fig. 21. Les
stupa de
Oudomxay et
de Luang
NamthaDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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dans la mesure où il y avait entre les années 1970 et les années 1980 un renouvellement important
de la population dans ces deux villes, induisant une perte ou un relâchement de la pratique
religieuse et spatiale qui leur était anciennement liée.
À travers ces deux exemples, nous comprenons le rôle des that et leur caractère
monumental, même s’ils sont dans la majorité des cas de taille modeste, et quel que soit le contexte
dans lequel ils se trouvent. Qu’ils représentent une centralité idéologique et religieuse ou qu’ils
génèrent des espaces de type villageois ou urbain, qu’ils incarnaient ou qu’ils participaient au XVIe
siècle à “ la régionalisation culturelle ” en faisant lier les villes laotiennes à une culture religieuse et
artistique régionale, ou qu’il y ait postérieurement (aujourd’hui) une tentative de leur donner un rôle
structurant et symbolique pour les villes qui ont perdu le sens et la cohérence spatiale, l’importance
de la fonction spatiale des that et de leur permanence ne fait que se confirmer.
III. I. b. 3. L’identité religieuse et l’identité locale de Muang Phouan
La reconstruction de l’ancien that à Ban Naxay qui existait dans les abords de l’esplanade
de Muang Khoun sur son ancien emplacement est un cas différent des deux exemples
précédemment évoqués. Ce that serait à l’origine construit autour du XVIe - XVIIe siècle. Il aurait été
la réplique du That Luang de Vientiane. Sa représentation aurait permis aux habitants de Muang
Khoun de fêter chaque année le grand that sans se déplacer jusqu’à la capitale. Ce that dont parle
Charles Archaimbault, qui aurait déjà été détruit au moment où il mena son enquête, n’aurait pas
complètement disparu en fait. Il serait resté son soubassement, mais sans doute recouvert de terre
comme il l’avait noté.
L’objectif de cette reconstruction, qui a eu lieu vers 2005-2006, n’est résolument pas de
redonner de la cohérence spatiale à la ville, mais bien son identité religieuse et historique, et en de
çà, sa structure symbolique. Nous allons voir dans la deuxième partie de notre recherche, combien
cette esplanade était importante dans l’histoire de Muang Phouan. La destruction de la plupart des
monuments de la ville au moment de sa mise à sac par les Pavillons Noirs à la fin du XIXe et ensuite
par les bombardements américains dans les années 1960 et 1970, ont privé ses habitants de la
représentation symbolique du That Luang de Vientiane dans leur ville (ici miniaturisée). Sa
reconstruction tardive redonnerait, en quelques sortes, vie et sens spirituel à la ville longtemps
meurtrie par la guerre. Il est à remarquer que cette reconstruction émane non pas d’une commande
publique, comme ce fut le cas des that de Oudomxay et de Luang Namtha, mais de commandes
privées et communautaires. Les fonds proviennent non seulement des habitants de Muang Khoun,
mais surtout des Phouans éparpillés dans d’autres régions du pays et du monde, notamment de
France, des États-Unis et d’Australie.
III. II. Le regain des occupations anciennes et des centres historiques
Le regain des centres historiques et des établissements anciens joue aussi un rôle important
dans la recomposition de la ville. Mise en corrélation avec le centre ancien, la recomposition de la
ville est une forme de recyclage spatial. Les fonctions ainsi que l’état de conservation des éléments
bâtis sont réorganisés, réaffectés, réhabilités ou renouvelés. La recomposition urbaine met en
mouvement de nouveaux mécanismes spatiaux que nous proposons d’examiner. En fait, le regain
des centres anciens contribue à l’apparition des instruments de développement urbain et de mise en
valeur du foncier. Ensuite, il met en perspective l’émergence du réseau des sites patrimoniaux sous
leurs différentes formes. Et enfin, lorsqu’il est poussé à son paroxysme et gagné par la fonction
touristique mal harmonisée avec les autres fonctions, ce regain des centres anciens dans la vision
patrimoniale peut se cristalliser dans une monofonctionnalité stérile.
III. II. a. La patrimonialisation et le développement urbain
Fig. 29. Le
Monument de
la ville de
Sam NeuaDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les occupations anciennes (comme les villages anciens ou bien, les sites archéologiques) et
les centres anciens (centres historiques des villes, qu’ils soient des centres plus anciens ou plus
récents, ou bien coloniaux) connaissent un regain nouveau, dans le sens où le développement urbain
et du territoire s’est opéré à l’intérieur des aires anciennes, ou du moins, il s’est appuyé sur ces
éléments et les données qui sont en rapport avec les espaces anciens.
Le regain des occupations anciennes est suscité par les intérêts que l’on porte à leurs
vestiges archéologiques mis au jour : les sites sont dégagés, parfois des fouilles sont effectuées et
des visites organisées, de nature scientifique ou touristique. Et souvent, la nature touristique s’est
emparée des sites avant que les chercheurs aient pu rassembler un corpus suffisant de connaissances
du lieu. Les intérêts portés aux anciens établissements peuvent effectivement susciter la mise en
œuvre de la recherche archéologique ou du moins, la nécessité d’indiquer son importance de ce
point de vue. La recherche est ensuite mise aux profits de la conservation, de la mise en valeur et de
la gestion du patrimoine.
Quant au regain des centres anciens, il est suscité à la fois par les intérêts portés à leurs
patrimoines et par les intérêts portés à leurs activités mises en sommeil qu’il s’agit de revivifier. Des
actions opérationnelles liées plus directement au développement urbain et à la vivification des
activités peuvent être commerciales ou axées sur les actions publiques et civiques, ou les deux à la
fois. À la différence de certaines situations des occupations anciennes où les interventions ont lieu
dans un “ espace mort ”, les actions dans les centres anciens sont intervenues dans un milieu encore
en activité. Les actions doivent respecter l’intégration patrimoniale tout en préconisant la notion de
rénovation et de mise en valeur foncière et de développement économique. Les deux doivent aller
de paire.
III. II. a. 1. Les faits archéologiques et la patrimonialisation
Au Laos, il y a des anciens établissements qui sont mis au jour régulièrement mais de
manière partielle, voire, qui ont seulement fait l’objet de notes d’intérêt et de signalement, les
programmes de recherche et de fouilles préventives étant très aléatoires ou inexistants. Les mises au
jour vont de simples artefacts à des objets jusqu’aux traces d’habitat plus conséquentes qui auraient
pu permettre des découvertes d’établissements plus importants. Dans la majorité des cas, les
populations locales enregistrent déjà ces éléments et ces sites dans leur mémoire, sous forme de
légendes ou d’histoires locales. La “ découverte ” est donc un fait scientifique dont l’intérêt est de
confirmer ou de nier la littérature orale locale existante. Pour certains sites, déjà connus, dont les
données ont parfois déjà été collectées auparavant, les intérêts se confirment.165
La nature des sites et leur histoire respective étant différenciée, les sites acquièrent une
importance inégale. Ainsi, les sites des mégalithes de Houaphanh et des jarres de Xieng Khuang,
déjà connus et fouillés, se confirment par leur importance dans l’histoire archéologique du pays. Ils
font l’objet de fouilles soutenues par les programmes nationaux, internationaux ou multinationaux
(Unesco et CNRS, entre autres). Même si leur conservation du point de vue scientifique et leur mise
en valeur du point de vue culturel et touristique ont été effectuées, ce qui fait que leur
patrimonialisation n’est pas menacée en soi, leur connaissance, leur mise en valeur et leur gestion
ne constituent pas à ce jour un acquis. Quant au site de Vat Phu, de facture pré angkorienne et
vieille connaissance du monde archéologique mondial, il connaît une vivification importante par
son classement au patrimoine mondial de l’Unesco. Les soutiens qui lui sont apportés sont plus
importants.
165 Les travaux d’enquête de l’équipe de l’EFEO, menée par M. Lorillard, ont été surtout effectués dans le Nord du Laos
et ils touchent plus généralement le domaine des inscriptions. Dans le Sud, le site de Nong Hua Thong sur la Xébangfay
(province de Savannakhet) inspecté par Christine Hawixbrock promet peut-être l’existence du légendaire royaume de
Sikhotthabong. Réf. Sa conférence à l’Institut français du Laos, le 30 janvier 2012.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Vat Phu est le seul cas de site archéologique du Laos où ont été mis en œuvre des
programmes de conservation et de recherches scientifiques accompagnés de programmes de gestion
et de mise en valeur et de développement touristique plus importants. Il démontre aussi comment un
site archéologique – un ancien établissement – assume-t-il sa patrimonialisation avec le
développement touristique, urbain et territorial qui l’intègre ou qu’il intègre : comment protéger et
développer en même temps la petite ville de Champassak qui figure dans son périmètre de
protection ? Comment intégrer l’ensemble du site patrimonial qui couvre un grand territoire dans le
développement territorial de la région sud qui entame sa régionalisation, notamment avec la
construction des infrastructures routières pour la relier plus aisément à Paksé, à la Thaïlande et au
Cambodge ? Le statut des établissements anciens de ce type dans le développement et dans la
régionalisation constitue à ce jour un enjeu majeur et pose un problème du choix et de modèle de
développement (on aura l’occasion de traiter de la question du modèle de développement dans un
autre chapitre).
D’autres sites, par contre, ne bénéficient pas de soutien particulier. Il s’agit par exemple des
sites dans la région du Haut-Laos, à Luang Namtha, Bokéo et Phongsaly, où la mémoire locale n’est
pas moins intéressante et peut susciter des nouvelles découvertes, notamment lorsque celle-ci
évoque les Kheü et les Khou (fortification en forme de montée et de déblai de terre) qui auraient
entouré plusieurs établissements antérieurs disparus et qui auraient été repérés à plusieurs endroits
dans la région de Luang Namtha. À la question de mémoire locale seule la fortification de Vieng
Phu Kha a fait l’objet d’inspections archéologiques par les responsables du ministère de la Culture
et de l’Information en concertation avec les responsables locaux. Mais les fouilles proprement dites
n’ont pas été effectuées. Dans ce même questionnement et de manière plus poussée, le site de Xieng
Saèn (Tonh Pheung) a été en partie dégagé. Ceci, parce que le site lui-même a été agressé par les
défrichages de la population qui y a aménagé ses habitations et ses terres agricoles, faisant émerger
directement du sol sur les champs de maïs des vestiges archéologiques tel des têtes de bouddha, des
soubassements de constructions, de la poterie et autres objets qui ont été pillés. Le cas de Tonh
Pheung montre que lorsqu’un site suscite partiellement des intérêts archéologiques, dans le sens où
le champ de la connaissance archéologique et historique a pris du retard dans son identification, la
patrimonialisation fait lentement son chemin et les phénomènes touristiques s’en sont accaparés
sans que la question de protection ne trouve encore sa référence et son appui opérationnel ; d’où
l’abandon, l’agression et le pillage qui s’en suivent pour ce site.
Une particularité est à noter également sur le site de Tonh Pheung. Le patrimoine
thaïlandais de la cité de Chieng Saen (rive droite du Mékong) a connu une mise en valeur bien avant
Tonh Pheung. Lorsqu’il est permis aux Thaïlandais de visiter la rive gauche, les interprétations
historiques concernant l’ancienne cité de Xieng Saèn a été rapide : le côté laotien a été interprété
comme la suite ou faisant partie de la même histoire que la cité de la rive droite. Une société thaïe a
pu ainsi demander “ l’exploitation touristique” de la cité à Tonh Pheung, sans que les recherches
archéologiques sur ce site soient approfondies. Or, on ne peut se permettre de placer les deux sites
sur le même degré de connaissance. Alors que le site thaï de Chiang Saèn est bien “ rodé ”, le site
laotien Xieng Saen venait à peine d’être exhumé, qu’il s’expose déjà aux visites occasionnelles avec
des mesures de protection et de gestion assez sommaires, ne pouvant pas stopper les vols, les
pillages et les dégradations du site.166
III. II. a. 2. L’intégration patrimoniale dans le développement urbain et économique
166 Un projet a été mis en place le 9 mars 2005, approuvé par le circulaire N°001/05/Gouverneur de Bokéo. Il concerne la
protection de la zone archéologique et paysagère de Tonh Pheung, planifiée pour une période de 15 ans, 2005-2020. La
zone conservée couvre 350 hectares et les vestiges (en ruine) protégés sont au nombre de 42. Sur 100 hectares 14 petits
sites ont été dégagés (nettoyés ?). Les opérateurs sont : le Service Culturel de Bokéo, le Service touristique de Bokéo et la
société Houamphathana. Le projet a commencé le 1e juin 2005.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 112 -
Les centres anciens que sont les villes anciennes elles-mêmes, ou une portion restant des
centres anciens des villes maintenus actifs, suscitent des actions opérationnelles liées au
développement urbain et des activités culturelles et économiques. Celles-ci peuvent être
commerciales ou orientées vers des actions publiques et civiques avec des programmes
d’équipements, ou les deux à la fois.
L’espace – dans lequel subsistent des composants anciens – étant en activité et en
permanence en recomposition, pose alors la question de l’intégration patrimoniale des éléments
anciens. L’intégration en question, à la différence des sites archéologiques, doit s’opérer à travers la
notion de rénovation et de mise en valeur foncière et de développement économique, afin d’éviter
“ la ghettoïsation patrimoniale ” et ensuite la “ ghettoïsation touristique ” de l’espace, qui aurait
cristallisé le patrimoine dans une certaine stérilité. C’est ce qui menace la ville de Luang Prabang,
classée au Patrimoine mondial, à la fois bénéficiaire et victime de la mise en valeur de son
patrimoine (nous allons le voir dans le paragraphe qui suit.)
Contrairement à Luang Prabang, Vientiane ne connaît pas le processus de
patrimonialisation de son centre ancien, mis à part certains édifices qui ont bénéficié de l’attention
patrimoniale particulière : classés comme monuments nationaux par décret du ministère de la
Culture et de l’Information ou comme World monument (notamment Vat Sisakhet).167 Les études
d’inventaire, effectuées par la Direction des Musées et de l’Archéologie en 1994 et celles de
l’Atelier du Patrimoine réalisées en 2002, ont proposé une liste de protections des bâtiments
ordinaires (non-monumental). Celle-ci n’a pas été approuvée à ce jour. Pourtant, les propositions de
prescriptions de protection de son centre ainsi que de ses sites paysagers remarquables ont été
réalisées à travers des règlements d’urbanisme, peu sévères par rapport aux outils règlementaires
des sites patrimoniaux proprement dits. Le règlement qui a été proposé par l’Atelier du Patrimoine
est proche des ZPPAUP (Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager)
français. Il développe la zone ZPP (Zone de Protection du Patrimoine) instaurée habituellement
dans les règlements du POS (Plan d’Occupation des Sols), mais de manière plus fine, plus
harmonieuse au contexte local. Le PSMV (Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur, appliqué à
Luang Prabang) est jugé trop sévères pour le centre de Vientiane, hétérogène et en changement
rapide. Par ailleurs, la mise en œuvre des opérations proposées aurait été plus efficace si elle est
orientée vers la création des PRI (Périmètre de Rénovation Immobilière), afin d’accompagner à la
fois, la mise en valeur foncière et la rénovation, restauration, réhabilitation des éléments bâtis et des
espaces publics du centre de la ville qui se mettait à l’œuvre dès le début des années 2000.
Mais malgré les efforts préconisés par l’IRU qui dirige l’Atelier du Patrimoine (mandaté
pour les études en question) et malgré la souplesse des outils proposés, l’intégration du patrimoine
dans le développement urbain et économique est défectueuse pour Vientiane, et rencontre de
multiples problèmes. C’était probablement une question de choix. Le choix du type de
développement à l’égard de la conception de la conservation du patrimoine pour les acteurs publics
et privés a été autre. Le périmètre du centre ancien est devenu « abstrait » dans la revivification
actuelle du centre : parmi les compartiments de la période coloniale, des années 1950 et des années
1970, beaucoup ont été démolis, les arbres dans les alignements des façades abattus, les ambiances
et les paysages urbains dévalorisés. La limite des hauteurs d’immeuble à respecter ne l’est plus dans
la pratique. On construit dans le centre, censé être réglementé, comme on construit sur l’avenue Lan
Xang ou sur la route N13 nord, ou dans n’importe quels quartiers périphériques. Seule demeure la
notion de centre en tant que créateur de proximité et d’activités citadines, en tant que valeur
foncière et immobilière. Devenant plus rare et plus cher, le centre se resserre sur lui-même. Comme
un serpent qui se mord la queue, pour construire sa valeur de centre actif attrayant, il finit
probablement par détruire ce qui fait la valeur et l’essence de son attractivité et de sa centralité.
167 Décret portant le classement des monuments nationaux.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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III. II. b. La cristallisation des établissements anciens dans la vision patrimoniale et
touristique
Nous avons évoqué le cas de Luang Prabang en tant que centre ancien dans son contexte
local, où il fait figure d’exception en différents domaines, notamment du fait qu’il soit à la fois
bénéficiaire et victime de la mise en valeur de son patrimoine. Luang Prabang est un cas typique
d’une conservation relativement réussie, dans la mesure où le centre de la ville a été effectivement
revalorisé. Le sévère PSMV constitue l’outil de contrôle et de gestion du développement de la ville
qui impose à la population des contraintes : les édifices les plus remarquables, le tissu urbain et les
paysages ont été restaurés, mais des effractions, comme des constructions illicites, ont également
été commises. Le centre s’est doté d’activités culturelles et économiques fructueuses. La ville revit
de son rayonnement culturel et de son art de vivre. Elle occupe de nouveau une importance
régionale de ce point de vue. Parallèlement au programme de mise en valeur des sites remarquables
de Luang Prabang soutenu par l’AFD et mené par la Maison du Patrimoine et le service culturel de
la province, sous le haut patronage de l’Unesco et du Comité National du Patrimoine, les diverses
activités culturelles et artistiques reprennent vie grâce aux différents acteurs, publics et privés :
reconstitution de l’ancien ballet royal, reprise d’activité pour les fabricants de masques et
d’instruments de musique. Les petits ateliers se montent à domicile, les orfèvres et les anciennes
brodeuses de fils d’or retravaillent à nouveau, etc.168
À côté de la revivification des arts qui servent d’abord les Lao (diaspora ou locaux) qui
occupent une petite part, les touristes sont ses principaux visiteurs et consommateurs. Les activités
sont orientées exclusivement vers ce secteur d’activité, d’autant plus qu’elles occupent la partie la
plus centrale de la ville et négligent de se répartir dans l’ensemble du territoire environnant. La
péninsule est ainsi surchargée d’activités de services touristiques. Cela commence par la rue
principale avant d’investir les ruelles et les routes de berge du Mékong et de la Nam Khane.
Le tourisme et ses activités appellent une nouvelle pratique commerçante, une amélioration
de la production de l’artisanat et des produits de services touristiques. La demande impose aux
offres ses exigences. Les objectifs des standards internationaux se mettent peu à peu en place, mais
avec un mûrissement assez lent dans la mentalité des locaux. On reprochait par exemple à Luang
Prabang dans les années 1995 son manque de logements pour accueillir les touristes, la qualité
médiocre de ses productions artisanales, etc. On lui reprochait aussi le manque d’activité et de sites
pour divertir les touristes. Peu à peu la ville rattrape le nombre des chambres de guest-houses qui
manquait et les productions artisanales se diversifient, mais uniquement à destination touristique
(papier po sa, tissage de coton et soierie, broderie hmong, lampions en papier, algues du Mékong,
etc.) Les sites naturels aux alentours de Luang Prabang sont également aménagés : chutes d’eau de
Tad Khuang Si, Pak Ou, Ban Sang Haï, etc. Vers les années 2005, les spécialistes des sites
patrimoniaux constatent qu’il manque toujours des chambres pour accueillir les touristes, alors que
les chambres dans les guest-houses sont vides la moitié de l’année. En fait, cette fois-ci, il s’agit des
établissements de luxe qui semblent faire défaut. D’après les études et les estimations, il manquerait
5 000 chambres de haut standing chaque année. C’est-à-dire des chambres qui coûtent plus de 100
USD la nuit, alors qu’il y avait trop de chambres en dessous de 60 USD. Les offres du standing
inférieures à 50-60 USD ont pourtant été celles des locaux. Pour passer le cap et atteindre le
standing dicté par les tour-opérateurs, peu de locaux ont pu y participer. Quelques-uns parmi eux,
avec les connaissances acquises à l’extérieur du pays, ont pu passer le cap. Pour le reste, les hôtels
de luxe qui ont été construits après 2005 sont le fait des investisseurs étrangers ou expatriés
168 La broderie aux fils d’or est une des spécialités de la ville. Les fils d’or viennent d’une manufacture de Lyon, en
France. Elle retrouve son succès d’autrefois auprès de la diaspora lao. Actuellement, les femmes de la bourgeoisie
politique apprécient ces broderies, utilisées dans la confection des cols de chemisier croisé portée lors des cérémonies
officielles.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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occidentaux installés à Luang Prabang, occupant ainsi une grande partie du marché de luxe qui
manquait.
On peut quasiment parler de l’occidentalisation et de la mono-fonctionnalité du centre de
Luang Prabang qui accompagne le tourisme et les activités qui le sert. Cela entraîne la surenchère
des produits et du coût de vie, mais surtout du foncier. Ce phénomène, joint au manque de savoirfaire
des locaux pour accueillir le tourisme de luxe, fait que ces derniers se sentent hors course.
Beaucoup préfèrent ainsi vendre leurs biens en ville à des prix très élevés pour s’installer à
l’extérieur. La décentrification de la population originaire de Luang Prabang a de multiples
conséquences sur la vie sociale et culturelle citadine, dont l’une est constatée dans l’altération de
l’entretien des monastères et dans l’ambiance urbaine. La tradition du kham vat (pilier du vat, ou
soutien du vat), qui consiste pour chaque foyer d’entretenir sa paroisse en apportant des soins et de
la nourriture aux moines, ou de parrainer un jeune bonze depuis son noviciat jusqu’à sa grande
ordination, tend à disparaître. À un moment donné les moines ne peuvent plus compter que sur la
quête du matin pour vivre et nourrir toute la communauté. Le tiang han sao et le tiang han phèn
(repas du matin et repas de 11 heur apportés à la pagode) se réduisent au peu de nombres de
personnes âgées qui continuent encore à pratiquer. Or, la valeur qui fonde le classement de Luang
Prabang au patrimoine mondial, c’est sa culture et son art de vivre en communion avec ses
traditions et ses rituels. L’altération de cette valeur contredit ainsi le principe même de l’existence
de Luang Prabang en tant que patrimoine de l’humanité.
L’accaparement du secteur touristique de la péninsule qui apporte des déséquilibres sociaux
et culturels tend aussi vers la mono-fonctionnalité des lieux. En 2005, lorsqu’on regarde les activités
(la nature des commerces notamment) de la rue centrale de la péninsule, on peut très vite constater
une trop forte concentration des mêmes activités servant le tourisme : restaurants, boutiques de
souvenirs et d’artisanat, internet café, spa, etc., qui sont par ailleurs européanisés, consommés et
utilisés par les touristes mais aussi souvent tenus par des Occidentaux. Ce fait altère les caractères
qui fondent la valeur de Luang Prabang. La diversification des activités, l’arrêt de la
décentrification des habitants originaires auraient été bienvenues pour redonner au centre son
caractère résidentiel et local : les touristes peuvent très bien vivre avec les habitudes locales. Et les
locaux n’ont pas besoin de se transformer et transformer leur manière de vivre pour s’adapter aux
habitudes et exigences des touristes. Ces vœux restent anecdotiques. L’offre et la demande font leur
loi, Luang Prabang tend à devenir à l’image de son tourisme. 15 ans après son classement, on est
déjà à se demander aujourd’hui qu’est-ce que Luang Prabang offre au monde qui le visite et quelle
mémoire culturelle, quel patrimoine garde-t-elle encore pour le pays. Il est encore probablement tôt
pour dresser des bilans définitifs.
III. II. c. L’émergence du réseau des sites patrimoniaux, approche comparative
Pourtant les sites patrimoniaux sont nombreux, malgré les contraintes et les difficultés à les
faire vivre et à les vivre pour les populations concernées. Force est de constater qu’il est difficile
pour le pays de respecter le standard de la convention de l’Unesco, mais aussi de profiter des
retombées financières du tourisme. La question est en général la suivante : en se soumettant aux
principes extérieurs du patrimoine comment laisser les synergies locales naître de leur propre
source. Comment préserver sans figer ? Comment développer sans modifier ? Comment restaurer
les objets “ autonomes ” dans la valeur ancienne sans tentative de séduction idéologique ou
séduction mercantile ? Comment offrir et communiquer au monde les valeurs dignes de durer sans
se transformer, perdant son identité initiale et son état de conservation ?
Ayant du mal à respecter les règles et étant les plus difficiles à se plier aux contraintes de
l’Unesco (rappelons que Luang Prabang a été menacée d’être retirée de la liste du classement) les
pays du Sud-Est asiatique continental aiment pourtant que leur patrimoine soit classé par l’Unesco,
sauf très probablement le Myanmar. Le contexte patrimonial birman et son traitement interpellent
les questions posées dans les autres pays limitrophes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le pays n’étant pas signataire de la convention de l’Unesco, aucun de ses sites n’est classé,
et les Birmans eux-mêmes ne semblent pas s’en offusquer outre mesure. Et pourtant, la Birmanie
regorge de bien des sites qui peuvent offrir des exemplarités, aussi bien du point de vue de leur
constitution historique, que du point de vue des savoir-faire dans la conservation et restauration de
leur patrimoine national. Par rapport aux pays limitrophes avec lesquels il partage bien des traits
culturels et historiques et sur lesquels il a exercé des influences considérables, en particulier les
Thaïs et les Lao. La première question serait de demander comment font les Birmans pour restaurer
et gérer tant de sites, alors qu’aucun n’est classé. Ensuite, le côté vivant des sites religieux et
patrimoniaux ne semble pas nécessiter d’affectation de programme de gestion qui aurait été dicté
après la restauration de tel ou tel monument. Les Birmans démontrent que leur patrimoine est une
affaire intérieure, les meilleurs conservateurs sont les acteurs locaux, les premiers utilisateurs de ce
patrimoine. Au-delà du caractère nationaliste avéré de ces affirmations, on doit constater qu’il y a
une réelle maîtrise des biens patrimoniaux chez les Birmans. Il est difficile d’apporter des réponses
à cette question, des études très approfondies du domaine et de la pensée patrimoniale doivent être
entreprises pour poursuivre ce questionnement.169
III. III. Le mouvement de stratégies résidentielles : un centre mort ou un
centre vivant ?
Comme nous l’avons évoqué pour Luang Prabang, une des caractéristiques résidentielles est
la décentrification du choix résidentiel. Cependant, ce n’est pas la dévitalisation du centre qui fait
qu’on le quitte, mais ce sont les activités de service de proximité et la surenchère foncière qui créent
cette situation. Les arguments peuvent être les suivants : quitter le centre parce qu’il est permis de
vendre des biens très chers pour acheter des biens à l’extérieur, moins chers et plus grands, mieux
adaptés aux activités agricoles, par exemple. Après avoir consacré une partie des fonds provenant
de la vente des biens en ville, il reste encore des fonds pour investir dans des petites affaires
familiales créant des revenus. D’après les discussions que l’on a pu avoir avec les habitants (sans
enquête structurée) ce choix ne concerne que des habitants qui vivent à Luang Prabang depuis peu
ou qui ne sont pas de souche ou qui possèdent préalablement des terres à l’extérieur de la ville ou
encore qui n’ont pas d’activité en liaison directe avec les services et le tourisme. Vivre à l’extérieur
de la ville alors que celle-ci connaît une dynamique et offre des opportunités diverses, cela semble
ne concerner que Luang Prabang. Dans les autres villes du Laos, la situation est différente. Nous
pouvons cependant prendre les critères d’évaluation du choix résidentiel utilisés à Luang Prabang
comme paramètre pour comprendre les autres villes. Dans ce paragraphe, nous allons évoquer les
critères qui touchent le domaine des activités en liaison avec les offres d’emploi et le foncier, entre
le centre et la périphérie, ce qui a contribué au fait de quitter ou de revenir dans le centre. Nous
allons voir également que la particularité de la situation géographique de certains sites urbains (par
exemple, le rôle du Mékong à Vientiane) peut être le point de rapprochement avec la question de
centralité ou peut donner une certaine qualité à la centralité, et ensuite avoir une influence sur le
choix résidentiel de certaines catégories de population.
III. III. a. Quitter ou rester dans le centre : les emplois et le foncier dans le centre et
dans la périphérie
Quitter ou rester dans le centre est une question qui ne peut être posée qu’aux citadins qui
vivent déjà dans le centre ou qui y avaient vécu, car il est aujourd’hui difficile, voire impossible,
pour les autres de venir résider dans le centre, si ce n’est en sa périphérie et profiter à distance de la
revivification de ce dernier. La rareté et la cherté foncière ne le permettent pas. Par contre, les
169 Mes observations en 2004 ont été trop brèves sur place pour pouvoir construire un raisonnement plus solide portant sur
ce sujet.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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possibilités d’emploi sont devenues plus nombreuses dans le centre, ce qui attire momentanément
les gens de la campagne ou des villages périphériques ruraux ou semi-ruraux. Dans ce cas, ces
derniers viennent travailler dans le centre et louent leur habitation en périphérie dans laquelle se
constituent peu à peu des petits centres, devenant le second choix résidentiel. Des petits centres
d’abord auxiliaires du centre ancien, les quartiers périphériques acquièrent peu à peu une certaine
autonomie, conjoint aux mesures de déconcentration des équipements en périphérie des villes, tels
les marchés, les hôpitaux, certains équipements administratifs, etc. Les offres foncières y sont
également les plus intéressantes. Il s’agit notamment pour Vientiane des quartiers comme Sikhai,
Thongpong, Nong Buk (au nord), Nongtha, Houay Hong, Phonetong (au nord-est), Nong Gnyang,
Dong Dok, Done Noun (plus à l’est). Beaucoup de ces petits nouveaux centres se dotent
d’équipements commerciaux (comme à Nong Gnyang). On y trouve des magasins de produits de
finition et d’équipements pour la construction. Dans une moindre mesure, ces équipements
commerciaux aident à fixer la population dans les quartiers périphériques par les emplois créés. Ils
équilibrent un peu le mouvement quotidien entre le centre ancien et les centres périphériques : entre
ceux qui travaillent sur place en exploitant les lambeaux de rizières et de vergers restant de
l’étalement urbain, ceux qui partent travailler dans le centre ancien ou dans les autres centres
périphériques semblables, et enfin ceux qui trouvent un emploi de vendeur, de manœuvre ou
d’ouvrier dans les magasins qui s’installent à proximité de leur lieu de résidence.
Mis à part ces centres périphériques, il y a ceux qui tournent autour du centre ancien : ce
sont des quartiers de Dong Palane, Phone Sinouane, Thong Khankham, route Phonethane, etc., qui
deviennent des nouveaux centres. Peu importants, il y a encore quelques années, ils se densifient
beaucoup aujourd’hui avec leurs activités et l’augmentation spectaculaire de leurs habitants. Ces
péricentres sont même devenus le premier choix de résidence qui combine l’habitation et le
commerce de service par rapport au centre ancien qui est jugé soit trop saturé, soit plus
spécifiquement destiné aux touristes. Effectivement si le centre avec ses activités est plus tourné
vers la consommation touristique, les péricentres semblent aux yeux des habitants avoir une stabilité
plus grande et plus durable pour le commerce local : ces quartiers étant fréquentés quasiment que
par les locaux.
La mobilité des activités commerciales est notoire comme la mobilité résidentielle. Par
exemple, après avoir ouvert deux ou trois années une boutique à Thong Khankham et constatant que
celle-ci ne fonctionne pas très bien le commerçant change de lieu. Il va s’installer à Dong Palane et
ouvrir une autre activité. Cette mobilité est probablement liée à la facilité des baux contractés avec
les propriétaires des bâtiments, compartiments et immeubles, mais aussi à la facilité administrative
des patentes qui s’est beaucoup assouplie au cours des 4-5 dernières années. Les personnes
concernées sont souvent des jeunes, habitant des quartiers péricentres ou parfois venant des
quartiers du centre ancien qu’ils jugent aléatoires, car trop lié au tourisme. Ils préfèrent viser le
marché intérieur, porté par les quartiers péricentres comme Dong Palane. En ce sens, les jeunes
entrepreneurs constituent un baromètre pour mesurer l’offre et la demande intérieures des
consommateurs locaux et leurs tendances. Ils affirment souvent que le marché intérieur –nouveau et
jeune– est beaucoup plus important que le marché extérieur et touristique.
La question “quitter ou rester dans le centre” que nous posons pour comprendre une des
caractéristiques du centre ancien d’aujourd’hui, trouve ici sa réponse : seuls les quartiers péricentres
peuvent vraiment être la balance pour quitter le centre ancien. Ce fait est confirmé par
l’accaparement des quartiers péricentres par une population jeune et entreprenante.
III. III. b. Le Mékong occupe-t-il ou pas une centralité ?
L’engouement pour le Mékong est une réalité urbaine pour la ville de Vientiane, plus que
pour les autres villes du pays. La raison semble liée au fait qu’elle est née à partir du Mékong,
depuis ses premiers moments de fondation et plus tard durant son évolution, alors que d’autres
villes du pays, nées aussi du Mékong, ne suscitent pas ce même engouement. Au-delà du mythe de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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fondation lié au Mékong et en-deça des effets de mode, le développement actuel de Vientiane
semble témoigner d’un double intérêt pour le milieu fluvial. D’abord, il y a l’intérêt pour le fleuve
comme un retour aux valeurs primitives, voire, écologiques des premiers établissements humains,
qui traduit la quête des voyageurs et des habitants avertis et sensibilisés à l’environnement et à la
quête des sens. En suite, l’intérêt semble être purement foncier : la référence aux valeurs ne se
concrétise ni dans les actes et les conceptions des aménageurs et décideurs de la ville, ni dans la
majorité des projets des habitants et des autres acteurs de la ville. Ceux-ci tendent à considérer la
présence du fleuve comme un acquis inaltérable et inépuisable : le souci pour préserver le paysage
du fleuve et son environnement est absent de la majorité des projets et des usages du fleuve
(manque d’entretien et abandon des jardins potagers, minéralisation et urbanisation abusive des
berges par des projets de route, de digues, de construction des nouveaux quartiers, comme à
Donechan par exemple.
Le développement urbain et territorial du Laos d’aujourd’hui a comme priorité la mise en
liaison, le déblocage des régions, le développement des infrastructures routières (intérieures et
extérieures) qui manquaient au pays et qui constituait son handicap. La politique de développement
urbain et territorial axée sur les infrastructures atteint aujourd’hui plus que jamais ses objectifs.
L’émergence et l’amélioration des routes partout dans le pays réduisent considérablement
l’importance du fleuve, son utilité ancienne et récente comme moyen de liaison interne et externe,
même si elle ne l’a été que de manière mesurée. L’amélioration des infrastructures routières rentre
en contradiction avec l’idée du rapprochement des villes au milieu fluvial, du moins le fleuve ne
joue plus son rôle d’élément de liaison. Perdant son utilité, il devient quasi abstrait. Seul son rôle de
lieu contemplatif et paysager semble alimenter l’idée du retour au milieu fluvial des villes.
Prenons l’exemple de Vientiane. La route nord qui longe le Mékong, autrefois impraticable,
vient d’être améliorée. Elle relie maintenant la province de Vientiane à Paklay (il faut toujours
prendre une barge pour rejoindre le tronçon supérieur de la route, bien qu’elle se prolonge – encore
difficilement – jusqu’à Luang Prabang.) Cette amélioration entraîne déjà la fermeture du port de
Kaolyo d’où partent les bateaux pour Paklay et Luang Prabang. Il n’y a plus qu’un seul speed boat
pour le nord une fois par semaine et encore celui-là vient de Paklay. Et il n’y a plus qu’un seul
grand bateau qui accepte encore occasionnellement de faire Vientiane-Paklay-Luang Prabang,
lorsque les clients le demandent au prix forfaitaire par voyage.170
« Les gens ne veulent plus prendre
le bateau, il préfère maintenant les mini-vans de 12 places qui peuvent les emmener jusqu’à
Paklay et Luang Prabang plus rapidement », nous dit un ancien batelier converti en chauffeur de
mini-van. Les routes causent ainsi la mort des bateaux mais aussi du rôle ancien du fleuve.
Le rapprochement entre la ville et le fleuve suscite bien des questionnements de la part des
riverains et des flâneurs de passage. Le grand parc qui accompagne les grands travaux de
consolidation de la berge du Mékong aménage des vues panoramiques et dégagées sur le fleuve,
mais doublées d’une route-digue de berge. Le Mékong est là, mais on ne le touche pas, on n’y
accède pas, on le contemple depuis le parc ou depuis la voiture lorsqu’on roule sur la digue.
L’ensemble du projet fonctionne comme s’il constitue l’élément qui vient protéger la ville contre le
fleuve. La centralité de la ville combinée avec le fleuve perd ici toute sa pertinence.
À la question, le Mékong occupe-t-il une centralité, il serait plus pertinent d’apporter des
réponses à partir de deux raisonnements. D’abord dans une certaine approche, le Mékong occupe
une centralité symbolique dans la mesure où il est indissociable du centre primitif de la ville : on
vient dans le centre ancien comme on vient sur la berge du Mékong pour le contempler. Par ailleurs,
la création du parc Chao Anouvong offre une possibilité d’approche différente. D’un usage
individuel et communautaire du fleuve (pêche, jardins potagers à la saison sèche, etc.) on passe à
170 Le prix forfaitaire d’un trajet à l’aller pour Luang Prabang serait de 8 à 12 millions de kip. Et le bateau peut prendre
entre 30 à 50 voyageurs.
Fig. 23.
Les travaux
sur les Berges du
mékong.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’usage public : l’État aménage aujourd’hui un usage contrôlé du fleuve. Son approche appartient
désormais au domaine public. La manière dont il est aménagé (il est prévu de commercialiser une
partie du quai en louant des espaces commerciaux qui seront plus tard construits), empêche un accès
facile au fleuve. Il ne semble plus possible d’aller sur sa plage, d’aménager une culture maraîchère
en contre-bas de la berge à la saison sèche, de pêcher et d’accoster une pirogue. À l’heure actuelle,
les aménagements ne sont pas encore terminés. Une fois mise en service, il n’est pas improbable
que les habitants vont s’approprier et pratiquer autrement ce lieu. À moins que les autorités urbaines
ne verbalisent les accès, n’imposent des règles et des restrictions. Dans ce cas, il faudrait pour la
population apprendre à pratiquer autrement le Mékong, si jamais cette autre pratique existe. La
centralité ancienne et la pratique habitante certainement millénaire vont-elles survivre à ce grand
tournant urbanistique qui impose une autre approche du fleuve ?
Le Mékong ne semble plus occuper une centralité dans la pratique spatiale : le fleuve
s’éloigne du mode de vie des habitants en même temps qu’il est approprié par une fonction urbaine
forte en devenant un des espaces publics de la ville. Cet éloignement est constaté à travers la rigidité
avec laquelle les projets sont faits pour consolider la berge contre les innondations et aménager le
front du fleuve : construction de la route de berge, aménagement de la mégastructure des ouvrages
de protection. L’aménagement des accès est difficile ou rebute les piétons. Un déplacement et une
descente plus douce et plus informelle comme autrefois ne sont quasiment plus possibles.
Il est de même pour la ville de Paksé. Placée à la confluence entre la Sédone et le Mékong,
on a pourtant l’impression qu’on n’est pas dans une ville ripuaire. Les aménagements des bords du
fleuve donnent peu de place à la pratique individuelle et communautaire. Mais à la différence de
Vientiane, les bateaux et pirogues à moteur continuent à exister car certains villages en amont et en
aval de Paksé sont encore inaccessibles par la route, et ne pouvant être desservis que par le fleuve.
Dans les proches années à venir la construction de la nouvelle route (qui vient d’être achevée)
reliant Paksé à Champassak en 20 minutes va réduire incontestablement l’importance de la vie du
fleuve.
Pour Luang Prabang, il en est encore autrement : de nombreux villages dans les alentours et
dans la région nord sont largement dépendants du fleuve pour accéder à la ville (que ce soit le
Mékong ou la Nam Khan). L’aménagement des berges de l’ensemble de la péninsule, respectueux
des pratiques locales et des paysages assure une durabilité à la pratique habitante du fluvial. Ces
faits conjoints permettent au fleuve d’occuper une forme de centralité urbaine et d’évoluer avec la
ville sans rupture d’usage.
III. IV. Le mouvement du foncier
Le mouvement foncier est l’un des indices majeurs qui, à la fois décrit le développement
urbain et « pronostique » la croissance économique, que celle-ci soit artificielle ou durable. Si nous
le comparons aux pays voisins qui connaissent la même période de croissance (sans en avoir le
même niveau), tel que le Vietnam et le Cambodge, le mouvement de transaction et la flambée
foncière dans ces pays semblent plus disproportionnés par rapport à la croissance réelle de leur
économie. Alors que le domaine foncier du Laos connaît un mouvement relativement plus souple, le
prix du foncier est moins élevé. Cependant, par rapport à sa situation interne et en particulier
comparé à la période d’étatisation et de collectivisme précédente, ce mouvement foncier connaît
une dynamique exemplaire et une augmentation de sa valeur relativement forte. Si ces indices sont à
première vue naturels, car ils obéissent à la loi du marché foncier qui s’est peu à peu constitué, on
constate que le mouvement et la valeur foncière sont aussi profondément liés à la problématique de
centralité. Ici nous voulons souligner que la dynamique du domaine foncier ne peut être liée
uniquement aux dispositifs et aux mesures menées par l’État.
Les mesures ont été essentiellement le rétablissement du cadastre et la création des organes
administratifs et techniques compétents. La libéralisation des biens fonciers et des formes de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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transaction a permis l’instauration des taxes foncières constituant un revenu important pour l’État.
Ce faisant, ces mesures touchent directement les questions qui ne sont pas forcément les premières
priorités de l’État mais qui nécessitent à travers le foncier d’être réexaminées.
Il s’agit d’abord des questions concernant les biens qui ont été gelés durant plus de trente
années, ensuite il s’agit des principes de nationalité et de citoyenneté par rapport à la question de
propriété et d’héritage. Ces différents principes et questions qui sont le résultant direct et indirect du
fondement politique du nouveau régime durant les premières années (étatisation, collectivisation)
s’étaient accumulés. Et depuis la réforme, au lieu de régler ces questions au plus vite, le
gouvernement les a toujours différées à des échéances ultérieures. Sans doute parce qu’il n’y a pas
urgence, et la pression foncière n’était pas encore à l’ordre du jour jusqu’au milieu des années 2000.
Aujourd’hui, les enjeux économiques de ces biens sont devenus importants, et la reconnaissance de
la propriété privée l’est également dans la crédibilité de l’ouverture du pays aux yeux de
l’international. Il faut donc apporter des solutions afin de mettre pleinement en application la
politique de libéralisation économique et de libération foncière, dont la reconnaissance du principe
de la propriété privée est fondamentale.
III. IV. a. Le rétablissement du cadastre
Le rétablissement des plans cadastre a été préconisé d’abord à Vientiane puis dans les
quatre villes secondaires et petit à petit dans toutes les autres agglomérations, bien que la réalisation
de ces plans ne soit pas complètement achevée à ce jour.
Le dernier cadastre délivré avant 1975 ainsi les documents graphiques utilisés pour
immatriculer les titres de propriété dans les villages et agglomérations qui ne possédaient pas de
cadastre officiel, ont été a priori remis en question ou simplement pas pris en considération après
1975, du moins, pas avant 1991. Cela peut être expliqué par plusieurs faits qui ont eu lieu dès les
premiers mois de l’investiture du Nouveau Régime. À partir de 1976, la collectivisation, la réforme
foncière, et un peu plus tard la réforme agraire, ont marqué la chute de l’ancien système de
transaction foncière, ou du « droit d'action »,
171 et mis fin pour un temps au développement de la
ville. À titre d’exemple, en 1976 une villa qui aurait dû coûter près de 50 à 80 bat or avant 1975
(environ 20.000 USD à 35 000 USD taux de change de l’année 2005), ne se vendait plus qu’à 2 à 3
bat or en 1976 (soit 1200 USD, taux de change de l’année 2010)172 par des propriétaires pressés de
quitter le pays. Les titres de propriété et donc les titres cadastraux ont été par principe abolis par le
système collectiviste, et ensuite par les faits réels d’étatisation et de confiscation des biens, aussi
bien de ceux qui quittent le pays que de ceux qui restent, mais « qui possèdent trop de biens ».
Enfin, il y a aussi les biens que les habitants confiaient à leurs proches (familles, amis ou voisins) et
les biens qu’ils ont abandonnés en quittant le pays en catastrophe. Les biens dans leur ensemble ont
été soient squattés par les nouveaux venus, soient réutilisés par l’État. Les événements
sociopolitiques qui avaient eu lieu durant les premières années du régime, ainsi que les différentes
formes d’occupation de ces biens fonciers et immobiliers qui s’en suivaient brouillent le statut et
l’immatriculation foncière des propriétés.
Lorsque l’État préconise juridiquement la reconnaissance de la propriété privée à l’approche
de la Réforme, les anciens titres cadastraux ont été parfois reconnus, avec l’appui des témoignages
des voisins, de ceux qui habitent le même village et le même quartier. Et en attendant que les titres
définitifs soient effectués à partir de 1998, l’immatriculation foncière se base sur les « certificats -
titres provisoires » délivrés par l’administration. Mais le rétablissement du nouveau cadastre et du
nouveau système d’immatriculation foncière devient vraiment nécessaire pour les administrations
171 karma sit. da,,tlyf. da,,t XlD dkodtme? T lyfmy XlD lyf? G lyf.odkodtme ; Karma (Sk, action), Sithi (Sk. droit) : droit d’action. 172 Le bat est l’unité traditionnelle de poids de métaux précieux (l’or et l’argent) utilisé au Laos et en Thaïlande. Un bat
équivaut 15 grammes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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désireuses de remettre de l’ordre, de la clarté et de la régulation, il est donc engagé de nouveau vers
2002, seize années après la mise en marche de « l'économie communiste de marché »
173 préconisée
en 1986.174
Le redressement des cartes a commencé vers 1998 et s’est terminé vers 2002 pour
Vientiane. La réalisation du plan cadastre proprement dite a donc commencé dès que les
photographies aériennes ont été utilisables (redressées). Elle est accompagnée par des enquêtes de
terrains qui se déroulent avec beaucoup de difficultés à cause des faits que nous avons signalés plus
haut. Ainsi, la couverture du plan cadastral du pays est loin d’être achevée.
Parallèlement, les décrets et les circulaires, portant l’enregistrement des titres fonciers et des
taxes, accompagnent la réalisation du plan cadastre. L’un sert mutuellement à vérifier l’autre. Dans
la première décennie de la mise en place de la première Constitution de la RDPL, nous voyons
apparaître plusieurs décrets, circulaires et lois, visant la régularisation foncière.175 Ensuite, les autres
décrets ou circulaires à partir de l’année 2000 vont apporter des ajustements sans en changer le
fond, par exemple ceux qui vont définir le rôle des organismes de gestion des sols, etc., notamment
l’organisme mixte de gestion et de développement foncier -Ongkane borihan lé phathana thidinh.
Son rôle est de gérer et mettre en valeur les biens de l’État.
L’importance du cadastre et le développement urbain
Les cadastres sont des documents fondamentaux non seulement par rapport à la question
foncière, telles la jouissance de la propriété privée et la liberté de la spéculation, mais ils le sont
surtout pour le développement urbain, la planification et la gestion du territoire de la ville. Dès 1991
lorsque la loi de l’urbanisme ainsi que les règlements portant le permis de construire
(N1512/MCTPC, 28/09/1991) ont été mis en place, le MCTPC signifie par une circulaire
administrative, 1650/MCTPC en date du 28 octobre 1991, au ministère des Finances, le besoin du
titre foncier légal pour le dossier des permis de construire qu’il a à instruire. Après quoi le ministère
des Finances répond (lettre administrative N1574/MPF, du 22 novembre 1991) en expliquant que :
« le décret du Premier ministre portant le droit foncier est encore en cours d’examen. Dans ce
décret, il est indiqué que toutes les parcelles doivent être enregistrées dans le registre du village et
après quoi, le titre foncier et cadastral sera attribué à chaque parcelle au nom du propriétaire qui
en aura le droit en bonne et due forme. En attendant la mise en application de ce décret et donc du
nouveau titre foncier, il est à considérer que les anciens titres sont encore valables, car ils
témoignent du droit d’usage et de jouissance sur lequel le Service des cadastres de la préfecture de
Vientiane se réfère actuellement pour mener des enquêtes afin de délivrer un certificat confirmant
la conformité de ces titres. Donc provisoirement, pour s’assurer de la conformité des titres fonciers,
nécessaire à l’instruction des permis de construire, les demandeurs doivent se munir de certificat de
conformité de leur titre foncier (ancien) accompagné du plan parcellaire délivré par le service des
cadastres de la préfecture de Vientiane, avec approbation de l’autorité du village et du service
foncier du district.»
Nous devons entendre par “ anciens titres ” les titres fonciers délivrés par l’administration
de l’Ancien Régime. Cela confirme d’une part que les documents de l’Ancien Régime, conservés
précieusement chez les propriétaires et non reconnus dans les premières années par le nouveau
régime, sont devenus importants à ce titre ; et d’autre part, que les témoignages ainsi que les liens
173 Expression antinomique utilisée par Samuel P. Huntington, in. Le Choc des civilisations (ou The clash of civilisations
and the Remaking of World Order.1996.), éd. Odile Jacob, 2000. 174 Le Chitanakan maï a été adopté lors du IVe Congrès du parti en 1986. In. Cinq leçons du parti révolutionnaire pour
mener la Réforme, Comité pour la propagande et la Formation du Comité Central du Parti, Vientiane, 2000. 175 Décret N50/PM du 13 mars 1993 portant la taxe foncière, amendement du décret N47/CCM du 26 juin 1989, loi
foncière N04/95/AN du 14 octobre 1995 et son décret d’application N72/PM du 22 mars 1996, décret N52/PM du 13 mars
1995 portant le transfert et l’enregistrement des titres fonciers, loi foncière N01/97/AN du 12 avril 1997 et circulaire
N997/MF de 1998, portent sur l’enregistrement du droit d’usage des sols.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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sociaux et familiaux au niveau du village sont un enjeu important et signifient qu’une certaine
cohérence et consolidation sociale est maintenue d’une manière ou d’une autre autour de cette
question foncière, malgré les turpitudes des ruptures politiques et sociales intervenues en 1975.
Du point de vue technique et méthodologique, la révision du plan cadastre a commencé par
un redressement et un relevé des parcelles, en partant des quartiers du centre vers les quartiers
extérieurs, et parallèlement en partant du périmètre extérieur progressant vers le centre des
agglomérations. L’échelle de travail du plan pour les parties extérieures est au 1/2000e
, alors que
l’échelle de la partie intérieure est de 1/250e à 1/1000e
. La réalisation du plan se fait à partir des
photographies aériennes prises et redressé par Film MAP, la société qui obtient le projet de
réalisation de la carte de Vientiane et des autres agglomérations. Le service du cadastre, l’un des
départements du Ministère des Finances en est le superviseur principal. Ce département a ensuite un
pendant opérationnel, attaché aux autorités administratives déconcentrées de la Préfecture (pour
Vientiane) et provinciales pour les autres provinces du Laos. À Vientiane par exemple, l’opération
couvre la quasi-totalité de l’agglomération. Dans certains quartiers décentrés et éloignés ou
présentant des difficultés particulières, les titres officiels n’ont toujours pas été à ce jour remis aux
habitants.
L’importance du cadastre sur le plan économique et politique
Le plan cadastre utilisé actuellement est le troisième plan réalisé depuis l’existence du
cadastre établi au Laos en 1912 par l’administration coloniale, le deuxième étant celui réalisé au
début des années 1960. Il devrait non seulement devenir l’un des instruments de gestion urbaine et
de régulation foncière, l’un des facteurs de développement de la ville, mais également l’un des
outils financiers permettant de générer des revenus pour l’État. L’enjeu du cadastre n’est plus
uniquement instrumental servant à contrôler, réguler et développer le territoire de la ville, il est
aussi économique et politique, puisqu’il doit contribuer à l’autonomie financière de l’État à travers
les taxes et les impôts, selon les conseils avisés de la Banque Mondiale (BM) et de la Banque
Asiatique pour le Développement (BAD).
Les projets d’établissement des titres fonciers et du plan cadastre, Land Titling Pilot project
(Lao/ARE/0082), réalisés entre 1995 et 2002 au ministère des Finances, ont été financés par la
Banque Mondiale et le gouvernement australien (fonds d’allocation et dons de 6,9 millions de
dollars US). Conjointement, le projet Land Titling (Lao/ECO/0049) financé par un prêt de la
Banque Mondiale est réalisé entre 1997 et 2004 avec 20,7 millions de US dollars. Aujourd’hui,
nous pouvons considérer que l’enregistrement des titres fonciers se poursuit aussi dans les autres
provinces, et le service du cadastre fonctionne maintenant de manière courante. La formation du
personnel et l’amélioration des services sont nécessaires et sont à mettre à jour régulièrement. Car le
contexte de dynamique foncière et urbaine liée au développement économique amène le
gouvernement (ministère des Finances et les départements des Finances de la Préfecture de
Vientiane et des provinces) à entreprendre des projets et des dispositifs juridiques et administratifs
dans le domaine du foncier, notamment les projets de mise en valeur foncière et immobilière que
nous allons voir dans les paragraphes qui vont suivre.
III. IV. b. La libéralisation foncière
Durant les premières années de mise en application du système communiste, de fait, le droit
de jouissance des propriétés privées avait pu continuer à exister malgré tout, parce qu’il y avait une
persistance et une survivance des traditions fortement ancrées dans la vie et dans les mentalités de la
population concernant la question de la terre. Mais du point de vue théorique, nous pouvons
considérer que la propriété foncière n’avait pas été reconnue en tant que telle. La période 1976-1979
montre qu’il y a une coexistence difficile entre, d’un côté, la théorie d’une société égalitaire où la
jouissance de la propriété privée n’existerait pas, car les biens et la jouissance de ces biens ne
devraient être que collective ; et de l’autre, le sentiment de liberté et d’indépendance lié à la Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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possession des biens et de la terre qui donne aussi une certaine identité et un statut dans la structure
sociale chez les Laotiens. Le sentiment de liberté et d’individualité liée à la possession de la terre
est un sentiment fort chez les Lao et il résiste farouchement au collectivisme. En revanche, leur
manière de vivre la jouissance de la propriété privée était souple, caractérisée par une sorte de
communauté solidaire. Autrement dit, le système de communauté reconnaissant la légitimité de
l’individu, donc de la possession individuelle des terres, résiste à la rigueur du système collectif. Le
nouveau régime devrait peu d’années après se rendre à l’évidence et donc composer avec cette
résistance. C’est pourquoi la jouissance de la propriété foncière n’a-t-elle pas été dans les faits
complètement supprimée ?
Entre 1979 et 1986, l’année de la mise en marche de la Nouvelle Mécanique Economique
(NME), nous constatons que le régime devient relativement plus souple vis-à-vis de la question
foncière. Le secteur commercial à petite échelle est autorisé aux initiatives privées. Le système de
production collectiviste est remis en question, les terres sont partiellement et pratiquement rendues à
la population en même temps que la reconnaissance de la propriété, etc. Puis à partir de 1986 la
réforme va clairement mettre fin petit à petit au système de collectivisation et de contrôle de la
production, du commerce et de la circulation des biens. Les entreprises d’État vont au fur et à
mesure faire place aux entreprises mixtes État/privé et aux entreprises complètement privées.
Le secteur foncier qui connait un statuquo, si nous ne considérons pas les petites
transactions foncières “ clandestines ” sur lesquelles l’État “ ferme les yeux ”, revit après sa
libéralisation. À partir du moment où les titres fonciers sont reconnus sur la base des documents
anciens que les autorités vérifient et prennent en compte pour effectuer des certificats et titres
provisoires vers 1991, et à partir du moment où l’État prélève des taxes foncières (Décrets N50/PM
du 13 mars 1993),176 aussi peu importantes soient les perceptions qu’il a pu prélever, le mouvement
foncier devient possible et effectif. Les impôts fonciers distinguent les terrains constructibles des
terrains agricoles et des terrains à vocation commerciale et de service ou industriels.
Avant l’établissement du nouveau cadastre de 2002, ces impôts étaient faibles et
s’apparentaient davantage aux frais administratifs. Aujourd’hui bien qu’ils soient plus importants
qu’auparavant, les recettes venant des impôts fonciers restent relativement faibles. C’est un vrai
“ casse-tête ” pour le ministère des Finances et les bailleurs de fonds qui constatent que « l’État
laotien n’arrive pas à prélever les taxes foncières de manière conséquente ».
Mise à part la difficulté de mise en application et le manque de clarté du statut de beaucoup
de biens fonciers en milieu urbain, il est fort probable que ce problème soit lié au statut traditionnel
des terres et au particularisme culturel du rapport à la terre de la population locale. Il faut constater
d’abord que le nombre des propriétaires est relativement important. La grande majorité des Laotiens
sont agriculteurs de souche, ils cultivent les terres et donc possèdent des terres d’une manière ou
d’une autre. Même des pauvres paysans sont généralement propriétaires de leurs terres, en
défrichant auparavant les terres vierges de la forêt claire. Ceci renvoie au droit coutumier qui stipule
que les droits d’usage sont accordés aux personnes qui défrichent et mettent en valeur la terre. La
grande majorité possède aussi leur propre habitation. Car, si le fait de louer le sol pour augmenter la
surface d’une exploitation était une pratique ancienne, être locataire d’une habitation est un fait
relativement récent. Il faut remarquer ensuite que dans les deux cas des terres exploitées et des
terres habitées, les terres n’étaient pas destinées à la “ sur-rentabilité ” : l’opulence traditionnelle des
terres agricoles faisait que l’on ne cherchait pas à les surexploiter, ni rechercher des rendements audelà
de leur possibilité naturelle. Le rapport à la terre est, pour ainsi dire, traditionnellement non
spéculatif.
176 Le décret N50/PM est un amendement du décret N47/CCM du 26 juin 1989. Celui-ci porte essentiellement sur le
système de taxes en général. Dans ce cadre la taxe foncière a été inscrite de manière très lâche et permet difficilement sa
mise en application.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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En ce qui concerne le domaine des contributions, aujourd’hui même s’il est tout à fait rentré
dans les mentalités que la terre est spéculative et peut générer des richesses pour ceux qui la
possèdent, et même si ces derniers pratiquent couramment cette spéculation, il est difficile dans les
faits de leur faire comprendre et accepter la nécessité des contributions : « si la terre fait générer
des revenus à leur propriétaire, il est normal qu’elle génère aussi des revenus aux instances
publiques qui ont la charge de gérer le domaine national dans tout le pays ». Telles sont les
explications simples que l’on peut donner à la population, mais ceci reste difficilement applicable.
Il faut également noter que la faiblesse des revenus de l’État provenant du domaine foncier
peut aussi s’expliquer par le fait que l’État est également le plus grand propriétaire des biens
fonciers en milieu urbain, propices à la spéculation. Et ce qui appartient à l’État ou confisqué par
l’État après 1975 ne connait pas de mouvement et ne génèrent aucune rente : ni taxe, ni impôt.
Aujourd’hui, la transaction foncière bat son plein, à grande et à petite échelle, privée et publique. Il
se réalise principalement sous trois formes : la transaction, le bail et la concession.
III. IV. b. 1. Les transactions foncières
La dynamique de la transaction foncière est aujourd’hui incontestable dans l’ensemble du
pays. La spéculation est particulièrement vivace dans la capitale et dans les villes secondaires. Les
titres d’usage foncier177 se vendent et s’achètent librement. La liberté de transaction permet à l’État
de créer des recettes à travers les taxes de la transaction. C’est une politique fortement soutenue,
voire, initiée par les bailleurs de fonds internationaux, telle la Banque Mondiale.
A titre d’exemple, en 2004 la taxe de la transaction foncière était de 4% du prix des biens.
C’est une perception qui s’additionne en fait aux impôts fonciers existant. Avec les 4% de taxe,
l’État commence à avoir une perception plus conséquente d’autant plus qu’un véritable marché
foncier et immobilier s’est constitué de manière sérieuse à ce moment-là : le pouvoir d’achat local
s’est renforcé. Il y a ceux qui achètent, ceux qui vendent et ceux qui spéculent. Un petit marché
financier s’est alors constitué autour des biens fonciers : posséder la terre, c’est posséder un pouvoir
financier, car la terre devient solvable et hypothécable. Effectivement avec la dynamique de cette
transaction, les terrains commencent dès le milieu des années 1990 à avoir de la valeur. Mais les
effets pervers sont également apparus dans la méthode ou dans le manque de méthode d’évaluation
des biens. Des vices de procédure existent dans de nombreux cas de figure, empêchant l’État de
percevoir pleinement des recettes. Prenons en exemple un cas courant dans les années 1995 : par
exemple, un bien est évalué au-dessus de sa valeur réelle, ensuite, il est placé en hypothèque à la
banque nationale. Celui qui détient le titre foncier et à qui la banque prête de l’argent vient à faire
faillite. Lorsque la banque saisit le bien, elle se rend compte que celui-ci n’a pas la valeur
hypothéquée. Les premiers déboires du domaine foncier ont donc été essuyés par l’État dès les
premières années de libéralisation de la transaction foncière.178 Aujourd’hui, la banque est plus
prudente. Le marché foncier continue à bien se porter dans la plupart des agglomérations
laotiennes : le prix des terrains augmente sans cesse et les biens ont toujours tendance à être
surévalués.
Un autre cas de figure concerne le contrôle des 4% des transactions et le prix réel des
transactions. Les études de terrain montrent que l’État ne perçoit pas les recettes issues de la
transaction de manière proportionnelle à la dynamique du marché foncier. Notons deux faits : le
manque d’outils juridiques et des paramètres économiques.
Premièrement, il n’y a pas de notaire pour la transaction foncière. L’acte de vente se fait
devant l’autorité du village. Ensuite cet acte sera joint aux formulaires de demande de transfert du
titre d’usage foncier –du nom de l’ancien propriétaire au nom du nouveau propriétaire– qui seront
177 Ce terme est par les faits l’équivalent du “ titre foncier de propriété ”: le terme en Lao n’existant pas. 178 Le phénomène n’a pas été volumineux, mais a causé le renvoi des postes de direction au sein de la banque nationale.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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faits et notifiés par le service des cadastres de la préfecture ou de la province, en passant par les
sceaux de l’autorité du district. Les 4% de taxes peuvent être payés soit au village, soit au district,
qui ferait remonter vers le service affairant des instances supérieures, c’est-à-dire le département
des finances de la Préfecture. Il est courant que le prix réel de la transaction ait été volontairement
réduit au tiers, voire au quart, en commun accord entre le vendeur et l’acheteur. Ceci, afin de
réduire le montant issu des 4%. Par exemple pour un terrain vendu à 33 000 USD, déclaré à 10 000
USD, le vendeur paiera 400 USD de taxe au lieu de 1 320 USD. Comment cela est-il possible ? Le
prix des terrains a pourtant été attribué par zone dans toutes les villes par le Ministère des Finances.
La réponse serait multiple, mais celle qui peut être notée ici, c’est le manque de ressources
humaines compétentes, de méthodes et d’outils efficaces pour effectuer des vérifications et dresser
des contraventions. Le constat de ces pratiques notoires de détournement met en doute la part réelle
de perception du Ministère des Finances.
En 2008, la faille a commencé à être comblée. L’affectation des prix au M2 qui a été
réalisée par zone ou par village a été renouvelée et mise en application, le taux de 4% a été révisé et
réduit à 1%. Mais cette fois-ci, le document sert de référence au moment de la demande de
transaction. Les agents du bureau du foncier se réfèrent au document officiel des prix au M2 qui ont
été déterminés. Par exemple à Ban Khounta-Tha, le M2 est fixé à 1 800 000 kips.179 L’État prélève
donc 1% au lieu de 4%, du prix officiel au M2. Lorsque le transfert des titres se réalise entre deux
personnes ayant un lien de parenté, le taux appliqué sera de 0,1% au lieu de 1%. Dans tous les cas,
désormais le prix déclaré et affiché par les acheteurs et les vendeurs qui déclarent en dessous du
prix de vente réel afin de payer moins de taxes, ne sera plus pris en compte, seul le prix au M2 par
zonage constitue la base de calcul.
Deuxièmement, un bien est parfois réellement mal évalué malgré tout, dans le sens où il est
difficile de connaitre la valeur des biens. Le manque d’outils et de paramètres économiques réels
d’évaluation attire notre attention et explique en partie pourquoi le marché foncier au Laos est
particulièrement aléatoire. En fait, personne ne regarde, ni n’utilise vraiment le prix officiel affiché
dans le plan de zonage foncier, à part les agents qui s’occupent du transfert des titres pour le calcul
des taxes. Ce marché fonctionne en fait comme un jeu d’enchère entre l’acheteur et le vendeur.
Celui qui n’a pas besoin d’argent met le prix de ses biens très haut et au contraire celui qui en a
besoin les brade souvent au prix inférieur parce qu’il a besoin de liquidité et donc pressé de vendre.
Partant de ce principe, si les terrains à Vientiane restent chers proportionnellement à son
développement économique, c’est qu’il y a plus d’acheteurs que de vendeurs, dans le sens où il y a
plus de besoins d’acheter que de besoins de vendre. À cette idée, il faut se référer au fait que la
proportion des populations qui sont propriétaires est plus importante que la proportion des
populations qui sont locataires ou autres.180 Et que parmi ces propriétaires, il y a un nombre
important de ceux qui possèdent d’autres biens fonciers et immobiliers en plus de leur propre
logement. Ce qui devrait sous-entendre notamment que les opérations immobilières, telles que
constructions de logement et de lotissement, ou autres, à vocation locative à l’origine ne sont pas
très courants. Et s’ils peuvent devenir un fait courant, c’est dans un contexte particulier et nouveau
et à destination d’une population majoritairement extérieure, comme nous allons le voir à travers la
question des baux et des locations. Nous verrons également dans une autre partie de notre réflexion
que cela peut donner une empreinte particulière à l’ambiance des villes laotiennes et un indice à son
mode de vie citadine.
179 Taux de change en juin 2009 est de 1USD/8450 kips. 1.800.000 kips pour 213 USD. 180 Connaître le statut de la propriété des biens est particulièrement délicat. Les enquêtes de terrain sur la question ont
montré que cela touche la susceptibilité, la sensibilité et la dignité des habitants. Les habitations peuvent effectivement
avoir des statuts très variés : habitation privée, habitation louée, habitation squattée, habitation confisquée par l’État et
allouée provisoirement à l’habitant, habitation dont l’habitant à seulement la garde, etc. Si les propriétaires peuvent
répondre sans réserve, les autres types d’habitant n’aiment pas répondre aux questions touchant le statut foncier de leur
habitation.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Une étude sur les bâtiments susceptibles d’avoir de la valeur patrimoniale et donc d’être
protégés a été menée dans le centre de Vientiane entre 1999 et 2002. Ainsi sur environ 300
bâtiments intéressants au titre patrimonial inventoriés, nous avons pu recueillir les informations
portant également sur le statut d’occupation des bâtiments. Signalons qu’à ce titre les quartiers
centres de Vientiane, ne sont sans doute pas exemplaires. Puisqu’ils étaient habités majoritairement
par les commerçants, par les gens qui occupaient une position importante dans la société et dans le
gouvernement de l’Ancien Régime, et par les “ habitants de souche ” qui ont en majorité quitté le
pays en 1975. Notre enquête nous confirme que beaucoup de ces maisons ont été confisquées par
l’État, cas que nous pouvons repérer sans trop de difficultés. Par contre, les maisons confiées à la
famille ou squattées peuvent parfois être identifiables mais difficilement confirmées ou vérifiables.
Car les gens sont réticents aux questions posées. Sur la question de la confiscation des biens, le
décret N129/PM du 18/11/1979 a été mis en application pour légaliser les actions de l’État. Il porte
sur les maisons et les terres des patikanes (réactionnaires) que le tribunal populaire a condamné, les
individus qui s’étaient enfuis et/ou envoyés aux séminaires. L’arbitrage s’était basé d’abord sur le
principe politique et idéologique, que l’autorité politique avait ensuite intégré comme une légalité.
On peut le voir subsister à travers la loi foncière N01/97AN du 12/04/1997, l’article 62, alinéa 4 :
« celui qui peut perdre le droit d’usage des terres est celui qui a été condamné par la cour
populaire à perdre ce droit » ; l’article 63, alinéa 1 et 2 : « celui qui renonce de son propre gré au
droit d’usage des terres », « l’État (étant le propriétaire de toutes les terres se donne le droit )
récupère les terres aux privés pour en faire un usage public ».
III. IV. b. 2. Les baux et les concessions
Les baux de longue durée et les baux de courte durée font l’objet de taxation différente. La
location de courte durée est plus onéreuse, elle concerne surtout les habitations. Elle peut aller de
quelques mois à une ou plusieurs années renouvelables. Les baux à moyens termes concernent les
biens à destination commerciale et aux activités tertiaires, à plus longs termes, ce sont des biens à
fonction industrielle ou des équipements à fréquentations publiques. Dans le cadre des baux à courts
termes, les locataires interviennent de manière très limitée dans les éléments bâtis. Les propriétaires
s’occupent encore des biens qui font l’objet de baux. Ce type de bail est le plus souvent une affaire
entre privés. Alors que les concessions sont en majorité les affaires entre l’autorité publique (le
gouvernement laotien) et les sociétés privées, très souvent étrangères. Les biens qui font l’objet de
concession appartiennent pour la majeure partie à l’État, en partie ou en totalité, qui concède aux
sociétés privées. Dans l’ensemble, la durée des différents baux varie de 20 à 95 ans, renouvelables.
Il s’agit des biens fonciers de grande ampleur en milieu urbain, et des vastes terrains de
plusieurs dizaines ou centaines d’hectares. Il peut s’agir d’un grand territoire comme ce fut le cas
des concessions de Botèn et de la zone économique de Savanh-Seno (1e partie. I. II. b-c.) En ce cas
l’État peut être lui-même partenaire. Le foncier, qui représente souvent 30% des investissements
(pourcentage fixé entre les deux parties) en devient alors la part d’investissement de l’État laotien
dans la plupart des projets.
Lorsque l’État donne en concession, ces biens, l’État n’intervient pas dans l’aménagement
et la gestion de ces biens. Les sociétés sont assez libres dans leur manœuvre. Dans la quasi-totalité
des concessions, aucun cahier des charges n’a été annexé au contrat. Pour les concessions moins
importantes, elles sont soumises à une “obligation de principe ” : les sociétés doivent réaliser les
projets pour lesquels elles ont obtenu la concession dans les cinq années après la signature, en
défaut de quoi les contrats peuvent être annulés par l’État. C’est le cas de l’ancienne trésorerie
coloniale à Vientiane. Le vaste terrain avec une vieille bâtisse coloniale est situé dans un lieu
prestigieux puisqu’il jouxte le palais présidentiel et donne sur deux rues principales, la rue
Sethathirat et le quai F’a-Ngoum. Étant un bâtiment figurant sur la liste de l’inventaire de 1994 du
Département des Musées et de l’Archéologie du ministère de la Culture et de l’Information, et sur
celle de 2002 réalisée par l’Atelier du Patrimoine et proposé par l’institut de Recherche en
Urbanisme, l’édifice doit être normalement conservé. Mais lorsque la concession a été accordée à
Tab. 2. Durée des
baux et des
concessionsDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 126 -
ST groupe, il n’y a pas de cahier des charges annexé au contrat pour la conservation et l’obligation
de restaurer le bâtiment, celui-ci a été ainsi démoli dès l’obtention du contrat. Et au bout de cinq
années ST groupe, n’ayant toujours pas réalisé les projets comme il était prévu, l’État menace de lui
retirer la concession. Aujourd’hui, nous constatons que ST groupe possède toujours cette
concession, puisque un kiosque de banque ST groupe y a été installé. L’installation de kiosque
bancaire de 10 m2 semble suffisante pour que la société échappe aux “ obligations de principe ” et
continue à jouir de son droit.181
Depuis le milieu des années 2005, l’État préconise de mettre en valeur ses biens fonciers
qui ne lui généraient aucun revenu, jusqu’alors : il prévoit donc de donner en concession de
nombreux ensembles fonciers en sa possession en lançant des appels à proposition et des appels
d’offres. Si ces appels sont discrets et ne sont pas toujours connus des habitants qui habitent dans
les lieux concernés, et qui seraient touchés par le relogement éventuel lorsque les projets l’exigent,
ils sont bien connus des investisseurs et spéculateurs locaux et internationaux.
Taxe sur les revenus fonciers
Afin d’avoir un aperçu sur l’importance que peuvent avoir les baux et les concessions dans
les revenus de l’État, intéressons-nous à titre d’exemple aux taxes sur les revenus générées dans ce
cadre. Le principe établi est de distinguer d’abord le locataire laotien et le locataire étranger, vient
ensuite la nature des biens loués. Le gouvernement taxe entre 25 et 30% les revenus générés par la
location des maisons.182 30% si la maison est une villa en dur et 25% si la maison est à moitié en
dur à moitié en bois ou entièrement en bois (type maison lao pagnuk). Et ceci, lorsque le locataire
est de nationalité laotienne. Lorsque le locataire est étranger la taxe est calculée selon les m2 des
surfaces habitables : l’emprise de la maison comprenant la cuisine, le garage et autres constructions
annexes, à l’exception des clôtures.
III. IV. c. Questions sur les biens gelés durant trente ans et questions de propriété,
d’héritage et de nationalité des Laotiens de la diaspora
A partir de plusieurs faits convergents en ce qui concerne le plan de développement urbain
et socioéconomique, l’État ne peut que constater l’importance que peuvent générer les biens
fonciers et immobiliers qu’il possède, et se rendre compte que ces biens sommeillent durant de
longues années. Nous avons déjà évoqué le fait que même au niveau des taxes ces biens ne
généraient aucune recette pour l’État, pire, ils tombent en ruine et nécessitent des coûts importants
pour leur entretien. Nécessité que l’État laisse de côté par manque de moyens. Même en possédant
tous ces biens l’État “ reste pauvre ” parce que ces biens ne sont pas taxables, n’ont pas été mis en
valeur et n’ont pas été solvables. L’ouverture économique bien entamée, il est constaté qu’il est
temps que les biens qui ont été gelés puissent produire des rentes et des bénéfices à l’État. Pour ce
faire, plusieurs questions restent à éclaircir. Des problèmes d’ordre du droit et des libertés, mis en
sommeil depuis 1975, émergent et appellent à être réglés. Et ce sont des questions que l’État laotien
ne peut pas toujours évacuer de manière expéditive. Son adhésion à “ l’état de droit ” et son
intégration dans la communauté des nations, la reconnaissance de la propriété privée qui est chère à
la population et qui devrait garantir une des libertés fondamentales et une paix civile durable,
obligent à la prudence. Ainsi, on ne peut évoquer le mouvement du foncier sans évoquer les trois
questions corollaires que sont les faits concernant les biens qui ont été gelés depuis plus de 30 ans et
les questions de propriété, d’héritage et de nationalité laotienne de la diaspora.
181 En 2011 le site a été octroyé à la Banque Mondiale pour la construction de son siège. 182 Décret présidentiel N01/RDP du 28/09/1998, article 4, portant les modifications des taxes sur les revenus générés par
la location des biens fonciers et immobiliers. Décret du premier ministre N241/PM en date du 25/12/1998, article 5. Lois
des contributions N0495/AN, en date du 14/10/1995.
Tab. 3. Taxe
des Baux
fonciersDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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La légalisation des terres confisquées
Lié à la difficulté de l’immatriculation foncière, il y a un autre fait à éclaircir : il existe un
nombre très important de parcelles, isolées ou groupées en quartier, dans le milieu urbain de
Vientiane qui n’ont pas de titres cadastraux, n’ayant pas pu être immatriculées et attendent une
attribution statutaire. Ce sont des parcelles qui ont été confisquées, aux personnes qui ont quitté le
pays entre 1975 et 1982183 et aux personnes qui en “ possèdent trop ” et qui ne sont pas parties, et
données par l’État aux tiers. Ce sont aussi des parcelles abandonnées par leurs propriétaires,
squattées sans autorisation. Par la suite, ces biens font l’objet de procès entre les anciens
propriétaires qui n’ont pas quitté le pays ou la famille de ceux qui sont partis et les nouveaux
occupants. Ces derniers n’ayant ni témoins, ni anciens titres fonciers au moment des enquêtes pour
l’immatriculation des titres, ne peuvent faire valoir leur droit d’occupant et ne peuvent faire
immatriculer les biens qu’ils occupent. Devant de tels conflits entre les occupants effectifs et les
propriétaires juridiquement légaux, les litiges sont à traiter cas par cas. En tous les cas, les
problèmes laissent ouverts à tous les abus possibles : faux papiers, vice de forme et de procédure,
corruption et abus de pouvoir, etc. Chacun cherche par tous les moyens à faire valoir ses droits.
A partir de 2007-2008 l’État finit par trancher par un arbitrage, non pas pour mettre fin aux
problèmes mais pour pouvoir enfin immatriculer ces “ terres à problèmes ” [fuo,u[aoskF fuo7qo38o],
puisque les anciens problèmes subsistent et des nouveaux apparaissent, comme nous venons de le
souligner. Lorsque quelqu’un occupe depuis près de 30 ans un bien foncier et immobilier, il aurait
désormais le droit de le conserver, du moins de procéder à son immatriculation. Ceci à condition
que ce dernier paie un droit à l’État, au prix fixé par lui, au cas par cas. Ce qui équivaut à l’achat pur
et simple des biens à l’État, avec une petite différence près par rapport à la fluctuation du marché
foncier qui se pratique généralement. Effectivement alors que le prix du marché est complètement
aléatoire, le prix fixé par l’État pour ces biens spécifiques semble plus stable. Pour acquérir
définitivement les biens, l’occupant acquéreur doit payer 100% du prix fixé par l’État. Mais lorsque
l’occupant acquéreur est fonctionnaire, il ne paiera que 10 à 30%, selon les cas.
L’avantage accordé aux agents de l’État est une forme de compensation pour les services
rendus et pour les bas salaires de ces derniers. Mais il crée aussi des effets pervers. Par exemple,
lorsque l’État réussi “ à vendre ” un bien foncier qu’il avait autrefois attribué à des familles ; pour
libérer ces biens, l’État ou le nouvel acquéreur doit payer une somme conséquente aux familles pour
les déloger. Beaucoup de familles qui habitaient dans des habitations attribuées par l’État continuent
alors à y “ habiter administrativement ” en installant un membre de la famille, même s’ils ont déjà
une autre habitation ailleurs. Ceci, afin de bénéficier du droit d’indemnisation. N’ayant pas de fond
pour cette indemnité, l’État n’a pas pu vendre ou donner en concession, certains biens ; ou, ne
voulant pas payer cette indemnité qui ne relève pas de sa responsabilité, l’acheteur abandonne et
décline souvent les offres. Au résultat, beaucoup de bâtiments restent délabrés et continuent à
tomber en ruine par manque d’entretien. Les biens les plus prestigieux continuent à “ dormir ” ainsi
et ne rapportent rien à l’État. Le développement urbain et la mise en valeur des centres sont liés
aussi à ces problèmes. Il semble clair, tant que les problèmes fonciers et de rénovation immobilière
ne sont pas approchés et intégrés en tant que tel, le développement urbain et la protection
patrimoniale ne peuvent être réalisés de manière harmonieuse et durable.
De la reconnaissance de la propriété à la reconnaissance du droit d’héritage, par rapport à la
question de nationalité laotienne de la diaspora
La reconnaissance de la propriété et des droits qui en est issue a été un grand pas que le
gouvernement laotien a su franchir. La culture et la jouissance des terres des Lao, leur rapport
historique à la possession des terres étant un symbole de “ liberté ”, le retour vers cet acquis
183 Décret N192/PM en date du 18/11/1979 portant les terres et les maisons des réactionnaires (patikhane) que le tribunal
populaire a condamnés ; les biens de ceux qui ont fui le pays et de ceux qui ont été envoyés aux séminaires.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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fondamental était suffisant pour arrêter peu à peu la fuite de la population vers l’étranger. Elle a
permis à la population de se rapprocher un peu plus du régime, voire, de se conformer de fait à son
système, le désir de la population étant peu exigeant et peu revendicatif.
A cette question, exposons des problèmes inextricables pour les autorités du gouvernement
laotien : deux lois entrent en collision et soulèvent un malaise politique et social profond touchant le
droit et des libertés fondamentales des personnes.
Constat 1 : la loi concernant le droit de succession et d’héritage
Après la reconnaissance de la propriété, l’État formalise sa reconnaissance du droit de
succession. Confirmé par la Constitution de 1991 (article 14 et 15, chapitre 2, portant le régime
économique et social), l’État a institué les droits et les libertés d’hériter en stipulant que : « l’État
protège les droits de propriété et le droit de succession des biens des organismes et des individus.
Quant à la terre, propriété de la communauté nationale, l’État en garantit les droits d’usage, de
cession et de succession conformément à la loi ». Dans les faits, la jouissance de la propriété et de
l’héritage qui n’a jamais vraiment disparu des pratiques, même durant les premières années du
régime où idéologiquement l’héritage était considéré comme la survivance des privilèges, une
pratique considérée comme appartenue à la classe sakdina que le régime combattait. À contrario, de
fait et de droit, l’État reconnaît que toute personne a le droit d’hériter de ses biens familiaux. La
reconnaissance juridique de l’héritage sera visible aussi à travers les impôts sur l’héritage inscrit
brièvement dans l’article 60, alinéa 5, de la loi foncière de 1997.
Constat 2 : la loi concernant la propriété des terres et le droit des étrangers.
Il est stipulé dans l’article 72, 73, 75 (Partie III, chapitre 4) de la loi foncière de 1997 que :
« l’État ne reconnaît pas les droits et les réclamations pour les terres dont l’État a confié la garde
et la jouissance au peuple durant la révolution » (art. 72) ; « l’État ne reconnaît pas les droits et les
réclamations des terres par les anciens propriétaires qui ont quitté leur terre durant la
révolution » (art. 73) ; « l’État ne reconnaît pas les droits et les réclamations des terres de ceux qui
ont quitté le pays pour aller à l’étranger » (art 75).
L’article 72 met l’accent sur l’aspect inviolable des décisions de l’autorité publique. L’article 73
semble concerner ceux qui ont quitté la zone libérée avant 1975 et ceux qui ont migré durant les
événements de 1975. Quant à l’article 75, il ne concerne pas les étrangers proprement dits, mais les
étrangers d’origine laotienne qui ont quitté le pays entre 1975 et 1982, condamnés ou pas par la
cour populaire. Ces trois catégories de population ne peuvent réclamer leurs anciens biens, ils ont
perdu définitivement leur droit de propriété et d’usage. Devant la loi foncière, les étrangers
d’origine laotienne se rangent dans la catégorie des étrangers. Et la loi stipule que, ces derniers
n’ont pas le droit de posséder ou de tenir le titre kamma sit des terres, c’est-à-dire le droit de
propriété qui comporte le droit de garde, d’utilisation, d’usufruit, de cession, de transfert et de
succession (art. 5). « Le sol appartient à la communauté nationale (…) l’État le gère de manière
centralisée (…). Il confie aux individus, aux familles et aux organismes le droit de l’utiliser (le titre
de kamma sit) et aux étrangers le droit de le louer » (art. 3).
Point de collision
Le problème qui se pose est que l’histoire sociale issue des événements de 1975 a créé un
phénomène spécifique : les Laotiens qui ont quitté le pays et qui étaient des réfugiés politiques
acquièrent par la suite la nationalité des pays qui les ont accueillis. Ils forment une très importante
diaspora à l’étranger et sont des “ étrangers ” (de nationalité étrangère) devant la loi laotienne.
N’ayant pas complètement coupé des liens avec le pays, ces étrangers, tout en étant ou pas des
patikane –“ réactionnaires ”, sont potentiellement des personnes qui ont le droit naturel et
fondamental d’hériter des biens appartenant aux citoyens laotiens –leur famille du Laos. Ils se
relient par cet héritage “ fictif ” à leur identité et à leur histoire individuelle, familiale et nationale.
Par la légitimité et le droit naturel, les personnes quelles qu’elles soient peuvent hériter et la
constitution stipule que « l’État protège (…) les droits de succession des biens (…) des individus ». Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Cependant étant de nationalité étrangère ils ne peuvent jouir du droit de propriété (kamma sit),
accordé seulement au citoyen laotien par la loi. En un mot, ils ne peuvent posséder ce qu’ils ont
hérité.
III. IV. d. Le marché foncier de Vientiane et des centres provinciaux
Bien que la flambée foncière proprement dite soit un phénomène complexe qui ne peut être
traité dans le cadre de notre étude, nous pouvons cependant dans la limite de notre questionnement
l’attribuer à la croissance économique générale, que celle-ci soit forte ou relativement faible,
comme c’est le cas du Laos. Effectivement, cette flambée n’est pas spectaculaire si nous la
comparons à une progression naturelle que le pays devrait normalement connaitre sans les trente
années de statuquo, voire, de récession en ce domaine. La flambée foncière que connait
actuellement Vientiane est en fait un simple phénomène de rattrapage de son statut de capitale, car
celle-ci a été atrophiée par la ruralisation durant la période de transition que nous avons située entre
1975 et 1995. Dans les débuts de cette période, il n’y a aucun mouvement de transaction officielle
des biens. Par contre, si nous considérons cette flambée dans la continuité et par rapport aux trente
années de récession, elle est relativement spectaculaire.
De manière générale, la valeur foncière commence à prendre de l’ampleur avec la
constitution de la capacité locale à investir. Dans les capitales provinciales, le phénomène semble
plus lié aux projets de développement qu’au phénomène de rattrapage comme c’est le cas de
Vientiane. Effectivement en province il existe une “ ambiance ” de “ prospections et
d’anticipation ”, par ailleurs pas toujours justifiée, mais qui justifie les intentions d’investir. Par
exemple à Savannakhet, autour du futur campus universitaire –projet de constructions qui a été
planifié et dont l’opération a été lancée en partie– les habitants qui ont les possibilités d’investir
disent que : « le centre va être là, parce qu’il va y avoir une grande université pour toute la
province. Il serait opportun d’investir dans le foncier et dans l’immobilier dans cette zone :
construire des compartiments à louer, des commerces et du logement pour les étudiants. Car les
chambres du campus ne suffiraient pas. Cette zone va être plus animée que le vieux centre de
Savannakhet…». Peu à peu, la motivation tout à fait intéressée et anticipée fonde la constitution
d’un éventuel futur centre autour d’un futur équipement. C’est par cet optimisme, cette vision
prospective plus ou moins justifiée que le marché foncier se construit. Mais souvent, par manque de
budget ou autres, un certain nombre d’équipements n’a pas été construit, les personnes trop
enthousiastes et mal informées ont alors “ perdu ” de l’argent en achetant des terrains qui vont rester
des années inutiles. C’est le cas par exemple des hectares de terre autour du futur aéroport au
kilomètre 18-21 de la route numéro 13 (à Vientiane) qui restaient depuis plus de 15 ans inutiles tant
que la construction du nouvel aéroport ne devienne effective.
A Vientiane la planification d’un nouvel axe qui relierait la future gare –se trouvant derrière
la mare de That Luang dans la zone où devrait se construire la “ ville nouvelle chinoise ” (parmi
autres projets prévus)– à la route numéro 13, active bon nombre de projets d’investissements privés.
L’administration urbaine exproprierait une bande de 150 mètres pour l’emprise de cet axe aux
propriétés se trouvant sur son tracé : 50 mètres pour l’emprise proprement dite de la route et 50
mètres de chaque côté pour être parcellisés et vendus dans le cadre du développement de la ville
nouvelle. Inquiets, de peur d’être expropriés sans indemnité ou alors très symboliquement
indemnisés, certains propriétaires vendent rapidement leurs terres. Les sociétés ou les privés “ bien
informés ” qui veulent investir dans l’immobilier achètent ces terrains en connaissance de cause.
Pis, ces mêmes investisseurs “ font circuler le bruit ” d’une mauvaise indemnisation du
gouvernement pour que les riverains vendent au plus vite et aux prix qu’ils fixent. Après quoi, nous
supposons que ces sociétés négocieront les “ indemnisations ” avec le gouvernement sur les 50
mètres d’emprise de chaque côté de la route, ensuite ces 50 mètres seraient parcellisés et vendus par Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 130 -
leur soin et à des prix bien supérieurs une fois la route construite.184 Les acheteurs seraient
éventuellement les investisseurs étrangers qui installeraient des industries dans le cadre du corridor
économique. Car cette route de 21 kilomètres (entre le croisement Dong dok et la route du Mékong
à Dong Pho Si) ferait partie des réseaux économiques transversaux régionaux. Quelques mois après
l’annonce de ce projet de ville nouvelle, le projet a été abandonné au début de l’année 2009 :
185 la
ville future serait déplacée ailleurs, vers les kilomètres 16 à 21 sur la route numéro 13 Nord-est.
Cependant la question d’en faire un projet de promotion foncière dont l’État serait lui-même
l’opérateur (plus que de projet de développement proprement dit) dans la bande d’emprises des 150
mètres demeure, puisque la route des 450 ans de Vientiane y est construite actuellement, reliant le
grand périphérique de Dong Dok au nouveau complexe sportif construit pour le SEA (Sud East
Asia) Game en 2009.
Dans le cas où les propriétaires n’ont pas vendu leurs terres qui font l’objet d’expropriation
avant la construction de la Route des 450 ans, nous constatons que les opérations ont été réalisées
dans des conditions pas très compréhensibles pour la population : le manque d’information et de
dialogue fausse probablement le principe réel du projet. Car, si les informations que nous avons
reçues sont exactes, nous voyons que les propositions du pouvoir public ne sont pas complètement
inintéressantes pour les propriétaires. Examinons le cas :
Le prix courant des terres dans la zone avant la construction de la route était entre 6 à 15 usd le M2.
Le prix au mètre carré des bandes de 50 mètres des deux côtés de la route des 450 ans après
construction serait fixé à plus de 50 dollars. La route apporte donc de la valeur ajoutée aux terrains
de près de 334%. Cela veut dire que l’État aurait empoché 50 dollars nets le M2 s’il n’indemnise
pas les propriétaires. C’est ce qu’avaient compris “ les expropriés ”. Or ce schéma ne serait pas tout
à fait exact, la situation aurait été la suivante :
1- Sur le principe que la route construite par l’État met en valeur les terres, du point de vue foncier,
en leur faisant gagner 334% de leur valeur d’origine, c’est-à-dire de 6 à 15 dollars ils seraient passés
à plus de 50 dollars le M2.
2- L’État veut, de fait, jouer le rôle de promoteur mais ne possède pas de fonds pour le faire.
3- L’État commence alors par exproprier sans indemniser les propriétaires.
4- L’État demande ensuite aux expropriés de lui racheter les terres une fois la route construite à 15
dollars le M2 (c’est-à-dire à peu près le même prix qu’au départ).
5- L’État fixe après le prix minimum des terres à 50 dollars, le M2, que les expropriés sont libres de
revendre mais à ce prix minimum. Cela veut dire que l’État gagne 15 dollars, le M2, et les
propriétaires 35 dollars, le M2 au lieu de 6 ou 15 dollars. Dans ce schéma, d’un côté, l’État récupère
certains fonds pour financer la construction de la route, et de l’autre les propriétaires gagnent trois
fois plus que le prix initial de leur terrain grâce au projet public d’infrastructure viaire. Bien que les
15 dollars ne puissent pas financer la construction d’un M2 de chaussée de route et en conséquent
bien que nous ne puissions pas dire ici qu’il s’agit d’investissement privé dans le réseau public
d’infrastructure, nous pouvons cependant considérer que les riverains participent à un certain degré
184 Une enquête menée auprès d’une famille de propriétaire qui a vendu 10 hectares à Ban Sok à une société vietnamienne
pour un peu plus d’un million de dollars US. a démontré clairement qu’une spéculation foncière à grande échelle est à
l’œuvre, et dont le mécanisme et les modalités échappent aux riverains, comme le contrôle de l’espace urbain échappeant
aux autorités de la ville.
185 Nous n’avons pas accès aux informations officielles concernant l’annulation du projet de “ ville chinoise ”. Mais nous
avons deux explications de façon non officielle : 1- Le projet de ville nouvelle et de concession chinoise a suscité de
violentes polémiques et devient au fil du temps franchement impopulaire. Au delà du mécontentement populaire -qui,
habituellement, n’aurait rien changé- il y aurait des conflits dans le milieu décisionnel et politique, entre les partisans du
projet et les anti-projet qui sont en outre anti chinois. Le lobbying anti-chinois aurait été plus fort permettant l’annulation
du projet. 2- L’investissement serait trop colossal par rapport aux profits espérés par les investisseurs : les indemnisations
foncières seraient importantes et demandant un temps de retour d’investissement long.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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à leur construction, et que par l’élaboration du projet, l’État aide à la mise en valeur foncière de la
zone.
Cette situation locale induit potentiellement une extension urbaine par d’éventuelles
constructions de nouvelles zones. Un large étalement urbain serait alors à prévoir lorsque la
nouvelle zone sera reliée à la ville. De ces éventualités, le domaine foncier serait le facteur principal
du développement urbain à grande échelle, reliant la ville de Vientiane aux grandes métropoles
asiatiques continentales, voire insulaires si nous considérons les cartes des corridors
économiques.186
Ce schéma de “ partenariat ” paraît idéalement équitable, mais dans la pratique sa mise en
œuvre est complexe et demande une compréhension et un rapport de confiance entre les deux
parties. Or malgré le côté qui semblerait “ équitable ” (si les informations que nous avons reçues
sont justes), les procédés de mise en œuvre du projet ont été mal compris par la population et donc
durement critiqués. Sans doute parce qu’ils ont été mal appliqués et la population mal informée.
Celle-ci considère qu’il y a un abus de la part du pouvoir public. Or ceci semblerait être dû plus à
l’incompréhension qu’à un véritable abus. Nous comprenons ici que l’insuccès de certains projets
touchant le foncier, lorsqu’il s’agit de bons projets, provient plus de la forme que du fond et
nécessite un dialogue approfondi et soutenu entre le pouvoir public et la population.
D’une manière globale, l’exemple de Savannakhet montre que les “ centres extérieurs ”,
s’ils se développent, se rapprocheraient de l’exemple de Vientiane, là où nous voyons qu’il y a idée
de constitution de centres périphériques autour des équipements, constituant ainsi des polarités
fonctionnelles locales. Mais à Savannakhet les investissements autour de ce nouveau campus
universitaire ne seraient que de petite taille et ne concerneraient que les privés. À moins que ne
vienne s’y superposer le Corridor Economique, notamment le site de l’école d’agriculture de
Savannakhet qui a été intégré dans le projet SaSez. Et effectivement, selon le Master plan de la
SaSez la zone du futur campus universitaire est aussi à proximité immédiate de l’une des zones de
développement.
Par contre, l’exemple de Vientiane explicite le fait que les projets génèrent une spéculation
foncière à grande échelle, dont le mécanisme et les modalités échappent souvent aux riverains,
comme le contrôle du développement urbain échappe sous certaines formes aux autorités de la ville.
Et personne, ni l’autorité publique et ni les privés, ne peuvent être complètement responsables. À
l’évidence, cela met l’accent sur la défaillance de la mise en application des outils de contrôle et de
régulation foncière, sur le manque de transparence des projets publics et d’action participative des
citoyens dans le développement de la ville.
Dans les deux cas, la spéculation –à petite échelle ou à grande échelle– si elle n’est pas
orientée par un cadre général et détaillé de projets urbains programmés, accompagnés de campagne
d’information transparente, capable de répondre au devenir de la ville : quel environnement de vie,
quel quartier, quel type de ville, etc., le mouvement foncier ne ferait qu’être un indice économique
et ne peut constituer l’un des composants forts et constructifs du développement durable. Cela sousentend
que nous interrogeons la fonctionnalité et l’efficacité des organismes publics et
administratifs et des outils de gestion et de développement urbain qui sont ici mis à l’épreuve.
A ces questions, il semble qu’il y a matière à réflexion sur deux faits. D’abord, sur le fait
que les outils techniques et administratifs de contrôle et de gestion foncière sont encore en cours
d’expérimentation et font encore preuve de faiblesse certaine, telle la création en cours de la
municipalité et de son appareil technique, administratif et politique responsable. Il est alors
inimaginable d’affronter l’extra-territorialité que semble préparer les grands projets dans le cadre
des réseaux et du Corridor économique ou du développement de la capitale. Ensuite, le fait que les
186 Carte des réseaux et corridors économiques, Christian Taillard.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 132 -
analyses urbaines préalables (analyses sociologiques, économiques, historiques etc., et surtout
paysagères) pour les projets urbains (grands ou petits) n’ont pas été réalisées avant chaque projet,
explicite forcément des réponses biaisées et donne lieu à des projets urbains pauvres et dépourvus
d’idées porteuses et prospectives, et qui ne répondent donc pas aux contextes économiques locaux
du moment, et ne s’intègrent pas dans l’environnement urbain et paysager des villes.
Qu’ils restent mesurables ou contrôlables, locaux ou extra-territoriaux, les points d’intérêt
se sont, en tous les cas, déplacés globalement vers les nouveaux centres qui se trouvent en
périphérie de la ville ou à l’extérieur de celle-ci : “ vers l’université ”, “ autour des marchés ”, “ à
côté des hôpitaux ”, vers le ou les futurs sites où seront implantées “ les zones d’activité ou des
villes nouvelles ”, etc. De même, le prix des terres autour de ces nouveaux centres connait une
augmentation sans précédent. Ce mouvement signifie qu’il y a un engouement réel pour les
quartiers périphériques. Même pour Vientiane l’intérêt pour son centre ancien reste mitigé jusqu’à
l’année 2005-2006. Le mouvement des acquisitions foncières s’opère principalement en périphérie
ou autour des nouvelles routes, telles que les routes T2 et T4, la route Phone Sinouane-Kosko, et les
anciennes routes revivifiées telles que la Nationale 13, l’axe Dong Palane, etc. En 2004, les terrains
constitués autour de la route T2 (construite sur la mare de Nong Douang vers 1999), coûtaient 3 fois
plus chers qu’un terrain à Ban Khounta-Tha, un village de berge, côtoyant immédiatement le centre
de la ville. Pourtant, la qualité environnementale ainsi que les ambiances à Khounta-Tha sont
beaucoup plus intéressantes. Sur la route T2 où l’environnement est plutôt déplorable de par la
destruction de la zone humide de Nong Douang qu’elle traverse, les activités commerciales et
industrielles légères sont ses principaux intérêts. Et ce sont précisément ces activités qui donnent de
la valeur au foncier et qui créent, d’une certaine manière, la nouvelle centralité.
De ce fait nous pouvons dire que Vientiane prime ses activités commerciales et industrielles
(légères) puisque les terrains les plus chers se basent sur ces critères. Dans le cas contraire, au même
moment, Luang Prabang qui donne le privilège à ses activités touristiques, le prix foncier va suivre
les critères des activités touristiques : les terrains les plus centraux, les plus chargés d’histoire et de
qualité patrimoniale seront dix fois plus chers que les parties périphériques. Pour son statut
exceptionnel en tant que patrimoine mondial, le minuscule centre péninsulaire est fortement prisé au
détriment des quartiers plus décentrés. À partir de 2005-2006, c’est toute la ville qui sera fortement
demandée au détriment de la province qui reste l’une des plus pauvres du Laos malgré le fait que la
ville de Luang Prabang attire plus de touristes qu’ailleurs. En fait, les revenus liés au tourisme ne
sont pas répartis dans la province. Aujourd’hui, les critères de centralité forte et persistante associée
au quartier ancien du point de vue foncier, semblent ne concerner que Luang Prabang. Ce n’était
pas le cas de Vientiane avant le début des années 2000. À partir de 2006-2007, Vientiane tend à
rejoindre Luang Prabang, mais toujours de manière plus relative, accompagnant la renaissance
progressive des activités commerciales dans les quartiers centraux de la petite enceinte, en
particulier entre le palais présidentiel et le quartier Anou et entre la rue Sam-Saèn-Tai et le quai F’aNgoum.
Mais l’expansion récente des quartiers excentrés lui est relativement concurrentielle.
Effectivement à partir de 2007 il y a un retour très sensible vers le centre ancien. D’abord,
les compartiments qui étaient restés vides depuis les années 1975 sont peu à peu réoccupés par des
activités commerciales. Ensuite, certains bâtiments datant des années 1930 et des années 1960, sont
démolis pour faire place à de nouvelles constructions de compartiments contemporaines ou
d’immeubles à R+3 ou à R+4, plus hauts et plus rentables. En 2007, le prix dans le centre a triplé
pour rattraper et dépasser certaines zones décentrées chères que nous venons de citer. En milieu de
l’année 2008, les nouveaux compartiments à R+2 se vendent à 100 000 USD l’unité. Au début de
2009, ils auraient déjà coûté 120 000 à 140 000 USD. Chaque unité occupe environ une parcelle de
80 M2, c’est-à-dire environ 4 mètres de large et 20 mètres de profondeur. Aujourd’hui, nous
remarquons régulièrement dans le centre de Vientiane, en front de rue les dents creuses dont les
anciens compartiments ont été fraichement démolis pour faire place aux immeubles en
compartiments contemporains plus hauts.
Fig. 24. Plan
de VientianeDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 133 -
En ce qui concerne les initiatives de l’État en 2008 (dont nous avons développé le contenu
dans le point précédent), afin de mettre en valeur et rentabiliser ses biens fonciers et immobiliers,
elles ne font que confirmer la reprise de la valeur du foncier en général, et en particulier pour les
biens dans le centre ancien. Selon les enquêtes de l’organisme en charge de la gestion et du
développement foncier de la Préfecture de Vientiane [vq’dko[=]ysko c]t rafmtokmuJfuo],187 les terrains au
bord du Mékong dans le périmètre le plus urbain par exemple coûterait 800 USD/M2, contre 500
USD/M2 dans le quartier Anou. Et cela promet le maintien des prix et sans doute aussi une
augmentation importante dans les cinq années à venir. Tout en maintenant le cap sur ces niveaux de
transaction, le prix des biens peut être également très aléatoire et instable. Les quartiers de berge du
Mékong semblent être les plus aléatoires, car ils sont les plus convoités : le prix au mètre carré peut
varier de 100 à 500 dollars, voire 1000 dollars et plus, cela dépend de la situation du quartier et de
ce que veut le propriétaire et du statut de l’acheteur. La bonne situation de certains terrains peut
faire monter l’enchère. Pourtant, dans les circulaires très récentes portant sur la taxe de transaction
foncière, le prix officiel du M2 de terrain fixé pour le calcul des taxes est légèrement en dessous de
celui pratiqué par le marché. Par exemple pour le terrain au bord du Mékong à Ban Khounta-Tha le
prix au M2 est fixé à 1 800 000 kips/M2, alors que le prix réel peut atteindre le double, voire, le
triple. Et si certains terrains peuvent être moins chers que le prix officiel, c’est que ces terrains ont
des contraintes particulières, tel le manque de voie de desserte pour les quatre roues et comportant
seulement une venelle de desserte pour deux roues et piétons, etc.
Pour Savannakhet où le rôle du Corridor Economique intervient pour renforcer le
mouvement logique donc nous venons de constater les faits, les investisseurs étrangers puis locaux
considèrent que les zones du kilomètre 7 au kilomètre 11 et la zone de SENO seraient “ les centres
de demain ”, le centre historique reste donc moins intéressant pour ces derniers. Dans ce schéma la
ville existant ne deviendra intéressante et importante sans doute qu’en deuxième temps lorsque la
zone du Corridor étendra son périmètre jusqu’à la ville et la touchera ou l’annexera. Mais était-il
dans l’objectif des autorités de prévoir ce dessein pour le vieux Savannakhet. En éloignant le pont
(et donc le Corridor) à 7-11 kilomètres de la vieille ville, n’ont-elles pas prévu de créer
volontairement cette distinction, entre celle-ci et le Corridor économique, dont l’évolution et le
développement ne devraient pas poursuivre le même parcours. À cette question, nous constatons
que la réponse est latente, elle concerne non seulement la capitale régionale comme Savannakhet,
mais aussi Vientiane. Mais elle n’est pas concrètement explicitée dans les schémas directeurs
d’urbanisme. Il est mentionné à plusieurs reprises, dans les rapports d’étude pour les extensions
urbaines, que Vientiane devrait créer une ville administrative nouvelle et celle-ci se situerait du côté
de la route numéro 13 Nord-est, entre Donoune et Thang-Ngone.
III. V. Mouvement péricentre et périurbain, renforcement d’une
polycentralité
Comme nous venons de le voir, notamment à travers le mouvement de stratégies
résidentielles et à travers le marché foncier, la recomposition de la ville est corollaire aux intérêts
portés aux centres anciens et aux quartiers péricentres de la ville. Si ces intérêts paraissent être des
faits non planifiés et libres de toutes directives et planifications de l’État, ils n’en sont pas moins
l’une des résultantes des dispositifs que l’État a mis en place. Effectivement à travers, par exemple,
le déplacement et la construction des équipements en périphérie, on peut dire que les efforts de la
planification se sont surtout concentrés sur les espaces périphériques, et moins, sur les quartiers
centraux. Bien que les objectifs ne fussent pas d’abandonner les centres, mais plutôt de les
désengorger. Au résultat, les intérêts se sont déplacés et plusieurs petits centres se sont formés en
187 Interview de Monsieur Sounthonne en 2008.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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périphérie autour des équipements. Une sorte de nouvelle centralité apparaît, et interroge la
définition de la centralité elle-même.
III. V. a. Question de centralité : ancienne centralité, nouvelle centralité
La question de centralité demeure le composant majeur de la ville. Du moins, certains
éléments de constances qui composent la centralité demeurent dans la composition des nouveaux
centres périphériques, d’autres disparaissent et de nouveaux éléments apparaissent. Ne pouvant pas
s’apparenter au centre ancien, ni le reproduire, les centres périphériques acquièrent de nouvelles
identités, mais la recherche de la centralité demeure. La définition de la centralité est, en quelque
sorte, double : la centralité ancienne et la centralité nouvelle.
Nous avons évoqué précédemment le fait que les monuments, tels que les stupas, occupent
une centralité dans le sens où ils peuvent être générateurs d’espace. Aujourd’hui, ce sont les
équipements qui sont, en quelques sortes, générateurs et créateurs d’une certaine centralité. Donc, il
y a une ancienne centralité qui serait caractérisée par un centre unique (monocentre) et une nouvelle
centralité qui serait caractérisée par plusieurs centres (polycentre).
La recherche d’une certaine centralité peut être autrement qu’historique, puisque le centre
historique des villes qui donnait traditionnellement de l’identité à ces centres a été bouleversé de
manière profonde (comme nous l’avons développé tout le long de cette première partie de notre
recherche). Cette centralité est donc forcément nouvelle, forcément “ ailleurs ” et forcément
“ plurielle ”. Mais cette recherche de centralité est surtout nécessaire et vitale, elle persiste. Car le
sentiment de l’habitant et son besoin de se retrouver dans “ un lieu animé, habituel et familier,
commun et accessible ”, concentrant un maximum de services, qui seraient parmi les critères de
centralité, n’ont pas disparu pour autant, avec l’altération fonctionnelle des centres anciens ou
historiques, même si le contenant spatial de cette centralité recherchée, changerait de nature ou se
retrouverait ailleurs. La naissance de nouveaux quartiers et la croissance de ceux qui existent
fonctionnent autour d’un ou des équipements comme un centre nouveau. Même si le cœur n’est pas
de la même nature que les centres anciens, ces nouveaux centres donnent de nouveaux sens et
inventent de nouvelles approches et considérations à l’idée de centre et de centralité en question.
Effectivement, les équipements génèrent de nouveaux centres, car les quartiers se créent autour
d’eux : hôpitaux (exemple des hôpitaux 150 lits et de 103 lits), centres universitaires (Sok Paluang
et Dong Dok), etc. Une fois construite et avec le temps ces équipements amènent peu à peu des
habitants et des activités autour d’eux. Et dans la mesure où les habitants trouvent l’essentiel de
leurs besoins quotidiens autour de ces équipements, la vie des habitants se consolide au fur et à
mesure et se déroule plus activement dans le même site pour ainsi former un quartier. C’est
pourquoi nous voyons qu’à travers la question foncière les intérêts se sont déplacés, voire, se sont
“ entichés ” des zones périphériques autour des équipements ou des zones de développement, déjà
entamées ou encore au stade de planification. Parce qu’ici aussi la centralité n’est pas de l’ordre de
l’impossible. Il est intéressant de voir, sur plus d’un exemple, comment ces zones périphériques et
ces équipements peuvent-ils créer de nouvelles centralités autrement.
Ces nouveaux centres reproduisent par bien des aspects le centre traditionnel, car les mêmes
besoins de proximité avec les biens et les services s’expriment de la même manière, les liens
sociaux tendent à se caler sur le même schéma, même si ces liens semblent moins solides que dans
les centres anciens, du fait de la provenance sociale des nouveaux arrivés et aussi de leur mobilité.
Les nouveaux arrivés dont la provenance sociale est repérable aussitôt sont ceux qui arrivent
généralement pour les emplois, ou aussi parce que le prix foncier est parfois avantageux. La
mobilité est plus importante chez les personnes à la recherche d’un emploi que chez les autres, car
ils dépendent des offres et des opportunités. Ils vivent essentiellement dans des logements tels les
compartiments locatifs plus ou moins à faibles loyers, etc. De ce fait, nous pouvons remarquer que
les compartiments à rez-de-chaussée et les compartiments à R+1 et à R+2 se construisent beaucoup
un peu partout dans les quartiers et villages périphériques de Vientiane. Les petites maisons en bois Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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et bambou sur pilotis ou à même le sol que nous rencontrons parfois parmi les habitations à faibles
coûts des années 1970 et 1980, deviennent rares et disparaissent. Les compartiments couverts de
tôle, avec des cloisons en bambou et en contre-plaqué à Rez-de-chaussée à très faibles coûts
existent également et logent une population pauvre avec revenus faibles et vivant quasiment à la
limite du seuil de pauvreté et dont les conditions d’hygiène et d’espace de vie sont déplorables.
La question de centralité est aussi corollaire à la composition sociale des habitants.
Autrement dit, le contenu social de la centralité possède sa spécificité. Il y a aujourd’hui une
distinction, bien que cela soit dépourvu de toute discrimination sociale, entre les habitants qui
arrivent dans le quartier en provenant des zones révolutionnaires après la révolution (on les appelle
“ les gens venant de la zone libérée ”), les nouveaux arrivés de la campagne, et les nouveaux
habitants récemment arrivés dans le quartier. Puis il y a les anciens occupants qui sont appelés par
un terme spécifique “ Kon Peun Thane ” [7qorNo4ko] qui signifie “ gens de fondation, gens de base ”
qui s’auto définissent comme ceux qui amènent une certaine cohésion sociale au quartier. Ces
“ gens de fondation ” se retrouvent souvent parmi les membres du comité des sages, Néo-Hom
[co;3I,]
188 qui existe dans tous les villages du Laos, même les plus reculés, qu’ils fassent partie ou
non du Comité du Parti au niveau du village. C’est ainsi autour de ce fait que nous retrouvons l’idée
de centralité sociale des quartiers.
III. V. b. De la ramification des quartiers périphériques à la délocalisation des
équipements vers l’extérieur
Comme nous allons le voir, dans la troisième partie de notre recherche, les décisions et
actions initiatrices dans le domaine du développement urbain et territorial entreprises autour des
années 1994-1995 sont dues à la réforme de 1986 qui a de nombreuses implications dans plusieurs
domaines.
Le besoin de ramifier certains quartiers qui se sont constitués dans la périphérie lors de la
période de “ l’auto gestion ” de la ville est fortement explicite au début des années 1990. Ceci
concerne surtout la ville de Vientiane. Les autres villes ayant rarement de quartiers périphériques,
mais plutôt de petits villages à proximité immédiate des chefs-lieux. C’est pourquoi, même si la
délocalisation des équipements vers la périphérie devient une pratique appliquée aussi dans les
villes secondaires cela ne répond pas au même besoin. Pour les villes secondaires, d’abord, il est
tout simplement jugé adéquat d’y faire appliquer le standard des outils administratifs de la capitale,
ensuite la construction des équipements n’a pas pour objectif de ramifier les quartiers périphériques,
mais de fonctionnaliser, moderniser et donner une meilleure visibilité aux villes en tant que centre
vis-à-vis des restes de la province qui lui sont attachés.
Nous évoquons ici particulièrement le cas de Vientiane parce qu’il sert de modèle et que les
résultats sont quasiment les mêmes par rapport aux centres provinciaux, avec quelques variants
près. La ramification passe entre autres par la création des infrastructures viaires afin de mieux
relier les quartiers disparates de la périphérie au centre. Cependant, cela entraîne un autre
phénomène : celui de voir apparaître de nouveaux fronts urbains auxquels il faut donner un
minimum de services et donc construire des équipements, etc. Et par la même occasion, le centre
sera “ désengorgé”. La délocalisation des équipements est dans la majorité des cas inscrite dans les
plans urbains standardisés suite à la mise en place des outils de planification urbaine dans tout le
Laos, ou alors indépendamment de cette initiative. Ces plans vont être peu à peu rendus
opérationnels au gré des rétributions accordées par le budget central ou les crédits accordés par les
bailleurs de fonds internationaux. Les plans standard sont caractérisés par l’importance qu’ils
accordent aux réseaux des infrastructures viaires, aux zonages et aux compartimentages
188 Néo-Hom du village est une annexe locale du front d’Edification Nationale. Celui-ci est l’une des émanations du Parti
du Peuple Révolutionnaire Lao.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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fonctionnels du territoire urbain. La délocalisation des équipements est donc très liée aux
infrastructures viaires.
Tous les faits induits par les choix résidentiels, commerciaux, l’emploi, puis ceux issus de
décisions politiques et administratives successives depuis la période de l’établissement de petits
quartiers dans la périphérie de la ville à partir de la fin des années 1980, jouent un rôle important
d’abord dans l’étalement urbain, ensuite en second temps dans la création de nouveaux petits
centres. Ceux-ci fonctionnent plus ou moins bien, plus ou moins de manière homogène. Nous
pouvons décrire le processus de la manière suivante : lorsque les petits quartiers se sont constitués,
disparates et non règlementés dans la périphérie de la ville, les autorités administratives se
retrouvent comme devant “ un fait accompli ”. Le besoin de ramifier ces quartiers était nécessaire
dès le début des années 1990. Cette ramification passe entre autres par la construction des trames
viaires à partir de la seconde moitié des années 1990. Mais la construction des trames viaires, au
lieu de ramifier et solidariser les quartiers à la ville et à ses services, elle entraîne la constitution
inévitable de nouveaux fronts urbains encore plus importants qui compliquent davantage les tâches
des décideurs. Les nouveaux fronts urbains constitués acquièrent un aspect “ suspect ” par leur
insalubrité : manque d’infrastructures et de services de base, de réseaux d’alimentations et
d’évacuation diverses, etc. Cela donne à cet ensemble une image inachevée et sous-développée, ce
qui n’est pas bon signe pour le pays dans sa dixième année d’ouverture. Pour y remédier, il a donc
fallu munir d’équipements ces nouveaux quartiers et fronts urbains, d’où la délocalisation des
équipements qui constitue l’un des dispositifs.
III. V. b. 1. Construction et réfection des trames viaires
La réhabilitation des anciennes trames viaires et surtout la création de nouvelles liaisons,
étaient une nécessité ressentie dès l’investiture du nouveau régime.189 Mais leur construction ou leur
réhabilitation ne devient effective que vers le début des années 1990, aidée par les diagnostics et les
études du Schéma Directeur d’Urbanisme de 1991 réalisés par l’IETU et le Groupe Huit.190 La
poussée sauvage de la croissance urbaine interne à l’intérieur des quartiers et dans les zones
d’extension urbanisées, dans les terrains en friche et dans les rizières enclavées ou se trouvant en
périphérie, conduisent les autorités vers la mise en place de nombreux projets d’amélioration des
infrastructures : projets d’élargissement de l’emprise des voies dans les quartiers anciens, projets de
constructions de nouvelles rues et routes de liaison inter quartiers et de déviation du centre, tel
notamment le « projet des 6 routes + 1 », l’un des projets qui va jouer un rôle important dans le
changement de la configuration urbaine de Vientiane.191 À Vientiane, où la croissance de la
population est plus significative par rapport aux capitales provinciales, ces voies périphériques se
transforment très vite en voies de desserte pour de nouveaux fronts urbains qui se constituent coup
après coup chaque fois que de nouvelles routes se construisent. Ces voies définissent en quelque
sorte les nouvelles limites, puisqu’elles deviennent le support pour la naissance de nouveaux
quartiers qui s’accrochent à elles par remblai. Ceci conduit à une logique d’étalement urbain
linéaire. Trois exemples décrivent cette logique : la route T2 à Nong Douang, le projet de la
périphérique T4 et la route N13 Nord-est devient tendanciellement des axes industriels légers.
189 Les différents points ont été inscrits dans le texte du plan de trois ans (1978-1980) qui comporte essentiellement six
points. Dans le point 1, le transport et la communication ainsi que la construction des routes ont été évoqués comme une
nécessité : « (…) construire une partie des infrastructures routière les plus importantes, construire les routes locales et les
routes rurales. » In : Pages historiques de la lutte héroïque du peuple lao, Comité de Propagande et de Formation du
CCP, Vientiane, 1980. 46 pp. 190 L’étude du SDU de Vientiane a été réalisée par le Groupe Huit en 1998 dans le cadre du programme des Nations-Unies
pour le Développement/Centre des Nations-Unies pour les Etablissements Humains-Habitat. Le SDU a été achevé et
approuvé en 1991. In : Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de Vientiane, programme de développement
urbain de la préfecture de Vientiane : Lao/85/003, Groupe Huit/IETU/MCTPC, 1989-1991. 191 Chayphet Sayarath, Vientiane portrait d’une ville en mutation, p 103. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Quant à la réfection des voies d’accès et de liaisons internes, elle modifie avant tout
l’ambiance des quartiers : la capacité des rues à recevoir les passages d’automobiles s’accroit et la
qualité de la chaussée nouvellement goudronnée ou bétonnée “ incite ” également les automobilistes
à rouler plus vite. Dès lors, la perception de la ville et en particulier du centre commence à changer.
Cela modifie aussi petit à petit le comportement des habitants : les riverains s’approprient moins la
rue du fait de la promiscuité impossible entre automobilistes et piétons. Par ailleurs, le fait que le
pouvoir public s’est réapproprié des rues et des trottoirs afin de remédier à l’envahissement
désordonné des fronts de rue par les enseignes publicitaires et le débordement de la terrasse des
restaurants, des cafés et des boutiques, cela change aussi les comportements des riverains. Il faut
rappeler qu’avant la grande réfection des rues commencée vers 1995, même si ces domaines
appartiennent de droit au domaine public et donc devant être gérés par le pouvoir public, les
riverains avaient l’habitude de se les approprier quasiment par la tenue de leurs activités
commerciales diverses. Ceci, parce qu’ils étaient les seuls à les entretenir, au moment où il y avait
défection du service public et en conséquence de la défaillance des services urbains (ramassage des
déchets, nettoyage des rues, etc.), longtemps substitués par les travaux collectifs.192
Un autre point important à souligner, c’est que l’élargissement des rues et la nouvelle
construction des routes accompagnent aussi l’augmentation des moyens de transport individuel :
(automobiles et deux roues). Les études menées en 2003 par l’IRU et financé par JICA évaluent
une augmentation importante à l’horizon 2010 et 2020 du nombre d’automobiles, afin de calibrer et
organiser les voies de circulation et les trafics urbains. Nous signalons ce type d’étude parce qu’il
justifie la décision du gouvernement d’investir dans la construction des routes et des voies. Mais
beaucoup d’entre elles sont surdimensionnées. L’emprise des voies élargies, libérant des places de
stationnement, change complètement le statut de la rue et de son rapport avec le front bâti :
désormais (pour Vientiane) les places de stationnement sur la chaussée marquent une extra-localité
plus forte entre la rue et le front bâti. Pour les villes de province où le nombre des automobiles est
moindre, les voies larges déstructurent l’échelle locale du front bâti et les cœurs d’îlot.
Cette altération de l’espace local n’a pas été ignorée des aménageurs –souvent, des experts
internationaux– travaillant au sein du VUDAA ; nous le voyons à Vientiane à travers les efforts
faits pour la réfection des voies des quartiers centraux et pour l’aménagement des espaces publics
qui l’accompagnent. Il y a une volonté de préserver l’ambiance des rues en donnant plus de places
aux piétons : élargissement des trottoirs, utilisation de la brique apparente pour leur pavement, etc.,
une tentative de retrouver l’esprit local des quartiers. Ces projets ont été financés majoritairement
par la BAD. Ajoutons également les projets de signalisation et de désignation des noms de rues, les
projets de contrôle des trafics urbains des feux rouges financés par l’AFD.193 Ces volets sont
192 Durant près de 25 années –après 1975– il n’y a pas de service urbain au Laos mais les villes laotiennes restent
relativement propres, même si l’état des routes et des équipements publics laisse à désirer. L’État imposait aux villages les
travaux collectifs d’entretien des routes, des rues, des caniveaux et des canaux. Des villages entiers sont mobilisés. A
partir des années 1995, Vientiane et les villes secondaires se dotent peu à peu des services urbains. Du moins les UDAAs
(Autorité Administrative pour le développement Urbain) sont créées et des bureaux s’occupant de certains services
urbains ont été créés au sein des UDAAs. Ceux-ci mandatent des sociétés mixtes ou privées pour réaliser l’entretien de la
ville (jardin et square, ramassage d’ordures) et des bureaux spécifiques pour le contrôle de l’espace public (trottoir,
stationnement, enseigne, etc.). Pourtant aujourd’hui encore, les rues internes des quartiers ne font pas l’objet d’entretien
par la ville. Quotidiennement les habitants devraient nettoyer le tronçon de rue devant chez eux, et de temps à autre (une
ou deux fois par an) ils continuent à se mobiliser pour le nettoyage collectif de leurs voies et rues de desserte intérieure.
Mais ce système ne fonctionne pas bien en milieu urbain.
193 Ce qui a permis de préserver le nom en français de certaines rues, datant de la période coloniale et de transcrire en
français le nom autres rues nouvellement créées. Bien que cet aspect ne soit pas directement lié au fait que le financement
est français, il est du moins lié à l’adhésion officielle du Laos à la francophonie et à la nature historique francophone de la
culture urbaine du Laos et de son administration locale. L’histoire urbaine récente des villes lao est liée à la méthodologie
urbanistique française par bien des aspects. Remarquons deux faits concernant ces questions. D’abord il y a un décalage
très grand entre deux générations à l’intérieur de l’administration laotienne. Une génération francophone et une génération
anglophone ou simplement non parlant une langue étrangère. Officiellement il faut que les panneaux soient en français et
donc transcrire les noms qui sont habituellement en anglais ou prononcés en anglais. Or la nouvelle génération
technicienne qui crée les panneaux, dans le meilleur des cas ne parle que l’anglais. La transcription est donc un vrai
problème. Par exemple faut-il écrire “ Route de l’ANASE ” ou ASEAN Road. Le résultat est que le nom de la T2 comporte
des fautes dans les deux transcriptions : “ Route de l’ASEANE ” : le premier mot en français et le dernier en anglais avec
Fig. 25.
Trottoir,
quartier du
centre de
VientianeDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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intégrés dans un programme composé de cinq projets clefs que l’AFD finance dans le cadre de la
coopération française du secteur urbain, où 20 millions d’euros y ont été affectés pour cinq ans. Les
cinq projets sont axés sur « l’amélioration de vie des populations urbaines, permettant un meilleur
fonctionnement des réseaux publics urbains, confortant les structures de gestion municipale ».
A Luang Prabang l’amélioration des conditions de vie s’est concrétisée par un programme
de réhabilitation du patrimoine bâti et paysager et des édifices remarquables, accompagné de la
réhabilitation-construction des réseaux d’assainissement, de drainages, d’électrifications et de
voirie. À Vientiane les projets sont plus axés sur la distribution de l’eau potable dans les quartiers
de Vientiane en cofinancement avec JICA, auxquels s’ajoutent les volets concernant l’assistance à
la gestion urbaine et à la gouvernance, Capacity building.194 Il est considéré qu’après les phases
d’investissement (en infrastructure et en réhabilitation), aussi bien à Luang Prabang qu’à Vientiane,
la question de municipalisation et de gestion municipale est à partir de 2008 devenu le volet
principal pour la coopération internationale, dans laquelle la coopération française occupe une place
importante.
III. V. b. 2. Déplacement et construction des équipements en périphérie
Comme à Vientiane, le déplacement des équipements publics du centre vers la périphérie
qui a été programmé pour la totalité des villes secondaires et des villes moyennes, conduit à la
démolition des anciens marchés et des marchés de proximité qui donnaient une cohésion et une
certaine centralité aux villes. Il conduit également à la dévitalisation des centres anciens.
L’interdiction, pour un temps, des marchands ambulants, ne fait qu’accentuer les faits. Les
marchands ambulants qui avaient l’habitude de transporter quotidiennement fruits, légumes,
viandes, poissons, dans les charriots à deux roues ou dans des grands paniers qu’ils portent en
balancier sur les épaules, rendaient familier l’espace public et donnaient une certaine vitalité à la
rue. Ce petit marché mobile existait aussi bien dans les villages ruraux qu’en centres urbains. Les
trois villes secondaires195 Paksé, Savannakhet et Thakek (sauf Luang Prabang) sont représentatives
de cette politique de planification.
La dévitalisation des centres par le déplacement des équipements, tels les marchés, modifie
la pratique de l’espace des citadins. Elle inverse souvent les pratiques en usage et induit de
nouvelles nécessités et de nouveaux besoins. Le rallongement du temps de parcours quotidien ainsi
que le changement de moyens de déplacement entre le lieu de résidence et le marché, entre le lieu
de résidence et le lieu de travail se sont accrus considérablement pour ceux qui travaillent dans les
administrations qui ont été déplacées. Les besoins en réseaux de transport public se font ressentir.
Aussi, pour rejoindre ces marchés ou les lieux de travail à l’extérieur de la ville, les anciens réseaux
de bus ne suffisent plus et nécessitent une restructuration. Car rappelons-le vers la fin des années
1980 en début des années 1990, les réseaux qui existaient dès le début de l’investiture du nouveau
régime et qui étaient le fruit des efforts focalisés sur les services publics propres aux pays
socialistes, sont vieux et mal entretenus. À partir de la seconde moitié des années 1990, avec le
soutien des pays donateurs comme le Japon, les réseaux de transport en commun délabrés ont été en
partie restructurés. Même si ces réseaux sont relativement bien distribués et bien répartis, ils restent
insuffisants en termes de place et ne peuvent répondre aux besoins réels des habitants. Face à ces
un « E » de trop. Pour être dans la logique il fallait opter pour “ Route de l’ANASE ” ou “ Route de l’ASEAN ”. Ensuite, il
y a une autre difficulté pour donner un nom à une voie publique. Cela ne relève pas seulement du vocabulaire mais de la
méthodologie et de l’analyse urbaine : comment qualifier une trame viaire comme rue, boulevard, route ou quai ? 194 Projet VUISP-Capacity building-VUDAA organization, dans le cadre du programme ADB/ AFD N°n°21/ 12946/
86814.
195 La hiérarchisation des villes a été formalisée lors de la mise en place du plan de la planification urbaine des villes du
Laos. Les “villes secondaires”, tout comme les “villes moyennes”, possèdent certains critères. Le décret N40/AMC-
04/04/95 marque la création du VUDMC (Vientiane Urban Development and Management Committee) qui concerne les
100 villages urbains de Vientiane, et la création des UDMCs pour les quatre villes secondaires. Ces villes sont prioritaires
dans la mise en œuvre du plan de développement.
Fig. 26. Plan
directeur de
VientianeDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 139 -
besoins les investissements privés ont peu à peu pris le relais, mais souvent sans cahier des charges,
sans recommandation, ni passation de marché en bonne et due forme. Les habitants ont simplement
trouvé par eux même les moyens de transport sans norme et peu soucieux de l’environnement, mais
qui deviennent le moyen le plus courant et faisant partie du paysage urbain des villes. Il s’agit des
Touk-touk et des Jambo, autorisée au début des années 1990 à être importés de Thaïlande. C’est un
moyen de transport pratique et rapide qui a très vite trouvé le succès auprès des usagers urbains,196
même si ce n’est pas le moins cher. Les courses des Touk Touk se font surtout dans le périmètre
urbain mais peuvent également dépasser les 40 kilomètres autour de Vientiane. Ils restent, jusqu’à
l’explosion des mobylettes importées de Chine à partir de la fin des années 1990 ou fabriquées sur
place dans les usines coréennes, le moyen de transport le plus utilisé et le plus imposant en termes
de places de stationnement et en termes de pollution.
III. VI. Recherche d’outils de développement, de maitrise et de gestion
urbaine
La constitution de la ville au Laos d’aujourd’hui passe par une phase de recomposition
importante où la question de centralité a été plus que jamais bouleversée et nécessitant d’être
redéfinie. Cette recomposition est visible à travers plusieurs faits et dispositifs, nous l’avons vu :
retour des symboles comme une volonté d’intégration historique du pouvoir politique actuel ; regain
des centres historiques ou anciens sous leurs différentes formes, interrogeant au passage la place de
l’architecture dans l’espace urbain, autrement dit, la production architecturale et urbaine. Nous
avons vu également que les mouvements du foncier et les mouvements de stratégie résidentielle
sont des éléments qui participent à la recomposition de la ville et posent la question d’un centre
mort ou d’un centre vivant, tout en donnant à ces recompositions urbaines la définition de nouvelles
centralités exprimées à travers la constitution des polycentres dans les quartiers péricentres de la
ville. De ces recompositions spatiales découle nécessairement une recomposition de la gouvernance
urbaine avec ses outils vis-à-vis de la question de maitrise du territoire qui se pose avec de plus en
plus d’acuité. La recomposition de la gouvernance urbaine se réalise ici en deux temps. D’abord,
c’est en terme “ technique ” et d’efficacité de gestion de ce territoire recomposé qu’il y a processus
de création d’une autorité administrative spécifique. Ensuite, en terme de conduite de la politique
urbaine, corollaire au pouvoir local, la question de municipalité et de la politique municipale a été
pensée. Cette question est au cœur des recompositions spatiales et des politiques de la ville. Elle est
porteuse de deux réalités divergentes : la première concerne la réalité du terrain et les difficultés
rencontrées, la deuxième est la volonté extérieure des bailleurs de fonds internationaux eu égard à la
modernisation structurelle du Laos, nécessaire pour son intégration régionale.
III. VI. a.Processus de création d’une Autorité Administrative pour le développement
urbain
Tôt, au milieu des années 1990, il y a la volonté des bailleurs de fonds de conduire des
réflexions sur la nécessité de créer une institution locale de type « municipalité » et de ses services
urbains, tentant ainsi de décharger la responsabilité gouvernementale dans la conduite de la
politique urbaine et d’encourager les secteurs privés à prendre part dans la gestion de la ville. Donc
inévitablement la question de la capacité décisionnelle et financière locale surgit au cœur de cette
réflexion. Or la capacité décisionnelle locale est liée au système de pouvoir local (qui est, partout
dans le monde, généralement élu), à sa capacité financière dans les investissements et dans la
196 Tardivement, une association corporatiste des Touk-touk a été mise en place. Elle est placée sous le contrôle de
l’administration de la Préfecture de Vientiane. Des règlements la concernant ont également été mis en place : taxe
annuelle pour les chauffeurs de Touk-touk, fixation de prix par trajet, cotisation annuelle de membre pour stationner dans
les points de réception de clients, etc. Mais aucune règle de sécurité n’a été fixée.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 140 -
gestion des équipements et des infrastructures publiques de base. La capacité décisionnelle locale
dépend aussi de ses compétences juridiques et institutionnelles dans le contrôle et la gestion des
ressources locales, autrement dit la capacité du pouvoir local à posséder des ressources et d’être
autonome financièrement. Bien que l’idée de la municipalité soit une conception acceptée par
l’administration générale de la RDP Lao, ce type de “ pouvoir local élu ” n’existe pas dans sa
Constitution et reste encore un concept inaccessible. Par contre (en signe de compromis ?) on
accepte peu à peu l’idée de la perception locale des ressources financières qui a par ailleurs
beaucoup de mal à se réaliser.
Malgré l’incompatibilité structurelle, les bailleurs de fonds soutiennent quand même l’idée
de la nécessité de créer une municipalité afin de mener à bien la politique de la ville. Cependant,
une municipalité proprement dite serait trop tôt, voire inconstitutionnelle. Tout en gardant l’objectif
vers lequel le Laos doit progressivement évoluer, un organisme intermédiaire est alors mis en place.
D’abord c’est le Comité pour le Développement et la Gestion Urbaine de Vientiane (VUDMC) qui a
été créé en 1995. Cet organisme avait surtout pour mission la gestion technique urbaine d’une partie
du territoire de la préfecture de Vientiane. Et il est de même pour les villes secondaires. Il a conduit
plusieurs projets pilotes à Vientiane : construction et réparation des routes, aménagement des parcs
et jardins, assainissement des réseaux de drainage des quartiers, etc. Ensuite c’est l’Autorité
Administrative pour le Développement Urbain (UDAAs) des quatre villes secondaires qui a été mise
en place par décret N177/PM, en date du 2 décembre 1997, remplaçant VUDMC. En 1999, c’est
l’Autorité Administrative pour le Développement Urbain de la ville de Vientiane (VUDAA) qui a
été créée, par décret N014/PM.
Pourtant, la création de VUDAA fait apparaître une certaine divergence idéologique dans sa
conception. Pour les bailleurs de fonds internationaux, désireux surtout de créer une institution
politique qui donnerait à la politique de la ville une indépendance par rapport aux autorités de l’État,
il s’agit de créer une autorité politique locale propre au concept de municipalité, donc plus tard qui
évoluerait vers un pouvoir local possiblement élu.197 À cette fin, le VUDAA serait en quelque sorte
l’embryon. Que ce soit vu à travers la culture administrative anglo-saxonne ou française des experts
internationaux qui y ont travaillé, cela signifie la création d’un organe politico-administratif qui
tend à décentraliser le pouvoir et donner de l’autonomie réelle au pouvoir local. Une telle idée peut
entrer en contradiction avec la conception du pouvoir politique unique, et du pouvoir administratif
centralisé qui s’est renforcé encore à partir de 1991 avec la réforme fiscale. Cela serait même
inconstitutionnel. Au Laos, la déconcentration du pouvoir peut être parfois assimilée à une
décentralisation, parce que les gouverneurs ont tendance à mener à leur guise la politique de leurs
circonscriptions. Ceci est dû à la confiance que ces gouverneurs ont vis-à-vis de leur position au
sein du parti. Les divers Comités populaires locaux qui exercent également un certain pouvoir ne
font que renforcer ce fait. Signalons que les personnes qui occupent le poste de gouverneur de
province ou de Préfet peuvent acquérir une importance encore plus grande selon la position qu’ils
occupent au sein du Comité Central du Parti. La structure du Parti est présente dans tous les
échelons et dans tous les organes administratifs, exerçant un pouvoir local fort dans chaque district
et chaque province. Dans les diverses décisions, que ce soit dans le gouvernement ou dans les
administrations provinciales, le dernier recours n’émane pas du poste responsable auquel les
décisions sont affectées, ni des postes les plus importants du gouvernement, mais de la hiérarchie la
plus importante au sein du parti PPRL. Mise à part la place que tiennent le parti et le Comité Central
197 Pour simplifier, rappelons ici que nous définissons le pouvoir local sur deux critères principaux. Un pouvoir local est
d’abord un pouvoir élu par les citoyens ; ensuite un pouvoir local est un pouvoir capable de décider de ses dépenses et
possédant une certaine autonomie financière, du moins en principe, même s’il peut bénéficier aussi des rétributions
centrales. C’est pourquoi quand nous utilisons le terme “ décentralisation ” entre 1986 et 1991, c’est à demi mot : le
premier critère manque à cette désignation. Dans une certaine mesure, la structure villageoise est la plus proche du
premier critère, et serait à même d’être désignée comme un pouvoir local élu. Même si notre définition est “ calée ” sur le
modèle français concernant le statut des communes, le critère de l’élection municipale comme caractéristique du pouvoir
local est un critère qui est également important dans le système général, assurant le statut d’un pouvoir local “ légitime ”.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 141 -
dans les décisions, le pouvoir déconcentré fort semble par ailleurs provenir des anciennes habitudes
de la période de décentralisation administrative entre 1986 et 1991. Période durant laquelle le
gouvernement central demandait aux provinces de gérer elles-mêmes leur budget, voire à être
autonome. Le gouvernement demandait également aux Comités Populaires locaux de gérer euxmêmes
les affaires administratives y compris les litiges d’ordre juridique, politique et sécuritaire.
Ainsi en fin de compte, malgré cette période de décentralisation administrative, nous insistons sur le
fait que le pouvoir local proprement dit n’existe pas, ni institutionnellement, ni
constitutionnellement, mise à part l’autorité du village –structure traditionnelle– qui ressemble le
plus à la représentation du pouvoir local, le seul que nous pouvons imaginer au Laos.
En acceptant de créer les UDAAs pour la capitale et pour toutes les villes secondaires –
l’objectif étant de pouvoir en créer pour toutes les villes du Laos– le gouvernement accepte assez
rapidement l’idée qu’il s’engage aussi dans la création de l’embryon d’un pouvoir municipal
éventuel, élu ou non. Cependant, la nécessité d’apporter une réforme (un amendement) à la
Constitution fait difficilement son chemin. En vérité, pour les autorités politiques laotiennes, la
création des UDAAs n’avait pour objectif de départ que la création d’un service technique et
administratif d’une éventuelle future municipalité, et non directement la future municipalité. Malgré
tout, nous pouvons dire sans trop d’erreur que derrière l’apparence de divergence idéologique, il y a
de fait un compromis bien établi entre l’État laotien et les bailleurs de fonds internationaux :
l’existence des UDAAs permet par son fonctionnement de caler la réflexion concernant la
municipalité sur les faits concrets et de voir les difficultés qui en découlent.
III. VI. a. 1. Rôle et missions principales des UDAAs
Les compétences institutionnelles
Tout en fonctionnant avec les autres partenaires publics sur différents secteurs depuis leur
création, gestion urbaine et réalisation de certains projets urbains ad hoc, etc., la compétence
institutionnelle des UDAAs et du VUDAA est pourtant à ce jour, toujours en devenir. Les relations et
le partage des responsabilités avec ses partenaires publics restent à clarifier. L’exemple de la
structuration, VUISP –capacity building– Vudaa Organisation, a été étudiée et proposée en 2006
par le BDPA en association avec SMED, sur financement de l’AFD. Cette proposition a du mal à
être mise en application, du moins certaines propositions, seulement, sont applicables. Le
gouvernement a confié son étude et l’examen des propositions à une administration de l’État
attachée au Cabinet du Premier ministre. Ceci, afin de le rendre conforme, sinon adéquat, aux
organisations politiques et administratives nationales. Nous avons déjà mis en évidence dans le
paragraphe précédent, sur quel point existe-t-il des inadéquations. Rappelons ici la proposition faite
en 2006 à partir de laquelle le VUDAA devrait se caler, si non en partie réadaptée. Il s’agit en
particulier du problème des recettes et des fonds qui manquent à son fonctionnement et à son
autonomie et qui l’empêchent d’assumer les missions pour lesquelles il a été créé. Il est question
effectivement d’aborder une approche juridique autrement que pour des décrets d’application
ponctuels, d’affirmer toutes ses prérogatives et ses missions et de les rendre incontestables au
niveau des procédures devant les tiers ainsi que devant les autres organismes publics. Mise à part la
place institutionnelle du VUDAA dans la Constitution de la RDPL et dans le cadre de l’instauration
de la municipalité –dont nous allons souligner l’importance dans le prochain paragraphe– et mise à
part la nécessité de recadrage pour le long terme, les actions nécessaires proposées par l’étude de
2006 sont les suivantes :
- Une loi-cadre définissant un échelon local et lui attribuant un pouvoir réglementaire concernant la
possibilité de création d’un système fiscal et parafiscal local.
- Une loi-cadre définissant la liste des ressources locales pouvant être instituées sur un territoire
donné et l’autorité chargée de leur gestion.
- Un décret du gouverneur de Vientiane déléguant cette compétence au Président de VUDAA pour
les missions liées à son existence.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 142 -
- Des décisions du Président de VUDAA définissant les différents composants du système fiscal et
parafiscal, dont VUDAA est l’autorité responsable.
Rôles, missions et cahier des charges des VUDAAs
Le cahier des charges des UDAAs était surtout concentré sur les volets techniques
(notamment gestion et autorisation des permis de construire, plan des trafics urbains, pilotage des
projets de développement urbain), il ne permet pas aux UDAAs de prendre des décisions de manière
autonome. En d’autre terme, les UDAAs n’ont pas de haute compétence décisionnelle, sauf en ce
qui concerne quelques volets qui lui ont été préalablement accordés par décret. Toute décision doit
d’abord avoir l’aval du Préfet (pour Vientiane) ou du Gouverneur de province (pour les villes
secondaires), via le Vice-gouverneur qui est aussi le Président de UDAA par fonction. Et la décision
de ces derniers, relève de celle du Premier ministre. Le jour où le Préfet deviendrait un élu (donc
n’étant plus Préfet) et ne serait plus par conséquent le représentant du gouvernement mais désigné
comme le maire et représenterait les intérêts de ceux qui l’auraient élu, la question du pouvoir
municipal aurait atteint son objectif. Mais tant qu’il est toujours un personnage nommé, exerçant un
pouvoir déconcentré, délégué par le gouvernement, le président des UDAAs sera toujours un simple
relais technique, décisionnellement dépendant. Ceci laisserait toujours sur leur faim les partisans de
la création d’une municipalité laotienne. C’est un bras de fer institutionnel que nous vivons dans ce
soutien à la gouvernance. Ceci montre à la fois des compromis et la prudence de la politique
laotienne à s’engager dans une véritable réforme, vers une démocratie participative plus grande.
A l’heure actuelle le contexte institutionnel n’a pas beaucoup progressé pour permettre
l’émergence d’une véritable municipalité. Faute de mieux, la présidence des UDAAs agit comme un
amortisseur par rapport aux incertitudes statutaires des UDAAs dans le système politique de la
RDPL, entre une compétence institutionnelle et politique encore déficiente et une compétence
technique pourtant de plus en plus renforcée. La présidence des UDAAs semble être là pour
débloquer lorsqu’il y a des décisions à prendre pour faire accomplir les missions ponctuelles qui ont
été confiées aux UDAAs. En fait lorsqu’elle prend certaines décisions techniques et politiques au
nom de son statut de présidence de UDAAs, elle assume des responsabilités de plus en plus hautes.
Elle semble acquérir une compétence plus politique qui dépasse alors ses responsabilités techniques
d’origine. Cependant aussi hautes soient les décisions et les compétences de la Présidence de
UDAAs, celui qui aura le dernier mot reste le Préfet ou le gouverneur et ceux-là sont à leur tour
responsables devant le Premier ministre.
Le vrai pouvoir décisionnel des UDAAs est donc détenu par le Préfet ou le Gouverneur.
Mais en aucun cas, le Préfet ne peut être assimilé au maire qui représente normalement le pouvoir
local. Ce fameux élu constitutionnellement n’existe pas au Laos, autant qu’il n’existe pas de
municipalité. En définitif, dans le contexte politique de la RDP Lao, le Gouverneur et le Préfet
représentant du pouvoir de l’État, sous l’autorité desquels les UDAAs et le UDAA de Vientiane sont
placés, ne sont pas élus mais nommés. De fait, ces derniers se substituent au rôle du maire pour
mener la politique locale de gestion et de développement de la ville, par leur poste de Présidence.
Les ressources des UDAAs
Un autre point important qui explique cette substitution, c’est la capacité des UDAAs, sous
tutelle du gouverneur et du Préfet, de se munir de certaines recettes, même si elles ne peuvent
couvrir les dépenses pour leur fonctionnement de base. Par exemple à Vientiane, il est accordé au
VUDAA –sur décision du Premier ministre– une recette calculée en pourcentage sur l’eau potable
(Nam PAPA Lao) et sur l’électricité (Electricité du Laos EDL).198 Et depuis 2001 d’autres recettes
et redevances lui ont été accordées. Malgré cela, ses fonds restent insuffisants pour couvrir les
services qu’on lui demande, inscrits dans ses missions et ses cahiers de charges. Par ailleurs, sa
198 Décret N021/PM en date du 27 avril 2001.
Tab.4. Les
ressources
du VUDAA
entre 2000 et
2008.
Tab.5. Les
dépenses
du VUDAA
entre 2000
et 2008Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 143 -
capacité réelle de prélever les recettes sur le terrain, auprès des usagers reste un problème de taille.
Ses compétences, institutionnelle et juridique, ne sont pas assez claires et assez solides, cela réduit
ses moyens de persuasion auprès des usagers et des contribuables. À titre illustratif, les tableaux cicontre
dressent les différentes sources et dépenses de VUDAA entre 2000 et 2008.
Nous pouvons remarquer que les ressources perçues par VUDAA sont nettement inférieures
à ce qu’il aurait dû percevoir par rapport aux volumes potentiels des ressources. Lorsque nous avons
interrogé le responsable du Bureau des Finances de VUDAA, la difficulté pour recevoir pleinement
les redevances vient d’abord du fait qu’il n’y a pas encore de méthodes efficaces pour prélèver des
redevances et qu’il n’y a pas non plus de mécanismes procéduraux établis. Les usagers sont parfois
récalcitrants à payer les services, qu’ils considèrent souvent comme un dû. Ils ne comprennent pas
pourquoi ils doivent payer telles ou telles sommes pour des services publics rendus. Et enfin,
VUDAA ne possède pas assez de pouvoir juridique et institutionnel pour imposer des règles et
contrôler leur application.
Prenons par exemple le cas des ressources provenant des places de stationnement. Lorsque
les places de parking sont devenues payantes et lorsque VUDAA a le droit de s’attribuer des
ressources générées, étant donner que la charge de leur entretien et de leur réparation lui est confiée,
VUDAA a sous-traité à l’Organisation de la Jeunesse la gestion du parc de stationnement dans les
différents sites. VUDAA en récupère 60%, l’Organisation de la Jeunesse en récupère 30% et les 10%
restant servent pour payer le personnel qui effectue sur les sites le ramassage quotidien des tickets.
Ce mode qui a été appliqué la première année est sans succès. La deuxième année, toujours avec
l’Organisation de la Jeunesse, VUDAA fixe une somme forfaitaire à 80 millions de kips par mois
pour tous les parcs de stationnement à Vientiane. La deuxième expérience se montre également
inefficace : la somme de 80 millions de kips par mois n’a jamais été atteinte. À présent, VUDAA fait
appel à d’autres opérateurs, organismes et sociétés privées et fixe une somme forfaitaire pour
chaque société qui partage la gestion des sites. Une sorte de mise en compétition des opérateurs,
sans appel d’offres ni cahier des charges. Entre 50 millions et 60 millions de kips, sont les recettes
forfaitaires mensuelles demandées par VUDAA aux concessionnaires pour tous les parcs de
stationnement réunis sous sa gestion. D’après le responsable du bureau des finances, ce procédé
semble pour le moment fonctionner, mais il espère trouver une autre forme plus efficace pour
contrôler toutes les autres places de stationnement existant dans la ville qui ne font pas encore
l’objet de redevance, mais dont l’entretien et la réparation sont placés sous la responsabilité de
VUDAA.
Parallèlement à un lent et difficile processus d’autonomisation de VUDAA, la mise en place
des outils institutionnels poursuit son cours et soutenue progressivement par la mise en place des
projets opérationnels. Parfois, ces projets anticipent et amènent des solutions à la structuration
administrative en cours, ou du moins, certaines décisions de substitution. Quoi qu’il en soit les
termes “ municipalisation ” et “ pouvoir local ” font partie aujourd’hui du vocabulaire administratif
et semblent politiquement acceptés par les agents gouvernementaux dans le long terme comme une
évolution possible du pouvoir administratif de la RDP Lao, même si la question constitutionnelle
reste encore un grand blocage. À partir de 2005, la structure des UDAAs s’éclaircit davantage : ses
missions deviennent de plus en plus concrètes et plus en phase avec les préoccupations et les
besoins locaux. Ce qui permet également de voir que les actions menées au sein de chaque UDAA,
se distinguent de plus en plus des missions du cadre général des UDAAs et de celles définies dans la
stratégie nationale. Pour comprendre cette progression, il est important de consulter les projets qui
ont été menés dans le cadre des UDAAs, avec les bailleurs de fonds internationaux.
III. VI. a. 2. Décrets et projets réalisés dans le cadre des UDAAs et de VUDAA199
199 Cf. Tableau en annexe. Décrets – lois et projets dans les domaines politique et administratif, secteur de la stratégie
urbaine, patrimoniale, taxes et foncier.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 144 -
Les projets et les actions menées dans le cadre du programme STIUDP (Secondary Town
Intégrated Urban Development Project.) et de VIUDP(Vientiane Integrated Urban Development
Project) –le programme précurseur des UDAAs et de VUDAA– sont généralement des projets qui
concernent le territoire des localités. Ils devraient relever des responsabilités des autorités locales.
Ils devraient être politiquement, financièrement et opérationnellement autonomes, “ dignes ” des
actions d’un pouvoir local ou d’une future municipalité. Or ce n’est pas le cas. Le terme “ autorité ”
semble ici inapproprié puisqu’il possède un pouvoir très limité. Il ressemble plus à un grand service
technique de la ville. Les projets réalisés ne peuvent ainsi se faire que par décrets spécifiques ou par
décision attachée à chaque projet.
Les projets et les initiatives institutionnelles prises et réalisés avant le décret N83/PM du 05
décembre 2005, portant la création du Comité Responsable de la Mise en place de la Municipalité
de Vientiane et de Luang Prabang peuvent nous donner des éclairages sur le fait que l’Autorité
Administrative pour le Développement Urbain (UDAAs) acquièrent peu à peu des prérogatives
autres que techniques et qu’elle a besoin d’être consolidée politiquement et d’être plus autonome en
ce qui concerne ses compétences institutionnelles et financières. Mais les données montrent que
cette autonomie est encore à rechercher.
Les décrets et les organismes promulgués et créés par le gouvernement laotien, ainsi que les
projets et les programmes du secteur urbain, financés, initiés et mis en place (avant la création des
UDAAs le 02 décembre 1997 par décret N177/PM) par les bailleurs de fonds et les partenaires
extérieurs sont nombreux. Les projets et les programmes, dont les UDAAs sont plus tard en charge,
répondent directement à la demande des bailleurs de fonds et des partenaires extérieurs. C’est
pourquoi ils dépendent aussi d’eux. Mais après la création des UDAAs les projets à leur initiative
deviennent rares, car d’après les bailleurs et les partenaires extérieurs, le gouvernement laotien doit
aussi poursuivre les efforts pour la bonne gouvernance urbaine de manière autonome.
Décrets, projets, programmes réalisés avant la création des UDAAs.
Le gouvernement lao. Les partenaires extérieurs.
1995 : Décret N40/FAMC, 04/04/95. Création du VUDMC (Urban for Development and Management
Comity) couvrant les 100 villages de Vientiane. Création du UDMCs pour
les 4 villes secondaires.
1993 : la BAD finance l’initiation du projet VIUDP. (16 actions dans
100 villages de Vientiane.)
1993 : mise en place du projet des Infrastructures et des Services
Urbains de Vientiane. VUISP.
1996 : la BAD finance l’Implantation et la mise en œuvre du projet
VIUDP pour 4 districts de Vientiane : 16 actions 100 villages (1995- 2000).
1997 : Décret N0807/MCTPC,
27/03/97. Création du Comité
responsable des projets de
développement urbain des villes
secondaires.
1997 : la BAD finance la mise en place du projet STIUDP
1997 : la BAD finance pour deux ans un projet de formation et de stage destiné à l‘établissement du système administratif municipal.
BAD-VIUDP-TA2377, 1997-1999.
1997 : la BAD finance la mise en place du programme AUPM de la
formation en planning et gestion urbaine, AUPM 1997-2000,
MCTPC-IRU-BAD TA Project-AIT BKK. Il met en coopération l’IRU
et l’Institut Asiatique de Technologie (AIT). Le programme couvre
trois ans de formation destinée aux agents de l’État : les
fonctionnaires du ministère et de la préfecture, les agents provinciaux responsables des affaires urbaines. Bien que ce programme n’ait pas
été mis en place dans le cadre des UDAAs, ses agents ont bénéficié de cette formation.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 145 -
Décrets, projets et programmes réalisés après la création de UDAAs. Les charges sont sous la
responsabilité des UDAAs et du VUDAA.
III. VI. b. La municipalisation
Nous nous référons d’emblée à la question de municipalité au fait du pouvoir local élu, qui
est l’un des principes fondamentaux du pouvoir local dans l’administration publique.200 Cependant,
le statut de maire d’une municipalité, d’un élu n’existe pas, il est même en contradiction avec la
Constitution de la RDP Lao.
L’arbitrage administratif avant la mise en place de la première Constitution de la RDPL
Rappelons que la constitution de la RDP Lao n’a été promulguée seulement qu’en 1991,201
soit seize années après la proclamation de la RDP Lao et cinq années après la proclamation de la
Réforme. Ce qui veut dire que la direction du pays a été menée sous forme d’arbitrage du Parti
PPRL durant seize années, aussi bien au niveau central que local. Dans cet arbitrage soulignons
l’importance des Comités populaires qui avaient géré et encadré à peu près tous les secteurs dans les
localités, car la structure administrative décisionnelle n’existant pas vraiment, la gestion et
l’administration fonctionnaient sur décision collective.
La distinction historique entre la ville-préfecture et la province
Rappelons également entre 1976 et 1981 que l’administration de la province et celle de la
préfecture ont été regroupées devenant une entité unique placée sous la direction du Comité Central
du Parti PPRL à l’échelon de la Province, mais ayant son siège dans la capitale.202 Nous pouvons
ainsi dire qu’administrativement la ville-Préfecture (l’agglomération urbaine) a disparu en 1976
pour ne réapparaître qu’à partir de 1981 au moment où la province a été séparée d’elle de nouveau.
Donc, à partir de 1981 les provinces étaient placées sous la responsabilité de leur gouverneur de
province respectif et de leur administration. L’administration de l’agglomération urbaine de
200 Ceprincipe trouve largement ses racines dans l’administration française. La culture administrative lao est
incontestablement liée à celle de la France qui y avait introduit par son administration coloniale l’idée de municipalité et
de commune, bien que les communes instaurées au Laos à l’époque coloniale ne soient pas pourvues de maires. En France
l’autonomie, entre autres, financière des communes françaises est renforcée par la loi de la décentralisation de 1983.
201 Elle est ratifiée en 2003. 202 La Préfecture a été créée pour la première fois au Laos en 1960 pour se démarquer de l’administration provinciale.
Le gouvernement lao Les partenaires extérieurs.
1997 : Décret N177/PM, 02/12/1997.
Etablissement de l’Organisation de l’Autorité Administratif
pour le développement Urbain, UDAAs.
1998 : la BAD finance un programme de formation spécifique destiné aux agents
des UDAAs et de VUDAA. La formation
et les stages couvrent deux années, 1998- 2000. BAD-VIUDP-TA 2973.
1999 : Décret N157/PM, 08/1999. Création du comité de
pilotage du VUDAA.
1999 : Decret N1366/PVT, 09/1999. Nomination des membres
du cComité de pilotage de VUDAA.
1999 : Décret N1836 et 1837/PVT, déc 1999. Transfert du
service de l’environnement - déchet et création de service de
maintenance de la voirie au sein de VUDAA.etc.
2000 : Ordonnance N/1804/P-VT, 25/12/00. Attribution des
Fonds de fonctionnement de VUDAA.
2000 : Décret N141/PM, 31/05/00, confirmant le statut de
VUDAA. Décret 171/PM confirmant celui des UDAAs comme
division de la Préfecture/province.
2001 : Décret N21/PM, 27/04/01. Attribution des revenus à le
VUDAA.
2005 : Décret N83/PM, 05/12/05. Création du Comité
responsable de la mise en place de la Municipalité de Vientiane
et de Luang Prabang. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Vientiane était placée sous la responsabilité d’un autre gouverneur, désigné plus justement sous
l’appellation “ Préfet ”.
Le Comité responsable de la mise en place de la municipalité de Vientiane et de Luang
Prabang comme projet pilote
L’idée d’un pouvoir local élu et donc des élections municipales reste encore une hétérotopie
pour le Laos, du fait que les UDAAs fonctionnent simplement comme un service technique d’une
municipalité virtuelle qui n’existe pas encore et qui n’existera sans doute jamais si une réforme
institutionnelle et constitutionnelle ne vient apporter son secours. En attendant, vers 2005 le
gouvernement consent à préparer officiellement la création de la municipalité que l’on appelle en
lao Thésabane [gmflt[ko].203 Il crée par décret N83/PM en date du 5 décembre 2005, le Comité
Responsable de la Mise en place de la municipalité [7totIa[zyf-v[dkolhk’8A’gmflt[ko]. Le processus
de municipalisation ne concerne dans ce décret que deux agglomérations : Luang Prabang et
Vientiane, en tant que projets pilotes qui devraient être répliqués dans les autres villes et provinces
si les deux expériences se montrent concluantes.
Institutionnellement, le Comité agit sous tutelle du Vice-Premier ministre et fonctionne
comme un secrétariat du gouvernement affecté aux Affaires de l’Organisation Administrative
Municipale. La mission et les cahiers des charges du Comité comportent huit points. Il s’agit :
1- du point de vue juridique et institutionnel d’apporter des réflexions à la question comment
juridiquement les deux municipalités peuvent-elles être créées dans le cadre constitutionnel de la
RDP Lao,
2- de rechercher une orientation et un plan d’action approprié pour mettre en place la structure des
deux municipalités,
3- de proposer une structure administrative adéquate à cette organisation municipale,
4- d’établir toutes démarches et recherches de mise en œuvre en concertation étroite avec la
Préfecture de Vientiane et avec l’administration de la province de Luang Prabang afin de mener à
bien ces missions,
5- de régler tous problèmes et litiges qui peuvent survenir dans le processus de mise en place des
deux municipalités,
6- en coopération étroite avec la Préfecture de Vientiane et avec l’administration de la province de
Luang Prabang, d’élaborer le plan délimitant le périmètre physique des deux municipalités. Pour le
périmètre municipal de Vientiane, il faudrait réviser ses limites : quatre districts parmi les neuf de la
Préfecture de Vientiane, afin d’améliorer sa cohésion territoriale. Les 189 villages qui composent
les quatre districts Chanthaboury, Sissatanark, Sikhottabong et Xaysetha, ainsi que les autres
districts qui peuvent être concernés doivent faire l’objet de révision afin de savoir si tels ou tels
villages doivent faire partie ou doivent être exclus du périmètre de la future municipalité. Il est de
même pour Luang Prabang. Dans le cas où il serait inadéquat que certains villages en fassent partie,
les villages en question devraient être transférés aux districts environnants,
7- en coopération étroite avec le Ministère des Finances, d’étudier le système financier (sources et
perceptions, rétributions, gestion, fonctionnement, etc.) afin d’assurer l’autonomie des deux futures
municipalités,
8- de rendre des comptes de l’avancement de leurs travaux, recherches et réflexion, au
gouvernement de manière constante et conforme.
Le Comité sera assisté par un secrétariat qui sera créé par le Département de
l’Administration Générale. Le budget que le Comité aurait à son actif pour ses travaux de recherche
ne serait pas inscrit au Plan budgétaire Général de l’État. Les membres du Comité désignés
203 Thésabane, gmflt[ko, peut être défini par « limite ou territoire qui se suffit à lui-même ».Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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utiliseront leurs propres fonds de fonctionnement provenant de leur administration ou organisme
respectif, duquel leurs postes sont détachés. Les membres sont ainsi composés d’un haut agent du
Département de l’Administration Générale de l’État, du Vice-directeur de l’Administration du
Comité Central du Parti, du Chef du Département des Affaires Administratifs Locales, du Directeur
du Département Général de l’Habitat et de l’Urbanisme du ministère MCTPC (MTPT), du Vicepréfet
de la Préfecture de Vientiane, du Vice-gouverneur de Luang Prabang, du Vice-directeur du
Département des Budgets du Ministère des Finances.204 À ce jour, le Comité poursuit encore ses
recherches. Nous ne savons toujours pas quels seraient la configuration exacte ainsi que le statut
juridique et institutionnel de ces deux municipalités, leurs compétences, leurs attributions, leurs
organisations dans la Constitution de la RDPL.
Si le Comité effectue surtout des recherches sur la question d’intégration institutionnelle, la
Direction Générale menée par le Vice-gouverneur de VUDAA a réalisé une étude axée sur les volets
techniques. Un rapport a été présenté au gouverneur et au Premier ministre. Sachant qu’une autre
étude a été proposée en 2006 par les experts français dans le cadre du projet VUISP-Capacity
Building financé par l’AFD et la BAD. Quoi qu’il en soit nous avons vu que la création de la
municipalité, avec un pouvoir local, doit être déterminée par la Constitution. Or, à ce jour, il n’est
pas encore question de toucher à la Constitution pour cette fin, bien qu’elle ait bien été modifiée en
2003.
La question de limite territoriale d’une municipalité
En ce qui concerne Vientiane, la limite territoriale de la municipalité devrait d’abord
comprendre les 189 villages, composant les quatre districts qui sont définis comme périmètre urbain
de la ville. D’après les discussions du Comité, il est à présent question de l’élargir aux 202 villages.
Les débats en cours (commencés depuis 2007) portent sur les limites physiques et sur la
forme de l’administration de la future municipalité : faut-il ou pas créer quatre municipalités
correspondant aux quatre districts les plus urbains parmi les neuf qui composent la Préfecture de
Vientiane ; ou bien, faut-il créer une seule grande municipalité à partir de ces quatre districts.
D’après la plus ancienne définition, la préfecture de Vientiane est composée de quatre districts à
caractères urbains : Muang Chanthaboury, Muang Sissattanark, Muang Saysétha et Muang
Sikhottabong. Les cinq autres muang restant sont considérés comme des districts plus ruraux.
D’après la plus récente définition, la préfecture de Vientiane peut être composée de trois parties : la
partie urbaine serait composée de Muang Chanthaboury et de Muang Sissattanark, la partie
périurbaine serait composée de Muang Sikhottabong, Muang Xaythany et Muang Hatsayfong et
enfin la partie rurale serait composée de Muang Naxaythong, Muang Sangthong et Muang PakNgum.
La conception générale sollicite une grande municipalité unique comprenant les quatre
districts les plus urbains, mais une question demeure : faut-il supprimer les unités administratives
des quatre districts ou les garder en tant que petits districts ou arrondissements à l’intérieur de la
grande Municipalité de Vientiane. La difficulté se situe aussi bien dans la suppression des quatre
districts que dans le fait de les garder. Leur suppression semble difficile pour des raisons
fondamentales. À ce sujet, certains agents donnent leurs points de vue en ce sens : « même si au
niveau financier cela réduirait de manière considérable les frais de fonctionnement sur le long
terme, d’autant plus qu’au niveau administratif les districts ne servent pas à grand chose, les
supprimer ne serait pas une grande perte ». De ce point de vue, la difficulté ne semble pas être de
l’ordre administratif, elle l’est de l’ordre historique et culturel.
La suppression du muang et la conception ancienne du muang.
204 Article 1, portant membre du comité, décret N°83 du 05/12/2005.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Effectivement la conception du muang (district) fait partie de la culture administrative
traditionnelle et correspond à une identité territoriale, au-delà de l’administration communale ou
municipale introduite par l’administration coloniale. Cette administration traditionnelle ne s’est pas
estompée et n’a pas disparu malgré les réformes qu’avaient connues l’administration et les
territoires laotiens. Le muang est l’unité identitaire de la ville par excellence, tant du point de vue
administratif que physique. Au début du XXe siècle par exemple, Muang Chanthabouri était le
muang central qui abritait le chef-lieu de Muang Vientiane, la partie la plus centrale et la plus
citadine. Au fur et à mesure que l’agglomération urbaine s’étend, les quatre muang finissent par se
rejoindre et composer le muang-capitale de Vientiane. L’histoire du muang-capitale (ville-capitale)
s’est forgée avec celle des muang qui la composent et qui formaient le muang-État (cité-État). La
disparition de ces muang primitifs donnerait l’impression que Vientiane se désintègre de son
histoire, de son assiette géographique et de son espace historique. Cette impression n’est pas une
observation du pittoresque, mais découle d’une cohésion de l’ordre identitaire et spatiale que
l’administration future de la municipalité aurait probablement tort de négliger. La future
municipalité dont le sens primitif et historique correspondant est le muang perdrait tout son sens si
les quatre muang primitifs sont supprimés. Par ailleurs “ district ” correspond bien au terme muang
seulement du point de vue administratif. Du point de vue conceptuel muang correspond plutôt à
“ municipalité ” ou “ commune ” ou “ ville ” ou “ pays ” (2e partie. II.II.a.)
Dans le cas où on crée une seule municipalité tout en conservant les quatre districts dans
leur intégralité administrative –comme arrondissement ou autre– les débats soulèvent les difficultés
techniques et financières qui seraient générées par la restructuration d’une nouvelle administration
sur quatre sites (dans quatre districts géographiques), sans parler du site central qui serait le siège de
la grande Municipalité de Vientiane. Cette idée nécessiterait beaucoup de dépenses. Par ailleurs, la
construction de la grande municipalité a déjà été prévue, les travaux ont commencé en 2008-2009 et
son inauguration est prévue pour fêter les 450 ans de la capitale de Vientiane en novembre 2010.205
Bien entendu, comme nous l’avons fait remarquer, la disparition des quatre districts en tant
qu’échelons administratifs faciliterait les démarches administratives et ferait économiser au pouvoir
local futur ses frais de fonctionnement. Mais il est sans doute possible aussi de trouver des
compromis pour préserver l’unité territoriale et identitaire des muang traditionnels en respectant
leur limite et leur histoire respective, tout en transférant l’instance administrative des muang vers
une instance unique, celle de l’administration municipale unique de la future municipalité de
Vientiane.
La municipalité, en tant que représentant du pouvoir local, appelle à la participation et aux
choix de la citoyenneté
Notre intention ici n’est pas de prétendre trouver la ou les solutions idéales pour répondre
ou participer au débat, mais de signaler que la démarche et le processus de municipalisation en
cours sont longs et rencontrent de multiples difficultés, non seulement d’ordre politique et
constitutionnel, technique et financier, mais surtout culturel.
Effectivement si cette municipalité est à l’évidence nécessaire à la gestion locale du
territoire, elle devrait être compréhensible par les citoyens. Le débat doit accepter que la question de
municipalité et du processus de sa création renvoie bien à l’origine de la ville et de l’administration
traditionnelle. Si la compréhension par les citoyens de l’idée de municipalité est importante,
garantissant le succès de son application et de son fonctionnement et confortant ainsi la nécessité de
devoir être créée, il va de soi que la manière et le processus de sa création ne devraient pas être
imposés comme une “ dictature bureaucratique ” ou une “ sur-administration ” selon la pression
financière des bailleurs de fonds internationaux. Car ils deviendraient aux yeux de la population
comme un moyen et un prétexte pour créer des charges et des obligations (redevances, taxes,
205 Le siège de la préfecture de Vientiane a été inauguré en 2011.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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impôts, etc.) L’implication des citoyens dans la démarche et dans le processus est donc essentielle.
Elle passe nécessairement par la responsabilité citoyenne, sous-entendant le choix des représentants
et des formes de représentation des pouvoirs auxquels les citoyens solliciteraient de prendre part.
Le processus de municipalisation appelle donc ses auteurs et ses responsables à rester
attentifs à la réalité sociale et culturelle locale concernant la question, qu’elle que soit la forme que
prendrait cette municipalité. En tous les cas, les difficultés que rencontre la municipalisation ne font
que mettre en évidence, d’une part, la résistance de la culture administrative locale traditionnelle, et
d’autre part, la résistance du régime politique, encore réticent à l’émergence du pouvoir local et à la
démocratie participative.
III. VII. Le rôle des investissements et de la migration dans le concept de
citoyenneté et dans la recomposition urbaine
Trois autres questions qui sont liées entre elles jouent également un rôle important dans la
recomposition et reconfiguration spatiale, en particulier du point de vue économique et humain. La
liberté d’échange et de circulation des biens induite depuis l’ouverture économique de 1986, a
favorisé l’émergence des acteurs économiques. Le droit d’entreprendre et la liberté de circulation
des hommes et des capitaux se sont affranchis des contraintes idéologiques. Ils ont enrichi les villes
des bras et des ressources humaines et financières. Le droit de propriété et d’action sur les terres a
fourni aux hommes les moyens légaux d’intervenir plus aisément dans l’espace habité.
Pour les trois questions corollaires, il s’agit d’abord de la question des nouveaux acteurs
économiques émanant des investissements internes et externes, qui forment des facteurs de
modification du paysage urbain et de la politique de la ville. Il s’agit ensuite de la question de
mobilité des hommes ou de la migration. Celle-ci a été l’élément révélateur de la dynamique des
villes, que cette migration soit interne ou externe. Enfin, il s’agit de la mise en place de la question
citoyenne.
Les investissements en terme de poids économiques et les hommes en terme de ressources
humaines sont des facteurs essentiels pour la configuration de la ville, mais aussi de sa politique.
Quelle part de responsabilité et quelle part de droit de citoyenneté assument aujourd’hui les
investissements et les hommes issus de la migration, en particulier dans la notion nouvelle de
l’habitant et du citoyen que le gouvernement de la RDPL définit à travers les dispositifs civiques
propagandistes. Cette notion nouvelle est à comparer à la notion ancienne du statut de l’habitant,
qu’il est important de rappeler.
III. VII. a. L’apport des investissements dans les modifications du paysage urbain et
dans la politique de la ville.
Les investissements qu’ils soient internes ou externes ont été les éléments majeurs dans les
modifications du paysage urbain et de la gouvernance urbaine. Les plus importants sont les
investissements publics que nous n’allons pas évoquer dans le présent paragraphe. Donc, mis à part
les investissements publics, les investissements du secteur privé ont été un facteur majeur dans la
construction des infrastructures et des équipements.
II. VII. a. 1. Les investissements intérieurs.
Les investissements de fonds locaux sont peu importants et occupent les petits secteurs
divers qui n’intéressent pas directement les investisseurs extérieurs : tels, les petits commerces de
proximité, les boutiques, la production de l’artisanat courant, les services de location de maisons, la
construction et la spéculation à petite et à moyenne échelle. Les locaux ne peuvent investir que dans
les activités qui ne nécessitent pas de grands investissements, sans beaucoup de risque, qui
rapportent vite et durablement, même à petites marges. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les investissements locaux ont fait aussitôt surface après l’ouverture économique. Certains
ont même été maintenus ou revivifiés un peu avant l’ouverture du pays, afin de répondre aux
besoins de base durant les années difficiles, notamment pour les produits de consommation. En ce
cas, les petits investisseurs qui n’étaient pas dans le secteur de la production occupaient aussi le
marché noir, au vu et au su de l’autorité publique qui a besoin de ces derniers comme intermédiaires
pour traiter officieusement avec le pays voisin (la Thaïlande) qui, officiellement et cycliquement,
pratiquait l’embargo vis-à-vis du Laos.
Cependant, ces investissements privés locaux ont été revivifiés de manière très lente et
progressive. Ils semblent suivre le rythme de progression du pouvoir d’achat de la population
urbaine. Notons à ce propos, seule la population citadine est vraiment concernée, car en milieu rural
et reculé (qui constitue la majorité de la population laotienne ne consommant pas ou peu) le pouvoir
d’achat est quasiment inexistant.
Dans les fronts de rues du quartier animé et commercial d’avant les années 1975, les rez-dechaussées
des compartiments qui étaient restés fermés sans activité pendant longtemps sont peu à
peu réouverts, accueillant des boutiques de taille allant d’un à trois compartiments. Les fronts de
rues dans leur horizontalité et leur verticalité sont réhabilités et reprennent vie. Dans le registre des
patentes commerciales, les demandes augmentent de manière significative. Les immeubles privés
sont aménagés en bureau et loués aux sociétés nouvellement installées.
Dans les quartiers animés, le cas de Vientiane montre l’importance du rôle de l’association
chinoise,206 qui possède la plupart des immeubles. L’association est un tremplin pour attirer et
favoriser le retour au Laos des Chinois de la diaspora. Dans la mesure où les Sino-Lao reviennent
toujours avec des fonds, qu’elle que soit leur importance, et retissent les anciens réseaux locaux et
régionaux avec les Chinois de Thaïlande, du Vietnam, de Hongkong et de Taïwan. On considère
que ce sont des investissements intérieurs, familiaux, voire, claniques. Bien que le phénomène
chinois de la diaspora n’occupe qu’une part dans l’ensemble des investissements internes du pays, il
est important de le signaler, car du point de vue urbain, il a joué un rôle important dans la
revivification des centres villes, à Vientiane comme dans les capitales provinciales.
Les familles laotiennes aisées quant à elles, possédant des biens fonciers tant des terres agricoles
que des biens immobiliers en ville, libèrent souvent une partie de leurs biens afin de concentrer leur
investissement sur la construction des maisons et sur la réhabilitation des immeubles à louer. Il
s’agit souvent des petits travaux d’embellissement, sans toucher aux vieux réseaux
d’assainissement, d’électricité et d’alimentation en eau. L’architecture des années 1970 de
l’ensemble des immeubles et l’architecture des édifices coloniaux ne sont pas mises en valeur. Pour
cette raison, beaucoup de bâtiments réhabilités ne répondent pas aux demandes extérieures. Il faut
attendre la fin des années 2000 pour que les bâtiments anciens et les nouveaux puissent répondre à
certains standards internationaux : fonctionnaliser, mais aussi embellir les bâtiments anciens, afin de
répondre aux images de marque et de modernité des nouveaux usagers.
III. VII. a. 2. Les investissements extérieurs et la politique de la ville.
Quant aux investissements étrangers, ils sont plus importants et semblent rapporter plus à
l’État par les taxes qu’ils génèrent. Par leurs enjeux financiers directs et par leurs retombées
diverses, ils exercent une influence sur la politique de la ville et du territoire. L’autorité urbaine doit
rattraper le retard dans son développement qui a été fortement accentué dans les vingt premières
années du régime. L’autorité urbaine de Vientiane doit accomplir plusieurs projets pour mettre en
valeur la ville en tant que capitale, aux yeux de la population et au regard de l’international. Réaliser
206 Un document de l’administration coloniale de 1908 (D628 15501/ GGI/ CAOM) montre que l’association existait déjà.
Elle était désignée comme “ cercle chinois ” et rassemblait les chinois de la diaspora. Vers l’année 2000, nous apprenons
par un Sino-Lao, membre de l’association, qu’elle fixait des critères d’adhésion, dont l’une qui stipule que pour adhérer à
l’Association chinoise de Vientiane, il faut être Chinois du Laos depuis trois générations. Ce qui semble distinguer cette
communauté chinoise ancienne de la nouvelle qui arrive nombreuse de la Chine populaire à partir des années 2000.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’un côté le désir du régime de se réconcilier avec l’histoire du pays (projets emblématiques : le
parc du roi Anouvong, le SEA-Game, la fête des 450 ans de la capitale, etc.) et de l’autre intégrer le
pays dans le réseau régional des capitales asiatiques (construction des zones de développement
économique, accueils des événements politiques, les sommets, les rencontres de l’ASEAN et de
l’ASEM, internationaliser les fonctions urbaines.) Les objectifs de telle ampleur offrent beaucoup
d’opportunités aux investisseurs. Inversement, l’appel aux investissements induit la montée en
puissance des investisseurs. Ces derniers s’imposent aux politiques et exercent une influence forte
sur la gouvernance urbaine, d’où des contradictions flagrantes entre la planification mise en vigueur
et les décisions prises pour permettre la construction de certains projets (notamment le projet de
Done Chanh Palace et de la “ cité d’affaire ”, glory of Laos.)
Les investissements externes ont été focalisés d’abords sur les secteurs lourds réalisés à
l’extérieur du milieu urbain. Après la libéralisation économique et après la mise en place du plan de
privatisation des entreprises d’Etat ou des entreprises mixtes dans les années 1985, les entreprises
du secteur lourd ou semi-lourd, mixtes ou appartenantes entièrement à l’État, commencent à
intéresser les investisseurs étrangers. Par l’intermédiaire des personnalités de la sphère
“ parapolitique ”,
207 les investisseurs étrangers ont repris un certain nombre d’entreprises de grandes
envergures : pharmaceutique, cimenterie, sidérurgie, confection, bois, minerais, etc. La plupart de
ces activités étaient installées à l’extérieur des centres urbains et/ou en sa périphérie, et il n’y avait
pas de grandes tendances à l’expansion de ces entreprises dans les premières années de la reprise.
La plupart d’entre elles restaient discrètes, même après leur transformation en joint-venture
étrangère-locale ou mixte privée-Etat.
Les investissements des premières années étaient concentrés pour beaucoup sur la
réorganisation, l’amélioration technique de la production (réparer ou changer les matériels et la
machinerie délabrée), une sorte de réinvestissement dans un système de production vieilli et
inadéquat qui nécessite une réorganisation. Le personnel était à reformer, la technique de
distribution à améliorer, un marketing et un nouveau marché à conquérir, etc. Par la suite lorsque la
première étape a été en partie comblée, beaucoup d’entreprises vont se développer et s’étendre
(Beer Lao, Ciment Lao, Lao Tabaco, confections spécialisées tel que le Lao coton). Et au contraire,
d’autres entreprises périclitaient ne pouvant rattraper les retards durant les 10-15 premières années
difficiles du régime (fabriques de poterie et de brique, usines de tabac de petite taille, etc.)
Vers la fin des années 1990, d’autres investisseurs se sont rapproché des milieux urbains, de
leurs centres et de leurs petites périphéries. En même temps, il y a une émergence de nouvelles
activités. Les intérêts des investisseurs portés aux domaines fonciers ont été plus visibles que les
autres, car ils ont apporté un changement significatif dans le paysage urbain : construction ou
réhabilitation de grands hôtels (Lao Plaza, Novotel, Sétha Palace, Dok mai Dèng, Park view, le
Marché du matin et son extension, terrain de l’ancienne trésorerie, terrain des anciennes douanes et
régies, etc.) A partir du milieu des années 2000, les intérêts pour les centres urbains se sont
fortement confirmés, parallèlement aux intérêts portés aux grands territoires extérieurs, réellement
intégrés ou simplement dénommés “ zones de développement ” ou “ zones économiques ”.
Les intérêts des investisseurs que nous évoquons à différentes périodes et à différentes
échelles ont joué un rôle important dans la politique de la ville. Car les projets qu’ils mettent en
place ne peuvent se faire que sous l’approbation de l‘autorité politique. Ce ne serait pas une erreur
de constater que de nombreux grands projets qui modifient la figure de la ville incarnent la politique
de la ville. Il est vrai pour Vientiane et il est vrai aussi pour les autres villes de province qui
connaissent un développement semblable, notamment la ville de Paksé. Son nouveau marché ainsi
207 Entendons par “ sphère parapolitique ”, les individus (souvent les femmes) appartenant aux familles des hommes
politiques qui font partie du Parti PPRL. N’exerçant aucun pouvoir officiel, ils prenaient part considérablement dans les
décissions politiques touchant les affaires au moment de l’ouverture du pays. Dans certains cas, ils étaient eux-mêmes
actionnaires, du moins, missionnés pour faciliter les contrats et pour l’obtention des patentes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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que son nouveau quartier, sont aujourd’hui désignés comme la ville du Groupe Dao Heuang, un
grand investisseur local d’origine Vietnamienne. En fait, les investisseurs n’accompagnent pas le
développement des villes en respectant le schéma directeur et en suivant la politique urbaine
annoncée et qu’est sensée de mener l’autorité urbaine. Mais ils mettent en application certaine
logique d’investissement : devancent et transgressent les règles et pervertissent la politique de la
ville. Nous le voyons à travers certains projets qui contredisent les plans urbains préconisés par
l’autorité publique. La construction du Done Chanh Palace dans la zone naturelle conservée (NA)
est justifiée par les décisions émanant de la haute instance du gouvernement. Il faut dont pour les
organismes publics, notamment ceux en charge de la planification et du développement urbain, de
jongler et d’apprendre à anticiper afin de ne pas entrer en conflit avec plusieurs décisions et projets
qui émanent de la haute instance décisionnelle du pouvoir. Ainsi, les règles ne sont pas appliquées à
tous. Les projets dérogatoires qui priment sur toutes les règles sont étroitement liés aux
investissements qui deviennent de plus en plus colossaux et qu’il convient de prendre en compte.
III. VII. b. Le rôle de la migration dans le renouvellement du domaine bâti
Nous repérons trois types de migration : la première est une migration interne (de la
campagne vers la ville, de ville à ville inter provinciale, inter urbain, à l’intérieur d’un centre
urbain), désignée comme une forme de mobilité. Dans son ensemble, elle est sans effet lourd
comparable à l’exode rural des années 1960 et 1970. Elle a permis en tous les cas au
renouvellement de la population et à donner à la ville un aspect plus anonyme et plus citadin. La
deuxième migration est externe provenant des pays limitrophes, liée aux relations historiques
récentes et à l’évolution des relations que le Laos entretient avec ses voisins, que sont la Chine et le
Viêtnam. La troisième migration peut être qualifiée d’artificielle. Elle est liée à l’ouverture
économique du pays et à la coopération internationale. Elle a été utile à la rénovation foncière et à
sa mise en valeur, mais n’a pas joué un rôle déterminant dans le centre ancien et dans la restauration
des vieux bâtiments.
III. VII. b. 1. La migration interne et le renouvellement des habitants dans l’espace citadin
Dans la deuxième partie, nous allons mettre en évidence l’importance du mouvement de
migration dans la constitution du territoire laotien et l’importance de la mobilité et de la répartition
des hommes dans son évolution. Nous allons montrer que le mouvement migratoire avait contribué
à définir une des caractéristiques sociales, spatiales et historiques des territoires urbains. Nous
rappelons dans ce présent paragraphe le fait que le mouvement migratoire interne récent contribue
au renouvellement des habitants dans l’espace citadin et influence directement la modification des
données spatiales. Aujourd’hui, les mouvements migratoires successifs ne fixent pas les
caractéristiques des lieux, mais induisent leur caractère évolutif.
La migration de la campagne vers la ville
La migration de la campagne vers la ville connait une certaine constance, même si elle n’est
pas aussi forte aujourd’hui par rapport aux années 1960 et 1970. La plus évidente raison reste les
offres d’emploi. La population active de la campagne se consacre majoritairement aux travaux
agricoles. Et lorsque les travaux des rizières de l’année s’arrêtent, elle vient chercher du travail en
ville avant que la nouvelle saison reprenne. Ceux qui n’ont pas de terre à cultiver ou bien les jeunes
qui ne veulent plus travailler dans les rizières viennent chercher du travail en ville pour toute
l’année, dans les usines et dans les chantiers de construction notamment. Notons que les travaux de
rizière rebutent de plus en plus les populations jeunes. La désertification de la campagne par ces
derniers est liée au manque de travail, mais aussi à l’ennui. La jeunesse rêve aussi à l’ailleurs et à un
salaire. L’absence des jeunes à la campagne devient flagrante dans certaines régions. Les petits
villages qui ne sont pas trop loin de la Thaïlande sont les plus touchés. Au-delà de Vientiane et des
grandes villes du Laos comme Savannakhet et Pakxé notamment, les jeunes traversent la frontière
pour trouver du travail en Thaïlande, au risque d’être victimes des trafics humains. L’État mène Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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depuis peu avec le soutien des ONG des campagnes de sensibilisation pour stopper le phénomène.
Des organismes de recherche d’emploi et de placement sont agrémentés afin de promouvoir la main
d’œuvre laotienne qui désire aller travailler à l’étranger et afin d’éviter que les personnes ne
tombent dans le réseau des trafics humains.208
Dans les provinces les usines et les manufactures se sont installées, mais de manière inégale
d’une province à l’autre. Il y a un grand vide dans la majorité des coins de campagne, dans le Nord
comme dans le Sud, dans l’Est comme dans l’Ouest. Nous sommes parfois frappés dans les villages
de ne pas trouver de jeunes gens, mais seulement des enfants et des personnes âgées. Les districts
qui accueillent des manufactures et des usines et qui ont pu fixer un peu sur place leur population
active font figure d’exception. Parfois, les emplois proposés ne sont pas adaptés, ou nécessitent un
minimum de formations dont la population ne peut bénéficier.
Ainsi, la main d’œuvre venant de la campagne en centre urbain et travaillant dans les
chantiers de construction et un peu dans les usines, constitue une partie de la migration de la
campagne vers la ville. La destination de cette migration est ainsi diversifiée. Mise à part la
contribution de sa main d’œuvre à la construction, la migration en milieu urbain en tant que choix
résidentiel est quasiment nul. Les gens sont logés directement dans les chantiers provisoirement et
changent d’endroit selon l’emplacement des chantiers. Ou bien, lorsqu’ils se fixent en ville, ils ont
élu domicile dans la proche couronne de la ville, là ou les loyers sont bons marchés. Le type de
logement de prédilection est un compartiment à rez-de-chaussée dont le loyer est de 300 000 à 400
000 kips par mois, et ils se logent à plusieurs.
La migration entre provinces
La migration inter provinciale actuelle est difficile à quantifier et ne constitue pas un
mouvement significatif. Elle s’est déjà produite à deux moments, rappelons-le. D’abord, c’était
pendant la guerre froide et confondue au mouvement de migration des réfugiés qui avaient fui les
combats. Elle s’est ensuite produite durant les premières années du régime, et durant la mise en
œuvre du repeuplement de certaines villes par le gouvernement, lorsque celui-ci voulait développer
les villes qu’il venait d’ériger afin d’illustrer son idéal de peuple multiethnique (voir 3e partie).
Héritées des faits historiques, les populations des provinces sont fortement présentes dans les
centres, identifiées par leur accent respectif. De manière générale, elles sont bien réparties et ne se
regroupent pas en quartier. Étant majoritairement constituées de Lao Loum, et plus de 30 années se
sont écoulées depuis leur arrivée dans la nouvelle province (cas de Vientiane), elles ont le temps de
s’approprier leur quartier et leur village, la mixité est ainsi assurée. Cependant, les villages qui
étaient monoethnique à l’époque, peuvent perdurer et garder encore aujourd’hui les marques
identifiables de la provenance d’origine de leurs habitants. Il s’agit par exemple des villages à
dominance tai dam ou à dominance tai neua et tai dèng à Nong Bouathong.
La migration entre centres urbains et à l’intérieur des centres urbains
La migration entre centres urbains, si elle existe, est difficilement identifiable, il est encore
moins facile d’en connaître toutes les motivations. Nous retrouvons par exemple beaucoup de gens
originaires de Luang Prabang qui décident de retourner à la ville d’origine, parce que la ville offre
des opportunités d’affaires, en particulier si leur famille a encore des biens fonciers. Ils y montent
ainsi un commerce, une guest house avec les biens de la famille. Il est de même pour Pakxé où la
ville connaît un développement important. Ou bien, dans certains cas, les gens peuvent partir vivre
dans une autre province parce qu’un travail ou un poste leur a été proposé. Ce phénomène constitue
des cas isolés et ne peuvent former un mouvement de migration inter provinciale important.
208 La lutte contre le trafic humain à l’échelle régionale devient une des préoccupations des gouvernements, tant laotien
que cambodgien, vietnamien et thaïlandais. Et si les ONG et les sociétés civiles sont plus nombreuses et peuvent agir plus
librement en Thaïlande pour assister les personnes, ce n’est pas le cas au Laos où la question demeure un tabou et les
sociétés civiles ne sont pas pleinement autorisées à agir. Cf. Rapports officiels sur le trafic humain de UNDP et le rapport
de l’AFESIP. http://www.afesiplaos.orgDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 154 -
En ce qui concerne la migration à l’intérieur des centres urbains eux-mêmes, nous avons
déjà évoqué la question dans le paragraphe traitant du « mouvement de stratégie résidentielle »,
rappelons simplement que cette migration est liée aux choix et à la stratégie commerciale aux quels
le choix résidentiel s’est greffé. Elle est caractérisée par une souplesse et une mobilité et par une
catégorie de population jeune et entreprenante.
Dans les deux cas de figure –migration entre centres urbains et à l’intérieur du centre
urbain- la migration serait purement liée aux choix et à la stratégie résidentielle et aux opportunités
économiques ou salariales. Ce sont des choix et des stratégies, apparus et devenus possibles que
dans un contexte citadin, et en particulier, conditionnés par une certaine dynamique du centre
ancien et de la ville en générale : un cadre économique favorable, une revivification globale des
activités, etc.
III. VII. b. 2. La migration externe liée aux relations historiques entre le Laos et ses voisins
que sont les Chinois et les Vietnamiens
Les deux migrations doivent être placées sur deux niveaux de réflexions distinctes. La
première doit être placée dans un contexte historique, la seconde, dans un questionnement plus
politique. Sans cette distinction, nous ne pouvons pas comprendre la migration sino-vietnamienne
au Laos et son influence dans la politique de la gouvernance du pays. Quelle utilité ou quel
problème, l’une et l’autre devraient soulever. La migration vietnamienne et chinoise est fort
ancienne pour le Laos. Sans la confondre complètement avec les poussées chinoises historiques, la
sinisation du Nord du Laos actuel n’est pas sans lien avec ces poussées historiques. C’est un
préalable que l’histoire politique et socioéconomique du pays doit sans cesse rappeler. En ce qui
concerne la migration vietnamienne proprement dite, l’histoire l’évoque dès le XIVe siècle. Mais
c’est récent, comparée à la longue histoire du glissement du peuple tai et de la poussée chinoise, et
c’est un élément majeur dans la situation politique actuelle du pays.
Lorsque l’unité politique lao s’était constituée en tant qu’État, toute la région de la
péninsule (le haut, le moyen et le bas Mékong) vivait alors sous l’autorité de l’empire de Chine, de
près ou de loin. Cet empire joue un rôle dominateur et arbitrait les conflits entres les États, quelle
que soit leur importance. La Chine dominait le Viêtnam durant plus de mille ans et empêchait
périodiquement ce dernier dans ses tentatives de domination des États voisins, que sont le Laos et le
Cambodge. Et chaque fois que la Chine relâchait ses surveillances, le Viêtnam tentait de la
remplacer : il annexait périodiquement le Traninh, le Sip Song Chou Tai et Houa Phanh comme ses
provinces occidentales.209
Dans une période plus récente, les deux composants migratoires ont été une nécessité pour
la fondation des villes coloniales, autrement dit, pour la revivification des villes du Laos ellesmêmes.
L’autorité coloniale a officialisé la colonisation annamite afin de combler le manque de
main d’œuvre et a fait appel à la colonie chinoise pour faire revivre la ville, ses activités et ses
commerces.
Plus récent encore le conflit sino-vietnamien en 1979 a mis en évidence deux forces en
présence, d’égale à égale, entre le Viêtnam et la Chine. Il était clair que le Viêtnam affirmait sa
prédominance sur l’ancienne Indochine en affrontant, avec succès, la Chine. Politiquement,
l’importance du Viêtnam et de la Chine pour le Laos affirme encore cet ancien schéma, mais dans
un contexte tout nouveau. Le Laos est un pays indépendant qui partageait dans le passé lointain et
récent un lien politique lourd avec ses deux voisins, au poids démographiques énormes. Pour
continuer à garder cette forme d’indépendance, il doit mener sa politique de telle sorte que la
balance entre les deux pays soit équilibrée.
209 Par exemple lorsque le Daï Viet lançait ses troupes pour annexer la partie septentrionale du Laos et atteindre la porte de
Chiang Mai, l’empereur de Chine a dépêché une ordonnance impériale, par l’intermédiaire d’un haut mandarin du Sud,
pour que le Daï Viet se retire de cette région.Tatsuo Hoshino, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 155 -
Le contexte nouveau place la question économique, avant la question idéologique, au cœur
des relations inter État. Les liens entre le Laos et la Chine ont été peu à peu normalisés après la fin
des conflits sino-vietnamiens et redeviennent, de nouveau, étroits à partir des années 1995. Les
traités et les projets de coopération naissent nombreux entre les deux pays. Cependant, force est de
constater qu’aucune coopération sino-lao ne peut dépasser les “ relations spéciales ” que le Laos
entretient avec le Vietnam, basées sur le fondement idéologique que le PPRL partage avec ce pays
depuis la fondation du PCI, appelé par les deux parties “ lien d’héritage historique ”, moun seua
pavasat. De fait : le Viêtnam occupe la place d’honneur sur le terrain de la politique, alors que la
Chine exerce une domination économique et financière indiscutable. La concurrence sinovietnamienne
a très bien été prise en compte dans la politique laotienne. C’est même l’élément de
son équilibre. Au regard de ces questions, le Laos doit traiter avec prudence la question de
migration avec les deux pays.
Aujourd’hui, la coopération régionale –dans le cadre de l’ASEAN ou du GMS– vient se
superposer aux schémas historiques. Sans remplacer les relations spéciales Laos-Viêtnam ou sans
réduire la domination de la Chine sur le Laos, la coopération régionale diversifiant les partenariats –
surtout sur le plan économique– tend à minimiser l’impression de main mise de ces deux pays sur le
Laos. Et la migration accompagnée ou pas de fonds d’investissement se travestit alors dans les
coopérations des communautés régionales. Dans ce cadre, rien ne doit choquer qui que ce
soit lorsque les projets de concession des terres font déplacer des villages entiers, lorsque les projets
de développement économique écartent la participation possible de la communauté locale, etc. La
migration et les implantations chinoises sont ainsi identifiées. Elles se réalisent beaucoup sous
forme de concession de longue durée pour les grands investissements déjà réalisés ou en cours de
constitution. Ceci, lorsque les acquéreurs n’ont pas pu avoir la nationalité laotienne pour acheter les
terres. Et lorsqu’ils le peuvent les Chinois font aussi des acquisitions définitives des terres et des
biens immobiliers (construction d’immeubles ou achat de compartiments). La naturalisation
laotienne étant administrativement laborieuse et devant s’acquérir sur décision de l’Assemblée
Nationale, elle devrait de ce fait se réaliser très rarement dans les règles. Les nombreuses
acquisitions des biens fonciers par les Chinois se font donc souvent par mariage avec les locaux.
Pour le reste, des procédures frauduleuses seraient pratiquées. En dehors des grands investisseurs, la
petite migration chinoise, se résume aux commerçants qui essaient d’écouler les sous-produits
ramenés régulièrement de Chine. En ce cas, certains d’entre eux louent des compartiments ou les
achètent quand ils le peuvent, ou bien alors louent les box construits par les sociétés chinoises ellesmêmes
dans les supermarchés (marché Jing kiang, marché de Nongnyang, marché Bôtèn, etc.)
Notons que la diaspora chinoise émigrée au Laos depuis plus de quatre générations n’a pas de lien
étroit avec les investisseurs chinois de la grande Chine actuelle qui investissent dans de nombreux
projets économiques et d’exploitation des terres.
En ce qui concerne les investissements vietnamiens, ils se sont beaucoup appuyés sur les
relations politiques spéciales que le Viêtnam a avec le Laos. A la différence de la diaspora chinoise
du Laos, les Viet-kyo du Laos se relient beaucoup plus avec les nouveaux investisseurs vietnamiens
(petits et moyens capitaux) qui arrivent également nombreux dans les plus grandes villes du pays :
Vientiane, Thakhek, Savannakhet, et surtout Paksé.
En ce qui concerne la migration sans fonds d’investissement particulier, elle se résume pour
les deux migrations à l’apport de main d’œuvre. Les travailleurs et les techniciens chinois
accompagnent les grandes sociétés de construction, la main d’œuvre laotienne étant très peu utilisée
par ces grandes sociétés, car elle est mal formée ou pas formée. Pour les Vietnamiens, dont le
système serait moins organisé, les travailleurs sont dispatchés en petits groupes et en individuel et
contractent plus souvent des petits contrats avec les privés pour des travaux plus modestes. Ils
peuvent également occuper plusieurs secteurs : restauration, tailleurs et confection, services divers,
marchands ambulants, etc.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 156 -
III. VII. b. 3. La migration artificielle de la coopération internationale dans le renouvellement
du domaine bâti et de l’habitat résidentiel
Nous désignons “ migration artificielle ” celle constituée par le personnel des ONG
étrangers, des organismes internationaux, des ambassades, des entreprises et firmes étrangères et
internationales. Leur installation au Laos amène l’expatriation de leurs agents et employés,
accompagnés de leur famille pour un temps limité, selon les règles et les termes des contrats
respectifs. Leur installation se fait surtout dans la capitale, même si leurs lieux de travail peuvent se
trouver dans les provinces. Les expatriés et leur famille ont besoin d’avoir une résidence à
Vientiane pour la scolarité de leurs enfants, pour les soins médicaux, les loisirs, les services et la
consommation de base. Et quasiment seule la capitale peut les satisfaire. Le côté artificiel de cette
migration réside non seulement dans la durée limitée mais aussi dans le fait que le choix résidentiel
est souvent fixé dans des lieux stéréotypés et prévisibles, par un certain standard de confort et
d’image que les locaux ont su très vite repérer et offrir comme “ quartiers ou maisons des
étrangers ”, khoum tang pathed. Cette migration ne contribue qu’artificiellement au changement du
paysage urbain ou à son renouvellement, sauf quelques exceptions que nous évoquerons plus en
détail dans le paragraphe traitant de la production architecturale. Effectivement les équipements –
bureau et siège– qui servent ces organismes peuvent marquer le territoire urbain. L’expatriation des
agents internationaux d’aujourd’hui n’est pas comparable à la période coloniale dont les
composants bâtis destinés à l’installation des administrations et des agents avaient reconstruit les
villes tout en apportant un caractère nouveau.
Les habitations occupées par le personnel expatrié aujourd’hui concernent dans la grande
majorité des cas les maisons des années 1960 et 1970 réhabilitées, quelques maisons coloniales plus
ou moins restaurées, et de très rares maisons lao anciennes. Souvent, les conditions générales et la
forme de contrat des baux ne sont pas appropriées pour favoriser la préservation des bâtiments les
plus qualifiants, pour que ce type de bâtiments puisse profiter des demandes des résidents étrangers
et pour qu’il puisse s’organiser et se structurer de manière conséquente. Beaucoup de bâtiments
coloniaux appartiennent à l’État et les conditions ou la forme contractuelle choisie par lui pour louer
ces bâtiments aux expatriés ne sont pas forcément pratiques ou favorables à la démarche de mise en
valeur patrimoniale. Beaucoup de villas des années 1960-1970 appartiennent encore aux privés,
beaucoup d’autres ont été confisquées en 1975. Si celles qui appartiennent aux privés ont fait l’objet
de réhabilitation plus facilement, car l’objectif visé est de les louer, on ne peut dire de même pour
celles qui appartiennent à l’État. Pour les immeubles appartenant à l’État, le fait qu’il faut beaucoup
de fonds –pour indemniser le départ de ceux qui squattent les immeubles, pour restaurer les édifices
en mauvais état, pour les loyers de longs termes– freine les organismes qui voudraient participer à la
mise en valeur du patrimoine par ce mode. Quant aux maisons lao anciennes, certaines ont fait
l’objet de restauration par leur propriétaire afin d’être louées aux étrangers. Ne bénéficiant d’aucune
aide publique, les restaurations de ces maisons se font tant bien que mal et restent rares, souvent
elles tombent en ruine et ne peuvent plus être restaurées.
Parallèlement aux rares réhabilitations et restaurations des bâtiments anciens, les nouvelles
constructions cherchent aussi à répondre aux demandes du personnel expatrié. Ce sont des
initiatives privées. On trouve dans ces nouvelles maisons proposées au courant des années 1990 des
villas contemporaines avec un confort occidental dans une architecture bâtarde sans identité
particulière, avec colonnes doriques et corinthiennes, etc., des décorations en moulures empruntant
aux langages architecturaux gréco-romains les éléments les plus parlants. Depuis le milieu des
années 2000, une nouvelle génération de maisons apparaît. Proches des maisons lao pagnuk, les
belles villas dont l’étage est en bois et le rez-de-chaussée en dur –avatar des maisons lao anciennes–
sont très appréciées par les expatriés. Les promoteurs privés jouent ainsi dans le pittoresque en
construisant des pseudos maisons lao. Les maisons sont mises soit en location soit en vente et c’est
un marché relativement florissant à Vientiane et à Luang Prabang. Les étrangers trouvent les
moyens pour être propriétaires de ces biens en pratiquant le système de prête-nom. Il est probable Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 157 -
que ce type de construction puisse caractériser notre époque, pour sa quantité, son confort et pour
ses efforts de s’inspirer de l’architecture lao pagnuk. Il serait alors un indicateur social et culturel de
cette migration qui s’est rapprochée de la culture locale à sa manière, en participant au
renouvellement de l’habitat d’une époque et en participant à un certain conservatisme local.
A côté de ces nouvelles habitations, les demandes en matière d’immeuble de bureaux
deviennent également importantes. Les immeubles des années 1970 ou coloniaux réhabilités et
abritant les organismes internationaux ne suffisent plus dès le début des années 2000 : la BAD
occupe un des bâtiments coloniaux du croisement Lan Xang-Samsaèn tai, l’AFD celui de l’angle du
croisement Lan Xang-Khun Bourom, la Banque Mondiale celui donnant sur la place Néru du
Patouxay. Comme nous l’avons déjà souligné les organismes et les étrangers européens ou
asiatiques proviennent généralement des pays riches, ou du moins, l’image et la représentation de
leur pays sont importantes dans une capitale comme Vientiane dont les fonctions connaissent une
internationalisation grandissante. Ainsi sont construits un certain nombre de nouveaux bâtiments
destinés aux sièges des organismes internationaux : le bureau de UNDP sur l’avenue Lan Xang à la
place de l’immeuble d’appartements des professeurs du Lycée de Vientiane, le centre international
de conférence sur la route nationale 13 Nord-Est, les nombreuses banques, notamment les
immeubles de la banque Lao-viet, la banque Franco-lao, la banque Indochina, etc.
III. VII. c. La citoyenneté à travers les actions civiques propagandistes
Dans de nombreux pays, la citoyenneté est liée au devoir civique, à une adhésion
volontariste dans la participation et dans le partage des droits et des valeurs communes. Ceci est une
notion récente et moderne des États Nations qui essaient de créer une communauté nationale audelà
des communautés ethniques, confessionnelles ou corporatistes. Il en est de même pour la
citoyenneté au Laos, cependant une particularité est à observer.
Le principe de l’identité en rapport avec le sol, d’après les principes coutumiers
Tout en observant les principes de la communauté nationale, le pouvoir actuel (comme le
pouvoir de l’Ancien Régime) se relie à la tradition coutumière qui considère que le principe de
l’identité est lui-même le principe de la citoyenneté et ce principe est lié au terroir, à la possession et
au droit d’action sur les terres. Ce qui veut dire que la question de propriété des sols est liée au
principe ancien de l’identité. Avoir le droit d’agir librement sur le sol, en particulier par le fait
d’hériter, c’est le gage de l’identité, gage d’origine et d’appartenance au terroir, etc. La question
d’identité, de citoyenneté, de nationalité est donc liée au fait d’appartenir au terroir. Autrement dit,
l’appartenance au terroir, la possession légitime et légale du sol signifie la légitimité de la
citoyenneté laotienne. Le sol est une condition naturelle et fondamentale de la citoyenneté. La
citoyenneté a induit, à son tour, l’exercice des actions civiques sur le territoire et dans l’espace
politique. Pour l’autorité, la liberté d’interventions dans l’espace comme la jouissance des terres,
accompagnée du droit et du devoir civique, est réservée à la citoyenneté. La population migrante
semble dans cette logique être écartée de toute action citoyenne. Or, nous avons vu que l’influence
de la migration est importante sur l’espace physique, même si elle n’est pas déterminante. Elle
apporte par exemple d’autres pratiques de l’habitat qui peuvent modifier certaines données
spatiales.
Les programmes de sensibilisation pour les actions civiques et citoyennes : familles et villages
culturels et modèles
Par rapport à la tradition coutumière qui conçoit que la notion de l’habitant est liée au droit
de jouissance du sol, et ce droit lui-même est lié à son tour à la question d’identité et d’appartenance
au terroir, donc à la citoyenneté, s’est ajouté une nouvelle définition de la citoyenneté. Celle-ci est
réalisée à travers les programmes de sensibilisation pour des actions civiques et citoyennes mise en
place vers 2004.
Tab. 6.
Questionnaires
d’évaluation de
famille modèleDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les directives et les consignes, émanant d’un décret, ont été données à tous les muang, les
ban, les nouay et les familles pour que ces derniers mettent en œuvre les six objectifs principaux de
l’État. Les six actions ou objectifs que le citoyen doit réaliser sont appelés les Six Sô (sqdl) : 1-
sécurité ; 2- propreté ; 3- verdure ; 4- lumière ; 5- civilisation ; 6- esthétique. Et tous les ans une
évaluation est faite pour labelliser les familles ou les villages qui ont réalisé les mieux les six
objectifs.
Mais l’évaluation est progressive : chaque année, on insiste sur quelques objectifs et non sur
la totalité. Par exemple de 2004 à 2010, ce sont surtout les quatre hhhhhfifàdéyfs8 ae2rfcd premiers
objectifs qui doivent être atteindre. L’une des méthodes (à moins que ce soit la seule) d’évaluation
est les questionnaires posés à chaque foyer. Pour recueillir ces questionnaires un agent administratif
du district, accompagné du chef du nouay, vient faire du porte-à-porte dans les villages. Et à partir
des réponses, ils procèdent à l’évaluation. Ainsi, nous voyons au journal régulièrement que tel ou tel
village, tel ou tel district réussissent à tel pourcentage à réaliser les six objectifs que l’État a
recommandés. Ces évaluations ne peuvent correspondre à la réalité que dans une mesure très
limitée, puisqu’il n’y a aucun moyen ni de critère de vérification sur le terrain. L’évaluation se fie
uniquement aux réponses données aux questionnaires. Ceux-ci doivent rendre compte si les
objectifs sont atteints ou pas pour la fête des 450 ans de la fondation de Vientiane et pour fêter aussi
les 35 ans de la fondation de la RDPL. On établit ainsi des familles modèles. Plus il y a des
pourcentages de familles modèles et plus le village peut être labellisé comme village modèle.
La conception nouvelle de la citoyenneté que le gouvernement de la RDPL explicite à
travers les dispositifs propagandistes dont nous venons de décrire le contenu a donné une nouvelle
définition à la notion de “ comment être citoyen ” aujourd’hui d’un pays comme le Laos. Cette
définition est partiale pour le moins que l’on puisse dire. En s’adressant ainsi au citoyen, il s’agit de
vouloir inculquer à la population locale la responsabilité citoyenne. Les questions ne sont pas
adressées aux habitants étrangers. Notons que la responsabilité citoyenne qu’inculque l’État est
différente de la responsabilité habitante qu’aurait pu avoir un étranger. Les citoyens sont laotiens,
alors que les habitants, usagers de la ville, ne le sont pas forcément et peuvent être ceux qui habitent
simplement dans le pays, ou qui y investissent pour le court ou le long terme. Leurs participations
au développement peuvent accompagner ou entraver les actions citoyennes à bien des égards. Cela
suscite des questions quant à leurs comportements et participations dans la démarche civique. En
d’autres termes, comment les critères de villages modèles peuvent-ils être appliqués aussi aux
étrangers, en tant qu’usagers, pour un usage durable de l’espace commun de la ville.
Si nous restons dans la logique du discours officiel, pour pouvoir participer aux actions
civiques portant sur l’espace et son usage, les émigrés doivent obtenir la citoyenneté laotienne, telle
qu’elle est définie par l’État. Pourtant, la loi portant sur la naturalisation et les critères de
citoyenneté restent imprécis et relèvent de la décision de l’Assemblée Nationale (AN) : chaque cas
de naturalisation doit être approuvé par l’AN. Ceci laisse la porte ouverte à pas mal de fraude.
Ayant ou pas la nationalité ou la jouissance des terres, sans acquérir de toute façon la légitimité et la
responsabilité citoyenne, comment une population émigrée peut-elle participer à la modification
spatiale de manière responsable. À cette question s’impose une réalité, celle que les émigrés et leurs
investissements ont pu introduire dans le pays. Réalité à laquelle le pouvoir n’a pu apporter une
explication raisonnée : les immigrés sont des acteurs passifs, ils ne peuvent participer aux actions
civiques que nous venons d’évoquer. À la question comment le gouvernement harmonise la réalité
imposée par les émigrés et leurs investissements, par rapport au fondement traditionnel du droit de
jouissance des terres, confondu à l’identité puis à la citoyenneté, il n’y a pas à ce jour de réponse.
Pourtant la citoyenneté joue un rôle essentiel dans la gestion de l’espace, car les citoyens
sont des acteurs actifs, ils participent au dialogue avec la gouvernance, ils adhèrent (ou ils
n’adhèrent pas) à la politique de la ville, par le fait que la structure sociale et politique du village
dans laquelle ils s’inscrivent constitue leur porte-parole, etc. Seule la citoyenneté permet le droit
d’action complète sur les terres et le droit de participation à un certain degré à la vie politique Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 159 -
citoyenne. Mais la citoyenneté –tout en ayant la légitimité– n’a pas de pouvoir financier d’agir, ni le
droit de porter un jugement sur la politique et sur la gouvernance –une situation particulière de la
citoyenneté laotienne due au système autoritaire et au pouvoir unique du régime. Le développement
actuel se base beaucoup sur les fonds financiers et d’investissements extérieurs qui s’accompagnent
aussi d’une émigration forte, avec laquelle il faut composer pour gérer la vie économique et sociale
du pays. Il faut effectivement comprendre dans le paysage politique et dans la gouvernance locale
que les investissements exercent une influence sur les décisions politiques et remettent bien souvent
en question la souveraineté du territoire, de la politique et de la gouvernance urbaine, et qu’une
migration accompagnée du poids d’investissements lourds a le pouvoir de définir les nouveaux
acteurs spatiaux et économiques (sachant que la migration chinoise et vietnamienne est liée aux
investissements de masse).
III. VIII. Les productions architecturales et urbaines
Nous venons de traiter les sept questions qui ont été les éléments essentiels de constitution
et de recomposition spatiale de la ville et du territoire, qui sont –rappelons-le : 1- le retour des
symboles, 2- le regain des centres historiques, 3- le mouvement de la stratégie résidentielle, 4- le
mouvement du foncier, 5- le mouvement péricentre et périurbain et le renforcement des
polycentralités, 6- la recherche des outils de développement de gestion de maîtrise du territoire
urbain et de la gouvernance, 7- le rôle des investissements et de la migration dans la conception de
la citoyenneté. Pour compléter notre compréhension, la constitution et la recomposition de la ville et
du territoire doivent surtout être éclairées par la question de la production architecturale et urbaine
qui doit être approchée à travers quatre champs, à savoir : le champ opérationnel et économique, la
nature des commandes et les commanditaires, les entrepreneurs et les architectes. L’identification
de ces domaines et de ces acteurs permet de comprendre l’un des aspects de la recomposition en
cours, mais aussi la constitution à venir de l’espace urbain et territorial.
Les conditions de l’opérationnel, le contexte économique
Les différents mouvements de recomposition de la ville se sont rendus visibles à travers une
forte quantité de nouvelles constructions : routes, bâtiments d’activité, équipements divers,
différentes formes de logements individuels, etc. La dynamique du domaine de la construction est
favorisée par le contexte économique. À partir de 1995 et en particulier après 2000, on enregistre
une constante croissance. Le chiffre officiel avance un taux annuel de croissance économique de 6,5
% entre 1997 et 2006. Mais durant le début de cette période de croissance le pays vit toujours
fortement sous les aides internationales (bilatérales ou multilatérales). La majorité des projets sont
financés par les bailleurs de fonds (prêts auprès de la BAD, de la BM ou dons) en particulier
lorsqu’il s’agit de la construction des infrastructures. Les constructions privées occupaient une part
moins importante que les projets publics et d’aide internationale. Plus tard, à partir de 2005 des
équipements ambitieux et emblématiques font leur apparition et se multiplient.
Les conditions de l’opérationnalité, dès 2000, sont plus que favorables : les entreprises de
cimenterie qui appartenaient à l’État ont été reprises en joint-venture par des investisseurs privés
étrangers (chinois) depuis plus de dix ans, améliorant les quantités et la qualité de la production. Il
en est de même pour les autres usines du secteur de la construction, notamment celles des armatures
de béton qui ont également été privatisées. À certaines périodes de l’année et surtout durant la
construction des barrages, notamment le barrage de Nam Theun 2, les cimenteries du pays ne
peuvent plus satisfaire les besoins. Les ciments et l’acier pour le béton armé sont alors aussi
importés de Thaïlande et du Viêtnam. Les scieries et le bois (légaux et clandestins) occupent aussi
une part importante dans le secteur. L’exportation de bois du Laos vers les pays voisins connaît un
rythme effréné. Des inquiétudes ont été exprimées vis-à-vis d’une déforestation trop rapide du pays.
De nombreux sites d’exploitation de sable, de gravier, de roche ont fait l’objet de concessions
accordées aux privés, dans toutes les provinces du pays, et leur nombre ne cesse d’augmenter
chaque année.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les entreprises de construction
Pour les projets publics, l’État établit le système d’appel d’offres. Cela incite à la création
de nombreuses sociétés de construction qui désirent prendre part au marché. Les sociétés ont
d’abord été mixtes avant de devenir privées. Le décret pour la création des sociétés de construction
a été promulgué en 1991 (décret N1510/MCTPC, 28/09/1991) mais il n’a pas été l’élément très
incitatif. Ce sont les appels d’offres publics et l’explosion des projets d’infrastructures publiques qui
étaient l’élément moteur. Néanmoins, le décret a donné un cadre général et opérationnel aux
nouvelles sociétés lorsqu’elles sont devenues plus nombreuses. Leurs activités et leurs compétences
se diversifient tout en étant très inégales. On compte les petites entreprises familiales, jusqu’aux
grosses sociétés de travaux publics et des ponts et chaussées. Dans tous les cas, les sociétés sont
constituées de personnel restreint, même lorsqu’elles sont grandes et réputées : travaillant en réseau
les sociétés possèdent plutôt des réseaux d’artisans, de main d’oeuvre et des petites sociétés,
qu’elles sous-traitent dans la majorité des cas. La grande majorité des chefs d’entreprise de
construction sont ingénieurs ou architectes qui n’exercent plus leur métier en tant que tel.
Les maîtres d’ouvrage
Pour les entreprises, le plus grand marché et le plus grand client reste le marché public et
l’État. Ce fut vrai jusqu’à il y a cinq ou six ans. À partir 2005-2006 dans les grandes villes à forte
potentialité touristique où de développement économique, les grands projets privés deviennent plus
fréquents : grands hôtels, immeubles, centres commerciaux, quartiers d’habitation, etc. Les maîtres
d’ouvrages privés deviennent même plus importants que les maîtres d’ouvrages publics dans
certaines villes en matière d’aménagement et de projets urbains, notamment l’exemple du Groupe
Dao Heuang à Paksé dont l’un des nombreux projets couvre un quartier entier, et occupe une bonne
partie de la ville.
Les expertises internationales et les compétences locales
Au début des années 1990 lorsque les projets d’infrastructure et d’étude urbaine devenaient
plus nombreux, l’expertise internationale se fait aussi nombreuse. Elle accompagne la totalité des
projets financés par les bailleurs de fonds internationaux. Les compétences locales sont lacunaires,
vis-à-vis de la complexité technique et de la complexité de la gestion des projets qui doivent se
ranger dans le standard méthodologique des bailleurs de fonds. Les études globales, les études de
faisabilité, les études détaillées de mise en application, le planning de réalisation et d’intervention
des experts, le plan de décaissement des fonds, etc., requièrent ainsi de l’expertise. Souvent, les
aides internationales consistent à payer les rapports d’étude produits par les experts internationaux
contractés par les donateurs eux-mêmes ou par les bailleurs lorsqu’il s’agit des prêts. Ainsi entre les
années 1995 et les années 2000 les bureaux des gouverneurs et des ministres “ s’écroulent sous les
rapports des experts” souvent inappliqués. Dans beaucoup de cas, les rapports d’études rendent
compte des situations et donnent des aperçus sur tels ou tels secteurs, mais ne permettent pas leur
mise en application qui relève des compétences des agents de l’État. Or il a fallu pour l’autorité
laotienne que les rapports soient détaillés jusqu’aux plans d’exécution pour qu’ils puissent être mis
en oeuvre. Cela soulève deux problèmes importants. D’un côté, la formation des agents de l’État
prend du retard dans le secteur urbain : urbanisme de détail, urbanisme règlementaire, analyse et
projet, aménagement, gestion et service urbain, les études de pointe et enfin, la recherche. Ces
compétences, si elles pouvaient se constituer, pouvaient permettre une prise en main locale et éviter
le gaspillage qu’expérimentent les pays en voie de développement comme le Laos. Les agents
locaux ont encore beaucoup de mal à concrétiser les rapports et les recommandations (sur papier)
des experts internationaux pour passer au plan d’exécution. De l’autre côté, les experts, dans la
grande majorité des cas, ne mesurent pas avec grande finesse la situation et les besoins des locaux,
ni leur contexte de réalisation. Contraints par le planning contractuel, et limités par leurs propres
compétences, ils abordent les questions locales souvent avec les paramètres globaux. Vis-à-vis de
cette question, le gouvernement laotien n’a pas les outils intellectuels, ni les moyens techniques et
les atouts financiers pour évaluer et valider le bien-fondé des travaux des experts.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 161 -
Quasiment seuls les projets accompagnés de projets-pilotes ont apporté leur fruit à l’égard
de la formation des agents : mise en exécution des projets, management de projets, formation à
l’étude urbaine et à l’analyse de projet, rentrer vraiment dans le vif du sujet. Les projets-pilotes
permettent également d’évaluer le bien-fondé des ouvrages ou des projets, car ces derniers sont mis
à l’épreuve par les usagers eux-mêmes. Mais peu à peu et dans certaines mesures les experts locaux
commencent à se former. Ils ne sont pas nombreux et la plupart d’entre eux, souvent anciens
fonctionnaires, finissent par travailler en indépendant via des sociétés de consultants locales, mixtes
ou internationales.
Et le plus important à signaler, c’est le domaine de la gouvernance urbaine et de la politique
de la ville : depuis peu, les questions ont été abordées à travers la création des UDAAs de manière
indirecte. Et encore, ces questions ont été vues à travers la politique de l’éradication de la pauvreté à
l’échelle nationale et de l’amélioration du cadre de vie à l’échelle des centres urbains.
Les architectes
Ces derniers exercent rarement leur métier d’architecte. Car les maîtres d’ouvrage se
passent très souvent d’eux et traitent directement avec les entreprises de construction. Ces derniers
pilotent la réalisation des projets à la place des architectes et communiquent directement avec les
maîtres d’ouvrage, qui eux, endossent bien souvent le rôle de l’architecte. Ils conçoivent euxmêmes
leur projet, font ensuite exécuter les plans par un architecte-dessinateur si besoin est,
lorsqu’il est nécessaire de demander les permis de construire. Ils suivent aussi eux-mêmes leur
réalisation jusqu’au bout. Bien entendu, les déboires sont nombreux : dépassement des budgets,
dépassement du planning, démolition et reconstruction de parties de l’ouvrage, contrats de
construction impayés, chantier non livré, etc.
Sur le plan législatif, le contexte local concernant le travail et le statut des architectes est
particulier. En fait, on vient voir un architecte lorsqu’il faut constituer un dossier de permis de
construire. Car il faut un sceau d’un bureau d’étude d’architecture sur le dossier graphique de la
demande du permis de construire. Ce sceau, c’est la preuve de la patente d’entreprise. Et pour avoir
la patente, il faut être architecte diplômé de la faculté d’architecture. Un décret portant la création
des bureaux d’étude d’architecture a été mis en application en 1991.
210 En ce cas, ce sont les droits
et les devoirs des bureaux d’étude en tant qu’entreprise qui sont définis, ceux des architectes et le
métier de l’architecte, restent encore flous. Il en est de même en ce qui concerne l’obligation de
recourir au service de l’architecte. Pour l’heure, l’ordre des architectes n’existe pas au Laos. Une
association des architectes a été créée au début des années 2000. Leurs membres sont représentés
aussi dans les provinces les plus importantes. L’association est corporatiste et n’implique
apparemment pas de dispositifs juridiques particuliers.
Culturellement, l’architecte est vu et compris au Laos comme un dessinateur qui produit,
selon la demande des clients, des documents graphiques destinés à la demande des permis de
construire. Dans le meilleur des cas il est vu comme un “ designer ” en lao le terme qui définit ses
actions est ork bèb qui veut dire “ faire du modèle ”. Pourtant, le terme qui désigne la discipline et
le métier est éloquent : sathapatagnakam pour architecture, et sathapanik ou sathapatagnakorne
pour architecte. Ces termes désignent l’architecte comme un artiste et un intellectuel. Mais dans la
perception contemporaine de l’architecte dans la société lao, aucune démarche intellectuelle et
conceptuelle ne semble lui être reconnue. L’architecture reste une connaissance, une discipline, un
art et un métier mal connus et mal compris pour la grande majorité de la population, même la plus
instruite, y compris pour les Occidentaux vivant au Laos. De fait, l’architecture est réservée à une
élite encore marginale et restreinte.
210 Décret N1511/MCTPC, 28/09/1991.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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La question de la création architecturale et urbaine
Comme nous l’avons noté à l’instant, les maîtres d’ouvrage privés et publics conduisent les
activités de construction de manière très active. Des équipements, des logements, des quartiers,
voire, des monuments ont été construits nombreux dans les villes. Les investissements de l’État et
ceux du privé connaissent une dynamique incomparable jusqu’à ce jour. Notre réflexion devrait
s’arrêter sur ce constat si nous ne poursuivons pas notre réflexion autrement. Notre démarche dans
ce paragraphe n’est pas de décrire la production du bâti durant une période de développement
accéléré, mais d’interroger la notion de création spatiale dans la recomposition de la ville. Nous
abordons et soulignons autrement la notion de production spatiale en interrogeant parallèlement la
notion de créativité.
On peut dire que les maîtres d’ouvrage publics et les grands investisseurs produisent la ville
d’aujourd’hui. Car les grands projets organisent ou désorganisent les espaces urbains et les lieux les
plus emblématiques, ils constituent les enjeux pour l’avenir des villes et leurs centres anciens. Les
commanditaires avertis, soucieux de l’intégration environnementale et culturelle, sont tout à fait
absents de la grande majorité des projets, les motivations et les facteurs qui ont conduit les grands
projets étant avant tout axés sur l’apport économique, répondant aux bons vouloirs des
investisseurs. La notion de projet et de création ne peut donc être recherchée dans les projets
réalisés par ces acteurs. C’est alors avec le commanditaire averti que nous pouvons aborder la
démarche de la création architecturale, un cadre bien limité et restreint par rapport à l’ampleur de la
production du bâti. Car les démarches pour commander et les démarches pour y répondre et
produire l’espace (qu’elle soit architecturale ou urbaine) doivent aller de paire. Ceci, dans le sens où
à travers l’espace, les formes, les matériaux, le rapport à l’environnement culturel, paysager et
climatique, la création spatiale peut produire du sens et de l’émotion, avec un caractère visionnaire
au delà de sa capacité de représentation et d’apport de confort et de fonctionnalité.
Actuellement peu de projets poursuivent la démarche que nous décrivons. Pour se rendre
compte prenons des exemples de projets dans deux champs d’application : d’abord, la rénovation
immobilière et foncière qui s’opère particulièrement dans les centres, et ensuite, la production
urbaine proprement dite. Dans ce 3e chapitre, nous avons déjà évoqué le contexte de leur
production, ici, nous allons souligner l’aspect et la forme de l’architecture produite.
La création architecturale et urbaine dans la rénovation immobilière et foncière.
La valeur accrue du foncier conjoint au vieillissement des quartiers centraux, en particulier
pour la capitale et les capitales provinciales, le renouvellement et la création architecturale
éventuelle peuvent être conduits dans le cadre de la mise en valeur du foncier plus que par la
volonté de renouvellement spatial qui serait passé par la restauration ou la réhabilitation raisonnée
des bâtiments à l’échelle d’une rue, d’un quartier ou d’un centre homogène.
- Les restaurations des anciens bâtiments méritant conservation sont quasiment des exceptions. Ils
ne concernent en ce cas que les bâtiments coloniaux qui ont très rarement échappé à la démolition.
Dans certains cas, les bâtiments sont démolis pour être reconstruits entièrement plus ou moins à
l’identique. Fait tout à fait curieux, le commanditaire, l’entreprise, l’architecte et l’autorité
responsable de la liste des bâtiments protégés considèrent que les bâtiments sont protégés et
restaurés. Cela renvoie la notion de protection - restauration à une définition bien particulière.
- Les réhabilitations sont moins rares que la restauration, en ce qui concerne les villas, les
immeubles, les compartiments des années 1960 de plusieurs étages (à R+3 le plus souvent). Les
traitements de façade et de couverture ainsi que les circulations verticales en ce cas ont fait le plus
souvent l’objet de retouches. Quelques heureux projets peuvent être remarqués du point de vue
architectural, ceux qui respectent l’architecture d’origine des bâtiments. Mais le plus souvent les
réhabilitations ne répondent qu’à la nécessité de remise en fonction des bâtiments : assainissement
des anciens réseaux de flux vieillis, gagner les espaces utilitaires, etc. Ce qui est recherché, c’est des
travaux rapides, à moindre coût, sans intervention de professionnels de l’architecture : une analyse
Fig. 27.
L’architecture
officielle : le
campus du
cabinet du
Premier
Ministre.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Fig. 28. Des
sièges de
société :
Nouvellement
installés
pour reconstituer l’architecture d’origine n’a jamais été réalisée, par exemple. Les réhabilitations
dénaturent bien souvent l’architecture d’origine des bâtiments : utilisation du langage architectural
mixte, des matériaux composites. Dans certains cas les réhabilitations sont issues de compromis :
tout en ignorant l’architecture d’origine, la réhabilitation recherche certaine qualité, afin de répondre
aux fonctions nouvelles affectées aux bâtiments, lorsqu’il s’agit par exemple de les transformer en
hôtel de bon standing. Par ailleurs, il n’y a jamais eu jusqu’à ce jour des réhabilitations groupées de
plusieurs compartiments respectant le fait qu’ils ont été produits à l’origine dans un même projet
d’architecture et une même opération immobilière. Les fronts de rue sont déstructurés par des
opérations de réhabilitation isolées, faisant l’abstraction de la cohérence d’origine des unités de
façade.
La création architecturale et urbaine en tant que nouvelles productions spatiales.
Les nouvelles productions architecturales actuelles sont caractérisées d’abord par les grands
projets d’équipements publics de l’État : musées, immeubles administratifs. Ceux-ci utilisent
invariablement le même vocabulaire architectural, démonstratif de la formulation du langage
officiel. Parmi les bâtiments nouvellement construits, notamment les écoles, même lorsqu’elles sont
privées, tendent à se référencer aux bâtiments de l’État dans les vocabulaires architecturaux utilisés.
Ceci parce qu’en étant des équipements éducatifs, l’État effectue plus ou moins un contrôle sur le
programme et la conformité de leur réalisation.
Dans ces équipements, nous remarquons invariablement l’utilisation des grandes toitures en
pentes avec frontons ouvragés supportant des armoiries ministérielles, des décors architecturaux
semblables aux monastères, comme nous l’avons noté dans le paragraphe traitant du « modèle
d’architecture et du pastiche architectural ». Parfois, les vocabulaires gréco-romains (colonnades,
linteaux, etc.) font leur apparition parmi les décors. Les projets sont caractérisés par leur lourdeur
constructive (mégastructure en beton armé) et par leur imposante échelle. Dans leur ensemble, les
bâtiments recherchent davantage l’effet de la représentation qu’une affectation fonctionnelle
adéquate. Toujours est-il, les plans intérieurs sont assez simplifiés et servent une certaine
monofonctionnalité. On compte parmi ces bâtiments le campus du cabinet du Premier ministre, le
bureau du gouverneur de Vientiane, le musée de l’armée et de la police, le palais de justice, le palais
de la culture.
Il s’agit ensuite des équipements de services : malls, grands hôtels, immeubles de bureaux
et d’appartements. Issus des commandes des groupes d’investisseurs privés, les projets mettent en
évidence l’utilisation du vocabulaire architectural au caractère international, servant principalement
la diffusion des produits commerciaux et industriels importés. La quasi-totalité des immeubles de ce
type ont la volonté d’être des immeubles signaux : repérables de loin, facilement accessibles,
fonctionnant comme vitrines pour les produits et grandes marques. Ce sont des espaces qui
s’imposent et restent figés dans leur emprise. Il s’agit notamment des nouveaux bâtiments du
marché du matin, de ITECC, du bâtiment de la Bourse et de nombreux sièges de banques. Les
immeubles de bureaux se rangent aussi dans cette catégorie. L’installation en cours de nombreuses
sociétés nationales ou internationales qui s’implantent au Laos augmente les besoins en surfaces de
bureau. Pour les sièges et les représentations des firmes et des sociétés, des immeubles de
représentation de marques ont fait leur apparition, suscitant des constructions de type immeublestours
qui sont des nouvelles formes de constructions pour le pays. Ainsi après les nombreuses
banques étrangères, il y a notamment les sièges des sociétés mixtes telles que Nam Papa Lao, EDL,
Beer Lao, Lao Télécom, etc.
Enfin, il s’agit des habitations, dispersées dans l’ensemble de la ville. Les appartements
(appartements avec services) qui étaient habituellement rares au Laos, et même à Vientiane, font
leur apparition et sont de plus en plus recherchés par une clientèle étrangère, asiatique et
européenne en poste. Par le fait que les services (ménage, linge et blanchisserie, gardiennage) sont
fournis, ils intéressent les experts ou les employés de sociétés en courts séjours dans la capitale.
Cela va d’un standard simple jusqu’au grand luxe (de 500 USD jusqu’à 2500 USD par mois vers Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’année 2010) avec piscine et terrasse. Mais la grande majorité des immeubles d’appartements ne
font pas preuve de grande créativité, ils sont assez standards. Les appartements à faible loyer ou à
loyer modéré destinés aux locaux n’existent quasiment pas.
En ce qui concerne les maisons individuelles il y a trois standards de prix (observé en 2010) :
- Le standard le plus bas concerne les constructions dont les coûts sont faibles, les loyers ne
dépassant pas 1 200 à 1 500 bath par mois (40 à 50 usd). Ce sont des compartiments à rez-dechaussée,
ou des studio de type T1 à murs mitoyens. Habituellement servants de lieu de commerce
avec habitation, les nouveaux compartiments de ce type ne servent plus qu’à l’habitation, un peu
rudimentaire.
- Pour un logement à loyer modéré d’une construction à coûts de construction moyens, on trouve
des petites villas en maçonnerie à rez-de-chaussée et des compartiments à R+1. Le loyer tourne
autour de 300 à 500 usd par mois. Souvent il est négocié pour un loyer annuel autour de 100 000
bath (3 300 usd.) ou le double lorsque le compartiment a plusieurs étages ; ou lorsqu’il se trouve en
centre ville et bien agencé, il peut être multiplié par quatre.
- Avec un loyer qui dépasse 500 usd par mois, on commence à entrer dans un standard supérieur. Ce
sont des villas plus grandes, plus soignées. Dans les années 1990 ce sont des villas à R+1, grandes
et confortables utilisant abusivement les vocabulaires de l’architecture gréco-romaine (colonnade
avec les ordres architecturaux). Dans les années 2000, on voit apparaître des maisons en bois
pseudo-lao, utilisant des matériaux mixtes, bois et maçonnerie. Souvent, le bois est plaqué pour
cacher les murs en maçonnerie, puisque l’effet recherché est l’apparence de maison lao ancienne,
qui séduit les locataires étrangers, voire, les futurs acquéreurs. Car les étrangers qui décident de
s’installer au Laos seraient des acquéreurs potentiels de terrains pour y construire leur propre
maison en utilisant le système de prête-nom.
On peut dire que la maison lao pagnuk –version améliorée dans le luxe– ou les copies de
maisons lao anciennes deviennent à la mode à travers la clientèle étrangère. En cela et
généralement, très peu de monde recourt au service des architectes. Les propriétaires esquissent
eux-mêmes le plan de leur maison et recourent au service des architectes qu’ils considèrent comme
dessinateurs et constructeurs dont le rôle principal est de leur constituer le dossier des permis de
construire et le dossier succinct de consultation qui va les aider à négocier avec les entreprises de
construction ou avec les artisans. La démarche de la conception architecturale a été complètement
passée sous silence. En marge de ces pratiques courantes et de ce marché, il y a un petit marché
constitué de projets marginaux. Ils sont pensés conjointement entre l’architecte et le commanditaire
–puis en second temps, le constructeur. Ils restent restreints et expérimentaux. Ils privilégient avant
tout le mode de vie de leurs futurs occupants, qui mettent en avant la recherche du confort
climatique, l’intégration paysagère et la liberté d’appropriation fonctionnelle ultérieure. Ceci,
notamment pour permettre à l’espace d’évoluer avec l’évolution des foyers, permettre à l’habitation
d’exister malgré l’évolution du contexte paysager et climatique du site qui ne serait pas forcément
favorable, induite par le développement rapide de la ville, etc.211 Du moins, la démarche de la
création architecturale prend en compte les contraintes de ce type parmi ses données conceptuelles.
A l’heure où les questions climatique, économique et environnementale s’imposent avec
plus d’acuité à la construction de l’habitat et de la ville, il est impressionnant de voir que la
construction-restructuration des villes du Laos, en particulier des grandes villes, vont dans le sens
inverse. Elle n’intègre pas ces données préoccupantes. Pourtant, ces données intégrées dans la
production architecturale et urbaine devraient altérer la vision élitiste de l’architecture. En effet, si
les problèmes économique, environnemental et climatique, étaient à même d’être mieux compris
211 Cette option a été prise par moi même dans quelques projets d’architecture réalisés : une villa à Ban Savang et une
villa dans les rizières à Donetyo (Vientiane).Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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par les habitants par rapport à l’architecture, parce qu’ils touchent directement la qualité de vie, le
confort, la santé et les dépenses des foyers, un espace architectural et urbain intégrant toutes ces
questions devrait être accessible à tous, aussi bien aux commanditaires qu’à ceux dont la
déontologie du métier est d’y répondre. Les démarches doivent se réaliser à double sens. L’avenir
de l’architecture qui est déjà d’actualité serait donc lié à cette condition. La création architecturale
ou la recherche de la qualité spatiale des projets doit donc se rapprocher de cette démarche de
vulgarisation pour être comprise du grand public. Si les commanditaires, à défaut de posséder de
culture architecturale, faisaient preuve de pragmatisme et se préoccupaient de leur cadre de vie, cela
“ suffirait ” pour favoriser l’émergence de la création spatiale de qualité.
A ce jour, un éventuel mouvement de création architecturale serait à rechercher dans les
projets privés (habitats individuels et collectifs), même si la demande architecturale et le recours
aux prestations des architectes restent encore modestes, mais à même de poser des questions
suscitées notamment par le souci climatique, économique et environnemental. En ce qui concerne
des projets privés plus grands, avec des investissements plus importants et des programmes
nouveaux et complexes (bureaux, centres d’affaires, parc de loisirs, etc.) qui se préparent sur
plusieurs sites, l’État tente de mettre en valeur ses biens fonciers et immobiliers. A travers ce
marché il adresse des appels à proposition aux fonds d’investissement privés (très souvent
étrangers) sous forme de concession de longue durée, voire, sous forme de transaction définitive.
Soulignons cependant dans les deux cas, que la création architecturale ne peut être en tant que telle,
qu’à condition que les commanditaires soient sensibilisés aux problématiques spatiales, et soient
intellectuellement ouverts pour être saisis préalablement par les questions économiques, climatiques
et environnementales. Pour l’instant ce n’est pas le cas, mises à part quelques exceptions qui font
figure de projets marginaux, les nouveaux projets ne peuvent être représentatifs de la création et du
renouvellement architectural à proprement parler. La critique peut s’adresser aux habitations des
“nouveaux riches” qui, comme nous l’avons souligné, sont constituées de villas pseudopalladiennes
(dans les années 1990) puis des maisons pseudo-lao (depuis près de dix ans), aux
grands projets d’investisseurs. Par ailleurs, du fait que les commanditaires étrangers (occidental et
asiatique) sont devenus de plus en plus importants, on pourrait penser que la création architecturale
peut être suscitée à travers leurs commandes. Ces derniers sont censés être plus exigeants et
sensibilisés à l’architecture par le biais des questions environnementales et climatiques ou par le
biais de leur culture respective. Mais force est de constater que la clientèle extérieure n’est pas très
différente de la clientèle locale. S’ils arrivent très souvent à porter des critiques aux projets de
maisons pseudo-palladiennes des nouveaux riches, leurs commandes restent attachées au
pittoresque, au prototype reproduit des maisons lao, une coquille vide de créativité et de sens. Cette
clientèle, qui a suscité la naissance de nombreuses maisons pseudo-lao, a principalement constitué
les quartiers résidentiels étrangers. Les handicaps constatés ne concernent pas seulement les
commanditaires, mais interrogent surtout les architectes et l’encadrement technique et institutionnel
du service public, dont le métier ou les devoirs sont de réduire ces handicaps. En ce sens, la
question doit être portée à un autre niveau de réflexion, réunissant la recherche et la formation, la
politique de la ville et le cadre technique de sa mise en application, la connaissance des savoirs
hérités et l’idéologie ou la politique culturelle de l’État.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Conclusion
Depuis la fin des années 1990, la ville qui se déploie, tout en repoussant plus loin ses
limites, recherche aussi ses repères. Cette première partie de la recherche a tenté de comprendre le
rôle des centres anciens dans les recompositions spatiales contemporaines, les ruptures par rapport
aux principes fondateurs et l’altération de leurs éléments structurants. L’objectif est de saisir la
place qu’occupe l’espace ancien dans la ville d’aujourd’hui, aux regards des nouveaux modes
d’habiter, de production et de gestion urbaine des politiques d’aménagement du territoire, conduites
par les pouvoirs publics, à l’échelle locale et régionale ; de comprendre le devenir contemporain des
villes du Laos, le rôle de leurs centres anciens dans les nouveaux enjeux spatiaux. C’est pour
éclaircir ces questions que la pratique habitante est observée, parallèlement à l’analyse de la
planification urbaine. Et à plus grande échelle nous avons étudié les interactions et leurs résultantes
entre le local et le global, entre le réseau et le territoire, entre la disparité de croissance économique
des territoires et leur dislocation, entre effets fédérateurs et effets de résistance, pour comprendre –
de facto– l’effet de l’intégration régionale sur l’écosystème social et urbain des villes, que celui-ci
soit hérité du passé ou nouvellement produit.
Décomposition, recomposition, recyclage : ce sont des étapes et des processus qui décrivent
aujourd’hui la mutation de la plupart des espaces des centres historiques et des établissements
anciens, ou simplement de la ville. Cette mutation est analysée ici dans une temporalité donnée,
c’est-à-dire, à partir de la mise en place de la Nouvelle Mécanique Économique (NME) jusqu’à
aujourd’hui : le NME étant le déclencheur du développement économique qui permet le
développement des espaces urbains et territoriaux. Ce développement a non seulement révélé
l’émergence des espaces anciens –souvent centraux et historiques–, mais a aussi explicité ce
phénomène comme une décomposition, une recomposition et un recyclage spatial.
D’abord, la réforme de 1986 a été un enjeu économique et politique majeur pour le régime,
lui permettant de sortir peu à peu de “l’état de fait” et d’entamer une intégration progressive dans la
société des nations, évitant au régime un éclatement qu’il aurait pu connaître avec l’écroulement des
pays du bloc socialiste. Deux facteurs induits dans le cadre de la réforme ont été les éléments
moteurs des mutations spatiales des villes et des territoires laotiens : 1- Les dispositifs économiques
locaux et régionaux : le passage de la production collectiviste à la production privée, la
reconnaissance de la propriété privée et du droit de commerce, l’ouverture plus grande à l’Occident
et à la coopération internationale, renforcés par la création de la constitution en 1991, permettant
des échanges plus grands avec l’extérieur et de recevoir aussi des aides internationales, favorisées
par une certaine dynamique économique et un dispositif de coopération détendue sur le plan
régional. 2- La régulation foncière : le fait de rendre la terre à la population, de reconnaître son droit
de propriété, de jouissance et de transaction, améliore la relation très tendue entre le nouveau
pouvoir et la population qui retrouve une certaine confiance. Cela montre combien la question de la
terre est importante à l’échelle individuelle et dans la constitution du bâti et du tissu urbain,
importance que nous avons démontrée dans l’étude de la tradition foncière, en liaison avec la
formation et l’évolution du bâti.
Les mutations de l’espace explicitent deux phénomènes contradictoires : à la fois le
phénomène d’émergence et le phénomène de marginalisation des territoires. Nous les identifions en
cinq points :
1- Les pôles locaux d’attraction pour le développement se sont constitués –avec ou sans succès– à
travers la restructuration des réseaux d’infrastructures, la construction et le déplacement des
équipements, la clarification du statut et de l’échelle des villes, alors que les pôles régionaux
révèlent le phénomène de monopôle et de concurrence qui induit, pour certaines villes laotiennes,
plus leur mise en marge que leur intégration par rapport aux réseaux de développement.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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2- Le phénomène d’émergence et de marginalisation fait aussi impliquer la question des réseaux
régionaux d’échange économique. Dans la réalisation des projets en cours, les constats ne peuvent
être faits de manière satisfaisante, mais quelques éléments ont déjà été repérés comme un frein : la
capacité des projets à intégrer l’échelle locale et les données humaines dans leur réalisation, à gérer
et à répartir les retombés économiques, etc., est fortement lacunaire et limitée.
3- Il en est de même pour les territoires de concession. Les cas étudiés –la concession de Botén et
les sites miniers– montrent que les questions du local et de l’humain n’ont pas été assez prises en
compte : les établissements humains autour des mines n’ont pas été bâtis comme un établissement
social et urbain durable, en conséquence, leur pérennisation intégrée est difficilement envisageable
pour l’avenir et pose déjà aujourd’hui des problèmes de gestion.
4- Une intégration régionale pour quelle intégration nationale et locale ? Les trois points interrogent
ainsi la question d’intégration et soulèvent des problèmes de différents ordres : manque de
souveraineté des territoires nationaux éprouvés par le gouvernement laotien, conflits d’échelle entre
le local et le régional qui mettent en porte-à-faux la communauté régionale en cours de construction,
sécurité et pérennité des sociétés et des communautés locales menacées, etc.
5- En dehors des interactivités conflictuelles –ci-contre exprimées– trois exemples montrent que la
mise en marge de certains territoires peut être aussi liée à leurs caractères endogènes : les contextes
historiques de “zone libérée”, “zone spéciale” et “zone de trafic” par exemple, le montrent bien.
Ensuite, les mutations de l’espace des villes et des territoires font aussi apparaître
l’émergence des occupations anciennes, celle des centres historiques ou des espaces constitués.
Cette émergence est manifeste à la fois à travers le recyclage spatial et à travers leur altération.
Le recyclage et l’altération des espaces se sont opérés notamment à travers le processus de
patrimonialisation. Mais comprendre ce processus, enlisé dans le contexte de développement
urbain, est particulièrement difficile aujourd’hui. Un regard introspectif (endogène à l’univers de la
culture et de ses pratiques) et rétrospectif (dans les faits historiques) s’impose pour comprendre le
processus de patrimonialisation : définir les différentes notions du patrimoine –que l’on redécouvre
à travers la pratique des espaces sacrés, la matérialité du patrimoine, sa notion de pérennité et de
transmission, sa valeur symbolique et sa valeur marchande, les mythes qui le recouvrent–, identifier
sa prise de conscience et sa conception et prendre en compte ses discours, et enfin saisir la
confrontation forte entre la nécessité de développement et la nécessité de mémoire qui caractérise la
réalité urbaine et le manque de modèle clair de la politique de développement laotienne. Le
recyclage des espaces anciens et leur altération est aussi visible lorsqu’on questionne la place
qu’occupent les monastères aujourd’hui dans la ville en tant que centralité. Ceux-ci sont persistants
par leur présence spatiale forte, par leur permanence et leur convergence sociale dans la ville, par la
propension qu’ils ont à devenir des modèles architecturaux.
Enfin, les mutations de l’espace des villes et des territoires sont aussi à l’œuvre à travers la
reconstitution et la recomposition de la ville et du territoire, leur espace politique et symbolique,
leur espace social et économique. Elles sont illustrées par plusieurs faits :
1- On constate que le régime se retrouve toujours sans modèle idéologique spatialisé, alors qu’il
entame déjà sa troisième décennie de réforme. Le retour des symboles par un processus de
représentation a été pressenti comme une nécessité pour consolider le pouvoir dans le nouveau
tournant de la politique locale et régionale. A partir des années 2000 le retour des symboles a été
représentatif d’un désir de légitimation du pouvoir politique (s’inscrire dans la continuité de
l’histoire nationale en exhumant les monarques historiques, en aristocratisant la classe dirigeante et
en s’improvisant l’avatar du prince mécène des grands projets) et d’une volonté de donner à
l’espace une valeur identitaire, une valeur de rassemblement et de citadinité : réappropriation des Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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espaces sensibles avec des projets publics d’envergure, revitalisation de l’identité religieuse locale
et des anciens monuments, voire, de les réinventer.
2- Le regain des occupations anciennes et des centres historiques devient fortement actif dans
différents secteurs du développement urbain, où il est question de considérer le patrimoine et les
faits archéologiques comme des éléments de développement urbain, économique et social. Mais il
met en exergue le fait que l’émergence des sites patrimoniaux qui cristallisent le patrimoine dans les
fonctions touristiques, est une alternative qui peut poser aussi des problèmes pour un équilibre
socioéconomique et un développement durable.
3- La stratégie résidentielle des habitants constitue aussi une forme de recomposition spatiale.
Quitter ou rester dans le centre, considérer ou pas le Mékong comme une centralité ? Ces questions
restent corollaires aux offres d’emploi et d’activité, aux offres foncières, à la qualité du cadre de vie
et à la valeur écologique primitive liée au fleuve.
4- Le mouvement foncier proprement dit est un élément de recomposition spatiale majeur. Des
dispositifs mis en place pour le cadrer explicitent son importance : rétablissement du cadastre,
libéralisation foncière donnant de la liberté à la transaction et aux beaux fonciers, tentative de régler
les questions portant sur les biens immobiliers et fonciers qui ont été gelés depuis plus de trente ans.
On constate indépendamment de ces dispositifs de l’État, que le foncier se dote d’un principe
spéculatif lié aux effets des grands projets de développement annoncés, que ceux-ci soient réels ou
fictifs.
5- Les péricentres et les centres périurbains constitués viennent renforcer et consolider la vie des
petits centres. Tout en demeurant une caractéristique permanente des villes, la centralité est
reformulée : entre une ancienne et une nouvelle centralité, les nouveaux centres se constituent en
périphérie en ramifiant les quartiers plus ou moins dispersés et en accompagnant la construction des
nouvelles routes et le déplacement des équipements publics.
6- La reconstitution et la recomposition de l’espace à l’œuvre, appellent aux outils de gestion et de
développement urbain nouveaux et adéquats. La politique urbaine et territoriale entame ainsi des
procédures pour mettre en place une autorité urbaine –le UDAA, dont le rôle et le cadre technique et
institutionnel est d’être l’embryon d’une future municipalité – un éventuel “pouvoir local élu”.
Volonté appuyée et initiée par les bailleurs de fonds internationaux, intéressés pour mettre en place
un processus de transition structurelle, institutionnelle et politique. Mais sa réalisation est freinée
par une structure politique et constitutionnelle fondée sur le pouvoir d’un parti politique unique et
centralisé.
7- Les investissements ainsi que la migration ont été des facteurs importants de modification des
espaces urbains. Les investissements intérieurs –surtout privés, ont été peu importants, mais
contribuent à apporter des modifications aux tissus urbains des centres, alors que les
investissements extérieurs modifient la configuration des villes et des territoires à une plus grande
échelle, en fabriquant des grands projets urbains, en établissant des zones de concessions et en
interrogeant la bonne gouvernance urbaine et le choix du modèle de développement de l’État
laotien. Quant à la migration interne, elle participe au renouvellement des habitants dans l’espace
citadin et modifie les données spatiales des tissus urbains sans apporter des bouleversements, alors
que la migration extérieure renvoie aux relations historiques entre le Laos et ses voisins Chinois et
Vietnamiens. Ce renvoi à l’histoire permet de comprendre l’influence de ces deux migrations
exercées sur la gouvernance urbaine. Enfin, la migration artificielle qui accompagne la coopération
internationale. Celle-ci permet surtout la réhabilitation des anciennes villas et bâtiments des années
1960 et la construction de nouveaux types d’habitation qui reprennent les modèles des maisons lao
anciennes et des maisons lao pagnuk, sans être initiatrice d’une production architecturale nouvelle
ou créative.
La question de la citoyenneté n’a pas été étrangère à la recomposition de l’espace urbain,
puisqu’elle touche la question des pratiques habitantes et de la gouvernance. L’Etat définit les Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 169 -
critères des familles et des villages modèles et recommande aux citoyens les actions à entreprendre
pour atteindre les modèles définis.
8- La production architecturale. En interrogeant les quatre champs et acteurs impliqués dans la
production du bâti –l’opérationnel et l’économie, la nature des commandes et les commanditaires,
les entrepreneurs et les architectes– on découvre un autre aspect de la recomposition de l’espace et
on mesure la forte dépendance de la création architecturale vis-à-vis de ces champs et de ces
acteurs.
On peut dire que les villes laotiennes font face à des nouvelles dynamiques spatiales
imposantes –d’un côté l’intégration régionale et la mise en réseau des métropoles, de l’autre les
propensions internes des villes à appréhender les mutations et à réceptionner les changements.
L’espace des villes est appelé non plus seulement à évoluer, mais à se métamorphoser en absence de
modèle, ne comptant que sur ses qualités spatiales idiosyncratiques. Les territoires des villes et leurs
sociétés sont en recomposition. Leur devenir traduit l’ambiguïté des politiques de développement
aussi bien locales que régionales : entre conservations des héritages du passé, comme conservation
de son identité dans un monde globalisant et changeant, et volonté de se projeter dans l’avenir
comme pensée légitime de toutes sociétés en cours de construction et en développement.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 170 -Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Deuxième Partie
Permanence et adaptabilité des fondations lao
dans la durée
Approches théoriques
Les villes et les occupations anciennes au Laos ont laissé peu de traces de leur ancienne
fondation. C'est une expression qui les caractérise. Les raisons sont moins historiques mais plus
matérielles et conceptuelles. Dans leur matérialité, les unités d'occupation lao sont peu pérennes ;
leur système de production est socialement organisé mais économiquement peu structuré. À
l'exception des monuments construits en dur –nécessitant une organisation particulière– qu'elles
soient urbaines ou villageoises les implantations résistent mal au temps ; les matériaux utilisés étant
généralement du végétal, bois et bambou. Le bâti repose sur un système de production individuel et
communautaire, sans corps professionnels qui auraient marqué le système de production et laissé
des empreintes sur l'espace de manière plus importante. Les acteurs des fondations auraient accordé
une place plus importante et durable au rôle et à l'action des hommes exercés à travers les actes de
fondation, transmis et inscrits dans la durée, dans le sens où on aurait donné plus de places à la
production spontanée de l'espace et à son usage. En d'autres termes, c'est la manière d'utiliser et de
fabriquer les espaces qui est transmise et non les espaces ou les objets eux-mêmes. Alors que la
majorité des grandes fondations anciennes, notamment khmères, indiennes, chinoises, demeurent
durablement par leur matérialité, aujourd'hui attestées et matérialisées par de nombreux vestiges
archéologiques, biens conservées et parfois maintenues vivantes. Dans la conception lao, c'est donc
le rôle et l'action des hommes qui seraient non seulement les composants dominants de la
constitution du territoire et de la ville, mais aussi les éléments qui devraient s'inscrire dans la durée,
à travers les pratiques spatiales et leurs empreintes. Ainsi, malgré leur manque de pérennité
matérielle, les fondations lao ne sont pas des espaces éphémères : la notion de pérennité et de
permanence est fondée plus sur l'immatérialité et moins sur la matérialité. C’est ce que nous
proposons aussi de parcourrir dans cette partie.
Du point de vue historique, les villes lao ont connu des traumatismes : conflits et instabilité
du pouvoir dont l’existence aurait permis la création, ou au contraire, la destruction des villes ;
changements rapides de la classe gouvernante, déplacements de la population, destruction –mais
aussi construction– après les guerres de rivalité et d’expansion des chefferies et des États.
Profondément liées à leur usage et à leur fonction, donc à la présence de leurs constructeurs et de
leurs habitants, les villes pouvaient disparaître de façon irréversible comme elles pouvaient renaître
dans un laps de temps parfois court. De par cette rapidité d’anéantissement ou de naissance, les
approches uniquement matérielles –vestiges archéologiques et textes– ne sont pas suffisantes et
adéquates pour constituer notre connaissance sur les facteurs de permanence et d’adaptabilité des
fondations lao. Les traditions et les rituels se rapportant à l’espace, mis en relief dans les annales,
dans les mythes et les rites religieux et païens, ou laissant des empreintes sur les sites et dans
l’imaginaire collectif et individuel, forment également les outils de connaissance : tels les anciens
cultes des génies, des Phi et des devata, les cérémonies pour déplacer ou pour fonder un monastère,
un village, construire une nouvelle maison ; telles aussi les pratiques qui sont proscrites ou Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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autorisées dans certains lieux. Les cultes et les pratiques en usage, aujourd’hui, explicitent ainsi de
multiples liens avec les lieux et leur fondation historique. Ceci, pour la fondation de l’habitat, des
monuments, des unités villageoises et urbaines. Ils explicitent dans bien des cas la conception
primitive des fondations, du moins ils décrivent leur mode mental et culturel de représentation. Il est
donc important aujourd’hui de noter que la constitution d’une connaissance a posteriori de ces
fondations devrait d’abord se référer à l’univers des pratiques. Les rituels encore en usage se
rapportant à la lecture spatiale des sites, ou ancrés dans l’espace géographique, dans les modes
d’occupation, dans les fonctions des lieux, non seulement pour les villages aux caractères ruraux,
mais également pour les centres urbains, forment des témoignages matériels et immatériels
significatifs. Ils nous permettent de dégager des principes et des modèles fondamentaux de
fondation.
Dans cette deuxième partie, nous proposons d’approcher de manière théorique les fondations
lao tai primitives, en identifiant les éléments matériels et immatériels qui persistent dans les
pratiques et dans les espaces contemporains, et qui caractérisent la capacité d’adaptation de ces
fondations dans la durée. Cette approche est traitée en trois chapitres.
Le premier chapitre tente, à travers une synthèse et à travers une lecture des mythes,
d’identifier les éléments de formation primitive qui ont préexisté à l’espace lao tai. Ensuite il
explore la période de structuration de l’espace lao tai opérée autour de la fondation de la capitale au
XVIe siècle.
Le deuxième chapitre explore la capacité des espaces lao tai à réceptionner les modèles
spatiaux exogènes et à se les approprier par acculturation. Il tente ensuite d’identifier les
caractéristiques dominantes des villes laotiennes contemporaines autour des années 1975, et
d’analyser l’histoire et les conjonctures socioéconomiques internes et externes en rapport avec
l’évolution des aires urbaines régionales, et de comprendre comment cette évolution a-t-elle conduit
le cycle de formation et de transformation des formes spatiales.
Enfin, le troisième chapitre fait l’état des lieux des villes autour des années 1975 en guise de
conclusion, et identifie le cycle de leur transformation comme le passage de l’espace traditionnel à
l’espace moderne. Ceci caractérise les traits dominants de la transition urbaine des villes laotiennes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 173 -
CHAPITRE 1.
Les éléments de formation et de structuration de l’espace lao tai
Le territoire qui forme le Laos d’aujourd’hui a été occupé très tôt par plusieurs groupements
humains et sociopolitiques tant simultanément que successivement. Dans son ensemble, il est
marqué par une continuité humaine et culturelle de souches historiques distinctes, continuité
exprimée dans la pérennité du choix des sites, dans les données anthropologiques et dans la
pérennité des mythes. Les expressions de cette continuité ont permis d’esquisser des modèles
théoriques d’occupation. La permanence des éléments géographiques d’ancrage des établissements
(prise de site et son appropriation) s’est révélée comme un facteur d’identification et un marqueur
des choix et des pratiques spatiales des établissements. Cela constitue l’un des objets de
connaissance de nombre d’entre eux. L’objet de ce chapitre est de comprendre comment les
différents composants des fondations anciennes –tels, leur support géographique et leur
morphologie spatiale, les actes, les rituels et le mode culturel qui les ont fondés– ont persisté
durablement dans l’espace contemporain. De quoi seraient composées ces persistances qui auraient
joué un rôle structurant pour les fondations tout le long de leur évolution. Nous tentons ici
d’identifier le processus de fabrication et de modélisation spatiale des occupations anciennes et
leurs modèles d’évolution.
Dans la première partie du chapitre, nous s’essayons de rendre compte de ce que peuvent
être les souches spatiales du Laos avant son existence, en les identifiant à travers des données
anthropologiques. Il s’agit d’explorer la constitution du territoire à travers ses mythes et depuis son
balbutiement jusqu’à la période qui a précédé le règne de Sethathirat. Il s’agit également de
s’interroger sur le mode d’occupation des sols : comment celui-ci a-t-il contribué à la formation
d’une unité sociale et politique.
Dans les deux dernières parties du chapitre, on propose de traiter les deux périodes
révélatrices, où il s’agit : 1-d’identifier avant la période du règne de Sethathirat les établissements
lao tai, leur mode et leur modèle d’occupation comme leur élément d’identité spatiale primitive, 2-
de comprendre comment la restructuration politique de l’espace a-t-elle pu se réaliser à partir du
règne de Sethathirat au XVIe siècle, en rassemblant les différents actes et dispositifs politiques
réalisés. La constitution de l’espace lao tai serait donc lue à travers des faits culturels et
idéologiques. L’espace sera analysé dans sa strate de cité-État et à travers la structure du pouvoir.
Corollairement à cela, les empreintes et les pratiques spatiales, culturelles et cultuelles, la
construction des mythes, la construction des espaces habités et leur rapport à la nature,
deviendraient alors des éléments de lecture à travers lesquels la compréhension de l’espace des
fondations devrait s’effectuer.
I. I. Les établissements anciens avant les établissements lao tai. Les
mythes et les données anthropologiques, les sites d’implantation
primitive
Les implantations lao tai ne sont pas nées dans un territoire vierge, les occupations qui leur
sont antérieures constituaient une référence potentielle pour leurs édifications. Un aperçu historique
sur ce territoire depuis longtemps “ humanisé et civilisé ”, avant l’installation des Lao et de
l’ensemble des populations tai vers la fin du premier millénaire serait donc nécessaire pour mieux Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 174 -
comprendre la part de ce dont ces derniers héritaient. Mais pour se faire les données spatiales
structurées manquent : ce territoire reste « pour l’historiographie un curieux vide ».
212
Il nous faut rechercher les données dans les sources anthropologiques, dans les mythes et le choix
des sites d’implantation, leur aspect géographique, leur inscription territoriale, quel que soit le
caractère fragmenté des sources et des données en question. On aborde les établissements anciens en
analysant donc deux groupes de données : d’abord les données anthropologiques et géographiques
liées aux mythes, ensuite les actes et les rituels de fondations.
L’historiographie du territoire du Laos jusqu’à aujourd’hui est fragmentée et renferme des
contradictions, malgré les riches découvertes archéologiques. Nous tentons de rassembler les
différentes sources –même contradictoires, afin d’émettre des hypothèses pouvant aider à identifier
l’aspect spatial de ce territoire. L’historiographie et l’archéologie identifient trois principaux
occupants qui ont bâti le territoire du Laos avant le XIIIe siècle : les vieux habitants proto
indochinois, les Môns et enfin les Khmers, sans mentionner les Tai Lao et ne parler de leur
installation qu’à partir de la fin du XIIIe siècle. Sans entrer en contradiction avec les données
historiques plus ou moins établies, nous proposons dans les quatre paragraphes qui suivent, de
comprendre l’aspect spatial de ce territoire en explorant et en synthétisant les différentes hypothèses
historiques, anthropologiques et géographiques. Que serait ce territoire avant les établissements lao
tai et quels seraient les principes d’implantation mône, khmère et lao tai primitive ? Ceci, en
considérant les mythes de fondation et les caractéristiques des sites (montagnes et forêts, plaines et
cours d’eau) comme objet de connaissance de l’histoire matérielle, et en exposant des études de cas.
I. I. a. Les occupations avant les établissements lao tai. Les fondations et les mythes
considérés comme objet de connaissances de l’histoire matérielle
Les perceptions historiques
Les études khmères et les études mônes (travaux sur l’art de Lopbury et de Dvaravati), les
sources chinoises ainsi que les traces archéologiques, montrent que bien avant les Tai sont nées dans
la péninsule de grandes civilisations urbaines. Le processus d’occupation tai aurait été une
propagation lente. La disparition de bon nombre de cités antérieures suppose des luttes, du moins,
montre que les Tai auraient dû faire preuve de ténacité diplomatique et aussi militaire pour parvenir
à s’installer et acquérir une position durable sur le territoire.
Dans l’âge des mégalithes213 du premier millénaire avant l’Ere Chrétienne, deux peuples
auraient occupé le territoire de Souvannaphoum214 : les Lawa []t;hk] seraient dans la région de
Lopburi (Thaïlande) et les Swa [lq;t], dans la région de l’actuel Luang Prabang.
215 Leur présence au
Laos serait attestée par les sites des jarres funéraires de Xieng Khouang216 et par les mégalithes de
212 Propos de M. Lorrillard. Cf. Bibliographie. 213 Des sites de jarres funéraires, dolmens et menhirs sont découverts nombreux entre le Sud de l’Arabie et l’Inde
méridionale, entre le Sud du Viêtnam et le Siam. Cf. Rawson P. L’Art de l’Asie du Sud-Est, l’Univers de l’Art, Thames &
Hudson, Singapour, 1995 ; The Art of Southeast Asia, 1967, Thames and Hudson Ltd, Londres. 214 Suvarnadvipa (Sk) désigne l’Orient. En Lao c’est « Laèm Thong » [cs],mv’], « presqu’île dorée ». Les termes lao
ajoutent l’idée de richesse que les locaux se font de ce territoire. Pierre-Yves Manguin note que Suvarnadvipa dans les
textes indiens est le nom donné à l’Asie du Sud-est ancienne la désignant comme “ les îles de l’or ”. Dans l’Antiquité, elle
porte un autre nom : « la Chersonèse d’or de Ptolémée ». In P-Y Manguin, « Les cités d’Asie du Sud-est côtière. De
l’ancienneté et de la permanence des formes urbaines », « City-States and City-State Cultures in pré-15th century
Southeast-Asia », Mogens H. Hansen (éd.), A comparative study of thirty City-State cultures: An investigation conducted
by the Copenhagen Polis Centre, Copenhagen, The Royal Danish Academy of Sciences and Letters, 2000, p. 409-416. 215 On connaît peu de chose sur l’origine de ces proto-indochinois. Ils seraient issus du même souche. Pour les linguistes, ils auraient parlé une langue austro-asiatique comme une grande partie des populations de l’Inde de l’Est, descendue plus
tard dans la péninsule. Cf. E. Guillon, Parlons Môn. Langue et civilisation, Ed. L’Harmattan, Paris 2003. Archaimbault les
désigne d’“ aborigènes”. 216 Parmi 52 sites découverts, trois sont ouverts aux visiteurs. Pour les autres les bombes non explosées larguées dans les
années 1960 et 1970 minent encore les sites.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 175 -
Houaphanh,
217 avoisinant dans l’espace et dans le temps, la culture Dông-son de l’Annam et du
Tonkin.
D’après les études mônes,218 autour du Ve et IVe siècle avant J-C, un peuple mixte (ancêtre
des Môns ?) –austro-asiatiques de l’Ouest de la Chine et de l’Est de l’Inde– serait venu par
l’extrême Nord de la Birmanie occuper le territoire des Lawa et des Swa. Ces derniers, repoussés
vers le Sud, auraient disparu ou assimilés par les nouveaux arrivants. Progressivement, les Môns
auraient établi une civilisation brillante avec deux principaux établissements : Dvaravati, entre le VIe
et le XIe siècle de notre ère,219 serait étendu depuis le plateau de Khorat jusqu’en Birmanie,
descendant jusqu’en Malaisie, avec un centre dans l’actuel Nakhon Prathom ;
220 Sikhottabong
(royaume oriental), ayant un centre au bord de la Xé Banfay dans la région de Thakkek, étendu du
plateau de Khorat jusqu’à l’extrême Est du Laos et depuis Vientiane jusqu’à Champassak.221
Les études khmères évoquent des établissements hindouisés tel que le Fou Nan repéré
entre le milieu du IIIe et le VIe siècle grâce aux inscriptions.222 A partir du VIIe siècle le Tchen-la
(Tchen-la de terre et Tchen-la d’eau), étendu du Moyen Mékong aux extrêmes Sud de la péninsule
et du plateau de Khorat aux côtes Est, avec un centre probable à Vat Phù223 aurait remplacé le Fou
Nan.
Au nord du Tchen-la et des cités mônes, le Nan Chao émerge dans le Yunnan entre le
VIIIe et le IXe siècle.224 La dynastie qui le dirige est considérée dans le Phongsavadan Lao comme
étant tai et d’où seraient issus les ancêtres fondateurs du Lane Xang, Khun Bourom et Khun Lo.
Considération réfutée par la majorité des historiens,225 qui admettent pourtant l’idée que les Tai
seraient parmi les nombreuses ethnies vivant dans l’aire et sur les marges de ce puisant royaume.
217 Madeleine Colani, « Champs de jarres monolithiques et de pierres funéraires de Tran Ninh (Haut Laos) », BEFEO 33,
p. 355-366, année 1933 ; « Les Mégalithes du Haut-Laos », BEFEO, Paris, 1935. 218 Les études mônes ont surtout été celles des linguistes. Ils ont trouvé que les langues « austro-asiatiques constituent le
substrat de toutes les langues parlées en Asie du Sud-Est. » In. E. Guillon, op. cit. 219 La période Dvaravati : fin VIe - début XIe siècle, date supposée d’après les inscriptions mônes trouvées à Saraburi en
Thaïlande. Cf. E. Guillon, (op. cit.) Cf. Ferlus, « Délimitation des groupes linguistiques austroasiatiques dans le centre
indochinois », ASEMI V-1 ; Cf. Dupont, « L’archéologie mône de Dvâravatî », 2 vol. Paris, publication de l’EFEO., 1959. 220 Nakhone, Nagara (Pl-Sk) [g,nv’.sJp], la ville, et Prathom [xt4q,], Pathama (Pl), primaire, premier. Nakhon Prathom
[ot7voxt4q,], la première ville. In : Lexique étymologique lao Pali-Sanskrit, Ed. Sadda, Paris, 2007. 221 Les découvertes en 2008-2009 d’un site proche de la Xé Bangfay, mettent au jour d’importants vestiges : bassins,
bijoux en or, divers objets. S’agit-il d’une partie de la ville ancienne de Sikhottabong (?). Les fouilles n’ont pas été faites
de manière approfondie et étendue pour formuler de telle conclusion. En occurrence, M. Lorrillard remet en doute
l’existence de ce royaume en soulignant que « (…) ce royaume est sans doute de pure légende (…) ». 222 L’existence du Fou Nan tout comme le Tchen-la en tant que grand Etat avant la formation de l’Empire khmer est
remise en question par certains historiens qui suggèrent plutôt l’existence de plusieurs chefferies. Michael Vickery, in.,
Society, Economics, and politics in Pre-Angkor Cambodia, the 7th-8th Centuries, The Centre for East Asian Cultural
Studies for Unesco, the Toyo Bunko, 1998. Le Fou Nan aurait été mentionné dans les textes chinois et à partir de ces
textes les historiens fondent sa historiographie. Cf. Rawson in : l’Art de l’Asie du Sud-Est (op, cit), « […] Un brahmane
inspiré par ses rêves, débarqua au Fou-nan. Il épousa la fille d’un dieu serpent local et devint le premier souverain
founanais. En buvant les eaux qui couvraient le pays, le serpent –ou naga- qui est dans la tradition indienne le symbole de
la lignée royale autochtone, permit aux habitants de cultiver la terre […] ». 223 La localisation du centre du Tchen-la : à Vientiane pour Lefèvre-Pontalis, à Pak Hinboune pour Maspéro, in. « La
frontière de l’Annam et du Cambodge du VIIIe au XIVe siècle », BEFEO XVIII-3 ; à Champassak pour P. Dupont, in.
« La dislocation du Tchen-la », BEFEO XLIII, 1943-6. ; à Sambor-Preikuk pour Pelliot, in. « Deux itinéraires », BEFEO
IV, n°1/2 ; « Le Fou-Nan », BEFEO III, 1903 ; pour T. Hoshino à Muang Fa Daet, sur le plateau de Khorat actuel, in.
Pour une histoire médiévale du Moyen Mékong, Ed. Duang Kamol, Bangkok, 1986. D’après lui, les annales chinoises du
Yunnan mentionnent que le Tchen-la « a à l’Ouest comme voisin le Pyao, au Nord-est la province de Huan Zhou et au
Nord le Dao Ming ». Les Pyao auraient formé l’ancien royaume Pyu dans le Nord de l’ancienne Birmanie. Le Huan Zhou
aurait pu être localisé dans la province Vietnamienne actuelle de Nghê-An, à l’époque des Tang. Le Dao Ming reste à
identifier. Les données archéologiques récentes localisent le Tchen-la à Champassak. 224 Nan Chao pour les Chinois signifie “ Prince du Sud ” ou “ Principauté du Sud ”. Nan serait un terme chinois, “ Sud ” et
Chao[g9Qk], Chu[96j], termes sans doute sino-lao qui signifient “ vous ” ou “aristocrate” ou “groupe”. 225 Pour Chith Phoumsak, les Tai n’ont pas le monopole dans le Nan Chao. Ils seraient parmi les trois ethnies dominantes,
dont les Lolo, qui auraient un rôle primordial. In. L’origine des termes monosyllabiques thaï, lao, khrom, du point de vue
social à propos du nom des peuples, éd. Samnakphim Siam, Bangkok, 2001 (réédition de 1976). Griswols note :
« Désigner le Royaume de Nan Chao du Yunnan comme un royaume tai, ne peut pas continuer à être accepté comme tel.
Il est clair aujourd’hui que la classe gouvernante de ce royaume est d’origine tibéto-birmane […] ». In. Griswold, 1964,
« Thoughts on a century », JSS, LII pt. Avril 1964. Pour Luce : « Sur l’idée que le Nan Zhao soit tai ou non cela pose
encore problème. La Chronique Nan Zhou (863 AD) suggère que le Nan Chao est majoritairement Lolo ou tibéto-birman
du point de vue linguistique, les Tai deviendront dominants dans la classe dirigeante à partir du Xe siècle ». In. Luce G-H, Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 176 -
Après le Tchen-la, l’Empire khmer domine le territoire à partir du début du IXe siècle
intégrant deux anciens royaumes et probablement les chefferies tai aussi.
226 Mais la culture et les
villes mônes n’auraient pas disparu à l’ouest de la péninsule comme au nord. Entre le VIIe et le XIIIe
siècle, elles ont poursuivi leur développement, à Lamphun, Prayao, Xieng Saèn et Wiang Kum
Kam, diffusant un art et une architecture appelés Haripunjaï227 avant de céder en définitif aux Tai
qui fondent sur leurs traces de nombreuses cités vers le XIIIe et XIVe siècle. Nous continuons de nos
jours à découvrir des vestiges môns, explicitant leur importance dans la constitution de l’espace de
la région du Laos.228
Ainsi les établissements tai sont nés dans un territoire constitué, au moment où les anciens
pouvoirs existants ont commencé à s’affaiblir. Il aurait été probable que les chefs tai venus des
chefferies du Nan Chao et du Sud de la Chine, soumises aux Mongols, se soient rallier à eux
espérant se libérer de la suzeraineté khmère ou consolider leurs propres unités. Les Tai auraient
commencé aussi à s’approprier des acquis Mongoles, ce qui provoque des expéditions militaires de
ces derniers : en 1280 Chiangrai fondée par Mengraï en 1268 fut attaquée. La fondation du Lane
Xang par F’a-Ngoum a lieu près de soixante-dix annnées après la fondation de Sukhothai et de
Chiangmai ; en retard de trois quarts de siècle pour être enrôlé dans la conquête mongole. Par
contre, par bien des aspects sa culture militaire et son savoir-faire administratif ainsi que ceux de
son fils Sam-Saèn-Tai, seraient une empreinte de l’héritage mongol.
229
Edifiée en cité-État après la fin de la conquête mongole vers 1360, unifiant ses chefferies
primitives, la première implantation lao aurait été malgré tout peu structurée. Les autres
implantations tai importantes qui ont été édifiées aussi bien avant que pendant la conquête mongole
« The Early Syam in Birma’s story », JSS, XLVII, pt. I, 1959. Pour Coedès : « […] Nan-Tchao, royaume de population
t’aï, mais dont la classe dirigeante appartenait peut-être à une autre famille ethnique […] », in : Les Etats hindouisés
d’Indochine et d’Indonésie, Paris, 1964. Pour Hall : « […] le royaume de Nan Chao qui se formait à l’ouest et au nordouest
du Yunnan, avait une population tai mais ses dirigeants étaient de race différente […] », in : A history of SouthEast
Asia, Londres, 1964, pp. 158-159. Lafont P-B note dans son compte-rendu sur le Phongsavadan (de S. Viravong) et sur
Ethnic groups of Mainland South East Asia (de Frank M. Le Bar) que la thèse d’un Nan Chao dominé par les Tai peut être
totalement réfutée. In. BEFEO, T. L, fasc. 2, 1962, C.R. pp. 573-574. 226 Les historiens affirment que les fondateurs d’Angkor sont les héritiers du Fou Nan et du Tchen-la et que l’art de ces
derniers –en particulier l’art founanais– se serait prolongé dans l’art khmer. Le début de l’empire khmer commence en 802
avec le sacre de Jayavarman II. « […] Il succéda à son père, le roi Indravarman ; sa mère Indradévî lui transmit les droits
dynastiques des deux royaumes qui s’étaient succédés sur le territoire du Cambodge, le Fou Nan et le Tchen-la, ainsi
nommés dans les annales chinoises […] », in : Madeleine Giteau, Histoire d’Angkor, Kailash, Paris 1996. L’apogée de
l’empire d’Angkor est placé sous le règne de Jayavarman VII, dont le territoire a atteint sa plus grande extension vers
1177. Il couvrait la quasi-totalité du Laos et de la Thaïlande actuelle. Son influence atteignait l’Isthme de Kra et le
royaume de Pagan, mais il est probable que la partie septentrionale du Laos et l’extrême Nord de la Thaïlande, avec
plusieurs chefferies tai, aient été administrés par des gouverneurs tributaires de l’Empire. Cf. Hoshino. 227 Pour Xieng Saèn et Wiang Kum Kam, il semble que le pouvoir a dû changer plusieurs fois : du pouvoir môn au
pouvoir tai. Malgré cela, la culture urbaine mône semble imprégner fortement ces établissements. Le principal Chédi de
Lamphun, ville fondée par les Môns et qui reste sous leur pouvoir plus longtemps que les autres, serait apparemment le
modèle architectural le plus référencé des monuments de Chiang Saèn et de Wiang Kum Kam. In : « Wiang Kum Kam :
Vivathanakan pavatsat lé bourana sathan », article de présentation du site de Wiang Kum Kam, 42 pages (en Thaï, nom de
l’auteur non mentionné) ; Hans Penth, « Remembering the Beginning of the Rivival Of Wiang Kum Kam », Paper
presented at the Seminar « Peut Tamnan sivit Lanna », Rajabhat University Chiang Mai, 14 februry 2005, Hans Penth, 6
pages.
228 A travers la pratique du bouddhisme dans certaines villes Thaïlandaise survit encore la culture mône, notamment la
tradition des pieux qui accompagnent les stupas, sao chédi [glqkg9fu]. Le rôle des Môns dans la construction des
établissements de la région du Laos a été négligé jusqu’à récemment, d’autres découvertes à venir devraient attester leur
importance.
229 Sur la région Nord du Laos et la région Nan Chao et sur la création de l’Empire Khmer. Hoshino donne un point de vue
intéressant. Il note aussi : « une chose frappant est que les gouverneurs adjoints, commissaires et chefs de commanderies
désignés ne sont pas des Mongols mais sont tous, semble-t-il, des chefs de principautés locales. (Tai ?) » Ibid. Les
Mongols soumettent les provinces du Sichuan et du Yunnan en 1253 et toute la Chine en 1279. Leur domination dure
jusqu’en 1368. F’a-Ngoum serait né en 1316, aurait épousé en 1332 Kéo-Kengna, princesse angkorienne fille de
Parameçavara, commencé sa campagne militaire au Laos en 1349, proclamé le Lane Xang en 1353, serait destitué et exilé
à Nan en 1371 et mort en 1373. Ses cendres seraient déposées à Vat Xieng-Ngam à Nan. Cf. S. Viravong, Phongsavadan
lao, de la période ancienne jusqu’à 1946, (xts;aflkf]k; c8j[6]kog(u’ 1946), éd. Bibliothèque Nationale, Vientiane 2001. Les
administrateurs et militaires yuans seraient bloqués dans la péninsule indochinoise à cause de leurs défaites en Chine. Leur
savoir-faire aurait continué à influencer la politique et l’administration des États tai et aussi des États et possessions
khmères durant les décades qui avaient suivi. Jayavarman VII semble reconnaître la souveraineté des Mongols à partir de
1285.Tchéou-ta-kouan le visiteur chinois qui a laissé le premier témoignage écrit sur la cour angkorienne aurait été un
agent qui se rend à Angkor vers 1296 pour réclamer les tributs de vassalité que celui-ci devait aux Yuans. Cf. traduction
de Pelliot. « Mémoires sur les coutumes du Cambodge », BEFEO, II, 1902.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 177 -
ont été Sukhothai en 1292, Chiangmai en 1297 et Ayuthia en 1350. Pour D.G.E. Hall, ces fondations
auraient eu lieu dès le début du XIIIe siècle et dans la même considération, Coedès parlait “ d’une
effervescence tai”. Globalement l’émergence des États tai se fait dans l’extrême Est de l’Inde, dans
le Nord-Est de la Birmanie, dans la vallée de la Ménam, dans la région de Nam Ping - Nam Saï -
Nam Kok, dans le Haut Laos de la Nam Tha - Nam Sing - Nam Oû - Nam Khane, dans l’Ouest de la
Nam Dèng, dans le plateau de Xiang Khouang et de Houaphanh.
Considérons maintenant autres points qui pourraient justifier la création du pays lao sous
forme de chefferie cinq siècles avant sa fondation au XIVe siècle –qu’il se nomme ou pas Lane
Xang. Il s’agit du contexte dans lequel F’a-Ngoum mène sa campagne militaire qui s’auto définit
comme une réunification de ses chefferies. Les annales mettent en évidence qu’il se trouve en face
des petites unités politiques solidement établies et dont les chefs seraient de la même famille que lui.
Quoi qu’il en soit, les chefs tai du haut et du moyen Mékong respectent et partagent un certain
nombre de valeurs, notamment leur origine septentrionale, leur histoire commune de migration. Ils
symbolisent l’idée par un probable ancêtre commun et par l’usage d’une diplomatie de cousinage.
Ainsi, le gouverneur de Xiang Khouang en apprenant l’arrivée de F’a-Ngoum aux portes de sa ville
lui envoie un message de soumission : « […] Ma personne est petit-fils et arrière-petit-fils, de sang
et de chair de Khun Bourom Rajathirat Tiao et de Khun Lo depuis l’ancien temps. Cette fois-ci, je
salue la noble volonté du Phraya F’a d’être venu pacifier les ban et les muang. J’accompagne
l’action du Phraya F’a en le suppléant de mon armée et de mes hommes […] » Après quoi F’aNgoum
répond : « […] C’est de bon augure et de bonne grâce que notre cousin pense encore à
nous comme cela. Les ban et les muang qui appartiennent à notre neveu, à notre frère depuis le
temps le resteront, les armes, les instruments et le fer nous viendrons les solliciter auprès d’eux. Les
ban et les muang que nous avons pacifié […] viendront leur faire allégeance […] »
230
Les données historiques sur Vieng Kham, Vientiane, Luang Prabang ou même sur la petite
structure villageoise de Lin San (A 40 kilomètres de Vientiane fondée au bord de la Nam Ngum en
1233) nous permettent de penser qu’il a pu y avoir des établissements lao ou tombés entre les mains
des Lao au moins un siècle avant l’arrivée de F’a-Ngoum, qu’ils forment déjà ou pas des unités
politiques. Et ceci, au sein même de l’Empire khmer, même si en parlant de fondations politiques, le
Phongsavadan n’évoque pas leur organisation. Les chroniques chinoises du Yunnan évoquent
l’apparition d’une unité politique à Luang Prabang parmi les autres royaumes qui entretenaient des
relations de longue date avec la Chine.
231 Les inscriptions de Sukhothai mentionnent Luang
Prabang, Vieng Kham et Vientiane parmi d’autres muang “ dominés ” par Rama Kham Hèng.
232
L’existence des unités lao semble ici être mentionnée vers la seconde moitié du XIIIe siècle et
auraient Sukhothai comme modèle, du fait que cet État tai a réussi à s’émanciper de son suzerain
khmer.
En ce qui concerne les chefferies tai du Sud, les Siamois seraient venus peupler la partie la
plus centrale de la Thaïlande actuelle au moins au XIe siècle et seraient restés sous domination
khmère jusqu’à la fin du XIIIe et le milieu du XIVe siècle, tout comme les autres chefferies du sud
230 In. Phongsavadan Lao. (Op, cit.) Certaines versions disent que c’est l’oncle de F’a-Ngoum, F’a Kham Hyao, qui aurait
régné sur Luang Prabang à l’arrivée de F’a-Ngoum et non pas son grand-père, Souvanna Khampong. Par ailleurs, Luang
Prabang que F’a-Ngoum allait prendre peu de temps après, aurait été sa ville natale. 231 « […] La Dynastie Tang a donné des titres à plusieurs royaumes : au Yong-chang (une région du Yunnan), au Myan
(Myanmar), au Xian Luo (Siam), au Da-qin. Ce sont des royaumes de l’Ouest qui ont entretenu des relations avec la
Chine ; au Jiao-zhi (Daï-Viet), au Ba-Baï (Lan Na), au Zhen-la (Cambodge), au Zhan-cheng (Champa), au Zhua-guo
(Luang Prabang). Ce sont des royaumes du Sud qui ont tissé des liens avec la Chine ». O. Masuhara, in, Histoire
économique du Royaume du Lane Xang, du XIVe au XVIIe siècle, d’un Etat qui bénéficie du commerce continental vers un
Etat d’économie portuaire, ed. Art and Culture, BKK, 2003, (En Thaï.) Masuhara note que Xian Luo est le Siam, nous
pensons qu’il s’agit de Xieng Lao, c'est-à-dire Xieng Saèn. D’après Hoshino, les annales chinoises, le Ji-gu-dian-shuo,
datent de 1265. 232 La stèle de Rama Kham Hèng serait datée de 1292. D’après Coédès, la stèle évoque les établissements lao en ces
termes : « […] vers l’Est il a conquis le pays […] jusqu’aux rives du Mékong et jusqu’à Vientiane, Vieng Kham qui
marquent la frontière […] Vers le Nord, il a conquis le pays jusqu’à […] muang Ch’ava qui marque la frontière […] ».
Cf. Les Etats hindouisés d’Indochine et d’Indonésie, Paris, éd. De Boccard, histoire du monde, vol. 8, 1964.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 178 -
du Laos (à partir de Vientiane). Les chefferies du Nord, comme Xiang Khouang, Dien Bien Phu,
Luang Prabang et même peut-être Vientiane, en tant que vassaux sur la périphérie, auraient été plus
autonomes par leur éloignement par rapport au centre de l’Empire, affaibli et préoccupé par la
guerre avec le Champa.
Les Etats tai et en particuliers siamois (sauf Ayuthia et Lane Xang) auraient donc bénéficié
des concours de circonstances de la conquête mongole. Dans tous les cas, les villes et les
implantations tai dans la vallée du Mékong, dans le Haut Mékong et dans le bassin de la Ménam,
allaient devenir déterminantes pour la configuration spatiale, politique et économique de toute la
région de la péninsule pour les siècles à venir. Les muang des Tai septentrionaux ouvraient alors peu
à peu une période spatiale nouvelle changeant la face de cette aire géographique, avec leur propre
bagage culturel septentrional qu’ils auraient dû composer avec un héritage spatial et culturel laissé
par les Môns, les Khmers ainsi que les aborigènes. Et ceci, sur le territoire qu’ils avaient mis plus de
cinq siècles à conquérir et sous l’influence des prédécesseurs dont ils ne pouvaient se soustraire,
quelle que soit la nature et l’importance de leur propre acquis culturel du Nord.
Des questionnements spatiaux
Au retour de son exil du Cambodge233 F’a-Ngoum a reconquis le pouvoir à Xieng Dong
Xieng Thong (Luang Prabang) avec les troupes khmères de Soryotei vers 1354.234 Cela peut
signifier que le modèle d’un État tai qui se forme en s’émancipant de son suzerain khmer peut se
confirmer pour les autres chefferies tai, mais certainement pas pour le Lane Xang, qui aurait été plus
qu’un allié d’Angkor. La fondation du Lane Xang semble être une unification des unités existantes ;
ce ne serait pas une fondation de rébellion ni d’émancipation d’un vassal contre un suzerain. Au
courant des conquêtes, les revendications personnelles de F’a-Ngoum auraient été confondues, au
fur à mesure des succès de la pacification des muang, aux nécessités impersonnelles d’un État en
processus de formation. Cela aurait ainsi fait de F’a-Ngoum un “ unificateur ”, un “ fondateur ” de
circonstance des chefferies lao dispersées.
L’avènement de F’a-Ngoum marque une ère nouvelle pour le Laos, mais ne peut marquer
le début de son histoire spatiale. C’est précisément en plaçant F’a-Ngoum dans un moment
233 D’après le Phongsavadan, la fondation du Lane Xang aurait été profondément marquée par Angkor, appelé dans le
Phongsavadan, Nakhone Luang, la capitale, la grande cité. F’a-Ngoum aurait eu un précepteur khmer érudit parmi ses ba
[[jk], parents de substitution qui l’ont accompagné depuis Luang Prabang. Si le bannissement a été choisi à la place de la
condamnation à mort, la loi coutumière obligeait à entourer le banni de ce qui est conforme à son rang. Ainsi dans son exil
F’a-Ngoum aurait été entouré de ses précepteurs et parents de substitution, lui permettant de recevoir une éducation exigée
par sa naissance. Une fois au pouvoir, F’a-Ngoum aurait donné les postes les plus importants à ses parents de substitution,
dont les noms males avaient la particule ba [[k]. A notre connaissance les seuls Tai qui portent encore cette particule sont
des Tai noirs (Tai dam). Il est probable que les Lao de Luang Prabang aient conservé à cette époque certaines traditions
héritées du temps où ils se déplaçaient vers le Sud. Cette tradition aurait donné aux Tai noirs une place particulière dans la
structure dynastique des Lao Tai, qui occupent la partie septentrionale. Les chefs tai noirs assumaient probablement une
charge particulière au sein de la cour de Luang Prabang : du fait qu’ils ne sont pas bouddhistes mais pratiquant le culte des
phi f’a, phi thaèn (esprit des ancêtres), lié au royaume Thaèn ou Tian, (Dian en chinois) d’où seraient venus les Lao, les
Tai noirs auraient été gardiens et maîtres des cultes pour la cour ? Effectivement ces cultes n’ont jamais été abolis dans la
tradition dynastique lao pourtant bouddhisée. Outre ces fonctions, les Tai noirs auraient aussi été des guerriers, gardes
personnelles du roi ou précepteurs des princes. Ces questions restent à approfondir.
François Martin note que « (…) de nombreuses personnes étaient frappées par la fréquence de la syllabe, ou particule,
‘ba’ dans les noms de monuments de l’antique Cambodge (…) le sens de cette particule est bien oublié et que les
Cambodgiens ne la dissocient plus des noms qu’elle accompagne, p. ex. Bakhèng, Baphuon, Bayon, etc. (…) Les
dictionnaires attribuent à ‘ba’, entendu comme particule, des sens biens vagues. Celui de l’abbé Guesdon donne : ‘beau,
noble’ : ba phnom ‘belle montagne’ (…). Dans Tandart, on trouve pour la même particule : ‘noble (…)’. Pour L.
Delaporte, ‘ba’ ‘beau, remarquable’ (…) En taï-blanc et en taï-noir, ‘ba’ correspond au français ‘gars’. En siamois, ‘ba’
est un terme honorifique : ‘maître, docteur’. En laotien, ‘ba’ précède habituellement le mot ‘thao’ ‘roi, prince’. ». In.
« De la signification de ‘Ba’ et ‘Mé ‘ affixés aux noms de monuments khmers », BEFEO, 1951, Vol 44. N°44-1, pp. 201-
209.
234 D’après Hoshino, un prince khmer aurait participé à la campagne militaire de F’a-Ngoum : Soryotei –gouverneur alors
de Khorat– qui aurait dû succéder à son frère défunt, Lampong-Raja, sur le trône d’Angkor. Ramathibodi d’Ayuthia (UThong)
a siégé et pris Angkor vers 1350 et a placé sur son trône ses fils. F’a-Ngoum et Soryotei auraient quitté Angkor
pendant son siège par les Siamois ou juste avant. La campagne militaire de F’a-Ngoum aurait été en même temps l’exil
politique provisoire de Soryotei qui a, par la suite, reconquis son pays vers 1357-1358 sous le nom de Suryvamça
Rajathiraja. La plupart des historiens disent ne rien trouver sur le Lane Xang de la période de sa fondation dans les sources
khmères.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 179 -
d’exception comme le fondateur du Laos, et, par extrapolation, de toute l’histoire du Laos que
l’histoire telle qu’elle est conçue et présentée aujourd’hui concernant ce pays démontre ses limites.
Elle crée une rupture dans le territoire en faisant succéder sans transition le Lane Xang à l’Empire
khmer. Elle atrophie la continuité spatiale de ce territoire qui n’aurait pas vraiment connu de
rupture. Or, a contrario, il s’agit pour l’histoire de comprendre comment la présence des Tai dans le
Moyen et le Haut Mékong a-elle été vue, vécue et gérée par les autochtones aborigènes, les Môns et
ensuite les Khmers à partir de la fin du premier millénaire ; comment ces Tai ont-ils apporté des
changements dans la manière d’occuper le territoire ou comment ont-ils été influencés par les
autochtones dans leur façon d’occuper l’espace tout au long des siècles qui ont suivi jusqu’aux XIIIe
et XIVe siècle.
Il apparait inconcevable qu’un Etat, quelle que soit sa taille et son importance, puisse
naître du jour au lendemain associé seulement à l’histoire d’une personne. Un territoire unifié
comme celui-ci ne peut se faire qu’à partir des dispositifs : groupement d’une population
ethniquement homogène, fédérable par une certaine unité autour d’un intérêt commun, fixée dans un
territoire de manière cohérente avec une élite politique capable d’y exercer un contrôle. De ce point
de vue un certain nombre d’établissements (villages, villes, ensembles d’occupations), quelle que
soit leur taille et leur histoire –mythique ou légendaire– témoignent de l’existence d’une période
pré-Lan Xang. Une période de chefferie “ obscure ”, un no man’s land historiographique, durant
laquelle aucun historien n’a pu réellement mener une recherche consistante. Car on constate
généralement que l’histoire des implantations lao commence avec la fondation de Vientiane sous le
règne de Sethathirat.
Si du point de vue historique ce constat est justifié, il ne l’est pas du point de vue spatial.
Les questions spatiales demeurent : comment les communautés lao s’organisent-elles et comment
leurs habitats se construisent-ils entre le VIIIe et le XIVe siècle, entre le XIVe et le XVIe siècle : dans
une région déjà pourvue d’organisation politique, puis dans un Empire khmer naissant puis
déclinant ? Existe-t-il des établissements lao importants avant l’établissement de Luang Prabang ? Si
on suppose que les Lao sont présents assez tôt dans le territoire avec le “ glissement des Tai vers le
Sud ”, à quel moment le pouvoir –un certain degré de pouvoir, passe-t-il entre leurs mains ? Quant à
la “ réunification ” des chefferies lao, auto-proclamée, est-elle justifiée ? En s’appuyant
exclusivement sur les preuves matérielles et sur l’historiographie, ces questions restent lettre morte.
L’histoire des chefferies non mônes-khmères existant à l’intérieur du vaste empire, ou qui gravitent
autour, entre le début du IXe et le début du XIVe siècle, aurait été négligée. Pour cette raison, il faut
nous intéresser aux travaux des historiens laotiens qui ont tenté quelques approches, même si les
arguments sont fragiles, en faisant remonter l’existence des cités lao avant l’époque de F’a-Ngoum,
à travers les textes du Nithan Khun Bourom.
Les mythes de fondation qui peuvent être considérés comme objets de connaissances de
l’histoire
D’après H. Rattanavong, les premières occupations lao auraient été formées autour du VIIe -
VIIIe siècle par deux groupes tai. L’un serait descendu du Nord-est, le long du fleuve rouge –Muang
Thaèn [g,nv’c4o].235 C’est la branche de Khun Bourom et Khun Lo, formant d’abord une première
unité à Vieng Phou kha [;P’r67k].
236 L’autre, serait venu de l’Ouest de la région de Xieng Saèn.
237
C’est la branche de Thao Tch’ueng, qui aurait auparavant pris Xieng Khouang et Luang Prabang des
aborigènes pour y former une petite unité. Par la suite Thao Tch’ueng aurait été vaincu par Khun Lo
235 Il y aurait deux Muang Thaèn : l’un situé dans la région de Dien Bien Phu connu sous le nom des Sipsong Tchou Tai,
(des 12 groupes tai), appelé aussi Muang loum ou Cité du bas, l’autre, situé au sud-ouest de Kunming, appelé Muang
theung ou Cité du haut, plus ancienne par rapport à Muang Loum. Cf. note 21. Dans le Nithan Khun Bouram, Muang
Theung serait le royaume céleste des phi thaèn ou des thaèn f’a, et Muang Loum, le royaume humain peuplé des enfants
que le phi thaèn aurait envoyé pour prospérer. 236 Cf. le texte sur Muang Vieng Phu Kha (1e Partie. I.I.d.5) 237 La région actuelle de Chiangsaèn Thaï, Chiangrai, et de Tonh Pheung dans la province laotienne de Bokéo.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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installé à Muang Thaèn [fin de citation de Rattanavong]. La bataille dans le roman épique Thao
Hung Thao Tch’ueng semi-historique aurait été la reconstitution de cette lutte entre Lao du Nord-est
et du Nord-ouest. La guerre aboutie sur la victoire de la branche de Khun Bourom, la branche de
Thao Tch’ueng serait assimilée. Ainsi, le muang des Lao aurait été possible pour la première fois à
Swa et à Prakan, respectivement Luang Prabang et Xieng Khouang. Les hypothèses de H.
Rattanavong, basées sur des mythes, peuvent être discutées,
238 mais appuyées par les deux
manuscrits (Thao Hung Thao Tch’ueng et Nithan Khun Bourom), elles ne sont pas dépourvues
d’intérêt du point de vue anthropologique.
D’après Lorrillard le Nithan Khun Bourom239 semble être de tradition nordique. Les textes
étant uniquement d’origine du Nord, on peut situer le mouvement de formation du pays lao comme
venu du Nord, comme le note Vo Thu Tinh : « […] il s’est agi plutôt d’une infiltration lente et sans
doute fort ancienne, le long des rivières relevant de ce glissement général des populations du nord
vers le sud, qui caractérise le peuplement de la péninsule indochinoise ».240
Avant la fondation du Lane Xang-Muang Swa (Luang Prabang), il y aurait ainsi trois sites et
deux groupes de peuplement préliminaire : 1- Souvannakhomkham ou le site de Xieng Saèn dans la
région de Chiangrai – Bokéo ; 2- le site de Xieng Khouang, de groupement Lao Tchok ; 3- le site de
Vieng Phu Kha, de groupement Lao Thaèn, se trouvant sur la route A3 entre Luang Nam Tha et
Houayxay. Sur ces sites apportons des précisions. A priori nous ne pouvons pas considérer d’emblée
les quatre sites (Xieng Saèn, Xieng Khouang, Vieng Phu Kha, Luang Prabang) comme des
fondations lao, puisqu’ils ont d’abord été occupés par les aborigènes, ensuite placés sous domination
mône et plus tard khmère. Ces derniers auraient laissé leurs empreintes dans la base de ces
établissements, qu’elles soient déterminantes ou non pour les établissements postérieurs.
Néanmoins, ces lieux ont aussi été des étapes d’occupation des Lao avant le XIVe siècle, même si
nous ignorons ce que ces derniers pouvaient y laisser ou contribuer au niveau spatial, avant qu’ils
aient fondé Luang Prabang. Ces étapes étaient uniquement septentrionales, leur localisation précise
actuelle pose problème : les textes les désignent par zones à l’intérieur ou proches desquelles il y
aurait des points d’émergence historique marqués.
238 Du point de vue scientifique les arguments matériels –textes et données archéologiques utilisés habituellement par les
historiens– sont, à ce jour, insuffisants pour soutenir de manière aisée les hypothèses de H. Rattanavong. Du point de vue
politique, il y aurait matière à lui reprocher le désir de justifier la prédominance de l’ethnicité lao au-delà de Xiang
Khouang et de Houaphanh, sur toute la région couvrant le pays des Tai rouges et des Tai noirs de Dien Bien Phu, et audelà
de Bokéo, couvrant le territoire du Lan Na et du Sip Song Phanh Na. Mais la critique ne serait pas fondée si nous
conçevons que les Etats d’origine tai sont fondés par les peuples d’ethnie tai, sans distinction de sous-groupes, avant que
l’histoire moderne ne vienne donner une interprétation moderne de l’État-Nation, donnant aux peuples de même ethnicité
des raisons politiques de se distinguer. A moins qu’il y ait réellement des raisons bien fondées de cette distinction : par exemple à partir des divergences idéologiques qui fondent le début des États-Nations. 239 Nithan Khun Bourom, version Vat Vixun de Phra Maha Thep Luang (Luang Prabang) et version de Xiang Khouang. 240 Vo Thu Tinh, Les origines du Laos. Op, cit. En ce qui concerne les regroupements des populations tai dans la
péninsule, le conception générale s’accorde sur le mouvement de migration venant du Nord. Alors que du point de vue
religieux –telle la conversion des Tai au bouddhisme– l’épigraphie ainsi que les vestiges archéologiques, majoritairement
religieux et cultuels, suggèrent un mouvement inverse venant du Sud et de l’Ouest, notamment cinghalais. Cela donne lieu
à des hypothèses qui compliquent les choses et qui peuvent exercer une influence déterminante sur la nature des
implantations : des implantations lao primitives sans le bouddhisme ou avec le bouddhisme, auraient été tout à fait
différentes. L’histoire des conversions confessionnelles nous interpelle, non pas pour des raisons religieuses, mais pour
des raisons spatiales. Car chez les Lao (1e Partie. II.II.b), l’intérêt porté à la religion –dévotion royale– induit
traditionnellement la construction des espaces religieux, symboliquement garants d’un pouvoir “ éclairé ” et spatialement
générateurs de certains types d’occupation. Par exemple dans une période tardive, les monuments religieux par leurs
modes de gestion et de production –produits par un type de pouvoir– peuvent générer des unités urbaines et villageoises.
C’est dire l’importance et le rôle de la pratique religieuse de la classe dominante. Lorrillard note que le bouddhisme
cinghalais gagne d’abord la Birmanie avant d’atteindre les royaumes tai du Sud et le Lan Na. Et qu’ensuite à partir de Lan
Na il s’est répandu au Lane Xang. « Les inscriptions du That Luang de Vientiane : données nouvelles sur l’histoire d’un
stupa lao ». M. Lorrillard, BEFEO, 2003-2004 N°90-91. Il y a donc trois scénarios possibles : 1- Au moment où les Lao
sont arrivés dans le Laos actuel, ils seraient dépourvus de toute connaissance du bouddhisme. Une fois sur place ils
auraient été influencés par les croyances des autochtones qui auraient connu auparavant des vagues de conversion avec les
missions venant du Sud. 2- Ils auraient déjà été au contact avec le bouddhisme dans le Nord, tantriste ou peut-être
mahayaniste. Et en se glissant vers le Sud, ils auraient abandonné le bouddhisme du Nord en adoptant le bouddhisme du
Sud. Ceci fonctionnerait surtout pour le Sud du Laos. Car dans le Nord, certains groupes lü du Haut Mékong continuent de
nos jours à pratiquer un bouddhisme mahayaniste. 3- Quel que soit le scénario, les Lao auraient connu plus tard un
bouddhisme réformé, que Lorrillard identifie comme un mouvement d’inspiration cinghalaise passant par Chiangmai et
arrivé au Laos autour de la première moitié du XVIe siècle.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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De ces mythes, nous retenons les villes du Nord comme principales pistes d’analyse :
Luang Prabang, comme la plus importante étape, sans doute la plus ancienne que nous pouvons
trouver au Laos en tant que forme urbaine vivante et ininterrompue ; Vieng Phou Kha, un village
devenu district sans importance, mais possédant des vestiges de fortification de forme particulière,
qui a été évoquée dans le Nithan Khun Bourom et aussi dans la chronique orale de la fondation de
Xieng Khaèng (Jyn Khèng), l’une des anciennes chefferies lü241 ; Muang Phouan Xieng Khouang lié
au roman épique semi-historique Thao Hung Thao Tch’ueng242 ; Muang Xieng Saèn, région d’où
serait venu Thao Tch’ueng. Nous nous intéressons aussi à Chiangmai et à Vieng Kum Kam, parce
que leurs fondateurs auraient eu un lien dynastique avec Xieng Saèn. Ces villes et ces implantations
auraient été liées entre elles par des liens de parenté, de suzeraineté ou de vassalité et auraient formé
un réseau d’échanges culturels, commerciaux et de savoir-faire, voire, de gouvernance. Ceci aurait
dû rapprocher les établissements entre eux au niveau de la forme et de la gouvernance, même si les
vestiges archéologiques et les inscriptions ne donnent que des informations fragmentées, et les
annales les concernant, empreintes de légendes qu’il faut dépouiller.
Comme nous l’avons noté, les implantations lao en tant que chefferie peuvent remonter au
VIIIe siècle. Et la pauvreté avérée des vestiges archéologiques (découverts à ce jour) est un obstacle
majeur pour valider l’hypothèse de la présence des Tai dans le Nord-est et Nord-ouest au IIIe siècle
avant J.C, comme il a été signalé dans le Tamnan Singhanavati par la présence éventuelle des Lao
Tchok.
243 Mais cette hypothèse permet d’élargir les champs de notre étude sur plusieurs sites, dont
la compréhension du type et du mode d’occupation serait profitable pour la compréhension des
anciens établissements ; pour ne pas considérer les implantations lao comme des émergences
spontanées –situation improbable– mais comme des émergences politiques et matérielles graduelles
dans le temps et dans l’espace. Celles-ci passeraient par des luttes, des compromis, des cohabitations
et probablement des mélanges durant plusieurs siècles avant une immigration plus signification dans
les siècles qui ont suivi, comme le fait remarquer Coedès en parlant d’effervescence tai.
En ce qui concerne les mythes des origines du Nan Chao, les Tai Lao du Lane Xang les
revendiquent traditionnellement dans leur Nithan Khun Bourom, les Gnouans du Lan Na, dans leurs
annales Singhanavati.244 Alors que les Siamois de Sukhothai et d’Ayuthia ne semblent pas les
revendiquer dans leur chronique. En reprenant les points de vue de Luce, de Phoumsak, de
Griswold, de Coedès et de Hall sur la question,245 ces chefferies tai ont dû avoir un lien historique
important avec le Nan Chao. La lecture du Singhanavati et du Thao Hung Thao Tch’ueng, montre
que le glissement des Tai vers le Sud est un phénomène complexe. Néanmoins, on peut retenir de
ces mythes que : 1- les établissements septentrionaux avant le XIIIe siècle peuvent être aussi
d’origine tai et non exclusivement mône et khmère ; 2- les implantations lao primitives auraient été
réalisées à partir de deux branches : la branche Thao Tch’ueng de Xieng Saèn et la branche Khun
241 D’après Lafont P-B, Le royaume de Jyn Khen, chronique d’un royaume tay Loe 2 du haut Mékong (XVe
-XXe siècle),
L’Harmattan, Paris, 1998 ; et d’après les notes d’enquête de terrain menée en février 2008 pour cette thèse. 242 Le Nithan Khun Bourom fait partie des deux ouvrages fondamentaux (le 2e étant le Phongsavadan lao) exploités par
les historiens occidentaux pour l’histoire ancienne du Laos, tandis que Thao Hung Thao Tch’ueng est consigné comme
une littérature. Pour les historiens lao, les deux ont quasiment la même valeur du point de vue historique. Ces derniers ontils
une autre grille de lecture différente de la méthode scientifique occidentale pour considérer Thao Hung Thao Tch’ueng
comme un ouvrage d’histoire ? Pour notre recherche nous considérons l’une et l’autre considérations. 243 L’idée de la présence des Lao Tchok à Xieng Saèn et Chiangrai a été suggérée par Chit Phoumsak d’après son étude du
Singhanawati. (Op, cit). En admettant que ces Lao Tchok existaient, il serait probable que ces derniers avaient dû faire
partie des premiers groupes des proto-Tai, signalés par Wyatt. Op., cit. 244 Singhanavati parle de la fondation du Yolnok dans la région de Chiangrai par un ancêtre tai venu du Yunnan 800 ans
avant la fondation du Nan Chao vers le IIIe siècle avant J-C. Bien que les historiens ne réfutent pas l’idée de la présence
tai dans la péninsule avant le VIIIe siècle, le IIIe siècle avant notre ère, avancé par l’historiographie thaïs est contesté. 245 Op. Cit. note 224.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Bourom de Muang Thaèn ; 3- un métissage môn-tai aurait été probable, notamment pour la
fondation de Chiangrai et de Chiangmai.246
Les rares et lentes découvertes archéologiques et épigraphiques en cours et à venir,
additionnées aux interprétations nouvelles des annales et des légendes, devraient progressivement
dévoiler les liens entre les mythes et l’histoire. Ceci devrait aussi forger des recherches sur un
territoire plus large, en réseau et non limitées par les frontières des États actuels, et en
interdisciplinarité, réunissant l’histoire et l’anthropologie à l’analyse spatiale proprement dite. Cela
signifie qu’une monographie n’est pas appropriée sans une étude large et comparative des sites de
toute la région, et qu’une étude purement historique risque de rencontrer plus d’obstacles. Les
études en termes de réseau n’ont pas été possibles jusqu’à ce jour, donc aucune recherche
transversale approfondie n’a pu être menée. Par contre, il semble que les études monographiques
sont bien avancées dans le territoire thaïlandais, puisqu’un musée est construit à Chiang Saèn
établissant des faits et des interprétations historiques.247 De ce fait, les études thaïes paraissent plus
abouties et donc plus fermées aux perspectives nouvelles, alors que du côté lao les recherches
restent lacunaires, sans investigations importantes, elles seraient plus ouvertes aux nouvelles
hypothèses.
I. I. b. Les principes des implantations khmères, mônes et lao tai
La compréhension des implantations mônes et khmères au Laos et de leur mode de prise
de site ainsi que leurs études comparatives permettent d’identifier les principes des implantations lao
et souligner la particularité de leur morphologie. Les implantations lao se distinguent des
implantations mônes et en particulier des implantations khmères. Celles-ci, en tant que grande cité,
par leur taille et par le pouvoir qu’elles exercent,248 est un modèle spatial incontesté, un marqueur
territorial de la quasi-totalité de la péninsule. Les fondations lao se sont souvent implantées dans ou
proches de leurs anciens périmètres. Cependant, nous ne trouvons pas d’exemple de réutilisation par
les Lao de leurs anciens sites urbains, sans doute pour des questions inhérentes à la forme de
l’espace elle-même. Si le culte bouddhiste, voire le culte hindouiste, se transmettaient d’une
communauté à l’autre, le sens symbolique de l’espace khmer et lao, leur compréhension, leur culture
ainsi que leur pratique ne semblent pas se prolonger les uns dans les autres : on suppose que les
villes pré-angkoriennes et khmères ne seraient plus que des villes mortes et s’effaceraient
graduellement si les Lao réoccupaient leur site. C’est le cas par exemple de la ville ancienne à
Champassak dont il ne reste que des vestiges. Malgré la durée et la persistance de leurs traces, les
vestiges archéologiques khmers ne témoignent que de cette rupture d’usage et d’une continuité
quasi-impossible avec les implantations lao. Par contre, des exemples sont nombreux quant à la
réutilisation des monuments et des objets cultuels : changement de culte avec des modifications
picturales et architecturales, réutilisation des matériaux, etc. Un monument peut servir tour à tour,
d’abord le culte bouddhiste puis hindouiste et de nouveau, le culte bouddhiste.
Alors que le monde môn et le monde khmer ont été associés par les historiens et les
anthropologues, pour leur rapprochement ethnolinguistique et leur héritage artistique, notre étude les
distingue à bien des égards. Au Laos, les implantations lao possèdent des caractéristiques proches
246 A propos des liens Môns-Tai, l’arbre généalogique des dirigeants de Lan Na proposé par Jean Ripaud indique que la
mère de Mengrai est une princesse lü du Sip Song Phanh Na,. In. Ripaud, Les geste de P’aya Xüan ou le Lane Na au XIIe
siècle. 247 En 1957, le sala de Vat Chédi Luang sert de salle de dépôts et de collectes des artifacts provenant des exclavations des
ruines de Chiang Saèn. En 1997 le musée lui-même, inauguré par la Princesse Maha Chakri Sirindhorn, renferme les
fragments de l’histoire de Chiang Saèn, sa préhistoire et son ethnographie. 248 Même si elle n’a pas duré aussi longtemps que le montrent ses traces archéologiques et ses influences artistiques,
l’Empire khmer avait maintenu sous son autorité les aborigènes ainsi que les Tai jusqu’à la fondation tardive de leurs
cités : les Tai auraient été dans le territoire dès le VIIe et VIIIe siècle et auraient installé des chefferies en “ tâches d’huile ”
avant de fonder des cités. Sukhothai a été fondé par Rama Kham Hèng vers 1292, Chiangmai par Mengraï vers 1297,
Ayuthia par U-Thong vers 1350 et Lane Xang par F’a-Ngoum en 1360.
Fig. 29. That
InhengDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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des implantations mônes, autant qu’elles peuvent être fondamentalement distinctes des
implantations khmères. Cette distinction ne peut être justifiée ni du point de vue culturel, ni
ethnolinguistique mais plutôt du point de vue conceptuel, voire, idéologique.
Les implantations khmères
Nous comprenons essentiellement trois choses dans les sites pré-angkoriens, en
considérant le complexe archéologique de Vat Phù et de Tomo. Ces deux exemples ne sont sans
doute pas les plus explicites du fait qu’ils font plutôt partie du centre du Tchen-la.249 Mais comme
nous l’avons noté, à l’instar du Fou Nan, le Tchen-la a transmis des traits de son héritage artistique
et politique à Angkor. Ce qui devrait nous permettre de comprendre certains traits de la cité khmère
à travers quelques sites au Laos, tout en émettant une réserve sur le fait que le passage du Tchen-la à
l’empire angkorien correspond aussi au passage du culte de roi Maharaja au culte de roi Devaraja.250
Ceci devrait avoir une importance pour la structure de la ville angkorienne et expliciter une certaine
démarcation. A Vat Phù la dévotion, vue à travers les monuments, est dédiée au culte du dieu Shiva.
Les Maharaja (rois des rois) viennent rendre hommage au dieu Shiva. Alors qu’à Angkor le culte
des dieux est associé au culte des rois dieux, des Devaraja, qui deviennent eux-mêmes objet de culte
symbolisé par la fondation de leur ville idéale avec au centre la représentation du mont Méru, une
résidence sacrée où la vie des monarques représente elle-même le séjour divin.
Le rapport à l’eau, le potentiel symbolique et paysager, la volonté de dominer la nature, la
grandeur de l’homme élevée à l’image des divinités.
A Vat Phù la présence de l’eau –sacrée ou profane– est essentielle. L’eau sacrée venant du sommet
de la montagne et traversant son cœur est recueillie dans les fentes des roches en haut derrière le
sanctuaire. Elle symbolise la vie née de la communion entre le masculin, symbolisé par le shiva
linga (linga pavata) au sommet du mont, et le féminin symbolisé par le yoni et la source d’eau.
C’est l’expression du culte shivaïte et de la disparition de l’antagonisme féminin-masculin. Quant à
l’eau utilisée pour l’agriculture ou les réjouissances, les cités khmères ne viennent pas à elle comme
le feraient les Lao dans la plupart de leurs cités en bord de fleuve ou dans les bassins-versants de
fleuve, mais préfèrent s’en éloigner et prendre de la distance. Dans le site de Tomo –antérieur d’un
siècle à Vat Phu– le culte de Shiva est pratiqué sur les dalles de pierre dans le lit même du fleuve
alors que les temples sont bâtis en retrait du fleuve avec un accès par la rivière.251 A Vat Phu,
l’éloignement des temples par rapport au fleuve est plus marqué et mis en évidence par la création
des bassins. A Angkor cet éloignement est parfaitement maîtrisé, permis par un ingénieux système
de réseau hydraulique. Avec les canaux et les baray qui forment les pièces maîtresses, l’eau est
présent jusqu’au pied des constructions. On crée ainsi par contraste avec la nature environnant un
paysage artificiel, grandiose, à la ligne pure. L’eau était importante, sa parfaite maitrise garantissait
la domination économique et politique, symbolisait la grandeur et la puissance de l’empire. Les
chefferies tai dans le bassin de la Ménam et du Mékong auraient payé tribut à Angkor par des jarres
d’eau et d’eau-de-vie qu’elles faisaient acheminer jusqu’à la grande cité par charrettes à bœufs.252
249 Le début de l’Empire khmer a été fixé au moment du sacre de Jayavarman II en 802 sur le Mont Mahendra,
aujourd’hui identifié au Phnom Khulen et dont la capitale porte le nom de Haribarālaya. Cf. Giteau M. Op, cit. 250 Le Maharaja (maha, grand et raja, roi) est le système du roi universel, alors que le Devaraja (deva, dieu et raja, roi)
celui du roi-dieu auquel de véritables cultes sont consacrés. D’après l’épigraphie khmère annotée par Hoshino,
Jayavarman II « institue le culte Dévarāja au lieu de Maharaja […] pour que le pays des Kambujas ne fut plus dépendant
de Java ». Il insiste sur le fait que l’Empire khmer se forme en se libérant de l’emprise nordique et non sudiste
javanaise (!) et suggère que la tradition des Maharaja n’est pas exclusivement malayo-indonésienne mais aussi nordique.
D’après les documents anciens de Chine et du Yunnan, il constate que le terme Mo He Luo Cho qui serait une corruption
de Maha luang chao [,tsks];’g9Qk], est l’un des trois qualificatifs des souverains du Nan Chao. 251 On retrouve sur des dalles de pierre dans le fleuve à la saison sèche des yoni et des lingams parfaitement conservés. 252 D’après Robert Ajouc, l’une des causes de la fin de l’empire khmer et de l’émergence des royaumes tai pourrait être
l’avancée technique de ces derniers qui auraient inventé des récipients légers et étanches pour transporter de l’eau jusqu’à
Angkor en signe d’allégeance, les jarres en terre cuite étant lourdes, difficiles à transporter et nécessitant beaucoup de
moyens en hommes, en bêtes et en matériels. Encore aujourd’hui, les jarres font partie des objets rituels royaux de la
Thaïlande, rappelant sans doute la victoire sur cette ancienne vassalité. Dans le Phongsavadan lao il n’est pas mentionné
au XIVe siècle que le Lane Xang paie tribut à Angkor. Il ne paie sans doute plus au moment où F’a-Ngoum accède au
Fig. 30. Site Pré
angkorien
de Vat PhuDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 184 -
Dans leur ensemble, les cités khmères monumentales et urbaines seraient des “ prédatrices ”
économiques, mobilisant en permanence de la main d’œuvre rurale et paysanne, et sans doute aussi
celle des prisonniers de guerre ou des esclaves, puisqu’elles ne cessent d’être en construction.
Chaque construction aurait duré plusieurs dizaines d’années et nécessitant toujours davantage de
main-d’œuvre d’esclaves et prisonniers de guerre provenant des régions annexées.253 Elles sont
également de grandes consommatrices de territoire : la plupart des rois khmers construisent leur
propre cité chaque fois qu’ils accèdent au pouvoir. Ainsi, les cités khmères consacrées aux rois et
aux divinités se multiplient-elles sans cesse, à la conquête des sites grandioses, jusqu’à l’épuisement
pour couvrir presque en totalité un vaste territoire qu’ils n’arrivent plus à contrôler. La faiblesse de
ces cités serait justement leur immensité et leur grandeur, face aux vassaux tai de la Ménam et du
Mékong qui attendent le moindre signe de faiblesse pour s’émanciper. Aussi, de ces cités, subsistent
de grands monuments à caractères religieux, les réseaux d’ouvrages hydrauliques, les routes qui
marquent le territoire. Contrairement à ces édifices et ces temples dédiés aux rois et aux prêtres,
élevés au rang des divinités,
254 les occupations non-religieuses et non aristocratiques, concentrant
des habitations civiles ou paysannes et s’organisant en unité urbaine, sont fragiles et subsistent peu.
Les habitations du peuple chez les Khmers seraient finalement assez proches de celles des Tai, dans
leur fragilité et leur vulnérabilité.255 Cet écart entre l’habitat du peuple et ceux des rois et des
divinités marque déjà une différence fondamentale entre la société khmère et la société lao. Chez ces
derniers, il y a moins d’écart entre le temple, l’habitat des rois et celui du peuple. Cette différence
induit forcément un mode de production et une organisation sociale et spatiale distincte.
Les implantations mônes
Les sites môns du Laos ne sont sans doute pas les plus représentatifs parmi les sites môns
qui s’implantent dans un très vaste territoire, depuis la plaine de Vientiane jusqu'au Myanmar,
puisqu’on est essentiellement en présence de sites religieux. Cependant, ils ont le mérite de
représenter des occupations non-khmères qui mettent en évidence une insertion paysagère et
territoriale aussi grandiose, exerçant une influence sur les Lao lorsque ces derniers se déploient sur
le territoire.
Les sites môns de Vang Sang et de Dane Soung dans la région de Vientiane sont à peu
près de la même période. L’année 928 est inscrite à Vang Sang.256 L’art môn primitif est explicite ici
par l’aspect angulaire du visage des bouddhas sculptés et par l’architecture “ minimaliste ” du
sanctuaire. L’état actuel du site montre un sanctuaire à ciel ouvert où les effigies de Bouddha sont
juste gravées sur le flanc des parois rocheuses fendues et déstructurées par les affaissements de
pouvoir. La puissance d’Angkor commence à décliner au fur à mesure que les chefferies tai s’organisent jusqu’à
l’avènement de leur fondation. Par ailleurs doit-on interpréter “ l’adoption ” d’un prince tai (F’a-Ngoum) en exil puis
l’alliance matrimoniale entre ce dernier et une princesse angkorienne (Kéo Kèngna) comme un désir des rois Khmers de
se rallier à l’une des deux nouvelles puissances tai de la péninsule afin de maintenir la puissance de l’empire menacée par
l’un des deux États tai.
253 L’un des bas-reliefs d’Angkor aurait montré des soldats siamois de Lopburi ou de Sukhothai ? En réalité qui sont-ils :
prisonniers de guerre, troupe armée, troupe d’ouvriers ? L’épigraphie Cham signale qu’il y avait quatre exemples
d’esclave tai (siamois ?) du XIe au XIIIe siècle. Cf. Aymonier, cité par Pelliot. BEFEO. IV, p. 236, et par Hoshino. Cf., également Phoumsak, op, cit. 254 Les découvertes archéologiques récentes, renforcées par la télédétection et la prospection, ont mis au jour une
nappe bâtie non monumentale dans la région d’Angkor : des ruines de constructions plus ou moins modestes, bassins,
chaussées de voirie, réservoirs, canaux, casiers et diguettes de rizières, etc., témoignant d’une densité d’établissements
urbains et villageois et d’une gestion exemplaire de l’eau par le “ service public ” angkorien. Malgré cela, l’habitat du
simple peuple ne relève pas du même mode de production que celui des classes dominantes. 255 Les travaux de Jacques Gaucher réalisés sur la ville d’Angkor Thom révèlent la densité et l’importance passée de la
couche urbaine avec ses constructions non monumentales, celles du simple peuple et du paysan accompagnant à l’origine
les monuments. Fragiles, celles-ci disparaissent avec le temps, seules subsistent dans le sol les couches des fondations et
les objets usuels divers.
256 D’après Giteau il s’agit de la petite ère 9l 928, c'est-à-dire 1566 en ère chrétienne, et 2115 en ère bouddhiste. S’il s’agit
de l’ère bouddhique l’année 928 correspondrait à l’an 385 de l’ère chrétienne. Il serait probable que les Môns soient déjà
présents autour de cette date : les établissements môns seraient situés entre le premier siècle avant E-C et le VIIe après EC.
Gagneux donne une date approximative entre le XIIe et le XIVe siècle. Hoshino situe les bouddha de Vang Sang
comme appartenant au même art que les sculptures rupestres Phra Chao Tù de Chayaphoum (Thaïlande) dit art de
Lopburi, qui pourrait dater du VIIe siècle.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 185 -
Fig. 32. Le Site
de Vang Sang.
terrain et la prolifération de la végétation, suggérant une occupation sans construction. En réalité, le
petit ensemble religieux serait construit dans une cavité aménagée en une salle voûtée, munie d’une
entrée ouvragée : une grande baie d’entrée en forme de feuille de Banian avec des vantaux
probablement en bois, dont les goujons peuvent être aperçus dans les parois. Il est probable que la
voûte se soit écroulée et que la salle elle-même se soit fendue après. Le site se trouve sur la rive
Ouest de la rivière Nam Chèng. L’entrée du site (la porte de la salle voûtée) et l’orientation des
statuettes sont, par conséquent, à peu près face à l’Est et donnent immédiatement sur la rivière.
Dans le site de Dane Phra, les bas-reliefs de Bouddha, taillés dans les parois d’une faille de
grès rose d’un vaste plateau de roche bombé et tortueux traversé par une coulée de ruisseau dont le
fond est naturellement minéralisé, ont été retouchés ultérieurement par les Lao. Ré-enduits, les
statuettes ont été “ laocisées ” et certaines d’entre elles d’origine lao ont été ajoutées
postérieurement, et le site nettement réinvesti. La facture d’origine de ces bas-reliefs est peu
identifiable, seules quelques statuettes en pierre de Bouddha parés, tombées au fond du ruisseau
attestent l’origine non-lao du site. C’est un ermitage avec très peu de constructions : un abri de
l’empreinte du pied de Bouddha et un petit stupa. Le plateau gréseux sur lequel le site religieux est
aménagé s’étend sur plusieurs kilomètres et reste intact. Il est important d’émettre cette remarque, si
le site était khmer, il serait devenu sans doute une véritable carrière d’exploitation de grès rose pour
leur temple. Les plateaux de grès des deux sites se rejoignent et semblent appartenir à la même
couche géologique ; le ruisseau au fond minéral se jette dans la rivière Nam Cheng. Celle-ci passe
ensuite par le site de Vang Sang.
Dane Soung, un autre ermitage bouddhique, construit comme un temple troglodyte, est
aménagé sur un plateau de grès qui domine la vue de la plaine de Vientiane. Le sanctuaire naturel
renferme des statues de bouddha au style rupestre : corps grossiers et amassés, visages
khmérisants (les traits sont plus arrondis, les lèvres charnues, contrairement à ceux de Vang Xang
qui sont nettement plus fins et plus angulaires.) Les quatre sema trouvés aux quatre points cardinaux
autour du sanctuaire ne donnent pas d’informations. Et bien que de nombreuses stèles khmères aient
été découvertes dans la plaine cela ne signifie pas que le site de Dane Soung soit d’origine khmère.
Car il est tout à fait possible qu’un site môn puisse côtoyer un site khmer à une petite distance, qu’ils
soient contemporains ou pas l’un par rapport à l’autre.257 Il semble qu’il y a coexistence entre
Khmers –plutôt hindouistes, et Môns –plutôt bouddhistes.
Nous serions tentés de qualifier “ d’art provincial ” les sites môns au Laos et leur art, si
nous considérons que le centre de leur rayonnement se situe plutôt vers Nakhon Pathom et plus tard
vers Nakhone Phnom et que nous ignorions pendant longtemps qu’ils aient pu occuper une partie
importante du Laos, en tous les cas jusqu’à la découverte du bouddha et de la stèle de Ban Thalat à
une cinquantaine de kilomètres au nord de Vientiane.258 Cependant, à l’heure actuelle nous ne
trouvons pas au Laos de vestiges architecturaux et urbains d’origine mône : la région du Laos serait
une zone périphérique ou décentrée de l’Etat môn, où seuls sont diffusés un art un peu secondaire,
des modèles d’établissements peu structurés (?), en tous les cas un art moins canonique que celui
des centres. Cependant, les sites môns du Laos ne sont pas dépourvus d’intérêt, au contraire : style,
conception spatiale et insertion paysagère épurée. C’est sans doute ce côté qui a le plus influencé les
Lao. Ces derniers auraient mieux compris et assimilé cette forme d’insertion que celle des Khmers.
Différentes du Laos, les villes mônes de Lamphun et de Wien Kum Kam présentent une architecture
et un art identifiable et des sites urbains brillants.
257 A quelques kilomètres à du site de Dan Soung –à ban Nasonne– des vestiges (stèles et bornes) ont été mis au jour en
2005. L’une des stèles représente un linga et une autre montre l’empreinte en relief d’un stupa, le reste avec et sans
inscriptions. Ceci explicite ainsi, à la fois le culte shivaïte et le culte bouddhiste. Dane Soung, « plateau de pierre, de grès
situé en hauteur », est une appellation lao, le nom d’origine n’est pas connu. 258 La statue du Bouddha et la stèle, ont été découverts en 1968 à Ban Thalat à cinquante kilomètres au Nord de Vientiane,
dans le confluent de la Nam Lik et de la Nam Ngum. Plus raffiné que les figures de Dan Phra et de Vang Sang les
historiens classent la statue dans l’art de Dvaravati, tout en notant l’éloignement de ces vestiges par rapport au site de
Dvaravati. Cf. Gagneux.
Fig. 31. Le Site de
Dane Soung..Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les implantations lao tai
Aucune implantation lao n’a été construite sur un site artificiellement, dans le sens où
aucun détournement du milieu naturel n’a été réalisé pour elle. Si le processus d’intégration dans la
nature est le principe fondamental des fondations lao. A l’échelle de la citadelle, Luang Prabang a
été une sublimation de la rencontre entre la Nam Khane et le Mékong. Elle forme une péninsule qui
prend de la hauteur avec le Mont Phou Si. Celui-ci domine la cité qui y fonde son centre sacré. A
l’échelle du territoire le même schéma se reproduit : le Mékong et la Nam Ôu, en se rejoignant au
nord du territoire de Luang Prabang, forment un havre, un vang [;a’], de forme évasée. Depuis la
falaise où naît un lieu sacré, aménagé dans une cavité taillée naturellement dans la roche (Tham
Ting), des multitudes de statuettes de bouddha contemplent l’embouchure de la Nam Ôu. Ces deux
échelles illustrent par excellence la rencontre de deux confluents (situation de prédilection des lieux
sacrés) et l’insertion d’une cité haute dans un paysage naturel de fleuve et de montagne. Luang
Prabang fonde ainsi la sacralisation de son centre sur le plan de gravitation naturel du mont Phou Si.
Son existence est liée à l’effet du mouvement giratoire né de la rencontre entre le Mékong et la Nam
Khan, bordant chaque côté de la Péninsule, d’où le caractère sacré des embouchures des cours d’eau
dans la plupart des implantations lao.
Autrement dit les implantations lao s’appuient sur la situation topographique et
hydrographique des sites, sur leur permanence ou leur impermanence, elles s’insèrent dans
l’environnement existant tel quel. Dans certains cas, elles reconstituent et subliment le contexte de
leur environnement géographique à l’intérieur de leur espace pour en constituer leur principe spatial.
Le cas de Luang Prabang est exemplaire : l’effet du mouvement giratoire, créé par la jonction entre
le courant de la Nam Kane et du Mékong et formant la péninsule avec le mont Phou Si au centre, est
directement lié à la sacralisation des embouchures des fleuves. D’après le principe théorique du
Mandala la forme carrée et la forme ronde sont nées du même principe formel : l’une dérive
réciproquement de l’autre à travers le mouvement giratoire et centrifuge. Les moines tibétains les
utilisent pour forger la concentration mentale dans la pratique de la méditation. Elles symbolisent
aussi la cité céleste avant de devenir la forme du plan de la ville elle-même.259 Ainsi, les villes
comme Jérusalem, Péking ou Angkor sont-elles ces cités célestes idéales. Les anthropologues
qualifient également le système politico-religieux des cités tai et de leur organisation sociopolitique
suivant le modèle du Mandala, avec le rayonnement du pouvoir central.260 Faut-il pour autant
conclure que le principe formel et le schéma symbolique de Luang Prabang dérivent du Mandala,
influencés par l’idéologie tantrique et le culte védique. Il pourrait sans doute en être ainsi.261 Quoi
qu’il en soit nous retenons que le mouvement giratoire centrifuge né de la jonction entre deux cours
d’eau (situation des embouchures comme à Pak Khane à Luang Prabang) a son importance sur
l’aspect symbolique des villes lao tai, qu’il relie ou pas du point de vue conceptuel, la forme
organique à la forme géométrique et carrée des villes.
La quasi-totalité des villes lao est ainsi de forme organique. Alors que Luang Nam Tha
adopte une forme mixte, Muang Sing dont le plan est un carré parfait est une exception,
probablement aussi par sa situation géographique singulière. La ville s’implante dans une plaine
d’une planimétrie exemplaire, où la présence de l’eau malgré son importance, n’apporte pas une
grande incidence sur le tracé de la ville. A travers ces exemples on peut noter deux choses
significatives : 1- lorsque le sol présente une régularité telle qu’à Muang Sing, il semble offrir à la
ville une possibilité plus grande dans sa recherche de tracé régulier (hormis l’influence possible du
mandala), 2- dans le cas contraire les conditions accidentées du sol –notamment topographiques–
259 Encyclopédie des symboles, coll. Encyclopédies d’aujourd’hui, éd. La Pochothèque - livre de poche, sous la direction
de Michel Cazenave, 1996. Voir « Mandala » et « ville ». 260 Les auteurs qui ont attribué le principe du mandala au muang des Tai sont notamment Wyatt DK. et Stuart-Fox M. 261 C. G. Jung. Psychologie et orientalisme, éd. Albin Michel, 1985.
Fig. 33. Le
schéma
symbolique de
Luang PrabangDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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n’auraient pas permis la construction de ville en forme régulière. Les villes lao étant majoritairement
organiques, liées donc à leur situation géographique montagneuse.
A propos du contexte géographique, s’agissant des situations grandioses ou aléatoires,
telles que l’érosion du fleuve et les lignes de côte accidentées, dans lesquelles les villes lao
s’inscrivent, il est intéressant de prendre comme exemple l’établissement de Xieng Saèn ou
Souvannakhomkham.262 Michel Lorrillard263 suggère que Souvannakhomkham qui est identifié à
Muang Tonh Pheung actuel sur la rive gauche du Mékong est bien l’ancienne ville de Xieng Saèn et
une partie de la cité aurait été sur la rive droite à l’embouchure de la Nam Kok. La ville de Chiang
Saèn actuelle264 qui se trouve en amont sur la rive droite aurait probablement été postérieure à
l’ancienne Xieng Saèn, suite à son “ engloutissement ” dans le Mékong et son abandon par ses
habitants. La renaissance de la nouvelle Chiang Saèn en amont sur la rive opposée de l’ancienne
Xieng Saèn engloutie est curieuse alors qu’elle pouvait se reconstruire plus loin et à l’abri de
l’inondation et de l’érosion qui ont été la cause de la destruction de la ville ancienne. Force est de
constater que ces aléas géographiques menaçants n’ont pas convaincu ses constructeurs qui
attribuent l’engloutissement de la ville aux mythes. D’après la légende, ce ne serait pas l’érosion et
le contexte géographique du site qui ont causé la disparition de la ville, mais la “ punition du
Naga ” : les habitants de Xieng Saèn auraient abusé et malmené les marchands de Muang Swa,
descendants des Nagas (symbole de la dynastie autochtone dans la mythologie indienne). Ceux-ci
les auraient alors maudits.265
I. II. Les modes et les modèles d’occupation de l’espace avant la fondation
de Vientiane
Les données anthropologiques et les sites d’implantation primitive explicitent l’existence de
trois populations qui ont occupé et façonné le territoire avant les Lao Tai : ce sont les Proto
Indochinois, les Môns, les Khmers et les populations tai de souche ancienne. Les actes et les rituels
de fondation, ou les éléments ayant un rapport avec leur installation, explicitent l’organisation
spatiale et les idées qui les ont conduits. C’est une manière d’approcher les établissements anciens
qui ont pré-existé à l’espace lao tai, que nous avons abordé et synthétisé précédemment. Nous
tentons d’aborder dans ce sous chapitre la question de mode et de modèle de ces établissements.
Pour appréhender la longue période qui a précédé le règne de Sethathirat, nous distinguons
deux périodes : celle d’avant le sacre de F’a-Ngoum et celle qui s’étend entre cet événement et la
période de transfert de la capitale de Luang Prabang à Vientiane.266 Cependant, la période avant le
sacre de F’a-Ngoum est floue en terme d’organisation de l’espace, alors que celle après serait plus
lisible, même si l’essentiel des données nous parvient seulement du Phongsavadan, et de certaines
262 H. Rattanavong a identifié Muang Souvannakhomkham de la chronique du même nom au site archéologique de Muang
Tonh Pheung. In : Houmphanh Rattanavong, Souvannakhomkham, boranasathan heng sat lao, Souvannakhomkham - an
ancient city of Laos, ministère de l’Information et de la Culture, Vientiane, 1999. 263 « Souvanna Khom Kham ou Chiang Saèn rive gauche ? Note sur un site archéologique lao récemment découvert »,
Michel Lorrillard, Aséanie 5, juin 2000, pp. 57-68. 264 Ici nous écrivons Chiang Saèn avec Ch pour désigner la ville de Chiang Saèn se trouvant sur la rive thaïlandaise
actuelle (rive droite). Nous écrivons Xieng Saèn [-P’clo] avec X pour désigner l’ancienne cité de Xieng Saèn, le site
archéologique de Muang Thonh Pheung actuellement se trouvant sur la berge laotienne (rive gauche), il serait également
appelé Muang Souvannakhomkham d’après les annales du même nom.
265 H. Rattanavong. Op, cit. 266 Nous évoquons “ le sacre de F’a-Ngoum ” pour signifier l’événement le concernant et revisiter le concept de
“ fondation du Lane Xang ” tant galvaudé : l’événement appartenant au champ historique, posent problème en terme
spatiale. Une rupture à la fois spatiale et sociale par rapport à la période qui lui précède semble se dégager du concept de
“ fondation du Lane Xang ”. Or de ce point de vue il ne semble pas y avoir une quelconque rupture : le retour d’exil de
F’a-Ngoum aurait dû être vu et compris comme tel. Cela n’aurait pas dû être un événement miraculeux, mais un fait qui
s’inscrit globalement dans une logique de “ l’effervescence tai ”, marquant l’aboutissement de leur “ glissement vers le
Sud ”, de la consolidation de leur organisations sociale et surtout de leur pouvoir, installé dans le haut et le moyen
Mékong, commencé probablement depuis le VIIIe siècle, comme nous l’avons suggéré précédemment.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 188 -
chroniques et récits des émergences sociopolitiques voisines.267 Dans les deux périodes, la
perception de l’organisation sociopolitique des Lao Tai, probablement déjà bien organisée avec la
structure du muang (au moins dans la deuxième période), semble donner à cet espace une certaine
configuration. C’est ce que nous essayons de comprendre selon deux perspectives : la première est
la manière de constituer et de maitriser le territoire, d’utiliser les terres. La seconde est la nécessité
de regrouper et de contrôler les hommes, parallèlement à la tentative de formation des unités
politiques.
I. II. a. La constitution et la maîtrise du territoire
Le processus de constitution et de maitrise du territoire, d’utilisation des terres a peu à peu
été déplacé du discours légendaire et mythique vers une certaine réalité historique. Ceci, à partir de
la période où la personnalité de F’a-Ngoum émerge lui aussi de l’univers des mythes. Le retour de
l’exil de ce prince du Cambodge au pays lao aurait été un fait historique268 placé dans un contexte
politique adéquat. Dans le premier quart du XIVe siècle, d’après les historiens, le Laos –qu’il se
nommait ou pas Lane Xang– devrait être encore vassal d’Angkor, même si la guerre avec les
Siamois de Sukkhothaï et d’Ayuthia avait affaibli la grande cité. L’accueil des exilés politiques, tel
fut le cas de F’a-Ngoum, aurait été normal pour un grand suzerain tel que Angkor. Il est aussi
probable que les dirigeants Khmers aient pu penser qu’avoir une alliance avec un prince lao tai ne
peut être que bénéfique pour l’avenir, à l’heure où les autres Tai (Mengrai, Ngam-Muang, Rama
Khamhèng) montrent sans cesse signe de contestation et d’indépendance. Le retour de F’a-Ngoum
est une campagne militaire qui se précise comme un accomplissement d’une unification des
chefferies lao tai dispersées. A aucun moment il n’est apparu que F’a-Ngoum réalise ses campagnes
pour l’Empire angkorien. Seules les missions artistiques et intellectuelles ont été mentionnées et
poursuivies une fois qu’il a quitté le Cambodge.
L’événement produit autour de F’a-Ngoum est une constitution du territoire et une maîtrise
des hommes. Les parties les plus septentrionales de l’Empire khmer (le Laos) auraient dû être trop
loins du pouvoir central affaibli, pour être contrôlées par celui-ci. Probablement pas assey
formalisée comme Sukkhothaï et Lane Na, ni complètement contrôlée par le pouvoir central
d’Angkor, l’indépendance des chefferies lao tai à l’œuvre aurait dû être comme des taches d’huiles
éparpillées. Ceci, avec une certaine désorganisation pour que F’a-Ngoum ait pu considérer leur
unification comme une nécessité. Contrairement au ton légendaire des annales qui relèguent –
comme il est coutume– les événements de F’a-Ngoum au rang des actes héroïques et miraculeux,
les enjeux de cette unification sont en réalité considérables et en phase avec les autres événements
sociopolitiques qui se préparent dans la région, sur le moment même et par rapport aux siècles qui
ont suivi : les événements de F’a-Ngoum clarifient la nouvelle configuration politique et spatiale du
monde tai à l’oeuvre. Avant et durant la période de campagne de F’a-Ngoum, trois ensembles de
paramètres explicitent comment les Lao Tai occupent-ils et organisent-ils les territoires, comment le
facteur humain a été primordial. Il s’agit : 1- de comprendre l’enjeu sociétal du sol et le rapport de
l’homme à la terre ; 2- de poser la question sur la complémentarité entre ancrage territorial et
267 Il y aurait une documentation chinoise assez fournie sur la région du Sud de la Chine. L’historiographie lao n’a
probablement pas entièrement exploité ces sources. Il y a également les annales vietnamiennes et les inscriptions
siamoises mais en nombre limité. Faits curieux : il n’y a pas de documents sur les Lao et le territoire se rapportant au Laos
dans les inscriptions khmères, alors que ces derniers sont sensés faire parti de l’empire khmer. A la différence des Chinois
qui tiennent des chroniques de leurs dynasties rêgnantes, les Khmers ne semblent réaliser que des inscriptions parlant
d’eux mêmes. Les chroniques dynastiques chinoises ne manquent pas d’évoquer les us et coutumes ou les événements
(envoi de tribut, d’ambassadeur, etc., des chefs de ces contrés à la grande cour de Chine) concernant les minorités
tributaires des Chinois, même si ce sont très souvent des remarques ethnocentristes, avec des qualificatifs comme : « les
barbares du Sud », dont les Lao Tai et leurs chefferies font probablement partie. 268 Même si on ignore la raison exacte de son exile, on ne peut ignorer celle qui explique son retour. Les annales donnent
des explications très floues, comme s’il y a une raison ou un quelconque événement grave qu’il a fallu masquer par des
histoires fabuleuses, probablement des événements politiquement incorrecte qui aurait tâché l’une des plus
“prestigieuses ” dynastie tai de la région, si la réalité était transcrite comme telle.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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migration, entre paysannerie et politique, dans la constitution du territoire, identifier le lien entre
savoir divinatoire et savoir empirique qui constituent la société lao ; 3- enfin, comprendre le
processus du passage du ban au muang comme un renforcement organisationnel et non comme une
hiérarchisation territoriale et sociale.
I. II. a. 1. L’enjeu sociétal du sol, ou le rapport de l’homme à la terre
Le mode spatial et économique, qui régit les populations lao, identifiées durant la première
période de leur lent glissement dans le Laos septentrional, aurait été celui des peuples d’agriculteurs
sédentaires. Leur rapport à la terre aurait été marqué par le facteur temps et sa maturation dans le
processus d’appropriation et d’emprise des terres, en tant qu’habitat et outil d’organisation et de
production. La pratique des rizières en casier immergé ne nécessite pas seulement quelques saisons
de défrichage (même si quelques saisons seraient suffisantes) pour les mettre en valeur et les rendre
exploitables. Mais ce serait toute la vie d’un homme, du village et, par de-là, du muang qu’il s’agit
de mobiliser et à laquelle les modes d’occupation, d’organisation et d’exploitation seraient
rattachés. Ceci, parce que la pratique des rizières aurait introduit une dimension culturelle plus large
que l’acte d’exploitation lui-même : une dimension sociale englobant la société villageoise et celle
du muang, une dimension spatiale (territoriale et géographique) en ne se limitant pas seulement à
l’emprise des rizières. Essayons de mettre en relief une suite d’éléments (non-chronologique ou
causale) qui pourrait décrire le lien entre le rapport de l’homme à la terre et les conditions de la
constitution du village et du muang, représentant et symbolisant les deux premiers faits politico
spatiaux de la maîtrise du territoire chez les Lao :
1- Dans la vision traditionnelle courante, on aurait accordé une grandeur morale à celui qui a la
capacité de défricher une quantité de rizières, sap sao [la[-kJ;], alors que celui qui défriche les hai
[wIJ]
269 n’aurait pas de considération particulière. Cette vision vaut jusqu’à une période récente.
2- Le phénomène de valeur sociétale liée aux rizières semble refléter un schéma anthropologique et
culturel complexe : celui qui possède beaucoup de rizière serait un “grand homme”, capable de
mobiliser et de mener les autres hommes à faire de même pour leur propre compte.
3- Le défrichage de rizière s’initie alors à travers un travail communautaire mené par un homme ou
un groupe d’hommes. Ceci aurait expliqué le fait que les rizières ne sont jamais isolées mais
groupées dans une même plaine préalablement choisie pour sa taille, sa richesse, sa disponibilité en
eau. Le choix dépendrait probablement des compétences du meneur ou du groupe de meneurs.
4- Le meneur, le groupe de meneurs qui dirige le défrichage des rizières, serait aussi celui ou ceux
capables de diriger la fondation d’un village ou d’un établissement primitif entouré de rizières.
5- La société lao tai (dans toute sa composition hiérarchique) serait résolument terrienne. Sa
manière de travailler la terre et de l’habiter serait l’un de ses facteurs d’ancrage territorial. A
l’échelle individuelle, posséder des terres c’est exister dans la société, à l’échelle sociale et
communautaire, c’est s’inscrire dans le territoire et dans l’histoire, et, à l’échelle anthropologique,
c’est se situer dans la nature et le cosmos à travers les pratiques divinatoires liées à la terre.
6- A travers ces constats, les rizières et les habitats, leur organisation et leurs pratiques (sociales,
techniques, cultuelles) ne peuvent être que le produit d’une organisation sociale et politique
structurée.
I. II. a. 2. Les complémentarités : ancrage territorial/migration, savoir divinatoire/savoir
empirique, paysannerie/politique
Ces éléments suscitent trois remarques :
269 Sap sao [la[-kJ;] : défricher la terre ; hai [wIJ] : exploitation agricole sur brûlis et en terre exondée.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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1. Dans le temps court, le phénomène sociétal d’ancrage territorial, explicité ci-dessus, conforté par
la maturation du temps, semble entrer en contradiction avec le caractère migratoire des Lao Tai.
Mais considéré dans le temps long sur plusieurs siècles, le phénomène semble compréhensible et
justifié. Il explique probablement pourquoi sont aisément repérables les différents itinéraires qu’ont
empruntés ces derniers durant leur migration ou plutôt durant leur glissement vers le Sud, alors
qu’aucun témoignage historique “ bâti en dur ” ou écrit ne nous est parvenu. Ces itinéraires, ou
repères, apparaîtraient comme une suite de taches d’huile de peuplement. Dans chaque tache
subsisterait un échantillonnage de population tai avec son organisation spatiale, permettant “ une
traçabilité ethnique ” et un itinéraire nord-sud, qu’allègue pour le moment la quasi totalité des
historiens et anthropologues.
2. La terre serait l’élément qui scelle le lien sacré entre l’homme et la nature : la domestication des
terres pour en faire des rizières dans un territoire donné nécessite un temps long et une main
d’œuvre constante et communautaire, un savoir à la fois empirique et divinatoire. Le savoir
empirique serait né de la confrontation de l’homme avec la réalité géographique et climatique,
mettant en évidence sa capacité d’adaptation. Le savoir divinatoire qui relie l’homme à la nature
serait, quant à lui, propre à la structure sociétale lao, accompagnant sa migration. Les deux types de
savoir auraient donc présidé à la construction et à la maîtrise du territoire d’implantation d’origine,
quel que soit le lieu géographique. Par la suite, ce double savoir serait persistant tout au long du
“ glissement nord-sud ” des Lao Tai, pour être des facteurs de permanence jusqu’aux temps
présents. Aujourd’hui, ce double savoir a quitté le champ de la maîtrise spatiale, il occupe
uniquement le monde rural et agricole. L’aménagement du territoire et de l’urbain est aujourd’hui
dépourvu de ces deux savoirs.
3- L’organisation sociétale des populations lao tai renferme deux caractéristiques : d’un côté la
nature terrienne et paysanne et de l’autre l’aspect politisé et hiérarchisé qui caractérise
l’organisation du muang. Il apparaît aujourd’hui que la société lao est composée de deux classes
sociales majeures : l’élite dirigeante aristocratique (ou assimilée ou qui l’imite en la remplaçant) et
la paysannerie qui proviennent de la même souche ancienne, celle du paysan politique (du muang).
Ceci peut expliquer peut-être le fait que l’opposition sociale ne se manifeste pas fortement dans la
société lao.270
I. II. a. 3. Du ban au muang, un renforcement organisationnel
Au travers de ces constats, se dégagent les questions d’échelle et de primauté dans la
constitution spatiale. Tentons ici d’en exprimer les traits.
1- Les rizières, entendues comme “ copropriété ” et de groupement de plusieurs propriétés, seraient
la première échelle, dans le sens où leur existence est intrinsèque aux effets de groupement et au
caractère communautaire. Cette échelle serait aussi l’échelle de “ l’entité ” : dans la mesure où les
rizières existent non seulement par effort de grouper, mais aussi par effort de diriger sous une entité.
L’entité de rizières fait donc transparaître une autre réalité corollaire, celle de l’entité villageoise et
de l’autorité consentante qui la coiffe. En ce sens, le village ne serait pas seulement un
regroupement d’intérêt, mais aussi un regroupement fondamental et “démocratique ” dans la mesure
où il ne peut exister de village sans groupement de ces rizières. Cette échelle d’unité, qui n’existe
que par le fait d’être regroupée et dirigée, donne naissance à une entité, à une organisation politique,
du moins à son état embryonnaire, de l’échelle Un –le ban (village).
270 Toute proportion gardée, la société lao ne serait pas complètement à l’abris des collisions passives qui ont pu avoir lieu
à un certain moment de l’histoire, notamment lorsque la classe dirigeante aristocratique a dû être renforcée, se mesurant
par la force –militaire et économique– aux autres unités politiques, dans leur phase évolutive. A titre illustratif nous
pouvons notamment évoquer l’apparition du phénomène dès le règne de Sethathirat. Mais la société aurait intériorisé
l’opposition des classes et l’atenué dès son origine, alors que partout ailleurs les deux classes sociales rentrent en collision
de façon quasiment permanente.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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2- On passe à l’échelle deux. Le passage à l’échelle du muang tient beaucoup plus au renforcement
de l’embryon organisationnel et politique qu’à l’accroissement ou à la multiplication physique des
unités villageoises : ce n’est pas tant parce qu’il y a plusieurs villages à proximité des uns des autres
que naît le muang pour les englober, et encore moins parce que le village grandit. Lorsqu’un village
devient plus grand il ne devient pas un muang en changeant de statut administratif, il va être scindé
et rester toujours ban : ban tay / ban neua (parfois ban kang), ban thong / ban tha, etc. Bien que
l’ordre de grandeur physique soit aussi un enjeu dans l’échelle du muang il ne constitue pas sa base.
D’un côté, le muang, d’un certain point de vue, peut être considéré comme étant en rupture
avec le ban, dans la mesure où l’organisation politique du muang possède de fait une responsabilité
territoriale au-delà des principes de regroupement. Cette responsabilité qu’est le pouvoir politique –
incarnée par le chao muang– émane de la dynamique de l’organisation politique propre, dépassant
le cadre et les principes de regroupement spatial. De l’autre, le muang garde un lien profond avec le
ban (ou groupement de rizières)271 dans la mesure où il serait le renforcement métamorphique de
l’organisation politique du ban. En d’autres termes le muang est le stade de politisation du corps
organisationnel qui a groupé au départ les rizières et qui a formé le village. C’est en ce sens que la
maîtrise traditionnelle du territoire lao est parfaitement assurée. La capacité de maîtriser le territoire
est d’abord corollaire au facteur humain qui a dicté la constitution du territoire et non le contraire. A
ce stade primitif du ban, ce n’est pas le politique qui construit l’espace et le territoire, mais
l’organisation sociétale construisant son ancrage spatial. Notre compréhension est placée là, au
cœur d’un ethnocentrisme.
I. II. b. Les hommes et la terre, fondement de l’État et identité politique
Les hommes et la terre –du point de vue démographique et culturel, la manière de se répartir
et d’occuper l’espace, d’utiliser les sols et de produire des richesses– sont deux composants
primitifs et fondamentaux qui constituent ce qui devait être plus tard l’État et l’identité politique
pour le Lane Xang. Quelques questions majeures explicitent l’importance des hommes, leur
dimension individuelle et collective, dans la construction des identités culturelles et politiques : 1-
Comment la personnalité du chef tai se légitimise-t-elle ? 2- Comment les détenteurs du muang, que
sont les Tai, inter-agissent-ils d’un côté avec les aborigènes et de l’autre avec les détenteurs des
grandes cités ? 3- Pour les Tai, quel est le rôle des esprits protecteurs dans leur manière de
s’imposer dans l’espace existant ? 4- Enfin, le muang des Tai est-il vraiment un mandala ? 5- A
cette dernière question, nous tentons de trouver dans les mythes des origines ethniques et dans la
“ pensée politique ” de F’a-Ngoum des éléments de réponse.
I. II. b. 1. Le statut du chef : maître de la vie, maître de la terre et réciprocité de légitimation
Dans les deux échelles décrites –l’échelle du ban et l’échelle du muang– l’homme, qui
n’appartient pas directement à l’échelle spatiale mais à l’échelle politique, est omniprésent. Il
conditionne dans sa dimension anthropologique les deux échelles. La maîtrise du territoire est ainsi
secondaire, ou du moins conditionnée par la maitrise des hommes dans la constitution spatiale et
dans la mise en place d’un modèle d’occupation, définissant une identification politique. Le
caractère anthropocentrique, ethnocentrique (prônant l’importance du composant humain et de la
mono ethnicité) semble évident dans la constitution et l’occupation spatiale des établissements tai,
afin de garantir le succès dans la maitrise du territoire et ensuite dans la construction politique du
muang.
Pour illustrer le propos intéressons-nous à un fait. Le pouvoir dominant de l’organisation
politique et sociale lao traditionnelle porte une désignation qui recouvre tout son sens : le monarque
271 La formation de Muang Sing a été réalisée à partir de “ 17 têtes ou groupements de rizières ”, houa na, d’après les
annales locales. C’est l’une des conditions de sa fondation.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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est le Chao Sivit –maître et propriétaire des vies avant d’être le propriétaire des terres– Chao Phaèn
Dinh. Il est détenteur du droit de vie sur ses sujets. En théorie, il s’agit d’un pouvoir absolu. Mais
quelles seraient la particularité et les implications d’un pouvoir qui est d’abord “ maître des vies ”,
précédant celui qui est “ maître des terres ” ?
Entre le premier stade, où la représentation du pouvoir à partir de son état embryonnaire
dans la personnalité du “ meneur du ban ”, et le troisième stade où cette représentation est incarnée
par la personnalité du “ maître des vies ” –en passant par le “ maître du muang ”, il y a un grand
écart du point de vue organisationnel. Doit-on voir dans cet écart une simple distance historique qui
aurait forgé l’évolution de la première personnalité vers la deuxième et la troisième, ou plutôt une
distance anthropologique. Du point de vue anthropologique, il s’agirait de la même personnalité
placée dans un contexte différent selon le degré de complexité sociale et politique. Doit-on voir
aussi que le sens du pouvoir au premier stade n’est pas lié au sacré. Il est consentant et
démocratique, paternaliste et transparent, basé sur le facteur humain en tant qu’essence, acteur,
moyen, voire, en tant que finalité de la réalisation du pouvoir. Il y a une réciprocité de légitimation
entre le monarque et le peuple comme entre le meneur et le paysan. Le monarque et le peuple
possèdent autant de capacité divinatoire : leur capacité d’accès au divin est égale et d’une commune
nature. Ils sont protégés au même titre par leur phi thaèn. En d’autres termes, l’autorité ne justifie
pas sa domination par le fait qu’il est détenteur du phi thaèn –son protecteur– mais par le fait qu’il
est lui-même représentant ou descendant du phi Thaèn. Le pouvoir ne peut exister sans la volonté
du peuple de se rassembler, et vice versa, le peuple ne peut exister ni se rassembler sans le meneur
ayant la force et la capacité de rassembler, que ce soit de manière pragmatique (au début) ou
divinatoire (après).
Nous tentons ici de comprendre l’acquisition ou le rapport au pouvoir de l’homme, dans sa
dimension anthropologique. Dans la recherche des hypothèses, nous commençons à avoir une
vision moins théorique lorsqu’apparaît l’événement qui se rapporte à F’a-Ngoum, avec les premiers
discours politiques qui lui ont été attribués. Vers le début du second millénaire, à l’approche de la
période de pacification de F’a-Ngoum, les Lao Tai seraient groupés dans l’organisation de plusieurs
muang dirigés par les chefs et l’organisation de chefferie. Les muang peuvent être importants ou
modestes, le nombre des habitants aurait joué un rôle primordial dans les échelles des muang. Etant
de même groupe ethnique avec quelques variants près (qui constituent plus tard la classification
ethnographique), les chefferies lao tai se sont probablement reliées plus étroitement, à partir de cette
période, en constituant des liens de parenté et d’alliance. A partir de Vientiane jusqu’au Nord, et
probablement en dessous, des familles lao tai auraient déjà la direction des muang : à l’embouchure
de la Nam San, à Vientiane-Viengkham, Luang Prabang, Xieng Khouang, Xieng Saèn, Xieng Kok,
dans le Sip Song Chou Tai et le Sip Song Phanh Na. Ainsi, durant sa campagne militaire, F’aNgoum
rencontre les muang majoritairement dirigés par les Lao Tai, réclamant de sa parenté.
I. II. b. 2. Les détenteurs du muang faces aux aborigènes et aux détenteurs des grandes cités
Avant F’a-Ngoum, notre hypothèse sur la constitution, la maîtrise du territoire et sur
l’embryon de l’identité politique, relève de deux niveaux de perception.
1- Vue de l’intérieur (ethnocentrique), l’identification des populations de parler Lao Tai et leur
schéma d’organisation du muang est explicite à travers la vision exposée précédemment. C’est une
société agraire conduite par un chef aux savoirs empiriques et divinatoires. Elle est déjà familiarisée
avec un certain degré d’organisation politique et aurait aussi été une société animiste, familiarisée
avec l’idée du divin. Les espaces produits par elle auraient été sous forme de groupements de
rizières aménagées en casiers immergés, entourant les groupements d’habitations qui forment le
village. Dans la partie exondée des terres non bâties en seconde couronne après les rizières, il y
aurait des lambeaux de forêts claires où les villageois défrichent des haï. Et plus loin dans la
troisième couronne, ils auraient pratiqué la cueillette, et plus loin encore, en quatrième couronne, la
chasse. C’est éventuellement dans les couronnes trois et quatre que les tai ban (habitants du ban) et
les tai muang (habitants du muang) entrent en contact avec les autres groupes de population qu’ils Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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désignent comme des personnes appartenant aux entités non-détentrices du muang. Ces individus
tribaux ont été désignés comme Kon pa (être de la forêt) par opposition aux kon muang (être du
muang) que s’auto qualifient les Lao.
2- Vue de l’extérieur, la société lao tai est une société encore tribale mais très organisée, voire,
complexe. A priori la société lao tai du muang ne s’implante pas là où les autres seraient déjà
implantées. Il est peu probable que les Lao Tai aient investi une occupation existante en chassant les
anciens habitants : les occupations des autres tributs n’auraient pas été adéquates du point de vue
spatial et divinatoire à l’organisation de leur habitat, ils auraient pénétré dans une aire existante,
certes, mais auraient occupé la partie vide de cette aire. Outre les différentes sociétés tribales
aborigènes avec lesquelles ils auraient d’abord des contacts de l’ordre de subsistance, d’échange et
de troc, ils auraient aussi à ménager les groupes plus puissants qu’eux : telles les puissances locales,
les grandes organisations mônes et khmères (dont nous allons évoquer l’importance un peu plus
loin). Là encore, il est peu probable qu’ils aient investi les lieux encore actifs ou délaissés de ces
grandes organisations, pour des raisons d’incompatibilité de conceptions spatiales et cultuelles. Les
constats, ci-présent, remettraient en doute les idées biens galvaudées qui affirment que les Lao Tai
repoussaient les peuples autochtonnes dans les montagnes et les forêts pour prendre leur plaines et
leurs terres cultivables.
I. II. b. 3. Le phi ban et le phi muang des Tai possèdent leur espace propre
Le patronage spirituel aurait joué un rôle déterminant dans cette incompatibilité. En d’autres
termes, les lieux d’habitat lao auraient été protégés par leurs propres génies, de la maison au village,
du village au muang en passant par les rizières. Dans leur culte animiste, les esprits protecteurs de
ces lieux –c’est-à-dire, leurs phi– sont très nombreux. Ceux qui participent aux organisations
symboliques et politiques du muang auraient été principalement de l’ordre de trois : le phi ban, le
phi na et le phi muang –le plus important. Le phi muang est en fait le phi thaèn, lorsque le muang
est important et à la tête duquel il y a une famille des princes descendants de Thaèn f’a et protégée
par celui-ci.272 Si le phi ban et le phi na ne s’occupent respectivement que du bien-être du ban et du
na, le phi muang, lui, doit prendre soin du territoire qui englobe les ban, les na et les muang, tout en
étant très imprécis en termes territoriaux. On sait seulement qu’ils ont les quatre orients comme
limites virtuelles de protection et semblent exclure les haï et les forêts, etc., des premiers schémas
d’organisation cultuelle du ban, du na et du muang. Ce qui suggère l’idée que les haï et les forêts
ont des phi qui ne feraient pas partie de la hiérarchie des phi du muang. Cela signifie-t-il que la nonappropriation
cultuelle par le muang des zones de forêt claire et de la grande forêt (appartenant aux
autres tributs) équivaut aussi à une non-appropriation spatiale de ces lieux ?
273 En tous les cas, cela
semble faire transparaitre le fait que les Lao ont été réticents à l’idée d’occuper un territoire où leurs
phi protecteurs ne peuvent se trouver, à moins qu’ils ne décident d’en inviter quelques uns à s’y
installer. Aujourd’hui encore, avant d’occuper un lieu, implanter une maison, aménager une rizière,
couper un arbre, etc., les Lao ne manquent pas d’inviter les esprits existant à quitter les lieux, ou au
contraire, à leur faire de la place par des rites rigoureusement conservés. Aujourd’hui, cette tradition
demeure : les ouvriers et les artisans lao refusent de travailler dans les chantiers de construction
dont les rituels dédiés aux esprits tutélaires et aux poses des premiers poteaux n’auraient pas été
effectués.
Revenons aux groupes plus puissants que les Lao auraient à ménager. Rappelons que si
nous admettons la présence des Lao Tai dans le haut et le moyen Mékong dès le VIIIe siècle, nous
272 Les familles royales et princières lao, y compris le peuple, sont sensées descendre de Thaèn F’a qui les a envoyé
prospérer sur terre. Les familles de chefs lao tai sont donc sensées aujourd’hui pratiquer, d’une manière ou d’une autre, le
culte de phi thaèn – phi f’a ou assimilant, cela dépend du degré d’assimilation et d’acculturation qu’elles ont connu dans
leur histoire locale respective.
273 Les différents lieux semblent se munir plus tard des esprits protecteurs. L’attribution des phi dans ces lieux
accompagne alors leur appropriation par les Lao. Au fur à mesure de la consolidation de la société lao dans le territoire, le
nombre des phi en ce cas ne peut être que croissant.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 194 -
devons aussi constater que ce territoire est dans l’ère et dans l’aire du Chen-La établi dès le VIe
siècle et scindé en deux au VIIIe siècle : le Chen-La d’eau (Cambodge) et le Chen-La de terre (Laos
méridional). Durant cette époque, mis à part les aborigènes, les Lao Tai auraient rencontré sur le
territoire des populations du Chen-La, notamment les Môns vivant dans une organisation complexe
: d’importantes cités auraient déjà été établies par eux entre le Ie et le Ve siècle274 dans le moyen
Mékong, accompagnant l’indianisation de la péninsule. Puis dès le début du IXe siècle l’Empire
khmer aurait placé sous sa domination les différentes cités et multitudes tributs et chefferies –y
compris les chefferies lao tai. Ces chefferies auraient été organisées en petits muang :
établissements agraires et ripuaires avec enceinte en palanque ou en palissade, avec ou sans douve,
maîtrisant les terres agricoles pour les besoins internes des muang, entretenant une relation assez
avantageuse avec les aborigènes à travers les trocs,275 mais se soumettant aux grandes cités mônes et
ensuite khmères en leur payant probablement tributs, sans toutefois adopter complètement leurs
systèmes.
I. II. b. 4. Le muang des Thaèn F’a est-il un mandala ?
Durant le siècle de F’a-Ngoum, notre hypothèse du modèle spatial et de l’identité politique
esquisse la particularité de l’organisation du muang propre à la culture lao tai septentrionale, tout en
soulevant certaines de ses caractéristiques comme provenant de l’influence du mandala.
L’influence partielle du mandala
Le mandala est une représentation de l’organisation politico-spatiale selon laquelle le
pouvoir était à la fois concentrique et rayonnant. Depuis le centre, celui-ci émet son autorité de
manière rayonnante en dessinant un cercle. Le pouvoir localisé en son centre se légitime par son
caractère sacré et sa capacité de symbolisation. Les limites de son cercle de rayonnement sont quasi
immatérielles. Elles se rétrécissent ou s’élargissent, s’arrêtent-là où commence un autre pouvoir
rival. Elles varient selon la puissance de leur pouvoir religieux, militaire, politique et économique.
Les historiens affirment que les cités gouvernées selon le système du mandala sont installées dans le
Sud-Est asiatique dès le IIIe siècle avec le Fou nan et ont duré jusqu’au XIXe siècle, jusqu’à ce
qu’elles soient mises fin par le système colonial occidental.276
A nuancer par rapport à l’organisation du mandala, l’organisation politique primitive lao tai
dans la péninsule dont nous venons de suggérer le principe, semble avoir été un système de
chefferie, fondée sur la consolidation des intérêts de l’individu et du groupe, dirigée par un chef
possédant un savoir empirique et divinatoire reconnu par son groupe comme étant lié au thaèn f’a –
ancêtre mythique et ethnique fondateur, devenant des phi, leurs esprits protecteurs. Etant dans une
société politisée, il aurait été probable que les Lao Tai aient été influencés par le système
d’organisation du mandala des Môns et des Khmers. Mais fait curieux, aucune cité lao tai n’a été
construite sur le modèle spatial de ces grandes cités : les Lao n’ont pas bâti de grande cité
monumentale comme l’ont fait brillamment leurs suzerains. A la différence des Khmers, la
représentation du pouvoir n’a pas non plus manifesté tant d’ampleur sur l’espace. Le culte de phi f’a
- phi thaèn semble avoir été le trait identitaire commun et durable, marquant la continuité du
pouvoir chez les Lao Tai et permettant d’identifier ce peuple durant plusieurs siècles, même après
leur conversion au bouddhisme. Le mandala n’aurait alors influencé les muang que de manière
partielle, du point de vue organisationnel et non du point de vue symbolique et spatial. Le système
du muang peut être rapproché du système du mandala dans le sens où le pouvoir politique du muang
274 Pour une chronologie simplifiée Cf. Stuardt-Fox Martin, Historical dictionary of Laos, éd. The Scarecrow Press, Inc.
Maryland, 2008, 3e éd. 275 Mise à part le fait que les échanges entre aborigènes et Tai allaient évoluer, donnant des avantages grandissants à ces
derniers pour assurer aux muang leur richesse et leur puissance (idée développée dans le premier chapitre), les Lao
auraient possédé un vrai avantage au départ dans ces échanges : ces derniers auraient été les détenteurs des mines de sel
que les aborigènes avaient besoins. L’étude sur le rituel des mines de sel de Archaimbault devrait apporter des données
explicatives à ce sujet. Cette idée sera développée plus amplement dans le chapitre traitant des muang et des xieng. 276 Cf. Stuard Fox.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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ne possède pas en soit un territoire, mais s’apprécie selon le nombre des hommes vivant dans ce
territoire, lui témoignant fidélité et lui payant tribut. Il en serait de même pour le chef du muang
voisin et ainsi de suite. Et au dessus des muang il y aurait un grand muang auquel les petits muang
doivent allégeance.
C’est probablement autour de la période qui précède le sacre de F’a-Ngoum que les ban et
les muang empruntent des éléments du système du mandala, en s’appropriant partiellement du
système d’organisation laissé par les Môns et par les Khmer suite à leur déclin. Nous avons suggéré
précédemment que le cas de Chiengmai, issu peut-être du métissage môn-tai, peut illustrer cette
appropriation partielle du mandala. Le pouvoir central aurait été légitimé de plus en plus par son
caractère divinatoire et de moins en moins par sa capacité empirique. Sa capacité à se rapprocher du
divin par sa connaissance et sa force aurait été peu à peu pervertie ou remplacée par sa capacité
d’être lui-même divin. Cette altération partielle du mode de légitimation du pouvoir chez les Tai
serait ajustée assez bien avec le caractère sacré du pouvoir central du mandala qui diffuse sa
puissance, sa grâce et son rayonnement aussi loin que sa lumière aurait portée.
La résistance et la légitimité de la lignée de l’ancêtre mythique Thaèn F’a au centre du
pouvoir
L’influence du système mandala sur le système du muang semble avoir des limites :
quelques résistances ressurgissent intrinsèquement de la culture tai. Tout en ayant foi en la
réciprocité de légitimation du pouvoir et tout en exigeant du chef une force et une puissance
empirique et tout en prônant que sa lignée thaèn f’a est liée au pouvoir divinatoire (qualités propres
aux chefs lao tai), la place du pouvoir semble être déjà portée à l’époque de F’a-Ngoum par le
système organisationnel du mandala. C’est là que se situe l’ambigüité du système politique du
muang dans sa période évolutive, “ perverti ” par le système du mandala :
1- D’un côté, les annales anciennes ne manquent pas de souligner chaque fois qu’un intrus
n’appartenant pas à la famille de F’a-Ngoum (donc à la lignée Thaèn f’a) règne sur le Lane Xang.
Et de l’autre, certaines périodes de l’histoire explicitent l’idée que n’importe qui peut devenir
légitime pourvu qu’il réussisse à évincer l’ancien chef pour prendre sa place au centre du pouvoir.
2- Il ne suffit pas de régner en maître au cœur du mandala pour se légitimer dans la durée. Il faut
aussi être capable d’endosser les obligations et les devoirs dictés par la réciprocité de légitimation.
Ce serait une sorte d’épreuve éliminatoire qui incombe aux chefs intrus : seuls ceux qui possèdent la
compréhension de la réciprocité du devoir, que les Lao attribuent uniquement à la lignée thaèn f’a,
peuvent passer les épreuves de légitimation.
C’est en ce sens que le système de pouvoir du muang diffère et résiste au mandala. Le contexte de
l’ascension de F’a-Ngoum met cependant en relief la coexistence entre le système du muang et le
système du mandala :
1- La personnalité de F’a-Ngoum, telle qu’elle a été définie par l’histoire, présente une certaine
ambigüité : en prenant le pouvoir à Muang Swa il se légitime d’abord par son appartenance à la
lignée de Khun Burom, des Thaèn f’a ; reconnaissant sa légitimité, les gardiens et les autorités de ce
muang n’auraient pas montré de fortes résistances. Les monarques locaux –appartenant à la même
dynastie que F’a-Ngoum– par leur suicide à son arrivée auraient, par cet acte, confirmé sa légitimité
(Cf. le Phongsavadan.)
2- Les campagnes militaires d’unification de l’un des plus importants État tai de la péninsule, que
font sans cesse état les chroniques lao, ont mis cependant en relief le fait que la force et
l’intelligence individuelle de la personnalité de F’a-Ngoum a été le moteur de son accomplissement,
occupant la place qu’il mérite dans l’histoire du Laos sans le concours de son appartenance
dynastique aux Thaèn.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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I. II. b. 5. La définition du muang à travers la pensée de F’a-Ngoum
L’importance des hommes dans le muang
Quel que soit le système auquel il aurait appartenu, F’a-Ngoum aurait donné au système
organisationnel du muang une pensée politique forte permettant d’esquisser la morphologie sociopolitique
et spatiale de la société lao. Les discours dans le Phongsavadan qui lui ont été attribués
mettent en évidence de multiples caractéristiques de la société lao ancienne dans sa formation
politique et sa consolidation spatiale.277
« […] N’exécutez point la peine de mort si les fautes commises ne le méritent point. Emprisonnez
les coupables et ensuite relâchez-les pour qu’ils puissent vivre et trouver du travail. La richesse de
cette terre n’existe qu’avec les hommes : point d’homme, point de richesse, ni de biens, je ne veux
point que l’on tue pour cette raison […] ». Ici, la pensée de F’a-Ngoum est pragmatique. Conscient
de la carence démographique de ses muang qui freine leur développement et leur richesse, en
plaçant le facteur humain au premier plan de l’espace politico-spatiale, il met en garde l’arbitrage
du pouvoir et prône la précaution dans la gestion des hommes comme un précieux composant
économique. La carence démographique est aussi exprimée par l’aspect parsemé de la population,
au point qu’il aurait été nécessaire de reconsidérer –de recomposer même– une nouvelle
démographie, accompagnant le territoire qui vient d’être unifié. En d’autres termes, il a fallu
peupler certains muang. Bien que déplacer des habitants d’un lieu pour les mettre en un autre lieu
ne peut constituer en soi une solution, puisque cela dépeuple forcément un lieu, cette option a été
pratiquée par F’a-Ngoum, notamment lorsqu’il déplaça 100 000 Khrom kao du territoire lü vers
Luang Prabang (cf. le Phongsavadan).
L’ethnocentrisme, la monoethnicité du muang
« […] Vous ne causerez point de tort ni aux Tai, ni aux Lao, vous ne prendrez point les biens à ces
derniers quels qu’en soient les faits et les raisons. Si vous vous disputez entre vous et allez vous
faire la guerre, souvenez-vous de mes paroles, vous êtes seulement autorisés à vous guerroyer les
cinq jours : jour kap, jour hap, jour houay, jour meung, jour beurk. Les cinq autres jours : jour kat,
jour kot, jour houang, jour tao, jour ka, vous n’êtes pas autorisés à guerroyer, ni à usurper les
bétails ou les biens des uns des autres […] ». Nous pouvons interpréter dans les propos adressés
aux Khrom khao (de parler môn-khmer) un certain ethnocentrisme : il aurait distingué les autres
groupes des gens de “ sa race ” tout en démontrant la consolidation de son pouvoir et de sa
suprématie sur ces groupes que les Lao Tai auraient clairement dominé.
« […] Je suis fils de Nang Kéo Mahari, fille de F’a-Khamhyo qui n’est autre que membre de ton
illustre famille […] ». Au port de Muang Leuak à Xieng Saèn qu’il s’apprête à prendre, l’un des
tiao muang de la cité venu à sa rencontre se présente ainsi à lui. F’a-Ngoum, aurait répondu :
« […] Si c’est ainsi, que Muang Leuak reste tien, il deviendra le muang au coeur de ma maison, (ou
il sera le muang cher à mon cœur) […] »
Les propos du tiao muang de Xieng Khouang s’adressant à F’a-Ngoum lorsque celui-ci arrive à la
porte de sa cité évoquent également le cousinage et la révérence aux liens dynastiques278. Ces faits
ainsi que le contenu des propos échangés mettent en évidence deux choses importantes : 1- F’aNgoum
serait conscient de l’existence non seulement des chefferies d’ethnie lao tai préalablement
installées dans la région, mais surtout de la grande dynastie de Khun Bourom –à laquelle il prétend
appartenir– dispersée dans un large territoire. Il accepte de manière naturelle que Lan Na, Sipsong
Phan Na, et Xieng Khouang –entre autres, entretiennent un lien de parenté avec lui. 2- F’a-Ngoum
277 Bien que le Phongsadan, qui nous sert pour l’instant de référence unique, aurait été composé plus de deux siècles après
lui, transcrits et recopiés jusqu’au XIXe siècle, la plupart des historiens s’accordent pour reconnaître l’authenticité
historique de ce grand roi tout en émettant un avis plus circonstancié concernant l’authenticité du contenu de ses discours.
278 Cf. 2e partie. I.I.a. (Page 177)Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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serait également conscient du fait que la dispersion territoriale vient contredire ces liens de parenté
existante ou réclamée. Cela serait suffisant pour justifier la volonté de rassemblement autour d’une
entité. Toute proportion gardée, nous devons sans doute voir dans ce fait que F’a-Ngoum met en
œuvre l’harmonisation ou la ramification des petits mandalas dans le grand mandala qu’il édifie
avec la fondation du Lane Xang.
L’idée de limite territoriale
Certains propos contredisent cependant le mandala que F’a-Ngoum aurait tenté de fonder.
Formellement, le mandala en tant que cercle de rayonnement du pouvoir ne possède pas en soit de
limites territoriales, ni identifiable par une identité culturelle unique avec une composante ethnique
homogène.
« […] Nous sommes parents par Khun Burom dans notre lointaine histoire. Si tu désires les ban et
les muang, que les territoires qui s’étendent depuis la frontière de Dong Phraya fay jusqu’au pied
de la montagne Phraya Po et la frontière de Muang Nakhone Thaï soient tiens ; je t’enverrai
chaque année du sucre de canne et du sucre de palmier. Lorsque ma fille Kéognot F’a sera grande,
je l’enverrai partager ta couche et ton oreiller, oh Tiao F’a. […] ». Les propos de Uthong
d’Ayuthia, se référant aux origines lointaines qui auraient uni les populations du parler lao tai,
seraient plus une éloquence diplomatique qu’une réelle référence dynastique : ici Uthong évoque la
frontière alors que les propos des autres tiao muang parlent de parenté de manière plus précise et
ensuite proposent parfois des alliances matrimoniales, deux choses assez habituelles pour les
royaumes tai. Par contre, ce qui semble important, tant dans les propos de Uthong que dans les
œuvres de F’a-Ngoum, c’est la question de la délimitation territoriale, notamment entre Lane Xang
et Ayuthia qui apparaît. Bien que celle-ci soit imprécise matériellement, elle est localisable et
dessine la limite occidentale du Lane Xang, par une ligne Nord-ouest/Sud-est au niveau de Nakhone
Thaï. Et il en est de même lorsqu’il a établi la séparation de frontières entre le Lane Xang et le Daï
Viet. Les frontières en question peuvent être considérées comme des lignes de rencontre de deux
rayonnements de mandala. Mais elles peuvent également expliciter une certaine conscience des
limites territoriales du muang. En d’autres termes le pouvoir central du muang n’aurait pas
seulement émis un rayonnement variable mais aurait aussi contribué à délimiter un véritable
territoire. Par exemple lorsqu’il s’adresse à ses chao muang : « […] Ne vous disputez pas et ne vous
entretuez pas. Soyez solidaires afin de surveiller ensemble les lisières de vos ban et de vos muang.
Soyez au courant des bonnes et des mauvaises intentions des étrangers et des autres ban-muang qui
vous entourent […] ».
L’idée de s’inscrire dans la continuité d’une lignée et d’une histoire déjà existante
Un autre propos semble confirmer la base sociale des muang profondément attachée et
confondue à l’organisation sociale du ban et à ses principes moraux : « […] Vous, tous tiao que
vous êtes, vous ne réduirez pas les paï (les non nobles) pour être vos esclaves. Que ces derniers se
querellent ou qu’ils commettent l’adultère, il faut les infliger d’amendes d’une valeur de cinq bath.
S’ils commettent un assassinat que l’assassin remplace le mort. Si vous partez en guerre,
n’acceptez point l’achat des têtes. Les tiao khun, n’amandez jamais les paï plus de 100, celui qui le
fait malgré tout perdra sa face et indemnisera le paï […] »
Outre la réaffirmation de l’identité culturelle lao tai par la confirmation du culte des phi f’a - phi
thaèn, F’a-Ngoum semble s’inscrire dans une certaine continuité avec le passé. Ceci devrait
contredire, si non, tempérer les allégations qui considèrent que F’a-Ngoum et ses œuvres sont le
commencement de l’espace lao : « […] Tous les deux mois vous devez envoyer vos émissaires nous
rapporter les bonnes et les mauvaises affaires des muang. Tous les trois ans, vous devez vous
présenter en personne devant nous. Une fois à Xieng Dong Xieng Thong, nous prierons thaèn f’a,
thaèn khom, thaèn tèng […] les devata, gardiens Tham Ting et Sop Ou, les rizières, les montagnes,
les lieux sacrés […]. Nous donnerons les offrandes aux phi f’a, phi thaèn […] Le premier mois vous
quitterez vos muang et le troisième vous arriverez à Muang Swa. Ceux qui ne monteraient pas à
Muang Swa seront considérés comme révoltés contre nous. Notre illustre ancêtre F’a Luang Ngone Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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nous conseille de connaître le cœur de nos tiao Khun du Lane Xang, les bons et les fidèles comme
les mauvais et les infidèles. Nous nourrissons donc les f’a et les thaèn sur les recommandations de
notre F’a Luang Ngone […]».
I. III. La restructuration politique de l’espace à partir du règne de
Sethathirat
Globalement, le siècle de Sethathirat est associé au transfert de la capitale à Vientiane. Et
c’est déjà essentiellement le siècle de restructuration politique de l’espace, constituée et maîtrisée
dans les siècles passés en particulier celui de F’a-Ngoum. Le XVIe siècle de la restructuration
territoriale et politique est issu de parti pris idéologique inscrit dans la configuration spatiale, non
seulement interne au Lane Xang, mais également régionale. Trois éléments ont été fondamentaux
dans cette restructuration : 1- les actes politiques d’appropriation de l’espace à travers le renouveau
religieux, 2- la construction des monuments générateurs d’une culture régionale et d’un type d’unité
urbaine, 3- la découverte, la connaissance et l’appréciation du territoire.
I. III. a. L’appropriation de l’espace à travers le renouveau religieux
Derrière les actes pieux du règne de Phothisarat l’idéologie du Bodhisattva-raja, “ le
monarque boddhisattva ”, a été mise en avant dans le sens où le monarque se considère comme
éclairé par le Dhamma. L’idéologie de roi aspirant à devenir Boddhisattva est courante à la même
époque dans les autres royaumes tai.279 Sethathirat va poursuivre l’œuvre de ses prédécesseurs pour
le renouveau. Cependant, les œuvres de Sethathirat qui ne sont pas seulement axés sur le domaine
religieux mais largement ouverts sur la réforme politique et territoriale, auraient été plus vastes et
plus complexes. Trois générations de roi (Vixun, Phothisa et Setha) auraient appliqué chacun à leur
manière cette idéologie politico-religieuse qui va profondément marquer la dynastie lao, la politique
ainsi que l’espace non seulement religieux mais aussi laïc. Et ce, jusqu’à la fin du règne de Sri
Savang Vattana.280 Il faut signaler également que les trois règnes correspondent à une période de
paix et d’échange pour la région, après une période de conflit important qui a duré plusieurs années
entre le Lan Na et le Lane Xang sous le règne de Thiloka et de Jaya Charkaphad.281 D’après
Lorrillard, une école bouddhique de l’époque, un « bouddhisme réformé d’inspiration cingalaise »,
aurait même été introduite à Luang Prabang par le biais du Lan Na.282
279 En particulier au Lane Na sous le règne de Thiloka Raja grand-père maternel de Sethathirath et du Lane Xang dès le
règne de Vixunnarath. Celui-ci est allé jusqu’à donner le nom de Boddhisattva Raja à son fils. Ce nom est par la suite
associé à une certaine radicalité religieuse, un fait rare dans l’histoire du bouddhisme lao. Une fois accédé au pouvoir ce
dernier entreprend des réformes religieuses, en parti en ce qui concerne l’ordre monastique, et promulgue l’édit contre le
culte des phi. 280 Politiquement contraintes et limitées dans le contexte de la guerre froide, les actions de Savang Vatthana sont plus
consacrées à l’entretien des arts et des traditions. Il refuse son intronisation sous la bipartition politique et souhaite
ritualiser sa charge une fois réalisée la réconciliation nationale, qui n’a jamais lieu. Ce qu’aurait symbolisé cette action
c’est l’idée qu’un monarque ne doit pas prendre parti dans les conflits politiques entre clans et fractions. Il doit conserver
la “ morale de la monarchie religieuse ”, pour un Laos unifié et indivisible, renforcé par le bouddhisme unificateur qu’il a
la charge d’entretenir. Cette idée est redondante dans l’hymne national : « […] aimer la nation, notre pays, aimer notre
monarque, partager l’amour et la religion depuis l’ancien temps pour protéger notre territoire […] » (2e strophe, ligne 1e
et ligne 2e
.) Par ailleurs, la devise du Royaume du Laos était : Nation, religion, monarque, constitution. 281 Conflit, qu’une alliance matrimoniale entre Phothisarat et la fille de Thiloka (ou petite fille ?) avait du régler. Un réveil
culturel et religieux semblait accompagner cette période. « […] Durant la première moitié du XVIe siècle, les relations
entre les deux grands royaumes tai septentrionaux sont pacifiques –et le bouddhisme florissant de la Thaïlande du Nord
se diffuse progressivement en pays lao, en même temps que les textes (et donc les écritures) qui le véhiculent […] ». In.
« Les inscriptions du That Luang de Vientiane : données nouvelles sur l’histoire d’un stupa lao », Lorrillard M., BEFEO
2003-2004. 90-91. 282 Quel que soit son origine, il est possible que la version du Phrataï pidok –introduit à Luang Prabang, ait pu être une
nouvelle interprétation du Bouddhisme réformée. Cependant, Souneth Phothisane précise que cela ne peut être
l’introduction d’une nouvelle école demandée par le monarque lao. Les deux moines, le Phra Maha Thep et le Phra Maha
Mongkhoune, « qui viennent au Lane Xang avec 60 Khamphi Phrataï Pidok » que le roi du Lan Na offre au roi du Lane
Xang ne seraient pas originaires de Lan Na mais de Lane Xang-même. Les deux moines auraient été invités au Lan Na et
au retour de leur voyage, auraient ramené des présents royaux. Cet échange religieux serait une coutume couramment
pratiquée, lorsque deux rois entendent préserver la paix et rentrer dans de bonnes grâces réciproques. Par ailleurs le rôle Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Sur la réforme du bouddhisme, le cas de Ban Phay Lom (à Vientiane) aurait illustré
l’inauguration de l’ère nouvelle, avec des formes de refondation religieuse. Il laisse transparaître la
mise en application de la politique de Phothisarat dans l’éradication du culte des phi qui se serait
prolongée ou qui ferait son effet sous le règne de Sethathirat. Les maîtres des rituels qui (comme
nous allons le voir à Ban Phay lom) viennent de l’extérieur du village, avaient une personnalité forte
de par leur érudition et leur connaissance et auraient exercé un rôle très influent. Il serait probable
que ces maîtres soient des émissaires royaux envoyés dans les quatre coins du pays pour “ détruire ”
les autels des phi, convertir ou recadrer une pratique religieuse qui serait trop relâchée. Bien qu’il
n’y ait pas de signe d’inquisition, les ordonnances et l’autorité personnifiée émanant du pouvoir
royal pour procéder à l’éradication du “ culte barbare ” a dû être scrupuleusement respectées.
D’après le Phongsavadan et d’après les études épigraphiques de Lorrillard, Phothisarat aurait
ordonné la destruction des autels des phi pour construire des aram.
283 Cet acte qui se veut sans
doute démonstratif et symbolique, revêt incontestablement un caractère contraignant. Parallèlement,
il semble qu’à côté de cette volonté de réformer en profondeur la religion, on cherche aussi à
l’adapter au contexte. En d’autre terme, un travail de transition et non de rupture aurait été entrepris
malgré tout. Car en dépit des interdictions, un certain nombre de rituels et de lieux non-bouddhistes
ont subsisté, d’où la survivance –voire la recrudescence aujourd’hui, de nombreux cultes des génies
et des esprits. Dans une certaine mesure, on peut imaginer que seuls auraient été sérieusement
proscrits les cultes considérés comme les plus barbares allant à l’encontre du fondement bouddhique
tel le sacrifice animal.
C’est probablement à partir de cette période que le bouddhisme devient une religion
majoritaire et gagne progressivement, et non brusquement, le terrain des pratiques religieuses. Nous
n’avons pas d’idée précise en nombre de ce que pouvait représenter cette confession avant
Phothisarat, mais il est très probable qu’elle ait été minoritaire. Même si les annales mentionnent
que le bouddhisme a été institué par F’a-Ngoum deux siècles plus tôt comme religion d’État, cela ne
signifie pas que le Lane Xang entier ait été converti, même en ne considérant que les communautés
lao tai. Les pratiques religieuses de Ban Phay Lom qui revêtent un caractère particulier aujourd’hui
par rapport au reste du pays –l’interdiction de tuer les animaux et l’interdiction d’avoir un autel des
esprits [hô phrapoum s=rtr6,] au sein du village limité par les bornes du Dhamma– incarnent sans
doute pour l’époque une restauration religieuse parmi les plus exemplaires. Cependant, le fait que
ces interdits aient quasiment disparu du Laos pour ne subsister qu’à quelques rares exceptions,
semble indiquer que la pratique du bouddhiste lao a par la suite choisi une voie moins radicale. Cela
montre que la radicalité religieuse de Phothisarat est propre à son règne et à son temps, propre sans
doute aussi à l’histoire particulière du bouddhisme de cette époque.284
diplomatique qu’assument les religieux à l’époque est explicite dans plusieurs chroniques. Et pour revenir à l’introduction
de la mission religieuse du Lan Na, il n’y a pas plus de raison (d’après Souneth) de penser que Phothisarat « a dépêché
une mission diplomatique pour demander le nouveau Phrataï Pidok au Lan Na vers 1522 » en réponse de quoi le Lan Na
lui aurait « envoyé les deux moines avec le Phrataï Pidok » comme le laisse croire certains traités historiques
(Jinakalamalini, chronique du Lan Na. Cf. Jean Ripaud. Op, cit.) Vers 1501 Phra Maha Thep Luang aurait rédigé Nithan
Khun Bourom à Luang Prabang en compagnie du roi Vixun et ne pourrait donc pas être envoyé du Lan Na en 1522 : les
deux moines seraient allés au Lan Na en 1522 sur invitation du roi de ce royaume et seraient rentrés à Luang Prabang
l’année suivante, couverts de présents royaux et notamment du volume du Phrataï Pidok version Lan Na. La ville en
possède déjà plusieurs volumes, sans doute plusieurs versions différentes.
283 « […] Le 12 avril 1527 Phothisarat fait rédiger à Luang Prabang la stèles du Vat Savanthevalok […]. Elle est
également important pour son contenu, puisqu’il s’agit d’une ordonnance par laquelle Phothisarat charge son Maha
sangharaja, chef du clergé, de restaurer la religion – et de la purifier en particulier des croyances animistes. Le souci de
réforme du roi paraît avoir été particulièrement fort, puisqu’il est exprimé une nouvelle fois en 1535 dans une stèle
retrouvée une soixantaine de km en aval de Vientiane […].» M. Lorrillard. « Les inscriptions du That Luang de
Vientiane : données nouvelles sur l’histoire d’un stupa lao ». Op, cit. 284 Il faudrait étayer l’histoire religieuse de la dynastie lao et de celle de toute l’Asie du Sud-est continentale pour
comprendre cette radicalisation qui semble constituer une parenthèse dans l’histoire du Laos et par la suite expliquer la
souplesse et l’absence doctrinale qui caractérisent jusqu’à ces derniers temps le bouddhisme laotien. Nous pouvons sans
doute attribuer cette radicalisation au fait que le Lane xang venait de sortir d’une longue et destructive guerre dynastique
qui a duré entre la fin du règne de Lane Khamdèng en 1430 et le début de règne de Jaya Charkaphat en 1456 (période de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 200 -
Ainsi, déjà sous le règne de Sethathirat, tout semble nous faire comprendre que le pouvoir
prenait en compte les croyances de la population, en substituant aux contenants et aux objets
cultuels antérieurs un nouveau contenu sacré : il ne serait pas impossible qu’il y ait auparavant un
esprit habité dans chaque pieu à Ban Phay Lom avant l’arrivée du bouddhisme. Et il ne serait pas
non plus impossible après, que l’on ait substitué les phi par les sûtras bouddhiques enterrés sous les
pieux. Dans d’autres exemples, nous pouvons même voir que les phi se sont “ convertis ” au
bouddhisme. En d’autre terme, certains personnages vénérés antérieurement finissent au fur à
mesure par acquérir des caractéristiques bouddhiques. La sacralisation bouddhique des
établissements villageois, corollaire au renouvellement religieux et à la conversion générale, aurait
généré une nouvelle organisation et pratique spatiale au sein des villages. Même si la population n’a
pas été convertie dans sa totalité, on peut imaginer qu’à la place des sacrifices de buffles elle a dû
commencer à confectionner des offrandes de fleur pour les autels des esprits. Peu à peu, elle aurait
pris l’habitude de mettre la coupe des cinq préceptes bouddhiques sur l’autel des esprits.285 Puis
lorsqu’elle aurait invoqué l’esprit de la maison,286 cela serait devenu naturel d’invoquer en même
temps la prière du phouthang [r5fma’].
287 Ainsi, les cultes non-bouddhistes se retrouvent convertis,
du moins par les signes extérieurs. Aujourd’hui, la majorité des Laotiens vivent leurs pratiques
religieuses en associant ces deux cultes : entrées en contradiction par le passé, aujourd’hui leurs
pratiques se retrouvent rapidement associées, syncrétisées.
En l’occurrence, nous sommes en mesure de constater que la radicalisation du
bouddhisme de Phothisarat se prolonge dans l’organisation et l’édification politique de Sethathirat.
Celui-ci aurait confirmé et assimilé le renouveau religieux dans sa politique d’édification, en le
rendant visible, plus sur le plan politique que religieux. Le caractère politique et bâtisseur de son
règne, avec le transfert de la capitale et une liste importante de constructions d’ouvrages
architecturaux dédiés qui lui sont attribués, apparaissent comme la figure emblématique de ce
renouveau. L’analyse de la liste des ouvrages monumentaux, fondés, refondés ou restaurés au XVIe
siècle, devrait d’abord montrer que Sethathirat a été le plus bâtisseur de tous les rois du Lane Xang,
et ensuite, comment ces ouvrages se répartissent sur le territoire, tout en se rendant visibles à
l’échelle régionale dans le monde tai. Elle montre également comment Sethathirat organise le mode
de gestion de ces territoires physiques et humains, émanant ou accompagnant la construction des
monuments. L’analyse spatiale du site de That Luang, en liaison avec l’organisation de la ville, fait
transparaître une nouvelle phase d’édification politique. Elle met en exergue ce que peut représenter
ce monument pour l’époque, comment il représente le pouvoir et définit le nouvel espace. En
devenant l’espace emblématique et symbolique, le site de That Luang s’impose par sa persistance
face à toutes les incertitudes historiques et politiques. En s’articulant avec l’évolution de la ville et
de la société qui la compose, il représente sans doute le modèle spatial lao le plus abouti.
I. III. a. 1. Un aperçu sur les monuments sous le règne de Sethathirat
Les interventions de Sethathirat comportent aussi bien des nouvelles constructions et
fondations que des restaurations et des refondations sur les édifices et sites anciens, comme le
montre la liste ci-contre. Son règne est aussi l’aboutissement d’une volonté et d’une idéologie
inaugurées et transmises par ses deux prédécesseurs. Outre le désir de perdurer dans le temps à
régence de Nang Mahadhévi). Il venait également de se remettre de l’invasion de Luang Prabang et de la région
septentrionale du Laos par le Daï-Viet vers 1483. 285 Khan ha [0aoshk] est une coupe à l’intérieur de laquelle il y a cinq paires de bougies, cinq paires de fleurs et une paire de
bougies allumées. Il représente les cinq préceptes bouddhiques. 286 Phi heuane [zugInvo], esprit de la maison ou esprit des ancêtres. Aujourd’hui ce rituel est plus respecté chez les Lü et
chez les Tai dam que chez les Lao.
287 Formule en pali, selon le Livre des discours, à l’origine elle aurait été prononcée par une personne qui se convertît au
bouddhisme en catastrophe pour fuir les malheurs qui l’accablent. Aucune cérémonie n’est nécessaire pour marquer cette
conversion, il suffit de prononcer trois courtes phrases dont la transcription phonétique est la suivante : « Phouthang
saranang Khatchami, Thammang saranang Khatchami, Sangkhang saranang Khatchami » [r5fma’ lkitoa’ 7aflk,yF ma,,a’
lkitoa’ 7aflk,yF la’7a’ lkitoa’ 7aflk,y ], « je prend refuge en Bouddha, je prend refuge en Dhamma, je prend refuge en
Sangha ».
Tab. 7. Liste
non exhaustive
des monuments
construits par
Sethathirat au
XVIe siècle ou
soumis à ses
interventionsDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 201 -
travers les œuvres et la dévotion religieuse, une certaine conscience de la continuité du pouvoir, à
travers l’entretien et la restauration des monuments existants, semble évidente. Bien que ses œuvres
bâties soient exclusivement religieuses, leur portée est politique.
Les monuments et leurs significations dans les œuvres de Phothisarat et de Sethathirat
- That Pholn, construit durant la même période que That Sikhottabong, aurait couvert sept piliers
anciens (comme That Luang qui aurait couvert un grand pilier ?) et aurait été restauré et modifié par
Phothisarat vers 1539. Vers 1950 les notables de la ville ont apporté des modifications.
- That Inheng, construit également vers le VIe siècle en tant que reliquaire bouddhique, aurait été
investi par le culte hindouiste vers le IXe siècle. En 1548 Sethathirat le restaure en remplaçant les
éléments hindouisés par l’architecture bouddhiste. En 1930, il a été restauré par les Français et vers
1950 Savang Vattana a construit son cloitre actuel.
- That Phanom, construit vers le Ie et le IIe siècle par les rois des cinq royaumes : Nanthasèn de
Sikhottabong, Souvannaphinkhane de Sakhonnakhorn, Khamdèng de Khoumphavapy, Inthapath de
Campuchéa, Chounlani Phommathat de Xiang Khouang. Vers le VIe siècle il aurait été modifié par
Soumintharath de Sikhottabong. Il aurait été retouché par Sethathirat entre 1550 et 1572, par
Voravongsa Thammikharat vers 1614, puis par Phra Khrou Gnot Kéo Phonnesamek vers 1693.
Anouvong de Vientiane l’aurait restauré vers 1808. Il sera complètement modifié par les autorités
siamoises en 1939.288
- That Sikhottabong, dans l’ancienne ville de Thakkek –Mahukhanakhone, aurait été fondé vers le
VIe siècle à l’époque de Sikhottabong. Restauré par Phothisarat en 1539, sans grand changement, et
restauré par Sethathirat en 1568, des modifications auraient été apportées au monument. Vers 1622
(?), le gouverneur de Sikhottabong Luang, le Nô Muang289 aurait restauré le that. En 1806
Anouvong de Vientiane et Prince Khatiyarat de Thakek ont réalisé ensemble une autre restauration.
Entre 1948 et 1949, il sera de nouveau restauré par le gouverneur de Khammouane. La fête qui lui
est consacrée est réinstaurée officiellement en 1963, à la peine lune du mois de mars.
- Chédi Luang de Chiengmai, aurait été fondé bien avant le court règne de Sethathirat au Lan Na.
Ce qui paraît intéressant c’est le fait que le Chédi Luang de Chiengmai aurait pu exercer une
influence sur le futur That Luang de Vientiane que Sethathirat allait construire quelques années plus
tard.
- That Sri Song-hak à Loeuy symbolise, pour beaucoup d’historien, une alliance avec Ayuthia.
Comme nous allons le faire remarquer dans les chapitres suivants, le that ne symbolise pas que cela,
nous pensons que Sethathirat souhaite le signifier comme un véritable traité de limitation de zone
d’influence entre les deux royaumes. Le contenu de la stèle qui accompagne la construction du that
insiste sur le serment des deux monarques à respecter les territoires réciproques et à observer la
morale de ne commettre aucun acte d’agression l’un envers l’autre.
I. III. a. 2. Le That Luang, une édification politique et une conception de la monumentalité
L’intégration historique et contemporaine du site de l’esplanade de That Luang dans la
ville, la persistance du plan urbain qui place toujours ce site en tant que structure majeure, marquent
indéniablement la lecture de la ville d’aujourd’hui et interrogent le fondement et l’origine
288 D’après le Tamnan Oulangrathat, op, cit. 289 Nô muang [so+g,nv’], terme lao, nô nèng [so+cso’], nô néo [so+co;] : pousse d’une plante, race, espèce ; muang : ville,
royaume, pays. Titre désignant le Prince héritier, équivalent de nô kasat (so+dtla8 en Lao-Sanskrit) et de Rajabout (ik-[5fF en Sanskrit Raja Boutra, fils du raja). Les textes désignent souvent les Princes héritiers par ce terme. Le fils unique de
Suryavongsa était ainsi appelé Rajabout [ik-[5f]. Si le nô muang ici évoqué était le Rajabout du règne de Suryavongsa,
celui-ci ne règnera jamais sur le Lane Xang, il y aurait donc une erreur de datation, car si jamais il a pu être gouverneur de
Sikhottabong ce prince ne l’aurait été que vers le troisième et quatrième quart du XVIIe siècle, puisqu’il devait être mis à
mort par son père vers le quatrième quart du XVIIe siècle. Par contre, le seul prince héritier qui ait été appelé nô muang
autour de cette date est le fils de Sethathirat, amené à la cour birmane en 1575. Revenu à Vientiane vers 1590, il aurait
règné six années sous l’égide des Birmans. Lorsque le Lane Xang devient indépendant en 1610, il est probable qu’il soit
démis du trône pour devenir le seigneur de Sikhottabong Luang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 202 -
idéologique et symbolique qui ont conduit l’aménagement de ce site et établi son rapport à la ville.
Même si la majorité des sources locales, notamment le Tamnan Oulangkhrathat, est considérée
pour le moment comme non-fiable par les historiens qui mènent des travaux à partir de l’épigraphie
et des vestiges archéologiques, une lecture spatiale renforcée par l’analyse de la persistance du plan
urbain et de la pratique de l’espace d’aujourd’hui permet d’avancer quelques hypothèses.
Le site de That Luang comprend le monument lui-même et les ensembles bâtis implantés
dans le prolongement de la haute terrasse, et surtout, un espace vide désigné comme une esplanade.
Ce terme n’est pas approprié à l’origine, car cet espace n’a pas toujours eu une fonction militaire, du
moins, il n’assure pas uniquement cette fonction. L’emplacement et la disposition spatiale et
urbaine du site mettent en évidence son articulation étroite avec la ville et démontrent l’importance
de son rôle et de sa fonction, non seulement dans les différents moments et configurations de la ville
et dans l’évolution de celle-ci, mais également dans l’histoire spatiale du pays, ancienne et
contemporaine, liée aux pouvoirs politiques et religieux de chaque période.
A l’échelle de la ville, le site était une véritable terrasse –le san muang [-kog,nv’],290 le
parc royal pour certains historiens, à une époque où Vientiane était encore contenue entre la berge et
le rempart intérieur. Outre la liaison par des canaux, l’esplanade était surtout accessible par la route
de Nong bone. Cette route commençait sur la berge dans le quartier du palais royal, Hô Kham,
longeait ensuite l’enceinte puis cheminait vers l’esplanade. Ponctuant cette ascension, il était
jalonné de pagodes et de stupas, et traversait une zone de rizière à Na Xay et une zone de marécage
à Nong Bone. En arrivant enfin sur le site, nous découvrions d’abord la place et ensuite, nous
pouvions apercevoir le grand stupa. Nous pouvions aussi arriver par l’entrée principale du that par
la voie navigable, en empruntant les canaux entourant la ville, Hong Ké ou Hong Ouaylouay qui
sont connectés à Hong Thong et Hong khoua Khao (longeant le rempart intérieur) pour gagner en
barques la mare de That Luang, et de-là accéder au site. Selon une deuxième hypothèse, il y aurait
d’autres canaux un peu plus au Sud, donc en dehors de la ville qui auraient permis d’accéder à la
mare de That Luang depuis le Mékong. Vu l’état actuel de Hong Ké, Hong Ouaylouay, Hong Thong
et Hong Khoua Khao,291 où il y a très peu d’eau, il est difficile de penser qu’ils aient pu être
navigables, ou alors, seulement à la saison des pluies. Quoiqu’il en soit cet itinéraire semble ne pas
être exclusivement réservé à la ville et à ses habitants, au contraire toutes autres villes en bordure du
Mékong pouvaient également directement y accéder. Ce qui sous-entend que les pèlerins du site,
avant, pendant ou après le règne de Sethathirat,292 venaient aussi d’ailleurs. Cette idée confortait la
monumentalité du site et soulignait son importance régionale.
Si les deux itinéraires pour accéder au site, par voie terrestre et par canaux montrent que la
ville et le site de That Luang entretenaient un rapport étroit, depuis l’installation de la capitale grâce
au renouvellement politique et idéologique de Sethathirat, l’hypothèse d’une fréquentation
extérieure bien au-delà de la ville, rappelle que le site possédait une fonction antérieurement avec
une identité préexistante. Ce qui veut dire que son rapport à la ville à l’époque de Sethathirat, que
nous décrivons, se fondait alors sur un concept résolument nouveau. D’une part, le site existait en
relation avec la ville et le pouvoir, d’autre part sa “ monumentalisation ” générait l’implantation
d’une ou de formes urbaines qui étaient dépendantes de lui.
A l’origine l’entrée principale du that était à l’Est, face à la mare de That Luang, le
monument formant alors un écran entre la mare et l’esplanade. Le that tournait ainsi le dos à la ville
qui épouse la courbure de la berge du Mékong. Le palais royal, les pagodes, les quartiers
d’habitations, etc., s’ouvraient vers le fleuve. En revanche du côté rizière, le rempart la séparait de
la plaine et de la terrasse à quatre kilomètres plus loin où dominait le stupa. Cette bipolarité voyait
290 Sân [-ko], est une terrasse –couverte ou non, mais en principe non couvert– dans les maisons lao. Dans le texte, il faut
le comprendre au sens propre : c’est la terrasse de la ville. Actuellement le sane muang [-ko g,nv’] signifie banlieue. 291 Hong Thong a été récemment enterré lors de la restructuration du boulevard Khouvieng et Khun Bourom. 292 Sethathirat a régné au Lane Xang entre 1550 et 1572.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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ensuite les deux pôles reliés entre eux par la route de Nong Bone. Il n’y avait aucune mise en
perspective entre les deux pôles : leur liaison était un cheminement lent et graduel. Les points
d’ancrage aux deux extrémités de la voie longeaient d’un côté le palais royal, de l’autre, l’un des
deux vat qui encadrait le grand that. N’importe quel monarque en Europe et en Asie aurait été tenté
de réaliser un axe monumental entre la ville et le monument, une situation spatiale grandiose dont
l’urbanisme moderne des années 1960 va révéler la pertinence en y créant un axe de représentation,
servant étroitement les idéologies politiques de l’époque. Pour revenir à Sethathirat, ce dernier
ignorait-il l’importance des axes monumentaux, utilisés ailleurs couramment et universellement
pour la représentation du pouvoir ? Ou au contraire, il ne l’ignorait pas. La notion de symétrie et
d’axe a été utilisée à plus petite échelle dans les éléments bâtis. En occurrence, la culture des lettrés
et des monarques au Laos a été nourrie par la culture de l’Inde antique, même s’il n’y avait pas de
contact direct. Et la culture artistique khmère, indianisée, y exerçait également une grande
influence. Partant du principe que Sethathirat et ses Phraya étaient cultivés, le parcours indirect,
lent et ondulatoire aménagé entre la ville et le That Luang a été un choix intentionnel. Le roi
bâtisseur n’était pas sensible à la forme de l’axe monumental, il a simplement suivi le relief naturel
pour créer la liaison entre sa ville et le monument. Quoi qu’il en soit, volontaire ou non, la liaison
entre le site de That Luang et la ville rend compte avec raffinement et naturel d’un souci
d’esthétique dans la manière de relier le sacré et le profane, le sacré et le pouvoir. C’est aussi l’une
des caractéristiques de l’espace lao que nous aurons l’occasion de revoir par ailleurs.
L’esplanade du That Luang existait-elle avant le transfert de la capitale de Luang Prabang
à Vientiane ? Les deux annales, Thamnane Oulangkrathat et Nithan Khun Bourom, qui évoquent le
site où le That Luang sera plus tard implanté, ne la mentionnent pas. Elle sera évoquée pour la
première fois sous le règne de Suryavongsa dans la première moitié du XVIIe siècle. Dès cette
époque, son statut était déjà ambigu : cet espace était voué à un évènement religieux, mais se voulait
aussi représentatif d’un pouvoir royal absolu, d’une cour faste et prestigieuse.293 A cette époque
donc, l’esplanade servait aux festivités qui accompagnaient la fête religieuse. Mais il est évident
qu’elle a été aménagée bien avant, au moins sous le règne de Sethathirat. Car le pèlerinage du grand
that294 avait été instauré à l’occasion de son inauguration en 1566 par ce dernier, six ans après le
transfert de la capitale pour pouvoir accueillir des pèlerins venus de tout le pays. C’est du moins
notre hypothèse.
L’esplanade a donc été construite lors de l’instauration du pèlerinage du grand that, au
moment où fut achevée sa construction.295 Pour approfondir cette hypothèse, plusieurs facteurs
peuvent être évoqués. Le premier, tient effectivement au renouvellement des idées politiques de
Sethathirat, qui décide de transférer sa vieille capitale à Vientiane au centre du pays afin de mieux
gérer le rapport de force que le Lane Xang entretenait avec ses voisins. Il s’agit de la politique de
recentrage territorial de Sethathirat. Le pouvoir central pouvait tempérer les ambitions du Siam296
293 Dans ses notes de voyage, Van Wuystoff insiste sur le fait que le roi voulait impressionner ses visiteurs et
n’économisait guère de moyens pour montrer combien son royaume était puissant : « […] Le roi, assis sur un éléphant,
est arrivé en venant de la ville et est passé devant nos tentes […] Nous sommes alors sortis et nous avons fait une profond
génuflexion au bord du chemin en signe de révérence […] Devant lui marchaient environ 300 soldats avec des lances et
des fusils ; derrière lui quelques éléphants portaient les hommes en armes, suivis par quelques groupes d’instrumentistes.
Ils étaient suivis à leur tour par 200 soldats et par 16 éléphants portant les cinq femmes du roi […] ». In. Gerrit Van
Wuystoff et de ses assistants au Laos (1641-1642), Jean-Claude Lejosne, Centre de Documentation et d’Information sur le
Laos, 1993. Op, cit. 294 Le Lane Xang à l’époque comprenait une grande partie du Laos occidental et le pays des Tai Dam dans le Nord-ouest
du Vietnam. Le Tamnan Oulangkrathat nous explique que les rois lao allaient avec leur coure en pèlerinage dans le Laos
occidental. Jusqu’à les années 1970, parmi les pèlerins du That Luang, il faut également compter les population du Nord
et du Nord-est de la Thaïlande. Cf. « Histoire des stupas - des vat les plus importants et celle de Phrakhrou Gnot Kéo
Phonnesamek », ministère des Cultes, Vientiane, 1974. 295 Cf., les stèles de That Luang et de Vat Nong Bone, relecture et annotation de Michel Lorrillard, in. « Les inscriptions
du That Luang de Vientiane : données nouvelles sur l’histoire d’un stupa lao », BEFEO 2003-2004, 90-91. Op, cit. 296 Beaucoup d’historiens ne voient dans le transfert de la capitale qu’un désir de Sethathirat de se rapprocher du Siam,
son allié. Nous pensons que ce n’est sans doute pas la raison principale. Le fait qu’un that ait été construit à Leuy pour
marquer la frontière entre les deux États montre davantage qu’il serait aussi intéressé à clarifier la frontière entre son
royaume et le Siam. Même si ce stupa se nomme That Sri song hak, signifiant “la grâce des deux amours”.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 204 -
(en plus de celles de la Birmanie) qui cherchait à étendre son territoire vers le Nord-Est,
297 et
contenir la déconsolidation éventuelle de la frontière sud peuplée d’ethnies de parler môn-khmer, au
contact avec le Cambodge. Le deuxième facteur était de réaliser les ambitions pour le royaume qu’il
venait de réformer. En tant que roi, Sethathirat aspirait à être un grand bâtisseur et protecteur de la
“sainte religion ”–à l’instar de son grand-père roi de Chiangmai298 et de Açoka, l’empereur indien–
et en tant qu’homme, à devenir bodhisattva et atteindre le Nirvana.299
A travers sa politique intérieure, Sethathirat avait probablement deux objectifs :
1- Chercher à donner une nouvelle base aux rapports de force qu’entretenaient les rois avec leur
classe dirigeante : vassaux, gouvernants et administrateurs du pays. Le pèlerinage du grand that
était un événement annuel qui obligeait les seigneurs à être présents, à contribuer aux dons et
participer aux festivités. Même si c’était le roi qui dirigeait et patronnait cette fête et qui la rendait
obligatoire, l’objet principal ne tenait pas à sa personne. C’était “ le tiers ” –entité sacré, qui en était
la motivation centrale. Les actes votifs bouddhistes liés au that, sans remplacer la cérémonie
d’allégeance pratiquée depuis F’a-Ngoum,300 donnaient une autre dimension aux rapports existant
entre le peuple et le pouvoir royal : ils apportaient, en quelques sortes, un souffle de spiritualité à
l’exercice du pouvoir et donnaient une nouvelle dimension à la soumission “ servile ” du peuple. Le
règne de Sethathirat a marqué l’aboutissement de trois siècles de bouddhisme dans l’exercice du
pouvoir, qui avait commencé avec F’a-Ngoum et qui s’était intensifié depuis Vixun et Phothisarat.
D’une certaine manière, le pouvoir avait fait délibérément le choix d’adopter et d’adapter
l’idéologie bouddhiste pour incarner l’unité politique et l’identité lao.
2- Offrir un lieu de loisir et de festivité où pouvait se réunir la population à l’occasion d’une fête
rassemblant tout le royaume. Par la monumentalité du that auquel l’esplanade était annexée,
l’ensemble du site devenait alors un véritable espace public. Nous voyons là une différence
fondamentale entre le règne de F’a-Ngoum au Moyen-âge qui demandait à ses seigneurs de venir se
présenter en personne à la cour (qui se trouvait à ce moment-là à Luang Prabang) pour témoigner de
leur fidélité et pour honorer le culte des ancêtres, les phi Thaèn. Avec Sethathirat, les seigneurs
avaient l’obligation de participer à la fête du That Luang mais pour réaliser ensemble, avec le
peuple et les simples pèlerins, le Boum (mérites de vertu bouddhique), nobles gestes pour la vie
actuelle et la vie future. Le caractère public des actes royaux, puisqu’ils associent le peuple, semble
alors ici tout à fait inaugural.
Cette esplanade était donc, dès le départ, un lieu dévolu à la religion et au politique qui
consolidait l’unité et l’identité lao, servait le culte à l’initiative royale lors d’une grande
manifestation festive et populaire. On y venait pour se faire voir à la cour mais aussi et surtout pour
faire le boun.
301 On y organisait des processions, des jeux rituels tels que les courses de chevaux,
297 Selon Masuhara, le Siam cherchait à étendre son territoire vers le Nord-est pour des raisons commerciales. Il fallait
alimenter le commerce que le Siam pratiquait avec l’Europe et le Japon, entre autres, en produits provenant des forêts du
Nord. Par son port, le Siam jouait le rôle d’intermédiaire pour certains produits qui n’existaient pas chez lui. In. Histoire
économique du Royaume du Lane Xang, du XIVe au XVIIe siècle, d’un Etat qui bénéficie du commerce continental vers un
Etat qui bénéficie de l’économie portuaire, Yoshiyuki Masuhara, éd. Art and Culture, Bangkok, 2003 (en Thaï).
L’ambition du Siam a effectivement aboutit : celui-ci a annexé les 16 provinces occidentales du Lane Xang deux siècle
plus tard.
298 Grand-père maternel de Sethathirat et l’un des plus importants rois de Chiangmai, Thiloka Raja a bâti un nombre
important de monuments religieux. Sethathirat lui-même a construit la majorité des monuments de Vientiane. 299 Dans les fascicules portant sur l’histoire de Vat Inpèng (Histoire de Vat Inpèng Maha Vihan, la grande statue et la
légende, Tham Saygnasitséna, Vientiane, 1992,) et de Vat Ongtû (A brief history of Wat Ongtu Mahavihar, Phra Achanh
Maha Phaung Samaleuk, Vientiane, 1988) les auteurs évoquent un ouvrage (en anglais, sans doute une traduction d’un
ouvrage ancien) se trouvant à la bibliothèque nationale de Rangoon, intitulé Le tracée de la chaux [djkox6o]. Il évoquerait
la construction de Vat Ongtû et de la statue de Phra Ongtû par Sethathirat. Il rapporterait qu’en réponse à la déclaration de
guerre que le souverain Birman attendait, Sethathirat l’aurait invité à construire avec lui le Phra Ongtû : « Nous désirons
devenir Boddhisattva dans notre vie future en construisant la saint effigie de Phra Samma Sam Bouddha Chao, nous ne pouvons nous engager dans la guerre contre votre seigneur, nous invitons votre seigneur à se joindre à notre pieuse
action ». 300 La cérémonie d’allégeance au Roi du Lane Xang instaurée par F’a-Ngoum à l’origine ne serait pas imprégnée de rites
bouddhistes mais se référerait aux cultes des esprits et des ancêtres. Sethathirat l’aurait par la suite bouddhisée. 301 Boun, terme lao qui signifie “ mérite ” ou “ bonne action ”, il désigne plus couramment la fête.
Fig. 34. Schéma de
l’articulation de
That Luang avec la
ville de Vientiane
et les villages
environnants.
Scénario d’accès,
local et régional.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 205 -
des jeux de Tiki,
302 mais aussi des parades militaires. Sa configuration et ses limites n’étaient peut-
être pas très différentes d’aujourd’hui. Il est certain que l’esplanade était en terre battue, limitée au
Nord-est par le Vat Phone Kéng, au Sud-est par le grand that et par deux vat : le Vat That Luang
Taï et le Vat That Luang Neua, et au Sud-ouest, par le Vat Nong Bone. Elle formait ainsi une plateforme
d’orientation nord-ouest / sud-est. A l’est, autrefois l’entrée principale du that, il y avait
probablement les habitations des serviteurs du that, dont la présence a été évoquée dans la stèle de
fondation du That lui-même,303 et peut-être également celles des descendants des habitants du
village de Thao Burichanh.304 Plus loin, toujours à l’est, il donnait sur la grande mare, où une voie
navigable avait été aménagée. De part et d’autre tout autour de l’esplanade, il y avait des lambeaux
de forêt. Tout le site était bâti sur la plus haute terrasse, le point culminant le plus étendu de la ville.
Le site dominait ainsi, d’un côté la ville et le fleuve qui se situaient à environ quatre kilomètres, et
de l’autre la mare, les rizières et la forêt. L’entrée principale du that du côté oriental, indique qu’il
tournait le dos à la ville et que, par conséquent, l’esplanade était aménagée à l’arrière du that.
Bien avant Sethathirat, le Tamnan Oulangkrathat explique que le site était occupé par une
construction en forme de pilier, datant de l’époque d’Açoka et construit par ses missionnaires vers
le IIIe siècle avant J.C. Le Tamnan évoque également, en contre-bas de la bute vers Hong Ké,
l’existence du village de Thao Burichanh, et les gens de ce village considéraient déjà le site comme
un lieu de culte (sic). Dans le Tamnan Khun Bourom, les moines venant du Cambodge avec la
mission de Kéo Kengna vers 1359305 demandaient également où se trouvaient les lieux vénérés de la
ville. En réponse, un notable désigna plusieurs sites, dont le lieu de l’actuel That Luang.306 Lorsque
Sethathirat implanta sa capitale, il aurait été logique que le lieu ait été retenu pour construire un
espace sacré, symbole du renouveau du royaume et du réveil de la religion. En réalisant ce choix,
Sethathirat souhaitait sans doute répandre et développer cet héritage pour le rendre plus éclatant.
Les fonctions de l’esplanade décrites, ne dépendaient donc pas exclusivement de la nature haute de
son site, mais étaient liées aussi à la monumentalité du that, construit sur un site mis en valeur
antérieurement pour profiter de sa position topographique au point le plus haut déjà investi par le
sacré.
Nous pouvons dire alors qu’à l’origine l’esplanade et le that, avec les fonctions décrites,
sont nés avec la construction de la capitale, même si elle fut implantée sur un site déjà occupé
antérieurement par le sacré. D’un lieu qui relèverait de la dévotion religieuse d’Açoka, Sethathirat a
fait un espace symbolisant le pouvoir politique, tout en gardant la force spirituelle originelle. Celleci
palliait le fossé existant entre le peuple et le pouvoir et les réunissait dans un destin commun, une
véritable nouveauté à l’époque. Si la sacralisation du site dans la période antérieure était
conditionnée par la situation géographique (le point le plus haut de la ville), la dimension politique
et symbolique sous Sethathirat était devenue le nouvel élément moteur, donnant au lieu sa force
symbolique et historique. Cette force aura un rôle important et sera façonnée et réutilisée tout au
long de son évolution en tant qu’espace emblématique. Elle sera marquée par des ruptures
302 Le Tiki est un jeu rituel, proche du hockey ou du polo. In. Archaimbault, « La fête du T’at, trois essais sur les rites
laotiens », documents sur le Laos N°1, mission française d’enseignement et de coopération culturelle au Laos, date
imprécise.
303 Cf. Lorrillard. M. Op, cit. 304 Tamnan Oulangkhrathat évoque le village construit par Burichanh, comme étant contemporain de la période où les
missionnaires d’Açoka étaient arrivées sur les lieux pour construire le that en forme de pilier, environ vers le IIIe siècle
avant J-C. Même si cette source est considérée comme peu fiable par les historiographes, cette référence est parmi les
rares textes évoquant l’origine de Vientiane. Elle mérite d’être citée, même en tant que légende ou mythe. Cf. M & P.
Ngaosivathana, « Ancient Luang Prabang, Vientiane, mon realm and the Angkor imperial road », in. The Enduring Sacred
Landscape of the Naga, Mekong Press, 156 p, Chiangmai 2009. Op, cit. 305 Kéo Kengna est une princesse angkorienne. Epouse de F’a-Ngoum, elle était à l’origine des missions religieuses et
artistiques khmères à la coure du Lane Xang Luang Prabang. 306 « Où se trouve donc le Pak Bang Xay, le Pak Passak, le Phone Sabok, le Nong Chanh, le Nong Kadé, le Saphang
Nô ? » Quand les notables de la ville leur montrèrent où se trouvaient ces lieux, les moines conclurent ainsi : « A Pak
Passak les vénérables esprits ont marqué le lieu avec une borne en bois de santal, sur la bute, à l’Ouest depuis Nong
Kadé jusqu’à l’Ouest, les vénérables esprits ont marqué avec un pilier carré […] ». Cf. Histoire des Stupa - des vat les
plus importants et celle de Phra Khrou Gnot Kéo Phonesamet, ministère des cultes, Vientiane, 1974.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 206 -
politiques et sociales postérieures où, entre la politique et la religion, les problématiques se
confondent parfois. Ces ruptures, sont intervenues à trois moments clef : d’abord aux origines lors
de la fondation de Sethathirat, ensuite au moment de l’émergence de l’urbanisme moderne des
années 1960 et enfin, avec le renouvellement et l’instrumentalisation contemporaine à partir de
1975. Cependant, le site de That Luang conserve une continuité dans le sens où il demeure à la fois
la mémoire, l’expression et le réceptacle des idées, des rêves et des ambitions de la société et du
pouvoir, accumulés dans la longue durée. C’est ce qui est laissé en héritage par Sethathirat dans sa
politique d’édification.
I. III. b. Les monuments générateurs d’une unité urbaine et d’une culture régionale
Les espaces et les monuments religieux produits sous le règne de Sethathirat font
apparaître non seulement la pertinente de la restructuration politique de ce règne mais constituent
également un élément générateur de certains types d’unité urbaine et villageoise à l’intérieur ou
dans le rayonnement du muang. L’édification des monuments et en particulier celle des stupas sous
le règne de Sethathirat, est également une pratique régionale qui connaît en cette période un
moment florissant.
Comme nous venons de le voir, il y a une régénérescence religieuse au XVIe siècle,
accompagnée d’une restructuration spatiale et politique, traduite soit dans une refondation religieuse
(Ban Phay Lom), soit dans une fondation d’habitat (Ban Lingsan) et dans l’édification des édifices
emblématiques et monumentaux (That Luang). Si Phothisarat pouvait ordonner l’application d’un
édit contre le culte des phi, Sethathirat a pu également ordonner différents muang et chefferies
d’entreprendre des actes votifs dans l’édification des monuments religieux, tout comme il y avait eu
ses ordonnances pour l’affectation de serviteurs et de donations aux domaines pour leur entretien.307
A la rencontre de la dévotion populaire, les ordonnances royales qui devaient être des contraintes,
engageaient dans ce cas les actes pieux et volontaires faisant naître des groupements de mains
d’œuvre et de “ fournisseurs ” de matériaux, à proximité immédiate ou éloignés, comme ce fut le
cas de la zone de Ban Phay Lom et de Ban Donoun où nous pouvons formuler l’hypothèse que des
villages de tailleurs de latérite s’étaient établis. Donc, à travers la réforme politique et le renouveau
religieux et à travers la dévotion royale et populaire réunie pour la construction des monuments,
nous entrevoyons premièrement la formation –ou une certaine dynamique– des corps de métiers qui
constitueraient plus tard des villages, fournissant de la main d’œuvre (qualifiée dès le départ ou peu
à peu formée) et des matériaux nécessaires aux chantiers. Nous entrevoyons, deuxièmement, dans
l’affectation des serviteurs et dans l’attribution des domaines pour l’entretien des monuments une
fois construits, la genèse des nouveaux types d’unité villageoise, voire, des nouveaux types d’unité
urbaine, que nous tenterons ici d’identifier à travers des exemples : A That Phnom (Thaïlande), à
That Pholne (Khammouane, Laos), à Ban That Luang (Vientiane), et à Ban That (Savannakhet,
Laos). Nous nous attarderons sur deux monuments qui nous semblent représentatifs : Ban That et
Ban That Luang. Nous évoquerons rapidement deux cas de fondation contemporaine de that : sur
les ruines d’un ancien that à Oudomxay et sur un nouveau site à Luang Nam-Tha. Les deux derniers
cas semblent tout à fait anachroniques et, contrairement aux édifices générateurs d’espace
précédemment évoqués, ne génèrent aucun espace, mais deviennent des monuments qui justifient
l’existence postérieure des espaces sans unité qui ont perdu leur histoire ou qui n’en avaient pas. Il
s’agit de ces villes moyennes, nouvellement restructurées, et qui connaissent actuellement une
croissance significative. A partir de ces exemples, nous pouvons tenter de définir un mode et un
processus de fondation, bien que les exemples soient ici un peu contextuels.
307 Cf. Lorrillard. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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I. III. b. 1. Le That Luang, générateur de l’unité urbaine et villageoise
Nous avons vu que la construction ou la refondation du that aurait produit dans la pratique
un certain nombre d’espaces qui auraient perduré avec le temps. D’abord, il y aurait des espaces
organisés sous forme de villages qui auraient fourni de la main d’œuvre, tels les tailleurs de pierres
et de latérite, et pourquoi pas des fabricants de brique. De manière un peu contextuelle, l’exemple
de la zone Phay Lom et Donoun montre que la forme de l’organisation villageoise serait
préexistante. D’une part, à la suite des déplacements organisés depuis Xieng Khouang, les Phouans
auraient, dès leur départ de Xieng Khouang et dès leur arrivée à Vientiane, organiser leur
groupement en village, nouveau donc. Il est improbable que l’émigration Phoune en ce cas précis ait
été anarchique ou isolée, auquel cas, il y aurait eu un éclatement en petits groupes pour s’ajouter
aux quartiers existants en ville ou à sa périphérie. Il y aurait aussi des villages entiers dont les
populations seraient affectées comme “ serviteurs ” du that, mandatées ou ordonnées par le
souverain. Soit ces villages existaient préalablement et auraient par la suite été intégrés dans les
domaines, donnés en servitude au monument. En ce cas, les conditions de bases semblaient
quasiment réunies pour constituer une unité complète et autonome : le nombre des individus, leurs
compétences, les habitations et la richesse des terres en matière de production. Les villages de
“ serviteurs ” auraient ainsi été créés de toute pièce.
A la question du nombre des personnes concernées, l’annotation des stèles par Lorrillard
montre que les individus attribués au that se comptaient par milliers de personnes. Pour That Luang
Sethathirat aurait attribué « pas moins de 3500 individus ».
308 A la question qui concerne la
compétence en corps de métiers nécessaire pour construire le That Luang, les stèles restent muettes.
Mais nous verrons un peu plus loin ce que cela peut impliquer. Quant à la question des habitations
nécessaires pour loger les personnes qui venaient construire ou qui venaient entretenir le that, ainsi
que les vat et les kùti pour loger les moines, les stèles ne donnent pas d’information. Enfin, à la
question relative aux terres, comme moyen de production pour que ces personnes puissent se
nourrir, les stèles indiquent que des grands domaines avaient été octroyés. Ceux-ci peuvent être soit
à proximité soit très éloignés du monument. Les textes signalent ainsi des domaines qui sont
difficilement localisables. Pour le domaine du That Luang Lorrillard suggère la région de Ban
Kheun et de Vieng Kham.309 Si la donation du prince et de la princesse, les propres enfants de
Sethathirat, comme “ serviteurs ” du that semble purement symbolique, les donations de domaines
paraissent cependant effectives. Et plus que pour faire vivre les individus vivant dans les domaines
ou en rapport avec le that, il était quasiment sûr que ces domaines, constitués de rizières et de forêts,
mais surtout d’individus corvéables, pouvaient aussi générer des profits. Nous parlons de la richesse
des rizières et des produits provenant des forêts, de certaines formes de taxes, etc. Il faut rappeler
que, puisque ces domaines et ces individus ont été attribués à un monument, cela peut signifier que
les profits tirés de ces domaines et de ces individus sont traités à part. Bien que nous ayons peu
d’information sur la gestion de ces dons royaux, il est probable que les profits en question n’aient
pas été rétribués à la caisse publique appelée autrefois Prakang Luang [rit7a’s];’], mais à celui ou
ceux qui en avaient le droit et la charge ; en d’autre terme, réservés strictement aux besoins liés au
monument. Il était mentionné dans Khamphi Phosarat et Sangkrapakone du droit coutumier, que
les dons royaux étaient inaliénables. Mise à part le fait que ces dons étaient réservés logiquement à
l’entretien du monument et des domaines annexés et à ceux qui les entretiennent, nous pensons
qu’ils reviennent surtout au prince et à la princesse, serviteurs symboliques du that. Sans doute
pouvons-nous suggérer une administration autonome, une rétribution particulière.310
On peut remarquer aujourd’hui que l’emprise des monuments ne semble pas exercer une
308 Selon la relecture des stèles de That Luang et de Vat Nong Bone par M. Lorrillard. Op, cit. 309 Cf. M. Lorrillard (Ibid), à propos des domaines attribués au grand That Luang. 310 La gestion financière très autonome des monastères lao aujourd’hui porte à croire que cela est une survivance de cette
autonomie antérieure historique.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 208 -
grande influence sur les villages et les quartiers environnants, sur leurs tissus urbains et leur
développement en cours. Mais nous ne pouvons pas remettre en doute la mémoire de ces quartiers
et villages qui affirment avoir connu les servitudes et nous ne pouvons pas non plus ignorer les
inscriptions qui les évoquent, même si les espaces urbains et villageois en gardent si peu de traces.
Mais comment expliquer cette rupture ? Imaginons que par la suite (sur un temps long) les
personnes, les groupes et les villages de serviteurs du that devenaient plus libres et plus autonomes.
Cela leur permettrait de se consacrer plus aisément à la construction de leur vie sociale et
économique, au développement d’un espace plus autonome par rapport au monument. Nous
pensons que c’est ainsi que certains quartiers se forment : en se détachant physiquement et
économiquement des servitudes religieuses et en subissant dans une moindre mesure l’emprise
politique d’une autorité, pour pouvoir rejoindre peu à peu les autres quartiers et villages non soumis
aux servitudes. Pour That Luang il est probable que Ban That Luang et les quartiers aux alentours
de Phone Phanao ainsi que le village de Burichanh autour de Hong Ouaylouy –l’un des deux
noyaux qui ont formé Vientiane selon le Tamnan Oulangkrathat– qui auraient été intégrés dans le
domaine de servitude religieuse du That soient issus de ce contexte.
L’autonomisation par disparition des servitudes ne peut se faire sans deux conditions. La
première, il faut que les quartiers, les villages et les communautés se retrouvent sans obligation
envers les domaines religieux aux services desquels ils ont été affectés par l’autorité royale. Et il
faut également qu’ils se retrouvent sans l’autorité royale directe vis-à-vis de laquelle ils sont
naturellement assujettis. La deuxième condition concerne la levée de la servitude de la part du
pouvoir royal. Celle-ci n’a été mentionnée nulle part, ni dans les annales, ni dans les inscriptions.
En fait, nous n’avons pas vu de cas où le souverain aurait relevé les personnes de leur servitude.
Quant à la première condition, elle ne peut exister qu’avec l’effondement du pouvoir royal. Les
événements qui auraient pu causer l’effondrement ou l’affaiblissement du rôle du pouvoir royal,
voire son effacement vis-à-vis des domaines religieux ont été plus ou moins mis en exergue à
différents moments au XVIe et XVII
e siècle : trois guerres avec les Birmans suivies de l’occupation
du Lane Xang, conflits internes et crise de succession.311
Une autre question qui semble importante dans la formation des unités spatiales, mais
cette fois-ci sous forme de quartier, c’est l’idée de faire venir et de grouper dans un lieu les artistes
et artisans sous l’autorité royale, que ceux-ci viennent de l’étranger ou pas. Sur le That Luang,
aucune mention n’a été faite à ce sujet. C’est le plus grand that du Laos et le plus représentatif de
l’art lao du XVIe siècle. Ceci sous-entend pour l’époque une mise en œuvre par des artisans de
grandes pointures. Même si du point de vue architectonique et décoratif l’architecture du That
Luang ne peut être reliée directement à l’architecture des stupas de Chiangmai, du Siam, de la
Birmanie et du Cambodge, la participation d’artistes étrangers dans sa construction ne serait pas
impossible. Les stèles omettent malheureusement le nom des maîtres d’œuvre. Ces artistes et
artisans, qu’ils soient étrangers ou lao sont anonymes pour la postérité, mais nous savons que dans
toute la région de l’Asie du Sud-est continentale, ils ont un rôle important dans la société. Au Lane
Xang, ils auraient existé en tant que tel dans la hiérarchie administrative royale : les titres furent
donnés aux maîtres tisserands, sculpteurs, architectes, dessinateurs, etc., regroupés dans une sorte de
corporation, sapha sang [ltrt-jk’] “ poly technique ”. En tant que fonctionnaires royaux, ils
311 Après l’inauguration du That Luang, même si plusieurs monuments auraient été inaugurés ou restaurés par Sethathirat,
son règne et ceux de ses successeurs n’avaient pas été d’un calme absolu. Entre 1566 et le début du règne de Suryavongsa
en 1638, des guerres, des conflits internes et des règnes s’étaient succédés, provocant plusieurs fois des mouvements de
migration, forcée ou volontaire, vers le Sud et vers l’Ouest. Deux campagnes à Pitsanoulok en 1567 et en 1569, une
campagne à Muang Ongkan (au sud du Laos) en 1572, période durant laquelle Sethathirat fut porté disparu. Assaut birman
en 1570 où les souverains et les hauts dignitaires se retiraient de Vientiane, un nouvel assaut de la ville par les Birmans en
1574 suivi de leur occupation qui aurait duré 24 années. Il y aurait eu 10 règnes avant que Suryavongsa puisse restaurer
l’ordre : Saèn Surinh (1572-1575) -personnage extérieur à la dynastie de F’a-Ngoum ; Voravangso (1575-1580) placé par
les Birmans ; de nouveau Saèn Sourinh suivi par son fils Nakhonne Noy (1580-1582) ; le Lane Xang se retrouve sans roi,
les nobles assuraient par intérim le pouvoir (1582-1590) ; Nô Muang (1591-1598) suivi de la régence de Vorapita jusqu’à
1603 ; Voravongsa (1603-1621) ; Oupa Yaovarat (1622) ; Phra Bandith (1622-1627) ; Phra Momkéo (1627-1638).Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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auraient reçu un traitement salarial en argent et en nature. Vivaient-ils en villes ou possédaient-ils
des résidences avec atelier en dehors de la ville ou proches du monument ? Dans tous les cas,
lorsque Sethathirat transféra son administration de Luang Prabang à Vientiane, nous pensons que
les maîtres qui l’accompagnaient vinrent d’abord habiter en quartier à proximité du grand that. Les
quartiers en question auraient ensuite fini par être intégrés dans les villages existants. L’idée de
maison en bois sur pilotis avec atelier en dessous et dans la cour, que ce soit en ville-même ou à
proximité du monument, paraît tout à fait appropriée. Les artisans lao ont ainsi été lotis jusqu’à une
époque récente. Les fabricants de tuile, de brique et de poterie habiteraient prioritairement à
proximité des rivières ou dans les parcelles avec étang ou plan d’eau. A Vientiane nous retrouvons
autour de Nong Chanh et de Nam Passak, autour des puits etc., des anciens fours et des débris de
forge attestant à plusieurs endroits l’existence d’anciens ateliers de poterie, d’armuriers et de
fabriques de tuile et de brique.
L’observation de certaines parties des habitations autour du That Luang tend à nous
montrer que leur organisation ancienne pendant et après l’instauration du grand that en villages
n’est pas exclusive. Il semble qu’elles auraient aussi été organisées sous forme de quartiers urbains :
la trace de densités certaines au Sud et au Nord du stupa semble montrer que le groupement
d’habitations se faisait peut-être autour d’une autre idée d’unité que celle qui formait
traditionnellement l’unité du village, telle concentration de corporations, ou groupement autour d’un
événement et d’un élément particulier, etc. Mais du fait que l’évolution urbaine de la ville se
trouvant à 3-4 kilomètres au sud-ouest du that a intégré complètement ces zones qui étaient à
l’origine bien distinctes de la ville, cela fait disparaître les noyaux éventuels de quartier en question
et nous empêche d’avoir une vision plus claire de son statut d’origine. Le cas de That Inheng à
Savannakhet semble plus parlant. Effectivement, Ban That conserve son unité villageoise du fait de
son éloignement par rapport à la ville de Savannakhet. Il conserve aussi une certaine densité. Les
habitants, aujourd’hui, se disent clairement descendants des esclaves du That. De tels constats n’ont
pas été entendus à Vientiane. Quoi qu’il en soit force est de constater que les villages subsistent
encore aujourd’hui à proximité immédiate ou dans les alentours de la plupart des that
monumentaux, et leur densité est souvent supérieure à la densité habituelle des villages.
I. III. b. 2. Une culture régionale, circulation des savoirs suscitée par la construction des
stupas et des nouvelles fondations religieuses
Nous avons vu précédemment, en ce qui concerne la fréquentation du That Luang, que
l’aménagement des accès au site ne serait pas exclusivement réservé à la ville et qu’il serait aussi
ouvert et tourné vers l’extérieur. Ce qui sous-entend qu’il était disposé avant, pendant ou après le
règne de Sethathirat (1550-1572), à recevoir des pèlerins venus de loin et d’autres lieux que
Vientiane. Un tel fonctionnement confortait alors la monumentalité d’un site d’importance
régionale. A cette même époque That Luang n’aurait donc pas été un lieu de pèlerinage isolé. Si les
pèlerins venaient d’ailleurs, la population de Vientiane allait aussi rendre hommage à d’autres that
bâtis ou restaurés, comme le That Inheng, le That Phnom, le That Sikhottabong, ou le That Pholne.
Sethathirat, ainsi que ses successeurs faisaient des déplacements réguliers pour aller restaurer et
embellir ces monuments. Nous avons vu aussi qu’à chaque restauration ou construction importante
des servitudes religieuses ont été instaurées : des serviteurs avaient été installés par les souverains,
ou alors des villages existants dans les alentours, mandatés pour leur entretien. Les effectifs
pouvaient atteindre plusieurs milliers de personnes pour ainsi former des villages, des quartiers et
des unités urbaines avec des artisans aux corps de métier divers, des lettrés aussi sans doute pour
organiser et diriger les rituels et les cérémonies.
Cette pratique aurait été vraisemblablement généralisée dans la région de culte
bouddhique –chez les Siamois, les Birmans et les Lao– avec des variantes qui font la particularité de
chacun. Il est probable que des individus, voire, des corporations se déplacent entre les sites,
corollairement aux échanges et aux “dons” d’artistes, d’artisans, de lettrés et de moines entre les
royaumes, une tradition fort ancienne et bien connue chez les souverains de la région. Ainsi en est-il
Fig. 35. Le
village de
Ban That à
That Inheng Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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des artisans venus de Pegu à Chiangmai à la demande de Mengrai vers le début du XIVe siècle, ou
de ceux qui formèrent la mission Kéo Kengna en venant du Cambodge au milieu du XIVe siècle
pour se rendre à Luang Prabang.312 Souvent, ces missions étaient à l’origine ou parfois le résultant
des traités de paix, des alliances d’amitié ou matrimoniales. Nous apprenons par exemple qu’au
moment où Sethathirat restaurait That Phnom, il faisait travailler les maîtres artisans Phouans, qui
avaient leurs propres formules pour fabriquer les stucs, les enduits et les badigeons. Ceux utilisés
dans le sanctuaire de Ban Lingsan, de fabrication phouane, seraient de la même composition que
ceux utilisés à That Phnom.313
Le cas de Ban Lingsan
Revenons au modèle d’édification des établissements sous Sethathirat. Les habitants de
Lingsan sont Phouans et datent leur venue et la fondation de leur village sous le règne de
Sethathirat. Dans une situation différente de notre étude précédente, la fondation de Ban Lingsan
nous aurait permis de comprendre l’une des faciès de la mise en application de la politique de
Sethathirat dans une autre variante. Du moins, elle aurait pu nous donner un aperçu sur un autre
type de fondation de l’époque, qui ne serait issu ni de la refondation religieuse en réaction contre le
culte des phi comme ce fut le cas de Ban Phay Lom, ni de la construction d’un monument
fédérateur comme ce fut le cas du That Luang.
D’après son grand Vénérable l’emplacement du monastère central aurait été édifié en 1233
et restauré –voire reconstruit– par Sethathirat en 1527. Sur ces dates des problèmes se posent.
D’abord la date 1233 place ce village dans une période historique que les historiens identifient avec
incertitude, puisque la chronologie de l’histoire du Laos ne se clarifie qu’à partir de 1271, date du
début du règne de Phraya Lang, arrière-grand-père de F’a-Ngoum qui aurait régné à Muang Swa
entre 1271 et 1316.314 Ensuite, la date de la reconstruction du sanctuaire ne correspond pas au règne
de Sethathirat, mais à celui de Phothisarat. Soit il y a une erreur de datation, soit les deux règnes ont
été si marquants pour l’histoire du village qu’ils auraient été simplement confondus.
L’architecture du sanctuaire telle qu’elle nous apparaît aujourd’hui s’apparente
effectivement à l’architecture phouane. Il aurait été ensuite restauré par l’autorité royale entre 1950
et 1960. Lors de cette restauration, la peinture blanche à la chaux aurait recouvert les anciennes
fresques des parois intérieures du sanctuaire. Les supports des anciennes fresques seraient constitués
d’enduits de la même composition que ceux utilisés à Nakhon Phnom sous le règne de Sethathirat,
l’un des types d’enduit autrefois couramment utilisés aussi pour les stucages des décors
architecturaux dans les constructions en brique. Si cette information s’avère exacte, cela
confirmerait la circulation effective des savoirs-faires, qui seraient –dans cet exemple– phouans
venant de la haute plaine de Xieng Khouang et traversant la vallée du Mékong occidentale.
I. III. c. Une nouvelle perception du territoire
Le parti pris idéologique pour la restructuration spatiale de l’époque de Sethathirat s’était
traduit, nous l’avons vu, par le renouveau religieux et politique accompagné d’une mise en valeur
importante de la conception des monuments qui étaient générateurs de certains types d’espace, de
certains savoir-faire liés à une culture régionale. Elle mettait en évidence surtout une prise de
conscience de l’importance du territoire comme un enjeu politique et économique des États, en
particulier si ce territoire se trouvait sur les routes de commerce, et en conséquent, le désir des États
312 Tamnan Prabang, annoté par Sila Viravong et Nouane Outhensakda, Ministère des Cultes, Vientiane, 1967. 313 D’après le Vénérable de ban Lingsan, la composition du mortier aurait été formulée et transcrite sur une ou plusieurs
plaques en bambou qui seraient datées du XVIe siècle. Et toujours d’après le Vénérable elles pouvaient être encore
consultées jusqu’à il y a une quinzaine d’année à la pagode centrale de Ban Lingsan. Les plaques en question auraient
disparu vers 1995.
314 Selon la chronologie proposée par A. Padijon, Chronologie de l’histoire du peuple Lao, Paris, 2001 (sans éditeur). Op,
cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 211 -
de le contrôler et d’en tirer parti. Ce parti pris se serait donc traduit par des actes politiques de
Sethathirat en faveur de la consolidation des frontières et du recentrage du pouvoir, au coeur d’un
vaste royaume dont le centre était jusqu’alors très excentré. Cet élan politique aurait aussi des
répercussions par la suite sur les lettrés lao de l’époque. Ce fait se serait reflété dans une sorte de
littérature géographique, dont la connaissance du territoire par ses auteurs est remarquable.
I. III. c. 1. La consolidation des frontières et la politique de recentrage de Sethathirat
Nous avons évoqué rapidement les conditions de la politique de recentrage de Sethathirat
dans le chapitre, traitant de la question du contrôle des produits de la forêt du Laos et du rapport
entre ces produits et le commerce maritime dans la politique d’expansion siamoise. Nous
examinons ici ce recentrage et son implication sur la vie culturelle, politique et économique du Lane
Xang et sa place dans la région. Nous essayons de comprendre pourquoi la politique de Sethathirat a
été comprise uniquement comme un rapprochement au Siam son allié ; en d’autres termes, comme
une consolidation du monde tai, alors que nous décelons des signes de distinction, voire,
d’éclatement, du fait des facteurs nouveaux que sont les intérêts des États pour le commerce
maritime et pour le contrôle des routes du commerce ripuaire et terrestre. Il s’agit de comprendre
pourquoi Sethathirat a consacré tant d’efforts et a participé tant de fois aux conflits Birmans aux
côtés d’Ayuthia, alors que ces conflits ne semblaient pas le concerner directement, mise à part la
question portant sur la suzeraineté du Lan Na. Sa politique dans le conflit siamo-birman serait-elle
uniquement liée au statut de Chiangmai ? Il apparait en tous les cas que la participation du Lane
Xang à la guerre siamo-birmane a été inappropriée : cela lui a valu les sièges de Vientiane,
obligeant le Lane Xang à verser aux Birmans des tributs durant près de 24 années,315 alors que la
région aurait dû se réjouir d’une période de paix et d’échanges culturels, de savoir-faire et surtout
d’échanges commerciaux fructueux. Avant d’aborder cette question, comprenons d’abord ce qui
constitue le territoire du Lane Xang sous Sethathirat, quelle situation politique a-t-il hérité, et qu’en
est-il de l’aire d’influence de ce pays dans le moyen et le haut Mékong, laissée par F’a-Ngoum et les
souverains des règnes précédents.316
Situation interne
Pour comprendre le XVIe siècle remontons au XVe siècle.317 Le pays a été préoccupé par les
conflits de palais, la gouvernance des muang s’est retrouvée délaissée. Le Daï-Viêt annexe Muang
Phouan en 1448. En 1456, le Lane Xang se remet du désordre avec l’ascension de Jaya Charkaphat
Phaèn Phèo.318 Selon les annales du Lan Na, entre 1443 et 1454, un conflit aurait eu lieu entre
Luang Prabang et Chiangmai. Le litige aurait porté sur la suzeraineté de Muang Nan. Ce conflit se
serait soldé par la défaite du Lane Xang. Le Nithan Khun Bourom évoque le Gouverneur de
Vientiane, Tiao Say Mui, un prince qui avait tenté de faire sécession dans les années 1470. Sur le
plan de succession, il semble qu’il y ait eu un flou entre le moment où mourut Jaya Charkaphat
(1480) et le début du règne de Vixun (1500), aussi bien du point de vue chronologique que
315 Vers 1575 ce fut le début de la deuxième hostilité interne au Lane Xang. Cette période trouble fait apparaître des
changements fréquents de règne. Cf. note, op. cit. 316 Il est préférable d’utiliser l’expression “ aire d’influence ” au lieu de “ délimitation de frontière ” : les frontières entre
les royaumes à l’époque de F’a-Ngoum, n’étaient pas physiquement fixées ou n’existaient pas. Elles étaient souvent
désignées en référence à la topographie ou aux caractéristiques particulières des lieux. Ainsi reconnaissions-nous la limite
entre le Siam et le Lane Xang au niveau de Dong Phragna Fay (changé en Dong Phragna-Yen par les Siamois au XIXe
siècle), entre Lane Xang et Daï-Viêt au niveau des versants de la chaîne annamitique, etc. 317 La première période de troubles internes entre 1428 et 1453 s’est produite sous le pouvoir de Nang Maha Dhevi,
mettant en relief une dynastie complexe : des intérêts divergents, des muang dispersés. Maha Dhevi dans les livres
d’histoire est responsable de l’assasinat d’une douzaine de rois en une vingtaine d’année. En réalité nous ne savons rien de
cette reine (petite fille de F’a-Ngoum ?). Nous sommes dans une période de trouble : conflit avec le Daï-Viêt, crise de
succession liée aux orientations politiques, etc. Les assassinats étaient probablement liés à cette crise politique. Le portrait
gratuit de ce personnage cache sans doute une réalité politique incomprise par les auteurs du Phongsavadan et du Nithan. 318 Le quatrième fils de Sam-Saèn-Tai lorsqu’il a été appelé au trône, était alors gouverneur de Vientiane sous le nom de
Phraya Khoua Passak (Seigneur du pont de Passak ou du palais de droite à Passak), se référant au site d’implantation de
sa résidence. Le lieu de résidence des Gouverneur de Vientiane serait à l’embouchure de Nam Passak, dans le campus de
l’actuelle école technique Pak Passak et non dans le campus du palais pésidentiel.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 212 -
politique. Il est important d’évoquer ces faits puisque les trois sources, le Nithan Khun Bourom, le
Phongsavadan et le Ming Shi, (d’après Hoshino) ne concordent pas et laissent des hypothèses qui
pourraient expliquer, d’une part le tournant de la politique du royaume lao vis-à-vis de la Chine, et
d’autre part la raison du déplacement de la capitale et la politique de Sethathirat une soixantaine
années plus tard.
D’après Hoshino, en confrontant les trois sources, il y a eu trois tendances politiques au sein
du pouvoir qui entraient en conflit durant cette période ; tendances exprimées par les auteurs du
Phongsavadan, du Nithan Khun Bourom et du Ming Shi. Le Nithan fait apparaître une tendance qui
était liée à Ayuthia alors que le Phongsavadan paraît plus neutre concentré sur la situation interne
du Lane Xang. Quant au Ming Shi, il montre qu’une tendance aurait été favorable aux pouvoirs des
Ming. Pour notre part, même si l’un des quatre princes (Vixun, Souvanna Banlang, La-Saèn-Tai,
Sumphou ?) avait pu être prochinois nous pensons que le Phongsavadan et le Nithan n’ont pas
mentionné le rôle des Ming parce que le Lane Xang était engagé dans une démarche pour
s’émanciper de la domination chinoise à ce moment-là, et que cette situation est précisément l’un
des antécédents du déplacement de la capitale vers le Sud et l’un des aspects déterminants de la
politique de Sethathirat. Par ailleurs, nous pouvons aussi penser que la tentative de sécession du
Prince Mui vers 1470, quand il était gouverneur de Vientiane, est une anticipation politique du
déplacement du pouvoir vers le Sud, rompant avec une vieille tradition de main-mise de la Chine
sur le Lane Xang (comme le souligne Hoshino)319. Mais cette anticipation aurait été empêchée par
une politique conservatrice de Luang Prabang et ne serait devenue réalisable que sous Phothisarat et
Sethathirat. Cette crise politique qui a duré vingt années passe quasiment inaperçue dans la
chronologie du Lane Xang alors qu’elle est particulièrement importante : c’est une période de
rupture par rapport à un temps qui était sur le point d’être révolu, préparant une nouvelle période
avec l’ascension au pouvoir de Vixun en 1500 et le déplacement futur de la capitale.
Situation par rapport au Cambodge
Au Cambodge, les Khmers tentent de redorer le pouvoir royal et de restaurer l’immensité
territoriale de leur ancien empire, terni et réduit. Dans le Sud du Laos, ils tentent donc de repousser
leurs frontières vers le Nord, chevauchant ainsi la limite qui avait été “fixée” à l’époque de F’aNgoum
et apparemment consentie par le roi khmer de l’époque. Mais durant le règne de Sethathirat
un roi khmer envoie ses troupes vers Khorat et vers le Sud du Laos, dans le but de faire reconnaître
à Sethathirat la souveraineté du roi khmer sur Strung Trun, Veunexay, Lomphad, Métho et Ban
Done.
320
Situation par rapport aux minorités du Sud
Toujours dans le Sud du pays les populations de parler Môn-Khmer, ou non Tai, menacent
l’intégrité du territoire et la souveraineté des rois lao par des révoltes. Ce fait est sans doute lié à
trois facteurs : 1- le rapprochement du pouvoir central cambodgien de la zone qui faisait partie de
son empire un temps donné, peut réveiller les liens anciens de suzeraineté ; 2- le pouvoir central lao
qui était préoccupé quelques décennies auparavant par des luttes internes et par des guerres avec le
Daï-Viêt, finit probablement par s’éloigner de ces populations en négligeant “pactes” et “ rituels”
qui honoraient traditionnellement les relations entre les rois lao et les chefs des minorités ; 3- il est
également très probable que les tributs, qui ont été par la suite exigés par l’administration royale aux
peuples des hauts plateaux, sont devenus plus importants, voire abusifs, au fur à mesure que la
société lao dominante se complexifiait et que les besoins se retrouvaient de plus en plus accrus avec
l’accumulation des biens et des richesses.
319 Cf., les annotations de Hoshino qui a analysé les trois ouvrages : le Phongsavadan, le Nithan Khun Bourom et le Ming
Shi. 320 Sangkragna Chanthakhot, Histoire d’Attapeu, Imprimerie et publication de l’Etat, Vientiane.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 213 -
Situation à l’Est
Du côté de la frontière avec le Daï-Viet, la plupart des muang constitue des motifs de conflit
incessant entre les deux pays. Par exemple, le cas de Xiang Khouang. Ce muang a été vassalisé par
le Daï-Viet la première fois sous Thao Khamphong vers la fin du XIIIe siècle. Vassalité à laquelle a
mis fin F’a-Ngoum au milieu du XIVe siècle pour l’être à nouveau en 1448, puis libéré sous Jaya
Charkaphat et annexé encore en 1479, où les deux villes (Xiang Khouang et Luang Prabang) ont été
cette fois-ci incendiées. Cette guerre a beaucoup affaibli et appauvri le Lane Xang. Il en est de
même pour les régions de Houaphanh et des Sip Song Chao Tai : dans la région de Lai Chau, vers
1439, le Daï-Viêt a lancé des troupes importantes pour récupérer la province, les Lao l’ayant
incorporée dans le Lane Xang. A cette époque, les Lê ont déjà conquis tout le Champa dès les
années 1470. Il était clair que cette frontière orientale était plus que vulnérable : les muang et les
lignes de démarcation naturelle peuvent être à tout moment sujets de conflit qu’il fallait toujours
surveiller de près.
Situation par rapport à la Chine
Au nord, il semble que les liens de suzeraineté traditionnelle ont été plus ou moins
maintenus. De ce point de vue, il y a une certaine stabilité, même s’il a été signalé dans les annales
chinoises que le Lane Xang a cessé d’envoyer les tributs en Chine après le transfert de sa capitale à
Vientiane.321 Il n’est pas mentionné, suite à cette remarque, qu’il y ait un quelconque conflit entre le
Lane Xang et les Chinois sous les Ming, plus préoccupés par la situation politique intérieure. Par
contre, il a été signalé que si la cessation d’envoi de tribut en Chine a pu se faire au milieu du XVIe
siècle, c’est grâce au fait que les Ming, à la différence des Yuan, n’avaient plus de troupes
stationnées dans ces pays-là, et dans le meilleur des cas, ils n’ont laissé qu’un nombre réduit
d’agents administratifs.
Situation à l’Ouest du Haut Mékong
Au nord-ouest, les Birmans au faîte de leur puissance poussent la frontière du Haut
Mékong. Une partie du Sip Song Phan Na ainsi que le petit royaume lü de Xieng Khaèng, qui s’est
émancipé de la confédération traditionnelle en se rattachant d’abord au Lane Xang, s’est placé sous
la suzeraineté de la cour birmane durant cette même période. Quant au Lan Na, il était déjà devenu
vassal des Birmans alors qu’il était aussi un allié du Lane Xang, puisque Sethathirat possédait un
droit dynastique sur Chiangmai par sa mère, fille de Thiloka Raja. Cependant, une partie des nobles
de ce pays était favorable aux Birmans.
Situation sur le plateau de Khorat
Khorat qui était une province princière de l’Empire khmer322 et qui a été depuis F’a-Ngoum
intégré en partie au Lane Xang,323 semble être un territoire fragile, culturellement et ethniquement
partagé et mixte. Les seigneurs locaux pouvaient très bien se rallier aux Khmers, aux Siamois ou
aux Lao Lane Xang, mais toujours dans un esprit de liberté, à la limite de l’anarchie dans le sens
d’une soumission difficile à des règnes extérieurs. Les périodes suivantes ont montré que les
habitants et les chefs locaux changent souvent de suzerain : entre Vientiane et Ayuthia.324 Donc, à
321 D’après Hoshino, le Laos n’aurait pas payé de tributs vers 1481, car il doit faire face à la guerre avec le Daï-Viêt. 322 D’après Hoshino, Soryotei, Prince d’Angkor, devant succéder à son frère vers 1350, était Gouverneur de Khorat. Op.
cit.
323 Cf. Gagneux P-M., « La frontière occidentale du Lane Xang. Quelques documents. », Péninsule. N°1, 1979, p. 3-21
EFEO-CM. « Il nous apparaît donc assez clairement maintenant que, contrairement aux affirmations des historiens
thaïlandais des XIXe et XXe siècles, le plateau de Khorat a toujours fait partie intégrante du royaume de Lan Xang, tant
que celui-ci a eu une existance effective ». 324 Le “ comportement politique ” controversé des habitants de Khorat suscite débat. Les Lao du Laos oriental ainsi que
ceux du Laos occidental considèrent les habitants de Khorat comme des “ infidèles ”. Selon eux c’est dans la région de
Khorat que la lutte du Roi Anouvong de Vientiane a basculé dans la défaite : Khorat a choisi de se rallier aux siamois.
Daralat Metanikanonh explique dans La politique des deux berges du Mékong (op, cit.) comment le territoire et la culture
des populations de Khorat se sont constitués, comment cette culture mixte a toujours cultivé une certaine liberté, voire, Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’Ouest de Vientiane, sur le plateau de Khorat, Ayuthia commençait sans doute à exercer un certain
pouvoir dès le règne de Thaïlökanat dans les années 1460-1480. Les limites des zones d’influence
entre Lane Xang et Ayuthia au niveau de Dong Phragna Fay et entre Ayuthia et Lan Na
commençaient probablement à bouger dès cette époque.
Situation par rapport au Siam et à la situation internationale
Ayuthia connaît en cette première moitié du XVIe siècle l’âge du commerce maritime avec
la prise de Malacca par les Portugais. Les ports siamois accueillaient les marchands étrangers, ses
villes ripuaires se tournent désormais vers la côte. Les produits des terres intérieures et de l’extrême
Nord de la péninsule transitent par son territoire. Il est vital de pouvoir solidement participer au
commerce transasiatique par les ports, de contrôler les produits qui viennent du Nord, c’est-à-dire,
contrôler les routes de transit des produits, qu’elles soient ripuaires ou terrestres, et pourquoi pas
contrôler aussi les territoires fournissant les produits demandés par le commerce maritime. Ces
enjeux économiques vont peu à peu modeler la politique d’Ayuthia par rapport à ses voisins du
Nord et du Nord-est. L’extension de son territoire et l’annexion de ses deux voisins, Lane Xang et
Lan Na, vont devenir un plan stratégique qui ne tarde pas à s’accomplir. Du rapport traditionnel
entre des États tai partageant la même histoire de la légendaire migration, le Siam se démarque par
son désir de puissance. Vers 1533, il pousse ses troupes vers le Lane Xang, et vers 1546, il attaque
le Lan Na. Ces premières tentatives ont échoué par les contre-attaques respectives du Lane Xang et
du Lan Na encore prospères. Le Lane Xang, au faîte de sa puissance sous le règne de Phothisarat,
arrête pour un temps la prétention du Siam. Plus qu’une réaction défensive, il semble même que le
Lane Xang ait saisi la situation et a tenté sans doute de contrôler aussi les routes du commerce du
Nord qui allaient vers le Sud : en venant en aide au Lan Na souvent attaqué par Ayuthia et
Hongthawady, celui-ci en a profité pour occuper Chiangmai et renforcer le rapprochement avec ce
royaume par l’alliance matrimoniale entre Phothisarat et Gnot Kham fille de Thiloka. Sethathirat
lui-même semble vouloir garder Xieng Saèn qui se trouve dans une situation stratégique sur la route
du Nord entre le haut Mékong et le Lan Na : par le Mékong Xieng Saèn est surtout un avant-poste
commercial important avant Luang Prabang ou avant Muang Nan, Sukhothai et Ayuthia. En venant
de Chine, les produits passent-ils par là de manière importante avant de repartir vers Luang Prabang
ou Ayuthia ?
C’est dans le contexte politique interne et externe mis ici en relief que Sethathirat accède au
pouvoir : l’âge du commerce maritime est bien entamé. Les États qui connaissent un relâchement
relatif du pouvoir des Ming, mènent une lutte active pour les richesses et la souveraineté. Les routes
fluviales et terrestres, les sites ripuaires qui servaient de liaison et d’échange entre les royaumes
deviennent des éléments stratégiques. Les aires d’influence se forment en même temps que les
enjeux se construisent, modelant la politique des États. Sethathirat devait d’abord préserver le Lan
Na qu’il avait hérité de Thiloka s’il voulait acquérir la puissance régionale, face à un Siam
politiquement et commercialement redoutable et un Daï-Viêt militairement agressif qui
s’émancipait de la Chine. Mais le Lane Xang avait probablement des handicaps pour répondre à un
tel défi. Ses tentatives pour constituer une grande unité à partir des deux royaumes qu’étaient Lan
Na et Lan Xang ont été empêchées par les Birmans et aussi indirectement par les Siamois. Là où le
Lane Xang a échoué, le Siam a réussi. Sethathirat a été contraint de choisir le Lane Xang.325 Après
avoir renoncé à Chiangmai, qui signifie la fin de son droit dynastique sur ce royaume, Sethathirat
une certaine anarchie pour ne pas se soumettre ni au Lane Xang, ni au Siam. Mais du point de vue culturel et
ethnolinguistique, les populations de Khorat sont à l’évidence majoritairement lao.
325 « […] Arrivé à l’an 913, huitième mois, Chao Phraya Upayova Raja ordonna la confection des bougies, des cierges et
des fleures d’argent et d’or pour vénérer et pour se prosterner devant le Dhamma et le Sangha et prononça qu’il ne
reviendrait plus. Il donne ainsi la garde de Chiangmai à Nang Mahathévi » Cf. Le Phongsavadan lao. Op, cit. Bien que le
choix de Sethathirat soit avant tout lié à la tradition dynastique qui prime en priorité la lignée et l’héritage paternel, il
devrait aussi être motivé par le territoire et la position politique du Lane Xang, beaucoup plus importants. Au moment où
il a tenté de garder le royaume de sa mère, une grande partie des nobles, soutenue par les Birmans, ont placé sur son trône,
pendant son absence, Phramékuti un autre descendant de Mengrai.
Tab. 8. Les
produits
exportés du
Lane Xang au
milieu du XVIIe
siècle.
Tab. 9. Les
produits
imposés aux
Lao du Lane
Xang comme
taxe de
capitation au
XIXe siècleDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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concentre tous ses efforts sur le Lane Xang. Des mesures ont été prises en 1560 pour déplacer la
capitale –centre du pouvoir, de Luang Prabang à Vientiane. Ce qui a permis de stabiliser pendant
près de deux siècles les “limites d’influence” Ouest menacées par l’extension du Siam. Afin de
renforcer cette limite un pacte a été scellé avec Ayuthia. Il portait essentiellement sur le marquage
des frontières –entendu ici comme limite de rayonnement des pouvoirs réciproques des deux
royaumes– au niveau de Na Song Hong dans la province de Leuy. Dans le Sud, sa politique de
“ pacification ” a permis de calmer les révoltes des minorités et d’arrêter les revendications khmères
sur ces provinces. La politique de recentrage de Sethathirat a également pour objectif le
renforcement, ou du moins, le maintien de la souveraineté ternie des rois du Lane Xang : l’adhésion
des aborigènes de parler môn-khmer, susceptibles de se révolter dans le Sud, et surtout la
consolidation de la frontière avec le Cambodge.
326
Il est admis généralement que la raison du déplacement de la capitale à Vientiane était le
désir de Sethathirat de se rapprocher de son allié siamois et de s’éloigner des attaques des Birmans,
Luang Prabang étant trop proche de leurs incursions. Cette raison existe, mais n’est pas majeure. Il
en existe d’autres, rappelons-le : la première est la volonté de se retrouver dans le centre
géographique du Lane Xang pour pouvoir consolider les limites territoriales héritées de F’a-Ngoum,
surtout celles du Sud et de l’Ouest. Et ce, même si les limites frontalières du Moyen-âge n’étaient
pas matérialisées de manière claire. La frontière entre les chefferies qui étaient dans le Lane Xang
n’étant pas non plus vraiment nette. A l’époque de Sethathirat il y a très probablement une remise
en question de ces limites au même titre qu’il y a une remise en question de l’autorité des rois du
Lane Xang dans le Sud, comme nous venons de le suggérer. Cette région était apparemment en
proie aux désintégrations du fait des révoltes des populations de parler môn-khmer ou des
aborigènes. Cette idée est confirmée par la nécessité pour Sethathirat de mener des campagnes pour
pacifier Ramalak Ongkan (l’actuel Attapeu) où il a trouvé la mort. La deuxième raison est sa
volonté de repousser la prétention siamoise qui voulait dès le XVIe siècle étendre sa domination sur
l’arrière-pays, sur le Lane Xang et le Lan Na, pour des raisons que les rois lao ne devraient sans
doute pas ignorer, comme nous venons de le voir. Car ces raisons étaient directement liées au
contrôle des richesses naturelles provenant des terres profondes de ces pays et transitant par leur
territoire, très demandées par le commerce maritime devenu plus dense encore après la prise de
Malacca.
La politique de Sethathirat vue de l’intérieur est un renouveau religieux, un réveil culturel
lié à celui de la région et une consolidation du pouvoir central. Certains historiens défenseurs de la
conception du muang assimilé au mandala, peuvent voir dans cette consolidation, un désir de
renforcer le rayonnement du pouvoir central sur le territoire. Vue de l’extérieur, c’est surtout une
politique de consolidation du territoire et des frontières, teintée sans doute par un désir de contrôler
les routes terrestres, fluviales et ripuaires du commerce qui transitent par son territoire avant de
déboucher vers le Siam et les côtes. Cette compréhension de la politique régionale des rois lao, du
moins jusqu’à la fin du règne de Suryavongsa, a garanti la souveraineté et la richesse du Lane Xang
durant près de deux siècles, malgré des problèmes de conflits internes.
326 Durant la même période les Khmers déplacent leur capitale vers le Nord pour tenter de redonner vie à Angkor. Ils
lancent une armée vers Prachinbury, Khorat et Stung Treng. Ces événements mettent en évidence la méfiance khmère vis- à-vis des États tai, rappelant qu’Ayuthia a envahit Angkor au milieu du XIVe siècle. Sethathirat mène une campagne de
pacification des ethnies et de consolidation de la limite du territoire Sud : rallier la majorité des chefs ethniques, dont le controversé Phra Say Setha aux longues oreilles, un ancien religieux défroqué d’origine mône-khmère, engagé dans
l’armée de Sethathirat, devenant à la fois son ami et son général, et qui possède une grande autorité pour faire adhérer les
plus grands groupes ethniques du Sud. Par ailleurs, Sethathirat aurait reçu vers 1570 un message du roi du Cambodge lui
demandant de reconnaître sa souveraineté sur Stung Treng, Veunexay, Lompad, Métho et Ban Done, en échange de quoi
le souverain lui enverrait deux de ses filles, Thep Kagna et Prathoumphonne. En réponse, Sethathirat envoie une mission
diplomatique, acceptant la proposition et demandant aussi de régler à l’amiable les problèmes de frontière entre le Sud du
Laos et le Nord du Cambodge. Au début de l’année 1573 Sethathirat lance une armée à l’extrême Sud du Laos, vers
Attapeu et y a monté un camp, qui a servi de lieu de dressage d’éléphants et d’entrainement des soldats. Mais au milieu de
la même année, Sethathirat serait mort de malaria (?). Il n’y a donc jamais eu de bataille entre le Cambodge et le Laos,
dans ces circonstances. Cf. Histoire d’Attapeu, Sangkragna Chanthakhot. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 216 -
I. III. c. 2. La littérature du XVIIe siècle, révélatrice de la découverte du territoire
Les thèmes et les personnages fabuleux et mythiques des deux œuvres, Phra Rama Sadok et
Sinhsay, sont d’origine étrangère. Ils seront réadaptés et réinterprétés en version lao par des auteurs
anonymes vers le XVIIe siècle.327 Dans tous les cas, l’action et le drame dans Phra Lak-Phra Lam et
Sinhsay se déroulent dans des pays imaginaires, mais la description des lieux désigne des sites
existant au Laos : dans certains passages du Phra Lak-Phra Lam, nous pouvons reconnaître la forêt
de roche de la province de Khamouane Hinboun ou la chute du Mékong à Siphanh Done, etc. A ce
sujet Sachchidananda Sahai, dans son ouvrage Phra Lak-Phra Lam ou Phra Rama Sadok Première
partie [rt]ad rt]k, s]n rtik,k-kfqd rkd 1.] a étayé chaque site évoqué dans le Phra lak Phra Ram en
les faisant correspondre aux différents sites du Laos.
328 En voyageant l’auteur aurait été
impressionné et séduit par les paysages, inspiré par les histoires et les personnages locaux ou par le
nom des lieux.
329 Le même phénomène peut être remarqué tout le long de la lecture de Sinhsay.
L’introduction de certaines versions de cette épopée indique que le Prince Pangkham en est
l’auteur : un voyageur sensible, un homme raffiné et cultivé appartenant à la famille royale, car il
est évident qu’il a accès au Ramayana original, la version qui circule parmi les hommes instruits de
la région. Si l’auteur porte le nom Pangkham, l’identité de ce prince est une énigme dans
l’historiographie lao, qui donne quatre versions différentes : 1- Prince tenant une position
importante dans la famille de Souryavongsa, mais écarté du pouvoir ; 2- Prince et chef de l’armé
cornac et aventurier réputé ; 3- Prince lü de Xieng Hung en exil politique, nommé gouverneur à
Nongboualamphou ; 4- Prince héritier, fils de Souryavongsa, se cachant sous un nom d’emprunt.330
Quelle que soit son identité, l’auteur a réellement voyagé. Sa culture et la connaissance de son pays
327 Le Ramayana nous est parvenu de l’Inde antique écrit en Sanscrit à partir de la tradition orale, vers le IIIe siècle avant
J-C par le Sage Vâlmîki. Il sera repris plus tard en Hindi par un autre poète, Tulasi-Dasa. Dès le VIIe siècle les deux
versions seront diffusées et réadaptées dans toute l’Asie du Sud-est continentale et dans les îles indonésiennes, sous forme
de littérature locale et adaptée plus tard pour les pièces dansées. 328 Sachchidananda Sahai, Phra Lak-Phra Lam ou Phra Rama Sadok première partie, 1973. 329 L’auteur anonyme de Phra Lak-Phra Lam lao invente des histoires toponymiques pour chaque site : pour Xieng
Khouang, Khamkeut, Hin Heup, Sikhottabong, Saravan, Attapeu, Savannakhet et Done Xieng Xou, etc. Etait-il
« géographe » ou administrateur royal, « romanesque » ? S’ennuyant dans ses charges administratives pour des levées
d’armes ou des tributs, il aurait composé ces vers pour faire passer le temps ? Dans la manière de décrire les lieux
géographiques, il serait possible que les deux œuvres aient été composées par le même auteur. « […] Phagna Chanthasèn
amena ses filles : Nang Edkhay, Nang Adso, pour les donner en mariage à Phra Lak et Phra Lam ; à ce même moment les
jeunes gens d’Inthapatha Maha Nakhone, venus à la rencontre de Nang Chantha et ceux de Chanthabouri Si Sattanark
eurent l’occasion de se rencontrer, alors ils s’aimèrent et pour donner libre cours à leur passion ils allèrent se cacher
dans une île pour s’aimer plus librement. Dès lors cette île fut appelée Done Suong Sou qui signifie île où se cacher pour
s’aimer […] Et plus tard on l’appela Done Say Sou (l’île de l’amant). » Done Xieng Sou d’aujourd’hui se trouve
légèrement en amont du centre de Vientiane. Ou encore sur Attapeu : « […] Thao Pu Lu, fils du Khoun Kéo Moun à
Chanthabouri Si Sattanark avait pour maitresse Nang Adta, une nièce du Pagna Chanthasèn du Muang Khoun Khom. Ils
s’enfuirent vers l’Ouest. Le lieu où ils s’établirent fut appelé Muong Adtapu ou Attapeu (du nom Adta et de celui Pulu)
[…] ». Traduction de Vo Thu Tinh, Phra Lak Phra Lam ou le Ramayana lao, op, cit. 330 L’auto-introduction de différentes versions attribue cette œuvre au Prince Pangkham, attribution encore discutée.
L’historiographie lao l’évoque de manière évasive : Pangkham serait de la famille de Suryavongsa, envoyé par ce dernier
loin de la cour afin de l’écarter de toute prétention au trône. D’après le Phasoum Phongsavadan Thaï, Chapitre 70,
Pangkham aurait été le génial chef de l’armé cornac du Lane Xang, en charge de la chasse aux éléphants pour les
incorporer dans les troupes de l’armée royale ; d’où ses extraordinaires voyages dans tout le pays. Il aurait vécu dans la 2e
moitié du XVIIe siècle sous le règne de Suryavongsa. D’après Tamnan muang Oubon Pangkham aurait été un prince lü du
Sip Song Phan Na, venu demander refuge à Suryavongsa son cousin, à la suite des attaques de son royaume par des Hô
houa khao vers 1685. Suryavongsa l’aurait nommé chef de la principauté Kheuakhan Kapkéo Bouabane à Nong
Boualampu. Par la suite Pangkham aurait été père de Phravo et de Phrata, ancestres des fondateurs de Muang Oubon
Rajathani. Cf. Histoire des reliques et histoire de Muang Oubon Rajathani – Det oudom, publication en Thaï de Vat
Sèngkhet, 67 pp, Oubon, 1998. Certains historiens lao pensent que Pangkham est un nom d’emprunt derrière lequel se
cacherait le Rajabout, fils unique de Suryavongsa condamné à mort par son père, mais sauvé par le moine Phrakhu Gnot
Kéo Phonnesamek. D’après Thoumma Thammachark (il ne serait pas le seul à avancer cette thèse) le Prince héritier serait
officiellement mort décapité, disparu à jamais de l’histoire, laissant l’homme vivre en tout anonymat, libre et déchu de son
identité, devenant auteur inspiré de ces épopées. Sa condamnation, qu’elle soit effective ou pas, a été retenue dans les
versions officielles de l’histoire du Laos. D’après le Phongsavadan, il aurait été condamné à la peine capitale. Mais cette
condamnation à mort du Rajbout pour avoir séduit la femme d’un haut dignitaire semble rétrospectivement exagérée. Car
d’après le code Kamé-soumisachane régissant la famille, et le code Rajasat régissant droits et obligations des monarques,
il aurait été pénalisé à payer de lourdes réparations et, dans le pire des cas, démi de son droit de succession. Cette
condamnation abusive cache sans doute un problème politique non mentionné dans le Phongsavadan : une volonté de
rendre vacant le trône du Lane Xang ? L’usurpation du pouvoir par Phraya Muang Chanh et la crise politique après la
mort de Suryavongsa rendent alors tout à fait crédible l’hypothèse du complot, d’où le mystère autour de l’identité de ce
grand poète.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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(la région du haut et du moyen Mékong), fait qu’il serait représentatif des hommes cultivés du
XVIIe siècle qui découvrent les composants géographiques du Lane Xang et sans doute qui font
prendre conscience, à leurs contemporains, y compris aux potentats, de l’immensité et de la
diversité du territoire, et par de-là, de sa dimension politique.
Quant à Syosavat,331 l’œuvre est moins légendaire. Même si son auteur reste anonyme, il ne
renferme pas de mystère et ne fait pas l’objet de polémique. C’est un roman philosophique où nous
trouvons de nombreuses maximes bouddhiques. Il évoque le voyage et les rencontres. Et c’est après
les longs voyages en bateau en compagnie des marchands où le héros a vu le monde et appris les
choses qu’il était devenu un grand sage et conseiller du roi. Les anecdotes et les histoires que le
Maha Bandit Syaosavat raconte à son roi sont des renseignements et des informations. Elles
dénoncent aussi la stupidité et la malhonnêteté de la cour, les vices qui portent atteinte aux
préceptes bouddhiques.
Conclusion
L’examen des données anthropologiques, accompagné d’une lecture spatiale ainsi que
l’analyse spatialisée des structures religieuses du culte des phi et des devata protecteurs, des pieux
de fondation, révèlent qu’il existe des établissements plus anciens avant l’installation des Lao tai.
Les implantations lao tai sont le résultat d’un long glissement migratoire Nord-Sud et d’un
processus d’insertion territoriale et culturelle dans un espace triplement occupé : d’abord par les
autochtones proto-indochinois, puis par les constructeurs de grandes cités que sont les Môns, les
Khmers, voire probablement, les Puy de la Haute Birmanie. Autant dire que les implantations lao
tai, nées dans des contextes géographiques et géologiques, culturels et politiques du territoire de
Souvannaphoum, ont connu des périodes de formation préliminaire culturellement et spatialement
chargées. Leurs formes historiques, en tant que nouveaux établissements ou nouveaux modèles
spatiaux, dont nous avons approché hypothétiquement les processus de formation, sont construites à
partir de deux fonds spatiaux et culturels : d’un côté des fonds pré-tai ancrés dans le grand territoire
de Souvannaphoum avec des établissements urbains et villageois, agraires et ripuaires, citadins et
ruraux, militaires et commerciaux, politiques et religieux déjà complexes. Et de l’autre, des fonds
tai eux-mêmes accompagnant leurs itinéraires de glissement migratoire Nord-Sud.
Nous avons notamment suggéré que la région entre Chiengmai et Dien bien phu, possédait
déjà une tradition urbaine à partir de laquelle ou sous l’influence de laquelle les Lao Tai ont installé
leurs établissements. Ceci dans l’hypothèse que ces derniers peuvent être contemporains des Môns
et des Khmers autour du VIIIe siècle.
332 Cette suggestion met en perspective le fait qu’il peut exister
des implantations lao tai, telles que Chiangmai, Chiangrai, Xieng Saèn, Sip Song Chou Tai, Sip
Song Phanh Na (Xishuangbanna), considérées comme des productions transitoires du point de vue
spatial et politique, issues du glissement migratoire proprement tai ou nées du métissage môn-tai à
un moment donné. Ceci, pour que les Tai puissent émerger en fondant des unités politiques et en
produisant des cités aussi significatives.
A travers les insertions géographiques observées a postériori, nous avons pu voir que la
manière de s’inscrire dans l’espace des Lao Tai se distingue de celle des autochtones protoindochinois
et de celles des Môns, des Khmers et probablement aussi de celle des peuples de
l’Ouest dont nous avons suggéré avec incertitudes l’identification –que seraient les Puy de la Haute
331 Houmphanh Rattanavong, Séna Mark Khika, éd. MIC, Albert Kunstadter family Foundation, Vientiane 1999. C’est un
extrait de Syosavat le Maha Bandith, un ouvrage d’auteur anonyme qui date probablement du XVIIe siècle. Par des petits
détails l’auteur évoque les objets qui ne devraient pas exister au Laos de l’époque, telles les longues-vues ou les loupes.
Cela signifie que ce dernier aurait été en contact avec les étrangers, sans doute les commerçants européens qui auraient
importé des objets “étranges”. Ce qui aurait permis de dater l’époque de l’auteur au XVIIe siècle, moment où les
européens commencent à visiter le pays. Parmi les cadeaux que Wustoff confiait aux mandarins lao il y a effectivement
des longues-vues. 332 Même si durant l’émergence des Etats tai le rayonnement de la civilisation mône décline, les Môns restent cependant
présents et leur culture ne cesse d’influencer les États tai dans tout le territoire.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 218 -
Birmanie. Cette distinction serait persistante en dépit des influences incontestables dont ils
bénéficient des sociétés rencontrées –voire en s’opposant, sur place. Les implantations lao tai
auraient possédé leurs propres principes, révélés par leurs mythes de fondation, formant des objets
de connaissance de l’histoire matérielle de leurs implantations.
Ceci nous a conduit à formuler une synthèse “théorique” des formes d’implantations lao tai,
ou de celles dans lesquelles ces dernières seraient construites. Ce sont des modèles spatiaux, rendus
visibles et compréhensibles à travers leur manière de s’insérer dans le territoire, de le maitriser et de
le contrôler. Dans les cités lao tai, le rapport de l’homme à la terre détermine une certaine identité
politique qu’est le muang. Les Lao Tai sont des détenteurs du muang dont les structures sociétale,
spatiale et religieuse sont fondées sur le mythe historique et ethnocentrique du thaèn f’a –l’esprit de
l’ancêtre fondateur et spirituel du monde lao tai. En fait, ce qui est le plus révélateur dans les
occupations lao tai, ce sont leurs structures et leurs pratiques religieuses fortement spatialisées. Le
muang est aussi caractérisé par la corrélation étroite entre la forme politico spatiale et la forme
cultuelle à partir de laquelle les Lao Tai se sont autoréférencés avec le mythe Thaèn f’a. Les Thaèn
f’a, après leur mort seraient devenus des esprits protecteurs de toute la “ race ” lao tai. Cette
conception des origines constitue la permanence des structures religieuses, mais aussi politiques et
spatiales chez les Lao Tai, en dépit du bouddhisme qui marque aussi de son rayonnement leur
espace. C’est la marque de l’identité des villes lao tai.
Après la période de constitution décrite, l’espace des cités lao se structure de manière plus
claire à l’approche et à partir du règne de Sethathirat. C’est une période de prise de conscience,
d’appropriation et de maitrise du territoire et de production de l’espace importante, qui se traduit à
travers plusieurs faits révélateurs : 1- L’édification politique de Sethathirat se spatialise avec la
conception de la monumentalité lié au pouvoir et avec la construction des monuments eux-mêmes,
générant un type d’unité urbaine et villageoise et explicitant aussi un phénomène d’échange
régional des idées et des savoirs. 2- La prise de conscience de la dimension territoriale se concrétise
à travers la politique de consolidation du territoire par rapport aux enjeux de la politique régionale,
sous-tension du commerce maritime. Celui-ci ouvre les cités côtières et pousse les cités retranchées
et continentales à s’ouvrir. Peu familiarisé aux données insulaires par rapport à sa continentalité, le
Lane Xang semble répondre aux nouveaux enjeux régionaux de manière partielle, alors que les
autres établissements, moins intérieurs, avec une capacité de transformation plus grande, s’ouvrent
au nouveau schéma. Pourtant, depuis l’intérieur et sous le règne de Sethathirat, le Laos connaît une
période de renouvellement éclatant, qui va marquer l’espace du Laos dans les siècles à venir. Cette
période est en tout cas identifiée comme une période bien marquée de production de modèle spatial.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 219 -
CHAPITRE II
La réception de modèles spatiaux et leur acculturation
Du point de vue historique, d’un modèle constitué, endogène à une culture auto-référencée,
l’espace lao serait aussi constitué à partir des modèles exogènes. Il s’agit du modèle siamois et du
modèle colonial. Par ailleurs, l’implication de la communauté chinoise dans les espaces coloniaux
est importante, l’administration coloniale ayant fait appel à elle pour les activités commerciales
dans les villes qu’elle vient de réinstaller.333 Ces trois références exogènes sont des marqueurs qui
font les variantes spatiales des villes et des territoires laotiens.
Les espaces et les territoires du Laos ont connu une évolution lente mais progressive. Notre
étude dans le premier chapitre a synthétisé les facteurs de permanence qui ont joué un rôle
important dans la continuité de cette évolution. Il s’est forgé tout au long de l’évolution spatiale des
modèles et des types d’espace, organisant le territoire tant en réseau, de manière plus ou moins
marquant, qu’en taches d’huile isolées. Le territoire lao n’est pas un territoire clos et vide comme
aurait pu le faire transparaître son isolement et sa carence démographique. Il est situé au cœur de la
péninsule, dans un territoire d’articulation entre différentes entités, un lieu de sédimentation
culturelle forte, parmi les groupements successifs de peuplements et d’émergence de modèles
culturels et spatiaux. Notre approche a tenté d’apporter une contribution à la compréhension de
l’histoire spatiale de cette “ sous-région ”
334 ; une histoire spatiale dont la connaissance est restée, à
ce jour, bien lacunaire.
Nous identifions les facteurs de modélisation essentiellement sous formes exogènes et
endogènes. Les formes exogènes, ce sont les espaces issus du modèle administratif et politique
siamois et colonial ayant apporté des modifications dans l’organisation et la gestion du territoire.
Comme endogènes, ce sont les formes héritées des savoirs anciens. Nous considérons également
comme forme endogène l’urbanisme et l’architecture qui a accompagné le développement socio-
économique et politique des années 1960. Ceci, dans la mesure où les espaces de cette période se
sont aussi formés à partir du phocessus d’acculturation, d’endogénisation et d’idiosyncrasie. Les
deux formes –exogènes et endogène– constituent les éléments de formation spatiale et historique du
territoire laotien tout le long de son évolution de manière durable. Leur lecture et leur connaissance
permettent de comprendre l’un des aspects du fondement de l’espace lao contemporain.
II. I. Les modèles exogènes
Parmi les trois périodes d’occupations du territoire laotien par les acteurs extérieurs, à
savoir l’occupation birmane au XVIe siècle, l’occupation siamoise (de la fin du XVIIIe siècle à la fin
du XIXe siècle) et l’occupation française (de la fin du XIXe siècle à 1954) seuls le Siam et la France
333 Un administrateur adresse au Résident Supérieur du Laos à Vientiane un rapport : « […] la reprise du commerce dans
le Sud n’est pas ressentie à Vientiane. Le prix du transport est cher. Plusieurs commerçants ont fermé boutique. Les
statistiques de l’année passée montrent dans la colonie chinoise, le nombre des départs a très sensiblement dépassé celui
des arrivées […] ». Signé Résident de France A. Torel, « Rapport économique du 1er semestre 1935 », fonds GGI,
CAOM.
334 L’expression est utilisée pour désigner dans le Sud-Est asiatique la péninsule indochinoise avec la Thaïlande, la
Birmanie et la région du Sud de la Chine bordant le Nord du Laos, du Vietnam et de la Thaïlande. En occurrence on
utilisera pour le reste de la thèse plutôt l’expression “ le Sud-est asiatique continental ”.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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ont marqué et bouleversé respectivement le territoire du Laos par leur système d’organisation. La
France a laissé sa présence dans la structure administrative et a conditionné la reconstitution de la
structure urbaine et des tissus des villes laotiennes. Alors que le Siam a marqué la configuration du
pays dans le long terme en l’amputant de sa partie occidentale, et dans le court terme, par la création
des “ villes de capitation ” et par sa réorganisation administrative calquée sur le modèle khmer
duquel il s’était inspiré depuis la période Sukhothai. La période siamoise a ainsi caractérisé le Laos
pré colonial que la France a connu au moment de son arrivée en Indochine. Si la France et le Siam
ont ainsi marqué l’espace lao, les vingt-sept années d’occupation birmane au XVIe siècle et une
courte période vers 1772 n’y ont apporté aucun bouleversement, bien que l’histoire septentrionale
ait enregistré des sites qui auraient été bâtis un temps par les Birmans, telle la fortification de Vieng
Phu Kha dans la région du Haut Mékong.
II. I. a. Les villes siamoises précoloniales
L’occupation siamoise a commencé suite aux conflits internes du Lane Xang.335 Chacun des
monarques des trois royaumes lao336 ont fait intervenir le Siam qui connut au moment de la
destitution de Tarksin337 puis du règne de Rama I en 1782 une certaine puissance. En pleine période
d’expansion commerciale, le Siam avait opportunément besoin de contrôler les terres du Nord et du
Nord-Est, leurs richesses et leurs mains-d’œuvre. Venues pour l’arbitrage des conflits au Laos
(comprenant donc le Laos Occidental) les troupes siamoises en profitaient pour occuper tout le pays
vers 1779 et imposer aux locaux les tributs de vassalité qui changeaient rapidement de forme.
L’aspect symbolique de vassalité traditionnelle pratiquée jusqu’alors à tour de rôle selon les
opportunités et la puissance de chacun changeait alors de forme. Du pouvoir symbolique des
souverains des hommes, on est passé au pouvoir politique des souverains territoriaux, comme le
souligne Lafont à travers le cas de Muang Sing, mais qui vaut aussi pour toutes les principautés à
partir de la fin du XVIIIe siècle.338
En 1827-1828 sous le règne de Rama III, Anouvong, roi de Vientiane, a mené campagne
pour mettre fin à l’annexion du Siam. L’émancipation de Vientiane était d’abord diplomatique dès
le début de son règne en 1805. Celui-ci remplissait toutes les obligations qu’un vassal devrait à son
suzerain : repoussant les Birmans de ses frontières et de celles du Siam, remettant de lourds tributs
et de la main d’œuvre annuels que Bangkok exigeait pour ses divers travaux urbains, notamment les
canaux de Bangkok.339 Vientiane intensifiait aussi ses actions politiques à l’intérieur du Laos pour
reconsolider l’unité laotienne ternie depuis la scission du Lane Xang. Anouvong a hérité de ses
pairs d’une situation politique intérieure désastreuse. Pour tenter de réparer les erreurs de ses
prédécesseurs et apaiser les querelles du passé, il envoyait, par exemple, au roi de Luang Prabang
les arbres d’or et d’argent, symbole de l’inclinaison de son autorité ; il entreprenait des visites, des
335 L’intervention du Siam aurait lieu en 1778 sous le règne de Tarksin. Cette intervention lui a permis de vassaliser non
seulement les principautés du Lane Xang se trouvant dans le Nord-est du Siam mais également Luang Prabang, Vientiane
et Champassak. In. Histoire des reliques et de Muang Oubon Rajathani et Muang Deth Oudom, documents rassemblés par
Phrakhou Sirioudomket, publication de Vat Sèngket, Oubon Rajathani, 1998 (en Thaï). Cf., aussi le Phongsavadan lao. 336 Luang Prabang s’est scindé du Lane Xang en 1707 et Champassak en 1713. 337 Tarksin, devient roi du Siam en 1768 et destitué en 1782. Rama I lui succéde et fonde la dynastie Charkrit. 338 « Les rois du Siam avaient décidé d’être désormais des souverains territoriaux, ce que les princes et les rois locaux
comme celui de Jyn Khèn ne comprirent pas immédiatement […]. Ils furent en effet trompés par le fait que, pour faire leur
soumission, Bangkok exigeait qu’ils apportent un tribut d’allégeance constitué de « fleurs d’or et d’argent » [dqdw,hg’uo
dqdw,h7e. Arbre d’or et d’argent, c’est moi qui le souligne], comme ils le faisaient précédemment avec le Myanmar […] la
seule chose que recherchaient les rois siamois était l’annexion pure et simple des territoires et la population des
principautés et royaumes tay qui se trouvaient à la périphérie de leur domaine […]. Et cela, parce que ces souverains
étaient entrés dans la logique du colonialisme moderne. » In : Le Royaume de Jyn Khen, Chronique d’un royaume tay lü
du haut Mékong (XVe
-XXe siècle), L’Harmattan, Paris, 1998. Op, cit. 339 Les diplomates anglais soulignaient que le Siam exige de la main d’œuvre des territoires qu’il annexe, notamment du
Laos, pour les grands travaux apportés aux canaux de Bangkok, de manière inhumaine. Cf. Mayoury et Pheuiphanh
Ngaosrivathana, Chao Anu (1767-1829) The Lao people, and Southeast Asia, ouvrage publié lors de l’inauguration de la
statue de Chao Anouvong et lors des 450 ans de Vientiane, 2010.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 221 -
pèlerinages et des restaurations des monuments religieux dans les autres muang en compagnie des
princes locaux. En ce qui concernait le Siam, devant “ l’impassibilité ” de Rama III, les efforts de
Anouvong ont dû déboucher en 1827 sur une lutte armée, causant de grands dommages pour le
monde tai définitivement éclaté.340 Les deux années de guerre ont été dévastatrices pour le Laos.
Les revendications de Vientiane et de certains muang du Laos occidental et du reste du pays étaient
considérées par Bangkok comme un acte de trahison alors que les populations des régions
concernées les vivaient comme un acte de libération légitime.341 Pour punir les “ traitres ” [dt[qf,
kabot] même des dizaines d’années après la défaite de Vientiane, le Siam continuait à lancer ses
troupes contre les muang, anciens partisans de Anouvong et leur imposait de lourds tributs.
Vientiane a été pillée et saccagée, les institutions royales qui régissaient la structure sociale et
politique de l’ancien Lane Xang se sont effondrées, devenant tout au plus de petites unités locales
avec une autorité souvent limitée au village et au tassèng, devant rendre des comptes aux autorités
siamoises de quatrième ordre.342
Des institutions royales complexes du Lane Xang il ne subsistait que trois familles 343 des
trois anciens royaunes sous le contrôle de Bangkok, quatre titres et fonctions anciens nommés par le
roi du Siam (ou devant obtenir son approbation).344 Etant devenus surtout dans la période siamoise
(et après, durant la période coloniale) des titres et non plus forcément des fonctions à responsabilité,
ces différents titres relevaient encore de l’autorité royale lao. Ils avaient leur importance du point de
vue social alors que politiquement et administrativement, ils perdaient tout leur sens. Les
événements du roi Anouvong ont donc profondément bouleversé la structure politique et sociale
ainsi que l’organisation territoriale de l’ancien Lane Xang. Alors que dans la vassalité traditionnelle
les monarques locaux jouissaient d’une liberté assez grande et possédaient une autonomie, leur
propre système de gestion des territoires et des hommes, ayant encore leur cour, leur sénat et leur
amat,
345 les événements de 1827-1828 ont marqué la fin de cette autonomie.
Bien que les Siamois exerçassent un contrôle quasi-total sur les muang dont ils ont attribué
les statuts administratifs, de manière générale les muang étaient sous-administrés. Le Laos siamois
peut être analysé en trois périodes entre les années 1780 et les années 1954 : la période avant
l’avènement du roi Anouvong (1778-1828), celle entre l’avènement du roi Anouvong et le début du
protectorat français (1829-1893), et enfin celle entre le début du protectorat et l’indépendance
(1893-1954). Notons que nous continuons à parler du Laos siamois durant le protectorat pour toute
la région du Laos occidental, par le fait que la manière dont était géré ce territoire permet de
comprendre la question spatiale de l’époque et de celles qui allaient suivre. Durant la toute première
période, le Siam semblait occupé la partie septentrionale du pays avec quelques difficultés à cause
340 Plus d’un siècle après les événements du roi Anouvong, les nationalistes thaïs, tel le Maréchal Phibounsongkhame,
tentent de construire un grand État thaï avec l’intégration du Laos. L’idéologie Pan-Thaï n’a pas pu atteindre ses objectifs
à cause probablement de l’éclatement du monde tai provoqué lors de la guerre siamo-lao au début du XIXe siècle. 341 L’histoire du Siam enregistre la lutte menée par le roi de Vientiane comme un acte de révolte concentré à Vientiane
alors que c’est une véritable guerre livrée aux Siamois depuis la vallée du Mékong jusqu’au plateau de Khorat, et de
Muang Sing Jusqu’à Champassak. Paradoxalement les données historiques (lao et thaïes) montrent que la volonté de lutter
contre Bangkok n’était pas un fait unanime chez les différents chao muang du Laos oriental et occidental. Certains
auraient prêté mains fortes aux troupes siamoises.
342 Vientiane étant classé dans l’administration siamoise comme muang Chatava, 4e position après muang ek, muang tho
et muang tri, Cf. Phongsavadan Lao, S. Viravong, op, cit. 343 Il s’agit de Luang Prabang, Champassack et Xieng Khouang. 344 Il s’agit de la nomination du roi lui-même, du Uparaj, du Rajbut et du Rajvong. Uparaja (Pl), Uparajan (Sk), vient de
Upa (aide, suppléant), le Uparaj, titre de vice-roi réservé aux membres de la famille royale (frère ou oncle du roi).
Rajaputra, rajabut (Sk), fils du roi, titre réservé au prince héritier. Rajavamsa, rajavong (Sk), de famille royale, titre
réservé aux autres membres de la famille royale (fils ou neveu du roi). Les autres titres et fonctions, tels que Phraya,
Phya, Saèn et Meueun pouvaient être occupés par des personnes n’appartenant pas à la famille royale ou par les membres
de l’aristocratie. Les titres nobilières liés à la fonction publique dans l’administration royale de l’ancien Lane Xang étaient
essentiellement le Phraya [ritpk], 1e rang équivalent de ministre, le Saèn [clo], 2e rang correspondant à 100 000, le
Meueun [gs,no], 3e rang correspondant à 10 000 et le Phya [grap], 4e rang. 345 Amat, Amatya (Sk), Amacca (Pl), ministre, conseiller, compagnon du roi. In., Lexique étymologique Lao-Pali-Sanskrit,
Bounthanh Sinavong, éd. Sadda, Paris, 2007.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 222 -
de l’influence encore importante des Birmans. Une fois l’influence de ces derniers réduite,346 il
pouvait organiser le territoire lao plus aisément, mais toujours en relation conflictuelle avec le Daï
Viet qui en revendiquait également sa suzeraineté, en particulier sur Houaphan, Xieng Khouang,
Mahaxay.347 Par la suite, le Siam a dû réorganiser à plusieurs reprises la gestion de l’ensemble du
territoire laotien, surtout durant le protectorat, il a dû s’y prendre aussi avec beaucoup de prudences
dans la partie occidentale du pays qui lui restait et qui a échappé à la France, en prévention
d’éventuelles revendications de celle-ci.
II. I. a. 1. Les modèles artificiels, la création des muang de capitation : émergence d’une
pensée « localiste » de l’Issane
Le Laos siamois était caractérisé surtout par la création de nouveaux muang et par la
particularité des taxes imposées dans les circonscriptions existantes et nouvelles. Dans ce contexte,
cela a été l’une des causes qui ont provoqué la mobilité des hommes. Conscient de l’intérêt que
suscitait l’existence des nouveaux muang et conscient des méfaits économiques induits par la
mobilité des hommes qui tentaient d’échapper aux muang et donc aux taxes, l’administration
siamoise prenaient des mesures dès le début de sa suzeraineté sur les muang lao en incitant les
princes et les chao muang locaux, ceux qui auraient voulu entrer en sécession par rapport au
pouvoir central de Vientiane,348 à créer de toute pièce des muang sous son autorité. Les nouveaux
muang du Laos occidental se seraient en fait appuyés sur une configuration démographique
existante. D’abord il y avait préalablement dans les muang une population lao ou de culture lao dont
la période d’établissement était assez floue mais pouvait remonter à une période assez lointaine,
probablement déjà à l’époque F’a-Ngoum.349 Ensuite, il y avait des vagues de migration venant de
la partie orientale au XVIIe et au courant du XVIIIe siècle. Enfin, quelques décennies avant la vague
de création de nouveaux muang par l’autorité siamoise, il faut ajouter le nombre de ceux qui étaient
issus des déplacements à la fois volontaires et forcés. Thida Saraya note que cette vague de
migration a été voulue et planifiée par la politique siamoise qui cherchait dès le début du XVIIIe
siècle à réduire le pouvoir central de Vientiane en soutenant et en incitant les princes lao à entrer en
sécession contre Vientiane et à créer leur propre muang dans le Laos Occidental350 avec muang
Oubon Rajathani comme centre. Ce qui signifiait que les Siamois avaient bien compris que la force
et la faiblesse du Lane Xang pouvaient dépendre de sa région occidentale et plus étroitement à la
346 En 1767, les Birmans mettent à sac Ayuthia. En 1771 lorsqu’un conflit éclate à Luang Prabang les Birmans qui
stationnent à Chiangmai aident Suryavong à usurper le pouvoir au détriment de son frère Sothika sur le trône de Luang
Prabang. Vers 1792, accusé d’avoir conspiré avec les Birmans contre le Siam le roi de Luang prabang est traduit en procès
à Bangkok durant quatre années. La même année, soutenu par les Birmans, le Chao F’a de Xieng Hung (à l’époque
attaché à Luang Prabang) se révolte contre l’autorité siamoise. Vers 1798-1799 une guerre éclate à Chiangmai entre
Siamois et Birmans, Vientiane envoie ses troupes secourir son suzerain siamois. Vers 1803 Vientiane libère Chiang Saèn
de l’occupation birmane. Ces différents événements montrent que les Birmans étaient restés très présents dans la partie
septentrionale du Laos. L’événement de 1803 à Xieng Saèn aurait marqué leur repli définitif du Laos et du Lan Na, avant
qu’ils ne soient dominés par les Anglais. 347 Cf. Pheuiphanh et Mayoury Ngaosrivathana, « Vietnamese Source Materials Concerning the 1827 Conflict between the
Court of Siam and the Lao Principalities : Journal of Our Imperial Court’s Actions with Regard to the Incident Involving
the Kingdom of Ten Thousand Elephants ». Vol. II : Introduction, Translation, and Han-nom Text : Vol. II : Annotations,
Bibliography, Indexes. Tokyo : The Centre for East Asian Cultural Studies, for UNESCO, The Toyo Bunko, 2001 ;
Pheuiphanh et Mayoury Ngaosrivathana, Chao Anou (1767-1829) The Lao People, and Southeast Asia, op, cit. Par
ailleurs c’est au nom de cette suzeraineté vietnamienne que la France revendique le Laos aux Siamois durant la première
moitié du XXe siècle. Les Laotiens eux-même réfutent l’idée de la suzeraineté vietnamienne avant le protectorat français
et estiment que seul Xieng Khouang aurait été vassalisé par le Daï Viet, celui-ci lui ayant payé régulièrement tribut. Cf.
Savèng Phinith : « La frontière entre le Laos et le Vietnam (des origines à l’instauration du protectorat français) vue à
travers les manuscrits lao ». In : Les frontières du Vietnam. Lafont P-B., éd. L’Harmattan, Paris, 1989. pp. 194-203. 348 Il y avait un certain nombre de muang dont le tiao avait demandé la protection de Bangkok et donc de leur
rattachement vers la fin du XVIIIe siècle. Parmi eux certains révisaient leur jugement en se rangeant aux côtés du roi
Anouvong.
349 Lorsque F’a-Ngoum menait campagne, il trouvait à la porte des muang des manifestations de soumission des tiao
locaux lui déclarant leur appartenance à sa “ lignée ”. 350 « Muang Oubon », coll. Muang Pavatsat, éd. Muang Bouran (ISBN 974-7367.01.7), Thida Saraya met en évidence que
les conditions de la création de muang Oubon se faisait selon ce schéma et qu’il était le centre du Laos occidental à partir
duquel les établissements du Nord-est de la Thaïlande émaneraient contrebalançant le pouvoir de Vientiane dès la fin du
XVIIIe siècle et permettant par la suite son éclatement.
Tab. 10.
Liste non
exhaustive
des muang
du Laos
occidental à
la fin du
XIXe siécle.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 223 -
démographie de l’ensemble du pays, comme l’avait souligné quelques siècles plus tôt F’a-Ngoum.
Cette situation explicitait aussi la fragilité de l’unité du Lane Xang : dès que le pouvoir central ne
couvrait plus de son autorité, souvent incarnée par un monarque charismatique, les muang qui lui
étaient attachés durcissaient leur position. Plus tard les nouveaux muang, qui seront créés dès que
l’administration siamoise jugeait suffisants les groupements de populations installées, n’avaient rien
d’autre à faire que de regrouper opportunément la main d’œuvre taxable et corvéable existant dans
ces groupements. Mais face à la mobilité incessante des hommes des mesures particulières pour les
fixer dans un territoire donné ont été mises en œuvre. Il s’agissait de les identifier par tatouage des
numéros d’immatriculation.
351 Lorsque les registres administratifs de Bangkok mentionnaient
froidement la fuite des populations pour ne pas payer les taxes, la mémoire des concernés évoquait
le drame des « tatouages » qu’ils avaient subi et auxquels ils cherchaient à se soustraire
[soudkoladg]d]. A l’époque Bangkok envoyait dans tout l’Issan des « agents de tatouage » [kong sak,
dv’lad] pour immatriculer aussi ceux qui se cachaient et qui n’étaient enregistrés dans aucun muang.
Ainsi les corvées et les capitations seront imposées, alimentant les fonds de la trésorerie royale de
Bangkok et celui du ministère des commerces, satisfaisant aussi les fortunes personnelles de
certains gouverneurs, stationnant dans les nouveaux muang. Ces mesures étaient issues de véritables
stratégies comme le note le Phraya Damlong Rajanouphab.
352
Les nouveaux établissements peuvent être désignés de “ muang de conscriptions ” ou de
“ muang de capitations ”. Car le mode traditionnel de tributs a été abrogé et remplacé par le système
d’impôts et de taxes lourdes. Ils constituaient véritablement la richesse de la trésorerie royale du
Siam et étaient quasiment les seuls motifs de la création de ces nouveaux établissements. La
survivance de ces établissements après l’abandon du système de conscription est rare. Leur
disparition ne fait que confirmer alors leur caractère artificiel et spéculatif propre à la mise en place
d’une politique ad hoc du Siam dans le Laos Occidental. Ces établissements artificiels tendent à
disparaître dès que le système politique en question s’est effondré. Aymonier avait réalisé une
intéressante description de cette époque dans ses Notes sur le Laos siamois.
353 En ce qui concerne
les récits des événements vécus, les impressions internes, ils avaient été transcrits par les acteurs
eux-mêmes dans Pheune Vieng et Pheune Muang Phouan.354 Les notes de Aymonier rendent
compte vers la fin du XIXe siècle combien le système siamois avait marqué le pays juste avant le
protectorat français, et comment le système administratif et de capitation abusive avait pu
provoquer la migration des hommes durant plus d’un siècle cherchant à fuir de tous les côtés. Il
s’agissait des taxes directes lorsque les administrateurs siamois les prélevaient eux-mêmes dans les
zones relevant de leur responsabilité directe. En ce cas, auraient été concernés les territoires des
muang vassaux, muang padesaraj [g,nv’xtgmfltik-] ayant acquis un statut proche des houa muang
extérieurs siamois. Il s’agissait des taxes indirectes lorsque les chao muang lao les prélevaient pour
les reverser ensuite aux administrateurs siamois. Auraient été concernés les territoires des muang
351 L’immatriculation par tatouage était d’une rare violence et se rangeait dans les pratiques de la ségrégation raciale et
antisémitique pratiquées en Europe pendant la 2e guerre modiale. Mais fait incompréhensible : les Siamois et les Lao sont
les deux groupes tai particulièrement proches. Mayouri et Pheuiphanh Ngaosrivathana parlent même de marquage au fer.
Op, cit.
352 « Du règne de Rama I au règne de Rama III il est ordonné aux chao muang dont les populations ont déserté le muang
de chercher à rassembler les populations sans utiliser la force (sous-entendant alors que la force a été utilisée). Ceci,
pour les intérêts des deux parties. Pour atteindre ces objectifs les chao muang qui seraient capables de ramener plus de
monde recevront le reste des fonds ramassés, et ils peuvent se réjouir de l’augmentation du nombre des serfs disponibles
à leur service. Avec de pareils intérêts il est clair que les chao muang chercheront avec enthousiasme à créer des
nouveaux muang. En ce qui concerne les serfs eux-même, ceux qui sont en fuite ou qui se cachent et qui vivent dans de
grande pauvreté, dès qu’ils savent que les ban et les muang se constituent, reviendront d’eux-même nombreux. » Propos
de (SAR) Damlong Rajanouphab ministre de l’intérieur de Rama V (?), in. Phaytoun Mikousonh, Histoire de Oubon
Rajathani, première période, 1786-1889. 353 La société du Laos Siamois au XIXe siècle, Etienne Aymonier, présenté par Fabrice Mignot, L’Harmattan 2003, Paris,
paru la première fois en 1885 sous le titre Notes sur le Laos, Imprimerie du Gouvernement, Saïgon. 354 [rNo;P’] Pheune Vieng, chronique du XIXe siècle, auteur anonyme, Comité de Recherche en Langue et Littérature Lao,
Département des Lettre de l’UNL, publié sous le titre Pheune Vieng de l’époque de Chao Anou, Ed. Honphim Suksa,
Vientiane, 2004 ; [dk[g,nv’r;o] Kap Muang Phouan (poésie de muang Phouan), chronique du XIXe siècle, auteur
anonyme, Comité de recherche en Langue et Littérature Lao, Département des Lettres de l’UNL, Vientiane, 2001.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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vassaux, muang padesaraj, mais relevant des chao muang locaux. Les communautés ou les hommes
touchés par ces prescriptions économiques recherchaient dès lors des régions sans autorité, tels les
anciens territoires qui ont été décimés par l’armée siamoise suite aux événements du roi Anouvong.
Ainsi, la région du Nord-Est, mal administrée, “ sauvage et pleine de brigandage ”, a été des muang
de prédilection. Mais par la suite, ce serait aussi dans ces régions que l’autorité siamoise intensifiait
la création des nouveaux muang de capitation. Ces muang étaient sans centralité sociale et
historique, la classe dirigeante était des tiao muang nouvellement nommés qui n’avaient parfois
aucun lien avec les anciens tiao muang locaux. Ceci aurait souvent donné à ces territoires un aspect
de nomansland, décrit par Aymonier comme des amas d’établissements parfois sans foi ni loi où il
ne faisait pas bon de s’y aventurer. Certains de ces établissements nouveaux ne semblaient pas faits
pour durer, fonctionnant le temps d’une décision administrative. Au-de-là, certains d’entre eux
pouvaient sédentariser pour devenir des villages ou des muang plus importants, mais aucun ne
semblaient réellement porteurs de modèle spatial durable. Au contraire, ils seraient culturellement
des dérivés des anciens muang desquels ils s’étaient émancipés en reproduisant par exemple leur
modèle d’architecture dans la construction de leur lieu de culte, etc. Reprenons comme exemple
quelques villes du Nord-Est thaï, dont certaines ont été remarquées dans les notes de Aymonier,
notamment Oubon Rajathani, considéré comme une place-forte parmi les anciens muang lao qui
s’émancipaient du pouvoir ancien du Lane Xang.
Conséquences dans la distinction territoriale dans la longue durée et émergence d’une
certaine pensée “ localiste ” de l’Issan
A l’issue de cette période, ce que l’espace siamois a marqué dans l’espace lao –et ceci,
jusqu’à nos jours– c’est la contradiction entre similitude culturelle et distinction territoriale de la
région située dans le bassin moyen du Mékong : la partie occidentale d’un côté et la partie orientale
de l’autre.
Le territoire occidental (le Nord-Est thaï) possèdait une densité démographique plus
importante mais avec une centralité sociale, culturelle et politique moindre. La Thaïlande avait mis
beaucoup de temps pour qu’il devienne “ administrable ”, pour que sa population se soit stabilisée et
adhère au système siamois. Malgré cela, jusqu’au début des années 1970 la migration du Laos
Occidental vers le Laos Oriental (c’est-à-dire en sens inverse par rapport au mouvement Est-Ouest
forcé par les Siamois au XIXe siècle) s’est poursuivie en petit nombre mais de manière régulière.
Les grandes familles qui se dispersaient dans les deux territoires se réunissaient parfois. Cette
migration pointue dans les années 1950 et 1960 correspondait aussi à une période de grande
pauvreté renforcée par la sécheresse de la partie Occidentale. Le gouvernement royal de Vientiane
avait mis en place des mesures pour l’accueil de cette migration en leur accordant des terres et la
nationalité laotienne.355 C’est ainsi que nous pouvons aujourd’hui retrouver de nombreux villages
aux alentours de Vientiane où la population est entièrement constituée de population d’Issan : à ban
Nakhouay, ban Samké, ban Nong Kisang, ban Nong Gniang.
Dans Issan-même tout en s’y intégrant peu à peu dans la communauté nationale thaïe, la
population s’était forgé tout le long de l’histoire sa propre identité, consolidée fortement autour
d’une culture du bas peuple, de la paysannerie et de la migration dont les études de Dalalat
Méthanikanonh ont en partie mise en évidence la richesse, qu’elle et d’autres anthropologues
qualifient de “ localisme ” sous les traits d’un particularisme de la culture lao, par opposition à la
culture siamoise de Bangkok. Que cette culture soit lao ou non, car sa définition pose aujourd’hui
problème –ou du moins suscite révision, il est important d’insister sur son côté populaire et paysan
355 Les migrants en question sont désignés de Lao Issan par les Thaïlandais de Bangkok et de Thaï Issan par les Lao de
Vientiane, désignations que les concernés refusent et préfèrent se dire être “ Lao de Thaïlande ”. Issan signifiant Orient,
l’administration siamoise l’utilisait seul sans préfixe Lao pour désigner l’ancien Laos Occidental afin d’éviter toute
référence aux origines lao. Mise à part la pauvreté qu’ils essaient de fuir et la “ terre promise ” qu’ils essaient de retrouver
au Laos, une autre raison qui les faire fuir le pays Issan aurait été leur refuse d’être siamois.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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que l’on désigne présentement sous l’enseigne de “ culture Issane ” et non plus de culture lao,
difficilement assimilable à la culture siamoise. La culture Issane caractérisée par la paysannerie met
en évidence un autre fait du passé : la région Issane a été désertée par ses élites traditionnelles
(administrateurs royaux, ecclésiastiques, artistes et artisans, que ces derniers étaient originaires de
Issan-même ou venaient de Vientiane ou de Xieng Khouang), assassinées ou ayant fuit auparavant
dans le Laos Oriental, ou au contraire absorbées par le système nobiliaire siamois. Il en restait à
l’époque quasiment plus d’élite, ni des grandes familles. Sans ces derniers, les populations puisaient
dans leur propre bagage de migrant pour exister et développer leur propre culture.356 Par exemple,
alors que l’oralité persistait à préserver ses sources d’origine et ses liens avec le Laos, à travers les
chants et la musique (le lam et le khrèn), la langue écrite sera peu à peu siamisée : on ne sait plus
écrire le parler lao en lao, mais on l’écrit en Thaï alors qu’on continue à parler lao. En plusieurs
décennies la culture populaire de Issane, tout en étant originale et riche, est devenue une culture
hybride que les Lao du Laos appelaient péjorativement dans les années 1960 de sot kacha (hybride,
sans racine, informe).
Pour les territoires qui ont su se reconstituer plus rapidement après être devenus siamois
lors de la scission du Laos en deux parties (occidental et oriental avec approximativement le
Mékong comme ligne de partage), ce sont des territoires qui possédaient au départ des éléments
d’unification au-delà des aléas politiques, ou parce que l’aristocratie locale ou une certaine élite
subsistait encore pour faire le lien. Il s’agit notamment de muang Nakhon Phnom qui fondait son
identité sur le monument religieux, et de Muang Oubon Rajathani fondé par les princes lao en
sécession par rapport à Vientiane vers la fin du XVIIIe siècle et dont les descendants forment encore
aujourd’hui une élite intellectuelle.357
Le territoire oriental qu’est le Laos actuel a connu quant à lui une carence démographique
par rapport au territoire occidental, mais possédaient une centralité sociale et culturelle plus
importante, une identité politique plus rapidement identifiable. Les villes en tant que lieu de
rassemblement culturel et social ont su se reconstituer rapidement, alors que du point de vue
physique elles ont mis beaucoup plus de temps pour se reconstruire et la démographie était restée
faible pour de très longs termes. La base politique et culturelle consolidée autour de l’élite
traditionnelle s’était en fait ramifiée essentiellement dans le territoire de la rive gauche, alors que la
main d’œuvre était dispersée nombreuse dans le territoire de la rive droite. A Vientiane l’élite locale
survivant du début du XIXe siècle se réduisait à quelques familles de Meun [s,no] et de Phya [grap],
titres nobiliaires et de fonction publique de trois à quatre rangs en dessous du rang de Phraya
muang. A la fin du XIXe siècle et dans les premières décennies du XXe siècle cette petite élite
attirait celle qui était éparpillée dans le pays Issan. Cette dernière venait alors rejoindre en partie
celle de Vientiane ou de Champassak. Cette élite qui subsistait et qui ne possédait aucun pouvoir
tenait malgré tout le monopôle culturel et artistique et se rapprochait de l’élite religieuse. Par ses
fonctions passées elle avait la capacité de rassembler les populations –celles qui lui restaient fidèles,
pour en faire des rassemblements politiques. Sans quoi, il ne serait pas imaginable de constituer un
Laos tel que nous connaissons plus tard, malgré le pouvoir colonial qui était de fait l’édificateur du
Laos moderne près d’un siècle après la chute de Vientiane. Par exemple dans le rapport de l’un des
administrateurs coloniaux nous lisons qu’un ancien phya de Vientiane –et dans un autre rapport, un
356 La culture Issane est un sujet d’étude à part entière et intéresse notamment l’anthropologie et les études politiques. Cf.
Sripranom Phisitvorasane, « Derrière Phong Sidhidham, le Kabot », in : Mémoire lors de la crémation de l’ex-ministre
Phong Sidhidham, 2525 (1982) ; Sirixay Bounmatham, Histoire sociale de Issane septentrionale, 2318-2450 (1775-1907),
2536 (1993) ; Thavat Phounnothork, « Croyances populaires, mode de vie et société dans Issane », document de
séminaire : « culture populaire : maximes, croyances, arts et langues », université Choulalongkhorn, 2526 (1983) ; Phueun
Vieng : études historiques et littérature de Issane, Université Thammasat, 2526 (1983). Les chants régionaux, les lam,
incarnaient la culture Issane et racontaient l’histoire des populations de cette région, meurtrie par les déplacements. Cf.
Chayphet Sayarath, « Molam Samane », texte d’après un interview de Molam Samane pour l’exposition temporaire au
centre culturel Marc Leguay ban Naxay Vientiane, 2004. 357 La famille Na Oubon, dont le chef est descendant du fondateur de muang Oubon, est considéré comme l’une des
personnalités intellectuelles issanes.
Tab. 11. La
polpulation
de Vientiane
vers la fin du
XIXe siècleDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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autre ancien phya de Champassak, se donnaient la mission d’aller chercher les anciens habitants de
leur ville déportés au Siam.358 En occurrence lorsque l’on examine aujourd’hui l’histoire des
familles de Vientiane par exemple, on trouvera pour la majorité que les ascendants revenaient du
pays Issan.359
II. I. a. 2. L’organisation territoriale et administrative siamoise
L’organisation du territoire
Le territoire du Siam est composé de trois entités administratives principales : le Rajadhani et
le houa muang qui constituent le Siam proprement dit, et le territoire vassal appelé le muang
padesaraja.
1- Le rajadhani360 est le premier rang, la capitale [muang Ek, g,nv’gvd], le siège du pouvoir, c’est la
capitale Bangkok et les villes qui lui sont limitrophes. Le roi est le maître suprême de ce territoire et
siège en son centre. Il émet son autorité rayonnante dans le reste du pays à travers une organisation
administrative, hiérarchisée et complexe.
2- Il existe deux types de houa muang [sq;g,nv’] : les houa muang intérieurs et les houa muang
extérieurs. a- Les houa muang intérieurs sont proches et tournent autour du territoire du rajadhani,
occupant le quatrième rang hiérarchique du muang, appelé muang chatava. Les administrateurs des
muang intérieurs sont responsables devant les hauts administrateurs du rajadhani qui siègent dans
la capitale sous l’autorité directe du roi. b-Les houa muang extérieurs ne sont pas en contact direct
avec le territoire du rajadhani même s’ils se rattachent à lui. Ils occupent le deuxième [muang tho,
g,nv’3m], le troisième [muang tri, g,nv’8iu], et le quatrième [muang chatava, g,nv’9a88t;k] rangs
hiérarchiques. Les houa muang extérieurs ont des petits houa muang extérieurs qui se rattachent à
eux et ainsi de suite. Ce système aurait défini le système du mandala.
3- Les muang padesaraja [g,nv’xtgmfltik-] étaient à l’extérieur du territoire du Siam et
appartenaient à d’autres royaumes que le Siam a annexé. Les populations étaient en principe
considérées comme différentes des Siamois du point de vue culturel et ethnolinguistique –que cette
distinction soit justifiée ou pas, du moins qui auraient possédé des traditions et des us et coutumes
différents des Siamois. Les muang padesaraja avaient à leur tête un pouvoir local. Soit ce sont des
chao phaèn Dinh (roi, monarque, comme ce fut le cas du royaume de Vientiane), soit des chao
muang par naissance (aristocrates), par exemple avec le titre de Rajabuta comme ce fut le cas de
Rajabuta Gno placé à la tête de Champassak par son père le roi Anouvong de Vientiane avec
l’approbation de Bangkok. Il y a aussi des chao muang par fonction (ils ont été nommés selon leur
mérite vis-à-vis de Bangkok). Ils devenaient de toute façon vassaux du roi du Siam. D’après la
vassalité traditionnelle pratiquée entre les royaumes tai, les chao des padesaraja auraient à exercer
leur pouvoir de manière autonome et indépendante tout en envoyant au suzerain les prestigieux
présents symbolisant leur vassalité. Ils lui devaient également fidélité et obligation en lui envoyant
des troupes, des armes et des ravitaillements lorsque celui-ci entrait en guerre. En occurrence, c’est
ce qu’avait fait Chao Anouvong lorsque le Siam entrait en guerre contre les Birmans. Mais le
suzerain n’occupait, ni ne contrôlait les territoires du vassal. En ce qui concerne la suzeraineté du
Siam sur les padesaraja lao, tout était différent des pratiques traditionnelles dès le début : en plus
des obligations ci-dessus citées, les vassaux lao devaient payer lourdement les tributs de vassalité
fixés par Bangkok, et par la suite ce dernier envoyait les gouverneurs ou le représentant de son
pouvoir contrôler les muang padesaraja. Dans le cas où les muang possédaient leur propre
358 CAOM/Côte D2, monographie de Vientiane 1896, adressé au Commandant Supérieur du Haut Laos par P. Morin. 359 Mon arrière grand-père paternel, Khun Sayasèng, vient de Yasothonne à la fin du XIXe siècle. Deux éléments indiquent
l’origine des familles : 1-Les arrières grand-parents revenaient du Siam. 2- Et en quittant le Siam, ces derniers étaient
souvent bonzes pour ne pas être empêchés par l’autorité siamoise. Le cas typique c’est Maha Sila Viravong, jeune moine
originaire de Roy-et, qui arrive à Vientiane en 1930, quitte le monastère en 1931 et devient professeur de Pali à l’école de
Pali, sous la direction de Louis Finot, fondée par l’Accadémie Chanthaboury et étroitement soutenue par l’EFEO.
360 Rajadhani [ik-mkou.] (Pl.Sk), capitale, métropole.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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représentant du pouvoir traditionnel local, le droit de succession était complètement bouleversé, car
c’est le roi du Siam qui destituait et couronnait ou donnait son autorisation pour l’investiture du
nouveau roi. C’est ainsi que Chao Anouvong avait reçu l’approbation de Bangkok pour placer son
fils Rajabuta Gno à la tête du royaume de Champassak, alors que celui-ci possédait encore ses
représentants traditionnels.361
L’organisation administrative
Le système de pouvoir siamois était organisé selon deux modèles et le territoire se
distinguait selon trois systèmes administratifs remontant à l’époque Rattanakosin.
362 Il s’agit du
système catùsadom [9t85ltfq,],363 né à l’époque d’Ayuthia calqué sur le modèle khmer, il
caractérisait le plus le système de pouvoir siamois, puis du système agnasid si [vkfpklyf luJ],
364
modèle utilisé dans l’ancien Lane Xang. En ce qui concerne la partition tripartite du territoire
administratif, comme nous l’avons noté, il y avait le territoire rajathani, le territoire houa muang et
le territoire padesaraj (voir plus loin).
L’utilisation simultanée de deux systèmes administratifs au Siam avait sans doute des
raisons historiques. Ayuthia avait conservé le modèle khmer plusieurs siècles après son
émancipation de la domination de celui-ci. Il n’aurait pas été facile pour les Siamois méridionaux de
se défaire du modèle et du monde khmer dans lequel ils s’étaient développés durant plusieurs
siècles à travers l’héritage de Sukhothaï. Bien qu’ils ne fussent pas complètement coupés du monde
tai du Nord, les siamois se montraient être les plus imprégnés de la domination khmère (écriture,
système politique, art et architecture, etc.) Quant au système agnasid si utilisé dans le Nord (Lan
Na, Lane Xang, Sip Song Phanh Na), il était sans doute mieux conservé et partagé par la grande
majorité des muang Tai Lao avec quelques variantes près. Ainsi tout en s’émancipant de la
domination khmère les Siamois continuaient à conserver leurs influences en continuant à adopter le
système catùsadom. Alors que le système agnasid si, probablement affaibli à l’intérieur du Siam
“khmérisé ”, aurait été fortement maintenu dans le Nord et en particulier au Lane Xang. En ce cas
ce serait à travers les vassaux du Nord que le Siam pouvaient encore prétendre se relier aux
systèmes tai anciens, auxquels ils s’étaient les plus détachés par rapport aux autres Tai.
Le système catùsadom siamois est caractérisé par une très forte hiérarchisation des muang :
le plus grand muang domine les plus petits muang et les plus petits muang dominent à leurs tours
les autres muang encore plus petits qu’eux, ainsi de suite. Un système d’emboitement comme le
note Stuardt Fox. Le système politique est régi par cinq groupes de pouvoir : groupe des agnasid,
kana agnasid [7totvkfpklyf], groupe des suppléants des agnasid, pousouay kana agnasid [z6J-;Jp
7totvkfpklyf], groupe des comités politiques spéciales, komkanemuang phiset [dq,dkog,nv’ ryglf],
groupe des comités politiques secondaires, komkane muang pounoy [dq,dkog,nv’ z6Jovhp], groupe des
fonctionnaires ou des agents administratifs, panak ngane [rtoad’ko].365
Le système agnasid si [vkfpklyf luJ] désigne le système de pouvoir dont l’autorité est fondée
sur quatre composants. A première vue on pourrait considérer ce système comme issu du système
catùsadom, puisque le agnasid est le premier des cinq groupes de pouvoir qui composent le système
catùsadom. Remarquons cependant que catù366 désigne verbalement le chiffre quatre et non le
chiffre cinq comme le nombre des groupes de pouvoir qu’il désigne. Il serait probable que les
Siamois imbriquaient le système agnasid si du Lane Xang dans le système catùsadon qui ne
361 Cette lignée a été inaugurée par Soysisamouth Phouthralangkhoune, petit fils de Suryavongsa, à la fin du XVIIe siècle. 362 L’époque Rattanakosin commence avec la création de la dynastie Charkrit, inaugurant la fondation de Bangkok dans
l’île Rattanakosin (noyeau historique) par Rama I en 1782. La période Rattanokosin est situé entre 1782 et 1932, elle
correspond en même temps à un style artistique, dit “art de Bangkok ” ou “art de Rattanakosin”. 363 Catùsadom, catù (sk) désignant quatre et sadom, terme d’origine inconnue, probablement d’origine khmère. 364 Ajna (sk), pouvoir, autorité + siddhi (sk), accomplissement, droit + Si, du lao, quatre. Ajna siddhi si, ou agnasit si,
système de pouvoir fondé sur quatre composants.
365 D’après Phaytoun Mikousonh, « Histoire de Oubon Rajathani, première période, 1786-1889 » (article en Thaï). 366 (Pl) Catura, (Sk) Catvara, désignant le chiffre quatre.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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possèderait à l’origine que quatre pouvoirs pour composer cinq pouvoirs sans pour autant changer
sa désignation. Ce qui aurait signifié que le système catùsadom siamois est un système mixte. La
raison de cette imbrication serait probablement due au fait qu’une grande partie du Siam, qu’est le
Laos occidental, était anciennement régie par le système agnasid si lao qu’il aurait été difficile de
transformer et gouverner avec le système catùsadom siamois.
Le agnasid si, système de pouvoir reposant sur quatre pouvoirs utilisé au Lane Xang,
correspond en fait au monopôle absolu du pouvoir par quatre personnes morales ou quatre groupes
de personnes : 1- le groupe des pô ban ou kouane ban (chef de village), 2- le groupe des tassèng, 3-
le groupe des tiao muang, 4- il s’agit probablement du pouvoir des phraya qui siègent au centre du
muang auprès du roi, ou du pouvoir royal lui-même, en tant qu’autorité qui domine les autres
pouvoirs en dernier recours.367 Les groupes –un et deux, sont encore redéfinis dans le décret royal
de 1966 comme les agnasid thongthinh [vkfpklyfmvh’4uJo], c’est-à-dire, le pouvoir local qui vient du
bas (représentant et défendant la population des ban), alors que les groupes –trois et quatre– seraient
venus du haut, c’est-à-dire qui représentent et qui font acheminer les directives venant du haut vers
le bas, du central vers le local.
II. I. a. 3. Les modèles durables, entre la ville siamoise et le muang des Lao
Pour évoquer les villes et les occupations siamoises en tant que modèle, à défaut d’une
étude plus approfondie qui dépasse le cadre de notre recherche. Nous allons seulement les évoquer à
travers quatre points qui nous semblent révélateurs.
Le rapport à l’eau des établissements siamois
La relation à l’eau des villes siamoises est différente des villes septentrionales qu’incarnent
les villes lao, gnouanes et lü. Du fait de leur situation géographique et topographique beaucoup plus
basse, les implantations siamoises sont “ baignées ” dans le bassin de la Ménam. Elles se sont
appropriées de l’eau non seulement comme moyen de liaison externe entre le site et les
établissements mais aussi comme armature interne des cités : liaison interne entre éléments bâtis à
l’intérieur des établissements. En fait, les habitats siamois les plus caractéristiques intègrent l’eau
dans sa conception et son espace. Cet aspect lacustre de l’habitat semble propre aux implantations
des Thaïs méridionaux. Il est vrai pour Bangkok, le petit Bangkok, désigné autrefois comme “ la
petite Venise de l’Orient ”,
368 ainsi que pour les autres établissements de la Ménam. Alors que pour
les établissements tai du Nord, tout en étant un composant majeur dans la conceptualisation et dans
la fabrication spatiale l’eau n’est pas intégrée dans l’habitat et les maisons lao n’ont pas les “ pieds
dans l’eau ”. Les villes lao tai du Nord aménagent l’accès facile au fleuve et à l’eau, la retiennent
par des nong et des sa [sov’F lt] –sorte de bassins de rétention d’eau, lui donnent une fonction
utilitaire et d’agrément, une fonction sacrée parfois, mais cherchent aussi à se protéger contre elle.
En d’autre terme, les occupations lao aménagent davantage les digues en terre pour protéger leur
ensemble d’habitations et leur espace agricole des actions de l’eau qu’elles intègrent comme une
altérité. Dans leur situation topographique générale de villes hautes du Nord, elles donnent à l’eau
un autre statut que ne le font les villes siamoises. De ce fait, les implantations lao de la haute vallée
et du haut Mékong peuvent être considérées comme un modèle à part dans l’espace tai. Le côté
lacustre serait plus spécifique aux villes thaïes de la Ménam, alors que le côté ripuaire serait
spécifique aux villes lao.
367 Nous n’avons pas retrouvé de texte, ni des personnes qui pourraient le confirmer concernant le 4e pouvoir. Mais nous
pensons qu’il s’agit plutôt des groupes de phraya. Le roi étant une personne sacrée se trouvant à l’extérieur des
considérations et du système social, ce terme ne semble pas le désigner. Le 4e pouvoir serait les groupes de phraya,
détenant le pouvoir administratif suprême.
368 La “ petite Venise de l’Orient ” désigne Bangkok pour les voyageurs européens au XIXe siècle, en se référant à sa
situation historique. La ville est construite dans l’île Rattanakosin, où la Ménam Chao Phraya constitue l’axe de
circulation principale et rassemble densément les activités de commerce.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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La ségrégation spatiale
Dans l’organisation de la ville siamoise et à travers la constitution des quartiers, il y avait la
différenciation spatiale qui permet de distinguer les communautés étrangères des communautés
locales. Au XIXe siècle à Thonboury les cartes nous montrent qu’il y avait des quartiers réservés
aux étrangers tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la ville. Thonboury (Bangkok) serait donc une
ville libre et ouverte pouvant recevoir les étrangers. Dans cette logique une ville méridionale
comme Bangkok aurait été un modèle de villes marchandes près des côtes, avec des comptoirs de
négoces et d’étrangers qui s’y seraient stationnés nombreux, d’où la nécessité d’avoir des quartiers
qui leur auraient été dédiés avec des espaces plus grands pour le stockage de leurs marchandises.
Cependant, compte tenu de la taille –petite et moyenne– de ces villes et dans l’idée que
l’importation et l’exportation des produits marchandes vers l’Extrême-orient, l’Inde et l’Europe
aient été actives et divergentes, induisant une variabilité du nombre d’occupants du territoire urbain
selon la dynamique commerciale, les espaces situés à l’extérieur de la cité seraient plus en mesure
de répondre à de telles situations pour des raisons pratiques et de disponibilité physique. Bangkok
avait des quartiers étrangers autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. La ségrégation spatiale dans la ville
siamoise existe par le fait que les étrangers habitent dans des quartiers à part et non pas par le fait
que c’est à l’intérieur ou à l’extérieur de la ville, comme ce serait le cas des villes lao.
Vers la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle lorsque la ville de Vientiane passait sous
contrôle de Thonboury, nous nous posons la question si à ce moment-là, la ville tributaire était libre
de recevoir les étrangers comme bon lui semble. En d’autre terme si elle était facilement accessible
aux étrangers ou s’il existait des règles d’accessibilité ? Toujours est-il, l’existence des visiteurs
européens dans la ville de Vientiane semblait être un fait rare à cette époque. En tout état de cause
aucune mémoire étrangère ne la mentionne en cette fin XVIIIe
-début XIXe siècle. Pourquoi de telle
situation ? Est-ce parce que Vientiane était une ville enclavée et difficile d’accès ? Ou bien, est-ce
parce que les étrangers devraient recevoir d’abord l’autorisation du pouvoir royal ou l’approbation
de Bangkok son suzerain ? En tant que vassal, nous savons que Vientiane devrait avoir un certain
nombre d’obligations vis-à-vis de Bangkok, notamment l’approbation de celui-ci pour les grandes
constructions monumentales. Notre hypothèse est donc de penser qu’en tant que vassal la capitale
du Laos serait également limitée dans ses relations diplomatiques avec l’extérieur. Par exemple,
lorsqu’elle recevait les étrangers sans l’aval de Bangkok, elle pourrait être aussitôt soupçonnée
d’alliance et éventuellement de comploter contre celui-ci. Crawfort notait dans ses mémoires qu’un
prince lao vassal du Siam tentait avec difficulté de rentrer en contact avec lui, car gêné par la
suspicion de l’autorité siamoise.369 Le nombre important de procès des princes lao à Bangkok pour
conspiration et trahison suggère cette hypothèse. Donc pour Vientiane, outre sa situation
géographique de territoires difficiles d’accès pour les Européens de cette époque le contrôle de
Bangkok aurait également été un facteur qui contribue à son isolement.
369 Le terme utilisé dans le texte de Crawfurd pour désigner le mystérieux visiteur le soir du 19 mai 1822 est “ chef, ou
dirigeant lao ”, et le nom de Chao Anouvong n’est pas mentionné. Crawfurd évoque les suspicions de l’autorité siamoise
et décrit la rencontre à Bangkok avec l’inconnu de manière respectueuse (traduit de l’Anglais) : « Je n’ai jamais pu
recevoir aussi bien un hôte que cette fois-ci, parce que ma résidence est contigue à celle du ministre des Affaires
Etrangères du Siam. Pour être à l’abri de toute suspicion des Siamois les gens n’osent venir me rendre visite. La visite du
dirigeant lao est digne dans ma mémoire. (…) Avant de s’asseoir ils (le visiteur et sa suite) s’inclinent trois fois la tête en
direction du palais royal (de Bangkok) et trois fois en direction de la personne qui se présente devant eux. Sa
conversation était pleine de sincérité et d’intelligence. Il connaît parfaitement les données concernant la situation de son
pays et la considère avec gravité. Et son pays, il est bien vaste et convoité par le Siam et les Européens qui en ont peu de
connaissence. » Cf. Crawfurd, Tome 1, année 1834, cité par M. et P. Ngaosivathana. (Op, cit.) D’après ces deux auteurs le
roi Anouvong de Vientiane serait rentré en contact avec les Anglais, afin de tenter d’avoir une ouverture diplomatique
avec l’Europe. Cf. Mayouri et Pheuiphanh Ngaosrivathana, Chao Anou (1767-1829) The Lao People, and Southeast Asia,
Vientiane, 2010. Contrairement à la description élogieuse de son hôte lao, Crawfurd décrit les dignitaires royaux siamois
comme des gens « désagréables, grossiers, intéressés, peu intelligents et imbus d’eux-même ». Notons que les points de
vue de l’Ambassadeur anglais sur les Siamois ne semblent pas très objectifs, mais liés aux échecs diplomatiques et
commerciaux que les Siamois avaient fait subir aux Anglais. Finlayson G., Mission au Siam et en Cochinchine.
L’ambassade de John Crawfurd en 1821-1822, Ed. Olizane, Genève, 2006.
Fig. 36. Schéma
hypothétique de
l’accès de
Vientiane au
XVIIe siècle
montrant
l’existence
probable des
règles
d’intériorité de
la ville.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 230 -
L’intériorité spatiale
Mise à part cette situation particulière du contrôle de Bangkok, la ségrégation spatiale
proprement dite des villes lao serait absente. Effectivement, nous n’avons pas de trace de quartiers
étrangers dans les villes lao du Nord, ni à Vientiane. Les plus vieilles cartes par exemple de Luang
Prabang ne mentionnaient pas ce fait. Cependant, nous pensons qu’il y avait des règles d’extériorité
et d’intériorité des citadelles par rapport aux visiteurs étrangers. Ne pénètre pas dans la ville qui le
voudrait. Les notes de voyage de Van Wuystoff évoquent à demi-mot cette intériorialité de la
citadelle de Vientiane au XVIIe siècle, lorsqu’il note que les marchands doivent stationner à
l’extérieur de la ville en attendant de nouvel ordre royal pour se rapprocher et pour pénétrer dans
son enceinte. Nous suggérons cette hypothèse tout en admettant en réserve l’autre hypothèse qui
explique que la situation décrite par Van Wuystoff serait exceptionnelle, car c’était le moment de
fête du grand that et qu’il serait probable que des restrictions spécifiques de circulation aient pu être
instaurées spontanément. La première hypothèse nous semble cependant remporter sur la deuxième,
dans la mesure où l’existence du port intérieur au niveau du kilomètre quatre (second port après
celui de Vieng Kuk) semblait bloquer tous accès à la ville par voie fluviale. Que ce blocage soit lié
ou pas au régime du fleuve : ensablement d’une partie du fleuve (au niveau de Done Chanh et de
Khone Kyo) le rendant impraticable à la saison sèche.
Sur les cartes de la fin du XIXe siècle nous pouvons remarquer qu’à Chiangmai il y a cette
distinction de quartier étranger situé à l’extérieur de l’enceinte de la citadelle (les nouveaux
quartiers commerciaux liés au commerce du tek). Nous nous posons la question si ce fait
correspond aux règles d’intériorité et d’extériorité obligeant les étrangers à rester à l’extérieur de la
citadelle, comme notre hypothèse sur les villes lao du Nord. Ou au contraire s’il s’agit des règles de
ségrégation. En d’autre terme, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, les étrangers doivent rester
dans un quartier à part non mélangés avec les indigènes, comme généralement dans les villes
siamoises. S’il s’agit de ce cas, il y aurait deux scénarios possibles : premièrement, il serait probable
que Chiangmai ait pu observer les mêmes règles que les villes siamoises. Elle serait effectivement
ouverte mais à l’intérieur de laquelle on établit une ségrégation spatiale pour les étrangers, que cette
règle soit endogène à ses propres traditions, ou qu’elle provienne de l’influence siamoise après son
intégration dans le Siam. Deuxièmement, il serait également probable que la cité ait pu être
simplement saturée, obligeant les visiteurs et les ambassades à constituer leurs quartiers à
l’extérieur sans qu’il puisse s’agir du respect des règles d’intériorité. Pour d’autre réponse
éventuelle, le cas de Chiangmai doit être rapproché des cités Birmanes par le fait que ce royaume
était influencé et dominé de manière cyclique par les Birmans.
Quant aux villes lao, elles se seraient relevées quasiment toutes du modèle septentrional.
Ces dernières y auraient accueilli des caravanes marchandes qui y seraient stationnées proches de la
ville, comme ce fut le cas de Muang Sing, voire, de Luang Prabang. Si nous nous fions à la
morphologie de la petite péninsule nous pouvons constater que les caravanes (si celles-ci avaient été
nombreuses) ne pouvaient entrer dans la ville pour des raisons de manque d’espace pour le stockage
de marchandises, le « stationnement » et le logement des caravaniers. Les bateliers avec des
marchandises plus importantes auraient été obligés d’amarrer également à l’extérieur. A Luang
Pragbang, l’ancien marché à bétails avec son petit port est par ailleurs à l’extérieur de la péninsule.
Outre que par le Mékong rappelons que toute la région nord et nord-est, très montagneuse, pouvait
avoir une liaison avec Luang Prabang par la Nam Ôu et ses affluents, notamment la Nam Noua qui
relie Muang Khoua à Dien Bien Phu et Laï chau (respectivement Muang Son La et Muang Lay.)
A propos des règles d’intériorité, si nous nous fions aux notes de Van Wustoff sur
Vientiane, nous devons constater que les raisons qui empêcheraient les marchands étrangers
d’entrer dans la ville avec leurs marchandises relèveraient aussi des règles d’intériorité. En d’autre
terme, ils ne pourraient venir en ville pour traiter les affaires qu’après autorisation. Dans le cas
contraire, nous pouvons nous étonner que le marchand hollandais n’ait pas pu décrit l’ambiance de
la ville, s’il avait pu s’y balader librement. Il n’est pas imaginable de penser qu’un Européen en Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 231 -
mission exploratoire commerciale ait pu avoir si peu de curiosités. Cela laisse à croire qu’il ne
pouvait pas se balader à sa guise, bien qu’il n’était pas spécifié que l’accès à la ville lui était interdit.
Mais nous devons comprendre que cet accès avait des règles à respecter : pour les étrangers, ne
rentre pas en ville intra-muros qui le veut, une autorisation était certainement en vigueur ; la taille
modeste de la ville facilitait certainement l’application de cette règle.
Le contrôle de Bangkok et son rayonnement éventuel en tant que modèle
Toute construction ou modification dans les muang padesaraj au Laos Oriental doit avoir
l’aval du roi de Bangkok, d’après Aymonier. Mais nous ne trouvons aucun document qui aurait
indiqué que le roi Anouvong ait suivi exactement ces restrictions et ait attendu chaque fois l’aval de
son suzerain pour entreprendre la réalisation des projets royaux qui sont alors nombreux dans le
Laos Occidental. Mais il est très probable qu’il en était ainsi. Par exemple, nous pouvons penser que
Vat Sissakhet construit par Chao Anouvong a été épargné par les Siamois lorsque ces derniers
mirent à sac toute la ville, parce que sa construction aurait reçu l’approbation spécifique de Rama
II.370 Si non, étant le lieu où l’autorité royale siamoise venait recueillir les actes d’allégeance des
princes lao, le monastère n’aurait pas été détruit aussi pour cette raison. A ce sujet les documents
thaïs disent que les tributs devraient être acheminés par les Lao eux même jusqu’à Bangkok.371 Vat
Sissakhet aurait donc été seulement réservé aux cérémonies d’allégeance symboliques et non à la
remise des tributs. Puis, il y a un autre fait qui pourrait avoir un lien avec la survie de Vat
Sissakhet : Crawfurd notait dans ses mémoires que lorsqu’un haut dignitaire lao à Bangkok allait
prendre la parole ou décider d’un acte, il s’inclinait la tête trois fois en signe de respect et de
soumission en direction du palais royal du roi de Bangkok (réf., note 369). Le sanctuaire de Vat
Sissakhet construit par Chao Anouvong étant orienté en direction de Bangkok sous le règne de
Ramma II, peut-être son orientation obéissait à cette règle, et aurait été épargné pour cette raison
aussi.
Si tous les projets étaient soumis à Bangkok comme l’auraient suggéré les témoignages de
Aymonier ainsi que les nombreuses allusions à desquelles les procès se rapportaient, le modèle
siamois dans la fabrication du bâti ne serait pas complètement étranger dans l’immédiateté
historique d’un XIXe siècle siamois, bien que nous ne trouvions pas aujourd’hui d’exemple. Mais il
est difficile de mesurer la durabilité de l’influence du modèle siamois dans la constitution des
établissements lao en général. A Oubon Rajathani, la construction du bâti, permise par la fondation
volontaire de la ville par les princes lao sous l’autorité de Rama I, ne reprend pourtant pas le modèle
flamboyant de l’architecture de Bangkok. Le département des Beaux-arts thaïlandais372 mentionne
aujourd’hui l’influence de l’art de Vientiane et de Luang Prabang sur la majorité des constructions
anciennes de Muang Oubon, en particulier concernant la bibliothèque du monastère principal, Vat
Sèngket.
Nous pouvons donc dire que malgré une pression politique forte et malgré le véto de
Bangkok vers la fin du XVIIIe et durant le XIXe siècle pour les grandes constructions dans le
territoire oriental et occidental du Laos, l’emprise artistique, culturelle et spatiale de Bangkok sur
ses muang padhesaraj était faible par rapport à son contrôle politique. Plusieurs raisons peuvent
l’expliquer. Le Siam connait à ce moment-là le début de l’influence de l’Occident et préparait sa
modernisation quelques décennies après, sous le règne de Chulalongkorn ; il est peu concevable
d’imaginer l’influence de l’art de Bangkok sur ses muang padhesaraj au moment où il est en train
de se former lui-même. On peut justifier la faiblesse de cette emprise également par les conditions
géographiques et topographiques qui conditionnent les établissements siamois méridionaux
370 L’intervention de Chao Anouvong en 1815 sur Vat Sissaket a été l’ajout de nouveaux bâtiments, probablement le
sanctuaire central et la bibliothèque, dans une enceinte monastique existant, bâtie au XVIe siècle et appelé Vat Saèn. 371 Les transporteurs étaient eux-mêmes responsables des pertes et des vols, car sur le plateau de Khorat le brigandage
pulullait et le détournement des fonds était fort courant.
372 Plaquette de présentation muséographique du hô taï de muang Oubon, Département des Beaux-arts.
Fig. 37. Deux
constructions de
la même
époque :
bibliothèque de
Vat Sissaket de
Vientiane
construit en 1815
; bibliothèque de
Vat Sèngket de
muang Ubon
RajathaniDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 232 -
différemment des établissements lao septentrionaux ; les conditions culturelles d’origine, partagées
par les deux mondes tai, seraient même peu à peu estompées. Le contexte de la domination et de
l’oppression siamoise fait que le Siam ne peut être considérée comme un modèle, à partir du
moment où, à plusieurs reprises et à différents lieux, des tentatives de révolte et d’émancipation ont
eu lieu. Par ailleurs, le territoire lao sous l’administration siamoise était difficile à gérer avec le
système siamois, qu’il a fallu utiliser le système agnasid si [vkfpklyf luJ], modèle traditionnel du
Lane Xang, afin de mieux maîtriser sa gestion. La domination siamoise finit par disparaître du Laos
oriental, à partir du moment où l’Indochine est constituée. Par contre, le reste du territoire lao
occidental a continué, par la suite, à recevoir son influence de manière progressive. Par exemple, les
quatre anciennes fonctions utilisées au Lane Xang –Tiao muang, Ouparaj, Rajvong, Rajboud– ont
disparu du Laos occidental et ont été remplacées, vers 1899, par Phuva rajakharn muang [z6j;k ikdkog,nv’]
Palat muang [xtiafg,nv’], Phusouay rajakharn muang [z6j-;jp ik-dkog,nv’].
II. I. b. Les villes coloniales
Si la ville coloniale –vue à travers les typologies architecturales et à travers la structure
viaire– est devenue aujourd’hui un des tissus urbains caractéristiques des villes du Laos, elle
possédait à l’origine et au début de son établissement une particularité exogène. Et il a fallu une
période d’adaptation pour que ces particularités (forme politique et administrative, tissus urbains,
trames viaires, programme d’équipements publics, etc.), qui se superposent sur les structures
existantes, puissent connaître une acculturation. En d’autre terme, afin que les structures locales
puissent s’approprier des formes et du mode de fonctionnement venus de l’extérieur pour former
une identité urbaine propre.
Par la nature même de la colonisation investissant un territoire pourvu de populations et
d’organisation existante, et par le contexte politique et économique local de l’époque,
l’établissement de la ville coloniale au Laos semblait commencer avec les territoires militaires.
Ceci, avec l’installation des forts et des postes de commissariat dont nous allons comprendre
l’importance avec quelques exemples. Après les forts, les villes coloniales étaient visibles
principalement à travers les trames et des armatures urbaines et territoriales, desquelles émergeaient
les nouveaux quartiers : des “ villes nouvelles ”, des plans d’extension et des travaux de voirie. La
compréhension de l’espace colonial est due aussi à l’analyse de la gestion des sols, du programme
des équipements publics et de l’organisation politique et administrative. Ces éléments deviennent
l’un des aspects de la ville laotienne d’aujourd’hui.
II. I. b. 1. Les organisations politiques et administratives coloniales et l’intégration du
monde indigène
L’espace colonial renfermait deux contradictions au moment de son installation : il y avait à
la fois une méconnaissance du fonctionnement de la ville lao et une volonté de marquer une
continuité dans de l’existant. Lors de la convention du 3 octobre 1893, la France a installé à Luang
Prabang le premier Commissaire principal du Gouvernement.373 En 1895, les Autorités coloniales
ont partagé l’administration du territoire lao en deux zones : le Haut Laos ayant son siège à Luang
Prabang et le Bas Laos ayant son siège à Khong. Ces unités administratives exerçaient une fonction
de contrôle territorial plus qu’une gestion, car les postes étaient avant tout militaires. Ils étaient en
charge des affaires administratives et civiles374 avec deux postes de Commandement Supérieur
créés. A Luang Prabang dans le cadre d’un protectorat, le premier Commandant Supérieur exerçait
un contrôle administratif de manière indirecte, le roi possédait une certaine autonomie en animant le
Sanam Luang où siégeaient les phrya, sortes de ministres royaux, structure survivant de la cour
373 Le 1e Commissaire principal du gouvernement fut Joseph Vacle, le 2e est Garanger, membres de la mission Pavie. 374 CAOM. Rapports annuels sur la situation administrative et économique du Laos ; De Reinach, Le Laos, Paris 1911.
CAOM / GGI / Publication / V8. 17805.
Tab. 12.
L’organigramme de
l’administration
locale pour le statut
de colonieDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 233 -
Tab. 14.
Classement des
fonctions
administratives
et du personnel
administratif
indigène, d’après le
décret du
Résident
Supérieur du 5
juillet 1935
ancienne. Tandis qu’à Muang Khong un système administratif direct, et donc de colonie, était
appliqué et placé sous la direction du deuxième Commandant Supérieur. Puis, les petits postes
militaires chargés des affaires administratives et civiles ont été installés un peu partout dans ces
deux grandes zones. Ils étaient instables dans leur ensemble, du fait qu’ils ont dû être souvent
déplacés, toujours par stratégie et par commodité, au fur à mesure que la connaissance du pays
s’améliorait ou que les problèmes émergeaient. Par exemple, dans le Bas Laos, en 1895 Song
Khone a été déplacé au bord du Mékong pour devenir Savannakhet, et en 1914 Pak Hin Boun a été
déplacé pour devenir Thakhek en s’installant sur leur site respectif actuel.
Lorsque les deux postes de Commandant seront supprimées pour être remplacées par le seul
poste de Résident Supérieur qui siégeait à Vientiane en 1900375 et le Haut Laos et le Bas Laos
supprimés pour être reformés en 11 provinces avec des postes de Commissaires (commissaire du
gouvernement) dans les provinces, la gestion de l’ensemble du Laos indochinois commençait à
mieux se structurer sans pour autant se stabiliser complètement.
Dans les premières années, certains postes étant peu importants ne bénéficiaient que d’un
minimum de personnel administratif. On installait alors, en ce cas, des postes administratifs placés
sous la responsabilité des Gardes indigènes avec un administrateur dans chaque poste et son
Commis.376 Parfois, c’est le poste de Commissaire du gouvernement, de Commis des services civils,
de Délégué ou d’Inspecteur de la garde civile. Par exemple en 1902, à Muang Khroua, le poste de
Commissaire du gouvernement a été annulé pour être remplacé par un poste administratif placé sous
la responsabilité d’un Commis des Services civils. Ce dernier sera à son tour responsable devant le
Commissaire du gouvernement de Luang Prabang. En 1910, le poste administratif de Commis des
Services civils sera aussi annulé et remplacé par un poste de Délégué inspecteur de la garde civile.
Plus tard autour des années 1910 et 1920, lorsqu’un certain nombre d’administrateurs indigènes
coloniaux auraient été formés à l’école coloniale en France ou à Saïgon, la structure administrative
du Laos français allait connaître peu à peu une plus grande stabilité.
Comment l’armature du pouvoir indigène et traditionnel a-t-elle été réutilisée dans
l’armature administrative coloniale
Dans les premières années, le Laos a été organisé en dix provinces, la onzième province
était le Ve Territoire militaire avec un système de contrôle et de gestion différente.377 Elle a été
considérée comme insécuritaire à cause des incursions des Hô et des révoltes des Tai de Muang Lay
quelques années plus tôt, et probablement aussi parce que la province partageait ses frontières avec
la Chine et la Birmanie sous le contrôle des Britanniques. Au total cinq territoires militaires ont été
créés dans l’Indochine par décret du Gouverneur Général de l’Indochine le 21 mars 1916 : le Ie
Territoire avait son siège à Mong Cay, le IIe à Cao Bang, le IIIe à Ha-Giang, le IVe à Lai Chau, et le
Ve à Muang Khoua. Ce dernier était dans la province de Muang Houn-Xieng Hung, avant que le
siège de la province ainsi que le chef-lieu du Ve Territoire ne soient transférés à Phongsaly. Dans
son ensemble, la création des 11 provinces induit la création d’une armature administrative couvrant
tout le pays. Bien que l’organisation administrative coloniale fût une nouveauté qui avait apporté
une modernité à la gestion territoriale du Laos, et une meilleure consolidation des agglomérations
anciennes, cette organisation était plus ou moins calée sur une armature physique des anciens
muang traditionnels, qui partaient en lambeau depuis près d’un siècle, que le roi de Luang Prabang
–dans le Nord, et le roi de Champassak –dans le Sud, tentaient d’y veiller malgré tout.378
375 Le siège de la Résidence Supérieure était d’abord à Savannakhet en 1899, puis transféré à Vientiane l’année suivant. 376 Vongkotrattana, Histoire de la province de Phongsaly, op, cit. 377 Le Ve Territoire militaire sera supprimé en 1949 lors du traité de l’indépendance du Laos. Cf. Vongkotrattana, ibid. 378 Dans le Nord du Laos, le roi Sakkarinh tentait avant le protectorat en 1893, de veiller sur la région du Nord, notamment
celle qui deviendra Phongsaly et le Haut Mékong, durant les révoltes des Hô et des Tai de Muang Lay, en envoyant les
membres de son administration et les troupes royales (thahan luang, mtskos];’) secourrir les tiao muang locaux pour
lesquels il a encore de l’autorité : il les nommait et pouvait leur ordonner d’organiser des levées d’arme locales (thahan
lat, mtsko]kf). « […] Tiao Rajphakhinaï, Tiao Sang, Tiao Charkavat, Tiao Vongkot, Phraya Muang Phaèn et Phra Si
Tab. 13.
L’organigramme
de l’administration
locale pour le statut
du protectoratDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 234 -
En réorganisant l’administration du pays, l’élite locale a été intégrée dans l’administration
coloniale de deux manières. D’abord en tant que traducteur dans l’administration, soit au siège de la
Résidence Supérieure, soit dans les sièges des postes administratifs de Commissaire du
gouvernement, soit auprès des Commis des services civils, soit auprès des Délégués et Inspecteurs
de la garde civile, etc. Ensuite, l’élite locale pouvait aussi occuper des postes importants de chef de
province, de chef de district et de canton poursuivant leur prérogative ancienne et traditionnelle qui
perdurait sous une autre forme, permise, acceptée et intégrée dans son administration par le pouvoir
colonial. Car ils ont été nommés, si non confirmés dans leur position par le Résident Supérieur.
Mais les chefs traditionnels étaient, dans tous les cas, responsables devant le Commissaire du
gouvernement ou devant le Délégué dans l’exercice de leur fonction, desquels ils dépendaient.
L’autonomie des élites traditionnelles a été plus visible dans le Nord que dans le Sud. Dans le Sud
s’ils continuaient à conserver leur titre traditionnel et même à en recevoir de l’autorité royale locale,
leur service au sein de l’administration coloniale était apparemment celui de simples fonctionnaires
coloniaux, même s’ils usaient de leur autorité traditionnelle dans l’exercice de leur fonction. La
différence entre le Nord et le Sud était leur régime respectif de protectorat et de colonie.
Pour mieux drainer les rares ressources humaines locales (initiative tardive) et pour mieux
harmoniser l’autorité indigène et l’autorité coloniale, le Gouverneur Général de l’Indochine a
ordonné la création du Conseil administratif dans toutes les provinces. A Vientiane il était question
d’un Assemblée du conseil, tenue sous l’égide du Résident Supérieur, ceci, par les circulaires
administratives du Gouverneur Général de l’Indochine de 1920 et de 1923.
Les membres du Conseil administratif provincial étaient composés des Chao muang (chef
du district) et des Vice-Chao muang. Le Conseil était présidé par le Résident Supérieur lui-même. Il
avait pour mission première de discuter et de fixer des budgets internes, du fonctionnement
administratif divers, des taxes et des impôts, des problèmes économiques et sociaux de la province.
Quant à l’Assemblée du conseil de Vientiane, elle était constituée de trois groupes de
personnes : 1- les représentants du Conseil administratif provincial ; 2- les personnes nommés par le
Résident Supérieur ; 3- les personnes choisies parmi les personnalités importantes lao, par exemple
les membres de l’administration royale. Cette Assemblée était tenue une fois par an par le Résident
Supérieur qui la dirigeait et qui avait aussi le droit de la dissoudre.
Les deux assemblées étaient les seules interfaces de niveau supérieur où l’élite lao
participait formellement. L’Assemblée de Vientiane discutait surtout des budgets, des dépenses et
des perceptions, des plans et des projets de développement économique et social du Laos, des
améliorations et des réformes administratives diverses et variées. Les membres y écoutaient
probablement plus les rapports qu’ils ne donnaient des avis. Ils ne votaient apparemment pas, mais
leurs avis pouvaient probablement compter pour améliorer certaines situations. En d’autres termes,
leurs avis n’étaient pas des avis conformes qui pouvaient empêcher ou approuver la mise en
application des décisions ou des affectations des budgets. Mais ils pouvaient avoir des influences
sur les décisions à prendre ou sur les budgets à approuver pour les années ultérieures.
Akhrarat avec 200 soldats lao quittent Luang Prabang, arrivent à Muang Ngoy […] et s’y implantent un temps. Ils ont fait
des achats pour constituer le ravitaillement pour les troupes. Tiao Rajphakhinaï a inspecté et relevé de nombreux dégâts
entre Pak-Ou et Muang Ngoy […]. Tiao Rajphakhinaï a reçu le message de Phraya Muang Khroua, le gouverneur de
Muang Khoua-Xieng Houn qui était déjà sur le front […] Phraya Muang Khroua a demandé à Phraya Surivongsa chef du
district de Phou Noy de rassembler 300 hommes […] ». Cet événement se produit vers 1887 et 1888. In. Vongkotrattana,
Histoire de la province de Phongsaly, pp 1-3. (Op, cit). Dans le Sud du Laos, les remarques de Aymonier sur la société
locale de Champassak montrent l’attention et l’autorité (bien que limitée) de son roi à maintenir la paix et la justice.
N’étant pas autorisé par les Siamois à rassembler les troupes, celui-ci concentrait ses efforts pour mener l’ordre social
avec les qualités que pouvaient lui conférer ses prérogatives et ses devoirs dynastiques. « […] Ce Laotien, certainement le
plus remarquable de sa race depuis Sieng Khan jusqu’à Sting Trên, jouit d’une grande influence morale dans toute la
région du sud-est. Il passe pour bon justicier, dédaignant les cadeaux de corruption. Il parvient à réprimer dans ses États
le vol, le brigandage, et certes, à ce point de vue, le contraste est grand avec la généralité des pays que j’ai parcourus
[…] ». Son nom : Tiao Gnouthi Thamma Thone [Yutti (Pl), yukti (Sk), juste ; dhara (Sk), celui qui soutient] “ le tiao qui
fait règner la justice ”. Cf. Aymonier, La société du Laos siamois au XIXe siècle, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 235 -
La société lao dans le monde colonial
De manière générale, la société coloniale et la société locale demeuraient deux mondes
éloignés et parallèles. Ceci, malgré le rapprochement entre l’autorité coloniale et l’élite locale à
travers l’organisation administrative où, à certains degrés, l’élite locale a été associée. Les deux
communautés s’étaient en effet rapprochées autour de quelques questions cruciales telles que la
survie du Laos vis-à-vis du Siam, la pacification du Nord en proie aux incursions hô et aux révoltes
des Tai de Muang Lay, la reconstruction du pays en ruine et sa reconsolidation. Mais les raisons de
leur éloignement étaient également grandes, mise à part la question de la colonisation elle-même.
L’association circonstancielle entre l’élite aristocratique locale et l’autorité coloniale n’a été que
superficielle. Car malgré les prérogatives qui ont été accordées aux élites, les contraintes et les
obligations existaient autant,379 les obligeant à accepter parfois les humiliations et “ la perte de la
face ” que tout peuple colonisé doit subir, quels que soient leur rang et la noblesse de leur morale.
Cela faisait naître des sentiments de résignation, freinant les relations, qui ne dépassaient que
rarement le convenable et la politesse. Ceux qui travaillaient pour, avec ou sous les ordres des
administrateurs coloniaux étaient souvent issus de l’élite aristocratique locale, dont les principes
moraux et de vie ont été quasiment ignorés. Le décalage culturel et social entre cette élite (quelle
que soit la modestie du niveau de vie et économique de cette dernière) et certains administrateurs
colons était tel que le sentiment d’humiliation ne pouvait être que manifeste. Alors que l’élite
traditionnelle observait généralement le minimum vital de relation avec la communauté française
(exprimé par sa politesse et le minimum de ses gestes), le simple peuple, quant à lui, craint le Naï
falang ou le “ maître français ”. Cette crainte s’exprimait par sa docilité vis-à-vis de l’autorité et par
la distance qu’il créait entre lui et l’étranger. Ce qui fait dire aux colons que « le Laotien est docile
et manque d’arrogance ».
Il y a aussi d’autres questions qui tenaient éloignés les deux mondes, celles de la réalité
anthropologique de chacun et les impératifs qui s’imposaient respectivement à chacun : les
questions de travail pour reconstruire le pays et de participation à l’espace colonial qui s’impose à
tous, dès lors que l’on accepte le principe d’appartenir au pays lao. Plusieurs faits illustrent ces
questions : 1- la population lao s’éloignait de la ville. 2- la main d’œuvre lao n’était pas utilisable
par l’organisation coloniale, 3- la population lao était docile mais ignorait les contraintes. 4- les
impératifs liés à la reconstruction du pays, étaient des justificatifs suffisants pour imposer à la
population locale des responsabilités, et en conséquence des obligations de participer au travail de la
reconstruction. Tentons d’éclaircir les questions :
1- A la question pourquoi la population lao s’éloignait de la ville, nous avons déjà exposé quelques
faits dans les points précédents. Mais rappelons qu’il pourrait exister trois principales raisons :
- Le souvenir des razzias siamoises a laissé chez les habitants de la ville des marques indélébiles,
qu’ils transmettaient à leurs descendants : c’est en ville que les raffles se faisaient le plus
facilement. La population préférait la campagne, proche de la forêt où ils pouvaient se cacher.
- En fuyant la ville, les Lao ont tenté de fuir les impôts, les taxes et les corvées imposées par
l’administration coloniale à toute population locale, sauf aux chefs traditionnels qui possédaient des
prérogatives. Ces derniers, non seulement pouvaient être exemptés de corvées, mais pouvaient aussi
avoir quelques personnes interdites (khonh ham), c’est-à-dire des personnes exemptées de corvées
vis-à-vis de l’administration coloniale. Elles étaient protégées par les chefs traditionnels auprès
desquels elles se mettaient très souvent au service. Pour les Lao, les taxes étaient les taxes, les
379 Les prérogatives accordées à la famille royale de Luang Prabang étaient parmi les plus rares dans les colonies françaises. Celle de la famille de Champassak était moindre. Le traité du 24 avril 1917 fixe des règles sur le statut de
Luang Prabang : le roi a le droit et l’autorité sur ses sujets et dans la limite de son territoire. Quasiment toutes les
traditions et obligations liées à son statut passé sont préservées ainsi que celles des nobles. Il peut continuer à nommer et à
donner des titres de noblesse, à tenir sa cour et ses rituels. Son administration peut gérer comme autrefois le pays (les 4
provinces). Cependant les titres donnés en rapport avec les fonctions administratives, ainsi que les décrets et les
ordonnances royales doivent recevoir l’approbation formelle du Résident Supérieur.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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corvées étaient les corvées, c’étaient des contraintes même si certains détails leur échappaient. A la
différence des corvées effectuées à Bangkok et des impôts fixés par l’autorité siamoise –ou aucune
part de ces tributs ne participent d’une manière ou d’une autre au développement du pays, les taxes
et les corvées coloniales effectuées dans le pays servaient surtout à la reconstruction du pays. Nous
verrons dans un point suivant quelles étaient les différentes taxes et corvées imposées.
- La ville était un fait colonial pour les Lao de souche. Les administrateurs français et leurs commis
annamites, les commerçants chinois et sino vietnamiens semblaient constituer un monde à eux et ce
monde est représenté par la ville et dans la ville qu’ils édifiaient. Les Lao quant à eux, en se fixant
en dehors de la ville depuis près d’un siècle s’étaient consolidés et conformés dans leur situation. La
ville reconstruite ne les attirait pas. C’était un espace qui convenait moins à leur mode de vie, même
si certains équipements les attiraient, notamment le marché, l’école et l’hôpital.
2- A la question de main d’œuvre lao difficilement exploitable par l’organisation coloniale, nous
identifions des hypothèses qui pourraient l’expliquer :
- La société lao était et reste une société agricole. La gestion du temps était conditionnée par les
travaux agricoles : après les travaux de rizière c’est le jardinage et le haï, et après le haï c’est de
nouveau les travaux de rizière. Entre les saisons la vie était rythmée par la pêche, la chasse, la
cueillette, les rituels et les fêtes étaient les moments où ils se mettaient en repos. Le travail quotidien
et saisonnier étaient voués à la production de l’auto consommation, le surplus constituait la richesse.
La société lao traditionnelle ignorait les contraintes publiques et collectives du travail, mais prônait
les travaux communautaires comme une valeur sociale.
Les 20 jours de corvées annuelles imposées par l’administration380 auraient été un temps arraché à
leur cycle de vie.
- Il était de même pour le travail salarial dans le secteur privé, car ce domaine manquait également
de bras. Dans les chantiers de construction où les ouvriers et artisans étaient payés, il était difficile
de trouver des Lao. Alors que dans les villages, la maison se construisait en quelques jours avec
l’aide de toute la communauté villageoise.
- Les terres cultivables étaient vastes et sous exploitées. Il y avait de la place pour tous. Les Lao
avaient le droit d’usage sur les sols qu’ils défrichaient. Dans la pratique, ils étaient propriétaires de
ce qu’ils exploitaient. Donc par la force de leur travail, ils pouvaient être propriétaires des terres
aussi vastes que la force de leurs bras pouvait porter. Il était alors aussi difficile de trouver des
ouvriers agricoles qui ne travailleraient pas sur leur propre terre. Une forme de location des terres
agricoles existait pourtant, mais on payait en nature : 2/3 revient à l’exploitant et 1/3 au propriétaire.
- Les Lao étaient des indépendants dans le domaine du travail. Ils n’aimaient pas travailler sous les
ordres de quelqu’un et avaient horreur de l’inconnu et des choses qu’ils n’avaient jamais fait. Parce
qu’ils ont peur des erreurs et donc de perdre la face. Le Lao ne recherchait pas la performance, mais
cherchait à être bien avec ce qu’il fait, sans pourtant un sentiment de suffisance, ni de fierté
particulière. Les extraire de leur milieu, de leur habitude et de ce qu’ils savaient faire le plus, c’était
pour eux ce qu’avait tenté de faire le monde colonial avec des contraintes. Cela ne les intéressait
pas.
- La main d’œuvre était dans son ensemble, drainée par les activités rurales. Elle était difficilement
constituante en dehors de ces activités. La démographie elle-même était faible et le nombre des
actifs en dehors des activités agricoles était, en conséquence, également faible.
3- A la question : les Laotiens étaient dociles mais ignorants les contraintes, il faut comprendre la
question dans le sens où les Laotiens de base étaient faciles à gouverner, parce qu’ils n’aimaient
380 Le chiffre concernant les jours de corvée avancé par différents auteurs est variable, probablement cela dépendait des
périodes considérées. In : Lao Lane Xang avant l’administration française, Thongsavat Praseuth, Imprimerie Nationale,
Vientiane, 2009 (en lao). D’après Phongsavath Boupha, la corvée serait de 60 jours par an. In : Phongsavath Boupha, Le
développement de l’Etat lao, Hong phim Nakhonne Luang, Vientiane, 2005 (en lao).Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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pas les conflits. La colonisation a été acceptée de fait par ces derniers, mais elle ne signifiait pas leur
adhésion. Le fait de ne pas participer à la démarche coloniale de la population laotienne (sauf sous
contraintes) mettait plus en évidence son indifférence que la haine vis-à-vis du colonisateur : la
domination coloniale n’avait pas connu au Laos des oppositions dures et violentes. Sauf quelques
exceptions, et encore, les facteurs de révoltes étaient divers et circonstanciels et ne visaient pas
particulièrement le système colonial, mais la manière et les personnes qui le géraient.
- Il semble que la colonisation au Laos avait renoncé à sa “ mission civilisatrice ” : la politique
coloniale mettait des efforts plus pour rechercher la performance, exploiter, produire et créer des
richesses de ses colonies pour rentabiliser des années d’effort et d’investissement. Le Laos offrait
des terres et des richesses (minerais, sols riches) mais les données quantitatives de l’humain
décevantes. La politique coloniale avait compris assez tôt qu’il fallait exploiter le pays et le
construire sans les Laotiens. On constatait donc le peu de rôles que jouaient les Lao dans le Laos
colonial : ils étaient minoritaires dans la vie urbaine, l’administration coloniale était secondée par
les Annamites quasiment en leur absence, la production avec une main d’œuvre annamite, le
commerce avec des Chinois et des sino vietnamiens, etc. Les Laotiens jouaient alors un rôle à part :
entre le client et le spectateur. Ils ignoraient donc la ville et ne participaient pas à sa construction, et
considéraient que le Laos colonial n’était pas le leur. Ils allaient se l’approprier tardivement avec
l’indépendance.
Les taxes et les corvées
En 1907 l’administration coloniale a fixé pour les populations tai, les impôts de capitations
annuels de 5 francs par personne et les corvées de 20 jours. Les autres ethnies devaient payer
annuellement 2,5 francs et 10 jours de corvée. Les autres immigrés asiatiques vivant au Laos
devaient 12,5 francs et étaient exemptées de corvée.381 Les levées de corvées ont été appliquées à
toutes les populations du Laos, sauf pour quelques groupes de personnes possédants des
prérogatives, tels les proches membres de l’aristocratie locale à Luang Prabang et à Champassack.
Le rapport de l’année 1909-1910 au Conseil Supérieur de l’Indochine sur la situation du
Laos, montre que le développement du pays “ tourne en rond ”. Le domaine de construction et de
développement n’a pas avancé. Les administrateurs ont pensé que c’est le travail des chefs de
province d’exiger et d’organiser la levée de corvées à la population indigène pour les travaux divers.
Mais les corvées levées n’avaient pas apporté de grands résultats. La population préférait payer. Le
rapporteur suggérait en ce cas qu’il fallait mieux instaurer l’achat de corvée. Avec les fonds
récoltés, l’administration pourrait ainsi payer de la main d’œuvre plus qualifiée venant de l’Annam
et du Tonkin. Le rapporteur notait également que souvent « la réquisition de corvée entraine
beaucoup d’abus. »
382 Parlait-il des abus pratiqués par certains tiao muang et tassèng qui utilisaient
parfois de la main d’œuvre levée à des fins personnels. Ces abus avaient surement été effectifs, mais
restaient probablement des faits rares du moins minoritaires. Nous pensons que certains éléments de
compréhension concernant les pratiques coutumières et le rapport social traditionnel entre l’élite
locale et la population avaient échappé aux administrateurs français qui faisaient état de ce fait dans
leur rapport. Bien que ce soit de bonne foi, lorsqu’un administrateur s’apercevait qu’un villageois
allait travailler pour le tassèng ou le tiao muang, ou lorsque celui-ci leur apportait des denrées
alimentaires (poisson de la pêche, paddy, saumur de poisson, etc.), pour quelqu’un de l’extérieur il
pouvait conclure aussitôt que le tassèng ou le tiao muang abusaient de leur autorité et en détournant
ainsi la corvée pour leur propre intérêt, ils empêchaient le bon fonctionnement de la levée de
corvées pour l’intérêt public.
Cet angle de vue extérieur était tout à fait compréhensible, mais comportait des erreurs de
jugement. Car en réalité il arrivait souvent que les villageois demandent au tassèng ou au tiao
381 Thongsavat Praseuth. Ibid. 382 Cf. CAOM / Cote D3 / Rapport au conseil Supérieur de l’Indochine sur le Laos 1909-1910.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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muang de les “ protéger ”, de les aider d’une manière ou d’une autre à ne pas aller aux corvées, en
particulier lorsque le tiao muang faisait partie de l’ancienne famille des chefs locaux depuis
plusieurs générations. Les raisons étaient souvent l’éloignement du village par rapport au lieu de
corvées, la nécessité des travaux agricoles ne permettant pas de s’absenter, etc. Les villageois
n’aimaient pas se retrouver loin de chez eux et de la famille. Ils n’aimaient pas par-dessus tout
travailler dans la contrainte et sous l’ordre des étrangers. Pourtant les travaux communautaires basés
sur la solidarité, le consensus et le volontariat qui constituaient l’une des bases de la société lao
traditionnelle existaient et étaient fort efficaces, une sorte de levée de corvée à l’ancienne que les
Lao connaissaient bien et en appréciaient l’utilité car cela situait chaque individu dans son espace
social. Ils auraient pu devenir un outil pour l’administration coloniale, mais celle-ci ne l’avait pas
utilisé. Ce n’était donc pas le travail en lui-même qui effrayait les Lao dans la levée des corvées,
mais le contexte, le cadre et la place que ces derniers occupaient dans la société coloniale. Or leur
rôle social n’aurait pas existé, ils seraient simplement des bras et des forces de travail. C’était
probablement l’image que renvoyaient d’eux les corvées qui les rebutaient tant.
Concernant la demande de protection des paysans à l’élite locale, que la demande soit
satisfaite ou pas, par reconnaissance le paysan pouvait rendre de multiples services aux tiao muang.
Obligés forcément d’accepter d’aider les paysans, le tiao muang tentait de placer les quémandeurs
dans le groupe “ des personnes interdites ” ou, en dernier recours, leur demandait d’acheter la
corvée. Le tiao muang montrait qu’il avait encore un peu d’autorité et son honneur ainsi que celui
de ses ancêtres serait sauvé. Dans le cas contraire en refusant de les aider prétextant qu’il ne pouvait
rien faire étant simplement fonctionnaire de l’administration coloniale, c’était se dérober par rapport
aux anciennes responsabilités et c’était renoncer à la haute position morale et sociale transmise par
ses ancêtres. C’était en fin de compte accepter de perdre la face devant les paysans. A Champassack
la mémoire des villages enregistre les “ bons souvenirs ” de tels ou tels tiao muang et de tels ou tels
tassèng, qui ont su se ranger parfois du côté de leurs villageois.383 Pour ce genre d’agissement répété
de l’autorité locale, en décalage ou à l’insu de l’autorité coloniale, les tiao muang et les tassèng
pouvaient être démis de leur poste pour cause d’irresponsabilité et parfois d’abus de pouvoir et de
corruption. On a déjà vu des cas semblables durant la période siamoise, mais les sanctions étaient
plus lourdes : les princes tiao muang pouvaient être traduits en procès à Bangkok pour refus de
satisfaire les tributs fixés par l’administration siamoise.
En ce qui concernait les impôts, les animaux d’élevage faisaient l’objet de taxes fixées par
tête. Ceci, pour les buffles, les vaches, les éléphants, les charrettes à bœufs notamment. Les taxes
sur l’import-export et sur la production de l’opium ont été fixées aussi dans la foulée. En 1895, un
premier document administratif préconisait des taxes sur les barques et les transports du Mékong.
En 1898 des taxes sur la circulation des Lao dans le bas Laos et vers l’extérieur du pays, ainsi que
les impôts fonciers en 1910, faisaient leur apparition.384 Considérant les impôts et les corvées
comme une surexploitation pure et simple, la population lao ne voyait pas de grandes différences
entre la période siamoise et la période française. Même si les corvées coloniales ont été effectuées
sur le territoire lao-même, et souvent affectées à la construction des équipements publics –réfection
et construction des routes et des ponts– ce qui signifiait que le pays en bébéficiait grandement. Et en
ce qui concernait ces impôts, les rétributions existaient, même si elles étaient faibles et ne pouvaient
pas couvrir les dépenses pour la reconstruction du pays. Chaque année, les dépenses étaient
déficitaires dans le budget local. Le budget central de l’Indochine avait dû chaque année envoyer
des fonds pour renflouer les budgets locaux. C’est pourquoi la population, en prenant de la distance
par rapport à la ville et en tentant de fuir les corvées et les taxes, a été considérée comme
383 Cf. Mémoire orale et familiale sur Phraya Muang Pak Souvannaphinith (chargé des affaires de justice dans le petit
royaume de Champassack vers la fin du XIXe siècle) ; sur Phrya Luang Soui Souvannaphinith (tiao muang de
Champassack dans les années 1930 coloniales ; sur Tassèng Kouthong (tassèng de la période coloniale jusqu’à les années
1960), tous les trois étaient mes arrières grands-parents maternels. 384 Cf. CAOM / Fond GGI / Etat civils / T2. 20944 ; T1. 7204 ; T15. 15946.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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irresponsable par l’autorité coloniale. Elle considérait alors légitime de punir les refus de corvée, par
les amendes, l’emprisonnement, voire les châtiments corporels.
Un grand détail différenciait pourtant les corvées et les impôts siamois de ceux des
Français : les corvées coloniales étaient effectuées dans le pays et les impôts rétribués aux dépenses
locales comme nous l’avons déjà souligné. La méthode siamoise déplaçait les Lao de la rive gauche
vers la rive droite et vers Bangkok pour des travaux forcés. Ils ont été affectés aux grandes
exploitations agricoles, aux grands travaux urbains des canaux de Bangkok, etc. Quant aux fonds
exigés du territoire padhesaraj en guise de tribut, ils devaient s’acheminer vers la trésorerie royale
de Bangkok. Il n’y a jamais eu de rétribution sur le territoire padhesaraj lao, en d’autres termes rien
n’avait été construit par l’autorité siamoise au Laos.
La justice coloniale et les indigènes
Nous avons vu que la population lao participait peu aux activités économiques et urbaines.
Dans beaucoup de cas, ils cherchaient toujours lorsqu’ils le pouvaient à échapper aux taxes fixées
par l’administration coloniale, comme ils avaient toujours tenté de le faire durant la période
siamoise. Il était de même dans le domaine de la justice. Par exemple, avec la complicité de leur
seigneur (le terme est ici approprié dans la mesure où c’était bien ce rapport qui avait été mis en
évidence lorsque le paysan venait réclamer de l’aide à l’élite locale) ils faisaient tout pour que les
affaires ne remontent pas à la justice coloniale. L’organisation sociale ainsi que la structure de leur
droit coutumier le permettaient alors. Ils tentaient de régler tous les conflits entre eux. La justice et
le sens de la justice coloniale ne leur semblaient pas adéquats. Par bien des aspects, l’autorité
coloniale s’en accommodait bien. Le fait d’attribuer au tiao khrouèng et au tiao muang les charges
de la présidence du tribunal indigène, cela montrait qu’il y avait une certaine volonté de mettre à
profit la tradition juridique et le droit coutumier, même si le droit français et colonial y a été
légalement promulgué.
Il y avait deux types de lois utilisés alors. Premièrement, il s’agissait des décrets-lois du
gouvernement français : c’est-à-dire ceux du Président de la République française et ceux du
Ministre des colonies. Ceux-ci ne pouvaient être appliqués qu’après décret d’application du
Gouverneur Général de l’Indochine. Deuxièmement, il s’agissait des décrets du gouvernement
local : ceux du Gouverneur Général de l’Indochine (GGI) et ceux du Résident Supérieur du Laos.
Pour Luang Prabang, il y avait les décrets royaux, mais ces derniers ne pouvaient être appliqués
qu’après l’approbation du Résident Supérieur du Laos. En 1908, le tribunal local a été constitué. En
1922, le décret du GGI a été promulgué. Pour le Laos, son application a vu le jour en 1923 dans les
tribunaux provinciaux.
Dans la réalité, les affaires et les litiges entre les Lao restaient dans la majorité des cas dans
les limites du droit coutumier, rares étaient les grandes criminalités relevant de la juridiction
coloniale. Ce qui voudrait dire que les litiges ne remontaient pas au-delà de l’autorité du chef de
village (pho ban), du chef de canton (tassèng) et du chef du district (tiao muang). Ces
administrations locales coutumières faisaient jouer pleinement le conseil du ban ou le conseil du
tassèng qui fonctionnait en ce cas comme un comité des sages, en toute commodité et continuité
avec les habitudes anciennes. On relevait par exemple à Champassak en pleine période coloniale
quelques affaires qui se réglaient localement à l’intérieur de la communauté lao.385 La justice
coloniale s’occupait généralement de la grande criminalité, tels les assassinats, les vols et
brigandages entrainants mort humaine, les affaires pénales en somme. Ces affaires concernaient très
385 Un voleur de buffle pris en flagrant délit aurait été jugé chez le tiao muang. Le chao muang étant fonctionnaire de
l’administration coloniale, au lieu de faire appliquer la loi coloniale, utilisait le droit coutumier revu par ses propres
interprétations : les buffles seraient rendus à leur propriétaire et le voleur serait condamné à s’occuper de l’élevage d’un
cheptel de buffles pendant deux ans parfois cinq ans. La morale de l’histoire est que le voleur se rend compte du travail de
l’élevage de buffle et qu’il est fort désagréable de se faire ursurper son travail. Après cela l’ancien voleur ne volerait plus
et aurait son propre cheptel. D’après la mémoire de la famille de Phraya Muang Pak Souvannaphinit (mon arrière-grand
père maternel) qui était ministre de la justice et juge dans le système traditionnel de Champassak.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Fig. 39. Le
village lü de
Boun Taï
Fig. 40. Ruine
d’un bâtiment
colonial faisant
partie du site
du fort de
Muang Khoun
peu la communauté laotienne. La loi s’adressait donc beaucoup aux étrangers indochinois vivant et
travaillant au Laos. Les registres relevés des affaires pénales pouvaient concerner dans nombres de
cas les immigrés venant du Vietnam, les personnes venant du Laos siamois où on pouvait relever
plus de criminalités, comme le note Aymonier.
II. I. b. 2. Les casernes et les forts, la castramétation dans les établissements coloniaux
L’importance des anciens forts et postes militaires vient de deux constats : le premier, c’est
l’incontestable présence des forts dans les anciennes villes et stations coloniales, même lorsqu’il ne
reste plus que des ruines. Le deuxième constat, c’est l’image stéréotypée des anciennes villes des
colonies françaises qui se focalise beaucoup sur l’existence des forts comme une vision nostalgique
et exotique du temps passé. Les habitants de Muang Sing connaissent par cœur un fait : lorsqu’un
touriste européen, en particulier français, arrive à Muang Sing qui faisait partie du Ve Territoire
militaire, il cherche d’abord à voir le fort français. Pourquoi l’image des anciennes occupations
coloniales se borne-t-elle à la présence des forts ? N’est-ce pas parce que ces lieux marquent un acte
historique, premier acte de présence, de possession et de souveraineté de la France dans un territoire
lointain. Et quelque part, ces lieux font partie de son histoire.
Les forts, accompagnant les territoires militaires, sont les premiers édifices que le pouvoir
colonial construit au moment de son installation. Le premier projet de fondation coloniale militaire
aurait daté de 1894.386 La France devrait consolider la souveraineté de son empire colonial sur ses
possessions face à l’Empire britannique, à la Chine et face à la prétention siamoise qui revendiquait
sa suzeraineté sur l’ensemble du Laos ; et face aussi aux troubles internes corollaires au contrôle des
minorités, en particulier dans le haut Mékong (notamment à Muang Sing ancien vassal birman) et
dans le Ve Territoire militaire (province de Phongsaly). Il était donc capital d’y installer les forts et
les casernes dès les premières années. Par ailleurs, ces équipements ont non seulement la mission
d’assurer la sécurité de la possession territoriale, mais aussi la sécurité des cargaisons des biens
français : taxes prélevées par l’administration, marchandises de toutes sortes qu’elles soient privées
ou appartenues à l’État.387
Dans beaucoup de cas, les ensembles de constructions composant les forts et les casernes
n’ont aucune continuité avec les villes et les villages qui allaient se former plus tard ou qui
existaient préalablement. Si les villes coloniales qui allaient s’implanter se construisaient souvent
sur de l’existant (un territoire déjà habité) le ou les forts, eux, se construisaient souvent à l’écart
bien qu’ils étaient sensés assurer la sécurité des cargaisons et la sécurité de la ville nouvellement
installée ou réinvestie. Il est vrai pour Luang Prabang et Vientiane où les forts n’assumaient aucune
participation à l’évolution de l’espace urbain. Leur importance de départ au moment de leur
installation se réduisait au fur à mesure que la ville se consolidait et la vie citadine se confirmait.
Par exemple pour le cas du fort de Muang Kao, on est frappé par le fait qu’il se trouve
complètement de l’autre côté à l’opposé de Muang Paksé, la ville la plus coloniale du Laos pour
ainsi dire. Et ce fort semblait péricliter, sans doute abandonné bien avant la fin de la période
coloniale.
Il est moins vrai pour les autres établissements, en particulier ceux du Nord. A Muang
Khoun Xieng Khouang, à Boun Taï, à Boun Neua ou même à Phongsaly, où les villes coloniales
n’ont pas été vraiment installées. Les forts signifiaient à eux seuls, la présence coloniale, et restaient
pendant longtemps les repères qui marquaient les établissements en question. Si dans la plupart des
386 Cf. CAOM/ Fond GGI / Chambre de commerce / MO. 20 788. 387 Le trafic d’opium de l’époque avec le Sud de la Chine, le Laos et le pays Shan, était fructueux. Il n’est pas exclu que
les forts et les casernes assuraient aussi la sécurité de ces trafics. L’arrière grand-père de mon informateur (Khamphay
Sounthonne) est Kalrom (sous groupe tai lü) originaire du pays Shan. D’après son histoire familiale ce dernier dirigeait
une petite troupe pour un des tiao f’a de Muang You. Sa mission était d’attaquer les troupes françaises sur la route afin
d’usurper les fonds (caisses issues de taxes, fonds de la banque ?) qu’elles transportaient. La mission avait échoué, il avait
décidé de ne jamais retourner rendre les comptes à son tiao f’a. Cette famille lü s’implante donc au Laos depuis cinq
générations entre Luang Nam Tha et Bokéo.
Fig. 38. Le
Fort de
Boun TaïDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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cas les composants bâtis eux-mêmes tombaient en ruine, l’emprise du site des forts demeure par
contre presque intacte.
Aujourd’hui, le fort de Boun Taï est abandonné après avoir abrité l’administration du
district. Il n’a pas été intégré davantage dans la planification du district de Boun Taï : il demeure ce
que l’on pourrait appeler “ une friche coloniale ”. Le vieux village lü situé de l’autre côté de la rue
pénétrante, à l’opposé du fort, au moment de sa construction semble également avoir été oublié par
la planification du district : l’ensemble du village forme encore un grand îlot à l’intérieur duquel les
maisons sur pilotis, plutôt densément réparties, sont desservies par des ruelles en terre sans
drainage. La distinction, entre le domaine privé (parcelles des maisons) et le domaine public
(ruelle), reste floue et aléatoire, le village semble conserver presque son aspect d’origine. La rue
pénétrante du district fait la tangente au grand îlot villageois dont l’assiette descend en pente douce
vers la petite rivière. La restructuration et le développement du district dans le cas de Boun Taï se
fait surtout sans intégrer ni la friche coloniale, ni le vieux village.
Quant à Muang Khoun Xieng Khouang, l’emplacement de l’ancien fort et siège de
l’administration coloniale est mieux pris en compte dans le plan de restructuration du centre de
Muang Khoun. Puisque les autorités l’ont en partie réhabilité pour loger l’administration du district,
elles cherchent également à faire restaurer son fort à des fins touristiques.
Le site de Phongsaly attire particulièrement notre attention pour sa cohérence avec le vieux
village. Chef-lieu du Ve territoire militaire,388 construit dans les deux premières décennies du XXe
siècle les constructions militaires sont essentiellement composées de deux ensembles. L’un qui est
en hauteur et surplombant le village indigène abritait dans les années 1960 et 1970 le consulat de
Chine de la “ zone libérée ”, et fait aujourd’hui l’objet de réhabilitation en hôtel de bon standing (le
Phu Fa). L’autre édifié un peu plus bas à proximité immédiate du vieux village formait une petite
place entourée de compartiments commerciaux à Rez-de-chaussée et à R+1. Le fait que les ruelles
et les venelles du vieux village soient empierrées et débouchent sur la place une liaison entre la
structure coloniale et l’ensemble indigène est ici remarquable. Le village noyau est au début du
siècle peuplé essentiellement de Phou Noy et de Hô et, de manière minoritaire de Tai Lü et
quelques autres petites tribus.389 Les anciennes photographies datant de 1920 montrent un ensemble
d’habitations assez denses avec des couvertures en paillote à la mode lü, grande et enveloppante
avec des pilotis. Aujourd’hui on ne voit quasiment plus de maisons sur pilotis, la majorité d’entre
elles sont construites à même le sol sur un socle de pierre à la mode hô et phou noy. Les ruelles et
les venelles empierrées sont légèrement en pente, car tout le village est installé sur le flanc d’une
montagne au pied du mont Phu Fa. Un certain nombre de constructions date des années 1920 : entre
1920 –l’année de la photographie– et la, ou, les décennies qui suivaient il y avait un changement de
tissu du bâti, à dominance hô et phou noy.
Du point de vue administratif, autrefois les villages de Phongsaly, essentiellement phou
noy, étaient dirigés par les naï phong390. Après avoir combattu les Hô et les Tai de Muang Lay (Lai
chau) qui se révoltaient contre l’autorité du roi et du pouvoir colonial, le titre de Phraya phong
aurait été attribué par le roi de Luang Prabang à la plupart des naï phong vers la fin du XIXe
388 En 1916 le chef-lieu administratif du Ve territoire militaire a été installé à Muang Khoua, chef-lieu d’un tassèng. En
1917 il avait été déménagé à Muang Houn-Xieng Hung avant de déménager à nouveau pour s’installer en 1921 à
Phongsaly. Les territoires militaires ne seront supprimés qu’en 1949.
389 Les Phou Noy sont majoritaires dans la province de Phongsaly. Il existait 10 000 Phou Noy au début du siècle alors
que les Tai Lao et Tai Lü réunis ne représentaient que 5500 personnes. Cf. K. Vongkotrattana, Pavatkane khouang
Phongsaly (histoire de la province de Phongsaly), 1970. 390 D’après K. Vongkotrattana (ibid.), naï phong [okpzQ’] est un terme utilisé dans le Nord pour désigner naï ban, le chef
de village. Phong [zQ’] pour les lao aurait signifié “ village situé dans les coins reculés, dans la forêt ”. Ce serait aussi
l’origine du nom de Phongsaly. Saly [lk]u] étant l’un des titres de phraya accordé par le roi de Luang Prabang à un chef de
village phou noy, Phongsaly aurait signifié alors “ village du phraya saly ”. Les Phou Noy l’auraient appelé Phongsari
[rvh’ltiy]. Phong [r;dF rvh’] signifie clan, groupe et sari [ltiy] propice, festivité, Phongsari en ce cas aurait signifié
“ village des clans prospères ”. Ibid.
Fig. 41.
Phongsaly au
début du XXe
siècle, vue
depuis Phou Fa
Fig. 43. Le fort
de Phongsaly au
début du XXe
siècle
Fig. 42. Rue
empierrée,
habitation hô et
phou noy à
PhongsalyDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 242 -
siècle.391 En entrant dans le système administratif traditionnel et en devenant le chef-lieu du Ve
Territoire militaire, Phongsaly avait à sa tête le naï khouang
392 avec un titre de phraya qui devrait
suivre les ordres de l’administrateur ou du Garde principal français en poste. Au niveau du tassèng,
l’administration royale nommait les naï kong qui devraient travailler sous les ordres du délégué
français. De même, les naï kong393 seraient parfois recrutés parmi les phraya locaux ou venant de
Luang Prabang.
En faisant une lecture avertie des plans de l’époque et en faisant aujourd’hui des
observations sur le site, nous pouvons noter qu’il y a deux types de liaison entre les forts et le noyau
des villes ou des villages existants, et la raison qui pourrait expliquer le choix de leur implantation
et la place qu’ils occupent dans la ville aujourd’hui. Il s’agit donc d’une liaison par association et
d’une liaison par distinction.
Une liaison par association lorsque le fort est implanté dans une aire existante comme c’est
le cas de Boun Taï où le poste militaire a été entouré de villages. C’est le cas de Phongsaly où une
liaison entre le village indigène et la structure militaire coloniale s’était créée. C’est aussi le cas de
Muang Sing où le fort était construit dans l’enceinte de la citadelle occupant un îlot. Rappelons que
le Chao F’a de Muang Sing avait délibérément choisi de se rallier à la France,394 ce qui explique
sans doute la place qu’occupe le fort dans son enceinte.
Une liaison par distinction lorsqu’un fort est construit distinctement par rapport à une
implantation urbaine ou appelée à le devenir. C’est le cas de Paksé. Le fort se retrouvait sur la
même rive et à proximité de la vieille ville Muang Kao (à l’embouchure de la rivière Pek) faisant
face à Paksé, la nouvelle ville, et à l’embouchure de la Xédaun. En ce cas, le fort semblait être un
poste de surveillance pour la ville. Dans une telle position, le fort perdait rapidement son utilité. En
acquérant une vie plus urbaine et plus citadine (augmentation de la population, des activités
commerciales et culturelles, consolidation sécuritaire, etc.) les villes rejetaient les forts et les
casernes en dehors de leurs besoins et de leur espace. Cependant, nous verrons qu’en ce cas le
programme des équipements publics ne manquait pas d’inscrire par la suite la prison et le
commissariat de police dans ses priorités. Besoins qui auraient été induits par l’importance accrue
de la citadinité. Ces constructions faisaient dès lors partie du tissu urbain. Les programmes
d’équipements introduits par le biais de la ville coloniale, étaient en fait de véritables nouveautés
pour les villes du Laos.
L’implantation des forts et des postes militaires obéissait en fait à une logique qui n’était
pas liée directement à la situation et à l’échelle locales. La castramétation coloniale était
uniquement stratégique. Elle faisait partie d’un réseau général mis en place pour le contrôle des
territoires dans l’enjeu politique et dans les conflits coloniaux de l’époque. C’était le motif qui
justifiait le fait que les forts ont été construits surtout dans les premières décennies de la
colonisation. Ils obéissaient donc au schéma d’implantation territoriale et ne se connectaient
qu’opportunément au contexte local, citadin ou villageois. Ceci explique aussi pourquoi les forts
participaient si peu à la constitution de la ville et à son évolution. Celle-ci, contrairement aux forts
391 Ce groupe de phraya phong [ritpkzQ’] aurait alors obligation de prêter serment annuellement devant la statuette du
Phra bang à Luang Prabang. Le nom rituel du groupe à la cour aurait été “ groupe de muang Ou-Phou Phang-Phou Noy- Ngouang Kang ” [r;d g,nv’v6 - r6/k’ - r6ovhp - ’;’dk’]. Cf. K. Vongkotrattana, ibid. 392 Naï khouang [okpc0;’] est l’équivalent de tiao khouang [g9Qkg,nv’]. Le terme tiao [g9Qk] a été remplacé par naï [okp] qui
veut dire chef, sans doute durant la période coloniale afin d’éviter tout amalgame entre titre de noblesse tiao et fonction
naï. On trouve ainsi dans les documents administratifs coloniaux davantage le terme naï khouang que le terme chao
khouang. 393 La fonction naï kong [okpdv’] apparaît couramment dans l’administration coloniale. Elle correspond à la fonction du
tassèng. Alors que naï kong traditionnellement semblait être une fonction militaire, sorte de chef de colonne ou chef d’un
poste militaire.
394 Le Chao F’a s’est rallié à la France en sollicitant sa protection face aux Anglais et aux Siamois qui occupaient Muang
Xieng Khaèng au courant des années 1888-1896. Lorsque les Français et les Anglais se partagèrent le territoire par le
traité de 1896, Muang Sing se trouvant dans la partie orientale devint alors français. Cf. Lafont P-B. Le Royaume de Jyn
Khen. Chronique d’un royaume tay loe du haut Mékong (XVe
–XXe siècle). L’Harmattan, Paris, 1998. Op, cit
Fig. 44. Les
différentes
représentations
des forts français,
autour de 1910,
1920.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 243 -
et casernes, avait une dépendance plus grande par rapport aux données locales, en particulier en ce
qui concernait la situation des implantations existantes, leur démographie, leurs contextes de liaison,
etc.
Aujourd’hui, la survivance de ces forts, relève de l’exotisme. Ils n’ont aucun rôle spatial
dans la ville. La planification urbaine actuelle ne redonne pas particulièrement une place à ces
ruines. Ceux qui sont bien conservés sont réutilisés comme bureau administratif provincial ou, dans
de rares cas, sont convertis dans l’hôtellerie et dans le tourisme. L’ancien poste militaire et prison
de Luang Prabang est ainsi aujourd’hui converti en hôtel de luxe dont la restauration-réhabilitation
est encore en cours en 2009. Le cas de Oudomxay présente une certaine ambigüité, car l’édifice
colonial n’existe plus, mais son site a été réutilisé par une fonction hautement symbolique : le fort
militaire qui occupait le sommet d’un mont, au pied duquel s’égrainaient les habitations du vieux
village, a été complètement détruit. Le mont a été ensuite réinvesti dans le cadre d’un nouveau
développement de la ville : un musée dédié à la révolution de la province y a été construit. Alors
que sur un autre mont à l’autre bout de la ville la fonction religieuse a été affectée : un stupa a été
construit rappelant l’ancien stupa détruit pendant la guerre.
II. I. b. 3. Les trames viaires dans la construction de l’espace colonial
Appropriation des trames viaires
La ville coloniale, lorsqu’elle s’est crée sur une implantation existante, s’est structurée
généralement autour d’une ou des armatures structurantes. Il s’agissait de se superposer sur les
armatures locales si celles-ci existaient préalablement, tel les cas de Vientiane et Luang Prabang.
Ou alors il s’agissait d’en créer de toute pièce si celles-ci n’existaient pas, tel le cas des « villes
nouvelles » greffées sur les petites structures de villages notamment à Savannakhet. Concernant ces
armatures structurantes il s’agissait des voiries principales des anciennes cités qui, en se consolidant
et en se formant avec la réhabilitation coloniale (agrandissement, redressement, parfois pavage et
drainage et plus tard goudronnage), enfermaient les îlots anciens laissant les cœurs d’îlot évoluer
selon leur organisation endogène. Seules les constructions sino vietnamiennes liées à l’installation
du pouvoir colonial se constituaient aussi parfois dans le cœur de ces îlots pour former une variante
dans les types tissulaires. Dans ce cas, le processus de parcellisation (comme nous allons le voir
dans les points qui suivent) se faisait d’abord le long des voies avant de pénétrer dans les cœurs
d’îlot. Le cas de Vientiane illustre encore ce processus. La rue Sethathirat, le quai F’a-Ngoum ainsi
que la route Nong Bone étaient ces armatures existantes sur lesquelles la ville coloniale s’appuyait.
A Luang Prabang c’est la rue centrale qui servait d’appui. Le cas de Savannakhet illustrait quant à
lui la construction d’une “ ville nouvelle ” sur une restructuration partielle de l’existant. Le cas de
Paksé montre quasiment que la construction d’une “ ville nouvelle ” se réalisait sans faciès urbain
existant : car Tha Hin un village important qui existait avant la ville coloniale ne se trouve pas dans
le centre de Paksé, mais sur l’autre rive de la Xédaun.
A propos d’appropriation, le rempart intérieur de Vientiane transformé en boulevard dès le
début de la construction de la ville coloniale rentrait dans ce processus d’appropriation des
armatures urbaines existantes. Cette appropriation qui n’altérait pas complètement le
fonctionnement existant permettait à ces structures anciennes d’exister et de persister dans le plan
des villes. La lecture de certaines villes du Laos d’aujourd’hui est donc aussi liée à l’histoire urbaine
et à la culture urbanistique des installations coloniales. Ceci, dans le sens où les aménageurs
coloniaux avaient construit sur le rempart de la ville de Vientiane un boulevard qui fut l’une des
étapes et conditions d’étendre la ville au delà de sa première couronne. Ce même processus peut
être remarqué dans beaucoup de villes françaises et européennes, à commencer par Paris, où les
enceintes sont les lieux de naissance-même des boulevards.
De nouvelles restructurations du bâti pour la ville
Les moyens pour s’approprier des trames existantes de la ville coloniale, c’était la manière
dont étaient construits les édifices qui allaient déterminer les types de parcelles et les variantes du
Fig. 45. Vue
de Oudomxay
depuis le site
de l’ancien
fort français Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 244 -
tissu urbain. Les éléments bâtis qui inauguraient la ville coloniale et qui ont été soutenus par un
programme spécifique et inaugural par rapport à la ville existante et par rapport au programme
traditionnel (que nous allons voir de suite), marquaient le tissu urbain avec l’apparition de nouvelles
typologies d’architecture, dont trois sont nées de ce contexte. Il s’agit des édifices identifiés comme
habitats coloniaux, les compartiments commerciaux sino vietnamiens et les maisons lao de la
période coloniale.
Cependant, il n’y avait qu’un seul nouveau type parcellaire apparu, celles réservées pour
l’emprise des compartiments. C’étaient des parcelles étroites et longues, orientées
perpendiculairement à la rue. Elles étaient dépourvues d’espace vert, mais munies de cour
minéralisée située entre la partie service et le corps principal du bâtiment qui servait de magasin.
Quant à l’habitat colonial il s’implantait en réutilisant les parcelles existants, souvent celles
d’anciennes résidences de notables locaux, tombées en déshérence, parfois celles d’anciens
monastères en ruine et abandonnés. La surface de ces parcelles était assez vaste, elles occupaient
souvent les parties centrales de la cité et bordaient les rues principales.
Quant aux maisons lao de la période coloniale, il s’agissait de celles qui sont construites à
partir des années 1920. Bien qu’elles fussent sur pilotis avec ou sans cloisons sous les pilotis ces
maisons empruntaient partiellement le vocabulaire de l’architecture coloniale, avec notamment
l’utilisation des piliers en maçonnerie, l’ajout de perron pour accéder à la maison. Certaines d’entre
elles qui n’abandonnaient ni la proportion des maisons lao anciennes, ni les pilotis qui en étaient
leur marque et ni le corps bâti en double pignon, utilisaient le torchis à la place des bardages de bois
qui font la richesse des maisons lao anciennes des plus riches factures. Ces maisons s’implantaient
dans des parcelles de taille plus ou moins importante, luxuriantes et servaient déjà la fonction
d’habitation.395
Des plans d’extension et des travaux de voirie
Les moyens pour s’approprier des trames existantes par les implantations coloniales étaient
également les travaux de nouvelles voiries associés aux projets d’extension urbaine et de création de
nouveaux quartiers. Bien qu’il y ait eu des projets d’extension dans les principales communes, peu
de réalisations en étaient issues. Ce fait était sans doute lié au contexte économique qui n’était pas
forcement très favorable de manière générale pour le développement des villes lao. A Vientiane
deux nouveaux quartiers ont pu être créés complètement selon la conception coloniale de l’époque.
Ils sont aujourd’hui encore lisibles à travers le maillage urbain. Il s’agit des quartiers Anou-That
Dam et Simuang, deux nouvelles structures qui se greffaient dans la ville par leurs trames viaires
géométriques, leurs rues se coupant à l’angle droit avec réseau d’assainissement à ciel ouvert
aménagé entre le bord de la chaussée et les trottoirs. Le Plan de 1912 montre bien les rues en projet
entre les rues Georges Mahé (Sam-Saèn-Tai) et Maréchal Joffre (Sethathirat). Le projet d’extension
de la ville vers l’Ouest au-delà de Nam Passak et du boulevard Doudart de Lagrée (Khun Bourom)
dressé dans le plan de 1931 comme “ extension de la ville indigène ” montre la réplique du quartier
Anou avec une connexion sur une place radioconcentrique au niveau du quartier Sihom dans le
prolongement de la rue Sethathirath. A l’emplacement de ce qui devrait être une place on proposait
sur le plan d’y placer un château d’eau ! Les îlots sont carrés comportant quatre parcelles quasi-
égales. Ce curieux plan ne sera jamais réalisé.
II. I. b. 4. Les villes coloniales, les villes nouvelles, des exemples : Thakek, Savannakhet,
Paksé, Attapeu
C’est à Savannakhet, Paksé, Thakkek et Attapeu que la réalisation des aménagements
urbains se montrait résolument coloniale. Dans la majorité des cas, la structure coloniale a été
395 L’étude typologique, in. Vientiane portrait d’une ville en mutation, Chayphet Sayarath, éditions. Recherches, 2005.
Ouvrage bilingue Lao-français.
Fig. 48. Planche
des typologies
architecturales
Fig. 46. Plan
parcellaire, de
la ville de
Vientiane,
1912, échelle
1/2000e
.
Guillini.
Fig.47. Plan de
la ville de
Vientiane, 1931,
état existant état
projeté, échelle
1/2000e
,
Mariage.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 245 -
plaquée sur le site où la structure existante était quasiment absente. L’immatriculation des parcelles
et l’émergence des nouvelles fonctions du bâti confirmaient le statut de l’espace colonial, qui se
montrait pour les uns par la création des places ou des jardins, et pour les autres par le quadrillage
géométrique des trames viaires, ou encore par le processus de formation des îlots et par le nouveau
rapport établi entre l’espace public et l’espace privé.
La place centrale de Thakkek résolument coloniale, dont l’un des côtés donne sur la berge
du Mékong, était une réalisation intéressante du point de vue spatial. C’était aussi la plus atypique
des réalisations coloniales du Laos. Il y avait une belle tentative de centralité avec la création de la
place, une vision urbaine et citadine résolument nouvelle qui faisait de Thakkek une vraie ville
nouvelle, coupée de son faciès indigène. Les compartiments commerciaux à R+1 présentaient les
plus intéressants spécimens du genre : colonnades, galeries, baies, etc., un vocabulaire architectural
assez complet autour de la place. Cet ensemble très cohérent appartient aujourd’hui majoritairement
à l’ État, ce qui semble offrir une grande possibilité pour un projet de réhabilitation de
l’ensemble.396
A Savannakhet nous sommes interpellés par la particularité du maillage des rues. Les
trames viaires qui se coupaient à angle droit formaient alors des vastes îlots, à l’intérieur desquels
on retrouvait (et on retrouve encore aujourd’hui) plus de mixités entre tissus locaux et tissus
coloniaux, en particulier en ce qui concerne les parcelles d’habitations. Ainsi au nord et à l’est de la
ville, c’est parfois un village tout entier, voire deux, entourés de voies qui forment un îlot dans
l’aménagement colonial. Au bord des rues les plus centrales, l’administration y construit des
équipements publics. Cela donne l’impression d’une ville plus grande qui s’allongeait dans l’axe du
Mékong. C’est ainsi avec ses grands îlots que Savannakhet paraît être la ville coloniale la plus
étendue. Le nombre des habitants, étrangers et locaux confondus, y était aussi plus important qu’à
Vientiane, jusqu’à un moment donné.
La ville de Paksé, implantée en face de la vieille ville, est contenue dans une sorte de large
presqu’île au croisement entre le Mékong et la Xédaun. Dans une configuration paysagère
singulière formée par les deux fleuves et les montagnes environnantes, le plan de Paksé aux trames
quadrillées avec des ensembles tissulaires mixtes faits de compartiments, d’équipements publics,
contraste avec le paysage environnant. La ville coloniale semblait clairement se démarquer de la
structure existante que sont la ville ancienne se trouvant de l’autre côté du Mékong, et les vieux
villages de la zone Tha Hin se trouvant de l’autre côté de la Xédaun, avec leurs maisons sur pilotis
accrochées sur la berge. A l’intérieur de la ville de Paksé qui se déploie entièrement dans la
presqu’île, la vie citadine coloniale semblait dynamique : les marchés, les squares, les marchands et
les coiffeurs ambulants qui passaient et qui stationnaient ensuite dans le petit parc de la ville
créaient des ambiances de rue.
397
En ce qui concerne Attapeu, il ne serait pas exagéré de la considérer comme une ville
jardin. Située dans un territoire ou trois fleuves se rejoignent, Xésou, Xékamane et Xékong, la ville
a été transférée de son ancien site et construite sur son site actuel vers 1921, l’ancienne ville étant à
Fandèng muang kao et le premier commissaire du gouvernement français y a été installé dès 1894.
La petite ville coloniale de Atttapeu est organisée avec un maillage assez régulier formant des îlots
larges plus que habituellement. Les îlots et les bords des trames viaires gardent encore aujourd’hui
l’ombrage de ses arbres autrefois richement plantés, rappelant quelques caractéristiques de sa
période coloniale, alors que les bâtiments coloniaux ont été en majorité démolis. Il n’en reste
quasiment plus de traces. Les arbres ne sont pas organisés et plantés en alignement comme à
396 Il y a eu plusieurs tentatives pour faire restaurer la place de Thakkek depuis près de dix ans, y compris plusieurs
travaux de fin d’étude de la faculté d’architecture, mais aucun projet n’a pu être mis en place. Afin de se caler à une
certaine conception locale où la conservation du patrimoine proprement dite ne semble pas vraiment comprise et adéquate,
nous avons évoqué dans l’objectif de proposer une mise en valeur de type PRI (Périmètre de Rénovation Immobilière)
introduisant une dynamique foncière et une réactualisation des fonctions.
397 D’après les personnes âgées qui ont connu Paksé dans les années 1930-1940.
Fig. 49. La ville
de Savannakhet, état actuel.
Fig. 50. La
ville de Paksé,
état actuel.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 246 -
Vientiane, mais plantés de manière libre et irrégulière. L’impression de ville très plantée et touffue
de végétations semble alors plutôt provenir de l’organisation interne de chaque îlot, donc du mode
de vie de ses habitants et de leur approche par rapport à la nature environnante. Par ailleurs, son
isolement dans un territoire très peu urbanisé, et dont la nature et la biodiversité restent encore
fortement présentes, a joué un rôle important dans la perception générale de la ville. Bien que la
récente planification urbaine a apporté un nouveau visage à la ville, à travers la réfection et la
reconstruction des routes, celle des nouveaux équipements publics, et bien que les édifices
coloniaux proprement dits ont été démolis ou tellement réhabilités, perdant leur caractère d’origine,
son aspect de ville jardin subsiste par la persistance de la densité de la végétation et par le paysage
fluvial que décrivent les trois fleuves.
La forme particulière induite en partie par le système des armatures urbaines des villes
coloniales, exprimée par le quadrillage des trames viaires et le plan en damier ainsi que les arbres
plantés en alignement, est une forme et un système à ne pas rapprocher du système géométral de
certaines villes lao anciennes ou de certaines formes d’établissements anciens du Laos. La
généalogie de ces deux types de structure est tout à fait différente. Ceci pour trois raisons.
- La première raison est que les villes coloniales, avec leur plan en damier, sont caractérisées par
l’absence d’enceinte. Enceinte qui aurait marqué le côté “ abouti ” de l’espace des cités anciennes.
Au contraire, la trame coloniale renferme l’aspect “ indéfini ” par rapport à la question de limite.
Comme le note Benevolo « […] La ville doit pouvoir se développer, et l’on ne sait pas quelle
dimension elle atteindra ; c’est pourquoi le plan en échiquier peut être agrandi dans toutes les
directions, au fur et à mesure qu’il devient nécessaire d’ajouter de nouveaux îlots. La limite
extérieure de la ville est toujours provisoire, notamment parce qu’il n’y a pas besoin de remparts ni
de fossés […]»
398 Même si ces propos sont appliqués aux villes coloniales du XVIIe et XVIIIe
siècle, il n’est pas moins vrai pour les villes coloniales les plus récentes. De ce fait, dans leur
ensemble et à différentes époques les villes coloniales peuvent être rapprochées des bastides et des
villes neuves du haut moyen âge et également de l’héritage des villes romaines -la structure du
roma quadrata.
- La deuxième raison est que les origines des formes en échiquier des villes anciennes comme
Muang Sing se basent sur des schémas symboliques dont nous avons précédemment suggéré les
principes : les cités anciennes qui ont des formes carrées ou rectangulaires contenues et limitées
dans une enceinte ont au centre le noyau du pouvoir qui est, soit représenté et installé dans une
enceinte intérieure, soit représenté par un point haut comme le Phnom khmer. Dans les deux cas la
forme et le système se rapprochent de la ville chinoise et du monde tantrique incarné, dans le sud,
par le système spatial du mandala, et se relie aux symbolismes hindouisés du mont Méru. Nous
trouverons de nombreux exemples dans les villes khmères et tai aussi.
II. I. b. 5. L’introduction du cadastre, de “l’îlot à la parcelle”
La France trouvait vers la fin du XIXe siècle un territoire sans structure administrative et
ignorait par conséquent sa tradition foncière qui avait disparu lors de la mise à sac de la capitale en
1828, laissant régner l’anarchie pendant près de trois quarts de siècle. Bien que les allusions aux
domaines fonciers soient parfois mentionnées dans des registres royaux anciens,399 ce qui devrait
signifier qu’un document se rapportant au titre du droit d’usage du foncier existait bien, mais sans
doute sous une forme différente, aucun plan de la ville de l’époque antérieure n’a pourtant été
retrouvé. Ce vide a permis à la France d’établir plus aisément sa méthode de gestion du sol, sur le
modèle français appliqué dans la plupart de ses colonies, tout en l’adaptant de manière à ce qu’il
398 Benevolo L., « La colonisation européenne dans le monde », in : Histoire de la ville, éd. Parenthèses, 1983, 1994,
2000.
399 Les textes royaux qui mentionnent l’attribution des terres aux monuments religieux furent mis à jour à travers les
études des inscriptions, notamment celles de That Luang par M. Lorrillard. In : M. Lorrillard, « les inscriptions du That
Luang de Vientiane : données nouvelles sur l’histoire d’un stupa lao », BEFEO, 2003-2004 n°90-91.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 247 -
s’accorde aux besoins et aux réalités rencontrées sur place.
A cette époque, dans la réalité territoriale de ville détruite (concernant Vientiane) ou de
ville non administrée et parsemée (pour les autres villes de province), nous pouvons seulement
remarquer certains éléments bâtis subsistant en état ou en ruine, de type monumental tel que les that
et/ou communautaire tels que les vat, les remparts, les digues, échappant à la destruction, aux
intempéries, quasiment les seuls marqueurs d’anciens territoires urbains. Les habitations civiles se
raréfiaient dans les centres anciens pour se disperser dans les villages des alentours, les habitants
fuyant le centre à cause des souvenirs des rafles durant les guerres siamoise et hô. Dans
l’élaboration de ses plans, l’administration coloniale ne manquait pas d'intégrer les relevés de ces
éléments bâtis, sans toutefois pouvoir délimiter de manière exacte les parcelles qu’ils occupaient. La
représentation de l’emprise des anciens monuments n’est parfois pas exhaustive ou aboutie, comme
le montrent les relevés de Parmentier réalisés en 1911 à Vientiane, où seuls les morceaux de
monuments restant visibles à l’époque ont pu être relevés. Le plan de Vientiane dressé en 1896 a
inventorié, entre autres, les vat et les that que nous pouvons également retrouver représentés dans le
plan de 1905, classés comme étant des domaines religieux et légendés “ terrains appartenant aux
pagodes ”.
400 Il s’agit de vastes terrains avec une délimitation assez nette, cette fois-ci grâce à leur
enclos souvent formé de palanques dont la pointe des pieux en bois était sculptée. Les incendies et
la mise à sac de Vientiane en 1829 avaient détruit la majeure partie de ces édifices pour ne subsister
que des ruines, les terrains appartenant aux pagodes sont pourtant les mieux préservés dans leur
forme parcellaire.401 Quant à la limite et à la forme des parcelles d’habitation, elles étaient très
imprécises, voire inconnues. A contrario, le mode d’habiter subsistant était aisément identifiable. Ils
sont désignés, selon le vocabulaire de l’époque, comme étant des “ terrains érigés par les
indigènes ”. Le plan de 1905 mentionne également des “ terrains érigés par l’administration ”. Il
s’agit là encore de grands terrains dont les éléments bâtis ont complètement disparu ou formant des
ruines. Ce sont des anciens monastères ou d’anciennes demeures princières et royales.
L’administration française réinvestit ces lieux, béants et martyrisés par l’histoire,402 pour y
construire des équipements administratifs et des résidences pour son personnel, dès la première
année de son installation en 1900. Par rapport au contexte de désoeuvrement des établissements que
l’administration française trouve à son arrivé, seule la ville de Luang Prabang conserve sa densité,
car elle se reconstruit assez rapidement après les attaques des Hô.403
La restructuration et le développement du territoire des villes et de leurs éléments bâtis
ainsi que la reconstitution de leur démographie n’ont pu être réellement possibles qu’à partir de
l'établissement des premiers cadastres en 1912. Bien que seuls les plans cadastraux de Vientiane et
de Luang Prabang aient pu être retrouvés, nous pensons avec certitude que ceux de Thakkek,
Savannakhet et Paksé ont également été élaborés. Car, comme Vientiane, ces villes ont été établies
durant la même période, et leur érection en commune accompagnée de diverses constructions, telles
des compartiments en front de rue. Par ailleurs, les cessions de parcelles aux commerçants chinois
et vietnamiens nécessitaient des plans cadastres et des titres fonciers. L’établissement de ces
documents conférait aux villes nouvellement érigées en commune404 un statut plus urbain, et
donnaient des possibilités nouvelles aux activités commerciales que les autorités françaises ne
cessaient de promouvoir pour attirer non seulement les Lao de la rive droite, mais surtout les
400 Cf. Plan de la ville de Vientiane 1905, échelle 1/10 000e
, M. Kléber, inspecteur de la garde civile. 401 La violation des terrains appartenant aux domaines religieux est un fait assez rare chez la population lao. Outre la peur
des esprits qui sont sensés habiter les limites des monastères, c’est le respect des lieux sacrés qui empêche les gens de
squatter les parcelles monastiques même lorsque ces parcelles sont inoccupées et tombées en déshérence. Autrefois plus
qu’aujourd’hui, les Lao croyaient également que les anciens terrains appartenant aux pagodes ne sont pas propices pour
les usages laïcs, notamment pour les activités commerciales.
402 Vientiane a été incendiée et mise à sac vers 1827 et 1829 par les Siamois et ses habitants ont été déportés au Siam,
suite à la lutte de libération avortée de Chao Anouvong, roi de Vientiane. 403 Les attaques des Hô forçaient le roi Ounkham, accompagné d’Auguste Pavie (premier Consul en poste en février
1887), à fuir la ville de Luang Prabang. 404 Vientiane a été érigée en centre urbain en 1904. Document administratif, fonds GGI, CAOM.
Fig. 51. Projet
d’extension de
la ville de
Vientiane,
montrant le plan
de zonage autour de 1920Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 248 -
immigrés, ouvriers et commerçants, chinois et vietnamiens. Ils confortaient surtout le pouvoir
administratif qui pouvait à partir de ces documents mettre en place des taxes foncières et des
références par rapport aux marchés fonciers qui se constituaient alors peu à peu.
Le plan de 1952, réalisé durant les premières années de l’indépendance du pays405 n’est pas
un plan cadastre à proprement parlé, mais un plan de zonage pour l’extension de la ville de
Vientiane, avec identification des zones appartenant aux différents domaines. Il identifie le domaine
fédéral, le domaine national, le domaine communal et le domaine religieux –pagodes et églises.406
Dans l’ensemble, il y a donc assez peu de différenciations dans le statut foncier. Par ailleurs,
l'extension de la ville au-delà de la première ceinture ne s'était pas appuyée sur ce plan, ni sur les
domaines qui ont été inventoriés. La ville au-delà des boulevards Khouvieng-Khun Bourom s'était
développée entre les années 1940 et 1960 sans structure, sans guides et sans références de
planification, en tout cas sans se fonder sur les dispositifs du cadastre. Il faut attendre
l'établissement du plan cadastre élaboré en 1964, le deuxième cadastre du pays, réalisé par le
gouvernement du Royaume du Laos, pour que le phénomène d'expansion et de développement
urbain soit formellement pris en compte dans un document de régulation foncière et de contrôle
territorial et économique. Ce cadastre répondait en fait à deux besoins majeurs. Le premier était
d’identifier les terrains qui s’étaient déjà constitués, mais sans titre et sans matricule foncier, c’est-à-
dire régulariser le phénomène de transaction et de cession foncière qui s’était déjà largement
développé, en particulier pour des terrains situés au-delà de la première enceinte. Ceci en ce qui
concerne la ville de Vientiane ; le second était de mieux contrôler le développement de la ville en
cours et d’accompagner l'étude de son premier plan urbain407 élaborée par le BCEOM sur
commande du gouvernement royal. C'est ce cadastre qui avait effectivement accompagné, la grande
expansion de la ville de Vientiane dans les années 1960.
Nous pouvons dire que c’est durant ces trente ou quarante premières années du siècle
dernier que se constituent les principaux types de parcelle ainsi que les quartiers urbains avec, en
conséquence, la restructuration des bâtiments existant et l’introduction de nouvelles typologies,
pour Vientiane, du moins à l’intérieur de la première enceinte de la ville. Nous pouvons voir plus en
détail comment la restructuration parcellaire et du cadastre a-t-elle des implications sur la
structuration du bâti dans le chapitre traitant de « l’évolution spatiale ». Cependant, nous voulons
noter ici comment le cadastre et le tissu colonial ont-ils une importance par rapport aux trames
viaires qui marquent durablement la structure des villes et en particulier le cœur des villes.
L’établissement du tissu colonial qui se superposait sur le tissu lao, aidé et structuré par le
plan cadastre, donnait une place aux trames viaires comme un composant urbain essentiel et majeur,
ce qui n’était pas le cas de la structure urbaine traditionnelle existante. La mise en place du cadastre
et donc de l’identification et de la clarification des parcelles apportait une vision nouvelle au tissu
urbain traditionnel. D’abord, la mise en forme du plan cadastre et des bornes obligeait une précision
et un métrage qui n’était pas le premier souci des parcelles traditionnelles. La délimitation
parcellaire ancienne existait bien entendu, mais son usage ne respectait pas strictement cette
délimitation. Ensuite, dans le cas de Vientiane, nous constatons clairement que les premières
parcelles cadastrées se créaient en se greffant aux trames viaires, tandis que les parcelles qui
n’étaient pas au bord des voies seraient cadastrées bien après. La constitution de l’îlot se réalise en
ce cas avant la constitution de la parcelle. Le processus de création du tissu urbain de ce type
commence d’abord par la délimitation des îlots avec la construction des voies. Celles-ci sont
bordées ensuite par du bâti de nouveau type, tels les compartiments et les équipements publics. Ceci
405 Le traité de 1946 garantit l’indépendance du Laos dans l’Union Française, celui de 1954, la convention de Genève pour
la paix en Indochine, donne en définitive l’indépendance du Laos.
406 Domaine fédéral pour la Fédération Indochinoise ; le domaine national pour la Circonscription Territoriale du Laos ; le
domaine communal pour la Commune de Vientiane ; le domaine religieux était la structure locale quasi-unique au
moment de l’installation de l’administration coloniale. 407 Il s'agit du premier schéma directeur mis à l'étude entre 1958 et 1964 par le BCEOM.
Fig. 1. Plan
cadastre de
Vientiane de
Luang Prabang.
1912. Guillini.
Fig.52. Le plan
cadastre de
Vientiane, 1964
Fig. 53. Plan de
Vientiane,
1895
Fig. 54. Plan de
Vientiane,
1905Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 249 -
est représentatif du processus de création de l’espace colonial, en contact avec le contexte local qui
prime d’abord le cœur des îlots avant leurs limites. On le voit avec la constitution des grands îlots
urbains à Savannakhet enfermant un village ancien entier, voire, plusieurs villages, avec des limites
parcellaires qui restent longtemps imprécises.
Comme nous l’avons vu précédemment, le tissu colonial s’établissait avec ses constructions
sur les fronts des trames viaires, occupant d’abord les grandes parcelles et ensuite les plus petites.
Le service des travaux publics implantait d’abord les bâtiments clefs (notamment le bureau de la
Résidence), il procédait aussi à la réfection des voies existantes et à la construction de nouvelles
voies publiques. Venaient après la construction des autres bâtiments administratifs, puis les
bâtiments résidentiels et commerciaux bordant les voies, rejetant en arrière les habitations
“indigènes ”
408 jusqu’à ce que celles-ci disparaissent pour s’implanter ailleurs ; ou alors, lorsque les
îlots étaient de taille importante les bâtiments coloniaux construits en front de rue enfermaient
l’habitat indigène dans le cœur des îlots. Sauf dans le cas où un quartier a été construit et restructuré
complétement, comme par exemple à Vientiane les quartiers quadrillés de Simuang et de Anou. A
Savannakhet, Thakkek et Paksé les nouveaux quartiers de ce type s’implantaient quasiment dans les
mêmes conditions.
De ce point de vue et mise à part les nouveaux quartiers coloniaux entiers, nous pouvons
dire que la structure coloniale qui se greffe, est uniquement structurelle et ne pénètre quasiment pas
dans les parcelles indigènes. Ceci, bien que dans certains cas les chemins de servitude ont été établis
dans le plan cadastre afin de permettre l’accès au cœur des îlots, et bien que l’établissement du
cadastre lui-même nécessite une connaissance détaillée à l’échelle des parcelles. Nous pouvons
remarquer dans cet ancien cadastre que les cœurs d’îlot n’ont pas tous été cadastrés. Seuls les
quartiers les plus centraux sont concernés et en général, ce sont d’abord les fronts de rues qui sont
cadastrés. Ce qui signifie aussi que les premières transactions foncières, dont l’administration
publique était elle-même le promoteur, concernaient d’abord les parcelles en front de rue en
particulier celles destinées aux implantations des compartiments commerciaux chinois que
l’administration française avait favorisée pour que les centres urbains (de Vientiane notamment)
puissent prendre vie autour des activités commerciales dont ils souffraient de l’absence.
Le processus de fabrication du tissu urbain tel que nous venons de le décrire peut être
qualifié de linéaire en front de rue. Ce principe est fondamentalement opposé aux caractéristiques et
à la forme des tissus urbains lao traditionnels. Effectivement dans le tissu lao, il faut pénétrer dans
le cœur des îlots à l’échelle de la parcelle et de l’habitation pour comprendre le principe de
fonctionnement des limites parcellaires qui sont quasi imperceptibles depuis les grandes voies. Or
l’établissement du cadastre nécessite une vision claire en cœur d’îlot et une compréhension du
fonctionnement local. Malgré la restructuration des limites parcellaires avec l’établissement du
cadastre depuis le début du siècle dernier, nous remarquons encore jusqu’à la révision du dernier
cadastre achevé vers 2005, que le cœur de nombreux îlots reste vivace dans la persistance de la
structure parcellaire lao : voies et venelles tortueuses, étroites, ombragées et surtout mal délimitées ;
les limites entre parcelles restent parfois imprécises et souvent matériellement absentes. Nous
remarquons parfois qu’il existe une liaison discrète et informelle entre l’enclos des monastères, les
venelles et certaines parcelles.
II. I. b. 6. Les nouveaux programmes et les équipements publics coloniaux
Parallèlement à l’appropriation coloniale des trames et armatures urbaines, la restructuration
du bâti et du parcellaire, c’est le programme des équipements publics qui allaient transformer le
tissu des villes lao les plus importantes. Pour comprendre cette période que l’on peut également
qualifier de période de programmation urbaine, nous avons essayé de dresser deux listes pour en
408 Le terme indigène est couramment utilisé dans les cartes et plans coloniaux pour désigner le ou les parties de la ville
majoritairement occupées par les locaux distinctes des parties occupées par les Vietnamiens, les Chinois et les Français.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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faire des comparaisons : l’une concerne le programme des constructions anciennes (lao), l’autre
concerne le programme des constructions coloniales.
Les deux listes mettent en évidence la limite du programme ancien des constructions lao et
au contraire, l’ampleur du programme colonial. Beaucoup d’édifices nouveaux et de fonctions
nouvelles ont été introduits dans les villes lao lors de la construction de la ville coloniale. Certains
de ces programmes d’équipements étaient jusqu’alors absents de l’espace lao et d’autres existaient
probablement. Nous pensons donc que certains programmes réintroduits par la ville coloniale
auraient existé auparavant, mais auraient disparu dans l’incendie (pour Vientiane) ou abandonnés
par leurs usagers perdant ainsi leur fonction (pour les autres villes).
Les programmes coloniaux dans leur ensemble induisaient non seulement la construction
des nouveaux édifices jamais connus dans le pays, mais apportaient aussi un changement spatial au
niveau des gabarits, de l’échelle et du tissu urbain. Ils devraient également mettre en exergue un
renouvellement social des habitants. Et par la même occasion, ils devraient induire la réduction et
l’altération du programme des espaces traditionnels. Les grands équipements coloniaux tels que les
campus hospitaliers par exemple lorsque les grandes parcelles traditionnelles ne suffisaient plus
pour leur emprise, l’administration procédait parfois au remembrement de plusieurs parcelles. On
peut aisément imaginer cela pour la construction de l’hôpital central de Luang Prabang aujourd’hui
transformé en hôtel de luxe. Pour Vientiane, il est difficile de trouver des exemples parlant
puisqu’en étant la capitale ayant des équipements anciens importants, notamment l’ancien complexe
du palais royal et ses annexes, la ville possédait alors des grandes parcelles qu’il n’était pas
forcément nécessaire au début pour l’administration coloniale de remembrer pour construire ses
équipements. Au contraire, les parcelles auraient été davantage démembrées pour les installations
privées que sont les compartiments commerciaux.
La comparaison entre les deux plans cadastre dressés en 1912 (l’un sur tissu et l’autre sur
papier) met en évident ce procédé réalisé dans un laps de temps assez court, en particulier sur le
quartier situant entre That Dam et Sihom-Thongtoum. Sur le plan en tissu, la zone présente encore
un vide qui doit correspondre à un ensemble de rizières et de terre humide. Sur le plan papier, la
zone est occupée par un ensemble de trames et des parcelles constituées avec bâtiments. Le plan en
tissu est certainement antérieur de 2 à 3 années, même si les deux sont datés de 1912. Le cadastre a
probablement commencé dès le début du XXe siècle pour terminer dans la partie la plus centrale en
1912. Et lorsque le plan sur papier a été réalisé en 1912, on voit que la petite enceinte est déjà
entièrement cadastrée et les parcelles démembrées ou remembrées.
Pour comprendre quel rôle jouaient ces nouveaux équipements dans l’organisation
coloniale, et quelles implications spatiales avaient-ils dans l’ensemble de la ville, nous tentons
d’étudier l’emplacement de certains d’entre eux au moment de leur construction et au moment de
l’évolution de la ville. Sur ce, les notes de l’administration coloniale409 mentionnaient que les
équipements dans leur ensemble ont connu une longue période provisoire. Mise à part le siège de la
Résidence Supérieure à Vientiane, beaucoup de bâtiments (à Vientiane et dans les provinces) étaient
construits en paillote, parfois en tôle ondulée. Et ceci, jusqu’à la période 1907 et 1910 pour
Vientiane (plus tardivement pour les villes moins importantes), lorsque fut mis en application
l’arrêté du Commissaire du Gouvernement interdisant l’utilisation des matériaux provisoires dans
certains centres urbains.410
Les régies et les douanes
Nous examinons deux cas, celui de Luang Prabang et de Vientiane. Le fait que
l’emplacement de ces bâtiments est la plupart du temps situé à l’embouchure d’une rivière peut-il
409 Rapport au Conseil Supérieur de l’Indochine sur le Laos 1909-1910, cote D3, fond GGI, CAOM. 410 CAOM / Fonds GGI / Bâtiments civils / H7. 15 486.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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constituer une spécificité de ce type d’équipement ? A Vientiane, les douanes et régies étaient
installées à l’embouchure de Nam Passak, à Luang Prabang au bout de la péninsule, entre Nam
Khane et le Mékong. C’est le bâtiment qu’occupe aujourd’hui la Maison du Patrimoine. Les
embouchures sont des lieux hautement sacrés pour le schéma symbolique de la plus part des villes
du Laos. Mais le choix colonial est tout à fait hasardeux par rapport à cette question. Il a semblé que
le choix des embouchures des rivières débouchant sur le Mékong était considéré du point de vue de
la circulation des personnes et des trafics des produits rentrant et sortant des affluents pour
alimenter les villages qui les bordent et, en sens inverse, la ville.
A Vientiane Nam Passak ne semblait assumer ce rôle que de manière limitée, car ce cours
d’eau ne parcoure la petite plaine que 4 à 5 kilomètres vers le Nord de la ville, par ailleurs très peu
peuplé, et ne desservait que quelques petits villages bien avant d’arriver au niveau de Nong Py-ing
et avant de rejoindre le canal Hong Sèng. Bien qu’il soit tout à fait probable que la petite plaine
avec ses riches rizières et ses riches nong et zones humides ait pu utiliser cette voie de trafic pour
acheminer les produits vers le centre de la ville se trouvant sur la berge, il serait très improbable que
ces éléments soient les raisons qui ont conduit à l’installation des régies et des douanes à
l’emplacement de l’embouchure de Nam Passak. A Vientiane la construction des douanes et régies
a été terminée en 1907411 et celle du trésor public qui a terminé la même année sera agrandit en
1910. Le centre urbain de Vientiane ayant été institué en commune en 1915 sera doté de douane
communale.412 Les douanes et régies abritaient probablement le bureau de la douane communale.
En 1927 des logements ainsi qu’un autre bureau des douanes et régies, ont été construits à
Vientiane.413 Il y a deux ensembles de bâtiments d’anciennes douanes et régies qui subsistent
jusqu’en 2009, le premier à l’embouchure de Pak passak, le deuxième juste de l’autre côté du
boulevard. Ce serait ce deuxième qui fut construit en 1927. Cet équipement ne s’éloignait
apparemment pas de l’embouchure de la rivière.
Les intérêts économiques issus du contrôle des flux et des trafics sembleraient insuffisants
pour monopoliser cet endroit dans le cas de Vientiane. Par contre dans les cas de Luang Prabang et
de Paksé, il serait tout à fait probable. D’abord parce que les deux rivières étaient beaucoup plus
importantes que la Nam Passak, ensuite, les villages au bord de la Nam Khane et de la Xédaun
étaient plus nombreux ainsi que leurs productions. L’enjeu de la Xédaun semblait important. La
rivière remonte vers Saravan et desservait des villages fournisseurs des denrées de la forêt et de l’or.
Dans l’ancien temps (avant la période coloniale) elle était l’une des plus grandes voies de liaisons
entre les villages de la forêt profonde -majoritairement peuplés de communautés ethniques- et les
muang des T’aï qui avaient choisi, eux, les plaines plus ouvertes sur les cours d’eau les plus
importants.
Si la volonté de contrôler les voies de trafics fluviaux ne semblait s’appliquer qu’une fois
sur deux dans le choix d’implantation des équipements en rapport avec la contribution, le site des
embouchures -occupant une position importante ou pas- devenait le site type d’implantation de ce
genre d’équipement.
Les hôpitaux
Les hôpitaux, les dispensaires et les équipements scolaires, étaient le programme le plus
connu et le plus apprécié par les indigènes. La ville coloniale, et la ville tout simplement, était
rendue visible aux regards des indigènes notamment par cet équipement. Avant même que les sept
centres urbains se soient constitués entre 1906 et 1916, les capitales provinciales ont été dotées dès
1900 d’équipements hospitaliers, le choléra ayant été enregistré entre 1895 et 1902, des assistances
411 Dossier « Régime douanier - Laos zone franche. 1912-1914 » / Uo. 41 835/ Chambre de commerce/ Fonds GGI/
CAOM.
412 CAOM/ Fonds GGI/ Douanes communales de Vientiane/ M9. 60714. 413 Construction logements et bureaux des doanes et régies à Vientiane 1927/ CAOM/ Fonds GGI/ H7. 57 293.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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médicales ont dû commencer assez tôt. Les hôpitaux contribuaient à donner plus d’importance aux
agglomérations existant et à leur développement. Un peu plus tard, dans les sept centres urbains, ils
devenaient des complexes plus importants qui ne cessaient après de s’agrandir et d’évoluer faisant
l’objet de réhabilitation et d’extension, alors que la population des villes durant la période coloniale
s’accroit lentement. Les besoins de ce type d’équipement n’étaient pas proportionnels à
l’accroissement de la population urbaine, puisqu’ils ne s’adressaient pas uniquement aux urbains,
mais aux ruraux des villages et des agglomérations limitrophes qui venaient gonfler le nombre des
utilisateurs. On peut même dire que cet équipement n’avait jamais pu être un équipement abouti,
aussi bien au niveau programmatique qu’au niveau bâti. Et ceci, jusqu’à une période tardive.
L’exemple de l’hôpital Mahosot à Vientiane est typique. Construit vers 1903, puis régulièrement
réhabilité et agrandi, il a connu les grands travaux d’extension dans les années 1960. Le dossier de
réhabilitation et d’extension de cet hôpital est encore à jour aujourd’hui, plusieurs dossiers et projets
ont été proposés par plusieurs pays donateurs : France et Japon notamment.
La programmation et le type d’architecture des hôpitaux de provinces ont été à peu près
callés sur les mêmes modèles que celui de Vientiane, avec quelques variantes. La position de
l’hôpital était assez centrale, dans le quartier administratif de la ville coloniale. Pour Vientiane, elle
était juste adjacente au siège de la Résidence Supérieure. On note dans le rapport sur la
Circonscription Territoriale des Travaux Publics du Laos414 que des gros travaux de réparation et de
nouvel aménagement ont été faits sur les équipements de santé, particulièrement à Vientiane.
Concernant cet équipement, il était à noter que les bâtiments de consultation sont soumis à une
ségrégation sociale et ethnique. Par sa popularité et très probablement par sa gratuité, il accueillait
des populations de tout bord. Ainsi y avait-il des pavillons réservés aux Européens, aux indigènes,
aux bronzes, aux femmes, aux prisonniers, aux contagieux, aux Annamites. Il était également
mentionné qu’il y avait des pavillons payants, ce qui signifiait que le reste n’était pas payant, d’où
sa popularité. Cette ségrégation ne semblait pas dérangeante à l’époque, au contraire, il facilitait la
gestion de la santé publique. Il mettait en évidence le fait que la différenciation ethnique et sociale
dans l’approche du problème de santé, des soins du corps et dans l’approche de la mort, exprimée
dans la répartition fonctionnelle de l’espace bâti, était induite par la culture de chaque groupe
d’utilisateur des lieux. Par exemple, un lao doit mourir à la maison pour avoir droit aux veillées
funèbres au foyer familial. S’il meurt à l’extérieur de la maison, notamment à l’hôpital, le corps
mortuaire ainsi que les veillées funèbres doivent avoir lieu au sala de la pagode. C’est alors toute
l’organisation du village qui veille à ce que cette règle soit respectée pour le bien-être de toute la
communauté. Cet impératif fonctionne toujours aujourd’hui.
Les prisons, les commissariats, les bâtiments de sureté
Les prisons, les bâtiments de sureté ainsi que les commissariats de police occupaient une
place importante dans les villes par leur emprise, mais aussi par l’autorité qu’ils exerçaient sur la
population. En particulier lorsque ceux-ci se construisaient dans le quartier central des villes et
s’imposaient pour représenter le pouvoir et la justice coloniale. Cet équipement se construisait de
préférence dans les quartiers centraux lorsque les villes offraient des espaces adéquats, un peu en
périphérie lorsque les villes n’offraient plus de places. A Vientiane, à Paksé les prisons et les
commissariats occupaient ainsi une position assez centrale, à Luang Prabang beaucoup moins. Très
peu d’équipements de ce type sont aujourd’hui conservés. Ils ont été souvent démolis dès
l’indépendance, par exemple la prison centrale de Vientiane qui était construite à l’emplacement de
l’école de médecine.415 La prison de Paksé a été démolie pour laisser la place au campus
administratif de la ville lors du développement des villes secondaires à la fin des années 1990.
414 Rapport de Circonscription Territoriale des Travaux Publics du Laos année 1941-1942/ cote D3. CAOM. 415 En 2008 l’Institut Mérieux y construit son laboratoire. En 2010-2011 l’Institut Pasteur y construit sa partie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les prisons étaient principalement entourées d’enceinte (mur haut) avec des tours de guet
ou des miradors. La ville s’organisait indifféremment de ce qui se passait à l’intérieur de l’enceinte
de la prison, qui était alors mystérieuse et qui faisait en même temps craindre. La prison de Luang
Prabang située en dehors du centre de la ville vient récemment d’être réhabilitée en hôtel de luxe, et
l’hôtel du commissariat de Vientiane, en musée national. En fait, aucune prison ou poste de
commissariat n’a été conservé en tant que tel. Si ces bâtiments ne sont pas démolis, ils changent de
toute façon de fonction.
Les prisons étaient apparues assez tôt, en même temps que l’installation des centres
administratifs. Il était, en tout cas, fortement lié à la vie urbaine qui se constituait alors. En 1902, la
prison des condamnés a été construite à Vientiane pour recevoir des prisonniers jugés dangereux
provenants des autres commissariats des provinces. En 1917, le grand commissariat a été construit.
En 1941, on commençait d’autres travaux neufs et de réparations : notamment construction de la
Garde Indochinoise, reconstruction d’un mur d’enceinte de la prison de Vientiane,416 grosses
réparations de la gendarmerie de Vientiane, aménagement du commissariat de police de Vientiane.
Le bâtiment de sureté a été centralisé à Vientiane dont les travaux ont commencé en 1941 et
terminer en 1942. Son programme était assez simple. D’après les archives coloniales, pour
Vientiane, le centre de sureté disposait de dix pièces, en plus des salles de photo et de laboratoire,
des salles pour l’identité et la police administrative. La salle de permanente occupait le rez-dechaussée,
l’étage étant réservé au secrétariat et à la police spéciale, isolé du rez-de-chaussée.
L’étage était fermé à clé en dehors des heures de bureau. 7 agents sont logés dans l’enceinte de la
sureté qui comprenait en outre deux groupes de violon (prison d’un poste de police) et un garage.417
Les marchés
C’étaient les marchés qui donnaient vraiment un aspect urbain aux villes et qui étaient aussi
des lieux où Français, Chinois, Annamites et indigènes avaient l’occasion de se croiser,
probablement le seul moment où il y avait échange entre ces communautés. Les locaux qui
vendaient les produits de consommation provenant de leur propre jardin, de la cueillette et de la
chasse (légume, fruit, gibier, etc.) étaient habitués aux simples étalages de produits sur natte à même
le sol, ou posés sur les sanaène418 couverts ensuite de paillotes, car les marchés locaux étaient ainsi
organisés avant l’arrivé des Français. Traditionnellement, les emplacements des étalages aux
marchés n’étaient pas payants. Avec l’administration coloniale les indigènes (les Lao et les
minorités) allaient connaître un autre type d’espace à commercer, un lieu espace qu’ils tentaient de
s’y intégrer.
Les lieux de marché étant les premiers inscrits dans le programme d’équippement de service
urbain et aménagés dans le but d’animer la ville et de faire vivre l’économie de proximité locale,
que leur construction soit issue des investissements privés ou publics, que les marchés soient gérés
par une autorité publique ou une compagnie privée, les emplacements n’étaient plus désormais
gratuits mais payants. De ce fait, beaucoup d’indigènes installaient leurs étales aux abords des
marchés, sur les bords même des rues, difficilement réglementés. Les emplacements à l’intérieur
des marchés auraient souvent été occupés par des vrais commerçants. En ce cas, ils étaient rarement
lao. On peut dire que les indigènes occupaient alors les alentours ou la deuxième couronne du
marché, c’est-à-dire, l’espace que l’on voyait tout de suite lorsqu’on arrivait sur la place du Marché.
En quelques années, cette occupation périphérique du marché, administrativement en marge, mais
spatialement intégrée, devenait une image pittoresque des villes. Le marché de Vientiane à la place
Nam Phou actuelle était ainsi le plus typique d’un marché colonial urbain. Il était de même pour le
marché de Paksé où en plus des étalages de fruits et légumes ou autres denrées, les marchands
416 Rapport de Circonscription Territoriale des Travaux Publics du Laos 1941-1942/ Cote D3. 417 H7. 15 392/ bâtiment civile/ GGI/ CAOM. 418 Sorte de banquette en bambou surélevée sur quatre pieds de 40 à 50 cm. Ce meuble à multi usage est généralement
posé sous les pilotis pour se reposer ou travailler.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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ambulants qui venaient aussi stationner autour du marché central formaient un autre groupe
d’animation à l’ambiance urbaine. Plus tard, ces marchés coloniaux se retrouvaient souvent saturés.
Un deuxième marché, plus grand, serait alors construit, dans un quartier moins central mais offrant
plus de places.
Dans les autres villes du Nord et du Sud, plus proches des minorités ethniques, il y aurait
une plus grande appropriation encore de l’espace commercial par les indigènes, en devenant plus
souvent un espace de trocs. Les minorités venant de leur montagne essayaient d’y écouler leurs
produits pour repartir avec les autres produits qui leur maquaient. Les marchés de Muang Sing par
exemple étaient ainsi très colorés par les produits, mais aussi par les personnes qui venaient vendre
et acheter. Les marchés étaient construits comme un simple grand pavillon à colonnes, couvert soit
par des tuiles soit par la tôle, sans mur, permettant une bonne aération et une bonne circulation des
personnes.
Vientiane n’avait pas conservé son marché central, la place de la fontaine l’a remplacé
depuis le début des années 1960. Le marché dit central s’est déplacé depuis lors au marché du matin
d’aujourd’hui. Luang Prabang et Paksé avaient conservé leur vieux marché jusqu'à récemment. Le
marché Dala de Luang Prabang a été démoli en pleine période de conservation du patrimoine
mondial, et tout de suite reconstruit avec des galeries marchandes plus modernes. Celui de Paksé a
brûlé et a été reconstruit plus grand et plus haut. Le marché de Attapeu garde encore certains
aspects de son passé : la petite taille, la désorganisation, l’implantation sur la partie un peu
décentrée de la ville.
Au final quasiment aucune ville n’a conservé leur vieux marché colonial. Le
développement urbain actuel étant plus axé sur la répartition fonctionnelle de l’espace, il tend
généralement à proposer les nouveaux marchés à l’extérieur ou en périphérie des villes,
abandonnant la mixité fonctionnelle qu’incarnaient les marchés de proximité coloniaux ou les
anciens petits marchés indigènes qui se constituaient souvent de manière aléatoire : au bord d’une
voie, sous les pilotis d’une maison, regroupés au bout du village, etc.
La tentative pour Muang Sing de promouvoir l’ancien marché en liaison avec le programme
de développement socioéconomique local –entendant comme lieu de promotion des produits
artisanaux des minorités ethniques de la région limitrophe– n’a pas été d’une grande réussite. Un
programme de sensibilisation et d’assistance à la gestion du marché a manqué au projet : la plupart
du temps, touristes et acheteurs éventuels trouvent le marché fermé.
Les jardins
Dans les villes coloniales du Laos, il n’y avait pas vraiment de grands jardins publics, mais plutôt
des petits jardins et des squares. Les rues étant en général plantées sur leurs deux côtés avec des
essences choisies pour le parfum de leurs fleurs, et ayant de larges trottoirs, les berges du fleuve ou
des rivières étant assez présentes dans les villes, ils constituaient des lieux de promenade possible
pour les colons et devenaient alors des espaces d’agrément en soit. Les jardins étaient du coup de
plus petite taille. Des efforts spécifiques ont été faits pour le jardin botanique de Vientiane qui était
à l’emplacement de l’hôtel Lane Xang d’aujourd’hui. C’était un cas exceptionnel pour ainsi dire. A
Parxé on remarquait un petit square avant d’arriver au pont métallique qui traverse la Xédaun.
Notons que les jardins publics n’existaient pas en tant que tels dans les villes traditionnelles.
Les villes lao dans leur composition habituelle étaient très plantées, et ce sont les parcelles privées
qui sont les plus arborées. Les jardins des pagodes étaient les seuls qui se rapprochaient de
l’utilisation publique. La culture des promenades d’agrément dans un jardin public n’existait pas
alors dans la culture lao. La réjouissance de la nature et du paysage appartenait à l’individu et au
domaine privé : on se réjouit de la nature chez soit, dans son propre jardin et on se réjouit du
paysage librement selon la capacité de reconstitution et d’imagination de notre vision et de notre
mental.
Fig. 53.
Marché de
Nam Phou à
VientianeDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le jardin public était donc un programme né avec la ville coloniale et appartenant à la
culture occidentale. On pouvait se poser la question si le manque de grand jardin public colonial au
Laos était ou pas lié à la pratique et à la culture locale, au fait que les jardins publics étaient absents
dans les villes lao traditionnelles. Il serait ainsi fort probable.
Les lieux éducatifs
Les lieux éducatifs coloniaux avaient deux implications importantes au Laos : d’abord du
point de vue spatial et ensuite du point de vue social.
Du point de vue spatial, la création des écoles primaires puis secondaires, ainsi que des
formations professionnelles, ont été un attrait significatif pour les lao. Etant traditionnellement
appartenues au complexe religieux de la pagode, les écoles –celles installées par les Français–
étaient devenues indépendantes des monastères, un programme à part entière. En 1903, on installait
des dispositifs pour l’enseignement franco-lao à Vientiane. Entre 1906 et 1907, on procédait à une
première réforme sur l’enseignement indigène dans les grands centres du pays. En 1908 – 1909, on
installait le principe de l’instruction publique dans l’ensemble du pays419 et l’école Tafforin420 à
Vientiane était en quelque sorte la vitrine. Mais les grands centres restaient les plus privilégiés. On
parlait de groupes scolaires comprenant les classes, l’administration et le logement du directeur et
parfois des instituteurs et professeurs. L’un des premiers groupes scolaires a ainsi été construit en
1909. La plupart des écoles publiques étaient construites sur les mêmes modèles envoyés depuis le
bureau central de l’éducation. Par exemple, on remarque dans une des notes administratives que les
écoles de Xiang Khouang de Thakkek et de Savannakhet utilisaient quasiment le même projet, le
même plan.421 On remarquait aussi qu’au niveau du primaire, on distinguait l’école des filles et
l’école des garçons, alors que dans l’enseignement traditionnel indigène, seul les garçons
fréquentaient l’école. Les filles, lorsqu’elles sont dans une famille “un peu spéciale”, c’est-à-dire
“ excentrique ”, apprenaient à lire à la maison.
Les lieux éducatifs construits par la politique et la ville coloniale étaient une véritable
révolution sociale que les Lao n’avaient jamais connue. Ils étaient accessibles aux filles et aux
minorités. C’était également un tremplin social, dans la mesure où ils permettaient l’émergence
d’une petite bourgeoisie liée à la fonction publique. Pour beaucoup de jeunes élèves formés, le
Français allait être leur première langue écrite. Les premières vagues étaient surtout formées au
Français et aux emplois administratifs et affectés au travail de l’administration, dont l’effectif
indigène manquait. Après leur scolarité et leur formation, ils allaient occuper les postes
administratives, plus ou moins importantes, les éléments les plus brillants rejoignaient parfois les
anciens aristocrates qui étaient les premiers intégrés dans l’administration coloniale. Désormais, il
n’y avait pas seulement que l’aristocratie et le clergé qui pouvaient accéder au poste de
fonctionnariat comme à l’ancien temps. Un simple fils de paysan dont les parents, plus ou moins
riches, ont décidé d’envoyer à l’école des Français, pouvait prétendre dès lors occuper une fonction
importante.
Les lieux de loisirs et de culture
Les lieux de loisirs faisaient également leur apparition en tant que programme nouvel.
Jusqu’à la période coloniale, mise à part les cours des pagodes (et l’esplanade, pour Vientiane) –
lieux polyvalents par excellence pour toutes activités communautaires, il semblerait qu’il y avait
auparavant dans les principales villes (Vientiane et Luang Prabang) des lieux de théâtre. Au palais
royal ce fut le hô khrol (pavillon des danseurs de masques). Dans les villages urbains il a semblé
que ce fut simplement le hong lakhone réservé à des pièces dansées du Ramayana. Dans les années
419 L’enseignement franco-lao à Vientiane 1903/ CAOM/ GGI/ R2. 20 308 ; Réforme de l’enseignement indigènes 1906-
1907 ; Instruction publique Laos 1908-1909/ CAOM/ GGI/ Enseignement/ R2. 51 067. 420 R5. 2634/ GGI/ CAOM. 421 Carton 645. Dossiers 17-20/ GGI/ CAOM.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 256 -
1950 à Ban Vat Chanh, derrière Vat Inpèng à Vientiane, il y avait encore une petite salle en bois où
des pièces dansées et chantées ont été représentées. Il serait probable que ce genre de salle était
apparu au moment de l’apparition à partir des années 1950-1960 du lam leuang (pièce de théâtre
chantée et dansée).422 Mais il serait également probable qu’il était la survivance d’un équipement de
loisir déjà ancien. Cependant, le lam leuang très apprécié vers 1950 et 1960, pouvait être joué
n’importe tout à partir de trois personnages sur une natte entourée de spectateurs, et plus tard, sur
des estrades dans les cours des pagodes, chez les privés lors des fêtes. Il n’y avait alors pas de raison
particulière d’avoir une salle spécifique pour sa représentation. Par contre les pièces du Ramayana
ne pouvaient être joués dans les mêmes conditions que le lam leuang, de par son côté élitiste à la
limite du sacré. Dans l’ancien temps, il a été joué par des maîtres et des danseurs de métier dans le
hô khrol situé dans l’enceinte du palais royal, donc forcément inaccessible au peuple. Et pourtant, le
peuple connaissait le Ramayana par la lecture des textes au monastère, mais aussi par les
représentations dansées. Où pouvait-il voir cette représentation alors ? Comme nous l’avons
souligné le Ramayana ne pouvant être joué dans les mêmes conditions que le lam leuang, cela
supposerait qu’un lieu ou un type de salle lui a été aménagée pour que le peuple puisse aussi voir sa
représentation en dehors du hô khrol du palais royal.
Les villes coloniales importantes se dotaient des salles de fêtes. Mais ce lieu était réservé
plus à la communauté colon qu’aux autochtones. On organisait des fêtes nationales, des grandes
réceptions pour les hauts administrateurs en missions, etc. La grande salle de fête de Vientiane a
ainsi été construite à l’emplacement de Hô Kham actuel, dans l’ancienne enceinte du palais royal.
Le musée des Antiquités a été construit également pas loin, en 1910,423 probablement à Vat
Sissaket. Les deux équipements étaient sensés de donner à Vientiane sa position de capitale, au-delà
du fait d’être le siège de la Résidence Supérieure. Mais rien ne subsiste de ces équipements
coloniaux. Dans le même type, le programme d’hôtel que l’on nommait plutôt bungalow, construit
plus tard vers 1930, subsiste exceptionnellement encore aujourd’hui et conserve la même fonction.
Il s’agit du Sétha Palace à Vientiane.
Les lieux de cultes
L’Église catholique a été un des lieux caractéristiques des villes coloniales. Leur édification
était surtout destinée à la communauté colon, puisque les indigènes convertis au Christianisme
représentaient un nombre limité. Parmi les Annamites qui venaient travailler au Laos, certains
étaient chrétiens et leur nombre venait gonfler les diocèses du Laos. L’Église catholique semblait
s’organiser en quatre provinces ecclésiastiques depuis le début de la période coloniale : évêché de
Luang Prabang, de Vientiane et Borikhamsay, de Savannakhet et de Champassak.
424 Dans les quatre
provinces, d’importantes églises ont été construites. Elles occupaient souvent le centre de la ville,
dans le quartier colonial, à côté du quartier administratif. Bien qu’elle soit centrale, l’Église
catholique n’appartenait qu’à la société coloniale. Il y avait très peu de catholique lao à l’époque,
par contre les minorités ethniques non-bouddhistes adhéraient significativement à cette religion.
L’adhésion au catholicisme chez les Lao et en particulier chez les minorités correspondait à un
intérêt assez précis à l’époque : c’est aussi à travers l’église que l’on accédait à l’éducation et aux
soins médicaux, ou à d’autres formes d’aides et de soutiens. Alors que le monastère bouddhiste
mobilisait des donations et de la solidarité individuelle vis-à-vis de la communauté, l’Église
catholique qui cherchait à construire un diocèse local prodiguait des aides à ses nouveaux convertis.
Malgré ces efforts, le christianisme ne pouvait pas concurrencer les temples bouddhistes.
422 Chayphet Sayarath, texte de présentation de la carrière de Molam Samane, lors de l’exposition temporaire dans
l’ancienne maison de Marc Leguey, 2004. 423 R61. 20 217 / Vientiane GGI / CAOM. 424 En 2005 il y a les quatre mêmes évêchés. On inventorie 95 églises, 129 prêtres dont 114 nonnes. Les catholiques du
Laos sont au nombre de 41 746 personnes. Cf. Maha Khampheuil Vannosopha, Les activités religieuses en RDP Lao,
2005.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 257 -
La place des monastères bouddhistes restait privilégiée et vivante. Après l’affaiblissement
de l’aristocratie locale (dû à la guerre siamo lao) qui était le plus fervent défenseur et constructeur
des monastères et de leur pouvoir, la population poursuivait à son échelle ses soutiens au monastère
en y menant des activités religieuses et en se consolidant socialement autour de lui. Peu à peu, le
clergé regagnait sa place. L’administration coloniale a dû donc se recomposer avec ces éléments
indigènes persistants pour gérer le Laos. Mieux encore, c’est en partie grâce à l’élite ecclésiastique
que la société lao a pu se reconsolider progressivement.
Beaucoup de monastères devenaient des ruines à l’arrivée des Français. Et durant les
premières années de la colonisation, certains finissaient par disparaître pour laisser les terrains
vacants, investis ensuite par l’administration coloniale. La plupart des monastères ont été réinvestis
et restaurés par la population elle-même, en même temps que la restauration des cultes. D’autres
monuments plus importants, représentatifs de la valeur artistique, faisaient l’objet de restauration
par l’Autorité coloniale.
Le lien étroit entre la renaissance progressive des lieux de cultes bouddhistes et celle de la
société lao était flagrant. Les monastères étaient quasiment les seuls équipements indigènes qui
persistaient et qui occupaient une place importante dans la ville coloniale, du point de vue spatiale
et de fréquentation. Il suffit de reconsidérer aujourd’hui la densité du nombre des monastères dans
les villages urbains à Vientiane et à Luang Prabang, un peu moins dans les autres anciennes villes
coloniales, pour mesurer leur importance passée.
II. I. b. 7. La démographie coloniale
Les premiers recensements de la population ont été réalisés par l’administration française
vers la fin du XIXe siècle, et comportent des lacunes, puisqu’ils n’ont pas été exhaustifs : c’est une
évaluation plus qu’un recensement.
Notons sans exhaustivité qu’en 1905 a été effectuée la statistique ethnique du Laos.425 Puis
en 1938, des études démographiques ont été réalisées.426 Malgré cela, les faits qui contribuaient le
plus aux lacunes de cette démographie coloniale furent (encore) l’ambiguïté des territoires qui
faisaient partie du Laos et qui faisait aussi l’objet de démembrement et de remembrement. Il s’agit
du Laos occidental, de quelques muang à l’extrême sud du pays, du Sip Song Chou Tai
427 et d’une
partie du Sip Song Phan Na (le Xieng Khèng). Ces faits étaient liés aux différents traités entre la
France et la Chine, entre la France et les Anglais et entre la France et le Siam, concernant la
formation du territoire colonial du Laos, du Cambodge et du Vietnam.
Effectivement selon que le recensement de la population du Laos avait été effectué avant ou
après les traités, la situation aurait été différente. Par exemple Aymonier, qui a effectué en 1885 un
voyage dans le Laos siamois, aurait recueilli des données sur la population différemment de ce qu’il
avait fait, s’il avait effectué son voyage après les différents traités et événements importants. Or ses
données ont été recueillies avant la prise du Sip Song Chou Tai en 1888 où plusieurs muang lao ont
été définitivement attachés au Tonkin français, avant le traité franco siamois de 1893 où le Siam a
reconnu la souveraineté de la France sur la rive gauche du Mékong et donc démembré de son
territoire de la rive droite, avant le traité de 1903 où la France a récupéré les trois territoires lao
(Xayaboury, Champassak et Xédaun), avant le traité de 1906 où la France a cédé Dane Say lao au
Siam pour récupérer Banthambong, Siem Reap et Sisophon pour le Cambodge français ; et avant le
traité franco chinois en 1895 où les Chinois a remis à la France le territoire de Ou-Neua.428
425 Statistique ethnique du Laos 1905/ R7. 23 832./ CAOM. 426 Etudes démographiques du Laos, 1938. D2/ 53 621 ; 53 608 ; 53 498/ GGI/ CAOM. 427 Le Laos siamois a été souvent été évoqué grâce à Aymonier (op, cit.) Cependant il était rare d’évoquer le Laos
Annamite qui concerne la région du Sip Song Chou Tai attachée au Tonkin arbitrairement par la France. Le Laos
Annamite – Région des Tiên (Aïlao) des Moïs et des Phou Euns (Cam – Môn et Tran-ninh), (restitué en 1893, en tête du
titre : affaires franco – siamoises, C. 265). Germain et G. Grassin, Paris, A. Challamel. 1894. 240/160. 86 pp. Carte dépl.1. 428 Annexe 1 de cette thèse : Eléments chronologique de l’histoire politique du Laos.
Tab. 15. Liste
comparative des
programmes de
constructions
lao et colonialesDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 258 -
Prenons un autre exemple : les données sur la population des IVe et Ve territoires militaires
français que Tiao Khammanh Vongkotrattana a recueillies dans son histoire de Phongsali
proviennent des documents qui datent entre 1915 et 1931, après la fin des invasions hô dans le Nord
Laos en 1915. Événement qui a dû beaucoup marquer la répartition démographique et ethnique du
Nord Laos.
Durant la deuxième guerre mondiale, la situation territoriale du Laos Occidental a dû
encore changer. Les alliés en Asie pacifique et la France en Indochine étaient en position de
faiblesses. La Thaïlande rangée du côté des Japonais croyant être en position de forces de manière
durable, réclame et l’obtient en 1941-1942429 les territoires lao qu’elle a perdus en faveur de la
France en 1903. Après la guerre et la réddition du Japon, en 1946 le Siam est forcé de rendre de
nouveau ce territoire à la France.430
Dans une certaine logique, les administrateurs coloniaux ont dû effectuer leurs
recensements seulement sur la rive gauche du Mékong après 1893, alors que les premières missions
exploratoires du Laos, en particulier celle de Aymonier, se faisaient en territoires qui n’existent plus
au Laos après 1893 et comportaient des critères plus larges. Puisqu’elles ont permis de mettre en
évidence (bien que les chiffres exacts soient manquants) la population d’ethnie lao sur le territoire
qu’il a parcouru sur le plateau de Khorat et jusqu’à la limite du mont Dangrèk. Il s’efforce
effectivement d’effectuer une évaluation démographique en reprenant d’abord la configuration
traditionnelle ethnolinguistique puis en suivant la configuration plus ou moins tracée par le système
de conscription mis en place par les Siamois pour prélever les capitations que la population en
question est sensée de payer aux autorités qui les administraient. Et c’est ce qui définit le statut et
l’appartenance ethnique de cette population, clairement définie comme lao par les Siamois.
Nous constatons après coup que l’instabilité territoriale empêche une étude démographique
conséquente. La population du Laos peut passer du simple au triple, selon comment on considère le
territoire : avec ou sans le Laos Occidental. Cette démographie met en évidence, en tous les cas, que
l’Indochine française perd en termes économiques et de perceptions non-négligeables, un manque à
gagner dans la partie occidentale de son empire indochinois si celle-ci avait été maintenue. Les
rapports économiques annuels font apparaître chaque année431 que les dépenses pour le
développement intérieur du Laos provenant des sources locales étaient pauvres, et que le budget
local était constamment déficitaire. Le manque à gagner aurait pu alors contribuer à combler ces
dépenses, au lieu de laisser instaurer, comme ce fut le cas, la situation critique qui faisait du Laos
effectivement le territoire le plus pauvre de l’Indochine en termes d’investissement public. Ce
problème touchait directement la question de partition du Laos, Orientale d’un côté et Occidentale
de l’autre.
La première partition du Laos, le Laos français et le Laos siamois
La pertinence de l’analyse de Aymonier n’a pas été assez prise en compte à l’époque, du
fait de l’incompétence et probablement aussi de la médiocrité des administrateurs et des politiques
coloniaux, mais surtout du fait que les désavantages issus des choix politiques étaient remplacés par
autres intérêts plus importants, placés à un autre niveau : notamment ceux de configurer un
ensemble territorial indochinois bien consolidé à l’égard de l’Empire Britannique. Un territoire
occidental au-delà du Mékong serait un appendice difficile à gérer pour l’Indochine. Et qu’il serait
inutile de rentrer dans les détails sur les questions culturelles et ethniques, en ce qui concerne la
région de Muang Thaèn. Son intégration au Tonkin se faisait de manière si naturelle, sans
convention ni traitée. Rétrospectivement, les études historiques et anthropologiques qui mettent en
429 La Thaïlande déclare l’état de guerre avec l’Indochine française le 7 janvier 1941. Cf. Guerre de réclamation du
territoire, Visithavong Na Pomphet, 2009, Bangkok, éd. Sèngdao, (en Thaï) 216 p. 430 Au Traité de Washington, le 14 novembre 1946, la Thaïlande restitue Champassak et Xayaboury au Laos français. 431 Cf. Les Rapports Economiques du Laos. Fonds GGI. CAOM.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 259 -
évidence l’importance de Muang Thaèn pour l’histoire du Laos ne manquent pas de démontrer que
la politique coloniale de partition territoriale du Laos était “ odieuse ”. Par ailleurs, concernant la
configuration de cet empire colonial, il faut aussi s’entendre avec les Anglais. Un territoire tampon,
que sont le Siam et le Laos Occidental (annexé à la fin du XVIIIe siècle par le Siam et confirmé
durant la période coloniale), devrait être intègre. Et ni Français, ni Anglais n’auraient le droit
d’intervenir dans ce territoire. S’appuyant sur ces principes et sur cette circonstance garantissant
l’intérêt des deux empires coloniaux, le Siam maintenait avec fermeté l’intégrité de son territoire
par son annexion définitive du Laos occidental dans tous les traités franco - siamois.
Devant le fait accompli sur le partage du Laos, le roi de Luang Prabang, Sakkarinh, sollicita
alors la France pour réclamer aux Siamois son territoire ancestral :
« (…) Je demande à Votre Excellence la permission de vous remettre une protestation au sujet du
règlement des frontières de mes Etats situés sur la rive droite du Mékong et de vous donner les
explications suivantes (…) maintenant que je suis vassal de la France, je viens prier Son Excellence
le Gouverneur Général de me faire rendre les frontières de mes Etats telles qu’elles ont été dressées
dans le document remis par le Gouverneur siamois, afin que je rentre en possession de mes
anciennes possessions et afin que je ne sois pas sacrifié au royaume de Siam (…) ».
432
Même si cette réclamation concerne pour la circonstance le territoire de Xayabouri,433 il
semble qu’elle peut désigner aussi, entre deux mots, l’intégralité du territoire qui a été occupée par
le Siam depuis la fin du XVIIIe siècle.434 Cependant, cette protestation n’aurait de la valeur qu’à
condition que la France accorde une considération nécessaire à la légitimité du pouvoir traditionnel
indigène, ou du moins qu’elle comprenne l’importance historique et culturelle du Laos Occidental.
Or, cette dernière n’y voit aucune obligation, ni raison politique ou historique de considérer, avec
sérieuse, quelconques réclamations des rois du Laos435 qui effectivement n’avaient aucun pouvoir,
ni politique, ni militaire et ni économique, tiraillés entre le Vietnam et le Siam. Autrement dit, les
autorités coloniales sous-estimaient l’influence, du point de vue culturel et historique, que ces
derniers pouvaient avoir sur les populations locales. En occurrence, il n’était pas étonnant que les
rois indigènes ont été considérés la plupart du temps comme des « roitelets » par les administrateurs
français. Parfois, certains administrateurs avaient un regard plus clairvoyant que d’autres : ils
pouvaient déceler les raisons culturelles et le danger qu’il y avait à laisser séparer le Laos occidental
du Laos français. Sur le territoire du Sud par exemple, de Tournier –Résident Supérieur alors du
Laos – a noté en 1902 dans son rapport au Gouverneur Général de l’Indochine, le problème “ des
Lao coincés ” dans le territoire de Strung Trèng que la France a amputé au Laos pour le rattacher au
Cambodge en 1904 pour des raisons de facilité administrative. Il souligne la gravité et les
dommages sociaux que ces gens encourent en devenant cambodgien, car coupés de leur
communauté d’origine. Il exprime également les difficultés auxquelles il doit affronter en tant que
Résident Supérieur pour maintenir la paix et l’ordre dans le territoire lao contre les révoltes
éventuelles qui pourraient être issues de cette décision arbitraire prise par le ministère des colonies.
Un problème démographique, deux faits convergents
Le problème démographique du Laos est lié à deux faits : d’abord, cette faiblesse
démographique est traditionnelle, endogène au territoire lao et à son mode d’organisation. Ceci est
432 Extrait de la lettre de protestation du roi de Luang Prabang, Sakkarinh, adressée au gouverneur général de l’Indochine,
le 26 décembre 1902. In. Recueil des traités Franco-Siamois délimitant la frontière de l’Indochine et du Siam (Lao-Thaï)
1886 - 1946. Publication du Département des Traités et du Droit, Ministère des Affaires Etrangères, RDPL. N° 003 Mars
1996.
433 Il était peu probable que Sakkarinh ait pu avoir une vision plus large du territoire au de-là de celui qui était intégré à
Luang Prabang durant la “ période des trois royaumes ”. Donc ce qu’il appelait « mes anciens Etats » ne peuvaient être les
territoires qui appartenaient à Champassak ou à Vientiane.
434 Champassak tombe vers 1778 sous les troupes de Maha Kasark Suk, futur Rama Ier du Siam. Vientiane tombe sous les
mêmes troupes en octobre 1779. Luang Prabang sera soumis la même année mais sans batail.
435 Au début du XXe siècle, il existe encore deux rois au Laos : le roi de Champassak et le roi de Luang Prabang, la lignée
de Vientiane étant décimée par l’armée siamoise.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 260 -
caractérisé par des territoires, des villes et des villages peu peuplés, une organisation politique et un
système particulier de répartition des hommes sur le territoire prenant en compte cette carence (la
question est précisée dans le point traitant de « l’esquisse de modèles spatiaux endogènes ».)
Ensuite, cette faiblesse démographique est historique liée aux déplacements forcés de la population,
en particulier durant l’occupation siamoise.
Les villes du Laos ne sont pas des grands centres urbains. Le pays sortait d’une période
précoloniale difficile. Le contexte qui précédait l’arrivée des Français montrait un pays en
désœuvrement. La guerre siamoise les a rendues plus parsemées, du point de vue physique et
humain : destruction et dépeuplement de la capitale, les autres villes sont désarticulées entre elles et
par rapport à leur centre ancien de décision et de pouvoir. En conséquence, les carences
démographiques ont été les problèmes les plus éprouvés dans la fabrication de la ville coloniale,
hérités du passé proche et lointain. Ils étaient persistants et entravaient la mise en marche du
développement du Laos, de ses centres urbains et de l’ensemble de son territoire, dès le début de la
colonisation et dans les années qui ont suivi.
Un manque de personnel et d’activités commerciales et la politique de l’immigration
Lorsque la Résidence Supérieure a été installée à Vientiane et les postes de Commissaires
remplaçant les postes de Commandant Supérieur dans les provinces en 1900, la nécessité de
restructurer l’ensemble de l’organisation administrative du pays était devenue urgente. Il nécessitait
surtout plus de personnel. Dès lors, l’administration était tout de suite confrontée au problème de
manque de ressources humaines locales. Successivement de statut de postes militaires qui
exerçaient également les charges administratives nous passions au poste administratif de Résident
(pour Vientiane) et de Commissaire (pour les provinces) puis aux charges attachées à la fonction de
centre urbain entre 1906 et 1916436 et enfin de siège des communes. Très vite, il était constaté que
ce manque ne concernait pas seulement le corps administratif, mais une population parsemée rendait
également difficile l’urbanisation des centres urbains et des communes qu’elle venait de créer. Le
procédé traditionnel du déplacement plus ou moins forcé de la population, qui avait été pratiqué
auparavant par l’administration royale pour peupler certaines villes et remédier au problème de
faiblesse démographique n’a pas été pratiqué dans le cadre de la politique coloniale.
Pour reconstruire le pays en ce début de la colonisation, il était alors nécessaire pour
l’administration de constituer au plus vite le personnel administratif intermédiaire (tels que les
emplois administratifs, de secrétariat, d’infirmiers et d’aide soignants, de maître de chantier de
construction, etc.), postes qui auraient du être occupés par les indigènes. La première vague de
formation de l’élite locale à l’école coloniale était en cours et représentait un nombre limité.
L’administration préconisait alors une politique de “ colonisation annamite ”.
437 Elle faisait venir du
Viêtnam plusieurs milliers de personnes : employés administratifs, personnels de service, artisans,
ouvriers, etc. Ils étaient accompagnés aussi de leur famille.
Il était aussi nécessaire de peupler les centres urbains et leur munir d’activités. Dans les
premières années, les boutiques et les activités de services se faisaient rare en ville. La politique
d’encouragement de l’immigration chinoise a alors été mise en place. Pour monter les commerces,
l’administration a essayé d’intéresser les commerçants chinois438 en proposant des facilités
436 Divers centres Urbains ont été érigés au Laos entre 1906 et 1916. Cf. CAOM, fond GGI, côte D3 (15 483, D38). Au
total l’administration coloniale avait institué sept centres urbains : Luang Prabang, Vientiane, Thakhek, Savannakhet,
Paksé, Xieng Khouang et Paksong. Labarthe C., Quelques aspects du développement des villes du Laos, Travail d’Etudes
et de Recherches, octobre 1969, Université de Nordeaux, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Institut de
Géographie.
437 « Colonisation annamite au Laos 1925-1026 »/ Rapport administratif/ CAOM/ fond GGI/ MU 48 054 ; « Essai de
colonisation annamite au Laos 1903 »/ Mission Le Houan/ CAOM/ Fond GGI/ Chambre de commerce/ MO. 430. 438 Le cercle chinois au Laos a été remarqué en 1908. Son rôle était de rassembler la communauté chinoise vivant au Laos.
Un réseau pour faciliter les installations du commerce était déjà probablement très entretenu entre chinois de l’Indochine,
à côté des facilités administratives fournies par l’administration coloniale. CAOM/ GGI/ Cercle/ D624. 15 501/ Cercle
chinois au Laos. 1908.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 261 -
administratives et des offres foncières avantageuses. Ainsi, le droit d’acquisition des immeubles par
les étrangers a-t-il été mise en application dès la première décennie du XXe siècle.439 Des
allègements fiscaux ou des suppressions de franchises douanières a été repérés en 1932.440 Mais il
aurait été probable que des efforts ont déjà été faits en ce domaine deux décennies plus tôt. Les
commerçants chinois fuyant la famine qui a sévi le Sud de la Chine, les sino-vietnamiens et
viêtnamiens venant du Vietnam occupaient petit à petit le secteur. Ils ouvraient des boutiques dans
des compartiments à rez-de-chaussée qui donnaient directement sur la rue. Ainsi, les rues des villes
laotiennes commençaient-elles à avoir des fronts bâtis continus, alors qu’ils étaient constitués
auparavant d’espaces verts, intercalés avec des palissades et des clôtures végétales plus ou moins en
alignement irrégulier.
Les cinq villes les plus importantes du Laos allaient dès lors connaître une certaine vivacité.
Deux périodes ont pourtant été remarquées comme une régression : au début des années 1930 et
durant la deuxième guerre mondiale. Ainsi pouvait-on lire dans un rapport économique de 1935441
:
« la reprise constatée dans le Sud n’est pas ressentie à Vientiane. Le prix de transport est cher.
Plusieurs commerçants ont fermé boutique. Les statistiques de l’année passée montrent, dans la
colonie chinoise, le nombre de départs a très sensiblement dépassé celui des arrivés. » Par
l’importance de cette migration, la population urbaine du Laos était donc composée majoritairement
d’étrangers sauf pour le cas de Luang Prabang où les Lao restaient exceptionnellement majoritaires.
Une population locale peu concernée par la ville coloniale
L’administration coloniale était confrontée à un troisième problème, après une faiblesse
démographique traditionnelle et une population parsemée pour cause de déplacement. Il s’agissait
de la désertification volontaire de la ville par les indigènes. Ceci, à l’égard surtout des nouvelles
communes telles que Vientiane, Savannakhet, Thakek et Paksé. Seule la ville de Luang Prabang
était une exception, puisqu’elle était la seule grande agglomération à la fin du XIXe siècle à avoir
entre 8.000 et 10.000 habitants.442 La population de cette ville consolidait sa présence autour du roi
et de la communauté religieuse et y menait une vie citadine plus marquée qu’ailleurs. Alors qu’à
Vientiane, sans le roi, les princes et les élites traditionnelles, les habitants se retrouvaient comme
sans « meneur » [z6joe], dispersés et désœuvrés. Pour qu’ils puissent adhérer de nouveau à une
autorité (coloniale) il fallait que les liens et la confiance puissent se tisser ou alors il fallait que les
deux parties partagent certains intérêts et certaines valeurs. Or pour eux, les Français venaient d’un
autre monde, et ils n’appréciaient guerre leurs assistants vietnamiens.
Les Lao étaient minoritaires dans les villes. Ils s’étaient plutôt installés dans les villages
périphériques. C’est seulement après 1950443 au moment de la décolonisation qu’ils se sont
« intéressés » à la ville, car ils s’y sont installés pour occuper des emplois administratifs. Et ce n’est
qu’en 1954 que le chiffre s’est renversé pour Vientiane : les Lao devenaient enfin majoritaires.
Cependant, la substitution du personnel administratif français et vietnamien par les Lao, faisait
apparaître non pas une société plus citadine, mais plutôt une bourgeoisie liée à la fonction publique,
pas plus citadine qu’auparavant, mais qui le devenait progressivement. La classe sociale de la
fonction publique est parfois issue d’une petite aristocratie provinciale. Elle a une racine rurale très
forte et n’a pas de connexion avec le commerce, ou alors exceptionnellement. Du coup, si parmi le
personnel de service et les agents exécutants administratifs vietnamiens beaucoup sont rentrés chez
439 « Droit s’aquisition des immeubles par les étrangers au Cambodge et au Laos »/ CAOM/ GGI/ M7. 60 913. 440 Supression de franchises douanières / CAOM / Fond GGI / Chambre de commerce / U10. 43 402. 441 CAOM / Fond GGI / « Rapport économique, 1er semestre 1935, à Vientiane ». Signé le Résidence de France A Torel. 442 Les chiffres donnés sur la population de Luang Prabang à la fin du XIXe siècle ont été estimés par plusieurs
explorateurs et administrateurs. Dans leur ensemble les chiffres variaient entre 8000 et 10 000 habitants.
443 Le traité pour l’indépendance du Laos a été signé en juillet 1949. Certains ministères, telles que le Ministère des
Affaires Etrangères et le Ministère de la Défense, étaient encore sous tutelle de la France. C’est avec le traité de 1954
marquant la fin du conflit indochinois que le Laos devient totalement indépendant.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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eux,
444 par contre beaucoup d’ouvriers et de commerçant chinois et sino-vietnamiens sont restés et
ont continué à entretenir le petit commerce de proximité que les Lao ne le faisaient que très
rarement.
Durant toute la période coloniale et dans l’ensemble du pays, le fait que le phénomène
urbain des villes concernait très peu les Lao, pouvait trouver quelques explications.
En effet, avec tout le mal que les autorités coloniales avaient pour édifier les villes, la
population lao a été peu concernée par la construction de la ville, à la grande incompréhension des
administrateurs coloniaux les plus acharnés à “ rebâtir le Laos pierre par pierre ”.
445 Au contraire,
elle continuait à prendre de la distance à l’égard du centre, habitude qui s’était installée durant la
mise à sac de la ville par l’armée siamoise au début du XIXe siècle. Psychologiquement la
destruction de Vientiane et de Muang Phouan ou d’autres anciens muang ainsi que la déportation de
leurs habitants exerçaient une peur chez ceux qui ont pu échapper et qui transmettaient cette peur à
leurs enfants et dans la mémoire familiale et régionale. Pour eux, c’est en se concentrant dans le
centre que les Siamois ont pu rafler tant de monde. Alors il fallait rester en dehors de la ville et au
moindre signe de menace, ils pourraient ainsi se cacher dans la forêt qui n’était pas très loin de la
ville à cette époque, et parfois, ils trouvaient des refuges et des caches dans les grottes.
Un autre facteur qui semblait expliquer pourquoi les Laotiens étaient peu concernés par la
ville, était que l’édification de la ville par l’autorité coloniale n’était pas pour eux la reconstruction
de leur ville détruite. Le mode de mobilisation de la main d’œuvre (la corvée au lieu des travaux
communautaires) et le mode de gestion des hommes (par les fonctionnaires étrangers et non pas par
leurs seigneurs ou leurs chefs) n’étaient pas les leurs, totalement différents et incompréhensibles,
auxquels la conscience populaire associait au passé de l’occupation siamoise. A cet égard, nous
constatons encore aujourd’hui que le vocabulaire utilisé pour désigner les Siamois et les Français en
tant que « colon » était curieusement le même et héritait de cette compréhension populaire, corrigé
par les discours idéologiques, nationaliste, anticolonialiste et marxiste. En effet il s’agit du
terme sakdina446 pour sakdina siam et sakdina falang, dans le sens d’“ impérialiste siamois ” et
d’“impérialiste français ”. La notion d’“ impérialisme local ”, sakdina thongthinh, a aussi été
conçue pour qualifier l’élite lao qui avait participé à la démarche coloniale. Seule l’élite
aristocratique qui entretenait un lien symbolique avec le peuple échappait à ce qualificatif (du moins
jusqu’à 1975). Cette compréhension ne relève pas d’une erreur de jugement de l’histoire par le
peuple, elle est seulement attachée à un angle de vérité et non à la totalité de la problématique. Elle
montre rétrospectivement que le fait colonial n’était pas une reconstruction de leur espace et de leur
société (qu’ils en soient conscients ou pas), mais une continuité d’un phénomène de construction
spatiale et urbaine.
La construction des villes et du pays lao était en fait aussi l’édification, l’agrandissement et
la consolidation de l’empire colonial français, que le Laos en désœuvrement avait du saisir comme
une dernière chance pour exister. Exister dans le giron de la colonisation et dans l’ombre de la
France au lieu de disparaître, c’était l’idée qu’a semblé accepter le roi Sakkarinh de Luang Prabang
lorsqu’il s’adressa au Gouverneur de l’Indochine « […] maintenant que je suis vassal de la France
[…] ». Cette compréhension qui se traduisait par une complaisance vis-à-vis du pouvoir colonial
semblaient incarner la bonne conscience de l’ensemble de l’aristocratie locale, d’où une
colonisation jugée dans son ensemble douce et sans révolte, par les colonisateurs eux même. Sans
444 Un nombre très important de Vietnamiens en quittant le Laos, ne rentrent pas forcément au Vietnam. Ils se sont
émigrés en Thaïlande où une partie de leur famille était déjà installée, en se concentrant plus dans la région Nord-est.
Nous verrons que ce groupe aura un rôle non négligeable du point de vue social, économique et politique : ils constituent
ainsi la première génération des Viet-kyèo ayant un rapport étroit avec les faits coloniaux et la formation des forces
communistes et anticoloniales de Ho Chi Minh.
445 Expression utilisée au début du siècle par les administrateurs coloniaux devant l’ampleur de tâches à réaliser pour
développer le pays lao. Voir notamment Le Laos française, A. E. Picanon, Paris 1901. 446 Sakdina, de sakti (Sk) ou satti (Pl), personne possédant titres, pouvoirs, lance (armes), compétences.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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cette résignation consciente de l’élite traditionnelle, Auguste Pavie ne pourrait qualifier
rétrospectivement ses actions pour intégrer le Laos dans l’empire français comme une “ conquête
des cœurs ”.
447
Le retour au pays des lao du Siam
Pour repeupler les villes, en premier temps, l’administration coloniale encourageait les Lao
qui ont été déportés au Siam à revenir au Pays. Elle soutenait l’action de quelques anciens
administrateurs royaux, dans leur mission d’aller chercher en territoire siamois les Lao qui y ont été
amenés de force. Le nombre des retours était important, mais pas assez pour combler le vide.
Malgré les accords tacites entre la France et le Siam448 sur le principe du retour des Lao, l’action des
autorités siamoises entravait bien souvent et clairement, leur retour. Beaucoup de familles ont été
retenues au Siam pour cause de procès et de dettes, pas forcément justifiée, notait ainsi un
administrateur français dans son rapport sur le rapatriement des Lao de la rive droite. Nous pouvons
lire encore dans le rapport des administrateurs que la déception était grande concernant le nombre
de ces retours, que cela était dû ou pas aux abus des Siamois qui intentaient des procès à ceux qui
voulaient revenir.449 Même si ce retour ne correspondait pas à ce que les administrateurs français
attendaient, nous verrons par la suite qu’il va marquer de l’intérieur la société lao tout le long de la
première moitié du XXe siècle, voire, jusqu’aux années 1960, puisqu’il y a des retours réguliers par
petits groupes ou individuellement.
Malgré les efforts, le développement des villes lao durant la période coloniale a été peu
dynamique par rapport aux autres capitales de l’Indochine. Les activités commerciales et la
croissance de la population durant la période coloniale étaient surtout redevables à l’immigration et
ensuite à un développement interne de la souche laotienne qui prenait plus de temps à se confirmer.
Ce développement a aussi connu quelques ralentissements pendant les hostilités de la Seconde
Guerre mondiale, pour reprendre un rythme régulier après jusqu’au début des années 1960.
II. I. b. 8. L’ambiguïté entre méconnaissance de la ville laotienne et volonté d’établir une
continuité spatiale
La question des remparts et la compréhension de la structure spatiale indigène
« […] La limite extérieure de la ville est toujours provisoire, notamment parce qu’il n’y a
pas besoin de remparts ni de fossés […].»450 Le propos de Benevolo, désignant l’un des principes
morphologiques des villes coloniales, explique assez bien le peu de places accordées aux murs
d’enceinte de Vientiane durant la période coloniale. Relevé sur le plan de 1896 et encore apparente
sur le plan cadastre sur tissu de 1912, il disparaît du plan sur papier de la même année : le boulevard
Doudart de Lagrée se construisait dès lors sur ce rempart, rebaptisé depuis l’indépendance les
Boulevards Khoun Bourom et Khouvieng. Khou Vieng signifiant “ le rempart de la ville ” le nom
des nouveaux boulevards coloniaux rappelle ainsi l’ancienne fonction de l’ouvrage. Haut de plus de
4 mètres et large de plus de 1,6 mètre, l’ancien rempart était défensif avec ses merlons, ses bastions
et son terre-plein. Il semble caractériser ces cités tai au rempart de brique (lorsque celui-ci n’est pas
447 Auguste Pavie, A la conquête des cœurs. Devant l’assaut des Hô associés aux troupes des chef tai de Muang Lay, le roi
Ounkham aurait été sauvé par Auguste Pavie et ses hommes qui en s’enfuyant de Luang Prabang l’enmenèrent avec eux
en bateau. Cependant, dans Histoire de Phongsaly, Tiao Vongkotrattana Khammanh évoque cet événement sans parler de
Pavie : « […] Khamhoum (Déo Van Tri) attaqua le palais royal vers midi, le mercredi du 3e nuit de la lune décroissante
du 7e mois (10. 06. 1887). Les lao ne pouvant venir à bout des Hô et des Tai de Muang Lay, s’enfuyèrent alors. […] Le
Somdet Phra Chao Mahinh (Ounkham) s’était sauvé par la barque royale […] ». 448 « Rapport sur le retour de la population vers Vientiane 1894-1896 »/ CAOM/ Vientiane GGI/ E3. 20735 ;
« Rapatriement des Lao à Vientiane »/ CAOM/ Vientiane GGI/ F146.25332 ; « Retour de 2000 Lao à Vientiane en
1898 »/ CAOM/ Vientiane GGI/ F742.20903. 449 Il faut remarquer que les retenus pour dettes pouvaient rester à vie esclaves des familles siamoises, si non il fallait
payer une somme d’argent pour les acquitter. « Plainte des Lao pour rentrer au Laos 1903 »/ CAOM/ Vientiane GGI/
F147. 21822 ; « Contestation entre habitants rive droite et rive gauche 1898 »/ CAOM/ Vientiane GGI/ F130. 20841. 450 Benevolo, « La colonisation européenne dans le monde », in : Histoire de la ville, éd. Parenthèses, 1983, 1994, 2000.
Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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en terre ou en palanque) doublé par une douve souvent navigable. La disparition de ces éléments
bâtis a dû beaucoup changer le caractère général des villes et le rapport à leur environnement
immédiat que sont les rizières et les lambeaux de forêt qui les entouraient. L’aménagement des
boulevards qui remplaçaient souvent les remparts obéissait à une nécessité du temps : en Europe,
cela faisait longtemps que les villes débordaient de leur enceinte intégrant les faubourgs et les
boulevards.
Les projets politiques pour la construction des villes coloniales
Les travaux des théoriciens et les grands projets de transformation des villes européennes
n’auraient pas été complètement étrangers à la construction des villes dans les colonies. Les grands
percements haussmanniens et l’embourgeoisement de la ville avec la création des places et leurs
façades de représentation, la pensée hygiéniste et technicienne des ingénieurs, ainsi que celle des
utopistes avait dû influencer certaines idées qui ont conduit les projets de développement et
d’embellissement des villes coloniales. Les Gouverneurs Généraux de l’Indochine successifs ne
manquaient pas de les mettre en application. Projetés quelques décennies auparavant, ils avaient été
proposés dans le Plan Doumer451 en 1898, en partie réalisées puis différées à cause des hostilités de
la Première Guerre mondiale. Après la guerre, la loi pour la mise en valeur des colonies françaises
présentée par Albert Sarraut en 1921452 aurait plus de conséquent sur les grandes villes
indochinoises telles que Phnom Penh et Saïgon.
Pour le Laos, ce sont plutôt les réseaux routiers et fluviaux qui en auraient bénéficié le plus.
Dans les rapports des Circonscriptions Territoriales des Travaux Publics, les volets concernant les
travaux des routes et de dérochement du Mékong et d’autres fleuves occupaient une place
importante. Les objectifs généraux étant de faciliter les transports et les liaisons de l’Indochine
Occidentale, de désenclaver le pays lao par rapport à l’ensemble de l’Indochine et de créer la mise
en liaison interne des centres urbains entre eux et entre les centres urbains et les différents petits
établissements villageois éparpillés et reculés. Un autre objectif était aussi de mieux répartir les
hommes sur l’ensemble de l’Indochine. D’après les administrateurs le Laos serait-même le mieux
placé pour accueillir l’immigration venant du Tonkin et du Nord d’Annam surpeuplé, mais à
condition que les réseaux de transport et de route soient améliorés.453 Le développement et le
peuplement du Laos colonial dépendaient ainsi de son désenclavement.
La loi Cornudet promulguée en 1919 pour l’embellissement des villes françaises aurait eu
aussi des répercussions dans les colonies quelques années plus tard. Elle aurait été traduite par la
construction des belles villas coloniales sur l’alignement des grandes voies, par l’aménagement des
rues et des boulevards plantés et des jardins publics (rue Sethathirat, Sam-Saèn-Tai, la première
tranche de l’avenue Lane Xang, le jardin botanique à l’emplacement actuel de l’hôtel Lane
Xang).454 Les villes laotiennes qui avaient bénéficié de certaines retombées budgétaires, étant à
l’époque de petite taille, avaient dû très peu absorber les budgets généraux pour leur
développement ; les autres capitales indochinoises seraient les plus grandes bénéficières.
De manière générale les programmes et les projets de développement ainsi que les budgets
consacrés aux colonies n’intégraient pas le programme d’étude des villes anciennes autochtones,
quoique furent leur importance. La capitale laotienne était le cas typique où le vide, après la
destruction par la guerre siamoise, équivalait le peu d’intérêt que l’on accordait à leur histoire dans
les plans d’aménagement. Il n’était alors pas étonnant que la renaissance des villes ait pu se faire
dans une méconnaissance quasi-totale de l’organisation spatiale autochtone.
451 Paule Doumer était Gouverneur Général de l’Indochine de 1897 à 1902. 452 Albert Sarraut était Gouverneur Général de l’Indochine de 1911 à 1914 et de 1916 à 1919. 453 Lettre de l’Ingénieur Principal, chef de l’arrondissement des Travaux Publics du Laos, adressée au Résident Supérieur.
In : dossier de « Conférence des Gouverneurs Généraux ». Paris 03 novembre 1936. GGI/ CAOM. 454 La loi Cornudet a été présentée par Cornudet en 1919 et concernait d’abord l’embellissement des villes françaises.
Cette loi serait par la suite plus ou moins utilisée pour les villes coloniales.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le rôle de la découverte “ du beau sauvage ” et de l’exposition coloniale
L’art, l’architecture et le patrimoine indigènes des colonies émergeaient pourtant au
moment où les projets d’aménagement de taille importante ont commencé à être réalisés. Cette prise
de conscience de la culture indigène n’était pas sans lien avec le nouveau tournant de la pensée
européenne de la fin du XIXe siècle qui s’intéresse au “ beau sauvage ”. Les travaux picturaux et
plastiques des peintres, comme ceux notamment de Rousseau et de Gauguin, illustraient ce
rapprochement. La pensée européenne de cette époque s’était aussi illustrée par les travaux des
savants qui découvraient les territoires d’outre-mers, leurs richesses culturelles et artistiques, mais
aussi leurs richesses naturelles : minerais, fleuves, faune et flore, etc. En Indochine, c’est la
découverte de la cité d’Angkor par Henri Mouhot vers 1866455 qui a permis aux regards
scientifiques de prêter plus d’attention à la culture et aux arts des indigènes.456 Les expositions
coloniales nous offraient ainsi le mieux la vision et la compréhension européenne de ces territoires
et de ces cultures lointaines.
Le rôle des savants orientalistes
La découverte des richesses du savoir local à travers le site phare qu’était Angkor avait dû
changer les donnes. Mais cela semblait seulement être les faits des savants orientalistes qui
fondèrent alors l’Ecole Française d’Extrême-Orient en 1900 et qui ont mené de remarquables
travaux de recherche, hélas très peu appliquées et très peu impliquées dans le développement
urbain.
La description des villes et leurs relevés architectureaux ont été réalisées. On effectuait
l’inventaire des ruines les plus importantes et on entreprenait l’identification des langages
architecturaux, tels entre autres les travaux de Parmentier et de Lunet de la Jonquière.457 Mais
l’analyse spatiale et structurelle, l’analyse des modes de fonctionnement de la ville et de son espace
ont été totalement absentes. Les connaissances que l’on pouvait espérer à l’époque n’avaient pas
suffi en tout état de cause à assouplir la rigidité des aménageurs coloniaux. On peut dire qu’à
l’exception de la mise en œuvre des grands projets et de la politique dictée depuis la métropole, la
transformation des villes autochtones était aussi le produit de la méconnaissance des
administrateurs. Une rupture d’usage et du mode de fonctionnement était ainsi inévitable entre
l’espace indigène et l’espace colonial.
Le retard disciplinaire de la pensée de la ville dans les colonies
Soulignons qu’en Europe et en France la ville en tant que champ disciplinaire était à peine
apparue et en occurrence dans un milieu spécifique. Les théoriciens et précurseurs de la discipline
se préoccupaient de débattre avec leurs “ adversaires ” de la question de la ville. C’était déjà des
tâches ardues, il n’était pas alors imaginable que leurs idées à peine naissant puissent être exportées
dans les colonies. Nous voulons signaler ici rapidement les œuvres de Marcel Poëte, de Pierre
Lavedan et de Giovanoni au début du siècle dernier qui faisaient de l’histoire de la ville et de ses
composants historiques bâtis son outil de compréhension, mais aussi son projet. Nous voulons
souligner aussi le fait que leurs réflexions sur l’histoire de la ville et leurs analyses458 étaient tenues
éloignées de la construction des villes coloniales de l’époque. En occurrence, il est déjà connu
455 Henri Mouhot, Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge et de Laos, réédité à Genève en 1989, éd. Olizane.
La 1ere édition date de 1868.
456 Alors que l’approche scientifique fut déjà réalisée en Afrique du Nord plusieurs décennies plutôt, avec la naissance de
l’archéologie et de l’Egyptologie, sous le patronage de Napoléon. 457 Henri Parmentier effectuait les premiers inventaires et relevés des monuments du Laos vers 1912. R94. 33 244/
Missions / GGI/ CAOM ; in. L’art du Laos, publication de l’EFEO éditée et révisée par Madelaine Giteau, Paris, 1988 ;
Lunet de la Jonquière. « Vieng Chan, la ville et les pagodes », in : BEFEO 1-2, paris 1901. 458 Les trois théoritiens ont porté des réflexions sur l’importance de l’histoire de la ville. Pierre Lavedan, Histoire de
l’urbanisme, Antiquité, Moyen Age, publié en 1926, H. Laurens, (op, cit.) ; Marcel Poëte, Introductin à l’urbanisme.
L’évolution des villes, la leçon de l’antiquité, Paris Bovin 1929, réédité par Anthropos en 1967 ; Gustave Giovanoni,
L’urbanisme face aux villes anciennes, édition du Seuil, Paris, 1998. (1ere édition 1931, UTET Libreria).Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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aujourd’hui que les techniciens et administrateurs des colonies indochinoises, qui auraient pu être
aux faits des travaux de l’intelligentsia européenne sur la question de la ville, n’étaient pas parmi les
plus avertis. La méconnaissance du fondement de l’espace local ne relevait donc pas forcément de
la négligence ou du manque d’intérêt, mais du retard de la discipline elle-même portée sur la ville
dans les territoires d’outre-mer et chez les responsables des colonies. Dans le cas contraire, il serait
imaginable par exemple que les remparts de Vientiane aient pu être intégrés dans l’aménagement de
la ville qui renaît ; que les schémas symboliques des villes comme Luang Prabang et Vientiane ne
soient pas abandonnés. Effectivement, le palais royal de Luang Prabang qui fait face au Mont Phu
Si, et le Hô kham de Vientiane qui réceptionne un axe qui le percute en plein cintre, tournent tous
deux le dos au Mékong. Ce bouleversement spatial semble entrer en collision avec l’ancien principe
spatial et symbolique qui prônait un positionnement et une orientation particulière des édifices
emblématiques par rapport au fleuve. Les édifices de cette importance doivent avoir leur façade
principale donnée sur le fleuve. De ce fait et dans un cadre plus large par rapport au monde
asiatique, l’orientation de Hô Kham et de celle du palais royal de Luang Prabang –issue de
l’aménagement colonial– entrait en collision avec le Feng Shui.
II. II. Les modèles endogènes
Les modèles exogènes que nous avons dégagés à l’instant, semblent donner une perception
inachevée de l’espace lao dans sa durée. Car ils sont conditionnés dans des cadres temporels et
historiques qui n’expliquent que partiellement et contextuellement l’aspect des villes et ne mettent
pas assez en exergue la question de modélisation dans laquelle les villes lao se sont peu à peu
constituées. Ainsi, pour comprendre la question de modélisation de l’espace dans sa durée, nous
proposons d’examiner les concepts qui auraient constitué l’espace des villes laotiennes de manière
plus intemporelle.
Les modèles endogènes se seraient constitués de deux manières. La première modélisation
serait repérable dans le phénomène de transmission à l’intérieur-même du savoir ancien et
traditionnel, explicite plus ou moins clairement à travers les questions spatiales. La seconde serait
repérable à travers la réappropriation et l’endogénisation par les problématiques spatiales des
éléments qui ne sont pas liés directement à la question de l’espace. Nous allons exposer d’abord ce
qui semble avoir trait à des théories spatiales transmises par les savoirs anciens, et ensuite repérer
les questions extérieures qui ont été endogénisées dans la problématique spatiale, servant donc à
modéliser les espaces en question.
Les concepts et les notions développés tant à travers les théories qu’à travers les éléments
endogénisés constitueraient les bases théoriques de l’espace lao dans ses différents moments jusqu’à
les années 1970. Ils auraient contribué à esquisser des modèles d’espace, ou du moins, une
perception globale des formes des établissements lao, qui n’ont pas pu être clairement perçues par
l’analyse de modèles historiques.
Pour prendre en compte, ce que le savoir ancien et traditionnel a pu transmettre à la pratique
de l’espace d’aujourd’hui, sa production, sa gestion, il faut comprendre le contexte de ce monde
ancien et décoder certains langages qui ne parlent plus aux outils de production spatiale
d’aujourd’hui. Pour se faire, il faut transgresser quelques règles et analyses scientifiques. Tentons
de comprendre les concepts anciens à travers la définition des différentes échelles et statuts
spatiaux : quels types de gouvernance et d’espace s’agissent-ils et que signifient les notions : khoum
[75h,], ban [[kho], phong [zQ’F 3zJ’], muang [g,nv’], vieng [;P’], xieng [-P’] et luang [s];’] ? Quel
serait les caractéristiques du choix des implantations et quel sens donner au rôle des actes et des
rituels de fondation qui semblent imprégne encore l’espace des villes. Nous proposons ensuite
d’apporter des réflexions sur deux éléments qui composent aussi la permanence spatiale, à savoir la
question portant sur les sols dans la constitution de la ville et le rôle des espaces naturels et du
paysage dans la cité. L’examen de ces éléments devrait compléter notre compréhension de l’espace
transmis.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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II. II. a. Les modèles d’occupation et de gouvernance
Avant de définir les concepts portant sur la ville, examinons les quatres principaux stades
du pouvoir et les traits de l’organisation politique qui auraient laissé leurs empreintes dans les
données spatiaux et démontré que les modèles spatiaux historiques étaient profondément corollaires
aux modèles politiques, dont on retrouve une certaine permanence et une certaine constance dans
les espaces qui se constituent postérieurement.
Le pouvoir durant la période des chefferies
Nous avons avancé l’hypothèse qu’un modèle spatial aurait dû être formé au sein de
l’organisation de chefferie du muang. Résumons ici l’idée comment la politique des chefferies
avait-elle conçu le pouvoir et quel type de modèle spatial en était issu. Le système de chefferie lao
tai était déjà probablement structuré dès l’origine dans la configuration du muang entendu comme
organisation politique qui aurait mobilisé deux actions majeures : 1- installation des établissements
et utilisation des terres, d’une manière démocratique et communautaire, 2- regroupement et contrôle
des hommes, conduit par un système de pouvoir consentant confié au chef, dont la compétence était
légitimée à la fois par un savoir personnel et empirique, et par un savoir divinatoire lié à la lignée
des Thaèn F’a auto définie incontestablement par les Lao Tai. Ce double savoir qui faisait la
personnalité anthropologique du pouvoir peut être expliqué par le phénomène de réciprocité de
légitimation entre le dirigeant et le dirigé. Comme nous avons déjà noté : le pouvoir ne saurait
exister sans la volonté des individus de se rassembler et vis versa, le peuple ne peut exister, ni se
rassembler sans le meneur ayant la force et la compétence de rassemblement, que ce soit de manière
pragmatique ou divinatoire.
Cette forme d’organisation politique donne à voir non seulement une compacité sociale,
mais également une compacité spatiale maîtrisée. C’était une compacité nécessaire d’habitat pour
que tous, les Tai ban (habitant du ban) et les Tai muang (habitant du muang), puissent être bien
dans leur ban et dans leur muang : à l’origine, ils devaient vivre vraiment en communauté, ni les
uns, ni les autres ne doivent vivre isolés. Probablement pour symboliser cette compacité spatiale
d’habitat qui devait être réellement et physiquement protégée, les ban et les muang ont été en plus
délimités par un système symbolique de protection : les phi protecteurs dans les quatre orients. On
peut le voir clairement avec les exemples du schéma symbolique de Muang Phouan. A propos de ce
dispositif de protection, chaque ban et chaque muang auraient eu des degrés de complexité variés.
La forme de l’organisation politique donne également à voir qu’il s’agit d’une organisation
ouverte et dynamique dans le sens où cette organisation ne vit pas sur elle-même, mais aussi
d’échange avec les autres. Au de-là de la compacité de l’habitat communautaire du ban, plusieurs
anneaux (pas forcément circulaires) auraient entouré graduellement le ban. Il y a dans le premier
anneau les rizières comme lieu de production immédiate du ban ; dans le deuxième anneau des
lambeaux de forêts claires où les tai ban défrichent les haï, puis dans le troisième anneau, des forêts
plus profondes où les tai ban auraient pratiqué la cueillette, et plus loin en quatrième anneau la
chasse. Comme nous l’avons déjà noté, c’est dans le troisième et quatrième anneau que les tai ban
entrent en contact et échangent avec les autres qui ne font pas partie de leur système du ban et du
muang. Si le schéma que nous avons suggéré ne fonctionne plus en tant que tel, on peut néanmoins
constater jusqu’à la période contemporaine qu’il existe de nombreux villages qui conservent cet
archétype.
Le pouvoir durant le règne de F’a-Ngoum
Nous avons suggéré l’idée que le modèle spatial initial (décrit à l’instant) se retrouve
enrichi dans sa période évolutive. Ceci, sous l’impulsion de la conception du pouvoir et du
rassemblement des hommes comme donnée primordiale, sous le règne de F’a-Ngoum. Comme nous
l’avons noté dans le point traitant de « la pensée politique de F’a-Ngoum », six idées auraient édifié
la conception du pouvoir et la politique du muang :
Fig. 54. Vue
aérienne d’un
village, entouré
de rizières.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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1- Il aurait placé le rassemblement des hommes comme action primordiale et aurait également
conçu la donnée humaine comme fondamentale.
2- Il aurait conçu une nouvelle répartition des hommes sur le territoire comme une action nécessaire
pour développer et donner sens au grand établissement qu’il venait d’édifier : l’État lao.
3- Tout en concevant une nouvelle démographie qui intègre nécessairement les non tai dans le
système du muang (mais pas dans son espace), il aurait réaffirmé un ethnocentrisme du ban et du
muang de manière évidente, en donnant de l’importance très prononcée à la lignée des dirigeants de
ces muang comme appartenant à sa famille, et il aurait distingué le fait d’être lao tai des autres
peuples.
4- Il aurait pris conscience d’un territoire peuplé de Tai et de leur dispersion, un fait qui venaient
contredire leurs liens de parenté, d’où ses actions en faveur du rassemblement.
5- Les actions de F’a-Ngoum aurait démontré que l’émergence d’un État lao tai s’inscrivait dans
une continuité et non en rupture avec la période antérieure de chefferie. Les Thaèn F’a continuaient
à accompagner et légitimer le pouvoir de sa lignée. Il aurait donc conçu la construction de son Etat
comme un héritage du passé.
6- La conception du pouvoir se complexifiait, parallèlement à la construction de l’espace. A travers
les actions de F’a-Ngoum, on voit que les muang étaient nombreux et hiérarchisés par des statuts
différents. Ils se reliaient des uns aux autres de manière plus ou moins dynamique pour exister dans
le grand muang que F’a-Ngoum avait édifié. Le système de liaison et les grand muang eux-mêmes
devaient être entretenus. Pour cela, des tributs leur avaient été imposés.
Le pouvoir au temps de Sethathirat et aux temps des deux règnes qui l’ont précédé
Nous avons avancé l’idée que le renouveau religieux et la restructuration politique du
territoire, étaient entièrement liés à la politique de Sethathirat, au contexte de son époque et aux
deux règnes qui l’ont précédé, celui de Vixun et de Phothisarat.
1- Avec Vixun et Phothisarat on assistait à une aspiration religieuse forte du pouvoir : la conception
du bodhisattva raja les avait animés comme bon nombre de monarques qui leur étaient
contemporains. Le pouvoir ne s’était plus contenté d’exercer le pouvoir politique, ou de rappeler au
peuple que leur témoignage de fidélité était symbolisé par le culte commun du Thaèn F’a, comme le
faisait F’a-Ngoum. Le pouvoir s’endosse aussi d’une mission spirituelle pour mener les hommes et
les éloigner de “ l’obscurantisme ” des croyances primitives du culte des phi. Dans ce dessein,
Vixun menait de nombreuses actions : construction des monastères et des bibliothèques. Même si
ses actions étaient surtout limitées à Luang Prabang, il a laissé des traces importantes dans la ville.
Quant à Phothisarat, il poursuivait les œuvres de son père en accentuant le rôle des monarques dans
les affaires religieuses. Elles semblaient même devenir ses principales préoccupations. Les édits
contre le culte des phi et les destructions des autels des esprits qu’il avait mis en œuvre avaient
marqué son époque et retenu dans l’histoire comme une radicalité religieuse rare et unique dans
l’histoire du pays. Le cas de Ban Phaylom, aujourd’hui, semble illustrer cette radicalité passée.
2- Mais c’est avec Sethathirat que le renouveau se concrétise avec éclat, dans le domaine religieux,
politique et spatial. Et ceci, à deux échelles, interne et externe :
- A l’échelle interne du pays sa politique a été marquée par la transformation de l’espace. La
politique et le pouvoir s’étaient fortifiés du contenu religieux. Le modèle politique s’était en
quelque sorte formalisé par l’idéologie religieuse bouddhique, qui se voulait être l’incarnation de
l’identité nationale, indivisible et unique. Des espaces, des monuments et des rites symboliques ont
été créés pour renforcer cet idéale : a- Le That Luang ainsi que les divers rituels qui obligeaient les
seigneurs des provinces à être présents dans la capitale ou dans les lieux de pèlerinage les plus
importants ; b- Le transfert de la capitale, s’il était d’abord stratégique du point de vue de la
politique régionale, semblait surtout répondre au nouveau statut du pouvoir royal. Celui-ci devait
être au milieu du territoire du royaume, plus accessible que Luang Prabang aux diverses provinces Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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et seigneuries que le pouvoir central devaient contrôler ; c- La nouvelle position de la capitale
devait aussi favoriser son statut de modèle, elle doit exercer un rayonnement et faire circuler les
savoirs et les savoir-faires vers les provinces et seigneuries. d- La création de la capitale, partant sur
de nouvelles bases et accompagnant les rituels et la construction des monuments, devait donner lieu
à la création des types d’unité spatiale nouvelle : types de village, types urbain.
- A l’échelle externe ou régionale, la politique de renouvellement spatial de Sethathirat dévoilait la
dimension territoriale plus important du pays ainsi que son enjeu régional. Le pouvoir royal
changeait d’échelle en quittant la petite cité de Luang Prabang. Le nouveau siège du pouvoir
devenait plus adéquat par rapport au territoire que le royaume devait contrôler. Du rayonnement
illimité, le pouvoir devait se recentrer et prendre en compte le rayonnement voisin. La question de
limite territoriale s’imposait alors au pouvoir politique. A contrario, du point de vue religieux les
monuments qui en marquaient les symboles généraient une certaine culture régionale commune : on
échangeait les savoirs de bâtir, en même temps que les savoirs religieux.
Le pouvoir au XVIIe siècle
Nous avons suggéré plusieurs réflexions sur le contexte du XVIIe siècle, notamment
comment ce siècle, qui constituait un tournant important de la politique régionale de l’âge du
commerce, avait-il changé les donnes sur le Laos, et comment avait-il influencé la question spatiale.
Il semble que la question de la centralité du pouvoir a été bien entamée depuis Sethathirat. L’époque
de Suryavongsa semble même être l’excès de cette centralité : tout était concentré à Vientiane, les
gouverneurs étaient auprès du roi et désignaient leur représentant pour administrer leur province. Le
territoire semblait être considéré comme un acquis, un héritage figé, alors qu’en réalité, ses limites
étaient instables et mobiles. Dans une période charnière où on passait de l’ère de rayonnement à
l’ère des limites territoriales, le Laos avec un pouvoir trop centralisé semblait connaître un certain
handicap : délaissement de ses territoires, relâchement de ses gouvernants. La place aurait alors été
libre pour le rayonnement des autres centres du pouvoir, dans leur démarche pour étendre leur
territoire et augmenter leur influence, répondant aux opportunités du commerce maritime, afin
d’acquérir des positions dominantes.
La définition des concepts portant sur la ville doit apporter des réflexions fondamentales à
la connaissance des villes et des établissements lao, dans leur organisation spatiale et politique et
dans leur mode de gestion et de gouvernance. Nous classons les concepts en trois groupes. Le
premier regroupe les notions de ban (village), de tassèng (canton) et de muang (ville). Il définit une
hiérarchisation spatiale et organisationnelle. Le deuxième regroupe les termes xieng [-P’], vieng
[;P’], muang [g,nv’] et luang [s];’]. Ces quatre concepts anciens sont des synonymes qui déclinent
les différents concepts portés sur la ville et la cité dans leur dimension spatiale et politique. Le
troisième regroupe les notions de khoum (quartier), de phong (village reculé), du tassèng (îlot) et du
couple ban-muang (le pays). Ces notions qui classifient l’espace à différentes échelles et qui
suggèrent l’existence de typologie d’établissements et de territoires comportent une certaine
ambiguïté, mais explicitent une variabilité dans la perception et dans la représentation ancienne de
la ville et de la cité.
II. II. a. 1. Ban, tassèng et muang, l’hiérarchisation spatiale et organisationnelle du
territoire physique et administratif
Le ban [village, [kho], le tassèng [canton, 8kcl’] et le muang sont des structures
administratives et territoriales anciennes. D’après le décret royal de 1966, ban et tassèng constituent
un ensemble de pouvoir local très ancien que l’on appelle agnasid thonthinh. Hiérarchiquement
parlant, plusieurs ban forment un tassèng et plusieurs tassèng forment un muang. Le ban le plus
anciens et le plus grand constitue le chef-lieu du tassèng, ensuite le plus important et le plus
historique tassèng constitue le centre du muang. Comme le ban, le tassèng est considéré comme une
société rurale coutumière locale. Bien qu’il semble postérieur au ban, il provient d’une vieille
coutume et d’un ancien système administratif du pouvoir local, où par rapport au pouvoir central, il Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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défend et représente la population devant l’autorité du haut (centrale). Le tassèng a été aboli en
1981 alors que l’administration du ban a simplement connu quelques réformes depuis 1966 et après
1975, tout en préservant ses principes fondamentaux. Le tassèng ayant été supprimé, on passe
directement de l’autorité du ban à l’autorité du muang.
Avant 1975 un ban était dirigé par un po ban (père du village) et assisté par un Conseil du
ban appelé kammakane [da,,tdko]. Le po ban et le Conseil du ban étaient élus directement par leurs
habitants.459 Le nombre des membres du Conseil du ban était variable, proportionnel au nombre de
ses habitants. Un tassèng était dirigé par un tassèng. Il était élu par les po ban et par les membres du
Conseil de chaque ban. Un tassèng possédait également son propre Conseil. Les membres du
Conseil du tassèng étaient donc composés des po ban et des représentants du Conseil de chaque
ban. Le nombre de ces derniers variait selon le nombre des conseillers que chaque ban possédait. Le
ban et le tassèng possédaient aussi des samyanes [lts,Po], des agents administratifs qui se
recrutaient parmi les membres de leur Conseil respectif. Leur nombre variait selon le nombre des
habitants de leur circonscription respective.460
Un ban est « une unité sociale naturelle de base, un ensemble social local et coutumier. Il
est considéré comme une société locale rurale » qui a formé la base de la société lao et qui n’a pas
beaucoup évolué durant toute son histoire. Il constitue ainsi avec le tassèng le premier pouvoir
local. « Cette société locale et rurale se gère de manière autonome et indépendante. Elle a la
compétence et la capacité légitime et juridique de défendre les intérêts de toute la communauté par
son propre moyen. […] Le ban est la structure administrative primitive du royaume du Laos
conformément au droit coutumier et à son histoire […] Le ban est défini par son homogénéité
sociale et culturelle, par le sentiment d’appartenir à une communauté unique, de partager les
mêmes intérêts, les mêmes joies et les mêmes peines. Les habitants prônent le vivre-ensemble dans
la solidarité et la confiance et comprennent que le destin individuel est lié à celui de la communauté
toute entière […] » (art. 1 et 2).
Le décret tente aussi de formaliser une échelle à l’entité du ban et du tassèng afin de mieux
les gérer, en mentionnant (art. 4) que : « un ban doit avoir plus de 20 maisons ou plus de 100
habitants pour être reconnu officiellement par l’administration », et « un tassèng doit avoir au
moins 500 maisons et au moins 2500 habitants et au plus 1000 maisons et 5.000 habitants. […]
Chaque tassèng possède habituellement et historiquement un ban assumant la fonction de centre et
de siège du tassèng » (art. 8). Bien que les sources n’aient pas été mentionnées, les chiffres avancés
par le décret semblent se référencer à une réalité fort ancienne qui aurait ainsi caractérisé la
composition humaine et la taille du ban et du tassèng : d’après l’article 3 « la nomination, la
désignation générale ainsi que la délimitation physique et géographique du ban (et du tassèng)
proviennent des temps primitifs. Elles obéissent aux règles coutumières et se conforment à l’histoire
et au droit coutumier, même si la délimitation n’a pas été formalisée de manière concrète par une
représentation graphique […] ». De manière générale le ban et le tassèng sont des petits territoires
anciens qui doivent s’adapter à une restructuration territoriale nouvelle plus large.
La définition du ban décrit ici la constitution sociale et idéologique qui a composé
primitivement son identité. Ceci, tout en mettant en évidence que le ban est aussi une composition
sociétale naturelle, dont le choix physique et géographique pré-existe à l’organisation administrative
que le décret royal tente de formuler postérieurement, après l’indépendance. La suite du décret
exprime, non pas l’invention du ban en tant qu’administration locale nouvelle et moderne, mais la
459 Les élections du po ban et du tassèng se font sur une liste des volontaires qui se présentent et pour se présenter il faut
remplir certaines conditions. Pour élire un po ban et un tassèng, traditionnellement au moment des votes les électeurs
viennent entourer en cercle la personne qu’ils veulent élire. « Décret royal 1966, Décret royal portant l’organisation de
l’administration de la société rurale –tassèng et ban », Luang Prabang, le 14 octobre, 1966. 460 Un secrétaire administratif pour les ban ayant moins de 300 habitants, deux sécrétaires pour les ban ayant plus de 300
habitants. Un secrétaire pour les tassèng ayant moins de 1500 habitants, deux pour les tassèng ayant entre 1500 et 3000
habitants, et trois pour les tassèng ayant plus de 3000 habitant. « Décret royal 1966 », op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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volonté de donner au ban –une structure ancienne– un statut juridique et institutionnel afin de
l’intégrer au mieux dans l’administration locale modernisée. En ce sens, un ban est à la fois une
entité sociétale, une entité sociale et administrative, sa description explicitée ci-dessus à travers le
décret royal, donne en partie une perception de ce qu’est son entité d’origine.
Le décret sous-entend que parmi les caractéristiques anciennes du ban et du tassèng il y
avait leur homogénéité ethnique et géographique, une délimitation de leur espace dans l’échelle
territoriale : « le tassèng est un territoire naturellement constitué autour d’un lien ethnique et
géographique […] il est inscrit dans un territoire dont la limite était suffisamment adéquate par
rapport au nombre des habitants pour que ces derniers puissent maitriser et apprécier leurs liens
de connaissance et leur solidarité afin de partager au mieux leur destin » (art. 6). « Mise à part des
exceptions et des précautions particulières liées à la composition ethnique qui obligent des
dispositifs particuliers, ou liées aux contraintes locales particulières, en règle générale un tassèng
doit être composé au minimum de 500 maisons et 2500 habitants […] » (art. 8).
Les questions d’homogénéité ethnique et géographique du ban et du tassèng renvoient aux
réflexions sur les questions traitant de la « constitution et de la maîtrise du territoire » et traitant du
« rôle des hommes et des terres dans le fondement de l’Etat et de l’identité politique », dont nous
rappelons présentement quelques aspects. Ainsi le ban serait, à la base, mono ethnique ou du moins
observant une certaine ethnocentricité dès son origine, au temps où les Lao sont apparus dans le
Haut et le Moyen Mékong (vers le VIIIe siècle). Les occupations lao –sous forme de ban– auraient
été implantées comme des morceaux de territoire sur des espaces inoccupés mais figurant dans une
aire culturelle et politique existante. Le ban lao aurait été consolidé par un groupement de
populations, détenteur de l’organisation du ban (et du muang lorsque le groupement est plus
important) dirigé par un chef avec le consentement communautaire. Chef et membres du ban sont
des Tai ban qui ont tous des liens avec les Thaèn F’a, leurs génies et protecteurs ancestraux.
Spatialement autour de l’ensemble de l’habitat qui forme le ban, les rizières que les Tai ban
ont aménagé généralement en couronne immédiate, constituent le deuxièmement élément de
consolidation. Viennent ensuite en deuxième couronne les lambeaux de forêts claires où les Tai ban
défrichent le haï (culture sur brûlis). Plus loin en troisième couronne, ils effectuent les cueillettes, et
plus loins encore en quatrième couronne, la chasse. Et ce serait éventuellement dans les espaces qui
constituent les couronnes trois et quatre que les Tai ban seraient entrés en contact avec les autres
groupes, effectuant des trocs, voire, des échanges plus importants avec eux : imprégnation de
techniques agricoles, de chasse et de cueillette et probablement aussi quelques croyances, etc. Et ce
serait probablement aussi par cette proximité ancienne que les Tai muang auraient exercé peu à peu
leur prédominance sur les populations non-détentrices de l’organisation du muang. Les espaces
autour du ban et du muang sembleraient alors fonctionner comme des espaces isolants, des lieux à
la fois de distanciation et de communication culturelle, ethnique et économique des Tai ban (et Tai
muang), non seulement par rapport aux autres petits groupes de peuplements éparpillés non tai qui
ne sont pas loin mais auxquels ils se distinguent, mais aussi par rapport aux peuples des cités
dominants que sont probablement à l’époque, les Môns et les Khmers, détenteurs incontestables des
grandes cités.
En fait pour être clair, le ban lao était constitué fondamentalement de population d’ethnie
tai lao. Les autres ethnies lorsqu’elles étaient assez homogènes formaient des villages à part. En fait
la mixité dans les ban lao que l’on voit aujourd’hui n’était apparue que récemment. Ainsi lorsque
l’article 6 du décret de 1966 dit que « mise à part des exceptions et des précautions particulières
liées à la composition ethnique qui obligent des dispositifs particuliers […] les ban doivent avoir au
moins 100 habitants ou 20 maisons », cela signifie que les règles du nombre pouvaient être
transgressées ou devenir plus souples. Notamment si ethniquement les anciens ban ne remplissaient
pas les conditions au niveau du nombre de leurs habitants l’administration aurait toléré
provisoirement leur existence et aviserait plus tard leur groupement avec un autre village plus Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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adéquat. Autrement dit la fondation des ban lao autrefois aurait respecté la composition ethnique de
ses habitants jusqu’à les années 1960 comprises.
Effectivement, le principe du ban en tant qu’entité sociale de base de la société lao dans sa
période primitive le distinguerait des autres entités par son mode spatial et social. Il aurait permis de
situer les implantations lao du ban par rapport aux autres entités qui existaient dans le territoire et
d’imaginer le rapport qu’il aurait entretenu avec ces dernières. Il aurait surtout permis de constater
en 1966 que le principe d’homogénéité mono-ethnique persistait à être un des principes de la
composition sociale et administrative de beaucoup de ban. Alors que ce même principe était en
cours de changement, suggéré par l’article lui-même, lorsqu’il dit que « provisoirement les po ban
dont le nombre des habitants est inférieur ou supérieur à 100 continuent à conserver leur fonction
ancienne jusqu’au nouveau décret » (art. 4). Car dans les années 1960 et au moins depuis
l’indépendance, on concevait déjà le principe de l’État Nation culturellement et ethniquement
composite, mais se voulant politiquement unitaire. On comprend dès lors que la réorganisation
administrative, faite à travers ce décret, avait la volonté de réduire les effets négatifs de certains
principes coutumiers qui persistaient, notamment ceux qui prônaient l’homogénéité ethnique, afin
de mettre en pratique les principes de l’État Nation multi-ethnique qui devrait alors constituer et
qualifier le Laos.
Muang et toua muang
Concernant le Muang [g,nv’], son origine et son concept historique étant étayés dans les points qui
vont suivre, nous l’abordons ici seulement du point de vue administratif. Le muang recouvre deux
significations : muang en tant que district dans l’échelon de l’administration locale, et muang (plus
couramment toua muang [8q;g,nv’]) en tant que centre urbain ou agglomération urbaine. Jusqu’à la
réforme de 1981 où le tassèng fut supprimé, le muang était composé de plusieurs tassèng qui était
l’échelon intermédiaire entre le muang et le ban. N’ayant plus de tassèng le muang englobe
aujourd’hui directement les ban. Comme le note la constitution : « La République Démocratique
Populaire Lao se compose de provinces, préfectures, districts et villages »
461 le district est le
troisième échelon de l’administration locale après la province et la préfecture.
D’après le droit de l’urbanisme (N°03/99/Assemblée Nationale. 03/04/1999), « toua muang
est le lieu de vie des communautés sociales, selon les critères suivantes : c’est un lieu
d’implantation de la capitale nationale, de la préfecture (ou de l’agglomération urbaine), du cheflieu
de province, du chef-lieu de la zone spéciale, du chef-lieu du district, d’une zone de
concentration socio-économique ; ayant une population assez dense ; possédant des équipements
publics, des biens de consommation et des services publics, tels que les infrastructures de route, de
drainage et d’assainissement, d’hôpitaux, d’écoles, d’équipements sportifs, de jardins publics, de
réseaux d’eaux potables, d’électricité et des télécommunications, etc. Toua muang existe en trois
échelons : 1- toua muang attaché à l’administration centrale ; 2- toua muang attaché à la province,
à la préfecture (ou agglomération urbaine), et toua muang attaché à la zone spéciale ; toua muang
attaché au district. »
II. II. a. 2. Les quatre synomymes qui explicitent les concepts anciens de ville et de cité
De manière usuelle, la ville ou la cité est désignée par quatre termes : muang [g,nv’] renvoie
à des notions politique, sociale et organisationnelle de la ville, alors que vieng [;P’] renvoie à sa
morphologie et xieng [-P’] à son organisation spatiale. Quant au terme luang [s];’], il dénote
plutôt son statut et son rôle par rapport à un territoire plus large. Ces termes sont en fait des
concepts spatiaux et sociopolitiques qui se complètent pour donner une perception et une
compréhension de l’espace et de l’organisation sociale et politique de la ville et de la cité lao, dans
461 La Constitution, chapitre VII, art. 62-63-64 portant l’administration locale adopté le 14 août 1991 par la VIe Session
Ordinaire de l’Assemblée Populaire Suprême, IIe Législature promulguée le 15 août 1991 par le Président de la RDPLDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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toute sa complexité. Elles reflètent le mode d’usage et de gouvernance historique de l’espace et de
l’organisation de la ville. Leur dépouillement sémantique permet de mieux comprendre la ville
d’aujourd’hui.
Muang
Le terme muang est probablement lao dès son origine, du moins seule la population de
parler Tai Lao aujourd’hui l’utilise avec une variabilité tonale selon la région. Ainsi le plus courant
on le prononce muang [g,nv’]. A Sam Neua, à Phongsaly ainsi que dans l’extrême Nord du pays, on
le prononce, meung, meueug, meng [g,u’F gs,u’F g,a’]. Le mot est ancien, le Nithan Khun Bourom le
mentionne pour la première fois. Dans cet annale les Lao l’auraient déjà utilisé pour désigner les
deux cités mythiques desquelles ils seraient issus avant leur peuplement du Laos, dans les
expressions muang theung et muang loum, qui veut dire “ cité du haut ” et “ cité du bas ”. La “ cité
du haut ”, qui désigne dans le mythe “ la cité céleste du Thaèn F’a ”, aurait été la région du SudOuest
de la Chine dans le Yunan. La “ cité du bas ” aurait été la région du Sip song Chou Tai dans
le Nord du Vietnam. Les deux sites étaient désignés de muang thaèn ou muang theung,
respectivement muang thaèn ancien et muang thaèn nouveau. D’après ce mythe le muang est à
comprendre comme une société dans toute sa plénitude et sa finitude, il exprime le mythe des
origines et de la fondation de la société lao, avec une certaine ethnocentricité. Le muang ne définit
pas vraiment un espace, mais plutôt une organisation sociale et politique.
Comment serait organisé le muang ? Le mythe évoque le Thaèn F’a qui, depuis Muang
Thaèn –cité céleste, aurait été le fondateur du muang. Il aurait envoyé ses fils dans le muang loum –
cité terrestre, et leur aurait ordonné d’y vivre et d’y prospérer. Il leur recommande de gouverner
avec art et justice, de respecter l’esprit sacré du Thaèn F’a auquel ils doivent demander protection et
auquel ils doivent vouer des cultes pour leur prospérité, et desquels ils tireraient leur légitimité, leur
pouvoir et leur droit sur le muang. Si aucune perception spatiale n’est possible, à travers ce mythe
l’organisation sociale paraît structurée autour du culte des ancêtres fondateurs qui légitime le groupe
des dirigeants du muang mais aussi ses habitants. Une connotation divinatoire s’associe clairement
au pouvoir mais aussi aux habitants du muang. En fait tous les habitants du muang seraient aussi
descendants des thaèn f’a. A cette idée on perçoit une société non stratifiée, mono ethnique et
socialement homogène, une société plutôt libre que soumise ou dominée, plutôt consentante
qu’obligée. Le muang pourrait donc être défini comme une organisation sociale et politique
spécifique aux Tai Lao. En se définissant comme “ habitant du muang ”, il est probable en ce sens
que le terme tai muang est l’origine de la désignation de l’ethnie tai.
Vieng
Le terme vieng [;P’] renvoie à la morphologie des villes. La majorité des vieng comportent
des remparts, des fortifications, des palissades en terre (khou, 76), des douves (khong, 7v’ et kheü, 7n)
de formes généralement plus arrondies et plus irrégulières que géométriques. Il en était ainsi pour
Vieng Phu Kha, Vientiane et Vieng Kham, villes fortifiées repérées dès le XIIIe siècle, dans les
inscriptions de Rama Khamhèng et dans le Phongsavadan lao. Si le terme vieng désigne bien cette
forme de ville aux enceintes irrégulières, il est pourtant difficile d’établir des règles qui puissent
formaliser la morphologie de ces villes. Retenons cependant que vieng affirme l’existence
d’enceinte et connote sa forme non géométrale.
Il est généralement considéré que la majorité des villes et des vestiges d’anciennes villes
aux formes circulaires ou irrégulières sont susceptibles d’être des productions lao, par opposition
aux cités khmères les plus représentatives avec des formes géométriques. Pourtant un certain
nombre de vestiges à la morphologie irrégulière ont aussi été attestés comme des productions mônes
ou khmères pré-angkoriennes dans la région du Laos et hors du Laos. Par ailleurs de nombreux
vestiges urbains découverts dans le pays limitrophe (notamment au Nord et au Nord-est de la
Birmanie) avec des formes circulaires sont attestés être des productions Pyu de la Haute Birmanie.
Des vestiges semblables ont également été repérés dans le Nord du Laos (à Luang Nam Tha, à Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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oudomxay notamment) et à Vieng Kham. Ces vestiges ne semblent pas être lao, du moins rien ne
peut prouver pour le moment que les Lao en sont les constructeurs. Des recherches et des fouilles
archéologiques portant sur cette forme (Kheü, 7n) étant absent du programme de fouille laotien. Tout
au plus des notes de signalement ont été faites par les responsables culturels locaux, telles les notes
effectuées sur le site de fortification de Vieng Phu Kha et sur les douves - déblais de Vieng Kham.
Quoi qu’il en soit les vieng ne peuvent être exclusivement lao. Si le terme pour les désigner
semble l’être, cela aurait probablement signifié que les Lao possédaient une donnée lexicale et
conceptuelle de la morphologie spatiale de ce type. Ce qui peut sous-entendre qu’ils pouvaient
construire aussi des établissements aux formes irrégulières semblables. Le concept morphologique
des vieng aurait en tous les cas été lié à la manière de prise de site des villes par les Lao. Lorsque
nous observons le tracé plutôt arrondi des anciens remparts de Vientiane et de Luang Prabang, qui
viennent s’appuyer sur le fleuve l’employant comme un des remparts de protection naturelle, il est
évident que la situation du site joue un rôle important dans la forme des remparts. On peut
probablement dire que le fleuve et la fortification en forme de palanque, de palissade, de levée de
terre et de douve, pourraient être les facteurs conceptuels et les lexiques morphologiques des vieng.
Xieng et le cas de ville tai lü de Muang Sing
Le terme xieng [-P’], renvoie moins à la morphologie spatiale qu’à son organisation
interne. En comparant les xieng (Chiangmai, Xieng Khouang, Xieng Dong Xieng Thong) leurs
formes sont trop variables pour être prises comme critères d’identification. Sur quoi les critères du
xieng seraient-ils alors fondés ? Notre analyse morphologique de chaque xieng montre que les
contextes et les situations se différencient d’un xieng à l’autre, leur forme en ce cas ne peut être un
critère d’analyse. Seul le xieng dans la tradition lü pourrait nous offrir des données spécifiques.
D’après la tradition lü vue à Muang Sing, un xieng est une des quatre divisions de la cité, il
désigne précisément une unité spatiale qui compose la cité et non la cité elle-même. Par
extrapolation le mot xieng finirait par désigner la ville. Muang Sing est une enceinte carrée en terre
mesurant environ 1000 mètres de côté. Deux voies primaires médianes la séparent en quatre parties
appelées xieng [-P’] : Xieng Gneun, Xieng Lé, Xieng Chai, Xieng In, et donnent sur quatre
directions, Sud-Est, Sud-Ouest, Nord-Ouest et Nord-Est. Quatre voies secondaires séparent la
citadelle en seize groupes d’îlots de quatre, les voies tertiaires séparent la ville en soixante-quatre
îlots appelés Ta ou Tassèng [8kF 8kcl’]. Un xieng est donc composé de seize îlots mesurant 50 m x
50 m, disposés en damier. Chaque îlot est composé de quatre parcelles de 25 m x 25 m de côté.
L’intérieur du xieng est donc desservi par quatre voies tertiaires et deux voies secondaires qui se
croisent. Deux des quatre côtés du xieng s’appuient sur le rempart de la ville et possèdent deux
portes de sortie directe. La cité est alors “ un vieng aux quatre xieng ” et chaque xieng est placé
sous l’autorité d’un Phraya xieng [ritpk-P’], sorte de chef de village mais portant curieusement le
titre de Phraya [ritpk]. Le tassèng [8kcl’] –chef lieu– ou “ l’îlot principal ”, est localisé à Xieng
Chai (xieng du cœur). Les quatre xieng intra-muros sont attachés à ce tassèng. Mise à part le
Tassèng Xieng Chaï intra-muros il y a trois tassèng extra-muros ou trois zones extérieures : Tassèng
Nakham (rizière), Tassèng Nam Kéoluang (eau), Tassèng Thongmai (champ, paturage).
A partir des traditions de Muang Sing, deux hypothèses pourraient apporter une explication aux
origines du xieng [-P’] qui désigne communément la ville pour les Lao Tai et les autres Tai
septentrionaux. Première hypothèse : une unité spatiale donne son nom à une fonction
administrative et à un degré d’étude monastique, dans la mesure ou celui qui en acquiert est destiné
à l’administrer. Donc, est appelé Phraya xieng celui qui est nommé pour administrer le xieng.
Seconde hypothèse : un degré d’étude donne son nom à une unité spatiale. Le Phraya avant d’être
nommé chef de cette unité spatiale aurait acquis un titre en sortant des premières années d’étude
monastique en tant que novice. Ce titre est effectivement xieng, et ce serait par ce titre que le petit
territoire urbain et social de la ville acquis ce préfixe, endossant le titre de celui qui était en charge
de l’administrer. En outre il existe encore fréquemment des villes dont le nom commence par xieng. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Mais jusqu’à présent le rapprochement entre xieng –la ville, et xieng –le titre du noviciat n’a jamais
été fait.
Du point de vu historique cela a un intérêt particulier : si l’unité spatiale xieng donne son
nom à une fonction administrative cela peut signifier que la création et l’organisation du xieng serait
antérieure à l’organisation du système éducatif bouddhique, en grande partie restructuré autour du
règne de Vixun et de Phothisarath, fin XVe et début XVIe siècle.
462
La structure et le concept du xieng ne sont donc pas nés au XIXe siècle avec la fondation
de Muang Sing, sachant que l’ancienne ville étant à Xieng Khaèng (Jyn Khaèng) qui date du XVe
siècle.463 Muang Sing aurait été un établissement qui s’est référé à un modèle ou du moins à une
tradition urbaine déjà ancienne. La conception du xieng chez les Lao Lü à Muang Sing serait-elle le
modèle primitif des xieng des villes lao en général, dans la mesure où les xieng des Lü sont les seuls
à se définir spatialement et aussi précisément. Avec cet exemple ce serait donc à la culture Lü du
Sip Song Phan Na que nous devons nous rapprocher pour comprendre l’essence de ce qu’est un
xieng et ce qu’est la ville chez les Lao. Par défaut de ne pouvoir mener une étude plus poussée dans
les villes du Sip Song Phan Na, nous prenons alors les établissements lü du Laos comme référence.
Reste cependant à savoir si les xieng ont à l’origine une morphologie carrée, ou du moins
géométrique, et une organisation administrative aussi clairement délimitée que Muang Sing.
L’exemple des quartiers et villages portant le nom xieng dans d’autres villes nous montre que ce
n’est pas le cas. Luang Prabang ou Xieng Dong Xieng Thong n’a pas une morphologie géométrique
mais organique, semblable à la première enceinte de Vientiane. Et même si certains villages qui la
composent aujourd’hui se nomment xieng, ce sont des villages (ban) gérés par des chefs de village.
De ce fait, nous aurions pu rapprocher le xieng au ban, considérant qu’il s’agit du même espace et la
différence ne relèverait que du vocabulaire. Or le terme xieng est spécifiquement attribué à une
unité spatiale et semble à l’origine réservé à la ville ou à une situation citadine. Bien que le ban
constitue aussi une unité spatiale, il semble plutôt désigner son aspect social et administratif qui le
compose. Par ailleurs, le ban peut être isolé à l’extérieur de la ville, comme une unité autonome, en
particulier lorsqu’il se situe en pleine compagne hors des murs de la cité, possédant une certaine
centralité, un noyau, un sens local plus affirmé du moins socialement, comme nous avons noté
précédemment dans la définition du ban. Au contraire, un xieng en tant qu’unité spatiale (avant son
extrapolation territoriale pour désigner la ville, telle que Xieng Khouang) ne peut être isolé mais
faisant partie du périmètre de la ville. Un xieng serait donc une unité qui n’existe que dans une
maille urbaine et qui n’aurait pas d’autonomie locale du point de vue administratif puisque le
Phraya xieng –sous l’autorité duquel le xieng est placé– est installé physiquement à proximité
immédiate de l’autorité centrale du royaume. Effectivement les princes lü du royaume de Xieng
Khaèng résident au centre de Muang Sing. Ce centre est entouré par une palissade de forme carrée
englobant une partie des quatre xieng. Aujourd’hui de nombreux ban dont le nom porte le préfixe
xieng et existant en dehors des villes, auraient vraisemblablement été autrefois organisés en xieng,
c’est-à-dire faisant partie intégrant d’ancienne organisation du muang.
Le xieng représente donc un autre espace, il ne fait pas partie de l’échelle hiérarchique, ni
en dessous ou ni au-dessus du ban. C’est une unité de mesure spatiale spécifique à caractère urbain.
462 D’importantes réformes de l’organisation religieuse ont été mises en œuvre durant les deux règnes, notamment
concernant les différents degrés d’étude monastique tels que xieng, thit, tchane et maha [-P’F myfF 9koF ,tsk]. Le terme
xieng apparait déjà dans le Nithan Khun Bourom, évoquant la fondation du Lane Xang par F’a-Ngoum au milieu du XIVe
siècle, en même temps qu’apparaît le système d’hiérarchisation des muang. Par exemple parmi les six muang qui ont été
statués comme des Kheuane Muang [g7nJvog,nv’] du Lane Xang (Kheuane muang signifie “ ville barrage, ville forte ”), l’un
se nomme Vieng Xieng Sa. Les xieng dateraient donc, au moins du milieu du XIVe siècle, et vraissembablement bien
avant.
463 La datation de Xieng Khaèng est située au XVe siècle d’après la Chronique de Muang Xieng Kaèng analysée par
Lafont. Cependant, dans le Phongsavadan annoté par S. Viravong Xieng Khaèng aurait déjà été mentionné durant la
campagne de F’a-Ngoum vers 1354 comme l’un des muang du Lan Na dont le roi, Phra Chao Sam Pagna aurait résidé à
Xieng Saèn.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Par ailleurs, ce qui nous empêche d’assimiler le xieng au ban c’est qu’il existe en Lü le terme dao
[fk;]
464 pour désigner le ban. Actuellement, étant donner que Phraya xieng et le système féodal lü
n’existent plus, un xieng est administré comme un ban avec un chef de village. C’est pourquoi un
xieng est parfois désigné par le terme dao, comme par exemple Dao Xieng In désignant Xieng In,
l’un des quatre xieng de Maung Sing. Le sens origine du xieng se retrouve ici altéré. Cette altération
fausse la compréhension de l’espace d’origine du xieng. C’est une déformation spatiale corollaire à
la disparition de la structure administrative et socio-politique traditionnelle lü, intervenue surtout
après la deuxième guerre mondiale et traduite probablement par l’isolement de la région du haut
Mékong par rapport au reste du pays.465 Par ailleurs, signalons que les villes portant le préfixe xieng
n’existent que dans le Nord, au de-là de Vientiane. Nous pouvons donc considérer que le xieng est
une tradition du Nord, et si elle se confirme être la base conceptuelle et le modèle des
établissements urbains lao, elle le sera uniquement pour les villes du Nord, l’analyse de celles du
Sud au regard du concept xieng doit être faite avec prudence.
La morphologie de l’enceinte de Muang Sing est issue d’une pensée organisationnelle,
d’un concept spatial et d’un schéma symbolique structuré, voire d’une planification. Dans sa
globalité elle fait partie des villes lü aux plans quadrillés qui existent dans le haut Mékong et dans le
Sip Song Phan Na (en Chine et au Myanmar) duquel Muang Sing s’est scindé. Il serait intéressant
de comprendre les liens culturels et politiques entre ces villes. Pour Muang Sing, sa particularité, ce
sont ses mesures et son échelle métrique. Son unité spatiale organisée en xieng met en évidence la
concomitance entre le système de gestion et le système spatial (comme nous l’avons souligné
précédemment à travers l’étymologie du terme xieng). S’il existe ailleurs de nombreuses villes au
plan carré ou quadrillé qui ne sont pas lü, telles que Chiangmai, Khorat et Sukhothai, aucune d’entre
elles ne donne une standardisation parcellaire aussi parfaite que Muang Sing. La parcellisation, 25 x
25 mètres la parcelle et les 50 x 50 mètres l’îlot, aurait été établie dès le départ de la fondation de la
ville. Les habitants viennent occuper ensuite les parcelles pré-délimitées. En d’autre terme, le plan
de Muang Sing aurait été dessiné, puisqu’à la fin du XIXe siècle les Siamois l’auraient retrouvé et
l’auraient utilisé pour le relevé du plan de la ville.466
Muang Sing possède un lak muang [s]adg,nv’], borne de fondation. La fête religieuse
bouddhiste annuelle qui lui est consacrée a été interdite après la libération de Muang Sing en
1962.467 La fondation des lak muang est composée de cinq bornes en pierre disposées comme un jeu
de dé, c’est-à-dire en carré avec la cinquième borne au milieu. Les bornes sont enterrées, restant
visibles une quarantaine de centimètres. Chaque borne est doublée par une tige de bois qui se
rejoignent pour former une pyramide avec la tige du milieu plus longue que les autres. Cela
reconstitue en quelque sorte la forme d’un stupa. Ensuite, l’ensemble des bornes est entouré par une
petite palissade faisant office de clôture. Sous chaque borne est enterré un sutra bouddhique.
N’ayant pas accès à ces éléments, nous ne connaissons ni la nature, ni l’écriture des supports. Les
464 Le terme dao [fk;] signifie “ étoile ”. Il est improbable que dao qui désigne aussi ban chez les Lü ait pu avoir un
rapport avec les étoiles. A moins de considérer que les “ tâches d’huile ” représentées par les établissements tai soient
comparées aux constellations. Par contre si nous gardons l’accent lü du terme dao, nous aurons dāo [fkh;] pour l’accent tai
de Vientiane, terme utilisé en association avec le terme daèn [cfo] qui signifie “ limite ” ou “ aire ”. Daèn-dāo [cfofkh;]
désigne un territoire de manière imprécise et abstraite. Si tel est le cas, daèn-dāo [cfofkh;] que nous désignons
généralement un territoire de manière imprécise trouverait ici son étymologie. A l’origine dao aurait désigné alors ban
avant de prendre un autre sens désignant un territoire vague et sans limite.
465 Cet isolement est apparu après que le conflit colonial se soit terminé. Après cela il y aura la période des seigneurs de la
drogue du triangle d’or pendant la guerre froide. La libération de la région Nord Laos au début des années 1960 par les
forces communistes isole encore davantage la région par rapport au reste du Laos. Une fois tout le Laos devenu
communiste, la région Nord continue à être isolée car difficile d’accès. Le gouvernement actuel espère réaliser son
désenclavement avec l’établissement des réseaux économiques transversaux dans le cadre de la RGM. 466 Le cadastre moderne de Muang Sing n’a été établi que vers les années 1990 et la valeur de ses transactions foncières,
un fait apparemment récent, n’existe réellement qu’avec l’établissement de ce cadastre.
467 La libération de 1962 par le Néolao Issara de la Province de Houa Khong (ou le Haut Mékong) a séparé la province en
deux. Muang Sing et Muang Luang Namtha devenaient alors le bastion de la zone libérée du Nord. Autour des années
1990, l’avant actuel Chao Muang, souhaitait rétablir la cérémonie du Lak muang réclamée par la population. Allant à
l’encontre du “principe scientifique révolutionnaire” elle n’a pas pu être rétablie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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habitants interrogés sont incertains et suggèrent plusieurs possibilités : tissu, feuille de latanier,
plaque de bois, d’or ou d’argent. L’écriture aurait été en Tham Lü.468 Ces bornes sont instituées par
des rituels religieux, notamment bénies par les moines bouddhistes. Rappelons que le chiffre cinq
correspond aux cinq préceptes bouddhiques et nous le retrouvons également dans la symbolique du
Pancasila.
469 Muang Sing possède également un lak muang [s]adg,nv’] pieu de la ville, et un phi
muang [zug,nv’] sorte d’esprit ou génie protecteur du muang. Alors que la cérémonie consacrée au
Lak muang a été interdite à partir de 1962, le culte du Phi muang a toujours été maintenu. Son autel
se trouve à l’extérieur de la ville, à Ban Xieng Moun, la fête qui lui est consacrée annuellement a
lieu au mois de janvier et les habitants lui sacrifient un buffle ou un cochon. Durant cette fête qui
dure de trois à sept jours, il est interdit d’entrer et de sortir du ban ou du muang.
Du point de vue formel Muang Sing peut être considéré comme un cas unique au Laos,
même si nous repérons des formes de rempart géométriques semblables dans d’autres villes, tel le
rempart rectangulaire en terre à Vientiane qui était encore visible dans les photographies aériennes
des années 1950. Dans la majorité des cas, l’absence de données archéologiques les concernant ne
permet pas de comprendre leur fonctionnement interne. Muang Sing est donc à ce jour représentatif
à lui seul de ville carré dans le territoire lao et peut être rattaché aux modèles de villes lü courants et
nombreux à l’extérieur du Laos. Mais par son jeune âge, il ne peut se placer comme véritable
modèle par rapport aux autres villes de forme géométrique qui sont historiquement plus anciennes.
Par contre, Muang Sing est vraisemblablement une reproduction d’un modèle et d’un concept
ancien qui trouve sa place dans une configuration spatiale plus large, identifié dans le royaume de
Xieng Khaèng au début de sa fondation. Ce modèle pourrait remonter lui-même à deux sources : à
Xieng Hung du Sip Song Phan Na auquel Xieng Khaèng s’était émancipé (donc probablement aux
villes chinoises), puis aux villes Shan de Birmanie son suzerain de près de quatre siècles et auxquels
il aurait emprunté les structures politiques et l’organisation dynastique. C’est alors sous cet angle
que sa fondation doit être examinée si l’opportunité se présentait. Par ailleurs les autres villes du
Nord non lü, dont le plan est géométrique (Chiangmai notamment) et avec lesquelles Muang Sing
aurait peut-être certains liens, doivent également attirer notre attention bien que leur maillage
interne ne donnent pas une lisibilité aussi claire que celui de Muang Sing. D’après la Chronique de
Xieng Khaèng, l’histoire politique de Xieng Khaèng était liée à l’Etat Shan, au Lan Na, et aux Sip
Song Phan Na, jusqu’à la main mise du Siam sur le haut Mékong dès le début du XIXe siècle et
jusqu’à l’annexion définitive du Lan Na par ce dernier.
Luang
Le terme luang [s];’] signifiant “ grand ” ou “public” est vraisemblablement d’origine lao.
Placé devant le nom de ville, il donne à cette dernière son statut de capitale ou du moins, la place
hiérarchique qu’elle occupe par rapport aux autres villes. Cette attribution semble tenir non pas tant
à la taille de la ville, mais davantage à son statut administratif, probablement à l’installation d’une
autorité importante ou relevant directement d’une autorité royale. Après Xieng Dong Xieng Thong,
la ville royale acquérait ainsi le nom de Luang Prabang, demeurant à l’époque la capitale munie de
la statuette sacrée du Bouddha. Quant à Luang Nam Tha, fondé en 1630 sous le nom Luang Houa
Tha, en pleine période birmane, la ville semble avoir été à cette époque une capitale régionale sous
domination birmane. Quant à Vieng Phu Kha fondée bien avant la période de pacification de F’aNgoum
et appelée autrefois Luang Phu Kha, l’histoire semble attester son importance en tant que
grande ville ou capitale des populations de parler môn-khmer.
468 Le Tham est une écriture ancienne qui aurait des racines venant du Nord-Est de l’Inde, employé pour les textes
religieux gnouan, lao et lü. Mais de L. Finot à M. Lorrillard, en passant par le linguiste M. Ferlu, l’origine ce cette écriture
ne peut être attestée de manière certaine. M. Lorrillard « Ecritures et histoire : le cas du Laos », Aséanie 22, décembre
2008.
469 Panca (Sk) désigne le chiffre cinq et sila, la pierre. A That Luang, au lieu de constitués de cinq sila, les cinq préceptes
se réunissent dans une seule borne appelée la borne du Pancasila. Nous y voyons représentées les cinq fleures gravées en
forme de Thammachark, la roue de la loi.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les deux exemples auraient été des grandes villes ou capitales non tai les plus importantes
du Nord au de-là de Luang Prabang. Dans tous les exemples le terme luang semble affirmer la
notion de capitale. Avant de devenir un adjectif signifiant simplement “ grand ” et couramment
utilisé par tout dans le pays, le mot luang appliqué au statut des villes semble être de culture
nordique : on ne trouve pas dans le Sud l’utilisation de ce terme.
L’ambiguïté des termes
Khoum [75h,] (quartier)
Khoum désigne littéralement le “ quartier ”. L’espace qui le forme est moins précis que le
ban [[kho]. Ce dernier désigne le village qui est précisément délimité par le nombre des maisons et
géré par une forme d’organisation locale très ancienne. Physiquement un khoum est plus petit qu’un
ban mais il ne peut être identifié par le même système de hiérarchisation spatiale que celui du ban,
dans la mesure où un khoum peut comprendre une ou des parties de plusieurs villages. En fait les
critères d’identification du khoum sont différents de celles du ban. Un khoum est un lieu ou un
ensemble de lieux qui s’harmonise et s’organise autour d’une ou de plusieurs caractéristiques
communes. Ces caractéristiques peuvent se baser sur une composition ethnique, lorsqu’un ensemble
de lieux est habité par une population à dominance ethnique homogène : khoum chinois, khoum
vietnamien (pour quartier chinois, quartier vietnamien). Elles peuvent aussi se baser sur l’aspect des
éléments bâtis dominant, sur une caractéristique géographique, sur la prédominance d’un
monument, d’un monastère, d’un équipement : khoum hong théo (quartier des compartiments),
khoum khèm kong (quartier de berge), khoum That Luang (quartier de That Luang), khoum Vat
Chanh (quartier de Vat Chanh), Khoum talat lèng (quartier du marché du soir), etc. Le khoum
représente donc la spatialisation d’un ensemble d’idées, de perception, d’usage et de mode de
fonctionnement, de caractéristiques.
Indépendamment et antérieurement à la définition précédente, ou complètement corollaire à
elle, le khoum désigne spécifiquement le quartier princier, la deuxième couronne spatiale de la
maison royale. Vang [;a’] étant le palais royal lui-même, khoum utilisé seul sans le nom propre
désigne alors tout le quartier qui l’entoure, habité par les membres de l’aristocratie. Ainsi, habiter
dans le khoum, c’est habiter dans le quartier des princes. Cependant, si les princes se regroupent
pour vivre par exemple dans un quelconque quartier de Vientiane, le quartier ne pourra pas pour
autant être désigné comme khoum. Ce qui voudrait dire que pour qu’un lieu puisse être désigné
comme khoum, il doit être aussi lié au pouvoir royal et probablement à l’acte officiel d’installation
de la résidence royale.
Aujourd’hui à Champassak le khoum existe toujours dans le vocabulaire local. Il désigne
alors les quelques ruelles et maisons qui ont été habitées par les princes de Champassack. Il est de
même à Luang Prabang, alors qu’à Vientiane cette notion a depuis longtemps disparu. Le khoum
n’existe donc que dans les deux villes, sans doute parce qu’elles étaient la résidence respective des
derniers pouvoirs traditionnels jusqu’à récemment : Luang Prabang a été la résidence royale jusqu’à
1975, et Champassack, celle de la maison princière jusqu’à 1975. En outre, quelques princes très
âgés y résidaient encore jusqu’à leur décès début des années 2000.
Il est très probable que le deuxième sens du khoum est l’origine du premier. En ce cas, il
aurait d’abord désigné l’espace occupé par le groupe des détenteurs du pouvoir politique ancien
avant de recouvrir généralement le sens de quartier. L’espace physique qui forme un khoum, dans
les deux sens du mot, n’est pas délimité et n’avait aucune structure administrative. Un khoum n’est
donc pas un terme à utiliser dans la hiérarchisation administrative, mais dans la classification
historique de l’espace, apparu avec la distinction sociale et la distinction du pouvoir spatialisée. En
ce cas, la notion de quartier du khoum en tant qu’espace serait née postérieurement au khoum en tant
que lieu d’habitation des membres du pouvoir royal et princier. Le khoum-quartier serait donc un
dérivé, une corruption du khoum.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Que ce soit la notion de khoum en tant que quartier, ou la notion de khoum en tant que lieu
de résidence royale et princière, le khoum n’aurait pas existé en milieu rural. Il n’existerait que dans
la cité, dans la ville, quelle que soit l’importance de cette dernière. Le côté citadin et urbain du
khoum semble ici évident et lié au pouvoir primitif. En ce cas, la citadinité ou l’urbanité ne seraitelle
pas née du khoum, du mode de résider du pouvoir ? Et si vivre dans le khoum implique un code
comportemental et verbal comme le veut l’usage, la citadinité étant dérivée du khoum, cela aurait
signifié que vivre en ville implique un code similaire, de la part du citadin. C’est peut-être à ce
niveau aussi que le rural se distingue traditionnellement de l’urbain. Car contrairement à la
perception urbanistique européenne qui affirme souvent, à travers les différents paramètres, que
l’urbain et le rural au Laos sont difficiles à distinguer, pourtant le commun des Lao, usager de
l’espace, représente clairement dans sa tête et dans les mots qu’il utilise ce qu’est la ville et ce
qu’est la campagne. Cette aisance de perception spatiale et de la sémantique ne proviendrait-elle pas
justement du sens primitif du khoum que l’on concevait comme essence de la ville, de la citadinité
et de l’urbain.
Phong [zQ’]
D’après K. Vongkotrattana, phong aurait désigné “ village ou établissement reculé, situé
dans la montagne, dans la forêt. ” Ceci ne concernerait alors que les villes du Nord, notamment la
région de Phongsali, car aucune ville du Sud n’a été désignée ainsi selon ce principe typologique.
Le terme n’aurait été utilisé que dans le cas où les populations du village et de l’occupation en
question étaient majoritairement non tai. Et Phongsali était majoritairement peuplé de Phu Noy et de
Hô. Cela aurait signifié deux choses importantes : premièrement, cela conforte l’idée que le ban
avait comme une des principes l’homogénéité ethnique et aurait rejeté à l’origine la mixité.
Deuxièmement, cela avance l’idée que tout en rejetant la mixité ethnique à l’intérieur du ban lao, on
aurait accepté l’existence d’un autre village non tai et peuplé d’autres ethnies indépendamment du
ban. Ce village aurait donc été désigné notamment comme un phong, avec donc une désignation
différenciée.
Tassèng
D’après la conception de la cité tai lü, tassèng a une autre signification que l’équivalence du
canton, qui est une administration locale intermédiaire, entre le ban et le muang. Tassèng, d’après
notre informateur, le po thao Sèng Chaï, désigne un des quatre îlots à l’intérieur d’un xieng. Celui-ci
mesure 50 m x 50 m et contenant quatre parcelles. Ta désigne dans un vocabulaire courant “ œil ”
ou “ maillage ”, et sèng désigne “ lumière ”. D’après les deux sens du mot composite, tassèng aurait
une connotation nettement descriptive et correspondrait approximativement à “ un vide en
maillage ”. “ îlot quadrillé ”.
Ban - muang
Ban - muang [[khoD g,nv’] désigne le pays. Du fait que les Lao conçoivent le pays par le mot
muang ou ban-muang, ils appliquent aussi cette expression pour désigner le pays étranger.
Notamment lorsque F’a-Ngoum utilise l’expression ban-muang dans les recommandations faites à
ses chao khun, il désigne effectivement les royaumes voisins : « Gardez vos ban et vos muang de
telles sortes que vous puissiez voir clair les intentions des ban-muang étrangers qui vous
entourent ». Cette expression qui est encore d’actualité explicite un concept particulier chez les Lao.
Non seulement ban-muang signifie le pays, mais il est clair surtout que le concept du pays et du
royaume est formé hiérarchiquement des ban et des muang. On remarque aussi que dans cet
adjectif, du ban on passe au muang omettant le tassèng. Ce qui pourrait signifier que le tassèng est
un maillage administratif intermédiaire et secondaire qui viendrait après l’organisation beaucoup
plus ancienne du ban et du muang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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II. II. a. 3. La conception de la gouvernance des muang dans Syaosavat le Maha Bandit
Syaosavat, une personnalité à la fois ambigüe et mythique, est le personnage central d’un
roman philosophique qui porte le même nom et qui a été écrit entre le XVIe et le XVIIe siècle. Sa
personnalité a une connotation religieuse par sa qualité morale, et historique par le réalisme de ses
propos. Il est devenu un sage et conseiller du roi après avoir voyagé et parcouru le monde. Il aurait
été l’image des rares hommes savants du XVIe et XVIIe siècle de l’âge du commerce et de la
découverte du monde. En dénonçant la médiocrité et l’hypocrisie de la cour, il se place en dehors de
la société et du pouvoir ; en participant à la gouvernance par les conseils donnés au roi, il fait partie
du pouvoir et semble joué un rôle important dans la constitution idéologique du muang et dans la
morale politique adoptée par le pouvoir, du moins, il exprime l’idéal politique que l’intelligentsia de
l’époque aurait apprécié.
Parmi les nombreux thèmes et maximes moraux traités dans le Syasavat,
470 il y a la
conception du muang dont l’organisation se réfère clairement aux principes moraux bouddhiques.
La conception du muang est développée sur dix points principaux, paraboliquement représentés par
les systèmes constructifs et l’anatomie. Le muang doit être composé de :
1. Le khreuane muang [g7Jnvog,nv’], le barrage ou la digue du muang. Cet ouvrage aurait symbolisé
les trois joyaux qui protègent la communauté vivant dans le muang. Ce sont le Bouddha, le dhamma
et le sangha. Pour Syaosavath, le muang doit être régi par la religion du Bouddha. La population
doit observer les principes moraux du dhamma pour assurer une société saine, d’ordre et de paix.
Sans ces trois joyaux, le muang ne saurait être, et la société retournerait à l’état de la barbarie. Dans
la mesure où celui qui compose le Syaosavat aurait été un des lettrés de la cour, ce fait doit refléter
la place que prend le bouddhisme dans le milieu intellectuel du XVIe et XVIIe siècle. Le Syaosavat
montre ici que le bouddhisme a été clairement le principe moral et l’idéologie officielle du muang
de cette période.
2. Le ming muang [,yJ’g,nv’], l’esprit du muang. Ce sont les devata, les génies tutélaires, les esprits
protecteurs du muang. Il semble que cet esprit du muang rappelle une croyance antérieure au
bouddhisme. Il s’agirait du culte des esprits et du culte des ancêtres fondateurs. Tout en plaçant le
bouddhisme comme culte dominant dans le muang et dans le royaume entier, les Lao semblent ici
conserver leur idéologie et leur culte primitif. Ils continuaient en fait à vénérer le culte des phi thaèn
ou du thaèn f’a, assurant en quelque sorte la santé psychologique de la société, profondément
imprégnée par ses croyances primitives. Car si le bouddhisme jouait un rôle plus important dans la
régulation de la société en imposant officiellement ses règles de conduite, le culte phi f’a doit
aménager un espace de liberté individuelle plus grande.471
3. Le caïèn muang [cdog,nv’], le noyau du muang. Ce serait des astrologues qui pouvaient prédire
l’avenir du muang. Nous devons probablement comprendre que ce groupe était constitué d’hommes
de science et de stratagèmes politiques. Par leur connaissance, ils auraient apporté des conseils aux
monarques et aux autres gouvernants dans la direction de l’État. Apparemment les décisions royales
étaient inévitablement et nécessairement sous l’influence de ces derniers.
470 D’après les annotations du Syaosavat de Houmphanh Rattanavong, in : Séna mark khika, Ministère de la Culture et de
l’Information, 1999.
471 Interdit en 1975, le culte phi f’a est peu à peu toléré. Depuis près de cinq ans il y a une vivification de ce culte. Des
interviews menés auprès des membres du phi f’a montre que l’adhésion ne se fait pas seulement par lien familial mais
n’importe qui peut s’initier avec un maître. Plusieurs cas montrent que suite à une maladie –souvent liée aux problèmes
psychiques– les personnes ont été soignées par la communauté phi f’a. Les personnes décident alors d’entrer dans la
communauté. Les membres auraient le don de communiquer avec les esprits. Plusieurs fois par an et en février, les
membres se rencontrent pour des rituels organisées chez les membres de la communauté, ils s’invitent à tour de rôle.
Grossièrement le rituel consiste à danser des danses de sabre avec de la musique lancinant autour d’une sorte de totem de
fleures et de fruits avec cierge et bougies. Durant le rituel les danseurs sont habités par des esprits divers qui viennent faire
la fête qui leur est dédiée. C’est pourquoi ils changent plusieurs costumes symbolisant différents esprits. Le rituel dansé
qui dure une journée entière et qui peut être regardé et applaudie par des publics extérieurs, exprime la libération et la joie.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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4. Le chaï muang [.9g,nv’], le cœur du muang. Ce serait l’épouse du monarque. La personnalité
féminine semble tout à fait étonnante dans ce contexte. Quel rôle pourrait jouer une femme dans la
constitution du muang ou au sein du pouvoir qui semble culturellement tout à fait masculin ? Nous
pensons qu’il existe deux conceptions probables de la féminité dans de tel contexte. D’abord le
féminin pourrait incarner le sentiment maternel, celle qui aurait réuni le peuple dans le sentiment de
sécurité, de bien être, de solidarité et d’appartenance au muang, comme le serait le rôle de la mère
dans une famille lao de souche. Ensuite, le féminin pourrait être la mémoire de ce qu’assumait
historiquement la femme auprès du monarque. Le mode matrimonial, c’est-à-dire le rôle du
mariage, dans la classe dirigeante traditionnelle était très lié à l’alliance politique et à la
consolidation du pouvoir des États de la région. Le renforcement du pouvoir et la paix réciproque
entre les muang chez les tai auraient souvent été réalisés à travers les liens de mariage qui
équivalaient les liens politiques. La pérennité des royaumes serait redevable ainsi à ce système
matrimonial et à la personnalité féminine qui suppléait le pouvoir. La qualité et le choix de l’épouse
royale constituaient donc une des conditions du muang, une affaire politique. Du moins, l’histoire a
démontré à plusieurs reprises ce fait, notamment avec les cas de Kéo Kengna d’Angkor et de
Phratep Karasatri d’Ayuthia.472 Par ailleurs, nous pensons également que le mode matrilocal de la
société lao, à sa souche primitive –c’est-à-dire à la base du village et de la société paysanne, a joué
un rôle important dans la structure politique du muang : la personnalité féminine incarnerait la
pérennité de la lignée du terroir qui constituerait en ce sens le cœur du muang.
5. Le kaène muang [csohoF cdjo g,nv’], celui qui unifie, qui consolide le muang. Il désigne le
monarque qui règne avec justice, bravoure et intelligence, incarnant l’union et l’identité. C’est en
fait celui qui est capable de faire converger toutes les aspirations du peuple vers le centre du
pouvoir, c’est-à-dire vers ce qu’il est sensé de représenter.
6. Le ta muang [8kg,nv’], les yeux du muang. Ce sont les quatre portes du muang qui assume la paix
et la sécurité, l’ordre et la vigilance du muang. Nous pouvons probablement comprendre dans cette
fonction qu’il s’agit des forces de l’ordre intérieur, une sorte de police veillant à la sécurité civile.
La fonction est vraisemblablement liée réellement au rôle des quatre portes de la ville.
7. Le hou muang [s6g,nv’], l’oreille du muang désigne le tambour. Il s’agit probablement de
l’organisation qui gère l’utilisation du tambour, une sorte de système d’alerte et d’information. Il
serait en charge d’annoncer les bonnes et les mauvaises nouvelles du muang, très certainement les
événements quotidiens et les rassemblements populaires. Par exemple, les tambours des pagodes –
en particulier lorsqu’il s’agit des villages situés en dehors des cités– ne servaient pas seulement à
ponctuer le temps et les heures de prières ou des repas des moines, mais servaient aussi à rappeler
les réunions villageoises. Et lorsqu’il est frappé de manière particulière, c’est pour annoncer par
exemple qu’il y a des personnes perdues en forêt : d’une part, le brut était tel qu’il peut aider ceux
qui se perdent à retrouver le chemin du village, et d’autre part, pour que les volontaires se
rassemblent formant un groupe prêt à partir à leur recherche.
8. Le fa muang [/kg,nv’], le mur du muang. Ce sont les troupes armées qui protègent les territoires
des muang. Apparemment, le Lane Xang ancien posséderait deux types du corps armé : le thahan
luang et le thahan lat. Le thahan luang serait l’armée régulière du roi et le thahan lat serait les
troupes du peuple, levées occasionnellement.
9. Le khouane muang [0;aog,nv’], l’âme du muang. Les annotations de Houmphanh Rattanavong ne
sont pas claires en mentionnant l’étoile et le diamant. Néanmoins, il devrait probablement désigner
les objets sacrés, les objets de grande valeur, probablement le patrimoine et le savoir transmis par
472 Kéo Kengna, la princesse Angkorienne, est considérée comme un des piliers du pouvoir de F’a-Ngoum, en améliorant
l’art et la culture du royaume et en apportant le bouddhisme dans l’exercice du pouvoir. Après sa mort prématurée, F’aNgoum
aurait perdu ses repères. Puis, il y a l’histoire de Phrathep Krasatri de Ayuthia tenue en otage par les Birmans.
Mystifiée cette anecdote ne traduit pas moins une réalité politique : en tenant en otage la princesse Siamoise destinée à
être l’épouse de Sethathirat les Birmans ont simplement démonté le plan d’alliance politique entre Ayuthia et Lane Xang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 282 -
Fig. 55.
Monuments en
ruine de Muang
Khoun
les ancêtres, les symboles et les rituels qui portent garant la légitimité et la force du pouvoir.
Quoiqu’il arrive ces objets doivent être sauvés de la destruction et de leur appropriation par des
ennemis, il était alors de tradition de les cacher. C’est une des raisons probablement qui explique les
nombreuses découvertes aujourd’hui de caches anciennes de ce type.
10. Le khoune muang [76og,nv’], le porte-bonheur et la prospérité du muang. Nous pensons qu’il
désigne la richesse du pays (le cadre géographique, la grandeur et la diversité du territoire, la
richesse de la nature, du climat, des rivières et des sols, etc.) dans laquelle est implanté le muang, sa
prospérité et ses richesses. Ce fait nous met aussi devant un fait qui peut expliquer l’importance du
choix des sites d’implantations et d’occupations des muang.
Ces dix composants du muang devraient garantir sa plénitude, sa prospérité, sa pérennité,
du moins, les conditions essentielles et nécessaires pour en faire un muang, aussi bien en tant que
cité qu’en tant qu’État.
II. II. b. Les caractéristiques géographiques des site et le choix d’implantation
De manière générale le contexte géographique conditionne le choix de départ de toutes
implantations lao tai. De manière moins évidente, il peut être l’élément qui conditionne leur
morphologie. Dans certains cas, il joue le double rôle en provoquant une implantation et en
conditionnant sa forme. De nombreux exemples illustrent le conditionnement de la morphologie des
villes par le contexte géographique dans lequel celles-ci se sont inscrites : il est vrai pour Vientiane,
Luang Prabang, Muang Kao Keung et Muang Khoun. Même lorsqu’une fondation historique a déjà
disparu, le composant géographique dans lequel elle s’est inscrite continue à lui donner une certaine
lisibilité, de telle sorte qu’il permet d’avoir une vision de ce qu’avait pu être la structure de la ville
disparue, du moins les conditions de son existence. L’exemple de Muang Khoun est significatif de
ce point de vue. Ce site en tant que muang n’existerait plus sans sa colline. La population ayant été
déplacée à plusieurs reprises et la ville ayant connu la razzia au XIXe siècle473 et les bombardements
après 1960,474 il ne subsiste plus que le vide et les débris. Réoccupée de nouveau, elle n’est plus
aujourd’hui qu’un grand village, chef lieu d’un district, la capitale de la province ayant été déplacée
à Phonesavanh.475 Grâce à sa colline au sommet de laquelle il y a des ruines de stupas, elle est
reconnaissable comme ayant été une ville organisée autour de sa colline –son centre sacré– avec la
survivance de ses fonctions symboliques que lui attribuait son organisation ancienne. Autrefois
prospère, résidence des princes phouans et des familles marchandes caravanières, Muang Khoun
peut être comparé à Luang Prabang. C’est principalement dans cette lecture spatiale que s’implique
la particularité géographique et la prise de site.
Nous avons développé précédemment l’idée que, dans leur rapport au site, les
implantations lao peuvent être reconnues, a postériori, par étude comparative avec les implantations
khmères et mônes existant au Laos. Ici, c’est l’idée que les situations géographiques les plus
évidentes ont guidé la formation des occupations lao, qu’elles soient citadines ou rurales. Il s’agit
des cours d’eau (fleuves, rivières) associés aux contextes particuliers de montagnes (collines, points
culminants) et de plaines. Les contextes géographiques ainsi que leurs contraintes ne sont pas
473 Du point de vue démographique le désastre a été le déplacement de sa population vers le Siam au XIXe siècle. L’exode
des Phouans a été raconté dans Kap Muang Phouan, chronique versifiée qui situe les événements entre la fin du XVIIIe
siècle et la fin du XIXe siècle. In. Kap Muang Phouan dk[g,nv’r;o, Comité de recherche en Langue et Littérature lao,
Département des Lettres et des Littératures, UNL, Ed. Hong Phim Suksa, Vientiane, 2001 ; Histoire de Muang Phouan
xt;aflkfg,nv’r;o, Khammanh Vongkot Rattana, 1952 ; Annales de Vientiane à l’époque de chao Anou rNo;P’lt.s,g9Qkvko5,
Comité de Recherche en Langue et Littérature Lao, Département des Lettres et des Littératures, UNL, Ed. Hong Phim
Suksa, Vientiane, 2004.
474 En 1965 les bombes ont surtout touché le pourtour de la ville. Entre 1968 et1969 les bambardements se sont intensifiés
et ont atteint la ville elle-même, ils portent un nom opérationnel : Ban Lop ODL et ont duré 3 mois. Les Américains
répliquent avec Ban Lop Koukiat de 1969. Il y a principalement deux sortes de bombes utilisées à Xieng Khouang : le
Napalm, utilisé la nuit, et le Phosphore. 475 Ville nouvelle créée pendant la guerre froide dans les années 1960, pour servir de relais et de base militaire au
gouvernement de Vientiane. Elle devient après 1975 le chef lieu de la province.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 283 -
seulement un cadre physique ou un dispositif spatial passif, mais des composants conceptuels actifs,
formulant le contenu spatial des fondations.
II. II. b. 1. Les montagnes et les forêts et leur rôle économique. Le contrôle des minorités et des
ressources pour la pérennité et le développement des muang
Les montagnes et les collines ont joué un rôle symbolique relativement faible dans la
culture lao, en dépit de l’influence de la culture khmère et de la cosmogonie indienne, visibles à
travers les représentations symboliques hindouisées des composants architecturaux et des décors
sculptés des sanctuaires (le culte du devaraja et de la conception du temple-montagne, le Mont
Méru représenté par le sô f’a. -+ 2hk). Par le Nord-ouest, les Lao auraient connu l’influence de la
représentation du Mandala tantrique. Que cette influence soit antérieure ou non à leur établissement
dans le Laos actuel. Concernant cette influence nous pensons aux villes tai lü de Muang Sing et du
Sip Song Phan Na dont la forme se rapproche dans la majorité des cas de la forme géométrique du
Mandala et du système concentrique du pouvoir qu’il symbolisait. Par contre, ces deux éléments ont
joué un rôle fort dans la conception spatiale et dans la vie économique des cités lao. Généralement
lorsque les implantations lao sont dans une grande plaine –comme c’est le cas de Vientiane– elles
intègrent toujours dans leur encadrement les chaines de montagnes. Dans une autre situation,
lorsqu’elles sont à proximité immédiate des montagnes, elles semblent vivre des retombées
économiques de l’exploitation des ressources de ses montagnes. Par exemple la cité de
Souvannakhomkham (ancien Xieng Saèn), en étant dans la partie déclinante de la chaine du Haut
Mékong, aurait bénéficié des facilités de diverses exploitations. Mais dans un tel encadrement, la
cité a aussi des contraintes : l’eau de ruissellement montagneux est aussi déterminante que le
courant du Mékong, provoquant l’érosion puis l’abandon de la cité.
Par le passé, les montagnes et les forêts sont des lieux de ressources pour nourrir les
villages et les cités. Leurs nombreux besoins sont satisfaits exclusivement par les produits
provenant des montagnes et des forêts profondes. Pour produire des objets usuels des muang, allant
des plus modestes aux plus imposants, on allait chercher les produits et les matériaux bruts de la
forêt. Ceux-ci avaient tout intérêt à n’être pas trop loin du lieu de production, de transformation et
de consommation. La forêt est aussi le territoire des minorités ethniques et des aborigènes. Leur
présence permet de garder, entretenir, humaniser les forêts et leurs richesses. Pour la société lao
dominante, l’intérêt est de laisser les minorités organiser leur propre vie sociale et culturelle,
religieuse et politique. Elle n’a aucun intérêt à imposer ses modèles d’organisation. Son avantage
par contre est de pouvoir exercer un contrôle sur eux. Ce contrôle se traduit d’abord par des “ pactes
de loyauté ” dont le mode d’application est inscrit dans le droit coutumier lao. Les faits sont
constatés tout au long de l’histoire du Lane Xang et transparaissent dans nombre de rituels.476 La
politique laotienne, jusqu’à 1975, n’a quasiment pas tenté de “ laociser ” les minorités. Considérés
comme des anciens occupants, tous groupes confondus les minorités auraient fourni les produits
nécessaires de la forêt477 et auraient assuré aux muang une certaine pérennité.
476 La cérémonie d’allégeance mutuelle entre chefs lao et chefs des minorités mônes-khmères est maintenue jusqu’à 1975.
Les représentants du roi doivent effectuer des tournées –salavé [lk]tg;]– pour recueillir l’acte d’allégeance annuelle chez
les minorités. A leur tour, les chefs ethniques doivent participer au rituel de l’eau du serment qui a lieu à Vat Ongtù,
depuis au moins l’époque de Sethathirath (XVIe siècle) et qui prend fin en 1973. Parfois les rituels sont maintenus au-delà
des frontières et de la réalité politique. Par exemple les chefs de Kouantum (Vietnam) continuent jusqu’à les années 1960
à témoigner de leur fidélité en apportant des présents aux Princes de Champassak, desquels leurs ancestres auraient été
autrefois vassaux. Ce lien est explicité aussi dans la cérémonie de crémaillère, Boun Keun Heuan [[6o0NogInvo] : un couple
d’origine mône-khmère monte dans la maison et miment les propriétaires alors que ces derniers marchent autour de la
maison avec des semblants de bagages contenant casserole, sac de riz, sac de sel, ustensiles ménagers, etc. Le couple mônkhmer
les interpelle : « d’où venez-vous étranger ? ». Les propriétaires répondent : « nous venons chercher refuge et un
endroit propice pour vivre ». Le couple : « cette maison est propice pour vivre, venez monter vous installer…». La joute
oratoire versifiée entre les deux parties peut durer des dizaines de minutes avant que les propriétaires soient invités à
monter dans leur maison. Ref. Archaimbault pour l’eau du serment. 477 Le bois précieux et le bois dur pour bâtir ; les résines et les essences végétales pour l’étanchéité et l’entretien des
objets ; les racines et les plantes pour la pharmacopée. Encore aujourd’hui, beaucoup de produits de consommation
d’origine animale et végétale viennent de la forêt et dont une partie importante ne pouvant faire l’objet d’élevage et de
Fig. 56. Le
sô f’a d’un
sanctuaireDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 284 -
La contribution des ethnies serait passée par un système de troc lorsque l’organisation
politique des muang n’était pas encore complexe durant la période des chefferies ; et par un système
de tribut lorsque les muang auraient été plus administrés et la société plus hiérarchisée. Par ailleurs,
même si cela paraît invraisemblable parce que la ville d’aujourd’hui ne dépend plus de la forêt mais
du surplus de la production et de la transaction des produits, la survivance forte et persistante des
produits de la forêt dans la culture alimentaire et médicinale des Laotiens montre combien la chasse
et la cueillette (qui appartiennent au temps reculé) relient encore activement les villes lao à la
forêt.478 Même si la société lao a évolué depuis et est passée de la cueillette à la culture, de la chasse
à l’élevage,479 cette culture du végétal et de la forêt, très prononcée chez ces derniers, semble être
plus qu’une survivance d’une société primitive, mais une particularité et une permanence propre de
cette société.480 Par ailleurs, la taille des villes lao anciennes n’aurait jamais été importante, ce qui
aurait permis de maintenir un rapport d’équilibre entre les lieux de ressources et de production et les
lieux de consommation. Ceci peut donner un aperçu sur l’échelle du système de production de cette
société qui n’aurait jamais dépassé, jusqu’au XXe siècle, l’état de l’artisanat.481
Plus que l’autoconsommation des cités, la forêt aurait été un facteur de développement et
d’enrichissement, permettant aux cités lao de “ s’ouvrir aux échanges ”. Dans son étude sur
l’économie du Lane Xang entre le XIVe et XVIIe siècle, Masuhara482 a démontré dans quel contexte
les villes lao qui se trouvent en arrière pays et qui n’ont pourtant pas d’accès à la mer et donc au
commerce maritime direct, ont-elles pu profiter de l’essor des villes portuaires devenu plus intense
après la prise de Malacca. Car ayant besoin des produits de qualité provenant de la forêt profonde et
des hautes terres pour le commerce avec l’Europe, le Moyen-Orient, l’Inde et le Japon, les villes
portuaires et le commerce maritime international transasiatique attirent les villes intérieures vers le
sud côtier de la péninsule,483 tels les villes ou établissements agraires et ripuaires des plaines
culture. On utilisait beaucoup les extraits du Palaquium annamensis [Yang bong 1jk’[q’], de l’Uvaria cordata [Khang 7aJ’],
de l’essence de Dipterocarpus [Namman gnang oE,aopk’], et de la gomme-laque [Styrax, kési 0U-u]. 478 Une grande partie de la population lao utilise encore la médecine traditionnelle et la quasi totalité l’utilise de manière
partielle : feuilles, écorces, racines, etc., issues de la cueillette. La chasse étant aujourd’hui interdite, les personnes
continuent à se procurer des produits de braconage pour leur alimentation. Sans évoquer les populations qui vivent encore
en nombre important dans les coins reculés, parlant seulement de celles qui vivent en ville ou dans le rayonnement des
villes et pouvant bénéficier des facilités de la ville pour leur consommation, donnons un exemple concret concernant un
produit alimentaire très utilisé : les pousses de bambou et de rotin. On en consomme beaucoup et elles proviennent
quasiment toutes de la cueillette, sauf celles qui sont en boite de conserve provenant du Vietnam, de Chine et de Thailande
issues de la culture.
479 Chez les Lao, nous ne savons pas à quand remonte le passage de la cueillette à la culture et de la chasse à l’élevage.
Les annales chinoises parlent des habitants du Yunnan dont les Tai Lao auraient fait partie à l’époque des Tang, sous ces
termes : « […] Le Nan Zhao est un état agricole. Les gens (de ce pays) labourent leur rizière à trois : le premier dirige la
vache vers l’avant, le second la contrôle à l’arrière et le troisième oriente la charrue. Ceux qui cultivent une seule fois le
riz dans l’année ne paient pas d’impôt, ceux qui le font deux fois paient 20 sang par personne. Les gens de Nan Zhao
oriental ont un grand savoir-faire dans la soie et le tissage. Les gens de Nan Zhao occidental travaillent mieux le coton.
Ils sont d’excellents armuriers, possèdent des règles militaires très strictes. Leurs soldats blessés en premières lignes
seront soignés et récompensés, ceux qui sont blessés en arrières lignes seront exécutés […] ». Cf. An Outline History of
China, Foreign Language Press, Peking, 1958. Cité par Phoumsak. Op, cit. 480 La notion de culture et de civilisation du végétal chez les Lao a été remarquée par plusieurs anthropologues. En ethno
architecture, Sophie et Pierre Clément ont mis en évidence dans l’habitat lao la forte présence des composants végétaux
dans les matériels et matériaux de construction. Ils ont évoqué le temps et le rythme des saisons, le monde végétal et ses
impératifs générant une culture spécifique : mode de vie, croyances, espace. En ethno musicologie le rapprochement entre
la nature, la forêt et la vie des villages est même devenu source poétique. Mais malgré les travaux divers qui l’évoquent,
des travaux spécifiques sur “ la culture et la civilisation du végétal chez les Lao ” restent, à ce jour, à élaborer. A une
échelle plus grande, Pierre Gourou évoque la civilisation du végétal pour les peuples extrême-orientaux : « […] Les effects
de la civilisation apparaissent dans tous les domaines techniques, agriculture et artisanat, localisation de la population
dans les plaines surchargées, architecture des maisons, moyens de transport, organisation de la société et de l’Etat […]
L’Extrême-Orient tout entier adhérait à une ‘civilisation du végétal’. Chinois, Japonais, Vietnamiens mangent très peu de
viande et ignoraient l’usage du lait […] » Cf. Pierre Gourou, La terre et l’homme en Extrême-Orient, ed. Flammarion,
Paris, 1974.
481 Jusqu’au début du XXIe siècle, l’industrie a toujours du mal à s’implanter au Laos; la main d’œuvre qualifiée pour une
production de masse est difficile à constituer ; les grands secteurs de l’économie sont orientés vers les exploitations des
ressources naturelles : bois précieux, minerais, etc. Dans le domaine du développement on parle de “ l’or bleu ” en
désignant le potentiel de l’énergie hydroélectrique. 482 Cf. Masuhara. Y. Op, cit. 483 Le commerce maritime des villes côtières en Asie du Sud-est est analysé dans plusieurs recherches, notamment les
travaux de Denis Lombard, « Pour une histoire des villes du Sud-est asiatique », in. Annales E.S.C., 4 (juillet-août) p. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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intérieures septentrionales. A titre d’exemple, dans les anciens registres commerciaux japonais les
produits péninsulaires vendus par les intermédiaires Khmers, Maures et Siamois, provenaient “ des
pays intérieurs ” : Chiangmai, pays Shan, mais surtout du Laos. Pour certains produits de grande
rareté, tel le musk qui n’existe pas au Laos, Masuhara note que sa traçabilité nous fait remonter vers
l’extrême Nord, dans les régions himalayennes, passant par le Sud de la Chine et par le haut Laos.
II. II. b. 2. Les plaines et les cours d’eau, la bonne maitrise de l’eau des muang
La relation entre plaines et cours d’eau doit être ici regardée avec attention : leur
intégration spatiale dans le territoire et leur participation à la constitution interne de l’espace du
muang est complexe. Du point de vue morphologique, le Mékong est l’élément fédérateur des villes
lao. Même pour celles qui sont retirées de la vallée du grand fleuve, elles sont toujours reliées avec
celui-ci par ses affluents, qui sont de véritables artères, pouls de chapelets d’établissements
villageois et agraires, de petites cités : telles que celles qui sont au bord de la Nam Ngum, Nam Tha,
etc. Pour de nombreuses petites villes, leur morphologie épouse la plupart du temps la courbure du
fleuve. L’exemple de la ville de Vientiane en est flagrant : la forme de la ville, dans la partie la plus
primitive jusqu’à la partie la plus récente montre que l’axe de son évolution poursuit l’axe du
Mékong. Quant à l’exemple de Luang Prabang, l’origine de la ville ainsi que son développement,
plaçant toujours la partie la plus centrale au cœur de la péninsule, montre que le Mékong et la Nam
Khane sont les composants majeurs.
Du point de vue économique, le Mékong assure la liaison entre les villes pour les
échanges et les trocs et aussi la possibilité d’exploiter les plaines. C’est l’aménagement des sites vu
à grande échelle qui permet de comprendre la liaison entre le fleuve et les sites. Au moment des
crues, les eaux du fleuve bloquent et repoussent les eaux de ses affluents. Ces derniers se gonflent et
poussent les sous-affluents à déborder de leur lit, arrosant et fertilisant les plaines. Puis ces
refoulements des eaux du fleuve rencontrent dans les plaines l’eau de ruissellement et parfois des
torrents venant des montagnes. Les plaines possèdent naturellement leur logique de régulation et
deviennent des territoires propices pour accueillir les établissements agraires. Un mauvais
aménagement, une mauvaise gestion de la plaine et de ses eaux marquerait alors le déséquilibre. La
compréhension de ces conditions et la bonne maitrise à grande échelle de ces établissements
humains, semblent être les conditions de leur prospérité. Le savoir-faire des Lao dans la gestion des
eaux est essentiellement caractérisé par la création des digues [7ao76fyo, kan kou dinh] et des barrages
en terre [/kp muJgIaff;hpfyo, fay dinh], et moins dans la construction des canaux et des bassins. Dans ce
contexte, certains de ces ouvrages sont associés à la fonction de rempart. Les remparts ont donc à la
fois le rôle agricole et de protection de la ville, une véritable marque de citadinité des établissements
lao que nous pouvons qualifier de cités agraires irriguées et non pas de cités hydrauliques.
484 Nous
842-856 ; les travaux de Antony Reid publiés en deux volumes : Southest Asia in the age of commerce 1450-1680,
Silkworm Books, 1993, Bangkok. 484 Dans les exemples donnés, on distingue la cité hydraulique de la cité agraire et irriguée de la manière suivante : 1- La
cité hydraulique est caractérisée par la construction des réseaux d’ouvrages hydrauliques, tels les canaux et les réservoirs.
Les eaux provenant des rivières et des fleuves par les canaux, en plus des eaux de ruissellement, seront gardées dans des
réservoirs et des bassins de rétension souvent ouvragés et monumentaux. Elles seront ensuite gérées par des systèmes de
canaux ingénieux et complexes, afin d’alimenter la ville et ses domaines agricoles. Les bassins de rétension servent aussi
pour les réjouissances collectives (courses de pirrogue, etc.) Ces ouvrages sont associés aux ouvrages urbanistiques et aux
monuments. Un système de gestion particulier a du être mis en place pour assurer leur contrôle : le pouvoir public et la
puissance de l’Etat sont associés à leur efficacité et à leur monumentalité. C’est une raisons qui expliquent pourquoi la
maitrise de l’eau symbolise la puissance et la richesse de ces cités. Les cités angkoriennes sont la réminiscence du modèle
hydraulique des cités indiennes. 2- Les cités agraires et irriguées sont d’abord caractérisées par une association entre un
réseau naturel (les rivières) et un réseau artificiel (les digues et partiellement les canaux). Les digues en terre sont
construites pour endiguer le débordement des eaux de la rivière, du fleuve ou des zones basses par rapport aux rizières et
aux ensembles d’habitation, villes et villages. Ces digues se construissent donc souvent autour de la cité. Et toujours
parallèlement aux digues il y a des déblais qui acquièrent très vite la forme et la fonction des canaux se reliant à la rivière et au fleuve existant. En retour, la rivière ou le fleuve alimente par ses brèches les terres agricoles. Le mode de gestion et
de contrôle des établissements agraires et endigués semble être communautaire, c’est-à-dire relevant des communautés de
village. Par ailleurs l’intégration de ces ouvrages dans le paysage est plus harmonieuse que celle des cités hydrauliques,
par le fait que le réseau naturel est plus important que le réseau artificiel : dans le cas des digues de forme arrondie,
comme à Viengkham, on a parfois du mal à déterminer l’artificialité de la digue et pourrait penser qu’il s’agit d’un bras de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 286 -
le voyons notamment avec le rempart-digue en terre de Muang Sing, avec les digues de Muang
Viengkham de forme organique485 et de Vientiane de forme rectangulaire.486
La construction des canaux en terre [7v’g\nv’fyo, khong meuang dinh] viendrait après celle
des remparts-digues [/kp muJgIaff;hpfyo, fay dinh] : les creux créés par les déblais utilisés pour
construire les remparts-digues en terre deviendraient d’abord des exutoires et des évacuateurs des
eaux de la ville et empêcheraient en même temps les eaux de la plaine et des rivières de pénétrer
dans la cité. Ces évacuateurs deviendraient en fait des réseaux de déviations des eaux autour des
villes et finiraient par trouver leur utilité véritable en se développant ensuite pour devenir des
réseaux d’irrigations. Ces réseaux augmenteraient ainsi, après coup, le potentiel d’exploitation
agricole des plaines, jusque-là seulement basée sur les réseaux naturels (creux, failles et
dépressions) et sur le système de gestion des barrages et des digues de protection. Les canaux en
tant que tels occuperaient donc une position secondaire, sinon postérieure dans la mesure où les
failles naturelles assuraient déjà au départ le rôle de drains à ciel ouvert, qui irriguaient et
canalisaient les eaux dans les plaines cultivées, proportionnellement à la taille des établissements
humains. En ce sens, l’utilité des canaux aurait été découverte plus tard avec le fonctionnement bien
rôdé des digues et des barrages.
La logique interne et le mode d’intégration des cités agraires qui ont été décrits ici en
relation avec le fleuve, sont encore plus explicites à travers le cas de Vientiane : les plaines,
l’assiette des sites d’établissements villageois et urbains, auraient été composées d’abord de zones
basses inondables (zones marécageuses) puis de failles creusées par les eaux formant des petites
cours d’eau parcourant la plaine. Puis des poches d’eau plus ou moins importantes forment des
mares et des étangs. Les zones exondées plus ou moins boisées avec des points culminants à
certains endroits seraient venues ensuite rompre la planimétrie à l’intérieur de la plaine. Cet
ensemble de paysage aurait formé un faciès et un substrat spatial naturel adéquat qui aurait
préfiguré, dès le départ, les types d’implantation et les modes d’occupation de l’espace des Tai. Les
terres inondées ou humides auraient été cultivées et exploitées en rizière immergée, tandis que les
terres exondées constituant les îlots auraient été bâties et habitées, protégées par des écrans
végétaux plantés en palissades. Ces terres exondées et ces lambeaux de forêts auraient été distancés
des uns des autres par des rizières et des zones humides en question. Quant aux points culminants,
ils auraient été habités par des esprits sacrés. Les failles naturelles creusées par les eaux auraient
formé des rivières et des canaux arrosant les espaces agricoles. Puis les chemins seraient nés
accompagnants la circulation des hommes et reliant les îlots entre eux. Ce processus de production
spatiale et ce schéma de fonctionnement s’appliquent à l’analyse de la plaine de Vientiane, avec la
particularité de ses diverses données géographiques et archéologiques, ses mythes de fondation et
ses toponymes qui permettent l’enracinement de la ville. Mais ils auraient fonctionné également
pour beaucoup d’établissements lao du Mékong, des plaines et des vallées desservies par ses
affluents.
Le contexte géographique, la topographie ainsi que l’ensemble de l’environnement, jouent
donc un rôle déterminant dans la configuration spatiale primitive. Nous utilisons ces composants
comme critères pour effectuer une synthèse morphologique de quelques implantations afin de
dégager les modèles formels et leurs variantes. Pour se faire, nous nous intéressons aux
implantations de la région Nord (le long de la Nam Ôu et du Mékong), de la région de la haute terre
et de la plaine de Vientiane (le long de la Nam Ngum et du Mékong), dans la région méridionale du
Laos occidental (le long de la Nam Moun). Nous abordons également les villes de la région du haut
rivière. Dans le cas de Vientiane où le canal Hong Sèng a rejoint le Nam Passak au niveau de Nong Ping, on pourrait se
demander si Nam Passak ne serait pas un canal, ou au contraire, si le canal Hong Sèng ne serait pas un bras de la rivière ? 485 Les cités Pyu ont été évoquées notamment par Van Molivan dans sa thèse, Cités du Sud-est asiatique, le passé et le
présent. Op, cit. 486 Le rempart rectangulaire en terre de Vientiane est orienté Nord-est, Sud-ouest à 60 degré, entre Phone Kèng et le
marché du matin actuel. Ce dernier était encore visible dans les années 1960, lors des grands travaux de voirie.
Fig. 57. La
digue-rempart
de Muang
Vieng KhamDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 287 -
Mékong, entre Xieng Kok et Muang Sing, afin de comprendre comment les villes se sont-elles
formées au fur à mesure que l’on s’éloigne du grand fleuve. Nous nous intéressons également à la
région du Nord-Ouest, dans la région de Nam Ping et de Nam Kok, puis à quelques implantations
de bord de fleuve dans le Sud ou dispersées et retirées dans les plaines, mais toujours en
communication avec les cours d’eau ou situées dans leurs bassins versants.
II. II. b. 3. Les études des cas
Région Nord, le long de la Nam Ôu et du Mékong : Luang Prabang
La forme de la ville peut être comprise essentiellement à travers quatre éléments de lectures :
1- La ville est d’abord aperçue à travers le Mont Phou Si, son axe de gravitation, qui peut avoir un
lien avec le mouvement giratoire “ virtuel ” créé par le contact entre Nam Khane et le Mékong. 2-
La ville est régie par une certaine bipolarité urbaine, entre l’arrière et l’avant –dont la Nam Khane et
le Mékong, sont les facteurs. 3- La ville possède beaucoup de plans d’eau [sa, nong, ltF sov’] à
l’intérieur de ses terres étroites, dans les rizières et dans les parcelles d’habitations. Du fait de son
altitude qui empêche l’acheminement direct de l’eau du fleuve vers la ville pour les usages
agricoles, la ville doit se donner des moyens pour retenir les eaux de ruissellement afin
d’aprovisionner les parties n’ayant pas accès immédiat aux berges. 4- Même si Luang Prabang est
une ville haute et entourée de montagnes, son site n’est pas soumis directement à l’eau des
montagnes qui aurait sinon menacé ses berges : le Mékong et la Nam Khane forment un obstacle
drainant toutes les eaux. Donc, la vraie menace, si elle existe, devait provenir de l’érosion des
berges et de la capacité ou non d’absorption et de drainage de l’assiette de la ville par rapport aux
eaux de ruissellement locale. Cette capacité a fait ses preuves tout le long du développement de la
ville, ce qui explique sa durée et sa permanence, malgré les vicissitudes historiques.487 A travers ces
quatre visions, Luang Prabang est un modèle d’espace à part entière, inaugurant une lecture spatiale
particulière à travers laquelle on peut comprendre les autres établissements lao.
Muang Swa des aborigènes
D’après le Phongsavadan Lao Luang Prabang serait une ancienne occupation des Swa,
488
aurait connu le Fou Nan, le Chen-La et l’Empire khmer. Ses anciens habitants auraient alors été des
aborigènes, peut-être des Cham489 et surement des Môns, avant que les Lao ne l’investissent à partir
du milieu du VIIIe siècle. Ces derniers continuent à lui donner le nom de Muang Swa et leurs rois
continuent à porter le titre de Khun Swa durant plusieurs siècles. Si on admet l’hypothèse d’un
Muang Swa lao dès le VIIIe siècle, on doit admettre que ce muang se développe dans le Tchen-la,
puis dans l’Empire khmer. Entre le VIIIe et le XIVe siècle, comme beaucoup de villes tai, de
manière cyclique chaque fois que les suzerains montrent des signes de faiblesse, les Lao auraient
profité pour déclarer leur indépendance en arrêtant de payer les tributs.
Une cité-État septentrionale au pouvoir limité
487 Luang Prabang a été incendiée et mise à sac par les Pavillons noirs au XIXe siècle et reconstruite durant le protectorat.
Madeleine Giteau note que Luang Prabang a connu aussi la peste au XVIIe siècle. Cf. Art et Archéologie du Laos, Centre
National du Livre, ed. Picard, Paris.
488 Swa [lq;t ] désigne l’un des deux peuples aborigènes de la péninsule indochinoise dans la région de Luang Prabang.
Lorsque les Tai Lao occupent le site, ils auraient conservé ce nom primitif en l’associant au titre des chefs tai, donnant
khun swa. Plus tard, en acquérant un nom tai, Xieng Dong-Xieng Thong sous le règne de F’a-Ngoum, la ville continue à
conserver son nom primitif Swa, connue jusqu’à nos jours. 489 « […] before the Mon and the Khmer, it is possible that the influence and présence of the Cham people in the area of
Luang Prabang was tangible. This supposition is more than plausible if we break away with widely accepted
historiography that stresses one Cham kingdom and instead accept that many chiefs and kinglets ruled simultaneously in
different places. Champa may have been a network or series of network of ethnic, religious, political, and commercial
relationships. […] » Cf. P.& M. Ngaosivathana « Ancient Luang Prabang, Vientiane, Mon realm and the Angkor impérial
road », pp. 12-13.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 288 -
Muang Swa devient le centre politique du Lane Xang au milieu du XIVe siècle portant le
nom de Xieng Dong Xieng Thong,490 en tant que siège du pouvoir d’un premier Etat lao muni de
territoire plus vaste, de systèmes politique et social organisé.
491 Cependant, si le pouvoir à Xieng
Dong Xieng Thong occupe une position centrale pour le Nord, le pouvoir est décentré et
déséquilibré par rapport à l’ensemble du territoire du Lane Xang qu’il prétend couvrir. Cela signifie
que les chefferies lao auraient été consolidées seulement autour de ce noyau nord, mais qu’il peut y
avoir quelques doutes sur sa véritable consolidation dans la partie sud et dans l’Ouest du pays.
Luang Prabang aurait exercé une influence limitée, sans doute elle n’aurait pas dépassé Loeuy,
Udon thany et Pak Kading au Sud ; Xieng Khouang, Xamneua et Son La à l’Est ; Muang Nan et
Xieng Saèn à l’Ouest ; Muang Sing et Phongsaly au Nord. Et en retour, elle serait restée une petite
capitale qui aurait exercé une certaine influence du point de vue culturel et commercial au-delà de
sa capacité politique et militaire. Sa domination ou son contrôle des autres muang en tant que centre
politique avant son transfert à Vientiane aurait été signifié par les tributs que les seigneurs de ces
muang lui ont apporté symboliquement chaque année, et sans doute aussi par les liens de parenté
qu’elle aurait entretenu avec les familles de ces muang. Ce qui aurait en partie atténué les rapports
de force potentiels. Mais malgré tout, elle aurait sans cesse à surveiller la partie la plus éloignée, en
particulier le Sud du pays. Le déplacement inévitable du centre, de Luang Prabang à Vientiane,
n’aurait fait que corriger ce déséquilibre. Ce fait nous éclaire d’abord sur le mode d’exercice du
pouvoir qui, partant d’un point, aurait dessiné un cercle de rayonnement, ensuite sur la position
géographique non-favorable de Luang Prabang par rapport à la configuration du Lane Xang. En
réalité, elle n’aurait pas couvert de son rayonnement le territoire qu’elle a prétendu rassembler.
Croisé avec l’analyse du site et de la ville, ce fait explicite son incapacité à assumer un rôle militaire
et un contrôle fort sur l’ensemble des muang. Or il en a fallu pour pouvoir contrôler l’immensité du
Lane Xang si nous nous fions à sa délimitation donnée dans le Phongsavadan lao.492
Luang Prabang aurait été dès le début une ville de résidence et non une ville militaire,
insérée au cœur des chaînes de montagnes, baignée par deux grands cours d’eau. Elle serait une
ville intérieure de hautes terres, très tôt limitée par une assiette spatiale et géographique qui fait
d’elle une ville aboutie dans toute sa plénitude et sa splendeur. Une éventuelle extension au-delà de
cette limite en terme démographique et en terme de bâti, aurait dépassé son cadre. En fait, Luang
Prabang semble posséder une échelle et un gabarit spatial qui lui sont propres. Ceci, depuis l’espace
et les composants de son architecture jusqu’à son cadre géographique en passant par sa composition
urbaine. De ce point de vue, l’étude des mesures, des échelles, des gabarits et de la densité des
éléments bâtis de Luang Prabang à différentes périodes doit très bien le confirmer.
La route du commerce caravanier et ripuaire
Sa désignation de ville enclavée, attribuée par les études économiques et géographiques
contemporaines, ne lui est pas appropriée. A défaut d’être une étape importante Luang Prabang
490 Xieng Dong Xieng Xieng Thong change de nom en devenant Luang Prabang lorsque Sethathirat transfert la capitale à
Vientiane vers 1560 en ramenant le Phrakéo et le Phra Serkham et en laissant le Phrabang. Donc ce n’est pas au moment
où la ville reçoit la statuette du Phrabang, venue de Vieng Kham en 1511 sous le règne de Vixun, qu’elle change de nom.
Cf., Thamnan Phrabang. Op, cit. 491 Le système de pouvoir du Lane Xang à l’époque de F’a-Ngoum est esquissé dans le Phongsavadan Lao, annoté par S.
Viravong. Op, cit. 492 Après la prise des derniers muang par F’a-Ngoum en 1361, la configuration physique du Lane Xang aurait été
dessinée. Elle est ainsi décrite : « à l’Est jusqu’au sommet de la chaîne montagneuse sur la ligne de partage des versants
(là où les arbres tombent selon les versants) ; au Sud jusqu’au territoire des Chams et des Khmers ; à l’Ouest touchant
Ayuthia ; au Nord touchant la Chine à Bountaï Bounneua ». In : Phongsavadan lao. (Op, cit.) D’après Vo Thu Tinh :
« Les données épigraphiques […] contribuent aussi à confirmer la chronologie avancée par les annales locales relatives
à l’avénement de ce grand roi qui, le premier, ouvrit l’ère de grandeur du Laos par la fondation du royaume du Lan Xang
s’étendant de la Chine au Nord jusqu’à Sambor au Sud et de Khorat à l’Ouest jusqu’à Laobao à l’est […] ». Les origines
du Laos, pp. 60, (Op. cit.) Nous trouvons également quelques tentatives cartographiques du Lane Xang historique dans :
Le Lane Xang vers le XVe siècle, d’après Charles A. Fisher, in. South East Asia, London 1969 ; Le Royaume lao avant son
annexion par le Siam, d’après le Phongsavadan Lao annoté par S. Viravong (réédition de 2001) ; Mainland Southeast
Asia : mid-16th to early 19th centuries, in : La chronique de Vientiane de l’époque Chao Anou, Comité de Recherche en
Langue et Littérature Lao, Département des Lettres, Université Nationale du Laos, Vientiane, 2004.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 289 -
aurait été une petite étape de la route de la soie et du commerce, une ville de liaison entre les
différentes villes du Nord : plusieurs documents auraient confirmé son intégration dans l’ancien
réseau commercial ripuaire et caravanier de la région : 1- par liaison avec Xieng Saèn et Chiangrai,
et par-delà, à la haute région de Birmanie en remontant le Mékong et en empruntant la Nam Kok ;
2- par route caravanière venant de Chine et débouchant soit vers le Golfe du Siam en passant par
Vientiane et le plateau de Khorat, soit vers le Vietnam en passant par plusieurs brèches, notamment
par le plateau de Xieng Khouang ; 3- par voies fluviales en remontant le Mékong jusqu’à Pak Ou,
de Pak Ou remontant la Nam Ou vers Muang Khoua, et de là emprunter la rivière Nam Noua
jusqu’à Dien Bien Phu.
Le type de citadelle-villageoise
Luang Prabang est marquée par une mixité entre une implantation de type villageois de
cultures ethniques et une implantation de type citadelle de culture citadine du muang. Cette mixité
“ citadelle-villageoise ” aurait été intrinsèque au fondement du muang, du moins pour les
établissements septentrionaux. Ce caractère se retrouve également dans les autres villes du Nord,
comme à Chiangrai et à Chiang Saèn, jusque dans les années 1980. Depuis plus d’une vingtaine
d’années le développement économique et la croissance des villes Thaïlandaises se sont
considérablement accélérés. Leur urbanisation creuse un écart significatif entre le monde thaï et
celui des communautés minoritaires : l’équilibre ancien a ainsi quasiment disparu. Au Laos cet
équilibre existe encore sous certaines formes, du moins, le déséquilibre est ralenti par la lenteur de
la croissance urbaine et du taux d’urbanisation (jusqu’au début des années 2000) conjuguée avec la
capacité des villes laotiennes à préserver leur système de gestion du muang. En d’autre terme, la
complémentarité entre le système tribal et le système du muang est encore préservée dans les villes
moins importantes. Mais quoi qu’il en soit, le phénomène de déséquilibre, s’il commence à se
manifester, n’accuse pas l’assimilation des groupes ethniques par le système du muang mais accuse
plutôt l’urbanisation et la croissance de la ville elle-même comme cause première. Car le propre du
muang c’est de ne pas viser l’intégration physique des groupes ethniques dans son territoire urbain,
mais au contraire de les maintenir à l’extérieur, afin qu’ils conservent leur mode de vie, leur
autonomie et leur capacité économique pour les échanges avec les sociétés du muang.
493 En ce cas,
le maintien de leur société aurait assuré le maintien de la société lao elle-même. Comme le montrent
les études de Evrard sur le rapport entre la gestion de la terre et l’inter-ethnicité, combien le
bouleversement de la gestion de la terre chez les ethnies menace l’harmonie et la survie de leur
société. Mais il n’y a pas que cela : ce que les études de Evrard ne disent pas clairement, c’est que
les sociétés tai elles-mêmes seraient aussi déstructurées si les sociétés ethniques, venaient à être
déstructurées. Car le maintien de cette inter-ethnicité dans la gestion du sol, dans la construction
politique et sociale consolide les sociétés tai.
Les villages qui composent la cité de Luang Prabang conservent chacun leur identité et leur
spécificité : notamment le village des danseurs et musiciens royaux, le village des producteurs de
poterie, etc. Pourtant spatialement, il est impossible de distinguer leurs limites, brouillées par la
densité démographique et celle du bâti. Chaque ban possède plusieurs monastères et parfois leurs
limites se touchent. Chaque maisonnée sait exactement à quel village il appartient et quel temple il
faut entretenir. Les chefs de village et leurs suppléants ainsi que le comité des sages gèrent leur
village avec une vraie autorité. Ce sont des points qui caractérisent la densité de Luang Prabang.
L’histoire de Luang Prabang ainsi que l’observation que l’on peut encore faire il n’y a pas
longtemps, montrent que c’est une ville qui produisait de l’artisanat de qualité et les habitants
connaissaient aussi les produits de qualité provenant de l’extérieur, parce que la ville faisait partie
de la route du commerce. La ville participait au contrôle de la région limitrophe et se procurait des
493 Au Laos les menaces qu’encourent les groupes ethniques sont plutôt l’aménagement du territoire qui déstructure dans
de nombreux cas leurs lieux de vie et leurs environnements, leurs modes de production, etc. Nous parlons des projets
d’exploitation forestière, les plantations de cultures extensives (d’hévéa notamment).Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 290 -
produits nécessaires pour sa consommation et pour ses échanges avec l’extérieur suscités par les
passages des commerçants qui y établissaient des arrêts réguliers. Ces besoins réunis auraient drainé
quotidiennement les produits apportés par les populations vivant à l’extérieur et sur les marges du
territoire de la ville. Que ces produits aient été imposés par l’autorité royale ou échangés
directement par les populations concernées, cela faisait de la ville un lieu actif et opulent. Donc
Luang Prabang était une vraie cité qui possédait des produits qu’elle ne produisait, mais qui
venaient de l’extérieur ou qui ont été produits à l’extérieur par les populations qu’elle contrôlait.494
Les populations extérieures auraient été principalement les minorités495 dont Louis Delaporte a
immortalisé la présence dans ses croquis de voyage vers la fin du XIXe siècle. Quasiment seuls les
Tai vivraient dans la cité. Les minorités qui faisaient partie du paysage de la cité n’y vivraient pas.
Elles vivraient dans leur village respectif et viendraient quotidiennement dans la cité pour vendre
leurs produits. De certains points de vue, ce type de cité ne peut vivre sans ses minorités et sans les
territoires desquels les populations tirent toutes les richesses. Luang Prabang est par excellence une
citadelle de culture citadine du muang. Celle-ci est caractérisée fortement par son organisation en
communautés de villages et par la culture ethnique et aborigène qu’elle intègre.
La région Nord des hautes plaines : Muang Khoun Xieng Khouang496
L’occupation de Xiang Khouang serait remontée à l’ère mégalithique avec la présence des
sites de jarres funéraires et des mégalithes de Houaphanh,497 comme le montrent les études de
Madelaine Colani. Mais ces vestiges ne donnent aucune information sur d’éventuels établissements
urbains ou villageois. Le Thao Hung Thao Tch’eng dit que Khun Tch’ueng qui serait venu de Xieng
Saèn s’est bataillé contre les Kyéo (Daï-Viêt) pour prendre possession du territoire de Xiang
Khouang (sous le nom de Prakan). D’après le Phongsavadan, Xieng Khouang aurait été occupée
par les Lao à partir du VIIIe siècle durant la même période que Luang Prabang. Le premier ancêtre
installé aurait été Khun Tched Tch’ueng,
498 puis se succèdent vingt-deux monarques jusqu’à Thao
Khamphong qui a régné entre 1289 et 1350. Durant ce règne Xieng Khouang aurait été vassalisé par
le Daï-Viet jusqu’à son intégration dans le Lane Xang. Dans le Lane Xang de Sam-Sèn-Tai, Muang
Phouan499 sous le règne de Khamkhong aurait connu une période brillante : épanouissement du
bouddhisme, constructions de nombreux monastères, édification d’une loi Phouane, le Code Lane
Khamkhong [dqf]hko7=kdv’]
500 qui régit 90 000 habitants. Il aurait été dévasté par la guerre avec le
494 Amphay Doré explique par exemple qu’autrefois Luang Prabang ne produisait pas de la soie (bien que les raisons aient
été religieuses selon lui) mais la faisait venir d’autres régions du pays et les habitants de la ville la travaillaient en faisant
du tissage en grande quantité et de manière assez diversifiée. Cf. Amphay Doré. 495 Les groupes ethniques des villages dispersés autour de Luang Prabang sont nombreux, même en ne tenant compte que
des groupes non-tai. Il y a les groupes de parler môn-khmer, de parler myao-yao ou sino-tibétain. Les autres Tai tels les
Lü qui pouvaient aussi se constituer en village à l’extérieur de Luang Prabang n’ont pas le même rapport à la cité que les
groupes non-tai. Les villages tai non citadins vivaient un rapport d’extra-territorialité physique à la cité mais n’auraient
pas connu un rapport d’extra-culturalité ou d’extra-ethnicité par rapport au muang. 496 Archaimbault transcrit S’ieng Khwang pour Xieng Khouang et Mu’ang K’un pour Muang Khoun. 497 Houaphanh est une chefferie peuplée majoritairement de Tai Neua. Elle a été placée sous l’administration seigneuriale
de Xieng Khouang vers 1751 sous le règne de Ong Lô et celui-ci est à son tour vassal du Royaume de Vientiane. 498 Frère de Khun Lo et septième fils de Khun Bourom. Il est probable que le terme Tch’ueng [g9nv’] ne soit pas un nom
propre, mais un titre appartenant à la population indigène avant l’arrivée des Tai, pour désigner les chefs des anciennes
populations de Xieng Khouang. Une fois conquis le territoire, les Tai auraient conservé ce titre local. C’est probablement
le même cas que Luang Prabang où, après avoir pris le site aux Swa, les Lao ont préservé pendant plusieurs générations le
terme Khun Swa pour désigner les rois lao. Par ailleurs, le héros du Thao Hung Thao Tch’ueng porte un autre nom qu’est
Thao Hung [mkh;I5j’]. Il est probable que son vrai et seul nom soit Hung, et que son appellation Tch’ueng ne soit qu’un
titre, acquis après avoir pris Xieng Khouang 499 Le terme Phouan [r;o] aurait été une corruption nordique de phoun, phon [r6oF 3ro] qui signifie “ haut ”,
“ proéminent ”. Par ailleurs, une petite rivière du nom de Nam Phouan [o=Hkr;o] traverse la ville. Phouan [r;o] aurait
désigné donc les Tai Lao de la haute terre ou de la Nam Phouan. Ces derniers auraient donc acquis cette appellation
postérieurement à leur installation dans la haute plaine de Xieng Khouang. Le nom ethnique des Phouan ou P’uon qui est
un sous groupe tai serait Phou Eun. Mais pour les Laotiens, les Phouan ne peuvent être considérés comme une ethnie, ils
sont le groupe dominant aujourd’hui par leur nombre et par leur dispersion sur le territoire laotien.
500 Kap Muang Phouang, Comité de Recherche en Langue et Littérature Lao, Département des Lettres, Université
Nationale, 2001. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Daï-Viet sous les Lê en 1479,501 pour ne rester que 2000 habitants. Muang Phouan aurait été connu
en dehors du Lane Xang, pour avoir envoyé des ambassadeurs à l’extérieur du pays et pour en avoir
reçu en retour : des missions religieuses du Cambodge et de Hanthawaddy (Birmanie). Vers la
seconde moitié du XVIIIe siècle, il devient de nouveau vassal du Daï-Viet et du Siam, devant leur
payer tribut. Appauvri et tiraillé entre les deux suzerains étrangers, sa population a fait l’objet de
rafles et de déplacements502 par ces derniers à plusieurs reprises.
Xieng Khouang possède deux muang importants : Muang Kham et Muang Khoun. Avant
l’administration française Muang Khoun en tant que capitale du royaume Phouan et résidence des
princes, porte le nom de Xieng Khouang comme le nom de la province. Quant à Muang Kham, ville
qui lui est auxiliaire, est appelé Muang Phouan Noy [g,nv’r;oohvp]. Xieng Khouang possède sa
propre structure symbolique, proche de celle de Luang Prabang. D’après Archaimbault il s’agit de
douze autels des devata protecteurs. Onze sont consacrés aux devata protecteurs des ban ou des
muang extérieurs, disposés dans les principaux muang et dans les quatre orients de la province,
sensés constituer les bastions spirituels du territoire de Xieng Khouang. Le douzième est consacré
aux devata protecteurs du muang principal et de ses princes descendants des Thaèn F’a.
503 L’autel
est situé sur la colline dominant la ville, Phu Chomphet, où il y a deux that : That Chomphet
possède encore son dôme, mais éventré et That Phoun dont il ne reste que la partie basse. Chaque
année, les habitants organisent un rituel en leur honneur en sacrifiant un buffle. Les onze génies des
ban dans les quatre orients sont conviés au rituel. Un autel miniaturisé est construit pour les loger.
Nous retrouvons également projetée dans l’espace la représentation de l’existence et du rôle de ces
devata protecteurs, à travers le rituel préliminaire du jeu de mail. Le jeu a lieu chaque année sur
l’esplanade rectangulaire de Muang Khoun lors de la fête annuelle du that.
504 Donc, du côté Sud où
il y a autrefois un stupa, le camp des princes détenteurs de l’autorité prend position et préside l’autel
de la cour royale des devata dont la face est tournée vers le Nord. Du côté Nord est placé l’autel des
devata protecteurs des ban et des muang extérieurs, c’est le camp des princes de Muang Kham.505
Dans la présentation du jeu de mail, il est possible de constituer une lecture de l’espace
symbolique de la ville : 1- Nous retrouvons dans l’idée d’une autorité protégée par les devata
[gm;tfk] –parce que cette autorité appartient à la “ lignée Thaèn, céleste ” qui observe le dhamma
501 Cet épisode historique correspond au moment où il y a une grande hostilité avec le Daï-Viet qui envahit aussi Luang
Prabang et qui a poussé ses troupes jusqu’à Chiangmai traversant Muang Nan. Cet évènement apparaît dans les annales
chinoises Ming Shi, puisque l’Empereur de Chine Xiang Zong a du demandé au « Gouverneur de la Province de Guang Si
de faire part d’un édit ordonnant à Lê Thanh Tông la retraite de ses troupes du Laos ». D’après les annales Daï-Viet,
Xieng Khouang est redevenu vassal de Daï-Viet déjà en 1448 comme une sous-préfecture sous l’Empereur Nhân Tông. Et
d’après le Phongsavadan Lao, il a continué également à être celui de Luang Prabang. Il payait donc tribut aux deux. Cf. T.
Hoshino. Op, cit. 502 Supposé avoir livré Chao Anu de Vientiane aux Siamois, les Phouans se considèrent comme bouc-émissaire. Ceci,
aurait profondément marqué son histoire et ses croyances. Le déplacement des Phouanes a fait l’objet de plusieurs thèmes
de recherche, des thèses en sont issues. Cf. Bangon Piyaphan, Les Lao dans Rattanakosinh, Bureau des Fonds de Soutien
pour la Recherche. Bangkok ; Pho Saenlamchiat, Tamnan T’aï Phouan, Bangkok, Société de Solidarité Issan Dokgna. 503 Thaèn serait l’ancien royaume situé dans le Sip Song Chou Tai. Ce terme signifie également “ le haut, le nord, le ciel ”.
Thaèn F’a serait la “ lignée céleste ” dans l’auto référence mythique des Lao. En Chinois on le prononce « Dian ». Cf.
note op, cit. 504 Sur cette esplanade il y aurait autrefois un stupa. Mais Archaimbault note que le that en question n’existe plus au
moment où il mène son enquête à la fin des années 1950. En fait, le that de Ban Naxay, à proximité de l’esplanade dont
parle Archambault n’aurait pas complètement disparu. Il serait resté son soubassement ou son socle. En tout cas il a été
reconstruit vers 2005-2006 avec les dons de la population. 505 Autrefois, le jeu aurait opposé les aborigènes (symboliquement joué par le camp de Muang Kham) et les Phouans
(camp de Muang Khoun). Cette opposition symbolisait l’atténuation de la hargne et de l’agressivité des dominés par
rapport aux dominants. Au début du XIXe siècle Chao Noy de Muang Phouan aurait modifié le jeu en le transformant en
une sorte de jeu de polo, parce qu’il était excellent cavalier. Il aurait surtout modifié la symbolique du jeu en faisant
transparaître des faits historiques. Pour lui, le jeu doit mettre en scène les esprits de révolte et de suspicion qui opposent
les vassaux (les princes de Muang Kham) aux souverains (les princes de Muang Khoun, auquel il appartient). Le fait que
la victoire soit quasi toujours attribuée aux vassaux symbolise la victoire du mal et de la trahison, dont il fut victime, sur le
bien et le Dhamma. Historiquement le seigneur de Muang Kham l’aurait dénoncé pour conspiration contre Chao Anou de
Vientiane, ce qui lui a coûté trois années de rétention. Sans fondement il sera ensuite libéré. Quelques années plus tard il
sera accusé de nouveau, cette fois-ci, pour avoir livré Chao Anou aux Siamois. Cf. Charles Archaimbault, La fête du T’at
à S’ieng Khwang (Laos) - contribution à l’étude du Ti-K’i, in. Artibus Asiae, Vol. XXIV, Ascona 1961. Remarquons
cependant que le jeu de tiki à Vientiane oppose également les notables et le peuple. Et c’est toujours le peuple qui gagne,
c’est ainsi la règle.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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[ma,,t]– la légitimation d’un pouvoir, basée sur le devoir de “ bonté bouddhique ”. Ici, nous sommes
déjà dans une logique de conversion au bouddhisme des Thaèn F’a. Car l’autoréférenciation de la
lignée Thaèn F’a des Princes de Muang Phouan aurait été bien antérieure au bouddhisme et liée au
culte des phi thaèn. Ce culte aurait ensuite connu une acculturation au contact avec le bouddhisme :
les Thaèn F’a seraient non seulement l’esprit des ancêtres protecteurs qui puisent leur autorité et
leur aspect sacré dans la construction de l’identité ancestrale, mais seraient aussi devenus avec le
bouddhisme des esprits investis par le dharma. Le symbole de cette légitimation du Thaèn F’a et
donc des princes phouans serait le douzième autel des dévata qui se trouve sur le point le plus haut,
accompagnant les stupas qui dominent et qui protègent la ville. 2- Nous retrouvons dans l’espace
symbolique Phouan l’orientation Nord comme une orientation privilégiée. Si le camp des princes se
trouve au Sud dans le jeu de mail, la face de ses joueurs et de son autel protecteur est bien tournée
vers le Nord. Mais il faut regarder dans d’autres exemples si ce privilège est complémentaire et
constitue une variante, ou s’il constitue une contradiction par rapport à la majorité des villes lao qui
privilégient plutôt l’orientation Est, sacrée pour l’espace bouddhique.
Les deux stupas qui dominent la ville n’auraient pas comme référence la cosmogonie
hindouisée. Ils n’auraient pas forcément symbolisé la représentation du mont Méru au sommet
duquel siège Brahma ; un monde, un état que devraient atteindre les puissants potentats. Mais ils
auraient symbolisé la victoire du dharma associée à celle des lois que la lignée des Thaèn F’a sont
en charge de promulguer dans leur règne. Ils auraient ainsi représenté ce dont les Phouans croient et
non ce dont ils sont ou ce dont ils croient être. C’est le khouane muang [0;aog,nv’]-âme de la ville,
garant de la paix, de la justice et de la prospérité du muang et de ses habitants. La position haute des
stupas –qu’elle soit centrale ou non– aurait été alors une coïncidence par rapport à la représentation
du mont Méru fréquemment représenté dans les ouvrages architecturaux des monastères.506 Ici, la
position haute aurait traduit spatialement chez les Phouans la considération et le respect envers un
élément protecteur et sacré. Il n’y a pas de rapprochement idéologique à faire entre le fait que les
Phouans placent au sommet de la colline leur lieu sacré et le mont Méru hindouiste. A Muang
Khoun le spirituel et le sacré sont placés en haut, au sommet, en particulier au-dessus de la tête des
hommes.507 La situation spatiale du lieu sacré de Muang Khoun traduit en fait la conscience
anthropique du sacré des Phouans projetée dans l’espace et dans leur comportement. Le sacré est
confondu à leur mythe des origines. La conception du sacré semble alors se relier à une idée
complexe et antérieure à leur conversion au bouddhisme. Il s’agit de leur auto conception ou de leur
auto référence ethnique et historique. Les Phouans comme les Lao auraient fondé leur origine sur la
lignée des Thaèn F’a [c4o2hk], des Muang Theung [g,nv’gmy’], autrement dit, des êtres qui viennent du
haut, “ des cités d’en haut ”, célestes. Cette idée est clairement exprimée dans le Nithan Khun
Bourom.
Outre cette auto référence sacralisée, l’idée de Muang Theung semble laisser transparaître
une certaine réalité historique et géographique des “ hauts muang du Nord ”. En d’autres termes
“ les cités célestes ” n’auraient-elles pas désigné les “ muang du Nord ”, le royaume Thaèn ou Dian
situé dans le Sud de la Chine, d’où serait venue une partie des populations lao tai. En outre, pour ces
derniers “ le haut ” ou “ l’au-dessus ” [gmy’], désigne également “ le Nord ” [gsonv]. Dans tous les cas,
l’autoréférence céleste aurait reflété la perception des Lao d’eux-mêmes et de la manière dont ils
considèrent leur propre cosmogonie, leur monde spirituel et sacré. On pense que la référence des
origines finit par fusionner avec le bouddhisme. Et cela se traduit spatialement par la construction
des that sur la colline dominant la ville, constituant ainsi son repère et son schéma symbolique. Par
ailleurs, la Nam Phouan –la rivière qui traverse Muang Khoun et qui se jette ensuite dans la Nam
Ngyo– est présente mais semble peu importante par rapport à toute la ville en termes de débit et
506 Le Mont Méru est surtout représenté par le sô f’a, le sommet du faîtage du sanctuaire, le bâtiment central du monastère. 507 Dans cette logique, la tête d’un homme est le sommet de son être spirituel, elle est donc sacrée. Ainsi, chez les Lao nul
ne touche ni ne passe par-dessus de la tête de quelqu’un. Lorsqu’il faut passer devant ou derrière une personne, il faut se
baisser ou se courbent pour être plus bas. Quittant les règles du sacré, ces gestes deviennent une marque de civilité.
Fig. 57. Les deux
stupas de Xieng
Khouang.
Fig. 58. Plan de
représentation de
Muang Khoune
Xiang Khouang.
In : Histoire du
Royaume phouan, Chao
Khamlouang
Nokham,
publication de
l’Association
Lao Phouane.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 293 -
Fig. 60.
Schéma
d’occupation
de Muang
Sing en 1996.
Interprétation
d’après les
relevés réalisés
par Bowsky et
Walter KasperSochermann,
in. Muang
Sing, passé et
présent.
d’utilisation. Elle constitue difficilement un repère.508 Les orientations et la colline aux stupas
occupent alors une place centrale. Sans que cela soit définitif, nous pouvons conclure que l’orient
Nord est une orientation sacrée prébouddhique préservée dans le schéma symbolique de Xieng
Khouang rappelant l’origine Thaèn de ses habitants, avant que l’orient Est bouddhique ne s’impose.
La région du Haut Mékong.
Le Haut Mékong durant la période coloniale, est au cœur des conflits entre la France,
l’Angleterre, la Chine et le Siam.509 Elle regroupe des bouts de plusieurs royaumes : du Sip Song
Phan Na (douze mille têtes de rizières), du Lan Na, de l’Etat Shan et du Lane Xang. Une grande
partie du Haut Mékong représente le tiers de l’ancien Sip Song Phan Na. Quatre des douze Phan Na
devenant anglais sous l’autorité traditionnelle du Chao F’a de Xieng Toung, quatre autres devenant
chinois sous l’autorité traditionnelle du Chao F’a de Xieng Hung, les quatre Phan Na restant sont
devenus français, intégrés dans l’Indochine, avec à leur tête un pouvoir traditionnel du Chao F’a de
Muang Sing.510 De Xieng Kok à Muang Sing en passant par Muang Long, Muang Kang et Muang
Nong, l’aspect des muang est fortement rural et l’histoire de leur établissement laisse peu
d’éléments pour une analyse spatiale structurée. Seule Muang Sing offre une grande richesse de ce
point de vue. Les études étymologiques et toponymiques permettent cependant d’émettre une
hypothèse sur la chronologie éventuelle de leur fondation, mais qui n’apporte pas un éclairage
particulier sur leur établissement. Une approche approfondie sur la gestion des sols, à l’intérieur et à
l’extérieur des murs de la cité, en rapport avec l’organisation sociale des communautés dans et
autour des sites, c’est-à-dire ceux des muang et de leurs marges, en termes d’interethnicité, pourrait
apporter des éclairages sur la question. Comme l’a démontré une étude ethnologique de la gestion
des sols de Evrard, qui met en parallèle l’interethnicité et la coexistence des muang et de leurs
marges chez les communautés tai et khmu.511
Xieng Kok [-P’dqd]
512 signifie “ ville ainée ”, Muang Long [g,nv’]v’] “ ville qui vient après
”, Muang Kang [g,nv’dk’], “ ville du milieu ”, Muang Nong [g,nv’ovh’], “ ville cadette ”. Nous
retenons de ces toponymes qu’il y a un mouvement chronologique de fondation de quatre muang
avant Muang Sing. Partant du Mékong et avançant vers le Nord-est pour atteindre la haute vallée de
Muang Sing, le premier muang construit serait Xieng Kok, puis dans l’ordre, Muang Long, Muang
Kang, Muang Nong et Muang Sing. Cette avancée à l’Est vers les hautes terres aboutissant vers la
fondation de Muang Sing aurait explicité la volonté du Chao F’a Sèng Si (son fondateur)513 de
s’éloigner de Muang Xieng Khaèng, ville natale d’où il a été chassé. S’éloigner de Xieng Khaèng
pour avoir la paix vis-à-vis d’une fratrie qui se bat pour le pouvoir, n’aurait pas exclu le fait qu’il y
a une réelle recherche d’un territoire physiquement propice pour fonder une cité, et une raison
symbolique pour légitimer une lignée qui aurait été éliminée de sa source. Et il serait tout à fait
naturel que Chao F’a Sèng Si en retienne les vieux principes et traditions de fondation propres aux
muang des Lü afin de préserver aussi sa propre légitimité et celle de ses descendants. De ce fait, au
moins Muang Sing serait sans conteste un modèle issu de cette tradition, même si sa construction
est récente.
508 Nam Phouan qui traverse la ville est modeste et ne constitue pas un axe majeur dans la ville, pourtant ses habitants
justifieraient leur nom Lao phouan par le nom de cette rivière. 509 Le Siam revendique le territoire qui était intégré dans l’Indochine française, sous prétextant sa souveraineté durant la
période précoloniale, l’Angleterre pour sa souveraineté historique sur la Birmanie et la Chine pour sa souveraineté du
territoire du Sip Song Phan Na.
510 Ce partage a été défini lors du traité tripartite entre la France, la Grande Bretagne et la Chine, le 7 septembre 1895. 511 « Mobilité, rapport à la terre et organisation sociale dans quelques villages thaïs et Khmou’rook de la vallée de la
Nam Tha ». Olivier Evrard. Article. 512 Terme lao composé de deux mots monosyllabiques, Xieng [-P’] (ville) et Kok [dqd] (ainé), sans aucune influence
méridionale, du pali et du sanskrit. Au Sud le nom des villes aurait été plus palisé, ainsi Nakhon Prathom [ot7voxt4q,]-
nom palisé- est l’équivalent de Xieng Kok [-P’dqd] en lao septentrional. 513 Chao f’a [g9Qk2hk] désigne le plus haut titre de prince dans la tradition dynastique lü. Il désigne aussi communément
« prince ».
Fig. 59 Situation
politique et
géographique de
Muang Sing dans
le Haut Mékong
vers 1885. Carte
réalisée d’après
une carte de
l’administration
coloniale.
Source : CAOM. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 294 -
Muang Sing.
La forme géométrale de la ville est, à première vue, tout à fait arbitraire et ses limites,
artificielles. C’est une réponse au contexte géographique très radicale et peu connue au Laos.
Muang Sing s’implante dans le creux de la haute vallée à 700 mètres d’altitude, entre la Nam Sing
et la Nam Dai, un paysage agricole étendu et dégagé. La vallée est entourée de deux ensembles de
montagnes : l’un dans le pourtour Est à 1685 mètres d’altitude, l’autre dans le pourtour Nord à 1041
mètres d’altitude.
Muang Sing a un rempart carré en terre [76fyo, kou dinh], constitué à partir des déblais du
canal qui l’entoure. Ce canal forme une sorte de tranchée. D’après ses habitants des tranchées
peuvent être couramment repérées dans cette région. En plus des tranchées, appelées khong [7v’], à
fonction agricole et de protection contre les crues, la population a l’habitude de construire aussi des
tranchées autour d’un camp, d’un village ou d’une ville. Elle appelle cet ouvrage Khong Vieng
[7v’;P’] ou Kheü Vieng [7n;P’]. Mais lorsque le terme khou ou kheü est associé au terme vieng
[;P’], il semble acquérir une autre fonction en plus, celle de protéger la cité contre les assauts des
cavaliers à cheval et des assaillants à dos d’éléphant. La forme des khou vieng et des khong vieng
peut être droite ou arrondie, leur taille et leur profondeur sont variables. En général un khong vieng
[7v’;P’] est doublé à l’intérieur par un Khou vieng [76;P’]. Mais l’état de conservation de ces
ouvrages ne permet pas d’identifier si leur fonction était agricole ou militaire ?
Le rempart de Muang Sing est un damier qui mesure entre 800 et 1000 mètres de côté,514
desservi par trois échelles de voirie. Les deux voies primaires médianes séparent la ville en quatre
parties appelées chacune xieng [-P’] (Xieng Gneun, Xieng Lé, Xieng Chai, Xieng In) et sont
orientés Sud-Est, Sud-Ouest, Nord-Ouest et Nord-Est. Les quatre voies secondaires séparent la ville
en 16 groupes d’îlots de quatre, les voies tertiaires séparent la ville en 64 îlots appelés Ta ou
Tassèng [8kF 8kcl’]. Un xieng est donc composé de 16 îlots carrés de 50 m x 50 m, disposés de
manière égale et régulière. Chaque îlot est composé de 4 parcelles de 25 m x 25 m de côté.
L’intérieur du xieng est donc desservi par 4 voies tertiaires et 2 voies secondaires qui se croisent.
Deux des quatre côtés du xieng s’appuient sur le rempart de la ville et possèdent deux portes de
sortie directe. Les quatre xieng forment en fait un vieng. Muang Sing est alors désigné aussi comme
un “ vieng aux quatre xieng ” et également appelé par les Lü “ Vieng Muang Sing ”. Le Tassèng
[8kcl’]. –chef lieu– ou “ l’îlot principal ”, est localisé à Xieng Chai (xieng du cœur) et les quatre
xieng composant Muang Sing intra-muros sont attachés à ce Tassèng. Chaque xieng est placé sous
l’autorité d’un Phraya xieng, « seigneur xieng » [ritpk-P’], sorte de chef de village mais portant le
titre de Phraya [ritpk].
515 Enfin, Muang Sing, intra-muros et extra-muros compris, est composé de
4 zones ou 4 Tassèng : Tassèng Xieng Chai, Tassèng Nakham, Tassèng Namkéoluang, Tassèng
514 D’après Grabowsky et Kaspar-Sikermann, les relevés réalisés par les Siamois comportent des erreurs car ils ont été
réalisés à partir des vieux plans lü. Dans ce plan siamois, au lieu de 25 saèn, il est écrit 5 saèn. Or à 5 saèn, la longueur du
rempart aurait seulement 280 mètres, ce qui ne correspond pas à la réalité. Tandis que les mesures données par les
personnes âgées de Muang Sing indiquent qu’il mesure 500 va, c’est-à-dire à peu près 1000 mètres ; sur la photographie
aérienne la ville mesure entre 800 à 900 mètres. En additionnant l’épaisseur du rempart des deux côtés, la largeur des
voies tertiaires, secondaires et primaires, puis la largeur des huit îlots, l’enceinte du rempart mesure 1080 mètres pour le
système métrique officiel, et 944 mètres pour le système métrique lao ancien. Le plan récent de Muang Sing dressé par
l’Institut de Recherche en Urbanisme pour le compte de la province devrait corriger les erreurs en se rapprochant plus de
la réalité, sachant que ce plan a été redressé à partir des photographies aériennes et non à partir de relevés géométrales et
topographiques.
515 Phraya [ritpk] est un titre désignant à l’origine les rois. Les rois t’aï portent d’abord le titre de khun [05o], tel Khun
Bourom, Khun Lo, etc. Dans le Phongsavandan lao et d’après Souneth Phothisane il y aurait d’abord 16 rois qui se succèdant et portant le titre khun. Ensuite il y aurait 6 rois portant le titre de Thao [mhk;], et enfin 4 rois avec le titre de
Phraya. Après ces appellations les rois seront principalement désignés sous le titre de Phra Chao [ritg9Qk], en plus de
leurs noms de règne, longs et complexes. Ces noms de règne utilisent les termes en sanskrit et pali et se sont référés au
système indien. Plus tard Phraya désignera les nobles qui ont une fonction de ministre ou de gouverneur de province ou
les deux à la fois. Ainsi le titre de Phraya Muang Chanh [ritpkg,nv’9ao] est réservé au premier ministre, Phraya Sène
Muang ou Phraya Muang Sène [ritpkg,nv’clo] au chef de l’armée, régent du royaume et chef des provinces (sous le règne
de Suryavongsa). Puis durant une période plus récente et ce, jusqu’à 1975 Phraya est simplement un titre de noblesse
accordé par le roi aux hauts fonctionnaires. Alors que le titre n’est pas héréditaire, nous pouvons cependant remarquer que
la majorité des Phraya du Royaume du Laos étaient eux-mêmes fils ou descendants des Phraya, souvent membre des
vieilles familles appartenant à l’administration royale.
Fig. 61. Plan de
Muang Sing.
Traduction en
français d’après
un plan siamois
dressé vers 1889-
1890, Archives
Nationales de
Bangkok, rapport
de service du
gouvernement
à propos de
Muang Xiang
Khaèng et
Muang Sing- Muang Nang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 295 -
Fig. 62.
Schéma de
hiérarchisatio
n spatiale et
symbolique de
Muang Sing
Fig. 63. Un
lak ban lü à
Bountaï
Thongmai. L’exemple de Muang Sing donne un éclairage sur la terminologie xieng [-P’] qui
désigne communément la ville, pour les Tai septentrionaux, en devenant aussi le préfixe du nom des
villes.
Muang Sing a été construite vers 1792 par Chao F’a Sèng Si qui a quitté Xieng Khaèng
suite à un conflit de succession. Mais à l’origine, sa première implantation était à la source de la
Nam Daï, à 3 kilomètres de Muang Sing. Et pendant 17 ans ce rempart-digue de la ville était en
terre et de forme organique. Nous apprenons de la chronique orale locale qu’un demi-siècle après sa
construction, la plaine de Muang Sing a été abandonnée par ses habitants qui émigrent516 vers
Chiangmai et vers la chefferie de Muang Nan517 dont le seigneur aurait entrepris une extension
attirant une grande partie de la population. Sans être bien établie, la ville, voire toute la vallée,
devenait vacante. Les Lü appellent cette période “ guerre des Kalrom ”.
518 Mais nous ne savons pas
sous quelle forme était Muang Sing à ses débuts. Le plan en damier a-t-il été construit à ce momentlà
?
Face à la déroute les notables de la ville demandent au Chao F’a de Muang You519
d’envoyer un chef pour diriger Muang Sing. Les Chao F’a de Xieng Khaèng auraient tenté plusieurs
fois de le repeupler mais sans succès. A partir de 1870, la région aurait été peu à peu repeuplée.
Autour de cette date le Chao F’a de Muang You envoie Chao F’a Rsirinô gouverner Muang Sing.
Celui-ci implante d’abord un groupement vers Ban Houa Khoua (village à la tête du pont) et
restaure Ban Thin That (village au pied d’un stupa), y demeure durant deux à trois années. Puis,
voyant que le site n’est pas adéquat, notamment trop exposé à l’inondation, car trois rivières se
rejoignent à l’endroit où s’implante le groupement, il a alors l’idée de fonder une ville, en déplaçant
le groupement sur le site actuel de Muang Sing. Le plan siamois établi en 1889-1890, montre
qu’une grande partie de la ville n’a pas été remplie : certains îlots restent vides, laissant croire que la
ville était inachevée à cette date.
Peu d’années après ce fut le début de la colonisation française. Chao F’a Sirinô a choisi de se rallier
à la France, pensant pouvoir sauver sa principauté des prétentions anglaises, siamoises et Hô.
La cité de Muang Sing et sa région est constituée à partir de 17 thong na [mqJ’ok] (17 champs
de rizière), qui est égale à 17 houa na [sq;ok] (17 têtes de rizière) c'est-à-dire “ 17 propriétaires ”.520
Ce qui correspond à peu près au territoire de ses quatre districts actuels. La citadelle elle-même est
un carré de 4 portes comme les autres cités lü se trouvant à l’extérieur du Laos : Muang Yu [g,bv’16h],
Muang Loey [g,nv’]vp], Muang Euwa [g,nv’gvu;hk] et Muang Nam [g,nv’oE]. Chao F’a Rsirinô meurt
vers 1905. Il appartient à la dynastie de Xieng Hung, capitale de la confédération du Sip Song Phan
Na. Il est descendant de Chao F’a Dek Noy (l’enfant roi) ou Chao F’a Inpanh, fondateur du
royaume de Xieng Khaèng au XVe siècle.521 Selon la Chronique de Xieng Khaèng, traduite et
516 Plusieurs récits de la région, notamment celui de Vieng Phu kha, se recoupent pour montrer que l’émigration lü vers
Muang Nan était une émigration forcée par les troupes siamoises avec l’aide des chefs de Nan. 517 Actuellement il y a un petit district de Muang Nan qui est situé au Sud de la province de Luang Prabang, puis il y a
Muang Nan dans le Nord-est de la Thaïlande. Il s’agit ici du Muang Nan situé dans le territoire Thaïlandais. 518 La population de Muang Sing donne le nom de “ guerre des Kalrom ” sans doute parce qu’elle voyait que les troupes
siamoises qui menaient campagne dans leur ville sont composées majoritairement de Kalrom (sous-groupe tai gnouan
[p;o) et Khrom (de parler môn-khmer), effectivement engagés comme mercenaires par l’armée siamoise. « Ce sont des
mercenaires de métier (disent-ils) qui ne craignent ni de piller, ni de faire des razzias ». Mais les Kalrom du Laos se
disent généralement être lü. 519 Muang You dans la prononciation lü à Muang Sing, ou Muang Yon sur la carte française représentant le Haut Mékong,
est sans doute Möng Yawng ou Mong Yu birman qui sont actuellement au Myanmar, l’un à environ 100 km et l’autre à
moins de 70 kilomètres à vol d’oiseau à l’ouest de Muang Sing. 520 Houa na [sq;ok], “ tête de rizière ”, semble employé comme une unité de mesure des terres ou des propriétaires chez
les Lü. En comparaison avec les Lao de la basse plaine, houa na semble désigner davantage une partie physiologique des
rizières. Le houa na en ce cas est la partie la moins immergée du sol utilisée comme pré ou pâturage, disposée
généralement entre les rizières et le village. Chez les Lü y a-t-il un regroupement de propriétaire à la tête du quel il y
aurait un chef qu’on aurait appelé houa na. 521 L’histoire de cet ancêtre fondateur mérite d’être rapportée ici, car elle est étrangement similaire à la légendaire
biographie de F’a-Ngoum fondateur du Lane Xang. Ce Chao F’a serait encore un enfant ou un adolescent lorsqu’il régne
à Xieng Hung. Capricieux et tyrannique, il passerait son temps à tyranniser son entourage et à tuer chaque jour un buffle
pour festoyer. Ces habitudes, dans une société agraire comme celle des Lüs, appauvrissent la population. Cette dernière Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 296 -
annotée par Lafont, c’est un royaume qui a fait sécession du Sip Song Phan Na pour devenir « le
seul à se retrouver indépendant de cette confédération ».
522 Entre le XVIe et la fin du XVIIIe siècle
il s’est placé sous la suzeraineté de Pegu (Birmanie). Puis lorsque le Siam l’occupe, le système
politique et social établit depuis quatre siècles se serait effondré et la ville principale refondée plus
tard à Muang Sing. A la fin du XIXe siècle le Royaume de Xieng Khaèng entra dans les conflits
coloniaux.
Vieng Phou Kha.
Aborder l’histoire de Vieng Phu Kha présente de grande difficulté, du fait de l’absence de
chronique locale et du fait de son enclavement, non seulement géographique, mais aussi culturel qui
la relie difficilement aux autres villes. Aujourd’hui, elle se trouve sur la route A3 entre Luang
Namtha et Houayxay, l’un des trois maillages du réseau routier du Nord aménagé dans le cadre du
programme de développement économique du GMS. Ceci devrait changer beaucoup la donne pour
Vieng Phu Kha dans les prochaines années : d’un lieu quasi-inaccessible, il est actuellement à 2
heures de Mohan (Chine) et à 3 heures de Chiangkhong (Thaïlande), route la plus courte par
laquelle les camions chinois et thaïs empruntent pour échanger leurs marchandises.
Actuellement Vieng Phu Kha est peuplé à 95% de population de parler môn-khmer. Mais
son histoire est instable du point de vue ethnographique et culturel. Le site est occupé dès le début
du mégalithique. Nous y trouvons des objets et des outils en pierre,523 et sur les parois des grottes de
nombreuses gravures représentant des animaux. Vieng Phu Kha semble aussi être le plus important
site khmu de fabrication de tambour de bronze au Laos, puisque nous y trouvons des débris de fer,
de bronze et d’or issus de fonderie et de four.524 Dans l’histoire du peuple khmu il est transmis de
génération en génération que deux branches, khmu khrouaèn [0t,5c7;ho] et khmu roc [0t,5ivd], se
faisaient la guerre vers la fin du premier millénaire, due à des croyances divergentes : les uns
vénéraient les phi des ancêtres, les autres, les esprits de la forêt. Les conflits auraient causé
l’affaiblissement de ce peuple, séparé en plusieurs groupes, rendant impossible une organisation
sociale et politique plus solide, sous forme de cité par exemple. Malgré une démographie
importante et des avantages culturels et intellectuels dus à leur rapprochement plus grand au monde
môn-khmer,525 que n’ont pas les autres communautés tribales de parler môn-khmer, les Khmu
s’organisent en village et en tribu et ne dépassent jamais ce cadre dans le territoire de Vieng Phu
Kha. D’un monde fermé, les Khmu seraient peu à peu entrés en contact avec les Tai, dont la
structure sociale, politique et économique est organisée dans le muang. Les Khmu vont vivre sur les
marges du muang des Tai du point de vue géographique et social. Mais du point de vue politique et
économique ils seraient inévitablement intégrés dans le système du muang grace aux trocs et à la
connaissance qu’ils ont de la forêt, dont ont besoin les Tai muang.
526 Bien que le Lao soit une
langue véhiculaire entre les différentes ethnies depuis plusieurs siècles, un échange linguistique est
exigerait alors son exile. « Le mettant dans un radeau et accompagnés de cinq couples de Tai, de sept couples de Khas
(Khmu), des guerriers composés de quinze Tai et de douze Khas (Khmu) », la petite colonie descend le Mékong et fonde la
ville de Xieng Khaèng qui devient le centre du royaume portant le même nom. La partie légendaire de la biographie de
Chao F’a Dek Noy a été recueillie au cours de l’interview que j’ai réalisé auprès du Pothao Sèng Chai (le grand-père Sèng
Chai) de Xieng Chai à Muang Sing. 522 Le Royaume de Jyn Khen, chronique d’un royaume Tay loe2 du haut Mékong (XVe – XXe siècle), P-B Lafont,
L’Harmattan, Paris, 1998. Op, cit. 523 Dans la grotte de Phou Lang nous y trouvons des gravures de tigre que les locaux khmu appellent savay si Ngot qui
signifie « le tigre qui dort sur la route ou le tigre barrant la route ». Sur la falaise de Sang Kha nous y trouvons des
gravures montrant des familles de chiens et de chiots. Cf. Sèngthong Phothiboupha. Ibid. 524 Nous trouvons ces vestiges à trois endroits : à Thong Lô [mqJ’s]+] « champs de fonderie », à Tham kateub [4Edt8b[], et à
Tham Takhong-Takhèng [4He 8t7jv’8tc7’]. 525 La langue khmu est l’une des plus importantes en Asie du Sud-est continentale. Elle a joué un rôle important dans la
langue lao qui lui emprunte un certain nombre de mots dans le domaine de l’agriculture et de la forêt, ainsi que dans la
désignation de nombreux objets.
526 Dans le Nord, l’identité tai est associée fortement au muang. Ceci par opposition aux autres populations non tai et non
détenteur du muang mais vivant sur les marches et les marges du muang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 297 -
remarquable entre Khmu et Lao puisqu’un pourcentage important de termes lao est d’origine
khmu.527
Vieng Phu Kha est apparu pour la première fois dans le Nithan Khun Bouron. Lors des
campagnes d’unification après la prise du Haut Mékong, F’a-Ngoum aurait déplacé la population de
Muang Luang Phu Kha vers Xieng Dong Xieng Thong au début de la seconde moitié du XIVe
siècle, pour ne laisser que vingt familles. Et au XVIe siècle, étant devenu l’un de leurs muang la
Chronique de Xieng Khaèng dit que les Chao F’a y ont réinstallé les Kha Samtao, d’origine mônekhmère
mais bouddhistes. La mémoire orale fournit quelques données qui se recoupent avec cette
chronique sur certains points, mais elle en donne souvent des versions très légendaires. Du XVIe au
XVIIe siècle suite à la défaite de Sethathirat sur Chiangmai et sur le haut Mékong les Birmans se
seraient emparés de la région. Installés dans la ville ils auraient construit l’étrange fortification qui
donne à Phu Kha son statut de vieng. L’occupation birmane sous le règne de Bayinnaung aurait
pour objectif la création d’un avant-poste de Taung-Ou pour contrer le Lane Xang. Envoyé par ce
grand roi birman, un moine érudit, Maha Phot, accompagne les Lü et les Phu Noy de religion
bouddhiste pour peupler la région de Phu Kha. Plusieurs monastères auraient ainsi été construits par
leurs soins : Vat Maha Phot, Vat Bokhung, Vat Chomthong, Vat Pha Phoune, etc. Une fortification
aurait été construite sur une petite colline. Vers 1567, un nom en Pali a été donné à Phu Kha pour
l’inaugurer : Pukhakheratha. Mais cette version de l’histoire contredit une certaine réalité par le fait
que la population ne retient pas ce nom et retient plutôt celui de Vieng Phu Kha. Il faut signaler
aussi qu’une ville birmane ne porte pas la terminologie vieng. Tout en gardant en mémoire l’histoire
orale locale qui attribue aux Birmans la construction de l’étrange fortification, la population locale
reste perplexe quant à sa logique. Nous pensons qu’il est possible que le Khong Vieng en terre soit
antérieur aux Birmans et que ces derniers aient pu réoccuper le site et l’ouvrage en y construisant
leur ville, juste le temps de leur occupation.
Durant la période birmane, le système de pouvoir local khmu autrefois préservé par les Lao
serait peu à peu tombé en déshérence. Pour fuir les tributs imposés par la cité de Phu Kha la
population khmu aurait quitté la ville, sans chef et sans organisation, dispersés en petits groupes,
vivant dans des habitations souvent provisoires, devenant quasiment nomades au gré des saisons et
des opportunités des terres à cultiver, abandonnant l’organisation de grands villages structurés. Ils
auraient établi un système de troc de subsistance (produits agricoles) et auraient vendu de la main
d’œuvre à la ville occupée par les Birmans, les Lü et les Phu Noy. Vers 1630 lorsque Muang Luang
Houa Tha (Luang Nam Tha) fut établi au nord, les autorités des deux muang auraient fixé la
frontière entre leurs territoires au sommet d’une montagne appelé Doy lak kham (montagne de la
borne dorée). La domination birmane dans cette région aurait duré 160 années jusqu’aux premiers
raids des Hô.
Effectivement lorsque les Hô ont attaqué, occupé et pillé la ville entre 1728 et 1730 les
Birmans ont déserté aussi la région et ne sont de retour qu’une cinquantaine d’années plus tard. Le
siège des Hô se traduit par la destruction de la ville fortifiée pour ne laisser subsister que ses
environs parsemés de villages khmu et tai. Après leur départ, les anciens habitants ne reviennent pas
davantage. La cité de Phu Kha est peu à peu devenue une jungle hostile. Les Khmu ont profité de
cette occasion pour y revenir. De fabuleuses légendes khmu relatent la période héroïque où il faut se
battre contre la jungle et les animaux sauvages pour rétablir et humaniser Phu Kha. Après avoir
vaincu les animaux sauvages le chef Khmu de cette expédition, Saèn Phab, devient dirigeant de
527 Au Laos la langue véhiculaire entre les quatre grands groupes et sous groupes de parler môn-khmer, tibéto-birman,
miao-yao et tai est la langue lao (en d’autres termes, la langue tai utilisée dans l’ancien Lane Xang). Et ceci depuis
plusieurs siècles indépendamment des initiatives politiques récentes qui obligent tous les groupes ethniques existant sur le
territoire lao à adopter le Lao comme langue officielle. Dans le troisième quart du XIXe siècle, les explorateurs français
avaient déjà observé que les populations non tai du Laos utilisent le Lao pour communiquer, même au sein des petits
groupes de la même famille, par exemple entre les sous-groupes môns-khmers. Mais aucun auteur ne dit à quel moment la
langue lao a été utilisée ainsi. Dictionnaire Khmu-Lao, Yan-Oulaff, Damlong Thayaninh, Christina Lindel, Thongphet
Kingsada, Somsèng Xayavong, Imprimerie du Ministère de la Santé, Vientiane 1994.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Vieng Phu Kha en tant que Phraya entre 1732 et 1735 avant de céder la place à Chao F’a Phèng de
Xieng Khaèng. Vers 1790, les Birmans sont revenus occupés Phu Kha jusqu’à 1838.528 A partir de
1838 les Siamois vont mener des campagnes d’annexion du Haut Mékong. Ils occupent le territoire
en déplaçant des populations vers Chiangmai et Nan, avec l’aide des chefs de Muang Nan et aussi
avec l’assistance des Anglais, intéressés pour compléter les parties manquant des Sip Song Phan
Na. Les déplacements incessants des Khmu et des Tai de cette région seraient sans doute l’une des
causes qui altèrent le rapport traditionnel entre les peuples indigènes de parler môn-khmer et les
peuples lao tai, construit au moins depuis le XIVe siècle. D’un système de pacte, la relation se
transforme en rapport d’assujettissement. Ce serait probablement à partir du moment où les pactes
ont été rompus qu’il y a apparition de l’exploitation pure et simple de ces populations et que le
terme kha prend un sens nouveau par rapport à l’époque de F’a-Ngoum, où kha aurait désigné
simplement une population d’origine mône-khmère, l’équivalent du terme khrom [0v,].
Après les traités franco - anglais le Haut Mékong (partie Est) entre dans le protectorat
français sous l’autorité du roi de Luang Prabang à partir de 1894. Il y a alors un mouvement de
repeuplement par le retour des populations qui ont fui les conflits, notamment les Khmu. Le
système de corvée a été établi pour prélever les taxes de capitation et pour reconstruire la région :
une route ancienne a été réhabilitée et reconstruite entre Luang Nam Tha et Houayxay. L’autorité
royale est plus présente après la deuxième guerre mondiale et après l’indépendance, des
fonctionnaires lao sont envoyés pour administrer Muang Vieng Phu Kha. Mais après la libération ou
la prise de Muang Sing et de Muang Luang Nam-Tha par le Néolao Issara en 1962, la région de
Vieng Phu Kha qui appartient dès lors à la zone libérée connait de nouveau un lourd enclavement.
Plusieurs milliers d’habitants la quittent après la libération, rejoignant Houayxay, ville contrôlée par
le gouvernement de Vientiane.
L’étude toponymique de Vieng Phu Kha suggère des hypothèses quant à l’origine de sa
constitution. Vieng Phù Kha [;P’r67k] signifie “ ville bloquée dans la montagne ”, mais peut
également être une corruption de deux expressions : de Vieng Phu Khâ [;P’r60hk] signifiant “ ville
de la montagne des Kha ” –Kha [0hk] étant la désignation par les Lao des populations montagnards
non tai de parler môn-khmer, ou de Vieng Phû khâ [;P’z6j0hk], “ Ville à moi, l’obligé ”.529
528 D’après Sèngthong Phothiboupha, « Histoire de Vieng Phu Kha » (Op, cit). Mais d’après Souneth Phothisane, le Siam
aurait déjà plus ou moins la main mise sur les Sip Song Phan Na. Sous l’ordre de Thonboury vers 1805 les troupes de
certains royaumes vassaux du Siam conduites par Chao Anou de Vientiane auraient mené une guerre dans le Nord pour
enlever les muang sous occupations birmanes. Le succès de cette guerre était retentissant, plus de 50 muang à dominance
lüe ont été arrachés aux Birmans y compris certains muang qui étaient les plus occidentaux et situés aujourd’hui dans le
territoire birman. Il y a notamment Muang Yaung, Xieng Tung, Muang Luang (Luang Nam Tha), Muang La, Muang
Xieng Hung, Muang Xieng Khaèng, Muang Vieng Phu Kha. In : Les batailles héroïques de Chao Anu, S. Phothisane,
Bibliothèque Nationale, Vientiane 2002.
529 Contrairement à la conception générale nous pensons que le terme kha désigne plus le serviteur que l’esclave. Puisque
le phénomène d’esclavage est né vers le XVIIIe siècle. A l’origine kha that [0hkmkf], “ serviteur du that ” vient d’une
tradition royale qui veut que les monarques placent aux services du monument votif (that) des personnes ou des groupes
de personnes, après avoir terminé leur construction. Contraintes par une servitude religieuse les personnes sont désignées
de kha that, “ serviteurs du that ”. Contrairement aux esclaves liés à la société siamoise du XVIIIe – XIXe siècle, les
serviteurs du that jouissent des prérogatives : ils sont exemptés de corvées et de tributs et personne n’a le droit d’outre
passer les ordonnances royales qui peuvent durer plusieurs siècles. Il serait par exemple hors de question que Suryavongsa
remette en cause les personnes placées comme serviteurs du That Luang par Sethathirat, même s’il restructure la gestion
du that.
Sur le plan lexical kha utilisé en association avec d’autres termes recouvre d’autres significations. Khoy-kha [0vjhp-0hk]
désigne un “serf”, un “ assujetti ”. La signification textuelle de Phû étant “ celui qui ”, phû khâ serait “ celui qui est un
obligé ”. Vraissembablement le nom de Vieng Phu Kha avec l’orthographe actuel signifiant “ la ville bloquée dans la
montagne ” serait une corruption de Vieng Phû khâ [;P’z6j0hk], “ Ma ville à moi, l’obligé ”. Il est probable que parmi les
territoires appartenant aux indigènes et placés sous la domination lao, Vieng Phu Kha fait l’exception de ville laissée aux
pouvoir autochtone khmu, une prérogative royale, d’où la désignation de “ ville des khmu ”.
Sur le plan sociologique, kha [0hk] ne peut être assimilé complétement à la seule connotation d’esclave. Le phénomène de
l’esclavage apparu dans la société lao, sans doute vers le XIXe siècle, possède une origine autre et correspond à une
période historique qui n’est pas liée à la période de soumission des populations non tai ou de parler Môn-Khmer qui a lieu
au moins à partir du XIVe siècle. Devenir esclave, kha [0hk], n’est pas uniquement le sort des populations non tai ou de
parler Môn-Khmer mais c’est aussi celui des Lao Tai eux-même, notamment lorsqu’ils ne peuvent rembourser leurs
dettes. Ce sont des esclaves pour dette. Les minorités de parler Môn-Khmer sont le plus concernées, ayant été victimes au
XIXe siècle de raffles, par les ethnies du même groupe plus guerrières ou par les Tai. Dans les deux cas ils ont été vendus
purement et simplement comme esclave. Cette pratique est devenue un commerce fructueux au XIXe siècle, largement Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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“ L’obligé ” serait utilisée pour s’adresser aux autorités royales lao tai auxquelles les Khmu se sont
soumis. Quelle que soit la période de domination tai –de Xieng Khaèng ou de Luang Prabang– la
chronique locale note que la région de Vieng Phu kha, comprenant plusieurs villages tribaux, a
toujours été administrée par les chefs autochtones indigènes khmu ou autres sous-groupes mônskhmers
et aujourd’hui l’écrasante majorité des habitants sont de parler Mône-Khmer. Avant le XVIe
siècle, ces derniers n’ont pas le droit d’occuper la fonction naï phong [okpzHq’] (chef du Tassèng ou
chef du canton)530 et aucun d’entre eux ne peut occuper le poste de Chao Muang (chef du district).
A partir du XVIIe siècle, l’administration royale lao a accordé aux dirigeants “ indigènes ” de Phu
Kha les titres de Meun [\nJo] et Saèn [clo], mais pas le titre de Phraya [ritpk]
531 .
A l’écart du chef-lieu du muang actuel, des restes de vestiges en brique attestant l’existence
des constructions religieuses (tels les sanctuaires bouddhistes, sim et vihan), de canal (khong) et de
digue (khou), montrent à l’évidence l’existence d’un ancien vieng. La dégradation des ouvrages
bâtis (quasiment détruits par les pillages, les intempéries et la végétation) montre que la ville a été
abandonnée depuis plusieurs siècles. D’après l’histoire locale,532 elle a été abandonnée à deux
reprises : vers 1730 suite à des raids des Hô et vers 1838 lorsque la ville est attaquée par les
mercenaires dirigés par les chefs de Muang Nan sous les directives du Siam. Il est difficile
d’identifier sous la végétation et les tumulus une quelconque architecture et forme urbaine. Les
relevés sommaires donnent un aperçu approximatif de la morphologie de la fortification en terre et
montrent une particularité par rapport aux autres fortifications existant au Laos. Implantée à
proximité d’une petite colline entourée d’une plaine de petite taille, la fortification a au sud-est une
petite rivière, la Nam Chuk. Le site est plat et semble être le résultat d’une mise en oeuvre
artificielle : aplani, creusé et gagné sur une terre convexe ou sur une faible pente de colline. La
fortification elle-même est formée de déblais accompagnés de montées de terre. Leurs tracés
dessinent, dans le sens des aiguilles d’une montre, une fortification en forme d’escargot : le côté
ouest possède trois lignes, le côté est en possède deux. Au nord, il y a la petite plaine de Ban Thio, à
l’ouest celle de Ban Pha Poun, Ban Bô Khung et Ban Bô Khang. A l’est il y a celle de Ban Thong
Lô, au Sud-est et au sud, la petite rivière Nan Chuk. Ont été construits à l’intérieur de la fortification
côté sud deux stupas, et au sud-ouest à l’extérieur, un sanctuaire bouddhique. Les ruines de ces
éléments bâtis, ainsi que celles de la fortification elle-même, sont quasiment inexploitables du point
de vue archéologique à moins qu’un dégagement et excavation complet soit mis en œuvre. Tout le
site couvre près de 40 hectares de forêt. Les fonds des déblais-canaux sont en partie comblés
naturellement de terres noires au fil des années. En marchant dans les fonds des canaux, nous avons
pu suivre le tracé de la fortification. La profondeur des canaux varie entre 9 et 11 mètres, leur
largeur entre 8 et 15 mètres, tandis que la largeur des fonds entre 3 et 4 mètres, la longueur totale de
la fortification environ 5 232 mètres.
Vieng Phu Kha aurait possédé une triple origine. L’histoire de sa fondation serait liée à
celle de la région du Haut Mékong, comme Houayxay, Muang Sing, Luang Nam Tha et Muang
Xieng Khaèng, occupée par les Birmans durant plusieurs dizaines d’années, voire durant plus d’un
siècle –faits que l’histoire locale retient avec certitude. Son statut persistant de vieng indique une
ancienne administration lao tai, alors que son toponyme rappelle son origine khmu, attesté par une
diffusée au Laos par les siamois qui la pratique plus aisément. L’esclavage, comme tel, est connu de la société lao
ancienne mais ne serait pas une pratique courante car désapprouvée par la morale réligieuse. 530 D’après Sèngthong Phothiboupha (op, cit.) naï phong désigne le chef du district, chef de canton. D’après Khamman
Vonkotrattana, phong désigne le village reculé. Op, cit. 531 D’après les données recueillies pour « l’histoire de Vieng Phu Kha » par Sèngthong Phothiboupha, papier manuscrit de
8 pages, 1994. Les titres nobilières qui correspondent surtout à des fonctions et ne sont pas transmissibles héréditairement
sont principalement de quatre dégrés : dans l’ordre de croissance, Meun [\nJo] correspond à 10 000, Saèn [clo]
correspond à 100 000, le troisième le Phya [graP] et le quatrième le Phraya [ritpk]. Phraya est l’équivalent de ministre.
Ce titre a plusieurs grades : Phraya Saèn muang [ritpkclog,nv’] est le chef des armées, le chef des provinces et le régent
du Royaume au XVIIe siècle, Phraya Muang Chanh [ritpkg,nv’9ao] est le premier Ministre. Cf. note op, cit. 532 Sur l’histoire de Vieng Phu Kha, la version du service culturel du district fait référence aux annales de Muang Xieng
Khaèng. In : « Histoire de Vieng Phu Kha », Sèngthong Phothiboupha. Ibid.
Fig. 64.
Relevés de la
fortification
de Vieng Phu
KhaDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 300 -
majorité écrasante de cette population présente sur le territoire et par les vestiges de fabrication de
tambour de bronze retrouvés à Ban Thong Lô à l’est de la fortification.533
Du point de vue morphologique, la fortification de Vieng Phu Kha ne ressemble ni aux
fortifications des Birmans à qui l’histoire attribue la propriété, ni à celles des Tai repérées à ce jour,
ni à celles des Khmu, du moins nous ne connaissons pas à ce jour de manière formelle leur
fortification. Pour construire la fortification l’histoire locale dit que les Birmans auraient rassemblé
chaque jour 500 autochtones pour déblayer la terre. La construction qui n’aurait duré que trois mois,
aurait eu lieu vers 1530. En faisant le calcul, chaque homme aurait creusé 11,5 m3 par jour. Ce qui
paraît impossible. Quelle serait la fonction de cette fortification inhabituelle et complexe : une
fortification militaire à la castramétation particulière, agricole ou citadine ? En tous les cas, les
traces d’habitations n’ont pas été repérées à l’intérieur et des liaisons n’ont pas été remarquées entre
les canaux et la Nam Chuk, à moins que des tronçons aient été comblés et disparus. Cependant,
nous pouvons la rapprocher aux autres anciennes fortifications. Celles de Muang Viengkham,
trouvées sur les berges de la Nam Ngum, dont nous ne connaissons pas à ce jour l’origine, sont
composées de cinq petites fortifications en forme d’anneau, reliées les unes aux autres par des
lignes de déblais sur la berge est de la Nam Ngum. Celle qui se trouve à l’ouest est plus grande que
les autres. De manière plus lache et moins importante en taille, il y a d’autres kong (déblai - digue)
dans les environs de Muang Sing et à proximité du centre de Luang Nam Tha.534 Ils auraient été
creusés au pied des collines ou des montagnes et auraient utilisé leurs pentes comme protection
arrière (informations non vérifiées). Ils auraient un aspect plus ou moins provisoire dans la mesure
ou ils auraient été aménagés pour protéger provisoirement les villages ou les établissements qui se
sont établis à une époque donnée. La période qui les concerne serait récente autour du XVIIe et
XIXe siècle. Par contre à Luang Nam Tha, les informateurs évoquent la période Khrom et Tch’ueng,
beaucoup plus éloignée.
535
Vieng Phu Kha tel qu’il est aujourd’hui ne peut fournir des informations plus avancées sur
les trois périodes d’installation évoquées (khmu, tai et birmane). Il est même curieux que ce petit
district puisse avoir une quelconque importance du point du vue historique. Car comme beaucoup
de muang actuel, les muang sont muang que par leur nom ou parce qu’administrativement il faut
installer un muang dans une logique de répartition administrative d’un territoire “ trop peu habité ”.
Le centre du muang actuel à quelques kilomètres (2 km ?) au sud-ouest de la fortification est
traversé par la route A3 reliant Luang Nam Tha à Houayxay. Sur le côté ouest de la route vivent les
Tai et sur le côté est les Khmu et les autres non tai. Au moment du Kam Ban [de[kho], fête consacrée
aux phi ban khmu qui a lieu une fois par an vers fin juillet, le village est interdit d’accès aux
étrangers : un signe barre les passages. Quiconque dépasse la limite marquée par les signes est
passible d’amende.536
533 D’après Houmphanh Rattanavong, la fabrication du tambour de bronze ne relève pas uniquement des populations
mônes-khmères ou indigènes, mais également des populations lao tai. Les tambours de bronze retrouvés dans le Sud de la
Chine auraient fait aussi partie des objets rituels fabriqués par les Daï (Tai), hypothèse qui serait confirmé dans les études
de l’équipe du musée d’anthropologie de Nanning. In : 2000 ans au son du Khraèn lao, Accadémie Nationale des
Sciences, éd., Association pour la protection et le développement durable de la biodiversité, Vientiane, 2008.
534 Dans les deux cas, par manque d’information nous n’avons pas pu trouver des relevés ni inspecter les sites que les
informateurs nous ont indiqués.
535 De manière générale, lorsque la conception populaire attribue tel ou tel site comme appartenant aux Khrom et aux
Tch’ueng cela signifie simplement que le site en question n’est pas lao : sa construction remonte à une époque reculée
dont elle n’arrive pas à faire le lien avec ce qu’elle sait et ce qu’elle conçoit comme lao. Cela signifie simplement
l’inconnu. Il n’y a donc pas de raison de renvoyer entièrement l’inconnu au monde môn-khmer. Et lorque nous examinons
ce qui est qualifié de lao par la conception populaire, nous voyons souvent des éléments (monuments, monastères) encore
en usage, ou lorsque ce sont des ruines, elles ont une certaine traçabilité inscrites dans les chroniques locales, écrites ou
orales. Dans la conception populaire, Khrom renvoie au peuple môn-khmer, et Tch’ueng aux constructeurs de la plaine des
Jarres. Op. Cit. 536 Seul le côté est, côté du village des khmu, est soumis à l’interdition d’accès au moment de la fête, le côté ouest de la
route habité par les non Khmu reste accessible. Sans cette bipartition la traversée du village par la route A3 lors des fêtes
aurait été difficile : toute les voitures descendant vers Houayxay auraient à payer des amendes, à raison de 100 000 kips
par personne.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 301 -
Rappelons que H. Rattanavong suggère l’idée qu’il y a un lien possible entre Vieng Phu
Kha et les Lao Thaèn (dans le Nithan Khun Bourom).
537 Ces derniers y auraient installé pour la
première fois un établissement lao au VIIe – VIIIe siècle, avant d’occuper Luang Prabang et Xieng
Khouang. A cette question, les vestiges archéologiques subsistants ainsi que les récits locaux, ne
permettent pas de fonder de manière plus construite des hypothèses sur les bâtisseurs de ce vieng.
Les fouilles n’ont pas vraiment été effectuées, juste des signalements sur l’importance de la
population khmu et du site dans l’histoire du Lan Xang, à la suite des repérages effectués par les
autorités en charge des affaires culturelles du district, accompagnés de textes et de relevés
sommaires.538 Quoi qu’il en soit Vieng Phu Kha constitue une pièce de plus pour nous “brouiller”
sur la connaissance des villes laotiennes septentrionales des hautes terres qui commencent à peine à
nous dévoiler leurs secrets. Cependant, nous verrons dans quelles conditions cette hypothèse ne peut
être complètement rejetée.
Souvannakhomkham ou Xieng Saèn
D’après Garnier Souvannakhomkham serait apparue au Ve siècle et son fondateur aurait été
un Khrom. D’après Vongkotrattana qui s’est référé au Tamnan Yolnok ou Tamnan Liphi, un khrom
–Ayakuman, l’oncle du roi de Sikhottabong aurait été son fondateur. La cité aurait été installée sur
l’île de Kheun avec 3 000 sujets. Construite en trois ans, elle « aurait atteint près de 100 000
maisons ». Plus tard, par suite de mauvais traitements envers les marchands de Muang Swa (Luang
Prabang), suivis de conflits, la cité aurait été saccagée par la colère du naga, et ses habitants
l’auraient abandonnée.539 Ces légendes sont complexes et difficiles à recouper avec des faits
historiques. Mais nous retenons le fait que Xieng Saèn est relié à Luang Prabang et à Nong Sé Saèn
Gnane –une région supposée située dans le royaume Dian (Muang Thaèn)540– et que les habitants de
Luang Prabang sont assimilés à la famille des naga venus de Muang Thaèn. Deux éléments
transparaissent ici : d’abord, les assaillants qui ont détruit la cité seraient les habitants de Luang
Prabang liés à Muang Thaèn ; après cette destruction, la cité aurait été reconstruite par les Lao
Tchok venus de Chiangrai. Ce sont deux protagonistes opposés que nous avons déjà évoqués. La
ville qui renait aurait eu un rempart sur les quatre côtés, long de 3 000 bras et aurait pris le nom de
Xieng Lao ou Ngeunyang.
541 De ces légendes et épopées semi-historiques avant le XIVe siècle,
retenons une idée qui peut transparaître dans l’histoire sociopolitique : la cité de Xieng Saèn serait
passé du pouvoir autochtone môn - khrom au pouvoir tai. Sur le plan culturel et ethnographique, la
537 D’après lui, les Lao Thaèn (Cf. Khun Bourom et Khun Lo) viennent de l’ancien Muang Thaèn (Xieng Hung), appelé
aussi Muang Theung (cité du haut), ou du nouveau Muang Thaèn (Sip Song Chou Tai) appelé aussi Muang Loum (cité du
bas). 538 H. Rattanavong a identifié le site dans le cadre des travaux de repérage mené par l’Institut de Recherche sur la Culture
(IRC) dont il avait la direction. En 1994, un document a été produit par Sèngthong Phothiboupha, il comporte trois textes :
le premier texte manuscrit de huit pages résume l’histoire de Vieng Phu Kha ; le deuxième comportant deux pages porte
sur le Khong Vieng (douve de fortification) de Phu Kha ; le troisième évoque le Vat Maha Phot. En 2003 un autre texte de
deux pages accompagné de rélevés sommaires a été produit par Oukéo Vongphoumi. En 2009 un texte d’une page
accompagné d’un relevé (cette fois-ci côté approximativement) a été produit par une équipe : Kéothavi Chanthanasack du
service Culturel et de l’Information du district, Manhkam, Kéo et Peung du centre de l’Information touristique. 539 D’après les annales Nam Thuam Lok (L’inondation du monde), Cf. H. Rattanavong, où l’histoire de la famille des sept
Nagas venant du Nord a été évoquée, liée à l’histoire des 15 familles des Naga de Luang Prabang (Nark sip-ha takoun) – une autre légende locale qui fait partie des mythes de fondation. Ces mythes attribuent à la dynastie lao une origine liée
aux 15 rois naga qui ont régné à Nong Sé Saèn Gnane, à Luang Prabang et autres vallées du Mékong. D’après S.
Phothisane le mythe est utilisé par une école ou un courant historiographique dite traditionnaliste.
540 Dans le Nithan Khun Bourom, Nong Sé a été évoqué comme un site d’implantation lao localisé dans le Sud de la
Chine, vers la fin du premier millénaire. In : Le Phongsavadane Lao, S. Viravong (op, cit). Cependant cette localisation a
été remise en question et refutée, au même titre que les autres thèses qui placent les implantations lao dans le Nan Chao.
Pour H. Rattanavong Nong Sé Saèn Gnane se situerait au Sud-Ouest de Kunming, dans la région de Tian Shi durant la
période Han entre 206 avant J-C et 220 après J-C. In : 2000 ans au son du Khraèn lao, op, cit. 541 sous ce dernier nom la cité est apparue dans le Thao Hung Thao Tch’eng Dans la région de Chiangrai, Xieng Saèn,
plusieurs émergences historiques seraient apparues à différentes époques : à Xieng Saèn-Souvannakhomkham il y a eu
d’abord les Khrom venant de Sikhottabong, puis vers la région de Chiangmai, les Tai Yolnok, et à Chiangrai, les Lao
Tchok. Ces derniers seraient venus refonder Xieng Lao ou Ngneunyang (rive gauche) après la chute de
Souvannakhomkham. Après les Lao Tchok, les Môns de Lamphun et de Prayao auraient étendu leur pouvoir dans toute la
région proche. Les fondateurs de Xieng Lao ou Ngeunyang auraient appartenus, à la même dynastie que Khun Tch’ueng
le fondateur de Xieng Khouang.
Fig. 66. Les
reliefs de la
région de
BokéoTonh- pheung
Fig. 65. La
ville de
Chiang Saèn
Thaïlandaise
(rive droite),
état actuelDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 302 -
cité aurait connu en premier temps une culture du mystérieux Sikhottabong et celle des Môns de
Dvaravati. Elle serait passée aussi sous la domination des Lao Tchok dont nous ignorons à peu près
tout de leur existence. Si les Lao Tchok appartenaient au groupe Lao Tai, ces derniers auraient
probablement été influencés par les Môns, voire, auraient été un groupe de métissage. Il serait tout à
fait concevable aussi que plusieurs ethnies (aborigènes, mônes, khmères, tai lao, etc.) y cohabitaient
et devenaient à tour de rôle le groupe dominant. En tous les cas, par la suite, Lane Xang et Lan Na
auraient partagé dans cette aire culturelle leurs sources communes. Du point de vue historique, la
cité aurait été une émanation du royaume de Sikhottabong sous le nom de Souvannakhomkham
dans les cinq premiers siècles du premier millénaire. Elle aurait été l’œuvre des Lao Tchok de
Chiangrai sous le nom de Xieng Lao autour du VIIe siècle. Puis, vers le XIVe siècle, elle aurait été
investie par les Tai du Lan Na, avant d’être intégrée au Lane Xang. Plus tard, elle serait devenue la
zone de conflit entre les deux royaumes.
Du point de vue géographique, la ville en son site aurait été menacée tout le long de son
existence par l’érosion du Mékong et aussi par l’eau de ruissellement montagneux. Et sans doute
plus tard cette particularité géographique aurait causé son abandon par ses habitants. La ville aurait
ainsi connu deux moments : un avant et un après la destruction d’une partie du site par l’érosion du
Mékong et par la violence des eaux de ruissellement des montagnes. Cela aurait sous-entendu la
probabilité d’un site à deux faciès.
D’après la Chronique de Souvannakhamkham et du fait qu’il y a deux sites importants sur
rive gauche et rive droite, sa localisation à postériori à Muang Tonh Pheung pose quelques
questions. D’après Lorrillard, l’assiette du site de Souvannakhomkham se situe bien du côté lao,
côté rive gauche du Mékong dans le périmètre sud de Muang Tonh Pheung, entre le confluent de
Nam Kok en amont et de Ban Done That en aval. Mais il suggère en se référant à cette chronique et
à la Chronique de Singhanavati, que la ville aurait couvert également la rive droite sur les deux
berges de la Nam Kok. Par la suite, celle-ci aurait été recouverte de sédiments pour ne subsister sur
cette rive qu’une partie du site de Chiang Saèn Noi. Sous la menace de l’érosion, les habitants se
seraient postérieurement repliés vers une zone plus sécurisante, contribuant à la fondation de la cité
de Chiang Saèn thaï actuelle, en amont sur la rive droite dont les vestiges archéologiques sont
mieux conservés que sur la rive gauche lao. Les vestiges de monuments restant encore visibles sur
la rive lao peuvent être datés d’après lui du XVe
-XVIe siècles, en plein âge d’or du Lan Na. Ce qui
signifie que Chiang Saèn rive droite serait postérieur au XVIe siècle.542 Il est probable aussi qu’en
parlant de Ngeunyang (Souvannakhomkham) dont l’action se situe au VIIIe siècle, l’auteur de Thao
Hung Thao Tch’ueng parle de l’ancien Xieng Saèn rive gauche, et non de Chiang Saèn rive droite
fondée par Saèn Phu en 1328.543 Cela suggère l’idée qu’il y a un grand et seul établissement qui
connaissent trois époques importantes : au VIIIe siècle, Xieng Saèn sur la rive gauche (rive lao
actuel), puis vers 1328, Xieng Saèn sur la rive droite et enfin au XVIe siècle, de nouveau sur la rive
gauche. En tous les cas, il semble, tant pour Lorrillard que pour Rattanavong, que Sethathirat a
séjourné à Xieng Saèn rive gauche, sans doute le centre alors de ce muang.
Si la datation de Lorrillard aux XVe - XVIe siècles se confirme, cela concerne
probablement une partie de la cité, mais pas la totalité, et signifie que les habitants ont continué à
s’établir sur un site existant, et à poursuivre sa construction durant cette période, en coexistant avec
quelques édifices antérieurs. Autrement, comment les ruines auraient-elles été possibles, alors que
la question spatiale et de restructuration occupe une place primordiale à l’époque de Sethathirat ? La
542 Lorrillard note que les données archéologiques contredisent cependant sa suggestion : « Les données archéologiques
tendent cependant pour l’instant à contrarier ce schéma. Elles montrent en effet un synchronisme entre le développement
de Chiang Saèn et l’autre zone de peuplement, faisant en quelques sortes de cette dernière le faubourg immédiat de la
prestigieuse cité. La recherche historique se heurte donc pour l’instant à un mur. » 543 La datation de Lorrillard est contredit par la date donnée par le musée de Chiang Saèn. La ville rive droite serait en fait
fondée vers 1328 par Saèn Phu, un tai du Lan Na. Documentation de Chiang Saen National Museum, Office of
Archaeology and National Museums, Fine Art Department.
Fig. 67.
Plan de
Chiangmai
Fig. 68. Site
archéologique
de l’ancien
Souvannakhomkham,
d’après les
relevés de
H.Rattanavong
Fig. 69.
Situation de
Souvannakhomkham,
en
rapport avec
Chiang Saèn
Thaïlandaise et
Muang
Tonhpheung
lao actuel,
devenu chef- lieu du districtDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 303 -
région de Xieng Saèn est une zone “ tampon ” entre le Lan Na et le Lane Xang. La cité serait
apparue comme un site stratégique et convoité, étant l’avant-poste avancé de Lan Na et l’une des
plus importantes escales sur la route du commerce fluvial et ripuaire. Elle aurait contrôlé les
produits venus du Sud de la Chine, de Chiangrai et de Chiangmai avant qu’ils s’acheminent vers
Luang Prabang, Vientiane et le Siam. Les commerçants de Luang Prabang auraient ramené leurs
produits par bateau jusqu’à Chiangrai en empruntant le Mékong puis la Nam Kok et vice-versa.544
C’est la porte commerciale la plus à l’ouest du Lane Xang, expliquant la volonté de Sethathirat de
vouloir garder Xieng Saèn alors qu’il était obligé de céder Chiangmai.
Les vestiges archéologiques, monuments et édicules, épars et abimés, qui restent encore
visibles hors-sol, forment des traces désuètes d’une cité dont la structure urbaine n’est pas
clairement compréhensible. La forme de l’ancienne cité semble plus organique que géométrique et
présente une grande particularité en termes de prise de site et d’insertion géographique. Bien
qu’insuffisants pour tirer des conclusions, les vestiges recueillis indiquent qu’ils pourraient provenir
des époques différentes, au moins deux : une époque plus ancienne avec des effigies de Bouddha en
pierre, et une époque plus récente avec des éléments en terre cuite. Les bouddhas en terre ont encore
des armatures en bois et les autres éléments bâtis en brique ont des mortiers et des enduits à base
d’argile dont les liants semblent être organiques : colle de peau de buffle, colle végétale, ainsi que
leur couleur. Ces matériaux et procédés constructifs seraient proches de ceux utilisés à l’époque de
Sethathirat. Le site est composé de plusieurs petites collines (avec des stupas) disposées en chaîne
nord-sud dans la partie médiane, le divisant ainsi en deux parties. Un grand fossé (canal ?) nord-sud
relie en perpendiculaire la berge du Mékong au pied de la dernière colline. En partant de ce fossé et
en remontant vers le Nord, il y a le mont Chom Chanh, deux autres monts sans nom, le mont Nong
Vène, et le mont Hioupheung. En remontant toujours plus haut, on trouve la chaine de montagne du
haut Mékong. Beaucoup moins à l’ouest des collines et du fossé, la plupart des édifices se trouvent
dans la partie Est.
Après cette brève description, nous proposons une hypothèse sur le schéma d’insertion de
la cité. D’abord, les successions de collines existant dans le site marquent globalement la fin
déclinant d’une grande chaîne montagneuse du haut Mékong. Ce qui voudrait dire par le passé, que
les petites plaines dans lesquelles s’implante la cité, entourées par la boucle du fleuve, étaient non
seulement menacées par le courant du fleuve mais aussi par les eaux de ruissellement de la
montagne –explication probable de l’abandon de la cité dans la partie la plus reculée par rapport aux
berges. Ensuite, le grand bouddha noyé aurait témoigné de l’existence d’une autre partie de la cité,
noyée elle aussi dans le Mékong. Ainsi, l’ensemble des collines n’avait pas séparé la cité en deux
parts, mais se trouvait en son centre. Enfin, toute la cité aurait été, à une plus grande échelle, le
point de convergence des établissements villageois de l’Est et de l’Ouest.
Région du Nord-Ouest, le long de la Nam Ping
Chiengmai545
Capitale d’un important royaume tai gnouan, avec une identité culturelle distincte de celle
du Siam et sensiblement proche des principautés lao et lü du Nord, Chiangmai est indépendant
jusqu’à la fin du XVIIIe siècle et jusqu’à son annexion définitive à partir du XIXe siècle par le Siam.
Avec Luang Prabang, il est probable qu’elle ait été la plus importante capitale tai du Nord, de type
enclavé, isolé et montagneux. Chiangmai était un prototype de villes septentrionales lao tai qui
puisent leur particularité ou leur variante –par rapport aux autres villes de même culture– dans le
contexte singulier de leur site. La ville s’implante dans une riche plaine entre Ménam Ping
544 D’après un habitant de Chiang kong (originaire de Chiang Saèn), jusqu’aux années 1950 ses parents et grands parents
font partie des derniers commerçants qui perpétent une longue tradition en utilisant le fleuve pour le commerce de riz et de
tabac entre Luang Prabang et Chiangrai en empruntant le Mékong et la Nam Kok.
545 Pour compléter les informations sur Chiangmai, cf. Sophie Clément-Charpentier & Kunwadee Jintavorn, « Chiangmai,
sept siècles de tradition urbaine », in : Archipel. Volume 37, 1989. Pp. 219-246.
Fig. 70.
Vestiges
archéologiques
de Chiang Saèn
Thaïlandaise
(rive droite),
état actuelDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 304 -
immédiatement à l’Est traversant la plaine du Nord au Sud, et la chaîne de montagnes à l’Ouest qui
décline doucement vers la plaine. De forme carrée respectant les quatre orients, la ville s’adosse à
l’ouest à la montagne et se donne à l’est sur la rivière. Chiengmai profite de la richesse des forêts,
des alluvions de la grande rivière et des petits cours d’eau qui s’y déversent pour avoir des
domaines agricoles et des exploitations forestières qui fondaient son économie. Son autre grand
atout était d’être un muang de convergence organisant les échanges avec les minorités montagnards
qui vivaient nombreuses sur ses marges, comme ce fut notamment le cas de Luang Prabang, Muang
Sing et Chiangrai. De fait, comme la plupart des muang lao tai, c’est grâce aux minorités ethniques
vivant sur leurs marges et contrôlées par eux que les muang, comme Chiengmai, ont pu fonder leur
puissance politique, culturelle et économique. Soulignons qu’avant le XIXe siècle, si la richesse
passée de Chiangmai était liée aux échanges et aux liens étroits avec les autres villes du Nord que
nous venons de citer, c’est par le commerce de bois, en particulier du tek commercialisé par les
Anglais, que la ville entrait dans les relations commerciales avec l’Occident par l’intermédiaire des
Siamois.
Elle était aussi le muang de connexion des réseaux de commerce ripuaire du Nord dont
faisaient partie Lamphun, Phayao, Nan, Chiangrai, Chiangsaèn, Luang Prabang, Xieng Toung
(Birmanie), Xien Hung (Chine). La dynastie gnouane traditionnelle de Chiengmai avait des liens de
parenté avec la majorité des familles des royaumes tai de l’époque, et surtout avec les Lü des cités
du Nord. La mère de Mengraï –fondateur de Chiengmai– était elle-même une princesse lü du Sip
Song Phan Na. Soulignons que le rôle des femmes dans les familles qui ont fondé les chefferies puis
les cité-État tai a été important, puisqu’un certain nombre d’entre elles ont introduit les arts, la
culture et la religion dans leur royaume, ou au contraire, qui en ont exportés par les liens
matrimoniaux. Il était de tradition pour les monarques des royaumes tai, au Nord comme au Sud, de
sceller des liens matrimoniaux avec les princesses du Sip Song Phan Na ou de Chiengmai. Comme
si plus on était au Sud et plus on se devait de garder un lien étroit avec le Nord. L’organisation de la
cité était imprégnée de ce fait plus que l’on pouvait imaginer. Il n’est alors pas étonnant que la
morphologie de Chiengmai soit proche des cités lü, comme notamment Muang Sing, même si leur
organisation intérieure respective était différente. Chiengmai intra muros était un ensemble de
villages aux parcelles moyennes et petites, une occupation du bâti irrégulière et distanciée par des
espaces plantés. Ce qui donne à cette cité une irrégularité et une individualité tissulaire et bâtie
semblable aux autres cités tai du Nord.
La construction de l’enceinte aurait été réalisée en plusieurs fois sur le même tracé depuis
l’époque de Mengrai. On suppose que l’origine était uniquement en terre réalisée à partir des levées
de terre provenant des fossés qui l’encerclent. Ce fossé/douve est relié à une autre douve extérieure
qui entoure en demi-lune le sud et l’est de l’enceinte, permettant ainsi aux cours d’eau de
contourner les fossés/douves. La muraille en brique aurait été construite ultérieurement au XIVe
siècle, puis au XVIIIe siècle. S’il n’est pas à douter que l’enceinte soit de fabrication tai, influencée
ou pas par des villes mônes et khmères, la douve en demi-cercle attire notre attention et rappelle des
formes semblables existant notamment à Viengkham, Vientiane et Vieng Phu Kha. Les historiens
parlent des autochtones Lawa qui auraient occupé le site avant l’arrivé de Mengrai. Ces enceintes
arrondies, mystérieuses, nous font penser aux constructions puy de la haute Birmanie. Il est
probable que cette structure soit une émanation puy dont nous mentionnons l’influence éventuelle
dans toute la région Nord au-dessus de Vientiane, tant au Laos qu’en Thaïlande. Il est probable que
les bâtisseurs de Chiangmai aient profité de la découverte de cette douve existante pour créer un
ouvrage hydraulique reliant la Nam Ping et la douve carrée, évitant ainsi à l’enceinte de la cité de
recevoir trop d’eau du fleuve. Cela peut être confirmé par le fait que plusieurs tentatives ont été
effectuées pour fonder la cité, dont la dernière à Wieng Kum Kam.
Wiang Kum Kam
Wiang kum kam [;P’d5,dk,], était une ville satellite de Lamphun, capitale d’un important
Etat môn d’une culture urbaine brillante, Haripunjaya (VIIe
, VIIIe siècle), avant de tomber sous la Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 305 -
Fig. 73.
Schéma
fonctionnel
d’occupation
de Vientiane
domination de Mengrai546 qui y créa en 1286 la capitale du Lan Na le royaume qu’il venait de
fonder.547 A Wieng Kum Kam, il y résidait une dizaine d’années avant de la transférer à Chiangmai,
la “ ville nouvelle ” dont il acheva la construction onze ans après l’occupation de Wiang Kum
Kam.548 Aujourd’hui Wiang kum kam est un site archéologique occupé par une bourgade dense
située au Sud-est, à quatre kilomètres de Chiengmai. Malgré les inondations qui avaient fait dévier
la rivière la traversant et qui la faisaient couvrir de sable et de sédiment, causant le départ d’un
nombre important de ses habitants, la cité n’aurait jamais été abandonnée complètement. Les
relevés des monuments et des trames viaires anciennes ne révèlent pas grande chose sur
l’organisation de l’ancienne cité. Le plan actuel ne représente probablement qu’une partie de la cité.
La ville ancienne semble avoir été débordée au nord sur la route Ommuang Chiangmai, et à l’est sur
celle de Chiangmai-Lamphun. Au sud, les restes de fossés et de levées de terre indiquent la limite
éventuelle de la cité. Il y a des caractéristiques à souligner : 1- la ville était complètement soumise
au régime hydraulique de la Nam Ping qui aurait changé son cours : autrefois traversant une partie
de la ville, elle aurait dévié pour devenir une ligne tangente à l’Ouest. 2- La ville n’aurait pas été
grande mais dense, soulignée par le rapprochement et la densité des vat. 3- Dans son ensemble la
morphologie urbaine est irrégulière, aux trames viaires tortueuses, soulignant une occupation
progressive et un manque de planification générale. 4- La gestion et la division des parcelles ne
peuvent être identifiées dans les plans. 5-La cité était située sur la route entre Chiangmai (au nordouest)
et Lamphun (au sud). Si la Nam Ping avait vraiment changé son cours, il serait peu probable
que le plan de relevé actuel de la ville représente l’ancienne ville construite par les Tai. Il aurait
représenté une implantation bien antérieure, sur laquelle Mengrai venait implanter sa ville. Par
ailleurs, puisque la Nam Ping aurait traversé la ville, il est peu probable qu’une ville de production
tai puisse en être ainsi.
La plaine centrale, le long de la Nam Ngum et du Mékong
Muang Vientiane
Fondée comme capitale du Lane Xang en 1560 par Sethathirat, Vientiane aurait été la ville
septentrionale la plus au sud et la ville de fondation lao tai la plus importante. Auxiliaire à la
capitale de Luang Prabang avant cette date, le poste de gouvernance de Vientiane avait été réservé
aux Princes héritiers avant leur intronisation. Mais ville lao, elle l’aurait été au moins depuis
l’époque de F’a-Ngoum, et aurait été occupée dès les premiers siècles de notre ère par d’autres
populations.
Le scénario de la constitution primitive de Vientiane
Quatre facteurs auraient induit la morphologie et l’armature primitive de la ville de
Vientiane et conduit son évolution :
1- Le méandre du Mékong –pour la constitution de la ville et plus particulièrement pour la partie la
plus urbaine, la plus centrale et la plus dense– conditionne la forme en arc de cercle suivant laquelle
la ville s’étire dans ses premiers moments et tout le long de son histoire. Il demeure aujourd’hui
l’élément fédérateur du quartier centre ancien. Du point de vue politique et socioéconomique, il
était un élément médiateur entre Vientiane et les villes de la plaine du Mékong. Même si ce rôle est
546 D’après Hoshino, nous étions en pleine période de domination mongole. Il suggère, d’après les annales chinoises de
l’époque Yuan et de l’époque Ming, de donner à l’identité de Mengrai (tout comme aux fondateurs de Sukhothai,
d’Ayuthia du Lane Xang) une origine tai mais complètement fédérée dans l’empire de Chine des Yuans. Ces fondateurs
de cités tai auraient été des chefs militaires plus ou moins intégrés dans l’armée mongole, lançant leur conquête vers le
Sud et apportant avec eux le système administratif, l’art de la guerre enseignés par leurs suzerains. Ceci ne contredit pas la
perception des historiens thaïlandais qui suggèrent que Mengrai appartienne à la dynastie des chefs de Xieng Lao
(Souvannakhomkham.)
547 Chiengmai fondée par Mengrai entre 1286-1295, est une “ nouvelle ville ” par rapport à Wiang Kum kam. Celle-ci,
refondée également par lui onze ans avant Chiengmai, aurait été confronté au problème de gestion de l’eau, causant son
abandon par son fondateur.
548 Hans Penth, « Remembering the Beginnings of the Revival of Wiang Kum Kam », Paper presented at the Seminar,
Rajabhat University Chiangmai, 14 February 2005.
Fig. 71.
Plan de
Wien Kum
Kam.
Fig. 72.
Plan de
Vientianea ctuel.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 306 -
perdu, il donnait autrefois à la ville un caractère fluvial plus prononcé qu’aujourd’hui, reposant sur
la communication, le transport et le commerce du fleuve. En ce qui concerne l’aspect symbolique,
le fleuve est un composant majeur dans les premiers moments d’implantations de la ville, il
conditionnait la conception de l’espace de vie des hommes et des esprits, celle de l’espace bâti
individuel et communautaire. Il faisait de Vientiane un des hauts lieux de la civilisation du Mékong.
2- La morphologie de la ville est lisible à travers les îlots exondés (plus ou moins boisés avec des
points culminants à certains endroits), à travers les terres basses inondables (zones humides et
marécages) et les plaines –transformées et cultivées (rizière, vergers, ensembles ruraux). Et lorsqu’il
s’agit des lieux sacrés, c’est sur les hautes terrasses (points exondés ou en position haute), ou au
contraire, à travers les failles géologiques (rivières et cours d’eau) et les poches d’eau qui formaient
mares et étangs, que la structure morphologique et symbolique de la ville se révèle.
3. Les paysages du Mékong et de la plaine forment une toile naturelle préfigurant dès le départ les
types d’implantation et les modes d’occupation spatiale. Les terres inondées étaient exploitées en
rizière tandis que les terres exondées se constituaient en îlots bâtis et habités, protégés par des
écrans végétaux et distancés des uns des autres par des rizières et des zones humides. Quant aux
points culminants, ils étaient souvent occupés par des esprits puissants ou sacrés. Les failles
naturelles creusées par des eaux formaient rivières et canaux arrosant les terres agricoles. Sont nés
ensuite les chemins de communication entre les îlots, suscités par la nature sociale des
communautés qui investissent les espaces.
Ces trois éléments étaient un substrat spatial qui constitue à la fois les lignes et les pôles de
formation et de croissance de la ville. Le scénario d’implantation décrit est suggéré par les données
archéologiques, les mythes de fondation et l’étude des toponymes. Ainsi s’enracine la ville avant de
se développer et d’évoluer en se nourrissant aussi des données ultérieures.
4. Quant au contexte historique de la ville, dans les premiers moments de sa fondation, trois sites
ont été évoqués dans le Tamane Oulangkhrathat. Le premier est Souvannaphoum qui aurait été
situé au bord du Mékong à Ban Sikhai actuel. Le muang en question semble avoir été installé de
manière provisoire, puisqu’il s’agirait d’une implantation de réfugiés fondée par Khambang, un
haut dignitaire de Nong Han Luang et de Nong Han Noy vers 307 avant J-C.549 Le deuxième site est
Nong-Kan-Ké-Seua-Nam, un village dirigé par Bourichanh qui serait situé à Hong Ké actuel, dans
la plaine et donc en position de retrait par rapport au fleuve. Le troisième aurait été le site de That
Luang actuel, situé en hauteur, à l’endroit où un pilier contenant les reliques de Bouddha aurait été
bâti par les missions religieuses de Açoka.550
La superposition de ce scénario historique sur le plan actuel de la ville, donne une
configuration assez cohérente. Les composants archéologiques, toponymiques et topographiques du
site caractérisés par le Mékong, ainsi que les terres inondées et exondées viennent confirmer plus ou
moins ce scénario :
1- L’implantation de Khambang semble se déplacer vers l’Est, vers une implantation plus petite,
celle du village de Bourichanh pour ainsi former Vientiane.
2- Les traces des deux remparts anciens (enceinte intérieure formant boulevard Khun BouromKhouvieng
qui a délimité la ville à une certaine époque ; enceinte extérieure formant la petite
périphérie qui a délimité la ville contemporaine) correspondent à peu près à la configuration
successive de la ville même si ces derniers ont déjà disparu. Par contre, les traces des trois autres
enceintes (la première est de forme rectangulaire, la deuxième semi-rectangulaire et la troisième
549 Muang Nong Hane Luang est Sakonnakhone, et Nong Hane Noy est Udon Thani dans la région d’Issane en Thaïlande.
In : Soulaphonh Naovalath, Histoire de la province de Vientiane, Imprimerie Nakhone Luang, Vientiane, 1998. 550 Les missionnaires d’Açoka auraient foulé le sol de l’ancien Vientiane vers les années 300 avant J-C et auraient érigé un
monumet bouddhique, une colonne selon l’art de bâtir le stupa de l’époque de Açoka. Le monument aurait contenu une
relique de Bouddha qui aurait ensuite été recouvert par le That Luang en 1566.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 307 -
organique) ne donnent pas une interprétation satisfaisante : elles ne conditionnent aucunement la
configuration de la ville d’aujourd’hui mis à part l’emplacement de trois rues et de celui de
l’esplanade du grand That qui forme en vue aérienne une enceinte de forme rectangulaire. Notons
que ces trois autres enceintes étaient probablement en levée de terre.
3- La persistance toponymique ancienne des lieux se confirme, dans la majorité des cas, par rapport
à la réalité géologique : les éminences, phonh, donnent le nom aux villages qui sont sur le point haut
de la ville, tels que les villages Phonh Papao, Phonh Sinouane, Phonh xay Phonh Khèng, Phonh
Panao. Les dépressions, nong, donnent le nom aux villages organisés autour des mares ou des
bassins, tels que Nong Chanh, Nong Douang, Nong Bone. Les embouchures de cours d’eau,
donnent le nom aux anciens villages situés sur les embouchures, tel que Pak Passak. Par contre, les
sites boisés ont perdu leur caractéristique de départ : les villages de Dong Palane, Dong Palep, Dong
Passak, n’indiquent plus l’existence passée des forêts.
Les trois éléments dessinent une assise à la ville contemporaine et participent aussi à
l’organisation de sa structure interne. Ce sont des lignes de force et des pôles d’attraction pour son
extension et son développement, produits de manière spontanée. Ainsi, Vientiane ne s’est pas
constituée de toute pièce au bord du Mékong et développée par la suite vers les terres. Il y a une
préfiguration basée sur la spécificité de la nature du site et surtout sur deux implantations pré-
existantes. Jusqu’à une certaine époque, la ville se constitue et se développe selon des lignes et des
pôles primitifs, c’est-à-dire que les tissus urbains contournaient les dépressions et les éminences
peuplées par les esprits sacrés. Alors que la ville moderne –sensé être plus planifiée– est
paradoxalement incontrôlée en transgressant les assises géologiques primitives : on remblaie les
dépressions par casier entier, on dénivelle les éminences, on défriche les bois et on construit dans
les marécages, ou encore, on transforme les cours d’eau en collecteurs d’eau de la ville.
A l’égard des composants primitifs décrits, le développement de la ville partant du centre
vers l’extérieur aurait été un phénomène récent, depuis un siècle. En effet depuis un siècle la ville se
développe à partir du centre (du quartier Vat Chanh-Haysok-Mixay) en suivant les trois axes (axe
Vat Taï, axe Thang-Ngon, axe Thadeua) et les quartiers entre ces trois axes (quartier Dong PalaneThat
Luang, Saylom-Thong Khankham-Nong Douang). Ce développement récent ne peut expliquer
la ville dans sa durée. Pour comprendre son mode de développement dans son temps réel, il faut
prendre en compte les occupations pré-existantes, exprimer la discontinuité et la liaison entre elles :
à petite échelle, les îlots primitifs qui finissent par se rejoindre aujourd’hui –formant une continuité–
est un reste du phénomène de formation tissulaire primitive et non du phénomène de densification à
proprement parler.
Le scénario d’occupation historique de Vientiane avant 1827
- La route Nong Bone aurait été la plus ancienne route pénétrante de la ville, bordée d’une dizaine
de monastères depuis la berge et le quartier royal jusqu’au site du That Luang. Autour de ces
monastères –la majorité d’entre eux a déjà disparu– il y avait des villages. Puisque les monastères
de la ville doivent toujours avoir une communauté autour, sans laquelle ils ne peuvent exister : leur
construction et leur entretien émanent totalement de la population, à l’exception des fondations
royales.
- Le site de That Luang et ses environs ont été occupés antérieurement : après son inauguration en
1566 par Sethathirat, des familles ont été installées. Des terres et des domaines agricoles leur ont été
offerts pour l’entretien du monument. Ces derniers auraient probablement été recrutés parmi les
populations locales qui vivaient dans les environs.
- L’intérieur du premier rempart aurait été entièrement occupé. Il y aurait cinquante mille habitants
durant les moments les plus prospères. Dans la cité, on aurait dénombré pas moins de 8 000 Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 308 -
maisons,551 de nombreux terrains vides, des terres agricoles et des plans d’eau. Vientiane est une
ville peu dense, explicitant un mode particulier d’occupation qui caractérise probablement le
principe d’occupation le plus abouti des villes lao. A l’extérieur de l’enceinte en amont, jusqu’au
septième monastère –Vat Taï Gnaï, les villages se sont formés presque en continuité le long du
chemin et du fleuve. Puis à partir de ce monastère, ils deviennent plus distancés des uns des autres
jusqu’aux villages Sikaï et Kaolyo, où de nouveau il y a des villages plus denses. En occurrence, le
port aurait existé déjà, probablement pour desservir les villages du Nord.
- A l’extérieur de l’enceinte en aval du fleuve les villages auraient été plus éloignés des uns des
autres, comparer à l’amont et vue la distance actuelle entre les monastères existant. En occurrence,
le petit port intérieur (au km 4) et le port commercial (à Viengkuk, rive droite)552 auraient été bien
en aval de Vientiane, ce qui aurait favorisé l’implantation des villages sur les berges et sur le
chemin de l’entrée de la ville. Les villages auraient été probablement installés de manière
discontinue jusqu’à qu’à Souane Mone et Viengkuk.
- Les autres sites importants dans les bourgs auraient été occupés autrement que par des habitations.
Dong Palane aurait été une réserve royale de plantation de latanier, dont les feuilles étaient
abondamment utilisées au XVIe siècle. Sala Dèng (pavillon rouge) aurait été le grenier à riz réservé
à la communauté religieuse et aux novices qui vivaient dans les nombreux monastères de la ville.
Quant au Vat Maha Phouthavong (Vat Sok Paluang actuel) il aurait été le temple de la forêt, sa
chapelle voûtée aurait été construite par Sethathirat autour de 1566. Thong Toum, Thong
Khankham et Naxay auraient été des zones importantes de rizière pour la ville. Par contre, Phone
Phanao et Phone Khèng auraient été une zone haute dans le prolongement du périmètre de That
Luang, puisque Vat Phone Phanao aurait été un des premiers monastères bouddhiques fondés par
les missionnaires de Açoka.
L’occupation de Vientiane après 1893
Vers 1896, la ville encore en état de ruine continue à être occupé par la population locale,
de manière éparse, disposée par petits groupes d’habitations. Il y a 1388 habitants dans toute la
petite enceinte et les maisons ne sont jamais construites isolées. L’occupation tend à se concentrer
dans le quartier centre : la zone de Vat Chanh, Vat Inpèng et quelques quartiers décentrés tels que
That Khao et Sithan. Vers 1900-1905, la ville a accueilli des bâtiments de la Résidence Supérieur et
le quartier administratif sur les anciens emplacements du palais royal et de la résidence des
notables. La ville se développe d’abord dans la partie nord de l’enceinte. Vers 1920, la Partie nord
de l’enceinte est entièrement occupée et la partie sud tend à le devenir –sauf les zones humides,
apparues sur le plan de 1905. Au-delà de l’enceinte en amont, des villages (nouveaux et existants)
commencent à réapparaître. Vers 1930, l’enceinte intérieure est quasiment occupée, excepté les
parties en dépression, encore vides, telles les zones humides de la partie sud-est. Au nord, le long du
Mékong et au delà du boulevard circulaire les villages s’étendent encore. L’avenue de la Résidence
Supérieure (avenue Lane Xang) commence à être construite. Vers 1945, les villages qui s’égrainent
sur environ quatre kilomètres en amont à partir de Pak Passak se développent et finissent par se
joindre formant un ensemble continu. Avec le quartier Sihom et Thong Toum la ville commence à
sortir du boulevard circulaire à l’Ouest du quartier Anou. Autour de That Luang, un noyau de
villages se développe. À l’égard du centre, après 1945, la ville poursuit un développement plus ou
moins logique en suivant les structures urbaines établies, sauf l’avenue de la Résidence Supérieure
qui marque le premier tronçon de l’avenue Lane Xang : un début de l’urbanisation moderne fait son
551 In. Annales du Laos, Luang Prabang, Vientiane, Traninh et Bassac. (Op. cit). 8000 auraient été les maisons incendiées
en 1827 par les Siamois. Ce qui veut dire qu’il y avait très probablement plus de 8000 édifices dans Vientaine, si l’on
réunit tous les types de construction, tels les monastères, les palais et les habitations. 552 Le port intérieur était probablement sur le site du port du kilomètre 4 actuel. Quant au port commercial, c’était celui de
Muang Viengkuk mentionné par Van Wustoff, in : Le journal de voyage de Gerrit Van Wuystoff et de ses assistants au
Laos (1641-1642).Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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apparition et le nouveau schéma symbolique de la ville commence à s’additionner à l’ancien
schéma.
Muang Vieng Kham
D’après le Phongsavandan, Viengkham aurait été Muang Phay Nam, la cité imprenable au
rempart de forêt de bambou épineux qui formait sa défense. F’a-Ngoum aurait mis deux ans pour la
soumettre grâce à son légendaire stratagème : arrivé devant la résistance du vaillant chao muang et
devant l’invincible rempart de bambou, F’a-Ngoum aurait siégé l’extérieur de la ville, sur la rive
opposée. Avant de se retirer et continuer ses campagnes militaires ailleurs, il aurait installé des
campements en forme arrondie entourés de fossés et reliés des uns des autres par une sorte de canal.
Il aurait ensuite fait tirer des flèches en métaux précieux (argent et or) dans la forêt de bambou, puis
installé des sentinelles pour surveiller la cité durant deux années. Les habitants allaient récupérer les
flèches d’or et d’argent en coupant les bambous, peu à peu des brèches ouvrent la cité. F’a-Ngoum
de retour de l’Ouest et du Nord prend l’assaut de la ville plus facilement.
La présence de sanctuaires en ruine et de stèles sur la rive de la Nam Ngum, sensée être la
cité Phay Nam, atteste l’existence effective d’une cité ancienne. Sur la berge opposée, on retrouve
effectivement aujourd’hui des tranchées circulaires autour de plates-formes de près de 500 mètres
de diamètre. La largeur des tranchées elles-mêmes mesure près de 10 à 15 mètres avec une
profondeur de près de 3 à 4 mètres. Il y a cinq ouvrages de ce type, disposés dans une zone
regroupant une dizaine de villages. Les plates-formes sont reliées entre elles par des canaux aussi
profonds et aussi larges que les tranchées. D’après les archéologues locaux, les vestiges subsistant
auraient été de nature militaire : des fortifications que F’a-Ngoum aurait construites pour surveiller
Phay Nam. Sur les plates-formes, on trouve aujourd’hui des débris de brique de vieilles
constructions. Sur l’une d’entre elles, on y construit dans les années 1950 une pagode. Les douves
qui entourent les plates-formes sont asséchées la plupart du temps. Même à la saison des pluies, il
n’y a pas assez d’eau pour les considérer comme des canaux. Sont-elles destinées à l’usage plutôt
militaire qu’hydraulique ? En tant qu’ouvrages militaires, ils n’auraient pas non plus été très
défensifs : il n’aurait pas été logique de dispatcher les constructions pour se défendre
individuellement de la sorte. Leur multiplication suggère que les ouvrages sont construits pour
surveiller. Les tranchées qui relient les plates-formes entre elles permettraient aux sentinelles de
passer entre les forts sans être vues depuis l’autre côté du fleuve. Les sentinelles de F’a-Ngoum
auraient surveillé ainsi Muang Phay Nam, laissant croire à son chao muang qu’ils avaient levé le
camp.
La prise de la cité par F’a-Ngoum faisait partie de sa campagne d’unification, puisque la
cité n’avait pas été incendiée, comme il est coutume à l’époque lorsqu’une cité ne se rend pas à son
assaillant. La volonté de préserver la ville est manifeste lors de la prise de Vieng Kham, car il s’agit
de soumettre son chao muang, un parent, pour unifier le muang. La preuve en est qu’après la prise
de la cité et pour non-soumission, son gouverneur a été emmené à Luang Prabang. De maladie et de
chagrin ce dernier serait mort en route avant d’atteindre la capitale. Il est mentionné que F’a-Ngoum
effectua ses obsèques et nomma le frère de ce dernier à la tête de Viengkham, la dignité et la
continuité dynastique locale du muang est ainsi assurée.
Phaynam dans la période pré Lane Xang aurait été la cité arrière protégée par Vientiane, son
chao muang étant le fils du chao muang de Vientiane. La famille qui exerce le pouvoir à VientianeViengkham
tient probablement aussi le pouvoir dans toute la plaine méridionale de Vientiane y
compris l’autre rive du Mékong. La campagne “d’unification” et de “pacification” de F’a-Ngoum
aurait concerné que les Lao Tai. Lorsqu’il s’agit des non-lao, les annales ne manquent pas de le
souligner, par exemple lorsqu’il déplace les kha Sam Tao de Vieng Phu Kha à Muang Swa.
Viengkham est donc déjà gouvernée par des Lao Tai, probablement à partir d’une occupation
existant antérieurement. En occurrence, considérer les cinq ouvrages comme des campements de
F’a-Ngoum est justifié, mais qu’ils soient construits par lui est peu probable. Par bien des aspects,
les ouvrages en question se rapprochent des formes des cités Puy de la Haute Birmanie. Il est
Fig. 74
Plan de
ViengkhamDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 310 -
probable que les Puy puissent jouer un rôle important dans la région plus aux Sud et plus à l’Est de
leurs foyers identifiés par les archéologues.
La plaine méridionale du pays Issan, le long de la Nam Moun et le plateau de Korat
Nakhone Phranom
Nakhone Phanom, d’après le Tamnan Oulangkhrathat, aurait été une ville de l’ancien
royaume de Sikhottabong, fondée dans les premiers siècles de l’ère Bouddhique. Comme l’atteste le
grand that, Nakhone Phranom, ville religieuse, aurait une vocation régionale, du moins, abritant un
monument d’unification construit dans un contexte politique régional particulier, et dont l’objectif
aurait été d’apporter la paix entre les royaumes. Cinq monarques auraient réuni leur effort
diplomatique, politique et économique pour ériger un ouvrage symbolique d’envergure : Phraya
Chounlany Phommathat (de Xieng Khouang, de Luang Prabang, de Sip Song Chou Tai ?), Phraya
Inthapat Nakhone (du Cambodge ?), Phraya Khamdèng (de la région d’Oudone Thani actuel ?),
Phraya Nanthasèn (de la rive Sud de la Xé Bangfaï Savannakhet ?), Phraya Souvanna Phinkhane
(Sakonnakhone actuel ?). La ville, fondée en même temps ou avant la construction du monument,
aurait été complètement fédérée par lui. Après sa construction des siècles durant, les monarques de
différents royaumes poursuivent l’entretien du monument. La région de Nakhone Phranom étant
intégrée sous leur autorité, les rois du Laos, successivement, ont la charge d’entretenir le monument
ainsi que des rites qui l’accompagnent. Ainsi, entre Phothisarat (début du XVIe siècle) et Anouvong
(début XIXe siècle) le monument a été entièrement sous le “ mécénat ” des monarques du Lane
Xang. Ces derniers ont apporté au monument l’essentiel des composants architecturaux, en
particulier au dôme et toute la partie supérieure. Lors des interventions de Anouvong, une allée
pavée reliant le grand that à la berge du Mékong aurait été construite. Plus récemment, lorsque le
stupa s’est effondré foudroyé, le roi de Thaïlande a reconstruit entièrement le stupa. Des
changements architecturaux ont été apportés mais le that reste reconnaissable dans sa forme
architectonique et dans son vocabulaire général. Les quartiers d’habitations populaires, d’extension
récente, entourent le monument avec promiscuité. Ce fait explicite, non pas un phénomène de
squattérisation du site, mais une proximité maîtrisée depuis de longue date entre le monument et les
habitations. Ceci nous interpelle lorsque nous nous approchons du monument. Ce contexte “urbain”
de la majorité des stupas aurait probablement été ainsi dès l’origine. À That Luang, les habitations
auraient été assez proches du monument sur un ou deux côtés (côté Ban That Luang et Ban
Phonepanao), mais au moins un côté est libéré, accueillant un espace vide à fonction officielle.
À Nakhon Phnom, Aymonier constate dans le dernier quart du XIXe siècle que « […]
Dhatou Penom n’a que des clients et pas de territoire. 2000 inscrits affranchis par le roi de Siam de
l’impôt de capitation, doivent veiller à l’entretien, à la conservation de la métropole du
Bouddhisme au Laos […] ».
553 Ceci suggère qu’il y a des habitations assez denses autour du
monument ou dans un territoire immédiat restreint. Des raisons historiques expliquent ainsi la
présence des familles vivant près du that de génération en génération.554 Les notes de Aymonier
apportent des données suggérant le type d’occupation que cela pouvait être : 1- les habitants du site
ont été apparemment exemptés de capitations, les charges réelles imposées aux 2000 personnes ont
sans doute été réduites au simple entretien du monument. 2- les terres attribuées traditionnellement
aux “ esclaves du monument ” auraient probablement été réduites ou complètement retirées aux
2000 personnes ; ou alors, une partie des terres (sans doute celles qui étaient des attributions
symboliques) seraient tombées en déshérence par le fait que le nombre des “ esclaves ” s’est réduit,
553 Etienne Aymonier, La société du Laos siamois au XIXe siècle, présenté par Fabrice Mignot, éd. L’Harmattan, 2003,
Paris. L’ancien titre, Notes sur le Laos, publié en 1885. 554 Le Oulangkhrathat note que le that possède 3000 esclaves volontaires au moment de sa construction. Les volontaires
auraient été graciés s’ils étaient des condamnés, libérés des dettes s’ils avaient des dettes, libérés des autres charges s’ils
étaient fonctionnaires ou autres vis-à-vis du roi, etc. Les terres leurs auraient été données également. Cf. Oulangkhra
Nithane. Kéo Outhoumala, ré annotation en 2008.
Fig. 75.
Quartier de
That PhranomDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 311 -
alors que celles qui étaient réellement exploitées et cultivées par les personnes qui servaient
autrefois le that, seraient maintenues de manière naturelle, selon leur capacité d’exploitation. 3- en
affranchissant les inscrits de l’impôt, le roi du Siam perpétuait apparemment la tradition ancienne
locale.
Compte tenu de ces données, on peut supposer que les “esclaves des monuments” devenus
au XIXe siècle des simples inscrits, mais libérés des impôts pour veiller sur le That, continuent à
conserver des terres. Ils ont pu acquérir ainsi une certaine autonomie économique et développer
progressivement une indépendance. Du point de vue économique et social la vie tournait moins
autour du stupa, les personnes se consacrent à leur propre vie sociale et économique, d’où sans
doute une “citadinisation” progressive des villages et des quartiers. C’est ce qui semble se constituer
à Nakhone Phranom : un ensemble de quartiers très attachés au monument et un autre ensemble
plus autonome et indépendant du grand That. Le cas des villages autour du That Luang à Vientiane
semble similaire : lorsque la ville a été incendiée, les gardiens des stupas –privés de l’autorité royale
qui les obligent à remplir leur charge– se retrouvent libres des obligations vis-à-vis du monument et
donc disposés à constituer progressivement une société indépendante, un quartier à part entière,
voire une ville.
Khorat
D’après sa description à la fin du XIXe siècle,
555 la ville de Khorat historique est une
citadelle rectangulaire d’environ 1,64 km2. Le côté Est et Ouest mesurent chacun, environ 1000
mètres, tandis que le côté Sud mesurait 1640 mètres et le côté Nord, 1610 mètres. La longueur du
rempart totalise 5,25 km. Construit en brique, épais de 2 mètres et haut de 3 à 4 mètres, il est doublé
à l’intérieur par une montée de terre, sans doute des déblais provenant des fossés larges d’environ
10 mètres longeant le mur extérieur de la ville. Chemin de ronde, créneaux et une quinzaine de
bastions couronnaient le rempart. Deux voies principales non pavées ni empierrées traversaient la
citadelle, d’est en ouest et du nord au sud, la partageant en quatre quartiers. L’enceinte de la
résidence du gouverneur ou du Chao muang, d’orientation est, mesurant d’un côté 120 mètres et
200 mètres de l’autre, se trouve au bord de l’une des voies dans le quartier nord-ouest. Des
multitudes de ruelles partagent les quatre quartiers en petits îlots, non-inondables à la saison des
pluies. La ville possède sept monastères à l’intérieur de son enceinte, une trentaine si l’on compte
ceux se trouvant à l’extérieur. Il y a environ mille maisons et une population composite : Siamois,
Lao, Khmers et Chinois. Cette dernière tient commerces et habite dans des compartiments au grand
marché qui bordent l’une des deux rues principales à l’ouest et à l’extérieur de la citadelle. Il y a
principalement quatre types de construction : maison en bois sur pilotis à double pignon, monastère,
maison chinoise à cour combinant commerce et habitation, et maison de commerçant local appelée
“ maison d’eau ”. Cette dernière possède un local pour stocker des marchandises et les protéger
contre les incendies et la pluie. Construite en brique, elle a un plafond en terre, ou en brique,
surmonté et couvertes de chaume.
La citadelle possède quatre portes : la porte de l’Est du soleil levant est réservée pour les
bons augures. Elle est privilégiée, ayant une fonction religieuse et symbolique puisque la résidence
du Chao muang et les monastères ont leurs façades tournées vers cet orient. La porte de l’Ouest,
comme celle de l’Est, est probablement l’entrée et la sortie principale de la citadelle. Les échanges
commerciaux passent par la porte Ouest puisque l’on y trouve les deux marchés, intérieurs et
extérieurs. Elle a sans doute aussi une fonction politique et militaire : désignée porte chomphon,
“ porte des guerriers ”, les troupes partant et revenant des guerres passeraient par là. La porte du
Nord désignée de “ porte d’eau”, a une fonction utilitaire : elle est en liaison directe avec le
principal réseau d’eau composé de canaux et de rivières qui alimentent la ville. La porte du Sud,
555 Etienne Aymonier, La société du Laos siamois au XIXe siècle, Op. cit.
Fig. 76.
Plan de
Khorat à la
fin du XIXe
siècle
Fig. 77. Plan
de Khorat,
état actuel.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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appelé patou phi, est strictement réservée aux morts : la seule porte autorisée pour le cortège des
morts conduit vers la crémation à l’extérieur de la citadelle.
A l’ouest, sur l’axe de la porte des guerriers, la ville extérieure ou le faubourg s’égraine le
long de la route sur huit kilomètres. Il y a là le grand marché, des monastères, une grande mare, une
place circulaire avec des constructions autour, où s’arrêtent les commerçants pour décharger leurs
marchandises, probablement l’un des plus grands marchés de bétails de la région. Dans ses notes,
Aymonier décrit ce long faubourg qu’il appelle Parou comme une “ ligne verte ” aménagée et
plantée de jardins, arrosée par un petit canal détourné du grand canal nord. Il précise que « les
mandarins et les gens à l’aise de Khorat ont au Parou leur maison de campagne ». Cette note
indique dès cette époque qu’on peut distinguer d’un côté la ville et de l’autre la campagne, mettant
en évidence la vision de la vie citadine et la vie de campagne : un fait curieux pour ce territoire à la
fin du XIXe siècle, où la distinction ville/campagne serait anachronique. Aujourd’hui, l’enceinte de
Khorat ainsi que ses portes ont été reconstituées et le périmètre de la citadelle agrandi. La lecture
spatiale actuelle n’est donc pas parlante, d’où tout l’intérêt des notes et des croquis effectués par
Aymonier au XIXe siècle.
Région du Sud : Muang Kao et Paksé
La petite ville de Muang Kao [g,nv’gdqJk] s’appelait autrefois Muang Kao Kan Keung
[g,nv’gdqJk7aogdu’], “ ville ancienne de Kan Keung ”. Avant 1975, il était le canton Kao Keung
[8kcl’gdqJkgdu’] et possédait 14 villages. Après 1975, le district est administré en zone et devient alors
la zone 1 Kao Keung composée de 17 villages. Le site de Muang Kao se trouve à l’embouchure de
Houay Phek en face de l’embouchure de la Xé Daun. La présence de ces deux affluents du Mékong
qui se font face indique indéniablement que le site a dû avoir un grand intérêt pour avoir été occupé
très tôt. La Xédaun vient de Saravan et de Kongxédaun. Elle relie les petits établissements
villageois et ripuaires entre eux avant de se jeter dans le Mékong à l’endroit large et évasé au bord
duquel la ville de Paksé s’est constituée sur la berge Nord et Muang Kao sur la berge Sud. Cette
dernière est traversée par Houay Phek, une petite rivière au bourrelet de terres alluvionnaires. Le
site est cadré au Nord-est par le Mont Bachiang (à 904 mètres altitude) et au Sud-est par le Mont
Malong (à 1304 mètres d’altitude). Entre les deux montagnes au niveau du méandre du Mékong en
aval de Paksé, il y a le Mont Salao (à 385 mètres d’altitude). Il surplombe de très près Paksé et
Muang Kao. Ce paysage exceptionnel serait tout disposé à recevoir une importante implantation,
mais c’est à Champassak que nous trouvons l’un des centres du Royaume de Tchen-la et l’un des
sites prestigieux de l’Empire Khmer, le Vat Phu. Historiquement, sur le site, nous ne trouvons pas
de traces importantes d’occupation ancienne avant Muang Kao. Celle-ci émerge dans l’histoire du
Lane Xang avec la famille de Nang Phao et Nang Phèng vers la fin du XVIIe siècle.556 La “ vieille
ville ” (c’est le nom qu’elle porte aujourd’hui) se trouve donc sur la rive Sud à l’embouchure de
Houay Phek. Les ruines de Hô Phrakéo, la principale pagode, et l’enceinte en ruine de l’ancien
palais nous permettent de pénétrer un peu plus dans l’histoire de cette petite bourgade pour essayer
de comprendre quelle pourrait être la configuration d’un établissement lao de la fin du XVIIe siècle.
Aujourd’hui, il ne subsiste quasiment rien de cette ancienne ville, à part le rempart du palais
de Rajaboud Gno, fils de Anouvong de Vientiane, construit au début du XIXe siècle en même temps
que le Hô Phrakéo.557 L’enceinte de cet ancien palais est en forme rectangulaire, presque carrée.
556 Le Phongsavadan lao ignore l’origine de ces deux dames qui régnaient sur Champassak. Il est certain que Champassak
était déjà à cette époque dans le Lane Xang, que le pouvoir local soit d’origine khmère ou lao. Les deux dames cédaient
volontairement le pouvoir à Soysisamouth Phouthrangkoune, petit-fils de Suryavongsa. In Histoire de Champassak,
Prince Sanphrasith de Champassak. D’après Prasoum Phongsavadan Thaï, Chapitre 70, Nang Phao et Nang Phèng
seraient fille et petite-fille d’un simple Chao muang, invité par la population à administrer le muang après la mort sans
succession vers 1628 d’un Prince khmer Southasanaraja.
557 Sous le règne du Rajaboud Gno de Vientiane, deux chasseurs du village Na Gnom Sompoy - Saravane, auraient trouvé
par hasard un bouddha en cristal blanc [cdh;rts]bd] dont la base assise mesure 12 Inch [sohk8ad 12 oU;], l’oreille droite aurait
été légèrement abîmé. Apprenant la nouvelle et constatant l’importance et la valeur de la statuette, Rajbout décide de la
placer dans un lieu digne. Il ordonne un grand rassemblement de radeaux [7kfcr] pour transporter en procession la petite Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 313 -
Fig. 78.
Muang Kao
état actuel
D’après notre informateur,
558 à l’origine, elle serait en pierre maçonnée, sorte de roche non taillée,
en morceaux informes. Durant la période française, un dispensaire y a été installé.
559 Dans les
années 1960 l’enceinte a été transformée en caserne et le mur a été détruit par le chef de la caserne
du moment. Le muret en pierre que nous voyons aujourd’hui aurait été reconstitué par le Prince Yeng
de Champassak dans les années 1960 avec les mêmes matériaux récupérés à partir de l’ancien
mur d’enceinte détruit. Mais à l’angle de l’enceinte où le Hô Phra kéo aurait été construit, nous
remarquons que cette partie des ruines de l’enceinte est en brique. Ce qui suppose que les matériaux
utilisés sont aussi en brique. L’épaisseur du mur d’enceinte est entre 80 centimètres et 1 mètre. Le
sol à l’intérieur de l’enceinte serait surélevé de plus de 1,4 mètre par rapport au sol naturel, et pavé
de brique. Les rues qui passent devant et autour de l’enceinte (qui correspond aujourd’hui à
l’emprise du monastère Vat Muang Kao) montrent des pavages de briques en terre cuite. Adjacent à
l’enceinte (nous ne savons pas exactement l’orientation du palais) il y aurait une esplanade pavée de
brique, que nous avons du mal à repérer aujourd’hui. Si tel est le cas, c’est là sans doute qu’il y a le
fort militaire évoqué dans le Phongsavadan, comme l’une des constructions réalisées par Rajabout
Gno. Si nous considérons la ligne de berge du Mékong ainsi que la tradition de bâtir des Lao, il est
très probable que la façade soit tournée vers le Mékong, d’autant plus que la rue principale, pavée
de brique en terre cuite s’y trouve. Le sol de l’enceinte, surélevé à plus d’un mètre, est donc plus
haut que le niveau de la rue. La vue depuis l’enceinte surplombe alors les rues et les habitations.
La vieille ville forme un ensemble de villages, s’étendant à l’Ouest et un peu à cheval sur la
rivière de Houay Phek [s;hpgrad]. Trois lignes successives de digues auraient entouré la ville côté
plaine : Khou Noy (petite digue), Khou Gnai (grande digue) et Khou Dèng (digue rouge), cette
dernière est sans doute un tronçon de la grande digue ? De ce côté il y aurait également un étang –
Houay Gneuak [s;hpg’Nvd] purement d’agrément, aménagé par Rajabout Gno.
560 Selon l’histoire
locale cette ville aurait déjà été une vieille ville avant que la dynastie lao de Vientiane, le petit-fils
de Suryavongsa
561 et le Phrakou Gnotkéo Phonnesameth [rt76pvfcdh; 3roltc,ad], ne l’occupent en
fondant la ville Champa-Naga-Boury-Rsi Satta Naga-Nahout [9=kxkok7t[6iu lula88tot7toks5f] vers
1707, pour l’abandonner ensuite en migrant vers Champassak actuel. La ville date donc au moins de
la période de Nang Phao - Nang Phèng fin XVIIe siècle. La fondation de la ville serait en même
temps la fondation de la famille royale de Champassak et de celle du royaume de Champassak en
sécession avec Vientiane.562
L’ensemble de la ville se trouve en face de l’embouchure de la Xédaun, où l’administration
coloniale allait construire plus tard Muang Paksé sur quelques villages existant. En arrière de la
ville, c’est-à-dire côté rizière, où se trouvent les deux digues de protection, nous entrons dans la
statuette depuis le village Na Gnom Sompoy jusqu’à Muang Kao, en empruntant la Xédaun. « Arrivé au niveau de Hat Hé
Phonne Koung le jour de tempête la statuette échoua dans le Mékong, dans la partie à peine profond jusqu’aux genoux.
Mais personne n’a pu la retrouver » [grand-père Peuang, notre informateur]. Après consultation des astrologues,
Rajaboud aurait fait appel aux deux chasseurs qui ont découvert la statuette. Et grâce à eux la statuette a pu être retrouvée.
Ainsi toute la population du village de Na Gnom Sompoy a-t-elle été mobilisée, déplacée dans la petite ville de Rajaboud
pour entretenir et fêter la statuette retrouvée. Mais les villageois de Na Gnom Sompoy a demandé à Rajaboud
l’autorisation d’aller s’installer dans les environs au lieu de s’installer dans la cité. Ils forment ainsi plusieurs villages dans
les environs. Ils se font appelés encore jusqu’à une période récente Kha Phrakéo [0hkritcdh;] (serviteurs de Phrakéo) ou
Phao Phrakéo [gzqJjkritcdh;] (tribu de Phrakéo.) Et depuis, chaque année au nouvel an, les kha Phrakéo doivent venir
symboliquement entretenir le monastère construit expressément pour abriter la statuette. Aujourd’hui la statuette se trouve
à Bangkok amené par un haut fonctionnaire Thaïlandais après la défaite de Chao Anouvong de Vientiane. L’histoire du
Phrakéo peut être retrouvée dans le Thamla Phrakéo. En tant que novice puis moine, Pothao Peuang [r+g4Qkgxnjv’] notre
informateur avait pu accèder à cette annale il y a une vingtaine d’années. 558 Pour Pothao Peueng [r+g4QkgxnJv’], vieux père ou grand-père Pheuang, notre informateur, est le plus âgé du village, et
étant ancien bonze il connait l’histoire de Muang Kao, les habitants interrogés nous renvoient aussitôt vers lui.
559 Son utilisation en dispensaire n’aurait pas duré longtemps, les habitants hésitent à nous confirmer la date. 560 Dans le Phonsavadan lao la construction du canal (des canaux ?) par Rajaboud sur les recommandations de son père le
roi de Vientiane a été évoquée. Phothao Pheuang nous parle de Houay Gneuak, la mare du serpent mythique. 561 La maison princière de Champassak est originaire de Vientiane. Elle descend de Sumangkhra, un des trois enfants de
Suryavongsa chassé de Vientiane. Soysisamouth Phouthrangkhoune, son fondateur est ainsi le deuxième fils de
Sumangrara.
562 La sécession de Champassak en 1707 marque la première scission du Lane Xang, la deuxième étant celle de Luang
Prabang vers 1714.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 314 -
ville par une route ancienne qui mène en sens inverse jusqu’à Oubon Rajathany (à 90 Km). Oubon
étant l’une des anciennes villes satellites de Champassak, sa liaison avec celle-ci était alors plus
facile qu’avec la ville de Champassak actuelle qui se situe en aval à plus d’une heure de pirogue à
moteur. Il serait tout à fait logique que le pouvoir colonial ait choisi l’autre rive pour construire
Paksé. Après la partition du Laos entre le Siam et la France, le territoire de la rive droite du Mékong
serait devenu trop vulnérable pour le pouvoir colonial. Oubon étant devenu Siamois, développer la
vieille ville se trouvant sur la même rive que le Siam, même si celle-ci est historiquement plus
intéressante, ne paraît pas prudent à l’époque du point de vue sécurité. Cependant, l’administration
coloniale n’aurait pas tout à fait abandonné la vieille ville, un fort ou un poste d’observation a été
construit à l’embouchure de Houay Phek.
Sur le site Parxé-Muang Kao occupé antérieurement, il y a donc trois fondations
successives. Dans la mesure où ce site est situé à proximité d’un ancien centre khmer d’une
importance régionale, que sont les sites de Vat Phu et de Tomô, l’aire géographique qu’occupe
Paksé devrait être important d’une manière ou d’une autre avant l’installation de Muang Khao. Sur
la rive de Muang Kao –la ville de Nang Phao, Nang Phèng– Soysisamouth Phouthrangkhoune édifie
sa ville, au moment de la scission du Lane Xang au début du XVIIIe siècle. Puis s’y superpose la
fondation de Rajaboud Gno au début du XIXe siècle, et enfin, la fondation coloniale sur la rive de
Paksé, laissant quasi à l’abandon la rive de Muang Kao, devenu aujourd’hui un bourg délabré qui
semble ne pas évoluer depuis son abandon par les princes de Champassak au XIXe siècle. Dans une
certaine logique, la fondation de Soysisamouth et celle de Rajabout devraient se référer au modèle
de Vientiane, par l’origine directe de leurs fondateurs. Si nous devons approfondir la question de
modélisation, il faut comprendre in situ le profil de ces deux fondations, d’identifier les modèles
spatiaux potentiels et leurs idées conductrices, de comprendre leur type d’évolution : sont-ils
porteurs ou pas de modèles durables. À cette fin, un investissement lourd aurait été nécessaire. Or
aucun plan de Muang Kao –relevé actuel ou ancien– n’a été réalisé. C’est un travail à partir duquel
on aurait pu démontrer les liens évidents entre les autels des esprits et les différents lieux
d’implantation des muang fondé par les autorités anciennes de Champassak. Ceci en croisant les
informations recueillies avec les observations de Aymonier et les études de Archaimnault sur les
rituels de Champassack. Ne pouvant faire cette analyse, notons seulement que l’autel des esprits du
muang à Ban Sak muang, est à moins de dix kilomètres en amont. Les cultes qui lui sont dédiés sont
résolument tai, que les esprits soient tai ou autochtones, entretenus par les princes de Champassak et
la population depuis au moins l’époque de Muang kao.
II. II. c. Les actes et les rituels de fondation
Concernant les rituels de fondation des villes, aucun texte ne le précise, par contre les
inscriptions relatent la construction des ensembles monumentaux ou des édifices isolés.
563 Le
Tamnan Oulangkhrathat564 fait référence aux divers actes de fondation mais ne fait pas de
description des rituels. Il donne des renseignements et des références sur un nombre important de
fondations sacrées, mais qui renferment une part de légendes et d’histoires fabuleuses qui masquent
l’historicité de la majorité des monuments. Les différentes versions n’évoquent que des événements
et des monuments religieux, propres au territoire de la vallée moyenne du Mékong.565 Dans les
introductions de ses annotations, réalisées la plupart du temps par les moines et les historiens de la
religion originaire de Nakhone Phranom, il est dit que le « […] Tamnan Oulangkhrathat est une
chronique très appréciée depuis la période de l’ancien Lane Xang jusqu’à aujourd’hui. Il relate
563 Cf. Les études épigraphiques lao menées par l’EFEO, dirrigées par Michel Lorrillard. 564 Oulangkra nithan, annoté par Kéo Outhoummala (Phra Thamma Rajanuvath), ré-édité en 2008, en Thaï. 565 Bien que le Royaume Chounlani évoqué dans le Tamnan se soit situé dans un territoire au nord de Vientiane et à l’Est
du Mékong. Les historiens notent avec peu de certitude qu’il s’agit du territoire de Luang Prabang ou de Sip Song Chou
Tai. C’est le Thamnan Yolnok qui donne cette piste de réflexion. Pour les autres, Chounlani serait la région de Thakek.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 315 -
l’histoire et les événements des ban et des muang ainsi que l’histoire du Bouddhisme […] ». Sept
royaumes sont évoqués : Sikhottabong (au sud de l’embouchure de la Xé Bangfai), Chounlani (au
nord-est du Laos ?), Nong Han Luang et Nong Han Noy (Sakonnakhone et Udon Thani dans le
Nord-est de la Thaïlande), Inthapat Nakhone (au Cambodge), dont deux de manière allusive : HoyEt
Patou et Dvaravati. Le récit évoque la fondation de Vientiane, mais est surtout concentré sur le
légendaire royaume de Sikhottabong et sur la construction du That Phranom.
Les anciens traités recopiés –et parfois déformés– sont encore utilisés de nos jours de
façon simplifiée. Ils concernent essentiellement la construction de l’habitat et ses rituels au sens
large : la pose du premier poteau, l’inauguration de la maison, etc. Les auteurs de l’Habitation Lao,
un ouvrage de référence en ethno-architecture, ont retrouvé et dépouillé l’essentiel de ces écrits.
566
Quant aux textes traitant des fondations de sanctuaires religieux, dont la consultation est réservée à
la communauté du Sangha, ils sont difficiles d’accès. Mise à part ces écrits et une documentation
parsemée, les actes et les rituels évoqués pour l’établissement de l’habitat, de la fondation de
l’espace religieux, du ban et du muang, il y a des traditions orales qui peuvent nous introduire au
cœur de la question, à défaut de pouvoir nous donner une explication adéquate et compréhensible de
certains rituels. A travers les entretiens complétés par des observations sur le terrain, il nous est
permis d’aborder dans ce chapitre la fondation de l’espace au sens large et de focaliser notre intérêt
sur ce qu’aurait pu être la fondation des villes. Nous avons pu localiser un village dont la mémoire
du rituel de fondation (ou refondation) est encore préservée et inscrite matériellement dans son
espace. Il s’agit de Ban Phay Lom, “ village aux palissades de bambou ” situé au kilomètre 18 au
Sud-est de Vientiane.
Entendons par “ acte ”, les conditions, le contexte, les facteurs, qui rendent une fondation
possible, nécessaire et effective. Cela sous-entend le rôle des acteurs, leur contexte culturel et
politique, mais aussi leur disponibilité économique, comme l’un des principaux facteurs. Et
entendons par “ rituel ”, le reflet matérialisé de l’ensemble des symboles, croyances, idéologies et
conventions dans lesquels ces acteurs se représentent et se reconnaissent, comme élément
d’intégrité, garant de leur existence dans l’espace et dans le temps, aussi bien le temps historique
que le temps symbolique.
II. II. c. 1. Les objets de fondation et les dispositifs spatiaux
Avant d’aborder la question concernant le rôle des stèles et des bornes proprement dit,
notons préalablement quelques faits particuliers : les légendes et les mythes à propos des fondations,
qu’ils soient écrits ou oraux, sont fructueux. Pour des explications a postériori, ils enrichissent et
brouillent à la fois les informations fournies par les inscriptions, les stèles et les bornes. Dans le
meilleur des cas ils apportent des éclaircissements, et dans le pire des cas –en particulier en ce qui
concerne les légendes transmises oralement– ils apportent des informations déformées. Que les
fondations possèdent ou pas des inscriptions et des textes relatant l’événement les concernant, la
persistance déformatrice de l’oralité va s’approprier de la plupart des événements. Dans l’hypothèse
où ces mythes ne seraient pas complètement inventés mais munis d’un fond historique, la tradition
orale va au fil du temps déformer les données jusqu’à leur altération complète. Il serait tout à fait
concevable que certains mythes puissent porter la résonnance de certains faits historiques, pouvant
être complémentaires par rapport aux inscriptions et aux données archéologiques, plus fiables, mais
malheureusement manquant. Du moins, nous pouvons déceler dans ces mythes la réalité
“ psychologique ” de ceux qui les auraient formulés. En d’autres termes, aucun mythe ne serait
réellement dépourvu de sens. Mythes et oralité occupent donc une position importante malgré tout.
Par exemple, faut-il considérer que le regroupement du village de Bourichanh et de
566 Pierre et Sophie Clément, L’Habitat Lao dans la plaine de Vientiane et de Luang Prabang. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 316 -
l’implantation de Khambang, formant Vientiane, comme de pure légende567 ; où au contraire,
comme des données qui complètent les stèles et les vestiges archéologiques de That Luang. Les
vestiges semblent attester que la période primitive de la fondation de That Luang est de nature
uniquement religieuse, alors que les données aux contenus légendaires indiquent qu’il y aurait
également un établissement d’habitation, villages et quartiers. La deuxième considération semble
tout à fait crédible, car on ne peut imaginer dans ce contexte un événement de telle importance
concernant un site religieux, sans l’existence d’une cité de taille aussi importante. Un autre
exemple : quel degré de fiabilité accordé à l’oralité concernant l’histoire populaire du That Vat
Nark ? Celle-ci rapporte que le That a été la commémoration d’un prince –son nom n’est pas
mentionné– accusé et décapité pour avoir commis l’adultère et déshonoré un grand du royaume.
Comment doit-on traiter ces données ? Le premier exemple fait transparaître deux
événements qui ne sont pas incompatibles. L’histoire de Khambang et de Bourichanh exprime un
évènement politique et social pour l’établissement de la ville. D’après elle, Vientiane est fondée à
partir d’une alliance entre deux établissements et deux sociétés probablement différentes. Alors que
les inscriptions, les bornes et autres vestiges trouvés à That Luang racontent un événement religieux
qui s’est produit sur le site. Effectivement, la fondation d’un site religieux d’une telle importance
doit être accompagnée d’une manière ou d’une autre d’un événement sociopolitique d’importance
comparable, tel l’établissement d’une ville. Quant au deuxième exemple, il rappelle étrangement
l’histoire du Rajbout –fils de Suryavongsa, qui aurait été historiquement décapité pour le même
motif. Et pourtant, nous ne pouvons pas considérer que c’est de l’histoire du Rajbout qu’il s’agit : ce
that aurait exprimé ce que la conscience populaire retient des événements politiques. Ces
événements, lorsqu’ils ne sont pas de bons augures n’auraient pas été inscrits. L’histoire les aurait
purement omis. A contrario, lorsque les événements sont positifs et porteurs de sens pour la
conception officielle de ceux qui sont en charge de les commémorer, les inscriptions en auraient
pris acte et auraient tendance à les exagérer. Dans cette logique, les stèles et les bornes qui ont été
servies à marquer les événements exceptionnels auraient été, de ce point de vue, instrumentalisés.
Leur édification est alors un enjeu servant une idéologie officielle ou servant à glorifier les potentats
qui, par ces inscriptions, fusionnent leur renommée aux évènements.
Les bornes, les stèles, les édicules
Les stèles et les bornes par leur fonction première prennent acte des événements historiques,
notamment des fondations. Qu’elles soient accompagnées ou pas d’inscription, l’aspect matériel
(art, matériaux) de ces édicules peut donner certaine perception aux constructions. Les trois types
d’objets ont chacun une fonction et un rapport particulier avec les fondations : ils les marquent, les
commémorent et les symbolisent.
- Les bornes ont pour fonction de marquer et délimiter les espaces et les territoires, d’indiquer leur
importance et leur fonction, indifféremment de la taille des espaces et des territoires. Dans la
majorité des cas, ils n’ont pas d’inscription. Les baï séma par exemple sont une sorte de borne
puisqu’ils délimitent le sanctuaire central du monastère bouddhique. Dans le cas des pieux en bois
(à Ban Phaylom) c’est également une sorte de borne qui affirme et conforte une idéologie
confessionnelle dans un espace donné. Il est de même pour les poteaux sacrés (sao hong) des
monastères Karen, indiquant une tradition cultuelle ancienne autochtone, associée au culte
bouddhique ultérieur.
- Les stèles sont, à l’origine, un support pour les inscriptions de différente nature : dédicace,
événement, apologie, texte de loi, etc. Qu’elles soient avec ou sans inscriptions, ce sont des pièces
qui donnent formellement les informations sur les événements, les personnages et les fondations.
C’est une pratique culturelle et intellectuelle de l’élite : le peuple ne produisant pas d’inscriptions
567 Cf. le Thamnan Oulangkrathat. Op, cit
Table. 16.
Liste non
exhaustive
des stèles et
des bornes
les plus
significatives
évoquant les
fondationsDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 317 -
pour son compte. La fonction des stèles sert l’idéologie de ceux qui les produisent ou pour qui elles
ont été faites : les personnes ou les événements jugés non-élogieux sont omis, seules les personnes
dignes, les événements porteurs, sont gravés dans la pierre. Les stèles font l’apologie du pouvoir et
de ses potentats, et par de-là, elles indiquent le désir d’immortalité dans le temps, l’espace et
l’histoire. Les stèles marquent donc quelque chose de momentanée, un événement ponctuel, une
histoire digne d’être commémorée. En cela, elles apportent aussi bien les informations cruciales à la
compréhension du passé, que les informations manipulées et tendancielles, ne permettant pas de
rendre compte de la réalité d’une époque, des événements ou des personnes pour quoi et pour qui
les stèles sont faites : les événements ponctuels donnés ne peuvent pas être aperçus ni dans sa durée,
ni dans sa réalité historique et anthropologique comme sans failles.
- Les édicules symboliques que nous trouvons dans la région du Laos sont essentiellement des
stupas et les piliers du Pancasìla. Ceux qui sont bien représentatifs sont le pilier du Pancasìla et le
that Sri Thamma Haïsok, construits dans le premier étage du That Luang. Le Pancasìla est une sorte
de borne avec des ornementations symboliques représentant les cinq fleures de lotus qui
symbolisent les cinq préceptes bouddhiques. Il aurait un lien avec le pieu sao hong des monastères
Karen : les cinq préceptes bouddhiques se seraient fusionnés avec la représentation ancienne du
culte des esprits des autochtones aborigènes qui érigent des pieux en bois au milieu de leur village
(comme cela se pratique encore chez les Tarieng au Laos). Ils réutilisent le principe du pieu en bois,
mais le remplacent par le pieu en pierre incrusté de représentation symbolique des cinq préceptes.
En ce qui concerne le that Sri Thamma Haïsok, c’est une sorte de relique, mais l’intérieur de
l’ouvrage n’est pas accessible. L’édicule est fortement ouvragé et chaque représentation décorative
est chargée de symboles. Il renferme des trésors faits de dons royaux dédiés au That Luang.
Les deux petits monuments (donnés en exemple) qui accompagnent la fondation d’un grand
monument comme le That Luang, sont une sorte de pièce d’identité spirituelle et intemporelle dont
la fonction est de marquer l’importance du monument qu’ils accompagnent. Les stèles, elles,
s’inscrivent plus dans une époque et marquent temporellement les actions et les événements.
La fondation et l’organisation des espaces bouddhiques
Les espaces religieux font partie intégrante (comme un programme) de l’établissement
humain dès sa fondation. Ils peuvent même en être le point préexistant pour un certain nombre de
fondations. Il en est probablement ainsi pour le cas de Vientiane où le site de That Luang aurait été
investi bien avant la formation de la ville. Pour d’autre, la construction des espaces religieux vient
momentanément après, confirmant et consolidant l’organisation sociale et politique des
établissements déjà fondés. Ce dernier cas de figure semble généralisé : les fondations religieuses
(bouddhiques) de Luang Prabang et de Muang Sing, seraient venues après la construction de la cité.
Ceci, bien qu’il est probable que le choix de départ ait été lié directement à la qualité symbolique et
aux esprits protecteurs des lieux. Et dans la plupart des cas, les sites de fondations religieuses sont
des espaces qui possèdent des capacités de persistance spatiale plus grandes que les constructions
laïques. C’est pourquoi les fondations religieuses et leur organisation dans la ville sont importantes
pour comprendre la fondation de la ville elle-même : la compréhension de la ville, son évolution et
son développement ne peuvent se faire sans que l’on puisse interroger les espaces religieux, leur
insertion et leur rôle spatial dans la ville ainsi que leur organisation interne.
La place des espaces religieux et de leur insertion dans la ville
Les monastères bouddhiques occupent une position centrale du point de vue social au sein
de la ville et du village, elle a aussi la propension à devenir un modèle d’architecture. Si son
insertion dans les villages est plus simple, dans le milieu urbain elle est plus complexe. Un village
rural possède rarement plus de deux monastères, souvent un seul. Lorsque le village devient plus
grand il peut en avoir une deuxième, pour des raisons de proximité et de place : le monastère doit
aussi pouvoir accueillir les novices, les séjours monastiques occasionnels lors des obsèques, ou lors
des services religieux à l’entrée des carêmes. En occurrence, les gros villages possédant une Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 318 -
capacité plus grande pour l’entretien du monastère (nourriture des moines, cérémonie d’ordination,
etc.), peuvent avoir plusieurs monastères : ainsi il peut y avoir vat Thong (pagode de rizière) et vat
Tha (pagode de berge), ou encore vat neua (pagode nord du village) et vat tai (pagode sud du
village). Ou encore, il peut aussi y avoir vat ban (pagode située au sein du village) et vat pa
(monastère de la forêt) : le premier, réservé pour les rituels quotidiens des villageois, alors que le
second, destiné aux incinérations et aux retraites des moines.
Si la fonction de rassemblement est la même, si les rituels religieux possèdent les mêmes
sens et requièrent les mêmes savoirs, par rapport aux monastères de campagne, les monastères de
ville s’insèrent différemment dans son environnement. Les monastères sont plus nombreux, ils se
rapprochent à quelques pâtés de maisons, se concentrent dans un territoire plus restreint. Plus le
statut de la ville est important, plus les pagodes se serrent. C’est le cas de Vientiane et de luang
Prabang. Un îlot peut avoir plusieurs monastères. En ville, par leur présence, la notion de village
tend à être moins visible, mais à fonctionner comme quartier. On évoque ainsi le khoum avec
affectation du nom du monastère, plus que le nom du village, bien que le khoum soit imprécis,
voire, inexistant du point de vue administratif par rapport au ban, c’est cette imprécision qui est
optée en milieu urbain. Une spécificité est à souligner concernant la place des monastères lü dans
les xieng. La situation de Muang Sing montre que chaque xieng doit posséder un seul monastère.
Celui-ci est au nombre de quatre. Et chaque monastère occupe un emplacement bien précis dans le
xieng : dans l’îlot externe des xieng et dans la parcelle externe de l’îlot. Les monastères sont
desservis par les deux voies centrales et par les rues du rempart.
La composition spatiale et le langage architectural des monastères et des monuments
Le monastère est formé de vastes cours aux multiples fonctions, parsemées de taillis,
d’arbres fruitiers et toujours d’un ou de plusieurs fucus religiosa (l’Arbre de l’Éveil). Le mur
d’enclos le sépare du domaine privé ou public laïc et joue un rôle important dans sa perception
depuis la ville. Autrefois, les murs d’enclos sont formés de pieux en bois assez hauts avec la partie
supérieure sculptée. Depuis la renaissance des villes avec la colonisation française, ils sont
construits en maçonnerie. Ils peuvent être hauts à âme pleine, avec ou sans merlon, ou bas en mur
bahut précédé de nombreux that. Dans tous les cas, ils sont ouverts sur plusieurs côtés. Quant aux
portiques d’entrée, la principale et majestueuse donne souvent sur une rue importante, où autrefois
se trouvent les maisons des nobles. Les entrées secondaires et les entrées en dérober donnent sur les
parties plus populaires des quartiers, avec des maisons plus modestes, probablement celles dans
lesquelles vit la famille des moines et des novices. Les décors des portails sont de facture variable :
la représentation du naga et les bulbes de lotus sont les motifs les plus représentés.
Le vat est constitué de nombreux composants architecturaux. Le sima (sanctuaire) occupe la
position centrale, suivis de la sala (ou hô tcher), du hô taî (bibliothèque du Tipitaka), des Kuti
(habitation pour moines), de nombreux stupas funéraires et votifs. Il y a ensuite des constructions
plus ou moins ouvragées telles que les hô kong (abri à tambour), le hong heua (abri à pirogue de
course), un ou plusieurs oumoung (petite chapelle voûtée), les vestiges archéologiques et enfin
l’enceinte du monastère lui-même. Le privilège de la taille des parcelles permet de disposer les
bâtiments de manière harmonieuse, laissant le vide occupé par la végétation. Le pavage ou non du
sol et l’aspect du jardin indiquent souvent le caractère rural ou citadin des monastères.
L’emplacement des ouvrages est soumis à des règles strictes. Leur orientation se réfère aux points
cardinaux, au fleuve, aux points tutélaires et aux traces des occupations antérieures éventuellement
sacrés, qui auraient consolidé le caractère sacré des lieux de manière encore plus importante.
Sachant que l’orient privilégié du monastère est l’Est explicité par l’orientation à l’Est de la façade
du sanctuaire central et en conséquent du grand bouddha –Phra pathane, qui y président.
Les parcelles occupées par les vat doivent être situées sur une ligne topographique
supérieure à celle des habitations laïques. Ceci, afin qu’elles ne puissent pas réceptionner les eaux
usées provenant des terrains d’habitation. Les parcelles sont aussi privilégiées par leur grande
superficie, par le choix de leur emplacement et par la densité de leurs espaces verts, que ce soit en Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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milieu rural ou urbain. A tous les niveaux, les édifices religieux se distinguent des autres catégories
de construction par leur architecture, leur mode de construction, leurs procédés techniques et
conceptuels, leur référence culturelle et artistique, leur rôle socioéconomique et leur usage. Les
monastères prennent ainsi un aspect particulier dans l’environnement urbain. C’est probablement
une raison qui fait qu’ils deviennent des références architecturales pour les édifices et autres
constructions à caractères symboliques, construits à l’extérieur des monastères. Il s’agit par exemple
des monuments et des mémoriaux. Même s’ils ne font plus l’objet de culte, ou même s’ils n’ont plus
de relations directes avec l’univers des cultes religieux, ils empruntent leurs vocabulaires comme
modèles et références esthétiques. Pour pouvoir repérer ces influences, soulignons des détails parmi
les composants architecturaux du monastère.
La description du sim
La vie de la communauté religieuse et de celle du village ou du quartier tourne autour du
sanctuaire central. Sa richesse architecturale et décorative ainsi que les matériaux utilisés pour sa
construction le font apparaître comme un édifice phare, accentuant sa noblesse, son aspect
symbolique et sacré. Construit en maçonnerie, le sim doit être le bâtiment le plus haut à l’exception
des stupas. Il est surélevé et constitué de deux parties principales : le corps du sanctuaire
proprement dit et la partie que l’on peut appeler narthex desservi par un perron maçonné, encadré de
deux Naga, menant à un porche à colonne. A l’intérieur, la nef (longue pièce rectangulaire et clause)
reçoit la lumière extérieure par la porte d’entrée et par ouvertures étroites percées avec régularité
dans les murs latéraux. Les menuiseries en bois sont très ouvragées dans leur ensemble. Au fond du
cœur de la nef sur l’autel votif massif trône majestueusement le Phra Pathane –le Bouddha central,
entouré des plus petits et des objets cultuels et votifs divers. Le regard du Bouddha voilé par de
lourdes paupières abaissées légèrement vers le bas, symbolisant la compassion.
Soubassements et couronnements
La construction du soubassement obéit au principe d’assemblage de la masse de forme géométrique
hiérarchisée, avec des lignes droites et des lignes arrondies, visibles en façade et dans les
embrasures des percements et des accès latéraux. Le soubassement est composé d’une sorte de
stylobate, dont la plinthe est empâtée et la corniche proéminente. Les couronnements des piliers ont
toujours des ornementations, réalisées en stylisant les motifs floraux (pétales de lotus, tiges de
bananier.)
Ornementations et symboles
Les ouvrages de décors architecturaux sont fondamentaux pour comprendre les arts graphiques et
les arts appliqués laotiens. Ils s’inspirent des formes animalières et florales, empruntées à l’univers
symbolique du Maha-sadok et du Ramayana. Peintures murales, bas-reliefs, stucs, dessins au
pochoir de poudre d’or, mosaïque de verre, les symboles tels que la roue de la loi, les effigies de
Bouddha dans différentes postures, etc., autant de techniques qui doivent raconter, symboliser et
rappeler la vie du Sage (période du Sadok et période du Bouddha). Les stucs servent surtout
d’ornementation aux chambranles des portes et également à couvrir la finition des éléments de
couverture.
Toitures
La toiture du sanctuaire est composée de plusieurs pans à recouvrement, décomposés en trois
parties : la partie centrale, la partie haute et la partie latérale basse. Les écarts entre les
recouvrements sont variables et conditionnent l’aspect effilé ou ramassé du sanctuaire. Sur les
pannes faîtières et sur les rives (Van laèn lop lang kha et van lèn pan lom) la représentation du Naga
est fortement présente. Sa tête stylisée vient couronner la fin du faîtage (Ngo) et l’extrémité des
rives (kandok). Dans l’architecture, la représentation du Naga (Ngo, Nak Sadung, etc.) est souvent
faite en stuc avec armature. Quant à la représentation du Mont Méru (sô f’a, faîtage), par une suite
de superpositions de parasols de cinq à neuf étages, elle est réalisée en zing, en stuc, en bois. Elle
apporte la touche d’élégance finale aux sanctuaires. Les consoles, également empruntées au corps Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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du Naga, stylisées et épurées, supportent avec élégance et régularité la descente des pans de toitures,
créant ainsi une liaison harmonieuse entre le corps massif du sim et l’aspect envolé de sa toiture. Il
existe deux sortes de consoles : la console féminine (khrèn nang) lorsque son aspect est léger
comme “ le bras d’une demoiselle ”, et la console masculine (hou xang) lorsque son aspect est plus
massif comme “ les oreilles d’éléphant ”.
Frontons et façades, percements
Toute la valeur esthétique du sim est inscrite sur son fronton et sur l’ensemble de sa façade,
caractérisée par des mesures modulaires. On peut y lire la partition symétrique et la composition
architectonique générale de tout l’édifice, comme élément clé de sa conception, telle que la règle
des percements, la référence religieuse et mythique des éléments de décors. L’entrée principale du
sim, souvent en double arcade, est percée dans l’axe du vaisseau central. Elle est accompagnée de
deux baies libres sans chambranles se trouvant dans l’axe des vaisseaux latéraux. Il s’agit-là du
premier plan de façade de l’édifice, qui donne l’accès au porche ou narthex. Le percement de la
seconde porte principale est dans le second plan, sous le porche et dans l’axe de la première. Les
écoinçons à jour dans le mur bahut du porche constituent la singularité de chaque sim. Les
percements de fenêtre sont réalisés de manière régulière dans les parois latérales. A Vientiane le
décor des embrasures est rare, alors qu’à Luang Prabang il est plus chargé. La façade arrière
occidentale des sim est souvent aveugle, exceptée pour les sim qui ont une galerie pourtournante
comme c’est le cas de Hô Phrakéo. Si non Vat Inpeng est probablement l’une des exceptions.
Le Hô taî
La bibliothèque est le plus petit édifice du monastère, elle comporte deux types. Le premier
ne possède pas de charpente, mais d’un ensemble de couvertures en voûte en encorbellement,
comme c’est le cas de la petite chapelle voûtée de Vat Inpeng. Il possède en outre une volumétrie
harmonieuse et un corps bâti monolithe. Ses ornementations fines et délicates la classent entre le
sim et le that. Le deuxième type possède une couverture et des charpentes, comme c’est le cas de
Vat Sissakhet. Sa technique de construction n’est pas différente du sim, mais avec un gabarit plus
modeste. Sa silhouette fine et élancée fausse visuellement sa taille réelle : elle semble plus petite
alors qu’en réalité, elle peut être plus haute. Les deux types d’édifices possèdent un caractère
commun : leur aspect décoratif et précieux. Ils sont construits, soit entièrement en maçonnerie, soit
en matériaux mixtes (bois et brique). La finesse de leurs ornementations et leur aspect global
suggèrent qu’ils dérivent à l’origine de l’architecture légère en bois et de la conception du mobilier.
Les très anciennes armoires du Tipitaka que l’on peut encore trouver dans les pagodes ont des
formes en encorbellement (parois inclinées) comme le hô taî de Vat Inpeng en miniature.
Les iconographies
L’iconographie est majoritairement tournée vers l’enseignement et la littérature religieuse.
La littérature populaire occupe une place moindre. Autrefois, la vie sociale et culturelle a aussi sa
place dans les pagodes, non dédiées exclusivement aux affaires religieuses. Les tentures sur tissus,
les peintures murales et parfois les stucs, représentent aussi les scènes païennes (Koulou Nang Oua,
les amants maudits ; les quatre frangipaniers, etc.) cela montre que la culture du peuple (littérature,
légende, conte) a aussi son importance et peut être représentée aussi avec art sous forme de pièce
dansée ou jouée. Une brève étude iconographique des pagodes de la petite enceinte de Vientiane a
permis de distinguer le contenu narratif de l’art et de la technique de le représenter. Les supports
architecturaux mettent en scène quatre thèmes : 1- la littérature religieuse proprement dite,
comporte des événements se rapportant à la vie de bouddha, à son enseignement, à l’histoire du
Sadok, et à celle des dix dernières incarnations. 2- la littérature épique donne des enseignements
moraux et philosophiques, l’art et la connaissance, notamment avec Sinhxay, Kalaket, Tèng-One.
Parfois, on n’hésite pas à considérer cette littérature morale comme s’il s’agit de l’histoire du
Bouddha. 3- les fresques historiques qu’il s’agit de transmettre et d’inculquer au peuple. Elles
mettent notamment en scène la fondation du Lane Xang ou la bravoure d’un monarque. 4- la Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 321 -
représentation des sites historiques ou sacrés existant au Laos, tels que Vat Phu, That Luang, Plaine
des jarres, représentés tout en cacophonie. Ces représentations sont sensées de marquer la prise de
conscience des Laotiens de la valeur de leur patrimoine culturel. La troisième et la quatrième
iconographie sont des faits récents, probablement apparus depuis le milieu du XXe siècle : leur
illustration et leur représentation ne datent qu’à partir de ces années. Les deux premières séries
d’iconographies sont représentatives des considérations et des productions plus anciennes.
Les stupas
Le stupa peut être un ouvrage important de restructuration politique de l’espace, donné en
exemple à travers le règne de Sethathirat. Soulignons à la fois le côté générique et le côté particulier
du that parmi les édifices religieux existant.
That vient du pali dhatucetiya, le monument contenant une relique corporelle. Les Lao
gardent la version raccourcie du mot –dhatu. En Thaïlande on garde le suffixe cetiya, qui donne le
terme usuel chédi. En sanskrit, dhatugarba, utilisé à Seylan sous le terme dagoba. C’est à travers la
tradition indienne que l’Occident connaît l’édifice sous le terme stupa. Le stupa n’est pas un
monument inventé par le culte bouddhique, elle préexiste bien avant. Mais le bouddhisme s’est
approprié de cet ouvrage au symbolisme fort. Les Maharajas de l’Inde de la Haute antiquité
construisent déjà des monuments funéraires avec des hautes montées de terres couronnées par un
monument commémoratif. D’après la tradition bouddhique, le monument serait apparu en Inde
après la disparition du Bouddha. Les premiers stupas auraient été formés de tumulus élevés par ses
disciples pour abriter ses cendres et ses reliques, alors que les traces archéologiques des monuments
funéraires à l’époque de Açoka montrent des stupas en forme de colonne avec des ornementations
dans la partie haute. D’après Deydier l’origine de la forme du stupa peut être expliquée par une
anecdote : « Peu de temps avant la mort du Bouddha, Ananda lui demanda comment il convenait
d’honorer ses reliques. Le Bouddha prit son manteau monastique, le plia en quatre, posa dessus
son bol à aumône renversé et le surmonta de son bâton. Il dit alors à Ananda que les monuments
destinés à l’honorer devraient avoir cette forme ».
568
Il existe quatre sortes de reliques dans le sens d’objet renvoyant au bouddha. Le relique
corporelle –dhatu-cetiya, est constitué à l’origine par un tumulus dont la forme et la taille évoluent
par la suite. Le reliquaire topique –panbhoga-cetiya, est constitué d’objet faisant référence à un lieu
où bouddha a vécu, tel le jardin de Lupini où il est né, la ville de Sernat où il a fait ses sermons, etc.
Le reliquaire scripturaire –dhamma-cetiya, est réservé pour les écritures sacrées, notamment le
dharma. Le reliquaire symbolique –uddesika-cetiya renfermant les images, les représentations, les
objets qui renvoient au Bouddha, comme la roue de la loi, le Phrabat sensé symboliser l’empreinte
de ses pieds, etc. De taille et de matériaux variables, de factures et d’écoles artistiques différentes,
les stupas sont le type de monument le plus répandu. Il occupe dans l’histoire et occupe encore un
très vaste territoire. L’aire et la civilisation des stupas font brillamment leur apparition. Le site le
plus grandiose est incontestablement Pagan. De manière plus modeste, plus usuelle, et
probablement depuis leur conversion, les bouddhistes d’Asie du Sud-est –anciens mondes
indianisés– construisent leur monument funéraire aujourd’hui selon les principes symboliques et
architectoniques du stupa.
II. II. c. 2. Les autels des phi protecteurs, les pieux de fondation et les lak muang
Les actes et les rituels des fondations passées trouvent leur continuation dans les rites
consacrés aux autels des phi et des devata protecteurs et dans la concrétisation, la spatialisation des
pieux de fondation et des Lak muang. Autels, pieux, lak muang, sont liés et opèrent sur le même
espace que sont le territoire, la ville, le village, l’espace d’habitation. Ils se retrouvent projetés dans
568 Cf. Histoire des stupas, des vat et celle de Phrakou Gnot Kéo Phone-Sameth, Ministère des Cultes ; Introduction à la
connaissance du Laos, Henri Deydier, éd. Kandiev 1952.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’espace mental et physique de l’habitant comme le moyen de lecture et d’appréhension de son
territoire et de son espace habité. Ils portent garant de l’intégration de l’habitant du muang dans son
cadre ethno-social et dans son milieu physique, comme élément d’une mémoire collective assumée
et comme signe d’une prospérité collective acquise ou désirée. C’est aussi la preuve d’une existence
bien intégrée dans sa cosmogonie : pour les Lao, leur existence, celle de leur société ne peut être
qu’harmonie, d’où la persistance du culte de ces phi, de ces génies, de ces pieux de fondation et des
pieux du dharma. Ces éléments qui semblent être d’un autre temps donnent encore aujourd’hui du
sens aux choses et aux lieux. Ils se seraient ainsi perpétués, tant que l’on continue à habiter un lieu,
un espace et à les produire et reproduire.
Les esprits ou les phi protecteurs, possèdent des espaces hiérarchisés desquels découlent la
hiérarchisation, l’organisation et la structure spatiale habitée. Par exemple, les phi heuane (phi de la
maison) sont sous la protection des phi ban (phi du village) et à leur tour les phi ban sont protégés
par les phi muang. Mais ils peuvent aussi protéger et garder un territoire enchevêtré. Les phi ne
seraient pas seulement les gardiens, les protecteurs, mais aussi les organisateurs des territoires et les
facteurs d’identification anthropologique. Nous tentons de comprendre, d’après des exemples, quels
schémas symboliques et quels modèles spatiaux peuvent-ils dégager des autels des esprits.
La mémoire et la continuité des établissements, de l’habitat au village et à la ville. Le rôle des
autels des devāta et des phi protecteurs
Nous tentons de comprendre ici le rôle des autels des dévata et des phi protecteurs dans la
notion de continuité spatiale et de cousinage dynastique des muang. Pour se faire nous nous
référons aux mythes des origines fondatrices des chefferies tai, reflétés dans les traditions cultuelles
; comment les génies gardiens sont-ils constitués, quel lien ont-ils avec les monarques descendant
des thaèn f’a et avec les fonds cultuels des peuplades indigènes ? Les rituels pour honorer les autels
des devata et des phi protecteurs de Xieng Khouang, de Luang Prabang et de Vientiane semblent
perpétuer non seulement les liens mythiques passés et les liens historiques, mais enregistrent
probablement aussi sous certains aspects l’évolution historique et sociale des muang.
Complexité des autels des esprits protecteurs de Xieng Khouang et de Luang Prabang
Les autels des Devata et des phi protecteurs de Xieng Khouang et de Luang Prabang sont
clairement liés au mythe fondateur des Lao, ils sont caractérisés par le culte des ancêtres
fondateurs : les phi thaèn. Le culte donne beaucoup d’importance à l’aspect fondateur des ancêtres
qui portent garant à la continuité du pouvoir et à sa légitimité. Les phi et les devata sont les ancêtres
fondateurs d’une lignée. Ils rendent sacrée la charge du pouvoir de cette lignée. Le culte est marqué
alors par un certain ethnocentrisme.
Les phi ou génies peuvent être des esprits immémoriaux d’un lieu, des gardiens protecteurs
ou des ancêtres morts. Dans le cas des génies gardiens du territoire fondamental, il s’agit des fidèles
serviteurs ancestraux et mythiques comme Pou Ngneu Gna Ngneu, célébrés dans une danse
cultuelle à masque à Luang Prabang au nouvel an, ou comme Sing Kêu Sing K’âm personnages
masqués dansés et célébrés lors des fêtes du that à Xieng Khouang. Ces derniers se seraient
“ sacrifiés ” pour la fondation et la prospérité des chefferies lao. D’après Archaimbault qui analyse
la structure religieuse lao à travers les rites et les mythes, les autels et le culte des esprits à Luang
Prabang et à Xieng Khouang proviennent d’un même fond, ce qui devrait confirmer l’idée de
filiation et de parenté profonde entre les fondateurs de Xieng Khouang et les fondateurs de Luang
Prabang (idée suggérée également par le Nithan Khun Bourom.) Sing Kêu Sing K’âm, deux parmi
les génies protecteurs qui séjournent dans le village Na Hu (privilégié et situé à quatre kilomètres de
Xieng Khouang), symbolisés par les masques du lion de cristal et d’or, seraient en quelques sortes
les enfants ou les esprits auxiliaires de Pou Ngneu Gna Ngneu de Luang Prabang. Archaimbault
suggère l’idée qu’il doit y avoir anciennement peut-être le culte de devata luang que sont Pou Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Ngneu Gna Ngneu placés au-dessus des devata des autres muang, à Luang Prabang et répliqué à
Xieng Khouang569
Le culte des génies et des phi, honorés dans les autels des devata à Xieng Khouang, est
dédié aux monarques thaèn f’a qui, à leur mort, deviennent des phi f’a phi thaèn protecteurs et
puissants (esprit des monarques, des ancêtres ethniques des Lao divinisés) qui dominent tous les
autres phi. Une personne est chargée d’entretenir leurs cultes à l’autel, notamment les chao song à
travers lesquels l’esprit des phi thaèn viendrait habiter et communiquer avec les vivants. Autrefois,
c’est la famille royale ou princière elle-même qui en avait la charge. C’est la raison pour laquelle
elle a un lien privilégié avec les chao song qui lui étaient attachés, à Champassak comme à Xieng
Khouang. Les phi thaèn phi f’a possèdent un autel –lieu géographique particulier, comme il est
démontré à Xieng Khouang c’est « (…) l’autel des génies protecteurs du mu’ang situé sur la colline
qui domine S’ieng Khwang (…) ». Cependant, nous verrons avec l’exemple du culte du Pou t’a de
Champassak que le phi protecteur peut suivre partout les descendants ou les habitants du muang de
sa “ circonscription ”. Les gens originaires du muang continuent ainsi à honorer son autel qu’ils
improvisent partout dans le monde, en France, aux Etats-Unis ou ailleurs. Cependant, la question ne
semble pas claire : Pou t’a est-il un gardien protecteur, un devata luang au même titre que Pou
Ngneu Gna Ngneu ou leurs gardiens auxiliaires que sont Sing Keu Sing K’am, ou l’esprit du thaèn
f’a lui-même ? En tous les cas, le lieu de l’édification de l’autel semble peu important. Dans les
années 1960 lorsque Archaimbault mène ses enquêtes, il dit que l’autel est situé sur la colline qui
domine Xieng Khouang.570
Lorsque les phi protecteurs renvoient aux esprits immémoriaux, il s’agit alors des croyances
de souches autochtones. L’appropriation par les muang de ces esprits immémoriaux était telle, qu’il
est parfois difficile d’identifier ce qui appartient vraiment au muang et ce qui appartient aux
“ indigènes”. Pour élucider la question il faut probablement chercher des explications plutôt chez
les génies gardiens des muang que chez les phi thaèn protecteurs eux-mêmes, puisque ces derniers
sont des monarques ancestraux divinisés des Lao Tai. Comme le note encore Archaimbault : « Si à
Luang Prabang, seuls les descendants directs de Khun Bulom, le fils du roi des Thên, et les
monarques dont l’histoire révèle le destin exceptionnel possèdent des autels particuliers et
demeurent figés pour l’éternité –en dépit des croyances bouddhistes– dans leur fonction de dévata
protecteurs, à S’ieng Khwang, plus de trente monarques-thên figurent sur la liste des génies du
Mu’ang récitée lors du sacrifice du buffle. Or ces monarques divinisés qui portent le nom collectif
de ‘seigneur Lo K’am’ –le nom même de la chefferie t’aî-noir– sont désignés comme ‘lak Mu’ang’,
c’est-à-dire pilier de la ville, et sont censés résider en permanence dans l’autel de S’ieng Khwang
où un reposoir leur est consacré. Lors du sacrifice du buffle, la famille princière doit fournir les
offrandes destinées à ces monarques ancêtres. (…) Ces caractéristiques suffisent à révéler, derrière
le culte des monarques Thên, un culte du Lak Mu’ang de type t’ai-noir mais hypertrophié.
Projection sur le plan du sacré de l’arbre généalogique des familles P’uon, ce lak M’uang a pour
fonction d’assurer la protection du Mu’ang fondamental instauré non point par Lo K’am mais par
569 « (…) Au début de la création il n’existe sur terre que les Pu No Na No qui plantèrent un arbre grand comme un cierge
sur une terre minuscule. (…) Thau Lai et Mê Mot qui en coupant le banian autour duquel s’était enroulée la liane
maléfique aidèrent les Pu No dans leur tâche. Ils périrent également victime de leur dévouement et devinrent, disent les
textes, des devata luong au même titre que les deux ancêtres (…) ». Archaimbault. Op.,cit. 570 Il explique que : « Hô S’ieng Khwang (…) possédait autrefois douze autels (…) installés dans les centres des
principaux mu’ang – d’après les annales au XVe siècle, sous le roi K’am Kong, l’acan Tammak’ata venu de Luong
P’rabang érigea 12 autels (le nombre même des autels de Luong P’rabang) pour les génies protecteurs et implanta le
sacrifice annuel du buffle – 11 de ces Hô étaient de fait des ‘Hô phi ban’ c’est-à-dire des autels consacrés à des génies
protecteurs de villages. Disposés aux quatre coins de la province, ils constituaient les ‘bastions spirituels’ de la ville de
S’ieng Khwang et leur génies n’étaient que les chefs de ‘marches’ des grands monarques Thaèn, proteceturs de la famille
princière et de l’ancien royaume qui résidaient, eux, dans l’autel central de S’ieng Khwang nomé alors Hô Mô Hô S’ieng
Khwang. (…) Par la suite (…) petit fils de Cau Noy, firent reconstruire le Hô Mô en dur. Le maître de cérémonie
demanda alors qu’on établi à l’intérieur, deux reposoirs : l’un pour les génies de S’ieng Khwang, l’autre destinéaux Phi
Ban conviés aux cérémonies. Ce second reposoir devint ainsi un substitut des onze petits autels érigés autrefois lors du
sacrifice du buffle par les préposés aux rites des différents mu’ang (…) », op. cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Cet Cu’ang, le fils de Khun Bulom et le frère du fondateur de Luong P’rabang. L’adoption de la
tradition lao du nord entraîna vraisemblablement celle du culte des monarques divinisés qui se
greffa sur celui du gardien du sol personnel. Ses pouvoirs renforcés, sa pérennité, le Lak M’uang
constitua dès lors l’assise de la structure religieuse P’uon. »
Autels des esprits protecteurs de Vientiane, craints et vénérés
Les phi muang, étant des thaèn ancestraux, sont en quelques sortes les Lak muang euxmêmes
ou du moins leur mémoire. Les Lak muang sont à leur tour la mémoire des fondations. Les
cas de Vientiane font apparaître soit une évolution soit une variante dans la fonction des phi muang
protecteurs. Les phi muang gardiens et protecteurs, peuvent “ naître” soit au moment de
l’investiture des Lak muang dans un lieu précis (l’esprit de Dame Si) soit durant l’évolution des
muang. Dans ce cas, les phi seraient en quelques sortes la mémoire événementielle du muang, liés
au lieu de l’événement lui-même. Ce fut le cas du prince Mouy et de son autel dans l’un des
quartiers de berge de Vientiane.
Le nombre des phi, protecteurs de muang Vientiane, figure sur une impressionnante liste :
en examinant les sites et les autels, nous constatons que les esprits sont divers et ont une
personnalité très différente. Leur existence peut être également anachronique. Ils peuvent appartenir
à des temps irréels (temps reculés, immémoriaux) et à des temps historiques (anciens ou récents).
Les esprits des autels puissent le caractère sacré dans une puissance et une force qui fait craindre et
vénérer. Et cette force vient souvent d’une certaine forme de violence : esprit non reposé, esprit de
rébellion, esprit ayant connu un trépas violent, tels les esprits de Dame Si et du jeune bonze sacrifié
volontaire sous le lak muang. Plus le contexte de la mort est violent plus l’esprit est puissant. Y
figurent parmi ces phi muang, outre les esprits qui ont connu une morte violente, les personnages
provenant des mythes (tel, l’esprit du Naga) et les personnalités historiques confirmées par le
Phongsavadan. Ces derniers sont des monarques parfois des princes entrés en rébellion contre le
roi. Ainsi y a-t-il un autel dédié au Prince Mouy, gouverneur de Vientiane au XVe siècle,
remplaçant Phraya Khoua Passak571. Accusé de vouloir faire sécession, il se révolte contre l’autorité
de Luang Prabang. Exécuté à Done Chanh pour cette cause et incinéré en amont de la ville à
l’endroit où Vat Taï sera fondé en sa mémoire, le Prince Mouy est considéré comme un esprit aussi
sacré que le fondateur de la ville ou comme l’esprit du lak muang de Vat Simuang. Son autel serait
actuellement situé à Pak Passak (ou dans la maison en bois à Ban Phyavat ?) Ainsi, les divers autels
des esprits forment un chapelet de lieux qui parcourent la ville, le long de la berge et dans les
rizières, puis remontant vers les butes.
Le culte de l’autel des esprits semble être un catalyseur des violences ; une rédemption
pour les fautes et les injustices qui auraient été commises par la société et le pouvoir, d’où cette
réhabilitation des coupables potentiellement innocents. C’est sans doute pour cela que l’autel des
esprits ne disparaît pas malgré l’essor du bouddhisme et malgré son éradication sous le règne de
Phothisarat : les objectifs des deux cultes (culte bouddhique, culte des phi) ne sont pas les mêmes,
d’où leur coexistence. Le bouddhisme local va même adopter les autels des phi dans son panthéon,
fait qui apparaît dans un syncrétisme spatial et dans l’expression cultuelle qui caractérise bien le
bouddhisme lao.
Les autels des esprits qui se trouvent en amont de la ville sont curieusement moins connus
et reconnus par les habitants et par l’autorité publique responsable des affaires des cultes. Les
esprits qui les habitent sont souvent des personnages historiques locaux ; comme ce fut le cas du
prince Mouy et de Phravô et Phrata à Ban Sak Muang au XVIIIe siècle. Le premier ayant été
exécuté par le roi pour rébellion, devenait l’un des plus vénérés et des plus craints des esprits de
571 Phraya Khoua Passak était gouverneur de Vientiane avant le Prince Mouy. Sont palais se situait à l’emplacement actuel
de l’Ecole Technique de Pak Passak. Il serait retourné à Luang Prabang, appelé à régner sur le Lane Xang sous le nom de
Saya Chakaphat Paèn Péo, succédant à son père Sam-Saèn-Tai entre 1439 et 1470.
Fig. 79. Un
autel des
espritsDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Vientiane ; les seconds ayant également été exécutés par le roi de Vientiane pour trahison, seraient
devenus les esprits protecteurs du muang et auraient été vénérés sur l’autel de Ban Sak muang en
amont de Pakxé. Les deux cas explicitent une morte violente, teintée de sentiment d’injustice et
ressemblent aux actes sacrificiels de l’individu face au pouvoir et à la communauté. Les esprits
ayant connu un trépas violent, auraient ainsi été à même d’incarner la force et la puissance qui
faisaient craindre et vénérer.
Ce qui est intéressant du point de vue spatiale, c’est que le rôle symbolique des esprits
sacrifiés configurait l’espace du passé et semble aujourd’hui identifier certains villages et certains
quartiers comme un ancrage identitaire et territorial fort : les habitants se seraient notamment
reconnus comme appartenants au territoire circonscrit par la puissance de l’esprit et du phi en
question. Par ailleurs, les esprits peuvent communiquer avec les hommes qui les vénèrent et
lesquels ils sont sensés protéger. Cela permet à la mémoire des cultes et des croyances de se
maintenir vivant et de se perpétuer dans un lieu donné.
Ho de Ban Sak Muang
Ban Sak Muang aurait été fondé par Phrakhou Gnot kéo Phonesamet vers 1710, dans la
même décennie que la fondation du royaume de Champassak et donc de Muang Kao. Mais les
vestiges archéologiques trouvés dans les environs du village montrent que le site a été occupé par le
culte de Shiva : les yonis et les lingams ont été découverts. Il y a dix ans environ dix-sept statuettes
de bouddha en or, en argent et en bronze ont été mises au jour dans les mêmes environs, attestant
l’existant de deux couches d’occupation. Mais le pilier du muang ou sak muang renvoie plus à la
période de fondation lao tai au début du XVIIIe siècle qu’à la période antérieure : les hô qui sont
vénérés aujourd’hui sont ceux de Phravo Phrata, deux personnages historiques venant de Vientiane,
qui ont occupé un rôle important dans l’histoire du Laos occidental.
572 Ils auraient résidé un temps à
Ban Sak Muang, et après leur mort, les princes seraient devenus des phi protecteurs du muang, leur
hô sont implantés dans le monastère du village au bord du Mékong. Ayant commis des actes de
révolte et ayant été exécutés par le roi de Vientiane, au moins pour Phrata, leur statut de phi
protecteur du muang de Champassak aurait été calé sur le même principe que le Prince Mouy de
Vientiane. Mais il est probable aussi qu’il soit calé sur le principe des monarques divinisés. Phravo
Phrata étant appartenus à la famille des monarques tai thaèn, qui observent le principe de la
divination des Prince après leur mort, leur divination en phi protecteurs aurait alors été coutume.
Ho mahésak de Champassak
D’après le sens du terme en pali, mahésak vient de mahesakkha qui désigne le grand dévata.
Le hô mahésak serait consacré au grand dévata. Le culte du hô mahésak aurait donc été le même
culte que le devata luang dont Archaimbault avait suggéré l’existence à Luang Prabang et à Xieng
Khouang. En ce cas, le fait qu’il soit ainsi désigné, cela l’aurait placé au-dessus des autres devata et
l’aurait confirmé dans sa position comme le plus important hô, le plus important devata du
royaume. Si l’esprit du hô mahésak correspond ainsi au culte des Thaèn sous une autre forme, il ne
serait donc pas le culte local autochtone, mais de souche lao tai du Nord, introduit avant, ou, avec
l’implantation de la dynastie de Vientiane à Champassak vers la fin du XVIIe siècle.
L’autel et le culte de phi Mahésak de Champassack –ou du Pou ta “pour les intimes”573– est
caractérisé par son côté familial et clanique. Par le simple fait que si nous rencontrons toute
personne qui, une fois, allume une paire de bougies, une paire de cierges, pose une paire de fleurs
572 Ils auraient appartenu à la famille des princes du Sip Song Phan Na réfugiés au Lane Xang au XVIIe siècle, gouvernant
la région de Sakonakhone. Les descendants seraient plus tard les fondateurs au XIXe siècle de Muang Oubon Rajathani. 573 Les « intimes » ici sont ceux qui avaient des racines familiales dans les villages qui vénère le phi mahésak, en
particulier à Ban Phaphine où est siègé le hô. Ma famille est originaire de ce village, et enfant nous appelons l’esprit, Phou
ta, qui veut dire arrière grand-père paternel. Pendant longtemps nous pensons que c’est un vrai ancêtre qu’il s’agit. C’est
en lisant Archaimbault que nous avons su que phou ta est le phi mahésak de Champassak.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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rouges, offre un verre d’eau et un verre d’alcool, ensembles posés sur un plateau ; ceci, avant de
voyager, de passer son examen, de se marier, demandant une guérison, un vœu, etc., nous savons
que cette personne est forcément un “ enfant ” du Pou ta de Champassack. Bien que dans sa forme
de pratique ce culte provient du culte très général et classique des esprits protecteurs et bien
veillants, le culte tel qu’il est pratiqué à Ban Pha Phine-Champassak est lié à un contexte particulier
d’un culte antérieur local. Il s’agit de personnage qui semble historique, mais plus probablement
mythique. Nous pensons que ce particularisme cultuel exprime un désir d’ancrage géographique et
un localisme identitaire d’une partie des populations lao du Sud. Les habitants du village disent que
“ Pou ta est le Phra Inta ”, c’est-à-dire, l’esprit de Indra. Indra étant appartenu au panthéon
hindouiste, on peux penser que le culte du Pou ta est hindouiste. Mais aucune souche de la pratique
hindouiste en tant que telle n’a survécu dans les différentes pratiques religieuses lao. Par contre, il
aurait été tout à fait probable qu’un des personnages du panthéon hindouiste, saisi localement, ait pu
incarner pour les lao un “ esprit local ” qu’ils auraient vénéré pour confirmer leur ancrage au terroir
et leur désir d’appartenir à une identité locale ou de fusionner avec elle. C’est une sorte d’adoption à
l’envers : “c’est le nouveau arrivé qui adopte l’autochtone”. Le Pou ta aurait été en fait intégré dans
le clan et devenant “ par adoption ” l’un des ancêtres divinisés. Son culte est pratiqué comme un
témoignage d’affection, de respect et de crainte envers un illustre membre du clan et du terroir,
presque dépourvu de caractère religieux, puisque la population qui le vénère est bouddhiste et
pratique ce rite religieux quotidiennement.
Les exemples des phi heuane, phi ban, phi muang chez les Lü, une hiérarchisation territoriale
De manière générale, le principe de hiérarchisation des esprits protecteurs chez les Lao Tai
aurait été altéré. Il subsiste encore mais ne peut être appréhendé de manière intégrale depuis les
esprits de la maison jusqu’à les esprits du ban et du muang sur le même site. On peut encore
observer des rites concernant les phi heuane des foyers ruraux et dans des familles de souche d’un
quelconque village. Mais dans ce même village, on n’y trouve plus de phi ban, et dans le même
muang on n’y trouve plus non plus de phi muang. Dans un autre village on peut encore trouver des
rites des phi ban et plus du tout des phi heuane dans aucun foyer, ni de phi muang dans lequel le
ban s’inscrit. L’étude ne peut donc être réalisée qu’en des lieux indifférenciés. Nous évoquons les
traditions lü comme piste possible pour notre étude à l’égard de la question de gestion territoriale, à
petite et à grande échelle : dans la tradition lü, le culte des phi heuane, phi ban et phi muang semble
plus subsistant et présente aussi des éléments de compréhension moins altérés que chez les autres
Lao Tai de la plaine.574
Pour le phi heuane, soulignons que toutes les maisons lü possèdent le symbole du phi
heuane présenté à l’entrée des maisons, où dans la maison. Les membres du foyer évoquent souvent
les phi du foyer, ce sont dans la majorité des cas les phi parents morts. On n’y manque pas de leur
verser un verre d’eau ou un verre d’alcool, de leur présenter des fleurs, des cierges et des bougies
quotidiennement. Le plus visible, ce sont les boulettes de riz collées sur les murs, sur les rampes
d’escalier. Les Tai Dam font chaque année des grandes fêtes pour nourrir leurs parents et ancêtres
morts et toujours après la fête des phi ban.
Pour le phi ban, nous avons vu à Botèn, que l’importance du phi protecteur est encore
d’actualité (en 2008). Lorsque le village doit être détruit et les habitants déplacés en dehors du
territoire qui font l’objet de concession du golden boten city, le phi ban a été d’abord déplacé dans
le nouveau site accompagné de rites, avant que le monastère et les villageois ne le suivent. C’est au
cours de ce déménagement du hô phi ban que les habitants tentent de “connaître” le nouveau site :
le nouveau village sera-t-il prospère, les habitants seront-ils heureux, la terre sera-t-elle riche, les
574 N’ayant pas fait d’enquête approfondie, nous pouvons seulement noter quelques observations à travers les courtes
discussions et interview que nous avons pu avoir à Muang Sing, à Botèn et à Bountaï (Luang Namtha, Oudomxay,
Phongsaly), des études supplémentaires et approfondies devraient structurer davantage la question.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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phi se sentiront-ils bien, etc.? Toutes ces questions qui semblent tout à fait abstraites trouvent en fait
des réponses latentes, du moins une, dans la géomancie. Les habitants nous disent que le nouveau
site est mauvais d’après le phi ban : situé sur les deux côtés d’une route de passages denses vers la
Chine, dans un terrain trop accidenté, trop loin des rivières, vues trop encaissées. Et le village est
soumis à un éventuel éboulement, étant trop proche d’un côté de la pente d’une colline qui a été en
occurrence creusée pour faire passer l’emprise de la route. Alors que le vieux village qu’ils doivent
quitter présente une situation idyllique : le village est en retrait, relié par un chemin à la grande
route. A l’entrée du chemin il y a une mine de sel assez importante ou les villageois y travaillent
depuis très longtemps (une carte du début du siècle montre qu’il y avait déjà des mines de sels dans
la zone). Une petite rivière passe dans le village, et un ensemble de rizières, de jardins potagers et
de vergers l’entourent.
Les exemples lü ne démontrent pas une autre forme de culte des phi et des devata. Dans
leur conservation hiérarchique –du phi de la maison au phi du ban et au phi du muang–
l’organisation de l’autorité des phi protecteurs chez les Lü (mieux conservée) reflétait leur
organisation territoriale. Autrefois il aurait été probablement de même chez les autres Lao Tai de la
plaine. Mais l’organisation des villages et des villes de ces derniers a plus ou moins perdu cette
pratique de base. Si certains villages pratiquent encore le culte du phi ban de manière fragmentée –
c’est-à-dire sans le culte du phi muang (notamment le cas de Ban Ilay Nakha), beaucoup ne le
pratiquent plus du tout, ni l’un, ni l’autre. Le schéma spatial dessiné successivement par le culte des
phi heuane, phi ban et phi muang définit en fait une hiérarchisation spatiale et une circonscription
territoriale attachée à chaque phi et reflétant le type de circonscription territoriale et politique de la
société du muang tai lü, dans lequel les Tai Lao doivent aussi y trouver leur compte d’une manière
ou d’une autre. Les exemples lü semblent montrer l’intégrité de ce qu’avait pu être l’organisation
spatio-cultuel de la société du muang des Lao Tai avant son altération. En occurrence, le cas lü
montre que ce n’est pas le bouddhisme qui a joué un rôle déterminant dans cette altération, puisque
le bouddhisme lü est autant plus pratiqué avec ferveur que ne le sont les autres villages et villes lao
de la plaine.
Le phi ban à caractère rural, l’exemple de Ban Ilay Nakha
Ilay Nakha, situé à une trentaine de kilomètres de Vientiane, est majoritairement de
Phouans et aussi de Tai Dam. La fête du hô ban doit a priori avoir un lien avec celle de Xieng
Khouang et celle des Tai Dam. Mais ici, les rites qui ont lieu deux fois par an sont axés sur le
monde agraire. Le premier appelé lieng Kheun (festivité ou nourriture de la lune montante) est
célébré à la fin des récoltes vers le mois de février, troisième jour de la lune croissante. Il est destiné
à remercier les génies de la bonne saison et des récoltes fructueuses de l’année. Le deuxième rite,
appelé Liang Long (festivité ou nourriture de la lune descendante) est célébré vers le mois de mai,
troisième jour de la lune décroissante, durant la période préparative de labourage des rizières. On
sollicite les génies du ban pour que l’année soit bénie et riche et que les récoltes soient bonnes. Les
deux rites sont dirigés par un mô cham, capable de communiquer avec les esprits. Le hô phi ban est
dressé à l’écart du village et les rites sont tenus à l’endroit où est dressé le hô. Très probablement
parce qu’il faut que de tels rites soient entrepris en dehors de l’enceinte du village bouddhiste qui
rejette l’acte sacrificiel d’animaux. Or effectivement les villageois donnent les uns l’alcool de riz,
les autres de la volaille, du cochon pour les préparatifs des nourritures au phi.
Il semble clair ici que l’absence de potentat et de stratification politique forte dans la
structure sociale villageoise et agraire donne aux rites du hô ban un aspect plus populaire par
rapport aux rites dédiés aux génies des ban à Xieng Khouang. Ici, il s’agit probablement du culte du
terroir car on invoque les génies de la terre ; à moins que les rites avaient les mêmes origines au
départ, mais que dans un contexte agraire, où la vie sociale et économique des habitants est basée
sur les activités agricoles, les rites se seraient transformés en cultes des génies du terroir. Et les phi
ban seraient aussi, de fait, devenus des phi du terroir.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le phi ban de Ban Ilay Nakha est aussi différent des phi protecteurs du centre de Vientiane,
du fait de son caractère très lié au terroir et aux activités rurales et agricoles du ban qu’il patronne.
Le phi ban habite dans un autel en bois, appelé ho ban, situé à l’écart du village. Selon les habitants,
le fait de disposer l’autel à l’écart du village est lié au fait que tout ce qui se dit et se fait ne doit pas
être vu et entendu par le phi. Les rites, accompagnés de sacrifices animaux, sont collectifs, les
villageois y participent immanquablement sans prosélytisme, comme une festivité. Comme
beaucoup de villages qui effectuent ce rite, durant la période du liang ho []P’s=] ou du kam ban
[da,[kho], le village est interdit aux personnes étrangères : un symbole confectionné avec du bambou
à l’entrée du village marque cet interdit. Dans son ensemble le kam ban à Ilay n’est pas très
différent des autres villages qui observent encore ce rite, avec quelques variants près. Sachant que
les habitants sont majoritairement originaires de Muang Phouane, ou du moins le village a été fondé
par les phouans, il serait probable que les rites étaient imprégnés des rites de Xieng Khouang,
étudiés par Archaimbault.
Ce qui est essentiel ici, c’est la liaison entre les phi protecteurs et le caractère rural et
agricole du culte. Ce qui peut sous-entendre qu’il existerait des phi du terroir, ou garantissant la
continuité du terroir. Par ailleurs, à la différence du culte des pieux qui met en valeur les rites du
Centre, et, à la différence du culte des ancêtres fondateurs, sorte d’esprits claniques qui assuraient la
lignée des gouvernants (culte des thaèn à Xieng Khouang), ou des rites pour l’ancrage de l’identité
locale (phi mahésack), ici le phi ban ne vit pas dans le même espace que les villageois qu’ils
protègent et ne rentre donc pas directement dans l’organisation sociale et politique du ban. Il serait
vraiment attaché à la prospérité agricole et du monde rural.
Les implications probables des autels des phi et l’organisation spatiale
Les esprits sacrés et leurs autels sont nombreux et de différents types. Nous avons déjà
évoqué précédemment les autels des devata et des phi protecteurs, nous tentons ici de comprendre
quels schémas symboliques et quels modèles spatiaux peuvent-ils dégager des exemples que nous
avons évoqués.
Le tiao song ou mô cham, cas de Vientiane
La communication entre les esprits et les hommes chez les Lao est une affaire courante. Elle
se fait par l’intermédiaire de phou khao song ou de mô cham ou de nang thiam [z6jg0Qk-q’F s,=9EF
ok’mP,]. A Vientiane, aujourd’hui les tiao song sont nombreux et très organisés. C’est un réseau
cultuel hiérarchisé, constituant une véritable religion avec ses pratiquants, ses adeptes, ses novices
et ses maîtres. Il y a aujourd’hui une revivification générale du culte des phi, on peut même dire
qu’une structure parallèle au bouddhique revient en force. Les tiao song ainsi que leurs disciples
habitent généralement dans les villages en amont de la ville, du côté de Muang Va, Sikhaï, Vat Taï
et Khao Lyéo (pour Vientiane). Il est de même dans le sud du Laos : Ban Sak Muang, siège d’un
esprit très vénéré, est situé en amont de Pakxé, très en amont de Champassack et de la vieille ville
Muang Kao.
A Vientiane, chaque année au mois de février,575 les tiao song viennent de tout le pays, mais
aussi du pays Issane, de Chiangmai, de Nan, etc., pour effectuer des rituels collectifs. Chaque tiao
song qui le désire peut organiser le rituel annuel chez lui. Après avoir reçu l’autorisation du chef
spirituel qui l’aide à fixer le jour, le tiao song organisateur peut monter un pham (pavillon rituel)
avec le concours du grand tiao song et les autres tiao song et novices. Il y convie les tiao song de la
ville et des provinces, parfois il convie même les tiao song des pays étrangers. Le rituel est en fait
une grande festivité de libération et de joie organisée pour les phi, une fête où les tiao song dansent,
575 Il semble que le grand culte annuel des esprits partout au Laos a lieu au mois de février. A Champassak par exemple, le
culte des phi f’a a lieu également en février. Nous n’avons pas pu approfondir plus le culte phi f’a à Chamapssak, nous
savons seulement que si le culte du Pou ta caractérise ban Pha Phine, cela en fait son honneur et le monastère bouddhiste
en fait aussi son affaire, le culte des phi f’a semble moins bien vu par la nomenclature du village.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 329 -
mangent et boivent à volonté toute la journée accompagné de musiques et de danses rituelles. Au
cours du rituel les danses sont rythmées par la danse de sabre autour d’un arbre reconstitué
(bananier ?) et garni de fleurs, de cierges, de bougies, de fruits variés, faisant office d’autel. Les
danses sont rythmées aussi par le fait que chaque mô cham est habité successivement par différents
esprits qui les ont habituellement habités. Chaque fois qu’ils changent d’esprit, ils changent d’habit
pour les symboliser. Tout le rituel doit avoir lieu dans le pavillon monté pour la circonstance et peut
être regardé librement par les passants et habitants du village, mais il est interdit que ces derniers
pénètrent dans l’enceinte du pavillon, si les personnes ne font pas partie de la famille des tiao song.
A la fin du rituel, les tiao song peuvent attacher le cordon blanc aux poignets des personnes de
l’assistance leur souhaitant la santé et la prospérité.
Schéma organisationnel des phi, et ancrage de la structure spatiale.
Si le Sangha a toujours eu une organisation très structurée avec une sorte de diocèse
hiérarchisée (un vat est dirigé par un vénérable du vat, un muang par un grand vénérable du muang,
et ainsi de suite, de la province jusqu’au pays, etc.), cette hiérarchie est axée sur une organisation
administrative et ne détermine pas un territoire. Alors que l’organisation du culte des phi f’a semble
couvrir l’organisation territoriale de manière très large, dépassant étonnamment les territoires
politiques d’un pays. Par exemple, le grand maître actuel de Vientiane qui habite du côté de Sikhaï
est plus important que le grand maître qui vit à Chiangmai. Ceci, parce que l’un des plus vénérés,
des plus craints et des plus importants esprits aurait choisi de l’habiter ou de communiquer avec les
vivants à travers lui. Le tiao song de Vientiane a à peine quarante ans, alors que les autres sont plus
âgés.
Aujourd’hui, les autorités officielles du Laos accordent plus de libertés aux cultes des phi,
il serait même permis d’effectuer une étude plus poussée sur ces cultes. Très liée à l’espace dans le
sens où les phi que les tiao song incarnent ont une importance qui couvre chacun un territoire,
l’étude de l’organisation hiérarchique et cultuelle des esprits pourrait apporter des éléments de
compréhension du point de vue de l’organisation spatiale des régions concernées. Elle pourrait
probablement aider à mieux comprendre l’organisation socio spatiale d’une partie du Laos sans le
bouddhisme ou parallèle au bouddhisme. Car contrairement à la conception générale, l’organisation
sociale du passé ou d’aujourd’hui en dehors du bouddhisme existait et existe toujours. Elle
s’organise et se structure aussi bien, avec un ancrage local et territorial plus prononcé que celui du
bouddhisme. Malgré l’importance de son imprégnation et de la grande valeur civilisatrice qu’il a
apportées au Laos, le bouddhisme s’avère être une importation qui n’a jamais pu enrailler le culte
des phi.
La pratique spatiale liée au culte provenant du passé et persistant au présent révèlent des
archétypes spatiaux certains. Notons d’abord qu’à Vientiane, il y a une concentration forte du culte
des phi et des esprits en amont de la ville, maintenu vivant. Son chef spirituel et hiérarchique vit
dans cette partie de la ville. Alors que les autres cultes, relégués aux traces de vestiges
archéologiques ou substitués par des pratiques ultérieures (notamment le culte du poteau de la ville
qui a été bouddhisé, placé au coeur du sanctuaire de Vat Simuang) sont plus en aval de la ville.
Dans les autres parties de la ville : points culminants, réseaux souterrains et zones basses, etc., le
culte des esprits semble moins présent. Probablement parce qu’il est moins concentré et plus
géographiquement éparpillé dans la ville. La répartition cultuelle des esprits dans la ville de
Vientiane semble nous révéler deux choses importantes. La première explique que l’amont de la
ville compose une unité homogène. La deuxième explicite le fait que l’organisation éparpillée des
lieux cultuels des esprits par tout ailleurs dans la ville peut être liée aux contextes plus
géographiques du site, et les esprits qui habitent les lieux sont plus mythiques ; alors que l’amont de
la ville rassemble des histoires et des personnages plus singulièrement humains.
Ces schémas sont-ils révélateurs d’une histoire de constitution spatiale de Vientiane ? Le
Tamnan Oulangkhrathat qui fait de Vientiane une implantation bipolaire : avec l’établissement de
Khambang en amont, vers Sikhaï et Kaolyo et l’établissement de Burichanh dans la plaine de Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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rizières (du côté de Phonekèng-Hongsèng et de Ban Phay-Nong Chanh ?), s’avèrerait-il plausible ?
Si la réponse ne peut être obtenue avec aisance, ces cultes et leurs lieux contemporains permettent
de poser ouvertement ces questions. En tous les cas, c’est grâce à la persistance des pratiques
spatiales liées aux cultes et sous certains aspects (et non pas grâce aux traces proprement dites), que
les symboliques en tant que formateurs de modèles spatiaux se révèlent et nous parviennent. Ceci,
en forgeant des modèles d’usage et des pratiques de l’espace, au courant de leur évolution et dans
leur organisation, pouvant actualiser certains traits de leurs morphologies.
Les pieux de fondation et les lak muang
Nous avons vu que les phi muang sont en quelques sortes la mémoire des lak muang,
c’est-à-dire ce qui reste des lak muang- et également une certaine mémoire événementielle du
muang. Et à son tour les lak muang sont la mémoire des actes de fondations et du pouvoir de ceux
qui fondent le muang, c’est-à-dire ce qui reste de l’origine des fondations. De cette idée nous
retenons que le lak muang (sa matérialité et son symbolisme) est la mémoire politique et sociale, la
matérialité des fondations primitives, qu’elles soient urbaines (lak muang) ou villageoises (lak ban).
Une comparaison est à faire avec la pratique des pieux de la société Karen bouddhisée, elle peut
apporter quelques éclaircissements à la pratique des pieux des fondations lao. Ce qui se passe pour
les Karen est sans doute comparable à ce qui se passe pour les lak ban de certains villages lao dans
leur passage du culte des phi au culte bouddhiste, même s’il ne s’agit pas de la même époque, ni de
la même symbolique : on ignore si les lak ban des Karen ont la même portée symbolique que celle
des lak muang et des autels des phi chez les Lao que nous avons identifié précédemment comme un
catalyseur de violence sociale et politique d’une société complexe.
Dans son court article «le pieu du chédi vient du pieu de lak ban, dans la culture des
Lawa », Sourinh Leualamay576 explique que le pieu de lak ban des Karen Pholuang [3rs];j’] de
Ratchbury et de Phetchbury, a reçu l’influence de la culture lawa, les autochtones de l’Ouest.
Depuis le règne de Rama Ier, les deux communautés se sont assimilées pour former presque la même
communauté. Lorsque les Karen s’implantent quelque part, leurs traditions veuillent qu’ils fixent un
pieu lak ban pour marquer le centre religieux où sont localisées toutes les croyances du village et
c’est aussi l’endroit où ont lieu les activités collectives. Ce pieu serait assez haut, environ 4 mètres.
Lorsque le bouddhisme est adopté par cette communauté, grâce à un moine karen, la fonction et le
symbole du pieu ont été changés : il devient le saô chédi [glqkg9fu] “ pieu du chédi ” bouddhique. Ici,
le phi et le Boddhi se sont en quelque sorte fusionnés. Le sao hong [glqk3s’] (l’élégant pieu)577 est
alors construit devant le chédi selon la culture bouddhiste mône, parce que le moine karen qui a
introduit le bouddhisme chez les Karen a vécu auparavant à Muang Thava, une ville
majoritairement mône. Après le sao hong, on y plante l’arbre du boddhi et du frangipanier, et enfin
on y construit le sala. Cela en constitue dès lors un monastère bouddhiste à la manière karen. Le
premier type de vat karen de ce genre se trouve à Ban Phouprou (district Nong Gnapong, province
de Phetchburi). Il se développe ensuite à différents endroits : depuis le district Kengkachang Pak
Thô jusqu'au district Souanpheung dans la province de Rachatburi. Mais petit à petit les sao chédi
de ces vat seront abandonnés ou négligés. Ils ne seront remis au goût du jour que récemment, à
travers leur restauration, voire, leur nouvelle réimplantation, avec l’exemple à Souan Pheung, Ban
Phong, Katingbon et Ban Bo. Aujourd’hui, la tendance est de changer de pieux. Ces derniers auront
nettement un aspect plus ouvragé que les anciens qui ont été remplacés, tel celui de Ban katingbon,
réimplanté en 2008.
A travers ces exemples, trois éléments peuvent ouvrir des pistes de réflexion sur les pieux
de fondation au Laos : 1- nous apprenons que le lak ban (pieu de village) est d’origine lawa avant
576 “Sao chédi ma chak sao lak ban vathanatham Lawa”, Muang Boram Journal Vol 34. N3, July-Sept 2008. L’article est
accompagné d’un dessin d’illustration en couleur montrant des individus entrain de planter le pieu Lak Ban. 577 [3s’] Hong, est un oiseau mythique, sorte de phénix. Employé dans le vocabulaire architectural il représente l’élégance
et la noblesse des formes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 331 -
d’être adopté par les Karen. 2- nous constatons que le lak ban en tant qu’objet de culte ne disparait
pas après la conversion au bouddhisme des villages. Au contraire, il acquiert un statut dans le culte
bouddhique en devenant le sao chédi, “ pieu du stupa”, un objet autonome avec une désignation
propre de sao hong [glqk3s’]. En d’autre terme, il s’est ajouté en tant que nouveau programme dans
l’espace bâti religieux bouddhique. 3- ce sao hong construit devant un stupa rappelle les monastères
et la tradition bouddhique mône de Thava (Birmanie). Les Môns eux-mêmes, comme les Karens,
ont été influencés par les Lawa autochtones dans le culte des lak ban et lorsqu’ils ont assimilés ces
derniers, ils ont assimilé et conservé aussi leur tradition des pieux, mais comme éléments qui
accompagnent les stupas bouddhiques. En ce cas, ils auraient finalement eu la même réaction puis la
même pratique que les Karens, mais à une époque plus reculée. Ces constats nous éclairent sur le
fait que c’est une conversion classique au bouddhisme des traditions antérieures.
Vraisemblablement les pieux qui représentent à l’origine un culte antérieur ont été adoptés par les
communautés (bouddhistes ou non) arrivées postérieurement, qu’elles soient mônes, karennes ou
tai. Nous n’avons pas d’exemple de Vat lao avec un pieu qui accompagne le that. Par contre, le cas
du pilier Pancasila de That Luang qui marque les cinq préceptes bouddhiques, pourrait être la
mémoire de ce pieu et de cette croyance antérieure réappropriée sous une autre forme par les
Bouddhistes lao.
Nous pouvons penser que l’implantation des pieux dans les villages à des fins cultuels est
d’origine aborigène Lawa et Swa, culte et croyance qui va perdurer sous des formes variées chez les
communautés installées postérieurement : les Môns et les Tai vont les adopter et les intégrer dans
leur culte bouddhique respectif. Le rôle protecteur et de mémoire des fondations de ces pieux
demeure et se prolonge même si le contenu est substitué par des croyances nouvelles.
Le lak muang de Vat Simuang semble être également un cas de substitution, mais le lingam
vénéré comme le lak muang ne peut partager la même origine avec le lak muang dont nous avons
évoqué le contenu jusqu’à maintenant. Le lak muang dans le monde tai est le symbole de la
divination des monarques Thaèn f’a après leur mort, devenus des devata protecteurs du muang. Et
surtout, matériellement les lak muang des Tai n’auraient jamais eu des formes en pierre de la taille
du lingam de Vat Simuang, mais plutôt sous forme d’autel, avec reposoir, sans images ou objets de
représentation. Les deux histoires qui tentent d’illustrer le lak muang de Simuang ne peuvent se
recouper avec le lak muang des Tai : la première évoque l’acte sacrificiel de Dame Si et d’un jeune
bonze qui se sont volontairement jetés dans la fosse pour incarner l’esprit du muang ; la deuxième
étant une preuve archéologique : le lingam, relevant du culte shivaïte, réfute tout rapprochement
avec le culte des phi des Lao Tai.578
Les pieux du Dhamma, les lak tham de Ban Phaylom
Le lak tham [s]adma,] (pieux du dharma), à première lecture, fait partie de ce qu’il y a de
plus traditionnel d’une fondation religieuse, dont l’objet étant la consolidation dans l’espace des
fonds idéologiques du bouddhisme. Le contexte de la fondation du lak tham de Ban Phaylom fait
apparaître une particularité idéologique intervenue dans une période donnée de l’histoire du Laos, et
ne semble pas représentatif de la tradition religieuse classique. En d’autres termes, il ne s’agit pas
seulement ici de pieu des cinq préceptes bouddhistes, ou de pieux en tant que mémoire des anciens
cultes aborigènes. Le lak tham fait transparaître la naissance d’un nouvel espace, d’un mode de
production des établissements villageois et urbains d’une époque donnée. Situé à 26 km du centre
de Vientiane, il occupe une position centrale dans la zone de Ban Houa Xieng (“ village à la tête de
la ville ”) anciennement occupé par un ensemble de villages qui ont aujourd’hui disparu. Dans les
578 Le lak muang de Vat Simuang peut être comparé à celui de Khorat ou d’autre ville de la région d’Issane, où des
histoires semblables ont été racontées : l’autorité du muang aurait lancé des appels à ceux qui se porteraient volontaires
pour devenir l’esprit sacré protecteur du muang. Et lorsque personne ne se propose, il suffit pour un habitant de passer par
là, aussitôt on l’attrape et le jete vivant dans la fosse.
Fig. 80. Un
Autel rituel
phi F’a à Ban
Khounta-tha. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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années 1950, des ruines de fondations anciennes ont été repérées dans le périmètre qui regroupe
Ban Na Nong [okov’], Ban Na Gnan [okpa’], Na Ban Toum [ok[hko86,] et Ban Na ké [okc7]. Dans
ce dernier village qui jouxte Ban Phay Lom, des bouddha et des jarres funéraires de petite taille, ont
été exhumés, mais nous avons perdu aujourd’hui la trace de leur conservation et n’avons donc pas
pu connaître leur origine. Ban Phay Lom est constitué uniquement de Lao Loum, sa particularité
c’est sa manière de pratiquer le bouddhisme et l’existence de ses lak tham, un cas unique dans la
plaine de Vientiane, du moins s’il en avait pu exister, cette tradition n’a pas été conservée ou a été
perdue.
Les lak tham sont constitués de cinq pieux en bois disposés aux quatre coins extérieurs du
village. Le cinquième est planté dans la cour de la pagode, dans un pavillon d’abri construit à même
le sol. Ayant une appellation très générique, chaque lak tham n’a apparemment pas de nom
particulier, désignés au gré des situations de leur implantation. Le premier pieu visité est implanté
dans l’enceinte du monastère, dans le coin sud-ouest, appelé le “ pieu du dharma du monastère ”. Le
deuxième est implanté proche du premier, à une centaine de mètres, sous un ficus, à l’est du
village ; le troisième sous un arbre, “ None Kok Som Hong ” (le Sterculia foetida, de la même
famille que le cacaoyer) au nord du village ; le quatrième dans un champ à l’ouest du village ; le
cinquième, à None Sao-é (sur la bute aux jeunes filles parées), au sud du village. Toutes les
implantations sont dégagées et hautes par rapport à la planimétrie des rizières qui entourent le
village. Sous chaque pieu est enterrée une fine plaque métallique (étain, argent, or ?) gravée de sutra
du dharma. Pour les habitants, en entourant ainsi le village, les pieux protègent le village des phi
[zu] et des mauvais esprits. Ils marquent et délimitent l’espace dans lequel il est interdit de pratiquer
autre culte que le bouddhisme, en particulier le culte des phi longtemps pratiqué, mais chassé et
interdit au village depuis.
Les essences de bois utilisées pour fabriquer les pieux sont des mai chik [w,h9yd], shorea
obtusa wallich, et mai haï [w,hwI], ficus species generally, plantes hautement symboliques dans
l’histoire du bouddhisme.
579 Les pieux sont enfoncés dans le sol à environ 40 cm ou plus, laissant la
partie visible à environ 1m ou 1,20m. La forme des quatre pieux est arrondie, à partir de la taille
octogonale. La partie supérieure du pieu est entaillée profondément, formant comme une fleur de
lotus non éclose. Le cinquième pieu, situé dans le monastère, est le plus important : il est angulaire
et entièrement doré.
Les habitants du village sont exclusivement bouddhistes, les autres confessions étant
interdites. La tradition religieuse donne un rôle essentiel aux lak tham. Une fois l’an, à la plaine
lune du sixième mois, un grand rituel, Beuk ban [g[ud[hko] “ libération du village ”, est consacré aux
pieux. Chaque habitant confectionne un plateau triangulaire, Kathong Na Ngnoua [dt3m’sohk’q;],
réalisé avec les tiges de bananier et rempli de fleures blanches, de bougies, de cierges, de riz noir,
de riz rouge, de poissons pourris, de poussons séchés, etc. Réunis à la pagode les plateaux sont
bénis collectivement par les moines, ensuite, sont déposés au pied des pieux et encore une fois,
bénis par les moines sur place. A la fin des rituels, on tire les fusils en l’air et les coups de tambour
sont donnés, symbolisant la chasse aux mauvais esprits, la victoire du dharma. Le rituel est aussi
sensé apporter santé et prospérité aux habitants et confirmer de manière spectaculaire leur adhésion
au bouddhisme et leur refuse du culte des phi. Il y a cependant une ambigüité : les ingrédients
placés sur les plateaux ne sont pas des produits que nous trouvons habituellement dans les offrandes
destinées au bouddha, ni aux esprits des parents défunts, mais aux plateaux du culte des phi. Cela
579 Les deux essences de bois appartiennent aux essences utilisées dans les rites religieux. Le Ficus est considéré comme
l’arbre qui a abrité Bouddha au moment de sa naissance et de son Eveil. D’après Michel Bizot l’arbre de l’Eveil serait
plutôt un Figuier et non un ficus religiosa. Le Shora Obtusa est utilisé pendant la mise au feu de la femme après son
accouchement. Dans Thamnan Oulangkhrathat, est évoqué le symbolique de mai Chik [w,h9yd], Shorea obtusa Wallich et
mai Haï [w,hwI], Ficus species generally. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 333 -
voudrait dire qu’une fois l’an, on appelle les phi pour les nourrir et ensuite, on les chasse pour qu’ils
ne viennent pas déranger les habitants tout le long de l’année. Ces phi viennent chercher leur
nourriture à la limite du village au pied des poteaux puisqu’ils ne peuvent pas pénétrer dans l’aire
délimitée par les pieux du dharma. Ce rituel montre que l’on reconnaît l’existence des phi, mais on
ne les tolère pas dans le village.
Les pieux peuvent être remplacés lorsqu’ils sont détruits par les termites ou autres
intempéries. Un grand rituel sera organisé pour accompagner le moment de retirer l’ancien pieu et
au moment d’en remettre un nouveau. Pour les deux pieux nouvellement remplacés vers 2004, la
nature symbolique des essences n’a pas été respectée : ils ont été remplacés par des pieux en béton,
dont la qualité esthétique ne semble pas importante.
En ce qui concerne la vie sociale du village, notamment les mariages, les festivités, les
autres pratiques semi-religieuses, les habitudes alimentaires, nous relevons des contraintes que nous
ne voyons pas ailleurs chez les Lao Loum. Les futurs époux ou épouses qui viennent d’un autre
village savent qu’ils doivent respecter la spécificité religieuse de leur belle famille. Le maître de
cérémonie, un sala vat demande autorisation, protection et bénédiction aux lak tham avant
d’introduire les futurs époux et épouses étrangers, afin qu’ils puissent trouver santé et prospérité
dans la famille et le village d’accueil. Il est interdit de tuer des animaux, domestiques ou autres,
dans le périmètre du village délimité par les lak tham [s]adma,], et le jour du Bouddha, il est interdit
d’y introduire de la viande.
580 Le rituel de la récolte de riz est autorisé à être fêté à la pagode. La fête
des fusées est tolérée seulement lorsqu’il y a des mauvaises récoltes ou lorsqu’il n’y a pas assez
d’eau pour la culture. La fête des morts, le Boun kao padap dinh [[6og0Qkxtfa[fyo], est pratiquée
normalement en mémoire des parents défunts, mais pas dans un esprit de nourrir les phi. Il est
formellement interdit d’avoir dans son jardin et chez soi les autels des esprits et des génies
tutélaires, hô phra phoum [s=rtr6,], d’invoquer les esprits des parents, phi po phi mé [zur+ zuc,j] au
moment des fêtes ou dans quelconque évènement.
D’après les anciens, Ban Phay Lom aurait été fondé il y a 450 ans par Khun Sivongsa,
venu de Muang Phouan Noy avec une petite colonie.581 Ils seraient venus à Vientiane pour participer
à la construction du That Luang 582 en fournissant des matériaux de construction. Dans l’enceinte du
vat, nous y trouvons effectivement des grands blocs de latérite taillés, du même gabarit que les
blocs utilisés pour la construction du That Luang. En occurrence, le sol de Ban Phay Lom est
constitué de dalles de latérite effrité [fyosok,s,kd7v,].
583 Il n’est pas impossible que les blocs
utilisés pour la construction du That Luang soient en partie taillés ici, comme le rapporte la
mémoire du village. Il est, en tout cas, évident qu’il y a un rapport entre le village et le That Luang.
Cependant, sachant que That Luang a été bâti par-dessus d’une fondation antérieure, signalé par
l’existence de vestiges sous le that,
584 il est probable aussi que ces blocs aient pu appartenir à une
580 A ce sujet, mon informateur me signale, une année après mes enquêtes au village, qu’un accident est arrivé à son amie
qui a bravé les interdits : « elle a par omission introduit de la viande dans le village le jour du Bouddha. Des symptômes et
des troubles apparaît chez elle. La médecine moderne n’a pas pu diagnostiquer de maladie. Les sages du village et les
moines pronostiquent une infraction dans l’espace délimité par les pieux du Dhamma. Une cérémonie de bénédiction a dû
être faite pour qu’elle puisse guérir ». 581 Les habitants disent qu’ils viennent de Muang Phouan Noy (petit Muang Phouan). Les personnes intérogées ignorent
ce muang de Xieng Khouang. Nous pensons qu’il s’agit de Muang Kham, dans la mesure où ce muang est dirigé par la
branche cadette des princes Phouans et il a toujours été secondaire par rapport à Muang Khoun. 582 Au moment des travaux de restauration de That Luang par Fromberteaux, on voit apparaître les blocs de latérites dans
le socle des soubassements intermédiaires du Grand That. Ces vestiges mettent en évidence l’existence d’un autre
monument antérieur, recouvert par celui de Sethathirat. Cf. « Chronique. Laos – L. Fomberteau : travaux de restauration
du Vat Sissaket et du That Luong de Vieng Chan », BEFEO 30/3-4, p. 583-585 ; « Chronique. Laos : restauration du That
Luong de Vieng Chan », BEFEO 31/3-4, p. 623-625 ; « Chronique. Laos : restauration du That Luong de Vieng Chan »,
BEFEO 34/2, p. 771-772. Re cité par Michel Lorrillard in : « Les inscriptions du That Luang de Vientiane : données
nouvelles sur l’histoire d’un stupa lao », BEFEO, 2003-2004, 90-91. 583 Par leur qualité stabilisatrice, ce type de terre est aujourd’hui utilisé pour la construction des routes, il constitue la
couche la plus importante de la chaussée. 584 Mayouri et Pheuiphanh Ngaosrivathana évoquent également les éléments bâtis anciens antérieurs du That Luang
comme des constructions qui auraient fait parti des anciens grands établissements môns et khmers : notamment de la route
Fig. 81. Le
pieux lak
thamDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 334 -
époque antérieure. Ce qui voudrait dire que le village existe antérieurement aussi. Cela nous oblige
à situer le village au moins au moment de la refondation du That Luang à l’époque de Phothisarat et
de Sethathirat, au courant de la première moitié et au milieu du XVIe siècle. A Ban Donnoun, situé
au kilomètre 12 entre Vientiane et Ban Phay Lom, nous n’avons pas connaissance d’histoire se
rapportant à That Luang, et pourtant nous retrouvons une grande quantité de blocs de latérite
semblables. Les villageois les ont récupérés déjà taillés dans les rizières à Dong sang hin [fq’lkh’suo],
“ forêt pour confectionner les pierres ”, se trouvant à côté du village, et les ont réutilisés pour la
construction du rempart de leur vat au début du XXe siècle. Il est donc probable que cette zone ait
été une clairière d’exploitation de latérite, quelle que soit l’époque, mais au moins à l’époque de la
refondation du That Luang.
Selon ses habitants : « Il y a très longtemps aux origines lointaines, les habitants faisaient
des cultes aux phi. Ils faisaient des sacrifices et consultaient les médiums et les sorciers. Il y avait
toujours eu des mauvaises récoltes, des maladies et des morts. Le malheur du village serait venu de
ce culte des phi ».
585 Le culte évoqué apparaît pour eux comme archaïque, poussé à son paroxysme.
« Les sacrifices animaux étaient lourds et pouvaient avoir lieu toute l’année chaque fois qu’il était
nécessaire de satisfaire les phi. Cela allait de la volaille jusqu’au bovin. » Dans une société agraire
et villageoise vivant de l’élevage et de l’agriculture de subsistance, dont les besoins étaient réduits
au strict minimum, les sacrifices animaux auraient appauvri le village et les cultes, abruti ses
habitants. Ces derniers auraient alors recherché collectivement un autre appui spirituel. Le culte
bouddhique dans lequel ils ont trouvé appui aurait été pratiqué, par la suite, avec une volonté
inhabituelle, comme “ le combat du bien contre le mal ”, dont l’objectif étant la destruction
complète du culte des Phi.
La pratique du bouddhisme marquée par les pieux lak tham aurait donc été instituée dans le
contexte d’un renouvellement, que les habitants associent à la création du village lui-même. Or tout
porte à croire que la zone concernée a été habitée bien avant la refondation du village et bien avant
sa conversion au bouddhisme. Pour la mémoire orale, le lak tham a été instauré en même temps que
le village il y a 450 ans. Mais cette mémoire remonte seulement à trois générations de maîtres de
cérémonie. Au-delà de trois générations la mémoire devient imprécise et il y a peu d’information
sur les pieux. Le plus ancien maître de cérémonie parmi les trois est Gnapô Lak Kham [pkr+s]ad7e].
Il s’est occupé des pieux au début du XXe siècle. Le deuxième est Gnapô Bouadèng [pkr+[q;cf’],
maître de cérémonie dans les années 1940-1950. Une grande cérémonie de rappel à la protection du
dharma a été réalisée durant son exercice.586 Le dernier est Pôtou Lieng. Celui-ci a remplacé les
deux des cinq pieux de bois par les pieux en béton. Chaque génération a renouvelé le rituel, soit par
un rituel de “ rappel du grand dharma ” soit par le remplacement des pieux délabrés, soit les deux
rituels à la fois. Dans tous les cas, les entretiens laissent transparaître chez les maîtres de cérémonie
des fortes personnalités possédant un savoir et venus de l’extérieur du village. Cependant le dernier
maître de cérémonie est appelé Pôtou [r+86h] “ vieux père ”, sans connotation de personnalité lettrée,
alors que les autres se nomment Gnapô [pkr+], “ vénérable père ” avec une connotation nette de
personnalité instruite. Y a-t-il ici la mise en évidence d’une dégénérescence, d’un appauvrissement
du savoir dans la manière de perpétuer le rituel : Pôtou Lieng, en remplaçant les pieux en bois par
les pieux en béton, méconnait-il l’aspect symbolique des essences de bois utilisés.
Il est probable aussi que les villageois aient pu perpétuer une mémoire qui n’est pas la
leur, mais appartenant à ceux qui étaient là avant eux, qu’ils auraient convertis et avec lesquels ils
auraient été mélangés. Ces derniers n’auraient pas été bouddhistes ou auraient entretenu
impériale d’Angkor, in : « Ancient Luang Prabang, Vientiane, Môn, Realm and the angkor impérial road », texte annexé
à l’ouvrage des deux auteurs : Enduring Sacred Lanscape of Naga, Ed. Silkworm Book/ Mekong Press, Chiangmai, 2009. 585 Il semble que les anciens du village ne savent pas non plus de quel culte précisément il s’agit : le Laos ayant beaucoup
de cultes des phi, il peut s’agir ici de tous les cultes non bouddhistes possibles. 586 Potou Xay avec qui nous avons un entretien était enfant lorsque Gnapo Bouadèng organise le grand rituel, et se
souvient que « c’était comme si on menait une guerre contre les démons. C’était aussi une grande fête. »Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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parallèlement un autre culte. En ce qui concerne les Phouans, il est quasi certain qu’ils sont
bouddhistes avant et après leur installation dans le village, puisque le motif de leur venue à
Vientiane est lié à cette dévotion religieuse. En ce cas, les Phouans n’auraient pas fondé le village,
que ce soit au moment de leur arrivé il y a 450 ans ou après, mais l’auraient refondé sur de
l’existant. Refondation qu’ils considèrent volontairement aujourd’hui comme une fondation, parce
qu’ils se réfèrent à la conversion du village comme une renaissance, accompagnée d’un marquage
spatial et spirituel du lak tham. Nous ne pouvons cependant situer de manière précise cette période
de conversion. Nous pensons que c’est au moment de l’installation des Phouans dans le village ou
peu après. C’est notre première hypothèse. Notre deuxième hypothèse est de penser que la mémoire
du culte des phi est aussi la leur parallèlement au culte bouddhique, qui connaît un certain
relâchement après leur installation dans le village au contact avec les autochtones. Rappelons que
les Phouns, qu’ils soient à Xieng Khouang ou ailleurs pratiquent le bouddhisme parallèlement au
culte des phi devata. Il se peut qu’à un moment donné ce culte ait pu prendre le dessus, qu’il aurait
fallu recadrer. Le combat qu’ils mènent contre le culte des phi dans le contexte de Ban Phay Lom et
leur ferme volonté d’asseoir un bouddhisme “ radical ” seraient une réaction contre
“ l’asservissement ” du culte des phi. En ce cas, nous pouvons parler d’un contexte de renouveau
spirituel localisé qui illustre le cadre plus général du renouveau, exprimé dans la politique de
Phothisarat et de Sethathirat à la même époque.
Dans le cas de Ban Phaylom, bien que le lak Tham relève clairement le renouvellement et
l’affirmation du bouddhisme dans l’espace de l’habitat à une époque donnée, il est également
évident que sa forme matérielle de symbolisation provient d’un archétype, des traditions primitives
des pieux cultuels. Les pieux de fondation –ici cultuels– constituaient préalablement déjà un modèle
spatial que le bouddhisme s’était par la suite approprié et intégré dans son corpus symbolique.
Les pieux sont-ils sacrificiels ou shivaïtes ?
Si nous devons traduire “ pieux de fondation ” par lak muang, les lak muang pour les Lao
Tai correspondent au culte du Thaèn F’a pré-bouddhique –les monarques ancestraux divinisés,
comme nous l’avons déjà souligné. Quant aux pieux proprement dits –que nous abordons ici, ils
appartiennent aux cultes primitifs, proto-indochinois, pré-bouddhistes, que les lao avaient adopté
(pour certaines formes de pieux sacrificiels) ou côtoyé (pour les pieux hindouistes du culte shivaïte)
durant leur glissement vers le Sud, avant qu’ils ne soient convertis au bouddhisme ou
simultanément à leur glissement et à leur conversion. Au Laos, on peut trouver plusieurs types de
pieux. Ils se distinguent d’abord par leur morphologie et leur matériau –essentiellement en bois et
en pierre, ensuite par leurs types d’emplacement, disposés à décrire, à définir et à délimiter l’espace.
Leur mode cultuel et la symbolique qu’ils dégagent peuvent être différenciés.
Les pieux en bois auraient appartenu aux cultes très anciens des Tai et se seraient rapproché
du symbolisme de l’arbre cosmique. « Le symbole d’une montagne, d’un Arbre ou d’un Pilier situé
au Centre du Monde, est extrêmement répandu.» (M. Eliade) Tandis que les grands piliers en pierre
de fondation –tel le lak muang de Vat Simuang (toujours très vénéré de nos jours), est considéré
comme le pilier sacré et sacrificiel de la fondation de la ville, du moins pour le cas de Vientiane et
de Khorat. A Vientiane cette considération tente de se justifier par l’histoire de Dame Si et du jeune
bonze qui auraient été sacrifiés au poteau de la ville pour incarner les esprits sacrés et protecteurs.587
Mais les archéologues et les historiens s’accordent sur une autre interprétation : le pilier de Simuang
est un lingam consacré au culte shivaïte.588 On voit ici que deux cultes se disputent la propriété de
ce vestige : l’un sacrificiel et l’autre dédié au dieu Shiva ; cela montre un premier degré de
syncrétisme et explicite le fait que les territoires du Laos (urbains ou non) est une sédimentation de
cultures et de souches de populations différenciées. Cela révèle également que les différentes
587 Le sacrifice de Dame Si et du bonzillon au poteau de la ville à Simuang. Cf. Chayphet Sayarath, Vientiane, itinéraire
du patrimoine, Atelier du Patrimoine-IRU, Vientiane, 2003, document en trois langues : lao, français, anglais, 70 pp. 588 D’après Viengkéo Souksavatdy, archéologue.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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traditions des poteaux, dans leur forme, peuvent être similaires, bien que leur contenu cultuel
puissent être différent. Cela serait un archétype cultuel assez répandu et commun à beaucoup de
peuples.
Toujours est-il, le pilier de Vat Simuang dont l’implantation se trouve dans le quartier Sud
en aval du rempart intérieur a été consacré comme étant le pilier de la ville. Il acquiert une
importance telle que le schéma symbolique ancien de Vientiane se retrouve incarné entièrement par
lui, négligeant la partie amont où pourtant, depuis le Hô Kham jusqu’à Kaolyo, de nombreux autels
des esprits protecteurs avaient été dressés et des cultes y avaient été consacrés chaque année. La
découverte de nombreuses bornes et de bay séma en pierre sous la rue adjacente de Vat Simuang au
courant de l’année 2009 a été conclue comme faisant partie intégrante des objets auxiliaires au
poteau de fondation du muang, alors que les factures matérielles et la destination de leur fonction
semblent exprimer autres faits aussi.589 A cette conclusion, un monument officiel est en construction
pour consacrer ce pilier. A tort ou à raison, le souci de “ vérité ” importe peu, c’est le sens et
l’importance que l’on donne aujourd’hui au fait que la ville a connu un acte de fondation, et quelle
serait le sens de “ le fait de fonder ” dans l’organisation du centre urbain d’aujourd’hui. A cette
question, des éléments de discussion seront proposés dans la suite de notre recherche.
Le Cas du lak muang et du lak ban chez les Lü à Muang Sing et à Ban Na Vay : s’agit-il de la
mémorisation de leur propre fondation, des pieux du phi protecteur ou d’un signe d’inscription
territoriale du pouvoir ?
Comme nous avons pu le constater, la pratique des lak muang et des lak ban chez les Lao
Tai ont beaucoup été altéré. Alors que le cas des implantations lü nous permet de suggérer qu’il y a
une permanence des espaces hérités, malgré les changements. A Ban Navay, le pieu a été réinstallé.
Il est en dur, monté sur un reposoir bloqué dans une dalle en béton en forme carrée. La situation
physique de son implantation est fort curieuse. Il y a comme une volonté de moderniser le pieu. La
plate-forme carrée est placée parmi les maisons des habitants, sans disposition particulière. Le pieu
semble simplement indiquer le moment de la fondation du village. C’est en fait une sorte de
mémorisation de ce village, sa construction et l’implantation de ses habitants à un moment donné et
dans un réseau de territoire donné. C’est un marqueur temporel et spatial. Dans ce type d’usage, il
est probable aussi qu’au moment de son implantation le pieu puisse indiquer l’identité du village et
de ses habitants par rapport aux autres communautés d’ethnicité différente.
A Botèn les mauvaises conditions du déplacement du village (site d’implantation du
nouveau village dans lequel la population devait désormais vivre) mettent en évidence que le lak
ban et l’autel du phi ban requièrent toute leur importance et tout leur sens : dans de telle mauvaise
condition, les habitants ont besoin de protection pour pouvoir vivre et prospérer dans le nouveau
village. Les habitants demandent aux esprits si le nouveau site est propice. La réponse aurait été que
beaucoup de problèmes existent pour fonder un village prospère. Mais obligés de toute façon de
quitter l’ancien village, on exige alors des esprits plus de protections et d’accompagnement. Les
esprits et le symbole du pieu se réactualisent ainsi dans un contexte nouveau comme un élément
rassurant face à l’inconnu. La vivification en ce cas des lak ban se substitue à l’absence de l’autorité
politique moderne et défenseur de l’intérêt des habitants qu’aurait été l’autorité provinciale et l’État
face à la concession du golden Botèn city.
A Muang Sing, le pieu du muang aurait été implanté dans un des îlots centraux de la cité.590
Il aurait marqué l’esprit protecteur du muang formé par la divinisation des monarques thaèn après
589 Cf. Michel Lorrillard, « Vientiane au regard de l’archéologie », pp 51-75, in : Vientiane architecture d’une capitale :
traces, formes, structures, projets, les Cahiers de l’Ipraus, éd. Les Recherches/Ipraus, Paris, 2010. 590 Ayant été enlevé au début des années 1960 lorsque la ville fut libérée par le PPRL, nous n’avons pas pu effectuer des
observations. L’interdiction du culte de ces pieux après la libération de Muang Sing en 1962, avait-elle un lien avec les
deux conceptions symboliques des pieux ? Mise à part le côté supersticieux critiqué par l’autorité révolutionnaire, aucun
discours ni document ne mentionne le fait que le culte a été interdit parce qu’il est lié au pouvoir ancien des Chao F’a
divinisés.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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leur mort, comme nous l’avons déjà souligné pour Luang Prabang et Xieng Khouang. Mais c’est
aussi un marquage territorial et politique du muang. Du point de vue territorial, dans la citadelle de
Muang Sing les pieux auraient indiqué le fait que l’on est à l’intérieur d’un xieng, une cité et non un
village. Du point de vue politique, les pieux auraient indiqué le fait que ce sont les Chao F’a qui
régnaient ici et leur esprit divinisé y était présent pour marquer et protéger la cité.
Dans tous les cas de figure, que ce soit dans le culte animiste, shivaïte, bouddhiste,
remarquons que le rituel du poteau est « la variante la plus répandue du symbolisme du Centre
(c’est) l’arbre cosmique qui se retrouve au milieu de l’Univers et qui soutient comme un axe les
trois mondes. L’Inde védique, la Chine anciennes, la mythologie germanique aussi bien que les
religions ‘primitives’ connaissent, sous différentes formes, cet arbre Cosmique (…) ». Comme le
souligne ici Mircea Eliade, il semble que le culte des poteaux vient du symbolisme de la centralité
consacrant une fondation, un pouvoir. Les poteaux rituels et sacrificiels pratiqués au Laos, voire le
poteau de consécration de la maison, auraient aussi fait partie du “ rite du Centre ”. Il rejoint alors
l’arbre cosmique, le centre cosmique et vital du monde et de l’univers. Ces croyances étaient très
répandues en Inde et en Asie du Sud-Est. Même s’il est utilisé par le rituel bouddhique comme c’est
le cas du poteau en bois du dharma de Ban Phaylom, il n’est pas véhiculé par le bouddhisme, mais
par les traditions plus anciennes du culte du Centre pratiquées de manière variable à différents
endroits.
II. II. d. La conception et la tradition foncière d’après le droit coutumier
Dans le Khamphi Phosarat et Sangkrapakone du droit coutumier591 un certain nombre
d’articles donne un premier aperçu de la conception traditionnelle du foncier. Nous allons examiner
le chapitre III, codes portant l’habitat, le jardin et la rizière.
- Il est stipulé que : « Tous les territoires de la cité des dieux appartiennent au souverain qui donne
au peuple le droit de les habiter, ils ne lui appartiennent point ». Le texte met en évidence le statut
global des sols qui appartiennent juridiquement au pouvoir royal. Mais nous verrons qu’il en est
autrement dans la pratique. D’après cet article, la définition de la tenue foncière serait évidente, si
d’autres articles ne venaient par la suite la rendre plus complexe, en fixant des conditions de
jouissance qui la rend ostentatoire et apporte des nuances à la définition de la notion de propriété cidessus
décrite.
- Il est stipulé pour l’intégrité de la propriété privée que :
« (2.) Celui qui abandonne sa terre perd la jouissance de ses droits. Le nouvel occupant récupère
les droits s’il construit et exploite la terre en question ; Par contre, lorsqu’il a clôturé sa terre avant
de partir ailleurs il est considéré qu’il ne l’a pas abandonnée. En ce cas lorsqu’il revient, il faut lui
rendre ses biens.
(2-1.) Lorsque son absence dure jusqu’à 9-10 ans, il convient aux autorités d’attribuer la terre à
ceux qui ne trouvent pas d’habitation, car il ne faut pas laisser la terre vacante et inexploitée.
(2-1-1.) Et lorsque la terre en question possède des richesses (arbres fruitiers) et lorsque la terre
est bien remblayée devenant une terre exondée, le nouvel occupant, auquel l’autorité a attribué
(provisoirement) la terre, doit payer à l’ancien occupant absent, pour les produits et les frais de
remblaiement dont il a la jouissance. (2-2.) En tous les cas, il est interdit de vendre la terre en
question. »
- Il est stipulé pour les prêts et les dons que :
« (1.) Lorsqu’une personne prête ses terres à quelqu’un ou autorise de son propre chef quelqu’un à
591 Kotmai bouran lao [dqfs,kp[6Iko]k;], le droit coutumier a été annoté et publié en sept fascicules en Lao moderne par
Samlith Bouasisavath avec le soutien de la Fondation Toyota (Vientiane, 1995). Le texte d’origine en Tham, sur feuille de
latanier, serait écrit au XVIIe siècle à Vientiane, le nom de son auteur n’est pas mentionné.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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habiter sur ses terres, quelques années après lorsqu’ils sont en conflit, il faut simplement faire
partir l’emprunteur et récupérer la terre à l’amiable sans pouvoir porter plainte.
(1-1.) Lorsque l’emprunteur y construit une maison sur pilotis pour y habiter et lorsque le prêteur
l’autorise à construire une clôture délimitant la parcelle, deux ou trois ans après la parcelle lui
appartient pour la jouissance.
(1-1-1.) Lorsque l’emprunteur veut quitter la parcelle il peut vendre la maison mais en aucun cas la
parcelle, celle-ci retourne de droit au prêteur.
(1-1-2.) L’emprunteur ne peut pas non plus la transmettre à ses descendants, ni à qui que ce soit
car il peut seulement y habiter. A défaut, le bien retourne au prêteur.
(1-2.) Lorsque l’emprunteur construit une maison sur pilotis dans la parcelle, mais n’a pas
construit une clôture délimitant la parcelle, il n’a aucun droit sur la parcelle.
Les trois points constituent une sorte de préambule, viennent ensuite douze articles donnants des
précisions sur le domaine des sols.
Article 1, portant les sols en dehors de la cité. Il est stipulé que : « ils ne peuvent être vendus ou
achetés ; ils ne peuvent être laissés en friche en vue de spéculation ; les autorités compétentes (chef
de village, chef de district, gouverneur, chef des impôts) doivent les gérer de sorte que les terres
soient habitées. Lorsqu’une personne récupère une terre qui est en mauvais état en dehors de la
ville, l’exploite et y fait des rizières et des jardins, il sera exempté de taxe pendant un an, après un
an, il sera taxé normalement. »
Article 2, portant la transmission des terres : « lorsque la personne qui exploite les petits bois
d’héritage meurt, les biens reviennent à ses descendants. Lorsqu’une autre personne vient y
occuper et exploiter elle paiera une amende pour usurpation d’héritage de 1 lat592 et rendra les
biens à la famille du défunt. »
Article 3, portant le don des terres : « une personne peut faire don d’un habitat à une autre
personne en présence de témoins. Lorsque celui qui reçoit les biens meurt celui qui donne peut les
récupérer. La famille du défunt ne peut pas les réclamer. Si le donateur et le receveur meurent tous
deux la famille du donateur ne peut pas les réclamer non plus. »
Article 4, portant le don des terres agricoles : « les forêts, les jardins, les rizières, les mares, les
étangs qui ont été donnés en exploitation peuvent être récupérés par le donnateur seulement en
deça de trois ans. Au-delà de trois ans, les biens reviennent de droit au receveur afin de poursuivre
son exploitation. Par contre s’il ne les exploite pas, s’il veut les vendre, les hypothéquer, ou les
transmettre à ses descendants, il ne le peut. Les biens reviennent au donateur de départ. »
Article 5, portant les baux : « lorsqu’on loue une maison à un locataire de un à deux ans il incombe
au propriétaire de réclamer lui-même les frais de location, si durant une à deux années ce dernier
néglige de les réclamer, au de-là de trois années les frais de location seront réduits de moitié et les
biens loués continuent à être loués au locataire. »
Article 6, portant les baux des terres agricoles : « dans le cas où un locataire loue une terre agricole
et règle tous les frais de location au propriétaire, lorsque la saison agricole arrive et qu’il ne
cultive toujours pas mais sous-loue à une autre personne, il est convenu de lui réclamer les frais de
location en plus.593 Dans le cas où il n’y a pas de pluie empêchant le locataire de cultiver, ce
dernier ne peut pas rendre ou annuler le bail. Il attendra les saisons prochaines, car les rizières
dépendent de la pluie et ne dépendent pas du propriétaire. »
Article 7, portant le respect du bail : « lorsqu’il est établi entre locataire et propriétaire un contrat
592 Le Lat []kf] est une des monnaies utilisées jusqu’au XIXe siècle. Cf. E. Aymonier, Le Laos Siamois. 593 « Il est convenu de lui réclamer les frais de location en plus ». Il y a une incertitude dans la compréhension de cette
phrase, due à la transcription. Ce serait l’autorité publique qui en réclame ou plutôt le propriétaire ?Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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en bonne et du forme stipulant que le propriétaire fournira avec le bail des objets ou autres biens
utilitaires, dans le cas où le contrat n’a pas été honoré : c’est-à-dire les objets et les biens
utilitaires n’ont pas été donnés comme prévu par le propriétaire au locataire, ce dernier peut
réclamer le double de la valeur des objets non honorés en guise d’amande mais le paiement des
frais de location ne sera pas remis en question. »
Article 8, portant hypothèque des terres : « les terres hypothéquées en deça de dix ans peuvent être
récupérées par le propriétaire selon les conditions fixées par les deux parties. Au-delà de dix ans, le
propriétaire perd le droit de récupérer ses biens. »
Article 9, portant usurpation des biens : « lorsque les biens vendus ont été prouvés qu’ils
n’appartiennent pas au vendeur. Les biens seront rendus à son vrai propriétaire et l’argent de la
vente sera repris au vendeur. »
Article 10, portant les termes du contrat : « un acheteur en achetant une terre promis dans le
contrat à son propriétaire d’y cultiver qu’une année ou deux. Au-delà lorsque l’ancien propriétaire
désire exploiter la terre le nouveau propriétaire ne peut pas le refuser, car si le contrat le fixe ainsi
le nouveau propriétaire doit respecter les termes du contrat »
Article 11, portant les personnes compétentes : « les personnes compétentes devant lesquelles la
population doit porter les affaires et litiges sont les naï nam na,
594 les responsables des impôts, les
administrateurs et chefs du canton. »
Article 12, portant les dons royaux : « lorsque le roi fait don à ses sujets, qu’il s’agit des habits, des
bétails, de l’argent et de l’or, des impôts,595 des jardins et autres biens, personne ne peut remettre
en question les dons royaux. Les individus bénéficiaires jouissent pleinement de leurs droits ainsi
que leurs descendants. Si les biens ont été délaissés celui qui en prend soin ne peut être mis en
faute, mais les biens restent appartenus aux bénéficiaires. »
Dans Khamphi Rajasat du droit coutumier, on retrouve un article se rapportant à la terre et à
la propriété. L’article portant le débordement de branchages au-delà des limites de la parcelle
stipule que : « pour les arbres plantés dans une propriété, donnant des fruits et ayant des
branchages proliférants, lorsque leurs fruits tombent hors du terrain sur lequel ils sont plantés,
celui qui les ramasse commet un tort. Pour les arbres poussant sur un terrain n’appartenant à
personne, lorsque leurs fruits tombent dans une propriété, les fruits appartiennent au propriétaire
de la parcelle. Lorsqu’ils tombent dans le terrain de personne, les fruits appartiennent au
Phraya».596 Cet article met en évidence la jouissance de la propriété privée, alors que la propriété
publique est partiellement indiquée. Celle-ci est masquée par le terme Phraya qui peut désigner
aussi bien le roi, le seigneur ou l’administrateur local qui le représente, qu’un ministre dans le
système administratif lao ancien. Par extension, il désigne l’autorité publique. Dans le texte, il s’agit
sans aucun doute de l’autorité publique, qui, dans le contexte lao, est à prendre dans le sens le plus
primitif. L’autorité publique est en fait à la fois l’entité politique, éminente et légitime telle que
l’autorité royale et tout ce qui la représente où qui lui est lié, et l’entité administrative qui gère les
affaires publiques et qui exerce sa souveraineté, directe et indirecte, sur tout ce qui ne relève pas du
domaine privé, autrement dit les espaces vides, non défrichés, souvent qualifiés de Dinh Heuâ
[fuogINv].
597 Ce terme désigne non seulement “ l’état sauvage du sol ” mais également son statut
594 Textuellement Naï nam na [okpoeok] signifie “ chef chargé de faire le suivi des rizières ”. Nous ne sommes pas
certains de ce que pouvait représenter cette fonction. Il est probable, comme son nom l’indique, que ce soit la personne en
charge d’enregistrer et de suivre l’évolution des rizières, sans doute de connaître leur taille, leurs activités, leur statut
foncier.
595 Ici il peut sans doute s’agir de deux choses : 1-la jouissance du droit de fermage que le roi aurait accordé à certains de
ses sujets. 2-le roi aurait accordé à certains de ses sujets le droit de ne pas être prélévés d’impôts et de taxes. 596 [ritpk] Phraya est un titre nobilière mais également une fonction publique équivaut le rang de ministre dans le
système administratif lao. Ici il faut le comprendre comme une fonction publique.
597 [fyogINv : fyomuJIqdgINv 0kfdkof6c] s]n fyomuJ[+wfh4ndla[-jk;], sol sauvage ou sol qui retourne à l’état sauvage. Au sens primitif il
désigne le sol sauvage mais également le sol non-défriché, sans exploitant : lorsqu’une terre est laissée à l’abandon auDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 340 -
foncier sans exploitant (sans propriétaire). Le texte met par ailleurs en évidence la notion de limite
entre les différentes parcelles ; entre les parcelles privées et les parcelles publiques et/ou non
défrichées.
Dans le droit coutumier, d’après les trois points du préambule, les 12 articles et celui qui
porte sur le dépassement des branchages, que nous venons de noter, nous remarquons que la
question de propriété est aléatoire et qu’il est possible de perdre la jouissance de ses droits dans de
multiples conditions, même si des nuances doivent être notées selon les types de terre considérés.
Nous remarquons justement que la nature des terres et la mise en clôture font partie de ces
conditions. Ainsi, un terrain bâti et un terrain agricole ne seront pas soumis aux mêmes conditions.
Ce qu’il faut retenir en premier, c’est le caractère heuâ [gINv] des terrains. Il est évident que dans un
pays tropical –autrefois plus qu’aujourd’hui– une terre non exploitée pendant trois ans redevient
vite à l’état sauvage. Il en sera autrement pour les terrains bâtis : le caractère heuâ sera nuancé et
dépendra alors de l’état de conservation de la maison. Cela signifie que même si un terrain est
envahi par de la végétation après quelques années d’abandon, tant que les pilotis des habitations
tiennent debout, il ne peut être classé comme heuâ. Sans doute, si les pilotis tombent pourrait-on
considérer le terrain comme heuâ et dont potentiellement libre pour une nouvelle occupation.598
C’est en ce sens que la culture foncière lao rejette la notion de propriété privée inaliénable des sols
et adopte l’idée que le droit d’usage est lié à l’acte d’exploitation effectif, seules conditions assurant
un accès à la jouissance de la terre. A contrario, l’inaliénabilité de la propriété relève de l’autorité,
c’est-à-dire du roi, “ propriétaire des vies et des terres ”
599 [g9Qk-u;yf, g9Qkczjofuo], dont le pouvoir
éminent est investi par le sacré et l’intemporel. Il y a sans doute une concordance entre la fonction
sacrée du monarque, propriétaire des vies et des terres, et la fonction sacrée de la terre à travers le
culte de Nang Thôrani.
600 En fin de compte, en reliant le droit de jouissance des terres à leur
occupation –qu’il s’agisse de l’habiter ou de l’exploiter– les Lao reconnaissent les terres comme les
biens éminents du roi, “ propriétaire, mais aussi, protecteur des vies et des terres ”.
601
A l’instar du pouvoir royal et dans le prolongement de cette conception traditionnelle du
foncier, aujourd’hui l’État en tant que personne publique s’est substitué au Phraya. Mais sa
souveraineté est légitimée, non pas par le droit sacré, mais par un processus complexe de
représentation, par et pour le peuple en la personne morale du parti. L’Etat fusionne en quelques
sortes avec le parti pour former le pouvoir public.
Quel que soit le régime –ancien ou nouveau– la notion de propriété privée individuelle
inaliénable est ostentatoire, voire inexistante, même si par les actes d’occupation et d’exploitation,
l’occupant jouit incontestablement du droit d’usage et d’action du sol qu’il occupe. Le terme pour
désigner ce qui relève de la tenue demeure le même depuis des siècles, du moins depuis la rédaction
du droit coutumier. Nous parlons aujourd’hui en termes juridiques du “ droit d’agir sur le sol ”
[da,,tlyf]
602 au sens littéral du “ droit d’usage du sol ” et non de propriété. Le droit foncier
d’aujourd’hui “ modernisé ” ne mentionne à aucun moment la terminologie “ propriété ”. Nous
bout de trois ans –une terre agricole qui n’est pas cultivée par exemple (à l’exception des terres laissées en jachère)–
devient dinh heua, sans exploitant, et donc, libre de toute occupant et peut être défrichée par un nouveau venu. 598 Cette question a été évoquée en 1970 par Georges Condominas, Inpeng Souryadhay et Christian Taillard, in. « La
propriété foncière selon les traditions coutumières au Laos », Revue juridique et politique indépendance et coopération,
Paris, 1970 N°4, pp. 1215-1222. Les auteurs ont basé leur étude sur les anciens codes annotés par Phouvong
Phimmasone, in le BEFEO. Ce dernier élaborait ses études à partir d’un manuscrit ancien, sans doute un des livrets du Kot
mai bouran lao. Et il s’agit sans doute dans ce livre, non pas d’une compilation de codes généraux, mais de cas de
jurisprudence.
599 g9Qk [gxaog9Qkcsj’8qo G gxaookp8qogv’F gxaovylt]t ] chao ou tiao, maître, souverain, -u;yf [Sk. jivata, Pl. jivitam, 7;k,gxao16JF -u;yf]F
existence, ce qui est. g9Qk-u;yfF gxaog9Qk0v’vaomuJgxao16JD Chao sivit désigne alors propriétaire de ce qui est, propriétaire de la vie ;
phaèn dinh [czjofuo], terre, territoire. Chao phen dinh : propriétaire des territoires. Chao phaèn dinh : le souverain. 600 Dharani (Sk), sol, déesse de la terre. Nang Thôrani [ok’m=itou], l’esprit de la terre, de l’esprit tutélaire. 601 Cette idée n’est sans doute pas étrangère à la définition du statut des rois lao dont l’origine dynastique était à la fois
militaire et religieuse, historiquement fondée par F’a-Ngoum au milieu du XIVe siècle. Elle s’appuie d’abord sur un
pouvoir guerrier consolidé par la suite par un pouvoir sacré.
602 [da,,t], Karma (Sk), Khamma (Pl), action ; [lyfmy] (Pl. Sk), siddhi, droit. Khammasiddhi [da,,tlyf], droit d’action.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 341 -
lisons dans l’article 3, portant le droit d’action du sol mis en application en 2001, « le sol de la
République Démocratique Populaire Lao appartient à la communauté nationale […], l’État
l’administre de manière centralisée […] et donne aux personnes, aux familles et aux institutions
[…] le droit de l’utiliser […] et aux étrangers le droit de le louer ».
603 Le texte montre qu’il y a une
persistance terminologique du droit traditionnel dans la gestion du sol et dans le droit foncier
d’aujourd’hui.
II. II. d. 1. La nature et la fonction des sols, le statut foncier
Il est intéressant de comprendre comment les types de sols, qui sont liés aux usages et aux
interventions humaines –qu’elles soient religieuses ou profanes, ont été définis dans leur fonction,
qui sont de l’ordre de quatre : celles déterminant le statut foncier, celles ayant des incidences sur le
domaine du bâti, celles marquées par les croyances des sociétés, celles relatives à l’économie et à la
production.
Les deux définitions, dinh heuâ et dinh sap sao [fyogInHvF fyola[-jk;]
604 “ sol retourné à l’état
sauvage” et “sol défriché ” n’ont pas d’incidence directe sur l’évolution du bâti, ni sur les
croyances, mais relève du domaine juridique. A l’opposé de dinh heuâ [fyogInNv], le terme dinh sap
sao [fyola[-jk;] désigne du point de vue juridique, un sol défriché qui appartient de plein droit à celui
qui le défriche. Ce statut juridique est en même temps descriptif : un terrain défriché, signifie
surtout un terrain ayant un occupant qui possède le droit d’usage, visiblement débroussaillé, voire
désherbé. Son aspect sap sao semble précéder la mise en clôture pour marquer le périmètre du droit
d’usage sur un terrain. De ce point de vue, son statut juridique est donc lié à son aspect physique et
à son utilisation.
Dinh haeng pheun [fyoIJk’rNo],605 terme technique relatif à l’agriculture et à la géologie,
désignent les “ sols qui ne retiennent pas l’eau ”, dont inexploitable sur le plan agricole. Ce terme
est utilisé aussi dans d’autre domaine, par exemple dans la description parcellaire des terrains bâtis,
ce qui pourrait signifier que ce type de terrain –non-cultivable– est destiné uniquement à la
construction. Pour l’habitation, il n’y a pas d’exemple de construction utilisant ce type de sol,
puisque l’habitation lao doit être entourée de verdure et donc exige un sol riche et propice pour les
activités agricoles. Il est donc exclu que dinh haeng pheun soit utilisé habituellement pour
construire l’habitation. Pour les ensembles urbains, nous n’y trouvons pas non plus d’exemple. Par
contre, nous avons trouvé quelques sites et monuments isolés utilisant ce type de sol pour leur
édification : le site de That Luang et le site archéologique de Dane Soung notamment. Nous
pouvons sans doute suggérer que dinh haeng pheun peut être destiné à la construction de grands
monuments ou de sites à fréquentation publique. L’étude d’autres exemples de sites monumentaux
devrait confirmer ou non cette hypothèse.
Pour dinh phone [fyo3ro], site exondé ou site haut, ou dinh nonh [fyo3oo], site convexe, s’ils
sont propices pour les implantations des habitations, ils sont surtout liés à l’implantation de l’habitat
du sacré, tels les sites tutélaires, les lieux consacrés aux esprits protecteurs. Nous pouvons nous
référer à la cosmogonie héritée de la civilisation indienne606–pour le site de Phone Keng– et à une
cosmogonie locale et autochtone, pour le site de Saphang Mô.607 Ce dernier est plus lié à une
603 Droit foncier, éd. Département des Diffusions, ministère de la justice, Imp. Sibounheuang, Vientiane 2001. 604 fyola[-jk; s,kpg4y’fyomuJwfh4ndla[dqJogvqk7;k,sqdgInNvvvd .shgxaorNomuJ muJx6d/a’ s]n d+lhk’wfh s]n gIafdyf9tde.fobJ’wfh c]t fyooAo
d=s,qfltrk[.odko gxaoxJkD Dinh Sap Sao, sol défriché et domestiqué, gagné sur la forêt. 605 fyoIJk’rNogxaofyomuJcsh’D Dinh haeng pheun, sol qui reste sec. 606 Le mont Méru est matérialisé par le Phnom chez les Khmers, le Phù et le Phone chez les Lao, le doy dans le Lan Na,
sachant que le terme Phone a une connotation simplement géologique. 607 L’esprit tutélaire du Phone de Saphang mô est plus populaire et n’appartient sans doute pas à la même cosmogonie que
celui de Phone Keng qui est clairement bouddhisé.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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pratique païenne, aujourd’hui encore vivante dans de nombreux lieux à Vientiane.608 Ces croyances
et ces cultes ont pourtant été combattus par la pratique officielle bouddhiste établie au début du
XVIe siècle par Phothisarat.
609 Pour le cas de Phone Keng, l’implantation du bâti n’est pas
seulement liée à l’éminence du site, mais surtout à la présence d’un monument importance : le That
Luang. Dans les deux cas et dans de nombreux exemples, ces éminences accueillent
postérieurement des implantations bâties, type village ou unité d’habitation.
Il est important de signaler la notion de monumentalité concernant la question foncière, car
elle relie la notion parcellaire à celle du domaine dans lequel le monument s’insère et elle rend aussi
abstraite la notion d’échelle dans le passage de la parcelle au domaine. Elle donne aussi une
définition, un statut et un mode de fonctionnement spécifique à l’espace dans lequel est implanté le
monument. Elle participe surtout à déterminer une typologie urbaine. Ce fut le cas de bien des
monuments : les unités villageoises autour de That Inheng à Savannakhet et celles autour de That
Luang à Vientiane sont ainsi les plus parlantes. L’annotation et la relecture par M. Lorrillard610 des
deux stèles du That Luang ainsi que celle de Vat Nong Bone livrent des données intéressantes. Nous
apprenons par exemple que lors de la fondation de That Luang par Phothisarat et plus tard par
Sethathirat, des terres ainsi que des serviteurs ont été affectés au monument. Si les dons par le roi du
prince et de la princesse offerts en esclave au monument sont simplement honorifiques et
symboliques, l’attribution des personnes non-royales pour son entretien ainsi que l’attribution des
terres et des domaines, étaient effectives. Ce sont entre autres des terres et des domaines desquels
peuvent provenir des impôts et des bénéfices. Ce mode de fonctionnement idéologique, matérialisé
dans la gestion des sols, semble être un véritable outil de gestion territoriale et économique –que ces
territoires soient importants ou modestes, un moyen de production de biens fonciers, un catalyseur
du lien et de la hiérarchie sociale. Nous pouvons avancer l’hypothèse que ces sites suscitent la
formation des corps de métier, des quartiers d’habitation, voire des villages. Les habitants autour de
That Inheng, par exemple, se disent aujourd’hui être descendants des esclaves du monument. Si
nous ne pouvons pas dire de même pour tous les quartiers autour de That Luang, c’est sans doute
parce qu’ils ont été intégrés à la ville qui est soumise à d’autres critères de formation et d’évolution.
Du fait de leur éloignement par rapport à la ville, les villages entourant le That Inheng demeurent
indépendants et préservent mieux leur identité ancienne.
En confortant un système où le pouvoir politique et religieux forment une entité unique, où
nous pouvons parler à la fois d’une royauté religieuse et d’un ecclésiastique royal, le monument a
également fédéré un ensemble d’unités sociales et économiques. Cela signifie que le concept de site
monumental est lié en partie à la tradition foncière qui définit une des bases de la formation urbaine.
Le statut foncier de site monumental, le passage de la parcelle au domaine et au territoire ne sont
donc pas une simple question d’échelle, mais de mode de fonctionnement. Et la monumentalité sert
ce mode de fonctionnement, quelle que soit sa taille véritable.
II. II. d. 2. Les croyances dans le choix des sites
Les lieux sont nombreux à être associés aux croyances religieuses et païennes, en
particuliers les sites qui ont des particularités géographiques. Nous pouvons citer les éminences, les
berges, les embouchures des cours d’eau, les étangs, les mares, les marécages et les puits. Souvent,
les cultes bouddhistes se substituent aux croyances primitives déjà constituées, puis l’hindouisme
les remplace avant d’être rejeté un temps par le bouddhisme dans sa période la plus faste. Les lieux
sacrés de Vientiane sont, durant deux millénaires, des espaces religieux syncrétiques. Les cultes
608 Sur la bute de Saphang Mô, dans le jardin d’une maison lao en bois restauré vers 1995, il y a un autel où tous les jours
une gardienne-médium, vient déposer des offrandes. Une fois l’an, une cérémonie plus importante lui est consacrée. En
fait, la maison a été construite ultérieurement sur un site sacré dont le culte n’a jamais été interrompu. 609 Phothisarat (1520-1549) “ publie ” vers 1525 un édit contre le culte des phi et ordonne la destruction des autels païens
pour y construire à la place des monastères ou des ermitages bouddhistes.
610 Lorrillard, « Les inscriptions du That Luang de Vientiane : données nouvelles sur l’histoire d’un stupa lao », BEFEO,
2003-2004, 90-91. Op. cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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animistes et hindouistes, perdurent encore de nos jours dans certains sites, parfois en fusionnant
avec les cultes bouddhiques.611 Au cours du XVIe siècle, sous les règnes de Phothisarat et de
Sethathirat le bouddhisme theravāda du petit véhicule a triomphé et pris la possession de la plupart
des lieux de cultes antérieurs.
Nous avons vu que dinh phone [fuo3ro], ou dinh none [fuo3oo], terres hautes, sont des lieux
de prédilection pour vénérer la gloire et la mémoire du Bouddha ou pour sacraliser les esprits
puissants et protecteurs de la ville. Il est autant remarquable que la quasi-totalité des dinh phone de
Vientiane soit habitée de telles sortes. Nous pouvons citer Phone Phanao (qui est dans le
prolongement de la terrasse de That Luang) et Saphang Mô. La terrasse de That Luang selon le
Thamnan Oulangkhrathat était à Vientiane le lieu de la première implantation bouddhiste des
missionnaires de Açoka, où un pilier –forme primitive du grand That– a été dressé. Les Houay (s;hp,
rivières), les Nong (|v’, mare), les bung ([n’, étang) et les dinh Thaam (fuomk,, zone marécageuse),
sont autant des lieux où vivent les esprits puissants et sacrés. A Pak Passak un autel a été construit
pour vénérer l’esprit des guerriers qui protègent la ville, le long du Mékong –en amont et en aval–
vers Ban That Khao et vers Ban Khounta-Tha, d’autres autels vénèrent les esprits protecteurs. Dans
les zones basses, tel Ban Phra Pho, des puits représentant le monde souterrain, symbolisent l’habitat
du naga, etc.
II. II. d. 3. La fonction productive et économique des sols
Mis à part leur rôle sacré, les Houay, les Nong et les bung assurent également un rôle
économique. Nous retrouvons dans ces lieux des vestiges archéologiques attestant l’existence
d’unités de productions artisanales : ateliers de poterie, fabriques de briques et de tuiles, atelier
d’armuriers. Mais la conception du parcellaire de ce type d’espace n’est pas clairement explicite, en
raison sans doute du caractère non-privatif de l’usage du sol pour ce type d’activité, suggérant un
statut probablement communautaire. Pour les rizières, le parcellaire est plus nettement défini. Les
rizières se mesurent en laï [w]j] qui correspond à environ 1 600 m2, et est défini par le terme haï [wIj]
un genre d’identification. Haï na [wIjok], est alors une rizière immergée, l’eau est retenue par un
ensemble de petites digues. Quant au terme thong na [mqJ’ok] plaine ou étendu de rizière, plus
générique, il désigne un ensemble de haï na qui se définit ou qui se distingue par rapport à
l’ensemble d’habitation qui forme le village. Le monde agraire joue donc un rôle important dans la
mesure des parcelles, car cette unité de mesure est utilisée également pour les autres terres. La forêt
secondaire, pa [xJk], et la forêt primaire, dong [fq’], sont antinomiques à l’idée de civilisation
représentée par la conception même de l’habitat, du village et du muang. Pourtant, sur le plan
économique et spatial, nous constatons que pa et dong ne sont pas extérieurs à la ville, au contraire,
font partie intégrante. Ils constituent même un lieu de production. A titre d’exemple, Dong
Palane,
612 selon ses habitants, produisait des feuilles de latanier, et dong Passak613 produisait sans
doute du tek pour les besoins et les usages courants de la ville. Notons que ces deux lieux désignés
de dong ne sont pas des forêts primaires, mais des terres d’exploitation. Leur désignation par le
terme dong serait inappropriée si elle n’est pas intentionnelle pour marquer une certaine conception
de la ville.
II. II. d. 4. La nature du sol et l’habitat
Nous avons vu qu’il n’est pas exclu que les dinh haeng pheun (terre sèche) soient destinés à
l’implantation des constructions telles les esplanades en tant que lieux de rassemblement
(l’esplanade de That Luang), les stupas et les monastères isolés (les ermitages de Dan Soung et de
Tham Phra en lisière de la ville de Vientiane), ou simplement destinés à la tenue des activités
611 Kham Champakéomany, « Phra That Inheng, Indra Prasath », In. Histoire des stupas - des vat les plus importants et
celle de Phra khou Gno kéo Phonnesamek, ministère des cultes, Vientiane 1974. 612 Dong Palane : dong (jungle) pa (forêt) et lane (latania arécaceae) : forêt de lanier 613 Dong Pa Sak : pa (forêt) et sak (tectona verbénaceae) : forêt de tek.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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collectives. En revanche selon ce que nous savons de l’habitat lao, il est très peu probable que les
dinh haeng pheun soient aussi destinés à l’implantation de l’habitat. Car rappelons-le, les sols
destinés à l’habitat doivent être particulièrement riches et stables, aussi bien pour des raisons
pratiques que des raisons symboliques. Pratiques, parce qu’il est indispensable de pouvoir aménager
des jardins potagers, planter des arbres fruitiers ou creuser un bassin piscicole et aussi de pouvoir
assurer la stabilité des pilotis qui sont dans la majorité des cas enfoncés dans le sol ; symbolique
parce que la richesse du sol signifie la richesse du foyer et sa protection par l’esprit de la “ mèreterre
”, tiao mé thôrani614
La conception lao du parcellaire n’est pas aisément identifiable, ni maîtrisable par la
méthode rationnelle de la régulation foncière et la gestion urbaine d’aujourd’hui. La tradition
foncière repose sur une notion de propriété relative. Or, la conception de la propriété fonde la
définition et le statut juridique du parcellaire, et garantit même son existence. Les types de terre
participent à la définition des fonctions et des usages du parcellaire et influencent sur les typologies
du bâti. Il y a des fonctions propices à l’implantation des unités d’habitation, des fonctions propices
au sacré, à la symbolique et au profane, et enfin des fonctions économiques et productives. Il y a
aussi la question de monumentalité qui introduit de nouvelles dimensions au parcellaire, qui met en
évidence le fait que l’échelle importe peu et que c’est plutôt le mode de fonctionnement qui régit le
passage de la parcelle au domaine, et enfin qui induit également la naissance de certains types
d’unités d’habitat urbain.
II. II. e. La domestication des espaces naturels et le mode d’habiter, un savoir intemporel.
Le rôle des espaces naturels, des jardins et des paysages dans les villes
La domestication de la nature constitue le mode d’habiter chez les Lao, tout comme la
majorité des ethnies vivant au Laos, y compris les ethnies non tai. Comme nous l’avons déjà
suggéré dans la définition des modèles spatiaux à travers l’analyse de la formation du ban et du
muang, la nature et le site, sont des éléments déterminants de l’espace habité qu’il s’agit de s’y
intégrer plus que de maîtriser ou de dominer. La domestication de la nature, c’est ainsi avant tout la
manière des hommes de s’adapter à elle, de s’approprier d’elle, de l’utiliser et de la “ consommer ”,
à l’état brut ou modifié. L’appropriation de la nature se fait essentiellement par les activités
agricoles accompagnées des cultes du terroir et des rites agraires. La considération de la nature
passe aussi par une approche d’altérité et de distanciation, par l’acceptation de la nature comme un
mystère et un inconnu. Cette approche est matérialisée par le culte des génies et des phi du terroir,
avec des rituels qui en découlent, empreints de chamanisme, d’animisme, et même du bouddhisme.
Ces cultes établissent ainsi un lien symbolique et anthropologique entre l’homme et la nature.
II. II. e. 1. La perception de la nature
En fait, pour comprendre le mode d’habiter, l’intégration de l’habitat lao dans la nature et la
présence de la nature dans l’habitat, il faut comprendre parallèlement comment les Lao se voient
dans la nature et se placent dans la cosmogonie ; dans le sens où « toute habitation humaine est
projetée dans le centre du monde » (Mircea Eliade). Pour ce faire, nous distinguons quatre niveaux
de perception de la nature : 1- la nature en tant qu’altérité, mystère et puissance. Cette perception
conçoit l’existence des génies et des divinités dans toute chose et induit de nombreuses pratiques
religieuses et des rituels, parce que les lieux et la nature que l’on investit possèdent leur existence et
leur système propre ; 2- la nature en tant que cadre dans lequel on fait le choix de construire son
habitat. Cette perception met en évidence la connaissance empirique de l’environnement
géographique et climatique dans lequel on choisit de bâtir son cadre de vie. C’est pourquoi le cadre
de vie est particulier à chaque communauté et la nature est vue à travers une culture propre et
614 [g9Qkc,jm=itou] tiao mé dharani, déesse et esprit de la terre. Cet esprit est féminin. Au moment de la construction d’une
nouvelle maison, une cérémonie demandant autorisation et protection, lui est consacrée.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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particulière ; 3- la nature en tant qu’élément de subsistance et de vie. Cette perception assure la
survie et la prospérité de la communauté. L’homme, dans n’importe quelle culture, tente toujours de
trouver un lieu qui lui serait bénéfique. C’est la raison pour laquelle cette vision est universelle et
s’exerce dans le cadre des connaissances accumulées et transmises ; 4- la nature sous forme de
paysage est une donnée relative, presque abstraite. Elle est perçue de manière intériorisée et
individuelle, elle reflète l’âme et le tempérament humain, elle devient une appréciation dépendante
de la culture et de la sensibilité des peuples. Pourtant la nature n’est pas multiple mais Une ; elle
peut être appréhendée à différents angles. Les quatre niveaux de perception que nous venons de
suggérer ne faussent pas la réalité, ils mettent en évidence le fait que la perception de la nature est
un révélateur de l’aspect psychologique, de l’empirisme, de l’universalité et de la culture des
peuples. Par rapport à la nature, il y a à la fois savoir et méconnaissance, agir et subir, des faits
inhérents à la nature humaine, et pour cela ce rapport est intemporel. Les quatre niveaux de
perception mettent en relief toute la complexité du rôle de la nature dans l’habitat, à devenir des
espaces que l’on choisit, que l’on occupe, que l’on apprivoise et aménage ; des jardins et des
paysages que l’on regarde, mais aussi le monde inconnu, mystérieux et puissant, peuplé d’esprits et
de génies que l’on met à distance comme une altérité.
II. II. e. 2. L’habitat et la nature
La nature en tant que l’altérité, le mystère et l’inconnu, l’analyse de l’habitation lao,
réalisées par Pierre et Sophie Clément, a largement fait part de l’omniprésence de la nature et de son
esprit, présidant les moments les plus exceptionnels comme les plus banales de la vie quotidienne,
occupant les coins et les recoins du plus signifiants au plus insignifiants de l’espace habité, mais
aussi de l’espace mental de la maison. La nature organise concrètement l’habitat, l’habite et le rend
vivant.
La maison doit être dans le village
La maison doit d’abord être implantée dans un milieu et un lieu propice, sur une terre riche
de telles sortes que l’on puisse aménager un potager, un jardin aux herbes odorantes, un bassin
piscicole, planter des arbres fruitiers, etc. La terre doit aussi être exondée mais bien alimentée en
eau, par un cours d’eau ou par une nappe phréatique, qu’un puits peu profond, creusé à la main,
peut atteindre. Ensuite, une bonne situation d’une habitation est liée à la situation du village. Une
maison doit obéir aux règles et aux codifications communautaires villageoises. Parmi les
nombreuses règles, beaucoup renvoient à la logique de la nature. Souvent, ils reflètent une profonde
connaissance de la nature par la communauté villageoise de base. Les actions sont réglementées par
les rites conduits par un astrologue que l’on consulte lorsqu’on doit intervenir dans la nature,615
apportant des dispositifs de prévention contre les méfaits divers et variés que les hommes pourraient
lui causer par leurs actions, ou vice versa, que la nature pourrait causer aux hommes. A titre
illustratif, nous pouvons montrer (ci-dessous les exemples) que la nature est au cœur de l’habitat et
de l’habitation, non pas en tant qu’élément détourné de son origine mais en tant qu’élément dans
son intégrité matériel, temporelle et symbolique.
Les arbres comme produit et comme matériaux
L’importance des arbres et des plantes dans la construction, la consommation et la
pharmacopée montrent que l’identification et la perception de la nature peuvent se faire sous
différentes formes. Les arbres et les plantes sont considérés par les Lao comme ayant un esprit et
aussi comme étant des produits de consommation, des matériaux de construction et en conséquent
des techniques qui en découlent sont maîtrisées. Leur cueillette, leur plantation, leur consommation,
leur utilisation et toutes les traditions les concernant ne peuvent être que codifiées et conduites par
des règles mettant en avant le respect des esprits qui les habitent, du savoir-faire et de la maîtrise
615 Nous renvoyons le lecteur aux travaux de Pierre et de Sophie Clément dans l’Habitation lao, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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des techniques. Leur cueillette ou leur coupe dépend du temps et des saisons que l’on appelle
moment propice ou bon augure. Etant donné que les arbres ont un esprit, cela a un lien avec les
pieux de fondation fabriqués avec des essences particuliers : pour les Lao Tai, les pieux ne
représentent pas un lingam comme pour les Khmers, mais plutôt un arbre.616
Par exemple, la coupe du bois (la sélection du bois par rapport à sa maturité et à la
préservation de la forêt), le rangement (la préparation, l’étuvage du bois et son entretien par rapport
à l’économie du temps de travail) et la mise en œuvre (la technicité et ses limites) sont réglementés.
Comme le note Pierre et Sophie Clément617 : « […] Le jour fixé, on part en forêt avec quelques
proches en emmenant des […] cornets en feuille de bananier remplis de fleurs, des bougies et des
grains de riz. Lorsque l’on a choisi un arbre, on construit devant lui un petit autel en bambou sur le
quel on dépose ces offrandes, puis on s’adresse au génie de l’arbre (par des formules élogieuses)
[…]. Il y a de nombreuses règles à observer pour le choix des arbres qui constitueront les poteaux
esprits de la maison ; les unes obligent à considérer l’apparence de l’arbre, d’autres sa situation,
ou les manifestations de l’esprit qui l’habite […]. » Le choix de l’arbre se fait donc par son
apparence : « on ne peut retenir un arbre qui a des trous, un arbre qui fait une fourche […], ni
l’arbre […] dont une branche est morte, ni bien sur un arbre mort sur pied […] » ; par sa situation :
« on doit éviter les arbres qui poussent sur des termitières, […] ou ceux qui couvrent de leur ombre
une rivière » ; par son comportement, durant sa coupe ou durant son étuvage naturel en tant que
matériaux,
618 qui est alors attribué à la manifestation –bonne ou mauvaise– des génies de l’arbre :
« ainsi, on doit se méfier d’un arbre qui respire […] qui pète au moment de l’abatage […] lorsque
se produit une explosion violente […], écarter un arbre qui pisse […], arbre dans lequel les trous
se sont formés et par lesquels se répand la sève. » Les phénomènes attribués aux manifestations des
génies décrivent les comportements du bois en tant que matériaux ; et ceci indique sa mauvaise
résistance, pouvant entrainer une mauvaise qualité constructive. La manifestation du génie peut être
vérifiée et raisonnée par l’analyse de la qualité constructive de tel ou tel bois. Par exemple le bois
qui explose dans le sens de ses fibres –phénomène attribué au refuse du génie– de fait, peut
continuer à emmagasiner de minuscules fentes dans les parties non encore fendues au moment de
l’explosion, mais en séchant les fentes seront exponentielles, devenant de mauvais bois pour la
construction. La manifestation capricieuse du génie peut ainsi être un répondant par rapport à
l’exigence et à la qualité technique des matériaux et du savoir-faire des artisans.
Les arbres et leur fonction symbolique
L’insertion de l’habitat dans la nature ou la place que tient la nature dans l’habitat, semble
alors relever davantage d’un dialogue et d’une accumulation historique des connaissances et des
expériences empiriques, que des pratiques aveugles issues des croyances. Cependant, seule la
symbolique des choses est considérée comme pouvant être raisonnée en dehors des champs de
l’empirisme et de l’expérience. En effet de nombreux exemples illustrent le fait que les règles et les
codes ne trouvent pas des raisonnements logiques, mais semblent seulement répondre aux exigences
du symbolique. Concernant ce fait, nous voulons montrer un exemple. Cela concerne l’essence des
arbres, choisie autrefois pour construire les pieux de fondation des villages. Le choix ne semble pas
répondre au souci de solidité et de pérennité. A Ban Phay Lom, maï haï (Figus religiosa) et maï
tchik (Shora obtusa, dipterocarpaceae) ou maï tchik dong (Vatica odorata, dipterocarpaceae), qui
mettent du temps à sécher et qui se fendent facilement, ont été utilisés pour fabriquer les pieux de
fondation, alors qu’ils ne sont pas les essences les plus résistantes. Vulnérables face à l’agression
616 Terwiel, B. J. « The Origin and Meaning of the Thai ‘City Pillar’», op, cit. 617 Pierre et Sophie Clément, Ibid 618 Le séchage naturel consiste à faire sécher le bois pendant plusieurs annnées à l’air libre et dans l’ombre. Soit on laisse
le tronc d’arbre tel quel, soit on les prépare par des coupes en section que l’on veut utiliser. En ce cas on empille les
planches tous en prenant soins de créer des espaces entre les planches par des calles du même matériaux. Les bois sont
généralement rangés sous les pilotis des maisons ou sous le grenier à riz. On puise aussi dans ces réserves de bois pour
réparer la maison.
Fig. 83. Plan- masse de Ban
Donoun,
Vientiane, 1972.
L’habitation
lao. Vol I, p56
Fig. 82. Planmasse
d’un
village Tariang,
Ban Dak Seng, en
2003. D’après les
sources de
Vanitha
Posavatdy The
life and house of
the Tariang
people, IRCLMIC,
2003.
Project : a Study
on Preservation of
The Tariang
Architecture of
Dakcheung
District of Sekong
Province.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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des termites et des intempéries, ils ont dû être remplacés cycliquement. Pourquoi utiliser de telles
essences, alors qu’il existe de nombreuses essences plus résistantes ? Quelle que soit la qualité des
autres essences, force est de constater que les pieux de fondation du village qui voulait affirmer sa
radicalité religieuse et l’éradication du culte des phi, ne devraient être qu’en maï tchik et maï haï ;
parce que maï tchik aurait été utilisé pendant la mise au feu de la femme après son accouchement, et
maï haï aurait été de la même famille que les arbres du parc de Lumbini sous lesquels la reine Maya
a donné naissance à Sidharta, et la même famille que l’arbre qui a abrité son illumination.
La maison et son implantation dans le village, les règles communautaires
Une maison d’ethnie lao tai ne peut jamais être construite isolément à l’écart du village.
Autrement dit, on ne peut concevoir une habitation ou une ferme isolée quel que soit son degré de
ruralité ; à moins que ce soit une simple maison de rizière. Celle-ci étant une construction plus ou
moins provisoire destinée à être un abri de repos pour les heures chaudes de la journée durant les
travaux de rizière. On y passe exceptionnellement aussi la nuit pour surveiller les récoltes et les
paddys avant leur montée en grenier. Cette construction, appelée thieng na et thieng haï, peut alors
être construite loin du village, dans les rizières et dans le haï.
La maison est liée directement à l’implantation du village lui-même et aux règles qui lui
sont attachées ; elle doit respecter les nombreuses codes du village, les obligations et les interdits
que l’on appelle kam ban [da,[kho]. Parmi les règles, en font partie le bon ou le mauvais
emplacement, les jours fastes ou néfastes pour planter un arbre ou une plante, pour creuser un puits,
construire une clôture, etc. Autrefois, les règles sont respectées scrupuleusement car on ose
rarement les défier. Lorsqu’on les transgresse on devient phid ban [zyf[kho] ou kabin ban [dt[yo[kho].
Par exemple, il est connu qu’on ne peut réutiliser les anciens bois qui avaient servis à construire des
greniers à riz pour construire une habitation ; le malheur accablerait les occupants, pire, il peut aussi
accaparer les autres habitants du village. On trouve un certain nombre de cas de kabin ban figurant
dans le droit coutumier. Selon le degré de gravité on doit alors réparation vis-à-vis de tout le village
dont on a compromis la santé et le bien être ; on a surtout défié le phi ban qui nous donnait
protection. Les réparations sont alors adressées aux esprits du ban.
Le plan du village, les orientations des maisons et leur mode de construction, résultent des
règles assez précises. Le plan-masse des villages les plus anciens est caractérisé par une certaine
cohérence de l’orientation de leur façade principale, orientée parallèlement au fleuve ou à la rivière.
La façade principale étant parallèle au faîtage de la maison principale, la ligne de faîtage est alors
parallèle au cours d’eau. Et lorsqu’il y a ni fleuve, ni rivière, les maisons prennent pour référence, la
rue principale et plus couramment le parcours du soleil et l’édifice central de la pagode, le sim. Il en
est ainsi pour les maisons les plus anciennes qui subsistent encore dans les villes laotiennes.
A titre illustratif nous proposons de comparer le plan masse d’un village lao (ici à Ban
Donoune, Vientiane) à un village tariang de Muang Dak Cheung dans la province de Sékong
(population de parler môn-khmer). Cette comparaison, culturellement et techniquement, le plus
éloigné, montre comment la structure organisationnelle et symbolique de deux villages de cultures
distinctes pouvait être différente. Ceci dépend donc des données culturelles et ethniques de leurs
habitants. Le village lao se réfère : 1- aux orients, 2- au fleuve, 3- à la rue principale ou, 4- au
bâtiment principal du monastère, et 5- une maison doit s’articuler aussi avec une autre et ainsi de
suite ; par exemple, une maison ne peut tourner sa façade principale (là où se trouve son sya) du
côté de la terrasse à eau (san) d’une autre maison voisine (nouvelle ou existante) ; la coutume veut
qu’elle lui tourne plutôt son san ; de même, elle ne peut orienter son san à eau vers la façade
principale de la maison voisine.
Quant au village tariang, d’après le plan-masse de Ban Dak Seng, il s’organise autour d’une
place. La façade des maisons n’étant pas parallèle mais perpendiculaire au faîtage, le principe est
donc que la façade des maisons donne sur la place (parallèle à la place), les faîtages sont donc
perpendiculaires à la place du village.
Fig. 84. Plan-masse
de Ban Dak
Mouan, en
2003.
D’après les
sources de
Vanitha
PosavatdyDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Le second plan, celui de Ban Dak Mouane, montre quant à lui un autre principe : lorsqu’on
est en présence de chemin, les maisons orientent leur faîte parallèlement au chemin et les façades ne
se donnent pas sur le chemin, mais lui sont perpendiculaires. Le principe qui se dégage de
l’implantation des maisons tariang est un déterminisme assez simple : l’orientation des faîtages
suffit pour montrer si devant la maison il y a une place ou un chemin. En fait lorsqu’on montre un
plan-masse (avec représentation de faitage de toiture des maisons) sur un site assez abstrait, on peut
savoir que perpendiculairement à la ligne de faîtage, il peut y avoir la place du village, et
parallèlement à cette ligne il peut y avoir un chemin. Alors que les villages lao possèdent des
éléments déterminants plus complexes : les orients, les cours d’eau, les chemins, le monastère, le
voisinage et l’organisation intérieure des habitations.
Il y a là une remarque importante à faire concernant le respect des règles d’orientation vis-à-
vis de la place où se déroulent les cérémonies et les rituels communautaires les plus importants du
village tariang. Nous remarquons dans le plan-masse de Ban Dak Seng que plus de la moitié des
maisons sont nouvellement construites, leur couverture ont subi des modifications : la partie
arrondie de la couverture en paillote qui indique la façade a disparu ; à la différence des maisons
plus anciennes qui préservent encore cet arrondi qui permet de repérer les façades des maisons en
regardant seulement le plan-masse. Et précisément ce sont ces dernières qui gardent la position
perpendiculaire de leur faîtage par rapport à la place (maison 3, 24, 22, 20, 09, 05.), alors que celles
qui ont perdu l’arrondi de leur façade tendent à avoir le faîtage orienté parallèlement à la place tout
en conservant leur façade parallèle et frontale par rapport à la place. Ce qui veut dire que, ce qui
prime dans les deux éléments déterminants (relation place / faîtage, place / façade) c'est le binôme
place et façade. Les règles pour l'orientation du faîtage seraient ici abrogées avec les nouvelles
maisons construites.
II. II. e. 3. La notion de jardin et de paysage
Le jardin a d’abord une fonction utilitaire et domestique
Le jardin et le paysage sont deux notions qui se distinguent. Le jardin, [souan, l;o] est une
création, une production de l’homme. Il a surtout une fonction agricole et servante. Dans la
conception du jardin en tant que démarche agricole et dont servante à la vie quotidienne, nous
n’avons retrouvé aucune documentation ou pratique qui indiquerait que le jardin acquiert aussi une
fonction d’agrément. Du petit carré de jardin suspendu à la cuisine où on plante les herbes
odorantes, aux grandes plantations royales, en passant par les plantes que l’on cultive pour la
tradition de chique de bételles, le potager et le verger à côté de la maison, les jardins de rizière à la
saison sèche ou sur la berge des fleuves, le jardin est un élément créé pour servir la vie domestique,
participer à la consommation et à la confection des mets quotidiens. C’est cela avant tout le sens du
jardin et du jardinage. Autrement dit, chez les particuliers et le simple peuple, il ne s’agirait
seulement que des jardins d’utilité : plantation d’arbres et de plantes qui donnent les fruits, les
feuilles, les écorces et les racines que l’on consomme : des fleurs pour l’autel de Bouddha et l’autel
des esprits, des feuilles pour envelopper et confectionner des objets, les plantes odorantes et
médicinales pour la pharmacopée, etc. Ce qui voudrait dire que chez le simple peuple, l’idée de
jardin d’agrément n’existe pas.
Parmi les services que la nature a rendu aux besoins domestiques, on voit que la maison doit
être construite dans un encadrement naturel riche, l’habitant apporte en plus son sens de la pratique
et de la domesticité à son habitation en la rendant encore plus luxuriante. Ceci, même si de
nombreuses règles et codes se sont imposés à lui, car il faut non seulement satisfaire la vie
domestique quotidienne, mais aussi contenter les esprits de la terre, des arbres, du foyer, du village,
etc. Dans les années 1970, on peut encore voir de nombreux exemples d’habitation qui illustrent la
fonction domestique des jardins telle que nous venons d’évoquer. Aujourd’hui, ces exemples se
raréfient, ils disparaissent même. Les relevés de l’habitation lao effectués par Pierre et Sophie Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Clément demeurent quasiment les seuls exemples auxquels on peut encore se référer pour
comprendre la tradition de la domesticité de la nature dans l’habitat.
Le jardin d’agrément n’aurait existé qu’au palais royal et dans les monastères
Cependant, nous devons concevoir que le jardin comme lieu d’agrément n’est pas absent de
la culture lao. Le jardin royal créé de toute pièce autour de la résidence royale et le jardin des
monastères semblent être les seuls à être traités comme des lieux d’agrément et non-utilitaires. Mais
nous n’avons, pour le moment, aucune information ou documentation qui ferait allusion à leur
conception. Dans les notes de Père de Laria qui aurait visité Vientiane au XVIe siècle, il évoquait
des beaux espaces qui agrémentaient la résidence royale. Il n’est alors pas à douter que ces lieux ont
pu faire l’objet de traitement et de conception particulière. Il y aurait alors dans la culture lao la
conception de jardin d’agrément en dehors de son utilité et de ses services domestiques. Mais il
n’aurait existé probablement que dans les palais royaux et les monastères.
Par manque d’information et de continuité spatiale (aucun jardin qu’il soit royal ou
monastique n’a pu traverser l’histoire, ou être antérieur à la période coloniale) nous sommes un peu
devant un mur pour parler de l’origine et de la conception des jardins en tant que lieu d’agrément
concernant le jardin royal. Cependant, le jardin des monastères semble nous donner une piste à
explorer. L’état actuel des jardins des pagodes, ayant une fonction d’agrément, montre qu’ils ne
sont pas très différents des autres jardins d’agrément contemporains, que ce soit dans les lieux
privés ou publics. Largement influencé par la vulgarisation des espaces verts de la ville moderne
mise en place depuis la période coloniale, l’état de lieu actuel, montre pourtant que les jardins
monastiques développent une certaine thématique dans son aménagement, différente de la notion
des espaces verts traités dans l’urbanisme moderne. En étant attentif, il serait très probable que ces
thèmes de jardin puissent nous relier un jour à une origine plus ancienne. Les thèmes traités sont
totalement religieux et moraux. Les personnages du Jataka sont majoritairement représentés ainsi
que les animaux, en rapport avec les signes astrologiques lunaires, les mythes, etc. Les images, les
sculptures de représentation se mêlent dans la végétation, des parcours et des pas sont aménagés
entres ces représentations. Concernant le végétal lui-même, souvent l’ensemble est aménagé dans
un tel désordre folklorique qu’il est difficile de rechercher un ordonnancement éventuel. Les plantes
et les arbres plantés et cultivés n’ont pas forcément tous des liens avec les thèmes, mais choisi aussi
pour leur qualité propre. Il s’agit souvent des plantes symboliques et religieuses, telles que ficus
religiosa, ou des plantes considérées comme apportant des bons augures telles que kok khoune
(cassia fistula), kok champa (Michelia champaca, Plumeria alba). Si les plantes religieuses et
symboliques sont liées à la grande religion, les plantes des bons augures sont liées à des traditions et
des croyances populaires. A cela, on peut dresser toute une liste de plantes qui portent bonheur, qui
amènent de la chance et le renommé à ceux qui les plantent ; une liste que les gens considèrent avec
sérieuse aujourd’hui pour choisir les arbres à planter chez eux.
La représentation de la nature et de la végétation dans les fresques et les décors
architecturaux
S’il est difficile de retrouver un quelconque ordre de conception et de composition du jardin
et du végétal dans le désordre des jardins monastiques, à travers les thématiques et les décors
architecturaux, on peut néanmoins trouver le sens et le rôle que jouent les végétaux et leur
représentation, donnant à l’espace une certaine intemporalité. Sans rentrer dans les détails, on peut
retenir quelques principes de ces représentations picturales anciennes qui font apparaître deux
« écoles », provenant probablement de deux traditions ou de deux cultures différentes. La première
semble être primitive par rapport à la deuxième, et une certaine naïveté la caractérise. Les sujets
représentés sont créés sur un aplat (incrustation de céramique, gravure, dessin) sans contour
nerveux, sans notion de perspective et de dynamique picturale mouvementée. Mais la profondeur
existe pour exprimer les échelles (grande, petite), la distance (proche, lointaine), le temps (avant,
maintenant, après). Les personnages (plantes, animaux, humains) sont représentés avec clarté et
ingénue. L’histoire (événements et temps) se déroule dans une spontanéité picturale, dépourvue
Fig. 85
Illustrations
murales de la
bibliothèque
de Vat Xieng
Thong à
Luang
Prabang.
Une épisode
du Syaosavat
le Maha
BanditDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’artifice et de maniérisme ; la beauté qui s’en dégage est exceptionnelle et unique. Nous pouvons
nous conférer aux fresques en céramique de la bibliothèque de Vat Xieng Thong, narrant l’histoire
des Séna Makhika (un épisode du Syaosavat le Maha Bandit). La forme de représentation de la
nature ici, fait preuve de synthétisme, lui donnant une vision spontanée : dès les premiers regards,
on a la perception du caractère des sujets représentés.
La deuxième tradition se retrouve dans les arts appliqués : gravures et bas-reliefs des portes
des frontons des sanctuaires. La représentation de la végétation est exprimée de manière
ordonnancée, imposée par des règles assez précises. Les plantes deviennent des motifs qui
s’entrelacent et qui n’existent que par leurs mouvements, comme si toutes étaient des plantes
grimpantes. Les sujets humains sont reliés au mouvement vital des plantes et de la nature. Les
éléments végétaux, floraux, animaliers se reproduisent et se multiplient ainsi à profusion, poussant
et s’élançant ou s’enfouissant et se cachant. Ceci conduit par des dynamismes et des tentions
intérieures, exprimant la vivacité et la force de la vie. C’est ainsi qu’est caractérisé le vocabulaire
graphique des laï lao, rigoureusement réglementés. A partir des plantes, on distingue des familles de
vocabulaires : des dérivées des grimpants (khreua), des pousses (nô), des tiges (sô), des sommets
des pousses (gnot), etc. La liaison ou la reproduction des motifs entre eux se fait de manière
hiérarchique et par des règles strictes. Par exemple, ce n’est pas possible d’enchaîner les motifs
issus des pousses aux motifs issus des grimpants ; la compréhension de la nature des plantes permet
au graphiste d’enchaîner de manière juste les motifs et permet également d’inventer les nouveaux
vocabulaires sans commettre de fausses notes. Cet art qui prend racine dans la force et le
symbolisme de la nature et représenté de manière « baroque » est indéniablement influencé par l’art
khmer et indien, bien que le graphisme des laï lao a su se nourrir de ses sources endogènes pour
former ses propres vocabulaires graphiques et thématiques.
Quant aux thèmes animaliers, ils sont majoritairement mythiques. En plus d’être l’une des
sources des motifs, comme pour les éléments floraux, les animaux peuplent aussi le langage
architectonique et structurel du bâti plus que leurs décors. Ainsi le faîtage est la colonne vertébrale
du naga (nak sadoung), la panne faîtière est le ok kaï (la poitrine ou le cœur du coc), etc.
Les deux traditions sont nettement perceptibles dans l’art lao. Bien qu’elles soient
pratiquées de manière simultanée, il est fort probable que la première soit plus primitive par rapport
à la deuxième, comme le montre sa forme de représentation. Dans sa forme évolutive et élaborée
elle utilise un langage qui se rapproche indéniablement de celui des œuvres primitives que l’on
retrouve dans la représentation des hommes-grenouilles sur les falaises peintes (à Pak Ou
notamment), et de celui des motifs du tissage, eux aussi peuplés d’animaux et de végétaux ; eux
aussi synthétisées par des couleurs et des formes, voire, par un certain arithmétique. Les sujets
deviennent alors des motifs puis des symboles, définissant un langage idéographique. Ceci aurait été
une persistance formelle et inconsciente de la mémoire primitive oubliée. La première vision de la
nature par l’homme et la première capacité qu’il a à la représenter se retrouve ainsi mémorisée dans
cette première tradition artistique.
Le paysage, la recomposition de la nature par le mental
Du point de vue lexical, le mot pour désigner le paysage est thiéo thasanyaphab
[mu;mafltoyptrkp]. Il est composé de deux étymologies, le préfixe est en lao et le suffixe en palisanskrit.
Thiéo, théo [mu; c(;] désigne “ ligne, succession de lignes de vue horizontale ”. Le suffixe
peut provenir de deux étymologies. 1- La première est composée de deux mots : dassanìya-bhava.
Dassaniya (Pl) darsaniya (Sk) [maloypt] qui veut dire “ agréable à voir ” et bhava (Pl. Sk) [rk;t],
“ état, conception, existence ou condition, nature ”. L’ensemble de l’expression définit ainsi le
paysage comme « un ensemble de lignes visuelles horizontales, conçues par la nature pour être
agréables à la vue ». 2- La deuxième est composée de trois mots : dassana-niya-bhava. Dassana Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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(Pl) ou darsana (Sk) [malot], “ regarder, observer, vue, point de vue ” ; niya (Pl) [oypt], “ visionner,
imaginer, développer par la vue ”.
619 Ce qui donnerait à la définition du paysage comme « un
ensemble de lignes visuelles horizontales et successives, regardées et développées par une vision, à
partir d’un point de vue ». On peut retenir deux idées majeures. D’abords, le paysage est une
horizontalité. Il est composé de lignes horizontales qui se succèdent du proche au lointain, par
rapport à celui qui le regarde. Ensuite, le paysage est une seconde recomposition visuelle après que
la nature ait disposé ses données. Il dépend donc de celui qui le regarde, de la capacité de celui-ci de
recomposer et de développer visuellement les données. Le paysage serait donc une donnée relative,
un fait qui dépendrait de la culture visuelle de celui qui le regarde et qui le perçoit. En cela, le
paysage serait une création du mental. Dans le sens où la nature existe en tant que nature et dispose
des données qui vont composer le paysage, mais elle ne crée pas le paysage en tant que tel ; c’est la
perception de l’homme qui le crée. En regardant les données se trouvant devant lui, l’homme
percevrait ce qu’il a créé dans son mental visuel : il voit à travers une sorte de calque visuel et les
données qui se trouvent devant lui deviennent alors paysage. Si l’homme doit intervenir pour qu’il y
ait phénomène de paysage, il n’intervient pas physiquement, la nature et ses données sont une
altérité que l’on ne retouche pas, mais que l’on recompose mentalement puis visuellement. De quoi
serait constituée la culture visuelle qui compose le paysage chez les Lao. Nous pensons que les Lao
s’imprègnent beaucoup de ce qui les entoure, et au cours de ces imprégnations, les émotions, les
impressions et les perceptions naissent ; et ce serait cela qu’il retransposent et projettent dans le
paysage.
II. III. La modélisation par adaptation et par acculturation ou par rejet
et par rupture des espaces hérités, faces aux changements, de
l’indépendance à 1975
L’espace est un composant en devenir, mais aussi un composant hérité. Les interventions
des temps les plus anciennes jusqu’aux temps les plus proches de nous ont montré que la
modélisation de l’espace ne pouvait se faire sans eux. Ainsi nous avons pu le voir que les temps
anciens avant Sethathirat avaient forgé la formation des premiers modèles spatiaux, à partir des
dimensions anthropologique, mythique et géographique, de l’univers des croyances et des rituels.
La modélisation spatiale se poursuit avec les différentes périodes à partir du règne de
Sethathirat. Celles-ci avaient été caractérisées par la partie prise idéologique pour la restructuration
et le renouvellement des espaces hérités, à partir des données spatiales nouvelles de l’âge du
commerce et de la découverte territoriale que Sethathirat a su faire apparaître dans l’espace de
manière éclatante. La période de l’éclatement du Lane Xang en trois royaumes, les périodes
siamoise et coloniale qui mènent jusqu’à l’indépendance, ont également été les éléments forts de
modélisation de l’espace, que ceux-ci restent exogènes ou intériorisés et endogénisés.
Les espaces façonnés par les modèles historiques exogènes et endogènes que nous avons
évoqués ont caractérisé l’espace lao dans son ensemble. Mais ces espaces auraient été confrontés
essentiellement à trois composants de la modernité qui ont fait l’espace du XXe siècle. Il s’agit : 1-
de la partition territoriale et de la disparité politique du Laos durant la guerre froide entrainée par les
conflits idéologiques et politiques ; 2- des bouleversements socioéconomiques qui accompagnaient
la partition politique et le grand tournant urbanistique ; 3- du grand tournant spatial des années
1960.
619 Bounthanh Sinavong, Lexique étymologique lao Pali-sanskrit, op, cit ; Sissaveuy Souvannani, Dictionnaire Pali-Lao,
projet de développement lexical Pali-Lao, Vientiane, 2004.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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II. III. a. L’acculturation des modèles spatiaux
Les facteurs qui ont forgé la modélisation de l’espace lao ne seraient pas uniquement issus
des éléments endogènes à la question spatiale. Les données communes et extérieures à ce
problématique ont également été intériorisées et appropriées par le processus de modélisation
spatiale pour en faire ses principes. Cinq éléments semblent avoir connu une acculturation et avoir
été appropriés par le processus de modélisation et seraient devenus des facteurs influents dans la
formation du modèle spatial :
1- Les schémas symboliques et les modes d’usage de l’espace ont nourri les modèles spatiaux dans
leur période d’origine et ont marqué de manière récurrente l’espace lao dans son évolution, dans sa
morphologie et dans son mode d’organisation.
Nous avons déjà évoqué, les différents actes et rituels de fondation des temps anciens ainsi que les
croyances et les schémas symboliques qui en étaient issus et qui avaient joué un rôle majeur dans la
modélisation de l’espace, afin de comprendre les principes endogénisés qui participent à la
construction spatiale. Certains rituels sont encore d’actualité et rappellent leurs liens passés avec
l’espace habité. Rappelons essentiellemnet que les schémas symboliques qui configurent les
modèles spatiaux proviennent des juxtapositions du culte des phi et des devata et du culte
bouddhique. Les schémas symboliques de l’espace qui sont souvent décrits par les pratiques des
cultes et des croyances et aussi par l’usage des objets cultuels du passé, ont persisté et ont marqué
tant les lieux de vie privés que les lieux publics de la ville. Ils ont donné lieu aux modèles spatiaux
types. Nous l’avons vu notamment avec la pratique religieuse du site où a été implanté plus tard le
That Luang. Celle-ci avait induit des parcours particuliers entre la ville et le site et avait dessiné un
schéma symbolique pour tout le site, devenant un marqueur persistant dans la ville. Dans leur
ensemble, les schémas symboliques ont été formés par deux traditions historiques qui ont marqué
l’espace culturel du Laos. Il s’agit d’abord du culte des phi et des devata et il s’agit ensuite de la
tradition bouddhique. Le culte des phi aurait été composé de fonds animistes tai de tradition
septentrionale, associés aux cultes des autochtones proto-indochinois, comme le note Georges
Condominas.620 On peut non seulement distinguer deux origines cultuelles, mais aussi distinguer la
période qui avait suivi l’installation du culte bouddhique, où un phénomène de syncrétisme cultuel
entre les deux a été remarqué. Nous n’avons pas évoqué avec détail l’hindouisme, car il semble
qu’en dépit de ses traces archéologiques nombreuses, il n’a pas constitué aujourd’hui un modèle
spatial manifeste dans le territoire du Laos.
2- La conception du pouvoir par le passé a joué un rôle important dans la formation sociétale, puis
dans la création des modèles spatiaux. Quatre périodes du pouvoir ainsi que quelques traits de
l’organisation politique ont été déterminants. Ils auraient laissé leurs empreintes dans les données
spatiaux, et démontré que les modèles spatiaux historiques étaient profondément corollaires aux
modèles politiques. Et on retrouve cette coréllation avec une certaine constance dans les espaces qui
se constituent postérieurement.
Les deux idées ayant déjà été exposées (dans le sous chapitre précédent traitant des « modèles
endogènes »). Dans ce sous chapitre nous allons souligner trois idées : 1- la question
démographique était un problème récurrent et historique des villes lao, dont il semble que la
faiblesse avait contribué à produire une forme spatiale particulière. 2- l’évocation du mythe de la
ville invisible aurait apporté des données complémentaires à la conception et à la définition de la
ville. 3- le phénomène de déplacement forcé ou volontaire de la population, constamment pratiqué
620 « On a affaire dans ce culte aux vieux fonds animistes thaï enrichis de celui des premiers occupants proto-indochinois
assimilé par leurs conquérants. Non seulement ces phi sont communs aux populations de langue thaï (et correspondent
aux yang des proto-Indochinois orientaux), mais on retrouve leurs équivalents chez les Vietnamiens, les Cambodgiens, les
Birmans… » Cf. Georges Condominas Claude Gaudillot, La plaine de Vientiane, rapport de mission octobre 1959, réédité
par Seven Orient- Geuthner, en 2000.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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par les politiques au cours de l’histoire de la région du Moyen Mékong, aurait constitué un élément
majeur : il aurait forgé une certaine forme spatiale, un certain mode de gestion et de répartition des
hommes sur leur lieu de vie.
II. III. a. 1. La démographie, une question récurrente et historique des villes laotiennes,
mais leur faiblesse traditionnelle traduit-elle un modèle spatial ?
La faiblesse démographique, un fait indéniable
La faiblesse de la démographie du Laos était un fait indéniable et marque ce territoire tant
au cours de son histoire que durant sa période contemporaine. Ce constat est appliqué surtout à la
population lao et à la période lao de ce territoire. Et bien qu’il puisse s’appliquer très probablement
aussi à l’ensemble des populations qui l’ont occupé, les causes et les facteurs ne seraient pas les
mêmes. Si la faiblesse démographique était, dans une certaine mesure, commune aux petites
organisations anciennes de l’humanité avec quelques exceptions près, celle des Lao semble
particulièrement pointue et faire partie du principe organisationnel de sa société et de son espace.
Ceci, même si l’une des explications données à sa faiblesse démographique faisait partie des
explications données à la faiblesse de la démographie des sociétés humaines dans l’histoire :
effectivement, mise à part la guerre siamo lao qui a dépeuplé le Laos, on explique que le
paludisme –fait endémique– était aussi un grand facteur de ce sous-peuplement, comme le notent
les démographes 621
Le recensement des époques anciennnes est une catégorisation, il est aussi marqué par la
faiblesse et la rareté de la population
Le nombre de la population et sa répartition dans le territoire dans la période la plus
ancienne mettaient en évidence la rareté de la population qui constituait le Lane Xang. Ce fait était
aussi marquée par la catégorisation de la population au sein de la même composition spatiale. Ce
qui faisait du “ recensement ” ancien une sorte de catégorisation et donne un aperçu sur la
perception politique et de la gestion des hommes du Lane Xang.
Avant la période coloniale les chiffres étaient effectivement aléatoirs et concernaient des
catégories de population et non toute la population. Par exemple lorsqu’on évoque le
“ recensement ” de Sam-Saèn-Tai vers la fin du XIVe siècle, on sait maintenant que les trois cent
mille Tai correspondaient à une catégorie et non à la population du Lane Xang (voir plus bas). Plus
tard lorsqu’il y avait d’autres sources et d’autres chiffres, chaque source avançait des chiffres
différents. Cependant, les différentes époques et sources semblaient s’accorder sur l’aspect global
désignant le nombre de la population lao ainsi que son taux de croissance parmi les plus faibles de
l’Asie du Sud-est. Par ailleurs, la population des cités et plus tard celle des centres urbains est
également la plus faible, la plus difficile à constituer et la plus controversée aussi. Cette controverse
est liée à l’aspect rural des villes et du mode de vie de ses habitants qui, de manière globale,
brouillent la perception et les grilles de lecture dichotomique entre le rural et l’urbain et qui obligent
à revoir les critères d’évaluation. Les carences démographiques ont donc toujours été un enjeu
central dans l’histoire du Laos et exercent une grande influence sur la conception politique,
idéologique et spatiale de son territoire.
D’après le Nithan Khun Bourom, l’évaluation de la population du pays lao aurait été
réalisée pour la première fois par F’a-Ngoum vers le milieu du XIVe siècle. Les sources chinoises
621 « Les anophèles d’Asie, contrairement à ceux de l’Amérique et de l’Afrique tropicale, préfèrent les eaux courantes des
montagnes. Ainsi le paludisme transmis par les moustiques, plus actifs dans les montagnes que dans les plaines, explique
l’originalité du peuplement de l’Asie tropicale : sous-peuplement des régions hautes alors que les régions basses sont plus
peuplées et les deltas souvent surpeuplés. » In : Manuel de géographie, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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mentionnaient également que sous l’administration yuan622 les cartes des chefferies et des Etats
conquis devraient être accompagnées de chiffres sur les populations et les ethnies administrées. La
région occupée par le Lane Xang étant un territoire conquis des Yuan, ces chiffres s’ils existaient
dateraient du dernier quart du XIIIe siècle et porteraient sur un pays lao non encore formé, mais très
probablement administré sous forme de plusieurs chefferies éparses dont le site le plus important
serait Luang Prabang.
Mais revenons aux œuvres de F’a-Ngoum. En édifiant le Lane Xang celui-ci avait défini en
même temps l’identité des communautés ethniques qui le composaient tout en mettant en évidence
la communauté lao dominante623 à laquelle lui-même appartenait. Mais les chiffres n’ont pas été
mentionnés. Pourtant, l’histoire officielle prête à F’a-Ngoum le légendaire discours lors de la
proclamation du Lane Xang. Ce discours, s’il existe, mettait en évidence sa prise de conscience de
la faiblesse du nombre de la population. Faiblesse qu’il aurait prise en compte dans la conception du
pouvoir, dans la manière de diriger les hommes et de développer le pays, en soulignant l’importance
du nombre des hommes et de leurs forces de travail dans l’édification de son État 624
Plus tard, les sources chiffrées sur le nombre de la population lao seraient l’œuvre de Sam-SaènT’aï,
son fils, lorsque celui-ci accéda au trône vers 1380. Là encore, les 300 000 seuk qu’il recense
ne désigne qu’une catégorie de population.
625 Seuk [glyd] signifiant guerre, en l’employant le texte ne
désigne très probablement que les hommes aptes pour la levée d’arme. Le recensement de 300 000
Tai donna alors au monarque qui l’a réalisé le nom de Sam-Saèn-Tai. Le terme Tai [w8F wm] qui
signifie “ l’ethnie tai ” mais aussi “ citoyen libre ” associé avec le terme seuk, aurait alors désigné
les hommes libres, portants et corvéables, pouvant être levés à tout moment pour les guerres. Les
femmes et les enfants, les vieillards et les handicapés, les moines et les étrangers, les individus
appartenant aux minorités ethniques et les esclaves n’auraient pas été comptés parmi les 300 000
seuk. En ce cas, il serait permis d’imaginer que la population du Lane Xang était bien supérieure à
300 000 personnes, probablement deux ou trois fois plus.
Le manque de densité de la population
Le territoire lao, en particulier, les villes sont historiquement toujours confrontées à la
question de densité et de démographie. La notion de ville même a été remise en question par cette
forme particulière de carence démographique. Si nous nous référons uniquement à la densité de la
population, nous pouvons nous demander si la ville n’a-t-elle jamais existé, et nous pouvons dire de
manière générale et sans doute, un peu rapidement que le Laos ancien ne compte que deux villes :
Luang Prabang et Vientiane.
626 La vision non-urbaine que nous avons concernant les établissements
lao est induite davantage par l’absence de densité de leur population que par la faiblesse du nombre
de cette dernière, et aussi, davantage par le caractère des composants bâtis qui utilisent des
matériaux périssables (végétales : bois et bambou) pour leurs constructions, que par le mode de
gestion de leur espace social et politique. Car seules leurs fonctions politiques et militaires,
religieuses et intellectuelles, culturelles et économiques assureraient leur statut de ville. Nous
622 La dynastie yuan mongole règne sur la Chine entre 1264 et 1368. Mais nous ne connaissons pas la date exacte du début
de leur conquête sur l’ensemble du Moyen Mékong, sur les chefferies tai et les Etats plus importants môns et khmers.
Mais il semblerait que leur influence s’affaiblit dans cette région après l’investiture en Chine des Ming en 1368. 623 Le terme “ dominant ” doit être compris ici non pas en termes démographiques, mais en termes de domination politique
et culturelle. Car à l’époque il était très peu probable que le nombre des Lao soit supérieur au nombre de toutes les
minorités ethniques confondues et réunies dans le territoire.
624 « […] Gardez et protégez vos ban et vos muang de telle sorte qu’il n’y ait point de voleur ni de brigands et ne vous
entretuez point. Quelles que soient les fautes commises par les uns et les autres, que ce soient vos femmes, vos esclaves,
vos administrateurs et vos clients. Il faut que les autres puissent examiner les fautes avec raison et justice. N’exécutez
point la peine de mort si les fautes commises ne le méritent point. Emprisonnez les coupables, ensuite relâchez-les pour
qu’ils puissent vivre et trouver travail. La richesse de cette terre n’existe qu’avec les hommes, point d’homme, point de
richesses ni de biens. Je ne veux point que l’on tue pour ces raisons […] », in., Phongsavadan Lao, op, cit. 625 « Le seigneur ordonna le recensement des personnes vivant dans le territoire du Lane Xang. Les étrangers qui
viennent chercher refuge, les serfs et les serviteurs, les moines et les kha ne seront pas comptés. Il en résulte qu’il y a 300
000 seuk.» In : Annales du Laos, Luang Prabang, Vientiane, Traninh et Bassac, op, cit. 626 P-B. Lafont, Péninsule indochinoise, études urbaines.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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verrons que ces critères –matériels, démographiques et organisationnels– d’identification doivent
être constamment revus pour comprendre ce qu’est la ville dans cette culture particulière, sinon
nous risquerions de ne trouver nulle part au Laos une ville digne de ce nom.
Les hommes, une légitimation du pouvoir et du territoire
Les carences démographiques et le sous-peuplement du territoire lao ont toujours été les
facteurs tangibles pour l’existence du pays. La manière de conduire les hommes, d’édifier et de
développer le pays était historiquement marquée par la question démographique. Au cœur même de
la conception de l’unité politique et de la formation de l’Etat, l’homogénéité de la population
devenait un enjeu important, un composant “ rare ” et nécessaire dans la légitimation du territoire et
du pouvoir qui le composait. La population était non seulement la légitimation du pouvoir, mais
était surtout la légitimation matérielle d’un territoire, dans le sens où ce territoire devrait être habité
et l’espace façonné par elle et empreint de sa culture. La question démographique donnait donc à la
politique lao un trait de caractère particulier et renvoyait à la manière dont les pays limitrophes
conduisaient la leur à l’égard du Laos. Elle participait à la modélisation et à la construction des
références et des échelles spatiales. La conception lao de l’occupation de l’espace et la notion même
de territoire en dépendaient. Ainsi, le monarque -Chao phaèn dinh [g9Qkczjofyo], “ propriétaire des
terres ” était-il avant tout Chao sivit [g9Qk-u;yf], “ propriétaire des vies ” : son royaume véritable
n’était pas l’étendu des terres conquis et leurs richesses, mais le nombre des hommes sur lesquels il
règnait. Ce caractère aurait rapproché la structure sociale et politique des Lao de la structure des
peuples tribaux et nomades, dirigés par des chefs. Par ce caractère, même si ces derniers ne sont pas
un peuple nomade, nous pouvons penser qu’ils ont été marqués par les longues et successives
périodes de migration vers le Sud qu’ils ont connu, du moins au courant du premier millénaire.
Même lorsqu’ils se sont sédentarisés et ont fondé des cités, les enjeux humains seraient restés plus
forts que ceux du territoire. Nous avons déjà vu que cette notion est l’un des fondements de la
conception de l’espace politique lao au sein duquel serait défini l’État. Et c’est probablement en
restant des “ souverains des âmes ” que le pouvoir traditionnel lao n’a pu survivre aux changements
intervenus à partir de la fin du XVIIIe siècle dans le Sud-est asiatique continental : du pouvoir
souverain des âmes, on était passé au pouvoir souverain territorial.627 Un changement qui aurait été
bien compris par les souverains siamois, lorsque ces derniers cherchaient à annexer les royaumes
voisins : Lan Na, Lane Xang, Cambodge et Malaisie.
II. III. a. 2. Le mythe de la ville invisible et l’imaginaire
Le mythe de muang lap lé
Muang lap lé désigne la cité invisible, la ville cachée, plus exactement « la cité qui se
soustrait à la vue et à la connaissance du commun ». Mais elle serait vivante et ici maintenant.
« Seuls les gens bons, observant le dharma pouvaient la percevoir. Lorsqu’on y pénètre, rien, a
priori, ne distingue cette cité des autres. Les habitants vivraient sans cupidité, on serait envahi par
un sentiment de sécurité, de bonheur magique et de plénitude. Il faudrait rien prendre, rien
rapporter vers l’extérieur, et rien laisser si non, on perd son chemin de retour ». Tel était le mythe
de muang lap lé.
La conception de muang lap lé serait à la fois une théorie et un mythe. Elle n’aurait pas
existé qu’au Laos, puisqu’on peut rapprocher cette notion à une théorie politique liée à l’histoire de
la colonisation. Muang lap lé serait corollaire à l’instinct de préservation des peuples et de leur cité
contre l’invasion étrangère. La cité invisible est un lieu protégé et préservé contre les dangers et les
agressions extérieures. Pour cette raison, elle serait également liée à la protection du patrimoine et
de ses richesses, garant de la souveraineté et de l’identité des peuples menacés. Muang lap lé serait
aussi la représentation d’un mythe. La ville selon le Syaosavath, évoqué précédemment, serait l’une
627 P-B Lafont parle des souverains siamois à partir du XVIIIe siècle comme des « souverains territoriaux », ibid.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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des représentations de ce mythe. Dans la culture animiste-bouddhiste des Lao, les cités devraient
être sans cupidité, n’y vivraient que des gens bons observant le dharma. Une sorte de paradis
terrestre vivant et sans culpabilité, et non pas un paradis perdu du monde judéo-chrétien. Muang lap
lé incarne donc la cité idéale et la société idéale qui existent ici et maintenant, libre, dépourvue de
violences et de dominations. En ce sens muang lap lé incarnerait le mythe des origines et de la
finalité des cités. Il traduirait aussi dans le système de gouvernance, un projet de société, soutenu
par les principes moraux animistes et bouddhistes. C’est en cela et par bien des aspects que muang
lap lé peut incarner une théorie sociale et urbaine.
L’imaginaire du muang des populations déplacées, privées ou exclues de leur muang
Qu’est-ce que la ville, lorsqu’il n’y a plus de ville ou lorsqu’on n’accède plus à la ville ;
lorsque le sentiment d’avoir perdu la ville et d’être privé d’elle ramène les images de la ville
chargées de souvenirs, réels et réinventés ? Ces éléments ont-ils des influences sur la vision, le vécu
et l’invention de la ville d’aujourd’hui ? Ces questions jettent un éclairage sur les coins sombres
d’une réalité historique qu’une grande partie de la population lao a expérimentée durant les deux
derniers siècles. Dans une certaine mesure cette expérience s’inscrit quelque part dans le
subconscience culturel de la ville : pratique habitante, vision des monuments, rapport à la
gouvernance urbaine et l’imaginaire du politique portant sur la ville, etc.
Mise à part une culture particulière et ancienne du muang dans le monde lao tai dont nous
avons évoqué le contenu, l’histoire des deux derniers siècles a exercé une influence non-négligeable
sur la perception de la ville chez les Lao. Rappelons brièvement les événements historiques sans les
détailler (car ils sont traités de manière plus approfondie dans d’autres réflexions de notre
recherche). Effectivement suite aux événements successifs : déplacement d’une partie de la
population du Laos vers la Birmanie en traversant le Siam à la fin du XVIIIe siècle, destruction de
Vientiane et déplacement de sa population et de celle de Muang Phouan au Siam au début du XIXe
siècle, reconstruction des villes dans tout le Laos durant la période coloniale, ruralisation de la ville
durant les premières années de la RDPL, l’exile et la constitution de la diaspora lao en Europe et en
Amérique. Des groupes de populations ont ainsi été extraits physiquement ou mentalement de leur
ville ou de leurs lieux de vie, d’autres ont été mis à l’écart de la ville ou exilés, forcés ou
volontaires. Ces faits ont forgé certaines visions et certaines manières de vivre la ville. A travers
leurs visions a postériori, cinq définitions majeures de la ville semblent se constituées :
l- La ville dans son état de destruction. « La ville détruite, elle n’existe plus ». C’est ce qu’avaient
vécu les habitants de Vientiane et de Muang Phouan au début du XIXe siècle, lorsque leur cité
réciproque a été razziée. L’image de la destruction fait alors partie du caractère historique de la
ville. Les évocations plus que les descriptions à postériori des villes par leurs habitants nous sont
parvenues à travers les annales de Vientiane et de Muang Phouan. Ces évocations ne parlent pas de
l’espace lui-même, mais de la beauté abstraite de la ville transposée au travers des vocabulaires
évocateurs de sentiments. La ville est en ce cas les ruines de la grandeur et des fastes du passé, le
témoin de la fierté bafouée. Idéalisée, elle ne retrouvera jamais sa réalité, et peu à peu, elle fera
partie des villes mythiques qui font miroiter ses qualités multiples et imaginaires. Dans la mentalité
du simple peuple, mais aussi dans celle des politiques, elle s’installe comme un avatar de la “ ville
lao authentique ”. Elle est figée dans une description fortement pittoresque : des maisons en bois sur
pilotis partout, des toits à pignons jumeaux très effilés, des pieux de fondation et des remparts
reconstitués, etc. C’est l’image que l’architecture officielle tente aujourd’hui en partie de retrouver.
En cela il suffit de regarder le langage architectural utilisé dans les équipements publics les plus
représentatifs à Vientiane (palais du gouvernement, palais de Justice, nouvelle préfecture, etc.)
2- La ville devenant celle des autres. Lorsque la ville et les villes ont été reconstruites durant la
période coloniale, dans un système de gouvernance politique et urbaine inaugural, de nouvelles
cultures de la ville sont apparues, avec les nouveaux acteurs, les nouvelles règles, les nouveaux
habitants, etc., les Lao de souche ayant déserté la ville pour la plupart, avaient le sentiment d’être
exclus, d’être à l’extérieur de la ville. Les villes qui renaissent étaient alors étrangères, hors de leursDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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portées, elles devenaient celles des autres : ils ne voulaient plus y accéder, ni participer à leur
construction. La ville coloniale était ainsi la ville des occupants. Les Lao s’étaient extraits donc de
cette histoire urbaine. Aujourd’hui, cette vision traduite une certaine ambiguïté : il y a à la fois le
refuse et le salut de la ville coloniale qui y laisse encore sa trace. D’un côté, les bâtiments coloniaux
font partie de la liste des inventaires du patrimoine national à protéger, notamment à Luang Prabang
et à Vientiane, où la présence de la politique culturelle et diplomatique de la France a joué un rôle
important. Et de l’autre, la démolition de ces bâtiments considérée comme un fait tout à fait
acceptable si besoin est ; à Vientiane comme dans les autres anciens centres urbains coloniaux et en
particulier dans les provinces reculées, notamment à Attapeu où aucune liste et recommandation
patrimoniale n’a été faite. Le refuse de protéger les bâtiments coloniaux et son architecture ainsi que
ses trames viaires –qui ne font pourtant qu’exprimer aujourd’hui la mixité urbaine– traduit, semblet-il,
ce refuse de la ville des autres.
3- La ville imaginée et idéalisée, lorsqu’on a le sentiment de l’avoir perdue, non seulement son
cadre, mais aussi son mode de vie passée, est le symbole d’une vie meilleure. Ceci semble
correspondre au sentiment de beaucoup de Lao de la diaspora vivant en Europe et en Amérique. La
ville, voire, le pays entier qu’ils ont quitté n’aurait pas évolué, mais figé dans leurs souvenirs. La
ville aurait alors été le cadre de la vie passée, confondue à la joie et au bonheur qui se sont arrêtés
avec l’événement de 1975. Cette ville est celle d’avant 1975, c’est la ville de la jeunesse et de la
liberté. On ne garde alors dans ses souvenirs que les belles images, occultant presque le malheur de
la guerre du Viêtnam qui constituait pourtant la toile de fond des villes de l’époque. La ville est
ainsi réinventée en même temps que l’embellissement des souvenirs. L’image de la ville se focalise
souvent sur quelques quartiers qui ont été le théâtre de la vie individuelle et intime de chacun.
Viennent parfois casser l’image, ou plutôt la vie passée et idéalisée, les souvenirs violents des
premières années du nouveau régime. Ceci, pour ceux qui ont quitté le pays entre 1975 et 1982. La
ville s’enlaidit alors en se confondant aux souvenirs de destruction, de perte, des camps de
rééducation, de la traversée du Mékong et de communisme, etc. Beaucoup de personnes refusent de
revenir au Laos, se confortant dans les souvenirs douloureux, mais de peur aussi que ces images qui
étaient les raisons et les éléments justificatifs de leur exil ne soient trahis par l’actualité d’un pays
qui s’ouvre et qui change.
4. - La ville interdite. Les événements de 1975 marquent la fin de la ville. Dans la mesure où les
réjouissances de la ville étaient devenues interdites : lieux de rassemblement, espaces publics ou
privés aléatoires (rues, lieux privés, certains lieux de cultes, réunions familiales) ou organisés (les
loisirs divers et leurs lieux, les fêtes païennes et religieuses). La ruralisation de la ville amenait une
autre pratique de l’espace urbain et une population rurale qui se voulait laborieuse. Pour les citadins,
ce fut la fin de la ville, avec le sentiment d’être privés et d’interdits de la ville : la vie citadine
devenant simplement impossible, voir clandestine. On se retire à la campagne souvent, parce que le
jardin autour de la maison en ville qui était devenu productif, n’est plus suffisamment grand pour
aménager les jardins potagers et l’élevage de subsistance. La ville était devenue pauvre, la
consommation rationnée et réduite au minimum, la campagne se voulant productive aurait alors été
considérée comme riche : la ville a dû prendre en exemple.
5. La ville des réalités du passé, c’est la ville des souvenirs qui prend une ampleur et une dimension
symbolique plus grande. Les instants du passé, inscrivant ses réalités dans les mémoires
individuelles et familiales étaient devenus historiques. Ce sont alors les déplacés de la fin du XVIIIe
et du début du XIXe siècle avant la destruction des villes, qui auraient gardé les mémoires les plus
fidèles. En ce qui concerne les anciens habitants de Vientiane et de ceux qui l’avaient quitté avant
sa mise à sac en 1828-1829, nous pouvons évoquer leurs descendants qui vivent aujourd’hui en
Birmanie et à la frontière birmano-thaïe, appelé les Lao Long (les Lao égarés). Intérrogés dans un Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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documentaire,628 les plus âgés représentent encore Vientiane sous son visage doré, avec ses
monuments et ses habitations qui pointent leurs multitudes sô-f’a vers le ciel. Vientiane, c’était
aussi la richesse et la chaleur des foyers avec leurs jardins aromatiques suspendus, leurs arbres
fruitiers et leurs aréquiers. Pour les plus jeunes, lorsqu’on leur demande où se trouve Vientiane
maintenant, ils disent que c’est à Tavoy même, la ville Birmane la plus importante à une
cinquantaine de kilomètres de leur village. Vientiane n’est plus le nom d’une capitale, mais signifie
“ capitale ”. Une dame interviewée raconte que des générations passées avaient tenté de rejoindre
Vientiane, mais en général, ils n’arrivent qu’en Thaïlande, et aucune nouvelle de ceux qui auraient
atteint la ville des ancêtres ne leur serait parvenue. D’après une autre interview, réalisée vers 1990
par un jeune bonze de Vientiane629 auprès de la même communauté, les enfants auraient dessiné le
That Luang lorsqu’il leur demande comment est Vientiane. Mais aucune image du Laos n’est
repérée dans les foyers. La Ville des souvenirs des générations passées, c’est la ville imaginaire des
générations présentes et à venir, mais dépourvue de toute idéologie. L’imaginaire de Vientiane
continuerait à persister tant que ces derniers continuent à parler Lao avec clarté (accent de
Vientiane), tel qu’ils le font aujourd’hui : leur langue rappelle leur différence parmi les
communautés mônes, shanes et birmanes.
Vue à travers ces définitions, la ville absente serait unique, mais possèderait plusieurs
représentations qui rejoignent le mythe et l’imaginaire. Sans pouvoir les interroger de manière
approfondie, nous avons tenté ici de comprendre comment la ville a été vue et vécue à travers les
contextes évoqués, et surtout sous quel aspect a-t-elle été projetée dans l’espace d’aujourd’hui.
II. III. a. 3. Le déplacement de la population, mode et processus traditionnel d’occupation
ou d’abandon de l’espace, de développement ou de destruction des villes
La constitution des ensembles politiques dépendait aussi de deux faits : déplacement forcé
et migration. Schématiquement, nous constatons que derrière les longs processus d’occupation
territoriale, il y avait une instrumentalisation des données démographiques qui surgissait de manière
constante dans l’histoire régionale. Parfois, une population était déplacée d’un territoire vers un
autre pour combler l’insuffisance de la population et de la main d’œuvre, pour constituer une
conscription et prélever des taxes de capitation. Ou encore, on dépeuplait un territoire pour réduire
la puissance de son pouvoir politique, que ce soit à l’échelle d’une chefferie ou à l’échelle d’un Etat.
Ce phénomène était lié –comme nous l’avons souligné précédemment– à la légitimation du pouvoir
et du territoire par les données humaines. Par exemple pour déconsolider l’unité politique d’un
territoire constitué, les procédés n’étaient pas forcément son annexion, mais plutôt l’amputation de
la population qui la composait. Ce fut le cas notamment du déplacement des habitants de Vientiane
vers le Siam au début du XIXe siècle. Il existe un terme très descriptif en Lao : kouad-tone
[d;f8hvo], qui signifie “ nettoyer et regrouper pour déplacer ”, que les populations lao vivaient
généralement comme une rafle. Un sens tragique qui accompagnait leur mémoire jusqu’au milieu
des années 1970.
En fait, entre un déplacement volontaire et solidaire et un déplacement forcé, les régimes,
les fondations et les guerres –connus depuis le XIVe siècle dans le Moyen et le Haut Mékong,
qu’elles soient au profit du Lane Xang ou au détriment de celui-ci, recouraient aux déplacements de
la population. Cette pratique devient indéniablement un fait et un trait culturel qui participe à
l’identification de l’espace lao, partagée par les Siamois et les Birmans. La population était en fait
une donnée importante pour la conceptualisation des établissements lao tai, mais également une
628 Cf, « The Lost Laotians for more than 200 Years » (Lao Long, manout thi keut ma peua tuk kouad tone. Les Lao
égarés, des hommes nés pour être déplacés), documentaire vidéo, réalisé par Dok Champa, Etats-Unis, 2005. En Lao,
sous-titrage en Anglais. Un journaliste américain et un journaliste thaï effectuent des investigations à la frontière birmanothaïe
sur les clandestins sans-papiers. Ils découvrent que parmi clandestins apatrides beaucoup sont des descendants des
Lao qui ont été déplacés au XVIIIe et au début XIXe siècle, et qui restent toujours sans nationalité. 629 Novice à Vat Ongtù, le jeune bonze a été boursié pour étudier en Birmanie dans un programme d’échange religieux. Il
a visité trois villages du côté de Tavoy où il a rencontré les Lao de l’ancienne Vientiane.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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donnée instrumentale pour des manœuvres politiques et économiques spatialisées. C’est pourquoi
connaître l’origine ethnique d’un territoire donné est une tâche complexe quasi-impossible dans
cette région.
En occurrence, une littérature était née pour rappeler cette culture du déplacement. Celle-ci
est tantôt exaltante, emprunte de ton héroïque et légendaire lorsqu’il s’agit de construire un territoire
homogène. Notamment lorsque Sethathirat ordonna le peuplement de Vientiane pour renforcer son
statut de capitale au XVIe siècle en faisant venir les habitants du Nord (de Luang Prabang, de Xieng
Khouang, etc.), ou lorsque Phraku Gnotkéo Phonnesamek emmena depuis Vientiane une colonie de
plusieurs milliers de personnes peupler Champassack vers la fin du XVIIe et au début XVIIIe siècle.
Tantôt tragique lorsqu’il s’agit “ d’effacer ” un territoire, lorsque les Siamois déplaçaient les
Phouans de Xiang Khouang vers le Laos occidental au début du XIXe siècle, ou lorsque les grands
du royaume entrent en conflit : lorsque les princes entrent en rébellion contre le pouvoir central, il
quittent le royaume en embarquant avec eux des populations croyant reconstruire ailleurs leur
propre chefferie. Trimballée sans repos et parquée dans des situations invraisemblables lorsque les
princes en question venaient à disparaître. Ce fut le cas des Lao déportés jusqu’en Birmanie, suite
aux mésaventures des conflits princiers.630
Le Phongsavadane lao et le Tamnan Khun Bourom631 évoquent le côté héroïque de la
constitution du territoire lao, et parle du déplacement de la population comme une nécessité désirée,
alors que les chroniques -Phueun [rNo]- Phueun Vieng [rNo;P’] et Phueun Muang Phouan
[rNog,nv’r;o], retracent dans un autre contexte de manière plus locale le drame des déplacés. A côté
de cela, les autres sources d’importance secondaire sont nombreuses et disparates.
Dans les années 1960-1970, le gouvernement de Vientiane et le gouvernement du Parti du
Peuple Révolutionnaire Lao (PPRL) se disputaient à qui la population de tel ou tel territoire
appartient-elle. On appelle cela seuk gnat pasason [glydpkfxt-k-qo. “ Guerre pour la possession du
peuple ”. Le gouvernement qui rassemblait le plus de réfugiés qui avaient fui les combats et qui
étaient venus chercher refuge dans son territoire se targuait être en terre de paix et que la barbarie
était chez l’autre. Dans les débâcles pour mettre la population en sécurité pendant les combats, il
arrivait fréquemment que le gouvernement du PPRL débâclait le bout d’un village et le
gouvernement de Vientiane en débâclait l’autre bout. Les familles se retrouvaient ainsi séparées et
involontairement parquées dans deux camps opposés.632
Cette culture du déplacement, comme instrument politique et économique, mais aussi –toute
proportion gardée– comme garant de la face et des honneurs, a été partagée aussi par les Siamois :
« il faut vider Vientiane pour qu’elle ne puisse jamais revivre », devis qui aurait été prononcé par
les responsables siamois lors de la mise à sac de la ville. Conscients que Vientiane ne serait rien
d’autre qu’un hameau de villages sans sa population citadine et ses princes déplacés vers la rive
droite du Mékong. Nous avons déjà démontré dans notre étude traitant des « villes siamoises
comme facteurs exogènes » que le Laos occidental a vu surgir des nouvelles villes dans son
territoire quelques décennies après 1829.
633
630 Documentaire « Lao long, manut keut ma peua thuk kouad tone ». Op, cit. Les Lao Long seraient déplacés plusieurs
fois : durant la guerre siamo-lao mais aussi avant, lorsque les princes de Nongboulamphu (Phravo et Phrata) entrent en
cécession par rapport à Vientiane, ils auraient déplacé avec eux plus d’un millier de personnes. Des groupes seraient venus
jusqu’à la région frontalière birmano-thaïe. 631 Version annotée par S. Viravong et version annotée par K. Vongkotrattana, puis celle ré-annotée par A. Pavie, sont
considérées comme uniques sources historiques écrites. 632 Nous observons fréquemment, trente ans après, que les familles se retrouvent, les uns revenant des Etats-Unis ou de
France, parce qu’elles avaient été amenées à Vientiane puis entre 1975 et 1980 avaient quitté le pays devenant des
réfugiés politiques aux Etats-Unis ou en Europe ; les autres venant des zones libérées de Sam Neua. 633 « […] des groupements de populations. Et lorsque ces regroupements s’agrandissent assez, des ordonnances royales
(émanant de Bangkok) viennent les statuer en cité. On peut dire que sous le règne de Rama III, le Laos occidental compte
des créations de nouvelles villes plus que n’importe quel règne dans l’histoire du Siam […] ». In. La politique des deux
berges du Mékong, Dalalat Métanikanonh, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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II. III. b. La partition territoriale et la disparité politique du Laos durant la guerre
froide
La contextualisation locale des conflits mondiaux et régionaux de la guerre froide se traduit
dans la politique laotienne par une disparité territoriale accompagnant une disparité politique dès la
fin de la guerre de l’Indochine en 1954. Sont apparus deux pouvoirs politiques et deux zones
distinctes à l’intérieur du Laos. En 1953 parallèlement au gouvernement royal de Vientiane, un
autre gouvernement appelé Néo Lao Issara634 a été formé à Viengxay par le Prince Soupanouvong.
Ce gouvernement contrôlait les provinces de Sam Neua et de Phongsaly dites “ zone libérée ”, alors
que le reste du pays était resté sous le contrôle du gouvernement de Vientiane. Ceci, dans une
monarchie reconstituée et constitutionnalisée autour de la famille royale de Luang Prabang ; le
Prince de Champassak ayant renoncé à son droit dynastique en 1946.
635
Le Néo Lao Issara sera reconnu par la communauté internationale au même titre que le
gouvernement de Vientiane lors de la Convention de Genève en 1954 entérinant la fin de la guerre
de l’Indochine et inaugurant l’indépendance du Laos.636 Et lorsque le Royaume du Laos sera
membre des Nations-Unies en 1955, le gouvernement Néo Lao Issara aura aussi son représentant.
Bien que plusieurs tentatives d’unification aient été préconisées par les deux parties, la partition
territoriale inévitable, une fois faite le restera pour deux décennies (c’est-à-dire jusqu’au moment où
Luang Prabang et Vientiane deviennent la zone neutre lors du traité de réconciliation nationale le 21
février 1973). En 1957, sous le 8e gouvernement dirigé par Souvannaphouma, un premier
gouvernement de coalition a été formé. Les provinces de Sam Neua et de Phongsaly ont été
théoriquement restituées au gouvernement royal. Mais lorsque les membres du Néo Lao Hak Sat
(NLHS) ont été arrêtés en 1959 les hostilités reprenaient de nouveau dans les zones de combat. En
1962, l’affirmation d’un Etat neutraliste et la tentative de formation d’un gouvernement de
réconciliation et d’union nationale démontraient un désir de paix et d’harmonisation territoriale par
les deux parties. Mais les conflits régionaux et mondiaux qui se localisaient dans le territoire laotien
et qui se traduisaient dans sa politique nationale empêchaient toute tentative de paix. Alors que le
Viêtnam Nord qui soutenait le NLHS utilisait le territoire laotien pour mener des actions dans le
Sud Viêtnam, les Américains y menaient de leurs côtés des actions pour construire une barrière
anti-communiste.
Malgré tout, des tentatives d’union nationale se succédaient intercalées par des coups d’Etat
et des remaniements politiques, alors que sur le terrain les frappes aériennes américaines et les
frappes des Vietminh au sol s’intensifiaient. Ceci, jusqu’à le début tardif des années 1970. Le
nombre des réfugiés connaît une augmentation exemplaire dans tout le pays. Les mouvements se
faisaient des montagnes vers les plaines, de la campagne vers les villes, et de l’Ouest vers l’Est. Un
dernier et fatidique gouvernement de réconciliation nationale a été formé en 1973, marquant la fin
de la guerre. Mais il marqua aussi la partition du Laos en trois zones : la zone libérée occupait 4/5
du territoire, la zone neutre avec Luang Prabang et Vientiane, et la zone du gouvernement de
Vientiane qui occupait le reste du territoire. Cette partition tripartite allait s’achever en 1975, le
gouvernement de coalition ayant été dissout, le communisme ayant pris le pouvoir dans l’ensemble
du pays sous la bannière du NLHS. Le Congrès des Représentant du Peuple prendra en main le
destin du pays en le proclamant République Démocratique Populaire du Laos.
634 Néo lao Issara devient Néo lao hak sat en 1956. Cf. Annexe : « Eléments chronologique de l’histoire du Laos ». 635 Cf. Le Modus vivendi du 27 Aout 1946 prévoyait l’indépendance du Laos dans l’Union française et déterminait le
statut institutionnel de la principauté et du prince de Champassak dans le futur Etat indépendant. Afin de former un Laos
unifié le Prince Boun Oum a renoncé à son droit dynastique et accepte la fonction du troisième personnage du pays. 636 En cette même année : le Vietnam s’est séparé au niveau du 17e parallèle formant le Vietnam Nord et le Vietnam Sud ;
l’OTASE (Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est), organisation anticommuniste a été créée et le Laos du
gouvernement royaliste en faisait alors parti. Le Laos recevait également les premières aides américaines.
(Fig. 6. Op. cit.
Page 43)
Avancement de la
zone libérée par rapport à la zone du
gouvernement de
Vientiane.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 361 -
La création de la zone neutre en 1973 était artificielle et n’avait pas de conséquences
importantes sur le plan spatial. Il était uniquement stratégique et militaire permettant aux forces du
NLHS de prendre le pouvoir. C’était la partition en 1954 qui avait joué un rôle déterminant. Sur le
plan spatial, cette partition territoriale était calée sur une préfiguration géographique, humaine et
économique existante. Elle exprimait un déséquilibre –en terme démographique, de taux
d’urbanisation, de croissance économique et de circulation des hommes, correspondant aussi à une
préfiguration géographique, humaine et économique ancienne. Il y avait d’un côté, les zones
montagneuses et rurales qui étaient moins développées et moins peuplées. Il y avait de l’autre, les
zones de plaines et du bassin du Mékong, plus urbanisées, plus peuplées et plus développées. En fait
la situation politique s’était plaquée sur une donnée géographique, humaine et économique déjà
existante. C’était une forme particulière de contextualisation locale de la situation politique
régionale qui rendait la situation spatiale du Laos différente des autres territoires qui ont connu une
partition politique semblable. En outre, il n’était pas question de partition nord/sud (comme l’étaient
le Viêtnam et la Corée) ou est/ouest, comme l’était l’Allemagne, mais il s’agit de partition entre la
région de plaine et de montagne, entre les territoires vides et les territoires de peuplement.
Lorsqu’ils étaient confrontés à la partition territoriale et à la disparité politique, le et les
modèles de ville et d’établissement lao, forgés de manière exogène et endogène, telle que nous
l’avions évoqués précédemment, aboutissaient à deux formes et deux modes de fonctionnement
différenciés. Sur le plan spatial, il est important de comprendre quelle conséquence avait la partition
politique et territoriale sur la configuration spatiale et sociale de ces zones, quel type d’espace et
quelle ville vivait-on.
II. III. b. 1. La zone libérée
La zone libérée était d’abord constituée de deux provinces, Phongsaly et Sam Neua. Elle a
été formée en 1953 et reconnue en 1954. Son gouvernement, qui s’auto définissait comme
révolutionnaire et qui était dirigé par la section lao du PCI et donc étroitement soutenu par le Viet
Minh, s’installait à Viengxay. La petite ville devenait la capitale de la zone libérée et le quartier
général de la force armée révolutionnaire. En 1957 lorsque deux provinces ont été restituées au
gouvernement de coalition nationale de Souvannaphouma, la restitution n’a pas été effective : les
deux provinces continuaient à être le quartier général du NLHS. Et lorsque le deuxième
gouvernement de coalition nationale tripartite fut créé, à l’issu de la convention de Genève de 1962
qui devrait garantir la neutralité du Laos, la force du NLHS a occupé la province de Luang Nam
Tha et l’a intégré dans sa zone de contrôle. Celle-ci représentait alors 2/3 du territoire du pays, alors
que la population représentait 1/3 de sa population totale. En 1969, le territoire qu’il contrôlait a dû
passer à 4/5 du territoire national et le nombre de la population représentait alors la moitié de la
population du pays.637
La question spatiale dans la zone libérée
Les villes ou villages existant dans la zone libérée étaient, dans leur ensemble, peu peuplés
et étaient distancés des uns des autres, ce qui leur conférait un caractère parsemé et rural. Dans la
première décennie, la construction de cette zone était difficile pour le NLHS qui devrait concentrer
ses efforts pour créer des avancées militaires dans les zones contrôlées par le gouvernement de
Vientiane, afin de se munir des moyens de négociation sur la scène politique. Il était préoccupé
aussi à créer une cohérence et une harmonisation idéologique pour consolider la zone libérée par
rapport à une réalité historique et gagner l’adhésion de la population. Beaucoup de villages ont été
désertés ou abandonnés pour des regroupements afin de se sécuriser lors des combats. La
désertification de la zone libérée était aussi le fruit de l’abandon : beaucoup de villageois
rejoignaient la zone contrôlée par le gouvernement de Vientiane, en particuliers ceux qui étaient
637 In. Phongsavanh Boupha, Le développement de l’Etat lao, imprimerie Nakhone Luang, 2005, (en Lao)Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 362 -
attachés au système ancien de pouvoir : les khun, les tassèng, les Tiao muang. La conception de la
zone libérée étant fondée sur la pensée révolutionnaire communiste, lors de la libération de 1962,
les notables des provinces libérées ont été souvent emprisonnés et parfois assassinés pour
“ complicité ” avec le gouvernement royal.
638 C’est à force de propagandes que peu à peu, le petit
peuple finissait par adhérer au NLHS.
Au courant des années 1960, les combats étant intensifiés avec les offensives américaines,
les zones libérées ont été menacées. L’intensification des frappes aériennes à partir de 1964, a
beaucoup détruit les établissements et les villes anciennes du Laos (monuments, stupas qui étaient la
plupart du temps construits sur les collines selon des traditions du Nord, comme les stupas de Luang
Nam Tha, de Oudomxay, de xiang Khouang) mais aussi les zones agricoles en activités et les terres
fertiles. Les traces de ruines issues des bombardements étaient nombreuses sur les routes à Houa
Phanh et de Xieng Khouang. Les habitants ont dû fuir les combats et s’abriter dans les grottes où ils
ont dû en faire leur habitat, avec l’aide des troupes de l’armée populaire dans certaines zones.
La ville de Viengxay se construisait ainsi au cœur d’un ensemble de montagnes et de
falaises karstiques. Les grottes existant furent investies et d’autres créées artificiellement pour en
faire des habitations des dirigeants ; des dispensaires, des écoles, des pagodes y furent également
installés, et au moment des bombardements la population pouvait y trouver refuge. Les équipements
administratifs ont été bâtis dans les parties dégagées de la ville. C’était une architecture moderne
des années 1950-1960. Il y avait de petits groupes d’habitations pour faire bonne figure de ville. Les
résidences des dirigeants étaient construites en retrait, dans les parties plus couvertes, au pied des
falaises où étaient aménégés les grottes. Dans leurs ensembles, ce sont des constructions de belles
factures qui s’intégraient magnifiquement dans le paysage et dans le climat –le plus rude alors du
Laos. Entre un choix architectural, très au faîte de la modernité et du luxe non-envieux à celui de
Vientiane, et la rudesse de la pensée révolutionnaire ; entre une poésie paysagère et
environnementale exceptionnelle et la violence de la guerre, la résidence du Prince Souphanouvong
offre une image décalée.
La zone libérée, un État parallèle
La zone libérée possédait un système de fonctionnement digne d’un vrai État. Sa structure
administrative et politique était basée sur deux grands organes politiques :
- le Parti du Peuple Lao (PPL) “ Phak Pasason Lao ”
639 a été fondé le 22 mars 1955. Il était dérivé
du Parti Communiste Indochinois (PCI) fondé en 1930 et dont la section lao a été créée en 1934. Le
parti était une oligarchie qui monopolisait le pouvoir et donnait les directives politiques à suivre au
NLHS (ou anciennement le NLI). Le pouvoir est tenu par le secrétaire Général du PPL et ses
membres dirigeants.
638 Les premiers emprisonnements et exécutions sommaires dans les villages ont lieu bien après le milieu des années 1950.
C’est à la libération de Luang Nam Tha en 1962 que nous avons pu avoir des témoignages de ces faits. Un certains
nombre de pho ban, de tassèng et de tiao muang de Luang Nam Tha auraient été exécutés et de nombreux réfugiés
seraient descendus vers Houayxay, fuyant devant les forces communistes (Cf. Histoire de la famille de mes informateurs :
une famille lü d’ancien pho ban dans la province de Luang Nam Tha, une famille d’ancien tiao muang de Sam Neua).
Contrairement à la conception générale qui considèrait dans les années 1960 que les habitants de la zone libérée étaient
tous révolutionnaires, dans les provinces libérées on comptait aussi les opposants de la révolution. Pendant la guerre froide
les actes de violence ont été de fait commis par les deux parties. Rétrospectivement le NLHS semblait être conscient de
ses erreurs puisqu’il “ adoucissait ” ses méthodes dans les zones qu’il allait libérer dans les années qui ont suivies. Car
désigner certains groupes de population comme « partisans des impérialistes » suivies des exécutions sommaires
risquaient de déserter la zone sensée de leur servir de base. De l’autre côté, mes enquêtes auprès des anciens Thahan Team
(soldats formés et engagés à la solde par les Américains, séparément de l’armée nationale) ont montré que les violences du
même genre avaient également été commises par l’armée du gouvernement de Vientiane. Pour illustrer cette situation,
mes enquêtes auprès des familles originaires de Sam Neua ont révélé un phénomène étonnant : lorsque à tour de rôle les
forces armées de Vientiane et celles de la zone libérée se relayaient pour contrôler les villages, certains po ban et certains
tassèng ont dû organiser des cérémonies de serment successivement aux deux armées opposées pour sauver la vie de
l’ensemble des villageois.
639 Le PPL, Parti Populaire Lao, (Pak Pasason Lao radxt-k-qo]k;) devient en 1972 le PPRL, Parti du Peuple
Révolutionnaire Lao (Pak Pasason Pativat Lao radxt-k-qoxt8y;af]k;.)
Fig. 86.
Bâtiment
administratif
de Viengxay
Fig. 87. Le
jardin de la
résidence du
Prince
Souphanouvong
reliant la
résidence à son
abri troglodyteDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 363 -
- le Néo Lao Issara (NLI) a été fondé en 1950 par le Prince Souphanouvong à partir d’une petite
fraction du Lao Issara. 6 janvier 1956 le Néo Lao Hak Sat (NLHS) a été créé remplaçant le NLI. Le
NLHS est élu par le peuple. Son Comité Central était composé de 40 membres suprêmes. 11
membres du Comité Central constituaient les membres permanents. L’un des 11 était élu Président
du NLHS, et 3 des 11 étaient élus vices présidents. Les trois Vices-présidents étaient des
représentants respectifs des Lao Loum (Lao des plaines), Lao Theung (Lao des Hauts plateaux) et
Lao Soung (Lao des montagnes).640 A côté des 11 membres permanents il y avait le Secrétaire
Général du NLHS. Le Comité Central Permanent était dirigé par le Comité Politique du PPL et son
Comité Central. Chaque organe et bureau exécutif était équivalent à un ministère : organe
décisionnel suprême, l’armé de libération du peuple, bureau administratif du Comité Central du
NLHS, bureaux administratifs, bureau des luttes politiques, bureau des affaires étrangères, bureau
des propagandes, bureau des séminaires et de la culture, bureau des affaires éducatives, bureau des
affaires économiques et de la production, etc.
Le développement de la zone libérée
En 1968 dans la zone libérée y vivait la moitié de la population du pays. Du territoire qui
représentait 2/3 du territoire national en 1962, il passait à 4/5 en 1968. En 1970 la zone libérée était
composée de 12 provinces, dont 60 muang, 600 tassèng et plus de 10 000 villages,641 dans une zone
majoritairement montagneuse très rurale et avec peu d’infrastructures routières. Le NLHS, et
derrière lui, le PPL devrait non seulement contrôler politiquement cette partie du pays, mais aussi la
gérer et la faire vivre économiquement. Ces questions impliquaient globalement l’organisation du
travail de production et de sa répartition. Le système étant basé sur la force du prolétariat dirigé par
le parti marxiste-léniniste, l’organisation du travail devrait alors être collective. Mais dans la
pratique, le PPL a dû prendre en compte la réalité de la paysannerie et de la ruralité laotienne à la
place d’un prolétariat théorique d’une société industrielle et urbaine. Il a dû également se rendre à
l’évidence que la mise en application de l’idéologie pure et simple ne pouvait pas passer comme
telle. Il était important d’avoir le peuple dans son camp. Le phénomène de réfugiés qui rejoignaient
les zones du gouvernement de Vientiane a été une alerte pour les futures stratégies politiques du
PPL et du NLHS. Il fallait reconstruire la société et l’économie de la zone libérée qui partait sinon
en lambeau, sans mettre en fuite la population dont la majorité était restée attachée aux valeurs
anciennes de manière récalcitrante.
Avec les aides des pays socialistes, le Viêtnam Nord, la Chine et l’ancien URSS, le PPL et
le NLHS installaient les unités de production de l’Etat semi-industrielles : ateliers et usines de
confection, usines de meuble et scieries, fermes d’Etat, usines de médicaments, etc. Ces unités de
production participaient surtout à l’effort de guerre. L’économie à l’échelle individuelle et familiale
restait réduite et se basait sur la structure de subsistance traditionnelle comme elle l’était autrefois.
La monnaie de la zone libérée –le nouveau kip– qui avait été mise en circulation en 1968 n’a pas
vraiment été utilisée du fait des circuits fermés des échanges commerciaux, quasi inexistants.
Le domaine de l’éducation avait été planifié : les écoles primaires et secondaires ainsi que
les formations professionnelles, créées. Les maîtres ont été formés, les manuels scolaires et les
programmes artistiques créés. L’objectif étant de former des bras, mais aussi des élites dans la zone
révolutionnaire et endiguer la population contre le gouvernement de Vientiane. La formation des
ressources humaines dans son ensemble, comme l’installation des petites industries, a été soutenue
par les autres pays socialistes. Des bourses d’études ont été nombreuses pour étudier en Chine et en
Union Soviétique. Sur ce, comme l’a noté Phongsavang Boupha, la résolution du IIe Congrès du
640 Vocabulaires officiels et arbitraires utilisés pour classer les ethnies du Laos en suivant la logique géographique
verticale. Les Lao Loum désignent les laotiens de parler Tai Lao, les Lao Theung de parler Môn-Khmer et les Lao Soung
de parler Myo Yao.
641 Phongsavanh Boupha. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 364 -
NLHS642 qui avait régi la nouvelle politique, avait gardé dans ses démarches certaines valeurs liées
au régime des sakdina, tel notamment le respect de la monarchie et de la religion. Et dans son
ensemble, les projets politiques du IIe congrès avaient été largement bénéfiques de l’intérieur pour
consolider l’adhésion populaire et rehausser l’image du gouvernement de la zone libérée. C’est
donc après la mise en œuvre de ce nouveau projet politique de 1964, puis du IIIe congrès en 1968643
que certaines catégories de la population ont pu être attirées par les idées du NLHS. Un nombre
non-négligeable d’intellectuels ont rejoint la zone libérée. Sa cote de popularité était au summum,
au fur à mesure que les frappes aériennes américaines s’intensifiaient dans le pays.
Vis-à-vis de l’opinion internationale, un véritable programme de propagande a été mis en
place pour offrir au monde une belle image de la zone libérée et de la révolution laotienne. Celle-ci
serait multiethnique et progressiste, respectueuse des traditions, des croyances, et prônant la liberté.
Elle voulait communiquer au monde et dans l’air du temps “ la passion du peuple lao qui combat
pour la liberté ”. Afin de mener à bien cet objectif, les journalistes, les diplomates et les politiques
étrangers ont été invités à visiter la zone libérée. Des conseillers soviétiques ont été sollicités pour
réaliser des documentaires filmés ou photographiés. Ces documents précieusement archivés au
centre des archives cinématographiques nationales constituent aujourd’hui des œuvres artistiques de
grands intérêts, car ils ont été le fruit des mises en scène ou des scènes reconstituées, témoignant du
besoin fondamental d’image de représentation, passant nécessairement par la propagande qu’il a
fallu réaliser644
II. III. b. 2. La zone du gouvernement de Vientiane
La zone du gouvernement de Vientiane comptait les villes les plus peuplées, situées
généralement le long du Mékong et dans la basse vallée. Elles se développaient plus rapidement que
celles de la zone libérée qui étaient en rupture et décalées bien qu’elles aient occupé un territoire
beaucoup plus important. Si la zone libérée connait à cette époque une guerre intensive, notamment
les bombardements de ses villes et villages, ses monuments et ses terres agricoles, les grandes villes
du Mékong –la capitale et les capitales provinciales– jouissaient d’une paix relative. Ce qui
permettait à cette zone d’évoluer de manière plus naturelle, du moins, moins en décalage par rapport
au reste de la région du Sud-Est asiatique incarnée à proximité par la Thaïlande voisine. Mais la
paix dans la zone du gouvernement de Vientiane était artificielle : les coups d’Etat et les
changements de gouvernement étaient tels que la politique laotienne était souvent incompréhensible
par le commun des Lao, qui était parfois incapable de connaître le nom de son Premier ministre du
moment. Par exemple entre 1959 et 1969, il y avait plus de sept gouvernements, trois coups d’Etat,
et pas moins de dix arrestations et assassinats d’homme d’Etat.
645
N’acceptant pas que le pays devienne indépendant en 1954, l’opposition considère cette
zone comme une nouvelle forme de colonie occidentale.
646 Du côté du gouvernement de Vientiane,
642 Le IIe congrès du NLHS a été tenu à Sam Neua en avril 1964. Il fixe un nouveau programme politique et des nouvelles
stratégies. Dans la lutte intérieure armée, il préconisait de s’appuyer sur les minorités ethniques qu’il allait rassembler et
endiguer dans la lutte. « Le nouveau projet politique doit montrer qu’il respecte la royauté, la religion, la morale, qu’il
développe et promeut l’esprit démocratique du peuple lao dans son ensemble, qu’il agit pour l’égalité des sexes et pour la
création d’un gouvernement souverain et national, qu’il est contre l’ingérance étrangère et compte œuvrer pour faire
respecter les conventions de 1954 pour l’indépendance et celle de 1962 pour la neutralité du Laos ». Cf. Phongsavanh
Boupha. Ibid. 643 Le IIIe congrès du NLHS a été tenu à Viengxay en octobre 1968. Il reprenait les mêmes points que celui de 1964 mais
intensifiait ses actions politiques et de propagande pour drainer les intellectuels encore hésitants. Il visait cette fois-ci les
étudiants laotien en Europe qui se préparaient à rentrer au Pays et la population des zones du gouvernement royal.
644 Cf. Les archives du centre cinématographique national de Vientiane. Une série de photographies ont fait l’objet
d’exposition au centre de langue française en 2007.
645 Cf. Annexe : « Eléments chronologiques de l’histoire du Laos ». 646 Une partie du Lao Issara est engagée dans le PCI. Et en effet, il ne s’agit pas seulement d’obtenir l’indépendance
comme ce fut la volonté de la majorité des Lao Issara et de son noyau dont les valeurs étaient restés attachées à la
tradition, à la monarchie et à la religion bouddhiste. Mais il s’agit d’instaurer au Laos et dans toute l’Indochine un système de gouvernance basé sur une dictature prolétarienne selon le modèle marxiste-léniniste, par la force du prolétaire et du
paysan et par la révolution idéologique. La scission du Lao Issara n’avait donc pas ses racines dans le conflict éventuel de
la décolonisation, mais dans l’adhésion idéologique hétérotopique d’une partie de ses membres au PCI. Le conflit Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 365 -
il se retrouvait conforté dans sa légitimation par le symbole historique, identitaire et unificateur
autour du pouvoir traditionnel qu’est la royauté. Le caractère unificateur et identitaire est important
à souligner, car la fraction de Vientiane mettait tous ses efforts pour préserver ce symbole. Le
renoncement au droit dynastique de la maison royale de Champassak qui avait permis la formation
d’une seule monarchie faisait partie de ce même désir de préservation et de renforcement du
symbole. A cet égard, le renoncement au droit dynastique de Champassak devrait être revu par
l’histoire contemporaine du Laos comme un grand pas en avant ; dans le cas contraire, une
sécession dans le Sud du pays n’aurait pas été impossible, elle était même à craindre à l’époque.647
Le système politique de Vientiane étant une monarchie constitutionnelle, la démocratie était
assurée par la répartition des “ six ” pouvoirs : l’exécutif, le judiciaire et le constitutionnel
constituaient les trois pouvoirs fondamentaux propres aux systèmes démocratiques. Le Laos se
dotait de trois autres pouvoirs qui provenaient de ses traditions : les pouvoirs monarchique et
ecclésiastique symbolisaient l’unité nationale. Le roi ne gouvernait pas, mais régnait, le clergé ne
participait pas à la prise des décisions, mais avait pour rôle de régir la vie spirituelle. Le sixième
pouvoir consistait dans l’organisation et la répartition réelle du pouvoir dans l’organisation clanique
de la société. Non-formalisée et non-institutionnalisée, cette structure organisait la société et ses
affiliations politiques. Elle pouvait réguler les conflits politiques dans une société en apprentissage
des élections libres et du multipartisme. Malgré la perversion de la vie politique laotienne dans le
contexte de “ la guerre secrète ” menée par les Américains, le système de Vientiane avait des
principes démocratiques qui avaient permis la naissance de plusieurs partis et organisations civiles
ou associatives. La vie politique entre la fin des années 1950 et la fin des années 1960 a été alors
animée par plusieurs partis,648 y compris le parti de l’opposition, le NLI (ou le NLHS) qui avait son
siège officiel et ses membres à Vientiane. Même si les débats politiques étaient difficiles dans le
contexte de la guerre et de l’ingérence étrangère, qui faisaient que les partis naissaient et
disparaissaient et les hommes politiques menacés, la création des partis politiques mettait en
évidence l’intérêt que la population instruite portait au devenir du pays et son désir de participer à sa
construction, sans exclure parallèlement son désir de constituer des réseaux d’intérêts et
d’influences, suscités de manière latente par le mode et la structure sociale et politique
traditionnelle.649
Sous pression américaine, le gouvernement de coalition tripartite de 1962 a perdu toute sa
crédibilité. Le pouvoir était monopolisé par la droite, partagé “ à l’arrache ” avec les forces
neutralistes, mais sans la participation des membres du NLHS qui finissaient par déserter le
gouvernement. Un certain déséquilibre venait entériner l’insuccès de ce partage du pouvoir, ce qui a
amené deux coups d’Etat successifs : celui du Général Siho associé au Général Kouprasit Abhay le
19 avril 1964 (l’année où le gouvernement de Vientiane a accepté les interventions américaines)
idéologique mondial s’était contextualisé et localisé par la guerre dans un Laos dont la population ne prenait pas part. Il
trouvait son terrain de prédilection dans le milieu de l’intelligentsya locale convertie aux idéaux communistes durant la
colonisation. 647 L’idée de « sécession » du Sud avait effectivement traversé les esprits politiques, lorsque les manoeuvres d’unification
nationale essuyaient des échecs répétitifs et lorsque certaines fractions désapprouvaient la politique de Souvanna Phouma
considérée comme trop complaisante vis-à-vis du NLHS vers la fin des années 1960. 648 Notamment : le Parti Progessiste (Phak Kaona), le Parti Libéral (Phak Séri), le Parti de l’Union pour la Coalition Lao
(Phak Lao Houam Samphanh), le Parti Social Démocrate (Phak Pasa Sangkhom), le Parti Neutraliste (Phak Peng Kang),
le Parti de l’Union Centraliste Patriotique (Phak Khana Houam Peng Kang Hak Sat), le Parti de la Voie de la Jeunesse
(Phak Néothang Noum). 649 Un ancien Lao Issara et homme politique rappelle que la vie politique dans les premières années après l’indépendance
était animée dans une sorte de “ fraternité admirable ” par une classe politique de “ l’ancienne école ” qui était quasiment
toute issue de la même formation à la française. Les hommes politiques lao à la sortie de l’indépendance étaient peu
nombreux. Ces derniers, même s’ils avaient des idées différentes et provenaient des régions et des origines familliales
différentes se respectaient mutuellement et s’échangeaient volontiers. Ils n’envisageaient pas “des coups bas” comme cela
se fera plus tard dans les années 1960. Une des raisons était qu’ils étaient quasiment tous issus de la même école et plus
jeunes ils partageaient les mêmes dortoirs, étaient éduqués par les mêmes Vénérables lorsqu’ils étudiaient à la pagode. En
occurrence et dans beaucpup de cas, quelques dirigeants du NLHS étaient leurs amis des années du novicéat. Plus tard les
rapports de forces changeaient les comportements politiques. La jeune génération tenait de plus en plus les postes
décisionnelles les plus stratégiques, en particulier lorsqu’interviennent les Américains.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 366 -
puis celui du Général Phoumi Nosavanh en février 1965. Les aides militaires et financières
américaines soutenaient à elles seules, le gouvernement de Vientiane en décomposition. Les
retombées économiques de la guerre, les caisses noires rendaient de plus en plus dépendants les
groupes d’influence et la politique du pays vis-à-vis de la politique américaine. Le fléau de la
corruption, la lutte d’influences et de clans et l’abus de pouvoir, sévissaient le pays et l’appareil
gouvernemental, paralysant les actions politiques les plus constructives.
Bien que le Laos soit partitionné politiquement, il n’a pas été séparé en deux États, comme
l’étaient le Vietnam Nord et le Vietnam Sud. L’image du Laos et son territoire restaient entiers,
suivant sa configuration de 1946 lorsque les provinces de Xayaboury, Xédaun et Champassak lui
furent restituées par la Thaïlande au traité franco-thaï de Washington. La vision territoriale dans les
deux zones respectait naturellement cette configuration : pour le gouvernement NLHS, le Laos ne
s’arrêtait pas aux zones qu’il contrôlait, de même pour le gouvernement de Vientiane, le Laos était
les 16 provinces qui ont été définies en 1961,650 même si entre 1953 et 1973, il perdait
progressivement le contrôle de ces provinces. Du point de vue administratif et de l’organisation
territoriale de l’ensemble du pays le gouvernement royal continuait à enregistrer les provinces de la
zone libérée comme faisant partie intégrante de son administration. Un phénomène d’unités
administratives provinciales, emboitées les unes dans les autres, était à remarquer : le gouvernement
royal continuait à nommer les gouverneurs de Phongsaly, de Sam Neua, d’Attapeu, de Saravanh,
etc., pourtant prises et intégrées progressivement dans la zone libérée qu’il ne contrôlait plus. Par
exemple pour la province de Phongsaly, le siège du gouverneur se trouvait dans la province de
Luang Prabang, avec très peu de populations. Par ailleurs, certaines provinces pouvaient être, à un
moment donné, divisées, par exemple la province de Xayaboury divisée en trois : Xayaboury,
Paklay et Hongsa.
II. III. c. Les données socioéconomiques
La volonté de réconciliation nationale semblait avoir été sincère pour les deux parties et se
traduisait par les efforts de la classe politique, notamment les neutralistes incarnés par Souvanna
Phouma, pour faire des traités de paix et former une gouvernance de coalition nationale, bien que
ces efforts se soient soldé chaque fois par des échecs, et les nombreux plans d’actions reconduits ou
différés. La politique de propagande menée parallèlement et en contradiction dans les deux zones
accentuait au contraire la division et conduisait vers des tensions politiques entravant le plan de paix
et de réconciliation. Elle accusait en occurrence une réelle disparité et un déséquilibre
socioéconomique du territoire dans son ensemble. Déséquilibre, déjà préexistant dans l’histoire
entre une zone riche et peuplée et une zone plus pauvre et sous peuplée, qui ne sera jamais corrigé
tout le long de la guerre froide. Il formait au contraire les arguments pour les deux parties à agir
selon ses convictions.
Les villes de la vallée du Mékong ont été perçues à travers la littérature et la propagande
communiste comme « des villes socialement et économiquement prédatrices, exploitatrices et
abusives de la main d’œuvre du pays. Le peuple, la classe paysanne et prolétarienne ont été
exploités de manière inhumaine. » C’est une perception qui allait marquer pour longtemps le pays et
la société laotienne. Dans la réalité, des nuances sont à observer. Les biens et les services se
concentraient effectivement dans la capitale et les grandes villes provinciales. Favorisées dans
l’histoire par une situation géographique du Mékong et de la plaine, où la circulation des hommes et
des produits était plus facile et leur échange plus fructueux.
Si la vie économique se décollait lentement après l’indépendance, elle devenait plus
dynamique à l’approche et au courant des années 1960. Les aides américaines arrivaient dans le
650 Durant la période coloniale le Laos avait 12 provinces réparties sur deux zones, haut Laos et bas Laos. En 1961 quatre
autres provinces ont été créées, ce qui faisait augmenter le personnel administratif dans l’ensemble du pays.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 367 -
pays dès 1954 pour faire barrière contre l’avancée du communisme dans l’Asie du Sud-Est. Ces
aides étaient intercalées par des menaces de rupture lorsque le rapprochement entre le
gouvernement royal et le NLHS se faisait nettement senti avec la mise en place des plans de
réconciliation nationale. A Vientiane et dans les autres villes du Mékong, il y avait plus de monde,
d’industries, et donc, d’emplois, de terres à cultiver, de sécurités, de services et d’équipements. Les
lieux de loisirs, les écoles, les dispensaires et les hôpitaux ont été construits.
651
Les populations des autres zones plus menacées par la guerre, venaient se réfugier
nombreuses dans la zone du gouvernement de Vientiane. Les unes rejoignaient une partie de leur
famille déjà installée, les autres venaient chercher du travail ou fuyant les combats. Dans son
ensemble, la population laotienne était peu mobilisée par les idées politiques, dont elle ne
comprenait pas la complexité. Elle désirait vivre en sécurité à l’abri des combats, trouver de
l’emploi et pouvoir travailler ses rizières et ses jardins, envoyer les enfants à l’école et se soigner
convenablement, vivre en ville et trouver les lieux d’agrément et de loisir librement.
Deux organismes avaient joué un rôle important dans le développement du pays : le
ministère du Plan et de Coopération (appelé “ Le Plan ”) et la Banque de Développement du Laos
(BDL). Le Plan ainsi que la BDL ont été créés vers la deuxième moitié des années 1960, afin de
coordonner les projets de l’Etat et soutenir les initiatives privées dans certains secteurs de
développement. Les priorités étaient axées sur deux secteurs, l’agriculture et la production
d’énergie, puis orientées vers l’aménagement du territoire et la répartition des richesses sur
l’ensemble du pays.
Dans le domaine de l’agriculture, ont été mis en place des projets pilotes : projets de
périmètres irrigués de Hat dork kéo, de fermes expérimentales d’État, des périmètres irrigués
(Thang Ngon), des supports techniques et organisationnels agricoles. Ainsi a été introduit pour la
première fois au Laos le système de coopérative à la française qui devrait permettre une
amélioration des échanges entre agriculteurs (échange de grains et des savoirs notamment), une
meilleure production et distribution. L’objectif était de soutenir les revenus de la classe paysanne et
productrice, de permettre à cette dernière d’accéder aux marchés intérieurs directement sans passer
par les intermédiaires commerçants qui gagnaient de l’argent « sur le dos des petits producteurs et
des consommateurs ».
652 Le domaine de l’énergie était surtout orienté vers l’hydroélectricité avec
l’achèvement de la construction de trois barrages (Nam Ngum, Xélabam, Xédaun) à la fin des
années 1960. La quantité de l’énergie permettait de nourrir suffisamment le fonctionnement des
industries qui n’étaient pas très nombreuses, mais aussi les villes et petites villes. La BDL accordait
des prêts à des taux raisonnables pour permettre aux privés d’investir. Ces différents programmes
étaient très importants à l’échelle locale. Ils donnaient une vivacité générale au décollement
économique du pays. A côté du fléau de la corruption, du trafic d’influence et d’abus de pouvoir qui
entravaient bien souvent les actions civiques et citoyennes, le développement du Laos pendant la
guerre froide donnait de l’espoir au commun des Laotiens.
Si les priorités sectorielles avaient été pratiquées et expérimentées de manière plus ou moins
réussie, l’aménagement territorial et la répartition des richesses restaient cependant théoriques. Leur
réalisation a été empêchée par la guerre comme nous l’avons déjà noté. Le développement rural
ainsi que celui des infrastructures était à considérer seulement autour des centres régionaux. Les
chefs-lieux des provinces étant seulement des bureaux administratifs, ils ne pouvaient pas fournir un
cadre technique adéquat. Il n’était donc pas possible de mener des projets de manière répartie dans
les coins les plus reculés qui en avaient vraiment besoin. Mise à part la difficulté de mise en œuvre
651 Tel l’hôpital OB (Operation Brotherhood) à Vientiane dont le corps médical était majoritairement Phillippin. Pro
amécicains avec la Thaïlande, ces derniers accueillaient les bases aériennes américaines qui allaient avoir un rôle
important pour les frappes aériennes au Laos : trois millions de tonnes de bombes allaient y être lâchés entre 1964 et 1971. 652 Recueillis des propos de Phomma Sayarath, ingénieur responsable de la coopérative de Thang Ngon vers la fin des
années 1960. Cf. « fassicule de sensibilisation pour la coopérative » (1969)
Tab. 18.
Répartition des
investissements
industriels
1966-1972
Tab. 17.
Quelques
chiffres
montrant l’un
des aspects du
sousdéveloppement
du Laos à la fin
des années 1960Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 368 -
de l’ordre technique et budgétaire, la guerre servait de prétexte pour concentrer les efforts sur les
villes les plus proches du Mékong, mettant à l’écart les autres régions montagneuses, notamment
celles de la zone libérée. Cette mauvaise répartition des richesses et du progrès, due en grande partie
aux contextes politiques, devenait des arguments utilisés par l’opposition qui considérait que le
régime de Vientiane avait infligé tous les maux au pays. Et c’est ce qui justifiait la guerre menée par
le NLHS “ pour le libérer ”.
La zone du gouvernement de Vientiane offrait donc de fait et malgré tout un cadre
favorable, une vie de plus en plus citadine et occidentalisée. Par le nombre des observateurs et des
conseillers étrangers qui y venaient nombreux effectuer leur mission, l’emploi lié au domaine des
services et l’immobilier de location se développaient. Alors que la guerre était au summum de sa
violence, la population de Vientiane, de Luang Prabang, de Paksé, de Savannakhet, enfin ceux qui
avaient les moyens ou qui cherchaient à en avoir, vivaient dans l’instant et dans l’insouciance.
L’image qu’incarnaient les années 1960 et le début des années 1970, affichait une société opulente,
joyeuse, jeune et pleine de vie. Le cinéma a été importé par le biais de la Thaïlande et on
commençait aussi à le produire dans le pays, ainsi que le théâtre moderne. Les loisirs et la vie
nocturne, peu connus auparavant, faisaient leur apparition. Les musiques –le rock et le swing–
berçaient la jeunesse et animaient les soirées de la bourgeoisie des villes. L’image de ce bonheur
artificiel contrastait tant avec la vie dans la zone libérée.
Malgré cette artificialité, Vientiane ne produisait pas que la jeunesse dorée. Elle produisait
aussi une petite intelligentsia locale, consciente de la précarité du monde dans lequel elle vivait : la
guerre, l’injustice sociale et la fracture interne de leur propre société. Les uns par révolte devenaient
alors partisans de la zone libérée et épousaient ses causes, sans en connaître la finalité réelle. Les
autres plus réalistes faisaient leurs les problèmes et les affrontaient à leur manière. Nous pouvons
évoquer ici les jeunes militants qui s’engageaient dans les partis politiques ou les organisations
civiles, ou qui fondaient leur propre parti. Puis il y avait aussi les écrivains et compositeurs qui
dénonçaient de l’intérieur les problèmes sociaux et les injustices, la corruption matérielle et l’argent
facile, mais aussi la corruption idéologique, mettant en garde contre la séduction idéologique du
communisme.653 Mais dans l’ensemble du pays l’économie étant dépendante de la guerre,
« perfusionnée par les aides internationales » et surtout américaines, l’artificialité économique et la
paix dérisoire des villes du Mékong finissaient par remporter sur une recherche de véritable santé
économique et sociale. La vie étant value ce qu’elle devrait valoir durant la guerre, la société étant
fracturée et tenue artificiellement par l’illusion d’une paix et d’une réconciliation nationale chaque
fois détruite ou reconduite, les gens semblaient alors vivre une joie autant qu’ils pouvaient la vivre
et l’espérer d’un monde qui était en train de s’écrouler. L’aspect d’un pays sous-développé
caractérisait alors le Laos de la fin des années 1960. Outre par son caractère social que nous venons
d’évoquer, cet aspect peut être illustré par les données économiques.
II. III. d. Le grand tournant spatial des années 1960 : expansions urbaines, modes et
processus de développement, acculturation des modèles extérieurs
Le développement urbain et la production architecturale des années 1960 ont constitué le
tournant spatial du XXe siècle, voire, probablement celui des trois-quatre derniers siècles du Laos,
toute proportion gardée. De l’échelle individuelle et privée établie entre l’habitat et les équipements
communautaires (monastères, ruelles, marchés de proximité), des règles consensuelles et du savoirvivre
entre différents membres sociaux et par rapport aux esprits protecteurs des ban et de la ville
653 On peut évoquer les textes de Khamla Nokéo poète et compositeur qui, avec les titres comme « l’argent » (ngneun) et
« l’être humain » (khonh), dénonçaient la corruption et l’abu du pouvoir de l’ancien régime, mais n’a pas été inquièté pour
cela. Au contraire il avait été considéré comme un manipulateur des mots très aprécié. L’ancien régime semblait traiter ce
poète avec égars. Par contre le texte intitulé « où est la paix ? » (santiphab yusaï ?) en 1973 l’avait envoyé en prison de
Samké par le NLHS en 1975. Après sa libération quelques années plus tard il partira rejoindre ses enfants aux Etats-Unis.
Tab. 19.
Investissements
industriels tous
secteursDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 369 -
traditionnelle, la ville était passée clairement à une échelle plus grande et devient systémique. La
ville doit se plier au système urbain qui s’établit alors à travers le nouveau développement.
Provoquées par de multiples facteurs, situations et contextes, notamment l’indépendance et le
contact direct avec l’Occident moderne (non plus seulement colonial), partition territoriale et
politique du pays, guerre froide, etc., les villes du Laos commençaient à entamer une période
importante de mutation : formation des établissements urbains de nouveaux types, nouvelles formes
de répartition des hommes à l’échelle du territoire et à l’échelle urbaine, nouveaux partages inégaux
des biens et des services. Une nouvelle production architecturale et urbaine apparaissait, inaugurant
une période de transition urbaine et caractérisant le Laos des années 1960. C’est ce que ce
paragraphe propose de brosser.
II. III. d. 1. La création d’établissements de nouveaux types liés à la guerre
Dans les années 1960, s’étaient constitués trois types d’établissements qui étaient différents
des occupations constituées avant et pendant la période coloniale. Ceci, tant du point de vue des
habitants qui les composaient que du point de vue de la motivation ou de la raison de leur
constitution. Il s’agissait des établissements dont les objectifs étant d’être le refuge, le relais
militaire et le lieu d’acheminement des réfugiés. Leur existence était plus ou moins importante, et
plus ou moins pérenne, nous prenons trois exemples.
Les refuges de la zone libérée
Ils étaient essentiellement les grottes. Certaines d’entre elles pouvaient avoir une
programmation assez complexe. Quelles que soient la complexité de la programmation et la sécurité
qui pouvait y régner, les refuges aménagés avaient malgré tout l’aspect provisoire. Les enfants qui y
sont nés ou qui y avaient vécu un certain temps, pouvaient mesurer la précarité et garder un
souvenir fort, sinon douloureux.
- Derrière l’ancienne résidence du Prince Souphanouvong le complexe est intéressant. Ayant été
servi de quartier général, il pouvait accueillir pendant plusieurs jours les hauts membres du NLHS.
Il possédait ainsi un grand espace de travail, un dortoir collectif, une chambre privée du prince et les
cabines servant de chambre pour ses enfants, une infirmerie-dispensaire, des cabinets de toilette,
une cuisine, un (ou plusieurs) cabine-couchette du serviteur et cuisinier. Le complexe possède une
adduction d’eau, des ouvertures discrètes et protégées ont été aménagées pour ramener de la
lumière.
- Une grotte de Xieng Khouang abritait carrément un hôpital. C’est précisément sur celle-ci que des
bombes ont été tirées faisant plus de 300 morts.
- D’autres abris troglodytes dispensés partout dans les zones karstiques du Nord avaient été investis
par les villageois et l’armée populaire. S’y logeaient les écoles et les pagodes. Dans les grottes, on y
vivait le jour, la nuit, on sortait pour cultiver le riz et les potagers.
Les relais militaires
Créés de toute pièce suivant une localisation stratégique, les relais militaires existaient dans
toutes les régions militaires. Mais il y avait seulement deux qui se présentaient réellement comme
des établissements urbains, même si leur taille était modeste.
Les militaires étaient affectés dans ces établissements pour de longues durées, leur famille
les rejoignait bien souvent. Les écoles commençaient dès lors à s’installer, les petits commerces
s’ouvraient aussi. Peu à peu, c’étaient des petites villes qui se construisaient. Les gens dans les
villages reculés et dans les territoires plus ou moins proches affluaient soit pour trouver du travail,
soit pour vendre leurs produits agricoles ou de cueillettes. Les militaires avec leur famille vivaient
mélangés avec la population nouvellement constituée et la vie économique dépendait de l’économie
de la guerre et de ses retombées. Bien que la vie y fût animée, ces établissements demeuraient
pourtant des lieux de relais militaires, situés entre les terrains opérationnels (lieu de combat) et les
grandes bases de la capitale. Le paysage social était majoritairement militaire, il y avait des Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 370 -
officiers, des gradés et des simples soldats engagés et formés sur le tas et payés à la solde.
L’ambiance urbaine était caractérisée par les va-et-vient des missions militaires, mais surtout par
des vagues de réfugiés qui fuyaient les combats. Ces derniers arrivaient dans ces lieux affolés et
bigarrés, y restaient quelques jours, quelques mois avant d’être transités vers la capitale ou les
autres capitales régionales par l’armée royale.
Le cas les plus typiques de ville relais et militaire, fut la ville de Phonesavanh à Xieng
Khouang avant qu’elle ne soit prise par la force du NLHS et avant que l’armée royale ne se replie
sur Vientiane ou Luang Prabang, l’abandonnant. Dans une certaine mesure, la petite ville de Vang
Vieng était aussi une ville relais militaire à la porte de la province de Vientiane. Ce fut surtout la
ville de Samthong Long Chèng. En effet, si Phonesavanh avait été constituée à partir de petits
villages existants parmi les sites historiques de la plaine des jarres, avant de prendre de l’ampleur, la
ville de Long Chèng dans la même région était nouvelle, au milieu de nul part. C’était une plateforme
visible et dégagée pour faciliter l’atterrissage des avions de largage de bombes en mission.
Long Chèng au milieu des montagnes était une ville qui semblait visible seulement depuis l’avion,
comme s’il avait été impossible de l’atteindre par voie terrestre.654
Quant aux relais militaires de Vang Vieng et de Patang, ils s’étaient constitués dans un
cadre paysager grandiose profitant des petits établissements préexistants. Les vieux établissements
de Vang Vieng et de Patang ont été fondés et dirigés par une oligarchie venant de Sam Neua et de
Xieng Khouang 150 ans plus tôt. Par l’héritage ancien de chefs, dont le rôle a été reconnu par le
pouvoir royal, les familles dirigeantes locales continuaient à détenir le pouvoir ; leurs membres
étaient devenus des militaires hautement gradés et participaient à la direction des bases militaires de
la région.
Les caractéristiques communes de ces villes relais, étaient surtout leurs terrains d’aviation
réservés pour les avions militaires, mais utilisés aussi largement par les civiles des villages de la
région. Car les terrains d’aviation civile proprement dits n’existaient pas et les routes manquaient ou
très insécuritaires.
Les lieux d’acheminement et de replis des réfugiés
Ils auraient été constitués en général sur des établissements d’importance régionale. En tant
que lieux d’acheminement qui accueillaient de fait des populations qui se repliaient de la zone
libérée (car il n’avait pas été planifié comme Phonesavanh ou Long Chèng), ils étaient situés
géographiquement sur la dernière limite des régions qui venaient de tomber entre les armes de la
force du NLHS. C’étaient des villes qui auraient été suffisamment sécuritaires et suffisamment
dynamiques pour que les populations aient pu s’établir sans être obligées de repartir vers la capitale.
En se faisant les établissements en question s’étaient développés sur de l’existant, de telles sortes
que les nouveaux afflux qui entrainaient un développement nouvel aient pu marquer l’espace, du
point de vue des formes, des tissus, de l’organisation et du paysage urbain général.
Le cas de Houayxay aurait été exemplaire. La petite ville existant sur l’extrême sud de la
marge de la zone libérée de Luang Namtha a connu à ce moment-là un développement significatif
de par sa position. Cela a dû lui apporter un changement assez important. Lorsqu’on regarde
aujourd’hui les fronts de l’unique rue centrale qui longe la berge du Mékong en contre-bas de la
pagode centrale, on peut constater que la ville des années 1960 reste encore présente, ou est
redevenue présente, avec ses immeubles bas en compartiments, ses commerces et son port formant
654 Long Chèng était le fief de la CIA et la forteresse du Général Vang Pao, l’un des seigneurs de guerre les plus
controversés dans les années 1960. Vang Pao, issu du clan Vang, était un chef ethnique dont la position était moins
importante que le clan des Lyfoung qui était le représentant coutumier de tous les Hmong. Tout en jurant fidélité aux
monarques lao qui avaient accueilli 150 ans plus tôt ses ancêtres, Vang Pao avait aussi été l’instrument et l’homme de
terrain pour “ la guerre secrète ” américaine au Laos. Ce fut une instrumentalisation consenti par Souvanna Phouma,
lorsque celui-ci acceptait en 1964 l’aide militaire américaine pour que les troupes du Général Vang Pao repoussent la
force du Vietminh des hauts plateaux de Xieng Khouang.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 371 -
un petit centre animé d’activités. Beaucoup d’argent de trafic passait dans cette ville située à une
cinquantaine de kilomètres à peine en aval du Triangle d’or. On pouvait la considérer comme la
dernière ville importante du gouvernement de Vientiane, à l’ouest de Luang Prabang et au nord de
Vientiane. Houayxay était contrôlée officiellement par le gouvernement de Vientiane, mais la
réalité était extra territoriale. Y pullulaient trafics de drogue, de pierres semi-précieuses et d’objets
archéologiques, lieu de transit de toute sorte de produits illégaux, en somme, c’était globalement les
personnalités influentes et probablement aussi militaires qui avaient la main mise sur la ville. Ce
type de ville accueillait en fait une forte population militaire où ayant un lien d’une manière ou
d’une autre avec l’armée.
En réalité Houayxay est une ville assez ancienne, mais son développement de la période
1960 avait tant de caractère qu’il donnait l’impression que la ville a été construite dans ces années.
La ville historique a presque disparu à ce moment-là, seule le monastère de la colline qui la
surplombe gardait encore quelques traces et mémoires du passé antérieur de la région à laquelle elle
appartenait. En effet à une quarantaine de kilomètres en amont, les traces de la vieille cité de
Souvannakhomkham rappellent la glorieuse histoire des différents établissements qui auraient
occupé la région : celui des aborigènes, des Môns, puis des Tai Gnouane.
Parmi les établissements qui s’étaient constitués dans le contexte de la guerre dont nous
venons d’évoquer les particularités, très peu ont perduré dans leur fonction urbaine, à l’exception de
Phonesavanh et de Houayxay. Par ailleurs, l’émergence de ces occupations restait marginale par
rapport au développement difficile des autres établissements urbains de l’époque.655
La guerre et la partition politique et territoriale ont ainsi configuré une nouvelle répartition
des hommes dans le territoire et dans les villes. Nous proposons d’examiner l’importance de cette
répartition à l’égard du développement des villes à travers l’échelle du territoire et de la ville et à
travers la question des infrastructures routières qui a été un problème crucial.
II. III. d. 2. Le rôle de la migration et de la répartition des hommes dans le développement
des villes
Les infrastructures routières, une armature territoriale difficile à mettre en place
La construction des infrastructures routières était à l’œuvre pour débloquer les liaisons entre
provinces afin de palier les désarticulations territoriales et développer les zones reculées. Certains
tronçons de l’unique route Nord-Sud, n’étaient pas entièrement utilisables à la saison des pluies,
encore moins en ce qui concernait les autres routes de branchement transversal. Ceux laissés par la
colonisation ont vieilli et ont besoin d’être réparés, et d’autres nouveaux réseaux avaient besoin
d’être construits. A vrai dire, les années 1960 ont poursuivi les constats qui ont déjà été établis dès
l’installation coloniale sur la nécessité de développer les réseaux routiers qui étaient et qui
demeuraient la clé de voûte du développement de l’ensemble du pays. Car la politique coloniale
pour le développement de ce secteur n’avait pas été menée à bout des besoins. Mettre en œuvre la
construction des infrastructures, c’était alors un des objectifs du gouvernement de Vientiane, mais
souvent les projets restaient théoriques. Gênés par le manque d’investissement publics et également
par les combats qui faisaient régner l’insécurité. Les projets ont souvent été bloqués ou abandonnés
et les agents qui y travaillaient étaient menacés dans leurs tâches. Les insuffisances des réseaux
routiers demeuraient un problème de taille pour le développement de l’époque et pour plusieurs
décennies qui allaient suivre. C’est la raison qui expliquait, pour les besoins du moment, l’existence
de nombreux terrains d’aviation qui étaient au nombre de 200 répartis dans l’ensemble du territoire,
mais seul l’aéroport de Vientiane pouvait accueillir les longs courriers internationaux.
La répartition des hommes à l’échelle du territoire
655 Il serait fortement intéressant d’aprofondir l’analyse de ces villes dans une nouvelle recherche qui porterait
éventuellement sur la pérennité et les modèles de villes fondées ou nées dans le contexte de la guerre.
Tab. 20. La
population et sa
densité dans les
villes les plus
importantes du
Laos, entre
1966 et 1968Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 372 -
Sur une population totale de 3 millions d’habitants en 1970, 15% vivaient en ville. En
occurrence la densité du pays était de 13 hab./km2. (contre 70 hab./km2 en Thaïlande pour 36
millions d’habitants). Seules Vientiane et Savannakhet avaient une densité supérieure à 50 hab/km2.
Luang Prabang, Viengxay, Khammouan, Khong Xédaun, Saravan, Paksé et Khong, avaient une
densité entre 20 et 50 hab/km2. Pour les villes d’importance en dessous, la densité était entre 10 et
20 hab/km2. Pour le reste du pays (80% du territoire) la densité était de zéro à 10 hab/km2.
Lorsqu’on compare la carte de la densité de la population de 1970 à la carte de la partition
territoriale de la même période entre le territoire du gouvernement royal et celui du NLHS, on
constate que la répartition humaine se dessinait selon trois configurations, dont les causes étaient la
fuite de l’insécurité des campagnes vers la la ville :
1- Une zone de densité transversale parcourait Houayxay-Luang Prabang jusqu’à la limite de Sam
Neua. Elle coupait le Nord du Laos en deux parties : les gens qui se trouvaient dans les zones
isolées entre Vang Vieng et Luang Prabang, remontaient vers Luang Prabang ou descendait vers
Vientiane. Ceux qui se trouvaient entre Luang Prabang et Oudomxay, descendaient vers Luang
Prabang ou remontaient vers Oudomxay.
2- Le même phénomène se constituait dans le Sud, mais de manière plus modeste, le territoire étant
plus étroit. Une ligne de densité transversale Khong Xédaun-Saravan semblait se dessiner, recevant
des mouvements de migration, celle qui descendait ou celle qui remontait, des populations de la
zone reculée d’Attapeu, de Karum, Samouay, Toumlan.
3- Une autre zone de densité plus importante se ramifiait sur le bord du Mékong formant nettement
une ligne nord-sud, de Vientiane à Khone. Cette ramification explicitait le mouvement transversal
de la population qui s’effectuait de l’Est vers l’Ouest.
La répartition des hommes à l’échelle de la ville
Dans cette répartition s’agit-il d’une densification des centres, d’une constitution des
quartiers périurbains ou d’un renforcement des villages ruraux ? D’un choix résidentiel rural, une
partie de Laotiens commençaient à choisir la ville comme cadre de vie, et surtout comme lieu de
travail, tout en préconisant une vie quotidienne en lien étroit et permanent avec le milieu rural. Non
pas tant parce que le mode de vie citadin gardait encore les composants ruraux qui se prolongeaient
et se reconstituaient dans le milieu urbain (avec l’aménagement individuel de potager et d’élevage
de basse-cour, avec les rapports que les foyers continuaient à entretenir avec les monastères, avec le
rapport de voisinage un peu particulier, etc.), mais plus parce que ces nouveaux citadins
établissaient une bipolarité foncière, une sorte de double résidence. Beaucoup vivaient en ville tout
en possédant une autre habitation en périphérie de la ville ou à la campagne, sans qu’il s’agit de la
maison de campagne que l’on aurait retrouvée en fin de semaine, car cette notion n’existait pas
encore dans un pays très rural comme le Laos. Le parcours entre la campagne et la ville était
presque quotidien, du moins il était fréquent.
Pour le commun des Lao, où l’opulence était plutôt le fait de la grande bourgeoisie liée au
pouvoir et aux commerces de l’importation et de l’exportation, à l’échelle familiale la production de
la campagne nourrissait la ville. Les activités et l’argent de la ville provenant des salaires ou des
commerces, mais aussi des retombées des aides américaines et de la guerre qui forgeait une
économie monétaire (circulation de la masse monétaire)656 comblaient les autres besoins de la
consommation modernes des familles (l’achat de médicaments, les loisirs, l’école, les moyens de
transport, etc.) Pour les plus aisés, ils satisfaisaient même le besoin de luxe et de représentation
sociale. Il y avait alors un certain équilibre entre le coût de la vie (devenant cher) et les revenus des
fonctionnaires et des grands commerçants, mais un déséquilibre s’établissait cependant pour les
656 Pane Rassavong, Considérations sur les grandes options de la politique de développement économique du Laos, thèse
de Science économie, université de Bordeaux, 1965. Cité par Labarthe, in : Quelques aspects du développement des villes
du Laos. Op, cit.
Tab. 22.
Population
urbaine. Fin
1950 et en
1968.
Source :
Statistiques.
Tab. 21. La
population
active
travaillant dans
l’administration
. Année 1958.
Sources :
Condominas et
HalpernDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 373 -
revenus moyens et surtout pour les plus pauvres. La société laotienne à deux vitesses faisait son
apparition. Parallèlement, les activités agricoles (production de riz autoconsommée) et de jardinage
permettaient à la majorité du commun des Lao qui les pratiquait jusqu’alors d’avoir un niveau de
vie convenable, du moins tenu à l’écart de la grande pauvreté qui apparaissait chez les groupes de
population les plus vulnérables et les plus exposés à la pauvreté qu’étaient les immigrés et les
réfugiés de guerre. Par la double activité citadin et rurale de leurs habitants, les habitations
existantes à l’extérieur de la ville pouvaient se retrouver améliorées, du moins pour ceux qui
menaient une bipolarité résidentielle, qui possédaient des revenus en ville, un emploi stable ou un
poste dans l’administration.
Après l’indépendance, on pouvait noter que le secteur tertiaire et administratif occupait une
part importante parmi la population active,657 corollaire à un fort développement de l’administration
et du fonctionnariat. Les petites élites provinciales étant arrivées nombreuses dans la capitale et
dans les capitales régionales pour occuper des postes dans le service public, les quartiers urbains et
les villages périphériques qui commençaient à être investis par eux se densifiaient alors. Du moins,
ils s’agrandissaient par l’augmentation du nombre de leurs habitants. Les offres foncières étaient
plus nombreuses et moins chères en périphérie des villes qu’en leurs centres. Plus modestes, ceux
qui n’avaient pas de doubles résidences, mais qui travaillaient en ville avaient ainsi élu domicile
dans les villages périphériques. Ceux-ci n’étant pas loin du centre ville, le transport à courte
distance étant facile (et sans grand embouteillage jusqu’au milieu des années 1960), qu’il était
même préférable pour eux de vivre dans les villages périphériques. La constitution ou la
densification et l’extension des villages proches des centres se produisaient dès les premières années
après l’indépendance. Cela donne lieu à un mouvement de production de l’habitat à Vientiane et
dans les capitales des provinces.
En ce qui concerne la migration des populations des provinces vers la capitale, ou de la
campagne vers la ville, on ne peut considérer ce fait, qui s’était produit dans les premières années de
l’indépendance, comme un véritable exode rural ou une migration définitive, puisque la majorité
gardait les liens, voire les domiciles familiaux (au sens large) en province pour pouvoir y retourner
au moins une fois par an, au nouvel an ou lors des événements familiaux importants. Sauf pour les
zones difficiles comme Sam Neua et Xieng Khouang ou Phongsaly, où les voyages de retour étaient
très peu fréquents à cause des difficultés du transport, des routes et des combats.
658 On peut par
contre évoquer l’exode rural et la migration à partir 1962 et plus intensément vers la fin des années
1960, lorsque les populations qui avaient fui les combats et qui s’étaient repliées dans les zones plus
sécurisantes qu’ils trouvaient alors dans les villes et leurs périphéries devenaient plus nombreuses ;
et lorsque fuyant la pauvreté les populations du Nord-Est de la Thaïlande émigraient aussi vers le
Laos. En ce cas, les liens avec les lieux de départ ont été rompus généralement. Une partie des
réfugiés et des immigrés venaient ainsi gonfler la démographie urbaine, dans les villages proches ou
dans les friches rurales se trouvant dans les villes. Des quartiers insalubres, sans infrastructures, à
faibles loyers et à problèmes, du point de vue de salubrité, social et économique, se constituaient
alors. Une forte concentration de population s’était également constituée, elle donnait à ce type de
quartier une densité supérieure aux autres quartiers, même les plus centraux.
Quelle que soit l’augmentation du nombre des citadins, la population urbaine demeurait
faible dans son ensemble et le phénomène urbain restait mesurable et relatif par rapport aux villes
thaïlandaises, notamment la mégapole de Bangkok qui comptaient trois millions d’habitants en
657 Le nombre des fonctionnaires était trop important au détriment d’autres secteurs, tels que les emplois techniques et
industriels de production qui manquaient. Cf. Manuel scolaire de géographie ; cf. Labarthe ; Halpern. Op, cit. 658 Il était assez fréquent de voir les avions militaires transformés en charter. Ayant plusieurs parents militaires, étant
enfant j’avais moi-même le souvenir d’avoir pris souvent les avions militaires, devenus pour la circonstance
“ charters familiaux ” afin de rejoindre les grands parents dans le Sud du Laos au nouvel an. Le dernier vol en 1975 (?)
nous a par ailleurs bloqués dans le Sud, le régime étant devenu communiste, les parents militaires étant envoyés aux
séminaires. De Champassack pour rejoindre Vientiane nous avons alors pris plusieurs jours, entre bus, pic-up et bateau par
le Mékong.
Tab. 23.
Population
active répartie
sur trois
secteurs à
Thakkek,
Paksé,
Savannakhet.
(d’après
Halpern, 1959)Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 374 -
1970, alors que Vientiane ne comptait que 132.253 habitants, la seule ville du pays à dépasser les
100.000 habitants. La ville de Vientiane était quasiment la seule à déborder de ses limites
historiques dès les années 1955. La ville se développait en dehors de son rempart intérieur, la zone
urbanisée étant débordée de la première couronne historique dessinée par le boulevard Khou Vieng
et Khoun Bourom. Les zones insalubres commençaient à se constituer dès le début des années 1960,
de çà et là, absorbant plus que les autres villes un exode rural et une migration créée par la guerre et
la précarité. Alors que dans les autres villes, où la démographie était modeste et leur attractivité
relativement moindre, c’était plutôt le phénomène de densification à l’intérieur que l’on remarquait
le plus, afin d’attraper le manque de densité traditionnelle. En fait, la ville ancienne offrait assez de
places pour les premières vagues de laocisation des centres juste après l’indépendance, sans qu’il
n’y ait l’effet de débordement. C’est après saturation des centres que la population se dispatchait à
l’extérieur et/ou constituait les zones insalubres dans les parties décentrées de la ville. Car c’est
surtout à Vientiane que le phénomène se remarquait.
II. III. d. 3. Le développement urbain : le tissu urbain et l’architecture des années 1960
L’expansion urbaine était surtout concentrée dans les villes de la vallée du Mékong, alors
que celle de la zone libérée était quasiment inexistante. Rappelons que les urbains lao étaient
minoritaires durant la période coloniale ; ils devenaient majoritaires à partir de 1954. A Vientiane
par exemple ils représentaient 40% de la population avant 1950 et passaient à 54% en 1954.659 La
partition du pays à partir de 1954 constituait aussi des nouvelles données, configurant autrement la
répartition des hommes dans le territoire et dans l’espace urbain. Comme nous l’avons noté à
l’instant. Les villes lao durant cette période étaient globalement caractérisées par trois éléments : 1-
les établissements qui pouvaient être qualifiés de villes étaient limités en nombre. 2- les villes
étaient de tailles modestes et avaient des caractères urbains peu marqués. 3- les plus importantes
parmi elles, telles que Vientiane, Paksé, Savannakhet, Luang Prabang et Thakkek, étaient toutes
situées dans le bassin du Mékong ; situation héritée de la période coloniale, comme nous l’avons
noté dans le chapitre traitant des villes coloniales. La situation durant la guerre froide reprenait le
même schéma en l’accentuant davantage. Leur développement s’était appuyé en continuité sur la
période précédente tout en étant redevable aux nouvelles données.
La densification urbaine
Les villes ont connu une densification toute relative. Elles n’avaient pas connu, jusqu’à une
période récente, des tendances à la verticalisation. Généralement, les immeubles et les
compartiments ne dépassaient pas R+3 dans les cinq villes les plus importantes du pays. La
densification, c’était d’abord les démembrements parcellaires, induisant une augmentation des
unités bâties. Et lorsque les terrains ne sont pas démembrés ces derniers avaient des surfaces
suffisamment grandes pour accueillir en plus d’autres constructions : des rangées de compartiments
ou d’immeubles, formant des nouvels fronts de rue. Ils remplaçaient parfois les anciens
compartiments à rez-de-chaussée ou les anciennes maisons lao en bois et enfermant ainsi en arrière
le jardin et les anciennes maisons. La densification, c’était aussi l’augmentation des taux d’emprise
au sol des éléments bâtis : une ou plusieurs parties des maisons pouvaient faire l’objet d’extension,
ou des nouvelles maisons pouvaient se construire facilement dans le jardin lorsque les enfants se
marient et forment leur propre foyer. En ce cas, la parcelle serait destinée à être démembrée
ultérieurement. Les poches de rizière, les jardins et les friches rurales subsistant encore à l’époque
dans les zones péricentrales et centrales des villes étaient également investis. Les délimitations entre
propriétés étant devenues plus nettes –permises par la parcellisation cadastrée et l’immatriculation
foncière de la période coloniale, elles avaient facilité tous les types de densification possible.
659 Cf. Lafont P-B, Péninsule indochinoise : études urbaines, l’Harmattan, 1991, Paris, 239 p., Illu., Tab., Cartes.,
Bibliogra., Recherches Asiatiques.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 375 -
Notons enfin que la densification urbaine dans ces années, étant relativement souple, avait
permis de préserver les espaces verts et paysagers tant dans les propriétés privées que dans les
propriétés publiques. Cette remarque valait pour l’ensemble de la ville sauf pour les quartiers les
plus centraux (quartier des trois cinémas de Vientiane) dont les immeubles –occupant de manière
continue les fronts de rue, donnaient peu de places à la végétation. La première période de
densification était donc accompagnée d’une minéralisation du sol urbain, celle-ci pouvait même être
l’une de ses caractéristiques.
La politique de logement
Des efforts ont été mis en œuvre en faveur des logements pour fonctionnaires, surtout à
Vientiane et à Paksé, et de manière inégale dans les capitales provinciales. Ceci a été suscité par le
détachement des agents de l’administration de l’État, dont le nombre devenait croissant depuis le
milieu des années 1950. Mais cette action de l’État était limitée. On ne pouvait pas vraiment
évoquer la politique de logement, dans la mesure où les efforts étaient seulement dédiés au service
des agents administratifs et non à l’ensemble de la population. Dans le contexte de construction et
de modernisation du pays après l’indépendance l’État jugeait important de récompenser par des
logements exemplaires, les médecins, les professeurs et autres fonctionnaires nouvellement affectés
à leur fonction après leurs formations en France, et qui ont accepté parfois d’aller travailler en
province.
Il s’agit à partir de 1955 surtout des logements collectifs. Ceux-ci étaient assez modestes
construits en bois et parfois encore en torchis. Notamment ceux qui étaient sur les sites actuels des
hôtels Lao plazza et Parc view. L’immeuble d’appartements pour professeurs construit en face du
Lycée de Vientiane était un beau spécimen de l’architecture moderne de la fin des années 1950660 et
de cette politique de logement de l’Etat. Dans les années 1960, c’étaient plutôt quelques immeubles
de logement de style international, dépassant rarement R+3. Quelques lotissements de villas
relevant de l’autorité publique, presque entièrement destinés aux militaires, pouvaient être
remarqués. Dans leur ensemble, les immeubles et les programmes de logement ne s’inscrivaient pas
dans une logique nationale, mais dans des besoins isolés et fragmentés de chaque organisme ou
ministère.
Les besoins en logement n’avaient jamais été décisifs pour l’État laotien, la question du
logement demeurait dans son ensemble du ressort des privés. Les projets privés constituaient
l’essentiel des nouvelles habitations, qu’elles soient destinées à l’utilisation personnelle du maître
de l’ouvrage ou à la location et à la vente. Remarquons cependant que dans le secteur privé les
promoteurs d’appartements étaient rares, alors que les promoteurs des compartiments et des
maisons individuelles étaient plus nombreux. Dans les quartiers anciens ou centraux, on y trouvait
plus souvent les compartiments et les immeubles, les maisons individuelles étaient plus couramment
construites dans les quartiers plus décentrés. A Vientiane, on y trouvait des quartiers de villas à
plusieurs endroits et de manière différenciée : par exemple, celui de Sisangvone était résidentiel
pour classe aisée, alors que celui de Dong Païna étaient plus populaire.
Les tissus urbains, les types d’îlot
Vers le milieu des années 1970, Vientiane offrait la vision la plus complète de ce qu’était
une ville laotienne constituée dans son histoire urbaine récente, mais qui n’en gardait pas moins la
trace de son passé plus lointain. A travers sept types d’îlot (que j’ai analysé et classifié à postériori
vers 1996-1999), nous pouvons comprendre comment l’histoire urbaine récente a enregistré ou
rejeté les espaces hérités. Nous prenons comme exemple ici les études typologiques plus que les
études des quartiers. Car autant la notion de quartier est spécifique au lieu étudié et ne peut
représenter ou remplacer l’étude de quartiers des autres villes. Par contre, la classification
660 Il a été remplacé vers 2007 par le bureau de UNDP.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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typologique à l’échelle de l’îlot, elle, peut être représentative d’autres quartiers dans d’autres villes.
Autrement dit, les sept typologies que nous repérons peuvent être retrouvées dans le même contexte
dans d’autres villes du Laos. Il s’agit dans l’exemple ci-dessous d’une étude des types d’îlot du
centre de Vientiane.
1. Les îlots à grandes parcelles occupées par des édifices isolés, des habitations ou des équipements
Situés en centre ville et entourés de compartiments, l’îlot accueille l’implantation de remarquables
édifices isolées : des villas modernes et des maisons coloniales, comme des monastères entourées de
murs d’enclos formés par les murs arrières des immeubles ou des maisons qui l’entourent et qui
l’enferment au fur à mesure de la construction de ces derniers. Dans le cas où il s’agit d’un
monastère encerclé, entièrement ou sur deux à trois côtés, l’habitat laïc empiète incontestablement
son espace. L’accès à ce type de cœur d’îlot est souvent insalubre, à cause de la profondeur de la
voie d’accès, ancienne et peu entretenue et à cause aussi du partage un peu flou des responsabilités
sur la voirie.
2. Les poches d’habitat précaire
Elle est caractérisée par le manque d’infrastructures publiques pour l’évacuation d’eau de
ruissellement et de sanitaire de base (manque ou insuffisance de réseau d’évacuations ou
d’épandages local des eaux usées et des eaux vannes). Les accès aux habitations posent toujours
problème surtout à la saison des pluies. Le branchement sur le réseau des flux (électricité EDL et
eau Nam Papa Lao) a souvent été fait sans autorisation et sans norme. Les logements eux-mêmes
sont insalubres, denses et surpeuplés. Ils ont commencé à être construits dans les années 1960 avec
des matériaux en bois et en tôle ondulée. En case ou compartimentés leur usage est souvent
collectif. Ils sont aujourd’hui peu à peu remplacés par des matériaux en dur (mur en maçonnerie,
poteau en ciment). Les limites de propriétés et parcellaires sont indéterminées. Les habitants sont
souvent sans emploi ou avec emploi précaire : marchands ambulants, ouvriers journaliers,
chauffeurs de samlo (dans les années 1960 et 1970) et chauffeur de touk-touk (aujourd’hui.)
3. L’ensemble de maisons isolées en cœur d’îlot
L’îlot est caractérisé par des belles ruelles ombragées, malgré l’aspect rudimentaire et vieilli du
système d’assainissement. On y trouve quelques maisons lao anciennes et plus souvent des maisons
lao pagnuk. Bien que les maisons lao anciennes aient quasiment disparu, la subsistance des maisons
lao pagnuk, le rapport de proximité et d’intimité des habitations entre elles, montrent que ce type
d’îlot est bien issu d’une ancienne structure de village. Sans effet de forte densité, et peu touchés par
la mutation générale des tissus urbains qu’éprouvent les parcelles qui jouxtent les voies, les îlots de
ce type lorsqu’ils sont en recul par rapport aux grandes voies publiques préservent assez bien les
traces des anciens villages dont ils faisaient autrefois partie.
4. Les îlots en damier
A la fois résidentiel et commercial l’îlot est constitué d’immeubles, de compartiments et de maison
isolées. Les habitations ont souvent connu des modifications et des extensions ultérieures. Les
parcelles ont parfois été démembrées pour former des parcelles plus étroites accueillant des
compartiments. Des voies privées ou des impasses ont été créées ultérieurement formant des voies
de dessertes aux petites parcelles issues des démembrements qui se situaient au fond à l’intérieur de
l’îlot. Pour les besoins des habitants qui exerçaient aussi des activités commerciales, les extensions
en appentis qu’ils réalisaient ultérieurement au fur à mesure débordent souvent des façades de rue,
empiétant la voie publique. Dans certains îlots, ce type de constructions peut atteindre R+4. Enfin
l’îlot est caractérisé par la régularité de ses trames viaires qui se coupent en angle droit.
5. Les îlots dont le cœur est en friche
Caractérisé par ses grandes parcelles, entourées d’immeubles commerciaux en compartiment, ce
sont des équipements de loisir et de service (cinéma, hôtel). Les voies d’accès, qui traversaient les
compartiments et qui longeaient les façades arrières des compartiments et des immeubles, donnaient
accès à un ensemble de logements où une façade intérieure se reconstituait. Ce type de parcelle Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 377 -
constituait un potentiel foncier important et occupe une place centrale dans le quartier. L’abandon
de ses activités peut entraîner la déshérence des bâtiments et la mort du quartier. C’est ce qui s’était
passé après 1975, ce type d’îlot devenait une friche en plein cœur de la ville. Mais aujourd’hui les
anciennes friches des années 1980 deviennent des enjeux fonciers majeurs. Elles offrent de grandes
surfaces en plein cœur des quartiers centraux et pouvant accueillir des grands immeubles
(notamment l’ancien cinéma de Bouasavanh à Vientiane.)
6. Les îlots fermés occupés par une population immigrée
L’îlot est caractérisé par une forte densité de la population et de l’habitat, construit sur le principe
des murs mitoyens. Les voies de dessertes sont étroites et très sommairement aménagées et
assainies ou mal entretenues, avec un caniveau central de petit gabarit. Les constructions sont
tellement serrées qu’ils ne laissent pas de place, ni pour les espaces verts ni pour les vides. Cet îlot
était un fait remarquable dans son insertion dans le tissu urbain : un marché de proximité marquait
l’entrée de l’îlot, et il n’y avait quasiment qu’une seule entité sociale et ethnoculturelle qui le
compose.
7. Les îlots marqués par les formes des temps antérieurs
La présence de la végétation et du sol naturel y est remarquable. L’îlot étant situé dans une
partie basse de la ville (ligne de côte de niveau basse) possède donc des conditions favorables pour
avoir des zones humides. Les voies de dessertes sont étroites, tortueuses, informelles et souvent
inondées à la saison des pluies et le réseau d’assainissement est rudimentaire. Les composants bâtis,
plus ou moins denses, sont principalement constitués de maisons sur pilotis et de maisons lao
pagnuk. Dans son ensemble, l’îlot a un caractère rural et semble garder encore quelques traces et
quelques aspects de son passé. Il y a la présence de plan d’eau ancien (l’étang de Bungkragnon a été
conservé), on y trouve des vestiges archéologiques, tels les grands fours à terre cuite, les déchets
d’atelier de forge. Ceci semble expliciter que l’îlot abritait une fabrique de poterie ou de brique, des
ateliers d’armurier (à Ban Phra Pho). Ce qui peut suggérer que l’îlot avait probablement fait partie
d’ancien village d’artisans, une des vieilles structures de la ville.
Les quartiers insalubres
Les quartiers insalubres s’étaient constitués peu à peu dans les villes les plus importantes
pour accueillir réfugiés et immigrés. Les terrains qui ont été occupés par ces derniers étaient dans
les zones non loties, manquant de branchements sanitaires. Sans infrastructures de base ou très
rudimentaires, les terrains étaient peu chers et demandaient peu d’investissement aux propriétaires
qui se mettaient à construire des logements à faibles loyers. Parfois, les terres sans propriétaires,
c’est-à-dire des terres appartenant à l’Etat, ont été squattées et les squatters y construisaient leurs
logements en bois sur bas pilotis. A Vientiane par exemple, les quartiers de Nong Chanh-khoua
dinh et de Hongsi Noy devenaient deux grandes zones insalubres de la ville. Même la qualité
environnementale de leur cadre, en tant que zone humide, n’avait pas pu résorber les problèmes
divers qui s’y posaient.
Prenons en exemple le quartier de Nong Chanh-Khroua Dinh. Mise à part l’insalubrité,
l’essentiel des problèmes qui se posaient dans ces quartiers était l’enchaînement d’autres problèmes
qui leur sont liés. La diversité de la provenance des populations, le manque de souche sociale et
familiale de base, ne favorisaient pas la cohésion et la centralité sociale et ne permettaient pas le
contrôle et la conduction des comportements sociaux. Le manque de qualification professionnelle
des habitants et la pénurie de l’emploi, qui n’étaient pourtant pas des faits spécifiques à ce type de
quartier, mais un fait commun pour l’époque en devenaient des problèmes insalubres, déstabilisant
la cohésion sociale ; alors que partout ailleurs les problèmes sont limités à leur propre cadre et ne se
retrouvaient pas amplifiés et déplacés dans le champ social. Les activités existantes dans ces
quartiers étaient peu constructives, instables et parfois prohibées : délinquance, drogue, prostitution
trouvaient leur terrain de prédilection.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 378 -
Malgré son insalubrité (eaux usées et eaux de pluies croupies.) la zone humide de Nong
Chanh-Khroua Dinh était pourtant l’endroit où les habitants les plus démunis pouvaient trouver un
minimum de quoi subsister avec la vente des plantes aquatiques.
661 L’accès au quartier se faisait par
la rue Dong Palane ou par le boulevard Khouvieng. Etant construit dans un milieu humide avec des
poches plus ou moins profondes, les voies d’accès à l’intérieur du quartier rendaient la circulation
des personnes anarchique : chemins en terre, passerelles en bois et en tôle plate, et la plupart était
des voies sans issue. La promiscuité des habitations en bois et en tôle, l’insécurité, la
marginalisation et la ghettoïsation faisaient que le quartier symbolisait tous les maux et l’image
négative de la ville. Le quartier symbolisait aussi la faillite de la gouvernance urbaine du régime de
Vientiane. La non-intervention de l’Etat en la matière amplifiait en quelques années le phénomène
de squattérisation, de ghettoïsation et de dégradation sociale. Les études urbaines commandées par
le gouvernement royal au BCEOM, achevées en 1964, ont montré que le problème était
préoccupant pour l’autorité publique. Les quartiers insalubres ont été inscrits dans le schéma
directeur d’urbanisme (SDU), mais la mise en œuvre de la politique urbaine pour apporter des
solutions aux problèmes était peu dynamique : rien n’a été fait à ce niveau de manière conséquente,
jusqu’à la fin du régime de Vientiane.
Les tissus urbains et les typologies architecturales des années 1960
Dans les années 1960, il n’y avait pas de construction de quartier et de villes de manière
isolée ou indépendamment du contexte de la guerre. Que ce soit la densité urbaine des quartiers
centraux ou des villages périphériques, il y a une persistance dans la mixité des tissus urbains,
dominée par la continuité des fronts de rue.
Les différentes typologies d’architecture sont apparues plus nettement que la période qui
précédait. Ils ont créé une différenciation entre quartiers de manière plus nette, ceci, par le
vocabulaire architectural, le gabarit et la hauteur des bâtiments, par l’utilisation des matériaux et la
composition sociale et économique des habitants. Mais cette différenciation a été gommée par la
persistance de la pratique habitante de l’espace et par la persistance de la végétation et des
composants paysagers qui ont joué un rôle déterminant. A l’exception des quartiers très centraux
tels notamment à Vientiane le quartier Anou et à Paksé le quartier du cinéma, dont les fronts de rues
étaient marqués par une continuité des façades d’immeubles, qui ne dépassaient pas de toute façon
R+3 et R+4. La continuité des façades d’immeuble en question, caractérisée par une occupation qui
combinait la fonction commerciale au rez-de-chaussée et la fonction d’habitation à l’étage, induisait
une densité plus grande.
C’est ce caractéristique globale qui avait défini l’aspect urbain de la ville laotienne des
années 1960. Ceci, dans la mesure où il y avait un phénomène de caractérisation des centres, se
distinguant des quartiers périphériques et des villages. C’est un phénomène spatial qui avait apparu
dans plusieurs villes : à Luang Prabang, à Savannakhet et à Paksé, et même dans la petite ville de
Houayxay. Les éléments de caractérisation des centres urbains qui étaient apparus avec la période
coloniale (compartiments sino-coloniaux, équipements administratifs, résidences coloniales, marché
central, faible minéralisation et forte présence de la végétation, etc.) étaient alors moins marqués
que ceux apparus dans les années 1960. Si les centres urbains coloniaux avaient une certaine
continuité avec les villages ruraux tout en se distinguant d’eux par leur fonction, les centres urbains
des années 1960 se démarquaient différemment des villages ruraux par la continuité du bâti sur les
façades de rue (phénomène qui n’existait pas dans les villages ruraux) et par le mode de vie du
661 Dans les eaux poussent en grande quantité phak top (Monochoria hastaefolia) et phak bong (Ipomoea aquatica). Ces
plantes aquatiques se développent vite et possèdent une grande capacité d’épuration des eaux ; bouillies avec le riz
concassé, elles deviennent une alimentation porcine. Nong Chanh produit naturellement une grande quantité de ces
plantes ; les plus démunis ramassaient phak top pour les vendre aux petits éleveurs de porc, et coupaient phak bong pour
les vendre aux marchés de la ville.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 379 -
centre urbain, devenant beaucoup plus commercial, plus nocturne, avec une population plus active,
etc. Comme nous allons le voir de suite traitant « d’ancienne centralité et de nouvelle centralité ».
Par contre à l’inverse, un autre phénomène s’était produit dans la composition spatiale :
certains villages et zones rurales ont été investis par des nouveaux éléments constructifs qui avaient
pris racine dans les centres urbains et à travers la typologie des équipements publics, avant de se
développer ensuite à travers la construction des villas et des immeubles privés. Nous voulons
évoquer les villas modernes qui avaient été construites de çà et là dans les centres ruraux se trouvant
à proximité immédiate des centres urbains de l’époque, comme le quartier de Sisangvone, le
quartier de Dong Païna, le quartier de Phone Sa-at à Vientiane. Ils devenaient des quartiers de
résidence, dont l’architecture de certains d’entre elles peut devenir aujourd’hui des exemples de la
modernité très typique de l’époque.
On peut dire que les typologies architecturales proprement dites des années 1960 étaient
globalement dominées par l’architecture moderne, en particulier dans la production des maisons
individuelles, des équipements publics et des immeubles en compartiment. Cependant, les maisons
lao pagnuk (maisons lao contemporaines) avaient marqué aussi indéniablement la production du
bâti durant ces années par leurs quantités.
L’architecture moderne des villas
Les villas modernes avaient été un des marqueurs de l’espace urbain, économique et social
par la nouveauté qu’elles apportaient. L’acte de construire de l’habitat était alors fractionné et faisait
apparaître de manière plus flagrante les différents corps de métier, par rapport à la période qui
précédait : l’utilisation de matériaux en dur dominés par le béton armé et de la maçonnerie, la mise
en œuvre de la construction plus sophistiquée nécessitant un savoir-faire nouveau, c’est-à-dire,
devant faire appel à des sociétés de construction, et surtout, au service des architectes. Le prix de la
construction devenait alors plus onéreux. Dans ces années, les villas exprimaient ainsi le mode de
vie nouveau, ils étaient devenus le signe extérieur de richesse, indiquant la santé financière et
économique de l’occupant. Celui-ci aurait forcément un lien quelconque avec le pouvoir politique
ou financier qui détenait le pouvoir du moment. Force est de constater que les villas les plus
intéressantes ont été construites dans ce contexte. Elles sont remarquables par leurs vocabulaires
architecturaux résolument modernes : fonctionnalité recherchée, volumétrie simple, plan libre,
structure en porte-à-faux, grands claustra, pergola et brise-soleil, toiture-terrasse, percement libre
des ouvertures, grandes baies vitrées, etc.
Les petites villas basses en bois constituaient une variante de cette modernité et exprimaient
une certaine adaptation du modèle d’origine au contexte local. Elles ont été construites à même le
sol, sur un soubassement (semelle filante) qui les séparait du sol d’une cinquantaine de centimètres.
Avec souvent un plan de fonctionnement similaire aux villas modernes en dur, leur construction
étaient moins onéreuse et donnait une indication sur la classe sociale des occupants. Du fait qu’elles
étaient en bois, elles appelaient davantage à un savoir-faire local dans leur mise en œuvre, en
particulier en ce qui concernait le bardage de bois des murs, invariablement celui des maisons lao.
Mais l’ensemble de leur construction montrait qu’elles étaient issues d’une démarche moderne
(appel aux entreprises de construction aussi petites sont-elles, au plan d’architecte et au permis de
construction). En fait, à travers leur plan d’agencement, la fonction de l’habitat avait changé. Situés
sur le même plan sans décrochement de niveau du plancher par rapport à leur fonctionnalité, les
espaces de la maison n’étaient plus hiérarchisés. La salle d’eau d’un côté et la cuisine de l’autre,
cette partition faisait partie alors de l’organisation intérieure de la maison. Elles n’étaient plus
construites dans une maison à part ou en appentis, mais côtoyaient la salle à manger qui se trouvait
dans une pièce communiquant avec le salon, parfois, il s’agissait de la même pièce.
L’architecture moderne des immeubles collectifs, des équipements publics et des immeubles en
compartiment
Les immeubles de logements collectifs sont bien apparus dans les années 1950 et 1960,
mais ils demeuraient des projets rares. Le mode d’habiter de ce type était assez étranger aux locaux.
Fig. 88.
Habitations et
immeubles
urbains des
années 1960 à
Vientiane :
immeubles
d’angle, mais
aussi des
habitats
précaires
Fig.89. Autres
équipements des
années 1960 dans
le centre de
Vientiane :
Banque, Piscine
municipale,
hotels, Université
Fig. 90.
Equipement des
années 1950 :
l’Assemblée
Nationale
(Aujourd’hui le
bâtiment fait
partie du
campus du
bureau du
Premier
Ministre)
Fig. 91.
L’Hôpital
Mahosot
(bâtiment des
années 1960,
dans un campus
qui date de la
période
coloniale)Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 380 -
Puisque ces derniers se conformaient dans le mode individuel de résidence et de propriété privée et
ignoraient jusqu’à cette période la résidence collective. La construction des immeubles collectifs
était pendant longtemps issue des besoins spécifiques d’une institution : pour loger les professeurs
des lycées et de l’université sous forme d’appartement, pour loger les étudiants sous forme de
chambre collective et de dortoir, pour le personnel des hôpitaux, etc. Les nombreux experts en
mission pour de longs séjours trouvaient également les moyens de se loger dans les appartements de
ce type, lorsqu’ils ne louaient pas les villas individuelles. Pour les séjours plus courts, ils logeaient
plutôt dans les hôtels, une autre forme alors de résidence collective. Les occupants étant
majoritairement étrangers et leurs venues étant, pour beaucoup, liées aux fonctions de la capitale,
c’est à Vientiane que l’on trouvait le plus ce type de logements.
Il était de même pour les immeubles en compartiment. Ils sont caractérisés par leur
fonctionnement et par leur plan intérieur constitué de plusieurs unités de logement standardisées et
répliquées sur le plan et sur plusieurs étages. Les unités sont ensuite desservies par des coursives
collectives fermées ou ouvertes sur l’extérieur. Il existait principalement deux types de façades.
L’un est caractérisé par l’uniformité des composants architecturaux, formant une unité de façade
unique. En ce cas, la façade ne reflète pas forcément le caractère sériel et standard du plan intérieur.
Et souvent il s’agissait alors d’immeuble de bureaux monofonctionnel, ou d’équipement avec
fonction unique. L’autre est caractérisé par la standardisation des unités répétitives des composants
architecturaux, et en ce cas la façade reflète le plan intérieur avec des unités d’habitation
(appartements ou chambres) répétitives et standardisées. Parfois, ce dernier type d’immeuble peut
être des immeubles en compartiment.
Les équipements publics étaient apparus nombreux dans les années 1960. Si parfois les
anciens équipements datant de la période coloniale continuaient à être utilisés pour les mêmes
fonctions, les immeubles isolés dans de petits campus administratifs ont été construits dans toutes
les villes importantes. A Vientiane, ils jalonnaient surtout le grand axe urbain de l’avenue Lane
Xang. Les plus emblématiques, telle l’Assemblée Nationale et l’immeuble de logement des
professeurs du lycée de Vientiane, empruntaient une architecture moderne un peu différenciée des
autres. Cette architecture se référençait curieusement aux différents courants modernes des années
1930 et 1940 : les expressions du « nouvel ordre de l’ère de la machine », reste du mouvement
futuriste et constructiviste, apparu et très débattu en Europe autour de la deuxième guerre mondiale.
Ces deux cas restant uniques, les autres empruntent un langage moderne proche de certains
vocabulaires de le Corbusier, de l’expression internationale et du rationalisme européen.
Bien que dans certains cas, les immeubles en compartiment pouvaient avoir des similitudes
avec les immeubles de logement collectif ou des équipements publics que nous venons de décrire,
ils étaient résolument différents du point de vue de l’opération immobilière, du point de vue des
fonctions et du mode d’habiter. Les immeubles en compartiment étaient caractérisés par une
appropriation verticalisée de R+1 jusqu’à R+3, ne dépassant pas R+4. Les compartiments
combinaient la fonction commerciale et d’habitation. Le rez-de-chaussée était consacré aux activités
commerciales, alors que le reste des étages était consacré au logement. A la différence des
habitations individuelles, il était très rare que les immeubles en compartiment de ce type soient issus
d’opération immobilière fractionnée. Le promoteur les construisait généralement à partir de trois
unités. Il y avait quelques exemples types dans le quartier Sihom.
Les maisons lao pagnuk
Les maisons lao pagnuk sont dérivées des maisons lao anciennes. Situées généralement
dans un milieu plus urbain (avant de se répandre aussi dans les campagnes), elles sont caractérisées
par leur rez-de-chaussée cloisonné, doublant ainsi les surfaces habitables recherchées. A l’étage, les
cloisons et les parements extérieurs sont en bardage de bois, alors qu’au rez-de-chaussée ils sont en
maçonnerie. La structure porteuse du rez-de-chaussée est en béton armé de petite section alors que
celle du haut est généralement en bois. Ceci crée une distinction assez nette entre le haut et le bas.
Et à la différence des maisons lao anciennes, on ne vit plus au premier étage mais au rez-deFig.
92.
L’immeuble de
logement des
professeurs du
lycée de
Vientiane,
construit à la fin
des années
1950.
Fig. 93.
Immeubles et
compartiments
des années
1960, dans le
quartier centre
de Vientiane.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 381 -
chaussée, le haut étant consacré à l’espace de nuit. La toiture est moins pentue et plus affaissée par
rapport à son modèle d’origine, permise par l’utilisation de la tôle ondulée, ce qui rend l’aspect
général de la maison moins effilé. Les terrasses (sya) sont souvent absentes remplacées par les
balcons de taille modeste, dont les motifs des garde-corps, variés et soignés constituent une fantaisie
apparente par rapport à son manque de décors par ailleurs. Les espaces intérieurs sont moins ouverts
sur l’extérieur, les ouvertures sont réduites et le plan d’organisation spatial est plus imbriqué.
L’absence de fluidité intérieur-extérieur rend compacte et volumineuse la perception de la majorité
des maisons lao pagnuk. L’ambiance intérieure est plus feutrée, plus sombre et moins ventilée.
Parfois, les éléments de liaison avec la partie attenante, en arrière ou latérale, que constituent la
cuisine et la pièce d’eau, les rendent plus ouvertes et moins compactes.
Le développement et la production des maisons lao pagnuk et de leurs déclinaisons
typologiques sont vraiment issus d’un contexte et d’une culture locale qui s’efforce de s’adapter à
un moment de développement urbain particulier, celui de l’apparition relativement forte du monde
citadin et urbain avec ses contraintes diverses. En fait au moment où plusieurs questions se
croissent pour rechercher comment mieux vivre l’époque, comment s’adapter à certaines contraintes
urbaines, construire une maison pour pas trop cher, avec un savoir local –voire même avec une
capacité d’auto construire. Comment avoir un espace de vie suffisant pour une famille nombreuse
lorsque l’emprise au sol est restreinte, etc. Ce sont là des questions auxquelles les maisons lao
pagnuk tentaient d’apporter des réponses. En fait c’était le moment où l’urbanité et la citadinité ne
sont plus seulement signifiés par le fait d’être “ dans le muang ” ou “ hors du muang ”, le fait d’être
dans l’enceinte de la ville ou en dehors, mais par un mode de vie, de production et de
consommation qu’il fallait adapter et renouveler. En cela les maisons lao pagnuk, est un vrai témoin
de la transition sociale lao traditionnelle et rurale vers un monde urbain. Il traduit la capacité, mais
aussi les limités d’adaptation de cette société traditionnelle à un tournant spatial crucial.
La centralité ancienne, la centralité nouvelle
Dans les années 1960, les quartiers à dominance commerciale et d’activités nocturnes
étaient apparus comme des nouvelles centralités. Mais souvent ces centralités nouvelles se
greffaient aux quartiers de centre ancien. Par exemple le quartier Anu des trois cinémas
(Bouasavanh, Viengsamaï, Sènglao) avec boutiques et restaurants, qui était le centre ville dans les
années 1960, animé et nocturne, côtoyait le quartier des cinq pagodes (Vat chanh, Inpèng, Ongtù,
Mixay et Haï sok), qui était effectivement l’ancien centre de Vientiane. Ce sont deux centralités
fondées sur des fonctions différentes. Le centre ancien des cinq pagodes était historiquement
prestigieux : Vat Ongtù logeait l’université religieuse et la cérémonie de l’eau du serment, qui avait
lieu chaque année depuis probablement le XVIe siècle, et Vat Chanh était probablement le lieu
officiel des ordinations des jeunes gens de l’ancienne époque. Quelques années après, les quartiers
anciens et nouveaux finissent par constituer un ensemble quasi-homogène formant le centre urbain
devenu maintenant historique.
La vie rurale, la vie urbaine, le temps de l’adaptation
La composition spatiale des années 1960, surtout l’architecture moderne qu’incarnaient les
villas d’habitation apportait donc un mode de vie nouveau : une certaine citadinité était entrée en
fusion avec la culture rurale qui persistait malgré tout. Ceci à travers la pratique de la maison ellemême
et à travers son insertion et appropriation paysagère. Le nouveau mode de vie que l’on peut
repérer était explicite à travers plusieurs faits. D’abord, la composition sociologique et économique
de l’habitant avait changé : le ou les chefs du foyer, parfois les autres membres du foyer, exerçaient
des activités qui apportaient des salaires, que ce soit dans la fonction publique ou dans les activités
commerciales. En occurrence, quelle que soit la souplesse du temps de travail connu dans le pays,
ils commençaient à avoir des horaires fixes (ce qui implique une clarification au niveau du temps
passé et vécu dans la maison), à avoir des parcours quotidiens en conséquent, liés à ce temps de
travail. Ce qui voudrait dire que les activités des membres du foyer ne sont plus seulement tournées
vers les travaux de rizière et de jardinage d’autoconsommation, mais orientées aussi vers le tertiaire. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 382 -
La gestion du temps au foyer devenait alors quelques chose de tout à fait nouveau qui s’imposait à
la vie citadine. L’organisation spatiale de la maison a dû alors se modifier en conséquent.
Dans les foyers, les liens avec la vie rurale devenaient moindres, mais s’étaient poursuivis
quel qu’en soit la pression du travail salarial sous une forme différente. Les revenus permettaient
d’augmenter le confort et la consommation liée à la ville. On peut aujourd’hui mesurer ce confort et
le détachement progressif vis-à-vis du monde rural des années 1960, à travers les ameublements et
autres produits et ustensiles, produits sur place ou importés, lorsque nous examinons les villas
modernes qui subsistent encore. On pouvait mesurer aussi cette modernité nouvelle à travers les
automobiles importées à cette époque.
On peut dire que la société lao se modernisait au rythme et à la mesure de l’urbanisation des
villes, ou plutôt, de la citadinisation des foyers laotiens. L’espace de la maison changeait en
conséquent. On vivait dans les villas modernes de manière plus intériorisée, la pièce des repas
n’était plus la même que celle qui accueillait les visiteurs (nous verrons dans les maisons lao que
ces deux fonctions sont associées). Désormais, il y a le salon et la salle à manger, une grande pièce
de réception pour les plus aisés. L’endroit où l’on préparait les repas était alors aménagé dans une
pièce à part (la cuisine) de manière fonctionnelle. Il n’était plus question de passer des heures pour
allumer et alimenter le feu de cuisine au feu de bois, pour aller chercher de l’eau au puits, etc. On
faisait la cuisine désormais debout et non plus assi. Le bois de chauffe avait été remplacé par le
charbon puis la gazinière. Ceci avait des conséquences énormes sur l’organisation de la vie
quotidienne dans l’espace de l’habitat et dans le temps. Il était donc courant pour les foyers les plus
aisés et/ou qui avaient des liens forts avec la vie rurale d’avoir une deuxième cuisine à l’extérieur.
C’était pratique pour le personnel ou pour les membres de la famille qui venaient de la campagne et
qui trouvaient impraticable la cuisine moderne pour préparer certains plats. Un bâtiment annexe a
alors souvent été construit en arrière ou sur le côté des villas. Il permettait de loger de nombreux
personnel de maison, mais aussi la famille qui venait de la campagne. Ce schéma était valable pour
la quasi-totalité des grandes familles donc le chef était dans la fonction publique. Plus la position et
la situation de ce dernier étaient importantes et honorables, plus il se sentait obligé. Ainsi par sa
position et par son devoir familial, il devrait parrainer et héberger de nombreux neveux et nièces
venus des provinces d’origine pour étudier. Certains d’entre eux deviendraient probablement à leur
tour des fonctionnaires. Ainsi dans certaines villas, on relevait beaucoup de chambres, voire, des
mini dortoirs. Les enfants lao et les adolescents en général n’aimaient pas dormir seuls, le fait de
partager la chambre avec les cousins et cousines de la campagne était alors courant et apprécié : ils
dormaient ainsi à plusieurs dans une chambre. Ces faits qui étaient propres aux maisons lao
anciennes étaient une pratique qui persistait dans les villas modernes, grâce à la valeur familiale que
la modernité des villas n’avait pas altéré.
II. III. d. 4. Le bouleversement des schémas symboliques anciens de la ville
Dans un rapport immédiat vis-à-vis de l’urbanisme colonial, l’urbanisme des années 1960,
ont apporté un grand bouleversement aux schémas symboliques anciens de la ville. L’exemple de ce
bouleversement peut être révélé par l’analyse urbaine d’une des sites monumentaux de Vientiane,
construit par Sethathirat au XVIe siècle. Ce site qui relie la ville à l’esplanade de That Luang et son
monument, est un cas unique du pays.662
Les schémas symboliques coloniaux : Luang Prabang et Vientiane
Le schéma symbolique installé par l’urbanisme colonial concerne particulièrement le
rapport entre le fleuve et le lieu central du pouvoir. Le phénomène est autant flagrant qu’il se
produit dans deux sites principaux : à Vientiane et à Luang Prabang.
662 L’analyse urbaine du site de That Luang a été effectuée dans un article rédigé en 2004 et publié dans un ouvrage
collectif édité en 2010. L’essentiel de cet article est repris dans ce chapitre et dans la 1e partie. Chapitre II. Cf. Chayphet
Sayarath, « Le site de That Luang et la ville, articulation spatiale des fonctions religieuse et politique. », in. Vientiane,
architectures d’une capitale. Traces, formes, structures, projets. Ed. Recherches/ Ipraus, Paris, 2010.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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A Luang Prabang, la conception du palais royal par les Français dans les premières années
du XXe siècle semble placer le Mont Phou Si dans une position et un ordre d’importance qu’il
n’avait pas auparavant. Si le mont est sacré et occupe géographiquement une position centrale, il
n’exerce pas ce rôle de manière exclusive, mais participant au schéma symbolique général de la
ville, qui était également constitué de sites sacrés des embouchures telle l’embouchure de la Nam
Khane. Les embouchures des rivières semblent aussi importantes, si non plus important que le Mont
Phu Si.
Par ailleurs, les annales ont mis en évidence le fait que la résidence royale au temps ancien
n’était pas à l’endroit où les Français allaient plus tard construire le palais royal. Certaines annales
suggèrent qu’elle était près de Vat Pafang, d’autres, plus proche de Vat Xiengthong. Il a même
semblé au cours de l’histoire qu’elle a du souvent changer d’endroit à l’intérieur de la péninsule,
cherchant un lieu propice.
663 L’interprétation coloniale a dû considérer le site actuel comme propice
en construisant la résidence royale en bas du Mont Phou Si. De plus, cette résidence a orienté sa
façade vers la montée du mont et a tourné alors son dos au fleuve. Devenant un lieu clos, pris entre
le fleuve et le Phou Si, le palais royal n’a pas de vue sur le Mékong. Ce schéma semble tout à fait
absurde pour le feng shui. Les plus au faîte des règles cosmogoniques attribuent même le malheur
qui accable la famille royale lao par ce mauvais schéma symbolique construit par les Français.
Il était de même pour Vientiane avec la position du Hô Kham. Autrefois, face au Mékong
où l’accès au fleuve était direct, le palais royal et son quartier avaient le fleuve comme limite de la
façade principale. En d’autres termes, le palais royal donnait entièrement sur le fleuve. Le bâtiment
de l’hôtel de la Résidence Supérieure qui a remplacé ses ruines dès les années 1912 est orienté dans
l’axe de l’avenue de la Résidence, l’embryon d’une autre grande percée viaire (l’avenue Lane
Xang). Celle-ci débute au niveau de l’axe de la salle des fêtes de l’Hôtel de la Résidence (futur Hô
Kham), l’ancien emplacement du palais royal. Cette fois-ci, la façade du bâtiment est tournée en
direction de la nouvelle route qui, en 1931, s’arrêtait encore au niveau de l’ancien rempart, et le dos
du bâtiment est alors tourné vers le fleuve. Même si une place semble y avoir été aménagée,
permettant un accès au fleuve depuis le bâtiment, cet accès était secondaire. Le plan de 1912,
montre en outre que l’on projetait une voie traversant le bâtiment et l’îlot entier, débouchant sur la
petite place avant de se jeter sur la berge du Mékong. Le plan de 1931 montre que la voie n’a pas
été construite comme prévu. Cependant, l’emprise du bâtiment demeure sur l’axe de l’avenue de la
Résidence qui le percute en plein centre de sa façade. Dans les années 1940, on a tracé la route
nationale 13 dans le prolongement de l’avenue de la Résidence, et celui-ci s’élançait dans les
rizières vers l’extérieur de la ville. Là encore le schéma symbolique de la ville a été complètement
renversé. Le lieu du pouvoir avait commencé ainsi à se démarquer du fleuve, alors que les deux
éléments étaient anciennement fusionnels.
L’urbanisme des années 1960 et le schéma symbolique de la ville
Alors que les plans qui ont été dressés durant la période coloniale, établissaient la route de
Nong Bone comme seule voie de liaison entre le That Luang et la ville, respectant encore le schéma
symbolique du XVIe siècle de Sethathirat ; l’avenue Lane Xang, construite dans les années 1960,
venait à la fois contre balancer et révéler le schéma symbolique ancien. L’urbanisme des années
1960 a prolongé le schéma urbain colonial tout en renouvelant les symboles nationaux et les
représentations, mettant en pratique un urbanisme emblématique.
Le site où s’était implanté l’Hôtel de la Résidence demeure le lieu du pouvoir, accueillant
alors le Hô Kham, symbole du jeune état indépendant. Sa façade principale est résolument celle qui
est percutée par l’axe de l’avenue Lane Xang. Des équipements publics sont construits le long de la
grande avenue, axe monumental par excellence, et le Hô Kham –nouvellement construit, lieu
663 Cf. Pheuiphanh et Mayouri Ngaosyvathana, Ancient Luang Prabang, Vientiane, Mon Realm and the Angkor impérial
road, 2009, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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symbolique du pouvoir en marque le début. En sortant de la première enceinte de la ville, l’axe
passait par une place où le mémorial Anousavary était construit. En quittant le mémorial, l’axe était
séparé en trois branches dont deux partaient en direction de l’esplanade du That Luang. L’axe de
droite arrivait quasiment dans l’axe du grand that, lui créant une belle perspective ondulatoire. La
route du milieu frôlait sur la droite l’esplanade du That Luang au niveau du village de Phone
Phanao avant de repartir vers l’extérieur de la ville.
En ce qui concerne le site de That Luang lui-même, la renaissance de la fête du grand that et
le transfert de son entrée principale au côté ouest, qui était à l’origine sa sortie arrière, a fait de
l’esplanade qui existe probablement depuis Sethathirath en quelque sorte son parvis. Les anciennes
voies d’accès, par l’ancienne entrée du that sur la façade Nord-est ont été complétement niées. Ces
anciennes voies qui se pratiquaient par canaux entourant la ville et qui se connectaient à la grande
mare de That Luang et au Mékong, caractérisaient l’ancienne structure spatiale de Vientiane et du
grand that. Désormais, d’un côté le quartier de Hô Kham tourne le dos au fleuve, de l’autre le That
Luang tourne le dos à la mare, les deux sites clés se font face. Cela perturbe le rapport ville / fleuve,
ainsi le rôle de ville fluviale en est autant affaibli. Une coupure assez nette apparaît entre ce qui est
en-deçà et ce qui est au-delà du boulevard Khou Vieng-Khun Bourom (construit sur l’ancien
rempart intérieur). Les quartiers du marché du matin, du ministère de l’Intérieur et des finances, du
Lycée de Vientiane, du service des cadastres et du service topographique, de l’ancienne Assemblée
Nationale, etc. Par ailleurs, le fait que l’axe monumental percute les deux sites en plein cintre, aurait
déstabilisé les croyances et dérangé les esprits des lieux. Car ceux-ci, comme les Lao eux-mêmes,
auraient le “vertige” des axes en plein cintre. Les mauvais esprits que l’on doit ménager de sorte
qu’ils ne puissent pas déranger les hommes, pourraient y rentrer sans pouvoir en sortir et donc
provoquer des actions négatives.
Le nouvel axe structurant permettait, à l’époque, une autre lecture du plan de la ville.
L’ancienne route Nong Bone était toujours utilisée, mais il n’y avait pas de constructions publiques
significatives dans ses abords. Son importance a été réduite au profit de l’avenue Lane Xang et de la
nouvelle route de That Luang. L’avenue Lane Xang et la route de Nong Bone ont donc été
construites sur des bases et selon des conceptions différentes, voire contradictoires. L’avenue Lane
Xang prônait l’axe monumental, la mise en perspective, voire la mise en place d’une scénographie
urbaine qui faisait travailler plus l'œil que l’esprit, et empruntait un concept fortement idéologique.
La route Nong Bone, par la tangente, prônait la simplicité, la discrétion et suggérait un
cheminement lent, laissant travailler l’esprit plus que l'œil pour découvrir le site religieux.
L’esplanade, disposée en diagonale, réconciliait les deux concepts de manière étonnante,
réceptionnant l’aboutissement de trois routes, l’une dans l’axe du monument et les deux autres dans
les extrémités de l’esplanade.
Les schémas symboliques anciens
La prédominance de la liaison et de la mise en perspective entre le lieu de pouvoir, le Hô
Kham, et le site religieux That Luang aménagé par l’urbanisme des années 1960 tel que nous
venons de décrire, révèle le schéma symbolique construit par Sethathirat au XVIe siècle, dont le rôle
a été considérablement réduit.
L’axe monumental de Lane Xang, rectiligne et rapide, en réduisant toute son importance
révèle l’ancien axe Nong Bone, lent et graduel qui reliait la ville, le palais royal, le fleuve au site
religieux de That Luang. Anciennement l’entrée principale du that se situait à l’est (nord-est), face à
la mare, le monument formait un écran entre la mare et l’esplanade et le that tournait alors le dos à
la ville, celle-ci suivait la courbure du Mékong. Palais royal, pagodes et quartiers d’habitations
s’ouvraient alors vers le fleuve. En revanche, du côté des rizières, le rempart doublé de fosse la
séparait de la plaine et de la terrasse d’une distance de quatre kilomètres du lieu où dominait le
stupa. Cette situation bipolaire était ensuite reliée par la route de Nong Bone, sans aucune mise en
perspective entre les deux pôles, mais avec un cheminement lent et graduel. Les points d’ancrage
aux deux extrémités de la voie longeaient d’un côté le palais royal, de l’autre l’un des deux vat qui Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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encadrait le grand that. Malgré une situation spatiale grandiose, ici un axe monumental entre la ville
et le monument n’a pas été aménagé. C’est l’urbanisme des années 1960, comme nous avons
précédemment noté, qui révèlera cette situation unique, en y créant un axe de représentation, servant
étroitement les idéologies politiques de l’époque. Force serait de constater que la culture lao
ancienne n’était pas sensible à cette forme de monumentalité. Le schéma ancien incarné par la route
de Nong Bone révèle une autre forme de sensibilité et de raffinement, il met en saillie un souci
esthétique et donne-là une leçon d’urbanité, ou du moins, en devient un cas d’école pour
l’urbanisme contemporain.
La restructuration spatiale et symbolique des années 1975 et 1990-2000
Initié par l’urbanisme des années 1960, le remaniement du schéma symbolique des années
1975, puis celui des années 1990 – 2000 est pourtant une réappropriation de l’ensemble de
l’héritage spatial du passé.
Le site de That Luang témoigne de la réinterprétation contemporaine de l’histoire, faire
table rase, légitimer et durer à travers un processus idéologique particulier. A partir de 1975, le
développement de la ville était quasiment au point mort. La construction de l’habitat à l’initiative
individuelle et les grands projets publics se raréfiaient, sauf les équipements provenant de l’aide des
pays socialistes. La mise en place de la politique planifiée et centralisée et de la production
collective, la pénurie de la consommation parallèlement à sa rationalisation obligeait l’Etat à
instaurer la politique de l’autosuffisance. En ville, le moindre espace libre, jardins, bassins
d’agrément, ont été occupé par des potagers et des activités piscicoles. La ville de Vientiane, déjà
très verte, les friches rurales côtoyant les quartiers urbains, se ruralisait plus encore avec les
activités agricoles, les travaux collectifs et la venue des populations rurales de la campagne.
Le site de That Luang a continué d’être un espace public important, témoignant des scènes
et des événements historiques. La fête religieuse de pèlerinage du that n’a pas été abolie mais
réutilisée même pour véhiculer les messages du parti. Après une période de table rase, l’exaltation
de la Révolution étant retombée, on a tenté de se réconcilier avec l’histoire nationale. Ceci par des
actes politiques et symboliques qui se voulaient réconciliateur. L’esplanade du That Luang en était
témoin de premier ordre, elle matérialisait les concepts les plus contradictoires, mais réunis dans la
vision longue et globale de l’histoire sociale.
La configuration de l’esplanade du That Luang est aujourd’hui dans sa troisième phase de
développement. Dans la décennie 1980 – 1990 un certain nombre d’édifices ont été construits pour
compléter le complexe. L’Assemblée Nationale construite vers 1984 d’orientation nord-sud donne
sur la place. Des clôtures et une porte monumentale ont été construites pour séparer la diagonale de
l’esplanade de la place située devant le grand that. Une grande partie du sol a été bétonnée, avec le
financement du gouvernement thaïlandais, symbolisant la fraternité entre les deux pays après les
affrontements frontaliers à ban Hom Kao. Un stupa blanc dédié aux héros (Virasonh) de la
révolution a été bâti à l’extrémité nord, et un parc d’attractions a été aménagé sur le site de Nong
Sapang Lèn, se trouvant au sud-ouest de l’esplanade. Ce site a été évoqué dans le Tamnan
Oulangkhrathat comme un site ancien et sacré. Lors des 450 ans en 2010 de la ville de Vientiane le
site fait l’objet d’aménagement de parc public, prolongeant le parc Sethathirat également
récemment aménagé. Du coup, le stupa blanc a été déplacé d’une centaine de mètres dans ce parc.
Rappelons qu’à partir de 2000, l’ensemble de la trame viaire de Vientiane a fait l’objet de
restructuration : avenue, routes et rues, qui donnent sur l’esplanade ont bénéficié des travaux et
l’ensemble du complexe a été remanié. Au nord-ouest, l’hôpital O.B très délabré datant de la guerre
froide, ainsi que quelques habitations ont été détruits pour libérer des terrains, construire le parc
Sethathirat et créer une courte percée entre la route de Phone Keng et l’entrée principale de
l’Assemblée Nationale. Encore une fois un axe central a été créé, mais cette fois-ci pour mettre en
valeur l’Assemblée Nationale. Il est quasi parallèle à celui qui a été aménagé dans les années 1960
entre le Anousavary et le That Luang. Au sud de l’esplanade – côté nord du stupa – un immense
bâtiment devant abriter l’assemblée religieuse a été construit. Elle domine le grand that et fait Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’objet de controverses.
Les aménagements suscitent deux observations, du point de vue spatiale. Le dernier
aménagement préfigure deux pôles au sein du site : le premier regroupe le stupa dédié aux héros de
la révolution, le parc, la petite percée et l’Assemblée Nationale. Le second rassemble le grand that,
Vat That Luang Nord, Vat That Luang Sud, l’Assemblée religieuse (le Dhamma Sapha) et
l’enceinte de séparation qui tend à isoler cette partie du reste de l’esplanade. Enfin, l’aménagement
du parc dilate et élargit la vision de l’esplanade à l’endroit où il est le moins large. Ces deux pôles
préfigurent sans doute une tentative de différenciation entre un pôle politique et un pôle religieux.
Les bouleversements intervenus dans les trois moments (années 1960, années 1975, années
1990-2000 et 2010) illustrent ni la rupture spatiale, ni la rupture de la capacité de produire des sens
de cet espace emblématique, mais traduisent une complémentarité et un enrichissement sémantique
plus grand. La nouvelle structure urbaine des années 1960 met en évidence la capacité des espaces
chargés de symboles et d’histoire forte à enregistrer à la fois les ruptures sociales et idéologiques et
la mise en valeur de la continuité et du prolongement spatial et historique. De même, celle de 1975
marque un autre prolongement et les années 1990 – 2000 une certaine continuité avec l’histoire
nationale.
Le schéma symbolique du site de That Luang, dans son intégration urbaine, exprime trois
concepts urbanistiques forts. Le premier concept serait explicite dans le cheminement lent et
graduel établi entre le lieu de pouvoir et le lieu religieux. Le second serait les voies d’accès au site
par les canaux, la mare de That Luang et le fleuve. Enfin, le troisième concept serait représenté par
le système d’axe monumental introduit par l’urbanisme moderne. Le premier concept a été
bouleversé par l’évolution générale de l’espace urbain, alors que le deuxième a tout simplement été
supprimé. Dans les deux cas, la fonctionnalité et la rapidité du déplacement urbain, permises la
rationalité de l’urbanisme moderne, raccourcissent et rendent obsolètes les parcours longs et lents
qui traduisaient si bien la conception et la pratique lao de l’espace. Malgré ces évolutions,
l’esplanade du That Luang n’a pas perdu sa fonction fondamentale. Dans les années 1960, elle a
déjà été appelée à participer à la restructuration de la ville par la mise en perspective du monument
à l’aide d’un axe monumental, dans une période urbaine qui renie radicalement le paysage
hydraulique, fluvial et marécageux. L’entrée principale du That Luang et celle du Khoum de Hô
Kham, ont été alors renversées. Autrefois dos à dos – face à la mare et face au fleuve, elles se
retrouvent face à face. À partir de 1975, les nouvelles données politiques et sociales exercent une
influence plus importante encore sur la configuration de l’esplanade. Cette dernière devient même
un lieu instrumentalisé. Conscient de la force symbolique et historique qu’elle représente, le pouvoir
va se l’approprier complètement afin d’imposer son idéologie et se fondre dans la continuité et dans
la légitimité de l’histoire du pays. Cependant, les programmes de construction et le choix
d’aménagement constituent deux pôles dans l’esplanade. D’un côté, le pôle politique et de l’autre le
pôle religieux. La fusion, dans le même espace du pouvoir politique et du pouvoir spirituel, qui
caractérisait depuis cinq siècles ce lieu touche sans doute à sa fin. Et si aujourd’hui le politique
entretient certain lien avec le spirituel, ce lien semble relever de l’instrumentalisation.
Conclusion
L’observation des villes, à l’échelle temporelle entre l’indépendance et 1975, montre que le
modèle spatial lao contemporain est fondé non seulement sur la capacité de compréhension des
acteurs des espaces hérités, mais aussi sur la réception et sur l’acculturation des espace exogènes.
En tant que modèles exogènes, la période siamoise précoloniale a produit, non pas des
villes, mais des territoires de capitation dans lesquels les facteurs humains et territoriaux ont été
considérés seulement comme un apport économique. Ce modèle n’a pas été sur le plan spatial un
modèle durable pour le développement des villes lao dans les périodes qui ont suivi. Au contraire, il
a contribué à déstructurer la base sociale et administrative des villes au détriment de leur futur Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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développement. La période coloniale, par contre, a favorisé une renaissance de la ville :
restructuration politique et administrative, production des villes nouvelles –et donc de phénomène
urbain, introduction de la gestion des sols avec l’établissement du cadastre et l’immatriculation des
titres fonciers, importation de nouveaux programmes d’équipements de l’habitat et de l’urbain –
modernisant la ville, reconsidération du composant démographique comme facteur de
développement urbain, réviser autrement la trame urbaine ainsi que ses tissus, etc. L’apport a été tel
que la ville se reconstruit sans la base de sa mémoire et de son espace hérité. On enregistre là,
probablement, le début de sa propension à la rupture.
La compréhension des espaces hérités ou endogènes a été manifeste dans la production
urbaine et de l’habitat, de manière non-exhaustive, mais un certain nombre de contextes et
d’éléments spatiaux ont été pris en compte. L’essentiel des éléments endogènes qu’on a pu
identifier en permanence sont entre autres : le modèle d’occupation de l’espace et de la gouvernance
–telle la hiérarchisation organisationnelle et administrative du ban, du tassèng et du muang qui
perdure, la conception ancienne du muang dans la réinterprétation du statut de la ville, la tradition
foncière et le mode d’habiter comme un savoir intemporel. Parmi les composants principaux des
espaces endogénisés évoqués, certains éléments ont persisté plus que d’autres dans l’espace que
nous examinons, par leur acculturation plus ou moins forte, plus ou moins appropriée, induisant à la
fois des ruptures et des continuités. Ce sont notamment les schémas symboliques et la conception
du pouvoir, spatialisés. Quant à la question de la faiblesse démographique, de la partition territoriale
et du déplacement de la population, ce sont des problématiques qui ont été endogénisés comme
éléments de modélisation spatiale bien avant notre période d’analyse récente.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 388 -
CHAPITRE III
Les dispositifs et les destins des villes et des territoires
Approche globale et état des lieux d’aujourd’hui
Les villes et les territoires laotiens auraient connu des destins parfois différents, comparés
aux villes, ou aux territoires de la région proche. Certaines d’entre elles vont demeurer des villes
traditionnelles qui fonctionnent encore sans changement significatif d’acteur économique et
politique, dans des processus de production et de gestion spatiale qui ont peu évolué ; d’autres, des
territoires en marge, abandonnant les facteurs traditionnels mais également dépourvus de facteurs
émergents ; et d’autres encore tendent à rejoindre les réseaux de métropoles de l’Asie du Sud-est
continentale comme aire émergente du point de vue économique et fonctionnel.
Le premier chapitre montre qu’une ville ou un établissement d’aujourd’hui est un espace en
construction, mais devant aussi gérer son espace hérité. Inscrit dans un territoire, cet espace hérité
s’est nourri des conditions géographiques, économiques et culturelles favorables. Les
établissements ne peuvent donc se former et se consolider en dehors du champ culturel (culte, rituel,
symbole). Ils sont des faits et des productions de la culture et de l’histoire.
A l’image de ses modèles culturels, l’espace des villes (formes et pratiques) se rend aussi
visible, compréhensible et transmissible à travers le processus de modélisation, de production et de
reproduction. Le terme “ modèle ” ne semble pas cependant approprié à la question spatiale, dans le
sens où le modèle explicite une forme spatiale arrêtée et aboutie, à laquelle se réfèrerait la
production spatiale ultérieure. Or l’espace ne peut être figé dans un état de modèle que très
rarement, sa dynamique et son altérité résident dans le fait qu’il est en perpétuel devenir. De ce fait,
nous avons limité l’idée de modélisation spatiale (dans le 2e chapitre) à certains éléments persistants
dont les formes et les pratiques permettent son identification.
Après une esquisse des modèles spatiaux, nous faisons maintenant l’état des lieux de
l’espace en devenir avant qu’il entame une nouvelle période de mutation autour de la fin des années
1970. Cet état des lieux met en évidence une évolution spatiale caractérisée par le passage du
traditionnel au moderne. Il s’agit de comprendre dans ce chapitre : quels étaient le mode et le
processus ainsi que les facteurs qui ont guidé cette évolution et cette transition, quels étaient les
liens formels et historiques entre les villes, pouvant influencer, voire, forger de manière
significative les destins de certaines d’entre elles.
III. I. L’évolution spatiale : modes et processus
Quels sont les grands principes qui ont guidé les destins des villes et des territoires ?
Aujourd’hui, l’évolution spatiale des villes laotiennes met en évidence le fait que la transition du
traditionnel au moderne connait un mode et un processus particulier. Notamment l’organisation
spatiale passe du système des limites aux systèmes des aires et des réseaux, de la primauté du
composant humain à la primauté des composants territoriaux. Dans ce parcours transitoire, les villes
et les territoires sont apparus sous quatre traits majeurs. Les traits explicitent d’un côté l’apparition
des établissements émergents et ouverts reliés potentiellement aux réseaux régionaux des villes
émergentes, et de l’autre, des établissements en marge et retranchés par rapport aux réseaux de
développement régional. De quelle manière et sous quelle forme les villes peuvent-elles être
qualifiées de traditionnelles et de retranchées, jouant un rôle marginal ou, au contraire, un rôle Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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émergent, créant de multiples liaisons spatiaux. Les quatre traits, constituent les définitions
localisées décrivant ces espaces en devenir. En fait, à travers des exemples, nous essayons de définir
ce qu’est le territoire traditionnel, le territoire moderne. Pour se faire, nous considérons les espaces
à l’échelle territoriale et comparons globalement les établissements entre eux, leur place et leur rôle
réciproque. Nous mettons en évidence le ou les types de relations ou de liens qui peuvent exister
entre les établissements et qui peuvent jouer un rôle déterminant.
III. I. a. La définition : villes et territoires traditionnels, villes et territoires modernes
Dans l’aire de notre étude, il semble d’abord que ce double qualificatif –traditionnel et
moderne– n’est pas complètement contradictoire. Il relève plus du champ politique et culturel que
morphologique. En d’autres termes, il relève de la gestion, de l’organisation et de la fonction, voire,
du processus de fabrication de l’espace plus que de ses formes produites. Dans le contexte de nos
lieux d’étude, ce qui caractérise d’abord le traditionnel, c’est l’instabilité de l’espace physique
autant que l’instabilité du pouvoir qui le gouverne. Dans le sens où le pouvoir est incarné
traditionnellement par la capacité d’un individu ou d’un groupe à mener les hommes et à former une
communauté ; le pouvoir ne se repose pas encore sur un système, mais sur la capacité et le charisme
du chef. Le système de pouvoir –s’il peut être ainsi nommé– se résume à la construction, à la
consolidation et à la représentation du chef, selon des principes qui se renouvellent sans être
modifiés. Il semble que nous pouvons également parler de territoire traditionnel à partir du moment
où le pouvoir politique –le chef qui domine un territoire– commence à se consolider et à se
perpétuer sur le même lieu géographique, mettant en évidence un phénomène de sédentarisation
politique et sociale d’une oligarchie, avec ses projections symboliques (telle la période de
Sethathirat). Et plus tard, lorsque le composant géographique devient secondaire par rapport au
composant humain, notamment avec le phénomène de déplacement forcé des populations, dont les
objectifs étant de construire ou de déconstruire un établissement, nous continuons à parler des
établissements traditionnels. Le principe reste le même : la construction du pouvoir central se base
sur les données humaines. Même si ces données sont conjuguées avec une importance accrue du
territoire, le système traditionnel prône l’importance du composant humain plus que l’importance
du territoire. Pour insister sur cette idée, nous pouvons voir à travers le droit coutumier, codifiant la
conduite de la classe gouvernante traditionnelle, que la consolidation d’un établissement serait avant
tout liée à l’intégrité et à l’homogénéité des populations, avant l’homogénéité du territoire luimême.
La transition vers la modernité peut être expliquée par la recrudescence du phénomène de
stabilisation et de sédentarisation physique et géographique des établissements en même temps que
la recrudescence du phénomène de mobilité du politique. En d’autres termes, ce qui donnerait trait
aux caractères modernes des établissements ce sont leur force de sédentarisation, leur capacité
d’immobilité (stabilité) physique par rapport à la mobilité (instabilité) plus grande de leur pouvoir
politique, où les hommes et le système politique passent mais le pays et l’espace physique
demeurent.664 Cela correspondrait au moment où le pouvoir passe de la “ domination des âmes ” à la
domination des territoires, du statut du monarque des vies au statut du monarque territorial : le
pouvoir politique traditionnel passe son temps à grouper et regrouper, à endiguer les hommes plus
664 Pour une grande partie de la diaspora lao, la formule « les hommes passent et le pays demeure » serait douter. Elle part
du principe que les mauvaises politiques ou la médiocrité des projets politiques, par leur manque d’indépendance peuvent
remettre en cause la souveraineté d’un pays. Par exemple, dans la seconde moitié des années 1940 il était question de la
disparition probable du Laos (durant la période de décolonisation). Et à partir de la fin des années 1980 la diaspora
considère que « le Laos peut disparaître si le pouvoir politique lao continue à être dirigé par le Vietnam ». Bien que cette
allégation ne soit pas infondée, elle a besoin d’être revisitée par des données actualisées sur le contexte régional et sur les
institutions et les conventions internationales, notamment celles des Nations Unies et de l’ASEAN. Or, ce qui fonde la
modernité c’est le fait qu’un État, à travers de multiples conventions et traités internationaux, ne peut disparaître de la
carte politique aussi facilement au tant qu’il ne peut apparaître de toute pièce. La vision traditionnelle portant sur la
question est sans doute due à la mémoire collective où on assistait au cours de l’histoire à la disparition des territoires et
des groupes de population.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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qu’à protéger son territoire. Et au contraire, le pouvoir moderne s’efforce de protéger le territoire
plus qu’à endiguer les hommes.
Historiquement, la modernité commence au moment où, dans la région du Mékong et de la
Ménam, les deux grands établissements tai deviennent des pôles politiques et culturels relativement
stables et distincts : l’un autour de Vientiane et l’autre autour de Bangkok. Les deux pôles qui sont
respectivement le centre des deux États ont permis du point de vue physique aux autres petits
établissements existants de se stabiliser et de se référer à eux. Ceci, bien qu’il y ait un déséquilibre
historique entre les deux centres dès le début de l’âge du commerce au XVIe siècle. En d’autre
terme, nous rentrons dans une certaine modernité à partir du moment où les petites villes ne peuvent
plus se créer de toute pièce, que ce soit pour installer quelconques élites locales en sécession contre
le pouvoir central (cas des trois royaumes du Laos et de ses chefferies), ou pour créer des
circonscriptions territoriales pour les taxes comme cela se faisait durant la période siamoise. Et
aujourd’hui, la disparition des unités politico-territoriales devient quasi-impossible, à moins de
placer cette considération directement, sans transition, dans les champs politico-économiques du
contexte de la mondialisation ; et encore, il faudrait rassembler toutes les conditions nécessaires
(disparition des États, primauté du pouvoir supra national et transnational), ce qui n’est pas encore
le cas dans la région.
La modernité réside également dans le fait que les mutations et les changements tournent
uniquement autour des remaniements ou des changements internes du politique et dans le fait que la
forme politique elle-même connaît une inertie relative, définie souvent par l’incapacité des États à
entreprendre des réformes et à s’engager dans les nouveaux défis, par exemple pour le cas du Laos.
Ce pays est dans une incapacité à procéder réellement au partage institutionnel des pouvoirs, à la
diversification des choix et d’orientation politique et de développement, à des pensées plurielles et
non uniques. De même, comme la Thaïlande a du mal à équilibrer le pouvoir dans son apprentissage
de la démocratie avec une population qui vit la politique partisane plus que le choix d’idée.
Ce qui a trait aussi à la modernité dans ce contexte, c’est la primauté du territoire par
rapport à la primauté des hommes qui était alors essentielle dans le système traditionnel. Déplacer
de manière forcée et organisée une population pour déconstruire un établissement, aussi bien en tant
que territoire physique que territoire politique, ou pour construire un autre établissement, relèverait
par excellence du caractère traditionnel (C’est ce qui a été fait à partir du règne de Rama I jusqu’au
règne de Rama IV, pour le Laos et le Laos occidental. Ici, le déplacement de la population serait vu
comme un instrument politique et économique). A contrario, le déplacement libre de la population :
“ migration ”, “ émigration ”, “ exode ”, signe de sa mobilité, incarnerait la modernité elle-même.
En particulier lorsque les raisons de cet exode sont économiques, liées à l’emploi et à la sécurité
civile. Soulignons cependant que la primauté du territoire et la liberté de déplacement de la
population ne signifient pas que la mobilité des hommes a cessé d’être un enjeu territorial et
politique. Car les États doivent coopérer pour traiter ensemble la question de mobilité des hommes :
le flux migratoire ne connait plus de frontières et peut devenir des éléments déclencheurs de conflit
entre les État.
Dès lors qu’il est permis de considérer que l’identité des populations vivant dans un
territoire peut être distincte de l’identité politique des territoires eux-mêmes, la question territoriale
est alors devenue indépendante à la question de l’identité ethnique et culturelle des populations qui
l’occupent. La modernité, c’est justement l’intégrité du territoire garantie par l’État avec un pouvoir
souverain. Par exemple, combien même le Nord-Est de la Thaïlande est constitué de population
d’ethnolinguistique et de culture différente de la culture thaïe officielle, formant une identité à part
(issane), cela importe peu. Seule serait importante l’intégrité politique du territoire dans l’État
Thaïlandais souverain, constitué et consolidé à partir des différents traités qu’il effectuait avec la
France et la Grande-Bretagne au début du XXe siècle, durant la période coloniale et après la
deuxième guerre Mondiale.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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A l’échelle locale, la vision moderne et la vision traditionnelle sont caractérisées par la
composition du pouvoir politique local et la vision qu’il suscite. Ce qui semble traditionnel, c’est de
constater dans le corps gouvernant qu’il y a une indéniable continuité de la classe dominante héritée
d’une souche sociale ancienne ou localement ancrée. Et au contraire, ce qui semble moderne, c’est
de voir en ce corps gouvernant la rupture avec le pouvoir héréditaire. Le corps gouvernant est alors
avant tout un groupe d’administrateurs, constitué à partir de logiques de compétence, ou de
groupement d’unions politiques partageant ou pas les mêmes idéologies. Ceci, sans exclure le fait
qu’une oligarchie ou qu’une élite intellectuelle, financière ou politique, puisse monopoliser le
pouvoir et le transmettre aux successeurs appartenant au même groupe qu’elle, comme dans une
monarchie héréditaire. Au Laos, nous pouvons par exemple parler d’une oligarchie consolidée
autour du Comité Central du Parti. En Thaïlande, nous pouvons évoquer une oligarchie consolidée
autour d’un noyau qu’est la monarchie bourgeoise et militaire. Et lorsque cette oligarchie se détache
de ce noyau un problème pourrait éventuellement éclater, comme nous pouvons le constater à
travers les conflits politiques actuels en Thaïlande.665
III. I. b. Les liaisons et les influences entre les établissements : les villes et les
territoires modernes ou retranchés, les villes et les territoires
historiquement en marge ou émergentes, leur schéma symbolique et
leurs enjeux historiques sont-ils fondamentaux ?
Les schémas symboliques et les données historiques des villes ont été des enjeux
significatifs dans l’évolution spatiale des villes. Ceci, dans le sens où les anciens schémas
symboliques ainsi que les liens culturels et historiques –voire les liens dynastiques des chefs des
muang– qui reliaient les villes entre elles ont conditionné certains des aspects de l’évolution des
villes d’aujourd’hui. Nous voulons souligner par là que les données du passé peuvent expliquer et
justifier certaines situations du présent : par le passé, les établissements inter-agissaient entre eux et
certains exerçaient même, des influences déterminantes sur les autres. Il s’agit maintenant de
comprendre la place et le rôle de chacun de ces établissements, leurs types de liaison –ancienne et
nouvelle, de comprendre les éléments qui pouvaient jouer un rôle déterminant dans le fait que
certains établissements tiennent aujourd’hui une place importante et d’autres moins. L’aspect
traditionnel d’un côté et moderne de l’autre qui qualifie la transition des villes ne peut être observé
qu’à travers une analyse globale et comparative à l’échelle du territoire et du temps. Leur état de
lieux, aujourd’hui, met en évidence le fait que les questions d’influence et de liaison historique qui
subsistent encore peuvent remonter aux périodes historiques plus ou moins proches. En fait dans
certains cas, les anciennes influences ou les anciens réseaux de relations, qu’ils soient politiques,
culturels, économiques, pouvaient être des facteurs déterminants qui expliquent pourquoi certains
établissements seraient en situation de retrait ou auxiliaire et d’autres en situation dominant ou de
médiateur ; en fait pourquoi certains seraient émergents et d’autres en marge. En occurrence,
interroger les anciens schémas et les anciens réseaux, peut non seulement expliquer le rôle et la
place que les établissements occupaient par le passé et au moment où nous les observons
aujourd’hui, mais cela peut aussi déboucher sur l’esquisse des caractéristiques spatiales,
déterminant une ou des généalogies probables des villes. En prenant des exemples illustratifs dans
les points qui suivent, nous rappelons en parallèle certains points historiques, sans les détailler.
665 Même si les slogans font taire des motifs réels et évoquent la lutte pour la démocratie, le coup d’Etat militaire contre
Taksin Shinawat et ensuite les conflits entre les “chemises jaunes ” partisans de la monarchie et les “chemises rouges ”
incarnant les aspirations populaires, cache le fait que les conflits sont en rapport avec le problème structurel, avec
l’exercise du pouvoir de l’oligarchie gouvernante et en rapport avec les injustices sociales dans le pays que cette
oligarchie suscite. Les conflits ne reflètent donc pas complètement le combat entre une aspiration démocratique et une
aspiration dictatoriale.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les villes retranchées et en marge
Les villes qui sont retranchées et en marge aujourd’hui ce sont souvent celles qui
conservent leur marginalité historique ou qui conservent certains aspects du passé spatial : la
résistance des anciens éléments de formation par rapport aux nouvelles données territoriales,
l’enclavement territorial, l’emprise psychologique d’une histoire politique mouvementée localisée.
Ces aspects du passé spatial, confrontés à l’actualité du développement territoriale des villes, nous
font constater plusieurs faits dominants : désertification et faiblesse démographique, investissements
économiques faibles ou inexistants, absence d’activité salariale, périssement des patrimoines,
population constituée essentiellement d’enfants, de très jeunes adolescents et des personnes âgées,
les jeunes et les adultes en âge actif étant partis trouver du travail ailleurs, taux de croissance de la
population négatif. Il en est ainsi pour la petite ville de Champassak, et de Muang Sing à une autre
échelle et contexte, et pour de nombreuses petites villes et villages du Laos où il n’y a rien à faire à
part le travail de la terre.
Les villes et les territoires émergents
Les villes et les territoires émergents aujourd’hui, ce sont souvent ceux qui étaient déjà
importants d’une manière ou d’une autre, dans l’histoire proche ou lointaine. Les villes qui
émergent ont une dynamique sur le plan des activités économiques, une population jeune et
diversifiée, une internationalisation des fonctions. Leurs activités dépassent largement les besoins
locaux, et les investissements locaux et étrangers sont significatifs. Les patrimoines fonciers privés
et/ou publics sont mis en valeur. Quant aux habitants, ils ne quittent quasiment plus leur ville, au
contraire, ceux qui étaient partis ailleurs revenaient. Le taux de croissance de la population est
élevé, etc. Des villes émergentes, il en va de soit pour la capitale et les grandes villes régionales
comme Savannakhet et Paksé et surtout comme Luang Prabang.
Cependant ceci n’a pas été les règles dominantes
Les villes qui étaient historiquement en marge ou peu dominant par le passé peuvent
acquérir une position assez porteuse aujourd’hui. Et au contraire, les établissements qui avaient un
rôle à jouer auparavant peuvent avoir du mal à retrouver son importance dans une reconfiguration
nouvelle du territoire. En fait, ce sont des villes qui ne fondent plus leur existence sur leur passé,
c’est-à-dire, ce sont celles dont les données ont changé pour aborder le développement autrement.
Elles ont partagé des histoires politiques et sociales mouvementées, ont connu le développement à
degré variable.
Pour le premier cas de figure, deux villes sont à considérer : Muang Xay et Luang Nam
Tha. La position marginale qu’elles occupaient, due certes à la guerre qui partitionnait le territoire,
semble avoir changé. Les deux villes connaissent un développement grandissant et un taux
démographique très positif même si –il est vrai– que leur démographie et leur développement sont
liés à l’immigration et aux investissements chinois, et donc, ne sont pas liés à la dynamique interne
et endogène de leur propre histoire sociale et économique. En occurrence, elles se situent sur des
noeuds stratégiques du Nord traversés par deux réseaux internationaux : le corridor Nord (YunnanLaos-Thaïlande)
et le corridor Est-Ouest (Vietnam-Laos-Thaïlande). Quant à la dynamique de leur
démographie et de leurs activités économiques, au fait que les deux villes se situent sur les noeuds
de deux corridors économiques s’ajoute le fait qu’elles sont sur la “ marche ” du poids de la Chine.
Le fait rappelle surtout la liaison historique beaucoup plus ancienne. En effet il n’est pas inutile de
rappeler que Luang Nam Tha et Oudomxay étaient historiquement les villes lü les plus importantes
et les plus au Sud, ceci par rapport à leur centre situé dans le Sip Song Phanh Na chinois. Donc,
mise à part la reconfirmation du poids de la Chine dans tous les domaines, la réminiscence
historique des liens anciens entre les villes lü n’aurait pas été tout à fait absente.
A contrario, les villes qui occupaient une position assez importante par le passé peuvent
devenir aussi marginales, du moins demeurer des villes provinciales qui ont du mal à s’aligner aux
autres de taille semblable, par exemple la ville d’Attapeu. Malgré son essor assez important, ces dix Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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dernières années (plus de trente ans après la guerre), dû en grande partie aux projets d’exploitation
des minerais dans sa région et aux projets de routes nationales de désenclavement et de liaisons qui
reliaient plus rapidement la ville à Paksé (en quatre heurs) et au Vietnam, Attapeu semble devenir
pas plus qu’un gros bourg, qui aura encore beaucoup de mal à acquérir un aspect citadin et de
capitale de la province. Attapeu a pourtant été une ville importante durant la période coloniale : la
liaison pour le transport des produits entre le Vietnam et le Sud de l’Issan passait par Attapeu de
manière assez significative. Dans l’administration coloniale, la ville a occupé une position
importante parmi les villes “ secondaires ” de l’époque : le tracé des trames viaires actuelles, les
petits complexes administratifs, le marché, l’hôpital, dataient de cette époque.
Si nous devrons conclure, dans les trois groupes de ville –les villes qui conservent leur
marginalité ou au contraire celles qui émergent, les villes qui ne gardent pas les caractéristiques de
leur passé, c’est-à-dire celles qui changent leurs donnes –qu’ont-elles de commun ou qu’ont-elles de
différent : forme physique, forme d’évolution, histoire et gouvernance politique, culture, taux de
croissance démographique, investissement économique ? Dans les trois situations et contextes
différenciés, chaque groupe de villes partagent certains éléments communs :
1- Pour les villes ou les établissements qui conservent leur marginalité, les caractéristiques
dominants (aussi bien, les caractéristiques actuelles que les anciens éléments de formation) étaient
l’enclavement territorial, la désertification et la faiblesse démographique, les investissements
économiques faibles ou inexistants, l’absence d’activité salariale, le dépérissement des patrimoines,
la population composée essentiellement d’enfants et de personnes âgées, l’absence de jeunes et
d’adultes en âge actif, taux de croissance de la population négatif.
2- Les villes qui émergent ont quasiment toutes en commun la dynamique des activités
économiques, une population jeunes et diversifiées, une internationalisation des fonctions et des
activités, des investissements locaux et étrangers significatifs, des patrimoines fonciers privés mis
en valeur, un taux de croissance de la population plus élevé.
3- Pour les villes qui prennent des trajectoires différentes non conditionnées par leur contexte ou par
leur passé historique, qu’elles aient été importantes ou pas dans le passé, ce sont les facteurs
extérieurs actuels qui les déterminent et qui peuvent décider de leur devenir. Ce sont des villes qui
ont partagé des histoires politiques et sociales mouvementées et qui en ont fait table-rase. Elles
connaissent des développements à degré variable, selon leur capacité de réceptionner les facteurs
extérieurs de développement et de s’intégrer dans les réseaux nouveaux. Elles peuvent être
émergentes ou connaître un développement plus lent. Il s’agit des villes comme Sam Neua,
Oudomxay et Luang Nam Tha.
A part les faits évoqués, il semble que la transition du territoire traditionnel au territoire
moderne a été induite aussi par des facteurs nouveaux et étrangers aux anciens facteurs qui
fondaient les territoires traditionnels dont nous avons en parti décrit l’aspect (par exemple avec une
forme particulière de la classe gouvernante). Les facteurs nouveaux et étrangers transforment non
seulement les villes à l’intérieur d’un territoire national, mais transforment aussi les territoires à
l’échelle transnationale, traversant les frontières et les systèmes politiques. Soulignons par
exemple : si la loi thaïlandaise autorisait la construction des casinos sur son sol, il serait peu
probable que les complexes de casino-hôtel de Ban Mom, celui de Savanh Vegas et de Botèn
Golden City puissent voir le jour. Comme nous l’avons déjà noté, les villes se relient et partagent les
facteurs de développement plus qu’auparavant à travers les réseaux territoriaux. Et si
opportunément leurs données culturelles étaient historiquement liées il y a comme une sorte
d’appropriation des nouveaux facteurs extérieurs, de manière plus rapide que lorsqu’il n’y a pas du
tout de liaisons culturelles entre elles. Pour l’histoire récente des années 1960 et 1970, soulignons
que la région du Triangle d’or –lao et thaï, avait partagé une histoire commune, celle de l’opium et
du narcotrafic. Pour l’histoire plus ancienne, Nakhone Phranom avait partagé une histoire millénaire
avec Thakkek, par le légendaire royaume de Sikhottabong. Le That Phranom et son pèlerinage Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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témoignent aujourd’hui de la fréquentation de ce lieu par les populations des deux villes et des deux
rives.
Autant dire que les réseaux ne datent pas d’aujourd’hui, même s’ils ne constituaient pas
l’armature des territoires (puisque les organisations anciennes étaient régies plutôt par des centres
organisateurs qui émettaient un rayonnement), ils trouvent aussi leurs terrains de prédilection dans
ce type d’anciennes organisations.
III. II. Les facteurs d’évolution, de la ville traditionnelle à la ville
moderne
L’évolution des villes laotiennes a été qualifiée par leur passage de l’espace traditionnel à
l’espace moderne, dont nous venons de donner l’un des aspects de la définition, de leur mode et de
leur processus. Nous abordons maintenant les deux facteurs majeurs qui ont joué un rôle important
dans cette évolution en particulier durant les deux derniers siècles : les acteurs de la construction
spatiale et la programmation du bâti et leur évolution.
III. II. a. Les acteurs de la constitution spatiale, leur renouvellement et leur
complexité, avant, pendant et après la période coloniale
Parmi l’analyse des types d’évolution spatiale, la mutation de la ville traditionnelle vers la
ville moderne est une forme d’analyse essentielle aujourd’hui pour comprendre l’espace lao
contemporain dans son ensemble. Comme nous avons pu le voir précédemment, la mutation est
avant tout d’ordre historique avec trois moments importants. Il s’agit d’abord de la période siamoise
et française qui a contribué à la constitution d’un modèle spatial exogène. Il s’agit ensuite de la
période des années 1960 qui a constitué un tournant urbanistique majeur. Dans ce paragraphe, nous
tentons de comprendre le processus de mutation de la ville traditionnelle vers la ville moderne, en
termes conceptuels.
Dans l’idée de traditionnelle et de modernité et à l’égard des antécédents historiques et
culturels particuliers du Laos dont nous venons de décliner quelques traits, le territoire du Moyen et
du Haut Mékong doit être regardé avec un certain particularisme. Très lié au contexte politique, le
passage de la ville traditionnelle à la ville moderne du territoire laotien est un processus aléatoire et
il n’est pas irréversible. Ceci, dans la mesure ou le changement de fonction et de certains usages de
l’espace ainsi que le renouvellement des acteurs peuvent faire entrer les villes dans un processus de
modernisation comme ils peuvent aussi les faire revenir dans une démarche plus traditionnelle. Bien
qu’il y ait une grande disparité entre les villes, globalement ce passage se fait essentiellement à
travers quatre processus : 1- la complexification des acteurs, 2- le développement des fonctions et
de la programmation, 3- les enjeux politiques et économiques, 4- l’établissement du cadastre et la
régulation foncière. Les processus 3 et 4 étant applicables à l’échelle nationale, nous ne les
développons pas dans ce sous-chapitre.
Le rôle des acteurs dans la constitution de l’espace peut être identifié dans l’histoire et
inscrit dans l’espace dès l’installation des établissements tai. Trois périodes conditionnent le profil
de ces acteurs. Avant la période coloniale, leur rôle était celui des groupes dominants, consolidé par
la structure socioculturelle, économique et religieuse de ces derniers. Durant la période coloniale, le
rôle et les manœuvres des acteurs étaient ceux du pouvoir colonial qui ont su susciter de nouvels
types d’acteurs et initier les privés à jouer un plus grand rôle dans la production de la ville
proprement dite, bien que le développement urbain et le nouveau programme étaient sous la
directive du pouvoir colonial dicté depuis la métropole. La période après l’indépendance a vu
apparaître de nouveaux acteurs. L’espace des villes, capitales et centres régionaux, connaissent alors
une nouvelle transition urbaine.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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III. II. a. 1. Les plus importants acteurs avant la période coloniale
Pour la production de l’espace de la cité avant la colonisation française, on peut identifier
les acteurs à travers trois approches :
1- La première approche est de considérer et focaliser arbitrairement les observations aux édifices
construits en dur tels que les monuments (vat et stupas), les routes, les remparts et les digues. Ces
éléments bâtis, par leur organisation complexe et aussi par leur durabilité, sont susceptibles de
laisser leurs empruntes sur l’espace plus que les autres, du moins de livrer plus d’informations par
leur matérialité. Cependant lorsque le nombre des commanditaires et des maîtres artisans décroit et
se raréfie, les constructions deviennent rares. La connaissance et les fonctions spatiales qui ont
permis leur production connaissent alors une rupture, en traversant l’histoire, ils tendent à devenir
des éléments muets, décrochés de la réalité. En ce cas, ce n’est plus forcément les marqueurs
spatiaux ou les matériaux les plus pérennes qui sont les plus parlants, mais les éléments qui peuvent
être reproduits sans le concours des maîtres ou des commanditaires dominants, pourvus que leur
usage demeure ou que ceux qui les utilisent subsistent. C’est le cas des éléments utilitaires et bâtis
de la quotidienneté, telles les habitations du peuple avec leurs matériaux de construction périssables.
Leur mode de production était soumis à un système communautaire et à l’auto construction, ne
nécessitant pas de spécialiste. Ce mode de production, cette manière de construire, plus facilement
transmissibles, possèdent une capacité de durer, dans la mesure où la production suit un processus
par lequel un domaine du savoir matériel et symbolique d’une culture se perpétue et est reproduit
sans être modifiés. C’est la “ production traditionnelle ”, contrairement à la “ production créative ”
définit par Mihaly Csikszentmihalyi lorsqu’il note que « la créativité (…) est un processus par
lequel un domaine symbolique de la culture se trouve modifié (…) Changer les traditions implique
des efforts. Les mêmes, par exemple, doivent être appris avant d’être modifiés (…) »
666
2- La deuxième approche est d’accorder de l’importance aux caractéristiques du pouvoir en tant que
groupe social et économique dominant, leur culture et leur croyance. Il s’agit de la classe régnant
qui comptait le monarque et les membres de sa famille ainsi que les phraya des muang (khun, hauts
dignitaires et administrateurs du royaume). Viennent ensuite la communauté du sangha et la
communauté villageoise citadine et rurale. Le Sangha était en quelques sortes la communauté
intermédiaire entre la population et le pouvoir régnant.
3- La troisième approche est d’accorder de l’importance aux organes administratifs traditionnels en
tant que système : ceux de l’administration royale, des armées, des cultes et des constructions, ceux
de la trésorerie et du commerce.
Le roi, l’aristocratie et les gouvernants des muang
Les monarques étaient les principaux commanditaires des monuments dans la capitale mais
aussi dans les muang qui leur semblaient importants. Ils entretenaient également les corps de métier
qui leur servent avec art :
667
« […] Ils dépensent tous leurs fortunes pour construire leurs temples
[…] » observait un visiteur européen au XVIIe siècle.668 La période flamboyante où l’autorité royale
a su être des commanditaires éclairés de l’art et de l’architecture, mais aussi des projets de cité, a été
repérée sous le règne de Sethathirat et de ses prédécesseurs, Vixun et Phothisarat. Les chao muang
666 Mihaly Csikszentmihalyi, La créativité. Psychologie de la découverte et de l’invention, Robert Lafont, 1996, édité et
traduit en français en 2006.
667 C’est ce que l’on identifie comme l’art de la coure. Aujourd’hui, à travers les objets dits “ antiquités ”, on peut
distinguer les œuvres fabriqués par un simple artisan ou par un artisan de la coure. Le simple artisan était plus libre dans la
mise en œuvre de son art. Il n’était pas contraint par les règles de proportion et ne respecte pas les canons esthétiques qui
ont été imposés aux maîtres. Notamment les statuettes de bouddha fabriquées par ces derniers doivent respecter la
synthétisation et le symbolisme des canons esthétiques correspondant à la qualité spirituelle de bouddha. La proportion
entre les parties du corps a été réglementée : représentation de la chevelue, allongement de lobe auriculaire, dessin de la
torse, proportion, synthétisation et symbolique des mains et des pieds, etc. Ces critères permettent également de
reconnaître les différentes écoles artistiques, souvent liées aux institutions et aux villes desquelles elles auraient été issues. 668 Van Wustoff, Le journal de voyage de Gerrit Van Wuystoff et de ses assistants au Laos. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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avaient également un rôle important en particulier dans les muang de leur circonscription. Lorsque
le monarque ne venait pas en personne construire ou embellir un monument en son nom, les chao
muang pouvaient endosser ce rôle et y laisser leur nom : en tant que maître d’ouvrage ces derniers
pouvaient aussi commanditer des grands projets. Nous avons vu notamment que le Prince
Vangboury, chao muang alors de Vientiane669 était commanditaire de Vat Sihom et que le phraya
Sri Thammataïlok l’était pour Vat Sissakhet, Vat Chanh et Phyavat.670
Avant la période d’affaiblissement, à partir du début du XIXe siècle, des premiers acteurs
que sont la famille royale et l’aristocratie, la ville s’était constituée et développée, ou au contraire,
avait disparu, en corrélation avec l’histoire de ces acteurs (nous avons déjà évoqué le rôle de
l’aristocratie dans la structuration de l’espace). A partir du début du XIXe siècle, en tant que
principaux commanditaires les actions du pouvoir devenaient considérablement limitées. Et encore
plus limitées lorsqu’il s’agissait de créations de nouvelles implantations. Le pouvoir devait avoir
l’aval du souverain de Bangkok pour entreprendre les grands travaux. Il ne devrait donc pas y avoir,
durant la période siamoise, de grands travaux, à part ceux du roi Anouvong, à Vientiane et dans
quelques sites sur les deux rives du Mékong ; ces projets étaient sans doute des exceptions.671 Plus
tard, sous les gouverneurs siamois les villes lao sous-administrées se délabraient rapidement, sans
parler de celles qui avaient été mises à sac par l’armée siamoise et les Hô, jamais rebâti jusqu’à la
colonisation française. Sans dirigeants –monarques et princes locaux– le sangha et la population
entretenaient les monuments religieux –monastères et stupas– qui faisaient partie de leur quotidien,
mais n’avaient pas d’emprise, ni de vision entreprenante sur la ville et les édifices civiles
structurants que sont les remparts et les routes. Par ailleurs, du fait qu’une partie de la population a
été déplacée et d’autre soumise aux capitations –plus nombreuses et plus lourdes après les
événements de Anouvong en 1829– leur rôle dans le maintien des centres et des ouvrages bâtis peut
être considéré comme insignifiant.
Avant le déclin du pouvoir royal et aristocratique, pour construire les projets publics on
utilisait l’argent de la caisse publique (phrakang luang. rit7a’s];’), mais aussi les fortunes privées
du roi ou de l’aristocratie. C’est pourquoi, s’ajoutant à l’aspect éclectique de l’empreinte des arts
utilisés, les constructions prestigieuses étaient plutôt considérées comme des projets royaux, même
si la contribution à leur construction n’était pas exclusivement royale, car les dons populaires
669 C’est le future Jaya Chakaphat Phaènphéo, roi du Lane Xang entre 1442 et 1480, succédant à Sam-Saèn-Tai. 670 Parmi ces quatre monastères trois subsistent de nos jours : Phyavat, Vat Chanh, vat Sissaketh. Vat Sihom était
probablement le site sur lequel est venu se construire Choua Balong vietnamien aujourd’hui. Quant à Vat Sissaket, il
aurait été nommé Vat Saèn au moment de sa construction, portant le titre de son constructeur le phraya saèn muang
Thammataïlok qui était alors gouverneur de Vientiane juste avant le transfert de la capitale de Luang Prabang à Vientiane.
Il est probable aussi que ce saèn muang ait été premier ministre, puisque le titre du phraya muang saèn (ou saèn muang)
était en même temps le titre du Premier ministre, du Régent et du chef des provinces.
671 Car si Anouvong était en mesure de construire et restaurer un nombre important d’ouvrages au Laos et au Laos
occidental sans attirer la méfiance de son suzerain, c’est sans doute parce qu’il avait su dans les premiers temps gagner la
confiance de Rama II. Dans plusieurs ouvrages il est apparu que le roi de Vientiane entretenait un bon rapport avec le roi
du Siam. Le royaume de Vientiane aurait possédé une armée et un roi vaillant. En tant que vassal il aurait apporté à
maintes reprises secours à Thongbury et remporter de grandes batailles sur les Birmans. Durant le règne de Rama II, le
rapport entre Vientiane et Thongbury était alors cordial, sans doute par la personnalité de Rama II qui semblait apprécier
les valeurs chevaleresques de ses vassaux. Après sa mort, les relations devenaient tendues débouchant progressivement sur
la guerre vers 1827. La personnalité décrite par les historiens lao comme “ vaniteuse et peu respectueuse ” des valeurs et
des règles traditionnelles des monarques tai de Rama III y contribuait à cette détérioration ? Nous lisons deux anecdotes
dans les annales historiques. Lorsque le roi de Vientiane et ses sujets venaient aux obsèques de Rama II à Bangkok, Rama
III l’obligea à y laisser des centaines de ses sujets qui l’accompagnaient afin d’en faire une main d’œuvre pour
l’exploitation du palmier royal. Et lorsque Anouvong demande à ce dernier le rapatriement de la princesse Gnotkham sa
cousine, des troupes de danseurs et de marionnettistes de Vientiane qui avaient été amenées à la coure de Bangkok durant
le règne de Rama II, sa demande a été rejetée. In. Souneth Phothisane. Cf. Bibliographie. Or selon les règles communes à
tous les monarques tai, en temps de deuil d’un monarque son successeur doit s’abstenir de tout acte d’affronte. Au
contraire il doit rendre justice et effectuer le boun (mérite) pour accompagner l’âme du défunt. En réduisant en esclave les
sujets libres venus pour les obsèques de son père et en blessant l’honneur d’un autre roi, vassal ou non, cela peut
effectivement mettre en relief l’arrogance et l’ignorance de Rama III par rapport à une longue tradition millénaire qu’un
chef tai ne doit pas ignorer. Cette ignorance serait attachée à l’origine populaire et à la jeunesse de la dynastie Charkrit née
avec Rama I, d’un général du roi sino thaï, Tarksin. N’étant pas issue d’une longue lignée des Thaèn que les grandes
familles tai s’autoproclamaient traditionnellement, les Charkrit n’auraient pas accès aux principes moraux de ces
monarques, considérés probablement aussi comme dépassés pour l’époque.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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participaient aussi aux projets. Ceci, parce que la construction des édifices religieux et des statues
de Bouddha est un acte votif, un boun [[6o], un mérite individuel. C’est en faisant don de ses biens
personnels que le boun prend tout son sens. Et en de ça du boun, il y avait bien entendu pour les
monarques et les grands du royaume la volonté de laisser leurs empreintes dans l’histoire. Par
ailleurs, la richesse et la puissance des personnes se mesuraient et se voyaient à travers leur capacité
de contribuer à la construction des édifices religieux.
La communauté du Sangha
Le Sangha est omnis présent dans différentes étapes de la production du bâti religieux, que
la dévotion et la commande soient royales, élitistes ou populaires. Par le simple fait que la
communauté du Sangha était le premier utilisateur de ces éléments bâtis, c’était elle aussi qui
contrôlait dans la pratique leur programmation ; ensuite parce qu’elle possédait le savoir historique
et sacralisé qui marquait la continuité dans le processus et le mode de fabrication de ces édifices.
Par ailleurs, mise à part les maîtres artisans attachés à l’administration corporatiste royale, le sapa
sang [ltrt-kJ’] (et encore, ces derniers ont été unanimement formés à la pagode avant de devenir
laïc), et à l’exception des maîtres artisans indépendants que l’on pouvait aussi faire venir de
l’étranger, il serait très probable que la grande majorité d’entre eux se recrutaient dans la
communauté du Sangha. Dans le cas précis, lorsque le Sangha était le commanditaire direct de
l’ouvrage, les contributions et les dons auraient été communautaires et élargis, toutes classes
sociales confondues. Parfois, un nom royal ou des noms prestigieux pouvaient être associés, comme
une sorte de parrainage. Il est à remarquer que le Sangha ne possédait pas de caisse à proprement
parler. C’était le sala vat,
672 une personne ou un comité laïque attaché à l’autorité villageoise, qui
gérait les fonds provenants des dons : royaux, élitistes et populaires et parfois, par-delà des
frontières.
La communauté villageoise, citadine et rurale
Mise à part les dons auxquels elle pouvait participer au profit d’un édifice commandité par
les grands du royaume, la population pouvait se rassembler pour former un groupe de
commanditaire ou devenir individuellement commanditaire d’un projet de constructions de
sanctuaire ou d’un élément architectural plus ou moins modeste qui compose l’enceinte du
monastère : un hô kong, un stupa, une sala, une fresque, etc. Et ces dons auraient de sens que s’ils
proviennent vraiment de leurs propres biens. Si ce dernier groupe d’acteurs en tant que
commanditaire ne produisait pas forcement les édifices de grands prestiges, les productions qui en
étaient issues sont nombreuses et ont mieux survécu aux destructions et à la guerre. Sans doute
parce que leurs factures étaient moins convoitées. C’est également le groupe le plus pérenne parmi
les trois groupes d’acteurs. C’est grâce à lui que les traditions perdurent, dans sa forme populaire,
passée par une certaine acculturation. Ce constat souligne le fait qu’une partie de l’art populaire
aurait été constituée à partir de la “ dégénérescence ” de l’art aristocratique des grands maîtres, et
qu’une autre partie aurait été la pérennisation de l’art populaire lui-même. Nous aurons l’occasion
d’évoquer cette question de manière plus détaillée dans le paragraphe traitant de la « question
architecturale ».
Certains organes administratifs traditionnels en tant que système
Les organes administratifs traditionnels auraient été habituellement au nombre de neuf.673 A
la tête de chaque organe il y aurait un phraya affecté par des charges. Un organe serait l’équivalent
672 Aujourd’hui le sala vat n’existe plus. Il est remplacé par le Néo-hom du village en concertation avec le grand vénérable
de la pagode pour certains fonds que le village est amené à gérer dans le cadre des besoins de la pagode. Le sala vat était
souvent une personne de qualité exemplaire pour avoir été choisi par la communauté, c’était parfois un groupe de
personne.
673 D’après le Phongsavadan lao (op, cit), les neuf organes auraient été callés sur celui du Nan Zhao : 1-les armés, 2-l’état
civil, 3-les coutumes et les cultes, 4-la justice, 5-les affaires intérieures, 6-les travaux et la construction, 7-les finances, 8-
les affaires étrangères, 9-le commerce.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’un ministère. Il nous semble que cinq organes auraient une implication directe sur le domaine de
la production du bâti : l’administration royale, les constructions, les armées, les cultes, la trésorerie
et le commerce. N’ayant pas de sources écrites, il serait difficile d’élaborer des liens ou d’établir des
responsabilités de chacun des organes au cours d’un projet public. Les responsables ne sont jamais
nommés dans les inscriptions et les dédicaces (trouvées en nombre limité dans les vestiges), seul le
commanditaire prestigieux et parfois les donateurs sont mentionnés. Une analyse plus approfondie
des missions et des charges de chacun de ces organes devrait permettre une approche de leur rôle
dans la production de la ville historique, mais ces éléments à analyser nous font défaut par leur
absence matérielle. Néanmoins, l’existence de ces organes, annotée dans le Phongsavadan lao,
laisse transparaître le fait que le secteur de la production du bâti était organisé, voir régi par
certaines règles. En particulier lorsqu’il s’agit des bâtiments religieux ou des habitations de grands
prestiges, les codifications et les ordres architecturaux s’imposaient et seuls les maîtres appartenant
à la corporation avaient les compétences requises pour diriger leur construction.
Les maîtres d’œuvres - artisans, les producteurs et fabricants, la main d’œuvre
Les maîtres et les artisans étaient anonymes : leur nom a été omis dans la quasi-totalité des
dédicaces, alors que les noms des donateurs et des maîtres d’ouvrages étaient parfois indiqués. Les
architectes, les maîtres artisans et artistes anonymes existaient pourtant socialement. Des titres
nobiliaires de corporation, sapa sang [ltrt-kj’], leur ont été accordés. Il y avait par exemple le titre
de meun-san [s,nJo-kj’]. A Luang Prabang dans les années 1950, le domaine des arts et de l’artisanat
étant parrainé par le roi, on pouvait encore trouver les meun-san.
674 Il est probable que le titre des
maîtres artisans n’aurait jamais atteint celui de saèn [clo] et de phraya [ritpk], deux rangs
supérieurs de responsabilité plus politique. Ce qui suppose le rôle strictement corporatiste des meun
san. Etant fonctionnaire et salarié du roi675 ces derniers auraient exercé des missions et des tâches
dans le cadre de leur fonction et sous l’ordre de leur ministre (le phraya responsable) ou
directement du roi, lorsque celui-ci était le commanditaire direct. Mise à part la conception des
projets, ils auraient probablement été en charge de l’exécution, du suivi, du contrôle et de la
sélection de la main d’œuvre et des matériaux.
Vu le contexte de constitution de la main d’œuvre (que nous allons voir plus loin) dans le
cadre de la construction de l’habitat privé du peuple d’une part, et dans le cadre de la construction
des édifices communautaires et publics d’autre part, il serait quasiment certain qu’il n’y avait pas eu
d’entreprise de construction. Par contre l’existence des fabricants de matériaux (brique, tuile) est
attestée par les données archéologiques. A Vientiane le long de Nam Passak et autour des plans
d’eau à Nong Chanh, on retrouve des fours à briques et des artéfacts d’objet d’atelier, etc.
La main d’œuvre et l’habitation
La construction de l’habitation du peuple, majoritairement rurale, se réalisait à travers un
mode de production communautaire. La maison se construisait en quelques jours, avec l’aide et le
savoir de toute la communauté villageoise : on ne dépensait pas de l’argent pour de la main d’œuvre
et peu pour les matériaux. Lorsqu’un propriétaire a décidé de construire sa maison, il faisait appel à
la communauté. Il aurait préalablement constitué depuis un certain temps une réserve de bois qu’il
ramenait petit à petit de la forêt, ainsi que d’autres matériaux qu’il avait besoin. Il était rarement
nécessaire de faire appel à un artisan extérieur, car les habitations se reproduisaient sur les mêmes
principes constructifs, avec une technique connue et acquise par la communauté du village. A la
différence des édifices religieux et des constructions de grande envergure, l’habitation du peuple
674 D’après Bounthien Siripaphanh, directeur de l’école des Beaux-Arts, son père était l’un des derniers meun-san du roi. 675 Le traitement salarial des fonctionnaires du roi serait établi en fonction de leur rang et leur fonction. Ils seraient payés
en argent et en nature. A l’époque où Vixun était Régent du royaume, avant de devenir roi en 1500, on fixe le salaire d’un
professeur à six cent monnaies par mois (on ignore de quelle monnaie il s’agissait) et à 600 000 poids de riz de paddy par
an et de nombreux autres denrée alimentaires. Dans le système de poids et mesures traditionnels, 10 000 poids de riz
équivalent à 12 kg. 600 000 poids de riz équivalent alors à 720 kg. Cf. Phongsavadan lao, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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aurait connu une certaine inertie et n’aurait pas été le fruit de la circulation des savoirs des
corporations. En revanche, sa production et le degré de sa complexité technique auraient été
transmis et enrichis in situ à partir des contextes locaux favorisés par le temps, le climat, la
spécificité géographique. L’habitation du peuple était donc le produit de l’esprit et du savoir local,
de l’empirisme des besoins, qui variait et se différenciait d’une région à l’autre. Cependant, le
fondement qui régissait les habitations de la même ethnicité dans différentes régions obéissait à des
règles communes : le respect des esprits du foyer, la hiérarchisation spatiale des rôles de chaque
membre de la famille habitant dans la maison, les emplacements et les orientations, etc. Pierre et
Sophie Clément l’ont montré dans leurs recherches sur l’habitation lao, en prenant en compte tous
les facteurs, à la fois les lieux communs et les variantes qui ont régi les caractéristiques des
habitations tant à Luang Prabang qu’à Vientiane.676
Sur le point de vue économique et de main d’œuvre, la production de l’habitation des
grands du royaume et de l’aristocratie se situait entre la maison du peuple et les temples ou la
résidence royale. Tout en puissant dans le savoir local ses meilleurs atouts, l’habitation des élites
mettait en évidence les interventions partielles du savoir extérieur. Par éclectisme dû à leur
éducation et aux “ vues de l’ailleurs ” lors des voyages dans les autres muang, les plus riches
seigneurs, à l’image de leur souverain, auraient aussi fait venir les artisans des autres muang.
Les routes et les remparts, les digues et les barrages
Les équipements publics du génie militaire et civil, tels les remparts et les routes relevaient
du seul acteur : l’administration royale. Alors que les digues, les barrages étaient localement relevés
de la responsabilité communautaire des villages. La mobilisation de la main d’œuvre pour la
construction, la réfection et l’entretien de ces deux types de construction semblent relever de deux
systèmes différents : le système de contribution sya-souay [glaP -;jp] d’une part, et le système
d’appel collectif et de travail communautaire, ladom []tfq,] et souan-louam [l;jo];,], d’autre
part.677
Le Syasouay ayant un caractère obligatoire s’apparente à une sorte d’impôt et de corvée que
toutes les populations vivant dans ou à l’extérieur du muang, mais rattachés à lui, devraient « rendre
au roi » répondant aux missions kep souay [gda[-;jp], sorte de prélèvement d’impôt, en argent, en
nature ou en main d’œuvre, effectuées par les autorités administratives du roi (le chao muang ou
une administration royale affairant, notamment l’organe de la trésorerie royal, le Phrakang luang).
Il n’est pas certain que ce service obligatoire soit annuel. Mais il est fort probable que l’appel
pouvait être fait à tout moment autant que besoin, sauf lorsque la population était en pleine saison
de rizière. Car cette activité faisait partie de la richesse du pays et constitue la priorité, inscrite dans
les rites religieux et dans le droit coutumier, que l’autorité royale elle-même avait dû respecter.
C’est probablement aussi à travers cet appel que l’on faisait des levées d’arme pour une guerre ou
quelconque action de nature militaire. La construction et la réfection des remparts et des routes
bénéficiaient très probablement de ce système d’appel.
Par contre les digues et les barrages dans les plaines agricoles semblent bénéficier du
système d’appel et de travaux communautaires ladom []tfq,] et souan louam [l;jo];,], relevant des
obligations morales, une sorte de consensus qui reliait chaque habitant à la vie communautaire du
village. En ce cas, l’autorité royale n’aurait pas à intervenir directement, ce sont les deux pouvoirs
locaux, le po ban (chef du village) et le tassèng (chef du canton), qui auraient joué un rôle essentiel.
676 Cf. Clément-Charpentier S. et Clément P., L’habitation lao, éditions Peeters, Paris, 1990, 2 vol. 677 Syasouay [glaP-;jp] désigne autrefois les tributs que le roi réclamait aux muang. Le terme plus complet est souaysa
akone qui désigne aujourd’hui “ impôt et taxe ”. Il viendrait de son origine ancienne Syasouay. Dans le Phongsavadan lao
(op, cit.) à l’époque de F’a-Ngoum, lorsque celui-ci exigeait aux chao muang qu’il a soumis de lui verser les tribut, le
terme employé est syasouay. Ladom []tfq,] recouvre le sens “ appel collectif ” pour désigner la mobilistion les forces de
travail des individus pour des travaux communautaires. Le terme souan louam [l;jo];,] désigne ici un mode d’action
communautaire.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les villages s’organisaient pour gérer leur rizière, leur réseau commun d’irrigation, leur terrain
communal, leur petite forêt, leur route, etc. Ils géraient aussi les festivités et les rites religieux, ils
faisaient appliquer dans toutes ses coutures le droit coutumier qu’ils appelaient « les 12 et les 14
règles » [Iufly[lv’ 7v’ly[luJ]. L’autorité royale pouvait aussi se saisir de ce système pour mobiliser la
population à participer et à entreprendre des travaux d’exception qui n’étaient pas liés directement
aux préoccupations quotidiennes des villages, à condition que l’on n’arrache pas cette dernière à ses
travaux de rizière, au moment de picages et de récoltes de riz. Ce système relevait en fait des
obligations morales et du volontariat.
C’est sous les deux systèmes : syasouay et ladom souan louam que l’ensemble de la
population aurait été mobilisée aussi pour la production des autres ouvrages en dehors des édifices
religieux. Et apparemment, tous les habitants sont concernés, sauf probablement les moines et les
seigneurs qui assumaient déjà une charge publique attribuée par le roi.
Les esclaves
Quant aux esclaves, il nous a semblé qu’ils n’étaient pas concernés en tant que tel par les
travaux collectifs. S’il peut arriver qu’ils étaient mobilisés pour les travaux d’intérêt public, ils ne
l’étaient non pas par le fait qu’ils étaient esclaves. Car s’ils étaient devenus esclaves ou serfs c’est
qu’ils l’étaient auprès d’un créancier (que ce dernier soit une riche personne ou un noble) qui l’y
aurait envoyé effectuer les travaux collectifs à sa place en guise de syasouay, ou qui l’aurait tout
simplement utilisé pour faire diverses tâches et travaux personnels, notamment construire sa
maison.678 En aucun cas, il ne pouvait être esclave auprès de l’administration royale, qui ne
possédait pas d’esclave à proprement parler, mais seulement des prisonniers de droit commun
auxquels le juge aurait affecté des travaux collectifs. En ce cas, tout paï f’a khra phaèn Dinh [wr2hk
0hkczjofuo]
679 pouvait être amené à le devenir lorsqu’il commis des fautes et jugé en conséquent.
L’expression paï f’a khra phaèn Dinh désigne “ les sujets libres au service des chao f’a et du pays ”.
Ce sont des “citoyens qui paient impôt et qui effectuent la corvée pour le service public ”. A ce
propos, dans un des discours de F’a-Ngoum, dont on retrouve le contenu dans le droit coutumier, il
mettait en garde en occurrence ses chao khun, administrateurs du royaume, contre les agissements
immoraux que ces derniers pourraient être tentés, en faisant subir au paï [wrj, sujet libre] dans le but
de les assujettir à eux par des dettes ou des amendes lourdes ou des jugements abusifs.
680
Il est indiqué aussi d’autres recommandations, comment un koun doit se comporter avec la
population : « Lorsqu’une personne est appelée, au bout de trois fois pour les travaux du ban et du
678 Le droit coutumier donne une définition de ce qu’est un khra et khroy et dans quelles conditions une personne peut le
devenir. Il y a deux manières pour qu’un praï (citoyen non noble) puisse devenir khroy (esclave) : « 1- Un praï endetté et
ne pouvant rembourser ses dettes peut le devenir, 2- Un praï qui en partant faire la guerre a laissé les biens qu’il ne peut
pas restituer à son retour, peut le devenir. […] Il y a six types de khroy : 1- Une enfante de parents esclaves d’un heuane
bya (maison auprès de laquelle ils doivent de l’argent) qu’un homme libre a fait acquiter pour son service ; 2- Une
personne sujette de rafle provenant d’un autre muang étranger ; 3- Une personne ou groupe de personnes qui ont commis
des effractions contre les règles du ban et du muang, que le phraya réduit en esclavage en guise de punition et de
réparation par rapport à la société ; 4- Un condamnée à mort qui désire vivre en sursis en se plaçant comme esclave, 5-
Une Personne démunie sans famille sans protection qui demande volontairement à être esclave auprès d’une autre
personne ou d’une autre famille, 6- Une personne mourant et souffrant de grave maladie à laquelle on a redonner vie par
des soins peut aussi devenir esclave de la personne qui l’a soignée. » 679 Le terme praï f’a-khra phaèn dinh [wr2hk 0hkczjofuo] est composé de deux mots. 1- Praï f’a signifie “ personne libre non
noble, sujet d’un monarque ”, praï désigne aujourd’hui le roturier, et f’a la lignée des chefs tai, ayant à peu près le même
sens que tiao. 2- Khra phaèn dinh signifie serviteur du territoire, du sol, du pays. Le terme khra étant très usité pour
désigner l’esclave et le serviteur non tai, on a tendance alors à comprendre khra phaèn dinh comme populations non tai
réduit en serviteur des Tai Lao des muang, alors que les praï f’a désigne les Tai Lao sujet du roi, les citoyens. En ce cas, le
terme complet aurait alors désigné deux catégories de population. Pour notre part, nous pensons que l’ensemble du mot
praï f’a-khra phaèn dinh désigne l’ensemble de la population -excepté le roi et la haute aristocratie- qui doit soumission et
tribut au roi et au service du pays. En ce sens le mot est proche de “ peuple, citoyen d’un royaume ”. 680 « […] Vous ne réduirez pas les paï [ wrj ] (les sujets libres) en esclave. […] Lorsque vous partez en guerre n’acceptez
point les rançons. […] Les chao khun qui attribuent une amende à un paï une somme supérieure à 100, seront déshonorés
et paieront la somme à sa place. […] Si un chao khun par vice punit ou rend coupable un innocent, qu’il paie une amende
de 200 et subit des peines de réparation de 5 bath. […] Un koun qui usurpe le paddy d’un paï sera démis de ses fonctions
et de ses titres et subira une peine lourde. […] Lorsqu’un paï se rend aux travaux de service public, il est interdit qu’un
khun lui fasse faire des travaux personnels chez lui […]». In. Rajasat kotmaï bouran lao, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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muang, et qu’elle n’est pas venue se présenter, il faut l’amener de force à sa responsabilité, mais il
ne faut pas lui prendre son argent ni ses biens. Vous les khun, contrôlez et gérez sans causer le
malheur au paï et ne donnez jamais une amande à un ‘serviteur libre’.681 Lorsque la saison de
culture arrive, il faut le laisser partir à ses rizières, il ne faut pas le retenir inutilement, c’est contre
la coutume. Lorsqu’un paï a des difficultés et vient emprunter de l’argent au chao muang, celui-ci
ne peut lui réclamer les intérêts qu’au-delà de trois années. Un khoun ne peut faire travailler un paï
pour ses rizières et ses jardins personnels. »
Bien que ces recommandations expriment en première lecture une prévention contre la
corruption et les abus de pouvoir des chao muang, elles met en évidence en seconde lecture une
distinction claire entre obligations de services publics, que toute la population doit rendre, et
différentes formes d’abus qui pourraient leur être apparentés, mais qui ne le sont pas, vus à partir de
l’angle de vision locale.
Quant au cas des populations non tai que les Lao désignaient en permanence par le terme
d’“ esclave ”, ils étaient soumis comme les autres Lao au système syasouay, et il ne semble pas
qu’ils auraient été soumis au système ladom souan louam, puisque leur organisation villageoise
n’était pas forcément la même que les autres Lao dont l’organisation sociétale était structurée autour
de la vie et des devoirs communautaires et du hid sip song - khong sip si.
682 Cependant, il était
récurrent de voir dans un certain nombre de cas que les populations dites “ esclave ” en général de
parler môn-khmer avaient été affectées à l’entretien des grands monuments. En ce cas, ils étaient
complètement exemptés de corvée. Ce sont des kha that [0hkmkf], textuellement “ esclave du that ”
qui n’avaient ni le statut, ni les obligations semblables à ceux des esclaves pour dette que nous
venons d’évoquer. Ils seraient même des privilégiés affectés aux services religieux uniquement.
III. II. a. 2. Les acteurs durant la période coloniale
Les acteurs qui allaient vraiment intervenir pour changer le paysage urbain étaient, de fait,
liés au contexte de la ville coloniale. Nous pouvons dresser la liste des acteurs en trois groupes et
décliner leur organisation et leur rôle dans la renaissance de la ville : 1- les acteurs indigènes, 2- les
acteurs publics, 3- les principaux acteurs économiques.
Les acteurs indigènes
L’organisation sociale locale qui a survécu aux événements historiques du début du XIXe
siècle entretenait un minimum d’espace afin de maintenir la vie sociale et politique. Ce maintien
vital ne permet pas vraiment aux villes de redécoller, même si la cohésion sociale lao à petite
échelle a su se reconstruire assez rapidement. La population locale avec ses organisations sociales et
politiques est apparue en petites entités et en petits groupes dispersés de manière quasi-autonome,
dans la mesure où le lien structurel entre les groupes et les lieux n’était pas organisé dans
l’ensemble du pays et restait très parsemé dans les dix premières années ; bien que chaque groupe
entretienne à la mesure de sa capacité un minimum d’espace et d’organisation de leur quotidienneté.
On pouvait constater par exemple à l’époque que la population de Vientiane ou de Xieng Khouang
n’était pas en mesure de reconnaître le roi de Luang Prabang ou le roi de Champassak avec leur
administration comme des entités qui sauraient les représenter ou sous l’autorité desquels ils
auraient cherché à se placer. De même, les deux structures royales n’étaient pas en mesure de
s’occuper d’autres muang que leur propre circonscription. Les faits historiques internes répétés,
681 Dans le texte le terme utilisé est : khra tai [0hkwm]. Tai signifiant “ citoyen libre ”, que peut signifier alors “ esclave
libre ” ? Nous avons des doutes pour le sens du terme : khra tai pourrait désigner soit la personne libre mais réduite en
serviteur par dette, soit l’esclave qui est au service d’un citoyen libre, soit des personnes de parler Môn-Khmer libres. P
72, Rajasat kotmaï bouran lao, op, cit.
682 Hid sip song - khong sip si [Iufly[lv’ 7v’ly[luJ] fait partie du droit coutumier qui régit la société lao dans son ensemble.
Le Hid sip song [Iufly[lv’] est composé de 12 codes, le khong sip si [7v’ly[luJ] de 14 codes. Ces codes sont pratiqués par la
population comme des codes moraux transmis oralement, alors qu’ils ont été transcrits clairement dans le Rajasat kotmaï
bouran lao, op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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faits de scission et de trahison, de soumission et d’humiliation forgeait toute une génération de
princes qui ont failli à leur devoir traditionnel d’unificateur à la veille de la colonisation : les
premiers observateurs français les désignaient de “ roitelet ”. Malgré leur défaillance, certains
princes se préoccupaient pourtant fort bien du peu qui reste de leur muang et de leurs sujets.
Aymonier note avec étonnement avec quelle rigueur morale le petit roi de Champassak a su régner
avec justice et droiture dans son petit royaume déchiqueté et sans pouvoir afin d’y faire instaurer la
paix et la sécurité, alors qu’il note que les autres muang limitrophes, échappant à son autorité,
vivaient dans un climat d’insécurité où vols, crimes, exactions du pouvoir y régnaient.
Concrètement quels sont les acteurs indigènes et qu’avaient-ils contribué dans la
construction et dans l’évolution spatiale à l’aube du XXe siècle. C’est une structure décomposée, un
ensemble de lambeaux de pouvoir que les Français trouvent à leur arrivée dans le pays. Les acteurs
locaux peuvent être classés en cinq groupes :
1- Les rois étaient au nombre de deux : le roi de Luang Prabang et le roi de Champassak.
L’administration royale dans les deux muang a plus ou moins conservé l’organisation ancienne du
Lane Xang, avec quelques variantes, bien que l’occupation siamoise ait apporté quelques traits
nouveaux. Les rois ne régnaient pas durant la période coloniale, ils occupaient une charge et des
prérogatives reconnues par les indigènes, mais pas par le pouvoir colonial, ou du moins, seulement
de manière partielle. Ce dernier les considérait comme des chao muang, chef du muang, statut
facilement intégrable dans son administration. Des nuances sont à observer pour le cas du roi de
Luang Prabang : son statut de roi a été reconnu et Luang Prabang a été placé sous le système
protectorat. De ce fait, une certaine autonomie interne lui a été accordée. Le terme “ règne ” utilisé
pour Luang Prabang n’est donc chargé de son sens originel que de manière partielle. Nous
l’utilisons pour le faire correspondre au terme lao khong muang [7v’g,nv’] qui veut dire régner dans
un muang par une personne de sang royal. Si le chao muang n’est pas de sang royal on emploierait
davantage le terme Pokhong muang dans le sens d’administrer un muang. Néanmoins, les termes
demeurent symboliques.
2- Les princes qui gouvernent selon le droit dynastique existaient dans certains muang : les princes
Phouans de Xieng Khouang, les Chao F’a de Muang Sing.
3- Les chefs dynastiques qui ne sont pas reconnus comme tels existaient dans plusieurs muang. Au
Sip Song Chou Tai il y a les chefs tai de muang Lay,683 les chefs tai de Houa Phanh, les chefs des
hauts plateaux de parler Môn-Khmer du Sud, etc. Que ces chefs dynastiques soient tai ou
appartenant aux ethnies non tai, ils ont été intégrés dans le système féodal lao depuis plusieurs
siècles, certaines familles ont même été instituées par l’autorité du roi du Lane Xang. Par exemple
les chefs de Muang So-oy (Sam Neua) ont été crées à l’époque de Sethathirat. La majorité de ces
familles est affiliée, d’une manière ou d’une autre, à la parenté des rois lao, sauf celles qui étaient de
parler Môn-Khmer. Mais à la veille et durant la période coloniale la raison de la disparition de
certaines d’entre elles était souvent liée au fait que leur statut n’avait pas été reconfirmé par
l’autorité royale.
4- Les chefs de clan, les grandes familles qui puisaient une certaine forme d’autorité, à partir des
hautes charges assumées dans le passé par un ou plusieurs ancêtres. C’était l’aristocratie de
province, ou l’élite locale. C’était aussi l’intelligentsia religieuse ou laïque.
5- La population parsemée et bigarrée des anciennes chefferies, voire de la capitale, pouvait tout au
plus constituer une main d’œuvre difficilement utilisable par le pouvoir colonial. S’occupant de sa
propre survie et des séquelles passées dues à la guerre siamoise et hô, comprenant l’organisation
683 Déo Van Tri qui a mis à sac la ville de Luang Prabang était souvent assimilé aux pirates Hô (qui l’avaient rejoint) et
était devenu le “ brigand ” par excellence dans la mémoire coloniale, alors qu’il était issu d’une vieilles familles de chefs
coutumiers de Muang Lay, soumises à Luang Prabang. Son histoire ne semble être rien d’autre que le résultat de
l’incapacité des monarques lao à reconfirmer le statut et le rôle des chefs coutumiers. C’est l’une des manifestations de la
désintégration politique d’une ancienne unité politique fondée pour beaucoup sur les alliances et les pactes traditionnels.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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coloniale comme une exploitation abusive, la population recherchait sans cesse à s’y soustraire.
Dans les dizaines premières années de la colonisation et du protectorat, s’écartant de l’édification
des villes qu’ils considéraient comme un fait colonial (sauf le cas de Luang Prabang), la population
participaient à l’édification des centres urbains par contraintes. Lorsqu’elle le pouvait ou avait les
moyens, elle payait les corvées qu’elle ne voulait pas le faire. L’achat de corvée a été tel que
l’administration était contrainte de formaliser pour éviter tous abus et corruptions.
684 Le fait est que
le mode de production ainsi que le processus de production coloniale étaient bien différents de ceux
qui ont mobilisé traditionnellement les Lao. La centralité de l’espace colonial n’était pas capable de
rassembler la population lao. La centralité sociale et symbolique traditionnelle manquait au savoirfaire
de la gouvernance coloniale dans les premières années. Il a fallu quelques décennies
d’acculturation pour que peu à peu, les communautés lao se rapprochent de la ville. C’était ses élites
émergentes qui effectuaient les premiers pas, la majorité de la population, quant à elle, restait en
retrait.
Les acteurs publics
C’est avec le protectorat français qu’il y a émergence réelle des nouveaux acteurs de la
ville, et leur rôle se complexifie. Parmi les six organes administratifs, on peut retenir trois : le
service des finances et de la trésorerie pour les fonds dispensés dans la construction et pour la
répartition et la gestion des domaines publics ; le service des impôts et des douanes et régies pour
les recettes nées des activités commerciales et des productions et exploitations, ou nées des
domaines imposables dont les taux ou les montants étaient déterminés par zones ; le service,
vraiment affairant était nommé « Circonscription des travaux publics du Laos » pour toutes ses
attributions dans la construction, l’entretien, la gestion et le contrôle des travaux, etc.
L’administration coloniale installée au Laos se lance dès le départ à l’édification de la ville :
réparation, construction de nouvelles routes, pistes et rues afin de désenclaver le territoire laotien,
relier les établissements à l’intérieur du Laos entre eux et réorganiser les villes. Elle procède aussi à
la construction des équipements de base nécessaires pour installer le bureau des administrations,
pour loger son personnel. Rassembler la population, ramifier et organiser la structure administrative
locale en décomposition et l’intégrer dans celle de l’Indochine, constituer le personnel, en somme
créer des conditions favorables pour que le pays et les villes revivent. L’administration coloniale est
constituée essentiellement de six organes ou directions : 1- finance et trésorerie, 2- éducation
publique, 3- travaux publics, 4- eaux et forêts, 5- justice, 6- contributions et les douanes et régies.
En ce qui concerne les maîtres d’œuvre, ils étaient attachés à l’administration des travaux
publics. Ils ne sont plus anonymes comme l’étaient les époques anciennes. Mais leur travail de
conception se fondait dans des démarches impersonnelles imposées par le standard des programmes
publics dictés depuis la métropole, ou du moins depuis Hanoi, centre décisionnel de l’Indochine.
Pour construire la majorité des équipements publics, l’administration ne faisait pas appel forcément
aux sociétés de constructions, surtout dans les premières années, sans doute parce qu’il n’existaient
pas. C’est le bureau des travaux publics qui dirigeaient et contrôlaient les constructions avec des
corps d’ouvriers et d’artisans qu’ils faisaient venir du Viêtnam et qu’ils payaient en partie avec les
fonds provenant de l’achat des corvées.
684 Dans le « Rapport au Conseil Supérieur de l’Indochine sur la situation au Laos, 1909-1910 », le rapporteur souligne les
problèmes liés à la levée des corvées : les domaines de la construction et du développement n’ont pas avancé.
L’administration coloniale reproche aux chefs de province de ne pas avoir su organiser la levée des corvées auprès de la
population indigène pour les travaux collectifs. Les levées qui ont été faites n’ont pas apporté de grand résultat, la
population préférait payer au lieu d’aller aux corvées, et souvent, la « réquisition de corvées entrainait beaucoup d’abus »,
notait le même rapporteur. L’administration préférait alors pousser la population vers l’achat de corvée. Avec cette
ressource elle allait pouvoir payer de vraie main d’œuvre venant du Vietnam. Cf., Fond GGI, cote D3 (Administration
générale), CAOM.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Les acteurs économiques
Les acteurs de la ville et de l’économie étaient, liés aux nouvelles données économiques et
politiques. Ils ont émergé grâce à l’installation coloniale des villes qu’il s’agissait de reconstruire.
La mise en place des services administratifs et des organes publics, la création de nouveaux
programmes d’équipements allaient révolutionner les acteurs économiques. L’administration
coloniale essayait sans cesse de mobiliser et de solliciter les acteurs économiques à tous les niveaux.
Des politiques incitatives pour favoriser leur émergence ont été mises en place, car cela aurait induit
la constitution des acteurs de la ville de manière plus durable. Inciter les commerçants lao et
étrangers à venir s’installer dans les communes et centres urbains en proposant des allègements
fiscaux, inciter les ouvriers et les artisans de toute l’Indochine avec proposition d’emploi et salaire
avantageux, proposer des plans de concession dans différents secteurs pour attirer les investisseurs
de la métropole, etc.685 Les deux dispositifs, conjugués à la faiblesse démographique et au fait que
peu de Laotiens étaient attirés par la ville, étaient un appel aux investisseurs et à une main d’œuvre
extérieure. Mais les réponses étaient, dans leur ensemble, mitigées. En finalité, les commerçants lao
étaient quasiment inexistants, la main d’œuvre lao peu nombreuse ou difficilement intégrable dans
le système colonial. Les commerçants chinois y venaient en nombre important, mais pas assez au
regard de l’administration ; les investisseurs et exploitants venant de la métropole étaient peu
nombreux comparés au Cambodge et au Viêtnam. Malgré tout, les nouveaux acteurs publics
qu’étaient les administrations et les nouveaux acteurs privés qu’étaient les investisseurs et
commerçants, même s’ils n’ont pas été nombreux comme ce fut le cas dans les autres parties de
l’Indochine, avaient permis la réalisation d’un certain nombre de nouvelles constructions et de
donner un peu de vies aux petits centres urbains de tailles variables crés autour des années 1915.
Pour les plus originaux, il y avait la petite ville de Paksong avec son centre thermal et ses
exploitants de café, Saravan et Attapeu avec ses tentatives de concessions d’or et d’autres minerais.
III. II. a. 3. Les acteurs après l’indépendance, le retour du prince ou de son avatar ?
Le rôle des acteurs privés
Après l’indépendance, les acteurs de la ville avaient évolué rapidement. Les maîtres
d’ouvrage publics n’avaient plus le monopole dans la construction des équipements, car les privés
interviendront également : les équipements éducatifs avec la fondation des écoles privées, les
équipements culturels et de loisir, tels les cinémas et les parcs d’attractions. Ces deux derniers
programmes corollairement à l’émergence de nouveaux investisseurs, étaient tout à fait inauguraux.
Une nouvelle culture de loisir et une nouvelle approche de la vie citadine avaient bouleversé la
société lao de l’époque. Quant aux maîtres d’œuvre, ils devenaient indépendants et sortaient enfin
de l’anonymat stylistique. Le fait qu’ils ont commencé à travailler avec beaucoup plus de libertés,
explique la diversité et l’intensité des constructions des décennies qui ont suivi et jusqu’à les années
1970. Le domaine de la construction devenait fructueux, les entreprises nombreuses et la main
d’œuvre abondante.
Les acteurs publics et institutionnels
La Circonscription des Travaux Publics du Laos qui avait été instituée durant la période
coloniale a été transférée aux autorités du Gouvernement Royal du Laos au moment de la
décolonisation, par le biais de l’annexe du 6 février 1950 de la Convention Générale franco-
685 « Concessions domaniales aux Européens et aux indigènes - statistiques », cf., Documents du Fonds GGI, CAOM,
« M-Colonisation, travail, régime foncier » ; cf. fond GGI, Cote D3, Rapport Circonscription Territoriale des Travaux
Publics du Laos 1941-1942. « Exploitation de sable à Pakson, concession accordée à M. Fivaz (1500 m3 / an) » ; « A
Savannakhet en 1941-1942, à M. Malpuech pour le gypse (société de ciment Portland, en raison de 3000 m3 / an) ». Sur
les travailleurs susceptibles de venir au Laos, in : Dossier de « Conférence des Gouverneurs Généraux. Paris 03 novembre
1936 ». Fond GGI, coté D2. Dans la lettre de l’Ingénieur Principal, chef de l’Arrondissement des Travaux Publics du
Laos, adressée au Résident Supérieure, il est mis en évidence que le Laos est le mieux placé pour accueillir l’immigration
et la main d’œuvre venant du Tonkin et du Nord d’Annam surpeuplé.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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laotienne du 19 juillet 1949, signée entre le Haut Commissaire de France en Indochine et le chef du
gouvernement royal du Laos.
686 La Circonscription des Travaux Publics du Laos devenait alors de
Service National des Travaux Publics du Royaume du Laos. Par la suite, sa mission allait s’élargir,
plusieurs appellations ont été adoptées. En 1950, on retrouvait sur les en-têtes des circulaires
administratives le « Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme / Service de la Reconstruction
et de l’Urbanisme du Laos / Subdivision des bâtiments civils. La Subdivision des bâtiments civils
s’occupait alors des dossiers des permis de construire. Un ministère affairant étant créé, le Service
de la Reconstruction et de l’Urbanisme, l’un de ses services, avait alors un nom tout à fait
évocateur : le pays doit se reconstruire après la colonisation. En 1952, c’était sous le titre
« Ministère des Travaux Publics, du Plan et de la Communication / Direction du Service Royal des
Travaux Publics du Laos » que le service avait exercé sa mission. En 1960, le titre « Ministère des
Travaux Publics et des Transports » remplaçait le précédent. En 1971, il devenait « Ministère des
Travaux Publics / Service de l’Habitat et de l’Urbanisme. En 1975, il devenait « Ministère des
Communications, des Travaux Publics et des Transports / Direction du Service National de la
Construction et de l’Urbanisme ». Dans les années 1990, de nouveau, il change de nom, en
devenant « Ministère des Communications, Transport, Postes et Constructions ».
A partir des années 1990, il était alors le plus grand ministère du pays, ses différents
services assumaient des missions très larges. Il était aussi confronté aux tâches immenses qui
devaient être réalisées au niveau local dans les provinces, corollairement au développement urbain à
l’œuvre. Le partage des tâches était alors devenu nécessaire. Les permis de construire, par exemple,
étaient sortis définitivement de ses responsabilités, placés alors dans les missions spécifiques de
deux organes administratifs. D’abord c’était le Département des Communications, des Transports,
des Postes et des Constructions (DCTPC), département déconcentré à la Préfecture de Vientiane qui
instruisait seul les dossiers. Ensuite ce dernier allait partager les tâches avec le Service des permis
de construire de l’Autorité Administrative pour le Développement Urbain (UDAA) nouvellement
créé. Ceci, avant de laisser ces missions à la responsabilité exclusive du UDAA pour les zones les
plus urbaines des villes. Dans les mêmes périodes, l’Institut de Recherche en Urbanisme (IRU), en
charge des études urbaines, attaché au MCTPC en tant que l’une de ses directions avait joué un rôle
très important. A travers les réseaux de coopérations internationales qu’il a su se lier, il a permis
d’initier dans la fin des années 1990 et dans la première moitié des années 2000 la recherche
urbaine au Laos. Comme son ministère, en changeant de nom et en renouvelant ses coopérations
avec les organismes de recherche, opérateurs et bailleurs de fond internationaux, l’IRU qui devient
l’Institut des Transports et des Travaux Publics (ITTP) change aujourd’hui de cape. Plus axé sur les
transports et les travaux publics, l’habitat et l’urbanisme ne semblent plus être au cœur de ses
préoccupations. Vers 2010, le ministère tutelle s’est scindé en deux : d’un côté, le ministère des
télécommunications et de l’autre le ministère des Transports et des Travaux Publics.
Il est clair que le secteur de la production urbaine (aussi bien au niveau des responsabilités
décisionnelles, politiques, institutionnelles, qu’au niveau des opérateurs et acteurs directs, et au
niveau de la planification et de la recherche) est toujours à la recherche d’une bonne adéquation
structurelle et fonctionnelle pour clarifier ses missions.
L’aspect particulier des acteurs urbains : le retour du Prince ou de son avatar ?
A partir de l’année 2007, où on commence à penser la ville par les grands monuments, par
les symboles historiques, par l’appropriation des espaces sensibles (les projets de fêter des 450 ans
de la ville et les projets qui l’accompagnent), nous nous posons la question s’il n’y aurait pas
aujourd’hui un retour du Prince qui serait en train de doubler la volonté de légitimation du pouvoir
dans l’histoire nationale. Cette question peut être surtout posée à Vientiane, lieu de décision, vitrine
686 Léon Pignon était le Haut Commissaire de France en Indochine et le Prince Boun Oum de Champassak était le Chef du
gouvernement royal du Laos.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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de la politique urbaine et de la stratégie de développement. Rappelons que le Laos a connu au XVIe
siècle la ville rayonnante du Prince. Ceci, dans le sens où cette dernière mettait en avant les
prérogatives princières, son goût éclectique, sa connaissance et son savoir, son désir de pérennité et
d’éternité qu’il affectionnait à relier à l’universel et à la sagesse suprême (l’image du prince
bodhisattva) à travers ses dons, son architecture et ses programmes de construction, teintés de
religiosité et de grandeur pieuse. A cette image de grandeur du passé, de nombreux et grandioses
projets d’équipement, par leur taille, donnent une nouvelle figure à la ville de Vientiane. Sans
préjudice stylistique, leurs expressions architecturales mettent en avant un langage commun. Celui
que le régime prône pour les bâtiments officiels « doit incarner avant tout l’architecture lao
authentique, inspirer le respect et la fierté nationale et historique. » C’est à travers cette image et ce
désir de grandeur évoqué que les commanditaires des projets publics d’aujourd’hui se rapprochent
du Prince, du moins ils en deviennent son avatar. Car le caractère éclectique et la générosité du
mécène manquent à toute opération pour qu’il y ait retour véritable à l’œuvre du Prince.
III. II. b. Le développement d’une nouvelle programmation urbaine après 1954
Le renforcement des grands équipements publics
Après les acteurs, ce sont les nouveaux programmes urbains à partir des années 1950 qui
allaient acheminer la transformation de la ville traditionnelle vers la ville moderne. Par rapports à la
programmation ancienne d’avant la colonisation française, nous avons déjà vu à travers les
programmes des équipements publics coloniaux, que les villes laotiennes passent à une autre échelle
et à un autre rapport du tissu urbain. Mais c’est avec la programmation liée à l’indépendance que
l’évolution de la ville va vraiment prendre de l’ampleur. Si le programme colonial contient encore
les villes dans leur enceinte (Vientiane), celui après l’indépendance explore l’extérieur des enceintes
avec les grands équipements. Pour les autres villes de province, nouvelles ou sans enceinte,
l’exploration spatiale s’est faite en dehors de la zone homogène qui constituait la ville coloniale.
Nous allons voir dans ce paragraphe le programme des constructions après l’indépendance.
En 1954, les administrations étant transférées au gouvernement royal, celui-ci devait
prendre le relais et tenir les rênes du développement du pays. Habitué à une gestion traditionnelle de
l’ancien temps, et ensuite habitué à une domination extérieure où la structure traditionnelle ancienne
a été mutilée, puis à une assistance quasi-totale avec la colonisation, les jeunes élites formées
essentiellement par la France ont peu d’expériences dans la gouvernance et la gestion d’un État
moderne. Ils se retrouvaient par ailleurs devant des difficultés budgétaires et des ressources
humaines pour gérer le pays. Certains anciens hauts fonctionnaires qui ont connu cette période
parlaient de l’indépendance comme un “ cadeau empoisonné ”. Malgré tout, le pays doit “ montrer
au monde son honneur et sa grandeur ”, let motive de tous les jeunes États indépendants. Cette
volonté politique va se traduit dans l’espace de manière flagrante. C’est l’émergence et la confiance
des acteurs de la ville, publics et surtout privés, qui allait rapidement imposer les nouveaux
programmes d’équipements urbains. Les programmes provenant des maîtres d’ouvrage publics
étaient majoritairement liés à la politique et aux idéologies du gouvernement du royaume du Laos,
un jeune État enthousiasmé par l’indépendance qu’il venait d’obtenir et par la “ liberté à disposer de
lui-même ”. Les équipements les plus significatifs vont voir le jour (Assemblée Nationale, Hô
kham, Place Nam Phou, Anousavary, casernes militaires, nouveaux bâtiments ministériels et de
Services administratifs provinciaux, agrandissement des hôpitaux, extension de l’aéroport,
construction des nouvelles écoles et des marchés.) Les uns densifiaient les équipements existants
(cas de l’hôpital Mahosot), les autres sortaient de la petite enceinte (Lycée de Vientiane, Marché du
matin), et d’autres encore prolongeaient les axes existant et conduisaient une nouvelle urbanisation
(l’axe Lane Xang). Dans les premières années seules la capitale et les villes les plus importantes
(comme Paksé, Luang Prabang, Savannakhet, Thakkek, qui sont devenues des villes secondaires
d’aujourd’hui) se réjouissaient de ces équipements. Dans les autres petites villes, tout au plus on
reconstruisait les bureaux de l’administration provinciale. Dans les premières années, la Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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construction de ces équipements traduisait les premiers besoins du pouvoir, sa volonté de conforter
son autorité, de montrer qu’il assumait pleinement son rôle et sa responsabilité. L’économie de
moyen et de temps était de rigueur.
L’apparition des équipements de loisir et de vie nocturne
Les programmes susceptibles d’être réalisés par les privés étaient plus lisibles près d’une
décennie plus tard, vers la fin des années 1950, début des années 1960. Les acteurs publics
déléguaient peu à peu certains équipements publics aux soins des privés. Les maîtres d’ouvrage
privés intervenaient de manière importante. Ils investissaient dans les équipements éducatifs en
construisant de nombreuses écoles privées, des équipements sportifs, culturels et de loisir, tels les
lieux de sport, les parcs d’attractions, les cinémas, les night-club, les hôtels, etc. Trois groupes de
programmes d’équipements sont corollaires à l’émergence de nouvelles formes d’investissement et
de nouveaux investisseurs. Les promoteurs devenaient plus nombreux en ville avec leurs immeubles
et immeubles en compartiment, leurs villas privées, à vendre et à louer. Le vieux quartier Anu
(ancien quartier Annam) dans le centre de la ville avec ses trois cinémas, ses night-club, ses
immeubles et compartiments commerciaux, puis le nouveau quartier du marché du soir –Talat Lèng,
avec son cinéma, son marché et ses groupes de boutiques et restaurants, constituaient les quartiers
les plus animés et les plus nocturnes de la ville. Ceci était tout à fait inaugural. Une nouvelle culture
des loisirs, une nouvelle approche de la vie citadine et nocturne, faisait son apparition et avait
bouleversé la société lao de l’époque.
L’apparition d’habitats précaires, à faible coût et à faible loyer
Comme nous l’avons noté pour le grande tournant de l’espace urbain des années 1960, les
nouvelles programmations urbaines suscitent une approche nouvelle de la ville. Celle-ci se
démarque de plus en plus de la campagne. Distincte, on trouvait en ville ce que l’on ne trouvait pas
à la campagne : les loisirs et la consommation et surtout le travail. Bien que les villes laotiennes les
plus urbanisées dans les années 1960, demeuraient très rurales du point de vue des critères
urbanistiques habituels, la campagne étant aussi présente en ville suscitée par l’existence de
nombreux villages à caractère rural, elles ne demeuraient pas moins un milieu urbain et citadin par
ses programmes et ses fonctions. C’est cette ville en développement qui attirait la population de la
campagne, car elle croyait y trouver son compte. De cet enchevêtrement des fonctions : travail,
services, loisirs, offres de consommation, etc., la ville devenait le mirage des plus pauvres, car seuls
ceux qui avaient les moyens y étaient à l’aise. Malgré tout, la ville n’allait pas seulement accueillir
des populations dotées d’emploi salarial, les investisseurs, les gens aisés de l’aristocratie de
province qui occupaient des places dans la fonction publique, mais aussi des populations pauvres
venues de la campagne, d’immigrés et de réfugiés chassés par la pauvreté et la guerre. Ils venaient
former ainsi en grande partie les quartiers insalubres. Le cas du quartier Nong Chanh - Khroua
Dinh, formé dès les années 1950-1960 sur une vieille structure de villages ruraux, était
démonstratif.687 Tout le quartier s’était constitué par greffe dans une zone humide, située entre le
rempart et Ban Fay - Dong Palane - Sala Dèng, à travers un processus d’auto construction, sans le
concours d’aucunes autorités publiques. Certains habitants des quartiers limitrophes y construisaient
des logements en bois rudimentaires, à faible coût et à faibles loyers. Le quartier portant alors en lui
de multiples pathologies.
687 Les études sur les habitations de Nong Chanh ont été réalisées par les étudiants de l’Atelier Map au début des années
2000. Du fait qu’il était en cours de démolition, et que près de la moitié de la population qui y habitait était partie, les
études ne rendent compte que partiellement de ce qu’elle a pu être dans les années 1960 - 1970. Cf. Mémoire d’étude de
Laurent Hertenberger, 2002. Les études urbaines de Vientiane réalisées par le BCEOM en 1963 pour le plan directeur
d’urbanisme de la ville avaient déjà repéré ce quartier comme insalubre. Cf. Ville de Vientiane : étude au plan directeur
d’urbanisme et des aménagements urbains, pour le compte du Royaume du Laos, BCEOM, 1958-1963. Une autre étude
sur le thème du « développement d’une rue commerçante, cas de Dong Palane » a également abordé les problèmes du
quartier insalubre de Nong Chanh, dans le cadre du PRUD. Nathalie Lancret, Emmanuel Cerice et Karine Péroni. Rapport
d’étude 2004.
Fig. 95. La
place du Nam
Phou a été
construite au
début des
années 1960,
remplaçant les
deux pavillons
du marché qui
date de la
période
coloniale
Fig. 94.
Equipements de
loisir et de
commerce des
années 1960
dans le centre de
Vientiane : les
Cinéma Vieng
Samaï et Sèng
LaoDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 408 -
Conclusion
Comme on a pu le constater, la deuxième partie de la recherche a tenté d’approcher les
principes et les modèles fondamentaux de fondation, en explorant les données immatérielles :
données anthropologiques, mythes et rites religieux et païens, pratiques habitantes, etc., en rapport
avec les fondations. Ces approches se sont beaucoup appuyées aussi sur les données historiques –
constituées par les historiens ou inédites (traitées pour la première fois ici dans l’angle de vue
spatiale), avec lesquelles nous avons essayé d’être le moins affirmatif possible. De ce fait, les
approches ont ainsi été théoriques : les éléments matériels persistants dans les espaces
contemporains, ayant des liens directs avec les fondations, sont fort lacunaires, alors que les
éléments immatériels sont plus prégnants.
Néanmoins, l’identification des éléments de formation primitive, dans le premier chapitre, a
permis de constater que les établissements qui ont préexisté à l’espace lao tai sont nombreux et forts
anciens. On a pu identifier quatre structures majeures avant la structuration de l’espace lao tai au
XVIe siècle :
1- Les occupations les plus anciennes et méconnues avant l’émergence des Tai. Celles-ci se
trouvent temporellement et culturellement à l’extérieur du monde môn-khmer que les
anthropologues désignent de proto indochinois.
2- Les fondations mônes que l’on continue à découvrir de manière fragmentée, et dont les contenus
culturels et conceptuels ne semblent pas sans lien ou éloignés des établissements lao tai. Les
connaissances les concernant restent –à ce jour– dépendantes de la découverte archéologique, mais
que l’histoire et l’archéologie des sites comme Xieng Saèn, Chiangrai et Vieng Phu Kha pourraient
apporter un éclairage nouveau sur ce lien spatial môn-tai, encore très négligé par l’historiographie.
3- Les établissements khmers, monumentaux et marqueurs du territoire. Cependant, les
établissements khmers qui renvoient aux fondations des monuments et des grands établissements
politiques et territoriaux, restent “muets” sur les établissements urbains et d’habitat qui font l’objet
privilégié dans notre observation.
4- Les occupations lao tai primitives qui ont préexisté à l’émergence des espaces lao tai
contemporains. Ces occupations à l’échelle temporelle sont importantes, car elles justifient notre
hypothèse sur la formation des établissements lao tai avant le XVIe siècle. Ceux-ci ont été
longuement préparés sur deux périodes : la première entre le VIIIe et le XIVe siècle –c’est la période
des chefferies dispersées ; la seconde entre le XIVe et le XVIe siècle –c’est la période des cités-État
où la configuration politique et spatiale devient plus structurée.
Ensuite les deux dernières parties du chapitre, qui explorent la période de structuration de
l’espace lao tai opérée autour de la fondation de la capitale par Sethathirat au XVIe siècle, ont mis
en évidence une organisation sociospatiale très structurée. Durant cette période, les principes
d’implantation se sont révélés à travers la persistance des pratiques spatiales, la permanence des
caractéristiques des sites, les mythes et rites de fondation comme un élément d’identité des espaces
primitifs. La restructuration politique de l’espace qui caractérise aussi cette période s’est réalisée de
manière plus formelle pendant et à partir du règne de Sethathirat. Ceci est identifiable à travers les
différents actes et dispositifs politiques réalisés, pouvant être considérés comme une inscription de
la pensée spatiale dans le territoire. Car, effectivement, il semble qu’il y ait un parti pris idéologique
pour restructurer l’espace non seulement territorial mais aussi social et religieux.
La constitution de l’espace lao tai est ainsi lisible à travers des faits culturels et idéologiques.
Elle est analysée dans sa strate de cité-État et à travers la structure du pouvoir politique constituant, Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’où découleraient la conception spatiale et son mode d’organisation. De ce fait, la constitution de
l’espace reste –toute proportion gardée– endogène, générant son propre modèle historique.
688
Le deuxième chapitre qui explore la capacité des espaces lao à réceptionner les modèles
spatiaux extérieurs et à se les approprier par acculturation, a montré d’abord que les villes siamoises
précoloniales ainsi que leurs structures administratives, installées surtout comme des lieux de
capitations au Laos et dans le Laos occidental au XIXe siècle, sont artificielles et ne peuvent
constituer un modèle. Elles ont induit deux éléments importants pour l’espace contemporain des
villes :
1- Ces établissements de capitations ont complètement déstructuré, atrophié la forme sociale et
politique du muang pour leur bon fonctionnement futur.
2- Ils ont contribué à faire naître dans le territoire le sentiment “localiste” qui a géné tout le long du
XXe siècle le développement et l’intégration de la région Issane dans l’unité nationale thaïlandaise.
Le deuxième chapitre a aussi mis en évidence le fait que les villes coloniales, contrairement
aux établissements de capitation siamoise, ont formé un modèle nouveau qui dure et qui est devenu
significatif pour l’espace contemporain, du point de vue administratif, programmatique, de la
gestion des sols et de la démographie. La culture administrative et le tissu urbain de ce passé
forment ainsi aujourd’hui une variante spatiale et urbaine des villes laotiennes. Ceci, sachant qu’au
moment de leur installation, les villes coloniales ont tenu une position ambigüe, voire, ont ignoré les
espaces anciens antérieurs (forme urbaine, limite, mode ancien de production et de gouvernance,
etc.) Les deux types de ville restent dans leur ensemble des modèles exogènes pour les villes
laotiennes futures : mise à part la forme de l’administration locale, peu d’éléments ont été
endogénisés pour un développement conceptuel et formel postérieur.
La capacité des espaces lao à réceptionner les modèles extérieurs est donc moindre par
rapport à leur capacité à gérer leurs propres modèles endogènes. Quatre principes semblent le
démontrer :
1- Le modèle spatial en rapport avec la forme de la gouvernance. On constate que l’organisation de
l’espace lao est reposée sur trois échelles et principes spatiaux : le ban le tassèng et le muang. Ces
principes ont perduré et ont assuré à l’organisation laotienne une pérennité, malgré les ruptures et
les transformations diverses que l’histoire a enregistré.
2- Les ancrages culturels de ces principes spatiaux ont été tels qu’ils génèrent une conception
idéalisée du muang. Dans le Syasavat, le muang –défini comme une cité-État par excellence– donne
la perception du cadre de vie, de penser et de gouvernance de la société lao.
3- Dans la pratique, les ancrages culturels des principes spatiaux donnent des règles au droit des
sols, stigmatisé dans le droit coutumier, auquel le droit foncier actuel se réfère encore.
4- La domestication des espaces naturels, en liaison avec le mode d’habiter, comme savoir
intemporel constitue une caractéristique des espaces et des villes lao. La conception et la perception
de la nature participent à la construction et aux fonctions des établissements. La nature fait partie de
la cité, en tant que paysage, en tant que lieu de production, ou en tant qu’altérité de vie, ici
divinisée.
La troisième partie du chapitre a tenté d’identifier, dans l’espace contemporain des villes
laotiennes autour des années 1975, les caractéristiques dominantes qui explicitent la permanence et
l’adaptabilité des structures spatiales anciennes héritées. Afin de voir s’il y a une rupture ou une
688 Dans l’idée de modèle constitué, notre étude ne prend pas en compte l’espace des minorités, celui-ci n’ayant pas
d’implications directes sur la constitution du monde urbain, même s’il peut constituer un élément d’équilibre. Leurs
structures, passant de l’empreinte tribale à l’empreinte rurale ne sont pas intégrées aujourd’hui dans la ville et sont même
menacées dans leur existence. A l’exception des Tai Lü qui seraient les seuls à posséder une tradition urbaine avec
l’exemple de Muang Sing. Du point de vue morphologique et conceptuel cette tradition urbaine septentrionale est un
modèle exceptionnel, pouvant expliquer l’origine du xieng [-P’].Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 410 -
continuité, face aux conjonctures socioéconomiques internes et externes, en rapport avec l’évolution
des aires urbaines régionales et avec leur propre cycle de transformation. En cela, on constate que :
1- Les modèles spatiaux hérités ont connu une acculturation : les schémas symboliques et les cultes
se retrouvent encore souvent dans l’usage de l’espace. La forme ancienne du pouvoir laisse aussi
des traces sur la structure urbaine et les lieux sensibles de la ville. La faiblesse démographique
traditionnelle est prise en compte dans la modélisation de l’espace et continue à être prise en compte
comme un handicap dans la gestion et l’économie des villes. Le déplacement de la population, une
pratique traditionnelle est encore d’actualité dans la restructuration spatiale de la ville. Et le mythe
de la ville imaginaire continue à “hanter ” ceux qui la construisent mais aussi ceux qui la vivent.
2- La partition territoriale parallèlement à la partition politique du Laos est une question induite par
le contexte politique de la Guerre froide, mais elle ne reflète pas moins une réalité géographique et
humaine inscrite dans la formation et dans l’évolution territoriale du pays. Cette partition s’est calée
sur le schéma de l’opposition entre zones vides montagneuses moins développées et zones basses,
peuplées, développées et faciles d’accès. La partition ne s’est pas calée, par exemple, sur la partition
politique ancienne des trois royaumes, mais sur la configuration historique plus ancienne de la
répartition des hommes et des richesses. Sans oublier bien entendu l’influence certaine de la piste
Hô Chiminh Nord-Sud qui constitue aussi la ligne de cette partition.
3- Le grand tournant spatial des années 1960 enregistre plus une transition qu’une rupture. Les
éléments traditionnels pris en compte comme une acculturation, comme une endogénisation
acquise, deviennent quasiment des éléments dépassés par rapports aux nouvelles données spatiales
qui apparaissent dans le contexte des années 1960 et de la Guerre froide : des établissements
naissants sont très liés à la guerre. Il est de même pour la nouvelle répartition des hommes sur le
territoire. Quant au développement et à la production architecturale et urbaine, dans bien des cas,
l’urbanisme et l’architecture des années 1960 ont révélé la dynamique de la structure symbolique
ancienne en s’appropriant d’elle comme une structure urbaine révélée.
Enfin, le troisième chapitre fait l’état des lieux des villes et identifie les années 1960 comme
le commencement d’un nouveau cycle de transformation spatiale. Et on identifie ce cycle de
transformation comme le passage de l’espace traditionnel à l’espace moderne. Ceci caractérise les
traits dominants de la transition urbaine des villes laotiennes. Tout en cherchant une définition
adéquate à l’espace traditionnel et à l’espace moderne, on a identifié les facteurs dominants qui ont
conduit cette transition. Ceux-ci ont été essentiellement la complexification des acteurs urbains et le
développement d’une nouvelle programmation urbaine.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Troisième partie
1975 – 1995 : période de transition,
racine de la fragilisation du rôle spatial des centres
historiques et des établissements anciens
Regards rétrospectifs
Dans la première partie de notre réflexion, nous avons mis en évidence que le
développement urbain et territorial à l’œuvre à partir de 1995 était accompagné par un processus de
transformations spatiales fortes au cours duquel le rôle de matrice structurante et identitaire des
centres historiques et des occupations anciennes avait commencé à se fragiliser. Pourtant, durant de
longues périodes et jusque dans les années 1970, les établissements avaient été marqués par des
persistances et des permanences spatiales liées à des pratiques anciennes, aux centres et aux aires de
fondations anciennes. Les bases fondatrices des villes et leur centre, ainsi que les pratiques
habitantes en tant que modèle avaient pu être définies comme un espace et une culture
autoréférencée se nourrissant de modèles endogènes et exogènes par un long et complexe processus
d’acculturation. Celui-ci renforçait les facteurs de permanence et consolidait l’adaptabilité des
établissements. En fait, malgré une longue période où les espaces étaient soumis à de multiples
transformations, les implantations lao connurent malgré tout une évolution endogène et une
idiosyncrasie.689 C’est ce qu’a principalement traité la seconde partie de notre recherche. Nous
pouvons alors nous demander quels étaient le contexte et les enjeux entre 1970 et 1995 pour que la
matrice structurante, liée à la fondation des villes et à des pratiques habitantes, soit ainsi altérée.
C’est l’objet de la troisième partie de notre recherche, qui est traité en trois parties, couvrant près de
vingt années. La première décrit les enjeux humains, spatiaux et économiques à l’insvestiture du
régime, ainsi que les bouleversements qui en étaient issus. La seconde étaille les dispositifs mis en
place pour construire le monde nouveau. La troisième dresse les bilans sur la politiques et les
dispositifs qui ont été planifiés et mis en application durant la première et la deuxième période et
qui force le régime à entreprendre les réformes.
Nous cherchons à montrer dans quelle mesure, durant ces périodes, les facteurs de
changement et de transition ont-ils été formés, expliquant le processus d’altération de la base de
fondation des villes, des occupations anciennes et de leurs pratiques spatiales – jusqu’à perdre leur
rôle et leur fonction, leur force et leur capacité de renouvellement. L’approche sociopolitique
devrait nous confronter à de nouvelles données spatiales, qui se mirent en place lors de l’installation
du nouveau régime politique en 1975. Mais avant d’aborder celle-ci, évoquons brièvement dans
quel contexte politique et économique, à la sortie de la guerre, le nouveau régime accéda au
pouvoir et eut à mener le pays.
Le Laos dans le contexte général de la sous-région, à la fin de la guerre du Vietnam
689 Une manière d’être particulière, induite par un processus d’appropriation et d’acculturation des modèles à la fois
endogènes et exogènes.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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En avril 1975, la guerre du Vietnam prend fin avec la prise de Saigon et avec la chute de
Phnom Penh. S’ensuit un changement de données politiques, économiques et sociales qui a
bouleversé toute la région de l’Asie du Sud-Est. Laos, Cambodge et Viêtnam sont passés dans le
bloc communiste. Ce basculement idéologique a profondément transformé les sociétés de ces pays.
Il allait exclure pour un temps la péninsule indochinoise690 du reste de la communauté des nations
de l’Asie du Sud-Est, gouvernées par des régimes politiques divers, entre autoritarisme et
apprentissage de la démocratie.
Le Laos a été désigné comme « victime du péril rouge » par la Thaïlande voisine, qui avait
su enrayer les communistes de son territoire.691 Ceux-ci se recrutaient dans le milieu des artistes et
des intellectuels imprégnés de marxisme,692 mais surtout parmi les députés de l’Issan. Certains
d’entre eux faisaient cause commune avec les séparatistes ou du moins y étaient assimilés. Ils
revendiquaient l’identité et l’autonomie de l’Issan, un certain localisme teinté de culture laotienne.
Les revendications des députés “régionalistes” de l’Issan693 se réfèreraient à une période historique
particulière mettant en évidence leurs liens culturels avec les Laotiens. La Thaïlande – dont le
système politique reposait sur un appareil militaire puissant – était dirigée par un gouvernement
anticommuniste proaméricain soutenu par les États-Unis.694 En éliminant le communisme de son
territoire, elle s’était en même temps débarrassée de ses opposants séparatistes. D’après les
dirigeants politiques thaïs, ces derniers menaçaient l’unité nationale et risquaient d’entraîner les
autres communautés et territoires, notamment ceux du Sud et du Nord-Est, à agir dans le même
sens.695
La Thaïlande, comme la porte occidentale du Laos
Depuis près de deux siècles, la Thaïlande est confrontée sans cesse au problème d’identité
locale des territoires au sein de son ensemble national.696 Certaines de ses communautés, de cultures
différentes, adhèrent peu à la conception officielle d’État-Nation thaïlandaise, héritière de la pensée
pan-thaï née au début du XXe siècle.697
690 L’expression “péninsule indochinoise” est ici considérée du point de vue géographique et culturel. 691 Par l’exil forcé ou l’assassinat d’une partie des promoteurs du communisme. 692 Pour fuir la traque du gouvernement dans les années 1970, une partie d’entre eux se réfugie en Europe pour ne revenir
en Thaïlande que vers la fin des années 1980 ou au début des années 1990.
693 Issan (Sk), l’Orient, désigne le territoire de l’Est et du Nord-Est de la Thaïlande. Dans l’ouvrage de Dararat
Methanikanonh, les expressions “ localiste Issan” ou “ régionaliste Issan ” ont été préférées à “nationaliste Issan”, sans
doute pour écarter toute notion “séparatiste”. L’expression “nationaliste Issan” aurait rattaché les aspirations politiques des
populations Issanes à l’État lao voisin, ce qui n’est pas exact, même si à l’époque ces populations s’opposent
farouchement au gouvernement central de Bangkok. Dans les deux cas, la “laocité” de la région Issane marque l’identité
culturelle de ces groupes de députés. In. Methanikanonh D., La politique des deux rives du Mékong, le regroupement
politique des députés Issans entre 1933-1951, éd. Art and Culture, 2546, Bangkok, en thaï. 694 Durant la guerre du Vietnam, la Thaïlande a autorisé l’installation des bases américaines sur son territoire, à partir
desquelles l’armée américaine conduit des bombardements aériens sur le Nord-Vietnam et l’Est du Laos. Udon Thani, à
une heure de route de Vientiane, constituait une alternative lorsque les bases du Laos étaient mises en veille. Le Laos étant
à l’époque un pays supposé neutre, les États-Unis ne pouvaient y créer ouvertement ses bases militaires. Les bases d’Udon
Thani représentaient donc une alternative idéale pour calmer l’opinion internationale. L’ouverture de son espace aérien et
de son territoire aux troupes américaines démontrait l’adhésion de la Thaïlande à la politique américaine de lutte contre la
propagation du communisme en Asie du Sud-Est. 695 Les territoires dont les composants culturels se différencient des thaïs concernent la région du Sud peuplée de Malais et
de musulmans, la région du Nord peuplée de Gnouans et celle du Nord-Est peuplée de Lao et de Lao Phouans. Seuls les
Malais sont ethnolinguistiquement différents. Les Gnouans, les Phouans et les Lao partagent les mêmes origines Tai avec
les Thaïs. Concernant le séparatisme, les informations ont été recueillies auprès des Thaïs d’origine d’Issan qui ont quitté
la Thailande vers 1975 et qui ont vécu à Londre, à Paris et en Belgique. J’ai rencontré quelques uns de ces militants vers la
fin des années 1980 dans le milieu des mo lam. Ils envoyaient régulièrement des lettres d’information aux réfigiés laotiens
d’Europe. Ces lettres –écrites parfois en lao, parfois en Thai– énonçaient une certaine laoicité et surtout des idées anti
gouvernement royal thaïlandais. J’ai eu entre les mains plusieurs de ces lettres.
696 Dararat Méthanikanonh étudie le mécanisme qui permettait le regroupement politique des députés Issan s’opposant au
gouvernement central de Bangkok, tout en participant activement à la vie politique thaïe. Sa recherche souligne aussi les
liens entre le mouvement politique Issan et le mouvement politique formé au Laos pendant et après l’indépendance. In. La
politique des deux rives du Mékong, le regroupement politique des députés Issan entre 1933-1951, op, cit. 697 Après avoir évincé le démocrate Pridi Phranomyom, le maréchal Phibounsongkham ultra-nationaliste instaure une
dictature militaire et proclame la création de la Thaïlande en 1939. Le changement d’appellation du Siam, aurait pour
ambition la proclamation d’un État dans lequel tous les peuples Tai de toute l’Asie du Sud-Est se seraient reconnus. La
proclamation de la “terre des Thaïs” symbolisant la fédération des peuples Tai, aurait inquiété le gouvernement français Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 413 -
De par cette communauté de culture lao et thaïe à cheval sur les deux rives du Mékong –
frontière politique entre le Laos et la Thaïlande,698 le fleuve constituait une frontière perméable
jusqu’au milieu des années 1970. Les villes de la vallée et du Haut Mékong, ainsi que les hommes
qui les habitaient, gardaient un lien avec le reste de la population du Laos, du moins à travers leur
culture, leur langue et parfois les liens de parenté. Le Mékong était une voie de circulation, un trait
d’union, plus qu’une ligne de séparation. Les riverains du Mékong se considéraient différents des
riverains de la Ménam : pendant longtemps, la population de la vallée de la Ménam se sentait
étrangère, autant par la langue que par les us et coutumes, lorsqu’elle venait dans ce territoire,
pourtant siamois depuis plus de deux siècles et intégré définitivement dans la Thaïlande depuis plus
d’un siècle.699
L’intérieure du Laos, un monde clos
À l’investiture du nouveau régime, le 2 décembre 1975, cette frontière devint une réalité
politique autant que physique. Dans un climat de méfiance et de défi durant toute la période de
fermeture du Laos aux pays occidentaux et à leurs zones d’influence, le Mékong – devenu la
frontière entre le Laos et le “monde libre” – devint quasi infranchissable. Pourtant, d’une rive à
l’autre, les hommes et les produits continuaient de circuler, dans la plus grande clandestinité. Le
blocus officiel de la Thaïlande sur les produits transitant par son territoire vers le Laos renforçait
encore la dépendance économique du pays vis-à-vis du bloc socialiste et par rapport au système
informel de circulation des produits. La pénurie générale des produits de consommation, l’insuccès
de la première réforme agraire700 et de la production collective701 planifiée, de la rationalisation,702
d’alors, car une bonne partie de son territoire indochinois était peuplée de Tai. D’après les administrateurs français, les
Lao-Tai auraient pu être attirés par cette nation nouvelle, ce qui aurait pu entraîner la désintégration de l’Indochine
française.
À propos de Pridi Phranomyom, chef du mouvement séri Thaï, il est utile de rappeler ici qu’il y a un lien significatif dans
les années 1940 entre le mouvement Séri Thaï et le mouvement Lao Issara. Cf. Vanida Thongchanh, Savèng Phinith,
Phou-Ngeun Soukaloun. 698 Exceptés la province de Xayaboury et l’Ouest de la province de Champassak qui se trouvent sur la rive droite. Cette
frontière remonte à la période coloniale. La France et le Siam se partagent les territoires du Cambodge et du Laos, se
référant aux intérêts politiques et négligeant les réalités historiques, ethniques et culturelles. Près d’un siècle plus tard,
Laos, Thaïlande et Cambodge doivent encore régler les problèmes de frontières, sources de conflits incessants. 699 Le traité franco-siamois de 1893 marque la reconnaissance par le Siam de la souveraineté de la France sur la rive
gauche, et la reconnaissance par la France de la souveraineté du Siam sur la rive droite du Mékong. Le traité francoanglais
de Londres, en janvier 1896, qui faisait du Siam une zone tampon entre l’Empire britannique et l’Indochine
française, rappelle la garantie des intérêts des deux empires dans le commerce avec le Yunnan et le Sichuan (déjà
mentionnée dans les traités de mars 1894 et juin 1895). Ce traité consolide la position du Siam dans le Laos Occidental.
Après la Deuxième Guerre mondiale, le traité franco-thaï de Washington (1946), qui restitue à la France le territoire de
Xayaboury, Champassack et Xédaun, marque la fin de toute légitimité du pouvoir laotien sur le Laos Occidental.
Aujourd’hui, la démarche de délimitation de frontière entre le Laos et la Thaïlande est encore à l’ordre du jour concernant
la province de Xayaboury.
700 La réforme agraire a été mise en place indirectement à travers des dispositifs généraux, dès 1976, pour la
« construction du régime de dictature prolétarienne ». Nous retrouvons sa mise en application dans la définition du rôle
des ouvriers agricoles. La réforme agraire proprement dite est plus explicite dans le plan de trois ans mis en place entre
1978 et 1981.
701 La réforme agraire impose une collectivisation du travail et de la production, une redistribution collective du riz.
Traditionnellement les travaux agricoles sont communautaires, les agriculteurs pratiquent la main-d’œuvre tournante :
après avoir terminé les travaux de ses propres champs, on va aider les voisins. La moisson se termine par une fête de la
récolte commune, boun kong khao [[6odv’g0Qk] ; chaque propriétaire conserve le produit de ses rizières. Les semences sont
parfois échangées pour les saisons suivantes. Ceux qui ne possèdent pas de rizière peuvent la défricher ou la louer, en
contrepartie, ils donnent un tiers de la récolte au propriétaire. Si les paysans laotiens ont un sens fort de la communauté et
de la solidarité, ils ignorent le sens du collectivisme que le socialisme propose. L’expression “régime communisme” est
traduite par latthi kong kang []afmydv’dk’], littéralement “régime ou l’on cumule un tas au milieu”. Cette traduction n’est
pas due au hasard, mais au pragmatisme de la culture paysanne. Le mot kong [dv’], tas, se réfère au tas de riz après avoir
été séparés de leurs panicules. Par cet emprunt lexical au monde agraire, le monde paysan domine la sémantique en
interprétant à sa manière l’idéologie du régime. En occurence, le paysan est le premier à refuser le régime tel qu’il se
présente et pratiqué au Laos. 702 La rationalisation est pratiquée au sein de la structure de l’État. Les fonctionnaires reçoivent, dans les premières
années, des tickets pour échanger contre les produits dans les magasins de l’État : le lait en poudre, le sucre, la viande, etc.
Les produits proviennent majoritairement des pays socialistes (notamment l’URSS et Cuba). Dans les villages on rationne
autrement : pour tuer un coq ou un cochon de son élevage de subsistance, on doit demander l’autorisation aux autorités
locales. Passer outre équivaut enfreindre les règles du collectivisme. Ces écarts peuvent être sanctionnés par des séjours en
“séminaire” ou des séances d’autocritique, qui dévalorisent l’individu devant la communauté. Le Laotien de base vit
l’autocritique comme une menace pour son honneur et sa dignité. “Perdre la face” a une grande importance malgré un Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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induisait inévitablement un système de distributions parallèles : le marché noir alimenté par la
Thaïlande et par la “ débrouille ” locale. Le kip connut une dévaluation spectaculaire : la population
transportaient dans des sacs de riz cette devise pour aller l’échanger contre le nouveau kip potpoy,
“kip de libération” [du[xqfxvjp], monnaie du nouveau régime.
Parallèlement et malgré les chocs pétroliers des années 1970,703 l’économie thaïlandaise a
poursuivi un développement rapide avec des investissements étrangers et locaux significatifs, et a
connu un taux de croissance élevé. Ses villes au bord du Mékong et dans la région Issan, qui étaient
plus pauvres que les villes du bassin de la Ménam, ne cessaient de se développer. Le gouvernement
thaïlandais, de peur d’un rapprochement entre la région Issan et le Laos communiste, révisa ses
anciennes politiques en Issan, qui consistaient surtout à “exploiter” ses ressources naturelles en se
préoccupant peu de sa population, laissée dans la pauvreté (du point de vue des habitants de
l’Issan). Sous l’impact de ces nouveaux investissements, la région Issan commençait à se
développer davantage et les villes connurent une période d’extension et de croissance économique
importantes. Le taux d’urbanisation était progressif, même si l’exode rural – des provinces vers
Bangkok – atteignait des records durant cette période. Pour leur part, après avoir absorbé un très
important exode rural à la fin des années 1960 et au début des années 1970704 – en proportion de la
population du pays –, les villes du Laos se vidèrent de leur population, et ceci de manière assez
brutale. Une partie de la population fuit le nouveau régime et partit à l’étranger. Il fallut attendre
quelques années, bien après l’introduction d’une deuxième réforme agraire, pour que l’exode de la
population paysanne ralentisse705 ; celui des habitants de la ville vers l’étranger continuant jusqu’au
milieu des années 1980. À cette période, les investissements intérieurs et extérieurs étaient quasiinexistants.
C’est durant ces années que sont apparus les premiers écarts entre les villes et territoires des
deux rives du Mékong, qui avaient pourtant, à l’origine, des caractéristiques semblables. Ceci aura
des conséquences importantes sur l’aspect des villes et leur développement futur. C’est dans ce
contexte difficile, faisant face à des enjeux politiques et économiques, des défis spatiaux et humains
multiples, que le nouveau régime a dû mener le pays vers le “monde nouveau” qu’il se promettait
de construire. Ce grand projet de société, avec sa nouvelle représentation, était une hétérotopie qu’il
a fallu confronter à la réalité de l’histoire du Laos, celle de la société et des hommes. Avant que le
projet de société n’ait pu être conduit à son terme, cette confrontation força le régime à mener une
réforme au sein de son appareil institutionnel et à adopter une nouvelle orientation politique et
économique. Outre cette confrontation interne, les impératifs de la réforme étaient surtout dus aux
conséquences de l’effondrement du bloc socialiste, dans l’ex-Union Soviétique et en Europe.
La période de transition que constitue la période 1975-1995 peut être analysée en trois
temps : le premier est marqué par les enjeux que le nouveau régime a rencontrés et les défis qu’il a
dû relever au moment de sa proclamation ; le deuxième est caractérisé par la représentation et la
perspective nouvelle que le régime avait formulées pour la nouvelle société qu’il se proposait
d’édifier ; le troisième est le temps des bilans et de la réforme suscitée tant par les facteurs internes
qu’externes.
régime qui feint de l’ignorer, surtout dans une période où l’intégration sociale est fixée en référence à la vertu
révolutionnaire. 703 Le 1er et 2e chocs pétroliers ont lieu sur la période 1973-1980. In. Hugues Tertrais, Asie du Sud-Est : enjeu régional ou
enjeu mondiale ? éd. Gallimard, coll. Folio/Actuel, Paris, 2002 ; Asie tiers du monde, IRASEC, éd. ERES, coll. Outre- terre Revue française de géographie, 2003.
704 L’exode rural des années 1960, 1970 concerne les réfugiés qui quittent les zones libérées et les zones de combat pour
rejoindre les zones contrôlées par le gouvernement de Vientiane. Les réfugiés s’arrêtent d’abord dans les villes les plus
proches, souvent des capitales régionales, puis lorsqu’ils y trouvent du travail et de la famille installée avant, ils y restent,
sinon, ils rejoignent Vientiane. 705 La 2e réforme agraire a lieu vers 1980, lorsque prend fin le plan de trois ans. In. Le développement de l’État Lao,
Phongsavat Boupha, Imprimerie Nakhone Luang, Vientiane 2005. En Lao.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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CHAPITRE I
Temps un : les enjeux spatiaux, humains et économiques, un défi pour le
nouveau régime
Le nouveau leadership politique, à sa prise de pouvoir, trouve un pays désorganisé par les
guerres, civile et internationale, que ce dernier et ses habitants venaient de traverser. Les enjeux
étaient de réussir à reconstruire le pays et d’en rétablir la cohérence territoriale à partir d’une
nouvelle base idéologique et politique et avec des hommes nouveaux. Le défi à relever était ainsi à
la fois spatial, humain et économique.
I. I. Les enjeux et les défis spatiaux : faire table-rase, légitimer, durer
Les données humaines dans ce contexte sont liées à l’espace et à sa représentation.
L’espace est porté et légitimé par les hommes, et à leur tour les hommes sont représentés dans et par
l’espace. L’acte de déformation des hommes porteurs d’un espace que l’on voulait abolir participe
clairement à la destruction de cet espace. La table-rase de l’espace de représentation de l’Ancien
Régime doit donc être accompagnée de la table-rase sociale, du moins la table-rase des valeurs que
portait cet espace de représentation afin que le nouveau pouvoir puisse instaurer et construire sa
propre représentation. C’est ce qu’a entrepris le nouveau régime dès son arrivée au pouvoir : la
destruction des anciens symboles. Cependant, que ce soit les données spatiales ou humaines, les
représentations nécessitaient un processus de construction ancré dans l’histoire de ceux pour qui
étaient réalisées les représentations. Autrement dit, ces représentations appelaient une phase de
légitimation. Or si le nouveau régime possédait le pouvoir de déconstruire et de construire, il ne
portait pas la légitimité de représenter. L’espace fort est une construction de l’histoire que l’on ne
peut remplacer instantanément. L’instauration d’une nouvelle représentation devient dès lors ardue
devant les réalités constituées par l’histoire, ancrées dans les mentalités. La réappropriation de
l’espace a été préconisée dès les premières années du régime, la vision globalisante a été choisie à la
vision particulière, afin de pouvoir contrôler et s’approprier l’ensemble du territoire sans distinguer
l’ancien « fief de l’ennemi » du « territoire des libérateurs ».
I. I. a. La destruction des symboles anciens et la création de nouveaux
La société bourgeoise, liée aux capitaux et au pouvoir de l’Ancien Régime, n’ayant pas un
enracinement très profond dans la société laotienne ; elle peut disparaître assez rapidement avec
l’abolition du système sur lequel elle reposait. Les séminaires politiques, les emprisonnements et la
confiscation des biens, qui symbolisaient le pouvoir économique et politique que ses membres
détenaient, entérinent la destruction de cette société, considérée comme paria après 1975.
Cependant, la société laotienne de l’Ancien Régime n’est pas uniquement bourgeoise. Elle est
hiérarchisée mais pas stratifiée. Elle est surtout marquée par un système de lignage ou de cousinage
qui peut relier des individus issus de la paysannerie aux membres de l’aristocratie, des commerçants
aux lettrés, et ainsi de suite. Dans une telle société, la monarchie, qui symbolisait l’histoire et
l’unification du pays et de son peuple plus que la hiérarchisation sociale, est difficile à faire
disparaître. Pour construire les nouvelles représentations et les nouveaux symboles, il faut avant tout
abolir les anciens symboles, réunis et représentés par le pouvoir monarchique. Mais cela ne suffit Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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pas, il faut que tous les signes qui lui sont liés soient également détruits. Dans ce contexte, une
question importante a été soulevée dans le milieu révolutionnaire nationaliste : « Comment
construire une société juste pour laquelle la révolution était sensée faite ? »
706 La réponse à cette
question a toujours été différée. Aujourd’hui, elle n’est toujours pas débattue bien qu’elle ait été
soulevée, discrètement, testant le degré d’ouverture du régime.707
L’abdication du roi et la disparition du symbole
Après avoir forcé le roi Savang Vatthana à abdiquer et prononcer l’abolition de la
monarchie constitutionnelle, ainsi que l’instauration de la République démocratique populaire, le
nouveau pouvoir nomme l’ancien monarque comme conseiller suprême du Président de la RDPL ;
il déchoit le Prince Souvanna Phouma de son poste de Premier ministre, dissout son gouvernement
de coalition et le nomme conseil du nouveau gouvernement. Cependant malgré l’abolition du
système monarchique et de toutes les institutions qui l’accompagnaient, l’ancien monarque ne peut
pas se travestir en “camarade Vatthana” aux yeux de la population. Il demeure le symbole d’une
histoire ancienne qui gêne la marche du régime communiste dans son projet de fondation d’un
monde nouveau. Le nouveau pouvoir craint que la visibilité de l’ancien symbole ne soit le
déclencheur d’un mouvement de restauration, d’autant plus que les opposants au régime
s’organisent à la frontière thaïlandaise et entretiennent une guérilla au sud et au nord du pays.
Coupable d’être le représentant d’un système que le pouvoir combattait, l’ancien roi est placé en
résidence surveillée à Luang Prabang et, en 1977, le couple royal – Savang Vatthana et
Khamphoui – ainsi que le prince héritier Vong Savang sont discrètement arrêtés et envoyés au camp
de rééducation à Viengxay, d’où ils ne sont jamais ressortis comme beaucoup d’autres
“séminaristes”
La transformation de la communauté religieuse
Il s’agit pour le régime de tenir un discours clair et précis sur la religion : c’est un vrai
“débat” idéologique. L’endoctrinement est préconisé à la place des camps de rééducation en ce qui
concerne les affaires religieuses ; et c’est à l’intérieur de la communauté du Sangha elle-même que
la transformation se réalise, puisqu’il n’y a jamais eu de camps de rééducation pour les religieux.
Dans de rares cas, lorsque certains religieux tiennent un discours gênant pour l’idéologie du régime,
ils doivent être défroqués avant d’être envoyés au séminaire. L’image de moines envoyés aux
camps de rééducation aurait été trop choquante pour la population. Les séminaires sont organisés
dans les pagodes, où la formation politique est inscrite au programme de formation des religieux.
Les travaux collectifs sont aussi attribués à toute la communauté monastique. En théorie, beaucoup
de jeunes idéologues laotiens marxistes-léninistes ont tenté de démontrer à la communauté
religieuse que le communisme pouvait se rapprocher du bouddhisme, voir le remplacer.708
La transformation du rapport interpersonnel : l’institution familiale
Dans l’ancienne société laotienne, la famille et la parenté sont quasiment une institution. La
cellule familiale peut incarner ou faire naître un certain nombre de valeurs sociales. Probablement
pour cette raison, elle doit être revue. Le comité populaire, à travers l’autorité du village et à travers
706 Discussion avec un ancien révolutionnaire retraité, membre du PPRL. Il nous dit : « En effet, je n’ai pas fais trente ans
de révolution pour enfin retrouver ma maison mais constater en même temps que tous les membres de ma famille sont
partis ou exilés ou vivant dans la peur. » (Vientiane 2004) 707 Notamment, il s’agit d’une allocution en juillet 2011 à l’Assemblée nationale d’un député de Vientiane, Khampheuy
Pannemalaythong – qui siège au secrétariat du PPRL (vue sur YouTube). Il questionne, entre autres, la morale de
combattant révolutionnaire et l’idéologie marxiste-léniniste dans la construction de la société laotienne. Il appelle à une
relation apaisée et réconciliée à l’intérieur de la communauté nationale, sans distinguer les Laotiens de l’intérieur de ceux
de la diaspora. Il dénonce le fait de traiter d’ennemis et de réactionnaires ceux qui ne partagent pas l’idéologie du régime.
708 Les idéologues font un parallèle entre la vie communautaire du sangha et le communautarisme, le collectivisme
communiste, entre le renoncement aux biens matériels individuels des religieux – du moins dans le fait que les avoirs
traditionnels des moines sont réduits au strict minimum – et la privation communiste du droit de propriété privée. Cf.
Martin Stuart-Fox.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’école, s’immisce dans la vie privée des familles. L’embrigadement à l’école permet aux enfants
d’avoir un autre regard sur la famille, par exemple de prendre la responsabilité “d’éduquer” aussi
leurs parents. Les enfants gardent en fait un œil sur leurs actions pour s’assurer qu’elles sont
conformes à la nouvelle morale. Sur les recommandations des maîtres d’école et des professeurs, ils
peuvent empêcher leurs parents de quitter le pays ; d’acheter des produits au marché noir, surtout
avec des dollars ou des baths ; d’avoir des contacts avec les “réactionnaires” qui viennent semer le
trouble sur la rive gauche ; d’écouter de la musique occidentale ; de garder chez eux des images ou
des objets illicites qui appartiennent ou symbolisent l’Ancien Régime. Le Nouveau Régime mène
en quelque sorte des actions pour “affranchir” les enfants de l’emprise familiale. Dans le cas où les
rapports parents-enfants sont déjà fragiles, l’embrigadement réussit souvent. Dans certaines grandes
familles de l’Ancien Régime, on voit parfois des adolescents s’engager dans l’armée populaire ou
devenir fervents défenseurs des séminaires politiques, alors que les autres membres de la famille
peuvent tenter de quitter le pays clandestinement ; en ce cas, la délation des membres de leur propre
famille arrive fréquemment. On voyait aussi les cas contraires, où des parents demandent au comité
populaire du village d’envoyer les enfants les plus turbulents faire leur éducation dans les camps
pour la “jeunesse dépravée” ; d’après eux « cela ressemble au camp de scouts ». Ainsi, les valeurs
propres à chaque famille peuvent être bafouées et l’éducation fondamentale remise en question.709
La transformation du corps enseignant et le rapport qu’il entretenait avec la jeunesse
Le corps enseignant rajeunit à vue d’œil. Certains jeunes sont dévoués et enthousiastes pour
participer à la construction de la nouvelle société. Beaucoup d’entre eux se portent volontaires et
s’engagent dans les écoles de campagne après avoir reçu des formations politiques rapides.
D’autres, volontaires ou pas, sont envoyés dans les provinces éloignées de leur famille. L’image
sévère et paternaliste des maîtres d’école disparaît pour laisser la place aux jeunes institutrices et
instituteurs que l’on appelle désormais euil khrou et aï khrou (grande sœur et grand frère
instituteur). Ce sont des camarades qui sont plus âgés et qui guident les élèves pour des activités
collectives plus que des instituteurs qui enseignent.710
La transformation des rapports sociaux
Le rapport hiérarchique et relationnel est également modifié. La hiérarchisation sociale
ancienne, fondée beaucoup sur l’âge et la connaissance, puis sur le statut social et la fonction des
personnes, a été refondée sur de nouvelles bases. Idéologiquement, le nouveau pouvoir veut
instaurer une société égalitaire. Mais il n’a ni le temps, ni les nouveaux programmes politiques pour
le réaliser. Les actions sont menées dans l’urgence et portent sur le nivellement social. La morale
révolutionnaire, imprégnée de marxisme-léninisme, introduit les notions de « camarade » et de
« compagnon ». Ce sont des notions inconnues pour les Laotiens. D’après eux, elles frôlent le
ridicule et prêtent à rire du point de vue linguistique.711 Effectivement, si les villageois acceptent,
voire revendiquent, le principe d’une société plus juste qu’apporterait le nouveau régime, voir un
vieux chef de village interpelé d’un « camarade ! » par un jeune agent administratif de l’État en
détachement à la campagne est considéré comme ridicule. Sur ce fait, les “personnes de souche”
considèrent que « les jeunes révolutionnaires sont odieux et mal éduqués, ils ne distinguent pas ce
qui est haut de ce qui est bas. Ils ne savent pas utiliser le langage comme il faut ».
712
709 Notons par exemple que les tatouages, le port de jeans ou de cheveux longs pour les garçons sont considérés comme
dépravés. Ayant des frères et beaucoup de cousins adolescents à l’époque, ma famille a beaucoup de souvenirs de cette
période : deux frères convoqués plusieurs fois pour leur tatouage, un autre (âgé de 16 ans en 1976) emprisonné durant une
semaine pour avoir accompagné chez elle en vélo une camarade de classe à 9 heures du soir.
710 Cf. Note ibid. Vers 1976-1977, j’ai moi-même connu de très jeunes institutrices qui venaient de province. 711 Encore aujourd’hui, on pourrait recueillir les termes et les expressions qui ont fait l’objet de parodie à l’époque et
constituer un véritable lexique.
712 Propos du vieux chef de village de Ban Donoune (la plupart des Pô ban sont des thit ou des chane, titres portés après
avoir quitté la robe monastique), furieux de se faire traiter de « camarade ».Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Dans de telles situations, la mise en place du nivellement social rencontre des difficultés.
Au lieu d’une société parfaitement nivelée, on constate qu’il y a beaucoup d’irrégularités,
d’éléments de résistance, liés aux habitudes. Si la société laotienne peut se réjouir d’obtenir l’égalité
des droits et des chances devant la loi, elle ne peut se consolider avec la disparition de la
hiérarchisation sociale qui la constituait car elle repose beaucoup sur ce principe (c’est
probablement encore le cas aujourd’hui). Pour la changer, il faut alors la déstructurer et remettre en
cause ses anciens fondements. C’est ce qui a été tenté à l’époque, même si vingt-cinq ans après, le
régime revient sur certains de ces fondements. Malgré les résistances, le nivellement social
symbolisé par la notion de camaraderie transforme peu à peu les rapports sociaux existants. La
hiérarchisation sociale traditionnelle, qui structurait la vie des villages et qui indiquait le niveau de
civilité de leurs membres leur assurant une bonne cohésion, change peu à peu de nature. La
personne la plus respectée ou la plus crainte n’est plus le vieux chef du village, le médecin, l’ancien
phraya ou l’ancien phya, le médium phô lam ou le maître de cérémonie, mais celui qui a participé à
la révolution, capable d’animer les réunions politiques, celui qui tient une place importante dans la
hiérarchie du PPRL, détaché à l’échelon villageois. Ainsi apparaissent de nouvelles valeurs.
I. I. b. La réappropriation de l’espace : d’une vision partiale vers une vision globale
Il faut contrôler et s’approprier le territoire dans son intégralité ; de zones partitionnées et
multiples, il faut passer à une pensée du territoire unifié et unique. Tout en concevant le Laos dans
son intégralité, le nouveau pouvoir gère le pays en privilégiant la campagne, d’où les dispositifs à
supprimer l’autorité administrative de la ville pour rattacher cette dernière au pouvoir administratif
provincial, nouvellement créé. Par exemple à Vientiane, on supprime l’administration de la
préfecture urbaine pour la rattacher à l’administration de la province. Avant d’évoquer la
réorganisation administrative et les situations frontalières du territoire dans les premières années du
régime, notons des faits portant sur la place qu’occupent les campagnes et les villages dans la
politique territoriale du régime. Influencé par le marxisme-léninisme, il considère que les villes sont
la production et les faits des sakdina, des bourgeois, qui exploitaient la campagne. De ce fait, les
villages et le monde rural doivent constituer le territoire de prédilection pour propager l’idéologie du
communautarisme et du collectivisme. Or, comme nous l’avons noté, la campagne et le monde
villageois appartenaient à l’entité du muang. On retrouvait dans la société villageoise traditionnelle
ce que l’on trouvait dans la société du muang, entre autres les mêmes acteurs du pouvoir, et la
société villageoise était aussi hiérarchisée que la société du muang. La distinction sociale entre le
village et la ville, dans le principe de la gouvernance, est une conception occidentale née dans la
société industrielle, situation que le Laos n’avait pas connue. Le fait que le marxisme-léninisme
laotien oppose exagérément ville et village éloigne l’analyse de la réalité. À cause de cette
idéologie, le nouveau régime s’occupe beaucoup du milieu rural ; il en fait même l’apologie. Dans
les spectacles, on montre que la campagne est laborieuse et productive. Ne rencontrant pas vraiment
de prolétaires, le nouveau régime trouve dans la paysannerie les justificatifs de ses idéaux. C’est
pour le peuple, le paysan, que la révolution a été faite.
La réorganisation administrative
Pour comprendre l’organisation générale de l’administration que le nouveau régime met en
place, nous renvoyons le lecteur au paragraphe traitant de la réforme administrative (II. I. a.). Dans
cette section, nous voulons souligner la difficulté pour le régime de mettre en place une
administration en mesure de gérer tout le territoire.
Les provinces du Laos connaissent une réorganisation générale après la prise en main du
pays par le PPRL pour mettre en place l’administration locale. Entre 1976 et 1980, certaines
provinces et districts sont supprimés, d’autres créés. C’est le cas de Muang Vang Vieng et Muang
Paksan, redevenus des muang de la province-préfecture de Vientiane ; de Muang Hom et Muang
Kéo Oudom, nouvellement créés ; de Muang Kasi, détaché de Luang Prabang pour être rattaché à la
province-préfecture de Vientiane ; de Muang Phanthaboun et Thadeua, supprimés. L’administration Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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locale, inerte dans les premiers mois du régime – les efforts étant concentrés sur l’abolition de
l’ancien système –, fonctionne de nouveau dans une nouvelle structure basée sur les décisions prises
par le comité populaire. Le comité administratif populaire est instauré à ce moment-là à tous les
échelons : de la province au village, remplaçant l’ensemble de l’administration locale ancienne.
C’est en affectant les agents de l’État à tous les échelons administratifs que le nouveau pouvoir
mesure l’ampleur de la restructuration du pays et constate le manque de ressources humaines. C’est
seulement en réussissant cette affectation que le nouveau régime peut prétendre contrôler la totalité
du territoire, prenant ainsi en compte les spécificités des régions qu’il ne contrôlait pas auparavant.
Aussi, il consacre beaucoup d’efforts pour installer cette administration locale. Une des réussites du
régime a été la bonne répartition du pouvoir de l’État jusqu’à la cellule du nouay – nouvelle unité,
composée de dix maisons au maximum – afin de bien diffuser les décisions et recommandations
centrales.
En ce qui concerne l’administration centrale, le travail du pouvoir exécutif est plus
concentré sur les questions politiques et moins sur le système administratif du pays, qui a recours à
l’arbitrage et aux décisions prises de manière consultative, au cas par cas. La rencontre de la
planification théorique avec la réalité et le travail de terrain, rend celle-là souvent caduque, obligeant
à organiser des consultations collectives chaque fois pour permettre la prise de décision. Cette
méthode, adéquate dans la zone libérée en temps de guerre, se révèle inadaptée en temps de paix
pour gérer l’ensemble du pays. Quoiqu’il en soit, cette méthode utilisée au début perdure et s’ancre
dans le système administratif du régime ; elle a subsisté jusqu’à aujourd’hui. Par exemple, pour faire
appliquer une loi, prendre des décisions ou trancher dans une affaire, les juristes disent que, parmi
les difficultés à surmonter, il y a les habitudes de l’appareil décisionnel intermédiaire calées sur la
pratique des hauts dirigeants du régime. Cela consiste à convoquer des responsables en réunion pour
prendre une décision à main levée, permettant à celui qui est habilité à les prendre de s’y référer713 –
et cela, même si les articles de loi et les décrets d’application existent.
Quelle place tiennent les provinces frontalières après 1975 par rapport à la région ?
La situation physique des provinces à l’investiture du nouveau régime dépendait
entièrement de la situation politique entre le Laos et les pays voisins. Elle était à l’image des
relations politiques des pays, de leur rôle à la fin de la guerre du Viêtnam et dans l’accession au
pouvoir du PPRL.
La région frontalière avec la Thaïlande
Comme nous l’avons déjà souligné, les territoires de la vallée du Mékong et les villes
proches de la frontière avec la Thaïlande sont dans une situation ambiguë. Ils sont coupés du monde
occidental et de la Thaïlande ; ils conservent cependant un lien avec ce pays du fait du marché noir
et de l’exode d’une partie de la population laotienne, recueillie dans les camps de réfugiés sur le sol
thaïlandais. Par ailleurs, la Thaïlande donne asile aux opposants du régime, qui forment des
groupuscules de guérilla. Les provinces frontalières occidentales constituent ainsi les marches de la
guérilla. Pendant les dix premières années du pouvoir communiste, les incursions armées des
résistants sont fréquentes, provoquant des affrontements. Le PPRL et l’armée populaire concentrent
leurs efforts pour sécuriser ces provinces et mettre les opposants hors d’état de nuire. Lorsque les
conflits frontaliers éclatent entre le Laos et la Thaïlande – à propos de trois villages à Sayaboury –
les groupuscules de résistants, les Laotiens bloqués en Thaïlande (dans les camps de réfugiés ou
dans les maquis) doivent faire profil bas pour y rester. Ces derniers, comme la diaspora lao,
soutiennent la politique du gouvernement communiste de défense de la frontière occidentale, même
s’ils s’opposent idéologiquement, politiquement et militairement au gouvernement communiste. La
713 « La gestion du Laos est encore l’affaire des combattants, c’est comme ça que nos aînés gèrent le pays. Il faut attendre
une autre génération, celle qui est née avec la loi et les structures administratives pour que le pays soit gouverné avec des
règles, des codes et des lois, sans recours à des décisions ad hoc à main levée, qui rend responsable tout le monde et
personne. » Discussion en 2004 à Vientiane avec un juriste de 35 ans qui désire garder l’anonymat.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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chasse aux résistants laotiens stationnés en Thaïlande commence alors pour le gouvernement
thaïlandais. Puis, lorsque le traité de paix est signé entre les deux pays, la politique thaïe change de
cap : la “chasse” aux résistants devient quasiment officielle, pour réactiver les liens politiques avec
la RDPL et entamer une nouvelle relation fondée sur les relations commerciales et économiques. Le
gouvernement thaï préconise le renvoi des réfugiés et la fermeture des camps, différée sous la
pression du HCR, mais qui devient effective au début des années 1990 ; il ferme aussi les yeux sur
les assassinats des membres de la résistance lao sur son sol.714
La région frontalière avec la Chine
La frontière avec la Chine est de bon augure, conformément à l’entente cordiale que le
gouvernement lao entretient avec ce pays. Les échanges fructueux se traduisent par des échanges
culturels très importants, prolongeant les soutiens que la Chine donnait au gouvernement de la zone
libérée.715 Cependant, le conflit entre la Chine et le Viêtnam, qui a lieu en 1979, refroidit la relation
politique entre la Chine et le Laos, ami déclaré du Viêtnam. L’armée vietnamienne stationne en
nombre dans les deux provinces nord du Laos, à la frontière avec la Chine. Cela lui permet de
s’engager jusqu’à plus de 50 kilomètres dans le territoire chinois durant les affrontements armés. Si
l’armée laotienne ne participe pas directement aux affrontements, le territoire du Laos sert et
avantage incontestablement l’armée vietnamienne. Cependant, la Chine n’intervient pas
militairement au Laos. En revanche, durant cette période de crise, elle propose l’asile aux réfugiés
laotiens des camps de Thaïlande en les installant dans des fermes d’État. Près de 5 000 réfugiés
auraient ainsi été recueillis en Chine.716 Beaucoup d’entre eux font partie de la résistance. L’un de
leurs objectifs est de pénétrer par le Nord du Laos, armés par les Chinois, pour libérer les personnes
retenues dans les séminaires dans le Nord du Laos.
Malgré ces incidents, le Laos maintient sa relation diplomatique avec la Chine. Dans le
rapport du IVe congrès du PPRL, le gouvernement laotien place la Chine dans une position différente
du Viêtnam : ce n’est ni une relation spéciale, ni une relation cordiale et de partage idéologique que
la Chine lui inspire en 1986 ; la Chine est une grande puissance membre permanent du conseil de
sécurité des Nations-Unies qui joue un rôle majeur dans la paix et la sécurité en Asie : « Nous
espérons que notre pays et la République populaire de Chine retrouveront une relation normalisée
sur la base du respect réciproque […] ». Cet énoncé rappelle que les relations diplomatiques entre
la Chine et le Laos sont maintenues et que le Laos espère retrouver le niveau de relations étroit
d’avant le conflit sino-vietnamien.717 Il tente en fait de corriger la politique provietnamienne de
1979, identifiée dans de nombreux rapports politiques. Par exemple, dans un document officiel édité
en 1980 par le Comité de propagande et de formation du Comité central du PPRL, on lit : « En
trahissant notre régime marxiste-léniniste, en trahissant la révolution mondiale, les expansionnistes
territoriaux Chinois se sont clairement rendus complices des impérialistes [américains] pour
714 Les opposants de la diaspora attribuent l’assassinat des Laotiens en Thaïlande au service de sécurité de la PPRL. C’est
ainsi que les dernières personnalités de la résistance rejoignent leur famille en France et aux Etats-Unis, après plus de dix
ans passés à sillonner la frontière, aidées par les villageois thaïs frontaliers, majoritairement d’origine lao. Ce phénomène
est avéré dans la région de Oubon Rajthani, face à Champassak, et de Moukdahane, face à Savannakhet. 715 Un consulat chinois sur le mont Phu Fa à Phongsaly, installé au début des années 1960, rappelle encore le soutien et
les relations diplomatique et militaire passées entre la Chine et le gouvernement Néo Lao Hak Sat. C’est aujourd’hui un
hôtel.
716 Il aurait été possible militairement que la Chine intervienne au Laos, d’une part pour régler les problèmes avec le
Vietnam, d’autre part pour démontrer l’occupation du Laos par l’armée vietnamienne. Elle tenait probablement à garder
une relation politique claire avec le Laos, car il n’y avait pas eu de différend entre les deux pays. D’après Fabrice Mignot,
2 700 personnes furent recueillies en Chine dans ce cadre. À celles-ci s’ajoutent les « 1 250 réfugiés venus directement au
début des années 1980 (Bamber 1992) ainsi qu’un millier d’opposants thaï lao équipés par l’armée chinoise, la ‘division
Lan Na’ ». In : F. Mignot, « Le rocher de la prospérité. La réinsertion des réfugiés au Laos. » Horizon. Documentation.
Ird. fr Sur cette question, j’ai revu dans le camp de réfugiés (en 1978 ?) mon ancien maître d’école Naï khou Phet avant
qu’il ne parte pour la Chine avec quelques-uns de ses anciens élèves du primaire. Nous leur avons offert des broderies
sensée représenter le drapeau du Laos : ce sont des broderies d’enfant avec des têtes d’éléphant tricéphale.
717 Rapport du IVe congrès du PPRL, 1986.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 421 -
détruire la révolution laotienne dans l’espoir d’annexer tant le Laos que le Viêtnam et le
Cambodge. »
718
La région frontalière avec le Viêtnam
Le Viêtnam a joué un rôle majeur dans l’instauration du nouveau régime. Il était son
principal instigateur à travers le PPRL et à travers son armée, qu’il soutenait. Le PPRL inculque à
toutes les générations que le Laos a une dette morale et matérielle vis-à-vis du Viêtnam et du PCV.
Ces derniers ont combattu à ses côtés et l’ont aidé à gagner la guerre contre les “impérialistes”. Bien
que la liaison géographique entre les provinces laotiennes et vietnamiennes n’est pas aussi aisée
(sauf à Sam Neua) que celle reliant le Laos à la Thaïlande, la frontière entre les deux pays est très
perméable, favorisée par une fraternité combattante et une idéologie commune. Pourtant, un certain
nombre de personnes – se définissant comme nationalistes – défendent aujourd’hui l’idée que la
frontière orientale du Laos n’était pas aussi ouverte qu’il y paraît. Ils affirment qu’il y a souvent eu
des affrontements entre les armées vietnamienne et laotienne, celle-ci défendant ses frontières
devant l’expansionnisme des Vietnamiens, malgré le lien sacré entre le PPRL et le PCV.719 Ces
nationalistes se résignent probablement à accepter que la frontière est une « limite établie en
fonction d’un rapport de forces à un moment donné », comme le considèrent les Vietnamiens, et
dans le rapport de forces actuel, c’est le Viêtnam qui l’emporte.720
À l’échelle urbaine : l’état des villes
Que devient la ville, compte tenu de l’intérêt du nouveau pouvoir pour la campagne ? C’est
la question posée pour comprendre la pratique habitante dans ce nouveau contexte, la place
qu’occupe la ville dans les toutes premières années du régime.
Le sol à l’échelle parcellaire, l’habitat à l’échelle individuelle et les lieux de loisirs
ressemblent à un espace abandonné, la majorité de la population urbaine ayant quitté leurs
habitations, les laissant vacantes un laps de temps avant qu’elles ne soient réoccupées par une
nouvelle population venant de la campagne et de la zone libérée. Les lieux de loisirs urbains (club,
dancing, cinéma, restaurants, etc.) ferment leurs portes. Les habitants sont mobilisés pour les
travaux collectifs et concentrent leurs efforts sur la production – mot d’ordre du gouvernement. La
ville devient laborieuse : l’image qu’elle offre est pittoresque. Des centaines de personnes
s’affairent sur les routes des villages et dans les rues des villes ; les week-ends, ils sont des milliers
dans les canaux de Vientiane ou dans les rizières na sèng,
721 affectés aux travaux collectifs
d’entretien des ouvrages urbains et de la production agricole. Mise à part, cette manifestation
collective obligatoire dans les lieux publics et communautaires, qui ne peuvent remplacer les
services techniques et urbains malgré leur importance, les villes ressemblent à des villes fantôme.
Les équipements ne sont plus entretenus, les feux tricolores restent inutilisés, l’éclairage public ne
fonctionne presque plus. Les compartiments commerciaux des centres urbains, s’ils ouvrent encore
leur devanture, sont privés de produits à vendre. Les rues sont noires dans la nuit, et le jour, on voit
de rares voitures et beaucoup de vélos. Seules, les voitures des corps diplomatiques et des experts
718 Page historique de la lutte héroïque du peuple lao, comité de propagande et de formation du Comité central du PPRL,
édité par l’imprimerie de la RDPL, Vientiane 1980.
719 Ces incidents n’auraient jamais été divulgués pour des raisons politiques. Ces informations ont été recueillies auprès
d’anciens révolutionnaires à la retraite (à Vientiane en 2000) et auprès d’un Laotien ancien étudiant en Tchécoslovaquie (à
Paris en 1994). En 1979 lors des manœuvres militaires, l’animosité et la tension chez les militaires laotiens, auprès
desquels il effectuait son stage de « travaux pratiques de terrain », sont clairement exprimées vis-à-vis des militaires
vietnamiens, à propos de la question des frontières. Les militaires disent par exemple que Lak Sao (kilomètre 20) est une
dénomination codée pour que les Laotiens n’oublient jamais que le Vietnam a déplacé sa frontière en empiétant de 20
kilomètres sur leur territoire. Nous n’avons pas trouvé de sources écrites qui confirmeraient ces allégations. Les
recherches de Savèng Phinith et de Bernard Gay, s’appuyant sur les sources officielles (les derniers traités) et les cartes,
manquent de précision cartographique pour les confirmer ou les infirmer.
720 Cf. P-B. Lafont (éd.), Les frontières du Vietnam. Histoire des frontières de la péninsule Indochinoise. Ouvrage
collectif. Ed. L’Harmattan, Travaux du Centre d’Histoire et Civilisation de la péninsule Indochinoise, Paris 1989, 268
pages, 14 cartes. Cf. aussi Antunes Paul. Compte rendu de l’ouvrage in : BEFEO. Tome 78, 1991. Pp. 358-359. 721 Rizière irriguée effectuée comme deuxième récolte de l’année.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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des Nations-Unies, le minimum maintenu dans le pays, traversent encore les rues désertes de la
capitale. Citons le cas de Savannakhet et son quartier de cinémas situé dans l’ancien centre ville
coloniale. Abandonné – probablement pillé dans les deux premières années du régime –, le
complexe construit à partir de la fin des 1950 est aujourd’hui encore à l’état d’abandon, devenant
une friche foncière en plein cœur de la ville. Le centre de la ville est inanimé, tout se développe à
l’extérieur. La ville garde quasi-intact le souvenir de son délaissement après la révolution.
Les enjeux spatiaux en milieu urbain, pour l’État, sont de récupérer le plus possible des
habitations abandonnées par leurs propriétaires ou d’en confisquer à ceux qui en possèdent trop. Les
espaces vacants sont tels qu’ils économisent à l’État des moyens considérables, s’il avait eu à
construire des logements pour les nouveaux habitants des villes. L’enjeu est également d’instaurer
un sentiment d’appropriation et de maîtrise de ce territoire qui avait appartenu aux réactionnaires,
d’y assurer une sécurité interne. La ville est considérée comme un lieu de diversité, de
contradiction, de liberté et d’exploitation des prolétaires ; d’argent et aussi de pauvreté, d’orgueil et
de vanité ; faits considérés comme appartenant aux « réactionnaires bourgeois ennemis du peuple ».
L’anonymat, propre à la ville plus qu’à la campagne, contribue probablement à donner au nouveau
pouvoir le sentiment de mal contrôler la population. L’instauration du couvre-feu se justifie en
partie pour cela. Mais, de fait, les villes laotiennes avec leurs villages traditionnels – constitués par
des familles – facilitent le contrôle. Le fait de refuser l’anonymat conféré par la vie citadine et le fait
de créer des nouay au sein des villages, où le chef connaît aisément les habitants de son nouay et
leur activité, marque la volonté de méconnaître le caractère citadin lui-même.
Il n’y a aucun mouvement de production architecturale et urbaine avant le début des années
1980. C’est alors que des équipements sont construits, même si la ville n’a pas encore la priorité. La
ville, les habitations et les espaces vacants sont à réoccuper ; on n’en tire aucune leçon spatiale
particulière ; les espaces vacants deviennent une économie de moyen. La pagode, lieu
communautaire de base, est la plus occupée et la plus utilisée dans sa fonction sociale et politique,
les réunions politiques s’y déroulent.
I. I. c. À la recherche de nouvelles expressions et de nouveaux langages culturels
La reprise du pays par le PPRL étant basée sur la transformation de la société, elle passe par
l’endoctrinement idéologique pour que la politique imposée soit comprise et acceptée par la
population. La nouvelle culture est instaurée dès la première année du régime. Conscient de la
difficulté éventuelle du fond culturel lao à l’assimiler, le nouveau pouvoir poursuit ses efforts pour
que les idées soient reçues. Averti qu’il ne faut pas imposer, mais plutôt faire adhérer, le pouvoir
cherche à instituer son propre langage, en rupture avec celui de l’Ancien Régime, tout en essayant
de se lier à certains aspects de la culture laotienne. Les expressions esthétiques, le langage parlé et
l’écriture, l’utilisation des signes, etc., toutes les formes d’expression font l’objet d’un travail de
recherche considérable et servent à construire la nouvelle culture.
Les principes culturels du nouveau régime
La culture et l’information sont des domaines profondément liés à la révolution. Dès la
création du PPRL, la culture est utilisée dans l’objectif de sensibiliser la population aux idéologies
de la révolution “prolétarienne”. C’est la propagande et l’endoctrinement par excellence. Les
archives photographiques et cinématographiques, ainsi que les traités doctrinaux du régime qui
apparaissent dès la fin des années 1950, montrent que le travail de propagande a été rodé bien avant
la prise du pouvoir en 1975, en particulier dans les zones libérées. Il est plus avancé et plus élaboré
que celui du gouvernement de Vientiane.722 Les traités retrouvés dans les allocutions des dirigeants
722 Dans les territoires hors du contrôle du PPRL, les expressions artistiques et la culture sont plus exposées aux
influences occidentales. Étant un régime plus libéral, il y avait plus de liberté d’expression, bien que le gouvernement
royal ait tenté de formuler une culture officielle afin de donner une identité au jeune État indépendant. La culture et les
Fig. 96. Le
cinéma
« fanthome » de
Savannakhet.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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du PPRL tout au long des trente dernières années montrent que la culture et sa manipulation ont été
le fer de lance du régime. D’après Khamtaï Siphandon « […] notre parti considère de manière
permanente que ce travail est un autre terrain de combat. Il constitue notre devoir. Et nous
considérons que les acteurs de la culture, tels les artistes, sont les combattants du parti, que la
culture est le moyen et la finalité du développement économique et social de notre pays (…) ».
Soulignons, d’après le manifeste du PPRL, les trois caractéristiques essentielles de la culture du
nouveau régime :
723
- La culture doit être de caractère nationaliste : elle devrait se développer tout en se basant sur
l’héritage historique et culturel de la nation. C’est-à-dire « se développer de manière endogène en
préservant l’héritage et le patrimoine culturel de la nation ».
- La culture doit être une culture de masse : la masse populaire est actrice de l’histoire. La culture
est la mission et le devoir de la masse populaire. Dans le sens où la culture ne peut exister et
perdurer que par le peuple, pour le peuple et appartenant au peuple, servant le peuple, reflétant ses
aspirations et sa volonté.
- La culture doit être progressiste : la culture est corollaire au fondement progressiste du régime
marxiste-léniniste. Elle constitue la force et la richesse du pays et contribue au bonheur du peuple
pluriethnique de la société laotienne dans le progrès et dans la valeur civilisatrice.
La vertu du travail dans la culture de la paysannerie
À la valeur de la terre et aux vertus du travail dans la culture de la paysannerie locale, le
pouvoir tente de relier la valeur prolétarienne et la pensée révolutionnaire. Le marteau et la faucille
sont les symboles appropriés. Au travail communautaire par la pratique de la main-d’œuvre
tournante et à la jouissance de la propriété privée traditionnelle des récoltes, le nouveau régime
substitue les travaux collectifs et la propriété collective. Il fait leur apologie et leur attribue de
nouvelles vertus. À la campagne, le régime instaure la production collective à travers la coopérative
agricole. Les rizières irriguées sont cultivées deux fois par an. Pour celles qui n’ont pas de réseau
d’irrigations, ou un réseau défectueux, la population est mobilisée pour tenter de les mettre en
fonction. Le travail collectif de la terre est imposé non seulement de manière autoritaire mais
instauré aussi comme un moyen d’intégration sociale dans le nouveau régime. De ce fait, il
s’impose comme une nouvelle morale. L’autosuffisance est déclarée pour tous afin de prémunir
contre la pénurie alimentaire, le travail de production collective devient vital.
Les cultures ethniques liées à la politique du brassage culturel
La vision d’un État unifié autour d’un peuple pluriethnique est un des leitmotifs des
gouvernements laotiens depuis l’indépendance, en 1953. Pour l’Ancien Régime, l’État est unifié
autour d’une société nationale composite, respectueuse des identités des différentes communautés
ethniques dans leur forme sociale.724 Pour le nouveau régime, les minorités ethniques occupent
quasiment la même place que la paysannerie dans la politique nationale, considérant que l’ancienne
société sakdina exploitait depuis longtemps les minorités ethniques comme elle exploitait les
paysans. Pour y remédier, le nouveau régime commence par intégrer la représentation des minorités
dans la culture nationale. Mais la conception de cette intégration est réalisée à travers le nivellement
de la société et donc le nivellement des expressions culturelles et artistiques, sans soucis identitaire.
arts du régime de Vientiane connaissent une certaine continuité avec les fonds culturels anciens. Ses caractéristiques
globales sont conservatrices et nationalistes, en accord avec le fond culturel des indépendantistes Lao Issara. 723 Résolution du CC du PPRL portant sur la pensée culturelle, édité par le Département de l’imprimerie, des
bibliothèques et des devantures, Ministère de la Culture et de l’Information, Vientiane 1994. Op, cit 724 À quelques nuances près, cette idée peut remonter loin dans l’histoire du Laos. Comme nous l’avons déjà suggéré, les
communautés ethniques ont joué un rôle important dans la prospérité de la société lao dominante, son unité et sa richesse.
La politique du royaume du Laos, après l’indépendance, vise l’intégration des communautés ethniques tout en poursuivant
la préservation de l’intégrité des communautés dans la tradition ancienne ; régulièrement les chefs des communautés sont
anoblis et affectés à des postes de haute responsabilité, localement ou dans l’administration centrale.
Fig. 97.
Panneau de
propagande
et de
sensibilisation
Les années
1975-1980Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 424 -
En cela, elle diffère sensiblement de la conception de l’Ancien Régime. Dans le Nouveau Régime, il
n’y a pas eu de véritable intégration de la culture des ethnies dans la culture nationale.
L’intelligentsia révolutionnaire n’a quasiment jamais eu de connaissance approfondie des cultures
ethniques du fait qu’il n’y avait pas d’études très poussées pour effectuer une intégration
respectueuse des identités et des cultures de ces ethnies. L’abstraction des identités ethniques fait
partie du nivellement social : il s’agit d’effacer les cultures des minorités pour les assimiler dans la
culture majoritaire lao et dans celle du nouveau régime. Le gouvernement cherche à faire des
ethnies et de leur culture une des composantes progressistes du peuple révolutionnaire
multiethnique. Il promeut des installations nouvelles où par exemple les Khmu seraient voisins des
Hmong, les Tai noirs des Phounoy, et ainsi de suite, en leur donnant accès aux postes administratifs
ou en facilitant l’accès à l’école pour tous. Cela peut être également considéré comme un processus
de laoisation puisque, dans la morale révolutionnaire, l’essentiel de la culture lao n’a pas disparu
mais se trouve seulement modifié.
Le nouveau langage
Que ce soit pour exprimer l’ensemble de la nouvelle culture, chanter la vertu du travail
collectif et de la paysannerie ou promouvoir le brassage culturel et ethnique, le régime a besoin
d’expressions et de langage nouveaux. Cela commence par la reformulation du langage parlé, de
l’écriture et de la littérature. La transformation des différentes formes artistiques suit peu à peu.
Du point de vue du langage oral, il y a un retour vers un certain purisme. La manipulation
des mots et leur contorsion extrême pour exprimer les concepts idéologiques révolutionnaires
passent par la simplification des mots, débarrassés des lourdeurs intellectuelles de leurs étymologies
pali-sanskrit. Le lao étant une langue plus descriptive que conceptuelle, elle aide à simplifier les
concepts les plus complexes du marxisme-léninisme. Leur capacité de simplification des idées et
des choses est si forte qu’on retrouve avec le parler révolutionnaire la pureté originelle des mots. Ils
dévoilent avec simplicité les idées qu’ils véhiculent. En exprimant les idées avec des images, cela
simplifie beaucoup leur compréhension. Les plus belles expressions de cette littérature du parler,
dont les sens sont réinventés, peuvent être lues sur les banderoles, dans les slogans ou dans les
rapports et manifestes politiques.
725 Le langage révolutionnaire dévoile la beauté de la langue lao, sa
simplicité et sa capacité à porter les discours et à traduire les idées complexes par des images
simples.
Du point de vue de la grammaire et de l’orthographe, il en est autrement. La langue lao
révolutionnaire tend à abandonner les étymologies (g7Qkrklk) sanskrites et pali pour n’utiliser que le
lao monosyllabique. Cet abandon ne peut être total puisque beaucoup d’idées conceptuelles et
fondamentales sont corrollaires à ces deux langues anciennes. La suppression officielle des
étymologies, et donc de la manière d’écrire qui préservait leur trace, était préconisée et utilisée
depuis quelques années déjà dans les zones libérées par Phoumi Vongvichit. Elle est étendue à tout
le pays à partir de 1975. L’objectif est de faire en sorte que les personnes qui savent à peine lire
puissent lire et écrire plus facilement726. La purification de la langue lao révolutionnaire,
débarrassée du sanskrit et du pali, ne pose pas de problème particulier à la communication et au
développement de la langue et de la littérature véhiculaire et propagandiste. Cependant, du point de
vue didactique, c’est une vraie catastrophe qui pose encore problème aujourd’hui. Les langages,
scientifique, technique et conceptuel se sont considérablement appauvris. Les fonds pali et sanskrit
dans la langue lao permettaient des néologismes conceptuels et scientifiques corollaires au
développement des sciences, de leur enseignement et de leur diffusion. L’absence et la
725 Par exemple les expresssions « Dicter la voie à suivre » [-U oeF si nam] pour dire gouverner ou « peuple
multiethnique » (xt-k-qo [aofkgzqJk. pasason-bandaphao) pour désigner simplement la population. 726 Par exemple, dès l’école primaire, ce qui était une faute d’orthographe lorsqu’on écrivait thamma (me,t) au lieu de
dhamma (ma,,t) ne l’est plus en 1975. Écrire (ma,,t) signifie dès lors écrire à la manière des lettrés de l’Ancien Régime,
conservateur et antirévolutionnaire.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 425 -
méconnaissance de ces fonds linguistiques dans l’enseignement empêchent l’accès à la
connaissance, le langage la véhiculant est aussi appauvri. Ce constat n’était apparemment pas
méconnu de l’intelligentsia communiste. Cependant, le choix étant porté sur la démocratisation de
la langue et son nivellement pour la masse – du haut vers le bas – comme pour la vulgarisation des
discours politiques, la suppression des étymologies pali et sanskrites a été une priorité.727
Les expressions esthétiques et les arts plastiques
Pour les expressions esthétiques et les arts plastiques, le régime communiste a également
introduit un fond nouveau, sous l’influence chinoise et soviétique. L’École des Beaux-Arts de
Viengxay existait depuis les années 1960 ; ses professeurs ainsi que certains élèves ont été formés
en Union Soviétique, en Chine et au Viêtnam.
Dans le domaine des arts corporels et de la musique, les professeurs de danse, de théâtre et
de musique ont été formés en Chine et en Union Soviétique. Avant le conflit sino-vietnamien, les
échanges avec la Chine étaient fructueux dans le domaine des arts de la scène : les luttes
révolutionnaires sont théâtralisées et illustrées dans des pièces chorégraphiées. L’apologie des
travaux collectifs des rizières et les chants vocaux paramilitaires à la manière chinoise sont
introduits au Laos. Ces nouveautés apportent à la vie culturelle et artistique du pays une nouvelle
expression bouleversante. La pédagogie de l’école des arts corporels et de musique est entièrement
révisée. Le nouveau pouvoir trouve un nouveau langage pour exprimer sa sensibilité par
l’expression picturale, musicale, corporelle et chorégraphique. L’école de musique s’enrichit des
instruments de l’orchestre occidental et la danse classique lao de certaines compétences
acrobatiques avec la création de l’école de cirque. La mise en scène et les thèmes changent de
registre : versée complètement dans la propagande, l’influence chinoise est incontestable. Du point
de vue morphologique, ce nouvel art révolutionnaire bouscule le conservatisme habituel du domaine
des arts au Laos. Cependant, si l’on peut ressentir comme un nouveau souffle, les deux ou trois
premières années, le contenu devient vite ennuyeux, voire absurde. L’emprise idéologique et le
manque de liberté thématique emprisonnent très vite toutes les formes d’art.
Pour les arts plastiques et l’architecture, touchant la question spatiale, l’influence est plutôt
vietnamienne et soviétique. L’École des Beaux-Arts du nouveau régime est jumelée avec celle du
Vietnam. Certains élèves, qui deviennent par la suite des enseignants, sont formés au Viêtnam où
l’enseignement est beaucoup plus avancé, notamment en peinture, en sculpture et en art graphique.
L’enseignement artistique lié à la pratique artisanale locale, qui a été conservé à travers
l’association Chanthaboury jusqu’en 1975 et qui concernait les arts appliqués (orfèvrerie, vannerie,
gravure et sculpture sur bois et l’enseignement du graphisme qui leur est lié) s’est retrouvé
davantage chez les maîtres artisans, en-dehors de l’école, où le savoir-faire se transmet et se
conserve mieux. L’École d’Architecture est créée vers 1982. Conjoint au fait qu’il n’y avait pas
d’activité de construction dans les cinq premières années, l’enseignement après la création de
l’école est marqué par les enseignants russes, qui participent au programme d’enseignement. Cette
influence disciplinaire remarquable n’a pas été prolongée au-delà de la coopération des premières
années, ni replacée dans le contexte du Laos. Comme nous l’avons évoqué dans le paragraphe
traitant de « la production architecturale », l’architecture des équipements qui a été produite dans les
“années russes” sont les plus intéressantes. Elles prolongent l’architecture moderne occidentale dans
un contexte différent. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder les immeubles de logement des
professeurs et le campus de Sok Paluang, l’hôpital de l’Amitié, le cirque, etc.
727 La langue lao est très idiomatique et codifiée selon la hiérarchisation sociale, parentale et l’aînesse (fonctions sociales,
degré et lien de parenté, âge). Les vocubulaires peuvent indiquer la provenance sociale de celui qui les utilise. De même,
la place sociale et le degré de parenté ou l’âge indiquent le vocabulaire à utiliser. Une utilisation inadaptée marque non
seulement l’impolitesse, mais constitue de réelles fautes de langage. Aujourd’hui, la démarche en cours est de permettre à
certains termes de recouvrir leur étymologie pour développer des termes scientifiques, mais la réforme grammaticale
nécessaire pour cette fin n’est toujours pas à l’ordre du jour. Le débat était lancé depuis plus de dix ans déjà.
Fig. 98.
Souphanouvong,
à la présentation
de l’emblême
nationale..Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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I. II. Les enjeux et les défis humains et économiques
Le défi humain est récurrent à tous les pouvoirs politiques, mais pour le nouveau régime il
semble qu’il est particulièrement lourd : le nouveau pouvoir, avec ses idéologies révolutionnaires,
est confronté pour la première fois aux problèmes de tradition et de conservatisme qui qualifie la
société laotienne.
« Les Lao ne seront jamais communistes ». Cette phrase a été à mainte reprise prononcée par les
hommes politiques de droite, mais c’est aussi ce que se dit et croit la majorité des Laotiens.
728 Dans
quelle mesure, cette opinion peut-elle avoir un sens alors que tout le Laos est devenu une
République Démocratique Populaire depuis plus de trente ans ? Ce paradoxe serait à approfondir,
mais il serait laborieux et situé en dehors de notre compétence. Néanmoins tentons de trouver un
sens à ce propos et limitons-nous au fait que “ l’homme nouveau ” tel que le nouveau régime voulait
semble incompatible à “la nature du Lao” dans sa dimension culturelle et anthropologique. Nous
exprimons ci-contre les traits de caractère qui ne sont pas des exceptions lao, mais qui semblent
constituer des éléments réfractaires à la réalisation du marxisme-léninisme :
- Un Lao de souche (un Lao Tai de religion bouddhiste et animiste) ne croit pas au salut collectif,
mais aux efforts individuels et au karma que chacun doit assumer, et ce, de manière inégale selon le
karma de chacun. Ceci aboutit dans la vie courante à une acceptation plus facile des inégalités et des
différences sociales : il conçoit une société sans la “ lutte des classes ”.
- Pour évoluer socialement un Lao fait plus confiance à l’esprit du clan et au lignage qu’à la logique
des droits et des devoirs.
- Un Lao a une notion forte de la jouissance privée des terres, défrichées par ses soins ou par ses
ancêtres. La jouissance de son terroir est son identité, ses racines et sa liberté.
- Un Lao aime son image du paisible, de l’heureux ou du malheureux tranquille (probablement
vision pittoresque et caricaturale). Un député de Vientiane ne dit-il pas récemment devant
l’assemblée : « lorsqu’on représente les Vietnamiens on les voir en chapeau conique portant les
paniers à l’œuvre au travail, les chinois en laboureurs infatigables. Les Lao, on les représente en
train de danser le lamvong. Pourquoi alors dans notre éducation et dans nos discours
révolutionnaires, nous apprenons aux enfants que nous avons des ennemis partout, et surtout au
sein de notre propre communauté, alors que cela n’est pas de notre nature ».
729
En 2008 lorsque nous posons des questions individuelles et orientées à la jeune
génération730 pour avoir une perception sur ce que les Laotiens pouvaient avoir du régime politique
de leur pays. Sur le terme « communiste » il y a une mauvaise réception par le commun des
Laotiens. Apparemment, le terme est péjoratif, souvenirs probables des luttes anti-communistes de
l’Ancien Régime. Aux yeux de la population, le nouveau pouvoir ne peut donc pas être désigné par
le même terme tant galvaudé et rendu péjoratif par l’Ancien Régime. Les Laotiens disent quasiment
tous qu’ils ne sont pas communistes et préfèrent le terme « révolutionnaire » pour se désigner
lorsqu’ils ont participé à l’édification du régime. C’est probablement la raison qui explique
728 On entend par les « Laotiens », plutôt la « nature du Laotien du base ». 729 Propos de Khampheuy Panemalaythong. Vus sur Youtube. 2011. 730 Sachant que le régime politique d’un pays ne définit pas l‘orientation politique personnelle des individus, nos questions
ont été les suivantes : « Est-ce que votre pays est sous régime communiste ? ». Nous avons la réponse positive. Les plus
jeunes disent que « non, nous ne sommes pas sous un régime communiste, nous sommes sous un régime démocratique
populaire avec un parti unique ». « Est-ce que vous êtes vous-même communiste ? », la réponse
est catégoriquement « non, je ne le suis pas ! ». « Pourquoi vous ne l’êtes pas, si vous êtes dans un pays dont l’État est luimême
communiste, et il n’y a pas un autre parti, ni au pouvoir, ni en dehors du pouvoir ? ». Les questions ont été posées à
une dizaine de personne entre 30 et 40 ans, de professions différentes, la moitié ayant fait des études supérieures. Nos
questions sous-entendent que le peuple avait peut-être choisi le parti unique communiste, puisque le régime s’installe de
manière durable. Le peuple serait donc aussi communiste, car ceux qui ne l’étaient pas s’étaient enfuits pour manifester
leur refus. En guise de réponse à ces sous-entendus, nous avons droit aux sourires un peu ironiques.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 427 -
pourquoi la section lao du Parti Communiste Indochinois devenait complètement abstraite pour la
population, désignée par l’expression « Parti Populaire Révolutionnaire Lao. »
D’après nos interviews, il s’agit en rien d’idéologie. Toute proportion gardée, les gens qui
restent au pays ne sont pas partisans du régime et ceux qui le quittent ne le font pas pour déclarer
leur non-adhésion, mais tout simplement parce qu’il était difficile d’y vivre dans les premières
années du régime : « Nous avons eu peur de tout le monde : les voisins, les amis, et même les
enfants. Nous étions choqués par ce qu’ils apprenaient à l’école, par les questions qu’ils nous
posaient. Si cela continuait ainsi, ils auraient pu nous dénoncer. Nous avons peur d’être arrêtés en
pleine nuit comme les voisins. Nous avons peur de n’avoir rien à manger, de ne pas avoir des
médicaments pour soigner les enfants. »
731 Ces raisons étaient le leit motiv de tous ceux que nous
avons interviewés de la diaspora. Quasiment aucun ne tient un discours idéologique. Pour les
Laotiens de l’intérieur, ils nous disent : « Ceux qui nous gouvernent sont marxistes-léninistes, et
alors ! Nous ne le sommes pas, il n’y a pas de problème ».
732 Pour eux, seul le danger peut faire fuir,
pas une idéologie. Et seule une adhésion confessionnelle peut être concevable, mais une adhésion
politique semble dénudée de sens. Un Lao de base ne serait donc pas sensible aux idéologies. Il
serait un être fortement social, possédant un sens très affirmé du communautaire et du solidaire,
inscrit dans la base de sa culture. Il ne peut exister en outre que dans une échelle interpersonnelle
hiérarchisée et structurée, dans une société où il est important de reconnaitre la place des plus
grands des plus petits, des plus vieux des plus jeunes, des particuliers des communautés, des
différences et des semblables, etc. Autrement dit, savoir ménager le rapport entre les personnes,
connaître les choses à leur place et les gens à leur statut auraient fait partie de l’éducation d’un Lao
de base.
La non-adhésion idéologique au système communiste des Laotiens en général ne signifie
pas pour autant leur refus ou leur révolte, comme cela aurait pu l’être ailleurs. Ils laissent faire les
choses dans la force du courant : « Quand le vent souffle fort, il ne faut pas aller contre »
[g,njv]q,,kcI’ 1jkwx8hko]q,], un vieux proverbe que les Lao utilisent pour “ se préserver ” de tout acte de
violence (commettre ou subir). C’est ainsi que les Lao vivaient la révolution qui leur a été imposée :
« Ce qui a commencé en 1975, est ce vent fort qui souffle et ravage le pays, résister serait la mort,
alors allons dans le sens du courant, un jour il se calmera ». Autrement dit, si le régime a pu durer
plus de trente ans, c’est que la population une fois surmontée la période la plus dure aurait su
“ gérer ”, voire “ digérer ” le système ? Le Laos illustre la cohabitation entre une population et un
système auquel elle n’adhère pas mais qu’elle tolère et accepte par instinct de survie (comme
probablement au Moyen-Orient et en Birmanie). Dans ce raisonnement et de fait, ce peuple se
soumet indéniablement à tous les systèmes qui s’installent dans le pays, dans une contradiction
durable. C’est le paradoxe de ce pays : il y a une sorte de consensus qui a fait durer le régime dans
une société peu enclin au sens collectif, mais plus communautaire, imprégnée par le bouddhisme et
croit plus au salut individuel (de son propre karma) qu’à la providence du salut collectif que propose
le communisme.
Nous évoquons dans ce long préliminaire les fonds culturels du Laotien que le nouveau
pouvoir tentait de remouler. Nous essayons de comprendre comment les fonds culturels pouvaientils
accompagner ou résister à cette transformation. Nous nous plaçons de ce fait dans un contexte
particulier de la transformation de la société qui passait par la volonté du remoulage de l’homme
nouveau, plus connu sous l’expression « lavage de cerveau » pour désigner la rééducation politique.
Nous essayons de comprendre les différents dispositifs et processus que le nouveau pouvoir mettait
en œuvre.
731 Propos de Khamtanh Souidaray, mère de neuf enfants. Ce même propos peut être recueilli chez la majorité des anciens
réfugiés politiques qui ont vécu quelques mois ou quelques années dans le nouveau régime avant de quitter le pays. Paris
1990.
732 Vientiane, 2005. Propos d’une personne qui a connu, jeune, l’ancien régime.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 428 -
I. II. a. Imposer l’homme nouveau
Le régime mettait en perspective la nouvelle société en imposant le modèle de l’homme
nouveau. Contrairement à l’homme de l’Ancien Régime,
733 il devait être surtout l’homme éclairé
pour mener les autres vers la lumière, le monde nouveau où le socialisme proposait de construire. A
travers les discours des dirigeants du Parti et à travers les manifestes politiques, le régime expliquait
également comment l’homme nouveau devrait-il être formé et comment son cadre de vie devrait-il
être construit. Et surtout, il montrait comment se débarrasser de ce qui était à bannir de ce nouveau
monde : les idées subversives et les ennemis du régime.
I. II. a. 1. Le modèle de l’homme nouveau
Qui était cet homme nouveau ? Il y avait deux types d’hommes dans le régime communiste
laotien : le dirigeant –Pounam [z6ho=k] et le dirigé –l’homme nouveau [xt-k-qoz6jobJ’F xt-k-qo
z6jvvdcI’’ko]. Ce dernier avait besoin de dirigeant, son guide –quasiment spirituel– pour accéder au
nouveau monde égalitaire [z6ho=kgxaoz6j-vj’cl’co;mk’ g1Nv’mJk’cdj[5d7qo]. Du point de vue de la structure
politique nous retrouvons le même schéma, mais à la place du dirigeant nous avions le parti [rad], à
la place de l’homme nouveau nous avions le « peuple éveillé et combattant » [xt-k-qoz6j8nJo8q;,u,6og-Bv
8+l6h] : « le parti dirige, le peuple est maître de lui-même » [radoerk xt-k-qo gxaog9Qk].734 Dans ces
définitions, le « peuple prolétarien » était rarement évoqué, c’est plus souvent le « peuple éveillé et
combattant ».
Le modèle de dirigeant qui inspirait l’homme nouveau était incarné en premier plan par la
personnalité de Kayson Phomvihan et en second plan par le Prince Souphanouvong.735 Leur
biographie respective était différente, mais elle se racontait sur le même ton : une jeunesse instruite,
sensibilisée au sens de l’injustice commise par les « réactionnaires bourgeois locaux » (« Patikan,
sakdina thong-thin » xt8ydko ladfyokmvh’4yJo), les « colonialistes et impérialistes occidentaux »
(r;d]hksq;g,bv’0NoF r;d9addtraf) ; consciente de la nécessité de libérer la patrie de la « domination
étrangère, où règnent la stupidité et l’ignorance ». Kaysone Phomvihan était pourtant issu d’une
famille aisée lao-vietnamienne et Souphanouvong, d’une illustre famille de Vice-roi de Luang
Prabang, Tchao Vang Na [g9Qk;a’sohk], « les princes du palais de devant », en charge historiquement
des affaires politiques du royaume de Luang Prabang.736
Quant au modèle de peuple éveillé et combattant [xt-k-qoz6j8nJo8q; ,u,6og-Bv8+l6h], le régime tentait
de le placer dans la continuité du tempérament Lao. Mais comme nous l’avons fait remarquer,
l’homme nouveau semble culturellement éloigné de ce que l’on peut concevoir comme le « Lao de
base ». Mise à part les facteurs historiques et politiques, c’est la raison qui explique l’image figée de
l’homme nouveau que nous pouvons constater à travers le culte de la personnalité de Kaysone
Phomvihan. Ici le culte de la personnalité est bien différent du phénomène de l’édification du héro,
qui ne cesse de passionner, même ceux qui ne sont pas nationaliste : la personnalité du roi
Anouvong de Vientiane notamment. Dans l’idée de l’homme nouveau autoproclamé, les deux
personnalités politiques semblaient aussi surréalistes l’une que l’autre, par contre leur existence
respective peut être reliée à une dimension historique plus large. Kaysone Phomvihan était un
733 L’ancien régime n’avait pas établi de modèle de l’homme qui lui serait propre. Mais le nouveau régime établit un
portrait de l’homme de l’ancien régime qu’il combat et dont le moral serait antinomique de l’homme nouveau. 734 Cf. Les cinq leçons. 735 La place de ces deux personnages dans le nouveau régime fait objet de controverse : il y a une sorte de mise en
concurrence entre les deux. On dit que le véritable pouvoir du régime était incontestablement entre les mains de Kayson
Phomvihan, et que Souphanouvong était un paravent qui cachait le vrai visage du régime qui ne sera dévoilé qu’en 1975. 736 Dans ces deux portraits, nous savons qu’il y avait pourtant un tabou respectif. Effectivement, l’origine vietnamienne de
Kaysone Phomvihan était un défaut pour la fraction des révolutionnaires nationalistes, et les origines princières de
Souphanouvong en étaient un autre pour les révolutionnaires antimonarchistes. Mais c’était sous le visage de ce Prince
que le communisme se cachait entre la fin des années 1940 et 1975, pour être dévoilé à partir de cette date sous le visage
et la personnalité de Kaysone Phomvihan.
Fig. 99. Le
buste de
Kaysone
Phomvihane.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 429 -
personnage issu du contexte politique et social de l’Indochine française, puisque c’était avec les
installations coloniales que les centres urbains (dont celui de Savannakhet d’où était originaire la
famille Phomvihan) ont été peuplés de familles vietnamiennes (fonctionnaires, commerçantes ou
ouvrières) venues pour les besoins de l’administration coloniale. D’un contexte social indochinois
Kayson Phomvihan émergeait dans un contexte d’édification politique nationale du Laos. Ce
personnage ne serait sans doute pas intégré dans la longue continuité de l’histoire nationale, mais en
constituerait une rupture, du moins une parenthèse.
Tout en étant aussi le produit de la colonisation de par son éducation et la place qu’il tenait
dans l’administration coloniale, le personnage du Prince Souphanouvong serait plus en phase avec
l’histoire nationale. Comme ses deux frères, Phetsarath et Souvanna Phouma, et comme son éloigné
cousin Boun Oum de Champassak, il se situerait dans le contexte politique où le rôle des familles et
des chefs traditionnels aurait été clairement remis en question ainsi que tout le système qui l’aurait
accompagné à l’approche de la décolonisation. En effet, quel rôle, quelle place, ces princes
devraient-ils occupés dans une société et dans un cadre politique où ils n’étaient plus des êtres
sacralisés, des chefs de guerre qui ne dirigeaient plus la politique du pays, mais devenaient les
gardiens des traditions sous la Constitution. L’instinct de survie et d’existence de ces chefs
traditionnels se serait manifesté par leur désir d’avoir toujours un rôle à jouer dans la vie politique,
quelle que soit sa nature : circonstancielle ou réelle conviction. Dans cette vision, le personnage de
Souphannouvong serait au cœur de la question. Il incarnait le parfait cas d’une vieille tradition où
les chefs voulaient exister autrement que dans un cadre défini. C’est une histoire classique d’une
sécession dynastique ou clanique qui coïncide avec un contexte politique et social en pleine
mutation.737 Ce ne serait pas le révolutionnaire que la postérité retiendrait, mais un prince entré en
sécession qui avait précipité l’extinction de son clan et du système dans lequel il appartenait,
comme les autres l’ont fait avant lui dans l’histoire de ces grandes familles tai. L’histoire de ces
quatre princes qui incarnaient les quatre fractions politiques après la décolonisation ne serait
finalement qu’un dernier sursaut d’un vieux monde qui disparaît.738
I. II. a. 2. La formation de l’homme nouveau
D’après le nouveau régime, après la période de domination des impérialistes, la société
laotienne toute entière avait besoin d’être reconstruite. A l’arrivée au pouvoir le régime dressait
alors trois types d’hommes : ceux qui ne pouvaient être reconstruits, ceux qui pouvaient être
reformés, et enfin, ceux qui étaient à “ mouler ”.
L’homme irrécupérable, ennemi du peuple
L’homme réactionnaire, Patikane [xt8ydko], était l’ennemi du peuple. Figurant sur la liste
rouge des persona non grata, ils ont été bannis du pays. Pour Souvanna Phoumma, ce sont « ceux
qui n’aiment pas la paix ». Par la suite, le régime a constaté que l’ennemie n’était pas seulement à
l’extérieur du pays, mais pouvait être aussi à l’intérieur. Cependant, il était politiquement incorrect
d’annoncer cette idée : cela aurait sous-entendu que le parti n’était pas souverain, que le pouvoir
mis en place n’était pas légitime. Plus tard, à partir des années 1990, le régime a désigné ces
ennemis intérieurs, non plus de réactionnaires, mais de « mauvaises personnes », Khon Bo Di
[7qo[+fu], termes qui se rapportent à des jugements de valeurs moraux et qui n’avaient aucun lien et
737 Souphanouvong a été très critiqué par le reste de sa famille et par la diaspora. Il est considéré comme un pathétique
personnage qui épouse la révolution pour se construire autrement par opposition à sa famille, dans laquelle il occupait une
place peu importante, étant fils de la onzième femme du Vice-roi. Cf. propos du Prince Mangkra Souvannaphouma. 738 De source informelle émanant des proches du Prince Souphanouvong, ce dernier se serait senti coupable pour la
postérité concernant la question de la famille royale dont une partie des membres était morte en captivité. La nomination
du roi Sri Savang Vathana, Conseiller du Président de la République et du Prince Héritier Vong Savang, Conseiller du
gouvernement, aurait été issue d’une négociation par le Prince auprès du Parti. Mais leur emprisonnement une année après
puis leur mort en captivité aurait été une amertume sincère que Souphanouvong aurait beaucoup de mal à vivre avec. Peu
à peu mis à l’écart du pouvoir son « rôle de paravent » n’aurait plus été nécessaire.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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aucun sens du point de vue politique. Cependant, c’est uniquement à travers ce concept que les
ennemis de la Nation existent et sont désignés. La commodité dans laquelle les opposants politiques
du régime ont été identifiés est déconcertante. Le régime a bien compris que dans la vision
laotienne, profondément bouddhiste, il ne peut y avoir d’ennemis idéologiques et politiques ; les
ennemis du régime ne peuvent être que des personnes qui ont commis des mauvaises actions.
L’introduction des concepts moraux dans les actions politiques est ainsi un des traits de
l’acculturation du régime communiste au Laos.
L’homme à reformer
Au début du régime l’homme à reformer aurait été celui envoyé au séminaire qui aurait un
jour la chance de s’intégrer dans la nouvelle société s’il a bien appris, s’il a accepté l’autocritique.
Du moins, c’était ce que semblaient comprendre les personnes concernées. Mais la durée et la
méthode avec laquelle ils ont été formés montrent que les séminaristes n’étaient pas en fait des
hommes à reformer. Ces derniers étaient des irrécupérables qui n’avaient pas su quitter le pays à
temps. Qui aurait été alors l’homme à reformer ? Nous pensons que c’était le peuple lui-même. Sous
la lumière des dirigeants, ce peuple docile aurait été peu à peu remodelé. Il aurait appris à connaître
le nouveau monde et la vertu révolutionnaire, il aurait à défendre et à mettre en marche la nouvelle
société.
Le moulage d’une nouvelle jeunesse
La jeunesse, c’est l’avenir de la nouvelle société, la future élite dirigeante du pays.
Idéalement, elle n’a pas de clan, pas de famille, c’est l’enfant du parti, éduqué dans le moule. Cette
jeunesse a été envoyée, en deuxième et troisième vague,739 faire des études dans les pays socialistes
qui ont déjà atteint certain niveau de « civilisation » propre au monde socialiste. Dans la réalité,
notre entretien avec les anciens étudiants des pays de l’Est740 a montré que la sélection pour les
bourses était rude pour ceux qui n’avaient pas de parents qui ont participé à la révolution. Les places
étaient donc d’abord réservées aux enfants des membres du parti et de ceux qui avaient participé
activement à la mise en place du régime, et qui occupaient en conséquent une position importante
au sein de l’État. Ensuite, c’étaient les jeunes qui avaient des mérites personnels : ils étaient bien
absorbés par les idéologies du parti-État, ils ne manquaient jamais les séances d’autocritique et les
travaux collectifs. Enfin, en troisième position, ceux qui travaillaient exceptionnellement bien à
l’école. Autrement dit, les bonnes notes pouvaient tout de même être reconnues. Cependant, si la
qualité politique n’était pas acquise [0kf75olq,[af xt8y;af] le simple bon élève ne pouvait espérer une
bourse à l’étranger que rarement. « D’une manière ou d’une autre, nous avons dû nous battre
comme des acharnés pour parvenir jusqu’ici. », nous dit un grand nombre d’anciens étudiants.
I. II. a. 3. Le Sangha, un cas particulier
739 La première étant ceux qui étudiaient déjà dans les pays de l’Est avant 1975 ; la deuxième étant ceux qui étaient
envoyés juste après 1975. Ceux-ci avaient connu le lycée de l’ancien régime et étaient soit un peu francophone ou un peu
anglophone comme ceux d’avant 1975, et certains d’entre eux étaient déjà fonctionnaires. Ils avaient en général un bon
niveau de compétence ; la troisième génération étant ceux qui arrivaient dans les pays de l’Est dans la première moitié des
années 1980, à l’approche de la réforme ou après la réforme. Ils finissaient leurs études secondaires au début et au milieu
des années 1980, connaissant donc les années de lycée difficiles, ne parlant que rarement une langue étrangère et
possédant un niveau d’étude bien inférieur aux générations d’avant. Ces derniers ont du passer un an ou deux à apprendre
la langue du pays duquel ils ont obtenu une bourse. Apprendre deux ans de russe par exemple avant de débarquer dans une
université russe, cela paraît aujourd’hui invraisemblable. D’après les étudiants de l’Europe de l’Est rencontrés entre 1991
et 1995.
740 Les groupes que nous avons rencontrés entre 1991 et 1995 en différents pays sont près de 100 personnes. Ils ont étudié
en Allemagne de l’Est, en Tchécoslovaquie, en Pologne, en Hongrie. Au moment de la Perestroïka, depuis l’Europe de
l’Est certains d’entre eux ont dénoncé le régime en place au Laos pensant que celui-ci allait aussi faire son « perestroïka ».
L’inertie du régime politique du Laos, de ce point de vu, empêchait ces anciens étudiants, maintenant devenus
« dissidents », de revenir au pays. Ces derniers ont demandé l’asile politique, rejoignant les anciens réfugiés politiques lao
de l’Europe et ne sont plus revenus au pays.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Dans un premier temps, le régime estimait que les hommes du Sangha n’étaient pas
directement des ennemis du peuple, mais ils « le droguaient » et l’empêchaient de s’élever.
C’étaient des individus qui ne devaient tout simplement pas exister en tant que tel. C’étaient
« des parias de la société, qui ne travaillent pas, qui vit sur le dos des gens, qui exploitent la
crédulité du peuple et qui le soumettent dans une stupide superstition, mais qui ont le peuple avec
eux ».
741
Il semblait évident pour le régime dès le début, que l’abolition de l’ordre monastique et
l’interdiction confessionnelle du bouddhisme étaient difficilement réalisables, mais le désir de le
faire n’y manquait pas. Il fallait plutôt procéder à une réforme radicale. D’abord du point de vue
intellectuel, les moines devaient avoir un discours progressiste et rigoureux. L’étude du Dhamma et
des textes sacrés, les paraboles et les symboles que le bouddhique utilise, à titre méthodologique
pour l’enseignement ont été durement critiqués. Ils ont été revus et corrigés à travers une vision
matérialiste, provoquant une souffrance intellectuelle dans le milieu ecclésiastique conservateur.
Certains rituels, qui n’étaient pas forcément bouddhiste mais qui avaient été intégrés dans les
pratiques religieuses générales, tels la fête des morts742 ou la fête consacrée aux Lak muang,743 ont
été interdits dans les premières années qui ont suivi l’année 1975. Durant cette période autoritaire
beaucoup de moines ont quitté le monastère, bien que certains aient défroqué pour des raisons
purement pécuniaires lorsque les privilèges de la vie monastique ont été bousculés. Les moines
devaient entre autres participer aux efforts collectifs en effectuant des travaux, en participant aux
formations politiques, inscrites de manière de plus en plus vive dans l’enseignement bouddhique.
Certains religieux quittaient les habilles ou alors le pays, comme des dizaines de milliers de laïcs,
pour rejoindre les temples de Thaïlande ou les camps de réfugiés. D’autres pensaient que « si
l’enseignement du dhamma est perverti, si la communauté du Sangha perd sa pureté, il n’y a pas de
raison de vivre cette perversion, cette instrumentalisation. C’est intellectuellement et religieusement
insupportable ». Une infime résistance s’était formée parmi les jeunes moines radicaux qui ne
quittaient pas les ordres et qui ne quittaient pas non plus le pays. A l’époque cette résistance
coïncidait avec quelques cas de suicide (dans l’habille monastique) de jeunes moines. Cela avait
beaucoup choqué la population.744 Si on ne pouvait pas prouver qu’il y avait un lien entre
l’endoctrinement politique de la communauté religieuse à la fin des années 1970 et au début des
années 1980 et le suicide des moines –cas très rare dans l’histoire du bouddhisme au Laos, il est
important de noter cette coïncidence. Le suicide étant interdit dans le bouddhisme et l’acte étant si
contraire à ses principes qu’il demeurait exceptionnel, démonstratif ou pas d’une forme de
résistance.
En peu de temps, le régime devait constater que le bouddhisme était trop ancré dans les
mentalités et dans le rythme quotidien de la vie. Les personnes âgées qui passaient la plus claire de
leur temps dans les pagodes ne reculaient devant aucun obstacle pour entretenir les cultes. Ils
n’avaient que faire des interdits et de la nouvelle autorité politique. Si réprimander les personnes
âgées était devenu usant pour les comités populaires, car les vieux continuaient de plus belle à
entretenir les cultes bravant les interdits, réprimander les jeunes était plus efficace : ces derniers
étaient alors devenus très peu pratiquants durant cette période. Quoi qu’il en soit, pour le régime, au
lieu de transformer cette religion en martyr, il valait mieux en faire un complice. Pour ce faire il
741 Discours de base des animateurs des réunions politiques dans les premiers mois du régime. Sources ? 742 A Luang Prabang, lors des premières heures du jour de « Boun Khao padam dinh » [[6og0Qkxtfa[fuo], « fête des morts »,
les Luang Prabanais allaient d’habitude coller des boulettes de riz sur les rampes de l’escalier qui mènaient vers le sommet
du Mont Phù Si. Dans les premières années du régime les soldats se postaient sur les marches de cet escalier et chassaient
les fidèles (souvent les vieilles personnes).
743 A Muang Sing, nous apprenons par les personnes âgées que cette interdiction avait déjà été faite en 1962 après la
libération de la ville par l’armée du Pathet Lao. 744 Propos recueillis auprès des jeunes religieux arrivés du camp de réfigiés d’Oubon Rajthani à la pagode Saint-Leu-LaForêt
au moment de sa fondation par la communauté lao de la région parisienne, vers 1987. L’un d’entre eux avait côtoyé
des condisciples qui s’étaient suicidés.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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fallait contrôler et diriger au mieux les actes cultuels. Petit à petit des compromis avaient été
trouvés. Ceci au gré des différents lieux et provinces et selon les opportunités et la situation, sans
que cela soit bien institué. Les fêtes religieuses et païennes liées au bouddhisme et la majorité des
pratiques cultuelles avaient été maintenues et tolérées à différents degrés par le régime dès le début,
par exemple, les fêtes des fusées, du nouvel an, des pirogues. Les fêtes consacrées aux phi ban
(esprit du village) continuaient à être interdites à Vientiane, mais pas à Muang Sing, où par contre la
fête du lak muang était interdite. La quête de nourritures du matin des bonzes a disparu un moment
de la capitale, alors qu’à Luang Prabang elle était revenue très vite.
Ce n’était seulement qu’avec la première constitution de la RDP Lao en 1991, que la place du
Sangha et le culte bouddhiste ont pu être véritablement définis. Comme nous avons vu dans la
deuxième partie de notre réflexion, les compromis ont solidement modifié le bouddhisme lao de
l’intérieur et son rôle dans la société ; la religion bouddhique ainsi que son espace cultuel et culturel
étaient devenus un terrain d’observation sociale et politique de premier ordre. C’était un
observatoire capable d’exprimer les formes de continuité et de rupture que la société lao avait
traversées ces quarante dernières années.
I. II. b. La fuite de la population, mobilité interne et séminaires politiques, 1975-1985
Le changement de régime officialisé le 2 décembre 1975 est une suite logique de plusieurs
événements qui se sont déroulés dans un laps de temps court. Il ne résulte pas d’un seul coup de
force, sans même évoquer la guerre du Viêtnam qui y a contribué depuis plusieurs années.
Rappelons quelques faits : d’abord, il y a le désengagement des Américains dans la guerre du
Viêtnam suivi par le retrait de leurs troupes et de leurs conseillers du Laos. Ensuite, il y a la
dissolution du dernier gouvernement de coalition, formé en 1973.745 Aux yeux de la population,
cette coalition est le symbole de la neutralité et de la réconciliation nationale, une tentative pour le
Laos de sortir de la guerre. Enfin, il y a la prise du pouvoir par le PPRL. L’abdication du roi le 29
novembre 1975 marque la fin de la monarchie constitutionnelle instaurée en 1946746 et le début de la
République démocratique populaire lao.747
Nous assistons durant cette période à un bouleversement des données sur la population. Ce fait est
lié à plusieurs événements clés. La peur du nouveau régime provoque la fuite d’une partie de la
population, au cours de l’année 1975, avant même que le nouveau régime ne soit proclamé. La
première vague, individuelle, n’atteignant pas encore un nombre élevé, concerne une population liée
à l’Ancien Régime – hauts membres du gouvernement de Vientiane, grands commerçants chinois.748
Après sa proclamation, le nouveau régime organise aussitôt des séminaires de formation
politique749 ; il procède à l’arrestation des personnes jugées dangereuses pour le régime ; il instaure
745 L’accord de Vientiane, signé en février 1973, met en place le troisième gouvernement de coalition. Le premier est
constitué en 1957 par deux factions, le deuxième en 1962 par trois factions. 746 11 mai 1946, adoption de la 1e Constitution. Le pays devient une monarchie constitutionnelle au sein de l’Union
Française
747 Le Congrès des représentants du peuple a lieu le 2 décembre 1975, présidé par Souphannouvong, chef de l’Union des
forces patriotiques lao (Pathan Sounkang Néo Lao Hak Sat) [xtmkol6odk’co;]k;Iad -kf]. Kaison Phomvihan, en tant que
secrétaire générale du PPRL [g]0kmydko.sjp 7tot[=]yskol6odk’radxt-k-qoxt8y;af]k;] lit le rapport dressant le bilan de la lutte du
parti et proposant les cadres et dispositifs qu’nevisage d’instaurer le nouveau régime. Le Congrès adopte les résolutions
qui marquent la fondation de la RDPL, dont : l’approbation du rapport-bilan politique de Kaison Phomvihan ; l’institution
de l’Assemblée suprême du peuple de la RDPL [ltrkxt-k-qol6’l5f] composée de 45 membres et présidée par
Souphannouvong ; la nomination des 39 membres du premier gouvernement de la RDPL ; l’adoption du drapeau et de
l’hymne national, du langage et de l’écriture officielle ; la définition du plan d’action du gouvernement de la RDPL en
politique intérieure et en politique étrangère, du plan de développement et de défense, du plan économique et social.
748 Les premiers réfugiés n’ont pas connu les camps de réfugiés installés en Thaïlande par le HCR entre 1976 et 1985. 749 Officiellement, les séminaires ont pour objectif la formation des cadres de l’ancien régime pour qu’ils puissent
s’intégrer dans le nouveau régime. Ces séminaires doivent durer de deux à six mois, selon les explications données par les
autorités aux séminaristes. Ce qui est appliqué montre que les objectifs réels sont différents : les séminaires sont de fait
des camps de rétention où tenir à l’écart les cadres de l’ancien régime susceptibles de s’opposer au nouveau régime.
Plusieurs points prouvent que ces camps n’étaient pas formateurs mais carcéraux, des camps de travaux forcés.
Premièrement, aucune liste de réaffectation de ces fonctionnaires n’a été réalisée dans les unités administratives de l’État.
Même après 6 à 14 ans de rééducation, d’anciens séminaristes frappent en vain aux portes des ministères « pour être Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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des restrictions concernant les activités et les déplacements des individus, les expressions festives
communautaires, la communication et la pratique des cultes ; il décrète le contrôle et l’étatisation
des activités commerciales, des biens financiers et fonciers, puis proclame l’autosuffisance. Ces
événements provoquent une autre vague de fuite, plus massive. Toutes les strates de la société et
tous les âges, en particulier la jeunesse et une population instruite et citadine, sont concernées. Cette
fuite marque sans doute la réaction la plus violente et la plus durable contre le régime. Par la suite,
en réaction à la réforme agraire, à la planification et à la collectivisation de la production agricole,750
des populations de la campagne – simples paysans ou grands propriétaires – quittent à leur tour le
pays. Durant cette période, il y a de nombreuses arrestations civiles pour cause
« antirévolutionnaire » (8+8hkoxt8y;af) ou « mauvaises mœurs » (rapla’7q,).
751
Cette fuite de la population, majoritairement urbaine – on évoque le départ de 50 % des
urbains pour Vientiane –, constitue la plus grande catastrophe démographique, depuis l’intégration
définitive du territoire occidental du Laos au Siam au XIXe siècle. Elle est par l’envoi d’une grande
partie de la population active dans les séminaires politiques,752 privant les villes de cadres supérieurs
compétents, déjà en nombre insuffisant pour l’Ancien Régime. On note par ailleurs une grande
mobilité de la population à l’intérieur du pays durant les premiers mois de la RDPL. Mise à part la
mobilité des populations venant des anciennes zones libérées encouragée par le nouveau pouvoir,
une partie significative de population profite de ce mouvement de migration interne pour aller vivre
ailleurs. La motivation la plus commune est la recherche de l’anonymat. En arrivant dans une ville
où ils sont inconnus, les gens peuvent commencer une nouvelle vie et se fondre dans la masse. Cette
mobilité ne peut être quantifiée du fait de la discrétion avec laquelle les gens “changent de vie”.753
Même s’il semble moins important que la fuite vers l’étranger, ce mouvement constitue un fait
significatif dans le nouveau du paysage social. Il a cessé lorsque le nouveau régime a imposé le port
d’un laissez-passer pour circuler d’un district à l’autre.
Le nouveau gouvernement doit faire face au manque de population et de ressources
humaines qualifiées, ce qui entrave considérablement le pays dans son développement754 même si
de grands efforts sont faits pour former de la matière grise dans les pays du bloc socialiste. Avant
que la première génération formée ne soit opérationnelle, le régime ne peut compter que sur un
groupe d’élites formées en Union Soviétique et dans les pays d’Europe centrale et orientale, et aussi
réaffectés de nouveau au travail pour aider le pays, mais nous n’existons nulle part. Les gens nous ont déjà oubliés. Nous
n’avons de place ni dans les ministères, ni dans la société. Nous n’existons plus. Le séminaire c’était pour nous enfermer
à vie, surtout pas pour nous former afin que nous puissions revenir servir notre pays », commentent les plus lucides des
séminaristes que nous avons interviewés, comme Chansamone Voravong, géographe, ancien directeur de l’IGN lao
(entretiens à Paris, 2004). Deuxièmement, les conditions de vie dans les camps « sont dignes du bagne du XIXe siècle ou du
Goulag » (propos de Ngneusamlith Don Sassorith, colonel de l’armée royale). Troisièmement, le taux de survie dans les
camps est faible : nous estimons qu’il y a 40 % de survivants. Sur un échantillon d’une centaine de personnes sorties des
camps, 10 % sont indemnes physiquement et mentalement ; les autres sont soit malades et meurent quelques années après
leur libération, soit ne s’intègrent plus ni dans la société ni dans leur famille. En 2008 nous avons essayé de trouver des
documents qui donneraient une version officielle sur les séminaires. Nous n’avons trouvé aucun rapport émanant du
gouvernement qui définisse ce qu’est le soun Sammana (l6ola,,tok), le camp de séminaire. Aucune donnée, notamment le
nombre des personnes, décédées, libérées ou réintégrées dans l’administration après leur libération, n’est communiquée.
Les seules sources sont la mémoire d’anciens séminaristes de la diaspora et la documentation d’Amnesty International. Le
sujet reste tabou et le gouvernement n’est pas prêt à traiter ni inscrire ce sujet historiquement grave dans la mémoire
nationale.
750 La première réforme agraire a lieu dès la première année ; elle s’intensifiée surtout en 1977. 751 Pour ces délits apolitiques, la durée de détention va de quelques mois à cinq années. 752 Cette population active est aussi la plus instruite, la mieux formée et elle est sans doute disposée à participer à la
reconstruction du pays, puisqu’elle est restée après la proclamation du nouveau régime.
753 Aucune étude n’a été menée de manière spécifique sur la mobilité motivée par la quête d’anonymat. Cependant la
migration des zones libérées vers les villes du Mékong a été mentionnée dans plusieurs études. Lors de mes travaux de
terrain sur les typologies, menés entre 1999 et 2002, j’ai constaté que les habitants de certaines maisons relevées se sont
installés à Vientiane en 1975 ou 1976 alors qu’ils ne venaient pas des zones libérées.
754 Malgré le constat, dès la deuxième année, de la pénurie en personnel qualifié dans tous les domaines, en particulier
dans la santé, le nouveau pouvoir ne libère pas les médecins ou les ingénieurs en séminaire. La plus grande vague de
libération intervient au bout de huit ans.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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sur quelques individus – formés dans les pays occidentaux dans les années 1960-1970 – qui
reviennent au pays, séduits par le nouveau régime.755
I. II. c. Les dispositifs de l’Etat à l’égard de la question démographique et de la
mobilité des hommes.
Rappelons que le Laos contemporain a toujours été confronté à la faible densité de sa
population. Le pouvoir politique, à différentes époques, a dû faire face à ce problème pour
développer le pays, qu’il s’agisse de constituer une masse corvéable et taxable, un corps de l’armée
ou une masse pour la consommation. Dans le contexte politique de la guerre froide, les deux
gouvernements du Laos menaient ce que l’on pouvait appeler la guerre de “partage des
populations”. Le régime qui mettait de son côté la plus importante partie de la population se targuait
d’être légitime et juste, l’autre aurait été traité de barbare.756 Cette question est en grande partie liée
à la démographie et à la répartition de la population dans le territoire. Après l’indépendance en
1953, la population dans son ensemble connaît peu à peu une croissance au profit des villes :
croissance de la natalité, amélioration des accès aux soins médicaux, à la consommation des
marchés urbains ou périurbains. Avant 1975, la guerre modifie le mode de répartition des hommes
sur le territoire : ils se rapprochent des zones à caractères urbains et se concentrent un peu plus dans
des aires urbaines. Cela favorise le développement à l’intérieur des aires urbaines et laisse de côté le
développement des réseaux extérieurs de communications, peu ou pas développés. En 1975, le Laos
compte trois millions d’habitants avec un taux de population urbaine faible (entre 10 et 15 %). Mais
le taux urbain existant dans les villages autour des aires urbaines n’a pas été bien repéré à l’époque.
On considère d’emblée que 85 à 90 % de la population est rurale. Lorsque nous examinons la
répartition de la population dans le pays sur la carte de 1973, nous voyons qu’il y a une nette
concentration de la population autour des aires urbaines au détriment des centres urbains euxmêmes,
ce qui ne permet pas de classer ces populations dans la population urbaine proprement dite.
Après 1975, les nécessités de la gouvernance du nouveau régime, ainsi que plusieurs faits
convergents, notamment la mobilité interne de la population ou sa fuite vers les pays étrangers, ont
suscité la mise en place des nouveaux dispositifs ainsi que du nouveau mode de répartition des
hommes dans le territoire.
En 1975, le Laos se retrouve devant quatre lourds défis humains : la mobilité interne de la
population, rendant difficile sa gestion et son contrôle ; la désertification urbaine ; l’hémorragie
démographique ; et une carence en ressources humaines. L’État réagit diversement face à ces défis.
Il faut d’abord arrêter la mobilité interne, qui ne facilite pas la bonne gestion des habitants
et trouble la sécurité des villes et des campagnes dans les premiers mois de l’installation du régime.
Cette difficulté menace la sécurité civile et la politique intérieure ; la guérilla formée à la frontière
thaïlandaise menaçant d’entraîner des révoltes à l’intérieur du pays. Le nouveau pouvoir prend des
précautions avec les laissez-passer – un document écrit avec sceaux, délivré par une autorité
compétente. Malgré les points de contrôle mis en place, des “faux laissez-passer” circulent dans les
villes, permettant le mouvement des habitants entre les districts.757 Il faut ensuite arrêter la fuite de
la population vers l’étranger et pour cela la dissuader, voire, la menacer. Pour rejoindre les camps
de réfugiés en Thaïlande, les gens doivent traverser forêts et montagnes – pour ceux qui partent des
provinces de Xayabouri et de Champassak – ou traverser le Mékong – pour ceux qui partent des
755 Beaucoup de ces élites de gauche étaient boursières du gouvernement Néo Lao Hak Sat, directement de l’Union
Soviétique ou du gouvernement royal. Aujourd’hui, certains postes au gouvernement sont occupés par ces anciens
étudiants formés dans les pays occidentaux.
756 D’après les divers entretiens avec molam Souban et molam Phimmasone (à Melun, Seine-et-Marne) entre 1980 et
1994. Les lam de propagande du gouvernement de Vientiane ont été chantés par plusieurs molam célèbres vers la fin des
années 1960. Les plus connus étaient molam Souban, molam Phimmasone, le maître Intong. À l’époque, diffusés à la
radio nationale, ces chants versifiés ont été une sorte de chronique commentant quasi quotidiennement le combat que le
gouvernement de droite menait contre le communisme. Cf. aussi les travaux de Catherine Charon-Baix sur les molam lao. 757 C’est avec ces vrais faux laissez-passer que la plupart des personnes ont pu sortir de Vientiane, aller dans des villes
plus petites puis traverser le Mékong vers la Thaïlande.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 435 -
autres provinces. La propagande échoue à retenir les fuyards, ils continuent à quitter le pays en
masse, bravant le danger et défiant les gardes-frontières lao et thaïs. Les forces armées sont
déployées tout au long des frontières tandis que la milice du nouay travaille dans les villages pour
déceler les éventuelles défections. Du discours de dissuasion à la répression, un pas est franchi.
L’ordre de tirer sur ceux qui traversent le Mékong est donné. S’ils sont attrapés, ils sont envoyés
soit en prison soit dans les camps de redressement et de rééducation.758 Les chiffres concernant le
nombre de réfugiés arrivés en Thaïlande puis accueillis dans les « pays tiers » [xtgmfmulk,] varient
selon les sources.
759
Malgré la violence des moyens de dissuasion, la fuite de la population ne s’arrête pas. Elle
se ralentit d’elle-même quelques années après ; un phénomène sans doute lié à la deuxième réforme
agraire qui rend la terre aux paysans. L’hémorragie démographique ne sera résorbée que dans la
deuxième moitié des années 1980, lorsque la population commence à se stabiliser puis à augmenter.
Avec la venue progressive des populations rurales, en particulier des zones libérées comme
Phongsaly et Samneua, les grandes villes regagnent peu à peu des habitants. D’après le Centre
National de Statistique : en 1970, le Laos comptait 3 millions d’habitants, contre 2,9 millions en
1975. Entre 1976 et 1987, le nombre des habitants passe de 2,886 millions à 3,828 millions. Les
chiffres de 1975 doivent être considérés avec précaution : entre 1971 et 1975, il est difficile d’avoir
des statistiques cohérentes à l’échelle du pays. Le dernier recensement avant la prise du pouvoir par
le PPRL est réalisé en 1970, le suivant en 1976.760
Pour remédier aux carences des ressources humaines des premières années, les cadres
révolutionnaires qui viennent des zones libérées sont installés nombreux dans les administrations
nouvellement créées. Certains sont compétents pour animer les débats politiques et les
planifications théoriques, mais rares sont ceux qui, une fois la guerre idéologique terminée, peuvent
réellement gérer, administrer et mener concrètement le programme de développement du pays. Les
cadres qui reviennent des pays socialistes ou de l’Occident (France, Australie, Canada, États-Unis)
sont « jeunes, sans expériences de terrain, idéalistes et ne connaissent le communisme qu’en
théorie ; ou, au contraire, ils sont opportunistes ».
761 D’après ces propos et la rareté des personnes à
interviewer sur ce sujet, on en déduit que les jeunes cadres revenus ne sont pas nombreux et sont
très vite dépassés par l’ampleur des tâches à accomplir comme par le décalage entre la réalité et ce
qu’ils avaient espéré trouver à leur arrivée. Le nombre de cadres du nouveau régime est significatif
mais insuffisant. Les différentes notes préparant les projets de coopération effectués dans les années
1990 et 2000 peuvent donner un aperçu sur ce qu’étaient les besoins de ces années.762 Dès le début,
le régime doit recourir à l’assistance technique des experts russes, vietnamiens et européens de
l’Est. À cela s’ajoute l’aide minimale maintenue par l’Organisation des Nations Unies ; les secteurs
de développement ainsi que le nombre de leurs experts ont été réduits, mais n’ont pas été supprimés.
758 Les camps de redressement les plus célèbres sont ceux qui se situent tout près de Vientiane, sur le lac de Nam Ngum :
« Done Thao, Done Nang » (l6ofaflhk’ fvomhk; fvook’), camp de redressement “l’île des messieurs, l’île des demoiselles”. 759 Entre 1975 et 1995, il y aurait eu 359 930 réfugiés. 320 718 se seraient installés dans les pays tiers et 23 247 auraient
été rapatriés au Laos à partir de 1990. Cependant aucun bilan n’a été dressé des décès des traversées du Mékong. D’après
les riverains, on aperçoit parfois des corps sans vie qui flottent sur le fleuve, et dans la nuit on peut entendre des rafales de
coups de feu. D’après le HCR (Fascicule Resettlement Section, juillet 1995, Genève), le nombre des réfugiés représente
un peu plus de 10 % de la population du pays. C’est sans compter ceux qui ne sont pas enregistrés dans les registres de
réfugiés, ni ceux qui sont déjà à l’étranger et qui ne retournent pas au pays, etc.
760 Cf. Basic statistics, about the socio-economic development in the Lao P.D.R. for 15 years (1975-1990), Ministry of
Economy planning and Finance, State Statistical Centre, Vientiane 1990 ; Manuel scolaire, Géographie-3e
. Le Laos et
l’Asie du Sud-Est. Royaume du Laos, Ministère de Education Nationale, Vientiane 1973 ; Kham Vorapheth, Laos. La
redéfinition des stratégies politiques et économiques (1975-2006), Les Indes Savantes, Paris 2007. 761 D’après les propos ironiques d’un ancien étudiant revenu au Laos en 1975 et reparti 3 ans après, estimant avoir essayé
de servir le pays, mais devant fuir, évitant de justesse une arrestation et un séminaire pour subversion idéologique.
Interview à Bangkok en 2004.
762 Cf. Le « Document cadre de partenariat avec la RDP Lao » (Ambassade de France–SCAC) ; la Proposition du
programme de coopération sectorielle avec la France pour la période 2006-2010. MCTPC-, N°1335, Vientiane 2006. Les
différents documents sollicitent toujours la formation des cadres, l’affectation des experts.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Dans les provinces, le régime compte sur les lycéens, les jeunes instituteurs envoyés « en
manœuvre » à la campagne, pour aider aux tâches administratives de base.
Pour contre-balancer la désertification urbaine, aucun effort n’est nécessaire : les habitants
des zones libérées, les ruraux, sont attirés par les villes désertées par leurs anciens habitants. Les
opportunités en termes de logement, dont le parc est constitué des confiscations par l’État,763 attisent
leur envie de s’installer en ville. Pour les villes et les régions trop faiblement habitées, l’État
encourage les gens à se mobiliser pour les occuper en vantant les bienfaits et les avantages. Des
villes nouvelles sont construites dans cette logique et des tentatives pour créer de toute pièce des
lieux “fraternels” et “multiethniques” voient le jour. Nous verrons plus loin les implications de cette
politique.
I. II. d. Les enjeux et les défis économiques
Les produits dans les marchés s’étant raréfiés, on a du mal à trouver de la viande, de
l’essence, du sucre, du lait, malgré le marché noir. Les tickets de rationnement pour les achats dans
les magasins d’État sont distribués aux seuls fonctionnaires. Le marché noir devient de plus en plus
florissant dans les villes les plus importantes du pays, alimenté par la circulation clandestine des
produits intérieurs – souvent, des produits de luxe d’occasion ayant appartenu aux classes aisées de
l’Ancien Régime – mais surtout par les marchés libres de la rive droite thaïlandaise. Le marché noir
explique la circulation clandestine des devises étrangères (dollar américain, bath) tandis que l’or
sert pour les transactions plus importantes, telles la “vente” ou “l’achat” de maisons. Curieusement,
ce sont des familles membre du nouveau gouvernement arrivant des zones libérées qui achètent les
produits intérieurs – vêtements, linge de maison, bijoux. Cette période de transactions illégales
contribuent à définir l’ambiance des habitations et celles de la ville pour les dix ou vingt années à
venir. L’ambiance des habitats change peu à peu : les maisons bourgeoises – grandes villas
modernes des années 1960 – deviennent plus sobres, les propriétaires se débarrassent des objets
inutiles et du mode de vie d’autrefois ; celles qui deviennent le logement des nouveaux arrivés
vieillissent et se délabrent d’année en année. La ville devient calme, ses rues désertes, jusqu’au
début des années 1990.
Devant les pénuries généralisées, le nouveau régime doit réorganiser les moyens de
production, répartir les biens lorsqu’ils existent, organiser la circulation des produits locaux de
subsistance, apprendre l’autosuffisance à la population, demander et gérer les aides provenant des
pays socialistes. En attendant, il ferme les yeux sur le marché noir alimenté par la Thaïlande et
laisse quelques vieilles familles – commerçantes ou pas – jouer les intermédiaires pour importer les
produits de grandes nécessités, sans que cela n’ait un quelconque caractère officiel.764 Malgré la
dépendance certaine vis-à-vis du marché et de l’économie thaïlandaise, la politique du Laos doit se
montrer anti-thaïs et anti-occidentale, n’assumant la dépendance qu’à ses deux grands voisins, le
Vietnam et la Chine.
À partir de 1975, eu égard à l’espace politique, le territoire et les espaces socioculturels et
économiques doivent être réorganisés. Les enjeux spatiaux ne sont plus les mêmes. Les villes lao
sont contraintes de vivre en autarcie, prônant la production et les biens collectifs ainsi que
l’autosuffisance. Un nouvel équilibre territorial et social interne, après la rupture, est recherché pour
763 L’État s’approprie les biens fonciers et immobiliers de ceux qui s’enfuient du pays mais également de ceux qui restent.
Lorsque les propriétaires possèdent plusieurs maisons, l’État leur laisse la maison où ils habitent et peut leur confisquer le
reste, car considéré comme un surplus qu’ils doivent partager.
764 Ces familles prospèrent dans les affaires encore aujourd’hui. Dans la majorité des cas, ce sont des femmes qui n’ont
tenu aucun rôle dans la politique de l’ancien régime. À titre d’exemple, et sans exhaustivité, nous citons le nom de famille
de ces femmes qui jouent un rôle économique non négligeable dans une ville comme Vientiane durant les années difficiles
: Pravongviengkham, Inthavong, Phonsanalack, Sihachark, Voravongsa, etc. Plus de 15 ans après, c’est par ce réseau que
les femmes des hauts cadres révolutionnaires entrent dans le monde des affaires. Discussion à Vientiane vers 2000 avec
deux des femmes dont le nom est cité.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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stabiliser, légitimer et faire perdurer le nouveau pouvoir et la société nouvelle. Il s’agit pour le
nouveau régime d’édifier son propre espace, de le gérer et de le réaménager en rupture avec le passé
tout en héritant des réalités avec lesquelles il faut composer : « une population superstitieuse et
récalcitrante aux progrès qu’il faut éduquer ».
765
Conclusion
Dans ce premier temps, le nouveau pouvoir ne pouvait pas relever tous les défis et venir à
bout de tous les enjeux. Mais sur ces questions, il a mené le pays avec détermination.
Sur le plan spatial et politique, il a tenté de créer de nouveaux symboles et de nouveau
langage, en remplacement des anciens que l’on a détruit ; de réapproprier l’espace et avoir une
vision globale et non-partisane, puisque le territoire devient entier et non plus partitionné comme
durant la guerre froide. Le Laos se retrouve coupé de l’Occident, représenté par la Thaïlande
voisine. Dans la vallée du Mékong, la politique territoriale se tourne plus vers l’intérieur des terres,
la frontière constituée par le Mékong devenant une barrière et non plus un lieu d’échange. Dans le
Nord, au contact avec la Chine, et dans l’Est, au contact avec le Viêtnam, les enjeux diffèrent de
ceux sur la frontière occidentale. Le nouveau pouvoir est amené à gérer la totalité du territoire du
Laos et de sa population, dans un contexte politique régional inédit, alors que les dirigeants
communistes, soutenus par le Viêtnam et la Chine, n’avaient été habitués à gérer que les seules
zones dites “libérées” et les populations embrigadées dans la cause révolutionnaire. Il était logique,
pour le nouveau pouvoir, de compter sur ses deux alliés pour gouverner le pays et garantir sa
sécurité. Ils étaient devenus des appuis idéologiques, politiques et militaires incontournables, et ce,
malgré la guerre frontalière sino-vietnamienne de 1979.
766 La politique laotienne devait composer
d’une part avec la Chine – historiquement dominante – et d’autre part avec le Viêtnam – le puissant
voisin avec qui le parti dirigeant était et reste toujours lié. La nécessité d’exister dans la dualité
sino-vietnamienne induisait non seulement une certaine différenciation territoriale, mais surtout
l’émergence de deux fractions politiques dans la direction de l’État laotien, et ce, jusqu’à la période
actuelle où il semble qu’un équilibre relatif a été trouvé. Durant le conflit sino-vietnamien, où le
Laos avait du mal à garder sa neutralité, le régime pencha du côté vietnamien –de par la
monopolisation cyclique du pouvoir politique par la faction provietnamienne et de par le lien
historique étroit qu’entretient le PPRL avec le PCV.
767 La Chine restait malgré tout un recours pour
éviter d’être entièrement dépendant du Viêtnam. Ainsi, l’axe Nord-Sud traditionnel fut mis en
veille, de la fin des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980, au profit de l’axe Est-Ouest.
Celui-ci avait déjà été mis en place par le pouvoir colonial français pour contrôler le territoire
indochinois : le centre de décision politique de l’Indochine était à Saigon. La lutte anti-coloniale,
qui a favorisé le rapprochement entre les futurs dirigeants communistes laotiens et vietnamiens au
lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, ne fait que reprendre autrement cet axe existant. Bien
que le lien avec la Chine ait été maintenu, l’axe Nord-Sud n’a été relancé que plus tard, à partir de la
seconde moitié des années 1990 pour se renforcer nettement à partir du début des années 2000.
Sur le plan humain, il était difficile de faire adhérer la population entière au nouveau système
politique. Le nouveau régime se retrouvait devant une réalité : se sentant menacée, une partie de la
765 Ces propos, dans les premiers discours révolutionnaires, progressistes et anticléricaux, forment un leit motiv bien
connu de la population laotienne. On les entend dans les réunions politiques partout dans le pays. Il est impossible de
savoir qui les a prononcés en premier. Par leur aspect très théorique, il est quasi certain qu’ils sont issus du Comité de
propagande.
766 17 février 1979, début de la guerre frontalière sino-vietnamienne. 767 Le Parti populaire révolutionnaire lao (PPRL), est lié dès sa naissance au Parti communiste vietnamien (PCV) – pour
ne pas dire qu’il en émane. Fondé par Ho Chi Minh en février 1930, le PCV devient le Parti communiste indochinois
(PCI), en octobre 1930, pour regrouper les communistes et les anticoloniaux de toute l’Indochine. Pour le partic
communiste du Laos, trois étapes sont à retenir : la section lao du PCI est créée en 1936 ; le 22 mars 1955, le Parti du
peuple lao (PPL), Phak Pasason Lao [radxt-k-qo]k;] est créé ; en 1972, le PPL devient le PPRL, Phak Pasason Pativat
Lao. Le Laos signe en 1977 le traité de coopération avec le Vietnam pour maintenir la “relation spéciale” entre les deux
pays. Ce traité est renouvelable tous les 25 ans et marque le lien profond entre PCV et PPRL.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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population fuyait le pays (d’après le HCR, 10 % de la population aurait quitté le pays). Les groupes
dirigeants de l’Ancien Régime qui ont fui n’étaient pas les seuls à être considérés comme des
réactionnaires – des personnes dont on pouvait se passer pour construire le pays, selon le nouveau
pouvoir : chacun était susceptible d’être qualifié de réactionnaire, y compris la grande majorité de la
population non-engagée politiquement. Dans cette confusion, il devenait difficile pour le régime de
distinguer les alliés des ennemis. La politique fut dès lors d’envoyer aux séminaires toute personne
potentiellement ennemie du régime et de surveiller les autres, afin de se parer contre tout risque de
renversement du régime. La gestion des hommes était autoritaire, basée sur l’arbitraire : la fuite de
la population a été sanctionnée sévèrement ; les séminaires politiques comme une nécessité pour
former des hommes nouveaux ; la mobilité des hommes comme un choix pour repeupler et
développer l’ensemble du pays ; une faiblesse démographique comme une fatalité sans solutions.
Sur le plan économique, le pays était plongé dans le marasme : dévaluation du kip, inertie de
la circulation monétaire, production à plat, absence d’investissements publics dans les services de
base (santé, éducation, administration locale), circulation des produits au point mort, etc. Le kip
étant dévalué, l’État décréta le nouveau kip potpoy — “kip de libération”. L’ancien kip ne valant
rien, on le pesait au kilo. Et pour l’échanger contre le kip potpoy, on mobilisait les lycéens pour
accompagner les soldats dans les régions reculées du pays.768 L’effondrement de l’ancien kip
entraîna la ruine des petits commerçants et de la population en général, qui n’eut pas le temps
d’échanger l’ancienne monnaie contre de l’or (moyen traditionnel de réserve monétaire des
Laotiens) avant la mise en circulation du nouveau kip. Ruinés, certains exprimèrent leur
mécontentement et leur refus du nouveau régime, qu’ils désignèrent comme responsable de
l’effondrement généralisé.769 Quoi qu’il en soit, il fallait pour le régime redresser l’économie. Le
choix fut porté vers la mise en œuvre de l’autosuffisance, l’étatisation des biens, le collectivisme ;
l’urgence était d’axer l’économie sur le secteur de la production et de tolérer officieusement et
provisoirement, le marché noir. Les problèmes dans leur ensemble n’ont été que différés,
débouchant peu à peu vers une réforme une décennie plus tard.
Quoiqu’il en soit, l’espoir d’une société plus juste, d’un pays réconcilié avec lui-même
semblait être là avec la fin de la guerre. Sans parler du contexte de guerre froide et tout en
considérant seulement la situation interne du pays, c’était le désir de paix qui semble permettre la
mise en place du régime et non pas son contenu idéologique. Et pourtant, devant les enjeux et les
défis que nous avons évoqués, c’était sur le contenu idéologique d’un monde nouveau que le régime
allait s’installer et se créer des perspectives nouvelles, s’imposer, se légitimer et perdurer : une
hétérotopie s’installa. Nous allons voir que la société laotienne n’est pas indemne du système. Si
idéologiquement les Laotiens se défendent d’être communistes, le système a pourtant apporté un
grand changement dans la société et dans les mentalités, en particulier pour les nouvelles
générations grandies ou nées après 1975. Formés à la vision et à la pensée unique, ils n’ont connu
aucun élément de comparaison possible.
770 La propagande et l’endoctrinement ne passent plus
seulement par les recommandations et les interdictions, par les meetings politiques et les séminaires,
ils passent aussi par le renouvellement du langage des arts et de la culture, touchant au plus près
l’individu. La construction du nouveau pays, l’édification du régime, la sécurité et l’ordre social,
passent également par un arbitrage sévère et un sacrifice humain irréversible.
768 D’après un entretien avec un ancien lycéen qui avait participé à ces opérations, les soldats dans son unité étaient
quasiment analphabètes. Ils suivaient un itinéraire prédéterminé et allaient de village en village. Ils étaient logés chez les
villageois. Pour certains villages, il fallait aller à pied, les sacs d’anciens kips sur le dos. (Entretien à Paris en 1994) 769 Il n’y a jamais eu de manifestation publique ou collective contre le régime. Une simple expression verbale pouvait
entraîner un séjour en prison. Le seul signe d’opposition civile, dans les premiers mois de l’investiture du régime, fut la
réunion d’un parti conservateur, Lao houam samphanh []k;I;,la,rao], dirigé par Bong Souvannavong. Lors de cette
réunion, dans le quartier du cinéma Bouasavanh, il y eut de nombreuses arrestations, notamment celle du chef du parti. Ce
dernier décéda dans un camp de détention quelques années après son arrestation.
770 Un vocabulaire spécifique désigne les deux générations : « Khon song labob » [7qolv’]t[v[] « individu de deux
régimes », contrairement à « Khon labob dyao » [7qo]t[v[fP;] « individu d’un seul régime ».Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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CHAPITRE II
Temps deux : perspective et représentation d’un monde nouveau
Il s’agissait pour le nouveau pouvoir de formuler un concept spatial adéquat à cette nouvelle
société en marche. Sur cette question spatiale, quatre types de transformation étaient essentiels pour
comprendre le processus de changement opéré dans les premières années du régime et avant les
retombées de la réforme : 1- la ruralisation, la disparition de la ville en tant qu’entité à part entière :
2- l’apparition des équipements et des programmes emblématiques, c’est-à-dire la projection
idéologique dans le « désir » de villes nouvelles ; et enfin, 3- l’instauration de la zone spéciale.
II. I. La ruralisation et la disparition de la ville dans sa fonction urbaine
et politique
La ruralisation de la ville, en particulier pour la ville de Vientiane où le phénomène était plus
visible qu’ailleurs du fait qu’elle était la plus urbaine de toutes, était caractérisée par la perception
générale que l’on avait de la ville durant cette époque. Celle-ci tendait à décrire un espace éclaté par
rapport à son rôle initial « civilisateur », centralisateur et structurant d’un territoire plus large. Ceci,
en devenant de plus en plus un espace autogéré, fragmenté et autonome. Ce fait induisait du point
de vue visuel et formel, non seulement une continuité entre la ville et le milieu rural, il induisait
aussi la disparition de l’entité et de l’identité urbaine proprement dite. L’aspect des zones centrales
acquérait le même aspect que les zones périphériques. En fait, nous ne distinguions plus ce qu’était
la ville et ce qu’était sa campagne, tout devenait campagne. Si traditionnellement la ruralité était
intrinsèque à l’espace urbain des villes laotiennes, la ruralité durant cette période nouvelle altérait le
milieu urbain et le faisait disparaître.
La ruralisation passait donc par des réformes administratives et des dispositifs politiques de
l’État et par l’autogestion de l’espace lui-même. L’ensemble de ces démarches et processus
concouraient à faire de l’entité urbaine –qui était déjà traditionnellement fragile– un qualificatif
dénudé de sens par rapport à la réalité spatiale que les villes laotiennes étaient en train de vivre à
cette époque. La citadinité au sens politique, économique et sociospatial s’était en fait retrouvée
atrophiée.
II. I. a. La réforme administrative
Le Laos ne disposait pas avant 1991 de Constitution qui aurait porté dans la majorité des cas
« État de droit » des nations et qui aurait garanti la séparation des pouvoirs, exécutif, judiciaire et
constitutionnel. En 1975, le nouveau régime mettait en place ce que nous pouvons appeler un « État
de fait ». Ce vocabulaire n’est pas un jeu de mots, mais explicite réellement la tenue administrative
avec laquelle le nouveau régime administrait et gérait le pays, par la création des comités
populaires. Il y avait deux champs principaux dans les réformes administratives qui avaient joué un
rôle majeur dans la gestion de l’espace. Il s’agit d’abord du mouvement de décentralisation, puis de
centralisation du pouvoir administratif déconcentré,771 ensuite il s’agit de la réunification de
771 Nous entendons par mouvement de décentralisation le fait d’accorder le pouvoir et l’autonômie matériel au pouvoir
déconcentré, et au contraire, par mouvement de centralisation le fait de ne pas accorder de l’autonômie au pouvoir Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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l’administration de la ville-préfecture à l’administration de la province et il s’agit aussi de la
création de la subdivision du village : le Nouay. Mais avant d’aborder ces questions particulières,
tout d’abord rappelons rapidement l’administration générale de l’Ancien Régime avant l’investiture
du nouveau et celle qui a été mise en place par le nouveau régime juste après.
II. I. a. 1. Un aperçu sur le système et sur la structure de l’administration générale
Les principes du système politique du gouvernement de Vientiane
Pour comprendre ce qui a été réformé il est important de rappeler en quelques points le
système politique de l’Ancien Régime avant l’accord de Vientiane du 21 février 1973. Le système
était fondé sur une monarchie constitutionnelle se basant sur la constitution du 14 septembre 1949.
Le système était composé de quatre institutions principales.
Le roi
Le roi était le chef suprême de l’État, il exerçait une souveraineté suivant les dispositifs
définis par la constitution. Il désigne son successeur au trône selon le droit coutumier. S’il ne
pouvait le faire pour quelconque raison, c’était le conseil de la famille royale de désigner un
nouveau souverain. En cas d’incapacité, le règne pouvait être exercé par un Régent désigné par le
Conseil du roi et approuvé par l’Assemblée Nationale, devant laquelle le Régent désigné devait
prêter serment avant d’entrer en fonction. En attendant la nomination d’un Régent ou en absence du
roi, c’était le Conseil du roi qui prenait la direction du royaume. Le roi sanctionnait ou approuvait
par ordonnance les lois votées par l’Assemblée Nationale. Il dictait par ordonnance les dispositifs
règlementaires proposés par le Conseil des ministres desquels il pouvait aussi présider. Avec
l’accord de la Commission permanente de l’Assemblée Nationale, le roi était habilité à prendre par
ordonnance des décisions législatives. Le roi était le chef suprême de l’armée, habilité à anoblir et à
donner les grades civils et militaires, à gracier et à commuter les peines. Il nommait les ministres,
nominations qui devaient être confirmées par l’Assemblée Nationale.
Le Conseil des ministres
Le président du Conseil des ministres était désigné par le roi. Le Président du Conseil forme
le gouvernement et le soumettait à l’agrément de l’Assemblée Nationale qui devait effectuer un vote
de confiance à la majorité 2/3 des membres présents. Les ministres pouvaient être choisis au sein de
l’Assemblée Nationale ou à l’extérieur. Les ministres dirigeaient les ministères et initiaient les lois.
Ils étaient responsables collectivement en tant que gouvernement et individuellement de leurs actes
et décisions devant l’Assemblée Nationale. La démission collective du gouvernement était faisable
si l’Assemblée Nationale votait la motion de censure ou refusait d’accorder sa confiance. Les
ministres n’avaient pas d’immunité et pouvaient être pénalisés pour des délits commis dans
l’exercice de leur fonction. Ils pouvaient être jugés par le Conseil du roi formé en Haute Cour de
justice.
L’Assemblée Nationale
Les députés étaient élus pour 4 ans au suffrage universel et devaient prêter serment avant
d’entrer en fonction. L’Assemblée Nationale se réunissait sur convocation du roi en une session
annuelle de trois mois ou en session extraordinaire, ou sur demande de la permanence de
l’Assemblée, ou par la moitié des députés. En tous les cas, les sessions étaient inaugurées et
clôturées par le roi ou son représentant. L’Assemblée était seule auto éligible : la démission ou la
déchéance de ses membres. L’Assemblée étudiait à travers ses commissions les budgets, les projets
de loi, etc., et les votait. Les lois votées étaient ensuite présentées au Conseil du Roi. Le bureau de
déconcentré. Il ne s’agit pas ici de la décentralisation (comme en France pour loi de la décentralisation de 1983) ou il y a
autonomie du pouvoir local élu. Nous entendons par pouvoir déconcentré le pouvoir de l’Etat déconcentré physiquement
dans le territoire géographique, comme par exemple le pouvoir du préfet ou du chef de province qui agit sous l’autorité du
gouvernement. C’est un pouvoir non élu, à la différence du pouvoir local élu, décentralisé donc, qui serait le maire d’une
ville.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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permanence de l’Assemblée pouvait contrôler l’action du Conseil des ministres. L’Assemblée
pouvait être dissoute par le Roi sur proposition du Conseil des ministres et après accord du Conseil
du Roi. Les membres de l’Assemblée étaient couverts par l’immunité parlementaire dans les limites
prévues par la constitution.
Le Conseil du Roi
Le conseil du roi était composé de six membres nommés directement par le roi et trois
membres désignés par l’Assemblée Nationale. Ils possédaient des mêmes droits que les députés. Il
donnait son avis sur les projets de loi et pouvait adresser leur proposition à l’Assemblée Nationale.
L’administration générale mise en place par le nouveau régime
Pour l’exécutif, dès l’investiture du régime le 2 décembre 1975, l’ancienne administration
s’était déjà effondrée par le fait que l’Assemblée Populaire Suprême a dissous le gouvernement de
coalition (le 1er décembre 1975), et par le simple fait qu’une partie des hauts fonctionnaires et des
cadres moyens ont quitté le pays ou ont été démis de leurs fonctions, certains d’entre eux ont été
envoyés aux séminaires, d’autres arrêtés et mis en détention. Il fallait dès lors réorganiser et
réaffecter non seulement le nouveau personnel administratif, mais aussi toute la structure
administrative. Cependant, la formation du gouvernement de coalition entre 1973 et 1975 même s’il
a été dissous, a permis au nouveau gouvernement de ne pas démettre entièrement de leur poste tous
les fonctionnaires. Le maintien de ce personnel dans le nouveau système a permis d’éviter de
justesse que le pays soit paralysé, bien que l’administration publique –centrale et locale– dans les
deux premières années ait pu être considérée comme paralysée. Ceci, parce que le travail
d’administration a été confié au Comité Administratif Révolutionnaire qui n’administrait pas, mais
qui passait son temps à organiser les « meetings » politiques, à faire des propagandes, à surveiller
les agissements de la population, même si le comité de propagande et la milice existaient et faisaient
déjà ce travail.
Avant la dissolution officielle du gouvernement de coalition le 1er décembre 1975, le 23 août
1975 le Comité Administratif Révolutionnaire a été créé à Vientiane et dans la province de
Vientiane, avant de créer plus tard les petits comités semblables dans les autres provinces. Les
ministères, avec leurs différentes directions ou départements, bureaux et services, continuaient à
exister comme dans l’Ancien Régime. Cependant s’y ajoutaient plusieurs organes politiques appelés
« organisations de masse ». Elles comptaient parmi elles, le Front Lao pour la Construction
Nationale (ou Front Lao pour l’Edification Nationale), l’Union des Femmes, l’organisation de la
Jeunesse et les syndicats.772 Ensuite il y avait le Parti Populaire Révolutionnaire Lao au dessus
duquel chapeautait le Comité Central du Parti –qui est contrôlé à son tour par le Bureau Politique–
et auquel étaient attachées toutes les organisations de masse, présentes dans tous les organes et
échelons de l’administration, gouvernementale et locale. La hiérarchisation et la position des
responsables politiques dans le gouvernement reflétaient la position et la hiérarchisation des
hommes au sein du parti. C’était le parti qui déterminait le gouvernement.
Pour le pouvoir judiciaire, le tribunal populaire a été mis en avant dès l’investiture du régime,
puisqu’il fallait justifier les nombreuses arrestations, même si aucun tribunal n’a été tenu
physiquement pour que « les présumés innocents »
773 puisaient être jugés ou défendus. Comme son
nom l’indiquait, le tribunal populaire n’avait pas besoin de tenue physique du tribunal, puisque
l’avis ou le jugement du peuple était unique et unanime et n’était pas divisible pour d’éventuels avis
772 Après 1975 notons que les syndicats et les organisations de masse font parti des 21 organismes [Sao-eth ongkane, -
k;gvafvq’dko ] qui ont émergé avec le traité Sangna-Anousangna de 1973 donnant naissance au gouvernement de coalition. 773 En pratique, dans les premières années du régime, les « présumés coupables » n’existaient pas. Car dans un système
policier et autoritaire où les gens vivaient dans la peur et la délation (la peur de ne pas être capable de s’intégrer dans le
moule de la nouvelle société) tout le monde aurait d’abord été coupable de quelque chose et ensuite aurait pu prétendre
être « présumé innocent ». Le droit fondamental de l’être humain figurant sur les textes proclamant le droit de l’homme a
été plus que jamais bafoué ; notamment le droit de l’individu d’être défendu ou de se défendre.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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contraires. Le parti qui représentait le peuple exécutait donc la volonté du peuple. C’est pourquoi, il
n’y avait plus d’avocat, plus de tribunaux. Le Laos fonctionnait de ce point de vue comme en « état
d’urgence » : les militaires remplaçaient souvent la police dans les procédures d’arrestations et ceci,
totalement sans mandat. L’ordre ou la condamnation d’emprisonnement (qui, dans un système
normal, ne devrait être exécuté uniquement qu’après un jugement) pouvait être donnée par le parti
ou autres personnes exécutives dont la position au sein du parti était importante.
Pour le constitutionnel, l’Assemblée Populaire Suprême avec 45 membres « élue par le
peuple » en novembre 1975 remplaçait l’Assemblée Nationale classique. Cette Assemblée était
constituée non pas de députés élus par des électeurs, mais de « représentants du peuple » désignés
par le parti unique.774 C’était par ailleurs la première assemblée de représentants du peuple qui avait
voté pour la dissolution du gouvernement de coalition et la proclamation de la République
Démocratique Populaire Lao le 2 décembre 1975.
Le parti était omniprésent dans toutes les structures. C’est par lui que nous avons compris
qu’il n’y avait pas de séparation du pouvoir (entre l’exécutif, le judiciaire et le constitutionnel) au
Laos, qui garantissait habituellement la base du système démocratique. La grande majorité des
Laotiens donnent habituellement une définition de leur système comme « une démocratie avec
des limites » [xt-kmyxt 8apc[[,u0v[g0f].775 Et face aux quelconques critiques qui tenteraient de définir
le Laos comme un système autoritaire et dictatorial par le fait que le pouvoir politique est dirigé par
un parti unique, ils répondent que : « Le multipartisme mettrait le pays dans le désordre. Le parti
unique permet de maintenir l’ordre et de gouverner avec efficacité ».
776
Avec le nouveau régime, il y avait en fin de compte une nouvelle culture administrative
naissante qui tendait à déresponsabiliser l’individu. Car celui-ci déléguait toute responsabilité vers
le collectif. Sans constitution (la Constitution n’a été promulguée qu’en 1991), sans loi cadre et
règles de détail pour l’exécutif, ni cahier des charges pour les postes de responsabilités techniques,
les décisions et orientations politiques des plus petites échelles (au niveau des services
administratifs) aux plus importantes (au niveau de la haute instance décisionnelle de l’État) se
faisaient par concertation et consultation collectives qui se résultaient par des votes à mains levées,
appelés Long matti []q’,af8y].
L’administration locale
Dans les premières années, comme dans l’Ancien Régime, quatre niveaux du pouvoir étaient
maintenus : le village [[hjhjko. ban], le canton [8kcl’D tassèng], le district [g,nv’D muang] et la province
[c0;’D Khrouèng]. Le Nouay a été ajouté comme une subdivision du village dès le début. Par contre
plus tard, en 1991, le tassèng a été supprimé.
Dans l’appareil administratif local, nous retrouvons le Comité Central du Parti, le Conseil du
Peuple et le Conseil du gouvernement répliqués à l’échelon du canton, du district et de la province.
Le Conseil du Peuple ou le Comité populaire était élu pour les trois niveaux administratifs. Le
gouverneur de province qui avait position égale au ministre n’était pas attaché au ministère de
l’Intérieur, mais était responsable directement devant le Premier ministre. Jusqu’à 1986, cette
administration locale déconcentrée pouvait être considérée comme politiquement centralisée par le
fait que le Comité Central du Parti, le Comité Populaire et le Conseil du gouvernement étaient
774 Les députés sont par définition les représentants des citoyens dans une démocratie normalisée, mais les « représentant
du peuple » dans le système laotien à partir de 1975 n’est pas élu par le peuple mais désigné par le parti unique. 775 On peut recueillir ce propos facilement auprès des personnes instruites. Même les fonctionnaires l’évoquent
facilement sans tabous : « nous avons une démocratie avec des limites » [gIqk,uxt-kmyxt8apc[[,u0v[g0f] est devenu un
maxime pour la majorité des laotiens.
776 Discusion au café de quartier de la rue Heng Boun à Vientiane (vers 2004). Ce café est fréquenté par les hommes
d’affaires et les membres du gouvernement, actifs ou à la retraite. Les gens lisent les journaux, discutent et commentent
les informations, se donnent aussi des tuyeaux pour les affaires. L’accès est libre à tous. Le café a été ouvert il y a près de
60 ans par les parents du propriétaire actuel. Même si le bâtiment lui même a été reconstruit, le café porte le même nom et
la plaque en lao et en chinois reste la même depuis 60 ans.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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présents dans les administrations locales. Par contre, elle pouvait être considérée comme
décentralisée par le fait qu’elle possédait sa propre administration et son propre budget. Même si
une petite partie du budget local venait tout de même de la rétribution du gouvernement central, la
grande majorité venait des perceptions locales, provenant entre autres des entreprises d’État et
autres, localisées dans les provinces.
Après la réforme de 1986, l’autonomie de l’administration locale devenait encore plus
importante. La réforme budgétaire demandait aux provinces de s’auto suffire économiquement et
financièrement. Elle permettait au gouvernement central de transférer la gestion et la planification
des ressources locales sous la responsabilité de l’administration provinciale. Les taxes
administratives dans les districts et dans les provinces relevaient de la compétence du gouverneur de
province. Les branches locales de la banque nationale menaient leur propre politique de crédit et de
taux de change. Le salaire du personnel administratif était déterminé par le pouvoir local et les
revenus des entreprises de l’État localisées dans les provinces étaient attribués au budget de la
province.
Nous constatons que la décentralisation menée jusque-là n’avait pas provoqué de grands
disfonctionnements entre le pouvoir central et local, au contraire cela aidait à maintenir un
mécanisme administratif de base que le pouvoir central ne pouvait pas assumer complètement. Mais
le fait que les provinces étaient obligées de s’autofinancer, petit à petit le pouvoir local menait une
politique de plus en plus autonome mettant progressivement le pouvoir central en porte-à-faux. En
fait, la forte décentralisation et le manque total de contrôle dans le secteur monétaire par la politique
nationale devenaient l’un des facteurs qui provoquaient l’inflation.777 Par ailleurs, les écarts entre les
provinces se creusaient, selon que certaines provinces possédaient peu ou beaucoup d’entreprise,
d’activités et donc de ressources et de revenus.
Devant de pareil disfonctionnement, les ministères ne pouvaient agir dans les secteurs qui
relevaient de leur compétence. Par exemple, ils ne pouvaient évoquer les problèmes et y intervenir
que de manière ponctuelle par le biais du pouvoir du Premier ministre. Ce qui prenait un temps long
et paralysait souvent les actions d’assistance que les ministères devaient normalement conduire dans
les secteurs de leurs compétences, notamment dans le secteur de l’éducation et de la santé, pour
mener à bien la politique sectorielle du gouvernement.
Lors de la promulgation de la première constitution de la RDPL en 1991, de grands
changements étaient prévus dans l’administration locale : l’État avait décidé de « reprendre les
choses en main ». Une « sérieuse » recentralisation a été préconisée. Elle a été clairement réalisée à
travers la réforme fiscale et budgétaire.778 Dès lors le ministère des Finances a commencé à
contrôler le budget et centraliser les finances (perceptions et rétribution). Le système de Budget
National a été institué et toutes les dépenses publiques (centrales ou locales) a dû être formulées
préalablement dans le plan budgétaire national. Dans les provinces, il était représenté par ses
bureaux des finances et à travers eux les taxes et autres perceptions remontaient vers l’État. La
Banque de l’État devenait alors la Banque Centrale qui contrôlait tout le système monétaire.
Donc par le biais de la recentralisation des budgets et des perceptions le pouvoir local ne
disposait plus de fonds propres et par la rétribution budgétaire annuelle de l’État il devenait moins
autonome. Même si les gouverneurs continuaient à avoir le même rang que les ministres, un
mécanisme administratif transversal a été établi pour que les décisions politiques de l’État à travers
ses ministères aient pu être transmises et appliquées dans les provinces et dans ses secteurs de
compétence.
777 Rapport de la Banque Asiatique de Développement. 778 Remarquons que le terme « réforme fiscale » peut être remplacé par « création fiscale », puisque la fiscalité était
auparavant quasiment inexistante. Car dans un système de production collective et de contrôle des échanges par l’État, la
fiscalité n’apportait pas grande chose à l’État. Pour simplifier nous pouvons dire que l’État ne pouvait pas s’auto taxer.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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II. I. a. 2. La réunification de l’administration provinciale à l’administration de la Ville -
Préfecture
Habituellement dans l’Ancien Régime, comme nous l’avons vu dans le point précédent, il y
avait trois canaux possibles dans l’exercice du pouvoir exécutif (à la fois du point de vue politique
qu’administratif), correspondant à trois échelles territoriales distinctes. Il s’agit du pouvoir
gouvernemental dirigeant la politique du gouvernement couvrant tout le pays (Premier ministre et
ministres), le pouvoir local coutumier émanant de fait du local pour gérer les affaires locales (chef
du village, d;o[hkoF r+[hko). Pour le troisième pouvoir, le pouvoir central déconcentré représentant le
gouvernement et exerçant sa politique, il y a deux personnes institutionnelles. Il y a d’abord le
Préfet, Chao Khrouang Kamphaèng Nakone [g9Qkc0;’d=kcr’ot7vo], en charge de la gestion de
l’agglomération urbaine, c’est-à-dire de la préfecture, avec ses subalternes chefs des districts, Chao
Muang [g9Qkg,nv’], en charge de la gestion des districts. Ensuite il y a le Gouverneur de province,
Chao Khrouang [g9Qkc0;’], en charge de la province (hors agglomération).
Dans l’administration du Nouveau Régime, c’est surtout le troisième pouvoir, le pouvoir
central déconcentré qui a été modifié. Effectivement, jusqu’en 1981 l’administration de la
préfecture a été supprimée ainsi que le préfet, pour être rattachée à l’administration unique de la
province, devenant par exemple pour Vientiane une seule unité appelée « province-préfecture de
Vientiane » [c0;’-d=kcr’ot7vo;P’9ao], dont le siège administratif a été installé dans la ville de
Vientiane. Ceci mettait sans doute en évidence la volonté de méconnaître la notion de centre et
l’identité administrative de la ville ou de l’agglomération urbaine. Car l’origine de l’administration
d’un chef-lieu est bien la mise en évidence de sa particularité citadine, son statut de cité par
excellence.
II. I. a. 3. La création d’une subdivision du village : le nouay
Dès l’investiture du régime, s’en était suivi un système autoritaire et policier. Car, si la
sécurité militaire semblait assurée, la sécurité civile était pour le régime encore à faire. La
« résistance » [d=k]a’d6h-kf] comme nous l’avons déjà souligné, menait des actions de guérilla à la
frontière thaïlandaise et agissait aussi parmi la population, dans l’espoir de renverser le régime. Cela
obligeait le nouveau régime à mener avec fermeté une politique de contrôle dans les frontières, mais
surtout à établir un maillage de contrôle des civils dans l’ensemble du pays. La structure du village
traditionnelle qui était la plus petite cellule administrative et qui incarnait le pouvoir local s’était
vue supplantée par des organisations politiques de masse, tels le Comité Populaire villageois du
parti PPRL, les cellules de sensibilisation et de propagande, les cellules de détachement de l’armée,
la milice, l’union des femmes, l’union de la jeunesse, etc. Mais ces cellules politiques ne semblaient
pas suffire pour se prémunir contre d’éventuelle résistance et « révolte » de l’intérieur, incitées par
les « ennemis » du régime. Pour garantir une sécurité sans faille, il fallait pouvoir contrôler le plus
près possible la société, aller au plus près de la cellule familiale, jusqu’à l’individu. La plus petite
cellule administrative a donc été créée. Il s’agissait du nouay [so;jp], une sorte d’unité de quartier.
Le nouay permettait de contrôler dix maisons au maximum. Dans chaque village on instaurait alors
plusieurs nouay, chaque nouay portait un numéro et à la tête duquel il y avait un chef. Ce dernier
devait connaître tous les membres de son unité, leurs activités, leurs liens de parenté, etc. Dès qu’un
étranger arrivait dans le village et dès qu’une famille avait de la visite d’un membre de sa famille
venant d’un autre district ou d’une autre province, il ou elle devait impérativement le signaler au
chef d‘unité. Le schéma fonctionne toujours ainsi aujourd’hui tout en étant devenu plus souple.
La création du nouay semblait réduire le rôle traditionnel du chef du village. Son
fonctionnement montrait en effet que la division en petite unité tendait à réduire le rôle et
l’importance de l’entité villageoise dans les relations interpersonnelles quasi-filiales entre le « pô
ban » [r+[hko] (père du village, chef du village) et le « louk ban » []6d[hko] (enfant du village, habitant
du village). Et ce, même si les chefs des nouay pouvaient faire remonter les informations au chef du
village et même s’il ne pouvait pas, à priori, tenir des réunions sans lui. Par contre, le chef du nouay
pouvait court-circuiter le chef du village en le dénonçant aux autorités supérieures, en apportant des
FIG. 169. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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informations le concernant directement au Comité Populaire du village, au quel cas il aurait constaté
que le « père du village » était trop complaisant avec ses « louk ban ». Ceci pouvait souvent arriver
lorsque le chef du village était un ancien. Celui-ci préférait protéger ses villageois par des conseils
s’il y avait des écarts commis à l’encontre des nouvelles directives du « Parti-État » [rad-]af].
Certains prenaient le risque de protéger les « louk ban » en cachant aux autorités du comité
populaire les actions qui valaient peine d’emprisonnement, par exemple en cachant les plans de
fuite vers la Thaïlande de certains villageois, alors qu’il était sensé de les dénoncer.779
Quant à l’existence du nouay, il semblait mettre en évidence l’idée du quartier urbain. Le
rôle du chef de village réduit, nous passons à un maillage de quartier qui était plutôt le propre du
milieu urbain. En fin de compte, nous voyons ici qu’il y avait deux démarches aux résultats
contradictoires. D’un côté, vouloir contrôler les habitants avec la création du maillage de quartier
composé de dix maisons, qui tendait à faire disparaître l’échelle villageoise traditionnelle, et de
l’autre, vouloir rendre la ville plus rurale qu’elle ne l’était, par certains modes d’usage de son espace
dont nous avons noté précédemment la démarche et les processus (de ruralisation).
II. I. b. Les principaux dispositifs politiques
Les dispositifs politiques étaient les premiers éléments qui contribuaient à la transformation
de l’espace urbain, bien que ces dispositifs ne soient directement liés ni à la politique de la ville, ni à
la gestion, ni à l’aménagement de l’espace. Quatre dispositifs politiques ont été essentiels : la mise
en application de la politique d’autosuffisance, le collectivisme des activités de production et la
réforme agraire, les travaux collectifs et l’absence des services urbains, et enfin l’étatisation des
biens fonciers et immobiliers.
II. I. b. 1. La politique d’autosuffisance
Dès le début de l’année 1976, la politique d’autosuffisance a été mise en place, suivie dans
la foulée par les travaux collectifs. L’autosuffisance était corollaire à l’idéologie du régime, mais
aussi à la nécessité réelle induite par la pénurie qui se manifestait dès le début. Tant en campagnes
qu’en centres urbains l’État demandait à tous les foyers d’aménager des lopins de terre pour la
culture, de créer des élevages pour subvenir aux consommations familiales. Toutefois, la
consommation a été réglementée : par exemple avant de tuer son cochon, sa vache ou ses poules, la
population devait signaler et demander l’autorisation au comité du village.
Si ce fait n’avait pas apporté de grands changements dans les habitations rurales de la
campagne ou périurbaines par rapport à la période avant 1975, car la population menait
habituellement déjà ces activités depuis toujours pour subvenir aux besoins quotidiens à l’échelle
familiale780 (en particulier pour les foyers à double résidence), par contre dans les quartiers les plus
centraux des villes, un grand changement modifiait les ambiances urbaines. Les terrains autour des
habitations ayant été occupés par les petits jardins de potager et les poulaillers, les habitants
utilisaient aussi les petites friches, les espaces interstice au bord des trottoirs, sur le bas-côté des
779 Une autre situation importante à signaler ici sur le lien social profond qui pouvait exister entre un pô ban et ses louk
ban : lorsqu’un jeune du village a été arrêté pour « mauvaises mœurs ou délinquance » parce qu’il se tatouait, portait des
Jeans, écoutait de la musique occidentale ou se promenait avec une jeune fille la nuit tombée, le chef du village allait
réclamer son louk ban jusqu’à la prison centrale avec son comité des sages, parfois très informel, pour prendre sous sa
responsabilité et se porter garant que le jeune homme ne ferait plus lesdites fautes.
780 Ayant vécu la première année du régime (un an et demi) j’ai encore des souvenirs de cette période. Nous vivions dans
un village à 12 kilomètres du centre-ville de Vientiane. La famille élargie possédait beaucoup de rizières et de sous-bois
depuis le début du xxe siècle, mon père, agronome, s’occupant de la coopérative au ministère de l’Agriculture dès le
milieu des années 1960. La riziculture immergée, les vergers, le potager, la pisciculture au milieu des rizières ont été les
principales activités familiales. L’autosuffissance étant assurée, une large partie des récoltes était vendue ou partagée.
Après 1975, la politique d’autosuffisance imposée par l’État ne constituait pas en soit une nouveauté. Les pénuries
connues en ville faisaient que l’on était plus à l’aise à la campagne. C’était le manque de main-d’œuvre agricole qui a été
difficile, il n’y a plus ni ouvrier agricole, ni cultivateurs pour louer les terres. Rappelons qu’avant 1975, les ouvriers
agricoles étaient soit des métayers, soit ils louaient les rizières contre 1/3 en riz reversé aux propriétaires. Le collectivisme
et la confiscation des terres par le nouveau régime bouleversaient ainsi ces pratiques.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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routes, entre les clôtures, pour planter des salades, des tomates, des aubergines, etc. De même, les
fonctionnaires des ministères transformaient les bassins d’agrément en bassin piscicole, utilisaient
les anciens parkings des ministères pour élever les lapins, les poulets. Lorsque les fonctionnaires
venaient travailler au bureau (beaucoup en vélo), il était courant de voir qu’ils ramenaient des
légumes de chez eux ou des liserons d’eau ramasser sur la route pour donner aux lapins. Toute la
ville était devenue ainsi utile. Quelques jardins d’agrément les plus importants subsistaient encore
dans la capitale (à Patouxay, à Simuang), mais dans les villes de province le manque d’entretien
faisait que les jardins d’agrément des équipements publics tombaient en déshérence. Ils étaient alors
réinvestis par des jardins potagers.
Si pour les habitants, les produits issus des jardins qu’ils aménageaient dans les lopins de
terre et dans les espaces d’interstices avaient pu compléter réellement les denrées alimentaires
déficientes de l’époque, par contre les activités agricoles menées dans le cadre des ministères ne
l’étaient que théoriquement. Elles satisfaisaient plutôt une directive politique, une attitude à prendre
pour correspondre à la morale du nouveau régime. Elles ne répondaient pas du tout à la réalité des
besoins. L’État avait dû importer du riz en raison de 150.000 tonnes par ans de 1976 à 1984.781
Par contre, la nuance était à remarquer pour les écoles et les universités qui avaient été les
plus laborieuses et les plus efficaces. Les campus universitaires qui logeaient des centaines
d’étudiants des provinces ont organisé des activités agricoles de manière plus efficace qu’ailleurs,
du fait que ces activités les faisaient vraiment vivre. Ayant très peu de fonds envoyés par la famille
et n’ayant pas autres endroits où se fournir en denrées alimentaires, les étudiants effectuaient très
sérieusement leur activité agricole et d’élevage. Celles-ci pouvaient couvrir presque entièrement
leur consommation quotidienne.
II. I. b. 2. Le contrôle de la production : le collectivisme dans la démarche de la réforme
agraire
Le collectivisme de la production et son contrôle complet passaient essentiellement par
deux ensembles d’actions : création des coopératives agricoles associées à la création des fermes
d’État, étatisation des moyens de production : les entreprises et les terres. L’objectif théorique du
gouvernement, comme bon nombre de pays socialistes, était de contrôler tous les domaines de
production. Les moyens de production devaient être remis entre les mains de l’État, car il estimait
que la clef de l’économie se trouvait dans ce contrôle. Et si l’État ne pouvait s’approprier de toutes
les terres, il estimait nécessaire le contrôle de leur production, espérant que cela pouvait être un bon
tremplin pour l’économie et pouvant assurer l’autosuffisance du pays à l’échelle nationale. La
reconnaissance partielle du droit d’usage privé avait été espérée comme un instrument pour rendre
possible l’autosuffisance alimentaire à l’échelle familiale, et la rétribution des terres comme un
instrument de nivellement social.
Étatisation des entreprises
L’État s’appropriait des entreprises pour réaliser lui-même la gestion, la production, la
distribution et pour bénéficier lui-même des produits et des plus-values des produits. Etant luimême
le producteur et le distributeur -voire le consommateur, dans le sens ou les produits étaient
« vendus » dans les boutiques d’État réservés prioritairement aux agents de l’État (on y venait
chercher les produits avec des tickets d’achat et de rationnement), son système de production
tournait en circuit fermé, l’argent ne circulait pas et les fonds d’investissement s’étiolaient. Le
réinvestissement pour améliorer la production et les produits et pour mieux gérer la distribution,
etc., était en fait peu important. Peu à peu, les moyens et les techniques de production se rouillaient,
entrainant de faibles rendements. Ce constat avait dû être fait dès le début, mais à chaque fois, il
était différé. C’est vers 1978 que l’État était obligé d’admettre ce constat en même temps que de
781 Note MS de Vienne et J. Népote.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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nombreuses difficultés constatées dans les autres secteurs. A la suite de quoi le plan de trois ans a
été mis en place.
Création des coopératives agricoles et des fermes d’État
L’État s’appropriait des terres pour y créer des coopératives agricoles, des fermes d’État ou
pour les redistribuer aux paysans qui n’en possédaient pas. Sur ce, soulignons trois choses
importantes :
1- Les coopératives agricoles étaient constituées de plusieurs fermes ou de plusieurs exploitants et
de plusieurs parcelles agricoles. Ces dernières étaient rassemblées pour constituer une unité
collective de production exploitée par les anciens propriétaires des terres et par les exploitants -
anciens ou nouveaux- sous les directives de l’État. Les rendements et les prix ont été fixés par lui,
ainsi que la méthode. En fait, l’État contrôlait complètement la production agricole à travers les
coopératives. Les paysans ne se sentaient pas propriétaires ni de leur terre, ni de leurs produits, ils
devenaient de simples ouvriers agricoles. Comparant à l’Ancien Régime, dans le pire des cas un
paysan sans terre, en « louant » la terre des autres pour exploiter gagnait deux tiers des produits
récoltés, le tiers est donné au propriétaire en guise de loyer. Dans une coopérative socialiste, les
produits qui lui revenaient de droits étaient beaucoup moins importants. Un bon agriculteur ayant un
bon savoir du terroir se sentait lésé parce qu’il devait partager ses récoltes aux autres qui réalisaient
peut-être moins bien que lui leur récolte, etc.
2- Certaines fermes d’Etat reprenaient celles qui avaient été expérimentées dans l’Ancien Régime
en changeant la méthode et les objectifs, il s’agissait par exemple de l’ancienne ferme
expérimentale de Thang-Ngon. Les fermes d’État étaient un peu différentes des coopératives. Pour
les fermes d’État l’État était propriétaire (par expropriation ou par le fait que le domaine appartenait
déjà à l’État) des terres et de l’exploitation. Les exploitants agricoles en ce cas, bien qu’ils soient
recrutés parmi les paysans, avaient plus ou moins le statut d’employé et d’ouvrier agricole. Les
matériels et les techniques appartenaient à l’État, aidé par les techniciens et coopérants étrangers
venant en majorité de l’Union Soviétique et parfois de Chine. Malgré cela la technique
d’exploitation restait, dans son ensemble, archaïque ou inappropriée. Il est utile de souligner, avec
quelques exemples, le côté « surréaliste » de certaines fermes d’État. Lorsque nous avons discuté
avec les paysans sur la route qui nous menait vers la Plaine des Jarres (le site numéro 2), ils ont
décrit, avec déception, les exploitations qui ont été mises en place à l’époque. Le plateau de Xiang
Khouang étant un peu vallonné, traditionnellement les paysans phouans avaient l’habitude
d’aménager des rizières avec des diguettes de petite taille pour pouvoir retenir suffisamment d’eau,
sans que cela soit des rizières en escalier comme ce fut le cas sur les flancs de collines. Lorsque
l’État avait décidé d’aménager les coopératives ou les fermes, les techniciens avaient enlevé les
diguettes pour faire des grands champs de riz travaillés avec des engins agricoles plus grands, l’eau
n’avait plus être retenue. Les rizières sensées être immergées, n’étaient plus immergées et le
rendement était catastrophique : « Après la coopérative et la ferme d’État, heureusement arrêtées,
nous avons dû mettre des années pour réinstaller de nouveau les diguettes. »
782
3- La rétribution des terres qui ont été confisquées au gens qui avaient quitté le pays ou qui avaient
simplement trop de terres, était orientée vers les populations qui venaient des zones libérées et
moins vers les pauvres paysans ou ouvriers agricoles qui vivaient sur place. Ces rétributions
n’avaient pas été réalisées suite à des enquêtes de terrain sérieuses, dans le cas contraire, il y aurait
une prise en compte de cette réalité.
Il y avait effectivement beaucoup de gens pauvres survivant tant bien que mal dans
l’Ancien Régime et qui continuaient à l’être, et plus encore, dans le Nouveau Régime. Car la terre
des paysans pauvres pouvait aussi être confisquée et ils pouvaient aussi être obligés d’entrer dans le
782 D’après un paysan sur la route du site archéologique des jarres numéro 2. Xiang Khouang 2002.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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système de coopérative. Une fois faite, la révolution, les ménages pauvres de l’Ancien Régime ne
trouvaient pas d’avantage de salut dans le Nouveau Régime, pourtant prometteur avec la rétribution
des terres. Mais la rétribution des terres a été avant tout une démarche idéologique, conformément
aux logiques du régime qui privilégiait d’abord les partisans de la révolution.
Toute proportion gardée, les trois points pouvaient expliquer le fait que parmi ceux qui
quittaient le pays il n’y a pas que les soi-disant réactionnaires et les partisans des « impérialistes » et
de l’Ancien Régime. Il y avait aussi les gens pauvres des grandes villes de la vallée du Mékong, les
paysans plus ou moins aisés qui consentaient à abandonner leurs terres pour les camps de réfugiés
en Thaïlande, tellement les expropriations des terres et les coopératives étaient pour eux absurdes.
En réalité, la pauvreté n’était pas forcément liée au fait de posséder ou pas des terres à
cultiver. Les facteurs de pauvreté étaient autrement plus complexes que le schéma simpliste : où
pauvreté serait égale à non-possession de terres à cultiver, ou pauvreté égale exploitée par les
bourgeois et les propriétaires terriens, ou encore, propriété égale richesse. La pauvreté au Laos à
l’époque était surtout liée à la guerre, à la migration, au sous-développement, où les droits
fondamentaux n’étaient pas acquis : accès à l’éducation, à la santé, à l’eau et à l’électricité, aux
informations, au droit d’être défendu par la loi, etc. La grande majorité des Laotiens et surtout les
paysans étaient traditionnellement propriétaires de leur terre et de leur exploitation, ce qui ne les
empêchait pas d’être dans le besoin, lorsque la récolte était mauvaise, lorsque le système de
transformation, de circulation et de distribution de leurs produits n’était pas bien organisé et soutenu
par l’État. Les spécialistes locaux estimaient dans les années 1960 qu’il suffisait à l’État de faire des
efforts et d’intervenir de manière mesurée pour améliorer la production et les conditions des
paysans, en leur aidant à organiser le système de distribution (réguler le marché), en favorisant leur
accès au crédit, en mettant à leur disposition des conseils et recommandations techniques, etc.783
C’était des dispositifs qui ont plus ou moins été déclenchés dès le milieu des années 1960, lorsque
le gouvernement de Vientiane avait permis la mise en place des projets de coopérative et de fermes
expérimentales. En l’occurrence, les agriculteurs ne sont pas taxés sur leurs produits. Le défi et le
combat étaient alors de l’ordre technique et économique. Aux yeux des gens les plus concernés, ils
étaient ni idéologiques, ni politiques, et ne nécessitant pas le renversement social. Les paysans
avaient a priori aucune animosité pour vouloir déposséder les riches propriétaires. Car les dispositifs
qui auraient remis en question la jouissance du droit d’usage des terres agricoles auraient remis en
question aussi leurs propres acquis, le fait qu’ils étaient eux-mêmes propriétaires. Et il n’y avait pas,
quel que soit le degré de dominance des sakdina (des personnes ayant un titre nobiliaire ou
mandarinal et des terres) sur le reste de la population, des riches propriétaires qui auraient été
favorisés par une quelconque système ou quelconque loi pour usurper la terre des paysans en toute
impunité. Bien entendu, il y avait des abus et des faits de société, relevant des litiges du droit
commun. En ce cas, ceci pouvait toucher aussi les autres secteurs et n’importe quelle classe sociale.
II. I. b. 3. L’étatisation des biens fonciers et immobiliers
Si la réforme agraire a été planifiée et appliquée dès 1976 dans la nouvelle république (les
agents de l’État ayant le temps d’expérimenter sa mise en œuvre depuis 1968 dans les zones
libérées), l’étatisation foncière et immobilière avait été mise en place de manière brutale, sans
justificatifs et sur la base des préjudices : les personnes, à qui l’État confisquait les biens, étaient
forcément coupables et fautives de quelque chose aux yeux de la nouvelle société qui se mettait en
place. De fait, ces personnes étaient mises à dos et se sentaient difficilement intégrées dans la
nouvelle société. Au contraire, les personnes dont l’État réattribuaient les biens étaient méritoires.
La nouvelle société était ainsi constituée de deux clivages, de deux groupes de population : les
783 Propos de Phomma Sayarath, agronome et hydraulicien, responsable de la coopérative à la ferme expérimentale de
Tang-Ngone, fin des années 1960, début des années 1970. Cf. Ses travaux de sensibilisation à la connaissance de la
coopérative agricole.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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personnes lésées et les personnes privilégiées. Les individus lésés quittaient peu à peu le pays quand
ils le pouvaient, mais beaucoup étaient restés malgré tout. Donc les victimes de l’expropriation
foncière et immobilière n’étaient pas que les membres de l’Ancien Régime ou ceux qui ont quitté le
pays, mais aussi ceux qui étaient restés.
Beaucoup de biens confisqués ont été rétribués aux populations nouvellement arrivées des
zones libérées. Parmi ces populations figuraient les privilégiés du régime : les membres du nouveau
gouvernement et du parti. Certains se voyaient attribués des villas privées des personnes de
l’Ancien Régime, qu’elles soient ou pas membres de l’ancien gouvernement de Vientiane. Les hauts
dignitaires du régime réoccupaient souvent le patrimoine de l’État. Le patrimoine foncier et
immobilier de l’État avait été constitué –rappelons-le– à l’indépendance du Laos. Lorsque
l’administration française et son personnel avaient quitté le pays, ils avaient transféré les biens
publics à l’État laotien. Celui-ci s’était doté d’un nombre important de bâtiments coloniaux, dont le
droit de jouissance a été dispatché entre les ministères. Notamment les ministères de la culture, de la
santé et des travaux publics qui se partageaient ainsi les plus belles villas coloniales dans le quartier
centre de la ville. Sous le gouvernement de Vientiane, les villas qui n’étaient pas appropriées pour
loger les sièges ministériels ont acquis une fonction de résidence officielle réservée aux hauts
dignitaires du gouvernement en poste. Les belles villas coloniales en centre ville qui avaient été
d’abord la résidence des administrateurs français ou le siège de leur administration et qui devenaient
ensuite les résidences officielles des ministres du régime de Vientiane, étaient occupées à vie à
partir de 1975 par les ministres ou hauts dignitaires du nouveau régime.784 Effectivement, ces villas
ne sont pas occupées comme une résidence officielle durant le temps du mandat de fonction, mais
comme une rétribution à vie. Aujourd’hui beaucoup de ministres révolutionnaires sont décédés, les
villas sont occupées par leurs enfants et petits enfants. Tardivement, le gouvernement a permis aux
descendants de procéder à l’immatriculation des titres fonciers, par des achats symboliques. En
2009, nous avons constaté que les descendants qui désiraient immatriculer ces biens en leur nom
propre ont parfois beaucoup de mal à le faire : le foncier étant devenu très valorisé en centre urbain,
l’Etat se montre réticent avant d’accorder cette immatriculation moyennant une somme symbolique
comme il a été prévu. En occurrence, la société mixte pour la gestion et le développement foncier
ayant été créée, les profits financiers ayant été mis en évidence par elle, il est probablement logique
que l’État veuille récupérer ces biens pour se doter de ces profits.
L’histoire depuis la période coloniale montre l’évolution statutaire de ces villas de manière
intéressante : du statut de bien public à fréquentation privée, elles demeuraient les biens publics
jusqu’à 1975, puis étaient passées au statut de bien complètement privé aujourd’hui. Il est tout à fait
curieux que le système collectiviste et d’étatisation socialiste a été l’auteur de ce passage du public
au privé : les villas qui ont pu être immatriculées ont été privatisées. Devenus des biens
complètement privés, leurs nouveaux propriétaires sont libres de les louer et de les donner en
concession, voire de les vendre.
II. I. b. 4. L’absence de services urbains et les travaux collectifs
Ce qui avait le plus marqué les premières années du régime, ce fut l’absence des
services urbains : ramassage des ordures ménagères, gestion des circulations, entretien des routes et
des caniveaux –fermés ou à ciel ouvert– qui étaient très vite envahis par la végétation, l’éclairage
public, etc. Soulignons que déjà dans l’Ancien Régime, la gestion des ordures ménagères,
l’entretien des caniveaux ainsi que la gestion de la circulation, étaient déplorables. Bien que
l’organisme s’occupant des services urbains ait été installé, ses missions ne couvraient pas tous les
secteurs, et dans l’ensemble, il peinait à fonctionner. Ceci était dû aux différents facteurs,
notamment les effractions par les usagers de diverses règles imposées (dépôt d’ordure impropre,
784 L’édifice qui loge aujourd’hui le restaurant Kop Chaï deu a été attribué aux écrivains officiels du nouveau régime, dont
l’un d’autre eux est le père du propriétaire de Kop Chaï Deu. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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mauvais code de conduite, etc.) Les études des experts internationaux qui avaient été sollicités à
l’époque ont démontré les préoccupations des gouvernants et les diverses difficultés pour apporter
des solutions dans ce secteur, notamment l’Etude sur la circulation de Vientiane.
785 Privé d’une
administration compétente et des services urbains –car toute la structure administrative a été abolie–
le nouveau régime devait faire face à la gestion de la ville. Pour y faire face, les travaux collectifs
instaurés étaient devenus l’une des principes de la reconstruction du pays. La mobilisation de la
population pour effectuer les travaux publics : curetage des caniveaux, nettoyage des rues,
désherbage des bords de route, redressement et nettoyage des canaux, etc., avaient permis à la ville
d’être à peu près propres, évitant les catastrophes sanitaires. Et en ce qui concerne la circulation, les
problèmes s’étaient réglés de soit : il n’y avait plus beaucoup de véhicules sur les routes désertiques
de la ville. Il n’y avait plus que des vélos, des camions militaires et quelques voitures des experts
étrangers et du corps diplomatique.
Les travaux collectifs dans de telles circonstances étaient alors devenus utiles et
indispensables. On ne voyait pas des tas d’ordures dans la rue de Vientiane ou de celles des villes de
province. Les hauts-parleurs dans les rues rappelaient chaque matin les comportements à adopter
pour les bons citoyens du nouveau régime, notamment les trois principes d’hygiène de base :
manger propre, habiter propre, habiller propre (sic). Tous les week-ends, les travaux collectifs du
quartier, du village ou de toute la ville étaient organisés. Et les hauts-parleurs mettaient de la
musique pour encourager et féliciter les habitants laborieux.
II. I. c. De l’auto gestion de l’espace au déploiement spatial non planifié
Les quatre points que nous venons de développer explicitent clairement l’auto-gestion de
l’espace de la ville. La population gérait son espace de vie, sous les recommandations avisées du
parti-État. Sans pouvoir parler réellement de développement urbain, car cette période en était
dépourvue, l’espace urbain se transformait peu et certains quartiers se déployaient en s’autoorganisant,
dans les quinze premières années du régime, sans aucune réglementation et planification
de la part de l’État. Ce fait peut être constaté à travers deux faits spatiaux majeurs : la constitution
progressive des quartiers périphériques et le changement de fonction de l’habitat et de la ville.
II. I. c. 1. La constitution des quartiers périphériques
Lorsque Vientiane (ainsi que les villes de province) avait perdu une grande partie de sa
population citadine et lorsqu’elle s’était dotée de nouvelles populations arrivées des zones libérées,
de la campagne ou des centres urbains provinciaux, les quartiers les plus centraux de la ville ont été
investis, mais pas seulement. Une bonne partie des villages périphériques qui ont connu un début
d’urbanisation dans le début des années 1970 ont également été investis par les nouveaux arrivés.
C’étaient essentiellement les militaires, les cadres moyens et subalternes du nouveau régime -
membres ou pas du PPRL, et leurs familles. C’étaient également les ruraux des zones libérées qui
les accompagnaient.
A Vientiane, c’était dans l’axe Nord surtout de la ville que le phénomène était le plus
manifeste. Ce sont des villages qui se développaient en direction du campus universitaire de Dong
Dok, développement qui s’étaient limités par la grande périphérique Nong Beuk-Dongdok, en
suivant les trois axes : Houay Hong, Phone Tong, Thongsang Nang. Les villages nouveaux sont
repérables par la présence des casernes dès le début du régime (notamment autour du centre
décisionnel du régime « le Kilomètre 6 »), par la construction d’usines et de fabriques (usine de
carton, de brique) et par quelques équipements au début des années 1980, tel que l’Hôpital de
l’Amitié.
785 L’étude a été réalisée, par R. L. Gollings dans le cadre de la mise en place de la Division de la Sécurité Publique,
commandité par l’Administration des Etats-Unis pour le Développement International en juillet 1969.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 451 -
Dans les autres villes de province, la constitution de ce type de quartier se faisait de manière
plus mixte, les nouveaux arrivés investissaient les quartiers existants en se mélangeant plus avec les
habitants locaux qui restaient et en réoccupant les habitations qui ont été abandonnées et rétribuées
par l’État, puis dans les villages excentrés lorsque les centres étaient saturés. En ce cas, il y avait
quelques nouvelles constructions, peu importantes et peu nombreuses.
Dans tous les cas, les habitations étaient, au début, semi-rurales : les parcelles étaient plus
vastes qu’en centre ville, pouvant accueillir des activités agricoles et d’élevages de subsistance plus
importantes. Souvent, il y avait des rizières et des vergers attenants, parfois des petits lambeaux de
forêts.
II. I. c. 2. Le changement de l’usage de l’habitat et de la ville par une population rurale
Les villes étaient devenues les campagnes dont les habitations étaient simplement plus
serrées. Le phénomène d’auto-gestion avait été l’élément de tenure de la ville et il a apporté des
changements dans les fonctions urbaines. En quelques mois, après la mise en place des travaux
collectifs, les différentes fonctions urbaines et citadines disparaissaient. De l’usage de l’habitat à
l’usage de la ville en passant par celui des espaces communautaires et publics, il y avait une
transformation très sensible par le renouvellement de la population urbaine. Près de la moitié des
citadins ont quitté le pays, un petit nombre changeait de province, ou partait vers la campagne
proche. Ces départs, comme nous l’avons déjà souligné, ont été remplacés par la population des
zones libérées, la population des autres villes de province et de la campagne. Dans son ensemble,
cette population, devenue plus mixte, avait un caractère à dominance rurale.
La première explication de cette ruralisation pouvait se trouver dans les activités de base ou
dans les métiers de ces nouveaux habitants ainsi que de l’ensemble de cette population urbaine
renouvelée. On pouvait remarquer deux choses importantes : d’abord, les nouveaux arrivés étaient
majoritairement des agriculteurs et des paysans, du moins des gens à l’aise dans les travaux de la
terre, même lorsqu’ils étaient militaires, policiers et cadres du PPRL. Ensuite, les habitants de
souche des villes, ceux qui n’avaient pas quitté le pays, même lorsqu’ils n’étaient pas paysans ou
agriculteurs à la base, s’étaient convertis aux activités agricoles et de pêche aisément et rapidement
en maitrisant les savoir-faire. On pouvait par exemple dire que si « un soit disant » citadin lao avait
été dans une rizière, où pour pouvoir vivre ce dernier devait cultiver le riz, pêcher et chasser, celuici
s’en sortirait très bien. Ceci peut expliquer soit l’origine paysanne de ces habitants citadins, soit
que les activités agricoles et la culture de la paysannerie faisaient partie intégrante de la culture d’un
lao de base, quelle que soit son origine citadine ou rurale. La ruralisation se manifestait surtout à
travers l’usage des habitations et à travers l’usage des espaces communautaires urbains.
L’habitation.
Les nouveaux habitants en arrivant dans la ville s’étaient approprié des habitations
existantes en apportant avec eux leurs habitudes et leur manière de vivre. Celles-ci étaient
explicitement différentes des usages pour lesquels avaient été construites les habitations qu’ils
occupaient. L’Etat intervenait très peu dans la gestion de ces habitations, mis à part le fait d’installer
plusieurs familles dans une même maison, transformant ainsi des villas individuelles en logements
collectifs. Les habitants devaient auto-gérer leur logement et leur vie collective. Dans la mesure où
les villas n’étaient pas au départ construites pour être occupées de manière collective, leur surcharge
ainsi que la manière de les utiliser les avaient détériorées assez rapidement. La transformation
fonctionnelle des logements, ignorant et méconnaissant leur fonction d’origine faisait que
l’appréciation de la qualité architecturale était complètement absente. Une grande villa qui avait été
construite dans les années 1960 pour une famille nombreuse avec parties attenantes réservées aux
espaces de service (cuisine et logement du personnel, etc.) et qui avait logé plus d’une dizaine de
personnes, pouvait loger dans le nouveau régime treize familles, c’est-à-dire près de trente
personnes. La grande villa a donc été partitionnée en treize unités. Une famille occupait le grand
salon qui a été partitionné encore en deux ou trois pièces : une chambre, un salon, une autre
chambre. La cuisine, la pièce humide et les toilettes étaient souvent aménagées à l’extérieur, dans Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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un petit baraquement en bambou ou en tôle construit, comme un appendis collé sur le mur extérieur
du salon. Ceux qui avaient la chance d’occuper la partie avec terrasse de la maison aménageaient la
salle d’eau et la cuisine sur la terrasse-même.
L’espace communautaire
L’auto-gestion des pagodes et leur fonction collective nouvelle étaient moins visibles et
apportaient moins de transformations à l’espace que les habitations et les espaces publics.
Probablement parce que le caractère communautaire qui leur est propre paraissait, à première vue,
proche du caractère collectif. En réalité, il n’en était pas ainsi. Le lieu de la quotidienneté religieux a
aussi connu un bouleversement profond. Il est à considérer que l’explication pouvait se trouver dans
les nuances entre la notion d’espace collectif et la notion d’espace communautaire. Le lieu
communautaire, tel qu’il était conçu dans les monastères bouddhiques laotiens, ne symbolisait pas
le nivellement des individus, mais leur connexion par des actions. La communauté mettait en valeur
la vertu de l’altérité et de l’altruisme qui fondait l’un des aspects de la pratique du bouddhisme lao.
L’espace des pagodes était fondé sur la volonté communautaire de constituer et de vivre un lieu de
culte partagé, de faire refléter dans les œuvres communes les croyances et les aspirations les plus
nobles. L’espace architectural religieux et le langage rituel ne servaient donc pas en premier lieu les
fonctions, même si chaque édifice servait une fonction précise. Par sa noblesse et sa vertu morale,
représentée par la finesse architecturale et artistique, par une organisation spatiale servant le sens de
la communauté, l’espace religieux était considéré comme un modèle ; modèle que la communauté
laïque ne cherchait pourtant pas à copier ou à répliquer dans leur habitation quotidienne. Si le savoir
bâtir se retrouvait à l’extérieur des espaces monastiques, il s’agit du savoir technique transféré.
Après 1975, la religion et les rituels étant considérés dans leur ensemble comme inutiles et
anti-révolutionnaires en particulier par la propagande, l’espace qui les abritait connaissait la même
considération (bien que des textes, notamment ceux de Phoumi Vongvichit, montrent que des
dirigeants communistes relevaient des éléments communs entre la religion bouddhiste et la doctrine
marxiste-léniniste, ces réflexions restaient du ressort de l’intelligentsia révolutionnaire. Et Phoumi
Vongvichit incarnait l’intellectuel de la révolution.) Faute de pouvoir déconsidérer complètement ce
lieu, l’espace religieux avait été considéré comme un équipement comme un autre, utile et
fonctionnel, du moins sa capacité à rassembler et sa base communautaire devaient être profitables
pour le système collectiviste. La pagode possédait habituellement de grands jardins, ce qui signifie
des grands espaces qui auraient été propices pour la politique d’autosuffisance. Les moines, au
même titre que les laïcs, ont été mobilisés pour se rendre utiles à la société, comme nous l’avons
déjà noté. Dans les premières semaines, les moines ont même été mobilisés pour les travaux
collectifs, le curetage des canaux. L’image avait produit un tel choc dans la conscience de la
population et même de celle des révolutionnaires qui venaient de la zone libérée (majoritairement
bouddhistes aussi) que leur mobilisation a été vite arrêtée. Et on faisait tout pour oublier cette «
image condescendante ». Les moines étaient donc restreints aux travaux des monastères et ne
travaillaient plus mélangés avec les laïcs. Ils devaient entretenir les bâtiments du monastère,
nettoyer les trottoirs qui l’entouraient, etc. Mais ceci ne constituait pas un changement particulier,
puisque ces travaux faisaient déjà partie de leur travail habituel. A l’intérieur des pagodes, ils
devaient toujours essayer d’être autosuffisants eux aussi : aménager des lopins de potager, des
bassins piscicoles et de poulaillers. Ceci contredisait tout à fait les règles monastiques qui les
interdisent de faire de l’élevage, de cultiver le riz et les jardins potager, en fait tout ce qui leur aurait
permis de faire à manger eux même. Par contre, ils peuvent planter les arbres fruitiers les jardins de
fleurs, élever et prendre soin des animaux abandonnés ou perdus. Les fruits peuvent être cueillis par
les paroissiens, les animaux accueillis peuvent être redonnés aux paroissiens ou relâchés dans la
forêt, etc.
Selon la logique du nouveau pouvoir, l’autosuffisance des moines devait être aussi une
nécessité, car les paroissiens devaient être occupés par leur autosuffisance et ne devaient plus être
nombreux et disponibles pour venir faire des offrandes. En réalité, cela ne fonctionnait pas comme Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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cela avait été voulu par l’autorité politique. Les jeunes et les actifs qui avaient peur de se montrer
trop enthousiastes vis-à-vis des rituels religieux, laissaient les personnes âgées s’occuper de la
cantine (ti’ang han) des moines. Ainsi avec peu de chose (riz gluant, purée de saumur de poisson,
légumes à la vapeur) les vieux du village n’avaient peur de rien pour continuer à apporter chaque
jour à 11 heures le déjeuner aux moines de leur pagode. Si l’idée que les moines en charge de
l’étude des textes sacrés et de veiller sur la morale et la sagesse pouvait être balayée de manière
conforme à l’idéologie marxiste-léniniste, par contre, dans leur rôle d’accompagnateur de l’âme des
morts, les moines ne pouvaient être substitués, même dans la période de doute spirituelle : qui
récitera le sutra de l’impermanence pour que la mort et le mort soient dignes ?
786 Ces rituels
marquent la différence entre l’homme et l’animal. Il était alors impossible, même pour le nouveau
régime, de voir disparaître le symbole qui marquait l’une des formes les plus significatives de
l’humanité.
II. II. Vers une nouvelle architecture des équipements et des bâtiments
emblématiques
Dans les toutes premières années du régime, comme nous avons déjà noté, il n’y avait pas
de production architecturale ni urbaine. Le parc immobilier était disponible pour être étatisé au
moment de l’installation du nouveau régime. C’est seulement au début des années 1980 que l’on
commençait à construire quelques équipements. Le soutien de l’Union Soviétique a été très
important en ce domaine. Les exemples de bâtiments construits durant cette période mettaient en
évidence qu’il y avait une volonté de construire une utopie sociale à travers la mise en place d’une
nouvelle programmation et qu’il y avait aussi une certaine réflexion faite sur le langage architectural
des bâtiments emblématiques ou des simples équipements. L’architecture de l’influence soviétique
et l’architecture qui se voulait être une tentative d’inspiration locale plaçaient indéniablement cette
courte période dans une expérience exceptionnelle.
II. II. a. L’hétérotopie sociale de la programmation
Lorsqu’une structure a été créée pour piloter et gérer la coopération et les aides de l’Union
Soviétique au Laos, une bonne partie du programme des équipements et des projets de constructions
a été planifiée. Le contenu des programmes était sorti tout droit de la conception des experts russes.
Il était fondé sur la base du projet de société, suivi de la mise en forme de la programmation type du
régime socialiste. Celle-ci avait pour objectif la construction de la nouvelle société égalitaire. Elle
faisait l’apologie de la vie collective, des productions et des consommations collectives, une culture
et des loisirs collectifs de la société, désintégrée de ses souches anciennes et historiques.
Etant déjà des utopies pour les pays socialistes qui ont hérité des idéologies fondatrices des
utopistes européens du XIXe siècle industriel,
787 les programmes effectués dans les années 1980 par
les experts socialistes ont été dans leur ensemble une hétérotopie pour le Laos. Cependant, à une
petite échelle et avec des efforts d’adaptation aux contextes, certains programmes d’équipement
issus de l’utopie sociale pouvaient être utiles et réussis, voire, des beaux projets, comme ce fut le
cas des logements, des écoles et des crèches et parc d’attractions à Cuba. Au Laos, trop éloignée de
l’idée de la lutte des classes, de la dictature prolétarienne et de la lutte pour le transfert des biens et
des terres aux paysans, la société lao expérimentait avec une curieuse attitude les idéologies qui ont
été traduites dans les programmes des équipements réalisés : les Laotiennes étaient peu
786 Souad sac anicca, sutras bouddhiques qui constitue la prière pour les morts. Il évoque la mort (Anicca,
l’impermanence), comme un passage entre la vie (Dukkha, la souffrance) et l’après la vie (Anatta, le non soi). Dukkha (Pl)
souffrance, Anicca (Pl) impermanence, Anatta (Sk) non-soi ou insubstantialité. 787 Notamment les fondateurs des familistères comme Fourrier, les fondateurs des cités ouvrières et des cités- jardins, les hygiénistes, etc.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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enthousiastes par le parc de Nong Saphanh Lène qui jouxtait l’esplanade du That Luang, par les
crèches aménagées par les ministères pour les enfants de leur personnel, dans lesquelles les
équipements utilisés (jouets, manuels scolaires, etc.) proviennent des aides de l’Union Soviétique.
En fin de compte, le parc a été peu fréquenté et tombait peu à peu en déshérence et les crèches
ministérielles ont fermé leur porte.
Les immeubles de logement des enseignants universitaires, les équipements hospitaliers
(hôpital de l’Amitié) et de loisirs (le cirque national), par contre, ont été des projets qui ont
beaucoup apporté au Laos. Ils répondaient aux besoins des locaux et ont été réalisés de manière
ponctuelle. Par leur côté unique (en nombre) ils semblaient être des projets pilotes initiés par les
Russes et devant être prolongés par le gouvernement lao lui-même. Probablement par manque de
moyen financier, les investissements publics laotiens durant les années 1980 étaient quasiinexistants,
comptant uniquement sur les aides internationales et celles des pays socialistes. Ainsi, ni
la politique de logement initiée, ni les réalisations des équipements de qualité, comme le cirque et
l’hôpital de l’amitié, n’avaient été renouvelées par le gouvernement laotien dans leurs contenus
programmatiques. Les réflexions portées sur le logement, les bâtiments emblématiques et les
équipements publics à travers ces réalisations-pilotes avaient été différées, puis simplement
abandonnées. Si celles-ci avaient été poursuivies de manière soutenue dans la politique de l’État et
dans la formation universitaire, avec la création de l’Ecole d’Architecture, la réflexion portée sur les
questions serait aujourd’hui autrement plus fructueuse. En particulier lorsque nous observons
aujourd’hui la grande difficulté pour l’État de prendre en compte les besoins en logement et de
mettre en oeuvre cette politique, très axée sur la mise en concession des anciens biens immobiliers
et fonciers. Par exemple, lorsque l’État cède à un investisseur privé la moitié d’un terrain, et en
contre partie l’investisseur lui construit des logements pour le personnel de l’État (notamment un
projet de construction de logements des professeurs du Lycée de Vientiane qui a été ainsi conclu sur
ce principe). Dans ce cas de figure, le cahier des charges, qui aurait fixé le standard du type et de la
qualité du logement, n’a pas été défini. Par économie, on doute que l’investisseur ait le souci de la
qualité des logements qu’il doit réaliser. Or la définition du programme de logement a déjà été
initiée dans les années 1980 à travers les projets pilotes. Le relevé de l’un des immeubles de
logements pour professeurs à Polytechnique de Sok Paluang construits au début des années 1980 a
démontré une richesse certaine de ce point de vue et serait un modèle intéressant. Bien que
l’expérience programmatique de ces années ne soit pas prolongée jusqu’à aujourd’hui, on voyait
certain aspect de cette expérience ressurgir ailleurs, dans le programme de rares villes nouvelles de
la même période. Nous allons voir dans le paragraphe suivant que la programmation hétérotopique
était appliquée comme un système qui devait faire ses preuves dans la construction des « villes
nouvelles socialistes ».
II. II. b. L’aspect architectural du début des années 1980
L’architecture du régime des années 1980 était marquée par deux écoles. D’abord, ce fut
curieusement une architecture qui possédait une certaine continuité avec la période moderne des
années 1960. Les architectes et urbanistes, acteurs de cette nouvelle image spatiale, étaient russes,
travaillant dans le cadre de la coopération entre les pays socialistes. Ce n’était plus ceux qui ont
construit les « anciens immeubles modernes » de Vientiane, bourgeois et capitalistes. Si l’idéologie
était différente, nous ne pouvions pas être insensibles au rapprochement entre les deux architectures
produites. Un lien doit être tracé entre ces deux groupes d’architectes. Effectivement ceci nous
étonne à moitié lorsque nous savons que l’architecture moderne internationale des années 1960,
incarnée par toute une génération d’immeubles barres (type HLM en France) dans les pays
européens, se retrouvait aussi dans l’Europe de l’Est et en Union Soviétique. Notamment avec la
mise en œuvre d’un système constructif basé sur les éléments standards préfabriqués et prêts à
poser, fortement développé en France pour son aspect économique (le temps gagné sur la
fabrication classique, l’installation, etc.) et transféré dans les pays de l’Est et en Union Soviétique.
Le système constructif basé sur une production de masse standardisée (non pas par des sociétés Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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privées, mais par des usines d’État) des éléments préfabriqués était beaucoup plus adapté dans les
pays pratiquant le système sévère des capitaux d’État comme l’Union Soviétique, que dans un
système capitaliste comme la France, qui, en occurrence, avait favorisé le développement des
grandes sociétés de bâtiments de capitaux privés.
Nous remarquons que certains aspects de ces systèmes de constructions se retrouvaient dans
les équipements construits au Laos dans les années 1980. Il y avait effectivement la volonté de
standardiser les éléments de façades et les systèmes constructifs, visibles dans le projet de l’hôpital
de l’Amitié, ou bien dans les bâtiments du campus de l’Ambassade russe. Cependant, les éléments à
standardiser ont été fabriqués sur-mesure. S’ils n’étaient pas complètement fabriqués sur place, ils
ont été fabriqués dans une petite fabrique locale et non à l’usine. Il y avait donc une différence nette
entre ces bâtiments et leurs modèles russes ou européens : c’était paradoxalement l’absence de la
préfabrication et de l’organisation des filières du système constructif. Les architectes russes
procédaient au Laos plus dans l’utilisation des matériaux bruts du béton armé, mise en œuvre et
fabriqué sur place. Très probablement le contexte culturel, économique et technique local ne
permettait pas la standardisation et la mise en système de cette filière. De ce fait, les bâtiments
construits dans les années 1980 se rapprochaient beaucoup des constructions tardives de
l’architecture moderne des années 1960 : bruts et exotiques, aux langages décalés. Expressions qui
qualifiaient déjà la modernité laotienne des années 1960.
Sur place, on pouvait ainsi rapprocher l’hôpital de l’amitié à la façade de l’hôpital Mahosot
ou au Lycée de Vientiane, comme s’ils faisaient partie de la même génération. Soulignons que ces
deux derniers bâtiments ont été construits durant la période américaine (1955-1973), ce qui ne
devait pas être normalement comparable.
En ce qui concerne un petit nombre d’édifices, ceux qui étaient construits dans la foulée des
années 1980 et qui se voulaient représentatifs du langage architectural du nouveau régime, ne
peuvent passer inaperçus. Mises à part des analyses formelles que l’on peut faire, un texte, un
discours ou un manifeste nous manquent pour effectuer une analyse plus approfondie du discours
théorique de ce type de constructions. Effectivement, l’Assemblée Nationale est un cas typique.
C’est un bâtiment sans intérêt architectural, il exprime même une pauvreté certaine de ce point de
vue : ayant un langage architectural composite et disparate, utilisant des matériaux de construction
et des techniques de mise en œuvre médiocres, ayant une structure du plan non adaptée aux
fonctions auxquelles il était destiné, étant mal implanté dans un site urbain et paysager pourtant
exceptionnel. Cependant, au moment de sa construction, il était sensé de représenter l’architecture
officielle du régime, et donc fondé sur un discours. Son architecte, Hongkat Souvannavong, formé à
Cuba, avait tenté de s’imprégner de la culture locale en reproduisant l’image des frontons et les
pignons de l’architecture lao, en travaillant sur le volume et l’image que le bâtiment devait donner à
voir aux spectateurs. La couverture, la forme du toit, les pignons, etc., constituent apparemment les
obsessions de ceux qui croyaient avoir fait revivre la richesse de l’architecture lao par ces éléments,
tant dans les années 1980 qu’aujourd’hui. Or le plan, les rapports de proportions et la fluidité
intérieurs / extérieure de l’architecture lao expriment le mieux son fondement spatial.
Nous pouvons dire que la période des années 1980 a été marquée par deux expériences
majeures, de valeur distincte. L’expérience russe, qui reliait certains bâtiments construits au Laos à
un mouvement plus large de l’architecture moderne internationale comme une variante, mérite une
étude approfondie : pourquoi avait-elle été si courte, et pour quelle raison elle n’avait pas apporté de
véritables influences sur la production de l’époque et de celle qui avait suivi ? Les tentatives pour
traduire le discours idéologique du marxiste-léministe nationaliste lao par des éléments
architecturaux emblématiques (l’Assemblée Nationale et le jardin public qui se trouvait en face), et
de surcroit, d’inspiration culturelle locale se plaçaient indéniablement dans une logique de
recherche identitaire du régime. Dans les deux cas, cette courte période était une expérience spatiale
exceptionnelle.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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II. III. Les projections idéologiques dans l’expérimentation de villes
nouvelles
Les villes nouvelles au Laos étaient définies en dehors du corpus de ce qui pouvait désigner
habituellement les “ villes nouvelles ”. Dans la majorité des cas, c’étaient des reconstructions des
villes détruites pendant la guerre froide, très exceptionnellement des nouvelles constructions sur un
site inoccupé par une occupation antérieure. La quasi-totalité des villes nouvelles était située dans
les anciennes zones libérées, refondées sur des bases nouvelles, après leur destruction par la guerre.
Victimes des bombes Napalm et des bombes phosphore à la fin des années 1960 et au début des
années 1970, on essayait près d’une décennie plus tard de les reconstruire. Les villes nouvelles sont
ainsi désignées parce qu’elles étaient refondées dans la méconnaissant de la base fondatrice
ancienne, détachées de leur passé et parfois de leur site. Elles étaient “ nouvelles ”, aussi parce
qu’elles avaient introduit le socialisme utopiste, obsédées par les répartitions fonctionnelles, et enfin
parce qu’elles se voulaient fondatrices d’un modèle de société, multiethnique et égalitaire.
II. III. a. La méconnaissance de la base fondatrice des villes nouvelles, l’ambiguïté de
l’idéalisation du peuple multiethnique : brassage culturel et “ laoisation ”
Le déracinement historique
On profitait aussi dans ces nouveaux établissements pour refonder les villes et les villages
dans un esprit nouveau, détaché de l’histoire locale, de manière plus ou moins involontaire de la
part de leurs habitants. Le détachement de l’histoire a été induit par le contexte de la guerre : une
bonne partie des espaces communautaires de rassemblement et de mémoire (comme les pagodes et
les monuments religieux, ou comme l’organisation sociale villageoise) a été touchée par les
bombardements : les habitations délaissées, les organes sociaux de base défaits, entrainant la perte
des usages et la déstructuration des schémas symboliques de l’espace des villes et des villages. De
même, les zones agricoles étaient difficilement exploitables à cause des bomby non explosées, etc.
La mémoire et les liens sociaux et culturels étaient parfois irréversibles, perdus avec les éléments et
les pratiques spatiaux anciens. Le détachement par rapport au passé et parfois par rapport au site
reflétait la méconnaissance des bases fondatrices anciennes par les nouveaux habitants et la
nouvelle autorité urbaine et villageoise. A Oudomxay le centre-ville actuel (la “ ville nouvelle ”) se
développait davantage sur la grande route pénétrante, alors que le vieux village qui était fort vivant
(d’après ses anciens habitants) se trouvait au pied de la colline, à l’opposé du centre actuel. De
même, à Samneua, le grand et vieux village, avec l’ancienne pagode, n’occupait plus la position
centrale, la ville nouvelle (aujourd’hui devenue assez vaste) s’étendait ailleurs en se détachant de
lui, le laissant devenir comme un quartier annexe.
Les caractéristiques physiques principales des “ villes nouvelles ”, étaient leurs grands îlots,
leurs larges voies, leurs larges trottoirs, avec parfois des lampadaires qui fonctionnaient la moitié du
temps, mais prévus pour des extensions futurs éventuelles. Car on prévoyait effectivement que ces
villes allaient s’étendre et se développer avec l’augmentation du nombre de leurs habitants, de leurs
activités, et les grands équipements allaient peut-être être nécessaires, etc. Sur les poteaux
électriques, il y avait régulièrement des hauts-parleurs donnant les informations et les
recommandations à suivre à la population. Les villes nouvelles étaient, pour ainsi dire, caractérisées
par un certain desserrement général, avec une population malgré tout un peu parsemée. Elles
ressemblaient aux villes fantômes, sans vie, à part les rassemblements de meeting politique
obligatoires. Les pratiques et les parcours spatiaux étaient devenus différents. Les grandes voiries
changeaient le rapport de proximité entre les équipements communautaires (pagodes et marché de
proximité) et les villages et entre les villages eux-mêmes. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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La notion du peuple multiethnique
Mise à part son aspect physique les “ villes nouvelles ” s’étaient illustrées aussi par leur
aspect social. Une bonne partie des habitants de souche avait migré avant 1975 vers les territoires
moins exposés aux combats. Parfois, ces derniers revenaient chez eux. Souvents, il s’agissait des
habitants qui s’étaient installés tout de suite après, lorsque la paix était revenue. Ces derniers
aidaient en partie à tempérer les liens sociaux entre les nouveaux habitants de diverses provenances
et aussi à anticiper sur la manière de s’installer dans le site et à raviver certaines pratiques
anciennes. Mais dans le milieu des années 1970 et au début des années 1980, cela a été insignifiant,
puisqu’il ne s’agissait pas de reconstituer une société d’avant, mais de construire une nouvelle
société révolutionnaire. En occurrence, le nouveau régime faisait beaucoup d’effort pour que ces
établissements puisaient revivre de nouveau, mais dans une recomposition sociospatiale et politique
nouvelle. La promotion pour les nouvelles installations se réalisait partout dans le pays. Tous les
groupes ethniques confondus étaient concernés. La reconsolidation par rapport à l’histoire locale et
par rapport à l’usage social habituel des lieux ne pouvait pas se réaliser aisément, parce qu’il y avait
beaucoup de nouveaux habitants qui venaient avec leur propre pratique et leur propre mémoire, en
particulier lorsque cette recomposition nouvelle était composite. A Muang Xay (capitale de la
province d’Oudomxay) autrefois majoritairement peuplé de Tai Lü ou à Muang Hongsa (province
de Xayaboury) peuplé de Gnouanes, le mélange ethnique dans un même lieu de vie était devenu
systématique. L’idéologie du “ citoyen multietnique ” (Pasason banda Phao xt-k-qo[aofkgzqJk) était un
concept politique pour se démarquer de l’Ancien Régime. Il était symbolisé par le fait que les divers
composants ethniques devaient vivre ensembles dans une société égalitaire, rassemblée autour du
parti-État. Celui-ci était le libérateur de ces peuples qui avaient longtemps été soumis et exploités
par les “ sakdina féodaux ” de l’Ancien Régime. En réalité la mixité espérée ne s’était pas vraiment
opérée : les études des anthropologues, par exemple, ont montré que l’endogamie a été, dans la
majorité des cas, fortement préservée dans les villes sensées être les plus mixtes,788 même si les
modes d’habiter et de paraître devenaient de plus en plus indistincts dans certaines localités. Alors
que dans le régime féodal dominé par les Lao Tai d’autrefois, on remarquait que certains groupes
khmu adoptaient depuis bien longtemps les vêtements tai lü tout en faisant reconnaître leur identité
d’origine (l’exemple du cas de Luang Namtha). D’autres, tels les kha Samtao à Vieng Phu kha,
adoptaient le bouddhisme lü probablement depuis le XVIe siècle.
Au résultat, le « peuple multiethnique » est un concept de brassage culturel dominé, à
termes, par une certaine laoisation des minorités ethniques, puisque la culture nationale de la
nouvelle société -celle de l’ethnie dominante- demeurait celle des Tai Lao. L’idéal de société
multiethnique aurait été instrumental pour adhérer en nombre les diverses populations, débarrassées
de leur passé et de leur histoire. Leurs liens et leurs pactes historiques passés avec l’ancienne société
lao ont été déstructurés, remplacés par les valeurs du nouveau régime. Dans la culture ancienne le
muang et le ban des Lao Tai, rappelons-le, étaient peuplés certes que de Lao Tai, mais à l’extérieur
de leurs « remparts » et de leurs « palissades » il y avait des communautés ethniques, avec qui les
Lao Tai du muang et du ban commercialisaient, troquaient et constituaient des pactes, et sur qui ils
fondaient aussi leurs richesses. La destruction de ces anciens pactes aurait alors facilité la
reconstruction des nouvelles souches sociétales révolutionnaires pour le nouveau régime. Ainsi, en
faisant adhérer les ethnies à la culture révolutionnaire, estimant mettre tout le monde à égalité, cela
revenait indirectement au fait que les communautés abandonnent leur propre identité. Coupées de
leurs fonds culturels, les communautés ethniques seraient aussi coupées de leur forme d’intégration
historique à l’organisation du Laos ancien. Et bien que le fonds culturel des populations non-LaoTai
ne repose pas uniquement sur les liens historiques avec les muang Tai-Lao, ces liens historiques
constituent les conditions majeures de la question d’intégration. Ceci, pour que l’intégration ne soit
788 D’après Grégoire Slémer. 2010.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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pas l’assimilation, voire, l’aliénation. C’était probablement aussi par le processus de délier les liens
historiques que la société lao ancienne serait définitivement abolie. L’exemple de l’intégration des
Hmong dans l’ancien système (cas le plus récent, car les Hmong étaient arrivés au Laos que dans le
milieu du XIXe siècle) serait le plus à même d’expliquer le phénomène.789
II. III. b. La ville socialiste et ses équipements, le souci de fonctionnalité
A partir des années 1980, quelques équipements publics et collectifs ont commencé à être
construits, la coopération avec l’Union Soviétiques étant devenue plus active, mettant en
perspective la coopération avec les autres pays de l’Est. Par ailleurs, le ministère des travaux publics
et de la construction a peu à peu été restructuré ; le plan d’action de trois ans a également clarifié les
besoins dans le secteur des bâtiments et des travaux publics, masqués auparavant par la méthode du
provisoire et du débrouillardise de la période des 2-3 premières années de l’après-révolution.
Les premiers équipements que l’administration considérait comme prioritaires étaient les
marchés pour permettre les échanges locaux des produits de consommations de base, et
l’amélioration des centres administratifs des chefs-lieux de province. Les hôpitaux et les écoles
(nouvelles constructions ou amélioration de l’existant) ont été inscrits mais les problèmes
économiques et le manque d’investissements publics n’avaient pas permis de les réaliser dans les
années 1980. Leurs constructions ont été ainsi différées de près de dix ans. Par contre, les lieux de
rassemblement ou de représentation du nouveau pouvoir ont été pensés assez tôt, même s’ils
n’avaient pas été construits de suite. Ce fut le cas de That Virason à Vientiane construit à
l’extrémité de l’esplanade du That Luang. Ce fut le cas des places aménagées dans les chefs-lieux
des provinces pour accueillir les rassemblements ou les événements populaires, telle l’aire où
étaient plus tard érigés les bustes de Kaison Phomvihan.
En ce qui concerne les infrastructures routières de base, les efforts ont été préconisés de
manière constante dès le début, car la mise en liaison entre les provinces dans l’ensemble du pays
était la clé du développement, du contrôle et de la sécurité du pays. Les prisonniers des camps de
rééducation, notamment les militaires ou les plus jeunes prisonniers de l’Ancien Régime ont été
mobilisés pour la construction des routes.790 A travers des témoignages et par bien des aspects
(travaux forcés, les gens séjournaient quelques fois dans les camps mobiles, au gré des besoins de
bras) on pouvait penser que les camps de rééducation n’avaient pas été créés pour la rééducation
politique, mais par besoin de bras pour créer des liaisons routiers sans dépenses pour la main
d’œuvre.
De manière générale, c’était le souci de fonctionnalité –lié au concept « progressiste »- qui
sous-tendait la manière de construire des équipements et de les insérer dans la ville. Ce souci était
lié à la programmation du système collectiviste, mais aussi à la formation d’une nouvelle génération
d’architecte et de techniciens du bâtiment et des travaux publics, nés avec la création de l’école
d’architecture et d’ingénierie attachée au ministère de la construction.
Vers 1981, l’école d’architecture a été fondée. Ses fondateurs étaient de formation française
issus plutôt de la formation en ingénierie. Mise à part cette spécificité, les coopérations avec
l’Union Soviétique et les autres pays de l’Est ont aussi joué un rôle important dans la formation de
l’école et dans la qualification des futurs architectes qui allaient plus tard travailler tant dans les
administrations urbaines que dans les secteurs privés. Les projets étudiants des premières années de
la fondation de l’école d’architecture (attachée alors au ministère des Travaux Publics et de la
789 Le chef coutumier du clan Ly qui était considéré comme le chef de la majorité des groupes et clans hmong du Laos et
qui avait été intégrés dans le système nobilière coutumier lao, au nom des traditions d’intégration des ethnies qui
remontait probablement au XVIe–XVIIe siècle, l’emprisonnement en 1975 du chef de clan -Phraya Touby Lyfoung- suivi
par son décès en détention, marquait la fin des pactes anciens, comme la fin de la monarchie lao.
790 Cf., le témoignage d’un ancien prisonnier dont tout le camp avait été mobilisé pour la construction de la route numéro
9. Mothana, La route numéro 9. Op, cit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Construction) démontraient un lien évident entre une formation francophone, plus axée sur le
domaine technique et de l’ingénierie et une formation soviétique plus orientée vers le souci de
répartition des fonctions de l’espace architectural et urbain791 (voir les archives de l’ITTP.) Il n’y a
quasiment pas de pédagogie de recherche et d’analyse de terrain. L’histoire de l’architecture avait
été enseignée en bloc, sans mise à distance (quel manuel de l’histoire de l’art et de l’architecture, et
qui l’écrit ?) et sans contextualisation par rapport à l’espace lao et son histoire. Les projets étudiants
étaient théoriques et utopistes donc l’évaluation aurait été faite d’après « le degré de
l’imagination de l’étudiant ».
En tout état de cause, cet état d’esprit correspondait à la pensée des villes nouvelles que le
gouvernement avait tentée de promouvoir. Puis, lorsque la coopération avec les pays de l’Est
devenait encore plus fructueuse à partir du début des années 1980, et lorsque quelques équipements
collectifs avaient été construits avec leurs aides, la pédagogie de l’école ainsi que les projets
d’architecture des étudiants avaient également évolué vers la mise en formes des programmes
collectifs. Axer l’enseignement sur une production spatiale cantonnée au souci de fonctionnalité et
au souci du seul usage public et collectif sans l’étude programmatique, sans l’analyse des sites et
des modes d’usage, sans des relevées et des essais de classification typologique, etc. (oubliant
l’individuel et le familiale, l’individualité des perceptions, le pittoresque, qui caractérisent
finalement le contexte local) a profondément formaté les futurs architectes et ingénieurs, ainsi que
le système de production spatial en cours de formation alors, et bien plus tard. Le manque d’analyse
ou de connexion à la recherche et aux leçons du passé était une carence pédagogique qui allait
devenir un handicap pour les futurs opérateurs, acteurs et décideurs de la ville. Ce handicap a été
souligné à maintes reprises par les responsables du secteur : il est souvent constaté que les études
urbaines ou les études de projets effectuées par les experts internationaux, plus tard dans les années
1990 et 2000, n’étaient généralement pas compréhensibles et mises en application de manière
adéquate par les agents locaux. Une formation adaptée au contexte culturel et technique local aurait
été fortement souhaitée. De fait, les handicaps peuvent remonter aux premières années de la création
des formations en architecture et en ingénierie où les analyses, les recherches et les échanges
avaient été absents.
Conclusion
On voit apparaître dans cette deuxième période du régime la mise en place des perspectives
et des dispositifs spatiaux nouveaux pour restructurer l’ensemble du pays. Mais ils concourent
directement à ruraliser la ville : sa fonction urbaine et politique est réduite, selon des impératifs
idéologiques du régime qui fait l’apologie du travail, de la paysannerie et de la campagne au
détriment de la ville.
- L’administration et l’exécutif sont les premiers secteurs touchés. De la responsabilité individuelle
et hiérarchique basée sur les compétences, les décisions de l’administration et de l’exécutif sont
passés à la responsabilité collective, basée sur la logique de l’appareil politique valorisé au sein du
Parti Populaire Révolutionnaire, placé dans tous les échelons de la structure de l’Etat et du pouvoir
local. La structure de ce dernier a été modifiée : l’administration de la ville-agglomération urbaine,
par exemple, est réunie à l’administration de la province ; le nouay, un comité de quartier, une
subdivision du village, est créé, réduisant le rôle traditionnel paternaliste et fondateur du chef du
village.
- Les principaux autres dispositifs imposés à la population prônent l’autosuffisance comme une
vertu. Voulant contrôler la production, la répartition des biens dans une société qui se veut
791 Les titres des rendus de projets étudiants étaient en français, sous entendant que les experts enseignants russes
utilisaient aussi le français pour communiquer avec les professeurs lao ainsi qu’avec les étudiants. Beaucoup d’entre eux
sortant du lycée de Vientiane dans les années 1975 étaient francophones.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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égalitaire, l’Etat impose le collectivisme dans la démarche de la réforme agraire, étatise les biens
fonciers et immobiliers, impose les travaux collectifs à la campagne et en milieu urbain. L’absence
des services urbains et des services publics –disparus avec l’Ancien Régime– est considérée comme
une leçon inculquée à la population.
Au résultat, les diffétents dispositifs aboutissent sur un premier phénomène incontrôlé par
l’Etat : l’espace s’auto-gère peu à peu, la ville et ses espaces non planifiés se déploient de manière
anarchique : les quartiers périphériques se constituant dans le désordre et sans règles, l’usage de
l’habitat et de la ville changant de fonctions par la venue importante de la population rurale, leurs
états de conservation se dégradent rapidement.
Dans cet effacement de la ville au profit de la campagne, l’espace urbain expérimente une
production architecturale particulière, timide mais identifiable au début des années 1980, à travers
des nouveaux équipements et bâtiments emblématiques. Il se dote aussi de nouveaux programmes
architecturaux, démonstratifs souvent de projection sociale hétérotopique. A l’échelle du territoire,
le régime se projette aussi idéologiquement dans l’expérience de villes nouvelles. Annonçant
comme villes socialistes, soucieuses de fonctionnalité, elles sont conçues dans l’idéalisation du
peuple multiethnique –brassage culturel et “ laoisation ”– dans la méconnaissance et la négation
totale de la base fondatrice historique et sociale de l’espace et de l’humain.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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CHAPITRE III.
Temps trois : les bilans et leurs implications, nécessité de la réforme de
1986
La conception générale conçoit que la réforme politique laotienne rentre dans un
mouvement généralisé de l’effondrement du bloc socialiste et du changement de clivages
idéologiques qui s’est amorcé dix ans après la fin de la guerre froide. Ceci compose effectivement
les grandes lignes analytiques pour la compréhension de cette période historique mondiale.
Cependant, force est de constater que la répercussion de l’effondrement idéologique dans les pays
du bloc socialiste, ont des résultats et des implications différenciés d’un pays à l’autre.
Le Laos est parmi les cas atypiques que sont la Chine, le Viêtnam et Cuba. Le Laos ne
prend pas complètement part à l’effondrement du système communiste. Car la politique laotienne
ne conçoit pas cela comme la fin des idéologies, mais s’est approprié de cet effondrement comme
leur propre volonté de se réformer de l’intérieur. Il considère en fait qu’il y a au Laos une sorte
d’implosion nécessaire du système marxiste-léniniste qu’il conçoit toujours comme possible à
construire, et non pas son explosion qui aurait causé sa fin dans les pays de l’Est. Pour ce faire, les
bilans que le Comité Central du Parti (CCP) appelle « leçon » ont été élaborés.792 Nous abordons
dans ce chapitre d’abord la question de bilans que l’on doit traiter à travers deux niveaux de lecture.
Ensuite, nous évoquons le particularisme des actions préconisées pour la réforme et leurs
implications directes ou indirectes dans la restructuration spatiale dans les années qui ont suivi.
III. I. Les bilans
La nature opaque et autoritaire du régime politique793 nous oblige à considérer les bilans de
deux manières, selon deux lectures. Le premier bilan ou la première lecture est celle que le
gouvernement laotien annonce officiellement, celle que l’on trouve dans les rapports du CCP, en
particulier celui rédigé lors du IV congrès du PPRL au mois de novembre 1986. La deuxième
lecture ou bilan est celui des constats que nous tentons de comprendre à travers les faits et les
actions politiques qui n’étaient pas forcément inscrits dans les rapports officiels ou prévus dans les
plans d’action du PPRL. Le deuxième bilan est, de fait, celui qui donne des explications à la
nécessité de faire de la réforme. C’est celui que le pouvoir n’annonce pas, car sa reconnaissance
équivaut l’acceptation de l’effondrement idéologique, toujours en cours d’exercice. Ceux qui ont
tenté de remettre en question l’idéologie par rapport à la réalité en ont payé le prix fort.794 En
792 Thot Thone Bot Hiane, « tirer des leçons », concept galvaudé, utilisé dans les écrits officiels destinés à la formation des
membres du PPRL à la pensée réformatrice, notamment dans Les cinq leçons du PPRL dans la nouvelle réforme, comité
de propagande et de formation du CCP, Vientiane, 2000.
793 La particularité du régime laotien réside dans le fait que l’autocritique au sein de l’appareil décisionnel constitue l’une
des vertus révolutionnaires. Cependant les critiques extérieurs sont totalement proscrites et considérées comme actes
d’affront montés par « des ennemis dont les objectifs seraient la destruction du régime ». C’est l’une des raisons qui
expliquent l’existence de deux bilans distincts : celui que l’on accepte et que l’on diffuse et celui que l’on refuse et que
l’on considère comme infondé.
794 Ce fut le cas des dissidents de l’année 1990. Ces derniers, à partir des expériences empiriques avaient effectué un bilan
du régime. Ils constatèrent d’abord l’effondrement du système politique, économique et social du marxisme- léninisme
entrainant la fin des idéaux. Ils constatèrent ensuite que le système était inadapté au Laos, et ils proposèrent donc des
plans de réforme. En proposant le multipartisme, entre autres -comme l’une des conditions de la réforme, leurs plans Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 462 -
conservant le fond idéologique du régime dans la réalisation de la réforme économique, le régime
endossait un double faciès. L’identification des deux bilans est importante, car elle nous permet de
comprendre pourquoi le régime politique laotien ne s’était pas effondré comme ce fut le cas des
pays de l’Europe de l’Est. Elle nous permet également de comprendre que le double faciès avait
permis au régime de se renouveler et de se restructurer, sans perdre ni le pouvoir ni « la face » vis-à-
vis du monde, la « face », une importance spécifiquement lao.
III. I. a. Les bilans du Comité Central du Parti portant sur le régime
Nous tentons ici d’effectuer une lecture transversale des rapports du CCP présenté au IVe
Congrès du PPRL en 1986. Les bilans officiels nous expliquent la continuité de la politique du
gouvernement lao et nous donnent un éclairage sur le contexte des années qui ont suivi, notamment
en ce qui concerne la situation politique actuelle. A la différence des anciens blocs socialistes de
l’Europe de l’Est qui ont connu, selon les dirigeants lao, « une corruption idéologique » causant
l’effondrement de leur propre système,795 l’autorité dirigeante du PPRL réaffirmait dans le texte de
la réforme [chitanakhane maï, 9yf8tokdkows,j] sa fidélité à la base idéologique marxiste-léniniste et
rappelait le particularisme du régime politique laotien désigné de démocratie populaire. Tout en
insistant sur l’absence de rupture idéologique dans la réforme chitanakane maï que le régime
mettait en œuvre, il mettait en évidence la réalité économique ou le mécanisme économique –
l’angle d’attaque par lequel la réforme a été mise en œuvre afin de réadapter et réformer le système
politique, proposant ainsi le « Nouvel Mécanique Economique »
III. I. a. 1. Les justificatifs idéologiques et économiques
Les justificatifs de la réforme se voulaient avant tout corollaires au mécanique économique
et non au mécanisme doctrinal. Le PPRL remettait en cause le moins possible l’idéologie du régime.
Ils se voulaient scientifiques et progressistes, ils se défendaient d’être un régime « théorique et
utopiste ». La nécessité de la réforme mise en place voulait montrer au monde le côté pragmatique
et scientifique, éclectique et clairvoyant de la classe dirigeante et du parti-État lao : « Lorsque le
régime effectue ses analyses avec intelligence (autocritique), il prend l’initiative de faire la réforme
et ne persiste pas dans des actions qui n’étaient pas appropriées ».
796
A travers les discours politiques de la réforme, le fondement et la forme politique du régime
ont été ainsi mis à nu. Ceux-ci démontrent que l’idéologie a été étroitement associée, voire, a
dominé complètement la manière et le savoir bureaucratique et technicien de la gouvernance. La
réforme symbolisait davantage le fait que le régime consentait à distinguer d’une part le domaine
doctrinal du domaine technique de la gestion et du fonctionnement socioéconomique du pays.
L’idéologie du régime devait être placée à part, dans une autre sphère et protégée de l’insuccès
économique notamment lié au collectivisme. Avec la réforme, le PPRL consentait à affranchir le
savoir technicien et bureaucratique de la domination doctrinale du régime, en lui permettant de
réformateurs qui se veulent intellectuellement sincères se heurtèrent au noyau décisionnel du PPRL qui considéra que
leurs plans de réforme ne permettaient pas le renouvellement du régime mais conduisaient au contraire à la remise en
question du fondement même du régime et son système de pouvoir. Trois réformateurs étaient alors devenus dissidents :
Thongsouk Saysangkhi (au poste alors de Secrétaire d’État aux Sciences et Technologie), Lathsamy Khamphoui
(également au poste de Secrétaire d’État de l’Economie et du Plan), Phèng Sakchittaphong (haut fonctionnaire du
Ministère de la Justice) ont été emprisonnés le 8 octobre 1990 pour 14 années de détention après un rapide procès pour
« subversion idéologique ». Deux parmi les trois ont été libérés en novembre 2004, Thongsouk le leadeur étant décédé en
février 1998 en détention. Cf. Amnesty Internationale ; La Ligue pour le droit de l’homme. Ces trois hauts fonctionnaires
auraient représenté près de 200 partisans de la fin des années 1980, mais qui sont aujourd’hui à la retraite ou convertis aux
affaires ou qui font profil bas dans les bureaux des services ministériels. 795 Expressions (traduites) utilisées par les membres du PPRL eux-mêmes critiquant la transition politique des pays de
l’ancien bloc communiste de l’Europe, comme une trahison au marxisme-léninisme. In : Pages historiques de la lutte
héroïque du peuple lao, Comité de propagande et de formation du CCP, Imprimerie RDPL, Vientiane 1980, pp 39-40. Op,
cit. 796 « ,uc8jgIafco;oAo gIqk9nJ’[+8qdg0Qk.lJ ]afmy7eru », « C’est en procédant ainsi (différents points de réformes) que notre parti ne
sera pas qualifié de doctrine livresque », in : Kaison Phomvihan, Rapport politique du Comité Central du PPRL devant
le IVe congrès du parti, Imprimerie de la RDPL, Vientiane 1986, p13.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 463 -
s’ouvrir et de coopérer avec les institutions étrangères et internationales, tout en ayant un contrôle
sévère sur un écartement idéologique éventuel qui pouvait en être issu.
Le discours du Président Kaisone Phomvihan nous éclaire sur ces dispositifs. Pour remédier
aux difficultés qui avaient empêché le régime, durant les dix années passées entre 1975 et 1985,
d’atteindre le niveau suprême du socialisme, la période intermédiaire a été définie comme un temps
nécessaire pour que la société tout entière puisse effectuer sa transition vers le socialisme marxisteléniniste.
Cette période intermédiaire devait passer par certains compromis, notamment pratiquer
une économie de marché, donner plus de libertés aux échanges afin de créer la circulation des biens,
réviser certains aspects du collectivisme, etc.
Cinq leçons ont été énoncées pour permettre la mise en perspective des stratégies de
réforme (qui contenaient sept points majeurs) et mettre en place le deuxième plan quinquennal,
1986-1990, (contenant douze actions à entreprendre). Et pour « garantir » la réussite des stratégies
de réforme et la mise en place du plan quinquennal, Kaisone Phomvihan recommandait six actions à
mettre en œuvre pour maîtriser la réforme économique.
Les cinq leçons
Les cinq leçons se trouvaient en fait dans les cinq domaines d’action menés par le parti.
1. Le contrôle de la directive stratégique et opérationnelle du parti devait être encore renforcé afin
d’englober tous les secteurs et domaines. Les orientations devaient être ciblées de manière
pragmatique, flexible et adaptable par rapport aux contextes, de façon à ce que ces orientations en
soient effectives.
2. La consolidation de l’unité et de la solidarité à l’intérieur du parti et chez le peuple devait être
renforcée. Car elle était le cheval de bataille de la réussite de la révolution du pays.
3. Confirmation de l’attachement profond du pays à la base de fondation du régime (la politique,
l‘économie, le social et la culture, la défense et la sécurité), la construire et la renforcer avec
conviction et de manière complète, afin de réaliser la double grande stratégie tout en menant les
trois révolutions (révolution dans la force de production, dans les rapports de production, dans la
pensée et dans la culture) jusqu’au bout. Car cette base de fondation est le bastion du régime
socialiste.
4. Dans toutes les actions et décisions portant sur le domaine économique, il faut connaître les
règles et les contextes de leur réalisation, savoir évaluer les causes, les effets et les résultats de ces
actions.
5. Renforcer encore la coopération entre les pays socialistes frères. Avant tout, avec l’Union
Soviétique. Construire une force de l’union spéciale entre la RDPL, le Viêtnam et le Cambodge.
Utiliser toutes les conditions favorables de l’époque pour construire le socialisme du pays.
Les sept points stratégiques de la réforme économique
Les sept points ont été définis par le IVe congrès du parti, en complément des réalisations des dix
premières années du régime.
1. Pour atteindre le socialiste de manière complète, il faut procéder de manière progressive et par
étape la transformation de la production de la main d’œuvre artisanale vers une industrialisation
mécanisée.
2. Sachant que la période intermédiaire devant encore accepter l’existence de plusieurs formes de
production économique (ceux qui sont socialistes et ceux qui ne le sont pas), il faut procéder
progressivement à la transformation de ces structures économiques vers la structure socialiste
unique. Celle-ci n’existe que sous deux formes : structure économique de l’État et structure
collective. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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3. Etendre le nombre des prolétaires et améliorer leur niveau qualitatif. Faire en sorte que les
paysans des collectifs agricoles et les intellectuels socialistes existent vraiment et deviennent les
citoyens de base de la nouvelle société.
4. Améliorer et affirmer la dictature prolétarienne en élargissant la démocratie socialiste et en
renforçant l’unité sur la pensée politique et sociale.
5. Procéder à la révolution de la pensée et de la culture, visant à la construction de la nouvelle
culture et de la nouvelle société de manière progressive.
6. Améliorer et soigner les conditions de vie du peuple prolétarien et multiethnique et régler les
problèmes sociaux de manière adéquate.
7. Reconstruire le système de gestion et de contrôle dans tous les secteurs des mouvements sociaux,
tout en prenant en compte les intérêts de la société dans son ensemble, des intérêts collectifs et des
intérêts privés.
Les douze priorités du deuxième plan quinquennal, 1986-1990
1. Régler les problèmes des biens usuels et alimentaires sur la base du développement complet de la
production agricole. Les objectifs fixés étant que la production de produits alimentaires puisse
atteindre 450 à 500 kilogrammes par tête habitant et par an, qu’elle soit exportable et qu’elle
alimente l’industrie légère intérieure.
2. Limiter jusqu’à l’arrêt complet de la culture sur brûlis et développer le reboisement des forêts du
pays.
3. Construire la structure du secteur associé, agriculture - forêt - industrie, de manière à ce qu’elle se
concrétise, et qu’elle soit adéquate à la situation du pays.
4. Procéder à la constitution et à la répartition des zones économiques, planifier et fixer les règles
concernant la construction des unités rurales et des unités urbaines, notamment créer
progressivement des nouveaux centres socioéconomiques dans chaque district, tout en prenant soin
de créer les chefs-lieux des muang, les chefs-lieux des provinces existants, de sorte qu’ils
deviennent les centres urbains, des centres économiques, culturels et sociaux.
5. Développer le transport et la communication afin de favoriser les possibilités de développement
des ressources et des richesses diverses du pays, d’améliorer les liaisons entre le centre, les
provinces et les districts.
6. Mettre à profit les progrès scientifiques et techniques et mettre en place les travaux de sondage et
d’enquête des sols.
7. Réparer et augmenter la capacité dirigiste de l’économie de l’État. Développer le secteur
économique de coopérative. Parallèlement au développement de l’économie mixte, réparer les
coopératives existant dans différents domaines. Diversifier les métiers et augmenter la production
des produits issus des coopératives.
8. Améliorer et développer les systèmes commerciaux et de distribution socialiste. Associer
l’agriculture et l’industrie de sorte que le milieu rural et le milieu urbain soient reliés. Préconiser le
système de contribution des ouvriers et des agriculteurs afin de soutenir le développement de
l’économie nationale.
9. Mettre tous les efforts pour assainir le système financier et monétaire.
10. Développer les relations avec l’internationale. Le pays doit élargir ses relations extérieures et
tirer le plus possible de profits de la coopération et des aides internationales, non seulement avec les
pays du bloc soviétique, mais aussi avec les autres pays de la région et du monde.
11. Construire le système de droit socialiste et le rendre effectif : recherche et rédaction des règles et
des droits, former des organes juridiques (tribunal) et le comité de contrôle populaire de l’échelon
central au échelon du district, préconiser la création de l’école de droit et la formation des agents
compétents du domaine juridique, etc.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 465 -
12. Développer le secteur éducatif en améliorant le niveau et la qualité de la formation. Développer
le secteur culturel comme un combat important de sorte qu’il serve les orientations politiques et
socioéconomiques que l’État a planifié. Développer le secteur de la santé publique en donnant
priorité à l’éradication des maladies endémiques, notamment le paludisme.
Les recommandations du PPRL pour maitriser la nouvelle mécanique économique
1. « le parti-État doit comprendre et maîtriser les caractéristiques de base de l’économie de notre
pays, selon les points de vue suivants » :
a- créer l’équilibre entre les produits commerciaux et le système monétaire dans l’économie
du pays, de sorte qu’elle puisse devenir une économie planifiée et maîtrisée.
b- Utiliser les potentialités de toutes les unités économiques pour développer la production.
c- Construire l’économie centrale tout en développant l’économie locale.
d- Utiliser la coopération économique avec l’étranger de manière efficace.
e- Préoccuper des intérêts des travailleurs de manière adéquate.
f- Maîtriser les caractères et les analyses matérialistes de la gestion économique.
2. Le parti-État doit préconiser l’arrêt du contrôle économique de manière centralisée du haut vers
le bas. Il doit initier et favoriser les initiatives privées et l’autonomie individuelle des unités locales
ou se trouvant en bas de l’échelle. Il s’agit de l’autonomie financière, de planification et de décision
des unités économiques de base. Pour cela :
a- il faut régler les contradictions entre le droit à l’autonomie de gestion et de commerce des
unités économiques de base et le dirigisme centralisé du système.
b- L’économie planifiée étant le propre du système socialiste, il a cependant besoin d’être
réajusté. La planification de l’État doit aussi prendre en compte les contextes locaux, les
lois de l’offre et de la demande, elle doit se baser sur le marché. La production doit
répondre aux besoins, etc.
c- il faut utiliser les prérogatives existantes dans le bon sens pour permettre une
amélioration générale de la production, de la qualité, du prix de revient et du prix de
consommation. Les conditions de vie de la population, de celle qui fait la production et de
celle qui en consomme doivent être ensemble améliorées.
3. Dans le réajustement du mécanique économique, il y a également un autre point que le parti-État
souligne. Il s’agit de régler le rapport hiérarchique entre le pouvoir central et le pouvoir local de
manière équilibrée, afin de responsabiliser le pouvoir local dans la gestion socioéconomique
locale.797
III. I. a. 2. Les bilans économiques et les mesures concrètes réalisées
Contrairement aux justificatifs idéologiques qui esquivaient avec zèle le constat de
l’effondrement du système marxiste-léniniste et qui pointait plutôt le doigt sur l’inadéquation
technique de l’économie qui fallait corriger, le bilan économique sur quelques points a mis en cause
de manière intrinsèque l’idéologie politique du régime lui-même, du moins certains systèmes et
actions mis en place et conduits dans le cadre très doctrinal du régime. Les justificatifs idéologiques
et des principes économiques ont déjà mis en évidence les différents problèmes qui ont nécessité la
réforme, nous proposons dans ce petit paragraphe de souligner les différents points et chiffres pour
les illustrer.
Soulignons, avant les chiffres, les bilans du secteur économique dressés lors du IV congrès
du parti. Ceux-ci ressemblaient à une auto-critique qui mettait en évidence les « défauts et les points
797 Ibid.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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faibles » du système et qui permettaient une perspective sur les points de réforme que nous venons
de noter :
798
« - l’État n’a pas assez développé le secteur associé, agriculture - forêt - industrie, qui aurait été la
base de l’industrialisation du pays.
- Dans le développement du secteur des transports et des communications, les initiatives locales ont
été quasiment inexistantes. Les pouvoirs locaux ne sont pas assez autonomes. Attentistes, ils se sont
trop appuyés sur les directives et les budgets centraux.
- Le réseau commercial ne s’est pas constitué véritablement. La circulation et la distribution des
produits de l’État et ceux des collectifs ne peuvent toujours pas satisfaire quantitativement les
besoins de la population. La volonté de faire transiter l’économie d’autosuffisance (production
auto-consommée) vers l’économie de production des produits commercialisables que nous avons
préconisée, tâtonne et n’a pas pu atteindre l’objectif voulu.
- La construction du socialisme réalisée au Laos a été faite de manière trop rapide dans l’urgence
et ne prenant pas assez en compte le contexte et la réalité locale : dès l’investiture du régime, l’État
avait aboli les unités économiques existant qui n’étaient pas socialistes, pensant ainsi que le
socialisme allait être atteindre plus rapidement.
- Le changement du système de contrôle et de rétribution centralisée vers une gestion et une
autonomie financière locale n’a pas pu vraiment se faire. Les activités commerciales n’ont pas su
se doter de profits.
- Les outils économiques dans leur ensemble étaient incomplets dès le départ pour mener une bonne
construction de l’économie nationale. Certains agents de l’État, chargés de l’exécution des
dispositifs économiques, n’avaient pas de compétences requises ou étaient préoccupés par leurs
propres intérêts et les intérêts de leurs relations et parentés.
- Les échanges et la coopération commerciale avec les pays étrangers n’étaient pas assez
développés. Les fonds issus des prêts et des aides provenant des pays socialistes et des autres pays
n’étaient pas utilisés à bonne essence : il y avait beaucoup de gaspillage et les résultats étaient
médiocres. »
Ajoutés à ces points d’autocritique, quatre points résumaient la nécessité de réforme
économique de 1986 : 1- le statuquo de la production, voire la régression, 2- l’inflation, 3- la
pénurie des biens de consommation et des biens et des services, 4- les déficits budgétaires.
Quelques chiffres des années 1980799
- Les importations : 70% des importations des biens de consommation provenaient de la
Thaïlande. Ce qui correspondait à environ 273 articles consommables courants.
- Les exportations : elles représentaient le tiers de l’importation.
- Les aides étrangères : elles représentaient chaque année 95 millions de dollars US. Les aides
extérieures entre 1975 et 1986 représentaient 60% du budget national.
- Les dettes extérieures : elles représentaient 390 millions de dollars US en 1983, dont 260
millions envers le bloc socialiste et 128 millions envers les pays des zones convertibles.
- Le PNB : le PNB par habitant en 1984 était de 98 USD. La RDPL était classée parmi les pays
les plus pauvres du monde.
- La production industrielle : elle représentait 5% du PNB.
- Le pouvoir d’achat : il était très bas. Le salaire d’un fonctionnaire était de 20 à 50 USD.
Les mesures concrètes engagées, touchant le secteur économique800
798 Ibid. 799 Kham Voraphet, Laos. La redéfinition des stratégies politiques et économiques (1975-2006), éd. les Indes Savantes,
Paris, 2007.
800 Ibid.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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- Mise en place des dispositifs pour lutter contre l’inflation : tenter d’équilibrer le cours officiel
et le marché libre du kip, libéralisation des prix domestiques et des transactions
internationales.
- Réforme dans le domaine agricole : adoption du principe de la liberté des prix selon l’offre et
la demande, les anciennes terres des coopératives ont été redistribuées aux paysans, avec
droit de jouissance.
- Mise en place des dispositifs de sécurité alimentaire : encouragement à diversifier les
exploitations des produits agricoles et des élevages. Soutenir les produits à exporter tels que
le soja, le café, le tabac.801
- Libération des entreprises mixtes et des entreprises d’État.
- Réduction du monopole par l’État de l’importation : privatiser les entreprises import-export.
- Mise en place du comité pour l’investissement étranger afin d’attirer les investissements.
III. I. b. Les faits révélateurs
Mis à part les justificatifs idéologiques qui ont été effectués dans l’objectif de réaliser la
réforme tout en protégeant le régime et le système de pouvoir mis en place, et mis à part les bilans
économiques qui ont été mis en évidence (notamment par les observateurs extérieurs), les diverses
études ont montré que tous les sujets et tous les secteurs n’ont pas été traités et pris en compte
comme étant des éléments dont les problèmes ont concouru à la nécessité de réformer. Il est
probable que la mise à l’écart de certains problèmes aurait été des démarches volontaires de la part
des décideurs, lorsque ces questions embarrassaient et remettaient en cause la politique menée
jusqu’alors par le régime et qui l’aurait placé dans une position d’échec. Il est probable aussi, par
exemple, que la question des ressources humaines soit gaspillée par les camps de séminaires
politiques, que la cohésion sociale soit empêchée par le clivage « gens de l’Ancien Régime et
peuple révolutionnaire », que la liberté d’entreprendre soit freinée par le collectivisme, etc. Il est
probable également que la mise à l’écart de certains problèmes aurait été des démarches aussi
involontaires. Ceci, lorsque les questions échappaient à la pensée réformatrice la plus sincère, parce
que cette dernière manquait d’outils d’analyse et de paramètres de compréhension, de références et
de modèles économiques et sociopolitiques vers lesquels le régime tentait de s’ouvrir. Quoi qu’il en
soit, ceci semait le doute et l’incertitude dans la démarche de l’ouverture. Beaucoup d’observateurs
et d’analystes estimaient que la réforme du régime laotien n’était pas née d’une véritable volonté de
changer le système, mais des contraintes. C’était les difficultés économiques qui auraient forcé à
l’ouverture. Du moins, le grand souci de « ne pas perdre la face » avait masqué de manière
constante les actions de la directive politique de l’État laotien qui soutenaient l’idée que la réforme
était nécessaire uniquement du point de vue « technique ». En d’autre terme, la réforme portait sur
le mécanisme économique et ne devait pas remettre en question les idéologies du régime. Celles-ci
devaient continuer à rester « pures », un patrimoine « moune-seua » que les révolutionnaires et le
peuple lao multiethnique tout entier, devaient précieusement protéger. Par contre, les hauts
fonctionnaires du régime qui revenaient de l’Occident en 1975 et qui ont travaillé à la construction
du socialisme pensaient que la période d’ouverture pouvaient basculer dans l’un des deux excès :
renforcement de l’autoritarisme du régime ou au contraire, la fin du régime.
802 C’était « la voie du
milieu » que la haute décision du PPRL a choisi en concertation étroite avec le PCV.
801 D’après un ancien exploitant de cannabis, l’État avait aussi demandé à la population d’exploiter le cannabis pour de
l’exportation. Mais cette demande a durée un laps de temps, au bout de deux-trois saisons elle était devenue interdite.
Ainsi les agriculteurs de Ban Sala kham dans le boucle du Mékong à Vientiane se plaignaient des milliers de pied de
cannabis qu’il a fallu arracher sans indemnités. 802 D’après nos discussions avec certains d’entre eux, ils disent qu’ils ne savaient pas trop ce qu’il allait se passer au
moment de la préparation de la réforme. C’est l’une des raisons pour lesquelles ils décidèrent d’envoyer leurs enfants à
l’étranger vers 1986, confiés à leur famille respective de la diapora. Discussion à Vientiane en 1999.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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Avant de rendre compte des constats portant sur les questions spatiales proprement dites qui
ont des implications sur les périodes qui ont suivi, évoquons d’abord les différentes questions
d’ordre général qui auraient contribué à déclencher la réforme, en reprenant les différents points qui
ont été les enjeux durant les premiers moments de l’installation du régime et qui ont conduit le
Comité Central du PPRL à entreprendre des actions pour poursuivre la construction et la
consolidation du régime socialiste marxiste-léniniste, mais dans une voie nouvelle.
III. I. b. 1. Les constats généraux : sentiment de désillusions, d’échecs et de gâchis ?
Le constat sur les actions menées par le nouveau régime était couronné par deux faits
majeurs. Le premier était l’illusion du monde nouveau et surtout de l’homme nouveau. Le deuxième
était le sentiment de gâchis et d’échec qui pouvait naître lorsqu’un regard approfondi était posé sur
la méthode employée pour la formation et le renouvellement de la société en marche vers le
socialisme. L’utopie s’était retrouvée ici expérimentée dans toute sa splendeur, usant « sans
économie » le facteur humain qui marquait profondément la société laotienne et l’histoire
contemporaine du pays.
Dans le premier temps, les enjeux et les défis étaient de faire table rase non seulement sur
les pouvoirs de l’Ancien Régime, mais aussi sur les symboles, les institutions, les codes et les règles
sociaux qui pouvaient le rappeler. Il s’agissait surtout d’installer le nouveaux pouvoir et les
nouvelles institutions, afin de diriger le pays en toute légitimité. Le nouveau langage officiel a été
adopté par le Congrès des Représentant du Peuple parmi d’autres adoptions lors de la proclamation
de la RDPL le 2 décembre 1975. Le nouveau langage était utilisé dans tous les domaines : dans
l’administration, la littérature, les arts et les expressions courantes. Comme nous l’avons déjà
signalé, la langue réformée par Phoumi Vongvichit, utilisée dans la zone libérée depuis les années
1960, a été mise en application dans tout le pays après 1975. Les espaces emblématiques ont été
réappropriés par des nouvelles fonctions. Cette appropriation se voulait symbolique de la maîtrise
spatiale de tout le pays par le nouveau pouvoir.
Cependant, le problème de légitimation se posait : pour avoir l’adhésion de tout le peuple,
et durer, il fallait acquérir la légitimité nécessaire. Or le pouvoir n’avait pas été installé et consolidé
de manière légitimité, mais à coup de fusil et de baïonnette, comme le qualifiaient les termes utilisés
par le nouveau pouvoir lui-même : gnat gnèng amnat, yut amnat [pkfcpj’ veokfF pbfveokf] pour
qualifier la prise du pouvoir. La fuite massive de la population –y compris la fuite des paysans pour
qui la révolution aurait été faite– vers l’étranger indiquait la peur. Elle confirmait la violence du
système qui ne durait pas le temps d’une révolution, mais qui s’installait dans leur vie quotidienne :
travaux forcés, séminaires politiques et endoctrinement, autocritiques publiques (pratique blessante
pour un lao, car s’autocritiquer c’est « perdre la face » en public ), délation, arrestation arbitraire,
restriction de circulation et de réunion,803 restriction d’expression et de liberté de parole et de culte,
etc.
La désillusion était fortement ressentie, non seulement chez la population des anciens
territoires du gouvernement de Vientiane qui aurait pu avoir des regrets du temps passé par son
appartenance, mais la désillusion atteignait aussi ceux qui croyaient à la révolution. Il y avait ainsi
de nombreux dissidents à la fin des années 1970, envoyés aux séminaires spéciaux. La raison
officielle donnée était la corruption et la déviation idéologique. Ils auraient oublié la vertu du
communautarisme inculquée par le marxisme-léninisme ; ils auraient utilisé le pouvoir pour des
intérêts personnels, ou, auraient été trop prochinois, durant le conflit sino-vietnamien, et oubliant
803 « Le Laos tout entier devenait une prison », le pays a été qualifié ainsi par une grande partie de la population.
Effectivement il fallait un laisser-passer pour circuler d’un district à un autre, ceux qui tentaient de quitter le pays étaient
emprisonnés, ou lorsqu’ils tentaient de traverser le Mékong les gardes frontières et la milice ouvraient feux, « comme si
on s’évadait de prison ». Les réunions familiales étaient susceptibles d’effraction, les rassemblements étant interdits en
dehors de ceux organisés par le Comité Populaire.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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que le PPRL avait une dette morale envers le PCV, grâce à qui la révolution laotienne a pu se
réaliser, etc.
Notre discussion avec les anciens révolutionnaires confirme les déceptions au sein-même du
PPRL. Elles portaient notamment sur la fuite en catastrophe d’une bonne partie de la population ;
les tires des gardes-frontières sur les gens qui tentaient de traverser le Mékong ; presque chaque
famille a au moins un de ses membres envoyés aux séminaires politiques. Trente années sacrifiées
pour la révolution et constater que la réconciliation nationale (et derrière cela, la réconciliation
familiale) ne s’était pas faite comme ils l’auraient souhaitée. C’était aussi désolant pour eux de
constater qu’il manquait des compétences pour construire le pays. Car, pour beaucoup, la nouvelle
société signifiait la fin de la domination américaine, mais surtout la paix retrouvée, la réconciliation
et l’union nationale. Probablement conscient que la fuite des 20% de la population n’étaient pas
entièrement liés au pouvoir de Vientiane, mais aussi à la peur des représailles du nouveau régime.
La première désillusion au sein du PPRL était donc probablement issue de cette fracture.804 De
nombreuses démarches individuelles ont été repérées de çà et là : certains membres révolutionnaires
tentaient de faire libérer, pour les uns, un cousin, pour les autres, un neveu, un frère, un oncle, etc.,
du camp de séminaire ou de prisons, incarcérés pour avoir tenté de fuir le pays ou pour avoir occupé
un poste dans l’administration du gouvernement de Vientiane. Mais devant les histoires
individuelles, le haut appareil décisionnel du PPRL restait froid. Et c’était probablement la
deuxième fracture à l’intérieur de l’appareil du pouvoir dès les années 1977-1980.
Les idéologies mises en application touchaient, dans le cas très particulier de la société
laotienne, les histoires intimes des familles, et était confrontée à une réalité qui menaçait sa propre
existence. Il fallait alors un certain pragmatisme. Même si aucun compromis n’a été trouvé
concernant les camps de séminaires politiques, quelques compromis avaient été établis dans les
autres domaines : rassurer les paysans en leur rendant les terres et en révisant la production
collective ; rassurer le peuple en leur accordant une liberté de culte et les droits de jouissance
individuelle des terres, les droits de commerce, qui avaient plus ou moins été enlevés dans les
premières années. Les compromis réalisés au cours du plan de trois ans (1978-1980) explicitaient
donc partiellement l’échec du régime. Le constat des années qui ont suivi démontrait que la
construction de l’homme nouveau trouvait ses limites, et l’ouverture du pays a révèlé que la plupart
des gens n’adhéraient que partiellement aux idéaux imposés trente années durant.
III. I. b. 2. Les constats portant sur la question spatiale
Le territoire à explorer et à fonder n’existe plus en tant que tel
Au moment où le régime laotien préconisait la réforme, deux idées principales soustendaient
la question spatiale. D’abord, il était à constater qu’un territoire vierge et inexploré, un
territoire où l’on pouvait y créer de nouvelles fondations ou de nouvel rayonnement n’existait plus
en tant que tel, dans le sens d’une conception de territoire vide et sans affectation de fonction. Car le
territoire du Laos était déjà exploré, bien qu’il soit relativement vaste, peu dense, avec une
installation parsemée d’établissements, en taches d’huile plus ou moins distancées, plus ou moins
complexes et importantes, dans les plaines arrosées comme dans les riches et hautes vallées, le long
des tracés routiers ou fluviaux. En fait, bien que beaucoup de parties de ce territoire soient
inhabitées, elles occupaient pourtant toutes, une fonction, ont été intégrées comme territoire affecté
de fonction dans le système spatial du muang ; que cette intégration territoriale soit des forêts ou
des jungles profondes, des montagnes, des zones agricoles ou autres, dépourvues d’habitant et
d’établissement. Comme nous l’avons déjà souligné dans la seconde partie de notre recherche, ces
804 Discussion avec des révolutionnaires à la retraite, Vientiane, 2001. L’un d’entre eux est un cousin de mon père. Je ne
le connaissait pas puisqu’il a pris le « marquis » à la fin des années 1950. Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois, il
s’excusait presque du fait que mon père avait été au camp de rééducation et qu’il n’avait pas pu le faire sortir.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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espaces vides n’étaient pas dépourvus de fonction, car le vide ou l’inhabité aurait fait partie
intégrant des fonctions de l’espace et du mode d’occupation des muang des populations tai.
Une nouvelle avancée dans ces espaces vides, qu’elle que soit la forme : une nouvelle
fondation, une extension, une reproduction, etc., doivent être alors considérées comme une
transformation, un changement de l’espace existant.
Comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent, rappelons-le ici : à partir de 1975
lorsque le PPRL entamait une nouvelle perspective pour construire une nouvelle société, l’espace
qui reflétait le mode de vie, mais aussi les idéaux qui ont conduit et régit les sociétés humaines,
devenaient des éléments opératoires de la mise en œuvre de cette nouvelle perspective. Des « villes
nouvelles », des changements de fonctions des espaces existant ont été ainsi mis en œuvre. Mais en
se faisant, le système idéologique du nouveau régime considérait l’espace inhabité dont nous
venons d’expliquer le caractère, comme des espaces vides dépourvus de fonction et de rôle, un vide
que le régime avait l’illusion de pouvoir combler. Or cela n’avait pas été ainsi. La vision
matérialiste de l’idéologie marxiste-léniniste posée sur l’espace lao aurait été sans doute mal à
propos et biaisée. Cet espace chargé de signification et de fonction aurait été confondu
intellectuellement au vide et au non-sens. Ainsi dans les premières années de son investigation, la
démarche intellectuelle du nouveau régime était d’inventer son propre espace muni de nouvelle
signification. C’était d’abord nier le temps et l’espace historique en général et c’était ensuite
méconnaitre la particularité de l’espace lao, trompeur par son aspect inoccupé et vide.
On constatait que les « villes nouvelles » qui se voulaient être le nouveau cadre des
établissements multiethniques, qui procédaient à la mixité des ethnies (dans le sens de mettre les
ethnies juste ensemble dans un même lieu) dans la méconnaissance des rapports d’inter ethnicité
circulaires, rencontraient de multiples incohérences, même s’il n’y avait pas eu de clivages et de
ségrégation. L’incohérence tenait au fait que les communautés vivaient côte à côte, mélangées, sans
vraiment partager des éléments qui fondent les valeurs d’une communauté. Comme nous l’avons
déjà noté, l’un des idéaux phares du régime était l’intégration inter ethnique des peuples afin
d’abolir les pratiques anciennes des sakdina qui, selon le régime, auraient considéré les ethnies
comme un « sous - peuple servile ». Et l’une de ses actions était donc la « détribalisation » par la
mixité et par le fait citadin : rassemblement multiethnique dans un même espace des populations de
parler môn-khmer à celles de parler tai et de parler myo-yao, etc., installer cette mixité dans les
nouveaux établissements de type muang, comme si le facteur spatial des villes nouvelles construites
sur les anciennes villes détruites par la guerre ou en quartiers annexes des villes existantes ou
encore sur des emplacements complètement nouveaux (construction de nouvelle structure pour faire
les bureaux du muang, de quelques projets d’équipements de base tels que : écoles, dispensaires,
nouvelles routes.) pouvait être des facteurs de détribalisation. Force était de constater que la
détribalisation, si elle pouvait être ainsi considérée n’était pas due ni au fait spatial du muang, ni à la
mixité, puisque la distinction ou le repérage ethnique continuait à être très claire et facile lorsque
l’on pénétrait dans l’une de ces villes. A travers le mode vestimentaire et alimentaire, à travers
l’organisation de leur espace habité, et puis plus âprement lorsqu’on s’intéressait aux pratiques
sociales, on pouvait constater que la vraie mixité (dans le sens de communauté cohérente partageant
certains espaces communs, des rituels communs, certaines valeurs communes, etc.), était rare chez
les différents groupes ethniques. L’endogamie par exemple est un fait persistant dans la grande
majeure partie des ethnies. Autrefois, alors qu’on ne les obligeait pas à vivre ensemble dans un
même village, cela ne les empêchait pas de s’emprunter réciproquement des coutumes, des modes
vestimentaires, culinaires, etc. Et ce phénomène avait toujours existé par le passé et existe encore
aujourd’hui, comme l’ont démontré les études de Grégoire Schlemmer.805
805 Grégoire Schlemmer, ethnologue, chargé de recherche à l’IRD (Unité de Rechecrhe 105, Savoir et Développement),
membre du Centre d’Etude de l’Inde et de l’Asie du Sud (CEIAS, UMR 8564, CRRS-EHESS). Il mène notamment des Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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La « détribalisation » a été en fait découvert ailleurs, en dehors des champs idéologiques
prévus au départ. Mais ce fait n’était pas nouveau. Elle a été pratiquée bien avant et dans un
contexte sociopolitique du régime sakdina lui-même,806 que le nouveau régime ne souhaitait pas se
référencer. Mais le fait est que c’était dans le fonctionnariat et dans les fonctions publiques de base
dans les provinces, plus encore que dans la hiérarchie du CCP, que de véritable intégration
interethnique a été réalisée et saluée par les intéressés. A Phongsaly nous ne pouvons restés
insensibles à la fierté des habitants, essentiellement Phou Noy et Hô, lorsqu’ils nous disent que
« nous avons aujourd’hui plusieurs ministres et plusieurs députés phou noy. Nos fonctionnaires des
muang et des provinces où nous vivons ne sont plus majoritairement tai mais toutes origines
confondues : tai lü, phou noy, hmong, khmu. Autrement, ils ne sauraient nous représenter.»807
Ce fait démontre en partie que l’utilisation de l’espace à l’usage uniquement idéologique ne
fonctionnait pas toujours. L’échec du point de vue spatial pour réaliser une intégration ethnique a
été rattrapé petit à petit par une politique d’ouverture des fonctions publiques de base aux individus
appartenant aux groupes minoritaires. Mais cette ouverture a dû être progressivement étalée dans le
temps : car il a fallu attendre que la politique de l’accès à l’éducation porte ses fruits. Les agents
administratifs d’origine minoritaire dans les premières années de la révolution étaient donc peu
nombreux, même dans les zones libérées. Aujourd’hui, dans certaines provinces, ils deviennent
même majoritaires, notamment à Phongsaly, et dans les districts à l’est de la province de Sékong.808
La négation et l’abstraction de la représentation de la ville et des fondations anciennes des
premières années de la révolution avaient besoin d’être revisitées
La remise en question de certaines idées politiques induites par la réforme était
accompagnée également des remises en question de certains fondements et questions portant sur la
ville et les espaces anciens. La ville en tant que symbole et représentation des pouvoirs anciens,
aristocratiques, bourgeois, impérialistes et étrangers ; la ville en tant que témoin de l’histoire ; la
ville en tant qu’entité spatiale ; qui a été niée dans les premières années de la révolution –dont nous
avons évoqué l’importance précédemment– fut alors reconsidérée. Que les questions ont été
exprimées ou formalisées ou pas, car beaucoup de questions ont été soulevées dans la haute sphère
du pouvoir du Comité Central du Parti sans qu’elles soient connues du bas peuple, les faits l’ont
montré que la négation des fondations anciennes comme facteur d’adaptabilité et de renouvellement
spatial a été remise en question en même temps que le réveil du régime dans son désir de se relier à
la continuité de l’histoire. Avec l’auto gestion de l’espace urbain, avec la négation de la ville et
l’abstraction des centres historiques à partir de 1975, l’anarchie semblait régner fortement dans les
années qui ont suivi, empêchant la gestion et le contrôle de la ville, mais aussi son appropriation par
ses habitants. Ce fait était accusé par une perte d’identification des habitants par rapport à leur ville.
Cela interrogeait donc l’appareil institutionnel et administratif (la gouvernance urbaine et
territoriale) et son rôle dans la gestion de l’espace et du territoire. Ces faits, qui résultaient du mode
de représentation, de conception et de gestion de l’espace du régime en place devaient-ils se
poursuivre ? La réforme et ses dispositifs qui devaient être mis en œuvre, nous ont démontré que
recherches sur le « rôle du savoir thérapeutique et l’émergence de singularité individuelle dans une zone multi-ethnique du
Nord Laos » ; Cf. Conférence à l’Institut Française de Vientiane, Grégoire Schlémer, mai 2012. 806 Nous pouvons repérer au cours de l’histoire récente de l’administration des Tai-Lao du Laos que de nombreux chefs
ethniques ont été intégrés dans la structure nobilière lao. Au XIXe siècle il y a le groupe de parler môn-khmer avec le
célèbre clan dont le chef Komadam promu au titre de phraya. Le cas de la famille Bac Kam (tai dam) est particulier
puisque les Lao par le droit coutumier reconnaissent l’origine aristocratique de cette famille comme la plus représentative
de la dynastie qui a dominé le Sip Song Chou Tai, et donc aussi le statut de ses descendants. Leur intégration dans la
structure administrative et nobilière lao ne requiert pas de prérogative particulière par rapport aux autres grandes familles.
Dans la première moitié du XXe siècle il y a le clan des Lyfoung (Hmong) dont plusieurs chefs sont promus également au
rang de phraya et intégrés dans la haute fonction publique (Gouverneur, député, ministre.) Et d’après Grégoire
Schlemmer, il y aurait quelques Hô et Phou Noy nommé phraya au XVIIIe et XIXe siècle. Ce fait est confirmé par Tiao
Khammanh Vongkotrattana, in : Pavat kanh Khouèng Phongsaly. (Histoire de Phongsaly). Op, cit. 807 D’après une discussion avec un habitant de Phongsaly d’origine Phou Noy. Juillet 2010. 808 A Sékong, d’après Vattana Pholséna qui y effectue actuellement une étude d’histoire.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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non. Nous pouvons mettre en perspective, quelques exemples concrets qui avaient permis à l’État
de revisiter les anciennes actions régressives et préconiser de les inscrire dans la réforme. Nous
tentons ici de dresser une liste.
Comment était installée la ruralisation contribuant à altérer le rôle de la ville et comment y
remédier ?
La dégradation des responsabilités et des savoir-faire des agents administratifs
La fonction de gouvernance des équipements administratifs a été parasitée par des tentatives
de productions de denrées alimentaires répondant à la politique d’autosuffisance. En corrélation, le
temps de travail avait également été fractionné : le matin, en arrivant au bureau les fonctionnaires
devaient d’abord s’occuper de l’élevage et du jardinage, aménagés dans le jardin du ministère. A la
fin de la journée, ils devaient repasser encore au jardinage et à l’élevage avant de rentrer à la
maison. Ainsi partagés, ils ne remplissaient qu’une partie de leur fonction : les taches
administratives et l’autosuffisance alimentaire demandées par l’État sont accomplies à moitié.
L’auto gestion spatiale et la dégradation des lieux et leur fonction
Personne n’était responsable, particulièrement, de l’entretien des rues et des routes, si non
tout le monde. La gestion urbaine et les services techniques de la ville étant une vraie fonction, un
travail complexe devant rassembler des compétences et des investissements (techniques et
financiers) des spécialités, puis des spécificités d’une ville à une autre, réclamant une institution
compétente. Ils ne pouvaient être assumés facilement par des individus. Or on demandait aux
individus à travers les travaux collectifs d’assumer une responsabilité publique. Ici, une
responsabilité civique a été confondue à une responsabilité publique qui devait relever normalement
des fonctions publiques, qu’elles soient à l’échelle centrale ou locale. Par cette pratique, la
gouvernance frôlait l’anarchie, puisque la fonction publique et ses compétences ont été réduites à
néant. Mise à part cette dégradation des fonctions, il y a la dégradation des lieux. Dans la pratique,
tout le monde était obligé de nettoyer devant chez soi, soucieux de bien faire que devant chez soi
sous peine d’autocritique, on n’ira pas se mêler des nettoyages qui n’étaient pas chez soi, si le
comité du village ne venait pas nous mobiliser. Certains édifices restaient ainsi en état d’abandon,
des tronçons de chemin envahis par des herbes, etc. Les ordures ménagères étaient brulées sur place
dans le jardin. Ceux qui n’avaient pas de jardin (cas des compartiments) brulaient leurs déchets
domestiques sur le trottoir-même, car il n’était pas question d’avoir des immondices dans la rue.
La réforme administrative territoriale corollaire à la transformation sociopolitique
Le fait de supprimer l’administration de la zone urbaine des villes pour l’attacher à
l’administration unique de la province, indique la volonté de réduire l’importance sociopolitique du
milieu urbain. Sachant que l’administration et les services urbains nécessaires à la ville n’étaient pas
de la même nature qu’en province. Les supprimer démontrait soit la méconnaissance, soi la volonté
politique de détruire la ville en tant qu’entité sociale et politique.
L’étatisation des biens fonciers
L’appropriation par l’État d’une bonne partie du patrimoine privé urbain avait mis un arrêt à
la spéculation foncière, mais ce fait a surtout coupé à l’État toutes possibilités de perception (taxe,
impôt). Le foncier devenait une coquille vide, sans prix, sans valeur, gratuite pour les futurs
occupants auxquels l’État attribuait les habitations. Pire, il aurait été une charge économique pour
l’État si celui-ci devait les entretenir. Un bien foncier sans valeur foncière était l’antithèse de la ville
par excellence.
L’autogestion de l’espace, dans le sens de l’absence de planification urbaine
Les quartiers périphériques constitués nouvellement ou greffés aux villages existant et qui
entamaient le début des extensions périphériques de la ville durant les dix premières années du
régime, n’avaient aucune planification prévue. L’État laissait libre cours aux habitations qui se
construisaient peu à peu, la seule règle était que les terres soient appartenues à ceux qui Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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entreprenaient les constructions, ou du moins, qui pouvaient justifier de leur droit, d’une manière ou
d’une autre, ou alors, que ce droit soit donné par l’État.
La population rurale
La venue de la population rurale en ville confortait l’usage rural de la ville imposé par
l’autorité politique du village et du district. Le fait que les nouveaux habitants ayant la réaction de
vivre la ville comme en milieu rural (aménager les rizières, les jardins, l’élevage dès qu’ils
trouvaient des terrains libres) faisait qu’il y avait une augmentation importante des activités de
production au sein même de l’espace urbain, productions aussitôt auto-consommées, et il y avait
moins d’activités de services, d’échange et de circulation des biens, qui devaient être normalement
le propre des villes.
Les bâtiments emblématiques et fonctionnels
Dans la construction des espaces symboliques du nouveau régime, bien qu’ils n’eussent pas
été nombreux les bâtiments emblématiques ont été les projets phares du nouveau programme à
partir du premier et du deuxième plan quinquennal. Les nouveaux édifices étaient sensés incarner la
nouvelle centralité idéologique spatialisée. Il y avait notamment le stupa dédié aux combattants de
la révolution, l’Assemblée Nationale, le Kilomètre six, etc. Il était de même des nouveaux
équipements, indispensables par leurs fonctions (hôpitaux, centres universitaires.) Ces édifices qui
se voulaient être les nouveaux éléments de rassemblement, que ce soit par leur capacité de
représentation ou par leur fonction, concouraient en premier temps à mettre en péril la ville et le
centre ancien.
Zone spéciale
La zone spéciale a été créée en 1994. Sa création répondait à une multitude de questions
d’ordre politique, économique et humaine. Mais ce qui intéressait la question de la ville et du centre
ancien, c’était la définition qu’on lui donnait. Il aurait existé en quelques sortes dans ce que l’on
appelait « la zone spéciale » une autre manière d’habiter et de concevoir l’espace de l’habitat, une
autre manière alors de gérer et de gouverner les hommes en dehors de ce que l’on pouvait concevoir
dans la ville ancienne et dans la ville nouvelle.
Villes nouvelles
Les villes nouvelles, pour la plupart reconstruites sur les anciens établissements (villages ou
villes anciennes) détruits par la guerre, se voulaient d’abord socialistes. Même si les budgets
manquaient pour les réaliser, les idées premières qui les ont conduites étaient claires. Elles devaient
posséder des équipements et des fonctionnalités pour tous. Le peuple multiethnique qui y habitait
était pleinement chez lui, dans un lieu neutre et fonctionnel, ayant des grandes routes pour faciliter
les accès et les futures extensions. On a été peu soucieux de l’histoire des lieux d’avant leur
destruction, car l’histoire individuelle et particulière aurait été l’obstacle de la société nouvelle
multiethnique. Le brassage ethnique, sans passé historique avait ainsi été la qualité première de ces
villes reconstruites. Elles ont été la cause de la déstructuration et de la méconnaissance des
fondamentaux de la ville et de l’urbain lui-même, qu’elle que soit la particularité de ces villes. Les
connaissances qui auraient été apportées par le mode d’habiter, la gestion et la gouvernance urbaine
des établissements anciens ont été reniées dans leur ensemble.
Les points soulignés, ci-contre, font probablement partie des bilans et pris en compte pour réviser
les dispositifs engagés, jusqu’alors, afin de poursuivre la réforme.
III. II. Les implications de la réforme dès 1994 et 1995
Théoriquement la Réforme a commencé avec la résolution adoptée lors du IV Congrès du
Parti en 1986. Elle n’aura des implications visibles du point de vue spatial qu’à partir de 1994 et
1995, période où s’est achevée la plupart des projets importants qui ont été engagés après l’année de
la réforme. Ce sont des projets clés mis en route et devant apporter des changements importants Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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dans le paysage urbain des villes, telles l’élaboration de nouveaux plans urbains et la création des
nouvelles instances administratives, la mise en place de la constitution et des décrets-lois, etc.
Nous pouvons constater que les différents projets qui ont été rendus possibles grâce à la
réforme, suscitent un certain nombre de questions, notamment celles portant sur la place de la ville
dans le territoire en cours de restructuration. Les projets induisent en quelques sortes une
redéfinition de l’entité de la ville, l’obligeant à se redéfinir à travers son mode de gestion, son
développement et ses limites. De même, la vision restrictive du centre et des quartiers historiques
doit être revisitée. Alors que des éléments de réponses à ces questions restent encore flous, la
démarche qui semble la plus évidente de la politique de gestion et de développement urbain, ce sont
les tentatives de ramification des quartiers extérieurs vers une certaine unité et vers une nouvelle
limite urbaine.
Avant de mettre en saillie les implications de la réforme dans l’espace urbain, il est
important de noter que les implications politiques et administratives à partir des années 1990 et
1991 ont véritablement créé les conditions et les cadres nécessaires et favorables, rendant possibles
et effectives les grandes lignes de la réforme. Il faut noter également que la période précédant le
début des années 1990 (entre 1986 et 1990) comportait certains éléments qui retardaient la
démarche et l’accomplissement de la réforme. Effectivement entre 1986 et 1990 la
« décentralisation du pouvoir déconcentré », en particulier la réforme budgétaire,809 qui permettait
au pouvoir local d’acquérir une autonomie plus grande a rendu difficile la planification nationale
dans le développement du secteur urbain. De fait, le gouvernement a du mal à faire appliquer la
directive politique nationale notamment dans le secteur du développement urbain et territorial : les
ministères qui avaient pour rôle d’assister les pouvoirs locaux à conduire les grandes lignes de la
politique de l’État peinaient à conduire leur mission en province dans les projets de voiries et
d’équipements publics notamment. Parce que les autorités et les administrations locales
conduisaient les projets avec leurs propres fonds jusqu’à la réforme de 1991. A partir de cette
réforme, qui s’illustra par le recentrage du pouvoir et de l’établissement du budget national, le
ministère des Communications, Transports, Postes et Constructions (MCTPC) a pu davantage
contrôler les projets que conduisaient les Départements des Communications Transports, Postes et
Constructions (DCTPC) attachés à l’administration locale des provinces qui lui étaient attachés dans
la structure administrative verticale, alors que ceux-ci étaient transversalement responsables devant
le Préfet ou le gouverneur de province.
La période entre 1990 et 1995 était une période charnière durant laquelle les différentes
initiatives de l’État prenaient le temps pour être comprises et mises en application par le pouvoir
local et les agents administratifs. Ceci, en ce qui concernait aussi bien la situation dans la capitale
que dans les provinces, accusée par un manque de ressources humaines et de cadres compétents. La
difficulté de la transition structurelle a été ressentie de manière plus forte durant cette période que
dans la période actuelle, même si le problème de ressources humaines n’est toujours pas résorbé
jusqu’à ce jour.
Entre 1990 et 1995 des initiatives plus importantes ont été mises en œuvre permettant
d’impliquer plus largement les autres secteurs et acteurs dans la réforme. Les initiatives ont été
d’ordre politique et administratif, notamment dans cinq domaines majeurs :
1- Dans le domaine constitutionnel, lors du Ve Congrès du PPRL, outre le remplacement de
l’Assemblée Populaire Suprême par l’Assemblée Nationale, la première Constitution de la RDPL a
été créée le 14 Août 1991.
2- Dans le domaine politique, comme nous l’avons signalé plus haut, la recentralisation
administrative a été préconisée par le décret N68/PM, au mois de novembre 1991. Elle permettait au
809 Cf. Réflexion sur « l’administration locale »Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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gouvernement central de contrôler et de mener de manière globale la politique de développement
national, notamment dans le domaine monétaire avec la création de la Banque Centrale et le
contrôle du taux de change, et dans le domaine budgétaire et financier avec la centralisation et le
contrôle des fonds et des budgets des provinces.
3- Dans le domaine administratif et institutionnel il y a un effort particulier pour redéfinir le rôle des
institutions et des administrations publiques existant et la création des nouvelles institutions qui
n’existaient pas. Notamment le Département de l’Administration Publique a été défini et restructuré
par le décret N98/PM du 17 décembre 1992. Ce département va devenir un rouage qui va aider
l’administration de l’État à améliorer ses différents composants et préciser les rôles qu’ils ont à
jouer dans les années à venir.
4- Dans le domaine budgétaire : le système de Plan National des Budgets a été établi, voté par
l’Assemblée Nationale en 1991. Plus tard, la nouvelle loi des budgets sera votée le 18 juillet 1994
suivie par le circulaire N1369/MF du 12 décembre 1995, portant l’enregistrement de tous dons et
aides internationales, rentrant comme revenus de l’État et comme budgets publics. Le Plan National
des budgets vient conforter et « gonfler » les investissements publics dans la mise en œuvre des
différents projets, notamment du secteur urbain.810
5- Dans le domaine de la régulation foncière et du système de taxation, le décret N50/PM du 13
mars 1993 a mis en place les taxes foncières, amendant le décret N47/CCM du 26 juin 1989 qui
portait en parti sur les taxes foncières. Puis la loi foncière N04/95/NA du 14 octobre 1995 a été mise
en application par le décret N72/PM du 22 mars 1996, remplacée par la suite par la loi foncière
N01/97AN du 31 mai 1997. La question foncière (immatriculation, taxation, transfert, loi et décret
la concernant) est un domaine privilégié qui a fait l’objet de plusieurs retouches. Elle est placée au
cœur des préoccupations de l’État dans sa recherche des lignes de perceptions financières et est
aussi très soutenue par les bailleurs de fonds internationaux.811
III. II. a. La nécessité de restructuration administrative : nouveaux outils
d’application, mode de gestion du territoire de la ville, nouvelles instances
administratives
L’évolution de la structure administrative locale et du secteur de la stratégie urbaine
aboutissant vers la création d’une structure de gestion urbaine
Nous avons abordé dans la première partie de notre recherche le contenu de ce qu’est la
municipalité que le Gouvernement tente de mettre en place. Nous abordons dans cette présente les
antécédents, les raisons ou la nécessité qui ont conduit à la création d’une Autorité Administrative
pour l’Aménagement Urbain, de Vientiane et de celle des villes secondaires (UDAAs), qui devrait
plus tard ouvrir la voie aux réflexions portant sur le pouvoir local et expérimenter la
« municipalisation ».
En fait, il était d’abord nécessaire de créer une structure aussi bien institutionnelle
qu’opérationnelle afin d’assurer une bonne conduction d’une partie de la politique de la ville et de
sa gestion. Cette structure a été jusqu’alors absente, mais dont les charges, rappelons-le, se
reposaient de fait sur l’État qui centralisait tout et qui, pour accomplir ces charges utilisait dans les
premières années du régime (sans doute faute de mieux et dans un esprit pragmatique) le système
des travaux collectifs, système que seul le régime communiste pouvait se permettre. Ces travaux ont
été imposés à la population à travers les comités populaires et les organes administratifs locaux et
810 Ce qui voudrait dire aussi que le financement public reposait essentiellement sur les aides internationales tous secteurs
confondus. En aides multilatérales et bilatérales, le Laos reçoit chaque année, entre 1994 et 2003, environ 250 à 350
millions de dollard US. Cf. Kham Voraphet. Op, cit. 811 Cf. notamment le projet d’immatriculation foncière : établissement des titres et des registres fonciers en province et
préfecture de Vientiane, à Luang Prabang, Savannakhet et Paksé ; avec le Financement de la BM et de Aus Aid, débuté en
1997 pour une durée 7 ans.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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de sécurité de quartier et de village (la milice), et également imposés aux fonctionnaires à travers les
administrations centrales. Régulièrement, collégiens, étudiants, fonctionnaires, simples habitants,
devaient participer aux travaux collectifs : creuser et ré calibrer les canaux, nettoyer les caniveaux et
les rues, etc.
Après les premières années de la RDPL, liées à la décentralisation administrative qui a eu
lieu jusqu’à 1991, les taches ont été inscrites de fait dans le cahier des charges du pouvoir exécutif.
Celui-ci est déconcentré et détaché des ministères, mais transversalement responsable devant le
Préfet et le Gouverneur de province. Il s’agissait de créer un service technique du Département des
Communications, des Transports, des Postes et des Constructions (DCTPC) au sein de
l’administration de la préfecture (pour Vientiane) et des provinces. Ce département existait déjà au
sein du ministère, mais n’existait pas dans l’administration de la préfecture et des provinces.
Cependant, il a été créé comme un département déconcentré au sein de l’administration de la
préfecture et des provinces au début des années 1990. Son rôle et ses compétences ont été définis et
portaient essentiellement sur les missions de conseil qu’il devait mener auprès des services locaux
des provinces dans le secteur concerné. En se faisant, il devait y conduire la politique et les
directives de la politique de développement territorial du gouvernement central.
De fait, le DCTPC a été en charge pendant longtemps de la question des travaux publics et
du développement urbain avant la création des UDAAs. Le DCTPC étant un organe déconcentré,
émanant du ministère, mais travaillant transversalement sous les directives du Préfet ou du
gouverneur de province, doit assurer localement les affaires urbaines ainsi que les travaux.
Le DCTPC se retrouve très vite dépassé par les lourdes tâches qui s’accumulent au fur à
mesure de la concrétisation de la réforme et de l’ouverture économique, renforcée par les
coopérations qui se densifiaient avec les partenaires extérieurs, divers et multiples. Le DCTPC
assumait en quelques sortes deux rôles : celui de mener la politique de l’État (donc un rôle
directionnel) et celui de mettre en œuvre les opérations (donc un rôle d’opérateur). Rôles qu’il
n’arrivait pas vraiment à accomplir. Ceci, obligeait le gouvernement à trouver des solutions
adéquates pour répartir et déléguer les charges au sein de ses propres structures exécutives. Très
vite, si ce n’était dès le départ, la question d’une administration et d’une gestion locale a été posée,
en particulier dans le domaine de l’aménagement et de gestion du territoire à l’échelle du district et
à l’échelle urbaine. La charge directionnelle, celle qui était corollaire à la stratégie du secteur
urbain, a été comprise comme une mission politique qu’assumait déjà le ministère, alors que la
charge de mise en œuvre des différentes orientations de cette politique a été comprise comme une
mission qui devait être prise en main par un autre organisme plus affairant, plus opérationnel. D’où
une vision claire pour distinguer deux échelles : une échelle d’orientation politique et stratégique
qui serait gouvernementale et une échelle plus opérationnelle qui relèverait du pouvoir local.
Cependant, jusqu’à l’approche de la création des UDAAs le pouvoir local provincial reste
purement un pouvoir déconcentré de l’État. La réflexion portée sur la nécessité d’une administration
locale née d’un certain pragmatisme technique préparait en fait une autre réflexion plus complexe et
plus politique, d’une possibilité d’un pouvoir locale possédant réellement des compétences
institutionnelles autonomes. Cette réflexion aurait été alors latente sous l’impulsion des bailleurs de
fonds internationaux. Pour des raisons politiques et constitutionnelles cette réflexion aurait conduit,
non pas directement vers la création d’un pouvoir local, mais vers la création d’une structure
technique spécifique de type « services technique de la ville » dans le cadre d’une administration
déconcentrée (et non décentralisée), capable de prendre en relais les charges et les responsabilités,
qui incombaient le DCTPC.
Ainsi le système des travaux collectifs (entretien des équipements et des réseaux publics,
etc.), et la politique de l’autosuffisance et de l’autogestion, hérités de la première période du régime,
devenaient-ils au fur à mesure obsolètes. Mise à part qu’ils ne pouvaient pas être vraiment efficaces,
la conduction des travaux de voirie et d’équipement de la ville à travers le système de travaux
collectifs, de politique de l’autosuffisance et d’autogestion dans une période de réforme et Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 477 -
d’ouverture serait vraiment mal à propos, impopulaire et franchement critiquable au regard de la
coopération internationale. C’est alors que l’idée de la création d’une structure de gestion urbaine
était devenue nécessaire. Le Comité pour le Développement et la Gestion Urbaine de Vientiane
(VUDMC) a alors été créé par le décret N40/FAMC, le 4 avril 1995.812 Ce Comité avait pour
mission essentielle la mise en application et la gestion des projets de développement urbain qui ont
été soutenus par les aides internationales (prêts et dons) dans le secteur, de préconiser un futur
service technique urbain éventuel. Il a permis, dans tous les cas, la conduction d’un nombre
important de projets qui commençaient à apporter des changements dans le paysage urbain. Il a
également permis aux agents de l’État en charge de la conduite des projets en concertation avec les
experts internationaux de se rapprocher de plus en plus de la gestion urbaine en dehors du système
centralisé et collectiviste. Mais la structure et les compétences de VUDMC restaient encore trop
restreintes. Les carences dans la gestion urbaine étaient encore loin d’être comblées. Ce Comité qui
servait plus à conduire des projets expérimentaux qu’à gérer le territoire urbain et ses projets, à
termes, ne pouvait pas évoluer vers une Autorité Administrative compétente comme il aurait été
plus tard espéré avec la création de VUDAA.
III. II. b. La recherche de la ville en tant qu’entité
Suite à une période de ruralisation et d’auto gestion du territoire urbain, des observations
ont mis en relief l’altération du statut de la ville et de l’entité urbain et aussi de ses acteurs. Mis à
part le besoin de doter la ville d’organisme de gestion, un réel besoin de restructurer la ville ou des
chefs-lieux en tant qu’entité à part entière, que ce soit dans la capitale ou dans les centres
provinciaux a également été soulevé. Ce besoin a été d’abord exprimé dans la formulation des
stratégies de développement, tout secteur confondu. Il a été ensuite étayé dans la stratégie du secteur
urbain proprement dit, lorsque les termes ont été formulés avec l’aide des interventions extérieurs :
celles des Nations Unies et des bailleurs de fonds internationaux, permises par la réforme et
l’ouverture du pays. La concrétisation de la stratégie du secteur urbain s’était exprimée par : 1- la
définition et l’identification des critères des échelles urbaines, mais aussi celles des différents
acteurs, anciens et nouveaux, 2- la mise en marche de l’élaboration des nouveaux plans de
développement urbain ainsi que la mise en place des organes techniques et administratifs
responsables du secteur de développement urbain. Mais avant d’aborder les deux principaux points
de concrétisation de la stratégie urbaine, examinons d’abord les formes de soutiens extérieurs
apportées au secteur urbain.
III. II. b. 1. Les soutiens et stratégie dans le secteur urbain : stratégie du gouvernement lao,
celle des bailleurs de fonds et des autres partenaires de la coopération
La volonté des instances politiques et financières internationales, notamment celle des
Nations Unies (ONU), des bailleurs de fonds comme la Banque Asiatique de Développement
(BAD) et la Banque Mondiale (BM), de faire du Laos « un État de droit », n’était le secret pour
personne, en particulier pour le gouvernement de la RDP Lao lui-même. « Sa réalisation ne serait
entre autres qu’une question de temps », pronostiquaient les observateurs étrangers. Les fonds
alloués indirectement pour cette fin, sous forme de prêts, ainsi que sous d’autres formes d’aides,
touchant de nombreux secteurs du développement étaient, de fait, l’un des contreparties des
réformes politiques que le gouvernement lao devait entreprendre. L’un des objectifs phares
consistait, dans la réforme institutionnelle, à créer un pouvoir local compétent (qui serait à termes,
éventuellement élu). Cette contrepartie n’avait pas été ignorée par le noyau central et décisionnel de
la politique laotienne : dans toutes les concertations internes et confidentielles, même les plus
techniques, l’un des mots d’ordre concernant cette question était un examen politique sans
exception de tous les projets d’aides et de coopérations provenant de l’extérieur, quel que soit le
812 FAMC : Comité pour la gestion des investissements étrangères ou The Foreign Aid Management Committee.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 478 -
secteur. La question majeure était souvent de savoir si les contreparties des aides ne seraient pas
trop contraignantes, s’il n’y avait pas de menaces pour le régime et le PPRL, ce qui l’aurait obligé à
se plier aux faits accomplis, à changer le fondement de sa politique et accepter les interventions
extérieures contrevenantes, une véritable ingérence alors dans la souveraineté politique nationale.813
Tels étaient en général le discours officiel et les craintes concernant l’examen et la réception des
projets de coopération avec l’extérieur. Du fait que les décisions dans les secteurs tout à fait
techniques et administratifs soient ainsi placées sous l’emprise des visions et décisions politiciennes
la mise en œuvre des décisions passait souvent au ralenti. C’était en fait cette prudence et cette
méfiance qui auraient aussi créé l’effet de lenteur dans le rouage administratif laotienne. Les projets
qui soutenaient la création du pouvoir local évoluaient donc lentement et passaient par des
procédures administratives et institutionnelles longues, faites d’embuches et de compromis. Nous
l’avons vu dans la question traitant de la « Recherche d’outils de développement, de maitrise et de
gestion urbaine » que les décisions politiques constituaient l’élément décisif même si la difficulté
était avant tout d’ordre institutionnel, technique et culturel.
Nous pouvons dire avant la mise en œuvre du projet de municipalisation en cours que la
tentative pour créer la structure technique et administrative locale remontait, de certains points de
vue, au début de la période de recentralisation de 1991 ; aux premiers projets de renforcement
technique et institutionnel pour la planification, la gestion et l’aménagement urbain et au Projet
Pilote Sihom qui les accompagnait (dont nous allons développer par la suite le contenu.)
Stratégie du gouvernement lao
Bien que traditionnellement la conception et la culture administrative de la ville et de la cité
existaient et ne pouvaient être ignorées dans la réalité spatiale et historique des villes lao, la
conception de l’urbain et de toutes ses implications est pourtant récente, si nous le considérons du
point de vue des critères fonctionnels et administratifs ainsi que du point de vue d’une démographie
agglomérée ; ou alors si nous considérons que l’urbain induit un ensemble de modes de vie et de
relation, d’espaces, de réseaux et de limites qui « conditionnent, normalisent et uniformisent les
comportements physiques et mentaux des habitants »,
814 donnant ainsi une définition autonome et
complexe (complexité des acteurs, des paramètres économiques, de la structure politique qui la
gère, etc.). C’est pourquoi la stratégie de développement du secteur urbain ne peut être que récente
au Laos, corollaire à l’histoire de la constitution et de l’évolution des villes et de l’urbain tel que
nous venons de le définir.
La stratégie du secteur urbain au Laos était née, pour ainsi dire, avec les considérations
portées sur les infrastructures qui étaient liées au développement et au désenclavement du monde
rural. Du point de vue système, la stratégie du secteur urbain était restée, jusqu’à récemment, un
secteur mineur rattaché à la stratégie générale de développement. Depuis 2005 cette stratégie
générale a été formulée sous le programme de la Stratégie Nationale pour la Croissance et
l’Eradication de la Pauvreté, (NGPES), qui a privilégié quatre secteurs prioritaires : l’agriculture,
l’éducation, la santé et le transport. Le NGPES lui-même a été intégré dans le sixième plan National
socio-économique 2006-2010.815 Cela veut dire que stratégiquement le début de la réflexion portée
sur le secteur urbain a été lié au développement et au désenclavement du monde rural et aujourd’hui
indirectement lié à la politique de réduction de la pauvreté et d’amélioration des conditions de vie.
Les premiers projets de développement dans le secteur urbain, mis en place vers 1987 avec le
financement du Centre pour l’Etablissement Humain-habitat des Nations Unies (United Nation
Center for Human Settlements, UNCHS), nous ont bien montrés comment et dans quel champ
813 Cf. Cinq leçons du PPRL dans la Réforme, Comité pour la Propagande et la Formation du CCP, 2000, Vientiane (en
Lao), pp. 30-31, portant sur la politique de « coopération avec l’étranger ». 814 E. Dorier-Apprill, Dénominations génériques de la ville, Vocabulaire de la ville, Ed. du Temps, Paris 2001. 815 En 2004 le gouvernement lao et les bailleurs de fonds internationaux ont approuvé ensemble le NGPES, visant à
réduire de moitié la pauvreté au Laos à l’horizon 2015.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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d’intervention le secteur urbain ou l’urbanisme a-t-il été abordé. Il faut attendre la loi de
l’urbanisme de 1991 et le premier schéma directeur approuvé la même année pour que le secteur
urbain soit abordé de manière plus autonome par rapport à la question de l’amélioration des
conditions de vie, et encore, au niveau de la mise en œuvre de la stratégie nationale le secteur urbain
était resté un secteur transversal qui s’était accroché aux secteurs verticaux plus importants.
Les facteurs qui favorisaient l’émergence du secteur urbain étaient donc classiques.
Officiellement, la politique laotienne conçoit l’idée que la croissance économique qui est due à la
Nouvelle Mécanique Economique (NME) devrait induire une migration rurale vers la ville de
manière plus importante. Et donc, pour cette raison, il allait y avoir une extension et une croissance
urbaine conséquente. Ce qui nécessiterait alors la mise en œuvre d’une stratégie urbaine. Le côté
« contextuel » de la stratégie du secteur urbain, lié à la nécessité de développement
socioéconomique du pays, avait une influence –du point de vue théorique et du champ
disciplinaire– sur le fait que les analyses spatiales et les études urbaines appliquées avaient du mal à
émerger comme un champ disciplinaire propre et autonome.
Pour mettre en œuvre la stratégie du secteur urbain le gouvernement lao a désigné trois
grandes catégories, regroupant plusieurs volets, qui nécessitaient un développement et un soutien
prioritaires : soutiens techniques et financiers dans la construction des infrastructures, assistance
dans la mise en place des institutions et des organes techniques compétents, formation des
ressources humaines dans le secteur concerné.
Projets et stratégies des bailleurs de fonds et des partenaires de la coopération
Les Nations Unies
Après 1975 beaucoup de pays occidentaux avaient coupé les relations avec le Laos et
avaient mis un certain temps pour reconnaître la légitimité de son gouvernement. D’autres pays
avaient maintenu symboliquement certaines relations. En tant que membre de l’Organisation des
Nations Unies (ONU) le Laos, comme les autres pays membres, devait bénéficier de la présence de
l’ONU et de son aide. L’ONU continuait donc à maintenir son soutien à la RDP Lao, du moins
assurant au minimum la ligne politique de l’Organisation dans sa neutralité et dans sa non-ingérence
vis-à-vis de l’idéologie politique du Laos. Bien que certaines actions politiques menées par ce pays
dans la violation du droit de l’homme et des libertés fondamentales des individus aient été
dénoncées maintes fois par l’Amnesty Internationale et bien que les camps de réfugiés aient été
installés par le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR), afin d’accueillir les gens fuyant les
exactions du gouvernement de lao, le Laos avait continué à être membre à part entière de l’ONU
même si aux yeux de beaucoup de pays membres sa place n’avait pas été honorable durant les
premières années du régime. La stratégie de l’ONU a été donc limitée, non seulement parce qu’il y
avait eu de la pression provenant des autres pays membres, mais aussi parce que le pays lui-même
avait été limité structurellement pour mener un dialogue fructueux et constructif avec les instances
internationales pour le développement du pays. Les rapports politiques du plan de trois ans et du
premier plan quinquennal du Comité Central du PPRL l’ont bien souligné. Parmi les aides de
l’ONU au Laos, le secteur urbain n’y était pas présent tout de suite, ou alors indirectement
concerné. Il fallait attendre les premières années après la réforme de 1986 pour que l’ONU monte
des projets dans le secteur urbain de manière plus conséquente. Notamment, en 1987 ce fut le
Programme de Développement Urbain de la Préfecture de Vientiane (Financement PNUD/UNCHS.
Lao/85/003). Ensuite, l’ONU a soutenu le Projet de Planification Urbaine de Luang Prabang, en
cofinancement avec la France. Ce fut le début de la coopération bilatérale entre la France et le Laos
dans le secteur urbain. Ce projet était cautionné et financé par le PNUD/UNCHS. C’était au travers
de ces projets que l’Institut des Etudes Techniques et Urbaines (IETU), ait pu être mis en place au
ministère MCTPC. L’institut était une assise et un tremplin important pour les travaux et projets
dans le secteur urbain pour les années qui ont suivi. En 1989, le PNUD a financé la mise en place
du projet d’étude du Schéma Directeur de Vientiane, selon la procédure française. En 1991, le
PNUD/UNCDF a financé le projet d’aménagement urbain et d’assainissement, avec la mise en Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 480 -
œuvre de projet pilote du quartier Sihom qui devait se réaliser entre 1990 et 1997, dont la phase I se
tenait entre 1991 et 1994. Ceci, avec les volontaires des Nations-Unies (UNVs, Lao/89/C01) et avec
un opérateur technique local qu’était l’IETU. Dans la foulée, un autre projet annexe a été mis en
œuvre et financé par le PNUD (Lao/89/002). C’était le Projet de renforcement technique et
institutionnel pour la planification, la gestion et l’aménagement urbain, afin d’améliorer la capacité
et les compétences techniques de l’IETU. C’était après le début des années 1990 que les autres
intervenants internationaux participaient plus activement au développement de ce secteur : les
bailleurs de fonds internationaux et les pays donateurs, etc., sous forme de coopération bilatérale ou
multilatérale. Lorsque les bailleurs de fonds tels que la BAD et les autres partenaires (les pays)
devenaient plus actifs dans la mise en application des projets et des programmes, l’ONU devenait
nettement moins présente ; ou alors, si elle continuait à l’être dans certains projets, elle jouait
surtout le rôle d’initiatrice ou de médiatrice et faisait intervenir directement les pays partenaires.
La Banque Asiatique de Développement
La Banque Asiatique de Développement intervenait au Laos dès 1992 dans divers secteurs
(développement rural, ressources humaines, environnement, secteur privé, renforcement des
capacités, infrastructures urbaines.) La BAD visait surtout la coopération régionale (à travers la
GMS, ACMECS, ASEAN) et cherchait à susciter les partenariats avec les autres bailleurs de fonds
sur les opérations qu’elle finançait, par exemple le partenariat de cofinancement avec l’AFD (à
partir de 2004) sur la suite du programme de financement du projet de Développement Urbain et
des Infrastructures de Vientiane (VIUDP) qu’elle avait lancé en 1993. Le projet prévoyait de mener
16 actions prioritaires dans les 100 villages qui composaient alors le périmètre urbain délimité par le
projet. En 1996, elle poursuivait la mise en œuvre du projet VIUDP, mais cette fois-ci engagée dans
les quatre districts de Vientiane. Le projet était engagé jusqu’en 2000. En 1997 elle lança la mise en
place du Projet de Développement Urbain Intégré pour les quatre villes Secondaires (STIUDP). La
même année dans le cadre du programme VIUDP elle finança un programme de formation et de
stage sur deux ans (BAD- VIUDP-TA 2377. 1997-1999), initiant et formant les agents laotiens à la
connaissance préliminaire de l’établissement du système administratif municipal. En 1997
parallèlement un programme de formation a été mis en place en inter-institutions (MCTPC-IETUBAD
TA Project-AIT BKK). C’était le programme AUPM (1997-2000) dispensant des formations
en planning et gestion urbaine, avec les formateurs internationaux et en coopération technique avec
Asia Institut of Technology (AIT) de Bangkok. La BAD commençait également en 1997 le
programme de 10 ans de réhabilitation, d’extension et de développement des aéroports du Laos.
C’était un programme multilatéral entre les banques et les pays nordiques. En 1998 la BAD
participait à un autre programme de formation (BAD- VIUDP-TA 2973, 1998-2000), mais cette
fois-ci c’est une formation destinée directement à l’Autorité Administrative pour le Développement
Urbain de Vientiane et des villes secondaires.
Les autres partenaires et les actions les plus porteurs
Les activités et les coopérations parmi les plus porteuses du secteur urbain menées avec les
partenaires par pays ont été inaugurées par l’Australie et la Thaïlande avec la construction du pont
de l’Amitié en 1994, entièrement financé par le gouvernement australien. Le Projet de consolidation
de la berge du Mékong à Vientiane, réalisé sur une section a été planifié entre 1994 et 1997 et mené
également dans le cadre du Financement australien. Entre 1996 et 1997 l’Union Européenne a
financé le Projet de la Mare de That Luang. Il concernait la canalisation et le traitement des eaux
usées. La même année, avec le soutien du Programme des Nations Unies pour le Développement
(PNUD) et de Norwegian Agency for Development (NORAD) le Projet de Gestion des déchets
urbains des villes secondaires a été mis en place, mené en parallèle avec le projet STIUDP. La
Banque Mondiale (BM) et Aus Aid engagèrent aussi le financement du projet d’établissement des
titres et des registres fonciers pour une durée de sept ans dans la province et préfecture de
Vientiane, à Luang Prabang, à Savannakhet et à Paksé. Depuis 1994 le Japon contribuait à plus de
55% des aides bilatérales, tous secteurs confondus. Dans le secteur urbain, sa contribution était plus Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 481 -
fructueuse à l’approche des années 2000 : financement dans la construction et réfection des
infrastructures routières, des ponts et des aéroports. La France, comme les autres pays d’Europe,
occupait une place importante dans la coopération bilatérale avec le Laos, en dehors du cadre
européen. Dans le secteur urbain son rôle a été important très tôt (dès 1987) après l’ouverture
économique du pays, surtout à travers ses expertises dans le cadre des financements du PNUD :
études des outils de planification urbaine avec le 1er Schéma Directeur Urbain (Groupe Huit 1989),
par exemple. La France s’était surtout illustrée dans ce secteur en reliant la question de
développement urbain à la question patrimoniale avec le projet d’étude de Luang Prabang en 1994
pour son classement au patrimoine mondial de l’Unesco. Parallèlement les travaux qu’elle
poursuivait ailleurs, telle la formation à l’élaboration des Plans d’Occupation des Sols (1994-1995)
et du SDU (1989-1991), aux enquêtes de terrain tant pour des études urbaines que pour les
inventaires du patrimoine, ont permis aux institutions laotiennes (notamment, l’IETU et le DCTPC)
d’aborder la question de développement urbain à travers des outils et de répondre en partie aux
besoins dans le domaine de la planification urbaine.
Les projets et les outils d’application
Les projets d’application dans le secteur urbain étaient surtout caractérisés par les projets
d’aménagement des infrastructures (réfection et construction des routes, des réseaux
d’assainissement et de drainages urbains, etc.), par les projets pilotes d’amélioration de l’habitat
(projet Sihom, projet Nong Tha.) et par le mode de financement des opérations, issu des prêts auprès
des banques et des donateurs par pays : Banque Asiatique de Développement, Banque Mondiale,
Coopération bilatérale et internationale, donateurs comme le Japon, la France, les pays nordiques,
l’Australie, etc. Les aides financières ainsi que les assistances techniques reçues par le Laos
faisaient que le pays figurait parmi les pays qui recevaient le plus d’aide et d’assistance au monde
par habitant. Dans les assistances techniques, il faut noter qu’en matière d’outils urbanistiques il y
avait une prédominance des outils français tels que le SDAU (Schéma Directeur d’Aménagement
Urbain), le POS (Plan d’Occupation des Sols), et après 1994 le PSMV (Plan de Sauvegarde et de
Mise en Valeur) pour la ville de Luang Prabang. Les derniers en date sont la ZPPAUP (Zone de
Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager) pour la petite enceinte de la ville de
Vientiane et pour la zone urbaine du site de Vat Phu de Champassak816 et le SCOT (Schéma de
Cohérence Territoriale) étudié par l’ADUC pour le développement de Luang Prabang en dehors de
son secteur de sauvegarde.
Sous le Programme du Centre des Nations Unies pour les Etablissements Humains-Habitat
(UNCHS), le SDAU a été élaboré pour la première fois en 1989,817 après celui réalisé entre 1958 et
1963.818 Ce nouveau SDAU de Vientiane a été mis en révision en 1994 et en 2001 par l’Institut de
Recherche en Urbanisme (IRU) et à partir de 2009 il a été révisé de nouveau par les experts de JICA
et financé par les prêts de la BAD.
Nous avons vu dans un autre chapitre que la prédominance des outils français est due en
partie au passé colonial des villes laotiennes, à leur culture administrative et à leur culture de
l’aménagement urbain et de la gestion des sols. Et nous pouvons constater sur le vif que l’expertise
internationale à ce sujet tend également à être majoritairement française ou du moins de formations
françaises et que du point de vue technique et de l’ingénierie, la tendance est plutôt d’origine anglo-
816 L’étude du ZPPAUP de Vientiane a été proposée en 2003 par l’Atelier du Patrimoine et l’IRU, mais n’a toujours pas
été approuvée en 2008. Le ZPPAUP de Champassak, concernant la ville-même de Champassak a été proposé pour étude
dans le cadre du projet FSP Vat-Phu. Mais en 2008, l’étude n’a toujours pas abouti. 817 Cette étude donne lieu à un rapport de présentation en quatre volumes : « Vientiane, schéma directeur d’aménagement
urbain, Programme de développement urbain de la Préfecture de Vientiane : Lao/85/003, 1989 » ; « Vientiane, étude du
schéma directeur, diagnostic urbain et proposition 1989, rapport final, programme de développement urbain de la
préfecture de Vientiane, Bouchaud, 1989 ». Les études ont été réalisées par le Groupe Huit/ IETU/ MCTPC et BCEOM. 818 Ville de Vientiane : étude au plan directeur d’urbanisme et des aménagements urbains, pour le compte du Royaume du
Laos, BCEOM, 1958-1963.
Fig. 100. La progression de
l’élaboration des
plans urbains,
avant l’année
2000.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 482 -
saxonne. Ce constat est dû sans doute au fait que la langue utilisée par les agents supérieurs de
l’État est le français, que ces derniers soient formés professionnellement en France ou en Europe de
l’Est. S’ils obtiennent leur baccalauréat au début des années 1970, le français serait leur première
langue étrangère. Cet acquis scolaire leur a servi fondamentalement plus tard pour travailler avec
l’expertise internationale, après l’ouverture du pays.819 Par contre, la culture anglophone a été plus
présente chez les jeunes ingénieurs formés dans les années 1990 et en liaison avec AIT avec le
financement de la BAD, du Japon, et aussi de la France.820 Cette culture française qui a marqué la
gouvernance urbaine était autant clairement visible dans la définition et dans la conception de la
« municipalité » et la question de sa création que l’on cherche, encore à la fin des années 2000, à
réaliser à Luang Prabang et à Vientiane comme chantiers pilotes. En terme de discipline et de
gouvernance, d’un côté, on parle de la « municipalisation » et de la « décentralisation », tout en se
référant à demi-mot au cas français de la loi de la décentralisation de 1983. Et de l’autre, on parle de
« Vientiane Municipality », en particulier chez les jeunes techniciens et agents anglophones, cachant
une réalité complexe qu’il faudrait éclaircir et démêler pour la rendre compréhensible et conciliable.
C’est aux prises avec la trivialité de trois cultures administratives, que le développement, la gestion
et la gouvernance urbaine du Laos doivent se soumettre, se synthétiser et s’appliquer.
III. II. b. 2. Le nouveau Plan Urbain et organes techniques et administratifs responsables
Les nouveaux plans d’aménagement urbain qui sont nés dans la décennie qui ont suivi la
création de l’IETU en 1987821 préfiguraient, par la création des plans urbains standard, une certaine
standardisation de l’image des villes. Cette génération de villes qui a été « désormais dotée de plan
urbain »
822 était inéluctablement liée aux contextes de l’ouverture du pays et au renouvellement
administratif et urbain. L’opérationalité de ces plans obéissait aux mêmes critères définis
conjointement par l’autorité politique centrale, désireuse de munir les villes de services et
d’équipements de base,823 de les moderniser et surtout de les rendre fonctionnelle, et par les
bailleurs de fonds internationaux désireux de faire du Laos un « pays de droit »
824 muni d’outils de
gestion et de contrôle de son territoire et de son sol, un pays stable pouvant participer au
développement et à une paix durable de la région, un partenaire économique parmi d’autres dans la
société des nations.
819 Les experts russes qui venaient travailler au Laos dans le cadre de la coopération entre pays socialistes, utilisaient
majoritairement le français avec les fonctionnaires locaux ainsi qu’à l’école d’ingénierie. Nous avons retrouvé les rapports
et les rendus de projets d’étudiant qui datent de la fin des années 1970 - début des années 1980, en français. 820 La France a beaucoup de mal à recruter des jeunes candidats francophones pour les bourses de formation de haut
niveau dans le secteur urbain (Cf. Rapport du SCAC, ambassade de France). Elle a du financer quelques bourses des
étudiants lao à AIT où seul l’anglais est utilisé et où l’engagement financier de la France n’est pas rendu visible. Notre
propos ici n’est pas de noter qu’il faut absolument avoir un acquis des connaissances urbaines à travers le Français ou de
redire le complexe de la langue française dans le transfert de la technologie et de la connaissance dans le réseau
international face à l’anglais, ou de rappeler le passé colonial. Mais il s’agit dans le court terme de pouvoir assurer une
continuité entre la génération d’avant et celle d’aujourd’hui. La génération d’avant a été majoritairement formée en
français, a travaillé en français (dans l’utilisation des termes techniques) et utilisé les outils français en matière
d’urbanisme. Le problème que nous soulevons n’est pas seulement de l’ordre de la communication, mais de l’ordre des
champs disciplinaires dans la formation et dans la création des compétences.
821 Après plusieurs missions des Nations-Unies, l’embryon du futur Institut pour les Etudes Techniques et Urbaines
(IETU) a été mis en place. L’IETU a été créé en février 1987, dans le cadre du financement PNUD/UNCHS. Lao/85/003.
Des programmes de formation ont été élaborés pour former les agents de l’État recrutés parmi les fonctionnaires du
ministère MCTPC dont beaucoup sont formés en URSS et dans les pays de l’Europe de l’Est (Tchécoslovaquie,
Allemagne, Bulgarie, Pologne etc.) et parmi les étudiants sortant de l’Ecole Supérieure de Bâtiment et d’Architecture
(ESBA) et de l’école polytechnique de Sok Paluang, pour de l’ingénierie. L’IETU a été mandaté pour l’étude et la mise en
place des plans urbains de tout le pays. Ses compétences et ses charges ont été redéfinies par décret N1727/MCTPC,
portant l’organisation et les compétences de l’Institut de Recherche en Urbanisme, en date du 26 mai 2000. Il a permis
aussi à l’IETU de changer d’appellation pour devenir l’IRU, Institut de Recherche en Urbanisme. En 2007, il devient
l’Institut des Transports et des Travaux Publics.
822 En référence au droit de l’Urbanisme N03/99/AN du 03/04/1999, mis en application par décret présidentiel N11 du
26/04/1999, la plannification ou les plans urbains ont quatre niveaux : 1-national, 2-régional, 3- provincial, 4- agglomérations (villes, muang). 823 En référence au droit de l’Urbanisme (Ibid,) les villes sont distinctes à trois niveaux : 1-Villes attachées au pouvoir
central ; 2-Villes attachées au pouvoir provincial, préfectoral et zone spéciale, 3-Villes attachées au pouvoir du district. 824 La notion de « pays de droit » ou de « pays de non droit » ici est considéré à partir du fait que le Laos ne possédait pas
de constitution jusqu’à 1991. Un pays sans constitution est de ce fait considéré comme un pays de non droit.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 483 -
Dans la deuxième moitié des années 1980, des missions d’assistance technique du PNUD
ont été réalisées. Il s’agissait notamment du Programme de Développement Urbain de la Préfecture
de Vientiane (projet LAO/85/003). Les missions ont surtout eu lieu au Ministère des
Communications, des Transports, des Poste et des Constructions (MCTPC). Tout d’abord, ces
missions ont mis en relief la nécessité de créer une structure compétente en charge des études, car
les besoins les plus urgents pour réaliser les outils d’étude et de planification étaient les collectes de
données socio-économiques et urbaines qui manquaient à l’ensemble des administrations
mandatées, et surtout aux experts des Nations Unis.
Il est important de signaler que les documents concernant le développement et la
planification urbaine antérieure à cette période étaient totalement absents. Il n’existait pas
d’archives proprement dites en ce domaine. Les documents (plans, cartes anciens, schémas
d’analyse, projets, etc.) ont été détruits durant la restructuration administrative après le changement
de régime en 1975. Pour mener une étude urbaine sur la ville dans la seconde moitié des années
1970, dans les années 1980 et 1990, il a fallu reconstituer une connaissance quasiment à partir de
zéro, malgré que quelques documents aient pu échapper à la destruction grâce aux intérêts très
personnels et éclectiques de quelques ingénieurs pour ces documents devenus historiques. Ces
derniers ont conservé, contre les consignes, des dossiers parmi les archives de l’Ancien Régime
destinées à être détruites. Grâce à cela, les anciennes cartes et plans et quelques documents
d’origine datant de la période coloniale (une partie des archives du Résident Supérieur du Laos)
ainsi que ceux datant des années 1950 et 1960 (dossiers des permis de construire) ont pu être
sauvés. Ils ont contribué par la suite à la connaissance de l’histoire récente du développement
urbain, en particulier pour toutes les études réalisées après 1998.825 Par ailleurs, le plan urbain de
Vientiane de 1964, réalisé par le BCEOM a également été retrouvé au bureau de la Direction de
l’Habitat et de l’Urbanisme (DHU) du MCTPC. Ce document a été fort utile : le Groupe Huit s’en
réfère pour élaborer vers 1989-1990 le schéma directeur d’aménagement urbain de Vientiane
(SDAU), approuvé en 1991.826
Les besoins en ressources humaines compétentes (architectes, urbanistes, socioéconomistes)
ont été aussi fortement formulés. Les personnes de ressource, non-négligeables, ont été trouvées
parmi les étudiants formés à l’Ecole Supérieure en Bâtiment et en Architecture (ESBA)827 et parmi
ceux qui ont été formés dans les pays de l’Europe de l’Est et en Union Soviétique. Une aide
précieuse des pays socialistes a été également importante dans la fin des années 1970 et dans la
première moitié des années 1980, aussi bien pour l’enseignement à l’ESBA que pour l’expertise de
certaines constructions.828 Nous pouvons compter effectivement quelques architectes et urbanistes
russes pour les projets de l’extension de l’Ecole polytechnique, du dortoir des étudiants, de l’hôpital
825 Les documents ont été sauvés par un ingénieur qui travaillait au Ministère de la construction. Ils devaient être
officiellement brûlés ou considérés comme disparus. En 1998-1999 lorsque l’IRU (ancien IETU) entamait une
coopération avec l’Institut Parisien de Recherche (IPRAUS) pour l’inventaire du patrimoine architectural urbain et
paysager de Vientiane, des travaux de réfection ont été réalisés au dernier étage du bâtiment qui abritait l’institut, pour
pouvoir loger l’Atelier du patrimoine issu de cette coopération. A cette occasion, ont été découverte toute une
documentation ancienne, plans et cartes entre autres, sous la poussière et abîmés. Ce sont des documents sensés avoir été
détruits. En réalité, après la fondation de l’Ecole Supérieur du Bâtiment et de l’Architecture (ESBA), l’ingénieur a remis
les documents à la bibliothèque de l’Ecole. Lorsque l’école a déménagée au kilomètre 5, les documents étaient restés dans
le grenier au dernier étage de l’ancien bâtiment de la rue Dong Palane qui devenait par la suite le siège de l’Institut de
Recherche en Urbanisme. Preuve que ces documents n’ont pas été beaucoup utilisés ni par les étudiants, ni par les
professeurs. Les cartes et les plans ont fait l’objet d’inventaire et une exposition a été organisée par l’Atelier du
Patrimoine dont j’était responsable : « 1900-2000, Vientiane à travers les cartes et les plans ». Le catalogue qui
l’accompagnait comportait en grande partie l’inventaire des cartes et des plans anciens de Vientiane. Par ailleurs, une
partie des dossiers de permis de construire des années 1960 a également été classé. Cf. Chayphet Sayarath, Archive,
permis de construire, projets et autorités compétentes, fonds de documentation de l’Atelier du Patrimoine-projet IEPAUP. 826 Décret présidentiel N18, du 16 mars 1991, portant l’approbation du SDAU de Vientiane. 827 L’ESBA a été créée par un groupe d’ingénieur et d’architecte, dont l’un d’entre eux -Sènekham Phinit- formé à l’Ecole
Supérieure des Travaux Publics ESTP (Paris-boulevard saint Germain.) 828 Nous retrouvons un certain nombre d’anciens projets étudiants archivés à l’IRU. Du point de vue pédagogique nous
pouvons constater l’influence des professeurs Soviétiques et le programme architectural utopiste propre au pays socialistes
de cette époque.
Fig. 101.
Progression
de l’étude
des plans
urbains au
courant de
l’année
2000. Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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de l’amitié et du cirque national notamment.829 Même si cette période était caractérisée par une
faible activité de construction, les éléments construits étaient cependant significatifs du point de vue
de la production architecturale. Par ailleurs, même si le programme et la production de ces années
présentaient quelques utopies, en rupture avec la période précédente, l’architecture produite
présentait à contrario une certaine continuité avec l’expérience moderniste des années 1960 et le
début des années 1970, que nous avons développé dans la partie traitant du « grand tournant
urbanistique des années 1960 ».
A l’issu des missions d’assistance et d’expertise du PNUD, l’Institut des Etudes Techniques
et Urbaines (IETU) a été créé par décret en février 1987 dans le cadre du Programme de
Développement urbain de la Préfecture de Vientiane. L’IETU fonctionnait d’abord comme étant
l’un des bureaux exécutifs du ministère, puis comme sa sixième direction, du moins comme ayant
rang alors d’une direction ministérielle.830 Il devenait opérationnel dès sa création puisqu’il s’était
appuyé sur les projets de coopération avec lesquels il évoluait et aussi puisque les projets réalisés
étaient en même temps formateurs, servant de projet pilote. Peu à peu l’IETU se voyait confier des
études, assisté chaque fois par les experts internationaux et les volontaires des Nations Unies (VNs)
et avec les fonds des bailleurs internationaux : d’abord, le PNUD ensuite la BAD. Etant l’un de ses
services administratifs, il recevait également les rétributions budgétaires de l’État, bien que ces
budgets ne couvraient que ses frais de fonctionnement. Des budgets spécifiques pouvaient lui être
attribués dans le cadre de mise en étude et de l’élaboration de Plans Urbains d’une province,
sollicité par les autorités de cette même province via le gouvernement central et via le ministère
CTPC auquel il était attaché. Ses compétences s’étaient concrétisées par sa capacité à élaborer des
outils de développement à l’échelle du territoire, tel le schéma directeur d’Aménagement Urbain
(SDAU), et à l’échelle de la ville, tels les règlements et les Plan d’Occupation des Sols (POS).
Par ailleurs, d’autres organismes plus opérationnels ont été mis en place. La compétence de
ces derniers se faisait lentement avec un lourd programme d’assistance technique et institutionnel
financé par les bailleurs de fonds internationaux. Il s’agissait entre autres d’organe technique pour la
gestion foncière et pour l’élaboration de nouveau plan de cadastre et de l’organisme administratif
affairant au sein du ministère des Finances.831
Quant aux projets au stade de leur opérationalité, ils voyaient le jour avec les travaux menés
par les services techniques du Département des Communication, Transports, Postes et Constructions
(CTPC), préfectoraux pour Vientiane et provinciaux pour les provinces, seuls opérateurs jusqu’alors
de la plupart des projets urbains et des projets d’infrastructure. Des projets de coopération ont
également été affectés dans ces organismes opérationnels déconcentrés de l’État afin de les assister
dans la construction de leurs capacités opératoires et techniques. Nous pouvons dresser une liste
non-exhaustive des projets mis en œuvre, qui ont contribué à renforcer la capacité technique du
DCTPC des provinces et de la Préfecture avant la création des UDAAs.
Les toutes premières études des plans urbains réalisées pour les villes secondaires et surtout
pour les villes moyennes, étaient en quelques sortes des projets de réalisation de nouveaux plans
d’aménagement à caractère plus prospectif qu’analytique. Ils dépassaient largement la mise aux
normes ou la viabilisation des réseaux viaires ou sanitaires et la mise en place des équipements
publics primaires qui se manifestaient comme une première nécessité, au regard des besoins réels
des habitants. Faute de répondre seulement et précisément par étape aux besoins les plus urgents et
829 Nous n’avons pas pu retrouver le nom des architectes russes qui ont conçu ces équipements. Cela prouve une fois de
plus que le souci de continuité, exprimé par la conservation des documents, ne fait pas partie des préoccupations des
administrateurs laotiens, même lorsqu’il s’agit des documents produits dans les premières années du régime.
830 Le MCTPC possède cinq directions : 1-Ponts et Chaussées, 2-Transports, 3-Postes et Télécommunications, 4-Habitat
et Urbanisme, 5-Aviation. 831 Le Service du cadastre a été installé au ministère des finances, créant une nouvelle mission au sein de ce ministère. Le
même ministère pilotait le projet d’immatriculation foncière Land Tilting (Etablissement des titres et des registres
fonciers, de la province et préfecture de Vientiane, de Luang Prabang, de Savannakhet, de Paksé.) mis en place en 1997
pour une période de sept ans, sur financement BM et Aus Aid.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 485 -
plus que l’aspect prospectif, les plans dans la majorité des cas avaient un caractère plutôt utopiste.
Nous retrouvons souvent une réminiscence de l’utopie socialiste des plans urbains de la fin des
années 1970 que nous pouvons constater avec le plan de Muang Hongsa et de Muang Viengxay : on
y aménageait des voies larges avec trottoirs et éclairages de rue. Mais au bord de ces rues, les
habitations étaient parsemées, en absence de densité, de liaisons et de raccordements aux
infrastructures. L’éclairage et les trottoirs qui ne servaient pas à grand monde donnaient alors à ces
petites villes une ambiance de villes fantôme.
En fait, les premiers plans urbains dressés pour les villes secondaires et les villes moyennes
étaient souvent caractérisés par une rigidité exemplaire, explicitée dans la mise en zonage et en
compartimentage fonctionnels “ exagérés ” du territoire urbain : répartition fonctionnelle des
espaces, disposition, emprise et gabarits des trames viaires, etc. Nous sommes surtout frappés dans
ces plans par le peu de places que tenait “ l’existant ”, voire son absence. Il était autant vrai que sur
le plan méthodologique, les études historiques et socio-économiques des sites n’ont été réalisées
dans aucune ville, ou alors de manière très succincte. Conscient de ces carences les responsables de
l’IETU (auteurs des études) signalaient dans les rapports de présentation qui accompagnaient les
plans urbains, que « l’absence des études historiques, socio-économiques et paysagères des villes
est due aux manques budgétaires et de personnels qualifiés qu’il serait nécessaire de corriger à
l’avenir ». Des relevées de l’existant ont malgré tout été réalisées systématiquement, mais sans
aucune analyse spatiale qui aurait permis une compréhension approfondie des sites. Cette absence
de prise en compte de l’existant et de ce qui a été occupé antérieurement induisait inévitablement
leur disparition future, si les plans urbains en question venaient à être opérationnels. Et bien
entendu, les plans devenaient progressivement opérationnels. Cela dépendait du crédit et des
priorités de l’État, ainsi que des décisions des bailleurs de fonds sur lesquels s’appuyait la majorité
des opérations.
Alors, tant que le pays ne rentrait pas, jusqu'à les années 1994, dans une phase de
développement économique dynamique, nous pouvons nous réjouir du statuquo des plans non
réalisés. Mais dès que le Laos rentrait dans une phase de croissance économique soutenue832 et que
par conséquent les villes se développaient à grande vitesse, tel était le cas à partir de l’année 2000,
quelques plans urbains devenaient opérationnels dès lors et altéraient par la même occasion la
structure ancienne des implantations. Le schéma simplifié ci-contre montre le parcours administratif
et l’attribution budgétaire de l’État permettant la réalisation de l’étude des plans urbains des villes et
la carte ci-contre dresse la progression de la réalisation des plans urbains pour l’ensemble du pays.
De ce fait et à titre indicatif, c’était vers les villes sans plan urbain, en premier et dans
l’urgence, que nous avons orienté notre étude des trames historiques et structurelles avant que
celles-ci n’en soient planifiées. Le cas de Muang Sing était tout à fait exemplaire. Cette ville était
munie de plan urbain depuis la fin des années 1990 et une partie de ce plan a été effectivement
opérationnelle. En 2008, les opérations se poursuivent : les rues en damier envahies par les gazons
ont fait l’objet de réfection. Et nous ne pouvons que regretter que la grande route pénétrante
nouvellement construite selon ce plan a défiguré la morphologie du carré “ parfait ” de la ville
ancienne. Par sa planimétrie et son manque d’accident topographique, il en fallait de peu pour que
le nouveau plan urbain ait déstructuré et brouillé entièrement la lecture de l’organisation spatiale
historique de cette ville lü, unique exemple sur le territoire lao, un cas d’école dont la disparition
affecterait irréversiblement toute notre connaissance de la conception ancienne d’une des cités tai
septentrionales (que nous avons mis en valeur comme une référence théorique à l’égard de la
question spatiale.)
832 Le chiffre officiel note une croissance de 5 à 6% par an depuis 1999, grâce à la politique de stabilisation
macroéconomique menée depuis septembre 1999. Vers 2008 les chiffrent avancent une croissance de 7 à 8%.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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III. II. b. 3. La définition des critères et des échelles urbaines, la définition des acteurs
Ce qui contribue à la définition de l’entité de la ville passe également par les définitions et
les critères des nouvelles échelles urbaines. La définition et les critères des nouvelles échelles
urbaines s’étaient révélés bien avant 1999. C’est-à-dire avant la loi de l’urbanisme N03/99/AN,
mise en application par le décret présidentiel en 1999 (N11 en date du 26 avril). Il s’agissait
essentiellement de classer les priorités de développement par rapport au statut des villes : de la
capitale administrative aux villes moyennes en passant par les villes secondaires. Les critères de
classification des villes secondaires et des villes moyennes s’appuyaient sur des données assez
aléatoires, autant sur leur position historique de capitales provinciales que sur autres facteurs ou sur
leurs données statistiques (démographiques, potentialités économiques), leur taux d’urbanisation,
etc. En occurrence, si Phongsaly est une capitale provinciale comme Savannakhet ou Paksé, elle
n’était pas classée parmi les villes secondaires. Il était de même pour de nombreuses capitales de
province, telles que Phonnesavanh, Luang Nam Tha, ou Muang Say. Les villes secondaires sont
uniquement au nombre de quatre : Paksé, Savannakhet, Thakhek et Luang Prabang. La
classification des villes moyennes, quant à elle, semblait concerner plus directement les capitales
provinciales, et l’utilisation des critères statistiques pour les définir semblait être évidente.
Ainsi, les critères qui aidaient à classifier les villes dans les priorités du développement, et
qui servaient d’outil de dialogue avec les bailleurs de fonds internationaux dans le décaissement des
fonds pour les villes et les secteurs à développer en priorité, faisaient aussi partie des définitions
nouvelles de l’entité de la ville. Les critères venaient autant des exigences des bailleurs de fonds que
des réalités des besoins des villes identifiés par les autorités locales, même si parfois les deux
choses ne se concordaient pas toujours. D’un côté, les bailleurs de fonds déterminaient ce qui était
prioritaire à prendre en compte, et de l’autre les autorités locales déterminaient les leurs. Il pouvait y
avoir désaccord, par exemple lorsque les politiques laotiens désiraient construire un nouvel aéroport
à Savannakhet (dont la ville existant se retrouverait dans le cône d’atterrissage) alors que la priorité
était de réparer l’existant et procéder à son extension éventuelle. Ou alors, lorsque le gouvernement
laotien désirait construire une nouvelle capitale administrative à Viengkham jumelant Vientiane (à
la manière birmane), alors que la priorité était de restructurer Vientiane, ses vieux réseaux
d’infrastructure et d’équipements qui avaient besoin d’être réparés et reconstruits, etc.
Les champs de connaissance et des compétences fractionnés, le domaine économique, les
financements et les investissements publics faisaient ainsi alors partie de la définition de l’entité de
la ville. Les données statistiques constituaient alors le langage commun des acteurs du
développement. L’histoire et la singularité des villes étaient reléguées aux pittoresques, que les
aménageurs et bailleurs de fonds n’étaient pas obligés de tenir compte. Les critères de
développement et plus tard, le NGPES,
833 approuvé vers 2004 par l’État laotien et les bailleurs de
fonds, fournissaient l’essentiel du corpus pour définir ce qu’était la ville. La stratégie nationale pour
la croissance et l’éradication de la pauvreté (NGPES) était le moteur du développement économique
du pays mais elle avait surtout joué un rôle très important dans l’émergence du secteur urbain.
Beaucoup de projets de développement touchant le secteur urbain et territorial se rattachaient à elle
et relevaient de ses prérogatives.
III. II. b. 4. “ La zone spéciale ” créée en 1994, un territoire marginal, 30 ans de défis834
Le territoire qui avait été institué en 1994, “ zone spéciale ”, a été une enclave territoriale à
l’intérieur du Laos, située dans le Nord-Est entre Luang Prabang-Xiang Khouang et la province de
Vientiane. Difficile d’accès, une grande partie du territoire était couverte de forêts et de Montagnes.
Très peu peuplée, les conflits incessants depuis la guerre de l’Indochine l’ont rendue encore plus
parsemée. Durant la seconde moitié des années 1960, lorsque l’engagement américain dans la
833 National Growth and Poverty Eradication Strategy. 834 Cf. 1e partie. I.II.e.2.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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guerre du Vietnam atteignait son plus haut niveau –le Premier ministre, Souvanna Phouma, ayant
donné son accord à l’intervention et à l’aide américaine au Laos pour repousser les forces armées
nord-vietnamiennes– la zone a été utilisée comme un bastion anti-communiste pilotées par la CIA.
Le chef de guerre, le Général Vang Pao, qui était responsable de cette zone militaire au sein de
l’armée nationale royale, était responsable de toutes les opérations financées par la CIA, que ce soit
des opérations secrètes non reconnues ou des opérations officielles et approuvées par le
gouvernement royal. Par son autorité de chef de clan traditionnel, les Hmong constituaient des
combattants dévoués à leur chef. La quasi-totalité des combattants anti-communistes de l’armée
royale de ce territoire militaire était ainsi majoritairement hmong –s’y ajoutaient les soldats
appartenant à d’autres groupes ethniques : Yao, Khmu, Katang, etc., engagés dans cette guerre selon
différents statuts : officiers de métier, engagés, mercenaires.
La guerre du Viêtnam devenait une guerre secrète au Laos pour plusieurs raisons. D’abord,
elle était très liée au monde narcotique : le financement pour poursuivre son intervention militaire
au Laos n’ayant pas été approuvé par le Congrès américain, la CIA trouvait une bonne partie des
fonds dans le trafic de l’opium. Le Laos ainsi que le triangle d’or devenaient une plaque tournante
active. De fait, les populations hmong, yao et quelques groupes voisins en cultivant les pavots
devenaient des narco-fabricants, et certains militaires lao, des narco-trafiquants.
835
Juste avant la “ libération ” Longchèng a été le dernier bastion anti-communiste tombé aux
mains de l’armée du Pathet Lao. Après la “ libération ” le territoire restait difficile d’accès. Une
partie de la population hmong, qui n’avait pas quitté le pays, se serait retirée dans les montagnes,
fuyant –selon elle– “ les tractations ” du nouveau pouvoir et espérant “ être libérée ” un jour. Le
gouvernement considérait que les populations qui vivaient là étaient à la solde des américains et
“ féodaux ” de l’Ancien Régime qui les auraient maintenues sur place et les auraient financées pour
déstabiliser le nouveau régime ; d’où les tractations commises à leur égard. Les attaques armées et
l’insécurité sur la route de Luang Prabang et la zone limitrophe leur ont été attribuées.
836 D’année en
année, le territoire dans lequel ils vivaient a été exclu (jusqu’à récemment) du développement ; ils
auraient vécu dans un isolement et une grande pauvreté depuis de longues années.837
Quoi qu’il en soit, près de vingt années (1975-1994) la zone restait malgré tout
incontrôlable, un territoire hors territoire et marginal sur lequel l’État exerçait des actions
coercitives forçant les personnes à rester en reclus. Le gouvernement l’a institué en “ zone
spéciale ” en 1994. A quoi correspondait ce côté “ spécial ” ? Est-ce parce qu’elle ne pouvait être
gérée par une administration locale ; est-ce parce qu’il fallait traiter ce territoire autrement et
prendre des dispositifs particuliers vis-à-vis de sa population ? La réponse était probablement tout
cela à la fois. Quelle que soit la réponse, la situation concernant la zone spéciale était préoccupante
pour le pouvoir. Du point de vue ethnique, comment intégrer cette enclave dans la communauté
nationale et enterrer la crainte séparatiste hmong, qui préoccupait (rappelons-le) aussi l’Ancien
Régime. Du point de vue de la cohésion politique et sociale, comment traiter ces laissés-pour-
835 La culture de pavot n’était pas un fait nouveau dans l’économie du pays. L’opium était un produit important dans
l’économie coloniale. C’était un trafic qui rapportait et qui faisait même partie des causes des conflits entre l’autorité
coloniale et les minorités du Nord qui l’exploitaient et qui le trafiquaient traditionnellement. Après l’indépendance, la
caisse du jeune État laotien était à ce point en déficit que le gouvernement accepte, lors d’une cession de l’Assemblée
Nationale, que l’opium soit aussi un produit d’exportation de l’État durant un laps de temps. Réf. Deuve, Le Royaume du
Laos 1949-1965, Histoire événementielle de l’indépendance à la guerre américaine, L’Harmattan, Paris, 2003. 836 Il est curieux que l’expression “ les Chao F’a ” qui les désigne soit relié au chef mythique des Hmong, un dénomé
Chao F’a Patchay qui s’était battu contre les français pendant la colonisation, et reprise ici pour désigner un groupe de
rébellions contre le régime actuel.
837 Les reportages photographiques réalisés en 2006 par les reporters, notamment Grégoire Deniau (Cf.
WWW.factfinding.org, 2 février 2006), montrent des personnes et des familles démunies, malades, avec des vieilles armes
qui n’auraient pas été servies depuis longtemps. Les photos semblent décrédibiliser l’idée qu’ils étaient organisateurs des
attaques sur les routes du Nord. Cependant, si c’était eux qui étaient à l’origine des troubles dans cette zone, comment les
aides financières des opposants du régime qui vivent en France, aux Etats-Unis, en Australie, en Thaïlande, avaient-elles
pu atteindre cette zone reculée au cœur du Laos, dont la sécurité était si bien gardée ? A cette question, beaucoup de
tabous et de secrets politiques empêchent la découverte de la vérité.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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compte et panser les blessures de la guerre. Devant qui se trouvait-on ? Une résistance armée
nourrie par l’opposition, ou des narco-trafiquants ? fallait-il abattre l’ennemie malade et fatiguée ou
sauver une population en détresse ? Cela demeurait des questions, près de trente ans. Peu après les
investigations des journalistes, en 2006 le gouvernement a engagé les moyens pour désenclaver la
zone et faire sortir, de manière radicale, ces Hmong de leurs “ caches ”. Par cet acte, il y avait
probablement à la fois des ennemis abattus et une population en détresse sauvée.
La création de la zone spéciale du gouvernement montrait une des conceptions possibles de
la gestion, de la gouvernance et de la forme d’une occupation. Du moins, il démontrait comment un
pouvoir pouvait-il malgré tout intégrer ce lieu sociopolitique marginal dans la politique nationale.
Le statut spécial d’un territoire mal maitrisé et soumis aux actions particulières coercitives
exprimait ainsi le pragmatisme du gouvernement de la RDPL qui avait mis près de trente ans à
intégrer ce territoire.
III. II. c. La volonté de ruralisation revisitée dans la stratégie urbaine
La méconnaissance de la ville et son absence, dans la construction du régime dans les
premières années, n’avaient pas duré longtemps. Par exemple, la suppression de l’administration de
l’agglomération de la préfecture pour la rattacher à la seule administration provinciale en 1976 (qui
était une des initiatives de ruralisation de la ville) a été abrogée peu de temps après. La province et
l’agglomération préfectorale (agglomération urbaine) ont été séparées de nouveau, vers 1980.
Notamment l’administration du Kamphèng Nakhone Vientiane devenait autonome, son siège
demeurait dans la capitale, alors que celle de la province a été déplacée dans le chef-lieu de la
province de Vientiane : vers Muang Viengkham, à plus de 60 kilomètres de Vientiane.
Cette révision montrait bien l’inextricable difficulté à administrer indifféremment deux
ensembles de territoires physiques et sociaux qui étaient différents : l’un est de caractère rural et
l’autre de caractère plus urbain. Même si de nombreux dispositifs ont été pris pour ruraliser la ville,
du moins révéler son profond caractère rural, la fonction urbaine de la ville demeurait attachée à
celle de la capitale, et la fonction de capitale demeurait corollaire à son tour à la fonction politique,
nécessaire pour le rayonnement et l’exercice du pouvoir de l’État, quels que soient le régime
politique et son idéologie. La volonté d’altérer la ville, voire, de la faire disparaître en tant qu’entité,
parce qu’elle incarnait l’élite politique ou la bourgeoisie, ou parce qu’elle concentrait les avoirs
matériels et financiers au détriment de la campagne, marquait ainsi une méconnaissance totale de la
fonction urbaine et de l’entité de la ville par le nouveau pouvoir, qu’il a fallu corriger quelques
années après.
La ville n’est pas le produit d’un régime politique, social et économique particulier, du
moins pas pour longtemps et/ou juste le temps des tentatives, et beaucoup de pays en avaient
expérimenté les faits, notamment le Laos. Elle est le produit sociopolitique et socioéconomique de
convergence et d’intérêts diversifiés. Elle est aussi à la fois la projection et le produit de l’histoire et
de la mémoire, du vécu de ses habitants et de leur mode d’habiter. Vivre dans la ville, vivre dans le
muang c’est à la fois construire, assimiler et partager une expérience communautaire des lieux et
entrer dans l’univers de l’anonymat et d’individualité. Et plus que le fait de vivre dans la ville,
pouvoir percevoir et vivre spatialement les centres urbains et les quartiers historiques, c’est
expérimenter l’espace dans la continuité du passé et participer individuellement à la construction de
la mémoire communautaire.
Le retour vers la ville postérieurement démontrait l’une des limites du régime laotien qui se
voulait au départ clairement anti-urbain. Peu à peu, les divers dispositifs politiques ont changé afin
de normaliser et rendre à la ville ce qui appartenait à la ville. Notamment, par l’expérience des cinq
premières années, on consentait à considérer que la ville ne pouvait être un lieu de production autoconsommée
très efficace mais plus apte à produire des services et des activités de gestion, etc. Ce
retour a permis, dans les années qui ont suivi, l’orientation des projets économiques, politiques et Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 489 -
administratifs (accompagnant la réforme) qui a favorisé la “ renaissance ” de la ville en tant
qu’entité propre et entière.
III. II. d. L’approche de la ville par les réseaux et les quartiers péricentres et
périurbains
A l’approche de la réforme de 1986 et peu après, l’émergence des petits appendices
d’habitation et la constitution des quartiers urbains –tous deux anarchiques en périphérie de
Vientiane ou dans les poches péricentres de la ville– devenaient de plus en plus importantes et
pesaient sur la gestion et sur les coûts de la construction des infrastructures (routes, réseaux de
distributions d’eau, l’électricité, etc.) nécessaires à mettre en place et à construire. Cependant, dans
ces années-là, les investissements publics étaient faibles ou ne pouvant satisfaire ces appels que très
succinctement. Les aides des pays socialistes, celles des autres pays et des Nations-Unies étaient
présentes mais peu importantes dans le secteur urbain. Surtout, le manque de planification urbaine
globale et détaillée ne permettait pas de mener une politique de développement urbain et territorial
et de répondre aux besoins qui se faisaient fortement sentir dès le milieu des années 1980. En
occurrence, les institutions nationales et locales responsables étaient également manquantes, n’ayant
pas été créées. L’IETU n’a été formé qu’en 1987, les premières études urbaines n’ont été réalisées
qu’en 1989 par le Groupe Huit (financées par les Nations-Unies) et issu de ces études, le schéma
directeur n’a été réalisé qu’au début des années 1990.
Ainsi, à l’approche de la réforme de 1986 et avant que les études et les planifications soient
réalisées, à côté des annonces dans les congrès du PPRL sur les efforts qu’il a fallu faire pour la
construction des infrastructures routières et pour le développement territorial l’Etat laotien prenait
quelques initiatives dans le secteur du développement urbain. Ceci, afin de créer une meilleure
connexion entre le centre et les quartiers qui s’étaient constitués en sa périphérie de manière
disparate et afin d’organiser ces amas d’habitations qui s’étaient constitués dans les poches
péricentres de la ville, sans infrastructures de base (sans adductions d’eau et d’électricité, de
chemins praticables en saison de pluies, etc.) et sans centralité particulière. Les quartiers en question
devaient être ramifiés. C’était effectivement le recadrage des routes nouvelles ou existantes même si
elles restaient en terre et poussiéreuses. C’était aussi la ramification des habitations dans les
alentours des équipements publics comme l’hôpital de l’Amitié et l’hôpital 103, ou comme le
quartier Phonetong après le Cirque national. Peu après, les marchés de quartier et de proximité se
formaient. Les équipements, modestes ou importants devenaient, d’emblée, les points de centralité
qui apportaient une certaine cohésion à ces nouveaux habitats. Ces derniers prenaient peu à peu
place dans une perspective de futures extensions urbaines : les documents de planification urbaine
allaient plus tard les prendre en compte.
Cette ramification autour des équipements et des infrastructures, quelle que soit leur
modestie, était le commencement d’une tentative de réorganiser et de délimiter la ville. La ville
pouvait être, de ce fait, abordée à partir de l’extérieur par les réseaux viaires des péricentres et par
une tentative d’identifier l’organisation des quartiers péricentres et périurbains à travers des
équipements autour desquels leur formation s’était rendue plus cohérente. Ainsi, à partir des années
1995, on pouvait penser la ville à partir de ses limites incarnées par les quartiers périphériques.
Avec la prise en compte de ses limites territoriales, la ville devrait être mieux identifiée pour une
meilleure gestion et contrôle de son développement futur. Ainsi, cette notion de délimitation a été
inscrite dans les étapes de la maîtrise urbaine : les premières études du plan d’urbanisme ont
débouché sur la proposition du périmètre urbain de Vientiane à 100 villages, qui s’était ensuite
élargi à 160 puis à 189 villages (à plus de 200 villages pour une révision ultérieure du Schéma
directeur). Les notions de périmètre et de périphérie urbaine, de péricentre et de limite urbaine soustendaient,
de manière de plus en plus claire, l’existence de centre ancien et de la notion de centralité
urbaine qui avait été altéré.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 490 -
Conclusion
Le bouleversement spatial en question trouve ses causes dans le redéploiement des
fonctions symboliques et idéologiques de l’espace dans les années 1975 et les années 1980. Ce
redéploiement a des répercussions sur la recomposition spatiale des années qui ont suivi, jusqu’à la
période actuelle. Les centres historiques et les occupations anciennes ont été altérés corollairement à
l’altération de la notion de ville. La ville et ses composants spatiaux, sociaux, économiques,
politiques et symboliques, en tant que matrice structurante et identitaire, ont été ignorés durant cette
période. Négligeant les bases fondatrices, les expériences pédagogiques et le vécu des espaces
hérités que renferment les centres anciens, les acteurs – pouvoirs publics et habitants – occupaient
l’espace suivant une projection idéologique et un acte d’occupation physique sans acte
d’appropriation. Entre la période où l’espace et les villes évoluaient sur leurs matrices de fondation
et les moments où ils évoluaient vers une profonde recomposition caractérisant notre période
actuelle, les années 1975, 1980, et même le début des années 1990, constituent un temps de
transition qui illustre la notion de “ville absente”. Ces vingt années qui constituent aussi une période
de rupture, sont séparées en trois périodes.
1- A l’investiture du régime en 1975, le nouveau pouvoir ne doit pas seulement prendre le contrôle
de tout le pays, mais aussi le gérer entièrement, tâche difficiles lorsqu’il est habitué à ne gérer que la
zone libérée, placée sous son contrôle. Le Laos se retrouve coupé de l’Occident, et éloigné de la
communauté des nations, devant se composer avec l’aide du blocs communistes et compter, sur le
plan régional, sur le Viêtnam et la Chine, malgré les conflits sino-vietnamiens. La politique
territoriale se tourne vers l’intérieur des terres et entretient des relations fraternelles avec les voisins
dans ses frontières nord, sud et est, alors qu’à l’Ouest, la frontière avec la Thaïlande, constituée par
le Mékong, devient une barrière idéologique et non plus un lieu d’échange.
A l’intérieur du pays, la population n’adhère pas entièrement au nouveau système politique.
Le pouvoir entreprend la gestion des hommes de manière autoritaire et arbitraire : emprisonnement,
séminaires politiques, afin de former des hommes nouveaux et réprimander les éventuels opposants.
Ceci cause la mobilité interne de la population et la fuite de plus de 10 % d’entre elles ; fuite
sévèrement sanctionnée. Le pouvoir tente aussi de « retravailler la démographie » en encourageant
les hommes à s’installer dans les parties dépeuplées du pays.
Le marasme économique (dévaluation du kip ; circulation monétaire et des produits,
production, investissements publics, etc., sont au point mort) paralyse quasiment le pays. Il fallait
pour le régime redresser l’économie et régler les problèmes de pénuries. La politique de
l’autosuffisance, l’étatisation des biens, le collectivisme, sont mis en œuvre. Mais cela ne suffit pas :
l’urgence est de redresser le secteur de la production, mais en attendant, le marché noir et les
importations clandestines sont tolérés.
Quoi qu’il en soit, pour la population, la perspective d’une réconciliation nationale est
préférable à la guerre de laquelle le pays vient de sortir. Ainsi, le désir de paix, et moins le contenu
idéologique, permet la mise en place du régime et l’application de son idéologie : se créer des
perspectives nouvelles, s’imposer, se légitimer et durer. Pour y parvenir, la propagande et
l’endoctrinement, les recommandations et les interdictions, les meetings politiques et les séminaires,
sont mis en œuvre. Le langage, les arts et la culture, touchant au plus près l’individu, ont été aussi
réformés. L’Abolition de l’Ancien Régime et l’édification d’un nouveau pays, sa sécurité et son
ordre social, ont été réalisés de manière sévère et avec sacrifice irréversible de ressources humaines.
Le système a apporté un grand changement dans la société et dans les mentalités, pour les
générations à venir.
2- La période de perspective et de construction du régime c’est aussi la période de mise en place de
nombreuses dispositifs, notamment spatiaux :Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 491 -
- Les fonctions urbaines, sociales et politiques de la ville sont réduites par l’apologie du travail et de
la campagne qui caractérise désormais l’agglomération urbaine.
- Du point de vue administratif, les décisions sont prises collectivement, basée sur la directive du
Parti Populaire Révolutionnaire, placé dans tous les échelons administratifs, central et local. Le
nouay –une subdivision du village– qui a été créé, réduit le rôle paternaliste traditionnel du chef de
village.
- L’autosuffisance est instaurée comme une vertu. La confiscation-répartition des biens fonciers, la
réforme agraire, le collectivisme de productions, les travaux collectifs à la campagne comme à la
ville, l’absence des services urbains et des services publics, amorcent la nouvelle configuration
spatiale et sociale.
Incontrôlable par l’Etat, peu à peu l’espace s’auto-gère. La ville non planifiée poursuit sa
transformation, timidement, mais de manière anarchique : les quartiers périphériques se développent
sans règles, l’usage de l’habitat et de la ville est transformé par une population rurale, entrainant une
dégradation de son état de conservation. Mais dans cet effacement de la ville, l’espace urbain
expérimente une production architecturale particulière des années 1980, avec des nouveaux
programmes, quelques équipements et bâtiments emblématiques. Il est de même pour
l’expérimentation des villes nouvelles qui se veulent soucieuses de fonctionnalité et de mixité
ethnique. Elle contribue en réalité à la détribalisation et à la “ laoisation ” de la plupart des
minorités. Dans leur ensemble, le développement urbain et territorial, même s’il est modeste, met en
évidence les premiers signes de la méconnaissance, voire, du mépris pour la base fondatrice,
historique et sociale des espaces existants.
3- La gestion et le développement du pays étaient difficiles pour le nouveau pouvoir, conjoint à
l’inefficacité de l’économie planifiés et à l’écroulement du bloc communiste dans le monde. Ce qui
le contraint à effectuer des bilans dans la troisième période du régime. Les bilans qui se veulent
scientifiques et progressistes, reconnaissent l’inadaptation de l’économie planifiée pour le
développement du Laos, et mettent en exergue un certain nombre d’autres paramètres inappropriés,
mais non identifiés officiellement par le pouvoir. Les données reconnues et non reconnues par le
pouvoir, permettent de comprendre pourquoi il est nécessaire de mener la réforme. Dans le discours
officiel et pour l’intelligentsia révolutionnaire les anciens pays amis (notamment l’Ex-Union
Soviétique) sont considérés comme des traitres qui ont trahi l’idéal socialiste, « corrompus par les
opposants occidentaux. » Ceci explique cela : le maintien, voire, la conservation idéologique, du
système de parti unique (marxiste-léniniste) du Parti Populaire Révolutionnaire Lao (PPRL), a été
préféré à son abolition. C’est seulement à travers la critique économique et son système que le
gouvernement met en œuvre sa réforme.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 492 -Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 493 -
Conclusion
Depuis les années 1990 et les années 2000, le développement des villes et des territoires est
incontestablement en rupture avec les espaces sensibles : centres historiques et lieux anciens,
espaces paysagers à valeur environnementale. On constate que ces espaces sont altérés, perdant leur
capacité d’adaptation et de renouvellement, dans le contexte de développement en cours. De ce fait,
la politique et la gouvernance urbaine, la production spatiale, rencontrent des difficultés
particulièrement conflictuelles et interrogent le bien-fondé des options prises par les pouvoirs
publics et les orientations des acteurs, pour produire, concevoir, gérer et vivre les espaces de vie et
la ville elle-même.
Pourtant, avant les années 1970, malgré les grandes transformations spatiales opérées durant
plusieurs périodes, les espaces anciens et les lieux historiques n’ont pas été altérés. Ils évoluent dans
une certaine continuité : d’un côté, la ville en développement semblait respecter les composants
historiques et les structures fondatrices du passé, et de l’autre, les centres anciens possédaient des
capacités d’adaptation et des propensions à absorber ou intégrer les changements.
La période entre les années 1970 et les années 1990 peut être alors considérée comme une
période de transition. Entre le moment où les centres historiques marquent et structurent encore la
ville et le moment où ils perdent leur rôle structurant. Cette période a introduit des éléments de
rupture et de mutation importants.
1
La première partie de la recherche s’attache à montrer que les centres anciens dans la
recomposition spatiale, connaissent manifestement une altération : aujourd’hui, ils préoccupent peu
la stratégie et les projets urbains où ils sont peu pris en compte, tant dans les initiatives privées que
publiques. Souvent ignorés dans les nouveaux modes d’habiter et de production de l’espace,
négligés aussi dans la gestion urbaine et territoriale des politiques d’aménagement conduites par les
pouvoirs publics, à l’échelle locale et régionale, les centres anciens tendent à disparaître. Pour
l’illustrer, la planification urbaine est analysée parallèlement à l’observation de la pratique
habitante. Et à plus grande échelle, les différentes interactions spatiales et économiques et leurs
résultantes ont été étudiées. Entre le local et le global, entre le réseau et le territoire, entre la
disparité de croissance économique des villes et leur dislocation, entre effets fédérateurs et effets de
résistance, il s’agit de comprendre les implications de l’intégration régionale sur l’écosystème social
et urbain des villes. Décomposition, recomposition, recyclage, mais aussi conflit : ce sont des
processus qui décrivent aujourd’hui globalement la mutation de la plupart des villes ; mutation que
nous avons analysé à partir de la Réforme de 1986.
A partir de 1986, la Nouvelle Mécanique Economique a peu à peu déclenché le
développement économique, et par la suite, le développement et la mutation des espaces urbains.
Deux dispositifs ont été le moteur de cette mutation :
- Le passage de la production collectiviste à la production privée et au droit de commerce, de l’antiOccident
à l’ouverture plus grande à l’Occident, de l’Etat de fait à l’élaboration de la Constitution
de 1991, de l’isolement dans le bloc socialiste à l’ouverture à la coopération régionale et
internationale.
- La reconnaissance du droit de la propriété privée, suivie de la régulation foncière : rendre la terre à
la population, reconnaître son droit d’action, de jouissance et de transaction, ont permis d’améliorer
la relation très tendue entre le pouvoir et la population. Cela montre combien le foncier est
important pour l’habitant et pour la constitution et l’évolution du bâti et de la ville.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 494 -
La mutation spatiale met en évidence à la fois la marginalisation et l’émergence des espaces
et des territoires. Nous la décrivons en cinq points :
- Les pôles locaux de développement sont constitués à travers la restructuration des réseaux
d’infrastructures, la construction et le déplacement des équipements, la clarification du statut et de
l’échelle des villes. Parallèlement, les pôles régionaux révèlent le phénomène de monopole et de
concurrence qui induit, pour certaines villes laotiennes, plus leur mise en marge que leur intégration
dans le réseau régional.
- L’émergence et la mise en marge des espaces interrogent la “ qualité ” des réseaux d’échange
économique régionale : la capacité des projets à intégrer l’échelle locale et les données humaines
dans leur réalisation, à gérer les conflits et les retombées économiques de manière équitable. Cette
capacité se montre fortement limitée.
- Il en est de même pour les territoires de concession : les impératifs locaux et humains n’ont pas été
assez pris en compte. Les établissements humains autour des mines n’ont pas été bâtis comme un
établissement social et urbain durable, en conséquence, leur pérennisation et leur intégration sont
difficilement envisageables pour l’avenir et posent déjà aujourd’hui des problèmes.
- Les trois points précédemment soulevés révèlent des problèmes de différents ordres, tels, le
manque de souveraineté des territoires nationaux éprouvés par le gouvernement laotien, les conflits
d’échelle entre le local et le régional qui mettent en porte-à-faux la communauté régionale en cours
de construction, la sécurité et la pérennité des sociétés et des communautés locales menacées,
paradoxalement, par le développement.
- La mise en marge de certains territoires peut être aussi liée à leurs caractères endogènes. Les
contextes historiques de “zone libérée”, de “zone spéciale” et de “zone de trafic”, par exemple, le
montrent bien.
La mutation de l’espace fait aussi apparaître à la fois le phénomène de recyclage et
d’altération des espaces historiques ou des espaces constitués. Faits qui se sont opérés dans le
champ patrimonial, enlisé dans les problématiques de développement. Par exemple, les monastères
qui sont des espaces anciens, leur recyclage et leur altération sont manifestes à travers la place
qu’ils occupent aujourd’hui dans la ville en tant que centralité. Leur présence et leur convergence
sociale dans la ville, leur propension à devenir des modèles architecturaux sont incontestables, mais
aujourd’hui remises en question. Un regard introspectif (dans l’univers de la culture et de ses
pratiques) et rétrospectif (dans les faits historiques) s’impose pour comprendre le processus de
patrimonialisation, identifier sa prise de conscience et sa conception et prendre en compte ses
discours. Ceci, afin de saisir la confrontation forte entre la nécessité de développement et la
nécessité de mémoire qui caractérise la réalité urbaine et le manque de modèle clair de la politique
de développement laotienne en cours.
Enfin, la mutation de l’espace est aussi à l’œuvre à travers la constitution et la
recomposition des espaces politique et symbolique, social et économique :
- Le régime se retrouve sans modèle idéologique spatialisé, alors qu’il entame sa troisième décennie
de réforme. A partir des années 2000, le retour des symboles a été pressenti comme une nécessité et
représentatif d’un désir de légitimation du pouvoir politique et d’une volonté de donner à l’espace
une valeur identitaire, de rassemblement et de citadinité : réappropriation des espaces sensibles avec
des projets publics d’envergure, revitalisation de l’identité religieuse locale et des anciens
monuments, voire, les réinventer.
- Le regain des occupations anciennes devient actif, mais reste modeste dans les secteurs du
développement urbain. Il est question de considérer le patrimoine et les faits archéologiques comme
des éléments de développement urbain, économique et social. Mais il met en exergue aussi un effet
pervers : l’émergence des sites patrimoniaux peut aussi se cristalliser dans une monofonctionnalité ;
les fonctions touristiques uniques posent des problèmes d’équilibre socioéconomique et culturel, de
développement durable.
- La stratégie résidentielle des habitants constitue aussi une forme de recomposition spatiale. Quitter
ou rester dans le centre, considérer ou pas le Mékong comme une centralité ? Ces questions restent Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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corollaires aux offres d’emploi et d’activité, aux offres foncières, à la qualité du cadre de vie et à la
valeur écologique primitive liée au fleuve. Ces questions demeurent non maitrisées pour la politique
urbaine.
- Le foncier est un élément de recomposition spatiale majeur. Des dispositifs mis en place par l’Etat
pour le cadrer explicitent son importance. On constate aussi, indépendamment des dispositifs de
l’État, que le foncier se dote d’un principe spéculatif lié aux effets des grands projets de
développement annoncés, que ceux-ci soient réels ou fictifs.
- Les péricentres et les centres périurbains constitués viennent renforcer et consolider la vie des
petits centres. Tout en demeurant une caractéristique permanente des villes, la centralité est
reformulée : entre une ancienne et une nouvelle centralité, les nouveaux centres se constituent en
périphérie, en ramifiant les quartiers plus ou moins dispersés et en accompagnant la construction
des nouvelles routes et le déplacement des équipements publics.
- La reconstitution et la recomposition de l’espace à l’œuvre, appellent aux outils de gestion et de
développement urbain nouveaux et adéquats. La politique urbaine et territoriale entame ainsi des
procédures pour mettre en place une autorité urbaine –le UDAA– dont le rôle et le cadre technique
et institutionnel sont d’être l’embryon d’une future municipalité avec un éventuel “pouvoir local
élu”. Volonté appuyée et initiée par les bailleurs de fonds internationaux, intéressés pour mettre en
place un processus de transition structurelle, institutionnelle et politique. Mais sa réalisation est
freinée par une structure politique et constitutionnelle fondée sur le pouvoir d’un parti politique
unique et centralisé.
- Les investissements ainsi que la migration sont aussi des facteurs importants de modification des
espaces urbains. Les investissements intérieurs ont été peu importants, mais contribuent à apporter
des modifications aux tissus urbains des centres, alors que les investissements extérieurs modifient
la configuration des villes et des territoires à une plus grande échelle, en fabriquant des grands
projets urbains, en établissant des zones de concessions et en interrogeant la bonne gouvernance
urbaine et le choix du modèle de développement de l’État laotien. Quant à la migration interne, elle
participe au renouvellement des habitants dans l’espace citadin et modifie les données spatiales des
tissus urbains sans apporter des bouleversements, alors que la migration extérieure renvoie aux
relations historiques entre le Laos et ses voisins. Ce renvoi à l’histoire permet de comprendre
l’influence des deux migrations –chinoise et vietnamienne– exercées sur la gouvernance. Enfin, la
migration artificielle qui accompagne la coopération internationale permet la réhabilitation des
anciennes villas et bâtiments des années 1960 et la construction d’un nouveau type d’habitation,
sans être initiatrice d’une véritable production architecturale nouvelle.
- La question de la citoyenneté n’a pas été également étrangère à la recomposition de l’espace
urbain, puisqu’elle touche la question des pratiques habitantes et de la gouvernance urbaine. L’Etat
définit les critères des familles et des villages modèles et recommande aux citoyens les actions à
entreprendre pour atteindre les modèles définis.
- En interrogeant les quatre champs et acteurs impliqués dans la production du bâti –l’opérationnel
et l’économie, la nature des commandes et les commanditaires, les entrepreneurs et les architectes–
on découvre un autre aspect de la recomposition de l’espace et on mesure la forte dépendance de la
création et de la production architecturale vis-à-vis de ces champs et de ces acteurs.
Dans leur ensemble, le devenir des villes laotiennes traduit l’ambiguïté des politiques de
développement aussi bien locales que régionales : entre préservations des héritages du passé comme
conservation de leur identité dans un monde globalisant, et volonté de se projeter dans l’avenir
comme pensée légitime d’une société en cours de “ modernisation ”. Les villes laotiennes font face
à des nouvelles dynamiques spatiales imposantes –d’un côté l’intégration régionale et la mise en
réseau des métropoles, et de l’autre, les propensions internes des villes à appréhender les mutations
et à réceptionner les changements. L’espace des villes est appelé non plus seulement à évoluer, mais
à se métamorphoser en absence de modèle, ne comptant que sur ses qualités spatiales
idiosyncratiques. De ce constat, notre regard rétrospectif et introspectif nous amène à nous
intéresser à sa culture spatiale, à analyser dans son passé historique et ses espaces constitués, les Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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éléments porteurs et idiosyncratiques, qui ont nourri la qualité de ses espaces avant 1970. C’est ce
que propose d’analyser la deuxième partie de notre recherche.
2
La deuxième partie de la recherche est théorique. Elle a tenté d’approcher les principes et les
modèles fondamentaux de fondation, en explorant les données immatérielles (données
anthropologiques, mythes et rites religieux et païens, pratiques habitantes) en rapport avec les
fondations et les données historiques. Les éléments de formation primitive montrent que les
établissements qui ont préexisté à l’espace lao tai, structuré au XVIe siècle, sont essentiellement au
nombre de quatre : 1- les occupations proto-indochinoises qui se trouvent temporellement et
culturellement à l’extérieur du monde môn-khmer et tai ; 2- les fondations mônes proprement dites
que l’on continue à découvrir de manière fragmentée, et dont les contenus culturels et conceptuels
ne semblent pas très éloignés des établissements lao tai. Les connaissances les concernant restent
liées à la découverte historique et archéologique actuelle et à venir, notamment du Nord-Ouest du
Laos et du Nord de la Thaïlande ; 3-les établissements khmers, monumentaux et marqueurs de
territoire. Ils renvoient aux fondations des monuments et des grands établissements politiques et
territoriaux, même s’ils restent “muets” sur les établissements urbains et d’habitat qui font l’objet
privilégié dans notre observation ; 4- les occupations lao tai primitives qui ont préexisté à
l’émergence des espaces lao tai contemporains. Nous faisons l’hypothèse qu’à l’échelle temporelle,
ces établissements primitifs sont formés avant le XVIe siècle, sur deux longues périodes : la
première entre le VIIIe et le XIVe siècle –période des chefferies dispersées ; la seconde entre le XIVe
et le XVIe siècle –période des cités-états– avec une configuration politique et spatiale structurée.
A travers les pratiques spatiales, la permanence des caractéristiques des sites, les mythes et
rites de fondation, comme des éléments révélateurs, nous avons esquissé l’organisation
sociospatiale et les principes d’implantation de la période primitive lao tai. Mais notre analyse s’est
surtout attardée sur la structuration de l’espace lao tai opérée autour de la fondation de la capitale
par Sethathirat au XVIe siècle et à partir de ce règne, où la restructuration politique de l’espace s’est
réalisée de manière plus formelle, identifiable à travers différents actes et dispositifs politiques
réalisés, comme une inscription de la pensée dans le territoire. Effectivement, il y a un parti-pris
idéologique pour restructurer l’espace non seulement territorial mais aussi social, politique et
religieux. L’espace lao tai est ainsi lisible à travers des faits culturels et idéologiques, analysé dans
sa strate de cité-état et dans la structure du pouvoir politique constituant, d’où découleraient sa
conception spatiale et son mode d’organisation. De ce fait, la constitution de l’espace reste –toute
proportion gardée– endogène, générant son propre modèle historique.
Notre analyse a exploré, ensuite, la capacité des espaces lao tai à réceptionner les modèles
spatiaux extérieurs. Par leur artificialité, les villes siamoises précoloniales ainsi que leurs structures
administratives, installées comme des lieux de capitations dans le Laos et dans le Laos Occidental
au XIXe siècle, ne peuvent constituer un modèle durable, mais ont conditionné certains aspects de
l’espace contemporain : 1- Ils ont déstructuré et atrophié la forme sociale et politique du muang
traditionnel ; 2- leur fonctionnement ont induit la naissance du sentiment “localiste” qui a gêné, tout
le long du XXe siècle, le développement et l’intégration de la région Issane dans l’unité nationale
thaïlandaise. En ce qui concerne les villes coloniales, contrairement aux établissements siamois,
elles ont été un modèle nouveau et durable, devenu significatif pour l’espace contemporain, du
point de vue administratif, programmatique, de la gestion des sols et dans la prise en compte de la
démographie. La culture administrative et les bâtiments coloniaux forment aujourd’hui une variante
urbaine des villes laotiennes. Sachant qu’au moment de leur installation, elles ont tenu une position
ambigüe, voire, ont ignoré les espaces anciens antérieurs (forme urbaine, limite, mode ancien de
production et de gouvernance, etc.). Dans leur ensemble, les villes siamoises et les villes coloniales
restent des modèles exogènes et peu d’éléments ont été endogénisés pour un développement
conceptuel et formel des villes laotiennes postérieure, alors que leurs propres éléments endogènes
demeurent un modèle spatial marquant. Quatre principes semblent le démontrer :Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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1- Le modèle spatial en rapport avec la forme de la gouvernance. On constate que l’organisation de
l’espace lao est reposée sur trois échelles et principes spatiaux : le ban, le tassèng et le muang. Ces
principes ont perduré et ont assuré à l’organisation laotienne une pérennité, malgré les ruptures et
les transformations diverses que l’histoire a enregistrées.
2- Les ancrages culturels de ces principes spatiaux ont été tels qu’ils génèrent une conception
idéalisée du muang. Dans le Syasavat, le muang –défini comme une cité-état par excellence– donne
la perception du cadre de vie, de penser et de gouvernance de la société lao ancienne.
3- Dans la pratique, les ancrages culturels des principes spatiaux donnent des règles au droit des
sols, stigmatisé dans le droit coutumier, auquel le droit foncier d’aujourd’hui se réfère encore.
4- Jusqu’à récemment, la domestication des espaces naturels, en liaison avec le mode d’habiter,
comme savoir intemporel constitue une caractéristique des espaces et des villes laotiennes. La
conception et la perception de la nature participent à la construction et aux fonctions des
établissements. La nature fait partie de la cité, en tant que paysage, lieu de production ou d’altérité
de vie, parfois divinisée.
L’analyse urbaine, autour des années 1975, met en évidence une certaine permanence des
quatre principes hérités des structures spatiales anciennes, malgré les conjonctures
socioéconomiques internes et externes en rapport avec l’évolution des aires urbaines régionales et
avec leur propre cycle de transformation interne. En cela, on constate que :
1- les schémas symboliques et les cultes perdurent encore dans l’usage de l’espace : la forme
ancienne du pouvoir laisse des traces sur les lieux sensibles de la ville ; la faiblesse démographique
traditionnelle est prise en compte comme un handicap dans la modélisation de l’espace et continue à
l’être dans la gestion et l’économie des villes ; le déplacement de la population, qui est une pratique
traditionnelle, est encore d’actualité dans la restructuration spatiale ; le mythe de la ville imaginaire
continue aussi à “hanter ” tant ceux qui la construisent que ceux qui la vivent ;
2- le phénomène de partition territoriale et politique du Laos, qui est une question induite par le
contexte de la Guerre froide, reflète aussi une réalité géographique et humaine, inscrite dans la
formation et dans l’évolution territoriale du pays. Cette partition s’est calée sur l’opposition entre
zones vides montagneuses, moins développées et zones basses, peuplées, développées et faciles
d’accès. Elle ne s’est pas calée, par exemple, sur la partition ancienne des trois royaumes, mais sur
la configuration historique plus ancienne de la répartition des hommes et des richesses ;
3- le grand tournant spatial des années 1960 enregistre plus une transition qu’une rupture. Les
éléments traditionnels pris en compte –acculturation et endogénisation– sont presque dépassés par
rapports aux nouvelles données spatiales qui apparaissent dans le contexte de la Guerre froide : les
établissements naissants sont liés à la guerre, et il est de même pour la nouvelle répartition des
hommes sur le territoire. Quant au développement et à la production spatiale, dans bien des cas,
l’urbanisme et l’architecture des années 1960 ont révélé la dynamique des espaces symboliques
anciens comme une structure urbaine révélée et structurante. On identifie les années 1960 comme le
commencement d’un nouveau cycle de transformation spatiale, le passage de l’espace traditionnel à
l’espace moderne. Et les facteurs dominants qui ont conduit la transition urbaine des villes
laotiennes ont été la complexification des acteurs et le développement d’une nouvelle
programmation urbaine. La réflexion menée est une contribution à la connaissance d’une transition
urbaine spécifique et produite dans les villes lao tai d’aujourd’hui.
3
Avant les années 1970, les espaces anciens ne sont pas altérés et les implantations lao ont
connu une évolution idiosyncratique, se développant dans une certaine continuité, malgré les
grandes transformations spatiales opérées durant plusieurs périodes. Cela contraste si fortement
avec la période actuelle, où la matrice structurante, liée à la fondation des villes et des pratiques
habitantes, est altérée, perdant sa capacité d’adaptation et de renouvellement. La politique et la
gouvernance urbaine, ainsi que la production spatiale, rencontrent des difficultés dans le contexte de
développement en cours. Ce fait accuse le contexte sociopolitique et les enjeux spatiaux des deux Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 498 -
décennies entre 1970 et 1995, en tant que période transitoire. Explorer ces deux décennies, c’est
l’objet de la troisième partie de notre recherche.
En 1975, la fin de la guerre du Viêtnam a bouleversé toute la région de l’Asie du Sud-Est.
Le basculement idéologique de l’ancien Indochine, entré dans le bloc communiste, a profondément
transformé les sociétés de ces pays, et les a exclu, pour un temps, du reste de la communauté des
nations de l’Asie du Sud-Est et de l’Occident. Dans la vallée du Mékong, la politique territoriale se
tourne vers l’intérieur des terres, le Mékong devient une barrière et non plus un lieu d’échange avec
la Thaïlande. Le nouveau pouvoir doit gérer la totalité du territoire dans un contexte politique
régional inédit, alors que ses dirigeants, soutenus par le Viêtnam, la Chine et l’ancien URSS,
n’avaient été habitués à gérer que les zones “libérées” et les populations embrigadées. Malgré les
conflicts frontaliers sino-vietnamiens de 1979, la politique laotienne doit composer avec ses deux
grands voisins. La nécessité d’exister dans la dualité sino-vietnamienne induit non seulement une
différenciation territoriale, mais surtout l’émergence de deux fractions politiques dans la direction
de l’État laotien. Le régime penche clairement du côté vietnamien, par le lien historique
qu’entretient le PPRL avec le PCV. Ainsi, l’axe Nord-Sud traditionnel, avec la Chine, est mis en
veille, de la fin des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980, au profit de l’axe Est-Ouest,
rappelant la politique coloniale et aussi la lutte anti-coloniale, qui avait favorisé le rapprochement
entre les futurs dirigeants communistes laotiens et vietnamiens au lendemain de la Deuxième
Guerre mondiale. L’axe Nord-Sud, maintenu au minimum, est relancé à partir de la seconde moitié
des années 1990 pour se renforcer nettement à partir du début des années 2000. Trois temps ont
qualifié la période transitoire qui a fragilisé la capacité spatiale d’adaptation et de renouvellement
des villes laotiennes d’aujourd’hui.
Au moment de l’investiture du régime, le temps de l’appropriation
Dans la première année du régime, les enjeux spatiaux, humains et économiques sont
importants. C’est une réalité incontournable : une partie de la population fuit le pays face à un Etat
autoritaire et une gestion arbitraire des hommes. La fuite de la population a été sanctionnée, et les
séminaires politiques mis en place pour former des hommes nouveaux, selon le modèle établi par
l’idéologie du régime. La mobilité et le “ déplacement ” des hommes, le repeuplement des régions
deviennent un choix pour réguler l’occupation des territoires et développer l’ensemble du pays, où
la faiblesse démographique demeure une fatalité. Quoiqu’il en soit, le miroitement d’une société
plus juste, d’un pays réconcilié avec lui-même et en paix, semble permettre la mise en place du
régime et non pas son contenu idéologique. Devant les enjeux et les défis multiples, le régime tente
de se créer des perspectives nouvelles, s’imposer, se légitimer et perdurer : une hétérotopie est ainsi
installée. Bien que les Laotiens s’en défendent, le système a apporté un grand changement dans la
société et dans les mentalités. Les nouvelles générations, grandies ou nées après 1975, n’ayant pas
connu des éléments de comparaison, ont été formées à la vision et à la pensée unique.
Sur le plan économique, le pays est plongé dans le marasme : dévaluation du kip, inertie de la
circulation monétaire, production à plat, absence d’investissements publics dans les services de
base, circulation des produits au point mort, etc., l’État décrète le nouveau “ kip de libération ”.
Pour redresser l’économie, il met en œuvre l’autosuffisance, l’étatisation des biens, le collectivisme,
tout en tolérant, officieusement et provisoirement, le marché noir. Les problèmes dans leur
ensemble sont ainsi différés, débouchant vers une nécessité de réformer le système quelques années
plus tard.
Sur le plan spatial et politique, le nouveau pouvoir a tenté de réinventer des nouveaux
symboles, en remplacement des anciens abolis ; de se réapproprier l’espace avec une vision globale
et non plus partisane et partiale. La propagande et l’endoctrinement ne passent pas seulement par les
recommandations et les interdictions, les meetings politiques et les séminaires, ils passent aussi par
le renouvellement du langage des arts et de la culture, touchant au plus près l’individu. La
construction du nouveau pays, l’édification du régime, la sécurité et l’ordre social passent ainsi par
un arbitrage sévère et un sacrifice irréversible de ressources humaines.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 499 -
Les dispositifs spatiaux pour une nouvelle perspective
Les premiers dispositifs politiques que l’Etat a mis en place pour restructurer le pays,
concourent directement à ruraliser la ville, voire, à la faire “ disparaître ”, dans sa fonction urbaine
et politique, selon une hétérotopie et des impératifs idéologiques du régime, peu en phase avec la
réalité sociale et culturelle du pays.
- La réforme administrative est le premier secteur touché. De la responsabilité individuelle et
hiérarchique des compétences, l’administration est passée au système à responsabilité collective.
Les décisions ne se basent non pas sur les hiérarchies à compétences, mais sur l’appareil politique
valorisé au sein du parti, placé dans tous les échelons de la structure administrative. La place du
pouvoir local a été modifiée : l’administration de la ville-agglomération urbaine est réunie à
l’administration de la province ; le nouay, un comité de quartier, une subdivision du village, est
créé, réduisant le rôle traditionnel paternaliste et fondateur du chef de village.
- Les principaux dispositifs politiques imposés à la population prônent l’autosuffisance comme une
vertu. Voulant contrôler la production, l’Etat impose le collectivisme dans la démarche de la
réforme agraire. Voulant contrôler et répartir les biens dans une société qui se veut égalitaire, il
étatise les biens fonciers et immobiliers. Considérant le travail comme une vertu, il impose les
travaux collectifs et l’absence des services urbains et des services publics –disparus avec l’Ancien
Régime– est considérée comme une pédagogie, une leçon inculquée à la population et à la société
bourgeoise. Au résultat, les dispositifs débouchent sur le premier phénomène incontrôlé par l’Etat :
l’espace s’auto-gère, la ville et ses espaces non planifiés se déploient. Les quartiers périphériques se
constituent dans le désordre, l’usage de l’habitat et de la ville change de fonctions par une
population rurale : leurs états de conservation se dégradent rapidement.
Alors que la ville “ disparaît ” au profit de la campagne, l’espace urbain expérimente une
production architecturale, timide mais identifiable au début des années 1980, à travers des nouveaux
équipements et bâtiments emblématiques. Il se dote aussi de nouveaux programmes architecturaux,
démonstratifs souvent de projection sociale hétérotopique. A l’échelle du territoire, le régime se
projette aussi idéologiquement dans l’expérimentation de villes nouvelles, annonçant comme villes
socialistes, soucieuses de fonctionnalité. Elles sont conçues dans l’idéalisation du peuple
multiethnique –brassage culturel et “ laoisation ”– dans la méconnaissance et la négation totale de
l’histoire urbaine, de la base fondatrice historique et sociale.
Le temps des bilans et leurs implications
Lorsque le système communiste s’écroule en Europe de l’Est, le CCP qui dirige le Laos
préconise la Réforme de l’intérieur en dressant un bilan. Les justificatifs idéologiques, politiques et
économiques sont nombreux pour contraindre le régime à entamer une réforme : insuffisance lourde
de ressources humaines, démographie désastreuse, conjointe à l’insuccès de l’arbitraire du régime,
de sa politique collectiviste et de sa réforme agraire et foncière qui sont les causes des fuites
importantes de la population. Des mesures sont menées plus ou moins dans différents secteurs. Mais
les plus concrètes sont mises en œuvre dans le domaine de l’économie.
Parallèlement aux bilans officiels, certains constats sont révélateurs des sentiments de
désillusions, d’échecs et de gâchis. On constate que des fractures sont identifiables au sein de
l’appareil révolutionnaire. Elles portent sur le fait que la révolution n’a pas pu amener la
réconciliation nationale ni améliorer la pauvreté du pays : il manquait encore plus de compétences
pour gérer le pays, et la société est fracturée : fuite de la population, emprisonnements et séminaires
politiques, etc.
Sur la question spatiale, le territoire à explorer et à fonder n’existe plus en tant que tel, mais
doit être géré et développé par l’intérieur. Ainsi la création des nouveaux espaces de représentation
rencontre des limites. La négation et l’abstraction de la représentation de la ville et des fondations
anciennes, qui caractérisait la considération et l’occupation spatiale du nouveau régime durant les
premières années, ont besoin d’être révisées. En effet, la dégradation de la ville, de la cité en tant
que lieu de décision –même si on tentait de la ruraliser– peut menacer le statut du politique. Il fallait Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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donc essayer de relever certains points clefs du marasme : la dégradation des responsabilités et des
savoir-faire des agents administratifs, l’autogestion spatiale et la dégradation des lieux et leur
fonction, la réforme administrative territoriale corollaire à la transformation sociopolitique,
l’étatisation des biens fonciers, l’autogestion de l’espace en absence de planification urbaine, la
population rurale, les bâtiments emblématiques et fonctionnels, la zone spéciale, les villes
nouvelles, etc. Tous ces sujets doivent être revus.
La réforme entamée officiellement en 1986 va avoir des implications près d’une décennie
plus tard, à partir de 1994-1995. La nécessité de restructurer l’administration devient urgente, dans
la foulée de la promulgation de la Constitution de 1991. Tant sur le plan administratif que spatial, il
est nécessaire que la ville en tant qu’entité retrouve ses “ titres de noblesse ”. Des soutiens dans les
stratégies du secteur urbain ont été sollicités par l’Etat laotien à la coopération et aux bailleurs de
fonds internationaux. Le nouveau Plan Urbain est étudié et proposé en 1989. Les organes
techniques et administratifs responsables des affaires urbaines sont créés, mais l’opérationnalité de
ces organes reste limitée. Les critères et les échelles urbaines, ainsi que les acteurs de la ville, etc.,
sont également définis. La zone spéciale, un territoire en marge, incontrôlable et difficile d’accès,
est instituée en 1994. Elle explicite une variante peu commune du mode de gestion territoriale opéré
dans un territoire qui pose problèmes.
Avec la réforme et l’assistance internationale, l’Etat laotien se munit d’une certaine
politique urbaine. Elle permet de réviser la politique de ruralisation de la ville, entreprise au début
de l’investiture du régime, devenue obsolète et posant de multiples problèmes à la gestion urbaine.
Mais durant cette première décennie de réforme, le développement urbain ainsi que les
investissements étant limités, l’approche de la ville en tant que centralité et entité propre se fait
difficilement, après deux décennies de négligence. C’est par les réseaux viaires et les quartiers
péricentres et périurbains que l’on aborde la vitalité de la ville : des constructions nouvelles et
parsemées égrainent dans ces zones, tandis que le tissu urbain et le centre ancien qui ne font pas
encore l’objet d’intervention, revivent lentement par des reprises d’activités.
La réflexion menée dans cette recherche tente d’éclaircir les difficultés de développement
urbain et territorial rencontrées dans la période actuelle, d’interroger les options prises pour
l’aménagement et la mise en place des projets. Ces dernières ont-elles réellement contribué à
redonner à la ville ses fonctions et ses “ titres de noblesse ” comme espace partagé et géré ? Sous les
bannières du développement socioéconomiques, afin d’atteindre les objectifs d’enrayer la pauvreté,
d’urbaniser et de moderniser le Laos, les options actuelles n’ont-elles pas “ oublié ” l’essentiel : la
dimension humaine, la qualité spatiale respectant la mémoire et les identités ainsi que le mode de
vie de ses habitants et l’avenir environnemental pour lesquels elles sont destinées. Le partage et les
négociations entre les acteurs pour des intérêts communs, les consultations entre pouvoirs publics,
population et investisseurs dans la production spatiale et urbaine, ne sont-ils pas les conditions pour
toute transformation spatiale réussite et pour toutes les bonnes gouvernances ? Toute en relevant le
fait que les difficultés sont liées à la période transitoire et aux dispositifs engagés durant cette
période, la stratégie de développement urbain et territorial en cours comporte des problèmes de fond
et de contenus. Elle doit probablement être mise à un niveau de réflexion plus fine, en incorporant
des champs disciplinaires et des connaissances plus larges et plus ciblées à la fois.
Les expériences positives et négatives des années transitoires sont nécessaires. Cependant,
ce qui a été négligé aujourd’hui, telles, la notion de ville comme espace hérité de l’histoire, la
notion de citoyen habitant de la ville, la notion de création, de gestion et de partage des espaces, et
de manière plus large –des territoires et des ressources, de négociation et de gouvernance
participative, etc., devraient probablement être replacées au cœur des préoccupations des décideurs
et des habitants. Dans ce nouveau contexte régional, il semble que c’est en se nourrissant des
expériences du passé, en interrogeant ses propres données endogènes ou endogénisées tout au long
de l’histoire, et en suscitant aussi la notion de participation citoyenne dans les décisions, en gérant
et en négociant les intérêts des acteurs et des bénéficiaires, que le Laos pourrait constituer ses
modèles d’espace et de développement adaptés et durables.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien
dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
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ANNEXEDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien
dans la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 502 -
1. BIBLIOGRAPHIE
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collégiale, rédigée par Phra Maha Thep Luang et par les hauts dignitaires de
Luang Prabang. Datée vers 1503-1504, la chroniques s’arrête au règne de
Vixun et c’est la version la plus utilisée par les auteurs. La 2e
, écrite à
Vientiane s’arrête au règne de Saèn Soulinh et date de ce règne, l’année 1567.
Viravong suggère que Phra Arya Vangso en soit l’auteur. La 3e
, date de 1627
sous le règne de Nôkéo kumman. Le nom de l’auteur n’est pas mentionné. La
4e version serait écrite sous le règne de Say Ông Hué vers 1705-1708. Le nom
de l’auteur n’est pas mentionné. La 5e version serait écrite sous le règne de
Manthathourath vers 1856 par Houaphanh Muang Boun comportant en
annexe une chronologie résumée depuis la fin du règne de Suryavongsa
jusqu’à l’année 1847.
oymko05o[6iq,, 3fprt
,tskgm[s];’ 1503-
1504.
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Luang-Prabang, 1927 (Annales du Laos). L’ouvrage est en Lao avec une
écriture ancienne. Les auteurs et éditeurs, dont les noms ne sont pas
mentionnés, basent leur écrit sur le Nithan Khun Bourom.
rq’lk;tfko csj’ xtgmf
]k; 7n s];’rt
[k’ ;P’9aoF g,Nv’r;o
c]t 9exkladD
Tamnan Meuang Souvannakhomkham, annotation de Rattanavong H. 8eokog,nv’l5;aoot37,7eD
Tamnan Muang P’uon, annoté par Archaimbault Ch. 8eokog,nv’r;oD
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en 2003, dans le cadre des études lancées par la bibliothèque Nationale et le
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mkH;Ij5’mkH;g9nv’
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dqfs,kp[6Iko]k;
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la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 517 -
2. ENQUETES DE TERRAIN ET SOURCES ORALES
Les travaux de terrain comportent trois types : 1- Travail d’observation sur un lieu donné, pour réaliser un relevé
ou pour évaluer, par exemple, la fréquentation d’un lieu, sans interview ni questionnaires. 2- Recueil oral, basé
sur une discussion ou un entretien. 3- Enquête de terrain avec questionnaires. Lorsque les personnes
interviewées l’autorisent, leur nom figure dans la liste. Dans le cas contraire, le sujet d’interview est indiqué
sans le nom. Par contre, sont mentionnés soient leur statut social, leur métier et occupation, soit une simple
mention montrant le lien de pertinence entre le sujet et la personne interrogée.
Thèmes. Identification. Année
01 Camps de rééducation. Chanhsamone Voravong, 71 ans, géographe, ancien
séminariste du camp N°06.
2000
02 Camps de rééducation. Khammay Bouchasinh, ancien séminariste du camps
N°06, colonel de l’armé royale formé à Saint Cyr. 2000
03 Zone libérée Un architecte de l’IRU qui a vécu dans les grottes de
Sam Neua.
2003
04 Zone libérée 1962, Luang
Nam Tha.
Un Lü Kalrom originaire de Luang Nam Tha qui a
quitté la région natale durant la « libération » en
1962 et dont le père, chef de village, a été fusillé par
l’armé de libération.
2007
05 Corridor économique SaSEZ Un des directeurs thaïs du projet SEZA Savannakhet. 2008
06 Déplacement de la population
lü de Botèn, Muang Luang
Nam Tha.
Un groupe de villageois composé des membres du
Front d’Edification National du village lü de Botèn. 2007
07 Parcelles, symbolisme des
parcelles.
Enquête restreinte, testant le choix des parcelles :
leur forme et leur position par rapport à un axe de
voierie.
1999
08 Muang Kao et Vat Phrakéo à
Champassack.
Pothao Pheuang 82 ans, ancien moine de Vat
Phrakéo, Muang Kao.
2007
09 Muang Vieng Phou Kha
Histoire de Souvanna- khomkham
H. Rattanavong, Militaire, anthropologue
autodidacte, ancien Directeur de IRCL ; le
responsable du guide produit par le Bureau du
tourisme de Vieng Phu Kha.
2008
10 Ban Lingsan Le vénérable de Vat Kang, Ban Lingsan. 2003, 2007, 2008.
11 Muang Khoun, bombardement de Xiang
Khouang.
Un fonctionnaire originaire de Xieng Khouang, ingénieur des Pont et Chaussé, faisait partie de la
jeunesse révolutionnaire.
2008
12 Phi muang de Vientiane Le grand chao song (médium) de Vientiane. Gnapo
E-Noy.
2009
13 Pieux lak tham de Ban
Phaylom
Un groupe de personnes âgées composé des
membres du Front d’Edification National du village.
2006
14 Réinstallation récente au Laos
des Lao de la rive droite.
Santi, restaurateur à Savannakhet. 2008
15 Réinstallation au Laos des
Lao de la rive droite, au début
du XXe siècle.
Phomma Sayarath (décédé), d’après la mémoire de
son père et grand-père, famille de notables de Yaso- thone, Khemmalath (Thaïlande).
1999
16 Communauté Tai Dam Maître de cérémonie, notable Tai Dam de Ban
Thongpong.
2009
17 Ubon Rajthani Banyen Na Oubon, professeur d’Université,
écrivain, descendant d’une famille d’aristocrate lao
installée à Oubon (décédé).
2010Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans
la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 518 -
3. ADOPTION DES TERMES ET DES NOM PROPRES
Adoption officielle Prononciation
locale ou usage
courant
Prononciation
Origine
Adoption dans
la thèse
Scribe en lao
Chao Anouvong,
Chao Anu
Chao Anouvong,
Chao Anu
ເຈາອານຸວົງ
Chiang Saèn (Thai) Xieng Saèn (Nord) Xieng Saèn (Lao) Xieng Saèn
Chiang Saèn
-P’clo
Chiangmai (Thai) T’iang mai (Nord) Xieng mai (Lao) Chiangmai -P’ws,j
Chiangraï (Thai) T’iang Hai (Nord) Xieng laï (Lao) Chiangraï -P’Ikp
Fa-Ngoum Fa-Ngoum F’a-Ngoum
Khun Bourom (Lao) Khun Bourom Khun Bourom Khun Bourom 05o[6iq,
Khun Tch’ueng (Lao) Khun Tch’ueng Khun Tch’ueng Khun Tch’ueng 05og9nv’
Muang (Lao) Meueung (Lü) Muang, Meueung (Lao) Muang g,nv’F g,u’
Phothisarat (Lao) Phothisarat Bhodhi Rajya (Sk) Phothisarat 3rmylkikSamsènthaï
(Lao) Samsaènthaï Sam-Saèn-T’aï (Lao) Sam-Saèn-Tai lk,clowm
Sethathirat (Lao) Séthathirat Settha Rajya (Pl-Sk) Sethathirat glf4kmyikSoulignavongsa
(Lao) Sourignavongsa Suryavamsa (Sk) Suryavongsa l5iypt;q’lk
Thaèn F’a Thaèn F’a Thaèn F’a ແຖນຟາ
Lane Xang (Lao) Lane Xang Lane Xang Lane Xang ]kho-kh’
Lan Na (Lao) Lane Na Lane Na Lan Na ]khook
Ayuthia (Thai) Ayuthaya Ayuthia vkp5fmtpk
Sichuan Ban Na (Ch.) Sip Song Phan Na Sip Song Phan Na Sip Song Phan
Na
ly[lv’raook
Lue Lü Lü Lü (invariable) ລ
Lao-Tai Lao Lao Lao, Lao Tai,
Tai Lao
ລາວ, ໃຕລາວ
Lao Theung Kha Kha ຂ້າDispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans
la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 519 -
4. LEXIQUES DES TERMES VERNACULAIRES
Pour les termes ne trouvant pas de correspondance adéquate en français nous les gardons en Lao (L) dans le
texte. Du fait de leur vulgarisation dans un territoire de langue commune ou proche mais dont la prononciation
et l’écriture se diffèrent, il est nécessaire d’adopter une écriture pour les termes vernaculaires gardés dans cette
thèse pour éviter amalgame et contre-sens. Pour les termes d’origine Pali et Sanskrit nous préférons adopter les
étymologies plutôt pali que sanskrit. Par exemple : Dhamma (Pl) au lieu de Dharma (Sk).
Agna Ajna (Sk), Ana (Pl), ordre, autorité, pouvoir étendu.
Ban (L) [kho Village.
Chao khouèng (L) g9Qkc0;’ Gouverneur de province.
Chao muang (L) g9Qkg,nv’ Chef du district, gouverneur ou seigneur d’un muang (ancien).
Chao-khong nakhone
(L+Pl)
g9Qk7v’ot7vo
s];’
Préfet, gouverneur de l’agglomération urbaine englobant les
neuf districts actuels de Vientiane.
Chao-khouèng khamphèng-nakhone
(L, Pl)
g9Qkc0;’de
cr’ot7vo
Préfet, gouverneur de l’agglomération urbaine. Terme utilisé
surtout dans l’ancien régime avant 1975.
Chédi (Pl, Sk) g9fu Cetiya (Pl), ou Caitya (Sk). Monument funéraire, reliquaire.
Dit aussi stupa.
Chitanakane maï
(Pl. Sk+L)
ຈິດຕະນາການໃ* Citta (Pl. Sk), pensée, esprit. Maï (L), nouvelle, nouvelle
pensée.
Dinh Heuâ (L) fuogINv Terre laissée à l’état sauvage, non débroussaillée, inoccupée.
Fay (L) /kp Digue en terre.
Gnouane (L) p;o Peuple d’origine tai vivant essentiellement dans le Lan Na et
dans le Nord-Ouest du Laos.
Hô s=H De manière générale le terme désigne les Chinois.
Historiquement il désigne les pillards chinois qui ont déserté
l’armée impériale à la fin du XIXe siècle et qui ont effectué des
raids dans le Nord du Laos et du Vietnam. Aujourd’hui il
désigne une grande partie des habitants de Phongsaly d’ethnie
hô, de famille sino tibétaine.
Ho luang (Sk+L) 3s s];’ L’astrologue, un des hauts dignitaires conseillers du roi. Vient
de Horasastra (Sk) : l’astrologie et de hora (Sk) : heure,
horoscope. Le latin hora, donnant “ horaire ” en français, vient
probablement de cette origine sanskrite.
Ho ou hông (L) s=F 3i’ Autel des esprits, pavillon, palais.
Hong (L) Ivj’ Canal, drain.
Khmer Peuple austro-asiatique du groupe ethnolinguistique môn- khmer, vivant essentiellement au Cambodge.
Khouèng (L) c0;’ Province.
Khouène ແຄວນ Territoire, région, pays (terme imprécis).
Khoum (L) 75h, Quartier. A l’origine il semble désigner surtout le quartier des
princes. A Champassack le quartier des princes est toujours
appelé Khoun. Il concerne ban Vat Luang, Ban Vat Thong,
etc., d’où le terme nay khoun-nay vang, “ du quartier
princier ”, “ du quartier royal ”, “ de la coure ”.
Kwan d;ko Terme lao désignant généralement un notable. A Xieng
Khouang il désigne surtout un notable qui tenait aussi des
activités commerciales.
Khouane (L) ຂວັນ Âme ໍ່ັ້ , esprit.
Lak muang (L) s]adg,nv’ Pieux, borne de la ville marquant souvent un acte de fondation.
Lak tham (L+Pl) s]adma, Pieux du dhamma, marquant une conversion religieuse d’un
lieu.
Lao (L) ]k; Peuple d’ethnolinguistique lao tai vivant majoritairement dans
le Laos, dans le Nord et le Nord-Est de la Thaïlande. Au
pluriel, sans “s” pour ne pas le confondre avec “Laos” (pays
des Lao) terme francisé depuis la période coloniale.Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans
la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 520 -
Lao Tai Peuple d’ethnolinguistique lao tai, d’après l’adoption officielle
laotienne : Lao Tai ou Lao-Tai au lieu de Tai Lao.
Laotien Population du Laos de nationalité laotienne, étant ou pas
d’ethnie lao tai.
Lü (L) ]Hn Peuple d’ethnolinguistique lao tai vivant dans le Nord du Laos
et dans le Sud de la Chine (le Sip Song Phan Na.)
Luang (L) s];’ 1. Grand. Dans certain cas lorsqu’il est placé devant un nom
propre il peut désigner la ville. Exemple : Luang Namtha,
Luang Prabang. 2. Une personne titrée dans le système
monarchique. Diminutif d’un titre de Phraya placé devant un
prénom avec le préfixe “ Gna ”. Exemple : “ Gna Luang
Sing ”. Sans le terme “ gna ”, il semble que le terme est
seulement utilisé durant la période siamoise, le préfixe “ gna ”
étant seulement utilisé au Laos, dérivant de Ajna (Sk) ou de
Ana (Pl), ordre, autorité, pouvoir.
Meüeng (L) gs,nv’ Ouvrage de gestion des eaux, sous forme de barrage ou de
digue en terre.
Meun (L) s,no 3e rang d’une fonction publique et titre de noblesse équivalent
à 10 000. Il s’emploie aussi pour les poids de riz. Un meun est
équivalent à 12 kilogrammes.
Môn ,vo Peuple Austro-asiatique appartenant au groupe de parler MônKhmer
vivant essentiellement en Birmanie, dans l’Ouest et le
Nord-ouest de la Thaïlande.
Mou ban (L) |j6[kho Groupement de plusieurs villages, plus ou moins distancée.
Moune-seua (Pl.
Sk+L)
Mula (Pl), origine, source. Mulya (Sk), prix, valeur, capital. En
lao il désigne l’héritage, le patrimoine, utilisé dans le régime
de la RDPL pour désigner le patrimoine idéologique qui a
conduit la révolution lao.
Muang (L) g,nv’ Le district. Il peut aussi désigner la ville, le pays, la cité-État,
terme incorporant la notion politique et de gouvernance. Il
caractérise un espace politique et un système de gouvernance
propre aux Lao Tai.
Muang chatava (L+Sk) g,nv’9a88t;k 4e rang dans le système hiérarchique des muang.
Muang ek (L+Sk) g,nv’gvd Capitale, 1e rang dans le système hiérarchique des muang.
Muang Thaèn (L)
Muang Thien (L)
g,nv’c4o Il y aurait deux Muang Thaèn : Muang Thaèn, ou Tian (Dian)
que les Lao appelaient muang theung (muang du haut) situé
dans le Sud-ouest de Khunming et Muang Thaèn ou muang
loum (muang du bas), la capitale du royaume des 12 groupes
tai (Sip Song Tchou Tai) dans la région de Dien Bien Phu et de
Lai Chau. Dien ici serait la corruption de Dian (en chinois) ou
de Thaèn (en Lao).
Muang tho (L+Pl. Sk) g,nv’3m 2e rang dans le système hiérarchique ancien des muang.
Muang tri (L+Pl. Sk) g,nv’8iu 3e rang dans le système hiérarchique ancien des muang.
Naï phong (L) Chef du district, pour les districts dans le Nord du Laos.
D’après Vongkotrattana.
Nakhone (Pl. Sk) ot7vo Nagara, ville.
Pathesarat (Sk) xtgmfltik- Unité territoriale et administrative vassale, ou royaume ou
chefferie vassale. De Padesa (Sk), région, pays + Rajya (Sk),
en rapport avec le pouvoir royal. Padesaraj : un royaume
appartenant au pouvoir royal.
Phaï (L) wrJ Roturier, personne non noble, personne du peuple, citoyen.
Phi (L) zu Esprit, génie (L). Les monarques lao portent souvent le préfixe
phi devant leur nom, insistant sur leur personnalité sacrée, leur
immatérialité, dépassant leur existence humaine et considérant
comme des esprits. Khun Phi F’a le père de F’a-Ngoum est
ainsi nommé.
Phi f’a, Phi thaèn (L) Esprit des ancêtres tai de Muang thaèn devenu esprit
protecteur et faisant l’objet de vénération et de culte, en Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans
la recomposition de la ville d’aujourd’hui.
- 521 -
particulier chez les Lao, les Lü et les Tai dam.
Phong (L) zQ’ D’après Vongkotrattana, village reculé dans la forêt, dans la
montagne, dont les habitants ou les chefs ne seraient pas lao tai
Phou, Phu (L) r6 Mont, montagne.
Phouane (L) r;o Peuple d’origine tai, sous groupe lao, vivant essentiellement au
Laos, en particulier à Xiang Khouang et déplacé au Nord-Est
de la Thaïlande à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle.
Phraya ou Phragna ritpk 1e rang d’une fonction publique équivalent au titre de ministre,
également un titre de noblesse.
Phya grap 4e rang d’une fonction publique, également un titre de noblesse
Pô ban, naï ban, kwan
ban (L)
r+[hkoF
okp[hkoF
d;o[hko
Chef de village, père du village. Kwan utilisé par les Phouans
désigne aussi une personne honorable qui fait du commerce.
Saèn (L) clo 2e rang d’une fonction publique, titre de noblesse, correspond à
cent mille.
Sān (L) -ko Terrasse non couverte dans la partie arrière de la maison lao.
Shan lko Peuple d’origine tai vivant essentiellement en Birmanie.
Sim (Pl) ly, Sanctuaire, édifice central d’un monastère bouddhique.
Sya (L) g-aP Terrasse couverte, espace de vie et de réception située dans la
partie avant de la maison lao.
Tai (L) w8 Peuple de parler tai vivant particulièrement dans la péninsule
indochinoise, auquel les Lao appartiennent. Terme invariable.
Tai dam, Tai dèng,
Tai Khao. (L)
w8feF w8cf’F
w80k;F
Peuple d’origine tai vivant essentiellement dans le Nord et
Nord-est du Laos, dans le Nord du Vietnam, la région du Sip
Song Chou Tai, ou Muang Thaèn du Bas.
Takong (L) 8k7v’ Canal.
Tassèng (L) 8kcl’ Un échelon administratif et territorial au-dessus du ban et en
dessous du muang, équivalent au canton. A Muang Sing il
désigne aussi un îlot à l’intérieur d’un xieng.
Thaèn (L) c4o Le ciel, le haut. Il désigne aussi l’esprit puissant considéré
comme ancêtre des Tai.
Thaèn f’a (L) c4o2hk Esprits gouvernant Muang Thaèn, esprit protecteur des Tai.
Monarque de Muang Thaèn et ancêtre de F’a-Ngoum.
Thahan lat (L) mtsko]kf Troupe armée constituée par levée d’arme auprès du peuple.
Thahan luang (L) mtskos];’ Troupe armée de métier, soldat appartenant à la troupe royale.
Thaï, Siamois (L) .mF ltspk, Peuple d’origine tai vivant dans la région de l’ancien
Sukhothaï et de l’ancien Ayuthia.
Tham (L) ma, D’après Viravong S., une écriture ancienne empruntée à
l’écriture indienne du Sud, le pali, utilisé au Laos pour
transcrire les textes bouddhiques et son enseignement.
That (Pl) mkf Stupa, relique ; de dhatu (Sk), élément naturel fondamental.
Thèï, Thaèn-Thèï, (L) .4hF c4o.4hD Esprit, esprit vénéré à Muang Thaèn,
Tiao (L), chao. (L) g9Qk Noble, ou, appartenant à l’aristocratie. Terme placé devant le
nom d’un aristocrate. L’autographe tiao s’applique dans le
Nord, dans le Sud on l’écrit Chao.
Vat (Pl. Sk) ;af Vatta (Pl), Vrata (Sk), pratique, habitude, observance
religieuse, aujourd’hui il désigne monastère, pagode, temple.
Vieng (L) ;P’ Cité, citadelle, ville avec fortification : sous forme de rempart
ou de digue ou de palissade ou de palanque. Le terme couvre
la notion spatiale plus que symbolique ou administrative.
Xieng (L) -P’ Selon la tradition lü, une unité spatiale à l’intérieur d’un vieng.
A Muang Sing il représente le quart de la citadelle. Il désigne
couramment chez les Lao la ville, la cité.
Yuan (Ch) 1;o Dynastie mongole dominant la Chine du XIIe du XIIIe
S..
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 522 -
5. ACRONYMES ET SIGLES
ACMECS Stratégie de coopération économique Ayeyawady-Chao Praya-Mékong.
AdP Atelier du Patrimoine de Vientiane (installé à l’IRU entre 1999 et 2004)
AFD Agence Française de Développement
AFTA ASEAN Free Trade Area
AN Assemblée Nationale
ANASE Association des Nations de l’Asie de Sud-Est
APEC Communauté Economique de l’Asie Pacifique
ASEM Asie Europe Meeting
AUPM Advance Urban Planning and Management
BAD Banque Asiatique de Développement
BCEOM Bureau Central pour les Etudes et équipements d’Outre-Mer
BDPA Bureau pour le Développement de la Production Agricole
BEFEO Bulletin de l’Ecole Française d’Extrême-Orient
BM Banque Mondiale
BSEI Bulletin de la Société d’Etudes Indochinoises
CAOM Centre des Archives d’Outre-mer
CAS Country Assistance Strategy
CBTS Convention pour le trafic transfrontalier
CCL Comité de Coopération avec le Laos
CCP Comité Central du Parti
CEEO Corridor Economique Est-Ouest, version francophone de EWEC.
CIRAD Centre International de Recherche Agronomique pour le Développement
CLP Comité Local du Patrimoine
CNGPCHE Comité National de Gestion du Patrimoine Culturel, Historique et Environnemental en RDPL
CNRS Centre National de Recherches Scientifiques
DANIDA Danish International Development Assistance
DCTPC Département des Communications, Transports, Postes, Constructions.
DHU Direction de l’Habitat et de l’Urbanisme
DIDM Développement de l’Irrigation Décentralisée
DMA Département des Musées et de l’Archéologie
DPA Département du Patrimoine et de l’Archéologie (remplaçant le DMA)
DTTP Département des Travaux Publics et des Transports (remplaçant le DCTPC).
EC Ere Chrétien.
EDL Electricité du Laos
EFEO Ecole Française d’Extrême-Orient
ENAG Ecole Nationale d’Administration et de Gestion (ancien nom de ONEPA)
ESBA Ecole Supérieure de Bâtiment et d’Architecture, anciennement la Faculté d’architecture.
EWEC East-West Economic Corridor, version anglophone de CEEO.
FEN ou NH Front d’Edification National ou NH (Néo Hom)
FENU Fond d’Equipement des Nations Unies
FSD Fond de Solidarité pour le Développement (anciennement FSP)
FSP Fond de Solidarité Prioritaire
GGI Gouverneur Général de l’Indochine (Fonds d’archive du CAOM)
IDA International Development Agency (Banque Mondiale)
IETU Institut des Etudes Techniques et Urbaines
IGE Institut Géographique d’Etat
IRCL Institut de Recherche sur la Culture Lao
IRD Institut de Recherche pour le Développement
IRDA Institut Royal d’Administration (ancien nom de l’ONEPA)
IRU Institut de Recherche en Urbanisme (remplaçant IETU)
ITTP Institut des Transports et des Travaux Publics (remplaçant l’IRU)
JICA Japan International Cooperation Agency
MAE Ministère des Affaires Etrangères (français)
MC Mekong Commission.
MCC Ministère de la Culture et de la Communication (française)
MCTPC Ministère des Communications, Transports, Postes et Constructions.
MIC Ministère de l’Information et de la Culture (lao)
MRC Mékong River Committee (Appellation plus ancienne).
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 523 -
MTPT Ministère des Travaux Publics et des Transports (remplaçant MCTPC).
NGPES Nation Growth and Poverty Eradication Strategy. Stratégie Nationale pour la Croissance et
l’Eradication de la Pauvreté.
NH Néo Hom
NLHS Néo Lao Hak Sat
NLI Néo Lao Issara
NLSS Néo Lao Sang Sat (remplaçant le NLHS)
NME NEM Nouvelle Mécanique Economique, New Economic Mecanic
NORAD Norwegian Agency for Development
NORAO Nouvelles Organisations Régionales en Asie Orientale
NPL Nam PAPA Lao
NSEDP National Socio Economic Development Programme
NT2 Nam Theun 2
NTPC Nam Theun Power Committee
OMC Organisation Mondiale du Commerce
ONEPA Organisation Nationale des Etudes Politiques et Administratives.
ONG Organisation Non Gouvernemental
P-VT Préfet de Vientiane
PCI Parti Communiste Indochinois
PCV Parti Communiste Vietnamienne
PM Premier ministre
PMA Pays les Moins Avancés
PNUD,
UNDP Programme des Nations Unies pour le Développement
POS Plan d’Occupation des Sols
PPPV Plan de Protection du Patrimoine de Vientiane (proposition de l’Atelier du Patrimoine-IRU)
PPL Parti du Peuple Lao
PPRL Parti du Peuple Révolutionnaire Lao
PRSC Poverty Reduction Support Credit
PSMV Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur du Patrimoine
RDPL République Démocratique Populaire Lao
RGM Région du Grand Mékong, version française de GMS.
GMS Great Mekong Subregion, version anglophone de RGM.
SaSEZ Savanh-SENO Special Economic Zone.
SCOT Schéma de Cohérence Territorial
SDAU Schéma Directeur et d’Aménagement Urbain
SENO Sud-Est/Nord-Ouest (Point de coordination stratégique créé par l’administration coloniale)
SEZA Savan-SENO Special Economic Zone Authority (Autorité administrative)
SIDA Swedish International Development Agency
STUDP Secondary Towns Urban Development Project
UBL Union Bouddhique Lao
UDAAs Autorité Administrative pour le Développement Urbain des villes secondaires
UDMC Urban Development and Management Committee (for secondary town)
UNCDF United Nations Center for Development Fond
UNCHS United Nation Center for Human Settlements
UNESCO United Nations for Educations Sciences and Cultures Organization
UNL Université Nationale du Laos
UNVs Volontaires des Nations Unies
VIUDP Vientiane Integrated Urban Development Project
VUDAA Autorité Administrative pour le Développement Urbain de Vientiane
VUDMC Vientiane Urban Development and Management Committee
VUISP Vientiane Urban Infrastructure and Service Project
ZPPAUP Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager.
JSS Journal of the Siam Society.
NIAS Nordic Institute of Asian Studies.
CEGET Centre d’Etude de Géographie Tropicale (Domaine universitaire de Bordeaux)
CDRASEMI Centre de Documentation et de Recherche sur l’Asie du Sud-Est et le Monde Insulindien.
DAFI Société de Développement Agricole, Forestier et Industriel.
BPKP Borisat Phathana Khet Poudoï (société de développement des zones montagneuses)
OLREC Organisation Lao pour la Réconciliation et le Concorde National.
NORAO Nouvelles organisations régionales en Asie orientale (groupe des éditions scientifiques).
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 524 -
6. LISTE DES ILLUSTRATIONS
Introduction et 1ère Partie.
Figures.
Fig. 1. Carte du Laos. 5
Fig. 2. Planche montrant les principaux types de
parcellaires. 37
Fig. 3. Type de transformation parcellaire et du bâti. 39
Fig. 4. Parcelles appropriées et non appropriées 40
Fig. 5. Zones humides de Nong Douang 41
Fig. 6. Carte montrant l’avancement de la zone NLHX. 43
Fig. 7. Les quatre villes secondaires. 45
Fig. 8. Quelques images des villes frontalières 47
Fig. 9. Les Corridors Economiques. 50
Fig. 10. Master Plan de SAZE. 55
Fig. 11. La région du Haut Mékong et son réseau. 57
Fig. 12. Monument consacrant le pilier de Simuang. 89
Fig. 13. Les monastères à Luang Prabang 93
Fig. 14. Les monastère à Vientiane 93
Fig. 15. Ban Na Kheuane en 2006. 95
Fig. 16. Le site du futur Jardin Sethathirat. 97
Fig. 17. Le concept du Jardin Sethathirat. 104
Fig. 18. Le fardin de Houa Muang et le Jardin Sri Savang
Vong à Simuang. 105
Fig. 19. Le parc de Chao Anouvong et le Jardin Chao
F’a-Ngoum. 105
Fig. 20. L’Avenue Lane Xang-le Patouxay. 105
Fig. 21. Les Stupa de Oudomxay et de Luang Namtha. 108
Fig. 22. Le Monument de la ville de Sam Neua 109
Fig. 23. Les travaux sur les berges du mékong. 117
Fig. 24. Plan Directeur de Vientiane. 2002 IRU. 132
Fig. 25. Plan infrastructure, Schéma Directeur de
Vientiane. 2008 JICA. 138
Fig. 26. Fronts de rue, quartiers centre de Vientiane. 137
Fig. 27. L’architecture officielle. 162
Fig. 28. Des sièges de société nouvellement installés. 163
Tables.
Tab. 1. Listes des inventaires. 87
Tab. 2. Durée des beaux et des concessions. 125
Tab. 3. Taxe des beaux fonciers. 126
Tab. 4. Les ressources du VUDAA.142
Tab. 5. Les dépenses du VUDAA. 142
Tab. 6. Questionnaires d’évaluation de famille
modèle. 157
2ème partie.
Figures
Fig. 29. That Inheng, Savannakhet. 182
Fig. 30. Site Pré-Angkorien de Vat Phu. 183
Fig. 31. Le site de Dan Soung. 185
Fig. 32. Le site de Vang Sang. 185
Fig. 33. Le schéma symbolique de Luang Prabang. 186
Fig. 34. Schéma de l’articulation de That Luang par
rapport à Vientiane. Scénario d’accès local et régional du
grand that. 204
Fig. 35. Le village de Ban That à That Inheng. 209
Fig. 36. Schéma hypothétique de l’accès de Vientiane au
XVIIe siècle. 229
Fig. 37. Deux constructions de la même époque : Vat Sri
Sissaket ; Vat Sèngket. 231
Fig. 38. Le fort de Boun Taï. 240
Fig. 39. Le village de Boun Taï. 240
Fig. 40. Ruine d’un bâtiment colonial faisant partie du
site du fort de Muang Khoune. 240
Fig. 41. Phongsaly au début du XXe siècle. 241.
Fig. 42. Rue empierrée, village hô et phou noy à
Phongsaly. 241
Fig. 43. Le fort de Phongsaly au début du XXe siècle. 241
Fig. 44. Les différentes représentations des forts français,
autour de 1910, 1920. 242
Fig. 45. Vue de Oudomxay depuis le site de l’ancien fort
français. 243
Fig. 46. Plan parcellaire, de la ville de Vientiane, en 4
feuilles, 1912, échelle 1/2000e. Le géomètre Guillini. 244
Fig. 47. Plan de la ville de Vientiane, 1931, état existant
état projeté, échelle 1/2000e, Mariage. 244
Fig. 48. La typologie architecturale la plus représentative
de l’architecture coloniale. 244
Fig. 49. La ville de Savannakhet, état actuel. 245
Fig. 50. La ville de Paksé, état actuel. 245
Tabless.
Tab. 7. Liste non exhaustive des monuments
construits par Sethathirat au XVIe
s. 200
Tab. 8. Les produits exportés du Lane Xang au
milieu du XVIIe
s. 214
Tab. 9. Les produits imposés aux Lao du Lane
Xang comme taxe de capitation au XIXe
s. 214.
Tab. 10. Liste non exhaustive des muang du Laos
occidental à la fin du XIXe
s. 222
Tab. 11. Population de Vientiane, fin XIXe
s. 225
Tab. 12. L’organigramme de l’administration
locale pour le statut de colonie. 232
Tab. 13. L’organigramme de l’administration
locale pour le statut du protectorat. 233
Tab. 14. Classement des fonctions administratives
et du personnel administratif indigène. 233
Tab. 15. Liste comparative des programmes de
constructions lao et coloniales (avec des exemples
ds programmes de constructions des équipements
hospitaliers coloniaux). 257
Tab. 16. Liste non exhaustive des stèles et des
bornes les plus significatives évoquant les
fondations. 316
Tab. 17. Quelques chiffres montrant l’un des
aspects du sous-développement du Laos à la fin
des années 1960. 367
Tab. 18. Répartition des investissements
industriels 1966-1972. 367
Tab. 19. Investissements industriels tous secteurs. 368
Tab. 20. La population et sa densité dans les
villes les plus importantes du Laos, entre 1966 et
1968. 371
Tab. 21. La population active travaillant dans .
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 525 -
Fig. 51. Projet d’extension et de connexion de la ville de
Vientiane par rapport à sa région. 247
Fig. 52. Le plan cadastre de Vientiane, 1964. 248
Fig. 53. Marché de Nam Phou à Vientiane, 1930. 254
Fig. 54. Village types entourés de rizières. 267
Fig. 55. Monuments en ruine de Muang Khoun. 282
Fig. 56. Le sô f’a d’un sanctuaire. 288
Fig. 57. Les deux stupas de Xieng Khouang. 292
Fig. 58. Plan de représentation de Muang Khoun Xieng
khouang. 292
Fig. 59 Situation politique et géographique de Muang
Sing dans le Haut Mékong vers 1885. 293
Fig. 60. Schéma d’occupation de Muang Sing, 1996. 293
Fig. 61. Plan de Muang Sing. Traduction en français
d’après un plan siamois dressé vers 1889-1890. 294
Fig. 62. Schéma de hiérarchisation spatiale et symbolique
de Muang Sing. 295
Fig. 63. Un lak ban lü à Bountaï. 295
Fig. 64. Relevés de la fortification de Vieng Phu Kha. 299
Fig. 65. La ville de Chiang Saèn Thaïlandaise (rive
droite), état actuel. 301
Fig. 66. Reliefs de la région de BokéoTonh-pheung. 301
Fig. 67. Plan de Chiangmai. 302
Fig. 68. Site archéologique de l’ancien Souvanna- khomkham, d’après les relevés de H.Rattanavong. 302
Fig. 69. Situation de Souvanna-khomkham, en rapport
avec Chiang Saèn Thaïlandaise et Muang Tonhpheung lao
actuel, devenu chef-lieu du district. 302
Fig. 70. Vestiges archéologiques de Chiang Saèn
Thaïlandaise (rive droite), état actuel. 303
Fig. 71. Plan de Wien Kum Kam. 305
Fig. 72. Plan de Vientiane. 305
Fig. 73. Schéma d’occupation de Vientiane. 305
Fig. 74 Plan de Viengkham. 309
Fig. 75. Quartier de That Phranom. 310
Fig. 76. Plan de Khorat à la fin du XIXe siècle. 311
Fig. 77. Plan Khorat, état actuel. 311
Fig. 78. Muang Kao état actuel. 313
Fig. 79. Un autel des esprits. 324
Fig. 80. Un autel rituel phi f’a a Ban Khounta-tha. 331
Fig. 81. Le pieux lak tham. 333
Fig. 82. Plan-masse d’un village Tariang, Dak Seng. 346
Fig. 83. Plan-masse, Ban Donoune, Vientiane, 1972. 346
Fig. 84. Plan-masse de Ban Dak Mouan, en 2003. 347
Fig. 85. Illustrations murales de la bibliothèque de Vat
Xieng Thong à Luang Prabang : Syaosavat. 349
Fig. 86. Bâtiment administratif de Viengxay. 362
Fig. 87. Le jardin de la résidence du Prince
Souphanouvong. 362
Fig. 88. Habitations, immeubles urbains des années 1960
à Vientiane, mais aussi des habitats précaires. 379
Fig. 89. Autres équipements des années 1960 dans le
centre de Vientiane : Banque, Piscine, hotels. 379
Fig. 90. Equipement des années 1950. 379
Fig. 91. L’Hôpital Mahosot (bâtiment des années 1960,
dans un campus de la période coloniale). 379
Fig. 92. L’immeuble de logement des professeurs du lycée
de Vientiane, construit à la fin des années 1950. 380
Fig. 93. Autres immeubles des années 1960, dans le
quartier centre de Vientiane. 380
Fig. 94. Les Cinéma Vieng Samaï et Sèng Lao. 406
Fig. 95. La place Nam Phou. 407
l’administration. Année 1958. Sources :
Condominas et Halpern. 372
Tab. 22. Population urbaine. Fin 1950 et en 1968.
(Source : Statistiques. 372)
Tab. 23. Population active répartie sur trois
secteurs à Thakkek, Paksé, Savannakhet. (d’après
Halpern, 1959). 373
3ème partie et conclusion
Figures
Fig. 96. Le cinéma « fanthome » de Savannakhet. 422
Fig. 97. Panneau de propagande et de sensibilisation,
années 1970-1980. 423
Fig. 98. Souphanouvong, à la présentation de la
fabrication de l’emblême nationale.
Fig. 99. Le buste de Kaysone Phomvihane. 428
Fig. 100. Carte, montrant la progression de l’élaboration
des plans urbains. 481
Tables.
Dispositifs spatiaux et évolutions des villes lao. Persistance des pratiques et permanence des formes. La place du centre historique et de l’habitat ancien dans la
recomposition de la ville d’aujourd’hui
- 526 -
7. ELEMENTS CHRONOLOGIQUES DE L’HISTOIRE POLITIQUE
DU LAOS
Déclin et Siamisation du Lane Xang, 1707-1828.
1707 ■Première scission du Lane Xang en deux royaumes : sécession de Luang Prabang.
1713 ■Deuxième scission du Lane Xang : sécession de Champassak et création de la famille royale de
Champassak. Soysisamouth Phouthalangkhoune 1er roi lao de Champassak.
1723 ■Usurpation du pouvoir à Luang Prabang par Inthasom, le roi se réfugie à Chiangmai
1774 ■Révolte et conflit à Thakkek déstabilisant le Royaume de Vientiane.
1766- 1768 ■Phravô et Phrata se révoltent contre le roi de Vientiane et se réfugient à Champassak.
1767 ■Destruction d’Ayuthia par les Birmans.
1768- 1782 ■Restructuration et reconstruction du Siam par Tarksin.
1771 ■Usurpation du pouvoir à Luang Prabang par Suryavong au détriment de son frère Sothika avec
l’aide des Birmans stationnés à Chiangmai.
1772 ■Luang Prabang attaque Vientiane, les Birmans interviennent et soumettent les deux parties.
1777 ■Phravô quitte Champassak, demande protection au Siam. Il est exécuté par les troupes de
Vientiane. Le reste des scissionnistes demande l’intervention de l’armée siamoise.
1778- 1779 ■Le Siam attaque le Laos par les provinces Sud : Champassak, Moukdahan, Nakhone Phranom,
Nong Khaï, Viengkuk, jusqu’aux portes Sud de Vientiane. Luang Prabang l’attaque par le Nord.
La Ville résiste puis tombe aux mains siamoises en octobre 1779. Les membres de la famille royale
et une partie de la population sont amenés au Siam. Vientiane est pillée et Luang Prabang qui est
venue prêter main forte aux Siamois pour soumettre Vientiane est également soumis.
1783 ■Le Cambodge dont la capitale est à Oudong est occupé par le Siam.
1788 ■Xiang Khouang qui était tributaire de Daï Viet devient aussi tributaire de Vientiane.
1791 ■Révoltes à Champassak. Installation de la capitale du royaume de Champassak à Muang Kao
Keung en face de la ville de Paksé actuel.
1792 ■Luang Prabang est accusé de conspiration avec les Birmans contre le Siam, son roi est traduit en
procès à Thonboury pendant quatre ans ■Les Chao F’a de Xieng Hung tentent de se révolter contre
l’autorité siamoise.
1793 ■Le Siam place sur le trône du Cambodge un Prince khmer, Phra Naraï Ramathibodi, et partage
son territoire en deux : Batambong, Siem Reap et Sisophonh sont appelés le Cambodge intérieur et
sont placés sous la garde d’un gouverneur siamois pour être rattachés directement à Thonboury. Le
reste appelé le Cambodge extérieur est placé sous le règne de son roi et indirectement soumis à
Thonboury. Ceci jusqu’à le protectorat français en 1863. Le Cambodge intérieur ne redevient
Cambodgien, sous protectorat français, qu’en 1906 en échange de Muang Dan say Lao que la
France cède au Siam.