La flambée des prix de l’énergie : un effet sur l’inflation réduit de moitié par le "bouclier tarifaire"

La flambée des prix de l’énergie : un effet sur l’inflation réduit de moitié par le "bouclier tarifaire"

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Entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, la hausse des prix de l’énergie (gaz, électricité et produits pétroliers) a contribué à 3,1 points d’inflation sur un total de 5,3 %. Les deux tiers de cet effet reflètent le renchérissement de l’énergie consommée par les ménages eux-mêmes pour se déplacer et se chauffer. Le tiers restant provient des répercussions, dans les prix des autres produits, des hausses de coût de l’énergie pour les entreprises. Les mesures de « bouclier tarifaire » ont abaissé ces effets de moitié ; en l’absence de bouclier, l’inflation entre les deuxièmes trimestres de 2021 et 2022 aurait été 3,1 points plus élevée. Parce que la part des dépenses de transport et de logement est un peu plus élevée dans leur panier de consommation, les ménages avec les revenus les plus bas subissent plus fortement la hausse des prix de l’énergie. Les mesures de bouclier atténuent cependant particulièrement l’inflation pour les ménages les plus modestes et les plus âgés. Depuis le milieu de l’année 2021, l’énergie s’est considérablement renchérie. Ainsi entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, le prix spot moyen du baril du Brent est passé de 69 euros à 112 euros (soit + 63 %), avec un pic à 123 euros au mois de juin 2022, et le prix du gaz est passé de 25 euros/MWh à 97 euros/MWh (+ 290 %, avec un pic à 130 euros en mars 2022). Les tensions sur les marchés mondiaux sont apparues dans le sillage de la reprise après la récession due à l’épidémie de Covid-19 et ont été amplifiées par la guerre en Ukraine à partir du début de l’année 2022. La hausse des prix de l’énergie exerce un double effet sur l’inflation, l’un direct, l’autre transitant par le système productif. De façon directe, les produits énergétiques, c’est-à-dire gaz, électricité et produits pétroliers, représentent un poste de dépense important pour les ménages français, avec 8,9 % de leurs dépenses de consommation. La hausse de ces prix pèse donc directement sur le pouvoir d’achat des ménages. Le renchérissement de l’énergie augmente également les coûts des entreprises, qui répercutent, au moins en partie, ces hausses sur leurs propres prix de vente. Ces ventes peuvent être destinées aux ménages ou à d’autres entreprises, mais dans ce dernier cas, les hausses de coût continuent de se transmettre en aval de la chaîne de valeur et finissent par affecter également le pouvoir d’achat des ménages figure 1. La flambée des prix de l’énergie : un effet sur l’inflation réduit de moitié par le « bouclier tarifaire » Cette étude distingue les conséquences sur l’inflation totale de l’effet direct du renchérissement de l’énergie sur la consommation des ménages et de l’effet indirect transitant par la production. Elle les évalue conjointement dans un cadre comptable cohérent, qui utilise l’information à un niveau fin sur les consommations intermédiaires incorporées dans chaque produit à toutes les étapes de sa fabrication et de sa commercialisation. Elle évalue aussi le rôle protecteur des mesures de bouclier tarifaire et de remise à la pompe prises par les pouvoirs publics, et décrit d’éventuelles différences entre catégories de ménages. En France, le bouclier tarifaire contient nettement la hausse des prix de l’énergie La consommation finale d’énergie française (1 778 TWh en 2021) se compose principalement de produits pétroliers raffinés (42 % du total), d’électricité (24 %), de gaz naturel (20 %) et d’énergies renouvelables thermiques (11 %). Les produits pétroliers bruts et le gaz sont importés en quasi totalité, ce qui rend les coûts d’approvisionnement très dépendants des fluctuations des prix des marchés internationaux. Le prix de l’électricité payé par les consommateurs dépend des variations du prix européen de l’électricité, du fait de l’intégration des marchés de l’électricité à l’échelle de l’Europe. Les augmentations de prix d’approvisionnement ne sont pas répercutées de façon proportionnelle sur les prix de l’énergie en France. En effet, les prix payés par les utilisateurs d’énergie prennent en compte les coûts de fourniture, d’acheminement, et d’éventuelle transformation comme pour le raffinement du pétrole brut, ainsi que les taxes. Par exemple, le prix de l’électricité toutes taxes comprises pour les ménages est constitué à 36 % de coûts de fourniture en 2019 (prix de gros et de commercialisation). En outre, l’accès à l’électricité et au gaz est gouverné par des contrats entre les fournisseurs et leurs clients, qui spécifient notamment comment les tarifs reflètent les évolutions des marchés de gros. De plus, afin de diminuer les conséquences sur l’économie française des hausses de prix de l’énergie sur les marchés de gros, l’État a mis en place plusieurs mesures dites de « bouclier » sur les tarifs de l’énergie, en particulier les tarifs réglementés. La première mesure de bouclier tarifaire est le gel des tarifs réglementés du gaz à leur niveau d’octobre 2021. En règle générale, ces tarifs réglementés sont actualisés mensuellement. Ce gel a évité une hausse de 47 % des tarifs réglementés entre octobre 2021 et juin 2022, qui aurait sans cela pu être opérée conformément aux recommandations de la Commission Insee Analyses • n° 75 • Septembre 2022 Insee Analyses   l n° 75    l Septembre 2022 de régulation de l’énergie (CRE). La seconde consiste en un plafonnement de l’augmentation des tarifs réglementés de vente de l’électricité lors de la révision de ces derniers, au 1er février 2022. Ces tarifs, qui sont actualisés deux fois par an, n’ont ainsi été augmentés que de 4 % TTC entre août 2021 et février 2022, et ont été stabilisés depuis. Ceci se compare à une hausse de 35,4 % TTC, hausse préconisée par la CRE en suivant la formule usuelle. Les tarifs réglementés ne concernent qu’une partie des utilisateurs, qu’il s’agisse des ménages et plus encore des entreprises, dont la majorité ont des contrats dits en offre de marché. Cependant, les prix des contrats en offre de marché s’adressant aux ménages suivent en général de près les tarifs réglementés. Pour les entreprises, l’information n’étant pas encore disponible, les prix des contrats en offre de marché sont supposés évoluer globalement de manière similaire à ceux destinés aux ménages. Cette hypothèse est très forte, car les boucliers tarifaires visent explicitement les ménages, et les prix pour les entreprises sont en général plus volatils que ceux pour les ménages. Cependant, les entreprises bénéficient aussi de dispositifs d’aides spécifiques, en particulier celles utilisant intensivement de l’énergie. Il reste que l’hypothèse adoptée conduit probablement à sous-estimer la hausse des prix de l’énergie pour les entreprises, et donc l’effet indirect sur l’inflation, et à surestimer l’effet protecteur du bouclier pour les entreprises méthodes. L’énergie issue de produits pétroliers relève pour beaucoup de l’utilisation de carburants. Les carburants sont vendus à la pompe, avec une actualisation quotidienne des prix. Depuis le 1er avril 2022 est entrée en vigueur une mesure de bouclier sous la forme d’une remise à la pompe de 15 centimes d’euro hors taxes. Cette mesure a limité l’augmentation du prix à la pompe entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022 à 34 %, au lieu de 46 % figure 2. Entre les deuxièmes trimestres 2021 et 2022, en cumulant le renchérissement de l’électricité, du gaz et des produits pétroliers, les prix de l’énergie augmentent ainsi de 28 % pour les ménages ; cette hausse aurait été deux fois plus élevée sans mesure de bouclier (+ 54 %). Pour les entreprises, qui dépendent plus que les ménages de l’électricité, l’énergie se renchérit de 20 %, contre 50 % sans bouclier. La hausse des prix de l’énergie contribue à l’inflation à hauteur de 3,1 points malgré le bouclier tarifaire Pour leurs transports et leur logement, les ménages consomment des produits énergétiques dont la hausse des prix se répercute directement sur le montant de leurs dépenses. L’effet direct sur l’inflation est la hausse de l’indice des prix à la consommation qui découle de la hausse, avec ou sans bouclier, des prix de l’électricité, du gaz et des produits pétroliers, les poids de ces produits dans cet indice de prix étant fixés méthodes. Entre les deuxièmes trimestres 2021 et 2022, le bouclier permet d’atténuer de moitié la hausse des prix directement liée au renchérissement de l’énergie, la faisant passer de 4,0 points à 2,1 points figure 3. Les dépenses des ménages sont aussi indirectement affectées, car le renchérissement des produits énergétiques se diffuse sur les prix de l’ensemble des produits à travers le réseau de production, chaque branche étant supposée répercuter intégralement le renchérissement de ses intrants sur ses prix de production. L’effet indirect sur les prix d’acquisition des ménages additionne ainsi les prix dits « sortie d’usine », ou prix de base, les marges de commerce et de transport, et les taxes nettes de subventions méthodes. L’effet indirect de la hausse des prix de l’énergie est de 1,0 point, mais aurait atteint 2,2 points sans les mesures de bouclier : le bouclier énergétique atténue donc cet effet indirect pour plus de la moitié. Toujours entre les deuxièmes trimestres 2021 et 2022, l’effet total, direct et indirect, de la 1 2 3 4 Flambée des prix de l'énergie Répercussions sur la dépense de consommation des ménages Transmission inter-entreprises par répercussion des coûts des intrants sur les prix de vente Augmentation des prix de vente des biens de consommation Lecture : la flambée des prix de l’énergie augmente directement le prix des biens et services consommés par les ménages comme le carburant ou le chauffage ; elle augmente également les coûts des intrants des entreprises (étape 1). Les entreprises répercutent la hausse sur leurs prix de vente, ce qui représente une hausse de coûts supplémentaires pour les entreprises, et ainsi de suite (étape 2). En définitive, l’ensemble du panier de consommation des ménages devient plus cher (étape 3), avec un effet différencié selon la catégorie de ménages (étape 4). 1. Schéma simplifié de la transmission du renchérissement de l’énergie dans l’économie 2. Hausse des prix de l’énergie pour les ménages et les entreprises en % Avec bouclier Sans bouclier Ménages Entreprises Ménages Entreprises Produits pétroliers, dont : 39,5 39,5 49,7 49,7 carburant à la pompe 33,8 33,8 46,4 46,4 Gaz 37,6 35,3 105,0 98,4 Électricité 4,7 5,1 36,9 38,6 Effet moyen 28,5 20,3 54,2 50,3 Notes : les produits pétroliers comprennent le carburant à la pompe, le fioul et les gaz liquéfiés. L’effet moyen est l’augmentation moyenne des prix de l’énergie, pondérée par le poids de ces produits dans la consommation (ménages) et dans les consommations intermédiaires (entreprises). Lecture : entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, le prix du gaz pour les ménages a augmenté de 37,6 %. Il aurait augmenté de 105,0 % si le bouclier tarifaire n’avait pas été mis en place. Sources : Commission de régulation de l’énergie ; ministère de la Transition Écologique ; Commodity Research Bureau ; Insee, calculs Insee. Insee Analyses   l n° 75    l Septembre 2022 hausse des prix de l’énergie sur l’inflation correspond à une augmentation de 3,1 points, qui aurait été de 6,2 points sans la mise en place des mesures de bouclier. Le choc sur les prix des produits pétroliers contribuerait à hauteur de 2,2 points, devant le gaz (0,7 point) et l’électricité (0,2 point). Sur cette période, marquée également par le renchérissement de certaines matières premières agricoles et certains métaux, l’inflation est mesurée à 5,3 % : le renchérissement de l’énergie en expliquerait ainsi les trois cinquièmes, dont un tiers transitant par les consommations intermédiaires des entreprises. En l’absence des mesures de bouclier énergétique, l’inflation aurait été de 8,4 %. Le poste de dépense le plus affecté par cette hausse est le transport, dont le prix est relevé de 10,7 % contribuant à 48 % de l’effet total de 3,1 points. Au sein de ces dépenses de transport, ce sont les dépenses d’utilisation de véhicules personnels, c’est-à-dire principalement le carburant, qui portent l’essentiel de la hausse de prix (+ 16,7 %, contribuant à 44 % de l’effet total). Sous la poussée des prix de l’électricité, du gaz et autres combustibles (+ 19 %), le logement avec des coûts du chauffage en forte hausse est le deuxième poste de consommation le plus affecté, + 3,2 % (contribuant à 28 % de l’effet total). Les autres postes de dépense qui ne sont pas directement affectés par le choc voient leur prix augmenter de 0,8 % en moyenne par les effets indirects, du fait de la hausse des prix de l’énergie. C’est la consommation de biens qui tire cette moyenne : les produits alimentaires et boissons non alcoolisées (+ 1,8 %), les articles d’habillement (+ 1,7 %), ou encore les biens et équipements de loisirs (+ 1,8 %). Mis à part les services de transport hors véhicules personnels, c’est-à-dire les transports collectifs (+ 3,2 %), les services sont peu affectés par la hausse des prix de l’énergie selon les hypothèses retenues ici. Des comportements d’ajustements et des effets de second tour pourraient amplifier ou atténuer le renchérissement de l’énergie La transmission de la hausse des prix de l’énergie, comptant pour un tiers de l’effet total de 3,1 points d’inflation, se matérialise progressivement, au fur et à mesure que le renchérissement de l’énergie se propage au sein du réseau de production. Elle peut être décomposée en plusieurs étapes. Dans un premier temps, les entreprises qui utilisent ces produits énergétiques augmentent leurs prix de vente aux ménages et aux autres entreprises de façon à compenser la hausse des prix de l’énergie, ce qui augmente l’inflation de 0,3 point. Dans un deuxième temps, les entreprises qui utilisent ces produits dont le prix augmente répercutent elles aussi ces hausses de coûts sur leurs prix de vente pour maintenir leur taux de marge, générant 0,3 point d’inflation supplémentaire, et ainsi de suite, avec encore 0,4 point d’inflation pour l’ensemble des transmissions suivantes. À très court terme (un ou deux trimestres), il est plausible que les entreprises ne répercutent en réalité qu’une partie seulement de la hausse des coûts de leurs intrants sur leurs prix de vente. Les comportements en la matière sont divers, selon notamment le pouvoir de marché des vendeurs. Dans une évaluation alternative de compression partielle des marges des entreprises, la hausse totale des prix se limiterait à 2,8 points au lieu de 3,1 points. Par ailleurs, les ménages et les entreprises ont pu reporter une partie de leurs achats vers des produits dont le prix augmente moins, ou réduire le volume de leurs dépenses (en particulier sur les produits énergétiques), ce qui réduirait l’inflation totale induite par le renchérissement de l’énergie. Au-delà des effets indirects, des effets de « second tour » sont susceptibles d’intervenir, dans la mesure où les différents acteurs, entreprises et salariés notamment, s’efforcent de maintenir la valeur réelle de leurs revenus. Ainsi, la rémunération des facteurs de production, travail et capital, devrait réagir à terme à la hausse des prix de façon à préserver, pour chaque acteur, la part de la valeur ajoutée lui revenant. En particulier, les hausses de prix sont de nature à stimuler les revalorisations salariales, l’indexation du salaire minimum étant du reste automatique. Ces hausses de coûts de production peuvent à leur tour être répercutées sur les prix de vente des entreprises, y compris dans les services. À cet égard, la hausse des prix évaluée à 3,1 points pourrait donc être vue comme un minorant, même si, à l’horizon d’un an qui correspond aux évaluations présentées ici, la non prise en compte explicite du rôle de l’indexation n’est sans doute pas trop dommageable. Les plus modestes subissent plus fortement le renchérissement de l’énergie La composition du panier de consommation des ménages diffère selon leur niveau de revenu. Ainsi, les dépenses d’énergie représentent 12,7 % des dépenses de consommation des 10 % des ménages avec les revenus les plus faibles, contre 9,5 % pour les 10 % des ménages avec les revenus les plus élevés. Plus la part de produits affectés par une forte hausse de prix est importante dans le panier d’un ménage, plus le ménage est affecté par 3. Effet sur l’inflation consécutive au renchérissement de l’énergie, par fonction de consommation en points de pourcentage Poste de dépense Consommation des ménages (en milliards d’euros) Hausse des prix avec bouclier Hausse des prix hors bouclier Effet total Effet direct Effet indirect Effet total Effet direct Effet indirect Produits alimentaires et boissons non alcoolisées 161,4 1,8 1,8 3,9 3,9 Boissons alcoolisées et tabac 42,5 1,8 1,8 4,1 4,1 Articles d'habillement et chaussures 42,6 1,7 1,7 3,4 3,4 Logement, eau, gaz, électricité et autres combustibles, dont : 323,9 3,2 3,1 0,2 9,4 9,0 0,4 électricité, gaz et autres combustibles 52,3 19,0 19,0 0,0 55,8 55,7 0,1 Meubles, articles de ménage et entretien courant de l'habitation 55,3 1,9 1,9 4,4 4,4 Santé 53,4 0,8 0,8 1,7 1,7 Transport, dont : 170,0 10,7 9,4 1,3 14,4 11,8 2,6 dépenses d'utilisation de véhicules 99,4 16,7 16,0 0,7 21,7 20,2 1,5 Communications 29,5 0,8 0,8 2,1 2,1 Loisirs et culture 95,2 1,2 1,2 2,8 2,8 Éducation 7,5 0,5 0,5 1,2 1,2 Hôtels, cafés et restaurants 87,4 0,9 0,9 2,0 2,0 Autres biens et services 156,0 0,8 0,8 1,7 1,7 Dépense de consommation des ménages 1 224,5 3,1 2,1 1,0 6,2 4,0 2,2 Effet des boucliers 3,1 1,9 1,2 Note : le niveau de consommation par poste est le montant annuel de consommation des ménages en 2017 dans la nomenclature COICOP. Lecture : la hausse des prix de l’énergie entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022 augmente directement de 9,4 points de pourcentage et indirectement de 1,3 point le coût du transport pour les ménages. En définitive, la hausse des prix de l’énergie ajoute 3,1 points d’inflation sur la période, contre 6,2 sans les mesures de bouclier. Source : Insee, comptes des ménages par catégories 2017, calculs Insee à l’aide du modèle Avionic. Insee Analyses   l n° 75    l Septembre 2022 cette inflation. De fait, avec prise en compte du bouclier tarifaire, le renchérissement de l’énergie entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022 augmente l’inflation de 3,3 points pour les ménages du premier dixième, contre 2,7 points pour ceux du dixième le plus élevé figure 4a. La hausse des prix liée au renchérissement de l’énergie est la plus marquée pour les ménages du troisième dixième de revenu (+ 3,5 points), puis elle diminue avec le niveau de vie et est la plus faible pour les ménages les plus aisés. Des écarts d’un ordre de grandeur similaire se retrouvent lorsque l’inflation est déclinée par profession, ce qui est cohérent dans la mesure où professions et revenus sont assez étroitement liés. Ainsi, les cadres sont les moins affectés (+ 2,7 points), tandis que les ouvriers (+ 3,6 points), les employés et les agriculteurs (+ 3,3 points) le sont davantage. Sans parvenir à réduire totalement les écarts, les mesures de bouclier mises en place limitent plus fortement l’inflation due aux prix de l’énergie pour les catégories de ménages les plus exposées. Ainsi elles la réduisent de 3,5 points chez les ménages des trois premiers dixièmes de niveau de vie, contre 2,8 points pour ceux du dernier dixième. De même, l’effet propre du bouclier a été de 3,2 points pour les ouvriers et les agriculteurs et 3,1 points pour les employés, contre 2,6 points pour les cadres figure 4b. Les ménages de 70 ans ou plus ont subi un renchérissement de leur consommation Autres inactifs Retraités ouvriers Retraités employés Retraités professions intermédiaires Retraités cadres Retraités autres indépendants Retraités agriculteurs Ouvriers Employés Professions intermédiaires Cadres Artisans, commerçants, chefs d'entreprises et professions libérales Agriculteurs 70 ans ou plus 60-69 ans 50-59 ans 40-49 ans 30-39 ans Moins de 30 ans 10e dixième 9e dixième 8e dixième 7e dixième 6e dixième 5e dixième 4edixième 3e dixième 2e dixième 1er dixième b. Effets propres des boucliers sur la hausse des prix (effet moyen de 3,1 points) en points de % 2,6 2,7 2,8 2,9 3,0 3,1 3,2 3,3 3,4 3,5 3,6 3,7 3,8 3,9 4,0 a. Hausse des prix, avec boucliers (effet moyen de 3,1 points) en points de % 2,7 2,8 2,9 3,0 3,1 3,2 3,3 3,4 3,5 3,6 Lecture : l’effet sur l’inflation consécutif au renchérissement de l’énergie entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022 s’établit à 3,3 points pour les ménages du premier dixième de niveau de vie, contre 3,1 points en moyenne. Les boucliers réduisent de 3,5 points l’inflation consécutive au renchérissement de l’énergie pour les ménages du premier dixième de niveau de vie, contre 3,1 points en moyenne. Source : Insee, comptes des ménages par catégories 2017, calculs Insee à l’aide du modèle Avionic. 4. Effets différenciés sur l’inflation consécutive au renchérissement de l’énergie et des mesures de bouclier, par catégorie de ménages Insee Analyses   l n° 75    l Septembre 2022 de 2,9 points, légèrement inférieur à celui des autres catégories d’âge. Si la part des dépenses liées au logement (notamment d’électricité et de gaz) est plus élevée chez les 70 ans ou plus, celle liée aux carburants est nettement plus faible. Sans les mesures de bouclier, bien plus protectrices jusqu’ici sur l’électricité et le gaz que sur les produits pétroliers, les plus âgés auraient au Retrouvez plus de données en téléchargement sur www.insee.fr contraire été plus fortement touchés par la hausse des prix. Les mesures de bouclier ont en effet permis de réduire de 3,5 points l’inflation pour les plus de 70 ans, contre 3,1 points en moyenne. Au sein des catégories présentées, le renchérissement de l’énergie peut avoir un impact différent selon la performance énergétique du logement occupé ou le lieu d’habitation. Habiter en zone rurale est ainsi associé à davantage de dépenses de carburant, donc à une inflation accrue. Alexandre Bourgeois, Raphaël Lafrogne-Joussier (Insee) Méthodes Les estimations des hausses de prix de l’énergie, avec et hors bouclier Les tarifs réglementés (TRV) de l’électricité et du gaz sont calculés et proposés par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Le TRV électricité fait l’objet d’une révision deux fois par an. Lors de la révision de février 2022, l’augmentation des prix de l’électricité sur les marchés de gros était telle que la hausse des TRV de 35,4 % TTC proposée par la CRE a été plafonnée à 4 % d’augmentation TTC ; c’est une mesure de bouclier tarifaire. De même pour les tarifs du gaz : la CRE publie mensuellement une révision des TRV gaz, et, depuis octobre 2021, les révisions qui auraient eu lieu si le gel des tarifs n’avait pas été mis en place. Par ailleurs, la CRE indique que les contrats en offre de marché représentent 33 % de la consommation d’électricité des ménages et 96 % de celle des entreprises, tandis que ces parts sont de 73 % et 100 % pour la consommation de gaz. Ne pas tenir compte des tarifs en offre de marché biaiserait donc les calculs. La note de conjoncture de l'Insee publiée en mars 2022 reconstitue la dynamique des prix payés par l’ensemble des clients à partir du tarif réglementé ; les évolutions des tarifs réglementés suivent de très près celles des contrats en offre de marché pour les ménages, ce qui permet de calculer une approximation du prix moyen en offre de marché à partir du seul tarif réglementé. L’évolution des prix payés par les ménages et les entreprises est une moyenne des évolutions des prix de marchés et des tarifs réglementés. Cette moyenne est pondérée par la prévalence des deux types d’accès à l’électricité, elle-même différente pour les ménages et les entreprises. En l’absence d’informations sur la dynamique des prix des offres de marchés via lesquelles se fournissent les entreprises, la hausse de ces prix est supposée suivre celle des offres de marché pour les ménages. Cette hypothèse est très forte. Il est probable que les prix pour les entreprises augmentent plus que ceux pour les ménages, ce qui conduit à sous-estimer la hausse des prix énergétiques pour les entreprises, et par suite l’effet indirect pour les ménages. Cette hypothèse implique que les entreprises bénéficient également du bouclier, bien qu’indirectement, ce qui conduit à surestimer l’effet du bouclier. Enfin, l’augmentation des prix de produits pétroliers (principalement carburants et fioul) suit de près celle du Brent. La hausse constatée sur les prix à la pompe diffusés par le ministère de la Transition écologique permet de calculer la hausse des prix des carburants, avec et sans remise de 15 centimes d’euro (hors taxes). La hausse du prix du fioul et des gaz liquéfiés est approchée par l’augmentation du prix du baril. L’augmentation totale du prix des produits pétroliers pour les ménages et les entreprises est calculée comme la moyenne des augmentations du prix à la pompe (avec et hors bouclier), du fioul domestique et des gaz liquéfiés, pondérés par leur poids dans l’indice des prix à la consommation. La modélisation de la transmission des hausses de prix dans l’économie L’effet d’une hausse des prix de l’énergie sur les prix de production des autres secteurs d’activité est calculé à partir du modèle entrées-sorties de prix de Leontief. Ce modèle, qui est implémenté dans le modèle Avionic (analyse variantielle input/output nationale en importations et en contenus) [Bourgeois, Briand, 2019], est étendu pour quantifier les conséquences de hausses simultanées sur les prix de production et des consommations intermédiaires de plusieurs produits (électricité, gaz et produits pétroliers). Ces conséquences sont ici celles d’un bouclage input/output, réalisé à partir du tableau des entrées-sorties (TES) symétrique de 2018, au niveau 138. Les produits énergétiques sont le D35A (Production, transport et distribution d’électricité), le D35B (Production et distribution de combustibles gazeux, de vapeur et d’air conditionné), et le C19Z (Cokéfaction et raffinage). Bourgeois et Briand (2019) estiment des coefficients de transmission d’une hausse des prix des consommations intermédiaires sur les prix de vente pour chaque branche. Passage du prix de base au prix d’acquisition Afin de respecter au mieux l’hypothèse de stabilité des coefficients techniques qui est à l’origine de la modélisation input/output, le choc est transmis au sein de l’économie suivant la structure d’un TES symétrique qui est à prix de base. Le prix de base est un prix dit « sortie d’usine », auquel il faut ajouter les différentes marges et taxes pour obtenir le prix effectivement payé par le consommateur, appelé prix d’acquisition. Cette opération est rendue possible par l’attribution, à chaque produit de l’économie, des impôts nets de subventions sur les produits ainsi que de la ventilation des marges de commerce et de transport. À titre d’exemple, pour passer du prix de base d’un livre commandé par Internet et acheminé jusqu’au domicile par un transporteur à son prix d’acquisition, il convient d’ajouter au prix de base les éléments suivants : • les impôts nets de subventions sur le produit « livre », par exemple la taxe sur la valeur ajoutée ; • les marges de commerce du vendeur : l’augmentation du prix du produit « commerce » doit être affectée aux marges qui sont appliquées par le vendeur sur le produit « livre » ; • les marges de transport du transporteur : l’augmentation du prix du produit « transport » doit être affectée aux marges qui sont appliquées par le transporteur sur le produit « livre ». L’augmentation complète du prix du livre pour le ménage qui réalise cet achat correspond donc à la prise en compte des variations de prix à toutes ces étapes. Le prix d’acquisition de certains produits est parfois bien plus élevé que leur prix de base : par exemple, il est presque deux fois plus élevé pour les produits agricoles. Ventilation via le compte des ménages : changement de nomenclature Le compte des ménages par catégories fournit les dépenses de différentes catégories de ménages (par tranche d’âge, grande catégorie socioprofessionnelle, niveau de vie) dans une nomenclature de consommation fonctionnelle à une quarantaine de postes (en cohérence avec l’enquête Budget des familles qui est elle aussi en nomenclature fonctionnelle, dite COICOP). Il est donc nécessaire d’agréger les résultats par produits obtenus en nomenclature de produits (NACE Rev.2) A138 dans cette nomenclature fonctionnelle. Une table de passage pondérée diffusée par les comptes nationaux de l’Insee est mobilisée pour cela. Direction générale : 88 avenue Verdier 92541 Montrouge Cedex Directeur de la publication : Jean-Luc Tavernier Rédaction en chef : B. Lhommeau, S. Pujol Rédaction : A. Saint-Ourens, P. Glénat Code Sage : IA75 ISSN 2416-7851 © Insee 2022 Reproduction partielle autorisée sous réserve de la mention de la source et de l’auteur Maquette : R. Pinelli Vanbauce @InseeFr www.insee.fr Sources Plusieurs sources de données sont mobilisées : • Données des comptes nationaux, en base 2014 (Insee) : tableau des entrées-sorties (TES) classique et symétrique pour l’année 2018 au niveau A138, ainsi que certaines informations permettant de passer du TES classique au TES symétrique, comme les marges de commerce et de transport par emploi final ; • Compte des ménages par catégories édition 2019 (sur données 2017) ; • Prix des produits pétroliers du ministère de la Transition énergétique ; • Prix de l’électricité en France et dans l’Union européenne en 2020 du service statistique ministériel du ministère chargé de l’énergie (Sdes) ; • Bilan annuel de l’énergie 2021 (Sdes) ; • Commission de régulation de l’énergie, 1er février 2022, évolution des tarifs réglementés de vente d’électricité : hausse de 4 % TTC au 1er février 2022 ; • Commission de régulation de l’énergie, publication des barèmes applicables pour les tarifs réglementés de vente de gaz naturel – Avril 2021 à juin 2022. Pour en savoir plus • Insee, « Guerre et prix », Note de conjoncture, juin 2022. • Insee, « Le « bouclier tarifaire » sur les prix de l’électricité et du gaz a nettement atténué l’augmentation de l’inflation en février », in Note de conjoncture, mars 2022. • Bourgeois A., Briand A., « Le modèle Avionic : la modélisation input/output des comptes nationaux », Documents de travail n° G2019/02, Insee, avril 2019. • Briand A., Oparowski S., « Les dépenses des Français en électricité depuis 1960 : des prix en hausse, mais toujours inférieurs aux autres pays européens », Insee Première n° 1746, avril 2019. • Insee, « La note de base 2014 Tome 3 : la dépense de consommation finale des ménages et la consommation effective finale des ménages », Note méthodologique, septembre 2018.